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Akoutine fut donc forcé de convenir que les phénomènes ne pouvaient pas être produits par l'électricité ou le magnétisme, mais qu'ils pouvaient être l'effet d'une force analogue quelconque ; il supposa que, pendant le sommeil, ma femme se trouvait dans un état particulier de clairvoyance, que tout en recevant les impressions venant du dehors, elle y répondait, pour ainsi dire, intérieurement, psychiquement. C'était d'autant plus nouveau, pour Akoutine comme pour nous tous, qu'à cette époque on ne parlait pas encore de phénomènes psychiques. Akoutine déclara : attendu que ces phénomènes ne pouvaient être rangés dans aucune des catégories définies par la science, que, néanmoins, les faits étaient évidents et que leur réalité était pour lui indiscutable, il s'abstenait pour le moment de leur appliquer une théorie scientifique quelconque et qu'il se bornait à les désigner sous le nom « d'Hélénisme », d'après le nom de ma femme : Hélène. Il avait l'intention d'envoyer à ce sujet un article dans un journal allemand. Pour rendre les faits plus concluants encore, il nous pria de transférer les expériences dans la bourgade d'Iletzk, et, en conséquence, nous nous y installâmes, dans notre maison. Là, les mêmes manifestations se produisirent, mais plus faiblement ; les coups ne se faisaient entendre que dans le plancher, à proximité de ma femme, comme s'ils se retranchaient derrière elle. Dans les murs en briques on n'entendait rien...
Mais, à notre retour dans la ferme, dès les premiers jours de mars, les manifestations reprirent de plus belle, et cette fois elles se produisirent indépendamment de la présence de ma femme. Un jour, au déclin, je vis un lourd canapé faire des sauts en l'air et retomber sur les quatre pieds, pendant qae ma mère y était couchée, à sa grande terreur, naturellement. J'ajoute à ce cas une importance spéciale, parce que jusqu'alors, bien que n'ayant plus de doute, je me sentais un peu comme sous l'influence des personnes étrangères qui observaient les faits en même temps que moi ; mais voilà qu'en plein jour, alors que je pouvais voir distinctement le canapé et m'assurer que personne ne se trouvait dessous, ma mère se trouvant couchée dessus tranquillement, et qu'il n'y avait dans la chambre que moi et le garçon employé aux courses, lequel se tenait dans le couloir, près de la porte, - voilà que ce canapé, pesant 90 à 100 kilogrammes, se mit à danser, s'élevant complètement dans l'espace, avec ma mère ! Cela n'était certainement pas une hallucination. Ce soir même, - ou le lendemain, - alors que nous nous étions réunis dans la grande pièce, une étincelle bleuâtre apparut au-dessous du lavabo, dans la chambre attenante, se dirigeant vers la chambre de ma femme (qui ne s'y trouvait pas en ce moment), et simultanément nous nous aperçûmes que quelque chose avait pris feu dans cette dernière pièce. Je me précipitai à la suite et vis brûler une robe de coton qui était en voie de confection. Ma belle-mère, qui se trouvait dans la chambre, m'avait devancé et était occupée à éteindre le feu : elle avait versé une cruche d'eau sur la flamme. Je m'arrêtai à la porte, ne laissant passer personne, et me mis à explorer si le feu n'avait pas été produit par une cause autre que l'étincelle que nous avions vue, une bougie, par exemple, ou une allumette, mais je ne pus rien découvrir. Une forte odeur de soufre emplissait la chambre, s'échappant de la robe brûlée, dont les endroits détruits étaient encore chauds et dégageaient de la vapeur, comme si l'on venait d'arroser un morceau de fer chauffé à blanc.
Un jour, je fus obligé de m'absenter pour une affaire urgente. C'est à grand regret que j'abandonnais ma famille dans un moment aussi précaire, et, pour plus de tranquillité, je priai un jeune homme de nos voisins, M. P., de rester dans la maison pendant mon absence.
Après mon retour, je trouvai ma famille en train de boucler les malles : les effets étaient chargés sur des chariots et prêts pour le départ. On m'apprit qu'il était impossible d'habiter plus longtemps cette maison : les objets s'enflammaient les uns après les autres, et, pour comble, la robe de ma femme avait commencé à brûler la veille ; M. P., qui s'était élancé pour éteindre le feu, avait eu les mains brûlées. Je remarquai, en effet, que ses deux mains, enveloppées dans des linges, étaient couvertes d'ampoules. M. P. me fit le récit suivant : Le soir de mon départ, les manifestations étaient accompagnées de globes lumineux qui apparaissaient devant la fenêtre donnant sur le corridor extérieur ; il y en eut plusieurs, de dimensions variant entre une grosse pomme et une noix ; ils étaient de couleur rouge foncé et violet clair, plutôt opaques que transparents. Ces météores se succédèrent pendant assez longtemps. Il arrivait qu'un de ces globes de feu, s'approchant de la fenêtre, tournoyait pendant quelque temps du côté extérieur des vitres et disparaissait sans aucun bruit, et que, immédiatement, il était remplacé par un autre globe, arrivant du côté opposé du corridor, et ainsi de suite. Il en apparaissait même plusieurs à la fois. Ces globes, tels que des feux follets, semblaient vouloir pénétrer dans la maison. Ma femme ne dormait pas encore. Il advint le soir suivant, alors que ma famille était installée sur les marches de l'entrée extérieure (la saison devenait chaude), que M. P., étant rentré dans la maison, aperçut qu'un lit était en feu. Il appela au secours, s'empressa de jeter par terre couverture et draps et, après avoir étouffé le feu qui avait commencé à faire des progrès, et ayant soigneusement regardé s'il restait une étincelle quelconque, il sortit pour communiquer ce qui était arrivé. On en était à s'étonner comment le feu avait pu prendre, alors qu'il ne se trouvait dans la chambre ni bougie, ni allumette, ni aucune espèce de flamme... quand tous furent subitement frappés d'une odeur de brûlé sortant de la chambre. Cette fois c'était le matelas qui flambait en dessous, et l'incendie avait déjà à ce point ravagé le crin qu'il était impossible de l'attribuer à un manque d'attention, lors du premier arrosage.
Mais il s'était passé des faits plus graves encore, à la suite desquels le séjour dans cette maison devenait désormais impossible ; il fallait à tout prix changer de demeure de suite, malgré les inconvénients que nous aurions à affronter à cause du dégel et des crues qui étaient survenues.
Je cite les paroles de M. P. :
J'étais tranquillement assis, jouant de la guitare. Un voisin, le meunier, qui était venu nous voir, venait de nous quitter. Quelques instants après, Hélène Efimovna (ma femme) sortit aussi. A peine avait-elle fermé la porte derrière elle que mes oreilles furent frappées d'une espèce de gémissement plaintif et sourd, paraissant venir de loin. Je crus reconnaître cette voix et, après un moment de torpeur, en proie à un vague sentiment de terreur, je m'élançai dans le vestibule d'entrée, et j'aperçus une colonne de feu au milieu de laquelle se tenait Hélène Efimovna ; ses vêtements brûlaient par en bas, et elle était entourée de flammes.
Je compris, à première vue, que le feu ne pouvait pas être très nourri, la robe étant très fine, et légère, et me précipitai pour l'éteindre avec mes mains, mais je sentis une chaleur atroce, comme si je touchais de la cire en fusion... Soudain un craquement se fit entendre en dessous du plancher, qui s'ébranlait et vacillait tout le temps. A ce moment, le meunier accourut à mon secours, et nous parvînmes tous les deux à emporter ma femme évanouie. »
Voici maintenant le récit de ma femme : Lorsqu'elle avait franchi le seuil de la porte donnant sur le vestibule, le plancher céda sous ses pas, un bruit assourdissant emplit la chambre, et elle vit apparaître une étincelle bleuâtre, pareille à celle que nous avions vu sortir de dessous le lavabo. Elle n'eût que le temps de pousser un cri et se vit immédiatement enveloppée par les flammes. Elle perdit connaissance. Chose curieuse, elle n'avait pas eu une seule brûlure, mais sa robe était détruite, jusqu'au-dessus des genoux.
Que nous restait-il à faire ? En contemplant les mains abîmées de M. P. et le vêtement en partie consumé de ma femme, sans pouvoir y découvrir aucune trace d'un liquide inflammable, je décidai qu'en effet nous n'avions plus qu'à fuir cette maison, ce que nous résolûmes de faire le jour même. Nous emménageâmes chez un habitant du village voisin, un cosaque, où nous sommes restés, sans incident d'aucune nature, jusqu'à, la fin de la saison des pluies.
Après le retour dans notre maison, les phénomènes ne se reproduisirent pas. Je résolus néanmoins de faire démolir la maison. »
Je citerai encore une observation très intéressante sur les matérialisations, faite par M. Schtchapov à la fin de son article. Ce cas ne se rapporte pas précisément au sujet que je traite à cette place, mais il a une grande valeur eu égard à la rareté du fait :
« J'avais oublié de mentionner que j'ai eu l'occasion à deux reprises de constater ce qu'on appelle maintenant les phénomènes de la matérialisation (nous appelions cela des diableries).
Un jour, ma femme aperçut par la fenêtre, du côté extérieur, une main rose, délicate, comme celle d'un enfant, aux ongles lisses, qui tambourinait sur les carreaux. A la même fenêtre, un autre jour, elle fut surprise par la vue de deux petites formes vivantes ayant beaucoup de ressemblance avec des sangsues ; cette vue désagréable produisit sur elle une telle impression qu'elle s'évanouit. Une autre fois je fus moi-même témoin d'un phénomène semblable : j'étais seul dans la maison, ma femme dormait, et je venais de passer plusieurs heures à guetter pour découvrir l'auteur des coups que j'entendais frapper sur le plancher de la chambre de ma femme (j'avais encore le soupçon qu'elle pouvait les produire elle-même, tout en feignant de dormir). Je me suis plusieurs fois doucement glissé jusqu'à sa porte, mais toutes les fois que je regardais furtivement dans la chambre le bruit cessait, pour recommencer de nouveau dès que je m'éloignais, ou même que je détournais les yeux. C'était fait comme pour me taquiner. Mais une fois, - ce fut la vingtième, si je ne me trompe, - je fis subitement irruption dans la chambre au moment où les coups recommençaient..... et je m'arrêtai, glacé d'effroi : une petite main rose, presque enfantine, se souleva brusquement de dessous le plancher, disparut sous la couverture de ma femme endormie et s'enfouit dans les replis, près de son épaule, et j'ai pu voir, distinctement, la couverture onduler d'une façon inexplicable, depuis son extrémité jusqu'à l'endroit, près de l'épaule, où la main s'était blottie. Il n'y avait, semble-t-il, aucun motif pour une frayeur exagérée, et cependant, je le répète, je restai pétrifié de terreur, car cette main n'était pas la main de ma femme (bien que la sienne fût petite aussi). Ce que j'avais vu, je l'ai vu très distinctement. D'ailleurs, la position dans laquelle ma femme était couchée (sur le côté gauche, tournée vers le mur), sans faire aucun mouvement, ne lui eût pas permis d'avancer sa main jusqu'à terre, à plus forte raison de la relever si rapidement, en ligne droite vers l'épaule. Qu'était-ce donc ? Une hallucination ? Non. Mille fois non ! Je ne suis pas sujet à ces sortes de choses. Peut-être était-ce une mystification de la part de ma femme obéissant à un penchant maladif de jouer des tours ? Mais la forme, la couleur, l'exiguïté de la main apparue, ne permettaient pas de s'arrêter à cette supposition. Et puis la défunte était une femme à principes, d'un caractère sérieux, épouse et mère modèle, pieuse, et elle n'a souffert d'aucune espèce d'accès jusqu'à sa mort (elle mourut en avril 1879, à la suite de ses couches). Pourtant, la plupart des phénomènes qui se sont produits : déplacement d'objets, coups frappés, se retranchaient pour ainsi dire derrière elle. C'est pourquoi beaucoup de personnes supposaient que ces manifestations étaient son œuvre, ne voulant pas tenir compte des nombreux cas où son intervention aurait été matériellement impossible, par exemple, quand les divers objets et ustensiles étaient projetés de l'intérieur d'armoires fermées, de coffres, etc., auxquels elle ne touchait même pas à ce moment. Un jour que nous venions de nous mettre à table avec les trois membres de la commission dont il a été parlé et plusieurs autres invités, et que ma femme, revenant du garde-manger, chargée de plusieurs pots de salaisons, s'apprêtait à ouvrir la porte extérieure du vestibule, juste en face de la table - à ce moment précis nous reçûmes une grêle de menus objets, tels que balles de plomb, vieux écrous rouilles et autres vieilleries qui avaient été reléguées dans une vieille caisse, dans la chambre qui servait de garde-manger (comme je me le suis rappelé plus tard) et qui venaient à présent tomber avec une rapidité foudroyante sur la table devant laquelle nous étions assis. Le domestique qui avait accompagné ma femme affirma formellement que personne n'avait touché à cette caisse. En outre, il lui eût été impossible de lancer tous ces objets à travers la chambre qui nous séparait, d'autant plus qu'elle avait les deux mains occupées.
Il est curieux de noter que malgré la force avec laquelle ces objets pesants tombèrent sur les assiettes, ils n'en brisèrent pas une. Malgré tout, les circonstances étaient de nature à faire soupçonner ma femme de nous avoir fait cette plaisanterie, bien que personne ne lui eût vu faire le moindre geste ou l'effort nécessaire pour produire ce résultat. Je le répète, cette force mystérieuse semblait s'acharner à compromettre le médium. »
Dans le Rébus, on peut lire de nombreux exemples analogues, qui eurent lieu en Russie, et où les manifestations médiumniques furent de vraies persécutions. Je citerai encore un cas, qui ne manqua pas d'attirer l'attention générale, car il est unique dans son genre : parce que les phénomènes ont été constatés par une enquête administrative et judiciaire. Cela se passait en 1853, à Lipzy, près de Kharkov. Le dossier de cette affaire avait été conservé dans les archives (maintenant supprimées) du bataillon en garnison à Kharkov : il avait pour titre : « Affaire au Tribunal d'arrondissement de Kharkov. Manifestations qui ont eu lieu dans l'appartement du chef du corps d'étapes à cheval, à Lipetzk, le capitaine Jandatchenko ; incendie qui éclata à la suite de ces manifestations, le 23 juillet 1853, dans le village de Lipzy. » Le Rébus a publié en 1884 (p. 4) un compte rendu de cette affaire d'après les documents authentiques qui sont en ma possession.
Je mentionnerai encore un exemple de « persécutions » semblables ; il eut lieu en 1862, à Tachlik, petite bourgade du gouvernement de Kiev, dans la famille de Mme Plot. Une description détaillée en a été communiquée au Rébus (1888, p. 120), par le Dr Kousnetzov.
Chose curieuse, la même année, des persécutions de la même nature subies par la famille de l'honorable M. Joller, en Suisse, le forcèrent à abandonner la maison de ses pères. Dans le cas de Mme Plot, la prière changea complètement le caractère des manifestations mais, chez M. Joller, on n'eut pas recours à la prière (malgré les instances des esprits), et les résultats furent tout autres. Les lecteurs trouveront à ce sujet des détails intéressants dans la petite brochure de M. Joller : « Darstellung selbsterlebter mystischer Erscheinungen, Zurich, 1863. »
Voir aussi, sur le même sujet, les articles publiés dans le Spiritual Magazine, 1862, page 499, et 1863, page 48 ; Human Nature, 1875, page 175, et un article sur « l'Esprit frappeur» (Polter-Geist), dans le Light, 1883, page 125.
Je ne vois pas comment les phénomènes que je viens d'énumérer pourraient s'accorder avec les théories de M. Hartmann, puisque, selon lui, toutes les manifestations spirites ne sont que des manifestations de la conscience somnambulique, se produisant soit par l'intermédiaire des muscles du médium, soit au moyen de sa force nerveuse. La conscience somnambulique n'est, comme nous l'avons vu, qu'une fonction des parties moyennes du cerveau, et elle se trouve sous la dépendance « de cette partie de l'écorce cérébrale, qui est le siège de la volonté consciente »..., « le fonctionnement de ces parties moyennes n'a d'importance que, comme acte préparatoire ou exécutif », plus loin, M. Hartmann dit encore : « en tant que ces parties moyennes du cerveau sont le siège de la mémoire, de l'intelligence et des désirs, les résultats de leur fonctionnement peuvent très bien être considérés comme émanant d'une individualité intelligente », car « chez certaines natures anormales, les parties moyennes du cerveau peuvent atteindre un degré assez élevé d'indépendance, par rapport au siège de la volonté consciente » (p. 26).
Comme on le voit, cette théorie ne permet d'attribuer aux parties moyennes du cerveau qu'une « indépendance relative » qui revêt les apparences d'une personnalité intelligente et sensible, distincte du médium. C'est ce que nous admettons aussi pour une grande partie des manifestations. Mais on ne peut ni comprendre ni admettre : que les parties subordonnées du cerveau se révoltent contre les parties supérieures et qu'elles n'obéissent pas aux « injonctions » de la conscience éveillée, énoncées d'une manière catégorique que la conscience somnambulique se mette en opposition directe avec la conscience normale et, enfin, que la volonté inconsciente prenne le dessus sur la volonté consciente et non seulement avec le désir du bien, mais même avec le désir du mal, au point de poursuivre et de maltraiter l'individu conscient lui-même.
Dans le livre de M. Hartmann, le passage suivant est le seul qui pourrait se rapporter à la catégorie de phénomènes dont je viens de parler :
« Il arrive fréquemment que dans une maison on entende à des heures, à des jours donnés, ou dans de certaines semaines, le tintement de clochettes... ou qu'un immeuble soit positivement, bombardé de pierres, de morceaux de charbon ou autres objets se trouvant aux abords... Les autorités, ainsi que les particuliers, sont plutôt disposés à attribuer ces désordres à la hantise de revenants qu'à l'action inconsciente d'un médium » (p. 42).
Ce passage n'explique rien ; on ne comprend pas comment le médium opère pour charger de force nerveuse les pierres qui sont dans la rue et leur fait décrire des paraboles, ni encore moins pourquoi il bombarde avec ces pierres sa propre maison ; et puis, un « désordre » n'est pas une manifestation positivement contraire à la volonté du médium ou une persécution dirigée contre, sa propre personne.
Autre difficulté : d'après M. Hartmann, il est certain que le degré d'« indépendance relative » des fonctions somnambuliques se produit aux dépens de la conscience à l'état de veille, c'est-à-dire que le degré maximum d'indépendance de la personnalité somnambulique se produit au plus bas degré de la conscience à l'état de veille, c'est-à-dire quand cette conscience est assoupie ; M. Hartmann ne dit-il pas lui-même que « les phénomènes physiques, qui nécessitent une tension extraordinaire de la force nerveuse, se produisent quand les médiums tombent dans un état de somnambulisme apparent » (p. 31). On ne contestera pas que les manifestations chez les Fox, Phelps, Schtchapov, etc., ont dû exiger le déploiement du plus haut degré de « tension de la force nerveuse », et néanmoins elles se sont toujours produites pendant que les médiums étaient dans leur état normal. Nous devrions donc admettre, d'après M. Hartmann, une activité simultanée, pleine et entière de deux consciences, luttant l'une contre l'autre, et même supposer que la conscience somnambulique prend le dessus sur la conscience à l'état de veille pour lui faire subir toutes sortes de souffrances !....
2. - Des manifestations qui sont contraires aux convictions du médium.
Les manifestations de ce genre sont nombreuses dans les annales du spiritisme. Toute la doctrine spirite s'est formée d'après des communications contraires aux opinions religieuses habituelles des médiums et des masses ; il y aurait là matière pour une étude spéciale. Voyons, par exemple, ce que dit, dans sa préface, le Dr Dexter, qui devint, comme nous savons, médium malgré lui : « Je ne voulais pas me rendre à l'idée que les esprits fussent mêlés à ces événements... cette pensée, que les âmes de nos amis défunts pussent communiquer avec nous sur la terre était incompatible avec les notions qui m'avaient été inculquées par l'éducation, contraire à toutes mes opinions antérieures et à mes croyances religieuses... il faut noter que toutes les communications, soit par écriture, soit par phénomènes physiques qui sont obtenues par mon intermédiaire, que je sois seul ou que j'assiste à une séance de spiritisme, sont absolument exemptes de toute participation de mon propre esprit... je l'affirme une fois de plus, afin qu'il soit bien compris que les préceptes, pensées et propositions énoncées dans ce volume et qui ont été tracées par ma main, étaient en désaccord complet avec mes idées à cette époque » (p. 95).
M. A. (Oxon), personnage bien connu dans la littérature spirite, nous fournit également un exemple curieux de ces manifestations ; il a publié plusieurs articles dans le Spiritualist de 1874, et des années suivantes ; depuis ces fragments ont été réunis en un volume, qui a paru en 1883 sous le titre de Spirit Teachings (Enseignements des Esprits). Cet ouvrage a le mérite spécial de nous dévoiler toutes les péripéties de la lutte intellectuelle soutenue par le médium contre la force qui le contraignait à transmettre, par sa main, les communications qu'elle lui imposait ; il contient les répliques, objections et questions que lui suscitaient ces communications. Ce médium auteur est un homme d'une haute culture intellectuelle : ses idées religieuses étaient bien arrêtées au moment où ses facultés médiumniques se firent jour, et son étonnement et sa consternation furent grands lorsqu'il découvrit que les choses écrites de sa propre main étaient diamétralement opposées à ses convictions les plus fermes. Voici comment M. A. (Oxon) a formulé sa profession de foi, conforme aux idées qu'il avait avant les événements de 1873 :
« Au point de vue qui était le mien à cette époque, je devais qualifier les communications que je recevais d’athéistes ou de diaboliques ; dans tous les cas, je les considérais comme appartenant à la « libre pensée », car mes croyances se rapprochaient beaucoup de la doctrine orthodoxe. Pour bien suivre la polémique que j'allais entamer, le lecteur doit se rappeler que j'avais été élevé dans les principes de l'Église protestante, que j'avais beaucoup étudié les ouvrages de théologie des Églises romaine et grecque, et que j'avais accepté les principes du rite anglais dit anglican, comme étant les plus conformes à ma manière de voir personnelle... Dans l'espèce, j'étais, pour employer le terme usité, un accompli high churchman (adepte de l'Eglise d'Etat) » (p. 53).
Il serait impossible de reproduire les détails de la controverse, mais je citerai plusieurs passages des raisonnements que le médium auteur opposa aux arguments de ses interlocuteurs invisibles. Ils suffiront pour caractériser ces entretiens. Voici par exemple une réplique du médium à un argument communiqué par la voie de l'écriture automatique :
« J'objectai que cette assertion, qui, d'ailleurs, ne s'accordait en aucune façon avec mes convictions, était incompatible avec les enseignements des Églises orthodoxes, et qu'elle attaquait plusieurs dogmes fondamentaux de la foi chrétienne... Les prétendues « insanités » que tu m'as l'air de vouloir « balayer » sont précisément ce que les chrétiens de tous les âges sont convenus de considérer comme la base de leurs doctrines... La foi en la divinité du Christ et en son expiation peut à peine être considérée comme étant d'origine humaine » (p. 59).
Ce raisonnement provoqua une communication de longue haleine, qui, cependant, ne paraît pas avoir été plus convaincante que les autres, car le médium y répond comme il suit :
« Je n'étais pas satisfait. Je pris mon temps pour examiner soigneusement ce qui m'avait été dit, car mes idées s'opposaient à cette manière de voir... Je répondis qu'une semblable profession de foi serait désavouée par tout adepte de l'Église chrétienne, qu'elle était en contradiction avec la lettre de la Bible, voire qu'elle tombait sous la qualification d'antichrétienne » (p. 72).
Il fut répondu par une nouvelle communication, à laquelle le médium fit la réplique que voici :
« Je ne puis mieux faire comprendre l'embarras dans lequel je me trouve qu'en disant que tes raisonnements subjuguent, il est vrai, mon esprit, mais que la foi chrétienne, après avoir subsisté plus de dix-huit cents ans, ne peut être renversée par des raisonnements, quelque concluants qu'ils puissent me paraître, du moment qu'ils ne sont pas énoncés par une individualité que je puisse contrôler. Peux-tu me dire nettement quelle place tu assignes à Jésus-Christ ? Par quoi peux-tu justifier le pouvoir que tu t'arroges, soit de renverser, soit de développer les cnseignemmts qui sont marqués de son nom, de substituer un évangile nouveau à l'ancien ? Peux-tu m'offrir une preuve démonstrative de la réalité de la mission dont tu prétends être chargé, une preuve à la portée des hommes de bon sens ? Je ne puis accepter une théorie qui me paraît révolutionnaire à un tel degré comme une chose de provenance divine, ni lui attribuer aucune autorité sur la seule parole de qui que ce soit, fût-ce un homme ou un ange. Il vaut mieux ne pas me demander cela » (p. 80).
Ayant reçu d'autres messages tendant à dissiper ses doutes, le médium a fait les réflexions suivantes :
« En relisant toute cette série de communications, j'étais plus que jamais pénétré de leur beauté, autant pour la forme que pour le fond. Quand je considère que ces écritures ont été exécutées avec une prodigieuse rapidité, et sans que j'y aie sciemment pris aucune part, qu'elles sont exemptes de tout défaut, de toute imperfection, de toute incorrection grammaticale, et qu'il ne s'y trouve aucune intercalation ni surcharge d'un bout à l'autre, je ne pouvais qu'admirer cette impeccabilité de la forme. Quant au contenu de ces communications, j'avais encore des hésitations. Une partie des arguments avaient ma sympathie, mais j'étais obsédé de l'idée que, par le fait, ils sapaient les bases de la foi chrétienne... Les dogmes fondamentaux me paraissaient plus particulièrement attaqués. Je considérais le point discuté comme l'essence même de la religion chrétienne.
J'avais le sentiment qu'en spiritualisant, autrement dit en cherchant à expliquer ces points, je portais un coup fatal à ma croyance en une révélation divine quelconque. Après de longues et de patientes réflexions, je vis qu'il était impossible d'arriver logiquement à une autre conclusion, et je reculai devant ces assertions, que je devais accepter sur la foi d'un être dont je savais si peu. » (101.)
Il est inutile d'approfondir d'avantage et d'examiner plus longuement les péripéties de cette joute intellectuelle, d'un intérêt si palpitant, dont l'issue fut une révolution dans les idées religieuses du médium, et nous savons cependant que ses croyances étaient des plus tenaces, puisqu'elles dataient de sa première éducation. Les citations que je viens de faire sont suffisantes pour le but que je visais. Ceux qui désireront de plus amples renseignements pourront lire le texte anglais.
Je puis signaler aussi une série d'expériences faites avec la conviction que les manifestations spirites ne sont que des phénomènes d'ordre physique et qui donnèrent des résultats absolument contraires à cette conviction. Telle, par exemple, l'expérience faite par M. E. qui est décrite par le professeur Wagner dans les Psychische Studien de 1879. M. E., que je connais personnellement, est chimiste et ingénieur des mines, attaché à un établissement spécial de l'État ; je tiens de sa propre bouche l’affirmation que ni lui ni aucun des membres de sa famille ne s'étaient jamais occupés de spiritisme, que leurs convictions s'étaient opposées complètement aux doctrines spirites et que l'expérience qu'il a tentée était faite précisément pour démontrer que ces phénomènes n'ont rien de mystique, encore qu'il ne coyait pas leur existence démontrée. Voici quelques extraits de l'article de Psychische Studien, où l'on trouvera exposé le résultat inattendu de la première séance :
« Ce petit cercle de chercheurs aborda les séances spirites dans l'espoir qu'ils réussiraient à démontrer que les phénomènes médiumniques n'étaient que le développement de phénomènes physiques connus. Dans ce but, on plaça la table autour de laquelle les expériences devaient se faire sur des isolateurs en verre, et on enroula autour des pieds de la table un fil de fer dont les bouts furent reliés à un galvanomètre. Sans qu'aucune autre manifestation physique se fût produite, la table réclama, dès la première séance, l'alphabet, et, au moyen de coups frappés par un pied de la table, la conversation suivante fut épelée :
- Je souffre parce que tu n'as pas la foi !
- A qui cette phrase s'adresse-t-elle ? demandèrent les assistants.
- A Catherine L.
- Qui est-tu donc ? demanda la personne désignée.
- Je suis ton amie, Olga N.
Mme L... fut profondément émue et troublée par cette communication ; il faut noter que Olga N., l'une de ses plus intimes amies, athée autant qu'elle, était morte un an auparavant. »
Un autre exemple, qui prouve de toute évidence que la communication peut être contraire à la volonté et aux convictions du médium, nous est fourni par le fait suivant, rapporté par le professeur Robert Hare :
« Un jour je sortis de ma poche un petit bouquin que le médium n'avait jamais vu, et je l'ouvris à la page qui portait comme en-tête : « Préface de l'éditeur. » Je l'apportai ainsi ouvert près de la table, de telle façon que le médium ne pût voir que la couverture du volume. La flèche ayant épelé la première syllabe paraissait ne pas pouvoir continuer ; le médium, une dame, se détourna un instant pour calmer son enfant et, pendant ce temps, la flèche acheva d'épeler le mot anglais editor. Le médium m'expliqua que dans son idée le mot devait être : « édition », qu'elle avait même voulu faire un effort musculaire pour venir au secours de l'esprit guide, mais, au moment où son attention fut détournée vers son enfant, son invisible correspondant avait terminé le mot[1]. »
3. - Des manifestations contraires au caractère et aux sentiments du médium.
Il serait difficile de parler avec quelque précision de ce genre de phénomènes s'il n'existait un symbole externe et permanent du caractère de l'homme : l'écriture.
L'écriture porte d'une manière originale et sûre le cachet de son auteur. C'est pour ainsi dire la photographie du caractère de l'homme. La graphologie, quoiqu'elle ne soit encore qu'à ses débuts, a établi que l'écriture est l'expression fidèle des mouvements inconscients qui caractérisent l'individu[2]. Dans le domaine de l'hypnotisme, des expériences récentes ont permis de constater que la suggestion d'une personnalité fictive provoque dans l'écriture du sujet des changements correspondant au caractère de la personnalité suggérée. Etant à Paris, en 1886, j'ai eu occasion, grâce à l'obligeance du professeur Ch. Richet, d'assister à des expériences de ce genre ; l'écriture et l'orthographe du sujet, j'en conserve les spécimens[3], se modifiaient suivant les rôles suggérés et cependant il est aisé de constater que ce n'est qu'une modification de l'écriture normale du sujet, correspondant de même que ses gestes et ses paroles au type suggéré.
Dans le domaine du spiritisme, il est acquis que les médiums prennent assez souvent une écriture qui se distingue de leur écriture normale. De même que, pour une grande partie des manifestations médiumniques, j'admets avec M. Hartmann qu'elles sont le produit de notre activité inconsciente, de même, ici, j'admets volontiers que le changement de l'écriture médiumnique peut n'être, dans bien des cas, qu'une altération inconsciente de l'écriture normale du médium selon les personnalités imaginaires qui sont évoquées par ses facultés inconscientes. Mais, comme dans tous les phénomènes spirites on remarque une gradation, relativement à la complexité des faits et à la difficulté d'application des hypothèses, nous devons également prendre en considération les raisons pour lesquelles un médium, écrivant automatiquement au nom d'une personnalité A, écrit de son écriture ordinaire, et au nom de B et de G, d'une écriture qui lui est étrangère ?
Au point de vue somnambulique ou hypnotique, les conditions favorables ou défavorables au changement d'écriture devraient être les mêmes dans tous les cas et devraient donner les mêmes résultats.
La difficulté est plus grande encore quand B, C et D conservent toujours leur écriture avec une identité mathématique, car, si B, C et D ne sont que des rôles, créés au moment même, comment leur écriture pourrait-elle se reproduire constamment avec d'identiques nuances de caractère, se traduisant par d’identiques nuances d'écriture ? Les états psychiques, subjectifs et inconscients ne sont pas des quantités invariables (en tant qu'entités individuelles), et leur réapparition ne saurait être identique ; il n'y a pas de songes qui se reproduisent exactement, et les faits très rares de ce genre sont toujours rangés parmi les cas exceptionnels qu'il faut attribuer à une intervention spéciale, occulte.
Nous avons aussi des cas où l'écriture automatique diffère Complètement de celle du médium or créer une écriture originale, sur-le-champ, et la reproduire identiquement, cela constitue une action qui se prête difficilement à l'explication par cette même théorie.
Enfin, il faut mentionner également les cas où on reconnaît dans l'écriture automatique celle d'une personne que le médium n'a jamais vue. Là, il ne peut être question ni de la suggestion de la part d'un hypnotiseur, ni d'une activité inconsciente !... Je reviendrai avec plus de détails sur ce sujet dans le chapitre suivant.
Mais la nature même des manifestations peut aussi être contraire au caractère du médium. Ainsi, quelle explication donner des cas où des jurons, des blasphèmes et des obscénités sont proférés par la bouche d'un enfant ou écrits de sa main ?
Je citerai deux faits caractéristiques : M. Podmore écrit au Light de 1882 (p. 238) : « Un pasteur baptiste qui demeurait à Egham, près d'Oxford, recevait par la main de ses enfants des communications écrites de sa femme. Ces messages contenaient beaucoup de choses consolantes pour lui et présentaient beaucoup de preuves d'identité. Pendant quelque temps, le pasteur eut la conviction qu'il était en communication avec sa femme. Soudain, sans aucun motif plausible, le caractère des communications changea, les textes bibliques et les paroles de sympathie et d'affection firent place à des jurons et à des blasphèmes, et le malheureux mari dut conclure qu'il avait tout le temps été le jouet de la malveillance d'un ennemi invisible. » Le lecteur trouvera des renseignements détaillés sur ce cas remarquable dans le Human Nature de 1875, page 176.
Un autre fait de même nature m'a été raconté par la personne même qui en fut le sujet : « Peu de temps après la mort de sa femme, une de ses proches parentes, une jeune fille de douze ans, commença à faire de la psychographie ; les communications avaient plusieurs points de ressemblance avec celles de l'exemple précédent, c'est-à-dire qu'elles venaient soi-disant de l'épouse défunte, et elles contenaient beaucoup de preuves à l'appui de cette assertion, entre autres beaucoup d'allusions à des événements que sa femme et lui étaient seuls à connaître et des allusions à des conversations qui n'avaient ou lieu qu'en tête à tête. Mais mon ami, désirant obtenir des preuves plus décisives encore, posa des questions plus minutieuses alors, à son grand étonnement, il s'aperçut que la mémoire et le savoir de son interlocuteur ne s'étendaient pas au delà des six semaines qui précédèrent le décès de sa femme, et qu'il ignorait tout ce qui s'était passé avant cette époque. Quand il se plaignit à cet interlocuteur d'avoir été induit en erreur, celui-ci lui répondit par des invectives et des malédictions telles qu'il en resta terrifié. N'oublions pas que tout ceci était écrit par la main d'une enfant qui n'avait pu entendre ces paroles et pouvait encore moins en comprendre le sens. »
Un autre correspondant du même journal rapporte : « J'ai remarqué une chose étrange dans l'écriture au moyen de la planchette : c'est que le caractère des communications est fréquemment en contradiction complète avec les convictions du médium. C'est ainsi que j'ai vu écrire les blasphèmes les plus terribles par la main de personnes qui auraient mieux aimé mourir que d'employer un pareil langage[4]. »
4. - Des communications dont la nature est au-dessus du niveau intellectuel du médium.
C'est ici seulement que nous aborderons le chapitre spécial que M. Hartmann consacre à la valeur intellectuelle des manifestations, et dont le principal aphorisme est ainsi conçu : « Toutes les communications ont une valeur intellectuelle correspondant au niveau intellectuel et aux convictions du médium. » Et, plus loin : « La valeur intellectuelle des manifestations est généralement au-dessous du niveau intellectuel du médium et des assistants, elle atteint quelquefois au même degré, mais jamais elle n'est au-dessus » (p. 116).
Nous avons vu dans les pages précédentes que les communications ne répondent pas toujours aux convictions du médium. Nous allons examiner maintenant si la première partie de cet aphorisme de M. Hartmann est juste.
Il faut reconnaître tout d'abord qu'en majeure partie, les communications spirites sont en effet composées de lieux communs, de réponses sans intérêt, de raisonnements dont la valeur n'est pas au-dessus des facultés normales du médium, ou bien encore d'absolues banalités. Il est inutile de dire qu'il serait déraisonnable de chercher la cause réelle de ces manifestations ailleurs que dans l'activité psychique inconsciente du médium. Ce genre de communications explique et justifie, en partie, cette affirmation, commune aux détracteurs du spiristime, que ses manifestations ne vont jamais au delà du niveau intellectuel et moral du médium.
Mais le mot jamais est de trop dans cette affirmation ; ainsi formulée, elle prouve tout simplement de la part de son auteur une connaissance insuffisante de la littérature spéciale ou l'absence de connaissances pratiques dans ce domaine ; car la littérature spirite contient assez de faits qui prouvent que les communications peuvent être au-dessus du niveau intellectuel du médium, et tous les spirites un peu expérimentés ont pu s'en convaincre personnellement.
Mais la preuve objective de ce fait est difficile à faire. Comment préciser le niveau intellectuel d'un individu ? Comment préciser le degré d'élévation intellectuelle que le cerveau peut atteindre, sous l'influence de causes occasionnelles, et qui lui fait ainsi produire une œuvre hors ligne, sans que nous puissions pour cela nous arroger le droit de l'attribuer à d'autres facteurs que les facultés du sujet lui-même ?
Une autre difficulté réside encore dans la nécessité où nous nous trouvons de nous en tenir soit au témoignage du médium lui-même, soit à celui de personnes qui le connaissent, ce qui équivaut à une opinion personnelle, basée sur la connaissance intime de la personne, mais qui est sans valeur pour les étrangers. Enfin, pour pouvoir juger ou prouver, il faut avoir des documents sous les yeux, il faut présenter des faits concrets et palpables, - ce qui n'est pas toujours aisé. L'étendue de l'instruction et la somme de connaissances scientifiques semblent fournir la mesure la plus sûre pour l'appréciation sérieuse des phénomènes en question.
Si nous pouvions établir qu'un médium, dans ses productions médiumniques, fait étalage d'un savoir positif qu'il ne possède pas à l'état normal, cela prouverait suffisamment que l'affirmation de M. Hartmann est mal fondée !...
Parmi les phénomènes de ce genre, nous avons les productions médiumniques de Hudson Tuttle et surtout son premier livre : Arcana of Nature, qu'il a écrit à l'âge de dix-huit ans, et dont le premier volume a été publié en Allemagne sous ce titre : Histoire et lois de la Création, par le Dr Acker, à Erlangen, en 1860, et auquel Büchner a emprunté plusieurs passages sans se douter que c'était l’œuvre inconsciente d'un jeune fermier sans aucune éducation scientifique, qui l'avait écrite dans les solitudes du comté d'Erié, dans l'Etat d'Ohio[5] !
On pourrait objecter que cette manifestation d'un caractère scientifique impersonnel a eu pour source la clairvoyance, en s'appuyant sur l'exemple de A. J. Davis, qui affirme que son livre Principes de la nature n'a pas d'autre origine ; avant tout, ici, l'affirmation d'un médium quelconque ne peut être considérée comme preuve suffisante ; mais voici un autre exemple d'une production médmmnique dont le caractère individuel écarte la possibilité d'une explication par la clairvoyance : je veux parler du roman de Charles Dickens : Edwin Drood, laissé inachevé par l'illustre auteur et complété par le médium James, un jeune homme sans éducation. Des témoins ont vu le mode de production de l'œuvre, et des juges compétents en ont apprécié la valeur littéraire. Je tiens à donner quelques détails sur cette production unique dans les annales de la littérature.
Quand le bruit se répandit que le roman de Dickens allait être terminé par un procédé aussi extraordinaire, aussi inusité, le Springfield Daily Union envoya l'un de ses collaborateurs à Brattleborougn (Vermont) où habitait le médium, pour s'enquérir, sur place, de tous les détails de cette étrange entreprise littéraire. Voici quelques extraits du compte rendu en huit colonnes publié par ce journal, le 26 juillet 1873, reproduit d'abord par le Banner of Light et ensuite partiellement par le Spiritualist de 1873, page 322, auquel nous les empruntons : « Il (le médium) est né à Boston ; à l'âge de quatorze ans, il fut placé en apprentissage chez un mécanicien, métier qu'il pratique encore aujourd'hui de sorte que son instruction scolaire s'est terminée à l'âge de treize ans. Bien qu'il ne fût ni inintelligent ni illettré, il ne manifestait aucun goût pour la littérature et ne s'y était jamais intéressé.
Jusqu'alors il n'avait jamais tenté de faire passer dans un Journal quelconque le moindre article. Tel est l'homme qui prit en main la plume de Charles Dickens pour continuer : The Mystery of Edwin Drood et qui a presque terminé cette œuvre.
Je fus assez heureux pour être la première personne à qui il ait fait part lui-même de tous les détails, la première qui ait examiné le manuscrit et en ait fait des extraits.
Voici comment les choses se sont passées. Il y avait dix mois, un jeune homme, le médium, que je désignerai pour être bref par l'initiale A (car il n'a pas encore voulu divulguer son nom) avait été invité par ses amis à se mettre à une table pour prendre part à une expérience spirite. Jusqu'à ce jour, il avait toujours raillé les « miracles spirites », les considérant comme des supercheries, sans se douter qu'il possédait lui-même des dons médiumniques. A peine la séance est-elle commencée que l'on entend des coups rapides et que la table, après des mouvements brusques et désordonnés, se renverse sur les genoux de M. A. pour lui faire voir qu'il est le médium. Le lendemain soir, on l'invita à prendre part à une deuxième séance ; les manifestations furent encore plus accentuées. M. A. tomba soudainement en transe, saisit un crayon et écrivit une communication signée du nom de l'enfant de l'une des personnes présentes, dont M. A. ne soupçonnait pas l'existence. Mais les détails de ces expériences ne sont pas d'un intérêt particulier à cette place...
Vers la fin du mois d'octobre 1872, au cours d'une séance, M. A. écrivit une communication adressée à lui-même et signée du nom de Charles Dickens, avec la prière d'organiser pour lui une séance spéciale, le 15 novembre.
Entre octobre et la mi-novembre de nouvelles communications lui rappelèrent à plusieurs reprises cette demande.
La séance du 15 novembre qui, d'après les indications reçues, fut tenue dans l'obscurité, en présence de M. A. seulement, eut pour résultat une longue communication de Dickens qui exprimait le désir de terminer par l'intermédiaire du médium son roman inachevé.
Cette communication apprenait que Dickens avait longtemps cherché le moyen d'atteindre ce but, mais que jusqu'à ce jour il n'avait pas trouvé de sujet apte à accomplir pareille tâche. Il désirait que la première dictée se fît la veille de Noël, soirée qu'il affectionnait particulièrement, et il priait le médium de consacrer à cette œuvre tout le temps dont il pourrait disposer sans porter préjudice à ses occupations habituelles... Bientôt il devint évident que c'était la main du maître qui écrivait, et M. A. accepta avec plus de bonne volonté cette étrange situation. Ces travaux, exécutés par le médium, en dehors de ses occupations professionnelles, qui lui prenaient dix heures chaque jour, produisirent, jusqu'en juillet 1873, douze cents feuillets de manuscrit, ce qui représente un volume in-octavo de quatre cents pages. »
En faisant la critique de cette nouvelle partie du roman, le correspondant du Springfield Daily Union s'exprimait ainsi :
« Nous nous trouvons ici en présence de tout un groupe de personnages dont chacun a ses traits caractéristiques, et les rôles de tous ces personnages doivent être soutenus jusqu'à la la fin, ce qui constitue un travail considérable pour qui de sa vie n'a écrit trois pages sur n'importe quel sujet aussi sommes-nous surpris de constater dès le premier chapitre une ressemblance complète avec la partie éditée de ce roman. Le récit est repris à l'endroit précis où la mort de l'auteur l'avait laissé interrompu, et ce, avec une concordance si parfaite, que le critique le plus exercé, qui n'aurait pas connaissance de l'endroit de l'interruption, ne pourrait dire à quel moment Dickens a cessé d'écrire le roman de sa propre main. Chacun des personnages du livre continue à être aussi vivant, aussi typique, aussi bien tenu dans la seconde partie que dans la première. Ce n'est pas tout. On nous présente de nouveaux personnages (Dickens avait coutume d'introduire de nouveaux acteurs jusque dans les dernières scènes de ses œuvres) qui ne sont pas du tout des doublures des héros de la première partie ; ce ne sont pas des mannequins, mais des caractères pris sur le vif, de véritables créations. Créées par qui ?... » (p. 323).
Le correspondant continue : « Voici plusieurs détails d'un incontestable intérêt. En examinant le manuscrit, je trouvai que le mot traveller (voyageur) était écrit partout avec deux l, comme c'est l'usage en Angleterre, alors que chez nous, en Amérique, on ne met généralement qu'une seule l.
Le mot coal (charbon) est partout écrit coals, avec un s, ainsi qu'on le fait en Angleterre. Il est intéressant aussi de noter dans l'emploi des majuscules les mêmes particularités que l'on peut observer dans les manuscrits de Dickens par exemple lorsqu'il désigne M. Grewgious, comme étant an angular man (un homme anguleux). Remarquable aussi la connaissance topographique de Londres, dont l'auteur mystérieux fait preuve dans plusieurs passages du livre. Il y a aussi beaucoup de tournures de langage usitées en Angleterre, mais inconnues en Amérique. Je mentionnerai aussi le changement subit du temps passé en temps présent, surtout dans un récit animé, transition très fréquente chez Dickens, surtout dans ses derniers ouvrages. Ces particularités et d'autres encore qu'on pourrait citer sont de mince importance, mais c'est avec de pareilles bagatelles qu'on eût fait échouer toute tentative de fraude. »
Et voici la conclusion de l'article cité : « J'arrivai à Brattleborough avec la conviction que cette œuvre posthume ne serait qu'une bulle de savon qu'il serait aisé de crever. Après deux jours d'examen attentif, je repartis, et, je dois l'avouer, j'étais indécis. Je niai d'abord comme chose impossible, - comme chacun le ferait après examen, - que ce manuscrit eût été écrit de la main du jeune médium M. A. ; il me dit n'avoir jamais lu le premier volume ; détail insignifiant, à mon sens, car je suis parfaitement convaincu qu'il n'était pas capable d'écrire une seule page du second volume. Ceci n'est pas pour offenser le médium, car il n'y a pas beaucoup de personnes en état de reprendre une œuvre inachevée de Dickens !
Je me vois, par conséquent, placé dans cette alternative : ou un homme de génie quelconque a employé M. A. comme instrument pour présenter au public une œuvre extraordinaire, d'une manière également extraordinaire, ou bien ce livre, ainsi que le prétend son invisible auteur, est en effet écrit sous la dictée de Dickens lui-même. La seconde supposition n'est guère plus merveilleuse que la première. S'il existe à Vermont un homme, inconnu jusqu'à présent, capable d'écrire comme Dickens, il n'a certes aucun motif d'avoir recours à un semblable subterfuge. Si, d'autre part, c'est Dickens lui-même « qui parle, bien qu'étant mort », à quelles surprises ne devons-nous pas nous préparer ? J'atteste, en tout honneur, que, ayant eu toute latitude d'examiner librement toutes choses, je n'ai pu trouver la moindre trace de tromperie, et, si j'avais le droit de publier le nom du médium auteur, cela suffirait pour dissiper tous soupçons aux yeux des personnes qui le connaissent, si peu que ce soit » (p. 326).
Voici encore quelques renseignements empruntés à la même source :
« Au commencement, le médium n'écrivait que trois fois par semaine, et pas plus de trois ou quatre pages chaque fois ; mais ensuite les séances devinrent bi-quotidiennes, et il écrivait finalement dix ou douze pages, parfois même vingt. Il n'écrivait pas de son écriture normale, et, comparaison faite, il y avait quelque ressemblance avec celle de Dickens. Au début de chaque séance, l'écriture était belle, élégante, quasi féminine mais, à mesure que le travail s'avançait, l'écriture devenait de plus en plus grosse, et, aux dernières pages, les lettres étaient cinq fois plus grandes, au moins, qu'au début. Ces mêmes gradations se sont reproduites à chaque séance, permettant ainsi de classer par séries les quinze cents feuillets du manuscrit. Quelques-unes des pages commencent par des signes sténographiques, dont le médium n'avait pas la moindre connaissance. L'écriture est parfois si rapide qu'on à peine à la déchiffrer.
La façon de procéder aux séances est fort simple : on prépare deux crayons bien taillés et une grande quantité de papier coupé en demi-feuillets ; M. A. se retire seul dans sa chambre. L'heure habituelle était six heures du matin ou sept heures et demie du soir, heures auxquelles il faisait encore clair pendant cette saison cependant les séances du soir se prolongeaient fréquemment au-delà de huit heures et demie et même plus tard, et, alors, l'écriture continuait, malgré l'obscurité, avec la même netteté. Pendant l'hiver, toutes les séances se tinrent dans les ténèbres.
Le « secrétaire » de Dickens place le papier et les crayons à sa portée, pose les mains sur la table, la paume en dedans, et attend tranquillement. Tranquillité relative cependant, car, bien que les phénomènes aient perdu de leur nouveauté et qu'il y soit habitué, le médium avoue ne pas pouvoir se défendre d'un sentiment de peur pendant ces séances, au cours desquelles il évoque, pour ainsi dire, un revenant.
Il attend ainsi - quelquefois en fumant son cigare - pendant deux, trois, cinq minutes, parfois dix, même pendant une demi-heure, mais ordinairement, si les « conditions sont favorables », pas plus de deux minutes. Les conditions dépendent principalement du temps qu'il fait. Si la journée est claire, sereine, il travaille sans interruption : telle une machine électrique qui fonctionnerait mieux par un temps favorable ; un temps orageux produit du trouble, et, plus l'orage est violent, plus le trouble s'accentue. Quand il fait tout à fait mauvais, la séance est remise.
Après être resté à la table le temps voulu, suivant les circonstances, M. A. perd connaissance graduellement, et c'est dans cet état qu'il écrit durant une demi-heure ou une heure. Il lui est arrivé un jour d'écrire pendant une heure et demie. Tout ce dont le médium se souvient de son état de transe, c'est la vision de Dickens qui revient chaque fois ; l'écrivain, est, - dit-il, - assis à ses côtés, la tête appuyée sur ses mains, comme plongé dans une profonde méditation, avec une expression sérieuse, quelque peu mélancolique, sur le visage ; il ne dit mot, mais jette quelquefois sur le médium un regard pénétrant et suggestif. « Oh ! quel regard ! »
Ces souvenirs se présentent au médium de la même manière qu'un songe que l'on vient de faire, comme une chose réelle, mais en même temps insaisissable. Pour indiquer que la séance est terminée, Dickens pose chaque fois sa main froide et lourde sur celle du médium.
Aux premières séances, ce contact provoquait de la part de M. A. des exclamations de terreur, et, en ce moment encore, il ne peut en parler sans frissonner ; cet attouchement le faisait sortir de son état de transe, mais il lui fallait ordinairement le secours d'une tierce personne pour enlever ses mains de la table, à laquelle elles étaient pour ainsi dire rivées par une force magnétique[6]. En reprenant ses sens, il voit, épars sur le plancher, les feuillets écrits pendant cette séance.
Ces feuillets ne sont pas numérotés, de sorte que M. A. est obligé de les classer d'après le texte. Pendant quelque temps, après ces séances, le médium ressentait une douleur assez vive dans la poitrine, mais elle n'était pas de longue durée, et ce sont les seules suites désagréables qu'il en éprouvait. L'extrême nervosité dont il souffrait, avant le développement de ses facultés médiumniques, l'a complètement abandonné ; il n'a jamais été plus robuste. »
On peut lire d'autres détails à la page 375 du Spiritualist de 1873 et page 26 de 1874, où M. Harrison, un homme très compétent en ces matières, s'exprime ainsi : « II est difficile d'admettre que le génie et le sens artistique dont cet écrit est empreint et qui ont tant de ressemblance avec le génie et le sens artistique de Charles Dickens aient engagé leur auteur, quel qu'il soit, à ne se présenter au monde que comme un habile falsificateur. »
Dans un livre intitulé : « Essays from the Unseen, delivered through the mouth of W. Z., a sensitive, and recorded by A. T. T. P[7]. », on trouvera également une série de communications attribuées à divers personnages historiques, philosophes, théologiens, etc., faites par la bouche d'un ouvrier ne connaissant que les choses de son état, n'ayant que l'éducation ordinaire des gens de sa classe, et qui les transmettait à l'état somnambulique, sans arrêt ni hésitation, si rapidement que l'auteur de l'ouvrage cité avait peine à les écrire en sténographie.
On pourrait objecter que ces divers cas n'offrent pas de preuves suffisantes, parce qu'ils n'excluent pas la possibilité d'un travail préparatoire ou d'une falsification adroite ; mais voici d'autres exemples, dans lesquels il s'agit de communications qui ont le mérite, d'avoir été reçues sans délai et à l'improviste, comme réponse à des questions inattendues : M. J. P. Barkas, F. G. S[8] de Newcastle, - que j'ai le plaisir de connaître personnellement, ainsi que le médium dont il va être question, - publia dans le Light, 1885, pages 85 et suivantes, une série d'articles sous ce titre : « Réponses improvisées à des questions scientifiques, par un médium femme d'une éducation ordinaire », et nous lisons :
« En 1875, je fus invité à prendre part à une série de séances qui devaient se tenir dans l'appartement modeste d'une jeune dame, médium non professionnel, demeurant à Newcastle-on-Tyne. Toutes les questions s'inscrivaient dans un cahier au moment même de les poser, et le médium y écrivait immédiatement les réponses. Tous ces cahiers se trouvent chez moi, et je les tiens à la disposition de toute personne qui désirerait les voir.
Voici le problème principal qui se présente dans ce cas: une femme d'instruction ordinaire a donné des réponses à diverses questions scientifiques soigneusement élaborées au cours de trente-sept soirées, la séance se prolongeant trois heures chaque fois ; ces réponses sont telles, que probablement il ne se trouve pas un homme en Angleterre qui pourrait en faire autant, c'est-à-dire donner des réponses aussi précises, dans les mêmes conditions, à toutes les questions qui ont été posées.
Un compte rendu détaillé de ces séances, une autobiographie du médium, ainsi que des exemples de ces questions, avec les réponses, se trouvent dans le Psychological Review de 1878 (t. I, p. 215).
Il ne faut pas perdre de vue que le médium est une dame d'instruction médiocre, qu'elle était entourée de personnes qui l'observaient avec attention, que les questions étaient inscrites et lues à haute voix, séance tenante, que les réponses étaient écrites par la main du médium dans ce même cahier, très rapidement, qu'elles étaient improvisées, sans la moindre correction ultérieure ; il ne faut pas oublier non plus que ces questions se rapportaient à divers sujets scientifiques et autres, généralement peu familiers aux femmes ; que le médium, à son aveu, est complètement ignorante en ces matières, qu'elle écrivait automatiquement, sans se rendre compte si ses réponses étaient justes. Les personnes qui la connaissent intimement assurent qu'elle n'avait jamais eu de goût pour les sciences, et qu'elle n'avait jamais lu de livres scientifiques. »
Les questions étaient en grande partie écrites par M. Barkas lui-même, sans que personne des assistants les connût.
Le médium écrivait en état de veille et dans l'obscurité. Parmi les questions posées, j'en choisirai un certain nombre qui ont été traduites à mon intention par des musiciens de profession.
D. - De quelle manière la perception du son arrive-t-elle à notre conscience ?
R. - C'est un sujet très controversé. Vous savez sans doute que le son, de même que la lumière et la chaleur, est le résultat d'un mouvement vibratoire, et qu'il est dû à la vibration des molécules aériennes. Ce que vous appelez amplitude vibratoire n'est autre chose que l'excursion totale du mouvement de va-et-vient, ou de l'oscillation de ces molécules d'air, d'où résulte la formation d'une onde sonore qui se propage de proche en proche ; cette onde atteint la conque de l'oreille, qui la conduit à la membrane du tympan, dont la vibration est transmise aux extrémités du nerf auditif ; c'est ainsi que la sensation de son arrive finalement au sensorium.
D. - Pourquoi deux sons identiques peuvent-ils donner du silence, alors que deux sons non identiques ne produisent pas ce résultat ?
R. - Parce que deux ondes sonores identiques et de sens opposé en se rencontrant, anéantissent réciproquement leur mouvement vibratoire. Prenez de chaque main un diapason pareil, percutez ces diapasons avec une force égale et appuyez-en les tiges sur deux coins d'une table ; vous verrez alors les deux ondes, en cheminant l'une vers l'autre, s'absorber réciproquement par leurs sommets. Ces expériences méritent bien qu'on les fasse.
D. - Quelle différence y a-t-il entre les harmoniques d'un tuyau ouvert de 8 pieds et ceux d'un tuyau fermé de 4 pieds ?
R. - Dans les tuyaux ouverts, le premier nœud vibratoire se trouve au milieu ; le premier harmonique supérieur se formera donc à égale distance entre ce premier nœud et la bouche du tuyau, les autres se trouveront à des distances correspondant à 1/4, 1/6, 1/8, 1/10. Dans les tuyaux fermés, l'extrémité forme un nœud qui correspond a celui qu'on constate au centre d'un tuyau ouvert ; l'onde sonore réfléchie forme un premier nœud à une distance de l'extrémité égale à 1/3 ; d'autres nœuds se suivent à des intervalles de 1/5, 1,7, 1/9. etc[9]. »
M. Barkas continue : « Parmi les personnes qui ont assisté à la séance du 30 août se trouvait un professeur de musique très érudit que j'avais prié de m'accompagner pour poser des questions ayant trait à la musique, auxquelles une personne ne possédant que des connaissances ordinaires dans cette branche ne saurait répondre sans avoir préalablement étudié le sujet. Le professeur posa les questions dans l'ordre où elles se suivent ci-après ; je les inscrivais dans le cahier, et, après que lecture en était faite à haute voix, le médium se mettait à y répondre rapidement. Je donne ici la reproduction textuelle des questions et des réponses. Je ne suis pas assez compétent pour dire si ces réponses sont justes ou non, mais elles sont assurément en rapport avec les questions très difficiles posées, et je ne crois pas qu'un musicien entre cinq mille pourrait les faire si bien, dans les mêmes conditions. En effet, je n'ai pas encore rencontré de musicien qui ait pu répondre à ces questions aussi rapidement et aussi bien ; je n'en ai même pas rencontré beaucoup qui les aient bien comprises selon le sens des réponses qui y ont été faites. »
Entre les vingt-cinq questions citées par M. Barkas, j'en choisis deux :
D. - Pouvez-vous me dire comment il est possible de calculer la relation qui lie entre eux les battements spécifiques de l'air pris sous un volume constant et sous une pression constante d'après la vitesse observée du son et la vitesse déterminée au moyen de la formule de Newton ?
R. - Cette relation ne peut être calculée que de la façon suivante : supposons qu'on percute simultanément deux cordes ou deux diapasons ; si l'intensité du son est la même, ou à peu près la même pour les deux, les battements se produiront de la manière suivante : en admettant que le nombre des vibrations soit d'une part de 228, et d'autre part de 220 par seconde, le nombre des battements qui atteindront l'oreille sera de 228 - 220 = 8 par seconde. Cela fera 8 battements par seconde ; c'est le nombre maximum de battements qui puissent arriver à l'oreille.
D. - Pouvez-vous m'expliquer l'origine des battements résultant des consonnances imparfaites ?
R. - Cette question rentre, à proprement parler, dans le domaine de l'acoustique. Tout son, battement ou pulsation, est perçu grâce au mouvement vibratoire qu'il imprime à l'air ; plusieurs sons produisent plusieurs ondes, et les sons qui prennent naissance à un endroit donné de la chambre emplissent l'air dans leur proximité immédiate, ce qui fait que les ondes s'entrecroisent et par leurs interférences donnent lieu à des battements ou pulsations plus ou moins nets si les sons différent très peu[10].
D. - Voulez-vous donner une description populaire de l'œil humain, si vous ne connaissez pas les théories de Helmholtz ?
R. - Je ne connais pas ce monsieur, ni ses théories, ni ses œuvres. L'œil humain est un corps convexe, dont la partie antérieure, saillante, constituera cornée. Il est recouvert de trois membranes ou plutôt de quatre, ce qui n'est pas admis de tous : la sclérotique, la choroïde, et la rétine, qui n'est pas une membrane proprement dite, mais une expansion du nerf optique. A l'extérieur, la sclérotique est recouverte d'une membrane qui s'étend également sur la cornée ; elle est connue sous le nom de membrane adnée ou de conjonctive. La choroïde tapisse intérieurement la sclérotique ; elle est enduite d'une matière colorante brun-foncé, - le pigment choroïdien, - et sert à absorber tous les rayons lumineux inutiles. Parlons d'abord de la cornée - la fenêtre de l'œil - c'est une substance lamelleuse, transparente, semblable à du talc, à l'intérieur de laquelle se trouve l'humeur aqueuse contenue dans un petit sac ; derrière celle-ci se trouve l'iris, qui fait office d'écran en écartant tous les rayons extérieurs qui autrement pénétreraient à travers la pupille. Le cristallin est un corps lenticulaire convexe, au plutôt biconvexe, plus arqué du côté du corps vitré, humeur qui remplit la grande cavité de l'œil et fait converger tous les rayons lumineux qui entrent par la pupille ; ces rayons se réunissent en un foyer situé sur la rétine où ils forment comme la photographie des objets d'où ils émanent ; la rétine ébranlée par les rayons qui pénètrent dans l'œil, agit sur le nerf optique qui transmet au cerveau l'impression reçue. L'œil même ne voit pas plus qu'un appareil optique quelconque: il ne fait que réfléchir et photographier les objets. Je ne sais si cette description est suffisamment claire. Je pourrai vous faire une meilleure description de la structure de l'organe[11]»
La conférence que M. Barkas fit en 1876, à Newcastle (publiée dans le Spiritualist de la même année, II, pp. 146, 188) se termine par ces considérations :
« Les questions et les réponses dont je vous ai donné lecture ne forment qu'une partie minime de ce que le médium a produit pendant les séances. Tout le monde conviendra que ces réponses ne peuvent émaner que d'une personne très versée dans les diverses branches difficiles de la science auxquelles elles se rapportent. Ce n'est pas un amas de lieux communs. Au contraire, ces réponses vont au bout des questions, et même au-delà. Outre ces réponses succinctes données à des questions formulées sur divers sujets, le médium a produit des traités complets sur la chaleur, la lumière, la physiologie des plantes, l'électricité, le magnétisme, l'anatomie du corps humain, et l'on peut dire que chacun de ces traités ferait honneur à un adepte de la science. Tous ces traités sont des improvisations, exécutées sans la moindre hésitation et apparemment sans étude préparatoire.
Pendant toute la durée des séances le médium semblait être dans son état normal. Cette dame causait avec nous tout le temps et répondait d'un air tout à fait naturel quand on lui adressait la parole en matière de simple conversation. L'influence occulte qui la dominait ne s'accusait que dans le mouvement automatique de sa main.
J'atteste que j'ai conçu et posé moi-même la plus grande partie des questions, que le médium ne pouvait, par conséquent, en avoir connaissance par anticipation ; à part moi-même, personne de l'assistance n'en savait la teneur ; ces questions ont souvent été posées sans préméditation, et les réponses ont été écrites par le médium sous nos yeux ; il lui eût été matériellement impossible de se munir d'avance de renseignements quelconques au sujet des réponses à faire.
J'ajouterai qu'elle n'a jamais reçu un penny de rémunération pour toutes les heures - au moins une centaine - qu'elle a consacrées avec tant de désintéressement à l'étude de ses remarquables phénomènes médiumniques. »
La Société des Recherches Psychiques de Londres, à l'attention de laquelle ces expériences furent signalées, leur dénia toute valeur en raison d'un certain nombre d'erreurs que contenaient les réponses. Les erreurs sont toujours possibles et M. Barkas n'a pas présenté ces réponses comme des spécimens d'infaillibilité scientifique. L'intérêt principal de ces expériences n'est pas là.
Admettons que même la moitié de ces réponses ne soient pas exemptes d'inexactitude - et la critique publiée, dans le journal de la Société n'en relève pas plus d'une dizaine - il resterait encore à expliquer l'origine des autres réponses, non critiquées, dont le chiffre s'élève à plus de cent.
D'après cette critique, tout s'expliquerait par une excellente mémoire pour les mots techniques, par la lecture d'un article suranné sur l'acoustique et de quelque manuel populaire moderne. C'est là encore un exemple de cette critique facile qui se tire d'embarras en criant à la supercherie ; l'écrivain ne se donne même pas la peine d'expliquer ce choix étrange d'« un traité suranné ». Serait-ce peut-être pour mieux mettre en relief l'individualité invisible qui a inspiré ces réponses au médium ? Mais dans ce cas un mot maladroit emprunté à un « manuel moderne » aurait eu vite fait de trahir la source.
D'après M. Hartmann, c'est dans les mystérieuses opérations de la « lecture cérébrale » qu'il faut chercher l'explication de ces faits. Cet argument est plus sérieux, à coup sûr, que celui du critique anglais, aussi me suis-je empressé d'écrire à M. Barkas pour lui demander quelques explications, en vue d'examiner si l'hypothèse de M. Hartmann peut être appliquée dans le cas qui se présente. Il m'envoya la lettre suivante :
« Newcastle-on-Tyne, le 8 février 1888.
Monsieur, vous me demandez en premier lieu si j'étais moi-môme en état de répondre d'une façon aussi précise que le médium l'a fait aux questions de physique que je lui ai posées ; ensuite vous désirez savoir au delà de quel point les réponses reçues par l'entremise du médium ne sauraient plus être considérées comme un effet de la lecture cérébrale. En ce qui concerne la physique, je, dois dire que j'aurais pu répondre à un certain nombre des questions proposées au médium, mais moins bien qu'il ne l'a fait ; en traitant de certaines spécialités, je n'aurais pas eu recours, à cette époque, à une phraséologie aussi technique et précise ; ceci concerne plus particulièrement la description du cerveau et de la stucture du système nerveux, la circulation du sang, la structure et le fonctionnement des organes de la vue et de l'ouïe. Les réponses reçues par le médium étaient, en général, notablement au-dessus de mes connaissances scientifiques d'alors, et elles sont supérieures à celles que je pourrais faire aujourd'hui - c'est-à-dire après douze années - si je devais les écrire sans m'y préparer à l'avance.
J'ai étudié les trois quarts environ de ces questions avant de les soumettre au médium, et cependant je dois avouer que je n'aurais pas pu rédiger mes réponses avec la même justesse et la même élégance de langage que celles transmises par le médium.
Ces réponses contiennent beaucoup de termes techniques que je n'aurais certes pas eu l'idée d'employer, faute d'usage. Il s'y rencontre, d'autre part, des expressions qui m'étaient totalement inconnues, par exemple le mot « membrane adnée » (adnata) pour désigner la conjonctive je n'ai, d'ailleurs, guère rencontré ici qu'un seul médecin qui connut ce terme.
Je comprends toute la difficulté qu'il y a pour moi à vous renseigner d'une manière complètement satisfaisante sur les détails qui vous intéressent, attendu que je suis obligé de mettre en cause ma sincérité et de m'en rapporter à mon estimation personnelle pour faire la part de ce que je savais et de ce que je ne savais pas à l'époque où les séances eurent lieu. Je puis cependant affirmer sur ma foi que je n'étais pas en mesure de répondre, d'une façon aussi détaillée, à une bonne partie des questions de physique que j'avais posées sans les avoir communiquées d'abord à d'autres personnes, et il y avait de certaines questions auxquelles je n'aurais pas pu répondre du tout.
Il est exact que je n'aurais pas su répondre aux questions de musique. Il y eut trois séances consacrées aux sciences musicales ; c'est aux deux dernières qu'assista le professeur de musique. A la première, ce fut moi qui posai toutes les demandes : deux jours auparavant, j'avais prié un de mes amis, expert en matière musicale, de me les formuler, et je n'essayai même pas de les comprendre ; je les proposai au médium, qui écrivit immédiatement, sans la moindre hésitation, les réponses que vous avez lues, et d'autres encore. Pas un seul musicien ne se trouvait à cette séance. Le médium lui-même n'avait que des notions fort élémentaires en musique[12].
Aux deux autres séances, la plupart des questions traitant de critique musicale ont été posées par le professeur de musique ; c'est moi qui ai posé les autres - je les avais obtenues de quelques musiciens de mes amis. Il paraît que, parmi les réponses faites sur les questions du professeur, il s'en est trouvé qui ne s'accordaient pas avec ses opinions. Quant à celles qui se rapportent aux questions posées par moi, j'ignorais alors si elles étaient justes ou non.
Je serais bien aise de connaître, ne fût-ce qu'un seul cas bien avéré, d'un sensitif illettré qui, sans être mesmérisé, aurait répondu par écrit, dans un style correct et scientifique, à des questions de musique et de science, par l'effet de la lecture de pensées ou par l'action de la volonté, exercée par un savant ou un musicien vivant.
Je voudrais que M. Hartmann tentât l'expérience et qu'il soumît ces mêmes questions à un de ses sensitifs, mesmérisés ou non. Encore faudrait-il, pour que l'expérience fût loyale et valable, que le sensitif fût non seulement dans l'esprit du magnétiseur, mais aussi dans celui de personnes étrangères avec lesquelles il ne serait pas en rapport magnétique.
Vous me demandez d'indiquer les questions auxquelles ni moi ni aucun des assistants n'aurions pu répondre ? A la première des séances consacrées à la musique, pas une des personnes présentes n'était capable de faire une réponse sensée. Personne non plus n'aurait pu répondre sur les questions de chimie, d'anatomie, celles qui concernaient l'œil, l'oreille, la circulation du sang, le cerveau, le système nerveux et beaucoup d'autres, se rattachant aux sciences physiques. Sauf M. Bell, qui avait quelques notions de chimie pratique, mais ne s'exprimait pas facilement, et moi, qui connaissais les principes rudimentaires de la physique, les personnes qui assistaient aux séances étaient absolument des profanes en ces matières.
Agréez, etc.,
P.-T. Barkas. »
Voici encore un autre fait qui paraît avoir raison de toutes les objections ; il a été communiqué au Light (1884, p. 499) par le général-major A. W. Drayson et publié sous ce litre : The Solution of Scientific Problems by Spirits ( Solution de problèmes scientifiques par les esprits). En voici la traduction :
« Ayant reçu de M. Georges Stock une lettre me demandant si je pouvais citer, ne fût-ce qu'un exemple, qu'un esprit ou un soi-disant esprit aurait résolu, séance tenante, un de ces problèmes scientifiques qui ont embarrassé les savants du siècle dernier, j'ai l'honneur de vous communiquer le fait suivant, dont j'ai été témoin oculaire.
En 1781, William Herschel découvrit la planète Uranus et ses satellites. Il observa que ces satellites, contrairement à tous les autres satellites du système solaire, parcourent leurs orbites d'orient en occident. J.-F. Herschel dit dans ses Esquisses astronomiques : « Les orbites de ces satellites présentent des particularilés tout à fait inattendues et exceptionnelles, contraires « aux lois générales qui régissent les corps du système solaire. « Les plans de leurs orbites sont presque perpendiculaires à « l'écliptique, faisant un angle de 70° 58', et ils les parcourent d'un « mouvement rétrograde, c'est-à-dire que leur révolution autour « du centre de leur planète s'effectue de l'est à l'ouest au lieu « de suivre le sens inverse. » Lorsque Laplace émit cette théorie, que le soleil et toutes les planètes se sont formés aux dépens d'une matière nébuleuse, ces satellites étaient une énigme pour lui. L'amiral Smyth mentionne dans son Cycle céleste que le mouvement de ces satellites, à la stupéfaction de tous les astronomes, est rétrograde, contrairement à celui de tous les autres corps observés jusqu'alors.
Dans la Gallery of Nature, il est également dit que les satellites d'Uranus décrivent leur orbite de l'est à l'ouest, anomalie étrange qui forme exception dans le système solaire. Tous les ouvrages sur l'astronomie publiés avant 1860 contiennent le même raisonnement au sujet des satellites d'Uranus. De mon côté, je ne trouvai aucune explication à cette particularité pour moi, c'était un mystère, aussi bien que pour les écrivains que j'ai cités.
En 1858, j'avais comme hôte, dans ma maison, une dame qui était médium, et nous organisâmes des séances quotidiennes. Un soir elle me dit qu'elle voyait à côté de moi une personne qui prétendait avoir été pendant sa vie terrestre un astronome. Je demandai à ce personnage s'il était plus savant à présent que lors de son existence terrestre. « Beaucoup plus » répondit-il. J'eus l'idée de poser à ce soi-disant esprit une question afin d'éprouver ses connaissances : « Pouvez-vous me dire, lui demandai-je, pourquoi les satellites d'Uranus font leur révolution « de l'est à l'ouest et non de l'ouest à l'est ? »
Je reçus immédiatement la réponse suivante :
Les satellites d'Urauus ne parcourent pas leur orbite de « l'orient à l'occident ; ils tournent autour de leur planète de l’occident à l'orient, dans le même sens que la lune tourne autour de la terre. L'erreur provient de ce que le pôle sud d'Uranus était tourné vers la terre au moment de la découverte de cette planète ; de même que le soleil, vu de l'hémisphère austral, semble faire son parcours quotidien de droite à gauche et non de gauche à droite, les satellites d'Uranus se mouvaient de gauche à droite, ce qui ne veut pas dire qu'ils parcouraient leur orbite de l'orient à l'occident. »
En réponse à une autre question que je posai, mon interlocuteur ajouta : « Tant que le pôle sud d'Uranus était tourné vers la terre, pour un observateur terrestre, les satellites semblaient se déplacer de gauche à droite, et l'on en conclut, par erreur, qu'ils allaient de l'Orient à l'Occident ; cet état de choses a duré environ quarante-deux ans. Quand le pôle nord d'Uranus est tourné vers la terre, ses satellites parcourent leur trajet de droite à gauche, et toujours de l'occident à l'orient. »
Je demandai là-dessus comment il a pu se faire que l'erreur n'a pas été reconnue quarante-deux ans après la découverte de la planète Uranus par W. Herschel ? Il me fut répondu : « C'est parce que, dans la règle, les hommes ne font que répéter ce qu'ont dit les autorités qui les ont précédés ; éblouis par les résultats obtenus parleurs prédécesseurs, ils ne se donnent pas la peine de réfléchir. »
Guidé par cet enseignement je me mis à résoudre le problème géométriquement, et je m'aperçus que l'explication en était très exacte, et la solution fort simple. En conséquence, j'écrivis sur cette question un traité qui fut publié dans les Mémoires de l'Institution royale d'artillerie en 1859.
En 1862, je donnai cette même explication de la prétendue énigme dans un petit ouvrage sur l'astronomie : Common Sights in the Heavens (Coups d'œil dans les cieux) ; mais l'influence de « l'opinion autorisée » est si funeste, que de nos jours seulement les écrivains qui s'occupent d'astronomie commencent à reconnaître que le mystère des satellites d'Uranus doit probablement être attribué à la position de l'axe de cette planète.
Au printemps de l'année 1859, j'eus encore une fois l'occasion, par l'entremise du même médium, de converser avec la personnalité qui se donnait pour le même esprit ; je lui demandai s'il pouvait m'éclairer sur un autre fait astronomique encore inconnu. Je possédais alors un télescope avec un objectif de 4 pouces et d'une distance focale de 5 pieds. J'appris que la planète Mars avait deux satellites que personne n'avait encore vus et que je pourrais découvrir, dans des conditions favorables. Je saisis la première occasion qui se présenta pour faire des observations dans ce but, mais je ne découvris rien. Je fis part de cette communication à trois ou quatre amis avec lesquels je faisais des expériences spiritiques, et il fut décidé que nous garderions le silence sur ce qui s'était passé, car nous ne possédions aucune preuve à l'appui des allégations de mon interlocuteur, et nous risquions de nous exposer à la risée générale.
Pendant mon séjour dans les Indes, je parlai de ces révélations à M. Sinnett, je ne puis dire exactement à quelle époque. Dix-huit ans plus tard, en 1877, ces satellites furent découverts par un astronome, à Washington »
5. - Médiumnité des nourrissons et des petits enfants
M. Hartmann nous dit : « Seul, un médium qui sait écrire peut produire de l'écriture automatique ou de l'écriture à distance » (sans l'aide de la main) (p. 49).
Il est évident que les enfants à la mamelle ne savent pas écrire, et que, s'ils écrivent, c'est une preuve concluante que nous nous trouvons en présence d'une action intelligente qui est au-dessus et en dehors de l'organisme de l'enfant. Or il existe dans les annales du spiritisme plusieurs exemples de ce genre.
Il est regrettable seulement qu'on n'ait pas prêté plus d'attention à ces phénomènes et que des expériences suivies, bien organisées, n'aient pas été faites dans ce but. Nous n'avons à recueillir que des observations faites occasionnellement, de simples mentions ; mais, toutes brèves qu'elles soient, elles n'en présentent pas moins pour nous un intérêt capital.
Le premier fait de ce genre est cité dans le livre de Capron, Modern Spiritualism, page 210 ; il s'est produit en 1850, et Capron le raconte ainsi :
« Dans notre cercle intime, raconte M. Leroy Sunderland, jamais aucune des questions posées n'est restée sans réponse. Ces réponses s'obtenaient ordinairement par notre fille, Mme Marguerite Cooper, et quelquefois par sa fille, notre petite-fille, qui n'avait que deux mois. Pendant que je tenais l'enfant dans mes bras, aucune autre personne ne se trouvant à côté, nous obtenions des réponses (au moyen de coups frappés) que nos correspondants invisibles disaient se produire par ce petit médium. »
J'emprunterai à l'ouvrage de Mrs. Hardinge : Modern American Spiritualism, l'exemple suivant :
S'apercevant que les phénomènes spiritiques devenaient de plus en plus fréquents à Waterford, près New-York, les pasteurs protestants de l'endroit s'adressèrent au général Bullard, le priant d'examiner cette affaire en compagnie de quelques autres citoyens, afin de mettre fin à ce scandale. La commission formée à cet effet se rendit chez M. Attwood, dans la maison duquel, suivant les rumeurs, des choses étonnantes étaient produites par la médiumnité de son enfant. Les membres de la commission reçurent bon accueil et furent introduits dans une pièce où ils virent l'enfant, qui s'amusait avec des jouets. L'arrivée des visiteurs ne semblait aucunement lui sourire, mais les bonbons eurent vite raison de sa mauvaise humeur, et il se laissa installer sur une chaise élevée, près de la table. Bientôt ce lourd meuble se mit en mouvement, les visiteurs furent déplacés avec leurs sièges, des coups violents se firent entendre, et par leur moyen on obtint diverses communications qui semblaient émaner de parents des personnes présentes. Entre autres, le frère défunt du général Bullard manifesta le désir de communiquer.
Afin de contrôler le phénomène, le général pensa :
« Si c'est vraiment mon frère, qu'il approche de moi cet enfant, avec la chaise. »
Quel ne fut pas son étonnement et celui de tous les assistants, lorsque la chaise sur laquelle se trouvait l'enfant en face du général, à l'autre bout de la table, fut soulevée avec l'enfant, et, faisant un demi-tour, vint se poser doucement à côté de lui. Le général était seul à comprendre le sens de cette action, et, à la grande confusion des membres de la commission, il s'écria, sous l'impulsion d'un sentiment irrésistible : « Je jure que tout cela est vrai ! »
Un des exemples les mieux constatés de la médiumnité des enfants nous est fourni par le fils de Mme Jencken (Miss Kate Fox), chez lequel les premières manifestations se produisirent quand il n'avait encore que deux mois. Nous en trouvons l'exposé dans le Spiritualist de 1873, page 425.
« Un dimanche, le 16 novembre 1873, d'intéressants phénomènes spirites se sont produits dans la maison de M. Jencken, qui nous communique ce qui suit : Revenant d'une excursion à Blackheath, où je m'étais rendu avec ma femme, j'apprends de la nourrice qui avait la garde de l'enfant que d'étranges choses s'étaient passées pendant notre absence : des chuchotements s'étaient fait entendre au-dessus du lit de l'enfant, des pas avaient résonné par toute la chambre. La nourrice fit venir la femme de chambre, et toutes les deux affirmèrent avoir entendu des voix et le frou-frou de vêtements.
Ces témoignages sont d'autant plus précieux, que ni l'une ni l'autre ne connaissait la puissance médiumnique de ma femme. Le jour même de mon arrivée, pendant que je tenais l'enfant dans mes bras, en l'absence de ma femme, des coups se firent entendre - preuve évidente des facultés médiumniques de cet enfant.
Une semaine plus tard, M. Jencken faisait au Spiritualist la communication suivante : « Le développement des facultés médiumniques de notre enfant continue toujours. La nourrice raconte avoir vu, hier soir, plusieurs mains faisant des passes au-dessus du bébé. »
Ce cas est particulièrement intéressant au point de vue de la théorie de M. Hartmann, qui devra nous expliquer comment un magnétiseur de deux mois, partant inconscient, peut suggérer à sa nourrice l'hallucination de mains faisant des passes autour de lui !...
A cinq mois et demi, l'enfant commença à écrire. Nous trouvons les renseignements suivants à ce sujet dans le journal Médium and Daybreak (8 mai 1874) :
A la première page de ce numéro, sous le titre : « Merveilleuses facultés médiumniques d'un enfant » nous lisons ce fac-similé : « J'aime cet enfant. Que Dieu le bénisse. Je conseille à son père de rentrer dans tous les cas lundi à Londres. Suzanne. » En dessous de la signature se trouve la mention suivante : « Ces paroles sont écrites de la main du petit enfant de M. Jencken, quand il était âgé de cinq mois et quinze jours. Nous étions présents, et nous avons vu comment le crayon a été placé dans la main de l'enfant par la même force invisible qui a conduit sa main. » Suivent les signatures : Wason, K. F. Jencken et une croix faite de la main de Mme Mc. Carty, illettrée, la nourrice qui tenait l'enfant sur ses genoux.
Je citerai encore le témoignage suivant de M. Wason, publié dans le même numéro :
« Les époux Jencken étaient venus de Londres à Brighton pour la santé de la mère et de l'enfant.
