Índice do Blog
CAMILLE FLAMMARION
L’INCONNU
ET
LES PROBLEMES PSYCHIQUES
MANIFESTATIONS DE MOURANTS
APPARITIONS, TELEPATHIE
COMMUNICATIONS PSYCHIQUES
SUGGESTION MENTALE
VUE A DISTANCE
LE MONDE DES RÊVES
LA DIVINATION DE L’AVENIR
Tome II
Chapitre VI – L’action psychique d’un Esprit sur un autre
Transmissions de pensées – Suggestion mentale – Communications à distance entre vivants.
Celui qui, en dehors
des mathématiques pures,
prononce le mot impossible,
manque de prudence.
Arago
Nous avons pris soin de ne commencer ces études que par l’examen de faits d’un même ordre : les manifestations de mourants, à distance, afin d’en trouver plus facilement l’explication. Nous arriverons bientôt aux manifestations de morts, réelles ou apparentes, et aux autres phénomènes, avançant graduellement, lentement, mais sûrement. Le but de ces recherches est de savoir si l’observation scientifique positive possède des bases suffisantes pour prouver l’existence de l’âme, comme entité réelle indépendante, et sa survivance à la destruction de l’organisme corporel. Les faits examinés dans les chapitres précédents ont déjà placé la première proposition sur un bon terrain. L’hypothèse du hasard et de la coïncidence fortuite étant éliminée pour la télépathie par le calcul des probabilités, nous sommes forcés d’admettre l’existence d’une force psychique inconnue émanée de l’être humain et pouvant agir de grande distance.
Il paraît difficile, devant l’ensemble si éloquent et si démonstratif de ces témoignages, de nous refuser à cette première conclusion.
Ce ne sont pas les observateurs, ceux qui ont ressenti ces impressions, dont l’esprit s’est transporté vers le mourant. C’est celui-ci qui les a frappés. La plupart des exemples indiquent que la cause est là, et non dans une clairvoyance, une seconde vue des sujets impressionnés.
Il n’est pas non plus nécessaire de supposer que l’âme du mourant se déplace et se transporte vers le sujet impressionné. Il peut n’y avoir là qu’une radiation, un mode d’énergie encore inconnu, une vibration de l’éther, une onde allant frapper un cerveau et lui donnant l’illusion d’une réalité externe. Tous les objets que nous voyons, d’ailleurs, ne nous sont sensibles, n’arrivent à notre esprit que par des images cérébrales.
Cette hypothèse explicative me paraît nécessaire et suffisante, du moins en ce qui concerne le plus grand nombre des faits qui viennent d’être exposés.
Ces faits qui représentent, en réalité, un ordre de choses beaucoup plus répandu qu’on ne l’a pensé jusqu’à ce jour, n’ont rien de surnaturel. Le rôle de la science est : 1o de ne pas les rejeter aveuglément, et 2o de chercher à les expliquer. Or, de toutes les explications qui peuvent être imaginées, la plus simple, et, en même temps, celle qui semble s’imposer avec le plus de force, c’est d’admettre que l’esprit du mourant a agi à distance sur celui ou ceux des personnes qui ont été impressionnées. Les apparitions, les auditions, les spectres, les fantômes, les déplacements d’objets, les bruits, tout paraît fictif ; rien, par exemple, ne pourrait être photographié. A part certains cas sur lesquels nous aurons à revenir, c’est dans le cerveau des personnes impressionnées que tout se passe. Mais ce n’est pas moins réel pour cela.
Nous poserons donc comme conclusion des observations précédentes, qu’un esprit peut agir à distance sur un autre, sans l’intermédiaire habituel de la parole, ni d’aucun autre signe sensible. Il nous paraît tout à fait impossible de se refuser à cette conclusion, si l’on accepte les faits.
Cette conclusion va être surabondamment démontrée.
Il n’y a rien d’antiscientifique, rien de romanesque à admettre qu’une pensée agisse à distance sur un cerveau.
Faites vibrer une corde de violon ou de piano : à une certaine distance, une autre corde de violon, de piano vibrera et émettra un son. L’ondulation de l’air se transmet invisiblement.
Mettez en mouvement une aiguille aimantée. A une certaine distance, et sans contact, par simple induction, une autre aiguille aimantée oscillera synchroniquement avec la première.
Parlez à Paris, sur une lame de téléphone : la communication électrique ira faire vibrer l’autre lame sonore à Marseille. Le fil matériel n’est pas indispensable. Ce n’est pas une substance qui se transporte ; c’est une onde qui se propage.
Voilà une étoile à des millions de milliards de kilomètres, dans l’immensité des cieux, de la distance de laquelle la Terre n’est qu’un point absolument invisible. J’expose de cette étoile, au foyer d’une lentille, une plaque photographique : le rayon de lumière va travailler sur cette plaque, mordre, désagréger la couche sensible, et imprimer son image. Ce fait n’est-il pas beaucoup plus étonnant en lui-même que l’onde cérébrale qui va à quelques mètres, quelques kilomètres, quelques milliers de kilomètres, frapper un autre cerveau en rapport harmonique avec celui d’où elle est partie ?
A 149 millions de kilomètres de distance, à travers ce qu’on appelle « le vide », une commotion solaire produit sur la Terre une aurore boréale et une perturbation magnétique.
Tout être vivant est un foyer dynamique. La pensée elle-même est un acte dynamique. Il n’y a aucune pensée sans vibration corrélative du cerveau. Qu’y a-t-il d’extraordinaire à ce que ce mouvement se transmette à une certaine distance, comme dans le cas du téléphone, ou, mieux encore, du photophone (transport de la parole par la lumière) et de la télégraphie sans fil ?
Vraiment, dans l’état actuel de nos connaissances physiques, cette hypothèse n’est même pas une hardiesse. Elle ne sort pas du cadre de nos opérations habituelles.
Toutes nos sensations, de plaisir, de douleur, ou indifférentes, toutes, sans exception, ont lieu dans notre cerveau. Pourtant, nous les localisons toujours ailleurs, jamais au cerveau. Je me brûle le pied, je me pique le doigt, je me heurte le coude, je respire un parfum agréable, je mange des mets savoureux, je bois une liqueur exquise : toutes ces sensations sont instinctivement placées au pied, au doigt, au coude, dans la bouche, etc. En réalité pourtant, les nerfs les ont toutes, sans exception, transmises au cerveau, et c’est là seulement que nous les percevons. Nous pourrions nous brûler le pied jusqu’à l’os, nous n’éprouverions aucune sensation, si les nerfs qui vont du pied au cerveau étaient coupés en un point quelconque de leur parcours. Le nerf est un simple conducteur.
Le fait est démontré par l’anatomie et la physiologie. Ce qu’il y a peut-être de plus curieux encore, c’est qu’il n’est pas nécessaire qu’un membre existe pour qu’on le sente. Les amputés éprouvent les mêmes sensations que s’ils avaient encore le membre dont on les a privés. On a coutume de dire que l’illusion dure quelques temps, jusqu’à ce que, la plaie étant cicatrisée, le malade cesse de recevoir les soins de l’homme de l’art. Mais la réalité est que ces illusions persistent toujours, et qu’elles conservent la même intensité pendant toute la vie. Il reste une sensation de formication et de douleur ayant en apparence son siège dans les parties extérieures qui, cependant, n’existent plus. Ces sensations ne sont pas vagues, car l’amputé sent des douleurs ou des fourmillements dans tel ou tel orteil, à la plante ou sur le dos du pied, à la peau, etc. Un homme amputé de la cuisse éprouvait encore, au bout de douze années, les mêmes sensations que s’il eût possédé les orteils et la plante du pied. Un autre avait le bras amputé depuis treize ans et les sensations dans les doigts n’avaient jamais cessé chez lui ; il croyait toujours sentir sa main dans une situation courbée. Un autre, qui avait eu le bras droit écrasé par un boulet de canon et ensuite amputé, éprouvait encore, vingt ans après, des douleurs rhumatismales dans ce membre toutes les fois que le temps changeait. Le bras qu’il avait perdu lui paraissait sensible au moindre courant d’air !
Lorsque, dans une opération de rhinoplastie, on retourne un lambeau de la peau du front, taillé à la racine du nez, pour l’accoler au moignon du nez, le nez factice conserve, tant que le front n’a pas été coupé, les mêmes sensations que l’on éprouve lorsque la peau du front est excitée par un stimulant quelconque, c’est-à-dire que l’individu sent au front les attouchements qu’on exerce sur son nez.
La conséquence est que, lorsqu’une sensation aura pour condition ordinaire la présence d’un objet plus ou moins éloigné de notre corps et que l’expérience nous aura fait connaître cette distance, c’est à cette distance que nous situerons notre sensation. Tel est le cas en effet pour les sensations de l’ouïe et de la vue. Le nerf acoustique a sa terminaison extérieure dans la chambre profonde de l’oreille. Le nerf optique a la sienne dans la logette la plus interne de l’œil. Et, cependant, dans l’état actuel, ce n’est jamais là que nous situons nos sensations de son ou de couleur, mais hors de nous et souvent à une très grande distance. Les sons vibrants d’une grosse cloche nous semblent trembler bien haut et bien loin dans l’air ; un coup de sifflet de locomotive nous semble percer l’air à cinquante pas, à gauche. L’emplacement, même lointain, est bien plus net encore pour les sensations visuelles. Cela va si loin que nos sensations de couleur nous semblent détachées de nous ; nous ne remarquons plus qu’elles nous appartiennent, elles nous semblent faire partie des objets. Nous croyons que la couleur verte, qui nous semble étendue à trois pieds de nous sur ce fauteuil, est une de ses propriété ; nous oublions qu’elle n’existe que dans notre rétine ou plutôt dans les centres sensitifs qu’ébranle l’ébranlement de notre rétine. Si nous l’y cherchons, nous ne l’y trouvons pas ; les physiologiste ont beau nous prouver que l’ébranlement nerveux qui aboutit à la sensation de couleur commence dans la rétine, comme l’ébranlement nerveux qui aboutit à la sensation de contact commence dans les extrémités nerveuses de la main ou du pied ; ils ont beau nous montrer que l’éther vibrant choque l’extrémité de notre nerf optique comme un diapason vibrant choque la superficie de notre main ; nous n’avons pas la moindre conscience de cet attouchement de notre rétine, même quand nous dirigeons de ce côté tout l’effort de notre attention. Toutes nos sensations de couleur sont ainsi projetées hors de notre corps et revêtent les objets plus ou moins distants, meubles, murs, maisons, arbres, ciel et le reste. C’est pourquoi, quand ensuite nous réfléchissons sur elles, nous cessons de nous les attribuer ; elles se sont aliénées, détachées de nous jusqu’à nous paraître étrangères à nous.
La couleur n’est point dans l’objet ni dans les rayons lumineux qui en jaillissent. Elle est dans l’excitation de la rétine.
Peu importe que cette excitation soit produite par un jet de rayons lumineux ou autrement. Peu importe qu’elle soit ou non spontanée. Quelle que soit sa cause, sitôt qu’elle naît, la couleur naît et, en même temps, ce que nous appelons la figure visible. Partout, la couleur et la figure visible ne sont que des évènements intérieurs, en apparence extérieurs. Toute l’optique physiologique repose sur ce principe. Il résulte donc de notre organisation que la vision, l’audition, l’observation quelconque que nous faisons d’un objet ou d’un être, est due à une impression cérébrale et que, par conséquent, pour que nous croyions voir, entendre, toucher un être, il faut et il suffit que notre cerveau soit impressionné par un mouvement vibratoire qui lui donne une sensation adéquate au résultat obtenu.
Le cerveau, auquel aboutissent toutes les sensations, possède plusieurs centaines, plusieurs milliers de nerfs afférents, de nerfs efférents, de cellules et de nerfs intercellulaires, dans lesquels le courant nerveux se propage par plusieurs centaines et plusieurs milliers de chemins distincts et indépendants. Ces communications si compliquées sont établies par des milliers et des myriades de cellules et de nerfs. C’est ce qui est constaté par le microscope, les vivisections et les observations pathologiques. L’axe de la moelle épinière, long cordon de substance grise, contient notamment soixante-deux groupes principaux de centres nerveux distribués en trente et un couples, qui peuvent même agir, sans la tête, par actions réflexes. Sur un homme décapité dont l’électricité avait ranimé la moelle épinière, le docteur Robin, ayant gratté avec un scalpel la paroi droite de la poitrine, vit le bras du même côté se lever et diriger la main vers l’endroit irrité, comme pour exécuter un mouvement de défense. Le Dr Kuss, ayant amputé la tête d’un lapin avec des ciseaux mal effilés qui hachèrent les parties molles de façon à prévenir l’hémorragie, vit l’animal s’élancer sans sa tête et parcourir toute la salle avec un mouvement de locomotive parfaitement régulier . Les mécanismes vitaux sont reliés entre eux et subordonnés les uns aux autres ; leur ensemble ne représente pas une république d’égaux, mais une hiérarchie de fonctionnaires, et le système des centres nerveux dans la moelle et dans l’encéphale ressemble au système des pouvoirs administratifs dans un Etat. On peut le comparer au réseau télégraphique qui met en communication tous les départements avec Paris, tous les préfets avec les ministres, transmet les faits, reçoit les ordres. Une onde de changement moléculaire se propage le long d’un filet nerveux avec une vitesse qu’on évalue à 34 mètres par seconde pour les nerfs sensitifs, à 27 mètres pour les nerfs moteurs. Arrivée à la cellule cérébrale, cette onde y provoque un changement moléculaire encore plus grand ; nulle part il ne se produit un si grand dégagement de force. Nous pouvons comparer avec Taine, la cellule à un petit magasin de poudre qui, à chaque excitation du nerf afférent, prend feu, fait explosion et transmet multiplié au nerf efférent l’impulsion qu’il a reçue du nerf afférent. Tel est l’ébranlement nerveux au point de vue mécanique. Au point de vue physique, il est une combustion de la substance nerveuse qui en brûlant dégage de la chaleur. Au point de vue chimique, il est une décomposition de la substance nerveuse qui perd sa graisse phosphorée et sa neurine. Au point de vue physiologique, il est le jeu d’un organe qui, comme tous les organes, s’altère par son propre jeu et, pour fonctionner de nouveau, a besoin d’une réparation sanguine. Mais, par tout ces points de vue, nous n’atteignons dans l’événement que des caractères abstraits et des effets d’ensemble ; nous ne le saisissons point en lui-même et dans ses détails, tel que nous le verrions si, avec des yeux ou des microscopes plus perçants, nous pouvions le suivre, du commencement à la fin, à travers tous ses éléments et d’un bout à l’autre de son histoire. A ce point de vue historique et graphique, l’ébranlement de la cellule est certainement un mouvement intérieur de ses molécules, et ce mouvement peut être comparé très exactement à une figure de danse où les molécules très diverse et très nombreuses, après avoir décrit chacune avec une certaine vitesse une ligne d’une certaine longueur et d’une certaine forme, reviennent chacune à sa place primitive, sauf quelques danseurs fatigués qui défaillent, sont incapables de recommencer et cèdent leur place à d’autres recrues toutes fraîches pour que la figure puisse être exécutée de nouveau.
Voilà, autant qu’on peut le conjecturer, l’acte physiologique dont la sensation est le correspondant mental .
Tous les faits relatifs à la production et à l’association des idées peuvent s’expliquer par les vibrations du cerveau et celles du système nerveux qui y prend son origine, comme David Hartley l’a démontré au dix-huitième siècle . L’acoustique nous a, depuis, éclairés à cet égard. Une expérience bien connue de Sauveur montre qu’une corde sonore ne vibre pas seulement dans toute sa longueur, mais que chacune de ses moitiés, chacun de ses tiers, chacun de ses quarts, de ses cinquièmes, de ses sixièmes, etc., vibre séparément . Un phénomène d’un ordre analogue peut se produire dans les vibrations des fibres encéphaliques, et celles-ci seraient alors dans une situation analogue à celle des sons harmoniques. Une vibration déterminée par une idée serait accompagnée des vibrations correspondantes aux idées connexes ; et la connexité résulterait, soit du voisinage des fibres qu’elles affectent, soit de courants du même genre que l’induction électrodynamique.
Quoi qu’il en soit du monde de production et de répartition, toute pensée et toute association d’idées représentent un mouvement cérébral, une vibration d’ordre physique.
Les vibrations, l’action psychique à distance, quelle qu’elle soit, d’ailleurs, expliquent donc les faits de télépathie. Il n’y a pas là hallucination, mais impression physique réelle.
Vous lancez dans l’air d’un salon une note déterminée, soit par la voix, soit par le violon, soit de toute autre façon, par exemple un si bémol. La corde d’un piano voisin donnant ce si bémol vibrera et résonnera, tandis que les 84 autres cordes resteront sourdes et muettes. Si elles pouvaient penser, en remarquant l’agitation du si bémol, les autres cordes prendraient celle-ci pour une hallucinée, une nerveuse, une imaginative, parce qu’elles ont été insensibles au mouvement transmis et qu’elles l’ignorent.
Chaque sensation, comme chaque idée, correspond à une vibration dans le cerveau, à un mouvement des molécules cérébrales. Réciproquement, toute vibration cérébrale donne naissance à une sensation, à une idée, dans l’état éveillé aussi bien qu’en rêve. Il est naturel d’admettre qu’une vibration transmise et reçue donne naissance à une sensation psychique.
Une idée, tout intérieure, une impression, une commotion mentale peut, à l’inverse, produire des effets physiologiques plus ou moins intenses, et même amener la mort. Il ne manque pas d’exemples de personnes mortes subitement à la suite d’une émotion. La preuve est donnée depuis longtemps des effets de la puissance de l’imagination sur la vie elle-même. Personne n’a oublié l’expérience faite à Copenhague en 1750 sur un condamné, livré à des médecins pour une étude de ce genre, et qui fut observé jusqu’à la mort inclusivement. Ce malheureux avait été solidement attaché à une table avec de fortes courroies ; on lui avait bandé les yeux ; puis on lui avait annoncé qu’il allait être saigné au cou et qu’on laisserait couler son sang jusqu’à l’épuisement complet ; après quoi une piqûre insignifiante fut pratiquée à son épiderme avec la pointe d’une aiguille, et un siphon déposé près de sa tête, de manière à faire couler sur son cou un filet d’eau qui tombait sans interruption avec un bruit léger, dans un bassin placé à terre. Le supplicié convaincu qu’il avait dû perdre 7 à 8 litres de sang, mourut de peur.
Un autre exemple est celui d’un portier de collège qui s’était attiré la haine des élèves soumis à sa surveillance. Quelques-uns de ces jeunes gens s’emparèrent de sa personne, l’enfermèrent dans une chambre obscure et procédèrent devant lui à un simulacre d’enquête et de jugement. On récapitula tous ses crimes et on conclut que la mort seule pouvant les expier, cette peine serait appliquée par décapitation. En conséquence, on alla chercher une hache et un billot qu’on déposa au milieu de la salle, on annonça au condamné qu’il avait trois minutes pour se repentir de ses fautes et faire sa paix avec le ciel ; enfin, les trois minutes écoulées, on lui banda les yeux et on le força de s’agenouiller, le col découvert, devant le billot, après quoi les tortionnaires lui donnèrent sur la nuque un grand coup de serviette mouillée et lui dirent, en riant, de se relever. A leur extrême surprise, l’homme ne bougea pas. On le secoua, on lui tâta le pouls : il était mort .
Enfin, plus récemment, un journal anglais, La Lancette, a raconté qu’une jeune femme, voulant en finir avec la vie, avait avalé une certaine quantité de poudre insecticide, après quoi elle s’était étendue sur son lit où on la trouva morte. Il y eut enquête et autopsie. L’analyse de la poudre trouvée dans l’estomac démontra que cette poudre était absolument inoffensive, au moins pour un être humain, et pourtant la jeune femme était bel et bien morte .
Mon savant ami Ch. Richet, rapporte que son père ayant eu un jour l’opération de la pierre à faire subir à un malade de l’Hôtel-Dieu, celui-ci mourut de peur au moment où le chirurgien venait simplement de tracer avec l’ongle sur la peau la ligne que l’incision devait suivre.
Tous ces faits psychiques et physiologiques nous aident à comprendre la télépathie.
Assurément, cette recherche d’explication de phénomènes aussi bizarres ne marche pas sans soulever devant elle de nombreuses objections. La première c’est que ces manifestations de mourants, non seulement n’ont pas toujours lieu, non seulement ne sont pas fréquentes, non seulement sont exceptionnelles, mais encore n’arrivent pas dans des circonstances où il semble justement qu’elles devraient se produire, lors d’une mort tragique qui sépare brusquement deux cœurs tendrement unis, lors d’un drame qui brise tout d’un coup plusieurs existences, lors même que l’être qui meurt a absolument promis, espéré, désiré lui-même se manifester et donner à celui qui reste une preuve de son existence posthume. Sans doute, nous pouvons répondre que nous ignorons de quelle façon ces manifestations peuvent se produire, qu’il y a des lois inconnues, des difficultés, des impossibilités, qu’il est nécessaire que deux cerveaux soient en harmonie, en synchronisme, pour vibrer sous la même influence, que l’union intime de deux cœurs ne prouve pas l’égalité synchronique de deux cerveaux, etc., etc. Mais, puisque ces évènements ont lieu quelquefois, et dans des cas assez ordinaires, l’objection n’en subsiste pas moins, très grave.
Oui : très grave. Pour ma part, je me suis trouvé plusieurs fois, pendant cette vie, l’âme déchirée par la séparation brusque d’un être aimé. Dans mon adolescence, un ami intime, un camarade de classe, est mort en me promettant de me prouver sa survivance, si c’était possible. Nous avions si souvent discuté la question ensemble ! Plus tard, l’un de mes plus chers collègues de la presse scientifique me proposa le même pacte, accepté mutuellement. Plus tard encore, une personne qui m’était particulièrement attachée disparut de la vie au moment même où ce problème de la survivance nous passionnait tous les deux, et en me donnant l’assurance convaincue que son seul et unique désir était de voir sa mort prématurée servir à la démonstration de cette vérité. Et jamais, jamais, malgré mes attentes, malgré mes désirs, malgré mes vœux, je n’ai eu aucune manifestation, RIEN ! RIEN ! RIEN !
J’ai perdu mon père il y a quelques années. Il est vrai que j’étais à ses côtés et que je n’avais pas à être averti. Mais depuis, rien non plus.
J’avais pour mon grand-père et ma grand-mère une adoration déraisonnée ; ils m’adoraient eux-mêmes follement et je les aimais tant, qu’il m’a toujours été impossible, absolument impossible, d’aller à la tombe où ils reposent : longtemps avant d’arriver à ce petit cimetière de campagne, des sanglots m’étouffent, m’aveuglent et me cassent les jambes. Ils ne se sont jamais manifestés à moi d’aucune façon, ni au moment de leur mort, ni depuis leur départ de cette terre.
Mon cerveau n’est sans doute pas apte à percevoir ces sortes d’ondes éthérées, ni de sources vivantes, ni de sources posthumes. Rien, aucune sensation ne m’a prévenu de ces morts, et, depuis, aucune communication ne m’est parvenue.
Mais le rôle du chercheur, comme celui de l’historien, est de rester impersonnel, et nos propres impressions ne doivent pas nous influencer. Toutefois, la vérité, la loyauté, la franchise avant tout.
Une autre objection, c’est la bizarrerie de certaines manifestations, comme déjà nous l’avons remarqué. S’il y a action à distance d’un esprit sur un autre, pourquoi cette action donne-telle naissance à des illusions pareilles : ouvrir ou fermer une fenêtre, soulever un lit, frapper dans un meuble, rouler une boule sur le parquet, faire crier des gonds, etc. ? Il semble que cette action devrait être intellectuelle, donner l’audition d’une voix aimée, montrer l’image de l’être qui nous quitte, rester dans l’ordre psychique et moral.
Cette objection est moins grave que la précédente. Un grand nombre de manifestations consistent, d’une part, en vision ou audition. Pour les autres cas, nous pouvons supposer que la commotion qui se produit dans le cerveau du mourant se transmet à certaines cellules, à certaines fibres d’un autre cerveau, et détermine, dans cette zone cérébrale, une illusion, une impression quelconque. Une ondulation lumineuse, calorifique, électrique, magnétique, qui vient frapper, traverser un objet, soit, par exemple, une éponge, rencontre des résistances différentes, selon la nature de l’éponge, ses différences de densité, les substances minérales qu’elle peut tenir en suspension, etc., et chaque partie de l’éponge est différemment impressionnée. Les caprices apparents de la foudre nous offrent des bizarreries non moins étranges. Ici, la foudre brûle une personne qui flambe comme une botte de paille ; là, elle réduit les mains en cendre en laissant les gants intacts ; elle soude les anneaux d’une chaîne de fer comme dans le feu d’une forge, et, à côté, elle tue un chasseur sans faire partir le fusil qu’il tenait à la main ; ou elle fond une boucle d’oreille sans brûler la peau ; elle dévêtit entièrement une personne sans lui faire aucun mal, ou bien elle se contente de lui voler ses chaussures ou son chapeau ; elle photographie sur la poitrine d’un enfant, le nid qu’il saisissait au sommet d’un arbre foudroyé ; elle dore les pièces d’argent d’un porte-monnaie, en faisant de la galvanoplastie d’un compartiment à l’autre, sans que le porteur soit atteint ; elle démolit instantanément un mur de six pieds d’épaisseur et renverse un château séculaire, ou frappe une poudrière sans la faire éclater. Il y a beaucoup plus de bizarreries inexpliquées dans les faits et gestes de la foudre que dans les manifestations télépathiques .
Dans la recherche de la vérité, notre devoir est de ne nous dissimuler aucune objection. Celles que je viens de présenter n’empêchent pas les faits d’exister, et la seule explication de ces faits me paraît être l’action, à distance, d’un esprit sur un autre.
Maintenant, nous allons un peu plus loin. Existe-t-il, en dehors de l’ordre de choses que nous venons d’examiner, des exemples conduisant à admettre la probabilité, la réalité de cette action ? Avons-nous des preuves expérimentales, incontestables, de la transmission de pensée sans le concours des sens ?
Oui. Nous allons les passer en revue, les constater, les démontrer, car, dans cet ordre des choses, pour être sûr, il faut être dix fois sûr.
Et tout d’abord, dans les phénomènes du magnétisme humain.
Je ne parlerai pas d’un grand nombre d’expériences de suggestions hypnotiques auxquelles j’ai assisté, notamment chez le Dr Puel, chez le Dr Charcot, chez le Dr Baréty, chez le Dr Luys, chez le Dr Dumont-Pailler, etc., non pas que je doute de la réalité de la suggestion et de l’autosuggestion, mais parce qu’elles sont tellement connues qu’il est superflu de les rapporter ici.
Il y a aussi, dans cet ordre d’études, des expériences fort incertaines et même frauduleuses, les sujets eux-mêmes me l’ayant prouvé par leurs accusations réciproques et leurs aveux. La simulation est très fréquente dans ces genres d’expériences. Je ne citerai qu’un exemple. Le Dr Luys avait l’habitude de présenter au sujet soi-disant endormi des flacons qu’il posait sur sa nuque et qui contenaient des produits différents : eau pure, cognac, absinthe, huile de ricin, essence de thym, eau de laurier-cerise, ammoniaque, éther, essence de violette, etc. Le sujet devinait toujours de quoi il s’agissait et, souvent, en manifestait les symptômes. Malheureusement pour la valeur de l’expérience, le docteur présentait toujours les flacons dans le même ordre, du moins dans les séances auxquelles j’ai assisté. Un jour, je le priai d’intervertir l’ordre sans rien en dire. Il n’accepta pas, et me répondit que nous ne devions pas mettre en doute la bonne foi des sujets. Ce sujet était une jeune fille hystérique, actrice dans un théâtre de Paris. Je revins d’Ivry avec elle, et je ne tardai pas à être complètement édifié sur sa sincérité, ainsi que sur celle de ses compagnons d’expérimentation.
Pour être sûr de ces expériences, il est nécessaire qu’elles soient à l’abri de tout soupçon : que l’odeur ne puisse pas traverser la fermeture des flacons, surtout pour des odorats hyperesthésies ; que le sujet ne puisse rien deviner ; que l’expérimentateur même ne puisse pas le suggestionner, et ignore lui-même le contenu des flacons .
Il est indispensable de ne pas perdre notre temps à l’examen de cas douteux, car rien n’est plus absurde que le temps perdu. La vie est courte. Ne choisissons, n’admettons, n’examinons que des observations bien faites. Et puis, ne sortons pas de notre sujet : démontrer l’action psychique, mentale d’un esprit sur un autre.
C’est le somnambulisme qui nous fournira les premières. Voici, d’abord, un procès-verbal relatant trois faits de suggestion mentale, obtenus par MM. De Guaita et Liébault, au domicile de ce dernier à Nancy, le 9 janvier 1886 .
Nous soussignés, Liébault (Ambroise), docteur en médecine, et de Guaita (Stanislas), homme de lettres, tous deux demeurant actuellement à Nancy, attestons et certifions avoir obtenu les résultats suivants :
1o Melle Louise L…, endormie du sommeil magnétique fut informée qu’elle allait avoir à répondre à une question qui lui serait faite mentalement, sans l’intervention d’aucune parole ni d’aucun signe. Le Dr Liébault, la main appuyée au front du sujet, se recueillit un instant, concentrant sa propre attention sur la demande : « Quand serez-vous guérie ? » qu’il avait la volonté de faire.
Les lèvres de la somnambule remuèrent soudain :
« Bientôt », murmura-t-elle distinctement.
On l’invita alors à répéter, devant toutes les personnes présentes, la question qu’elle avait instinctivement perçue. Elle la redit dans les termes où elle avait été formulée dans l’esprit de l’expérimentateur.
2o M. Guaita, s’étant mis en rapport avec la magnétisée, lui posa mentalement une autre question :
« Reviendrez-vous la semaine prochaine ?
- Peut-être », fut la réponse du sujet.
Invitée à communiquer aux personnes présentes la question mentale, la magnétisée répondit :
« Vous m’avez demandé si vous reviendriez la semaine prochaine »
Cette confusion portant sur un mot de la phrase est très significative. On dirait que la jeune fille a bronché en lisant dans le cerveau du magnétiseur.
3o Le Dr Liébault, afin qu’aucune phrase indicative ne fût prononcée, même à voix basse, écrivit sur un billet :
« Mademoiselle, en se réveillant, verra son chapeau noir transformé en chapeau rouge. »
Le billet fut passé, d’avance, à tous les témoins ; puis MM. Liébault et Guaita posèrent en silence leurs mains sur le front du sujet, en formulant mentalement la phrase convenue. Alors, la jeune fille, instruite qu’elle verrait dans la pièce quelque chose d’insolite, fut réveillée. Sans une hésitation, elle fixa aussitôt son chapeau et, avec un grand éclat de rire, se récria. Ce n’était pas son chapeau ; elle n’en voulait pas. Il avait bien la même forme ; mais cette plaisanterie avait assez duré ; il fallait lui rendre son bien.
« Mais enfin, qu’y voyez-vous changé ?
Vous le savez ; du reste, vous avez des yeux comme moi.
Mais encore ?… »
On dut insister très longtemps pour qu’elle consentit à dire en quoi son chapeau était changé ; on voulait se moquer d’elle. Pressée de questions, elle dit enfin :
« Vous voyez bien qu’il est tout rouge. »
Comme elle refusait de le reprendre, force fut de mettre fin à son hallucination, en lui affirmant qu’il allait revenir à sa couleur première. Le Dr Liébault souffla sur le chapeau, et, redevenu le sien à ses yeux, elle consentit à le reprendre.
Tels sont les résultats que nous certifions avoir obtenus de concert. En foi de quoi, nous avons rédigé le présent procès-verbal.
Stanislas De Guaita, A.A. Liébault
La suggestion mentale a fait, depuis plusieurs années, l’objet d’études fort importantes, à la tête desquelles il convient de placer l’ouvrage spécial du Dr Ochorowiez. Nous extrairons de cet ouvrage quelques expériences caractéristiques :
M. de la Souchère, ancien élève de l’école polytechnique, savant chimiste résidant à Marseille, avait pour domestique une femme de la campagne, chez laquelle se produisaient, avec la plus grande facilité, le somnambulisme et plusieurs de ces phénomènes remarquables. En somnambulisme magnétique, dit-il, Lazarine entrait avec moi en parfaite communication de pensée, et elle était tellement insensible que je lui enfonçais des aiguilles dans la chair, dans les ongles, sans qu’elle éprouvât la moindre douleur et sans qu’il sortît une goutte de sang.
En présence de l’ingénieur Gabriel et de quelques amis, j’ai répété les expériences suivantes : je lui faisais boire de l’eau pure, et elle me disait qu’elle avait le goût que je me représentais : limonade, sirop, vin, etc. On m’indiqua de lui faire boire du sable. Elle ne put deviner. Alors, je mis du sable dans ma bouche, et, immédiatement, elle se mit à cracher, en disant que je lui donnais du sable. J’étais alors derrière elle, et il lui était impossible de me voir.
Une expérience analogue, mais encore plus avancée, est citée par le comte de Maricourt. Le sujet ayant bu, à l’état de veille, un verre d’eau, avec suggestion mentale d’un verre de kirsch, manifesta tous les signes de l’ivresse pendant plusieurs jours. Ce sont les phénomènes de ce genre qui ont fait croire aux magnétiseurs qu’ils peuvent, en magnétisant un verre d’eau ou un autre objet, imprégner leur fluide de différentes qualités physiques ou chimiques. La magnétisation est ici inutile, puisque c’est la pensée qui agit sur le cerveau du sujet et non sur l’objet.
Quelqu’un me remet un livre : Robinson Crusoé. Je l’ouvre et j’examine une gravure qui représentait Robinson dans un canot. Lazarine, interrogée sur ce que je fais, répond :
« Vous avez un livre, vous ne lisez pas ; vous regardez une image ; il y a un bateau et un homme dedans. »
Je lui dis de me décrire l’ameublement d’une chambre qu’elle ne connaissait pas, et elle indiqua les meubles au fur et à mesure que je me les représentais. Je n’ai pas vu chez ma domestique, la transposition des sens. On lui avait appliqué sur l’épigastre divers objets : si je les connaissais, elle les indiquait ; si j’ignorais ce qu’ils étaient, elle ne pouvait les nommer. Ce n’était donc que la transmission de la pensée qui se produisait en elle. Il était impossible que, dans certains cas, ce que l’on a attribué à la transposition des sens n’ait été qu’un effet de la transmission de la pensée.
Le Dr Texte a, plusieurs fois, constaté que la somnambule peut suivre la pensée du magnétiseur.
Melle Diana, dit-il, suivait une conversation pendant laquelle je ne parlais que mentalement. Elle répondait aux questions que je lui adressais de cette manière.
Il cite encore une expérience remarquable dans laquelle la suggestion mentale se manifeste comme une hallucination :
J’imaginai, un jour, une barrière en bois autour de moi ; sans rien dire, je mis en somnambulisme Melle H..., jeune personne très nerveuse, et je la priai de m’apporter mes livres. Arrivée à l’endroit où j’avais imaginé la barrière, elle s’arête, disant qu’elle ne peut plus avancer.
« Quelle singulière idée, dit-elle, d’avoir mis là une barrière ! »
Si on la prend par la main pour la faire passer, ses pieds sont collés au parquet, le haut du corps se porte seul en avant, et elle dit qu’on lui presse l’estomac sur l’obstacle.
En général, si le somnambule croit voir quelque chose en dehors des conditions ordinaires, il faut se demander tout d’abord si ce n’est pas une simple suggestion involontaire de notre part.
Un étudiant en médecine demanda à une de mes somnambules quels malades le jury lui donnera à examiner pour une épreuve du doctorat. Elle décrivit très nettement trois malades à l’Hôtel-Dieu, qui avaient attiré plus spécialement l’attention de l’étudiant et que celui-ci aurait désirés comme sujet de son examen. Elle ajouta même (détail caractéristique) sur un de ces sujets :
« Oh ! Comme cette femme a l’œil brillant..., et fixe !... Il me fait peur... cet oeil !
Voit-elle cet oeil brillant ? demanda l’étudiant.
Attendez... je ne sais pas... cet oeil est dur... Il n’est pas naturel.
En quoi est-il cet oeil ?
En quelque chose... qui se casse... et qui brille... Oh !... elle le sort... elle le met dans l’eau..., etc., etc. »
Cette malade avait un oeil de verre : ce fait, ignoré absolument de moi, puisque je ne connaissais pas les malades en question, mais connu de l’étudiant qui posait des interrogations à la somnambule, a été parfaitement décrit par celle-ci. Où en puisait-elle l’image ? Dans le psychisme de l’interrogateur, qui, par l’intermédiaire du mien, se reflétait en elle.
Il est juste d’ajouter que les prédictions de la somnambule ne se réalisèrent pas ; qu’au jour de son épreuve l’étudiant eut à examiner d’autres malades, et qu’il n’y fut pas même question des malades décrits par la somnambule.
Ordinairement, dit le Dr Charpignon, la vision à distance est confondue avec le phénomène de la transmission de pensée. Ainsi, la plupart des expériences que l’on cite consistent à prier le somnambule d’aller chez vous ou dans un endroit que vous connaissez. Vous êtes en rapport avec lui, et il vous décrit le plus souvent les lieux, les objets, avec la précision la plus exacte. Eh bien, il n’y a pas là, le plus souvent, vision réelle ; le somnambule voit dans votre pensée, les images que vous y tracez .
Un prestidigitateur bien connu, Robert Houdin, s’intéressait à ces questions. Il imitait la double vue et la transmission de pensée à l’aide d’un truc ingénieux. Incrédule en fait de somnambulisme, habitué à produire des prodiges, il faisait très peu de cas du merveilleux et croyait en posséder le secret ; il regardait, lui aussi, tous les hauts faits attribués à la lucidité comme des tours d’adresse, de même nature que ceux dont il amusait le public. Dans plusieurs villes ou les somnambules avaient quelques succès, il se faisait un jeu de contrefaire leurs exercices, et même de les surpasser. M. de Mirville, le célèbre démonologue, qui, dans son système a besoin de somnambulisme pour en faire honneur aux esprits infernaux, eut l’ambition de convertir un adversaire aussi redoutable ; il pensait avec raison que, s’il parvenait à lui démontrer que la lucidité appartient à un ordre de choses complètement étranger à ses études et à sa pratique, le témoignage d’un juge aussi expert serait d’un très grand poids pour servir la cause du somnambulisme. Il le conduisit chez le somnambule Alexis. M. de Mirville rend compte, dans son livre des Esprits, de la scène qui eut lieu.
Morin, autour d’un livre spirituel mais sceptique, sur le magnétisme, affirme que Robert Houdin lui confirma l’exactitude de la narration de M. de Mirville :
J’étais confondu, dit le magicien ; il n’y avait plus là ni adresse, ni escamotage. J’étais témoin de l’exercice d’une faculté supérieure, inconcevable, dont je n’avais pas la moindre idée, et à laquelle j’aurais refusé de croire si les faits ne se fussent pas passés sous mes yeux. J’étais tellement ému que la sueur me ruisselait sur le visage.
Le prestidigitateur cite, entre autres, l’expérience suivante :
Alexis, prenant les mains de ma femme, qui m’avait accompagné, lui parla d’évènements passés et notamment de la perte bien douloureuse d’un de nos enfants ; toutes les circonstances étaient parfaitement exactes.
Dans ce cas, le somnambule lisait dans la pensée de Mme Houdin ses souvenirs et ses sentiments plus ou moins réveillés dans sa conscience.
Un autre fait montre en même temps la vision et la clairvoyance, également par la transmission des souvenirs.
Un médecin fort incrédule, le Dr Chomel, voulant aussi s’éclairer par lui-même, présenta une petite boîte à Alexis. Celui-ci la palpa sans l’ouvrir, et dit :
« C’est une médaille ; elle vous a été donnée dans des circonstances bien singulières. Vous étiez alors un pauvre étudiant. Vous demeuriez à Lyon, dans une mansarde. Un ouvrier auquel vous avez rendu des services, trouva cette médaille dans des décombres, pensa qu’elle pourrait vous être agréable, et grimpa vos six étages pour vous l’offrir. »
Tout cela était vrai. Certes, ce sont là de ces choses qu’on ne peut ni deviner ni rencontrer par hasard. Le docteur partagea notre admiration.
Il y a des faits de vue à distance indépendants de la transmission de pensée. Nous nous en occuperons plus tard. Il importe d’établir les distinctions nécessaires et d’éloigner des confusions très fréquentes. Ce que nous voulons ici, c’est démontrer la réalité scientifique de la transmission de pensée et de la suggestion mentale. Nous n’avons pas non plus à parler des suggestions verbales, des ordres donnés par la voix et exécutés après tel ou tel délai fixé. Ne sortons pas de notre sujet spécial. Continuons notre étude.
Au mois de novembre 1885, M. Paul Janet, de l’Institut, a lu à la Société de psychologie une communication de son neveu, M. Pierre Janet, professeur de philosophie au lycée du Havre : « Sur quelques phénomènes de somnambulisme ». Ce titre, prudemment vague, cachait des révélations tout à fait extraordinaires. Il s’agissait une série d’essais faits par MM. Gibert et Janet, et qui paraissaient prouver non seulement la suggestion mentale en général, mais encore la suggestion mentale à une distance de plusieurs kilomètres et à l’insu du sujet.
Ce sujet, nommé Léonie B., était une brave femme de la campagne, une Bretonne, âgée d’une cinquantaine d’années, bien portante, honnête, fort timide, intelligente quoique sans aucune instruction (ne sachant même pas écrire et épelant à peine quelques lettres). Elle était d’une forte et robuste constitution ; elle a été hystérique étant jeune, mais fut guérie par un magnétiseur inconnu. Depuis ce n’est qu’en somnambulisme que se manifestent quelques traces d’hystérie, sous l’influence d’une contrariété. Elle a un mari et des enfants qui jouissent d’une bonne santé. Plusieurs médecins ont déjà, paraît-il, voulu faire sur elle des expériences, mais elle a toujours refusé leurs propositions. Ce n’est que sur la demande de M. Gilbert qu’elle a consenti à venir passer quelques temps au Havre. On l’endort très facilement ; il suffit pour cela de lui tenir la main en la serrant légèrement, pendant quelques instants, avec l’intention de l’endormir. Autrement, rien ne se produit. Après un temps plus ou moins long (2 à 5 minutes, suivant la personne qui l’endort) le regard devient vague, les paupières sont agitées de petits mouvements souvent très rapides, jusqu’à ce que le globe oculaire se cache sous la paupière. En même temps, la poitrine se soulève avec effort ; un état de malaise évident semble envahir le sujet. Très souvent le corps est agité de frissonnements fugaces ; elle pousse un soupir et se renverse en arrière, plongée dans un sommeil profond.
Le Dr Ochorowicz fit le voyage du Havre pour se rendre compte de ces faits.
Le 24 août, dit-il, j’arrive au Havre et je trouve MM. Gilbert et Janet tellement convaincus de la réalité de l’action à distance qu’ils se prêtent volontiers aux minutieuses précautions que je leur impose pour me permettre de vérifier le phénomène.
MM. Myers, et le Dr Myers, membres de la Society for psychical Researches, M. Marillier de la Société de psychologie, et moi, nous formons une sorte de commission, et les détails de toutes les expériences sont réglés par nous d’un commun accord.
Voici les précautions qui nous ont guidés dans ces essais :
1o L’heure exacte de l’action à distance est tirée au sort.
2o Elle est communiquée à M. Gilbert que quelques minutes avant le terme, et aussitôt les membres de la commission se rendent au pavillon où habite le sujet.
3o Ni le sujet, ni aucun des habitants du pavillon situé à près d’un kilomètre de distance, n’a connaissance de l’heure exacte, ni même du genre de l’expérience qui doit avoir lieu.
Pour éviter la suggestion involontaire, ni nous, ni aucun de ces messieurs n’entrent dans le pavillon que pour vérifier le sommeil.
On décide de faire l’expérience de Cagliostro : endormir le sujet de loin et le faire venir à travers la ville.
Il était huit heures et demie du soir. M. Gilbert consent. On tire l’heure exacte au sort. L’action mentale devait commencer à 9 heures moins 5 et durer jusqu’à 9 h. 10. En ce moment, il n’y avait personne au pavillon, sauf M. B… et la cuisinière, qui ne s’attendaient à aucune tentative de notre part. Personne n’est allé au pavillon. Profitant de cette absence, les deux femmes étaient entrées dans le salon et s’amusaient à « jouer au piano ».
Nous arrivons dans les environs du pavillon à 9 heures passées. Silence.
La rue est déserte. Sans faire le moindre bruit, nous nous divisons en deux parties pour surveiller la maison à distance.
A 9 h. 25, je vois une ombre apparaître à la porte du jardin. C’était elle. Je m’enfonce dans un coin pour entendre sans être remarqué.
Mais je n’entends plus rien : la somnambule après être restée une minute à la porte s’était retirée dans le jardin. (A ce moment, M. Gilbert n’agissait plus ; à force de concentrer sa pensée, il a eu une sorte de syncope ou d’assoupissement qui dura jusqu’à 9 h. 35.)
A 9 h.30, la somnambule reparaît de nouveau sur le seuil de la porte, et cette fois-ci elle se précipite sans hésiter dans la rue, avec l’empressement d’une personne qui est en retard et qui doit absolument atteindre son but. Ces messieurs qui se trouvaient sur sa route n’ont pas eu le temps de nous prévenir, M. le Dr Myers et moi. Mais ayant entendu des pas précipités, nous nous mîmes à suivre la somnambule qui ne voyait rien autour d’elle, ou au moins ne nous a pas reconnus.
Arrivée du Bard, elle commença à chanceler, s’arrêta un moment et faillit tomber.
Tout à coup, elle reprend vivement sa marche. Il était 9 h. 35. (En ce moment, M. Gilbert, revenu à lui, recommença l’action.) La somnambule marchait vite, sans s’inquiéter de l’entourage.
En dix minutes, nous étions tout près de la maison de M. Gilbert, lorsque celui-ci, croyant l’expérience manquée et étonné de ne pas nous voir de retour, sort à notre rencontre et se croise avec la somnambule, qui garde toujours les yeux fermés.
Elle ne le reconnaît pas. Absorbée dans sa monomanie hypnotique, elle se précipite dans l’escalier, suivie par nous tous. M. Gilbert voulut entrer dans son cabinet, mais je le prends par la main et je le mène dans une chambre opposée à la sienne.
La somnambule, très agitée, cherche partout, elle se heurte contre nous, ne sentant rien ; elle entre dans le cabinet, tâte les meubles en répétant d’un ton désolé : « Où est-il ? Où est-il, M. Gilbert ? »
Pendant ce temps, le magnétiseur reste assis et courbé sans faire le moindre mouvement. Elle entre dans la chambre, elle le touche presque en passant, mais son excitation l’empêche de le reconnaître. Elle s’élance encore une fois dans d’autres chambres. C’est alors que M. Gilbert a eu l’idée de l’attirer mentalement, et, à la suite de cette volonté ou par simple coïncidence, elle revient sur ses pas et l’attrape par les mains.
A ce moment, une joie folle s’empare d’elle. Elle saute sur le canapé comme une enfant et frappe des mains en criant : « Vous voilà ! Vous voilà enfin ! Ah ! Comme je suis contente !
« J’avais enfin, déclare le Dr Ochorowicz, constaté le phénomène extraordinaire de l’action à distance, qui bouleverse toutes les opinions actuellement admises. »
Citons aussi l’expérience suivante :
Le 10 octobre 1885, écrit M. Janet, nous convenons, M. Gilbert et moi, de faire la suggestion suivante : « Demain, à midi, fermer les portes de la maison. » J’inscrivis la suggestion sur un papier que je gardai sur moi et que je ne voulus communiquer à personne. M. Gilbert fit la suggestion en rapprochant son front de Mme B… pendant le sommeil léthargique, et pendant quelques instants concentra sa pensée sur l’ordre qu’il lui donnait mentalement. Le lendemain, quand j’arrivai à midi moins un quart, je trouvai la maison barricadée, et la porte fermée à clef. Renseignement pris, c’était Mme B… qui venait de la fermer ; quand je lui demandai pourquoi elle avait fait cet acte singulier, elle me répondit : « Je me sentais très fatiguée et je ne voulais pas que vous puissiez entrer pour m’endormir. » Mme B… était à ce moment très agitée ; elle continua à errer dans le jardin et je la vis cueillir une rose et aller visiter la boite aux lettres placée près de la porte d’entrée. Ces actes sont sans importance, mais il est curieux de remarquer que c’était précisément les actes que nous avions un moment songé à lui commander la veille. Nous nous étions décidés à lui en ordonner un autre, celui de fermer les portes, mais la pensée des premiers avait sans doute occupé l’esprit de M. Gilbert pendant qu’il commandait et elle avait elle aussi eu son influence. »
Le 13 octobre, M. Gilbert lui ordonna, toujours par la pensée, d’ouvrir un parapluie le lendemain à midi et de faire deux fois le tour du jardin. Le lendemain, elle fut très agitée à midi, fit deux fois le tour du jardin, mais n’ouvrit pas de parapluie. Je l’endormis peu de temps après pour calmer une agitation qui devenait de plus en plus grande. Ses premiers mots furent ceux-ci : « Pourquoi m’avez-vous fait marcher tout autour du jardin… j’avais l’air bête… encore s’il avait fait le temps d’hier, par exemple… mais aujourd’hui j’aurai été tout à fait ridicule. » Ce jour-là, il faisait fort beau, et la veille il pleuvait beaucoup : elle n’avait pas voulu ouvrir un parapluie de peur de paraître ridicule.
Autre expérience encore.
Le Dr Dussart rapporte qu’il donnait chaque jour à sa magnétisée, avant de la quitter, l’ordre de dormir jusqu’au lendemain à une heure fixée.
Un jour, dit-il, j’oubliai cette précaution, et j’étais déjà à 700 mètres de distance, lorsque je m’en aperçus. Ne pouvant retourner sur mes pas, je me dis que peut-être mon ordre serait entendu malgré la distance, puisque à 1 ou 2 mètres un ordre mental était exécuté. En conséquence, je formule l’ordre de dormir jusqu’au lendemain huit heures et je poursuis mon chemin. Le lendemain, j’arrive à sept heures et demie, la malade dormait. « Comment se fait-il que vous dormiez encore ? Mais monsieur, je vous obéis. Vous vous trompez, je suis parti sans vous donner aucun ordre. C’était vrai ; mais, cinq minutes après, je vous ai parfaitement entendu me dire de dormir jusqu’à 8 heures. Cette dernière heure était celle que j’indiquais ordinairement. Il était possible que l’habitude fut la cause d’une illusion et qu’il n’y eût ici qu’une simple coïncidence. Pour en avoir le cœur net et ne laisser prise à aucun doute, je commandai à la malade de dormir jusqu’à ce qu’elle reçût l’ordre de s’éveiller. Dans la journée, ayant trouvé un intervalle libre, je résolus de compléter l’expérience. Je pars de chez moi (7 kilomètres de distance), en donnant l’ordre du réveil. Je constate qu’il est 2 heures. J’arrive et trouve la malade éveillée, les parents sur ma recommandation avaient noté l’heure exacte du réveil. C’était rigoureusement celle à laquelle j’avais donné l’ordre. Cette expérience, plusieurs fois renouvelée à des heures différentes, eut toujours le même résultat.
Voici qui paraîtra plus extraordinaire encore :
Le 1er janvier, je suspendis mes visites et cessai toute relation avec la famille. Je n’en avais plus entendu parler, lorsque le 12, faisant des courses dans une direction opposée et me trouvant à dix kilomètres de la malade, je me demandai si, malgré la distance, la cessation de tous rapports et l’intervention d’une tierce personne (le père magnétisant désormais sa fille), il me serait encore possible de me faire obéir. Je défends à la malade de se laisser endormir, puis, une demie heure après, réfléchissant que si par extraordinaire j’étais obéi, cela pourrait porter préjudice à cette malheureuse fille, je lève la défense et cesse d’y penser. Je fus fort surpris, lorsque, le lendemain, à 6 heures du matin, je vis arriver chez moi un expres portant une lettre du père de Mlle J… Celui-ci me disait que la veille, 12, à 10 heures du matin, il n’était arrivé à endormir sa fille qu’après une lutte prolongée et très douloureuse. La malade, une fois endormie, avait déclaré que si elle avait résisté, c’était sur mon ordre, et ne s’était endormie que quand je l’avais permis. Ces déclarations avaient été faites vis-à-vis des témoins auxquels le père avait fait signer les notes qui les contenaient.
Il devient donc probable qu’avec une connaissance exacte des conditions du phénomène, on pourra arriver à communiquer à distance des pensées entières, comme on le fait aujourd’hui par téléphone .
Le Dr Charles Richet rapporte qu’étant avec ses collègues de la salle de garde, à déjeuner, son confrère Landouzy, alors interne comme lui à l’hôpital Beaujon, étant présent, il affirma qu’il pouvait endormir une malade à distance, et la ferait venir à la salle de garde uniquement par un acte de sa volonté. Au bout de dix minutes, personne n’étant venu, l’expérience fut considérée comme échouée. « En réalité, écrit l’expérimentateur, elle n’avait pas échoué, car, quelques temps après, on vint me prévenir que la malade se promenait dans les couloirs endormie, cherchant à me parler et ne me trouvant pas ; et, en effet, il en était ainsi sans que je puisse de sa part obtenir d’autre réponse pour expliquer son sommeil et sa promenade vagabonde, sinon qu’elle désirait me parler ».
Toutes ces expériences démontrent l’action psychique à distance.
Ces faits si curieux de l’action de la volonté dans les expériences du magnétisme ont été observés des centaines, des milliers de fois.
Voici, par exemple, un cas de sommeil somnambulique provoqué par M. E. Boirac, recteur de l’Académie de Grenoble.
En septembre 1892, écrit-il, j’étais installé avec tous les miens, pour y passer les vacances, dans la petite ville d’Amélie-les-Bains.
On parlait beaucoup des séances données par un jeune homme du pays qui se faisait appeler Dockman. J’eus la curiosité d’y assister. Ce jeune homme, âgé d’environ vingt ans, brun et sec, très nerveux, avait, trois ans auparavant, été magnétisé par un médecin de marine, et avait senti s’éveiller en lui la vocation de liseur de pensées. Tout le monde connaît ce genre de spectacle où un assistant réussit plus ou moins heureusement à transmettre sa volonté sans paroles, sans gestes, et même sans contact, par un simple effort mental.
La pénétration du jeune montagnard me parut souvent mise à défaut, et lui-même m’avoua qu’il essayait de deviner à toutes sortes d’indices les intentions de son conducteur. « Vous auriez besoin, lui dis-je en riant, de vous faire endormir à nouveau pour recouvrer votre ancienne lucidité ; si le cœur vous en dit, je suis tout prêt à vous rendre ce service. » Dockman parut surpris et quelque peu choqué de ma proposition : « C’est moi qui endors les gens, dit-il ; on ne m’endort plus ».
Pourtant, quelques jours plus tard, probablement pour complaire au maire de la ville qui semblait avoir le désir s’assister à une séance d’hypnotisme, Dockman consentit à me laisser faire. Donc, un soir vers dix heures, devant un cercle de quatre à cinq personnes, je lui saisis les pouces et le regardai fixement dans les yeux : au bout de quelques minutes, le voilà endormi, si toutefois on peut appeler sommeil l’état comateux cataleptique où il paraît plongé. Tout son corps est raidi : ses mâchoires sont crochetées, et j’obtiens à grand peine de brèves réponses à mes questions. Le réveil se produit avec une extrême lenteur, et un second sommeil présente les mêmes caractères. Bref, le sujet me semble guère intéressant, et je ne vois pas grand chose à en tirer.
Le lendemain, selon mon habitude, je me rendis au Casino vers une heure de l’après-midi pour y prendre le café ;
Je m’assois sur la terrasse, et tout en dégustant le café qu’on vient de me servir, je laisse errer mes regards au-dessous de moi. Dockman est assit dans le jardin, avec un ami qui parcourt un journal : il me tourne presque le dos et s’occupe à rouler une cigarette. Comment l’idée me vint-elle d’essayer l’expérience dont on va lire le récit ? Je ne sais, mais enfin cette idée me vint, et de toutes les forces de ma volonté je la mis immédiatement à exécution. Concentré, isolé dans cette seule pensée, regardant fixement dans la direction de Dockman, je lui ordonnai de cesser tout mouvement et de s’endormir. A aucun moment il ne parut s’apercevoir de mon regard, mais, assez rapidement, je vis ses gestes se ralentir, ses yeux devenir fixes. La cigarette inachevée entre les mains, il abaissa tout à coup ses paupières et resta immobile, pareil à une statue. Son ami lève la tête, l’aperçoit en cet état, l’interpelle et n’obtient pas de réponse. Une chanteuse, assise à la table voisine, s’effraie, jette déjà des cris. Je me hâte de descendre, et, en quelques secondes, lui soufflant vivement sur les yeux, je réveille mon sujet improvisé qui ne semble même pas savoir ce qui vient de lui arriver.
J’avais tenté cette expérience à tout hasard, ne comptant nullement sur un succès, et j’étais moi-même stupéfait du résultat. Le lendemain, l’occasion s’offre à moi de la renouveler. J’arrive au Casino vers 1 heure et demie. Cette fois, Dockman était assis à la terrasse, seul, à une table où il écrivait une lettre, courbé en deux, le nez presque sur son buvard. Ma table était à 5 ou 6 mètres de la sienne, entre lui et moi se trouvait un quadrille de joueurs de cartes. Je me concentrai de nouveau dans une tension nerveuse qui me faisait en quelque sorte vibrer de la tête aux pieds, et j’ordonnai de toutes mes forces à Dockman, tout en le couvant des yeux, de cesser d’écrire et de s’endormir. L’action fut moins rapide que la veille. On eût dit que le sujet luttait contre ma volonté. Après une ou deux minutes, il donna des signes visibles de crispation. La plume restait en suspens, comme s’il cherchait en vain les mots ; il faisait avec la main le geste de quelqu’un qui écarte une influence obsédante ; puis il déchira la lettre commencée et se mit à en écrire une autre ; mais bientôt sa plume resta clouée sur le papier et il s’endormit dans cette position. Je m’approchai de lui avec plusieurs des assistants qui avaient interrompu leur jeu : tout son corps était contracturé, dur comme un morceau de bois, on essaya inutilement de fléchir un de ses bras ; il ne perdit sa raideur que sous l’action de mes passes. Quand il eut repris l’usage de ses sens, Dockman me pria de ne plus renouveler ces expériences, il se plaignait d’avoir été très fatigué par celle de la veille. Il m’assura d’ailleurs s’être endormi les deux fois sans avoir eu le moindre soupçon que ce brusque sommeil lui fût envoyé par moi ni personne.
Cette expérience est très significative, et ne peut laisser aucun doute, non plus, sur l’action à distance.
Le Dr Dariex, directeur des Annales des sciences psychiques, a publié les expériences suivantes sur la transmission mentale, faites par un de ses amis, qui désire ne pas être nommé « en raison de la situation importante qu’il occupe », ce que nous regrettons.
Du 7 janvier 1887 au 11 novembre, Marie est endormie très souvent, afin d’être débarrassée, par suggestion, de maux de tête intolérables, et d’une sensation de boule qui occupe tout l’œsophage ; Elle est affligée de malaises hystériformes, véritable Protée, qu’il faut chasser sans cesse par des suggestions appropriées. A part cela, la santé générale est excellente, puisque depuis 17 ans que j’ai cette jeune femme sous les yeux elle n’a jamais abandonné ses occupations un seul jour, pour cause de maladie.
Pendant les nombreuses séances de sommeil, j’avais essayé en vain le transmission mentale ; jusqu’au 11 novembre je n’obtins pas même trace d’exécution des ordres donnés ; Marie avait la pensée sans cesse en éveil, rêvait, et n’obéissait qu’à des ordres verbaux.
Un soir, pendant que j’écrivais mes notes sur elle que j’avais laissée endormie derrière moi, elle eut une hallucination spontanée très pénible, et se mit à fondre en larmes : je la calmai avec peine, et, afin de couper court à ses rêves, lui défendis de penser à quoi que ce fût, quand je la laissais dormir. Puis, réfléchissant que tous mes insuccès, à propos de la transmission mentale, pouvaient bien tenir à cet état polyidéique du cerveau, j’insiste dans ma suggestion et la formule ainsi :
« Quand vous dormez et que je ne vous parle pas, vous ne pensez absolument à rien ; votre cerveau reste vide de pensées, afin que rien ne s’oppose à l’entrée de la mienne. »
Je répète cette suggestion quatre fois, du 11 novembre au 6 décembre, jour où je pus constater pour la première fois la transmission de la pensée.
Marie est endormie, depuis un instant, en somnambulisme idéique profond ; je lui tourne le dos, et, sans un geste ou bruit quelconque, lui donne l’ordre mental suivant :
« Quand vous vous éveillerez, vous irez chercher un verre, y mettrez quelques gouttes d’eau de Cologne, et me l’apporterez. »
Au réveil, elle est visiblement préoccupée, ne peut tenir en place, et vient enfin se placer devant moi et me dit :
« Ah çà ! À quoi pensez-vous ! Et quelle idée avez-vous mise dans ma tête !
Pourquoi me parlez-vous ainsi ?
Parce que l’idée que j’ai ne peut venir que de vous, et je ne veux pas obéir !
N’obéissez pas si vous voulez ; mais j’exige que vous me disiez immédiatement ce que vous pensez.
Eh bien ! Il me faut aller chercher un verre, y mettre de l’eau, avec quelques gouttes d’eau de Cologne, et vous l’apporter : c’est réellement ridicule ! »
Mon ordre avait donc été parfaitement compris, pour la première fois. A partir de ce moment, 6 décembre 1887, jusqu’à aujourd’hui (1893), sauf dans de très rares journées, la transmission mentale, à l’état de veille ou de sommeil, est des plus nettes. Elle n’est troublée qu’à certaines époques, ou quand Marie a des soucis très vifs.
Le 10 décembre 1887, j’ai caché, à l’insu de Marie, une montre arrêtée, derrière des livres, dans ma bibliothèque. Quand elle arrive, je l’endors et lui donne l’ordre mental suivant :
« Allez me chercher la montre qui est cachée derrière des livres dans la bibliothèque. »
Je suis dans mon fauteuil, Marie derrière moi, et j’ai soin de ne pas regarder du côté où l’objet est caché.
Elle quitte brusquement son fauteuil et va droit à la bibliothèque, mais ne peut pas l’ouvrir, des mouvements réguliers énergiques se manifestant toutes les fois qu’elle touche la porte, et surtout la glace.
« C’est là ! C’est là ! J’en suis sûre : mais ce verre me brûle ! »
Je me décide à aller ouvrir moi-même ; elle se précipite sur mes livres, les sort, et saisit la montre qu’elle est toute joyeuse d’avoir trouvée.
Des essais analogues ont été faits, avec des ordres que me passait un de mes amis, écrits à l’avance, et hors de la présence du sujet, et la réussite à été complète ; mais si la personne qui me passe l’ordre lui est inconnue, elle refuse d’obéir, disant que ce n’est pas moi qui commande.
Un ami commun arrive un jour dans mon cabinet, pendant que Marie est endormie, et me passe le petit billet suivant :
Donnez-lui l’ordre mental d’aller me chercher une cigarette dans l’antichambre, de l’allumer et de me la présenter. »
Elle est assise derrière moi ; sans quitter mon fauteuil, lui tournant toujours le dos, j’envois l’ordre mental. Mon ami a pris un livre et fait semblant de lire, tout en la surveillant.
« Vous m’embêtez ! Comment voulez-vous que je me lève ?
(Ordre mental) Vous pouvez très bien vous lever ; décroisez les pieds. »
Après des efforts, elle parvient à décroiser les pieds (qu’elle croise toujours sous son siège) , se lève et va, lentement et en tâtonnant, vers une boîte de cigares, les touche, puis se met à rire.
« Ah ! Non ! Je me trompe, ce n’est pas « mon vrai ».
Et elle va droit dans la pièce à côté, n’hésitant plus, prend une cigarette et la présente à notre ami.
«(Ordre mental) Il y a autre chose à faire : allumez-la, tout de suite. »
Marie saisit une allumette, mais ne peut l’allumer facilement, je l’arrête et la renvoie dans son fauteuil.
Il y a là, également, preuve certaine de transmission de pensée.
J’ai eu l’occasion de faire quelques expériences personnelles de transmission de pensée ou suggestion mentale, au mois de janvier 1899, avec Ninof, « le liseur de pensées », chez M. Clovis Hugues, et j’ai constaté que : 1o pour qu’il devine quelque chose il faut que la personne qui l’interroge connaisse cette chose ; que 2o il faut que cette personne lui ordonne mentalement mais énergiquement ; il obéit parfois, rigoureusement, dans les moindres détails, à l’ordre mental donné, si cet ordre est simple et précis ; que 3o cette transmission de pensée s’opère de cerveau à cerveau, sans aucun contact, sans aucun signe, à un mètre ou deux de distance, par la seule concentration de la pensée de l’ordonnateur et sans aucun compère ; que 4o des insuccès ne sont pas rares et paraissent dus à des manques de rapport parfait entre le cerveau de l’ordonnateur et celui de l’opérateur, à la fatigue de celui-ci, à des courants contraires.
Exemple : Je pense que Ninof doit aller prendre une photographie qui se trouve à côté de plusieurs autres, au bout du salon, et aller la porter à un monsieur que je ne connais pas, et que je choisis comme étant la sixième personne assise, à partir de là, sur une trentaine d’assistants. Cet ordre mental est exécuté ponctuellement et sans aucune hésitation.
M. Clovis Hugues pense qu’il doit aller chercher une petite gravure représentant Michelet, posée sur le piano, près de plusieurs autres objets, et aller la placer devant une statuette de Jeanne d’Arc à l’opposé du salon. L’ordre est exécuté sans hésitation.
C’est la première fois que Ninof venait dans cette maison, et il est venu seul, sans compagnon.
Il a les yeux bandés par une serviette qu’on lui noue autour de la tête, pour s’isoler de toute distraction, dit-il.
Quatre cheveux pris par M. Ad. Brisson à quatre personnes différentes ont été trouvés où ils avaient été cachés, et portés par l’opérateur aux têtes sur lesquelles ils avaient été pris, et, à l’endroit même.
Jusqu’à cette expérience, je n’avais guère vu que des compérages. Dans les lectures de pensées et recherches d’objets faites sérieusement, j’avais constaté que ce sont des mouvements inconscients de la main qui guident le devin. Ici, on ne le touche pas, et lors même qu’il pourrait voir par-dessous son bandeau cette supposition n’expliquerait rien, car on reste derrière lui.
