GABRIEL DELANNE
L’EVOLUTION ANIMIQUE
ESSAIS DE PSYCHOLOGIE PHYSIOLOGIQUE
SUIVANT LE SPIRITISME
INTRODUCTION
Le spiritisme est constitué par un ensemble de doctrines philosophiques révélées par les Esprits, c’est-à-dire par des intelligences ayant vécu sur la terre. Son étude peut se scinder en deux parties distinctes :
1° L’analyse des faits établissant la communication entre les vivants et ceux improprement appelés les morts ;
2° L’examen des théories élaborées par ces intelligences désincarnées.
La fin de ce siècle est caractérisée par une évolution radicale dans les idées. Partis du matérialisme, des hommes de sciences d’une haute envergure sont arrivés à se convaincre que le nihilisme intellectuel est la plus creuse des utopies.
Cette hypothèse, en contradiction avec toutes les connaissances que nous avons acquises sur l’âme, n’explique rien de la nature, et n’a pour résultats que le découragement profond, l’abâtardissement des intelligences, qu’elle place en face du néant.
Les anciennes croyances en l’immortalité, qui s’appuyaient sur l’enseignement religieux, ont presque disparu, et nous assistons aux lamentables conséquences qui résultent, pour la société, d’un manque d’idéal. Il est temps de réagir vigoureusement contre les sophismes des pseudo savants qui ont orgueilleusement décrété que la mort était inconnaissable, et, brisant toutes les entraves arbitraires qu’on voulait imposer à la recherche de l’au-delà, nous pouvons affirmer aujourd’hui que la survivance et l’immortalité du principe pensant sont des vérités démontrées avec une rigueur irrésistible.
Le spiritisme est venu à son heure. Devant les négations d’un scepticisme grossier, l’âme s’est affirmée vivante, après la mort, par des manifestations tangibles, qu’il n’est plus possible de contester maintenant, sans se voir taxé, à juste titre, d’ignorance ou de parti pris. C’est en vain que l’on a tenté, d’abord, de combattre la nouvelle doctrine par la raillerie. Tous les sarcasmes ont été inefficaces, car la vérité porte en soi un cachet de certitude qu’il est difficile de ne pas reconnaître ; aussi, adoptant une autre tactique, les négateurs ont espéré triompher de cette jeune science, en organisant autour d’elle la conspiration du silence.
Malgré les recherches nombreuses tentées dans ce domaine, par des physiciens et des chimistes émérites, la science officielle a fermé obstinément les yeux et les oreilles à ses assertions, et l’on a feint de croire que le spiritisme était mort. C’est là une illusion qu’il faut perdre, car il est, à l’heure actuelle, plus florissant que jamais.
Commencé par le mouvement des tables, ce phénomène a pris des proportions véritablement extraordinaires, répondant, à chacune des critiques formulées contre lui, par des faits établissant péremptoirement la fausseté des hypothèses imaginées pour l’expliquer.
A la théorie des mouvements naissants et inconscients, préconisée par des autorités comme Babinet, Chevreul, Faraday, les Esprits ont opposé le mouvement d’objets inanimés, se déplaçant sans contact visible de la part des opérateurs, ainsi que le constate le rapport de la Société Dialectique de Londres. A la négation d’une force émanant du médium, William Crookes répond en construisant un appareil qui mesure mathématiquement l’action, à distance, de la force physique . Pour détruire l’argument favori des incrédules : l’hallucination, les individualités de l’espace se font photographier, démontrant ainsi, d’une manière irréfutable, leur objectivité.
Il est possible encore d’avoir des moules reproduisant des parties d’un corps fluidique, temporairement formé, mais qui disparaît ensuite, ces empreintes matérielles restant comme des témoins authentiques de la réalité de l’apparition. Entre temps, les Esprits donnaient la mesure de leur pouvoir sur la matière, en produisant de l’écriture, en dehors de tous les moyens usités pour cela, en transportant, sans les endommager, à travers cloisons et murailles, des objets matériels, enfin, ils ont témoigné de leur intelligence et de leur personnalité par des preuves absolues, établissant qu’ils ont vécu antérieurement sur la terre.
On a fait bien souvent le procès du spiritisme, mais tous ceux qui l’ont tenté n’ont pu le détruire, et il sort agrandi, chaque fois, du baptême de la critique.
Tous les anathèmes, toutes les négations intéressées ont été forcées de disparaître, devant l’innombrable multitude de documents entassés par la ténacité des chercheurs. Le fait spirite a conquis des adeptes dans toutes les classes de la société.
Des législateurs, des magistrats, des professeurs, des médecins, des ingénieurs n’ont pas craint d’affirmer la foi nouvelle, résultant pour eux d’un examen attentif et d’une longue expérimentation ; il ne manquait plus aux manifestations que la consécration de la science, elles l’ont obtenue par la voix de ses plus célèbres représentants. En France, en Allemagne, en Angleterre, en Italie, en Russie, aux Etats-Unis des savants illustres ont donné à ces recherches un caractère si rigoureusement positif qu’il n’est plus permis aujourd’hui de récuser l’autorité de ces affirmations, mille fois répétées.
La lutte a été longue et acharnée car les spirites ont à combattre les matérialistes dont ces expériences anéantissent les théories, et les religions qui sentent vaciller leurs dogmes séculaires sous la poussée irrésistible des individualités de l’espace.
Nous avons exposé méthodiquement dans un précédent ouvrage , le magnifique développement atteint par l’expérimentation. Nous avons discuté point par point toutes les objections des incrédules, nous avons établi l’insanité des théories imaginées pour rendre compte de ces phénomènes, soit par les lois physiques actuellement connues, soit par la suggestion ou l’hallucination, et, de notre examen impartial, s’est dégagée l’irrésistible certitude qu’ils sont dus aux âmes des hommes qui ont vécu sur la terre.
A l’heure actuelle, aucune école philosophique ne peut fournir une explication adéquate aux faits, en dehors du spiritisme. Les théosophes, les occultistes, les mages et autres évocateurs du passé ont vainement tenté d’expliquer ces phénomènes en les attribuant à des êtres imaginaires appelés « Elémentals ou Elémentaires, ou coques astrales, ou inconscient inférieur » toutes ces hypothèses ne résistent pas à un examen sérieux, ne rendent pas compte de toutes les expériences et n’ont d’autre résultat que de compliquer la question sans nécessité.
Aussi, tous ces systèmes n’ont pu se propager et ont été aussi oubliés que produits. La survivance de l’être pensant s’est affirmée, dégagée de toutes ces scories, avec une magnifique splendeur ; le grand problème de la destinée future est résolu, la mort a déchiré ses voiles, et, à travers cette trouée sur l’infini, nous voyons rayonner dans l’immortalité nos amours que nous croyions évanouies à jamais.
Nous n’examinerons donc pas à nouveau toutes les preuves que nous possédons de la survivance de l’âme, nous estimons que cette démonstration est faite ; notre but dans cet ouvrage est d’étudier l’esprit pendant l’incarnation terrestre, en tenant compte des enseignements si logiques du spiritisme et des dernières découvertes de la science. Les connaissances nouvelles, que nous devons aux intelligences extraterrestres, nous aident à comprendre toute une catégorie de phénomènes physiologiques et psychiques qui sont inexplicables sans elles. Les matérialistes, en niant l’existence de l’âme, se sont volontairement privés de notions indispensables à la compréhension des phénomènes vitaux de l‘être animé, et les philosophes spiritualistes en employant le sens intime comme unique instrument de recherche, n’ont pas connu la véritable nature de l’âme, de sorte que jusqu’alors on n’a pu concilier, dans une explication commune, les phénomènes physiques et mentaux.
Le spiritisme, en faisant connaître la composition de l’esprit, en rendant tangible la partie fluidique de nous-mêmes, a projeté une vive lumière sur ces difficultés en apparence insurmontables, car nous pouvons embrasser, dans une vaste synthèse, tous les faits de la vie corporelle et intellectuelle, et en montrer les rapports qui étaient inconnus jusqu’ici.
Afin de mieux faire comprendre notre pensée, il est utile de rappeler, en quelques mots, les notions nouvelles que nous avons acquises sur l’âme, elles mettront en relief l’originalité et la grandeur de la nouvelle doctrine.
L’enseignement des Esprits a été coordonné avec une remarquable hauteur de vues et une irréfragable logique par Allan Kardec . Ce profond philosophe a exposé méthodiquement une série de problèmes relatifs à l’existence de Dieu, de l’âme et à la constitution de l’Univers. Il a donné une solution claire et rationnelle à la plupart de ces difficiles questions, écartant avec soin la métaphysique de ses raisonnements. C’est pourquoi nous le prenons pour guide dans ce résumé succinct.
L’âme, ou esprit, est le principe intelligent de l’univers. Elle est indestructible, au même titre que la force et la matière ; son essence intime nous est inconnue, mais nous sommes obligés de lui reconnaître une existence distincte, car ses facultés la différencient de tout ce qui existe. Le principe intelligent, duquel toutes les âmes émanent, est inséparable du fluide universel , autrement dit : de la matière sous sa forme originelle, primordiale, c’est-à-dire à l’état le plus quintessencié.
Tous les Esprits, quel que soit le degré de leur avancement, sont donc revêtus d’une enveloppe invisible, intangible et impondérable. Ce corps fluidique est appelé périsprit. Ici, le spiritisme apporte des vues neuves, un enseignement nouveau.
Contrairement à l’opinion commune, il démontre que l’âme n’est pas une pure essence, une sorte d’abstraction idéale, uns vague entité, comme le croient les spiritualistes. C’est, au contraire, un être concret possédant un organisme physique parfaitement délimité.
Si, à l’état ordinaire, l’âme est invisible, elle peut cependant apparaître, dans des conditions déterminées, avec assez de réalité pour impressionner nos sens. Les médiums la voient, dans l’espace, sous la forme qu’elle avait en dernier lieu sur la terre ; même parfois elle se matérialise suffisamment pour laisse des souvenirs durables de son intervention ; en un mot, on peut affirmer, dans ce cas, que, bien qu’elle échappe aux sens, elle est aussi réelle et agissante que l’homme terrestre.
Nous verrons, dans le cours de cette étude, que, malgré sa matérialité, le périsprit est cependant si éthéré que l’âme ne pourrait agir sur la matière sans le secours d’une force à laquelle on a donné le nom de fluide vital.
L’âme a pour but de développer toutes les facultés qui sont en elle. Pour y parvenir, elle est obligée de s’incarner un très grand nombre de fois sur la terre, afin de donner leur essor à ses facultés morales et intellectuelles, en apprenant à maîtriser et à gouverner la matière. C’est par une évolution ininterrompue, depuis les formes les plus rudimentaires de la vie jusqu’à l’humanité, que le principe pensant conquiert lentement son individualité.
Arrivé à ce stade, il doit faire éclore sa spiritualité, en dominant les instincts grossiers qui lui restent de son passage dans les formes inférieures, afin de s’élever, dans la série des transformations, vers des destinées toujours plus hautes.
Les réincarnations sont une nécessité inéluctable de l’avancement de l’esprit. Chaque existence terrestre ne comporte qu’une somme d’efforts déterminés, après lesquels l’énergie de l’âme est détendue. La mort est un repos, une étape sur la longue route de l’éternité. Puis le retour sur la terre est une sorte de rajeunissement pour l’esprit. A chaque renaissance, les eaux du Léthé font à l’âme une virginité nouvelle : les préjugés, les erreurs, les superstitions du passé s’évanouissent. Les passions anciennes, les hontes, les remords ont disparus, l’oubli a créé un être neuf qui s’élance plein d’ardeur dans une voie nouvelle. Chaque effort amène un progrès, chaque progrès une puissance toujours plus grande, et ces acquisitions successives élèvent l’âme lentement sur les degrés sans nombre de la perfection.
Ces révélations nous font entrevoir les perspectives de l’infini ; elles nous montrent l’existence éternelle se développant dans les splendeurs du cosmos, elles nous permettent de mieux comprendre la justice et la bonté de l’immortel auteur des êtres et des choses.
Créés tous égaux, nous avons les mêmes difficultés à vaincre, les mêmes luttes à soutenir, le même idéal à atteindre : le bonheur parfait. Nulle puissance arbitraire ne prédestine les uns à des souffrances sans fin, et d’autres à la béatitude. Nous ne sommes justiciables que de notre conscience ; c’est elle qui, à chaque retour dans l’espace, nous montre les fautes commises et les moyens de les réparer. Nous sommes les arbitres souverains de notre sort futur ; chaque existence conditionne la suivante et, malgré les lenteurs de notre marche ascendante, nous gravitons sans cesse vers ces hauteurs rayonnantes, où nous sentirons palpiter les coeurs de nos frères et où nous entrerons en communion, toujours plus intime, avec la grande âme universelle : la Puissance suprême.
Pour donner à ces enseignements toute l’autorité qu’ils comportent, il faut montrer que les Esprits qui nous les ont dictés ne se sont pas trompés. Il faut vérifier leurs affirmations, en les passant au creuset de la raison, et, dans tous les cas où cela est possible, voir s’ils sont en concordance avec les données scientifiques modernes.
Afin de nous soumettre à ce programme et pour procéder méthodiquement, nous commencerons par étudier le rôle de l’âme pendant l’incarnation. Nous montrerons l’importance des fonctions de ce nouvel organe, que les spirites appellent le périsprit, et il nous sera loisible de constater que la physiologie et la psychologie s’éclairent d’un jour nouveau, lorsqu’on fait intervenir dans l’explication de leurs phénomènes l’esprit revêtu de son enveloppe. Nous essaierons de déterminer en premier lieu la nature et les fonctions du périsprit, et, une fois qu’il sera bien connu, nous étudierons quelques problèmes non résolus jusqu’alors.
La science ne donne guère que des échappatoires, en fait de réponses, lorsqu’on l’interroge sur les causes de l’évolution vitale des êtres vivants. Pourquoi meurt-on? Pourquoi les mêmes forces qui ont conduit le corps à son entier développement sont elles impuissantes à la maintenir dans cet état ?
D’autre part, d’où provient la fixité spécifique et individuelle du type des êtres vivants, malgré le flux incessant de matière qui renouvelle le corps à chaque instante? Telles sont les premières questions que nous nous proposons de résoudre en faisant intervenir le périsprit dans nos recherches.
Nous tenterons d’établir ensuite que les nombreux phénomènes de la vie végétative et organique nécessitent, eux aussi, la présence d’une force sans cesse agissante pour coordonner les actions réflexes du système nerveux auxquelles ils sont dus. Nous mettrons le plus possible en évidence la caractéristique psychique de ces actes, en montrant qu’ils ont tous une finalité intelligente, en ce sens qu’ils concourent à la conservation de l’individu. Ceci nous acheminera vers l’étude des facultés proprement dites.
Nul n’ignore les inextricables difficultés dans lesquelles se sont débattus les philosophes, lorsqu’il s’est agi d’expliquer l’action du physique sur le moral ou de l’âme sur le corps.
La connaissance du périsprit supprime radicalement ce problème. Il jette sur les processus de la vie mentale une vive clarté, en permettant de comprendre nettement la formation et la conservation de l’inconscient, physiologique ou psychique ; il montre les nuances progressives qui relient l’instinct à l’intelligence ; il fait saisir, sur le vif, le mécanisme des actions cérébrales et les connexions qui existent entre elles ; il explique pourquoi l’âme garde son unité et son identité à travers les vies successives ; il donne, sur les conditions dans lesquelles les réincarnations s’accomplissent, les indications les plus précises ; enfin, il se révèle l’instrument indispensable pour comprendre l’action des Esprits dans les manifestations spirites.
On voit donc que l’ouvrage que nous présentons au lecteur a un double objectif. Premièrement, il vise à démontrer que la doctrine spirite s’accorde avec les théories modernes de la science ; en second lieu, il a l’ambition de faire connaître le rôle physique d’un organe essentiel à la vie de l’âme et du corps, dont le public ignorait l’existence, et de montrer l’importance considérable de cette découverte.
La nature même de nos recherches nous imposa le devoir de faire des emprunts nombreux aux travaux les plus récents des savants contemporains, et nous aimons à reconnaître que les efforts de ces expérimentateurs aux méthodes précises, ont fait faire un pas immense à nos connaissances. La détermination, de plus en plus exacte, du fonctionnement vital des êtres animés, nous fournit des renseignements précieux pour notre étude mais si nous n’adoptons pas les conclusions matérielles qui résultent pour ces savants de leurs recherches, c’est que nous avons des faits irréfutables qui démontrent, avec certitude, que leurs déductions sont erronées.
Le spiritisme nous fait connaître l’âme, la science nous apprend les lois de la matière vivante. Il s’agit donc, pour nous, de réunir ces deux enseignements, de montrer qu’ils se prêtent un mutuel secours, qu’ils se complètent, qu’ils sont inséparables pour la compréhension des phénomènes de la vie physique et intellectuelle, et qu’il résulte de leur accord la plus magnifique certitude qu’il soit donné à l’homme d’acquérir ici-bas. Nous sentons bien notre insuffisance pour une pareille tâche, mais quelque imparfaite que soit l’ébauche que nous livrons au public, nous avons l’espoir qu’elle déterminera peut-être un homme de science à reprendre ce travail, et à lui donner toute la valeur qu’il comporte.
La chose essentielle à établir, c’est qu’il n’y a pas incompatibilité entre les découvertes modernes et l’existence des Esprits ; autrement dit, que le surnaturel n’existe pas, et que l’existence d’esprits, revêtus d’une enveloppe matérielle, peut se concevoir naturellement, l’influence qu’ils exercent sur le corps étant la résultante logique de leur constitution.
Nous n’ignorons pas que les théories que nous défendons auraient besoin de s’étayer sur des démonstrations expérimentales, pour être absolument irréfutable, nous avons même la certitude qu’elles seront instituées un jour ; mais il nous suffit actuellement de présenter des hypothèses logiques, ne heurtant aucun enseignement scientifique, expliquant tous les phénomènes, pour montrer la grandeur de la synthèse qu’on obtient, lorsqu’on combine les connaissances humaines avec les révélations spirituelles.
Ce n’est pas trop de l’intervention de la physique, de la chimie, de la mécanique et de la biologie pour expliquer les faits spirites, car ces manifestations, en apparence si simples, exigent, pour être comprises, l’emploi de presque toutes les connaissances humaines. Le spiritisme touche aux problèmes les plus difficiles de la physiologie et de la psychologie, dans l’étude du fonctionnement cérébral du médium, pendant la communication des esprits.
La nature particulière des forces qui entrent en jeu dans les matérialisations, est un profond sujet de méditation pour le savant, car le mode d’action des invisibles sur la matière diffère radicalement de ce que nous connaissons jusqu’alors.
Le jour où la science sera persuadée de la véracité de notre doctrine, une véritable révolution s’opérera dans les méthodes jusqu’alors employées. Les recherches, qui avaient pour unique objectif la matière, s’élèveront jusqu’à l’âme, et l’humanité, régénérée par une foi raisonnée, s’avancera à la conquête de tous les progrès qu’elle ne peut qu’entrevoir aujourd’hui.
Il s’écroulera, sans doute, encore bien du temps avant que cet espoir se réalise, mais nous avons le devoir de préparer la route aux générations futures.
Essayons donc de nous servir des découvertes modernes, afin de les adapter à notre doctrine.
Pénétrons dans les profondeurs de l’être humain, à la suite de la physiologie et à la lueur du spiritisme.
Rendons palpable l’influence que l’âme exerce, tantôt à l’état conscient, tantôt à l’état inconscient, sur tous les phénomènes vitaux. Scrutons minutieusement les rapports si délicats et si importants du physique et du moral. Tentons de déterminer les connexions de la vie psychique avec les phénomènes de l’organisme. Cherchons dans quelle partie de l’homme subsiste l’identité de l’être, et le siège des facultés de l’âme ; enfin, résumant toutes ces observations, essayons de concilier, dans une vue d'ensemble qui embrasse le corps et l’âme, tous les résultats auxquels nous serons arrivés.
Ce sont ces considérations qui nous ont guidé en écrivant ce livre. Nous n’avons pas la prétention de croire que nous avons fait la lumière complète sur toutes ces questions, mais nous croyons apporter des documents nouveaux, présenter, sous un jour plus compréhensible, des faits jusqu’alors obscurs ou inexpliqués, et surtout nous espérons qu’il ressortira, de ce travail, la conviction que le spiritisme est bien une vérité, puisqu’il nous donne la clef de ce que la science humaine est impuissante à découvrir .
CHAPITRE I - La Vie
Sommaire
Étude sur la vie. – Destruction organique. – Création organique. – Propriétés générales des êtres vivants. – Conditions générales du maintien de la vie. – L’humidité. – L’air. – La chaleur. – Conditions chimiques du milieu. – La force vitale. – Pourquoi on meurt. – L’utilité physiologique du périsprit. – L’idée directrice. – Le fonctionnement organique. – Le rôle psychologique du périsprit. – L’identité. – Le système nerveux et la force nerveuse ou psychique. – Résumé.
En commençant cette étude, il est utile de s’entendre sur le sens de cette expression : la vie, qui a été prise dans des acceptions bien différentes.
Parfois on lui donne une signification générale, abstraite, pour désigner l’ensemble des choses existantes : on parle de la vie de l’univers. On s’en sert plus souvent pour caractériser les êtres animés. En physiologie, par exemple, le mot vie correspond à quelque chose de précis ; c’est, pour l’être animé, la propriété de répondre par un mouvement à une excitation extérieure. Mais les philosophes qui discourent sur la vie de l’âme, attachent à ce mot une toute autre signification, ils entendent par là indiquer sa spontanéité, ce qui est l’opposé de la définition précédente.
Afin d’éviter toute confusion, nous ferons une distinction essentielle entre les manifestations de l’âme pendant son incarnation terrestre, et celles qu’elle accuse dans son existence incorporelle. Les facultés de l’esprit sont bien toujours les mêmes : mais sur la terre elles sont subordonnées, dans leur exercice, à des conditions organiques qui sont elles-mêmes étroitement dépendantes du milieu extérieur, comme nous allons le constater dans un instant ; tandis que, dans l’espace, nulle entrave ne vient restreindre le jeu normal de ces facultés animiques.
La vie sera donc pour nous la caractéristique des êtres organisés qui naissent, vivent et meurent. Nous l’attribuons à une modification spéciale de l’énergie : la force vitale, dont nous aurons soin de bien définir la nature, et nous reconnaîtrons sa présence, comme les physiologistes, chaque fois que nous constaterons qu’un être répond par un mouvement à une excitation extérieur, en un mot quand il sera irritable.
D’après notre manière de voir, la vie n’appartient qu’à la matière organisée ; il est impossible de la découvrir ailleurs, et l’on peut dire sans paradoxe que l’âme, n’est pas vivante ; elle est plus et mieux, elle a l’existence intégrale, car, n’étant pas organisée, elle n’est pas soumise à la mort.
La vie, avec ses innombrables aspects, a toujours été un problème passionnant pour les chercheurs. Les différentes écoles philosophiques qui se sont succédés dans le monde, ont tour à tour cherché à pénétrer cette difficile question, et suivant les idées qui avaient cours à leur époque, elles en ont donné les solutions bien différentes.
Ce n’est guère que depuis le siècle dernier que les progrès accomplis dans toutes les branches des connaissances humaines, ont permis d’aborder cette recherche d’une façon sérieuse, et d’en déterminer les limites. Une revue rapide des conditions nécessaires au maintien et au développement de la vie s’impose, afin que nous puisions savoir exactement si elle est due à un principe spécial, ou si elle n’est que le résultat des forces naturelles, sans cesse en action dans le monde.
a) Étude de la vie
Nous allons résumer les travaux les plus récents sur cette question .
La vie résulte pour tous les êtres vivants des rapports qui existent entre leur constitution physique et le monde extérieur. L’organisme est préétabli, puisqu’il provient des ancêtres, par filiations ; au contraire, l’action des lois physico-chimiques varie suivant les circonstances ; cette opposition est appelée conflit vital par Claude Bernard .
« Ce n’est point par une lutte contre les conditions cosmiques, dit-il, que l’organisme se développe et se maintient, c’est tout au contraire par une adaptation, un accord avec celles-ci. L’être vivant ne constitue pas une exception à la grande harmonie naturelle qui fait que les choses s’adaptent les uns aux autres ; il ne rompt aucun accord ; il n’est ni en contradiction ni en lutte avec les forces cosmiques générales ; bien loin de là, il fait partie du concert universel des choses ; et la vie de l’animal, par exemple, n’est qu’un fragment de la vie totale de l’univers. »
Ce conflit vital détermine deux ordres de phénomènes :
1° Des phénomènes de destruction organique, c’est-à-dire de désorganisation ou désassimilation ;
2° Des phénomènes de création organique, appelés indifféremment : organisation, synthèse organique ou assimilation.
b) Destruction organique
Chose curieuse, ce sont les faits de destruction, parce qu’ils sont les plus apparents, auxquels on attache généralement l’idée de la vie. La destruction organique est déterminée, en effet, par le fonctionnement de l’être vivant. « Quand chez l’homme et chez l’animal un mouvement survient, une partie de la substance active du muscle se détruit ou se brûle ; quand la sensibilité et la volonté se manifestent, les nerfs s’usent ; quand la pensée s’exerce, le cerveau se consume. On peut ainsi dire que jamais la même matière ne sert deux fois à la vie.
Lorsqu’un acte est accompli, la parcelle de matière vivante qui a servi à la produire n’est plus. Si le phénomène reparaît, c’est une matière nouvelle qui lui a prêté son concours.
L’usure moléculaire est toujours proportionnée à l’intensité des manifestations vitales. L’altération matérielle est d’autant plus profonde ou considérable que la vie se montre plus active.
La désassimilation rejette, de la profondeur de l’organisme, des substances d’autant plus oxydées par la combustion vitale, que le fonctionnement des organes a été plus énergique. Ces oxydations ou combustions engendrent la chaleur animale, donnent naissance à l’acide carbonique qui s’exhale par les poumons, et à différents produits qui s’éliminent par différents autres émonctoires de l’économie. Le corps s’use, éprouve une consomption et une perte de poids qui traduisent et mesurent l’intensité de ses fonctions. Pourtant, en un mot, la destruction physico-chimique est unie à l’activité fonctionnelle et nous pouvant regarder comme un axiome physiologique la proposition suivante : toute manifestation d’un phénomène dans l’être vivant est
nécessairement liée à une destruction organique ».
Cette destruction est toujours due soit à une combustion, soit à une fermentation.
c) Création organique
Les phénomènes de création organique sont des actes plastiques qui s’accomplissent dans les organes au repos et les régénèrent. La synthèse assimilatrice rassemble les matériaux et les réserves que le fonctionnement doit dépenser. C’est un travail intérieur, silencieux, caché, n’ayant rien qui le trahisse au dehors.
L’éclat avec lequel se montrent à l’extérieur les manifestations de destruction organique nous rend victimes d’une illusion ; nous les appelons les phénomènes de la vie, en réalité ce sont ceux de la mort, puisqu’ils se produisent en détruisant les tissus. « Nous ne sommes pas frappés par les phénomènes de la vie. La régénération des tissus et des organes s’opère silencieusement, à l’intérieur, hors des regards. Seul l’embryogèniste, en suivant le développement de l’être vivant, saisit des changements, des phases, qui lui révèlent ce travail sourd. C’est, ici, un dépôt de matière ; là, une formation d’enveloppe ou de noyau ; là, une division ou une multiplication, une rénovation.
« Au contraire, les phénomènes de destruction, ou de mort vitale, sautent aux yeux aussi est-ce par eux que nous sommes amenés à caractériser la vie. Et cependant, quand un mouvement se produit et qu’un muscle se contracte, quand la volonté et la sensibilité se manifestent, quand la pensée s’exerce, quand la glande sécrète, alors la substance des muscles, des nerfs, du cerveau, se consume ; ce sont bien là des phénomènes de destruction et de mort . ».
Pendant la vie entière, ces destructions et ces créations sont simultanées, connexes et inséparables. Ecoutons toujours l’éminent physiologiste :
« Les deux ordres de phénomènes de destruction et de création ne sont divisibles et séparables que pour l’esprit, dans la nature ils sont étroitement unis ; ils se produisent chez tout être vivant dans un enchaînement qu’on ne saurait rompre. Les deux opérations de destruction et de séparation sont absolument connexes et inséparables, en ce sens que la destruction est la condition nécessaire de la rénovation ; les actes de destructions sont les précurseurs et les instigateurs de ceux par lesquels les parties se rétablissent et renaissent, c’est-à-dire de ceux de rénovation organique. Celui des deux types de phénomène qui est pour ainsi dire le plus vital, le phénomène de création organique, est donc en quelque sorte subordonné à l’autre, au phénomène physicochimique de destruction. »
d) Propriétés générales des êtres vivants
Les propriétés générales des êtres vivants, celles qui les distinguent de la matière brute des corps inorganiques, sont au nombre de quatre : l’organisation, la génération, la nutrition et l’évolution.
De ces quatre propriétés fondamentales, la science n’en explique clairement qu’une : la nutrition, et encore le phénomène par lequel les cellules choisissent, dans le sang, les matériaux qui leur sont utiles, n’est pas bien étudié. Nous allons voir, tout à l’heure, que l’organisation et l’évolution ne peuvent se comprendre par le seul jeu des lois physico-chimiques. Quant à la reproduction, si on en connaît le mécanisme, elle reste tout à fait mystérieuse dans la cause.
e) Conditions générales au maintien de la vie
Tous les êtres vivants, pour manifester leur existence, ont besoin des mêmes conditions extérieures, et rien ne démontre mieux l’unité vitale, l’identité de la vie chez les êtres organisés, végétaux ou animaux, que la nécessité pour tous, des quatre conditions suivantes : 1° l’humidité, 2° la chaleur, 3° l’air, 4° une certaine composition chimique du milieu.
f) L’humidité
L’eau est indispensable à la constitution du milieu dans lequel évolue l’être vivant : elle entre comme principe constituant dans la composition des tissus, et, de plus, elle sert à dissoudre un grand nombre de substances sans lesquelles les réactions chimiques incessantes dont le corps est le théâtre ne pourraient s’effectuer.
L’utilité du rôle de l’eau a été bien mise en évidence par les jeûneurs célèbres : Merlatti, Succi et le docteur Tanner, qui ont pu rester des périodes de temps très longues (30 à 40 jours) sans manger, mais en buvant de l’eau distillée. Des expériences faites sur des chiens ont montré que ces animaux résistaient pendant 30 jours à la privation de nourriture, à la condition de leur donner à boire. La soustraction de l’eau amène, chez certains infusoires et chez les rotifères, des phénomènes curieux de vie latente : ces animaux, convenablement desséchés, perdent toute propriété vitale, au moins en apparence et peuvent rester ainsi des années entières ; mais dès qu’on leur rend un peu d’eau, ils recommencent à vivre comme auparavant, pourvu qu’on n’ait pas dépassé un certain degré dans cette dessiccation. Chez l’homme, la quantité d’eau contenue dans le corps est d’environ 90 pour 100, c’est dire l’importance de son rôle.
g) L’air
L’air, ou plutôt l’oxygène qui en compose la partie respirable, est nécessaire au plus grand nombre des êtres vivants, même chez les animaux inférieurs, comme les levures ou mycodermes. M. Pasteur a montré que les organismes microscopiques donnent naissance aux fermentations, en s’emparant de l’oxygène. Des expériences faites sur des lapins ont établi qu’ils succombaient lorsque la propagation de l’oxygène, au lieu d’être de 21 pour100 tombait de 3 à 5 pour 100.
h) La chaleur
La chaleur est la troisième condition de l’entretien des corps vivants. On sait que la vie des végétaux est en relation intime avec la température extérieure. Un froid trop intense gèle les liquides de l’organisme et désorganise les tissus. Il y a de même, pour chaque animal, une température moyenne qui correspond au maximum de vie. Les éléments du corps, chez les animaux supérieurs, sont très délicats et les limites extrêmes, entre lesquelles la vie peut se maintenir, sont assez rapprochées. La température intérieure de l’organisme ne peut descendre au-dessous de 20 degrés, ni s’élever au-dessus de 50 pour les oiseaux. Ainsi il existe chez les animaux supérieurs une température moyenne, qui se maintient constante, grâce à un ensemble de mécanisme gouverné par le système nerveux. Sans cette fixité, la fonction vitale ne saurait s’exécuter.
i) Conditions chimiques du milieu
Pour bien comprendre toute la portée de cette condition, il ne faut pas oublier que nous appelons organisme vivant aussi bien la cellule qui compose les tissus des plantes et des animaux, que ces plantes et ces animaux eux-mêmes. En effet, la cellule est véritablement un être vivant, elle s’organise, se reproduit, se nourrit et évolutionne comme un animal supérieur.
Depuis les mémorables travaux de Schleiden en 1838, de Schwann en 1839, de Prévost et Dumas en 1842, de Kolliker en 1844, et plus tard de Max Schultze, on sait que, depuis la cellule libre et unique appelée plastide par Hoeckel jusqu’à l’homme, tous les corps vivants ne sont que des associations de cellules, chacune d’une nature identique comme composition, mais jouissant de propriétés différentes, suivant la place qu’elle occupe dans l’organisme.
Ainsi les tissus les plus divers du corps: les os, les nerfs, les muscles, la peau, les ongles, les cheveux, les tissus de l’oeil, etc., sont formés par des réunions de cellules. Nous verrons, par la suite, que la nature nous offre tous les degrés de complexité dans l’assemblage de ces cellules ultimes de l’organisme de tous les êtres animés. Ceci bien compris, revenons à la quatrième condition.
Outre la chaleur, l’air, l’eau il est indispensable que le milieu liquide qui baigne les cellules contienne certaines substances, sans lesquelles elles ne pourraient se nourrir.
On a cru pendant longtemps que ce milieu variait beaucoup suivant la nature de l’être vivant, mais les recherches contemporaines ont permis de constater qu’il était uniforme pour tous les organismes vivants. Il doit contenir :
1° Des substances azotées formées d’azote, de carbone, d’oxygène, d’hydrogène ;
2° Des substances ternaires, c’est-à-dire dans la composition desquelles il entre trois éléments : carbone, hydrogène, oxygène.
3° Des substances minérales, telles que les phosphates, la chaux, le sel, etc.
Le fait à retenir, c’est que ces trois sortes de substances, quelles que soient les formes qu’elles puissent revêtir, sont indispensables à l’entretien de la vie. Avec ces matières premières, les organismes fabriquent tous ce qui est utile à la vie du corps.
Les conditions que nous venons d’étudier doivent être réalisées dans les milieux entourant immédiatement la particule vivante qui doit entrer en conflit avec lui. Ceci nous conduit à distinguer deux milieux :
1° Le milieu cosmique ambiant ou extérieur, avec lequel sont en relation les êtres élémentaires ;
2° Le milieu intérieur, qui sert d’intermédiaire entre le monde extérieur et la substance vivante.
Si l’on veut bien considérer les parties vraiment vivantes des tissus, c’est-à-dire les cellules, on remarquera qu’elles sont garanties des influences ambiantes ; elles baignent dans un liquide intérieur qui les isole, les protège et sert d’intermédiaire entre elles et le milieu cosmique. Ce milieu intérieur, c’est le sang. Non pas à la vérité le sang tout entier, mais le plasma sanguin, c'est-à-dire sa partie fluide, qui comprend tous les liquides interstitiels, source et confluent de tous les échanges endosmotiques.
Il est bien vrai de dire que l’animal aérien ne vit pas en réalité dans l’air atmosphérique, le poisson dans l’eau, le ver dans la terre. L’atmosphère, les eaux, la terre sont une seconde enveloppe autour du corps, mais le sang est la première, car il entoure immédiatement les vrais éléments de la vie : les cellules. Ce n’est donc pas directement que l’extérieur influence ces êtres compliqués que sont les animaux supérieurs, comme il agit sur les corps bruts ou sur des êtres vivants plus simples. Il y a un intermédiaire forcé qui s’interpose entre l’agent physique et l’élément anatomique. Aussi est-ce dans le milieu intérieur que résident les conditions physiques de la vie .
Ce que venons de voir suffit à montrer que la vie physique est dépendante du milieu extérieur, et que le vieil adage mens sana in corpore sanos (une âme saine dans un corps sain) est d’une vérité absolue : il faut l’intégrité de la substance corporelle pour que l’âme puisse, sans contrainte, manifester ses facultés.
j) Similitude du fonctionnement vital chez tous les êtres vivants à vérifier
Comme nous verrons que le principe intelligent a probablement parcouru tous les organismes vivants jusqu’à l’humanité, il est urgent de constater la grande loi d’unité des manifestations vitales dans toute la nature.
Nous ne pouvons étudier, ici, les phénomènes de destruction et de reconstruction des tissus organiques, mais nous devons signaler que les actions physiques ou chimiques qui entrent en jeu, sont les mêmes que dans la nature organique. On a cru longtemps que les corps vivants jouissaient à cet égard d’un privilège spécial, mais nous savons aujourd’hui qu’il n’en est rien, et que les phénomènes physiques et chimiques sont identiques, soit dans la matière brute, soit dans les corps organiques ; ce qui change ce sont les procédés mis en oeuvre, mais les résultats sont les mêmes. On peut affirmer aussi qu’à tous les degrés de l’échelle des êtres vivants, les opérations de la digestion, de la respiration sont les mêmes, ce qui varie ce sont les appareils qui sont appelés à produire ces résultats. Le mode de reproduction est aussi identique pour tous les êtres vivants, et cette remarquable similitude du fonctionnement organique tient à ce qu’ils doivent tous leurs propriétés à un élément commun : le protoplasma.
On appelle ainsi le contenu vivant de la cellule, c’est lui qui en est la partie essentielle, vraiment vivante ; c’est donc dans le protoplasma seul qu’il faut chercher la raison des propriétés de tous les tissus. En lui résident toutes les modalités possibles, il les renferme toutes à l’état latent, quand il est isolé sous la forme primitive de la monère et c’est en différenciant, en séparant ses propriétés, que nous les retrouvons isolées chez les êtres supérieurs. Le protoplasma est l’agent de toutes les reconstitutions organiques, c’est-à-dire de tous les phénomènes intimes de nutrition. En outre, le protoplasma se contracte sous l’influence des excitants, et préside ainsi aux phénomènes de la vie de relations.
On peut signaler encore le sommeil comme une nécessité qui s’impose à tous les êtres vivants. La plante s’endort comme l’animal et de même que, chez celui-ci, les fonctions de la respiration, de la circulation et de l’assimilation s’accomplissent pendant qu’il dort, de même elles se poursuivent chez les végétaux lorsqu’ils sommeillent.
Le sexe et le mariage sont les conditions qui président dans le monde végétal à la reproduction. Les étamines sont l’organe masculin, le pistil est l’organe féminin, l’ovaire est l’organe où se forment les graines.
Enfin les anesthésiques, qui agissent si puissamment sur les animaux, produisent les mêmes effets sur les plantes, ce qui prouve qu’il existe dans les végétaux un principe rudimentaire de sensibilité.
Tous ces faits démontrent avec évidence le grand plus unitaire suivi par la nature. Sa devise est: unité dans la diversité et il résulte de l’emploi des mêmes procédés fondamentaux une variation infinie, qui établit la fécondité inépuisable des conceptions de la nature, en même temps que l’Unité de la vie.
k) La force vitale
Jusqu’ici, nous avons étudié seulement le fonctionnement de la vie, la manière dont l’organisme vivant entre en conflit avec son milieu, mais nous ne savons encore rien quant à la nature même de cette vie. Si nous comprenons parfaitement comment, par exemple, s’accomplissent les fonctions de la digestion, il faut remarquer que c’est dans un appareil vivant qu‘elles ont lieu, c’est-à-dire dans un organisme qui a produit, par ses procédés spéciaux, les matières nécessaires à cette combinaison chimique, et si les lois des affinités sont les mêmes dans le laboratoire vivant que dans le moule extérieur, c’est par des procédés particuliers, tout à fait différents de ceux qui agissent dans la matière brute, que la vie opère.
Voici, en effet, ce que dit Claude Bernard, bon juge en ces matières : « Bien que les phénomènes organiques manifestés par les éléments des tissus soient tous soumis aux lois de la physico-chimie générale, ils s’accomplissent cependant toujours à l’aide de procédés vitaux qui sont spéciaux à la matière organisée, et différent constamment, sous ce rapport, des procédés minéraux qui produisent les mêmes phénomènes dans les corps bruts. Je considère cette dernière proposition physiologique comme fondamentale.
L’erreur des physico-chimistes a été de ne pas faire cette distinction, et de croire qu’il fallait ramener les phénomènes des êtres vivants, non seulement aux mêmes lois, mais encore aux mêmes procédés, aux mêmes formes qui appartiennent aux corps bruts ».
La vie a donc une manière spéciale, vivante, de procéder pour maintenir son fonctionnement ; il existe dans l’être organisé quelque chose qui n’existe pas dans les corps inorganiques, qui opère avec les méthodes particulières, sui generis, et non seulement fabrique des organes, mais les répare. Ce quelque chose nous l’appelons la forme vitale.
Cette remarque a été faite déjà par bien des naturalistes.
Stahl imaginera, pour expliquer la vie, une force vitale, extérieure à la matière vivante, c’est-à-dire une sorte de substance immatérielle, l’âme , qui est la cause fondamentale de la vie et des mouvements qui s’y rattachent ; c’est en partant de l’idée fausse que les forces naturelles sont en antagonisme avec le corps vivant, qu’il crut que le pouvoir de résister à ces influences destructives résidait dans cette force animique. Quoique Descartes et Van Helmon eussent déjà soutenu des doctrines assez analogues, Stahl développa et poussa si loin cette théorie, qu’il doit être regardé comme le fondateur de l’animisme en physiologie.
Stahl avait établi une différence radicale entre les phénomènes de la nature brute et ceux de la nature vivante.
La force vitale dont nous parlons se rattache à cette dernière manière de voir, car nous croyons, en effet, qu’il y a une force d’une nature spéciale qui donne à la matière organisée ce qui n’existe pas dans la matière brute : l’irritabilité mais elle s’en sépare bientôt, car nous ne voyons dans cette force qu’une modalité de la force universelle, au même titre que la chaleur, l’électricité ou la lumière ; nous n’en faisons pas une entité immatérielle qui serait apparue un jour sur la terre sans antécédent, autrement dit une création surnaturelle. Nous différons encore des vitalistes, car nous ne voyons entre les animaux et l’homme qu’une différence de degré, et non de nature.
Tout ce qui existe sur la terre provient des modifications innombrables de la force et de la matière, la force vitale doit rentrer dans le cadre des lois générales ; c’est à nous à savoir rendre évidente sa présence chez les êtres vivants.
Flourens semble de cet avis, lorsqu’il écrit : « Au-dessus de toutes les propriétés particulières et déterminées, il y a une force, un principe général et commun que toutes les propriétés particulières supposent et impliquent et qui, successivement, peut être isolé, détaché de chacune, sans cesser d’être. Quel est donc ce principe ? Quel qu’il puisse être, il est essentiellement un ; il y a une force générale et une, dont toutes les forces particulières ne sont que des expressions ou des modes ».
l) Pourquoi on meurt
Nous avons constaté, avec Claude Bernard, l’originalité des procédés de la matière organisée pour fabriquer les substances qui sont nécessaires à son fonctionnement vital, et nous avons attribué ces propriétés aux organes, doués d’une vertu spéciale que l’on ne constate pas dans les corps bruts. Mais l’existence d’une force animant l’organisme devient bien plus évidente encore, si l’on examine l’évolution de tous les êtres vivants.
Tout ce qui a la vie naît, croît et meurt ; c’est un fait général qui ne souffre presque pas d’exceptions . Mais pourquoi meurt-on ? En exceptant les cas d’accidents ou de maladies qui détruisent irrémédiablement les tissus, comment se fait-il que, maintenant constamment les mêmes conditions générales indispensables à l’entretien de la vie : c’est-à-dire l’eau, l’air, la chaleur et les aliments, l’être décline cependant jusqu’à la dissolution totale ?
Dire que les organes s’usent, c’est indiquer simplement une phase de l’évolution, c’est constater un fait. Mais pourquoi s’usent-ils alors qu’ils se maintiennent parfaitement pendant l’âge mûr et qu‘ils augmentaient de puissance pendant la jeunesse ? La science matérialiste reste muette devant ces points d’interrogation. Une explication peut cependant être fournie, et nous allons l’exploser.
Si nous admettons qu’il y a dans la cellule fécondée une quantité déterminée de force vitale tout devient compréhensible. La vie totale d’un individu est le résultat d’un certain travail à accomplir. Les reconstitutions incessantes de la matière usée par le fonctionnement vital mesurent ce travail et la force qui est nécessaire peut être considérée comme une fonction continue qui croit, passe par un maximum et revient à zéro.
Si nous jetons une pierre en l’air, la force qui était dans les muscles a été communiquée à la pierre ; elle s’élève rapidement, malgré l’attraction qui l’attire vers le centre de la terre ; il arrive un moment où ces deux forces sont égales et de sens contraires, il y a équilibre ; puis l’attraction prédomine, et la pierre retombe ; lorsqu’elle est revenue à son point de départ, toute l’énergie qu’on lui avait communiquée a disparu.
On peut concevoir qu’il se passe quelque chose d’analogue dans l’être vivant. Le réservoir d’énergie potentielle, provenant des parents, qui se trouve dans la cellule originelle, se transforme en énergie actuelle au fur et à mesure qu’il organise la matière ; cette action est très énergique au début : l’assimilation, le groupement des molécules, est plus rapide que la désassimilation, l’être grandit ; puis l’équilibre s’établit entre les pertes et les gains, c’est l’âge mûr, le corps reste stable ; enfin, pendant la vieillesse, la force vitale s’épuisant, les tissus ne sont plus suffisamment entretenus, la mort survient, l’être se désagrège, et la matière retourne tout entière au monde inorganique.
Ainsi donc, nous croyons qu’il existe une certaine quantité de force vitale, départie à toute créature qui paraît sur la terre ; comme la génération spontanée n’existe pas à notre époque , c’est par filiation que cette force est transmise, et elle n’existe que chez les êtres animés.
Les propriétés de la matière vivante ne résident pas seulement dans la matière ou dans son arrangement, il faut encore supposer l’action d’une force vitale pour la rénovation de cette matière, c’est-à-dire la réfection des parties détruites ; c’est pourquoi les savants, qui se figurent trouver le secret de la vie en faisant la synthèse de la matière organique, sont dans une erreur absolue.
Supposons, en effet, que, par suite de manipulations chimiques aussi compliquées, aussi savantes qu’on voudra les supposer, en faisant agir tous les agents physiques : chaleur, électricité, pression, protoplasme, ce produit aura-t-il la vie ? Non, car ce qui la caractérise, c’est la nutrition constante réparant l’usure.
Cette masse de protoplasma sera inerte, ne répondra pas aux excitations extérieures, comme le ferait une même masse vivante, mais, en supposant qu’elle le fit, ce serait aux dépens de sa structure intime, en se détruisant ; elle pourrait le faire un certain nombre de fois, jusqu’à ce que ses réserves soient complètement épuisées ; à ce moment, elle ne saurait spontanément en faire d’autres, elle ne serait pas vivante. Nous avons cité le protoplasma parce qu’il est la matière essentiellement simple, mais si nous avions pris une cellule, le problème devenait d’une complication beaucoup plus grande, car la cellule a une forme déterminée, et la science est tout à fait incapable d’expliquer cette forme, comme nous allons le constater dans un instant.
Il est nécessaire ici de préciser notre pensée, afin que notre conception soit bien claire.
Le corps humain est une machine délicate et compliquée, les tissus dont il est formé sont dus à des combinaisons chimiques très instables, à cause du nombre de composants, et nous n’ignorons pas que ce sont les mêmes lois naturelles qui régissent le monde inorganique et les êtres inorganisés. Ainsi, dans un organisme vivant, nous savons très bien que le travail mécanique d’un muscle peut se traduire en un équivalent de chaleur, que la force dispensée n’est pas créée par l’être, qu’elle a sa source au dehors, qu’elle provient des aliments, en comprenant l’oxygène parmi ceux-ci, et que le rôle du corps physique consiste à transformer l’énergie reçue, à la loger dans des combinaisons instables, qui la restitueront à la moindre excitation appropriée, c’est-à-dire sous l’action de la volonté, ou par le jeu des irritants spéciaux des tissus ou des actions réflexes.
Jusque-là, rien que de très explicable par les lois physico-chimiques. Mais lorsqu’une de ces actions vient d’avoir lieu, lorsque la substance du muscle qui a fonctionné est détruite, c’est alors que la force vitale intervient pour la reconstitution du tissu, la réflexion des cellules qui ont servi à la manifestation vitale. C’est justement ce qui différencie absolument l’être animal de la matière brute. Il existe quelque chose de plus dans la plante la plus infime, que dans le minéral, et ce quelque chose ne répare pas toujours le corps dans les mêmes conditions ; suivant l’âge, cette réfection est plus ou moins variable : complète dans la jeunesse, elle est incomplète dans la vieillesse ; c’est une force qui va diminuant jusqu’à ce qu’elle s’éteigne.
Il y a donc pour nous une force vitale, totalement différente de celles que nous connaissons, mais qui n’est qu’une modification de l’énergie universelle, comme l’électricité se distingue de la chaleur ou du magnétisme, bien que ces deux forces ne soient aussi que des modalités de la même énergie.
Cette force vitale, seule, n’engendrerait rien, si l’intelligence ne lui était associée depuis ses manifestations les plus rudimentaires, jusqu’au plus haut degré de complexité : jusqu’à l’homme. Tout être vivant possède une certaine somme d’intelligence, aussi rudimentaire que possible dans les premières formes vitales, mais qui va en s’augmentant et se spécifiant, au fur et à mesure qu’on gravit la chaîne des êtres, pour s’épanouir dans l’humanité. Nous aurons l’occasion de revenir sur ce sujet si important, quand nous aurons établi le rôle du périsprit chez les êtres animés.
La forme vitale est elle-même insuffisante pour expliquer la forme, qui est la caractéristique de tous les individus vivants, elle ne peut faire comprendre non plus la hiérarchie systématisée de tous les organes, leur synergie en vue d’un effort commun, pourquoi ils sont à la fois autonomes et solidaires ; c’est ici que nous voyons intervenir la nécessité absolue du périsprit, c’est-à-dire d’un organe qui possède les lois organiques qui maintiennent la fixité de l’organisme, au milieu des incessantes mutations des molécules matérielles.
m) L’utilité physiologique du périsprit
Nous avons établi, par les expériences spirites, que les Esprits avaient la forme humaine. Non seulement ils en ont le type, mais le périsprit renferme tout un organisme fluidique qui est le modèle suivant lequel la matière s’organisera, pour la confection du corps physique.
Nous allons établir cette grande vérité en étudiant le développement immuable de chaque être, suivant son type particulier, puis en montrant la nécessité du double fluidique pour hiérarchiser la matière, et en différencier les propriétés, suivant les besoins différents des organes.
Voyons, en premier lieu, la forme qui modèle la matière.
n) L’idée directrice
Dans chaque être, dès l’origine, on peut constater l’existence d’une force qui agit dans la direction fixe et invariable suivant laquelle sera édifié le plan sculptural du nouveau venu, en même temps que son type fonctionnel.
Dans la formation de la créature vivante, la vie ne fournit comme contingent que la matière irritable du protoplasma, matière amorphe dans laquelle il est impossible de distinguer le moindre rudiment d’organisation, le plus petit indice de ce que sera l’être vivant. La cellule primitive est absolument la même chez nous les vertébrés, rien en elle n’indique qu’elle donnera naissance à tel individu plutôt qu’à tel autre, puisque sa composition est identique pour tous. Il faut donc admettre ici l’intervention d’un nouveau facteur qui détermine dans quelles conditions sera construit l’édifice vital.
C’est au périsprit qu’il faut avoir recours, car il contient en lui le dessein arrêté, la loi toute-puissante qui servira de règle inflexible au nouvel organisme, et lui assignera, d’après le degré de son évolution, la place qu’il doit occuper dans l’échelle des formes. C’est dans l’embryon qu’a lieu cette action directrice. Voici, en effet, suivant Cl. Bernard, la marche du phénomène : « Quand on considéra l’évolution complète d’un être vivant, on voit clairement que son existence est la conséquence d’une loi organogénique qui préexiste dans une idée préconçue et qui se transmet par tradition organique d’un être à l’autre. On pourrait trouver, dans l’étude expérimentale des phénomènes d’histogenèse et d’organisation, la justification des paroles de Goethe qui compare la nature à un grand artiste. C’est qu’en effet la nature et l’artiste procèdent de même dans la manifestation de l’idée de leur oeuvre.
Nous voyons dans l’évolution de l’embryon apparaître une simple ébauche de l’être avant toute organisation.
Les contours du corps et des organes sont d’abord simplement arrêtés, en commençant par les échafaudages organiques provisoires qui serviront d’appareils fonctionnels temporaires du foetus. Aucun tissu n’est alors distinct. Toute la masse n’est alors constituée que par des cellules plasmatiques et embryonnaires. Mais dans ce canevas vital est tracé le dessin idéal d’un organisme encore invisible pour nous, qui a assigné à chaque partie et à chaque élément sa place, sa structure et ses propriétés. Là où doivent être des vaisseaux sanguins, des nerfs, des muscles, des os, etc., les cellules embryonnaires se changent en globules de sang, en tissus artériels, veineux, musculaires, nerveux et osseux. »
Ailleurs, l’illustre physiologiste précise ainsi sa pensée : « Ce qui est essentiellement du domaine de la vie qui n’appartient ni à la chimie, ni à la physique, ni à rien autre chose, c’est l’idée directrice de cette action vitale.
Dans tout germe vivant il y a une idée directrice qui se développe et se manifeste par l’organisation. Pendant toute sa durée, l’être reste sous l’influence de cette même forme vitale créatrice, et la mort arrive lorsqu’elle ne peut se réaliser… C’est toujours ma même idée qui conserve l’être en reconstituant les parties vivantes, désorganisées par l’exercice ou détruite par les accidents ou les maladies ».
Prenons, en effet, plusieurs graines d’espèces diverses.
Si nous en faisons l’analyse chimique, il nous est impossible de trouver entre elles la plus petite différence de composition, elles sont absolument semblables.
Plantons ces graines dans le même terrain, et chacune d’elles va être soumise à une idée directrice spéciale, différente de celle de ces voisines. Pendant toute la vie de la plante, cette idée directrice conservera la forme caractéristique de la plante, renouvellera les tissus suivant ce plan préconçu, suivant le type invariable qui lui a été assigné dès l’origine.
La matière première étant la même pour toutes ces plantes, et la force vitale identique pour tous les individus, il faut donc qu’il existe une autre force qui donne et maintienne la forme ; nous disons que c’est le périsprit qui joue ce rôle, aussi bien dans le règne végétal que chez l’animal.
Cette idée directrice, nous la trouvons réalisée tangiblement dans l’enveloppe fluidique de l’âme. C’est elle qui incorpore la matière, qui veille au remplacement des parties usées ou détruites, qui préside aux fonctions générales, et qui maintient l’ordre et l’harmonie au milieu de ce torrent de matière sans cesse renouvelée.
o) Le fonctionnement organique
Nous appelons tout particulièrement l’attention du lecteur sur cette partie, peut-être un peu abstraite, mais qui est d’une importance capitale pour notre théorie.
Si, dès avant la vie foetale, nous constatons la nécessité du périsprit pour imprimer son empreinte à la matière, nous comprendrons encore mieux son importance, en examinant l’ensemble des fonctions de l’organisme animal, leur autonomie, et la solidarité qui les réunit toutes dans une synergie d’effort qui a pour but la conservation de l’être vivant.
L’irritabilité, qui est le signe distinctif de la vie, appartient au protoplasma de la cellule ; dans la suite des êtres qui se sont succédé, depuis la monère jusqu’à l’homme, la cellule primitive s’est diversifiée, spécifiée, de manière que chaque tissu a mis en évidence une des propriétés latentes de ce protoplasma. Mais les actes et les fonctions de la vie n’appartiennent qu’à des organes et à des appareils, c’est-à-dire à des ensembles de parties anatomiques. La fonction est une série d’actes ou de phénomènes groupés, harmonisés en vue d’un résultat à obtenir.
La digestion, par exemple, nécessite l’intervention d’une série d’organes tels que: la bouche, l’oesophage, l’estomac, l’intestin, etc., qui sont mis successivement en action en vue d’un but : celui de transformer les aliments.
On voit donc que, pour l’exécution de la fonction, interviennent les activités d’une multitude d’éléments anatomiques ; mais la fonction n’est pas la somme brutale des activités élémentaires de cellules juxtaposées ; ces activités composantes se continuent les unes par les autres ; elles sont harmonisées, concertées, de manière à concourir à un résultat commun. Le résultat entrevu par l’esprit fait le lien et l’unité de ces phénomènes composants ; c’est lui qui fait la fonction.
La fonction est donc quelque chose d’abstrait et d’intellectuel qui n’est matériellement représenté par aucune des propriétés élémentaires. Il y a une fonction respiratoire, une fonction circulatoire ; mais il n’y a pas, dans les éléments multiples qui y concourent, une propriété respiratoire ou une propriété circulatoire. Il y a une fonction vocale dans le larynx, mais il n’y a pas de propriétés vocales dans les muscles, etc.
Le corps d’un animal supérieur est un organisme complexe, formé par un agrégat de cellules diversement assemblées, dans lequel les conditions de la vie de chaque élément sont respectées, et dans lequel le fonctionnement de chacun est cependant subordonné à l’ensemble ; autrement dit : indépendance individuelle, mais obéissance à la vie totale.
Chaque organe a sa vie propre, son autonomie ; il peut se développer et se reproduire indépendamment des autres tissus. Il est autonome, en ce qu’il n’emprunte ni des tissus voisins, ni de l’ensemble, les conditions essentielles de sa vie ; il les possède en lui-même, par suite de sa nature protoplasmique. D’autre part, il est lié à l’ensemble par sa fonction, ou le produit de sa fonction.
Une comparaison fera mieux comprendre ce double caractère des organes.
Représentons-nous l’être vivant complexe, l’animal ou la plante, comme une cité ayant son cachet spécial qui la distingue de toute autre. Les habitants de cette cité y représentent les éléments anatomiques dans l’organisme ; tous ces habitants vivent de même, se nourrissent, respirent de la même façon et possèdent les mêmes facultés générales, celles de l’homme (autonomie des organes quant aux conditions essentielles de la vie).
Mais chacun a son métier ou son industrie, ou ses aptitudes ou ses talents, par lesquels il participe à la vie sociale et par lesquels il en dépend (subordination de chaque organe à l’ensemble par son fonctionnement).
Le maçon, le boulanger, le boucher, l’industriel, le manufacturier, fournissent des produits différents et d’autant plus variés, plus nombreux et plus nuancés, que la société dont il s‘agit est arrivée à un plus haut degré de fonctionnement. Tel est l’animal complexe.
L’organisme, comme la société, est construit de telle façon que les conditions de la vie élémentaire ou individuelle y soient respectées, ces conditions étant les mêmes pour tous ; mais en même temps chaque membre dépend dans une certaine mesure, par sa fonction et pour sa fonction, de la place qu’il occupe dans l’organisme, dans le groupe social. La vie est donc commune à tous les membres ; la fonction seule est distincte.
Ces fonctions si diverses, qui s’harmonisent pour concourir à la vie totale, sont nécessairement dirigées par une force consciente du but à remplir. Ce n’est pas le hasard qui préside à cette savante multiplicité, à cette coordination, car les mêmes organes : les glandes, par exemple, bien que, constitutivement, tout à fait semblables entre elles, fournissent cependant des sécrétions variées, suivant la place qu’elles occupent dans l’organisme.
Il y a donc une hiérarchie dans ces appareils, un ordre préétabli qui se maintient rigoureusement pendant toute la vie. Or ce statut vital n’est pas imprimé dans la matière muable, changeante, incessamment renouvelée, il réside dans cette partie fixe, invariable, que l’on nomme le double fluidique. Ce périsprit, dont l’expérience nous a démontré l’existence, est indispensable pour maintenir la stabilité de l’être vivant. Au milieu de la complexité extrême des actions vitales, dans cette effervescence perpétuelle qui résulte de la chaîne non interrompue des décompositions et recompositions chimiques dont l’activité ne s’arrête jamais ; dans l’écheveau enchevêtré des nerfs, des muscles, des glandes, circulent, se croisent, se mêlent, se pénètrent des liquides et des gaz, dans un apparent désordre, duquel sortira cependant la plus admirable régularité.
Les grandes opérations de la digestion, de la respiration, des sécrétions ; les actions si variées des systèmes nerveux moteurs, sensitifs ou ganglionnaires, ne seront pas troublées. Coopérant sans relâche à l’entretien du milieu organique, elles lui fournissent incessamment les matériaux de la synthèse assimilatrice, et toutes ces actions si multiples, si diverses, et cependant si constantes, s’accomplissent malgré le renouvellement ininterrompu de toutes les molécules qui forment ces organes variés.