Le 6 mars, jour en question, il y en avait plus de trois qu'ils étaient arrivés ; j'étais leur hôte à cette époque, ou, pour mieux dire, nous occupions un logement commun. La santé de Mme Jencken et de son enfant s'était visiblement améliorée, mais M. Jencken se sentait, au contraire, indisposé : il était en proie à des maux de tête accompagnés de névralgies et souffrait de plus en plus de l'estomac et des organes digestifs.
Je mettais sa maladie sur le compte de ses déplacements continuels entre son appartement de Londres (à Temple) et Brighton, ce qui lui faisait quotidiennement un parcours de 105 milles et, pour la durée entière de sa villégiature, c'est-à-dire quatre mois, pas moins de 8,000 milles. M. Jencken ne partageait pas mon avis sur les causes de sa maladie et consulta un médecin allemand de ses amis, qui lui donna raison contre moi, de sorte que je dus abandonner l'espoir de le convaincre que ses voyages quotidiens en chemin de fer, en omnibus et en cabs lui étaient funestes.
C'était donc le 6 mars, vers une heure de l'après-midi ; la nourrice était assise, tenant l'enfant sur ses genoux, dans le salon, auprès de la cheminée ; j'écrivais à une table, tout près, et Mme Jencken se trouvait dans la pièce voisine ; la porte était ouverte. Tout à coup la nourrice s'écria : « L'enfant tient un crayon dans sa main ! » Elle n'ajouta pas que ce crayon avait été placé dans la main de l'enfant par une force invisible ; je n'y fis donc aucune attention, sachant par expérience avec quelle force un enfant vous prend quelquefois par le doigt, et continuai à écrire. Mais la nourrice s'exclama immédiatement avec plus d'étonnement encore : « L'enfant écrit » ce qui intrigua Mme Jencken qui alla dans la chambre. Je me levai aussi et regardai par-dessus l'épaule de Mme Jencken, et je vis, en effet, que l'enfant tenait un crayon dans sa main et que celle-ci reposait sur le bout de papier avec la communication dont nous prîmes par la suite une photographie.
Je dois dire ici que « Suzanne » était le nom de ma femme défunte, qui, de son vivant, aimait beaucoup les enfants et dont l'esprit (ainsi que nous le supposions) s'était maintes fois manifesté au moyen de coups frappés et d'écriture automatique par l'intermédiaire de Mme Jencken ; avant son mariage, cette dernière portait le nom, bien connu dans le monde spirite, de Kate Fox, et c'est dans sa famille que se produisirent, dans les environs de New-York, les premières manifestations médiumniques, les coups frappés de Rochester, qui inaugurèrent le mouvement spiritualiste de notre siècle.
Quant au conseil de Suzanne, enjoignant à M. Jencken de rentrer lundi à Londres, les lecteurs l'apprécieront à sa juste valeur lorsqu'ils sauront qu'après avoir suivi ce conseil et cessé ses déplacements continuels, il se sentit rapidement guéri et redevint aussi bien portant et robuste qu'auparavant.
Agréez, etc.
James Wason, Solicitor.
Wason's Buildings, Liverpool. »
Voici d'autres détails sur le développement des facultés de cet enfant, publiés par son père dans le Spiritualist du 20 mars 1874 :
« La faculté d'écrire de notre enfant semble continuer. Le 11 mars, alors que ma femme et moi nous étions à table, la nourrice étant assise avec l'enfant vis-a-vis de moi, un crayon fut placé dans la main droite de l'enfant. Ma femme posa une feuille de papier sur les genoux de la nourrice, sous le crayon. La main du petit écrivit immédiatement cette phrase : « J'aime ce petit garçon. Que Dieu bénisse sa mère. Je suis heureux. J. B. T. »
J'exprimai le désir que l'enfant adressât quelques mots à sa grand-mère, qui a plus de quatre-vingt-dix ans, et, quelques minutes après, la force invisible enleva un bout de papier d'une table elle posa sur les genoux de la nourrice ; en même temps un crayon se trouva placé dans la main de mon enfant, et celui-ci traça rapidement ces mots : « J'aime ma grand-mère. » Le papier et le crayon furent jetés à terre et des coups m'avertirent que mon désir avait été accompli.
Une autre manifestation du don extraordinaire de mon fils s'est produite il y a de cela quelques semaines. J'entrai dans la chambre de l'enfant pour allumer la veilleuse. En m'approchant du lit, je m'aperçus que la tête de l'enfant était entourée d'une auréole qui enveloppa bientôt tout son corps, jetant des reflets sur la couverture et le drap du lit. Des coups furent frappés, épelant : « Voyez l'auréole. » Mme Jencken ne se trouvait pas dans la chambre, pas même à cet étage, de sorte que cette manifestation ne peut pas être attribuée à son action médiumnique ; en dehors de moi, il ne s'y trouvait que la nourrice. »
Une étude sur le développement de la médiumnité de cet enfant, avec un récit détaillé de ce dernier cas, a paru dans les Psychische Studien, 1873, pages 158-163. M. Hartmann n'a fait aucune mention de ces phénomènes, sans doute parce qu'il les expliquerait par l'action inconsciente de la médiumnité de la mère qui était présente. Mais, de l'ensemble des phénomènes relatés antérieurement et récapitulés aux pages 159 et 160 des Psychische Studien et que j'ai reproduits ici en partie d'après les premières sources, de ceux qui se sont produits en l'absence de la mère et de tous ceux que je vais citer plus loin, il résulte que la médiumnité de l'enfant était seule en jeu.
Ainsi nous lisons, trois mois plus tard, une nouvelle communication de M. Jencken[13] :
« La faculté d'écrire ne disparaît pas chez l'enfant. Un de ces soirs derniers, je remarquai que ses yeux avaient un éclat particulier d'après les mouvements de ses mains, sa mère comprit qu'il devait écrire. On lui prépara une grande feuille de papier qu'il remplit entièrement d'une longue communication dont je ne vous fais pas part, en raison de son caractère privé. Une autre fois encore il écrivit un message très court, au bas duquel il mit ses initiales : F.L. J. Ce soir-là, ma femme était absente.
Pendant que je jouais avec mon enfant qui s'amusait à saisir ma chaîne d'or, j'entendis doucement frapper des coups qui épelèrent des communications, témoignant de la présence constante des mêmes êtres qui nous entourent toujours et agissent sur nous par des voies encore incompréhensibles.
Ma femme me dit qu'il lui faut parfois déployer une résistance énergique pour empêcher son fils d'écrire et qu'elle préférerait se mettre en opposition avec les êtres occultes que de compromettre la santé de son enfant. »
Que dira M. Hartmann du cas suivant : « Le soir du 2 février 1874, M. et Mme Jencken tenaient une séance avec M. Wason, dans le salon. Mme Jencken éprouva subitement un insurmontable désir d'aller voir son fils. Sur le carré qui séparait le salon de la chambre de l'enfant, elle rencontra une figure humaine qui s'avançait portant l'enfant dans ses bras. Tremblante d'émotion, elle le recueillit, et au même moment le fantôme disparut. M. et Mme Jencken entrèrent dans la chambre de l'enfant où ils purent voir la nourrice endormie dans son lit et parfaitement inconsciente de ce qui s'était passé[14]. »
Plus tard, en 1875, M. Jencken communique au Spiritualist (13 août, p. 75) :
« La nuit dernière, le petit Freddy a été enlevé de son berceau, transporté à travers la chambre et déposé dans les bras de sa mère avec tant de précaution, que nos exclamations de surprise n'ont même pas troublé son sommeil. Le message suivant nous fut transmis par coups frappés : « Nous l'avons enlevé pour l'arracher à l'influence nuisible de forces étrangères. »
M. Hartmann dira peut-être que cet effet a été produit par la force nerveuse du médium, la mère ? Ce serait un bizarre caprice de la part d'une mère ! De l'ensemble des faits que je cite ici il résulte indubitablement que le petit Jencken était l'instrument d'autres forces que l'influence inconsciente de sa propre mère ; pour établir ce fait, il suffit des coups frappés en l'absence de la mère. Le père n'était pas du tout médium.
D'autre part, pourquoi la « force nerveuse » de la mère aurait-elle choisi pour instrument son propre enfant, un nouveau-né, alors qu'elle ne cessait de produire les mêmes manifestations par l'organisme de la mère ? Cette supposition est d'autant moins fondée, que la mère s'opposait, de toutes ses forces, au développement des facultés médiumniques de son enfant dans la crainte légitime qu'elles pouvaient nuire à sa santé.
Je citerai encore quelques exemples d'enfants médiums car ils sont aussi rares que précieux. La petite-fille du baron Seymour Kirkup écrivit à l'âge de neuf jours ; voici la lettre que le baron adressa, à ce sujet, à M. J. Jencken :
« Ma fille était médium à l'âge de deux ans ; elle a vingt et un ans maintenant ; sa fille écrivait automatiquement quand elle n'avait que neuf jours. J'ai conservé les messages écrits par elle, et vous en enverrai une photographie.
Sa mère ne l'a portée que sept mois, et l'enfant était fort petite. Sa mère la tenait d'une main sur un coussin, ayant dans l'autre main un livre sur lequel elle avait mis une feuille de papier ; on ne sait par quelle voie le crayon arriva à se trouver dans la main de l'enfant. Dans tous les cas, Valentine (c'est son nom) le tenait ferme dans son petit poing.
Elle écrivit d'abord les initiales de ses quatre guides : R. A. D. J., après quoi le crayon tomba. Je croyais que ce serait tout, mais ma fille Imogène s'écria : « Elle tient le crayon de nouveau ! » L'enfant traça alors les paroles suivantes, d'une écriture incertaine, par-dessus les lettres déjà écrites : Non mutare, questa e buona prova, fai cosa ti abbiamo detto ; addio (ne change rien, c'est une bonne preuve, fais ce que nous t'avons dit ; adieu). Vous verrez cela sur la photographie.
J'ai également rédigé une minute que je vous envoie. Conformément au conseil émis par les guides invisibles, nous envoyâmes l'enfant avec la nourrice à la campagne, dès le lendemain ; mais ensuite nous la fîmes venir de nouveau, pour voir si nous pourrions obtenir une photographie spirite, car je connaissais un photographe médium. Nous nous rendîmes chez lui, et j'essayai de faire photographier l'enfant avec le crayon en main, mais il le jeta à terre. Je vous envoie le groupe tel qu'il réussit ; on y voit le portrait de sa grand-mère Regina, morte depuis vingt ans, à l'âge de dix-neuf ans. Elle est parfaitement ressemblante, ainsi que ma fille et l'enfant. »
M. Jencken ajoute, de sa part : « La lettre que je reçus de Kirkup était accompagnée d'une photographie de l'écriture de l'enfant, d'un procès-verbal muni de sept signatures de témoins et d'un excellent portrait spirite de la grand-mère, la célèbre Regina[15]. »
Il est regrettable qu'on ne nous ait pas dit de quel genre était la médiumnité de la mère de l'enfant. Il paraît qu'elle ne produisait pas de manifestations physiques ; en ce cas, elle serait complètement étrangère aux manifestations graphiques de son enfant.
Dans le Medium de 1875, page 647, je trouve cet article : Un autre enfant médium. Il y est question du petit Arthur Omerod, âgé de sept semaines et dont le visage se transfigurait et prenait l'expression du visage de son grand-père le jour de sa mort, cet enfant répondait aux questions en ouvrant et fermant les yeux un nombre de fois convenu, ou bien par des sourires et des inclinaisons de la tête et en serrant les mains. On ne trouve aucune trace de médiumnité chez les autres membres de la famille.
Dans le Banner of Light de 1876, nous lisons le récit remarquable du phénomène suivant : « Écriture sur l'ardoise par un enfant-médium âgé de deux ans. » Ce récit a été reproduit dans le Spirilualist de 1876, II, page 211. «L'esprit d'Essie Mott, fille de J.-H. Mott, à Memphis (Missouri) quitta son enveloppe mortelle le 18 octobre 1876, à l'âge de cinq ans et onze mois, après une longue maladie. Essie était d'un développement intellectuel au-dessus de son âge, et par sa médiumnité il se produisit nombre de faits merveilleusement convaincants. A peine âgée de deux ans, il lui arrivait, en tenant une ardoise sous la table, d'obtenir des messages et des réponses écrites, alors que personne ne se tenait à côté d'elle et qu'elle-même ne connaissait pas la première lettre de l'alphabet.
Pendant les deux dernières années de sa vie, ses parents ne permettaient pas qu'on l'employât comme médium, trouvant que sa santé, déjà très délicate, en souffrait beaucoup. Je fus mandé par télégramme de Jowa pour assister à son enterrement.
Warren Chase. »
Le témoignage du respectable M. Warren Chase suffit pour garantir l'authenticité de ce fait ; il a été publié dans les Psychische Studien de 1877, page 467. M. Hartmann n'en tient aucun compte, et pourtant, que manque-t-il à ce témoignage ?
Plus tard, je trouvai, par hasard encore, le témoignage de M. M Call Black, qui se convertit à la croyance des faits spiritiques à la suite précisément de communications qu'il eut par l'intermédiaire d'un enfant de deux ans[16]. Dans le Spiritualist de 1880, à la page 47, il est fait mention d'un enfant-médium de deux ans, le fils de Mme Markee, à Buffalo, qui avait elle-même été un médium renommé.
Les détails contenus dans cet article ne sont pas assez importants pour que je les reproduise. Je veux bien admettre que les faits cités ne suffisent pas pour établir d'une façon absolue l'existence d'une médiumnité indépendante chez les petits enfants, mais il est certain qu'avec le temps, quand on aura étudié ces phénomènes d'une façon sérieuse, ils constitueront une preuve indubitable de l'existence de forces intelligentes, extra-médiumniques. En attendant, le présent paragraphe doit servir à attirer l'attention sur la grande importance de ces faits, dont l'existence peut être considérée comme admissible.
Pour clore cette monographie de la médiumnité chez les nourrissons, je ferai remarquer qu'il n'est pas rare que les petits enfants voient des apparitions ; prenons par exemple le cas de cet enfant de deux ans et demie qui jouait avec l'esprit de sa petite sœur défunte[17]. Je puis encore citer cet exemple de ma propre expérience, où un enfant de deux ans, fils d'un médium russe bien connu, apercevait en même temps que son père le fantôme d'une personne qu'il connaissait ; il se frottait les mains, de contentement, répétant : « tante, tante ! »
Faisons encore mention de ces enfants, - parmi lesquels il se trouvait des nourrissons, - qui, pendant les persécutions des protestants de France, étaient « possédés par un esprit », selon l'expression de l'époque ; ils parlaient et prophétisaient en bon français et non dans le patois de leur pays, les régions reculées des Cévennes.
Un témoin oculaire de ces événements, Jean Vernet, raconte qu'il a vu un enfant de treize mois parler distinctement en français et d'une voix très forte pour son âge, tout en ne pouvant pas encore marcher et n'ayant jamais prononcé une seule parole ; il restait couché dans son berceau, tout emmailloté, et prêchait les œuvres d'humilité, dans un état de « ravissement », de même que d'autres enfants, que M. Vernet avait vus[18].
M. Figuier dit : « Cette circonstance que les inspirés, dans leur délire, s'exprimaient toujours en français, langue inusitée dans leurs campagnes, est bien remarquable. Elle était le résultat de cette exaltation momentanée des facultés intellectuelles qui forme l'un des caractères de la maladie des trembleurs des Cévennes. »
Comme nous allons le voir, d'accord en cela avec MM. Hartmann et Ennemoser, l'«exaltation des facultés intellectuelles » ne peut pas fournir d'explication à un phénomène semblable.
6.- Médiums parlant des langues qui leur sont inconnues
Nous abordons une catégorie de faits qui prouvent d'une manière absolue, à mon avis, qu'il se produit des manifestations d'un caractère intellectuel plus élevé que celui du médium et dont la source se trouve en dehors de ce dernier. La définition que donne de ces phénomènes M. Hartmann n'est pas d'accord avec la réalité.
Il dit que « le don des langues constaté dans les premières communautés chrétiennes n'est autre chose qu'un langage inconscient dans l'extase religieuse. » (Spiritismus, p. 29.) C'est dans le même sens qu'il faut comprendre ces paroles : « Certains médiums manifestent, au cours de leurs transfigurations mimiques, le don de parler les langues » (p. 87). Mais, malgré toutes les facultés merveilleuses que M. Hartmann attribue à la conscience somnambulique, il ne lui accorde le don des langues que dans les limites de la faculté de « répéter des sons, des mots et des phrases en langues étrangères, entendus antérieurement, mais auxquels le médium n'a prêté aucune attention » (S., p. 60).
A un autre endroit, il dit : « Les somnambules peuvent prononcer et écrire des mots et des phrases dans des langues qu'ils ne comprennent pas, si le magnétiseur ou une autre personne quelconque mise en rapport avec eux, prononce ces mots et ces phrases mentalement, dans le but de les leur suggérer ; les somnambules en comprennent même le sens, en tant que la personne qui leur transmet la suggestion le comprend et le saisit pendant qu'il prononce le message soit à haute voix, soit mentalement. On en voit la preuve dans ce fait que les somnambules donnent des réponses sensées dans une langue qui leur est familière, à des questions qui leur sont posées dans une langue inconnue, mais que les réponses n'arrivent pas quand la question est faite dans une langue inconnue au questionneur » (p. 66).
Ceci n'est donc au fond qu'une lecture de pensée ou bien, - comme le dit M. Hartmann, - un cas de transmission de pensée spiritualisée (ibid.). Ici M. Hartmann a parfaitement raison ; jamais un somnambule n'a parlé dans une langue qu'il ne connaissait pas. M. Ennemoser le constate également dans son livre le Magnétisme[19]. Et, d'accord avec Eschenmayer, il considère l'opinion contraire comme chimérique (p. 27).
Voici son raisonnement : « En admettant même que les somnambules puissent pénétrer une langue qui leur est inconnue, de même qu'ils peuvent pénétrer les idées des autres, on ne pourrait, dans tous les cas, attribuer cette à faculté que la perception de la teneur et du sens de cette langue et non la forme de l’énonciation, car cette dernière est toute conventionnelle, c'est-à-dire établie par l'usage, et nécessite une étude préalable.
Le parler est un art technique, de même que le jeu d'un instrument de musique. Et celui qui ne s'est pas exercé à l'emploi d'une langue quelconque, fut-ce d'une façon rudimentaire, celui-là ne pourra même pas répéter ce langage et encore moins parler cette langue, pas plus qu'il ne pourrait répéter un morceau de musique s'il n'a pas développé cette faculté par l'étude.
Un musicien génial créera de nouvelles œuvres, il retiendra peut-être les morceaux qu'il aura entendus une seule fois, mais il ne pourra les reproduire qu'à sa manière, sur son propre instrument. Il en est de même pour les langues ; les organes du parler sont des instruments qui doivent être exercés pour l'usage général et spécialement pour chaque langue » (pp. 451 et 452).
Ainsi donc se trouverait démontrée, - d'après M. Hartmann, - l'impossibilité pour un somnambule de parler une langue qu'il ne connaît pas, ou de faire de la musique, sans connaître soit cette langue, soit la musique. Et cependant dans le spiritisme les faits de cette nature sont bien connus. Nous citerons, en premier lieu, un témoignage indiscutable, celui du juge Edmonds, qui a observé ce phénomène dans sa propre famille, sur la personne de sa fille Laura[20]. Dans la préface du deuxième volume de son ouvrage intitulé Spiritualisme, paru en 1855, nous trouvons des renseignements intéressants sur le développement des facultés médiumniques de sa fille, qu'il ne nommait pas encore à cette époque :
« C'était une jeune fille ayant reçu une bonne éducation, une fervente catholique. L'Église lui enseignait de n'ajouter aucune foi au spiritisme, et elle refusait d'assister à ces manifestations, bien qu'elles se renouvelassent souvent dans son entourage.
La maison qu'elle habitait finit par être ce qu'on appelait « hantée ». Une demi-année s'était passée ainsi : elle entendait constamment des sons étranges et voyait des phénomènes non moins étranges qui se produisaient sans intervention humaine, ainsi qu'elle s'en était assurée, et qui, néanmoins, semblaient être guidés par une intelligence. Sa curiosité fut éveillée, et elle commença à fréquenter les séances. Bientôt elle eut suffisamment vu pour être convaincue de la présence d'un agent intellectuel et devint médium elle-même. Il y a de cela un an environ ; sa médiumnité a, depuis, traversé diverses phases. Je suivais tout cela avec le plus vif intérêt. Au commencement, elle avait des tressaillements convulsifs ; peu de temps après elle écrivait automatiquement, c'est-à-dire indépendamment de sa volonté et sans avoir conscience de ce qu'elle écrivait.
Douée d'une volonté ferme, elle pouvait à tout moment interrompre la séance. Ensuite elle devint médium parlant. Elle ne tombait pas en transe, comme beaucoup d'autres, c'est-à-dire à l'état passif ; au contraire, elle avait conscience de tout ce qu'elle disait et de tout ce qui se passait autour d'elle... Puis elle commença à parler différentes langues. Elle ne connaît aucune autre langue que sa langue maternelle et le français, autant qu'elle a pu l'apprendre à l'école ; et cependant elle a parlé neuf ou dix langues, quelquefois pendant une heure, avec une facilité et une aisance parfaites.
Des étrangers purent s'entretenir par son intermédiaire avec leurs amis défunts, dans leur langue : le fait suivant s'est produit : un de nos hôtes, un Grec, avait eu quelques séances avec elle au cours desquelles il conversait en langue grecque, pendant plusieurs heures, et obtenait par elle des réponses, soit en grec, soit en anglais. Et pourtant elle n'avait jamais jusqu'à ce moment entendu une seule parole en néo-grec.
A la même époque se développèrent ses facultés musicales. Il lui arrivait souvent de chanter en diverses langues, - italienne, indienne, allemande, polonaise, et actuellement elle chante souvent dans sa langue maternelle en improvisant les paroles et la musique ; il faut dire que la mélodie est particulièrement belle et originale et que les paroles sont d'un sentiment très élevé » (p. 45).
Plus tard, en 1858, M. Edmonds publia une série de traités : Spiritual Tracts, dont le sixième a pour titre le Parler en langues inconnues, dans lequel il fournit de plus amples détails sur cette forme de la médiumnité de sa fille ; il ne cache plus le nom de la jeune fille et parle de beaucoup d'autres cas analogues.
Le Spiritual Tract, numéro 10, contient des lettres publiées par M. Edmonds en 1859, dans le New-York Tribune, et dont la huitième est intitulée : le Parler en langues inconnues au médium. Dans cette lettre il cite plus de cinquante exemples de ce fait. J'ai publié toutes ces lettres en langue allemande en 1873, dans une brochure : le Spiritisme américain. - Recherches du juge Edmonds. On y trouve de nombreux détails dont je reproduis ici les plus remarquables, car j'attribue une grande importance à ce genre de phénomènes. M. Hartmann les a passés sous silence, de même que le moulage de formes matérialisées. Commençons par les faits observés par M. Edmonds lui-même :
« Un soir, raconte-t-il, je vis arriver chez moi une jeune fille venant des États de l'Est. Elle était venue à New-York pour chercher fortune ; elle avait reçu son éducation dans une école primaire. Elle était médium et servait aux manifestations d'un personnage inconnu se disant Français et qui l'inquiétait continuellement. Il ne pouvait employer que la langue française. Ma fille s'entretint pendant plus d'une heure avec ce personnage par l'intermédiaire de la jeune fille, miss Dowd. Elles ne parlaient que le français toutes les deux, et aussi couramment que si elles étaient nées en France. Le dialecte employé par miss Dowd était une sorte de patois méridional, alors que ma fille s'exprimait en « pur parisien ». Ceci se passait dans mon cabinet de travail, en présence de cinq ou six personnes.
Une autre fois, ce furent plusieurs gentilhommes polonais qui demandèrent à s'entretenir avec Laure, qui ne les connaissait pas. Au cours de cette entrevue, elle se mit plusieurs fois à parler leur langue, sans qu'elle la connût. Ces messieurs parlaient leur langue et recevaient les réponses, soit on anglais, soit en polonais. Ce cas ne peut être constaté que par Laure elle-même, parce que ses interlocuteurs se sont retirés sans donner leurs noms. Voici dans quelles conditions a eu lieu l'entretien avec le grec :
Un soir où une douzaine de personnes étaient réunies chez moi, M. Green, artiste de cette ville, vint accompagné d'un homme qu'il nous présenta sous le nom de M. Evangelidès, de Grèce.
Ce dernier parlait mal l'anglais, mais s'exprimait correctement dans sa langue maternelle. Bientôt un personnage se manifesta qui lui adressa la parole en anglais et lui communiqua un grand nombre de faits qui démontraient que c'était un ami décédé depuis plusieurs années, dans sa maison, mais dont personne de nous n'avait connu l'existence.
De temps à autre, ma fille prononçait des paroles et des phrases entières en grec, ce qui permit à M. Evangelidès de demander s'il pouvait lui-même parler grec. La conversation se poursuivit en grec, de la part de M. Evangelidès, et, alternativement, en grec et en anglais, de la part de ma fille. Celle-ci ne comprenait pas toujours ce qui était dit par elle ou par lui en grec ; mais il arrivait quelquefois qu'elle comprenait ce qui était dit, bien qu'ils parlassent tous deux le grec. Par moment, l'émotion de M. Evangelidès était si vive qu'elle attirait l'attention des assistants ; nous lui en demandâmes la raison, mais il esquivait la réponse. Ce n'est qu'à la fin de la séance qu'il nous dit que, jusqu'alors, il n'avait jamais été témoin de manifestations spirites et qu'au cours de l'entretien, il s'était livré à diverses expériences pour apprécier la nature de ce genre de phénomènes. Ces expériences consistaient à aborder divers sujets que ma fille ne pouvait certainement pas connaître et à changer souvent de thème en passant brusquement de questions d'ordre privé, à des questions politiques, philosophiques ou physiologiques, etc.
En réponse à nos interrogations, il nous affirma que le médium comprenait la langue grecque et la parlait correctement. Les personnes présentes étaient MM. Green, Evangelidès, Allen, président de la Banque de Boston, deux messieurs, entrepreneurs de chemins de fer dans l'un des États de l'Ouest, ma fille Laure, ma nièce Jennie Keyes, moi-même et d'autres personnes dont je ne me rappelle pas les noms. Depuis, M. Evangelidès a fait encore avec ma fille plusieurs autres expériences au cours desquelles la conversation s'est tenue en langue grecque.
Ma nièce - dont il vient d'être question - qui est également médium, chantait fréquemment en italien, - langue qu'elle ne connaît pas - improvisant les paroles et la musique. Je puis citer un grand nombre de cas semblables. Un jour ma fille et ma nièce vinrent dans mon cabinet de travail et se mirent à me parler espagnol : l'une d'elles commençait la phrase, l'autre la terminait. Elles se trouvaient, ainsi que je l'appris, sous l'influence d'une personne que j'avais connue de son vivant dans l'Amérique centrale. Il a été fait allusion à des choses qui m'étaient arrivées et dont elles avaient aussi peu connaissance que de la langue espagnole. Nous ne sommes que trois qui puissions témoigner de ce fait.
Ma fille me parlait aussi la langue indienne, en dialecte Chippewa et Monomonic, que je connais bien, ayant passé deux ans parmi les Indiens. Ainsi j'ai signale des cas où ma fille a parlé en langues indienne, espagnole, française, polonaise et grecque. Je l'ai aussi entendue parler l'italien, le portugais, le hongrois, le latin et d'autres langues que je ne connais pas. Ces cas sont trop nombreux pour que je puisse me souvenir du nom des personnes présentes.
Je passe à rénumération d'expériences faites par des personnes étrangères en ma présence. Miss Hélène Leeds, demeurant à Boston, 45, Carver street, médium assez connu, dans cette ville, parlait très souvent le chinois, et cependant elle n avait qu'une éducation très sommaire et n'avait jamais entendu parler cette langue.
Cela lui est arrivé si souvent, à une certaine période de sa médiumnité, que je ne crois pas me tromper en disant qu'un millier de témoins l'ont entendue. Moi même j'ai assisté cent fois, au moins, à ses séances.
J'ai également entendu très souvent Mme Sweet, l'un des médiums de notre ville, une personne très peu instruite, parler le français et même l'italien et l'hébreu. J'ai assisté aussi à un phénomène analogue, les communications se faisant au moyen de coups frappés, en une langue étrangère, alors que le médium ne connaissait que l'anglais. Chez moi j'ai entendu la fille du sénateur Tallmage converser en langue allemande.Voilà mon expérience personnelle dans cette question, mais elle ne constitue qu'une faible partie de ce qui s'est produit dans ce genre[21]. »
Le juge Edmonds, pénétré de l'importance de ces manifestations, fit paraître dans le Banner un appel à tous ceux qui pourraient avoir à lui communiquer des faits de même nature. En moins d'un mois, il reçut une vingtaine de lettres lui fournissant des renseignements sur des cas semblables ; cette série d'expériences forme le contenu de l'appendice de ses Tracts, soit une cinquantaine de pages. J'emprunte à cet appendice quelques-uns des cas les mieux observés et contrôlés.
«Cooksville, 9 avril 1859.
Monsieur l'éditeur,
Ayant lu dans le Banner l'invitation que le juge Edmonds a faite de lui communiquer les faits médiumniques se rapportant à l'emploi de langues inconnues, je viens vous faire part d'un fait qui s'est produit il y a deux ans. Pendant trois mois, nous avons eu des séances tous les dimanches soir. Les médiums étaient deux jeunes gens, dont l'un était mon gendre et l'autre mon ami. A l'une des séances à laquelle assistait l'un de ces deux médiums, ce dernier tomba en transe, et bientôt se mit à parler une langue qu'aucun de nous ne connaissait, mais que mon père et mon frère ont reconnue pour être la langue chinoise. Ayant passé quelque temps en Californie, ils avaient été en rapport avec un grand nombre de Chinois, mais ils ne parlaient pas leur langue. A la séance suivante, les deux médiums parlèrent la même langue, et, après une conversation de quelques minutes, les interlocuteurs parurent se reconnaître, et la manifestation de leur joie de se rencontrer devint si bruyante que le locataire de l'autre partie de la maison, - un non-spirite, - vint pour s'assurer s'il y avait des Chinois chez nous, car, ayant fait du commerce avec eux, en Californie, il connaissait bien leurs coutumes.
Depuis ce temps, les deux médiums tombaient souvent sous la même influence. L'un d'eux chantait parfois en chinois, l'autre traduisait le texte de ces chansons. Aucun des assistants ne parlait cette langue, et le médium n'avait jamais vu de Chinois. Notre cercle était accessible à tous, et l'appartement était souvent comble. Chacun était obligé de constater qu'on entendait une langue étrangère et reconnaissait en même temps que les médiums étaient des jeunes gens honnêtes qui ne pouvaient être soupçonnés, de sorte qu'aucune explication de ce phénomène n'a pu être trouvée.
Agréez, etc.
S, B. Hoxie. »
« Flushing, L. J., près New York, le 16 avril 1859.
Monsieur,
J'ai lu dans les journaux que vous désirez avoir des renseignements sur les personnes qui ont parlé des langues qu'elles ne connaissaient pas. J'ai entendu prononcer par Suzanne Hoyt un discours patriotique en langue italienne ; ce discours fut traduit, au fur et à mesure, séance tenante, par un Américain qui comprenait l'italien. J'ai étudié cette langue et puis affirmer que ce fut réellement la langue employée.
Je citerai encore un homme demeurant près du marais de Hempstead, dans les environs de Newtown ; il est âgé de 35 ans et s'appelle, si je ne me trompe, Smith. La famille Hoyt pourra vous renseigner sur son compte. J'ai plusieurs fois entendu cet homme faire des discours déclamatoires en langue italienne, ce qui lui arrive assez fréquemment. Il va souvent chez les Hoyt ; la première fois que je l'entendis, je demandai à l'une des personnes présentes s'il savait parler autre chose que l'italien. Quand Smith revint à lui, il m'affirma n'avoir jamais connu ni lu aucune autre langue que l'anglais.
Agréez, etc.
Wm. P. Prince. »
« Braintrie, Vermont, le 29 mars 1859.
Monsieur,
Ayant lu l'avis que vous avez publié dans le Banner of Light, j'ai l'honneur de porter à votre connaissance les faits suivants :
En février 1858, je demeurais à Leicester, Vermont, dans l'appartement de M. John Paine. Mme Sarah Paine, sa belle-fille, est médium. A cette époque se trouvait dans notre ville un Français, qui y était venu pour étudier le spiritualisme. Catholique convaincu, il n'y croyait pas et même le combattait.
On organisa une séance, et, après quelques minutes d'attente, le médium tomba en transe et se mit à parler avec le visiteur français, dans sa langue maternelle, de manière que ce dernier pût le comprendre parfaitement. La conversation dura un certain temps sans que personne des assistants comprît ce que les deux interlocuteurs disaient. Le Français pria le médium d'écrire son nom, ce qu'elle accomplit sans tarder ; elle écrivit aussi les noms de son père et de sa mère défunts. Il nous affirma que personne aux États-Unis ne connaissait ces noms.
Mme Paine n'avait jamais vu ce monsieur auparavant. Elle ne connaissait d'autre langue que sa langue maternelle, l'anglais.
Je ne me souviens que de quelques-unes des personnes présentes à cette séance : MM. Joseph Morse, Dr S. Smith, Isaak Morse, John Paine, Edouard Paine, tous de Leicester, M. et Mme Nathaniel Churchill, de Brandon, et votre dévoué serviteur.
Nelson Learned. »
« Lynn, Mass., le 24 mars 1859.
Messieurs les éditeurs,
Répondant à l'invitation que vous avez publiée dans le Banner, je puis vous communiquer les faits suivants : M. John Hardy est un médium parlant inconsciemment en état de transe ; elle ne connaît ni le français ni aucun dialecte indien, ne les ayant jamais étudiés. Elle se trouve sous l'influence d'un esprit indien, Sachma, qui parle par son organe et qui a produit maintes cures par son intermédiaire. Il traduit lui-même ses communications en anglais, tant bien que mal. Ce fait est très probant.
Elle se trouvait aussi sous l'influence d'un autre esprit, celui d'une jeune fille française, Louise Dupont, qui avait été actrice à ce qu'il me semble. Elle a parlé en présence d'un professeur de langues, qui a trouvé son style et son parler très corrects. Ce professeur ayant posé à M. Hardy une question inconvenante, ainsi qu'il l'a avoué plus tard, reçut une réponse si vive, qu'il prit son chapeau et disparut.
Je vous communique les noms des personnes présentes à cette séance, sans pouvoir vous autoriser à les publier.
M. le Juge Edmonds pourra se renseigner directement auprès de ces personnes.
Agréez, etc.
John Alley V.
No. 8, North Common Street, Lynn, Mass. »
« Milan (Ohio), 4 avril 1859.
Monsieur le juge Edmonds,
Monsieur le Juge,
En réponse à votre appel publié dans le Banner of Light, j'ai l'honneur de vous communiquer ce qui suit :
Au mois de février 1857, je me rendis, en compagnie de M. Warner, chez M. Lewis, à Troy (Ohio).
Un soir que M. Warner était incommodée par un léger refroidissement, elle tomba sous l'influence de l'esprit d'un Indien qui s'évertuait à lui prescrire des remèdes. Sur ces entrefaites entra dans la pièce un jeune Allemand, qui était connu dans la maison sous le nom de Milton. Il souffrait d'un violent mal de tête, mais il n'y fit aucune allusion en présence de M. Warner. Cette dernière s'approcha de lui quelques instants après, et le délivra de son mal de tête par la simple application des mains. Ensuite elle lui dit en langue anglaise - l'écorchant à la manière indienne - qu'elle voyait un « esprit pâle » qui avait abandonné son enveloppe terrestre au delà des « grandes eaux » et qui désirait lui parler. Après une courte pause, elle commença à parler l'allemand et lui répéta, entre autres choses, les dernières paroles prononcées par sa mère à son lit de mort.
Le jeune homme, qui avait été jusqu'alors un obstiné sceptique, fondit en larmes et s'avoua convaincu.
A la demande des membres de la famille Lewis, il répéta ces paroles, qui étaient les suivantes : « Mes chers fils, je ne puis « plus vous donner du pain. » M. Warner n'avait jamais entendu parler de la famille de ce jeune homme et ne connaissait d'autre langue que l'anglais.
M. Pope, un citoyen des plus respectables de Troy, et les nombreux membres de sa famille, y compris le jeune Allemand, confirmeront l'exactitude de ce récit. Voici leur adresse : Welchfield, Geauga County, Ohio...
En septembre 1857, M. Warner vint à Milan pour y faire une série de conférences publiques. A la fin de la dernière conférence, elle prononça un petit discours en langue indienne et en fit la traduction. C'était un appel chaleureux, en faveur des tribus indiennes. Un citoyen de Milan, M. Merrill, membre influent de l'Église presbytérienne, qui se trouvait la, fût si satisfait de l'authenticité de la langue indienne qu'il déclara que tous ses doutes étaient dissipés. Il avait vécu jusqu'à l'âge de dix-huit ans parmi les Indiens et avait parlé couramment leur langue. Voici son témoignage : « Je certifie que les faits rapportés par M. E. Warner sont exacts et qu'à la suite de mes rapports avec le médium j'ai acquis la persuasion qu'en son état normal elle y ignore complètement tous les dialectes indiens ; je suis en même temps convaincu que se trouvant sous l'influence « d'un esprit » elle peut, en effet, parler indien.
Milan, avril 1859.
James Merrill. »
Je vous autorise à faire usage de la présente si vous le jugez utile.
Ebenezer Warner. »
« Chicago, le 5 avril 1859.
En réponse à votre appel publié dans le Banner of Light ; je puis porter à votre connaissance les faits suivants :
Il y a de cela quatre ans, j'organisai chez moi des séances dans le but d'étudier le « spiritualisme moderne », et je m'aperçus bientôt que ma femme était médium. Cette découverte la chagrina vivement, et elle aurait donné beaucoup pour que cela ne fût pas. Elle lutta longtemps contre la force occulte qui la jetait dans l'état de transe et qui parlait par le moyen de son organisme, mais ses préjugés finirent par s'évanouir... De même que beaucoup d'autres personnes appartenant à la classe ouvrière, elle n'avait reçu d'autre instruction que celle des écoles primaires. Voici, entre autres, ce dont j'ai été témoin :
A une séance chez le Dr Budd, à laquelle assistaient MM. Miller, Kimball, Kilburne et autres, nous entendîmes un concert vocal, en langue espagnole, qui dura plus de deux heures. Peu après que nous eûmes joint les mains, ma femme, une jeune personne (Miss Scongall) et un jeune homme qu'elles voyaient pour la première fois tombèrent simultanément en état de transe et se mirent à causer couramment entre eux, en espagnol. Après un quart d'heure environ d'entretien, le trio se leva et entonna un air difficile, avec paroles également en langue espagnole ; chacun chantait sa partie, et tous étaient parfaitement d'accord. Ils nous firent entendre jusqu'à douze morceaux différents, discutant avec animation dans les intervalles, au sujet du morceau nouveau qu'ils chanteraient ensuite... Après l'audition, les trois médiums revinrent à eux et manifestèrent un vif étonnement en apprenant ce qui s'était passé. Le jeune homme retomba en transe, mais sous la domination d'une autre influence, et nous donna l'explication de ce que nous avions vu : le concert nous avait été offert par trois espagnols, le frère et ses deux sœurs, qui avaient exercé la profession de chanteurs durant leur existence terrestre, pour gagner leur vie. Ce soir, ils ne s'étaient pas uniquement manifestés pour satisfaire notre curiosité et nous instruire, mais aussi pour prouver que la fête de la Pentecôte existait encore.
Je dois ajouter qu'il n'est pas difficile d'établir de la façon la plus absolue qu'aucun des trois médiums ne connaît, en son état normal, d'autre langue que sa langue maternelle.
Pendant quelque temps ma femme se trouva sous l'influence d' « esprits » allemands ; elle parla et chanta en allemand plusieurs soirées consécutives. Personne de notre cercle ne comprenait cette langue. Désireux de m'assurer du fait, j'invitai un docteur allemand, M. Euler à venir chez moi et me donner son avis. Il vint deux fois et s'entretint avec le médium, en allemand, pendant plus d'une heure à chaque visite. Grand était son étonnement, mais encore plus grande sa joie de pouvoir parler sa langue maternelle. Outre l'allemand, ma femme a parlé l'italien, langue qui lui est également inconnue.
John Young. »
« Tolède, le 9 avril 1879.
A Monsieur le Juge Edmonds.
Monsieur,
Pour donner suite à votre désir de connaître des exemples de médium parlant en diverses langues, je viens vous informer que moi-même je suis médium et qu'il m'arrive d'être sous l'influence de l'esprit d'un Indien et de parler cette langue, que j'ignore ; je ne puis par conséquent juger à quel point ma prononciation est correcte, mais ces jours derniers je fis la connaissance d'un monsieur qui se déclarait être un sceptique et ne croyait pas à l'existence de rapports avec le monde des esprits. Mon esprit guide lui parla en langue indienne. A l'état de clairvoyance, je lui fis la description d'un chef indien, qui était mort, d'après ce qu'il me dit, deux ou trois jours avant son départ de Jowa. Mon guide reconnut l'esprit du défunt et fournit beaucoup de preuves établissant son identité. Le monsieur dont je parle est très familier avec la langue de cette tribu, qu'il désigna comme étant celle des Pawnees. Ci-joint une lettre particulière que ce monsieur m'a adressée à son retour à Jowa et de laquelle vous pouvez extraire les passages que vous jugerez utiles.
Agréez, etc.
Sarah M. Thompson. »
Voici les passages les plus intéressants de la lettre en question :
« Vinton (Jowa), 17 février 1859.
Mademoiselle,
Vous savez que je ne crois pas aux théories spirites ; je suis persuadé, comme avant, que cela n'est autre chose que la manifestation de l'influence qu'exerce l'esprit d'un homme sur celui d'un autre. Ne m'étant pas beaucoup occupé de ces questions, je ne saurais dire à quelle conclusion j'arriverais si je me livrais à des recherches approfondies dans cette voie ; mais il y a un fait que je ne parviens pas à m'expliquer, c'est votre parler en langue indienne ; ce langage était aussi correct et caractéristique que celui qu'on entend dans les wigwams indiens...
Jacob Wetz. »
Pour les autres faits du même genre dont j'ai eu connaissance, je me bornerai à de courtes indications.
Dans le premier journal spirite, le Spiritual Telegraphe édition in-8°, publié à New-York par Partridge (vol. III, 1854, p. 62), on trouve le récit suivant :
« William Brittingam, dont nous reçûmes la visite dans nos bureaux, il y a quelques jours, nous communiqua un fait intéressant. Un certain M. Walden, un médium parlant, de Ellicot-ville, s'est rendu récemment aux Springs (Sources) appartenant à M. Chase. Au moment de son arrivée, pendant qu'il se tenait encore sur le perron, il vit venir au-devant de lui une jeune servante de la maison, une suédoise, avec laquelle il entama une conversation. Aucune des personnes présentes ne comprenait la langue qu'ils parlaient ; le médium n'avait pas non plus conscience de ce qu'il disait. La jeune fille, entendant qu'on lui adressait la parole en sa propre langue, s'était engagée dans la conversation ; elle paraissait profondément intéressée, et son émotion devint si vive qu'elle fondit en larmes. Quand M. Brittingam lui demanda la cause de son émotion, elle lui répondit, en substance : « Cet homme sait tout concernant mes défunts père et mère ; j'ai perdu mon père il y a six mois ; ma mère est morte il y a huit ans. On vient de me dire qu'ils me parlent par cet homme et qu'ils pourront me parler par d'autres médiums. »
La jeune fille, qui n'avait jamais rien vu de semblable, n'en revenait pas ; elle se demandait comment il pouvait se faire que M. Walden, un Américain, qui n'avait jamais connu sa famille et ignorait complètement la langue suédoise, lui parlât d'une façon aussi mystérieuse. »
En 1873, M. Allen Putnam publia la Biographie de Mrs. J. H. Conant, un médium parlant, jadis bien connue en Amérique, qui transmettait des centaines de messages publiques ensuite dans le Banner of Light. Mr. Conant était la première à se méfier des communications qu'elle transmettait pendant son état de transe. Il lui arrivait souvent d'être sous l'influence d'esprits indiens qui lui donnèrent le nom de Tulular, c'est-à-dire « quelque chose pour voir à travers ». «Comment savoir, disait-elle, si les signes et les mots employés par Springflower et par d'autres sont vrais et corrects ? Je n'ai pas conscience de ce que je dis, et aucune des personnes présentes ne saurait décider s'il y a du sens commun dans ce que les esprits indiens me font dire. » Désireuse de savoir ce qu'il y avait de vrai dans ces manifestations, elle saisissait toutes les occasions favorables pour les vérifier... Un jour elle reçut la visite du colonel Tappan, membre du Comité de pacification des Indiens des États-Unis[22], qui était accompagné de plusieurs messieurs, dont l'un avait rempli, pendant près de quinze ans, les fonctions d'agent gouvernemental pour les affaires touchant les Indiens, et disait connaître la plus grande partie des dialectes parlés par les aborigènes. C'était pour elle une excellente occasion de réaliser ses projets de contrôle. Springflower se manifesta de suite et put s'entretenir librement avec l'ancien agent ; elle paraissait même avoir un certain avantage sur ce dernier, car il lui arrivait quelquefois de chercher ses mots, alors que son interlocutrice semblait être tout à fait à l'aise... M. Conant demanda à ce monsieur s'il croyait qu'elle serait comprise par les Indiens de cette tribu en parlant sous l'influence de Springflower. Il répondit qu'à son avis il ne pouvait y avoir aucun doute. »
Je passe sur toutes les communications écrites en langues inconnues par les médiums. Les cas en sont fort nombreux, mais, dans la règle, ces messages se résument à des citations de divers auteurs, voire à quelques mots détachés, et l'on peut toujours dire que ces fragments ont été appris, entendus ou copiés, que ce soit fait consciemment ou non. D'autres fois, ce sont de courtes phrases qui permettent toujours d'élever un doute sur leur origine. Il y a bien eu de nombreux cas où la conviction intime des assistants était que le médium ignorait d'une façon absolue la langue qu'il écrivait, - et j'en puis citer de ma propre expérience, - mais ce sont des convictions personnelles, qu'il est impossible de faire partager à un tiers ; ce genre de manifestations ne présente, par conséquent, qu'une valeur fort limitée, en comparaison avec le langage parlé, dont je viens de citer des exemples.
Il faut classer dans la même catégorie de faits les messages transmis par les signes télégraphiques, ignorés du médium, ce qui équivaut à écrire une langue inconnue. On peut lire des détails à ce sujet dans Startling Facts, pages 247-255. - Un exemple intéressant de ce phénomène se trouve dans la Biographie de M. Conant, dont il a été parlé plus haut, et dont voici la traduction :
« Lors de son séjour à Cummings House, à Boston, M. Conant reçut la visite d'un inconnu qui déclara qu'il étudiait les phénomènes spiritiques et qu'il désirait beaucoup avoir de la part de son ami une certaine preuve d'identité qu'il n'avait pas encore réussi à obtenir ; il venait de voir un médium demeurant dans un quartier éloigné de la ville et qui l'avait adressé à M. Conant, disant qu'à une séance avec elle son désir serait accompli... On prit place... Soudain la main de M. Conant commença à exécuter des mouvements brusques, s'élevant et s'abaissant d'une façon bizarre et irrégulière, de sorte que le crayon frappait sur le papier des coups secs, se suivant rapidement. M. Conant ne comprenait rien à ce qui se passait, et, désespérant d'obtenir un résultat quelconque et troublée par cet échec, elle dit à son hôte : « Inutile de continuer. Il est clair qu'aucun esprit pouvant communiquer avec vous ne se trouve ici pour le moment. Il y a bien quelqu'un, mais il ne trouve pas le moyen de se manifester. » Quel ne fut pas son étonnement lorsque le visiteur lui déclara qu'il était très satisfait, au contraire, que la séance avait parfaitement réussi et qu'il avait enfin obtenu de son ami la preuve désirée, qu'il l'avait même écrite, sans qu'elle s'en fût aperçue. Explications faites, le médium apprit que le visiteur inconnu était télégraphiste de profession, de même que l'ami dont il attendait le message : à preuve de son identité, il devait communiquer avec lui par voie de signes télégraphiques, et c'est ce que M. Conant venait de faire, d'une façon toute mécanique, puisqu'elle n'avait aucune idée de l'alphabet télégraphique, tout en s'étonnant de ce que la séance ne donnait aucun résultat. Le visiteur a pu se convaincre de cette façon que l'intermédiaire du message, c'est-à-dire le médium, en ignorait absolument la teneur. »
M. Crookes raconte un fait très remarquable, du même genre :
« A une séance avec Home, la petite règle s'approcha de moi en glissant sur la table, en pleine lumière, et me transmit un message, en frappant un léger coup sur ma main à la lettre voulue de l'alphabet, que je récitais. L'autre bout de la règle reposait sur la table, à proximité des mains de Home.
Les coups furent frappés si nettement et si distinctement, et la petite règle semblait être si complètement sous le contrôle de la force occulte qui dirigeait ses mouvements, que je crus pouvoir demander :
- L'intelligence qui dirige les mouvements de cette règle peut-elle changer le caractère de ces mouvements et me donner une communication télégraphique par le moyen de coups frappés sur ma main, en employant l'alphabet Morse[23] ?
Aussitôt, le caractère des coups changea et la communication se poursuivit de la manière demandée. Les lettres me furent dictées trop rapidement, et je ne pus noter que quelques mots que je réussis à saisir par-ci par-là, de sorte que le sens du message fut perdu pour moi, mais ce que j'avais vu m'indiqua clairement qu'un bon télégraphiste se trouvait à l'autre bout de la ligne, où que ce fût[24]. »
Pour clore cette série de faits, je citerai encore ce cas d'une enfant qui exécuta un morceau sans avoir jamais appris la musique, comme en témoigne M. N. Tallmage, ancien sénateur et gouverneur de Wisconsin, père du médium. Dans la préface d'un livre qu'il édita : The Healing of Nations[25], par Linton, New-York, 1858, il dit :
« Au mois de juin 1853, à mon retour de New-York, où j'avais observé diverses manifestations spiritiques, j'allai chez un médium écrivain qui demeurait dans mon voisinage et reçus un message dans lequel on me conseillait d'organiser un cercle intime dans ma maison, en me prédisant qu'un médium se formerait qui dépasserait toutes mes prévisions. J'exprimai le désir de connaître le nom de ce médium, et reçus pour réponse que ce serait ma fille.
- Laquelle, demandai-je, car j'en ai quatre ?
- Emilie, me fut-il répondu.
On m'enjoignit ensuite de placer ma fille Emilie au piano, quand les séances seraient organisées.
- Vous lui apprendrez à jouer ? demandai-je. La réponse fut :
- Vous verrez.
Emilie était ma fille cadette, âgée de treize ans. Je ferai observer qu'elle ne connaissait pas la musique et n'avait, de sa vie joué un air quelconque, par la simple raison qu'à l'époque de notre arrivée ici nous avions trouvé le pays presque inhabité ; il était impossible d'avoir un professeur de musique. Tout ce qu'elle sait, elle l'a appris avec moi ou quelqu'un de la famille. Je parvins bientôt à organiser un petit cercle intime. Je présentai à Emilie une feuille de papier et un crayon. Sa main se mit à tracer des lignes droites qui formèrent une portée. Ensuite elle y mit des notes et ajouta les signes. Ceci fait, elle laissa tomber le crayon et commença à taper sur la table comme sur les touches d'un clavier. Je me souvins alors que je devais l'asseoir devant un piano ; après un moment d'hésitation, elle se rendit à mon invitation et se mit au piano avec l'assurance d'un artiste accompli. Elle attaqua résolument le clavier et exécuta la Grande Valse de Beethoven, dans un style qui aurait fait honneur à un bon musicien. Ensuite elle joua plusieurs airs connus, tels que : Sweet Home, Bannie Doon, The Last Rose of Summer (Dernière rose d'été), Hail to the Chief (Gloire au Chef), Lilly Dale, etc. Elle exécuta encore un air inconnu, chantant en même temps les paroles improvisées qui s'y rapportaient » (p. 61).
Que dira M. Hartmann des nombreux exemples que je viens de citer ? Il est évident que les phénomènes qui se produisent contre la volonté et les convictions du médium, et surtout l'emploi d'une langue qu'il ne connaît pas, n'ont absolument rien de commun ni avec l'hyperesthésie de la mémoire, ni avec la transmission de la pensée, ni enfin avec la clairvoyance, qui déterminent la nature de la conscience somnambulique. Cette dernière catégorie de faits une importance capitale en présence du verdict catégorique de M. Hartmann proclamant que de pareils phénomènes n'existent pas. C'est là, dans le domaine des faits intellectuels, le Rubicon que M. Hartmann ne pourra franchir et - de même que pour les faits physiques de la pénétration de la matière, - cette fois encore il devra déposer les armes.
Ces phénomènes ne pouvant s'expliquer par une action de la conscience normale du médium ni par aucune action de la conscience somnambulique, il faut, nécessairement, chercher un troisième facteur. Et, comme nous ne pouvons plus le découvrir dans le médium, nous sommes obligés de conclure que ce troisième facteur se trouve en dehors du médium.
Mais, avant de m'occuper des phénomènes pour l'explication desquels M. Hartmann lui-même juge nécessaire de faire exception à ses principes méthodiques et de recourir à une explication métaphysique supranaturelle (p. 81), c'est-à-dire, à l'Absolu, je dois mentionner ici des phénomènes d'un caractère complexe qui compléteront et illustreront, pour ainsi dire, les conclusions que je viens d'énoncer.
7. - Différents phénomènes d'un genre mixte composé
M. Hartmann nous dit : « L'écriture en question n'est que relativement inconsciente, elle est consciente pour la conscience somnambulique latente ; nous en voyons la preuve dans ce fait que le médium, mis dans l'état de somnambulisme apparent, se souvient de ce qu'il a écrit à l'état inconscient et fournit même à cet égard des explications verbales » (p. 58) ; et plus loin : « Si un médium, se trouvant à l'état somnambulique, peut communiquer de vive voix la teneur exacte d'un message écrit à distance et dont il n'avait aucune connaissance à l'état éveillé, nous y trouvons la preuve absolue que la conscience somnambulique du médium n'est pas étrangère à son activité médiumnique, qu'elle y participe d'une certaine façon » (p. 113).
Donc, si un médium écrit à l'état somnambulique, et qu'il ne peut reproduire d'une manière exacte, précise, ce qu'il a écrit lui-même, soit à l'état somnambulique, soit lorsqu'il sera revenu à son état normal, nous serons en droit de prétendre que c'est là « la preuve irrécusable » que la conscience somnambulique du médium a été étrangère à son activité médiumnique et qu'elle n'y a pris aucune part.
Nous trouvons cette preuve dans le fait suivant : « Un correspondant signant T. E. B., lieutenant de l'armée royale, membre de la Société Royale asiatique, a publié dans le journal Knowledge du 2 mars 1883 le récit suivant se rapportant à l'écriture au moyen de la planchette :
Je me suis mis à faire, il y a quelque temps, des expériences avec la planchette ; j'étais convaincu alors que cette écriture était produite par l'activité inconsciente de la personne qui posait ses mains sur l'appareil (toute possibilité de fraude étant exclue). Cette explication, si elle est juste, doit fournir de curieux éclaircissements sur l'activité du cerveau. Je connaissais, par bonheur, une personne avec laquelle la petite latte écrivait toujours admirablement bien, de sorte que je pus me livrer à diverses expériences intéressantes. Lorsque je plaçais sa main sur le petit appareil (que j'avais confectionné moi-même, et qui consistait en une latte dans laquelle j'avais pratiqué un trou pour y fixer le crayon) et que je posais une question, la réponse arrivait avec une promptitude étonnante, plus rapidement qu'on ne saurait l'écrire par le procédé naturel ; l'écriture était très lisible bien que le caractère en changeât souvent, tout en différant toujours complètement de celle du médium ; je considère cette particularité comme très significative. Cette dame ignorait ce qu'elle écrivait jusqu'au moment d'en prendre lecture. Dans plusieurs cas, le message ainsi transmis n'était connu que de moi ou d'une seule autre personne présente, et ne pouvait être dû, selon la théorie de l'action inconsciente, qu'à un effet de la lecture de pensées.
Mais c'est surtout l'expérience suivante que je voudrais signaler à votre attention : j'ai magnétisé cette dame à plusieurs reprises. Comme c'est le cas habituellement, elle pouvait répondre à différentes questions pendant son état de sommeil, mais à son réveil elle ne se souvenait plus de rien[26]. J'eus donc l'idée de poser ses mains sur la latte, pendant qu'elle était plongée dans un sommeil magnétique. Je reçus, comme toujours, une réponse à ma question ; avant de la lire, je demandai au médium ce qu'elle avait écrit ; j'étais persuadé qu'elle me le dirait de suite. Mais elle ne l'a pas pu.
N'est-ce pas une preuve que les paroles écrites par elle n'étaient pas un produit de son cerveau, ni en son activité normale, ni en l'état spécial qui caractérise le sommeil mesmérique ? Nous devons par conséquent ou bien admettre un troisième état, inconnu jusqu'à présent, sinon aboutir à l'idée d'un agent extérieur, que je ne suis pas trop disposé à accepter[27]. »
L'erreur de M. Hartmann provient de ce qu'il a voulu généraliser son affirmation car, de ce que dans un grand nombre de cas l'écriture est l'œuvre de la conscience somnambulique, il ne résulte pas nécessairement que, dans d'autres cas, elle n'obéisse à une suggestion d'une source étrangère. La possibilité de cette dernière origine est apparente dans le phénomène suivant, exposé par M. Young, que nous connaissons déjà par les citations que nous avons faites du « parler en langues étrangères ».
M. Young raconte le fait suivant, qui s'est produit par l'intermédiaire de sa femme :
« A une séance organisée chez le Dr Haskel, en présence du Dr Budd et de MM. Kimball, Miller, Kilburne et autres, ma femme parlait, en état de transe, au nom d'une italienne qui disait s'appeler Léonore. Comme ma femme se prêtait souvent à ces expériences magnétiques, l'un des assistants émit la supposition que « l'esprit » qui se manifestait n'était autre que l'esprit du magnétiseur lui-même, qui était là présent, parmi les visiteurs ; il proposa, en conséquence, que le médium fut soustrait à cette influence : le magnétiseur devait la plonger dans un sommeil mesmérique et essayer de lui implanter la même personnalité. Le médium fut immédiatement rappelé à l'état normal et ensuite magnétisé. Obéissant à la volonté du magnétiseur, elle se mit à chanter avec beaucoup de sentiment l'air bien connu de « Annie Laurie ». Ce résultat combla de satisfaction les gens sceptiques qui croyaient y voir la démonstration de leur théorie. Mais le triomphe fut de courte durée : lorsqu'elle en était à la moitié du dernier vers, la force étrangère l'arracha subitement à l'influence du magnétiseur qui, de ce moment, n'eut plus de pouvoir sur elle. Tous les efforts qu'il fit pour l'obliger à achever la chanson furent vains. Alors il voulut au moins l'affranchir de cette influence qui la dominait mais, pour la première fois, il perdit tout contrôle sur son sujet. Voyant la tournure inattendue que prenait l'expérience, l'un des assistants exprima ce vœu du moment que le médium se trouve sous l'influence de « l'esprit » d'une italienne, qu'on lui suggère de chanter un air en cette langue. Quelque surprenant que cela puisse paraître, ce vœu fut accompli sans retard, et les assistants furent charmés par l'excellente exécution du morceau. Il n'y avait point d'Italiens parmi nous, mais quelques personnes savaient, cette langue assez bien pour pouvoir en juger. Ces expériences ont été répétées plusieurs fois, et nous pûmes entendre ma femme parler italien ».
Dans ce cas, nous voyons que la suggestion du magnétiseur visible a dû céder à la suggestion d'un magnétiseur plus puissant, quoique invisible.
Mais voici un autre exemple, plus curieux encore : c'est le magnétiseur invisible qui dut céder la place à un autre magnétiseur, également invisible peut-être aussi une communication dictée par la conscience somnambulique du médium fut-elle soudain interrompue par une communication émanée d'une autre source. Dans une lettre publiée par le Religio-Philosophical Journal, M. Brittan, écrivain spiritualiste connu, raconte ainsi ce phénomène :
« En 1852, un matin, j'assistais à une séance, à Greenfleld, Mass., avec le médium D. D. Home, qui devint si célèbre par la suite. L'un des assistants disait l'alphabet, et les communications se faisaient au moyen de coups frappés. A un moment donné, ces coups devinrent très forts, et le signal convenu (cinq coups) nous avertit que l'alphabet était demandé. Quelqu'un fit l'observation que cette demande n'avait aucun sens, attendu que l'alphabet se disait déjà. Le même signal fut répété, en même temps que la table subissait de violentes secousses, ce qui fit faire à l'un de nous la réflexion que l'harmonie avait fait place à un affreux désordre. Croyant avoir deviné de quoi il s'agissait, je fis remarquer que ce n'était pas nécessairement un désordre, que, peut-être, une autre individualité avait interrompu le message, ayant probablement à nous communiquer quelque chose d'urgent. Ma supposition fut immédiatement confirmée par des coups frappés dans diverses parties de la chambre, et par un violent secouement de la table. Je me mis à réciter l'alphabet et reçus ce message : « Rentre à la maison, ton enfant est malade, pars de suite, ou tu seras en retard. » Je pris mon sac de voyage et partis. A peine étais-je dans la rue que j'entendis le sifflet du train qui arrivait en gare ; c'était le dernier train avec lequel j'aurais pu rentrer à la maison le soir même. J'étais à un huitième de mille environ de la gare ; je me mis à courir de toutes mes forces et arrivai au moment où le train se mettait en mouvement. Je n'eus que juste le temps de sauter sur la plateforme de derrière du dernier wagon. En arrivant chez moi, je constatai l'exactitude rigoureuse du message spiritique[28]. »
Quelle pourrait être, suivant M. Hartmann, la cause de cette interruption de communication ? Il est évident qu'elle ne résidait pas dans le médium. C'était peut-être une « dépêche télépathique » de la conscience somnambulique de l'un des membres de la famille Brittan ? Mais M. Hartmann n'admet pas les communications à grande distance autrement que sous la forme d'hallucination, - thèse que nous discuterons plus tard, - alors que dans le cas considéré elle s'est effectuée au moyen de coups et de mouvements de la table. D'ailleurs, comment la conscience somnambulique aurait-elle eu connaissance de l'approche du train ?
Voici encore un cas semblable. La cause de l'interruption n'est pas précisée ; cependant rien ne permet de croire que cette cause doive être cherchée chez le médium lui même. J'emprunte le récit du phénomène dont il est question au Révérend Adin Ballou, dans une citation du professeur Rob. Hare[29].
« Les agents occultes m'avaient invité à faire, à un endroit indiqué et à un moment donné, un sermon sur un sujet quelconque, avec la promesse de manifester leur approbation par des coups frappés ; ce qui fut exécuté avec une rigoureuse exactitude. Un jour, au cours d'une séance, la question suivante fut épelée, sans que l'idée en fût venue à personne :
- As-tu choisi le sujet de tes sermons de dimanche prochain ?
- Oui, un seul, répondis-je ; ne m'indiqueras-tu pas un sujet pour mon « sermon du soir ?
- Si
- Lequel ? Le message commença par le mot : Le, et s'arrêta. J'étais encore à m'étonner de cette interruption, lorsqu'une autre individualité invisible se manifesta, mais en remplaçant les coups par des mouvements de la table. Elle m'informa que son prédécesseur, l'esprit frappeur, avait été appelé ailleurs pour peu de temps, et qu'il ne tarderait pas à revenir. En effet, un quart d'heure après, mon premier interlocuteur reprit la communication coupée et la termina ainsi : deuxième chapitre de la première épitre aux Corinthiens, versets 12 et 13. Aucun des assistants ne pouvait se souvenir du texte désigné, qui se trouva être fort approprié à un sermon ce jour-là ».
Si cette interruption était l'œuvre de la conscience somnambulique, à quelle raison plausible faut-il attribuer le remplacement des coups par des mouvements de la table ?
Voici un autre cas enfin, où force nous est de choisir entre l'admission d'un troisième facteur et l'alibi de la conscience somnambulique :
« Mademoiselle Mary Banning, un médium, se trouvant chez M. Moore, à Winchester (Conn.) le 14 juin 1852, avait appelé l'esprit de son frère, Josiah Banning ; mais, contre son habitude, il ne vint pas lui-même. L'invitation fut répétée pendant toute la soirée, mais vainement. Enfin, à la dernière heure, au moment où toutes les personnes présentes allaient se retirer pour se coucher, la présence de Josiah Banning fut brusquement annoncée. L'esprit déclara que, s'il ne s'était pas rendu aux appels qu'on lui avait adressés dans la première partie de la soirée, c'est parce qu'il avait passé toute la journée en la compagnie de sa sœur Edith. Mlle Edith Banning était a Hartland (Conn.) à 16 milles de là comme maîtresse d'école. Bientôt après, Mary Banning recevait une lettre de sa sœur Edith, écrite le lendemain matin du jour où avait eu lieu chez M. Moore l'entrevue spirite dont je viens de parler, et Mlle Edith disait que Josiah avait passé auprès d'elle toute la journée précédente et que sa visite l'avait empêchée de dormir pendant toute la nuit[30].»
Voilà deux sœurs-médiums, Mlles Mary et Edith Banning, dont les consciences somnambuliques devraient être en parfait accord, agir à l'unisson, et auxquelles le soi-disant esprit de Josiah Banning, leur frère, aurait dû se manifester en même temps ! Cependant, du récit que nous venons de citer, il résulte qu'il en a été tout autrement.
Je puis faire mention encore ici d'une expérience qui s'est produite en ma présence dans un cercle intime ; ce fait appartient plutôt à la première série, mais je le place ici comme introduction au suivant, où l'on verra figurer les mêmes personnages.
Le 17 octobre 1873, un mardi, j'assistais à Londres à une séance donnée par un médium de profession, madame Olive ; l'un des esprits qu'elle évoquait, Hambo, qui prétendait avoir été un esprit de la Jamaïque, m'adressa la parole et me dit entre autres choses qu'il aimait à s'occuper de la formation des médiums. Remarquant l'émeraude de la bague que j'avais au doigt, il me dit « qu'il n'aimait pas l'émeraude, parce que ses émanations sont mauvaises » ; mais il ajouta que cette pierre ne me nuisait pas, étant un souvenir d'un ami, ce qui était vrai : cette bague m'avait été donnée par V. J. Dabl. Il dit aussi que lui et les esprits en général préfèrent le brillant comme symbole de pureté. « Votre femme, dit-il, porte un brillant à l'annulaire de la main gauche » (ce qui était exact). « La voyez-vous ? » lui demandai-je. « Oui, c'est un remarquable médium (le fait était exact aussi), une femme très bonne : sa main gauche ignore ce que donne la droite » (ce qui était encore vrai). Hambo promit de venir nous voir à Saint-Pétersbourg pour contribuer au développement des facultés médiumniques de ma femme, et nous convînmes que sa première visite serait pour le cinquième mardi à compter du 17 octobre, c'est-à-dire le 20 novembre, à huit heures du soir, et qu'il se communiquerait par coups, parce que ma femme ne parlait pas dans l'état de transe. J'avais choisi le mardi, car c'était le jour où j'avais coutume de tenir avec elle des séances tout à fait intimes. Dès mon retour à Saint-Pétersbourg, nous reprîmes nos séances ; je n'avais rien dit à personne de la promesse que m'avait faite Hambo, et, quand je commençai la séance du 20 novembre, j'étais naturellement très préoccupé de cette idée, et, lorsque je me demandais si Hambo réaliserait ou non sa promesse, je penchais pour l'affirmative. Il n'en fut rien cependant. La faute n'en était point à ma femme, cela me paraît évident, puisque cette séance ne fut pas sans donner de résultats et que nous eûmes une communication venant d'autre part. Ainsi donc sa conscience somnambulique fonctionnait et c'était bien le moment de lire dans nos pensées et de faire parler Hambo.
Les conditions étaient des plus favorables, car, comme le dit M. le docteur Hartmann, « un médium a toujours grand intérét à deviner les pensées, conscientes et latentes, des assistants, car son intérêt est de faire des communications saisissantes, et rien ne frappe autant le « bon sens » des assistants que de voir communiquer des choses qu'ils croient être seuls à savoir, ou qui échappent même à leur conscience à l'état de veille. Il faut donc toujours supposer chez le médium la volonté de percevoir. S'il arrive au médium de travailler en présence de personnes qui, de leur côté ont également intérêt à ce que des phénomènes étonnants se produisent, alors la volonté d'appuyer le médium et de lui aplanir autant que possible toutes difficultés, doit nécessairement se développer chez ces personnes, ce qui aura pour effet d'inciter la volonté inconsciente à transmettre les idées. En outre, au cours des séances, les mains des voisins se touchent, condition très favorable à la transmission des pensées » (p. 72).
Pourquoi donc cette transmission n'a-t-elle pas eu lieu, puisque les conditions requises y étaient ? Quoi qu'il en soit l'expérience ne réussit pas ; je n'en fus pas surpris, sachant combien peu il faut se fier à ces sortes de contrôles, et je n'y pensai plus. N'ayant pas à me féliciter des résultats de ma tentative, je n'en parlai à personne. Le mardi suivant, nous tînmes à trois, avec le professeur Boullerow, une petite séance. J'éteignis la bougie, la chambre étant suffisamment éclairée par le gaz de la rue. L'alphabet anglais fut demandé ; je le répétai, et j'écrivis les lettres indiquées par les coups du pied de la table autour de laquelle nous étions réunis. Comme je ne pouvais saisir le sens des mots tracés, je m'arrêtai pour rallumer la bougie et m'orienter ; ma femme était déjà en état de transe, et, sur le papier, je lus les lettres suivante s:
« g a m h e r e a n e w a s l a s t t e m e w t h y o u »
Je compris qu'on épelait quelque chose que nous pourrions comprendre par la suite ; j'éteignis donc de nouveau la bougie, et je recommençai à dire l'alphabet cependant je ne parvenais pas à découvrir le sens des syllabes assemblées. Enfin, quand ce fut fini, j'allumai la bougie, et j'examinai ce que je venais d'écrire pendant ces derniers instants, et je lus ceci :
As I promised, but I cannot yet take entirely control over her - Hambo (Comme je l'avais promis, mais je ne puis encore la prendre complètement sous mon contrôle - Hambo).
Les lettres avaient été indiquées plusieurs fois par des coups frappés dans la table, et au dernier mot celle-ci eut des mouvements violents. Ma femme, qui avait été en transe pendant toute la séance, se réveilla paisiblement à la fin de la communication.
Alors je me mis à déchiffrer la première phrase et, en substituant quelques lettres, j'obtins la phrase suivante : I am here and was last time with you (Je suis ici et j'étais auprès de vous la fois dernière).
Pourquoi donc la conscience somnambulique du médium découvrait-elle dans mon cerveau l'image de Hambo et la personnifiait, alors que cette image ne se trouvait plus dans mon cerveau qu'à l'état latent, enfouie dans les profondeurs de ma conscience somnambulique latente ?
Puisque je viens de parler de Hambo, je puis à présent citer une expérience absolument unique dans les annales du spiritisme et qui a sa place dans ce chapitre :
A la séance suivante nous étions trois encore et nous attendions la venue de Hambo ; mais, au lieu de l'alphabet anglais, ce fut l'alphabet russe qui fût demandé. Après quelques phrases se rapportant à la médiumnité de ma femme, et que nous avons toutes déchiffrées, on demande de nouveau l'alphabet. J'avais éteint la bougie, et je nommais et inscrivais les lettres russes, sans pouvoir les lire et fis observer que « j'avais écrit en lettres russes y n v, que c'était probablement le mot anglais which, et qu'il fallait dire l'alphabet anglais[31]. Je commençai donc à épeler en anglais ; aussitôt la communication s'arrêta. J'allumai la bougie, et je vis que j'avais écrit d'une manière absolument correcte :
Your wife, « votre femme » (en écriture, la lettre r est pareille au v russe).
Ainsi ce n'était, pas comme je l'avais pensé d'abord, les lettres russes y u v, mais le mot anglais your et c'est ce mot qui avait été épelé tandis que je récitais l'alphabet russe ; donc, celui qui dictait s'était servi de la forme des lettres russes se réfléchissant dans ma pensée, à mesure que je répétais les lettres, pour composer de cette façon un mot anglais. J'avais eu déjà occasion de voir plusieurs fois que des communications en langue étrangère se faisaient avec des lettres russes, selon leur similitude de consonnance avec des lettres étrangères, quand c'était l'alphabet russe qui était épelé, - et c'est pourquoi j'avais pris les lettres russes y u v pour le mot anglais which, - mais c'est la première et l'unique fois que j'ai vu qu'on se soit servi de la forme des lettres russes, correspondant à la forme des lettres d'une autre langue. Je le répète, je n'ai trouvé nulle part le récit d'un fait similaire, et je crois pouvoir dire qu'il n'en existe pas d'autre dans les annales du spiritisme.
On peut se demander pourquoi la conscience somnambulique de ma femme, qui disposait également de l'alphabet russe et de l'alphabet anglais, n'a pas demandé tout de suite l'alphabet anglais, ou, enfin, pourquoi elle n'a pas épelé les mots anglais en se servant de lettres russes ayant la même consonnance ; le mot your, par exemple, se rend facilement et très exactement par les deux lettres russes w p. Mais, non ! l'alphabet russe fut employé exactement de même façon que l'eût fait un étranger ne connaissant pas cet alphabet et ne choisissant que des lettres ressemblant par la forme aux lettres de sa langue.
Des phénomènes de ce genre, qui permettent de supposer l'intervention active d'un troisième, facteur, sont nombreux dans le spiritisme, mais on y a attache généralement peu de valeur. Vovez ce que dit le Dr Wolfe du célèbre médium Mansfield, qui écrivait avec les deux mains à la fois et parlait en même temps :
« J'ai vu M. Mansfield écrivant, au même moment deux communications, une avec la main droite, l'autre avec la gauche, et cela dans une langue qu'il ignorait complètement. Tandis qu'il se livrait à cette double occupation, il s'entretenait avec moi d'autres questions ou continuait une conversation commencée avant son travail graphique à deux mains de cette façon, pendant qu'il me parlait d'une manière très sensée, ses deux mains causaient aussi.
Je me souviens très exactement qu'un jour M. Mansfield, tandis qu'il écrivait des deux mains, en deux langues, me dit : « Wolfe, connaissiez-vous en Colombie un homme qui a nom Jacobs ? » Je répondis affirmativement. Il continua : « Il est ici et désire vous annoncer qu'il a quitté sa dépouille mortelle ce matin. » J'eus la confirmation de cette nouvelle. Le fait s'est passé à une distance de quelques centaines de milles. Quelle explication peut-on donner de cette triple manifestation intellectuelle[32]? »
Le révérend J.-B. Ferguson, à la page 37 de son livre Snpramundane Facts (Londres, 1865), témoigne d'un fait semblable. Un cas analogue, qui s'est produit récemment, est rapporté dans les Proceedings (Mémoires) de la Société de recherches psychiques de Londres, de l'année 1887, page 222.
M. Crookes raconte un fait pareil : « J'ai vu miss Kate Fox (plus tard Mme Jencken) écrire automatiquement un message adressé à l'une des personnes présentes, en même temps qu'elle faisait une communication à une autre personne, sur un tout autre sujet, au moyen de l'alphabet interprété par des coups frappés, s'entretenant, pendant ce temps, avec une troisième personne, de choses qui n'avaient rien de commun avec ces communications[33]. »
Enfin, moi-même, je me souviens qu'un jour, Mme Jencken se trouvant chez moi, dans mon cabinet de travail, assise à ma table, reçut une communication par écrit, et en même. temps des coups se faisaient entendre près d'elle, à sa droite et à sa gauche, non alternatifs, mais simultanés.
En fait de phénomènes physiques, il y a des exemples nombreux où un morceau de musique a été joué sur plusieurs instruments (jusqu'à six) à la fois, ce qui permet de conclure à la pluralité des centres agissant consciemment. Voyez, par exemple, le numéro 372 du Light.
Je vais clore ce chapitre en mentionnant un fait des plus extraordinaires, qui s'est produit au début du mouvement spirite et dont la narration a été publiée dans le Rochester Daily Magnet, du 26 février 1850, avec la signature des huit personnes qui y avaient assisté. J'en ai retrouvé le récit dans le livre de M. Capron, Spiritiualsme moderne (pp. 82-87) mais je ne publierai ici qu'un court résumé.
Il s'agit d'une communication identique donnée, en même temps, par coups, dans deux chambres de la même maison, éloignées l'une de l'autre. M. Draper avait dans sa famille une clairvoyante ; il s'adressa par elle à l'esprit de Benjamin Franklin, qu'elle prétendait voir, et il lui posa cette question : « Peut-on recevoir des communications au moyen de coups, entre deux endroits séparés ? »
Sur la réponse affirmative de Franklin et en observant les instructions qu'il avait données, les deux jeunes demoiselles Catherine et Marguerite Fox furent invitées par M. Draper, ainsi que quelques-uns de ses amis, à se réunir le 15 février suivant. Une partie de la compagnie avec l'un des médiums resta dans le salon, et l'autre, avec le second médium, se rendit dans une chambre située à l'extrémité opposée de la maison. Des coups furent entendus en même temps par les deux groupes. Mais, comme des interruptions étaient causées à chaque instant par l'entrée de nouveaux arrivants, les assistants qui se tenaient dans le salon reçurent bientôt cette communication :
« Les choses ne sont pas organisées comme je l'ai demandé, voilà pourquoi vous ne pourrez pas faire actuellement d'expérience. Vous ne devez être que quatre dans chaque chambre. »
Quand le premier groupe rejoignit le second, on constata que les communications reçues des deux côtés étaient absolument identiques.
Une seconde séance fut fixée au 20 février, et cette fois les instructions de Benjamin Franklin furent suivies à la lettre. Le premier groupe reçut cette communication :
« Maintenant je suis prêt, mes amis. De grands changements se produiront au XIXe siècle. Les choses qui vous paraissent obscures et mystérieuses deviendront compréhensibles pour vous. Le monde sera éclairé. Je signe mon nom : Benjamin Franklin. N'entrez pas dans l'autre chambre. »
Le second groupe avait reçu la même communication ; seulement la dernière phrase était ainsi modifiée : « Allez dans le parloir, et comparez les notes que vous avez prises » (p. 86).
Quelle explication naturelle peut-on donner de ce fait ? Est-ce une transmission inconsciente de pensées entre deux médiums éloignés l'un de l'autre ? Les deux médiums devant fonctionner en même temps, les transmissions d'impressions devraient s'entre-croiser et se joindre confusément. En supposant qu'une communication soit donnée d'abord par un médium et reproduite immédiatement par l'autre, les difficultés ne seraient pas moindres. Faut-il soupçonner les médiums d'avoir préparé les deux communications identiques, avant la séance ? Mais il ne faut pas oublier que les médiums étaient presque des enfants et, en outre, que jamais aucun médium n'a produit des coups à sa volonté !
Toutes ces tentatives d'explications s'écroulent devant le fait précis qu'à la première réunion les médiums ne savaient même pas qu'ils étaient invités pour une expérience spéciale et qu'ils ignoraient en quoi elle devait consister, - ainsi que l'a formellement affirmé M. Draper (p. 84).
8. - Communication de faits que ne connaissent ni le médium ni les assistants
Nous allons étudier maintenant une série de faits pour l'explication desquels M. Hartmann lui-même reconnaît « qu'il faut avoir recours à une explication métaphysique, transcendanlale » (p. 81). Il s'agit des « communications transmises à grande distance et de la clairvoyance proprement dite ». Mais on ne comprend pas la relation que M. Hartmann prétend trouver entre ces manifestations et le spiritisme.
En parlant de la transmission à grande distance, il dit que le spiritisme « ne présente encore aucun document de ce genre » (p. 73), et, en traitant de la clairvoyance, il cherche à l'expliquer - pour une partie des faits - par « une médiation sensorielle quelconque », qui « agit sur la perception des sens » (p.74) ; tels sont « les faits d'émanation individuelle des hommes ou des animaux, par exemple : la sensation de la présence d'un chat que personne ne voit la désignation entre plusieurs verres remplis d'eau de celui dans lequel le magnétiseur a plongé son doigt ; l'indication exacte de l'heure à laquelle on a arrêté une montre au hasard, celle-ci étant fermée ; lecture de devises ou pensées sur des feuilles de papier enfermées dans des noisettes ; lecture de mots choisis au hasard et que l'on cache avec le doigt ; écriture directe reproduisant le texte d'une page quelconque d'un livre fermé ; désignation par les somnambules de la maladie d'une personne qu'ils ne connaissent pas et dont on leur fait toucher une mèche de cheveux ; visions de troupes d'éléphants et d'éruption de volcans, provoquées par le contact d'un morceau de défense d'éléphant ou d'un morceau de lave, etc.»
Pour un autre groupe de faits, M. Hartmann prétend que « le rapport est établi non par une perception sensorielle, mais par un acte de la volonté (affection profonde, amitié, patriotisme, nostalgie, etc.) ; par exemple : les visions d'événements qui se produisent dans un endroit très éloigné (guerres, incendies, tremblements de terre) ; les visions d'événements à venir : prévision de décès avec détails insignifiants ; les visions de cortèges funèbres ; prévision d'un incendie, d'un coup de foudre, etc. » (p. 76-77).
Tous ces phénomènes, - à l'exception de la lecture sans le concours des yeux, - et surtout ceux de la dernière catégorie, que M. Hartmann présente comme des faits de « simple clairvoyance » (p. 79), ont peu de rapport avec les phénomènes spirites ; ils appartiennent au domaine de la seconde vue et de la clairvoyance magnétique.
M. Hartmann n'a pas indiqué quelles sont, à son avis, les communications spirites qui doivent être expliquées par la clairvoyance, et il ne s'est arrêté à aucun des exemples cités pour entrer dans des explications précises et pour leur appliquer sa théorie.