Parmi les 1130 faits psychiques reçus et admis à la discussion lors de mon enquête dont j’ai parlé plus haut et dont j’ai déjà cité les principaux cas relatifs aux manifestations de mourants, je dois signaler plusieurs lettres fort intéressantes concernant le sujet spécial de ce chapitre : communications psychiques, transmissions mentales entre vivants. J’en détacherai quelques-unes de ce dossier qui est vraiment une mine très variée. Elles sont instructives.
I. Voulez-vous permettre à l’un de vos lecteurs les plus assidus, et j’ajoute les plus sympathiques, de vous demander votre sentiment sur un fait dont vous avez certainement connaissance ?
Vous êtes dans une rue.
Tout à coup vous apercevez, à distance, quelqu’un dont l’allure, la démarche, les traits même vous sont familiers. Et vous dites : « Tiens, tiens, voilà M. X… »
Vous vous approchez, mais ce n’est pas lui. Et pourtant ?
Vous continuez à marcher ; à quelques minutes de là, vous voyez, vous rencontrez, à ne pas vous y tromper cette fois, le personnage que vous aviez cru voir au début.
Ce fait là m’est arrivé, combien souvent ! et sans doute à vous aussi ? Quelle en est la cause ?
Je l’ai longtemps cherchée, et j’ai fini par me convaincre que c’est par un rayonnement émané du personnage que l’on devait voir à la fin qu’il convenait peut-être d’attribuer cette curieuse sensation.
On dira ici comme pour la télépathie : « Mais c’est une absurdité, cela n’a pas le sens commun. Le rayonnement ? comment l’admettre d’une rue à l’autre où il a eu le temps de se briser cent fois par les gens qui passent, les voitures qui roulent, etc., etc. »
Cependant, même physiquement, il n’y a pas d’impossibilité à croire que chaque individu projette au-devant ou autour de soi un rayonnement, et que ce rayonnement soit susceptible d’échapper aux causes d’altération ou de réfraction que je viens d’indiquer, etc.
Dans tous les cas, il est extrêmement curieux que l’on arrive fréquemment à se trouver face à face avec un homme auquel on ne pensait pas, et qu’on avait cru distinguer, alors qu’à ce moment c’en était un autre.
L. de Leiris.
Juge au Tribunal civil, à Lyon. [Lettre 7.]
II. Souvent il m’arrive qu’étant dans la rue, la silhouette d’un passant vu au loin me fait songer à une personne qui lui ressemblerait un peu soit comme habit, soit comme démarche, etc. Une heure ou deux après, je croise la personne évoquée ainsi dans mon esprit, mais ce n’est que lorsque la rencontre a eu lieu que je me rappelle y avoir pensé.
Berger.
Instituteur, à Roanne. [Lettre 39.]
III. Mariée depuis plusieurs années en province, je suis restée en correspondance quotidienne avec mon père, qui habite Paris. Lui aussi m’écrit tous les jours, et nous faisons habituellement cette correspondance vers la fin de l’après-midi.
Il nous arrive souvent de faire : l’un, une question ; l’autre, la réponse à cette question, le même jour, à la même heure. Cette question se rapportant souvent à des amis ou des personnes étrangères que l’un ou l’autre au moins n’a pas vus depuis longtemps, puisque nous n’habitons pas la même ville.
Et, s’il m’arrive d’être souffrante et de n’en pas parler à mon père, lui, le devine presque toujours, et me demande avec insistance des nouvelles de ma santé, au moment même où elle est un peu ébranlée.
L. R. R.
[Lettre 58.]
IV. Si je passe dans une rue, et qu’une personne me regarde, serait-elle à un cinquième étage, mes yeux se portent involontairement et se confondent avec les siens. Je serais heureux d’apprendre de vous le pourquoi de ce phénomène.
J. C.
A Pézenas. [Lettre 152.]
V. Ma mère, il y a très peu de temps, avant d’entrer dans un magasin (elle en était distante encore d’une vingtaine de mètres), me dit tout d’un coup : « Tiens, je viens de voir un tel, que Dieu me préserve de le rencontrer ! » Elle ne l’avait sans doute vu que par intuition, que moralement. Mais, fait extraordinaire, en entrant dans le magasin, elle se trouve justement en présence avec lui.
J. B. Vincent.
A Lyon . [Lettre 189.]
VI. Comment expliquer que, fréquemment, 9 fois sur 10, après avoir songé à une personne ayant une vague ressemblance avec une autre personne rencontrée dans la rue, je me trouve précisément en présence de cette même personne, un instant après, ou tout au moins dans la journée, bien que rien n’amène la personne à me voir ?
J. Renier.
A Verdun (Meuse). [Lettre 199.]
VII. Un matin, il y a environ deux mois, j’étais encore couchée mais parfaitement éveillée, et je songeais à appeler ma mère pour lui dire bonjour dès que j’entendrais ses pas s’approcher de ma chambre ; je pensais sur quel ton je crierais : « Maman ! » mais je suis sûre de ne pas avoir prononcé ce mot, car je ne dormais pas, j’étais éveillée depuis longtemps et j’avais parfaitement conscience de ce que je faisais ou non. A ce moment, maman entra dans la chambre ; je lui dis en riant : « Tiens, je pensais justement t’appeler. » Elle me répondit : « Mais tu m’as appelée, je t’ai entendue de l’autre bout de l’appartement, c’est pour cela que je suis venue ! » Moi, je suis sûre de n’avoir rien dit, et ma mère est sûre de m’avoir entendue. Cela nous a fait rire, car c’est assez extraordinaire.
Y. Dubois.
8, rue de la Monnaie, Nancy. [Lettre 207.]
VIII. Il arrive assez souvent de voir inopinément une personne à laquelle on vient de penser ou dont on vient de parler ; et cela à été remarqué depuis longtemps, puisqu’une expression proverbiale y est consacrée : « En parlant du loup, on en voit la queue. »
Alphonse Rabelle.
Pharmacien à Ribemont (Aisne). [Lettre 222.]
IX. Vous avez peut-être entendu parler d’une croyance assez répandue dans certaines régions, celle du bourdonnement dans les oreilles ; il indiquerait, dit-on, qu’on s’occupe de vous quelque part. J’ai plaisanté souvent les personnes qui ajoutaient foi à cette croyance, mais il m’est arrivé, dans des circonstances pénibles, un fait de cette nature qui a modifié mon incrédulité. N’y aurait-il pas, dans ces cas, une transmission du genre de celles dont vous vous occupez ? Si vous le pensez, je me tiendrai à votre disposition pour vous faire part de ce qui m’est arrivé, avec preuves à l’appui, lettres, dépêche, heures de réception, d’envoi qu’il sera facile de contrôler, heure du phénomène, etc. ; peut-être même mon affirmation pourra être certifiée par une des personnes cause de la transmission, que j’ai vue en décembre et à qui j’ai parlé de ce qui m’était arrivé.
A. L. R.
[Lettre 232.]
X. Je suis instituteur et marié depuis 9 ans. Nous avons, ma femme et moi, à peu près les mêmes goûts et la même éducation, et nous constatons cela depuis le début de notre mariage une similitude de pensées qui nous paraît étrange. Bien souvent, l’un de nous formule tout haut une opinion, une idée quelconque, au moment précis où l’autre allait s’exprimer exactement de la même façon. Des termes identiques, pour juger d’une personne ou d’une chose, nous viennent à la bouche au même instant à tous les deux, et les paroles de l’un se trouvent, pour ainsi dire, doublées par celles que l’autre allait prononcer.
Est-ce là un phénomène commun qui se reproduit quand il y a sympathie entre deux natures, ou nous est-il personnel ?… En tout cas, s’il y a quelque importance, quelle est sa cause, sa nature, et pourquoi se produit-il ?
F. Dalidet.
Instituteur, secrétaire de Mairie, à Saint-Florent,
Près de Niort (Deux-sèvres).[Lettre 299.]
Vu pour la légalisation de la signature de M. Dalidet, instituteur à Saint-Florent, le 28 mars 1899.
Le maire : A. Favrion.
XI. Ma mère, femme de capitaine de vaisseau, était toujours avertie par quelques signes insolites toutes les fois que mon père courait un danger. C’était si fréquent qu’elle avait pris l’habitude d’en prendre note. Et le lendemain, elle apprenait, en effet, qu’à l’heure remarquée son mari en danger de naufrage lui envoyait sa pensée, qu’il croyait être la dernière. Ces cas se multiplient à l’infini chez presque toutes les femmes de marins. Je me rappelle très bien que les conversations des visites que maman recevait avait très souvent la télépathie pour sujet.
Une de mes amies, femme de marin également, vit, le jour même de la mort de son mari, qui périt tragiquement dans un naufrage, la main de son époux se dessiner sur un des carreaux d’une fenêtre : ce qui la frappa, c’est l’anneau conjugal qui ressortait très bien de sa main. Une autre de mes amies ayant sa sœur malade je dois vous dire préalablement que celle-ci avait promis à sa sœur, dont elle était séparée, de lui faire savoir par un signe quelconque sa mort, si celle-ci arrivait sentit à l’heure même où sa sœur rendait le dernier soupir une tendre étreinte qu’elle reconnut être l’étreinte de sa sœur chérie qui se mourait en effet. Moi-même, en compagnie de deux de mes élèves, nous avons entendu toutes les trois prononcer distinctement « Fräulein », voix que je reconnus immédiatement pour être celle d’une de mes connaissances qui s’était très mal conduite à mon égard. Je notai le fait et l’heure à laquelle il s’était accompli ; j’appris plus tard que cette personne était morte à l’instant même où le son de sa voix était parvenu à mon oreille.
Maria Strieffert.
(Née à Stralsund, en Poméranie). A Calais. [Lettre 319.]
XII. Lectrice passionnée de vos récents articles, c’est avec bonheur que je constate la puissance de la pensée humaine. Je n’ai personnellement à signaler qu’un fait. Pendant mon séjour en Allemagne, j’ai entendu distinctement mon père m’appeler par mon petit nom. Et le lendemain, j’appris qu’il m’écrivait à l’instant même où le son de cette chère voix vint frapper mes oreilles.
Madeleine Fontaine
Pensionnat de Mlle Bertrand, Calais. [Lettre 320.]
P.S. Plusieurs confidences m’ont été faites au sujet de la télépathie ; si elles peuvent vous intéresser, je vous les communiquerai avec empressement.
XIII. Je n’ai jamais été averti de la mort de qui que ce soit par une apparition ; il en est de même chez les douze ou quinze membres de ma famille que je connais bien.
Mais j’ai eu un jour, un pressentiment qui, bien que différent dans ces circonstances des phénomènes que vous étudiez, relève peut-être du même ordre.
Me rendant un matin à l’hôpital Lariboisière, où j’étais externe, j’eus un instant l’idée que j’allais rencontrer, à la porte de l’hôpital, M. P…, que je n’avais vu qu’une fois, huit mois auparavant, dans une maison amie, et qui, depuis lors, n’avait jamais occupé ma pensée. Ce monsieur, docteur en médecine, serait venu là pour voir un certain chirurgien de lariboisière.
Je ne m’étais pas trompé de beaucoup : à la porte de l’hôpital, je rencontrai M. P…, qui venait dans l’intention de voir, non pas le chirurgien en question, mais le chef du service d’accouchements.
Remarquez dans tout ceci que je n’avais pu voir de loin, ni reconnaître subconsciemment M. P…, car ce pressentiment m’était venu boulevard Magenta, au droit de la rue de Saint Quentin, et que M. P…, quand je l’ai vu, attendait devant la grille depuis près de vingt minutes. (Je lui ai demandé depuis combien de temps il était là avant de lui parler de mon pressentiment, afin de ne pas influencer sa réponse.)
J’ajoute à cela que je ne suis nullement porté à la superstition, plutôt sceptique, et mon premier soin, en présence de ce cas, fut d’en chercher une explication physique, avant de penser à l’intervention d’un facteur encore indéterminé. Mais je n’ai pas trouvé cette explication physique.
G. Mesley.
Etudiant en médecine, 27, rue de l’Entrepôt. [Lettre 371.]
XIV. Une jeune femme de mes amies, qui habitait Paris tandis que j’étais en province, fut atteinte d’un mal qui la conduisit en quelques heures aux portes du tombeau. Rien absolument ne m’avait avertie de sa maladie, cependant j’eus à ce moment exact un rêve, véritable cauchemar, pendant lequel j’assistais au mariage de cette amie. Parents et amis, tout le monde y était vêtu d’étoffes de couleur brune et pleurait à chaudes larmes ! L’impression devint si douloureuse que je m’éveillai. Quinze jours après, je sus le danger auquel avait échappé cette personne.
Il m’arrivait aussi, fréquemment, de penser, sans motif apparent, à une personne dont je contrôle la coïncidence de pensée par la réception d’une lettre que rien ne rendait nécessaire. Cela arrive si souvent que j’ai l’habitude d’attendre des nouvelles des personnes auxquelles j’ai pensé involontairement. Cependant, le fait n’est pas sans exceptions.
A. B.
A Chagny. [Lettre 382.]
XV. Le fait suivant m’a été rapporté par un de mes amis, professeur dans une faculté de médecine de France, et présentant par sa situation des garanties toutes spéciales. Je ne puis, sans son autorisation, vous donner son nom au sujet d’un événement qu’il m’a raconté dans l’intimité et qu’il ne voudrait peut-être pas voir publier. Nous le désignerons donc sous l’initiale Z.
M. Z. qui se trouvait alors à Saint-Louis du Sénégal, fut piqué à un orteil par un insecte du pays très dangereux, connu parmi les européens sous le nom de chique. A la suite de cette piqûre, il fut pris d’une fièvre intense qui le mit à deux pas du tombeau, et le laissa pendant une vingtaine de jours, je crois, absolument sans connaissance. Or, quelques heures après qu’il eût perdu tout sentiment, on lui apporta un télégramme de sa mère, qui était en France, demandant ce qui lui était arrivé. L’heure à laquelle avait été lancé ce télégramme, en tenant compte du temps nécessaire pour aller la porter au bureau, coïncidait avec celle de l’évanouissement de M. Z. Lorsque ce dernier, heureusement rétabli, rentra en France, sa mère lui raconta que, sans motif apparent, elle avait soudain éprouvé une sorte de secousse et qu’elle avait eu immédiatement l’intuition que son fils courait un grand danger ; cette impression était si puissante, qu’elle avait immédiatement fait lancer un télégramme pour avoir de ses nouvelles.
Pour donner plus d’authenticité à mon récit, je préfère signer ma lettre ; mais je suis fonctionnaire de l’Etat, comme vous voyez, je vous serais reconnaissant, si par hasard vous jugiez bon de reproduire les faits que je cite, de ne pas publier mon nom et mon adresse.
R.
Algérie. [Lettre 393.]
XVI. J’avais autrefois un ami que les circonstances (c’était un explorateur) obligeaient à vivre fort loin de chez nous. Nous avions pris la douce habitude de correspondre très régulièrement et, petit à petit, nos âmes avaient acquis une telle affinité qu’il nous arrivait constamment de nous écrire à la même heure, de nous dire identiquement les mêmes choses, ou encore de répondre à la même minute à une question posée dans la lettre. Ainsi, un jour, inquiet de ne pas avoir reçu de nouvelles, je saisis la plume et traçai deux mots : « Es-tu malade ? » Au même moment, nous l’avons vérifié plus tard, il m’écrivait : « Sois sans inquiétude, le mal à passé. » Je ne dis pas que ce soit là une vision, mais certes, dans les moments tragiques de l’existence, deux âmes unies par la plus profonde tendresse doivent se « confondre », s’unifier à distance.
E. Asinelli.
A Genève. [Lettre 443.]
XVII. Un jour, ma femme s’est trouvée, vers midi, prise d’un malaise indéfinissable qu’elle n’a jamais ressenti depuis ; elle était oppressée et ne pouvait rester en place. Invitée à une collation, elle s’y rendit, mais ne put rester ; elle alla se promener dans le jardin, chercha à causer. Cette contrainte la suivait toujours, et ce n’est qu’à 9 heures du soir qu’elle s’est trouvée subitement soulagée, comme si elle n’avait rien éprouvé.
Le lendemain, on est venu lui apprendre que son père était décédé ce jour là à 9 heures du soir juste. Elle n’avait pas pensé à son père du tout.
Busin.
A Neuville, par Poix-du-Nord. [Lettre 449.]
Le village que nous habitions était à 24 kilomètres de celui de mon beau-père.
XVIII. Il m’est arrivé souvent de chanter mentalement un air connu, et quelques instants après, mon mari chantait à haute voix l’air que j’avais dans la tête. Cela nous occasionnait quelques discussions qui finissaient toujours par nous amuser.
M. C.
A Grenoble. [Lettre 467.]
XIX. Ma tante (mère adoptive) m’aimait extrêmement, si je puis m’exprimer ainsi, et était très nerveuse. Moi-même, je le suis assez. Notre correspondance était très fréquente, surtout dans les premiers temps de notre séparation, et j’ai remarqué que, chaque fois que je devais recevoir une lettre d’elle, ma pensée se reportait avec une grande intensité vers elle, la veille de l’arrivée de sa correspondance dont la date n’avait rien de fixe. Ces observations m’ont souvent préoccupé.
O.
Commandant retraité, à Riversé. [Lettre 507.]
XX. Une nuit, il y a plusieurs années de cela, je suis réveillé brusquement, ayant pris conscience qu’un de mes clients, M. X…, demeurant à trois kilomètres de chez moi, allait venir me chercher. Je saute de mon lit, je me met à la fenêtre, et… je le vois arriver quelques minutes plus tard. Sa femme était malade et il me priait de venir la voir.
Il m’est arrivé plusieurs faits de ce genre.
Dr N…[Lettre 517.]
XXI. Dans cet ordre d’idées, voici la seule remarque que j’aie faite, intéressante seulement à cause de sa régularité : j’ai deux amies à l’étranger, qui m’écrivent fréquemment, mais non à date fixe. Quand je rêve à l’une ou à l’autre, il est rare que le courrier du matin ne m’apporte pas une lettre de celle à laquelle j’ai rêvé. Tout d’abord, je n’y ai pas pris garde, mais la remarque s’est imposée et, depuis, j’ai vérifié le fait très souvent. De plus, le rêve n’est généralement pas précédé d’une pensée plus particulière qui pourrait en quelque sorte le préparer et l’expliquer.
Cl. Charpoy.
A Tournus. [Lettre 551.]
XXII. Mon amie intime a souffert pendant une journée d’une angoisse physique intense et qu’aucune cause connue ne lui expliquait, le jour où j’étais, moi, frappée du plus grand chagrin, sans qu’elle pût d’ailleurs se douter de ce qui se passait : j’étais à Nantes, elle à Genève.
Ch. Champury.
A Genève. [Lettre 589.]
XXIII. En 1 845 et 1 846, j’étais élève (classe de français) au collège d’Alais ; quoique protestant, j’étais dans les meilleurs termes avec M. Barély, abbé du collège, et, lors des fêtes religieuses, j’étais, avec quelques camarades, chargé des décors de la chapelle.
Nous profitions de notre liberté momentanée pour descendre dans le caveau funéraire qui se trouve sous la sacristie et où l’on accède par une trappe et un escalier, placés sous la stalle des professeurs, dans la chapelle. Ce caveau renfermait les restes de trois ou quatre anciens abbés du collège, dont les cercueils découverts et à moitié brisés étaient disposés sur le sol ; la voûte basse était constellée de noms d’anciens élèves tracés à la fumée des bougies ; j’avais gardé, de ce caveau, un souvenir ineffaçable.
Plus tard, en 1849 et 1850, j’habitais Nîmes. M. Manlius Salles, libraire, s’occupait de magnétisme, nous en causions souvent ; il aurait voulu m’enrôler dans sa compagnie, disant qu’étant dans l’architecture je pourrais, magnétisé, détailler les monuments des villes où l’on me conduirait par la pensée. J’acceptais, mais il eut beau faire, il ne put parvenir à m’endormir.
Un jour, j’assistai à une séance fort intéressante à laquelle il m’avait invité ; je trouvai là une femme d’une soixantaine d’années, domestique probablement.
Il la magnétisa, me mit en communication avec elle, les mains dans les mains, et on nous laissa seuls.
Le souvenir du caveau de la chapelle me revint à la mémoire et je me décidai d’y conduire le sujet. Je lui dis que nous prenions le train d’Alais : elle balança le haut du corps pendant tout le trajet.
En arrivant, et jusqu’à notre entrée dans le collège, elle me détailla parfaitement tout ce qui se trouvait sur notre passage ; nous entrons dans le vestibule, ensuite dans la chapelle ; elle se signa en voyant l’autel ; nous allons vers la stalle de gauche, elle fait des efforts pour la déplacer et m’aide aussi à soulever la dalle de la trappe ; j’allume une bougie, je lui donne la main pour descendre le petit escalier, et nous voilà dans le caveau ; elle tremblait de peur et voulait s’en aller.
Je la tranquillisai, et l’amenant devant les cercueils je la priai de me les dépeindre.
« Il y a de la neige sur celui-là, me dit-elle !… » La bière avait été remplie de fleur de chaux.
« Quelle belle chevelure a celui-ci ! » Le crâne, en effet, était entouré d’une forêt de cheveux.
« Soulevez le vêtement de celui d’à côté, lui dis-je… Oh ! s’exclame-t-elle, que c’est beau ! c’est de la soie et de l’or !… » C’était un des abbés enseveli en habits sacerdotaux !
« Regardez la voûte, je vais vous éclairer ; que voyez-vous ?… Des noms, me dit-elle. Lisez-les. » Elle en lut cinq ou six dont je me souvenais fort bien.
Nous regagnâmes la chapelle et je lui dis que nous allions aller à pied à Anduze.
En chemin, elle me donna une masse de détails sur le pays que nous parcourions, et tous parfaitement véridiques.
Arrivés à Anduze, je l’introduisis dans une maison amie ; il est huit heures du soir ; elle me dépeint la maison, l’escalier, le salon… Je lui demande alors de me désigner les personnes présentes. Elle me répond qu’elle ne le sait pas… Je réfléchis alors que je l’ignorais moi-même et qu’il était impossible de lui transmettre ma pensée.
Melvil Roux.
Architecte, à Tornac, par Anduze (Gard). [Lettre 650.]
XXIV. Dernièrement, j’ai soigné et guéri, par le magnétisme, la femme d’un de mes amis qui souffrait d’une pénible affection depuis près de dix-huit ans. Le traitement qu’elle suivit journellement avec moi dura environ six mois et, comme cela arrive en pareil cas entre magnétiseur et sujet, elle était tombée sous ma dépendance absolue. Je ne veux point vous rapporter ici tous les phénomènes que je pouvais faire naître chez elle, tels que aberrations au goût, sensation de chaud et de froid, etc., ils sont trop connus et trop facilement imputés à l’imagination. Mais outre cela elle percevait, involontairement de ma part, toutes mes sensations, même à distance, et ici l’imagination ne peut être invoquée comme entrant en jeu. C’est ainsi qu’il lui arrivait de me dire : « Hier vous vous êtes querellé à telle heure » ou bien « Vous étiez triste, que vous est-il arrivé ? ». Bref, j’ai pu m’assurer qu’elle sentait toutes mes impressions à une très grande distance ; j’ai pu le vérifier du moins pour un espace de 15 kilomètres.
J’ai eu aussi un autre sujet, un homme celui-là, que je faisais venir à volonté chez moi. Il suffisait pour cela que j’y pense fortement. « Pourquoi, lui dis-je, un jour, êtes-vous venu par un temps si affreux ? Eh bien, je n’en sais rien, cela m’a pris tout d’un coup, j’ai eu envie de vous voir, et me voici. » Où est l’imagination dans tout cela ?
De même qu’il y a un somnambulisme naturel et un somnambulisme provoqué, il y a le magnétisme volontaire et l’involontaire, ce qui explique les sympathies et les antipathies naturelles.
Dr X….
A Valparaiso. [Lettre 675.]
Ces cas ne peuvent être raisonnablement pas plus être attribués au hasard que les précédents. (Quelques unes des rencontres devinées peuvent l’avoir été par une ressemblance fortuite des rencontres qui les ont précédées, mais c’est évidemment l’exception). Ils prouvent la communication des pensées. Nous en présenterons encore quelques autres à l’attention de nos lecteurs. Le suivant est extrait de l’ouvrage Phantasms of the Living.
M A. Skirving, maître maçon à la cathédrale de Winchester, écrit aux rédacteurs de ce recueil :
XXV. Je ne suis pas savant. J’ai quitté l’école à l’âge de douze ans, et j’espère que vous me pardonnerez mes fautes contre la grammaire. Je suis maître maçon à la cathédrale de Winchester et je demeure dans cette ville depuis neuf ans. Il y a plus de trente ans, j’habitais à Londres, tout près de l’endroit occupé à présent par le Great Western Railway. Je travaillais à Regent’s Park pour MM. Mowlem, Burt et Freeman. La distance de ma maison étant trop grande pour rentrer pour les repas, j’emportais mon déjeuner et je ne quittais pas mon travail dans la journée.
Un certain jour, cependant, je sentis brusquement un désir intense de rentrer chez moi. Comme je n’avais rien à faire chez moi, je tâchai de me débarrasser de cette obsession, mais il me fut impossible d’y réussir. Le désir de rentrer chez moi augmenta de minute en minute. Il était dix heures du matin, et il n’y avait rien qui pût me rappeler de mon travail à cette heure là. Je devins inquiet et mal à l’aise ; je sentis que je devais m’en aller, même au risque d’être ridiculisé par ma femme ; je ne pouvais donner aucune raison de quitter mon travail et de perdre six pences l’heure pour une bêtise. Toutefois, je ne pus rester ; je partis pour la maison.
Lorsque j’arrivai devant la porte de ma maison, je frappai ; la sœur de ma femme m’ouvrit. Elle parut surprise et me dit : « Eh bien, Skirving, comment est-ce que vous le savez ? Savez-vous quoi ? Lui dis-je. Eh bien, à propos de Mary Anne. » Je lui dis : « Je ne sais rien sur Mary Anne (ma femme). Alors, qu’est-ce qui vous ramène à cette heure-ci ? » Je lui répondis : « Je n’en sais rien. Il me semblait que l’on avait besoin de moi ici. Mais qu’est-ce qui est arrivé ? »
Elle me raconta qu’un fiacre avait renversé ma femme, il y avait peut-être une heure, et qu’elle était gravement blessée. Elle n’avait cessé de m’appeler depuis son accident. Elle me tendit les bras, les enlaça autour de mon cou et posa ma tête sur sa poitrine. Les crises passèrent immédiatement et ma présence la calma ; elle s’endormit et reposa. Sa sœur me raconta qu’elle avait poussé des cris à faire pitié pour m’appeler, bien qu’il n’y eût pas la moindre probabilité que je viendrais.
Ce court récit n’a qu’un mérite : il est strictement vrai.
Alexandre Skirving.
P.S. L’accident avait eu lieu une heure et demie avant mon arrivée. Cette heure coïncidait exactement avec celle où j’éprouvai l’obsession de quitter mon travail. Il me fallait une heure pour arriver chez moi, et avant de partir j’avais bien lutté une demi-heure pour vaincre le désir de m’en aller.
Tous ces exemples montrent qu’il y a comme des courants entre les cerveaux, entre les esprits, entre les cœurs, courants dus à une force encore inconnue. En voici d’autres non moins évidents.
Le professeur Silvio Venturi, directeur de l’asile d’aliénés de Girifalco, écrivait le 18 septembre 1892 :
XXVI. En juillet 1885, j’habitais Nocera. Un jour, j’allai, avec un compagnon, faire une visite à mon frère à Pozzuoli, à trois heures de chemin de fer.
Je laissai chez moi tout le monde en bonne santé. D’habitude je restais deux jours à Pozzuoli, quelquefois un peu plus. Nous arrivâmes à deux heures après-midi. Après le repas, nous avions l’intention de faire une partie de bateau avec mes parents. Tout d’un coup je m’arrête pensif, prenant une résolution énergique, je déclare ne plus vouloir aller en barque mais au contraire revenir tout de suite à Nocera. On me questionna, disant que j’étais bizarre. Je sentais moi-même toute l’extravagance de ma résolution, mais je n’hésitai pas, car j’éprouvais un besoin irrésistible de retourner chez moi.
En voyant ma résistance, on me laissa partir. Mon compagnon me suivit malgré lui. Je louai une petite voiture avec un cheval maigre et lent qui allait au pas au lieu de trotter. Tout à coup, craignant de manquer le train de 7 heures du soir (c’était le dernier) je pressai le cocher, mais la pauvre bête épuisée n’avançait pas. Finalement nous descendîmes et pûmes trouver une autre voiture à temps pour le train.
Ma maison à Nocera était située à trois cents mètres de la gare, mais je n’eus pas la patience de faire le trajet à pied et montai dans la voiture d’un ami, laissant mon compagnon rentrer à pied. Arrivé chez moi, je pâlis en voyant quatre médecins : MM. Ventra, Canger, Roscioli et celui de la ville ; tout le monde était autour du lit de ma chère enfant atteinte du croup et menacée de mort. La maladie n’était pas dans la région. Le croup s’était déclaré à 7 heures du matin, peut-être à l’heure même où je subis l’obsession de retourner au plus vite chez moi. J’ai eu la joie d’avoir contribué ainsi à sa guérison. Ma femme avant mon arrivée criait et m’appelait avec angoisse .
Tous ces faits si nombreux n’indiquent-ils pas l’existence de courants psychiques entre les êtres vivants ? Ces constatations sont de la plus haute importance pour la connaissance que nous cherchons à acquérir, par ces études, de la nature et des facultés de l’âme humaine.
Autre document tout à fait du même ordre : ils se confirment ainsi les uns par les autres.
M. Lasseron, greffier à Châtellerault, écrit à la date du 31 janvier 1894 .
XXVII. Un avoué, faisant partie de la garde nationale, se trouvait dans le corps de garde. Tout à coup, il lui prend la fantaisie de sortir, sans prévenir personne. Etant sous les armes, pas même le chef de poste n’aurait pu le lui permettre ; d’ailleurs, il n’avait aucun motif plausible à lui donner. C’était une lubie qui lui passait par la tête, et malgré la prison qui lui incombait (en effet, il a attrapé pour ce fait d’indiscipline, huit jours de prison), il dépose son fusil et s’en va chez lui, en courant.
En arrivant, il trouve sa femme en larmes, environnée de médecins qui entouraient le lit de sa fille, âgée de six ans, atteinte du croup et proche de la mort… Cette maladie n’était pas dans la ville.
La vue inopinée de son père sembla produire une réaction d’autant plus favorable que l’enfant survécut. Elle s’est mariée avec le frère de la femme du juge qui m’a raconté ce fait extraordinaire ; elle est morte avant sa vint-cinquième année.
Il a fallu employer les plus grandes protections pour lever la punition des huit jours de prison, et c’est plutôt en considération de cet étrange fait de télesthésie.
Lasseron.
Greffier, à Châtellerault.
Le Dr Aimé Guinard, chirurgien des hôpitaux de Paris, habitant à Paris, rue de Rennes, expose le fait suivant (octobre 1891) :
XXVIII. J’ai habituellement pour dentiste un de mes amis installé loin de chez moi, dans le quartier de l’Opéra. Comme sa clientèle a pris une extension considérable, je n’ai pas le temps de faire une longue station dans son salon d’attente, et je me suis décidé à demander quelques soins à un de ses collègues qui exerce à quelques pas de chez moi, M. Martial Lagrange.
Je donne ces détails pour montrer que je n’étais pas en relation avec ce dernier, car je l’ai vu pour la première fois au début de cette année.
Un soir du mois de septembre, je me couche comme d’ordinaire, vers onze heures et demie : je suis pris vers deux heures du matin d’une rage de dents des plus insupportables, et je reste éveillé toute la nuit.
Je souffrais assez pour ne pas pouvoir m’endormir, mais non pas au point d’être dans l’impossibilité de penser à mes affaires courantes. Comme j’étais sur le point de terminer un mémoire sur le traitement chirurgical du cancer de l’estomac, je passai une partie de la nuit à méditer sur ce sujet et à faire le plan de mon dernier chapitre. Souvent mon travail de tête était interrompu par une poussée douloureuse, et je prenais la résolution d’aller dès le lendemain matin trouver mon voisin, M. Martial Lagrange, pour arracher la dent malade.
J’insiste sur ce point : pendant cette longue insomnie, ma pensée a été absolument concentrée sur ces deux sujets (et cela avec d’autant plus d’intensité que tout était dans le calme et l’obscurité autour de moi), d’une part mon mémoire sur le traitement chirurgical du cancer de l’estomac où j’étudie l’extirpation de la tumeur au bistouri, et de l’autre le dentiste en question et l’ablation de ma mauvaise dent.
Dès dix heures du matin, j’arrive dans le salon d’attente, et, dès que M. Martial Lagrange soulève la portière de son cabinet, il s’écrie : « Tiens, comme c’est bizarre, j’ai rêvé de vous toute la nuit. »
Je lui réponds en plaisantant : « J’espère au moins que votre rêve n’a pas été trop désagréable, bien que j’y fusse mêlé. »
Mais, au contraire, reprend-il, c’était un horrible cauchemar ; j’avais un cancer de l’estomac, et j’étais obsédé de l’idée que vous alliez m’ouvrir le ventre pour me guérir.
Or, j’affirme que M. Martial Lagrange ignorait absolument que, cette nuit là, j’étudiais précisément cette question ; je ne l’avais pas rencontré depuis plus de six mois, et nous n’avons aucun ami commun.
J’ajouterai que c’est un homme de 45 ans environ, névropathe, très émotif.
Voilà le fait dans toute sa simplicité, ce n’est pas un racontar de seconde ou troisième main, puisque c’est de moi-même qu’il s’agit. Est-ce une simple coïncidence ? Cela me paraît bien improbable.
Ne serait-ce pas plutôt une observation à rapprocher des cas authentiques de télépathie ? Ce qu’il y a de particulier ici, c’est mon état de veille à moi, et c’est la pensée du dentiste influencé ou suggestionné pendant le sommeil.
On dit couramment, probablement depuis des siècles, lorsqu’on s’occupe avec insistance de quelque absent : « Les oreilles ont dû lui tinter. ». Ce dicton serait-il basé sur des faits de télépathie analogues au mien ?
Ces observations ne datent pas d’aujourd’hui. Voici une expérience rapportée par mon ami regretté le Dr Macario dans son livre si intéressant sur le Sommeil :
XXIX. Un soir, le docteur Grosnier, après avoir endormi par la magnétisation une femme hystérique, demanda au mari de cette femme la permission de faire une expérience, et voici ce qui se passa. Sans mot dire, il la conduisit en pleine mer, mentalement bien entendu. La malade fut tranquille tant que le calme dura sur les eaux ; mais bientôt le magnétiseur souleva dans sa pensée une effroyable tempête, et la malade se mit aussitôt à pousser des cris perçants et à se cramponner aux objets environnants ; sa voix, ses larmes, l’expression de sa physionomie indiquaient une frayeur terrible. Alors, il ramena successivement, et toujours par la pensée, les vagues dans les limites raisonnables. Elles cessèrent d’agiter le navire, et, suivant le progrès de leur abaissement, le calme rentra dans l’esprit de la somnambule, quoiqu’elle conserva encore une respiration haletante et un tremblement nerveux dans tous ses membres. « Ne me ramenez jamais en mer, s’écria-t-elle un instant après avec transport, j’ai eu trop peur ; et ce misérable de capitaine qui ne voulait pas nous laisser monter sur le pont ! » Cette exclamation nous bouleversa d’autant plus, dit M. Grosnier, que je n’avais pas prononcé une seule parole qui pût lui indiquer la nature de l’expérience que j’avais l’intention de faire.
Le Dr Macario rapporte aussi les faits suivants :
XXX. Un terrain était à vendre judiciairement dans une commune des environs de Paris. Personne n’y mettait l’enchère, quoique la mise à prix fut excessivement minime, parce que ce terrain était saisi au père G… qui passe parmi les paysans pour un sorcier dangereux. Après une longue hésitation, un cultivateur nommé L…, séduit par le bon marché, se risqua et devint acquéreur du champ.
Le lendemain matin, notre homme, la bêche sur l’épaule, se rendait en chantant à sa nouvelle propriété, quand un objet sinistre frappa ses regards ; c’était une croix de bois à laquelle était attaché un papier contenant ces mots : « Si tu mets la bêche dans ce champ, un fantôme viendra te tourmenter la nuit ». Le cultivateur renversa la croix et se mit à cultiver la terre, mais il n’avait pas grand courage ; il pensait malgré lui, au fantôme qui lui était annoncé, il quitta l’ouvrage, rentra chez lui et se mit au lit ; mais ses nerfs étaient surexcités, il ne put dormir. A minuit, il vit une longue figure blanche se promener dans sa chambre et s’approcher de lui en murmurant : « Rends-moi mon champ. »
L’apparition se renouvela les nuits suivantes. Le cultivateur fut saisi par la fièvre. Au médecin qui l’interrogea sur la cause de sa maladie, il raconta la vision dont il était obsédé, et déclara que le père G… lui avait jeté un sort. Le médecin fit venir cet homme, et, en présence du maire de la commune, il l’interrogea. Le sorcier avoua que chaque nuit, à minuit, il se promenait chez lui revêtu d’un drap blanc, afin de faire endêver l’acquéreur de son champ. Sur la menace de la faire arrêter s’il continuait, il se tint tranquille ; Les apparitions cessèrent et le cultivateur recouvra la santé.
Comment ce sorcier, se promenant chez lui, pouvait-il être vu du paysan dont la demeure est à un kilomètre de distance ? Nous n’expliquerons pas ce phénomène, nous dirons seulement que ce fait n’est pas sans précédents et qu’il s’appuie sur une autorité irrécusable, celle du célèbre Dr Récamier.
XXXI. Récamier venait de Bordeaux, il traversait en chaise de poste un village ; une des roues de la voiture vint à se briser ; on courut chez le charron dont la demeure était près de là. Mais cet homme était malade au lit, et l’on fut obligé d’aller chercher un de ses confrères qui demeurait dans le village voisin. En attendant que l’accident fut réparé, M. Récamier entra chez le paysan malade, et lui adressa des questions sur l’origine de son mal. Le charron répondit que sa maladie venait du manque de sommeil : « Il ne pouvait pas dormir, parce qu’un chaudronnier qui demeurait à l’autre bout du village, à qui il avait refusé de donner sa fille en mariage, l’en empêchait en frappant toute la nuit sur ses chaudrons. »
Le Dr alla trouver le chaudronnier, et sans préambule, il lui dit :
« Pourquoi frappes-tu toute la nuit sur ton chaudron ?
Pardienne, répondit-il, c’est pour empêcher Nicolas de dormir.
Comment Nicolas peut-il t’entendre, puisqu’il demeure à une demi-lieue d’ici ?
Oh ! Oh ! reprit le paysan en souriant d’un air malin, je sais bien qu’il entend. »
M. Récamier enjoignit au chaudronnier de cesser son tapage en le menaçant de le faire poursuivre si le malade venait à mourir. La nuit suivante, le charron dormit paisiblement. Quelques jours après, il reprit ses occupations.
Dans les considérations dont il accompagne le récit de ce fait, le Dr Récamier l’attribue au pouvoir de la volonté, dont on ne connaît pas encore toute l’énergie, et qui s’était spontanément révélée à un paysan inculte. Le phénomène, du reste, ne semblera pas extraordinaire à ceux qui connaissent le magnétisme.
Le général Noizet, l’un des auteurs les plus sérieux et les plus précis qui aient écrit sur le magnétisme, rapporte l’histoire suivante :
XXXII. Vers 1842, je fus invité à passer chez un de mes anciens camarades une soirée dans laquelle on devait étaler les merveilles du somnambulisme. Je m’y rendis ; c’était la première fois que j’assistais à ce genre de spectacle, assez commun cependant dans les salons de Paris, et depuis je n’y ai pas assisté de nouveau.
Je trouvai là une quarantaine de personnes, quelques adeptes plus ou moins exaltés, et beaucoup d’incrédules, parmi lesquels on pouvait compter au premier rang le maître de la maison. J’augurais mal de la séance, et, en effet, toutes les expériences de vue à distance, de lecture de billet cacheté, tous les miracles en un mot échouèrent complètement, et il ne resta plus assez de faits saillants pour qu’une réunion aussi nombreuse et dans des dispositions diverses pût sagement les apprécier.
En causant dans un groupe à l’issue de cette déconvenue, je fis observer au maître de la maison que ce n’était pas par de semblables représentations que l’on pouvait se convaincre de la réalité des phénomènes ; que les expériences eussent-elles même réussi, chacun dans une réunion nombreuse de personnes étrangères les unes aux autres pouvait supposer quelque compérage, quelque supercherie, et que, pour bien observer les faits, il fallait les voir en tête à tête ou en petit comité, les examiner sous toutes les faces et les répéter souvent.
Un de nos interlocuteurs applaudit à mes paroles, dit qu’il connaissait une excellente somnambule, et nous proposa de tenter quelques essais avec elle, en présence seulement du maître de la maison et chez un ami commun. Nous acceptâmes et prîmes jour à un délai rapproché.
J’arrivai chez mon ami avant le magnétiseur et sa somnambule, et j’appris qu’entre autres facultés extraordinaires qu’on prêtait à cette somnambule était celle de pouvoir dire ce qu’une personne avec qui on la mettait en relation avait fait dans la journée. Il se trouvait justement par hasard que ce jour-là j’avais fait une démarche peu ordinaire. J’étais allé dans les combles de l’hôtel des invalides, avec le duc de Montpensier, pour lui montrer les plans-reliefs des places fortes. Je proposai de faire sur moi l’essai de la faculté de la somnambule, et cette proposition fut acceptée par mes deux amis.
La somnambule arrivée et endormie, je me mis aussitôt en rapport avec elle et lui demandai si elle pouvait voir ce que j’avais fait dans la journée.
Après quelques détails assez insignifiants et péniblement obtenus sur l’emploi de ma matinée, je lui demandai où j’étais allé après déjeuner. Elle me répondit sans hésitation : aux Tuileries ; ce qui pouvait fort bien s’entendre d’une simple promenade. J’insistai en demandant par où j’étais entré, et elle répondit fort bien encore « Par le guichet du quai, auprès du pont Royal. Puis ensuite ? Vous êtes monté dans le château. Par quel escalier ? Est-ce celui du milieu ?. Non, c’est par celui du coin, près du guichet. » Là, elle se perdit dans les escaliers, et il y a lieu en effet de s’y perdre, car il y en a plusieurs : le grand escalier de service du pavillon de Flore, et l’escalier des appartements du roi, avec des paliers et des marches de raccordement menant de l’un à l’autre. Enfin, elle me laissa dans une grande salle où il y avait des officiers. C’était une salle d’attente au rez-de-chaussée. « Vous avez entendu, me dit-elle. Et puis ? Il est venu un grand jeune homme vous parler. Quel était ce jeune homme ? Je ne le connais pas. Cherchez bien ? Ah ! c’est un fils du roi. Lequel ? Je ne le connais pas. Ce n’est pas bien difficile à savoir, il n’y en a que deux à Paris : le duc de Nemours et le duc de Montpensier ; est-ce le duc de Nemours ? Je ne le connais pas. » Je lui dis que c’était le duc de Montpensier. « Après ? Vous êtes monté en voiture. Tout seul ? Non, avec le prince. Comment étais-je placé ? Au fond à gauche. Etions-nous seuls dans la voiture ? Non, il y avait encore devant un gros monsieur. Quel était ce monsieur ? Je ne le connais pas. Cherchez ? » Après avoir réfléchi : « C’était le roi. Comment ! lui dis-je, j’étais dans le fond de la voiture et le roi devant, cela n’est pas raisonnable. Je ne sais pas, je ne connais pas ce monsieur. Eh bien ! c’était l’aide de camp du prince. Je ne le connais pas. Où avons-nous été ? Vous avez suivi la rivière. Et puis ? Vous êtes allés dans un grand château. Quel était ce château ? Je ne sais pas, il y a des arbres avant d’y arriver. Regardez donc bien, vous devez le connaître ? Non, je ne sais pas. » J’abandonne cette question et je lui dis de continuer. « Vous avez été dans une grande salle. » Là, elle me fait une description imaginaire de la salle où elle voit briller des étoiles sur un fond blanc. Enfin elle me dit : « Il y avait de grandes tables. Et qui avait-il sur ces tables ? Ce n’était pas haut, ce n’était pas plat tout à fait. » Je ne puis pas l’amener à me dire qu’il y avait des plans-reliefs, objets que sans doute elle n’avait jamais vus. « Qu’avons-nous donc fait devant ces tables ? Vous montriez. Vous êtes monté sur un siège et avec une baguette vous faisiez voir quelque chose. » Cette particularité remarquable était parfaitement exacte. Enfin, après bien des lenteurs, elle nous fit remonter en voiture et partir. Je lui dis alors : « Mais regardez donc en arrière, vous devez reconnaître l’endroit d’où nous sortons. Ah ! Dit-elle, comme étonnée et un peu confuse, c’est l’hôtel des Invalides. » Elle ajouta encore que le prince m’avait laissé à ma porte, ce qui était vrai.
Quelque familiarisé que je fusse avec les phénomènes du somnambulisme, cette scène me frappa néanmoins beaucoup, et je ne pus raisonnablement attribuer qu’à la faculté de lire dans ma pensée ou sur des impressions existantes encore dans mon cerveau l’espèce de divination dont venait de faire preuve la somnambule. C’est encore la seule explication que je puis lui donner aujourd’hui.
Voici un second fait rapporté par le même auteur.
XXXIII. Il y a deux ans environ, une somnambule me conseilla pour des douleurs de prendre des bains de vapeurs sèches sulfureuses, et m’indiqua un établissement de la rue de la Victoire comme le seul de Paris où on les administrât bien. Je suivis ce conseil, qui me parut raisonnable.
Le maître de l’établissement, qui est assez causeur, mais qui est un vieillard à la mine et aux allures franches, me demanda un jour qui m’avait indiqué ces bains. Comme j’évitais de répondre, il me dit : « Ne serait-ce pas une dame D… ? » Là dessus, je lui demandai s’il connaissait cette dame. Il me répondit que non, mais qu’il désirait beaucoup la connaître, et qu’il se proposait un jour d’aller la voir, parce qu’elle lui avait rendu service d’une manière tout à fait extraordinaire. Voici ce qu’il me rapporta à ce sujet.
Une personne à qui il administrait des bains depuis quelques temps lui dit un jour : « Il vient de m’arriver quelque chose de bien étonnant relativement à vous. Je vais quelquefois consulter une somnambule pour ma maladie et j’y suis retournée hier après une interruption assez longue. Aussitôt qu’elle m’eut reconnue , elle me dit : « Vous allez beaucoup mieux, qu’avez-vous donc fait pour vous remettre en si bon état ? Cherchez, lui répondis-je. Vous avez pris des bains, mais ce ne sont pas des bains ordinaires, ce sont des bains secs sulfureux. Où donc avez-vous pris ces bains ! Cherchez. Ah ! Je vois, c’est de l’autre côté des boulevards. Ce n’est pas dans la rue de Provence, mais dans la rue après. A quel numéro ? Cherchez encore. C’est au numéro 46, la maison des bains, mais non pas dans l’établissement même : c’est au fond de la troisième cour, au rez-de-chaussée. » Toutes les indications étaient parfaitement exactes.
Je parlai de ce fait à la somnambule pendant son sommeil, elle le confirma, en le prenant d’ailleurs sur un ton d’une parfaite indifférence ; et, ce qui m’étonna de sa part, c’est que je savais qu’elle répugnait, par habitude sans doute, à s’occuper de toute autre chose que de ce qui concerne les malades. Dans le cas présent, elle avait lu dans le cerveau de la dame qui la consultait.
Voici un fait encore plus curieux rapporté par le Dr Bertrand :
XXXIV. Un magnétiseur fort imbu d’idées mystiques avait un somnambule qui, pendant son sommeil, ne voyait que des anges et des esprits de toutes espèces : ces visions servaient à confirmer de plus en plus le magnétiseur dans sa croyance religieuse. Comme il citait toujours les rêves de son somnambule à l’appui de son système, un autre magnétiseur de sa connaissance se chargea de le détromper en lui montrant que son somnambule n’avait les visions qu’il rapportait parce que le type en existait dans sa propre tête. Il proposa, pour prouver ce qu’il avançait, de faire voir au même somnambule la réunion des anges du paradis à table et mangeant un dindon.
Il endormit donc le somnambule, et au bout de quelques temps lui demanda s’il ne voyait rien d’extraordinaire. Celui-ci répondit qu’il apercevait une grande réunion d’anges. « Et que font-ils ? dit le magnétiseur. Ils sont autour d’une table et ils mangent. » Il ne put cependant indiquer quel était le mets qu’ils avaient devant eux.
Indépendamment de ces faits remarquables, et de bien d’autres encore, un grand nombre d’observations générales concourent à prouver que les idées, et principalement les opinions des magnétiseurs, peuvent être perçues par les somnambules.
On a remarqué, par exemple, que tous les somnambules endormis par la même personne ont les mêmes idées sur le magnétisme, et précisément celles de leur magnétiseur. Ainsi, lorsqu’un magnétiseur persuadé de l’existence d’un fluide magnétique demande à son somnambule s’il ressent l’action de ce fluide, celui-ci répond qu’il la sent et assure en outre voir le magnétiseur environné d’une atmosphère lumineuse tantôt brillante, tantôt azurée, etc. Les somnambules, au contraire, endormis par des personnes qui n’admettent aucun fluide particulier, prétendent qu’il n’existe pas de fluides magnétiques. Ceux qui sont endormis par des hommes superstitieux voient des démons, des anges qui viennent communiquer avec eux et leur font des révélations ou leur apportent des secrets. Les somnambules observés par la Société swedenborgienne de Stockholm se croyaient tous inspirés par des esprits revenus de l’autre monde, et qui, pendant quelques temps, avaient habité des corps humains. Ces revenants donnaient des nouvelles de ce qui se passait en paradis ou en enfer et répétaient mille contes, qui remplissaient d’une sainte admiration ceux qui les écoutaient. Les catholiques qui croient au purgatoire voient des âmes demandant des messes et des prières et conversent avec elles par le magnétisme et le spiritisme. Les protestants jamais.
Il ne peut donc y avoir de doutes sur la transmission des idées et surtout des opinions les plus prononcées des magnétiseurs. Mais il est assez singulier que ces magnétiseurs, qui reconnaissaient, depuis l’origine de l’observation du somnambulisme artificiel, l’influence que leur volonté exerce sur leurs somnambules, aient été si longtemps sans découvrir le phénomène de la transmission des idées, et l’ignorance dans laquelle beaucoup sont restés à cet égard est une des causes qui les ont jetés dans l’exagération et dans l’erreur, car, accordant une confiance sans bornes à leurs somnambules, ils les interrogeaient sur tous les systèmes qu’ils s’étaient forgés, et, les réponses se trouvant toujours d’accord avec ces systèmes, les opinions les plus absurdes devenaient pour eux des certitudes, ce qui les éloignait de plus en plus du chemin de la vérité.
La sympathie à été admise par tous les peuples de toutes les époques. Cependant, ce mot est encore vide de sens pour ceux qui ne croient pas à l’influence réciproque et mystérieuse que deux êtres peuvent exercer l’un sur l’autre. Il est peu de personnes qui n’aient fait dans leur vie quelques remarques sur la sympathie et les affinités. C’est encore là de la transmission de pensée, une communication harmonieuse entre les cerveaux et entre les âmes. Le monde psychique est aussi réel que le monde physique. Seulement, il a été moins étudié jusqu’ici.
Peut-être sommes-nous, vis-à-vis des manifestations de l’énergie psychique, dans l’état des animaux inférieurs qui n’ont pas encore nos sens. Mais qu’elle difficulté y a-t-il à admettre que cette force, comme toutes les autres, agisse à distance ? Le point le plus curieux, le plus inadmissible, serait que cette force, si elle existe, ne pût agir à distance : ce serait là un paradoxe unique.
Nous avons déjà dit cent fois que c’est une étrange présomption, pour ne pas dire une profonde ignorance, de supposer qu’il n’existe autour de nous en fait de mouvements que ceux que nous sommes capables de percevoir. Nos sens sont évidemment bien grossiers, si l’on compare la somme de ce qu’ils nous transmettent à la masse probable de ce qu’ils sont incapables de recevoir. Nous savons qu’il y a des couleurs, des sons, des courants électriques, des attractions et des répulsions magnétiques qui nous échappent absolument, et dont cependant nous pouvons faire enregistrer l’existence par des appareils délicats. Ne sommes-nous pas autorisés, de par les données actuelles de la science, à considérer tous les corps qui nous environnent comme étant en relations infinies et constantes les uns avec les autres, suivant tous les modes de l’énergie ? Et ne devons-nous pas nous regarder comme étant plongés dans le réseau inextricable et serré de toutes ces actions réciproques calorifiques, électriques, attractives, que chaque corps exerce sur tous ceux qui les entourent sans parler des influences qui dérivent des forces que nous ne soupçonnons pas actions dynamiques dont nous percevons seulement, au passage, les plus grossières ?
Mais l’évolution des organismes poursuit son cours, dirons-nous, avec M. Héricourt, et sans doute déjà quelques êtres commencent-ils à être impressionnés par certaines vibrations errantes au milieu de ces tourbillons d’actions et de réactions qui nous laissent insensibles.
Les phénomènes surprenants d’action à distance et de clairvoyance, dit encore cet auteur, observés chez les personnes hypnotisées, c’est-à-dire soumises à une sorte de déséquilibration expérimentale dans laquelle certaines parties du système nerveux paraissent avoir leur sensibilité accrue aux dépens d’autres parties, doivent nous indiquer et le sens et la nature des phénomènes de télépathie. Ce sont eux sans doute qui serviront de pont entre la science positive d’aujourd’hui et ce qui pourrait bien être la science de demain.
D’après tout ce qui précède, la communication entre cerveaux (dans des conditions spéciales assurément) n’est pas douteuse. Des pensées, des idées, des images, des impressions peuvent être transmises. Les cerveaux sont des centres de radiation. On dit quelquefois que « certaines idées sont dans l’air ». Cette métaphore est une réalité.
Un certain nombre de chercheurs ont essayé de faire des expériences précises sur la transmission mentale. On peut trouver, dans les ouvrages spéciaux, celles de MM. Richet, Héricourt, Guthrie, Lodge, Schmoll, Desbeaux, W. M. Pickering, etc., dont les premières remontent aux années 1883 et 1884, et qui établissent que des nombres ont été devinés, des dessins reproduits, dans une proportion assez notable pour montrer la réalité de la transmission. Dans les essais de M. Richet, par exemple, 2997 expériences donnèrent 789 succès, tandis que le nombre probable était de 732. M. Marillier a reçu les résultats de 17 séries d’expériences, s’élevant au nombre de 17653, dans lesquelles le nombre des succès s’élève à 4 760, dépassant de 347 le nombre probable. En juin 1886, Mlles Wingfield obtinrent 27 succès complets sur 400 expériences de chiffres : le nombre probable n’était que de 4. Sans être définitives, ces expériences ont leur valeur. Je sais bien que le jeu de la transmission de pensée se joue dans les salons et sur la scène des prestidigitateurs et qu’il y a des trucs aussi simples qu’ingénieux, et j’ai assisté plus d’une fois avec plaisir aux séances des frères Isola, de Cazeneuve et de leurs émules. Mais il s’agit ici d’expériences scientifiques dans lesquelles les expérimentateurs ne trompaient personne.
Je signalerai, par exemple, la suivante.
Mon érudit confrère et ami Emile Desbeaux, auteur d’ouvrages aimés et estimés, a fait entre autre les expériences curieuses que voici, dont il a rédigé lui-même la relation.
XXXV. Le 23 mai 1891, je fais asseoir dans un coin obscur du salon M. G… agrégé ès sciences physiques, pour qui ces sortes d’expériences étaient absolument inconnues. Il est neuf heures du soir, M. G… a les yeux bandés et la face tournée vers le mur.
Je me place à quatre mètres de lui, devant une petite table où reposent deux lampes.
PREMIERE EXPERIENCE
Sans bruit et à l’insu de M. G… je prends un objet et je le tiens en pleine lumière. J’y concentre mes regards et je veux que M. G… voie cet objet.
Au bout de quatre minutes et demie M. G… m’annonce qu’il voit un rond métallique.
Or, l’objet était une cuillère en argent (petite cuillère à café), dont le manche disparaissait dans ma main et dont je ne fixais que la palette, d’un ovale un peu allongé.
DEUXIEME EXPERIENCE
M. G… voit un rectangle brillant.
Je tenais une tabatière en argent.
TROISIEME EXPERIENCE
M. G… voit un triangle.
J’avais dessiné, à gros traits sur un carton, un triangle.
QUATRIEME EXPERIENCE
M. G… voit un carré, avec arêtes lumineuses et avec des perles brillantes ; tantôt il voit deux perles seulement, tantôt il en voit plusieurs.
Je tenais un objet dont il n’était guère possible de soupçonner chez moi la présence ; c’était un gros dé en carton blanc, la lumière éclairait vivement ses arêtes et donnait aux points gravés dessus des reflets brillants de perles noires.
CINQUIEME EXPERIENCE
M. G… voit un objet transparent avec filets lumineux formant ovale au fond.
Je tenais une chope à bière en cristal taillé à fond ovale.
Voilà je pense, cinq expériences (faites dans des conditions excellentes de contrôle et de sincérité) qui peuvent être considérées comme ayant réussi.
Il est également intéressant de reproduire à ce propos quelques-uns des essais réussis par mon ami A. Schmoll, l’un des fondateurs de la Société astronomique de France.
XXXVI. Il expérimenta avec plusieurs personnes, qui, à leur tour, expérimentèrent entre elles. Le problème était de deviner et de dessiner l’objet auquel pensait l’auteur de l’expérience et qu’il dessinait lui-même à l’abri de la vue du percipient placé dans la même pièce, tournant le dos à la table et ayant les yeux bandés. Je reproduis simplement ici sur une page quelques-unes des expériences, celles qui ont le mieux réussi. La durée de l’essai était en moyenne de 13 minutes. Sur 121 expériences, 30 ont manqué, 22 ont réussi, 69 ont donné des réponses plus ou moins approchées.
Toutes ces études nous montrent que l’esprit peut voir, deviner sans le concours de la vue matérielle.
Cette théorie des courants psychiques, capables de transmettre à distance, à d’autres cerveaux, des impressions cérébrales et même des pensées, explique un grand nombre de faits observés et restés inexpliqués jusqu’ici. Par exemple, un théâtre, dans une soirée musicale, etc., vous avez devant vous une cinquantaine, une centaine de femmes plus ou moins attentives. Fixez votre regard et votre pensée sur l’une d’elle, projetez votre volonté avec insistance, quelques minutes ne se passeront pas sans qu’elle se retourne et vous regarde. On attribue cette coïncidence au hasard. Oui, assez souvent sans doute, mais non toujours ! la réussite dépend des opérateurs et des sujets. Autres faits : vous êtes en correspondance irrégulière avec une personne sympathique ; il n’est pas rare que vos lettres se croisent, parce que vous avez pensé en même temps l’une à l’autre dans une même intention. Vous êtes à table, vous causez, vous posez une question, vous faites une réflexion : « Tiens ! J’allais le dire » vous répond votre femme, votre mari, votre sœur, votre mère, ayant eu la même idée précisément au même moment. Vous passez dans une rue, vous vous dites : « Pourvu que je ne rencontre pas M. untel ! » Un instant après, c’est justement lui qui vous croise ; vous l’aviez senti. Ou bien vous croyez reconnaître une personne dans une autre, et cinq minutes après vous rencontrez cette même personne. Vous parlez d’une personne : elle arrive ; d’où le proverbe : « Quand on parle du loup… » Nous avons cité, tout à l’heure, des exemples nombreux ? Jusqu’à présent, on attribuait toutes ces coïncidences au hasard, explication simple, banale et bourgeoise, qui dispense de toute recherche.
Il y a des cas de lectures de pensées qui ne sont pas dus à la suggestion mentale. Les lecteurs attentifs ont déjà pu en remarquer plusieurs dans ce chapitre. Voici un fort curieux exemple de ce genre observé en 1894 chez un enfant, par le Dr Quintard, et communiqué par ce savant, avec toutes les garanties d’authenticité , à la Société de médecine d’Angers :
XXXVII. Ludovic X… est un enfant de moins de 7 ans, vif, gai, robuste et doué d’une excellente santé. Il est absolument indemne de toute tare nerveuse. Ces parents ne présentent également rien de suspect au point de vue neuropathologique. Ce sont des gens d’humeur tranquille qui ne savent rien des outrances de la vie.
A l’âge de 5 ans, cet enfant semble marcher sur les traces du célèbre Inaudi. Sa mère ayant voulu, à cette époque, lui apprendre la table de multiplication, s’aperçut, non sans surprise, qu’il récitait aussi bien qu’elle ! Bientôt bébé, se piquant au jeu, en arrivait à faire, de tête, des multiplications avec un multiplicateur formidable. Actuellement, on n’a qu’à lui lire un problème pris au hasard dans un recueil et il en donne aussitôt la solution. Celui-ci par exemple :
« Si on mettait dans ma poche 25 fr. 50, j’aurais trois fois ce que j’ai, moins 5 fr. 40. Quelle est la somme que j’ai ? »
A peine l’énoncé est-il achevé que bébé, sans même prendre le temps de réfléchir, répond, ce qui est exact : 15 fr. 45. On va ensuite chercher à la fin du livre, parmi les plus difficiles, cet autre problème :
« Le rayon de la terre est égal à 6366 kilomètres ; trouver la distance de la terre au soleil, sachant qu’elle vaut 24 000 rayons terrestres. Exprimer cette distance en lieues ? »
Le bambin, de sa petite voix bredouillante, donne, également sans hésiter, cette solution qui est celle du recueil : 38 196 000 lieues !
Le père de l’enfant, ayant d’autres préoccupations, n’avait, tout d’abord, apporté aux prouesses de son fils qu’une attention relative. A la fin, il s’en émut pourtant, et, comme il est quelque peu observateur, au moins par profession, il ne tarda pas à remarquer que : 1o l’enfant n’écoutait que peu, et quelquefois pas du tout, la lecture du problème ; 2o la mère, dont la présence est une condition expresse de la réussite de l’expérience, devait toujours avoir, sous les yeux, ou dans la pensée, la solution demandée. D’où il déduisit que son fils ne calculait pas, mais devinait, ou, pour mieux dire, pratiquait sur sa mère « la lecture de pensées » ; ce dont il résolut de s’assurer. En conséquence, il pria Mme X… d’ouvrir un dictionnaire et de demander à son fils quelle page elle avait sous les yeux, et le fils de répondre aussitôt « C’est la page 456. » Ce qui était exact. Dix fois il recommença et dix fois il obtint un résultat identique.
Voilà donc un bébé de mathématicien devenu un sorcier, disons devin pour ne pas l’offenser ! Mais sa remarquable faculté de « double vue » ne s’exerce pas uniquement sur les nombres. Que Mme X… marque de l’ongle un mot quelconque sur un livre, l’enfant, questionné à ce sujet, nomme le mot souligné. Une phrase est écrite sur un carnet ; si longue soit-elle, il suffit qu’elle passe sous les yeux maternels, pour que l’enfant, interrogé, même par un étranger, répète la phrase mot pour mot, sans avoir l’air de se douter qu’il accomplit un tour de force. Pas n’est besoin même que la phrase, le nombre ou le mot soient fixés sur le papier ; il suffit qu’ils soient bien précis dans l’esprit de la mère pour que le fils en opère la lecture mentale.
Mais le triomphe de bébé, se sont les jeux de société. Il devine l’une après l’autre toutes les cartes d’un jeu. Il indique, sans hésiter, quel objet on a caché à son insu, dans un tiroir. Si on lui demande ce que contient une bourse, il mentionnera jusqu’au millésime des pièces qui s’y trouvent. Où l’enfant est surtout drôle, c’est dans la traduction des langues étrangères. On croirait qu’il entend clairement l’anglais, l’espagnol, le grec. Dernièrement un ami de la maison lui demandait le sens de cette charade latine : Lupus currebat sine pedibus suis. Bébé s’en tira à la satisfaction générale. Le nom du petit prodige était sur toutes les lèvres !
On voit qu’il y a bien des distinctions à établir dans ces études. La lecture de pensées est ici faite sans suggestion. Les phénomènes suggestifs sont produits par la pénétration de l’idée de l’expérimentateur dans le cerveau du sujet. Donc, pour qu’il y ait suggestion dans le cas qui nous occupe, il faudrait constater chez la mère une certaine concentration psychique, un certain degré de vouloir indispensable au succès de l’expérience. Or, la lecture de sa pensée s’accomplit le plus souvent contre son gré. Toute médaille, en effet, à son revers. Quand bébé fut en âge d’apprendre sérieusement à lire, sa maman, qui s’était dévouée à cette tâche, remarqua, non sans chagrin, que, sous sa direction, son fils ne faisait aucun progrès. Devinant tout, il n’exerçait ni son jugement, ni sa mémoire. Il fallut mille soins ingénieux pour mener la barque à bon port.
Tandis que j’étudiais avec le plus grand soin ces faits de transmission de pensée, j’ai reçu la lettre suivante d’un lecteur des Annales, qui se trouve absolument à justifier les réflexions précédentes :
XXXVIII. Permettez à un lecteur assidu de porter à votre connaissance un fait intéressant de télépathie dont je fus tout récemment le témoin.
Le mois dernier (décembre 1898), je soignais une dame âgée, arrivée à la dernière période d’une maladie rapide ; elle s’affaiblissait de jour en jour, tout en gardant intacte son intelligence, et c’est la veille même de sa mort qu’est survenu le phénomène suivant.
J’avais vu ma malade le matin. Elle raisonnait parfaitement et ses facultés cérébrales n’étaient en rien amoindries.
Vers 11 heures du matin, je rencontre un ami avec lequel je cause de différentes choses. A un moment donné, cet ami me dit : « Je cherche une maison à louer pour le printemps. Pourriez-vous me donner quelques indications à ce sujet ? »
Ma foi non, lui répondis-je. Vous, entrepreneur de maçonnerie pouvez être mieux renseigné que moi en cette matière.
A ce moment, nous étions absolument seuls et personne ne pouvait surprendre notre conversation.
C’est que, ajoute mon ami, la maison qu’habite Mme P… (ma malade) me plairait assez. Que pensez-vous de son état ? On la dit très bas. Peut-elle vivre encore longtemps ?
Qui sait ? Répondis-je évasivement. En tout cas, elle a un bail qui retombe sur ses héritiers, en cas de décès.
C’est égal, je vais attendre encore quelques jours ; je verrai ensuite le propriétaire.
Notre conversation en resta là. Il ne fut plus question ni de la malade, ni de la maison, et je sais que mon ami ne parla à personne de ses projets dans le cours de la journée.