La matière nouvelle, apportée par les aliments, semble témoigner véritablement d’une intelligence parfaite, relativement au but à réaliser ; mais quand on songe que toutes ces molécules sont passives, dépourvues de toute spontanéité, on est conduit nécessairement à se demander quelle force dirige ces innombrables produits chimiques, et utilise leurs propriétés particulières, pour produire la grandiose harmonie de l’oeuvre vitale. Reprenant l’exemple précédent, c’est comme si chaque individu, maçon, boucher, boulanger, etc., mourait après avoir fait une seule fois son travail, et qu’il fut immédiatement remplacé par un homme quelconque ; il faudrait bien que quelqu’un indiquât au nouveau venu ce qu’il doit faire, lui apprît le genre de travail auquel il est destiné ; mais ce qui, dans la société, ne pourrait se faire qu’après une éducation préalable, la nature le réalise d’emblée. Toutes les molécules organiques, semblables entre elles, accompliront cependant des travaux différents, suivant la place qu’elles occuperont dans l’organisme. C’est que la fonction appartient à un ensemble et non aux unités qui le composent ; cet ensemble est une loi qui est liée à sa structure propre, et celle-ci est maintenue par l’idée directrice qui a donné la forme extérieure et intérieure de l’individu : par le périsprit.
Une remarque capitale, qu’il ne faut jamais perdre de vue, c’est que, réellement et positivement, toutes les parties du corps sont changées sans cesse, il n’existe pas dans l’être humain la plus minime parcelle de tissu qui ne soit l’objet d’un remplacement, d’une renaissance perpétuelle.
Nous l’avons déjà dit, jamais la même matière ne sert deux fois à la manifestation vitale, et, au bout de peu d’années, toute la matière a été renouvelée intégralement.
Pas une molécule ancienne ne subsiste, tous les membres de cette république ont fait place à leurs successeurs, et cependant les fonctions n’ont jamais été interrompues, la vie continue à engendrer, dans le même ordre imperturbable, les phénomènes de son évolution. Car sa loi organique réside dans ce corps incorruptible et impondérable qui ne change jamais, dans le périsprit.
Il est véritablement étrange de constater combien de puissants esprits en viennent à des pauvretés logiques, lorsqu’ils se heurtent à ces phénomènes qu’il ne leur est pas possible d’expliquer, en restant dans leurs idées préconçues. En voici un, et non des moindres, Maudsley, qui se trouve nez à nez avec l’identité personnelle, persistant à travers le tourbillon vital : examinons comment il se tire de cette difficulté : « Si l’on vient m’assurer qu’il n’y a pas une seule particule de mon corps qui soit la même qu’il y a trente ans, que sa forme a entièrement changé depuis, qu’il est par conséquent absurde de parler de son identité et qu’il est absolument nécessaire de le supposer habité par une entité immatérielle qui maintient l’identité personnelle au milieu des perpétuels changements et des hasards de structures, je répondrai : « Que les autres personnes qui m’ont connu depuis ma jeunesse jusqu’à mon âge actuel, qui n’ont pas cette certitude consciente de mon identité que j’ai moi-même, en sont néanmoins aussi convaincues que moi, quand même elles me tiendraient pour le plus grand menteur du monde et qu’elles ne croiraient pas un mot de mon témoignage subjectif ; qu’elles sont également convaincues de l’identité personnelle de leurs
chiens ou de leurs chevaux, dont le témoignage subjectif est nul en l’espèce ; enfin que, en admettant en moi une substance immatérielle, il faut admettre qu’elle a subi tant de changements que je ne suis pas sûr qu’il en reste la moindre chose de ce qu’elle était il y a trente ans, de sorte que, avec la meilleure intention du monde, je ne vois pas quel besoin on a, quel bénéfice on tire de l’entité supposée, superflue à ce qu’il me semble. »
Comment, quel bénéfice : mais celui d’expliquer précisément ce qui est incompréhensible sans elle. On fait cette objection : Si tout l’organisme est radicalement détruit pour faire place à un autre organisme, le second sera semblable au premier, mais non plus identique ; donc la permanence des souvenirs, par exemple, est inexplicable. Notre philosophe répond que, puisqu’on le reconnaît, il n’a pas varié. C’est l’histoire du fameux couteau de Janot auquel on a successivement remis la lame et le manche ; il est resté le même pour tous ceux qui le voient, bien qu’il ait radicalement changé.
Maudsley dit tout simplement, dans l’espèce, « que tout le monde reconnaît le couteau de Janot, donc cela suffit, c’est bien le même. » Avouons que pour un philosophe c’est bien mal raisonner et que l’on pourrait trouver mieux. Et puis, cette supposition que, si l’âme existe, elle doit ne plus être la même, et pourquoi ? Nulle explication n’en est fournie. Ce sont de simples affirmations qui ne touchent en rien au problème et qui montrent bien l’impuissance totale dans laquelle se trouvent les matérialistes, lorsqu’ils abordent les questions qui ressortissent à l’âme et à son rôle dans le corps humain.
Comment ne pas comprendre qu’il faut un organisme fluidique, non soumis aux mutations matérielles, pour conserver et appliquer les lois organiques, dont la continuité nécessaire est en opposition avec la mobilité et l’instabilité qui caractérisent les actions vitales ? Par quel prodige se maintiendrait le type de l’individu, quelle partie du corps serait la gardienne des traditions héréditaires de la race ? Dans quel coin mystérieux de cet édifice mouvant, se réfugieraient les caractères si constants et si inaltérables qui différencient les êtres les uns des autres, tant au point de vue individuel que zoologique ?
Le périsprit n’est pas une conception philosophique imagée en vue de rentre compte des faits, c’est un organe, indispensable à la vie physique, que l’expérience a fait connaître. C’est en étudiant les matérialisations d’Esprits que son rôle s’est révélé et a mis en relief ses propriétés fonctionnelles. Cette découverte a expliqué des phénomènes que la science enregistrait, sans pouvoir en donner la raison.
Cette ébauche de l’être, préexistent à toute organisations, cette réparation perpétuelle des tissus suivant des règles fixes, cet ordre qui ne se dément pas malgré les apports successifs de nouveaux éléments, cette évolution dont la loi domine pendant toute la vie l’ensemble des échanges matériels, de manière à en modifier profondément les conditions suivant l’âge, tout cela devient compréhensible avec la théorie spirite ; sans elle, une obscurité indéchiffrable s’étend sur tous ces phénomènes qui nous touchent de si près. Si l’on admet l’existence du périsprit, tout s’éclaire et se comprend ; la logique des faits devient évidente, c’est une explication rationnelle à la place du mystère, c’est une découverte qui nous fait faire un pas de plus dans la connaissance si difficile de soi-même.
Nous n’avons envisagé jusqu’alors que le côté matériel de la question, mais, au point de vue animique, la nécessité du rôle périsprital s’accuse avec une autorité que l’on ne saurait récuser, comme il est facile de s’en convaincre en étudiant la vie intellectuelle de l’homme.
p) Le rôle psychologique du périsprit - l’identité
La vie psychique de tout être pensant présente une continuité qui l’assure de son identité. C’est parce que nous ne sentons pas de lacune dans notre vie mentale que nous sommes assurés que c’est toujours la même individualité qui réside en nous. La mémoire relie d’une manière ininterrompue tous les états de conscience, depuis l’enfance jusqu’à la vieillesse. Sous forme de souvenirs, nous pouvons évoquer les évènements de notre vie passée, leur donner une vie factice, en juger les phases, nous rendre compte que, malgré toutes les vicissitudes, les luttes et les déchirements moraux, les défaillances ou les triomphes de la volonté, c’est toujours le même moi qui a haï ou aimé, joui ou souffert, en un mot que nous sommes identiques.
Dans quelle partie de l’être réside cette identité ?
Evidemment dans l’esprit, puisque c’est lui qui sent et qui veut sur la terre, les facultés intellectuelles sont liées, dans leurs manifestations, à un certain état du corps, et le cerveau est l’organe par lequel la pensée se traduit à l’extérieur. Mais celui-ci change perpétuellement, les cellules de ses tissus sont incessamment ébranlées, modifiées, détruites par les sensations qui leur arrivent de l’intérieur et de l’extérieur ; plus que d’autres, elles sont soumises à une désagrégation rapide, et, dans une période assez courte, elles ont été remplacées toutes. Comment se fait-il alors que la mémoire se conserve, et, par suite, l’identité ?
Nous n’hésitons pas à croire que le périsprit joue encore ici un grand rôle, et que sa nécessité est évidente, car les arguments que nous avons fait valoir pour le mécanisme physiologique, s’appliquent encore mieux au fonctionnement intellectuel, bien plus intense et bien plus varié que les actions de la vie végétative ou animale. Il résulte de ces deux ordres de faits bien constatés : le
renouvellement incessant des molécules et la conservation du souvenir, que les sensations et les pensées qui sont enregistrées, ne le sont pas seulement dans le corps physique, mais aussi ce qui ne change pas : dans l’enveloppe fluidique de l’âme. Voici comment on peut se représenter le phénomène.
Tout le monde sait que, pour que nous ayons une sensation, il faut qu’un des organes des sens soit excité par un mouvement vibratoire, capable d’irriter le nerf qui y correspond. L’ébranlement reçu se propage jusqu’au cerveau, où l’âme en prend connaissance, par un phénomène appelé la perception. Mais nous savons qu’entre le cerveau et l’âme il y a le périsprit ; cet ébranlement doit donc le traverser et y laisser une trace.
En effet, en même temps que la sensation est perçue, ce qui se produit à l’instant où la cellule cérébrale entre en vibration, le périsprit, qui a transmis ce mouvement à l’esprit, l’a enregistré ; la cellule peut disparaître, elle a accompli son oeuvre. Celle qui la remplacera sera formée par le périsprit, qui lui imprimera le même mode de mouvements vibratoires qu’il a reçu ; par conséquent, la sensation sera conservée, prête à reparaître lorsque l’esprit le voudra.
Il faut nécessairement qu’il en soit ainsi, car la certitude du travail moléculaire du cerveau est absolue ; on peut même mesurer l’intensité de l’activité intellectuelle par l’élévation de température des couches corticales, et par les déchets excrémentiels caractéristiques, qui sont le résultat. Le substratum matériel est sans cesse détruit et reconstitué. Si le périsprit n’était pas une sorte de phonographe naturel, enregistrant les sensations pour les reproduire plus tard, il serait impossible d’acquérir des connaissances, car l’être nouveau, celui qui sans cesse remplace l’ancien, ne connaît rien du passé. Il est donc logique d’admettre que le périsprit a une bien grande importance au point de vue psychique, et ceci n’a rien qui doive nous surprendre, puisque, en somme, il fait partie de l’âme et lui sert de truchement avec la matière.
q) Le système nerveux et la force nerveuse ou psychique
Nous avons constaté, dans l’homme, l’existence d’une énorme quantité d’actions vitales s’accomplissant simultanément, chaque organe travaillant d’une manière autonome, mais en vue de la communauté, et solidaires de l’ensemble auquel ils appartiennent.
Cette coordination d’éléments si divers s’obtient au moyen des différents systèmes nerveux, dont le réseau embrasse le corps entier. Il serait inutile de rappeler longuement que tous les organes de la vie végétative, le coeur, les vaisseaux, le poumon, le canal intestinal, le foie, les reins, etc., si étrangers qu’ils soient les uns aux autres, si absorbés qu‘ils paraissent chacun dans sa besogne propre, sont reliés cependant par une étroite solidarité, elle est due au système nerveux grand sympathique et ganglionnaire, dont l’action régulière est soustraite à la volonté. Il faut, pour que les fonctions s’accomplissent sans relâche, une stabilité qui s’accorde mal avec la mobilité qui caractérise les actes volontaires.
Cependant, ce système n’est pas isolé dans l’être, il se révèle à l’esprit par des sensations générales de bien-être ou de malaise : comme la faim ou la soif, et parfois aussi par des impressions plus nettes, lorsque l’un des organes est atteint par la maladie.
Les phénomènes généraux de la vie organique ont pour régulateur le système nerveux cérébro-spinal, c’est-à-dire les nerfs sensitifs, les nerfs moteurs, la colonne vertébrale et le cerveau. La physiologie a étudié toutes les parties du système, et a montré leurs fonctions diverses. On est arrivé à isoler chacun d’eux, par des procédés différents, et à reconnaître que la vie psychique a un territoire bien déterminé. Dans quelle partie de l’organisme siège l’activité psychique ? L’expérience nous donne à cet égard des indications précises.
Prenons un vertébré inférieur quelconque, une grenouille, par exemple. Nous la voyons sauter, coasser, chercher à fuir ; son activité intellectuelle, si restreinte qu’on la suppose, s’exerce par des mouvements de lutte, de défense, par une agitation incessante. Eh bien ! nous pouvons instantanément supprimer toutes ces manifestations.
Il nous suffit de détruire avec un stylet son système nerveux central .
Aussitôt la scène change. Cet animal qui criait, sautait, se débattait, se défendait, est devenu une masse inerte, qu’aucune incitation ne peut réveiller. Il n’a plus de mouvements, ni spontanés, ni réflexes, et cependant le coeur continue à battre, les nerfs et les muscles moteurs sont excitables par l’électricité : tous les appareils, tous les tissus sont vivants, sauf l’appareil nerveux central qu’on a détruit. On a supprimé l’appareil servant aux manifestations intellectuelles, le principe intelligent ne peut plus s’en servir, les phénomènes psychiques ont disparu.
Le nerf moteur, qui met en rapport le cerveau avec les muscles, doit conduire quelque chose de la cellule centrale à un muscle qui se contracte sous son influence ; de même, la sensation qui est apportée par la fibre nerveuse sensible, doit être transmise par quelque chose qui modifie l’état de la cellule centrale. Ce quelque chose, pouvons-nous en déterminer la nature et dire ce que c’est ?
On s’est bien des fois posé cette question sans pouvoir la résoudre. Pour se tirer d’embarras, on appelle d’ordinaire l’action du nerf : l’action nerveuse, ce qui ne nous apprend pas grande chose sur la nature de cette action. Mais les physiciens ont voulu réduire cette influence à un autre agent physique, et c’est l’électricité qui se présentait tout naturellement, car, lorsqu’on a soustrait un muscle à l’influence de la volonté qui se transmet par le nerf moteur, on peut très bien remplacer cette action par l’électricité. Cependant cette théorie n’est pas démontrable dans l’état actuel de la science . Si l’on interrompt le filet nerveux par une section, le courant électrique sera encore transmis par les parties conductrices voisines, tandis que la moindre lésion, physiologique ou anatomique, empêche l’influence nerveuse de se transmettre au muscle.
L’influence nerveuse est donc une action spéciale, un agent physiologique distinct de tout autre. Il diffère de la force vitale, comme nous l’avons vu dans l’expérience de la grenouille, dont la vie végétative et les mouvements automatiques continuent malgré la suppression de l’influence nerveuse psychique ; c’est ce qui a lieu dans un membre paralysé qui continue à vivre, bien qu’il soit soustrait à l’influence de la volonté.
Les travaux modernes de Crookes et de M. de Rochas ont démontré expérimentalement l’existence de cette force nerveuse. Le célèbre physicien anglais a publié les recherches qu’il a faites en compagnie de Home . En employant des instruments de mesure, à la fois précis et délicats, il a mesuré cette force, s’exerçant sur les objets inanimés, sans contact visible. Nous avons vu, avec M. de Rochas, comment cette force peut s’extérioriser, c’est une confirmation des expériences de Crookes obtenue d’une manière indépendante.
Il y a donc une remarquable progression entre l’évolution du principe intelligent et les forces qui lui servent, dans l’organisme vivant, pour se manifester. Chez les êtres inférieurs, où il n’y a pas de fonctions différenciées, la force vitale seule se montre, mais avec le développement de l’organisme et la spécification des propriétés du protoplasma, apparaît le régulateur, le coordinateur des actions vitales : le système nerveux ganglionnaire, toujours actionné par la force vitale. Enfin, l’évolution se poursuivant, les phénomènes de la vie psychique prennent de plus en plus d’importance, le système nerveux cérébro-spinal s’organise, et une différenciation spéciale de l’énergie apparaît : la force nerveuse, qui sera spécialement affectée à la vie intellectuelle.
Nous verrons, plus tard, le rôle qu’elle joue dans la vie psychique, et comment ses modifications déterminent les états somnambuliques et des modifications dans la personnalité.
r) Résumé
En somme, il résulte des études partielles de ce chapitre que, suivant l’énergique expression des théologiens, l’âme informe le corps, c’est-à-dire qu’elle le modèle suivant un plan préconçu, et qu’elle en dirige les rouages au moyen du périsprit. La forme humaine, en dépit des changements apportés par l’âge, reste constante dans son type, malgré le flux de matière qui passe sans cesse dans le corps ; elle ressemble à un filet entre les mailles duquel passent les molécules. Ce réticulum fluidique contient aussi les lois du mécanisme vital, et il reste stable à travers le tourbillon des actions physico-chimiques, qui démolissent et reconstruisent incessamment l’édifice organique.
L’être humain se compose donc de trois choses distinctes : l’âme, avec son périsprit, la force vitale et la matière.
La force vitale joue ici un double rôle : elle donne au protoplasma ses propriétés générales, et au périsprit le degré de matérialité nécessaire pour qu’il puisse manifester les lois qu’il recèle, en un mot, qu’elles passent de la virtualité à l’acte.
La grande autorité de Claude Bernard, que nous avons plusieurs fois consulté, vient encore ici confirmer notre manière de voir. Voici comment il s’exprime dans son livre: Recherchez sur les problèmes de la Physiologie : « Il y a, dit-il, comme un dessin vital qui trace le plan de chaque être et de chaque organe ; en sorte que si, considéré isolément, chaque phénomène de l’organisme
est tributaire des forces générales de la nature, ils paraissent révéler un lien spécial ; ils semblent dirigés par quelque condition invisible dans la route qu’ils suivent, dans l’ordre qui les enchaîne.
Ainsi les actions chimiques synthétiques de l’organisation et de la nutrition se manifestent comme si elles étaient animées par une force impulsive gouvernant la matière, faisant une chimie appropriée à un but et mettant en présence les réactifs aveugles des laboratoires, à la manière du chimiste lui-même.
C’est cette puissance d’évolution immanente à l’ovule, que nous nous bornons à énoncer ici, qui seule constituerait le quid proprium de la vie, car il est clair que cette propriété évolutive de l’oeuf qui produira un mammifère, un oiseau ou un poisson, n’est ni de la physique, ni de la chimie. »
La vie résulte donc bien de l’union de la force vitale et du périsprit ; l’une donnant la vie proprement dite, l’autre les lois organiques, et l’âme la vie psychique. De ces trois facteurs, un seul est toujours et partout identique : c’est la vie ; l’esprit, en passant à travers la matière vivante depuis les premiers âges du monde, a, petit à petit, amené le changement de plus en plus perfectionné des organismes, nous croyons qu’il est l’agent de l’évolution des formes, c’est pourquoi le périsprit en a gardé les lois. C’est lentement, progressivement, qu’elles se sont incrustées dans sa texture, et nous verrons comment un mouvement, volontaire d’abord, peut devenir habituel, puis machinal, enfin automatique et inconscient… Ceci est le côté physiologique. Il en est de même pour les manifestations intellectuelles, car les deux évolutions sont parallèles.
Il est difficile, au premier abord, de se représenter une matière fluidique, invisible, impondérable, agissant sur la matière pour la disposer selon des lois ; cependant, nous pouvons trouver des analogies qui nous permettent de nous faire une idée assez approchée de ce genre d’action.
On connaît, en physique, un instrument appelé électroaimant, qui va nous servir de comparaison. Il se compose essentiellement d’un cylindre de fer doux, replié en forme de fer à cheval, et autour duquel s’enroule, à droite sur une branche et à gauche sur l’autre, un long fil de cuivre isolé. Les extrémités du fer se nomment les pôles de l’électro-aimant.
Lorsque l’on fait passer un courant électrique dans le fil de cuivre, le fer s’aimante, et il conserve cette propriété aussi longtemps que dure l’action électrique. Alors, si on retourne l’appareil de manière à ce que les pôles soient en l’air, en posant dessus une mince feuille de carton que l’on saupoudre d’une couche de limaille de fer, celle-ci se dispose, spontanément, suivant certaines lignes régulières, en formant des dessins variables suivant la forme des pôles. On a donné à ces figures le nom de fantôme ou spectre magnétique, et, aux agglomérations de limaille qui forment ces figures, le nom de lignes de force, car elles traduisent objectivement l’action des forces magnétiques.
Nous avons un exemple matériel de ce qui se passe dans tout être animé. Une force invisible, impondérable : le magnétisme, agit sans contact sur la matière : la limaille de fer. Dans notre exemple, l’électricité joue le rôle de la force vitale, l’électro-aimant celui du périsprit, et la limaille représente les molécules qui composent les tissus de l’organisme. Il peut se former dans l’aimant des pôles secondaires que l’on a nommés points conséquents, de sorte qu’ils produisent aussi des spectres secondaires qui, se mélangeant aux premiers, déterminent la création de figures très compliquées. Le magnétisme est bien une force impondérable, puisqu’un aimant qui peut porter jusqu’à vingt-trois fois son propre poids, ne pèse pas plus qu’avant d’être aimanté.
En comparant l’action du périsprit sur la matière à l’action exercée par l’électro-aimant sur la limaille, on peut donc se faire une idée de son mode d’action On conçoit qu’il lui soit possible de modeler la substance de l’être embryonnaire, de manière à lui imprimer la forme extérieure qui sera le type spécifique, et à l’intérieure, de façonner les organes divers : poumons, coeur, foie, cerveau, etc., qui serviront aux fonctions vitales.
Le spectre magnétique ne forme qu’un dessin sur le carton, ce dessin figure une coupe faite dans la sphère d’influence magnétique mais si on pouvait disposer une série de cartons autour des pôles, en éventail, on verrait que le spectre magnétique s’étend dans tous les sens, et qu’il forme un champ magnétique dans toutes les directions ; il en est de même pour le périsprit, sauf que ses lignes de forces sont internes ; en un mot, dans cette comparaison, le corps physique est le spectre magnétique du périsprit.
Les dessins formés par les pôles de l’électro-aimant sont simples, parce que le fer a un mouvement moléculaire simple, mais, dans l’enveloppe fluidique, ce mouvement est très compliqué ; de là une diversité très grande chez tous les êtres vivants. De même que l’action magnétique se maintient tout le temps que le courant électrique circule dans le fil de cuivre, de même le corps est vivant aussi longtemps qu’il y a de la force vitale pour animer le périsprit. L’analogie peut même aller encore plus loin.
Les propriétés magnétiques du fer doux sont à l’état latent, aussi longtemps que l’électricité ne les a pas réveillées en orientant les molécules du métal ; de même aussi les propriétés organogéniques périspritales sommeillent, pour ainsi dire, pendant le séjour de l’âme dans l’espace ; elles ne deviennent actives que sous l’influence de la force vitale. C’est pourquoi, dans les manifestations spirites, les Esprits peuvent reconstituer un corps temporaire, en actionnant le mécanisme périsprital, lorsqu’un médium leur fournit la force vitale et la matière indispensables à ce genre d’action.
En somme, une force impondérable : l’électricité, détermine par induction la naissance d’une autre force impondérable : le magnétisme, qui a une action directrice sur la matière brute ; dans l’être vivant, la force vitale agit sur le périsprit, et celui-ci peut alors développer ses propriétés, qui sont, comme nous l’avons vu, la formation et la séparation du corps physique. Comme le périsprit est de la matière, qu’il a une forme bien déterminée, qu’il est indestructible, nous pourrons concevoir des modifications successives de son mouvement atomique, correspondant à des modifications et à des complications de plus en plus grandes dans son mode opératoire, autrement dit : qu’organisant d’abord des formes très rudimentaires, il ait pu, par une très longue évolution demandant des millions d’années et des réincarnations sans nombre, diriger ensuite des organismes de plus en plus délicats et perfectionnés, pour arriver finalement jusqu’à ceux de l’homme.
L’âme et le périsprit forment un tout indivisible, leur ensemble constitue la partie active et passive, les deux faces du principe pensant. L’enveloppe est la partie matérielle, celle qui a pour fonction de retenir tous les états de conscience, de sensibilité ou de volonté ; c’est le réservoir de toutes les connaissances, et comme rien ne se perd dans la nature et que l’enveloppe est indestructible, l’âme a une mémoire intégrale lorsqu’elle se retrouve dans l’espace.
Le périsprit est l’idée directrice, le plan impondérable de la structure des êtres. C’est lui qui emmagasine, enregistre, conserve toutes les perceptions, toutes les volitions, toutes les idées de l’âme : non seulement il incruste dans sa substance tous les états de l’âme déterminés par le monde extérieur, mais il est aussi l’immuable témoin, le receleur indéfectible des pensées les plus fugitives, des rêves à peine entrevus ou formulés.
C’est lui le gardien fidèle, le texte indestructible de notre passé.
Dans sa substance incorruptible se sont fixées les lois de notre développement ; il est par excellence le conservateur de notre personnalité, car c’est en lui que réside le souvenir. Jamais l’âme n’abandonne son enveloppe, c’est la tunique de Nessus, mais c’est aussi le baume consolateur.
Depuis les périodes milles fois séculaires où l’âme a commencé ses pérégrinations terrestres, sous les formes les plus humbles de la création, pour s’élever par degré jusqu’aux plus parfaites, le périsprit n’a cessé de s’assimiler d’une manière indélébile les lois qui régissent la matière, puisqu’au fur et à mesure des progrès réalisés, les créations si diverses de la pensée forment un bagage qui va sans cesse grossissant, comme un trésor alimenté sans relâche. Rien ne se détruit, tout s’accumule dans cet impérissable périsprit, aussi incorruptible que la force ou la matière première dont il est sorti. Les merveilleux spectacles que notre âme a contemplés, les harmonies sublimes entendues dans les espaces, les splendeurs de l’art sont à jamais fixés en nous, et, pour toujours, nous possédons ce que nous avons pu acquérir ; le moindre effort tenté est porté mécaniquement à notre actif, car rien ne se perd, et c’est ainsi que lentement, mais sûrement, nous gravissons l’échelle ardue du progrès.
A la mort de l’homme terrestre, quand sa dépouille mortelle se décompose, lorsque les éléments dont elle est formée rentent dans l’universel laboratoire, l’âme existe entière, complète, conservant ce qui fait sa personnalité, c’est-à-dire la mémoire, et non plus seulement celle de la dernière existence, mais celles des vies successives qu’elle a parcourues. C’est un panorama imposant et sévère qui se déroule à ses yeux, dans lequel elle peut lire les enseignements du passé, et discerner ses devoirs pour l’avenir.
Nous voulons établir maintenant comment le périsprit a pu acquérir ses propriétés fonctionnelles. C’est par les réincarnations sans nombre ici-bas qu’il y est parvenu, en passant par toutes les étamines de l’animalité. Il faut donc que nous démontrions l’unité du principe pensant chez l’homme et les animaux, que nous établissions qu’il n’y a pas de transitions brusques entre eux et nous ; que la loi de continuité n’est pas interrompue ; que l’homme ne forme pas un règne à part dans la nature et que c’est par une évolution continue, par des efforts sans cesse réitérés, qu’il est arrivé à occuper le point culminant de la création.
CHAPITRE II - L’âme animale
Sommaire
Les sauvages. – Identité du corps humain et de celui des animaux. – Étude des facultés intellectuelles et morales des animaux. – La curiosité. – L’amour-propre. – L’imitation intelligente. – L’abstraction. – Le langage. – L’idiotie. – Amour conjugal. – Amour maternel. – Amour du prochain. – Le sentiment esthétique. – La gradation des êtres. – La lutte pour la vie. – Résumé.
La question de l’origine de l’homme est une des plus difficiles qu’il soit donné d’aborder ici-bas. Placés comme nous le sommes au milieu d’une civilisation avancée, il nous semble qu’un abîme sépare notre race de tous les êtres vivants. L’homme a conquis la royauté du monde ; il a plié sous sa volonté la nature entière, perçant les montagnes, unissant les mers, desséchant les marais, détournant les cours d’eau, dirigeant la végétation dans le sens le plus profitable à ses besoins ou à son agrément, domptant les animaux capables de se plier à son service, il a su utiliser toutes les forces vivantes pour augmenter son bien-être. Les chemins de fer le transportent au loin sans fatigue ; l’électricité fait parvenir sa pensée dans les confins les plus éloignés de son domaine et se plie à tous les usages domestiques ; le ballon lui permet d’explorer les hauteurs de l’atmosphère, tandis que la mine le fait pénétrer jusque dans les entrailles du sol. Devant la grandeur des résultats enfantés par son génie, l’homme est disposé à ce croire d’une essence supérieure à celle des animaux, qui paraissent incapables de tout progrès .
Les religions, qui ne sont, en somme, que des rêveries anthropomorphes, ont naïvement encouragé ces tendances, en faisant de l’homme l’image matérielle de la divinité et de l’âme un principe, une cause spéciale, complètement différente de tout ce qui existe ici-bas.
Cependant, à y regarder de plus près, cette magnifique intelligence est bien loin d’être parfaite, et il faut une certaine somme de partialité et d’orgueil pour se figurer que les êtres qui se déchirent avec férocité dans de sanglants combats, qui n’ont d’autre idéal que de semer la mort et la désolation chez leurs voisins, sont les représentants de l’intelligence infinie qui gouverne le cosmos.
Les splendeurs de nos progrès matériels ne doivent pas nous faire oublier notre modeste origine. Les enseignements de l’histoire sont là pour montrer que le développement intellectuel a été surtout l’oeuvre des siècles. La nuit morne du moyen âge a cessé depuis trop peu de temps, pour que nous ne nous souvenions pas du passé, et, d’ailleurs, si une partie du genre humain a évidemment marché, il existe encore assez de nos semblables qui croupissent dans l’ignorance, la bestialité, en proie aux plus mauvaises passions, pour montrer le chemin que l’humanité a parcouru dans son évolution.
a) Les sauvages
Côte à côte avec la civilisation, vivent des êtres dégradés auxquels on hésiterait à donner le nom d’homme . Parmi ces peuplades caractérisées par un degré d’infériorité inouïe, on donne parfois la triste prééminence aux Diggers (Pau-Entaw), Indiens repoussants, d’une sauvagerie extrême, vivants dans les cavernes de la Sierra-Nevada et dont les naturalistes les plus dignes de foi ont rapporté « qu’ils sont à peine de quelques échelons au-dessus de l’orang ». Le missionnaire A.-L. Krapf, qui a vu de près les Dokos du midi de Kata et de Qurage (Abyssinie), raconte que ces sauvages ont tous les traits physiques d’une grande infériorité. Ils ne savent point allumer le feu ou obtenir des produits du sol. Des graines, des racines arrachées à la terre en la fouillant avec leurs ongles, et de grosses fourmis, constituent leur nourriture habituelle, heureux s’ils parviennent à s’emparer d’une souris, d’un lézard ou d’un serpent. Ils errent nus dans les forêts ; incapables de construire une hutte, ils cherchent généralement un abri sur les arbres.
Les Dokos ignorent à peu près la pudeur et ne supportent que les liens de famille bien éphémères ; après l’allaitement, la mère ne tarde pas à abandonner ses petits .
Les Tarungares (Papous de la côte orientale), visités par le docteur Meyer, sont d’une extrême sauvagerie. Ils sont complètement nus et privés de tout sentiment moral ; anthropophages endurcis, ils exhument même parfois les cadavres pour les dévorer. Que dirions-nous si des singes en faisaient autant ?
Les Weddas de Ceylan sont de petite taille, d’un type abject ; la physionomie a une expression repoussante, bestiale. La conformation du crâne présente des traits le rapprochant de celui du singe ; le nez est aplati, la partie inférieure de la face tout à fait proéminente, « allongée en museau » ; les dents singulièrement projetées en avant. Ils vivent comme des animaux et s’abritent ordinairement dans le creux des rochers, quand le temps est mauvais. Ils sont comme les Boschimans qui se construisent une sorte de nid. Le missionnaire Moffat rapporte que ces nids sont semblables à ceux des Anthropoïdes. On sait, en effet, que l’orang de Sumatra et de Bornéo, qui se couvre pendant les nuits froides et humides, se construit un nid avec des feuilles et des branches.
Le savant et consciencieux naturaliste Burmeister trouve que beaucoup de sauvages du Brésil se comportent comme des animaux privés de toute intelligence supérieure. Le docteur Avé-Lallement qui, en 1859, dans son voyage au Nord du Brésil, a eu l’occasion de voir de près plusieurs tribus de Botocudos, compare ces sauvages à des singes apprivoisés. « J’ai acquis, dit-il, la douloureuse conviction qu’il existe aussi des singes bimanes. » Cette comparaison avec des singes, qui est peut-être un peu exagérée (et cependant !), revient presque constamment dans les récits des voyageurs. Le célèbre explorateur W. Baker dit des Kytches et des Latoukas (Africains), qu’ils se distinguent à peine de la brute ; ce sont de vrais singes, ajoute-t-il. La Gironnière, en parcourant les montagnes de Luçon (une des Philippines), fut frappé du caractère simien des Aétas : leurs voix et leurs gestes se rapprochaient de ceux des singes.
Darwin, lors de son voyage à bord du Beagle, fut presque épouvanté en contemplant des Fuègiens. « A voir de tels êtres, écrit-il, il est difficile de croire qu’ils sont nos semblables et qu’ils habitent la même planète… La nuit, cinq ou six de ces créatures humaines, nues et à peine protégées contre les intempéries de ce terrible climat, couchent sur le sol humide, repliées sur elles-mêmes comme des animaux et serrées les unes contre les autres. »
On voit combien la différence est peu sensible entre l’homme et le singe.
Notre règne se distingue-t-il par quelque caractère qui lui soit vraiment spécial ? L’histoire naturelle et la philosophie démontrent que, ni au point de vue physique, ni au point de vue intellectuel, il n’y a de différence essentielle. Il est bien entendu qu’entre le plus intelligent des animaux, le singe, et le plus abruti des hommes, il y a des différences, personne ne les nie, sans quoi le singe serait un homme. Mais ce ne sont que des degrés divers et ascendants d’un même principe, qui va en progressant au fur et à mesure qu’il passe dans des organismes plus développés. Etablissons clairement, par des exemples, cette vérité si importante .
b) Similitude de l’organisme humain et de celui des animaux
Nous savons déjà que les principes qui forment les tissus de tous les êtres vivants sont, au fond, identiques dans leur composition, et que la chair d’un animal quelconque ne se distingue en rien de la nôtre. Le squelette n’est pas sensiblement varié chez les vertébrés. La notion d’un type uniforme est devenue banale aujourd’hui.
Chacun sait qu’on trouve toujours des vertèbres surmontées d’un crâne plus ou moins large, deux
membres attachés au thorax, deux membres attachés au bassin, aussi bien dans l’homme que dans le singe, l’aigle pour la grenouille.
Les organes des animaux et des hommes sont à ce point semblables que l’on pourrait, quelque étrange que paraisse cette supposition, concevoir un homme qui vivrait avec un coeur de chien ou un coeur de cheval ; la circulation du sang se ferait chez cet homme-là aussi bien qu’avec le sien propre. Le sang, qui semble si important dans la vie, est identique chez le veau, le mouton ou l’homme, et les médecins légistes n’ont pas encore trouvé de méthode précise qui leur permette de dire avec certitude si tel linge taché de sang a été maculé par du sang humain ou par du sang d’un autre animal.
Coeur, poumon, foie, estomac, sang, oeil, nerfs, muscles, squelette, tout est analogue chez l’homme et chez les autres vertébrés. Il y a moins de différences entre un homme et un chien, qu’entre un chien et un crocodile, qu’entre u crocodile et un papillon.
Les découvertes des naturistes établissent chaque jour, sur des bases plus solides, cette vérité profonde qu’Aristote, le grand maître ès choses de la nature, avait si bien exprimée : nature ne fait point de saults. De perpétuelles transitions sont entre les êtres vivants. De l’homme au singe, du singe au chien, du chien à l’oiseau, de l’oiseau au reptile, du reptile au poisson, au mollusque, au ver, à l’être le plus infime placé aux dernières limites du monde organique et du monde inanimé, nul passage brusque. C’est toujours une dégradation insensible. Tous les êtres se touchent, forment une chaîne de vie qui ne paraît interrompre que par suite de notre ignorance des formes éteintes ou disparues.
Dans cette hiérarchie des êtres, l’homme s’est donné le premier rang, il y a incontestablement droit, mais il n’est pas hors rang ; c’est tout simplement l’animal le plus perfectionné.
Non seulement il est impossible de faire de l’homme, dans le règne animal, un être à part, mais encore il se rattache aux êtres inférieurs, car, entre les animaux et les végétaux, il est impossible de préciser une limite. Certes, le bon sens vulgaire, comme le dit Charles Bonnet, distinguera toujours un chat d’un rosier ; mais si l’on veut aller plus avant dans l’étude des processus vitaux qui différencient l’animal de la plante, on ne trouvera plus de caractères qui soient propres à l’animal et qui manquent à la plante. Car, d’une part, il est des plantes, comme les algues, qui se reproduisent au moyen de corpuscules très agiles, et, d’autre part, il est des animaux, qui, pendant
presque toute la durée de leur existence, restent immobiles, insensibles en apparence, n’ayant pas, comme la sensitive, la faculté de se soustraire, par un brusque mouvement, aux injures extérieures.
Il est impossible que l’homme vive autrement que les autres êtres animés. Le sang circule de la même manière, l’air est respiré dans les mêmes proportions et par le même mécanisme. Les aliments sont de même nature et ils sont transformés dans les mêmes viscères par les mêmes opérations chimiques, puisque nous avons vu que les conditions de l’entretien de la vie sont identiques pour tous les êtres vivants.
La naissance n’est pas un phénomène particulier. Dans les premiers temps de sa vie foetale, il est impossible de distinguer l’embryon humain de celui d’un chien ou de tout autre vertébré. La monère qui donnera l’existence au roi de la création est, à l’origine, composé de simple protoplasma, comme celle d’un végétal quelconque.
La mort est la même dans toute la série organique ; elle a les mêmes causes et produit les mêmes résultats : la désorganisation de la matière vivante et son retour dans le grand creuset de la nature.
En résumé, reconnaissons avec les savants que, par ses caractères physiques, l’homme ne se distingue en rien de l’animal, et que c’est en vain qu’on a tenté d’établir une ligne de démarcation qui lui permettrait de se faire une place spéciale dans la création. Il nous reste à examiner si les facultés humaines, intellectuelles et morales, sont d’une nature particulière, et si elles suffisent pour créer un abîme infranchissable entre l’animalité et l’humanité.
c) Étude des facultés intellectuelles et morales des animaux
Nous pouvons poser en principe qu’il nous est impossible de nous rendre compte des phénomènes psychique qui se passent dans un individu, autrement que par les manifestations extérieures de cette activité. S’il exécute des actes intelligents, nous en conclurons qu’il possède une intelligence ; si ces actes sont de la même nature que ceux qu’on observe chez les hommes, nous en déduirons que cette intelligence est semblable à l’âme humaine, car, dans la création, l’âme seule est douée d’intelligence. Or, comme non seulement les animaux possèdent l’intelligence, mais aussi l’instinct et le sentiment, en raison de ces axiomes : que tout effet intelligent a une cause intelligente, et que la grandeur de l’effet est directement proportionnelle à la puissance de la cause, nous aurons le droit de conclure que l’âme animale est de la même nature que l’âme humaine, sauf le degré de développement.
Fort souvent, en parlant de l’intelligence des animaux, on risque de n’être pas compris. Certaines personnes se figurent que, pour démontrer l’existence de facultés intellectuelles ou morales dans la race animale, il faut établir qu’ils possèdent la sensibilité, la mémoire, le jugement, etc., au même degré que nous, ce qui est impossible, puisque leur organisme est inférieur au nôtre.
D’autres s’imaginent que c’est rabaisser la dignité humaine d’admette qu’il puisse exister un principe intellectuel dans l’animalité.
Nous ne voyons pas en quoi nous pourrions perdre à cette comparaison qui est toute en notre faveur, car il est bien certain qu’un animal n’a pu ni ne pourra jamais trouver la loi des proportions définies ou écrire le songe d’une Nuit d’été. Il s’agit simplement d’établir, que si l’homme est plus développé que l’animal, il n’en est pas moins vrai que sa nature pensante est du même ordre et n’en diffère par essentiellement, mais seulement par le degré de sa manifestation.
Voici quelques récits qui mettent en évidence certaines facultés des animaux, telles que : l’attention, le jugement, le raisonnement, l’association des idées, la mémoire et l’imagination .
d) Intelligence et réflexion
Un fermier regardant par sa fenêtre un matin d’été, vers trois heures, vit un renard emportant un gros canard qu’il avait capturé. En arrivant à un mur de pierre d’environ 1,20 m de hauteur, maître renard fit un effort pour le franchir en emportant sa proie ; mais il n’y put réussir, et retomba dans le champ. Après trois tentatives sans résultats, il s’assit et considère le mur pendant quelques minutes. Ayant apparemment pris son parti, il saisit le canard par la tête et, se dressant contre le mur avec ses pattes de devant, aussi haut qu’il pouvait atteindre, il enfonça le bec du canard dans une crevasse du mur.
Sautant alors sur le sommet, il se pencha et, saisissant sa proie, il la souleva et la rejeta de l’autre côté, il n’eut plus alors qu’à sauter après son canard, et, l’ayant ramassé, il continua son chemin .
Il n’est pas douteux que les animaux réfléchissent avant de prendre une décision, nous venons de le constater pour notre renard, et nous pouvons citer nombre de cas analogues, mais, chez eux, l’action est bien plus lente que chez nous.
Voici les faits : un ours du Jardin Zoologique de Vienne, voulant ramener à lui un morceau de pain qui flottait à l’extérieur de sa cage, eut l’idée ingénieuse de créer, à cet effet, un courant artificiel avec sa patte. Flourens raconte, que les ours étant trop nombreux au Jardin des Plantes, on avait résolu d’en détruire deux. Pour cela faire on leur jeta des gâteaux imprégnés d’acide prussique. Mais à peine eurent-ils senti ce dangereux aliment qu’ils se mirent à fuir. On aurait cru qu’ils seraient peu tentés d’y revenir, mais, alléchés par la gourmandise, ils poussèrent avec leurs pattes les gâteaux dans le bassin de la fosse, là, ils les agitèrent dans l’eau, puis les flairèrent avec attention, et à mesure que le poison s’évaporait, ils s’empressaient de les manger. Leur ingéniosité leur sauva la vie. On leur fit grâce.
Un éléphant qui s’était efforcé en vain de saisir une pièce de monnaie au pied d’une muraille, imagina, subitement, de souffler contre ce mur pour la repousser, et la faire rouler à lui, ce qui lui réussit à merveille .
Erasme Darwin raconte les deux faits suivants : une guêpe s’était mise en devoir d’emporter le corselet d’une mouche, mais les ailes qui y étaient attachés donnaient prise au vent et la gênaient dans son vol, que fit alors la guêpe ? Elle se posa à terre, scia les deux ailes et emporta aisément le reste.
Un kangourou, poursuivi par un chien, se jeta soudainement à la mer ; là, toujours suivi de près, il avança dans l’eau jusqu’à ce que sa tête seule émergeât, et alors il attendit son adversaire qui venait à lui en nageant, le saisit et le tint sous l’eau ; le chien aurait été infailliblement noyé si le maître n’était pas venu à la rescousse.
Citons encore un curieux trait d’intelligence d’un singe .
« J’étais assis, dit Torrebianca, avec ma famille auprès du feu. Les domestiques faisaient cuire des châtaignes sous la cendre. Un singe, très aimé pour ses grimaces, les convoitait beaucoup. Ne trouvant point, pour s’en emparer, de bâton à sa portée, il sauta sur un chat qui dormait, et le saisissant avec force en le pressant contre sa poitrine, il prit une de ses pattes et s’en servit pour tirer les marrons du feu. Aux cris affreux que poussait le chat, chacun accourut ; le coupable et sa victime s’enfuirent alors, l’un avec son butin, l’autre avec sa patte brûlée. Le curieux de la chose, ajoute Gratiolet qui rapporte cette histoire, c’est qu’après cela Torrebianca conclut que les animaux ne raisonnent pas ».
« J’avoue, dit le spiritualiste et religieux Agassiz, que je ne saurais dire en quoi les facultés mentales d’un enfant diffèrent de celles d’un chimpanzé ».
e) La curiosité
La curiosité est très développée, même chez les espèces peu intelligentes, comme les poissons, les lézards, les alouettes ; elle l’est encore bien plus chez les canards sauvages, les chamois et les vaches. Elle est excessive, irrésistible chez les singes ; ceux-ci ont, de plus, un genre de curiosité toute humaine : le désir de comprendre, de pénétrer le sens des choses ; ils possèdent la faculté « d’examen attentif ».
Le singe, comme l’a très justement fait observer M. H. Fol, sait en effet « s’absorber complètement dans l’examen d’un objet, passant des heures entières à chercher à comprendre un mécanisme, oubliant sa nourriture et tout ce qui l’entoure. Or, comme l’observe M. Romanes, quand un singe se conduit ainsi, on ne peut plus s’étonner que l’homme soit un animal scientifique. Cette faculté d’examen attentif a évidemment, comme base première, la curiosité, mais elle s’élève déjà infiniment au-dessus : c’est une des formes les plus hautes de l’intelligence, celle qui prend pour but son propre perfectionnement. »
f) L’amour propre
Les chiens ne volent pas les aliments du maître (Agassiz) ; ils se montrent très satisfaits et fiers lorsqu’on les approuve. Sanson dit qu’il est prouvé, par de nombreux faits, que le cheval de course est capable d’émulation et qu’il éprouve l’orgueil de la victoire. Tel est le cas de Forster qui, dans une carrière déjà longue d’hippodrome, était demeuré jusque-là invaincu, et qui se voyant, dans une course, dépassé par Eléphant, non loin du poteau d’arrivée, se précipita sur lui d’un bond désespéré et le saisi à pleines dents par la mâchoire pour ne pas subir l’affront d’une défaite qu’il n’avait jamais connue. On eut beaucoup de peine à lui faire lâcher prise.
Un autre cheval, dans un cas pareil, saisit de même son rival par le jarret. L’éléphant, le chien, le cheval, sont fort sensibles à l’éloge. L’anthropoïde, l’éléphant et le chien craignent le ridicule ; ils se fâchent lorsqu’ils se sentent joués.
M. Romanes raconte une observation intéressante à ce sujet. Son chien s’amusait à faire la chasse aux mouches contre une vitre. Comme il en manquait bon nombre, M. Romanes se mit à se moquer de lui, soulignant d’un rire sarcastique chaque nouvelle défaite. Cela vexa considérablement le chien, qui fit alors semblant, tout à coup, d’avoir enfin attrapé une mouche et de l’écraser par terre. Mais le maître, qui n’avait pas été dupe de cette supercherie, lui démontra son imposture : le chien, alors doublement honteux, alla se cacher sous les meubles.
g) L’imitation intelligente
Les exemples d’imitation intelligente ne manquent pas ; ils sont d’autant plus intéressants à noter qu’ils témoignent d’une certaine notion des rapports de cause à effet, d’une conscience de la causalité.
L’orang et le chimpanzé, par exemple, découvrent très vite le moyen d’ouvrir les serrures. Le singe de Buffon avait appris lui-même à se servir d’une clef. La guenon Mafuca, du Jardin Zoologique de Dresde, voulant être libre de sortir à volonté de sa cage, imagina même d’en dérober la clef, qu’elle cacha soigneusement. Des chiens, des chèvres, des chats ont appris par eux-mêmes, sans éducation préalable, à tirer une sonnette ou à ouvrir une porte, et l’on cite des vaches, des mulets et des ânes, qui ont tiré une bobinette et ouvert un loquet.
Le professeur Hermann Fol rapporte que, dans la vacherie modèle de Lancy (près de Genève), bien peu de temps après qu’on eut établi dans la cour un abreuvoir, il fallut substituer, au robinet ordinaire qui l’alimentait, un autre robinet ne s’ouvrant qu’avec une clef que le bouvier avait toujours soin d’enlever, car les vaches avaient bientôt appris à l’ouvrir d’elles-mêmes. Le même fait s’est produit à Turin dans une vacherie modèle établie par Henri Bourrit.
Chez les singes, l’imitation intelligente est souvent développée à un point extrême. On en a vu plusieurs qui ont eu spontanément l’idée de se faire porter par des chiens. Boitart raconte qu’un singe roloway eut l’idée de se faire porter par un épagneul. Le Vaillant rapporte un fait semblable d’un babouin, et A. de Humbold d’un onavapari.
h) L’abstraction
La faculté d’abstraire, c’est-à-dire de se rendre compte des objets et d’en déterminer les qualités sensibles : comme le jaune, le vert, le dur, le mou, le rugueux, le lisse, etc. ; la pierre, l’arbre, l’animal, etc., tel genre d’animal, chien, chat, homme ; telle sorte d’homme, bien ou mal habillé, etc. ; toutes ces idées abstraites, les animaux les ont, car ainsi que le fait remarquer M. Vulpian , c’est évidemment sur ces idées que s’exercent leur mémoire, leur réflexion, leur raisonnement. Ils peuvent même s’élever jusqu’à la compréhension de certaines réalités métaphysiques, comme le temps, l’espace, etc.
« Les animaux ont un certain sentiment de l’étendue, dit Gratiolet, puisqu’ils marchent et sautent avec précision ; du temps passé, puisqu’ils le regrettent ; du temps présent, puisqu’ils en jouissent ; du temps futur, puisqu’ils ont dans certains cas des prévisions, des craintes et des espérances. Mais ce sont là des idées concrètes qui ne s’élèvent jamais au degré d’abstraction véritable. »
Le naturaliste Fisher s’est assuré par d’ingénieuses expériences (Revue scientifique, 1884), que les singes les plus intelligents possèdent la notion du nombre et savent fort bien estimer les poids. Chacun sait que la pie peut compter jusqu’à cinq, car, lorsque les chasseurs ne sont pas plus nombreux, elle ne s’envole pas tant qu’ils ne sont pas partis tous les cinq. Elle est, en cela, plus avancée que beaucoup de sauvages.
i) Le langage
Le langage articulé est l’apanage de l’homme, c’est grâce à ce puissant instrument de progrès qu’il a pu se développer, alors que les autres êtres sont restés presque stationnaires ; mais les animaux de même espèce peuvent cependant communiquer entre eux. Le chien domestique possède un langage que n’avaient pas ses ancêtres sauvages. Darwin fait remarquer que « chez les chiens domestiques, nous avons l’aboiement d’impatience, comme à la chasse ; celui de la colère, un grondement ; le glapissement ou hurlement de désespoir, lorsque l’animal est enfermé ; celui de la joie, lors du départ de la promenade et le cri très distinct et suppliant par lequel le chien demande qu’on lui ouvre la porte ou la fenêtre. »
Le langage d’expression par signe ou geste est très développé chez les animaux qui vivent en société, comme les chiens sauvages, les chevaux qui vivent en liberté, les éléphants, les fourmis, les castors, les abeilles, etc. Il est incontestable que ces animaux se comprennent.
On voit quelquefois les hirondelles délibérer avant de se mettre en route ; mais leurs idées étant simples, primitives, ne pouvant par le langage articulé les amplifier, les coordonner, en tirer tout le parti voulu, ils ne se perfectionnent qu’avec une lenteur inouïe et nous paraissent immuables ; cependant une observation attentive a fait voir les instincts varient suivant les conditions nouvelles dans lesquelles les animaux sont placés par un exercice réitéré, surtout dans les espèces en contact avec l’homme.
j) L’idiotie
Une comparaison entre l’arrêt de développement intellectuel chez les facultés animales, montrera bien que la différence entre l’humanité et l’animalité n’est pas constitutive par la conformation défectueuse du corps, l’âme ne peut se manifester au dehors que par les formes rudimentaires de l’intelligence ; l’idiotie en donne une démonstration frappante . Les idiots, comme on le sait, se partagent en trois classes : les idiots complets, les idiots du deuxième degré et les imbéciles.
1° Les idiots complets sont réduits à l’automatisme : êtres inertes, dénués de sensibilité, sans idées morales ; ils sont dépourvus même de l’instinct de la bête. Le regard est atone, sans expression ; ils n’ont ni goût, ni odorat ; ils ne savent pas manger seuls ; il faut qu’on leur porte les aliments jusque dans la bouche et l’arrière gorge, pour provoquer la déglutition. D’autres mangent avec moins de difficultés, mais avaient indistinctement tous les objets qui se trouvent à leur portée : de la terre, des cailloux, du linge, des matières fécales, etc. Les idiots complets sont au-dessous des chiens, de l’éléphant et des singes ; cependant ce sont des hommes. L’âme est emprisonnée dans une enveloppe inerte et doit supporter un long et cruel martyre, dans l’impossibilité où elle se trouve de faire mouvoir ses organes rebelles.
2° Les idiots du second degré ont des instincts : mais la faculté de comparer, de juger, de raisonner est à peu près nulle : ils se rapprochent des animaux sans les atteindre encore.
3° Enfin, les imbéciles sont ceux qui possèdent des instincts et des déterminations raisonnées ; mais, bien que capables d’abstractions physiques très simples, ils ne peuvent s’élever à aucune notion d’ordre général ou supérieur ; ils sont à peu près au niveau des animaux. Il en est de même des crétins.
Ces états défectueux de l’intelligence peuvent être rapprochés de ceux de l’enfance, car, jusqu’à sa troisième année, l’enfant est inférieur aux grands singes, de sorte qu’au point de vue intellectuel, l’enfance, l’idiotie et le crétinisme nous donnent l’exemple tangible et saisissant de l’évolution de l’âme humaine.
k) L’évolution
Si on veut bien se rappeler les faits cités plus haut au sujet des sauvages, on comprendra encore mieux cette marche ascendante du principe pensant, lequel, partant des formes les plus rudimentaires de l’animalité, arrive à son plein épanouissement dans l’homme. Les peuples primitifs restent comme des vestiges qui nous montrent les phases intermédiaires du processus transformiste.
N’oublions pas que ces êtres, qui nous paraissent si dégradés, sont encore bien supérieurs à notre ancêtre de l’époque quaternaire, et l’on pourra comprendre alors qu’il n’y a pas de différence essentielle entre l’âme animale et la nôtre. Les degrés divers qu’on observe des les manifestations intelligentes, à mesure qu’on remonte la série des êtres vivants, sont corrélatifs aux développements organiques des formes. Plus le corps devient souple, maniable, plus ses parties se différencient, plus aussi l’intelligence a de facilités pour s’exercer, de sorte qu’on passe insensiblement de la monère jusqu’à l’homme, sans hiatus, sans interruption marquée.
Nous avons envisagé le développement intellectuel dans les animaux ; nous allons voir que, sous le rapport des sentiments, ils offrent avec nous une frappante analogie.
l) Amour conjugal ; amour maternel
Les oiseaux, dit Buffon, nous représentent tout ce qui se passe dans un ménage honnête ; ils observent la chasteté conjugale, ils soignent leurs petits ; le mâle est mari, père de famille ; tous deux, quelque faibles qu’ils soient, deviennent courageux et s’exposent héroïquement à la mort, quand il s’agit de défendre leur famille.
L’amour que montre la poule pour défendre ses poussins est bien connu. Les animaux les plus féroces : les tigres, les loups, les chats sauvages, ont pour leurs petits l’amour le plus tendre . Darwin, Brahm, Leuret, citent des exemples curieux de ce sentiment si fort ; voici deux récits qui ne laissent aucun doute à cet égard.
Leuret rapporte qu’un papion (singe) dont la femelle était morte, soignait avec sollicitude son fils, pauvre petit être chétif et rabougri. Toutes les nuits, il le prenait dans ses bras pour le faire dormir, et, dans la journée, il ne le perdait pas un instant de vue. D’ailleurs, chez ces proches voisins de l’homme, les singes orphelins sont toujours soigneusement gardés et adoptés, aussi bien par les mâles que par les femelles.
Une femelle de babouin (cynocéphale), remarquable par sa bonté, recueillait des singes d’autres espèces, et volait de jeunes chiens et de jeunes chats qu’elle emportait avec elle. Un petit chat ayant égratigné sa mère adoptive, celle-ci, très étonnée du fait, fit preuve d’intelligence en examinant les pattes du chat, dont elle coupa aussitôt les griffes avec les dents.
m) Amour du prochain
M. Ball a raconté, dans la revue scientifique, le fait suivant dont il a été témoin : un dogue s’était aventuré sur une mare gelée ; tout à coup la glace se rompit, et le dogue tombé à l’eau fit de vains efforts pour se dégager ; une branche flottait à sa portée, il la saisit par le bout, espérant pouvoir s’y accrocher. Un terre-neuve, qui avait assisté à l’accident, se décida alors, soudainement, à lui porter secours ; il se risqua sur la glace en s’avançant avec la plus grande précaution, et ne s’approcha du trou que juste assez pour arriver à saisir avec les dents l’autre extrémité de la branche et ramener ainsi son camarade auquel il venait de sauver la vie.
« La prévoyance, la prudence et le calcul se montrent, dit M. Ball, d’une manière évidente dans cet acte, qui nous paraît d’autant plus remarquable, qu’il est absolument spontané. Les animaux sont souvent susceptibles d’éducation, et leur intelligence peut se développer au contact de l’homme ; mais il est encore bien plus intéressant de suivre leur évolution personnelle, et de constater qu’ils sont capables, pour ainsi dire, de tirer de leur propre fonds. A cet égard, notre terre-neuve s’est élevé, pendant quelques instants, à la hauteur de l’intelligence humaine, et, sous le rapport de l’observation et sous celui du raisonnement, il n’est pas resté inférieur à ce que l’homme serait capable d’accomplir. »
Darwin rapporte que le capitaine Stransbury a rencontré, dans un lac salé de l’Utah, un pélican vieux et complètement aveugle, qui était fort gras, et avait dû être bien, et depuis fort longtemps nourri par ses compagnons.
M. Blyth m’informe, dit-il, qu’il a vu des corbeaux indiens nourrissant deux ou trois de leurs compagnons aveugles ; j’ai eu connaissance d’un fait analogue observé sur un coq domestique.
M. Burton cite le cas curieux d’un perroquet qui avait pris soin d’un oiseau d’une autre espèce, chétif et estropié, lui nettoyait son plumage et le défendait contre les autres perroquets qui parcouraient librement son jardin.
Mais le fait le plus évidemment démonstratif est le suivant, rapporté par Gratiolet :
« M. de la Boussanelle, capitaine de cavalerie dans l’ancien régiment de Beauvilliers, raconte ce qui suit : En 1757, un cheval de la compagnie, hors d’âge, très beau et du plus grand feu, ayant au tout à coup les dentes usées au point de ne pouvoir plus mâcher le foin et broyer son avoine, fut nourri pendant deux mois, et l’eût été davantage si on l’eût gardé, par les deux chevaux de droite et de gauche qui mangeaient avec lui. Ces deux chevaux tiraient le foin du râtelier, le mâchaient et le jetaient ensuite devant le vieillard. Ils en usaient de même pour l’avoine, qu’ils broyaient bien menue, et mettaient ensuite devant lui. C’est là, ajoute l’auteur, l’observation et le témoignage d’une compagnie entière, officiers et cavaliers . »
n) Le sentiment esthétique
On a souvent prétendu que le sentiment du beau était spécial à l’homme, mais les femelles des oiseaux sont très attirées par la beauté du plumage des mâles ou par leurs chants mélodieux, et il n’est pas douteux que certains sons musicaux sont compris par beaucoup d’animaux. M. Romanes a entendu un lévrier accompagner une chanson par des hurlements doux. Le chien du professeur J. Delboeuf accompagnait assez bien, de la voix, un contralto chantant l’air de la Favorite.
La propreté est une variété du sentiment esthétique, et l’on peut signaler sa présence chez les oiseaux, qui nettoient leurs nids, chez les chats, qui font leur toilette avec minutie, et surtout chez les singes.
C’est un spectacle curieux, dit Cuvier, que de voir les femelles portant leurs enfants à la rivière, les débarbouiller malgré leurs plaintes, les essuyer, les sécher, et donner à leur propreté un temps et des soins que, dans bien des cas, nos enfants pourraient envier.
Mais où le sentiment du beau et du bien-être est porté au plus haut point, c’est certainement chez l’oiseau jardinier de la Nouvelle-Guinée . Ces oiseaux, de la famille des paradisiers, ne se contentent pas d’un simple nid : en dehors de leur demeure ordinaire, ils bâtissent de véritables maisons de plaisance, qui témoignent souvent de beaucoup de goût. Ces constructions, réservées aux adultes seuls, sont ornées d’une manière très variée, et les paradisiers jouissent réellement du luxe dont ils s’entourent.