Nous devons donc supposer que ces faits sont tous ceux qui ne peuvent s'expliquer ni par l'hyperesthésie de la mémoire ni par la lecture et la transmission des pensées. Par conséquent, il faut examiner ces phénomènes pour voir comment l'hypothèse de M. Hartmann peut leur être appliquée. Commençons par les seuls faits auxquels M. Hartmann fait allusion et qu'il explique par la clairvoyance en recourant à « une médiation sensorielle quelconque ».
a) La vision dans l'obscurité et dans des endroits clos.
Le phénomène de la lecture sans le concours des yeux a été positivement prouvé par les nombreuses expériences faites dans le domaine du somnambulisme ; il est certain que c'est le résultat d'une sorte de clairvoyance. Mais la théorie de la clairvoyance telle qu'elle est exposée par M. Hartmann est-elle la seule possible et peut-elle s'appliquer indifféremment à tous les faits ? - Voilà la question. Avons-nous toujours besoin de recourir à « l'omniscience de l'esprit absolu » (79), ce qui n'est qu'un recours in extremis à la Divinité ?
Pour pouvoir nous retrouver dans cette question, il nous faut retourner à certains phénomènes physiques du médiumnisme ou plutôt insister sur certaines particularités de ces phénomènes, par exemple : qu'ils peuvent se produire dans une complète obscurité avec une absolue précision. C'est ainsi que, pour les manifestations physiques, il est d'usage de faire l'obscurité complète pendant les séances ; c'est même une condition essentielle pour obtenir la production de ces phénomènes. A ces séances, on le sait, des instruments de musique voltigent au-dessus de la tête des assistants, sans jamais les heurter ; de grandes boites à musique se déplacent, vont se poser sur une tête, tout doucement, avec une parfaite assurance quand les assistants sont touchés par des mains, le toucher se fait sans le moindre tâtonnement, suivant leur propre fantaisie ou suivant les indications données par celui des assistants qui en est l'objet. On se rend compte immédiatement que la force produisant les manifestations voit dans l'obscurité aussi nettement que nous-mêmes à la lumière. J'ai plusieurs fois vérifié ce fait en secret. Ainsi, au cours d'une séance tenue dans l'obscurité chez M. Everitt, à Londres, un des esprits guides, John Watt, avait coutume d'engager de longues conversations vira voce au moyen d'un tube en carton posé sur la table ; il tenait le tube à plusieurs pieds au-dessus de la table, et sa voix sortait de cet endroit. Comme nous étions assis autour de la table, dans une entière obscurité, et sans faire la chaîne, je levai mon bras droit, désirant que ma main fût touchée par le tube, le tout sans en rien dire à mes voisins. Au moment même où j'étendis le bras, mes doigts reçurent à l'extrémité plusieurs coups frappés avec le tube. Une autre fois, à une séance obscure avec Miss Kate Cook, nous faisions la chaîne ; ne pouvant remuer ma main, je ne fis que lever l'index avec le désir qu'il fut touché ; le reste de ma main était immobile ; immédiatement deux doigts saisirent mon ongle et le pressèrent. Dans nos expériences avec Brédif, lorsqu'il se trouvait en transe derrière un rideau d'étoffe, il m'est arrivé souvent d'approcher ma main du rideau, et aussitôt je sentais que dans l'espace obscur deux doigts venaient au travers l'étoffe tapoter ma main ou la serrer. La chambre elle-même, était dans une demi-obscurité, et il eût été impossible pour un œil ordinaire de voir à travers le rideau le mouvement et la place de ma main. En admettant même que mon désir ait été connu par « la lecture de la pensée », cela ne suffirait pas à expliquer comment on pouvait connaître exactement la place où je poserais mon doigt ou ma main. On peut faire une intéressante expérience du même genre en traçant un croquis sur papier qu'on déposera sur la table, avec une paire de ciseaux, pendant une séance obscure ; on entendra les ciseaux tailler le papier et découper exactement l'image dessinée. Dans le Light de 1886 (p. 604) on trouvera un récit intéressant d'expériences de ce genre, instituées à Moscou, par M. Yarkovski, avec le médium Eglinton. On connaît bien les expériences d'écriture directe et de lecture se faisant dans la nuit ; on a même relevé des cas de lecture d'un texte inconnu de tous les assistants. Voir aussi les expériences électriques dans l'obscurité, faites par Varley[34]. M. Hartmann a longuement parlé de tous ces phénomènes ; il en explique la part physique par la force nerveuse du médium et la part intelectuelle par sa conscience somnambulique. Mais ce qu'il n'explique pas, c'est l'action et la vision dans l'obscurité.
On serait tenté de supposer que cette faculté si caractéristique de la vision dans l'obscurité est une des vertus extraordinaires de la conscience somnambulique ; mais il faut, paraît-il, conclure à la négative, car, s'il en était ainsi, M. Hartmann n'aurait pas cherché à expliquer par la clairvoyance ce fait « qu'un médium peut lire un mot que le magnétiseur recouvre de son doigt » (p. 75), - expérience faite par M. Crookes avec une dame écrivant au moyen de la planchette[35] - soit encore « des cas de copie d'une page d'un livre fermé » (p. 75). L'explication de ces phénomènes ne devrait pas être plus difficile à trouver que celle de tous les autres, parce que la force nerveuse pénètre la matière sans aucune difficulté[36] et que le médium, en état de transe, derrière le rideau, voit parfaitement les assistants et les objets qu'il fait mouvoir, suivant ses hallucinations ; par conséquent, voir à travers un doigt ou des pages d'un livre fermé n'est pas plus difficile, et cela équivaut à la lecture dans l'obscurité, sans le concours des yeux.
Quoi qu'il en soit, il est évident que la production de ces phénomènes dans l'obscurité implique un genre de clairvoyance, et toute la question est de savoir comment l'expliquer.
Nous avons à choisir entre deux théories. D'abord celle de M. Hartmann, qui prétend à un « savoir absolu » qui serait une des facultés de « l'âme individuelle » et qui n'est, somme toute, qu'une fonction de « l'individu absolu » (p. 79). De cette façon, lorsque dans l'obscurité complète la force nerveuse découpe la figure dessinée sur papier et qu'on choisit, entre plusieurs crayons de couleurs placés entre deux ardoises, celui indiqué par écrit, - la clairvoyance nécessaire à cette opération est une fonction du sujet absolu ! Mais, d'après la théorie qui reconnaît en nous l'existence d'une individualité transcendantale, l'action physique à distance est produite par le dédoublement ou la projection d'un membre de l'organisme du sujet transcendantal, et la vision dans l'obscurité n'est qu'une de ses fonctions, car ses facultés de perception sont transcendantales sans être pour cela des fonctions de l'absolu. Cette théorie ramène le phénomène à une cause naturelle, simple et rationnelle, et elle a le mérite de ne pas se fonder sur le « surnaturel » auquel M. Hartmann se croit obligé d'avoir recours.
Que la faculté de clairvoyance n'est pas une fonction de l'absolu, mais une fonction organique transcendantale, - plus ou moins défectueuse, ou plus ou moins parfaite, selon la qualité de l'organisme transcendantal, - cela peut se constater par une série d'expériences faites dans un certain ordre, c'est-à-dire en éliminant peu à peu les possibilités d'explication par d'autres hypothèses.
Dans cet ordre d'idées, j'ai fait quelques expériences fort intéressantes. Il y a de cela dix ans, j'ai assisté à une série de séances médiumniques, organisées dans un cercle strictement intime qui se composait de ma belle-sœur, dame âgée, mon beau-fils et moi-même. Notre but était d'obtenir non des phénomènes physiques, que j'avais souvent eu l'occasion de voir, mais des manifestations intellectuelles, pour les étudier à fond. Dans la circonstance, tout soupçon de supercherie était écarté de primo abord ; nous employâmes par conséquent un mode d'expérimentation tout primitif et qui a réussi dans un grand nombre de cas : un alphabet imprimé est collé sur un morceau de carton ; une petite latte, pointue d'un côté, est placée sur le carton, servant d'index les expérimentateurs posent leurs mains dessus, et elle se met en mouvement, indiquant les lettres. Mes deux parents en question n'avaient encore jamais fait l'épreuve de leur médiumnité. C'était leur coup d'essai. Je les installai à la table, me demandant si cette séance pouvait donner des résultats quelconques. Ils se trouvèrent avoir des facultés médiumniques marquées. Au début, il y eut des inclinaisons de la table, et c'est par ce moyen que nous furent indiquées les lettres de l'alphabet que l'un de nous récitait. Ce procédé nous parut trop long, et nous eûmes recours à l'autre moyen. Quant à moi, je ne possède pas la moindre médiumnité, et mon concours se résumait à inscrire, à une autre table, les lettres que l'on me dictait.
Ces séances donnèrent des résultats très intéressants. Elles étaient instituées dans le but d'établir dans quelle mesure les « communications » pouvaient être attribuées à notre action personnelle inconsciente et si elles sont de nature à nous forcer d'admettre l'existence d'un agent extérieur, intelligent. Il nous arrivait de recevoir des messages incohérents ; parfois nos efforts étaient tout à fait stériles, mais d'autres fois nous obtenions des manifestations remarquables. J'ai publié quelques-unes de ces communications dans mon journal Psychische Studien, sous le titre : « Enigmes philologiques, par voie médiumnique »
A cette place, je citerai un fait que l'on pourrait appeler une énigme psycho-physiologique. De temps à autre, il nous arrivait des communications tout à fait distinctes de celles que nous recevions habituellement, tant pour la teneur que pour le style et l'orthographe. Notre correspondant mystérieux se mit bientôt à simplifier singulièrement l'orthographe russe, ne tenant pas compte des doubles consonnes, etc. Malgré toutes nos questions, il refusait de se faire connaître, ne donnait pas son nom et accueillait ironiquement les efforts que je faisais pour chercher à définir l'individualité de cette intelligence qui se manifestait à nous ; mais il se prêtait néanmoins aux expériences que je proposais.
Voici le dialogue qui s'établit entre nous à une séance le 10 mars 1882 :
- Nous voyez-vous ?
- Oui.
- Voyez-vous aussi les lettres de l'alphabet ?
- Oui.
- Avec vos yeux ou avec les nôtres ?
- Avec les deux.
- Et, si les médiums fermaient les yeux, pourriez-vous voir les lettres ?
- Oui, cela importe peu ; c'est un peu plus difficile.
- Avez-vous un organe spécial de la vue ?...
A ce moment les médiums ferment les yeux ; la latte fait des mouvements que je suis attentivement sans toucher à la table, et elle indique correctement cette réponse :
- Nous l'avons.
- Est-ce un organe corporel ?...
Les médiums ferment de nouveau les yeux ; la latte indique une série de lettres avec lesquelles je n'arrivai pas à former un mot quelconque l'alphabet était placé à l'envers pour moi j'allai de l'autre côté de la table et demandai que le mot fût répété ; la latte fit exactement les mêmes mouvements, mais je ne réussis toujours pas à composer un mot. Alors je priai les médiums d'ouvrir les yeux et demandai à mon interlocuteur d'épeler encore une fois le même mot. La latte indiqua le mot :
- Certainement.
La confusion avait été causée par ce fait que la latte s'était précédemment arrêtée à une lettre voisine. Il arrive souvent, à ces sortes de séances, que la latte n'avance pas jusqu'à la lettre voulue ; un fait analogue peut également avoir lieu quand les lettres sont indiquées au moyen de coups frappés par le pied de la table.
De nombreuses expériences de ce genre ont été faites par le professeur R. Hare, qui en parle dans son livre ; il avait construit ses instruments de telle manière que le médium ne pouvait voir l'alphabet. Moi-même, à mes premières séances de spiritisme, j'opérai de la même façon : au milieu d'une communication faite au moyen d'un alphabet de carton posé sur la table, j'enlevai l'alphabet et le tins très haut, à la hauteur de mes yeux, continuant à indiquer les lettres, de telle sorte que seul je pouvais les voir néanmoins la communication se poursuivait. J'ai récemment trouvé le récit d'une expérience semblable dans le volume XI des Mémoires de la Société pour les Recherches psychiques, page 221. Pour plus de précaution, on avait, - lorsque les yeux du médium furent bandés, - fait usage d'un autre alphabet, que le médium n'avait pas vu auparavant et dont les lettres étaient disposées sans aucun ordre. Le résultat fut le même.
Dans tous ces cas, il y a pourtant des yeux qui voient, - les yeux des assistants. On pourrait donc supposer que le médium opère par transmission télépathique inconsciente des lettres que voient les assistants ; mais cette supposition n'est pas juste, car les assistants ne voient que l'ensemble de l'alphabet, et leur attention ne se porte sur une lettre que lorsqu'elle est déjà indiquée par le médium ; en supposant un instant que la communication émane d'une façon inconsciente de la cervelle de l'un des assistants, lettre par lettre, il n'y aurait eu de la part du médium qu'une lecture de pensée ; il aurait répété ces lettres, mais cela ne l'aurait pas aidé à trouver et à indiquer ces lettres sur l'alphabet imprimé ; en tout cas, un certain degré de clairvoyance est cependant nécessaire : dans mon expérience, par exemple, je ne regardais l'alphabet que lorsque la latte s'arrêtait sur une lettre.
Je poursuis le récit des expériences que je fis, en les organisant de façon à exclure toute participation possible des yeux de qin que ce soit. Je saisis la première occasion qui se présenta, pour faire aboutir mes investigations. A une séance qui eut lieu le 28 avril, je dis à mon interlocuteur :
- Diverses questions et des doutes naissent au sujet de votre faculté de voir. Vous avez dit que vous pouviez voir, que vous n'avez pas besoin de l'organe visuel de qui que ce soit ; or le premier essai fut assez satisfaisant, mais à la seconde expérience, alors même que l'un des médiums tenait les yeux ouverts, vous n'avez pas pu lire l'alphabet. Je serais bien désireux de constater votre faculté de vision indépendante et vous propose cette expérience : je prendrai au hasard quelques pièces de monnaie sans les regarder et les mettrai derrière la chaise de l'un des médiums. Pourrez-vous m'en indiquer le nombre ?
- Bandez-leur les yeux, j'essayerai.
- Qu'essayerez-vous, précisément ?
- D'indiquer les lettres.
Les yeux des médiums sont bandés ; je suis les indications de la planchette et inscris les lettres. Nous obtenons quelques phrases en langue russe, toujours d'une singulière orthographe, après quoi je dis :
- C'est assez bien réussi, mais il faut organiser l'expérience de telle façon que personne ne puisse voir l'objet de l'expérience. Je reviens donc à ma proposition avec les pièces de monnaie placées derrière une chaise. Pourrez-vous les voir ?
- C'est plus difficile.
Nous tentons l'expérience, et trois fois de suite elle donne un mauvais résultat.
- C'est étrange, observai-je, vous voyez les lettres sur la table, et vous ne pouvez voir les pièces déposées derrière la chaise !
- L'espace qui sépare les médiums est celui qui m'est le plus favorable ; bandez-leur les yeux et mettez vos monnaies sur la table.
Je couvris les yeux des médiums d'un large bandeau descendant jusqu'au bout du nez ; fermant moi-même les yeux, je pris dans ma bourse plusieurs pièces de monnaie et, sans les compter, je les plaçai sur le rebord extrême du carton, où les lettres étaient marquées, puis, je me couvris les yeux de manière à ne voir que l'alphabet. La planchette se mit en mouvement, et, comme je ne pouvais saisir le mot indiqué, je déposai une brochure sur les monnaies, et alors nous ouvrîmes tous les yeux.
- Parlez maintenant, dis-je.
- Six!
J'enlevai la brochure. « Six ! » nous écriâmes-nous tous d'une seule voix. Mais ensuite nous remarquâmes qu'il y avait en réalité sept pièces, car deux pièces de 10 kopecks étaient superposées ; j'avais posé les monnaies avec précipitation sur la table pour ne pas les compter involontairement, et c'est ainsi que l'erreur s'était produite à cause de la disposition même des pièces.
Je renouvelai l'expérience. Cette fois toutes les indications de la planchette furent exactes.
- Disposez-les mieux (je passe la main sur les pièces, afin de les séparer).
- De nouveau, six.
Nous regardons, c'était exact. Je veux recommencer aussitôt, mais la planchette dicte cette phrase :
- Mettez-les sur une feuille de papier blanc. Je bande les yeux des médiums, je place les monnaies sur une feuille de papier, sans les regarder, et demande :
- Les ai-je bien disposées cette fois ?
- C'est bien. Il y en a sept.
Notre curiosité s'était accrue. Nous regardons le chiffre était encore exact.
- Mettez la montre, dit notre interlocuteur.
Je pris sur ma table une petite pendule-réveil et la plaçai sur la table où étaient les médiums, mais en la tournant de telle sorte que personne ne pouvait voir les aiguilles.
- Je voulais une montre de poche. Placez-la horizontalement.
Je conclus qu'il fallait placer la pendule avec les aiguilles en haut ; je bandai donc de nouveau les yeux des médiums et plaçai la pendule horizontalement, sans la regarder, bien entendu.
Après un quart de minute, la planchette indique :
- Six heures, moins cinq minutes. Nous regardons c'est exact et en même temps pas exact, car l'aiguille du réveil marquait six et l'aiguille des minutes et l'aiguille des secondes étaient superposées à onze ; au premier coup d'œil, cela semblait être six heures moins cinq minutes.
- Essayons à présent la montre de poche, comme vous en avez manifesté le désir.
- Mettez-la sur le papier.
Après avoir agi comme précédemment, on épela :
- Onze heures et quatre minutes.
Nous regardons : il était onze heures cinq minutes.
- Donc, lorsque vous avez regardé la montre, il était onze heures et quatre minutes, et une minute fut employée pour la dictée ?
- Oui, maintenant mettez de la monnaie, j'additionnerai ; ce sera la fin, car je suis fatigué.
Je bandai les yeux des médiums et posai sur la feuille de papier plusieurs pièces de monnaie sans les regarder ; la planchette indiqua :
- Un rouble argent.
Nous regardons. L'addition était parfaite ; il y avait quatre pièces de 15 kopecks, une de 20 et deux de 10. Le même interlocuteur revint le 5 mai, et je lui dis :
- J'ai à vous poser deux questions relatives à nos expériences avec les pièces de monnaie :
1° Vous nous avez dit que vous voyez par vous-même, que vous avez votre organe visuel ; néanmoins il faut conclure de nos expériences que vous êtes soumis à certaines conditions dépendant de nous.
2° Quelles sont ces conditions ?
- Sur la première question : J'ai dit que je voyais moi-même ; j'ai dit aussi : Autre chose est de voir pour moi et de voir pour vous transmettre ce que je vois ; nos perceptions, y compris celles de la vue, sont indépendantes des sens, - et par cela même - , elles en sont qualitativement et quantitativement différentes pour en faire part une certaine assimilation ou communion est nécessaire. Sur la seconde question : La sphère de mon activité, dans mes rapports avec vous, est certainement limitée ; si je veux entrer en communion externe avec vous, le meilleur moyen est de profiter du médium ; autour de lui il y a pour ainsi dire son atmosphère, la partie la plus spiritualisée de chacun ; c'est donc l'étendue même de cette atmosphère qui est la condition de mon activité, et c'est elle qui en détermine la limite ; cette atmosphère doit être continue : c'est une périphérie.
- Ainsi votre vue dépend des conditions médiumniques ?
- Aucunement. Qu'en savez-vous ? Tant que je vous vois à ma manière et pour moi, je n'ai besoin de rien, d'aucun concours, c'est clair mais, dès que je veux non seulement voir entièrement, comme vous voyez, à votre manière, mais encore vous dire ce que je vois, c'est autre chose.
Les réponses de notre interlocuteur ont, on le voit, un profond sens philosophique. S'il appartient véritablement au monde des noumènes, d'où il voit les choses de notre monde, non comme elles se présentent à nous, mais comme elles sont en elles-mêmes, il doit, par conséquent, les voir à sa façon. Mais, dès qu'il est obligé de les voir à notre façon, il doit entrer dans le monde des phénomènes et se soumettre aux conditions de notre organisation car telle est l'organisation, telle est l'idée que nous nous faisons du monde.
- Encore une question : Pourquoi avez-vous demandé que la monnaie soit posée sur une feuille de papier blanc ?
- Ceci est subjectif ne vous arrive-t-il pas, aussi, parfois, de penser qu'ainsi vous verrez mieux ? Chez nous, cela se produit plus fréquemment.
En relisant cette explication je m'aperçois maintenant qu'elle a trait au moment où les pièces de monnaie se trouvaient derrière l'une des personnes présentes ; c'est probablement pourquoi on nous pria aussi de placer la montre horizontalement, le cadran en haut ; autrement le corps de l'objet aurait masqué les aiguilles. Et cependant, les paupières des médiums, ainsi que le mouchoir qui leur recouvrait les yeux, masquaient tout de même les pièces de monnaie, l'alphabet et la montre ; ils constituaient une « périphérie » pourquoi donc ces remparts ne présentaient-ils aucun obstacle ? Je n'eus pas, alors, la pensée d'en demander l'éclaircissement.
Je comprends bien qu'un simple bandeau sur les yeux, si consciencieusement posé qu'il soit, ne peut servir de preuve absolue de l'exclusion de toute participation de la vue ordinaire les bandeaux les plus compliqués ne pourraient fournir cette preuve, parce qu'ils laissent toujours place à diverses manœuvres frauduleuses. Toute l'importance des expériences que je viens de relater repose sur la conviction morale de leur parfaite authenticité. Nous les avons faites non pour en tirer une vaine gloire, mais parce que nous étions intéressés à la solution du problème que nous avions nous-mêmes posé et, si nous bandions les yeux des médiums, c'était uniquement pour prévenir tout soulèvement involontaire des paupières, si minime fût-il ; enfin pour voir avec les bandeaux sur les yeux, il aurait fallu une action voulue, un stratagème intentionnel.
Que démontrent ces faits ? Qui est-ce qui lisait, comptait, regardait l'heure ?
Ces opérations étaient-elles le résultat d'une activité inconsciente émanant de nous-mêmes, ou bien étaient-elles, dues à une activité consciente, et, dans ce cas, laquelle ? Tout l'intérêt est là.
Si nous acceptons cette thèse, que « l'inconscient n'a besoin d'aucun des organes qui servent à transmettre les choses à la conscience » (c'est ainsi que notre interlocuteur s'est exprimé à une occasion), thèse que nous devons considérer comme absolument juste au point de vue de la logique, - M. Hartmann lui-même définit l'inconscient comme étant « omniscient et infaillible », - alors il devient incompréhensible pourquoi cet inconscient ne voit pas les objets s'ils sont placés de manière à les soustraire aux yeux ouverts des personnes qui assistent à la séance, pourquoi il est confiné aux limites d'un certain espace, d'une périphérie ; il est encore plus difficile à expliquer, dans ce cas, pourquoi la vision reste incertaine même quand les conditions de l'espace sont observées, ce qui ressort des erreurs commises en épelant les lettres, erreurs pour ainsi dire sensées, car l'index s'arrêtait alors à côté de la lettre cherchée ; plus étranges encore les inexactitudes que cette vision a commises dans les expériences avec la montre et les pièces de monnaie : elle prend deux pièces de monnaie superposées pour une seule, l'aiguille du réveil pour l'aiguille des heures et les deux aiguilles du cadran, superposées, pour l'aiguille des minutes. C'est-à-dire qu'elle présente tous les défauts d'action d'un organe visuel ordinaire. Tout cela permet, je crois, de conclure qu'il s'agit non d'une faculté inconsciente de notre cerveau. - qui devrait se produire indépendamment de tout organe, - mais d'une faculté conscients, dépendant d'un organe visuel. Mais notre activité consciente ainsi que le fonctionnement de nos organes visuels étant supprimés dans le cas qui se présente, tandis que le fait de la vision est indéniable, il y a lieu de supposer que nous avons ici la manifestation d'une activité consciente étrangère venant d'un autre organisme, c'est-à-dire de notre être transcendantal.
Allons plus avant, et nous trouverons d'autres cas où la périphérie ne sera plus un obstacle à la pénétration de la vue. C'est ainsi que le professeur Hare imagina de présenter lui-même, derrière le médium, quelques cartes prises au hasard dans un jeu et dont personne ne pouvait connaître la désignation. Dans certains cas, les cartes ont été devinées dans d'autres, avec changement de l'influence occulte, cette expérience ne réussissait pas[37].
M. Capron, l'auteur du Modern Spiritualism, raconte ainsi l'une de ses premières expériences de spiritisme :
« Me trouvant, une autre fois, avec M. Isaac Post, de Rochester, j'essayai de faire l'expérience suivante : je pris une poignée de coquilles dans un panier et demandai qu'on m'en indiquât le nombre au moyen de coups frappés. Le chiffre obtenu était exact. Mais, comme je savais déjà le nombre de coquilles que j'avais dans ma main, je voulus répéter cette expérience en écartant toute possibilité d'une participation quelconque de la part de ma conscience. Je prenais de grandes poignées de coquilles, sans compter les réponses étaient toujours justes. Je priai alors M. Post, qui se tenait à côté de moi, de prendre plusieurs coquilles, sans les compter, et de les mettre dans ma main, que je fermai immédiatement, de sorte que personne n'avait pu en apercevoir le contenu. La quantité de coquilles était encore indiquée avec la même exactitude. Nous nous sommes livrés plusieurs fois à ces expériences et invariablement avec le même succès » (p. 75).
Selon la théorie de M. Hartmann, il y aurait là d'abord transmission de pensée, puis, un instant après, un bond dans l'absolu. Voici l'expérience de M. Crookes :
« Une dame écrivait automatiquement au moyen de la planchette. J'essayai de découvrir le moyen de prouver que ce qu'elle écrivait n'était pas dû à l'action inconsciente du cerveau. La planchette, comme elle le fait toujours, affirmait que, quoiqu'elle fût mise en mouvement par la main et le bras de cette dame, l'intelligence qui la dirigeait était celle d'un être invisible, qui se servait du cerveau de la dame comme d'un instrument de musique, et faisait ainsi mouvoir ses muscles.
Je dis alors à cette intelligence :
- Voyez-vous ce qu'il y a dans cette chambre ?
- Oui, écrivit la planchette.
- Voyez-vous ce journal et pouvez-vous le lire ? ajoutai-je, en mettant mon doigt sur uu numéro du Times qui était sur une table derrière moi.
- Oui, répondit la planchette.
- Bien, dis-je. Si vous pouvez le voir, écrivez le mot qui est maintenant couvert par mon doigt, et je vous croirai.
La planchette commença à se mouvoir lentement, et avec beaucoup de difficulté elle écrivit le mot however. Je me tournai et je vis que le mot however était couvert par le haut de mon doigt.
J'avais évité à dessein de regarder le journal, et il était impossible à la dame, l'eût-elle essayé, de voir un seul des mots imprimés, car elle était assise à une table, le journal était sur une autre table, et mon corps lui en cachait la vue[38]. »
On connaît les expériences d'Eglinton sur l'écriture directe reproduisant une ligne quelconque, indiquée, d'un livre qui est fermé.
Les premières expériences de ce genre ont été faites en 1873 par la médiumnité de M. A. Oxon, que nous avons eu souvent l'occasion de citer dans cet ouvrage. Ces expériences ont l'avantage d'avoir été organisées dans un cercle intime, de famille, pour l'édification personnelle des chercheurs. Nous lisons à ce sujet dans le Spiritualist de 1873, à la page 293[39] :
« A la séance du 22 mai 1873, le médium écrivait lui-même les questions, les réponses arrivaient au moyen d'un procédé que le Dr Carpenter aurait désigné comme « fonctionnement inconscient du cerveau qui dirige les mouvements de la main. » Le dialogue suivant s'engagea :
- Peux-tu lire ?
- Non, mon ami, je ne peux pas, mais Zacharie Gray et R. le peuvent. Je n'ai pas la faculté de me matérialiser et de dominer les éléments.
- L'un de ces esprits se trouve-t-il ici ?
- Je vais en amener un R. est ici.
- On m'a dit que tu pouvais lire. Est-ce vrai ? Peux-tu lire un livre ? »
(A ce moment l'écriture change.)
- Oui, mais avec difficulté.
- Veux-tu m'écrire le dernier vers du premier livre de l’Enéide ?
- Attendez... Omnibus errantem terris et fluctibus œstas.
C'était exact. Mais il se pouvait que je connusse ces vers.
- Peux-tu prendre dans l'armoire à livres l'avant-dernier volume, sur le deuxième rayon, et me lire le dernier paragraphe de la page 94 ? Je n'ai pas vu ce livre et n'en connais même pas le titre.
- Je démontrerai par un récit historique que la papauté est une innovation qui a surgi et s'est développée graduellement depuis l'époque du christianisme pur...
Examen fait, je m'aperçus que c'était un ouvrage fort curieux, portant le litre : Antipopopriestian by Rogers (l'antipapal et l'anticlérical par Rogers).
La citation était juste, sauf un mot : « récit » (narrative) qui avait été substitué à « compte rendu » (account).
- Comment se fait-il que je sois tombé sur un passage si à propos ?
- Je n'en sais rien, c'est une coïncidence. C'est par mégarde que j'ai changé un mot je m'en suis aperçu de suite, mais nai pas voulu rectifier.
- Comment fais-tu pour lire ? Tu écrivais bien plus lentement, en t'arrêtant souvent.
- J'écrivais au fur et à mesure ce que je me rappelais avoir lu. Cette lecture exige un effort extraordinaire et ne peut servir que de démonstration. Ton ami avait raison hier en disant que nous pouvons lire, mais seulement dans des conditions favorables. Nous allons encore lire et écrire, et vous dirons ensuite dans quels livres ces passages se trouvent. (La main du médium écrit.) « Pope est l'écrivain le plus en évidence, appartenant à cette école de poésie de l'intelligence, ou plutôt de « l'intelligence unie à la fantaisie. » La citation est exacte. Regarde le onzième livre sur le même rayon ; il s'ouvrira à la page nécessaire. Lis et admire notre pouvoir et la bonté de Dieu qui nous permet de démontrer notre puissance sur la matière. Gloire à Lui. Amen.
Je cherchai le livre indiqué ; il était intitulé : La Poésie, le romantisme et la rhétorique. Il s'ouvrit à la page 43, qui contenait, en effet, textuellement le passage cité. Je n'avais jamais vu ce livre auparavant et n'avais pas la moindre idée de ce qu'il pouvait contenir. »
Dans les derniers cas que nous venons d'examiner, la vision sans l'emploi des yeux se produit dans des conditions bien absolues ; mais la faculté de cette vision, bien que produite par le même médium, à la même séance, n'est pas toujours la même : ses variations correspondent aux changements des forces intelligentes qui se manifestent, dont les unes déclarent posséder cette faculté et le prouvent, et les autres avouent ne pas l'avoir, ce qui tend à faire croire que cette faculté ne doit pas toujours être attribuée au sujet transcendantal dont les conditions de manifestation ne se sont pas modifiées au moment donné.
Cette faculté de vision à travers la matière et les corps opaques semble, d'après les cas que nous connaissons, appartenir plus particulièrement aux médiums dits universels, c'est-à-dire à ceux dont la médiumnité n'est pas restreinte aux manifestations intellectuelles, mais comprend aussi les manifestations physiques ; la pénétration de la matière appartient à ce genre de médiumnité, et la relation entre ce phénomène et la vision est évidente. Mes expériences ne sont pas allées jusque-là, parce qu'elles étaient faites avec le concours de personnes dont les facultés médiumniques étaient tout à fait élémentaires.
J'ai attribué cette faculté de vision au sujet transcendanlal, car c’est par lui qu'il faut commencer ; mais, comme nous le verrons plus tard, cette entité psychique peut se manifester soit à l'état d'incarnation temporelle, soit en dehors de cet état ; ce n'est donc qu'une question de détails et de circonstances.
b) Des faits connus indépendamment des organes servant habituellement à la perception.
Sous cette rubrique, je dois mentionner tout d'abord un cas des plus remarquables qui s'est produit à l'une de mes séances intimes, dans le même groupe de trois personnes (ma belle-sœur, mon beau-fils, un jeune homme de vingt ans et moi), où s'était faite l'expérience de vision sans intervention de la vue dont je viens de parler. C'est dans ce même groupe que j'ai reçu les communications publiées dans les Psychische Studien, sous le titre : Mes expériences personnelles. Problèmes philologiques posés par voie médiumnique (1883, pp. 547 1884, pp. 1, 49, 153, 564 ; et 1885, p. 49). M. Hartmann a cité deux fois ces expériences, et c'est une raison de plus pour que j'en parle ; mais je ne m'occuperai que de la dernière, qui offre des particularités exceptionnelles. Cette expérience étant la seule de ce genre que j'aie faite, et comme j'y attache un grand prix, je vais en reproduire ici le récit complet tel qu'il a paru dans mon journal. Elle eut lieu le 10/22 février 1882.
C'était la cinquante-septième séance. La table se mit en mouvement de suite. L'alphabet russe fut réclamé. Je ferai observer qu'à cette séance nous avons eu recours à un procédé qui pouvait simplifier nos rapports avec notre interlocuteur invisible, et par cela même en étendre la sphère : au lieu de nommer toutes les lettres, dans l'ordre alphabétique, jusqu'à la lettre demandée, je proposai d'employer une feuille de carton sur une moitié de laquelle seraient collées les lettres de l'alphabet russe, sur l'autre les lettres françaises ; la petite latte ou planchette servirait d'index. Conformément à ces dispositions, nous plaçâmes le carton sur une petite table, et les deux médiums, assis en regard l'un de l'autre, posèrent leurs mains droites sur la planchette, qui devait se mettre en mouvement et indiquer les lettres. Avant de commencer l'expérience avec le carton, nous prîmes l'habitude de nous placer à la table pour nous assurer de la présence de la force occulte, et nous n'eûmes recours au carton que sur une demande nettement formulée.
Or c'est l'alphabet russe qui fut réclamé ce jour-là. D'après quelques phrases dictées par notre correspondant, nous reconnûmes en lui le nouveau venu qui s'était manifesté à la séance précédente sans consentir à donner son nom. Il eût été impossible de ne pas le reconnaître à ses saillies spirituelles et au style qui lui était propre. Après avoir épelé quelques phrases en langue russe, la planchette se mit à indiquer des lettres de l'alphabet français. A cette occasion, comme habituellement, je ne prenais aucune part à la séance au point de vue de la médiumnité : j'étais installé à une autre table et ne faisais que prendre note des lettres que les autres personnes me dictaient ; cependant, c'est moi qui menais l'entretien. Les lettres suivantes me furent nommées :
e m e k h a b a c c h a.
- Mais cela n'a pas le sens commun.
- Vous croyez ?
- Il n'existe aucun mot semblable en français.
- Qui vous dit que c'est du français ?
- Dis alors, quelle langue est-ce ?
- Vous ne savez pas, tant mieux. Vous devriez cependant le savoir ; en russe, cela veut dire « vallée de larmes ». C'est votre domaine.
- C'est encore une nouvelle mystification.
- Celui qui connaît l'hébreu pourra vérifier mes paroles.
- Donc, c'est de l'hébreu ?
- Oui.
- Epelle-nous le même mot en lettres russes[40].
- Dis-nous le premier de ces mots ?
- emek.
- De quelle provenance cette phrase est-elle ?
- C'est la sentence d'un docteur juif portugais.
- Son nom ?
- Je crois qu'il se nommait Sardovy.
- Je n'en ai jamais entendu parler.
- Je le regrette.
Là-dessus s'engagea une longue discussion philosophique qu'il est inutile de reproduire ici. La séance fut interrompue pour le thé du soir, et je profitai de ce répit pour consulter un dictionnaire hébreu sur la signification des mots que j'avais inscrits. Trente ans auparavant, je m'étais un peu occupé de cette langue et en savais suffisamment pour faire les recherches en question. Au radical …. (bacha), - il a pleuré, - je trouvai la locution …….. (emek habbaca), - vallée de larmes. Je lus dans ce dictionnaire que cette expression ne se rencontre dans l'Ancien Testament qu'une seule fois : dans le 83° psaume, verset 7. Je connaissais ce passage d'autant moins que mes études de la langue hébraïque n'avaient compris que la Genèse et les dix premiers psaumes. La citation était donc exacte, sauf l'orthographe latine, d'après laquelle il faut écrire habbaca et non habaccha.
En ce qui concerne le nom « Sardovy », je ne l'ai pas trouvé dans mes dictionnaires de biographie.
Je communiquai le résultat de mes recherches à ma petite société, et après le thé nous reprîmes la séance. Les médiums se placèrent à la table d'expérience avant mon arrivée, et dès qu'ils eurent posé leurs mains sur la planchette ils reçurent ce message en langue russe :
- Cherchez dans le dictionnaire le nom de B. Cardosio. (Le nom fut dicté en lettres latines.)
A ce moment, je fis mon entrée et appris ce qui s'était passé. Je m'assis et dis :
- Je viens de consulter le dictionnaire ; la citation est juste.
- Je sais bien qu'elle est juste et que tu l'as cherchée ; je me suis rappelé que le nom n'est pas « Sardovy », mais « Cardovy »..., non ce n'est toujours pas ça... « Cardosiob ».
- Que signifie le b ?
- Son prénom : B. Cardosio. Un savant docteur, très célèbre de son temps.
- Mais quel rapport a-t-il avec les mots hébreux ?
- C'est un adage célèbre.
Après cela, la conversation prit de nouveau une tournure philosophique. Pour donner une idée de la dialectique de notre interlocuteur, je citerai quelques-unes de ses réponses à mes questions.
- Peux-tu nous dire sous quelle forme tu existes ?
- La compréhension de l'essence de la forme est précisément votre partie faible.
- Je ne parle pas de l'essence, je veux parler de la forme.
- La forme, qu'est-ce donc d'après votre entendement ? Pour moi, la question de savoir si quelque chose existe ou se trouve sous une forme quelconque ne peut même pas se poser, car la forme est une représentation indispensable quand il s'agit d'une existence.
- Je ne demande pas si tu revêts une forme, je demande « laquelle » tu revêts ?
- Tu veux donc parler de l'essence de la forme ; je viens de dire que la forme n'était qu'une idée, et tu étais d'accord avec moi.
Une discussion animée s'engagea alors entre moi et le professeur Boutleroff, qui était présent à cette séance. J'accusais notre interlocuteur de chercher à se dérober à une réponse directe. La planchette se mit en mouvement, composant cette phrase :
- Comprenez bien : j'affirme d'abord que la forme est une idée. Je dis encore que la forme, comme idée, nous est nécessaire toujours quand il s'agit d'une chose qui existe : enfin, tout ce qui existe correspond à des idées qui sont en rapport avec son existence, et partant à l'idée de la forme, ou bien, pour s'exprimer en philosophe, à l'idée du phénomène.
Ce penseur étrange s'exprimait toujours avec un ton ironique, même un peu dédaigneux. Il raillait les efforts que nous faisions en cherchant à trouver des preuves de l'identité d'un esprit ; il affirmait qu'une telle preuve n'existait pas. Dans nos discussions il avait toujours le dessus, et nous étions frappés de la force de sa dialectique pleine de sens philosophique et en même temps empreinte de sarcasme.
Il s'est entretenu avec nous une douzaine de fois, exprimant à chaque séance l'espoir que nous allions devenir plus intelligents ; mais il cessa de se manifester sous prétexte que nous ne savions pas causer avec lui, - en quoi il avait raison.
A la fin de la séance dont il est question, je m'empressai de faire de nouvelles recherches dans divers dictionnaires, et voilà ce que je trouvai dans la Nouvelle biographie universelle de Didot :
« Cardoso (Fernande), médecin portugais, né vers le commencement du XVIIe siècle, mort dans la seconde moitié. Celorico est la véritable patrie de cet étrange personnage, qui s'était acquis une grande renommée dans sa profession et s'y distingua dès l'année 1630. Il alla en Espagne et obtint à Madrid le titre de Phisico major (médecin en chef). Ce qu'il y eut de vraiment remarquable dans la vie de ce savant, c'est qu'il abandonna la religion chrétienne, dans laquelle il avait été élevé, pour entrer dans le sein du judaïsme, dont il devint un fervent apôtre, etc. »
Notre informateur avait donc fait preuve de bonne mémoire, cette fois. Le nom et les traits caractéristiques étaient exacts. Seulement le prénom ne commence pas par un B, détail sans importance d'ailleurs. Pour ce qui est de la devise, je ne pus savoir si elle venait réellement de Cardoso ; pour cela j'aurais été obligé de chercher dans ses œuvres, qui ne doivent se trouver dans aucune de nos bibliothèques. Quoiqu'il en soit, le cas est très remarquable, même indépendamment de ce détail.
Pour des phénomènes de ce genre, M. Hartmann propose l'explication suivante : « Dans la conscience somnambulique latente de l'un des assistants - si l'intérêt de ce dernier est dirigé sur un sujet déterminé - il peut renaître le souvenir de phrases en une langue étrangère, lues ou entendues à une époque antérieure. Le médium peut deviner la représentation de ces souvenirs et la communiquer par l'écriture involontaire ou au moyen de coups frappés sans que la conscience à l'état de veille de la personne en question reconnaisse ses propres souvenirs dans les phrases ainsi transmises (pp. 70-71). »
En publiant ce récit dans les Psychische Studien (en 1885) et ensuite dans l'édition allemande de cet ouvrage vers la fin de 1888, je pouvais péremptoirement affirmer que les explications de M. Hartmann ne pouvaient lui être appliquées, car il est certain que personne de nous n'avait ni lu ni entendu réciter cet épigraphe hébraïque. Par extraordinaire, en décembre 1888, mon secrétaire et traducteur à Leipzig, M. Wittig, m'écrivit que l'énigme Cardoso s'expliquait, car il avait lu dans le Salon de 1885 (n° 6) un article sur la Poésie des devises et proverbes, où l'épigraphe Emek habbacha était mentionnée et attribuée à Cardoso, « un médecin portugais bien connu », avec un renvoi à l'ouvrage de Wichman, la Poésie des proverbes et devises (Dusseldorf, 1882). Je me procurai ce livre au plus tôt et à la fin du volume, au bas de la page 312, je lus les lignes suivantes :
« Mais revenons sur la terre et terminons par l'unique épigraphe hébraïque du savant médecin Israélite portugais, B. Cardosio : Emek habbacha. - Oh vallée de larmes. »
Il est clair que l'épigraphe qui nous avait été dictée fut puisée dans ce livre ; tous les détails s'y retrouvent ; l'erreur commise dans le nom est surtout probante ; il y a Cardosio au lieu du véritable nom : F. Cardoso.
Il est aisé de prétendre que l'épigraphe avait été lue par l'un de nous dans ce livre et reproduite à la séance par une opération de la conscience somnambulique. Il est difficile de démontrer que vous n'avez pas lu telle chose, même quand la source reste inconnue ; cela devient encore plus difficile quand on vous met sous les yeux un livre dans lequel vous avez pu puiser la citation. Et cependant, soutenir le contraire n'est pas non plus aussi facile qu'il paraîtrait d'abord : notre séance a eu lieu le 10/22 février 1882 ; le livre porte la date de 1882 ; supposons qu'ayant paru à la fin de 1881 il ait été importé à Saint-Pétersbourg immédiatement avec les livres nouveaux du jour de l'an. Donc c'est pendant l'espace de deux mois, tout au plus, que l'un de nous aurait eu l'occasion de voir le livre et de le feuilleter. Mais ce livre a un aspect tout particulier : jolie reliure, doré sur tranche, chaque page encadrée, le texte émaillé de courtes citations au milieu de la page en divers caractères, etc.; dès qu'on l'a ouvert, il est difficile de l'oublier complètement, surtout en moins de deux mois, et de l'oublier au point que personne de nous ne se soit même souvenu d'avoir vu un livre contenant des épigraphes et n'ait pensé à y aller chercher celle qui nous avait tant intrigués. Moi-même, qui suis bibliomane, je n'avais jamais soupçonné l'existence de pareils recueils de devises. Dès que je reçus le volume, j'allai le montrer à ceux qui avaient pris part à nos séances ; ils m'affirmèrent ne l'avoir jamais vu et M. Boutleroff, qui était présent à la séance, n'aurait pas manqué bien certainement de mentionner cette source s'il avait vu pendant ces deux mois un livre de ce genre. Ce n'est que quelques années plus tard, ayant vu annoncer le livre de Bûchmann : Paroles ailées. Recueil de citations allemandes, 1882, que je me le procurai immédiatement pour y chercher les citations latines, grecques et italiennes que nous obtenions à nos séances. Mais je n'y trouvai rien. Le hasard avait voulu de même que je ne sache rien jusqu'alors du livre de Wichmann.
Mais le livre est là. Il faut donc supposer qu'il a été vu, ouvert machinalement aux pages 312 et 313, puis complètement oublié ; mais un coup d'œil machinal ne suffirait pas pour retenir les mots emek habbacha qui ne sont pas de ceux qui s'imposent à la mémoire ; il ne nous disent rien ; il faut les lire et les relire pour les retenir, puis en lire la signification, puis chercher sur la page suivante leur provenance historique avec des détails précis. Un coup d'œil insouciant ne suffirait pas ; il faudrait une lecture attentive, donc nouvel argument contre l'hypothèse de la transmission inconsciente.
Mais voici qui est plus curieux encore : possédant le livre, je voulus naturellement vérifier s'il ne contenait pas d'autres épigraphes ou proverbes communiqués à nos séances. Le livre n'ayant ni table ni index, je le feuilletai page par page. Ma peine fut bientôt récompensée ; à la page 62, je découvris encore deux dictons qui - je m'en souvins sur-le-champ - avaient été employés par notre interlocuteur mystérieux. Voici les passages du livre :
« Plus tard, le nom de ce pape (Grégoire XIII) servit de base à la devise Γρεγόρει[41]
L'Académie della Crusca, créée à Florence en 1584, dans le but d'épurer la langue italienne, avait pris pour devise : Il piu bel fior ne coglie (Ainsi reste le plus fin.)
Et voici ce que je trouve dans mon cahier de notes. A la séance du 3 mars 1882, la première à laquelle le même interlocuteur se manifesta, je saisis l'occasion qui se présentait pour lui demander quel était le motif pour faire la citation en hébreu ? Il répondit :
- Il y a pour cela une raison directe. C'est intentionnellement que j'ai posé la question relativement à l'incendie (une mystification à lui, que nous eûmes à subir au cours de nos séances) j'ai pensé que c'était une question futile ; mais, voyant que vous y cherchiez la solution d'un problème, je me suis dit : Déplorable vie que la vôtre ! A quels pauvres moyens de conviction vous êtes réduits! Je voulais vous frapper sur votre propre terrain.
Aux questions que nous lui posâmes sur le sens de ces raisonnements, il nous répondit :
- Nous pouvons voir ce qui est caché pour vous. Il piu bel fior ne coglie.
- Que signifie cette phrase italienne ?
- « Le plus fin survit. »
- C'est le complément de la phrase italienne ?
- Vous devez vous contenter de votre prison corporelle ; nous sommes la meilleure fleur.
- C'est bon. Passons à présent à la philosophie. Alors il nous fut dicté en lettres russes : « gregoreï »
- Ceci en quelle langue ? demandai-je.
- En grec.
- Que signifie ce mot ?
- C'est un conseil pour vous tous, car vous ne connaissez ni le jour ni l'heure ; mais il faut se préparer.
- C'est là la signification du mot : gregoreï ?
- Oui, custodite.
Nous entamâmes alors les questions philosophiques. Ni ma belle-sœur, ni mon beau-fils ne connaissaient l'italien ; la phrase fut indiquée par l'alphabet français sans la moindre erreur ; elle signifiait : « il en cueille la plus belle fleur » Le mot grec était inconnu de mon beau-fils qui avait étudié le grec au collège ; dans le dictionnaire des « concordances » grecques, je ne trouvai, plusieurs fois répété, que le mot : « gregoreite », rendu dans les versions latines par « vigilate ».
A la séance suivante, le 10 mars, le même interlocuteur se manifestant, j'en profitai pour lui demander :
- Dites-moi la forme grammaticale du mot grec de la dernière séance ?
- Seconde personne de l'impératif, au singulier.
- Et du mot latin ?
- Au pluriel.
- Pourquoi cette différence ?
- N'est-ce pas la même chose ?
- Cela m'étonne, car, dans le Nouveau Testament, tous les impératifs de ce verbe sont au pluriel ?
- J'ai lu cela sur des armoiries.
- Vous connaissez le grec ?
- Mal.
- Pourtant vous faites l'analyse grammaticale.
- Très peu.
- Et le latin, le connaissez-vous bien ?
- Oui.
- Et l'italien ?
- Non.
- A qui est empruntée la citation ?
- Au Tasse, je crois.
- Connaissez-vous l'hébreu ?
- Non.
- Et pourtant vous le citez ?
- Il y a des choses dont on se souvient ; mais je ne connais pas l'hébreu.
Plus tard, mon beau-fils me confirma que « gregoreï » était bien la seconde personne du singulier de l'impératif et que le verbe « γρηγοε˜ιν » signifiait veiller, et que par conséquent le mot dicté signifiait : « veille ».
Il est encore plus certain maintenant que c'est le livre de Wichmann qui a fourni les trois épigraphes ; cette conclusion est inévitable. Mais d'autre part il devient encore plus difficile de supposer que l'un de nous trois[42] aurait tenu le livre de Wichmann en mains, y aurait la machinalement ces trois épigraphes pour les reproduire à notre séance, quelques jours ou quelques semaines plus tard, sans se souvenir d'avoir vu ce livre. Il ne s'agit pas d'un mot, d'une ligne, dans une langue connue, qui s'imprimerait subitement et inconsciemment dans notre cerveau. Trois épigraphes, choisies à trois pages différentes, en trois langues étrangères, inconnues aux deux médiums, avec la traduction de leur sens respectif, ne se retiennent pas machinalement et momentanément au point de ne pas laisser le moindre souvenir dans la conscience normale durant le court espace de quelques semaines, au plus. Il n'est pas permis de prétendre que la mémoire inconsciente pourrait accomplir un effort aussi extraordinaire en même temps que la mémoire consciente n'aurait pas même gardé un vague souvenir de l'existence du livre dont la mémoire inconsciente aurait si bien « pris connaissance ». En employant les mots « pris connaissance », j'ai voulu insister sur cette constatation qu'on ne peut raisonnablement supposer que le livre n'ait été ouvert qu'à trois pages et que les yeux n'aient vu que ces trois épigraphes !
Mais il y a d'autres difficultés encore. Il ressort des considérations suivantes que, dans mes expériences, il n'y a pas qu'une impression inconsciente. Le premier nom donné fut : « Sardovy » ; puis la séance fut interrompue pour prendre le thé et chercher le nom dans un dictionnaire ; dès que la séance fut reprise, le nom de « B. Cardosio », le nom exact d'après Wichmann, fut donné ; et, quelques minutes après, même erreur et même rectification. On se demande à quel point de repère avait recours la mémoire inconsciente pour choisir les variantes du nom ? Et plus tard le mot « gregoreï » n'est pas traduit par « je veille » comme dans Wichmann - ce qui est grammaticalement incorrect - mais par custodite, ce qui a un tout autre sens et qui est d'une forme grammaticale plus correcte. Lorsque j'insistai sur l'origine de « gregoreï », notre interlocuteur ne nous dit pas que c'était une devise du pape Grégoire XIII, mais il répondit par une paraphrase : « J'ai lu cela sur des armoiries », ce qui veut dire la même chose. Donc on ne peut voir en tout ceci une reproduction inconsciente d'impressions inconscientes.
Autre considération : pourquoi, au lieu de faire la réponse évasive : « J'ai lu cela sur des armoiries », ne pas dire au moins : « J'ai lu cela dans un recueil de devises ? » Pourquoi, à ma question sur l'origine de la citation italienne, répondre par : « Tasso », au lieu d'indiquer la véritable source ? Et pourquoi, enfin, quand j'insistai sur l'épigraphe hébraïque, prétendre que c'était une question de mémoire et ne pas nommer la source véritable ? Il y a tout lieu de supposer que le facteur (la mémoire inconsciente du médium ou tout autre) qui nous dictait ces épigraphes savait très bien à quelle source il les puisait, mais que, pour nous mystifier ou pour nous induire en erreur, il ne voulait pas nous la faire connaître.
Mais par quel moyen la cervelle du médium avait-elle été mise en relation avec le contenu du livre ? Voilà le mystère. Je me refuse à admettre que cela se soit fait par voie naturelle, par la lecture directe. Je crois à un procédé occulte. Il me semble que le cas se rapproche beaucoup de la lecture de livres fermés, que j'ai citée plus haut. Le fait aurait pu être expliqué par un accès de somnambulisme, si le livre s'était trouvé dans la maison et si l'accès de somnambulisme avait été constaté mais cela n'était pas. Est-ce un cas de lecture ou de transmission de pensée ? Peut-être. Mais quels étaient donc le transmetteur et le récepteur de ces pensées ? Cette question restera, je le crains, sans réponse.
A mon avis, le problème n'est pas résolu, et ce cas, si édifiant qu'il soit, me paraît infiniment mystérieux. Les preuves absolues sont toujours difficiles à trouver, et, du moment que le livre est là, on serait tenté de donner la préférence aux solutions qui se présentent comme les plus simples ; mais, quant à nous, qui avons pris part à cette séance, nous avons la conviction profonde que la source de la communication reçue se trouvait ailleurs que dans le contenu de notre intellect à cette époque.
Un autre fait analogue s'est produit au cours de la même série de séances. Cette fois, notre correspondant invisible se déclara un connaisseur accompli des langues latine et grecque. Après avoir reçu diverses communications en latin, je le priai de me dire quelque chose en grec. Il réclama l'alphabet grec, et mon beau-fils, qui avait appris cette langue au collège, se mit à le réciter. Par ce moyen nous obtînmes la phrase :
αωματα ́ανθρωπωυ διχαια εισι
Je ne connais pas le grec, ma belle-sœur non plus ; quant à mon beau-fils, il ne réussit pas à trouver le vrai sens de ces mots. Les deux premiers mots signifient « les corps des hommes », les deux autres : « sont justes ». Cela ne veut rien dire : les corps des hommes sont justes. J'ai eu beau m'adresser à des connaisseurs de la langue grecque ; personne n'a pu me donner l'explication de cette phrase. Ce n'est qu'en faisant des recherches dans les grands dictionnaires grecs que l'on a pu trouver la clé de cette énigme : cette phrase se trouve être une locution familière à Hippocrate, signifiant : les corps des hommes sont symétriques. Je me demande comment il a pu se faire que nos cerveaux aient eu connaissance de cette expression.
c) Communication de faits inconnus aux personnes prenant part à la séance
Des communication de faits inconnus aux personnes prenant part à la séance et qui ne peuvent être expliqués par la transmission de pensées en raison des conditions même dans lesquelles ces messages sont délivrés se produisent. Les faits rentrant dans cette catégorie sont le plus souvent, me semble-t-il, des avis de décès. Voici un cas que je tiens de première source. En 1887, le 7 janvier, je reçus la visite du colonel Kaigorodoff, qui demeure à Vilna. Il me dit que l'institutrice de ses enfants, Mlle Emma Stramm, native de Neuchâtel en Suisse, avait manifesté des facultés pour l'écriture automatique. A une séance tenue le 15 janvier, à neuf heures passées du soir, dans la maison du colonel, à Vilna, on reçut en sa présence même une communication en langue française que je cite textuellement. Le médium, à l'état normal, demanda :
- Lydie est-elle ici ? (une personnalité qui s'était manifestée aux séances précédentes).
- Non, Louis (Frère défunt du médium qui se communiquait ordinairement à ces séances. ) est ici et veut apprendre une nouvelle à sa sœur.
- Quoi donc ?
- Une personne de sa connaissance est partie aujourd'hui à 3 heures.
- Comment faut-il comprendre cela ?
- C'est-à-dire qu'elle est morte.
- Qui donc ?
- Auguste Duvanel.
- De quelle maladie ?
- D'un engorgement de sang. Prie pour la délivrance de son âme.
Deux semaines plus tard, M. Kaigorodoff, étant de nouveau à Saint-Pétersbourg, me montra la lettre du père du médium, David Stramm, datée de Neuchâtel le 18 janvier (nouv. st.) 1887 et reçue à Vilna le 23 janvier ; elle était par conséquent écrite trois jours après la mort de Duvanel ; dans cette lettre il est fait part du décès de Duvanel dans les termes suivants, mot pour mot :
« Ma très chère fille,
... Maintenant je veux t'apprendre une grande nouvelle pour toi ; Auguste Duvanel est mort le 15 janvier à 3 heures de l'après-midi. C'est une mort pour ainsi dire subite, car il n'a été malade que quelques heures ; il a eu un engorgement de sang au moment où il était à la banque. Il a très peu parlé, et tout ce qu'il a dit était pour toi... Il se recommande à tes prières ; ce furent ses dernières paroles. »
Le temps de Vilna est en avance d'une heure sur celui de Neuchâtel : il était donc 4 heures p. m. à Vilna quand Duvanel est mort en Suisse, et cinq heures après, cette nouvelle fut transmise à Vilna par voie d'écriture automatique.
Mais qui donc était Duvanel ? Pourquoi son décès était-il une « grande nouvelle » pour Mlle Stramm ? Sur les questions que je lui posai, le colonel Kaigorodoff m'envoya les explications suivantes : alors que Mlle Emma Stramm demeurait à Neuchâtel, chez ses parents, Duvanel l'avait recherchée en mariage : mais la jeune fille lui avait répondu par un refus catégorique. Ses parents la poussaient, au contraire, à ce mariage, ce qui lui fit prendre la décision de quitter son pays et de se placer comme institutrice. La dernière entrevue qu'elle eut avec Duvanel précéda de quelques jours son départ, en 1881. Elle n'avait entretenu aucune correspondance avec Duvanel et n'avait vu la famille de ce dernier que deux ou trois fois. Un an après son départ, Duvanel quitta également Neuchâtel et s'étabit dans le canton de Zurich, où il resta jusqu'à sa mort.
Essayons d'expliquer ce fait par la théorie de M. Hartmann. Ce ne pouvait être une transmission de pensées de Duvanel lui-même, car le transmetteur, selon l'expression de M. Hartmann, n'existait plus au moment de la séance. Peut-être était-ce une transmission involontaire, inconsciente, de la part des amis du défunt ? Or ces amis ne pouvaient être que les parents de Mlle Stramm, car le « rapport animique » nécessaire n'aurait pu être établi, dans ce cas, qu'entre eux et leur fille. Mais M. Hartmann ne dit-il pas : « Ce qu'il y a de fâcheux, c'est que, comme l'expérience me l'a montré, les paroles et les pensées ne peuvent pas être transmises à une grande distance ; peuvent seules être transmises des hallucinations très vives et très nettes » (p. 115). La transmission de pensées ne peut donc pas servir à expliquer le fait considéré.
Reste encore une ressource : la clairvoyance. Nous lisons, à ce propos, les lignes suivantes à la page 78 du livre de M. Hartmann :
« Du moment que tous les individus, ceux d'ordre supérieur comme ceux d'ordre inférieur, tirent leur origine de l'Absolu, ils restent liés les uns aux autres par des réactions réciproques dans ce même Absolu, et il suffit que le rapport ou la communication téléphonique entre deux individus soit établi dans l'Absolu, pour que l'échange intellectuel entre eux puisse s'effectuer sans même le fonctionnement des sens » (pp. 78,79). Cette explication n'a pas de valeur ici pour la simple raison qu'il n'existait aucun lien de sympathie entre Duvanel et Emma ; si nous nous décidions à admettre que le « rapport » aurait pu être établi par l'intérêt intense de la volonté de Duvanel seul, ce rapport aurait dû être créé quelques instants au moins avant sa mort, et il se serait traduit dans ce cas à l'instant même par un effet quelconque de seconde vue chez le médium, ce qui n'a pas lieu.
Voici encore une définition de la clairvoyance d'après laquelle cette faculté n'embrasse rien moins que l'éternité entière : « L'omniscience de l'esprit absolu embrasse, avec l'état présent du monde, implicitement et le passé et le futur ; par conséquent l'individu peut, par l'effet d'un intense effort de la volonté, puiser inconsciemment dans le savoir inconscient de l'esprit absolu pour en tirer des faits isolés se rapportant à des événements futurs, aussi bien qu'il peut lui emprunter des détails ayant trait au temps présent, et dont le théâtre se trouve dans un endroit éloigné. » (Sp., p. 79.)
Cette explication n'est pas plus admissible que la précédente, pour le cas qui nous occupe, car « l'intense effort de la volonté », qui est son motif principal, n'a pas eu lieu, de la part de l'individu survivant. Au début de la séance, l'intérêt du médium n'était pas excité plus que d'ordinaire, il n'y avait aucune raison pour qu'il fût « intense » ; nous savons, d'ailleurs, que Mlle Stramm n'éprouvait non seulement aucun sentiment de sympathie pour Duvanel, mais lui vouait, au contraire, une sorte d'antipathie ; son esprit ne devait donc en aucune façon être attiré vers cet objet. Enfin « le mal est », selon M. Hartmann, que « la clairvoyance pure se manifeste toujours sous la forme d'une hallucination » (p. 78), dont ici il n'y a pas de trace : le médium est à l'état normal, et le symbolisme fait complètement défaut. Voici donc comment les choses ont dû se passer selon la théorie de M. Hartmann : tant que le médium reçoit des communications de son frère Louis et que celui-ci parle d'une chose ou d'une autre, c'est la conscience somnambulique du médium qui est mise en jeu ; mais du moment que Louis l'informe de la mort subite de Duvanel, le médium entre immédiatement en relation directe avec l'Absolu, la divinité, avec le passé, le présent et l'avenir de l'univers ! Ayant le choix entre ces deux hypothèses : un rapport métaphysique, vraiment surnaturel, avec l'Absolu, et un rapport avec Louis, cette dernière hypothèse me paraît plus naturelle, plus simple et plus rationnelle.
J'ai communiqué ce cas à la Société des Recherches psychiques à Londres avec beaucoup de détails supplémentaires ; il fut imprimé dans les mémoires de cette Société (vol. XVI, p. 343). Je donne ici le résumé de ces incidents, très curieux, de nature très compliquée, et que j'ai recueillis petit à petit.
Comparant la communication de Louis, relative à la mort de Duvanel, avec la lettre du père d'Emma Stramm, je fus frappé de cette expression engorgement de sang qui se trouve également dans la lettre et le message, ainsi que de la définition vague de la maladie. Je priai donc M. Kaigorodoff, à notre entrevue suivante, qui eut lieu au mois de janvier 1887, à Saint-Pétersbourg, de me fournir les explications qui se présenteraient.
J'appris, entre temps, que Mlle Stramm, dans le but de vérifier le fait, avait écrit à sa sœur, en Suisse, le lendemain de la séance du 15 janvier ; elle lui demandait des nouvelles du Duvanal, sous prétexte qu'elle avait vu en songe qu'il était mort. Ignorant que M. Stramm avait déjà écrit pour annoncer la mort de Duvanel, et ne voulant pas, pour diverses raisons, dire la vérité à Emma, sa sœur lui répondit qu'il était bien en vie, mais qu'il était parti en Amérique.
Lorsque, après une absence de six semaines, Kaigorodoff revint à Vilna et prit connaissance de cette lettre, il fut surpris de trouver que les deux missives étaient en flagrante contradiction et saisit la première occasion qui se présenta pour en demander l'explication à Louis. A cette séance, le médium tomba en transe et transmit de la part de Louis le message suivant, que M. Kaigorodoff inscrivit mot à mot :
- Il est mort, mais sa sœur n'a pas voulu qu'elle apprenne cette nouvelle, car il n'est pas mort d'un « engorgement de sang », comme je l'avais écrit. Je ne pouvais pas lui dire la vérité, par crainte de nuire à sa santé.
- Alors quand et ou est-il mort ?
- Il est mort dans le canton de Zurich il s'est suicidé. Elle ne doit pas le savoir, car cette nouvelle nuira à sa santé. Ne dites rien ; elle soupçonne déjà la vérité.
- Comment se fait-il que la même expression : engorgement de sang, est employée et dans votre message et dans la lettre de M. Stramm ?
- C'est moi qui la lui ai suggérée.
Quelques jours après la communication reçue le 15 janvier, Mlle Stramm vit Duvanel en songe, couvert de sang, et effectivement, en présence des renseignements contradictoires qui lui étaient parvenus de sa sœur et de son père, elle commençait à soupçonner la vérité ; elle ne l'apprit cependant qu'en automne 1887, au cours du voyage en Suisse qu'elle entreprit pour voir sa famille.
D'après d'autres renseignements très précis que je recueillis ensuite, M. Stramm lui-même n'apprit la mort de Duvanel que le 17 janvier, c'est-à-dire deux jours après la séance, et ce, en rencontrant par hasard le frère du défunt qui se rendait à Hirté, bourg du canton de Zurich, dans lequel Duvanel avait passé les deux dernières années de sa vie, en solitaire, et où l'enterrement devait avoir lieu. Il s'ensuit que la nouvelle de son décès ne pouvait, en aucune façon, être le résultat d'une transmission télépathique venant des parents d'Emma Stramm ou de Duvanel.
Reste une dernière ressource : c'est d'expliquer ce fait par un rapport qui aurait existé entre le médium et feu Duvanel. Ce rapport se bornait à ce que le médium connaissait la personne en question. Si une théorie quelconque peut se contenter d'un rapport semblable, je n'ai rien à dire, et je passe à d'autres faits, pour lesquels même ce rapport n'existe plus.
Nous trouvons un cas de ce genre dans les détails d'un fait déjà cité par moi. Le lecteur se rappelle probablement que la fille du juge Edmonds, Mlle Laure, devenue médium, avait parlé plusieurs fois avec un Grec, M. Evangélidès, dans la langue maternelle de ce dernier, qu'elle n'avait jamais apprise. Dans l'article cité à cette occasion, le juge Edmonds n'explique pas pourquoi Evangélidès avait été tellement troublé par son entretien avec Miss Laure. J’ai trouvé cette explication dans une lettre privée de M. Edmonds, publiée par le docteur Gully, à Londres, dans le Spiritual Magazine de 1871, page 239, et je reproduis in extenso ce document précieux, perdu dans les archives des journaux spirites, en remplaçant seulement le trait (-) par le nom véritable de la personne dont il est évidemment question dans cette lettre : Mlle Laure.
« M. - A la suite de l'entretien que j'ai eu avec vous la semaine dernière, il me tarde de vous exposer, avec plus de détails, un fait que je trouve assez important pour qu'on lui consacre un peu plus de temps.
Je vous avais dit que Laure parlait en différentes langues, dont le nombre se monte à quatorze ; permettez-moi de vous raconter aujourd'hui le fait suivant :
« Un soir, je reçus la visite d'un monsieur de nationalité grecque qui se mit bientôt à causer avec Laure en cette langue ; au cours de cette conversation, il paraissait très ému, et même il pleura. Six ou sept personnes se trouvaient présentes, et l'une d'elle demanda la raison de cette émotion. L'interpellé se déroba à une réponse directe, disant qu'il était question d'affaires de famille.
Le lendemain, il renouvela sa conversation avec Laure, et, aucune personne étrangère ne se trouvant chez moi, il nous donna l'explication désirée : la personnalité invisible avec laquelle il s'entretenait par l'intermédiaire de Laure n'était autre qu'un ami intime à lui, mort en Grèce, le frère du patriote grec Marco Bozarris ; cet ami l'informait de la mort d'un de ses fils, à lui, Evangélidès, qui était resté en Grèce et se portait admirablement bien au moment où son père partit pour l'Amérique.
Ce dernier vint me voir encore plusieurs fois, et dix jours après sa première visite il nous informa qu'il venait de recevoir une lettre venant de chez lui, l'informant de la mort de son fils ; cette lettre devait être en route au moment où avait lieu son premier entretien avec Laure.
J'aimerais qu'on me dise comment je dois envisager ce fait. Le nier, c'est impossible, il est trop flagrant. Je pourrais tout aussi bien nier que le soleil nous éclaire.
Le considérer comme une illusion, je ne le saurais davantage, car il ne se distingue en rien de toute autre réalité constatée à n'importe quel moment de notre existence.
Cela s'est passé en présence de huit à dix personnes, toutes instruites, intelligentes, raisonnables et aussi capables que n'importe qui de faire la distinction entre une illusion et un fait réel.
Il serait oiseux de prétendre que c'était le reflet de nos propres pensées : nous n'avions jamais vu cet homme, il nous a été présenté par un ami le soir même ; d'ailleurs, en supposant même que nos pensées eussent pu lui faire part de la mort de son fils, comment pouvaient-elles faire en sorte que Laure comprît et parlât le grec, langue qu'elle n'avait jamais auparavant entendu parler ?
Je vous demande encore une fois : comment dois-je envisager ce fait et bien d'autres faits analogues?
Votre dévoué,
J. W. Edmonds. »
Ce fait est vraiment accablant. Ce serait le cas où jamais de requérir le secours de la clairvoyance. Malheureusement cette explication ne tiendrait pas debout : le médium voyait M. Evangélidès pour la première fois de sa vie ; il ne savait absolument rien de la famille d'Evangélidès, qui résidait en Grèce, encore moins de son ami défunt, le frère de Bozarris. Où donc trouverait-on l'intense intérêt, le motif puissant, capable de rendre le médium clairvoyant ? Et puis, quelque parfaite qu'ait pu être la clairvoyance de Mlle Laure à cette occasion, elle n'a certainement pas pu lui donner la faculté de parler grec. Il ne serait pas logique non plus d'attribuer le don de parler le grec chez le médium et sa connaissance de la mort de l'enfant à deux causes distinctes. Les deux manifestations ont évidemment été produites par une seule et même cause.
Voici deux autres exemples de communication de décès, empruntés également à M. Edmonds, qui reproduit le témoignage de M. Young, déjà cité :
« A l'une des séances que nous tenions le soir, ma femme délivrait des messages de la part d'une personnalité qui se disait être Marie Dabiel, de Glasgow, Ecosse, et qui nous annonçait, par cette voie, son entrée dans le monde des esprits. J'avais connu cette dame, encore jeune lors de mon séjour à Glasgow ; quand je quittai cette ville, il y a de cela cinq ans, elle était internée dans une maison de santé, et je n'avais pas entendu parler d'elle depuis ce temps. Pour vérifier le message transmis par ma femme, j'écrivis à New-York, à un de mes amis dont le fils résidait à Glasgow, en le priant de prendre des renseignements au sujet de la jeune femme en question. Trois mois après, je reçus une lettre de mon ami, dans laquelle il confirmait tout ce que ma femme nous avait dit. Aucun de nous n'avait eu connaissance de la mort de Marie Dabiel. Il faut ajouter que l'ensemble du message révélait une grande affinité avec le caractère de la défunte.
Un autre jour, ma femme se trouvait sous le contrôle d'une individualité qui parlait le plus pur dialecte écossais et prenait le nom de Mme N., de Paisley, Ecosse ; cette personne nous annonçait son décès, qui avait eu lieu dans la même ville, quelques jours auparavant. Nous apprîmes que c'était la grand-mère d'un des membres de notre cercle, qui était venue en Amérique il y avait de cela un an environ. Trois ou quatre jours après, la même individualité se manifestait par l'intermédiaire d'une jeune personne, Mlle Scongall, de Rockfort, Illinois, qui ne sait pas du tout l'écossais elle annonçait encore une fois sa mort, employant le même dialecte qui lui était familier et communiquait différents détails sur la maison qu'elle habitait, sur le jardin, les arbres, etc. Mlle Scongall n'avait pas été présente à la première manifestation de cette dame et n'en savait pas le premier mot. Le jeune monsieur directement intéressé à cette communication posa diverses questions dans le but de vérifier l'identité de l'individualité qui se manifestait ; il s'informa, entre autres, des personnes qu'il avait connues en Ecosse et reçut des réponses satisfaisantes sur tous les points. Le même esprit se manifesta à plusieurs séances consécutives et donna des preuves indéniables de son identité.
La conviction du monsieur en question fut telle, qu'il écrivit immédiatement à ses amis en Ecosse pour leur faire part de la mort de sa grand-mère, en ayant soin d'indiquer la source de son information. Les lettres qu'il reçut confirmèrent entièrement la triste nouvelle[43]. »
Ici, nous nous trouvons en présence toujours d'un même fait se produisant dans les mêmes conditions, c'est-à-dire : le décès d'une personne complètement inconnue du médium, annoncé dans une langue que le médium ignore également, mais familière à la personne décédée.
Les cas de décès annoncés par voie médiumnique, soit sous la forme de communications verbales en état de transe, soit par écriture directe, sont fort nombreux. J'en fais suivre un, d'un autre genre que le cas précédent, et où le médium voit la personne qui annonce sa mort et redit ses paroles. A une conférence donnée par la Spiritual Alliance, de Londres, sur « La Science et les Phénomènes dits spiritiques », le major général Drayson a rapporté le fait suivant, et il s'en sert pour réfuter la théorie d'après laquelle « rien ne peut se manifester par le médium qui n'ait pas été dans les personnes présentes. »
« Il y a de cela bien des années, je reçus un matin un télégramme m'informant de la mort d'un de mes amis intimes, un ecclésiastisque, qui habitait le nord de l'Angleterre. Le jour même j'allai voir une dame de ma connaissance qui prétendait être en rapport avec les esprits et parler avec eux. Quand j'entrai chez elle, mes pensées étaient absorbées par la mort de mon ami.
Au cours de l'entretien que j'eus avec cette dame, je lui demandai si elle voyait auprès de moi quelqu'un qui venait de quitter ce monde. Elle me répondit qu'elle apercevait une personne qui venait seulement d'entrer dans l'autre monde. Je voyais, en pensée, l'image de mon ami défunt, le prêtre. La dame me dit qu'elle voyait un homme en uniforme qui lui disait qu'il venait de mourir d'une mort violente. Elle me dit ensuite ses noms et prénoms, ainsi que le sobriquet que ses camarades lui avaient donné. Sur mes questions relativement aux incidents de sa mort, il me fut répondu qu'on lui avait tranché la tête, que son corps avait été jeté dans un fossé, que cela avait eu lieu dans l'Orient, mais pas aux Indes. Je n'avais pas vu cet officier depuis trois ans ; d'après les dernières nouvelles que je reçus de lui, il se trouvait dans les Indes.
L'enquête que je fis ensuite à Woolwich m'apprit que cet officier avait dû se trouver aux Indes, mais qu'il s'était fort probablement rendu en Chine.
Quelques semaines plus tard, on reçut la nouvelle qu'il avait été fait prisonnier par les Chinois. Une rançon considérable avait été offerte pour sa libération, mais il avait disparu sans trace.
Après bien des années, pendant mon séjour aux Indes, je rencontrai le frère de cet officier et lui demandai s'il ne savait rien sur la mort de son frère en Chine. Il me dit que son père était allé en Chine où il apprit de source certaine que le commandant des troupes mongoles, furieux d'avoir perdu un de ses amis, avait fait décapiter le prisonnier sur la digue d'un petit canal, au fond duquel on jeta son corps.
Voilà un cas pris sur plusieurs dizaines d'exemples analogues ; je serais bien curieux de savoir comment il peut cadrer avec la théorie en question ou avec une loi connue quelconque ?
De pareils faits existent, et toute théorie qui ne les prendrait pas en considération ou serait incapable d'en fournir l'explication ne peut, avoir aucune valeur. C'est toujours l'ancienne erreur : construire des théories sur des données incomplètes[44]. »
Ici, non plus, il ne se présente aucun prétexte pour supposer un accès subit de clairvoyance.
Il y a aussi des exemples où le message annonçant le décès d'une personne révèle en même temps divers détails concernant les affaires privées du défunt et qui étaient restés inconnus aux autres personnes. Le Light (1885, p. 315) rapporte un fait intéressant de ce genre, sous le titre : Une Affaire mystérieuse[45] Voici cet article en entier :
« Le docteur Davey, établi près de Bristol, avait un fils, également médecin et qui demeurait à l'étranger. Ce dernier, voulant revenir en Angleterre, s'embarqua sur un vaisseau anglais, allant à Londres ; en place de paiement pour son billet, il offrit ses services comme médecin. Au cours du trajet, le jeune médecin mourut. En arrivant à Londres, le capitaine en informa le père et lui remit la somme de 22 livres sterling qu'il disait avoir trouvée sur le défunt. Il lui délivra également un extrait du journal du vaisseau, où tous ces détails étaient inscrits. Le docteur Davey trouva le procédé du capitaine si louable qu'il lui fit cadeau d'un porte-mine en or.
A quelques mois de là, le docteur et sa femme assistaient à une séance spirite à Londres. Il se produisit diverses manifestations désordonnées, telles que déplacements de meubles, frappements, etc. Le médium, une dame, expliqua ces phénomènes dans ce sens que les esprits avaient une communication à faire à l'une des personnes présentes. On voulut savoir à qui. Dès que ce désir fut exprimé, une grande table, à laquelle personne ne touchait, et qui se trouvait à l'autre bout de la chambre, se mit à glisser et s'arrêta tout près du Dr Davey. Comme toujours, on demanda à l'esprit qui se manifestait de se faire connaître. Le nom qui s'épela était celui du fils défunt du Dr Davey ; il déclara, à l'horreur de tout le monde, qu'il était mort empoisonné.
Le docteur, désireux de s'assurer de l'identité de cette personnalité, la pria de lui en donner une preuve. Alors son interlocuteur occulte lui dit quel cadeau il avait fait au capitaine, chose qu'aucune des personnes présentes ne pouvait savoir. Le docteur demanda alors si le poison avait été administré intentionnellement ou par méprise. La réponse fut : « L'un et l'autre sont possibles. » Il fut encore communiqué que la somme d'argent laissée par le défunt était de 70 et non 22 livres sterling. On apprit aussi divers autres détails.
A la suite de ces communications, le Dr Davey se fit délivrer par l'armateur du vaisseau, une copie du journal, laquelle ne s'accordait pas avec celle que lui avait remise le capitaine. On découvrit encore d'autres détails mystérieux, que nous n'avons pas le droit de divulguer. Nous croyons savoir que le Dr Davey a l'intention de poursuivre le capitaine devant les tribunaux.
En octobre 1884, au moment de reproduire ce récit, nous avons écrit au Dr Davey et voici sa réponse :
« 4, Redland-road, Bristol, le 31 octobre 1884.
Monsieur, c'est en 1863, si je ne me trompe, que mon fils est mort par le poison, en mer, en revenant d'Afrique. Les incidents de sa mort m'ont été rapportés par le capitaine du vaisseau, et je les croyais exacts. Dans le courant de l'année, j'eus l'occasion de m'occuper quelque peu de spiritisme ; j'appris un jour, à une séance tenue à Londres, à laquelle mon fils se manifesta, que les détails sur sa mort, communiqués par le capitaine, n'étaient pas exacts, que sa mort était due à l'imprudence de l'économe qui avait ajouté de l'essence d'amandes amères à l'huile de ricin au lieu d'y mettre de la menthe, ainsi que l'avait demandé mon fils. Je ne savais rien du tout sur les affaires pécuniaires auxquelles il faisait allusion. Parmi les effets qui me furent rendus après le décès de mon fils se trouvaient plusieurs monnaies en cuivre seulement, mais j'ai tout lieu de supposer qu'au moment de sa mort il possédait près de 70 livres sterling. Le spiritisme est un fait réel, d'une grande importance. Depuis 1865, j'ai reçu de mon fils maintes communications, portant un caractère tout personnel. Les faits qu'il a révélés en 1863 ont été confirmés, au mécontentement évident du capitaine celui-ci m'évitait visiblement et se hâta d'entreprendre un nouveau voyage, craignant, paraît-il, que je ne le citasse devant la justice.
Votre dévoué,
J.-G. Davey. »
M. Hartmann pourrait trouver un excellent exemple analogue dans le rapport de la commission de la Société Dialectique. Ce fait s'est produit dans un cercle intime composé de membres d'un sous-comité, en l'absence de tout médium professionnel. Le beau-frère de la maîtresse de la maison où se tenaient les séances, mort depuis quatorze ans, fit cette communication : « J'aime beaucoup ma chère M. (le prénom de la dame), bien que je m'en sois peu... » A cette endroit Mme M., se rappelant que son beau-frère avait été un correspondant paresseux, s'écria, croyant compléter sa pensée: « souvenu ! » - « Non, » fut la réponse. On continua donc à réciter l'alphabet, et les mots suivants furent épelés : « occupé alors que j'étais ...» - « Vivant ! » interrompit l'un des assistants. - « Non. » - « Dans mon corps terrestre ! » - « Non. » Une suite de coups frappés semblait indiquer du mécontentement à propos de ces fréquentes interruptions. Sur la prière des assistants, leur interlocuteur invisible continua la phrase : « sur cette terre ; elle devait recevoir... » Ici, nouvelle interruption de la part de Mme M. : « une lettre. » s'écria-t-elle, songeant toujours à la rareté de ses missives. - « Non » fut-il répondu encore. On reprit l'alphabet, et, relisant ce qui avait déjà été dicté, on obtint la phrase suivante : « j'aime beaucoup ma chère M., bien que je m'en sois peu occupé alors que j'étais sur cette terre ; elle devait recevoir toute ma fortune. Elle consiste en une somme d'argent qui se trouve chez mon exécuteur testamentaire, M. X. » A la question : « Quel est le but de cette communication ? » nous reçûmes cette réponse : « C'est pour prouver l'existence de la vie spirituelle et témoigner de mon amitié pour M. »
Ces faits, absolument inconnus aux personnes présentes, étaient rigoureusement exacts[46].
De mon expérience personnelle, je connais le fait suivant : mon ami et camarade de lycée, le baron Constantin Korff, conseiller intime de S. M., me communiqua, il y a de cela vingt ans, qu'à la mort de son oncle, le baron Paul Korff, décédé à Varsovie, toutes les recherches faites pour trouver son testament n'aboutirent à rien ; alors sur une indication reçue par voie médiumnique par le prince Emile Wittgenstein, on réussit à découvrir ce document dans un tiroir secret d'un meuble (je parlerai plus longuement de ce cas dans le ch. IV).
Dans d'autres cas, les communications d'événements inconnus se rapportent à des accidents, à des malheurs qui avaient atteint ou menaçaient de proches parents ; ces communications sont généralement transmises sous la forme d'un appel de secours ou d'un avertissement, que l'on peut recevoir même en dehors de toute séance, voire sans l'intermédiaire d'un médium avéré.