Or, à ma visite du soir, la garde malade de Mme P… me dit :
Docteur, notre malade divague, ou, du moins a divagué, vers midi. Elle m’a demandé si personne n’était venu visiter sa maison dans le but de la louer. « D’ailleurs, a-t-elle ajouté plusieurs fois, j’ai un bail : que me veut-on ? »
Et ce fut tout,
Je n’ai absolument rien compris, » ajouta la garde. Ni la bonne, ni personne, dans l’entourage de la malade, n’eut connaissance des projets de mon ami ; par conséquent, la malade elle-même n’a pu les connaître, en avoir l’intuition, par le monde extérieur.
Je fus et je reste convaincu que Mme P… a perçu, par action télépathique seule, notre conversation du matin. C’est à l’heure où j’étais avec mon ami qu’elle a « divagué ». C’est la seule « divagation » qu’elle ait eue, et elle est morte le lendemain soir, avant que personne n’ait eu vent des projets de location de mon ami.
Ceci se passait le 31 décembre dernier.
J’ai retenu le fait, assez curieux en lui-même. En lisant ce soir votre article des dernières Annales, j’ai pensé qu’il vous intéresserait. Voilà pourquoi j’ai pris la liberté de vous le communiquer aussitôt.
Dr Z…
P. S. C’est à vous personnellement que je livre ce document. Dans le cas où vous auriez l’intention de le publier, je vous serais reconnaissant de me garder l’anonymat.
Voici un autre fait d’observation qui ressemble beaucoup au précédent.
XXXIX. En avril 1874, à Beaumont la Ferrière (Nièvre), je donnais mes soins, en compagnie de ma femme, à ma mère Mme Foupuray. Agée de 72 ans. Nous passions, ma femme et moi, toutes les nuits dans la chambre de ma mère, et, le matin, nous allions dans la nôtre pendant le temps nécessaire pour y faire notre toilette, et nous revenions aussitôt auprès de ma mère qu’une femme de chambre gardait pendant ce temps là.
La maison que nous habitions était fort grande et les deux chambres, dont je vous parle, étaient placées l’une et l’autre au premier étage, mais aux deux extrémités de la maison, et séparées l’une de l’autre, par quatre chambres et un grand hall renfermant la cage de l’escalier.
Un matin, ma mère était mourante, nous ne voulions pas la quitter, elle insista pour que nous allions un instant dans notre chambre. Nous étions fort émus, ma femme et moi, et parlions de la mort imminente de ma mère, et des proches que nous avions déjà perdus au nombre desquels était un de mes frères, capitaine d’artillerie, mort deux ans avant cette époque.
Je n’avais aucun souvenir matériel et palpable de ce frère. Ma mère avait recueilli les différents objets venant de lui, épaulettes, croix de la Légion d’honneur, sabre, etc., et entre autre une cravache venant de l’époque où il était à l’Ecole polytechnique ou à Metz, ayant un gros pommeau d’argent avec un trophée d’arme en relief.
Je désirais depuis longtemps cette cravache, mais je n’avais jamais osé la demander à ma mère, sachant combien elle tenait aux reliques de son fils mort. J’en parlai à ma femme qui me dissuada d’en dire quoi que ce soit à ma mère.
Cette conversation n’avait aucun témoin, la porte de notre chambre était fermée, celle de ma mère également ; je vous ai dit la distance séparant nos chambres, j’ajoute que ma mère était mourante, hydropique, dans son lit, incapable de remuer. Elle n’avait pas pu nous entendre, ni elle ni personne, et personne n’avait pu lui rapporter les propos échangés entre ma femme et moi.
Nous rentrons dans nos chambres, en ouvrant la porte, nous retrouvons ma mère dans son lit où nous l’avions laissée presque agonisante. Avant que j’aie eu le temps de lui demander comment elle se trouvait, elle me dit d’une voix faible : « Louis, tu désires la cravache de ton frère, je te la donne, elle est cachée dans le dernier tiroir de ma commode, prends-la, ce sera un double souvenir de ton frère qui y tenait beaucoup, et de ta mère qui va mourir. »
Elle fit un grand signe de croix et rendit le dernier soupir.
Tel est le fait dont j’ai été le témoin bien ému, comme vous pouvez le croire.
Je vous le livre en attestant l’absolue véracité, usez-en comme il vous semblera bon. Ma femme témoin de l’événement signe cette lettre avec moi pour le certifier exact.
Foupuray.
Château de Malpeyre, par Brioude, Haute-loire. [Lettre 38.]
J’ai été témoin de ce que mon mari vous expose ci-dessus. C. Foupuray.
M. Cromwell Varley, l’électricien célèbre constructeur du câble transatlantique posé entre l’Angleterre et les Etats-Unis, raconte le fait suivant de communication mentale.
XL. J’avais, dans des études sur la faïence, respiré des vapeurs d’acide fluorhydrique qui m’avaient causé des spasmes de la glotte. J’étais sérieusement atteint et il m’arrivait fréquemment d’être réveillé par une attaque spasmodique. On m’avait recommandé d’avoir toujours sous la main de l’éther sulfurique, pour le respirer et me procurer un prompt soulagement. J’y eus recours six ou huit fois ; mais son odeur m’était si désagréable, que je finis par me servir de chloroforme, je le plaçais auprès de mon lit et, lorsque j’avais besoin de m’en servir, je me penchais au-dessus, dans une position telle que, dès que l’insensibilité se produisait, je retombais sur le dos en laissant tomber l’éponge. Une nuit, cependant, je retombai dans mon lit, en retenant l’éponge, qui resta appliquée sur ma bouche.
Mme Varley, nourrissant un enfant malade, était dans la chambre au-dessus de la mienne. Au bout de quelques instants je redevins conscient : je voyais ma femme en haut et moi-même couché sur le dos avec l’éponge sur la bouche dans l’impossibilité absolue de ne faire aucun mouvement ; par la volonté, je fis pénétrer dans son esprit la claire notion que je courais un danger. Elle se leva sous le coup d’une vive alarme, descendit et se hâta d’enlever l’éponge. Je fus sauvé.
Toutes ces observations, que je m’excuserais d’avoir tant multipliées s’il ne s’agissait pas d’une démonstration aussi nouvelle, aussi discutée et aussi importante, prouvent, à ne pas vouloir en douter, la réalité de l’action psychique d’un esprit sur un autre.
Parfois, cette transmission psychique va jusqu’à produire des sensations physiques, matérielles.
Voici, comme exemple, un cas bien curieux rapporté dans l’ouvrage sur les Hallucinations télépathiques (p. 325), auquel nous avons déjà fait tant d’emprunts. Il est dû à Mme Severn, de Brantwood (Angleterre) :
XLI. Je me réveillai en sursaut, écrit-elle. Je sentis que j’avais reçu un coup violent sur la bouche. J’eus la sensation distincte que j’avais été coupée et que je saignais au-dessous de la lèvre supérieure.
Assise dans mon lit, je saisis mon mouchoir, je le chiffonnai et je le pressai en tampon sur l’endroit blessé. Quelques secondes après, en l’ôtant, je fus étonnée de ne voir aucune trace de sang. Je reconnus seulement alors qu’il était absolument impossible que quelque chose eût pu me frapper, car j’étais dans mon lit et je dormais profondément. Je pensai donc que je venais simplement de rêver. Mais je regardai ma montre et, voyant qu’il était sept heures, et qu’Arthur (mon mari) n’était pas dans la chambre, je conclu qu’il était sorti pour faire de grand matin une partie de bateau sur le lac, car il faisait beau temps.
Puis, je me rendormis. Nous déjeunions à neuf heures et demie. Il rentra en retard, et je remarquai qu’il s’asseyait un peu plus loin de moi que de coutume et que de temps en temps il portait son mouchoir à ses lèvres.
« Arthur, lui dis-je, pourquoi fais-tu cela ? »
Et j’ajoutai, un peu inquiète :
« Je sais que tu t’es blessé, mais je te dirai après comment je le sais.
Et bien ! me dit-il, j’étais en bateau tout à l’heure, j’ai été surpris par un coup de vent, et la barre du gouvernail est venue me frapper sur la bouche ; j’ai reçu un coup violent sur la lèvre supérieure ; j’ai beaucoup saigné et je ne peux arrêter le sang.
As-tu quelque idée de l’heure à laquelle cela est arrivé.
Il devait être à peu près sept heures », me répondit-il.
Je lui racontai alors ce qui m’était arrivé à moi ; il en fut très surpris, et toutes les personnes qui déjeunaient avec nous le furent comme lui. Cela s’est passé à Brantwood, il y a environ trois ans.
Jeanne Severn.
Mme Severn écrit, en réponse à quelques questions :
Il est absolument certain que j’étais tout à fait éveillée, puisque j’ai mis mon mouchoir sur ma bouche, et que je l’ai pressé sur ma lèvre supérieure, pendant quelques temps, pour « voir le sang ». Je fus étonnée de ne pas en voir. Bientôt après, je me rendormis de nouveau ; je crois que, lorsque je me levai, une heure après, je ressentais encore une impression très vive et, pendant que je m’habillais, je regardais ma lèvre pour voir si elle ne portait aucune marque de coup.
Voici d’autre part le récit de M. Severn :
Brantwood-Coniston, le 15 novembre 1883.
Par une belle matinée d’été, je me levai de bonne heure, avec l’intention de faire une partie de bateau sur le lac. Je ne sais pas si ma femme ma entendu lorsque je sortis de la chambre.
Lorsque je descendis vers l’eau, je la trouvai tranquille comme un miroir, et je me rappelle que j’éprouvai une sorte de regret à troubler l’image charmante du rivage opposé, qui se reflétait dans le lac. Cependant, j’eus bientôt mis à flot mon embarcation et, comme il n’y avait pas de vent, je me contentai de hisser les voiles pour les faire sécher, et de mettre le bateau en ordre. Bientôt, il se leva une petite brise qui me permit d’aller à peu près une lieue en aval de Brantwood. Puis le vent s’éleva. Je préparai mon bateau aussi bien que possible pour recevoir le grain ; mais, pour une cause quelconque, il fut poussé en arrière, et il semblait vouloir tourner sur lui-même lorsqu’il fut saisi par le vent.
Comme je voulais éviter la vergue, je rejetai la tête en arrière, du côté du gouvernail, mais la barre vint me frapper sur la bouche et me coupa profondément la lèvre. Cependant, je réussis bientôt à rattraper ma barre et, comme j’avais bon vent, je pus revenir à Brantwood. Après avoir amarré mon bateau dans le port, je me dirigeai vers la maison, tâchant de cacher, autant que possible, ce qui m’était arrivé à la bouche. Je pris un autre mouchoir, j’entrai dans la salle à manger, et je réussis à raconter autre chose sur ma sortie matinale. Au bout d’un instant ma femme me dit :
« Est-ce que tu t’es pas blessé à la bouche ? »
J’expliquai alors ce qui m’était arrivé, et je fus bien surpris de l’intérêt extraordinaire que l’on voyait sur sa figure ; je fus encore plus surpris lorsqu’elle me raconta qu’elle s’était éveillée en sursaut, croyant qu’elle avait reçu un coup sur la bouche. Cela lui est arrivé vers sept heures et quelques minutes. C’est bien vers cette heure là que l’accident a dû avoir lieu.
Arthur Severn.
Pendant les dix-huit premières éditions de cet ouvrage (1900-1906), ces observations de l’action psychique d’un esprit sur un autre s’arrêtaient ici, malgré les documents plus nombreux encore que j’avais entre les mains. Depuis, j’en ai reçu un grand nombre de nouvelles, parmi lesquelles deux surtout me paraissaient particulièrement intéressantes.
La première émane de M. le Dr H. Viry, de Poitiers (1907). Après avoir confirmé le cas no1 des manifestations de mourants décrit plus haut par le général Parmentier, en déclarant qu’il s’agit là de sa grand-mère, Mme Geschurnd, qui le lui a raconté elle-même en lui montrant l’embrasure de la large fenêtre où le phénomène s’est passé, le docteur ajoute le fait suivant :
Je soignais, écrit-il, une jeune parente chez qui j’allais à bicyclette. Je l’avais endormie plusieurs fois dans un but thérapeutique, et elle se trouvait en « relation magnétique » avec moi. Un après-midi, je retournais chez moi à bicyclette, lorsqu’à une vingtaine de mètres de la maison je me sentis la jambe gauche prise au-dessus de la cheville, au point d’être forcé de m’arrêter. Je saute à terre, examine ma machine, remonte, fais deux tours de pédale et ressens le même arrêt causé par une main qui me prend la jambe au même endroit. L’idée me vient que c’est la main de ma parente qui m’arrête ; je me retourne, regarde à sa fenêtre et la vois, en effet, avec son père, me faisant signe de revenir. Que s’était-il passé ? Au moment de mon départ, ils s’étaient mis tous deux à la fenêtre, et son père exprimait le regret de ne pas m’avoir fait une communication importante. La jeune fille avait répondu : « Eh bien, je vais l’arrêter en lui prenant la jambe ».
La seconde observation est due au Dr d’Ardenne, médecin à Toulouse (1903), et a pour objet également la projection de la volonté à distance, sans parole, ni bruit, ni contact. Voici cette relation :
Avant d’avoir eu l’occasion de m’occuper personnellement d’hypnotisme et d’observer pour mon compte, j’avais assisté plusieurs fois à des séances publiques organisées, pour les foules payantes, par des « magnétiseurs » de profession doublés de prestidigitateurs (Donato, Verbeck, Caseneuve, Pickmann, etc.). Tout le monde sait qu’à côté des faits d’hypnose classique, reproduits des milliers de fois par des médecins du plus grand mérite, et définitivement entrés dans le domaine scientifique, les exhibitionnistes en question ne se sont pas fait faute de présenter à leurs spectateurs des expériences bien autrement troublantes télépathie, suggestion mentale, etc. Mais ce sont là des questions encore frappées d’ostracisme par la généralité des savants, bien que plusieurs d’entre eux, et non des moindres, aient paru fort ébranlés par certains faits très frappants et que quelques-uns même, après les avoir admis comme incontestables, se soient risqués jusqu’à leur chercher une explication rationnelle.
Parmi ces expériences extra-scientifiques, une de celles qui m’avaient le plus vivement intéressé consiste dans ce que j’appellerai l’attraction à distance sans parole ni contact. J’ai vu notamment Verbeck la réussir à merveille chez des somnambules placés au fond de la scène, le dos tourné vers la salle et les yeux bandés, qu’il faisait marcher vers lui à reculons, en exécutant avec les deux mains, des gestes d’attraction. Dans le curieux volume du célèbre magnétiseur Lafontaine, on trouve plusieurs observations de cette nature. Voici une des plus remarquables : « A Orléans (édit. 1860, P. 118), une jeune femme nommée Blanche, et que plusieurs médecins m’avaient fait magnétiser en leur présence, m’offrit le phénomène de l’attraction à un point très développé. J’ai vu plusieurs personnes très vigoureuses la retenir avec force, entre autre M. Danicourt, le rédacteur-propriétaire du journal le Loiret, et M. de Saint-Maurice, rédacteur de l’Orléanais, tous deux y mettant toute leur force musculaire, au risque de briser les membres de la jeune fille ; elle était éloignée de moi d’une distance de trente mètres à peu près. Sitôt que, par un signe, je l’attirais à moi en présentant le bout de mes doigts et en les reployant un peu, Blanche, qui me tournait le dos, faisait des efforts surhumains pour se dégager ; ne le pouvant pas, elle entraînait ces deux messieurs, malgré toute la résistance qu’ils opposaient. Dès qu’ils la lâchaient, elle arrivait en arrière et tombait sur mon bras sans connaissance ».
Il va s’en dire qu’à l’époque de Lafontaine l’interprétation de ces faits ne pouvait être qu’erronée. Est-on en mesure à l’heure actuelle, d’en donner une explication plus satisfaisante ? Il est peut-être permis d’en douter. Quoi qu’il en soit, l’important serait, en attendant de les vérifier le cas échéant ; et c’est ce que je m’étais promis de faire à la première occasion.
Cette occasion s’est présentée à moi, pour la première fois, en 1894.
Je donnais alors des soins à une hystérique, Mlle T…, âgée d’environ 40 ans, qui m’avait été adressée par le professeur Bonnemaison. Dans le but de tenter une diversion, et aussi pour essayer le lavage de l’estomac contre des accidents gastriques rebelles, l’éminent clinicien m’avait confié le soin, en 1889, de soumettre sa malade à l’usage du tube Faucher. Comme il était mort sur ces entrefaites, j’étais resté chargé, depuis lors, de diriger l’entier traitement ; et je n’avais pas tardé à reconnaître que ma nouvelle cliente réalisait le type de ce que l’on est convenu d’appeler « un sujet remarquable ». Tout en utilisant ces dispositions spéciales en vue d’atténuer les terribles crises qui se répétaient incessamment, je fis dès le début, mais surtout en 1894, diverses tentatives « d’attraction » qui réussirent au-delà de mes espérances. Mais ce ne fut que quatre ans plus tard, au cours d’une nouvelle série d’accidents, que j’eus toute latitude pour multiplier mes expériences. Je les appliquai pendant la léthargie la plus profonde, à l’aide d’un geste des mains d’abord (comme Verbeck et comme Lafontaine), ensuite par le regard seul. Elles me parurent à tel point concluantes que j’eus l’idée d’en faire part à mon vieux camarade et ami, le professeur Grasset.
J’acceptai volontiers ses explications en ce qui concerne la possibilité de la suggestion par un geste des mains. Mais j’avoue qu’il me fut difficile d’admettre qu’un simple regard fût de nature à déterminer une suggestion. Je résolus donc de reprendre mes expériences dans des conditions différentes et plus rigoureuses : 1o en agissant sur la patiente en léthargie à travers un obstacle matériel ; 2o en agissant sur elle en somnambulisme ou même à l’état de veille, mais après que je me serais rendu invisible par suggestion.
Le résultat, qui fut absolument le même, me laissa dans un étonnement voisin de la stupeur.
Cessant d’agir avec les mains, j’ai voulu essayer du regard seul ; assis sur une chaise, en arrière du dossier du fauteuil sur lequel repose la malade, et dans une position telle que je me retrouve entièrement caché, je puis rester indéfiniment dans cette position sans que rien arrive. Mais il suffit que je projette mon regard sur le dossier pour que l’attraction se produise aussitôt et que la patiente se précipite vers moi après avoir contourné son fauteuil. Même résultat si, le sujet étant en somnambulisme ou même à l’état de veille, je me suis rendu préalablement invisible par suggestion. Seulement, dans ces cas, la malade est consciente et se plaint énergiquement d’être attirée malgré elle. Une différence, cependant : elle va moins droit au but ; elle tâtonne pour trouver mon corps, lorsqu’elle en est proche, et, non sans un vif sentiment de dépit, demande où je suis aux personnes présentes. Hier, je faisais ces expériences à l’état de veille. Melle T… était presque en colère. Après l’avoir calmée, je la fis asseoir au coin du feu et pris un fauteuil en face du sien. Elle avait froid aux mains et les approchaient du feu en frissonnant. Au bout d’un instant, je la regarde fixement ; elle se précipite aussitôt en avant en se plaignant énergiquement de ce que je ne la laissais pas se chauffer. Mais chauffez-vous donc ! Oui, si vous ne me forcez pas à courir vers vous ! Et l’expérience est refaite dix fois, vingt fois, jusqu’à ce que la fatigue et l’exaspération fussent tels que je crus devoir en finir. Si je veux attirer la jambe ou la main, je le puis aisément en fixant mon regard sur ces parties exclusivement.
Dira-t-on que le regard est senti, que les mouvements des paupières sont perçus et que les sensations qui en résultent sont les causes de la suggestion ? Sans doute, il semble nécessaire qu’un avertissement quelconque, émané de l’hypnotiseur, arrive jusqu’à la patiente. Mais de quelle nature est cet avertissement ?
Ce que j’ai constaté m’affermit d’une manière absolue dans la persuasion où j’étais déjà qu’il n’y avait pas eu erreur. L’attraction, dans les conditions que j’ai spécifiées, est chez Melle T… un fait indéniable et constant.
J’arrive donc aujourd’hui aux mêmes conclusions que précédemment, avec une seule précision en plus que j’ai, à présent, la quasi certitude que le regard lui-même est senti. Ce qui m’a permis de le croire, c’est qu’un tressaillement, parfois très intense, précède immédiatement le mouvement d’attraction. J’ai fini par acquérir la conviction que quelque chose s’échappait de mes yeux pour aller assaillir les centres automatiques de la patiente, par l’intermédiaire des nerfs sensitifs cutanés.
Enfin, au cours de mes expériences à l’état de veille (alors que j’étais devenu invisible par suggestion post-hypnotique), j’ai profité de la pleine conscience dont jouissait Melle T…, qui est d’ailleurs très intelligente, pour la prier de m’expliquer pourquoi elle se précipitait ainsi tout à coup vers moi. Elle m’a répondu textuellement : « Je suis poussée par une force irrésistible, dont je ne puis définir ni l’origine, ni la nature. J’ai BESOIN de me lever ; je DOIS marcher. IL FAUT que j’aille vers vous ! »
Moi. Cette nécessité de me suivre est-elle aussi urgente qu’au moment de la prise du regard (fascination).
Elle. C’est un peu moins fort, quoique invisible. Dans le second cas, je briserais tout !
En réalité, ce qu’elle peut démêler de plus clair, dans cette aventure qui l’étonne grandement et même l’humilie véritablement, c’est que « son hypnotiseur le veut ainsi » ; qu’elle se sent, malgré elle, invinciblement, fatalement, sous l’empire de cette volonté étrangère, sans qu’il soit possible de s’expliquer pourquoi et comment il en est ainsi.
En conclusion, il me paraît évident que le geste des mains et le regard lui-même sont perçus et sentis par le sujet, même à distance, même à travers un corps solide, et qu’il en résulte une suggestion (dans l’espèce, attraction toujours, soit totale, soit partielle).
Reste à savoir quel est, en pareil cas, le trait d’union entre l’hypnotiseur et le sujet…
Nous pourrions encore multiplier indéfiniment ces exemples. Il nous semble que nos lecteurs sont complètement édifiés aussi sur la transmission de pensées, d’impressions et de sensations.
Nous admettrons donc comme démontrée l’action d’un esprit sur un autre, la transmission de pensée, la suggestion mentale, quoique ce fait soit contesté par un grand nombre de savants, même spécialistes. Ainsi, par exemple, le Dr Bottey affirme que « la prétendue transmission de la pensée, la double vue, ne saurait exister, et n’est qu’une jonglerie exploitée par les magnétiseurs . » Il nous semble que la fausse monnaie n’empêche pas la bonne d’exister.
Un grand nombre de savants professent la même négation pour ces transmissions psychiques, notamment en Angleterre, où sir William Thomson (lord Kelvin) et Tyndall se sont fait particulièrement remarquer par le profond mépris qu’ils ont affiché pour ces sortes d’études.
L’astronome français Laplace fait preuve d’un esprit bien supérieur lorsqu’il écrivait :
« Les phénomènes singuliers qui résultent de l’extrême sensibilité des nerfs, dans quelques individus, ont donné naissance à diverses opinions sur l’existence d’un nouvel agent, que l’on a nommé magnétisme animal. Il est naturel de penser que la cause de cette action est très faible, et peut être facilement troublée par un grand nombre de circonstances accidentelles ; aussi, de ce que dans plusieurs cas elle ne s’est point manifestée, on ne doit pas conclure qu’elle n’existe jamais. Nous sommes si éloignés de connaître tous les agents de la nature et leurs divers modes d’action, qu’il serait peu philosophe de nier l’existence de phénomènes, uniquement parce qu’ils sont inexplicables dans l’état actuel de nos connaissances. »
Ce sont là des paroles à méditer pour ceux qui seraient tentés de prononcer ici le mot impossible ; à d’autres, qui craignent surtout le ridicule, elles conseillent au moins la prudence dans la critique.
Il est admis, en physique, que l’éther, ce fluide impondérable considéré comme remplissant l’espace, traverse tous les corps, et que, même dans les minéraux les plus denses, les atomes ne se touchent pas et flottent, en quelque sorte, dans l’éther.
Ce fluide transmet, à travers l’immensité, les mouvements ondulatoires produits dans son sein par les vibrations lumineuses des étoiles : il transmet la lumière, la chaleur, l’attraction à des distances considérables.
Qu’y aurait-il d’inadmissible à ce que, pénétrant, comme il le fait en réalité, nos cerveaux en vibration, il transmette également à distance les courants qui envahissent nos têtes et établisse un véritable échange de sympathies et d’idées entre les êtres pensants, entre les habitants d’un même monde, et peut-être même à travers l’espace, entre la terre et le ciel ?
Nous pouvons concevoir que, dans certains cas, dans certaines conditions, un mouvement vibratoire, un rayonnement, un courant plus ou moins intense, s’élance d’un point du cerveau et aille frapper un autre cerveau, lui communiquer une excitation soudaine, qui se traduise en une sensation d’audition ou de vision. Les nerfs se trouvent ébranlés de telle ou telle façon. Ici, on croira voir, reconnaître l’être cher d’où la commotion est partie ; là, on croira l’entendre ; ailleurs, l’excitation cérébrale se traduira par l’illusion d’un bruit, d’un mouvement d’objets. Mais toutes ces impressions se passent dans le cerveau du sujet, comme dans l’état de rêve. D’ailleurs, dans l’état normal, nous ne percevons également les choses que par une excitation cérébrale, obscurément accomplie dans l’intérieur de nos crânes.
Le cerveau, matériel, localisé dans le crâne, est-il un organe d’où émanent des radiations, un foyer qui rayonne autour de lui, comme une cloche en vibration, comme un centre lumineux ou calorique, et émet des ondes physiques analogues à celles de la lumière ? Ou bien l’esprit est-il un foyer d’un autre ordre, plus éthéré, de nature psychique, qui émet des radiations invisibles d’une grande puissance et pouvant se transporter à de vastes distances ? Le fait d’une radiation émanée de l’être pensant paraît nécessaire pour expliquer les faits observés, qu’elle vienne de l’esprit ou du cerveau. S’effectue-t-elle en ondes sphériques ? Se projette-t-elle en jets rectilignes ? L’électricité est-elle un jeu ? (elle existe sûrement dans l’organisme humain, et j’en ai eu cent fois la preuve.) Nous ne pouvons encore que poser la question. Mais le FAIT de l’action de l’âme à distance est maintenant démontré, et je prie les lecteurs de ne pas me faire dire autre chose que ce que j’écris. Je pose les hypothèses explicatives comme des interrogations, simplement. Il y a cent ans, la théorie de l’émission était admise, enseignée par la science. Aujourd’hui elle est abandonnée pour celle des ondulations de l’éther. Mais rien ne prouve que celle-ci doive tout expliquer, surtout les faits d’ordre psychiques. Il n’est pas du tout nécessaire d’expliquer une chose pour l’admettre. Par exemple, vous recevez un violent coup de poing, vous vous retournez, et ne voyez personne : vous n’en avez pas moins reçu le coup inexplicable et vous êtes forcé de l’enregistrer. L’important, la valeur essentielle de cet ouvrage, c’est de prouver que ces faits existent, qu’il y a un ordre de choses invisible et inconnu à côté du monde visible et connu, et que cet inconnu mérite d’être étudié.
L’action d’un être sur un autre, à distance, est un fait scientifique, aussi certain que l’existence de Paris, de Napoléon, de l’oxygène ou de Sirius.
Les recherches entreprises dans notre travail, s’arrêteraient-elles ici, et n’auraient-elles servi qu’à affirmer ce fait, qu’elles auraient la plus haute importance et que nous ne regretterions pas de les avoir entreprises. Mais elles conduisent à bien d’autres constatations non moins audacieuses, non moins surprenantes et non moins certaines ;
Les occultistes enseignent que l’homme est composé de trois parties : l’âme, le corps astral et le corps physique, et expliquent les manifestations en disant que le corps astral du mourant s’échappe et se transporte vers la personne impressionnée.
Cette explication ne nous paraît pas satisfaisante, à cause de la diversité des impressions. Les uns sont avertis d’une mort par la vision d’un chat, d’un chien, d’un oiseau, par l’ouverture ou la fermeture fictive d’un volet, d’une fenêtre, d’une porte, par des coups frappés, par des pas entendus, par des apparitions d’êtres toujours habillés, par des demandes de prières, lorsqu’il s’agit de morts, pour être délivrés du purgatoire. Ce sont évidemment là des impressions personnelles produites par une cause télépathique, et non des manifestations d’un corps astral qui se serait transporté.
On proclame parfois, dans les sciences, comme principe axiomatique, qu’une hypothèse doit tout expliquer. C’est là une erreur. Une hypothèse peut expliquer certains faits et n’en pas expliquer d’autres.
C’est ce qui arrive ici. Mais nous n’en admettons pas moins comme démontrée l’action psychique d’un esprit sur un autre, à distance, et sans l’intermédiaire des sens, quoique cette action n’explique pas tout.
Elle explique les impressions du cerveau, les apparences fictives. Elle n’explique pas les mouvements réels d’objets.
Une théorie qui rendrait compte d’un grand nombre des impressions rapportées serait celle-ci :
Une personne en mourant, le voulant ou ne le voulant pas (à examiner), produirait dans l’éther un mouvement qui irait frapper un cerveau vibrant synchroniquement et déterminerait dans ce cerveau, vers la région où aboutissent les nerfs optiques et auditifs, une impression variant selon l’état particulier de cette région chez le percipient.
Par exemple (lettre 610), un enfant qui avait une passion pour les oiseaux entend un cri d’oiseau qui lui fait chercher cet oiseau. On apprend le lendemain la mort d’un parent.
Mais n’ayons pas la prétention de trouver du premier coup sous quelle forme la transmission s’opère. L’hypothèse de vibrations sphériques ondulatoires de l’éther paraît la plus rationnelle ; mais elle ne suffit pas pour expliquer tous les cas. Une sorte de projection de la pensée semble s’accuser dans les cas de transmission mentale magnétique, que l’on pourrait parfois comparer à un appel de voix silencieux. Cependant dans un appel, dans un cri, lancé même expressément vers une direction déterminée, le son se transmet aussi par ondulations sphériques à travers l’atmosphère, de même que la lumière à travers l’espace. Se produirait-il une projection plus complète de l’esprit, une sorte d’extériorisation de force s’échappant de l’être en danger de mort pour aller chercher l’ami auquel elle s’adresse ? L’hypothèse est soutenable. Il semble même que parfois le « fantôme » constitué par l’être subconscient du sujet cause de l’effet observé ait entraîné avec lui quelques éléments matériels de l’organisme . Une projection de forces psychiques peut se transformer en effets physiques, électriques, mécaniques. La corrélation des forces, leurs transformations mutuelles, ressortent avec certitude des études modernes. Le mouvement, la chaleur, ne se transforment-ils pas journellement en électricité ? Lorsque Crémieux fusillé fait entendre à Clovis Hugues des coups frappés sur la table, il est possible qu’il n’y ait pas là une influence cérébrale, mais une production réelle des coups. Ces effets peuvent ne pas être toujours fictifs, subjectifs. Les impressions produites sur les animaux, un piano qui joue tout seul, un service de porcelaine jeté à terre, les sensations collectives indiquent des réalités objectives. Mais nous ne pensons pas que les éléments du problème soient assez étudiés, quant à présent, pour autoriser une conclusion définitive, d’autant plus que très souvent il semble bien que le mourant ait pu ne pas du tout penser à la personne qui a connu télépathiquement sa mort.
Peut-être esprit, force, matière ne sont-ils que les manifestations diverses d’une même entité inconnaissable pour nos sens. Peut-être existe-t-il un principe unique, à la fois intelligence, force et matière, embrassant tout ce qui est et tout ce qui est possible, cause première et cause finale, dont les différenciations ne seraient que des formes diverses de mouvement. Remarquons à ce propos, en passant, que si la pensée ne doit plus être scientifiquement considérée comme une sécrétion de la matière, mais comme un mode de mouvement du principe unique, il n’est plus logique d’affirmer l’anéantissement de l’intelligence par la mort de l’organisme.
Sans doute, les manifestations de mourants ne représentent pas un fait général, une loi de la nature, une fonction de la vie ou de la mort, et elles ne paraissent qu’une exception sans cause commune et sans raison apparente. La proportion n’est peut-être pas de 1 sur 1 000 morts. Cette proportion donnerait encore environ 50 manifestations de mourants à Paris par an. A-t-on même ce nombre ?
L’électricité atmosphérique ne se traduit pas souvent non plus en coups de foudre.
Ce n’est ni l’intelligence, ni le savoir, ni la valeur morale, soit de l’être qui meurt, soit de celui qui reçoit la manifestation, qui causent et amènent ces communications. On y distingue pas plus de lois apparentes que dans les effets de la foudre. Un coup électrique va frapper un être vivant, un objet, par suite d’un rapport momentané, sans que la science en découvre les causes.
Cependant ces constatations psychiques diverses nous mettent sur la voie d’un ordre de choses digne de notre attention. Le Verrier m’a souvent exprimé la pensée que ce qu’il y a de plus intéressant et de plus important dans la science, ce sont les anomalies, les exceptions. Il en savait quelque chose par la découverte de Neptune.
Nous pouvons dire avec Ch. du Prel que tant qu’il y aura progrès possible il y aura des phénomènes inexpliqués, et que plus ces phénomènes nous paraîtront impossibles et plus ils seront de nature à nous porter en avant dans la connaissance de l’énigme de l’univers.
Nous ajouterons avec les auteurs des « Phantasm of the living » qu’il s’est fait un divorce entre les opinions scientifiques des hommes cultivés et leurs croyances. La vieille orthodoxie religieuse étant trop étroite pour contenir la science de l’homme, la nouvelle orthodoxie matérialiste est devenue trop étroite à son tour pour contenir ses aspirations et ses sentiments. Le moment est venu de s’élever au-dessus du point de vue matérialiste et d’arriver à des conceptions qui nous permettent de considérer comme possibles ces subtiles communications d’esprit à esprit, ces communications même entre les choses visibles et invisibles dont l’idée a fécondé, dans tous les temps, l’art et la littérature :
Star to star vibrates light ; may soul to soul
Strike thro’ some finer element of her own ?
L’amant, le poète, tous ceux qui se sont enthousiasmés pour quelque cause généreuse, ont, dans tous les siècles, inconsciemment répondu à cette question de Tennyson. Chez quelques-uns, comme pour Goethe en certaines heures de passion, cette subtile communion des esprits est apparue avec une lumineuse clarté. Chez d’autres, comme pour Bacon, cette conviction s’est lentement formée de ces menus indices que révèlent l’étude quotidienne de l’homme. Mais pour la première fois, nous savons que ces messages muets voyagent vraiment, que ces impressions se répandent et se communiquent.
Nous disons que cette force est d’ordre psychique et non physique, ou physiologique, ou chimique, ou mécanique parce qu’elle produit ou transmet des idées, des pensées, et qu’elle s’exerce sans le concours de nos sens, d’âme à âme, d’esprit à esprit. Notre force psychique donne sans doute naissance à un mouvement éthéré, qui se transmet au loin comme toutes les vibrations de l’éther, et devient sensible pour les cerveaux en harmonie avec le nôtre. La transformation d’une action psychique en mouvement éthéré, et réciproquement, peut être analogue à celle que l’on observe dans le téléphone, où la plaque réceptive, identique à la plaque d’envoi, reconstitue le mouvement sonore transmis, non par le son, mais par l’électricité. Mais ce ne sont là que des comparaisons.
L’action d’un esprit sur un autre, à distance, surtout en des circonstances aussi graves que celles de la mort, et de la mort subite en particulier, la transmission de la pensée, la suggestion mentale, la communication à distance, ne sont pas plus extraordinaires que l’action de l’aimant sur le fer, que l’attraction de la lune sur la mer, que le transport de la voix humaine par l’électricité, que la révélation de la constitution chimique d’une étoile par l’analyse de sa lumière, et que toutes les merveilles de la science contemporaine. Seulement, ces transmissions psychiques sont d’un ordre plus élevé et peuvent nous mettre sur la voie de la connaissance de l’être humain.
La suite graduelle de notre examen nous conduira probablement à admettre qu’il y a des apparitions réelles, objectives, substantielles, des doubles de vivants, et peut-être même des manifestations de morts. Mais n’anticipons pas.
Quoi qu’il en soit : « La télépathie peut et doit être inscrite désormais dans la science comme une réalité inconstestable ; les Esprits peuvent agir les uns sur les autres sans l’intermédiaire des sens ; la force psychique existe. Sa nature reste inconnue. »
Chapitre VII – Le monde des rêves
Diversité indéfinie des songes – Physiologie cérébrale – Rêves psychiques : manifestations de mourants ressenties pendant le sommeil – La télépathie dans les rêves
Les phénomènes psychiques dont nous venons de nous entretenir peuvent se produire pendant le sommeil aussi bien que dans l’état éveillé. Jusqu’à présent, le sommeil et les rêves ont été beaucoup étudiés, il est vrai, et par un grand nombre d’observateurs perspicaces , mais il faut avouer qu’ils ne sont encore que bien incomplètement élucidés. Le sommeil n’est pas un état exceptionnel dans notre vie ; c’est, au contraire, une fonction normale de notre existence organique, dont il représente le tiers, en moyenne. L’homme ou la femme qui a vécu soixante ans en a dormi vingt, ou à peu près. Les heures de sommeil (trois mille par an !) sont, sans contredit, des heures de repos, de réparation vitale, pour le cerveau comme pour les membres assoupis ; mais ce ne sont pas des heures de mort. Nos facultés intellectuelles restent en activité, avec cette différence que c’est l’inconscient qui agit, et non pas notre logique consciente de l’état éveillé.
De même que l’on pense constamment à une chose ou à une autre, de même, pendant le sommeil, on rêve constamment, semble-t-il. Le rêve est l’image de la vie. Ceux dont les idées sont fortes, dont les pensées sont puissantes, ont des rêves intenses. Ceux qui pensent peu rêvent faiblement. Il y a autant de rêves que d’idées, et toutes les classifications tentées ont été à peu près vaines et illusoires.
On ne se souvient pas toujours des rêves. D’ailleurs, nous ne nous souvenons pas des trois quarts des pensées qui ont traversé notre cerveau pendant le jour. Pour saisir un rêve au vol, il faut être réveillé assez brusquement et y porter une vive attention, car rien ne s’efface plus vite que le souvenir d’un rêve. En général, c’est l’affaire d’une seconde ou deux, et si on ne le fixe immédiatement, il s’évanouit… comme un songe. Un grand nombre d’auteurs assurent qu’on ne rêve que le matin, avant de se réveiller, ou le soir en s’endormant. Cependant, il suffit de se réveiller ou de réveiller quelqu’un à une heure quelconque de la nuit pour constater que l’on rêve. On assure aussi que le songe est produit par l’acte du réveil. Pas toujours, assurément, car on se sent parfois fort heureux de s’éveiller d’un cauchemar, et certains rêves sont assez violents pour nous obliger à nous éveiller. La question du sommeil complet, du repos absolu de l’esprit, ne me paraît pas résolue.
En général, on rêve aux choses dont on s’occupe et aux personnes que l’on connaît. Cependant, il y a des exceptions bizarres, et les pensées les plus intenses du jour n’ont parfois aucun retentissement durant le sommeil suivant. Les cellules cérébrales qui y ont été associées sont épuisées et se reposent, et souvent c’est fort heureux. D’autre part, le temps et l’espace sont annihilés. Des évènements de plusieurs heures et même plusieurs jours peuvent se dérouler en une seconde. Vous pouvez vous retrouver d’un grand nombre d’années en arrière et dans votre enfance, avec des personnes mortes depuis longtemps, sans que ces lointains souvenirs paraissent affaiblis. Vous rencontrez sans étonnement en songe des personnes d’un autre siècle. On peut rêver aussi à des choses qui ne sont jamais arrivées et qui seraient d’ailleurs impossibles. Les images saugrenues et burlesques les plus disparates s’associent sans la moindre vraisemblance.
Certains rêves proviennent même d’une transmission héréditaire.
Mille causes diverses agissent sur les rêves, en dehors de l’esprit lui-même : une digestion difficile, une respiration contrariée, une position du corps, le frôlement du drap, de la chemise, une couverture trop lourde, un refroidissement, un bruit, une lumière, une odeur, le toucher de la main, la faim, la soif, la plénitude des tissus, tout agit sur les rêves.
On remarque, par exemple, à ce propos, une hallucination hypnagogique assez fréquente, c’est celle qui nous fait tomber dans un trou, manquer une marche d’escalier, glisser au fond d’in précipice. Elle arrive généralement un peu après le commencement de notre sommeil, à l’instant où les membres s’assouplissant entièrement font, me semble-t-il, changer de place tout d’un coup le centre de gravité de notre corps. C’est sans doute ce déplacement subit de notre centre de gravité qui donne naissance à ce genre de rêves. Lorsque nous nous occuperons du Temps, nous aurons lieu de revenir sur l’étonnante rapidité des songes.
Les attitudes du sommeil tendent à un équilibre passif. Toutes les activités sensorielles s’obscurcissent par degrés et l’oubli du monde extérieur arrive par transitions insensibles, comme si l’âme se retirait lentement vers ses derniers refuges. Les paupières se ferment et l’œil s’endort le premier. Le toucher perd ses facultés de perception et s’endort ensuite. L’odorat s’assoupit à son tour. L’oreille reste la dernière, sentinelle vigilante, pour nous avertir en cas de danger, mais elle finit aussi par s’assoupir. Alors le sommeil est complet et le monde des rêves s’ouvre devant la pensée avec sa diversité infinie.
Vers ma vingtième année (19 à 23 ans), je m’étais amusé à observer mes rêves et à les écrire au réveil, avec les commentaires qui pouvaient les expliquer. J’ai continué depuis, mais assez rarement, à prendre de nouvelles notes sur ce sujet. Je viens de retrouver ce registre, assez volumineux, intitulé : ΅Ονειροι et écrit quelquefois en grec et en latin comme diversion, je suppose. Il a pour sous-titres γνωστε σεαυτόγ et εμπερία. J’en avais tiré certaines conclusions qui ne sont pas sans intérêt.
J’extrairai de ce registre inédit quelques rêves et quelques réflexions qui me paraissent tout à fait à leur place ici.
J’avais quitté l’observatoire de Paris, à la suite de dissentiments avec son directeur, Le Verrier, et j’avais été changé, au bureau des Longitudes, des calculs relatifs aux positions futures de la lune. Je rêve que je suis au Palais-Royal, dans la galerie d’Orléans, chez le libraire Ledoyen, et que M. Le Verrier entre et achète mon premier ouvrage, La Pluralité des mondes habités.
Me voyant là : « C’est de lui ? fit-il en me regardant. Oui, monsieur le sénateur, répond le libraire, et c’est notre plus grand succès de librairie. »
Il y avait plusieurs personnes au magasin. Elles disparaissent toutes comme par enchantement, et je me trouve seul avec Le Verrier, dans un immense salon d’hôtel.
« Est-ce que vous vous plaisez au bureau des longitudes, me demande-t-il, avec ces Mathieu, ces Laugier, ces Delaunay ? Vous feriez mieux de rentrer à l’Observatoire.
J’y suis fort bien, répliquai-je. Ces calculs sont plus intéressants que vos réductions d’observations.
Pas d’avenir là ! Continua-t-il. A votre place, j’entrerais dans un ministère.
M. Rouland a reçu une invitation pour m’admettre aux Travaux publics, à la statistique de la France.
Rouland ? Non : Legoix.
Vous avez raison. Mais j’ai refusé. L’astronomie est au-dessus de tout.
Cependant, le principal, dans la vie, est d’avoir une bonne place.
Nous ne sommes pas sur la terre pour manger, mais pour nourrir notre esprit des aliments qu’il préfère.
Vous êtes bien intéressé ! Vous n’arriverez à rien.
Nous ne comprenons pas la science de la même façon. Pour moi, elle n’est pas un moyen, elle est en elle-même son propre but.
Je pourrai vous confier à l’Observatoire un poste important, mais il faudrait pour cela que vous quittiez d’abord le Bureau des Longitudes et que j’aie la garantie que vous ne quitterez plus l’Observatoire.
Et pourquoi quitterais-je une situation qui réaliserait une partie de mes espérances ?
Ce que vous appelez la philosophie astronomique est une chimère. L’astronomie, c’est le calcul.
Le calcul en est la base, rien de plus.
Nous aviserons », ajouta-t-il en tournant sur sa jambe droite, et en se dirigeant vers une porte en tapisserie qui conduisait, me parut-il alors, à l’appartement qu’il occupait dans l’hôtel, et en me laissant seul avec mes réflexions.
Je me réveillai : sept heures sonnaient.
Ce rêve s’explique très facilement par mes préoccupations à cette époque. L’illustre astronome y garde absolument le caractère sous lequel je le connaissais. Le nom de Rouland, ministre de l’instruction publique, mis à la place de Rouher, ministre des travaux publics, a pu avoir pour cause la similitude des deux noms et le fait que je voyais plus souvent ce nom que le second. M. Legoix était alors chef du bureau de la Statistique, et il avait été question pour moi d’y entrer, en effet. Le Verrier témoignait, en toute occasion, un profond dédain pour le Bureau des longitudes. Ce rêve est donc tout simplement le reflet, l’écho des pensées réelles.
Il est assez raisonnable. Nous en faisons tous d’autres qui le sont beaucoup moins. En voici un qui se termine d’une manière bien baroque.
Je rencontre un ami, le docteur Edouard Fournié, qui me reproche de n’être pas allé le voir depuis longtemps et qui ajoute : « Ces reproches ne viennent pas seulement de moi, mais aussi de Melle A… qui se plaint de votre indifférence. Elle ne vous a pas eu pour danser avec elle au bal de Mme F… ; elle s’est monté la tête, parce qu’on lui a dit que vous étiez allé à une autre soirée, et son chagrin, dont elle ne pouvait parler à personne, a amené chez cette pauvre enfant une fièvre cérébrale.
« Un étudiant en médecine, jeune chirurgien, l’a soignée et est parvenu à la sauver. Il l’a guérie non seulement de cette fièvre, mais même de la cause de cette maladie, car dès qu’il eut vu la fève conjugale, il devint passionnément amoureux, elle répondit à son amour, et maintenant c’est lui qu’elle aime. Elle est en pleine convalescence. »
Je lis dans la note ajoutée à ce rêve : « Je connaissais Melle A…, j’avais pour elle une vive admiration, et je lui avais dédié ma romance Si tu savais ; mais je n’avais pas cru à une réciprocité de sa part. J’avais rencontré chez le Dr Fournié, un jeune chirurgien du Val-de-Grâce en costume assez élégant, qui m’avait paru faire la cour à cette demoiselle. J’en avais eu du dépit et je m’étais retiré. Le rêve n’est donc encore ici qu’une association d’idées habituelles. Mais l’expression fève conjugale est curieuse en ce sens qu’elle paraît être une déformation de l’assonance fièvre cérébrale. Elle est bien extravagante, quoiqu’elle rappelle un peu la métamorphose, dans le rêve précédent, de Rouher en Rouland. On sent que les cellules de l’encéphale travaillent là obscurément dans l’inconscience. Peut-être même, en se rapportant à la situation du rêve, pourrait-on trouver un autre rapprochement d’images qui aura pu donner naissance, en cérébration inconsciente rapide, à cette expression singulière… »
Dans un autre rêve, je me trouve vers les derniers rangs d’une armée en bataille. Des balles viennent à passer auprès de moi, d’énormes boulets se succèdent, mais aucun bruit. Je regardais les boulets venir et me détournais, soit à gauche, soit à droite, suivant leur direction. Mais ils se succédèrent bientôt à de si courts intervalles que je pensai que le mieux à faire était de ne pas me déranger, car en évitant l’un je pouvais me trouver sous la visée de l’autre.
Je me dis alors : « Que les hommes sont bêtes de s’amuser comme ça ! N’ont-ils donc rien autre chose à faire ? »
L’explication de ce rêve est également fort simple. J’avais tiré à la conscription, quinze jours auparavant, un mauvais numéro. Ce qu’il y a de plus curieux peut-être, ce sont ces boulets inoffensifs arrivant sans bruit, et que l’on voit venir.
Autre songe :
Nous étions plusieurs sur une place publique. Dans les airs, au-dessus de nos têtes, un immense ballon semble lutter désespérément contre le vent. Tout à coup, il se retourne complètement, la nacelle en haut. La foule s’amasse, s’attendant à voir tomber l’aéronaute. Mais un parachute est lancé dans l’espace et l’aéronaute descend.
Ce rêve est bizarre. Il est difficile de penser qu’un ballon puisse se retourner ainsi. On voit en rêve des choses irrationnelles et qui ne peuvent pas arriver. Depuis plusieurs semaines, M. de la Landelle annonçait le départ d’un ballon monstrueux.
Je rêve que plusieurs femmes m’accostent dans la rue. La dernière étant remarquablement jeune et gracieuse, je me retourne pour la regarder. Mais voilà que j’entends des personnes disant : « C’est le président ! c’est le président ! » J’eus honte et je continuai mon chemin.
J’étais alors président d’une petite société de jeunes gens qui consacraient leurs loisirs à la littérature. J’ai agi en rêve comme j’aurais agi éveillé.
Aujourd’hui, 5 octobre 1863, Melle K. D… me raconte qu’elle a rêvé me voir dans le ciel, de l’autre côté de la lune, avec un compas d’or en main, mesurant des grandeurs inconnues. Tout à coup, je redescends rapidement avec elle, lui dire qu’une nouvelle planète était là, que l’on ne connaissait pas encore.
Aujourd’hui, je reçois le no 1439 des Astronomische Nachrichten qui m’apprend qu’une nouvelle planète vient d’être découverte. On ne le sait pas encore en France, et je l’annoncerai demain dans le Cosmos.
Il n’y a sans doute là qu’une simple coïncidence. Vers cette même date, je lis dans ce registre la note suivante :
Le docteur Hoefer, directeur de la biographie générale publiée chez Didot, me disait hier que les rêves représentent des opérations de l’âme complexes et difficiles à déterminer. A l’article Humboldt il avait écrit que l’Allemagne pouvait être fière de deux grands hommes, bien différents dans leur génie, Frédéric le Grand et Alexandre de Humboldt. Celui-ci, auquel il avait envoyé une épreuve, lui écrivit pour le supplier, à genoux, de retrancher cette comparaison, se croyant trop petit pour être appelé génie dans le pays de Leibniz, et trop attaché aux idées de liberté pour être mis en accolade avec Frédéric.
Le docteur Hoefer avait remis de jour en jour sa réponse à cette lettre, quand il apprit la mort de l’illustre savant.
Environ deux mois après, il rêva se trouver dans un immense et splendide salon, brillamment décoré, dans lequel un auditoire attentif écoutait un orateur. Cet orateur, c’était lui-même. Mais voilà qu’en promenant ses regards sur l’auditoire, il reconnaît son ami Humboldt. « Tiens ! s’écrit-il soudain, en s’interrompant dans son discours, comment, c’est vous ? On m’avait dit que vous étiez mort.
Non, mon cher, répondit Humboldt avec un sourire habituel, c’était une plaisanterie. J’ai fait courir le bruit que j’étais mort, mais vous voyez bien que ce n’est pas.
Ce rêve est encore le résultat des préoccupations habituelles, et Humboldt mort n’y est certainement pour rien.
J’assiste à une séance de spiritisme dans laquelle M. Mathieu, doyen du bureau des Longitudes et de l’Académie des sciences (beau-frère d’Arago), était médium. On m’apporte la tête de mon père, très belle, comme en ivoire ou en cire. Je ne suis pas du tout impressionné de ce tableau, d’autant plus que mon père, bien vivant dans ce rêve comme il l’était en réalité, assistait à cette exhibition et n’en voulait rien croire.
A classer parmi les absurdités les plus stupéfiantes.
Je pars de l’Observatoire, où se trouvait le Bureau des calculs du Bureau des Longitudes (faux : c’était alors rue Notre dame des champs) et où je venais de porter un toast « à la chute de M. Le Verrier », je traverse une cour gothique, moyen âge, qui n’existe pas, et je vais à Mont-Rouge : là ce sont les remparts de la ville de Langres et leur paysage étendu.
Association d’idées et d’images contradictoires.
vu en rêve des hommes volants qui passaient au-dessus de la rue de Rivoli. Parmi eux, était mon oncle Charles, qui arrivait d’Amérique en leur compagnie.
Je préparais alors (1864) mon second ouvrage : Les Mondes imaginaires, où il est question des hommes volants, et dans les séances de spiritisme, des communications étaient signées de cet oncle Charles (qui n’était pas mort du tout).
Après le bal de l’opéra. L’orchestre continu de jouer, les danses n’ont pas cessé, les aventures et les intrigues marchent comme en réalité.
Sensations de la veille continuées.
Magnifique journée passée à Athènes. Je faisais un petit voyage, et j’arrivai là fortuitement avant le lever du soleil. J’étais sur l’Acropole, en vue d’un magnifique panorama. J’errai parmi des tombeaux, des monuments de marbre blanc, des statues couchées.
Imagination pure.
M. Le Verrier se montre souvent dans mes rêves. Décidément, il m’occupe plus la nuit que le jour. Cette nuit, j’étais dans le pavillon du gardien de l’Observatoire. Il était tard. Mme Le Verrier vint me trouver et me causa avec toute l’amabilité du monde. Nous nous promenâmes dans les jardins. Elle m’assura que son mari serait très heureux de me revoir, que j’aurais un instrument à moi pour observer quand je voudrais, que je serais indépendant, toutes choses invraisemblables et impossibles.
Je copie textuellement. Dix ans, après c’est précisément là ce qui arrivait : M. Le Verrier mettait à ma disposition le grand équatorial pour mes mesures d’étoiles doubles. Mais ce n’est pas pour cela un rêve prémonitoire. Des associations de pensées l’expliquent complètement.
Voici un fragment de lettre que j’hésitais à imprimer (bien des rêves, assurément, ne peuvent pas l’être), mais qui pourtant, me semble t-il, peut être lu. J’avais un camarade nommé Sazin.
« Revenant hier soir de chez moi, m’écrit-il, avec Laurent, Deflandre et Gonet, je ne fis aucune rencontre qui ait pu donner naissance au rêve que je fis cette nuit. Vers une heure et demie je m’endormis. Je rêvai que je me trouvai avec toi sur le boulevard. Une femme de mœurs légère, que je connais, passa, et fut accostée par un homme qui partit avec elle. Je les suivis (dans mon rêve) et restai dans la chambre, spectateur invisible. L’homme était grand et blond, l’air d’un Anglais. Je ne le connais pas. Quelle ne fut pas ma surprise lorsque ce matin, en passant, je vis sortir du no 68 de la rue de la Victoire cette même femme avec ce même homme ! »
Ce cas est intéressant, sans être probant. Il n’est pas impossible que, sans le remarquer, l’auteur eût déjà rencontré ce monsieur blond dans son quartier, ou peut-être ce soir-là même, non loin de la femme. Le rêve peut les avoir associés. Ce n’en est pas moins curieux comme coïncidence.
Je rencontre au jardin du Luxembourg M. Dessains, membre de l’Institut, professeur à la Sorbonne, physicien de l’Observatoire (ce qui m’est arrivé assez souvent), qui me dit écrire un ouvrage sur les hommes des planètes, lequel serait une restauration de la théorie de Wolff, d’après laquelle la taille des êtres est en proportion de la dimension des yeux, et les yeux en proportion de la dilatation de la rétine, celle-ci étant inversement proportionnelle de l’intensité de la lumière, si bien que dans notre système solaire les habitants de mercure seraient les plus petits et ceux de Neptune les plus gigantesques.
Je lui réponds que cette hypothèse n’est pas fondée, que les éléphants ont des petits yeux, relativement à leur taille, que les chouettes en ont de grands et ne sont pas gigantesques.
« C’est pour vous que je travaille, ajoute-t-il, vous en ferez ce que vous voudrez.
L’explication de ce rêve est également dans mes recherches astronomiques et physiologiques de cette époque.
Si je rappelle un certain nombre de ces rêves, c’est que leur étude est loin d’être étrangère à la psychologie et aux problèmes qui nous occupent, peut-être même nos conclusions offriront-elles plus d’une application lorsque nous arriverons au spiritisme.
Rêvé être sur une haute montagne. Une nuée de corbeaux passent en croassant. Ils se dépouillent comme des chenilles de leurs peaux et des papillons de leur chrysalides, et laissent tomber autour de moi leurs enveloppes qui, à ma stupéfaction, ne ressemblaient pas à des corbeaux, mais à des têtes parcheminées d’orangs-outangs. L’astronome Babinet, qui était là, en emplit ses poches.
Explication : la veille, j’avais beaucoup remarqué, dans l’atlas céleste de Flamsteed, la constellation du Corbeau. Le savant Babinet n’était pas beau, et son visage, comme celui de Littré, faisait penser à l’origine simienne de l’humanité.
A mon réveil, ce matin, j’ai entendu prononcer ce nom : « Melle d’Arquier ». Or, hier, j’ai écrit dans le Cosmos que la nébuleuse perforée a été trouvée par d’Arquier en 1779.
Je trouve aussi dans le même cahier les réflexions suivantes :
Presque tous mes rêves ont en ce moment pour objet la plus belle des jeunes femmes que j’aie rencontrées en ce monde, Mme S.M.
Celui qui connaîtrait les rêves d’une personne connaîtrait ses sentiments.
Cependant, s’il arrive souvent que les pensées dominantes de la veille entrent pour une bonne part dans les songes, elles ne les remplissent pourtant pas autant que pendant le jour : il s’y mêle d’autres impressions bien inattendues, et nous sommes même quelquefois en rêve l’opposé que ce que nous sommes en réalité. Il y a du vrai et du faux. En jugeant d’après certains rêves, on s’exposerait donc à juger mal.
M. Didier, l’éditeur, m’apprend qu’ordinairement il a conscience de ses rêves et sait parfaitement que ce qu’il y fait n’est pas vrai.
« Il y a longtemps de cela, me dit-il, je me trouve en rêve dans un salon, à côté d’une femme élégante et très désirable. Je la prends dans mes bras, je l’embrasse, elle se laisse faire, et malgré tout ce monde qui me regardait, je me dis : « Cela m’est bien égal, puisque je rêve ». En effet, j’ai agi en dédaignant tous ces regards inexistants et comme si j’avais été seul. »
Un jour, dans un rêve, étant poursuivit par un malfaiteur et étant sur le point d’être atteint, il se dit à lui-même : « Pour lui échapper, je n’ai qu’à finir ce rêve en me réveillant ». Et il se réveilla.
Autre extrait du même cahier :
Je m’étais rendu au château de Compiègne où M. Filon, précepteur du prince impérial, m’a entretenu de Home, que je ne connais pas encore. J’ai dîné et couché au collège. Le principal, M. Paradis, m’a fait part d’un rêve méritant d’être consigné. Il dormait profondément et rêva qu’une grosse et hideuse araignée grimpait sur lui et arrivait sur sa poitrine. Son horreur fut telle qu’il se réveilla en sursaut. Sa femme, s’en étant aperçue, lui demanda la cause de son réveil subit, il lui raconta cet espèce de cauchemar. Mme Paradis étendant la main sur la couverture trouva une grosse araignée.
Il est probable que le dormeur aura reçu, tout en dormant, l’impression du passage de cette vilaine bête sur sa main ou sur son cou, et que cette impression aura déterminé le rêve.
J’ai fait un rêve dans lequel je saignais du nez, ce qui ne m’arrive jamais, ou presque jamais. Ce matin, en me réveillant, je me suis aperçu que j’avais un peu de sang dans les fosses nasales.
Impression causée par une sensation physique également.
J’étais dans la caverne d’un volcan à Paris ou dans les environs. Je ne sais ce qui m’était arrivé, auprès d’un passant, mais je lui parlais avec fierté, le chapeau sur la tête, et le priais de passer son chemin sans me dire un mot. Tout à coup, au fond de la caverne, une douce et resplendissante lumière inonde les entrailles du volcan ; puis je vois s’ouvrir de ravissantes mines de cristal qui se développaient en brillantes stalactites. Le sol ne tremblait pas. Des ombres, couvertes de capuchons de moines, sortirent de ce sol remué, vêtues de robes de bures. Un léger mouvement de frayeur s’empara de moi, mais je pus bientôt me maîtriser et attendre avec calme que l’un de ces revenants fût près de moi. J’étais seul du monde des vivants, et je n’eus pas peur, car j’étais en ce moment dominé par le plus ardent désir d’interroger ces ombres sur l’autre monde, afin d’avoir enfin la certitude à laquelle j’aspirais. Dès qu’un de ces morts fut assez rapproché de moi, je m’avançai vers lui et lui demandai avec supplication s’il revenait réellement du séjour des morts, si tous les hommes y revivaient, si c’était là un monde positif et défini comme celui des vivants. Il allait me répondre lorsque la scène changea de face, et au lieu des colonnes irrégulières de cristal naturel qui s’étaient laissé voir dans le fond, des substances inconnues, limpides, transparentes et décorées des nuances les plus riches se mirent en mouvement de bas en haut et de haut en bas. C’était splendide. Une belle lumière éclairait ces diverses couleurs. Les ombres continuaient à se promener tranquillement. La terre ne tremblait pas et la majesté de ce spectacle n’était troublée par rien d’affreux. Cependant l’idée de la fin du monde s’empara de moi, je sentis mes paroles expirer sur mes lèvres, et bientôt même je n’eus plus le désir de faire les questions précédentes, car je pensais d’un instant à l’autre passer sans trouble de l’état de vie où j’étais encore, à l’état d’outre-tombe où étaient ceux qui m’entouraient.
Une note ajoutée à ce rêve paraît l’expliquer : « Je pense beaucoup à l’au-delà depuis quelques temps, et aux possibilités de création différentes de celle au milieu de laquelle nous vivons. »
Je suis à la librairie académique Didier, où j’ai publié mes premiers ouvrages, La Pluralité des Mondes habités, Les Mondes imaginaires, Dieu dans la Nature, etc. J’y trouve MM. Cousin, Guizot, de Barante, de Montalembert, Lamartine, Maury, Mignet, Thiers, Caro, que j’y ai, en effet, quelquefois rencontrés. MM. Jean Reynaud, Henri Martin et Charton, que je connaissais plus particulièrement, m’avaient arrêté un instant, à la porte d’entrée, sur le quai, et m’avaient prié de ne pas rester longtemps parce qu’il y avait réunion à côté, au Magasin pittoresque. M. Didier, un instant après mon arrivée, me dit : « Venez donc avec moi aux Tuileries, c’est la musique de la garde qui joue ». Nous laissons tout le monde à la librairie et nous partons. « Vous n’avez donc plus votre employé Maindron ? lui demandai-je sur la route. Non. Ne le remplacerez-vous pas ? Si j’étais sûr d’un bon sujet, d’un garçon laborieux et intelligent ! J’en ai un à vous proposer. Vraiment ? Oui : mon frère. Il est tout jeune, il a quatre ans de moins que moi, il aime le commerce, et je suis sûr que la librairie lui irait parfaitement. Eh bien, qu’il vienne. »
Nous arrivons aux Tuileries, les chaises sont pleines de monde, nous essayons de nous faufiler. L’empereur, qui était assis sur une chaise, se lève et l’offre à M. Didier en lui disant : « Qu’est-ce que fait Maury, qu’on ne le voit plus ? Sire, répond l’éditeur, ils sont tous en ce moment à ma librairie, préparant un coup d’état. » Sur ce, la scène change devant mes yeux pour faire place à une vallée de la Haute-Marne, en face Bourmont, et à un ruisseau sur les bords duquel je jouais étant petit avec mon frère.
Ce rêve s’explique par des associations d’idées fort simples. J’avais, en effet, fais entrer mon frère comme employé à la librairie Didier. Quelques jours avant ce rêve, j’avais dîné et couché chez l’historien Henri Martin, où il avait été question du coup d’état, et les souvenirs des auteurs que j’avais rencontrés plus d’une fois sur le quai des Augustins avaient réveillé toutes ces réminiscences. M. Maury était bibliothécaire de l’empereur et déjeunait assez souvent avec lui. L’idée que tous ces auteurs se soient trouvés à la librairie le même jour à la même heure, est tout à fait invraisemblable ; celle que l’empereur ait été assis sur une chaise à la musique des Tuileries est absurde. Mais tout paraît naturel dans les rêves.
M. Didier n’était pas mort, et en entrant à la librairie dans la journée, je le vis comme d’habitude, et nous nous donnions la main s’en paraître nous étonner. Je songeai alors qu’on l’avait enterré en léthargie il y a trois jours (5 décembre 1865) et qu’il s’était réveillé dans son caveau. Mais je ne crus pas devoir lui demander une explication là-dessus et nous parlâmes d’affaires de librairie.
Après avoir causé, nous sortîmes ensemble comme d’habitude, et nous descendîmes les quais, vers les Tuileries. Sa personne, quoique ne différent pas de celle que j’ai connue, était étrange et sacrée. Il était cependant alerte et je lui dis qu’il avait l’air d’un ressuscité. « Je puis bien en avoir l’air, me répondit-il, puisque je le suis. » Il voulait à toute force me prendre la main, mais une horreur invincible me le défendait.
« Pardonnez-moi, lui dis-je, de vous refuser ; mais je ne sais pourquoi, je ne puis faire comme je voudrais. »
Cette réponse commença à l’indisposer contre moi. Je fis un effort suprême et je pris son bras dans le mien ; mais bientôt je tremblai, et force me fut de le retirer. « Causons, lui dis-je, l’un à côté de l’autre. »
Cet homme me semblait un mort marchant et je vis par ses réponses qu’il n’avait plus son intelligence ni son jugement et parlait comme un automate. M’étant même par hasard un peu rapproché de ses lèvres, je sentis une mauvaise odeur qui acheva mon horreur. Et je ne sais alors quelle altercation survint entre nous ; mais je me disputai avec ce mort qui finit par me donner un soufflet.
Au même moment, une troupe de gendarmes et de sergents de ville parurent, et, au lieu de nous trouver à l’institut, devant lequel nous étions alors, nous nous trouvâmes sur le penchant d’une colline. Je le regardai alors fixement. « Ne savez-vous pas, lui dis-je, que je suis Camille Flammarion, votre auteur favori ? » Il parut se souvenir. « Oui, dit-il, grand auteur. Mais pourquoi ne voulez-vous pas de moi, Sylvie ? Vous avez horreur de moi, Sylvie. Je ne suis pas Sylvie, lui dis-je, mais Camille. » Il me prit la main. Alors ce contact fut si horrible que je me réveillai.
Ce cauchemar peut avoir été causé par la mort de cet ami, arrivée trois jours auparavant. Il était mort subitement en s’asseyant au bureau des omnibus de la place Saint-Michel, et en le voyant le lendemain sur son lit, je m’étais demandé s’il n’était pas en léthargie. Cette mort m’avait beaucoup impressionné, et prié de prononcer un discours sur sa tombe, je l’avais fait sans pouvoir vaincre mon émotion. La forme agressive de ce cauchemar est inexplicable. La substitution de la fin est assez singulière. Il y a pourtant des songes plus incohérents. Ainsi, dans un autre rêve, la mer est à Montmartre, et un bateau à vapeur m’amenait dans la Haute-Marne, tout à côté.