Les cabanes atteignent parfois des dimensions considérables. Elles sont en forme de kiosque et ont des allées couvertes. Une certaine espèce bâtit une maisonnette de plus d’un mètre carré de base, avec couloir, et assez joliment ornée à l’aide de fruits et de coquilles. Les plus raffinés garnissent leurs habitations de plaisance avec encore plus de goût, ils joignent aux coquilles des pierres brillantes, des plumes de perroquets, des bouts d’étoffe, enfin tout ce qu’ils trouvent et qui
peut faire de l’effet ; le plancher est soigneusement fabriqué avec des bâtonnets entrelacés . Mais il faut, sans balancer, accorder la suprématie à l’Amblyornis inornata, dont les constructions sont de vraies merveilles ; elles sont entourées d’un joli jardinet artificiel, fait avec de la mousse disposée en pelouse, et décoré avec beaucoup d’art à l’aide de fleurs toujours renouvelées, de fruits aux couleurs vives, de cailloux brillants, de coquillages, etc.
o) La gradation des êtres
Nous pourrions montrer aussi que les sentiments moraux tels que : le remords, le sens moral, le sentiment du juste et de l’injuste, sont en germe dans tous les animaux, et peuvent se manifester lorsque l’occasion est présente. Nous renvoyons le lecteur aux ouvrages précédemment cités pour asseoir sa conviction, et nous sommes assuré qu’une étude attentive lui démontera que, soit au point de vue de l’instinct, soit au pont de vue de l’intelligence, soit au point de vue du sentiment, il n’existe, entre l’âme des animaux et l’âme humaine, qu’une différence de degrés.
C’est le même principe immortel qui anime toutes les créatures vivantes. D’abord ne se manifestent que sous des modes élémentaires dans les derniers étages de la vie, il va petit à petit en se perfectionnant, à mesure qu’il s’élève sur l’échelle des êtres ; il développe, dans sa longue évolution, les facultés qui étaient renfermées en lui à l’état de germes, et les manifeste d’une manière plus ou moins analogue à la nôtre, à mesure qu’il se rapproche de l’humanité.
Ecoutez le grand naturaliste Agassiz proclamer, malgré ses principes religieux, l’identité du principe pensant de l’homme et de l’animal.
« Quand les animaux se battent, quand ils s’associent pour un but commun, quand ils s’avertissent l’un et l’autre du danger, quand ils viennent au secours l’un de l’autre, quand ils montrent de la tristesse ou de la joie, ils manifestent des mouvements de même nature que ceux que l’on met au nombre des attributs moraux de l’homme.
La gradation des facultés morales dans les animaux supérieurs et dans l’homme est tellement imperceptible que, pour dénier aux animaux un certain degré de responsabilité et de conscience, il faut exagérer, outre mesure, la différence qu’il y a entre eux et l’homme ».
Nous ne pouvons concevoir, en effet, pourquoi Dieu créerait des êtres sensibles à la souffrance, sans leur accorder en même temps la faculté de bénéficier des efforts qu’ils font pour s’améliorer. Si le principe intelligent qui les anime était condamné à occuper éternellement cette position inférieure, Dieu ne serait pas juste en favorisant l’homme aux dépens des autres créatures.
Mais la raison nous dit qu’il ne saurait en être ainsi, et l’observation démontre qu’il y a identité substantielle entre l’âme des bêtes et la nôtre, que tout s’enchaîne et se lie étroitement dans l’Univers, depuis l’infime atome jusqu’au gigantesque soleil perdu dans la nuit de l’espace, depuis la monère jusqu’à l’Esprit supérieur qui plane dans les régions sereines de l’erraticité.
p) L’évolution de l’âme
Si nous supposons que l’âme s’est lentement individualisée par une élaboration dans les formes inférieures de la nature, pour arriver par degrés jusqu’à l’humanité, qui ne sera frappé de la merveilleuse grandeur d’une semblable ascension ?
A travers les mille formes inférieures, dans les zigzags d’une montée ininterrompue, à travers les formes les plus bizarres sous la pression des instincts et la meurtrissure des formes les plus invraisemblables, la psyché aveugle tend vers la lumière, vers la conscience claire, vers la liberté.
Ces avatars sans nombre, dans des milliers d’organismes différents, doivent la douer de toutes les forces qui lui serviront plus tard ; ils ont pour but de développer la plasticité de son enveloppe fluidique, de fixer en elle des lois de plus en plus compliquées qui régissent les formes vivantes, de lui créer un trésor au moyen duquel elle arrivera, dans la suite des âges, à manipuler la matière d’une manière inconsciente, pour que les travaux de l’Esprit puissent prendre leur envolée sans être entravés par la gaine terrestre.
Qui ne voudrait voir dans les milliards d’existences qui palpitent sur notre globe la sublime élaboration de l’intelligence, se poursuivant sans trêve, dans l’étendue sans limite du temps et de l’espace ? Ce sont les lois éternelles de l’évolution qui entraînent le principe intelligent vers des destinées toujours plus hautes, vers un avenir sans cesse meilleur, se poursuivant au milieu des perspectives incessamment renouvelées de ce panorama, qui s’étend depuis les époques évanouies de l’âge primaire jusqu’à nos jours.
Pour quiconque veut interroger la nature, admirer l’oeuvre de vie sous ses aspects changeants, le tableau est grandiose par la multiplicité de ses manifestations. C’est un défilé magique de moyens imprévus, de métamorphoses innombrables, d’une originalité merveilleuse qui confond l’imagination . La nature a des ressources si inépuisables que l’intelligence de l’homme ne saurait les énumérer. Malgré les ardentes recherches des savants, en dépit de la légion des observateurs penchée sur le mystère de la création, celle-ci se dérobe par l’infinité de ses productions ou par l’inimaginable splendeur de sa fécondité. Mais les richesses prodiguées sont l’indice, la démonstration de la tendance vers le beau, le mieux, le progrès. C’est la marche en avant à travers l’obscure matière, la rigide matrice qu’il faut assouplir, plier, dompter. C’est l’élan vers la toute-puissance rayonnante, vers la clarté, vers la conscience universelle.
Qui pourra peindre les méandres sans nombres de ce dessin éternel, les voies tortueuses et multiples de ces existences qui se déroulent dans le sein de la terre, l’immense océan ou l’atmosphère limpide ? Mais dans ce kaléidoscope chatoyant, malgré la diversité infinie des formes, on remarque une idée générale, une volonté définie, un plan arrêté. Ce n’est pas le hasard qui a enfanté ces espèces végétales et animales ; dans leur défilé, toujours celle qui suit possède quelque chose qui manquait à la précédente, et quand la science déroule devant nous les tableaux successifs de ce devenir, nous voyons l’inappréciable richesse de ces manifestations qui vont sans cesse en s’amplifiant. Quelle grandeur dans ces époques de la nature, quelle marche majestueuse et lente, mais sûre, pour aboutir à l’homme, efflorescence de la force créatrice, magnifique joyau qui résume et synthétise tous les progrès, qui est le réceptacle de toutes les formes de vie, car tous les règnes y concourent et se prêtent un mutuel appui.
La charpente osseuse rappelle le monde minéral, mais combien amélioré, vitalisé ! Ces sels, qui sont inertes dans la nature, existent là vivants, changeants, muables ; ils ne font que passer, et cependant ils ont conservé leur caractère essentiel : la solidité. Puis c’est le monde végétal dans les cellules qui présentent une variété et une richesse que nulle plante ne saurait surpasser. C’est le règne animal qui a fourni successivement ses meilleurs organes, dont on trouve l’ébauche qui va en se perfectionnant dans chaque espèce, pour aboutir au type définitif dans l’humanité.
C’est le système nerveux qui a pris la direction du tout organique qui discipline ces éléments divers, qui les hiérarchise suivant leur utilité, qui excite ou ralentit leur action. Sans cesse variable dans son activité, il veille à tous les détails et maintient l’ordre et l’harmonie dans ce concert si varié de toutes les puissances vitales.
Enfin rayonne au sommet cette intelligence qui a eu tant de mal à se dégager de ses formes inférieures.
Encore alourdie par son voyage dans les formes subalternes, elle en a conservé les empreintes de l’instinct qui a été si longtemps sa seule manifestation extérieure.
Les trésors de l’intellect se font jour lentement à travers l’obscure carapace des appétits. L’égoïsme, la pensée du moi, enfantée par la loi de conservation qui a été si longtemps sa seule souveraine, voit diminuer lentement sa toute-puissance, car déjà, dans le règne animal, la maternité a implanté dans l’âme le sentiment de l’amour, sous ses formes les plus humbles et les plus rudimentaires.
Mais ces pâles lueurs, qui rompent à peine le rêve animal, iront en accroissant d’intensité ; elles rayonnent davantage au fur et à mesure que la transformation se produira, et, dans les âmes supérieures, elles seront la lumière étincelante, le phare tutélaire qui nous dirigera dans les ténèbres de l’ignorance.
Comment s’est accomplie cette genèse de l’âme, par quelles métamorphoses a passé le principe intelligent avant d’arriver à l’humanité ? C’est ce que le transformisme nous enseigne avec une lumineuse évidence.
Grâce au génie de Lamarck, de Darwin, de Wallace, d’Hoeckel et de toute une armée de savants naturalistes, notre passé a été exhumé des entrailles du sol. Les archives de la terre ont conservé les ossements des races disparues, et la science a reconstitué notre lignée ascendante, depuis l’époque actuelle, jusqu’aux périodes mille fois séculaires où la vie est apparue sur notre globe.
L’esprit humain, affranchi des lieux d’une religion ignorante, a pris son libre essor, et, dégagé des craintes superstitieuses qui entravaient les recherches de nos pères, il a osé absorber le problème de nos origines et en a trouvé la solution.
C’est là un fait capital dont les conséquences morales et philosophiques sont incalculables La terre n’est plus ce monde mystérieux que la baguette d’un enchanteur fait éclore un jour, tout peuplé d’animaux et de plantes, prêt à recevoir l’homme qui en sera le roi ; la raison éclairée nous fait comprendre, aujourd’hui, combien ces fables témoignent d’ignorance et d’orgueil ! L’homme n’est pas un ange déchu, pleurant un imaginaire paradis perdu, il ne doit pas se courber servilement sous la férule du représentant d’un Dieu partial, capricieux et vindicatif, il n’a aucun péché originel qui le souille dés sa naissance, et son sort ne dépend pas d’autrui.
Le jour de la délivrance intellectuelle est arrivé ; l’heure de la rénovation a sonné pour tous les êtres que courbait encore sous son joug le despotisme de la peur et du dogme. Le spiritisme a éclairé de son flambeau notre avenir, se déroulant dans les cieux infinis ; nous sentons palpiter l’âme de nos soeurs, les autres humanités célestes ; nous remontons dans les épaisses ténèbres du passé pour étudier notre jeunesse spirituelle, et, nulle part, nous ne rencontrons ce tyran fantasque et terrible dont la Bible nous fait une si épouvantable description.
Dans toute la création, rien d’arbitraire ou d’illogique ne vient détruire l’harmonie grandiose des lois éternelles.
Il n’est pas besoin de faire intervenir le miracle pour expliquer la création ; il suffit d’observer les forces sans cesse en action dans l’univers. Les formes si diversifiées des êtres vivants, animaux ou végétaux, sont dues, toutes, à deux causes qui se sont toujours exercées et qui continuent de manifester leur puissance : l’influence des milieux et la loi de la sélection, autrement dit : la lutte pour la vie.
q) La lutte pour la vie
Le sol, l’air, l’eau sont peuplés d’êtres vivants en nombre infini. La masse profonde des océans recèle des myriades d’organismes végétaux et animaux. L’air, qui nous semble si limpide, contient des multitudes de poussières, germes microscopiques qui serviront à engendrer d’innombrables générations. La goutte d’eau montre un monde qui s’agite et se produit dans ce minuscule univers ; la terre grouille de colonies vivantes ; et jusque dans les contrées désertes, dans les mornes solitudes des pôles, dans les déserts embrasés, sur le sommet des plus hautes montagnes, dans les vertigineuses profondeurs des abîmes liquides des grands fonds sous-marins, partout la vie débordante se manifeste, partout les êtres vivants naissent, croissent et meurent.
Si quelque chose peut, à bon droit, nous étonner, c’est l’admirable équilibre qui règne dans ce formidable grouillement d’êtres si diversement doués par la nature.
De toutes parts, les êtres vivants se pressent les uns auprès des autres, se nourrissent côte à côte, se serrent de près, et il ne semble pas qu’il y ait sur notre globe un seul endroit qu’ils n’aient envahi. La somme maximum de vie semble être atteinte, et tout fait penser que depuis des milliers de siècles il en est ainsi. Depuis des périodes séculaires, les êtres vivants se sont disputés le sol, l’air et l’eau de notre petit monde .
Lorsque l’on songe à la prodigieuse fécondité de certaines espèces animales ou végétales, on est effrayé à la pensée de développement intégral de chacun des oeufs.
La morue, par exemple, qui est très prolifique, arrive à produire jusqu’à 4.872.000 oeufs ! Une petite truite, du poids d’une livre allemande, peut pondre à peu près 6.000 oeufs. M. G. de Sedlitz part de ces données pour établir un calcul intéressant.
En supposant que d’une semblable truite on obtienne 3.000 descendants femelles, ce qui est évidemment estimé au plus bas, et que cette reproduction se continue sans obstacle pendant cinq générations, après 25 ou 30 ans, les truites seraient devenues assez nombreuses pour couvrir la surface de la terre, à raison de 10 truites par pied carré. A la huitième génération, il y en aura déjà une masse égale au volume du globe terrestre. Que l’on fasse maintenant le même calcul pour le rouget, qui porte 80.000 oeufs, le maquereau, chez lequel on en trouve 500.000, l’esturgeon ordinaire, qui peut en pondre 1 million et demi à 2 millions, et on comprendra qu’il est nécessaire que des causes destructrices très énergiques soient en jeu, pour empêcher l’envahissement des mers et des rivières .
Mais c’est surtout dans le monde des infusoires que cette multiplication deviendrait épouvantable, si rien ne devait en entraver l’essor. Ainsi, il y a des vorticellaires qui se multiplient en se divisant, à chaque heure, avec une rapidité vertigineuse. Un seul de ces petits êtres aurait, après treize jours, une descendance représentée par un nombre de 91 chiffres ! Ehremberg a calculé qu’une microscopique galionnelle (gal. ferrugineux) engendre, par division, 8 millions d’individus après 48 heures et 140 billions en quatre jours !
Les bactéries qui sont causes de la lèpre, du typhus, de la pneumonie, etc., se reproduisent avec une facilité terrifiante. Dans l’espace d’une heure, un de ces êtres bacilliformes donne naissance à deux nouveaux individus ; après deux heures, il y en aura quatre, en trois heures, huit, et ainsi de suite, de sorte qu’après trois jours il y aura 47 trillions de ces monériens. D’après Davaine, une simple piqûre qui inocule une seule bactérie peut déterminer la naissance de 71 milliards d’individus, au bout de 72 heures. Enfin Cohn a calculé qu’au cinquième jour, l’océan serait rempli par la postérité d’une seule bactérie si les conditions s’y prêtaient. Fort heureusement pour nous qu’elles se rencontrent assez peu souvent dans le corps humain.
Les plantes offrent les mêmes exemples d’accroissement en progression formidable. Un champ où poussent les épis de blé, pressés les uns contre les autres, ne saurait en nourrir un plus grand nombre, et, comme chaque épi porte plusieurs semences, il faudra donc qu’une grande partie de ces nouveau-nés périsse. C’est la loi fatale. Sur notre planète, l’évolution de la vie engendre des luttes sans cesse renaissantes ; qu’elle soit sourde et obscure comme dans le règne végétal, ou terrible comme chez les carnassiers, elle est sans cesse agissante à tous les degrés de l’échelle des êtres. Une inexorable nécessité combat la fécondité par la destruction, et toutes ces actions simultanées ont pour résultat la survivance du plus apte à supporter la lutte pour la vie.
Souvent, ce ne sont pas les mieux armés qui résistent.
Les changements de température, tels que les hivers rigoureux et les étés torrides, ne laisseront subsister que ceux qui peuvent supporter ces alternatives extrêmes. La famine, les maladies, sont les agents qui s’unissent pour faire un terrible choix, une sélection rigoureuse parmi les espèces vivantes, et les plus robustes seuls subsisteront et transmettront à leurs descendants les qualités qui les ont fait triompher.
Depuis que le protoplasma a pris naissance dans le sein des mers primordiales, depuis que les premières monades ont manifesté des phénomènes vitaux, cette lutte n’a jamais eu un moment d’arrêt, toujours et partout elle continue imperturbablement l’oeuvre de perfectionnement des organismes, avec une implacable persévérance. Il en est résulté que cette concurrence acharnée a fini par donner la victoire aux meilleurs, aux plus aptes, aux plus forts.
Ce sont ces efforts perpétuels es êtres pour réagir contre les influences destructives, pour s’adapter à leur milieu, pour lutter contre les espèces ennemies, qui ont engendré le progrès évolutif des formes et des intelligences. La sélection naturelle agit exclusivement en conservant et en accentuant les variations accidentelles qui peuvent être avantageuses à l’individu, dans les conditions au milieu desquelles il est appelé à vivre. Son résultat final est donc que toute forme vivante doit devenir de plus en plus parfaite, relativement du moins à son mode d’existence. Or ce perfectionnement continuel des individus organisés doit conduire inévitablement au progrès général de l’organisme parmi les êtres vivants répandus à la surface de la terre.
Nous pouvons conclure avec Darwin en disant : « C’est ainsi que de la guerre naturelle, de la famine et de la mort, résulte directement l’effet le plus admirable que nous puissions concevoir : la formation lente des êtres supérieurs. Il y a de la grandeur dans une telle manière d’envisager la vie et ses diverses puissances ; lesquelles animent à l’origine quelques formes ou une forme unique, sous un souffle du Créateur. Et tandis que notre planète a continué de décrire ses cycles perpétuels, d’après les lois fixes de la gravitation, ces quelques formes se sont développées innombrables, et, de plus en plus belles, de plus en plus merveilleuses, se développeront par une évolution sans fin. »
Si la doctrine évolutionniste a rencontré tant d’adversaires, c’est que le préjugé religieux a laissé des traces profondes dans les esprits, naturellement rebelles, d’ailleurs, à toute nouveauté. Nous avons été habitués à voir partout le doigt de Dieu, à le mêler à nos petites affaires, et notre ignorance se faisait un doux oreiller de la volonté divine. Au lieu de chercher dans la nature en soi la cause de ses transformations, il était plus commode de les attribuer à une intervention surnaturelle, qui dispensait l’homme de se livrer à de longues et fatigantes études.
Certains naturalistes, en voyant des êtres proches voisins dans la série animale, incapable de se reproduire par des croisements féconds, en ont conclu que l’espèce était immuable. Mais la théorie transformiste nous fait comprendre que les animaux actuels ne sont que les derniers produits d’une longue élaboration de formes transitoires, lesquelles ont disparu au cours des âges,
pour ne laisser subsister que ceux qui existent actuellement. Les découvertes de la paléontologie font chaque jour découvrir les ossements des animaux préhistoriques, qui forment les anneaux de cette chaîne sans fin, dont l’origine se confond avec celle de la vie. Et comme s’il ne suffisait pas de montrer cette filiation par les fossiles, la nature s’est chargée de nous en fournir un exemple frappant, à la naissance de chaque être. Tout animal qui vient au monde reproduit, dans les premiers temps de sa vie foetale, tous les types antérieurs par lesquels la race a passé, avant d’arriver à lui. C’est une histoire sommaire et résumée de l’évolution de ses ancêtres, elle établit irrévocablement la parenté animale de l’homme, en dépit de toutes les protestations plus ou moins intéressées.
r) Résumé
Nous croyons qu’il est inutile et antiscientifique d’imaginer des théories plus ou moins fantaisistes pour expliquer les phénomènes naturels, lorsqu’on peut recourir à la science pour les comprendre simplement. La descendance animale de l’homme s’impose avec une lumineuse évidence à tout penseur sans parti pris. Nous sommes le dernier rameau épanoui du grand arbre de la vie, nous résumons, en les accumulant, tous les caractères physiques, intellectuels et moraux, que l’on remarque, isolément, chez chacun des individus qui forment la série des êtres.
Que l’on considère les animaux comme existant d’une manière invariable depuis l’origine des âges, ou que l’on croie qu’ils dérivent les uns des autres, il n’en est pas moins certains que ceux qui vivent à notre époque se relient entre eux d’une façon si intime, que l’on peut passer sans interruption de l’homme à la cellule la plus simple, sans rencontrer de solution de continuité.
Au point de vue animique, les manifestations de l’esprit chez tous les êtres sont graduées de manière à présenter une progression ascendante, qui va en s’accentuant davantage à mesure qu’on approche de l’humanité ; de manière que, bien qu’il existe entre les anthropoïdes et les sauvages de grandes différences intellectuelles, elles ne varient, cependant, que dans le degré des manifestations, et ne suffisent pas pour faire croire à un principe différent chez l’animal, de celui que l’on connaît chez l’homme.
Faire l’étude de ce principe, déterminer le plus exactement possible comment il peut se développer, montrer à la suite de quelles modifications il est, à chaque passage terrestre, plus apte à diriger des organismes de plus en plus perfectionnés, tel sera l’objet du prochain chapitre.
CHAPITRE III - Comment le périsprit a pu acquérir des propriétés fonctionnelles
Sommaire
L’évolution animique. – Théorie cellulaire. – Dans les organismes, même rudimentaires, il faut la présence du principe périsprital. – Différenciation des cellules originairement semblables lors de cette formation. – Mouvements qui se fixent dans l’enveloppe. – Naissance et développement des instincts. – L’action réflexe, son rôle, inconscience et conscience. – Progression parallèle du système nerveux et de l’intelligence. – Résumé.
La nature est la grande éducatrice ; en elle seule réside la vérité, et celui qui sait la voir d’un oeil philosophique en découvre les secrets ressorts, qui restent voilés aux yeux de l’ignorance. Les lois qui dirigent les évolutions si variées de la matière physique ou vivante, montrent que rien n’apparaît subitement et à l’état parfait.
Le système solaire, notre planète, les végétaux, les animaux, le langage, les arts, les sciences, loin d’être éclos spontanément, sont le résultat d’une longue et graduelle ascension, depuis les formes rudimentaires jusqu’aux modalités que nous-mêmes connaissons aujourd’hui.
L’âme humaine ne saurait faire exception à cette loi générale et absolue ; nous constatons sur la terre qu’elle passe par des phases qui embrassent les manifestations les plus diverses, depuis les humbles et chétives conceptions de l’état sauvage, jusqu’aux magnifiques efflorescences du génie dans les nations civilisées.
Notre examen rétrospectif doit-il se borner là ? Devons-nous croire que cette âme, qui gouverne chez l’homme primitif un organisme aussi compliqué, a pu acquérir subitement des propriétés si variées et si bien adaptées aux besoins de l’individu ? Notre induction doit-elle se borner aux êtres qui ont exactement les mêmes caractères anatomiques que les nôtres ? Nous ne le croyons pas, car les transitions insensibles qui nous amènent physiquement de l’homme à la matière, nous les retrouvons dans le domaine intellectuel avec les mêmes dégradations successives, ainsi que nous l’avons démontré précédemment.
C’est donc au début de la vie intelligente qu’il faut s’attaquer pour trouver, sinon l’origine de l’âme, du moins le point de départ apparent de son évolution à travers la matière.
C’est avec intention que nous disons le point de départ apparent, car nous ne pouvons conclure légitimement à l’existence de l’intelligence que là où elle se manifeste avec certitude ; or, comme le système nerveux est l’organe indispensable de cette manifestation, qu’il est intimement lié à la vie animique, il en résulte que nous étudierons les organismes depuis le moment où l’on observe les premiers vestiges d’une organisation nerveuse.
Ce qui nous détermine encore à procéder ainsi, c’est que l’âme nous apparaît comme indivisible dans l’homme, et, que rien ne nous autorise à supposer qu’il en soit autrement dans la série animale ; de sorte que les premières lueurs de l’instinct sont les signes révélateurs de son action ; mais il est peut-être possible de remonter plus haut et de voir, dans l’irritabilité et la mobilité, des formes inférieures de l’âme. Quoi qu’il en soit de cette hypothèse, il suffit amplement à notre sujet de partir des animaux relativement simples, comme les zoophytes, pour comprendre comment le périsprit a pu acquérir successivement, par des transformations incessantes, ses propriétés fonctionnelles.
Malgré les preuves nombreuses que nous avons accumulées dans le chapitre précédent, pour montrer l’identité du principe qui dirige l’animal et l’homme, il ne nous paraît pas inutile d’établir expérimentalement l’existence du périsprit animal ; nous empruntons ces faits à M. Dassier , qui, ne peut guère être soupçonné de tendresse pour le spiritisme ; son témoignage n’en aura que plus de valeur.
« Vers la fin de 1869, me trouvant à Bordeaux, dit-il, je rencontrai un soir un de mes amis qui se rendit à une séance magnétique et me proposa de l’accompagner.
J’acceptai son invitation, désireux de voir de près le magnétisme que je ne connaissais alors que de nom. Cette séance n’offrit rien de remarquable ; c’était la répétition de ce qui se passe dans les réunions de ce genre. Une jeune personne, paraissant assez lucide, faisait l’office de somnambule, et répondait aux questions qu’on lui adressait. Je fus cependant frappé d’un fait inattendu. Vers le milieu de la soirée, une des personnes présentes ayant aperçu une araignée sur le parquet, l’écrasa du pied.
- Tiens ! s’écria au même instant la somnambule, je vois l’Esprit de l’araignée qui s’envole.
On sait que, dans la langue des médiums, le mot Esprit désigne ce que l’ai appelé le fantôme posthume.
– Quelle est la forme de cet Esprit ? demanda le magnétiseur.
– Il a la forme de l’araignée, répondit la somnambule.
M. Dassier ne sut que penser d’abord de cette réponse : lui qui ne croyait pas à la survivance d’aucune forme chez l’homme, n’en admettait pas davantage pour les animaux ; mais il changea bientôt d’avis, car il cite un grand nombre de manifestations posthumes d’animaux, et toujours ceux-ci apparaissent dans la forme qu’ils avaient sur la terre. Il croit même possible le dédoublement de certains animaux pendant la vie terrestre.
Quelle que soit sa manière de voir à ce sujet, il est certain maintenant que ce qui a été appelé lumière odique par Reichenbach , doublure fluidique par la voyante de Prévorst , fantômes posthumes par M. Dassier, n’est autre chose que le périsprit, c’est-à-dire l’enveloppe de l’âme, et que, chez les animaux comme chez l’homme, le principe pensant est toujours individualisé dans le fluide universel.
Bien que cette question ait été peu étudiée encore, il a été possible cependant de constater, par l’intermédiaire de médiums voyants, que l’âme animale ne se détruit pas après la mort.
La Revue spirite de 1804 rapporte le cas d’un chien qui fut décrit fidèlement par un voyant et dont le maître, M. le comte de Luvoff, se rappelait le dévouement à sa personne. Devant ces souvenirs d’amitié le bel animal s’agitait avec joie, gambadait, heureux de sentir les témoignages de sympathie de son ancien propriétaire.
Nous trouvons encore dans la même Revue, année 1865, le récit d’une manifestation posthume d’un chien : « Dernièrement, dit le narrateur, vers le milieu de la nuit, étant couché, mais ne dormant pas, j’entendis partir du pied de mon lit ce petit gémissement que poussait ma petite chienne, lorsqu’elle désirait quelque chose. J’en fus tellement frappé que j’étendis les bras hors du lit, comme pour l’attirer vers moi, et je crus en vérité que j’allais sentir ses caresses.
A mon lever, le lendemain, je raconte le fait à ma femme, qui me dit : « J’ai entendu la même vois, non pas une seule fois, mais deux. Elle semblait partir de la porte de la chambre. Ma première pensée fut notre pauvre petite chienne n’était pas morte, et, qu’échappée de chez le vétérinaire qui se l’était appropriée pour sa gentillesse, elle demandait à rentrer chez nous. Ma fille malade, qui a sa couchette dans la chambre de sa mère, affirme avoir entendu la même voix. »
On ne saurait attribuer ce phénomène à l’hallucination, puisqu’il est perçu identiquement par trois personnes qui ne sont pas ensemble.
Si le principe intelligent de l’animal survit, s’il a une individualité, il devient possible de lui appliquer les mêmes règles qui dirigent l’âme humaine.
Nous constatons expérimentalement, au moyen du spiritisme, la nécessité de la réincarnation de l’âme humaine et la loi de continuité, que nous avons signalée dans les êtres vivants, nous permet de croire que l’âme animale est soumise à la même obligation. Le principe intelligent viendrait ainsi habiter successivement des organismes de plus en plus perfectionnés, à mesure qu’il devient plus capable de les diriger. Nous pouvons fournir deux preuves de cette manière de voir, qui viennent confirmer la théorie de l’incarnation animale.
Les Monistes, qui nient l’existence de l’âme en tant que réalité distincte de l’organisme, ont recours, notons-le bien, à des hypothèses, à des affirmations sans preuve, lorsqu’ils se trouvent en présence de certains phénomènes inexplicables par les seules propriétés de la matière. C’est ainsi qu’ils la dotent, non seulement celle du système nerveux, mais toute matière, de la mémoire, cette faculté essentiellement consciente. Eux, qui reprochent si amèrement aux spiritualistes l’abus de la métaphysique, en imaginant une infiniment moins compréhensible que celle de Platon, de Bossuet ou de Descartes ; mais laissons parler les faits.
M. Vianna de Lima s’exprime ainsi : « L’Insurmontable répugnance, l’horreur instinctive, inconsciente, que nous inspirent encore certains animaux inoffensifs ou dont l’aspect du moins devrait laisser indifférents, cette crainte ou répulsion innée, ne peut, dans certains cas, s’expliquer que par l’hérédité ou la mémoire organique ; nous la tenons de nos ancêtres qui, eux, avaient eu fréquemment à souffrir de ces animaux. Il nous serait facile de donner ici de nombreux faits à l’appui de cette nature ; contentons-nous d’un exemple de même nature, très instructif et moins connu, exemple qui a été d’ailleurs souvent vérifié par divers observateurs.
Si dans une écurie on fait la litière des chevaux avec de la paille qui a servi dans la cage de lions ou de tigres, les chevaux, dès qu’ils auront senti l’odeur de cette paille, seront pris d’une terreur folle, et s’efforceront de fuir : « Bien des générations de chevaux domestiques, a dit Laycock, qui le premier a rapporté ce fait, bien des générations ont dû se succéder depuis que le cheval sauvage, que nous devons supposer l’ancêtre de l’animal domestique, a été exposé aux attaques de ces « représentants de la race féline. » Cependant ces chevaux qui, depuis de nombreuses générations, sont nés dans nos écuries, et dont il est aisé de s’assurer qu’ils n’ont aucune expérience propre du danger (n’ayant même souvent jamais vu de bêtes sauvages), reconnaissent encore l’odeur des terribles ennemis de leurs lointains ancêtres. »
Ce ne peut être la matière vivante de ces chevaux qui ressent cette terrible impression, puisque, depuis les époques éloignées où le cheval vivait à l'état sauvage, la matière du corps physique a été renouvelée complètement sans qu’il en soit resté un atome, et cela des millions de fois. Les molécules tirées de la nourriture, du foin, des grains, etc., qui composent la forme actuelle du cheval, ne connaissent pas le lion ou le tigre, puisqu’elles n’ont pas de conscience. Comment alors expliquer la peur de ces animaux ? Si nous supposons qu’il y a un principe intellectuel dans l’animal, que ce principe est revêtu d’un périsprit dans lequel s’emmagasinent les instincts, les sensations, et que la mémoire provient d’un réveil de ces instincts et de ces sensations, tout devient compréhensible. Les mêmes causes produisent les mêmes effets, les animaux domestiques sont les mêmes êtres qui vivaient anciennement à l’état sauvage, et l’odeur des fauves réveille dans leur enveloppe fluidique des souvenirs qui se rattachent à la souffrance et à la mort, sous la dent des carnassiers ; de là leur frayeur. Chez l’homme, le sentiment instinctif de répugnance pour certaines espèces animales telles que les reptiles, provient des couches les plus profondes de notre moi, ce sont les sensations éprouvées par l’être humain dans son passage dans la série animale ; aussi est-ce sous forme instinctive qu’ils se manifestent, et nous allons voir tout à l’heure comment tous les actes découlant de l’instinct ont la même origine.
On n’a pas éclairci ce point si important du mécanisme organique dans l’homme, on ne l’a jamais étudié que dans les sciences naturelles ; mais sans remonter jusqu’à la cause de ces phénomènes, les théories monistes, matérialistes, etc., ne peuvent se tirer d’affaire qu’en supposant à la matière des propriétés qu’elle n’a jamais manifestées.
Le spiritisme, au contraire, n’invente rien. Cette doctrine démontrant l’existence du périsprit, montrant que cet organe reproduit fluidiquement la forme corporelle des animaux, qu’il est stable au milieu du flux perpétuel des molécules vivantes, il en résulte que c’est en lui que s’incorporent les instincts et les modifications de l’hérédité. Comme il est immuable malgré les changements incessants dont l’homme est le théâtre, il contient pour ainsi dire le statut des mois qui dirigent l’évolution de l’être. A la mort il ne se dissout pas, il constitue l’individualité du principe intelligent et il enregistre chaque modification que les nombreuses et successives existences déterminent en lui, de sorte qu’après avoir parcouru toute la série, il devient apte à conduire, à diriger, même à l’insu de l’esprit, des organismes très compliqués. Il y a dans cet automatisme quelque chose d’analogue à ce qu’on remarque lorsqu’un pianiste exercé déchiffre, à première vue, une partition nouvelle ; comme il a assoupli par un long exercice le mécanisme du cerveau, du bras et des doigts, aux mouvements les plus divers de ces difficultés matérielles, qui sont insurmontables pour le débutant ; il n’a qu’à lire la partition, et ses organes obéissent automatiquement à son esprit. Mais que de peine et de labeur avant d’arriver à ce résultat ! Cette manière d’envisager l’utilité indispensable du périsprit deviendra encore plus claire, à mesure que nous comprendrons mieux la nature des actions si complexes qui ont pour résultat la vie physique et intellectuelle des animaux et de l’homme.
L’atavisme, c’est-à-dire le phénomène par lequel, dans une race animale, naît tout à coup un individu reproduisant des caractères depuis longtemps disparus, et qui spécifiaient les ancêtres, est une seconde confirmation de notre manière de voir. On le constate assez fréquemment chez les animaux, et les naturalistes l’attribuent à l’hérédité ; mais, pas plus que précédemment, on ne peut s’expliquer le rôle de cette force. Nous verrons plus loin comment et pourquoi ce phénomène peut se produire ; il nous suffit de le signaler en passant.
a) La théorie cellulaire
Il est difficile de comprendre clairement le rôle du système nerveux dans l’organisme, et dès lors celui du périsprit, si l’on n’a pas des idées bien nettes sur la manière dont les êtres vivants sont constitués. Il est donc indispensable d’exposer ici les résultats auxquels la science contemporaine est parvenue, au sujet de la nature intime des végétaux et des animaux.
Les médecins, les naturalistes, les philosophes parlent constamment, dans leurs écrits, de substances vivantes, de molécules organiques, de matière organisée, de tissus, d’organes, etc., mais bien peu donnent de ces termes une définition précise. Chez les animaux supérieurs, on remarque de la chair, des os, des tendons, des nerfs, des vaisseaux, des membranes, etc. : de quoi sont faites ces parties diverses ? Peut-on retrouver dans chacun d’eux des éléments constituants identiques, dont la variation aurait donné naissance à ces produits qui paraissent si différents ? C’est le problème que la science a résolu maintenant.
Déjà le célèbre Bichat avait apporté un peu d’ordre dans les idées, en divisant toutes les substances dont le corps est formé en tissus présentant, partout et toujours, les mêmes propriétés, quels que soient les êtres vivants chez lesquels on les étudie. Puis, la pensée que ces tissus étaient formés de parties simples semblables constitutivement pour chacun d’eux, était émise par Oken.
Johannès Muller développa cette théorie, qui fut aussi celle de Schleiden, et enfin Théodore Schwann démontra que tous les tissus sont formés de cellules qui ne différent de celles des végétaux que par la variété de formes qu’affectent les cellules animales, et par leur membrane enveloppe généralement très mince.
Il résulte de ces travaux, et de ceux qui ont suivi, la certitude que l’organisme d’un végétal ou d’un animal quelconque provient de la réunion, de l’association d’un nombre immense de cellules. Les parties différentes du corps de l’animal ou de la plante sont dues aux modifications que les cellules ont subies. En chimie, les produits le plus complexes peuvent toujours être ramenés, par une suite de décompositions successives, aux éléments premiers, aux corps simples dont ils sont formés ; de même, en histoire naturelle, la cellule apparaît comme le résidu ultime de l’étude de plus en plus approfondie des tissus les plus différents ; c’est l’élément anatomique par excellence, la molécule organique, avec laquelle tous les êtres vivants sont construits.
Mais cette cellule, comment est-elle faite ? Bien que ses formes varient extraordinairement, elle se compose toujours de trois parties :
- un noyau solide qui est dans l’intérieur ;
- un liquide qui baigne le noyau ;
- une membrane qui enveloppe le tout. La partie essentielle, vraiment vivante, est le liquide auquel on a donné le nom de protoplasma. De sorte que ce liquide gélatineux constitue réellement le fondement de la vie organique.
Tant qu’il est vivant dans les millions de cellules qui forment un corps, ce corps est vivant ; s’il vient à mourir dans une partie quelconque des cellules qui composent un membre du corps, ce membre meurt ; enfin si le protoplasma se détruit dans la totalité des cellules, le corps entier meurt.
Si la théorie de l’évolution est exacte, la vie a dû commencer sur la terre par la formation du protoplasma. Ce fait est vérifié aujourd’hui. Les explorations des grands fonds sous-marins ont fait connaître l’existence d’une substance gélatineuse qui paraît être la première manifestation vitale. Les beaux travaux de Hoeckel sur ces êtres rudimentaires confirment pleinement les déductions de Darwin, et donnent au transformisme une base sérieuse.
« Les monères, dit Hoeckel dans un travail paru dans le Kosmos, sont les êtres les plus simples que l’on puisse imaginer ; ce ne sont que de petites masses de protoplasma, sans structure aucune, dont les appendices protéiformes remplissent à la fois toutes les actions vitales et animales ; mouvement de sensibilité, assimilation et désassimilation, nutrition et croissance, reproduction ; considéré au point de vue morphologique, leur corps est tout aussi simple que celui d’un cristal quelconque. »
Les monères ne sont pas toutes au même degré de simplicité, il en existe qui ont dans l’intérieur de leur masse un noyau bien caractérisé ; ce sont des cellules nues, auxquelles on donne le nom d’amibes. Elles se rencontrent dans l’eau ordinaire, dans le sang des animaux ; enfin, lorsque l’amibe est entourée d’une enveloppe, elle constitue la cellule proprement dite. Le mode de reproduction de la cellule est très simple. Quand elle atteint un certain volume, il se produit une ou plusieurs divisions dans sa masse, elle se sépare en deux ou plusieurs parties, et chacune de ses parties devient indépendantes, se nourrit, augmente de grosseur et donne naissance à son tour à d’autres cellules. Parfois les cellules issues de la première ne se séparent pas, elles forment alors une série de cellules associées et chacune d’elles donne aussi naissance à d’autres qui ne se séparent pas non plus, et ainsi de suite, suivant le degré vital dont elles sont douées. C’est ce qui arrive pour tous les végétaux, les animaux et l’homme. Tous les organismes commencent actuellement par n’être qu’une cellule unique : l’oeuf végétal ou l’oeuf animal, et, suivant la complexité plus ou moins grande de l’être qui doit naître, les cellules se diversifient plus ou moins, tout en gardant leur autonomie spéciale .
Même dans les associations les plus complexes, les cellules qui constituent un être vivant ne perdent pas complètement leur indépendance. Chacune d’elles vit pour son compte, et les diverses fonctions physiologiques de l’animal ne sont autre chose que la résultante des actes accomplis par certain groupe de cellules.
Le but de tout organisme est de vivre : chaque partie concourt dans sa sphère d’action à l’accomplissement de ce résultat. On peut comparer le corps vivant à une manufacture, chaque organe à une équipe d’ouvriers, chaque ouvrier à une cellule. Les ouvriers ont chacun un ouvrage spécial, et, en unissant les pièces ainsi fabriquées séparément, on obtient un objet manufacturé. Sur l’échelle des êtres, on rencontre les associations de cellules dans toutes les phases de développement, Isidore Geoffroy-Saint-Hilaire dit à ce propos :
« Comme l’individu, la communauté a son unité abstraite et son existence collective ; c’est une réunion d’individu, et souvent en nombre immense et pourtant elle peut être considérée elle-même comme un seul individu, comme un être un, bien que composé. Et elle est telle, non pas seulement par une abstraction plus ou moins rationnelle, elle l’est en réalité, matériellement, pour nos sens aussi bien que pour notre esprit, étant constituée comme un être organisé de parties continues et réciproquement dépendantes, toutes fragmentées d’un même ensemble, bien que chacune d’elle soit elle-même un ensemble, plus ou moins nettement circonscrit, toutes membres d’un même corps, quoique chacune constitue un corps organisé, un petit tout…
Comme la famille, la société et l’agrégat, la communauté peut-être très diversement constituée. La fusion anatomique, et, par suite, la solidarité physiologique des individus ainsi réunis, peuvent être limitées à quelques points et à quelques fonctions vitales, ou s’étendre presque à la totalité des organes et des fonctions. Tous les degrés intermédiaires peuvent aussi se présenter, et l’on passe par des nuances insensibles d’êtres organisés, chez lesquels les vies associées restent encore presque indépendantes et les individualités nettement distinctes, à d’autres où les individualités sont de plus en plus dépendantes et mixtes, et après ceux-ci à d’autres encore où toutes les vies se confondent en une vie commune, où toutes les individualités proprement dites disparaissent plus ou moins complètement dans l’individualité collective. »
Les animaux supérieurs sont ces individualités collectives, mais simplement au point de vue vital. Nous avons vu que la force vitale est à la fois un principe et un effet : un principe parce qu’il faut un être déjà vivant pour communiquer la vie, un effet parce qu’une fois la fécondation d’un germe accomplie, les lois physiques et chimiques servent à l’entretien de la vie.
Ici il ne faut pas d’équivoque : la force vitale a une existence certaine, puisque chaque être reproduit un être semblable et qu’on ne peut artificiellement donner la vie à un composé inorganique. De plus, en supposant qu’on parvienne par exemple à fabriquer un muscle sensible, de manière qu’il produise les mêmes phénomènes qu’un muscle ordinaire, il ne pourra pas se régénérer, comme cela se produit incessamment dans l’organisme vivant ; donc, bien que le principe vital opère et s’entretienne au moyen des lois naturelles, il est distinct de ces lois. Ce principe est une force, une transformation spéciale de l’énergie ; il n’a pas une existence surnaturelle, il est le produit nécessaire de l’évolution ascendante, le premier degré, non de l’organisation, mais de l’entretien, de la réparation de la matière vivante. On peut retrouver des traces de ce principe réparateur jusque dans la matière brute ; un cristal est capable de cicatriser ses blessures.
M. Pasteur a bien mis ce fait en évidence .
Lorsqu’un cristal a été brisé sur l’une quelconque de ses parties, si on le replace dans la dissolution où il a pris naissance, non seulement il s’accroît sur toutes ses faces, mais un travail très actif a lieu dans la partie lésée, et bientôt le dommage est réparé et la symétrie rétablie. Si on colore l’eau-mère avec une substance violette par exemple, on voit distinctement le travail supplémentaire nécessité par la réfection des parties détruites.
Le principe vital est donc une force essentiellement organisatrice et réparatrice, et, dans les végétaux et les animaux, c’est elle qui refait les cellules agrégées les unes aux autres suivant un plan déterminé. C’est en quelque sorte le développement, le degré supérieur, la transformation exaltée de cette force que l’on appelle l’affinité dans les corps bruts ; de plus, le fluide vital agit aussi sur les molécules organiques, comme le fluide magnétique sur les poudres métalliques qui produisent le fantôme magnétique. Si l’on nie l’existence d’une force vitale, bien qu’elle soit invisible et impondérable, il n’est plus possible de comprendre pourquoi un corps vivant conserve une forme fixe, invariable suivant l’espèce à laquelle il appartient, malgré le renouvellement incessant des molécules de ce corps.
Tant que la vie est diffuse comme dans les animaux inférieurs, tant que toutes les cellules peuvent vivre individuellement, sans avoir besoin des autres, le principe intelligent ne s’accuse pas nettement, puisque dans ces êtres rudimentaires on ne constate que l’irritabilité, c’est-à-dire la réaction à une influence extérieure ; donc aucune sensibilité distincte . Mais aussitôt que le système nerveux apparaît, à l’instant les fonctions animales se concentrent en lui ; la communauté vivante se transforme en individu, car, dès cet instant, le principe intelligent prend le gouvernement du corps et manifeste sa présence par les premières lueurs de l’instinct.
b) Développement corrélatif du ganglion cérébral et de l’intelligence dans la série animale
Certains zoophytes (animaux, plantes), tels que les méduses et les oursins, ont quelques linéaments de système nerveux ; aussi distingue-t-on chez eux quelques rudiments d’instincts.
Au bord de la mer, cet inépuisable réceptacle des formes inférieures de la vie, lorsqu’on foule le sable humide que vient d’abandonner le flot, il est rare qu’on ne rencontre pas sous ses pas quelque masse glaireuse, bleuâtre comme l’empois, amas de gelée sans forme apparente. Cette masse gélatineuse n’offre à l’oeil aucun caractère d’animalité ; mais, si vous la placez dans un grand vase rempli d’eau de mer, ou dans une flaque d’eau assez profonde pour qu’elle puisse s’y développer à l’aise, vous la verrez s’étendre, s’arrondir, et prendre peu à peu des formes distinctes qui ne manquent pas d’élégance. Vous avez alors sous les yeux un être singulier, dont le corps est composé d’un disque plus ou moins bombé, comme un champignon et de plusieurs appendices placés à la partie inférieure ou concave de celui-ci et servant à la respiration ou à la préhension des aliments. Ces organes sont pendants ou flottants dans plusieurs espèces, de façon à rappeler les serpents qui coiffaient Méduse, personnage mythologique dont on leur a donné le nom. Vulgairement on les désigne sous le nom de gelée de mer .
Il est permis de se demander pourquoi ces méduses, qui ont une structure si variée et des formes si élégantes et si délicates, quand on les observe dans l’eau, deviennent, hors de leur élément, des masses informes et confuses où l’oeil étonné ne saurait retrouver trace de l’animal qu’il admirait tout à l’heure. C’est tout simplement parce que les tissus sont trop mous pour garder dans l’air leur place respective, tandis que dans l’eau, perdant une partie de leur poids égale à celle du volume d’eau qu’ils déplacent , ils n’ont besoin d’offrir qu’une bien faible résistance pour conserver leur structure, et pour empêcher les diverses parties du corps de retomber sur elles-mêmes.
Longtemps ces êtres bizarres furent dédaignés par les naturalistes eux-mêmes, qui ne voyaient en eux, comme disait Réaumur, qu’une gelée vivante ; mais la science moderne a su pénétrer les mystères de leur organisme et déterminer leur véritable forme extérieure. Quoi de plus singulier, en effet, qu’un animal n’ayant point de bouche, mais pourvu de suçoirs analogues aux racines des plantes, dont la cavité digestive se prolonge dans toutes les parties du corps sous forme de canaux vasculaires, de façon à remplir à la fois les fonctions d’un estomac et d’un coeur. Tel est cependant le mode d’organisation que Cuvier a découvert dans ces zoophytes .
Il est à remarquer que, chez les animaux les plus simples même chez ceux où on ne voit plus ni système nerveux distinct, ni organes sexuels, ni membres, on retrouve toujours l’estomac : c’est là l’organe par excellence de l’animalité ; c’est le fondement de la vie brute, et l’on peut dire, avec Rabelais, que messer gaster est le premier maître ès arts de l’univers, que c’est lui qui a enseigné aux hommes et aux bêtes tout ce qu’il faut faire pour exister, en suscitant tous les besoins, et dès lors tous les instincts.
Les actinies, qui ressemblent à des fleurs vivantes, dont les brillants pétales sont doués d’une grande mobilité, ne sont, à la vérité, que des estomacs organisés, de véritables sacs transmettant les sucs nutritifs au reste du corps, par inhibition ; et l’on ne retrouve chez elles d’autres instincts que ceux nécessités par cet acte important.
C’est qu’ici, le système nerveux n’est pas encore différencié. Sa substance est disséminée par tout le corps, et comme pétrie avec la matière gélatineuse dont est formé l’animal, de sorte que les facultés actives telles que la vision, l’audition, etc., que nous possédons spécialisées dans des organes distincts, sont en quelque sorte répandues uniformément, et à l’état latent, dans ces organisations primordiales.
C’est sous l’influence permanente, sans cesse active, des milieux qui agissent sur l’animal, par l’impulsion résultant de besoins toujours renaissants, que les espèces se transforment en concentrant, dans des organes particuliers, les différentes facultés d’abord confondues les unes dans les autres. Ces organes des sens perdent une partie de leurs propriétés générales pour ne conserver, et ne développer, que celle de leur spécialité.
La force nerveuse éparse dans toutes les parties du corps, chez les zoophytes, se centralise partiellement dans des filets nerveux chez les mollusques. Les diverses ramifications des nerfs, avec leurs rares petits cerveaux ou ganglions, commencent la concentration, la coordination, l’unité de l’individu, mais ceci n’a lieu que progressivement. Le système nerveux, dans les types les mieux définis, est formé particulièrement par deux ganglions situés au-dessus et au-dessous de l’oesophage ; celui qui est situé à la partie supérieure a reçu le nom de ganglion cérébral, il est réuni à l’autre par des cordons nerveux qui forment le collier oesophagien.
A mesure que l’organisme se complique, c’est-à-dire s’élève ; le ganglion cérébral devient double, et les deux parties qui le composent peuvent être séparées ou réunies. Nous avons constaté chez les animaux plantes l’absence de presque tous les sens ; les mollusques sont en progrès sur leurs devanciers, ils ont non seulement le tact, mais beaucoup possèdent la vue et peut-être l’odorat, quelques-uns jouissent aussi de l’audition. Ce commencement de perfectionnement organique donne lieu aux instincts de nutrition et de propagation, et même à des instincts spéciaux, témoins les oursins, qui perforent les rochers pour s’y faire une demeure.
Etudions les êtres placés un peu plus haut dans la série animale, et nous verrons que, chez les Articulés, l’accroissement et le développement du ganglion cérébral est très marqué.
Dans la presque totalité des membres de ce groupe les deux ganglions cérébraux sont rapprochés et soudés, mais en présentant des indices plus ou moins manifestes de leur séparation primitive. Il en résulte des manifestations de plus en plus complexes des instincts.
Voici la progression de ces facultés suivant Leuret :
1° On remarque d’abord des animaux qui semblent établir une transition avec la classe inférieure ; ils ne montrent que des instincts bornés à la recherche de la nourriture (Annélides : sangsues) ;
2° Sensations plus étendues et plus nombreuses, ardeur extrême pour la génération, voracité, cruauté aveugle (Crustacés : écrevisses) ;
3° Sensations encore plus étendues, construction d’un domicile, voracité, rusé, astuce (Arachnides : araignées) ;
4° Sensations très étendues, construction d’un domicile vie de relation, approvisionnements de guerre et défense commune, en un mot, sociabilité (Insectes : fourmis et abeilles).
Avant de passer aux vertébrés, il nous paraît utile de nous rendre compte de la manière dont se sont formés les instincts, et du rôle loué par le périsprit dans cette évolution dont nous venons de présenter sommairement les points principaux.
c) Le périsprit
Nous avons déjà maintes fois insisté sur la liaison intime qui rattache les uns aux autres tous les êtres vivants, de sorte que les animaux succèdent aux plantes d’une manière insensibles, et que certains organismes semblent participer des deux natures. Nous avons vu aussi que le principe vital joue le rôle le plus important dans l’existence des végétaux, et que cette force est nettement définie ; que ce n’est pas une entité vague, puisque sans son association au double fluidique, on ne peut comprendre la forme typique que gardent les êtres vivants, depuis leur naissance jusqu’à leur mort. Cette force qui imprègne le germe et qui dirigera l’évolution n’est pas suffisante pour rendre compte des instincts qui se remarquent dans l’animal, elle n’explique pas non plus les manifestations intelligentes dont nous avons rendu compte ; nous attribuons donc au développement du principe animique ces faits qui différencient si profondément les deux règnes.
Dans les organismes ambigus qui se trouvent sur les confins du règne végétal et du règne animal suivant que l’union de la force vitale avec le principe spirituel est plus ou moins intense, on remarquera une concentration plus ou moins grande, une individualité plus ou moins marquées. Mais, aussitôt que l’équilibre s’est établi, que le principe spirituel est prédominant, alors l’évolution a rapidement lieu, les formes s’accentuent ; au lieu d’être molles, flasques, elles prennent des contours déterminés, nettement arrêtés, et les instincts apparaissent et s’accusent énergiquement.
Il a encore été établi que le principe intelligent est toujours revêtu d’une enveloppe fluidique, et les faits rapportés par Dassier, et confirmés par la logique, ne nous permettent pas de mettre en doute l’existence du double périsprital. Examinons maintenant sa fonction chez les êtres vivants.
Au début de la vie, le fluide périsprital est mélangé aux fluides les plus grossiers du monde impondérable ; on peut le comparer à une vapeur fuligineuse qui éteint les rayonnements de l’âme ; comme il est intimement uni au principe spirituel, celui-ci, bien que possédant en germe toutes les facultés que l’évolution développera, ne peut les manifester, empêché qu’il est par la matérialité trop grande de cette gaine fluidique. Il faut donc, dans les premiers temps, les fortes stimulations de la faim, pour tirer l’âme de son atome. Nous savons que les fluides sont constitués par des états de la matière éthérée, et que la rapidité de leur mouvement moléculaire est proportionnelle au degré de raréfaction des molécules ; plus les fluides seront grossiers, opaques, visqueux, en quelque sorte, plus ils opposeront de résistance à toute modification, il est nécessaire que l’âme arrive à changer le sens des mouvements de son enveloppe, à en régulariser l’action, pour qu’il lui soit possible de se manifester extérieurement.
On peut se faire une idée des phénomènes successifs que les différentes incarnations déterminent dans le périsprit, en supposant une forte source de lumière, un foyer électrique par exemple, qui serait produit dans un ballon de verre renfermant une épaisse vapeur, lourde et noire, formée par une énorme quantité de petites particules solides.
L’éclat éblouissant de la flamme serait si atténué par ce voile sombre, qu’il ne répandrait aucune lumière au dehors ; tout au plus verrait-on une faible lueur, seul indice de la puissance rayonnante de l’arc lumineux. Le foyer électrique, c’est l’âme ; la vapeur si dense, si fuligineuse, c’est le périsprit dans les premiers temps de la vie terrestre.
Supposons maintenant que, par suite de manipulations diverses, telles que le refroidissement du ballon, la compression de la vapeur qui est contenue à l’intérieur, etc., on amène un petit nombre de particules solides à se déposer, la lumière pourra déjà se manifester avec un peu plus de facilité, son expansion sera légèrement plus forte ; on ne pourra pas encore l’appeler de la lumière, mais enfin il y aura progrès sur ce qu’elle était précédemment.
En renouvelant cette expérience très souvent, et en supposant que chaque fois la vapeur ne s’éclaircisse que d’une quantité très minime, on aura une idée approchée de ce qui se manifeste pour l’âme, et son enveloppe, tant qu’elle parcourt la série animale. Les facultés supérieures que l’on constate chez les vertébrés ne se font remarquer que momentanément ; elles n’ont pas de continuité, on dirait des éclairs qui traversent rapidement la nuée obscure ; ce n’est guère qu’en parvenant à l’humanité, que le principe spirituel a suffisamment manipulé son organe fluidique, pour que ses facultés principales ne soient pas sans cesse entravées, éteintes. Mais que de travail encore avant d’arriver à l’épuration parfaite de cette vapeur, que de luttes pour dégager le fluide universel de ses molécules grossières, pour que l’âme puisse fulgurer dans toute la splendeur de son magnifique rayonnement !
La lumière, comme chacun le sait, est due à un mouvement vibratoire de l’éther, mais combien plus rapide sont les ondulations du fluide périsprital de l’Esprit supérieur, et ce n’est pas une métaphore, mais l’expression exacte d’un phénomène réel, lorsque les médiums voyants décrivent les âmes pures comme des foyers étincelants, des étoiles aux chatoyantes et merveilleuses couleurs.
Cette théorie est-elle simplement une conception de l’imagination ? Non, car les découvertes de la science nous prouvent que tous les phénomènes peuvent se ramener au mouvement, ainsi que nous l’avons établi d’après les physiciens modernes .
L’erreur gigantesque du matérialisme ou du monisme est, toujours et partout, de prendre l’effet pour la cause.
C’est consciemment, volontairement, que ces philosophes attribuent au système nerveux des facultés qui ne lui ont jamais appartenu et ne lui appartiendront jamais.
Ils ont pour principe de nier obstinément toute réalité qui ne tombe pas immédiatement sous le sens ; de là leur parti pris et, conséquemment, leur erreur. Mais, comme les faits observés par eux sont exacts, il suffit de montrer que c’est l’âme et son enveloppe qui jouissent des facultés dont on veut doter la matière, et alors tout devient clair et compréhensible.
Autant il est difficile, et même impossible, d’expliquer logiquement ce que serait, par exemple, une mémoire organique, autant cela devient évident et incontestable si l’on admet qu’elle réside dans le périsprit, comme nous le ferons voir. Ceci dit, commençons donc notre étude.
d) Formation des organes des sens, rôle du périsprit
Tout d’abord, nous nous bornerons à montrer sommairement comment ont pu se former les premiers organes des sens, c’est-à-dire les premiers linéaments du système nerveux sensitif et, parallèlement, du système nerveux moteur, car ils sont inséparables, puisque la sensation se traduit toujours par un mouvement, comme nous allons le constater . Ceci bien compris, il deviendra facile de se figurer, par analogie, comment les autres parties du système nerveux, ont pris peu à peu la direction de la vie végétative et organique. Ce sont donc les fonctions de la vie de relation des êtres vivants qui doivent nous occuper en premier lieu.
La vie de relation comprend deux termes : d’une part, l’action du monde extérieur sur l’animal, qui se traduit chez lui par le phénomène de la sensibilité ; d’autre part, l’action de l’animal sur le monde extérieur qui se manifeste par le mouvement.
La propriété de répondre par un mouvement à une force extérieure est tout à fait générale et caractérise les êtres vivants, on l’a nommée l’irritabilité.
Ce qu’il importe de bien comprendre, c’est que, dans la nature, la force n’est jamais détruite. Elle ne se perd ni même ne se crée, en sorte que toute force, même en agissant sur un objet inerte, se transformera peut-être, mais persistera à l’état de force, et se retrouvera tout entière dans la matière inerte qui a subi l’action. Un fait curieux mettra bien en évidence ce principe de la conservation d’une force sous forme d’empreinte .
« Si l’on met sur un métal froid et poli, dit Draper, sur une lame neuve de rasoir par exemple, un pain à cacheter, et qu’après avoir soufflé sur le métal on enlève le pain à cacheter, aucune inspection, si minutieuse qu’elle soit, ne pourra faire découvrir la moindre trace d’une figure quelconque sur l’acier poli ; mais, si l’on souffle de nouveau sur le métal, l’image spectrale du pain à cacheter reparaîtra, et cela aussi souvent qu’on voudra recommencer, même plusieurs mois après l’expérience. Une ombre n’est pas projetée sur un mur sans y laisser une trace durable. »
Donc, quand une force quelconque agit sur un corps ; elle le modifie toujours dans un certain sens. Supposons qu’un morceau de fer soit par exemple dans un état A d’électricité, de température, d’équilibre mécanique, d’équilibre chimique. Si une force quelconque F agit sur lui, ce même morceau de fer, après l’action de cette force, sera dans un nouvel état A, d’électricité de température d’équilibre mécanique et d’équilibre chimique. En supposant que la force F s’est épuisée tout entière dans le corps A’, après l’action de la force F, le corps A’ sera égal à A + F.