C'est ainsi que j'ai cité, dans le paragraphe 7, le récit que M. Brittan fait d'une séance avec Home, dans laquelle la communication en cours avait été interrompue pour donner place au message suivant : « On vous réclame à la maison ; votre enfant est très malade ; partez de suite, sinon vous serez en retard » (voyez p. 375). On peut se demander quel était le motif raisonnable ou l'intense intérêt pour l'enfant de M. Brittan, qui eût pu interrompre le fonctionnement de la conscience somnambulique du médium et lui substituer un accès de clairvoyance, ayant trait à la santé de cet enfant.
Un cas analogue m'a été communiqué par feu le général Melnikoff (ancien ministre des voies et communications). Par la main d'un médium privé, Mme J., on reçut le nom et l'adresse d'un homme malheureux qui se trouvait dans une profonde misère, et dont ni le médium ni le général n'avaient eu la moindre connaissance.
Le juge Edmonds raconte un fait analogue qu'il tient de Mme French, un médium très connu de son temps : « Se trouvant en état de transe, sous le contrôle de l'esprit d'une Italienne, elle fut conduite dans un quartier éloigné de la ville où elle trouva réunis dans une pauvre chambrette quatorze Italiens indigents, complètement épuisés, et avec lesquels elle se mit à parler couramment leur langue[47].
Nous lisons dans le Light de 1886, à la page 147 : « Une autre fois on reçut un message venant d'une femme qui avait été très pauvre dans sa vie terrestre et que personne des assistants n'avait connue ; elle désirait que l'on donnât de ses nouvelles à sa fille dont elle indiquait exactement le nom et l'adresse. Tous les détails se trouvèrent être justes, sauf que la fille avait quitté ce domicile après la mort de sa mère. »
Il se présente également des faits de ce genre sans l'assistance d'un médium avéré. Le capitaine C. P. Drisko raconte, par exemple, de quelle manière le vaisseau Harry Booth qu'il commandait, fut sauvé du naufrage pendant la traversée entre New-York et Dry Tortugas, en 1885. Voici les passages essentiels de son rapport :
« Voyant que tout était en ordre sur le pont, je me fis remplacer par M. Peterson, mon second, un officier digne de toute confiance, et je descendis dans la cabine pour prendre un peu de repos.
A onze heures moins dix, j'entendis distinctement une voix qui me disait : « Monte sur le pont et fais jeter l'ancre. »
- Qui es-tu ? demandai-je, en m'élançant sur le pont. J'étais surpris de recevoir un ordre. En haut, je trouvai tout en règle. Je demandai à Peterson s'il avait vu quelqu'un descendre dans ma cabine. Ni lui ni le timonier n'avaient rien vu ni entendu.
Supposant que j'avais été le jouet d'une hallucination, je redescendis. A midi moins dix, je vis entrer dans ma cabine un homme vêtu d'un long pardessus gris, un chapeau à larges bords sur la tête ; me regardant fixement dans les yeux, il m'ordonna de monter et de faire jeter l'ancré. Là-dessus il s'éloigna tranquillement, et j'entendis bien ses pas lourds lorsqu'il passa devant moi. Je montai encore une fois sur le pont et ne vis rien d'extraordinaire. Tout marchait bien. Absolument sûr de ma marche-route, je n'avais aucun motif pour donner suite à l'avertissement, de qui qu'il vînt. Je regagnai donc ma cabine, mais ce n'était plus pour dormir ; je ne me déshabillai pas et me tins prêt à monter si besoin était.
A une heure moins dix, le même homme entra et m'intima d'un ton encore plus autoritaire de « monter sur le pont et de faire jeter l'ancré. » Je reconnus alors dans l'intrus mon vieil ami le capitaine John Barton, avec lequel j'avais fait des voyages étant jeune garçon et qui m'avait témoigné une grande bienveillance. D'un bond, j'arrivai sur le pont et donnai l'ordre de baisser les voiles et de mouiller. Nous nous trouvions à une profondeur de 50 toises. » C'est ainsi que le vaisseau évita d'échouer sur les rocs de Bahama[48].
Voilà bien ce que M. Hartmann appelle un cas de clairvoyance, puisque la clairvoyance pure se manifeste toujours sous la forme hallucinatoire ; mais, comme dans la plupart des cas précédents il n'y a rien d'hallucinatoire et que la condition sine qua non, « l'intense intérêt de la volonté », y faisait défaut, - aussi bien pour une communication téléphonique avec d'autres individus dans l'Absolu que pour la découverte d'événements futurs dans le savoir inconscient de l'Être absolu, - nous n'avons point de raisons pour y reconnaître des cas de clairvoyance. Et c'est là ce qui nous donne le droit de ne pas y recourir non plus dans le cas qui nous occupe. On y trouve, il est vrai, la forme hallucinatoire, mais « l'intense intérêt de la volonté » de la part du sujet devant être clairvoyant est complètement absent cet « intérêt » ne peut être admis que du côté de l'ami défunt, et l'explication spiritique l'emporte sur l'explication métaphysique .
L'examen intime de ce phénomène n'entre pas dans les limites du sujet que je traite ; la question de savoir s'il s'agit d'un phénomène subjectif ou objectif doit se résoudre, selon toutes probabilités, dans le sens de la première supposition. Ce que j'affirme, c'est que la cause déterminante, la causa efficiens, c'est-à-dire la suggestion, s'est produite en dehors du médium le mode de manifestation peut varier (par l'écriture, les messages verbaux ou les visions), selon les conditions du moment et de l'organisme sur lequel elle agit.
Si, dans les cas précédents, - faits communiqués par l'intermédiaire d'un médium qui ne connaissait pas les personnes dont elles émanaient, - nous n'avons pas jugé nécessaire de chercher une explication dans le « surnaturel », dans le recours à l'Absolu, il est juste que nous préférions aussi une explication plus simple, pour d'autres faits, moins complexes, également inconnus du médium, bien que la personne à laquelle ils se rapportent soit connue de lui.
Je prends pour exemple un cas dont je puis témoigner personnellement. Il y a quelques années, deux dames que je connais, Mlle Marie Pal...ow et Mlle Barbe Pr...ow, deux amies, habitant Moscou, faisaient souvent des expériences spirites avec la planchette. Dans les premiers temps, Mlle Marie P. recevait beaucoup de bonnes communications au nom de son frère Nicolas mais, soudain, elles cessèrent, et leur caractère changea complètement : on lui tenait chaque fois des propos fort désagréables, on lui reprochait ses défauts avec grossièreté, on lui prédisait quantité de malheurs, ce qui la vexait et l'irritait fort. Cédant aux conseils de Mlle Barbe Pr., Mlle Marie P. promit de ne plus prendre part aux séances. Bientôt elle partit pour St-Pétersbourg. Les deux jeunes personnes, qui ne s'écrivaient pas, ignoraient l'une ce qui se passait chez l'autre. Mlle Pr., qui écrivait quelquefois médiumniquement, reçut un jour, à une séance, sans qu'elle eût pensé à son amie, sans qu'elle eût fait aucune question à son sujet, et après une série de communications sur des questions religieuses, la communication suivante : « Écris à Marie qu'elle cesse de faire des expériences avec la planchette ; son frère Nicolas l'en prie ; elle est sous une mauvaise influence et il est dangereux pour elle de continuer. » Ce à quoi Mlle Pr. répondit que Marie avait depuis longtemps renoncé à cette occupation et qu'elle lui avait promis de ne plus assister aux séances. « - Dans ces derniers temps, on l'en a persuadée de nouveau, et elle prend part aux expériences » répondit l'interlocuteur.
En réponse à la lettre qui lui fut immédiatement envoyée à Moscou, Marie avoua qu'effectivement elle n'avait pas tenu parole et qu'à la prière d'une amie elle prenait part de nouveau, depuis deux semaines, aux séances, qui recommençaient à la mettre dans un réel état de surexcitation.
Je possède le témoignage écrit de Mlle P. et Barbe Pr.
Ce fait est bien de la même catégorie que la nouvelle de la mort de Duvanel. J'ai déjà dit pourquoi l'explication par transmission de pensée et clairvoyance n'y convient pas. Dans le cas que je viens d'exposer, la sympathie entre les deux amies est la seule base sur laquelle on aurait pu établir la clairvoyance ; mais nous avons vu des phénomènes identiques où il n'y avait pas sympathie, par la simple raison que le médium ne connaissait pas du tout la personne dont il était question ; nous n'avons donc pas de raison suffisante pour recourir, dans ce cas très simple, à la clairvoyance. Mlle Barbe Pr. n'a jamais été somnambule, elle n'est jamais tombée en transe, elle écrivait toujours à l'état de veille ; à la séance en question, ses idées étaient portées vers des sujets abstraits, elle ne pensait nullement à ce que pouvait faire son amie, et subitement la voilà en rapport avec l'Absolu !
C'est aussi la raison pour laquelle nous ne comprenons pas la nécessité d'attribuer à la clairvoyance toute la série des faits analogues, quand ils se produisent par voie médiumnique. Tels sont, par exemple, les faits rapportés par le juge Edmonds :
« Pendant le voyage que je fis l'an dernier dans l'Amérique centrale, mes amis reçurent tout le temps de moi des nouvelles très exactes. Lorsqu'on s'est informé de moi, la première fois, j'étais sur mer depuis quatre jours, c'est-à-dire à 800 milles environ, au 73° de longitude est près des côtes de la Floride. Depuis notre départ, nous n'avions communiqué avec aucun bâtiment, de sorte que mes amis de New-York n'avaient aucun moyen direct d'avoir de mes nouvelles ni de savoir ce que je faisais. Ce jour-là, le cercle se réunit à 9 heures 1/2 du soir, et la question suivante fut posée : « Nos correspondants invisibles peuvent-ils nous donner « des nouvelles de la santé du juge Edmonds ? » La réponse fut :
« Votre ami va bien ; sa traversée a été bonne jusqu'à présent, il est de bonne humeur. Il pense en ce moment à votre cercle et parle de vous. Je le vois rire et causer avec des passagers, etc. »
J'ignorai tout cela jusqu'à mon retour, quatre mois après. Lorsque le récit de ces incidents me fut fait, je consultai mes notes de voyage, et je constatai que les détails de lieu et de temps étaient absolument exacts.
Après quatre jours de navigation, - j'étais toujours en pleine mer, - le message suivant fut reçu, toujours par l'intermédiaire du même médium : « Votre ami le juge va moins bien, il a de la nostalgie. Il a beaucoup écrit, ce qui a réveillé en lui son ancienne tristesse. » Trois jours plus tard les membres du cercle reçurent encore un message disant que mon voyage touchait à son terme, que j'étais sur terre et que je me reposais. Or notre voyage s'était terminé la veille, et je m'étais avancé dans le pays à une distance de 90 milles.
Vingt jours après, on apprit ceci : « Il va clopin clopant, n'étant pas habitué aux voyages ; il a mal à la tête. » En relisant mon journal, je vis que la veille j'avais fait 4 milles, et le jour même 8 milles, et qu'à l'heure où cette communication était arrivée à New-York j'étais alité, à plus de 2,000 milles, avec une migraine violente[49]. »
Parmi les phénomènes de ce genre que j'ai notés, je veux encore en citer deux :
M. John Cowie de Dumbarton, en Ecosse, alarmé par le retard du vaisseau Brechin Castle, à bord duquel se trouvait son frère revenant d'Australie, organisa une séance de famille et reçut la communication suivante : « Le Brechin Castle est arrivé à Trinidad. Tout va bien. Vous aurez de ses nouvelles vendredi en huit. » Et le télégramme du Glasgow Herald, le vendredi suivant, jour de l'arrivée de la poste, vint confirmer ces nouvelles[50].
De même, M. J. H. M., inquiet du sort de son fils Herbert, qui avait quitté l'Angleterre pour se rendre en Australie, à Adélaïde, pour s'y créer une situation, reçut le 16 août 1885 par sa femme, au nom de la sœur de celle-ci, la communication que voici : « Je suis allée à Adélaïde pour voir Herbert. Il est tout à fait bien portant, et il a réussi à trouver un emploi. » Et à cette question : « Chez qui ? » l'interlocutrice répondit : «A la Compagnie des usines d'Adélaïde. »
Le 30 août, une lettre du fils vint confirmer ces renseignements[51].
L'objet principal de ce chapitre était de démontrer que l'on peut obtenir des communications de faits ignorés par tous ceux qui assistent à la séance, et même de faits concernant des personnes que le médium ne connaît pas, et que ces manifestations ne sont pas explicables par la transmission de pensée ou la clairvoyance. Mais on trouvera peut-être encore un moyen de s'en tenir à cette explication, en prétendant que le fait inconnu concerne une personne que le médium ne connaît pas, il est vrai, mais qu'un des assistants connaît. C'est donc cette personne qui doit opérer la « transmission sensorielle » en provoquant d'abord « des perceptions sensitives, lesquelles sont ensuite transformées, par la conscience somnambulique, en représentations visuelles, auditives ou intellectuelles » (p. 74). Voilà le trait d'union, - entre le médium et les personnes et faits inconnus, - qui doit relier les phénomènes de cette catégorie à la clairvoyance !
Quoiqu'il y manque les autres conditions caractéristiques de la clairvoyance: la forme hallucinatoire, l'intérêt intense de la volonté, etc., et que cette transmission sensorielle ne soit ici qu'un mot qui n'explique rien, il n'en constitue pas moins un expédient in extremis pour le recours à l'Absolu, qui, paraît-il, est plus proche, plus « naturel » que tout être humain.
Voyons donc maintenant les :
9. - Communications venant de personnes complètement inconnues des médiums aussi bien que des assistants
Le prototype des messages de cette catégorie et le premier cas, si je ne me trompe, sur lequel on ait des témoignages sérieux, s'est produit à une séance relatée dans le Spiritual Telegraphe dirigé par le Dr Brittan. J'emprunte ce récit au livre de M. Capron : Modern Spiritualism, 1855 (pp. 284-287) :
« Waterford, New-York, le 27 mars 1853.
A Monsieur Brittan.
M. A une séance qui eut lieu ici, vers la fin de février, il s'est produit des manifestations se rapportant d'une façon si directe aux discussions soulevées aujourd'hui par certains faits extraordinaires, que mon compte rendu ne manquera certainement pas d'intéresser vos lecteurs.
Plusieurs médiums, à différents degrés de médiumnité, se trouvaient présents à la séance, et l'on vit se produire une multitude de manifestations, appartenant principalement à la catégorie des possessions (Ce qu'on a convenu maintenant d'appeler transe.) Dans le courant de la soirée, un M. John Prosser, habitant de Waterford, qui était sujet à tomber dans cet état sous la forme la plus caractérisée, se trouva être sous le contrôle d'un esprit qui déclara n'être connu de pérsonne de l'assistance, mais se sentait fortement attiré vers notre cercle. Il nous assura qu'il avait quitté sa dépouille mortelle à l'âge de plus de cent ans, qu'il avait été soldat sous la révolution et qu'il avait souvent vu Washington, pour lequel il témoignait un profond respect. Il nous donna le conseil, - comme fruit de son expérience personnelle, - de vivre d'après notre propre intelligence et de suivre les enseignements du grand livre de la nature..... Je cite ses dernières paroles textuellement : « Tout ce que je vous dis est juste. Si vous voulez vous en donner la peine, vous verrez que tout est exactement ainsi que je vous le dis. Je demeurais à Point Pleasant, New Jersey, et il ne tient qu'à vous de vous assurer si l'oncle John Chamberlain vous a dit la vérité. »
Il s'arrêta là-dessus, et nous constatâmes les symptômes précurseurs d'un changement de contrôle ; l'un des assistants fit cette remarque : C'est dommage qu'il ne nous ait pas donné de plus amples renseignements sur lui-même, car dans les conditions qui se présentent nous aurions alors une excellente preuve d'identité.
Le médium tomba bientôt sous l'influence de son grand-père, qui passait pour être son « guide ». Après avoir promené sur tout le monde son regard bienveillant, il dit qu'il voyait bien que le désir général était d'entendre encore le vieillard qui venait de parler et que, par conséquent, celui-ci reviendrait pour quelques instants. Après une courte pause, M. Prosser (le médium) incarnait de nouveau la personnalité qui s'était manifestée auparavant, et qui dit par son organe : « Mes amis, je ne comptais pas causer encore une fois avec vous, mais je ne demande pas mieux que de vous fournir une preuve. Je suis mort le vendredi 15 janvier 1847, père de onze enfants. Si vous voulez en prendre la peine, vous pourrez vous assurer de l'exactitude de ce que je dis. Mon langage n'est pas comme le vôtre, mais, si vous trouvez plaisir à entendre parler un vieillard, je reviendrai. Adieu, je dois m'en aller.
Le lendemain soir, une séance se tint dans une autre maison, mais plusieurs personnes du cercle précédent y assistaient également. M. Prosser était le seul médium présent. L'oncle John Chamberlain se manifesta de nouveau et répéta les dates contenues dans sa communication précédente ; on constata aussi que la veille on avait, par erreur, écrit Pleasant Point au lieu de Point Pleasant. Après avoir fait des recherches pour nous assurer qu'une station de ce nom existait réellement dans l'État de New-Jersey, et que le 15 janvier 1847 tombe effectivement un vendredi, nous écrivîmes au directeur du bureau de poste pour lui demander des renseignements. Dans sa réponse, il nous informa que le « vieil oncle » nous avait donné des détails justes. Nous vous envoyons des extraits des lettres que nous avons reçues et qui font foi de l'exactitude de tout ce qui nous avait été communiqué sur la vie terrestre de John Chamberlain.
« Nous soussignés avons assisté à la première des séances susmentionnées, et nous témoignons de l'exactitude du récit qui précède. Nous déclarons également que nous n'avions jamais auparavant entendu parler de John Chamberlain ni de faits quelconques se rapportant à sa vie ou à sa mort. Nous ne savions pas non plus qu'il existe à New-Jorsey un endroit du nom de Point Pleasant.
John Prosser, E. Waters, Sarah S. Prosser, N.-F. White, Juliet E. Perkins, Mr N. D. Ross, A. A. Thurber N. D. Ross, Letty A. Boyce, J.-H. Rainey, Albert Kendrick, Mr J. H. Rainey. »
1. – lettre adressée au directeur du bureau de poste de point pleasant
« Troy, le 28 février 1853.
M. Vous seriez bien aimable de m'informer si un vieillard du nom de Chamberlain est mort dans votre ville il y a de cela quelques années. Dans le cas affirmatif, vous m'obligeriez beaucoup en me donnant des détails précis quant à la date de sa mort, son âge, etc. Indiquez-moi aussi le nom d'un de ses parents avec lequel je puisse entrer en correspondance.
Votre dévoué,
E. Waters. »
2. - Réponse.
A M. E. Waters.
« Ami[52], j'ai reçu ta lettre du 28 écoulé, avec prière de communiquer des détails sur Chamberlain. Je puis t'en fournir de très précis, car je l'ai connu pendant quinze ans, et j'ai demeuré dans son voisinage. Il est mort le 15 janvier 1847, à l'âge de cent quatre ans. Il a eu sept enfants, qui ont atteint l'âge de se marier ; trois d'entre eux sont morts en laissant des enfants. Il a eu quatre filles qui sont encore en vie ; j'en ai trois pour voisines ; la fille aînée, veuve, à soixante-dix-huit ans ; trois sont mariées ; une de celles-ci demeure à 20 milles. Étant, illettrées, elles désirent correspondre avec toi par mon intermédiaire. C'est avec plaisir que je te ferai part de tout ce que je sais.
Ton dévoué,
Thomas cook.
Point Pleasant, le 7 mars 1853.
P. S. - Il était soldat pendant la révolution, a pris part aux campagnes et recevait une petite pension. »
3. - Suite
« Mon cher Brittan, à la réception de cette lettre, j'ai de nouveau écrit à Cook, le questionnant sur le nombre des enfants de Chamberlain. Il me répondit que ce dernier avait eu en tout onze enfants, dont deux sont morts jeunes et les neuf autres ont atteint un âge avancé.
Votre dévoué,
E. Waters. »
Le Banner of Light, journal hebdomadaire publié à Boston depuis 1857, s'est créé une spécialité de ce genre de communications. Dans chaque numéro de cette Revue il se trouve une page portant titre : Message Departement (communications) ; sous cette rubrique le journal publie les messages les plus variés, reçus publiquement aux séances organisées par la Rédaction, par l'intermédiaire du médium Mme Conant, à l'état de transe. A de rares exceptions près, ces messages viennent de la part de personnages absolument inconnus des membres du cercle et du médium ; mais, comme ils portent les noms, prénoms et anciennes adresses de ces personnes défuntes, ainsi que d'autres détails concernant leur vie privée, la vérification de ces renseignements est généralement facile, et on ne manque pas de la faire. Nous trouvons aussi dans le Banner un chapitre intitulé : Vérification des Messages spiritiques, contenant des lettres écrites par des parents ou des amis des personnes au nom desquelles les messages sont délivrés, et qui ont pour objet de confirmer les détails communiqués dans ces messages. Récemment, le Light a soulevé une polémique au sujet de l'authenticité de ces témoignages : le spiritualiste anglais bien connu, M. C. C. Massey, tout en reconnaissant l'importance de ces lettres pour prouver que ces messages proviennent d'une intelligence indépendante des personnes présentes, y compris le médium, est d'avis qu'elles ne remplissent pas les conditions voulues, car il n'apparaît pas, d'après le journal, qu'il ait été fait de tentatives sérieuses, systématiques, pour contrôler ces témoignages[53].
Voici la réponse que publie le directeur du Banner dans le numéro 27, février 1886.
« Durant la première année de la publication du Banner, toutes les communications reçues par l'intermédiaire de Mme Conant étaient soigneusement vérifiées avant d'être imprimées ; par conséquent, on faisait exactement ce que demande M. Massey. Nous écrivions aux personnes mentionnées dans les messages, demeurant dans des États éloignés et que notre médium ne connaissait nullement, ainsi que nous le savons pertinemment. Neuf fois sur dix, nous recevions des réponses des plus satisfaisantes. Nous nous sentîmes alors encouragés à poursuivre notre œuvre. Les années suivantes, nous ne pûmes que rarement, faute de temps, entreprendre des investigations personnelles et fûmes obligés d'y suppléer par un appel public à l'effet d'obtenir des témoignages et des preuves ; nous en avons reçu des milliers, venant de toutes les parties du pays, et parfois de l'étranger. » L'éditeur raconte, ici, comment le professeur Gunning, le géologue, incrédule jusqu'alors à l'endroit de ce genre de communications, s'est présenté à la rédaction, demandant des preuves, et comment, les ayant reçues, il a voulu les contrôler lui-même. Ayant trouvé dans un des numéros du journal le message qu'un Écossais adressait à sa femme, à Glasgow, il déclara qu'il se rendait en Angleterre, et qu'il irait exprès à Glasgow pour s'assurer de l'exactitude des faits allégués, menaçant, le cas échéant, de démasquer le truc. Après quelques mois, il se présenta de nouveau à la rédaction et fit le récit de son entrevue avec la veuve en question, qui avait entièrement confirmé tout ce que le message contenait.
Dans la biographie de Mme Conant par Allen Putnam (Boston, 1873), on trouve, sur le commencement de la publication de ces messages dans le Banner, des renseignements intéressants qui confirment ce qu'on vient de lire du directeur de ce journal (pp. 105 et suiv.). Des difficultés surgirent du côté où on les attendait le moins : des parents, des personnes citées dans le chapitre des messages ; ils estimaient que cette publication constituait un outrage à la mémoire de leur proche défunt. Un père indigné poursuivit même le Banner devant une Cour de justice pour diffamation (pp. 108-9). A la fin du volume, il y a quelques exemples de vérification fort remarquables, notamment celui du message de Harriet Sheldon, qui fût confirmé par son mari lui-même, dix ans après la publication (pp. 238 et 239).
La fabrication de fausses lettres démonstratives eût été bientôt découverte, car les ennemis de la cause spirite ne s'endorment pas. L'authenticité des lettres est aisée à démontrer : leurs auteurs donnent nom et adresse, donc rien n'est plus facile que de s'assurer de leur existence, soit personnellement, en se rendant à l'adresse indiquée, soit en leur écrivant.
De nombreux cas de ce genre sont disséminés dans toute la littérature spirite ; j'en ai cité un premier déjà dans le paragraphe précédent, très brièvement, et sans fournir beaucoup de détails ; je terminerai en citant in extenso un cas dont la preuve a dû être faite en Amérique et qui s'est produit en Angleterre, par la médiumnité de M. M. A., personne dont l'honorabilité est reconnue dans le monde spirite. Nous lisons dans le Spiritualist du 11 décembre 1874, page 284, la lettre suivante, adressée par M. M. A. au directeur de ce journal :
« On demande un renseignement en Amérique »
Monsieur, je vous serai bien obligé d'insérer la lettre ci-jointe, dans l'espoir que quelques-uns de vos lecteurs américains pourront m'aider à établir l'exactitude des faits.
Au mois d'août dernier (1874), je me trouvais avec le Dr Speer à Shanklin, sur l'île de White. A l'une de nos séances nous reçûmes une communication au nom d'un Abraham Florentine, qui déclarait avoir pris part à la guerre de 1812, en Amérique, disant qu'il venait de mourir à Brooklyn, États-Unis d'Amérique, le 5 août, à l'âge de 83 ans, 1 mois et 17 jours. Cette communication a été transmise d'une façon fort remarquable. Nous étions trois à une table si lourde que deux personnes avaient peine à la déplacer. Les coups ne se firent pas entendre, mais au lieu de cela la table commença à s'incliner. L'impatience de l'interlocuteur invisible était si grande que la table se penchait même avant que le tour de la lettre suivante fût arrivé ; elle tremblait comme dans une agitation extrême et s'abattait avec violence à la lettre voulue. Et ce fut ainsi jusqu'à la fin de la communication.....
Du grand nombre de faits de ce genre qui se sont produits à nos séances, je ne connais pas un seul qui ne se soit confirmé ; j'ai donc tout lieu de croire que celui-ci le sera également. Je serai donc bien obligé aux journaux américains de reproduire cette lettre et de me fournir ainsi l'occasion de vérifier l'exactitude des faits dont j'ai reçu la communication. Si je puis avancer une supposition, je dirai que je crois qu'Abraham Florentine fut un bon soldat, un vrai batailleur, et que l'on retrouve bien son impétuosité naturelle dans la joie qu'il manifeste d'être enfin délivré de sa dépouille mortelle, après une maladie douloureuse.
M. M. A. s'adressa avec la même prière à M. Epes Sargent, célèbre spiritualiste américain, qui fit publier le fait dans le Banner of Light du 12 décembre 1874. Déjà dans le numéro du 13 février 1875, on peut lire cette insertion :
« Monsieur le Directeur, dans le dernier numéro du Banner, vous demandez si quelqu'un avait connu Abraham Florentine, soldat en 1812. Remplissant depuis quatorze ans les fonctions d'agent chargé de recueillir les requêtes présentées par les soldats de 1812, dans l'État de New-York, j'ai entre les mains la liste de tous ceux qui ont demandé des indemnités pour les services qu'ils ont rendus dans cette guerre. Dans cette liste je trouve le nom d'Abraham Florentine, de Brooklyn ; quant aux renseignements détaillés sur son service, vous pourrez les avoir à la chancellerie du général aide de camp de l'État de New-York, en vous reportant à la requête n° 11,518, pour la guerre de 1812.
Wilson Millar,
Receveur des requêtes.
Washington, le 13 décembre 1874. »
Dans le même numéro du Banner se trouve le renseignement obtenu du général aide de camp :
« Monsieur, en réponse à votre lettre du 22 janvier, je puis vous communiquer les détails suivants, relevés sur les registres de notre chancellerie : Abraham Florentine, soldat de ligne, de la compagnie du capitaine Nicole, 1er régiment de la Milice de New-York, s'est enrôlé comme volontaire à New-York, le 2 septembre 1812, a fait un service de trois mois et a été libéré avec le droit d'obtenir 40 acres, suivant quittance numéro 63,365.
Agréez, etc.
Franklin Townsend,
Général aide de camp.
Chancellerie du général aide de camp de l'État de New-York, à Albany, le 25 janvier 1875. »
Dans le numéro suivant du Banner (20 février), nous lisons :
« Monsieur le Directeur, après avoir lu dans votre dernier numéro l'article relatif à la vérification du message délivré par Abraham Florentine, j'ai cherché dans le livre d'adresses de Brooklyn et y ai trouvé ce nom à l'adresse : rue Kosciuszko, numéro 119. Je m'y suis rendu et ai été reçu par une femme âgée, à laquelle je demandai si Abraham Florentine demeurait dans cette maison. Elle me répondit : « Il a demeuré ici, mais il est mort. »
- Ne seriez-vous pas sa veuve ?
- Parfaitement.
- Pouvez-vous me dire l'époque de sa mort ?
- Au mois d'août dernier.
- A quelle date ?
- Le cinq.
- Quel âge avait-il ?
- Quatre-vingt-trois ans.
- Passés ?
- Oui, il a eu quatre-vingt-trois ans le 8 juin.
- A-t-il pris part à la guerre ?
- Oui, à la guerre de 1812.
- Avait-il le caractère vif, indépendant, ou autrement ?
- Il était assez violent et volontaire.
- A-t-il souffert longtemps ?
- Il est resté alité plus d'un an et a enduré beaucoup de souffrances.
Je cite textuellement et les questions et les réponses, les ayant inscrites séance tenante. Après cette dernière réponse, la veuve Florentine - une personne d'environ soixante-cinq ans - me demanda pour quel motif je l'interrogeais ; alors je lui lus l'article du Banner, où il était question de son mari, ce qui la rendit perplexe et l'intéressa vivement ; j'eus à lui donner diverses explications qui l'étonnèrent au plus haut degré. Elle confirma le message d'un bout à l'autre et me pria de lui faire tenir un exemplaire de ce numéro du Banner.
Eugène Crowell, Dr Méd.
Brooklyn, le 15 février 1875. »
En reproduisant ces documents dans son livre Spirit Identity, Londres, 1879 ; M. A. ajoute. « Est-il nécessaire de dire que personne d'entre nous ne connaissait ni le nom de Florentine ni les détails s'y rapportant ? Personne, d'ailleurs, n'aurait eu l'idée de nous communiquer, de l'Amérique, des faits qui ne nous concernaient en aucune façon. »
Voici un fait qui s'est passé en Russie en 1887, chez M. Nartzeff, dans le gouvernement de Tambow. Quand j'en eus connaissance, j'écrivis à M. Nartzeff, que je ne connaissais pas personnellement, pour le prier de me communiquer tous les détails. Il vint au-devant de mon désir avec le plus aimable empressement. Les membres du cercle organisé par M. Nartzeff avaient eu la bonne idée de dresser des procès-verbaux à chaque séance, de sorte qu'il n'était pas difficile de reconstituer ces événements, avec l'aide de quelques lettres échangées. Il arriva néanmoins que le compte rendu de ce fait parut d'abord dans les Mémoires de la Société pour Recherches Psychiques, de Londres (part. XVI, p. 355), car ma réponse à M. Hartmann, en langue allemande, était déjà imprimée, et M. Myers était précisément occupé en ce moment à recueillir les faits de ce genre. C'est donc pour lui que je dressai ce compte rendu. Aujourd'hui il a paru en langue russe, composé des documents authentiques que voici :
1. - Manifestation d'Anastasie Pérélyguine le lendemain de sa mort
Copie du procès-verbal de la séance du 18 novembre 1 887, tenue dans la maison de M. Nartzeff, à Tambow, rue des Invalides.
Étaient présents : Mme A. S. Sleptzoff (Propriétaire dans le district de Kirsanow, tante de M. Nartzeff, demeurant dans sa maison. ), N. P. Touloucheff ( Médecin municipal.), Mme A. P. Ivanoff (Femme de charge de Mme Steptzoff. ), A. N. Nartzeff (Propriétaire dans le district de Kirsanow.).
La séance commença à 10 heures du soir, autour d'une table ronde, noire, placée au milieu de la chambre, à la clarté d'une veilleuse posée sur la cheminée. Les portes étaient fermées. La chaîne était formée de la manière suivante : chacun avait sa main gauche posée sur la main droite de son voisin ; les pieds des voisins se touchaient également, de sorte que les mains et les pieds étaient sous un contrôle réciproque, pendant toute la durée de la séance. Au début se firent entendre des coups violents, frappés dans le plancher ; plus tard ils résonnèrent dans le mur et au plafond. Puis, subitement, nous entendîmes des coups venant du milieu de la table, d'en haut, comme si quelqu'un la frappait du poing ; ces coups étaient si forts et se succédaient si rapidement, que la table tremblait tout le temps. Alors M. Nartzeff entama le dialogue suivant :
- Pouvez-vous donner des réponses intelligentes ? Si oui, frappez trois fois ; sinon, une fois.
- Oui (trois coups frappés).
- Désirez-vous, faire les réponses au moyen de l'alphabet ?
- Oui.
- Épelez votre nom. (On récite l'alphabet ; les lettres sont indiquées par des coups.)
- Anastasie Pérélyguine.
- Dites-nous, s'il vous plaît, pourquoi êtes-vous venue et que désirez-vous ?
- Je suis une malheureuse. Priez pour moi. Hier dans la journée, je suis morte à l'hôpital. Je me suis empoisonnée avec des allumettes il y a de cela trois jours.
- Dites-nous autre chose vous concernant. Quel âge aviez-vous ? Frappez autant de coups que vous aviez d'années. (17 coups sont frappés.)
- Qui étiez-vous ?
- J'étais femme de chambre. Je me suis empoisonnée avec des allumettes.
- Pourquoi vous êtes-vous empoisonnée?
- Je ne le dirai pas. Je ne dirai plus rien. »
A ce moment, une lourde table posée contrôle mur, en dehors de la chaîne que nous formions, s'avança rapidement à trois reprises, dans la direction des personnes faisant chaîne, et chaque fois elle fut rejetée par une force invisible. Sept coups résonnèrent dans le mur (signe convenu pour dire que la séance était terminée), et nous levâmes la séance ; il était 11 heures 20 minutes.
A. S. Sleptzoff, N. P. Touloucheff, A. N. Nartzeff, A. P. Ivanoff.
Pour copie conforme du procès-verbal original, j'appose ma signature : Alexis Nartzeff.
2. - déclaration
Nous, soussignés, ayant assisté à la séance du 18 novembre 1887, dans la maison de M. A. N. Nartzeff, témoignons par la présente que nous ne savions rien sur l'existence ni sur la mort d'Anastasie Pérélyguine, et nous affirmons que nous avons entendu ce nom pour la première fois à la séance sus-mentionnée.
Le 6 avril 1890, Tambow.
N. P. Touloucheff, A. Sleptzoff, Alexis Nartzeff, A. Ivanoff.
3. – lettre du dr N. Touloucheff à M. A. Aksakof
Monsieur. A la séance tenue le 18 novembre 1887 chez M. Nartzeff, on reçut une communication délivrée au nom d'Anastasie Pérélyguine, qui demandait qu'on priât pour elle, déclarant qu'elle s'était empoisonnée avec des allumettes et qu'elle était morte le 17 novembre. Je n'y ajoutai d'abord aucune foi, car, en ma qualité de médecin de la ville de Tambow, je suis immédiatement avisé par la police, toutes les fois qu'un suicide est commis. Mais, comme elle disait être morte à l'hôpital, et que l'hôpital de Tambow, tout en appartenant au département de la Bienfaisance, relève aussi de la municipalité et de l'administration du gouvernement et se trouve ainsi placé en dehors de ma compétence, voire même que dans pareils cas il requiert de sa propre autorité la police et le juge d'instruction, j'écrivis à mon collègue le Dr Sundblatt, médecin en chef de l'hôpital. Je ne lui expliquai rien de ce qui s'était passé et le priai de m'informer s'il s'était produit ces jours derniers un cas de suicide à l'hôpital, et, éventuellement, par qui et dans quelles circonstances. La copie de la réponse qu'il m'écrivit (l'original se trouve chez M. Nartzeff), certifiée par M. Sundblatt lui-même, vous a déjà été transmise. Agréez, etc.
N. Touloucheff.
Le 15 avril 1890, Tambow, rue du Séminaire, maison de M. Touloucheff.
4. – copie de la lettre du dr Sundblatt au dr Touloucheff
Le 19 novembre 1887. Cher collègue, Nicolas Petrovitch ! Le 16 de ce mois, j'étais de service, et, en effet, ce jour-là on amena deux malades qui s'étaient empoisonnées avec du phosphore. La première, Véra Kossovitch, âgée de trente-huit ans (femme de fonctionnaire, je crois), demeurant rue Teplaïa, maison Bogoslovski, a été admise à 8 heures du soir, sur un rapport du 3e arrondissement de police ; la deuxième, servante dans l'asile des Aliénés, Anastasie Pérélygnine, dix-sept ans, est entrée à 10 heures du soir. Cette dernière avait absorbé, outre une infusion d'allumettes (une dizaine de boîtes), la moitié d'une tasse de pétrole. Elle était très mal dès le commencement. Elle est morte le 17, à 1 heure de l'après-midi. C'est aujourd'hui qu'on a pratiqué l'autopsie réglementaire. Mme Kossovitch nous déclara qu'elle avait pris le poison dans un accès de tristesse ; quant à Pérélyguine, elle ne dit rien sur le motif qui l'avait poussée au suicide. Voilà tout ce que je puis te communiquer sur cette affaire. Cordiale poignée de main.
F. Sundblatt.
Cette copie est conforme mot pour mot à l'original, en foi de quoi nous apposons nos signatures :
Alexis Nartzeff, Dr F.-J. Sundblatt.
5. – lettre à M. A. N. Nartzeff à M. A. Aksakof
Voulant m'assurer si Mme Ivanoff, femme de charge de Mme Sleptzoff, a pu se rendre par hasard à l'hôpital et y apprendre la mort de la jeune Pérélyguine, ou bien si elle n'en a pas entendu parler ailleurs, je priai M. Nartzeff de faire une investigation à cet effet, et de me dire, en même temps, à quelle distance de leur maison se trouve l'hôpital, et si Pérélyguine était lettrée ; il me paraissait curieux de constater si la jeune servante eut été en état de dicter ces messages au moyen de l'alphabet.
Je reçus de M. Nartzeff la lettre suivante :
« En réponse à votre lettre, je m'empresse de vous faire part que la femme de charge de ma tante n'est pas une simple économe, dans le sens strict du mot, mais plutôt une amie de la maison, qui habite chez nous depuis plus de quinze ans et en qui nous avons la plus entière confiance. Il est impossible qu'elle ait eu connaissance du suicide de la demoiselle Péréhguine, car elle ne possède ni amis ni parents à Tambow, et ne sort jamais.
L'hôpital où la demoiselle Pérélyguine est morte se trouve à l'autre bout de la ville, à 3 kilomètres de notre maison. Le Dr Sundblatt constate, d'après le procès-verbal de l'enquête, que la demoiselle en question savait lire et écrire. »
Pour compléter les renseignements qui précèdent, il reste à dire qu'Anastasie la Pérélyguine était attachée par son service à la section des aliénés de l'hôpital même où elle fut transférée la veille de sa mort.
Quelle explication raisonnable peut-on donner de ces faits, en se basant sur les théories de M. Hartmann ? Il est inutile, je crois, de recommencer la même série d'arguments, pour démontrer qu'il ne peut être question d'une transmission de pensées, la condition essentielle - le lien psychique - ne pouvant pas exister entre personnes qui ne se connaissent pas. Reste encore toujours la clairvoyance. Mais l'unique point de repère pour une «médiation sensorielle », devant servir à la perception de la sensation, c'est-à-dire la présence à la séance d'une personne connaissant le défunt - n'existe pas non plus. Il ne reste donc plus en dernier ressort que la clairvoyance pure. Mais, encore, ne faut-il pas oublier que tout accès de clairvoyance doit avoir sa raison d'être, et que, dans les cas énumérés, la condition essentielle, « l'intense intérêt de la volonté », fait également défaut ; donc pas de rapport téléphonique possible dans l'Absolu, entre le médium et les vivants (c'est-à-dire les amis du défunt, car ce dernier ne compte plus), ni aucun lien entre le médium et le « savoir absolu de l'esprit l'absolu ». Est-il, en effet, possible d'admettre un instant que le médium, - dans le cas de Mme Conant, par exemple, - vienne à jour et heure fixes de la semaine prendre sa place à la rédaction du Banner pour, quelques instants après, entrer en rapport avec l'Absolu et servir de porte-parole, à l'état inconscient, à une dizaine de défunts, l'un après l'autre ?
Ne serait-ce pas une véritable comédie joué par l'Absolu ? Car le « Savoir absolu » devrait certainement savoir, d'après cette théorie, que ces défunts n'existent plus ; le rôle qu'il ferait ainsi jouer au médium ne serait qu'un ridicule mensonge, incompatible avec l'idée de l'Absolu
M. Hartmann s'est chargé lui-même, d'ailleurs, de nous montrer combien cette explication est peu soutenable :
« La vraie clairvoyance ne se rencontre pas chez les médiums de profession, probablement pour cette raison que les personnes présentes sont généralement étrangères les unes aux autres, sans aucun lien profond de sympathie, et que, par conséquent, l'intérêt de la volonté, - nécessaire pour établir une communication rétroactive, - fait défaut. Pour la transmission de représentations, à l'endroit desquelles les médiums éprouvent de l'intérêt, il suffit de l'induction produite par les vibrations cérébrales, de sorte qu'il n'est aucunement besoin d'une communication téléphonique rétroactive dans l'Absolu ; quant au passé et aux destinées futures des personnes participant à la séance et de leurs parents et amis, il est encore plus difficile d'admettre qu'il se développe un intérêt assez intense pour que la volonté inconsciente soit poussée à les puiser dans le savoir absolu de son Origine absolue. Ce que les spirites appellent « clairvoyance » chez leurs médiums n'en est point une ; la vraie clairvoyance, cette fleur la plus fine, quoique maladive, de la vie psychique de l'homme, les spirites ne la trouvent pas chez leurs médiums, parce que ces derniers se servent de leurs facultés en gens de métier » (pp. 82-83).
Ainsi donc il est clair que ni la transmission des pensées à distance, ni la clairvoyance, envisagées au point de vue de M. Hartmann, ne peuvent expliquer les phénomènes de cette catégorie. Néanmoins ces faits existent, donc ils doivent être expliqués. Et, en vérité, ils s'expliquent précisément par ces deux hypothèses, lorsqu'elles sont examinées non au point de vue métaphysique ou surnaturel, mais à un point de vue naturel, humain.
Qu'est-ce, eu effet, qu'une transmission de pensée à distance ? C'est un échange d'impressions, conscientes ou inconscientes, entre deux centres d'activité psychique. Dans les expériences ordinaires de transmission de pensée, par voie magnétique, hypnotique ou autre, nous savons de quel centre d'action psychique émane la suggestion. Dans les expériences médiumniques, lorsque nous recevons la communication d'un fait que nous connaissons personnellement, ou que connaît l'un des assistants, nous sommes en droit de l'attribuer à un échange inconscient d'impressions entre les activités psychiques des personnes présentes. Mais, lorsqu'il s'agit de la communication d'un fait inconnu des personnes présentes, nous devons évidemment l'attribuer à un être absent, connaissant ce fait ; dans ce cas un rapport sympathique est nécessaire ; s'il a lieu non entre des survivants, mais entre un survivant et un défunt et que ce défunt est intéressé à communiquer le fait en question au survivant, - surtout s'il s'agit d'un fait que lui seul peut connaître, - n'est-il pas naturel et logique d'attribuer cette communication à l'individualité qui s'annonce comme telle ? Ici le procédé de transmission de pensée se fait directement, d'une manière naturelle, sans qu'on ait besoin de recourir au surnaturel, à un « rapport téléphonique avec l'Absolu. »
La clairvoyance confirme mieux encore notre explication. Qu'est-ce que la clairvoyance selon M. Hartmann ? C'est « la perception des phénomènes réels objectifs, comme tels, sans le concours des organes des sens » (p. 74). Ainsi, un clairvoyant voit à une grande distance un incendie, un décès, etc. Ce sont là des « phénomènes objectifs », qu'on accepte comme tels mais, quand ce même clairvoyant voit « un esprit », il n'est plus question que d'un « phénomène subjectif » ; donc ce n'est plus de la clairvoyance ! Mais alors pourquoi dire que « la clairvoyance proprement dite » fait partie du « contenu de la conscience somnambulique » (p. 60) ? Il vaudrait mieux n'en pas parler !... Et encore : « L'âme individuelle possède le don du savoir absolu... » - « il n'est plus besoin de secours venant du dehors, ni d'aucun intermédiaire, et moins que tous de celui des défunts » (p. 78). Voilà un médium en transe, par la bouche duquel le défunt établit son identité, ignorée de tous les assistants, mais connue de tous ceux que le défunt désigne lui-même et qui témoignent de l'exactitude de tous les renseignements qu'il a fournis sur lui-même et sur sa vie publique et privée. C'est encore de la clairvoyance : son nom, ses prénoms, tous les renseignements ont été puisés dans le « savoir absolu de l'Esprit absolu... » (p. 79). Le fait seulement de son existence supra-terrestre est faux ! Ici le savoir absolu n'est plus digne de foi, n'est plus absolu. Autant dire que cette faculté de clairvoyance absolue ne fonctionne qu'autant qu'il nous plaît de l'admettre !
Ne serait-il pas plus rationnel d'admettre pour ces cas exceptionnels un centre d'action psychique en dehors du médium ? Le fait mystérieux de l'individuation étant admis, la perception par un sensitif d'une impression émanant d'un individu vivant, mais se trouvant à distance, n'est pas moins merveilleuse que la perception d'une impression venant d'un individu supposé mort et prouvant le contraire par le fait même de cette impression suggérée. Un sensitif peut même voir et sentir la présence d'une individualité de ce genre, sans être clairvoyant, par le pouvoir de l'Absolu : le centre d'action extra-terrestre une fois admis, le sensitif en subira toutes les influences, comme il subit celles qui émanent des centres d'action terrestres, ainsi que nous le voyons dans les expériences de magnétisme et d'hypnotisme ; cela ne sera qu'une extension des modes et des degrés de réaction psychique entre des centres de conscience donnés, sans recours à la métaphysique ou à l'Absolu. Que de pareils centres d'action ne sont pas imaginaires, cela s'établit non seulement par les preuves photographiques, mais aussi par la nature même des manifestations, qu'on ne peut nommer psychiques, et qui n'ont aucun rapport avec la clairvoyance. Voyez le cas d'Abraham Florentine : le médium, pendant la manifestation, était en transe ; ce n'est ni par sa bouche ni par sa main que l'être intelligent se manifeste, mais par des déplacements de tables d'une force extraordinaire - genre de manifestation tout à fait inusité pour le médium ; c'est par la table, par des mouvements et des coups, que ce prétendu accès de clairvoyance se serait traduit ! Ce serait là un rapport de causes et d'effets tout à fait inexplicable, logiquement. Il est moins explicable encore par une théorie qui n'admet la clairvoyance que sous la forme hallucinatoire !
Nous allons passer à présent à l'examen d'une série de phénomènes qui servent de trait d'union entre les manifestations psychiques et les manifestations physiques d'une même cause agissante, - manifestations où la nécessité d'admettre que ces causes sont des centres indépendants d'une action extra-médiumnique (ce que M. Hartmann appelle des causes transcendantales ), devient clairement évidente.
10. - Transmission de messages à une grande distance.
Nous lisons dans le livre de M. Hartmann : « Jusqu'à présent les séances spiritiques n'offrent aucune matière qui puisse établir le fait de la transmission de représentations à une grande distance, parce que le médium a généralement joue un rôle actif, au lieu de se trouver à l'état passif par rapport à un autre médium, éloigné, comme l'exigent les expériences de cette nature » (p. 73).
Les faits sont là pour réfuter et cette affirmation et la théorie même. Bien que rares, les cas de transmission de messages à de grandes distances existent. Parmi les personnes qui ont établi ces faits, il faut citer, au premier rang, le professeur Hare, qui leur attribue, avec raison, une grande importance, et les considère comme une preuve absolue de la manifestation d'une force extra médiumnique.
Dans son livre : Recherches expérimentales sur les phénomènes spiritiques, il cite le cas suivant :
« Me trouvant à Cape May (Island), le 3 juillet 1855, je chargeai mon esprit-guide de se rendre à Philadelphie, chez une personne de mes amis, M. Gourlay (North Tenth Street, n° 178) et de lui dire que je priais son mari, le Dr Gourlay, de se renseigner à la Banque de Philadelphie, sur l'échéance d'une certaine lettre de change ; je le chargeai aussi de prévenir M. Gourlay qu'à trois heures et demie je resterais, ce jour même, auprès du spiritoscope, à attendre la réponse. Il était alors une heure de l'après-midi. A l'heure indiquée, mon ami invisible était de retour, m'apportant le résultat de l'enquête.
A mon retour à Philadelphie, M. Gourlay me raconta que mon messager avait interrompu la communication médiumnique qu'elle était en train de transmettre par le moyen du spiritoscope, pour lui faire part de ma commission, à la réception de laquelle son mari et son frère se rendirent à la Banque pour obtenir ce même renseignement qui m'avait été communiqué le même jour, à trois heures et demie.
L'employé de Banque à qui ces messieurs s'étaient adressés se souvenait très bien qu'on lui avait demandé ces renseignements, mais il n'avait pas pris la peine de consulter le registre, qui ne se trouvait pas sous sa main, ce qui fit qu'il donna un renseignement inexact, qui était conforme à celui que m'avait communiqué mon guide, mais contraire à ce que j'attendais, - par conséquent, ces dates ne pouvaient être le résultat de mes pensées. Je ne parlai à personne de ces incidents avant d'avoir vu M. Gourlay et lui avoir demandé si, pendant mon voyage, elle avait reçu de moi un message quelconque. J'appris que pour transmettre ma commission, mon messager avait interrompu la communication que son frère recevait en ce moment, par son intermédiaire, de leur mère défunte. »
Voilà un fait qui ne saurait être expliqué par aucune théorie psychique (transmission de pensées, clairvoyance, etc.). En effet, la distance, dans ce cas, est considérable (près de 100 milles), il n'y a aucun « rapport psychique » ni aucun « intense intérêt de la volonté » (amour ou amitié) qui eussent pu établir « une communication téléphonique dans l'Absolu, entre deux personnes (le prof. Hare et M. Gourlay) ; il ne saurait être question non plus d' « images hallucinatoires », de « manifestations mimiques provoquées par des hallucinations suggérées » (p. 65) au contraire, il s'agit d'une « pensée abstraite », d'une opération commerciale et puis, le deuxième médium ne se trouvait pas dans un « état de passivité par rapport au premier médium », ainsi que l'exige le Dr Hartmann (p. 73) ; bien au contraire, il a fait preuve d'une pleine activité psychique : il était occupé à délivrer un message qui fut coupé violemment d'une façon inattendue, par la communication en question ; de plus, les deux médiums étaient à l'état complètement normal. Ajoutons à cela que la dépêche a été transmise non par l'intermédiaire de leurs cerveaux, mais au moyen d'un instrument. Quelle explication M. Hartmann nous en donnera-t-il ? Il dira peut-être qu'il y a eu, dans ce cas, « action à distance de la force nerveuse, car l'échange des messages s'est effectué par voie physique, au moyen d'un spiritoscope. »
Je répondrais à cela qu'une telle explication ne fait qu'embrouiller la question, attendu que le spiritoscope n'est qu'un moyen mécanique pour transmettre la pensée c'est là précisément ce que l'on ne peut comprendre : d'où provient ce fonctionnement du spiritoscope, s'il faut admettre qu'il y a eu seulement transmission de pensées ? Et, du moment qu'une telle transmission a eu lieu, la difficulté subsiste toujours, même avec des complications, car il faudrait alors admettre que la force nerveuse est clairvoyante et qu'elle peut voir à distance le spiri-toscope, les lettres qui y sont marquées, etc. Il ne reste plus à M. Hartmann qu'à modifier les conditions de son recours à l'Absolu, cet Allah qu'il invoque in extremis.
Voici un autre cas pareil, que j'emprunte également au livre du professeur Hare, qui publie (§§ 1485-1492) la lettre suivante :
Philadelphie, le 6 septembre 1855.
« Monsieur,
Au cours de notre dernière entrevue, vous avez émis le désir de connaître quelques faits tirés de mon expérience personnelle. Il y a de cela trois ans, je faisais en cette ville des conférences qui avaient pour but de combattre la théorie spiritualiste appliquée aux faits dits spiritiques, et pour défendre l'hypothèse du courant nerveux, comme instrument passif de la volonté. A cette époque, je possédais la faculté de suspendre les mouvements physiques qui se produisaient plus tard, les agents occultes qui produisaient ces déplacements refusèrent de m'obéir. Ils m'expliquèrent par la suite qu'ils ne m'avaient accordé ce pouvoir que temporairement, afin de me convaincre, en me privant de cette faculté.
La lecture de votre récit relatif au message transmis de Cape May dans votre ville, le mois de juin dernier, par voie médiumnique, m'a suggéré la pensée de vous communiquer un fait analogue, ayant trait à un message que j'ai fait parvenir, de la même manière, au cercle spirite de cette ville.
Le 22 juin 1855, j'assistais à une séance du soir chez Mme Long (médium écrivain, demeurant à New-York, Thompson Street, 9), et recevais des communications de mon épouse défunte. J'étais alors chargé de la direction des séances, qui avaient lieu tous les mercredis, dans la maison de M. H.-C. Gordon, 113, North Fifth Street, à Philadelphie. Je demandai à ma femme si elle pouvait me donner un message pour ce cercle, qui était en séance à ce moment, à Philadelphie. Elle me promit d'essayer. Je la priai alors de transmettre aux membres de ce cercle un salut de ma part et de leur dire que mes expériences réussissaient à merveille, que je me pénétrais de plus en plus de la glorieuse réalité de la communion avec les esprits. Dix-sept minutes après, ma femme annonça de nouveau sa présence et me déclara qu'elle s'était acquittée de ma commission. Le mercredi suivant, me trouvant à Philadelphie, le soir, je me rendis au cercle et appris que mon message y était parvenu ponctuellement au moment de son arrivée, on était occupé à recueillir une communication venant d'une autre personne, laquelle fut interrompue par ma femme, qui se nomma et remplit sa mission par la main de M. Gordon. Environ douze personnes étaient présentes, toutes dignes de foi, dont : M. et Mme Howell, M. et Mme Laird, M. Aaron Comfort, M. William Knapp et autres. Étant donné que je ne suis pas médium moi-même, il ne saurait être question de Sympathie entre les médiums.
W. West, George Street, 4. »
J'emprunterai un autre exemple analogue à une source tout à fait sûre, au livre de M. Brittan : A Discussion on the facts and philosophy of ancient and modem Spiritualism[54] par S.-B. Brittan et le Dr Richmond ; New-York, 1853. A la page 289, nous lisons :
« M. B.-Mc Farland, de Lowell, Mass., a une fille, du nom de Suzanne, qui possède des facultés médiumniques. Elle a passé l'hiver de 1851-1852 dans l'État de Géorgie, et il s'y est passé le fait intéressant qui suit. Je le cite tel qu'il est raconté dans la lettre que M. Farland m'a adressée :
A Monsieur S. B. Brittan
Monsieur,
Le soir du 2 février 1852, au cours d'une séance organisée chez moi, à Lowell, ma femme demanda si Louise (notre fille défunte) était présente. La réponse fut affirmative. A la question : « Restes-tu souvent avec Suzanne ? » (c'était notre seule fille survivante, et qui se trouvait en ce moment en Géorgie, avec quelques amis) - la réponse fut également affirmative. Ma femme formula alors le désir que l'esprit se rende auprès de Suzanne pour lui tenir compagnie et la préserver contre tout mal, pendant son absence. Louise répondit, au moyen de coups frappés, qu'elle irait rejoindre sa sœur. Il ne faut pas oublier que cela se passait le 2 février, au soir. Huit jours après, nous recevions une lettre de Suzanne, datée d'Atalanta, Georgia, du 3 février 1852, dans laquelle elle nous écrivait : « Hier soir, nous eûmes une séance ; Louise se présenta à nous en disant, par le moyen de coups frappés : Maman veut que je vienne auprès de toi pour te préserver contre tout mal pendant ton absence de la maison. - Louise. » Vous voyez donc qu'un agent invisible, s'intitulant ma fille, avait reçu notre message à Lovvell, Mass., et l'avait transmis mot pour mot à Atalanta, Georgia (à une distance de 1,000 milles), en moins d'une heure.
Votre dévoué,
B.Mc Farland. »
Je clos ce chapitre par la relation d'un fait qui a cela de particulier, que le message fut délivré sans désignation du destinataire, dont le choix était laissé à l'agent occulte qui se manifestait. Ce fait est ainsi raconté dans une lettre de M. Feathers-tonaugh, reproduite dans le Light du 18 décembre 1886 (p. 603) :
« Répondant au désir que vous avez exprimé par la voie de la presse, je viens vous communiquer l'exposé de quelques expériences que j'ai faites avec M. Maud Lord... Je possède une miniature, peinte depuis quatre-vingts ans ; comme elle était longtemps restée dans une enveloppe fermée, j'eus l'idée de m'en servir pour une série d'expériences dans l'obscurité, avec différents médiums. Comme je ne savais l'adresse d'aucun médium de ce genre, je formulai mentalement le désir que la personnalité qui se manifestait à mes séances en prenant le nom de S. et qui affirmait pouvoir toujours deviner mes pensées, se rendit auprès d'un médium et lui suggérât l'idée de m'envoyer son adresse. Quelques jours après, je reçus une lettre de M. Lord, qui demeurait à 200 milles de moi, laquelle m'écrivait, entre autres : « S. est apparu à l'une de mes séances et m'a demandé de vous envoyer mon adresse, ainsi que vous le désirez, ce que je m'empresse de faire. »
11. - Transport d'objets à de grandes distances
Nous venons de voir que la force qui produit les phénomènes spiritiques n'est pas limitée à la personne même du médium ni confinée dans les limites de la chambre où se font les séances ; qu'elle peut, au contraire, se transporter à de grandes distances pour communiquer des messages ; qu'une manifestation de cette espèce n'est pas une transmission de pensée d'un cerveau à un autre ni un effet de clairvoyance. Nous avons été amenés à conclure ainsi parce que les conditions dans lesquelles, selon M. Hartmann, ces phénomènes psychiques doivent se produire, font défaut, et aussi parce que la force en question se manifeste à distance physiquement, au moyen de coups frappés et de mouvements de la table. Nous verrons maintenant que cette action physique à distance n'est pas une simple répercussion ou transformation de l'impression psychique reçue par le médium qui se trouve à distance, mais qu'elle émane d'un centre de force indépendant, laquelle n'est pas une simple force physique produisant des sons et déplaçant des corps inertes, mais quelque chose de bien plus substantiel et de plus compliqué, car elle peut non seulement transmettre un message, mais aussi transporter un objet matériel, et ce, non en franchissant uniquement l'espace (chose qui peut être effectuée par des moyens dont disposent les hommes, et qui ne sont pas en contradiction avec notre notion des lois physiques et, par conséquent, n'offrent rien de « supranaturel ») mais agissant encore dans des conditions qui impliquent le passage à travers la matière solide, renversant par conséquent les lois connues de la physique et tombant dans le domaine de ce que l'on est convenu d'appeler « le surnaturel ».
Nous sommes donc arrivés, graduellement, à une catégorie de phénomènes qui tombent, selon la définition de M. Hartmann lui-même, sous la désignation de « surnaturels » ou transcendantaux. Comme il ne saurait les attribuer à une cause naturelle, et pas même à une action personnelle du médium, nous en conclurons qu'il faut, pour les expliquer, admettre une force quelconque d'un autre ordre, indépendante du médium.
Prenons un exemple : Transport d’une photographie de Londre à Lowestoft à une distance de 175 kilomètres.
Voici un cas très probant et que nous tenons de bonne source. Le professeur W. F. Barret se porte garant de son authenticité et le raconte comme suit :
« Je ne suis pas autorisé à publier le nom ni même les initiales de celui qui m'a communiqué ce fait remarquable. Mais je le connais personnellement et certifie que je n'ai jamais entendu parier autrement de lui qu'en termes très flatteurs et avec considération par tous ceux qui le connaissent et plus particulièrement par un ecclésiastique de haute réputation... Il résulte de mon enquête, de mes observations et de mes investigations les plus variées qu'il n'y a pas le moindre doute à élever sur sa parfaite bonne foi... Cela dit, je ne ferai que reproduire la lettre que j'ai reçue de lui vers la fin de l'année 1876 :
Dans le courant de l'année 1868, j'organisai quelques séances dans ma maison, avec plusieurs de mes amis. Nous obtenions les résultats ordinaires : coups frappés, déplacement et soulèvement de la table, etc. Désireux d'étudier ces phénomènes d'une façon plus approfondie, je résolus alors d'organiser une série de séances auxquelles prendraient part mes amis aussi bien que des médiums professionnels. Ces expériences eurent lieu dans différents appartements et dans des conditions variées.
J'étais intimement convaincu que les résultats obtenus étaient indépendants de toute intervention directe de la part du médium, qui n'a pu exercer aucune influence ni sur le genre des manifestations ni sur les conditions, électriques ou autres, nécessaires pour leur production ; je n'avais pas, néanmoins, une foi absolue en leur caractère supra-naturel, et je comprenais qu'il me serait impossible de me former une idée définitive quant à la participation du médium tant que je n'aurais obtenu de résultats identiques sans le concours d'un médium professionnel, dans des conditions excluant toute possibilité de supercherie. Une occasion favorable se présenta deux ans après, en 1870.
Je me trouvais alors sur les bords de la mer, à Lowestoft, avec ma femme, une jeune dame de nos amis, et un monsieur âgé, notre ami intime. Toutes ces personnes, et ma femme plus particulièrement, étaient des incrédules et tournaient le spiritisme en ridicule. Nous décidâmes néanmoins de tenter l'expérience, par curiosité.
Nous étions installés dans le salon, au premier ; j'avais mis la clef dans ma poche. Nous éteignîmes le gaz, mais la lune, qui était dans son plein, jetait à travers la fenêtre une lumière suffisamment intense pour que nous pussions voir tout ce qui se se trouvait dans la pièce. La table, en noyer, était de forme rectangulaire, allongée, et d'un poids considérable. Pour être bref, je désignerai mon ami sous l'initiale F., et la jeune dame sous l'initiale A. »
Suit la description de plusieurs séances au cours desquelles se sont produits divers phénomènes d'ordre physique, tels que : déplacement d'objets, attouchements, apparition de lumières et de fantômes, apport de fleurs « la réussite de ce dernier phénomène nous suggéra l'idée de tenter d'obtenir l'apport d'un objet déterminé, qui aurait été laissé à notre domicile.
F. demande qu'il lui soit apporté une chose quelconque de chez lui. Immédiatement, il se sent cahoté dans tous les sens, tombe en transe, et alors, sur la table, devant lui, on découvre une photographie. Ma femme la saisit et la lui montre une quinzaine de minutes après, quand il a repris ses sens. Ayant aperçu l'image, il la serre dans sa poche et dit, les larmes aux yeux : « Jamais de la vie je ne l'aurais désiré. »
Cette photographie était l'unique épreuve du portrait d'une jeune fille à laquelle il avait autrefois été fiancé. Elle se trouvait dans un album qui était serré dans une boîte, fermée par une double serrure, dans son appartement, à Londres. De retour en ville, nous en constatâmes la disparition, et la femme de, M. F, qui ignorait que nous faisions des séances de spiritisme, nous raconta que pendant notre absence il s'était produit un craquement terrible à la suite duquel tout le monde était accouru pour eu chercher la cause[55]. »
Ce même cas est reproduit dans le Journal de la Société des recherches psychiques, de Londres, complété par beaucoup de détails intéressants (1891, t. XIX, p. 191).
Voici un autre cas très curieux : des aiguilles de bois transportées à une distance de 20 milles ; je l'emprunte égale ment au Light (1883, p. 117) :
« Il n'y a pas longtemps, j'ai été témoin du transport d'un objet à une distance de plus de 20 milles anglaises, par des moyens inconnus aux hommes. Je serai bref, autant que possible, mais il faut que je dise, au préalable, quelques mots sur notre cercle. Il se composait de six personnes en tout, dont cinq étaient de vieux spirites expérimentés, et le sixième, un prosélyte de fraîche date, ancien adepte de l'école wesleyenne et qui avait ardemment propagé les principes des méthodistes et combattu le spiritisme. Il avait quitté cette secte et était devenu, petit à petit, à son propre étonnement, un excellent médium à transe.
Quinze jours avant cette remarquable séance, un de mes amis, que je désignerai sous l'initiale H., était venu à York pour passer les vacances avec nous (il était maître d'école). Il faisait partie de notre cercle. A la dernière séance, M. H. eut l'idée de proposer à nos interlocuteurs invisibles de nous apporter à York, après son retour à la maison, un objet quelconque se trouvant dans son appartement. La réponse fut : « Nous essayerons. »
Aux deux séances suivantes, qui eurent lieu en l'absence de M. H., il ne se produisit aucune manifestation, chose tout à fait insolite mais, à la troisième séance, après une attente qui dura de 8 heures à 8 heures et demie, deux aiguilles à tricoter, d'une longueur de 1 pied, tombèrent à terre juste derrière moi. Pendant cette séance, la lumière était un peu baissée.
Le médium par l'intermédiaire duquel ce phénomène s'est produit est une dame d'une réputation irréprochable, au-dessus de tout soupçon et complètement désintéressée, ne bénéficiant pas d'un penny pour les séances qu'elle donnait. Pendant l'expérience en question, elle tomba en transe. Elle se trouvait juste en face de moi. Lorsque les aiguilles furent tombées, elle prononça les paroles suivantes, ou à peu près : « Les aiguilles que nous avons apportées ont été prises dans la boîte qui se trouve dans le vestibule de M. H. Sur le couvercle il y avait plusieurs pots de confitures ; nous avons retiré les aiguilles non sans peine. Dans la journée, M. H. s'est promené sur le versant des collines, cueillant des baies, etc. »
J'écrivis de suite à mon ami pour lui faire part de ce qui s'était passé, et il me répondit immédiatement, confirmant tous les détails ci-dessus. A 8 heures et demie, au moment où les aiguilles nous avaient été apportées, lui et sa femme étaient sur le point de se rendre au repos. Dès qu'ils furent entrés dans la chambre à coucher, Mme H. entendit du bruit dans le vestibule, mais n'y prêta pas plus d'attention, parce que ce bruit ne se répéta pas. C'est probablement à ce moment-là que les aiguilles furent enlevées de la boîte ; elles tombèrent derrière mon dos, juste à l'heure correspondante.
Agréez, etc.
A. R. Wilson.
P.S. M. H. est venu à York et a reconnu les aiguilles comme étant les siennes.
20, Orchard-Street, York, le 27 février 1883. »
Je citerai encore, en abrégé, un cas d'après le Spiritualist de 1876, tome I, page 177, publié sous ce titre : Transport d’une mèche de cheveux par une force inconnue de portsmouth à Londres. Un ecclésiastique, demeurant à Portsmouth, communiqua à la rédaction de ce journal le fait suivant :
« A dix heures environ du soir, une jeune dame, douée de facultés médiumniques, tomba en transe, à une séance organisée dans un cercle intime, et parla au nom de Samuel, la même personnalité qui se manifestait ordinairement par son intermédiaire, ainsi que par l'intermédiaire d'un autre médium, le Dr Monck, qui était à cette époque l'hôte de M. F., à Londres. Après avoir causé quelques instants avec les membres du cercle, Samuel demanda des ciseaux, pour couper une mèche des cheveux du médium, voulant les porter à son autre médium, M. Monck. Il nous quitta sur ces paroles, mais la séance continua, et avec succès. A la fin de la séance, Samuel apparut de nouveau, gai et l'air content ; la petite fille indienne Daisy, qui parlait alors par le médium, nous dit que Samuel était remarquablement adroit et qu'il avait en effet accompli son entreprise, que nous n'avions pas voulu prendre au sérieux.
Le lendemain, à 2 heures environ de l'après-midi, nous recevions une lettre de M. F., qui nous écrivait, à notre grand étonnement : « Ce soir, pendant que je causais avec Monck de choses et d'autres, Samuel se présenta soudain et me dit : « Il est temps que je me rende à Portsmouth. » Deux heures après, au vu de tous les assistants, une force invisible s'empara de la main du médium, et, pendant qu'il continuait à causer avec nous, sans même regarder le papier, il écrivit : « Bonsoir. Je viens directement de chez Mme X.,à Portsmouth. Comme preuve, voici une mèche de ses cheveux que j'ai coupée et que je donne à mon médium ici. Faites en part à son père et envoyez-lui ces cheveux. Voyez-les. Samuel. » Nous regardâmes Monck et aperçûmes, à l'angle sud-est de la chambre, une boucle de cheveux qui se dirigea vers sa tête et tomba à terre, d'où je la relevai. Je dois ajouter que tout cela s'est passé non à une séance régulière, mais d'une façon tout inattendue, en pleine lumière du gaz. »
Au reste, pour le but que je poursuis dans ce chapitre, il est indifférent que l'objet soit apporté d'un endroit plus ou moins éloigné ; l'essentiel est de prouver que le phénomène connu dans le spiritisme sous le nom de pénétration de la matière est réel, et qu'il défie toute explication « naturelle ».
Il est inutile que je m'applique davantage à prouver que des phénomènes tels que la production de nœuds sur un cordon sans fin, la disparition et la réapparition d'un guéridon - ainsi que cela est décrit par le prof. Zœllner - ne sont pas des phénomènes « naturels », dans le sens que M. Hartmann prête à ce mot ; il faut supposer que M. Zœllner a des raisons bien motivées pour se croire obligé d'admettre, pour expliquer ces faits, non seulement l'hypothèse d'une quatrième dimension, mais encore celle de l'existence d'êtres qui régnent dans cet espace.
Parmi les faits les mieux avérés de ce genre, je mentionnerai le suivant, constaté par M. Crookes :
« Miss Fox m'avait promis de me donner une séance chez moi, un soir du printemps de l'année dernière. Pendant que je l'attendais, mes deux fils aînés se trouvaient, en compagnie d'une de nos parentes, dans la salle à manger, où les séances avaient toujours lieu moi-même, je me trouvais dans mon cabinet de travail, occupé à écrire. Entendant le roulement d'un cab qui s'arrêta devant la maison, puis un coup de sonnette, j'allai ouvrir la porte et fis aussitôt entrer miss Fox dans la salle à manger, car elle me dit qu'elle ne resterait pas longtemps et préférait ne pas monter ; elle déposa sur une chaise son chapeau et son châle. J'intimai à mes fils l'ordre d'aller achever leurs devoirs dans mon cabinet de travail, je fermai la porte et mis la clef dans ma poche, comme d'habitude pendant les séances.
Nous nous assîmes ; Miss Fox prit place à ma droite et l'autre dame à ma gauche. Bientôt nous reçûmes l'ordre, par le moyen de l'alphabet, d'éteindre le gaz, et nous nous trouvâmes dans une obscurité complète, pendant toute la durée de laquelle je tins les mains de Miss Fox dans l'une des miennes. Aussitôt, nous reçûmes la communication suivante : « Nous allons produire une manifestation qui vous fera connaître notre puissance. » Presque en même temps, nous entendîmes tous le tintement d'une clochette, non pas à un seul endroit, mais dans divers points de la chambre, tantôt près du mur, tantôt dans un coin éloigné ; des fois la clochette venait heurter ma tête, d'autres fois elle frappait contre le plancher. Après avoir sonné pendant plus de cinq minutes, la clochette tomba sur la table, à proximité de mes mains.
Pendant tout ce temps, personne ne bougea, et les mains de Mlle Fox demeurèrent parfaitement tranquilles. Je fis observer que ce ne pouvait être ma petite sonnette, car je l’avais laissée dans ma bibliothèque (peu de temps avant que Mlle Fox arrivât. j'avais eu besoin d'un livre qui se trouvait dans un coin de l'étagère ; la sonnette était sur le livre, et, pour prendre ce dernier, je l'avais mise de côté. Grâce à ce petit détail, j'étais sûr que la sonnette était bien dans la bibliothèque). Le gaz brûlait à pleine flamme dans la chambre attenante, et il eût été impossible d'ouvrir la porte sans éclairer la pièce où nous nous trouvions, en supposant que le médium eût un compère qui possédât une deuxième clef, qui n'existait certainement pas.
J'allumai une bougie, et je vis, devant moi, sur la table, ma clochette. J'allai tout droit à la bibliothèque et vis de suite que ma clochette ne se trouvait pas à l'endroit où je l'avais laissée. Je demandai à mon fils aîné :
- Sais-tu où est ma sonnette ?
- Oui, papa, elle est là, répondit-il, en montrant l'endroit où elle aurait dû se trouver. Après avoir regardé, il ajouta : « Non, elle n'y est pas, mais elle y était tout à l'heure. »
- Quelqu'un est donc entré dans la chambre ?
- Non, personne n'est venu ; mais je suis sûr que la sonnette était là : quand vous nous eûtes dit de quitter la salle à manger pour venir ici, J. (le plus jeune de mes fils) se mit à la faire sonner si fort, que je ne pus travailler, et je lui dis de cesser. »
J. confirma ce que disait son frère et me dit qu'après avoir agité la sonnette, il l'avait remise à la même place[56]. »
Pour d'autres cas, constatés par le prof. Crookes, voir ses expériences avec M. Fay, publiées dans le Spiritualist. 1875, tome I, page 126. Dans tous les cas mentionnés, l'apport de l'objet a été plus ou moins inattendu ; j'en citerai deux où l'expérience a été préparée d'avance.
M. Thayer, un médium bien connu en Amérique, avait pour spécialité de provoquer le phénomène de l'apport de fleurs ou d'autres objets. Le colonel Olcott s'en occupa tout particulièrement, la soumettant aux épreuves les plus variées, et prenant, soin de s'entourer de toutes les précautions possibles. Je choisis l'expérience suivante, relatée dans le Light de 1881, à la page 416. Se trouvant un soir par hasard dans le cimetière de Forest Hill, il eut l'idée de faire une expérience qu'il raconte en ces termes :
« En traversant la serre chaude, je remarquai une plante rare, avec des feuilles longues, étroites, blanches ou de couleur vert pâle. C'était la Dracaena Regina. Je traçai sur l'une des feuilles, au crayon bleu, un signe cabalistique : deux triangles enlacés, et je priai les agents occultes de m'apporter cette feuille le lendemain soir, à la séance. Je me plaçai intentionnellement à la droite de Mme Thayer ; je pris ses mains et les tins fortement. Soudain, je sentis un objet froid et humide sur mes mains. On alluma la bougie, et je vis que c'était la feuille que j'avais marquée. J'allai dans la serre chaude et constatai que la feuille en question était effectivement arrachée[57]. »
L'expérience suivante, faite par M. Robert Cooper, - bien connu des spirites pour ses recherches et ses observations consciencieuses, - peut être considérée comme une preuve absolue du phénomène :
« J'assistais souvent aux séances de Mme Thayer, et j'étais en mesure de m'assurer de l'authenticité des phénomènes qui s'y produisaient. L'idée me vint un jour que si les agents invisibles pouvaient apporter des fleurs dans une chambre close, ils pourraient aussi bien les faire entrer dans une boîte fermée ; j'en parlai à Mme Thayer. Elle me répondit qu'elle ne pouvait pas assurer la réussite d'une semblable expérience, mais qu'elle s'y prêterait volontiers. J'achetai, par conséquent, une simple boîte d'emballage, solidement fabriquée, mesurant 1 pied dans tous les sens. Afin de voir l'intérieur de la boîte sans l'ouvrir, j'enchâssai dans le couvercle un morceau de verre carré, fixé à la paroi intérieure, de sorte que, la boîte fermée, il n'y avait aucune possibilité de l'enlever. Douze personnes environ devaient assister à cette séance, la première qui ait été faite dans ce genre, si je ne me trompe. Quand les assistants eurent examiné le coffret, je le fermai au moyen d'un cadenas breveté, que j'avais acheté pour cette occasion et dont je gardai la clef tout le temps. En outre, je collai une bande de papier autour du coffret et en cachetai les deux bouts. Au moment d'éteindre la lumière, Mme Thayer nous dit qu'elle avait laissé à la maison le mouchoir avec lequel elle avait l'habitude de se couvrir la tête pendant les séances, pour se garantir, disait-elle, contre l'action des influences électriques. L'un des assistants tira de son sac de voyage un paquet de serviettes chinoises en papier et lui en offrit une, Mme Thayer répondit qu'elle ne pourrait pas s'en servir, parce que ce n'était pas de la soie, et la serviette resta sur la table.
Là-dessus, la lumière fut éteinte, et nous entonnâmes des chants. Peu après, l'ordre nous fut donné de regarder dans la boîte, et nous aperçûmes, à travers le verre, quelque chose qui nous paraissait être des fleurs ; on ouvrit la boîte : il y avait la serviette que nous avions laissée sur la table. C'est le dessin que nous avions pris pour des fleurs.
Cette réussite nous encouragea à tenter une nouvelle expérience. Huit jours après, nous nous réunîmes au nombre de huit. Parmi les assistants se trouvait le général Robert, directeur du journal Mind and Matter (Esprit et Matière). La boîte fut fermée de la même manière qu'à la séance précédente, et tous les assistants purent s'assurer qu'elle ne contenait rien que la serviette chinoise qui y avait été introduite à la dernière expérience.
Après avoir éteint la lumière, nous nous mîmes à chanter, et dix minutes après, des coups précipités et violents résonnèrent sur la boîte. Je demandai : « Faut-il continuer à chanter ? » En réponse, trois coups furent frappés. Nous reprîmes par conséquent nos chants. Bientôt nous sentîmes se répandre dans la chambre comme un souffle de fraîcheur, qui était d'autant plus sensible que la soirée était très chaude. Un violent craquement retentit, comme si la boîte eût été brisée en morceaux. On fit de la lumière, et nous pûmes constater que la boîte était en parfait état et que les cachets étaient restés intacts ; dans la boîte, nous pouvions nettement voir plusieurs fleurs et quelques autres objets, dont voici la liste : quatre lis tigrés, trois roses : blanche, jaune et rose pâle, un glaïeul, une feuille de fougère, plusieurs autres petites fleurs, un numéro du Banner of Light et du Voice of Angels et, enfin, une photographie de M. Colby. Les fleurs étaient aussi fraîches que si elles venaient d'être cueillies, et les journaux étaient pliés comme pour la vente. Après l'expérience avec la boîte, il fut encore apporté une quantité de roses ponceau, dont nous fixâmes la plus grande dans les cheveux du médium. Procès-verbal fut dressé pour les deux séances, et tous les assistants y apposèrent leurs signatures. On ne saurait exiger un témoignage plus probant. Le colonel Olcott, séjournant en ce moment à Boston, exprima le désir de prendre part à une expérience avec la boîte. Il cacheta le couvercle d'un côté, avec son propre cachet. Après quelques minutes, le coffret était à moitié rempli de fleurs, parmi lesquelles il y avait un morceau de toile d'environ 1 yard de longueur. Le colonel resta complètement convaincu.
Robert Cooper.
Eastburne, le 14 novembre 1881. »
Il y a dans cette expérience un détail très caractéristique : le « craquement » qui s'est fait entendre au moment de l'apport des fleurs, rappelant celui qui accompagnait l'extraction de la photographie d'une boîte fermée à clef (voir plus haut).
12. - Matérialisations
Les faits que nous allons exposer ici constituent le complément naturel des phénomènes exposés ci-dessus ; cette rubrique s'impose, par conséquent, bien qu'elle ne cadre pas, en apparence, avec les phénomènes d'ordre intellectuel. Des cas cités plus haut, il ressort clairement que la transmission des messages et le transport d'objets à distance doivent être attribués à une même cause, que la force intelligente et la force produisant des effets physiques ne font qu'un, et qu'elles constituent un être indivisible, indépendant, existant en dehors du médium. Nous allons démontrer que cette déduction est entièrement justifiée par le témoignage direct des sens. Le porteur de cette force, qui est en même temps l'agent qui transporte l'objet matériel, apparaît devant nous sous la forme d'un être humain.
On sait que toute matérialisation d'une forme humaine implique l'apport d'un objet matériel - du vêtement dont il est drapé.
Si l'apport de ce vêtement est un fait incontestable, il faut arriver, logiquement, à cette conclusion, que l'acte de l'apport a été effectué par la forme humaine mystérieuse qu'il enveloppe, et il est tout aussi logique d'admettre qu'une relation analogue existe entre tel apport et cette individualité, dans les cas où l'agent reste invisible. L'affirmation positive de cet agent, que le phénomène doit, dans l'un et l'autre cas, lui être attribué, acquiert l'autorité d'une démonstration ad oculos. A mesure que l'on gravit l'échelle des phénomènes classés sous ces douze rubriques, les déclarations de l'agent invisible, qui affirme son individualité indépendante, acquièrent plus de force et nous obligent de plus en plus à nous prononcer en faveur d'une hypothèse qui paraît aussi simple que rationnelle.
Quant au fait même de l'apparition inexplicable de vêtements, aux séances de matérialisation, il a été scrupuleusement contrôlé et certifié par les témoignages les plus sûrs. Dans plusieurs cas, le médium fut complètement déshabillé, on lui enlevait jusqu'aux chaussures et lui faisait mettre des effets fournis par les expérimentateurs, linge et vêtements. Pour des détails précis, je renvoie le lecteur aux publications suivantes : le compte rendu de M. Barkas dans le Medium (1875, p. 266) et dans le Spiritualist (1868, t. I, p. 192) ; celui de M. Adshead dans le Medium de 1877 (p. 186), et tout particulièrement le récit des expériences de M. Massey avec un médium privé, dans le Spiritualist de 1878, tome II, page 294.