Voici un rêve plus récent qui montre avec évidence l’action d’une cause étrangère au cerveau se superposant à un rêve et déterminant une image nouvelle.
Ce matin (6 juin 1897), j’ai vu en rêve quelqu’un frappant fortement du talon sur une marche d’escalier en bois. Ce coup m’a réveillé, il provenait d’un « boite » d’artifice, par laquelle on annonce, à 6 heures du matin, l’une des fêtes annuelles de Juvisy (Pentecôte). Ce coup était tiré à 200 mètres de l’Observatoire, en haut de la rue Camille-Flammarion. On en a tiré deux autres ensuite.
Ainsi, le bruit qui m’a réveillé a été la cause déterminante d’une image qui m’a paru antérieure à mon réveil.
C’est-à-dire que cette image s’est produite pendant le temps très court nécessaire au réveil, peut-être un dixième de seconde.
Quand j’ai vu l’homme frapper du pied sur une marche d’escalier, je rêvais que j’étais complètement nu, et que j’étais obligé, pour sortir de la pièce où je me trouvais et aller chercher mes vêtements, de traverser le salon, où causaient une trentaine de personnes. Il y avait très longtemps que mon inquiétude durait, et que je cherchais les moyens de sortir, quand je me suis réveillé. Or, en me réveillant, j’ai senti que j’avais froid, ayant rejeté ma couverture. C’est sans doute aussi cette sensation de froid qui a déterminé ce rêve, comme l’explosion à déterminé l’image d’un homme frappant du talon.
On voit par ces descriptions sommaires, prises sur nature, combien les rêves sont multiples et variés et combien de causes diverses les produisent.
C’est une erreur physiologique de penser que les éléments des rêves soient uniquement empruntés à la réalité. Pour ma part, par exemple (et je ne suis pas seul dans ce cas), j’ai très souvent rêvé voler dans les airs, à une faible distance au-dessus d’une vallée ou d’un gracieux paysage, et c’est même l’agréable sensation ressentie dans ces songes enchanteurs qui m’a inspiré le désir de monter en ballon et de faire des voyages aériens. Je dois dire, à ce propos, que la sensation d’un voyage en ballon, quelque splendide qu’elle soit par l’étendue des panoramas développés sous les yeux du contemplateur et par le solennel silence des hauteurs de l’azur, n’équivaut pas au point de vue du mouvement à celle de ces rêves, car dans la nacelle de l’aérostat on se sent immobile molécule d’air immergée dans l’air qui marche et c’est une désillusion.
On ne voit pas bien quels sont les faits de la vie organique qui peuvent donner la sensation du vol en rêve. Le vertige n’est certainement pas en jeu, comme on l’a supposé. Serait-ce le regret d’être inférieur aux oiseaux ? Mais la sensation ?
J’ai aussi, assez souvent rêvé causer avec Napoléon. Assurément, j’ai beaucoup entendu parler de ce conquérant dans mon enfance, par des hommes qui l’avaient vu, et mon esprit, a pu en être frappé. Mais la relation de cause à effet reste assez lointaine.
Je me vois quelquefois enfermé dans une tour, avec une belle prairie verte devant moi. Où en est la cause ?
Je suis quelquefois condamné à mort, et je n’ai plus que deux heures, une heure, une demi-heure, quelques minutes à vivre. Est-ce un souvenir passé ?
Parfois, j’ai voyagé en rêve sur les autres mondes, dans les profondeurs infinies. Mais ici il peut y avoir associations de pensées qui me sont familières.
En général, dans l’état normal des choses, les rêves sont si nombreux, si variés, si incohérents, qu’il est presque superflu d’en chercher les causes en dehors d’associations d’idées latentes dans l’esprit ou d’images endormies dans le cerveau. On rêve comme on pense, à toutes sortes de choses ou de situations, seulement, au lieu de pensées, comme dans l’état éveillé, on s’imagine que l’on agit vraiment, que l’on vit les choses pensées, et les idées deviennent des actes apparents ; toute la différence est là, et comme la raison est absente de ces actes inconscients, les situations les plus extravagantes se trouvent réalisées, très simplement, sans aucune surprise, comme si elles étaient naturelles.
On peut donc remarquer dans les rêves trois phases caractéristiques. Tandis que dans l’état éveillé une idée reste une idée, dans le rêve elle devient image, puis être réel, personne ou chose.
Nous personnifions nos idées, nous attribuons en songe à des personnages différents des pensées, des paroles qui ne sont autres que les nôtres. Des hommes de grand esprit, par exemple Benjamin Franklin , croient avoir affaire avec des êtres qui les assistent. Mais il n’y a là qu’une personnification de nos propres pensées. Voici des exemples :
Dans un des rêves les plus clairs, les plus nets, les plus raisonnables que j’aie jamais eus, écrit A. Maury, je soutenais avec un interlocuteur une discussion sur l’immortalité de l’âme, et tous deux nous faisions valoir des arguments opposés, qui n’étaient autres que les objections que je me faisais moi-même. Cette scission n’est qu’un phénomène de mémoire ; nous nous rappelons le pour et le contre d’une question, et, nous rapportons à deux êtres différents les deux ordres opposés d’idées. Jadis, le mot de Mussidan me vint soudain à l’esprit ; je savais bien alors que c’était le nom d’une ville de France, mais où était-elle située, je l’ignorais ; pour mieux dire, je l’avais oublié. Quelques temps après, je vis en songe un certain personnage qui me dit qu’il arrivait de Mussidan ; je lui demandai où se trouvait cette ville. Il me répondit que c’était un chef-lieu de canton de la Dordogne. Je me réveille, le songe me restait parfaitement présent, mais j’étais dans le doute. Le nom de Mussidan s’offrait alors encore à mon esprit dans les conditions des jours précédents, c’est-à-dire sans que je susse où est placée la ville ainsi dénommée. Je me hâte de consulter un dictionnaire géographique et à mon grand étonnement, je constate que l’interlocuteur de mon rêve savait mieux la géographie que moi, c’est-à-dire, bien entendu, que je m’étais rappelé en rêve un fait oublié à l’état de veille et que j’avais mis dans la bouche d’autrui ce qui n’était qu’une mienne réminiscence.
Il y a bien des années, à une époque où j’étudiais l’anglais, et où je m’attachais surtout à connaître le sens des verbes suivis de prépositions, j’eus le rêve que voici : je parlais anglais et voulant dire à une personne que je lui avais rendu visite la veille, j’employai cette expression : I called for you yesterday. « Vous vous exprimez mal, me fut-il répondu, il faut dire : I called on you yesterday. » Le lendemain à mon réveil, le souvenir de cette circonstance de mon rêve m’était présent. Je prends une grammaire placée sur une table voisine, je fais la vérification : la personne imaginaire avait raison.
Le souvenir d’une chose oubliée à l’état de veille était revenu en songe, et l’observateur avait attribué à une autre personne ce qui n’était qu’une opération de mon esprit.
La plus grande majorité des rêves peuvent s’expliquer, tout naturellement, par la concentration de la pensée durant le sommeil.
Il n’est personne ayant l’habitude des travaux intellectuels, dirons-nous avec Max Simon et Alfred Maury, qui n’ait constaté que le travail du cerveau s’accomplit souvent à notre insu, sans que la volonté intervienne. Les faits qui nous montrent cette action s’offrent à nous à chaque instant. Lorsque les écoliers ont une leçon à apprendre, nous les voyons l’étudier de préférence le soir, assurant avec raison que cette façon d’agir les aide singulièrement. La leçon qu’ils ont apprise, ils la savent le lendemain mieux et plus sûrement que la veille. Les personnes qui ont eu à lutter avec les difficultés que l’on rencontre toujours à s’assimiler une langue étrangère ont pu faire également la remarque suivante : si des occupations journalières, des devoirs de situation les ont forcées d’interrompre pendant quelque temps l’étude de cette langue, revenant plus tard à cette étude, elles s’aperçoivent parfois, non sans étonnement qu’elles ont de l’idiome étranger, momentanément délaissé, une connaissance plus complète que lorsqu’elles ont cessé de l’étudier. Une constatation analogue peut être faite à propos de travaux originaux, de compositions littéraires ou de problèmes scientifiques. Si quelque difficulté arrête le travailleur et que celui-ci cesse de s’occuper du sujet qu’il étudie, après quelques jours de repos l’esprit ayant pendant ce temps fait pour ainsi dire tout seul son travail, il franchira avec la plus grande facilité et comme en se jouant l’obstacle qui lui avait tout d’abord paru presque insurmontable. Mais il est un fait qu’il faut noter parce qu’il a une certaine importance, c’est que très fréquemment, dans ces cas de cérébration inconsciente, une impulsion a été primitivement donnée, une direction a été imprimée à la pensée, et c’est après cette impulsion, cette direction donnée, que s’est continuée l’action cérébrale ayant abouti finalement à un travail plus avancé .
Il est facile de comprendre que le travail mental, résultat d’une impression cérébrale donnée pendant la veille et s’achevant pendant le sommeil, pourra engendrer des rêves qui seront, en quelque sorte, l’expression imagée du problème poursuivi par le dormeur, de la préoccupation qui l’obsédait.
Condillac raconte qu’à l’époque où il rédigeait son cours d’étude, s’il se voyait obligé de quitter, pour se livrer au sommeil, un travail préparé, mais incomplet, il lui est arrivé souvent de trouver à son réveil ce travail achevé dans son esprit.
Voltaire rapporte également qu’il rêva une nuit un chant complet de sa Henriade autrement qu’il l’avait écrit.
On a souvent signalé à ce propos un rêve resté célèbre, où une scène des plus curieuses et des plus fantastiques accompagne le travail intellectuel inconscient du dormeur, qui n’est autre que Tartini. Ce compositeur s’était endormi après avoir essayé en vain de terminer une sonate ; cette préoccupation le suivit dans le sommeil. Au moment où, dans un rêve, il se croyait de nouveau livré à son travail et qu’il se désespérait de composer avec si peu de verve et de succès, il voit tout à coup le diable lui apparaître et lui proposer d’achever sa sonate, s’il veut lui abandonner son âme. Entièrement subjugué par cette apparition, il accepte le marché proposé par le diable et l’entend alors très distinctement exécuter sur le violon cette sonate tant désirée, avec un charme inexprimable d’exécution. Il se réveille, et dans le transport de sa joie, court à son bureau et écrit de mémoire le morceau qu’il avait terminé en croyant l’entendre.
Comment des images semblables à celles que nous venons de voir dans le songe de Tartini se produisent-elles ? Par quel mécanisme apparaissent-elles ? C’est ce qu’il est impossible de dire, non pas que la question soit insoluble, mais parce que, ordinairement, dans les faits qui ne nous sont pas personnels, quelques détails, qui nous donneraient la clef de certaines particularités du rêve, sont omis par le narrateur qui les regarde comme de peu d’importance. Il est possible que cette image du diable, venant s’associer au travail mental du grand compositeur, ait sa raison d’être et son explication dans quelques pensées ayant traversé l’esprit du musicien, dans quelque représentation artistique, dessin ou peinture de l’esprit du mal s’étant offerte à sa vue. Mais ce point est secondaire dans la question. Ce que nous constaterons une fois de plus, c’est la manière dont le rêve s’est produit, c’est la genèse du rêve ; la pensée de Tartini avait été fortement occupée de la composition musicale à laquelle il se livrait, et comme il arrive bien souvent dans les œuvres de l’esprit, l’idée n’était pas mûre, aucun effet n’avait été produit tout d’abord ; mais pendant et malgré le sommeil, le travail commencé s’était achevé, et la mélodie merveilleuse avait comme jailli des profondeurs du cerveau du musicien.
Supprimez cet effort, cette tension d’esprit antérieure, et le rêve ne se montrera pas. Cela est si vrai que ce n’est guère que sur l’objet le plus spécial des études du rêveur, sur la science ou l’art qu’il cultive avec passion que nous voyons se produire ce singulier travail cérébral.
Gratiolet raconte le rêve que voici, passablement macabre.
Il y a quelques années, occupé par mon illustre maître M. de Blainville, à l’étude de l’organisation du cerveau, j’en préparais un fort grand nombre, soit d’hommes, soit d’animaux. Je les dépouillais avec soin de leurs membranes, et je les plaçais dans l’alcool. Tels furent, d’une manière sommaire, les antécédents du rêve que je vais raconter.
Il me sembla, une nuit, que j’avais extrait mon propre cerveau. Je le dépouillais de ses membranes. Après avoir chevé cette préparation, je le suspendis dans l’alcool ; puis, au bout de quelques temps, je l’en retirai et le replaçai dans mon crâne. Alors il me sembla que mon cerveau condensé par l’action du liquide avait subi une grande réduction. Il ne remplissait plus qu’incomplètement la cavité crânienne, en sorte que je le sentais ballotter dans ma tête ; cette sensation me jeta dans une si grande perplexité que je m’éveillai en sursaut, et je sortis de ce rêve comme d’un cauchemar.
Voilà, à coup sûr, une imagination bizarre et des plus absurdes ; mais elle n’était pas sans cause, et en effet, il y avait une relation bien évidente de ce rêve avec des choses qui m’occupaient plus particulièrement alors. Il est probable qu’au moment où je m’imaginais dépouiller un cerveau étranger, quelque cause me rendit le sentiment de ma tête plus distinct. Songeant à la fois à ma tête et à mon cerveau, ces deux idées durent s’associer, d’où s’ensuivit naturellement et logiquement toute la fin du rêve .
Le physiologiste Abercombie cite dans cet ordre d’études un rêve fort curieux qui n’est aussi qu’une suite des préoccupations de l’esprit.
Un de mes amis, dit-il, employé dans une des principales banques de Glascow en qualité de caissier, était à son bureau, lorsqu’un individu se présenta , réclamant le paiement d’une somme de six livres (150 francs). Il y avait plusieurs personnes avant lui qui attendaient leur tour ; mais il était si impatient, si bruyant et surtout si insupportable par son bégaiement, qu’un des assistants pria le caissier de le payer pour qu’on en fût débarrassé. Celui-ci fit droit à la demande, avec un geste d’impatience et sans prendre note de cette affaire. A la fin de l’année, qui eut lieu huit ou neuf mois après, la balance des livres ne put être établie ; il s’y trouvait toujours une erreur de six livres. Mon ami passa inutilement plusieurs nuits et plusieurs jours à chercher ce déficit ; vaincu par la fatigue, il revint chez lui, se mit au lit et rêva qu’il était à son bureau, que le bègue se présentait, et bientôt tous les détails de cette affaire se retracèrent fidèlement à son esprit. Il se réveille, la pensée pleine de son rêve, et avec l’espérance qu’il allait découvrir ce qu’il cherchait. Après avoir examiné ses livres, il reconnut, en effet, que cette somme n’avait point été portée sur son journal et qu’elle répondait exactement à l’erreur .
On voit que dans ce rêve, ce qui est découvert au dormeur était en somme connu de lui, mais que la volonté était demeurée longtemps impuissante à réveiller le souvenir enseveli dans les profondeurs de la mémoire. Cependant la préoccupation ayant été vive, l’esprit étant longtemps demeuré fortement tendu dans la même direction, il a dû arriver que, dans cet effort de la pensée, dans ce travail d’abord improductif, les cellules cérébrales où s’était conservée la série d’images sont entrées en action et on finalement apporté une perception nette du fait inutilement cherché pendant la veille.
Plusieurs songes d’apparence télépathique sont dans ce cas, et nous pourrons expliquer par là plus d’une apparition de mort.
Les influences physiques et la cérébration inconsciente d’idées et d’images latentes dans le cerveau expliquent la plupart des songes. Il importait de bien nous rendre compte de cette action physiologique pour juger scientifiquement les faits que nous avons à analyser. Les résultats de mon enquête m’ont transmis un grand nombre de ces rêves qui s’expliquent physiologiquement et que nous ne reproduirons pas.
Mais des forces psychiques extérieures à nous peuvent influencer notre esprit pendant le sommeil aussi bien que dans l’état éveillé. Nous arrivons maintenant à l’examen de ces genres de rêves. Les phénomènes psychiques rapportés au chapitre III ont été observés par des personnes éveillées, dans leur état normal et en pleine possession de leurs facultés. Nous n’y avons pas compris ceux qui appartiennent aux rêves, parce qu’ils nous semblent d’un caractère différent et former un autre ordre. Ils nous paraissent moins sûrs, les rêves étant nombreux et les coïncidences qui peuvent se produirent ayant comme opposition contradictoire des quantités innombrables de non-coïncidences. D’autre part, également, ils sont toujours un peu vagues et soumis aux fluctuations de la mémoire. Je ne crois pas, cependant, qu’il soit logique de les rejeter sans examen. Plusieurs de ces visions dans le rêve présentent à l’observateur un intérêt particulier et peuvent certainement nous apprendre quelque chose de plus sur les facultés de l’esprit humain. Maintenant que la démonstration est faite, que l’action psychique d’un esprit sur un autre est prouvée par le chapitre précédent, nous pouvons entrer dans le monde un peu plus compliqué des rêves.
Déjà on a pu remarquer plus haut un cas bien curieux observé en rêve : une jeune fille voyant, de Paris, sa mère mourant en province et l’appelant pour l’embrasser une dernière fois. Ce songe avait été classé par Brière de Boismont au nombre des hallucinations, avec une réserve indiquant toutefois son caractère psychique. On a vu également plus haut un rêve télépathique du même ordre. Je présenterai maintenant à nos lecteurs quelques extraits des lettres que j’ai reçues en réponse à mon enquête, de celles qui concernent les apparitions et manifestations de mourants vues en rêve. Elles ne sont ni moins intéressantes ni moins probantes que les premières et doivent, me semble-t-il, être acceptées au même titre.
I. Dans la nuit du 25 juillet 1894, je vis, en rêve, tel qu’autrefois je l’avais connu, de 1883 à 1885, alors qu’il faisait son service militaire, un jeune homme avec lequel je devais me marier.
Pour des raisons inutiles à raconter ici, j’avais brisé toutes relations et le mariage n’avait pas eu lieu. A partir de ce moment je n’avais plus entendu parler de lui (il habitait Pau et moi Paris), lorsque dans cette nuit du 25 juillet 1894, en rêve, je le revis tel que je l’avais connu, vêtu de son uniforme de sergent-major. Il me regardait d’un air bien triste en me montrant un paquet de lettres. Puis l’apparition s’évanouit, comme au matin les rayons du soleil dissipent peu à peu la rosée.
Je m’éveillai, troublée, et, longtemps, je vécus avec ce rêve, me demandant pourquoi, pourquoi, moi qui jamais ne rêvais à lui, quoique lui gardant une amitié sincère.
Le 20 janvier 1895, j’apprenais sa mort, arrivée le 25 juillet 1894 : une de ses dernières paroles avait été pour moi.
Lucie Labadie, à Rochefort. [Lettre 3.]
II. C’était pendant la guerre de 1870-1871 ; une de mes amies intimes, femme d’un officier, enfermée dans Metz, rêva que mon père, habitant le nord, son médecin qu’elle aimait et vénérait profondément, venait la trouver au pied de son lit et lui disait : « Voyez, je viens de mourir. »
Lorsqu’il fut possible de communiquer avec le dehors, mon amie m’écrivit en larmes, me demandant des nouvelles exactes de toute la famille, et me suppliant de lui faire savoir si, le 18 septembre, il n’était pas arrivé une catastrophe chez mes parents, qu’elle avait, à cette date, fait un rêve qui la préoccupait, au sujet de mon père. Hélas ! Le 18 septembre, à 5 heures du matin, mon père était mort sans avoir été malade.
Lorsque je revis cette dame l’été suivant, elle me dit que ce rêve l’avait impressionnée d’autant plus vivement, que peu de temps auparavant elle avait fait un rêve identique concernant un autre de ses amis habitant Metz, qu’un matin, elle avait fait prendre de ses nouvelles, et qu’on était venu lui dire qu’il venait de mourir.
L. Bouthors,
Directeur des Contributions directes, à Chartres. [Lettre 28.]
III. A. J’avais sept ans ; mon père habitait à Paris ; j’étais depuis quelques années à Niort, chez des parents qui s’étaient chargés de mon éducation. Un jour, ou plutôt une nuit, je fis un rêve. Je montais un escalier interminable, et j’arrivais dans une chambre sombre ; à côté il y avait une autre faiblement éclairée ; j’entre dans cette seconde pièce et je vois un cercueil sur deux tréteaux ; un cierge allumé se trouvait à côté.
J’eus peur et je m’enfuis ; arrivée dans la première pièce, je sentis quelqu’un qui me posait la main sur l’épaule ; je me retournai tremblante de frayeur, et je reconnu mon père que je n’avais pas vu depuis deux ans et qui me dit d’une voix très douce : « N’aie pas peur, embrasse-moi, petite ».
Le lendemain nous recevions une dépêche : mon pauvre père était mort, non pas dans la nuit, mais dans la soirée précédente.
J’étais tout à fait orpheline, ma mère était morte depuis plusieurs années. Ce rêve m’a tellement frappé que je le refais souvent.
B. A treize ans, la tante qui m’élevait et que j’aimais comme une mère, mourut de la variole noire. On ne m’avait pas dit qu’elle était morte, et, naturellement, on ne me permettait pas d’entrer dans sa chambre. Elle m’avait souvent dit en plaisantant : « Oh ! si je mourais et que tu ne sois pas près de moi, j’irais te dire adieu. » Au milieu de la nuit, je vis s’avancer auprès de moi une forme blanche que je ne reconnus pas tout d’abord ; je me réveillai, il faisait comme un demi-jour dans ma chambre, et je vis se refléter le fantôme dans l’armoire à glace placée en face de mon lit. Le fantôme me dit d’une voix à peine distincte : « Adieu ! » Je tendais les bras pour l’embrasser, mais elle disparut.
Ma pauvre tante était morte depuis plusieurs heures, quand j’ai eu cette hallucination.
V. Boniface,
Directrice d’école maternelle, à Etampes (Seine et Oise). [Lettre 35.]
V. Ma femme à perçu l’image de son frère à l’instant précis de sa mort.
Mon beau-frère, professeur au collège de Luxeuil, était malade de la poitrine. Il fut soigné par sa sœur avec le plus grand dévouement pendant sa dernière maladie et il préférait ses soins à ceux de toute autre personne. Cependant les parents de ma femme, venus à Luxeuil, la voyant très fatiguée, décidèrent mon beau-frère a venir avec eux et se faire soigner à l’établissement des diaconesses de Strasbourg. Trois semaines environ après son départ, ma femme fut réveillée par une sorte de cauchemar et vit, dans un demi-sommeil, son frère couché et serré dans un cercueil en pierre, pareil aux pierres tombales romaines que l’on voit exposées à l’établissement thermal d’ici. Le cercueil se rétrécissait de plus en plus, rendant la respiration de son frère presque impossible ; lui, la regardait avec des yeux suppliants, la priant de lui venir en aide et de le tirer de là ; puis elle le vit prendre un air résigné et il sembla lui dire : « Tout est fini, tu ne peux plus rien ». Elle se réveilla alors complètement et regarda l’heure : 3h 20 du matin.
Le lendemain nous apprenions la mort de mon beau-frère. L’heure de son décès coïncidait exactement avec celle du rêve.
Prière de ne pas citer nos noms.
A. S.,
à Luxeuil (Haute-Saône). [Lettre 60.]
VI. Ma grand-mère est morte l’année dernière, le 6 janvier à minuit moins deux ou trois minutes ; elle habitait une campagne des environs de Rochefort-sur-Mer et moi j’étais alors à Auxerre. Nous avions, le soir du 6 janvier, tiré les rois très joyeusement, et je m’étais couchée sans penser à elle, que je savais cependant plus souffrante depuis une quinzaine.
Je me réveillai à minuit, très exactement, péniblement impressionnée. Je venais de voir en rêve ma mère et mon plus jeune frère en grand deuil. Je demeurai persuadée que le matin ne se passerai pas sans que j’apprenne la confirmation de mon rêve. N’y a-t-il pas une relation étrange entre la réalité et le rêve, puisque ma grand-mère est morte à minuit, et que je m’éveillai à la même heure ?
M.B.,
à Versailles. [Lettre 64.]
VII. Mon oncle était sergent au 2e régiment d’infanterie quand la guerre fut déclarée en 1870. Il assista aux premiers combats, fut enfermé dans Metz, fait prisonnier, emmené en captivité à Mayence, puis à Torgau où il restera neuf ou dix mois.
Le dimanche de Quasimodo 1871, il fut invité, dans l’après-midi, à aller en ville, par un de ses camarades. Il préféra rester au camp dans sa casemate, disant à son ami qu’il n’était pas en train, ne sachant lui-même à quoi attribuer cette tristesse. Resté seul ou presque seul, il se jeta tout habillé sur son lit (c’était deux heures et quart environ) et s’endormit d’un profond sommeil. Aussitôt qu’il fut endormi, il lui sembla qu’il était dans la maison paternelle, sa mère mourante était au lit. Il voyait ses tantes la soigner, enfin sa mère mourut vers les trois heures. Il se réveilla alors et s’aperçu qu’il n’avait fait qu’un rêve.
Quand son ami rentra, à six heures du soir, il lui raconta ce qu’il avait vu durant son sommeil et il ajouta : « Je suis convaincu qu’aujourd’hui à trois heures ma mère est morte ».
On se moqua de lui, mais une lettre de son frère vint lui confirmer la triste nouvelle.
Je crois devoir confirmer que la morte était dans un état maladif depuis trois ans environ.
Camille Massot,
Pharmacien de 1ere classe, Banyuls-sur-Mer (Pyr.Or.). [Lettre 65.]
VIII. Ma mère m’a raconté bien souvent un rêve étrange.
Un de mes beaux-frères était malade. Un soir, elle rêva qu’elle le voyait mort ; elle voyait aussi ma grand-mère emmenant ses enfants, elle ne connaissait pas le chemin, mais traversait un grand pré. A ce moment elle se réveille, réveille également mon père pour lui faire part du rêve qui venait de l’émouvoir. Il était 2 heures du matin.
Le lendemain on vint annoncer à mes parents que mon oncle était mort dans la nuit à 2 heures ; alors maman ne put s’empêcher de répondre qu’elle le savait. Elle questionna ensuite ma grand-mère pour savoir si elle avait emmené les enfants, elle répondit que oui et qu’elle avait précisément traversé le pré où maman l’avait vue en rêve.
M. Odéon,
Institutrice, à Saint-genix-sur-Guiers (Savoie). [Lettre 68.]
IX. En 1895, dans une nuit d’hiver, j’ai rêvé d’une façon très nette que le sieur Crouzier, octogénaire de mon village situé à 10 kilomètres du poste où j’exerçais, se mourait par suite du froid.
Le lendemain je me rends dans ma famille et ma mère me dit : « Tu sais, le vieux Crouzier est mort la nuit dernière ; il a voulu se lever, vers minuit, il a été surpris par le froid et a succombé presque instantanément ».
Cette impression m’est toujours restée et je suis heureux en cette circonstance de répondre à votre enquête.
Alphonse Vidal,
Instituteur, à Aramon (Gard). [Lettre 77.]
X. Etant en France, ma mère vit en rêve, son frère alors en Amérique, mourir dans ses bras. Un mois après, elle reçut la nouvelle de la mort de ce frère, lequel avait précisément expiré dans les bras de ma grand-mère. Les dates coïncidaient.
A.D.,
à Arles. [Lettre 118.]
XI. J’avais un frère qui habitait Petersbourg depuis vingt-cinq ans ; notre correspondance n’avait jamais été interrompue.
Il y a trois ans, je reçus au mois de juillet une lettre de lui : sa santé était satisfaisante. Le 8 septembre suivant, je rêvai que le facteur me remettait une lettre de Petersbourg et, qu’en ouvrant l’enveloppe, je trouvais deux images : l’une représentant un mort étendu sur son lit, et habillé selon l’usage que j’avais moi-même constaté, dans mon voyage en Russie en 1867.
Je ne regardai pas bien d’abord le visage du mort ; je vis autour du lit plusieurs personnes à genoux, entre autres un garçon et une fillette, à peu près de l’âge des enfants de mon frère. Sur l’autre image, il y avait comme une assistance à une cérémonie funèbre. Je revins alors à examiner de plus près le visage du mort, que je reconnus aussitôt, et je m’éveillai en criant : Ah ! mais c’est Lucien ! (c’était le nom de mon frère).
Quelques jours après, j’apprenais en effet que celui-ci était mort dans les jours (je n’ai pas vérifié exactement lequel) où j’avais eu ce rêve, qui est toujours présent à ma mémoire, et que j’ai raconté à plusieurs personnes.
L. Carrau,
46, rue de Bel-Air, à Angers. [Lettre 125.]
XII. Mon grand-père quitta, à l’âge de quatorze ans, sa famille qui habitait près de Strasbourg ; je crois qu’il ne retourna jamais au pays, et ne revit jamais ses parents. A vingt-quatre ans, il se mariait à Nancy ; sa jeune femme ne vit jamais ses beaux-parents.
Une nuit, ma grand-mère vit défiler devant son lit un interminable convoi mortuaire. Le lendemain ou le surlendemain, une lettre lui annonçait le décès de son père ; l’enterrement avait eu lieu, la population de trois gros villages y avait assisté, ainsi que le maire et le curé de l’endroit (Bischeim), quoiqu’il se fût agi d’un juif.
Jenlend,
55, rue de Provence, Paris. [Lettre130.]
XIII. J’ai à signaler des faits éprouvés en rêve, avec coïncidence de mort.
A. Le premier est arrivé à mon père, Pierre Dutant, mort en 1880 et ayant été pharmacien à Bordeaux pendant cinquante ans.
C’était un homme d’un caractère absolument honnête, scrupuleux, d’une intelligence très fine, et aucune des nombreuses personnes qui l’ont connu ne mettrait jamais sa parole en doute.
Voici le fait qu’il m’a narré maintes fois et que j’apporte à peu près textuellement.
« Une nuit, je rêvai que mon frère, alors notaire à Léagnan et âgé de trente-trois ans, était enfant comme moi et que nous jouions tous deux dans la maison paternelle. Tout à coup, il tombe d’une fenêtre dans la rue en criant : « Adieu ! » Je me réveille, très frappé par l’intensité de ce rêve, je regarde l’heure : 3 heures. Je ne me rendormis pas. Je savais mon frère malade, mais je ne le croyais pas en danger de mort.
« Mon frère était mort dans la nuit, à 3 heures précises. »
B. Le second fait me concerne personnellement. Une nuit, je rêvai qu’une vieille cousine, qui m’aimait beaucoup, mourait. Le lendemain matin, je le dis à mes parents qui se souviennent très bien de mon récit.
Dans la même semaine, deux ou trois jours après ce rêve (je ne l’ai pas écrit et ne puis préciser exactement), la vieille cousine mourait d’une attaque d’apoplexie. Elle était bien portante la nuit du rêve, elle n’est morte que deux ou trois jours après, et j’ai regardé ce rêve comme un pressentiment avertisseur. Ma famille en fut frappée et s’en souvient encore parfaitement.
C. Je puis vous citer encore un fait personnel qui me frappa beaucoup quand il m’arriva, mais comme cette fois il s’agit d’un chien, peut-être ai-je tort d’abuser de votre temps. Je m’excuse en me demandant ou s’arrêtent les problèmes.
J’étais alors une jeune fille, et j’avais souvent en rêve une lucidité surprenante. Nous avions une chienne d’une intelligence peu commune ; elle m’était particulièrement attachée, quoique je la caressasse fort peu. Une nuit je rêve qu’elle meurt, et elle me regardait avec des yeux humains ; en me réveillant, je dis à ma sœur : « Lionne est morte, je l’ai rêvé, c’est certain. » Ma sœur riait et ne me croyait pas. Nous sonnons la bonne et lui disons d’appeler la chienne. On l’appelle et elle ne vient pas. On la cherche partout, et enfin on la trouve morte dans un coin. Or, la veille, elle n’était point malade, et mon rêve n’avait été provoqué par rien.
M. R. Lacassagne, née Dutant,
à Castre. [Lettre 139.]
XVI. J’étais étudiant en médecine à Paris, en 1862. Un matin, mon concierge, qui m’apportait, en me réveillant pour aller à l’hôpital, mon petit déjeuner dans mon lit, me trouva tout en pleurs. Il me demanda ce que j’avais et je lui répondis : « Je viens d’avoir un horrible cauchemar : mon oncle qui m’avait élevé (car j’avais perdu mon père et ma mère tout jeune) et que j’aimais tendrement, était entrain de mourir, quand vous m’avez réveillé, et je suis sûr que par le bateau qui arrivera de la Havane, mon pays de naissance, j’aurai la triste nouvelle de sa mort ».
C’est ce qui arriva. Vous affirmer que c’était la même heure de mon rêve, je ne me souviens plus maintenant ; mais la coïncidence du jour était exacte.
P.-S. Je vous prie de ne pas imprimer mon nom. Quant à l’observation, vous pourrez l’insérer, si elle le mérite.
Dr F. de M.,
à L. [Lettre 153.]
XVII. De 1870 à 1874, j’avais un frère employé à l’arsenal de Fou-Tcheou en Chine, comme monteur mécanicien. Un de ses amis, mécanicien et compatriote de la même ville (Brest), également à l’arsenal de Fou-Tcheou, vint un matin voir mon frère à son logement et lui raconta ce qui suit : « Mon cher ami, je suis navré, j’ai rêvé cette nuit que mon jeune enfant était mort du croup, sur un édredon rouge ». Mon frère se moqua de sa crédulité, parla de cauchemar, et pour dissiper cette impression, invita son ami à déjeuner. Mais rien ne put distraire celui-ci : pour lui son enfant était mort.
La première lettre qu’il reçut de France après ce récit, et qui était de sa femme, lui annonçait la mort de son enfant, mort du croup, dans de grandes souffrances, et, coïncidence bizarre, sur un édredon rouge, la même nuit du rêve.
A la réception de cette lettre, il vint tout en larmes la montrer à mon frère, duquel je tiens ce récit.
H. V.,
à Brest. [Lettre 162.]
XVIII. Une de mes cousines habitait Nyon, en Suisse, et sa mère Clairveaux, dans le Jura. C’était pendant un hiver rigoureux, toutes les communications étaient impraticables à cause des neiges. Ma tante était malade depuis longtemps ; sa fille ne la savait pas plus fatiguée que d’habitude, lorsqu’une nuit, elle voit en rêve sa mère morte ; elle s’éveille épouvantée et dit à son mari : « Ma mère est morte, je viens de la voir ! » Elle aurait voulu partir aussitôt à Clairveaux, mais on l’en dissuada, lui montrant l’imprudence d’entreprendre un voyage dans les neiges, sur un simple pressentiment. Les courriers ne fonctionnant pas, on ne recevait point de lettres.
Le soir ou le lendemain, je ne sais pas, ma cousine voit un cavalier entrer dans le parc, alors elle s’écrie : « On vient m’annoncer la mort de ma mère ». En effet, ne pouvant communiquer autrement, on avait envoyé un cavalier qui apprit que sa mère était morte dans la nuit. C’était au moment où ma cousine avait fait ce rêve.
Ma cousine existe encore et pourrait me donner des détails plus précis, si vous le désirez.
G. Belbenat,
à Lons-le-Saunier (Jura). [Lettre 286.]
XIX. Fait signalé par un de mes amis auquel j’avais communiqué vos études. C’était un ancien entrepreneur de voies ferrées en France et à l’étranger, actuellement retiré des affaires à Saint-Pierre-les-Nemours. Son honorabilité et sa bonne foi ne peuvent être suspectées.
Voici le fait tel qu’il me l’a raconté :
« J’étais allé voir un fermier de mes amis, très malade, et sur la porte de la ferme j’avais rencontré sa belle-mère qui m’avait dit que son gendre avait reçu plusieurs visites qui l’avaient beaucoup fatigué, mais elle m’avait néanmoins engagé à entrer pour le voir quelques instants, en ajoutant que cela lui ferait beaucoup plaisir. J’ai prié alors cette dame de lui souhaiter le bonjour de ma part et de lui annoncer ma visite pour le lendemain.
« Dans la nuit suivante, vers 7 heures du matin, alors que je sommeillais, me disposant à me lever, il m’a pris tout à coup un cauchemar. Je croyais voir le malade, grand comme un enfant et comme enfoncé dans un trou sur le talus de la route, à quelques mètres de la ferme, et je faisais tous mes efforts pour l’arracher de ce trou sans y parvenir.
« Au bout de quelques instants, je sautai à bas du lit pour secouer ce cauchemar, et dans la matinée j’appris la mort du fermier survenue à l’heure même où j’avais eu cette vision. »
La distance de Saint-Pierre-les Nemours à la ferme est de deux lieues environ.
Ce fait c’est passé il y a une dizaine d’années.
J. Boireau,
Pharmacien, à Nemours (Seine et Marne). [Lettre298.]
XX. Mon grand-oncle, M. Henri Horst, qui était professeur de musique à Strasbourg, vit, une nuit, en rêve, cinq cercueils sortir de la maison : la même nuit, une fuite de gaz eut lieu dans sa maison et cinq personnes furent asphyxiées.
On raconte, dans notre famille, plusieurs cas d’apparitions télépathiques. Je m’en informerai exactement et vous les communiquerai, dès que j’en aurai pris connaissance.
Georges Horet,
Lycéen, Bouxwiller (Basse-Alsace). [Lettre 330.]
XXI. Je n’ai jamais éprouvé ce que vous demandez par votre questionnaire. Mais en rêve, au contraire, j’ai eu, quelquefois, certains avertissements. Entre autres, la nuit de l’assassinat du regretté M. Carnot, je l’ai vu mort dans mes rêves. La veille au soir, j’étais allée me coucher de bonne heure. Ne demeurant pas dans la ville même de Lyon, mais à la Croix-Rousse, je n’avais eu écho d’aucun des faits s’étant passés dans cette mémorable soirée. Le matin, la bonne entre dans ma chambre et je lui dis aussitôt : « Je viens de rêver que M. Carnot était mort ! » Elle me répondit que cela se pourrait bien. « Mais non, lui dis-je, il faut rire de mon rêve, puisqu’il va passer à dix heures sous mes fenêtres ». (Il devait en effet, passer sur le boulevard.)
Dix minutes après, elle revient dans ma chambre et me dit tout impressionnée : « Le rêve de mademoiselle est réalité, le laitier vient de me dire que M. Carnot avait été assassiné dans la soirée d’hier ». Malgré le rêve que j’avais fait, il me fut difficile d’y croire au premier moment.
A. M.,
à Lyon. [Lettre 340.]
XXII. Voici un fait personnel :
Dans la nuit du 13 au 15 juin 1887, je rêvai que ma mère était morte. En arrivant au restaurant, le lendemain, je faisais part de ce fait à un collègue, lorsque je reçus une dépêche m’annonçant le malheur pressenti.
Voilà le fait dont j’ai le souvenir précis.
A. Carayon,
Directeur de l’école de la Croix-de-Fer (Nîmes). [Lettre 353.]
XXIII. Le père de mon mari, se trouvant éloigné de la maison où il avait laissé sa femme malade, fut réveillé une nuit par la voix de sa femme qui l’appela trois fois distinctement par son nom : Pierre ! Pierre ! Pierre ! Croyant avoir rêvé, il se rendormit. Deux jours plus tard, il reçut la nouvelle que cette même nuit sa femme était morte.
Marie Pauvrel,
à Vedrôd. [Lettre 358.]
XXIV. Dans la nuit du 1er au 2 janvier 1898, je vis en songe, ma mère morte depuis deux ans et demi. Elle s’avança gravement vers mon lit, m’embrassa sur le front et sortit sans rien me dire. Le lendemain, je reçus une lettre m’annonçant la mort subite de ma sœur dans la soirée du 1er janvier à 10 heures du soir. Comme je ne m’éveillai pas, il me fut impossible de savoir s’il y avait coïncidence parfaite entre l’heure du rêve et celle de la mort de ma sœur.
M. Razous,
Instituteur, à Trélons (Haute-Garonne). [Lettre 360.]
XXV. Mme V. habitait Genève, et avait un frère dentiste dans le canton de Vaud. Ce frère mourut subitement. La nuit de sa mort, Mme V… vit en rêve, contre la muraille, le nom de son frère et la date de sa naissance, ou de sa mort, je ne me souviens pas laquelle des deux. A son réveil elle craignait un malheur, qui lui fut bientôt confirmé.
Jeanne Blanc,
Le Cannet (Alpes-Maritimes). [Lettre 365.]
XXVI. C’était au couvent. Une nuit nous fûmes réveillées par des cris et des pleurs. La religieuse de garde s’approche du lit de l’enfant, qui au milieu de ses larmes lui dit que sa grand-mère se mourait, qu’elle l’appelait et qu’elle voulait aller vers elle.
On la calme, on nous fait prier, la religieuse récite le chapelet ; nous répondions de nos lits et le sommeil nous reprend.
De nouveau nous sommes réveillées la jeune fille avait retrouvé son rêve, elle nous dit que sa grand-mère était morte, qu’elle lui avait fait des adieux déchirants et que, entre autres choses, elle avait désigné un coffret dans lequel elle avait enfermé des bijoux qu’elle voulait donner à sa petite fille de prédilection.
La nuit s’acheva.
Le lendemain matin à huit heures, nous étions réunies dans la classe à genoux, pour la courte prière qui précédait les études, lorsqu’un violent coup de cloche déchire l’air, nous faisant tressaillir sans savoir pourquoi, nous toutes qui n’étions pas intéressées à l’événement et la sœur aînée de notre compagne entre.
Elle venait chercher sa jeune sœur, la grand-mère était morte dans la nuit et tout ce que la jeune fille avait vu s’était absolument passé ainsi qu’elle nous l’avait raconté.
Vous pensez l’émotion qui se produisit dans le couvent, on y vit l’intervention divine, et la journée se passa en prières.
J. G.,
à Paris. [Lettre 374.]
XXVII. Il y a environ deux ans, à Jarnac, un matin à sept heures, une dame amie de ma famille, dormant encore d’un sommeil léger, fut éveillée par une voix l’appelant très distinctement, et reconnaissable pour celle de son beau-frère, dont les dernières nouvelles reçues étaient très bonnes.
A ce moment, personne ne se trouvait dans sa chambre, ni dans les appartements voisins, et il était impossible de rapporter cette impression à une cause connue.
Quelques heures après, vers dix heures, cette dame apprenait par un télégramme que son beau-frère, habitant Auzances, venait de mourir subitement ; le lendemain, une lettre lui annonçait que le décès était survenu à sept heures, c’est-à-dire au moment même où la voix avait été entendue.
Bréaud,
à Jarnac. [Lettre 377.]
XXVIII. J’ai été pendant quatorze ans liée par une affection à une personne, puis, la séparation survenue, nous ne nous vîmes plus qu’à de rares intervalles. Enfin, plus d’une année s’écoula sans nous revoir ; mon ami malade fut contraint de partir pour le Tyrol : nous étions donc à une distance de 58 heures de chemin de fer. J’avais des nouvelles indirectement ; elles étaient relativement bonnes et le projet de retour était prochain. Le 2 mars, dans la nuit, je vis mon ami, pendant un demi-sommeil ; il était assis sur un lit en costume de nuit et il me disait : « Oh que je souffre ! ». Il était alors 2 heures du matin. Deux jours après, une dépêche m’annonçait la mort de cette personne, décédée à 2 heures 20 minutes.
J’étais et je suis encore frappée par cette coïncidence, et il me paraît important pour vos recherches de vous en faire part.
C. Couesnon,
23, strada Romana, Jassy (Roumanie). [Lettre 397.]
XXIX. A. Un oncle de ma femme, capitaine marin m’a souvent raconté que la nuit qui a coïncidé avec la date de la mort de sa mère, étant alors en voyage, elle lui est apparue en rêve avec une figure très triste. Impressionné, il marqua au crayon la date de ce rêve sur la planche de sa couchette ayant un pressentiment de malheur.
Il ne fut que très peu surpris à son arrivée, quand il apprit cette mort : la date était bien celle qu’il avait écrit sur sa couchette.
B. Le même fait arriva à ma belle-mère lors de la mort de son frère. Elle rêva, la nuit précédente, qu’elle rencontrait sa mère, morte, dans les escaliers de la maison et que, sans lui adresser la parole, elle la regardait d’un air de grande tristesse. Le lendemain, on trouva le frère mort d’une attaque d’apoplexie.
C. Lors de mon mariage, un fait à peu près semblable arriva. Ma belle-mère très impressionnée de l’apparition de sa mère dans le fait que je viens de rapporter, avait dit à une de ses amies, que si un jour elle revoyait encore sa mère de cette façon, elle serait certaine d’être à la veille d’un grand malheur. Cette amie, quelques jours avant mon mariage, eut elle-même une apparition en rêve de la même personne, qui lui disait de ne pas vouloir voir sa fille de crainte de la rendre malade et qu’elle était venue la voir, elle. Cette même personne rêva dans la même nuit, je crois, que la porte de la maison de ma femme était parée de deuil le jour même de mon mariage. C’est ce qui arriva, alors que rien ne me le faisait prévoir : la veille, mon beau-frère mourait de la rupture d’un anévrisme et on l’enterra le jour où nous devions nous marier.
Voilà des faits dont je puis vous garantir l’authenticité.
L. Coutant,
à la Ciotat. [Lettre 401.]
XXXII. Mon père était élève de sixième, je crois, au petit séminaire de guérande. Une nuit, il vit, dans son rêve, sa mère couchée ne donnant plus signe de vie, dans sa chambre, à elle, au Croisic où elle habitait. Il se réveilla, le visage baigné de larmes.
Le lendemain, une lettre lui apprenait que sa mère, à l’heure où il l’avait vue ainsi, avait eu une crise soudaine et avait failli mourir dans les bras de ses filles accourues à ses gémissements. Ceci, comme vous voyez s’éloigne un peu des informations par vous publiées, puisqu’il n’y a eu qu’un rêve et pas de mort. Mais c’est assurément un fait d’ordre psychique, c’est pourquoi j’ai cru bon de vous en faire part.
Poluec,
à Ploermel. [Lettre 434.]
XXXIII. Une de vos lectrices rêva, une nuit, qu’elle se trouvait chez une de ses amies, malade de la poitrine depuis longtemps. Elle ignorait qu’elle fût à ce moment plus souffrante que d’ordinaire. L’amie était couchée ; elle lui tendit la main, lui dit adieu, et mourut dans ses bras. Le lendemain matin, la personne dont je vous parle dit à sa mère : « Une telle est morte ; je l’ai vue cette nuit… ». On apprit dans la journée la mort de la malade.
La vision avait eu lieu en l’état de rêve, on ne saurait indiquer si l’heure de la mort a coïncidé avec celle de l’apparition.
Jean Surya,
37, rue Raynouard, Paris. [Lettre 438.]
XXXIV. Je n’ai que vingt-deux ans, et par trois fois déjà, avec coïncidence de mort, j’ai éprouvé en rêve les phénomènes que vous étudiez.
A. La première fois, il y a cinq ans. Je m’étais éveillée en riant, racontant à ma sœur que je venais de rêver du père un tel (vieux bourru avec lequel ma famille était brouillée). Je ne me rappelle plus aujourd’hui en quoi consistait ce rêve, mais j’en avais été très frappée.
Le jour même on nous apprit qu’il venait de se suicider.
B. La seconde fois, un an après. J’ai rêvé qu’un de mes cousins, veuf, habitant la même ville, mais que je voyais très rarement, m’apprenait son désir de se marier (fait que j’ignorais absolument). Je racontai ce rêve à ma famille le lendemain matin, et vers dix heures, nous rencontrions en larmes une tante de ce jeune homme, qui nous apprenait sa mort survenue dans la nuit, après une maladie de trois jours, et déplorait que sa mort si brusque l’eût empêché de réaliser son projet de donner une mère à ses orphelins.
C. Une troisième fois, il y a un an. J’avais l’influenza, et plusieurs locataires de la maison étaient malades. Une nuit je rêvai d’un enterrement partant de la maison, dont le cercueil avait des proportions énormes. J’avais l’intuition que c’était M. Durand, l’un des locataires malades, dont la corpulence était remarquable. Aussi, au réveil, ma première parole fut pour demander de ses nouvelles. Je fus péniblement impressionnée en apprenant qu’il était mort dans la nuit.
Jeanne About,
à Nancy. [Lettre 441.]
XXXVII. Une de nos amies eut pendant la nuit un rêve qui lui montra un de ses frères qu’elle aimait beaucoup et qu’elle n’avait pu voir depuis longtemps ; il était vêtu de blanc, il avait le teint frais et paraissait heureux ; la salle où il se trouvait était également tendue de blanc et remplie de monde ; le frère et la sœur s’embrassaient affectueusement. Son rêve achevé, mon amie s’éveilla et eut le pressentiment que son frère était mort. Au même instant, minuit sonna. Le lendemain, cette demoiselle apprenait par lettre que son frère avait expiré dans la nuit à minuit précis.
G. P.,
à Arles. [Lettre 450.]
XXXVIII. En rêve, au mois de juillet 1890, voulant ouvrir une porte de communication de ma chambre avec une autre pièce, je n’y pu parvenir, malgré de vigoureux efforts ; on vint alors à mon aide, et, par une autre porte, très rapprochée de la première, nous finîmes par repousser l’obstacle : c’était le corps de mon oncle, étendu à terre, les jambes repliées.
Je n’ajoutai aucune importance à ce rêve, mais il me revint à la mémoire lorsque j’appris la mort subite de mon parent, survenue à la campagne le 10 juillet 1890.
Je n’ai, malheureusement, pas noté la date de ce rêve, mais je crois pouvoir affirmer qu’il eut lieu dans les premières nuits de la semaine, sinon le 10 même, qui était un jeudi.
J. C.,
à Lyon. [Lettre 465.]
XXXIX. A la fin de 1838, j’étais malade à Carthagène. Dans la nuit de noël, j’eus un rêve pénible dont j’abrège le récit. J’étais au bourg de Rezè-les-Nantes, regardant venir le convoi d’une jeune fille. Je ne connaissais ni le nom ni la famille de la morte, et pourtant, me sentais envahir par une grande tristesse. Je me mêlai au cortège ; dans l’église, je me plaçai au premier rang derrière le cercueil, sans me rendre compte des personnes qui étaient près de moi. J’étais tout en larmes et une voix me disait « Là est ta meilleure amie ». Dans le cimetière, il y eut un orage épouvantable et une pluie diluvienne. Je m’éveillai, croyant entendre le tonnerre.
A mon retour dans ma famille, j’appris qu’une proche parente, amie d’enfance, âgée, comme moi, de quinze ans, était morte cette nuit de noël.
E. Orieux,
à Nantes, agent voyer en chef honoraire du département. [Lettre 468.]
XL. Mon oncle était capitaine marin. Il revenait en France après une absence de plusieurs mois. Une après-midi de grande chaleur, il était dans sa cabine, voulant noter quelques observations sur son livre de bord. Il s’endormit et rêva qu’il voyait sa mère assise, ayant sur ses genoux un drap maculé de sang, sur laquelle reposait la tête de son frère. Impressionné péniblement, il se réveilla, et voulut reprendre ses notes, mais il se rendormit et fit encore le même rêve. A son réveil, frappé de ces deux rêves, il l’inscrivit sur son livre de bord, avec la date et l’heure.
Son navire signalé à son arrivée dans le port de Marseille, un ami vint le trouver et lui dit : « Je t’accompagne chez toi. Mon oncle se rendit à la consigne : pendant ce temps, l’ami avait fait mettre le navire en deuil. Au sortir de la consigne, mon oncle, à cette vue, saisi, s’écria : « Mon frère est mort. Oui, lui dit son ami, mais comment le sais-tu ? » Alors, mon oncle raconta son rêve en plein océan. Son frère s’était tué le jour indiqué sur le livre de bord.
J. S.,
à Marseille. [Lettre 476.]
XLI. Je connais une personne dont l’impression a été très violente après une apparition d’une amie qu’elle aimait beaucoup et dont une dépêche est venue lui annoncer la mort dès le lendemain. Plus tard, une lettre lui apprit que la mourante avait prononcé exactement les mêmes mots qu’elle avait entendus dans son rêve.
Jeanne Delamain,
Jarnac (Charente). [Lettre 513.]
XLII. Il y a quelques mois, j’ai été avertie en rêve de la mort d’une de mes connaissances, la nuit même de cette mort, que personne n’attendait. Le matin, je racontai ce rêve à mon amie. En rentrant chez elle, elle trouva une dépêche lui annonçant cette mort survenue dans la nuit.
H. Bardel,
à Yverdon (Suisse). [Lettre 515.]
XLIII. En rêve, apparition de ma grand-mère dans la nuit du 8 au 9 juillet 1895. Cette dernière est morte le 9 juillet à 8h du matin. J’étais à 120 kilomètres de l’endroit où à lieu le décès.
Allier,
Instituteur à Florac (Lozère). [Lettre 518.]
XLIV. Dernièrement, étant chez des personnes de connaissance, j’y rencontrai une dame qui vous a vu à Paris. Nous parlions de vous et de vos études nouvelles et l’une des personnes présentes me dit à ce propos : « Oh ! si vous saviez quel rêve étrange j’ai fait cette nuit !… Vous vous souvenez de Gabrielle T… ? » Je répondis affirmativement. « Eh bien, j’ai rêvé qu’elle était morte et que je la voyais couchée dans un cercueil !… Ce matin je descendis pour faire une course, et la personne chez qui je vais me dit : « Savez-vous que Melle T… est morte ? je viens de l’apprendre à l’instant. » Mon rêve de la nuit et cette nouvelle me frappèrent si vivement que je restai saisie et bouleversée de cette bizarre coïncidence, car je ne la connaissais pas particulièrement, je ne la savais pas malade, et je n’avais pas parlé d’elle depuis quelques temps.
Voilà le fait curieux que je viens d’apprendre. Dans le cas ou vous le citeriez, je vous serais obligée de ne donner que les initiales.
J. A.,
à Bourges. [Lettre 534.]
XLV. J’étais très épris d’une jeune fille honnête et de très bonne famille. Elle tomba malade.
Un soir, vers 9h à la turque, j’étais à demi endormi et je me voyais dans une grande salle ou tout le monde dansait. Ma bien-aimée était présente, vêtue en blanc, d’une physionomie à la fois pâle et triste. Je m’approche d’elle et lui propose de danser. Elle me refuse avec brusquerie en me disant tout bas : « C’est impossible, on nous voit ».
Je me suis réveillé avec une grande palpitation du cœur et des larmes aux yeux. Quand le matin arriva, je me suis habillé à la hâte et courus vers la demeure de la malade. J’ai rencontré dans la rue le domestique de leur maison qui m’annonça qu’elle était morte cette même nuit.
M. T.,
à Constantinople. [Lettre 535.]
XLVI. Mon père avait un ami d’enfance, le général Charpentier de Cossigny, qui m’avait toujours témoigné beaucoup d’affection. Comme il était atteint d’une maladie nerveuse qui rendait son humeur assez bizarre, nous ne nous étonnions jamais qu’il nous fit quelquefois trois ou quatre visites coup sur coup, puis qu’il restât des mois sans se montrer. En novembre 1892 (il y avait près de trois mois que nous n’avions pas vu le général), comme je souffrais d’une forte migraine, j’étais allé me coucher de bonne heure. J’étais au lit depuis un temps assez long, et je commençais à m’endormir, quand j’entendis mon nom, prononcé d’abord à voix basse, puis un peu plus haut. Je prêtai l’oreille, pensant que c’était mon père qui m’appelait, mais je l’entendis dormir dans la pièce voisine et son souffle était égal, comme celui de quelqu’un endormi depuis longtemps. Je m’assoupis de nouveau et j’eus un rêve. Je vis l’escalier de la maison que le général habitait (7, cité Vaneau). Il m’apparut lui-même accoudé à la rampe du palier du premier étage ; puis il descendit, vint à moi et m’embrassa au front. Ses lèvres étaient si froides que le contact me réveilla. Je vis alors distinctement, au milieu de ma chambre, éclairée par le reflet du gaz de la rue, la silhouette haute et fine du général qui s’éloignait. Je ne dormais pas, puisque j’entendis 11 heures sonner au lycée Henri IV et que je comptais les coups. Je ne pus me rendormir, et l’impression froide des lèvres de notre vieil ami me resta au front toute la nuit. Au matin, ma première parole à ma mère fut : « Nous aurons des nouvelles du général de Cossigny, je l’ai vu cette nuit ».
Quelques instants après, mon père trouvait dans son journal la nouvelle de la mort de son vieux camarade, arrivée la veille au soir à la suite d’une chute dans l’escalier.
Jean Dreuilhe,
36, rue des boulangers, Paris. [Lettre 543.]
XLVII. Une nuit, étant endormi chez moi, je vis mon frère qui se trouvait à Alger, agonisant et mourant.
L’impression que j’éprouvai fut si vive que je me réveillai subitement. Il devait être environ 4 heures du matin.
Mon frère était souffrant depuis 2 ans environ, mais je n’attachai aucune importance à ce rêve, sachant que son état de santé était assez bon, puisqu’il m’avait donné de ses nouvelles quelques jours auparavant.
Dans la matinée, je reçus un télégramme m’annonçant qu’il était décédé le matin à 6 heures.
Je n’ai jamais parler de cela à qui que ce soit, attribuant ce fait à une pure coïncidence, et je n’en aurais certainement point parlé, s’il ne s’agissait du témoignage de statistique scientifique que vous désirez.
Lehembre,
Interprète du tribunal, à Sousse (Tunisie). [Lettre 552.]
XLVIII. C’était pendant la grande guerre de 1870-1871 ; mon fiancé était soldat dans l’armée du Rhin, si je ne me trompe, et depuis des jours et des jours, on n’avait pas de ses nouvelles. Dans la nuit du 23 août 1870, j’eus un rêve singulier qui me tourmenta, mais auquel je n’attachai pas grande importance. Je me trouvais dans une chambre d’hôpital, au milieu de laquelle était une espèce de table où mon fiancé était couché. Son bras droit était nu, et on apercevait une grave blessure près de l’épaule droite ; deux médecins, une sœur de charité et moi, nous étions auprès de lui. Tout à coup, il me regarde de ses grands yeux et me dit : « M’aimes-tu encore ? » Quelques jours après, j’appris par la mère de mon fiancé, qu’il avait été mortellement blessé à l’épaule droite le 18 août près de Gravelotte et qu’il était mort le 23 août 1870. Une sœur de charité qui l’avait soigné nous annonça, la première, sa mort. L’image est encore présente à mon esprit, comme si je l’avais vécu et rêvé hier.
Suzanne Kubler,
Institutrice, Heidelberg. [Lettre583.]
XLIX. Dans la nuit du 30 au 31 juillet 1897, je rêvai que je traversais la place des Quinconces où des ouvriers menuisiers travaillaient. L’un d’eux me prit la main gauche et me scia le petit doigt : mon sang coulait en abondance et j’appelais au secours.
A ce moment je me réveillai dans un état impossible à décrire, je me levai, et ma femme, étonnée, me demanda ce que je faisais. La pendule sonna 3 heures.
Quelques instants après, je me recouchai. Je fis un nouveau rêve dans lequel je voyais un navire traverser un canal ; au bout de ce canal, une embarcation se détachait du navire et abordait au rivage. Des hommes descendirent, creusèrent un trou, enfouirent quelque chose, et après l’avoir recouvert se retirèrent.
En arrivant à mon bureau, je racontai à mes camarades les deux rêves que j’avais faits dans la nuit. Ils en furent très étonnés. L’un d’eux déclara que lorsqu’on voyait en rêve son sang couler, c’était présage de malheur dans la famille.
J’avais alors mon fils aîné soldat au 11e régiment de marine à Saïgon. Tombé malade, il rentrait en France.
Le 11 août, j’apprenais par le commissaire de police de mon quartier la mort de mon fils. Il était décédé dans le canal de Suez le 31 juillet. Quelque temps après, je recevais un extrait de l’acte de décès d’après lequel mon fils était, en effet mort le 31 juillet à 3 heures du matin et avait été inhumé à Port-Saïd.
R. Dubos,
Commis principal des douanes, à Bordeaux. [Lettre587.]
L. Etant étudiant en médecine et sur le point de terminer mes études, j’étais allé passer dans ma famille les congés de Pâques 1895. Un soir (le jour exacte m’échappe), nous nous couchâmes comme à l’ordinaire ; le repas avait été très gai et tous mes parents étaient en parfaite santé. Vers 2 heures du matin, je fis un rêve pénible : mon père était mort, je pleurais à chaudes larmes en l’accompagnant au cimetière. Ce cauchemar finit par me réveiller et je pus constater que mon traversin était mouillé de larmes. Ne croyant pas aux songes et n’étant pas encore très initié aux questions de télépathie, je me rendormis paisiblement, en pensant que ce n’était qu’un rêve. A 7 heures du matin, je dormais encore, lorsque ma mère entra dans ma chambre pour me dire d’aller voir mon père tout de suite, car il était paralysé. Je courus vers lui et vis, en effet, qu’il ne pouvait plus remuer le bras et la jambe gauche devenus inertes.
Etant donné que les attaques de paralysie se produisent souvent pendant le sommeil des malades, qui se réveillent hémiplégiques, je soupçonne que l’hémorragie cérébral de mon père s’est déclarée vers 2 heures du matin, au moment de mon cauchemar !
(Mon père vit encore, mais il est infirme.)
Est-ce là un cas de télépathie ? Peut-être ! Je vous le livre pour ce qu’il vaut.
Dr Durand,
à Saint-Pourçain (Allier). [Lettre 591.]
LI. A) Il y a une quinzaine d’années, Mme T. C… donnait à quelques jeunes demoiselles un garden-party dans sa villa située à Dourbali Déré, sur la rive asiatique de la mer de Marmara. On y servit entre autres choses des sandwichs au jambon.
Cinq ou six ans après ce petit festival, l’une des invitées, qu’elle connaissait à peine et dont elle n’avait plus entendu parler, lui apparut en rêve, la priant de lui donner un peu de ce jambon qu’elle avait mangé à son garden-party.
Mme T. C… raconte à son mari le rêve qu’elle avait fait, et celui-ci y prête tout juste l’attention que d’ordinaire on accorde aux rêves. Mais quel est l’étonnement de Mr C… en arrivant à son bureau d’y trouver le père de la demoiselle que Mme T. C… a vue en rêve, et qui lui apprend que sa fille se meurt de la poitrine et qu’elle l’envoie vers lui pour le prier de lui procurer un peu de cet excellent jambon qu’elle a goûté au garden-party d’il y a quelques années !
M. C… satisfait au désir de la jeune fille, et en rentrant chez lui raconte à sa femme ce qui c’était passé, et tout est oublié.
Quelques jours plus tard, Mme T. C… revoit en rêve la même jeune fille, qui cette fois lui demande des fleurs de son jardin. A son réveil, Mme T.C… raconte son rêve à son mari en lui disant : « Je suis sûre que Melle une telle est morte ». En effet, le jour même, M. C… reçoit le billet mortuaire : la jeune fille était morte dans la nuit.
B) Mme T. C…, à la suite d’un jugement rendu dans un procès en séparation, part pour l’Egypte. Sa fille, âgée de 14 ans, est confiée à un établissement scolaire religieux de cette ville (Constantinople). Le 18 mars 1880, Mme T. C… est assise à son balcon, à Alexandrie. C’était après le coucher du soleil, au moment où il commence à faire sombre. Tout à coup, elle entend comme le bruissement d’une traîne de robe en soie dans le hall derrière elle. Elle se retourne et voit le fantôme d’une jeune fille vêtue de blanc ressemblant à sa fille, qui traverse le hall et disparaît.
Quelques jours après, un ami vient faire visite à Mme T. C… Il est porteur de nouvelles de Constantinople. Cet ami n’a pas fini de prononcer le nom de sa fille que Mme T. C… l’arrête en lui disant : « Ma fille est morte, je le sais ; elle est morte le 18 mars vers 5 heures du soir » La lettre donnait la date et l’heure du décès ; c’était précisément celles de l’apparition.
Alpouroni,
à Constantinople. [Lettre 594.]
LIII. A) Le 23 mars 1884, dans la nuit, je rêve que mon amie faisait sa partie d’échecs avec le Dr D…, en famille, chez moi ; je m’aperçois qu’elle avait un voile noir très épais et je lui dis : « Tu vas perdre en restant ainsi voilée. C’est que je suis morte, regarde ! » Elle soulève son voile de crêpe, et je vois une tête de mort sans dents, les yeux creusés !!!
C’était horrible. Cette amie était chez moi depuis huit jours, âgée de 49 ans, en pleine santé et ne m’avait quittée qu’à l’occasion des vacances de Pâques, pour rentrer à Paris y chercher son fils au collège, puis revenir avec lui finir son petit stage de plaisir en ma maison, et la chambre qu’elle avait occupée était restée telle et l’attendait. Donc, aucune supposition de mort, et pourtant, le matin même après cet affreux rêve que je racontait encore toute émue au Docteur, le facteur apporte un télégramme ainsi conçu : « Venez vite, Maria est morte dans la nuit… » et cela était !…
B) De même à la mort de mon père, âgé de 79 ans. Il nous quitte en bonne santé, et nous nous étonnions même de sa vivacité… Dans la nuit du 17 octobre 1879, je rêve que l’on a changé le bassin du jardin ; l’on y a mis des fleurs et la terre est soulevée, je m’approche, me penche, regarde… jette un cri ! car j’aperçois le cercueil de mon fils !… Une dépêche vient le matin même : « Votre père est mort cette nuit… » Et sa bière est maintenant placée dans le même caveau, sur celle de mon enfant chéri.
Mme H. D.,
rue du Couédic, Paris. [Lettre 599.]
LIV. Un matin, à 9 heures, mon mari était sorti pour aller vaquer à ses affaires, et moi je me suis rendormie pour quelques minutes. Dans le bref espace de temps qu’a duré mon sommeil, j’ai fait un songe qui m’a vivement impressionnée. J’ai rêvé être sortie en compagnie de mon mari. Il me quitta pendant quelques moments pour entrer dans un passage afin de creuser avec quelqu’un, et moi j’étais dehors à l’attendre. Quelques instants après, je le vois sortir tout pâle et tenant sa main gauche appuyée sur son cœur. Je lui demande anxieusement ce qu’il avait, il me répond : « Ne t’effraye pas, ce n’est rien. En sortant du passage quelqu’un a tiré sur moi un coup de revolver par accident, je suppose, mais je n’ai qu’une légère blessure à la main. »
Je me suis réveillée en sursaut, et en m’habillant je racontais mon rêve à ma femme de chambre, lorsqu’un violent coup de sonnette me fit tressaillir. Mon mari entra dans ma chambre aussi pâle que je l’avais vu en songe et, tenant sa main gauche enveloppée, me dit : « Ne t’alarme pas, ce n’est rien. En allant à mon bureau avec un ami, quelqu’un m’a tiré un coup de revolver et la balle, en passant dans mon bras, ne m’a fait qu’une légère blessure au poignet. » Etait-ce un rêve, vision, ou un cas de télépathie ?