Ceci nous conduit à admettre que, même si une force ne détermine pas de mouvements apparents dans un corps, elle en modifie toujours la constitution moléculaire, elle se transforme en imprimant au corps un nouvel état différent du premier. Or, l’animal est bien plus sensible qu’un métal, la matière dont il est formé, étant plus délicate, pourra être irritée par des forces moins énergiques que celles qui agissent sur les corps bruts, et ces forces laisseront dans l’être vivant des traces de plus en plus durables de leur action, à mesure qu’elles s’exerceront plus souvent. La chaleur, l’électricité, la combinaison chimique, la pesanteur qui semblent si différentes ne sont en réalité que des formes de mouvements, mouvements moléculaires, chimiques, vibratoires, non perceptibles à nos sens en tant que mouvements, mais enfin que la science a pu démontrer être réductibles à des lois mécaniques .
Le point essentiel, celui qu’il ne faut jamais oublier, c’est que le périsprit est uni, au moment de la naissance, à toutes les molécules du corps. C’est au moyen du fluide vital dont le germe est imprégné, que cette incarnation peut avoir lieu, car nous savons déjà, que l’esprit ne peut agir sur la matière que par l’intermédiaire de la force vitale. Il y a donc fusion intime entre le périsprit et le fluide vital, ce dernier étant le moteur qui détermine l’évolution renfermée dans ces trois termes : jeunesse, âge mûr, vieillesse. Nous avons remarqué de même que chaque cellule, tout en participant à la vie générale dans les organismes composés, jouit cependant d’une certaine autonomie, de sorte que tout mouvement qui s’y produit change son équilibre vital, et cette modification dynamique a sa répercussion immédiate dans le double fluidique, et y détermine un mouvement. Donc, toute action, intérieure ou extérieure à l’animal, produira un mouvement dans l’enveloppe périspritale. Ceci bien compris, essayons de nous rendre compte de la manière dont les appareils des sens ont pu su former .
Premier cas. – Supposons l’être sensible le plus élémentaire qu’il soit possible de concevoir, il doit être parfaitement sphérique et sans partie différenciée. A proprement parler, l’organisme homogène est une pure conception théorique. Si nous supposons cette masse sensible dans un milieu homogène ou, ce qui revient au même, dans un milieu qui varie uniformément, concentriquement à cette masse, elle pourra éprouver un sentiment de tension plus ou moins marqué, suivant que l’état du milieu ambiant s’écarte plus ou moins de son équilibre naturel, mais c’est là tout. Elle n’aura pas de sensation, car, ainsi qu’on va le voir, elle ne peut ressentir le changement, elle ne sent que son état présent. Elle n’aura pas de perception tant que le milieu ambiant reste homogène, puisque, quand elle se meurt, rien n’est changé autour d’elle.
On peut assez bien se rendre compte d’une semblable existence, en s’imaginant que toutes les causes extérieures se ramènent à une action du même genre que la pression atmosphérique, et que notre sensibilité se réduit à la faculté de sentir cette pression. Nous serions, dans ce cas, simplement dans un état de malaise ou d’indifférence.
Deuxième cas. – Il n’en est plus de même du moment où le milieu ambiant est hétérogène, et que son centre d’action ne correspond plus avec le centre de la masse sensible, car celle-ci sera d’abord modifiée par le point de sa surface directement exposé à l’action perturbatrice.
Pour se représenter la chose, on peut se figurer que la sensibilité est réduite à la faculté de sentir la chaleur, et que toutes les forces du milieu sont caloriques. L’organisme sera échauffé en premier lieu par le côté tourné vers la source de chaleur. Ce côté sera, pendant quelque instant ; le siège unique de la sensibilité ; puisque c’est en lui que se fera, avant tous les autres, la rupture d’équilibre ; il sera organe, mais organe adventice, c’est-à-dire accidentel, et instantané de sensation. Et comme tantôt un lieu, tantôt un autre, sera appelé à remplir cet office, on peut dire en thèse générale que le corps de l’animal sera un champ perpétuel d’organes instantanés de sensations.
C’est à la condition que la substance soit différenciée qu’il peut y avoir sensation, et par suite organe momentané de sens ; car alors l’animal perçoit non plus seulement le présent, mais à la fois le présent dans l’organe, et le passé dans le reste du corps non encore soumis au foyer. Il aura plus chaud ou plus froid dans l’organe avant d’éprouver un effet général, il connaîtra ainsi le signe du changement, c’est-à-dire il saura si la chaleur est en plus ou en moins ; et comme, en outre, il éprouvera un sentiment inévitable de bien-être ou de gêne, il saura dans quel sens la température l’affecte par rapport à la position de l’équilibre naturel ; il sentira vaguement qu’il fait chaud ou qu’il fait froid, il portera donc un jugement plus ou moins grossier sur la température absolue de l’extérieur.
Décomposons ce qui vient de se passer. Les vibrations caloriques ont, par exemple, ébranlé le manteau d’une méduse. Les cellules directement exposées au rayon de chaleur ont été irritées ; cette irritation a déterminé un changement d’équilibre dans la force vitale de ces cellules et produit une vibration du fluide vital. Cette vibration a eu sa répercussion immédiate dans le périsprit, et au même instant l’âme de la méduse a été avertie, par ce mouvement périsprital, qu’une modification est survenue dans son corps. Mais toute perception est accompagnée d’un sentiment de peine ou de plaisir ; l’âme sera donc portée à fuir les excitations extérieures qui lui donnent ce sentiment de la douleur, et à rechercher les excitations contraires. Sans doute cette perception est extrêmement vague, mais elle existe et, quelque confuse et amoindrie qu’on la suppose chez un animal aussi rudimentaire, son existence est indéniable et donne naissance, par sa répétition fréquente, à un instinct ; une remarque curieuse confirme absolument notre manière de voir.
Un fait qui prouve en faveur de l’instinct de ces animaux si inférieurs, c’est qu’ils ne se dirigent jamais sur la terre que lorsque le vent les y pousse on dirait qu’ils pressentent les dangers qui les y attendent. Malgré les précautions prises par les méduses, il en échoue cependant des quantités, qui ne tardent pas à se dessécher, ou plutôt à fondre au soleil. Leur crainte de la chaleur est donc absolument justifiée et suffit à leur créer un instinct, car la méduse qui aura ainsi péri un grand nombre de fois, finira par s’éloigner instinctivement, dans les incarnations suivantes, de ces rivages si funestes pour elle.
Reprenons notre organisme théorique, car nous n’avons pas fait toutes les remarques auxquelles il donne lieu.
L’organe adventice, autrement dit accidentel, est donc ce qui rend la sensation possible : il est la condition du sens adventice, c’est-à-dire de la faculté de recevoir, d’une manière différenciée, les changements extérieurs différenciés.
De plus, l’état de l’organe donnant la mesure du présent, pendant que le restant du corps continue à être enseveli dans le passé, la comparaison du présent et du passé est non seulement possible, mais spontanée et constitutive. Un nouveau changement se produisant, il pourra apprécier la température relative des deux termes ; il pourra sentir qu’il fait plus chaud ou qu’il fait plus froid. Grâce donc à l’organe de sens adventice, l’existence de l’animal se compose d’une série d’expériences, dont chacune est reliée à celle qui la précède et à celle qui la suit ; l’organe est la chaîne de l’association des impressions, la condition de l’individualité psychique permanente de l’animal.
Ce n’est pas tout : nous avons remarqué que c’est par l’organe accidentel qui se forme aux points exposés à la chaleur, que l’animal est averti des changements qui se passent à l’extérieur ; c’est par lui qu’il devinera si ce changement sera agréable ou désagréable, c’est grâce à lui qu’il pourra fuir ou éviter le danger, avant qu’il soit trop tard, avant que la désorganisation ne soit générale.
L’organe est donc un produit dont la fonction est intimement liée à ce que l’on nomme l’instinct de conservation, et qui avertit à temps du plaisir et de la douleur.
Enfin, comme on le voit encore, l’organe est un instrument temporaire d’expérience. Grâce à la confiance que nous avons dans sa formation instantanée, nous pouvons, étant dans un bain, nous apercevoir à temps de l’arrivée, en excès, de l’eau chaude ou de l’eau froide, et fermer le robinet avant d’être brûlé ou glacé.
Telles sont les particularités que renferme la vie de l’animal rudimentaire n’ayant pas d’organes différenciés, et ne jouissant que d’une différenciation adventice. La plupart des zoophytes ne présentent que des phénomènes de cet ordre. Nous allons procéder maintenant à l’examen du cas le plus compliqué, celui d’un animal doué d’un sens permanent.
Troisième cas. – Nous venons de voir que la sensation est due à deux causes :
1° une différenciation dans l’action extérieure,
2° une partie du corps de l’animal exposée directement à cette action et qui, dès lors, la reçoit plus fortement que les autres. Supposons que, pour une raison quelconque, cet endroit soit plus souvent appelé à servir d’organe de sens adventice, il se transformera en organe de sens permanent, c’est-à-dire qu’il sera doué à titre perpétuel d’une sensibilité plus délicate, et différenciera, dans l’être, l’action extérieure, même quand celle-ci n’accusera que de très petites variations, incapables d’agir sur les autres parties sensibles de l’animal.
L’organe permanent est donc une cause subjective de différenciation, c’est la condition du sens permanent, c’est-à-dire de la faculté de recevoir d’une manière différenciée les changements extérieurs, même non différenciés.
Pour rendre plus claire cette conception, imaginons que la sensibilité est répandue uniformément sur le corps, sauf vers un seul endroit où elle soit délicate, autrement dit, supposons que nous n’ayons que le sens du toucher, et que la sensibilité soit accumulée à l’extrémité d’un seul bras. Il se produira sur le reste du corps des organes adventices qui avertiront des changements survenus dans le monde extérieur. Mais lorsqu’il s’agira d’apprécier plus exactement la nature et l’importance d’un de ces changements, nous dirigerons notre organe permanent dans sa direction, et c’est par lui, de préférence, que nous explorerons le milieu ambiant, puisqu’il est plus apte à ressentir d’une manière distinctive les plus petites différences. C’est ainsi que, lorsque nous marchons dans l’obscurité, nous mettons les mains en avant, ou nous avançons le pied avec précaution pour étudier le terrain.
Les crustacés, les insectes possèdent des antennes qui jouent le même rôle, ce sont des organes mobiles dans lesquels le tact est le plus affiné, et c’est par ces appendices qu’ils se rendent compte exactement des objets extérieurs.
L’organe permanent sera donc l’instrument constant des expériences de l’animal, et il acquerra à cet égard une aptitude spéciale. En se perfectionnant par l’exercice, il donne des renseignements de plus en plus précis et fidèles. Outre donc toutes les propriétés que nous avons reconnues à l’organe adventice, et qui appartiennent à plus forte raison à l’organe permanent, il a encore celle de relier l’expérience actuelle aux expériences passées, il est le lieu de l’association des expériences.
Comment se fait cette transformation de l’accidentel en permanent ? Nous savons que toute action extérieure peut se ramener, en dernière analyse, à un phénomène de mouvement vibratoire qui vient contrarier celui des molécules du corps. Pour qu’il y ait sensation, il faut que celles-ci opposent une certaine résistance à la cause perturbatrice. Cette résistance provient, à vibrer en harmonie avec l’extérieur. Une fois la résistance vaincue, la transformation de l’énergie extérieure laissera une trace plus ou moins profonde. Sans doute, si cette même activité extérieure ne vient plus agir sur ces mêmes molécules, elles tendent à reprendre leur mouvement naturel.
Mais les choses se passeront tout autrement si elles subissent, non plus une fois, mais des milliers et des milliers de fois, cette action, non seulement pendant une vie, mais pendant cinquante, cent, mille passages dans la même forme. Dans ce cas, elles perdront petit à petit leur aptitude à reprendre leur mouvement naturel, et s’identifieront de plus en plus avec celui qui leur est imprimé, au point qu’il leur deviendra naturel à son tour et que, plus tard, elles obéiront à la moindre cause qui les mettra en branle.
Le même raisonnement est applicable exactement aux molécules périspritales et, de même que dans le champ magnétique de l’aimant on constate l’existence de lignes de force, de même dans le périsprit se crée de ces sortes de lignes, le long desquelles le mouvement vibratoire est différencié, et permet à l’âme de prendre plus exactement connaissance du monde extérieur, que par le mouvement confus du reste de son enveloppe. Ici se place une remarque très importante et qui démontre une fois de plus l’utilité, et même l’incontestable nécessité du périsprit.
N’oublions pas que dans tous les êtres vivants, aussi bien chez les zoophytes que dans l’homme, la matière vivante se détruit et se régénère incessamment par la nutrition, que, dans un temps très court, toutes les molécules du corps sont renouvelées ; il est donc indispensable qu’il reste dans l’animal un principe permanent dans lequel résident les modifications acquises, sans quoi les nouvelles molécules ne seraient plus aptes que les anciennes à vibrer plus rapidement, et l’animal ne pourrait acquérir aucun organe distinct des sens ; il n’aurait que des appareils adventices, et son progrès ne pourrait s’effectuer.
Le périsprit est donc la cause directe du progrès animal ; sans lui rien n’est explicable, et la théorie précédente, qui est cependant celle de la science, ne saurait se concevoir sans l’existence du périsprit. Le mouvement est indestructible, c’est vrai ; ce mouvement affecte les cellules qu’il rencontre sur sa route et les ébranle, celles-ci conservent ce mouvement, c’est incontestable ; mais, quand elles disparaissent, elles emportent avec elles la modification acquise, et les nouvelles ne possèdent plus ce mouvement vibratoire. Si, au contraire, on admet que le principe vital est intimement uni à toutes les parties du périsprit, et que celui-ci reproduit exactement toutes les parties du corps, tout devient clair, car les nouvelles cellules sont organisées par la force vitale modifiée suivant le mouvement des lignes de forces périspritales, et par conséquent l’organisme physique reproduit ces modifications et dessins dans l’être cellulaire la place du système nerveux sensitif et en même temps moteur, puisque l’être réagit constamment contre son milieu.
C’est de cette manière que les cellules arriveront à se différencier et à manifester des propriétés particulières, en rapport avec leur genre d’excitation spéciale, c’est-à-dire du mouvement qui agit le plus souvent sur elles. Les vibrations calorifiques sont moins rapides que les vibrations lumineuses, et les ondulations sonores différent encore des deux premières, de sorte que les cellules qui recevront le plus souvent l’un ou l’autre de ces mouvements, finiront par acquérir une faculté d’irritabilité appropriée à la nature de chacun des irritants ; en un mot, il y aura spécificité des organes des sens.
La seule condition qu’exige cette théorie pour être réalisée, c’est le temps. Or nous sommes arrivés aujourd’hui à déterminer la durée probable qui nous sépare de l’apparition des êtres vivants sur notre planète.
Pour résoudre ce problème, les géologues ont usé de leur méthode habituelle ; celle-ci consiste à apprécier l’âge d’un terrain d’après l’épaisseur d’une couche déposée, et la rapidité probable de son érosion. A la suite de nombreuses observations, faites sur les points les plus divers du globe, les naturalistes, et à leur tête l’illustre Lyell, ont estimé que plus de 360 millions d’années s’étaient écoulées depuis la solidification des couches superficielles terrestres .
Ces conclusions ont été attaquées par quelques physiciens qui n’ont admis que 100 millions d’années ; prenons cette évaluation la plus faible pour base, et nous aurons, pour la durée respective des trois époques géologiques, les chiffres suivants :
1° Epoque primaire. . . 75 millions d’années.
2° Epoque secondaire . . 19 - -
3° Epoque tertiaire . . . 6 - -
Nous voyons donc que les animaux primitifs vivant les premiers, c’est pendant les soixante-quinze millions d’années de la période primaire qu’ils se sont petit à petit diversifiés, et qu’ils ont lentement conquis leurs organes, en créant le système nerveux.
Les conditions climatiques étaient à peu près semblables à celles que nous avons imaginées pour expliquer l’action du milieu sur l’animal et la formation des organes des sens.
« Pendant toutes la durée des temps primaires, dit M. de Lapparent, un climat semblable à celui des tropiques paraît avoir régné de l’équateur jusqu’aux pôles ; c’est à peine si, vers la moitié de l’ère secondaire, a commencé à se manifester le rétrécissement progressif de la zone tropicale. Au milieu de l’ère tertiaire, le Groenland nourrissait encore une végétation semblable à celle qui, de nos jours, caractérise la Louisiane. L’apparition des glaces polaires a donc été tardive, et l’on peut presque la considérer comme ayant mis fin aux temps géologiques proprement dits, pour inaugurer l’ère actuelle ».
Les exemples que nous avons pris se rapportent à l’organe du tact, mais nous aurions aussi bien pu supposer qu’il s’agissait de tout autre apparaît sensoriel, comme ceux de la vue ou l’audition. Les phénomènes vont en se compliquant de plus en plus à mesure que l’on s’élève dans la série animale, et le système nerveux se perfectionne corrélativement, mais le procédé est toujours le même. Etudions donc les propriétés physiologiques de l’appareil nerveux. Car ces connaissances
nous feront mieux comprendre encore le rôle du périsprit.
e) Le système nerveux et l’action réflexe
Rappelons encore une fois que le système nerveux n’est pas la condition organique terrestre des actions psychiques de l’âme, que, par lui-même, il n’est ni intelligent, ni instinctif, puisque après sa destruction l’âme survit, aussi bien l’âme humaine que l’âme animale ; mais que, pendant la vie, il est la reproduction matérielle du périsprit et que toute altération grave de sa substance engendre des désordres consécutifs dans les manifestations du principe pensant.
Certains savants disent : Si nous lésons gravement une partie du cerveau d’un individu, la parole du cerveau d’un individu, la parole articulée ne pourra plus se produire, donc la faculté de parler est détruite ; c’est incontestable ; devons-nous conclure de cette expérience qu’une partie de l’âme a disparu, non, vous l’avez simplement mise dans l’impossibilité de se servir de l’instrument, et dès lors elle ne peut accuser sa présence de cette manière, mais vous n’avez pas démontré que vous détruisiez partiellement l’âme par cette expérience ; vous l’avez désorganisée dans son fonctionnement, et pas autre chose.
L’adage mens sana in corpore sano, une âme saine dans un corps sain ; il faut nécessairement que les organes soient en parfaite santé pour que l’esprit s’en serve librement ; mais il faut bien se garder de conclure qu’une altération de l’organe entraîne une altération de l’âme, elle détermine seulement l’altération de la manifestation de cette âme, ce qui n’est pas du tout la même chose. Ce qui est sûr, c’est que les limites entre lesquelles l’intégrité du système nerveux est conservée sont très étroites, elles dépendent de la circulation, de la respiration, de la nutrition, de la température, de son état sain ou maladif .
Nous avons vu comment on peut se représenter la création du système nerveux sensitif et moteur, mais il ne faut pas oublier l’importance des fonctions vitales, et, comme les aliments sont des irritants intérieurs, que la cellule du canal digestif réagit sous leur influence, il s’est créé un système nerveux végétatif qui agit sur la nutrition des éléments organiques. Occupons-nous simplement du système nerveux qui sert à manifester l’intelligence, il est composé de nerfs, ou cordon nerveux, et de centres. Ces centres sont, chez les vertébrés : la moelle épinière et les différentes parties qui composent le cerveau.
Examinons, un instant, un animal inférieur doué de la vue, par exemple ; il veut fuir ou poursuivre un objet : le déplacement de son corps ne suit pas immédiatement sa volonté, il doit, pour cela, faire un effort et vaincre certaines résistances qui proviennent d’un arrangement des atomes périspritaux et des molécules matérielles ; peu favorables au mouvement. Le mouvement finit cependant par se propager, en suivant la ligne des molécules dont la vibration naturelle présente avec lui le moins de divergence. De là il résulte que le même mouvement, quand il est voulu une seconde fois, éprouve moins de résistance, exige moins d’efforts ; et à la longue, à force de répétitions mille fois réitérées, il finit par se faire avec le plus petit effort possible, avec un effort tellement faible qu’il n’est plus senti. Le mouvement, d’abord pénible, devient ensuite facile, puis naturel, et enfin automatique et inconscient.
Lors donc qu’un organisme répond automatiquement, machinalement à une action extérieure, il produit ce que les physiologistes appellent une action réflexe.
Rien n’est plus simple à comprendre qu’un acte réflexe élémentaire. Soit un nerf excité à son extrémité périphérique, nous avons vu que l’irritation chemine le long du nerf, remonte aux centres nerveux et là, se propageant de proche en proche, en passant par le périsprit, elle redescend dans les nerfs moteurs, pour se transmettre au muscle qui se contracte.
Il est extrêmement important de remarquer que la conscience peut parfaitement ignorer ce mouvement, il ne s’en produit pas moins avec une régularité absolue, car nous venons de voir que c’est l’habitude, prolongée pendant un temps considérable, qui a fini par lui donner ce caractère automatique. De même que nous lisons sans nous souvenir de toutes les phrases par lesquelles nous avons été obligés de passer pour connaître les lettres, les syllabes, apprendre à assembler ces syllabes, etc., de même, une irritation de système nerveux détermine un mouvement de réponse, qui peut parfaitement être ignoré de l’âme, et indépendant de sa volonté.
Les actions réflexes sont de diverses natures ; M. Richet en donne la classification suivante :
A . – Réflexes ayant pour point de départ une excitation extérieure et portant :
• Sur les muscles de la vie animale, mouvements réflexes de relation ;
• Sur les appareils de la vie végétative, mouvements réflexes de nutrition.
B. – Réflexes ayant pour point de départ une excitation intérieure viscérale et portant sur les muscles de la vie animale.
La moelle épinière est considérée par les physiologistes sous un double aspect : comme cordon conducteur, elle transmet à l’encéphale les sensations et en ramène les excitations motrices ; comme centre nerveux, elle est le siège des actions réflexes. L’action réflexe simple, que l’on peut définir : celle où une excitation simple est suivie d’une contraction simple, est le premier acte d’automatisme et d’inconscience qui s’offre à nous.
L’action réflexe consiste essentiellement en un mouvement, dans une partie de corps, provoqué par une excitation venant de cette partie, et agissant par l’intermédiaire d’un centre nerveux autre que le cerveau.
Exemple : Une grenouille dont la tête est coupée se met en marche aussi régulièrement que si rien ne lui manquait. Si on pince ou que l’on brûle une partie quelconque du corps d’une grenouille décapitée, elle porte la patte sur la partie du corps irritée, et le mouvement du membre accompagne l’irritation, partout où elle a lieu. C’est l’habitude de réagir immédiatement à une sensation extérieure par un mouvement approprié, qui est devenue absolument instinctive, c’est-à-dire automatique.
L’étude détaillée de ces divers réflexes rentre dans la physiologie et n’a pas à nous intéresser ; mais, cependant, ils donnent lieu à l’importante remarque suivante : ici, plus que jamais, l’existence du périsprit est indispensable à la compréhension de ces phénomènes. Car non seulement la matière des nerfs se renouvelle incessamment, et les molécules nouvelles doivent être adaptées à l’organisme par la force vitale modifiée par l’habitude, mais il existe entre les réflexes une coordination telle, qu’ils se succèdent les uns aux autres en vue d’une action déterminée, qui a pour but une fonction à remplir, comme celle de la digestion par exemple.
Or, encore une fois, les propriétés remarquables du système nerveux ne peuvent subsister dans la matière changeante, fluente, incessamment renouvelée ; il faut donc qu’elles aient leur fondement dans la nature stable de l’enveloppe fluidique. A mesure que le principe intelligent a passé par des organismes plus complexes, il s’est habitué, par des réincarnations successives dans chaque forme, au maniement de plus en plus perfectionné du corps matériel, et, comme ces actes devenaient automatiques par la fréquence réitérée des mêmes besoins, il s’est établi une relation étroite entre l’organisme et le périsprit, et, en même temps, une appropriation, à chaque instant plus parfaite, de l’être avec son milieu.
On peut presque dire que, dans la vie d’un animal, à part les phénomènes de la vie psychique supérieure, à part les phénomènes automatiques normaux du coeur et de la respiration, tout est action réflexe. On comprend donc l’impérieuse nécessité d’un organisme fluidique invariable, qui maintienne l’ordre et la régularité dans ce mécanisme compliqué. On peut comparer le corps à une nation, et le mécanisme physiologique aux lois qui régissent le peuple. Les personnalités changent constamment, les unes meurent, les autres naissent, mais les lois subsistent toujours, bien qu’elles puissent être perfectionnées à mesure que le peuple devient intelligent et plus moral.
f) L’instinct
L’instinct est la forme la plus inférieure sous laquelle l’âme se manifeste. Nous avons vu que l’animal a une tendance à réagir contre le milieu extérieur, et que la sensation déterminera en lui des émotions de plaisir ou de peine ; lorsqu’il cherche les unes et fuit les autres, il accomplit des actes instinctifs, qui se traduisent par des actions réflexes, dont il peut avoir conscience, sans pouvoir souvent les empêcher, mais qui sont admirablement adaptées à son existence . Ainsi un lièvre s’enfuit au moindre bruit qui se produit, son mouvement de fuite est involontaire, inconscient, en partie réflexe, en partie instinctif, mais ce mouvement est adapté à la vie de l’animal : il a pour but sa conservation. Il n’a pas le choix, il s’enfuit fatalement, parce que ses ancêtres depuis des millions de générations en ont fait autant, et que ce n’est que dans la rapidité de sa fuite qu’il peut trouver son salut.
Si l’on examinait ainsi tous les mouvements réflexes d’ensemble, les allures, les attitudes des animaux, on leur trouverait toujours les deux caractères de l’action réflexes simple : la fatalité et la finalité.
Le milieu extérieur où vit chaque animal excite, par son action sur les appareils sensoriaux, une double série d’effets : d’abord une suite d’actions corporelles réflexes, puis une classe de manifestations mentales correspondantes. Nous avons vu que les actions mentales sont vagues, primitives, et étroitement limitées à l’organisme et au milieu.
D’autre part, chaque famille d’animaux ayant une structure qui lui est spéciale, et presque identique pour chacun des individus du même groupe, cette structure propre exige des conditions d’existence physique déterminée, et les mêmes pour tous. Il suit de là que les actions et les réactions sont toujours à peu près les mêmes pour une même espèce, et par conséquent provoquent les mêmes obscures opérations intellectuelles.
Ces opérations, sans cesse répétées, s’incrustent en quelque sorte dans le périsprit, qui pétrit pour ainsi dire l’appareil cérébro-spinal, ou les ganglions qui en sont l’équivalent chez les êtres inférieurs ; elles arrivent ainsi à faire partie de l’animal.
L’aptitude à traduire au dehors ces opérations, qui finissent par être inconscientes, se transmet héréditairement, dit la science, périspritalement, dirons-nous, puisque ce sont les êtres modifiés qui viennent habiter les corps nouveaux. Telle est, suivant nous, la genèse des instincts naturels primitifs. C’est dans cette catégorie qu’on range les instincts qui ont pour objet : la nutrition, la conservation, la génération.
A l’état rudimentaire des instincts naturels primitifs succède, avec le temps et l’expérience, une notion plus claire du rapport de l’organisme et du milieu dans lequel vit cet organisme.
L’intelligence finit par avoir une certaine intuition du but que, sous l’aiguillon des excitations externes et internes, le principe spirituel poursuit incessamment.
L’intelligence, qui s’est dégagée un peu du grossier milieu périsprital, intervient donc pour que l’esprit fasse, au profit des instincts naturels, une meilleure appropriation des conditions ambiantes : Les instincts naturels sont donc plus ou moins modifiés ou perfectionnés par l’intelligence .
Si les causes qui ont amené ces modifications sont persistantes, nous avons vu qu’elles deviennent inconscientes et se fixent dans l’enveloppe fluidique, elles sont alors vraiment instinctives.
« Peu à peu, cependant, dit Edmond Perrier , la conscience devient plus étendue (selon le degré de perfectionnement du cerveau), les idées plus claires, les rapports compris plus nombreux ; l’intelligence se distingue nettement. Elle se mélange d’abord, à tous les degrés, à l’instinct ; enfin arrive le moment où elle masque à peu près les instincts innés, où ce qu’ils ont de fixe semble disparaître sous le flot changeant de ses innovations. Ce qui se transmet par l’hérédité, ce n’est pas l’aptitude à concevoir presque inconsciemment tel ou tel rapport, c’est l’aptitude à chercher et à découvrir des rapports nouveaux, jusqu’à ce qu’enfin se montre le merveilleux épanouissement de la raison humaine. »
Comme ce progrès graduel, qui a demandé des millions d’années, se conçoit avec évidence quand on admet le passage de l’âme à travers la filière animale, comme dans l’homme et leur indéracinable ténacité ! C’est qu’ils sont en quelque sorte les fondements de la vie intellectuelle ; ce sont les plus vieux et les durables mouvements périspritaux que les innombrables incarnations ont fixés irrésistiblement dans notre enveloppe fluidique, et si le progrès véritable consiste dans la domination de ces instincts brutaux, on comprend que la lutte est longue et terrible avant de conquérir ce pouvoir.
Il était indispensable que le principe spirituel passât par ces étamines successives pour fixer dans son enveloppe les lois qui dirigent inconsciemment la vie, pour se livrer ensuite aux travaux de perfectionnement intellectuel et moral qui doit l’élever vers une condition supérieure. La lutte pour la vie, si âpre et si impitoyable qu’elle nous paraisse, est le seul moyen naturel et logique pour obliger l’âme, dans son enfance, à manifester ses facultés latentes, de même que la souffrance est indispensable pour le progrès spirituel, et, à moins de voir dans l’âme l’effet d’un miracle, une création surnaturelle, nous devons reconnaître le splendide enchaînement des lois qui dirigent l’évolution des êtres vers une destinée toujours meilleure.
Nous avons constaté le développement des instincts à mesure que le système nerveux se perfectionnait chez les invertébrés, mais cette ascension est encore plus marquée chez les vertébrés ; là elle s’accuse avec une netteté vraiment saisissante. Leuret a composé le tableau suivant d’après le rapport moyen du poids de l’encéphale à celui du corps. L’encéphale pris comme unité est au poids du corps :
1° Chez les poissons comme 1 est à 5,668 ;
2° Chez les reptiles comme 1 est à 1,321 ;
3° Chez les oiseaux comme 1 est à 212 ;
4° Chez les mammifères comme 1 est à 186.
Il y a donc progression continue à mesure que l’on s’élève de l’embranchement inférieur au supérieur, mais à la condition formelle que les pesées embrassent chaque embranchement pris en bloc, et non pas telle ou telle espèce examinée séparément. Car s’il est un fait aujourd’hui bien démontré, c’est que le progrès dans la série animale a lieu, non pas en ligne droite et sur une seule ligne, mais en lignes inégales et parallèles.
Nous ne pouvons suivre dans leurs détails les faits si nombreux qu’il serait intéressant de mettre sous les yeux du lecteur, plusieurs volumes n’y suffiraient pas, nous n’avons pu que résumer rapidement tout ce qui a trait à l’évolution animale, en signalant l’utilité du périsprit pour la compréhension des phénomènes.
Notre manière de voir peut se justifier d’une hypothèse très hardie de M. Herbert Spencer, dont voici le résumé :
Notre science, nos arts, notre civilisation, tous nos phénomènes sociaux, si nombreux et si compliqués qu’ils soient, se ramènent à un certain nombre de sentiments et d’idées. Ceux-ci se ramènent aux sensations primitives, aux données des cinq sens. Les cinq sens se ramènent au toucher ; la physiologie contemporaine tend à vérifier le mot de Démocrite : « Tous nos sens ne sont que des modifications du toucher. » Enfin le toucher lui-même doit avoir sa base dans ces propriétés primordiales qui distinguent la matière organique de la matière inorganique. Et beaucoup de faits tendent à montrer que la sensibilité générale sort de ces processus fondamentaux d’intégration et de désintégration qui sont la base de toute vie. Ainsi intégration et désintégration, sensibilité générale, toucher, sens spéciaux, sensations et idées, leur développement dans le temps et l’espace : tel serait, d’un point de vue phénoménal, l’ordre d’évolution de l’esprit du très simple au très complexe. La sociologie la plus compliquée se trouverait ainsi rattachée aux sources les plus humbles de la vie.
g) Résumé
Nous croyons avoir établi, dans ce chapitre et dans le précédent, par des preuves tirées de l’histoire naturelle, la très grande probabilité du passage de l’âme dans la série animale. Le principe spirituel a évolué lentement depuis les formes les plus inférieures jusqu’aux organismes les plus compliqués. Pendant l’immense période des âges géologiques, les facultés simples de l’esprit se sont successivement développées en agissant sur le périsprit, en le modifiant, en laissant chaque fois en lui les traces des progrès accomplis.
L’enveloppe fluidique pourrait être comparée à ces arbres séculaires dont chaque année augmente le diamètre, en laissant dans la trame du bois une trace ineffaçable, car l’énergie se transforme, mais ne se perd jamais.
Sous les impulsions de l’âme, excitée par le milieu cosmique et la lutte pour la vie, l’organisme fluidique a créé, par différenciation des propriétés du protoplasma, tous les organes matériels, sous la direction progressivement prépondérante du système nerveux, et, par le mécanisme de plus e plus développé et coordonné des actions réflexes, les instincts ont pu se manifester. A mesure que l’ascension se prononce, apparaissent les premières lueurs de l’intelligence, et par une remarquable transformation, l’habitude, combinée à la loi de l’hérédité, - que nous considérons, nous, comme le fait du retour de la même individualité de plus en plus modifiée dans le même type, - fait devenir inconscients les phénomènes d’abord voulus et conformes à la conservation, à l’avantage de l’individu. C’est ainsi que les catégories sans nombre d’actes conscients tournent à l’automatisme et entrent, pour dire, dans le physique de l’âme, en s’incrustant dans le périsprit.
Nous croyons donc que nous sommes sortis tous des langes de la bestialité. Loin d’être des créations angéliques déchues, loin d’avoir habité un paradis imaginaire, nous avons difficilement conquis le pouvoir d’exercer nos facultés et de vaincre la nature. Nos ancêtres de l’époque quaternaire, faibles en comparaison des grands carnassiers, leurs contemporains, errant par petites troupes à la poursuite de la nourriture, cherchant sur les arbres ou dans les anfractuosités des rochers un abri momentané, frissonnant sous les morsures du vent ou les froides caresses de la neige, étaient loin de cet âge d’or dont les légendes religieuses ont fait miroiter les trompeuses splendeurs. La lutte de l’homme primitif contre les grandes espèces zoologiques a été terrible ; il a dû faire une guerre à mort aux bêtes sauvages, les terrasser et en purger les contrées qu ‘elles infestaient. Ce n’est que peu à peu, par des exploits dignes d’Hercule, qu’il a triomphé de ses nombreux et formidables ennemis.
Qui n’admirera cette marche lente mais glorieuse vers la lumière, cette évolution se produisant sous l’aiguillon d’implacables nécessités et qui, tirant l’homme de son abjection primitive, l’élèvent progressivement vers les régions plus hautes et plus sereines du monde de la pensée. Les sociétés modernes sont en progrès sur celles qui les ont précédées, et, si nous comparons l’état actuel à celui de nos pères, nous avons le droit d’être fiers du résultat de l’effort collectif de l’humanité ; mais si nous fixons nos regards sur l’éternelle justice, alors nous voyons toutes nos imperfections et le chemin qui nous reste à parcourir, pour nous rapprocher de cet idéal.
La lutte pour la vie, nécessaire à l’éclosion du principe spirituel, avait sa raison d’être dans un monde brutal et instinctif, où nulle conscience claire, nulle intelligence ne se montrait ; elle doit s’effacer aujourd’hui que l’âme se manifeste sous les modalités les plus élevées de sa nature. Nous avons le devoir de réclamer une répartition plus équitable des charges et des biens de la communauté, de nous élever contre les funestes conseils de l’ambition qui précipitent les peuples les uns contre les autres ; enfin, de revendiquer sans cesse les droits imprescriptibles de la solidarité et de l’amour. Notre doctrine, en montrant l’égalité parfaite, absolue, du point de départ de tous les hommes, efface les séparations artificielles élevées par l’orgueil et l’ignorance. Elle prouve péremptoirement que nul n’a droit au respect d’autrui que s’il l’impose par la noblesse de sa conduite, et que la naissance ou la position sociale ne sont que des accidents temporaires dont personne ne peut se prévaloir, puisque tous peuvent y parvenir à un moment quelconque de leur évolution.
Ce sont là des vérités consolantes qu’il est bon de répandre sans cesse autour de nous. Montrons que l’effort individuel peut seul amener le progrès général, et la même puissance qui nous a constitué à l’état d’homme, nous ouvrira les perspectives infinies de la vie spirituelle se développant dans l’étendue sans limite du Cosmos.
CHAPITRE IV - La mémoire et les personnalités multiples
Sommaire
L’ancienne et la nouvelle psychologie. – Sensation et perception. – Conditions de la perception. – L’inconscient psychique. – Etude sur la mémoire. – La mémoire organique ou inconscient physiologique. – La mémoire psychique. – La mémoire proprement dite. – Les aspects multiples de la personnalité. – La personnalité. – Les altérations de la mémoire par la maladie. – Double personnalité. – Histoire de Félida. – Histoire de Mlle R. L. – Le somnambulisme provoqué. – Les degrés différents du somnambulisme. – L’oubli des existences antérieures. – Résumé.
a) L’ancienne et la nouvelle psychologie
L’ancienne psychologie, pour étudier l’âme, se servait exclusivement du sens intime. Il semblait rationnel, pour connaître le moi pensant, de l’étudier en soi-même, d’examiner les différents actes de la vie de l’esprit, de les classer suivant leur nature et d’examiner les rapports qui existent entre eux. Tous les philosophes ont procédé ainsi, depuis l’antiquité jusqu’à nos jours. Mais cette méthode est insuffisante pour donner l’explication de beaucoup de phénomènes intellectuels. On ne peut, par exemple, concilier la nature de l’âme avec la vie intellectuelle inconsciente, qui, cependant, forme la base de notre esprit, car il n’est pas possible de supposer des états inconscients existant dans ce qui est la connaissance elle-même.
Les progrès de la physiologie contemporaine ont montré la liaison intime qui existe entre l’âme et le corps ; elle a mis hors de doute que les manifestations de l’esprit pendant la vie sont absolument dépendantes de l’état du système nerveux, et elle a montré, par la preuve et la contre-épreuve, que toute altération ou destruction de l’élément nerveux amenait le trouble et même la suppression d’une manifestation intellectuelle. Nous verrons plus loin que la destruction de certaines parties du cerveau fait perdre au sujet la parole articulée ou la connaissance des mots écrits, ou paralyse l’audition des mots parlés, suivant la partie de l’encéphale qui a été lésée. Cette corrélation entre l’état morbide du corps et la disparition d’une partie de l’intellect, et, dans le cas de guérison, le rétablissement de la fonction coïncidant avec la réparation des tissus, est la base de la doctrine matérialiste qui fait de l’âme une fonction du cerveau.
Nous ne nous attarderons pas à discuter cette théorie, car il y a un fait péremptoire, c’est que, même sans cerveau, il y a de la pensée, puisque l’esprit se manifeste après la mort ; mais les physiologistes, en cherchant les bases physiques de l’esprit, nous ont rendu un grand service.
Le périsprit est le modèle du corps, avons-nous dit ; étudier les modifications du système nerveux, c’est étudier le fonctionnement du périsprit, dont ce système nerveux n’est que la reproduction matérielle. La force vitale qui imprègne en même temps la matière organisée et le périsprit, est l’agent qui sert d’intermédiaire entre le corps et l’âme. Toute modification dans la substance physique produira une modification de la force vitale, qui, à son tour, modifiera le périsprit dans les mêmes conditions de variation qu’elle éprouvera elle-même ; et comme cette force vitale a besoin d’un support, d’un substratum matériel, c’est dans le périsprit qu’elle le trouve ; de sorte que les modifications survenues dans le corps physique pourront être conservées, reproduites, malgré les mutations perpétuelles des molécules organiques.
En somme, l’ancienne psychologie, en faisant de l’âme une substance immatérielle, était réduite à une impuissance absolue pour expliquer l’action de l’âme sur le corps ; après s’être évertuée à démontrer qu’ils n’avaient rien de commun, on ne pouvait faire comprendre leurs réactions mutuelles, qui sont incessantes. Les plus grands génies, les esprits les plus pénétrants : Leibnitz ou Male-branche, ont échoué dans cette tentative, car ils ignoraient la véritable nature de l’âme, que le spiritisme nous a révélée.
Les matérialistes, à leur tour, en niant systématiquement l’existence réelle de l’âme, en se bornant à n’y voir qu’une émanation, une résultante du système nerveux psychique, ne peuvent faire comprendre le moi, ce qui se connaît soi-même, car ce phénomène transcendant leur échappe, rien dans la nature physique ne pouvant lui être comparé. De plus, ils sont réduits à imaginer des théories invraisemblables lorsqu’ils veulent concilier la perpétuité du souvenir avec le renouvellement incessant du corps, ou la transformation d’une sensation en perception. Dès lors, on peut les renvoyer dos à dos avec les spiritualistes, car ni les uns ni les autres n’expliquent correctement les faits psychiques, chacun n’envisageant qu’un côté de la question.
Le spiritisme vient concilier ces doctrines si opposées.
La notion du périsprit, nous ne saurions trop le répéter, n’est pas une invention humaine, une conception philosophique destinée à se prêter complaisamment à toutes les difficultés pour les faire disparaître : c’est une réalité physique, un organe que l’on ne connaissait pas, et qui, par sa composition physique, et la place qu’il tient dans l’homme, rend compte de toutes ces anomalies que les recherches des savants et des philosophes n’avaient pu élucider.
L’indestructibilité, la stabilité constitutionnelle du périsprit, en font le conservateur des formes organiques ; grâce à lui, nous comprenons que les tissus puissent se renouveler et que les nouveaux venus occupent exactement la place des anciens : d’où la conservation de la forme physique, tant intérieure qu’extérieure. Avec lui, nous concevons très bien qu’une modification interne, comme celle qui résulte pour les cellules nerveuses de l’ébranlement produit par les sensations, puisse être conservée et reproduite, puisque la nouvelle cellule sera construite avec la modification enregistrée dans l’enveloppe fluidique. Le principe vital est le moteur du périsprit, c’est lui qui en dégage les énergies latentes et leur donne, pendant la vie, leur activité. Si on admet sa réalité, on comprend l’évolution des êtres : naissance, croissance, état stable et décrépitude aboutissant à la mort.
L’âme et le périsprit ne font qu’un tout indissoluble, si on les distingue, c’est que l’âme seule est intelligente, sent et veut ; l’enveloppe en est la partie matérielle, c’est-à-dire passive.
C’est le lieu des états de conscience passés, c’est le magasin des souvenirs, c’est l’endroit dans lequel se fait la mémoire de fixation, et c’est là que l’esprit ira puiser, lorsqu’il aura besoin de matériaux intellectuels, pour raisonner, imaginer, comparer, déduire, etc., c’est un réceptacle d’images mentales, en un mot, c’est en lui que réside la mémoire organique et l’inconscient : l’esprit est la forme active, le périsprit la forme passive, et ces deux aspects nous représentent tout le principe pensant.
Nous allons, autant que possible, mettre en évidence ces caractères particuliers, et en connaissant mieux la nature de l’âme, on ne sera plus surpris de voir, par des nuances insensibles, les phénomènes conscients disparaître peu à peu pour se fondre dans l’inconscient ; on comprendra mieux le mécanisme de la mémoire organique et on ne s’étonnera pas de la voir assimilée à la mémoire psychique : elles sont de même nature, elles ont le même territoire, elles se forment par les mêmes procédés, et elles, s’acquièrent ou se perdent de même.
b) Sensation et perception
Dans cette étude, et dans celle qui suit, nous nous servirons des recherches des savants contemporains, en leur empruntant leurs travaux et leurs études si clairs et si convaincantes, mais en ayant bien soin de faire intervenir le périsprit au moment voulu ; ce qui rendra compréhensibles les phénomènes, en leur donnant une explication logique qui leur manque sans cela .
Distinguons tout d’abord la sensation de la perception.
Lorsqu’un agent extérieur impressionne les sens, il produit dans l’appareil sensoriel un certain changement qu’on appelle une sensation. Cette modification est transmise au cerveau par les nerfs sensitifs, et, après un trajet plus ou moins long, elle arrive aux couches corticales du cerveau. A ce moment, deux cas peuvent se présenter : ou bien l’âme a connaissance du changement survenu dans son organisme, alors on dit qu’il y a perception, si au contraire l’âme n’est pas avertie de cette modification, la sensation s’enregistre quand même, mais elle est inconsciente.
Comme nous l’avons fait remarquer plus haut, cette transformation d’une sensation, phénomène physique, en perception, phénomène psychique, est tout à fait inexplicable si on n’admet pas l’existence du moi, c’est-à-dire de l’être conscient. Ceci dit, examinons plus attentivement les faits successifs qui s’enchaînent, depuis l’ébranlement primitif jusqu’à la perception.
Nous avons que dans la nature tout est mouvement. Les corps qui nous semblent au repos ne le sont, ni extérieurement, puisqu’ils participent au mouvement de la terre, ni intérieurement, car leurs molécules sont sans cesse agitées par ces forces invisibles qui leur donnent leurs propriétés physiques particulières, états solides, liquides, gazeux, et, pour les solides, dureté, éclat, couleur, etc. Les tissus du corps sont aussi en mouvement, et, pendant la longue traversée effectuée dans les formes inférieures, nous avons vu comment certaines parties du corps s’étaient différenciées peu à peu de l’ensemble, pour donner naissance à des organes des sens. Ces modifications, fixées dans le périsprit, allaient en s’incarnant de plus en plus dans sa substance, à mesure que le nombre des passages terrestres augmentait, et nous avons constaté qu’il n’a pas fallu moins de plusieurs millions d’années, pour amener l’organisme fluidique au degré où nous le voyons aujourd’hui.
Quelle est la nature des modifications produites ?
Nous allons essayer de montrer qu’elle réside dans des mouvements. Toute sensation, visuelle, auditive, tactile ou gustative, est déterminée, à l’origine, par un mouvement vibratoire de l’appareil récepteur. Le rayon lumineux qui impressionne la rétine, le son qui fait vibrer le tympan, l’irritation des nerfs périphériques de la sensibilité, tout cela se traduit par un mouvement, différent suivant la nature et l’intensité de l’excitant. Cet ébranlement se propage le long des nerfs sensitifs et, après un certain trajet dans le cerveau, aboutit, suivant la nature de l’irritation, à un territoire spécial de la couche corticale ; là, ce mouvement donne naissance à la perception. Nous touchons ici au point obscur, car aucun philosophe, aucun naturaliste n’a pu expliquer ce qui se passe alors.
Les uns, comme Luys, disent que la force s’exalte, se spiritualise, ce qui ne signifie rien du tout ; d’autres se contentent de dire que la perception appartient au système nerveux psychique, lorsqu’il est modifié d’une certaine manière ; c’est douer la matière des facultés de l’âme, ce que nulle induction ne peut justifier. La cellule nerveuse est l’élément qui reçoit, emmagasine et réagit.
Agit-elle par vibration, comme une corde tendue qui oscille lorsqu’on la déplace de sa position d’équilibre, ou bien le phénomène réside-t-il dans une décomposition chimique de son protoplasme ?
La question n’est pas résolue, mais ce qu’il y a de certain, c’est qu’un changement est intervenu ; dès lors, la force vitale a été modifiée dans un certain sens, elle a subi un mouvement au périsprit ; c’est alors que, si l’attention est éveillée, a lieu le phénomène de la perception.
L’esprit ne connaît pas directement le monde extérieur ; enfermé pendant la vie dans un corps matériel, il ne perçoit des objets qui l’environnent que ce que les sens lui en font connaître. Or, la lumière et le son ne lui arrivent que sous la forme de vibrations, différentes suivant la couleur pour l’oeil, et l’intensité pour le son ; il attribue un nom à une certaine nature de vibrations, mais il ne connaît pas la lumière ou le son comme sur terre.
Par exemple, la lumière rouge a des vibrations différentes, en nombre, de la lumière violette, et, dès l’enfance, on nous a appris que telle sorte de vibration s’appelait le rouge, telle autre s’appelait le violet ; de même telle vibration devait être attribuée au son, telle autre aux odeurs, aux saveurs, etc., de sorte que l’esprit ne voit pas du rouge, mais ressent la vibration qui correspond au rouge, ne sent pas telle odeur, mais perçoit la vibration déterminée par cette odeur, et ce qui lui donne l’impression d’une note musicale, c’est le nombre de vibrations périspritales par seconde qui correspond à ce son.
Ce que nous disons d’une couleur s’applique à toutes les couleurs, de sorte que l’oeil qui reçoit des millions de vibrations différentes en contemplant un paysage, en écoutant un opéra, transmet au cerveau des millions de mouvements vibratoires qui s’enregistrent dans sa substance, et, en même temps, dans le périsprit, d’une manière indélébile.
On a dit que la cellule psychique était comme le phosphore, qui, après qu’il a subit l’action de la lumière, reste lumineux dans l’obscurité. Mais nous préférons, comme analogie, la comparaison avec la plaque sensible photographique, qui, touchée par la lumière, garde éternellement, par une réaction chimique fixe et indélébile, la trace de l’excitation lumineuse. Sur cette plaque une série d’images peuvent se superposer ; et, quelqu’en soit le nombre, les dernières, se superposant sans cesse sur les précédentes, n’effaceront pas leur image. Ce sera une addition, un entassement d’images, ce ne sera pas la destruction, l’effacement des images premières par celles qui viennent ensuite.
Les modifications produites dans les cellules sont permanentes, tout le monde est d’accord là-dessus : Maudsley dit : « Dans une cellule modifiée, il se produit une aptitude, et avec elle une différenciation de l’élément, quoique nous n’ayons aucune raison de croire qu’à l’origine cet élément différât des cellules nerveuses homologues. »
M. Delboeuf : « Toute impression laisse une certaine trace ineffaçable, c’est-à-dire que les molécules, une fois arrangées autrement et forcées de vibrer d’une autre façon, ne se remettront plus exactement dans l’état primitif. »
M. Richet : « De même que, dans la nature, il n’y a jamais perte de la force cosmique, mais seulement transformation incessante, de même rien de ce qui ébranle l’esprit de l’homme n’est perdu. C’est, à un point de vue différent, la loi de la conservation de l’énergie. Les mers frémissent encore du sillage des vaisseaux de Pompée, car l’ébranlement de l’eau ne s’est pas perdu : il s’est modifié, diffusé, transformé en une infinité de petites ondes, qui se sont à leur tour changées en chaleur, en actions chimiques ou électriques. Pareillement, les sensations qui ont ébranlé mon esprit il y a vingt ans, il y a trente ans ont laissé leur trace en moi, alors que cette trace me soit à, moi-même inconnue. Alors même que je ne puis en évoquer le souvenir, ignoré de moi-même et inconscient, je puis affirmer que ce souvenir n’est pas éteint, et que ces vieilles sensations, infinies en nombre et en variété, ont exercé sur moi une influence tout à fait puissante.»
C’est un fait que, par la répétition des mots et des phrases d’une langue, notre esprit finit par agir
automatiquement. Il ne cherche plus les mots ni les phrases ; les phrases et les mots viennent d’eux-mêmes ; cela est vrai surtout de la langue maternelle. La mémoire consciente s’est évanouie et s’est perdue dans l’inconscient. Ce qui est vrai des langues, l’est aussi de toute autre acquisition intellectuelle, soit mathématique ou physique ou chimie, etc. Par exemple chez nous tous, sans exception, la table de multiplication est devenue automatique, et cependant il est certain que cette mémoire a commencé par être consciente.
Ces affirmations nous mettent précisément en face du problème que nous avons signalé : la résurrection de vieux souvenirs se produisent malgré le renouvellement intégral de toutes les cellules.
Maudsley prétend que la rapidité extrême des échanges nutritifs dans le cerveau, qui semble au premier abord une cause d’instabilité, explique, au contraire, la fixation des souvenirs : « La réparation, s’effectuant sur le trajet modifié, sert à enregistrer l’expérience. Ce n’est pas une simple intégration qui a lieu, mais une réintégration. La substance est restaurée d’une façon spéciale, ce qui fait que la modalité qui s’est produite est pour ainsi dire incorporée ou incarnée dans la structure de l’encéphale. »
D’accord, quant au résultat ; nous croyons aussi que les mouvements périsprit aux nouveaux, ceux qui auront été déterminés par la modification de la force vitale de la cellule détruite, impriment aux cellules qui se reforment les mêmes modifications qui ont influencé les premières.
Mais s’il n’y a pas de périsprit, qui donc peut imprimer aux cellules nouvelles l’ancien mouvement ? C’est toujours la même question : Qui fait la restauration ? On peut prétendre que la cellule n’est pas détruite en entier, que ce qui en reste a pris le mouvement nouveau et que les molécules qui remplacent les anciennes adoptent le nouveau rythme vibratoire.
Supposons qu’il en soit ainsi. Mais lorsqu’un nouvel échange aura lieu, le mouvement primitif sera communiqué du nouveau, et nécessairement il aura diminué d’intensité :
1° à cause du temps qui s’est écoulé ;
2° à cause de l’inertie des molécules nouvelles qu’il faut vaincre. Si cette opération se renouvelle un très grand nombre de fois, ce qui est certain puisqu’il y a une extrême rapidité dans les échanges nutritifs, le mouvement primordial sera si faible qu’il aura presque disparu. Ce qui est vrai pour une cellule, l’est pour un ensemble de cellules ; de sorte que les sensations qui en dépendent, et qui, par leur association, forment un souvenir, seront presque effacées lorsque l’individu sera vieux. Ces souvenirs devraient donc disparaître les premiers ; or c’est l’inverse qui a lieu, puisque chez les vieillards les souvenirs de l’enfance sont les plus persistants.
En somme, si l’on adoptait cette hypothèse, aucune sensation ne pourrait se conserver dans l’être, au-delà d’un temps très court. L’expérience nous démontre qu’il n’en est pas ainsi ; il faut donc chercher une autre explication.
Lorsque nous affirmons que c’est dans le périsprit qu’a lieu la conservation du mouvement, nous donnons pour preuve directe la manifestation de l’âme après la mort.
Elle se révèle à nous douée de toutes ses facultés et de souvenirs qui ne datent pas seulement de la dernière existence, mais qui embrassent de très longues périodes du passé. Nous croyons donc être plus près d’une explication adéquate aux faits, que ceux qui attribuent la pensée à la graisse phosphorée qui est depuis longtemps détruite, quand a l’existence immortelle.
c) Conditions de la perception
Pour qu’une sensation soit perçue, autrement dit qu’elle devienne un état de conscience, il faut noter deux conditions indispensables : l’intensité et la durée .
1° L’intensité est une condition d’un caractère très variable, mais il faut cependant un minimum pour que la perception ait lieu. Nous n’entendons pas les sons trop faibles, nous n’apprécions pas les saveurs qui n’ont pas une certaine importance. Nous avons trouvé le moyen de diminuer le degré d’intensité nécessaire en inventant des instruments qui augmentent nos sens, tels que le microscope, le télescope et le téléphone. C’est parce que les perceptions ne gardent pas constamment la même intensité qu’elles diminuent insensiblement, jusqu’à n’être plus suffisamment intenses pour rester présentes à l’esprit ; alors elles tombent « au-dessous du seuil de la conscience ».
2° La durée. – Le temps nécessaire pour qu’une sensation soit perçue, autrement dit, pour que l’esprit prenne connaissance du mouvement périsprital, a été déterminé depuis une trentaine d’année pour les diverses perceptions.
La perception pour le son se fait au bout de 0’’,16 à 0’’ ,14.
La perception pour le tact se fait au bout de 0’’,21 à 0’’ ,18.
La perception pour la lumière se fait au bout de 0’’,20 à 0’’,22.
Pour l’acte de discernement le plus simple, le plus voisin du réflexe, de 0’’,02 à 0’’,04.
Bien que les résultats varient suivant les expérimentateurs, suivant les personnes, suivant les circonstances et la nature des actes psychiques étudiés, il est du moins établi que chaque acte psychique requiert une durée appréciable, et que la prétendue vitesse de la pensée n’est qu’une métaphore.
Ceci posé, il est clair que toute action nerveuse dont la durée est inférieure à celle que requiert l’action psychique, ne peut éveiller la conscience. Pour qu’une sensation devienne consciente, il est indispensable que le mouvement périsprital ait une certaine durée, sans quoi la sensation s’enregistre sans que l’âme en ait connaissance.
De même que pour l’intensité, nous ferons remarquer qu’un acte d’abord difficile et qui exige un certain temps, devient plus aisé à exécuter une seconde fois, et demande moins de temps ; au bout d’un certain nombre de répétitions, il exige un temps si court qu’il n’est plus perçu par le moi, il devient inconscient.
d) L’inconscient psychique
Les sensations se gravent donc dans le périsprit et ont une durée certaine ; cependant, il est d’observation constante qu’elles ne restent pas dans le champ de la conscience ; elles disparaissent momentanément pour faire place à d’autres, en un mot elles deviennent inconscientes. Il en est de même pour tout ce que nous avons vu, lu, appris. Donc, depuis la naissance, notre âme se crée une immense réserve de sensations, de volitions, de pensées, car nous verrons que le mécanisme par lequel l’âme agit sur la matière est conservé aussi dans l’enveloppe fluidique. Chaque spectacle que nous contemplons, chaque livre que nous lisons, laisse en nous une trace ; les idées se lient et s’enchaînent par la loi de l’association qui a lieu aussi bien entre les sensations et les perceptions, qu’entre les idées ; le territoire où se cantonnent ces matériaux sans nombre, est le périsprit.
C’est là que toutes ces acquisitions séjournent sans se mélanger les unes aux autres ; elles constituent la bibliothèque de chaque être pensant. C’est ce trésor que l’on a nommé l’inconscient.
L’esprit a donc son magasin de sensation, d’idées. On peut le comparer à un savant dont toutes les connaissances seraient inscrites dans des livres séparés, mais rangés dans un ordre immuable et se représentant une petite fraction de son cerveau et de son périsprit, puisque l’un et l’autre sont inséparables pendant la vie.
Veut-il, par exemple, étudier la physique ? Il ouvre, dans notre comparaison, le livre dans lequel tout ce qu’il a retenu de cette science est inscrit ; dans la réalité, il réveille, par sa volonté, toutes les connaissances qu’il contient en lui à l’état passif, c’est-à-dire sous formes de mouvements vibratoires minimums : il les fait redevenir actives, autrement dit, elles repassent de l’inconscience à la conscience par une augmentation vibratoire du périsprit et conséquemment des cellules où elles sont enregistrées. Cette résurrection a généralement lieu, mais elle peut aussi présenter des lacunes, suivant l’âge et l’état de santé de celui qui fait cette évocation mentale.
Le moi, le seul être qui peut connaître et comprendre, est toujours actif, sans cesse agissant, mais tout ce qu’il apprend, tout ce qu’il ressent se classe mécaniquement, par suite de la diminution de l’intensité et de la durée des impressions, sous forme de mouvements dans son enveloppe, prêts à reparaître au premier appel de la volonté.
L’inconscient peut être meublé aussi par le travail de l’esprit pendant le sommeil. Les actes psychiques se produisant sans l’intervention du corps physique, n’ont pas l’intensité suffisante pour être conscients à l’état normal, et alors on constate l’existence de coordinations d’idées, de sensations, d’images qui sont parfois inconnues de l’esprit éveillé. Nous pouvons expliquer ainsi les irruptions soudaines de souvenirs qui ne paraissent suscités pas aucune association, et qui nous surviennent à chaque instant de la journée ; les leçons d’écoliers lues la veille et sues le lendemain ; les problèmes longuement ruminés dont la solution jaillit brusquement dans la conscience. Les inventions poétiques, scientifiques, mécaniques ; les sympathies et les antipathies secrètes, etc. Dans un cas curieux cité par Carpentier, un homme avait une vague conscience de ce qui se passait dans son cerveau, sans atteindre le degré d’une conscience distincte : « Un homme d’affaire de Boston m’a dit que, s’étant occupé d’une affaire très importante, il l’avait abandonnée pendant une semaine comme au-dessus de ses forces. Mais il avait conscience d’une action qui se passait dans son cerveau et qui était si pénible, si extraordinaire qu’il craignait d’être menacé de paralysie ou de quelque accident semblable ; après quelques heures passées dans cet état incommode, ses perplexités disparurent, la solution qu’il cherchait se présenta d’elle-même, naturellement : durant cet intervalle trouble et obscur, elle s’était élaborée ».
En somme, le périsprit recteur du corps et gardien des états de consciences, est sans cesse en mouvement. Les uns déterminent le rythme incessant des actions vitales de la vie végétative et organique ; les autres correspondent aux modalités psychiques de l’âme consciente ; d’autres, en bien plus grand nombre, représentent les états passés.