Mais revenons à M. Hartmann, qui ne trouve, dans les phénomènes de la matérialisation, aucun motif pour supposer l'existence d'un agent extra médiumnique. Examinons ses arguments. Il lui a suffi, pour trancher la difficulté, de mettre les phénomènes de la matérialisation, et tout ce qui s'y rattache, sur le compte des hallucinations. Mais cette théorie ne laisse pas d'être attaquable : la question des matérialisations ne peut être séparée de la question du vêtement. Dans le cas où la forme apparaît et disparaît avec le vêtement, l'hypothèse de l'hallucination paraît triompher. Mais, par malheur, il y a eu des cas où des fragments du vêtement sont restés entre les mains des assistants ; M. Hartmann n'a pas pu ignorer cela. C'est un « apport », dit-il. Mais qu'est-ce qu'un apport ? C'est ce qu'il n'explique pas. Une moitié du phénomène reste donc toujours sans explication. Par ce silence, M. Hartmann reconnaît qu'une partie, au moins, du phénomène ne se prête pas à ses explications, qu'il qualifie de « naturelles ». Quod erat demonstrandum. Ainsi sa théorie hallucinatoire étant impuissante à expliquer l'ensemble du phénomène, se trouve être insuffisante, et il est inutile d'y revenir.
Mais M. Hartmann s'est ménagé une réplique pour l'éventualité où sa théorie de l'hallucination serait reconnue insoutenable. Il dit : « En admettant même que les spirites aient raison lorsqu'ils prétendent que le médium peut dégager une partie de sa matière organique pour en former un fantôme, d'une matérialité ténue d'abord, mais augmentant graduellement en densité, il n'en serait pas moins vrai que non seulement la matière totale de cette apparition réelle, objective, aurait été prise à l'organisme du médium, mais aussi que la forme de cette apparition aurait été conçue dans la fantaisie somnambulique du médium et que les effets dynamiques qu'elle produit auraient leur source dans la force nerveuse du médium ; le fantôme ne serait rien d'autre et n'exécuterait rien d'autre que ce que lui aurait dicté la fantaisie somnambulique du médium, qui accomplirait tout cela au moyen des forces et de la matière empruntées à l'organisme du médium. » (Spiritismus, p. 105.) Il n'y a pas de place, on le voit, pour le surnaturel, ni même aucun motif pour l'accepter. Quant à la question du vêtement, elle offre toujours la même difficulté et rencontre le même silence ; notre argument reste, par conséquent, debout.
Mais, du moment que M. Hartmann ne s'oppose pas à l'hypothèse d'après laquelle la forme matérialisée est un corps réel, objectif, il importe d'examiner si ce phénomène peut être qualifié de naturel, du moment qu'on l'envisage de la même façon que M. Hartmann.
Quels sont d'abord les attributs de ce phénomène, en le prenant tel qu'il est connu des observateurs, mais dont les lecteurs de M. Hartmann ne doivent avoir que des notions assez vagues ? Une forme matérialisée présente, pour l'œil, un corps humain complet, avec tous les détails de sa structure anatomique ; elle ressemble, parfois, plus ou moins, au médium d'autres fois, elle lui est complètement dissemblable, même quant au sexe et à l'âge ; c'est un corps animé, doué d'une intelligence et d'une volonté, maître de ses mouvements, un corps qui voit et qui parle comme un homme vivant, qui est d'une certaine densité, d'un certain poids. Ce corps se forme, quand les conditions sont favorables, dans l'espace de quelques minutes ; il est toujours drapé d'un vêtement qui est, ainsi que le déclare le fantôme lui-même, de provenance terrestre, soit « apporté » d'une façon inexplicable, soit matérialisé séance tenante (et le fantôme le prouve en se matérialisant avec le vêtement, devant les yeux des assistants) ; ce fantôme, ainsi drapé, a la faculté de disparaître instantanément, au vu même des personnes présentes, comme s'il passait à travers le plancher ou se perdait dans l'espace, et de faire sa réapparition au cours de la séance. Une partie de ce corps matérialisé peut même acquérir une existence permanente : il est arrivé, par exemple, que des mèches de cheveux coupées à ces fantômes, ont été conservées, ainsi que le prouvent les expériences de M. Crookes, qui a coupé une tresse de la tête de Katie King, après avoir glissé sa main jusqu'à l'épiderme pour s'assurer que les cheveux y étaient réellement implantés.
Ce sont là des merveilles bien difficiles à accepter ! Ce n'est ni plus ni moins que la création temporaire d'un corps humain, contrairement à toutes les lois physiologiques. C'est une manifestation morphologique de la vie individuelle consciente, aussi mystérieuse qu'elle est manifeste ! Et M. Hartmann trouve que ce phénomène n'a rien que de tout naturel : ce serait simplement l'oeuvre de la « fantaisie somnambulique » du médium ! Mais, pourrait-on demander, dans les cas où une matérialisation se produit, sans même que le médium soit en état de transe, y a-t-il donc deux consciences, deux volontés, deux corps qui agissent simultanément ? Est-ce toujours la « fantaisie somnambulique » qui continue à produire ces effets merveilleux ? Et quand deux ou trois formes matérialisées apparaissent à la fois, faut-il toujours les mettre sur le compte de cette fantaisie somnambulique, en lui attribuant la faculté de multiplier les corps et les consciences ? Mais il y a encore un autre détail qu'il n'est pas inutile de faire ressortir ; c'est que M. Hartmann ne reconnaît pas en nous l'existence d'une entité psychique indépendante, d'un sujet transcendantal, en tant que principe individuel organisateur ; il ne voit aucune nécessité d'admettre un « métaorganisme», un corps astral ou psychique, comme substratum du corps physique. Rien de tout cela : la conscience somnambulique qui opère, d'après M. Hartmann, tous les prodiges du médiumnisme, n'est qu'une fonction des parties moyennes du cerveau, des centres sous-corticaux. Les phénomènes de la matérialisation ne sont, par conséquent, qu'un effet de l'activité inconsciente du cerveau du médium, et notamment de la partie où siège la conscience somnambulique !
C'est à prendre ou à laisser. A ce point devue, le renvoi que fait M. Hartmann à l'article du Dr Janisch, publié dans les Psychische Studien (1880), acquiert un intérêt tout particulier. Il continue ainsi l'argumentation citée plus haut, dans laquelle il part de la supposition que le médium dégage, en effet, une partie de sa matière organique : « Même dans ce cas, il n'y aurait aucun motif pour chercher une cause quelconque en dehors du médium, ainsi que cela a été péremptoirement et longuement démontré par M. Janisch dans son article : Pensées sur la matérialisation des esprits, paru dans les Psychische Studien de 1880.
On pourrait croire que M. Hartmann et M. Janisch sont parfaitement d'accord. A notre grande surprise, nous voyons que M. Janisch admet l'existence individuelle, indépendante, de l'âme, sa préexistence, qu'il considère notre corps comme sa première incarnation ou matérialisation : « L'âme peut cependant, dit-il, en raison d'un besoin qui lui est propre, ou même en dehors de ce besoin, par une aberration de ses appétits naturels, être poussée à continuer de se matérialiser même pendant son existence terrestre... Et c'est là précisément ce qui constitue le phénomène médiumnique de la matérialisation... Et c'est aussi pourquoi la forme matérialisée ressemble au médium[58]. Le degré suivant, dans l'ordre du développement, serait celui où l'âme se créerait un deuxième corps qui ne présenterait que les traits généraux de son prototype, l'homme, mais lui serait complètement dissemblable pour les détails[59]. Les diverses formes matérialisées peuvent bien être de pures images de la fantaisie, c'est-à-dire d'origine subjective ; mais l'impulsion productrice peut venir de source objective, car la possibilité de communiquer avec le monde des esprits est un fait démontré. Il peut donc arriver que, par l'intermédiaire d'une des personnes présentes, le médium entre en rapport avec un défunt qui a eu des relations avec cette personne, et, par une suggestion de la part de ce défunt, il pourra se représenter la forme que ce défunt revêtait sur la terre, et se matérialiser sous cette forme. Tels sont les cas où l'un des assistants reconnaît une personne qu'il avait connue[60]. »
Pouvons-nous accepter, après ces citations, que M. Janisch aurait « péremptoirement et longuement démontré qu'il n'y a aucun motif pour chercher une cause quelconque en dehors du médium ? »
A quelle conclusion arrivons-nous donc à la un de ce chapitre ?
Il me semble qu'ayant tenu compte de toutes les règles méthodologiques indiquées par M. Hartmann dans son livre Le Spiritisme et récapitulées dans les sept paragraphes de son Épilogue, après avoir, pour ainsi dire, passé une grande partie des phénomènes médiumniques à travers les sept tamis que représentent les degrés de l'échelle méthodologique, il reste toujours encore de gros grains qui n'ont pas passé. Ces grains, je les ai réunis dans le présent chapitre ; ils constituent, me semble-t-il, une série de faits tels, qu'il soit permis, en s'appuyant sur eux, de parler des bornes au-delà desquelles toutes ces explications s'arrêtent, impuissantes, et nous obligent à avoir recours à d'autres hypothèses.
Si le spiritisme n'offrait que des phénomènes physiques et des matérialisations sans contenu intellectuel, nous aurions dû, logiquement, les attribuer à « un développement spécial des facultés de l'organisme humain » et même le phénomène le plus difficile à classer, - la pénétration de la matière, - nous serions forcés de le ramener, en vertu de ce même raisonnement, à la puissance magique que notre volonté, à l'état de surexcitation exceptionnelle, exerce sur la matière.
Mais étant donné que les phénomènes physiques du médiumnisme sont inséparables de ses phénomènes intellectuels, et que ces derniers nous obligent, par la force de cette même logique, à reconnaître, pour certains cas, l'existence d'un tiers agent, en dehors du médium, - il est naturel, logique, de chercher également dans ce tiers agent la cause de certains phénomènes physiques d'ordre exceptionnel. Ce troisième facteur existant, il est évident qu'il se trouve en dehors des conditions de temps et d'espace qui nous sont connues, qu'il appartient à une sphère d'existence supraterrestre ; nous pouvons donc supposer, sans pécher contre la logique, que ce troisième facteur possède sur la matière un pouvoir dont l'homme ne dispose pas.
Voici donc la réponse qui peut être faite à la question posée en tête de ce chapitre : Au sommet de l'immense pyramide que présentent les faits médiumniques de toute catégorie, apparaît un mystérieux facteur, que nous devons chercher en dehors du médium. Quel est-il ? D'après ses attributs, nous devons conclure que cet agent est un être individuel, humain.
Cette conclusion nous place en face de trois alternatives : cet être humain peut représenter :
1° Un être humain vivant sur la terre ;
2° Ou un être humain qui a vécu sur la terre ;
3° Ou bien un être humain extraterrestre, d'une espèce inconnue de nous.
Ces trois suppositions, auxquelles notre choix est astreint, épuisent toutes les solutions possibles que nous puissions imaginer elles feront l'objet du chapitre suivant et dernier.
La conclusion à laquelle nous sommes arrivés à du moins cet avantage qu'elle nous évite d'avoir à recourir à la métaphysique, au « surnaturel », à « l'Absolu » ; en demeurant sur cette conclusion, nous croyons être restés plus fidèles aux lois méthodologiques imposées par M. Hartmann, que ne l'a fait M. Hartmann lui-même, qui s'est trouvé forcé d'y transgresser.
CHAPITRE IV - L'HYPOTHÈSE DES ESPRITS
A. – Animisme, action extra corporelle de l’homme vivant comme formant la transition au spiritisme
Les faits exposés dans le chapitre précédent semblent nous autoriser à admettre pour l'explication de certains phénomènes médiumniques l'intervention d'un agent extra-médiumnique. On peut imaginer trois hypothèses pour définir la nature de cet agent ; nous laissons de côté la troisième, qui n'a de valeur qu'au point de vue de la possibilité logique, mais ne saurait trouver sa place ici. Nous n'envisagerons donc que les deux premières.
En examinant la première de ces hypothèses, nous ne tiendrons pas compte des faits qui peuvent témoigner en faveur de la seconde ; nous essayerons de nous en passer, pour voir quelles conclusions nous serons amenés inévitablement à tirer de tous les faits qui précèdent, en observante bien entendu, les principes méthodologiques indiqués par M. Hartmann (c'est-à-dire en ne s'écartant pas des conditions qu'il appelle « naturelles »).
Nous ne proposerons aucune définition de la nature même des phénomènes, aucune définition présupposant une théorie, une doctrine ou une explication quelconque ; nous nous bornerons à en tirer des conclusions générales, qui s'imposeraient à tout chercheur de bonne volonté qui voudrait accepter les faits en question comme base de son argumentation, ainsi que l'a fait M. Hartmann.
Le premier chapitre, qui traite des matérialisations, nous a fourni tous les arguments nécessaires pour conclure que les phénomènes de ce genre ne sont pas des hallucinations, mais des faits réels, objectifs. Nous devons par conséquent admettre que l'organisme de l'homme possède la faculté, dans certaines conditions, de créer à ses dépens, et inconsciemment, des formes plastiques, ayant une ressemblance plus ou moins grande avec le corps de cet homme ou, d'une façon générale, avec une forme humaine quelconque et possédant différents attributs de corporéité et M. Hartmann aussi est prêt à l'admettre, pour peu que le fait de la matérialisation soit démontré d'une façon indiscutable (p. 105).
Le deuxième chapitre, dans lequel nous avons examiné les effets physiques, nous oblige d'admettre - d'accord avec M. Hartmann - que l'organisme humain a la faculté de produire, sous certaines conditions, des effets physiques (notamment le déplacement de corps inertes), en dehors des limites de son corps (c'est-à-dire sans contact et indépendamment de l'usage naturel de ses membres), effets qui ne sont pas soumis à sa volonté et à sa pensée conscientes, mais qui obéissent à une certaine volonté et à une certaine raison dont il n'a pas conscience. M. Hartmann attribue cette faculté à une force physique, nerveuse, - question que nous laisserons ouverte.
Le troisième chapitre, qui traite des phénomènes intellectuels, nous conduit à admettre, toujours d'accord avec M. Hartmann, que dans l'organisme humain il y a une conscience intérieure, qui est douée d'une volonté et d'une raison individuelles, agissant à l'insu de la conscience extérieure que nous connaissons ; que l'action de cette conscience intérieure n'est pas astreinte aux limites de notre corps, qu'elle possède la faculté d'entrer en communion intellectuelle, passive et active, avec les êtres humains, c'est-à-dire qu'elle peut non seulement recevoir (ou s'approprier) les impressions qui émanent de l'activité intelligente d'une conscience étrangère (soit intérieure, soit extérieure), mais encore transmettre à cette dernière ses propres impressions, sans l'aide des sens corporels transmission de pensées bien plus, nous nous voyons forcés d'admettre que cette conscience intérieure est douée de la faculté de percevoir les choses présentes et passées, dans le monde physique comme dans le monde intellectuel, et que ce don de perception n'est limité ni par le temps ni par l'espace, et ne dépend d'aucune des sources connues d'informations (clairvoyance). J'avais déjà formulé ces mêmes conclusions dans ma critique du livre de M. D'Assier, publié en 1884, dans le journal le Rébus, donc avant la publication de l'ouvrage de M. Hartmann sur le spiritisme. En résumé, l'étude des phénomènes médiumniques nous force à accepter les deux vérités suivantes, abstraction faite de toute hypothèse spirite :
1) Il existe dans l'homme une conscience intérieure, en apparence indépendante de la conscience extérieure, et qui est douée d'une volonté et d'une intelligence qui lui sont propres, ainsi que d'une faculté de perception extraordinaire ; cette conscience intérieure n'est ni connue de la conscience extérieure ni contrôlée par elle ; elle n'est pas une simple manifestation de cette dernière, car ces deux consciences n'agissent pas toujours simultanément[61].
2) L'organisme humain peut agir à distance, en produisant un effet non seulement intellectuel ou physique, mais plastique même, dépendant, selon toutes les apparences, d'une fonction spéciale de la conscieuce intérieure. Cette activité extracorporelle est indépendante, semble-t-il, de la conscience extérieure, car celle-ci n'en a pas connaissance, ne la dirige pas.
Quant à l'hypothèse d'une action extracorporelle intellectuelle de la conscience extérieure, elle peut également trouver sa justification dans les phénomènes médiumniques, - incidemment, dirons-nous, car, depuis longtemps déjà, elle s'appuie sur des faits autres que ceux du spiritisme : sur les expériences de somnambulisme et sur les phénomènes plus récemment étudiés de la télépathie.
C'est déjà un progrès fort appréciable et dont nous sommes redevables au spiritisme. M. Hartmann croit pouvoir et devoir admettre ces deux faits, dans la conviction qu'il ne quitte pas le terrain scientifique et qu'il reste fidèle à ses propres principes méthodologiques. Donc la science elle-même, en suivant ces principes, devra un jour reconnaître et proclamer ces grandes vérités ! Et la science avance déjà dans cette voie, car à l'heure qu'il est elle tend à réhabiliter un grand nombre de faits proclamés, il y a cent ans, par les magnétiseurs ; elle s'occupe, sur le tard, du somnambulisme, de la double conscience, de l'action extracorporelle au suprasensorielle de la pensée, etc. Quelques années auparavant, tout cela n'était, aux yeux de la science, qu'une honteuse hérésie. C'est maintenant le tour de la clairvoyance, et elle frappe déjà aux portes du sanctuaire...
Pour plus de brièveté, je propose de désigner par le mot animisme tous les phénomènes intellectuels et physiques qui laissent supposer une activité extracorporelle ou à distance de l'organisme humain, et plus spécialement tous les phénomènes médiumiliques qui peuvent être expliqués par une action que l'homme vivant exerce au-delà des limites de son corps[62].
Pour ce qui est du mot spiritisme, il sera appliqué seulement aux phénomènes qui, après examen, ne peuvent être expliqués par aucune des théories précédentes et offrent des bases sérieuses pour l'admission de l'hypothèse d'une communication avec les morts. Si les assertions contenues dans cette hypothèse trouvent leur justification, alors le terme animisme sera appliqué à une catégorie spéciale de phénomènes, produits par le principe animique (en tant qu'être indépendant, raisonnable et organisateur) pendant qu'il est relié au corps ; et dans ce cas le mot spiritisme comprendra tous les phénomènes qui peuvent être considérés comme une manifestation de ce même principe, mais dégagé du corps. Par médiumnisme nous entendrons tous les phénomènes compris dans l'animisme et le spiritisme, indépendamment de l'une ou de l'autre de ces hypothèses. Notre thèse se pose donc de la façon suivante :
Y a-t-il lien de recourir à l'hypothèse spirite pour expliquer les phénomènes médiumniques ? Ne trouvera-t-on pas tous les éléments nécessaires pour cette explication dans l'activité inconsciente - intra et extracorporelle - de l'homme, vivant ?
Avant de répondre à cette question, il nous faut examiner avec un soin particulier les effets de l'action extracorporelle de l'homme vivant, car ils jouent un rôle très important dans la question qui nous intéresse. Ce sujet est si nouveau pour les personnes qui ne se sont pas occupées de questions spiritiques, et il a été tellement négligé par les spirites mêmes, que je crois utile d'en donner un aperçu succinct, en classant les faits qui s'y rattachent dans plusieurs groupes, et y comprenant même des faits pris en dehors du domaine propre du spiritisme. Il est indispensable que nous puissions nous orienter sans difficulté dans cet ordre de phénomènes si nous voulons acquérir une idée claire du sujet et arriver aux conclusions qui s'imposent logiquement comme réponse à la question que nous venons déposer.
La répartition suivante des phénomènes de l'animisme, en quatre catégories, me paraît suffisante pour le but que je me propose. Ces quatres groupes sont :
1° Action extracorporelle de l'homme vivant, comportant des effets psychiques (phénomènes de la télépathie, impressions transmises à distance).
2° Action extracorporelle de l'homme vivante comportant des effets physiques (phénomènes télécinétiques, transmission de mouvement à distance).
3° Action extracorporelle de l'homme vivant, sous forme de l'apparition de son image (phénomènes téléphaniques, apparition de doubles).
4° Action extracorporelle de l'homme vivant se manifestant sous forme de l'apparition de son image avec certains attributs de corporéité (phénomènes téléplastiques, formation de corps matérialisés).
Le sujet que nous abordons étant très vaste, je me bornerai à citer quelques exemples se rapportant à chacun de ces quatre groupes, et de donner quelques indications quant aux sources, sans m'arrêter aux détails, de crainte de donner des dimensions exagérées à cet ouvrage.
I. - Action extracorporelle de l'homme vivant, comportant des effets psychiques (phénomènes de la télépathie - transmissions d'impressions à distance).
Comme exemple typique des manifestations de ce genre, je citerai le cas suivant, que je tiens de première main : d'une amie à moi, Mme Barbe Pribitkoff. Je reproduis son témoignage tel qu'elle l'a écrit :
« En 1860, je passais l'été au village de Bélaya-Kolp (près de Moscou), qui est la propriété du prince Schahovskoy. Sa belle-mère, la princesse Sophie Schahovskoy, avait pris l'habitude de traiter par l'homœopathie les malades des environs.
Un jour on lui amena une petite fille malade. Indécise quant au remède qu'elle devait lui administrer, la princesse eut l'idée de demander, au moyen de la table, un conseil au Dr Hahnemann. Je protestai énergiquement contre l'idée de traiter un malade suivant les indications d'un être que l'on ne saurait identifier. On insista et, malgré mon opposition, on réussit à m'installer devant la table, avec Mlle Kovaleff, une pupille de la princesse Schahovskoy.[63] En dépit de cette opposition intérieure, - car je m'abstenais de l’étendre jusqu'à l'activité de mes mains, - le pied de la table épela, au moyen de coups, le nom de Hahnemann, ce dont je fus fort contrariée, et je fis des vœux intimes pour qu'il refusât de formuler un conseil. Et juste, la phrase dictée fut qu'il ne pouvait pas donner de conseil. La princesse se fâcha à son tour ; elle attribua ce refus à mon opposition et m'éloigna de la table. Je ne puis dire qui me remplaça si ce fut la princesse elle-même ou une autre personne. Je m'assis auprès de la fenêtre, à quelques pas de la table, et m'efforçai, par une concentration de toute ma volonté, à faire reproduire par la table une phrase que je formulai mentalement. La princesse demanda alors « pourquoi Hahnemann ne pouvait pas donner « de conseil. » La réponse fut (en français) : « Parce que je suis devenu un insensé en fait de médecine, du jour où j'ai inventé « l'homœopathie. » Je dictai cette phrase en faisant appel à toute ma force de volonté et concentrant ma pensée successivement sur chacune des lettres qui devaient venir. Je me rappelle bien que pas une seule erreur ne fut commise au cours de la transmission de cette phrase. A peine la dictée fut-elle terminée, que je ressentis un violent mal de tête. »
Nous avons ici la preuve positive qu'une des formes les plus fréquentes des manifestations intellectuelles du spiritisme - par le moyen de la table - peut être l'oeuvre de l'effort intellectuel (c'est-à-dire à distance) d'une personne vivante ; l'effet produit émane de la conscience externe, agissant librement et dans les conditions normales, alors que, dans la règle, les manifestations de ce genre sont dues à l'action de la conscience intérieure et n'arrivent pas à la connaissance de la conscience extérieure.
Je citerai maintenant plusieurs cas de communications faites par des personnes vivantes pendant le sommeil. Pour commencer, voici un fait que je tiens également de première main de notre écrivain bien connu Wsevolod Solovioff, qui me l'a donné par écrit :
« C'était au commencement de l'année 1882. Je m'occupais, à cette époque, d'expériences de spiritisme et de magnétisme, et, depuis quelque temps, j'éprouvais une étrange impulsion qui me poussait à prendre un crayon dans la main gauche et à écrire ; et, invariablement, l'écriture se faisait très rapidement et avec beaucoup de netteté, en sens inverse : de droite à gauche, de sorte qu'on ne pouvait la lire qu'en la tenant devant une glace ou contre le jour. Un soir que je m'étais attardé dans une conversation avec des amis, je ressentis à deux heures du matin ce désir irrésistible d'écrire. Je pris le crayon et priai une dame de mes amies, Mme P., de le tenir en même temps nous nous mîmes ainsi à écrire tous les deux à la fois. Le premier mot fut : Véra. A notre question : Quelle Véra ? nous obtînmes par écrit le nom de famille d'une jeune parente à moi, avec la famille de laquelle j'avais récemment renoué des relations, après une interruption assez prolongée. Nous en fûmes étonnés, et, pour être bien sûrs de ne pas nous tromper, nous demandâmes : « Est-ce vraiment Véra M.? » Nous reçûmes cette réponse : « Oui. Je dors, mais je suis ici, et je suis venue pour vous dire que nous nous verrons demain au Jardin d'Été. » Alors j'abandonnai le crayon et nous nous séparâmes là-dessus.
Le lendemain, vers 1 heure, je reçus la visite du poète Maïkoff à 2 heures et demie, il prit congé ; je lui offris de l'accompagner, et nous sortîmes ensemble, reprenant la conversation interrompue. Je le suivais machinalement. Je demeurais alors au coin des rues Spasskaïa et Znamenskaïa. En passant par la rue Pantélémonskaïa, à la hauteur du pont des Chaînes, mon compagnon regarda l'heure et observa qu'il n'avait que juste le temps et qu'il serait obligé de prendre un fiacre. Nous nous séparâmes, et j'entrai, tout aussi machinalement, par les portes du Jardin d'Été (à côté du pont des Chaînes). Jamais, pendant l'hiver, je ne m'étais promené dans ce parc. Il faut dire, aussi, que je ne pensais plus à ce qui s'était passé la veille, à notre séance spiritique. Jugez de mon étonnement, lorsque, ayant à peine franchi de quelques pas la grille du Jardin d'Été, je me trouvai face à face avec Mlle Véra M., qui se promenait avec sa demoiselle de compagnie. A ma vue, Mlle Véra M. se troubla visiblement, aussi bien que moi-même, d'ailleurs, car notre séance de la veille me revint subitement à l'esprit. Nous nous serrâmes la main et nous quittâmes sans mot dire.
Le soir même, j'allai voir sa famille, et la mère de Véra, après les premières paroles de bienvenue, commença à se plaindre de l'imagination fantastique de sa fille ; elle me raconta que celle-ci, en rentrant de sa promenade au Jardin d'Été, le jour même, avait manifesté un état extraordinaire d'excitation, qu'elle avait beaucoup parlé de sa rencontre avec moi, comme d'un miracle ; qu'elle avait raconté être venue chez moi en songe et m'avoir annoncé que nous nous rencontrerions au Jardin d'Été, à 3 heures.
Quelques jours après, il se produisit un fait similaire, et dans les mêmes conditions : à la séance, ma main écrivit le nom de Véra, et ensuite il nous fut annoncé qu'elle passerait chez nous le lendemain à 2 heures. En effet, à l'heure indiquée, elle se présentait chez nous, avec sa mère, pour nous faire une visite. Ces faits ne se renouvelèrent plus. »
Des cas analogues abondent assez dans la littérature spirite ; ainsi nous lisons dans un article de Max. Perty, sous le titre de Nouvelles expériences dans le domaine des faits mystiques :
« Le 20 juillet 1858, une jeune fille, Sophie Swoboda, se trouvait avec sa famille à table, prenant un punch, pour fêter une solennité de famille ; elle était d'humeur calme et contente, bien que fatiguée un peu des travaux de la journée. Brusquement elle se souvint de ne pas avoir fait sa tâche, la traduction d'un texte français en allemand, qui devait être prête pour le lendemain matin. Que faire ? Il était trop tard pour se mettre au travail : près de 11 heures ; elle était d'ailleurs trop fatiguée. Dans cette préoccupation Mlle Swoboda quitta la société et s'isola dans la chambre voisine, songeant à sa fâcheuse distraction, qu'elle regrettait d'autant plus qu'elle avait une estime particulière pour son institutrice. Mais voilà que, sans s'en rendre compte, et sans même en éprouver aucun étonnement, Sophie croit se trouver en face de Mme W., l'institutrice en question ; elle lui parle, lui fait part, d'un ton enjoué, de la cause de son dépit. Soudain, la vision disparaît, et Sophie, d'esprit calme, rejoint la société et raconte aux convives ce qui lui est arrivé.
Le lendemain, Mme W. arrive à son heure et prévient Sophie, de prime abord, qu'elle sait que son devoir n'est pas préparé, et elle fait le récit suivant en présence de la mère de Sophie : la veille, à dix heures du soir, elle avait pris en main le crayon, pour communiquer avec feu son mari, au moyen de l'écriture automatique, ainsi qu'elle en avait l'habitude ; mais cette fois, au lieu de tracer le nom attendu et espéré, le crayon avait commencé à formuler des mots en allemand, dans une écriture qu'elle avait reconnue être celle de Sophie ; c'étaient des termes plaisants, exprimant du mécontentement au sujet du devoir qui n'avait pas été fait, par oubli. Mme W. montra le papier, et Sophie put se convaincre que non seulement l'écriture était la sienne, mais que les expressions étaient celles qu'elle avait employées dans sa fictive conversation avec l'institutrice. Mlle Sophie S. atteste que Mme W. est une personne d'une grande sincérité, incapable de commettre le moindre mensonge[64]. » Dans le même article de Perty, nous trouvons un autre exemple d'écriture médiumnique exécutée par l'esprit de Sophie Swoboda, à une séance qui eut lieu à Mœdiing, pendant qu'elle s'était endormie à Vienne. Je reproduis ce récit in extenso, d'après Perty :
« Le cas suivant est particulièrement édifiant grâce à un concours de circonstances très intéressant : l'esprit se transporte dans un endroit éloigné, dans un entourage absolument étranger, et il agit par l'intermédiaire d'un médium qui s'y trouve. Ce fait n'a, évidemment, de valeur qu'en tant que son authenticité est certaine, ainsi que j'ai toute raison de l'admettre, sur la foi des documents qui m'ont été fournis. Le 21 mai 1866, jour de la Pentecôte, Sophie (elle habitait Vienne à cette époque) avait passé toute la matinée au Prater, à l'exposition d'agriculture ; elle rentra à la maison toute fatiguée et souffrant d'un mal de tête. Après avoir pris quelque nourriture à la hâte, elle se retira dans sa chambre pour se reposer. Quand elle se coucha, il était presque 3 heures de l'après-midi. Avant de s'endormir elle se sentit particulièrement disposée à se dédoubler, c'est-à-dire à quitter son corps et à agir indépendamment de ce dernier. Ses paupières alourdies se fermèrent, et elle se trouva transportée immédiatement dans une chambre qui lui était bien familière, appartenant à une personne qu'elle connaissait très bien. Elle y aperçut cette personne et tenta vainement de se faire voir à elle ; Sophie regagna alors sa chambre, et, se sentant encore assez de forces, elle eut l'idée de se rendre chez M. Stratil, le beau-père de son frère Antoine, dans l'intention de lui faire une surprise agréable. Avec la rapidité de la pensée, se sentant libre de ses mouvements, elle franchit l'espace, ne jetant qu'un regard fugitif sur Vienne et le Wienerberg, et se trouva transportée dans le beau pays qui environne la ville de Mœdling, et là, elle se vit dans le cabinet de M. Stratil, en face de lui-même, et de M. Gustave B., qu'elle estimait beaucoup et auquel elle désirait vivement donner une preuve palpable de l'activité indépendante de l'esprit, car il avait toujours manifesté une attitude sceptique à ce sujet. Toute à l'impression de son déplacement vertigineux et d'humeur plaisante, Sophie se sentait admirablement bien, n'éprouvant ni inquiétude ni abattement[65]. Elle s'adressa directement à M. B. et lui parla d'un ton enjoué et gai, lorsque soudain elle fut réveillée (à Vienne) par un cri qui retentit dans la chambre voisine de la sienne, celle où dormaient ses neveux et nièces. Elle ouvrit les yeux, non sans un profond dépit, et peu s'en fallut qu'elle ne se fût pas souvenue de la conversation qui avait eu lieu à Mœdling, et qui avait été interrompue d'une façon si fâcheuse. Heureusement, M. B. avait inscrit soigneusement le dialogue entier. Ce procès-verbal, M. Stratil l’a annexé à sa collection de messages spiritiques. La conversation avec Sophie avait, par conséquent, présenté les caractères d'une communication spirite, donnée par un médium. Le compte rendu suivant fait partie du procès-verbal de M. Stratil :
Le lendemain, c'est-à-dire le 22 mai, Mlle Caroline, la fille de M. Stratil, reçut une lettre que lui envoyait (à Vienne) son père, qui était à Mœdling. Entre autres, cette lettre contenait les questions suivantes :
- Comment Sophie a-t-elle passé la journée du 21 mai ? Qu'a-t-elle fait ? N'a-t-elle pas dormi ce jour-là entre 3 et 4 heures de l'après midi ? Si oui, qu'a-t-elle vu en songe ?
La famille de Sophie savait bien qu'elle avait été couchée pendant ce temps, souffrant d'un violent mal de tête, mais personne n'avait eu connaissance de ce qu'elle avait vu en songe. Antoine questionna sa sœur à ce sujet, sans rien lui dire toutefois de la lettre qu'il avait reçue de son beau-père. Néanmoins, le récit de ce songe mettait Sophie dans un embarras évident : sans comprendre où son frère voulait en venir avec ses questions, elle hésitait à lui répondre. Elle lui répondit qu'elle se souvenait seulement de l'incident principal, à savoir qu'elle avait quitté son corps et qu'elle avait visité d'autres lieux, mais lesquels, elle ne se le rappelait plus. Et cependant, Sophie se souvenait parfaitement bien de tous les détails de sa première visite, mais il lui était désagréable de les divulguer. Quant à sa deuxième visite, elle en avait perdu le souvenir précis, à cause de son brusque réveil, et, malgré son désir d'en faire part à son frère, elle ne le put pas.
A la suite des instances de ce dernier, elle parvint enfin à se souvenir qu'elle s'était trouvée en compagnie de deux messieurs, l'un âgé, l'autre jeune, et qu'elle avait eu avec eux un entretien animé ; elle se rappelait avoir éprouvé une impression désagréable à un moment donné, parce qu'elle se trouva en dissentiment avec ces messieurs.
Antoine communiqua tous ces détails à Mœdling, et, en réponse, il reçut de M. Stratil une lettre renfermant un pli cacheté. M. Stratil exprimait le désir que ce pli ne fût ouvert que lorsque Sophie parlerait elle-même d'une lettre qu'elle devait recevoir de M. B. On garda un silence absolu sur cette correspondance, et personne ne connaissait les intentions de M. Stratil ; Antoine aussi bien que Rose et Caroline en étaient réduits à faire des conjectures sur les missives étranges de M. Stratil. Mais le désir de ce dernier de garder intact le paquet fermé fut respecté rigoureusement. Quelques jours se passèrent, et le pli cacheté fut complètement oublié au milieu des préoccupations journalières. Le 30 mai, Sophie reçut par la poste une lettre coquette renfermant une photographie de M. B. La lettre disait : « Madame, me voilà. Me reconnaissez-vous ? Dans ce cas, je vous prie de m'assigner une place modeste soit sur le rebord du plafond, soit sur la voûte. Vous m'obligeriez beaucoup de ne pas me suspendre, si cela est possible ; il vaudra mieux me reléguer dans un album, ou bien dans votre missel, où je pourrai facilement passer pour un saint dont on fête l'anniversaire le 28 décembre (jour des Innocents). Mais, si vous ne me reconnaissez pas, mon portrait ne saurait avoir aucune valeur pour vous, et dans ce cas, je vous serais fort obligé de me le renvoyer. Agréez, etc. N. N. »
Les termes et les tournures de phrases employés dans cette lettre étaient bien familiers à Sophie. Il lui paraissait que les phrases étaient en grande partie les siennes ; mais elle n'en avait qu'une vague souvenance. Elle montra la lettre mystérieuse à Antoine et à ses deux belles-sœurs ; alors Antoine ouvrit, en présence de tout le monde, le paquet envoyé par M. Stralil. Il contenait le procès-verbal d'une conversation psychograpbique avec un personnage invisible, à une séance où les questions avaient été posées par M. Stratil lui-même, M. B. fonctionnant comme médium. C'est de la main de ce dernier que les communications suivantes avaient été inscrites :
« Procès-verbal. Mœdling, le 21 mai 1866, à 3 h. 1/4. p. m.
Sratil. Nous voilà seuls, et nous désirerions communiquer avec le même personnage féminin qui s'est manifesté le 6 de ce mois. Louise T., tu nous avais promis de revenir aujourd'hui, jour de la Pentecôte. Nous sommes prêts, etc...
- Mon cher Gustave, je dors et je te vois en songe, et je suis heureuse. Sais-tu qui je suis ?
Gustave B. - Je n'en ai pas la moindre idée et voudrais bien que tu te fisses connaître.
- Je ne le puis ni ne le veux. Il faut que tu devines.
Gustave B. - Je commence à croire, chose stupéfiante..... que je suis en présence de.....
- Erreur. Je sais qui tu veux dire, je suis une femme à qui tu avais également promis ton portrait, et je viens pour te rappeler ta promesse. Je me sens heureuse en songe, mais ce n'est pas parce que je rêve de toi, homme présomptueux..... ceci n'est qu'une coïncidence fortuite.
Gustave B. - Je ne suis pas assez vaniteux pour supposer que la possession de mon portrait ou mon apparition en songe puisse faire le bonheur de qui que ce soit. Mais dis-moi, mon inconnue, comment se fait-il que tu viennes pour me rappeler une promesse si futile, que j'ai pu, en effet, faire à plusieurs personnes ?
- C'est qu'aujourd'hui une excellente occasion se présente à toi de tenir parole, sans aucune peine et sans rien dépenser. A quoi bon commander trois photographies et en détruire deux ? Pourquoi n'obtiendrais-je pas une des épreuves condamnées à périr ?
Gustave B. - Soit, du moment que tu es si bien instruite, tu auras mon portrait, dusse-je pour cela poser encore une fois chez le photographe. Mais, explique-moi d'abord pourquoi tu écris en lettres latines et non en lettres allemandes, et dis-moi ensuite, chère inconnue, qui tu es, car, autrement, je risquerais d'envoyer mon cadeau à une fausse adresse, ce qui me compromettrait.
- Les Lettres latines, c'est un simple caprice d'enfant de ma part. Qui je suis ? Voici mon adresse, c'est là que tu enverras la lettre que je vais te dicter, car je veux savoir si je me rappellerai, à mon réveil, ce que je vois en songe. Tu écriras...
Gustave B. - Compose la lettre toi-même, afin que nous ayons le contrôle de ton rêve.
- Madame, me voici, me reconnaissez-vous ? Dans ce cas, etc. (Suit textuellement la lettre anonyme que Sophie avait reçue.) Adresse : Mademoiselle S. S. M. G. Alservorstadt, maison numéro 19.
Gustave B. - Il faut dire la rue, sinon l'adresse n'est pas complète.
- Es-tu malin ! Tu la connais. Tu t'es parfaitement rappelé aussi la promesse que tu m'avais faite de m'envoyer ton image ensorcelée sur un morceau de papier. Tout le reste est sans importance ; envoie-moi au plus tôt ton portrait. Tu me feras plaisir.
Gustave B. - Alors, j'ai bien deviné la rue : c'est « Marianengasse » ?
- Oui. Et tu as tout aussi bien deviné les deux S.
Stratil. - En effet, mais le troisième S demande la permission de te saluer comme sa chère cousine. (Suit une observation plaisante de la part du vieux monsieur et une réplique de Sophie.)
Stratil. - Malgré la petite altercation que nous avons eue, j'espère que tu n'en veux pas au troisième S. et que tu acceptes son compliment ?
- Comment pourrais-je en vouloir à un ami aussi paternel ? Mais il est temps de terminer notre colloque. J'entends, comme dans un demi-songe, les enfants crier et faire du tapage, dans la chambre voisine de la mienne, et je sens que mes idées s'égarent. Adieu. Envoie-moi une lettre et ton portrait.
Gustave B. - Merci de ta visite. Nous te prions d'accepter nos amitiés et espérons que tu te souviendras de nous après ton réveil. La lettre et la photographie te seront envoyées avant peu de jours. Adieu et bonne nuit !
- Adieu, je me rév...
(Fin de la séance à 4 heures.)
A la lecture de ce procès-verbal, les souvenirs de Sophie devenaient de plus en plus précis, et elle s'écriait de temps en temps : « Oh! oui, c'est bien ça ! » Vers la fin de la lecture, Sophie était maîtresse de sa mémoire et se souvenait de tous les détails, qui lui avaient échappé à la suite de son brusque réveil. Antoine avait remarqué que l'écriture en question ressemblait beaucoup à celle de Sophie, dans ses devoirs de français. Quant à Sophie, elle ne pouvait qu'être du même avis.
Les procès-verbaux des communications spiritiques, écrits de la main de M. Gustave B., se distinguent par cette particularité que l'écriture n'y est pas la même d'un bout à l'autre : quand il inscrit les questions posées, l'écriture est généralement la sienne propre, mais les réponses qu'il y fait, en qualité de médium, sont écrites d'une tout autre main. Antoine a rendu compte en détail à M. Stratil de l'attitude de Sophie lors de la réception de la lettre et pendant la lecture du procès-verbal. Ce compte rendu est joint à sa riche collection de messages psychographiques en même temps que le procès-verbal qui vient d'être lu.»
Dans l'ouvrage de la baronne Adelma von Vay : Studien über die Geisterwelt (Essais sur le monde des Esprits), nous trouvons un chapitre intitulé « Manifestations médianimiques de l'esprit d'un homme vivant », et nous renvoyons le lecteur à la page 327 et suivantes, dans lesquelles il est question de communications faites par le cousin de la baronne, le comte Wurmbrand, qui se trouvait en ce moment en campagne et prenait part à la bataille de Königgraetz. Le lendemain de la bataille, il lui avait communiqué, par sa main à elle (la baronne écrivait médiumniquement), qu'il n'avait pas été tué. Cette nouvelle se trouva être exacte, bien que son nom figurât dans la liste des morts.
M. Thomas Everitt, dont la réputation est bien établie parmi les spiritualistes et dont la femme est un médium excellent, raconte un fait intéressant dans un mémoire présenté à « l'Association britannique des Spiritualistes » (mois de novembre 1875), sous le titre de Démonstration de la nature double de l'homme. Le voici :
« Ce n'est pas chose rare pour les spiritualistes de recevoir des communications de personnes qui affirment être encore de ce monde. Nous en avons souvent fait l'expérience, surtout au début. Ces messages, transmis par coups frappés ou par l'écriture, portaient bien la marque caractéristique des personnes qui affirmaient en être les auteurs soit pour le style, soit pour l'écriture. Ainsi, par exemple, un de nos amis, doué de facultés médiumniques, conversait fréquemment avec nous par l'intermédiaire de ma femme et nous transmettait des communications qui correspondaient d'une façon absolue à son caractère. Dans ses lettres, il demandait souvent à savoir si les communications qu'à son tour il recevait de M. Everitt étaient exactes, et il arrivait fréquemment que les messages transmis de part et d'autre, par voie de la parole, de coups frappés ou de l'écriture, étaient tout à fait justes. »
Ensuite M. Everitt relate les détails d'une séance au cours de laquelle il reçut une communication écrite de la main de sa femme et venant de la part de son ami M. Mëers (médium aussi), un mois après le départ de ce dernier pour la Nouvelle-Zélande[66].
L'écrivain anglais bien connu, Mrs. Florence Marryat, raconte, de son côté, qu'elle a reçu, par sa propre main, une communication de la part d'une personne qui dormait au moment de transmettre le message :
« Il y a de cela quelques années, j'entretenais des relations amicales avec un monsieur qui avait perdu une sœur très aimée, avant que nous n'eussions fait connaissance. Il me parlait souvent d'elle, et j'appris ainsi tous les détails de sa vie et de sa mort. Les hasards de la vie nous séparèrent, et pendant onze années je n'eus aucun rapport avec cet ami.
Or, un jour que je recevais par la table un message émanant d'une dame de ma connaissance, la table me dicta d'une façon tout inattendue le nom de la sœur de l'ami que j'avais perdu de vue. Ce fut la première tentative qu'elle fit pour entrer en communication avec moi. Le dialogue suivant s'engagea entre nous :
- Que désirez-vous de moi, Emilie ?
- Je viens pour vous dire que mon frère est en Angleterre en ce moment et qu'il désirerait beaucoup vous voir. Ecrivez-lui à l'adresse du club de la ville de C... et dites-lui où il pourra vous voir.
- Je ne pense pas pouvoir le faire, Emilie ; il y a très longtemps que nous ne nous sommes vus, et peut-être ne voudra-t-il pas renouveler ses relations avec moi.
- Mais si. Il le désire. Il pense souvent à vous ; écrivez-lui donc.
- Avant de le faire, je voudrais avoir une preuve de ce que vous me dites.
- Il vous le dira lui-même, par le même moyen. Reprenez la séance à minuit. Il sera endormi alors, et je vous amènerai son âme.
Je me conformai à cette injonction et repris ma place, devant la table, à minuit précis. Emilie s'annonça de nouveau et me dit :
- Je vous ai amené mon frère. Il est ici. Questionnez-le vous-même.
Je demandai :
- Est-il vrai, comme me l'assure Emilie, que vous désirez me voir ?
- Oui. Apportez un crayon et du papier.
Lorsque j'eus exécuté ce qu'il me demandait, il continua :
- Ecrivez ce que je vais vous dire (et j'inscrivis ce qui suit) :
- De longues années, il est vrai, se sont passées depuis que nous nous sommes vus la dernière fois. Mais quelques longues que soient ces années, elles ne peuvent effacer le souvenir du passé. Je n'ai jamais cessé de penser à vous et de prier pour vous.
Quelques instants après, il ajouta :
- Conservez cette feuille et envoyez-moi une lettre, à l'adresse du club de C... -
Me méfiant de mes facultés médiumniques, ce n'est que dix jours après que je me décidai à écrire à mon ami, dont je ne soupçonnais nullement la présence en Angleterre, ne connaissant pas, à plus forte raison, son adresse. Par retour du courrier Je reçus sa réponse dans laquelle il reproduisait exactement les paroles que j'avais inscrites dix jours auparavant.
La science a-t-elle le pouvoir d'expliquer comment les paroles obtenues par la table à Londres, le 5 décembre, ont pu être transmises, par une voie naturelle quelconque, au cerveau d'un homme vivant qui se trouvait à une distance de 400 milles anglais, et que le 15 du même mois, il les ait répétées dans sa lettre ? Les faits qui m'avaient été communiqués m'étaient non seulement inconnus : ils étaient invraisemblables. Bien plus, c'étaient des faits non encore accomplis, mais qui devaient avoir lieu dix jours après. Ce n'est pas le seul cas de ce genre que j'aie observé. Il m'est arrivé maintes fois de recevoir des communications de personnes vivantes, par l'intermédiaire de médiums parlant à l'état de transe[67]. »
Miss Blackwell, écrivain spirite très sérieux, raconte un fait encore plus remarquable : l'évocation de l'esprit d'un homme vivant, pendant son sommeil, et qui avoue, par la main du médium, un vol qu'il avait commis[68].
Il y a aussi des exemples de communications provenant de personnes vivantes, transmises par la bouche d'un médium en transe. Le Juge Edmonds nous donne le témoignage positif d'un phénomène de ce genre, dans son livre : Spiritual Tracts, dans le chapitre intitulé : « Communications médiumniques avec les vivants. » Voici son récit :
« Un jour que je me trouvais à West Roxbury, je fus mis en rapport, par l'intermédiaire de ma fille Laure, avec l'esprit d'une personne que j'avais bien connue dans le temps, mais que je n'avais pas vue depuis quinze ans. C'était un homme d'un caractère tout à fait étrange ; il ressemblait si peu à tous ceux que j'avais connus et était si original, qu'il n'y avait pas moyen de le confondre avec un autre. J'étais loin de penser à lui. Quant au médium, il lui était complètement inconnu. Il se manifesta non seulement avec toutes les particularités qui le caractérisaient, mais me parla même de choses que lui et moi étions seuls à connaître. A la suite de cette séance, je conclus qu'il était mort, et quel ne fut pas mon étonnement en apprenant qu'il était en vie. Il l'est encore. Je ne puis entrer ici dans tous les détails de notre conversation, qui dura plus d'une heure. J'étais bien persuadé que je n'avais pas été l'objet d'une illusion, que c'était une manifestation spiritique pareille à beaucoup d'autres que j'avais observées moi-même ou qu'on m'avait racontées. Mais comment cela pouvait-il se faire ? C'est une question qui m'obséda longtemps. Par la suite, j'ai souvent été témoin de faits analogues qui ne me permirent plus de douter que nous puissions obtenir des communications de personnes vivantes tout aussi bien que des messages de personnes décédées. »
Dans la biographie du célèbre médium M. Conant, nous lisons qu'il lui est arrivé de transmettre des communications de la part de personnes vivantes ou bien de se manifester elle-même à diverses séances, par l'intermédiaire d'autres médiums (pp. 91-107).
Un autre médium, en même temps auteur bien connu, M. Hardinge Brittan, raconte, dans son article « Sur les Doubles », publié dans le Banner of Light (numéros des 6 novembre et 11 décembre 1875) que, dans l'année 1861, se trouvant à l'état de transe, elle a parlé au nom d'une personne qui était vivante, ainsi que cela fut constaté plus tard.
Dans ce même article, elle cite un cas intéressant qui s'est présenté en 1858 : dans un cercle spirite à Cleveland, chez M. Cutler, un médium féminin se mit à parler allemand, bien que cette langue lui fût complètement inconnue. L'individualité qui se manifestait par elle se donnait pour la mère de miss Marie Brant, une jeune personne allemande qui se trouvait présente. Miss Brant affirmait que sa mère, autant qu'elle le savait, était en vie et bien portante. Quelque temps après, un ami de la famille, venant de l'Allemagne, apporta la nouvelle que la mère de miss Brant, après avoir traversé une maladie sérieuse, à la suite de laquelle elle était tombée dans un long sommeil léthargique, déclara à son réveil avoir vu sa fille, qui se trouvait en Amérique. Elle dit qu'elle l'avait aperçue dans une chambre spacieuse, en compagnie de plusieurs personnes et qu'elle lui avait parlé[69].
M. Damiani raconte, de son côté, qu'aux séances de la baronne Cerrapica, à Naples, on a souvent reçu des communications provenant de personnes vivantes. Il dit, entre autres : « Il y a de cela environ six semaines, notre ami commun, le docteur Nehrer, qui vit en Hongrie, son pays natal, se communiqua à nous par la bouche de notre médium, la baronne. Sa personnification ne pouvait être plus complète : ses gestes, sa voix, sa prononciation, le médium nous les transmettait avec une fidélité absolue, et nous étions persuadés que nous nous trouvions en présence du Dr Nehrer lui-même. Il nous dit qu'en ce moment il faisait un somme, se reposant des fatigues de la journée, et nous fit part de divers détails d'ordre privé, et que tous les assistants ignoraient complètement. Le lendemain, j'écrivis au docteur..... Dans sa réponse, il constata que les détails communiqués par son esprit étaient exacts en tous points[70]. »
Parmi les exemples constatés en Russie, de communications faites par les personnes vivantes, par l'intermédiaire de médiums, je citerai le suivant, publié dans le Rébus de 1884 :
« A l'une des séances, notre interlocuteur déclara être le fils d'une propriétaire de notre voisinage, demeurant à une distance de 8 verstes. Ce jeune homme est chargé d'un service dans l'un des gouvernements du midi de la Russie. Le matin même du jour de la séance, un de nous avait vu sa mère. Il n'avait pas été question de son arrivée et, néanmoins, en parlant avec nous, il déclara qu'il était arrivé dans sa propriété deux heures auparavant. A notre question comment il se faisait qu'il pouvait parler avec nous, il répondit : « Je dors. »
Intrigués et croyant être l'objet d'une hallucination, deux d'entre nous se rendirent le lendemain matin chez notre voisine. Ils trouvèrent le jeune homme en question encore couché, et apprirent de lui que pour affaires de service il se rendait à Saint-Pétersbourg et qu'il s'était arrêté, chemin faisant, chez sa mère un jour seulement. La veille, au soir, fatigué du voyage, il s'était de suite mis au lit. - Samoïloff, Trifonoff, Meretzki, Slavoutinskoy. Village Krasnya Gorki (gouvernement de Kostroma), le 19 janvier 1884. »
Si un bon médium écrivain s'était trouvé à cette séance, et si la communication transmise au nom de la personne qui dormait avait été écrite de son écriture, ce fait eût été une preuve précieuse à l'appui de la théorie qui nous occupe. A mon su, un seul fait de ce genre a été dûment constaté en Russie : un de nos médiums, Mme K., m'a raconté qu'à une séance, tenue dans un cercle privé, auquel assistaient seules sa mère et sa sœur, le crayon dont elle avait l'habitude de se servir pour ces expériences s'arrêta subitement, et, après une pause de quelques instants, commença à tracer des mots dans une écriture inégale et très fine. Quelques mots seulement furent écrits, et on ne put les déchiffrer de suite. Mais la signature qui suivit, composée de deux lettres vigoureusement tracées, fut immédiatement reconnue et excita l'étonnement de tout le monde. C'était la signature du frère du médium, lequel se trouvait à Tachkend.
La première pensée fut qu'il était mort et qu'il était venu en faire part. On se mit à déchiffrer l'écriture et voici les mots qui furent lus : « J'arriverai bientôt. » Tout le monde fut vivement surpris de ce message, d'autant plus que peu de temps auparavant on avait reçu une lettre de lui, dans laquelle il écrivait qu'il viendrait en qualité de courrier, mais pas de sitôt, étant inscrit le quinzième sur la liste et que, par conséquent, son voyage ne pourrait se faire avant un an. On nota l'heure et la date de cette communication, - c'était le 11 mai 1882, 7 heures du soir, - et cette communication fut montrée à plusieurs personnes de l'intimité de la famille K.
Au commencement de juin, le frère du médium arriva en effet. On lui fit voir le curieux message. Il reconnut sa signature, sans la moindre hésitation, et nous dit que c'était à cette date même qu'il s'était mis en route. D'après le calcul du temps qui fut fait, il fut constaté qu'au moment où la communication était transmise il était plongé dans un profond sommeil dans le tarantass (voiture de voyage) et qu'avant de s'endormir il avait pensé aux siens, à la surprise que leur procurerait son arrivée. J'ai eu sous les yeux le message en question, et j'ai pu vérifier la ressemblance complète de la signature qui s'y trouvait avec celle de M. K.
En ce qui concerne la constatation et l'étude de ce genre de phénomènes par voie expérimentale, je ne puis citer que ce passage tiré du traité du juge Edmonds dont il vient d'être question :
« Il y a environ deux ans, j'ai été témoin d'un exemple frappant de ce genre. On avait organisé deux cercles, l'un à Boston, l'autre dans cette ville (New-York). Les membres de ces cercles se réunissaient simultanément dans les deux villes et communiquaient entre eux par leurs médiums. Le cercle de Boston recevait, par son médium, des communications émanant de l'esprit du médium de New-York, et vice versa. Cela dura ainsi pendant plusieurs mois, au cours desquels les deux groupes inscrivaient soigneusement les procès-verbaux. J'ai l'intention, sous peu, de publier le compte rendu de ces expériences, qui constituent une tentative intéressante de télégraphie intellectuelle, dont la possibilité est ainsi démontrée. »
Il est fort regrettable que M. Edmonds n'ait pas réalisé ce projet. Je me rappelle un fait de ce genre qui s'est passé en Russie : la fille de M. Boltine, un de nos spirites les plus zélés pour la propagande, était médium écrivain. Elle demeurait à Saint-Pétersbourg et communiquait avec sa sœur mariée, Mme Saltykoff, qui restait en province ; le rapport médiumnique s'établissait le soir, alors que l'une des sœurs était censée dormir, l'autre recevant, à l'état de veille, les messages que lui transmettait sa sœur endormie. Les lettres qu'elles s'écrivaient confirmaient régulièrement les communications faites pendant le sommeil. Je tiens ce fait de Mme P., qui fréquentait la famille Boltine. Malheureusement, je l'ai perdue de vue et ne puis, par conséquent, me procurer les détails nécessaires.
Bien avant qu'il n'ait été question de spiritisme, les phénomènes du magnétisme animal avaient démontré qu'un rapport extracorporel, d'ordre intellectuel, peut être établi entre les hommes. Lorsque j'étais à Paris, en 1878, j'eus l'occasion, grâce à M. Donato et à son excellent sujet, de faire une belle expérience de transmission de la pensée à distance, comme je ne crois pas qu'il y en ait eu une pareille. Elle réussit à merveille. Le compte rendu en a été publié dans la Revue magnétique du 16 février 1879. M. Ochorowicz me fait l'honneur de citer cette expérience en détail dans son important ouvrage De la Suggestion mentale (Paris, 1887). En 1883, la Société des recherches psychiques de Londres commença ses études sur la transmission de la pensée et les établit d'une façon incontestable. Les expériences du professeur Ch. Richet et d'autres savants français ont confirmé ces résultats par d'autres méthodes[71].
Les faits que nous venons de citer ne font, par conséquent, que présenter un aspect différent d'un même phénomène : l'action intellectuelle réciproque, proclamée par le spiritisme. Ils nous prouvent que certains phénomènes assez communs, tels que les messages transmis par le moyen de la table, par l'écriture ou par la parole, peuvent, en effet, être attribués à une cause qui se trouve en dehors du médium, qu'on peut chercher cette cause dans l'activité consciente ou inconsciente d'un homme vivant qui se trouve en dehors de l'enceinte où le cercle est réuni.
Ces faits ont une grande valeur, car, grâce à eux, nous pouvons établir, par l'observation directe, le lien qui unit la cause à l'effet.
II. - Action extracorporelle de l'homme vivant, sous forme d'effets physiques (phénomènes télécinétiques - déplacement d'objets à distance).
Du moment que l'on reconnaît les phénomènes médiumniques physiques (parmi lesquels les plus concluants sont les phénomènes du déplacement d'objets sans contact), nous sommes forcés d'admettre dans l'homme la faculté d'exercer une action physique à distance.
Une action physique étant en soi impersonnelle, il est impossible d'affirmer que telle manifestation physique - par exemple le déplacement d'un objet sans qu'on y ait touché - se soit produit par l'action de A. ou de B. On attribue habituellement ces phénomènes à l'action spéciale de l'un des assistants, le médium, et il nous importe, avant tout, de nous assurer qu'il en est ainsi. Le reste ne sera plus qu'une question de quantité et de qualité. Ce qui est possible à A. peut aussi bien, à un degré quelconque, être possible à B., que ce dernier soit absent ou présent à la séance et ce que A. peut accomplir à une petite distance, B. pourra être à même de l'accomplir à une distance considérable. Ainsi B. pourrait se manifester soit par l'effet de sa propre médiumnité, soit par la médiumnité de A. dans ce dernier cas, nous aurions une manifestation physique non seulement extracorporelle, mais encore extramédiumnique, car l'effet aura été produit non par le médium lui-même, mais par l'action qu'une autre personne vivante aura exercée sur lui. Le fait d'une action intellectuelle à distance une fois établi, l'effet physique produit à distance ne serait plus que son corollaire ou vice versa.
Tant que nous n'avons affaire qu'à un effet physique, nous l'attribuons sans hésiter à l'action du médium, mais cette conclusion est basée uniquement sur la probabilité logique. C'est à la rubrique IV que nous en trouverons la preuve ; nous y verrons que l'effet physique est produit par le double du médium que l'on a sous les yeux au moment même où l'action s'accomplit.
Les expériences instituées indépendamment du spiritisme, dans le but de démontrer la possibilité d'une action extracorporelle se manifestant à distance, par un effet physique, sont peu nombreuses.
M. H. Wedgwood témoigne comme il suit d'une expérience de ce genre faite par Mme de Morgan, la femme de feu le professeur de Morgan, l'auteur du livre Matière et Esprit (From Matter to Spirit) :
« Un exemple, dont Mme de Morgan m'a souvent entretenu, fera mieux comprendre le pouvoir que possède l'esprit extra-corporel de produire, dans certaines conditions, des effets physiques. Elle avait eu l'occasion de traiter par le magnétisme une jeune fille, une clairvoyante, et plusieurs fois elle mit à l'épreuve sa faculté de clairvoyance pour la faire aller en esprit en différents lieux afin d'y observer ce qui s'y passait. Un jour, elle eut le désir que le sujet se rendît dans la maison qu'elle habitait. « Bien, dit la jeune fille, m'y voici, j'ai frappé avec force contre la porte. » Le lendemain. Mme de Morgan s'informa de ce qui s'était passé dans sa maison au même moment : « Plusieurs méchants enfants, lui répondit-on, étaient venus cogner contre la porte et puis s'étaient sauvés[72]. »
On trouvera le pendant de semblables expériences sous la rubrique IV : il s'agissait du double d'un sujet mesmérisé qui avait même été vu pendant qu'il produisait un effet physique.
Voici ce que nous lisons dans Perty, au sujet de la célèbre visionnaire de Prevorst : « Mme Haufe avait le pouvoir de se manifester chez des amis en produisant, la nuit, des coups sourds mais bien distincts, et comme aériens. Un jour, elle frappa ainsi chez Kerner (un médecin qui s'intéressait particulièrement à elle et qui a publié sa biographie), mais ce dernier ne lui fit pas part de ce qui était arrivé. Elle lui demanda le lendemain si elle devait recommencer[73].»
Nous trouvons des faits analogues en dehors du spiritisme et du mesmérisime. Voici ce qu'on lit à cet égard dans Perty : Un étudiant suisse à Bâle rendait de si fréquentes visites dans une famille qu'on le reconnaissait déjà par sa manière de sonner. A quelque temps de là, atteint de rougeole, à Berlin, il éprouva une sorte de nostalgie de ses amis de Bâle. Au moment où sa pensée se portait avec tant de force dans ce milieu ami, la sonnette fut tirée exactement de la manière qu'il avait l'habitude de le faire, et tous s'étonnèrent de son retour, mais, quand on ouvrit, il n'y avait personne et personne n'avait été vu. A la suite de cet incident, on fit demander des nouvelles de lui à Berlin[74].
Perty cite encore d'autres exemples de télécinésie. Voici un exemple de coups frappés à distance par une personne malade, endormie, et rêvant qu'elle a frappé. M. Harrison a emprunté ce cas à l'ouvrage de Henry Spicer : Sights and Sounds (Faits de vision et d'audition).
Mme Lauriston (le nom est légèrement modifié), une dame de Londres, a une sœur qui habite Southampton. Un soir que cette dernière travaillait dans sa chambre, elle entendit trois coups contre la porte. « Entrez, » dit cette dame. Personne n'entra ; mais, l'écho s'étant répété, elle se leva et ouvrit la porte. Il n'y avait personne. Au moment même où l'écho s'était fait entendre, la maladie de Mme Lauriston était arrivée à son moment critique. Elle tomba dans une sorte de transe, et, lorsqu'elle en sortit, elle raconta que, prise d'un ardent désir de voir sa sœur avant de mourir, elle avait rêvé qu'elle était allée à Southampton et avait frappé à la porte de sa chambre puis, qu'après qu'elle eut frappé une seconde fois, sa sœur s'était montrée dans la porte, mais que l'impossibilité dans laquelle elle se trouvait de lui parler l'avait tellement émue qu'elle revint à elle[75].
Ici viennent se ranger les nombreux témoignages de coups frappés à l'intention de parents ou d'amis éloignés, par des personnes mourantes, car ces coups ont toujours été universellement reconnus comme s'étant produits aux derniers moments de leur vie.
Ainsi, par exemple, M. Boswell d'Edimbourg fut réveillé trois fois par de violents coups contre la porte d'entrée. Il se leva pour voir qui était là, mais il ne vit personne. Plus tard, il reçut la nouvelle de la mort de son frère à Calcutta et constata que l'heure à laquelle il avait entendu les coups se produire correspondait exactement à celle où son frère avait reçu une grave blessure[76].
Le professeur Perty cite de nombreux cas de ce genre dans le chapitre de son livre, intitulé Action à distance des mourants, pages 125 et suivantes. Dans son ouvrage le Spiritualisme moderne, il mentionne d'après le professeur Daumer, « le cas d'un grand-père mourant qui enjoint à sa fille, présente à son chevet (elle n'habitait pas sous le même toit), de chercher son petit-fils afin qu'il vienne prier pour lui, lui-même n'en ayant plus la force,-et qui au même instant se manifeste comme esprit chez son fils, en frappant avec violence sur la rampe de l'escalier et l'appelle par son nom en le priant instamment de venir auprès de lui ; aussitôt celui-ci s'habille, sort et rencontre sur le palier sa mère qui venait le chercher. Tous deux se rendent auprès du grand-père qui reçoit son petit-fils en souriant, l'engage aussitôt à prier et meurt doucement deux heures après » (p. 209).
Ces derniers faits ont bien un caractère anecdotique, mais aujourd'hui que les phénomènes médiumniques établissent d'une façon indiscutable la possibilité d'une action physique extracorporelle, il n'y a aucun inconvénient à faire entrer comme complément, sous notre rubrique, la relation de cas de ce genre qui se sont produits depuis des siècles.
On pourrait objecter que les faits de cette nature ne sont que des hallucinations de l'ouïe et des sens en général. Soit, mais, dans tous les cas ce sont des hallucinations télépathiques réelles, c'est-à-dire provoquées par l'action psychique extracorporelle d'un agent éloigné, et c'est là l'essentiel mais, lorsqu'il s'agit de phénomènes médiumniques, on ne saurait nier d'une façon positive la concomitance d'effets physiques.
Il y a des raisons pour admettre qu'une partie des phénomènes se produisant dans les maisons « hantées » peut être classée dans cette même catégorie. Ce serait une étude fort intéressante à faire, et je ne me rappelle pas qu'elle ait jamais été entreprise à ce point de vue.
Ainsi je lis dans Gôrres[77], dans le chapitre consacré à « l'Esprit frappeur de Tedworth », que, de l'aveu même du mendiant mis en prison, c'est lui qui produisait à Tedworth, dans la maison Monpesson, tout le vacarme et tout le désordre dont Glanvil nous a donné le récit circonstancié dans son Sadducismus triumphalus, ce qui en a fait un cas classique. Mais je n'ai pu mettre la main sur ce livre pour vérifier l'exactitude de ce passage de Gôrres. Perty fait mention de ce cas dans ses Phénomènes mystiques, tome II, page 96.
Avant de passer à la rubrique suivante, il faut répondre à une question qui se présente ici tout naturellement : si les manifestations médiumniques ne sont, dans bien des cas, que des effets de l'action extracorporelle de l'homme vivant, pourquoi donc ces manifestations ne s'annoncent-elles pas elles-mêmes comme telles, puisqu'elles témoignent d'une intelligence propre ? Ces cas existent, mais je crois qu'ils ont été généralement négligés, comme on peut le voir par l'observation suivante de M. Harrison, ancien éditeur du Spiritualist :
« Le samedi 12 septembre 1868, je me rendis seul à une séance privée chez M. et Mme Marshall, pour avoir une longue conversation avec John King. Au début, nous étions en pleine lumière et et on nous dit par coups frappés :
- Je suis votre bon esprit familier.
- Alors, veuillez me dire qui vous êtes.
- Oui, je suis vous-même.
Je me tournai vers Mme Marshall et lui demandai le sens de ce message. Elle me répondit qu'elle n'en savait rien ; elle n'avait jamais rien entendu de pareil auparavant. C'était peut-être, votre double, ajouta-t-elle, puisque, dit-on, certaines personnes ont leurs doubles dans le monde des esprits.
C'était la première fois que j'entendais parler de l'existence de doubles, et c'était pour moi une hypothèse trop hardie pour que je m'y rendisse si vite. J'en conclus aussitôt que le message était une plaisanterie à la façon de John King. Je dis :
- M’en direz-vous davantage dans une pièce obscure ? La réponse fut :
- Oui.
Nous entrâmes dans la pièce obscure, et, au bout de peu de temps, nous vîmes se produire des corps lumineux semblables à des comètes, longs d'environ 30 centimètres, élargis à l'un des bouts et s'effilant en une mince pointe à l'autre extrémité ; ces corps lumineux voltigeaient ça et là, suivant une trajectoire curviligne. Un moment après, une voix tout près de moi me dit :
- Je suis ton moi spirituel ; je t'ai parlé dans la pièce voisine.
Je pensai encore que c'était une plaisanterie de John King et ne continuai pas la conversation.
J'ai toujours regretté cette circonstance, maintenant que nous savons quel rôle important jouent dans un grand nombre de manifestations spiritiques le double et autres agents semblables[78].
Un fait analogue est rapporté par Hornung dans son livre : Nouveaux Mystères, mais je ne retrouve pas le volume.
III. - Action extracorporelle de l'homme vivant, se traduisant par l'apparition de sa propre image (phénomènes téléphoniques - apparitions à distance).
Sous cette rubrique viennent se ranger de nombreux faits observés de tous temps et connus sous le nom d'apparition de doubles. La science ne les a jamais considérés autrement que comme des hallucinations purement subjectives mais, grâce aux travaux de la Société des Recherches psychiques de Londres qui s'est érigé un monument éternel par la publication de son œuvre capitale : The Phantasms of the Living[79], cette explication superficielle n'est plus admissible. Des centaines de faits nouveaux recueillis de première main par la Société et vérifiés par elle avec tout le soin possible, prouvent d'une façon incontestable qu'il existe un rapport intime entre l'apparition du double et la personne vivante qu'il représente ; dès lors, si c'est une hallucination, c'est, selon l'expression des auteurs de l'ouvrage, une hallucination véridique, c'est-à-dire l'effet d'une action psychique, émanant d'une personne qui est loin de celle qui voit l'apparition. Il est donc parfaitement inutile que je m'arrête ici à donner des exemples de ce genre de phénomènes, d'autant plus que dans la rubrique suivante, on en trouvera qui répondent mieux encore àcebut. Je dois néanmoins ajouter ici quelques réflexions : maintenant que nous connaissons les phénomènes de la matérialisation, nous devons admettre que l'apparition du double peut ne pas être un phénomène purement subjectif, mais qu'elle peut présenter une certaine objectivité, posséder un certain degré de matérialité, ce qui en ferait un genre spécial de doubles, une sorte de transition entre les faits rangés sous cette rubrique et ceux rangés sous la suivante. Nous avons quelques faits qui tendent à prouver que cette supposition n'est pas sans fondement.
Le fait le plus précieux et le plus instructif de ce genre, c'est certainement celui du dédoublement habituel d'Emilie Sagée, qui a été observé pendant des mois par tout un pensionnat, et qui se produisait alors même qu'Emilie elle-même était visible pour tous.
Nous sommes redevables de ce fait à Robert Dale Owen qui le tenait de première main (de la baronne Julie de Güldenstubbe) et en a donné dans son Footfalls on the Boundary of Another Life (Echo de pas sur les frontières d'une autre vie), un court récit que Perty a mentionné dans sa brochure : Réalité des forces magiques (p. 367) ; mais plus tard des renseignements plus détaillés, fournis par la baronne Güldenstubbe elle-même, ont été publiés dans le Light de 1883, page 366, et, comme le cas est extrêmement remarquable et peu connu, je le cite en entier : apparition du double de Mlle Emilie Sagée.
« En 1845 existait en Livonie (et existe encore), à environ 36 milles anglais de Riga et à 1 lieue et demie de la petite ville de Volmar, un institut pour jeunes filles nobles, désigné sous le nom de « pensionnat de Neuwelcke ». Le directeur à cette époque était M. Buch.
Le nombre des pensionnaires, presque toutes de familles livoniennes nobles, s'élevait à quarante-deux ; parmi elles se trouvait la seconde fille du baron de Güldenstubbe, âgée de treize ans.
Au nombre des maîtresses il y avait une Française, Mlle Emilie Sagée, née à Dijon. Elle avait le type du Nord : c'était une blonde, à très belle carnation, avec des yeux bleus clairs, des cheveux châtains ; elle était élancée et de taille un peu au-dessus de la moyenne ; elle avait le caractère aimable, doux et gai, mais elle était un peu timide et d'un tempérament nerveux, un peu excitable. Sa santé était ordinairement bonne, et, pendant le temps (un an et demi) qu'elle passa à Neuwelcke, elle n'eut qu'une ou deux indispositions légères. Elle était intelligente et d'une parfaite éducation, et les directeurs se montrèrent complètement satisfaits de son enseignement et de ses aptitudes pendant tout le temps de son séjour. Elle était alors âgée de trente-deux ans.
Peu de semaines après son entrée dans la maison, de singuliers bruits commencèrent à courir sur son compte parmi les élèves. Quand l'une disait l'avoir vue dans telle partie de l'établissement, fréquemment une autre assurait l'avoir rencontrée ailleurs au même moment, disant : « Mais non, cela ne se peut, car je viens de la croiser dans l'escalier », ou bien elle assurait l'avoir vue dans quelque corridor éloigné. On crut d'abord à une méprise ; mais, comme le fait ne cessait de se reproduire, les jeunes filles commencèrent par trouver la chose très bizarre et, enfin en parlèrent aux autres maîtresses. Les professeurs mis au courant, déclarèrent, par ignorance ou par parti pris, que tout cela n'avait pas le sens commun et qu'il n'y avait pas lieu d'y attacher une importance quelconque.
Mais les choses ne tardèrent pas à se compliquer et prirent un caractère qui excluait toute possibilité de fantaisie ou d'erreur. Un jour qu'Emilie Sagée donnait une leçon à treize de ces jeunes filles, parmi lesquelles Mlle de Güldenstubbe, et que, pour mieux faire comprendre sa démonstration, elle écrivait le passage à expliquer au tableau noir, les élèves virent tout à coup, à leur grande frayeur, deux demoiselles Sagée, l'une à côté de l'autre. Elles se ressemblaient exactement et faisaient les mêmes gestes. Seulement la personne véritable avait un morceau de craie à la main et écrivait effectivement, tandis que son double n'en avait pas et se contentait d'imiter les mouvements qu'elle faisait pour écrire.
De là, grande sensation dans l'établissement, d'autant plus que toutes les jeunes filles, sans exception, avaient vu la seconde forme et étaient parfaitement d'accord dans la description qu'elles faisaient du phénomène.
Peu après, une des élèves, Mlle Antoinette de Wrangel, obtint la permission de se rendre, avec quelques camarades, à une fête locale du voisinage. Elle était occupée à terminer sa toilette, et Mlle Sagée, avec sa bonhomie et sa serviabilité habituelles, était venue l'aider et agrafait sa robe par derrière. La jeune fille, s'étant retournée par hasard, aperçut dans la glace deux Emilie Sagée qui s'occupaient d'elle. Elle fut tellement effrayée de cette brusque apparition qu'elle s'évanouit.
Des mois se passèrent, et des phénomènes semblables continuaient à se produire. On voyait de temps à autre, au dîner, le double de l'institutrice, debout, derrière sa chaise, imitant ses mouvements, tandis qu'elle mangeait, mais sans couteau ni fourchette ni nourriture dans ses mains. Elèves et domestiques servant à table en ont témoigné également.
Cependant, il n'arrivait pas toujours que le double imitât les mouvements de la personne véritable. Parfois, quand celle-ci se levait de sa chaise, on voyait son double y rester assis. Une fois, étant couchée à cause d'un grand rhume, la jeune fille dont il a été question, Mlle de Wrangel, qui lui lisait pour la distraire, la vit tout à coup pâlir et se raidir, comme si elle allait se trouver mal là-dessus, la jeune fille, effrayée, lui demanda si elle se sentait plus mal. Elle répondit que non, mais d'une voix très faible et mourante. Mlle de Wrangel, se retournant par hasard quelques instants après, aperçut très distinctement le double de la malade se promenant de long en large dans la chambre. Cette fois, la jeune fille avait eu assez d'empire sur elle-même pour garder son calme et ne pas faire la moindre observation à la malade, mais, peu après, elle descendit l'escalier toute pâle et raconta ce dont elle venait d'être témoin.
Mais le cas le plus remarquable de cette activité, en apparence indépendante, des deux formes est certainement le suivant :
Un jour, toutes les élèves, au nombre de quarante-deux, étaient réunies dans une même pièce et occupées à des travaux de broderie. C'était une grande salle au rez-de-chaussée du bâtiment principal, avec quatre grandes fenêtres, ou plutôt quatre portes vitrées qui s'ouvraient directement sur le palier et conduisaient dans un assez grand jardin attenant à l'établissement. Au milieu de la salle était placée une grande table devant laquelle s'assemblaient habituellement les différentes classes pour se livrer à des travaux d'aiguille ou autres semblables.
Ce jour-là les jeunes pensionnaires étaient toutes assises devant la table, et elles pouvaient très bien voir ce qui se passait dans le jardin ; tout en travaillant, elles voyaient Mlle Sagée, occupée à cueillir des fleurs, non loin de la maison : c'était une de ses distractions de prédilection. A l'extrémité supérieure de la table se tenait une autre maîtresse, chargée de la surveillance et assise dans un fauteuil de maroquin vert. A un moment donné, cette dame s'absenta, et le fauteuil resta vide. Mais ce ne fut que pour peu de temps, car les jeunes filles y aperçurent tout à coup la forme de Mlle Sagée. Aussitôt, elles portèrent leurs regards dans le jardin et la virent toujours occupée à cueillir des fleurs ; seulement, ses mouvements étaient plus lents et plus lourds, pareils à ceux d'une personne accablée de sommeil ou épuisée de fatigue. Elles portèrent de nouveau leurs yeux sur le fauteuil, où le double était assis, silencieux et immobile, mais avec une telle apparence de réalité, que si elles n'avaient vu Mlle Sagée et qu'elles n'eussent su qu'elle avait apparu dans le fauteuil sans être entrée dans la salle, elles auraient pu croire que c'était elle-même. Mais, certaines qu'elles n'avaient pas affaire à une personne véritable, et quelque peu habituées à ces étranges manifestations, deux des élèves les plus hardies s'approchèrent du fauteuil, et, touchant l'apparition, crurent y rencontrer une résistance comparable à celle qu'offrirait un léger tissu de mousseline ou de crêpe. L'une osa même passer au devant du fauteuil et traverser en réalité une partie de la forme. Malgré cela, celle-ci dura encore un peu de temps, puis s'évanouit graduellement. L'on observa aussitôt que Mlle Sagée avait repris la cueillette de ses fleurs avec sa vivacité habituelle. Les quarante-deux pensionnaires constatèrent le phénomène de la même manière.
Quelques-unes d'entre elles demandèrent ensuite à Mlle Sagée si, à cette occasion, elle avait éprouvé quelque chose de particulier ; elle répondit qu'elle se souvenait seulement d'avoir pensé à la vue du fauteuil vide : « J'aimerais mieux que l'institutrice ne s'en fût pas allée ; sûrement, ces demoiselles vont perdre leur temps et commettre quelque espièglerie. »
Ces curieux phénomènes durèrent avec diverses variantes environ dix-huit mois, c'est-à-dire pendant tout le temps que Mlle Sagée conserva son emploi à Neuwelcke (durant une partie des années 1845-1846) ; il y eut cependant des intervalles de calme d'une à plusieurs semaines. Ces manifestations avaient lieu principalement à des moments où elle était très préoccupée ou très appliquée à sa tâche. On remarqua qu'à mesure que le double devenait plus net et prenait plus de consistance, la personne elle-même devenait plus raide et s'affaiblissait, et réciproquement, qu'à mesure que le double s'évanouissait, l'être corporel reprenait ses forces. Elle-même était inconsciente de ce qui se passait et n'en avait connaissance que d'après ce qu'on lui disait ; elle en était ordinairement instruite par le regard des personnes présentes ; jamais elle ne vit l'apparition de son double, pas plus qu'elle ne semblait s'apercevoir de la raideur et de l'inertie qui s'emparaient d'elle dès que son double était vu par d'autres personnes.
Pendant les dix-huit mois où la baronne Julie de Güldenstubbe eut l'occasion d'être témoin de ces phénomènes et d'entendre les autres en parler, jamais ne se présenta le cas de l'apparition du double à une grande distance, par exemple à plusieurs lieues de la personne corporelle ; quelquefois, cependant, le double apparaissait pendant ses promenades dans le voisinage, quand l'éloignement n'était pas trop grand. Le plus souvent, c'était dans l'intérieur de l'établissement. Tout le personnel de la maison l'avait vu. Le double paraissait être visible pour toutes les personnes sans distinction d'âge ni de sexe.
On peut aisément se figurer qu'un phénomène aussi extraordinaire ne pouvait se présenter avec cette insistance pendant plus d'un an dans une institution de ce genre sans lui causer de préjudice. Dès qu'il fut bien établi que l'apparition du double de Mlle Sagée, constatée d'abord dans la classe qu'elle dirigeait, puis dans toute l'école, n'était pas un simple fait d'imagination, la chose arriva aux oreilles des parents. Quelques-unes des plus craintives parmi les pensionnaires témoignaient d'une vive excitation et se répandaient en récriminations chaque fois que le hasard les rendait témoins d'une chose si étrange et si inexplicable. Naturellement, les parents commencèrent à éprouver un scrupule de laisser leurs enfants plus longtemps sous une pareille influence, et beaucoup des élèves parties en vacances ne revinrent pas. Au bout de dix-huit mois, il ne restait que douze élèves sur quarante-deux. Quelque répugnance qu'ils en eussent, il fallut que les directeurs sacrifiassent Emilie Sagée.
En recevant son congé, la jeune personne, désespérée, s'écria, en présence de Mlle Julie de Güldenstubbe : « Hélas ! déjà la dix-neuvième fois ; c'est dur, très dur à supporter ! »
Lorsqu'on lui demanda ce qu'elle entendait par là, elle répondit que partout où elle avait passé, - et depuis le début de sa carrière d'institutrice, à l'âge de seize ans, elle avait été dans dix-huit maisons avant de venir à Neuwelcke, - les mêmes phénomènes s'étaient produits et avaient motivé son renvoi. Comme les directeurs de ces établissements étaient contents d'elle à tous les autres points de vue, ils lui donnaient, chaque fois, d'excellents certificats. En raison de ces circonstances, elle était obligée de chercher chaque fois une nouvelle place dans un endroit aussi éloigné que possible du précédent.
Après avoir quitté Neuwelcke, elle se retira pendant quelque temps non loin de là, auprès d'une belle-sœur qui avait plusieurs enfants tout jeunes. Mlle de Güldenstubbe alla lui faire visite là et apprit que ces enfants, âgés de trois à quatre ans, connaissaient les particularités de son dédoublement ; ils avaient l'habitude de dire qu'ils voyaient deux tantes Emilie.
Plus tard, elle se rendit dans l'intérieur de la Russie, et Mlle de Güldenstubbe n'en entendit plus parler.