Mme Kranskoft,
à Constantinople. [Lettre 606.]
LVI. En 1866, j’étais dans un pensionnat situé dans une petite localité de la Forêt-Noire. Un matin, au moment où le professeur allait commencer sa leçon, un élève se présenta devant lui et lui demanda s’il avait de bonnes nouvelles de son frère (également professeur dans le même pensionnat, et qui était depuis quelque temps en séjour dans sa famille, en Suisse).
Le professeur ayant répondu qu’il n’avait aucune nouvelle, l’élève lui raconta, à haute voix, qu’il avait fait un rêve effrayant la nuit précédente, et que, pendant ce rêve, il avait vu le professeur absent, étendu sur l’herbe, avec un trou noir au milieu du front.
Afin de dissiper l’émotion légitime ressentie par tous ceux qui assistaient à ce récit, le maître commença immédiatement la leçon et il ne fut plus question du rêve de toute la journée.
Le lendemain, ou le surlendemain (ma mémoire est indécise sur le jour précis), le professeur reçut une lettre lui annonçant que son frère était mort par suite d’un accident de chasse : en voulant traverser un fossé, son fusil était parti, et la charge toute entière lui avait pénétré dans la tête.
A. H.,
à Genève. [Lettre 611.]
LVII. Ma mère habitait Lille et avait en Alsace un oncle qu’elle aimait beaucoup. Cet oncle avait des doigts très fins et longs : or, un jour que ma mère dormait, elle vit en rêve cette main planer au-dessus d’elle, cherchant à saisir un objet quelconque. Le lendemain, ma mère recevait la nouvelle de la mort de l’oncle et, renseignements pris dans l’entourage, le défunt avait, en effet, avant de mourir, fait tous les mouvements vus par ma mère.
P.,
rue des Plantes, Paris. [Lettre 616.]
LVII. Il m’est arrivé, bien des fois, de constater une coïncidence frappante entre mes rêves et des évènements survenus au même moment.
Je me permets de vous citer, comme exemple, le dernier, celui qui est le plus présent à mon esprit.
Toute une nuit, il m’arriva de rêver d’une religieuse que j’ai eue autrefois comme institutrice.
Je la voyais bien malade, j’en éprouvais de l’angoisse et cherchais, mais en vain, à la soulager.
Le lendemain, j’apprends que les sœurs de l’école communale sont à Mirecourt afin d’assister aux obsèques d’une de leurs collègues.
Encore sous l’impression de mon rêve, je dis aussitôt : « Sœur Saint Joseph ! »
Et en effet, c’était bien elle.
Pourtant, je n’y avais pas songé les jours précédents, personne ne m’en avait parlé, j’ignorais qu’elle fût malade.
G. Collin,
à Vittel. [Lettre 631.]
LIX. C’était le 13 juin 1894. J’habitais à ce moment là Barbezieux (Charente). Je fis un rêve dans lequel je voyais en toute occasion un employé des postes et télégraphes porteur d’un télégramme. Le lendemain, et malgré mes occupations, la vision de cet employé, papier bleu en main, ne quitta pas ma pensée.
Pendant sept jours et sept nuits consécutives, ce cauchemar me tyrannisa à tel point, que le 20 au matin j’en étais véritablement malade. A midi, ce même jour, mon malaise disparut comme par enchantement et j’en étais tout heureux ; mais à 3 heures après-midi, on m’apporta la nouvelle de la mort de mon père, décédé d’une attaque d’apoplexie à Castillon-sur-Dordogne, à midi, heure à laquelle je m’étais trouvé subitement soulagé.
Je vis alors devant moi l’employé des postes tel que mon imagination me l’avait représenté et que je n’avais jamais vu.
J’ignorais absolument que mon père fût malade, et nous étions séparés par une distance de cent kilomètres.
Ulysse Lacoste,
cours Saint Louis, 48, à Bordeaux. [Lettre 649.]
LX. Je suis bien portant et de nerfs solides. En 1894, le 20 avril à 7h ½ est morte ma mère Olga Nikadlevna Arbousova. Elle avait 58 ans. La veille de sa mort, c’était à Pâques, je suis allé voir des amis qui demeurent à 15 verstes de ma propriété. En général on reste pour la nuit, mais moi, par je ne sais quel pressentiment, je ne voulus pas rester, et pendant tout le chemin que je fis pour rentrer, je n’étais pas dans mon état habituel. Rentré, je vis ma mère jouer aux cartes avec un monsieur, et je fus tranquillisé. Je me suis couché. Le matin, 20 avril, je me suis réveillé avec un frisson glacé sur tout le corps, d’un rêve terrible, et je regardai l’heure : il était 7h ½ du matin. J’ai vu ma mère s’approcher de mon lit, m’embrasser et me dire : « Adieu, je meurs ». Ces mots m’ont complètement réveillé.
Je n’ai pu me rendormir. Dix minutes après, je vois que tout le monde court dans ma maison. Entre ma femme de chambre qui me dit : « Maître, madame est morte ».
D’après le récit des domestiques, ma mère s’est levée à 7 heures, a été à la chambre à coucher de sa petite fille pour l’embrasser, puis est rentrée dans sa chambre pour lire des prières matinales ; ensuite elle s’est mise à genoux devant des icônes, et aussitôt elle est morte d’anévrisme. D’après ce qu’on m’a dit, il était 7 h ½ du matin (juste le moment de ma vision).
Alexis Arbonsoff,
à Pskoff (Russie). [Lettre 670.]
LXI. En 1881, j’avais quitté la France pour aller à Sumatra, où m’appelaient des amis. Je laissai en France ma mère, d’une santé peu robuste mais non inquiétante, et une sœur de vingt ans, fortement atteinte d’une maladie incurable. La santé de cette dernière exigeait chaque année un voyage aux eaux du MontDore. De même chaque année, je recevais régulièrement la nouvelle de leur départ pour cette station.
Or, en 1884, dans la nuit du 3 au 4 août, dans un rêve, je recevais une lettre de ma sœur, m’informant que ma mère était morte subitement dans les Pyrénées.
Je me réveillai très frappé de ce rêve, et j’en parlai à deux Européens qui habitaient l’un avec moi, l’autre dans mon voisinage. Le souvenir m’en poursuivit sans relâche, c’était une véritable obsession, me faisant désirer et redouter en même temps la réception de la poste pouvant m’apporter des nouvelles correspondant à l’époque de ce rêve. Elle arriva enfin, et je reçus une lettre de ma sœur m’apprenant que le médecin l’avait envoyée à Luchon et que ma mère, atteinte d’un refroidissement, n’avait dû son salut qu’aux soins énergiques du docteur. Celui-ci avait déclaré, dans la soirée du 3 août, que si ma mère vivait encore le lendemain, il pouvait répondre d’elle, mais qu’il attendait le lendemain pour se prononcer.
Ce rêve n’était pas exact dans le dénouement annoncé par lui : la mort de ma mère.
Mais il n’en est pas moins remarquable :
1o Que le rêve signalait un danger concernant ma mère et non ma sœur dont la santé préoccupait mon esprit bien davantage.
2o Que le rêve relatait une station balnéaire différente de celles où elles allaient ordinairement, ce qui s’est trouvé parfaitement exact ;
3o Que si le rêve a induit en erreur quant à la mort elle-même, l’imminence de la mort a parfaitement existé et le rêve a coïncidé avec cette imminence, comme j’ai pu le vérifier par les dates et par les détails que j’ai demandés à ma sœur pour contrôler la coïncidence.
Enfin, n’est-il pas étrange qu’un rêve préoccupe l’esprit à tel point que je l’ai encore présent à la mémoire après 15 ans écoulés ? Je vous fais cette relation sans le secours d’aucune note et je pense m’en souvenir toute ma vie, tant l’empreinte en est demeurée pour ainsi dire ineffaçable en moi. Tout le monde convient qu’il n’en est pas de même de tous les rêves. Autant en emporte le vent.
J. Bouchard,
Mocara Enim, Palembang (Sumatra). [Lettre 678.]
LXII. Le 16 juin 1870, je dormais profondément quand quelqu’un m’a réveillée en me touchant le dos. J’ouvre les yeux et je vois ma sœur, âgée de 15 ans, assise sur mon lit. « Adieu Nadia », me dit-elle. Puis elle disparut.
Le même jour, j’appris qu’elle était morte, à cette même heure où j’ai eu ce réveil et cette vision (5 heures).
H. N. Ubanenko,
à Moscou. [Lettre 822.]
Voilà une série de rêves relatifs à des manifestations de mourants et devant, nous semble t-il, être classés dans la même catégorie que les cas de télépathie qui ont fait l’objet du chapitre III. Ils indiquent une action psychique du mourant sur l’esprit du dormeur, ou, dans tous les cas, des courants psychiques entre les êtres ; mais j’ai cru ne devoir leur donner qu’une seconde place, parce que l’on est moins sûr de ce que l’on rêve que de ce que l’on voit à l’état normal, et que les rêves étant innombrables et étant souvent dus à des préoccupations, les cas de coïncidences fortuites ne peuvent pas être éliminés par le calcul des probabilités, comme dans les faits observés à l’état éveillé avec la plénitude de la raison.
Il n’en est pas moins vrai qu’un grand nombre de ces rêves doivent être acceptés comme témoignant aussi d’une relation certaine de cause à effet entre l’esprit du mourant et celui du percipient. Quelques-uns sont d’une précision de détails absolument probants, notamment les cas VIII, IX, XI, XVII, XX, XXVI, XLVIII, LVI. Au moment même où je vous rédige ces pages, le récit suivant vient de m’être apporté par M. Daniel Beylard, architecte, élève distingué de l’Ecole des Beaux-Arts, fils du statuaire bien connu. L’impression télépathique n’a pas été ressentie en rêve, mais dans un état mental qui offre avec le sommeil une certaine analogie, l’état d’enfance assez souvent observé dans l’extrême vieillesse.
LXIII. Mes deux grands-mères vivent ensemble à Bordeaux depuis de longues années : l’une a 80 ans ; l’autre, ma grand-mère paternelle, en a 87. Cette dernière ne jouit plus, depuis longtemps, de ses facultés intellectuelles : depuis deux ans surtout elle a perdu la mémoire, à ce point qu’elle ne se souvient pas du nom des objets les plus usuels et qu’elle ne nous reconnaît pas.
Le 19 octobre dernier, selon son habitude, ma grand-mère passa la matinée dans sa chambre. La domestique qui la surveille, la voyait très occupée à couper du carton et à s’arranger les cheveux : satisfaite de sa tranquillité, elle la laissa faire jusqu’à l’heure du déjeuner. En se mettant à table on s’aperçu que ma grand-mère avait attaché ses cheveux, derrière la tête à l’aide de fils et d’épingles, une photographie : c’était le portrait, carte album, de son unique neveu, habitant Madrid. On en rit d’abord, et ensuite on voulut la lui enlever : elle s’y opposa, résista, et alla jusqu’à pleurer quand on fit mine d’employer la force : on la laissa tranquille.
A quatre heures de l’après-midi de ce même jour, nous recevions un télégramme de Madrid, nous annonçant la mort de ce neveu, décédé le matin même. Cette nouvelle nous surprit d’autant plus que personne à Bordeaux ne le savait malade.
Je dois ajouter que ma grand-mère avait élevé ce neveu jusqu’à l’âge de cinq ans et qu’ils avaient l’un pour l’autre une profonde affection.
Voilà, cher maître, les faits tels qu’ils se sont produits en ma présence, et tels que pourraient vous les certifier ma grand-mère maternelle, mes parents et la domestique.
Daniel Beylard,
Rue Denfert-Rochereau, 77, à Paris. [Lettre 845.]
J’ai prié le narrateur de ce très intéressant cas de télépathie de demander aux témoins de bien vouloir le certifier et le signer aussi, et ils se sont empressés de le faire.
Quoique ce soient là des témoignages aussi nombreux qu’irrécusables, nous leur en adjoindrons quelques-uns encore. Il faut qu’aucune place ne reste au doute.
Le maréchal Serrano est mort en 1885. Sa femme a écrit la relation suivante d’un curieux incident relatif à cette mort.
LXIV. Depuis douze longs mois, une maladie bien grave, hélas ! puisqu’elle devait l’emporter, minait la vie de son mari. Sentant que sa fin approchait à grands pas, son neveu, le général Lopez Dominguez, se rendit auprès du président du conseil des ministres, M. Canovas, pour obtenir qu’à son décès Serrano fût enterré, comme les autres maréchaux, dans une église.
Le roi, alors au Pardo, repoussa la demande du général Lopez Dominguez. Il ajouta pourtant qu’il prolongerait son séjour dans le domaine royal, afin que sa présence à Madrid n’empêcha pas que l’on pût rendre au maréchal les honneurs militaires dus au rang et à la haute situation qu’il occupait dans l’armée.
Les souffrances du maréchal augmentaient chaque jour ; il ne pouvait plus se coucher et restait constamment dans un fauteuil. Un matin, à l’aube, mon mari, qu’un état de complet anéantissement, causé par l’usage de la morphine, paralysait entièrement, et qui ne pouvait faire un seul mouvement sans l’aide de plusieurs aides, se leva tout à coup, seul, droit et ferme, et d’une voix plus sonore qu’il ne l’avait jamais eue de sa vie, il cria dans le grand silence de la nuit :
« Vite, qu’un officier d’ordonnance monte à cheval et coure au Pardo : le roi est mort ! »
Il retomba épuisé dans son fauteuil. Nous crûmes tous au délire, et nous nous empressâmes de lui donner un calmant.
Il s’assoupit, mais quelques minutes après, de nouveau, il se leva. D’une voix affaiblie, presque sépulcrale, il dit :
« Mon uniforme, mon épée, le roi est mort ! »
Ce fut sa dernière lueur de vie. Après avoir reçu, avec les derniers sacrements, la bénédiction du pape, il expira. Alphonse XII mourut sans ces consolations.
Cette soudaine vision de la mort par un mourant est vraie. Le lendemain, tout Madrid apprit avec stupeur la mort du roi, qui se trouvait presque seul au Pardo.
Le corps royal fut transporté à Madrid. Par ce fait, Serrano ne put recevoir l’hommage qui avait été promis.
On sait que, lorsque le roi est au palais de Madrid les honneurs sont seulement pour lui, même s’il est mort, tant que son corps s’y trouve.
Est-ce que le roi lui-même apparut à Serrano ? Le Pardo était loin ; tout dormait à Madrid ; personne, si ce n’est mon mari, ne savait rien. Comment apprit-il la nouvelle ?
Voilà un sujet de méditation.
Comtesse de Serrano, duchesse de la Torre.
M. G. J. Romanes, membre de la Société royale de Londres, a consigné le fait suivant qui lui a été rapporté par un de ses amis :
LXV. Pendant la nuit du 26 octobre 1872, je me sentis tout à coup mal à l’aise, et j’allai me coucher à 9h ½ environ une heure plus tôt que d’habitude ; je m’endormis presque aussitôt. J’eus alors, un rêve très intense, qui me fit une grande impression, si bien que j’en parlai à ma femme à mon réveil ; je craignais qu’il m’annonçât un malheur.
Je m’imaginai que j’étais assis dans le salon près d’une table, entrain de lire, quand une vieille dame parut tout à coup, assise de l’autre côté, près de la table. Elle ne parla, ni ne remua, mais me regarda fixement, et je la regardai de même pendant vingt minutes au moins. Je fus très frappé de son aspect ; elle avait des cheveux blancs, des sourcils très noirs et un regard pénétrant. Je ne la reconnus pas du tout, et je pensai que c’était une étrangère. Mon attention fut attirée du côté de la porte, qui s’ouvrit, et, toujours dans mon rêve, ma tante entra. En voyant cette vieille dame, elle s’écria fort surprise, et sur un ton de reproche : « John, ne sais-tu donc pas qui c’est ? » et sans me laisser le temps de répondre, ajouta : « C’est ta grand-mère. »
Là-dessus, l’esprit qui était venu me visiter se leva de sa chaise et disparut. A ce moment-là je m’éveillai. L’impression fut telle que je pris mon carnet et notai ce rêve étrange, persuadé que c’était un présage de mauvaises nouvelles. Cependant quelques jours se passèrent sans en apporter. Un soir, je reçus une lettre de mon père, m’annonçant la mort subite de ma grand-mère, qui a eu lieu la nuit même de mon rêve et à la même heure, 10h 1/2.
Le Dr Oscar Giacchi a publié les trois cas suivants dans les Annales des sciences psychiques (1893, p.302).
LXVI. 1er cas (personnel). En 1853, j’étais étudiant à Pise, j’avais 18 ans, tout me souriait alors, et je n’étais troublé par aucun souci de l’avenir.
Une nuit, le 19 avril (je ne peux pas préciser si c’était dans un rêve ou dans un demi sommeil), je vis mon père étendu sur le lit, pâle, livide, et qui me dit d’une voix à demie éteinte : « Mon fils, donne-moi le dernier baiser, car je vais bientôt te quitter pour toujours » ; et je sentis le froid contact de ses lèvres sur ma bouche, et je me rappelle si bien ce triste épisode que je pourrais répéter avec le divin poète : « che la mémoria il sangue ancor mi scipa ».
Depuis quelques jours, j’en avais reçu d’excellentes nouvelles et, pour cette raison, je n’attachai pas d’importance à ce fantôme de mon esprit ; mais un tourment terrible s’empara de mon âme et grandit avec tant de persistance que le matin suivant, résistant au raisonnement et aux prières de mes amis, je pris la route de Florence, abattu comme un condamné que l’on conduit au supplice. Mes angoisses étaient fondées, car à peine avais-je franchi le seuil de la maison que ma mère, courant à ma rencontre, m’annonça, désespérée, au milieu de ses baisers et de ses larmes, que la nuit précédente, à l’heure même de ma vision, mon père avait été ravi par une subite maladie du cœur.
2eme cas (dans ma clientèle). J’ai ici, dans ma maison d’aliénés, depuis plus de 3 ans, une vieille femme affectée de délire sénile qui lui laisse pourtant de longues périodes de calme, durant lesquelles elle est intelligente et tranquille, de manière à laisser croire à ses assertions. C’est une pauvre veuve qui, lorsqu’elle était en liberté, était généreusement secourue par le curé de Saint-Jean de Racconigi, qui avait pitié de sa misère. Dans la nuit du 17 novembre 1892, cette femme qui, généralement, elle était alors sans agitation, dort d’un sommeil ininterrompu, à minuit commença à hurler, à se désespérer et à alarmer le dortoir entier, sans en excepter les sœurs de la section des tranquilles, en assurant à ces religieuses, qui voulaient la calmer, qu’elle avait vu le prieur tomber par terre, jeter une écume sanglante par la bouche et mourir en peu d’instants.. Le rapport du médecin de tournée mentionnait cet épisode de la nuit tandis qu’en même temps se répandait dans le pays la douloureuse nouvelle que le curé de Saint-Jean était vraiment mort d’apoplexie foudroyante, à l’heure même où la vieille dame avait eu son cauchemar.
3eme cas (idem). Un nommé G. C…, de Gottasecca, commune de Monesillio, avait été reçu depuis deux mois dans une maison de santé. Son état s’était amélioré et tout faisait espérer la guérison avec cette promptitude qui se vérifie dans les maladies mentales sans élément héréditaires ni marche dégénérative. La santé physique était parfaite, bien qu’il eût des signes d’athérome vasculaire. Mais dans la nuit du 14 septembre 1892, il fut frappé d’une hémorragie cérébrale qui l’enleva le lendemain. Le 16, je reçus de sa femme, qui jusqu’alors avait gardé le silence, une carte postale par laquelle elle me demandait, par des phrases anxieuses, des nouvelles de son mari, me priant de lui répondre tout de suite parce qu’elle craignait un malheur.
Une telle coïncidence de fait et de date ne pouvait passer inobservée ni me laisser indifférent. J’écrivis aussitôt à l’éminent Dr Dhiavarino, médecin soignant cette famille, en le priant de rechercher la raison qui avait poussé cette femme à m’écrire d’une manière si alarmante. Le docteur me répondit qu’il avait fait les recherches nécessaires et avait recueilli les détails suivants : « Dans la nuit du 14, et précisément à l’heure à laquelle C… fut frappé d’apoplexie, sa femme (qui est douée d’un tempérament éminemment nerveux et était alors enceinte de 7 mois), après avoir éprouvé un malaise moral pendant toute la soirée, se réveilla en sursaut, désespérée du sort de son mari ; et telle fut l’émotion qu’elle en éprouva qu’elle fut obligée de réveiller son père pour lui raconter le triste pressentiment et le conjurer de l’accompagner aussitôt à Racconigi, persuadée que quelque malheur était arrivé. »
Ces trois cas me semblent dignes d’être pris en considération. Les attribuer uniquement à une coïncidence fortuite me paraîtrait d’un scepticisme méprisable, et ce serait même, selon moi, un faux orgueil de persister à nier qu’ils puissent être l’effet d’une loi biologique, par la raison que nous ignorons cette loi, comme malheureusement nous ignorons tant d’autres mystères de la psychologie.
L’hypothèse d’une transmission mystérieuse du cerveau de celui qui souffre, ou se trouve en grand danger, à celui de la personne aimée est séduisante, car dans un moment de péril suprême ou d’affreux malheur, la pensée pourrait faire un effort assez puissant pour vaincre les distances ; mais dans mon 2e cas et dans le 3e, cette théorie ne peut être admise, par la raison que ni le prieur de Saint-jean, ni G. C., frappés comme ils le furent tout à coup par l’apoplexie, ne purent avoir la force de penser à leurs chers absents, et certainement la vieille femme ne pouvait être aimée à ce point par son curé que ce fut vers elle que se tournât la suprême invocation du mourant.
Je signalerai encore ici, à propos de ce genre de rêves, un cas bien remarquable, observé par M. Frédéric Wingfield, à Belle-Isle-en-Terre (Côtes du nord), déjà publié dans les Hallucinations télépathiques (P. 101) :
LXIX. Ce que je vais décrire est le compte rendu précis de ce qui s’est passé, et je dois faire remarquer, à ce propos, que je suis on ne peut moins disposé à croire au merveilleux et que, bien au contraire, j’ai été accusé, à juste titre, d’un scepticisme exagéré à l’égard des choses que je ne puis expliquer.
Dans la nuit du 25 mars 1880, j’allai me coucher après avoir lu assez tard, comme c’était mon habitude. Je rêvai que j’étais étendu sur mon sofa et que je lisais, lorsque levant mes yeux, je vis distinctement mon frère, Richard Wingfield-Baker, assis sur une chaise devant moi. Je rêvai que je lui parlais, mais qu’il inclinait simplement la tête, en guise de réponse, puis se levait et quittait la chambre. Lorsque je me réveillai, je constatai que j’étais debout, un pied posé par terre près de mon lit et l’autre sur mon lit, et que j’essayais de parler et de prononcer le nom de mon frère. L’impression qu’il était réellement présent était si forte, et toute la scène que j’avais rêvée était si vivante, que je quittai la chambre à coucher pour chercher mon frère dans le salon. J’examinai la chaise où je l’avais vu assis, je revins à mon lit et j’essayai de m’endormir, parce que j’espérais que l’apparition se produirait de nouveau, mais j’avais l’esprit trop excité. Je dois cependant m’être endormi le matin. Lorsque je me réveillai, l’impression de mon rêve était aussi vive, et je dois ajouter qu’elle est toujours restée ainsi dans mon esprit. Le sentiment que j’avais d’un malheur imminent était si fort que je notai cette « apparition » dans mon journal de chaque jour, en l’annotant ainsi : « Que Dieu l’empêche ! »
Trois jours après je reçois la nouvelle que mon frère Richard Wingfield-Baker, était mort le jeudi soir, 25 mars 1880, à 8h ½ des suites de blessures terribles qu’il s’était faites dans une chute en chassant.
M. Wingfield a envoyé avec cette lettre son carnet dans lequel, parmi bon nombre de notes d’affaires, on lit cette mention : « Apparition, nuit du jeudi 25 mars 1880. R. W. B. Que Dieu l’empêche ! »
La lettre suivante était jointe à cette note :
Coat-an-nos, 2 février 1884.
Mon cher ami, je n’ai aucun effort de mémoire à faire pour me rappeler le fait dont vous parlez, car j’en ai conservé un souvenir très net et très précis. Je me souviens parfaitement que le dimanche 4 avril 1880, étant arrivé de Paris le matin même pour passer ici quelques jours, j’ai été déjeuner avec vous ; Je me souviens aussi parfaitement que je vous ai trouvé fort ému de la douloureuse nouvelle qui vous était parvenue de la mort de l’un de vos frères. Je me rappelle aussi, , comme si le fait s’était passé hier, tant j’en ai été frappé, que quelques jours avant d’apprendre la triste nouvelle, vous aviez un soir, étant déjà couché, vu ou cru voir, mais en tout cas très distinctement, votre frère, celui dont vous veniez d’apprendre la mort subite, tout près de votre lit et que, dans la conviction où vous étiez que c’était bien lui, vous vous étiez levé et lui aviez adressé la parole, et qu’à ce moment vous aviez cessé de le voir comme s’il s’était évanoui ainsi qu’un spectre. Je me souviens que sous l’impression bien naturelle qui avait été la suite de cet événement, vous l’aviez inscrit dans un petit carnet où vous avez l’habitude de noter les faits saillants de votre très paisible existence et que vous m’avez fait voir ce carnet.
J’ai été d’autant moins surpris de ce que vous me disiez alors, et j’en ai conservé un souvenir d’autant plus net et précis, comme je vous le disais en commençant, que j’ai dans ma famille des faits similaires auxquels je crois absolument.
Des faits semblables arrivent, croyez-le bien, bien plus souvent qu’on ne le croit généralement. Seulement, on ne veut pas toujours les dire, parce qu’on se méfie de soi ou des autres.
Au revoir, cher ami ; à bientôt je l’espère, et croyez bien à l’expression des plus sincères sentiments de
Votre tout dévoué,
Faucigny, prince de Lucinge.
M. Wingfield ajoute en réponse aux questions :
Je n’ai jamais eu d’autre rêve effrayant de la même espèce, ni d’autre rêve d’où je me sois réveillé avec une pareille impression de réalité et d’inquiétude, et dont l’effet ait duré longtemps après mon réveil ; je n’ai jamais eu d’hallucinations.
Il faut remarquer que ce rêve n’a eu lieu que plusieurs heures après la mort.
Les documents de ce genre sont si nombreux que le difficile est de s’arrêter. Nous ne pouvons pourtant nous empêcher de signaler encore un rêve non moins remarquable, qui a été publié récemment, avec tous les documents susceptibles d’en garantir l’absolue véracité, dans l’excellente revue spéciale les Annales des sciences psychiques, de M. le docteur Dariex :
LXX. Dans les premiers jours de novembre 1869, je partis de Perpignan, ma ville natale, pour aller continuer mes études de pharmacie à Montpellier. Ma famille se composait, à cette époque, de ma mère et de mes quatre sœurs. Je la laissai très heureuse et en parfaite santé.
Le 22 du même mois, ma sœur Hélène, une superbe fille de 18 ans, la plus jeune et ma préférée, réunissait à la maison maternelle quelques-unes de ses jeunes amies. Vers trois heures de l’après-dîner, elles se dirigèrent, en compagnie de ma mère, vers la promenade des Platanes. Le temps était très beau. Au bout d’une demie-heure, ma sœur fut prise d’un malaise subit : « Ma mère, dit-elle, je sens un frisson étrange courir par tout mon corps ; j’ai froid, et ma gorge me fait grand mal. Rentrons. »
Douze heures après, ma bien-aimée sœur expirait dans les bras de ma mère, asphyxiée, terrassée par une angine couenneuse que deux docteurs furent impuissants à dompter.
Ma famille, j’étais le seul homme pour la représenter aux obsèques, m’envoya télégramme sur télégramme à Montpellier. Par une terrible fatalité, que je déplore encore aujourd’hui, aucun ne me fut remis à temps.
Or, dans la nuit du 23 au 24, dix-huit heures après la mort de la pauvre enfant, je fus en proie à une épouvantable hallucination.
J’étais rentré chez moi à deux heures du matin, l’esprit libre et encore tout plein du bonheur que j’avais éprouvé dans les journées du 22 et 23, consacrées à une partie de plaisir. Je me mis au lit très gai . Cinq minutes après, j’étais endormi.
Sur les quatre heures du matin, je vis apparaître devant moi la figure de ma sœur, pâle, sanglante, inanimée, et un cri perçant, répété, plaintif, venait frapper mon oreille : « Que fait-tu mon Louis ? mais viens donc, mais viens donc ! »
Dans mon sommeil nerveux et agité, je pris une voiture ; mais hélas ! malgré des efforts surhumains, je ne pouvais pas la faire avancer.
Et je voyais toujours ma sœur pâle, sanglante, inanimée, et le même cri perçant, répété, plaintif, venait frapper mon oreille : « Que fais-tu, mon Louis ? mais viens donc, mais viens donc ! »
Je me réveillai brusquement, la face congestionnée, la tête en feu, la gorge sèche, la respiration courte et saccadée, tandis que mon corps ruisselait de sueur.
Je bondis hors de mon lit, cherchant à me ressaisir… Une heure après, je me remis au lit ; mais je ne pus retrouver le repos.
A onze heures du matin, j’arrivai à la pension, en proie à une insurmontable tristesse. Questionné par mes camarades, je leur racontai le fait brutal tel que je l’avais ressenti. Il me valut quelques railleries. A deux heures, je me rendis à la Faculté, espérant trouver dans l’étude quelque repos.
En sortant du cours, à quatre heures, je vis une femme en grand deuil s’avancer vers moi. A deux pas de moi, elle souleva son voile. Je reconnus ma sœur aînée qui, inquiète sur moi, venait, malgré son extrême douleur, demander ce que j’étais devenu.
Elle me fit part du fatal événement que rien ne pouvait me faire prévoir, puisque j’avais reçu des nouvelles excellentes de ma famille le 22 novembre au matin.
Tel est le récit que je vous livre, sur l’honneur, absolument vrai. Je n’exprime aucune opinion, je me borne à raconter.
Vingt ans se sont écoulés depuis lors, l’impression est toujours aussi profonde maintenant surtout et si les traits de mon Hélène ne m’apparaissent pas avec la même netteté, j’entends toujours ce même appel plaintif, multiplié, désespéré : « Que fais-tu donc, mon Louis ? Mais viens donc, mais viens donc ! »
Louis Noell,
Pharmacien à Cette.
Ce récit est accompagné de documents destinés à en confirmer l’authenticité. Nous citerons de ces documents la lettre suivante de la sœur de l’observateur :
Mon frère m’a priée, sur votre demande, de vous envoyer le récit de l’entrevue que j’eus avec lui, à Montpellier, après la mort de notre sœur Hélène. Selon votre désir et le sien, je viens malgré l’amertume de souvenirs aussi douloureux, vous apporter mon témoignage.
En voyant dans la rue mon frère, qui fut le premier à me reconnaître, malgré mes vêtements de deuil, je compris qu’il ignorait encore la mort d’Hélène. « Quel malheur nous frappe encore ? » s’écria-t-il. Apprenant de ma bouche la mort d’Hélène, il me serra les bras avec une telle violence que je faillis tomber à la renverse. Rentrée à la maison, j’eus à supporter une scène terrible. Fou de colère, mon frère très nerveux, très ardent, mais très bon aussi, me maltraita presque. « Quelle fatalité, s’écria-t-il, quel malheur ! Oh ! Les dépêches, pourquoi ne les ai-je dont pas reçues ? » Et il frappait violemment la table avec les deux mains… Coup sur coup il avala trois grandes carafes d’eau. Un moment, je le crus fou, tellement son regard était égaré…
Quand il eut repris ses esprits, quelques heures après, il dit : « Oh ! j’en étais sûr, un grand malheur devait fondre sur moi. » Il me raconta alors l’hallucination qu’il avait éprouvée dans la nuit du 23 au 24.
Thérèse Noell.
Ce rêve, comme le précédent, à été éprouvé après la mort du sujet qui paraît l’avoir déterminé. Nous n’analyserons pas ici les causes immédiates de ces sensations, car plus tard nous aurons à distinguer les manifestations de morts de celles des mourants, des vivants ; mais ce que nous devons retenir, c’est le rêve lui-même, quelle que soit la nature de l’action psychique. Plusieurs explications pourront être proposées. L’esprit de l’auteur s’est-il transporté vers sa sœur et n’a-t-il trouvé qu’une morte ? Sa sœur au contraire , l’a-t-elle cherché avant de mourir, et cet appel aurait-il mis dix-huit heures à amener la sensation ? N’y a t-il pas eu tout simplement un courant psychique de nature inconnue entre le frère et la sœur ? Autant de questions à étudier. Nous entrons dans un nouveau monde qui n’est pas près d’être exploré.
Mais déjà, en lisant ces rêves, on s’aperçoit, on sent, que la force en action ne va pas toujours du mourant au percipient, mais plutôt parfois du rêveur au mourant, ressemblant à une vue à distance.
Les cas nos VIII (grand-mère amenant ses enfants à travers un pré), XI (frère mourant à Saint Petersbourg, avec ses enfants à genoux près du lit), XII (long convoi mortuaire), XV (mort d’un chien), XVII (enfant mourant sur un édredon rouge), XX (cinq cercueils), XXI (mort de Carnot), XXXIX (vue du convoi d’une jeune fille, de Carthagène à Nantes), XLVI ( le général de Cossigny tombant dans un escalier), XLVIII ( blessure à l’épaule droite), LV (coup de revolver reçu dans la main), LVI (élève voyant le frère d’un professeur tué d’une charge de plomb dans la tête), LXIV (le maréchal Serrano annonçant la mort du roi), LXVII (vieille femme voyant la mort de son curé), etc. , donnent cette impression. Il semble qu’ici l’esprit du dormeur ait vraiment vu, perçu, senti des choses se passant au loin.
Cette constatation de la vue à distance, en rêve, fera l’objet de notre prochain chapitre.
Mais nous tenons comme autant de documents absolument démonstratifs les 70 cas qui viennent d’être rapportés et qui confirment, sous un autre aspect, les 186 manifestations de mourants exposées plus haut. Pour nous, ces phénomènes psychiques sont certains et incontestables. Ils doivent désormais constituer une nouvelle branche de la Science.
Chapitre VIII – La vue à distance en rêve, des faits actuels
Il semble, en effet, d’après les exemples qui viennent déjà d’être rapportés, que dans certains rêves, on voie vraiment ce qui se passe à distance. Nous continuerons ici cet examen par d’autres cas spéciaux, observés et relatés avec un grand soin, sans revenir sur les manifestations de mourants que nous tenons désormais pour absolument démontrées.
De plus, dans ces exemples de vue à distance en rêve, nous ne nous occuperons que de la vue d’évènements présents, ponctuels, réservant, dans notre classification méthodique, la divination de l’avenir pour le chapitre suivant, qui sera le dernier de ce volume. Nous remettrons aussi à plus tard la vue à distance à l’état éveillé, de même que l’analyse des pressentiments. Ces distinctions sont absolument indispensables pour nous reconnaître dans ces recherches, pour nous aider à n’accepter, à n’admettre que ce qui est suffisamment constaté, et ensuite pour nous conduire aux explications, s’il est possible.
Ces questions sont depuis bien des années l’objet de mes études. J’ai publié le rêve suivant dans le Voltaire du 18 février 1899 ; il m’avait été communiqué par mon ami Pierre Conil, notre sympathique confrère de la presse parisienne.
I. En 1844, je faisais ma septième au lycée Saint-Louis. A cette époque, un de mes oncles, Joseph Conil, juge d’instruction à l’île Bourbon (aujourd’hui île de la Réunion), était venu à Paris pour consulter les célébrités médicales d’alors au sujet d’une grosseur qui, s’étant d’abord montrée sur le cou, derrière l’oreille, avait peu à peu envahi toute la joue et gagné la tête.
Une nuit, je dormais profondément, lorsqu’un rêve me transporta à Courbevoie (mon père et ma belle-mère y passaient l’été et y avaient amené mon oncle).
Dans la grande chambre du premier, donnant sur le jardin, couché dans son lit aux rideaux rouges, mon oncle était entouré de mon père, de ma belle-mère ; près du lit, assise en priant, une vieille bonne bretonne, Louise, qui depuis bien des années était à notre service.
Mon oncle parlait tour à tour aux personnes présentes.
A mon père, à ma belle-mère, il adressait quelques recommandations touchant ma sœur et moi, et j’entendais très distinctement ses paroles.
A Louise, il donna sa bourse. « Prenez, lui disait-il, vous m’avez soigné comme une sœur de charité. »
Et j’entends encore les sanglots de cette fille dévouée.
Un silence se fit, que louise rompit :
« Monsieur Joseph, il y a bien trois mois que vous n’avez pu ouvrir votre œil droit. Tenez, j’ai là une médaille de la vierge d’Auray, mettez-la sur votre œil, et il s’ouvrira. »
Mon oncle sourit, prit la médaille, la plaça sur ses paupières qui, presque aussitôt s’ouvrirent et demeurèrent ouvertes quelques minutes.
Mon oncle était fort croyant : « Je ne passerai pas la nuit, je le sens. Louise, allez me chercher un prêtre ».
Louise partit.
Mon père et ma belle-mère prirent les mains du malade, qui continua à s’entretenir avec eux, sans que je perdisse une seule des paroles échangées.
Le prêtre arriva, on le laissa seul avec le cher moribond. J’assistai à la confession, mais je n’entendis pas un seul mot.
Le prêtre sortit. Mes parents et Louise rentrèrent. Bientôt l’agonie commença, et j’en vis tous les détails navrants…
Mon bien-aimé oncle poussa un long soupir.
Il était mort…
Quand je m’éveillai, l’horloge du collège sonnait deux heures du matin. J’avais les yeux pleins de larmes.
« Il me faut, dis-je, prendre le contraire des rêves. J’ai rêvé que mon oncle était mort, c’est qu’il va bien. »
Le dimanche matin, un vieil ami de la famille, vint me chercher et m’apprit la triste nouvelle ? Arrivé à Courbevoie, mon père me transmit les dernières recommandations de mon oncle… et ces recommandations étaient les mêmes que celles que j’avais entendues. Très frappé, je pris la parole et je dis à mon père : « Mon oncle n’a-t-il pas dit ça et ça ?
̶ Oui.
̶ Ses derniers moments ne se sont-ils pas ainsi passés ?
Et je racontai tout ce que j’avais vu et entendu.
Tout était d’une exactitude absolue.
« Mais comment sais-tu cela ? interrogea mon père.
̶ Papa, je l’ai rêvé. Mais dis-moi, à quelle heure mon oncle est-il mort ?
̶ A deux heures précises.
C’est bien cela, répliquai-je, c’est l’heure à laquelle je me suis réveillé ! »
La cérébration inconsciente n’explique pas plus ces sortes rêves que ceux du chapitre précédent.
Il semble bien là que l’esprit de l’auteur se soit transporté, ait vu à distance, ce qui se passait dans la chambre de son oncle mourant. Dans un autre rêve, M. Conil a vu Le Havre avant d’y être allé et en a parfaitement reconnu les quais et les rues lorsqu’il les a visités pour la première fois.
Voici d’autres exemples du même ordre, extraits du dossier de mon enquête :
II. ̶ 1o Plusieurs fois dans ma vie de trente-huit ans de sacerdoce, j’ai été poussé instinctivement vers le lit de mourants que je ne savais pas malades.
Une nuit, à une heure du matin, je me réveille brusquement, voyant dans son lit un de mes paroissiens mourant qui m’appelait à grands cris. En cinq minutes je fus habillé, et, une petite lanterne à la main, je courus vers la maison du malade. En route, je rencontre un émissaire qui venait à grande course me chercher.
J’arrive auprès du moribond, qui avait perdu connaissance. Attaque d’apoplexie. J’eus juste le temps de réciter la formule d’absolution, puis il mourut.
Or, cet homme très fort, très robuste, s’était couché à neuf heures du soir dans les meilleures conditions.
Bouin,
Chanoine honoraire, curé de Couze (Dordogne). [Lettre 4.]
III. ̶ J’avais de très bons amis, fermiers à Chevennes ; je ne les avais pas vus depuis quelques temps. Une nuit, j’eus un cauchemar affreux ; je vois le feu à leur ferme, je faisais des efforts surhumains pour courir appeler au secours et restais impuissant, aucune voix ne sortait de ma gorge, mes pieds restaient attachés au sol ; je vis ainsi le feu se communiquer à plusieurs bâtiments ; enfin, au moment d’un écroulement général, je fis un effort violent pour me détacher des décombres, et je m’éveillai, la gorge sèche, tout courbaturé. Je sautai hors du lit. A ce moment, ma femme s’éveilla. Je lui racontai mon rêve. Elle rit beaucoup de me voir aussi tremblant.
Le lendemain, dans la journée, je recevais un express m’annonçant qu’une partie de la ferme avait été détruite par un incendie.
Georges Parent,
Maire à Wiège-Faty (Aisne). [Lettre 20.]
IV. ̶ Mon père Palmero, ingénieur colonial des ponts et chaussées, natif de Toulon, après avoir passé vingt ans à la Réunion, où il s’était marié et avait eu cinq enfants, prit sa retraite et vint se fixer à Toulon, en 1867.
Ma mère, qui était née à la Réunion, d’une des plus noble famille, ne quitta pas son pays sans un serrement de cœur, d’autant qu’elle laissait son père et sa mère dans une situation que des revers de fortune avaient grandement amoindrie.
Les premières années passées en France, où tout lui était inconnu, furent si pénibles pour elle que mon père, dont la bonté était sans égale, prit la secrète résolution de faire venir ses beaux-parents auprès de nous.
Il se garda bien de s’en ouvrir à sa femme qui, malgré son grand amour pour son père et sa mère, se serait opposée à une détermination aussi coûteuse et dont les suites pouvaient être si préjudiciables aux intérêts d’une famille de sept personnes vivant sur la retraite de mon père.
Ma mère ignorait donc, et pour plusieurs raisons, la démarche faite par mon père, et, l’eût-elle sue, qu’elle n’y aurait pas cru. Mon grand-père et ma grand-mère, d’un âge très avancé, vivaient à La Réunion, au milieu d’autres enfants, entourés de soins et de mille satisfactions que procure une existence honnête et tranquille.
Rien ne laissait donc prévoir qu’ils accepteraient, comme ils le firent, la proposition de leur gendre.
Quittant tout, vendant les meubles qu’ils avaient, poussés par cette force inconnue qui a un nom destinée, ils prirent ces deux vieillards, le premier paquebot pour la France, sans écrire (leur lettre serait arrivée après eux), sans télégraphier (aucune communication entre Bourbon et la métropole à cette époque).
On était sans nouvelles, lorsqu’une nuit du mois de mai 1872, ma mère se réveillant en sursaut dit à mon père : « Mon ami, mes enfants, levez-vous, je viens de voir passer papa et maman là, devant Toulon, en bateau ; habillez-vous, nous n’avons que le temps de leur préparer leur chambre ».
Mon père, qui ne croyait pas avoir été aussi persuasif dans sa lettre et ne pouvait pas supposer qu’un paquebot avait quitté La Réunion quelques jours après l’arrivée de cette lettre, se mit à rire et conseilla à ma mère de se recoucher et de laisser les enfants dormir.
La première émotion passée, ma mère se rendit à ce conseil et se recoucha, non sans répéter qu’elle était sûre d’avoir vu passer en bateau son père et sa mère devant le port de Toulon.
Le lendemain, nous recevions un télégramme de Marseille nous annonçant l’arrivée de grand-père et grand-mère, par paquebot de Messageries maritimes. Passant la veille en vue de Toulon, ils nous avaient envoyé leurs baisers et leurs âmes.
Palmero,
Agent des Postes et Télégraphes, à Marseille. [Lettre 24.]
V. ̶ Mon père, étant en pension à environ soixante kilomètres environ de chez lui, fut réveillé une nuit en sursaut par cette idée douloureuse autant que soudaine que sa mère se mourait. (Etait-ce un rêve ?) Il ne put se rendormir jusqu’au jour, saisi d’une grande frayeur, et dès le réveil alla solliciter du maître de pension l’autorisation de retourner chez lui. On la lui refusa. Une lettre de son père lui apprit que cette même nuit et à la même heure sa mère, que l’on croyait perdue, avait reçu les sacrements et avait parlé de lui à plusieurs reprises. Mais après avoir approché de si près la mort, elle vécu encore longtemps.
Bernard Vandenhougen,
à Mantes. [Lettre 31.]
VI. ̶ Il y a quelques années, j’habitais une propriété située à quelques kilomètres de Papeete, chef-lieu de nos établissements français en Océanie. J’avais dû me rendre à une séance de nuit du Conseil général et vers minuit, quittant la ville, seul dans une petite charrette anglaise, je fus assailli par un orage épouvantable.
Mes lanternes s’éteignirent, la route que je suivais, bordée par la mer, était absolument noire, mon cheval prit peur et s’emballa. Tout d’un coup, je ressentis un choc violent : ma voiture venait de se briser contre un arbre.
Les deux roues étaient restées avec leur moyeu au lieu de l’accident, et moi, projeté entre le cheval et le caisson à moitié broyé, j’étais entraîné par l’animal affolé dans une course au cours de laquelle j’aurais dû cent fois me tuer.
Cependant, n’ayant pas perdu mon sang froid, je parvins à calmer mon cheval et à descendre de l’épave sur laquelle je me trouvais. J’appelai au secours pour la forme, me trouvant en pays absolument désert.
Tout à coup, j’aperçois une lumière paraissant se diriger vers moi, et quelques instants après ma femme arrive, ayant parcouru une distance d’environ deux kilomètres pour venir directement sur le théâtre de l’accident.
Elle me raconta qu’étant endormie elle s’était éveillée subitement, voyant très nettement que j’étais en danger de mort, et, sans hésiter, elle avait allumé une lanterne, et sous la pluie torrentielle était accourue à mon secours.
Il m’était arrivé bien souvent de revenir de la ville en pleine nuit, mais jamais ma femme n’avait éprouvé la moindre inquiétude à mon sujet. Cette nuit-là, elle avait vu réellement ce qui m’arrivait, et n’a pu résister à l’impérieux besoin de se porter à ma rencontre.
Quant à moi, je n’ai aucune souvenance d’avoir dirigé un ardent appel mental de son côté, et j’ai été, je l’avoue, complètement sidéré quand, à plus de cent mètres de moi, dans la nuit, j’ai entendu une vois me crier :
« Je sais que tu es blessé, mais me voilà. »
Jules Texier,
à Châtellerault. [Lettre 50.]
VII. ̶ J’habitais à Cette, avec ma femme, ma belle-mère et mes deux filles, une villa sur le versant de la montagne. J’allais tous les matins à la ville, conduit par une voiture louée au mois, qui venait me prendre à huit heures et demie du matin. Or, un jour, je m’éveillai à cinq heures, après un rêve horrible.
Je venais de voir une jeune fille tomber d’une fenêtre et qui s’était tuée sur le coup. Je fis part de ce rêve à ma famille : il était sept heures, et c’était le moment où tous se levaient ; ils en furent émus. Je descendis au jardin, attendant la voiture qui venait me prendre vers huit heures comme d’habitude ; mais, à neuf heures et demie seulement elle arrivait. Je me fâchai de ce retard qui me gênait pour mes affaires. Mais le cocher me dit que, s’il avait remplacé son maître qui avait l’habitude de venir me prendre, c’est que le matin même, à cinq heures, sa fille (de dix ans, je crois) était tombée de la fenêtre et était morte.
Je n’avais jamais vu cette jeune fille.
Martin Halle,
19, rue Clément-Marot, Paris. [Lettre 61.]
VIII. ̶ Il y a six ans, j’eus un second enfant que, vu mon état de santé ma mère emmena le lendemain de sa naissance chez elle, à soixante lieues, pour le faire nourrir sous ses yeux. Je fus malade, puis convalescente. Je commençais à me lever et (ai-je besoin de le dire ?) ma pensée était sans cesse avec le cher petit être qu’on m’avait ôté si vite et que je n’avais qu’entrevu.
Nous avions fréquemment de ses nouvelles et elles étaient très satisfaisantes ; nous étions on ne peut plus tranquilles à son sujet. Un matin, je m’éveille avec une oppression singulière : j’avais rêvé la nuit mon enfant bossu. Je le dis à mon mari, je me mets à pleurer ; il me rit au nez. Aussitôt levée, pendant son absence, j’écris à ma mère, lui disant mon rêve et lui disant qu’on nous écrive sans tarder et qu’on nous parle longuement du cher petit ange.
On nous répond par mille éloges sur l’enfant : c’était un poupon magnifique ; enfin, un grand-père fier de son petit-fils… Quelques temps après, ma mère, qui ne m’avait pas vue depuis ma couche, vient nous voir, et, le soir, dans l’intimité du coin du feu, nous révéla à mon mari et à moi, que ma lettre l’avait rendue malade ; qu’en effet, au moment où cette lettre était arrivée, mon enfant était bossu. Il avait eu cela une quinzaine, ce n’était rien en réalité, puisque quelques massages intelligemment faits avaient supprimé cette petite rondeur ; mais ma mère et la nourrice, sans rien en dire à personne, avaient été réellement inquiètes. Ma lettre était arrivée au plus fort de la chose, alors qu’affolée, ma mère avait montré l’enfant au docteur, qui l’avait aussitôt rassurée en lui disant de ne pas m’alarmer inutilement.
Marie Duchein,
à Paris. [Lettre166.]
IX. ̶ J’étais chez une de mes amies, au mois d’octobre 1896. Ayant à loger des soldats, à cause de la revue du tsar, et le mess se trouvant chez eux, le cuisinier, au moment de partir, avait pris par mégarde un couvert de la maison, qu’il avait emballé avec les leurs.
Aussitôt partis, on s’aperçut de la disparition dudit couvert.
Mon amie écrivit aussitôt, et, le surlendemain matin, en s’éveillant elle me dit :
« Marie, j’ai rêvé que je recevrais mon couvert aujourd’hui, en même temps, une lettre. Mais, ce qu’il y a de plus curieux, c’est que le papier à lettre est rose, tout couvert d’écriture, sans une place, sans le moindre petit coin oublié, et l’enveloppe doit être blanche ! »
Nous attendîmes avec impatience le facteur qui nous apporta, en effet, le couvert et la lettre à enveloppe blanche, feuille rose, les quatre pages couvertes d’écriture.
Comment se fait-il que mon amie ait pu deviner si juste, en un rêve ?
Marie Bouvry,
à Brimont.
X. ̶ J’ai un frère aujourd’hui âgé de 29 ans, qui, en 1889, partit pour le Chili, à Santiago. Il avait l’habitude de nous donner de ses nouvelles, très régulièrement. A une lettre reçue en 1892 (la date au juste je ne me la rappelle pas), maman nous dit avoir vu en rêve mon frère malade et porté à l’hôpital sur une civière. Les lettres mettent environ trente-cinq jours pour faire le trajet de Santiago en France. Cinq mois se passèrent sans nouvelles. Enfin une lettre nous arrive dans laquelle mon frère nous dit sortir de l’hôpital où il était en traitement depuis cinq mois ; il y avait été transporté ayant eu la fièvre typhoïde, et avait eu ensuite une pleurésie.
Marie Vialla,
30, rue Victor-Hugo, à Lyon. [Lettre 146.]
XI. ̶ Un oncle de ma belle-sœur qui vit encore et qui se trouvait alors à la campagne, à environ soixante kilomètres de Bayonne, rêva une nuit qu’un de ses amis intimes, M. Rausch, était assassiné par les allées marines de Bayonne en rentrant chez lui.
Le lendemain matin, M. Bouin, l’oncle de ma belle-sœur, raconta son rêve sans d’ailleurs y ajouter foi ; mais peu après il apprit la nouvelle que son ami avait été assassiné sur les allées marines de Bayonne par des Espagnols, dans la nuit où il avait eu son rêve.
Je signe ces lignes comme étant l’expression de la vérité, mais je vous serais obligé de vouloir bien ne publier ni le nom de ma famille ni le mien.
G. F.,
à Bordeaux. [Lettre 177.]
XII. ̶ En 1872 ou 1873, ma mère, encore jeune fille, habitait rue des Tonnelles, chez sa mère. Elle connaissait une famille de pauvres gens nommés Morange, qui habitaient rue Saint-Antoine, près du lycée Charlemagne. Un samedi soir, elle rencontre cette famille, et la petite Morange qui l’aimait beaucoup vient lui montrer une robe neuve mise le jour même. Elle quitte l’enfant et rentre chez elle. Le lendemain matin, en se réveillant, ma mère raconte à sa mère avoir rêvé que la famille Morange était morte.
Dans la matinée, on apprend qu’ils sont tous morts pendant la nuit dans l’incendie de leur maison.
Marcel Gerschel,
Paris, 80, Faubourg-Saint-Denis. [Lettre 206. ]
XIII. ̶ Je puis vous affirmer un fait absolument authentique qui s’est passé il y a quelques années. J’ai vu une nuit en rêve deux dames de ma connaissance, en grand deuil, quoique je n’eusse la moindre idée qu’un membre de leur famille fût mort ou même malade. Je les interrogeai et j’appris qu’elles portaient le deuil d’un monsieur, frère de l’une et mari de l’autre.
Quelques jours après, j’appris que le décès avait eu lieu la nuit même de mon rêve. La mort était arrivée à Moscou, les dames étaient en Allemagne, et moi j’habitais Mitau (Courlande, Russie).
Sophie Herrenberg,
à Mitau. [Lettre 234.]
XIV. ̶ Il y a trente ans, ma famille habitait Marseille. Un matin, mon père nous dit avoir rêvé la nuit précédente que sa mère, habitant en Alsace et qu’il ne savait pas malade, était morte.
Quelques jours après, il apprenait qu’en effet, sa mère était décédée cette nuit-là.
N. Nische,
à Châlons-sur-Marne. [Lettre 279.]
XV. ̶ A) Etant jeune femme, j’ai assisté en rêve au vol d’un cheval de mon mari par deux individus, et à toutes les précautions prises pour le faire sortir sans bruit de l’écurie. A mon réveil, j’ai raconté mon rêve à mon mari qui est allé à l’écurie qu’il a trouvée vide . Trois ans plus tard, les voleurs ont été pris, et le cheval payé.
B) Une nuit je vois en rêve un ami de mon mari : il était dans un caveau entouré par ma mère et mes sœurs mortes, pour lesquelles ce monsieur avait eu une vive sympathie. Il était enveloppé de longs linges blancs, vint à moi me faire un profond salut, puis disparut ainsi que mes parentes. Quelques jours après mon mari mourait.
Si vous croyez devoir signaler ces deux rêves, ne me nommez pas, je suis veuve et vit modestement dans mon ermitage.
Vve C. F.,
[Lettre 312.]
XVII. ̶ Au mois d’octobre 1898, le 13 ou le 14, je venais de quitter Mme G…, chez laquelle j’avais passé quelques jours, pour rentrer ici. Dans la nuit suivante, elle vit en rêve un naufrage, avec des quantités de noyés… A son réveil, elle voulait (persuadée, par d’autres exemples, qu’elle a une sorte de seconde vue) me télégraphier pour me prier de ne pas partir ; mais elle en fut empêchée par son mari. ̶ Le 15 octobre, les journaux annonçaient une grosse tempête, et la perte d’un navire, ayant occasionné une centaine de morts. Heureusement ̶ pour moi ̶ ce n’était pas le mien.
P. P.,
Docteur en droit, à Philippeville. [Lettre 396.]
XVIII. ̶ Mme B…, habitait, il y a quelques années, dans une villa près de la ville de Yokohama. Elle avait l’habitude de se mettre au lit une heure avant le dîner. Une après-midi (elle ne se rappelle pas bien si elle était tout à fait réveillée ou encore à moitié endormie) elle s’écrie tout à coup : « Ah ! mon Dieu, voilà M. N… qui se noie ! Sauvez-le, sauvez-le !… Ah ! il est mort ! » Elle l’avait vu distinctement. Son mari tâche de la rassurer en riant de son rêve, comme il dit, mais peu de temps après un messager vient lui annoncer que leur ami, M. N…, s’est noyé en prenant son bain habituel dans le fleuve avant de monter à leur villa pour dîner avec eux. L’intention de dîner chez les B… explique facilement qu’il ait pensé à eux au moment d’aller se baigner. L’heure de l’accident et celui du « rêve » de Mme B… coïncidaient exactement.
F. E. Bade,
à Hambourg. [Lettre 447.]
XIX. ̶ En 1884, dans les premiers jours d’avril, à Nice, je rêvai que mon mari, couché et malade, me disait : « Viens m’embrasser. » (Nous vivons séparés depuis longtemps.) Alors avait lieu l’exposition de Nice. Le 11 avril, vendredi saint, une voix me dit : « Va à l’exposition aujourd’hui, ou tu ne le reverras plus. » Dans la nuit du 12 au 13 une dépêche arriva : mon mari était frappé de congestion. Le 13, départ pour Paris. Je vis mon mari au Val de Grâce tel que dans mon rêve : il est mort le 15 sans avoir repris connaissance.
Je désire garder l’anonyme : de simples initiales je vous prie.
Vve A. S.,
à Nice. [Lettre 403.]
XX. ̶ Je tiens à vous signaler un rêve que j’ai fait il y a six ans environ et qui m’a fortement impressionnée, quoique je ne sois pas superstitieuse.
A cette époque, j’étais institutrice dans un pensionnat du département de l’Aisne. Une nuit, je rêve que je marchais dans la rue principale de notre ville, quand, en levant les yeux, j’aperçois dans un ciel très clair, direction nord-est, une grande croix noire au-dessous de laquelle je lus bien distinctement les deux lettres suivantes disposées comme ceci : M†M
Le lendemain, je racontai mon rêve en cherchant vainement si quelqu’un de ma famille portait un nom commençant par cette même initiale ; ne trouvant pas, je pensai à autre chose. Quelques jours après (je ne saurais malheureusement préciser au juste), je reçois une lettre m’annonçant qu’une tante qui demeurait dans un village situé au nord-est de notre ville et s’appelant Marguerite Marconnet, venait de mourir. Cette coïncidence entre mon rêve et cette mort était si saisissante que jamais je ne pus l’oublier, et ce qui m’étonne surtout c’est que, en connaissant fort bien ma tante, je ne la voyais que fort rarement, qu’il y avait fort longtemps que je ne l’avais vue, et que je ne pensais presque jamais à elle.
L. Marconnet,
à Montbéliard. [Lettre 540.]
XXI. ̶ Il y a quelques années, j’ai lu dans un journal mensuel (anglais) qu’un ami de sir John Franklin a vu en rêve que le dit Franklin échouait dans son expédition arctique, et que cet ami nommé, si je m’en souviens au juste, Walter Snoo, a vu toute la contrée où le malheur arriva.
Aussitôt, il se réveille, et étant bon dessinateur, prend un crayon, et dessine les canots, les blocs de glace environnants, bref toute la contrée.
Ce dessin, il l’envoya alors à un de ses amis, propriétaire d’un grand journal américain illustré, dans lequel on inséra le dessin avec une courte mention des impressions de Walter Snoo ; naturellement, on ne pouvait avoir aucun avis sur l’exactitude de l’évènement dessiné.
Lorsqu’on trouva, longtemps après, les dépouilles mortelles de Franklin et de ses compagnons dans les glaciers arctiques, les témoins oculaires ont aussi dessiné le lieu, la position des corps inertes et glacés, des canots, des chiens attelés et crevés : tout concordait avec le dessin.
Je ne sais plus le nom du journal illustré, ni du journal mensuel anglais, mais ce serait sans doute pour vous une chose facile de constater par vos rapports avec le monde entier l’exactitude de cette lettre, que j’ose vous écrire.
Dr Bronislaw Galecki,
Avocat, place Cathédrale, à Farnow, Galicie (Autriche). [Lettre 563.]
XXII. ̶ Je puis vous certifier l’authenticité absolue des faits suivants :
J’avais alors sept ans, ma mère, qui jamais n’avait consenti à m’éloigner d’elle, se rendit cependant un jour au désir d’une de mes tantes et me laissa partir avec elle en province, après mille recommandations.
Un mois s’était écoulé sans incident, ni accident, lorsqu’un matin ma mère accourut à la hâte chez mon oncle et lui dit ceci :
« Je vous en prie, écrivez bien à ma sœur, pour lui demander des nouvelles de ma fille, car je suis dans une inquiétude mortelle ! Je l’ai vue cette nuit en rêve couverte de sang et étendue sans vie sur une route. Un malheur lui est arrivé bien certainement, j’en ai le pressentiment. Or, vous savez qu’en ces sortes de choses je ne me trompe jamais ! »
Mon oncle plaisanta ma mère, et lui dit que sa femme était assez prudente pour ne m’exposer à aucun danger. Le lendemain même, il recevait une lettre écrite de la veille, dans laquelle sa femme lui racontait, avec défense de le dire à ma mère, l’accident qui m’était arrivé.
La nuit même où ma mère m’avait vue couverte de sang, ma tante m’avait emmenée avec trois autres personnes en voiture. Il faisait noir, la lanterne s’était éteinte, et nous nous trouvions en pleine campagne, sans savoir où nous étions, lorsque soudain le cheval qui trottait tranquillement se cabra, se jeta sur une haie qui bordait le chemin, jeta à terre les personnes qui se trouvaient dans la voiture, on ne sait comment, sans la moindre égratignure ; moi seule, qui à ce moment dormait profondément, je fus entraînée par le choc sous le ventre du cheval qui me laboura la figure et la poitrine de ses pieds, et dans les efforts qu’il faisait pour se relever, me déchirait aux cailloux du chemin sur lesquels avait porté plus spécialement le côté droit de ma figure.
Le sang coulait en abondance, j’avais l’oreille déchirée, j’entendais les cris d’appels désespérés et ne pouvait y répondre, car ainsi que je l’ai dit, pas de lumière dans cette nuit noire !… Enfin, des secours arrivèrent d’une maison peu éloignée, et l’on me retrouva évanouie, dans un état déplorable. Un homme en bras de chemise avait passé devant notre cheval et l’avait effrayé.
G. D.,
58, avenue de Saxe, Paris. [Lettre 625.]
XXIII. ̶ Un matin (j’avais alors dix-sept ans), je m’éveille vers sept heures, et je m’endors de nouveau jusqu’à huit heures, et je rêve que je passais devant une maison où habitait une famille que je connaissais, mais ne fréquentais pas. Cette maison avait un magasin, et je rêvais que je voyais ce magasin fermé avec un papier blanc collé à la porte, sur lequel était écrit « Décès ». Je m’éveille et raconte mon rêve à maman qui me montra le journal sur lequel cette mort venait d’être annoncée. Cette coïncidence ne prouverait-elle pas un certain déplacement de l’âme pendant le sommeil, fait sans lequel je n’aurais pas pu avoir ce rêve, attendu que rien ne me faisait penser à un décès dans cette famille ?
Marie-Louise Milice,
33, rue Boudet, Bordeaux. [Lettre 661.]
XXIV. ̶ L’une de mes amies, actuellement receveuse des postes à Louvigné-du-Dezert (Ille-et-Vilaine), Mlle Blanche Suzanne, était, il y a peut-être de cela vingt-cinq ans, fiancée à un jeune homme, fils de cultivateurs, qui était entré dans l’enseignement. Un jour, elle rêva que son fiancé lui avait adressé une longue lettre dans laquelle il avait écrit la phrase suivante, ou à peu près : « J’aurais mieux fait de rester à la charrue que d’entrer dans l’enseignement. » Le matin, la jeune fille raconta son rêve à sa mère, citant la phrase, puis se rendit à son travail. Quelques heures après, le facteur vient, apportant pour cette jeune personne une lettre de son fiancé. La phrase du rêve y était écrite intégralement et identiquement.
Henriette François,
à Bromberg-Posen (Allemagne). [Lettre 662.]
XXV. ̶ Voici ce qui arriva à mon père, conseiller d’état, homme âgé, septuagénaire, lors de son séjour à la campagne, où il était venu prendre un peu de repos. C’était à la Saint-Elie. A la campagne, où il n’y a guère de distractions et de changements, où tous les jours se ressemblent, mon père n’avait plus conscience du temps et avait même oublié que c’était fête. Ce matin-là, en prenant son déjeuner, il nous conta un de ses rêves de la nuit précédente : il avait vu sa belle-sœur, qui était loin de lui, demandant si les obsèques de son mari devaient avoir lieu le jour de la Saint-Elie ou un autre jour. En nous contant ce songe, mon père fut très étonné d’apprendre que justement ce jour-là était la Saint-Elie. Après avoir réfléchi et discuté sur l’étrangeté des songes en général, mon père prit le train pour se rendre à la ville, promettant de revenir le soir même. Quelle ne fut pas notre surprise lorsque, après son arrivée, nous reçûmes de sa belle-sœur une dépêche nous annonçant la mort de son mari, survenue le jour de la Saint-Elie !
Marie De Lesley,
à Riga-Orel, gouv. De Smolensk (Russie). [Lettre 679.]
XXVI. ̶ J’avais une fille âgée de quinze ans, ma joie, mon orgueil ; j’avais laissé cette enfant avec ma mère, m’absentant pour un petit voyage. Je devais rentrer le 17 mai 1894 chez moi. Or, le 16, je rêve que ma fille est au plus mal, qu’elle m’appelle en pleurant de toutes ses forces, je me réveille très agitée, disant tout songe est mensonge. Dans la journée, je reçois une lettre de ma fille, ne se plaignant pas, me racontant ce qui se passe chez nous. Le lendemain, je rentre chez moi, je ne vois pas ma fille accourir au-devant de moi selon son habitude ; une bonne me dit qu’un mal subit l’a prise, je monte vite, une grande douleur de tête la faisait souffrir, je la fis coucher. Hélas, elle ne s’est plus relevée : une angine couenneuse se déclara deux jours après, et, malgré tous nos soins, la pauvre enfant s’éteignit le 29 mai. Or, deux nuits avant ce malheur, je m’étais mise sur mon lit, dans un cabinet séparé par une porte, je fermais les yeux et ne dormais pas ; ma fille, elle, s’était assoupie ; la garde veillait. Tout à coup, une vive clarté pénètre dans l’obscurité de la chambre, avec une rapidité et un éclat rappelant le soleil du mois d’août à midi. J’appelle la garde malade. Elle attendit un instant pour me répondre ; pendant ce temps j’étais déjà aux pieds du lit de ma fille, la lumière s’était éteinte, la lueur avait disparu. La garde paraissait saisie d’effroi, je l’interrogeai en vain, mais le lendemain elle dit aux personnes de la maison, et elle dit encore à présent, qu’elle a aperçu mon mari, mort six mois auparavant, aux pieds du lit de ma fille.