Le périsprit est comme un laboratoire où mille travaux se font à la fois, et l’on comprend qu’il faut que l’âme existe pour mettre de l’ordre dans les sensations qui lui parviennent sans arrêt. D’ailleurs le cerveau, qui est la représentation matérielle du périsprit, avec ses 600 millions de cellules vivants et ses quatre ou cinq milliards de fibres, est dans le même cas ; il faut que la conscience soit distincte de cet amas, sans quoi tous ces mouvements ne sauraient, d’eux-mêmes, s’harmoniser, et l’on conçoit la nécessité d’un classement automatique dans le périsprit, sans lequel l’esprit ne pourrait s’y reconnaître ; aussi il possède une faculté spéciale : l’attention, qui lui permet de se concentrer sur un ordre particulier d’idées, en éliminant tout ce qui est étranger à l’objet de son étude actuelle.
e) Étude sur la mémoire
Nous croyons devoir étudier la mémoire et chercher à nous rendre compte de son fonctionnement, car elle est la base de la vie mentale, en contribuant à fonder la personnalité, et si nous connaissons bien toutes les modalités de cette faculté, nous pourrons comprendre pourquoi nous n’avons pas gardé le souvenir de nos existences passées ; en même temps, comme elle joue le rôle le plus important dans le cas de double personnalité et dans les différents états de somnambulisme provoqué, sa connaissance approfondie a pour nous le plus grand intérêt. Nous allons donc voir sommairement les phénomènes principaux qui la caractérisent.
f) La mémoire organique ou inconscient physiologique
Dans l’acception courante du mot, la mémoire, de l’avis de tout le monde, comprend trois choses : la conservation de certains états, leur reproduction, leur localisation dans le passé. Dans l’ancienne psychologie, le troisième terme seulement constituait la mémoire, mais nous avons pu constater qu’on est obligé d’admette l’inconscient, c’est-à-dire des souvenirs qui ne sont plus perçus par le moi normal et qui existent cependant ; on peut ranger dans cette catégorie tous les actes fonctionnels du système nerveux dus aux fixations séculaires de mouvements dans le périsprit. L’instinct, a-t-on dit, est une habitude spécifique héréditaire ; elle impliquerait une mémoire héréditaire, nous savons que c’est dans le périsprit que réside cette mémoire organique. Nous allons montrer, une fois encore, le mécanisme de cette action.
1° – Il y a d’abord, dans la vie organique, des phénomènes automatiques dépendant de la vie elle-même, qui commencent et finissent en même temps qu’elle, ce sont les mouvements du coeur et de la respiration.
2° – Il y a ensuite toute une série d’actions réflexes internes, qui s’engendrent successivement, en formant une continuité ininterrompue. Le meilleur type que l’on puisse donner de ces réflexes, c’est l’ensemble des phénomènes de la digestion. Quand l’aliment est dans la bouche, il provoque une déglutition. A partir de ce moment, une suite d’actions réflexes va produire sa progression dans le tube alimentaire et sa dissolution par les liquides organiques. Toute la série des actes mécaniques ou chimiques de la digestion est la conséquence du premier mouvement, qui est la déglutition et les réflexes s’enchaînant les uns aux autres, provoquent de nouvelles excitations qui déterminent de nouveaux actes, jusqu’à ce qu’enfin la digestion soit terminée .
3° – Une excitation extérieure provoque des mouvements réflexes de réaction qui ont pour but une meilleure adaptation de l’être avec son milieu, soit par la défense, la fuite ou la recherche. Précisons ces actions, inconscientes aujourd’hui, mais qui ont été primitivement voulues, et que d’innombrables répétitions ont rendues instinctives.
Si on décapite un oiseau et qu’on le lance dans l’espace, il vole jusqu’à ce que ses forces soient épuisées. La mémoire des mouvements instinctifs des ailes a été conservée par la moelle épinière. Des cochons d’inde auxquels on enlève les lobes cérébraux, sautent, marchent, trépignent aussitôt qu’on les excite.
La substance grise de la moelle allongée préside à certains contractions musculaires, coordonnées, qui ne dépendent pas de la volonté, et souvent n’arrivent pas à la conscience. Un rat, auquel on a enlevé les hémisphères cérébraux, fait un brusque soubresaut, si on approche de lui en imitant le souffle du chat en colère. Ici il n’y a pas de jugement, c’est un acte instinctif, irrésistible. Depuis des milliers d’années, ce bruit a pour résultat de déterminer la fuite sans réflexion préalable ; le fait de ce bruit est tellement associé à celui du danger que, lorsqu’il se produit, l’animal s’enfuit sans réflexion, inévitablement : il n’y a ni raisonnement ni conscience, c’est un pur réflexe. De même, des chiens et des chats, privés des lobes cérébraux, font grimacer leurs lèvres, comme pour se débarrasser d’une sensation désagréable, lorsqu’on leur verse dans la gueule une décoction de coloquinte. Ce sont des sensations inconscientes aujourd’hui, mais qui ont été jadis perçues .
4° – Il se produit aussi des ensembles de mouvements musculaires, par la simple action de la volonté, qui demandent une quantité énorme d’actions réflexes appropriées, révélant une science très grande du jeu des organes, et tout à fait inconnue de l’esprit.
« Bien souvent, dit le docteur Despines, j’ai admiré cette science automatique, en voyant le chien qui suit la voiture de son maître, sauter au-devant de son cheval, passer entre les roues de la voiture, et cela à tous les degrés de vitesse, sans jamais se laisser atteindre par les roues ou par les pieds de cheval. Quelle précision mathématique ne faut-il pas dans l’action des muscles nombreux qui concurrent à l’exécution de tous ces mouvements ! Tout cela se fait d’après le moindre désir de l’animal, sans que celui-ci sache comment. Chez l’homme, cette science automatique nous apparaît plus merveilleuse encore.
Les instrumentalistes chez lesquels le cervelet est imparfait, ne pourront jamais exécuter une œuvre musicale comme ils sentent qu’elle doit être rendue. Il y a des hommes très intelligents et fort maladroits, tandis que d’autres, d’une intelligence fort médiocre, ont une adresse remarquable. Pour être bon écuyer, bon jongleur, bon équilibriste, bon tireur au vol, l’intelligence la plus ordinaire est suffisante, mais il faut être doué d’organes automatiques parfaits. Ce n’est pas la forme de la main qui donne l’adresse, la main et les doigts ne sont que l’instrument qui opère ».
Le vrai type de la mémoire organique doit être cherché dans ce groupe de faits que Hartley avait si heureusement nommés actions automatiques secondaires, par opposition aux actes automatiques innés. Ces actions automatiques secondaires, ou mouvements acquis, sont le fond même de notre vie journalière. Ainsi la locomotion, qui, chez beaucoup d’espèces inférieures, est un pouvoir inné, doit être acquise chez l’homme, en particulier à chaque pas, par la combinaison des impressions tactiles et visuelles .
D’une manière générale, on peut dire que les membres de l’adulte et ses organes sensoriels ne fonctionnent si facilement que grâce à cette somme de mouvements acquis et coordonnés qui constituent, pour chaque partie du corps, sa mémoire spéciale, le capital accumulé par lequel il vit et par lequel agit, tout comme l’esprit vit et agit au moyen de ses expériences passées. Au même ordre appartiennent ces groupes de mouvements d’un caractère artificiel, qui constituent l’apprentissage d’un métier manuel, les jeux d’adresse, les divers exercices du corps, etc…
Si l’on examine comment ces mouvements automatiques primitifs sont acquis, fixés et reproduits, on voit que le premier travail consiste à former des associations.
La matière première est fournie par les réflexes primitifs, c’est-à-dire par les mouvements nerveux inconscients que nous avons étudiés au chapitre précédent ; il s’agit de les grouper d’une certaine manière, d’en combiner quelques-uns à l’exclusion des autres. Cette période de formation n’est parfois qu’un long tâtonnement. Les actes qui nous paraissent aujourd’hui les plus naturels ont été, à l’origine, péniblement acquis.
Nous voyons, pour les mouvements automatiques secondaires, se reproduire ce qui a eu lieu pour les premiers mouvements automatiques périspritaux, il faut un apprentissage, des essais nombreux et réitérés, avant que l’organisme fluidique adapte ses anciens mouvements aux nouveaux.
Lorsqu’un enfant apprend à écrire, dit Lewes, il lui est impossible de remuer sa main toute seule ; il fait mouvoir aussi la langue, les muscles de sa face et même de son pied. Il en vient, avec le temps, à supprimer les mouvements inutiles. Tous, quand nous essayons pour la première fois un acte musculaire, nous dépensons une grande partie d’énergie superflue, que nous apprenons graduellement à restreindre au nécessaire. Par l’exercice, les mouvements appropriés se fixent à l’exclusion des autres. Il se forme dans le périsprit des mouvements secondaires qui, en s’associant aux mouvements moteurs primitifs, deviennent plus ou moins stables, suivant la répétition plus ou moins fréquente des mêmes actes, et si ceux-ci sont très souvent réitérés, qu’ils puissent se faire avec une rapidité toujours plus grande, ils arrivent à employer un temps si court, que le minimum exigible pour que l’effort soit perçu n’est plus atteint ; l’acte est devenu inconscient.
Nous ne dirons donc pas avec M. Ribot que la conscience est un phénomène surajouté, puisque c’est elle qui est la cause de l’organisation de ces mouvements ; elle ne disparaît dans la suite que parce qu’elle est devenue inutile, et que l’acte répond parfaitement à son but.
Il est facile de constater par l’observation que la mémoire organique, celle qui nous sert dans la marche, la danse, la nage, l’équitation, le doigté des instruments de musique, le patinage, etc., ressemble en tout à la mémoire psychologique, sauf un point : l’absence de conscience.
Résumons-en les caractères, la ressemblance parfaite des deux mémoires apparaîtra.
Acquisition tantôt immédiate, tantôt lente, répétition de l’acte, nécessaire dans certains cas, inutile dans d’autres.
Inégalités des mémoires organiques suivant les personnes : elle est rapide chez les uns, lente ou totalement réfractaire chez d’autres (la maladresse est le résultat d’une mauvaise mémoire organique). Chez les uns, permanence des associations une fois formées ; chez les autres, facilité à les perdre, à les oublier. Disposition de ces actes en séries simultanées ou successives, comme pour les souvenirs conscients.
Ici même, un fait bien digne d’être remarqué, c’est que chaque membre de la série suggère le suivant : c’est ce qui arrive quand nous marchons sans y penser. Tout en dormant, des soldats à pied, et même des soldats en selle, ont pu continuer leur route, quoique ces derniers aient à se tenir constamment en équilibre. Cette suggestion organique est encore plus frappante dans le cas cité par Carpenter, c’est celui d’un pianiste accompli qui exécuta un morceau de musique en dormant, fait qu’il faut attribuer, moins au sens de l’ouïe qu’au sens musculaire, qui suggérait la succession des mouvements.
Sans chercher des cas extraordinaires, nous trouvons dans nos actes journaliers des séries complexes et bien déterminées, c’est-à-dire dont le commencement et la fin sont fixes, et dont les termes, différents les uns des autres, se succèdent dans un ordre constant : par exemple, monter ou descendre un escalier dont nous avons un long usage. Notre mémoire psychologique ignore le nombre des marches, notre mémoire physiologique le connaît à sa manière, ainsi que la division en étages, la distribution des paliers, et d’autres détails : elle ne se trompe pas. Ne doit-on pas dire que, pour la mémoire organique, ces séries bien définies sont rigoureusement l’analogue d’une phrase d’un couplet de vers, d’un air musical, pour la mémoire psychologique ?
On peut constater, par l’examen d’une planche anatomique, que le mouvement nécessite pour se produire la mise en oeuvre d’un nombre considérable d’éléments nerveux, très différents les uns des autres, aussi bien par leurs formes variées, que par leur constitution anatomique. Les cellules de l’écorce cérébrale de la moelle, des nerfs, sont fusiformes, géantes, pyramidales, etc., les nerfs moteurs diffèrent des nerfs sensitifs, ceux-ci se différencient à leur tour des muscles, et si l’on veut bien se souvenir que chacun de ces éléments qui concourent à la réalisation d’un mouvement ne servent jamais deux fois à la vie, qu’ils ont entre eux des relations intimes desquelles dépend la conservation des mouvements automatiques secondaires, alors plus que jamais l’utilité du périsprit apparaîtra.
Ces études sur une mémoire inconsciente, résidant dans le système nerveux, seraient incompréhensibles sans la notion de l’âme et de son enveloppe fluidique, car il faudrait dans la matière organisée une série de consciences, ce qui est tout à fait impossible, puisque nous avons la preuve que cette conscience existe en dehors de toute matière vivante. Ce fait, bien constaté, établit le rôle de l’âme dans le corps et montre que la physiologie ne fait que mettre en évidence les propriétés du périsprit, lesquelles se manifestent tangiblement par les propriétés du système nerveux.
En somme, nous avons pu voir les transitions insensibles qui retient la conscience à l’inconscience dans les phénomènes psychiques ; nous avons constaté que la condition pour qu’une sensation ne soit plus perçue a deux causes : soit une intensité insuffisante, soit un temps trop court ; il en est de même, comme nous venons de le voir, pour les phénomènes physiologiques, que nous avons appelés mémoire organique, de sorte que nous constatons que l’inconscient est un territoire commun aux phénomènes de l’âme et du corps, et ceci nous confirme que c’est bien le périsprit qui en est le siège.
g) La mémoire psychique
Le premier phénomène de la mémoire réside donc dans l’enregistrement de la sensation. Nous avons vu comment a lieu cette fixation dans le périsprit, il nous reste à montrer le lieu où s’opère la localisation de cette impression. Comme d’habitude, nous aurons pour guide le système nerveux, qui est la forme objective des états périspritaux.
Nous avons déjà signalé la relation étroite qui attache l’âme au corps. Pendant la vie, toute manifestation intellectuelle exige impérieusement le concours du corps, l’intégrité absolue de la substance cérébrale ; à ce point que les plus petits désordres du cerveau paralysent complètement la manifestation de l’âme. A y bien réfléchir, cette concomitance n’est pas extraordinaire si on admet notre théorie. L’esprit n’agissant sur la matière que par l’intermédiaire de la force vitale, toute destruction de la matière nerveuse enlève, momentanément ou pour toujours, une partie correspondante de la force vitale qui était attachée à cette partie ; dès lors le périsprit, qui conserve le mouvement, ne peut plus agir.
Si plus tard, la force vitale a encore assez de puissance pour reconstituer le tissu, la fonction se rétablira.
Voici quelques exemples qui montrent bien la localisation de la mémoire .
Perte de la mémoire auditive des mots parlés, ou surdité verbale.
Le malade, frappé le plus souvent d’une attaque d’apoplexie, s’est relativement bien rétabli, quant à la paralysie ; mais, d’après l’appréciation de ceux qui l’entourent, il semble resté sourd et idiot, car il répond de travers aux questions qu’on lui pose, il ne comprend pas la conversation.
Cependant un examen méthodique montre qu’il n’est ni sourd ni idiot. Il n’est pas sourd, car il se retourne au bruit d’une fenêtre qu’on ouvre ou d’une porte que le vent fait battre, et même au léger bruit d’une épingle qui tombe sur le parquet. Il s’impatiente en voyant qu’il ne comprend pas ce qu’on lui dit, il n’est donc idiot. Il s’exprime correctement en parlant, il lit l’écriture et répond sans se tromper aux demandes faites par écrit.
Que lui manque-t-il donc ?
Il lui manque de comprendre le langage parlé. Lorsqu’il entend sa langue maternelle, elle lui fait l’effet d’une langue étrangère. Cette langue, il l’avait apprise, comme nous tous, par une éducation lente, c’est-à-dire qu’il avait été habitué à rattacher une idée à un son. Ce mécanisme était fixé en lui, ce qui lui manque maintenant, c’est ce mécanisme que la maladie a détruit. On remarque, en effet, chez ces malades, à l’autopsie, toujours la même lésion : c’est la première circonvolution temporale qui est atteinte. On peut donc la regarder comme le siège de la mémoire auditrice verbale.
Perte de la mémoire des mots écrits, ou cécité verbale.
Un sujet est frappé d’apoplexie dans le cerveau gauche, d’où paralysie des membres droits. Mais la paralysie a rapidement disparu ; le malade se lève, il ne présente aucun trouble de la parole ou de l’audition. C’est un commerçant, il songe à ses affaires interrompues, et, ne sortant pas encore, il veut envoyer un ordre par écrit. Il prend la plume, écrit lisiblement ; croyant avoir oublié quelque chose dans sa lette, il la reprend ; et alors se révèle, dans son originalité presque fantastique, le phénomène suivant : il a pu écrire, mais il lui est impossible de relire son écriture. Impatienté, désireux de renouveler l’épreuve, il ouvre ses registres : il ne peut les lire, il ne peut comprendre ce qui est écrit, pas plus d’ailleurs que ce qui est imprimé.
Tout se passe comme s’il écrivait dans l’obscurité. Il a conservé la mémoire des mouvements de la main, il signe facilement, mais il lui est impossible de distinguer ensuite sa signature d’une autre, les caractères qu’il vient de tracer n’ont pas pour lui plus de signification que des lettres chinoises, ou tout autres, dont il n’avait pas eu connaissance.
Qu’a donc perdu ce malade ? Ce n’est ni la parole, ni l’audition des mots, ni les mouvements de l’écriture ; il a perdu la connaissance visuelle des signes écrits ou imprimés du langage. Il avait été habitué, dans l’enfance, à emmagasiner dans son cerveau le souvenir, les images visuelles des lettres, de façon à les retenir et à les reconnaître, en même temps qu’il emmagasinait le souvenir des mouvements de l’écriture. Or, s’il a conservé le souvenir des mouvements de l’écriture, il a perdu le souvenir des yeux, il est frappé de cécité verbale. A l’autopsie on constate que c’est la seconde circonvolution pariétale de l’hémisphère gauche qui a été lésée.
Perte de la mémoire motrice des mots parlés.
Les malades de ce type comprennent le langage parlé, ils écrivent, lisent, ils ont une mimique expressive, mais ils ne savent plus émettre les sons réguliers de la parole.
Quelques mots, le plus souvent monosyllabiques, ou bien un juron familier, sont seuls restés à leur disposition ; ils s’en servent à tout propos comme un enfant qui n’a encore que quelques mots à sa disposition. Le poète Baudelaire, devenu aphasique (c’est ainsi qu’on nomme ces malades) ne pouvait dire que : « Cré nom ! ».
Ces gens ont perdu la mémoire des mouvements du larynx et de la langue dans l’expression verbale, la mémoire motrice des mots parlés a disparu. C’est la troisième circonvolution frontale de l’hémisphère gauche qui a été désorganisée.
Perte de la mémoire motrice des mots écrits.
Un malade est frappé d’une hémiplégie droite à la suite d’une lésion de l’hémisphère gauche. En peu de mois il est remis, il parle, il entend, il lit, un seul fait le trouble, le préoccupe, bien qu’il remue sa main droite avec facilité et s’en serve d’une manière normale pour s’habiller, manger, etc., cette main droite se refuse absolument à exécuter les mouvements de l’écriture.
Lorsque le malade veut écrire, il lui est impossible de tracer même une lettre. Il déclare connaître parfaitement bien les caractères qu’il faudrait tracer, il les nomme, il les montre sur un journal, mais il lui est impossible d’écrire.
Ce qu’il y a de plus curieux, c’est que le malade peut tenir plume et crayon et plus ou moins dessiner, et si on lui présente un mot écrit, il le copie lentement, laborieusement, comme nous pourrions le faire pour les caractères d’une langue étrangère. Il a perdu seulement la mémoire des mouvements de l’écriture, qu’on lui avait enseignés jadis, et cette perte coïncide avec la lésion de la seconde circonvolution frontale de l’hémisphère gauche.
Nous venons de voir des destructions intéressant toute une classe de faits. C’est la disparition d’une série de mouvements associés et coordonnés, se rapportant à la mémoire auditive des mots parlés, à la mémoire visuelle des mots écrits, ou à ma mémoire motrice des mots écrits ou parlés, et on a pu localiser dans le cerveau les parties atteintes qui avaient causé ces suppressions ; ce ne sont pas les seules localisations qu’on a pu déterminer, voici encore quelques exemples de ces pertes en bloc :
1° – Perte des figures. – Un savant remarquable, dit Carpentier, que je connaissais très bien, perdit la mémoire des figures : il avait 70 ans. Je le rencontrai un jour chez l’un de nos plus anciens amis. Il ne me reconnut pas, il ne le fît pas davantage quand nous fûmes dehors, sa mémoire alla toujours en diminuant ; il mourut d’une attaque d’apoplexie.
2° – Perte de la musique. – Un enfant, dit le même docteur, après s’être violemment heurté la tête, resta trois jours inconscient. En revenant à lui, il avait oublié tout ce qu’il savait de musique. Rien autre n’avait été perdu.
3° – Perte de tous les nombres. – Les cas de pertes de tous les nombres se sont fréquemment présentés à la suite de lésions cérébrales. Un froid excessif peut produire le même résultat. Un voyageur, longtemps exposé au froid, perdit la notion du calcul.
4° – Perte de deux nombres seulement. – Forbes Winslow raconte le fait suivant : Un soldat ayant subit l’opération du trépan, perdit quelques portions de sa substance cérébrale. On s’aperçut, quelques jours après, qu’il avait oublié les nombres 5 et 7, et cela seulement.
Au bout de quelques temps il recouvra la mémoire de ces deux nombres.
Afin de ne pas allonger démesurément ces citations, il nous suffira de dire que chez différents malades, on a constaté la perte d’une langue étrangère, la perte de tous les substantifs ; le malade désignait les objets par le mot chose ; la perte de plusieurs lettres de l’alphabet ; enfin la perte d’une seule lettre.
Toutes ces observations établissent la localisation des perceptions et celle des mouvements associés. Il est probable que tous les états de conscience successifs qui caractérisent la vie mentale, ont aussi pour support un territoire particulier du cerveau, qui correspond à une région définie du périsprit.
h) La mémoire proprement dite
Arrivons maintenant à la mémoire proprement dite, celle qu’on a nommée la reconnaissance en philosophie, et qui est un pouvoir d’évocation, l’acte par lequel on fait repasser un phénomène de l’inconscience à la conscience.
Si la reviviscence n’est pas suscitée de soi-même par une perception de la même nature, elle peut renaître sous l’influence de la volonté, lorsque l’on concentre son attention sur le souvenir que l’on veut ramener dans l’esprit.
Qu’est-ce, en effet, que se rappeler ? C’est, si nous nous souvenons des phases par lesquelles a passé une sensation pour sortir du champ de la conscience, lui redonner les deux conditions indispensables à la perception : l’intensité et la durée ; l’attention a précisément ces propriétés, comme nous allons le montrer.
L’expérience nous enseigne que l’attention a pour résultat d’augmenter la puissance du mouvement dans un muscle, alors qu’elle diminue le temps de réaction. Lorsque, par la volonté, nous concentrons notre pensée sur un souvenir que nous voulons revivifier, nous envoyons, dans sa direction, une série d’influx successifs qui ont pour objet de rendre au mouvement périsprital la même période vibratoire qu’il possédait, ou peut-être un peu plus faible, au moment où il a été enregistré, c’est-à-dire perçu ; cette répétition d’une excitation, en amenant une sorte de congestion dans l’organe matériel, avec suractivité fonctionnelle, produit, même au-dessous des limites de la conscience, une sorte d’attention passive, dont les premières n’étaient pas senties, la reviviscence devient nette, alors que tout à l’heure elle faisait complètement défaut. En réalité, le rôle de l’attention est d’exagérer les mouvements ; c’est pourquoi nous pouvons, par cette faculté, faire repasser à un état inconscient le seuil de la conscience, autrement dit nous souvenir.
Si les sensations anciennes, qui constituent l’image mentale, sont rappelées par des sensations semblables, il est clair que le souvenir reparaîtra de lui-même, puisque la localisation est la même. Si nous entendons aujourd’hui un opéra tout à fait oublié, les airs nous reviendront à la mémoire, nous les reconnaîtrons au passage ; il y aura une résurrection toute naturelle. Mais non seulement l’image actuelle rappelle l’ancienne quand elles sont identiques, mais encore quand elles sont seulement semblables, mais même quand elles ne se ressemblent plus, à la condition qu’elles aient seulement quelque analogie .
C’est là un des phénomènes les plus bizarres de l’intelligence, que cette évocation, tout à fait fantaisiste, des idées les unes par les autres. Chaque idée semble rayonner dans différents sens pour évoquer une autre idée qui s’y rattache par un rayon quelconque, qui est commun. Ainsi nous pensons actuellement à un chien d’arrêt que nous avons vu, il éveille en nous l’idée de la chasse ; celle-ci nous fait songer à un lapin, nous le voyons brouter du serpolet. A ce moment ; la dernière consonance éveille dans notre esprit le port de Dieppe, dont le Polet est un faubourg, nous nous représentons l’Océan et ses dangers, etc.
Ainsi l’évocation des idées anciennes suit une route extraordinaire et peut faire les détours les plus bizarres.
Mais lorsque l’on veut retrouver un souvenir précis, l’esprit emploie d’autres moyens, il se sert de ce que M. Ribot a nommé le point de repère. Citons-le :
« Théoriquement, pour se souvenir, nous n’avons qu’une manière de procéder. Nous déterminons les positions dans le temps comme les positions dans l’espace par un rapport à un point fixe, qui, pour le temps, est notre état présent. Remarquons que ce présent est un état réel qui a sa quantité de durée. Si bref qu’il soit, il n’est pas, comme les métaphores portent à le croire, un éclair, un rien, une abstraction analogue au point mathématique : il a un commencement et une fin. De plus, son commencement ne nous apparaît pas comme un commencement absolu : il touche à quelque chose avec quoi il forme continuité. Quand nous lisons ( ou entendons) une phrase, au cinquième mot, par exemple, il reste quelque chose du quatrième. Chaque état de conscience ne s’efface que progressivement. Par ce fait, le quatrième et le cinquième mot sont en continuité, la fin de l’un touche le commencement de l’autre. C’est là le point capital. Il y a une continuité, non pas indéterminée, consistant en ce que deux bouts quelconques se touchent, mais en ce que le bout initial de l’état actuel touche le bout final de l’état qui le précède immédiatement.
Si ce simple fait est bien compris, le mécanisme théorique de la localisation dans le temps l’est du même coup, car il est clair que le retour en arrière peut se faire également du quatrième mot au troisième, et ainsi de suite, et que, chaque état de conscience ayant sa quantité de durée, le nombre des états de conscience parcourus ainsi régressivement et leur quantité de durée, donnent la position d’un état quelconque par rapport au précédent, son éloignement dans le temps.
Pratiquement, nous avons recours à des procédés plus simples et plus expéditifs. Nous faisons bien rarement cette course à rebours à travers tous les intermédiaires, rarement même à travers la plupart. Notre simplification consiste dans l’emploi de points de repère. Prenons un exemple très vulgaire. Le 30 novembre, nous attendons un livre dont nous avons le plus grand besoin. Il doit venir de loin et l’expédition demande au moins vingt jours. L’avons-nous demandé en temps utile ? Nous nous souvenons que la demande a été faite la veille d’un petit voyage dont nous pouvons fixer la date précise au dimanche 9 novembre. Dès lors le souvenir est complet.
Si on analyse ce cas, on voit que l’état de conscience principal, la demande du livre, est d’abord rejeté dans le passé d’une manière indéterminée ; puis il éveille des états secondaires et, parmi ceux-ci, un très net : le souvenir du voyage ; comme la demande a été faite la veille, c’est ce souvenir de voyage qui a servi de point de repère.
Les points de repère ne sont pas arbitraires, ils s’imposent à nous ; la seule condition qu’ils aient à remplir, c’est que leur éloignement du temps présent nous soit bien connu. Généralement ils sont individuels, ils peuvent aussi être généraux : soit à une famille, comme une naissance, un enterrement, un mariage ; soit à une société par un banquet périodique ; soit à une nation, par exemple l’exposition de 1889.
Les points de repère permettent de simplifier le mécanisme de la localisation dans le passé, car lorsqu’on s’en sert fréquemment, cette localisation devient automatique, c’est un cas analogue à l’habitude ; les intermédiaires disparaissent lorsqu’ils deviennent inutiles, il ne reste plus que deux termes : le souvenir et le point de repère. Ce retour à l’inconscient des états intermédiaires est une nécessité de la vie mentale, car s’il fallait, pour atteindre un souvenir lointain, parcourir tous les termes successifs qui nous en séparent, la mémoire serait impossible à cause de la longueur de l’opération.
Sans l’entrée à l’état latent d’un nombre prodigieux d’états de conscience, nous ne pourrions nous en souvenir ; cette disparition du champ de la conscience est donc une condition essentielle d’une bonne mémoire, d’où cette conclusion, qui aurait pu sembler paradoxale sans les explications précédentes, que l’oubli est une nécessité de la mémoire. »
Nous avons étudié très sommairement, mais dans ce qu’elles ont d’essentiel, la sensation et la mémoire sous leurs modalités conscientes et inconscientes ; le peu que nous en avons vu nous suffira pour nous expliquer les phénomènes de personnalités multiples, et pour constater que les déductions qu’on a tirées de ces faits anormaux sont tout à fait inexactes.
i) Les aspects multiples de l’individualité
La psychologie physiologique, celle qui étudie le corps comme condition essentielle et même, suivant elle, primordiale, des manifestations intellectuelles, a complètement rejeté les anciennes conceptions philosophiques sur la personnalité et les facultés de l’âme.
Selon la nouvelle doctrine, le moi n’est pas une unité simple ; il est formé par une coordination d’éléments qui ont chacun une vie particulière, c’est-à-dire que c’est l’association du sentiment de l’existence avec la mémoire, avec les perceptions, avec les sensations, les idées, etc., qui forme une résultante momentanée à laquelle mous attribuons une unité factice, mais cette unité est une pure illusion du sens intime, elle n’existe pas dans la réalité.
Voici comment M. Ribot s’exprime à ce sujet :
« L’unité du moi, au sens psychologique du mot, c’est la cohésion, pendant un temps donné, d’un certain nombre d’états de conscience clairs, accompagnés d’autres moins clairs, et d’une foule d’états physiologiques qui, sans être accompagnés de conscience, comme leurs congénères, agissent autant qu’eux. Unité veut dire coordination. »
Cette affirmation, qui n’est autre, d’ailleurs, que celle des matérialistes, est-elle exacte ? Est-il vrai que notre moi n’ait pas d’existence distincte ? Evidemment l’expérience spirite tranche la question, car la mort ne détruit pas l’esprit, donc il n’est pas une résultante du corps. Mais alors d’où provient l’erreur ?
Les expériences qui établissent la dualité et même la multiplicité du moi sont exactes, mais elles sont, suivant nous, mal interprétées par les observateurs qui ont, comme cela arrive souvent, tiré des déductions fausses de phénomènes réels.
Pour nous en rendre compte, nous allons exposer sommairement l’état de la question. Nous étudierons ce que l’on a improprement appelé les dédoublements de la personnalité, dans les ces qui se présentent naturellement, puis lorsqu’ils sont provoqués par des manoeuvres hypnotiques, et nous pourrons constater que l’individualité est une, mais qu’elle revêt des aspects différents, qu’elle est protéiforme, bien que substantiellement identique, alors même que des personnalités diverses semblent coexister.
Surtout il ne faut jamais perdre de vue que la manifestation de l’esprit incarné est lié rigoureusement à l’état physique du corps matériel, que toute altération, tout changement dans celui-ci, a pour résultat de pervertir, de fausser le mécanisme intellectuel.
Une autre raison nous incite tout particulièrement à étudier cette question, c’est que l’on a cherché dans ces phénomènes une arme contre la réalité de certaines manifestations spirites. On constate parfois, lorsqu’on étudie le spiritisme, que certains médiums s’endorment spontanément, et qu’ils se mettent à parler. On a remarqué que les discours prononcés n’avaient, le plus souvent, aucun rapport avec les idées du médium à l’état ordinaire, et que l’être nouveau qui témoignait ainsi de sa présence donnait des détails, relatait des faits que le sujet ne connaissait nullement. Parfois, même, l’individualité nouvelle s’exprimait dans une langue étrangère, tout à fait inconnue du médium. Dans ce cas, les spirites disent que c’est l’Esprit d’une personne qui a vécu sur la terre qui s’empare de l’organisme du médium et qui s’en sert pour se communiquer. Ce phénomène a été nommé l’incarnation. Nous l’avons décrit et commenté dans un ouvrage précédent , et nous n’avons pas à y revenir ici, mais ces aspects divers de la personnalité nous permettent d’étudier la mémoire expérimentalement, ce qui a pour nous une grande valeur.
Pour bien comprendre les faits qui vont se dérouler, il ne faut pas oublier que, pour qu’un phénomène soit conscient, c’est-à-dire qu’il soit perçu par l’esprit, deux conditions sont indispensables : l’intensité et la durée.
Pour que nous ressentions une sensation, il faut que la cause excitatrice ait un certain degré de force, une intensité minimum, qui varie nécessairement avec la finesse des organes des sens de chacun de nous ; mais il ne faudrait pas conclure que, si la sensation n’est pas perçue, elle a été perdue, ce serait une grave erreur ; elle s’enregistre quand même dans le périsprit, mais à l’état inconscient.
De même la durée de l’excitation est une condition indispensable de la perception. Toute action sensorielle qui n’a pas le minimum de durée n’éveille pas la conscience, mais se grave dans le périsprit, et il est possible d’en retrouver la trace par certains procédés. En somme, l’intensité et la durée sont des fonctions qui varient avec l’état de sensibilité du sujet. Si un sujet a un organisme très sensible, très délicat, une sensation sera perçue très vite, c’est-à-dire que le temps de réaction sera très court ; au contraire, un organisme grossier percevra beaucoup moins vite, l’action demandera beaucoup plus de temps, et même, comme c’est le cas pour les hystériques ou pour les personnes anesthésiques, la sensation ne sera pas perçue du tout par le membre malade, tout en s’enregistrant dans le périsprit.
Il peut arriver aussi, à l’état normal, que nous n’ayons pas conscience de toutes les sensations que le corps ressent, c’est lorsqu’une idée fixe s’est emparée de l’esprit et y concentre l’attention. Si l’âme est fortement préoccupée par des recherches absorbantes ou par un travail mental d’un chagrin violent, en un mot que les rapports normaux du corps et de l’âme soient troubles, la conscience des sensations extérieures n’existe plus, mais le cerveau n’en garde pas moins l’empreinte, la modification survenue est acquise. La phase psychique ou consciente ne vient pas à l’existence, mais la phase physiologique, qui est fondamentale, subsiste. Il ne sera donc pas étonnant de retrouver les traces de ce travail cérébral, non parvenu primordialement à la conscience ; cependant il faut pour cela une secousse de l’organisme, un éréthisme particulier du système nerveux qui replace le sujet dans l’état où il se trouvait lorsque la sensation inconsciente s’est enregistrée.
Ceci bien compris, cherchons ce qu’il faut entendre par la personnalité.
j) La personnalité
Nous avons vu que la mémoire est une condition presque indispensable de la personnalité, car c’est elle qui relie l’état présent aux états passés et nous affirme que nous sommes bien le même individu qu’il y a vingt ans. La mémoire constitue l’identité, car, en même temps que persistent les sensations présentes, non effacées encore, apparaissent, évoquées par elle à l’état de souvenir, les images anciennes qui sont, sinon identiques, du moins très analogues d’un jour à l’autre. Par exemple un arbre, sensation présente, image actuelle, éveille en notre esprit une demi-douzaine de souvenirs, qui sont presque les mêmes, alors que ce serait un autre arbre que nous verrions. De même un bateau éveillera une autre demi-douzaine de souvenirs qui seront encore les mêmes, quel que soit le bateau qui frappe votre vue. Même, par suite de l’association et de la complication des idées, nous n’aurons pas besoin de voir un bateau pour avoir ces souvenirs ; ils apparaîtront encore si nous voyons une rivière, un ruisseau, un objet quelconque rappelant, même de très loin, l’idée de bateau.
Notre conscience est donc toujours en présence d’un certain nombre limité d’images anciennes, toujours les mêmes à peu près ; et ces images, étant rapportées au même moi, feront la personnalité de l’individu, personnalité qui est rendue stable par la communauté des images.
Si, tout d’un coup, les images ordinaires, communément présentes à la conscience, se trouvent, par suite d’un état psychique quelconque, brusquement effacées, et si, d’un autre côté, d’autres images apparaissent soudain, qui, jusque-là, ne s’étaient pas présentées à la conscience, il s’ensuit que le même moi ne se reconnaît plus, il se juge autre, c’est un nouvel état de conscience qui prend naissance, mais c’est dans la même individualité qu’il a lieu. Les somnambules offrent presque toujours ce caractère, ils ont oublié au réveil ce qui s’est passé pendant le sommeil ; mais ce qui prouve que c’est bien la même individualité qui existe, c’est que le second aspect de la personnalité, le personnage somnambulique, connaît la personne normale, comme nous le verrons tout à l’heure.
Ce défaut de liaison, cette discontinuité entre deux périodes de la même vie psychique, explique tous les phénomènes, à la condition qu’on tienne compte d’un second facteur de la personnalité qui est le sentiment de la vie.
Chacun de nous a le sentiment qu’il existe corporellement, c’est ce qu’a bien montré Louis Peisse en combattant la doctrine de Jouffroy qui prétendait que nous ne connaissons notre corps que d’une manière objective, comme nous connaissons ce qui nous est étranger, une table, un meuble, etc. Le médecin philosophe répond :
« Est-il bien certain que nous n’avons absolument aucune conscience de l’exercice des fonctions organiques ? S’il s’agit d’une conscience claire, distincte, localement déterminable, comme celle des impressions extérieures, il est évident qu’elle nous manque ; mais nous pouvons bien en avoir une conscience sourde, obscure et pour ainsi dire latente, analogue, par exemple, à celle qui provoque et accompagne les mouvements respiratoires, sensations qui, bien qu’incessamment répétées, passent comme inaperçues.
Ne pourrait-on pas, en effet, considérer comme un retentissement lointain, faible et confus du travail vital universel, ce sentiment si remarquable qui nous avertit sans discontinuité ni rémission de l’existence actuelle de notre corps ? On a presque toujours, et à tort, confondu ce sentiment avec les impressions accidentelles et locales qui, pendant la veille, éveillant, stimulent et entretiennent le jeu de la sensibilité. Ces sensations, quoique incessantes, ne font que des apparitions fugitives et transitoires sur le théâtre de la conscience, tandis que le sentiment dont il s’agit dure et persiste au-dessous de cette scène mobile. Condillac l’appelait avec assez de propriété le sentiment fondamental de l’existence. Maine de Biran, le sentiment de l’existence sensitive. C’est par lui que le corps apparaît sans cesse au moi comme sien et que le sujet spirituel se sent et s’aperçoit exister en quelque sorte, exister localement dans l’étendue de l’organisme. Moniteur perpétuel et indéfectible, il rend l’état du corps incessamment présent à la conscience, et manifeste ainsi de la manière la plus intime le lien indissoluble de la vie psychique et de la vie
physiologique.
Dans l’état ordinaire d’équilibre qui constitue la santé parfaite, ce sentiment est, comme nous le disions, continu, uniforme et toujours égal, ce qui l’empêche d’arriver au moi à l’état de sensation distincte, spéciale et locale.
Pour être distinctement remarqué, il faut qu’il acquière une certaine intensité ; il s’exprime alors par une vague impression de bien-être ou de malaise général, indiquant, le premier, une simple exaltation de l’action vitale physiologique ; le second, sa perversion pathologique ; mais, dans ce cas, il ne tarde pas à se localiser sous forme d’une manière plus indirecte, mais pourtant bien plus évidente, lorsqu’il vient à défaillir dans un point donné de l’organisme, par exemple dans un membre frappé de paralysie. Ce membre tient encore matériellement à l’agrégat vivant, mais il n’est plus compris dans la sphère du moi organique, si l’on nous passe cette expression. Il cesse d’être aperçu par ce moi comme sien, et le fait de cette séparation, quoique négatif, se traduit par une sensation positive particulière connue de quiconque a éprouvé un engourdissement complet de quelque partie, causé par le froid ou la compression de quelque partie.
Cette sensation n’est autre chose que l’expression de l’espèce de lacune ou de déchet que subit le sentiment universel de la vie corporelle ; elle prouve que l’état vital de ce membre était réellement, quoique obscurément senti, et constituait un des éléments partiels du sentiment général de la vie du tout organique. C’est ainsi qu’un bruit continu et monotone, comme celui d’une voiture où l’on est renfermé, n’est plus perçu, car, s’il cesse brusquement, sa cessation est à l’instant remarquée. Cette analogie peut aider à faire comprendre la nature et le mode d’existence du sentiment fondamental de la vie organique, lequel ne serait, dans cette hypothèse, qu’une résultante, in confuso, des impressions produites, sur tous les points vivants, par le mouvement intestin des fonctions, apporté directement au cerveau par les nerfs cérébro-spinaux, soit médiatement par les nerfs du système ganglionnaire. »
Ce qu’il nous faut retenir, c’est que l’individualité est constituée, dès la naissance, par cette sensibilité générale, sur laquelle les sensations viendront de greffer et qui leur servira de lien. C’est le périsprit, animé par la force vitale, qui donne à l’âme le sentiment profond et intime du moi ; quelles que soient plus tard les variations de l’état conscient, il testera toujours ce sentiment pour relier entre eux les différents processus de la vie mentale, tant que les conditions d’association de l’âme et du corps restent invariables. Il y a une certaine tonicité générale du système nerveux, d’après laquelle les sensations s’enregistrent. Si on change cette tonicité, on fait varier les minimums d’intensité et de durée, exigibles pour que la perception ait lieu ; cet enregistrement se produit quand elle revient à la tonicité. Quelques exemples feront bien comprendre notre manière de voir.
k) Les altérations de la mémoire par la malade
Un malade, en consultation chez son médecin, est pris d’un vertige épileptique. Il se remet aussitôt, mais il a oublié qu’il vient de payer un moment avant l’attaque.
Un autre épileptique, pris d’une attaque, tombe dans une boutique, se relève et s’enfuit en laissant son chapeau et son carnet. « On me retrouva, dit-il, à un kilomètre de là ; je demandais mon chapeau dans toutes les boutiques ; mais je n’avais pas conscience de ce que je faisais, et je ne revins à moi qu’au bout de dix minutes, en arrivant au chemin de fer. »
Un employé de bureau se retrouve à son pupitre, les idées un peu confuses, sans autre malaise. Il se souvient d’avoir commandé son dîner au restaurant ; à partir de ce moment tout souvenir lui fait défaut. Il revient au restaurant ; il apprend qu’il a mangé, qu’il a payé, qu’il n’a pas paru indisposé et qu’il s’est remis en marche vers son bureau. Cette absence avait duré environ trois quarts d’heure.
Examinons ce dernier cas, il explique les autres.
Pendant trois quarts d’heure, l’accès de vertige épileptique a enlevé à l’employé la conscience de ses actions, mais lui a laissé l’automatisme cérébral, et aux yeux du public, il semble être comme à l’ordinaire. Que s’est-il donc passé ?
Nous venons de voir qu’à l’état normal, chaque personne, d’après sa constitution physiologique, a une tonicité nerveuse qui lui est particulière, et d’après laquelle les sensations s’enregistrent dans sa conscience avec un certain minimum d’intensité et un autre de durée ; or, cet employé est atteint subitement de vertige épileptique, les conditions habituelles de fonctionnement de son système nerveux se trouvent tout à coup modifiées, de sorte que la force vitale est modifiée à son tour, et les vibrations périspritales subissent aussi la même modification correspondante ; les sensations s’inscrivent dans le périsprit, l’âme les perçoit, mais d’une autre manière que normalement. De sorte que l’employé, en revenant à l’état ordinaire, ne sait pas ce qui s’est passé pendant toute la durée de l’accès ; l’automatisme cérébral, créé par l’habitude, l’a fait agir comme il l’eût fait consciemment.
Notons bien qu’il n’y a pas chez cet homme deux individualités, c’est toujours le même moi, mais pendant l’accès, le rythme périsprital a varié, les sensations se sont inscrites dans l’organisme fluidique modifié ; lorsque le périsprit revient à la tonicité normale, c’est-à-dire quand la crise a cessé, l’âme n’a plus conscience de ce qui s’est passé, car les rapports normaux se sont rétablis, les sensations sont passées dans l’inconscient, il a perdu la mémoire. Le phénomène peut être assimilé à celui du rêve.
Pendant que nous dormons, l’âme est sans cesse active, mais les sensations internes que nous ressentons sont extrêmement faibles ; elles paraissent fortes, non parce qu’elles le sont en réalité, mais parce qu’aucun état fort n’existe pour les rejeter au second plan. Dès que l’état de veille recommence, les images qui n’ont qu’un minimum d’intensité passent dans l’inconscient ; le rêve est oublié.
Dans l’exemple de l’employé, il y a deux genres de vie qui se succèdent chez le même individu, l’une ignore l’existence de l’autre, mais l’existence extra normale n’a duré qu’un quart d’heure, et nous ne savons pas si elle s’est reproduite. Voici un exemple qui amplifie le cas précédent, où deux vies se déroulent alternativement, tout en étant étrangères l’une à l’autre.
l) Double personnalité
Le cas suivant a été rapporté par Machnish, dans sa Philosophy of sleep.
Une jeune dame américaine, au bout d’un sommeil prolongé, perdit le souvenir de tout ce qu’elle avait appris. Sa mémoire était devenue une table rase. Il fallut tout lui rapprendre. Elle fut obligée d’acquérir de nouveau l’habitude d’épeler, de lire, d’écrire, de calculer, de connaître les objets et les personnes qui l’entouraient.
Quelques mois après, elle fut reprise d’un profond sommeil, et, avait été avant son premier sommeil, ayant toutes ses connaissances et tous les souvenirs de sa jeunesse ; par contre, ayant tout à fiat oublié ou qui s’est passé entre ses deux accès.
Pendant quatre années, et au delà, elle a passé périodiquement d’un état à l’autre, toujours à la suite d’un long et profond sommeil… Elle a aussi peu conscience de son double personnage que deux personnes distinctes en ont de leur nature respective. Par exemple, dans l’ancien état, elle possède toutes ses connaissances primitives. Dans le nouvel état, elle a seulement celles qu’elle a pu acquérir depuis sa maladie. Dans l’ancien état, elle a une belle écriture. Dans le nouveau, elle n’a qu’une pauvre écriture maladroite, ayant eu trop peu de temps pour s’exercer. Si des personnes lui sont présentées dans l’un des deux états, cela ne suffit pas ; elle doit, pour les connaître d’une manière suffisante, les voir dans les deux états. Il en est de même des autres choses.
Nous remarquons, dans cette observation, que la vie de cette dame est coupée, à intervalles plus ou moins réguliers, par des états pendant lesquels la mémoire normale a disparu. C’est toujours à la suite d’un long et profond sommeil que le changement s’opère ; les états nouveaux sont reliés entre eux par le souvenir, et, durant les intervalles, la vie normale continue. C’est elle, d’ailleurs, qui a été interrompue, le sujet est parti de sa vie ordinaire pour revenir à la vie ordinaire, lorsque la maladie a disparu. C’est la collection des états intermédiaires que l’on a nommée une seconde personnalité ; on a voulu y voir un deuxième être psychique se formant à côté du premier, ayant une existence propre et analogue à celle de la personnalité normale.
Cette manière de voir s’appuie sur ce qu’il existe deux mémoires conscientes qui s’ignorent et que, dans l’état anormal, la mémoire semi-organique, semi-consciente, qui permet de parler, de lire, d’écrire, a disparu. Nous croyons, nous, qu’il ne s’est pas formé une seconde individualité dont l’existence temporaire ne s’expliquerait guère, car, dans l’un ou l’autre état, l’intelligence et les facultés sont restées intactes. Cette dame éprouve une série de suspensions momentanées de la mémoire psychique d’idées qui lui servaient de cortège habituel, est obligé de s’en créer d’autres ; mais in se sert pour cela de ses facultés habituelles qui n’ont pas été oblitérées. Il n’y a donc pas là une nouvelle individualité, − un personnage parasite se développant au détriment du véritable moi, il n’y a qu’un aspect nouveau du moi, et nous pouvons très bien comprendre comment le phénomène a lieu.
Pendant le sommeil prolongé, il s’est produit une perturbation de la force vitale qui a eu sa répercussion immédiate sur le mouvement périsprital, la force vitale ayant varié dans les centres du cerveau et dans le système nerveux, où résident la mémoire psychique et la mémoire semi-organique et semi-consciente, le rapport habituel du périsprit et du corps a changé.
Les sensations qui ont été enregistrées antérieurement, avec certaines conditions d’intensité et de durée, ne peuvent plus reparaître dans le champ de conscience, puisque ce sont maintenant d’autres minimums d’intensité qui sont nécessaires pour que des sensations revivent.
Le moi a perdu le souvenir du passé. Il ne faut jamais oublier que c’est l’état du corps, pendant la vie, qui est le régulateur de l’activité intellectuelle. Les sensations nouvelles, celles des états intermédiaires, vont-elles s’accommoder aux états nouveaux, elles s’enregistreront sur l’organe matériel modifié par l’enveloppe fluidique semblablement modifiée par le nouveau tonus vital ; elles seront, pour ainsi dire, sur un autre plan vibratoire que les anciennes et elles pourront s’associer entre elles. Le moi aura conscience de ces sensations et pourra les associer ; il formera un deuxième magasin, moins riche que le premier, mais suffisant pour les nécessités journalières.
Lorsque les conditions premières reparaîtront c’est-à-dire quand l’activité vitale aura repris sa tonicité ordinaire, les anciennes sensations pourront renaître dans le champ de la conscience, mais les nouvelles ne le pourront plus. Il y aura donc deux mémoires pour le même moi, comme il pourra s’en présenter trois, si on change trois fois l’état général de la force nerveuse, c’est-à-dire les conditions d’enregistrement des sensations.
Nous tenons à appeler tout spécialement l’attention du lecteur sur ce point, car c’est là, suivant nous, que l’on doit chercher l’explication de ces états différents du moi que l’on a appelés des personnalités secondes, tierces, etc. Il nous semble que si, par suite d’une maladie, ou de l’action des anesthésiques, ou irritants physiques du système nerveux, ou du magnétisme animal, on change l’état vibratoire de la force vitale, on modifie par cela même les conditions ordinaires de la perception. Ces perceptions s’enregistrent suivant un nouveau rythme vibratoire, avec d’autres conditions d’intensité et de durée, qui persistent tant que la perturbation vitale se maintient, puis elles rentrent dans l’inconscient, lorsque le rythme vibratoire se rétabli, quittes à reparaître toutes les fois qu’on replongera le sujet dans le second état.
Cette hypothèse rend très bien compte de deux mémoires distinctes qui s’ignorent, et elle pourra très bien expliquer tous les phénomènes observés, même lorsqu’une des deux mémoires embrasse l’ensemble des deux états de la vie, en supposant seulement que l’état second est une sorte d’exaltation du mouvement vital.
Cette remarque va nous amener à examiner d’autres faits.
m) Histoire de Félida
Jusqu’alors, nous avons vu des cas où les deux aspects du moi s’ignorent. Le moi normal n’a pas connaissance des actes qui s’accomplissent pendant les accès, de même que, pendant ces intervalles, il ne se souvient plus de sa vie normale. Le docteur Azam a publié une observation d’une longue durée, très importante, qui a été le point de départ de beaucoup d’autres. Nous croyons devoir la reproduire avec assez de détails, car elle est typique .
Félida est née à Bordeaux, en 1843, de parents bien portants. Vers l’âge de treize ans, au moment de la puberté, elle a commencé à présenter des symptômes dénonçant une hystérie commençante. Bonne ouvrière et d’une intelligence développée, elle travaillait à la journée à des ouvrages de couture.
Vers l’âge de quatorze ans et demi, sans cause connue, quelquefois sous l’empire d’une émotion, Félida éprouvait une douleur aux deux tempes, et tombait dans un accablement profond, semblable au sommeil. Cet état durait environ dix minutes. Après ce temps, et spontanément, elle ouvrait les yeux, paraissait s’éveiller et entrait dans le deuxième état, qu’on est convenu de nommer condition seconde ; il durait une heure ou deux, puis l’accablement et le sommeil reparaissaient, et Félida rentrait dans l’état ordinaire.
Cette sorte d’accès revenait tous les cinq ou six jours, ses parents et les personnes de son entourage, considérant le changement de ses allures pendant cette sorte de seconde vie et son oubli au réveil, la croyaient folle. M. Azam fut appelé à lui donner des soins en juin 1858.
Voici c qu’il constata en octobre de la même année : Félida est brune, de taille moyenne, assez robuste, et d’un embonpoint ordinaire ; très intelligente et assez instruite pour son état social, elle est d’un caractère triste, même morose ; elle parle peu, sa conversation est sérieuse, sa volonté est très arrêtée et son ardeur au travail très grande. Les sentiments affectifs paraissent peu développés. On est particulièrement frappé de son air sombre et du peu de désir qu’elle a de parler ; elle répond aux questions, mais c’est tout. Si on examine avec soin son état intellectuel, on trouve ses actes, ses idées et sa conversation parfaitement raisonnables.
Presque chaque jour, sans cause connue, ou sous l’empire d’une émotion, elle est prise de ce qu’elle appelle sa crise ; en fait, elle rentre dans son deuxième état ; elle est assise, un ouvrage de couture à la main ; tout à coup, sans que rien puisse le faire prévoir, et après une douleur aux tempes plus violentes que d’habitude, sa tête tombe sur sa poitrine, ses mains demeurent inactives
et descendent inertes le long de son corps ; elle dort ou paraît dormir, mais d’un sommeil spécial, car aucun bruit, aucune excitation, pincement ou piqûre, ne saurait l’éveiller ; de plus, cette sorte de sommeil est absolument subit. Il dure deux ou trois minutes, autrefois il était beaucoup plus long.
Après ce temps, Félida s’éveille ; mais elle n’est plus dans l’état intellectuel où elle était quand elle s’est endormie. Tout paraît différent. Elle lève la tête et, ouvrant les yeux, salue en souriant les personnes qui l’entourent, comme si elle venait d’arriver ; la physionomie, triste et silencieuse auparavant, s’éclaire et respire la gaîté ; sa parole est brève, et elle continue en fredonnant l’ouvrage d’aiguille que dans l’état précédent elle avait commencé ; elle se lève, sa marche est agile, et elle se plaint à peine des milles douleurs qui quelques instants auparavant la faisaient souffrir ; elle vaque aux soins ordinaires de ménage, circule dans la ville, etc. Son caractère est complètement changé : de triste, elle est devenue gaie ; son imagination est plus exaltée, pour le moindre motif elle s’émeut en tristesse ou en joie ; d’indifférente, elle est devenue sensible à l’excès.
Dans cet état, elle se souvient parfaitement de tout ce qui s’est passé dans les autres états semblables qui ont précédé, et aussi pendant sa vie normale. Dans cette vie comme dans l’autre, ses facultés intellectuelles et morales, bien que différentes, sont incontestablement entières : aucune idée délirante, aucune fausse appréciation, aucune hallucination. Félida est autre, voilà tout. On peut même dire que dans ce deuxième état, cette condition seconde, comme l’appelle M. Azam, toutes ses facultés paraissent plus développées et plus complètes.
Cette deuxième vie, où la douleur physique ne se fait pas sentir, est de beaucoup supérieur à l’autre ; elle l’est surtout par ce fait considérable que, pendant sa durée, Félida se souvient non seulement de ce qui s’est passé pendant les accès précédents, mais aussi de toute sa vie normale, tandis que, pendant sa vie normale, elle n’a aucun souvenir de ce qui s’est passé pendant ses accès.
La séparation des deux vies est si absolue, que s’étant abandonnée dans l’état second à un jeune homme qui lui avait promis le mariage, revenue à l’état normal, elle eut des convulsions hystériques très violentes lorsque le médecin, qu’elle consultait sur l’état de grosseur de son ventre, lui apprit qu’elle était enceinte.
La condition seconde, qui, en 1858 et1859, n’occupait qu’un dixième environ de l’existence, à différentes reprises, a augmenté peu à peu de durée ; elle est devenue égale à la vie normale, puis l’a dépassée pour arriver graduellement à l’état actuel.
Nous assistons ici à deux aspects du même moi : dans l’état second, Félida sait bien qu’elle est toujours la même, elle a conscience de continuer sa vie ; son caractère a varié parce que ses douleurs ont diminué, elle est moins soumise au mal que pendant l’état premier, et elle en ressent de la gaîté. Chacun de nous a été à même de constater les différences que la maladie apporte dans le caractère. On n’a pas inventé pour cela une seconde individualité.
Revenue à l’état normal, elle a tous les ennuis que lui cause l’oubli ; elle ne sait où en sont ses affaires, les rendez-vous qu’elle a pris, les personnes à visiter, etc. : elle en est réduite à écrire ce qu’elle doit faire lorsqu’elle prévoit, dans l’état second, que la crise va venir et la replacer dans l’état normal. Ces soucis, joints à la maladie, peuvent bien modifier profondément son caractère, mais rien n’autorise à croire qu’il y a deux individualités distinctes. Il arrive fort souvent, malheureusement, de se trouver en rapport avec des personnes fantasques chez lesquelles il n’est pas besoin de supposer l’intrusion d’une personnalité supplémentaire, pour expliquer les variations profondes de l’humeur, tantôt douce, tantôt atrabilaire.
Nous ne croyons donc pas qu’il soit légitime de voir là deux individualités distinctes ; il nous paraît plus vraisemblable et plus conforme à la vérité, d’admette qu’il y a deux aspects différents de la même individualité.
Cette observation diffère de la précédente en ce que, dans l’état second, Félida connaît toute sa vie, tandis qu’à l’état normal elle ignore ce qui s’est produit pendant la crise. Il nous suffira de supposer que la crise modifie, en l’exaltant, la force vitale, pour comprendre ce qui se produit. Si le rythme ondulatoire de cette force change de fréquence et devient plus rapide, le système nerveux sera plus vibrant, plus sensible, plus délicat ; non seulement il pourra reproduire les anciennes sensations mais les nouvelles s’enregistreront dans le périsprit avec un minimum d’intensité plus faible que pendant la vie normale, de sorte que lorsque l’état premier reparaîtra, il
sera impossible au moi de prendre connaissance de ce qui s’est enregistré pendant la crise.
Nous supposons qu’il y a augmentation dans la fréquence vibratoire du périsprit, car, d’après une
expérience de M. Binet que nous verrons plus loin, le temps de réaction diminue pendant le sommeil hypnotique, pour les sensations inconscientes, nous supposons que la crise a, comme le sommeil magnétique, pour résultat d’augmenter, d’affiner les perceptions sensorielles, car alors elles ne se font plus par les organes des sens, mais directement par le périsprit, comme nous allons le constater dans un autre cas de double personnalité.
n) Histoire de Mlle R. L.
Le docteur Dufay a commencé à donner des soins à Mlle R. L. vers 1845. Il l’a observée presque quotidiennement pendant une dizaine d’années. Mlle R. L. pouvait avoir vingt-huit ans. Grande, maigre, cheveux châtains, d’une bonne santé habituelle, d’une susceptibilité nerveuse excessive, elle était somnambule depuis son enfance. Ses premières années se passèrent chez ses parents, à la campagne ; plus tard, elle entra successivement, en qualité de lectrice ou de demoiselle de compagnie, dans plusieurs familles riches, avec lesquelles elle voyagea beaucoup ; puis, enfin, elle choisit un état sédentaire et se livra à un travail d’aiguille.
Voici la description de la première forme de l’accès hystérique. Mlle R. L. voit, durant la nuit, sa mère en rêve ; sur-le-champ elle veut partir pour son pays. Elle fait un paquet en grande hâte, car « la voiture l’attend» ; elle court faire ses adieux aux personnes de la maison, non sans verser d’abondantes larmes ; elle s’étonne de les trouver au lit, descend rapidement l’escalier et ne s’arrête qu’à la porte de la rue, dont on a soin de cacher la clef, et près de laquelle elle s’affaisse désolée, résistant longtemps à la personne qui l’engage à remonter se coucher, et se plaignant amèrement « de la tyrannie dont elle est victime ». Elle finit, mais pas toujours, par rentrer dans son lit, le plus souvent sans s’être complètement déshabillée : et c’est ce qui lui indique, au réveil, qu’elle n’a pas dormi tranquille, car ne se rappelle rien de ce qui s’est passé durant l’accès.