Je tiens tous ces détails de Mlle de Güldenstubbe elle-même, et elle m'accorde volontiers l'autorisation de les publier avec l'indication de noms, de lieu et de date ; elle resta à la pension de Neuwelcke pendant tout le temps que Mlle Sagée y enseigna ; personne n'aurait donc pu donner une relation aussi fidèle des faits avec tous leurs détails. »
Dans le cas qui précède, nous devons exclure toute possibilité d'illusion ou d'hallucination ; il nous paraît difficile d'admettre que les nombreux élèves, maîtres, maîtresses et directeurs de dix-neuf établissements aient tous subi, à propos de la même personne, la même influence hallucinatoire. Il n'est donc pas douteux qu'il s'agit là d'une apparition au sens strict du mot, d'un dédoublement réel de l'être corporel, d'autant plus que le double se livrait, dans bien des cas, à une occupation autre que la personne elle-même.
Remarquons, en outre, qu'au dire des élèves qui se sont enhardies à toucher le double d'Emilie Sagée, celui-ci présentait une certaine consistance. Il y a tout lieu de supposer que la photographie aurait démontré la réalité objective de ce dédoublement.
J'ai déjà mentionné, dans mon premier chapitre (p.78) plusieurs cas de photographies transcendantales de doubles. Le dernier des trois cas que j'ai cités, et qui a été communiqué par M. Glendinning, trouve son explication d'une manière inattendue dans celui de Mlle Sagée, Voici comment s'exprime M. Glendinning : « Dans une de nos expériences, nous obtînmes le portrait de notre médium dans l'attitude où il s'était trouvé, à mi-chemin entre le fond et l'appareil, dix à quinze minutes avant l'exposition de la plaque. » On avait consulté la planchette sur ce mystère et reçu cette réponse : « Le médium a laissé son influence à la place qu'il avait occupée, et, si une personne douée de clairvoyance s'était trouvée dans la pièce, elle l'aurait vue à cet endroit. » Or, que lisons-nous dans le cas d'Emilie Sagée ? « Des fois, quand elle quittait sa chaise, on voyait son double rester assis. » L'analogie est frappante. Ces deux lignes donnent encore la clef d'un autre cas de photographie de double, rapporté par Pierrart, dans la Revue Spiritualiste, 1864, page 84 : M. Curcio Paulucci, photographe à Chiavari, près de Gênes, prenait le portrait d'un groupe de trois personnes ; après le développement de la plaque, le portrait d'une quatrième personne apparut derrière le groupe c'était celui du double d'un aide qui s'était tenu quelques instants avant l'exposition de la plaque derrière le groupe, pour faire prendre la pose voulue aux personnes qui le composaient. M. Guido, ingénieur, un ami de M. Paulucci, celui-là même qui communiqua le fait à M. Pierrart, a décrit toutes les manipulations chimiques au moyen desquelles il s'est assuré que l'image se trouvait bien sur le collodion et non, par quelque inadvertance, sur la plaque de verre.
Comme appendice à la première rubrique, je puis citer le cas suivant, dans lequel la communication faite par un vivant est de plus accompagnée de l'apparition de son double. Voici le cas tel qu'il a été communiqué au journal Human Nature, 1867, page 510, par M. Baldwin, de Birmingham ; il s'agit de l'apparition de son propre double :
« Il y a de cela quinze jours, Miss Taylor se trouvant à table, chez elle, à prendre le thé avec sa tante et son cousin, elle raconta à ceux-ci qu'elle voyait très distinctement M. Baldwin qui se tenait au coin de la table à laquelle ils étaient assis. A cette occasion, l'apparition ne se manifesta par aucune communication intelligente, si ce n'est par un sourire. Mais, quelques jours après, les mêmes personnes se trouvant réunies dans une séance spirite, Miss Taylor répéta qu'elle voyait M. Baldwin ; là-dessus Miss Kross, sa cousine, demanda une preuve de son identité. Aussitôt il s'approcha de la table, saisit le bras de Miss Taylor, qui était médium écrivain, et écrivit son nom en entier. Miss Kross exigea encore une autre preuve et dit que, si c'était bien lui, qu'il écrivît la demande qu'il lui avait récemment adressée, qu'il répétât les dernières paroles qu'il avait prononcées, le soir précédent. Aussitôt elle fut écrite intégralement. » Pour les détails complémentaires, voir l'article de M. Baldwin dans Human Nature, 1868, page 151.
Les faits d'expérimentation dans cette voie ne sont pas nombreux, mais ils existent. Ainsi M. Colman témoigne que la fille du juge Edmonds, Miss Laure, « pouvait parfois, à volonté, dégager au dehors (extérioriser) son esprit et le faire apparaître, sous sa propre forme, et délivrer ainsi des messages aux personnes qui lui étaient sympathiques. »
Miss Mapes, la fille du professeur Mapes, assura de son côté à M. Colman que « son amie Miss Edmonds lui était apparue et lui avait délivré des messages, quoiqu'elles fussent séparées l'une de l'autre par une distance de 20 mille anglais. » M. Colman cite encore un cas de ce genre[80].
On trouve la relation d'expériences plus récentes dans les Phantasms of the Living, tome I, pages 103-109, et tome II, pages 671-676. Voyez aussi le chapitre « Majavi Rupa » dans l'ouvrage de Du Prel : La Doctrine monistique de l'âme, 1888, et en général tous les chapitres de ce livre consacrés à l'appréciation philosophique du phénomène du dédoublement.
Dans les biographies des médiums on trouve un grand nombre de cas d'apparitions de leurs doubles, par exemple dans la biographie de Mme Conant, p. 112 et nous arrivons naturellement à la rubrique suivante.
IV. - Action extracorporelle de l'homme vivant se manifestant sous forme de l'apparition de son image avec certains attributs corporels (phénomènes téléplastiques - formation de corps matérialisés).
C'est ici que l'action extracorporelle de l'homme acquiert son plus haut degré d'objectivité, car elle se produit par des effets intellectuels, physiques et plastiques. Et c'est dans le spiritisme seul que nous en trouvons la preuve absolue. Le fait de la matérialisation une fois admis, il doit être naturellement et logiquement reconnu comme un produit de l'organisme humain ; si, de plus, on établit, comme une règle générale, que la forme matérialisée a une grande ressemblance avec le médium, on doit tout aussi naturellement conclure qu'on est en présence d'un phénomène de dédoublement corporel. Le fait de cette ressemblance a été mainte fois constaté dans les séances où l'on a observé des matérialisations, complètes ou partielles. Chronologiquement parlant, je crois que la première observation de ce genre remonte environ à l'année 1855, et elle se produisit par hasard, dans une des séances obscures faites par les frères Davenport, dans le but d'obtenir des effets physiques. Au beau milieu de la séance, « un agent de police ouvrit sa lanterne sourde et éclaira la chambre. Alors se passa une scène étrange : Davenport père se leva en sursaut et déclara, en proie à une vive excitation, qu'il avait vu son fils Ira près de la table en train de jouer sur l'un des tambourins, juste au moment où la chambre venait d'être éclairée, et qu'il l'avait vu revenir à sa chaise. » M. Davenport était exaspéré mais quel ne fut pas son étonnement lorsque, « le calme une fois rétabli, une vingtaine des assistants affirmèrent sur leur honneur qu'ils avaient distinctement vu, outre la forme humaine auprès de la table, le double ou fantôme d'Ira Davenport, en même temps le garçon lui-même en chair et en os, assis sur sa chaise, entre deux autres personnes. Le fantôme s'était dirigé vers le garçon, mais n'était probablement pas arrivé jusqu'à lui, vu qu'il avait disparu à environ 6 pieds de l'endroit où il était assis[81]. » Dans ce même livre, nous apprenons comment s'y est pris le professeur Mapes pour s'assurer que les phénomènes physiques étaient produits par les doubles des frères Davenport : « Lorsque, dit-il, la guitare arriva près de moi, je palpai soigneusement la personne que je supposais être le jeune Ira Davenport. Je cherchai à m'assurer de sa présence en passant ma main sur sa forme entière mais je ne pus le retenir, parce qu'il glissait entre mes mains, s'évanouissait pour ainsi dire le plus aisément du monde. »
C'est surtout aux vêtements du jeune Davenport que M. Mapes était sûr de l'avoir reconnu dans l'obscurité ; mais à la lumière, qui fut immédiatement demandée, on put constater que le jeune Ira était toujours attaché à sa chaise, ainsi que l'avait laissé le professeur. A une séance qui eut lieu chez M. Mapes, ce dernier, aussi bien que sa fille, purent encore une fois constater le dédoublement des bras et des manches du vêtement du médium[82].
Le Révérend J. B. Fergusson, qui a accompagné les frères Davenport dans leur voyage en Angleterre et les avait pris sous sa protection, tout en les observant de très près, s'exprime en ces termes : « J'ai vu de mes propres yeux les bras, le buste, et, à deux reprises, le corps entier d'Ira Davenport, à une distance de 2 à 5 pieds de l'endroit où il se trouvait en personne, ainsi que tout le monde l'a pu voir, attaché solidement à sa chaise. » Et plus loin : « Dans certaines conditions, encore peu déterminées, les mains, les bras et les vêtements des frères Davenport se dédoublent tant pour l'œil que pour le toucher[83]. »
Les mêmes observations ont souvent été faites en Angleterre sur d'autres médiums, et cette question a maintes fois provoqué des controverses entre les journaux spirites. Consulter, entre autres, les articles de M. Harrison dans le Spiritualist[84], l'article de M. A. Oxon dans le Light de 1884, page 351 ; celui de M. Keulemans dans le Light de 1884, page 351, et de 1885, page 509. Dans le présent ouvrage il en est question à la page 91. Attendu que l'expérience dont j'y fais mention, celle de M. Crookes avec M. Fay, a été exécutée dans les conditions de contrôle les plus rigoureuses que la science puisse exiger, et qu'un cas de dédoublement s'y est produit, nous devons considérer cette expérience comme une des preuves les plus sérieuses de la réalité de ce phénomène. M. Cox, qui a pris part à cette séance, la raconte ainsi :
« Dans son excellente description de la séance dont il s'agit, M. Crookes dit qu'une forme humaine entière a été vue par moi ainsi que par d'autres personnes. C'est la vérité. Lorsque l'on me remettait mon livre, le rideau s'écartait suffisamment pour me permettre de voir la personne qui me le tendait. C'était la forme de M. Fay, dans son intégralité : sa chevelure, sa figure, sa robe de soie bleue, ses bras nus jusqu'au coude, et portant des bracelets ornés de perles fines. A ce moment le courant galvanique n'enregistra pas la moindre interruption, ce qui se serait produit inévitablement si Mme Fay avait dégagé ses mains des fils conducteurs. Le fantôme apparut au côté du rideau opposé à celui où se trouvait Mme Fay, à une distance d'au moins 8 pieds de sa chaise, de sorte qu'il lui eût été impossible, de toutes manières, d'atteindre le livre sur le rayon sans être obligée de se dégager des fils conducteurs. Et, cependant, je le répète, le courant n'a pas subi la moindre interruption.
Il y a un autre témoin qui a vu la robe bleue et les bracelets. Personne de nous n'a fait part aux autres de ce qu'il avait vu, avant que la séance ne fût terminée ; par conséquent, nos impressions sont absolument personnelles et indépendantes de toute influence[85].
Les expériences de photographie sont aussi là pour établir le fait du dédoublement. On sait que Katie King ressemblait d'une façon frappante à son médium Miss Florence Cook ; les portraits que M. Crookes a obtenus de Katie en témoignent à l'évidence.
Les empreintes produites sur du papier noirci viennent également corroborer le phénomène en question. Mais la démonstration la plus éclatante du dédoublement nous est fournie par les expériences de moulage au moyen de moules de paraffine. J'ai cité plus haut (p. 163) l'expérience faite avec M. Eglinton, au cours de laquelle on a obtenu, au moyen de ce procédé, la forme de son pied, pendant que le pied même restait apparent aux yeux des membres de la commission chargée de surveiller l'expérience. M. Harrison fait connaître un résultat analogue en mentionnant une autre expérience dans laquelle on a obtenu le moulage des mains du médium[86].
Le docteur espagnol Otero Assévedo rapporte une expérience bien curieuse, qu'il a eu l'occasion de faire. En 1889, il se rendit à Naples, dans le but de vérifier l'authenticité des manifestations qui se produisaient aux séances du médium Eusapia Paladino. M. Assévedo désirait obtenir une empreinte sur terre glaise, dans des conditions absolument inattaquables. Pour cela, il remplit une assiette de terre glaise fraîche. A la fin de la séance réglementaire, comprenant les manifestations habituelles, Eusapia Paladino proposa, de son plein gré, de tenter l'expérience imaginée par le savant espagnol. Elle pria M. Assevédo de placer l'assiette contenant la terre glaise sur une chaise, devant elle, à une distance d'environ 2 mètres, en s'assurant, au préalable, que la surface de la masse était tout à fait unie. Il la recouvrit ensuite d'un mouchoir. Cela se passait en pleine lumière.
Tout le monde avait les yeux fixés sur Eusapia. Celle-ci avança la main vers l'endroit où se trouvait l'assiette, fît quelques mouvements convulsifs et s'écria : « C'est fait ! » Quand le mouchoir fut enlevé, on constata que sur la terre glaise il y avait l'empreinte, nettement marquée, de trois doigts[87]. Dans les lettres qu'il m'écrivit, M. Assévedo m'a assuré que, pour lui, il n'y avait pas le moindre doute quant à la réalité de ces faits, bien qu'il eût abordé ces séances avec les idées préconçues d'un « matérialiste enragé », selon son expression.
Ce fait extraordinaire du dédoublement de l'organisme humain - fait que nous déduisons logiquement du phénomène de la matérialisation - nous donne le droit de croire aux récits que l'on nous transmet, d'autre part, d'apparitions de doubles qui produisent des effets physiques, sans que nous soyons, pour cela, obligés de recourir à l'hypothèse des hallucinations visuelles, auditives et tactiles. Si tant est que le phénomène essentiel existe, cette dernière sorte de doubles se réduirait à une variété, caractérisée par un degré différent de corporéité, et dépendant de l'espace qui sépare le fantôme de son prototype vivant. Cette inconstance dans le degré de matérialité des apparitions a souvent été observée, et, entre autres, par M. Crookes, qui raconte à ce sujet le fait suivant :
« Au déclin du jour, pendant une séance de M. Home chez moi, je vis s'agiter les rideaux d'une fenêtre, qui était environ à 8 pieds de distance de M. Home. Une forme sombre, opaque, semblable à une forme humaine, fut aperçue par tous les assistants, debout près de la croisée, agitant le rideau de sa main. Pendant que nous la regardions, elle s'évanouit, et les rideaux cessèrent de se mouvoir.
Le cas suivant est encore plus frappant. Comme dans le cas précédent, c'est M. Home qui était le médium. Un fantôme, sorti d'un coin de la chambre, alla prendre un accordéon, et ensuite glissa à travers l'appartement en jouant de cet instrument. Cette forme fut visible pendant plusieurs minutes pour toutes les personnes présentes, et en même temps on voyait aussi M. Home. Le fantôme s'approcha d'une dame qui était assise à une certaine distance du reste des assistants ; cette dame poussa un petit cri, à la suite duquel l'ombre disparut[88]. »
Un fait analogue s'est produit en Russie ; il a été communiqué au Rébus par le Dr Kousnetzoff, qui le relate ainsi : « Dans la pénombre nous vîmes planer une forme d'enfant, qui paraissait âgé de cinq ans ; il était beau de profil, avait les cheveux ondulés et tenait dans sa main une boîte d'allumettes phosphorescente qu'il accrocha à une tige de philodendron qui se trouvait dans la chambre ; à ce moment, les feuilles de l'arbuste laissèrent entendre un frémissement caractéristique. » Il n'y avait pas d’enfants à cette séance ; les expérimentateurs étaient au nombre de trois : M. Kousnetzoff et M. et Mme M. (1892, p. 97).
En consultant mon Index, je trouve un exemple de matérialisation transparente, observé par M. Morse, que je connais personnellement. Il en a publié le compte rendu dans le journal Facts, de Boston (1886, p. 205).
Il est permis de supposer, à bon droit, que le degré de densité d'un double diminue en raison de son éloignement de l'organisme qu'il représente. Comme pendant à un fait dont j'ai parlé sous la rubrique II, - sujet mesmérisé agissant à distance et sans être vu des expérimentateurs, - je citerai ici le cas suivant dans lequel l'effet visuel se trouve allié à l'action physique. M. Desmond Fitzgerald, ingénieur, écrit à ce propos dans le Spiritualist, sous le titre : Effet physique produit par l'esprit d'un sensitif : « Le magnétiseur le plus puissant que j'aie jamais connu est un certain H. E. Lewis, un noir, avec le concours duquel lord Lytton (Bulwer) a pratiqué une grande partie de ses expériences semi-spiritiques. Je fis sa connaissance, il y a vingt ans, par l'intermédiaire de M. Thompson, qui était également un magnétiseur très fort. A cette époque, je me livrais assidûment à l'étude des phénomènes du mesmérisme, et les expériences que je fis alors furent le point de départ de mes convictions spiritiques actuelles. Décidé à me faire une idée nette quant à l'authenticité de certains phénomènes, je louai une chambre dans la maison de Lewis, dans Baker-street, et organisai, avec son concours, plusieurs conférences sur le mesmérisme, dans les environs, choisissant des localités qui lui étaient inconnues.
En février 1836, nous allâmes à Blackheath ; il s'y produisit un incident très curieux. Nous étions descendus à un hôtel, et, le soir, dans le salon commun, Lewis magnétisa plusieurs personnes et fit quelques expériences frappantes d'électro-biologie, qui intéressèrent vivement l'auditoire.
Il fut convenu qu'on mettrait une salle à la disposition de Lewis et, le lendemain, la conférence eut lieu. Après les expériences habituelles de magnétisme, qui réussirent à merveille, Lewis procéda à la démonstration de quelques-uns des phénomènes de clairvoyance et de somnambulisme, sur la personne d'une jeune fille, qu'il n'avait jamais vue auparavant et qui, avec d'autres personnes, avait quitté les rangs du public pour monter sur l'estrade. Après l'avoir plongée dans un profond sommeil, il lui enjoignit d'aller chez elle et de rendre compte de ce qu'elle y verrait. Elle se mit alors à raconter qu'elle voyait la cuisine, qu'il s'y trouvait deux personnes, occupées aux besognes domestiques. « Croyez-vous pouvoir toucher celle de ces deux personnes qui se trouve la plus rapprochée de vous ? » demanda Lewis. Il n'obtint, pour toute réponse, qu'un murmure inintelligible. Là-dessus, il posa une main sur la tête du sujet et l'autre sur le plexus solaire, et lui dit : « Je veux que vous lui touchiez l'épaule ; vous devez le faire, et vous le ferez. » La jeune fille se mit à rire et dit : « Je l'ai touchée ; comme elles sont effrayées ! » S'adressant au public, Lewis demanda si quelqu'un connaissait la jeune personne. Ayant reçu une réponse affirmative, il proposa qu'une députation se rendît au domicile de la jeune fille, afin de s'assurer de l'exactitude de son récit. Plusieurs personnes s'y rendirent, et, lorsqu'elles furent de retour, elles confirmèrent en tous points ce que la jeune personne endormie avait raconté : la maisonnée était, en effet, sens dessus dessous et dans une profonde excitation, parce qu'une des personnes qui s'était trouvée dans la cuisine avait déclaré avoir vu un fantôme et que celui-ci lui avait touché l'épaule.
La jeune fille qui avait été soumise à l'expérience comme sujet « sensitif » était employée en qualité de servante chez M. Taylor, cordonnier à Blackheath. Dans mon carnet je trouve entre autres le nom d'un M. Bishop, dentiste, habitant de Blackheath, qui s'offrit pour certifier l'exactitude de l'incident[89]. »
Le professeur Daumer cite dans son livre Das Geisterreich (le Royaume des esprits) (Dresde, 1867), au chapitre intitulé « Apparitions de vivants sous forme de fantômes », cet endroit du Magicon, de Justin Kerner, où il est question de l'auto-somnambule Suzette B., dont le double avait apparu au Dr Ruffli et avait éteint sa bougie (t. I, p. 167).
Voici un exemple de date plus récente, raconté par un témoin des plus honorables, feu H. Wedgwood, membre de la Société des recherches psychiques de Londres : Le fantôme d'un homme vivant frappant à la porte.
« Vers la fin de septembre, j'étais l'hôte de Mme T., une de mes amies, qui possédait des facultés médiumniques. Son mari se rend tous les jours à Birmingham, pour affaires ; la distance est d'environ 20 milles.
Quinze jours avant mon arrivée, c'était un samedi, et juste quelques instants avant l'heure où son mari devait rentrer, Mme T. se tenait à la fenêtre de sa chambre à coucher, qui donnait sur la rue, et aperçut son mari qui ouvrait la porte grillée du jardinet puis s'avançait par le sentier du jardin ; il avait dans ses mains plusieurs rouleaux, ce qui excita la curiosité de Mme T.
Elle se précipita pour aller lui ouvrir sur son chemin, elle rencontra son beau-frère et lui fit part qu'elle venait de voir son mari qui était entré par la petite porte, chargé de plusieurs rouleaux. Pendant qu'elle parlait à son beau-frère, elle entendit frapper à la porte principale la série des coups adoptée par son mari. Les coups étaient si nets qu'elle n'eut pas de doute que son beau-frère les avait aussi entendus, ce qui n'était pas le cas cependant mais la servante, dans la cuisine, qui était attenante au vestibule, les avait parfaitement entendus, et était persuadée que c'était le maître de la maison ; elle accourait pour ouvrir ; mais Mme T., qui l'avait devancée, ouvrit elle-même la porte. N'apercevant personne, Mme T. envoya la femme de chambre à l'entrée de service et alla elle-même dans la salle à manger, à l'autre extrémité de l'appartement, croyant que son mari était entré par la porte du jardin ; là non plus elle ne trouva personne. Pendant qu'elle restait ainsi perplexe, la femme de chambre vint la prévenir que M. T. était arrivé et qu'il entrait à ce moment même par la grande porte. Elle alla au-devant de son mari et lui demanda pourquoi il était revenu sur ses pas après être entré une première fois par la porte du jardin. Celui-ci répondit qu'il n'en avait rien fait, qu'il venait directement de la gare.
- Allons, je t'ai bien entendu frapper, et je t'ai vu venir avec deux paquets sous le bras ! » fit-elle, du ton d'une personne qui est convaincue d'avoir été l'objet d'une plaisanterie. M. T. n'y comprenait rien. Il avait en effet deux rouleaux sous le bras ainsi que sa femme avait cru le voir.
Le beau-frère affirme, de son côté, qu'étant près de la fenêtre, il avait bien entendu les paroles de la femme de chambre, disant que le maître venait de frapper, et cela juste au moment où Mme T. croyait l'apercevoir sur le chemin du jardin. J'en ai eu la confirmation depuis, par la femme de chambre elle-même. Son dire est d'ailleurs amplement corroboré par ce fait qu'elle était venue pour ouvrir la porte. Il est certain que les coups avaient une telle réalité objective qu'ils ont été entendus simultanément par deux personnes, lesquelles se trouvaient dans des parties éloignées de la maison et ne communiquaient pas entre elles.
Je tiens ce fait des témoins mêmes de l'incident, et je l'ai transcrit d'après leurs propres paroles, séance tenante, quinze jours après l'événement[90].
M. Wedgwood fait suivre le récit qui précède d'un autre qui aurait sa place plutôt sous la rubrique II, mais je le reproduis ici à titre d'appendice, les personnages étant les mêmes.
« Antérieurement à l'incident que je viens de raconter, M. T. avait déjà, paraît-il, averti de son retour les personnes de la maison, en provoquant des effets que chacun pouvait constater, mais sans que son double eût été aperçu par qui que ce soit.
Pour rentrer avant l'heure du dîner, M. T. pouvait prendre soit le train de 5 heures et demie, soit celui de 6 heures et demie. Le 12 juin, il prévint sa femme, en partant, qu'il ne viendrait probablement qu'avec le dernier train. Vers 6 heures et demie, Mme T. eut l'idée d'aller à la gare pour se rendre à la rencontre de son mari ; au moment où elle s'apprêtait à mettre son chapeau, elle entendit soudain le son de plusieurs accords frappés au piano, dans le salon, à l'étage au-dessous ; ces accords furent suivis d'un passage rapide en octaves, et ensuite elle entendit jouer une mélodie avec un doigt, comme le faisait d'ordinaire M. T. Croyant que son mari venait d'arriver avec le premier train, elle se débarrassa de son chapeau et descendit en toute hâte. Mais elle trouva le salon vide et le piano fermé. Il n'y avait personne dans la maison, car la bonne était dans la buanderie à l'autre extrémité du bâtiment[91]. »
Un autre cas, plus concluant encore, nous est communiqué par M. Georges Wyld, docteur en médecine :
« J'avais d'excellents rapports d'amitié depuis quinze ans avec Miss J. et sa mère. Ces deux femmes ont reçu une instruction des plus distinguées et sont absolument dignes de foi. Le récit qu'elles m'ont fait a été confirmé par l'une des servantes. Quant à l'autre, je n'ai pu la retrouver.
C'était quelques années avant notre connaissance ; Miss J. était très assidue à visiter les pauvres. Or, un jour qu'elle regagnait son domicile après une tournée charitable, elle se sentit fatiguée et mal à l'aise à cause du froid et éprouva le désir d'aller à son retour se réchauffer auprès du four, dans la cuisine. Au moment précis qui correspondait à celui où cette idée lui était passée par l'esprit, deux servantes qui étaient occupées dans la cuisine virent tourner le bouton de la porte, celle-ci s'ouvrir et livrer passage à miss J. Celle-ci s'approcha du feu et se chauffa les mains. L'attention des servantes était attirée par les gants de chevreau glacé couleur verte que Miss J. avait aux mains. Subitement, devant leurs yeux, elle disparut. Frappées d'étonnement, elles montèrent précipitamment chez la mère de Miss J. et lui firent part de leur aventure, sans oublier le détail des gants verts.
La mère en conçut quelque appréhension de mauvais augure, mais elle essaya de tranquilliser les servantes, leur disant que Miss J. ne portait que des gants noirs, qu'elle n'en avait jamais eu de verts, et que par conséquent leur vision ne pouvait être considérée comme le fantôme de sa fille.
Une demi-heure après, Miss J. en personne faisait son entrée ; elle alla droit à la cuisine et se chauffa devant le feu. Elle avait à ses mains des gants verts, n'en ayant pu trouver de noirs[92]. »
Dans une notice explicative, M. Wyld ajoute : « Il ne manque pas de comptes rendus, fabriqués à la légère, de phénomènes psychiques ; quant à moi, je me suis toujours appliqué à être le plus précis possible. Par exemple, dans le cas considéré, comprenant très bien ce qu'il y avait d'important à se tenir strictement aux faits, je me suis livré aux investigations les plus minutieuses, entrant dans les moindres détails ainsi, je me suis fait répéter à plusieurs reprises ce fait que, des deux servantes qui se trouvaient dans la cuisine, une seule avait vu le mouvement du bouton de la porte, mais que toutes les deux avaient vu la porte s'ouvrir[93]. »
Dans le Spiritualist de 1877, tome II, à la page 283, le Dr Wyld expose, d'une façon circonstanciée, sa théorie, qui pourrait être résumée dans le titre même de son article « L'homme en tant qu'esprit, et les phénomènes spiritiques en tant qu'ils sont produits par l'action de l'homme vivant. »
Mme Hardinge-Britten raconte un fait curieux dans son mémoire sur les apparitions de doubles, publié dans le Banner of Light de 1875 (6 novembre et 11 décembre) ; ce fait est reproduit par M. A. Oxon dans son article « De l'action extracorporelle de l'esprit de l'homme[94] ». Le voici :
« C'était à l'époque où se tenaient les séances du célèbre cercle de New-York, auxquelles prenait part assez souvent le Révérend Thomas Benning, récemment décédé. Il avait reçu l'invitation, pour un samedi, de faire une conférence à Troy, New-York ; mais, la veille du jour fixé, il ressentit un violent mal de tête qui ne lui eût pas permis de se rendre à l'invitation qu'il avait acceptée. Il écrivit à la hâte une lettre d'excuses au président de la Société de Troy. Vers le soir, cependant, il éprouva un mieux et put aller au cercle de sa ville. Pendant la séance, sa préoccupation obsédante était de savoir si la lettre arriverait à temps pour permettre à la Société de Troy de se pourvoir d'un autre conférencier. Le tout bien pesé, il lui semblait impossible que sa lettre parvînt à temps, et cela le tourmentait d'autant plus qu'il ne voyait aucun remède à la situation. En proie à ces pensées, il n'eut qu'une oreille distraite pour ce qui se passait à la séance. Il faut dire que dans le cercle de Troy l'apparition de doubles n'était pas chose rare. M. Benning eut l'idée de tenter l'expérience, c'est-à-dire de prévenir par ce moyen ses amis à Troy de l'ennui qu'il éprouvait. Cette tentative ne se trahit en lui par aucun signe déterminé, sinon par une vague absorption dont il ne put se défaire durant une bonne partie de la soirée. Cette sensation s'effaça subitement, et il put alors prendre part aux occupations du cercle aussi consciencieusement qu'il en avait l'habitude, et avec la netteté d'esprit qui lui était propre.
Mais transportons-nous à Troy et voyons ce qui s'y passait pendant ce même temps. Dans cette ville, comme à New-York, il y avait un cercle dont le Révérend T. Benning était membre. Ce cercle comptait en tout dix-huit adhérents. Comme M. Benning se rendait souvent à cette ville pour y prononcer le sermon du dimanche, on avait décidé de choisir le samedi pour la séance. Ce samedi-là, dix-sept des membres se réunirent pour la séance, mais M. Benning, sur lequel on avait compté d'une façon certaine, n'arrivait pas.
Plus de trente minutes s'étaient écoulées depuis l'heure fixée pour la séance, lorsqu'on entendit frapper à la porte de la maison le coup convenu pour annoncer l'arrivée d'un des membres. La pièce louée pour les séances était située au deuxième, et les membres devaient frapper d'une façon particulière, pour éviter qu'une personne étrangère pût s'introduire. Dès que le signe familier se fut fait entendre, M. A., dont c'était le tour de veiller aux arrivées, descendit l'escalier, ouvrit la porte et aperçut M. Benning, qui se tenait sur le seuil, en plein clair de lune. Il fit des remontrances au retardataire et le pressa de monter, pour rejoindre les collègues qui l'attendaient avec impatience. A son grand étonnement, M. Benning ne manifesta aucun désir d'entrer : il restait devant la porte, irrésolu et murmurant quelques mots pour annoncer qu'il ne pouvait lire son sermon demain. Impatienté de ce manque d'empressement, M. A. prit M. Benning par l'épaule, le poussa dans la porte, tout en se plaignant du froid qui pénétrait dans la maison puis, l'ayant invité à monter, il ferma la porte et mit la clef dans sa poche, ainsi qu'il avait l'habitude de le faire, quand le cercle était au complet. Les membres réunis en haut commençaient à trouver le temps un peu long, et déléguèrent deux d'entre eux pour aller voir ce qui se passait. Ils rencontrèrent M. Benning sur l'escalier et lui firent des reproches au sujet de son retard. Celui-ci murmura, de la même voix sourde, quelques mots d'excuses qui ne se rapportaient pas justement à son retard il parlait de l'impossibilité où il se trouverait de dire son sermon, le lendemain. « C'est bien, c'est bien, lui dit M. B., mais dépêchez-vous un peu, nous vous avons assez attendu. Là-dessus il voulut prendre M. Benning par le bras, mais, à sa grande stupéfaction, ce dernier le repoussa avec force et, écartant les deux autres camarades, il descendit l'escalier quatre à quatre et se précipita dans la rue en fermant la porte violemment derrière lui. Les membres du cercle restèrent consternés devant cette conduite de leur respectable confrère, et dans le courant de la soirée on parla beaucoup de cette incident bizarre. Il fut inséré au procès-verbal de la séance avec tous les détails, bien que personne n'eût pu trouver le mot de l'énigme. Ce n'est qu'après la fin de la séance, lorsque tout le monde fut descendu et se trouva devant la porte fermée à clef, qu'un vague soupçon se glissa dans l'esprit de ces messieurs, et ils commencèrent à se douter que l'incident dont ils avaient été témoins présentait un caractère mystérieux, occulte.
Le jour suivant, plusieurs membres du cercle allèrent au sermon, dans l'espoir d'obtenir une explication de la bouche de M. Benning lui-même. L'absence du prédicateur n'était pas faite pour dissiper leurs appréhensions. Ils apprirent qu'à la suite d'un retard de la poste, la lettre de M. Benning était arrivée la veille à 10 heures seulement, et, comme elle portait la mention « pressé », le receveur de la poste l'avait, par obligeance, fait parvenir à destination le lendemain dimanche matin. Cette lettre n'en était pas moins livrée douze heures après que l'étrange visiteur de la veille en eût communiqué le contenu aux membres du cercle de Troy.
L'auteur de ces lignes tient ce récit de M. Benning et des deux personnes qui ont vu, reconnu et touché le fantôme sur l'escalier. Ils lui ont affirmé que, malgré le caractère tout immatériel que le visiteur pouvait avoir, son bras a fait preuve d'une vigueur assez considérable pour écarter l'un d'eux et pousser l'autre avec tant de force qu'il a failli dégringoler l'escalier. »
Le Dr Britten mentionne dans son livre : Man and his Relations (L'homme et ses affinités, New-York, 1864), le cas suivant, extrait d'une lettre de M. E. V. Wilson. Cette lettre, Mme Hardinge Britten la reproduit in extenso. En voici la traduction :
« Le vendredi 19 mai 1854, j'étais assis devant mon bureau ; je m'endormis dans cette position, la tête appuyée sur la main. Mon sommeil dura de trente à quarante minutes. Je rêvai que je me trouvais dans la ville d'Hamilton, à 40 milles anglais à l'ouest de Toronto et que je visitais diverses personnes pour encaisser de l'argent. Après avoir terminé ma tournée de recouvrements, je voulus aller voir une dame de ma connaissance, qui s'intéressait beaucoup à la question spirite. Je rêvai que j'étais arrivé chez elle et que je sonnais à sa porte. Une servante vint m'ouvrir et m'informa que Mme D. était sortie et qu'elle ne serait pas de retour avant une heure. Je demandai un verre d'eau, qu'elle m'apporta, et je m'en allai, la chargeant de transmettre mes compliments à sa maîtresse. Il me sembla que je retournais à Toronto. Sur ce, je me réveillai et ne pensai plus à mon rêve.
Quelques jours plus tard, une dame qui habitait Toronto, dans ma maison, Mme J., recevait une lettre de Mme D., datée d'Hamilton ; cette lettre contenait le passage suivant : Dites à M. Wilson qu'il a de drôles de procédés, que je le prie, à sa prochaine visite, de me laisser son adresse, pour éviter de courir dans tous les hôtels d'Hamilton, et en pure perte encore. Vendredi dernier, il est venu à ma maison ; il a demandé qu'on lui serve un verre d'eau, il a donné son nom et m'a fait transmettre ses compliments. Connaissant l'intérêt que je prends aux manifestations spiritiques, il aurait pu s'arranger, me semble-t-il, de façon à passer la soirée avec nous. Ce fut une déception pour tous nos amis. Je n'oublierai pas de lui dire ma façon dépenser, à notre prochaine entrevue. A la lecture de ce passage, je me mis à rire : Mme D. et ses amis auront été induits en erreur, dis-je, ou bien ils sont détraqués, car je ne suis pas allé à Hamilton depuis un mois, et à l'heure désignée je dormais, assis devant mon bureau, dans mon magasin.
M. J. se contenta d'observer qu'il y avait évidemment erreur de part ou d'autre, car Mme D. était une personne honorable, méritant toute confiance. Un trait de lumière traversa soudain mon esprit : je me souvins du songe que j'avais fait, et je dis, en manière de plaisanterie, que le visiteur en question n'était probablement autre chose que mon fantôme. Je chargeai M. J. d'écrire à Mme D. pour lui dire que sous peu je serais à Hamilton, en compagnie de plusieurs amis, et que nous irions tous la voir ; que je priais Mme D. de ne pas prévenir ses domestiques de notre arrivée, à seule fin que l'une ou l'autre de ses servantes reconnût, sur son instigation, parmi les arrivants, le M. Wilson qui s'était présenté le 19 mai.
Le 29 mai, j'allai à Hamilton avec quelques camarades, et nous fîmes tous irruption chez Mme D. Cette dame nous ouvrit elle-même et nous fit entrer au salon. Je la priai alors d'appeler ses domestiques et de leur demander si elles remettaient l'un d'entre nous. Deux des servantes me reconnurent pour le monsieur qui était venu le 19 et avait dit se nommer Wilson. Les deux bonnes m'étaient complètement inconnues, je ne les avais jamais vues ni l'une ni l'autre. Elles sont prêtes, de même que Mme D., à confirmer tous les détails du récit que je vous envoie.
Agréez, etc.,
E. V. Wilson[95].
Le cas suivant est plus extraordinaire encore ; il s'agit d'un double produisant des effets physiques. Je l'emprunte au Spiritual Magazine (1862, p. 535), qui l'a reproduit d'après le Herald of Progress, de Boston :
« Je viens vous communiquer un incident qui m'a été raconté par une dame de mes amies, demeurant dans cette ville, et dont la probité et l'honorabilité sont au-dessus de tout soupçon. L'hiver dernier, cette dame a engagé à son service une jeune fille allemande, dont les parents habitent l'Allemagne, avec leurs autres enfants. Pour correspondre avec ses proches, cette jeune fille avait recours à l'obligeance de sa maîtresse, qui écrivait ses lettres. L'hiver dernier, Barbe (c'est le nom de la jeune fille) tomba malade de la fièvre intermittente et dut se mettre au lit. Comme elle avait un peu de délire, sa maîtresse venait souvent la voir la nuit. Une jeune bonne couchait encore dans la chambre. Cela dura deux semaines, pendant lesquelles la malade disait souvent à sa maîtresse :« Oh! Madame, toutes les nuits je suis en Allemagne, auprès des miens ! » Son délire atteignit son paroxysme pendant deux nuits. Une fois, elle quitta précipitamment son lit et emporta linge et couverture dans la chambre voisine ; une autre fois, elle essaya de tirer la petite bonne hors de son lit.
Elle guérit néanmoins, et on ne pensait déjà plus à sa maladie, quand une lettre arriva d'Allemagne, de ses parents, qui écrivaient que sa mère était dans le désespoir, car, pendant quinze nuits consécutives, leur fille avait frappé à la porte de la maison paternelle ; on l'avait laissée entrer, tous les membres de la famille l'avaient vue et reconnue, sans excepter sa mère, qui ne cessait de s'écrier : « Oh ! ma pauvre Barbe, elle doit être morte ! » Une fois on l'avait vue arracher la couverture d'un lit et la porter dans une autre chambre ; la nuit suivante, elle saisit sa sœur et essaya de la faire descendre du lit.
Cette lettre plongea la jeune fille dans une grande consternation. Elle prétendait qu'en Allemagne on l'aurait traitée de sorcière et jusqu'aujourd'hui elle évite de faire la moindre allusion à cet incident. Je puis ajouter que je transmets simplement les faits, tels que je les tiens de cette dame, qui habite toujours Dayton, avec la servante en question.
Agréez, etc.
Laura Cuppy.
Dayton, Ohio, le 12 septembre 1862. »
Le livre de Robert Dale Owen : Footfalls (p. 242) contient un récit absolument remarquable : l'équipage d'un navire sauvé d'une perte imminente grâce à l'action extra corporelle (apparition de sa forme et message écrit) d'une personne qui se trouvait à bord, endormie. J'en reproduis le résumé, d'après le Dr Perty [96] :
« Un certain Robert Bruce, Écossais, était, en 1828, à l'âge de trente ans environ, capitaine en second sur un navire marchand faisant le trajet entre Liverpool et Saint-Jean-du-Nouveau-Brunswick. Un jour, - on était dans les eaux de Terre-Neuve, - Robert Bruce, assis dans sa cabine, voisine de celle du capitaine, était absorbé dans des calculs de longitude ; pris d'un doute sur l'exactitude des résultats qu'il avait obtenus, il interpella le capitaine, qu'il croyait dans sa cabine : « Quelle solution avez-vous ? » lui cria-t-il. Ne recevant pas de réponse, il tourna la tête et crut apercevoir le capitaine dans sa cabine, occupé à écrire. Il se leva et s'approcha de l'homme qui écrivait à la table du capitaine. L'écrivain leva la tête, et Robert Bruce aperçut un personnage absolument inconnu, qui le regardait fixement. Bruce monta précipitamment sur le pont et fit part au capitaine de ce qu'il avait vu. Ils descendirent ensemble : il n'y avait personne mais sur l'ardoise, qui se trouvait sur la table du capitaine, ils purent lire ces mots, écrits d'une main étrangère : « Gouvernez au nord-ouest. » On compara cette écriture à celle de tous les autres passagers ; on alla jusqu'à faire des perquisitions, mais sans aucun résultat. Le capitaine, se disant qu'il ne risquait que quelques heures de retard, ordonna de tenir au nord-ouest. Après quelques heures de navigation, ils aperçurent les débris d'un vaisseau pris dans les glaces, ayant à bord l'équipage et quelques passagers en détresse. C'était un navire parti de Québec, à destination de Liverpool, emprisonné dans les glaces depuis quelques semaines. La situation des voyageurs était désespérée. Quand ils eurent été recueillis à bord du vaisseau sauveteur, Bruce, à son grand étonnement, reconnut dans l'un d'eux l'homme qu'il avait vu dans la cabine du capitaine. Ce dernier pria l'inconnu d'écrire sur l'autre côté de l'ardoise ces mêmes mots : « Gouvernez au nord-ouest. » L'écriture était identiquement la même ! On apprit que le jour même, vers midi, ce voyageur était tombé dans un profond sommeil, et qu'en se réveillant, une demi-heure après, il avait dit : « Aujourd'hui nous serons sauvés. » Il avait vu en songe qu'il se trouvait sur un autre navire, qui venait à leur secours ; il fit même la description de ce navire, et, à son approche, les voyageurs n'eurent pas de peine à le reconnaître. Quant à l'homme qui avait fait ce rêve prophétique, il lui semblait connaître tout ce qu'il voyait sur le nouveau vaisseau ; mais comment cela était-il arrivé, il n'en savait rien. »
M. Dale Owen ajoute que ce récit lui a été fait par M.J.S. Clarke, capitaine du schooner Julia Hallock, qui le tenait à son tour de Robert Bruce lui-même.
M. Hartmann propose six différentes explications de ce fait, et il laisse complètement de côté celle qui est la plus plausible ! (Spiritismus, p. 101.)
Il est certes fâcheux qu'un fait aussi remarquable ne puisse être appuyé par un document quelconque, rédigé séance tenante et signé par tous les témoins mais, tel qu'il nous est présenté, il est néanmoins précieux, à cause de la netteté des détails, qui sont, de plus, si extraordinaires, que l'on aurait peine à supposer que le récita été inventé de toutes pièces. D'ailleurs, ce récit est en parfaite harmonie avec ceux qui précèdent.
Les exemples que j'ai groupés sous ces rubriques - sans pouvoir leur donner le développement qu'ils comportent, car il m'aurait fallu pour cela encore un volume - me semblent suffire pour le but que je me suis proposé, c'est-à-dire pour démontrer à l'évidence les deux conclusions importantes auxquelles nous sommes nécessairement arrivés dans notre tentative d'étudier les phénomènes médiumniques à un point de vue « naturel ». On le voit bien, tous les faits que j'ai énumérés forment une chaîne ininterrompue ; ils ne se distinguent les uns des autres que par le caractère de la manifestation et par le degré d'activité d'une seule et même faculté de l'organisme humain. Nous savons maintenant que l'action de l'intelligence humaine peut s'exercer en dehors des limites corporelles ; qu'un homme peut réagir sur l'activité psychique d'un autre homme, et produire en celui-ci des impressions qui correspondent à celles qu'il éprouve lui-même, lui transmettre ses pensées, ses sensations, évoquer en lui la vision de son image, qu'il peut même opérer à distance des effets physiques sur la matière inerte et cette activité extracorporelle peut aller jusqu'au dédoublement de l'organisme, offrant un simulacre de soi-même, lequel agit pendant un certain temps, indépendamment de son prototype et présente des attributs incontestables de corporéité.
En d'autres termes, nous voyons se dresser devant nous un fait prodigieux, que l'on n'a pas osé regarder en face jusqu'à présent, mais qui est appelé à devenir une des plus brillantes acquisitions des sciences anthropologiques, et dont on sera redevable au spiritisme, à savoir que l'action physique et psychique de l'homme n'est pas confinée à la périphérie de soncorps.
Ceci dit, il y a lieu de revenir à la question qui a servi de point de départ à nos investigations dans le domaine des phénomènes de l'animisme : est-il besoin, pour l'explication des phénomènes médiumniques, de chercher un refuge dans l'hypothèse spiritique ?
En partant de la thèse que certains phénomènes doivent être attribués à une cause extramédiumnique (c'est-à-dire résidant en dehors du médium), nous avons vu que cette cause pourrait être fournie par l'activité extracorporelle - psychique et physique - d'un homme vivant. Il y aurait moyen, par conséquent, de donner des mystères du spiritisme une explication « naturelle », excluant l'intervention des « esprits ». Si « esprit » il y a, ce serait « l'esprit » d'un homme vivant, et rien de plus.
Mais cet argument viendrait se heurter aux considérations suivantes :
S'il est vrai que l'homme possède deux espèces de consciences - l'une extérieure, sa conscience normale, l'autre intérieure, qui est ignorée de l'homme normal, mais n'en est pas moins douée d'une volonté et d'une intelligence qui lui sont propres - s'il est vrai que cette dernière conscience peut agir, se manifester, alors même que la conscience normale est en pleine activité, de sorte que les deux consciences exercent leurs fonctions simultanément et sans que l'une dépende de l'autre s'il est vrai que l'activité extracorporelle de l'homme est principalement déterminée par la conscience intérieure (n'étant pas, en somme, assujettie à la conscience normale), et qu'elle peut se manifester - à l'instar de sa cause déterminante, la conscience intérieure - en même temps que l'activité normale du corps et indépendamment de ce dernier ; s'il est vrai, enfin, que cette conscience intérieure a le don de percevoir les choses du dehors sans le secours des organes des sens, - ne devons-nous pas en conclure que la nature de l'homme est double, qu'il y a en lui deux êtres distincts, et tous deux conscients : l'individu extérieur, qui obéit aux conditions imposées par notre organisme, et l'être intérieur, qui n'en dépend pas et qui peut vouloir, agir et percevoir par ses propres moyens ? Ne devons-nous pas en déduire que notre corps n'est pas une condition indispensable pour que cet être intérieur puisse faire acte de vie, en un mot que celui-ci est, par son essence indépendant de l'autre? En admettant même qu'il existe un certain lien entre les deux, ce lien n'est-il pas fortuit, une apparence plutôt, ou une simple concomitance temporaire ?
S'il en est ainsi, l'être intérieur doit conserver son existence indépendante, même en l'absence du corps. Ce serait un bel argument en faveur de la « survivance » de l'âme, et cet argument nous est fourni par les faits du somnambulisme et de l'animisme.
Nous appuyant sur ces faits, nous pourrions admettre que l'existence indépendante de l'être intérieur peut être « prénatale », ou « post-natale » (antérieure ou postérieure à la naissance). Si c'est l'être intérieur qui forme et développe le corps humain, il en est évidemment le précurseur, et il doit pouvoir lui survivre.
Par contre, s'il n'est qu'un résultat de l'organisme humain, nous pouvons le considérer comme une phase de l'évolution générale, et admettre qu'il peut survivre au corps, en tant que centre de forces individualisées. Mais tout cela n'est que de la spéculation, car nous avons nettement formulé notre thèse, au commencement de ce chapitre, en disant que l'activité de la conscience intérieure de l'homme, de même que ses actions extracorporelles, nous paraissent indépendantes de la conscience intérieure. Cette indépendance peut n'être qu'apparente.
En effet, l'influence de la conscience extérieure se fait sentir bien souvent dans l'activité de la conscience intérieure ; de plus, il existe incontestablement un rapport intime entre la conscience extérieure et le corps ; nous sommes donc forcés, sauf preuve du contraire, de considérer le corps humain comme la source - plus éloignée et plus mystérieuse encore - de l'activité de la conscience intérieure, et nous devons, par conséquent, conclure à l'existence d'un lien indissoluble entre cette conscience intérieure et le corps de l'homme. Bref, le corps reste la condition sine qua non.
Comme la théorie spirite repose, en définitive, sur cette question d'indépendance, il s'ensuit que, tant que cette indépendance ne sera pas prouvée d'une façon positive, les phénomènes médiumniques devront être attribués à l'action inconsciente - psychique, physique et plastique - du médium ou d'autres personnes vivantes, qu'elles soient présentes ou absentes, suivant le cas. C'est sur cette base naturelle que l'étude scientifique des faits médiumniques doit commencer, et elle devra s'y tenir jusqu'à preuve du contraire.
B – Spiritisme, manifestation médiumnique d’un homme décédé, comme phase ultérieure de l’animisme
« La proportion des manifestations vraiment spiritiques est, même à présent, fort médiocre. » A.J. Davis[97].
Il s'agit donc de trouver la preuve que la désagrégation du corps ne porte pas atteinte à l'indépendance ni à l'individualité de ce que nous avons nommé la conscience intérieure ou l'être intérieur de l'homme. Je crois pouvoir affirmer que cette preuve peut être fournie par certains phénomènes d'ordre médiumnique qui seront alors, dans la véritable acception du mot, des faits spiritiques. De quels faits s'agit-il dès lors ?
En nous plaçant à un point de vue général, il ne s'agit évidemment pas des phénomènes physiques, y compris les matérialisations, ou, du moins, ce n'est pas par ces dernières que nous devons commencer. Voilà ce que j'ai dit à ce sujet il y a dix ans :
« Entre la constatation d'un fait et son explication, il peut se passer un intervalle de plusieurs siècles. Le sujet qui nous occupe est immense et complexe à l'infini ; son étude présente des difficultés comme on n'en rencontre dans aucun autre ordre d'études. Ainsi, par exemple, ce phénomène remarquable parmi tous dans le domaine des faits médiumniques objectifs : la formation temporaire d'une figure humaine - est un fait démontré ; mais en conclure que nous avons devant nous l'apparition de l'esprit d'un homme mort - conclusion à première vue des plus simples et des plus évidentes, et qui présenterait par conséquent une preuve dé l'immortalité de l'âme, - ce serait faire une déduction qui n'est justifiée ni au point de vue de la critique ni au point de vue d'une étude approfondie des faits mêmes. Bien mieux : plus nous voyons de matérialisations, et plus cette hypothèse devient précaire à mon avis, du moins.
Or, si nous ne pouvons arriver à aucune solution de ce problème, même après avoir pu observer ce phénomène dans son développement extrême, qui devait, semblerait-il, pouvoir tout expliquer, à plus forte raison n'avons-nous pas le droit d'attribuer les manifestations médiumniques d'ordre secondaire à l'intervention des âmes des défunts. C'est pourquoi je ne me suis jamais prononcé dans mon journal sur la théorie des manifestations physiques. Je n'ai jamais formulé de doctrine, je n'ai fait qu'exposer des faits, en tenant compte, d'une façon impartiale, de toute tentative d'explication, de toute hypothèse, de toute critique ayant pour but la recherche de la vérité. Mais, ne l'oublions pas, ces phénomènes physiques ne constituent qu'une partie, ne sont que les soubassements d'un ordre de phénomènes médiumniques tout différents, qu'on pourrait désigner - par opposition - comme des phénomènes intellectuels. Ce sont ces derniers qui constituent la vraie puissance, l'essence même de ce grand mouvement social et religieux qui s'appelle le spiritualisme moderne[98]. »
Voilà pourquoi je me range complètement à l'opinion de M. Hartmann lorsqu'il dit : « Quant à la coopération ou à la non-coopération des esprits, la question ne peut être résolue, du moins approximativement, que sur la base du contenu intellectuel des manifestations, et, au contraire, tous les phénomènes physiques et les matérialisations, produits directement par l'organisme du médium, sont peu aptes à servir à la solution de cette question[99].»
Or cette manière de voir, publiée en Appendice par M. Hartmann, est absolument en contradiction avec la conclusion de son ouvrage sur le spiritisme où il dit : « Dès que nous admettons ces trois sources de connaissance (hyperesthésie somnambulique de la mémoire, lecture des pensées et clairvoyance) à côté de la perception sensorielle, on ne peut, en général, imaginer aucun contenu intellectuel qui ne puisse par sa nature y être puisé. » (Spiritisme, pp. 116 et 117.) Il faut donc considérer ces mots de l'Appendice comme une rectification, comme une dernière opinion, qui m'agrée d'autant mieux qu'elle répond directement à la question que je me proposais de poser à M. Hartmann et que j'aurais formulée de la façon suivante : Supposons que l'esprit de l'homme survit au corps : quelles sont les preuves qui nous permettront d'établir ce fait, en observant tous les principes de la méthode indiquée par M. Hartmann ? Ou bien doit-on maintenir quand même que toute tentative de découvrir une pareille preuve doit échouer devant le « caractère naturel » des « trois sources de connaissance » que cette méthode nous indique ? Bref, faut-il reconnaître que cette preuve est impossible ?
Mais, à présent, nous sommes d'accord sur ce point : Si cette preuve est en principe possible, elle ne peut être fournie que par le contenu intellectuel des phénomènes médiumniques. Et je démontrerai plus tard pourquoi même le phénomène de la matérialisation, sans un contenu intellectuel suffisant, ne peut suffire à la preuve demandée. J'ai déjà dit et redit, et je le répète, que l'étude de la partie intellectuelle des phénomènes médiumniques nous oblige à reconnaître avant tout qu'un grand nombre de ces phénomènes, des plus fréquents, doivent être attribués à l'activité inconsciente du médium lui-même.
Je viens de montrer plus haut qu'une autre partie de ces faits peut être, il est vrai, rapportée à une cause extramédiumnique, mais malgré tout « naturelle », terrestre, provenant de l'action extracorporelle d'autres individus vivants (phénomènes animiques). Dans le chapitre III j'ai réuni un grand nombre d'exemples qui nous forcent aussi à admettre une cause extramédiumnique. Mais quelle est cette cause ?
On pourrait être tenté d'attribuer un certain nombre de faits à des causes animiques et, avant tout, certainement, les phénomènes physiques dont il est question ; mais la difficulté est que dans la plupart de ces phénomènes il y a aussi un côté intellectuel qui se prête difficilement à l'hypothèse animique. Ainsi, par exemple, en élargissant jusqu'à un degré illimité le pouvoir physique extracorporel de l'homme vivant, on pourrait dire que « les persécutions par les phénomènes physiques » dont j'ai parlé dans le paragraphe 1 du chapitre III ont été causées par des actions extracorporelles, conscientes ou inconscientes, de certains hommes vivants. L'explication n'est pas impossible logiquement, mais elle n'a pas de raison d'être suffisante.
Ainsi on ne pourrait admettre raisonnablement que les manifestations sous forme de persécutions auxquelles ont été soumis les membres de la famille Fox, - poursuites ayant pour objet de provoquer l'étude publique des phénomènes médiumniques, - aient été le résultat d'une mystification animique, c'est-à-dire d'une mystification inconsciente de la part d'un homme vivant. En outre, il ne faut pas oublier que les phénomènes se produisaient d'une manière constante et à toute heure de la journée, souvent à la demande de telle et telle personne ; comment expliquer cette concordance de l'action à distance d'un homme vivant, avec toutes les exigences du moment et de l'entourage du milieu où cette manifestation animique devait se produire ? Pourquoi, dans bien d'autres cas, cette demande de prières, suivie de la cessation des manifestations ? Etc., etc. Ceci ne veut pas dire qu'on ne puisse admettre hypothétiquement, pour certains cas de hantise ou de molestations, qu'ils aient été produits par des causes animiques ; nous avons vu que les phénomènes animiques ont toujours leur raison d'être dans un certain rapport entre les parties intéressées ; ce même rapport devrait aussi exister pour les cas de hantise, s'ils dépendaient de la même cause, et leur source véritable ne tarderait pas à être découverte.
Dans le paragraphe 11 du même chapitre, j'ai cité plusieurs cas d'ordre physique, notamment d'apports à grande distance. En admettant que l'action physique extracorporelle de l'homme est illimitée, non seulement quant à l'espace, mais aussi quant à la matière, - et c'est bien là le développement que M. Hartmann sera obligé de donner à sa théorie, - on pourrait ranger ces cas physiques sous la rubrique de l'animisme, car ils ne présentent aucune difficulté au point de vue du contenu intellectuel. J'ai mentionné ces cas dans le chapitre III, à propos de la théorie actuelle de M. Hartmann et surtout à cause de leur connexion avec les faits de transmission de messages à grande distance cités au paragraphe 10.
Si l'on prétendait expliquer ces derniers par l'hypothèse animique, les difficultés deviendraient déjà plus grandes. Prenons, par exemple, le cas de Hare transmettant un message de Cape May (près de New-York) à Philadelphie par le spiritoscope. L'expérience a duré deux heures et demie ; si pendant ce temps le professeur Hare s'était trouvé en transe, comme le sujet du paragraphe 11, lors de l'apport de la photographie à une grande distance, on aurait pu supposer que toute l'expérience avait été une transmission animique, opérée par le professeur Hare lui-même.
Mais les facultés médiumniques du professeur Hare étaient insignifiantes ; aucun phénomène animique ne se produisait chez lui, il ne tombait pas en transe, etc. A une heure de l'après-midi, il se trouve en communication avec sa sœur par le moyen du spiritoscope ; il lui donne une commission pour le Dr Gourlay à Philadelphie, avec prière de lui donner réponse à 3 heures et demie. La commission donnée, il ne revient au spiritoscope qu'à l'heure indiquée pour prendre la réponse. Qui donc agissait à Philadelphie pendant ce temps ? Il fallait non seulement transmettre le message au Dr Gourlay, mais il fallait encore recevoir sa réponse, pour la retransmettre au professeur Hare. De cette façon l'esprit du professeur Hare avait à se manifester deux fois à Philadelphie, par le spiritoscope, pendant qu'il se trouvait à Gape-May, à l'état normal. Nous ne connaissons pas de cas analogues qui justifieraient une semblable explication. Ainsi donc ce n'était pas l'esprit du professeur Hare lui-même qui, sous le nom de sa sœur, avait opéré, et encore moins une des facultés des parties moyennes de son cerveau, ainsi que lèvent M. Hartmann.
Arrêtons-nous pourtant un moment à cette affirmation négative et voyons de plus près comment cette opération aurait pu s'accomplir suivant l'hypothèse de M. Hartmann. Voici le professeur Hare assis au spiritoscope ; sa conscience somnambulique joue le rôle de sa sœur défunte, et il est en communication avec elle au moyen du spiritoscope. L'idée lui vient de tenter une expérience,d'envoyer par sa sœur un message à Philadelphie, à Mme Gourlay, avec une commission concernant ses affaires de banque. Comment s'y est-il pris pour envoyer ce message ? Il l'a donné de vive voix, comme s'il parlait à sa sœur. Elle lui a répondu « oui » par le spiritoscope, et c'est tout. C'est bien conforme à la pratique en spiritisme. Et que s'est-il passé à Philadelphie ? Mme Gourlay était aussi au spiritoscope, et sa conscience somnambulique lui donnait une communication au nom de sa mère. Cette communication est subitement interrompue, et le spiritoscope se met à transmettre, lettre par lettre, le message de M. Hare. Qui dirigeait d'une lettre à l'autre l'aiguille du spiritoscope après que le professeur eût donné sa commission ? Qui l'avait mise en mouvement ? Voilà la grande et insurmontable difficulté pour la théorie du Dr Hartmann! Si le professeur Hare avait énoncé son message lettre par lettre, au moyen du spiritoscope, l'explication serait plus facile : on pourrait supposer une opération télépathique, non une transmission d'idées, mais une transmission lettre par lettre d'une conscience somnambulique à une autre. Mais il n'en a pas été ainsi. On reçoit les communications des prétendus « esprits » par le spiritoscope, mais de notre part la conversation se fait de vive voix. La même opération, mais vice versa, s'est produite à Philadelphie, où c'était le tour de Mme Gourlay de répondre de vive voix au messager invisible du professeur Hare, lequel à son tour reçut ce message par le spiritoscope. Qui donc faisait mouvoir l'aiguille, tandis que Mme Gourlay s'occupait déjà d'autre chose ? En outre, par quel genre de clairvoyance se produisait la vision des lettres du spiritoscope de part et d'autre ?
Est-ce encore par un rapport avec l'Absolu[100] ?
Quant à avoir recours, pour l'explication « naturelle » de ce fait, à l'intervention inconsciente de quelque autre être vivant, c'est évidemment trop absurde pour que nous nous y arrêtions. Mais il est vrai, d'autre part, que rien ne prouve que l'opérateur invisible était véritablement la sœur du professeur Hare. Tout ce que nous pouvons raisonnablement supposer, c'est que dans ce cas il y a eu un facteur intelligent et indépendant, un porteur conscient du message, qui a fait la commission, et que ce facteur ne peut être ni le médium lui-même, ni un autre être vivant.
Mêmes difficultés et mêmes conclusions pour le cas de Louisa Mac Farland (voir p. 452), où le message a été transmis à 1,000 milles par des coups frappés. En outre, qui a opéré la métamorphose de la personnalité et celle de la construction grammaticale du message ? Les communications animiques n'offrent pas cette particularité ; elles ne se transmettent pas au nom de l'expéditeur, mais par lui-même.
Pour certains autres des faits mentionnés au chapitre III, on peut se prévaloir de l'hypothèse animique poussée aux dernières limites, et soutenir que quelqu'un, quelque part et d'une façon toujours inconsciente, a produit cette manifestation. Prenons, par exemple, le cas de Cardoso ; il est toujours loisible de prétendre qu'un cerveau humain se trouvant en rapport inconscient avec les cerveaux de mes médiums avait été la source active ou passive du savoir qui n'appartenait pas à leurs cerveaux. Ou bien, quand le médium écrit des discours entiers ou nous parle dans une langue qu'il ne connaît pas, on pourrait encore supposer que la cause de cette manifestation est terrestre et non supraterrestre, que nous voyons le résultat du jeu inconscient de quelque conscience somnambulique se trouvant en dehors du cercle où se fait l'expérience. Cela est bien difficile, bien étrange ; le fil qui doit établir le rapport nous échappe, mais ce n'est pas logiquement impossible. La preuve seule nous manque: nous ne pouvons découvrir le vivant qui a été la cause de la manifestation.
Et c'est précisément la même difficulté qui se présente pour prouver que cette cause n'appartient pas à un vivant. Comment nous guider alors dans la recherche de cette preuve? La réponse est simple : tant que la manifestation est impersonnelle, nous n'avons pas de raison de lui attribuer une cause supraterrestre. Mais, si la communication est personnelle, c'est différent, et nous pouvons aller de l'avant.
C'est ici que les faits intellectuels de l'animisme nous viennent en aide et nous fournissent une base pour nos conclusions ultérieures. Voilà pourquoi l'étude de l'animisme doit précéder celle du spiritisme. Les phénomènes animiques étant bien établis, l'examen de l'hypothèse spiritique n'offrira plus de difficultés insurmontables, quand nous nous heurterons à des faits que l'animisme n'est plus capable d'expliquer ; il nous permet de déblayer le chemin et d'écarter toutes les objections et difficultés qu'on oppose généralement au spiritisme. C'est lui qui nous conduit pas à pas à la conviction que ce qui est possible à un homme vivant est également possible à un homme mort.
Nous avons vu plus haut (à la p. 475) que Mme W. (l'institutrice) avait l'habitude de recevoir par sa main des communications de feu son mari ; mais subitement, le 20 juillet 1858, « le crayon n'écrivit plus le nom attendu, mais traça d'une écriture étrangère, dans laquelle elle reconnut de suite la main de Sophie Swoboda, quelques expressions plaisantes qui exprimaient son dépit au sujet d'un devoir non fait. » Quand le lendemain, Mme W. se rendit chez Sophie Swoboda et lui montra la communication, Sophie reconnut immédiatement son écriture et ses expressions.
Plus loin, je cite aussi un cas d'écriture médiumnique produite pendant une séance à Mödling, par l'action extracorporelle de Sophie Swoboda, alors que son corps dormait à Vienne et l'identité de la personnalité de Sophie fut constatée par la ressemblance de l'écriture et par toutes les particularités de la communication.
Nous avons vu aussi des cas où les communications ont été délivrées de vive voix par la bouche des médiums à l'état de transe, et ces communications ont été sans hésitation attribuées à des hommes vivants, car elles portaient en elles le cachet de leur personnalité. C'est ainsi, par exemple, que miss Brant, assistant à une séance à Cleveland (Amérique), reçut une communication de sa mère qui se trouvait en Allemagne, par la bouche d'une dame médium, tout à fait étrangère à ces personnes et ne connaissant pas l'allemand, et ce fait coïncida avec ce que la mère de Miss Mary Brant avait éprouvé de son côté, pendant un accès de léthargie, etc., etc.
Nous appuyant sur ces faits, n'avons-nous pas le droit de faire le raisonnement suivant : Si nous recevons par voie médiumnique une communication qui porte en elle tous les indices qui caractérisent une personne vivante connue de nous, et si nous trouvons logique et naturel de rapporter cette communication à cette personne vivante et de conclure que c'est cette personne qui est la cause efficiente de cette manifestation, ne serait-il pas tout aussi naturel et tout aussi logique, dans le cas d'une communication portant tous les traits caractéristiques d'une personne que nous avions connue parmi les vivants, mais qui n'est plus, de rapporter cette communication également à cette personne et de conclure qu'elle est, de façon ou d'autre, la cause efficiente de cette manifestation ?
Il est évident que l'analogie est parfaite et que la logique exige cette conclusion. Voilà, à mon sens, la seule preuve intellectuelle, le « contenu intellectuel » qui seul puisse décider de la question. Un fait pareil aurait une immense signification, car dans ce fait nous trouverions la preuve positive de la pleine indépendance de notre être intérieur à l'égard de notre corps et, par conséquent, la preuve de l'existence indépendante de cet être, de l'âme en un mot, survivant au corps. Un fait pareil serait un fait spiritique dans le sens véritable de ce mot.
Poussons plus loin la recherche de l'analogie que présentent les phénomènes animiques.
Lorsque nous voyons le double d'une personne vivante, il est naturel et logique de chercher la cause de cette « hallucination » ou vision dans la personne même que ce double représente. Il importe peu que ce soit un effet télépathique ou quelque autre : quand on parle de l'apparition de A vivant à B vivant, personne ne songe à l'attribuer au vivant B ou à d'autres vivants C ou D, et par des recherches ultérieures on découvre que, effectivement, au moment de l'apparition du double ou fantôme de A à B, il s'était produit quelque chose dans l'esprit de A qui peut servir de justification pour voir dans A lui-même la cause première et efficiente de son apparition à B. Il est certainement surprenant que dans l'étude spéciale sur ce sujet[101],où des centaines de cas sont exposés, nous en trouvions à peine un seul où l'apparition de A à B puisse être considérée comme une pure hallucination subjective, sans aucune trace de télépathie. Le caractère non purement hallucinatoire, dans la majeure partie des faits, d'apparition des vivants une fois établi, on se demande naturellement ce qu'il faut conclure lorsque, au lieu d'un vivant, on voit l'apparition d'un décédé ? La réponse est simple : la possibilité d'attribuer l'apparition à un effet télépathique, provenant de A décédé, est justifiée. Ce n'est qu'une question de fait, et le temps viendra où nous aurons sur ce sujet un travail tout aussi probant que celui qui a élé publié sur les Fantômes de vivants.
De là aux matérialisations il n'y a qu'un pas. Si le double d'un homme vivant peut apparaître non seulement comme une « hallucination véridique », mais peut revêtir aussi une forme plastique, et si nous attribuons alors cette apparition à certaines activités mystérieuses des forces organiques et psychiques du sujet vivant qui est devant nous, ne pouvons-nous pas conclure avec la même logique que, lorsqu'une forme matérialisée porte indubitablement tous les traits caractéristiques d'une personne décédée, la cause efficiente de cette apparition, temporairement revêtue d'attributs corporels, doit aussi appartenir à cette personne ?
Comme on vient de le voir, la chaîne des analogies est complète. Mais ce qui était comparativement simple et tout d'abord évident pour les faits de l'animisme devient fort compliqué et douteux pour les faits du spiritisme. Car pour les premiers il nous est aisé de rattacher la cause à l'effet ; les deux bouts du fil de ce télégraphe psychique sont accessibles à notre examen ; l'agent et le percipient peuvent être rapidement découverts, et nous constatons que certain état chez A correspond à un certain effet chez B. Et nous acceptons cette théorie de causalités sans recourir à toutes sortes d'hypothèses pour la réfuter. Tel n'est pas l'état des choses pour constater un phénomène spiritique. Les moyens de vérification nous font défaut. Nous avons un effet, et la cause n'est qu'une probabilité logique. La preuve positive nous échappe.
C'est en affrontant l'étude de ce problème que surgit devant nous, dans son incommensurable profondeur, la mystérieuse question de la personnalité. Grâce aux travaux philosophiques du baron L.von Hellenbach et du Dr Carl Du Prel, la notion de la personnalité a acquis un développement tout nouveau, et les difficultés que nous présente le problème spiritique sont déjà beaucoup aplanies.
Nous savons à présent que notre conscience intérieure (individuelle) et notre conscience extérieure (sensorielle) sont deux choses distinctes que notre personnalité, qui est le résultat de la conscience extérieure, ne peut être identifiée avec le moi, qui appartient à la conscience intérieure ou, en d'autres termes, ce que nous appelons notre conscience n'est pas l'égal de notre moi. Il faut donc distinguer entre la personnalité et l'individualité. La personne est le résultat de l'organisme, et l'organisme est le résultat temporaire du principe individuel transcendantal. L'expérimentation, dans le domaine du somnambulisme et de l'hypnotisme, confirme cette grande vérité: dès que la personnalité, ou la conscience extérieure, est assoupie, surgit autre chose, une chose qui pense et qui veut, et qui ne s'identifie pas avec la personnalité endormie et se manifeste par ses propres traits caractéristiques pour nous, c'est une individualité que nous ne connaissons pas mais elle connaît la personne qui dort et se souvient de ses actions et de ses pensées.
Si nous voulons admettre l'hypothèse spiritique, il est clair que ce n'est que ce noyau intérieur, ce principe individuel qui peut survivre au corps, et tout ce qui a appartenu à sa personnalité terrestre ne sera pour lui qu'une affaire de mémoire. Voilà la clef pour l'intelligence des phénomènes spiritiques.
Si le sujet transcendantal a été uni au corps pendant sa manifestation phénoménale, il n'est pas illogique d'admettre que, après la désagrégation du corps, cette manifestation puisse se renouveler de façon ou d'autre dans le monde phénoménal par l'intermédiaire de quelque autre organisme humain, plus ou moins accessible aux impressions d'ordre transcendantal.
Ceci admis, il est clair qu'une manifestation de ce genre, si elle a pour but la reconnaissance de sa phénoménalité ou personnalité terrestre, n'est réalisable que par un effort de la mémoire qui reconstitue les traits de la personnalité terrestre. Cet effort doit naturellement devenir de plus en plus difficile, car le souvenir de la personnalité terrestre doit, avec le temps, s'effacer de plus en plus. En d'autres termes, l'individualité reste, la personnalité disparaît.
Voilà pourquoi la question de « l'identité des esprits » est la pierre d'achoppement du spiritisme ; voilà pourquoi, aussi, les cas probants de ce genre sont fort rares ; voilà pourquoi, enfin, ils sont plus ou moins défectueux, ou ne contiennent que quelques traits saillants, caractéristiques, que la mémoire évoque dans le seul but de l'identification de la personnalité et voilà ce qui explique pourquoi les cas de ce genre se rapportent à une époque plus ou moins rapprochée de la mort. C'est aussi en cela qu'il faut trouver la raison pour laquelle les communications médiumniques ne peuvent nous donner aucune notion raisonnable sur le monde spirituel et ses habitants ; ce monde transcendantal est une notion tout aussi incommensurable pour le monde phénoménal que l'idée de la quatrième dimension : nous ne pouvons - il faut se pénétrer de cette vérité - nous en faire aucune idée.
Il nous reste à vérifier maintenant, par voie expérimentale, s'il existe réellement de ces cas de personnalités qui s'annoncent comme appartenant à l'au-delà. Précisons avant tout ce que nous devons considérer comme un critérium de la personnalité. Le contenu intellectuel se cristallise dans la mémoire, qui est le réservoir fidèle des événements et de l'ensemble des relations de toute une vie humaine, lesquels ne peuvent jamais être semblables à ceux d'une autre existence ; elle est aussi le dépositaire fidèle des acquisitions intellectuelles et des croyances et convictions qui sont le résultat de toute une vie, différente des autres. Quant au côté moral, c'est la volonté, le caractère, qui en est l'expression et qui a aussi ses traits distinctifs, à ce point distinctifs, qu'ils impriment même un cachet individuel aux modes externes des manifestations du caractère, qu'ils se figent, pour ainsi dire, dans certaines expressions extérieures de l'organisme ; ces expressions sont le langage, l'écriture, l'orthographe et, en général, tout l'habitus corporel.
Donc, si nous recevons par voie médiumnique une communication qui porte en elle les traits indubitables de personnalité que je viens de signaler, n'avons-nous pas le droit, - après avoir éliminé toutes les causes d'erreur possibles, après avoir soumis le cas à une critique qui tienne compte des trois sources de perception que M. Hartmann nous a signalées et des sept principes explicatifs qu'il a détaillés dans son appendice, - n'avons-nous pas le droit, dis-je, de conclure à la possibilité d'attribuer cette communication à la cause qui s'affirme elle-même ?
Voyons si nous pouvons produire des faits répondant à ces exigences multiples. Des cas témoignant de l'identité de la personnalité qui se manifeste d'une façon plus ou moins satisfaisante, sont disséminés dans toute la littérature spirite. Chacun de ces cas doit se défendre de lui-même, subsister ou tomber selon le degré d'évidence qu'il contient. La plupart de ces faits ne sont convaincants que pour la personne intéressée qui, seule, généralement, est en mesure de juger de l'identité de la personne qui communique avec elle ; et c'est là, au point de vue de la critique, le côté vulnérable de ces communications, car la personne présente peut toujours être supposée la source inconsciente de la manifestation. Donc, pour que cette manifestation ait une valeur objective satisfaisante, il faut, soit qu'elle se produise en l'absence de la personne intéressée, soit qu'elle se caractérise par des traits intérieurs ou extérieurs que la présence de cette personnne ne peut affecter ; la preuve sera absolue quand les deux conditions seront réunies. La langue nationale et l'écriture sont les attributs inséparables, essentiels et indubitables de chaque personnalité, offrant en même temps la formule démonstrative de l'équation personnelle, comme s'exprime M. d'Assier. Le langage et l'écriture, voilà les formes extérieures, les preuves matérielles, pour ainsi dire, par lesquelles la personnalité s'accuse dans toutes les relations sociales ; dans les phénomènes spiritiques, également, elles sont indépendantes des influences de toute personne présente.
Je commencerai par les faits de cette catégorie avant de m'occuper de ceux qui portent des traits intérieurs ou intrinsèques, témoignant de l'identité de la personnalité. Le chapitre III nous a déjà fourni un certain nombre de phénomènes qui répondent à tout ce que nous pouvons exiger en fait de preuve de ce genre, et cela abrégera d'autant ce dernier chapitre.
Pour faciliter l'étude systématique de l'ensemble des faits qui se produisent dans les conditions que je viens de mentionner et qui doivent, par conséquent, servir à justifier l'hypothèse spiritique, je vais les classer sous plusieurs rubriques générales, et pour chacune d'elles je choisirai quelques exemples typiques.
I - Identité de la personnalité d'un défunt constatée par des communications dans sa langue maternelle, inconnue du médium.
J'ai déjà dit au paragraphe 6 du chapitre III, spécialement consacré aux phénomènes de ce genre, que je les considère comme une preuve absolue d'une action extramédiumnique, et j'en ai donné les motifs. Il est parfaitement clair que cette action extramédiumnique ne peut être qu'une action appartenant à un être humain, vivant ou mort. Dans le chapitre sur l'Animisme, j'ai cité l'exemple d'une mère mourante, en Allemagne, parlant allemand avec sa fille, en Amérique, par un médium américain ne connaissant pas l'allemand. Si cette même mère s'était manifestée à sa fille par la même voie et d'une façon tout aussi convaincante après sa mort, en lui parlant, comme de son vivant, avec des détails et des particularités que sa fille seule pouvait connaître ; il y aurait les mêmes raisons suffisantes pour reconnaître sa personnalité. Il y a dans le paragraphe mentionné plusieurs cas qui présentent ces mêmes « raisons suffisantes », et, parmi eux, la première place revient au fait rapporté par le juge Edmonds et observé par lui-même sur sa fille Laure, qui parla grec avec un Grec, M. Evangelidès. L'interlocuteur invisible, parlant par Miss Edmonds, dit à M. Evangelidès tant de choses que celui-ci « reconnut en lui un ami intime, mort quelques années auparavant, en Grèce, et qui n'était autre que le frère du patriote grec Marco Bozzaris. » Ces conversations se répétèrent plusieurs fois pendant des heures entières, et M. Evangelidès interrogea scrupuleusement son interlocuteur au sujet de différentes questions de famille et d'affaires politiques. Mais ce qui prête à ce cas une double valeur, c'est que « ce même interlocuteur annonça à M. Evangelidès, à leur première entrevue, la mort d'un de ses fils, qu'il avait laissé vivant et bien portant à son départ de Grèce pour l'Amérique. » (Voir les détails plus haut.) Je ne trouve aucun moyen raisonnable d'expliquer ce phénomène autrement que par l'hypothèse spiritique ; la clairvoyance n'expliquera pas l'emploi du grec, et le grec n'expliquera pas la clairvoyance ; quant à l'hypothèse animique, elle devient ici une absurdité.
Nous avons parlé d'un cas semblable dans le paragraphe 8 du chapitre III (p. 419) : Mme X., de Paisley, en Ecosse, annonça sa mort en dialecte écossais, par la bouche de Miss Scongall, qui ne connaissait pas ce dialecte. Son petit-fils, auquel elle s'adressa, lui posa aussi un grand nombre de questions pour s'assurer de sa personnalité, et les réponses, toujours faites dans le même dialecte, furent parfaitement satisfaisantes. (Voir les détails à l'endroit cité.)
Nous basant sur ces faits, nous sommes en droit de conclure que les autres cas de communications en langues inconnues du médium qui sont mentionnés au paragraphe 6 du chapitre III sont non seulement des cas d'action extramédiumnique, mais encore des cas spiritiques, car il n'y a aucune raison plausible pour les attribuer à des causes animiques ; la condition essentielle pour justifier cette cause, - le rapport entre cette cause et son effet, le rapport entre les vivants connus et inconnus, visibles et invisibles, - manque totalement. On peut objecter qu'il n'y a pas de raison non plus pour conclure à un rapport entre un vivant et un défunt inconnu. Cela est vrai, mais, quand on se rapporte aux faits précédents, il est tout naturel de supposer qu'un défunt dispose de moyens bien plus simples, pour établir ce rapport, qu'un vivant, - le but de cette manifestation étant d'ailleurs de prouver le fait de son existence posthume.
Quelques faits de cette rubrique ont une valeur encore plus significative lorsque l'emploi d'une langue inconnue s'est produit en l'absence de toute personne comprenant cette langue et lorsque, pour l'interprétation de la conversation, on a dû inviter des personnes pouvant comprendre cette langue. Un cas de ce genre, tout à fait explicite, a été mentionné par moi dans le même paragraphe 6, et, dernièrement, le hasard m'a fait découvrir une expérience de même nature, mais plus remarquable encore et qui est rapportée dans le journal Facts (Boston), fascicule de février 1885. Mme Elisa L. Turner, de Montpellier (Vermont), y raconte avec force détails comment son mari, M. Curtis Turner, fut le sujet d'un phénomène curieux. Il tomba malade en 1860 ; après deux ans de maladie, il se mit au lit, et les médecins le déclarèrent incurable. M. et Mme Turner étaient quelque peu médiums, et en dernier recours ils organisèrent une séance spiritique. M. Turner tomba en transe, et l'agent contrôlant la séance s'exprima bientôt ainsi, en mauvais anglais : « Je désire m'entretenir avec un Français[102]. »
Le Dr Prevo, un Français, ayant été appelé, il s'entretint avec lui aussi correctement que s'il avait en l'habitude de s'exprimer en français et avait su examiner des malades. Cela surprit le docteur Prevo, qui décida de mettre les esprits à l'épreuve. Lorsqu'il revint, il apporta des planches anatomiques, mais l'esprit, qui se prétendait médecin, était de force à lui répondre, car il désignait et nommait tous les divers muscles en latin et en français aussi parfaitement que le docteur Prevo lui-même, qui est un savant médecin. » Le résultat fut qu'en dix jours le malade fut rétabli, selon la promesse qu'avait faite le docteur invisible. Mme Turner termine ainsi son récit : « Mon mari ne connaissait pas plus la langue française qu'il savait jouer du violon, et cependant, bientôt, sous le contrôle du Dr Hannibal (ainsi que l'interlocuteur se nommait lui-même), il put parler français et jouer du violon. » Et l'éditeur du journal ajoute : « Au congrès de Waterbury, Vermont, tenu en octobre 1884, à l'un nos meetings d'expérimentation, le docteur Prevo a raconté ce phénomène avec plus de détails qu'il n'en est fourni ici. »
C'est aussi sous cette rubrique que doivent se ranger des cas où le médium s'exprime non dans une langue étrangère, mais par un alphabet conventionnel qui lui est inconnu, comme par exemple l'alphabet des sourds-muets. On va voir un cas où la communication a été faite par cet alphabet, car le défunt, de son vivant, était sourd et muet ; j'emprunte cet exemple au journal mensuel édité par Hardinge Britten, à Boston, en 1872, sous le titre l'Étoile de l'Ouest où, à la page 261, elle cite le récit de M. H. B. Storer, reproduit dans l'Epoque spirituelle, comme suit :
« Le samedi 2 août 1872, je faisais une conférence à Syracuse (N.-Y.), et entre la séance du matin et celle du soir j'assistai à une réunion chez M. Bears. Parmi les assistants, qui étaient une vingtaine environ, se trouvaient deux dames et deux messieurs venus d'une ville voisine pour assister à mes conférences. Au cours de la réunion, un médium, Mme Corwin, tomba en transe et désigna de la main l'un des assistants ; il se leva et, traversant la salle, vint prendre un siège à côté du médium. Alors l'esprit parut faire des tentatives réitérées pour parler, impuissant, semblait-il, à soumettre à sa volonté les organes du médium, ce qui produisit un effet pénible sur la plupart des assistants.