Cette personne vit, elle a quarante six ans, et elle le répète à qui veut l’entendre.
Mme R. De L.,
à Lacapelle. [Lettre 683.]
XXVII. ̶ A. L’un de ces derniers jours, j’étais très nerveuse en songeant à mon défunt mari, mort depuis sept ans, lorsqu’en me mettant au lit, je pris un journal, où je lus une critique sur l’un des livre écrit par M. K…
Après avoir lu cette critique, j’eus un ardent désir de me procurer ce livre, d’autant plus que M. K… était un ancien ami de mon mari.
Le lendemain, en arrivant au collège de jeunes filles où je suis professeur, une de mes élèves de la classe supérieure m’apporte un livre et dit : « Madame, je voudrais bien que vous lisiez ce livre, et que vous m’en donniez votre avis. » J’ouvre le livre et je vois que c’était le livre tant désiré par moi à la veille de ce jour.
B. Si ce fait était unique, je l’aurai peut-être passé sous silence, mais pendant la durée de la même semaine il en arriva un second qui me frappa également. J’ai rêvé d’une des élèves, qui était déjà partie dans une autre ville et que je n'ai pas vue depuis un an.
Je l’ai vue dans un rêve avec les cheveux coupés.
Le lendemain, au gymnase, une des élèves de ma classe s’approche de moi et dit : « Madame, j’ai reçu la lettre de mon amie Z…, elle me prie de vous saluer ; elle est très contrariée en ce moment parce qu’on lui a coupé les cheveux… »
Pourquoi ces deux faits étranges dans la même semaine ?
M. Onanoff,
Fagauray, mer d’Azov. [Lettre 684.]
On voit que les exemples de vue à distance, en rêve, ne manquent pas. En voici quelques autres encore. Il nous semble bien que ces observations multipliées rendent toute négation impossible. Ceux-ci sont extraits des Hallucinations télépathiques. Le premier est du Dr Gaodall Janes, demeurant à Liverpool, 6, prince Edwin street.
XXIX. ̶ Mme Jones, femme de William Jones, pilote à Liverpool, gardait le lit le samedi 27 février 1869. Lorsque j’allai chez elle, le lendemain dimanche, à 3heures de l’après-midi, je rencontrai son mari, qui était en chemin pour venir me chercher, parce que sa femme avait le délire. Il me raconta qu’à peu près une demi-heure auparavant il était à lire dans la chambre de sa femme. Tout à coup, elle se réveilla d’un profond sommeil en déclarant que son frère William Roulands, également pilote à Liverpool, s’était noyé dans le fleuve (Mersey). Son mari essaya de la calmer en lui disant que Roulands était à sa station du dehors et qu’il ne pouvait se trouver sur le fleuve à cette heure-ci. Mais elle persista à soutenir qu’elle avait vu qu’il se noyait.
Des nouvelles arrivèrent dans la soirée, annonçant que, vers l’heure mentionnée, c’est-à-dire vers deux heures et demie, Roulands s’était noyé. Il y avait eu un grand coup de vent en mer, le bateau du pilote n’avait pu mettre un pilote à bord d’un bâtiment qui voulait entrer, il avait donc dû le conduire. Lorsqu’on fut dans le fleuve en face du phare, sur le rocher, le petit bateau se renversa, et Roulands et un autre pilote furent noyés.
C’est également là un exemple frappant de vue à distance, en rêve. L’enquête en a prouvé l’authenticité absolue. Il en est de même du cas suivant signalé par une madame Green, de Newry (Angleterre) :
XXX. ̶ Je voyais deux femmes convenablement habillées, conduisant seules une voiture pareille à une voiture à transporter les eaux minérales. Le cheval trouva de l’eau devant lui, il s’arrêta pour boire, mais ayant manqué de point d’appui, il perdit l’équilibre, et en essayant de le reprendre, il glissa dans l’eau. Au choc, les femmes se levèrent, appelant au secours : leurs chapeaux tombèrent de leurs têtes, et tout fut englouti dans l’eau. Je me retournai en pleurant, demandant s’il n’y avait personne pour les secourir. Sur ce, je me réveillai, fort agitée, et mon mari se réveilla aussi. Je lui racontai le rêve. Il me demanda si je connaissais les femmes et je lui répondis que non, qu’il me semblait que je ne les avais jamais vues. Pendant toute la journée, je ne réussis pas à me soustraire à l’impression du rêve et de l’inquiétude dans laquelle il m’avait plongée.
Je fis remarquer à mon fils que c’était l’anniversaire de sa naissance et de la mienne aussi, le 10 janvier, et c’est la raison qui me fait me souvenir exactement de cette date.
Au mois de mars, je reçus une lettre et un journal de mon frère, qui habitait en Australie et qui me faisait part du chagrin qu’il avait eu de perdre une de ses filles, qui s’était noyée avec une amie, précisément à cette date et à cette heure, en tenant compte de la différence des longitudes.
On parle de l’accident dans deux passages différents du journal Inglewood Advertiser.
Le journal Inglewood Advertiser a publié, le 11 novembre 1878, le récit de l’accident, qui correspond exactement à la vue du rêve.
Voici encore un cas bien remarquable de vue à distance en rêve. Le sujet est le fils de l’ancien évêque protestant de Iowa (Etats-Unis) ; il a vu en rêve à une distance de près de 5 kilomètres, son père tombant dans un escalier. Voici la relation qu’il écrivait à un de ses parents :
XXXI. ̶ Je dois dire d’abord qu’il y avait entre mon père et moi un lien d’affection plus fort que les liens ordinaires entre père et fils, et depuis des années il me semblait connaître et sentir quand il était en danger, fussions nous-mêmes séparés de plusieurs milles.
La nuit où il tomba dans l’escalier, j’étais revenu de mes affaires vers 8 heures, après une journée de travail très fatigante, et je m’étais retiré aussitôt après le souper. J’ai l’habitude de me coucher du côté du mur. Nos têtes sont vers le nord, de sorte que je suis sur le côté ouest du lit. Je tombai endormi aussitôt que ma tête toucha l’oreiller, et je dormis d’un sommeil lourd et profond. Je n’entendis pas ma femme se coucher et je ne vis rien jusqu’au moment où mon père m’apparut en haut de l’escalier entrain de tomber. Je me précipitai pour le saisir et sautai en bas du lit en faisant beaucoup de bruit. Ma femme se réveilla en demandant ce que, diable, je pouvais bien faire. J’avais aussitôt allumé une lampe et vu à ma montre qu’il était 2 heures un quart. Je demandai à ma femme si elle avait entendu le fracas. Elle me répondit négativement. Je lui dis alors ce que j’avais vu, mais elle essaya de m’en faire rire, sans y réussir.
Je ne dormis plus de la nuit, je ne m’étais même pas recouché ; l’impression avait été trop vive pour que je pusse mettre en doute que mon père s’était gravement blessé. J’allai à la ville de bonne heure le matin et télégraphiai à la maison, demandant si tout allait bien : je reçus une lettre de mon père, qui confirmait l’exactitude de ma vision correspondante avec l’événement à la même minute. Le triste résulta de la chute, nous ne le connaissons tous que trop, mais comment à une distance de plus de 3 milles je vis mon père tomber, c’est ce que je ne prétends pas expliquer.
H. M. Lee.
M. Sullivan, évêque d'Algowa, confirme le fait pour l’avoir entendu rapporter immédiatement .
L’exemple qui précède a été publié par M. Sidgwick dans les Proceedings de la Société psychique de Londres. Il y a le cas suivant envoyé en août 1890 par Mme A. de Holstein (29, avenue de Wagram, Paris). Ce cas est un peu moins satisfaisant comme preuves que le dernier, parce que le rêve ne fut raconté à personne avant que son caractère véridique eût été reconnu ; il semble cependant avoir fait tant d’impression sur le Dr Golinski, qu’il devient improbable que les détails en aient été beaucoup changés plus tard. Il diffère des précédents en ce que l’impression clairvoyante semble avoir été due non à quelque rapport entre l’agent et le sujet ou à quelque crise spéciale subie par l’agent, mais à son anxiété et son désir intense d’avoir du secours. (Ondes psychiques ?)
Voici ce que décrit le Dr Golinski, médecin à Krementchug, en Russie :
XXXII. ̶ J’ai l’habitude de dîner vers 3 heures et de faire après ce repas un petit somme d’une heure ou une heure et demie. Au mois de juillet 1888, je me suis étendu comme d’habitude sur un canapé et je me suis endormi à peu près vers 3 Heures 30. J’ai rêvé qu’on sonnait et que j’avais la sensation ordinaire un peu désagréable qu’il fallait me lever et aller chez un malade. Puis je me suis vu directement transporté dans une petite chambre aux tentures sombres. A droite de la porte d’entrée se trouvait une commode, et sur cette commode je remarquai une bougie ou une petite lampe à pétrole d’une forme particulière. Je suis vivement intéressé de la forme de cette bougie différente de toutes celles qu’il m’était arrivé de voir. A gauche de la porte d’entrée, je vois un lit dans lequel est couchée une femme qui a une forte hémorragie. Je ne sais pas comment je suis parvenu à savoir qu’elle a une hémorragie, mais je le sais. Je fais un examen de la femme, mais en quelque sorte par acquit de conscience, car je sais d’avance à quoi m’en tenir, quoique personne ne me parle. Ensuite je rêve d’une façon vague de quelques secours médicaux que je donne, puis je m’éveille d’une manière inhabituelle. Ordinairement je me réveille lentement, je reste quelques minutes dans un état d’assoupissement, mais cette fois je me suis réveillé presque en sursaut, comme si quelqu’un m’avait éveillé. Il était 4 heures et demie.
Je me suis levé, j’ai allumé une cigarette, et je me promenai par la chambre dans un état d’excitation toute particulière, réfléchissant au rêve que je venais de faire. Depuis assez longtemps, je n’avais pas eu de cas d’hémorragie d’aucun genre dans ma clientèle et je me demandais quelle pouvait être la cause de ce rêve.
Environ 10 minutes après mon réveil, on sonna et je fus appelé chez une malade. En entrant dans la chambre à coucher, je fus saisi car je reconnus la chambre dont je venais de rêver. C’était une femme malade, et ce qui me frappa surtout, ce fut une bougie à pétrole placée sur la commode, absolument à la même place, et de la même forme que dans mon rêve, et que je voyais pour la première fois. Mon étonnement fut si grand que j’ai, pour ainsi dire, perdu la distinction nette entre le rêve passé et la réalité présente, et, m’approchant du lit de la malade, je lui dis tranquillement : « Vous avez une hémorragie », et je ne revins à moi que lorsque la malade me répondit : « Oui, mais comment le savez-vous ? »
Frappé de la coïncidence étrange de mon rêve avec ce que j’ai vu, j’ai demandé à la malade à quelle heure elle avait décidé de m’envoyer chercher. Elle me répondit qu’elle était indisposée depuis le matin. A peu près à 1 heure de l’après-midi apparut une légère hémorragie suivie de malaise, mais elle n’y fit pas attention. L’hémorragie devint très forte vers 2 heures, et la malade s’inquiéta davantage. Son mari n’étant pas à la maison, elle ne savait que faire, et elle se coucha, espérant que cela s’arrêterait. Entre 3 et 4 heures, elle était toujours indécise et dans une grande anxiété. A peu près à 4 heures et demie, elle se décida à m’envoyer chercher. La distance entre ma maison et la sienne est de vingt minutes de marche.
Je ne connaissais la malade que pour l’avoir soignée dans le temps, mais je ne savais rien de l’état actuel de sa santé. ̶ En général, je ne rêve pas souvent et c’est le seul rêve de ma vie dont je me souvienne, grâce à son caractère véridique.
Mme Henri Sidgwick a décrit plusieurs expériences de vue à distance par une jeune fille de quinze ans magnétisée, que l’on peut certainement adjoindre aux observations faites dans les rêves. Nous citons ici deux de ces expériences.
XXXIII. ̶ Miss Florence F…, maintenant Mme R.., une voisine, fut invitée à venir un soir, après avoir préparé une expérience comme épreuve pendant la journée. Elle arriva et ordonna au sujet d’aller dans la cuisine et de lui dire ce qu’elle voyait. Le sujet répondit : « La table est au milieu de la pièce, et dessus il y a une boîte couverte d’une nappe. ̶ Qu’y a-t-il dans la boîte, Fannie ? demandai-je. ̶ Oh ! je n’ose pas regarder dans la boîte ! Miss Florence serait peut-être furieuse. ̶ Miss Florence veut bien que vous regardiez. Enlevez la nappe, Fannie, et dites-moi ce qu’il y a. » Tout de suite elle répondit : « Il y a sept pains et seize biscuits. » (C’était exact.)
Je veux bien que ce soit de la communication de pensée, parce que miss Florence était dans la chambre, et sans nul doute les faits étaient tout à fait présents à son esprit, les choses ayant été arrangées par elle comme épreuve ; mais ce qui suit n’en est certainement pas.
Miss Florence demanda à Fannie ce qu’il y avait dans l’écurie. Elle répondit : « Deux chevaux noirs, un gris et un rouge. » (Elle voulait dire un bai.) Miss Florence : « Ce n’est pas ça Fannie : il n’y a que mes chevaux noirs à l’écurie. » Dix ou quinze minutes après, un frère de Miss Florence vint à la maison et dit à sa sœur qu’il y avait des voyageurs à la maison, et en le questionnant nous apprîmes que le cheval gris et le « rouge » leur appartenaient, et qu’ils avaient été à l’écurie il y avait une demi-heure, quand Fannie les signala.
Sans doute, on peut avancer la théorie que Fannie arriva à cette connaissance par l’intermédiaire de l’esprit de quelqu’une des personnes se trouvant alors chez miss Florence, ou que, par sympathie télépathique avec son frère ou son père, miss Florence était inconsciemment prévenue des faits et que Fannie prit son renseignement à cette source inconsciente ; mais cette hypothèse n’est-elle pas un peu alambiquée ?
XXXIV. ̶ A. M. Howard demeurait à six milles de chez moi. Il venait de faire construire une grande maison en bois. Notre sujet n’avait jamais vu cette maison, bien que, je pense, il ait pu en avoir entendu parler. M. Howard venait de passer quelques jours hors de chez lui et demanda que Fannie y allât et vit si tout était bien. Elle s’exclama à la grandeur de la maison, mais elle se moqua de la laideur de la clôture de la façade, disant qu’elle ne voudrait pas avoir une aussi vieille et horrible clôture devant une si belle maison. ̶ « Oui, dit Howard en riant, ma femme m’en veut à mort pour la clôture et les marches de la façade. ̶ Oh ! interrompit Fannie, les marches sont belles et neuves. ̶ Elle n’y est plus, dit Howard, les marches sont encore plus laides que la clôture. ̶ Ne voyez-vous pas, s’écria Fannie avec impatience, comme elles sont neuves et propres ? Hein ! (et elle semblait absolument révoltée, à en juger par son ton). Je les trouve vraiment belles. »
Changeant de sujet, Howard lui demanda combien de fenêtres il y avait à la maison. Presque immédiatement elle en donna le nombre (je crois que c’était vingt-six). Howard pensait que c’était trop, mais en comptant avec soin, il trouva que c’était exact.
De chez moi, il alla directement chez lui, et, à sa grande surprise, trouva que, pendant son absence, sa femme s’était servie d’un charpentier qui avait construit de nouvelles marches pour le perron, et le travail avait été terminé un jour ou deux avant que Fannie examinât les lieux avec son invisible télescope.
B. Le fils de M. Howard était allé dans un comté voisin et l’on n’attendait pas son retour avant quelques jours. Fannie connaissait ce jeune voisin (André). M. Howard étant obligé de retourner à la station, était encore avec nous le soir suivant. Sa foi dans notre « oracle » avait pris de plus grandes proportions, et il nous suggéra de faire une visite chez lui par le moyen des merveilleuses facultés de Fannie. Elle décrivit les chambres parfaitement, jusqu’à un bouquet sur une des tables, et dit que plusieurs personnes jeunes étaient là. Interrogée sur leurs noms, elle répondit qu’elle n’en connaissait aucune, sauf André. « Mais, dis-je, André n’est pas à la maison. ̶ Comment ! Ne le voyez-vous pas ? ̶ Vous êtes sûre ? ̶ Oh ! Est-ce que je connais pas André ? Là, vous dis-je, il est là. »
M. Howard rentra le matin suivant et constata qu’André était rentré tard la veille et que plusieurs jeunes gens du voisinage avaient passé la soirée avec lui.
Voici un autre cas, très remarquable, de vue à distance par un sujet magnétisé. Le récit en a été fait d’abord par le Docteur Alfred Backman, de Kalmar.
En réponse à une lettre demandant à M. A Suhr photographe à Ystad, en Suède, s’il pouvait se rappeler quelque chose d’une expérience hypnotique faite par M. Hansen, il y a plusieurs années, en présence des frères Suhr, le Dr Backman reçut le récit suivant.
XXXVI. ̶ C’est en 1867 que nous, les frères soussignés, nous sommes établis à Odensa (en Danemark), où nous voyions très souvent notre ami commun, M. Carl Hansen, l’hypnotiseur, qui habitait près de nous. Nous rencontrions journellement un homme de loi, M. Balle, maintenant avocat à Copenhague, sur lequel Hansen avait une grande influence hypnotique, et qui désira, un soir, être endormi d’un sommeil assez profond pour devenir clairvoyant.
Notre mère habitait à cette époque Roeskilde, en Seeland. Nous demandâmes à Hansen d’envoyer Balle la visiter. Il était tard dans la soirée, et, après avoir un peu hésité, M. Balle fit le voyage en quelques minutes. Il trouva notre mère souffrante et au lit ; mais elle n’avait qu’un léger rhume qui devait passer au bout de peu de temps. Nous ne croyions pas que ceci fût vrai, et, comme contrôle Hansen demanda à Balle de lire au coin de la maison le nom de la rue. Balle disait qu’il faisait trop sombre pour pouvoir lire ; mais Hansen insista, et il lut « Skomagerstraede ». Nous pensions qu’il se trompait complètement, car nous savions que notre mère habitait dans une autre rue. Au bout de quelques jours, elle nous écrivit une lettre dans laquelle elle nous disait qu’elle avait été souffrante et s’était transportée dans Skomagerstraede.
Autre cas de vue à distance, d’un fait actuel, en rêve.
XXXVII. ̶ J’habitais Wallingford. Mon meilleur ami était un jeune homme nommé Frédéric Marks, gradué de l’école scientifique de Yale. Frédéric avait un frère nommé Charles, qui habitait alors l’état central de New-York, près du lac Oneida. Un jour qu’il pleuvait, l’après-midi, Frédéric monta dans sa chambre pour s’étendre et paresser. Une heure après environ, il descendit disant qu’il venait de voir son frère Charles, dans une vision, croyait-il. Celui-ci était dans un petit bateau à voile, et avait avec lui un compagnon assis à l’arrière. Il faisait une forte tempête, car les vagues étaient énormes. Charles se tenait à l’avant, étreignant le mat avec un de ses bras, tandis que de l’autre il saisissait le beaupré qui s’était brisé. Sa position dangereuse effraya tellement Frédéric qu’il s’éveilla ou que la vision disparut. Dans la famille on pensa qu’il s’était endormi inconsciemment et qu’il n’avait fait que rêver.
Cependant, trois ou quatre jours après, Frédéric reçut une lettre de Charles racontant une aventure qu’il venait d’avoir sur le lac Oneida. Le matin du jour en question, lui et un camarade allèrent au lac, louèrent un bateau, ils descendirent le lac jusqu’à l’île Frenchman, à une distance d’environ vingt milles.
L’après-midi, comme ils retournèrent, une tempête furieuse s’éleva. Charles s’occupa de vider l’eau, pendant que son compagnon tenait le gouvernail. Au plus fort de la tempête le beaupré se cassa. Charles voyant le danger, sauta à l’avant du bateau, et, saisissant le mat d’une main et le beaupré de l’autre, essaya d’amarrer celui-ci. Ils réussirent à empêcher le bateau de couler, mais il finit par échouer. Ils sautèrent dans l’eau et atteignirent le bord, sains et saufs.
Le lac Oneida est à trois cents milles environ de Wallingford, et, en tenant compte de la différence de l’heure, on trouva que l’accident et la vision ou le rêve de Frédéric devaient avoir eu lieu à la même heure, peut-être à la même minute. Les tempéraments et les caractères de ces deux frères sont dissemblables, et aucune affinité particulière ne paraît exister entre eux. Frédéric habite maintenant Santa-Anna (Californie) et Charles la ville de New-York.
B. Bristol,
Short Beach (Etats-Unis).
Des lettres de MM. Charles et Frédéric Marks expliquent en détail le péril et la vision. On les trouvera dans les Annales des sciences psychiques (1892, p. 230-235). Il y a là, à n’en vouloir douter, un cas de vue à distance bien certain. Remarquons dans la lettre de M. Charles Marks le passage suivant :
En réponse à cette question : « Avez-vous su que votre frère croyait vous voir en ce moment ? » je répondrai qu’autant que je me le rappelle, je n’ai pas eu conscience que mon frère me voyait. Je crois que toute ma pensée, toute mon attention était occupée par ce que je faisais, lorsque, me levant sur le banc, j’essayais de baisser la voile, à cet instant où mon frère me vit lui apparaître. Connaissant les habitudes de mon frère (c’est un homme exceptionnellement fort et bien portant), je pense qu’à ce moment il devait dormir, car avec sa robuste constitution, quand il en a envie, il peut s’endormir presque instantanément pendant le jour, et assez souvent il se livre à la sieste l’après-midi. Pendant son séjour à Wallingford, il était étudiant à l’Ecole scientifique de Yale (Sheffield).
C. R. Marks.
Toutes ces relations prouvent avec certitude que l’être humain est doué de facultés encore inconnues lui permettant de voir ce qui se passe au loin. Voici un exemple beaucoup plus remarquable encore, dans lequel la personne qui a joué le principal rôle a non seulement vu, mais paraît s’être transportée elle-même en une sorte de double et à été vue non seulement par son mari, mais encore par un autre témoin.
XXXVIII. ̶ Le 3 octobre 1863, je quittai Liverpool pour me rendre à New-York par le steamer City-of-Limerick de la ligne Inman, capitaine Jones. Le soir du second jour, peu après avoir quitté Kinsale Head, une grande tempête commença, qui dura neuf jours. Pendant tout ce temps, nous ne vîmes ni le soleil ni les étoiles, ni aucun vaisseau ; les garde-corps furent emportés par la violence de la tempête, une des ancres fut arrachée de ses amarres et fit beaucoup de dégâts avant qu’on pût la rattacher. Plusieurs voiles fortes, bien qu’étroitement carguées, furent emportées et des boute-hors brisés.
Pendant la nuit qui suivit le huitième jour de la tempête, il y eut un peu d’apaisement, et pour la première fois depuis que j’avais quitté le port, je pus jouir d’un sommeil bienfaisant. Vers le matin, je rêvai que je voyais ma femme que j’avais laissée aux Etats-Unis. Elle venait à la porte de ma chambre, dans son costume de nuit. Sur le seuil, elle sembla découvrir que je n’étais pas seul dans la chambre, hésita un peu, puis s’avança à côté de moi, s’arrêta et m’embrassa, et, après m’avoir caressé pendant quelques instants, elle se retira tranquillement
Me réveillant, je fus surpris de voir mon compagnon dont la couchette était au dessus de moi, mais pas directement, − parce que notre chambre était à l’arrière du bâtiment – s’appuyant sur son coude et me regardant fixement. « Vous êtes un heureux gaillard me, dit-il enfin, d’avoir une dame qui vient vous voir comme ça. » Je le pressai de m’expliquer ce qu’il voulait dire ; il refusa d’abord, et me raconta enfin ce qu’il avait vu, étant tout à fait éveillé et accoudé sur sa couchette. Cela correspondait exactement avec mon rêve.
Le nom de ce compagnon était William J. Tait, il n’avait pas un caractère à plaisanter habituellement, mais s’était au contraire un homme posé et très religieux et dont le témoignage peut être cru sans hésiter.
Le lendemain du débarquement, je pris le train pour Watertown, où se trouvait ma femme et mes enfants. Lorsque nous fûmes seuls, sa première question fut : « Avez-vous reçu ma visite, il y a une semaine, mardi ? – Une visite de vous, dis-je, nous étions à plus de mille milles sur la mer ! – Je le sais, répliqua-t-elle, mais il m’a semblé vous avoir rendu visite. – C’est impossible, dites-moi ce qui vous fait croire cela. »
Ma femme me raconta alors qu’en voyant la tempête et apprenant la perte de l’Africa, parti pour Boston le jour où nous avions quitté Liverpool pour New-York, et qui avait échoué au cap Race, elle avait été extrêmement inquiète sur mon sort. La nuit précédente, la même nuit où, comme je l’ai dit, la tempête avait commencé à diminuer, elle était restée éveillée longtemps en pensant à moi, et environ vers 4 heures du matin, il lui sembla qu’elle venait me trouver. Traversant la vaste mer en fureur, elle rencontra enfin un navire bas et noir, monta à bord et descendant sur le pont, traversant les cabines jusqu’à l’arrière, arriva à ma chambre : « Dites-moi, ajouta-t-elle, a-t-on toujours des chambres comme celle que j’ai vue, où la couchette supérieure est plus en arrière que celle du dessous. Il y avait un homme dans celle de dessus qui me regardait fixement, et pendant un instant j’eus peur d’entrer, mais enfin je m’avançai à côté de vous, me penchai, vous embrassai et vous serrai dans mes bras, puis je m’en allai. »
La description donnée par ma femme était correcte dans tous ses détails, bien qu’elle n’eût jamais vu le bateau. Je trouve dans le journal de ma sœur que nous partîmes le 4 octobre, arrivâmes à New-York le 22 et à la maison le 23.
S. R. Wilmot,
manufacturier à Bridgeport.
Le New-York Herald indique que la City-of-Limerick quitta Liverpool le 3 octobre1863, Queenstown le 5, arriva de bonne heure le matin du 22 octobre 1863, et signale la tempête ainsi que la situation critique du navire et le naufrage de l’Africa. L’enquête a confirmé de diverses façons cet étrange récit. La sœur de M. Wilmot, qui voyageait sur le même bateau, écrit notamment :
Au sujet du si curieux phénomène éprouvé par mon frère lors de notre voyage sur le Limerick, je me rappelle que M. Tait, qui ce matin là me conduisait déjeuner à cause du terrible cyclone qui faisait rage, me demanda si la nuit dernière j’étais venue voir mon frère, dont il partageait la même chambre. « Non, répondis-je, pourquoi ? – Parce que j’ai vu une femme en blanc qui est venue voir votre frère. »
Mme Wilmot écrit de son côté :
Bridgeport, le 27 février 1890.
En réponse à la question : « Avez-vous remarqué quelques détails sur l’homme que vous avez vu dans la couchette supérieure ? » Je ne puis pas, si longtemps après, dire avec certitude que j’aie remarqué des détails, mais je me rappelle distinctement que je me sentis très troublée par sa présence en le voyant ainsi nous regarder d’en haut.
Je crois que je racontai mon rêve à ma mère le lendemain matin ; et je sais que toute la journée j’eus le sentiment très net d’avoir été voir mon mari. L’impression était si forte que je me sentais heureuse et réconfortée d’une manière inusité – et à ma grande surprise.
Mme S. R. Wilmot .
Ce cas très remarquable mérite une attention particulière. Il est un peu ancien : le récit à été écrit probablement plus de vingt ans après l’évènement, un des témoins est mort et ne peut donner un rapport de première main de ce qu’il observa. On ne peut affirmer qu’après si longtemps la mémoire des témoins, toute bonne qu’elle reste, soit exacte, ni qu’on puisse se fier à tous les détails. Cependant, après avoir fait toutes les réserves, il est incontestable qu’il y eu une remarquable correspondance entre les impressions des trois personnes. Mme Wilmot a – rêvant ou éveillée – une vision de son mari dans laquelle elle perçoit exactement une partie de ce qui l’entoure ; M. Wilmot rêve ce que sa femme pense et, de plus, la voit et la sent ; et M. Tait éveillé voit de ses yeux le rêve de M. Wilmot. Voila trois faits inexplicables qu’il faut admettre. Quant aux doubles, aux manifestations du corps fluidique ou astral, c’est là un sujet sur lequel nous aurons à revenir plus tard.
M. Marcel Séméziès Sérizolles rapporte les curieuses observations suivantes faites sur lui-même .
XXXIX. – En novembre 1881, j’eus un rêve très lucide pendant lequel je lisais un volume de vers. J’éprouvais les sensations exactes de la lecture réelle, non seulement je comprenais ce que je lisais, j’en jouissais, mais encore mes yeux remarquaient le gros grain du papier, un peu jaune, l’impression très noire et assez grasse, mes doigts tournaient les feuilles épaisses et ma main gauche soutenait le volume assez lourd.
Tout d’un coup, au tournant d’une page, je m’éveillai, et machinalement, à moitié dormant encore, j’allumai ma bougie, je pris sur ma table le crayon et les papiers qui y étaient toujours à côté du livre à lire le soir (c’était ce jour-là un ouvrage d’histoire militaire), et j’écrivis les deux dernières strophes que je venais de lire dans ce volume de rêve.
Il me fut impossible, malgré de très violents et douloureux efforts de mémoire, de me rappeler un seul vers en dehors de ces douze qui paraissaient traiter une question de métaphysique et dont le sens reste incomplet, la période étant inachevée. Les voici, tels que je les crayonnai alors :
Du temps où je vivais une vie antérieure,
Du temps où je menais l’existence meilleure,
Dont je ne puis me souvenir,
Alors que je savais les effets et les causes,
Avant ma chute lente et mes métamorphoses
Vers un plus triste devenir ;
Du temps où je vivais les hautes existences,
Dont hommes nous n’avons que des réminiscences
Rapides comme des éclairs ;
Où peut-être j’allais libre à travers l’espace,
Comme un astre laissant voir un instant sa trace
Dans le bleu sombre des éthers…
Ces vers ne sauraient être une réminiscence de lecture, je les ai cherchés sans les rencontrer dans tous les recueils parus : c’était bien un volume inédit et resté inconnu que je lisais dans ce songe.
Voici maintenant un ou deux cas de pressentiments ou de divination par le rêve.
Vers 1880, mon père était magistrat à Montauban, il y avait au tribunal, un avoué nommé Laporte. Je le vois encore, mince, blond, des yeux froids, quelque chose d’énigmatique. Il est à noter que j’étais alors très jeune homme, que les gens de robe m’intéressaient peu et que je n’avais avec eux que les relations de courtoisie stricte que doit entretenir un fils de magistrat avec tous les membres du tribunal. En 1883, mon père mourut, et peu après l’avoué Laporte fut nommé juge à Nontron (Dordogne). J’y fis à peine attention et j’avais perdu complètement le souvenir de ce magistrat, lorsque deux ou trois années plus tard, une nuit, en rêve, je vis mon père se promener dans un endroit vague, une sorte de sol tremblant qui semblait flotter sur les nuages. Mon père, attitude, vêtements, démarche, sourire, était tel qu’avant sa mort. Tout d’un coup, je vis une forme sortir des nuages du fond et s’avancer vers lui. Cette forme prit peu à peu l’apparence réelle de M. Laporte, et lorsque les deux ombres se trouvèrent l’une près de l’autre, j’entendis très distinctement ces mots prononcés par mon père « Tiens, vous voilà, Laporte, c’est donc votre tour ? » A quoi M. Laporte répondit simplement : « Mais oui, c’est bien moi. » et ils se serrèrent les mains.
Or, quelques jours plus tard, je trouvai dans mon courrier un billet de faire part : M. Laporte, juge à Nontron (Dordogne) était mort, très jeune, le jour même où j’avais eu ce rêve.
Un autre cas, presque semblable, mais moins funèbre. De celui-là, j’ai conservé la date, 18 septembre 1894. Dormant et rêvant, j’aperçus dans son étude, compulsant des dossiers, un notaire habitant une petite ville distante d’environ 20 kilomètres du chef-lieu où je vivais alors. Ce notaire avait entre les mains des capitaux à moi, et d’habitude il se présentait chez moi une ou deux fois l’an, à des époques irrégulières, m’apportant les intérêts échus. Je le répète, ses visites n’avaient aucune date fixe, et je ne voyais jamais ce notaire, homme très honorable, conseiller général, maire et décoré, que très correct de tenue et presque élégant. Cette nuit là, je le vis vêtu d’une longue redingote bleue et coiffé d’une calotte de soie noire. Or, le surlendemain, 20 décembre, dans la matinée, M. X… se présentait dans mon cabinet de travail et me remettait une somme arriérée et inattendue.
« Eh bien, lui dis-je, qu’avez-vous fait de votre redingote bleue et de votre calotte de soie noire ? »
Il me regarda avec la plus vive surprise et me répondit : « Mais comment connaissez-vous si bien mon costume d’intérieur ? »
Je lui contai mon rêve et il m’avoua alors, non sans étonnement, que le 18 décembre, il avait en effet veillé fort tard dans son étude et qu’il portait les vêtements par moi décrits.
De ces trois rêves, le dernier indique une vue à distance d’un fait actuel, le second est une sorte de manifestation télépathique de mourant, mais qui ne doit pas venir de lui, assez étranger au percipient : c’est peut-être encore de la vue à distance, mais d’un ordre bien transcendant. Le premier paraît indiquer une composition, une invention réelle, de l’esprit de l’auteur, analogue aux produits de cérébration inconsciente signalés plus haut (Maury, Condillac, Voltaire, Tartini, Abercrombie, p. 3976403).
A propos des songes, le fait historique suivant est connu depuis longtemps :
XLII. – Une nuit, la princesse de Conti vit en songe un appartement de son palais prêt à s’écrouler, et ses enfants, qui y couchaient, sur le point d’être ensevelis sous les ruines. L’image présentée à son imagination remua son cœur et tout son sang. Dans sa frayeur elle s’éveilla en sursaut et appela les femmes qui dormaient dans sa garde-robe. Elles vinrent au bruit recevoir les ordres de leur maîtresse. Elle leur raconte sa vision, et déclare qu’elle veut absolument qu’on lui apporte ses enfants. Ses femmes lui résistent en citant l’ancien proverbe : que tous songes sont mensonges. La princesse renouvelle son ordre avec instance. La gouvernante et les nourrices firent semblant d’obéir ; puis revinrent sur leurs pas dire que les jeunes princes dormaient tranquillement, et que ce serait un meurtre que de troubler leur repos. La princesse voyant leur obstination et peut-être leur tromperie, demanda fièrement sa robe de chambre. Il n’y eut plus moyen de reculer ; on fut chercher les jeunes princes, qui furent à peine dans la chambre de leur mère que la chambre où ils dormaient s’écroula .
La vue à distance, sans les yeux, en rêve, ressemble par une analogie très étroite, à ce qui a maintes fois été constaté par les magnétiseurs sur leurs sujets « lucides ». Voici un exemple incontestablement authentique observé par plusieurs médecins à propos de l’ablation du sein opérée sans douleur pendant le sommeil magnétique, rapportée par Brierre de Boismont.
XLIII. – Mme Plantin, âgée d’environ 64 ans, écrit-il, avait consulté au mois de juin 1828, une somnambule que le Dr Chapelain lui avait procurée ; celle-ci l’avait prévenue qu’une glande se formait sous son sein droit et menaçait de devenir cancéreuse.
La malade passa l’été à la campagne, et suivit avec peu d’exactitude le régime qu’on lui avait prescrit. Elle revint à la fin de septembre voir le Dr Chapelain, et lui avoua que la glande avait considérablement augmenté. Il commença à la magnétiser le 23 octobre suivant et le sommeil se manifesta peu de jours après ; mais le somnambulisme lucide chez elle ne fut jamais que très imparfait. Les soins donnés ralentirent les progrès du mal sans le guérir. Enfin, le sein s’ulcéra, et le docteur jugea qu’il n’y avait d’espoir de salut que dans l’amputation. M. Jules Cloquet, chirurgien d’un rare mérite, fut du même avis ; il restait encore à décider la malade ; le Dr Chapelain y parvint, grâce à l’influence magnétique qu’il exerçait sur elle. Il travailla de toute la puissance de sa volonté à produire l’insensibilité de l’organe, et quand il crut y avoir réussi, il pinça fortement avec ses ongles, sans causer de douleur, le bout du sein dont on devait faire l’ablation. La malade ignorait le jour précis de l’opération, qui fut le 12 avril 1829. Le Dr Chapelain la fit entrer dans l’état magnétique ; il magnétisa fortement la partie sur laquelle on allait agir.
Voici le rapport qui fut fait à ce sujet à l’académie de médecine .
« Le jour fixé pour l’opération, M. Cloquet, en arrivant à dix heures et demie, trouva la malade habillée et assise dans son fauteuil, dans l’attitude d’une personne paisiblement livrée au sommeil naturel. Il y avait à peu près une heure qu’elle était revenue de la messe qu’elle entendait habituellement à la même heure, et M. Chapelain l’avait mise dans le sommeil magnétique depuis son retour. La malade parla avec beaucoup de calme de l’opération qu’elle allait subir. Tout était disposé pour l’opération, elle se déshabilla elle-même et s’assit sur une chaise.
« M. Pailloux, élève interne de l’hôpital Saint-Louis, fut chargé de présenter les instruments et de faire les ligatures.
« Une première incision, partant du creux de l’aisselle, fut dirigée au-dessus de la tumeur jusqu’à la face interne de la mamelle. La seconde, commencée au même point, cerna la tumeur par en bas et fut conduite à la rencontre de la première ; les ganglions engorgés furent disséqués avec précaution, à raison de leur voisinage de l’artère axillaire, et la tumeur fut extirpée. La durée de l’opération a été de dix à douze minutes.
Pendant ce temps, la malade a continué à s’entretenir tranquillement avec l’opérateur, et n’a pas donné le plus léger signe de sensibilité ; aucun mouvement dans les membres ou dans les traits, aucun changement dans la respiration, ni dans la voix ; aucune émotion, même dans le pouls, ne se sont manifestés. La malade n’a pas cessé de présenter cet état d’abandon et d’impassibilité automatique qu’elle offrait à l’arrivée de M. Cloquet. Lorsque le chirurgien a lavé la peau aux environs de la plaie, avec une éponge imbibée d’eau, la malade manifesta des sensations semblables à celles produites par le chatouillement et dit plusieurs fois avec hilarité : « Ah ! Finissez, ne me chatouillez pas. »
Cette dame avait une fille mariée à M. Lagandée, malheureusement elle habitait la province, et ne put se rendre à Paris que quelques jours après l’opération. Mme Lagandée entrait en somnambulisme et était douée d’une lucidité très remarquable.
XLIV. – M. Cloquet pria le Dr Chapelain de mettre Mme Lagandée en état magnétique et lui fit plusieurs questions sur sa mère. Elle lui répondit comme il suit : « Ma mère est très affaiblie depuis quelques jours ; elle ne vit plus que par le magnétisme, qui la soutient artificiellement : il lui manque de la vie. – Croyez-vous qu’on puisse soutenir la vie de votre mère ? – Non, elle s’éteindra demain matin de bonne heure, sans agonie, sans souffrance. – Quelles sont donc les parties malades ? – Le poumon droit est rétréci, retiré sur lui-même ; il est entouré d’une membrane comme de la colle ; il nage au milieu de beaucoup d’eau. Mais c’est surtout là, dit la somnambule en montrant l’angle inférieur de l’omoplate, que ma mère souffre. Le poumon droit ne respire plus, il est mort. Le poumon gauche est sain : c’est par lui que ma mère vit. Il y a un peu d’eau dans l’enveloppe du cœur (le péricarde). – Comment sont les organes du bas-ventre ? – L’estomac et les intestins sont sains, le foie est blanc et décoloré à la surface. »
M. Chapelain magnétisa plusieurs fois la malade dans la journée du lundi, et parvint à peine à la faire sommeiller. Quand il revint le mardi, vers sept heures du matin, elle venait d’expirer. Les deux docteurs désiraient vérifier les déclarations de la somnambule sur l’état intérieur du corps ; ils obtinrent le consentement de la famille pour en faire l’autopsie. M. Moreau, secrétaire de la section chirurgie de l’Académie, et M. le Dr Dronsart furent priés d’être les témoins, et il fut arrêté qu’elle se ferait le lendemain en leur présence. Il y fut procédé par M. Cloquet et par M. Pailloux, son aide, assistés du Dr Chapelain. Celui-ci endormit Mme Lagandée un peu avant l’heure fixée pour l’autopsie. Je ne rapporterai pas une scène de tendresse et de pitié filiale, pendant laquelle cette somnambule baigna de ses larmes le visage inanimé de sa mère.
Le Dr Chapelain se hâta de la calmer. Les médecins désirèrent entendre de sa bouche même ce qu’elle avait déclaré voir à l’intérieur du corps de Mme Plantin, et la somnambule répéta, d’une vois ferme et sans hésiter, ce qu’elle avait déjà annoncé à MM. Cloquet et Chapelain. Ce dernier la conduisit dans le salon qui touche la chambre où on allait faire l’ouverture, et dont la porte fut exactement fermée. Mme Lagandée était toujours en somnambulisme, et malgré les barrières qui la séparaient de ces messieurs, elle suivait le bistouri dans la main de l’opérateur, elle disait aux personnes restées près d’elle : « Pourquoi fait-on l’incision au milieu de la poitrine, puisque l’épanchement est à droite ? »
Les indications données par la somnambule furent trouvées exactes, et le procès-verbal d’autopsie fut écrit par le Dr Dronsart.
Les témoins de ce fait, ajoutait B. de Boismont, sont tous vivants ; ils occupent dans le monde médical un rang honorable. On a interprété de différentes manières leur communication, mais on n’a jamais élevé de doute sur leur véracité.
Ainsi, voilà une observation incontestable de vue magnétique sans l’intermédiaire des yeux. Elle est encore plus remarquable que cette ablation du sein sans douleur, que nous avons rapportée, parce que c’est la première opération magnétique médicale qui ait été faite. B. de Boismont ajoute le cas suivant à propos de cette vue à distance.
XLV. – Un magistrat, conseiller à la Cour, m’a rapporté le fait suivant. Son épouse avait une femme de chambre d’une santé languissante. Le traitement magnétique se faisait secrètement, car ses intentions charitables ne l’eussent pas mise à l’abri des plaisanteries. Cette dame se faisait aider par son mari. Un jour que la séance magnétique avait été accompagnée de fortes douleurs, la somnambule demanda du vin vieux : le mari prit un flambeau et sortit pour en aller chercher. Il descendit le premier étage sans accident ; mais la cave était située assez profondément au-dessous du sol, les marches étaient humides, il glissa à moitié de l’escalier, et tomba en arrière sans se blesser et même sans éteindre la lumière qu’il tenait à la main. Cela ne l’empêcha pas ensuite de continuer sa route et de remonter avec le vin demandé. Il trouva sa femme instruite de sa chute et de tous les détails de son voyage souterrain : la somnambule les lui avait racontés à mesure qu’ils étaient arrivés.
Autre exemple de vue magnétique à distance, tiré du même auteur.
XLVI. – J’ai connu la femme d’un colonel de cavalerie que son mari magnétisait, et qui devint somnambule ; dans le cours du traitement, une indisposition le contraignit à se faire aider par un officier de son régiment. Cela ne dura que huit ou dix jours. Quelque temps après, dans une séance magnétique, le mari, ayant mis sa femme en somnambulisme, il l’engagea à s’occuper de cet officier : « Ah ! Le malheureux, s’écria-t-elle, je le vois, il est à X…, il veut se tuer ; il prend un pistolet, courez vite… » Le lieu indiqué était à une lieue ; on monta sur le champ à cheval ; mais quand on arriva, le suicide était consommé.
Voici encore une relation de cas curieux de lucidité en somnambulisme, extraits de l’une des dernières lettres reçues dans mon enquête :
XLVII. – Je suis très incrédule quant au spiritisme, et j’étais très sceptique sur le magnétisme, lorsqu’un fait de la plus haute évidence vint m’éclairer et forcer ma conviction sur ce dernier point.
Une demoiselle de trente-six ans, très honorable, d’une distinction et d’une instruction supérieures, vivant dans ma famille, fut atteinte d’un kyste de l’ovaire, et résistait aux médecins qui lui conseillaient de se faire opérer. En 1868, elle fut prise un jour de douleurs terribles, et le docteur B… appelé, craignant une issue fatale après une crise de trente heures, se décida à essayer, en désespoir de cause, de la magnétiser. Il réussit à l’endormir et à adoucir ses souffrances.
Le traitement ainsi continué calma beaucoup la malade et dès la deuxième séance se produisirent des phénomènes de lucidité absolument remarquables. Chaque fois la malade indiquait avec une extrême précision le jour, l’heure et la minute exacte où devait recommencer un nouvel accès, à des intervalles très irréguliers et s’éloignant de plus en plus. Le médecin averti, notait soigneusement ces indications de façon à arriver avant le commencement de la crise et à magnétiser la patiente, qui se trouvait rapidement soulagée.
Une nuit, vers trois heures du matin, le médecin étant malade, la crise annoncée se produisit et se développa avec une intensité effrayante. La religieuse qui la gardait sachant qu’à la suite de ces constatations j’avais étudié le phénomène magnétique dans les ouvrages de Deleuze et du baron du Potet, me suggéra de suppléer le docteur absent. En effet, je parvins rapidement à l’endormir et à la calmer, aussi bien, sinon mieux, déclarant que mon fluide était beaucoup plus calmant. Voilà comment le hasard ma révélé des qualités de magnétiseur que je ne soupçonnais pas. Je la magnétisais régulièrement tous les soirs, en présence de ma mère et de ma nombreuse famille, et nous assistions à des phénomènes extraordinaires de lucidité.
Malgré le soulagement considérable éprouvé par la malade, elle reconnaissait que le magnétisme n’était pour elle qu’un calmant, que le développement de son kyste faisait des progrès inquiétants, et que l’opération devenait absolument urgente pour éviter une issue fatale. Il fut décidé que Melle de V… irait, accompagnée de sa mère se faire opérer à Strasbourg par le docteur Koeberlé, renommé alors pour ce genre d’opérations. La longueur d’un pareil voyage pour la malade inquiétait le médecin, qui conseilla de le faire en plusieurs étapes. Mais la malade consultée déclara qu’elle pourrait le faire sans inconvénient tout d’un trait en observant les précautions suivantes. Il fallait d’abord emporter plusieurs bouteilles d’eau magnétisée, mais surtout douze ou quinze mouchoirs magnétisés, en ayant soin de les enfermer dans de fortes enveloppes en papier soigneusement et hermétiquement fermées et collées de façon à empêcher toute entrée de l’air extérieur. La malade déclara que dès qu’un commencement de fatigue et de crise se produirait, sa mère déchirant une enveloppe appliquerait un mouchoir sur son front, ce qui amènerait le sommeil magnétique, et ensuite l’appliquerait sur le ventre dans la partie malade.
Malgré ces assurances, nous restâmes tous forts inquiets lorsqu’elle partit avec sa mère.
Tout se passa comme la patiente l’avait annoncé. Le voyage se fit bien d’une seule traite, en n’usant que de quelques mouchoirs magnétisés et sans avoir besoin de recourir à l’eau magnétisée.
En arrivant à Strasbourg, la mère alla présenter sa fille au savant chirurgien, et, le prenant ensuite à part, elle lui soumit une note que le médecin, M. B…, avait rédigé sous la dictée de la malade. Dans son sommeil, la patiente avait décrit minutieusement son état. « Mon kyste, avait-elle dit, est de la grosseur et de la couleur de ces ballons jaunes dont s’amusent les enfants, son contenu n’est pas fluide, mais composé d’une matière compacte de couleur brune. Sur une de ses faces est déjà formée une nouvelle poche ayant la grosseur d’une demi-petite orange, et, sur l’autre côté, commence à se développée une autre poche de la grosseur d’une demi-noisette. Le kyste est entouré d’adhérences ou ligaments nombreux. » Interrogée par M. B…, son docteur, sur les dangers d’hémorragie dans l’opération, elle répondit qu’il n’y avait rien à craindre de ce côté, mais à la question sur la crainte d’une septicémie, elle pâlit affreusement, et, après un moment de silence, elle répondit : « Dieu seul le sait. »
Tel était le contenu de la note que la mère soumit au docteur Koeberlé, qui l’accueillit avec ironie et incrédulité, déclarant qu’il ne croyait pas à ces élucubrations, et comme preuve il ajouta : « Votre fille prétend qu’il ya de nombreux ligaments ; or, la palpation vient de me montrer qu’il n’y en a que très peu, le kyste étant flottant sous la pression. Vous voyiez donc que ses dires sont purement imaginaires. »
L’opération, cependant, fut des plus longues et des plus graves, à cause du très grand nombre de ligaments, comme l’avait indiqué la malade, et la septicémie s’étant déclarée emporta la patiente en trois ou quatre jours.
Appelé par la malheureuse mère, je partis pour Strasbourg, afin de l’assister dans sa cruelle épreuve. J’ai constaté de mes yeux l’exactitude de tous les renseignements quant au kyste qui avait été conservé après l’opération. J’accompagnai la pauvre mère, avant son départ, chez le savant docteur Koeberlé que je trouvai absolument déconcerté par la minutie des détails et de prédictions qui renversaient toutes ses idées. Je lui demandai notamment comment la palpation lui avait fait croire à peu d’adhérence contrairement à la réalité. Il me répondit : « C’est un des cas les plus extraordinaires que j’aie constatés ; évidemment les adhérences étaient très nombreuses, mais elles étaient longues, ce qui permettait le flottement et déplacement du kyste sous la pression de la main, et m’a fait conclure tout différemment de la réalité. Tout cela est vraiment extraordinaire, car je ne puis contester la parfaite exactitude de toutes les prévisions et indications de la pauvre malade. »
Je ne sais si le docteur Koeberlé vit encore, mais le souvenir de ces faits sensationnels a dû être conservé dans la magnifique maison de santé tenue par des religieuses (dont j’ai oublié le vocable) et qui doit encore exister.
Tels sont les faits que je puis vous certifier sur l’honneur et qui me paraissent de nature à prendre rang dans votre dossier au point de vue strictement scientifique.
C. du Chatellard,
à Marseille. [Lettre 743.]
P. S. – Vous me permettrez de signer d’un pseudonyme, car je suis très connu à Marseille où j’occupe une situation en évidence, et je ne voudrais pas que mon nom fût mêlé à aucune controverse publique.
Mais je signe ci-dessous de mon vrai nom et à titre confidentiel, pour le cas où, accueillant avec confiance mes déclarations, vous jugeriez intéressant que je les complète par d’autres renseignements qui me paraissent du plus haut intérêt, au point de vue humanitaire et scientifique.
Le même correspondant ajoute :
XLVIII. – Un soir que la malade était magnétisée, calme et lucide, de nombreuses expériences usuelles de magnétisme avaient eu lieu devant une nombreuse chambrée de famille, lorsqu’une de mes cousines eut l’idée de voir si elle pourrait suivre et retrouver mon oncle parti l’avant-veille avec son fils Paul pour faire une tournée dans ses vastes propriétés comprenant plusieurs communes. La magnétisée interrogée déclara les voir dans une auberge dont la description démontra qu’ils étaient dans un village tout autre que celui qu’on supposait. Elle déclara que le père causait avec un garde, et que son fils Paul se balançait sur une chaise devant l’âtre de la cuisine. Tout à coup la magnétisée part d’un long éclat de rire en s’écriant : « Ah ! M. Paul qui vient de se renverser. Oh ! Quelles drôles de contorsions il vient de faire en tombant ; mais il n’a pas de mal. »
Séance tenante, la sœur de Paul prit la plume pour lui décrire l’heure et les détails de ce grotesque incident. Tout était rigoureusement exact dans le récit, et Paul et son père furent fort intrigués jusqu’à leur retour, avant de savoir comment on avait pu en avoir connaissance.
Si vous désirez contrôler le récit que je vous ai fait soit auprès du docteur Koeberlé (s’il vit encore), soit auprès de la maison de santé qui doit encore exister à Strasbourg ou en France, je vous enverrai confidentiellement le nom de Melle de V….
Deuxième lettre :
Sensible aux remerciements et à l’intérêt que vous avez témoigné à mes communications, je viens aujourd’hui les compléter, persuadé que vous devez en tirer des déductions instructives.
Je reviens donc à la séance de l’auberge. Un de mes cousins, présent à cette réunion de famille, me dit de lui ordonner de monter à la salle à manger. La magnétisée me répondit aussitôt : « Mais non ! Il y a trois marches à descendre pour se rendre à cette salle à manger. »
XLIX. – On me pria de l’envoyer à l’église et de lui demander la description d’une belle série de tableaux religieux. Convaincu de cette assertion en raison du ton sérieux qui l’avait accompagnée, je transmis ma demande à la magnétisée. Je fus tout étonné en l’entendant rire aux éclats et faire une description très humoristique de ces fameux tableaux. C’était une série de toiles absolument grotesques faites par un habitant du village, où les groupements et le dessin présentaient des anomalies et des effets des plus hilarants. Aussi ce fut un long éclat de rire partagé par ceux des assistants qui connaissaient ces peintures et qui étaient abasourdis de la fidélité de la description et des minutieux détails énumérés.
Il convient de tirer certaines conclusions des deux faits précités, au point de vue scientifique. Des savants à demi convaincus, et même des magnétiseurs, ont soutenu que dans des cas semblables le magnétisé peut lire de pareils détails dans la pensée soit du magnétiseur, soit des personnes présentes, ce qui exclurait la vue à distance. Or, ce n’était pas dans ma pensée qu’elle aurait pu les trouver puisque je les ignorais absolument . Ce ne pouvait être non plus dans la pensée de celui qui m’avait prié de transmettre les deux questions, car si d’une part il connaissait l’originalité des tableaux, c’était de bonne foi qu’il m’avait fait ordonner de monter dans la salle à manger pour en faire la description et que d’autres membres de la famille reconnurent que la magnétisée avait raison de dire qu’il y avait trois marches à descendre.
Il en résulte donc que la visite et la description des tableaux dans l’église était bien une vue et description à distance, avec cette circonstance que cela se passait entre dix et onze heures du soir, heure à laquelle les églises sont fermées et dans une complète obscurité.
Pendant les longues veillées de famille où je la tenais endormie, j’eus un jour l’idée de lui demander la composition d’un remède à nom étrange que je venais de lire dans une pharmacopée. Elle me donna aussitôt la description complète d’une plante avec ses phases successives, sa floraison, son genre, sa famille, enfin toutes les descriptions botaniques les plus minutieuses. Elle ajouta ensuite : « Cette plante vient dans une île, je la vois, elle pousse dans les îles de l’Océanie. » Vérification faite, tous ces détails étaient exacts. J’occupai depuis mes soirées à écrire sous sa dictée la description d’un grand nombre de plantes médicinales. A son réveil, j’amenais sans affection la conversation sur les plantes qu’elle venait de décrire et sur lesquelles elle ne paraissait avoir que de très vagues connaissances.
Un soir que je l’avais interrogée sur l’aconit, dont elle m’avait fait la description et indiqué la zone de croissance, elle resta longtemps pensive, plongée dans une profonde réflexion, dont j’avais peine à la tirer, et elle finit par me répondre en ces termes que je tiens à vous répéter scrupuleusement, tant mon souvenir en a été frappé. Sortant de sa profonde méditation, elle me dit : « C’est pourtant vrai ; je ne me trompe pas ; comment ce fait-il qu’on n’ait pas encore trouvé le remède de ce mal affreux, le remède du cancer ? Je vois la plante, elle vient dans les mêmes parages que l’aconit. » Elle en fit la description exacte, complétée en plusieurs séances, ajoutant qu’on reconnaîtrait sa vertu en inoculant à un animal, notamment un chien, la teinture mère obtenue par la macération de cette plante, ce qui déterminerait une plaie d’apparence cancéreuse.
J’ai essayé plusieurs fois, mais sans succès, d’intéresser des médecins et des botanistes à faire des recherches dans ce sens. Un savant botaniste m’a déclaré que la description semblait se rapporter à l’oxiria dygina ».
Je vous envoie la description littérale faite de cette plante sous la dictée de la magnétisée. Mieux que moi, vous dont le nom et la science font honneur à notre pays, vous pourriez sans doute pousser à fond ces recherches et en vérifier le fondement. Quelle auréole vous ajouteriez à votre nom, si vous parveniez, comme pasteur, à doter l’humanité d’un pareil bienfait !
Nul n’ignore que les magnétisés les plus lucides ont leurs moments de défaillance, surtout les femmes à certaines époques ou sous des influences pathologiques. Mais je n’ai pas de raison de douter que ses affirmations sur le remède du cancer ne soient aussi probantes que tant d’autres. Sa gravité, sa spontanéité, sa longue méditation avant d’émettre ses affirmations, son ardent désir de voir ainsi guérir des malheureux m’ont profondément impressionnée et me portent à croire en ses déclarations.
Toutefois, si vous deviez citer mes communications dans les publications, je tiendrais beaucoup à ce que vous ne citiez pas ce dernier fait, qui seul dans mon récit, n’a pu encore être contrôlé.
Je me permets de ne pas suivre la réserve demandée par mon honorable correspondant, car je n’aurai jamais ni le temps ni la compétence de m’occuper de cette question, et peut-être un médecin ou un physiologiste trouvant ici cette indication pourra-t-il en faire profiter l’humanité . Puisque la vue à distance et la divination sont possibles, ne dédaignons rien, enregistrons les choses utiles sans rien nier.
Sans multiplier indéfiniment ces exemples, constatons simplement qu’il serait très facile de le faire, et que la vue sans les yeux, dans l’état somnambulique, est un fait assez fréquent, qu’il nous faut admettre malgré les nombreuses fraudes, plus fréquentes encore. La vue à distance, en rêve et en somnambulisme, ne peut plus être niée.
La communication psychique réciproque par rêve peut être également démontrée par des exemples certains. Sans remonter jusqu’au cas signalé par Saint Augustin , rappelons entre autres ceux dont parle Gratiolet . Une femme se leva une nuit toute éperdue, rêvant qu’elle avait empoisonné ses enfants : au même instant son fils rêvait qu’il était empoisonné par elle. Un jeune homme rêve que sa mère est mordue par un serpent et se réveille au moment même ou sa mère faisait le même rêve. Etc. etc. Les courants psychiques doivent être admis comme une réalité.
Chapitre IX – Les rêves prémonitoires et la divination de l’avenir
Quum est somnos evocatus animus
a societate corporis, tum meminit
praeteritorum, praesentia cernit,
futura praevidet.
Cicéron
Les rêves les plus curieux et les plus difficiles à expliquer sont peut-être encore ceux qui nous montrent un fait, une situation, un état de choses non encore arrivé, et qui se trouve réalisé effectivement à quelques distances de là, dans un avenir plus ou moins rapproché. Il ne s’agit pas seulement ici de voir sans les yeux, mais de voir d’avance ce qui n’existe pas encore.
L’énoncé seul de la question paraît absurde et contradictoire, par conséquent inacceptable. Son acceptation est grosse de conséquences, car elle impliquerait que l’avenir peut être déterminé d’avance par l’enchaînement des causes et des effets successifs, et que le libre arbitre est bien voisin d’une illusion.
Avant d’entrer dans l’analyse philosophique d’un problème qui touche aux plus grandes difficultés de la connaissance des choses, voyons d’abord s’il y a des rêves dignes de foi qui aient vraiment montré l’avenir, d’une façon ou d’une autre. C’est là une première constatation nécessaire et sans laquelle il serait superflu de s’engager en de digressions imaginaires.
Et bien, je dois l’avouer tout de suite, les rêves qui montrent d’avance et avec précision un évènement futur sont certains, doivent être acceptés comme réels. Ce ne sont pas des fables, et ici non plus la coïncidence fortuite, le hasard n’explique pas la réalisation du rêve.
Nous venons de voir, au chapitre précédent, des rêves montrant ce qui ce passe au loin, dans le présent. Des faits analogues sont observés dans certains cas d’hypnotisme, de magnétisme, de somnambulisme et d’expériences spirites. C’était là une sorte de préface, de préparation naturelle à ce que nous avons maintenant à examiner.
Je citerai d’abord deux rêves dont je puis affirmer l’authenticité absolue, éprouvés par ma mère en deux circonstances bien différentes, et qu’elle vient encore de me confirmer, pour la vingtième fois peut-être.
La première date d’une époque à laquelle elle n’était pas encore venue à Paris. Mes parents habitaient le bourg de Montigny le Roi (Haute Marne). Je commençais mes études à Langres, et ils avaient décidé de quitter la province pour la capitale, surtout dans le désir de préparer pour leurs enfants des carrières plus sûres et plus élevées. Une quinzaine de jours avant leur départ, ma mère rêva qu’elle était déjà à Paris, qu’elle traversait de grandes rues et arrivait devant un canal, au-dessus duquel était jeté un pont à escaliers. Or, quelques temps après son arrivée à Paris, elle alla rendre visite à une de ses parentes demeurant rue Fontaine-au-Roi, dans le faubourg du Temple, et fut bien surprise, en arrivant au canal, de reconnaître le pont, le quai, l’aspect du quartier, dont elle n’avait pu avoir aucune connaissance ni par des gravures, ni autrement.
Ce songe ne peut guère s’expliquer. Il faut admettre que l’esprit puisse voir à distance des détails que l’on trouvera conformes à l’image laissée dans le cerveau. C’est assurément difficile. Je préfèrerais supposer que des personnes venues de Paris auront raconté à ma mère l’existence de ces sortes de ponts, qu’elle aura oublié ce récit et qu’il sera reparu dans le rêve. Mais ma mère m’affirme absolument que jamais personne ne lui avait parlé ni du canal parisien ni de ces ponts aériens.
Voici un second rêve :
Un certain été, l’une de mes sœurs était allée, avec son mari et ses enfants, habiter la petite ville de Nogent (Haute-Marne) ; mon père les avait accompagnés, et ma mère était restée à Paris. Tous les enfants étaient en bonne santé, et l’on n’avait aucune inquiétude sur eux. Ma mère rêve qu’elle reçoit de mon père une lettre dans laquelle elle lit cette phrase : « Je suis le messager d’une triste nouvelle, le petit Henri vient de mourir presque sans être malade, à la suite de convulsions. » Ma mère en s’éveillant se dit : « Ce n’est qu’un rêve ; tout songe, tout mensonge. » Huit jours après, une lettre de mon père portait exactement la même phrase. Ma sœur désolée venait de perdre son dernier-né, à la suite de convulsions.
Dans le premier de ces deux rêves on pourrait, à la dernière rigueur, invoquer, comme nous le disions, un récit oublié, latent dans le cerveau. C’est excessivement peu probable, puisque ma mère est sûre de n’avoir jamais entendu parler de ces ponts. Mais dans le second, quelle explication donner ?
Mon ami regretté, le docteur Macario, auteur d’un ouvrage estimé sur le Sommeil, les Rêves et le Somnambulisme, dont j’ai parlé plus haut, rapporte le fait suivant, arrivé dans sa famille :
Mme Macario, dit-il, partit le 6 juillet 1854 pour Bourbon-l’Archambault, afin de prendre les eaux pour une affection rhumatismale. Un de ses cousins, M. O…, qui habite Moulins, et qui rêve ordinairement ce qui doit lui arriver d’un peu extraordinaire, fit, la nuit qui précéda le voyage de ma femme, le rêve suivant : il vit Mme Macario, accompagnée de sa petite fille, prendre le chemin de fer pour se rendre aux eaux de Bourbon. A son réveil, il pria sa femme de se préparer à recevoir deux cousines qu’elle ne connaissait pas encore.
« Elles arrivent aujourd’hui même à Moulins, ajouta-t-il, et partiront ce soir pour Bourbon ; elles ne manqueront pas, j’espère, de venir nous voir. »
En effet, ma femme et ma fille ne tardèrent pas à arriver à Moulins ; mais, comme il faisait un temps affreux (la pluie tombait à verse), elles descendirent chez un ami, près de la gare du chemin de fer, et n’allèrent point rendre visite (le temps leur manqua) à leur cousin qui habitait un quartier assez éloigné de la ville. Celui-ci ne se découragea pas.
« Ce sera pour demain, » pensa-t-il.
Mais cette fois encore, il fut trompé dans son attente.
Persuadé, cependant (nous l’avons déjà fait remarquer : M. O… a l’habitude de rêver vrai), que les avertissements de rêve étaient justes, il alla au bureau de la diligence qui fait le service de Moulins à Bourbon, pour s’enquérir si une dame, accompagnée de sa fille, dont il donna les signalements, n’était pas partie la veille pour Bourbon. Il lui fut répondu affirmativement ; il demanda alors si cette dame était descendue à Moulins, et apprit que toutes les particularités de son rêve étaient parfaitement exactes.
Avant de terminer, qu’il me soit permis de faire observer que M. O…, n’avait la connaissance ni de la maladie, ni du voyage de Mme Macario, qu’il n’avait pas vue depuis plusieurs années .
Le docteur ajoute à ce propos le fait suivant :
Le jeudi 7 novembre 1850, au moment où les mineurs de la charbonnerie de Belfast se rendaient à leur travail, la femme de l’un d’eux lui recommanda d’examiner avec soin la corde de la benne ou cuffard, qui sert à descendre au fond du puits :
« J’ai rêvé, dit-elle, qu’on la coupait pendant la nuit. »
Le mineur n’attacha pas d’abord grande importance à cet avis ; cependant, il le communiqua à ses camarades. On déroula le câble de la descente, et, à la grande surprise de tous, on le trouva haché en plusieurs endroits. Quelques minutes plus tard, les travailleurs allaient monter dans la benne, d’où ils auraient été infailliblement précipités ; et, s’il faut en croire le Newcastle Journal, ils n’ont dû leur salut qu’à ce rêve.
Lors de mes débuts dans le journalisme, à Paris, j’avais pour collègue au Siècle, un écrivain charmant, d’un fort aimable caractère, qui se nommait Emile de la Bédollière. Son mariage a été dû à un rêve prémonitoire.
Dans une petite ville au centre de la France, à la Charité-sur-Loire, département de la Nièvre, il y avait une jeune fille ravissante de grâce et de beauté. Elle était comme le Fornarina de Raphaël, fille d’un boulanger. Plusieurs prétendants aspiraient à sa main, et l’un d’eux avait une grande fortune. Les parents le préféraient. Mais Mlle Angèle Robin ne l’aimait pas et le refusait.
Un jour, poussée à bout par les instances de sa famille, elle alla à l’église et pria la sainte Vierge de lui venir en aide. La nuit suivante, elle vit en rêve un jeune homme en costume de voyageur, portant un grand chapeau de paille et des lunettes. A son réveil, elle déclara à ses parents qu’elle refusait absolument le prétendant et qu’elle attendrait, ce qui leur mit en tête mille conjectures.