Voici maintenant la deuxième forme de l’accès hystérique. Il est huit heures du soir environ, plusieurs ouvrières travaillent autour d’une table, sur laquelle est posée une lampe, Mlle R. L. dirige les travaux et y prend elle-même une part active, non sans causer avec gaîté le plus souvent. Tout à coup, un bruit se fait entendre ; c’est son front qui vient de tomber brusquement sur le bout de la table, le buste s’étant ployé en avant : voilà le début de l’accès. Ce coup, qui a effrayé l’assistance, ne lui a causé aucune douleur ; elle se redresse au bout de quelques secondes, arrache avec dépit ses lunettes, et continue le travail qu’elle avait commencé, n’ayant pas besoin des verres concaves qu’une myopie considérable lui rend nécessaire dans l’état normal. Elle se place même de manière que son ouvrage soit le moins exposé à la lampe.
A-t-elle besoin d’enfiler son aiguille, elle plonge ses deux mains sous la table, cherchant l’ombre, et réussit, en moins d’une seconde, à introduire la soie dans le chas, ce qu’elle ne fait qu’avec difficulté et après bien des tentatives, lorsqu’elle est à l’état normal, aidée de ses lunettes et d’une vive lumière.
Lui manque-t-il une étoffe, un ruban, une fleur, de telle ou telle nuance, elle se lève, part sans lumière, va chercher dans le magasin, dans le tiroir où elle sait que l’objet se trouve, le découvre ailleurs s’il n’est pas à sa place, choisit, toujours sans lumière, ce qui lui convient le mieux, assortit la nuance et revient continuer sa besogne sans se tromper, et sans qu’aucun accident lui arrive.
Elle cause en travaillant ; une personne qui n’a pas été témoin du commencement de l’accès pourrait ne s’apercevoir de rien, si Mlle R. L. ne changeait de façon de parler dès qu’elle est dans cette situation, que nous appellerons l’état second. Alors, en effet, elle parle nègre, remplaçant je par moi, comme les enfants, et usant de la troisième personne du verbe à la place de la première : « Quand moi est bête » signifie quand je suis à l’état normal. Il est certain que l’intelligence, déjà plus qu’ordinaire à l’état normal, acquiert, pendant l’accès hystérique, un développement remarquable ; une augmentation considérable de la mémoire permet à Mlle R. L. de raconter les moindres événements dont elle a eu connaissance à une époque quelconque, que les faits aient eu lieu soit pendant l’état normal soit pendant un accès d’hystérie.
Mais de tous ces souvenirs, tous ceux relatifs aux périodes hystériques se voilent complètement, dès que l’accès a cessé. Il m’est arrivé souvent, dit le docteur Dufay, d’exciter un étonnement allant jusqu’à la stupéfaction, en lui rappelant des faits entièrement oubliés de « la fille bête », suivant son expression, mais que la fille hystérique m’avait fait connaître. Il est certains sujets dont Mlle R. L. cause le plus naturellement du monde pendant l’état hystérique, et dont elle supplie qu’on ne parle pas à « l’autre », parce que « moi sait qu’elle ne veut pas confier cela à vous ; elle en serait trop malheureuse. » Les personnes qui l’entourent ont soin, bien entendu, de lui éviter le chagrin d’avoir commis une indiscrétion ou fait une confidence qu’elle annonçait elle-même devoir regretter profondément.
Mlle R. L. a parfaitement conscience de la supériorité intellectuelle de l’une de ses personnalités, et de l’acuité remarquable que ses sens acquièrent durant l’état second.
Myope à l’état normal, elle a une vue merveilleuse durant l’état hystérique ; non seulement elle voit excellemment durant le jour, mais elle voit très bien dans les ténèbres.
L’âme acquiert aussi une grande sensibilité ; le goût, l’odorat et le toucher ne semblent pas modifiés.
J’ai pensé, dit le docteur Dufay, que cette indisposition diminuerait à mesure que l’âge avancerait, et qu’elle finirait par disparaître ; on m’affirme qu’elle a cessé depuis une quinzaine d’années.
Mlle R. L., dans son état hystérique, sait parfaitement qu’elle est la même qu’à m’état normal, mais elle voudrait rester dans l’état second, parce qu’elle s’y trouve mieux et que ses facultés sont plus vives ; il y a surexcitation de la personnalité normale, mais il n’y a pas de changement d’être ; c’est toujours la même âme, mais affinée, moins enfermée dans le corps. Il est essentiel, en effet, de remarquer que, de très myope qu’elle était normalement, son état visuel est devenu non pas seulement excellent, mais suraigu pendant la période hystérique.
Elle n’a plus besoin de lunettes et elle se met même dans l’obscurité pour enfiler son aiguille, elle va dans des chambres non éclairées choisir des objets placés dans des tiroirs ; ce n’est pas de l’automatisme, puisqu’elle cherche et trouve ces mêmes objets dans d’autres tiroirs, si on les a déplacés ; jamais elle ne se trompe, elle y voit beaucoup mieux qu’à l’état normal. Comment expliquer cette rectification de l’organe visuel ? Ses yeux ont-ils changé ? Son cristallin trop bombé s’est-il subitement aplati ? Non, puisqu’en revenant à l’état normal elle est de nouveau myope ; il faut donc que son état second lui ait donné une sensibilité plus grande de la vision, et cela indépendamment des organes des sens. Il nous semble bien difficile de récuser ici le phénomène de la double vue. Le sujet ne perçoit plus le monde à la manière habituelle, il est en partie dégagé de son corps, ou, en tous cas, il y est moins retenu qu’à l’état normal ; son périsprit rayonne autour de lui ; le corps fluidique est en quelque sorte dans un état de tension supérieur à celui de l’état normal ; de là l’éclat de la mémoire des états anciens, et c’est la maladie qui détermine cet éréthisme de la force vitale. Dès lors le minimum d’intensité et le minimum de durée nécessaire à l’état normal pour qu’une sensation soit consciente, ont été diminués ; tout ce qui se passera dans cet état second sera bien enregistré dans le cerveau, mais dans un rapport avec les cellules cérébrales et le cerveau, qui ne sera plus celui de la vie ordinaire, de sorte que Mlle R. L., sortie de sa crise, n’aura plus aucun souvenir de ce qu’elle aura pu dire ou faire pendant l’état hystérique, alors que celui-ci, lui donnant une sensibilité plus grande, lui permet de connaître ce qui se passe dans les deux états.
Les phénomènes précédents sont en tout semblables à ceux que l’on observe pendant le somnambulisme naturel ou provoqué. C’est un fait mille fois constaté que le somnambule peut, en sommeil, se rappeler les événements qui se sont passés, les paroles qu’il a dites dans un sommeil précédent, alors qu’à son réveil il en a perdu totalement connaissance. Les anciens magnétiseurs et même les hypnotiseurs n’ont pas cru nécessaire de créer pour cet oubli partiel une individualité supplémentaire, quand il est si simple de constater que c’est la même qui peut présenter des caractères différents, quand on surexcite ses facultés naturelles .
On pourra avoir un doute lorsque deux personnalités semblent coexister, vivre en même temps dans le même sujet, comme M. Binet semble l’admette, mais là encore nous croyons qu’il y a une interprétation défectueuse des faits ; nous allons d’ailleurs en juger .
o) Le somnambulisme provoqué
Les moyens efficaces pour provoquer le somnambulisme sont extrêmement nombreux, si nombreux qu’il serait trop long d’en donner la liste complète et hétéroclite.
Un des procédés les plus usités par les hypnotiseurs est celui de Braid ; il consiste dans la fixation du regard ; le sujet sur lequel on va expérimenter est assis, on fait silence autour de lui, et l’expérimentateur le prie de regarder fixement un petit objet, brillant ou non, qu’il approche de ses yeux de manière à déterminer une convergence forcée et fatigante de ses globes oculaires ; au bout de quelque temps, la vue se trouble, les paupières battent et frémissent, et le sujet s’endort.
On peut encore hypnotiser une personne avec un bruit monotone et prolongé, ou un bruit violent et soudain, un jet de lumière électrique, la pression légère ou forte sur une partie du corps, comme le vertex chez les hystériques, la constriction des pouces, les passes magnétiques sont autant de moyens qui réussissent. Enfin on emploie aussi la suggestion, qui consiste à fermer les yeux du sujet et à lui répéter plusieurs fois, d’une voix forte et impérative, qu’il va dormir, qu’il dort, pour que l’effet se produise. Lorsqu’une personne a été très souvent endormie, il suffit parfois de la plus légère excitation, d’un geste, d’un souffle, pour amener le sommeil.
Nous pouvons résumer tous les moyens de produire le somnambulisme chez les sujets où cet état peut être déterminé, en les ramenant aux excitants du système nerveux. On sait qu’ils sont de trois sortes : physiques, chimiques et vitaux .
Les irritants physiques sont : le bruit faible et prolongé, ou brusque et éclatant, la lumière vive et brusquement projetée sur le sujet, les courants électriques faibles et prolongés, l’aimant, les plaques métalliques de Burcq.
Les irritants chimiques sont l’éther ou le chloroforme, qui, en produisant l’anesthésie, déterminent souvent le somnambulisme.
Parmi les irritants vitaux, le meilleur c’est la volonté, que l’on utilise dans la suggestion verbale. Parfois on peut employer simultanément plusieurs de ces procédés, comme dans les passes magnétiques, où des actions faibles et répétées sur la sensibilité générale, sont accompagnées de la volonté de produire le sommeil. Ces pratiques si diverses ont toutes pour résultat de modifier la force nerveuse, d’amener une sorte d’éréthisme qui aura pour conséquence de changer les rapports normaux de la sensation, en déterminant un changement dans l’état vibratoire du périsprit. Lorsque ce changement est survenu, le somnambulisme est produit, et il se maintiendra aussi longtemps que l’action perturbante agira.
« Qui n’a été frappé de ce fait, dit Pierre Janet , qu’un hystérique, anesthésique à l’état de veille, n’est plus anesthésique en catalepsie ? Fermez le poing gauche de Léonie ou de Lucie pendant la veille, elle ne s’en apercevra pas, et cependant, si je leur ferme le poing en catalepsie, même sans qu’elles puissent le voir, je leur suggèrerai un sentiment de colère. Que l’on mette une clef dans la main gauche de Léonie pendant la veille, et elle ne saura ce que c’est ; mettons le même objet dans la main gauche, pendant la catalepsie, et elle fera le geste d’ouvrir une porte. Il y a donc une sensation tactile, pendant la catalepsie, qui n’existait pas pendant la veille. Il ne faut plus être surpris, alors, si ces deux femmes ne se souviennent plus de leur catalepsie pendant la veille, mais s’en souviennent dans le second somnambulisme, quand elles ont retrouvé la sensation tactile. »
Cette manière de voir confirme les vues que nous émettions , il y a dix ans déjà, au sujet des modifications produites dans le périsprit, consécutives aux variations de la force psychique dans les centres nerveux, et nous avons la satisfaction de constater que les expériences nombreuses auxquelles on s’est livré depuis cette époque, n’ont fait que de confirmer nos vues sur ce sujet. Ce n’est pas pour une petite satisfaction d’amour-propre que nous constatons le fait, c’est pour bien montrer que la connaissance du périsprit et de ses propriétés, permet de se diriger sûrement dans le dédale compliqué des expériences, souvent, en apparence, contradictoires. L’état déterminé par les manœuvres précédemment décrites est donc une exaltation de la sensibilité.
C’est une sorte de dégagement de l’âme, le périsprit est moins retenu au corps, les liens habituels sont momentanément relâchés. Cette action peut être poussée jusqu’au dédoublement, et les sens prennent un développement extrême, car la sensation n’emploie plus les organes des sens. Telle qui était sourde à l’état de veille, entend parfaitement . L’autre ne sentait rien ou ne voyait rien, et maintenant a un tact exquis et voit même dans l’obscurité , comme nous l’avons vu pour Mlle R., L.
La célèbre Estelle du docteur Despine (d’Aix) était, pendant la veille, impotente et paralytique, mais elle pouvait sauter et courir pendant le somnambulisme .
Bien entendu qu’il peut se présenter tous les degrés dans ce phénomène, mais, chez les sujets très développés, la vue à distance se rencontre fréquemment. Les traités des anciens magnétiseurs fourmillent d’exemples de ce genre, et il est regrettable que les hypnotiseurs actuels les passent sous silence.
Il est vrai que les expérimentateurs modernes sont plus occupés d’étudier le mécanisme de l’esprit, que de se rendre compte de sa véritable nature. La plupart sont foncièrement matérialistes et écartent systématiquement tout ce qui peut troubler leurs idées préconçues. Il arrive fort souvent que les hypnotiques décrivent des Esprits, il serait facile aux chercheurs de les pousser dans cette voie et de déterminer ce qu’il peut y avoir d’exact dans ces descriptions. Mais ceci sortirait du champ de la banalité, il faudrait un grand courage pour oser proclamer ces résultats inattendus, et l’exemple du docteur Gibier, qui a eu l’audace de publier ses recherches sur le spiritisme, n’est pas à la portée de tout le monde. Il est vrai qu’il lui en a cuit, puisqu’il a été obligé de se réfugier aux Etats-Unis. Malgré tout, la vérité finira par sortir de son puits ; de même que le magnétisme déguisé a fini par forcer les portes des Académies, le spiritisme, sous un nom d’emprunt, finira bien, lui aussi, par recevoir la consécration officielle ; et nous verrons alors la tourbe des imitateurs se jeter sur ces phénomènes, qu’on qualifiera de nouveaux, et quantité de pseudo savants redécouvriront alors ce que nous savons depuis cinquante ans.
Pour en revenir à notre sujet, la modification des centres nerveux a pour résultat de déterminer un changement correspondant dans l’état périsprital. L’esprit, mois entravé par la matière, développe ses facultés, les souffrances physiques ont une prise moins grande sur lui, le caractère est modifié et il nous apparaît avec des manifestations intellectuelles plus hautes et plus brillantes qu’à l’état normal. C’est ce que nous avons remarqué dans les cas de somnambulisme spontané, chez Félida et Mlle R. L., et c’est ce que l’on constate généralement dans le somnambulisme provoqué.
Bien que notre opinion à cet égard résulte de nos connaissances spirites, elle a été partagée par un certain nombre d’expérimentateurs. Si le sujet est déprimé à l’état normal, l’état hypnotique lui rend les facultés intellectuelles qu’il aurait dans la vie ordinaire. C’est ce que M. Pierre Janet constate pour ses sujets : Lucie, Rose ou Léonie, qui sont plus intelligentes pendant le sommeil qu’à l’état de veille. M. Baragnon pense que « ce dernier phénomène, l’oubli au réveil, nous laisse croire que l’état de somnambulisme magnétique est l’état parfait. » M. Myers, dans ses études si curieuses sur l’écriture automatique, se demande si l’état somnambulique, au lieu d’être un « état régressif », ne peut pas être quelquefois un « état évolutif » . Pour nous, il n’y a pas de doute, moins l’esprit est enchaîné au corps, plus ses facultés sont rendues indépendantes des conditions matérielles de leurs manifestations, plus elles se montrent supérieures à ce qu’elles sont à l’état ordinaire.
La durée des états du somnambulisme spontané ne doit pas trop nous étonner, car on a reproduit, expérimentalement, des sommeils artificiels qui duraient fort longtemps. Le célèbre abbé Faria, qui a découvert l’hypnotisme avant Braid, prétend que certains de ses sujets sont restés endormis pendant des années, et oubliaient, à leur réveil, tout ce qui s’était passé pendant cette période. Un magnétiseur, nommé Chardel, endormit deux jeunes filles pendant l’hiver et ne les réveille que plusieurs mois après, au milieu du printemps ; elles furent bien surprises en se réveillant de voir des fleurs et des feuilles sur les arbres qu’elles se souvenaient d’avoir vus couverts de neige avant de s’endormir .
« Souvent, raconte un autre auteur, je laissais mes somnambules endormies toute la journée, les yeux ouverts, afin de me promener avec elles pour les observer sans exciter la curiosité publique. Il m’est arrivé de prolonger pendant quatorze ou quinze jours le somnambulisme d’une jeune fille qui était à mon service. Dans cet état, elle continuait ses travaux, comme si elle eût été dans son état ordinaire… Elle se trouve, au réveil, comme dépaysée dans sa maison, n’étant plus du tout au courant de ce qui s’est passé ».
Ceci nous ramène à l’oubli qui caractérise les alternances de sommeil et d’état normal. Étudions ce qui se passe dans le somnambulisme artificiel.
Deux propositions résument les principales modifications de la mémoire qui accompagnent le somnambulisme hypnotique provoqué :
1° le sujet, pendant son état de veille, ne se rappelle aucun des événements qui se sont passés pendant le somnambulisme ;
2° au contraire, mis en somnambulisme, il se souvient, non seulement de ses somnambulismes antérieurs, mais encore des événements appartenant à son état de veille.
L’exactitude de la première proposition a pu être vérifiée facilement par tous ceux qui ont fait des
expériences, ou qui y ont assisté. Le plus souvent, quand on met une personne en somnambulisme, on la laisse dans cet état une heure au moins, si ce n’est plus, et l’on emploie ce temps à faire sur elle une foule d’expériences ; au réveil, le sujet ne se souvient de rien ; il est obligé de regarder à la pendule pour savoir le temps qu’on l’a laissé en somnambulisme ; si on lui présente des personnes pendant son état second, il ne les reconnaît pas au réveil pour les avoir déjà vues ; si même on lui montre une lettre qu’on vient de lui faire écrire en somnambulisme, il peut bien reconnaître son écriture, mais il ne se souvient pas d’avoir écrit et il ne peut pas dire un mot de son contenu .
La règle de l’oubli n’est pas tout à fait absolue. Il peut arriver que, lorsque le somnambulisme est léger, le sujet que l’on met sur la voie, se rappelle certains faits de sa vie somnambulique. Par exemple, en citant, au réveil, les premiers vers d’une poésie qu’on lui a lue, il peut se souvenir des autres ; ou bien, comme l’a fait M. Delboeuf, on peut les réveiller subitement, pendant qu’ils accomplissent un acte suggéré, pendant qu’ils accomplissent un acte suggéré, alors ils peuvent se rappeler l’ordre reçu. Mais ce ne sont là que des exceptions rares.
L’oubli est la règle générale.
p) Les degrés différents du somnambulisme
On a cru longtemps qu’il n’y avait qu’une sorte de somnambulisme, c’est-à-dire que cet état était simple, toujours le même. Mais l’école de la Salpetrière démontra qu’il faut distinguer dans l’état hypnotique trois phases, qui sont : la léthargie, la catalepsie et le somnambulisme.
Chacun de ces états est marqué par des caractères physiques qui lui sont attachés et par une mémoire spéciale à chaque état. Déjà Bertrand signalait, en 1823, une jeune fille qui avait trois sortes de somnambulismes et trois mémoires particulières à chacun d’eux, en quelque sorte étagées, mais telles que la dernière connaissait les autres, sans être elle-même connue par celles qui la précédaient.
« Quoique la malade, dit-il, eût le libre exercice de son intelligence dans ces différents états, elle ne se souvenait dans son état ordinaire de rien de ce qu’elle avait fait ou dit dans chacun d’eux ; mais ce qui paraîtra étonnant, c’est que dans le sommeil magnétique, dominant pour ainsi dire sur toutes les espèces de vies dont elle jouissait, elle se souvenait de tout ce qui était arrivé soit dans le somnambulisme, soit dans les crises nerveuses, soit à l’état de veille. Dans le noctambulisme elle perdait le souvenir du sommeil magnétique et sa mémoire ne s’étendait que sur les deux états inférieurs. Dans les crises nerveuses, elle avait, de moins, le souvenir du noctambulisme ; enfin dans l’état de veille, comme au plus bas degré, elle perdait le souvenir de tout ce qui s’était passé.»
Le docteur Herbert Mayo cite un cas de quintuple mémoire : « L’état normal du sujet était interrompu par quatre variétés d’états morbides dont in ne conservait pas le souvenir au réveil, mais chacun de ces états conservait une forme de mémoire qui lui était propre » .
M. de Rochas , dans son livre sur les forces non définies et sur les états profonds de l’hypnose, distingue huit états différents, ou plutôt quatre états : états de crédulité, séparés tous par une phase léthargique qui s’accompagne d’un soupir profond. Une mémoire spéciale est attachée à chacun de ces états.
M. Pierre Janet nous montre bien le phénomène sur un de ses sujets. Il numérote, pour plus de clarté, chacun des états différents dans l’ordre où il se produit.
« J’ai commencé, dit-il, par endormir simplement Lucie de la manière ordinaire, et j’ai constaté, à propos de ce second état, les phénomènes de la mémoire propres à tous les somnambules. Un jour, à propos d’une suggestion que je voulais lui faire et qui ne réussissait pas, j’ai essayé de la faire dormir davantage, espérant augmenter ainsi le degré de suggestibilité du sujet. J’ai donc recommencé à faire des passes sur Lucie 2, comme si elle n’était pas déjà en somnambulisme. Les yeux qui étaient ouverts se fermèrent, le sujet se renversa et sembla s’endormir de plus en plus, il y eut d’abord une contracture générale qui ne tarda pas à se dissiper, et les muscles restèrent flaques, comme dans la léthargie, mais sans aptitude aux contractures provoquées ; aucun signe, aucune parole ne pouvait amener le plus léger mouvement. C’est là cet état de syncope hypnotique que j’ai déjà signalé ; je l’ai revu souvent depuis, et, chez certains sujets, il m’a paru former une transition inévitable entre les différents états psychologiques. Après une demi-heure de ce sommeil, le sujet se redressa de lui-même ; et ; les yeux d’abord fermés ; puis ouverts, sur ma demande, il se mit à parler spontanément.
Le personnage qui me parlait alors, Lucie 3, suivant notre convention, présentait, à tous les ponts de vue, une foule de phénomènes extrêmement curieux. Je ne puis, pour le moment, en signaler qu’un seul, c’est l’état de mémoire. Lucie 3 se souvenait parfaitement de sa vie normale, elle se souvenait également des somnambulismes provoqués précédemment, et de tout ce que Lucie 2 avait pu dire ; en outre, elle pouvait me raconter en détail ses crises d’hystérie, ses terreurs devant les hommes qu’elle voyait caché dans les rideaux, ses somnambulismes naturels pendant lesquels elle avait été se préparer à dîner ou faire son ménage, ses cauchemars, etc., toutes choses dont ni Lucie 1, ni Lucie, n’avaient jamais présenté le moindre souvenir.
Il fut long et difficile de réveiller alors ce sujet.
Après un passage au travers de la syncope déjà décrite, il se retrouva en somnambulisme ordinaire, mais Lucie ne put me dire alors ce qui venait de se passer avec Lucie 3 ; elle prétendit avoir dormi sans rien dire. Quand je ramenai plus tard, et plus facilement, le même état, Lucie 3 retrouva facilement ces souvenirs en apparence disparus. »
Avec notre hypothèse sur les modifications que la volonté de l’opérateur produit successivement sur la force psychique, et indirectement sur le périsprit, il nous est facile de comprendre qu’il se forme plusieurs zones ou couches périspritales, caractérisées chacune par un mouvement vibratoire spécial, mais de plus en plus rapide, au fur et à mesure que l’action devient plus prolongée. L’âme enregistre sur chacune de ces couches fluidiques les sensations perçues dans cet état, et comme le dernier est toujours supérieur comme mouvement vibratoire à ceux qui précèdent, il peut les connaître tous, car son minimum de durée et d’intensité est le plus petit de tous ceux qui étaient nécessaires. Puis, l’action magnétique cessant, la vibration nerveuse et périspritale diminue, une zone rentre dans l’inconscient, puis une seconde, une troisième, etc., jusqu’à ce que l’état normal soit de nouveau atteint. Il est aisé de comprendre que, chaque fois qu’une cause quelconque ramènera un des états vibratoires déjà produits, tous les souvenirs qui y sont attachés reparaîtront, en même temps que ceux des zones moins vibrantes, tandis que la mémoire des états supérieurs ne sera pas ressuscitée.
q) L’oubli des existences antérieures
Nous pouvons comprendre, maintenant, qu’il ne nous est guère possible d’avoir la mémoire de nos existences passées, car le périsprit, combiné à la force vitale, a pris, au moment de l’incarnation, un mouvement vibratoire trop faible pour que le minimum d’intensité nécessaire à la rénovation de ces souvenirs, c’est-à-dire à leur passage à l’état conscient, puisse être atteint. Pour qu’il le soit, il faut que l’être incarné se sépare complètement du corps physique, c’est-à-dire qu’il meure ; alors l’esprit reprend sa vie normale, le périsprit rayonne avec son ton vibratoire naturel, et la mémoire développe le panorama immense des existences passées.
Là, encore, nous comprendrons que le pouvoir d’évocation dépend de l’élévation de l’esprit. De même que dans la vie somnambulique nous venons de voir des phases diverses et des mémoires plus ou moins étendues suivant le degré de liberté de l’esprit, de même, après la mort, il y a toutes les variations possibles dans la force rénovatrice, suivant la puissance vibratoire du périsprit qui est toujours proportionnelle à l’avancement moral et intellectuel de l’âme.
Il nous est possible, ici-bas, de développer la mémoire totale d’un somnambule en agissant sur lui, par la volonté ; dans l’espace, les Esprits supérieurs ont le même pouvoir ; ils peuvent temporairement, et pour l’avancement d’un Esprit arriéré, réveiller le souvenir de ses vies antérieures, en agissant sur son enveloppe périspritale, afin qu’il se rende compte de ce qui lui masque, et qu’il juge, par son passé, de ce qu’il doit faire dans l’avenir pour s’améliorer.
Ce n’est pas par une simple induction que nous admettons la conservation indéfinie, dans le périsprit, de toutes les sensations, de tous les jugements et de tous les actes volontaires de notre existence ; c’est l’expérience qui nous prouve qu’il en est ainsi. Il y a plusieurs récits de noyés sauvés d’une mort imminente qui s’accordent sur ce point « qu’au moment où commençait l’asphyxie, il leur a semblé voir, en ce moment, leur vie entière dans ses plus petits incidents. L’un d’eux prétend que les tableaux de sa vie antérieure se sont déroulés en succession rétrograde, non comme une simple esquisse, mais avec des détails très précis, formant comme un panorama de son existence entière, dont chaque acte était accompagné d’un sentiment de bien et de mal ».
Dans une circonstance analogue, « un homme d’un esprit remarquablement net traversait une voie ferrée au moment où un train arrivait à toute vitesse. Il n’eut que le temps de s’étendre entre les deux lignes de rails. Pendant que le train passait au-dessus de lui, le sentiment de son danger lui remit en mémoire tous les incidents de sa vie, comme si le livre du jugement avait été ouvert devant ses yeux. »
Même en faisant la part de l’exagération, dit M. Ribot, ces faits nous révèlent une suractivité de la mémoire dont nous ne pouvons nous faire aucune idée à l’état normal. Il n’y a là aucune exagération, et toutes les communications relatives au passage dans la vie spirituelle établissent qu’au moment de la mort, il y a une reviviscence de tous les faits de l’existence terrestre . Aucun n’a été perdu, les bonnes et les mauvaises actions se dressent devant la conscience, il se fait un bilan instantané, et notre situation dans le monde futur sera la résultante rigoureuse de cette balance. On peut, plus ou moins, ici-bas, oublier les heures mauvaises où l’on a cédé à ses passions, l’activité de la vie, les plaisirs, les jouissances, peuvent momentanément en oblitérer le souvenir, mais il vient une heure où ils se réveillent avec une inexorable justice ; c’est un moment de la mort. Pas un de ces tristes témoins ne manque à l’appel, ils se lèvent dans le passé, comme des accusateurs dont on ne peut renier le témoignage, et nous sommes nos seuls juges à cette heure solennelle, où, vis-à-vis de nous même, nous rendons le verdict qui fixe notre vie future.
Ce que nous venons de dire n’est pas une vaine phraséologie ; ici-bas, déjà, nous pouvons acquérir la preuve que rien ne se perd. L’hypnotisme nous permet de nous convaincre que tous les actes de notre vie mentale laissent en nous une empreinte ineffaçable. Comme dans la trame de l’écorce d’un chêne, chaque année laisse une trace indélébile, dans le périsprit nos années terrestres laissent une zone indestructible, qui retrace fidèlement les mouvements les plus fugitifs de la pensée.
Dans le cours d’une existence nos sentiments, nos idées, nos jugements se modifient profondément. Bien que nous ayons toujours la même individualité, les actes accomplis à l’âge de vingt ans se différencient profondément de ceux de l’homme fait, vers la quarantième année. L’opposition est parfois si radicale, qu’il semble que ce sont deux êtres distincts qui se sont succédés dans le même individu ; mais si nous replaçons le sujet dans les conditions où il se trouvait à cette époque, si nous évoquons les heures disparues devant sa conscience, alors les évènements passés vont renaître, suscités par les associations d’idées qui se sont formées à cette époque, et qui vivent éternellement en nous, quand bien même ils semblent avoir disparu pour jamais, dans les brumes d’un insondable oubli.
Laissons parler les faits, ils ont une éloquence significative .
Si l’on vient, par suggestion, à replacer un sujet à une période antérieure de son existence et à faire revivre, pour un moment, une des époques de son passé, il en résulte que le souvenir de son moi actuel disparaît pour un moment, ainsi que toutes les connaissances acquises postérieurement à la date fixée par la suggestion ; il se produit une séparation entre l’état actuel et celui où l’on reporte le sujet, toute une collection de phénomènes actuels disparaît pour faire place à une synthèse ancienne.
Cette suggestion est la plus instructive de toutes, car au lieu d’une personnalité de fantaisie, créée par l’imagination, c’est un personnage vrai qui se révèle à la place d’un être fictif, qui ne saurait rien nous révéler de nouveau. Pour ramener le sujet à une époque antérieure de son existence, MM. Bourru et Burot ont mis en œuvre deux moyens : l’un des deux est très simple, il consiste à suggestionner le sujet en lui persuadant qu’il a tel âge, ou que l’on est en telle année. Le second moyen, plus compliqué mais aussi plus intéressant, c’est l’évocation directe d’un état psychologique ancien, ayant une date précise ; cet état, une fois apparu, suscite, par l’association des idées, toute la série des phénomènes contemporains de cet état. Par exemple, si le sujet était, à l’âge de quinze ans, paralysé du bras droit, en lui donnant par la suggestion une paralysie de ce membre, il y a beaucoup de chances pour que les souvenirs reliés à celui de la paralysie reparaissent, et donnent au sujet l’illusion qu’il a quinze ans. Il y a là toute une chaîne d’idées ; si on tire sur un anneau, la traction passe d’un anneau à l’autre et tire toute la chaîne. Voici un exemple de ce phénomène :
Jeanne R…, âgée de vingt-quatre ans, est une jeune fille très nerveuse et profondément anémique. Elle est sujette à des crises de pleurs et de sanglots, pas de crises convulsives, mais de fréquents évanouissements ; elle est facilement hypnotisable, elle dort d’un sommeil profond et à son réveil elle a perdu le souvenir.
On lui dit de se réveiller à l’âge de six ans. Elle se trouve chez ses parents ; on est au moment de la veillée, on pèle des châtaignes. Elle a envie de dormir et demande à se coucher ; elle appelle son frère André pour qu’il l’aide à finir sa besogne, mais André s’amuse à faire de petites maisons avec des châtaignes au lieu de travailler : « Il est bien fainéant, il s’amuse à en peler dix,
et moi il faut que je pèle le reste ».
Dans cet état, elle parle le patois limousin, ne sait pas lire, connaît à peine l’A, B, C. Elle ne sait pas parler un mot de français. Sa petite soeur Louise ne veut pas dormir : « Il faut toujours, dit-elle, dandiner ma soeur qui a neuf mois. » Elle a une attitude d’enfant.
Après lui avoir mis la main sur le front, on lui dit que, dans deux minutes, elle se retrouvera à l’âge de dix ans.
Sa physionomie est toute différente ; son attitude n’est plus la même. Elle se trouve aux Fraiss, au château de la famille des Moustiers, près duquel elle habitait. Elle voit des tableaux et elle les admire. Elle demande où sont les soeurs qui l’ont accompagnée, elle va voir si elles viennent sur la route ; Elle parle comme un enfant qui apprend à parler ; elle va, dit-elle, en classe chez les soeurs depuis deux ans, mais elle est restée bien longtemps sans y aller ; sa mère étant souvent malade, on l’obligeait à garder ses frères et ses soeurs. Elle commence à écrire depuis six mois, elle se rappelle une dictée qu’elle a donnée mercredi elle écrit une page entière, très couramment et par coeur ; c’est la dictée qu’elle a faite à l’âge de dix ans.
Elle dit ne pas être très avancée : « Marie Coutureau aura moins de fautes que moi ; moi, je suis toujours après Marie Fuybaudet et Marie Coutureau, mais Louise Roland est après moi. Je crois que Jeanne Beaulieu est celle qui fait le plus de fautes. »
De la même manière on lui dit de se retrouver à l’âge de quinze ans. Elle sert à Mortemart, chez Mlle Brunerie : « Demain nous allons à une fête, à un mariage.
Au mariage de Baptiste Colombeau, le maréchal. C’est Léon qui sera mon cavalier. Oh ! nous allons bien nous amuser ! Oh ! je n’irai pas au bal, Mlle Brunerie ne veut pas ; j’y vais bien un quart d’heure, mais elle ne le sait pas. » Sa conversation est plus suivie que tout à l’heure.
Elle écrit le Petit Savoyard. La différence des deux écritures est très grande. A son réveil, elle est très étonnée d’avoir écrit le Petit Savoyard, qu’elle ne sait plus. Quand on lui fait voir la dictée qu’elle a faite à dix ans, elle dit que ce n’est pas elle qui l’a écrite.
On voit par cette expérience, qui a été répétée bien des fois depuis, par un grand nombre d’expérimentateurs, que les faits les plus insignifiants, les réflexions les plus futiles, n’ont pas été perdus. Le périsprit a tout enregistré, et, pour toujours, ces souvenirs sont en nous. Ces recherches nous permettent de comprendre nettement que l’oubli des vies antérieures n’est que passager, temporaire, limité à une incarnation ; mais rendue à sa véritable partie, libérée des entraves charnelles, l’âme recouvre la plénitude de son moi. Rien ne se détruit, les acquis que nous avons faits sont pour toujours conservés. Pas un effort n’aura été perdu, nous retrouverons intact ce trésor de nos connaissances incessamment accru, et notre développement spirituel suit une marche ascendante que rien ne pourra entraver. C’est par cette raison qu’aucun retour en arrière, aucune déchéance n’est possible. Quand nous avons, à force de lutte et d’efforts, fixé en nous une connaissance nouvelle, que nous l’avons bien comprise, elle peut s’effacer momentanément, mais nous la retrouverons au jour de la délivrance, aussi vive, aussi fraîche que lorsque nous l’avons conquise.
Il y a longtemps que les Esprits nous ont révélé ces lois, et ce n’est qu’aujourd’hui que nous pouvons en donner la preuve matérielle, mais elle est faite maintenant, et, une fois de plus, les révélations spirites sont en parfait accord avec la science.
r) Résumé
Nous avons vu que la psychologie a besoin, pour comprendre les phénomènes de la vie intellectuelle dans leur ensemble, d’examiner les conditions matérielles qui coïncident avec la production de la pensée. Pendant la vie, l’âme est unie si intimement au corps au moyen du périsprit, animé par la force vitale, que toute modification morbide dans la cellule nerveuse du cerveau, se traduit par une altération des facultés de l’esprit.
Dans l’état normal, les sensations, qui ne sont que des modes de mouvements, modifient la nature du mouvement vibratoire de la force psychique, et si cette modification est assez prononcée, c’est-à-dire si le minimum d’intensité et le minimum de durée sont dépassée, la sensation s’enregistre dans le périsprit d’une façon consciente : il y a perception, c’est-à-dire que l’âme en a connaissance. Au contraire, si l’une des deux conditions, ou toutes les deux, font défaut, la sensation s’enregistre, mais sans conscience.
C’est de cette manière que nos états de conscience se gravent en nous, c’est la mémoire de fixation ; mais nous avons constaté que toutes les sensations, tous les souvenirs ne peuvent exister simultanément. Par suite de l’affaiblissement de leur mouvement propre, ils descendent peu à peu au-dessous du minimum perceptible, ils entrent dans l’inconscient.
Tous les actes de la vie végétative et organique ont été conservés de cette manière dans le périsprit, pendant l’évolution de l’âme à travers la série des formes inférieures. Le même, à chaque incarnation, nous prenons des habitudes qui deviennent semi intellectuelles, semi organiques, tels les mouvements de la marche, du langage, de l’escrime, de la natation, etc. Tous ces mouvements ont été originairement conscients, voulus, puis leur répétition incessante a créé une habitude, il s’est formé des associations dynamiques stables dans le périsprit avec les mouvements fondamentaux, ils sont devenus plus rapides par la répétition, puis il a fallu moins de temps et d’efforts pour les réaliser, enfin ils sont devenus inconscients.
L’étude de l’esprit doit donc comprendre ses deux aspects : l’un actif, qui est l’âme proprement dite, celle qui sent, qui pense, qui veut, sans laquelle rien n’existerait ; puis le périsprit, qui est l’aspect passif, inconscient, le magasin spirituel, le gardien inaltérable de toutes les connaissances intellectuelles, comme il est le conservateur des lois organiques qui dirigent le corps physique.
La mémoire d’évocation, celle qui nous permet de nous rappeler les événements antérieurs, a lieu au moyen de points de repère dont la localisation dans le passé nous est bien connue. Les événements qui se groupent autour de ce point de repère, par l’association des idées, nous permettent donc de nous reporter à ces époques disparues et d’en connaître l’éloignement relativement à nous.
Cette reviviscence se fait par la volonté, aidée de l’attention, qui a pour objet d’augmenter le mouvement périsprital et de tendre à ces images un minimum de mouvement vibratoire, suffisant pour qu’elles redeviennent conscientes.
En étudiant les troubles de la mémoires dans le somnambulisme spontané, nous avons été appelés à nous demander si, lorsque la vie mentale est séparée en deux périodes, et que le sujet dans chacune d’elles ignore les actes qui se sont passés dans l’autre, il y avait réellement deux êtres distincts, deux individualités différentes. Bien qu’en temps ordinaire, la mémoire soit le fondement de la personnalité, nous avons remarqué qu’il fallait tenir compte aussi d’un autre facteur, qui est le sentiment de l’existence. Pour que l’on puisse affirmer, dans le cas de mémoire alternante, qu’il y a véritablement une seconde personnalité qui remplace la personnalité normale, il faudrait que la seconde différât radicalement de la première, qu’elle eût des facultés que le sujet ne possède pas à l’état normal ; mais comme nous n’avons constaté chez Félida et Mlle R. L. que les variations du plus au moins, elles ne suffisent pas pour établir qu’un personnage parasitaire a pris naissance.
Nous croyons que c’est par une psychologie défectueuse que l’on croit voir deux individualités différentes dans les sujets à mémoire alternante. Comparons, en effet, le même individu à vingt ans et à cinquante ans.
L’évolution du moi a été radicale, la vie a profondément modifié les sensations premières et les jugements que nous portions sur les hommes et les choses.
L’évolution s’est produite dans nos connaissances, qui se sont étendues et rectifiées sur une foule de points ; les opinions politiques, religieuses, littéraires, sociales, se sont profondément modifiées, le caractère a varié dans des proportions considérables ; en conclura-t-on qu’une autre individualité s’est produite ? Non, car la mémoire est là pour relier tous les états de conscience successifs et pour nous montrer la filière par laquelle nous sommes passés. Mais, si brusquement on supprimait tous les souvenirs de ces états intermédiaires, l’individualité, dépourvue des moyens de contrôle, pourrait se croire différentes. N’ayant plus la mémoire des états transitoires, elle se croirait autre. Elle ne pourrait comprendre comment elle a pu juger si mal à vingt ans, et elle établirait une différence énorme entre son moi actuel et celui de cette époque.
C’est ce qui arrive pour les somnambules qui, dégagées, se méprisent. Mlle R. L. parle de la « fille bête ». Certains sujets disent « l’autre », en parlant de soi à l’état normal ; c’est qu’elles établissent une grande différence entre l’état de dégagement et l’incarnation, mais elles sont spirituellement identiques. Ce ne sont pas des changements, ce sont des aspects divers de la personnalité.
Nous savons que, dans l’état second, la mémoire est complète ; le sujet se trouve plus intelligent, mais il sait bien qu’il est toujours le même. Le mécanisme périsprital qui rend compte de cet état est facile à comprendre.
Lorsque les rapports normaux de l’âme et du corps viennent à changer, il se produit un nouveau mouvement vibratoire plus rapide, les sensations nouvelles s’enregistrent avec des minimums d’intensité et de durée supérieures à ceux de l’état normal, l’âme a conscience des deux vies, les deux états, elle a la mémoire intégrale.
Si l’état premier reparaît, alors les sensations de l’état second repassent dans l’inconscient, car le rapport normal n’a pas une période vibratoire suffisante pour les faire renaître.
Nous avons vu que le somnambulisme provoqué présente les mêmes caractères. On peut artificiellement reproduire des cas analogues à ceux de Félida, ce qui prouve que le nom de somnambulisme spontané est bien justifié pour ces cas de mémoire alternante. Mais, ici, le phénomène se complique : au lieu d’avoir simplement l’état normal et le somnambulisme, il y a différents sommeils plus profonds les uns que les autres, et chacun d’eux est marqué par une mémoire particulière, la dernière embrassant toutes les autres, mais n’étant pas connue d’elles ; en général, chaque mémoire connaît toutes celles qui précèdent, mais ignore celles qui suivent.
En étendant notre hypothèse primitive, nous avons conclu qu’il existe dans le périsprit des zones vibratoires de mouvements différents et qu’à chacune de ces zones correspond un minimum d’intensité différent, qui va en augmentant quand le sommeil devient plus profond, c’est-à-dire au fur et à mesure que l’âme se dégage du corps, et nous avons conclu que le mouvement serait maximum quand la séparation serait complète, c’est-à-dire à la mort.
Comme le développement de la mémoire suit une marche parallèle, nous trouvons dans ce fait une confirmation de l’enseignement des Esprits, au sujet du réveil des souvenirs au moment de la mort. Ces phénomènes nous donnent raison, puisque des personnes échappées, par miracle, à la mort, ont revu dans le dernier moment de lucidité leur vie entière se dérouler sous leurs yeux.
Les expériences hypnotiques prouvent d’autre part que pas un souvenir n’a été perdu, il nous est facile de comprendre que, dans l’espace, l’Esprit puisse se rappeler son passé.
Nous avons l’explication de ces communications de longue haleine retraçant une existence passée depuis bien des siècles déjà.
La vie de Louis XI a été ainsi dictée par lui-même à un enfant de quatorze ans, Mlle Hermance Dufaux, qui était médium mécanique. Les détails circonstanciés, qui donnent à cette oeuvre un cachet si personnel, auraient exigé un travail assidu de la part d’un historien très érudit, et en supposant même que ce ne soit pas Louis XI en personne qui l’ait inspirée, elle émane, en tous cas, d’un esprit contemporain fort bien renseigné. Voilà un exemple, au milieu de tant d’autres, de la valeur intellectuelle des messages d’outre-tombe. Les négateurs du spiritisme sentent le terrain vaciller sous leur pas, et le temps n’est pas éloigné où ces vérités, si longtemps méconnues, prendront droit de cité dans la science. Les expériences qui se font chaque jour, sur des terrains en apparence tout à fait étrangers au spiritisme, lui apportent cependant un fort contingent d’arguments péremptoires.
Nous allons constater, par l’étude des faits qui accompagnent l’incarnation terrestre, que tout s’éclaire si on veut bien admettre la véritable nature de l’âme, alors que tout est confusion et obscurité, si l’on tente d’attribuer à la matière seule les facultés de l’esprit.
CHAPITRE V - Le rôle de l’âme au point de vue de l’incarnation, de l’hérédité et de la folie
Sommaire :
La forme vitale. – La naissance. – L’hérédité. – Pangenèse. – L’hérédité physiologique. – L’hérédité psychologique. – L’obsession et la folie. – Résumé.
a) La force vitale
Nous avons cherché déjà, au chapitre I, à mettre en évidence la certitude de l’existence de la force vitale, indépendamment des forces physico-chimiques qui régissent l’organisme. Notre conception diffère de celle des anciens animistes et vitalistes, en ce sens que nous ne faisons pas du principe vital une entité distincte des forces naturelles ; nous croyons simplement que c’est une forme de l’énergie qu’on n’est pas parvenu jusqu’alors à isoler ; mais qui le sera un jour.
La nature procède toujours d’une manière continue, dans les manifestations successives qui forment l’ensemble des phénomènes terrestres. On peut déjà, dans le règne minéral, trouver la trace de ce qui sera la vie des êtres organisés. Un cristal est presque un être vivant, car il diffère complètement de la matière amorphe, ses molécules sont orientées suivant un ordre géométrique fixe, il a ainsi une sorte d’individualité. Les premiers linéaments de la reproduction existent en lui, car la plus minime parcelle, plongée dans une dissolution du même sel, va permettre à ce fragment de se développer régulièrement et indéfiniment, et de constituer un second cristal semblable au premier. Enfin, il n’est pas jusqu’à la réparation des ses parties endommagées qui ne puisse s’exécuter. Voici une expérience qui met ce point hors de doute :
M. Loir prend un cristal octaédrique d’alun de potasse (sulfate d’alumine et de potasse) ; il en mutile plus ou moins profondément les six sommets ; il en lime les douze arêtes. Cela fait, il plonge l’octaèdre d’alun de potasse, lequel est incolore, dans une dissolution saturée d’alun de chrome (sulfate d’alumine et de chrome), laquelle est violette. Au bout de quelques jours, on constate que les six sommets et les douze arêtes se sont exactement rétablis, au moyen de l’alun de chrome dissous ; on a un octaèdre parfait, incolore, avec des sommets et des arêtes de couleurs violettes. Cette réparation des blessures étant achevée, si on laisse l’octaèdre dans la dissolution violette, le dépôt commence à se faire alors sur les faces. Ce dépôt ne s’effectue jamais, tant que les blessures des sommets et des arêtes ne sont pas réparées, c’est-à-dire aussi longtemps que la forme géométrique n’est pas absolument rétablie.
Mais il s’en faut encore de beaucoup que nous soyons en présence d’un être vivant, c’est une simple ébauche qui a besoin d’être retouchée ; la matière est encore trop rigide, il faut qu’elle s’assouplisse ; la nature va demander cette mobilité aux composés ternaires et quaternaires du carbone.
Au fur et à mesure que croît le nombre des éléments, l’arrangement moléculaire, le groupement des atomes et les proportions dans lesquelles ils se réuniront, deviendront nécessairement toujours plus complexes, et si les éléments chimiques sont doués de propriétés favorables, comme une forte affinité chimique, par exemple, il en résultera des matières protéiformes manifestant des phénomènes d’une nature semblable à ceux qui caractérisent la vie, c’est-à-dire une extrême instabilité de l’édifice moléculaire, une agrégation intime très déliée, la faculté d’entrer dans les états les plus divers sous l’action des agents dans extérieurs, autrement dit, une tendance toujours plus grande à s’adapter avec leur milieu. C’est précisément ce qui a lieu chez les êtres animés.
La cellule la plus infime contient en elle, non différenciés, tous les caractères de la vie. Elle possède en premier lieu le mouvement spontané, ce que n’a jamais eu le cristal ; en second lieu, elle assimile de la matière et s’augmente, non par juxtaposition moléculaire comme le cristal, mais par intégration et transformation de l’aliment, dont elle n’aborde que ce qui lui est assimilable ; troisièmement, la reproduction, chez elle, a lieu motu proprio ; aussitôt qu’elle a atteint un volume déterminé, elle se segmente, et la partie détachée va vivre à son tour et former une seconde cellule. Enfin, et c’est là un caractère tout à fait distinctif, cette cellule est soumise à la loi de l’évolution. Appuyons sur ce dernier caractère qui sépare absolument la matière organisée de la matière brute.
Il semble, au premier abord, que rien n’est plus facile à expliquer que la mort. Nous voyons tous les êtres animés mourir, c’est-à-dire laisser un cadavre qui est incapable de continuer ses fonctions lorsque ce quelque chose que l’on nomme la vie l’a abandonné. Mais pourquoi ceci a-t-il lieu ? Pourquoi les aliments qui ont fait grandir et se fortifier le corps ne peuvent-ils le maintenir au point où ils l’ont amené ? Pourquoi la croissance s’est-elle arrêtée à un moment déterminé au lieu de continuer indéfiniment ? Toutes ces questions sont insolubles pour la science actuelle, car la notion de l’usure des organes n’a aucun sens depuis les découvertes modernes.
Jadis, on croyait que le corps de l’homme était formé des mêmes éléments, depuis la naissance jusqu’à la mort, et rien n’était plus compréhensible que l’usure des organes qui avaient si longtemps servi ; mais nous savons maintenant, de source certaine, que cette croyance est erronée. Le corps humain, bien loin d’être fixe, immuable dans sa composition, varie perpétuellement, il se renouvelle intégralement, et la rénovation se fait de plus en plus mal à mesure que l’âge augmente ; nous avons constaté que ces variations ne pouvaient provenir du périsprit qui est inaltérable, ni de la matière qui est inerte, c’est donc à la disparition de la force vitale qu’il faut attribuer la mort. Cherchons maintenant comment se transmet cette force.
b) La naissance
Nous allons voir d’abord les conditions matérielles qui président à la naissance, puis nous essaierons de déterminer la part d’influence qui revient à chacun des facteurs que nous avons étudiés séparément, c’est-à-dire : à la matière physique, à la force vitale et à l’âme revêtue de son périsprit.
Dans le germe qui doit constituer plus tard l’individu, germe formé par l’oeuf fécondé, réside une puissance initiale qui résulte de la somme des puissances vitales du père et de la mère, au moment de la génération En employant le langage de la mécanique, on pourrait dire que le germe renferme une énergie potentielle qui se transforme en énergie actuelle pendant toute la durée de la vie. Cette force est très variable suivant la nature de ses composantes. Si les progéniteurs sont dans la vigueur de l’âge, ils possèdent tous deux une vie intense, le germe accumule en lui une très grande somme d’énergie latente ; si, au contraire, la vie est décroissante chez l’un des progéniteurs ou chez les deux à la fois, au delà de certaines limites, la vie ne se communique plus, la fécondation n’a pas lieu. Entre ces deux limites il peut exister tous les degrés de puissance vitale du germe.
La force vitale est donc une énergie de grandeur très variable, suivant son intensité primitive, et aussi d’après les circonstances suivant lesquelles elle se développe. On pourrait grossièrement la représenter dans un ressort. Ce ressort bandé contient en lui la force qu’il doit restituer en se détendant. Dès le commencement de son action, il l’emporte d’abord sur la résistance et son pouvoir va en croissant, puis il arrive un instant où son énergie est égale à la résistance, puis enfin celle-ci devient prépondérante ; le ressort est détendu, la force a disparu. Cette force, potentielle à l’origine, s’est transformée insensiblement en énergie actuelle, jusqu’à ce qu’elle soit complètement usée ; à ce moment a lieu la mort de l’individu.
Il est utile que nous appelions ici l’attention du lecteur sur une idée très importante, c’est que, dans les phénomènes vitaux, la complexité qui résulte de l’union de plusieurs éléments est extrême. Il faut soigneusement, dans ce cas, se mettre en garde contre la simplicité apparente de certains raisonnements comme ceux-ci : tel effet, telle cause ; il doit y avoir dans la cause au moins autant que dans l’effet. Ceci n’est exact que dans les cas où il n’entre que des composants d’ordre purement mécanique. Mais la vie résulte non seulement de considérations semblables, mais aussi de mélanges, de combinaisons d’actions de présence, nommés catalytiques en chimie, qui sont d’ordre physico-chimique et qui échappent à toute détermination rigoureuse.
Suivant une remarque profonde de Stuart Mill , toutes les fois qu’un effet est le résultat de plusieurs causes (et rien n’est plus fréquent dans la nature), il peut se présenter deux cas : tantôt l’effet est produit par des lois mécaniques, tantôt par des lois chimiques. Dans le cas des lis mécaniques, comme si elles avaient agi seules : l’effet des causes concourantes est précisément la somme des parties séparées de chacune. Au contraire, la combinaison chimique des deux substances en produit une troisième, dont les propriétés sont tout à fait différentes de celles des deux autres, soit séparément, soit prises ensemble.
Ainsi, la connaissance des propriétés du souffre (S) et de l’oxygène (O) ne peut nous dispenser d’étudier celles de l’acide sulfurique (SO³). C’est que les propriétés des corps dépendent des mouvements atomiques de chacune des substances qui entrent en jeu, et lorsque la combinaison est parfaite, le corps qui en résulte prend un mouvement atomique tout à fait différent de ceux des
composants. Le poids de la matière du résultat est égal à celui des corps qui entrent dans la combinaison, mais les propriétés sont d’un ordre dynamique qui échappe, jusqu’alors, à toute prévision anticipée.
Il y a, dans les phénomènes vitaux, une complexité plus grande que dans les faits chimiques proprement dits, c’est pourquoi il existe souvent une si grande disproportion entre la cause et l’effet. Un peu de pus au cerveau ou une lésion à peine appréciable au microscope, déterminent parfois la folie, la monomanie. L’afflux dans le même organe d’une minime quantité de sang alcoolisé crée le délire, une goutte d’acide cyanhydrique cause la mort ; au contraire, un spermatozoaire qui pénètre dans l’oeuf le féconde, et engendre un être nouveau qui possède des énergies latentes énormes . On ne peut donc voir, dans notre exemple du ressort bandé, qu’un schéma rudimentaire, une analogie ne rappelant que de fort loin les phénomènes nombreux, complexes et délicats, qui ont lieu au moment de la conception.
La matière protoplasmique qui forme le germe est d’une nature très compliquée ; et nous avons vu déjà que la multiplicité des éléments qui la composent, leur instabilité chimique, la prédisposent à des variations rapides, à des changements brusques, à des aspects multiples, tout à fait différents les uns des autres. Il faut qu’il en soit ainsi, car cette petite masse de matière de laquelle un être organisé va surgir, est obligé de se transformer radicalement, d’évoluer avec une rapidité prodigieuse, de revêtir des formes changeantes qui fluent les unes dans les autres, avant d’arriver au type définitif qui sera celui de l’être vivant.
C’est maintenant que nous avons à déterminer le rôle de chaque élément constituant. Suivant l’hypothèse des Gemmules de Darwin, que nous exposerons plus loin, sous le nom de pangenèse, c’est la matière du germe qui renferme les modifications particulières du corps qui sont transmises, héréditairement, des parents aux descendants.
Nous sommes ici dans le domaine de l’hypothèse, car aucun instrument, quelque puissant qu’il soit, ne permet de découvrir une organisation quelconque dans la matière de l’ovule. « L’être vivant, dit l’illustre de Baer , provient d’une cellule primitivement identique, l’œuf primordial ; il s’édifie par formation progressive ou épigenèse, par suite de la prolifération de cette cellule primitive qui forme des cellules nouvelles, lesquelles se différencient de plus en plus, et s’associent en cordons, en tubes, en lames, pour arriver à constituer les différents organes.
Cette structure va se compliquant successivement, de manière que les formes se particularisent de plus en plus, à mesure que le développement avance. C’est la forme la plus générale, celle de l’embranchement, qui se manifeste la première, puis celle de la classe, puis celle de l’ordre, et ainsi de suite, jusqu’à l’espèce. »
Donc, au début, pour les plantes ou les animaux, identité fondamentale de l’ovule, puis, chez les animaux, développement sériaire jusqu’à la hauteur où cet animal est parvenu sur l’échelle des êtres ; dans l’homme, l’embryon reproduit, dans une évolution rapide, tous les êtres par lesquels la race a passé. Tous, dans le sien de la mère, nous avons été une monère, puis un mollusque, un poisson, un reptile, un quadrupède et enfin un homme.
Comme nous avons vu l’esprit passer successivement dans tous les règnes, et accomplir lentement son progrès organique, en fixant dans l’enveloppe un mécanisme vital de plus en plus compliqué, c’est à l’action du périsprit, agissant sur la matière, que nous attribuons cette évolution rapide. La nature, comme nous l’avons si souvent remarqué, ne fait pas de sauts, elle n’organise pas immédiatement, et de toutes pièces, un être parfait, elle va toujours du simple au composé.
De même qu’elle a commencé par les manifestations les plus rudimentaires à l’origine, pour développer ensuite la vie suivant des modes toujours plus complexes, de même, dans chaque individu, elle part de la simplicité primitive pour arriver à l’être supérieur ; seulement, aujourd’hui, l’évolution est cachée dans la vie utérine et infiniment plus rapide, de sorte que si l’on ne connaissait pas les stades différents de la vie foetale, il semblerait que l’être arrive formé de toutes pièces, sans états antérieurs.
Mais l’embryogénie nous a fixés sur ce point : chacun de nous portons dans notre être la marque, indélébile et auguste, de notre existence mille fois séculaire.
La force vitale contenue dans le germe anime donc le périsprit, et celui-ci développe ses lois ; mais cette force vitale a été plus ou moins modifiée par les progéniteurs, et ce sont ces modifications partielles qui vont se reproduire dans le nouvel être, car la matière physique sera organisée par le périsprit suivant l’influence de la force vitale ; nous verrons tout à l’heure des exemples nombreux de cette action.
Quel est l’état de l’âme à ce moment ? Nos connaissances sur ce sujet proviennent des enseignements fournis par les Esprits, à une époque où les recherches des savants ne nous avaient pas fait connaître tous les faits que nous venons d’exposer ; cependant, ils sont conformes aux données de la science, comme il est facile de s’en assurer .
L’union de l’âme et du corps commence à la conception, mais elle n’est complète qu’au moment de la naissance. C’est l’enveloppe fluidique qui attache l’esprit au germe, et cette union va en se resservant de plus en plus, devient à chaque instant plus intime, jusqu’au moment où elle est complète, c’est-à-dire quand l’enfant voit le jour. Dans l’intervalle de la conception à la naissance, les facultés de l’âme sont peu à peu annihilées par le pouvoir toujours croissant de la force vitale, qui diminue le mouvement vibratoire du périsprit, jusqu’au moment où, le minimum perceptible n’étant plus atteint, l’esprit devient presque tout à fait inconscient. C’est à cette diminution d’amplitude du mouvement fluidique qu’est due la perte du souvenir.
L’état du principe intelligent dans les premiers temps est celui d’un esprit incarné pendant le sommeil du corps ; à mesure que le moment de la naissance approche, ses idées s’effacent, ainsi que la connaissance du passé, dont il n’a plus conscience une fois sur la terre, c’est-à-dire dès qu’il est né ; mais nous concevons bien que lorsque l’opération contraire aura lieu, c’est-à-dire quand l’âme retournera dans l’espace, en reprenant son mouvement vibratoire antérieur, elle retrouvera ses souvenirs.
Si les acquis du passé sont latents, les facultés ne sont pas détruites ; comme elles ont leur fondement, leur racines, dans l’inconscient, elles seront d’autant plus hautes, d’autant plus brillantes que l’âme aura vécu davantage. C’est elles qui constituent ce fond de l’esprit que l’on nomme le caractère, qui est la marque propre de chacun de nous, en même temps que l’aptitude de plus en plus développée à comprendre les sciences, les arts, les lettres ; des faits irrécusables mettent ce point hors de doute. Si l’on veut inculquer, à un esprit non encore suffisamment évolué, des connaissances par trop supérieures à son état mental inconscient, il pourra sembler se les assimiler, mais elles sommeilleront en lui, il les oubliera rapidement.
On a souvent remarqué que, chez les races inférieures, les enfants qu’on envoie aux écoles ou qu’on essaie d’instruire, montrent d’abord une facilité étonnante, mais qui s’arrête brusquement. Ainsi les habitants des îles Sandwich ont une mémoire excellente, apprennent par coeur avec une merveilleuse rapidité, mais ne peuvent exercer leurs facultés pensantes. « Dans l’enfance, dit Samuel Baker, le jeune noir est plus avancé que le blanc de même âge ; mais son esprit ne porte pas le fruit qu’il promettait. Dans la Nouvelle-Zélande, rapporte le professeur Thomson, les enfants de dix ans sont plus intelligents que les enfants anglais, mais bien peu de Nouveaux Zélandais pourraient recevoir, dans leurs hautes facultés, une culture égale à celle des Anglais.
Une des raisons qu’on donne, aux Etats-Unis, pour ne pas instruire les enfants noirs avec les enfants blancs, c’est qu’après un certain âge, leurs progrès ne correspondent plus, l’intelligence du nègre paraissant incapable de dépasser un certain degré ».