On remarqua cependant que la main gauche du médium se levait par moments, et que ses doigts faisaient divers mouvements. Quelques instants après, le monsieur en question déclara que l'esprit lui avait donné une preuve de son idendité, et ce, « d'une façon indubitable ». Supposant que c'était un signe quelconque convenu, on s'attendait toujours à entendre prononcer des paroles par l'esprit, proposant tel ou tel moyen pour faciliter la manifestation. Subitement, le médium tomba sous l'influence d'un autre esprit, qui déclara, d'une façon parfaitement calme, que si l'on restait tranquille, la femme du monsieur qui se tenait auprès du médium essayerait encore une fois de se manifester, qu'elle avait été sourde-muette sur la terre et qu'elle communiquerait par le moyen de l'alphabet des sourds-muets. On fit le silence, et bientôt l'individualité annoncée revint et parla pendant vingt minutes avec son mari ; les doigts du médium formaient les réponses et les phrases au moyen des signes employés par les sourds-muets.
La scène était émouvante : le mari se tenait en face du médium en transe, et posait à sa femme diverses questions, par signes, et sa femme répondait à ses pensées de la même manière, par l'intermédiaire d'un organisme étranger, d'une personne qui n'avait jamais pratiqué ce mode de conversation. L'esprit faisait également des réponses à des questions mentales, en les écrivant par la main du médium. Ces réponses étaient toujours exactes et satisfaisantes.
Disons encore que le médium et le monsieur dont il est question ne se connaissaient nullement, et que le médium n'avait jamais jusqu'alors vu employer les signes de l'alphabet des sourds-muets. »
II.- Constatation de la personnalité d'un défunt par des communications délivrées dans le style caractéristique du défunt ou par des expressions particulières, qui lui étaient familières - reçues en l'absence de personnes connaissant le défunt.
Cette rubrique est le corollaire de la précédente, dont les cas, quoique bien précieux, sont rares et, en outre, présentent un caractère fugitif, à peine saisissable, et ne laissent pas de preuves objectives et durables, à moins que les paroles en langue inconnue du médium n'aient été sténographiées sur place.
La majeure partie des communications se reçoivent naturellement dans une langue connue du médium,ce qui n'empêche pas qu'elles présentent quelquefois des particularités tellement marquantes que le cachet de la personnalité ne peut être méconnu. Dans le paragraphe 4 du chapitre III j'ai cité un cas extraordinaire de cette nature dans le fait de l'achèvement du roman de Charles Dickens, laissé inachevé, et complété après sa mort parla main d'un jeune médium illettré ; le roman complet est imprimé et tout le monde peut juger si la seconde partie n'est pas digne de la première. Non seulement toute la trame du roman est suivie et l'action est menée à bonne fin de main de maître, de telle manière que le critique le plus sévère ne pourrait dire où se termine le manuscrit original et où commence la partie médiumnique, mais, en outre, beaucoup de particularités de style et d'orthographe témoignent de l'identité de l'auteur. (Voir p. 326.)
Voici encore un cas d'une nature toute privée, que je tiens de première source. Il me fût raconté par mon amie Mlle B. Pribitkow, dont j'ai déjà, à maintes reprises, eu l'occasion de parler. Elle se trouvait un soir chez la princesse Sophie Schahofskoy (belle-mère de mon ami et camarade de lycée le prince Alexandre Schahofskoy) c'était à Saint-Pétersbourg, en 1874. Mlle B. Pribitkow est un peu médium, et la princesse organisait avec elle de temps à autre de petites séances au moyen de la planchette. Une personne qu'elle connaissait, M. Foustow (que je connais aussi), vint pendant la soirée lui rendre visite. M. Foustow était le gérant des affaires du prince Georges Sch., du Caucase, que ni la princesse ni Mlle de Pribitkow ne connaissaient. Sachant que ces dames s'occupaient de spiritisme, l'idée lui vint de leur demander si elles ne pouvaient pas le faire entrer en communication avec le père défunt du prince Georges, auquel il avait un renseignement important à demander. L'essai fut fait et, quand le père du prince Georges se fut nommé, M. Foustow lui demanda ce qu'était devenue une forte somme d'argent qui avait disparu après sa mort. Sa réponse fut : « Ce qui est perdu est perdu ; mais je ne m'en afflige pas : il n'est pas utile que Georges ait tant de « fisc ». Le mot russe employé pour fisc (ou argent) était kazna, ce qui signifie à proprement parler « le trésor de la Couronne » cette expression étonna beaucoup les assistants, qui n'avaient jamais entendu qu'elle fût employée dans un autre sens.
Lorsque M. Foustow communiqua cette réponse au prince Georges, celui-ci répondit que l'emploi du mot kazna ne le surprenait pas, car son père était un homme du vieux temps, un vieil original, et qu'il ne désignait jamais l'argent autrement que par ce mot[103].
Il est inutile d'ajouter ici que ni le médium ni personne des assistants, pas même M. Foustow, n'avaient jamais vu le défunt, qui avait passé sa vie en Géorgie et y était mort. On posa encore une question concernant les affaires privées du prince, et on reçut une réponse très à propros, et à laquelle les événements ultérieurs donnèrent raison ; mais, comme ces détails ne se rapportent pas à cette rubrique, je crois qu'il est inutile de les reproduire ici. Il y a quelque temps, j'ai prié Mlle de Pribitkow de faire certifier encore une fois ce fait par le témoignage de M. Foustow, et il me le confirma lui-même par écrit.
Quelquefois un mot suffit pour établir l'identité d'une personne pour celui qui seul peut comprendre la valeur de ce mot. Voici un phénomène aussi simple qu'éloquent, qui s'est produit en l'absence de celui qu'intéressait l'expérience. Le vénérable littérateur S. C. Hall nous raconte ce qui suit : « J'ai reçu par le médium D. Home un message, de la part de la fille de Robert Chambers, concernant une affaire de famille d'ordre très intime ; lorsqu'elle me demanda d'en donner connaissance à mon honorable ami M. Chambers, je refusai de le faire, à moins d'obtenir quelque preuve qui pût le convaincre que c'était réellement l'esprit de sa fille qui m'avait parlé. L'esprit me répondit :
« Dites lui : papa, mon amour ! » Je demandai à M. R. Chambers ce que signifiait cette expression. Il me dit que c'étaient les dernières paroles de son enfant au moment de mourir, pendant qu'il lui soulevait la tête au-dessus de l'oreiller. Je me considérai dès lors comme autorisé à lui faire part du message qui m'avait été transmis à son intention[104]. »
Par un heureux hasard, ce cas se trouve confirmé, tout à fait indépendamment, par le témoignage d'une autre personne qui assistait à cette séance ; le témoin est M. H. F. Humphreys, qui a publié sur ce sujet un article intitulé « Expériences de spiritualisme » dans le même volume du Light (p. 563).
Je ne puis manquer de mentionner ici, au moins à titre de renvoi, une communication reçue par le juge Edmonds de la part d'un jeune garçon, marchand de journaux, par la bouche de sa fille en transe et qui forme l'objet du Spiritual Tract numéro 3, intitulé : « Le Jeune Vendeur de journaux. » La communication fut sténographiée par le juge pendant sa réception, et il faut la lire pour apprécier le tour caractéristique de ce récit d'un gamin parcourant les rues de New-York.
III. - Identité de la personnalité d'un défunt inconnu du médium, constatée par des communications délivrées dans une écriture identique à celle qu'on lui connaissait de son vivant.
Je suis tenté de dire que cette preuve de personnalité l'emporte sur toutes celles de la rubrique 1 ; la preuve écrite est tout aussi caractéristique que celle fournie par le langage ; mais, pour le but que nous poursuivons, la langue employée dans cette communication doit être ignorée du médium. En outre, si elle n'est pas faite par écrit, la preuve documentaire nous fait défaut et, généralement, ces communications en une langue inconnue du médium sont transmises de vive voix, en langage courant, ce qui en fait précisément le prix. Ici nous avons une preuve de personnalité tout aussi probante, mais avec cet avantage qu'elle peut être donnée dans la langue maternelle du médium et qu'elle présente, en outre, un document matériel, permanente toujours à la portée la critique et, mieux que cela, elle a l'avantage de pouvoir être donnée en présence de la personne intéressée. Car je nie résolument que l'écriture d'un défunt inconnu du médium puisse être reproduite d'une façon absolument identique par une opération de la conscience somnambulique du médium, grâce uniquement à la présence d'une personne qui avait connu ce défunt. Je l'affirme pour deux raisons : premièrement, nous pouvons reconnaître l'écriture d'une personne que nous connaissons, mais nous ne pourrions pas la reproduire de mémoire, même par un effort de notre volonté ; secondement, si la communication reproduisait une phrase que nous aurions pensée en nous représentant l'écriture qui nous est familière, - ce qui aurait pu être tenté à titre d'expérience, - on aurait pu encore prétendre que la phrase a été reproduite mécaniquement, ensemble avec l'écriture, par transmission de pensée mais, comme on le sait, les communications reçues ont leur propre contenu et leur phraséologie propre. Je ne parle pas certainement de quelques mots détachés ou de signatures présentant un fac-similé de l'écriture de leur auteur, - ce qui peut toujours prêter à contestation, - mais je parle de communications plus ou moins longues ou fréquentes, émanant de la même personne défunte, dans son écriture originale. Et cette preuve doit, selon moi, être considérée comme absolument concluante, car l'écriture a toujours été considérée comme un document irréfutable de la personnalité et comme son expression fidèle et constante.
L'écriture est vraiment une sorte de photographie de la personnalité.[105] Quant à la possibilité d'écrire une écriture étrangère, il faut lui appliquer le même argument que pour la faculté de parler une langue qu'on ne connaît pas
Les communications reçues dans l'écriture du défunt sont mentionnées ça et là dans la phénoménologie médiumnique. Mais elles sont rares, les rapports qu'on en fait manquent de détails, et on doit se reposer sur le jugement de ceux à qui elles étaient adressées ; étant toujours d'un ordre privé, il est naturel qu'elles ne soient pas livrées à la publicité ; en outre, pour servir de preuve documentaire d'identité de l'écriture, elles devraient être publiées avec des fac-similé de l'écriture de la personne avant et après la mort ; mais on se soucie rarement de donner cette preuve, qui est d'ailleurs assez dispendieuse. Quelquefois pourtant, ces preuves ou ces détails ont été fournis, et c'est de ces expériences complètes que je parlerai.
Les plus importantes de ces communications sont certainement celles qui furent reçues par M. Livermore, de la part de feu sa femme, Estelle, au cours des nombreuses séances qu'il tint avec Kate Fox, pendant plusieurs années, de 1861 à 1866. Plus loin le lecteur trouvera (au § 8) tous les renseignements publiés sur ces remarquables séances, dont je ne mentionne ici que celles ayant trait aux communications. Elles furent toutes, au nombre d'une centaine, reçues sur des cartes que M. Livermore marquait et apportait lui-même, et furent toutes écrites non par le médium (dont M. Livermore tenait les mains durant toute la séance), mais directement par la main d'Estelle et quelquefois même sous les yeux de M. Livermore, à la lumière spiritique créée ad hoc, lumière qui lui permettait de reconnaître parfaitement la main et même toute la figure de celle qui écrivait. L'écriture de ces communications est une parfaite reproduction de l'écriture de Mme Livermore vivante. Dans une lettre de M. Livermore à M. B. Coleman, de Londres, dont il avait fait la connaissance en Amérique, nous lisons : « Nous venons enfin d'obtenir des lettres datées. La première de ce genre, datée du vendredi 3 mai 1861, était écrite très soigneusement et très correctement, et l'identité de l'écriture de ma femme a pu être rétablie d'une façon catégorique par des comparaisons minutieuses ; le style et l'écriture de « l'esprit » sont pour moi des preuves positives de l'identité de l'auteur, même si on laisse de côté les autres preuves encore plus concluantes, que j'ai obtenues. » Plus tard, dans une autre lettre, M. Livermore ajoute : « Son identité a été établie de façon à ne laisser subsister l'ombre d'un doute : d'abord par son apparence, ensuite par son écriture et enfin par son individualité mentale, sans parler de nombreuses antres preuves qui seraient concluantes dans des cas ordinaires, mais dont je n'ai pas tenu compte, sauf comme preuve à l'appui. »
M. Livermore, en envoyant quelques-unes de ces communications originales à M. Coleman, lui avait envoyé aussi des spécimens de l'écriture d'Estelle de son vivant, pour les comparer, et M. Coleman trouve les premières « absolument semblables à l'écriture naturelle[106] ». Deux fac-similé de ces communications écrites sont joints à cette brochure, et on les retrouve dans le Spiritual Magazine de 1861, où les lettres de M. Coleman parurent tout d'abord. Ceux qui possèdent des lettres de Kate Fox peuvent s'assurer que leur écriture n'a rien de commun avec celle des communications de M. Livermore.
Outre cette preuve intellectuelle et matérielle, nous en trouvons encore une autre dans plusieurs communications écrites par Estelle en français, langue complètement inconnue du médium. Voici à ce sujet le témoignage décisif de M. Livermore :
« Une carte que j'avais apportée moi-même fut enlevée de ma main et après quelques instants elle me fut visiblement rendue. J'y lus un message admirablement écrit en pur français, dont Mlle Fox ne connaissait pas un mot[107]. » Et dans une lettre de M. Livermore à M. Coleman je lis encore : « J'ai aussi reçu, il n'y a pas longtemps, plusieurs autres cartes écrites en français. Ma femme connaissait très bien le français ; elle l'écrivait et le parlait correctement, tandis que Mlle Fox n'en avait pas la moindre notion.[108]»
Nous trouvons ici une double preuve d'identité : elle est constatée non seulement par l'écriture en tous points semblable à celle du défunt, mais encore dans une langue inconnue du médium. Le cas est extrêmement important et présente à nos veux une preuve d'identité absolue.
Les fac-similé de ce genre qui ont été publiés sont peu nombreux. Il existe cependant un livre intitulé : Douze Messages de l'esprit de John Quincy Adams à son ami Josiah Brigham, par Joseph D. Stiles, médium, imprimé en 1859. A la préface sont joints des fac-similé des écritures d'Adams et de sa mère, avant et après leur mort, qui offrent une similitude frappante ; le fac-similé de l'écriture normale du médium s'y trouve également. Nous trouvons dans le Spiritualist de 1881, II, page 111, une notice sur cet ouvrage dû à M. Emmette Coleman, qui n'est pas connu comme un critique indulgent et qui émet cette conclusion : « Ce livre est unique dans la littérature spirite, et à mon sens il contient des preuves concluantes de l'identité de l'intelligence qui est l'auteur de ces messages, les preuves intérieures et matérielles ayant une valeur égale sous ce rapport. »
Dans le Spiritual Record de 1884, pages 554 et 555, je trouve les fac-similé d'une communication reçue par le Dr T.L.Nichols, de la part de feu sa fille Willie, par l'écriture directe entre deux ardoises. Elle est parfaitement identique au spécimen de l'écriture de Willie, de son vivant, et n'a aucune ressemblance avec l'écriture du médium Eglinton, dont un spécimen est joint. Un autre fac-similé d'une communication de Willie se trouve dans le même journal de l'année 1883, page 131. Voilà tout ce que je trouve, pour le moment, dans mon registre, en fait de pareils fac-similé.
Depuis que le procédé de l'écriture directe a été simplifié et facilité par l'emploi des ardoises, ce phénomène, baptisé du nom de psychographie, est devenu très fréquent, elles cas d'identité d'écriture ont été rapportés plus souvent ; seulement les fac-similé justificatifs manquent. Comme exemple, je citerai une expérience qui porte en elle, outre la preuve extérieure de récriture, une preuve intérieure caractéristique. Voici le fait que M. J.-J. Owen publia dans le Religio-Philosophical Journal du 26 juillet 1884, et que j'emprunte au Light de 1885 (p. 35), où il a été reproduit. J'abrège ce récit tout en laissant parler M. Owen lui-même :
« Il y a de cela douze ans, je comptais au nombre de mes amis intimes un sénateur de Californie, fort connu, et qui était directeur d'une banque prospère à San Jose. Le Dr Knox - c'est son nom - était un penseur profond et un partisan résolu des théories matérialistes.Il était atteint d'une pulmonie progressive, et, sentant approcher sa fin, il parlait souvent du sommeil éternel qui l'attendait, et avec lui l'oubli éternel. Il ne craignait pas la mort. Je lui dis un jour : « Faisons un pacte, docteur : si, là-haut, vous vous sentez vivre, vous tenterez le possible pour me communiquer ces quelques mots : « Je vis encore. » Il me fit cette promesse solennellement... Après sa mort, j'attendais impatiemment qu'il me donnât de ses nouvelles. Ce désir s'accentua davantage à l'arrivée, dans notre ville, d'un médium à matérialisations, venant de l'est de l'Amérique. J'avais une confiance absolue dans le caractère sérieux de ce médium ; il déclara qu'il pouvait parfois obtenir des preuves d'identité par le moyen de l'écriture directe, sur une ardoise, et il me proposa de tenter l'expérience, puisqu'une occasion se présentait... Je nettoyai une ardoise, y posai un crayon d'ardoise, et tins l'ardoise contre la surface inférieure de la table[109]. Le médium plaça une de ses mains sur la mienne, en dessous de la table, et l'autre sur la table...Nous entendîmes le bruit du crayon grattant sur l'ardoise, et, en enlevant celle-ci, nous y trouvâmes les lignes suivantes :
Ami Owen, les phénomènes que nous offre la nature sont irrésistibles, et le soi-disant philosophe, qui lutte souvent contre un fait qui contrecarre ses théories favorites, finit par être lancé dans un océan de doute et d'incertitude. Ce n'est pas précisément le cas avec moi, bien que mes anciennes idées sur la vie future soient maintenant bouleversées de fond en comble mais, je l'avoue, ma désillusion a été agréable, et je suis heureux, mon ami, de pouvoir vous dire : « Je vis encore. »
Votre ami toujours,
Wm. Knox. »
Il faut faire remarquer que le médium dont il s'agit est venu en Californie trois ans après la mort de mon ami, qu'il ne l'avait jamais connu et que l'écriture du message était à ce point conforme à celle de mon ami défunt, qu'elle a été reconnue pour la sienne par le personnel de la banque qu'il avait présidée. »
S'il n'y avait pas eu identité d'écriture, nous aurions pu expliquer ce cas, comme tant d'autres, par la transmission de pensées ; mais dans ces conditions, la manifestation devient personnelle.
En fait de communications transmises par le même procédé, mais en grande quantité, de la part d'une seule et même personnalité, je ne connais que le cas remarquable de M. Mary Burchett, qu'elle raconte elle-même dans le Light de 1884 (p. 471) et 1886 (pp. 322, 425). Dans l'espace de deux ans, elle reçut une cinquantaine de messages dans l'écriture d'un ami intime, mort en 1883. De son vivant il ne croyait pas plus que M. Knox « à la possibilité d'une vie après la mort » et c'est pourquoi il dit dans son deuxième message : « C'est une révélation pour moi aussi bien que pour vous ; vous n'ignorez pas combien j'étais réfractaire à toute foi en une existence future. »
Antérieurement à mon voyage à Londres, en 1886, j'écrivis à M. Burchett et lui posai diverses questions, auxquelles elle répondit obligeamment par la lettre suivante, qui contient de nombreux détails inédits :
« The Hall, Bushey, Herts (Angleterre) le 20 mai 1886.
M. Je regrette de ne pouvoir faire droit au désir que vous avez exprimé de posséder quelques spécimens de l'écriture posthume et naturelle de mon ami défunt, attendu que les messages qu'il m'a adressés, étant d'un ordre purement personnel, sont sacrés pour moi. Il m'a, en outre, prié à maintes reprises de ne les montrer à personne. Quant aux questions que vous me posez, j'y répondrai très volontiers.
1) Relativement à l'écriture de mon ami : jusqu'à ce jour j'ai reçu de lui trente-quatre lettres, par la médiumnité de M. Eglinton ; les deux premières étaient écrites sur des ardoises, toutes les autres sur du papier. Une de ces lettres est écrite sur une feuille de papier à lettre que j'avais collée par les coins avec un peu de gomme, sur une des ardoises, de manière qu'elle pût être enlevée sans peine[110]. En ce qui concerne les quelques premières lettres, bien que l'écriture en ressemble beaucoup à celle de mon ami et qu'elles soient conçues dans un style et un langage qui lui étaient propres, je leur ai découvert en même temps une certaine ressemblance avec l'écriture d'Ernest, l'un des esprits-guides du médium, ce qui me déconcerta un peu. Mais cette vague ressemblance ne tarda pas à diminuer graduellement, et finit par disparaître tout à fait et alors l'écriture des messages devint pareille à celle de mon ami, de son vivant, en tant qu'une écriture au crayon peut ressembler à celle faite avec une plume. Mon ami était Autrichien de naissance, et son écriture, remarquablement jolie et fine, portait le cachet de son origine allemande...
2) Tous les messages, sauf un, sont écrits en anglais, avec beaucoup de phrases en langue allemande. Durant sa vie il avait également l'habitude de m'écrire en anglais. A l'approche de Noël, en 1884, je reçus, à mon grand étonnement, une lettre allemande, écrite avec des caractères gothiques fort beaux et d'un style impeccable[111]..... Éprouvant quelque difficulté à comprendre l'allemand, car à cette époque je ne connaissais cette langue qu'imparfaitement, j'exprimai mon regret que la lettre fût en allemand, ajoutant que j'aurais beaucoup désiré recevoir quelques lignes dans ma langue maternelle. M. Eglinton proposa obligeamment d'essayer. La feuille n'était écrite que d'un seul côté ; il la retourna sur l'ardoise, que nous tenions de la façon habituelle, et, peu de temps après, j'entendis le bruit du crayon et trouvai quelques mots seulement, en anglais, dans le style habituel[112].
3) Ces messages contiennent des allusions si nombreuses à sa vie sur la terre, qu'elles suffirent pour me convaincre de son identité, sans que j'eusse eu besoin d'autres preuves, qui ne faisaient point défaut cependant. Vous avez peut-être lu dans le livre de J. Farmer : Twixt two Worlds, Entre deux mondes, la Vie et les Actes de W. Eglinton (Londres, 1886, p. 167), le récit d'une matérialisation remarquable. C'est moi qui l'ai communiqué[113]. Dans une de ses premières lettres je trouvai une preuve frappante : il nomma, incidemment, un endroit en Allemagne, et je me souvins alors qu'il m'avait dit l'avoir visité. C'est un nom assez bizarre, et je ne l'ai jamais entendu citer, ni avant ni après. Un jour que j'étais assise, seule, a une séance d'écriture automatique, - depuis l'automne dernier, j'ai développé en moi cette faculté, à un degré faible encore, - je fis allusion à ce fait et demandai à mon ami s'il voulait écrire, par ma main, le nom du pays où cet endroit se trouvait. Je m'évertuai à rendre ma main aussi passive que possible, afin de n'exercer aucune influence sur la réponse ; tout de même je m'attendais à lire « Autriche » ou « Hongrie ». A mon grand étonnement, ma main écrivit, lentement, le nom d'une ville, et alors je me souvins qu'au cours de l'entretien que j'eus avec lui, lorsque je lui fis observer la consonance bizarre de ce nom, il m'avait dit que cet endroit se trouvait auprès de la ville de D. J'ai toujours considéré cet incident comme fort curieux, bien que dans l'espèce il ne présente pas beaucoup d'importance[114].
Agréez, etc.
Mary Burchett. »
Il me reste à ajouter que, lors de mon séjour à Londres, en 1886, je saisis l'occasion qui se présentait pour moi de faire la connaissance de M. Burchett. Comme bien l'on pense, elle me confirma ce qui précède et me fit voir des spécimens de l'écriture de son ami, avant et après sa mort mais il ne me fut pas permis d'en lire le contenu, de sorte que je n'ai pu examiner et comparer les deux écritures aussi soigneusement que je l'aurais voulu ; j'ai seulement pu comparer la façon dont était écrit l'article the, et je la trouvai identique pour le reste, je constatai une ressemblance dans l'aspect général des deux écritures ; mais ressemblance n'est pas identité, et, de plus, l'écriture au crayon diffère toujours quelque peu de l'écriture à l'encre.
Voici un autre exemple, où le défaut de fac-similé est compensé dans une mesure par quelques détails précis qui nous sont fournis sur la forme de certaines lettres, circonstance qui nous prouve que la comparaison des écritures a été faite avec soin.
Cette expérience est publiée in extenso dans le Light de 1884 (p. 397). Je n'en donnerai ici que l'essence : M. A. J. Smart (l'auteur de l'article), logeait, lors de son séjour à Melbourne (Australie), chez M. Spriggs, un médium fort connu. Ils occupaient le même lit. Le 27 mars de la même année (1884), tous les deux venant de se coucher, M. Smart s'aperçut que son ami était de suite tombé en transe. Après qu'il eut échangé quelques phrases avec les invisibles, au moyen de coups frappés, ceux-ci annoncèrent que l'on « était en train d'écrire » et qu'il fallait « regarder dans dix minutes ». Peu après, le médium revint à son état normal, et l'on alluma la bougie. Sur une table placée à quelque distance du lit, M. Smart trouva un message, au nom de sa mère, morte au mois de février dernier, écrit à l'encre, sur une feuille de papier, et conçu en ces termes :
« Cher Alfred, Harriet t'a écrit pour t'annoncer que j'ai quitté la terre. J'étais contente de partir. Je suis heureuse. Je te parlerai bientôt. Dis à Harriet que je suis venue. Que Dieu te bénisse. Ta mère affectionnée à jamais. »
Voici les observations que M. Smart fait par rapport à l'écriture :
« J'ai minutieusement comparé l'écriture de ces messages avec les lettres écrites par ma mère, de son vivant, lettre par lettre, mot par mot. En fait, je constatai qu'outre une similitude parfaite de l'aspect général de l'écriture, qui saute aux yeux de chacun, à première vue, il y avait identité complète dans le tracé des lettres et des mots ainsi que dans la composition des phrases. Là, comme ici, on retrouve la manière ancienne d'écrire la lettre r, l'habitude (peu commune) de commencer le mot « affectionné » par une majuscule, de tourner la queue du premier f de ce mot à gauche et non à droite, et, chose particulièrement frappante, les deux écritures dénotent l'habitude d'écrire toutes les lettres à part, au lieu de les relier (habitude que ma mère avait contractée à la suite d'une faiblesse dans le bras droit, occasionnée par une entorse). Et je passe bien d'autres points de ressemblance, évidents pour l'œil, mais difficiles à définir. Quant au style dans lequel le message est rédigé, il est caractérisé par la même concision qui lui était propre durant la vie. »
Le directeur du Harbinger of Light (Messager de la Lumière), journal de Melbourne où l'article de M. Smart a paru, ajoute de son côté : « Nous avons vu le message en question et l'avons comparé avec plusieurs lettres authentiques de M. Smart. Nous avons trouvé les deux écritures identiques et toutes les particularités de composition y reviennent. »
Le côté faible de ce récit, au point de vue de l'hypothèse d'une fraude, c'est que M. Smart et le médium étaient intimement liés d'amitié et que ce dernier a pu tenir entre ses mains les lettres de M. Smart.
L'identité d'une écriture ante mortem et post mortem ne pourrait être établie d'une façon absolue que si la communication était produite en l’absence de toute personne connaissant l'écriture du défunt. Dans mon Index ou Registre, je ne trouve pas un seul exemple qu'un message entier de ce genre réponde à ces conditions, d'un bout à l'autre, mais j'en puis citer où l'écriture obtenue a été, pour la forme de certaines lettres de l'alphabet, absolument identique à celle du défunt. Je soumets au lecteur un fait tiré de mon expérience personnelle.
Pendant une période de deux ou trois ans, j'organisai habituellement des séances d'écriture automatique avec ma femme, qui était médium ; personne n'était admis à ces expériences, sauf le professeur Boutlerow qui venait de temps en temps. J'en ai parlé plus haut (p. 378). Au commencement, nous employions la planchette, mais nous l'abandonnâmes bientôt, voyant qu'il me suffisait de poser ma main sur la main droite de ma femme, qui tenait le crayon, pour qu'elle s'endormît, au bout de 10 à 15 minutes, et peu de temps après, sa main se mettait à écrire. Je ne faisais jamais d'évocation d'aucune sorte ni ne formulais aucune espèce de demande : j'attendais simplement, et, lorsqu'une écriture se produisait, je posais des questions en rapport avec le message, de vive voix ; le crayon traçait les réponses, et le dialogue se poursuivait ainsi jusqu'au moment où le crayon tombait de la main de ma femme.
Or l'automne de l'année 1872 fut extrêmement pénible pour moi ; en revenant à Saint-Pétersbourg, de la ville d'Oufa, je faillis être noyé dans la rivière Kama, à la suite d'un abordage de vapeurs. C'était la nuit, et, quinze minutes après le choc, le bâtiment à bord duquel je me trouvais coulait. Par bonheur, je voyageais seul. Arrivé à Saint-Pétersbourg, j'appris que la maison où vivait mon vieux-père, dans sa propriété, gourvernement de Penza, avait été la proie du feu, et que le mobilier avait été détruit dans l'incendie, y compris les archives de la famille et une belle collection de livres, que mon père et moi avions mis cinquante ans à former. A cette nouvelle, je résolus de repartir dans quelques jours, pour aller rejoindre mon père et lui aider à sortir d'embarras. La veille de mon départ de Saint-Pétersbourg, j'eus l'idée de faire une séance d'écriture médiumnique, curieux de savoir s'il y aurait une communication se rapportant à mon voyage projeté. Il n'en fut rien : dès que ma femme fût endormie, j'obtins le message suivant, d'une main ferme et large, qui n'était pas l'écriture habituelle de ma femme : « Je suis affligé pour mon troupeau, je souffre pour lui, avec mon fils Dieu-donné qui cherche les voies du Seigneur. Nicolas, prêtre. »
Je n'y comprenais rien et demandai un éclaircissement. En réponse j'obtins ces lignes :
« C'est en vain. Monsieur, que vous songez à un avertissement ; la chose était impossible, car elle aurait pu faire éviter ce qui est arrivé ; or cela était inévitable ; c'était prédéterminé par la Providence miséricordieuse, pour le bien de l'âme... qui a besoin de force prières!... »
A la question que je posai par rapport à mon voyage, je reçus cette réponse : « Votre sacrifice est grand, mais il est indispensable. »
Lorsque ma femme revint à elle, nous nous mîmes à déchiffrer le message, faisant des conjectures quant à sa provenance. Nous conclûmes enfin que le prêtre Nicolas ne pouvait être autre que feu le beau-père du curé de la paroisse de Répiovka, dans la propriété de mon père, et que celui-ci habitait en permanence. Et voici pourquoi la femme du prêtre actuel de notre paroisse rurale s'appelle Olga Nicolaïevna (fille de Nicolas) nous savions, de plus, que son père avait été prêtre de la même paroisse, qu'il avait cédée, selon l'usage adopté en Russie, à son gendre. Le prêtre Nicolas avait, d'ailleurs, été le confesseur de mon père. Il y avait donc tout lieu de supposer que c'était lui l'auteur du message qui nous avait été transmis. Nous nous expliquions dès lors pourquoi il avait désigné son successeur comme « fils Dieu-donné ». Quant aux mots : « Je suis affligé, etc. », et tout le reste de la communication, ils ont une signification tout intime, que je ne puis divulguer, mais qui nous les rendait parfaitement compréhensibles. Les mots : « C'est en vain que vous songez à un avertissement », se rapportaient probablement à une pensée que j'avais émise un jour, à une autre occasion, disant que dans les cas où le feu ne provenait pas d'un accident, mais était l'oeuvre d'un incendiaire, les agents invisibles auraient bien pu prévenir les intéressés.
Le message ci-dessus présente deux singularités : d'abord, son style suranné, qui a cours dans les séminaires et que personne d'autre n'emploie maintenant ; jamais l'idée nous serait venue, à moi ou à ma femme, de faire usage de ces expressions et tournures (elles sont absolument intraduisibles) - ensuite, le caractère de l'écriture même, pour certains traits particuliers, qui me frappèrent : c'est une sorte de mélange de l'écriture de ma femme et de celle d'une personne étrangère ; certaines lettres avaient une forme tout autre que ma femme n'avait l'habitude de leur donner.
Je désirai vivement comparer cette écriture avec celle du prêtre Nicolas, que j'avais connu étant tout jeune, quand je venais passer les vacances dans notre propriété. Il est mort en 1862, mais déjà, depuis 1851, ayant trouvé un remplaçant, en la personne de son gendre, il n'avait plus habité Répiovka. Je n'avais jamais vu aucun écrit de sa main quant à ma femme, elle ne l'avait jamais connu. Je priai donc son « fils Dieu-donné » de me faire voir quelques-unes de ses lettres ou autres papiers autographes ; mais il ne put trouver autre chose qu'une page d'un vieil almanach sur laquelle son beau-père avait fait quelques annotations. Il arracha la feuille et me l'envoya. Cette simple feuille me procurait déjà des éléments précieux pour la comparaison des deux écritures. Rien des années plus tard, en 1881, je fis moi-même des recherches dans les archives de l'église, et je réussis à trouver des pages entièrement écrites de la main du révérend père Nicolas. Je comparai ces manuscrits avec le message que nous avions reçu et constatai les détails suivants :
Dans le message, la lettre russe л (le l latin) est toujours écrite comme la lettre grecque π
Dans le manuscrit du prêtre Nicolas, cette lettre a tantôt la forme adoptée pour l'alphabet russe, tantôt la forme grecque. Sur une feuille du registre des décès, la signature du « père Nicolas » est répétée 35 fois ; dans 8 cas, la lettre l est faite à la manière russe, et 27 fois comme un π. Ma femme ne l'a jamais écrite sous cette dernière forme. La lettre л (correspondant à la même lettre de l'alphabet latin) est écrite dans le message, invariablement, comme un g latin, ainsi qu'on le faisait dans le temps.
Dans les manuscrits, j'ai trouvé cette lettre aussi écrite de deux façons ; mais la forme g prédomine, l'autre ne se rencontrant que rarement. J'ai sous les yeux une page de manuscrit in-folio, où la lettre г est répétée 44 fois, dont 3 fois sous forme d'un g.
Ma femme n'a jamais écrit le г comme un g latin.
Je passe sur d'autres particularités, moins marquantes, par exemple la manière d'écrire la lettre ъ (le b latin) : ma femme traçait le crochet toujours en haut, alors que dans le message, aussi bien que dans les autographes du prêtre Nicolas, il est toujours ramené en bas, comme dans la lettre grecque β.
A quoi attribuer cette étrange concordance dans la façon d'écrire ces lettres ? Il importe de lui trouver une explication plausible. Il serait trop aisé de prétendre que la conscience somnambulique du médium, entrant dans le rôle d'un vieux prêtre, ait employé une calligraphie surannée ; l'emploi du ъ n'est pas complètement passé d'usage, et le d ancien s'écrivait pour la plupart du temps comme un 2 avec le crochet sous la ligne, et on ne le rencontre plus que rarement sous la forme g.
Il ne s'agit donc pas d'une imitation d'un genre d'écriture ; la question qui se présente est de savoir pourquoi la forme de ces lettres concorde avec celle qu'avait adoptée le prêtre Nicolas.
Dans Light (1887), il y a un article intitulé Self-proving Messages[115], dans lequel nous trouvons, à la page 107, un exemple analogue à celui qui précède, c'est-à-dire où l'écriture du message ressemble à l'écriture ante mortem de la personnalité au nom de laquelle le message est transmis, par la forme de quelques lettres seulement (l'auteur en donne la description), le médium n'ayant jamais vu cette écriture. L'article ne mentionne pas si l'expérience a été faite en l'absence de la personne qui connaissait le défunt.
IV. - Identité de la personnalité d'un défunt constatée par une communication provenant de lui, contenant un ensemble de détails relatifs à sa vie, et reçue en l'absence de toute personne ayant connu le défunt.
Au chapitre III, paragraphe 9, j'ai présenté plusieurs cas qui répondent à cette condition d'une façon tout à fait satisfaisante.
Ainsi, par exemple, le cas du vieux Chamberlain qui transmet une communication, par l'organe du médium, à un groupe de douze personnes, qui ne le connaissaient pas ; cette personnalité se manifeste immédiatement une deuxième fois pour ajouter quelques détails le concernant, après que les membres du groupe eurent exprimé leurs regrets de ne pas les lui avoir demandés lors de sa première manifestation, afin d'obtenir une preuve complète de son identité. On sait que, vérification faite, tout ce qu'il avait dit fut reconnu exact (p. 431).
Nous connaissons un autre cas analogue, celui d'Abraham Florentine qui, mort en Amérique, se manifestait en Angleterre, par des coups frappés, dans un cercle spirite où on ne soupçonnait même pas son existence, et qui donnait sur lui-même des indications qui furent reconnues exactes après des renseignements pris en Amérique (p. 437).
Dans le chapitre en question, j'indiquais la source où l'on trouve des milliers d'exemples similaires qui pourraient fournir matière à une étude spéciale faite sur place, dans des conditions de contrôle des plus rigoureuses ; je veux parler du « Message Department » du Banner of Light. Les documents qui doivent servir soit à dévoiler les impostures, soit à établir la vérité, sont mis à la portée de chacun de ceux qui voudraient se donner la peine de les analyser. Il serait fort intéressant de prendre une centaine de messages dans l'ordre où ils sont imprimés et d'établir la proportion du faux, du juste et du douteux.
Parmi ces communications, il s'en trouve qui contiennent des allusions à des affaires de famille tout à fait intimes. Dans le numéro du 15 mars 1884, il y a, par exemple, un message délivré au nom de Monroe Morill, qui parle de ce qui lui était arrivé dans l'Extrême-Ouest américain ; le numéro du 5 avril publie une lettre de Hermann Morill, frère du défunt, qui confirme l'exactitude du message et écrit entre autres choses : « Je comprends très bien l'allusion qu'il fait au Far-West ; il parle d'un incident que lui, notre frère le Dr Morill, à Sandusky (Ohio) - où Monroe est mort - et moi étions seuls à connaître. »
Autre exemple : dans le numéro du 9 février 1889, on trouve un message d'Emma Romage, de Sacramento (Californie), qui raconte la vision qu'elle eut de son amie Jenny à son lit de mort. Dans le numéro du 30 mars de la même année, M. Eben Owen, de Sacramento, publie une lettre dans laquelle il dit qu'il a montré ce message à la sœur d'Emma Romage et que celle-ci a confirmé le fait de la vision dont Emma lui avait parlé à son lit de mort.
Indépendamment des éléments que nous fournit le Banner of Light, je pourrais indiquer de nombreux cas de ce genre, mais j'estime que ceux que j'ai cités suffisent amplement. Pour clore cette rubrique, je citerai encore cet exemple qui mérite toute notre confiance, car il est tiré de l'expérience personnelle de Robert Dale Owen, et qui est exposé d'une façon circonstanciée dans son ouvrage Debatable Land, sous le titre : « Preuves d'identité fournies par une personne étrangère se trouvant à 500 milles de distance. » Ce récit ne pouvant être exposé en abrégé, j'en reproduis le texte entier, avec les quelques pages qui lui servent, d'introduction :
« Plus de quarante ans se sont passés depuis la mort d'une jeune dame anglaise qne je connaissais fort bien. Elle possédait tous les avantages que peut donner une instruction parfaite ; elle parlait couramment, le français et l'italien ; elle avait beaucoup voyagé en Europe et avait connu nombre de personnages en évidence de son époque. La nature l'avait favorisée aussi généreusement que le sort : elle était aussi belle qu'instruite, accessible aux sentiments généreux, d'une grande simplicité ; c'était une intelligence raffinée, avec des tendances spiritualistes. Je la nommerai Violette[116].
Vingt-cinq ans après sa mort, ayant repris mes recherches spiritiques, l'idée me vint que s'il est donné aux personnes qui se sont intéressées à nous, de leur vivant, de continuer à communiquer avec nous, après leur passage a une autre vie, l'esprit de Violette pourrait plus facilement que tout autre se manifester à moi. Cependant je ne m'étais jamais permis d'évoquer tel ou tel esprit, croyant plus raisonnable d'attendre leur manifestation spontanée. Et cependant, les mois se passaient, et je n'obtenais pas le moindre signe de reconnaissance de la part de Violette ; je finis par n'y plus compter et doutai qu'une pareille chose pût se produire.
Le lecteur comprendra mon étonnement, lorsqu'à une séance, le 13 octobre 1856, à Naples (en présence de Mme Owen et d'une autre dame, médium professionnel), je fus témoin des choses suivantes :
Le nom de Violette fut épelé à l'improviste. Revenu un peu de ma surprise, je demandai mentalement dans quel but avait été dicté ce nom qui m'était si familier.
Réponse. - Ai donné pro... (gave pro...}.
Là s'arrêtèrent les lettres. Les prières réitérées de continuer le message restèrent sans effet : nous ne pûmes obtenir une seule lettre de plus. Enfin, l'idée me vint de demander :
- Les lettres p, r, o sont-elles exactes ?
Réponse. -Non.
- Ai donné (gave), est-ce juste ?
Réponse. - Oui.
Je demandai alors :
- Veuillez épeler encore une fois le mot qui suit gave.
Nous obtînmes la phrase suivante, dans laquelle il fallut ça et là corriger une lettre :
Ai donné par écrit la promesse (en anglais : gave a written promise) de me souvenir de vous, même après la mort.
Le sentiment qui s'empara de moi, en voyant cette phrase se composer, lettre par lettre, ne pourra être compris que d'une personne qui se serait trouvée dans une situation pareille à la mienne. Si un souvenir d'enfance quelconque est resté vivant pour moi, plus nettement que tout le reste, c'est bien la lettre que Violette m'avait écrite, en prévision de sa mort, lettre qui contenait mot à mot la promesse que venait de me rappeler à l'instant même un être d'outre-tombe, et cela, après que la moitié de ma vie s'était écoulée. Cette circonstance n'aura jamais, pour un autre, la même signification que pour moi. Cette lettre est toujours en ma possession ; seul j'en connaissais l'existence, car personne ne l'avait vue. Pouvais-je prévoir, en la lisant pour la première fois, qu'un quart de siècle plus tard, dans un pays éloigné, l'auteur de cette lettre serait en état de me dire qu'elle avait tenu parole ?
Quelques jours après, le 18 octobre, à une séance spirite, le même esprit s'annonça, et j'obtins, aux diverses questions mentales que je posai, des réponses tout aussi précises et exactes, bien que ces questions se rapportassent à des choses d'ordre intime, que j'étais seul à connaître. Il ne s'y trouvait pas la moindre inexactitude, et, de plus, les réponses contenaient des allusions à des circonstances que personne au monde, j'en suis absolument convaincu, ne pouvait connaître, sauf moi.
Les résultats que j'ai obtenus ne peuvent, d'aucune façon, être attribués à ce que l'on désigne quelquefois sous le terme d' « attention expectante », cause présumée de phénomènes analogues. A cette époque, nous cherchions à provoquer diverses manifestations physiques que d'autres personnes affirmaient avoir obtenues, telles que : déplacement d'objets sans contact, écriture directe, apparition de mains, etc. Mais personne ne pouvait s'attendre à ce qui était arrivé, ni moi, ni à plus forte raison les autres assistants. Si des associations d'idées, depuis longtemps endormies, ont été subitement évoquées par la composition inopinée d'un nom, il est certain que ce résultat n'était dû ni à ma pensée ni à un désir ou à un espoir qui me fût personnel, si tant est que notre conscience est un gage suffisant de la présence d'une pensée ou d'un sentiment. Si l’origine de ces idées ne résidait pas en moi-même, d'autant moins pouvait-elle être attribuée à quelque autre personne parmi les assistants. Ceux-ci ignoraient l'existence même de la lettre en question, et ils ne connaissaient pas la question que j'avais faite mentalement ; l'hypothèse d'une influence terrestre doit donc être limitée à ma personne.
Mais une autre circonstance encore vient prouver qu'une vive attente de ma part n'a joué aucun rôle dans ce qui s'est passé. Dès le premier effort qui fut fait pour répondre à ma question, en lisant les quelques lettres qui commençaient la phrase : gave pro, j'eus bien l'idée que le mot non achevé devait être promise et qu'il se rapportait au vœu solennel que Violette avait formulé tant d'années auparavant. Mais qu'arriva-t-il ? Notre interlocuteur déclara que ces lettres n'étaient pas justes. Je me rappelle encore vivement avec quelle surprise, avec quel désappointement je raturai ces lettres. Mais c'est avec un sentiment d'une plus grande surprise encore que je m'aperçus que la correction avait été entreprise à la seule fin de rendre la phrase plus complète et plus précise ! - si précise, que le document en question n'aurait pu être désigné plus clairement, fût-il reproduit en entier. Dans ces conditions, il serait impossible d'admettre que ma pensée, qu'une impulsion venant de moi, eussent pu exercer une influence, quelle qu'elle soit, sur les effets dont nous avons été témoins.
Et cet incident ne fut que le précurseur de toute une série de manifestations qui ont eu lieu pendant de nombreuses années, et qui eurent pour résultat de me convaincre de l'existence posthume d'un esprit ami et de son identité. Ces faits se sont produits, en majeure partie, après mon retour de Naples aux États-Unis, en 1859.
Cinq ou six semaines après la publication de mon livre : Footfalls on the Bonndary of another World, en février 1860, mon éditeur me présenta un monsieur qui venait d'arriver d'Ohio et qui me dit que mon livre avait beaucoup de succès dans cette province. Il ajouta que je pourrais en activer la demande encore plus si j'envoyais un exemplaire à Mme B., qui habitait Cleveland à cette époque, une dame qui possédait une librairie et faisait paraître un des journaux de l'endroit. « Elle s'intéresse beaucoup à ces choses, me dit-il, et je crois qu'elle est médium elle-même. »
Je n'avais jamais, auparavant, entendu parler de cette dame ; néanmoins, je lui envoyai un exemplaire de mon livre, avec un petit mot de politesse, et bientôt après je reçus d'elle une lettre, datée du 14 février.
Dans cette lettre Mme B., après m'avoir parlé de quelques détails d'affaires, m'exprimait toute la satisfaction qu'elle avait éprouvée à la lecture du chapitre intitulé « Changement après la mort. »
- Je suis un médium voyant, m'écrivait-elle entre autres, et, pendant que je lisais le chapitre en question, l'esprit d'une femme que je n'avais jamais vue se tenait auprès de moi, comme pour écouter, et me dit : « Je l'inspirais quand il écrivait cela ; je l'ai aidé à croire à une vie éternelle. » Mme B. faisait ensuite la description de la personne qui lui était apparue, spécifiant la couleur de ses cheveux et de ses yeux, son teint, etc., et ce portrait répondait exactement à celui de Violette. Elle ajoutait qu'un commerçant de Cleveland, qui est un médium « impressionnel » (il désire rester inconnu), était entré en ce moment chez elle et lui avait dit : « Vous aurez la visite d'un nouvel esprit aujourd'hui, celui d'une femme. Elle a dit qu'elle avait connu une Mme D. » (et il nomma une dame anglaise, décédée, que Mme B. connaissait de réputation - comme écrivain - mais dont le commerçant en question n'avait pas entendu parler).
« Cette Mme D. n'était autre que la sœur de Violette ; mais dans ma réponse à Mme B., qui était plutôt une lettre d'affaires, je ne lui parlai ni de la personne dont elle m'avait dépeint l'apparence ni de Mme D. Afin de mettre Mme B. a une épreuve aussi complète que possible, j'évitai même de faire toute allusion qui pût faire supposer que j'avais reconnu la femme qui lui était apparue. En dehors des questions d'affaires, je n'ajoutai que quelques mots, pour lui dire qu'elle m'obligerait beaucoup si elle pouvait obtenir quelques détails concernant l'esprit : son nom et d'autres indications pouvant servir à établir son identité.
« Je reçus deux lettres, datées du 27 février et du 5 avril. Elles contenaient les enseignements que voici : 1° le prénom ;
2° l'esprit avait déclaré que Mme D. était sa sœur ;
3° quelques détails sur Violette.
Toutes ces informations étaient rigoureusement exactes. Mme B. écrivait ensuite qu'elle avait appris encore d'autres détails, mais qu'ils étaient de nature absolument privée et à ce point confidentiels, qu'elle croyait pouvoir me les confier de vive voix seulement, si je passais par Cleveland, à mon retour dans l'Ouest.
Mais j'étais obligé de partir pour l'Europe dans quinze jours, et j'écrivis à Mme B., la priant de me donner ces renseignements par écrit, ce qu'elle fit dans sa quatrième lettre, à la date du 20 avril. Les renseignements qu'elle m'envoyait étaient obtenus en partie par elle-même, en partie par la médiumnité du commerçant dont il a été question.
En disant, plus haut, que les preuves obtenues par moi ne pourront jamais avoir pour les autres la même signification qu'elles ont pour moi, je n'ai donné qu'une faible idée de l'importance de ce témoignage. Mais le lecteur pourra toujours apprécier une partie des merveilles qui se sont révélées à moi. Par exemple : j'avais écrit une simple et brève lettre d'affaires à une personne totalement étrangère, demeurant à cinq cents milles, dans une ville que Violette n'avait jamais vue et où je ne suis jamais allé, si j'ai bonne mémoire. Ces conditions étant données, il faut exclure toute idée d'une suggestion quelconque, d'une lecture de pensées ou d'un rapport magnétique. Il serait également inadmissible de supposer qu'un éditeur ou un commerçant de Cleveland eût possédé des renseignements sur une personne dont le nom est obscur et qui est morte dans une autre hémisphère, à 1,000 milles de cet endroit. Et c'est de de ces étrangers, de si loin, que m'étaient arrivés, spontanément, sans que je l'eusse demandé, et comme d'un monde supérieur, d'abord la description de l'extérieur d'une personne, répondant exactement à celui de Violette, puis un nom qui laissait fortement supposer que c'était bien elle-même qui se manifestait à eux, - ensuite son nom à elle, et enfin la désignation de sa parenté avec Mme D., et tout cela sans la moindre indication de ma part.
Mes lecteurs sont à même d'apprécier la valeur de ces faits, qui constituent à eux seuls des preuves d'identité merveilleuses ; pour moi, ils ont une signification plus élevée encore car ils s'agit là de détails intimes se rapportant à ma jeunesse et à celle de Violette, détails qu'aucun être en deçà de la Grande Frontière ne pouvait connaître, et qui n'ont été qu'effleurés dans ce récit, de sorte que la personne qui les recueillait n'en comprenait qu'imparfaitement la signification, détails enfin non seulement enterrés dans le passé, mais enfouis dans les profondeurs des cœurs pour lesquels ils étaient des souvenirs sacrés ; pour moi donc, le survivant, lorsque je me trouvai en présence de ces révélations, - de celles entre autres contenues dans la dernière lettre de Mme B., - j'y vis la preuve intime que les souvenirs, pensées et affections de l'homme continuent à exister au delà de la mort, preuve que l'on ne peut pas imposer à une tierce personne et qui, par sa nature même, ne peut entraîner qu'une conviction personnelle. »
V. - Identité de la personnalité d'un défunt constatée par la communication de faits qui n'ont pu être connus que du défunt lui-même et que lui seul a pu communiquer.
Par certaines particularités, le cas de Violette aurait pu être classé sous cette rubrique, de même que certains faits cités dans le paragraphe 8 du chapitre III, comme par exemple le cas certifié par le comité de la Société de Dialectique, concernant le demi-frère de la maîtresse de la maison où se tenaient les séances, lequel, mort quatorze ans auparavant, se manifesta à elle pour l'informer qu'elle n'avait pas hérité de tout le bien qui lui revenait et que ses exécuteurs testamentaires l'avaient frustré d'une partie de cet héritage ; ce fait fut reconnu exact (p. 424).
Le cas du Dr Davey se rapporte à la même catégorie ; on se souvient que son fils, mort en mer, s'est manifesté à lui au cours d'une séance, pour lui dire qu'il était mort non de maladie, comme le disait le rapport du capitaine, mais qu'il avait été empoisonné et que le capitaine n'avait pas remis tout l'argent qui se trouvait en sa possession, - fait également reconnu exact (p. 422).
Sous la même rubrique j'ai mentionné un fait qui s'est passé sous mes yeux, et dont je donnerai ici le récit complet, ainsi qu'il a été publié dans les Mémoires de la Société des recherches psychiques de Londres (1890, t. XVI, p. 353-355) ; il s'agit de la découverte du testament du baron Korff.
Désireux d'exposer ce fait avec le plus de détails possibles, je me suis adressé au baron C.N. Korff, mon camarade, qui me répondit que je pouvais obtenir les renseignements les plus exacts du baron Paul Korff, fils du défunt, qui habitait Pétersbourg. Voici ce que ce dernier m'a raconté :
Son père, le général Paul Ivanovitch Korff, est mort à Varsovie le 7 avril 1867 ; on savait qu'il avait fait un testament, mais on ne put le retrouver à sa mort, en dépit des recherches les plus minutieuses. En juillet 1867, la sœur du baron Korff fils, la baronne Charlotte Wrangel, demeurait avec la sœur de son mari, Mme Oboukhof, à Plotzk, près Varsovie. Sa mère, la veuve du général Korff, se trouvait en ce moment à l'étranger ; elle avait l'habitude de faire ouvrir sa correspondance par sa fille. Parmi ces lettres, il y en avait une du prince Emile Wittgenstein, qui était également à l'étranger. Il lui faisait part, dans cette lettre, qu'il avait reçu au nom de feu son mari une communication spiritique indiquant l'endroit où le testament se trouvait.
Mme Wrangel savait bien que l'absence de ce testament était cause de maints désagréments pour son frère aîné, le baron Joseph Korff (décédé depuis), qui avait été chargé de diriger la liquidation de la succession et se trouvait en ce moment à Varsovie ; elle se rendit donc immédiatement auprès de lui avec sa belle-sœur pour lui faire part du contenu, si important, de la lettre du prince Wittgenstein. Les premières paroles de son frère furent qu'il venait de trouver le testament, et, à la lecture de la lettre du prince Wittgenstein, on constata, à la stupéfaction générale, que l'endroit indiqué dans le message médiumnique était bien celui où le baron l'avait trouvé.
Le baron P. Korff fils me promit de chercher cette lettre du prince Wittgenstein qu'il avait eue entre ses mains deux ans auparavant, en classant des papiers de famille ; jusqu'aujourd'hui il ne l'a pas encore retrouvée, et il craint de l'avoir détruite avec des papiers inutiles.
Quant à la date de cette lettre, j'ai recueilli les renseignements suivants : le mariage de la baronne Charlotte Korff avec le baron Wrangel fut célébré à Varsovie le 5/17 juin 1867 ; une semaine après, la baronne Wrangel se rendit à Plotzk, accompagnée de son mari et de sa belle-sœur, Mme Oboukhof, et sa mère partit à l'étranger. A ce moment, le testament n'avait pas encore été retrouvé. Or, du moment que la lettre, reproduite ci-après, du prince Wittgenstein à ses parents, dans laquelle il leur fait part de la découverte du testament par voie spiritique, est datée du 5 juillet 1867, il s'ensuit que la lettre du prince W. à Mme veuve la baronne Korff faisant mention du message spiritique et, par conséquent, le message même, ont été reçus entre le 5 juin et le 5 juillet 1867.
En ce qui concerne l'endroit où le testament a été retrouvé, j'interrogeai le baron P. Korff fils pour savoir si c'était en effet dans l'armoire, ainsi que le message l'avait annoncé. Il me répondit : « Nous l'avons entendu ainsi tous les deux, ma sœur et moi. »
Documents à l’appui :
I. - Pendant que je m'occupais de ce cas, les Souvenirs et Correspondance du prince, de Sayn- Wittgenstein-Berlesbourg (livre qui venait d'être édité à Paris, en 1889), me tombèrent sous les yeux, et je trouvai à la page 365, tome II, la lettre suivante :
« Varsovie, le 5/17 juillet 1867.
Il y a des siècles, mes chers parents, que je n'ai eu de nouvelles de vous la dernière lettre de maman était datée du 5 juin.
Je me suis beaucoup occupé de spiritisme dans ces derniers temps, et mes facultés médianimiques se sont développées d'une façon étonnante. J'écris souvent avec beaucoup de facilité différentes sortes d'écritures ; j'ai eu directement des communications de l'esprit qui revient à Berlebourg, une femme de notre maison qui s'est tuée il y a cent deux ans. J'ai encore obtenu un résultat bien curieux. Un de mes amis, le lieutenant général baron de Korff, mort il y a quelques mois, s'est manifesté à moi (sans que je pensasse à lui le moins du monde), pour m'enjoindre d'indiquer à sa famille l'endroit où, par malveillance, on avait caché son testament, c'est-à-dire dans une armoire de la maison où il mourut. Je ne savais pas qu'on recherchait son testament et qu'on ne l'avait pas trouvé. Or on le découvrit à la place même que m'avait indiquée l'esprit. C'est un document extrêmement important pour la gestion de ses terres et pour les questions à résoudre à la majorité de ses enfants. Voilà des faits qui bravent toute critique... A bientôt, mes chers parents ; je vous embrasse.
Emile Wittgenstein. »
II. - Lettre du baron Paul Korff fils et de sa sœur la baronne Charlotte Wrangel, adressée à M. Alexandre Aksakof, pour confirmer le récit qui précède, el dont les originaux ont été envoyés à M. Myers, secrétaire de la Société des Recherches psychiques, à Londres, le 27 février 1890.
« Monsieur,
J'ai lu avec un grand intérêt votre communication publiée dans Psychische Studien de 1889, à la page 568, et relative au testament de feu mon père. Les faits que vous citez sont absolument exacts. Mais je crains d'avoir brûlé la lettre du prince Wittgenstein lorsque deux ans auparavant je classai les papiers de mon père.
Agréez, etc.
Baron Paul korff. »
Saint-Pétersbourg, le 29 janvier, 1890. »
Je joins ma signature à celle de mon frère pour confirmer ses dires.
Baronne Ch. Wrangel, née baronne korff. »
Les cas où les défunts viennent aider par leurs indications à régler leurs affaires terrestres sont assez fréquents. En voici un autre, aussi simple que concluant, et que j'emprunte également à Dale Owen, qui le tient de première main et dont il a publié le récit dans sou livre Debatable Land, sous le titre : « Un défunt qui vient mettre ordre à ses affaires terrestres. » Cet article ne peut pas être abrégé, car sa valeur principale réside dans les détails. Je le reproduis donc en entier :
« Mme G., la femme d'un capitaine des troupes régulières des États-Unis, habitait, en 1861, la ville de Cincinnati, avec son mari. Elle avait naturellement plus d'une fois entendu parler de phénomènes spirites, mais elle avait toujours évité, jusqu'alors, de faire des expériences par elle-même, convaincue qu'elle était que chercher à communiquer avec le monde de l'au-delà était un erreur. Elle ne s'était jamais trouvée en présence d'un médium professionnel.
Il arriva que cette année-là une de ses amies, Mme S., s'était découvert la faculté de provoquer des communications par le moyen de coups frappés, et, de temps à autres, elle organisait des séances spiritiques avec quelques intimes, auxquelles Mme G. prenait part aussi. Ces séances durèrent jusqu'à la fin de l'année 1862 et eurent pour résultat de vaincre, à un certain point, l'aversion que Mme G. éprouvait pour le spiritisme. Elles éveillèrent sa curiosité, sans la convaincre toutefois.
En décembre 1863, le frère de son mari, « Jack » (ainsi qu'on le désignait familièrement), mourut subitement.
En mars 1864, Mme G., qui vivait retirée dans une maison de campagne, aux environs de Cincinnati, reçut la visite d'une amie, Miss L. B. Cette jeune fille était douée d'une certaine puissance médiumnique, et Mme G. organisa une séance avec elle. Au bout d'un certain temps, la jeune fille quitta la table, et Mme G. resta seule à poursuivre l'expérience. Alors la table, à peine effleurée de ses mains, commença à se mouvoir et se dirigea, par la porte ouverte, dans la pièce attenante. Plus tard, elle se déplaça en présence de Mme G., même sans le moindre attouchement. C'est ainsi que Mme G. eut connaissance de ses propres facultés médiumniques.
Quand elle se mit de nouveau devant la table, avec Miss B., pour obtenir des phrases au moyen de l'alphabet, les coups épelèrent, d'une façon tout inattendue, le nom de « Jack ».
A la question de Mme G. :
- Veux-tu me charger d'une commission ? elle obtint cette réponse :
- Donne cette bague à Anna.
Anna M. était le nom d'une jeune fille avec laquelle le frère de Mme G. avait été fiancé quelque temps avant sa mort. Mme G. ne savait rien au sujet de cette bague, mais elle se souvint que son mari, après la mort de son frère, avait donné une bague unie, en or, la seule que le défunt eût portée, à M. G., un ami de ce dernier. Elle demanda si c'était bien de cette bague qu'il s'agissait, et la réponse fut affirmative.
Quelques jours après, la mère de Jack vint chez eux. On ne lui parla pas de la communication reçue. Au cours de la conversation, cette dame leur dit que Mlle Anna M. était venue la voir et lui avait raconté que, lors de ses fiançailles avec Jack, elle lui avait donné une bague unie, en or, et qu'elle aurait beaucoup désiré la ravoir. Ni Mme G. ni son mari ne savaient que la bague en question était un cadeau de Miss M., car Jack n'en avait jamais parlé. On s'arrangea de manière à pouvoir restituer la bague.
Après la mort de Jack, trois personnes, G., C. et S., se présentèrent séparément chez le capitaine G. et lui déclarèrent que son frère défunt leur était resté devoir de l'argent. Le capitaine G. les pria de lui fournir des preuves écrites.
Cependant le capitaine G., ne sachant pas quelles sommes pouvaient être dues par son frère, pria sa femme de faire une séance, dans l'espoir d'obtenir quelques renseignements à ce sujet.
Lorsque Jack se fut manifesté, son frère lui demanda :
- Es-tu resté débiteur de M. G.?
- Oui.
- De combien ?
- Trente-cinq dollars.
- Dois-tu quelque chose à M. C. ?
- Oui.
- Combien ?
- Cinquante dollars.
- Et à M. S.?
- Rien.
- Mais S. prétend que tu lui dois de l'argent ?
- Ce n'est pas exact. Je lui ai emprunté 40 dollars et lui en ai ensuite donné 50. Il m'a rendu 7 dollars seulement et me doit 3 dollars par conséquent. »
Le billet présenté par M. G. se montait en effet à 35 dollars, celui de G. à 50. Quant à S., il montra une reconnnaissance de 40 dollars. A l'observation du capitaine que Jack avait déjà payé 50 dollars, M. S. manifesta une gène évidente et répondit qu'il n'avait pas pris cette somme en considération, croyant que c'était un cadeau pour sa sœur.
A une autre occasion, le capitaine demanda, au moyen de la table :
- Jack, as-tu encore d'autres dettes ?
- Oui, à John Gr. : 10 dollars pour une paire de chaussures. (Ni le capitaine ni sa femme n'avaient entendu parler de cette dette.)
- Et quelqu'un te doit-il ?
- Oui, C. G. me doit 50 dollars. »
Le capitaine s'informa auprès de M. G. s'il devait une somme à son frère.
- Oui, fut la réponse - je lui dois 15 dollars.
- Mais mon frère vous en a prêté 50 !
- C'est vrai, mais je lui ai rendu l'argent par acomptes et lui reste devoir encore 15 dollars.
- Vous devez avoir les reçus ?
M. G. G. promit de les chercher ; mais il finit par se présenter et paya 50 dollars.
Enfin, le capitaine G. se rendit chez John Gr., cordonnier, lequel n'avait pas encore présenté de facture.
Désireux de rendre son épreuve la plus complète possible, il posa la question ainsi :
- Ai-je encore une facture à solder, Monsieur Gr. ?
- Non, Monsieur, vous m'avez tout payé.
Le capitaine fit semblant de partir ; alors le cordonnier reprit :
- Mais il y a une petite dette pour le compte de feu votre frère, M. Jack.
- Pour quoi ?
- Pour une paire de chaussures.
- Combien cela fait-il ?
- Dix dollars.
- Voilà votre argent, Monsieur Gr.
Tous ces détails m'ont été donnés par M. et Mme G. eux-mêmes, pendant une visite que je leur ai faite, à leur maison de campagne, le 9 avril 1865. J'ai inscrit le tout d'après leurs paroles et ai reconstitué le récit avec les notes que j'avais prises sur place ; j'en ai fait lecture, ensuite, au capitaine G., qui l'a vérifié et approuvé. Il inscrivait dans son journal toutes les communications qu'il obtenait et tout ce qui se rapportait à elles d'une façon quelconque, ce qui le mettait à méme de me fournir des dates absolument exactes. Les noms de toutes les personnes que j'ai désignées sous leurs initiales me sont connus ; si je ne suis pas autorisé à les publier, la faute en est aux préjugés de notre société. »
Dans tous les cas que je viens de citer, il ne s'agit que d'une simplification de méthode pour un genre de manifestation d'outre-tombe qui s'est produit en tous temps et dont le rapprochement s'impose ici involontairement par la force de l'anologie ; j'entends parler des communications par révélation ou apparition, en songe, ou autrement, de faits connus uniquement du défunt, en commençant par la révélation d'une dette de 3 shellings 10 pences[117] pour en arriver à la dénonciation d'un meurtre[118]. Comme pendant au cas du testament introuvable du baron Korff, nous trouvons le cas célèbre de la quittance introuvable de M. de Harteville, découverte sur les indications reçues par Swedenborg, de la part du défunt. J. H. von Fichte, parlant de ce cas dans ses Memorabilia, le considère avec raison comme un phénomène éminemment spiritique, et il en donne les raisons.
Mais je reviens à mon sujet ; je veux terminer cette rubrique par le récit d'un fait que je tiens de première source. Il n'appartient pas à la catégorie des faits qui ne sont connus que du défunt, mais à la catégorie de ceux qui n'ont pu être communiqués que par le défunt, car il s'agit d'un secret politique concernant un vivant, révélé par l'amie défunte de ce vivant, dans le but de le sauver. J'exposerai ce cas avec tous les détails que je connais, car je le considère non seulement comme un des plus concluants en faveur de l'hypothèse spiritique, mais plutôt encore comme une preuve d'identité absolue, aussi absolue qu'une preuve de ce genre peut l'être.
Mes lecteurs connaissent déjà ma parente, Mme A. de W..., qui prenait part à mes séances intimes, durant les années 1880-1883. Mme W. a une fille, Mlle Sophie, qui, à l'époque où se tenaient ces premières séances, était encore au collège ; elle n'avait jamais assisté ni à ces séances ni à d'autres et n'avait jamais rien lu concernant le spiritisme ; elle était aussi ignorante en cette matière que sa mère elle-même, qui, en dehors de nos séances, ne s'en était jamais occupée. Un soir d'octobre 1884, au cours de la visite d'un de leurs parents, la conversation vint à tomber sur le spiritisme et, pour obliger leur hôte, ces dames tentèrent une expérience avec la table.
Mais la tentative fut peu satisfaisante ; elle prouva uniquement que les dames W. pouvaient obtenir un résultat.
Le 1er janvier 1885, un mardi soir, Mme W., restée seule avec sa fille , et voulant la distraire des préoccupations qui la rendaient un peu nerveuse, lui proposa de renouveler leur tentative. On improvisa un alphabet sur une feuille de papier ; une soucoupe avec une raie noire comme indicateur servit de planchette et, aussitôt l'expérience commencée, le nom « André » fut épelé. C'était assez naturel, André étant le prénom du mari défunt de Mme W., le père de Mlle Sophie.
La communication n'offrit rien que de très banal, mais Mmes W. décidèrent cependant de reprendre les séances une fois par semaine, tous les mardis. Pendant trois semaines, le caractère des communications ne se modifia pas ; c'était toujours au nom d'André qu'elles étaient reçues.
Le quatrième mardi, le 22 janvier, au lieu du nom d'André, c'est le nom de Schoura qui fut épelé à la grande surprise de Mme W. Puis, par des mouvements rapides et précis de l'indicateur, la communication se poursuivit ainsi :
- Il t'est donné de sauver Nicolas !
- Que signifie cela ? demandèrent les deux dames étonnées.
- Il est compromis comme Michel et périra comme lui. Une bande de vauriens l'entraîne !
- Et que faut-il faire ?
- Tu te rendras à l'Institut technologique avant 3 heures, tu feras appeler Nicolas et tu lui donneras rendez-vous chez lui, dans son cabinet.
Comme toutes ces instructions semblaient s'adresser directement à Mlle Sophie, elle répondit qu'il lui serait difficile d'agir selon ces indications, en raison des relations de pure politesse qui existaient entre sa mère et elle et la famille de Nicolas. Mais à cette observation Schoura répondit dédaigneusement :
- Absurdes idées de convenances !
Mais de quelle façon pourrais-je agir sur lui ? demanda Mlle Sophie.
- Par la force de la parole ; tu lui parleras en mon nom.
- Quels sont ceux à qui s'applique cette épithète de « vauriens » ? interrogèrent Mmes W.
- La bande à laquelle Nicolas est affilié.
- Vous n'avez donc plus les mêmes convictions ?
- Erreur révoltante !...
Avant de poursuivre, je dois expliquer le sens de cette mystérieuse communication. « Schoura » est le diminutif russe d'Alexandrine ; c'était le nom d'une jeune cousine de Nicolas et Michel. Ce dernier, étant tout jeune, eut le malheur de se laisser entraîner par nos anarchistes ou nihilistes dans le courant révolutionnaire : il fut arrêté, jugé et condamné à l'emprisonnement dans une ville éloignée ; ayant tenté de s'évader, il fut tué. Schoura, qui l'aimait beaucoup, partageait complètement ses convictions et ses tendances et le proclamait ouvertement. Après la mort de Michel, en septembre 1884, elle se sentit très déçue dans ses espérances révolutionnaires et s'empoisonna, à l'âge de dix-sept ans, le 15 janvier 1884, une semaine à peine avant la séance en question. Nicolas, le frère cadet de Michel, était à ce moment étudiant à l'Institut technologique.
Mme W. et sa fille connaissaient toutes les circonstances du drame que je viens de raconter brièvement, car elles étaient depuis longtemps en relations avec les parents de Schoura et avec ceux de ses cousins, qui appartiennent tous à la meilleure société de Saint-Pétersbourg[119].
Les relations entre Mmes W. et les deux familles étaient loin d'être intimes ; ces personnes se rencontraient de temps à autre, rarement. Plus tard, je m'étendrai sur certains détails, mais pour le moment je reprends mon récit.
Ni Mme W. ni sa fille ne savaient rien, naturellement, des opinions secrètes ni de la conduite de Nicolas. La communication était donc pour elles aussi inattendue qu'importante ; elle leur imposait une grande responsabilité, et la position de Mlle Sophie était très difficile. Exécuter à la lettre les instructions de Schoura, dans sa situation de jeune fille, était tout simplement impossible, tout d'abord au point de vue des bienséances mondaines ; et puis, de quel droit se serait-elle immiscée, n'étant pas intimement liée à cette famille, dans des affaires aussi délicates ? En outre, tout cela pouvait n'être pas vrai ou, même, cela serait tout simplement et très probablement nié par Nicolas. Dans quelle position se trouverait-elle alors ? Mme W. savait fort bien, par les séances auxquelles elle avait pris part chez moi, combien peu on pouvait se fier aux communications spiritiques. Aussi prit-elle le parti de conseiller à sa fille de s'assurer avant tout de l'identité de Schoura, ce qui fut accepté de suite, comme un moyen de résoudre la difficulté.
Le mardi suivant, Schoura se manifesta immédiatement, et Mlle Sophie lui demanda une preuve de sa personnalité. Schoura répondit incontinent :
- Invitez Nicolas, arrangez une séance, et je viendrai. On voit, par cette réponse, que Schoura, qui de son vivant méprisait, ainsi que c'est l'usage chez les nihilistes, toutes les convenances de la société, exigeait de nouveau une chose inadmissible ; jamais Nicolas n'était venu chez Mme W. Aussi Mlle Sophie demanda-t-elle à son interlocutrice quelque autre preuve de sa personnalité, sans l'intervention de Nicolas, et que cette preuve fût concluante.
- Je t'apparaîtrai ! répondit Schoura.
- Comment ?
- Tu le verras !
Quelques jours plus tard, Mlle Sophie, en se couchant, - c'était vers 4. heures du matin, au retour d'une soirée, - se trouvait à la porte qui menait de sa chambre à coucher dans la salle à manger, où il n'y avait plus de lumière, lorsqu'elle aperçut sur le mur de cette dernière chambre, en face de la porte sur le seuil de laquelle elle se trouvait, un globe lumineux qui semblait reposer sur des épaules et qui se maintint pendant deux ou trois secondes, puis disparut, en montant vers le plafond. Ce n'était certes pas là le reflet d'une lumière quelconque venant de la rue ; et Mlle Sophie s'en assura à l'instant.
A la séance suivante, on demanda l'explication de cette apparition, et Schoura répondit :
- C'étaient les contours d'une tête avec des épaules. Je ne puis apparaître plus distinctement ; je suis faible encore. Quoique beaucoup d'autres détails, que je dois passer ici, tendissent à affermir la conviction de Mlle Sophie quant à l'identité de Schoura, elle ne pouvait cependant se décider à agir conformément aux injonctions de cette dernière, et elle lui proposa, - comme un expédient plus convenable - de faire part de tout ceci aux parents de Nicolas.
Cette proposition excita de la part de Schoura un très vif mécontentement qui se traduisit par des mouvements brusques de la soucoupe et enfin par cette déclaration :
- Ça ne mènera à rien !...
Cette phrase fut suivie d'épithètes dédaigneuses qu'il est impossible de traduire ici, toutes s'appliquant à des personnes d'un caractère faible et indécis, et que Schoura - d'un caractère énergique et tranchant - ne pouvait souffrir ; tous ces qualificatifs, qui ne se trouvent pas dans les dictionnaires, étaient bien les expressions caractéristiques du langage de Schoura vivante, ainsi qu'il fut constaté dans la suite.
A une question relative à son père, Schoura répondit avec impatience :
- N'en parle pas, n'en parle pas ...
Quoi qu'il en soit, Mlle Sophie hésitait toujours, et, de son côté, à chacune des séances suivantes, Schoura insistait de plus en plus, exigeant que Mlle Sophie agît immédiatement. Cette insistance avait, comme on l'apprit plus tard, une signification particulière. L'indécision de Mlle Sophie était attribuée par Schoura à l'influence de Mme W., à l'égard de laquelle l'interlocutrice se montrait, depuis le début des communications, d'une évidente malveillance : elle avait déclaré dès la première séance qu'elle ne voulait s'entretenir qu'avec Mlle Sophie ; elle ne permettait à Mme W. aucune question, et, dès que cette dernière tentait d'intervenir, elle l'apostrophait durement, lui disant :
- Taisez-vous ! Taisez-vous !
Elle s'adressait à Mlle Sophie en des termes qui marquaient une vive tendresse, dont nous apprendrons plus loin la raison et l'origine, et ces expressions étaient encore celles que Schoura avait l'habitude d'employer.
Quels ne furent pas l'étonnement et la consternation de ces dames lorsque, à la séance du 26 février, la communication débuta ainsi :
- Il est trop tard ; tu t'en repentiras amèrement, et les remords de ta conscience te poursuivront. Attends-toi à son arrestation.
Ce furent les dernières paroles de Schoura ; depuis, elle se tut complètement. On tenta encore une séance le mardi suivant, mais sans résultat. Dès lors, les séances de Mme W. et de sa fille furent définitivement abandonnées.
Pendant toute la durée de ces séances, Mme W. m'avait tenu au courant de ce qui se passait, me consultant sur ce qu'il fallait faire en présence des étranges exigences de Schoura. Quelque temps après la cessation des communications et pour tranquilliser sa fille, Mme W. se décida à faire part de cet épisode aux parents de Nicolas.
Ceux-ci n'y prirent pas garde : la conduite du jeune homme étant irréprochable, la famille était absolument rassurée sur son compte[120].
Quant à Mlle Sophie, comme durant toute l'année tout se passa heureusement, elle fut convaincue que les communications de Schoura n'avaient été que mensonges, et elle se promit de ne plus jamais s'occuper de spiritisme.
Une année s'écoula encore sans incident ; mais, le 9 mars 1887, la police secrète fit subitement une perquisition chez Nicolas ; il fut arrêté à son domicile et conduit dans les vingt-quatre heures loin de Pétersbourg. Ainsi qu'on le sut plus tard, sa faute avait été d'avoir pris part à des réunions nihilistes qui s'étaient tenues aux mois de Janvier et de février 1885, c'est-à-dire précisément pendant les deux mois où Schoura avait tant insisté pour qu'on fît immédiatement les démarches qui devaient empêcher la participation de Nicolas à ces réunions.
C'est alors que les communications de Schoura furent appréciées à leur juste valeur ; les notes prises par Mme W. furent lues et relues par les parents de Schoura et de Nicolas ; l'identité de sa personnalité dans toute cette manifestation fut reconnue comme incontestable, tant par le fait capital concernant Nicolas et par d'autres détails de la vie intime, que par tout l'ensemble des traits particuliers qui la caractérisaient. Ce triste événement s'abattit sur la famille de Nicolas comme un coup de foudre, et elle n'eut qu'à remercier Dieu que les entraînements du jeune homme n'eussent pas eu de suites plus funestes encore.
Pour l'appréciation critique de ce cas, il est extrêmement important de préciser les rapports qui existaient entre Mlle Sophie et Schoura. J'ai prié Mme et Mlle W. de vouloir bien me fournir à ce sujet, par écrit (de même que pour tout ce qui a précédé), un mémoire aussi complet que possible, et voici ce que j'ai appris :
En 1880, au mois de décembre, vers Noël, Mme W. et sa fille étaient allées rendre visite au grand-père de Schoura ; c'est alors que Mlle Sophie la vit pour la première fois ; Schoura était plus jeune que Mlle W., qui avait alors treize ans. Mlle Sophie fut très étonnée de voir la table de Schoura encombrée de livres ; c'étaient, au dire de cette dernière, ses meilleurs amis ; elle aimait passionnément les livres d'histoire et émerveilla Mlle Sophie par sa mémoire, car elle lui citait sans difficulté des passages entiers de ses auteurs favoris. Mlle Sophie ne peut naturellement se souvenir de tous les détails de leur conversation au cours de cette entrevue, qui fut - j'y insiste - la première et unique, dans le sens véritable de ce mot. Mlle Sophie se souvint seulement de l'impression favorable que firent sur elle le développement précoce et les goûts sérieux de sa jeune amie mais, malgré ce développement prématuré, Schoura ne manifestait alors pas la moindre tendance à s'occuper de la politique ou du mouvement nihiliste : elle avait, au contraire, un caractère gai et insouciant. Ce n'est que beaucoup plus tard, après l'épisode du 9 mars, que Mlle Sophie apprit que Schoura lui avait conservé la plus vive sympathie, - sentiment éveillé probablement par les dispositions affectueuses qu'elle lui avait témoignées. De là, ce terme de caresse employé dans les communications.
Les deux demoiselles, fréquentant le même collège, se virent au cours de cet hiver quelquefois, de loin, dans la salle des récréations mais bientôt Schoura fut envoyée dans une autre institution, de sorte que même ces rencontres fugitives ne se reproduisirent plus. Deux ans après, durant l'été de 1882, elles se rencontrèrent une fois dans une maison amie, à la campagne, mais elles ne se parlèrent point. Et enfin, deux ans plus tard encore, en octobre 1884, elles se revirent de loin, au théâtre - ce fut trois mois avant la mort de Schoura.
Les rapports de ces deux jeunes filles se résument donc, à proprement parler, à une seule et unique entrevue, d'une durée de une ou deux heures peut-être, à l'âge respectif de douze et de treize ans, et ce, quatre ans avant la mort de Schoura. Quant à Mme W., elle n'a même pas eu le bénéfice d'une pareille entrevue avec Schoura, car les deux fillettes s'étaient retirées dans la chambre de Schoura, tandis qu'elle était restée avec les parents et, hors cette circonstance, elle ne l'a pas vue plus souvent que sa fille. On voit par là que les relations de ces dames avec Schoura avaient été fort espacées et que, par conséquent, elles ne pouvaient rien savoir de ses secrets politiques ; ce n'est qu'après sa mort qu'elles apprirent ce que j'ai raconté au début de ce récit.
A mon sens, le cas que je viens d'exposer réunit toutes les données nécessaires pour faire échouer toutes les hypothèses, hors l'hypothèse spiritique.
Examinons-le de plus près, au point de vue des hypothèses naturelles et de la méthode indiquées par M. Hartmann.
Ce cas, par sa simplicité, offre à la critique des facilités exceptionnelles. Nous avons à examiner le jeu des forces inconscientes chez trois agents seulement, dont le principal, Nicolas, - objet spécial de la communication, - est absent, n'a jamais assisté aux séances de Mmes W., n'est jamais entré dans leur maison, et ignore même, ainsi que toute sa famille, l'existence de ces séances.
La première source du savoir médiumnique, selon M. Hartmann, c'est l’hyperesthésie de la mémoire. Elle est ici absolument inadmissible, car les secrets politiques sont bien gardés : le silence des agents révolutionnaires est proverbial. Non seulement Mme W., dont les rapports avec la famille de Nicolas n'étaient que des rapports de civilité, mais les parents eux-mêmes de Nicolas ne soupçonnaient nullement les relations du jeune homme avec les meneurs nihilistes. Et cependant on le surveillait attentivement, comme cela se conçoit, après la perte douloureuse du premier fils, Michel.