L’été suivant, le jeune Emile de la Bédollière est entraîné par un de ses amis, Eugène Lafaure, étudiant en droit, à faire un voyage dans le centre de la France. Ils passent à la Charité et vont à un bal de souscription. A leur arrivée, le cœur de la jeune fille bat tumultueusement dans sa poitrine, ses joues se colorent d’un rouge incarnat, le voyageur la remarque, l’admire, l’aime, et, quelques mois après, ils étaient mariés. C’était la première fois de sa vie qu’il passait dans cette ville.
Cette curieuse histoire de mariage n’est pas unique dans son genre. Je pourrais en citer plusieurs autres analogues en ajoutant que l’un de nos astronomes contemporains les plus célèbres, M. Janssen, a été vu d’avance en rêve par Mme Janssen assez longtemps avant leur présentation mutuelle.
Alfred Maury cite un cas analogue, mais en l’expliquant par sa théorie des images de la mémoire, qui ne s’applique certainement pas au mariage de la Bédollière, et qui sans doute ne s’applique pas davantage à celui-ci. « M. P… , écrit-il, ancien bibliothécaire au Corps législatif, m’a assuré avoir vu en songe la femme qu’il épousa par la suite, et cependant elle lui était inconnue, ou du moins, il croit ne qu’il ne l’avait jamais vue réellement : il y a là selon toute vraisemblance, un fait de souvenir non conscient. »
Le tort des théoriciens est de vouloir tout expliquer, tout enfermer dans leurs cadres. Selon toute vraisemblance, à la lumière de nos nouvelles investigations psychiques, Alfred Maury se trompe ici.
M. A. Goupil, ingénieur civil à Cognac, nous a communiqué le fait suivant :
A Tunis, entre la Poste et le café de France, est un coiffeur français dont j’ai oublié le nom. Un matin de l’été 1891, je faisais une partie de billard avec lui ; cette partie terminée, je lui en proposai une seconde, « Non, me dit-il, j’attends le médecin et je désire savoir ce qu’il a dit. – Est-ce que vous avez quelqu’un de malade ? – Non, mais j’ai mon petit neveu âgé de… (onze ans je crois), qui a eu hier soir une hallucination, il s’est levé tout à coup en criant : « Voilà une femme qui veut prendre ma petite cousine (ma fillette de quelques mois), je ne veux pas qu’elle l’emporte. » Cela dura un bon moment et nous ne pûmes lui faire croire qu’il avait rêvé. – Est-ce qu’il a déjà eu des hallucinations ? – Non. – Il se porte bien ? – Oui, mais je crains que cela soit l’indice d’une fièvre. – Votre fille se porte bien ? – Oui, très bien. » Je posais cette dernière question parce qu’il venait de me passer par la tête que cette vision voulait dire que la petite allait mourir avant peu. Je ne dis rien de ma pensée à mon interlocuteur qui me quitta. Le lendemain, je lui demandai des nouvelles. Tout son petit monde allait bien. Le surlendemain, même question, et même réponse ; le troisième jour, même question et encore même réponse. Il avait l’air de s’étonner de l’intérêt que je semblais porter à ses enfants que je ne connaissais pas. Trois jours passèrent sans que je le visse de nouveau. L’ayant rencontré le jour suivant dans la rue, je lui demandai si les enfants allaient toujours bien. « Vous savez, me dit-il, que nous avons perdu ma petite fille : elle a été emportée en rien de temps. (Je crois qu’il m’a dit que c’était du croup.) – Non, dis-je, je ne le savais pas, mais j’attendais cela. – Comment ? – Oui, c’est la femme qui l’a emportée. – Quelle femme ? – Eh bien, celle qu’a vue votre neveu, elle représentait la mort, la maladie, ou tout ce que vous voudrez ; ça devait être une hallucination prophétique. »
Je laissai là mon homme étonné : il pourrait affirmer ce récit au moins dans ses lignes principales, car il a été surpris de mes réflexions et il doit s’en souvenir.
Invoquera-t-on encore ici le hasard ? Non. Il y a là quelque chose d’inconnu pour nous, mais de réel.
Dans la première édition de cet ouvrage, à cette même page, j’ai publié, de seconde main, en en indiquant l’origine, un récit fort émouvant dû à la plume de M. Alexandre Bérard, ancien magistrat, actuellement (1903) député de l’Ain et sous-secrétaire d’Etat aux Postes et Télégraphes, en l’accompagnant toutefois d’un doute, causé précisément par l’arrangement trop parfait de ce « conte dramatique admirablement rédigé » et en émettant le désir de voir l’auteur lui-même faire la preuve de l’authenticité de ce curieux récit. Toute la valeur de notre travail réside dans la sincérité documentaire. Ainsi, ai-je saisi la première circonstance qui m’a été offerte d’en entretenir son érudit auteur. M. Bérard a confirmé mes doutes en m’avouant, qu’en effet, c’était là une simple « nouvelle littéraire ».
Mon devoir le plus strict a donc été de supprimer cette fiction de ce recueil essentiellement véridique. Elle sera remplacée par des faits d’observation, par des réalités, appartenant au sujet de ce chapitre, aux rêves prémonitoires.
Voici un cas qui me paraît devoir être attribué à un rêve oublié.
M. Vallet, docteur en droit, substitut à Lyon, m’écrivait à la date du 15 juillet 1900 :
J’avais quinze ans, et était d’un tempérament très nerveux, très impressionnable et même un peu maladif. Mes parents se résolurent, sur l’avis de notre médecin, à me faire prendre les bains de mer. Mon oncle, le général Parmentier, étant à cette époque directeur du Génie au Havre, il était tout naturel que j’allasse chez lui. Au passage, je devais m’arrêter à Paris – que je ne connaissais pas encore. Il me fut recommandé de ne point manquer d’aller prendre des nouvelles du colonel Levret, ancien examinateur de l’Ecole Polytechnique, ami de ma famille. J’avais conservé du colonel une impression de terreur enfantine ; il m’avait paru par sa raideur d’allure quelque chose d’analogue à un couperet de guillotine ! Mais il me fallait m’exécuter, si peu séduisante que me parût la visite imposée. En arrivant dans la cour de sa maison, je me reconnus tout à coup. J’avais déjà vu tout cela : les quatre étages à monter disposés en carré le long du puits formé par la cour, le bec de gaz, qui brûlait au centre, etc. ; je dis à la personne qui m’accompagnait (le frère du général) : c’est là au quatrième à droite. Tout était précis pour moi.
Comment expliquer ce « déjà vu » sans admettre qu’en effet cela a déjà été vu par l’esprit du narrateur ? Comment pourrions-nous être frappés à ce point par ces choses, sans une cause suffisante, sans une vision antérieure exacte et réelle ? Avoir entendu parler de la maison habitée par le colonel suffirait-il pour expliquer cette impression ? L’hypothèse est peu admissible.
Je choisirai d’autre part, parmi les nombreux documents que je reçois perpétuellement de tous les points du globe, le fait suivant, qui m’a été adressé, le 25 juin 1901, de Middletown, Etat de New-York, par M. J. O. Austin, juge de paix.
J’étais âgé de vingt ans environ et je dirigeais une école publique. Très absorbé à mes devoirs, j’y pensais la nuit, dans mes rêves, autant que le jour pendant mes heures de travail. Une nuit, je rêvai que j’étais dans la salle d’école et que je venais de terminer les exercices d’ouverture, lorsque j’entendis des coups à la porte. J’ouvre la porte et je vois un monsieur avec deux enfants, une petite fille de onze ans et un garçon de huit ans. Ce visiteur rentre et m’explique que par suite de la guerre de sécession, il a quitté sa maison de la Nouvelle-Orléans et amené sa famille dans le district de mon école. Son désir serait de confier ses enfants à mes soins, pour leur éducation et leur instruction. Il me demanda alors quels livres étaient nécessaires, et je lui donnai une liste qu’il emporta. Le lendemain, les enfants étaient reçus au nombre de mes élèves.
Le rêve s’arrêta là, mais il m’impressionna vivement, et l’image de ce père et de ces deux enfants était si fortement photographiée dans mon esprit, que je les aurais reconnus n’importe où dans la population de Paris ou de Londres.
Quel ne fut pas mon étonnement lorsque le lendemain de ce rêve, au moment où je terminais les exercices d’ouverture de l’école, j’entendis frapper à la porte ces mêmes coups entendus en rêve, allai ouvrir et vis devant moi ce visiteur et ses deux enfants ! Le reste suivit : nous eûmes entre nous la conversation du rêve.
J’ajouterai que ce gentleman m’était absolument étranger. La Nouvelle-Orléans est à 1350 milles, ou plus de 2000 kilomètres d’ici, et je ne m’étais jamais éloigné à plus de 100 milles, ou 160 kilomètres de ma demeure.
Le devoir du chercheur indépendant et sincère est, ici aussi, de ne pas se payer de mots ou de faux-fuyants, mais de regarder la réalité en face. Eh bien, je demanderai à tous les professeurs de psychologie si jamais aucune explication n’a été donnée de ces faits, et je leur demanderai aussi pourquoi ils continuent de ressasser depuis deux mille ans les mêmes phrases vides des universités, et pourquoi ils refusent de comprendre que la psychologie doit être une science expérimentale.
Continuons. Voici, certes, une prévision circonstanciée et tout à fait extraordinaire.
Dans la dernière quinzaine du mois de novembre 1871 – je sais que c’était un mercredi, et je crois que c’était le 22 de ce mois – je me trouvai chez des amis, la famille Davidson, de la Nouvelle-Orléans. Une madame Thilton était de la partie. Elle racontait certains rêves qu’elle avait faits, rêves prophétiques qui ne manquaient presque jamais de se réaliser. Ces visions de Mme Thilton étaient connues de l’assistance. Frappé par un récit de cette dame, notre hôte s’écria :
− Madame, je vous défends de faire des rêves à mon sujet !
− Trop tard, monsieur ! Hier soir même, j’ai fait un rêve qui vous touche de près !
On la pria de le raconter.
− J’ai rêvé que, six semaines à partir d’aujourd’hui, je suis arrivée pour passer la journée chez vous, cédant à votre invitation empressée.
− Voilà un rêve qui s’arrange facilement, Madame ! Je vous prie de venir passer la journée chez moi, le jour indiqué. Mademoiselle, continua-t-il en se tournant vers moi, vous ne manquerez pas de vous trouver de la partie. Ce sera quel jour ?
Un des assistants, consultant un calendrier, annonça :
− Mercredi, le 3 janvier 1872.
− Bon, nous voilà tous témoins du rêve de madame ! Mais c’est fort simple !
− Attendez, ce n’est pas tout ! J’ai rêvé, insista la dame, qu’en arrivant ici, j’ai trouvé la maison triste et vide, et que je vous ai cherché en vain. J’ai fini par apercevoir un grand cercueil métallique au milieu du second salon. Le couvercle était fermé ; je ne voyais rien, mais je savais que vous étiez là dedans !
Notre hôte partit d’un éclat de rire, ainsi que l’assistance. En badinant, M.Davidson dit à sa femme :
− Pas de cercueil métallique, par exemple ! J’en ai horreur ! Promets-moi un cercueil en palissandre !
En riant toujours, sa femme lui donna sa parole que si elle était encore de ce monde, elle suivrait ses goûts.
Tout le monde restait fort incrédule. Mme Thilton reprit :
− Je n’ai trouvé au salon qu’une seule personne. Elle se tenait debout à côté de ce corps invisible. Je me suis placée à ses côtés. Alors, j’ai constaté qu’il y avait six roses en argent sur chacun des deux longs bords du couvercle.
On éclata de rire derechef. On se demandait qui avait jamais entendu parler d’ornements si bizarres sur un cercueil. Mais Mme Thilton continua :
− Cela m’a fort impressionnée, même dans le rêve. J’ai fait remarquer ces deux rangs de roses en argent à la personne qui se tenait près du cercueil.
En se séparant, on se donna rendez-vous pour le mercredi 3 janvier 1872. Pendant ces six semaines, ce rêve était souvent le sujet de plaisanterie parmi nous.
Bref : le 2 janvier 1872, notre hôte, M. Davidson, fut la victime d’un accident inconcevable – imprévoyable – il fut horriblement écrasé par une locomotive.
Le lendemain, de bonne heure, il fut placé dans un cercueil. La famille tenait à ce que personne ne vit le visage. Je me suis chargée de ce vœu. Je ne le quittai pas, même après que le couvercle fut ajusté.
J’étais seule à mon poste.
Mme Thilton ne se doutant de rien, arriva pour répondre à l’invitation. Elle trouva le cercueil et moi, dans le second salon. Elle vint se placer à mes côtés. Nous n’échangeâmes ni parole, ni regard. Muettes, nous nous tenions debout, regardant ce cercueil. Elle me prit le bras, et de l’autre main me montra six roses en argent qui ornaient les deux longs bords du couvercle d’un cercueil métallique. Même alors, je ne compris que lorsqu’elle me dit :
− Vous souvenez-vous ? Voyez-vous les six roses en argent de chaque côté, telles que je les ai vues dans mon rêve ?
Quinze jours plus tard, la veuve me dit :
− Vous souvenez-vous de ce rêve extraordinaire de notre amie ? Tout est arrivé comme elle nous l’avait annoncé. Sauf ce cercueil ! Dieu merci ! Même dans ma douleur, je me suis rappelé ma parole. Du moins, il a eu son cercueil de palissandre ! Mais, qu’avez-vous ?
Ne sachant pas dissimuler, j’ai répondu :
− C’était le cercueil métallique.
− Jamais ! Qui aurait osé ? Mon Dieu ! Ne me dites pas qu’il y avait en outre six roses en argent de chaque côté !
− Au pied de la lettre, chère amie, rien n’a manqué à ce rêve. Tout c’est passé tel que Mme Thilton l’avait décrit.
Ma pauvre amie tomba en crise de nerf. J’ai fait venir celui qui s’était chargé des funérailles. Il ne put que répondre que l’on avait en vain cherché le cercueil en palissandre qu’elle avait commandé ! L’unique, des dimensions voulues, était en métal. Vu l’urgence, il avait fallu le prendre.
− Mais non avec six roses en argent de chaque côté ?
− Si, madame. Comme je vous l’ai dit, il n’y avait que celui-là !
Sur ces treize témoins, il y en a aujourd’hui quatre de morts. La famille, étant calviniste, serait bien choquée de trouver son nom attaché à une superstition. Mais elle est trop juste et trop véridique pour nier ces faits tels que je vous les rapporte.
Sarah Morgan-Dawson,
36, rue de Varenne.
Paris, 20 Décembre 1901.
Madame Dawson, que je connais depuis plusieurs années, est incapable de modifier un récit pour l’arranger suivant un plan quelconque ; mais la mémoire de chacun de nous peut être infidèle. La fille du décédé vivant encore (à la Nouvelle-Orléans) a été priée de vouloir bien me dire ce dont elle se souvenait de cette histoire.
Voici un extrait de sa réponse, du 24 janvier 1902 :
« Oui, je me souviens, au moins en partie, du rêve de Mme Thilton. Un jour, après dîner, elle nous raconta qu’elle avait rêvé que mon père était mort et que son corps avait été placé dans un cercueil métallique. Mon père répliqua que ce n’était sûrement pas lui parce qu’il n’avait pas l’intention de se faire mettre dans un cercueil métallique, qu’il n’aimerait pas cela du tout, etc. En fait, il mourut juste après le nouvel an, et son corps fut mis dans un cercueil métallique. Mme Thilton est toujours de ce monde et peut vous confirmer elle-même sa prédiction. »
C’est ce qui a été fait également.
M. Jean Fugairon, architecte, avenue de Wagram, 62, à Paris, m’écrivait à la date du 18 juillet 1900 :
Mon cher Maître,
Voulez-vous me permettre de vous communiquer un fait de prémonition analogue à ceux que vous avez publiés dans l’Inconnu et assurément des plus bizarres :
Il y a trois ans, ma femme, à propos de rien, me dit, qu’elle désirerait avoir une chaire à prêcher ! Cette réflexion n’avait aucun sens et ne pouvait correspondre à un désir raisonnable de sa part, car une chaire à prêcher ne peut avoir aucune place dans mon appartement parisien, trop petit pour les objets divers qui l’encombrent. De plus ma femme déteste les inutilités.
Or deux jours après, je recevais d’un notaire d’Antibes une lettre m’informant qu’un de mes cousins venait de mourir en me laissant en souvenir un chef-d’œuvre de compagnonnage exécuté par son grand-père qui était menuisier : c’était une chaire à prêcher !
Vous dites avec raison : il y a beaucoup plus de bizarreries inexplicables dans les faits et gestes de la foudre que dans les manifestations télépathiques. Votre observation me rappelle un fait constaté il y a quarante ans par une personne digne de foi.
Le tonnerre était tombé au château de la Houille près de Pierrefont (Cantal) chez M. Costerousse, propriétaire. Il était entré dans une pièce contenant un vaisselier. Une pile d’assiettes présenta cette particularité ultra-bizarre : la moitié des assiettes étaient perforées dans leur milieu par un trou circulaire de la dimension d’une pièce de un franc ; mais ces perforations s’alternaient ainsi : la première était trouée, la deuxième non, la troisième oui, la quatrième non, etc. en suivant cet ordre très régulier.
Autre exemple :
Le colonel Cotton, à Nanterre, m’adressait, le 26 octobre 1900, une relation dont je détache ce qui suit :
Un rêve que j’ai fait à l’âge de quatorze ans m’a si fort impressionné qu’il est aussi vivace dans ma mémoire qu’il y a trente-huit ans.
J’étais alors enfant de troupe en garnison à l’Ecole militaire. Un cousin devait me faire sortir un samedi pour me conduire au théâtre ; ce jour-là, j’attendis vainement l’arrivée de mon parent et me couchai le cœur bien gros. Dans la nuit, je vis en songe un enterrement et, le suivant, mon cousin. Je fis la réflexion : « Je comprends maintenant pourquoi vous n’êtes pas venu me chercher, » et ce fut tout.
Huit jours après, mon parent me fit sortir et me dit que la personne qui devait lui offrir des billets de théâtre était morte subitement. « Oui, je sais, lui dis-je, et vous êtes allé à son enterrement » ; et je lui racontai mon rêve qui le surprit fort.
Mme A. Vaillant m’a adressé de Foncquevillers (Pas-de-Calais) le curieux récit d’un rêve prémonitoire et de trois cas de télépathie très remarquables qui, par une inadvertance due certainement à la quantité considérable de lettres reçues, n’ont pas été inscrits plus haut. Sans revenir sur ce sujet, je dirai que le premier concerne la vue précise d’une mort, en 1794, des bords du Rhin à Arras ; le second l’apparition et l’audition à Bapaume, par deux témoins séparés, d’un mari et d’un père morts ce même jour en Autriche (1796) ; le troisième, une jeune fille habitant un château d’Ecosse, descendant en courant un escalier, et voyant au pied de cet escalier, baignant dans son sang, un oncle assassiné en cet instant même à Londres (1796). Voici le rêve prémonitoire.
Il y a quelques années, dans une ville du Nord, un nouveau vicaire fut nommé dans une certaine paroisse. Une personne connue de Mme Vaillant rêva, quelques jours auparavant, que ce vicaire était un M. G…, qu’il prêchait le dimanche suivant sur tel sujet, que sa sœur était assise devant lui, et toutes les particularités de son rêve se trouvèrent réalisées. (Lettre 103)
Voici un autre rêve prémonitoire, rapporté par un honorable ecclésiastique :
J’étais en pension à Niort, j’avais quinze ou seize ans, et, une nuit, j’eus un singulier songe. Il me sembla être à Saint-Maixent (ville que je connaissais que de nom), avec un maître de pension, sur une petite place, auprès d’un puits en face duquel était une pharmacie, et voir venir à nous une dame de la localité, que je reconnus pour l’avoir vue une seule fois à Niort, dans la maison où j’étais. Cette dame, en nous abordant, nous parla d’affaires que je trouvai si extraordinaires que, dès le matin, j’en fis part au patron. (On appelait ainsi le chef de l’institution). Celui-ci très étonné, me fit répéter cette conversation. Quelques jours après, ayant eu à faire à Saint-Maixent, il m’emmena avec lui. A peine arrivés, nous nous trouvâmes sur la place que j’avais vue en songe, et nous vîmes venir à nous la dame en question, qui eut avec mon patron la conversation telle que je l’avais racontée, absolument mot à mot.
Groussard,
Curé de Sainte-Radegonde (Charente-inférieure)
On ne voit pas non plus comment le hasard pourrait expliquer cette prémonition si précise.
Les psychologues doivent à M. Flournoy, l’éminent professeur de l’Université de Genève, la connaissance du rêve prémonitoire suivant, arrivé à une dame de Genève, connue de ce savant.
En août 1883, Mme Buscarlet rentra à Genève, pour cause de santé, après un séjour de trois années comme institutrice de deux jeunes filles dans la famille Moratief, à Kasan. Elle y avait connu une dame Nitchinof, qui était amie intime de Mme Moratief et qui dirigeait l’Institut impérial des jeunes filles de Kasan.
Le 10 décembre 1883 elle fit le rêve suivant :
− Elle se promenait dans un chemin pas très large, en Russie, avec Mme Moratief ; elle vit une voiture, sorte de break bas, fermé par des rideaux de cuir noir, et Mme Moratief lui dit : Allez voir qui est là dedans. Elle y alla, souleva les rideaux, et aperçut une dame, étendue tout de son long en travers de la voiture, entièrement vêtue de blanc, sauf des souliers noirs et des bas gris, et ayant sur la tête un bonnet blanc garni de rubans jaunes. Elle ne reconnut pas cette femme. Au même instant, elle entendit une voix forte dire : Mme Nitchinof quittera l’Institut le 17. Aussitôt elle laissa retomber les rideaux du char et le rêve fut fini. – Cette voix lui était inconnue ; elle ne peut pas dire si c’était une voix d’homme ou de femme, ni d’où elle venait ; cependant, ce n’était pas de la femme étendue dans le char. Bien que la voiture n’eût rien d’un corbillard, Mme Buscarlet se rappelle avoir assisté à Kasan à l’ensevelissement d’une dame qui était vêtue, dans son cercueil, exactement comme la femme de son rêve.
Mme Buscarlet n’interpréta d’aucune manière son rêve : cependant elle en resta profondément affectée. Ecrivant aux Moratief, à l’occasion de la fin de l’année, elle le leur raconta, sans lui attribuer aucune portée fâcheuse, ni dépasser dans son sens littéral d’un simple départ de Mme Nitchinof de l’Institut le 17.
Sachant combien il faut se défier des souvenirs un peu lointains, après avoir fidèlement noté le récit de Mme Buscarlet, M. Flournoy l’engagea à redemander à ses amis de Russie la lettre où elle leur avait raconté son rêve, si tant est qu’on l’eût conservée. C’était heureusement le cas, et il put examiner à loisir cette précieuse missive, qui porte sur l’enveloppe les timbres à date de la poste à Genève, 24, XII, 83 (soit 12 décembre anc. style), et de plusieurs bureaux russes, dont le dernier est celui de Kasan 20. XII. 83.
Après quelques lignes consacrées aux souhaits de Noël et du jour de l’an, Mme Buscarlet écrivait : « Cette nuit, j’ai fait un drôle de rêve, que je veux vous raconter, non que j’y attache une importance quelconque, mais seulement parce que c’est drôle. Vous et moi étions sur un chemin, dans la campagne, lorsque passa devant nous une voiture d’où sortit une voix qui vous appela. Arrivées près de la voiture, nous vîmes Melle Olga Popoï couchée en travers, vêtue de blanc avec un bonnet garni de rubans jaunes. Elle vous dit : − Je vous ai appelée pour vous dire que Mme Nitchinof quitte l’Institut le 17. Puis la voiture continua de rouler. « Que les rêves sont parfois burlesques ! »
Deux semaines plus tard, Mme Buscarlet recevait de Mme Moratief une lettre dont voici le commencement : « Nous venons de recevoir vos lettres, bien chère madame, et c’est au lit que ma femme les a lues… Non, chère madame, il n’est pas drôle, il n’est pas burlesque, hélas ! Il est étrange, il est frappant, stupéfiant, votre rêve du 10/22 déc. – Mme Nitchinof, la chère, la pauvre Mme Nitchinof, à quitté l’Institut, en effet, le 17, mais pour ne plus jamais y rentrer. La fièvre scarlatine, accompagnée de la diphtérie, nous l’a enlevée en trois fois vingt-quatre heures. Elle est morte le 16 à 11h. ¾ du soir, et à 2h. du matin, le 17 (n’est-ce pas étrange ?) On a emporté son corps dans la capelle avoisinante. On a craint la contagion pour l’Institut, voilà pourquoi on s’est tant dépêché. »
Maintenant, si on examine la différence entre la réalité telle qu’elle ressort de la lettre contemporaine au rêve, et le récit verbal de Mme Buscarlet dix-huit ans plus tard, l’on constate d’une part une véritable exactitude de ses souvenirs quant au contenu essentiel de la prédiction onirique, et d’autre part une altération des circonstances connexes, notamment l’effacement complet de Melle Olga Popoï. Celle-ci étant une connaissance quelconque de Kasan, et Mme Buscarlet, qui a été stupéfaite de la retrouver dans sa lettre de jadis, ne s’explique pas ce qu’elle venait faire en ce rêve.
Quoiqu’il en soit, il y a là un évènement vu en rêve huit jours à l’avance, de Suisse en Russie.
Mon enquête m’a fourni un grand nombre de rêves prémonitoires. Je les ai classés spécialement, et je demanderai encore à mes lecteurs la permission d’en citer ici les principaux et de les ajouter aux onze exemples précédents, afin de mettre entre leurs mains toutes les pièces de conviction.
XII. – Je me présente moi-même, pierre Jules Berthelay, né à Yssoire, Puy-de-Dôme, le 23 octobre 1825, ancien élève du lycée de Clermont, prêtre du diocèse de Clermont en 1850, ancien vicaire pendant huit ans à Saint-Eutrope (Clermont), trois fois inscrit au ministère de la Guerre comme aumônier militaire.
1° Après treize ans de pénible ministère, j’étais très fatigué, d’autant plus que j’avais dû servir de contremaître surveillant au nom de la fabrique, pour la construction de la gracieuse église de Saint-Eutrope à Clermont ; pendant quatre ans, j’ai suivi les ouvriers depuis 10m. 50 dans l’eau des fondations, jusqu’à la croix de la flèche. C’est moi qui ai posé les trois dernières ardoises. Notre professeur M. Vincent, pour me faire changer de travaux, me fit venir à Lyon, où je n’étais jamais allé. Un des premiers jours, mon élève me dit, en sortant de déjeuner : « Monsieur l’abbé, voulez-vous m’accompagner à notre domaine de Saint-Just-Doizieux ? » J’accepte ; nous voilà en voiture. Après avoir passé Saint-Paul-en-Jarret, je pousse une exclamation : « Mais je connais le pays ! » dis-je, et, de fait, j’aurais pu m’y diriger sans guide. Au moins un an auparavant, j’avais vu pendant mon sommeil toutes ces petites terrasses en pierres jaunes.
2° Je suis rentré dans mon diocèse, mais on m’a envoyé remplir dans les montagnes de l’ouest une mission très pénible, au-dessus de mes forces. Je suis resté sept mois très malade à Clermont. Enfin, je puis me tenir sur mes jambes, on m’envoie remplacer l’aumônier de l’hôpital d’Ambert frappé par une congestion cérébrale. Le chemin de fer d’Ambert n’était pas encore construit, j’étais dans le coupé de la voiture faisant le service de Clermont à Ambert. Après avoir dépassé Billom, je jette les yeux à droite et je reconnais le petit castel avec son avenue d’ormeaux, comme si j’y avais vécu. Je l’avais vu pendant mon sommeil au moins dix-huit mois auparavant.
3° Nous sommes à l’année terrible. Ma mère qui avait vu les alliés parader dans les Champs-Elysées à Paris est veuve, elle me réclame comme son seul soutien ; on me donne une petite paroisse près d’Yssoire. La première fois que je suis allé voir un malade, je me suis trouvé dans des ruelles étroites, entre de hautes murailles noires, mais j’ai parfaitement trouvé le débouché. J’avais pendant mon sommeil, plusieurs mois auparavant, parcouru ce dédale de ruelles sombres.
4° Des évènements indépendants de ma volonté m’ont amené à Riom, où je me prépare au grand voyage. Quelle n’est pas ma surprise de retrouver comme une vieille connaissance la chapelle que mon camarade l’abbé Faure avait bâtie pour les soldats, que je n’avais jamais vue de mes yeux, et dont j’ignorais même l’existence ! J’aurais pu faire le croquis que je vous adresse comme si j’avais servi de contremaître.
Berthelay,
à Riom (Puy-de-Dôme). [Lettre 19.]
XVI. – Dans les premiers jours de septembre 1870, aux bains de mer à Veymouth (Angleterre), vers 2heures du matin, jeudi à vendredi, je me suis réveillée au même moment qu’une voix mystérieuse à prononcé ces paroles très distinctement : « Jump out of bed, pray for these at sea. » « Sautez hors de votre lit, priez pour ceux qui sont sur la mer. » A peu près au même temps le Captain grand vaisseau anglais s’est perdu dans la baie de Biscaye. Trois cent noyés. Le reste de l’escadre est arrivée près de nous dans les Portland Roads. Le public étant admis à l’inspection de ces vaisseaux, compagnons du malheureux, j’en ai profité, ainsi qu’un frère. Sept ans plus tard, 9 septembre 1877, ce frère a péri lui-même dans le naufrage de l’Avalanche, dans ces mêmes Portland Roads.
Mary C. Deutschemdaff,
de Charleville (Ardennes). [Lettre 29.]
XVII. – Le fait suivant m’a été rapporté par un de mes vieux confrères, âgé aujourd’hui de quatre-vingt-onze ans, esprit très positif et nullement enclin au mysticisme.
Un soir, vers 1835, il travaillait dans sa chambre, à Strasbourg. Soudain il eut la vision très nette de Morey, son village natal. La rue où était la maison paternelle présentait une animation insolite à cette heure, et il reconnut plusieurs personnes parmi lesquelles une de ses parentes portant une lanterne.
« Quelques jours après, me disait-il, je reçus la nouvelle de la mort de ma mère, survenue ce même soir, et en présence des mêmes personnes que j’avais vues. De plus, c’était bien la mère de ma mère qui tenait la lanterne.
De pareils faits sont sans doute inexplicables actuellement, mais ce n’est pas une raison pour les nier dédaigneusement. Attendons et cherchons : l’avenir nous réserve bien des surprises et dévoilera bien des mystères.
Qu’est-ce-que la pensée ? Nous l’ignorons absolument, mais nous pouvons supposer qu’elle correspond à un nombre de vibrations déterminé : mettons si l’on veut un million de quintillions par seconde. Le cerveau, appareil qui émet ces vibrations, est à la fois transmetteur et récepteur. Il est possible que sous l’influence d’une excitation intense, ces vibrations soient capables d’impressionner à d’énormes distances d’autres cellules nerveuses. Et si les phénomènes de télépathie sont surtout produits par des mourants, on sait que, souvent à l’approche du dernier moment, le cerveau possède une suractivité extraordinaire. D’autre part, ceux qui sont impressionnés sont aussi généralement des êtres sensibles, nerveux, impressionnables en un mot. Enfin, l’affection, la haine, l’inquiétude peuvent contribuer à mettre en état d’isochronisme cérébral deux personnes possédées de ces sentiments.
Sans tomber dans le domaine du surnaturel ou de l’impossible, un jour viendra peut-être, mais si lointain encore, où l’homme regardera le téléphone ou le télégraphe comme des moyens primitifs et barbares pour correspondre à distance ; à volonté il enverra sa pensée à travers l’espace. Ce sera vraiment le bouleversement du vieux monde.
Docteur Dève,
à Fouvent-le-Haut (Haute-Saône). [Lettre26.]
XVIII. – L’année dernière, au mois de septembre, j’eus, pendant une nuit, la vision très distincte d’un enterrement d’enfant sortant d’une maison dont je connais les habitants, seulement j’ignorais dans mon rêve celui des enfants qui était mort.
Ce rêve me revint à la mémoire toute la journée et j’essayai en vain de le chasser de mon esprit. Le soir, un des enfants de cette maison, âgé de quatre ans, tomba accidentellement dans une douve et s’y noya.
Emile Boismard,
à Seiches (Maine-et-Loire). [Lettre 53.]
XIX. – Mon frère aîné, Emile Zipelius, artiste peintre, mourut le 16 septembre 1865, à l’âge de vingt-cinq ans, en se baignant dans la Moselle. Il habitait à Paris, mais se trouvait à ce moment-là en visite chez ses parents à Pompey, près de Nancy. Ma mère avait rêvé deux fois, à des intervalles assez éloignés, que son fils se noyait.
Lorsque la personne chargée d’annoncer la terrible nouvelle à mes parents se présenta chez eux, ma mère, devinant qu’il était arrivé un malheur, s’informa d’abord d’une de ses filles absente dont elle n’avait pas eu de nouvelles depuis quelques jours. Lorsqu’on lui répondit qu’il ne s’agissait pas d’elle, elle dit : « Ne continuez pas, je sais ce que c’est mon fils s’est noyé. » Nous avions eu une lettre de lui dans la journée, de sorte que rien ne faisait prévoir cette catastrophe.
Mon frère lui-même avait dit à sa concierge peu de temps auparavant : « Si je ne rentre pas un soir, allez à la morgue le lendemain, j’ai le pressentiment que je mourrai dans l’eau. J’ai rêvé que j’étais au fond de l’eau, mort et les yeux ouverts. »
C’est en effet ainsi qu’on l’a trouvé, il était mort sur l’eau, de la rupture d’un anévrisme. Ma mère et mon frère étaient si persuadés que cela arriverait, que le jour de sa mort, il avait refusé de se baigner dans la Moselle. Mais vers le soir, il se laissa séduire par la fraîcheur de l’eau, et fut enlevé ainsi à notre affection.
J. Vogelsang-Zipelius,
à Mulhouse. [Lettre 127.]
XX. – Il y a plusieurs années, pendant six mois, je rêvais au moins une fois par semaine que j’étais obligée de laisser mes enfants seuls pour aller travailler dans un bureau, je courais de crainte d’être en retard ; et la fatigue, l’inquiétude me réveillant, je constatais avec plaisir que rien ne justifiait ce bête de rêve, et qu’avec mon mari j’avais une position modeste mais suffisante.
Hélas, dans l’année, ce rêve se réalisait.
Claire.
[Lettre 151.]
XXI. – Le 25 novembre 1860, étant à chasser en mer, vers 4 heures du soir, dans une barque, nous revenions et n’étions plus qu’à vingt mètres du rivage, lorsqu’un de mes amis m’avoua qu’il avait rêvé la nuit précédente qu’il mourait noyé ce jour.
Je le rassurai en lui disant que dans dix minutes nous serions à terre.
Quelques instants après, notre barque chavira et, deux de mes amis, dont celui en question, se noyèrent, malgré les soins que nous leur avons prodigués. Le frère de mon ami dont il est question ci-dessus est encore avocat au Havre, où cette catastrophe s’est passée. (On peut consulter à ce sujet les journaux du Havre du 26 novembre 1860).
E. B.
78, rue du Phalsbourg, au Havre. [Lettre 194.]
XXII. A. – Au mois d’août dernier, à un moment où j’étais occupé d’une étude de craie, en rêve je crus trouver un galet dans la craie des Brocles, près de Bernot. J’avais disposé de ma journée du lendemain pour voir cette craie ; pendant mon exploration, je fus très surpris de trouver un galet et très exactement dans les conditions de mon rêve ; les galets de craie sont rares .
B. – Il y a quelques années, en rêve également, je vis une trouvaille d’objets gallo-romains à un endroit précis du village de Sissy. Cet endroit vint à être choisi pour l’emplacement d’un nouveau cimetière. Dans une des premières fosses creusées, les fossoyeurs trouvèrent un pot qui me fut envoyé : c’était un pot gallo-romain, et le nouveau cimetière se trouvait être sur d’anciennes tombes gallo-romaines.
Alphonse Rabelle,
pharmacien, à Ribemont (Aisne). [Lettre 222.]
XXIV. – J’ai été à deux fois différentes, en rêve, prévenue de la mort de personnes que je connaissais seulement de vue, et dont le décès, arrivé la veille ou la nuit du rêve, m’a été annoncé le lendemain dans des circonstances, et avec des paroles à peu près identiques à celles du rêve. Dans l’un et l’autre cas, j’ignorais absolument la maladie de ces personnes qui m’étaient d’ailleurs indifférentes.
M. Lorilliard,
à Przemysl (Pologne). [Lettre 248.]
XXV. – J’avais dix-huit ans, quand mon pauvre père mourut, à la suite d’une attaque. Quinze jours avant sa mort, je l’avais vu, en rêve, dans sa chambre, étendu sur son lit tout habillé et mort, avec, autour de lui, cinq personnes, toutes des intimes de la famille, qui le veillaient. Ce sont ces mêmes cinq personnes qui veillèrent le corps toute la nuit qui suivit le décès. Cette constatation bien étrange m’a laissé bien longtemps sous le coup d’une émotion profonde.
P. B.,
à Marseille. [Lettre 251.]
XXVI. – Trois jours (juste le temps à une lettre de venir de Pétersbourg ici) avant d’apprendre la mort de la sœur du peintre Vereschaguine, je vis en rêve son mari auquel je demandai, étonnée de le voir seul : « Où est Marie Vasilievna ? » Il me répondit distinctement : « She rest », ce qui veut dire : « elle repose. »
J. Mottu,
à Seale-How-Ambleside. Westmorland. [Lettre 253.]
XXVII. – Alors que ma femme, encore jeune fille, soignait sa mère, elle prenait fort peu de repos la nuit comme le jour. Une nuit, la dernière, pendant un court sommeil bien peu réparateur, elle vit sa mère en rêve. Cette dernière lui dit :
« Tu me perdras à onze heures. »
Et la prédiction s’accomplit exactement ; le douloureux évènement arriva à l’heure dite.
Ma femme ne parla de ce rêve qu’après les premiers jours de deuil, il n’y a donc d’autre preuve que sa parole, à laquelle je crois aveuglément.
Si vous croyez utile de publier ce fait à vos lecteurs, je préfère, étant donné ma qualité, que mon nom reste inconnu.
X…,
Lieutenant de vaisseau, à Rochefort. [Lettre 261.]
XXVIII. – A. En 1858, (je ne suis pas jeune), j’étais à Terrasson (Dordogne), employé à la construction du chemin de fer de Périgueux à Brive. Un autre employé sur le terrain, originaire des Hautes-Alpes, me dit, un matin, très préoccupé, que dans la nuit précédente, il avait vu un fantôme en lequel il avait cru reconnaître son père. Deux jours après, il recevait un pli bordé de noir ; une lettre lui annonçait le décès de son père, survenu dans la nuit même de l’apparition.
B. En 1885, j’étais à Périgueux avec ma famille. Ma femme a vu en rêve, dans la nuit du 15 au 16 janvier, un lit fermé par des rideaux, et, auprès, une table sur laquelle étaient posés un cierge allumé et un crucifix ; elle me fit part de ce rêve qui l’alarmait. Or, nous reçûmes une lettre de Rodez, où se trouvait mon beau-père, nous annonçant qu’il était atteint d’une fluxion de poitrine à la suite de laquelle il a succombé peu après.
Lumique,
7, rue Traversière-des-Potiers, à Toulouse. [Lettre 268.]
XXX. – Etant éveillée, j’ai bien souvent senti près de moi la présence d’un être disparu et vivement regretté. De plus, deux jours avant la mort de cette même personne, j’ai rêvé qu’il arrivait une lettre imprimée me faisant part de son décès, et c’est de cette manière que la triste nouvelle m’est parvenue.
Vve Poullain-Bouhon,
A Seignelay. [Lettre 270.]
XXXI. – J’ai fait la triste expérience que toutes les fois que je vois en rêve une dame de mes amies, morte il y a cinq ans, je perds un membre de ma famille.
Mais ce qui m’a le plus frappé, il y a environ un mois et demi, c’est que cette même personne est venue dans un rêve se promener avec moi du côté de Lagoubran. Arrivés sur le boulevard de Strasbourg, en entrant à Toulon, elle m’a quitté et est retournée vers Lagoubran avec des ouvriers que je ne connaissais pas. Ils avaient tous l’air malheureux.
Pendant plusieurs jours, je me demandais avec effroi qui j’allais perdre encore, quand arriva la catastrophe de Lagoubran que tout le monde connait.
Elle était donc venue m’annoncer le malheur qui devait frapper la ville entière.
Une de mes amies a, dans la nuit du 3 au 4 mars, rêvé les scènes qui se sont produites dans la nuit du 4 au 5, et le dimanche, quand elle a vu défiler devant sa porte les prolonges d’artillerie portant les morts et les blessés accompagnés de soldats et de prêtres, il lui semblait voir une seconde édition de son rêve.
M. J. D.,
A Toulon. [Lettre 345.]
XXXII. – Souvent il m’est arrivé de me trouver dans une situation quelconque, aussi banale que possible, dont j’avais eu l’exacte sensation un temps indéterminé auparavant.
J. H. Charpentier,
A Francfort-sur-Mein. [Lettre 351.]
XXXIII. – C’était en 1889, un jour du mois d’avril, une jeune fille nommée Jeanne Dubo, attachée au service de ma maison, en qualité de domestique, s’affaissait soudainement, en ma présence, sans que, j’aie pu lui porter le moindre secours. Il s’agissait là d’un cas de mort subite, causée par la rupture d’un anévrisme.
Les parents de cette fille, de pauvres métayers, qui habitaient et qui habitent encore le département des Landes, ayant appris l’affreuse nouvelle, arrivaient en pleurs à la maison, le lendemain de ce triste évènement.
Cette première entrevue fut aussi pénible pour moi que pour eux, car je me sentais profondément affecté de la mort de cette jeune fille à laquelle je m’étais attaché autant pour la franchise et la douceur de son caractère, que pour le zèle qu’elle apportait aux soins de mon ménage.
La nuit venue, alors que je veillais la morte en compagnie de son père et de sa mère, m’adressant au vieux Dubo, je lui posai, en patois, la question suivante : « Dites-moi, Dubo, n’avez-vous pas eu quelque pressentiment, à propos de la mort de Jeanne ? – Comment cela ? me répondit-il, je ne comprends pas ? – Oui, continuais-je, un signe quelconque… que sais-je…un je ne sais quoi qui a pu vous avertir qu’un malheur vous menaçait ? – Non, me répondit-il, en secouant la tête, rien !... – Un rêve ?... par exemple, insistai-je. – Un rêve !... Ah ! attendez, dit-il, comme une personne qui cherche à se rappeler. Oui, un rêve ! » murmura-t-il, puis tournant la tête du côté de sa femme, laquelle était couchée tout habillée sur un matelas : « Entends-tu Marcelline ? Ton rêve, tiens ! » … Des sanglots étouffés répondirent à cette interrogation. Alors, il me raconta qu’une nuit, il y avait de cela une dizaine de jours, sa femme avait rêvé que leur fille était morte ; que pendant ce rêve, elle avait gémi et pleuré à chaudes larmes et que malgré les efforts qu’il avait faits pour la consoler, elle avait conservé jusqu’au jour l’idée que sa fille était morte. Une forte migraine s’ensuivit, qui dura plusieurs jours.
Ce rêve, que j’avais en quelque sorte deviné, et que la femme Dubo avait pris pour une réalité, devait le devenir en effet, dix ou douze jours plus tard.
Justin Mano,
Receveur buraliste, à Belin (Gironde). [Lettre 371.]
XXXIV. – En 1865, j’étais en Angleterre, institutrice dans un pensionnat ; j’avais dix-huit ans. Le climat ne convenait pas à mon tempérament, j’étais dans un état maladif et mes pensées retournaient toujours en France.
J’étais allée en Angleterre pour y rester deux ans, le temps nécessaire pour y apprendre l’anglais ; j’y étais depuis le mois de janvier, lorsque tout à fait à la fin de juillet, je rêvai qu’il me fallait étudier rapidement, que je ne devais pas rester encore longtemps dans ce pays, mais sans connaître le motif qui m’obligerait à partir. Ce rêve me préoccupa et je le chassai de ma pensée, me disant que tout songe est mensonge.
Le 13 août suivant, ma mère mourut, et je dus, en effet, revenir en France.
Léonie Serres, née Fabre,
à Deaux, canton de Vézénabres (Gard). [Lettre 406.]
XXXV. – Dans un rêve, j’ai vu et visité en détail un pays qui m’était inconnu. J’ai, depuis, contrôlé cette… vision qui était exacte et précise. Si vous le désirez, je le détaillerai.
Abdon Grau,
à Aïn-Beïda (Constantine). [Lettre 486.]
XXXVI. – Il y a juste deux ans que j’occupais une place en Amérique, nous étions en villégiature dans le Maryland, lorsqu’une nuit je vis en rêve une grande porte monumentale qui fermait l’entrée d’une vaste forêt, et à deux pas de cette porte la maisonnette d’un garde-chasse. Je racontai mon rêve le lendemain matin à Melle S…, chez laquelle j’étais institutrice, en lui disant que sans doute je retournerais bientôt en Europe.
Mais quelle ne fut pas ma surprise, lorsque l’année passée, étant de retour véritablement, et ayant été nommée à Cracovie, nous partîmes pour la campagne au mois de juin. Quelques jours après notre arrivée, mon élève, jeune fille de quatorze ans, me dit : « Venez, Mad, il faut que je vous montre la belle forêt de T…, appartenant au comte de P… » Nous y allons et, à l’entrée de la forêt, je reconnais cette porte qui m’avait tant frappée lors du rêve, juste un an auparavant. « Marie, dis-je à mon élève, j’ai vu cette porte il y a un an, bien loin d’ici, et c’était en rêve. » Elle s’en amusa beaucoup.
Prière de ne pas imprimer mon nom.
L. R.,
Moravie (Autriche). [Lettre 496.]
XXXVII. – Je crois utile de vous signaler deux faits bien caractéristiques relatifs au pressentiment éprouvé en rêve par deux personnes que je connais parfaitement.
A. La première rêve que son père est mort. Un mois après, son père meurt dans les mêmes circonstances qui ont accompagné le rêve.
B. La seconde rêve (une dame) que son enfant vient de mourir, la veille du jour où il trépasse réellement et toujours dans les mêmes circonstances du rêve.
G. Vian,
ancien secrétaire de la Société scientifique Flammarion,
de Marseille. [Lettre 499.]
XXXIX. – J’eus une année, en février ou mars, en rêve, la vision d’une amie intime en très grand deuil d’un de ses proches. J’assistai cette nuit-là à toutes les péripéties que l’on peut éprouver à un retour de voyage au milieu de la nuit, la voyant dans mon rêve avec son enfant errant au milieu d’une gare, en pleine nuit, à la recherche de véhicules ou moyens de transport pour arriver dans sa maison avant la cérémonie funèbre.
Cinq mois après, j’apprenais la complète réalisation de mon rêve. Cette personne que j’affectionne au plus haut point, a éprouvé dans les circonstances relatées, tous les soucis, les tourments et les angoisses dont je l’avais vue accablée avec son enfant. Le membre de sa famille qu’elle a perdu était d’ailleurs assez malade, mais on était loin cependant de soupçonner un aussi prompt dénouement.
La réalisation pour n’être pas très rapide ne s’en est cependant pas moins produite à peu de mois de distance.
D’où vient donc cette préscience de l’avenir manifestée dans nos songes ?
M.P.H.D.M.,
à Romans. [Lettre 509.]
XL. – J’allais au collège comme externe et, dans mon rêve, je me vis traversant la place de la République, à Paris, une serviette sous le bras, quand exactement en face, les magasins du Pauvre-Jacques, un chien passa poursuivi par une bande de gamins qui le maltraitaient. J’en vis exactement le nombre, huit. Les employés commençaient à faire leur éventaire, une marchande des quatre saisons passait avec sa voiture pleine de fruits et de fleurs.
Le lendemain matin, me rendant au collège, je vis dans le même cadre, à la même place, la scène que j’avais vue en rêve. Rien n’y manquait : le chien courrait dans le ruisseau, les huit gamins le poursuivaient, la marchande des quatre saisons remontait avec sa voiture, gagnant le boulevard Voltaire, et les employés du Pauvre-Jacques disposaient leurs tissus à la porte de leur magasin.
Ed. Hannais,
10, Avenue Lagache, à Villemomble (Seine). [Lettre 527.]
XLI. – Vers 1827 ou 1828, mon père se trouvait à Nancy. A ce moment avait lieu une de ces loteries, interdites depuis, et dans lesquelles il importait de déterminer en les prenant les numéros que l’on désirait avoir. Mon père était fortement tenté de courir la chance, mais il hésitait encore quand une nuit il vit, durant son sommeil, deux numéros se détacher en caractères phosphorescents sur l’un des murs de sa chambre. Vivement frappé, il résolut d’aller dès l’ouverture des guichets demander les numéros rêvés. Des scrupules de délicatesse le retinrent sur le seuil ! Mais il ne put s’empêcher, après le tirage de la loterie, d’aller s’informer des résultats du tirage. Les numéros qu’il avait rêvés étaient sortis dans l’ordre où ils lui étaient apparus, donnant un gain de 75 000 francs.
Melle Meyer,
à Niort (Deux-Sèvres). [Lettre 549.]
XLII. – Nous allâmes à Paris, ma femme et moi, en mai 1897, passer quelques jours, et nous nous sommes arrêtés à Angers chez des parents. Le matin du jour fixé pour notre départ pour Paris, j’étais dans cet état de délicieux engourdissement dans lequel on se complait, lorsqu’on a la vague idée que la vie renaît autour de soi, et qu’on repose bien confortablement couché dans un bon lit. Je n’étais pas éveillé, je somnolais. Tout à coup j’entendis une voix fraîche et bien timbrée, chanter une romance délicieuse qui me charma ; cet air me parut si joli que je regrettai de m’être éveillé. J’étais dans le ravissement.
Dans mon imagination, j’attribuai ce chant à un jeune apprenti qui se serait arrêté sur le quai, juste sous mes fenêtres, pour chanter.
Arrivés à Paris le jour même, nous fûmes passer la soirée dans un café-concert des Champs-Elysées. Jugez de mon étonnement, lorsque à moitié du spectacle, j’entendis une artiste chanter le même air que j’avais entendu en rêve le matin. J’affirme que c’est absolument les mêmes notes.
Cet air m’était complètement inconnu la veille et je ne l’ai plus entendu depuis.
Emile Soux,
6, rue Victor Hugo, à Carcassonne. [Lettre 554.]
XLIII. – J’avais, en 1871, un grand frère de vingt ans, médecin militaire à l’hôpital de Montpellier. Mon malheureux frère vint à tomber malade. On mande mon père par dépêche, mon frère avait la fièvre typhoïde. Epuisé par les émotions et les fatigues de la guerre, il devint vite plus mal malgré les soins dont il fut entouré.
Le 1er décembre, il dit à mon père qui ne quittait pas son chevet : « Je vois trois cercueils dans la chambre. » Père lui dit : « Tu te trompes mon bon ami, tu vois des berceaux. » Il faut dire que j’avais une sœur aînée, mariée depuis trois ans, qui avait un gentil garçon de treize mois, très bien portant, et un autre de huit jours.
Le lendemain, mon frère est au plus mal, il expire dans les bras de mon père.
Celui-ci revient à Douai, après l’enterrement, et il trouve mon plus petit neveu mourant du croup ; le second, superbe de santé, succomba à son tour. Voilà donc les trois cercueils vus par mon malheureux frère.
Voilà textuellement les faits comme ils se sont passés.
Berthe Dubrulle,
3, rue de l’Abbaye-des-Près, à Douai. [Lettre 358.]
XLIV. – A. En 1889, j’étais agent voyer d’arrondissement dans le département de la Lozère. Etant en tournée à Saint-Urcize (Cantal), j’eus, vers minuit, l’impression d’une voix qui me dit : « Ton père est mort. » Je rentrai le surlendemain, assez frappé, chez moi ; il n’y avait aucune fâcheuse nouvelle de mon père, habitant une commune éloignée ; mais le surlendemain (je crois), je reçus une dépêche m’appelant auprès de lui, gravement malade d’une fluxion de poitrine. Je partis immédiatement, mais je n’arrivai que dix à douze heures après le décès. Si j’étais parti à la suite de l’avertissement reçu en rêve, j’aurais pu passer près de trente-six heures avec mon père avant sa mort. Je n’ai pas besoin de vous dire combien j’ai regretté de ne l’avoir pas fait.
B. J’avais vingt et un ans ; j’allais tirer au sort ; la veille j’avais rêvé le numéro quarante-cinq que j’ai apporté le lendemain. Cela me semble indiquer que les opérations qu’on croit abandonnées au pur hasard sont soumises à d’autres lois. D’autre part, entre le moment du rêve et le moment où j’ai extrait le numéro de l’urne, il s’est passé beaucoup d’opérations dans le but de bien remettre au hasard l’attribution des numéros. Comment se fait-il qu’elles n’aient pas modifié ce qui semblait arrêté la veille ?
Guibal,
Agent voyer d’arrondissement à Belizane (Algérie). [Lettre 573.]
XLVI. – En 1893, j’avais une fille à Paris, à l’Ecole dentaire. Quoique âgée de vingt ans, Elle n’avait aucun goût pour le mariage. Le 2 janvier, je fis un rêve assez étrange. Je voyais ma fille qui arrivait en vacances, à cinq heures du matin (elle ne venait jamais par ce train), je la vis entrer dans ma chambre, couverte d’un grand manteau à rayures que je ne lui connaissais pas. Elle s’approcha de mon lit, m’embrassa, et me dit : « Mère, je veux me marier ; j’aime, je suis aimée, et, si je ne l’épouse pas, j’en mourrai. »
Je lui fis toutes mes remontrances, lui disant qu’il serait plus sage d’attendre la fin de ses études, pour ne pas interrompre ses cours. Rien n’y fit ; elle insista tellement que, dans mon rêve, j’acquiesçai à son désir.
Le lendemain, en me réveillant, mon rêve me revint à la mémoire. Je le racontai aussitôt à ma domestique et à une ouvrière que j’avais chez moi et j’ajoutai : « Tout songe est mensonge. Mais, n’importe, je ne vais pas écrire mon rêve à ma fille, de crainte de lui donner l’idée du mariage. »
La même année, fin juillet, je reçus une lettre de ma fille, m’annonçant qu’elle avait passé, avec succès, ses examens de seconde année, et qu’elle me revenait, le soir même, par le train qu’elle prenait habituellement et qui arrivait à Saint-Amand à minuit quarante-neuf. Nous l’attendons, mais en vain.
A cinq heures du matin, nous sommes réveillées par un grand coup de sonnette. Ma bonne va ouvrir, et ma fille entre dans ma chambre, couverte d’un cache-poussière à rayures, qu’elle avait acheté quelques jours auparavant. Elle m’embrasse et me répète, mot à mot, les paroles qu’elle était venue me dire, le 2 janvier, en rêve. J’étais à peine réveillée et je lui fis cette réponse : « Mais tu me l’as déjà dit ! – Comment aurais-je pu te le dire ? Il y a huit jours à peine que j’ai pris cette décision ! »
Aussitôt, je me souviens de mon rêve ; ma domestique lui en fit le récit. Mais ma fille n’a pas été étonnée, me disant que j’avais déjà vu en rêve ce qui devait arriver longtemps après. Effectivement, j’avais vu Saint-Amand, que je ne connaissais pas, ainsi que les appartements que j’occupe actuellement, deux ans avant de venir les habiter.
Mme Bovolin,
A Saint-Amand (Cher). [Lettre 584.]
XLVII. – A. Il y a quelques années, nous avions une petite amie que sa mère venait de conduire en pension à Ecouen. Je rêvai à cette époque, que je voyais l’enfant passer dans la rue. Je m’étonnais de sa présence, la sachant partie et (toujours dans le rêve) sa mère vint nous dire : « Je n’ai pas pu prendre sur moi de laisser ma fille en pension, j’ai été la chercher. » Un jour ou deux jours après ce rêve, nous recevons la visite de cette dame. Je lui dis : « Marguerite se plait-elle en pension ? » Elle nous répondit : « Vous ne savez pas ce que je viens de faire, je ne pouvais m’habituer à l’y laisser et j’ai été la chercher. »
B. A Toul, où nous habitions, il y avait un mendiant qui m’impressionnait étrangement, il m’inspirait une grande répulsion, car il était repoussant au physique et au moral. Une nuit, je rêvai qu’on sonnait à la porte, c’était le soir, et dans l’obscurité il me sembla reconnaître la silhouette de ce mendiant qui me dit : « Mademoiselle, je suis sans abri, voulez-vous me donner un gîte pour la nuit ? » Le lendemain soir, plus en rêve, mais en réalité, j’étais dans la salle à manger avec ma sœur et ma petite cousine lorsque j’entendis du bruit à la porte de la cuisine. J’allai voir. Le mendiant était là qui me dit : « Je suis sans abri, voulez-vous me donner un gîte pour la nuit ? »
Melle Hubert,
à Nancy. [Lettre 607.]
XLIX. – A. Vers l’âge de onze ans, j’ai rêvé que j’étais près d’un bois, le soir, à la tombée de la nuit, ayant devant moi un mur. J’étais seul et j’avais envie de pleurer. Je me suis trouvé quelques mois plus tard dans ce même cadre et dans ces mêmes conditions.
B. En 1882, venant de passer sous-officier au 119e (Havre), j’ai rêvé que j’étais instituteur ; j’en ai ri, car c’était la dernière corde à mon arc. Deux ans après, je me trouvais à Stains, dans la classe et avec les enfants que j’avais vus.
C. En 1893, je frappais à la chambre de mon père (Faux-la-Montagne, canton de Gentioux, Creuse), revenant de la Martinique, après neuf ans d’absence. Il me demande, sans me reconnaître, qui je suis et ce que je veux : « Je suis un voyageur et je vous porte des nouvelles de votre fils qui est en Normandie. – Et celui de la Martinique ? – Je n’en ai pas de nouvelles, pourquoi me demandez-vous cela ? – C’est que cette nuit, j’ai rêvé que je le voyais là, près de la porte, comme vous êtes maintenant. » Et il est parti en pleurs. Il faut remarquer qu’il avait parlé de ce rêve à son réveil et avant de m’avoir vu. Mon retour n’avait été annoncé en aucune façon.
Legros,
Directeur d’école, à Gros-Morne (Martinique). [Lettre 608.]
LII. – Quelques jours après mon mariage, ma femme me dit : « C’est extraordinaire, mais voilà environ six mois, j’ai rêvé que je me mariais avec toi. J’en ai même fait la réflexion à ma mère le lendemain matin et nous en avons ri, ma mère ayant ajouté : « Oh ! il est probable que ce jeune homme ne pense pas à toi ! »
Or, notez que nous ne nous étions, jusqu’à cette époque, jamais parlé, que nous ne nous connaissions pas, bien qu’habitant la même localité, que nous nous étions seulement vus de loin, par hasard, et que nous ne fréquentions aucun ami commun.
Il est donc extraordinaire que cette jeune fille ait rêvé d’une prochaine union avec moi. Ce rêve a pourtant eu sa réalisation .
T.,
à Villeneuve-sur-Yonne. [Lettre 619.]
LIII. – Vous avez demandé qu’on vous signale les faits inexpliqués dont on est sûr concernant les rêves et autres observations du même ordre ; peut-être, ce que je vais vous dire n’aura-t-il pour vous aucune importance, aucun intérêt, mais si tout le monde pensait ainsi, ne disait rien, votre appel serait inutile et la science n’avancerait pas. Je vais donc vous écrire ce que je sais, vous priant seulement de ne pas citer mon nom, si par hasard vous faites usage de ma lettre : j’habite une petite ville et je préfère le silence.
A. Au mois de janvier 1888, j’étais enceinte depuis un temps absolument inconnu pour des raisons spéciales. Me trouvant très fatiguée, mon mari fit venir la sage-femme qui me dit : « Je crois que ce sera pour bientôt. » C’est une femme fort instruite. Le lendemain, j’allais bien. Le 1er février, même incident, et ma sœur, d’un an plus jeune que moi et non mariée, me dit le matin (elle ignorait que j’eusse encore souffert et habitait un autre quartier) : « Cette nuit, ce n’était pas comme un rêve, mais je n’étais pas éveillée pourtant et quelqu’un me dit : « Votre sœur n’a pas à s’inquiéter de ses malaises, l’enfant naîtra le 22 juin. » Et elle ajouta : « Je répliquai à la voix : « Mais puisque vous êtes si bien renseigné, sera-ce un garçon ou une fille ? » On répondit : « Je n’en sais rien, mais vous ne serez guère contents. » Nous avions deux fils et adorions les filles.
Naturellement, nous nous moquâmes tous de ma sœur, et mes malaises durant toujours, je faisais mes préparatifs.
Mais les mois de février, de mars, d’avril passant, nous finîmes peu à peu par moins rire d’elle, qui supportait nos moqueries sans qu’elles ébranlassent sa certitude ; même nous conclûmes que ce serait encore un garçon, puisque nous ne devions pas être contents, et nous crûmes si bien à sa prédiction, que le 21 juin je montai le berceau et préparai tout pour le lendemain. Le 22 juin, à dix heures du matin, l’enfant vint au monde. C’était une fille, qui eût été acclamée, mais j’eus tout de suite après une hémorragie qui me mit aux portes du tombeau. Deux jours après, mon fils aîné eut une bronchite ; ma sœur, pour la première fois de sa vie fut malade ; ensuite, mon second fils eut le croup et subit l’opération, ma sœur sortie trop tôt pour le voir, eut une angine couenneuse très grave, et enfin mon père, trois mois après, eut un accident dont il mourut : nous n’étions donc certes pas heureux.
B. Ma fille avait trois semaines, je ne pouvais plus la nourrir, ayant des abcès, mon mari devait aller à Manosque voir une nourrice qu’on nous recommandait et la ramener le même jour. C’était le vendredi 13 juillet. En m’éveillant, je fus tracassée d’un rêve bizarre. Mes fils allaient bien, l’aîné était en convalescence et le second, enfant superbe, se portait comme un charme. Je dis à mon mari : « C’est étrange, cette nuit j’ai rêvé que j’étais dans une ville inconnue, je cherchais la bonne de René et on me dit : « Comme c’est samedi, elle est allée laver. » Je la cherchais, inquiète, et la rencontrant seule je lui demandai : « Et René, qu’en avez-vous fait ? » Clotilde répondit : « Madame, je l’ai laissé derrière ce mur. » J’allai en courant le chercher, il était couché contre le mur, tout nu, le corps noir de la suie, et un trou à la gorge d’où sortait la trachée artère : il n’était pas mort cependant. »
Mon mari se moqua de mon rêve et de l’inquiétude qu’il me donnait. Vers quatre heures de l’après-midi, René, qui n’était pas sorti, jouant avec son père, fut pris d’une quinte de toux bizarre qui l’étouffait : j’envoyai en hâte appeler un médecin : bientôt le croup se déclara.
A deux heures du matin, le samedi 14 juillet, les quatre médecins se préparaient à faire l’opération de la trachéotomie : c’était avant la découverte du sérum. L’enfant tout nu fut couché sur une table, il eut le cou percé et une canule d’argent dans la trachée artère, et, l’opération presque faite, la trachée s’étant déchirée du crochet qui la tenait, l’enfant fut étouffé par le sang, son corps devint tout noir. Heureusement, une forte dose d’ipéca amena une toux qui fit remonter la trachée qu’on saisit. Pendant l’opération, mon mari se penchant vers moi, me dit : « Valentine, ton rêve d’hier dont je m’étais moqué !... »
L’enfant est grand maintenant et se porte bien.
Mme X.,
à Forcalquier. [Lettre 623.]
LV. – M. A… juge au tribunal raconta un matin à sa femme et à sa fille (Mme M…, dont je tiens le récit) le rêve suivant :
« J’entrais en voiture dans le bourg, lorsque je vis devant la maison D… deux cercueils et un convoi funèbre qui se formait derrière ; je reconnus à peu près tous les assistants : le préfet, les juges, les autorités municipales, les parents ; je demandais à un passant : Qui donc est mort dans la famille D… ? Ne le savez-vous donc pas, me fut-il répondu, Mme D… et son fils sont morts le même jour et c’est aujourd’hui l’enterrement. »
Le jour même, en arrivant au bourg, M. A. vit, en effet, deux cercueils devant la maison D… et les assistants exactement tels qu’il les avait reconnus en rêve. Il n’osait presque pas demander quelles étaient les personnes décédées, tant il était sûr d’avance d’entendre les paroles de son rêve. Il se décida à arrêter un passant et à lui poser la question : « Ne le savez-vous donc pas, lui fut-il répondu, Mme D… et son fils sont morts le même jour et c’est aujourd’hui l’enterrement. »
Ce qui m’a paru intéressant dans ce rêve, c’est que les paroles entendues en rêve ont été exactement les mêmes que dans la réalité ; il y a eu donc tout à la fois vision et audition prémonitoires.
Vous pouvez être assuré de la parfaite authenticité du fait. La famille A… a été si frappée de la chose qu’elle en a conservé un souvenir absolument précis.
H. Besson,
Pasteur, à Orvin-près-Bienne (Suisse). [Lettre 632.]
LVI. – Je rêvai que faisant une course à bicyclette, un chien venait se jeter au travers de la route et que je tombais à terre, brisant la pédale de ma machine.
Le matin, je racontai la chose à ma mère qui, sachant combien d’habitude mes rêves sont exacts, m’engagea à rester à la maison. Je résolus, en effet, de ne pas sortir, mais, vers 11 heures, au moment de nous mettre à table, le facteur nous apporta une lettre nous informant que ma sœur, qui demeurait environ à huit kilomètres, était malade. Oubliant tout à coup mon rêve, pour ne songer qu’à prendre des nouvelles de ma sœur, je déjeunai au galop et partis à bicyclette. Mon voyage s’accomplit sans encombres jusqu’à l’endroit où je m’étais vu, la nuit précédente, roulant dans la poussière et brisant ma machine. A peine mon rêve avait-il traversé mon esprit qu’un énorme chien déboucha tout à coup d’une ferme voisine, cherchant à me mordre la jambe. Sans réfléchir, je voulus lui envoyer un coup de pied, mais au même moment, je perdis l’équilibre et tombai sur ma machine, dont je brisai la pédale, réalisant ainsi que mon rêve dans ses moindres détails. Or, remarquez, je vous prie, que c’était bien la centième fois pour le moins que je faisais ce trajet, sans que jamais j’eusse eu à déplorer le moindre accident.
Amédée Basset,
notaire à Vitrac (Charente). [Lettre 640.]
LVII. – Le maréchal Vaillant, qui n’était ni un missionnaire, ni un petit esprit, a affirmé à un de mes amis, qui me l’a plus d’une fois raconté, que, partant pour le siège de Rome, dont il était chargé de diriger les opérations, et ignorant complètement les travaux exécutés pour fortifier la place, avait vu très distinctement en songe, avant d’aborder en Italie, l’endroit précis par où il fallait commencer l’attaque. C’était, en effet, comme il le reconnut ensuite, le point le plus faible de la défense. Je vous livre le fait sans commentaires ; vous le rangerez sans doute dans la catégorie des autosuggestions .