Si l’évolution de l’âme n’est pas lente, ne s’accomplit pas dans le temps, la ténacité des instincts sauvages est presque indéracinable. En voici un exemple emprunté à un récit de voyage aux îles Philippines, publié par la Revue des Deux-Mondes, 15 juin 1869 :
« Ce qui a toujours distingué ces sauvages des autres races de la Polynésie, c’est leur passion indomptable pour la liberté. Cette répulsion des Négritos (nom donné aux sauvages des îles Philippines) pour tout ce qui pouvait les courber sous le joug ou régulariser leur existence, leur rendra toujours intéressants aux voyageurs. Voici un exemple de leur amour pour l’indépendance : « Dans une battue faite à l’île de Luçon, par des soldats indigènes, sous les ordres d’un officier espagnol, on s’empara d’un petit noir d’environ huit ans… Il fut conduit à Manille. Un Américain l’ayant demandé au gouvernement pour l’adopter, il fut baptisé du nom de Pédrito.
Dès qu’il fut en âge de recevoir quelque instruction, on s’efforça de lui donner toute celle qu’on peut acquérir des ces contrées éloignées. Les vieux résidents de l’île, connaissant le caractère des Négritos, riaient sous cape en voyant les tentatives faites pour civiliser celui-ci. Ils prédisaient qu’on verrait, tôt ou tard, le sauvage retourner à ses montagnes. Son père adoptif, n’ignorant pas les railleries dont sa sollicitude était l’objet, mais se piquant au jeu, annonça qu’il conduirait Pédrito en Europe. Il lui fit visiter New York, Paris, Londres, et ne le ramena aux Philippines qu’après deux ans de voyage.
Avec cette facilité dont la race noire est douée, Pédrito parlait au retour l’espagnol, le français et l’anglais ; il ne chaussait que des fines bottes vernies, et tout le monde se rappelle encore, à Manille, le sérieux, digne d’un gentleman, avec lequel il recevait les premières avances des personnes qui ne lui avaient pas été présentées. Deux ans à peine s’étaient écoulés depuis le retour d’Europe, lorsqu’il disparut de la maison de son protecteur. Les rieurs triomphèrent. Jamais, probablement, on n’eût appris ce qu’était devenu l’enfant adoptif du philanthrope yankee, sans la rencontre singulière qu’en fit un Européen.
Un naturaliste prussien, parent du célèbre Humbolt, résolut de faire l’ascension du Marivelez (montagne non loin de Manille). Il avait presque atteint le sommet du pic, lorsqu’il se vit soudain devant une nuée de petits noirs… Le Prussien s’apprêtait à esquisser quelques portraits, lorsqu’un des sauvages, s’approchant de lui en souriant, lui demanda en langue anglaise s’il connaissait à Manille un américain du nom de Graham. C’était notre Pédrito. Il raconta toute son histoire, et lorsqu’elle fut terminée, ce fut en vain que le naturaliste tenta de le décider de revenir avec lui à Manille. »
Ce qui montre pour des races entières, se produit pour les individus. Il est notoire que chacun de nous révèle des aptitudes différentes dès la naissance. Notre entendement n’est pas cette table rase imaginée par les philosophes du XVIIIe siècle, car l’enfant apporte, en venant au monde, des aptitudes intellectuelles et des vices ou des passions qui gisent à l’état latent dans son enveloppe périspritale, et qui se révèleront ensuite sous l’influence des circonstances diverses de la vie terrestre. Les sensations, les pensées, les volitions de cette vie nouvelle vont s’enregistrer dans le périsprit avec des conditions particulières, mais elles trouveront un territoire déjà préparé, elles ne
seront pas seules, isolées, elles feront renaître plus ou moins certains états de conscience antérieurement perçus ; elles revivifieront certaines empreintes dont les vibrations lentes s’accentueront, et plus l’âme est vieille, plus elle a vécu sur la terre, plus son bagage inconscient
est considérable, moins elle a d’efforts à faire pour ressusciter ses anciennes connaissances. Dans ce sens, le mot profond de Platon : « apprendre, c’est se souvenir », est absolument juste.
Nous expliquons ainsi les aptitudes extraordinaires de certains enfants pour les arts ou pour les sciences. Pic de la Mirandol, connaissant à seize ans tout ce que l’on savait à son époque. Pascal retrouvant à treize ans le traité des sections coniques d’Euclide, Mozart composant un opéra à douze ans, ne font que continuer des existences précédentes ; ils ne se souviennent pas d’avoir vécu, mais les acquis de ces vies antérieures se manifestent avec éclat, parce que ce sont des esprits avancés, à un âge où les autres enfants ne montrent encore que des facultés peu développées. D’autre part, le phénomène inverse peut se produire. L’Esprit façonne son corps, mais les lois de l’hérédité peuvent lui apporter des entraves, de sorte que pendant la vie il ne pourra manifester son intelligence dans toute son étendue, avec toute l’ampleur qu’il pourrait lui donner. Si, momentanément, on lui rend un peu plus de liberté, alors se montrent des talents qu’on n’aurait pu soupçonner à l’état normal. Voici un exemple de ce cas.
Brierre de Boismont rapporte l’histoire suivante, d’après Abercombie :
Une jeune fille de sept ans, de la plus basse extraction, occupée dans une ferme à conduire un troupeau, avait l’habitude de coucher dans une pièce qui n’était séparée que par une mince cloison de celle habitée par un joueur de violon. Ce dernier, musicien ambulant d’une très grande force, passait souvent une partie de la nuit à jouer des morceaux choisis, qui n’étaient pour l’enfant qu’un bruit désagréable. Après une résidence de six mois, cette enfant tomba malade et fut conduite chez une dame charitable qui, après sa convalescence, l’employa comme domestique. Il y avait déjà quelques années qu’elle avait été admise chez cette dame, lorsqu’on commença à entendre pendant la nuit une très belle musique. On reconnut que le son venait de la chambre de la domestique ; on s’y rendit, et on la trouva endormie, mais modulant des sons absolument semblables à ceux d’un petit violon. Deux heures s’étant écoulées dans cet exercice, elle commença à s’agiter, préluda par des accords qui semblaient sortir d’un violon, puis elle attaqua des morceaux de musique savants, qu’elle exécuta avec beaucoup de soin et de précision. Les sons qu’elle émettait ressemblaient aux plus délicates modulations de cet instrument. Pendant l’exécution de ces morceaux, elle s’arrêta plusieurs fois comme pour accorder son instrument, et recommença, de la manière la plus correcte, le morceau au passage précis où elle l’avait laissé. Ces paroxysmes avaient lieu à des intervalles inégaux qui variaient d’une à quatorze et même vingt nuits.
Deux ans s’étaient à peine passés, que le sens musical nocturne ne se borna plus au violon, il reproduisit les accompagnements du piano que la jeune fille entendait dans la maison ; elle se mit alors également à chanter, imitant les voix des personnes de la famille. La troisième année, elle commença à parler dans son sommeil, s’imaginant qu’elle donnait des leçons à une compagne plus jeune. Elle discourait souvent avec beaucoup d’abondance et de netteté sur différents sujets politiques et religieux, sur les nouvelles du jour, les caractères des personnages publics, mais plus particulièrement sur ceux des membres de la famille et de leurs visiteurs. Dans ses discours, elle montrait fréquemment le discernement le plus étonnant, uni à l’esprit de sarcasme et à une puissance mnémonique prodigieuse. La justesse et la vérité de ses remarques, sur tous les sujets, excitaient la surprise la plus grande parmi ceux qui connaissaient les moyens limités de ses acquisitions intellectuelles…
Pendant ses accès, il était très difficile de l’éveiller, la pupille paraissait insensible à l’action de la lumière ; mais, vers seize ans, elle commença à s’occuper des personnes qui étaient dans l’appartement, et put dire exactement leur nombre, quoiqu’on eût soin de tenir la pièce dans l’obscurité. Elle devint capable de répondre aux questions qui lui étaient adressées ; elle faisait preuve dans ces circonstances d’une finesse surprenante. Les observations étaient souvent d’une belle nature et s’accordaient si bien avec les caractères et les évènements, que les gens du pays la croyaient douée de pouvoirs surnaturels.
Durant cet état, qui se prolongea dix à onze ans, elle se montrait, à son éveil, bornée, maladroite, très lente à recevoir toute espèce d’instruction, quoiqu’on prît beaucoup de soin dans ce but ; son intelligence était évidemment très inférieure à celle des autres domestiques ; elle n’avait plus alors aucune aptitude pour la musique ; elle ne paraissait pas avoir souvenance de ce qui se passait dans son sommeil.
Cette observation nous montre un cas de somnambulisme naturel pendant lequel l’esprit, dégagé momentanément des entraves du corps, recouvrait une partie de ses facultés musicales et intellectuelles, inconscientes pendant la veille. Le sommeil magnétique a pu révéler spontanément la nature cultivée de cet esprit incarné, qui semblait cependant assez grossier pendant la veille. Mais chez beaucoup d’hommes qui ne sont pas somnambules, il serait difficile de discerner la vraie nature intellectuelle, car nous venons sur la terre très souvent, et il nous faut
développer à chaque fois des vertus, comme l’humilité, par exemple, qu’il serait presque impossible d’acquérir avec des facultés brillantes.
L’Esprit choisit donc une enveloppe réfractaire, qui s’oppose aux manifestations les plus hautes de l’activité intellectuelle, et, pendant une vie, il peut se consacrer tout entier à une oeuvre plus modeste, mais cependant indispensable à son avancement spirituel.
Il faut noter, en effet, que l’âme n’est pas toujours libre de donner à son corps matériel la forme qui lui plairait le mieux ; elle ne dispose pas de ce pouvoir, car l’enveloppe corporelle est construite suivant les lois invariables de la génération, et l’hérédité individuelle des parents, transmise par la forme vitale, s’oppose au pouvoir plastique de l’âme. L’hérédité s’oppose de même à ce qu’une race produise un être d’une autre race, par exemple qu’une chienne donne le jour à un lapin, et même, sans aller si loin, qu’une femme de pure race blanche enfante un nègre ou un peau rouge et réciproquement.
L’étude des lois de l’hérédité est extrêmement importante, car elle nous permet de comprendre, naturellement, pourquoi certaines affections morbides sont transmissibles dans beaucoup de familles, de même que les facultés intellectuelles, qui paraissent pouvoir se transférer de père en fils. Il semble que si l’âme qui vient s’incarner est étrangère à celle des parents, elle ne devrait pas hériter des dispositions nuisibles ou favorables des progéniteurs. La thèse matérialiste qui prétend que l’âme est une fonction du cerveau s’appuie sur ces faits, et paraît acquérir par là un degré très grand de probabilité, il faut donc faire voir pourquoi les choses se passent ainsi, et démontrer que les croyances spiritualistes n’en sont nullement atteintes.
c) L’hérédité
L’hérédité a été très bien étudiée par M. Ribot, qui, en se plaçant au point de vue strictement expérimental, a essayé de montrer que ce phénomène a des lois fixes ; qu’il existe une hérédité physiologique et une hérédité psychologique, et que la seconde résulte de la première.
Sans admette cette théorie qui ne nous semble pas justifiée, puisque nous savons que les âmes ont une existence individuelle, qu’elles sont indivisibles, par conséquent qu’elles ne s’engendrent pas mutuellement, nous nous servirons d’un grand nombre de faits recueillis par ce savant philosophe, afin de déterminer quelle est la part qu’il faut faire à l’hérédité dans les phénomènes intellectuels.
L’hérédité est la loi biologique en vertu de laquelle tous les êtres doués de la vie tentent à se répéter dans leurs descendants. La science actuelle ne peut donner aucune explication positive de l’hérédité, elle en est réduite à l’hypothèse. La plus récente, la mieux élaborée est celle de Darwin dans son livre sur la variation des animaux et des plantes et dont on trouve les traits généraux dans les Principes de Biologie d’Herbert Spencer. Elle porte le nom de Pangenèse.
Pour bien comprendre cette théorie, nous rappellerons que non seulement l’organisme est un composé de cellules, mais que chacun de ces petits organismes a une vie propre et possède les propriétés fondamentales de la vie, à savoir : la nutrition, par laquelle elles s’assimilent et se désassimilent continuellement ; l’évolution, qui leur fait acquérir un volume plus considérable et se compliquer de parties plus parfaites et plus nombreuses ; la reproduction, en vertu de laquelle chaque cellule peut en engendrer une autre, celle-ci une suivante, et ainsi de suite. Wirehow a montré qu’une cellule unique peut être malade, de sorte que, malgré leur soumission aux lois générales de l’organisme, elles ont une certaine autonomie, de manière qu’on peut dire que cet élément anatomique joue, dans l’organisme, le même rôle que l’individu dans l’État, ayant une certaine mesure d’indépendance, tout en faisant partie du corps social.
Nous avons vu que les organismes inférieurs possèdent un pouvoir de reproduction considérable, mais certaines plantes offrent cette propriété à un haut degré. La Bégenia phylomantaca peut se reproduire simplement au moyen d’une petite partie de sa feuille, de manière qu’une seule feuille peut donner une centaine de plante.
Ceux-ci, à leur tour, développent sur leurs tiges et sur leurs feuilles des myriades de cellules semblables, héritant de la même propriété. Ainsi donc, la cellule originelle, en quittant la plante mère, a non seulement hérité du pouvoir de se reproduire, mais l’a multiplié et distribué, sans aucune diminution de son énergie, à toutes les autres cellules de la plante produite, et cela pendant des générations sans nombre.
d) Pangénèse
Pour expliquer ce pouvoir de reproduction, et en général la transmission héréditaire chez tous les êtres vivants, Darwin propose la théorie de la pangenèse, qui implique que, dans l’organisme tout entier, chacun des atomes ou unités qui le composent se reproduit lui-même.
« On admet presque universellement, dit-il, que les cellules se propagent par division spontanée ou prolifération, conservant la même nature et se convertissent ultérieurement en diverses substances et tissus du corps.
A côté de ce mode de multiplication, je suppose que les cellules, avant leur conversion en matériaux formés et complètement passifs, émettent de petits grains ou atomes qui circulent librement dans tout le système, et, lorsqu’ils reçoivent une nutrition suffisante, se développent en cellules semblables à celles dont ils dérivent. Nous appellerons ces graines des gemmules.
Nous supposerons qu’elles sont transmises par les parents à leurs descendants, se développent généralement dans la génération qui suit immédiatement, mais peuvent se transmettre pendant plusieurs générations, à l’état dormant, et se développer plus tard. On suppose que les gemmules soient émises par chaque cellule ou unité, non seulement pendant l’état adulte, mais pendant tous les états de développement. Enfin les gemmules auraient, les unes pour les autres, une affinité mutuelle, d’où résulte leur agrégation en bourgeons et en éléments sexuels. En sorte qu’à strictement parler, ce ne sont pas les éléments reproducteurs qui engendrent de nouveaux organismes, mais les cellules ou unités du corps entier ».
On ne peut faire aucune objection sérieuse contre la ténuité extrême des gemmules, nos idées de grandeur et de petitesse, étant purement relatives, ne correspondent à rien d’impossible dans le monde physique. Si l’on considère que l’ascaride peut produire environ soixante-quatre millions d’oeufs, une seule orchidée à peu près autant de millions de graines, que les parcelles organiques émises par les animaux odorants, que les microbes des maladies contagieuses doivent être d’une petitesse excessive et se multiplient avec une vitesse foudroyante, l’objection ne paraîtra plus d’un grand poids.
Donc, « il faut considérer chaque être vivant comme un microcosme, un petit univers formé d’une foule d’organisme aptes à se reproduire par eux-mêmes, d’une ténuité inconcevable et aussi nombreux que les étoiles du firmament. » Cette hypothèse permet à Darwin d’expliquer un très grand nombre de phénomènes fort différents en apparence, mais que la physiologie considère comme identiques quant au fond. Tels sont la gemmiparité, ou reproduction par bourgeons ; la fissiparité, où l’être est reproduit par la séparation naturelle ou artificielle de ses parties ; la génération sexuelle ; la génération sans fécondation, ou parthénogenèse ; les générations alternantes, le tissus, la croissance de nouveaux nombres qui remplacent les membres perdus, comme cela arrive à la salamandre, l’écrevisse, la limace, le lézard, etc., bref, tous les modes de reproduction, quels qu’ils soient, et tous les modes de l’hérédité.
On conçoit que ces gemmules, mâles ou femelles, soient contenues en grand nombre dans le germe et que, par suite de leur évolution, l’individu qui prend naissance hérite ainsi de ses parents de dispositions particulières ; l’importance de cet héritage sera mieux marquée encore par une étude rapide de l’hérédité proprement dite.
On conçoit que nous ne puissions entrer ici dans une discussion détaillée de l’hypothèse de Darwin, mais nous ferons observer que les propriétés du périsprit, modifiées à chaque incarnation de l’esprit, expliquent parfaitement tous les phénomènes énumérés plus haut, et nous croyons que notre théorie rend mieux compte de l’évolution du foetus que toute autre. Quoi qu’il en soit, nous allons passer à l’étude des faits.
e) L’hérédité physiologique
Un fait ordinaire, qui frappe même les moins observateurs, c’est la ressemblance physique. Il n’est peut-être pas de phrase que l’on entende aussi souvent répéter que la suivante : « Comme cet enfant ressemble à son père ». L’influence héréditaire ne se borne pas à une similitude générale, elle se marque dans tous les membres du corps, mais surtout dans le visage. On peut citer des exemples remarquables de ce phénomène. Le chanteur Nourrit avait un fils qui était son véritable sosie . Mais où le phénomène devient encore plus remarquable, c’est lorsque l’enfant ressemble successivement à son père et à sa mère.
Girou de Busareigne dans un livre sur la génération, raconte que « deux frères qu’il a connus ressemblaient dans leur bas âge à leur mère, leur soeur ressemblaient au père, ces ressemblances frappaient tous ceux qui en étaient témoins. Aujourd’hui, et depuis l’adolescence, les deux garçons ressemblent à leur père et la fille a cessé de lui ressembler. »
L’hérédité agit sur la conformation interne comme sur la structure externe. Rien de plus commun que la transmission du volume et même des anomalies du système osseux ; celle des proportions en tous sens du crâne, du thorax, du bassin, de la colonne vertébrale et des moindres os du squelette, est d’une observation quotidienne. Les systèmes respiratoires, digestifs, musculaires, nerveux, suivent les mêmes lois. Les liquides de l’organisme sont influencés aussi par l’hérédité. Il est des familles où le sang est plus abondant que dans d’autres, ce qui leur donne des propensions aux apoplexies, aux hémorragies, aux inflammations. Chose remarquable, ce ne sont pas seulement les caractères généraux internes ou externes qui se transmettent, ce sont aussi les caractères subordonnés, les manières d’être personnelles qui sont reproduites par voie séminale.
Plusieurs exemples vont établir ce fait.
On ne peut douter de l’influence de l’hérédité sur la puissance de reproduction. Une mère a 24 enfants, dont 5 filles, qui, à elles cinq, mirent au monde 45 enfants. Dans la noblesse française, les Montmorency étaient renommés pour leur fécondité. Les quatre premiers Guise avaient ensemble 43 enfants, dont 30 garçons. Achille de Harlay eut neuf enfants, son père 10, son arrière-grand-père 18. Dans certaines familles, cette puissance prolifique s’est montrée pendant cinq ou six générations .
Nous avons dit plus haut que la forme vitale de l’être qui naît est la résultante de la force vitale de son père et de sa mère, au moment de la procréation. Cette proportion va être démontrée par les considérations suivantes.
Il est généralement reconnu que la longévité dépend beaucoup moins de la race, du climat, de la profession, du genre de vie et d’alimentation, que de la transmission héréditaire. Si l’on consulte les traités spéciaux qui ont été écrits sur ce sujet, on verra que l’on trouve aussi bien des centenaires dans la race nègre que dans la race blanche, dans le Nord que dans le Midi, chez ceux qui prennent un grand soin de leur personne que chez les plus malheureux. Un houilleur d’Écosse a eu le triste privilège de vivre jusqu’à 133 ans, il y avait 80 ans qu’il travaillait dans les mines.
Des faits analogues se rencontrent chez les prisonniers et les forçats. Le docteur Lucas dit bien que la vie moyenne dépend évidemment du lieu, de l’hygiène, de la civilisation, mais que la longévité humaine est tout à fait affranchie de ces conditions. « Tout démontre, écrit-il, que la longue vie tient à une puissance interne de la vitalité, puisque les individus privilégiés l’apportent en naissant. Elle est si profondément empreinte dans la nature, qu’elle se révèle dans tous les attributs de l’organisation. » Ce fait a été si remarqué en Angleterre, que les compagnies d’assurance sur la vie ont soin de s’enquérir de la longévité des ascendants.
On a remarqué aussi que la force musculaire et les différentes formes de l’activité motrice sont héréditaires, de même que les phénomènes qui dépendent de la voix, comme le bégayement et le grasseyement. L’hérédité des anomalies a été démontrée.
L’albinisme, le rachitisme, la claudication, le bec de lièvre, etc., bref, toutes les déviations organiques, peuvent se transmettre par la procréation. Heureusement que les anomalies ne se reproduisent pas toujours et que les descendants tendent à revenir au type primitif. Depuis l’origine de la médecine, on remarque que certaines maladies sont héréditaires, ou tout au moins que l’organisme a une prédisposition à contracter des maladies semblables à celles des ascendants. En somme, on voit que l’hérédité modifie toutes les formes de l’activité vitale, ce qui n’est pas surprenant, puisque la force vitale provient de l’âme qui vient s’incarner est mû par cette force modifiée, qui sera plus puissante ou plus faible dans certaines parties fluidiques de l’enveloppe spirituelle, correspondant dans le foetus aux parties fortes ou faibles des parents. Si la transmission héréditaire n’est pas absolue, c’est que la force vitale du nouveau venu est due à deux facteurs qui se modifient réciproquement, et aussi que le périsprit de l’âme qui vient s’incarner se prête plus ou moins à ces modifications. Il est clair qu’il faudrait ici des expériences nombreuses et suivies pour déterminer l’importance de chacun des éléments divers qui concourent à ce grand oeuvre ; mais, dès maintenant, nous pouvons entrevoir en gros la série des phénomènes qui ont pour résultat cette chose merveilleuse : la production d’un être vivant.
f) L’hérédité psychologique
Y a-t-il une hérédité psychologique ? Non, si l’on entend par là une transmission des facultés intellectuelles elles-mêmes. Oui, si l’on veut dire par là que les organes qui servent à manifester la pensée sont transmissibles.
Nous touchons ici à la question si délicate et si controversée des rapports du physique et du moral. Les adversaires de la spiritualité de l’âme ont essayé de se faire une arme de l’hérédité. S’il était bien démontré que les parents transmettent à leurs enfants non seulement le corps physique, mais aussi les facultés intellectuelles, évidemment il y aurait une grande présomption pour croire que l’âme, comme le corps, émane des progéniteurs.
Cependant ceci ne serait pas encore tout à fait exact, puisque nous avons la preuve que l’esprit, dans l’espace, vient se réincarner ; mais alors, il n’y aurait d’incarnation possible qu’entre les esprits et les hommes qui présenteraient une similitude parfaite, tant au point de vue intellectuel que moral.
Les faits ne semblent guère se plier à cette interprétation absolue. Il n’est pas rare, dans une famille, de voir des enfants qui diffèrent complètement de leurs parents, et ces enfants ne se ressemblent en rien au point de vue du caractère. S’il est facile de montrer que l’organisme matériel n’est pas toujours transmissible, il est encore plus commode d’établir que l’hérédité intellectuelle est le plus souvent en défaut. L’histoire montre à chaque instant les fils d’hommes illustres qui ne se rappellent en rien les vertus ou les talents de leur père, mais sont souvent au-dessous de la moyenne ordinaire.
Dans l’antiquité, le sage Périclès donne naissance à deux sots comme Parallas et Xantippas et à un furieux comme Clinias ; l’intègre Aristippe engendre l’infâme Lysimachos, Thucydide l’inepte Milésias ; Phoeton, Aristarque, Sophocle, Socrate, Thémisiocle, donnent le jour à des fils indignes. L’histoire romaine et contemporaine n’est qu’un long exposé de fils qui n’ont rien de
comparable à leur père.
Dans le domaine des sciences, c’est à chaque instant que l’on voit surgir le génie des milieux les plus ordinaires, et de parents qui n’ont pas de connaissances intellectuelles développées. Les noms de Bacon, Berzélius, de Blumenbach, Brewater, Comte, Copernic, Descartes, Galien, Galvani, Hegel, Hume, Kant, Kepler, Locke, Malebranche, Priestley, Réaumur, Rumford, Spinoza, etc., établissent que le génie n’est pas héréditaire.
Nous ne croyons pas utile d’insister sur ce point, qui est la règle générale ; nous préférons expliquer ce qui paraît plus générale ; nous préférons expliquer ce qui paraît plus difficile à comprendre, c’est-à-dire les cas où il semble qu’il y ait une transmission héréditaire des facultés.
Les facultés sensorielles et les habitudes corporelles peuvent se transmette héréditairement, et les formes les plus hautes de l’esprit, comme la perception, la mémoire, l’imagination, se rencontrent souvent dans la même famille. On cite un grand nombre d’exemples de peintres, de musiciens, d’hommes d’État, chez lesquels les aptitudes semblent se communiquer de père en fils. Ici la question est double ; il y a en premier lieu la fonction, qui appartient à l’âme, et secondement l’organe qui sert à la manifester. L’âme, pour déployer ses facultés dans leur plénitude, a besoin d’un organisme matériel qui soit en rapport avec son développement intellectuel.
Nous avons vu que le périsprit est la condition fluidique du mécanisme par lequel l’âme agit sur le corps ; de sorte qu’il est rationnel d’admette que l’âme qui veut s’incarner, recherche sur la terre les hommes dont la valeur intellectuelle, et par conséquent la constitution physique, offrent avec elle le plus de similitude, car il est certain, dès lors, que le corps physique du nouveau venu, en raison des lois de l’hérédité, lui offrira toutes les facilités pour se développer suivant son désir.
Pour être bon peintre ou excellent musicien, il faut avoir certaines aptitudes organiques spéciales : pour l’un, la mémoire des couleurs et l’exactitude de la vision ; pour l’autre, une grande justesse d’oreille et un développement de la sensibilité. Il se peut parfaitement que ces arts, étant cultivés dans la même famille pendant plusieurs générations, le corps ait des dispositions organiques spéciales. C’est précisément ces préformations qui déterminent le choix des Esprits qui viennent s’incarner. Non seulement ils se trouvent en conformité d’idées avec les parents, mais encore ils ont à leur disposition un organisme plus apte à manifester leur volonté. Il n’y a donc rien d’étrange à ce qu’un musicien s’incarne plutôt chez un compositeur que chez un maçon, et les matérialistes ont pris, comme toujours ; l’effet pour la cause, ou voulant attribuer à des effets matériels ce qui ressortit à l’esprit.
Cette observation nous conduit à faire remarquer que l’esprit ne s’incarne pas où il veut, il y a dans le monde spirituel des lois qui ont autant de rigueur que les lois physiques ici-bas. Les affinités périspritales et les lois magnétiques de la pensée et de la volonté jouent un très grand rôle. Les Esprits errants, ceux qui sont peu avancés, qui ne comprennent pas les grandes lois de l’évolution, sont portés à revenir sur la terre pour y donner pleine carrière à leurs passions, qu’ils ne peuvent satisfaire dans l’espace ; ils assiègeraient les classes riches pour s’incarner, s’il leur était possible de prendre place dans ces milieux qu’ils considèrent, bien à tort, comme privilégiés. Mais, en général, ils n’ont pas de correspondance fluidique avec ces incarnés, et il n’est pas en leur pouvoir d’y pénétrer. Nous faisons partie tous d’une certaine catégorie d’Esprit qui, un peu plus vite ou un peu plus doucement, évoluent à peu près en même temps, les plus avancés aidant les retardataires. Dans nos vies successives, nous pouvons parcourir toutes les positions sociales et, successivement, père, mère, fils, époux, parents, nous nous prêtons un mutuel secours. Il est compréhensible que ces Esprits de même ordre s’incarnent entre eux, ou chez d’autres groupes qui présentent les mêmes affinités spirituelles, et c’est de cette manière que se développe lentement le sentiment de la fraternité, qui nous portera à embrasser tous les êtres dans le même amour.
S’il existe des familles artistes, où les arts sont en honneur, il y a malheureusement aussi d’autres familles où ce sont les vices qui semblent héréditaires. Le docteur Morel a raconté l’histoire d’une famille des Vosges, chez qui le bisaïeul était dipsomane, c’est-à-dire atteint irrésistible ivrognerie, qui mourut de ses excès ; l’aïeul, possédé de la même passion que son père, mourut maniaque ; il eut un fils beaucoup plus sobre, mais atteint d’hypocondrie et de tendances homicides, qui eut lui-même un fils atteint de stupidité et d’idiotisme. Ainsi à la première génération excès alcooliques ; à la deuxième, ivrognerie héréditaire ; à la troisième, tendances hypocondriaques ; à la quatrième, stupidité et extinction probable de la race.
C’est souvent comme épreuve que les Esprits viennent s’incarner dans ces familles, ils veulent acquérir la force de vaincre la matière, ils n’ont pas ce vice dans les incarnations antérieures ; mais l’organisme vicié leur suscite des besoins contre lesquels ils veulent réagir, la lutte n’est pas toujours commode à soutenir. M. Tréiat, dans sa folie lucide, rapporte qu’une dame régulière et économe était prise d’accès de dipsomanie irrésistibles.
Furieuse contre elle-même, elle s’injuriait, s’appelait misérable et ivrogne, mêlait à son vin les substances les plus dégoûtantes ; mais vainement, la passion était toujours la plus forte. La mère et l’oncle de cette femme étaient également dipsomanes.
Il y a certainement des cas où le crime et la folie sont héréditaires. « Rien n’est tranché ou isolé dans la nature, dit le Dr Despines. Tout s’y lie par des anneaux intermédiaires que l’observation attentive finit par trouver, là où l’on n’eût pas osé les soupçonner de prime abord. Il serait à souhaiter, dans l’intérêt de la science, que l’on fit des recherches sur les ascendants des criminels, en remontant à deux ou trois générations au moins. Ce serait un excellent moyen de mettre en évidence cette parenté qui existe entre les infirmités cérébrales, qui donnent lieu aux anomalies psychiques génératrices du crime, et les affections pathologiques des centres nerveux et du cerveau en particulier. Le fait, constaté par les docteurs Férus et Lélut, que la folie est bien plus fréquente chez les criminels que chez les autres hommes, n’est-il pas une preuve que le crime et la folie ont des liens qui les unissent intimement. Grand est le nombre des criminels dont les ascendants ont donné des marques de folie. Verger, le célèbre assassin de l’archevêque de Paris, est de ce nombre. Sa mère et un de ses frères sont morts avant son crime, de la folie du suicide ».
g) La folie
La folie proprement dite s’accompagne toujours d’un état morbide des organes, qui se traduit le plus souvent par une lésion ; l’aliénation est donc une maladie physique dans sa cause, bien qu’elle soit mentale dans la plupart de ses effets. La folie peut se transmettre par voie héréditaire, mais parfois se manifeste chez les descendants, en se transformant.
Rien n’est plus fréquent que de voir la folie devenir suicide, ou le suicide devenir folie, alcoolisme, hypocondrie.
« Un orfèvre, guéri d’un premier accès d’aliénation mentale causé par la révolution de 1780, s’empoisonne ; plus tard, sa fille aînée est prise d’une attaque de manie qui se change en démence. Un de ses frères se donne un coup de couteau dans l’estomac. Un second frère s’abandonne à l’ivresse et finit par périr dans la rue. Un troisième refuse toute nourriture, par suite de chagrins domestiques, et meurt d’anémie. Une deuxième soeur, pleine de travers, se maria, eut un fils et une fille : le premier meurt aliéné et épileptique ; la seconde perd la raison pendant une couche, devient hypocondriaque, et veut se laisser mourir de faim. Deux des enfants de cette même dame meurent d’une fièvre cérébrale ; une troisième meurt sans avoir voulu prendre le sein ».
Il y a des familles dont les membres, à peu d’exception près, sont pris de folie au même âge. Toute la descendance d’une famille noble à Hambourg, remarquable, depuis le bisaïeul, par de grands talents militaires, était à quarante ans frappée d’aliénation : il n’en restait plus qu’un seul rejeton, officier comme ses pères, à qui le Sénat interdit de se marier ; l’âge critique arrivé, il perdit la raison.
Nous ne pouvons passer en revue tous les cas de folie, mais nous tenons à signaler bien des faits attribués à une maladie de cerveau et qui n’ont pour cause que les Esprits désincarnés. L’obsession, que nous étudierons plus loin, présente souvent tous les caractères de la folie véritable, et il serait à souhaiter que les médecins connussent le spiritisme, car ils pourraient guérir bien des malades qu’ils croient incurables. Dans ces cas, ce n’est pas le corps qu’il faut soigner, c’est l’âme, et en s’en prenant à l’Esprit obsesseur, on parvient parfois à lui faire lâcher prise et abandonner sa victime. Les journaux spirites mentionnent un certain nombre de guérissons de ce genre.
Si l’on veut observer un grand nombre de faits qu’on désigne sous le nom d’hallucinations, il sera facile de voir que, fort souvent, ce sont purement et simplement des visions d’Esprits. En voici plusieurs exemples : Sully rapporte que les heures solitaires de Charles IX étaient devenues affreuses par la répétition des cris et des hurlements qui l’assaillirent durant le massacre de la Saint-Barthélemy.
« Le roi Charles, dit cet illustre ministre, oyant, le soir du même jour et tout le lendemain, conter les meurtres et tueries qui s’y étoient faits, de vieillards, femmes et enfants, tira à part maître Ambroise Paré, son premier chirurgien, qu’il aimoit infiniment, quoi qu’il fust de la religion, et lui dit : – Ambroise, je ne sçay ce qui m’est survenu depuis deux ou trois jours, mais je le trouve l’esprit et le corps grandement émus, voire tout ainsi que si j’avais la fièvre, me semblant à tout moment, aussi bien veillant que dormant, que ces corps massacrés se présentent à moi, les faces hideuses et couvertes de sang ; je voudrais que l’on n’y eus pas compris les imbéciles et les innocents ». Il y avait, suivant toute vraisemblance, autour du roi sanglant, des Esprits qui criaient vengeance. Voici un autre fait du même ordre .
Le chirurgien Manoury, qui était l’ennemi d’Urbain Grandier, fut choisi, le 26 avril 1634, pour examiner si, d’après la déclaration de la prieure, l’accusé avait quelque point du corps qui fût insensible . Il s’acquitta de cette tâche avec la plus insigne barbarie, et l’on ne peut songer aux douleurs du malheureux patient, sans frémir d’horreur. Il se repentit de sa cruauté, car « un soir, sur les dix heures, revenant d’un bout de la ville visiter un malade, et marchant de compagnie avec un autre homme et son frater, il s’écria tout à coup, en sursautant : « Ah ! voilà Grandier ! que me veux-tu ? » et il entra dans un tremblement et une frénésie dont les deux hommes ne purent le faire sortir. Ils le ramenèrent toujours parlant à Grandier, qu’il croyait avoir devant les yeux, et on le mit au lit saisi de la même frayeur et avec le même tremblement. Pendant le peu de jours qu’il vécut encore, son état ne changea point. Il mourut en croyant toujours voir Grandier, et en tâchant de la repousser pour en éviter l’approche, et en proférant des discours terribles. »
Ce ne sont pas là des hallucinations, il y a eu probablement une apparition, et de nos jours les personnes qui voient les Esprits ne sont plus, fort heureusement pour elles, renfermées dans des asiles d’aliénés. Abercomble cite le cas d’un médium voyant, qu’il qualifie bien entendu de malade : « J’ai connu, dit-il, un homme qui a été assiégé toute sa vie par des hallucinations. Cette disposition est telle que s’il rencontre un ami dans la rue, il ne sait d’abord s’il voit une personne véritable ou un fantôme. Avec beaucoup d’attention, il peut constater une différence entre eux. En général, il corrige les impressions visuelles en touchant ou en écoutant le bruit des pas. Cet homme est dans la force de l’âge, sain d’esprit, d’une bonne santé et engagé dans les affaires. »
Citons un dernier exemple qui nous ramènera à l’étude de l’obsession.
Une femme, Ohlaven, avait été atteinte d’une maladie grave qui l’obligea de sevrer sa fille, âgée de six semaines. Cette maladie de la mère avait débuté par une envie irrésistible de tuer son nourrisson. On découvrit ce projet assez tôt pour l’empêcher. Puis elle fut atteinte d’une fièvre violente qui effaça complètement ce fait de sa mémoire, et elle se montra depuis pour sa fille la mère la plus dévouée. Voilà, certes, un cas d’obsession, car il est inadmissible qu’une mère qui, toute sa vie, donne des preuves de son amour maternel, ait l’intention de tuer son enfant. Nous pouvons admette qui a permis à un Esprit méchant d’agir sur elle, par suggestion, pour lui faire accomplir cette mauvaise action ; mais, revenue à la santé, elle a repris sa liberté morale, et ses véritables sentiments en sont montrés.
Lorsque le corps ne jouit plus de la santé parfaite, c’est-à-dire quand les rapports normaux de l’âme et du corps sont troublés, la force vitale peut s’extérioriser en partie, et certains Esprits mal intentionnés, et connaissant les lois fluidiques, peuvent s’en servir dans un but mauvais.
Il faut donc, dans ces cas particuliers, soigner le corps et l’âme ; la guérison s’opère plus rapidement lorsqu’on connaît la véritable nature du mal.
C’est avec une pitié profonde que l’on songe aux innombrables victimes du fanatisme religieux au Moyen-Age. Les sorciers étaient de malheureux obsédés, inconscients et irresponsables pour la plupart, qui payaient de leur vie la soi-disant possession démoniaque.
Lorsqu’on lit aujourd’hui les réquisitoires des Bodin, des Delancre, des Le Loyer, des Del Rio, on est surpris de leur profonde stupidité ; mais, parfois, il est possible d’y remarquer des faits bien constatés, qui ne pouvaient se produire que par l’intervention des Esprits. Les réponses faites en latin aux exorciseurs, les cas de lévitation se constatent assez fréquemment, et se mélangent avec les crises de la grande hystérie. La Salpetrière renferme des malades qui eussent infailliblement péri sur le bûcher si, pour leur malheur, ils étaient nés deux cents ans plus tôt.
Nous croyons donc utile de remettre sous les yeux du lecteur les études d’Allan Kardec sur l’obsession, et de renvoyer à ses livres pour la guérison de ces sortes de maladies.
h) L’obsession et la folie
Il faut faire de soigneuses distinctions entre l’obsession, la fascination, la subjugation et la folie proprement dite, qui comprend : l’hallucination, la monomanie, la manie, la démence et l’idiotie.
Le spiritisme, seul, permet de faire ces différences que la science médicale n’a pas encore reconnues, et bien souvent, elle attribue à la folie des faits qui ne relèvent pas de son domaine. Allan Kardec a fort bien défini ces maladies spirituelles qui tiennent plutôt à l’âme qu’à l’organisme matériel ; notre but est d’appeler l’attention sur les conditions physiques qui accompagnent ces désordres de l’intelligence.
Nous ignorons encore si, dans les cas d’obsessions et de subjugation, il n’y a pas une désorganisation cérébrale correspondant au trouble moral. Nous sommes porté à le croire, car les rapports intimes qui existent entre l’âme et le corps, entre le périsprit et le système nerveux sont tellement étroits, qu’on peut affirmer, sans crainte de se tromper, qu’à tout état physique déterminé correspond un certain état intellectuel, et réciproquement. Mais de même qu’entre la subjugation et l’obsession complète il peut exister tous les degrés, de même ils doivent correspondre dans le corps à des désordres organiques, d’abord peu importants, mais qui peuvent s’aggraver ensuite jusqu’à produire de véritables lésions du cerveau.
Dans le Livre des Médiums on constate que la subjugation, ou obsession simple, n’est pas, à proprement parler, un état de conscience, c’est simplement le fait qu’un Esprit s’impose constamment dans les communications, qu’il empêche d’autres Esprits de se manifester, ou qu’il se substitue à ceux que l’on évoque.
Dans ce cas, le médium se rend bien compte de ce qui a lieu ; il en est obsédé, c’est-à-dire fatigué.
Lorsqu’on arrive à la fascination, le phénomène s’accentue et les conséquences en sont plus graves. Le médium ne croît pas être trompé, il ne jouit plus de son entier libre arbitre, il obéit aux injonctions de l’Esprit ; c’est de l’hypnotisation spirituelle qui a lieu. Par suite de la liberté que le médium accorde à l’Esprit, celui-ci peut agir fortement sur le périsprit de son sujet, et cela avec la
plus grande facilité, puisqu’il ne trouve aucun obstacle, la volonté du médium étant complaisamment annihilée.
De là résultent les suggestions simples, qui ont pour résultat de fausser la raison et l’imagination du sujet, et ces suggestions se répétant continuellement, on comprend, dès lors, que certains désordres matériels puissent se produire dans le cerveau de celui qui est l’objet de cette persécution. Souvent plusieurs de ces Esprits se réunissent pour tourmenter leur victime, qui finit par devenir réellement folle, d’obsédée qu’elle était primitivement.
On ne s’explique pas, généralement, comment il peut se faire que des âmes désincarnées peuvent ainsi passer leur temps à torturer des incarnés. Mais il suffit malheureusement de jeter les yeux, sur la Gazette des Tribunaux pour voir à quelle bassesse l’âme humaine peut parfois atteindre. Les Esprits qui ne sont pas avancés ont toutes les passions les plus viles, et surtout celle de la vengeance, et s’ils peuvent reconnaître dans un homme ou une femme l’être qui leur a causé du tort ou qui les a empêchés de faire le mal pendant leur vie terrestre, ou dans d’autres existences, ils lui vouent une haine terrible qui ne se termine parfois qu’à la mort de la victime, si celle-ci a le malheur de leur donner prise, même inconsciemment. C’est de cette manière que beaucoup d’obsédés sont traités comme fous, parce qu’on attribue simplement à des hallucinations des faits qui ont pour cause des suggestions spirituelles irrésistibles. Lorsque l’on voit un sujet hypnotique rire, pleurer, éprouver de la joie ou de la douleur, de l’étonnement ou de la crainte, exécuter passivement les actes les plus bizarres, les plus ridicules ou les plus dangereux, suivant la nature des tableaux hallucinatoires qu’on lui suggère par la volonté, il devient évident que l’action des Esprits sur l’obsédé est de la même nature que celle de l’hypnotiseur sur son sujet : seulement, ici, la volonté agissante est celle d’un ou plusieurs êtres désincarnés invisibles, inaccessibles aux procédés ordinaires dont dispose la médecine.
Citons un exemple emprunté à Brierre de Boismont , le célèbre aliéniste :
« Mlle M…, âgée de quarante ans, très nerveuse et par suite fort impressionnable, a toujours été d’une extrême mobilité. Dans sa jeunesse, elle ne pouvait se livrer à aucune étude sérieuse, aussi les médecins avaient-ils recommandé à ses parents de lui faire de préférence des exercices gymnastiques. Sa position de fortune est heureuse, ses parents sont forts, sains d’esprit ; elle a un frère dont l’état offre beaucoup de rapport avec le sien.
Son extérieur annonce la santé ; ses cheveux sont châtains, son teint est coloré et son embonpoint ordinaire.
Il y a dix ans, elle a commencé à éprouver les premiers symptômes de la maladie dont elle est maintenant affligée. Elle voyait des personnages aux formes les plus bizarres ; ces aberrations visuelles ne l’empêchaient pas de vaquer à ses occupations. Il y a six mois, les hallucinations, qui, jusqu’à cette époque, avaient été supportables et éloignées, se rapprochèrent ; la vue ne fut plus le seul sens lésé, tous les autres s’altérèrent à leur tour. Le désordre le plus apparent porté sur l’âme ; à chaque instant, elle entendait des voix qui avaient prix domicile dans son estomac. Ces voix faisaient son tourment ; elles lui commandaient toutes les actions, l’avertissaient de ce qui se passait en elle ; elles lui fournissaient des renseignements sur ses maladies et elles pouvaient prescrire des médicaments qui lui semblaient très raisonnables.
Les voix lui donnaient des indications précises sur le caractère, sur le penchant des personnes ; elle aurait pu alors révéler des particularités fort curieuses. Par moments, elle s’exprimait en termes plus choisis qu’elle n’était dans l’habitude de le faire. Cette abondance, cette facilité, cette richesse d’expression, elle les devait aux voix, car lorsque c’était elle-même qui agissait, elle parlait beaucoup plus simplement. Souvent les voix s’entretenaient sur de sujets d’un ordre élevé : leurs discours roulaient sur la géographie, la grammaire, l’art de parler ; ils la reprenaient quand elle s’énonçait mal, en lui faisant connaître les fautes qu’elle avait commises.
Les voix lui disaient les choses les plus étranges. Un jour elles lui firent croire qu’elle était possédée, ce qui était d’autant plus surprenant qu’elle n’avait pas été élevée dans les idées superstitieuses. Elle alla trouver un curé fort instruit pour se faire exorciser. Il lui est resté depuis cette époque des idées fort pénibles sur l’éternité, les peines à venir, qui la jettent par moments dans un profond désespoir. Une fois les voix lui révélèrent qu’elle deviendrait reine, qu’elle jouerait un grand rôle dans le monde ; elle ne communiqua cette idée à personne.
Attendant les effets de la promesse, mais rien ne se réalisant, elle s’aperçut que les voix l’avaient trompée, ce qu’elles font presque toujours. Le plus ordinairement, elles lui tiennent les discours les plus singuliers. Elle les entend plaisanter, se moquer ; puis elles les la harcèlent plus violemment que jamais, gâtant comme les harpies tout ce qu’elles touchent.
Les voix poussent à se noyer, mais elle éprouve une résistance intérieure qui l’empêche de leur céder ; elle craint cependant de ne pas pouvoir toujours résister.
Souvent elle a des visions singulières. Son appartement se remplit de personnages ; ce sont des figures de toutes espèces. Les aliments qu’elle mange ont des goûts infects ; ils ont perdu leur saveur naturelle.
Met-elle la main à un plat, les voix lui communiquent un goût affreux qui l’empêche d’y goûter.
Lorsqu’elle marche, elle se sent couverte d’eau, le froid du liquide lui pénètre le corps ; elle essuie alors avec les mains ses vêtements mouillés.
Cette dame dit que ces voix proviennent d’une affection nerveuse ; elles sont plus fortes que son raisonnement ; elles la subjuguent, la dominent. Leur pouvoir est si grand, qu’elles la font aller partout où elles veulent…. Les voix ne veulent pas qu’elle parle, elles lui troublent les idées ; elle ne peut s’exprimer que difficilement. Elle s’aperçoit fréquemment que les voix lui font faire des choses déraisonnables ; elle veut s’y opposer, mais elles l’entraînent, la forcent à obéir ; elles
ont un pouvoir irrésistible. »
Brierre de Boismont fait les réflexions suivantes :
« Un fait psychologique qui n’échappera point à l’attention des observateurs, c’est cette nouvelle
manifestation du principe de dualité en vertu duquel cette malade accablée par les railleries, les plaisanteries, les menaces, les horribles propos, prête à s’abandonner au désespoir, se trouve tout à coup consolée par des paroles bienveillantes, des encouragements. On dirait deux esprits, l’un méchant, l’autre bon, qui la tiennent chacun de leur côté. »
Évidemment il en est bien ainsi. Cette demoiselle est la proie d’Esprits méchants qui lui font éprouver des hallucinations de tous les sens, et cet exemple complet d’obsession est bien fait pour inspirer de profondes réflexions. D’abord désordres de toutes les sensations, puis désordre du moi ; lutte de l’intelligence contre les sens révoltés ; conscience momentanée des illusions, puis triomphe de ces mêmes illusions, entraînement de la volonté qui se débat contre la force qui la pousse.
Est-il, en effet, spectacle plus digne des méditations du philosophe que la vue de cette femme qui reconnaît que ses sens sont abusés, qu’elle est le jouet de chimères, et ne peut cependant échapper à leur influence. Cent fois trompée, persuadée qu’il en sera toujours ainsi, elle n’en fait pas moins ce que les voix lui commandent, et se rend dans tous les lieux qu’elles lui désignent.
Cette annihilation de la volonté, devant les suggestions provenant d’êtres invisibles, tient à la faiblesse du système nerveux, et il est facile de reproduire artificiellement et temporairement un état semblable sur un sujet hypnotisable. On pourrait comparer les obsédés à des somnambules éveillés qui, tout en subissant l’action du magnétiseur, ont conscience de leur état.
M. Richet montre, par des exemples aujourd’hui bien connus, comment on peut procurer des hallucinations de la vue et du goût à un somnambule.
- Il fait voir à des sujets, tour à tour, des tableaux gais ou horribles, et l’impression hallucinatoire est profonde lorsqu’il leur raconte des récits ; ils y prennent un intérêt extraordinaire et s’appliquent à en être violemment impressionnés.
– Ils pleurent si ce sont des épisodes tristes, ils rient si le récit est gai ; en un mot, le pouvoir de commander aux idées est absolument aboli. Ils subissent précisément l’empire de l’hypnotiseur et sont incapables de résister aux impressions qui leur viennent du dehors ; ce sont des automates intellectuels. Ce qu’il y a de plus remarquable, c’est que certains sujets ont conscience de leur état, bien qu’impuissants à le modifier.
En voici un exemple emprunté encore à M. Richet :
« Alors qu’il n’y a aucun désordre dans l’intelligence, il y a déjà, par une sorte d’action élective, inhibition et paralysie de la volonté.
Chez Mme X…, on suivait très bien ce phénomène spécial. Ainsi, comme elle conservait le procédé de l’analyse lui-même, elle me disait : Je n’ai aucune idée, il m’est impossible de faire attention à quoi que ce soit.
J’ai la tête vide et il me semble que tout est dans le brouillard. »
Cette sensation du vide est de la même nature que celle de la demoiselle dont parle Brierre de Boismont, qui se figurait que sa tête et sa colonne vertébrale étaient remplie d’air. – Continuons :
Cette fois le sujet est un homme.
« Je prends alors un objet quelconque, je le lui mets dans la main et je lui dis : « Il faut ne le laisser prendre à personne. » Il sait parfaitement que cela n’est qu’une expérience, que cela n’a aucune importance ; il ne laisse pas prendre cet objet. Quelques-uns de ses amis présents à la scène lui disent alors :
- Donne-moi ce livre.
Il refuse, alléguant toutes sortes de raisons, demandant pourquoi. « Vous n’avez pas besoin de ce livre, dit-il, je vous le donnerai tout à l’heure, mais pas maintenant. » Comme on insiste en lui représentant que l’expérience consiste précisément à savoir s’il aura la volonté de donner ce livre, il dit qu’il peut le faire, mais il ne le fait pas. Pendant dix minutes et plus longtemps encore, il résiste à toutes les sollicitations, raisonnant sa résistance, trouvant des raisons pour expliquer pourquoi il ne cède pas.
Réveillé brusquement par insufflation, il cède immédiatement le livre, disant « qu’il peut maintenant vouloir ».
Cette expérience est caractéristique. Je l’avais faite sur beaucoup de somnambules, mais elle est plus intéressante chez ce dernier sujet, parce qu’il conserve la notion de lui-même et qu’il peut très bien analyser ses sensations. C’est l’inhibition de la volonté dans toute sa netteté et sa simplicité.
Cette suspension de la volonté fait qu’il n’y a plus de réaction aux injonctions diverses qu’on fait aux somnambules.
Je dis à M… de rire. Il me dit : « Pourquoi faire ? Ce n’est pas sérieux, c’est pour la forme, et je n’ai pas envie de rire ». Cependant il rit, ou plutôt grimace quelque chose d’analogue au rire, et cela aussi longtemps qu’il me plaît. Je lui dis de pleurer. Il pousse d’abord de profonds soupirs, il se cache les yeux avec les mains et de grosses larmes roulent de ses joues.
Dans ces expériences, il peut analyser ses sensations, il est spectateur de lui-même, et cependant il est automate, incapable de résister, pleurant quoiqu’il n’ait aucun sujet de larmes et out en sachant qu’il n’a aucun sujet de pleurer. »
Dans cet exemple, le sujet hypnotique sait comprendre qu’il participe à une expérience, que c’est son ami Richet qui agit sur lui ; mais si l’opérateur devenait invisible, la position de M… serait identique à celle de la demoiselle dont parle Brierre de Boismont. Elle n’était pas folle, elle se rendait compte de son état, puisque, à part l’influence des voix, qui était irrésistible, elle vaquait à ses occupations ordinaires sans que rien décelât les troubles mentaux auxquels elle était en proie.
« Depuis dix ans que dure cet état pathologique, dit l’auteur, la malade ne s’occupe pas moins à ses affaires ; elle dirige elle-même l’administration de ses biens, remplit ses devoirs de la vie sociale, et, quoique depuis dix années les fausses sensations ne lui laissent pas in instant de repos, rien n’est changé dans ses habitudes : seulement, elle comprend d’une manière intuitive que la raison va lui échapper, et elle cherche, dans des conseils qu’elle ne peut suivre, un soulagement à ses maux. »
Le spiritisme offre donc une explication logique de certains états d’esprit que l’on caractérise par le nom de folie, et qui ne tiennent pas le moins du monde à de fausses perceptions, à des troubles cérébraux, mais à une action certaine, analogue à celle que produit la suggestion sur un incarné, et dont il faut chercher la cause dans le monde spirituel. Ce qui rend la distinction entre la folie et
l’obsession assez difficile, c’est que les sens sont sujets à être hallucinés à la suite de certains désordres du système nerveux, sans aucune intervention extérieure.
Il faut donc une grande pratique et un discernement très développé pour reconnaître si la maladie est due à l’une ou à l’autre cause, et il serait à souhaiter que les spécialistes ayant l’habitude de traiter les hallucinés, voulussent bien envisager la question à ce point de vue, car nous sommes persuadés qu’il en résulterait un progrès immense de cette branche de la médecine.
Dans la subjugation appelée jadis possession , la domination de l’esprit est complète. Le subjugué est un instrument tout à fait docile aux suggestions de l’Esprit ; il ne lutte même plus contre ce pouvoir occulte, soit physiquement, soit moralement ; il est tout à fait passif, car la volonté de l’obsesseur s’est substituée entièrement à la sienne ; encore un peu, et il perdrait la conscience de lui-même, pour se croire un personnage célèbre, un réformateur du monde ; en un mot, il deviendra fou, car ce n’est pas impunément que l’influence perturbatrice s’exerce pendant si longtemps, des lésions du cerveau s’ensuivant, la maladie sera incurable.
Le malade peut présenter différents genres de subjugations. Tantôt elle est seulement morale ; le sujet prendra les décisions les plus bizarres, les plus contraires à son intérêt ou à la loi, avec la ferme conviction que ses décisions sont sensées. Lorsque la subjugation est matérielle, elle peut présenter bien des caractères différents.
Allan Kardec a connu un homme, ni jeune, ni beau, qui, sous l’influence de son Esprit obsesseur se mettait à genoux devant toutes les jeunes filles. Un autre sentait, à certains moments, sur le dos et les jarrets une pression énergique, qui le faisait, malgré lui, se mettre à genoux et baiser la terre dans les endroits publics, et en présence de la foule. Cet homme passait pour fou, mais il ne l’était
pas encore, puisqu’il avait parfaitement conscience de son état et en souffrait horriblement.
L’hypnotisme est venu nous donner la clef de ces phénomènes. Le sujet obéit passivement, ou à peu près, à celui qui l’a plongé dans cet état, il ne peut résister efficacement à la suggestion, quelles qu’en puissent être pour lui les conséquences.
Supposons que cette situation persiste pendant des semaines, des mois, des années, il en résultera des désordres physiques que l’on aura de la peine à guérir, même après la disparition de l’obsesseur qui les a provoqués.
Jusqu’alors, on ne savait pas qu’une cause purement spirituelle, indépendante de l’organisme, pouvait produire la folie et, consécutivement, des désordres encéphaliques, de sorte qu’en soignant seulement le corps, on négligeait l’esprit.
Le spiritisme montre qu’il faut faire suivre aussi un traitement moral au malade, en même temps qu’on agit sur l’obsesseur et que, dans beaucoup de cas, si la lésion produite n’est pas irrémédiable, il sera possible de rendre à l’aliéné son ancien pouvoir sur ses organes, c’est-à-dire de le ramener à la raison. Les médecins ont le devoir d’étudier notre doctrine, car leur mission les oblige à rechercher tous les moyens de rendre la santé à ceux qui souffrent, et plus tard, lorsque les phénomènes du spiritisme seront mieux connus, beaucoup de formes de la folie, réputées incurables, pourront céder devant une médication qui ne sera plus systématiquement matérialiste.
C’est l’abandon voulu dans lequel on laisse la cause psychique de la maladie, qui fait que la science est aussi souvent impuissante. Nous ne disons pas que l’on n’ait pas essayé de traiter la folie au point de vue intellectuel, ce serait faire preuve d’ignorance ; mais ce que nous prétendons, c’est qu’on a cherché dans une fausse direction, en ne faisant pas la part de l’Esprit obsesseur, c’est-à-dire de l’hypnotiseur désincarné.
C’est lui qu’il faut d’abord chasser par tous les moyens que le spiritisme préconise. Ceci fait, la plus grosse difficulté est vaincue ; il ne reste plus qu’à réparer le corps, ce qui rentre dans les attributions ordinaires de la médecine, à la condition toutefois, comme nous le disions plus haut, que les dégradations organiques ne soient pas trop considérables.
Pour en revenir à la folie considérée dans ses rapports avec l’hérédité, il est incontestable que, dans beaucoup de cas, la folie est due à une lésion du système nerveux, lésion qui se manifeste à une certaine époque de la vie, et qui provient des parents par voies héréditaires.
Dans ces conditions, il ne peut plus être question d’Esprits obsesseurs.
C’est l’organisme lui-même qui est vicié, détérioré, et qui ne répond plus à la volonté de l’âme, il peut se produire des hallucinations qui ont leur fondement dans le mécanisme cérébral faussé.
Souvent, aussi, on remarque une complication du phénomène. L’hérédité peut présenter des métamorphoses : ainsi un alcoolique peut donner naissance à des enfants idiots ; ceci tient à ce que l’encéphale, sous l’influence de l’alcool, est partiellement détruit, de sorte que, chez l’enfant, le cerveau n’occupe pas toute la capacité de la boîte osseuse. D’autres fois, les convulsions des ascendants se changent en hystérie ou épilepsie chez les descendants.
On cite un cas où l’hyperesthésie de père (développement maladif de la sensibilité) s’est irradiée chez ses petits-enfants et a produit la monomanie, la manie, l’hypocondrie, l’hystérie, les convulsions, le spasme… les faits de ce genre abondent et sont explicables par la théorie de la réincarnation et de l’expiation des fautes antérieures. Nous rapporterons quelques exemples : le périsprit n’est pas créateur, il est simplement l’organisateur de la machine ; mais si l’hérédité ne lui donne que des matériaux viciés ou incomplets, il est incapable de les régénérer, et il reste des parties du cerveau sur lesquelles il n’a pas d’action. Or la vie mentale est si compliquée, les facultés : mémoire, idéalisme, imagination, jugement, etc., sont dans une liaison si étroite, que l’oblitération d’une seule entrave la manifestation des autres ; de là, les désordres dont nous parlons.
Guitras a aussi rapporté le fait suivant : Un père atteint de folie a des enfants qui remplissent avec distinction des emplois publics.
Leurs enfants semblent d’abord sensés, mais à vingt ans deviennent fous. Sur 22 cas d’hérédité de folie, Aubanel et Thoré ont noté des faits de ce genre.
Il y a des familles dont les membres, à peu d’exception près, sont tous atteints de folie, et de la même espèce.
Trois parents entrèrent à la fois dans l’hôpital des fous de Philadelphie. On a vu dans l’hôpital de Connecticut un fou qui était le onzième de sa famille. Lucas parle d’une dame qui était la huitième ; ce qui est le plus curieux, c’est que le mal se développe au même âge dans les générations successives.
Un négociant Suisse voit ses deux enfants mourir à dix-neuf ans. Une dame est aliénée à vingt-cinq ans, après une couche. Sa fille devient folle à vingt-cinq ans, à la suite de couches. Dans une famille, le père, le fils, le petit-fils se sont suicidés à cinquante ans (Esquirol).
Malgré tous les faits que nous venons de citer, l’hérédité intellectuelle n’est pas la règle, car on remarque que ce sont des maladies qui se transmettent par voie séminale, et non les facultés proprement dites ; l’innéité est de beaucoup plus fréquente encore, malgré le nombre des exceptions. C’est ce qu’a soutenu le docteur P. Lucas, et nous sommes de son avis, puisque nous savons que l’Esprit qui vient s’incarner apporte son individualité, le plus souvent différente de celle des parents. Ne voit-on pas quelquefois des hommes de génie naître dans une famille dont aucun membre n’avait de faculté transcendante ? Et, d’autre part, l’on constate parfois qu’un scélérat est issu au milieu d’une très honnête famille.
La loi de la réincarnation explique très bien ces apparentes anomalies, car dans cette étude, comme dans toutes celles qui touchent au physique et au moral, il ne faut jamais se placer à un point de vue exclusif, sans quoi l’on est exposé à ne considérer toujours qu’un côté de la question. Le savant qui ne voit que la matière se trompe aussi lourdement que le spiritualiste qui n’envisage que l’Esprit.
Le spiritisme a pour devoir d’éclairer la science, en étendant son domaine jusqu’au monde invisible. Nous dirons donc que si l’esprit qui vient sur la terre apporte incontestablement les acquis de ces vies antérieures, il faut cependant tenir compte des dispositions organiques qui peuvent être favorables ou nuisibles au développement de ses facultés natives.
Voici à ce sujet l’avis du savant docteur Moreau de Tours , qui n’admet l’hérédité qu’au point de vue physiologique, en ce sens qu’il dit que c’est la transmission héréditaire des défauts organiques qui déterminent chez les descendants des maladies mentales.
Nous ne disons pas autre chose, tout en différant absolument du docteur Moreau, quant à l’appréciation de la nature du principe intelligent.
Pour les matérialistes, l’âme, résultant de l’organisme, est malade si l’organisme est malade ; pour nous, qui croyons à l’indépendance constitutive de l’âme, nous disons qu’elle n’est jamais malade, mais qu’elle ne peut manifester ses facultés dans un corps mal construit, auquel il manque certaines parties indispensables pour le bon fonctionnement intégral de l’esprit. Le cas est le même que si l’on voulait obliger un musicien à donner le sol avec un piano où manqueraient les cordes qui produisent ce son, à toutes les octaves.
Nous sommes donc d’accord avec la science pour convenir que la folie résulte, le plus souvent, d’une lésion ou d’un trouble nerveux, transmissible par hérédité ; mais notre explication de ce phénomène en diffère absolument, l’âme étant une personnalité indépendante après la mort, comme le démontre le spiritisme.
Une citation empruntée à M. Moreau fera voir en quoi nous différons. « C’est mal comprendre la loi d’hérédité, dit-il, que d’attendre à chaque génération nouvelle le retour de phénomènes identiques. Il y en a qui ont refusé de soumettre les facultés mentales à l’hérédité parce qu’ils voudraient que le caractère et l’intelligence des descendants fussent exactement semblables à ceux des ascendants, qu’une génération fût la copie de la précédente, que le père et le fils donnassent le spectacle d’une même créature naissant deux fois, et parcourant chaque fois la même vie dans les mêmes conditions. Mais ce n’est point dans l’identité des fonctions ou des faits organiques ou des facultés intellectuelles qu’il faut chercher l’application de la loi d’hérédité : c’est dans la source même de l’organisation, dans la condition intime.
Une famille dont le chef est mort aliéné, épileptique, ne se compose pas d’aliénés et d’épileptiques, mais les enfants peuvent être idiots, paralysés, scrofuleux. Ce que le père a transmis, ce n’est pas la folie, mais c’est le vice de sa constitution qui se manifestera sous des formes différentes par h’hystérie, l’épilepsie, la scrofule, le rachitisme. C’est ainsi que doit se comprendre la transmission héréditaire. »
Voici un autre témoignage qui confirme celui du docteur Moreau. En parlant de jeunes détenus des maisons de correction, le docteur Legrand du Saule nous montre toute une catégorie « d’êtres quinteux, irritables, violents, pas intelligents, réfractaires à tout sentiment honnête, indisciplinables et incorrigibles » et de qui sont-ils nés ?
Tantôt ils sont fils de vieillards, de consanguins, d’alcoolisés, d’épileptiques et d’aliénés. Tantôt, et c’est le cas le plus fréquent, ils doivent la vie à un père inconnu, et ils la reçoivent d’une mère rachitique, hystérique, prostituée ou fille.
Ces faits mettent parfaitement en évidence le rôle et l’importance du corps dans les cas anormaux : ils nous font parfaitement saisir pourquoi un enfant pourra présenter des tendances à la folie, mais ils ne détruisent en rien la loi de la réincarnation et l’identité substantielle de l’être qui vient s’incarner. D’ailleurs, l’observation établit directement que l’hérédité intellectuelle n’a pas lieu et que , partout et toujours, il n’y a transmission que des caractères physiques. Etablissons fortement ce point si important pour nous :
1° Ce qui prouve la réincarnation, c’est que souvent, dit Burdach, les parents ont des facultés intellectuelles très bornées, et leurs enfants annoncent cependant les plus heureuses dispositions,. C’est fréquemment de parents simples que sortent les hommes supérieurs, ces esprits dont l’influence se fait sentir pendant des milliers d’années et dont la présence était un besoin pour l’humanité, au moment où ils sont entrés dans la vie. Les plus grands hommes appartiennent à des familles pauvres, vulgaires et inconnues. Témoins : le Christ, Socrate, Jeanne d’Arc.
2° Des hommes illustres donnent le jour à des enfants indignes d’eux : Cicéron et son fils, Germanicus et Commode, les fils de Henri IV, de Louis XIV, de Cromwell, de Pierre le Grand, de Lafontaine, de Crébillon, de Goethe, de Napoléon.
3° Des races inférieures produisent des grands hommes : Chez les nègres : Toussaint Louverture.
4° Il est d’observation vulgaire que très souvent les enfants, tout en ayant une ressemblance physique très grande avec les parents, peuvent en différer beaucoup moralement.
Le spiritisme, grâce à la loi bien démontrée de la réincarnation, explique ces anomalies de l’hérédité, qui déconcertent ceux qui s’entêtent à ne pas vouloir faire intervenir l’élément spirituel, comme individualité bien définie, dans les problèmes qui exigent ce postulatum pour être résolus ; aussi ils en sont réduits à dire avec M. Ribot :
« Quelles sont les causes de ces métamorphoses ? Par quelle transmutation mystérieuse la nature tire-t-elle le meilleur du pire, le pire du meilleur ? Nous n’avons rien à répondre. Cette question est en dehors de la portée actuelle de la science. Nous ne pouvons dire pourquoi tel mode d’activité se transforme en se transmettant, ni pourquoi il revêt telle forme plutôt que telle autre. »
On voit donc, en somme, que, pour bien comprendre la nature de l’homme, il faut tenir compte de l’hérédité qui s’exerce toujours au point de vue physiologique et que, sans admettre que les facultés de l’esprit soient transmissibles, ce qui est impossible suivant le spiritisme, il y a des dispositions organiques des parents qui se montrent chez leurs descendants.
Il y a une lourde responsabilité à encourir pour ceux qui, se sachant atteints de maladies incurables, ou de vices qui ont laissé en eux des traces ineffaçables, ne craignent cependant pas de donner la vie à des êtres qui porteront fatalement le stigmate indélébile de l’infamie de leurs progéniteurs. Ecoutons à ce propos le savant et consciencieux naturaliste M. de Quatrefages :
« Depuis longtemps on a remarque les enfants engendrés pendant l’ivresse présentent souvent en permanence certains signes caractéristiques de cet état : des sens obtus et des facultés intellectuelles presque nulles. Or à Toulouse, pendant une courte carrière médicale, j’ai eu l’occasion d’observer un fait de ce genre. Deux artisans, le mari et la femme, appartenant à des familles dont tous les membres avaient été sains de corps et d’esprit, avaient quatre enfants. Les deux premiers étaient vifs et intelligents ; le troisième, à demi idiot et presque sourd ; le dernier ressemblait aux aînés. Des détails que me donna la mère, dont cet enfant dénué d’intelligence faisait l’affliction, il résulta qu’il avait été conçu dans un moment où son père était abruti par l’ivresse. Ce fait isolé n’aurait que peu ou point de signification ; rapproché de ceux qu’ont fait connaître Lucas, Morel, etc., il en a au contraire une très grande. »
Il n’y a pas que l’alcoolisme qui produise ces tristes résultas ; et sans insister davantage sur ce sujet, on comprendra toute la gravité qui s’attache à ces questions si délicates.
Les dispositions organiques dont on hérite des parents sont donc avantageuses ou néfastes, et l’Esprit qui s’incarne, suivant son degré d’avancement, subit ou choisit une famille qui lui permettra d’accomplir sur la terre le genre de progrès qu’il désire réaliser. S’il doit cultiver les sciences, les arts ou les lettres, ses affinités périspritales le conduiront de préférence dans les milieux où les autorités sont en honneur. Si, au contraire, il doit souffrir pour s’épurer, il sera attiré dans des familles où des tendances héréditaires se manifestent dans toute leur intensité, et elles feront de sa vie une douloureuse épreuve.
Ainsi s’expliquent les maladies redoutables qui semblent s’abattre arbitrairement sur certaines familles, et qui feraient douter de la Justice divine, si le spiritisme ne nous faisait comprendre le pourquoi de cette apparente iniquité.
i) Résumé
Au moment de l’incarnation, le périsprit s’unit, molécule à molécule, à la matière du germe. Celui-ci possède une force vitale dont l’énergie potentielle, plus ou moins grande, en se transformant en énergie actuelle pendant la durée de la vie, détermine le degré de longévité de l’individu.
Ce germe contient aussi des gemmules qui modifient l’organisme en verts des lois de l’hérédité, ou bien la force vitale, modifiée par les parents, transmet les dispositions organiques des progéniteurs. C’est sous l’influence de la force vitale que le périsprit développe ses propriétés fonctionnelles. L’évolution vitale du germe reproduit d’une manière rapide les formations ancestrales par lesquelles la race a passé. De même que le double fluidique renferme, sous forme de mouvements, la trace ineffaçable de tous les états de l’âme depuis sa naissance, de même le germe matériel contient en lui l’empreinte indéfectible de tous les états successifs du périsprit.
L’idée directrice qui détermine la forme est donc contenue dans le fluide vital, et le périsprit, en s’imprégnant, en se mélangeant, en s’unissant intimement à notre force, se matérialise suffisamment pour devenir le directeur, le régulateur, le support de l’énergie vitale modifiée par l’hérédité. C’est par lui que le type individuel se forme, se développe, se conserve et se détruit.
C’est par cette cause que le périsprit est le calque idéal du corps, le réseau fluidique permanent à travers lequel passe le torrent de matière fluente qui détruit et reconstruit à chaque instant tout l’organisme vivant.
C’est au périsprit que l’esprit doit la conservation de son identité physique et morale, car il est tout à fait impossible d’attacher le sentiment si profond et si persistant du moi à la matière qui se renouvelle sans cesse.
Ce qui fait l’invincible force de la certitude que nous avons d’être toujours le même être, depuis notre naissance jusqu’à notre mort, c’est la mémoire. Or les molécules du corps ont été renouvelées, pour chacun de nous, des milliers de fois pendant la durée d’une existence ; donc la mémoire, puisqu’elle persiste, ne peut être une propriété de ce qui ne varie pas dans l’homme, à l’enveloppe fluidique : au périsprit.
Nous constatons aussi dans l’homme des instincts spécifique, c’est-à-dire appartenant à toute la race.
Ceci n’a rien qui doive nous surprendre, puisque l’âme et son enveloppe n’arrivent à la période humaine que lorsqu’elles sont aptes à diriger un corps humain : les instincts primordiaux sont donc les mêmes pour tous, mais il en est d’autres individuels, qui dépendent des progrès particuliers réalisés par chaque être, de sorte que la réaction aux excitations extérieures varie suivant la nature particulière de chacun.
La transmission des dispositions organiques permet de comprendre pourquoi les Esprits s’incarnent plutôt dans certains milieux que dans d’autres : c’est qu’ils y trouvent les moyens nécessaires pour développer en eux des facultés spéciales. Les affinités fluidiques jouent donc le plus grand rôle au moment de la naissance. Si on admet aussi l’évolution par groupes, il en résultera la démonstration que les Esprits ne peuvent pas s’incarner où ils veulent. Un sauvage, dont le développement moral et intellectuel est de beaucoup inférieur à la moyenne à laquelle les peuples civilisés sont parvenus, ne pourra venir y prendre un corps physique, ses affinités fluidiques l’obligeant à revenir dans son milieu jusqu’au moment où il a suffisamment progressé pour que son corps fluidique soit en harmonie avec un milieu plus élevé.
Tous les êtres évoluent par degrés insensibles, par des transitions imperceptibles, mais si l’on veut se rendre compte du chemin parcouru, il suffit de comparer les termes extrêmes d’une série, le sauvage et l’homme civilisé, et l’on pourra se rendre compte de la différence qui sépare l’homme actuel de son ancêtre de l’époque quaternaire.
Nous avons vu que les dispositions morbides sont transmissibles, et si l’esprit n’est pas engendré par les progéniteurs, il se trouve néanmoins entravé dans le libre exercice de ses facultés par une organisation défectueuse.
C’est une épreuve des plus pénibles ; parfois la folie n’est pas réelle, sa cause ne provient pas des organes : elle est déterminée par des esprits obsesseurs, dont l’action va de l’obsession à la subjugation. C’est ici que le spiritisme se révèle comme un bienfait social. Il peut venir en aide à des quantités de pauvres victimes qu’on enferme dans les maisons d’aliénés et qui, de simples obsédés qu’ils étaient, deviennent réellement fous, lorsqu’ils se trouvent en contact avec les fous véritables.
CHAPITRE VI - L’Univers
Sommaire
La matière et l’esprit. – L’évolution cosmique. – L’évolution terrestre.
Les religions et les philosophies qui se sont succédés sur la terre ont toujours été en relations étroites avec l’état des connaissances humaines, au moment où elles ont été conçues. Il est facile de constater dans le christianisme les traces des idées fausses qui régnaient à l’époque romaine au sujet de la cosmogonie : la terre était le centre du monde et la création tout entière n’avait été faite que pour elle. Le progrès des sciences a bien modifié nos idées sur ce point ; il est avéré aujourd’hui que la terre n’est qu’une petite planète du système solaire ; que les mondes sont parsemés à profusion vers toutes les régions de l’étendue, et que l’univers est infini dans toutes les directions.
Ces vérités ont profondément atteint les anciens dogmes, et ont affranchi l’esprit en lui donnant une idée plus haute de la puissance éternelle qui préside aux évolutions du cosmos. En s’élevant au-dessus des conceptions anthropomorphistes, l’homme a entrevu l’être incréé, et il nous est permis de chercher à sonder tous les mystères sans craindre d’encourir le châtiment de notre témérité.
La lunette astronomique est le premier appareil qui nous ait révélé notre véritable position dans l’univers ; les autres planètes sont des astres comme la terre ; leurs formes, leurs constitutions, leurs mouvements sont semblables à ceux de notre globe ; ce sont nos soeurs de l’infini. Galilée nous a montré qu’au lieu de simples points brillants, ce sont des terres de l’espace qui ont des continents, des atmosphères et des satellites comme la terre. Quelle merveilleuse découverte ! Si ces mondes ont des caractères si semblables aux nôtres, leur origine doit être la même que la nôtre, leur origine doit être la même que la nôtre, et les phases que nous parcourons doivent avoir été ou seront les mêmes pour elles. Descartes, en appelant la terre un soleil encroûté, avait pressenti déjà cette grande vérité. Mais quittant bientôt le système solaire, déjà trop étroit pour son essor, l’esprit humain, aidé du télescope, va s’envoler avec Herschell vers les astres lointains qu’un abîme sépare de notre système.
Les étoiles et les nébuleuses vont étaler leurs splendeurs devant nos yeux émerveillés. Ici c’est la vastitude des cieux qui s’érige devant l’imagination épouvantée par ces perspectives insondables. A la distance des étoiles, une nébuleuse du diamètre de l’orbite terrestre (soixante-quatorze millions de lieues) serait invisible. A peine pourrait-on en apercevoir une qu’elle serait égale aux orbites de Jupiter ou de Saturne ; les plus compactes sont supérieures à l’orbite de Neptune qui compte deux milliards deux cent vingt-deux millions de lieues et pour d’autres, plus énormes encore, l’esprit humain a peine à s’imaginer leurs gigantesques dimensions. Ces amas de matière cosmique montrent parfois des points brillants, et ces points, si, au lieu de les considérer dans une seule nébuleuse, on les suit dans un grand nombre de ces astres, se montrent parfois des points brillants, et ces points, si, au lieu de les considérer dans une seule nébuleuse, on les suit dans un grand nombre de ces astres, se montrent alors entourés de nébulosités plus ou moins étendues. Il semble que ces noyaux nous offrent tous les degrés de condensations de la matière qui les compose, depuis le nuage le plus diffus jusqu’à l’étoile la mieux formée.
Alors apparaît la magnifique conception de la genèse des mondes, se poursuivant incessamment dans les solitudes sans limites de l’infini. Pour assister à ces transformations grandioses, il faudrait disposer de périodes devant lesquelles la vie, et, sans doute, la science humaine ne représentent qu’un instant ; mais en considérant une série d’astres où la transformation est à tous les degrés, la science imite le naturaliste qui, parcourant une forêt, observe les arbres d’une même
essence à des âges divers, et conclut de ses observations le cycle que parcourt la plante de ses aux diverses époques de son existence.
Dans cette conquête du ciel, où s’arrêtera l’investigation audacieuse de ce pygmée, infime parmi les plus infimes habitants de l’univers ? La photographie a reculé les limites accessibles jusqu’à des distances incalculables, mais qui lui révélera la nature de ces mondes éloignés de lui par une distance vertigineuse ? L’esprit est bien le maître de la matière et de l’espace, car un nouveau moyen, aussi puissant qu’inattendu, va lui donner le moyen d’analyser ces mondes perdus dans les insondables profondeurs du gouffre.
Au lieu d’en considérer la lumière au point de vue des images qu’elle peut nous donner, on en fait l’analyse, et celle-ci nous révèle la nature chimique du corps qui nous l’envoie, et même de ceux qui, placés sur le trajet des rayons, peuvent les modifier par voie d’absorption. La portée philosophique de cette découverte est incalculable, car elle nous prouve matériellement la splendide unité des lois naturelles qui régissent l’univers entier. Cette analyse spectrale qui s’étend aux étoiles et aux nébuleuses affirme que la matière est partout identique, et c’est l’inébranlable fondement sur lequel nous pouvons baser nos inductions philosophiques.
Mais il nous est possible d’aller plus loin encore dans cette voie. Non content de calculer avec la dernière exactitude la marche de ces astres lointains, de les peser, de les analyser, il nous a été donné encore de savoir leur âge dans l’ensemble de la création. On a pu déchiffrer les merveilleux hiéroglyphes de cette image prismatique, qui nous montre l’ensemble des rayons qu’un astre nous envoie, séparés, classés, ordonnés, suivant leur compositions chimiques, leur mouvement et leur température .
« Si le corps était simplement chauffé sans être porté à l’incandescence, son spectre nous avertirait de cette circonstance par ces rayons qui nous donnent la sensation de la lumière. Mais dès que l’incandescence se produit, les rayons lumineux et photographiques se montrent.
Quand celle-ci se prononce encore plus, le spectre s’enrichit du côté du violer qui est toujours l’indice d’une haute température. Que si la température s’élevait encore, le violet et les rayons invisibles qui le suivent deviendraient plus abondante encore. On peut même concevoir, par une sorte d’abstraction, un corps qui serait porté à une température telle, qu’il n’émettrait plus que de ces rayons invisibles, situés au delà du violet, que l’oeil ne percevrait plus, et qui seraient seulement révélés par la photographie, la fluorescence ou les appareils thermoscopiques ».
Nous savons que les étoiles les plus chaudes sont les plus jeunes, nous pouvons donc les classer suivant leur âge : il existe des astres à tous les stades de développement, depuis les soleils morts jusqu’à ceux qui ne sont pas encore en activité.
Que dire de ces mondes qui, comme le nôtre, sont des satellites de soleils mille fois plus grands et plus puissants ! « On a découvert, dit le Père Secchi, que Sirius a réellement un satellite difficile à voir parce qu’il est immergé dans les rayons de l’astre principal, mais ou a pu le trouver et le mesurer avec les puissants télescopes modernes. Si nous considérons pour un moment les conséquences physiques de la multiplicité de ces systèmes lumineux et des astres obscurs qui les
accompagnent, nous sommes frappés de surprise.
Dans un système ou l’excentricité est aussi grande qu’Alpha du Centaure, les planètes doivent être échauffées, tantôt par deux soleils très voisins, tantôt par un soleil très rapproché et un autre très éloigné. Ajoutez à cela que les étoiles doubles, très souvent, ont des couleurs différentes et complémentaires : l’imagination, même d’un poète, serait impuissante à nous exprimer les phases d’un jour éclairé par u soleil rouge, avec une nuit illuminée par un soleil vert, d’un jour où deux soleils de différente couleur rivaliseraient d’éclat, d’une nuit précédée d’un crépuscule doré, suivie d’une aurore bleue .
On a calculé les mouvements de ces astres aux couleurs merveilleuses, et il est certain aujourd’hui que l’attraction n’est pas seulement la loi de notre monde, elle est celle de tous les mondes de l’espace .
Nous pouvons donc conclure rigoureusement que l’univers est infini, éternel, formé des mêmes éléments et soumis aux mêmes lois dans toutes les directions de l’étendue.
Certains savants ont prétendu que l’univers aurait une fin. En se basant sur les lois de la conservation de l’énergie, ils ont montré que toutes les transformations qui s’opèrent dans un système fermé, comme celui que forment le soleil et les planètes qui gravitent autour de lui, ont pour but de changer l’énergie potentielle en énergie actuelle, c’est-à-dire de produire une égalité de température entre toutes les parties du système. Si la vie résulte, et cela est certain, d’un certain degré de température, autrement dit, lorsque le soleil s’éteindra, il est clair que la vie disparaîtra de la surface de la terre et des planètes. Mais nous ne savons encore à quel moment de
la durée se produira ce phénomène.
Les expériences les mieux conduites, et les calculs les plus autorisés n’ont pas permis de constater, depuis que l’on observe le soleil, une diminution appréciable de son énergie, mais enfin, au bout d’un temps aussi long qu’on voudra l’imaginer, le foyer rayonnant finira par diminuer et finalement s’éteindra. Est-il certain qu’à ce moment il n’y aura plus de vie possible ?
On ne pourrait l’affirmer absolument, même si le soleil était fixe, mais la direction de la constellation d’Hercule, avec une vitesse de cent onze millions de lieues par an, et rien ne dit qu’au bout des périodes séculaires qui auront épuisé son énergie, il ne se trouvera pas dans une région du ciel où un autre soleil ne lui fournira pas ce qu’il nous a donné, c’est-à-dire la lumière, la chaleur et la vie.
Mais en supposant même que notre système tout entier soit enseveli dans la mort, il est inexact de prétendre que l’univers aurait le même sort. Ce qui est vrai pour un système fermé, ne peut être généralisé pour l’infini. Nous ignorons profondément si la puissance organisatrice qui fait évoluer la matière a fixé des limites à ses manifestations ; tout nous invite au contraire à croire à l’éternité
du mouvement et de la vie dans l’infini. Les découvertes astronomiques montrent que la matière existe à tous les degrés de condensation, que, longtemps avant la formation de la terre, les étoiles brillaient déjà dans le firmament, et les systèmes qui commencent maintenant existeront encore avec toutes les manifestations de l’activité, quand le dernier oeil humain sera fermé sur la terre. Nous croyons donc à l’éternité de l’univers et des manifestations créatrices, ce déroulant sans fin dans l’éternité de la durée et de l’étendue.
a) La matière et l’esprit
Nous ne connaissons pas la matière en soi, pas plus, d’ailleurs, que la force ou l’esprit, nous ne saisissons que leurs rapports réciproques ; c’est pourquoi il ne nous est pas possible de formuler une théorie complète, embrassant tous les phénomènes successifs. Nous ne pouvons savoir si l’une de ces réalités a engendré les autres par voie évolutive. Les philosophes, suivant leur disposition d’esprit, ont tour à tour donné la préférence à l’esprit ou à la matière comme manifestation première, mais ils se sont heurtés, les uns et les autres, à des difficultés logiques insurmontables.
Si l’on admet que la force est une manière d’être, un aspect de la matière, il n’y a plus, dans l’univers, que deux éléments distincts : la matière et l’esprit, qui sont irréductibles l’un à l’autre. L’esprit a pour caractère essentiel la conscience, c’est-à-dire le moi, par lequel il se distingue de ce qui n’est pas lui, c’est-à-dire de la matière. Dès les premières manifestations vitales, le moi témoigne de son existence par une réaction, spontanée à une excitation extérieure. Dans le monde inorganique, tout est aveugle, passif, fatal, il n’y a jamais de progrès, il n’y a que des changements d’états, qui ne modifient pas la nature intime de la substance. Dans l’être intelligent, il y a augmentation de puissance, développement des facultés intenses, épanouissement de l’être, qui se traduit par une exaltation intime de l’individu.
Les modalités de la matière ou de la force se meuvent dans un cycle fermé : celui des transformations. Elles peuvent se muer les unes dans les autres, tour à tour se remplacer par des changements dans la fréquence l’amplitude ou le sens des mouvements vibratoires.
L’âme est une, et chaque essence spirituelle est individualisée, personnelle. Nulle âme ne peut se changer en une autre, se substituer à une autre, c’est une unité irréductible qui a son existence en soi ; ses facultés, bien que semblables à celles des autres âmes, ont cependant un développement qui lui est spécial, particulier. Pour l’âme, il y a progrès, modification intime, ascension, sans retour possible vers quelque état moins développé. Ce progrès se manifeste par une puissance toujours croissante sur le non-moi, c’est-à-dire la matière. Nous avons vu comment on peut comprendre l’évolution de l’âme s’accomplissant dans la durée, en produisant des formes matérielles toujours plus parfaites ; nous allons résumer sommairement l’ensemble de ces connaissances, en partant de la matière primordiale.
b) L’évolution cosmique
Nous savons que, si l’on étudie la matière dans ses différents états physiques, elle va en se raréfiant de plus en plus lorsque l’on passe de l’état solide à l’état gazeux ; arrivée à ce stade, les molécules sont dans un état très grand d’instabilité, parce qu’elles sont animées d’un mouvement de rotation extrêmement rapide, et d’un mouvement de translation rectiligne en tous sens ; ce dernier mouvement résulte du choc même des molécules animées du mouvement rotatoire. Le mouvement de rotation est, en effet, de la force vive emmagasinée, capable de se transformer en tous les autres mouvements ; il représente donc la somme de travail disponible, c’est-à-dire de l’énergie. Il s’ensuit que c’est dans les molécules gazeuses que l’énergie potentielle nous semble au plus haut degré. Mais elle peut avoir une énergie de position encore plus haute. En effet, la nature nous montre que la matière nébuleuse affecte précisément un état très grand de raréfaction de la matière. Si l’on supposait toute la matière de notre système solaire uniformément répartie dans l’espace sphérique embrassé par l’orbite de Neptune, il en résulterait une nébuleuse gazeuse homogène, qui serait quatre cent millions de fois moins dense que l’hydrogène à la pression ordinaire, lequel pèse lui-même quatorze fois moins que l’air ; la matière, dans cet état, doit être ultra radiante et présenter tous les caractères de la force.
Mais elle n’est pas sous la forme primordiale, puisqu’elle a encore un poids. Nous savons que des
savants illustres, comme Helmholtz, Crookes, Carnellay, en se basant sur l’étude de la force, admettant que la matière peut affecter des états où elle ne pèse plus. La chaleur, la lumière, l’électricité, etc., sont des modes vibratoires où la matière n’a plus de poids ; donc, il nous est possible d’imaginer une substance primitive, invisible et impondérable, qui forme l’état primordial de la matière, c’est-à-dire le fluide universel. On arrive à la même conclusion en examinant les propriétés chimiques de la matière. Cette induction est très légitime et tout à fait en accord avec les découvertes et les tendances de la science actuelle. Ceci admis, il est possible de comprendre que tous les phénomènes physiques de la formation d’un monde dépendront de condensations successives, de plus en plus complètes, du fluide universel.
La matière, sous sa forme primitive, occupe l’étendue de l’infini. Elle existe là à tous les degrés de raréfaction, depuis l’état initial jusqu’à celui de matière visible et pondérable. L’éther des physiciens n’est qu’un mode déjà assez éloigné de la matière universelle. Les Esprits nous enseignent que ces états différents de raréfaction représentent ce que le sont les différents par leurs propriétés que le sont les différents états de la matière pour nous. C’est dans leur étude que l’on trouvera la raison d’une multitude de phénomènes qui nous échappent actuellement.
La condensation de la matière unique se continuant, le mouvement atomique, qui était à son maximum de puissance, va sans cesse en diminuant, alors apparaissent les multiples manifestations de l’énergie que nous nommons les forces naturelles ; elles se traduisent par les diverses vibrations de l’éther ; puis, le mouvement original diminuant toujours d’amplitude, la raréfaction primitive devient moins grande et la matière apparaît dans ces pâles nébulosités qui occupent dans le sein de l’infini des places déterminées, où se développeront les univers futurs. Qui donc pourrait évaluer les innombrables séries de siècles que demandent ces lentes formations?
Pour que l’esprit pût s’en faire une idée, il nous faudrait des unités telles, que la période entière pendant laquelle la terre a développé ses transformations, prise comme unité, serait encore insuffisante. Ici, l’astronomie nous fournit des renseignements positifs, nous savons comment la matière cosmique se concentre lentement vers son centre. La chute de tous les atomes vers le centre d’attraction développe une chaleur énorme, en même temps la nébuleuse prend un mouvement de rotation circulaire qui formera des zones tournant avec des vitesses inégales suivant leur éloignement du centre, chacun de ces anneaux se condensera pour former une petite nébuleuse, tournant dans le sens de la nébuleuse entière et autour de son centre particulier, et, au fur et à mesure que la concentration moléculaire sera plus grande, la chaleur engendrée donnera naissance à des soleils qui éclaireront la nuit profonde.
Si nous examinons un de ces mondes secondaires, qui sera la terre par exemple, nous arrivons à reconstituer son histoire céleste : c’est d’abord une étoile blanche et brillante comme Sirius, très chaude, où la matière pondérable commence à se différencier en donnant naissance au plus léger de tous les corps : l’hydrogène.
Pendant longtemps, ce monde nouveau lancera ses radiations éblouissantes dans toutes les directions de l’étendue, puis, la chaleur diminuant, c’est-à-dire le mouvement vibratoire étant moins fort, d’autres condensations auront lieu, la lumière deviendra jaune comme celle du soleil, et il sera possible de voir apparaître, successivement, les différents métaux qui existent ici-bas ; enfin les métalloïdes et les combinaisons de métaux entre eux pourront avoir lieu, et la lumière sera d’un rouge vif qui s’assombrira de plus en plus, jusqu’à ce que le monde s’éteigne.
A ce moment, la différenciation est accomplie, les diverses condensations ont pris, avec la température décroissante, des positions d’équilibre stable qu’il ne sera plus possible de modifier : ce sont les corps simples qui ont été engendrés.
Il ne faudrait pas conclure, de cette décroissance de la température, qu’elle fût en rien comparable à celle qui existe aujourd’hui.
On doit se représenter la terre comme un immense laboratoire où tous les corps sont encore à l’état de vapeur, et en partie liquéfiés, c’est-à-dire à une température voisine de 2,000 degrés. A peine une mince couche de scories couvre-t-elle cet immense brasier en ignition.
L’atmosphère est chargée d’épaisses vapeurs sillonnées sans cesse par d’extraordinaires décharges électriques.
Mais le froid des espaces interplanétaires agit à la longue, les condensations des métaux ont lieu au milieu des forces physiques et chimiques déchaînées, et la couche solide va en augmentant jusqu’au moment où elle intercepte les rayons du foyer central. Alors les vapeurs aqueuses se condensèrent, et la terre entière fut couverte par les eaux.
Pendant ce temps, la lune était née, détachée de la nébuleuse terrestre par la rapidité du mouvement de rotation, qui était beaucoup plus grande qu’aujourd’hui.
C’est dans le sein tiède des mers primitives, sous des conditions de lumières, de chaleur et de pression qu’il serait difficile de reproduire maintenant, que s’est formée cette masse visqueuse qu’on a nommée le protoplasma, première manifestation de la vie et de l’intelligence, qui doivent se développer progressivement et parallèlement, en produisant l’innombrable multitude des formes et variées des végétaux et des animaux, pour aboutir, après une longue série de siècles, à l’oeuvre si patiemment poursuivie : l’apparition de l’être conscient, l’homme.
c) L’évolution terrestre
Les terrains primitifs ne renferment aucune trace d’une matière organisée quelconque, il est donc certain que la vie est apparue sur la terre à un moment donné. Nous avons vu que ce n’est qu’une modification de l’énergie à laquelle la nature préludait par les constructions géométriques des cristaux qui sont organisés, pansent leurs blessures et se reproduisent accidentellement, si une force extérieure en détache une partie qui tombe dans l’eau mère. Mais cette matière est inerte, dépourvue de spontanéité ; il lui faut l’adjonction du principe intellectuel pour qu’elle puisse s’animer.
Ce problème est résolu avec le protoplasma. Il n’y a aucune individualité dans ces masses gélatineuses, molles, visqueuses, qui prennent indifféremment toutes les formes ; mais bientôt une condensation s’opère dans la masse, comme il s’en est produit dans les nébuleuses, cette condensation prend le nom de noyau ; puis le protoplasma se revêt d’une couche plus dense, c’est le début de l’enveloppe membraneuse. A ce moment l’être vivant est constitué : c’est la cellule qui sera la molécule vitale dont tous êtres organisés seront formés. Animaux ou végétaux, du plus simple au plus complexe, tous ne sont que des associations de cellules plus ou moins différenciées. Tout le travail de l’avenir consistera dans ce groupement, et les moyens employés par la nature pour varier son oeuvre primitive sont bien simples, ils se résument en deux propositions : la sélection naturelle, autrement dit la lutte pour la vie, et l’influence des milieux, dont l’action est énergique pour varier les formes ; la nourriture et les instincts.
Les premiers habitants des mers laurentiennes sont donc des cellules albuminoïdes, microzymas, monères, amibes, et leurs premières associations vont former ces algues qui tapissent le fond des mers. Au début, la vie est incertaine, animaux et végétaux semblent se confondre, mais ils ne tarderont pas à se différencier : les cellules à enveloppe flexible donneront naissance aux être vivants mobiles, les animaux ; les cellules à enveloppe résistante, de la nature de la cellulose, engendreront les végétaux stables. Issus directement du protoplasma, les premiers organismes animaux sont des cellules libres ayant une vie propre. Les amibes, assez semblables à des gouttes
d’huile, se contractent et avancent péniblement ; elles n’ont pas encore de forme nette. Un premier perfectionnement se produit avec les monères sphériques, qui sont pourvues de cils rétractiles leur permettant de se déplacer, les volvoces sont animées d’un mouvement continu de rotation. Dans ces premiers êtres sourds, aveugles, muets, le tact est le seul sens qui existe ; ils se reproduisent par fractionnement : lorsque la cellule dépasse une certaine grosseur, qui se sépare en deux parties, et chacune forme une nouvelle cellule. On trouve encore ces organismes primitifs dans le fond de la mer, leur race est contemporaine de l’apparition de la vie sur notre globe. La nourriture se fait par simple absorption comme chez les plantes ; cependant, les cellules possèdent tous les caractères de la vie ; ce sont bien les ancêtres de tous les animaux supérieurs.
Un peu plus tard, les cellules, en se reproduisant, ne se séparent plus ; elles restent associées par des filaments, telle est la myxodictyum sociale. Les protistes, ou zoophytes, nous offrent l’exemple de la première vie en commun des cellules. La forme de ces animaux est variable : les uns sont ovo¨des et rougeâtres ; les autres sont aplatis en forme de feuilles ; d’autres vivent dans des étuis ramifiés en colonies arborescentes. Mais la fusion entre les individualités distinctes qui forment l’animal n’est pas encore faite, c’est lentement et progressivement qu’elle aura lieu. Chez les protistes, chaque partie vit pour son compte personnel ; il faudra une entente de la vie commune, une division du travail général, pour amener un progrès. Les éponges montrent déjà une certaine individualité obscure. C’est une société d’amibes et d’infusoires flagellifères qui se soudent en une masse commune ; celle-ci se rétrécit ou se dilate en bloc, reçoit et exprime l’eau qui sert à la nourriture. Les hydres, les polypiers, les méduses, sont les formes transitoires que la nature emploie pour arriver à fondre les unités particulières dans une individualité totale.
Il est des muscles rudimentaires qui donnent à la masse des mouvements d’ensemble. Il y a déjà un estomac, quelques rudiments de nerfs, mais la vue, l’odorat, l’ouïe, sont toujours absents. Les propriétés sont encore si peu différenciées dans l’hydre que, si on retourne le sac qui constitue l’animal, la partie qui était extérieure devient intérieure et digère les aliments comme si rien d’anormal n’était survenu.
Les tuniciers marquent une étape nouvelle et déjà considérable ; il existe une sorte de liquide nutritif qu’un coeur rudimentaire, battant indifféremment dans tous les sens, envoie aux différentes parties du corps ; l’animal respire par des branchies. Quelques-uns secrètent une substance qui forment une coquille d’un arbre, comme le corail.
La nature a déjà parcouru une longue voie dans l’élaboration des formes précédentes. Cependant, nous n’avons vu encore que des êtres diffus, informes, végétant dans les profondeurs de l’océan sans limites. Il a fallu des milliers d’années pour arriver à produire les annelés qui succèdent immédiatement aux animaux précédents.
Comme les tuniciers, le ver de terre n’est encore qu’un tube ; il a des branchies, mais son système cardiaque est plus perfectionné ; il rampe ; l’extrémité de son corps, qui forme la bouche, marche la première ; c’est elle qui doit pourvoir à la nourriture qu’elle sait trouver. Chez les annélides, les nerfs visuels se montrent, en même temps qu’un système nerveux rudimentaire.
Jusqu’alors, l’individualité du principe pensant a été peu caractérisée. Nous avons vu comment on peut concevoir la formation d’un premier nerf sensitif, différencié de la sensibilité générale par la répétition, longuement réitérée, d’un même mouvement vibratoire se produisant toujours sur la même partie du corps ; nous avons admis que le périsprit finissait par s’incorporer ce mouvement, et que c’est grâce à lui que, lorsque le principe intelligent revenait occuper la même forme, celle-ci s’organisait avec la modification nouvelle. Il n’y avait pas, jusqu’alors d’individualité réelle, mais, avec la naissance du système nerveux, la vie qui était éparse, diffuse, va se concentrer. Chaque partie du corps accomplira un travail déterminé. La respiration, la digestion, la circulation, la reproduction, vont se localiser dans des tissus spéciaux, qui formeront des organes particuliers, et le système nerveux sera le coordinateur, le régulateur de cette action. A partir de ce moment, la vie personnelle du principe pensant se précisera davantage, et les instincts pourront naître et devenir plus compliqués, plus parfaits avec le changement des conditions extérieures.
La vie est encore sous-marine, les terrains primitifs sont couverts par les eaux, et c’est dans leur sein que les crustacés vont succéder aux annelés. Cet animal, précurseur des poissons, a une carapace ; il peut se diriger dans l’eau, il voit. C’est le trilobite du terrain silurien. Mais, à partir de ce moment, la vie a pu devenir aérienne. La faible couche des terrains primaires a dû céder bien souvent sous la pression des gaz intérieurs ; une lutte titanique s’est établie entre le feu et l’eau, et, au milieu de cataclysmes gigantesques, la force centrale a vomi ses feux, ses scories, ses laves, ses basaltes, ses porphyres, qui ont créé les premières îles ; ce sont les amorces des continents futurs. Alors l’action des pluies, des sels, de la température, amène les érosions, les désagrégations de ces roches, et forment la première couche arable où les plantes se développent.
L’atmosphère est encore saturée d’humidité, et, sur ces plages basses et sablonneuses, nous rencontrons le premier crustacé terrestre, le scorpion, frère des crustacés marins.
Pendant longtemps, il est le seul habitant du domaine terrestre. Les îles sont couvertes de plantes primitives, et, dans les forêts sombres, nul autre bruit que la plainte du vent. Tous les êtres sont muets.
Une autre phase va s’ouvrir. Après les premiers tâtonnements, la nature va marcher plus hardiment dans la perfection de son oeuvre. Des exhaussements de terrain ont lieu ; les dépôts sédimentaires s’augmentent, et lentement la terre conquiert son domaine sur l’eau qui se réfugie dans les bas-fonds. Pendant ces changements aériens un immense progrès est accompli dans le sein des mers, avec la période primaire apparaissent les premiers vertébrés marins : les poissons. Le céphalaspis et le ptérichtys ont une colonne vertébrale, et en passant de l’état ganglionnaire à l’état cérébro-spinal, revêtu d’une ossification qui ira en se perfectionnant, la nature arme ses dernières créations pour une vie plus active. Certains poissons ont des tendances à vivre, de préférence, sur les plages limoneuses, et acquièrent des traces de respiration aérienne, préparant l’arrivée des batraciens.
L’époque carbonifère qui vient ensuite est caractérisée par un développement extraordinaire de la végétation. Le soleil nébuleux et immense des âges précédents s’est condensé, sa chaleur a augmenté, et la chaleur centrale étant encore très grande, l’humidité considérable, l’on voit le règne végétal atteindre des proportions colossales.
Les fougères arborescentes, les sigillaires démesurées atteignaient parfois quarante mètres de hauteur. Ce sont ces géants que l’on retrouve pétrifiés dans les mines de houille.
Les bactéries, qui sont poissons pendant la première partie de leur vie et animaux aériens pendant la seconde, ont peu à peu quitté la mer pour habiter la terre ; ils sont plus intelligents que les poissons et, les premiers, ils font entendre des sons, peu harmonieux encore, de simples coassements, mais désormais les êtres ne seront plus muets.
A cette période de la création succède, l’ère du reptile ; la nature inaugure une série de formes fantastiques, hideuses et démesurées. Après les essais précédents, elle semble vouloir chercher la perfection dans la grandeur et dans les formes les plus étranges, les plus tourmentées. Il faut voir ces animaux reconstitués pour arriver à se figurer ces conceptions monstrueuses qui, fort heureusement, n’ont pas laissé de postérité. Cette vue démontre la puissance et la fécondité des moyens employés, l’infinité et la diversité de cette infatigable ouvrière qu’est la nature ; mais le progrès intérieur poursuit sa marche, le cerveau et la moelle épinière sont fortement défendus par un système nerveux.
Avec les marsupiaux, se montrent les premiers mammifères. Le petit naît incomplètement formé,
embryonnaire, et il achève son développement dans la poche ventrale de la mère.
Le principe intelligent va manifester les premières lueurs du sentiment, l’amour maternel est né avec cette créature informe ; plus elle est faible, plus sa mère prend soin d’elle. La tendresse de la sarigue pour sa progéniture est légendaire, le premier instinct supérieur est né de la nécessité. Les sentiments les plus élevés, que l’on constatera plus tard chez les animaux et chez l’homme, n’auront pas d’autres causes, et de la sorte on peut se rendre compte que les phénomènes matériels et intellectuels ont une connexité absolue et rationnelle.
Tous les monstres qui peuplaient les mers triasiques, jurassique et crétacées ont disparu à la fin de la période secondaire, les conditions de la vie ne pouvaient plus leur convenir. Les terres, devenues plus étendues, se couvraient de milliards de coquilles microscopiques, les continents se détachaient plus nets, les conditions générales de la vie s’amélioraient ; avec l’âge tertiaire, la nature sort des langes de l’enfance ; instruite par les tâtonnements et les expériences successifs, débarrassée des impedimenta de la genèse, ayant anéanti les animaux devenus inutiles à son oeuvre, elle va marcher, rapide et résolue, dans une voie plus claire et plus accélérée.
C’est dans cette période que sont nés tous les ancêtres des animaux actuels, et la science, qui a suivi pas à pas le développement progressif des formes, nous conduit insensiblement des lémuriens aux simiens ; tout avance à la fois, la terre, les plantes, les animaux ; ses milieux changent, la place à l’eau, l’humidité diminue, la terre s’assainit, le soleil verse des torrents de lumières et de chaleur, les plantes, quittant les abîmes des mers, ont conquis le sol, elles se développent, se diversifient, fleurissent, portent des fruits. Les saisons se différencient, les climats se régularisent, les formes deviennent plus appropriées aux milieux, le niveau de la création s’élève d’une façon continue.
Combien est grand le chemin parcouru ! Les êtres se sont diversifiés à un tel point, qu’ils paraissent étrangers les uns aux autres ; mais nous avons vu qu’ils sont issus de la primitive monère, et l’étude de leur composition nous fait voir que ce ne sont toujours que des associations plus compliquées de l’élément primitif ; tous, en naissant, ils sont encore cette monère primitive qui se partage, se fragmente, s’associe à celles qui naissent de sa substance, pour constituer le nouveau venu, dont la place dans l’échelle des êtres dépend du degré de son évolution. Le développement du cerveau s’est poursuivi indépendamment des formes.
Les zoophytes primitifs n’offrent pas trace de cerveau, ils n’ont ni sens, ni sexe ; avec les mollusques, système nerveux obtus, mal défini, génération rudimentaire, sens imparfaits ; avec les crustacés, en même temps que nerveux ganglionnaire, apparaissent la vue, l’ouïe, le toucher ; les poissons ont un cerveau et une moelle épinière défendus, ce sont les premiers vertébrés, les sens sont séparés. Puis arrivent les amphibiens et les reptiliens, qui font succéder la génération vivipare à la génération ovipare, et, ont l’ossature endurcie ; les marsupiaux, mammifères inférieures, se présentent avec un encéphale très simple, qui va se compliquer chez leurs successeurs, pour arriver à la division en lobes et à présenter les circonvolutions, qui s’observent chez les singes et dans l’homme. Le singe et l’homme sont cousins, ils dérivent d’ancêtres primitifs de l’époque tertiaire, et il est possible de voir les progrès successifs accomplis par notre race en suivant le développement de l’homme quaternaire dont le crâne, les côtes, le fémur offraient des caractères simiens, qui n’ont pas complètement disparu chez certaines races inférieures, telles que les Australiens, les Fuégiens, etc.
Aucune théorie philosophique ne peut, aussi bien que le spiritisme, expliquer tous ces phénomènes. Au moyen de la loi de la réincarnation et en connaissant la nature de l’âme, il est facile de comprendre le progrès de l’esprit, depuis ses modalités, les plus rudimentaires, jusqu’à ses manifestations les plus élevées.
Le principe pensant a parcouru lentement tous les échelons de la vie organique : c’est par une ascension ininterrompue, pendant l’innombrable série des siècles passés, qu’il a pu lentement fixer, dans son enveloppe fluidique, toutes les lois de la vie végétative, organique et psychique. Il a fallu revenir un nombre de fois énorme pour que tous ces mouvements, sentis, conscients, voulus, arrivent à l’inconscience et à l’automatisme parfait qui caractérisent les réactions vitales et les actions réflexes. Ce n’est pas tout d’un coup que chaque être est arrivé à ce résultat, la nature ne fait point de miracle, elle va toujours du simple au composé. Pour qu’un être aussi complexe que l’homme, qui réunit les caractères les plus élevés de toutes les créatures vivantes, puisse exister, il faut, de toute nécessité, qu’il ait passé dans toute la série dont il résume les états différents.
CONCLUSION
Nous avons vu comment le mouvement périsprital explique simplement le passage du conscient à l’inconscient, comment s’enregistrent automatiquement, dans le périsprit, tous les états de l’âme. Les conditions de la perception tiennent à deux causes : l’intensité et la durée de la sensation, qui sont différentes suivant l’état vibratoire de l’enveloppe.
Dans les premiers temps de la vie, l’enveloppe de l’âme est grossière, mélangée aux fluides les plus rapprochés de la matière ; son mouvement vibratoire est de la forme la plus inférieure. Le travail de l’âme consiste à épurer cette enveloppe, à la débarrasser de ses scories fluidiques, c’est-à-dire à lui donner un mouvement de plus en plus radiant.
Chaque existence sur la terre laisse son empreinte dans le périsprit. De même que, lorsqu’on coupe un arbre centenaire, il est possible de savoir son âge en comptant les couches concentriques laissées chaque année par l’écorce, de même il existe des zones fluidiques qui vont se superposant, à mesure que l’esprit s’éloigne de son origine. Les souvenirs gravés dans l’enveloppe sont indélébiles comme elle ; bien que ce ne soit qu’une analogie, il est possible de comparer ces couches successives à des photographies qui peuvent se superposer sur la même plaque, sans se confondre ; tous ces mouvements vibratoires ont une existence propre, un degré vibratoire qui leur est particulier, le dernier étant toujours supérieur aux autres.
Notons bien qu’il ne s’agit pas ici d’une superposition physique d’impressions. De même que le phénomène de l’allotropie nous montre tangiblement que les propriétés d’un corps tiennent à un mouvement particulier des molécules de ce corps, et que ces propriétés changent lorsque le mouvement des molécules a un autre mode vibratoire, de même, dans le périsprit, chaque zone atomique peut être constituée par les mêmes atomes, mais avec des associations vibratoires tout à fait différentes, chacun de ces arrangements correspondant à une position déterminée d’équilibre.
En arrivant à l’humanité, l’âme est déjà vieille, son enveloppe a fixé, sous forme de lois, de lignes de force, les états successivement parcourus, et c’est peut-être à cette causse qu’est due l’évolution fatale qui fait repasser l’embryon par tous les states que l’âme a parcouru antérieurement.
Dans l’homme primitif, l’inconscient physiologique est très riche, il ne s’enrichira guère que des actes automatiques secondaires, c’est-à-dire des habitudes manuelles ; l’inconscient psychique, au contraire, est presque vierge ; il est formé par les formes les plus hautes de l’instinct et les plus basses de la conscience et de l’intellectualité.
L’animal n’a, en effet, que des facultés simples, rudimentaires, il a le sentiment de son existence, mais pas la conscience du moi. Les premiers humains devaient se rapprocher beaucoup des anthropoïdes actuels, et la longue durée de l’époque quaternaire a été indispensable pour cette élaboration de la conscience, qui devait les séparer définitivement de l’animalité.
Mais, insensiblement, l’âme s’est dégagée des brumes qui l’enveloppaient, le raisonnement, qui ne brillait que par lueurs, s’est affirmé comme le fond même de l’esprit ; la pensée, l’intelligence ayant à s’exercer sur des sensations plus nettes, plus délicates, ont donné lieu à des rapports mieux établis, à des généralisations, à des abstractions qui ont été en se développant de plus en plus, à mesure que le langage se perfectionnait.
Chaque incarnation amenant un perfectionnement, l’inconscient psychique s’est enrichi progressivement ; l’effort devenant moins considérable à mesure qu’augmentait le nombre des retours ici-bas.
Aujourd’hui, il faut nous débarrasser des passions et des instincts qui sont les restes de notre passage dans les règnes inférieurs. La lutte est longue et difficile, car nous avons à modifier les premiers mouvements périspritaux qui se sont incarnés en nous et qui constituaient seuls notre vie mentale, pendant ces époques lointaines et mille fois séculaires où nous accomplissions notre évolution.
Mais la volonté est toute-puissante sur la matière ; le progrès ouvre devant nous ses perspectives toujours plus brillantes, et cette même force, qui nous a constituée à l’état d’êtres intelligents, saura nous ouvrir la route des mondes meilleurs, où règnent la concorde, la fraternité et l’amour.
Nous espérons avoir montré, dans les études partielles qui forment ce livre, que les phénomènes vitaux et psychiques qui coexistent dans l’homme, reçoivent une explication rationnelle au moyen de la doctrine spirite.
Rien dans les théories que nous avons exposées n’est en opposition avec la philosophie des sciences.
L’existence du périsprit, pendant la vie et après la mort, a été établie expérimentalement, avec toutes les garanties possibles contre la fraude et l’erreur ; sa composition fluidique a été constatée par la photographie, et nous pouvons concevoir sa nature en prenant des analogies dans les états où la matière est d’une rareté extrême. Son impondérabilité n’est pas plus étrange que celle des forces physico-chimiques : lumière, électricité, affinités, etc. Son action sur la matière n’est pas plus extraordinaire que celle du magnétisme sur la limaille de fer, en un mot, aucune de ses propriétés n’est irrationnelle.
Son union avec l’âme est de la même espèce que celle des forces liées aux atomes matériels. Si on ne peut anéantir la matière, on ne peut davantage détruire l’esprit : l’âme, qui se manifeste après la mort, est immortelle.
La réincarnation n’est pas seulement la conciliation logique de toutes les inégalités intellectuelles avec la justice de Dieu, elle se prouve expérimentalement par l’incarnation d’Esprit dans certains milieux déterminés, qui avec toutes les circonstances, prédites à l’avance, qui les feront reconnaître. Si elle est possible une fois, elle l’est un très grand nombre de fois. Ceci admis, on peut en induire que c’est une loi générale pour le principe intelligent et l’appliquer aux animaux, chez lesquels, d’ailleurs, on peut relever des faits qui semblent bien établir cette vérité.
L’existence du fluide vital, bien que mise en doute aujourd’hui, nous semble indispensable pour l’explication des phénomènes de la vie, car l’évolution et la forme de tous les êtres vivants, pas plus que les phénomènes de reconstitution organique, ne sont explicables par la science moderne. Nous, qui connaissons la vraie nature de l’âme, nous offrons notre théorie, qui résout logiquement, un grand nombre de difficultés.
La source de tous les malentendus qui séparent les matérialistes et les spiritualistes des spirites, réside dans l’ignorance où se trouvent les savants et les philosophes de l’existence et de la nature du périsprit.
Pour les physiologistes, l’âme n’est qu’une résultante des fonctions vitales du cerveau. Trompés par la concordance qu’ils constatent entre l’état morbide de cet organe et la disparition corrélative de certaines facultés, ils croient qu’il y a là une corrélation de cause à effet, et ce qui les confirme dans cette manière de voir, c’est que la faculté se rétablit lorsque l’organe revient à son état normal. Nous qui possédons la preuve que l’âme survit à la désagrégation corporelle, nous savons que cette concordance est due à l’action du périsprit sur le corps, qui se trouve entravée si l’action de la force vitale est troublée, mais qui reprend son empire lorsque le calme est rétablit.
La théorie du matérialiste n’explique rien de l’univers, elle constate des faits qu’elle attribue aux lois matérielles qui s’enchaînent en se déterminant successivement.
L’Esprit est une possibilité quelconque, il pourrait ne pas exister, de sorte que l’intelligence n’est qu’un accident dans la création. Nous trouvons cette conclusion absurde, car, sans un être raisonnable, la création ne serait qu’un non-sens.
Nous avons vu concourir par toutes leurs activités les forces naturelles à l’éclosion de l’être pensant, et l’on voudrait que ce dernier produit de l’évolution, qui au lieu de se soumettre passivement, comme ses prédécesseurs, a pris en main la direction de son domaine, soit dû à une surprise, à un jeu du hasard. Tout dans la nature dément cette conclusion, et n’eussions-nous pas la preuve matérielle de l’immortalité de l’âme, que le bon sens ferait justice de ces allégations sans fondement. La matière est aveugle, inerte et passive, ce n’est que sous l’influence de la volonté qu’elle se meut. Ce que nous nommons les forces ne sont que des manifestations tangibles de l’intelligence universelle, infinie, incréée. Ce sont les signes évidents de la volonté supérieure qui maintient l’univers.
De même qu’il faut des agents pour faire exécuter les lois promulguées par nos Chambres, de même il faut une puissance éternellement agissante pour faire exécuter les lois naturelles ; tous les changements que l’on constate dans les états de la matière n’ont qu’un but : l’avancement de l’Esprit, qui est la seule réalité pensante. Nous nous rapprochons ainsi des spiritualistes. Mais ces
philosophes, n’étudiant l’âme que par le sens intime, sont portés à lui attribuer une spiritualité absolue qui, fatalement, les empêche de comprendre son action sur le corps. De plus, cette vue leur interdit l’explication des phénomènes nombreux et variés de la vie inconsciente de l’esprit. Ce n’est pas tout encore.
La physiologie leur démontre que tout état de conscience est attaché nécessairement à un substratum matériel, que le souvenir, par exemple, est intimement lié à un état déterminé du système nerveux, sans lequel il ne pourrait se produire, de sorte que, après la mort, si l’âme est purement spirituelle, elle n’aura plus aucune de ses connaissances passées, puisque le corps sera détruit.
Le temps est venu où tous les voiles doivent se déchirer, le spiritisme apporte des preuves tangibles de l’immortalité, il faut que bravant tous les sarcasmes, tous les préjugés, il oblige les penseurs sérieux à l’étudier attentivement.
Tous les esprits ligotés dans leurs vieilles conceptions seront obligés d’ouvrir les yeux, devant l’éclatante lumière de la vérité, appuyée solidement sur des faits irrécusables ; alors nous aurons la joie de voir des milliers d’intelligences savantes défricher le champ splendide qui s’ouvrira devant elles. Le domaine de la matière impondérable est aussi vaste que celui que nous connaissons, une moisson féconde de découvertes est certaine pour ceux qui se lanceront dans l’étude de ces territoires encore inexplorés.
Avec la certitude des vies successives et de la responsabilité des actes, bien des questions s’offriront sous d’autres aspects. Les luttes sociales qui prennent, à notre époque, un terrible caractère d’âpreté, pourront être assortie par la conviction que la durée d’une existence n’est qu’un moment transitoire dans l’éternelle évolution.
Avec moins d’orgueil en haut et moins d’envie en bas, une solidarité effective prendra naissance au contact de ces consolantes doctrines, et il nous sera peut-être donné de voir disparaître les luttes fratricides, ineptes produits de l’ignorance, se dissipant devant les enseignements d’amour et de fraternité, qui sont la rayonnante couronne du spiritisme.
FIN
TABLE DES MATIÈRES
INTRODUCTION 2
CHAPITRE I - La Vie 8
a) Étude de la vie 9
b) Destruction organique 9
c) Création organique 10
d) Propriétés générales des êtes vivants 10
e) Conditions générales au maintien de la vie 10
f) L’humidité 11
g) L’air 11
h) La chaleur 11
i) Conditions chimiques du milieu 11
j) Similitude du fonctionnement vital chez tous les êtres vivants à vérifier 13
k) La force vitale 13
l) Pourquoi on meurt 15
m) L’utilité physiologique du périsprit 17
n) L’idée directrice 17
o) Le fonctionnement organique 18
p) Le rôle psychologique du périsprit - l’identité 22
q) Le système nerveux et la force nerveuse ou psychique 23
r) Résumé 24
CHAPITRE II - L’âme animale 28
a) Les sauvages 28
b) Similitude de l’organisme humain et de celui des animaux 30
c) Étude des facultés intellectuelles et morales des animaux 31
d) Intelligence et réflexion 32
e) La curiosité 33
f) L’amour propre 33
g) L’imitation intelligente 33
h) L’abstraction 34
i) Le langage 34
j) L’idiotie 35
k) L’évolution 35
l) Amour conjugal ; amour maternel 36
m) Amour du prochain 36
n) Le sentiment esthétique 37
o) La gradation des êtres 38
p) L’évolution de l’âme 38
q) La lutte pour la vie 40
r) Résumé 42
CHAPITRE III - Comment le périsprit a pu acquérir des propriétés fonctionnelles 44
a) La théorie cellulaire 47
b) Développement corrélatif du ganglion cérébral et de l’intelligence dans la série animale 50
c) Le périsprit 52
d) Formation des organes des sens, rôle du périsprit 54
e) Le système nerveux et l’action réflexe 60
f) L’instinct 62
g) Résumé 64
CHAPITRE IV - La mémoire et les personnalités multiples 66
a) L’ancienne et la nouvelle psychologie 66
b) Sensation et perception 67
c) Conditions de la perception 71
d) L’inconscient psychique 71
e) Étude sur la mémoire 73
f) La mémoire organique ou inconscient physiologique 73
g) La mémoire psychique 76
h) La mémoire proprement dite 79
i) Les aspects multiples de l’individualité 81
j) La personnalité 82
k) Les altérations de la mémoire par la malade 84
l) Double personnalité 85
m) Histoire de Félida 87
n) Histoire de Mlle R. L. 89
o) Le somnambulisme provoqué 91
p) Les degrés différents du somnambulisme 94
q) L’oubli des existences antérieures 96
r) Résumé 99
CHAPITRE V - Le rôle de l’âme au point de vue de l’incarnation, de l’hérédité et de la folie 102
a) La force vitale 102
b) La naissance 103
c) L’hérédité 109
d) Pangénèse 110
e) L’hérédité physiologique 111
f) L’hérédité psychologique 112
g) La folie 115
h) L’obsession et la folie 117
i) Résumé 125
CHAPITRE VI - L’Univers 127
a) La matière et l’esprit 129
b) L’évolution cosmique 130
c) L’évolution terrestre 132
CONCLUSION 137