B. Kirsch,
proviseur en retraite, à Semur (Côte-d’Or). [Lettre 643.]
LVIII. – A. Ma mère, née en 1800, morte en 1886, eut la fièvre en 1811, étant en pension, à Aire-sur-la-Lys. Dans un accès de délire, elle se vit chez sa mère, Mme Campagne, née Marie-Louise De Lannoy de Linghem, à Estrée-Blanche (Pas-de-Calais), et demanda à grands cris qu’on l’emmenât, parce que la maison était en feu.
Or, un an après, en 1812, la maison d’Estrée brûlait bien réellement, et ma mère revoyait l’incendie exactement comme elle l’avait vu dans sa fièvre en 1811.
Le corps de logis et une aile furent réduits en cendres ; l’autre aile fut préservée et c’est là que ma grand-mère se logea provisoirement, malgré sa nombreuse famille. Ma mère n’a jamais menti, à ma connaissance ; elle m’a raconté la chose un nombre incalculable de fois, et non seulement elle, mais aussi mes oncles et mes tantes. Le bâtiment préservé du feu existe encore.
B. Vers juillet 1887, je pense (on pourrait savoir la date exacte à la mairie de Saint-Omer), − j’habitais alors Tatinghem, village situé à quatre kilomètres de cette ville ; − une personne, Melle Estelle Poulain, qui demeure chez moi depuis 1873, vit en rêve sa tante, Mme Leprêtre, née Honorine Hochart, qui lui parlait. Melle Poulain ne pouvait distinguer ses traits, mais elle savait que c’était bien sa tante. Elle se réveilla en sursaut, et presque aussitôt, trois heures (du matin) sonnèrent à la pendule de sa chambre.
Vers midi ou une heure, l’oncle de Melle Poulain, M. Noël Le prêtre, arriva chez moi pour lui annoncer que sa femme, la tante de celle-ci, Honorine Hochart, était morte le matin un peu avant trois heures et avait dit à la sœur de saint-Vincent de Paul qui la soignait :
« Quel malheur ! je ne verrai plus ma nièce Estelle ! »
Or, Melle Estelle Poulain, je l’affirme sur l’honneur m’avait raconté son rêve longtemps avant l’arrivée de son oncle…
Léon Leconte,
Rédacteur en chef de l’étudiant, à Paris. [Lettre 667.]
LX. – J’ai été en 1882 séparée brusquement d’une personne qui m’était très chère, et tandis que j’étais depuis plusieurs semaines plongée dans le plus profond chagrin, j’entendis une voix inconnue me disant : « Dans un an, jour pour jour, cette personne te reviendra ». C’était au mois de mai, et l’année suivante, à la même époque, je rencontre dans la rue cette même personne qui, à ma vue, éprouve une émotion aussi vive que celle que j’éprouvais moi-même. Explications, regrets, remords, réconciliation et depuis je n’ai pas eu d’ami plus dévoué ni dont le repentir fût plus sincère.
J’ai eu à l’état de sommeil des vues, à distance, des villes où je suis allée ensuite (très surprise de voir des rues et des monuments déjà vus en dormant), comme Bruxelles par exemple, que j’ai visité un an avant d’y être allée.
H. Poncer,
457, rue Paradis, à Marseille. [Lettre 725.]
LXI. – A. Ma pauvre mère mourut dans la nuit du 17 septembre 1860, à trois heures du matin, ayant conservé toute sa mémoire et ayant bien conscience de ce qui se passait autour d’elle. Un peu avant de mourir, elle me cherchait du regard et sa douleur était navrante ; de grosses larmes lui coulaient sur la figure (ceci m’a été raconté plus tard). Or, cette même nuit, 17 septembre 1860, à trois heures du matin, je m’éveillai en sursaut, croyant entendre ma mère m’appelant − et cela, à diverses reprises ; je me levai sur mon lit, criant : « Maman, maman ! » ce qui éveilla mon compagnon de lit – puis, comme une masse, je tombai à terre. Il fallut me faire revenir d’une syncope qui ne dura pas moins de vingt minutes.
B. C’était en 1869, au moment du plébiscite, une nuit, j’ai eu un rêve, pour mieux dire : un cauchemar terrible.
Dans ce cauchemar, je me voyais soldat, nous avions la guerre, je ressentais tous les besoins de la vie militaire : la marche, la faim, la soif ; j’entendais les commandements, la fusillade, le bruit des canons ; je voyais tomber des morts et des blessés à mes côtés, entendant leurs cris.
Tout à coup, je me trouvai dans un pays, un village où nous dûmes soutenir une attaque terrible de l’ennemi, et c’étaient des Prussiens, des Bavarois et des cavaliers (dragons badois) – notez bien que jamais je n’avais vu de ces uniformes, qu’il n’était nullement question de guerre. – A un certain moment, je vis un de nos officiers monter dans le clocher du village, muni d’une jumelle, pour se rendre compte des mouvements de l’ennemi, puis redescendre nous former en colonne d’attaque, faire sonner la charge et nous lancer en avant au pas de course, à la baïonnette, sur une batterie prussienne.
A ce moment de mon rêve, étant aux prises corps à corps avec les artilleurs de cette batterie, je vis l’un d’eux me porter un coup de sabre sur la tête, tellement formidable qu’il me la sépara en deux. C’est alors que je m’éveillai, sur ma descente de lit : je ressentais une forte douleur à la tête. En tombant de mon lit, je m’étais heurté la tête sur un petit poêle qui me servait de table.
Le 6 octobre 1870, ce rêve a été réalisé : village, école, mairie, église ; notre commandant montant au clocher pour se rendre compte des positions de l’ennemi, redescendre et, au son de la charge, nous jetant à la baïonnette sur les pièces prussiennes. Dans mon rêve, à ce même moment, j’avais eu la tête fendue d’un coup de sabre ! Ici, dans la réalité, je l’attendais ; mais je n’ai reçu qu’un coup d’écouvillon (peut-être destiné à la tête) qui, par suite d’une parade, vint me frapper à la cuisse droite.
A. Régnier,
ancien sergent-major de la compagnie des francs-tireurs,
de Neuilly-sur-Seine,
23, rue Jeanne Hachette, au Havre. [Lettre 748.]
LXIII. – En 1867, j’étais à Bordeaux, à la tête d’une pharmacie que je venais d’ouvrir depuis quelques mois. Une nuit, je vis en songe le chiffre de 76 frs. 30 inscrit sur le livre de recette à la place où devait s’inscrire celle du lendemain. Le lendemain, dans la matinée, je voyais ce chiffre si bien gravé dans mon esprit que je ne pus m’empêcher d’en parler à mon aide. La recette ordinaire étant en moyenne de 45 frs, nous pensions que le chiffre 76 frs. 30 représenterait deux journées. Le travail dans la journée fut ce qu’il était les jours précédents, mais le soir nous fûmes débordés de monde. Enfin, à dix heures et demie, après le dernier client (le centième au moins), je fis la caisse et j’y trouvai exactement 76 frs. 30.
M. Jaubert de Carcassonne, à qui je racontai le fait, me fit remarquer qu’il avait fallu un concours d’esprits très nombreux : amener des clients, empêcher d’autres d’arriver, un caissier devait sûrement figurer dans les opérateurs . Je me souviens d’une circonstance. Une jeune dame, que je savais payant très mal, achetait, achetait, articles sur articles, elle semblait obéir à une inspiration. Enfin, elle régla ! Cet acheteur était le dernier, sûrement il fallait son argent au caissier spirituel.
A. Coméra,
à Toulouse. [Lettre 782.]
LXIV. – J’ai perdu mon père en 1865 et suis resté chef de famille, avec deux frères moins âgés.
Le cadet, Aristide, né en 1853, faisait partie de la classe 1873, tirant au sort en 1874. Il n’avait point voulu préparer son volontariat, et s’en rapportait au hasard, pour faire soit six mois, soit cinq ans de service militaire actif.
Cette alternative préoccupait beaucoup ma pauvre mère, qui m’entretenait chaque fois que je me rendais auprès d’elle, à Nieuil-sur-l’Autise (Vendée), tous les dimanches, faisant alors mon notariat à Niort.
Tenant à assister mon frère – comme père – lors de son tirage au sort, le mardi, 10 février 1874, je partis de Niort, le lundi, pour Nieuil. Après le dîner, où la conversation roula sur les chances du tirage au sort, j’allai me coucher vers dix heures.
La préoccupation sans doute me fit rêver, et je vis distinctement mon frère Aristide mettant sa main dans l’urne, retirant un numéro, et me montrant le chiffre considérablement agrandi de 67.
Réveillé en sursaut, j’allume une bougie et regardant l’heure, je constate trois heures du matin.
En me levant à huit heures, je fis part de mon rêve à ma mère, à mon frère, au garde-champêtre et aux conscrits de la commune qui en rirent fort.
Mais à trois heures de l’après-midi exactement, le même jour, au chef lieu de canton Saint-Hilaire-des-Loges (Vendée), mon frère tirait de l’urne le fameux numéro 67, et me le montrait du même geste que dans le rêve de douze heures auparavant ; et chose également bizarre, le numéro 66 fut le dernier pris du contingent, et fit cinq ans de service actif ; tandis que mon frère s’en tira avec six mois dans l’artillerie à Brest.
Alfred Cail,
à Paris, 154 avenue de Wagram. [Lettre 788.]
LXV. – A. Une de mes grand’ tantes, aujourd’hui défunte eut, durant sa vie, de fréquents pressentiments qui se sont réalisés. Dans le mois de février 1871, elle eut un rêve lui annonçant la mort prochaine de deux de ses sœurs, qui jouissaient alors d’une parfaite santé. Ce rêve fut transcrit dans un livre de mémoires où elle avait coutume de noter tous les évènements de sa vie, et il fut malheureusement bientôt réalisé d’une manière terrible. Un mois après, comme on peut le contrôler dans les journaux de l’époque, la fièvre jaune éclatait à Buenos-Aires et les deux sœurs furent emportées par l’épidémie.
B. Une autre fois, en 1868, la même parente vit en songe une scène d’intérieur qui était toute une révélation. Ce tableau représentait un appartement où une de ses amies, Mme B…, assise dans son fauteuil près d’une cheminée, dans laquelle flambait un grand feu, caressait un petit enfant qu’elle tenait dans ses bras, pendant qu’une servante séchait ses langes devant la flamme. Ce rêve fut raconté à plusieurs personnes sans qu’aucune n’y prêtât grande attention, car Mme B.., mère d’une nombreuse famille, ayant passé la quarantaine, et n’ayant pas eu d’enfants depuis sept ans, ne paraissait plus susceptible d’en avoir d’autres. Cependant, ce qui paraissait d’abord impossible se réalisait un an après, et un soir que ma grand’ tante allait visiter l’accouchée, pour la féliciter de la naissance de son dernier-né, elle revit en réalité son rêve précédent. L’appartement, la disposition des objets, la cheminée allumée, la femme de service occupée à sécher les langes devant le feu, enfin tous les détails du songe étaient reproduits fidèlement. La divination s’était réalisée avec une exactitude complète.
Emilio Becher,
à Rosario de Santa-fé (République argentine). [Lettre 802.]
LXVII. – J’ai été élevé à Paris où mes parents étaient établis marchands de vins-crémiers, 7, rue Saint-Ambroise. Mon père est décédé en 1867. Ma mère et moi nous avons quitté paris en 1872. J’avais aussi un oncle, frère de mon père, qui est décédé depuis, et qui était établi épicier, 32, rue Saint-Roch.
A. En 1868, j’avais alors 17 ans, j’étais employé chez cet oncle comme commis. Un matin, et après lui avoir souhaité le bonjour, encore sous l’impression d’un rêve qu’il avait eu dans la nuit, il me raconta que dans ce rêve il était sur le pas de sa porte lorsque ses regards se portant dans la direction de la rue Neuve-des-Petits-Champs, il en voit déboucher un omnibus de ville de la Compagnie des chemins de fer du Nord, qui s’arrête devant la porte de son magasin. Sa mère en descend et l’omnibus continue sa route, emportant une autre dame qui était dans la voiture avec ma grand’ mère, laquelle dame, vêtue de noir, tenait un panier sur ses genoux.
Tous les deux, nous nous amusions de ce rêve si peu en rapport avec la réalité, car jamais ma grand’ mère ne s’était aventurée à venir de la gare du Nord jusqu’à la rue Saint-Roch. Habitant près de Beauvais, lorsqu’elle voulait venir passer quelques temps chez ses enfants, à Paris, elle écrivait de préférence à mon oncle qui était celui qu’elle affectionnait le plus, et il allait la chercher à la gare, d’où il la ramenait en fiacre, invariablement.
Or, ce jour là, dans l’après-midi, comme mon oncle regardait les passants sur le pas de sa porte, ses yeux se portant machinalement vers le coin de la rue Neuve-des-Petits-Champs, il voit tourner un omnibus du chemin de fer du Nord qui vient s’arrêter devant son magasin.
Dans cet omnibus il y avait deux dames, dont l’une était ma grand’ mère qui en descend, et la voiture continue sa route emportant l’autre dame telle qu’il l’avait vue en rêve, c’est-à-dire vêtue de noir et tenant un panier sur les genoux.
Jugez de la stupéfaction générale ! Ma grand’ mère, croyant nous faire une surprise, et mon oncle lui racontant son rêve !
B. Pendant le siège de Paris, j’étais mobile au dixième bataillon de la Seine. Un jour que j’étais à dîner chez ma mère, il y avait à notre table un de mes cousins, alors étudiant en pharmacie, actuellement propriétaire aux environs de Dieppe ; un de mes amis, sergent de mobiles ; un autre dessinateur, qui habite maintenant, 1, boulevard Beaumarchais ; et enfin, un client de la maison, comptable de profession et remarquablement intelligent, sergent-major au 192e bataillon de marche. Je ne me souviens plus de son nom ; appelons-le M. X…
A la fin du dîner, et comme nous parlions de la guerre et des Allemands qui nous cernaient, M. X… se mit à examiner les lignes de nos mains, nous disant qu’il s’occupait sérieusement de chiromancie et prétendant nous annoncer s’il nous surviendrait quelque chose de grave pendant les évènements présents. Naturellement, nous lui demandâmes si nous serions blessés ? La réponse fut négative pour trois d’entre nous ; M. Lucas, l’étudiant, M. François, le dessinateur, et moi-même. Quant au quatrième, le sergent de mobiles, M. Lallier, M. X… lui dit après avoir minutieusement détaillé l’intérieur de la main : « C’est étrange, vous serez blessé sérieusement, avant qu’il soit longtemps, mais pas par une arme, vous serez brûlé. – Comment cela ? lui demanda Lallier. – Je ne saurais vous le dire ; accidentellement, sans doute » lui répondit M. X… − Et l’on parla d’autres choses.
Ceci se passait vers la fin de 1870.
Dans le courant de l’année 1871, j’étais parti à Bordeaux, d’où je rentrais en novembre, lorsqu’en passant à Tours, je m’y arrêtai pour voir mon ami Lallier qui y était placé depuis la fin de la guerre. A sa vue, je restai saisi du changement opéré dans sa physionomie, sans pouvoir bien me rendre compte de ce qui le changeait ainsi, lorsqu’il me dit : « Te souviens-tu des prédictions de M. X… ? Ce qu’il m’a prédit est malheureusement arrivé ! Il y a deux mois, l’apprenti du magasin a commis l’imprudence d’aller avec une chandelle allumée dans une pièce où il y avait deux touries de pétrole ; par sa maladresse, l’une a pris feu ; j’ai voulu, pour éviter un plus grand danger, enlever la seconde dont le liquide s’est enflammé. J’ai eu tout le côté gauche brûlé, et voilà à peine quinze jours que j’ai repris mon service. »
Je vous cite ces deux faits, comme rigoureusement vrais, puisque tous les deux se sont passés en ma présence et que j’ai pu les contrôler. J’en ai souvent parlé aux miens et à mes amis sans pouvoir trouver une explication qui me satisfasse, sauf cependant pour une partie du rêve de mon oncle, depuis que j’ai lu vos intéressants articles sur les rêves.
Je suppose que ma grand’ mère, dans un moment d’insomnie, aura pris la détermination subite de partir pour Paris le jour même, avec la résolution de ne prévenir personne, et une fois arrivée à la gare du Nord de prendre une voiture comme elle l’avait vu faire si souvent, et cela, pour jouir de la surprise de son fils. C’est, sans doute, à ce moment précis que mon oncle aura eu son rêve.
Paul Leroux,
Le Neubourg (Eure). [Lettre 825.]
LXIX. – En 1879, mon oncle Jacques Théodore Hoffmann était instituteur à Heerenveen (Hollande). Mon père étant allé le voir au commencement de juillet, sa belle-sœur, ma tante Marguerite, lui raconta avant son départ, qu’elle avait vu en rêve la femme de mon oncle Jacques et ses deux enfants habillés en grand deuil, qu’elle craignait un malheur, qu’il fasse bien attention s’ils allaient en bateau, etc.
Mon père et son frère Jacques firent le 7 juillet une longue course à voiles, aucun accident n’arriva, et l’on ria un peu du rêve de ma tante marguerite.
Deux jours après, le 9 juillet, on reconduisit mon père à la gare. Une partie de la famille était là. Mon oncle Jacques, traversant les voies, ne prit pas garde à un train qui venait se garer, fut renversé et guillotiné, la tête alla rouler loin de son corps.
Mes deux tantes et les deux enfants vivent encore et peuvent certifier comme moi la réalisation de ce rêve.
A.C. A. Hoffmann,
Etudiant en médecine à l’Université d’Amsterdam,
Rue de France, 25. [Lettre 850.]
LXX. – Je fus brusquement réveillé dans la nuit à la suite du rêve suivant : l’apparition de la moitié d’un cercueil, isolée dans l’espace.
La précision de ce rêve me troubla et me jeta toute la matinée dans une certaine mélancolie. Toutefois, les nombreuses affaires que j’avais à régler, les nombreuses courses que je fis, chassèrent un peu les idées tristes, je déjeunai comme d’habitude et retournai à mes occupations.
Après quatre heures, arrivant dans une course, à l’angle de la rue Saint-Pierre et de la rue du Plâtre (à Lyon) et regardant devant moi à cause des voitures qui encombraient le passage, je vis, à environ vingt-cinq mètres, et dans l’espace, la moitié d’un cercueil.
Ce cercueil venait d’être tiré de la voiture de l’entrepreneur des pompes funèbres par un porteur, et la première moitié m’était masquée par l’encadrement de l’entrée de la maison.
P. C. Revel,
rue Thomassin, 39, à Lyon. [Lettre 862.]
J’allais clore ces exemples, lorsqu’en parcourant d’anciennes lettres sur ces problèmes, je viens d’en rencontrer une de la regrettée princesse Emma Carolath, du 5 mars 1870, me racontant un rêve du même ordre et remarquablement explicite. Le voici encore, très abrégé :
LXXI. – Je venais de m’endormir, très anxieuse sur la santé d’une personne aimée, et je me trouvai transportée en rêve dans un château inconnu, dans un cabinet octogone tendu en damas rouge. Il y avait un lit, où dormait la personne dont la santé m’inquiétait. Une lampe suspendue à la voûte inondait de lumière la face pâle, mais souriante, encadrée d’une opulente chevelure noire. Au chevet du lit, je vis un tableau dont le sujet se grava si étrangement dans ma pensée qu’à mon réveil j’aurais pu le dessiner : c’était un Christ couronné de roses par un génie céleste, avec des versets de Schiller que je lus.
Deux ans après, appelée en villégiature dans un château du fond de la Hongrie, je m’arrêtai en tressaillant en pénétrant dans l’appartement qui nous était destiné : j’étais dans un cabinet octogone tendu en damas rouge, devant le lit, et devant le tableau du Christ couronné de roses aves les versets de Schiller. Jamais ce tableau n’a été copié ou reproduit, et il était impossible que je l’eusse vu autrement que dans le rêve, pas plus, du reste, que le cabinet octogone.
Emma, princesse Carolath,
à Wiesbaden.
Après avoir lu et comparé cet ensemble de faits, il est impossible de douter que l’on ait vu parfois en rêve les choses à venir.
Plusieurs de ces rêves peuvent s’expliquer naturellement. Nous l’avons déjà fait remarquer. Par exemple, il n’est pas plus extraordinaire de rêver à un numéro de tirage qui sortira qu’à un autre, et comme ces cas sont très rares, la coïncidence fortuite les explique peut-être. Il faudrait en connaître le nombre pour savoir s’il surpasse notablement celui qui serait donné par le calcul des probabilités. Mais la plupart des prémonitions qui viennent d’être exposées ne s’expliquent pas.
Ce sont là des rêves, des songes qui paraissent être produits à l’état normal de santé, ou à peu près, et non dans des cas pathologiques exceptionnels. Cette même précision de l’avenir a été observée dans l’état somnambulique et magnétique. Les exemples en sont même très nombreux. Nous en signalerons seulement quelques-uns.
Le Dr Liébeault cite le fait suivant dans sa Thérapeutique suggestive :
LXXII. – Dans une famille des environs de Nancy, l’on endormait souvent une fille de dix-huit ans, nommée Julie. Cette fille, une fois mise en état de somnambulisme, était portée d’elle-même, comme si elle recevait l’inspiration, à répéter à chaque nouvelle séance qu’une proche parente de cette famille, qu’elle nommait, mourrait bientôt et n’atteindrait pas le 1er janvier. On était alors en novembre 1883. Une telle persistance dans les affirmations de la dormeuse conduisit le chef de famille, qui flairait là une bonne affaire, à contracter une assurance à vie de 10,000 francs sur la tête de la dame en question, laquelle n’étant nullement malade, obtiendrait facilement un certificat de médecin. Pour trouver cette somme, il s’adressa à M. L…, lui écrivit plusieurs lettres, dans l’une desquelles il racontait le motif qui le portait à emprunter. Et ces lettres, que M. L… m’a montrées, il les garde comme des preuves irréfragables de l’évènement futur annoncé. Bref, on finit par ne pas s’entendre sur la question des intérêts, et l’affaire entamée en resta là. Mais quelques temps après, grande fut la déception de l’emprunteur. La dame X… qui devait mourir avant le 1er janvier, succomba en effet, et tout d’un coup, le 31 décembre, ce dont fait foi une dernière lettre du 2 janvier, adressée à M. L…, lettre que ce monsieur garde aussi avec celles qu’il avait reçues précédemment à propos de la même personne.
Le même auteur cite également le cas suivant, extrait textuellement de son agenda journalier. On sait à quel point M. Liébeault est un scrupuleux et méthodique observateur.
LXXIII. – 7 janvier 1886. – Est venu me consulter aujourd’hui, à quatre heures après-midi, M. S.de Ch… pour un état nerveux sans gravité. M. de Ch… a des préoccupations d’esprit à propos d’un procès pendant et des choses qui suivent. En 1879, le 26 décembre, se promenant dans une rue de Paris, il vit écrit sur une porte : Mme Lenormand, nécromancienne. Piqué par une curiosité irréfléchie, il entra.
Mme Lenormand regardant la face palmaire de l’une de ses deux mains, lui dit : « Vous perdrez votre père, dans un an, jour pour jour. Bientôt vous serez soldat (il avait alors dix-neuf ans), mais vous n’y resterez pas longtemps. Vous vous marierez jeune ; il vous naîtra deux enfants, et vous mourrez à vingt-six ans.
Cette stupéfiante prophétie que M. Ch… confia à des amis et quelques-uns des siens, il ne la prit pas d’abord au sérieux ; mais son père étant mort le 27 décembre 1880, après une courte maladie et juste un an après l’entrevue avec la nécromancienne, ce malheur refroidit quelque peu son incrédulité. Et lorsqu’il devint soldat – seulement sept mois – lorsque marié peu après il fut sur le point d’atteindre vingt-six ans, ébranlé définitivement par la peur, il crut qu’il n’avait plus que quelques jours à vivre. Ce fut alors qu’il vint me demander s’il ne serait pas possible de conjurer le sort. Car, pensait-il, les quatre premiers évènements de la prédiction s’étant accomplis, le cinquième devait fatalement se réaliser.
Le jour même, et les jours suivants, je tentai de mettre M. de Ch… dans le sommeil profond, afin de dissiper la noire obsession gravée dans son esprit : celle de sa mort prochaine, mort qu’il s’imaginait devoir arriver le 4 février, jour anniversaire de sa naissance, bien que Mme Lenormand ne lui eût rien précisé sous ce rapport. Je ne pus produire sur ce jeune homme même le sommeil le plus léger, tant il était fortement agité. Cependant, comme il était urgent de lui enlever la conviction qu’il devait bientôt succomber, conviction dangereuse, car on a souvent vu des prévisions de ce genre s’accomplir à la lettre par autosuggestion, je changeai de manière d’agir, et je lui proposai de consulter l’un de mes somnambules, un vieillard appelé le prophète, parce qu’il avait annoncé l’époque précise de sa guérison pour des rhumatismes articulaires remontant à quatre années, et l’époque même de la guérison de sa fille.
M. de Ch… accepta ma proposition avec avidité et ne manqua pas de se rendre exactement au rendez-vous. Entré en rapport avec ce somnambule, ses premières paroles furent : « Quand mourrai-je ? Le dormeur expérimenté soupçonnant le trouble de ce jeune homme, lui répondit, après l’avoir fait attendre : « Vous mourrez… vous mourrez… dans quarante et un an. » L’effet causé par ces paroles fut merveilleux. Immédiatement le consultant redevint gai, expansif et plein d’espoir ; et quand il eut franchi le 4février, ce jour tant redouté par lui, il se crut sauvé.
Ce fut alors que quelques-uns de ceux qui avaient entendu parlé de cette poignante histoire s’accordèrent pour conclure qu’il n’y avait eu rien là de vrai ; que c’était par une suggestion post-hypnotique que ce jeune homme avait conçu ce récit imaginaire. Paroles en l’air ! le sort en était jeté, il devait mourir.
Je ne pensais plus à rien de cela lorsque, au commencement d’octobre, je reçus une lettre de faire part, par laquelle j’appris que mon malheureux client venait de succomber le 30 septembre 1886, dans sa vingt-septième année ; c'est-à-dire à l’âge de vingt-six ans, ainsi que Mme Lenormand l’avait prédit. Et pour qu’il ne soit pas supposé qu’il y eût la même erreur de ma part, je conserve cette lettre comme mon registre : ce sont là deux témoignages écrits indéniables.
Les 22 premières éditions de cet ouvrage ont publié la relation suivante attribuée à Mme Leconte de Lisle, belle-sœur du poète (Annales des Sciences psychiques, 1896, P. 257).
LXXIV. – Un M. X…avait eu l’idée de consulter une tireuse de cartes. Celle-ci lui prédit qu’il mourrait de la piqûre d’un serpent.
Ce M. X… employé dans l’administration, avait toujours refusé un poste à la Martinique, île réputée pour ses serpents, qui sont les plus dangereux.
Enfin, M. B…, directeur de l’Intérieur à la Guadeloupe, le décida à accepter une bonne position sous ses ordres, dans l’administration de cette colonie, qui, quoique proche de la Martinique, n’a jamais eu de serpents.
Nul n’échappe à sa destinée, dit un proverbe, qui, une fois de plus, s’est trouvé vrai.
Ayant terminé son temps de séjour à la Guadeloupe M. X… rentrai en France. Le bateau ayant fait escale à la Martinique, il n’osa même pas descendre à terre.
Comme d’habitude, des négresses étaient venues à bord du navire pour vendre des fruits. M. X… ayant très grand soif prit une orange dans le panier d’une des négresses, mais aussitôt il poussa un cri et se dit piqué. La négresse renversa son panier, et on vit un serpent qui était caché non sous les fruits mais sous les feuilles garnissant le panier. On tua le serpent ; mais le malheureux mourut quelques heures après.
Plusieurs lettres reçues de la Martinique par des lecteurs de ce livre m’ont signalé que le courrier des Antilles à son retour en France touche la Martinique avant de passer à la Guadeloupe et file directement sur Saint-Nazaire ou Bordeaux, et que l’anecdote qui précède doit n’être que l’écho d’un conte raconté aux enfants de la Guadeloupe. Cette relation est donc erronée. Mais un fait antérieur réel peut lui avoir donné naissance.
Le cas extraordinaire de clairvoyance et de prévision que voici a été publié par le même recueil (1896, p. 205).
LXXV. – Une dame de mes amies, Lady A…, habitait aux Champs-Elysées. Un soir d’octobre 1883, j’avais dîné chez elle. Malgré sa grande fortune, c’était une femme d’ordre. Très active, elle ne s’accordait que peu d’heures de sommeil. Tous les soirs, ses hôtes partis, elle faisait ses comptes.
Quel fut ce soir là son étonnement en constatant qu’une somme de 3 500 francs manquait dans la poche intérieure de l’immense sac de voyage où elle avait l’habitude de garder ses bijoux et son argent !
Cependant, la serrure n’était point forcée ; seuls les bords du sac semblaient avoir été un peu écartés… Et, pourtant, lady A… était certaine que, vers deux heures de l’après-midi, devant sa femme de chambre, elle avait ouvert son sac, payé une note, et sûrement remis l’argent à sa place ordinaire. Dans son trouble, elle sonna la femme de chambre qui ne put rien lui apprendre, mais qui eut le temps d’avertir tout le personnel. De sorte que, le coupable ou les coupables, − s’ils se trouvaient parmi les domestiques, − purent mettre en lieu sûr le fruit de leur larcin.
Le lendemain, dès l’aurore, le commissaire de police de la rue Berrier fut averti. On fouilla maîtres et domestiques, armoires, placards, tous les meubles enfin.
Naturellement, on ne trouva rien.
Le commissaire ayant terminé ses recherches infructueuses causa un moment avec lady A… Il lui demanda quelles étaient ses impressions au sujet de la manière dont s’était accomplit le vol… lesquels parmi ses domestiques étaient moins dignes de confiance, etc.
Lady A…, en énumérant ses serviteurs, pria le commissaire d’exclure de ses soupçons son second valet de chambre, un jeune homme de dix-neuf ou vingt ans, fort bien de sa personne, très respectueux, très au courant du service, qu’on avait surnommé « le petit », non à cause de sa taille, car il était plutôt grand, − mais par un sentiment de gentille familiarité protectrice que lui avaient acquis ses bonnes qualités.
La matinée s’était presque écoulée dans ces formalités sans résultat, lorsque, lady A…, m’envoya Melle C…, l’institutrice de sa plus jeune fille, pour me raconter ce qui lui arrivait et pour me prier d’accompagner cette dame chez une clairvoyante dont j’avais, − quelques jours auparavant, − vanté la lucidité. Nous y allâmes.
Mme E…, notre clairvoyante, apporta un bol rempli de marc de café, pria Melle C… de souffler dessus par trois fois ; après quoi, ce marc fut versé dans un autre bol, le premier s’abouchant sur le second afin que son contenu passât en partie dans le nouveau récipient, ne retenant sur la surface de ses côtés intérieurs que quelques parcelles plus solides de la poudre de café qui devait, en laissant s’échapper la partie liquide, former d’étranges dessins dans lesquels la pythonisse semblait lire.
Pendant cette préparation occulte, il fallait nous occuper, Mme E… avait étalé ses cartes et commençait : « Ah !... mais… c’est un vol, un vol commis par une personne de la maison et non par quelqu’un s’introduisant subrepticement. »
Ceci promettait bien… Nous reconnûmes que ce qu’elle avançait était vrai… Quant au voleur, il nous était malheureusement inconnu.
« Attendez, nous dit-elle, je vais maintenant voir les détails dans le marc qui doit avoir formé son dépôt. »
Elle saisi le bol renversé, y fit souffler par trois fois Melle C…, prit son lorgnon.
Alors, comme si elle avait assisté à la scène, elle nous dépeignit pièce par pièce la topographie de l’appartement de lady A…, sans jamais se tromper d’une chambre ou d’un salon. Elle vit défiler devant ses yeux, comme dans une lanterne magique, sept domestiques dont elle nous dit exactement le sexe et les attributions. Puis, pénétrant de nouveau dans la chambre de lady A…, elle aperçut une armoire qui lui parut bien étrange :
« Elle a, nous répétait-elle, avec étonnement, un placard au centre, dont la porte est recouverte d’une glace ; et, de chaque côté de cette armoire principale, il y en a encore deux autres sans glace, et tout cela se tient… « Pourquoi cette armoire n’est-elle jamais fermée ? Pourtant elle contient toujours l’argent qui est… dans… Quel objet bizarre !... il s’ouvre comme un porte-monnaie, forme pochette… pas comme un coffret… Ah ! J’y suis !... c’est un sac de voyage… Quelle idée de mettre son argent là ! Et surtout, quelle imprudence de laisser ce placard ouvert !…
« Les voleurs connaissaient bien le sac… Ils n’ont point forcé la serrure. Ils ont introduit un objet assez large, pour en écarter les deux côtés ; puis, à l’aide d’un ciseau ou d’une pince, ils ont attiré l’argent qui était en billets de banque… »
Nous l’avions laissée parler. Tout ce que nous avait dit cette femme nous confondait, dans la vérité des détails, même les plus infimes.
Elle s’arrêta fatiguée. Nous, nous désirions en savoir davantage. Nous la priâmes, nous la suppliâmes de nous dire lequel ou lesquels des domestiques avaient commis le larcin, puisqu’elle nous assurait que c’était quelqu’un du personnel.
Elle avoua qu’il lui était impossible de le faire sans encourir les rigueurs de la loi française qui ne peut et ne doit admettre qu’un coupable soit retenu comme tel, sans preuves, par des moyens occultes.
A force d’être pressée, elle nous assura pourtant que l’argent de lady A… ne serait jamais trouvé ; ce qui était très probable, puisque le coupable ne serait point pris pour ce vol, et enfin, ce qui était plus étonnant, que « deux ans plus tard, il subirait la peine capitale ».
Toutes les fois que son regard, parcourant les dessins du marc, s’était porté sur le « petit », elle l’avait vu près des chevaux. Nous lui avions certifié que jamais il n’avait servi de valet de pied, étant consacré exclusivement au service de la maison, et les valets de pied demeurant avec les cochers ; Mme E… s’était entêtée dans son dire. Plus nous l’avions contredite, plus elle avait affirmé.
Nous avions fini par abandonner ce petit rien, qui nous choquait cependant comme une tache dans un ensemble surprenant d’exactitude.
Lady A…, au bout de quinze jours renvoya son maître d’hôtel et sa femme de chambre. « Le petit », sans qu’on eut sût la raison, quitta lady A… trois ou quatre semaines plus tard. L’argent ne fut pas retrouvé ; et, un an plus tard, lady A… partait pour l’Egypte.
Deux ans après cet évènement, lady A… recevait, venant du Tribunal de la Seine, l’avis de se rendre comme témoin, à Paris.
On avait trouvé l’auteur du vol. Il venait de se faire prendre : « le petit », doué de tant de qualités, n’était autre que Marchandon, l’assassin de Mme Cornet.
Comme on le sait, il subit la peine capitale, ainsi que l’avait annoncé la clairvoyante de la rue de Notre-Dame-de-Lorette, et, dans le procès, il fut constaté que « le petit » avait, aux Champs-Elysées, tout près de la résidence de lady A…, un frère cocher dans une grande maison.
« Le petit » ou Marchandon puisqu’ils ne font qu’un, profitait alors de tous ses moments de liberté pour aller vers son frère, car il était grand amateur de chevaux. C’est donc là la raison pour laquelle Mme E… nous avait affirmé, malgré nos contradictions, qu’elle le voyait sans cesse près des chevaux.
Elle avait encore vu vrai, dans ce petit détail que les péripéties du procès nous ont livré.
L. D’Ervieux,
Certifié conforme à la vérité,
C. Deslions,
ayant assisté à la consultation.
REMARQUE. – Ce cas de clairvoyance est absolument extraordinaire. Nous avons vu lady A… qui nous a confirmé l’exactitude du récit qui précède.
Il ne faut évidemment voir dans l’emploi des cartes et du marc de café qu’un moyen employé, sans doute inconsciemment par le sujet, pour se mettre en auto-somnambulisme, c’est-à-dire dans un état second où la conscience normale devient inactive au profit de l’inconscient. Dans cet état second, les facultés inconscientes peuvent prendre tout leur essor et il est possible d’admettre que la faculté de clairvoyance, que nous possédons peut-être tous à un état plus ou moins rudimentaire, puisse s’exercer plus librement et acquérir, chez des sujets prédisposés, un certain degré de précision.
Dariex.
M. Myers cite dans le même recueil (1899, p. 170), ce cas suivant de répétition d’un rêve prémonitoire :
LXXVI. – Il y a soixante ans, Mme Carleton mourut dans le comté de Leitrim. Elle était l’amie intime de ma mère, et peu de jours après sa mort elle lui apparut en rêve et lui dit que jamais plus ma mère ne la verrait en rêve, sauf une fois, qui aurait lieu vingt-quatre heures avant sa mort.
En mars 1864, ma mère habitait avec mon beau-fils et ma fille, le docteur de Mme Lyon, à Dalkey. Le 2 mars au soir, ma mère monta dans sa chambre, très en train, riant et plaisantant avec Mme Lyon. Cette même nuit, où plutôt le matin suivant, le docteur Lyon entendant du bruit dans la chambre de ma mère réveilla Mme Lyon et l’envoya voir ce qui se passait. Elle trouva ma mère le corps à moitié sorti de son lit avec une expression d’horreur peinte sur ses traits. On lui donna les meilleurs soins, et le lendemain matin, elle paraissait rétablie en son état ordinaire. Elle déjeuna comme d’habitude, dans son lit et très gaiement. Elle pria ma fille de dire à la servante de lui préparer un bain qu’elle prit. Elle envoya ensuite chercher Mme Lyon et lui dit que Mme Carleton était enfin, après un intervalle de cinquante-six ans, venue lui parler de sa mort prochaine, et qu’elle mourait le lendemain matin à la même heure que celle où ils l’avaient trouvée comme je viens de le dire. Elle ajouta qu’elle avait, par précaution, prit un bain pour éviter le lavage de son corps. Elle commença alors à décliner peu à peu et mourut le lendemain du 4 mars à l’heure qu’elle avait dite.
Le docteur et Mme Lyon peuvent corroborer ce récit. Ma mère m’a toujours dit qu’elle reverrait Mme Carleton juste avant sa mort.
Thomas James Norris.
Dalkey, Irlande.
Suivent des attestations.
M. Myers écrit à ce propos :
Il y a, dit-il, trois explications possibles à ces faits :
Je suis, quant à moi, tout disposé à admettre que la défunte Mme Carleton connaissait réellement la maladie qui menaçait son amie, et que les deux rêves furent produits télépathiquement par un esprit désincarné chez un esprit incarné. Mais nous pouvons aussi supposer que le premier rêve, quoique purement accidentel, fit une si profonde impression que quand il se produisit, aussi par hasard, il fut l’équivalent d’une autosuggestion de mort. Ou bien nous pouvons supposer que le premier rêve fut accidentel, mais que le second fut symbolique, et produit par quelque sensation organique qui préludait à la mort imminente, mais fut perceptible pendant le sommeil avant de l’être à l’état de veille.
Il y a cependant des cas où ces prédictions de mort en rêve sont faites si longtemps à l’avance et avec tant de latitude pour la date fixée pour le décès qu’il est difficile de concevoir que ce soit l’autosuggestion qui amène le résultat.
Nous ne commençons pas ici la discussion du grand problème des communications de morts, qui demandera, à lui seul, des développements indispensables à son élucidation, si même nous pouvons y arriver. On a déjà pu en remarquer plusieurs dans la variété des exemples consignés ici. Nous en possédons un nombre considérable, dont l’analyse exige un travail encore plus attentif que celui qui a présidé aux recherches précédentes, dans lesquelles nous ne sommes pas sortis du cadre des êtres vivants.
Ce que nous voulons établir ici par la publication de ces rêves prémonitoires, c’est que réellement des songes ont PREVU ET ANNONCE L’AVENIR, et cela avec précision. Il ne s’agit pas de pressentiments vagues ou de prédictions alambiquées à double et triple sens, dans le genre de celles de Nostradamus, qui peuvent s’appliquer après coup à plusieurs évènements différents, mais de la vue réelle et exacte de ce qui est ensuite arrivé.
Pour le moment, nous n’irons pas plus loin. L’être humain est doué de facultés encore inconnues qui permettent de voir de loin, dans l’espace et dans le temps. C’est ce que nous voulions démontrer par un ensemble de témoignages satisfaisants.
Quant à en changer les lois, l’heure n’en est pas venue. On a pu remarquer que ces rêves concernent souvent les choses les plus banales, celles de la vie quotidienne. Mais on peut avouer, du reste, que la vie humaine terrestre est, en générale, ainsi composée.
De ce que l’avenir a été vu en certains rêves exceptionnels, il ne faudrait pas en conclure à l’interprétation générale des songes. Ce serait là une erreur complète. Je ne conseillerais pas davantage de consulter qui que ce soit sur l’avenir.
La place nous manque pour traiter dans ce volume la question des pressentiments, ainsi que celle de la divination de l’avenir à l’état éveillé, et nous sommes obligés de remettre à plus tard ces intéressantes recherches. Le fait est également résolu pour nous dans le sens de l’affirmative. La curieuse impression de déjà vu sera ensuite examinée. Puis nous arriverons à l’éternel problème du libre arbitre et de la destinée, et nous constaterons que l’avenir existe aussi sûrement que le passé et le présent, déterminé par les causes qui l’amèneront, en vertu de ce principe absolu qu’il n’y a pas d’effets sans causes, l’âme humaine, avec toutes ses facultés, étant d’ailleurs l’une de ces causes.
On ne peut tout faire à la fois, et je m’excuse plutôt, en lisant le chiffre 575 au-dessus de cette page, de la longue attention à laquelle j’ai soumis mes lecteurs et mes lectrices. Mais ce qu’il importait de faire avant tout, c’était une classification méthodique des phénomènes, c’était de commencer par les plus sûrs, de les étudier successivement et complètement, et d’admettre d’abord ce qui paraît démontré à notre raison comme certitude morale.
Les manifestations télépathiques de mourants, la transmission de pensée, l’action psychique d’un être humain sur un autre à distance, sans l’intermédiaire des sens, la vue à distance et la prévision de l’avenir en rêve et en somnambulisme, sont pour nous des faits certains. Il nous à paru logique de commencer par là notre investigation du monde invisible.
Conclusion
Les documents présentés dans ce volume à l’attention des amis de la vérité sont loin d’embrasser l’ensemble des phénomènes psychiques ; mais ils nous conduisent déjà à quelques conclusions préliminaires.
Le but de ces recherches est de savoir si l’âme humaine existe comme une entité indépendante du corps, et si elle survit à la destruction de celui-ci.
Eh bien ! Les faits qui viennent d’être exposés plaident presque tous en faveur de cette existence. L’hypothèse d’influences physiques, mécaniques, physiologiques, ne les explique pas. Le mot âme, esprit, entité psychique est celui qui convient le mieux pour correspondre à ces transmissions. Le mot cerveau ne suffit pas.
Une âme peut en influencer une autre à distance et sans l’intermédiaire des sens.
Il y a là témoignages de facultés d’ordre psychique et non d’ordre physiologique.
Un grand nombre de morts, dont les exemples sont donnés ci-dessus, ont été apprises par communications télépathiques, apparitions (subjectives ou objectives), appels de voix entendus, chants, bruits et mouvements (fictifs ou réels), impressions diverses.
Il n’y a plus aucun doute à conserver sur ce point. Donc l’âme agit à distance.
La suggestion mentale est également certaine.
La communication psychique entre vivants n’est pas moins prouvée par un nombre suffisant de faits d’observation. Il y a des courants psychiques comme il y a des courants aériens, électriques, magnétiques, etc.
L’abondance des témoignages récents et contemporains nous a empêché de citer les récits anciens, qui ne sont pas plus négligeables que les modernes, et dont plusieurs se présentent avec tous les caractères d’une authenticité incontestable. Peut-être les décrirons-nous un jour avec tous leurs intéressants détails.
La télépathie était presque un des lieux communs de la littérature antique. Les œuvres d’Homère, d’Euripide, d’Ovide, de Virgile, de Cicéron mettent très souvent en scène des manifestations de mourants et de morts, des apparitions, des évocations, des réalisations de songes prémonitoires.
On peut suivre ces faits télépathiques dans toute l’histoire de l’humanité, et chez tous les peuples, depuis l’antiquité, à travers la lente succession des siècles, jusqu’à notre époque moderne. Ils sont extrêmement nombreux et l’on s’est trompé en les considérant tous comme faux et légendaires.
Ces observations ne datent donc pas d’aujourd’hui. Nous devons espérer que leur étude scientifique les fera sortir des ombres de la légende et de la superstition.
L’espace nous manque pour analyser en détail chacun de ceux que nous avons enregistrés dans ce volume et pour établir dès maintenant qu’il y a un grand nombre de causes diverses en jeu dans ces phénomènes. Nous avons d’abord voulu prouver ici la réalité des manifestations de mourants, de l’action psychique à distance, des communications mentales, de la connaissance des choses par l’esprit sans le concours des sens.
On peut voir sans les yeux, entendre sans les oreilles, non point par une hyperesthésie du sens de la vue ou de l’ouïe, car ces observations prouvent le contraire, mais par un sens intérieur, psychique, mental.
La vue intérieure de l’âme peut voir non seulement ce qui se passe au loin, à des distances considérables, mais elle peut encore connaître d’avance ce qui arrivera dans l’avenir. L’avenir existe potentiellement, déterminé par les causes qui amèneront les effets successifs.
L’OBSERVATION POSITIVE PROUVE L’EXISTENCE D’UN MONDE SPYCHIQUE, aussi réel que le monde connu par nos sens physiques.
Maintenant, de ce que l’âme agit à distance par une force qui lui est propre, sommes-nous autorisés à en conclure qu’elle existe comme un être réel, qu’elle n’est pas une résultante des fonctions du cerveau.
La lumière existe-t-elle réellement ?
La chaleur existe-t-elle ?
Le son existe-t-il ?
Non.
Ce ne sont là que des manifestations de mouvements.
Ce que nous appelons lumière est une sensation produite sur notre nerf optique par les vibrations de l’éther comprises entre 400 et 756 trillions par seconde, ondulations obscures en elles-mêmes.
Ce que nous appelons chaleur est une sensation provoquée par des vibrations, non chaudes en elles-mêmes, dont le nombre est compris entre 350 et 600 trillions.
Le soleil éclaire l’espace à minuit comme à midi. Cependant l’espace reste noir. Sa température est voisine de 270 degrés au-dessous de zéro.
Ce que nous appelons son est une sensation produite sur notre nerf auditif par des vibrations de l’air, silencieuses en elles-mêmes, comprises entre 32 et 36 000 par secondes.
L’électricité existe-t-elle ou n’est-elle elle-même qu’un mode de mouvement ? L’avenir de la science nous l’apprendra. (Il est possible qu’elle existe comme entité réelle. L’éther ne serait-il pas une substance électrique ?)
Le mot d’attraction n’a été donné par Newton que pour représenter la manière dont les corps célestes se meuvent dans l’espace. « Les choses se passent, dit-il, comme si ces corps s’attiraient. » Quant à l’essence, à la nature de cette force apparente, nul ne la connait.
Un grand nombre de termes scientifiques ne représentent que des effets, non des causes.
Il pourrait se faire que l’âme fût dans le même cas.
Les observations exposées dans cet ouvrage, les sensations, les impressions, les visions, etc., pourraient indiquer des effets physiques produits entre cerveaux.
Oui, sans doute. Mais c’est ce qui semble ne pas être.
Examinons un exemple.
Ouvrons ce livre à la page 186 :
Une jeune femme, adorée de son mari, meurt à Moscou. Son beau-père, à Poulkovo, près de Saint-Pétersbourg, la voit, à cette heure même, à côté de lui, l’accompagnant dans la rue, puis disparaissant. Saisi de surprise et d’effroi, il télégraphie à son fils et apprend à la fois la maladie et la mort de cette jeune femme.
Nous sommes absolument obligés d’admettre que « quelque chose » est émané de la mourante et est venu toucher son beau-père. Cette « chose inconnue » peut être un mouvement éthéré, comme dans le cas de la lumière, et n’être qu’un effet, un produit, un résultat ; mais cet effet a une cause, et cette cause c’est la mourante, évidemment. La constitution du cerveau peut-elle expliquer cette projection ? Je ne pense pas qu’aucun anatomiste ni aucun physiologiste ose répondre affirmativement. On sent là une propriété inconnue, non de l’organisme physique, mais de l’être pensant.
Prenons un autre exemple, soit page 79 :
Une dame, chez elle, entend une voix qui chante, la voix d’une amie entrée au couvent, et tombe évanouie parce qu’elle a compris que c’était la voix d’une morte ! Au même moment, cette amie mourrait, en effet, à quarante kilomètres de là.
N’avons-nous pas ici la même impression, celle d’une communication d’âme à âme ?
Un autre exemple encore (p. 195) :
La femme d’un capitaine parti pour les Indes voit, une nuit, son mari debout devant elle, les mains pressées contre la poitrine et l’air souffrant. La communication qu’elle en ressent la convainc qu’il est tué ou gravement blessé. C’était le 14 novembre. Le ministère de la Guerre lui annonce ensuite qu’il a été tué le 15. Elle fait vérifier. Le ministère s’était trompé : c’était bien le 14 qu’il était mort.
Un enfant de six ans s’arrête au milieu de ses jeux en s’écriant d’un air effrayé : « Maman, j’ai vu maman ! » A cet instant même sa mère mourait, loin de là (page 153).
Une jeune fille au bal s’arrête tout à coup au milieu d’une danse et, fondant en larmes, s’écrie : « mon père est mort, je viens de le voir ! » Au moment même mourait son père, qu’elle ne savait pas malade (page 141).
Tous ces faits se présentent à nous comme indiquant non les actes physiologiques du cerveau à cerveau, mais des actes psychiques d’esprit à esprit.
Sans doute, il est toujours difficile de faire la part de ce qui appartient à l’esprit, à l’âme, et de ce qui appartient au cerveau. Nous ne pouvons nous laisser guider dans nos appréciations et dans nos jugements que par le sentiment intime qui résulte en nous de la discussion des phénomènes. C’est ainsi que toutes les sciences ont été fondées. Eh bien ! Chacun ne sent-il pas ici qu’il s’agit de manifestations d’un être pensant et non pas seulement de faits physiologiques matériels ou de transformations de l’énergie physique ?
Cette impression est surabondamment confirmée par la constatation de facultés de l’âme inconnues, en jeu dans les rêves et le somnambulisme.
Un frère apprend la mort de sa sœur par un horrible cauchemar (p. 453).
Un monsieur rêve qu’il voit tomber d’une fenêtre une jeune fille, qu’il ne connaît pas d’ailleurs (p. 466). – Une dame voit en rêve un de ses amis se noyer (p. 470).
Une mère voit en rêve sa fille tombée sur une route et couverte de sang (p. 473).
Une dame va, en rêve, visiter son mari sur un navire lointain, et son mari reçoit réellement cette visite, vue par une troisième personne (p. 489).
Une dame magnétisée voit et décrit tout l’intérieur du corps de sa mère mourante, état exact constaté à l’autopsie (p. 498).
Un monsieur voit en rêve une dame de ses amies arriver par le chemin de fer, voyage imprévu d’ailleurs (p. 514).
Une jeune fille voit d’avance en rêve le jeune homme inconnu qu’elle épousera (p. 516).
Une dame voit le cercueil dans lequel sera enseveli un monsieur important auquel elle parle (p. 522).
Plusieurs personnes voient d’avance une ville, un paysage, des situations où ils se trouvent réellement ensuite (P ; 517, 527, 528, 531, 535, 539, 547, 550, 555).
Une mère entend, six mois à d’avance, sa fille lui annoncer un mariage imprévu (p. 533).
Une mort est prédite avec précision (cas fréquents).
Un vol est vu par une somnambule, et l’exécution du coupable annoncée (p. 556).
Une jeune fille voit son fiancé, son ami intime, au moment de la mort (cas fréquents).
L’action psychique d’un esprit sur un autre, la communication à distance existent, aussi sûrement que les courants électriques et magnétiques de l’atmosphère (p. 274−363).
Ce sont là des facultés de l’âme inconnues. Telle est du moins mon impression. Il ne me semble pas que l’on puisse raisonnablement attribuer la prévision de l’avenir et la vue mentale à une production nerveuse du cerveau.
Le cerveau n’est qu’un organe, comme le nerf optique ou le nerf auditif. L’âme, l’esprit, l’être intellectuel agit et perçoit par lui, mais n’en est pas une propriété physique.
La divination de l’avenir est peut-être ce qu’il y a encore de plus extraordinaire, car pour qu’elle existe, il faut que l’avenir soit déterminé d’avance avec certitude par les causes qui l’amèneront. Remarquons qu’un seul fait de ce genre, exactement constaté, prouverait la thèse. Or, ce n’est pas un fait que nous avons sous les yeux, mais des centaines.
L’espace nous manque – et ce n’est pas ici le lieu – pour discuter le grave problème du libre arbitre et de la fatalité. Rappelons simplement les paroles suivantes de Laplace : « Les évènement actuels ont avec les précédents une liaison fondée sur le principe évident qu’une chose ne peut pas commencer d’être sans une cause qui la produise. Cet axiome connu sous le nom de principe de la raison suffisante s’étend aux actions les plus indifférentes. La volonté la plus libre ne peut sans un motif déterminant leur donner naissance, car si toutes les circonstances de deux positions étant exactement les mêmes, elle agissait dans l’une et s’abstenait d’agir dans l’autre, son choix serait un effet sans cause : elle serait alors, dit Leibniz, le hasard aveugle des épicuriens. L’opinion contraire est une illusion de l’esprit qui, perdant de vue les raisons fugitives du choix de la volonté dans les choses indifférentes, se persuade qu’elle s’est déterminée d’elle-même et sans motifs. Nous devons donc envisager l’état présent de l’univers comme l’effet de son état antérieur et comme la cause de celui qui va suivre. Une intelligence qui connaîtrait toutes les forces dont la nature est animée et la situation respective des êtres qui la composent, si d’ailleurs elle était assez vaste pour soumettre ces données à l’analyse, embrasserait dans la même formule les mouvements des plus grands corps de l’univers et ceux du plus léger atome : rien ne serait incertain pour elle, et l’avenir comme le passé serait présent à ses yeux. L’esprit humain offre dans la perfection qu’il a su donner à l’astronomie, une faible esquisse de cette intelligence ».
Si l’avenir est inévitable, que devient notre libre arbitre ? La philosophie conciliera sans doute un jour ces deux contradictions apparentes, car nous avons le sentiment de pouvoir choisir et de l’utilité des efforts accomplis, et tout le progrès des peuples occidentaux est dû précisément à l’action intellectuelle, opposée au fatalisme des Orientaux. Des faits en apparence contradictoires s’expliquent déjà aujourd’hui par la connaissance des choses, par exemple l’élévation d’un lourd morceau de fer sous l’influence d’un aimant. L’ascension d’un ballon est aussi naturelle que la chute d’une pierre. Que les moralistes n’arguent donc pas des conséquences d’une certaine nécessité déterminée d’avance, pour se refuser à admettre les prévisions d’avenir reconnues et contrôlées. Les contradictions ne sont qu’apparentes. Le déterminisme n’est pas le fatalisme.
Les phénomènes que nous étudions ne sont peut-être pas aussi éloignés qu’ils le paraissent des raisonnements de la science positive.
Je crois qu’il faut, ou nier tous ces faits, ou admettre qu’ils dénotent une cause intellectuelle, spirituelle, d’ordre psychique, et je suis d’avis que les sceptiques de parti pris préfèreront les nier, les traiter d’illusions et de coïncidences fortuites : ce sera plus simple. Les négateurs intransigeants, rebelles même à l’évidence, seront encore plus absolus et déclareront que les auteurs de ces récits extravagants sont des farceurs qui m’ont écrit pour me mystifier, et qu’il en a été de même dans tous les siècles pour tous les penseurs qui ont eu à s’occuper de ces questions.
Serait-il vraiment possible de nous refuser à accepter tous ces témoignages humains ? Il ne semble pas que nous en ayons le droit. Ceux qui ont été contrôlés ont prouvé leur vérité, leur authenticité. Ce n’est pas après coup qu’ils ont été imaginés ou arrangés : c’est, au contraire, leur spontanéité qui a frappé, et c’est souvent à cause de cet apparent mystère que l’on m’a écrit, dans le désir de recevoir une explication. Sans doute, tous les récits n’offrent pas les mêmes garanties et plusieurs peuvent, très sincèrement d’ailleurs, s’être eux-mêmes modifiés dans la mémoire des narrateurs et adaptés plus strictement aux évènements ; mais ils n’ont pas été inventés pour cela, et ce ne sont point là des mystifications. Récuser tous ces témoignages conduirait à récuser les relations de tout ce qui se passe constamment autour de nous dans la vie, sous prétexte qu’on n’a pas tout vérifié ou que certains détails sont inexactes. Je m’en tiens ici au raisonnement d’Emmanuel Kant cité plus haut (p. 226) et à ce que j’ai déjà fait remarquer à ce propos (p. 219).
Telle est du moins mon impression, et je la soumets avec confiance aux lecteurs soucieux d’arriver à la vérité, sans d’ailleurs avoir en aucune façon la présomption d’imposer mon opinion à personne. Chacun appréciera suivant son jugement propre. J’essaye simplement de mettre les choses au point, comme un astronome à sa lunette, un photographe devant un paysage ou d’un naturaliste armé d’un microscope.
Ces phénomènes prouvent selon moi, que l’âme existe et qu’elle est douée de facultés encore inconnues. C’est par là qu’il était logique de commencer nos études, dont la suite nous conduira au problème de la survivance et de l’immortalité. Une pensée peut se transmettre d’un esprit à un autre. Il y a des transmissions mentales, des communications de pensées, des courants psychiques entre les âmes humaines. L’espace ne semble pas un obstacle, et le temps paraît parfois annihilé.
Quel est le mode d’énergie en jeu dans ces transmissions ? Il est impossible de le dire actuellement. Un certain nombre des impressions ressenties font songer aux faits et gestes de la foudre et de l’électricité. Il ne serait pas déraisonnable de penser que cet agent soit beaucoup plus intimement associé à l’organisme humain qu’on ne l’a cru jusqu’ici. Mais, encore une fois, l’heure des théories n’est pas venue.
Tout en restant relativement rares et en ayant pas la banalité des choses ordinaires de la vie quotidienne, ces faits sont beaucoup plus nombreux et plus fréquents qu’on ne l’a pensé jusqu’à présent. Nous avons vu plus haut que l’enquête ouverte par moi au mois de mars 1899 m’en a transmis 1130. En y ajoutant ceux que j’ai reçus pendant l’impression de ce volume, ils dépassent 1200. On a pu lire, juger, apprécier, dans ce premier volume, 186 cas de manifestations de mourants constatées à l’état éveillé, 70 cas perçus pendant le sommeil, 57 observations ou expériences de transmission de pensée sans le concours de la vue, de l’ouïe ou du toucher, 49 exemples de vue à distance en rêve ou en somnambulisme, 80 rêves prémonitoires ou divinations de l’avenir, soit 442 phénomènes d’ordre psychique indiquant l’existence de forces encore inconnues agissant entre les êtres pensants et les mettant en communication latente les uns avec les autres. (J’en ai encore peut-être autant d’analogues.) Même en faisant la part la plus large aux variations de la mémoire et à l’imagination des narrateurs, il n’est pas possible de ne pas sentir et de ne pas reconnaître dans ces témoignages un fond de vérité et de sincérité incontestables. D’ailleurs, certaines observations et certaines expériences ont été relatées avec un tel souci de ne laisser aucune prise à l’erreur, qu’elles portent en elles-mêmes le caractère de l’authenticité scientifique la plus absolue et la mieux contrôlée. Ce sont donc là surtout des témoins qui accusent le scepticisme des négateurs de parti pris et le réduisent à la dernière extrémité. Et maintenant que l’attention générale est appelée sur ces sortes de faits, on en remarquera un nombre beaucoup plus grand, qui passaient inaperçus ou auxquels on attribuait aucune valeur. En astronomie, une fois que les astres sont découverts, tout le monde les voit.
Il me semble que les conclusions suivantes ressortent logiquement de l’ensemble des faits exposés :
1) L’ÂME EXISTE COMME UN ÊTRE REEL, INDEPENDANT DU CORPS ;
2) ELLE EST DOUEE DE FACULTES ENCORE INCONNUES A LA SCIENCE ;
3) ELLE PEUT AGIR ET PERCEVOIR A DISTANCE, SANS L’INTERMEDIAIRE DES SENS ;
4) L’AVENIR EST PREPARE D’AVANCE, DETERMINE PAR LES CAUSES QUI L’AMENERONT. L’ÂME LE PERCOIT QUELQUESFOIS.
D’autres observations sont déjà présentées, notamment en ce qui concerne les doubles des vivants, le corps éthéré ou astral et les manifestations de morts ; mais les quatre points qui précèdent me paraissent affirmés et démontrés.
Quant aux explications, il est sage de n’y point prétendre. J’ai déjà montré plusieurs fois dans ce livre qu’elles ne sont pas nécessaires pour admettre leurs faits. On est dupe, en général sur ce point, d’illusions assez singulières. Par exemple, au temps des possédées de Loudun ou des convulsionnaires de Saint-Médard, les effets de la suggestion et de l’hypnotisme étant inconnus, on déclarait que ces phénomènes étaient ou frauduleux, ou diaboliques. Or, ils ne sont ni l’un ni l’autre. Aujourd’hui, plusieurs s’expliquent, et l’on entend souvent dire de tous ceux dont on parle : « c’est de l’hypnotisme, c’est de la subjection, c’est de la subconscience ». Autre erreur. Ce peut n’être ni l’un ni l’autre non plus, et n’en pas moins exister pour cela. Ne fermons pas le cercle de nos conceptions, n’établissons ni écoles ni systèmes, et ne prétendons pas que tout doive actuellement s’expliquer pour être admis. La science est loin d’avoir dit son dernier mot en quoi que ce soit.
Ces études dépassent de beaucoup l’étendue d’un volume dans laquelle j’avais eu l’intention de les renfermer. Mais ce cadre restreint m’obligeait à tant de condensation, de restrictions et de suppressions que la connaissance des sujets en était considérablement diminuée, et insensiblement, naturellement, un plus grand développement s’est imposé. Être trop incomplet eût été ne rien prouver. J’ai préféré traiter entièrement et méthodiquement les sujets d’études au lieu d’en effleurer superficiellement et inutilement un trop grand nombre. Il faut, dans ces sortes de recherches, des preuves accumulées et convaincantes, des témoignages sûrs, nombreux et concordants. Il importait d’abord de prouver. J’espère que cette démonstration est faite ici pour tout esprit libre, éclairé et de bonne foi.
La suite de ces recherches conduit à examiner les phénomènes du spiritisme et de la médiumnité, ceux du somnambulisme, du magnétisme et de l’hypnotisme, la connaissance des faits lointains et de l’avenir en dehors des rêves, les pressentiments, les doubles de vivants, le corps astral, les apparitions et manifestations de morts, les maisons hantées, les mouvements d’objets sans contact, la sorcellerie, la magie, etc., etc.
Ce que nous pouvons penser, dès aujourd’hui, c’est que, tout en faisant la part des superstitions, des erreurs, des illusions, des farces, des malices, des mensonges, des fourberies, il reste des faits psychiques véritables, dignes de l’attention des chercheurs. C’est dire que nous sommes entrés dans l’investigation de tout un monde, aussi ancien que l’humanité, mais encore bien nouveau pour la méthode scientifique expérimentale qui commence seulement à s’y attaquer depuis quelques années, et simultanément dans tous les pays.
C’est là un programme d’étude que j’aimerai mener à bonne fin, si le temps indispensable pour y parvenir m’était donné. Mais, d’autre part, il est prudent de ne pas se livrer exclusivement à ces sortes de sujets occultes, parce qu’on perdrait assez vite l’indépendance d’esprit nécessaire pour juger impartialement : il vaut mieux ne voir là qu’un hors d’œuvre de la vie normale, une distraction d’ordre supérieur, curieuse et intéressante : il y a des mets et des liqueurs qu’il est plus hygiénique de ne prendre qu’à petites doses. D’autre part, la terre tourne très vite et les jours passent comme des rêves. J’espère néanmoins me donner le plaisir scientifique d’étudier une partie de ces mystères. Et puis, ce que l’un ne fait pas, d’autres le font, chacun apporte sa modeste pierre de la pyramide future.
Rappelons aussi que ces faits sont exceptionnels. Les phénomènes psychiques de tout ordre, d’ailleurs, tout en cessant d’appartenir au domaine morbide des superstitions et des fantômes occultes et en étant appelés dans la lumière des méthodes expérimentales, ne cesseront pas pour cela de rester anormaux et exceptionnels. On ne doit donc jamais s’y abandonner en négligeant l’esprit critique sans lequel la raison humaine ne serait qu’un leurre, et l’on ne doit les considérer que comme des sujets d’études intéressants pour notre connaissance de nous-mêmes. Il faut bien avouer, en effet, que ce que nous connaissons encore le moins, c’est notre propre nature. La maxime de Socrate « Connais-toi toi-même ! » peut toujours inspirer nos plus nobles pensées.
Tout auteur a charge d’âmes. On ne doit dire que ce que l’on sait. Peut-être ne doit-on pas toujours dire tout ce que l’on sait ; mais, même dans la vie normale de chaque jour, on ne devrait jamais dire que ce que l’on sait.
Etudions donc, travaillons et espérons. L’ensemble des faits psychiques montre que nous vivons au milieu d’un monde invisible au sein duquel s’exercent des forces encore inconnues, ce qui est d’accord avec ce que nous savons sur la limite de nos sens terrestres et sur les phénomènes de la nature. C’est même précisément à cause de cet état de choses que ce travail a pour titre l’Inconnu. Répétons avec Shakespeare la pensée que nous avons inscrite en épigraphe à l’un de nos chapitres :
Il y a plus de choses dans le ciel et sur la terre, Horatio,
Que n’en peut rêver toute notre philosophie ;
et disons aussi avec Lamartine, en revenant à la philosophie astronomique :
La vie est un degré de l’échelle des mondes
Que nous devons franchir pour arriver ailleurs.
Table des matières
Chapitre VI – L’action psychique d’un Esprit sur un autre 3
Chapitre VII – Le monde des rêves 41
Chapitre VIII – La vue à distance en rêve, des faits actuels 69
Chapitre IX – Les rêves prémonitoires et la divination de l’avenir 88
Conclusion 113 , tome