Passons donc à la deuxième source : la transmission de pensées. Des quatre cas possibles, mentionnés par M. Hartmann, il est clair qu'il faut mettre hors de question les trois premiers :
1° Perception voulue avec transmission également voulue ;
2° Perception voulue d'un côté, sans la volonté de la transmettre de l'autre côté ;
3° Perception spontanée avec transmission voulue.
D'une part, les dames W. n'avaient aucun désir de percevoir de l'autre, Nicolas ne pouvait avoir la volonté d'opérer la transmission. Reste donc seule, logiquement possible, la quatrième supposition, la plus difficile à admettre :
4.° Perception spontanée, en dehors d'une volonté qui en déterminerait la transmission (Spiritismus, p. 61).
Il faut observer avant tout que les quatre explications possibles proposées par M. Hartmann s'appliquent seulement à des communications médiumniques, obtenues en la présence des personnes auxquelles ces communications s'adressent et que, par conséquent, ces quatre possibilités ne sont pas, en principe, applicables au cas qui nous occupe ; ici cette transmission de pensée n'aurait pu avoir lieu qu'à distance ; mais nous savons : 1° que « les pensées abstraites ne peuvent, comme telles, être transmises à distance », et 2° que « toutes les transmissions à distance consistent en des images hallucinatoires », ce qui n'a rien de commun avec notre cas. Donc, même en faisant toutes les concessions sur la question de distance, le cas considéré ne peut être expliqué par aucune de ces quatre suppositions.
M. Hartmann n'a pu citer un seul exemple de transmission de pensée abstraite à grande distance, même quand il y a désir de l'obtenir ; pour que la chose soit en général possible, il faut, dit-il, avant tout, qu'il y ait un rapport sympathique entre l'agent et le percipient, comme entre un magnétiseur et un somnambule. Il dit catégoriquement : « Les personnes entre lesquelles il n'existe aucun rapport psychique ne peuvent réussir à transmettre des pensées à une grande distance. » Et de même, pour les transmissions de pensées à grande distance qui se produisent en dehors de tonte volonté consciente (par exemple, lorsqu'un homme endormi transmet ses rêves à une personne éloignée, soit endormie, soit à l'état de veille), - c'est toujours le « rapport psychique » qui sert de base au phénomène. - « Avec la disparition du sentiment déterminant (nostalgie, amour), il y a généralement disparition de l'inconsciente volonté de transmettre des pensées. » Mais ici, nous le savons, il n'y a pas eu de rapport psychique : tout au contraire, le motif déterminant agirait plutôt dans le sens opposé, c'est-à-dire porterait l'agent à cacher ses actions et convictions politiques à tout le monde. On ne peut ni comprendre ni admettre que les parties moyennes du cerveau, où réside la conscience somnambulique, deviennent tout à coup les dénonciateurs inconscients des secrets de la conscience à l'état de veille.
Alors, en supposant même que les « idées abstraites », qui sont le fond des communications de Schoura, aient pu être implantées même à distance, « voire sans le désir de les transmettre », la base essentielle, le rapport psychique et le motif déterminant font totalement défaut de part et d'autre.
Les hypothèses de transmission de pensées sont donc insuffisantes.
Mais les faits de l'animisme vont plus loin que les hypothèses de M. Hartmann. Ils nous prouvent que la transmission de pensées peut s'effectuer à grande distance, sans revêtir le caractère hallucinatoire, mais en gardant toutes les formes du langage. Cependant, pour les manifestations de ce genre, le rapport et le motif déterminant sont nécessaires ; donc la difficulté subsiste. En outre, le caractère distinctif des transmissions à distance opérées par les vivants est qu'elles conservent pleinement leur caractère personnel : elles se font toujours au nom de celui qui parle, jamais elles n'émanent d'une personne étrangère ni ne personnifient cet étranger. Donc le cas de Schoura ne peut, ni par la forme, ni encore moins par le contenu, être classé parmi les manifestations animiques. S'arrêter plus longtemps à cette hypothèse, ce serait tomber dans l'absurde.
Reste, comme suprême ressource, la clairvoyance. Le premier degré de clairvoyance « produit par une perception sensorielle quelconque » ou « par une perception sensitive d'un genre spécial » (Sp., pp. 74-76), ne peut, évidemment, s'appliquer à notre cas. Il ne reste donc qu'à admettre la clairvoyance pure qui, suivant M. Hartmann, est la « faculté du savoir absolu, c'est-à-dire du savoir indépendant de l'espace et du temps ». Et, ceci une fois admis, « tout secours venant du dehors, de la part d'un intermédiaire quelconque, devient superflu, et, à plus forte raison, celui qu'on attribue aux âmes des défunts ». Et encore cette faculté transcendantale de l'âme doit-elle avoir, comme toute chose dans la nature, ses conditions et modes de manifestation. M. Hartmann nous les indique: c'est toujours « l'intérêt intense de la volonté » et « l'image hallucinatoire ». (Sp., pp. 78-79.) Voilà les deux attributs essentiels de la clairvoyance, - il n'y a rien de pareil dans notre cas.
Effectivement, le clairvoyant voit c'est là le trait spécial, caractéristique de cette faculté transcendantale, laquelle a, de plus, divers degrés de lucidité et est subordonnée à l'assoupissement plus ou moins complet des sens extérieurs. On ne peut donc, rationnellement, avoir recours à ce genre d'explication quand le médium ne voit rien du tout, aucune image hallucinatoire, quand il se trouve parfois en son état normal parfait, occupé à écrire, à indiquer les lettres de l'alphabet, quand c'est lui-même qui dirige la conversation ; on ne saurait en vérité raisonnablement soutenir que c'est une conversation avec l'Absolu, autrement avec Dieu ! ! ! Lorsque « André » se manifestait, ce serait une opération inconsciente de la conscience somnambulique ; lorsque, le mardi suivant, c'était Schoura qui se manifestait et faisait ses révélations, ce serait un accès de clairvoyance, de « savoir absolu », un « rapport téléphonique dans l'Absolu » entre Mlle Sophie et Nicolas, établi dans le but de rendre possible « le rapport psychique inconscient entre eux, sans le secours direct des sens » (Sp., p. 79), bien que, de part et d'autre, il n'y eût pas le moindre désir d'une « communion psychique ».
Et cela chaque mardi, pendant plusieurs semaines ; puis cessation complète, malgré le désir de continuer les séances. Pourquoi cela ? Il faut ici une raison adéquate.
Enfin cette incroyable contradiction intérieure : un mensonge flagrant débité par le savoir absolu ! M.Hartmann nous a dit que la « clairvoyance se distingue de la lecture des pensées par ce fait que ce n'est plus le contenu d'une conscience étrangère qui est perçu, mais des phénomènes réels objectifs, comme tels, sans le secours normal des organes des sens ».
Voilà donc Mlle Sophie devenue soudain clairvoyante, percevant les secrets politiques de Nicolas et les dangers qui le menacent, mais n'ayant pas perçu que Schoura n'est plus rien et que, par conséquent, ses affirmations de personnalité ne sont qu'un mensonge, une usurpation, une comédie tout à fait déplacée. Le savoir absolu n'avait nul besoin, pour atteindre son but, de recourir à la tromperie, de se travestir en une personnalité qui était pour lui une non-existence absolue. Ce travestissement était donc pour lui une impossibilité métaphysique. Comme M. Hartmann lui-même l'a bien dit, « le savoir absolu n'a pas besoin d'un secours venant de la part d'un intermédiaire quelconque et, à plus forte raison, de la part des âmes des défunts. »
Les phénomènes que nous examinons ne peuvent donc être attribués à un effet de clairvoyance.
Ainsi je l'ai dit, les hypothèses « naturelles » sont donc impuissantes à expliquer les communications de Schoura. Au contraire, l'hypothèse spiritique peut, ici, faire face à toutes les difficultés ; elle est aussi simple que rationnelle.
Quoi de plus naturel, en effet, que Schoura, - ayant reconnu, après sa mort, l'erreur dont elle avait été la victime, de même que Michel et bien d'autres, et sachant que Nicolas se laissait entraîner, sur ses propres instigations peut-être, dans la même voie (ce que personne dans sa famille, sauf elle qui était le dépositaire des plans et des secrets de Michel, ne pouvait savoir), - ait saisi la première occasion qui s'offrait de sauver son ami d'un entraînement qui devait lui être fatal. Ici « l'intérêt intense de la volonté » et le « sentiment déterminant » sont évidents.
La sympathie qu'elle avait éprouvée pour Mlle Sophie, dès leur première et unique entrevue, voilà le « rapport psychique » qui l'avait attiré vers elle pour en faire un instrument de communication. Tout, dans ce cas, répond au critérium de personnalité que nous avons établi plus haut[121]. C'est pourquoi, jusqu'à preuve du contraire, je considère ce fait comme un vrai cas spiritique, établi sur la base du « contenu intellectuel des manifestations », ainsi que l'exige M. Hartmann.
VI. - Identité de la personnalité constatée par des communications qui ne sont pas spontanées, comme celles qui précèdent, mais provoquées par des appels directs au défunt et reçues en l'absence de personnes connaissant ce dernier.
L'existence des phénomènes de cette catégorie est une nécessité logique ressortant de ce qui précède. Étant donné qu'il se produit des cas de communications spontanées, il faut admettre que les communications provoquées sont également possibles et devraient être d'autant plus concluantes. Mais, pour que la réponse obtenue acquière ce caractère probant, il faut qu'elle se soit produite en l'absence des personnes qui ont connu le défunt et qui l'évoquent, afin que l'hypothèse de la transmission et de la lecture des pensées soit complètement écartée.
Pour arriver à ce résultat, il est indispensable que la demande soit formulée par une personne qui n'a pas connu le défunt, ou bien écrite par une personne absente, sous un pli soigneusement fermé, qui en rendrait impossible la lecture par les moyens ordinaires. Remplir la première de ces conditions est chose beaucoup moins simple et moins facile qu'elle ne paraît de prime abord, pour cette raison, - comme nous le verrons plus tard, - que le message désiré ne peut être obtenu à tout moment voulu, et aussi parce que cette personne étrangère n'offrirait aucune espèce de lien entre le vivant et le défunt, alors qu'il est nécessaire qu'un rapport quelconque existe entre eux. Le seul moyen pratique qui nous reste, c'est donc d'avoir recours à la lettre cachetée ; aussi cette expérience a-t-elle été mise à exécution depuis longtemps. Mais les médiums capables de provoquer ces manifestations sont fort rares. Plus haut, j'ai cité l'exemple d'une réponse faite à une lettre cachetée, adressée au médium, M. Flint (p. 69). Un autre médium, M. Mansfield, a acquis une renommée spéciale pour cette catégorie de phénomènes mais, en dépit de toutes les précautions imaginables prises dans le but de s'assurer que les lettres ne pussent être lues par le médium, le doute, toujours possible, a subsisté quand même. Quoi de plus simple, me disais-je, que de réduire à néant toutes les suspicions, en établissant une observation directe ? Et dire que personne ne s'en était préoccupé ! Ne fût-il question que d'un simple (!) phénomène de clairvoyance, cela ne vaudrait-il pas la peine qu'on l'étudiat d'une façon plus sérieuse ? Peut-on trouver, pour établir la réalité de ce phénomène, un moyen plus simple, une méthode plus objective ?
Je suis bien aise d'avoir découvert cet observateur et de pouvoir, par conséquent, parler de cette catégorie de communications. Autrement je n'aurais pas créé cette rubrique.
Lorsque M. N. B. Wolfe, M. D. se mit à étudier les phénomènes spiritiques, il voua une attention toute spéciale à M. Mansfield, et, afin de mieux se rendre compte de ses facultés médiumniques particulières, il s'installa dans la maison de ce dernier et l'observa de près durant plusieurs mois. Voici ce que nous lisons, à ce sujet, dans son ouvrage Startling Facts in Modern Spiritualism (Faits étonnants dans le domaine du spiritualisme moderne) :
« Cette faculté inconnue de répondre à une lettre, sans savoir un seul mot de ce qu'elle contient, avait pour moi l'attrait d'une chose nouvelle. Il arrivait que M. Mansfield et moi, nous allions ensemble à la poste pour chercher le courrier. Il portait mes lettres, moi les siennes. De cette façon, j'étais le premier à avoir en mains les lettres adressées au « facteur spirite ». Les lettres que j'allais chercher, je ne les perdais presque jamais de vue, jusqu'au moment où elles étaient mises à la poste pour être retournées aux expéditeurs, avec les réponses respectives. Les personnes qui s'adressaient à M. Mansfield avec ces demandes se précautionnaient évidemment contre toute fraude et prenaient des mesures pour que leurs lettres ne pussent être ouvertes et lues par le destinataire (comme le prouve l'emploi de la colle, de la peinture, du vernis et de la cire, voire des coutures à la machine). Je n'ai rien découvert qui pût justifier, dans une mesure quelconque, la supposition d'une supercherie ; il est certain, cependant, que j'étais bien placé pour cela.
Il serait, je suppose, d'un intérêt général de savoir comment M. Mansfield s'y prenait pour répondre aux lettres cachetées :
Pendant qu'il est assis devant sa table à écrire, je place sous ses yeux une demi-douzaine de lettres, venues, à en juger par les timbres-poste, de diverses parties des États-Unis. Les enveloppes extérieures sont déchirées et jetées dans le panier : il a devant lui toutes ces lettres, bien cachetées, sans aucune mention ni signe quelconque qui puisse lui donner la clef quant à leurs auteurs ou quant au défunt auquel on s'adresse. Il passe le bout de ses doigts, généralement de la main gauche, sur ces plis et les touche ensuite légèrement, et aussi soigneusement que s'il ramassait de la poussière d'or grain par grain. Il passe ainsi en revue toutes les lettres, l'une après l'autre. S'il ne se produit pas de réponse, il les enferme dans un tiroir. Une demi-heure après, ou plus, il renouvelle ses tentatives pour obtenir une réponse. Les lettres sont de nouveau devant lui ; il les touche encore une fois avec le bout de ses doigts, passant de l'une à l'autre comme une abeille qui va de fleur en fleur, recueillant du miel. Il les tourne et les retourne, palpant les enveloppes. La colle, la peinture ou la cire ont généralement détruit toute la vertu magnétique de la lettre, mais le médium finit par la découvrir, et sa main gauche se crispe convulsivement. C'est un signe de la réussite : cela veut dire que la personnalité évoquée dans la lettre, et qui a produit cette sensation étrange dans la main du médium, est là, présente, prête à dicter sa réponse. Les autres lettres sont mises de côté, et celle-là reste seule devant le médium, qui a posé sur elle l'index de sa main gauche. A la portée de sa main il a préparé de longues bandes de papier blanc et un crayon. Il prend le crayon de sa main droite et reste dans l'attente. L'intérêt principal est porté sur l'index de sa main gauche, qui touche la lettre et commence par frapper de petits coups sur cette dernière, semblable à la clef d'un appareil télégraphique. En même temps, la main droite se met à écrire, continuant ainsi, sans interruption, jusqu'à la fin du message. J'ai vu couvrir ainsi jusqu'à douze bandes de papier, d'une écriture serrée, au cours d'une seule séance mais, en moyenne, le nombre de bandes employées aune séance s'élevait à trois ou quatre. L'écriture se fait très rapidement, et le style des messages est aussi varié que dans la vie ordinaire.
Dès que l'écriture est terminée, la main gauche, qui est restée convulsivement fermée jusqu'alors, s'ouvre, et la force cesse d'agir, mais pour quelques instants seulement, car elle revient de suite pour mettre l'adresse du destinataire sur l'enveloppe. On met sans délai la lettre, ainsi que la réponse, dans l'enveloppe, et le tout est promptement expédié par la poste. J'ai observé cette procédure un millier de fois d'un bout à l'autre » (pp. 43-45).
Au point de vue de M. Hartmann, ce ne serait qu'un effet de la clairvoyance. La lettre cachetée serait donc « l'intermédiaire sensoriel » qui établit le rapport entre le médium clairvoyant et l'auteur, vivant, de la lettre. Et certes, il ne sera point facile d'avoir raison de cet argument tant que l'on ne saura pas, jusque dans les moindres détails, quel a été le mode d'opération et quels en ont été les résultats. Il va de soi qu'un certain « rapport » a dû exister, mais est-il pareil à celui qui s'établit dans les phénomènes de la clairvoyance ? Voilà le point à résoudre. Si, dans le cas qui précède, il y avait eu clairvoyance, M. Mansfield aurait dû se trouver dans cet état avant l'expérience, ou bien aurait dû attendre que cet état survînt, car cela ne se fait pas sur commande ; alors seulement il aurait pu se mettre à faire des réponses successivement à toutes les lettres. Mais nous ne constatons aucune altération manifeste dans l'état psychique de M. Mansfleld : sa main est toujours prête à écrire, comme un instrument docile ; mais il doit attendre qu'elle tombe sous l'influence de telle ou telle lettre. Nous avons pu voir qu'il ne répond pas toujours, ni à toutes les lettres, dans leur ordre successif, mais à celles seulement qui provoquent un signe annonçant la présence de la personnalité demandée. Par conséquent, cette faculté spéciale de réceptivité est constante chez lui, seulement ce n'est pas lui qui la dirige à son gré, c'est une influence étrangère qui en dispose et la domine, et cette influence peut faire défaut, selon l'occurrence.
Je proteste contre l’abus que les théories antispiritiques font de la faculté de la clairvoyance, dès qu'elles se heurtent à une difficulté qu'elles ne peuvent surmonter. La clairvoyance, c'est la quintessence des facultés psychiques de l'homme ; elle ne se produit que fort rarement ; elle est subordonnée à des causes et à des conditions déterminées, elle a ses modes propres de se manifester, et avant tout, - ainsi que M. Hartmann l'affirme lui-même, - elle doit avoir le caractère de l'hallucination visuelle ; de plus, elle se manifeste généralement pendant que les sens extérieurs du médium sont assoupis, et les accès en sont de courte durée. Par contre, dans le cas présent, le médium écrit tous les jours, et il se trouve dans un parfait état de veille. Pourquoi voudrions-nous qu'il se trouvât dans un état de clairvoyance permanent, sans qu'il y ait, pour cela, de motif psychique ? Ce serait une licence philosophique absolument injustifiable.
Nous allons faire l'examen du phénomène en question, en partant du point de vue de M. Hartmann.
Voici comment les choses devraient alors se passer :
M. Mansfleld palpe de ses doigts une lettre cachetée, laquelle réagit sur son « émotivité sensitive » (sensitives Gefühl).
La « conscience somnambulique latente » doit, avant tout, devenir clairvoyante, afin de pouvoir connaître la teneur de la lettre. Si la réponse, écrite de la main de M. Mansfleld, n'était qu'une périphrase de la lettre cachetée, fût-elle même pourvue de la signature du défunt auquel elle est adressée, l'explication ne présenterait aucune difficulté, et l'hypothèse de la clairvoyance serait parfaitement applicable, car il n'y aurait qu'à attribuer les divers effets produits à telle lettre ou à telle autre. Ce serait la « raison suffisante ».
Mais, du moment que la lettre contient des questions précises, concernant le défunt, par quel moyen les réponses peuvent-elles être obtenues ? Ici, les choses se compliquent considérablement, car le médium doit se mettre en rapport avec l'auteur de la lettre, afin de puiser dans sa conscience normale et latente les détails nécessaires concernant le défunt, car celui-ci n'existe que dans la mémoire des vivants.
Le problème présente, dès lors, une expérience de clairvoyance combinée d'une lecture de pensées à distance. Comment cela se passera-t-il ? Il faut supposer que la lettre que M. Mansfield tient dans sa main lui servira d'« intermédiaire sensoriel » pour établir un rapport entre lui et l'auteur de la lettre. Mais quel résultat ce rapport pourra-t-il donner ? Supposons que M. Mansfleld est dans un état de somnambulisme complet. Il en adviendrait ceci, comme l'expérience nous l'enseigne et ainsi que M. Hartmann le dit textuellement :
« Quand un somnambule est mis en rapport avec une personne qui lui est totalement étrangère, soit par le moyen d'un attouchement direct avec elle, soit par l'intermédiaire d'un magnétiseur, soit par le contact d'un objet qui est empreint de l'atmosphère (aura) individuelle de cette personne, il conçoit de cette dernière une idée générale, et une image plus ou moins imparfaite, vague et inexacte, mais non complètement dissemblable, de son caractère, de ses sentiments et de son humeur, à ce moment donné, et parfois même des pensées (représentations) qui existent en lui à ce moment même. » (Der Spiritismus, p. 96.)
Par conséquent, la lettre que M. Mansfield tient dans sa main ne peut lui servir à autre chose qu'à le mettre en rapport avec les sentiments et pensées qui existent chez l'auteur de la lettre, au moment même où ce contact se produit. Ces sentiments et pensées peuvent n'avoir rien de commun avec le texte de la lettre, écrite plusieurs jours auparavant.
On se demande comment la conscience somnambulique de M. Mansfield peut parvenir à dégager, dans le labyrinthe des idées qui passent par la conscience somnambulique de l'auteur de la lettre, les informations dont elle a besoin. Dans cette multitude d'idées ou d'images qui y sont casées, et qui se rapportent aux personnes décédées et vivantes que l'écrivain a connues ou connaît encore, comment le médium ferait-il pour reconnaître celles précisément qui se rapportent au défunt que la lettre concerne ? Il n'y a rien qui puisse le guider dans cet effort. Ces rapports n'existent même pas pour lui.
Admettons même, avec M. Du Prel, que « la lecture des pensées n'est pas limitée aux images qui sont présentes actuellement à la conscience somnambulique, mais s'étend également au contenu de la mémoire latente » nous pourrons répondre, avec M. Hartmann, qu'il se présente là une grave difficulté, celle de savoir par quel procédé « pourrait se faire la sélection des souvenirs ayant une certaine valeur et une certaine suite, dans cette mêlée confuse d'images conservées dans la conscience somuambulique, et y coexistant, les unes importantes, les autres sans valeur. » (Der Spiritismus, p. 74.)
Cette difficulté se rapporte spécialement aux souvenirs concernant une personne vivante. La même difficulté de sélection subsisterait pour le cas où les souvenirs auraient trait à la vie d'un défunt.
Admettons que ces difficultés aient été surmontées, et que la lecture des pensées, avec l'aide de la clairvoyance, ait enfin trouvé dans la mémoire normale ou latente du vivant, - bien que celui-ci soit loin du médium, - tous les éléments nécessaires pour formuler, au nom du défunt interrogé, la réponse voulue, comprenant tous les détails demandés, détails que la personne vivante reconnaît pour exacts. Mais voici une nouvelle complication : nous trouvons dans la réponse des détails que l'interrogateur vivant n'avait pas demandés, qui ne ressortent pas de la teneur de sa lettre, et dont il ne peut attester l'exactitude pour cette simple raison qu'il ne les connaît pas. On est obligé de vérifier ces détails en s'adressant à des tierces personnes, qui avaient connu le défunt. Quel est le processus psychique qui aurait permis au médium d'obtenir une telle réponse ? Faut-il encore une fois recourir à la clairvoyance, ce Deus ex machina du psychisme, qui aurait mis le médium en rapport avec l'Absolu, avec « l'omniscience de l'Esprit absolu » ?
N'oublions pas, cependant, que la clairvoyance obéit à certaines lois et que cette communication avec l'Absolu ne peut s'effectuer autrement que sur le terrain des rapports existant, exclusivement, entre deux personnes vivantes, qui se connaissent, alors qu'ici le médium ne connaît ni la personne vivante qui évoque le défunt ni ses amis ; quant au personnage principal, le défunt, il n'existe plus ; il est égal à zéro. Par conséquent, le terrain qui doit servir de base à la clairvoyance lui fait entièrement défaut.
Si nous voulons, de plus, tenir compte des lois formulées par M. Hartmann, à savoir que « les idées abstraites ne peuvent se transmettre, comme telles, à distance », que « la claivoyance pure ne se manifeste que sous une forme hallucinatoire », que le motif de toute clairvoyance réside « dans un intense intérêt de la volonté » si nous prenons en considération que l'opération psychique en question se produit pendant que « la conscience somnambulique percipiente du médium est dominée par l'état de veille de la conscience normale », - condition sous laquelle la lecture des pensées et la clairvoyance se produisent le plus difficilement, - alors nous serons forcés de conclure que ces hypothèses ne peuvent pas expliquer tous les faits exposés sous cette rubrique.
Pour ne pas exagérer ici le nombre d'exemples, - ils abondent dans le Banner of Light, de Boston, - je renvoie le lecteur à ce même livre du Dr Wolfe, qui y cite, d'une façon circonstanciée, des expériences vraiment remarquables où il obtenait des réponses à ses lettres. La valeur de ces expériences est, il est vrai, diminuée, à un certain point de vue, par le fait de sa présence. Les réponses aux lettres se sont fait attendre, nonobstant, jusqu'au moment où l'influence invoquée a pu se manifester. D'autre part, ces expériences méritent une attention d'autant plus grande qu'elles ont été exécutées dans des conditions excluant toute possibilité de fraude, ainsi que l'on pourra en juger d'après l'extrait suivant que nous faisons de l'ouvrage de M. Wolfe, où il raconte les expériences qu'il a faites avec M. Mansfield :
« A un moment donné, j'avais sous la main environ vingt-cinq lettres, toutes prêtes pour être soumises aux manipulations de M. Mansfield. Je les portais sur moi ; elles étaient enfermées dans des enveloppes de cuir, qui ne portaient aucune inscription. Ces enveloppes étant absolument pareilles quant au format et à la couleur et n'étant marquées d'aucun signe, je ne pouvais les distinguer les unes des autres. Quand l'occasion était favorable, c'est-à-dire lorsque le médium n'était pas trop épuisé par les fatigues de la journée, et qu'il pouvait disposer librement de son temps, je plaçais devant lui tout le paquet de lettres, pour voir si l'une des vingt-cinq personnalités auxquelles les lettres étaient adressées ne se trouvait pas présente et ne pouvait provoquer l'écriture médiumnique. Dans ces conditions, il était fort rare que les efforts faits pour provoquer une réponse de l'une ou de l'autre personnalité, au moins, ne fussent suivis d'aucun succès. M. Mansfield passait sa main sur les lettres, en saisissait une, comme il est dit, et procédait aux manœuvres nécessaires pour obtenir la réponse. Je tiens à faire ressortir ce fait, que jamais, de mon expérience, le médium n'a manqué d'obtenir le nom exact de la personnalité à qui l'on s'adressait, et ensuite soit un message d'elle, soit l'exposé de la raison pour laquelle la réponse demandée ne pouvait être communiquée. Le message témoignait toujours d'une parfaite connaissance de cause et prouvait que son auteur était bien familier avec toutes les circonstances, les personnes et les dates. Les réponses étaient parfois surprenantes ; elles n'étaient pas seulement précises et exactes, mais contenaient aussi de nouvelles pensées, de nouveaux faits, de nouveaux noms accompagnés de détails et de dates nouvelles. En disant nouvelles, j'entends dire que les informations reçues n'ont pu, en aucune façon, être puisées dans la teneur de la lettre, eût-elle même été soumise ouvertement à l'examen du scrutateur le plus méticuleux. »
Le Révérend Samuel Watson cite dans son livre The Clock struck one (La pendule a sonné 1 heure) (New-York, 1872) une quantité de communications qu'il a reçues en réponse à ses lettres, par l'intermédiaire de M. Mansfield. Elles ont été écrites en sa présence, également, mais ce désavantage, - au point de vue de notre critique, - est compensé par ce fait que les réponses contenaient souvent des détails biographiques que M. Watson ignorait ; il arrivait aussi que ces réponses étaient faites, non par ceux à qui les questions étaient adressées, mais par d'autres personnes que M. Watson avait connues, et même par des personnes qui lui étaient inconnues, mais que le défunt avait connues. (Voir la suite de ce même ouvrage : The Clock struck three (La pendule a sonné 3 heures), Chicago, 1874, pp. 79-85.)
Je suis loin d'affirmer, bien entendu, que toutes les réponses faites par M. Mansfield aux lettres cachetées soient d'origine spiritique. Il faut savoir rendre justice à toutes les explications, - y compris le procédé frauduleux - proposées pour tel ou tel cas, selon les circonstances. Je veux seulement dire que certains faits présentent, à mon avis, toutes les conditions voulues, pour que l'on en cherche la cause efficiente en dehors de l'animisme.
Comme corollaire de cette catégorie de phénomènes, il y a les réponses à des questions qui ne sont pas soumises à la perception sensorielle du médium, avec cette complication que les réponses sont obtenues par voie récriture directe. Dans ces exemples nous retrouvons toujours la même particularité : le médium ne répond pas, indifféremment, à toutes les questions, mais seulement à celles dont il subit l'influence ; et, en outre, nous constatons ce détail important que le médium ne touche même pas au papier où la question est écrite.
M. Colby, directeur du Banner of Light, raconte ainsi une séance avec M. Watkins (numéro du 9 mars 1889) :
« Tout récemment, nous avons eu une deuxième séance avec M. Watkins ; nous y apportâmes nos ardoises, qui se fermaient au moyen de charnières. Nous étions trois. Lorsque nous fûmes placés devant la table, M. Watkins nous pria d'écrire sur des bandes de papier les noms de quelques-uns de nos amis défunts. Nous écrivîmes une vingtaine de noms, chacun sur une bande de papier séparée que nous roulâmes ensuite en tuyau, de manière à ce qu'on ne pût pas les distinguer les unes des autres d'après leur apparence. Sur l'une des bandes, nous avions écrit ceci :
G.-W. Morill, voulez-vous communiquer quelque chose à votre ami le capitaine Wilson, à Cleveland ?
Pendant que je désignais les divers rouleaux avec un crayon, il me fut enjoint par le médium d'en prendre un et de le tenir fortement dans ma main gauche. Le médium nous pria alors de poser nos ardoises sur la table. Il nous dit ensuite de poser nos mains dessus, tandis que lui-même appuyait ses doigts sur l'autre extrémité de l'ardoise. A ce moment même, nous entendîmes le grincement du crayon, dans l'espace compris entre les deux ardoises, comme si quelqu'un écrivait. Quand ce bruit eut cessé, nous fûmes invités à ouvrir les ardoises. Sur la face intérieure de celle qui reposait sur la table, il y avait le message suivant, écrit et signé d'une main hardie et coulante :
Mon cher ami, capitaine Wilson, à Cleveland, je voudrais que vous fussiez convaincu, en lisant ces lignes, que la force qui a guidé le crayon, c'est bien moi, votre vieil ami ; à la même occasion je vous prie de vouloir bien dire à mon gendre Wasson que sa femme est désireuse de communiquer avec lui, que la petite sera très malade, mais qu'il ne se laisse pas aller à sa tristesse si elle meurt, car ma fille la gardera mieux qu'il ne peut le faire. Je n'ai pas dit grand chose pour vous cette fois, mon ami, mais c'est que ma fille est si impatiente d'entrer en communication avec son mari et avec Franck !
Geo. W. Morill. »
Conformément à cette requête, nous fîmes part du message à Mme Morill, qui nous déclara que, pour elle, il n'y avait pas le moindre doute qu'il fût écrit par son mari : l'écriture en ressemblait beaucoup à la sienne, et, de plus, il avait toujours signé « Geo. W. Morill. » Quant à l'enfant dont il est question, elle était malade, en effet, chez elle, à Amesbury, et une issue fatale était à craindre. »
Je ne veux pas faire de l'exemple qui précède une preuve d'identité, car M. Colby a évidemment dû connaître M. Morill et le capitaine Wilson, et, du moment qu'il était présent à l'expérience, la communication transmise pourrait trouver son explication, partie dans la clairvoyance, partie dans la lecture des pensées ; mais je ne vois pas, pour ma part, comment la clairvoyance pourrait expliquer la première phase de cette manifestation psychique : le choix et la lecture d'un rouleau déterminé, pris parmi les vingt, sans aucune « médiation sensorielle », - puisque le médium ne touchait pas aux rouleaux.
Cet exemple, je l'ai cité avant tout à cause de la méthode d'expérimentation qui y est appliquée, méthode qui est susceptible de conduire à la preuve absolue, si l'on a le soin de s'entourer de précautions nécessaires pour être sûr qu'aucun rapport n'a pu s'établir et qu'aucune suggestion inconsciente n'a été exercée. Il faut, pour cela, que les rouleaux soient préparés à l'avance, et non par celui qui les présentera, à la séance, mais par une autre personne absente ; il faut également que la personne chargée de les apporter à la séance en ignore complètement le contenu. Mais je doute que, dans ces conditions, l'expérience puisse réussir, attendu que tout rapport avec le défunt sera rompu. Or il est indispensable qu'un rapport d'une nature quelconque serve de base à la manifestation et, dans le cas supposé, l'unique lien serait la présence, dans la chambre, de la lettres, laquelle le médium ne doit même pas toucher.
Je puis néanmoins indiquer un fait qui est près de remplir ces conditions, la lettre ayant été transmise par une tierce personne, - chose fort rare. Dans mon Index, ce fait figure comme unique dans ce genre, et je le trouve assez remarquable pour être cité. Le récit suivant en est publié dans le journal Facts, de Boston (t. V. 1886, p. 207) :
« A une séance privée, tenue il y a quelques jours avec le médium Powell, de Philadelphie, il se passa un fait tout à fait curieux. Les assistants étaient des habitants de cette ville, fort honorablement connus.
La manière dont M. Powell procédait pour obtenir des réponses aux questions renfermées dans les petits rouleaux a été exposée dans ces colonnes. Bornons-nous à rappeler que les rouleaux contenant les noms des défunts auxquels on s'adresse sont préparés à l'insu du médium. Pour ce jour-là, l'un des assistants avait prié une dame de sa connaissance d'écrire un nom sur une bande de papier, de la rouler et de la lui remettre. Cette dame ne se trouvait pas à la séance, et lui-même ne savait pas quel nom elle avait écrit. Au cours de la séance, ce rouleau fut clandestinement mêlé aux autres. M. Powell appliqua ce bout de papier roulé à son front, et alors nous fûmes témoins d'un spectacle stupéfiant : sa face pâlit horriblement, il leva les bras et retomba en arrière sur le plancher, en se cognant la tête contre une chaise. La chute était semblable à celle d'un homme frappé subitement par la mort. Il resta quelques instants immobile, comme étourdi, puis se leva lentement, les yeux grands ouverts et brillants d'un vif éclat, saisit la main de l'une des dames présentes et lui dit, d'une voix faible, péniblement : « Dites à Hattie (la dame qui avait écrit la question) que ce n'est pas un accident ni un suicide, mais un lâche assassinat... et c'est mon mari qui l'a commis. Des lettres existent qui le prouveront. On retrouvera ces lettres. Je suis M. Sallie Laner. » C'était le nom écrit sur le bout de papier, le nom de la femme qui avait été trouvée morte, quelques jours auparavant, à Omaha, tuée par un coup de feu ; mais à ce moment on ignorait encore si cette mort était due à un suicide ou à un crime commis par son mari. Elle avait habité Cleveland et avait connu la dame qui écrivit la question. Le dénouement de cette histoire trouvera sa place à une occasion ultérieure ; pour le moment, le point essentiel est de savoir comment le médium a pu avoir connaissance des faits contenus dans sa réponse. Il n'a pas ouvert le rouleau ; il ignorait les événements en question ; pas une des personnes présentes ne savait quel nom était écrit sur la bande de papier. Et cependant ce phénomène s'est produit immédiatement, dès que le médium eut porté sur son front le billet roulé. Le nom était juste ; la réponse, qu'elle ait été exacte ou non, était précise et à propos ; et, le lendemain, Laner, le mari, était arrêté sous l'inculpation d'avoir tué sa femme. Il n'y avait aucune connaissance préalable des faits, aucune connivence, aucune divination ni lecture de pensées. Quelle est donc la force intelligente qui s'est manifestée ? Est-ce l'esprit de la femme assassinée ? Est-ce un autre ? Mais alors qui[122] ? »
Dans la pratique du magnétisme ou du somnambulisme spiritique, on rencontre des expériences analogues à la précédente : voir Cahagnet, Arcanes de la vie future dévoilés, tomes II et III, et plus particulièrement les expériences d'évocation de personnes inconnues aux assistants (t. II, pp. 98, 245). Aux pages 167-187 du tome III, nous lisons le récit intéressant de l'évocation de l'abbé Almignana, relativement à une question d'argent, avec tous les détails et documents à l'appui. Dans une brochure qu'il publia en 1858 (?) sous le titre Du Somnambulisme, des Tables tournantes et des Médiums, il raconte ce même cas en abrégé et fait aussi mention d'une autre évocation qui eut lieu en sa présence, par l'intermédiaire d'une somnambule à laquelle il n'avait communiqué que le nom d'un défunt, nom qu'il tenait de seconde main et qu'il avait demandé uniquement en vue de cette séance et dont le porteur lui était complètement inconnu.[123]
VII. - Identité du défunt constatée par des communications reçues en l'absence de toute personne l'ayant connu, et qui trahissent certains états psychiques ou provoquent des sensations physiques, propres au défunt.
Cette rubrique forme la transition entre les preuves intérieures, ou intellectuelles, de l'identité d'une personnalité, et les preuves extérieures ou physiques. Les faits que j'ai classés sous le titre ci-dessus nous offrent, il est vrai, entre autres preuves, plusieurs qui pourraient les faire ranger dans les catégories précédentes, mais ils sont caractérisés en même temps par certaines particularités d'un ordre complètement différent, et sur lesquelles je désire attirer l'attention du lecteur. Elles sont indiquées par le titre même de cette rubrique.
Une des objections les plus courantes que l'on soulève contre l'hypothèse spiritique, comme devant expliquer les communications médiamniques, c'est que ces dernières ne sont que l’écho des idées que l'homme s'est formées sur l'état de l'âme après la mort et sur le monde spirituel en général. Au point de vue des idées acceptées, traditionnelles, il serait certes bien difficile d'admettre qu'après la mort les « esprits » conservassent les mêmes défauts psychiques et les mêmes souffrances physiques dont ils étaient affligés au moment de la mort. Par exemple, pourrait-on bien supposer que les personnes mortes à l'état d'aliénation mentale puissent garder des traces de ce désordre psychique, lorsqu'elles se manifestent, peu de temps après leur mort ? Ce fait a été cependant constaté dans la pratique du spiritisme ; il est absolument inattendu, contraire aux idées reçues : aussi n'a-t-il pu être admis qu'à posteriori.
Je citerai, comme exemple, la communication suivante publiée dans le « Message Department » du Banner of Light (24. novembre 1883):
« Oh ! je ne me sens pas bien du tout. Je ne savais pas qu'en revenant j'éprouverais cela mais il paraît que j'ai bien des choses à apprendre. Je suis venue ici dans l'espoir de pouvoir apprendre à mes amis que je suis entièrement rétablie et heureuse, à présent... J'ai été brûlée ici. Je ne puis raconter cela, car je ne veux pas y penser mais un nuage m'a enveloppée, mes idées devinrent confuses ; je ne comprenais pas ce que je faisais, et c'est ainsi que j'arrivai dans le feu et me brûlai grièvement... Mes maîtres me disent que je ne serai plus jamais dans un trouble pareil, que des causes physiques avaient produit un dérangement dans mon esprit, mais que ces choses se rattachaient à la terre et avaient disparu pour toujours... J'étais jeune encore... J'habitais West Grandby, Connecticut. Mon père est bien connu dans cette ville... Son nom est Ebert Rice. En parlant de tout cela, mes idées ne sont pas bien nettes, et je ne puis vous dire quand exactement je suis partie ; il me semble qu'il y a longtemps de cela mais je suis bien contente d'avoir pu revenir, et j'espère revenir encore. Emma Rice. »
Trois semaines plus lard (15 décembre), on lisait cette lettre dans le Banner of Light, sous la rubrique « Vérification de messages spiritiques » :
« Monsieur le directeur du Banner,
Je trouve dans le numéro du 24 novembre une communication d'Emma Rice, de West Grandby. Tous les spirites connaissent ce fait, que, lorsqu'une personne dont l'esprit avait été troublé durant sa vie sur la terre se manifeste par l'intermédiaire d'un médium, elle porte encore des traces de cet état. J'apprends que le véritable nom de cet esprit est Emma Ruick, mais que pendant ses accès de démence elle se donnait quelquefois le nom de Emma Rice. La communication est exacte. Elle s'est brûlée, ainsi qu'elle le dit, en sautant sur un tas de menu bois en feu. Tous les détails sont vrais, et ce message sera accueilli avec reconnaissance par ses amis sur la terre. Heman F. Merrill.
Hartford, Connecticut, le 24 novembre 1883. »
Voici un autre fait, que je tiens de première source. Une dame de ma connaissance, Mme Marie S., qui organise depuis quelques années, à deux, avec sa nièce, des séances médiumniques au cours desquelles celle-ci écrit à l'état de transe, reçut un jour une communication étrange, en langue française, et signée Napoléon. Elle crut à une mystification et n'y ajouta d'abord aucune importance. Immédiatement après, son guide habituel lui donna la clef de ce mystère : le message en français émanait d'un individu qui avait été fou, de son vivant, s'imaginant être Napoléon ; il expliqua que, dans la règle, les aliénés continuent à être affectés pendant quelque temps, après leur mort, de la même aberration mentale dont ils avaient été atteints durant leur vie. Mme S. en fut fort étonnée mais sa surprise fut plus grande encore lorsque, m'ayant raconté ce cas comme une chose très curieuse, je lui appris que ce fait était loin d'être unique.
Il paraît que les anomalies mentales consécutives à diverses affections physiologiques dont l'individu avait souffert pendant les derniers temps de sa vie, ne sont pas seules à persister après sa mort, et que la douleur physique, qu'il éprouvait au moment de mourir, se reproduit aussi, à nouveau, lorsqu'il réapparaît dans la sphère terrestre. En voici quelques exemples :
Le récit suivant se trouve dans le Light, de 1882 (p. 74). Il s'agit de douleurs physiques éprouvées par le défunt durant sa dernière maladie, et qui sont ressenties par le médium :
« Au commencement de l'été 1879, je fis par hasard la connaissance d'un voisin qui, selon les apparences, n'avait plus longtemps à vivre. Un jour, je l'accompagnais chez lui, - nous marchions lentement - au cours de l'entretien, nous arrivâmes à parler de spiritisme ; il avait l'air surpris d'apprendre que je m'intéressais à de pareilles inepties, mais il n'en fut pas moins frappé par quelques-unes de mes réflexions. A notre entrevue suivante, il s'empressa de renouer la même conversation et me questionna sur les preuves que j'avais pu acquérir personnellement. Mais, depuis ce temps, il évita ce sujet, et je m'abstins également d'y revenir, sachant combien il est nuisible, pour un malade comme lui, d'entrer dans toute discussion excitante.
En juin de la même année, - c'était à Barmouth, dans le pays de Galles, - je tombai, à l'état de transe, sous l'influence d'un esprit qui se donnait pour ce même monsieur, et il me fit dire ces paroles : « C'est bien étrange, c'est si différent de ce que je m'attendais à voir ! Je regrette de ne pas avoir profité de l'occasion que vous m'avez procurée pour m'instruire sur la vie spirituelle. » Pendant toute la durée que s'exerça sur moi son influence, je ne cessai de ressentir une douleur dans la bouche et dans la gorge. Deux jours plus tard, une lettre d'un ami m'apprenait que le malade était mort peu après mon départ.
Au mois de mai de l'année dernière, je tombai encore une fois sous le contrôle du même esprit, qui, cette fois, dit par mon organe, d'un ton décidé : « Dites à Mary que j'ai vu Will. » J'éprouvai de nouveau la même sensation douloureuse dans la bouche et à la gorge. « Mary » était sa sœur qui avait soigné son ménage.
Pendant ma transe, j'eus l'impression qu'il y avait un lien d'affection entre « Mary » et « Will ». J'étais à ce point impressionné par le ton sérieux de celui qui se manifestait, que je priai ma femme de se rendre chez la sœur du défunt pour lui transmettre la communication. Cette dame lui dit qu'elle ne connaissait que deux personnes qu'elle appelait du nom de « Will » : l'une était son cousin, et l'autre un monsieur avec lequel elle avait été fiancée quelques années auparavant, mais que l'un et l'autre étaient, autant qu'elle pouvait savoir, vivants et en bonne santé. Elle ajouta que son frère avait été affecté d'aphtes (maladie ulcéreuse du tube digestif), au moment de sa mort. Ceci expliquait la douleur que j'avais éprouvée dans la bouche.
Aucune information ne venait cependant expliquer le message, et j'en conclus qu'il avait été altéré dans la transmission, comme tant d'autres. Je finis par n'y plus penser. Mais voilà que, la semaine dernière, la sœur du défunt se présente, chez moi et m'informe qu'elle venait d'apprendre que son ancien fiancé était mort, en Australie, à la même époque environ où j'avais reçu le message qui se rapportait à lui.
Il ne me reste qu'à ajouter que les rapports qui avaient existé entre ces personnes m'étaient totalement inconnus.
Edmond W. Wade.
Lewisham, le 13 février 1882. »
Le journal Facts publie, dans son numéro de juin 1885, un curieux récit de M. Eli Pond, de Woonsocket (Etat de Rhode Island). Le médium tombe sous l'influence de l’esprit d'un homme qui est mort noyé ; il frissonne et éprouve la sensation du froid. En voici la traduction complète :
« Il y a environ un an de cela J'allai voir mon fils et sa femme. Comme elle avait mal à la tête, je lui dis : Peut-être pourrai-je vous soulager en faisant des passes au-dessus de votre tête. Elle y consentit. A peine eus-je commencé, qu'elle se trouva sous l'influence d'un esprit qui avait recours à l’alphabet des sourds-muets. Ni moi ni son mari ne comprenions ces signes, et l'influence cessa de se manifester. Une autre la remplaça, revêtant le nom de Sarah Makepeace. Elle dit qu'elle avait habité l'Ouest et qu'elle était morte noyée, qu'elle savait gré au vieux monsieur de lui avoir procuré l'occasion de revoir ce monde. Le médium revint alors à son état normal et s'écria : Mais il me semble que je vais geler ! Et, en effet, ma bru frissonnait et paraissait si mal à l'aise que je me décidai à intervenir en priant Sarah de la quitter et de se manifester par un autre médium, M. Annie Wood, à une heure fixée d'avance. Elle le promit et tint rigoureusement parole.
Je ne connaissais personne portant le nom qu'elle avait donné, mais j'étais résolu de savoir si quelqu'un s'appelant ainsi s'était noyé. Après quelques mois de recherches à peu près infructueuses, je découvris qu'un certain Makepeace habitait Providence, Rhode lsland. Mais, dans l'intervalle, j'eus plusieurs entretiens avec Sarah, à la suite desquels j'appris qu'elle avait des parents dans cette ville. Je lui demandai si ses parents étaient spirites et reçus une réponse négative. Elle me dit encore qu'elle était morte à l'âge de vingt ans, environ trois ans auparavant, qu'elle s'était noyée dans des circonstances très pénibles et que ses proches la blâmaient outre mesure. Elle semblait très malheureuse.
Peu de temps après, je me trouvais à Providence, et, cherchant dans le livre d'adresses, je trouvai le nom du parent dont elle m'avait parlé. Dès que j'en eus le temps, j'allai chez lui. Il était fort occupé et me pria de revenir à un autre moment.
Je revins à l'heure indiquée, et il me fit prendre place. A ma question s'il avait connu une jeune fille du nom de Sarah Makepeace, qui avait habité dans l'Ouest et qui s'était noyée, il répondit qu'en effet il l'avait connue, mais fort peu. Je lui demandai à quelle époque à peu près le malheur avait eu lieu. Il ne se le rappelait pas exactement mais, quand je lui dis que, d'après ce que j'en avais entendu dire, cela s'était passé il y a trois ans, il observa que ce devait être juste. Je le questionnai sur l'âge de la jeune fille. « Elle pouvait avoir vingt ans »,me dit-il. Là-dessus, je le priai de me donner l'adresse du père de la défunte. Il me demanda sèchement le motif de ma demande. Je le lui dis. Alors il se mit dans une vraie colère : « Je ne veux pas qu'on soulève quoi que ce soit, dit-il, qui puisse entacher le bon renom de ma « famille. »
Et il m'éconduisit d'une façon peu courtoise. Je partis ; mais j'avais toutefois acquis la certitude que Sarah avait dit la vérité.»
J'ai tenu à reproduire ces deux récits intégralement, parce qu'ils présentent d'intéressants exemples de la constatation de l'identité d'un défunt, en l'absence de personnes l'ayant connu, indépendamment des particularités qui les font placer sous la présente rubrique.
Prenons encore cet exemple : le défunt a péri dans le feu et le médium éprouve le sentiment d'être suffoqué par la fumée. Nous lisons dans l'article de M. Clément, publié dans le Religio-Philosophical Journal du 9 mars 1889, le passage suivant :
« Tout mon avoir sur terre fut la proie des flammes, en 1856. Ma sœur a trouvé la mort dans cet incendie. J'ai souvent assisté à des séances spiritiques, dans un groupe où personne ne connaissait mon histoire ; quand ma sœur se manifestait, il arrivait que le médium croyait étouffer, et d'autres sensitifs sentirent l'odeur de la fumée et se mirent à tousser, comme lorsqu'on entre dans une chambre remplie de fumée. »
Dans ce dernier exemple, les communications étaient reçues en présence de la personne qui savait de quelle mort le défunt avait péri ; mais, si l'on interrogeait M. Clément, il est plus que probable que l'on apprendrait de lui qu'il ne s'attendait nullement, lors de la première communication, à ce que le médium éprouvât la sensation de l'asphyxie.
Les manifestations dans lesquelles la personnalité se trouve caractérisée par des marques distinctives de cette nature offrent, à mon avis, une importance toute spéciale ; elles pourront peut-être nous mettre sur la voie des lois générales auxquelles obéissent les phénomènes de ce genre.
Les sensations purement physiques, telles que la douleur dans la gorge, le frisson, la suffocation, ne peuvent être inhérentes à notre état posthume ; cela n'est pas douteux. Il est évident, d'autre part, que ces sensations ne sont pas infligées au médium dans le but d'affirmer l'identité du défunt, car il ressort des exemples cités par MM. Wade et Pond que, dans le premier cas, le médium ignorait le genre de mort du défunt et la nature des souffrances dont il avait été affligé, et, dans le deuxième cas, il n'avait même pas connu la personne qui se manifestait. Une pareille preuve d'identité n'a pu être sollicitée ni attendue.
Par conséquent, tout porte à croire que ces sensations, provoquées chez le médium, sont le résultat d'une loi naturelle qui pourrait être formulée ainsi : Toute individualité transcendantale qui se manifeste à nouveau dans la sphère de l'existence terrestre se trouve soumise, pour la durée de cette manifestation, aux mêmes conditions dans lesquelles elle se trouvait à la fin de son existence phénoménale.
Ceci comporterait, pour ainsi dire, un oubli temporaire des conditions de son existence transcendantale et un retour à l'existence phénoménale, telle qu'elle était au moment de son extinction[124].
C'est pourquoi le « sourd-muet » dont parle M. Pond n'a pu s'entretenir autrement que par le moyen de l'alphabet qui lui était familier, sans réussir à se faire comprendre. Et c'est pour la même raison que la jeune fille folle, Emma Rice, avait oublié son nom véritable. De même pour d'autres cas.
Si nous étendons cette loi au domaine des manifestations intellectuelles, nous nous expliquerons aisément pourquoi la personnalité qui se manifeste à nous reprend, pour ainsi dire, son existence terrestre et ne sait parler que de faits ayant trait à cette sphère.
De même pour les matérialisations et les photographies : l'apparition se présente toujours sous la forme que l'individu avait à la fin de sa vie, qu'il fût jeune ou vieux, et même avec les défauts physiques dont il était affligé. Que les choses ne se passent pas ainsi dans le but unique d'affirmer l'identité, nous en voyons la preuve, entre autres, dans l'image photographique obtenue par M. A. (Oxon) et sur laquelle nous reviendrons. Elle représente une toute petite enfant, qui était morte depuis plus de cinquante ans, à l'âge de sept mois [125] ; elle disait être la sœur du Dr Speer. Mais comme elle était inconnue au Dr Speer aussi bien qu'au médium, M. A., cette forme d'enfant n'a évidemment pu conférer une démonstration quelconque de son identité. On cherche, en pure perte, pourquoi l'image de cette enfant s'était fixée sur la plaque, et non pas seulement à cette première expérience, mais durant toute la série des manifestations de cette personnalité, qui durèrent plusieurs années.
Mais, disons-le tout de suite, il y a des faits qui prouvent, d'autre part, que cette loi n'est pas générale ; elle serait, par conséquent, soumise à des modifications selon le moment et l'individualité.
VIII. - Identité de la personnalité d'un défunt attestée par l'apparition de sa forme terrestre.
Maintenant que nous avons acquis par des manifestations d'un caractère intellectuel la preuve demandée, - c'est-à-dire la preuve que le principe individuel est indépendant du corps, qu'il a son existence propre, qu'il survit à la désagrégation du corps, que de plus il conserve assez d'éléments de sa personnalité pour prouver le grand fait de la survie, - nous pouvons passer (ainsi que je l'ai fait déjà au chapitre III) à la démonstration du même fait par des manifestations d'un caractère extérieur, même physique. Nous pouvons dès lors chercher à déterminer les conditions que doivent présenter ces manifestations pour être considérées comme plus ou moins concluantes, sans nous sentir gênés par la conviction à priori que la nature spiritique d'un pareil phénomène n'a pas de raison d'être suffisante. La manifestation la plus idéale de ce genre de phénomènes sera :
a) L'apparition d’un défunt attestée par la vision mentale du médium, en l’absence de personnes le connaissant.
Ici nous avons un phénomène télépathique, correspondant aux hallucinations véridiques des vivants, mais avec cette différence que l'agent évoquant le phénomène ne se trouve pas parmi les vivants. Ce genre de phénomènes constitue une variété particulière de médiumnité. Quoique tous les bons médiums soient plus ou moins voyants, chez quelques-uns le développement de cette faculté crée une médiumnité spéciale. Ils décrivent la personne du défunt qu'ils voient auprès du vivant, avec nombre de détails qui sont autant de preuves d'identité ; ils ne se bornent pas à la description extérieure de l'apparition, mais transmettent les paroles et les phrases prononcées par elle. Les preuves qui ont été données par ce procédé sont innombrables. Mais, comme généralement elles le sont en présence même de la personne qui connaissait le défunt et peuvent par conséquent être expliquées par une transmission inconsciente des idées de cette personne, je dois les laisser de côté. Pour qu'elles soient valables à notre point de vue, il faut que l'apparition donne des détails inconnus de l'ami vivant, ou que l'apparition ait lieu en l'absence de celui-ci.
J'ai déjà cité un cas de la première catégorie dans le chapitre III, paragraphe 8, page 420, où un médium décrivit au général Drayson l'apparition d'un ami qu'il croyait vivant, avec tous les détails qui se rapportaient à sa mort extraordinaire.
Un cas de la seconde catégorie m'est fourni par mes propres notes. Le 26 février 1873, j'eus une séance intime avec ma femme. Nous étions seuls. Bientôt, elle s'endormit, et sa main écrivit une communication en français, d'un caractère intime, faisant allusion à une séance antérieure à laquelle avait assisté une dame de notre connaissance, la comtesse A. Tolstoï, la femme du vice-président de l'Académie des beaux-arts. La communication émanait de la fille défunte de la comtesse et s'adressait à elle : inutile de parler ici du contenu de la communication, car la preuve d'identité réside dans ce qui suit. Quand ma femme revint à elle : « C'est étrange, dit-elle, je viens de voir quelque chose !
- Quoi donc ?
- Une figure.
- D'homme ou de femme ?
- De femme, un très joli visage, qui frappait par l'éclat de ses yeux bleus ; ils semblaient comme éclairés de l'intérieur. La figure se tenait debout devant moi à une certaine hauteur ; elle représentait une personne jeune, bien faite, habillée de blanc.
- Une brune ?
- Oui !
- Reconnais-tu quelqu'un ?
- Non. Mais elle m'a fait l'impression la plus agréable ; il est vrai que je dormais, mais ce n'était pas du sommeil ordinaire. »
Cette conversation avait eu lieu immédiatement après le réveil de ma femme ; elle ne savait pas qu'il y avait eu quelque chose d'écrit, encore moins ce qui avait été écrit et quel était l'auteur du message. Nous ne savions pas si l'apparition de la figure avait quelque rapport avec la communication. Un mois et demi après, ma femme, se trouvant en visite chez la comtesse qui venait de perdre son mari, et passant dans une pièce retirée, où elle n'était encore jamais entrée, se trouva face à face avec un portrait de jeune femme représentée en buste et qu'elle n'avait jamais vu, mais dans lequel elle reconnut immédiatement la belle figure qui lui était apparue lors de sa vision intérieure. C'était le portrait de la fille défunte de la comtesse.
Sous la rubrique précédente j'ai cité un cas, rapporté par Dale Owen, relatif à l'apparition de son amie Violette à deux médiums qui ne connaissaient pas Dale Owen et n'avaient jamais connu son amie défunte ; cette apparition, en tout conforme à l'apparence terrestre de Violette, complétait l'ensemble des détails personnels et intimes donnés aux mêmes médiums.
b) L'apparition d’un défunt attestée par la vision mentale du médium et, simultanément, par la photographie transcendantale ou par la photographie seule, en l’absence de personnes connaissant le défunt.
La manifestation la plus spiritualisée de l'ordre physique est bien certainement la photographie transcendantale qui établit le fait de la réalité objective d'une apparition ou d'une matérialisation invisible. J'ai donné dans le chapitre I tous les détails historiques relatifs au développement de ce phénomène. Nous en avons le prototype fondamental dans les expériences remarquables de M.Beattie, où le médium en transe donnait la description des formes lumineuses qui apparaissaient à sa vue mentale, - en commençant par différentes formes indéterminées qui se développaient graduellement en formes déterminées, - et souvent correspondant parfaitement aux photographies obtenues. (Voir pp. 36-39.)
Nous trouvons la confirmation de ce genre de faits dans un témoignage tout aussi sûr, celui de l'honorable M. A. (Oxon) qui réunissait lui-même tous les traits d'une médiumnité hors ligne. Voici comment il décrit sa première expérience de photographie transcendantale :
« La première image que j'ai obtenue avec M. Hudson est remarquable par l'obscurcissement presque complet du sujet. Je posais de profil et tenais mes yeux fixés au plafond du cabinet d'études. J'avais l'impression parfaitement consciente de l’existence, autour de ma personne, d'un brouillard lumineux et de la présence d'un être se tenant à côté de moi. Cette impression sensorielle s'accrut à un tel point que je me trouvai dans un état partiel de transe avant que l'exposition ne fût terminée. Lors du développement, la plaque ne présenta qu'un contour à peine indiqué de ma forme, tandis qu'à l'endroit où j'avais ressenti la présence d'un être, elle montrait une forme nettement dessinée, mais entièrement couverte d'un voile et placée de profil. Cependant, le visage est net et se trouve bien à la place que lui attribuait mon impression. Le brouillard lumineux que j'avais aperçu a presque totalement voilé ma forme. Entre autres mesures de précaution, j'avais prié M. Hudson de retourner la plaque pour obtenir une certitude plus grande contre une fraude possible[126]. »
Voici maintenant deux cas dans lesquels les individualités invisibles qui s'attachent aux médiums et s'offrent fréquemment à leur vision mentale, apparaissent aussi sur la plaque sensibilisée, lorsque ces médiums se font photographier.
Le premier a été déjà cité par moi au chapitre I (p. 74) ; c'est celui où le médium bien connu, Mme Conant, voit apparaître, un moment avant l'exposition, sa petite amie, l'Indienne Wash-ti ; elle lui tend la main, et la photographie reproduit les deux figures la main dans la main.
Nous sommes encore redevables du second cas à M. A. (Oxon). Pendant qu'il se faisait photographier, il vit mentalement et décrivit l'apparition et la position de la petite Pauline, qui, habituellement, se manifestait à son cercle intime ; elle ne laissa pas échapper l'occasion de se faire photographier aussi. Voici le court récit de M. A. :
« Il y a environ un mois, nous tentâmes d'obtenir une photographie avec M. Parkes, et à cette occasion nous obtînmes une nouvelle manifestation de Pauline. Je m'assis devant une petite table et presque instantanément je tombai en transe. Dans mon état de clairvoyance je vis l'enfant debout et flottant tout près de mon épaule gauche. Elle paraissait très rapprochée de la table et j'essayai en vain d'attirer l'attention de M. Speer sur l'apparition. Dès que l'exposition fut terminée et que je me réveillai, je rendis compte de ce que j'avais vu ; lorsque la plaque fut développée, on vit apparaître près de la taille la forme d'un enfant. Elle était exactement dans la position où je l'avais vue et sentie. Elle ressemblait bien à la petite Pauline, qui déclara aussitôt la reconnaître comme son portrait et exprima une joie extraordinaire au sujet de la réussite de l'expérience. Ma vision avait été si nette, j'étais tellement sûr de ce qu'on trouverait sur la plaque photographique, que j'aurais engagé toute ma fortune dans un pari, quant au résultat prévu, avant d'avoir vu la plaque développée[127]. »
On peut rattacher à ces faits, dans une certaine mesure, les cas de photographie transcendantale des formes visibles qui apparaissent habituellement en présence de certains médiums par voie de matérialisation. J'en ai parlé longuement au chapitre 1er.
Jusqu'ici les photographies transcendantales sont supposées être les images des défunts mais nous n'avons pas encore parlé des preuves d'identité. Le phénomène atteint son degré le plus élevé, on le comprend aisément, lorsque la personnalité est mise hors de doute par la ressemblance. Les cas de ce genre sont nombreux ; j'en ai également mentionné plusieurs dans le chapitre 1er. Celui de Moses Dow (p. 72) doit être considéré comme parfaitement concluant, vu l'importance des preuves d’ordre intellectuel. J'écrivis à M. Dow en 1886 pour avoir de plus amples renseignements, mais il était décédé entre temps.
Parmi les cas plus récents, je puis citer celui que mentionne M. A.R. Wallace, dans sa conférence faite à San Francisco, le 5 juin 1887 :
« L'un des cas les plus intéressants au point de vue de l'identité de la personnalité m'a été communiqué par M. Bland, un ami bien connu des Indiens. Il a fait de nombreuses séances avec un médium femme qui n'était pas un médium professionnel à gages, mais une de ses amies. Par l'intermédiaire de cette personne il recevait souvent des communications de sa mère. Il ne savait rien de la photographie des esprits, mais occasionnellement sa mère lui dit que, s'il se rendait chez un photographe de Cincinnati (où il habitait alors, je crois), elle tenterait d'apparaître avec lui sur la plaque. Aucun photographe n'était particulièrement désigné. Il demanda au médium s'il consentait à l'accompagner. Ils allèrent donc ensemble chez le premier photographe venu et le prièrent de les photographier. Ils s'assirent l'un à côté de l'autre, et l'opération fut faite. Mais, quand le photographe développa la plaque, il dit qu'il avait dû y avoir quelque accident, puisqu'il y avait trois figures au lieu de deux sur le cliché. Ils répondirent qu'ils s'y attendaient bien mais, au grand étonnement de M. Bland, la troisième figure n'était pas celle de sa mère. Cela est très important à noter pour ce qui va suivre. Il rentra et demanda comment il se faisait que la figure d'une autre personne était apparue sur la plaque. L'esprit de sa mère lui répondit que c'était la figure d'une amie qui l'avait accompagnée et qui, plus experte en pareille matière qu'elle, avait voulu tenter l'expérience tout d'abord, mais que, s'il voulait bien recommencer, elle apparaîtrait elle-même cette fois. Ainsi fut fait, et le portrait de la mère se trouva sur le cliché. Après quoi, un de ses amis lui conseilla, pour exclure toute possibilité de doute à l'égard de la sincérité du photographe, qui aurait pu se procurer un portrait de sa mère, de prier celle-ci d'apparaître devant l'appareil avec une légère modification dans sa toilette, - ce qui devait écarter tout soupçon de fraude. - On alla donc poser une troisième fois : on obtint un nouveau portrait, très semblable au premier, avec cette petite différence que l'agrafe n'était pas la même. M. Bland m'a montré les trois photographies et communiqué verbalement les circonstances qui s'y rapportent. En admettant qu'il m'ait dit la vérité, je ne vois guère de possibilité d'avoir recours à une autre hypothèse que celle d'une communication réelle entre sa mère et lui.[128]»
Nous avons le cas tout récent de la photographie transcendantale de Nellie Power, obtenue par une personne de confiance, M. Johnstone, avec un médium privé, M. Rita, c'est-à-dire dans les conditions exigées par M. Hartmann.
Enfin, parmi les cas modernes, on peut citer encore la photographie de M. Pardo, obtenue par le même M. Johnstone, dans l'obscurité (Medium, 1892, 15 juillet), et la photographie d'un enfant dans quatre poses différentes obtenue par M. « Edina[129] ».
Le seul point vulnérable des photographies transcendantales reconnues est, au point de vue de M. Hartmann, que la personne qui l'obtient et qui généralement est celle qui pose connaissait la personne en question et que, par conséquent, elle peut être considérée comme la source inconsciente de l'image de la personne décédée alors le médium, par un procédé de clairvoyance et d'objectivation inconsciente, réussit à placer cette image de sa création au foyer voulu ; ou bien encore la pensée seule de la première produit tout cela avec l'aide des émanations fluidiques du médium, etc. C'est difficile, car, ordinairement, le médium et la personne qui pose se trouvent, pendant l'exécution de ces photographies, parfaitement dans leur état normal. L'explication est peu rationnelle, mais enfin elle n'est pas illogique au point de vue de l'animisme.
Les photographies reconnues, obtenues avec une condition, mentale de contrôle (une pose déterminée, une particularité désirée mentalement, etc.), constituent une variété précieuse de ce genre de phénomènes[130] mais elles donnent prise évidemment à la même objection.
Donc, pour qu'un cas de photographie transcendantale fût parfaitement concluant, il faudrait que le cliché fût obtenu en l'absence de personnes ayant connu le défunt.
Dans le cas cité par Wallace, nous avons déjà la preuve que ce n'est pas toujours l'image mentalement désirée par la personne qui pose qui est reproduite dans la photographie, car M. Bland s'attendait à voir une toute autre image ; mais nous avons aussi des cas qui répondent complètement à la condition que je viens d'énoncer. J'ai cité au chapitre 1er, avec détails et reproduction de la photographie, le cas de M. Bronson Murray qui obtint chez Mumler la photographie d'une femme que ni Murray ni les Mumler ne connaissaient et qui fut ensuite reconnue par le mari de la dame, M. Bonner ; celui-ci obtint ensuite une photographie identique, avec changement de pose, selon une promesse donnée, et sans que Mumler sût que c'était le mari de cette personne. Son apparition, même avec l'indication du nom, fut signalée par M. Mumler, qui était un médium voyant, quelques minutes avant l'exécution de la photographie.
Le Dr G. Thomson, que nous connaissons pour avoir pris part aux expériences de M. Beattie (p. 30), témoigne du fait suivant par sa lettre publiée dans le Spiritual Magazine de 1873, page 475 :
« N° 4, Worcester Lawn, Clifton. « Bristol, le 5 août 1873.
Cher monsieur,
Conformément à ma promesse, je vous informe par ces lignes que la figure qui s'est produite sur ma photographie a été reconnue comme étant le portrait de ma mère, morte après ma naissance, il y a quarante-quatre ans ; comme je n'ai jamais vu de portrait d'elle, il ne m'était pas possible de constater par moi-même cette ressemblance. J'ai cependant envoyé la photographie à son frère, en le priant simplement de me faire savoir s'il trouvait quelque ressemblance entre la figure et quelqu'un de mes parents morts, et dans sa réponse il a affirmé qu'il y reconnaissait les traits de ma mère.
Votre tout dévoué,
G. Thomson. »
« P. S. - Qu'il me soit permis d'ajouter que je ne pense pas que mon oncle ait la moindre idée du spiritisme ou de la photographie spiritique, car il habite un district éloigné de l'Ecosse. Je suis arrivé à cette conclusion par cette remarque qu'il a faite : « Je ne puis vraiment comprendre comment cela a pu se faire ! »
On peut encore lire des détails intéressants sur ce cas dans Human Nature, 1874, page 426.
A Moses Dow nous devons un autre cas de ce genre qui est parfaitement concluant. Il est exposé au long dans un article de M. Dow, publié par le Banner of Light du 14 août 1875, dont voici le résumé : M. Dow continue à avoir des communications de Mabel Warren, dont nous connaissons l'histoire. Elle lui parle beaucoup de son amie dans le monde spirituel, qu'elle nomme Lizzie Benson ; elle lui promet comme témoignage de sa reconnaissance (dont les motifs sont expliqués dans l'article) son portrait en compagnie de Mabel. M. Dow se rend chez Mumler et obtient effectivement son propre portrait avec les images de Mabel, et de Lizzie Benson, qu'il n'avait jamais connue ; l'apparition des deux figures à la fois est aussi signalée par M. Mumler, au moment de la photographie. M. Dow envoie ce portrait à la mère de Lizzie Benson ; elle constate sa parfaite ressemblance, et dans sa lettre, que M. Dow publie, nous lisons entre autres : « Croire pareille chose me paraît bien fort, mais je suis obligée de croire, car je sais qu'elle (Lizzie) n'a jamais possédé de portrait d'aucune sorte. » Comme nous le voyons, la preuve ici est absolue. J'ai eu l'occasion de voir cette photographie dans la collection de M. Wedgwood, à Londres, en 1886.
Un cas pareil, encore plus probant peut-être, a été publié dans le Light (du 15 décembre 1888, p. 614), qui l'emprunte au British journal of photography. Je le résume : M. Fred. H. Evans tient le fait et les détails de la bouche même des personnes que le fait concerne. M. H., médium non professionnel, se rend un jour, en compagnie de son ami le Dr S., chez M. W-, qui n'était pas photographe de profession, mais simple amateur, et que le Dr S. connaissait pour avoir déjà obtenu des photographies transcendantales. M. H. doutait de la chose ; le Dr S. fit lui-même toutes les manipulations, et, quand la photographie de son ami fut prise, on trouva sur le négatif une autre figure placée devant M. H. Personne ne reconnut cette figure, et, comme M. H. ne voulait avoir que la preuve de la possibilité du fait, il mit la photographie dans un tiroir et l'oublia. C'était en 1874. Or voici ce qui arriva huit ans après, en 1882, - laissons parler la dame qui, par un étrange hasard, reconnut dans ce portrait les traits indéniables de son mari :
« En 1878, je fis la connaissance de M. H. et me liai d'amitié avec sa sœur. Tous deux me témoignèrent une grande bienveillance à une époque où je me trouvais, avec mes enfants, dans une situation très pénible. Lorsqu'il se décida à faire un séjour de quelque mois à K., je lui cherchai un logement et aidai sa sœur au déballage et à l'installation. En vidant une caisse qui renfermait différents objets, pour les disposer dans un cabinet, plusieurs photographies de M. H. me tombèrent entre les mains. En les examinant, j'en remarquai immédiatement une qui portait deux figures :
- Eh ! en voici une qui est étrange », dis-je, mais tout à coup, quand je regardai de plus près la seconde figure, je sentis tout mon sang se figer dans mes veines.
- Qu'y a-t-il d'étrange ? me demanda Miss H. Oh ! continua-t-elle, en regardant par-dessus mon épaule, vous êtes tombée sur celle-ci ? Je la croyais perdue depuis longtemps... Mais, ajouta-t-elle en remarquant mon silence et ma pâleur, qu'y a-t-il de particulier ? Êtes-vous indisposée ?
- Dites-moi, répliquai-je, d'où tenez-vous cette photographie et comment a-t-elle été obtenue ?
Pendant que j'étais là comme pétrifiée, contemplant la carte que je tenais à la main, miss H, me raconta toute l'histoire relatée plus haut.
- N'avez-vous jamais su ou trouvé le moyen d'apprendre, demandai-je, de qui cette seconde figure est le portrait ? »
- Non, nous n'y avons jamais réussi, » fut la réponse.
Je lui racontai alors que c'était mon mari, décédé en 1872. J'emportai la carte et, sans la prévenir de rien, la montrai à ma sœur qui avait vécu pendant des années avec nous ; elle reconnut aussitôt mon mari. Il fut reconnu, tout aussi spontanément et immédiatement, par mes trois enfants, ma belle-mère et ma belle-sœur et par plusieurs anciens amis ; une amie, qui nous avait connus tous deux avant notre mariage, me dit que ce portrait avait réveillé ses souvenirs avec la rapidité de l'éclair, plus que jamais aucun autre portrait ne l'avait fait. Comme traits particulièrement caractéristiques de mon mari, il y a à signaler : la masse de cheveux blancs qui retombait sur son large front, les sourcils très marqués et la chevelure grisonnante : quoiqu'il fût mort à trente-trois ans, il paraissait en avoir quarante. Toutes ces particularités sont reproduites sur la photographie avec une rigoureuse exactitude. »
Enfin nous possédons des cas où des photographies reconnues ont été obtenues en l'absence de toute personne posant, où celle-ci était remplacée tout simplement par une carte photographique. Voici deux cas intéressants rapportés par M. J.-F. Snipe, que je cite ici d'après le Light de 1884, page 396 :
« Après une conversation que j'avais eue avec un voisin sceptique au sujet d'un photographe spirite bien connu, il se décida, pour tenter une épreuve, à lui envoyer sa carte-photographie. La chose fut faite, et en retour il obtint une copie de sa photographie mais le portrait de sa sœur décédée s'y trouvait avec le sien, et la ressemblance fut constatée par comparaison avec un portrait qui avait été pris avant sa mort. Je le conduisis auprès d'un médium à transe non professionnel. Sans la moindre indication de notre part, la sœur se communiqua par le médium et parla du portrait obtenu comme étant le sien. Là-dessus j'envoyai au même photographe ma propre carte-photographie en déterminant le jour et l'heure de l'essai. A ce même moment j'exprimai mentalement le désir qu'un ami de ma mère voulût bien apparaître avec moi sur la plaque pour donner à celle-ci une preuve convaincante. Je reçus par la poste une épreuve de ma photographie avec une autre forme en blanc sur la mienne. L'esprit de mon père m'apprit, par l'intermédiaire d'un médium qui ne l'avait pas connu et ne me connaissait pas, que la seconde figure était celle du frère de ma mère ; celle-ci le reconnut, et sa fille le reconnut également avec une surprise pleine d'attendrissement. »
Dans les Annales, de la photographie de Mumler, plusieurs autres cas de ce genre sont encore mentionnés. Nous pouvons maintenant passer à la dernière catégorie :
c) Apparition de la forme terrestre d’un défunt par voie de matérialisation, appuyée de preuves intellectuelles.
Nous pouvons admettre trois genres de matérialisation :
1° la matérialisation du double du médium empruntant les noms de différentes personnalités ;
2° la matérialisation artificielle de figures ne ressemblant pas au médium ou de membres humains construits ou formés avec plus ou moins d'art et ressemblant plus ou moins à des formes vivantes ;
et 3° la matérialisation spontanée ou originale, l'apparition de figures matérialisées, avec tous les traits d'une personnalité complète, différentes du médium et douées d'une vitalité aussi prononcée qu'indépendante. Les matérialisations de la rubrique 2 ont été quelquefois employées comme preuves d'identité ; tantôt c'était une main dont deux doigts étaient absents[131], tantôt une main avec deux doigts recourbés vers la paume, à la suite d'une brûlure[132], ou bien avec l'index plié sur la deuxième phalange (id.), etc., etc.
Nous avons des moulages de mains reconnues grâce à des difformités ; je les ai décrits plus haut en leur lieu et place (p. 59) ; dans le cas rapporté par le professeur Wagner dans les Psychische Studien de 1879, page 249 (dont j'ai également parlé p. 320), on a l'empreinte, entre deux ardoises, d'une main reconnue : « Elle était extraordinairement grande et longue, avec le petit doigt recourbé. » A ce cas se rattachent des particularités d'ordre intellectuel qui lui prêtent une valeur exceptionnelle.
Les matérialisations du troisième genre se rapportant à des figures parfaitement reconnues, sont fort rares, quoique aujourd'hui ce fait s'observe plus souvent qu'il y a dix ans.
Au point de vue de l'analyse critique, on peut objecter que dans tous les cas de matérialisation où nous ne pouvons constater que la ressemblance de la forme, cette ressemblance n'est pas une preuve d'identité. Car, ordinairement, c'est une des personnes présentes qui constate la ressemblance par conséquent, cette personne peut être le porteur de l'image, du type d'après lequel l'activité inconsciente du médium bâtit la forme qui se matérialise.
Au point de vue de l'animisme, la matérialisation du double du médium est un fait incontestable ; ceci étant donné, des variations du degré de la ressemblance sont logiquement admissibles, et l'expérience nous prouve que tel est le cas : ainsi dans le cas de Katie King, dont la ressemblance avec le médium était frappante, il y a eu néanmoins divergence quant à la stature, les cheveux, les oreilles, les ongles, etc. Nous savons aussi que Katie King pouvait instantanément modifier la coloration de son visage et de ses mains, la faire passer du noir au blanc et vice versa[133]. Quelquefois elle ressemblait à un « mannequin articulé »... ou à une « poupée en caoutchouc »... « sans squelette osseux dans les mains »... et « un instant après, elle se montrait avec son ossature complètement formée[134] » ou bien elle apparaissait « avec une tête osseuse de forme obtuse deux fois plus petite que celle du médium, tout en conservant une certaine ressemblance avec celle de ce dernier[135] » ; souvent, pour toute explication, elle faisait cette réponse significative : « Je me suis formée comme j'ai pu[136] ».
Donc la même cause opérante peut pousser cette divergence à un tel degré que la ressemblance avec le médium disparaisse complètement. De cette façon, la forme matérialisée ressemblant à un défunt ne serait, selon M. Hartmann, que l'oeuvre de la conscience somnambulique du médium disposant des émanations fluidiques de son corps.
Au point de vue spiritique, la difficulté est encore plus grande car, si nous admettons que l'esprit du médium peut être la cause efficiente et inconsciente de la matérialisation d'une figure reconnue, à plus forte raison un esprit dégagé du corps peut-il aussi en être la cause efficiente, et ainsi la forme matérialisée ne serait aucunement identique avec l'esprit que cette figure représente. Car il est évident que, si l'esprit d'un médium est doué de la faculté de voir les images mentales des assistants et de produire une forme plastique quelconque correspondant à ces images, à plus forte raison un esprit dégagé du corps disposera-t-il de ces mêmes facultés à un degré dont nous ne pouvons nous faire une idée adéquate, et par conséquent pourra personnifier par la matérialisation toutes les formes voulues. Voilà pourquoi la ressemblance n'est pas une preuve d'identité ! Tel est le sens de la conclusion à laquelle j'étais arrivé en 1878 et que j'ai citée plus haut.
Je suis heureux de pouvoir citer ici les paroles suivantes de M. E. A. Brackett, qu'on peut considérer comme un expert dans les phénomènes de matérialisation : « Comme je sais qu'il y a des fantômes qui peuvent prendre presque toutes les formes qu'ils veulent, la ressemblance extérieure de ces êtres n'a aucune valeur à mes yeux, du moment que les caractères intellectuels font défaut[137]. » Ainsi donc la ressemblance d'une forme matérialisée avec celle d'un décédé ne saurait être considérée comme une preuve, mais seulement comme un accessoire qui peut tout au plus jouer le rôle d'un facteur à l’appui, lorsqu'il s'agit de conclure à l'identité de la figure. Dès lors, pour qu'une figure matérialisée puisse être considérée comme une manifestation originale, il faut que cette figure se distingue par un contenu intellectuel qui réponde aux exigences que nous avons formulées pour les preuves intellectuelles de l'identité de la personnalité, - preuves qui ne puissent être, en outre, expliquées ni par la transmission de pensée ni par la clairvoyance. Ce n'est pas chose facile, car il faut bien qu'une personne présente soit juge de la ressemblance et du contenu intellectuel, condition invalidant ipso facto la valeur de la manifestation. Mais heureusement la personnalité possède certains attributs que même cette présence ne peut affecter et que ni la transmission de pensée ni la clairvoyance ne peuvent mettre à la disposition d'une force opérante autre que celle de la personne à qui elle appartient ; ces attributs sont l'écriture propre à la personne qui se manifeste, l'usage d'une langue que le médium ne connaît pas, mais que le témoin comprend ; les détails de la vie intime inconnus des témoins, etc., etc.
Des cas de ce genre existent. Je citerai ici un exemple fort curieux offrant des particularités qu'on rencontre rarement aux séances de matérialisation et qui fut communiqué au journal Facts par M. James M.N. Sherman, de Rumford, Rhode Island, et reproduit dans le Light de 1885, page 235, auquel je l'emprunte en partie :
« Dans ma jeunesse, entre 1835 et 1839, mes occupations professionnelles me forcèrent à me rendre dans les îles de l'océan Pacifique. Il y avait à bord de notre navire des indigènes de ces îles engagés pour le service, et par eux j'appris assez bien leur langue. Voilà quarante ans que je suis rentré et attaché à une église. J'ai soixante-huit ans. Dans l'espoir d'arriver à la vérité, j'ai assisté à un grand nombre de séances de spiritisme, et depuis deux ans j'ai pris des notes.
23 février 1883. - J'ai assisté à une séance chez M. Allens à Providence, Rhode Island, pendant laquelle un indigène des îles du Pacifique se matérialisa, et je le reconnus par la description qu'il fit de sa chute du bastingage dans laquelle il se blessa au genou, qui resta tuméfié par la suite à cette séance, il plaça ma main sur son genou qui se trouva être matérialisé avec cette même tuméfaction endurcie qu'il avait durant sa vie. A bord, on l'appelait Billy Marr.
6 avril. - A cette occasion j'apportai un fragment de drap fabriqué par les indigènes avec l'écorce du tapper (arbre indigène) et que j'avais conservé depuis quarante-cinq ans. Il le prit dans sa main et le nomma de son nom dans sa langue maternelle.
1er septembre. - Je fus appelé avec ma femme près du cabinet, et, pendant que je me tenais devant, je vis apparaître sur le plancher une tache blanche qui se transforma insensiblement en une forme matérialisée que je reconnus pour ma sœur et qui m'envoya des baisers. Puis se présenta la forme de ma première femme. Après quoi les deux moitiés du rideau s'écartèrent ; dans l’écartement se tenait une forme féminine avec le costume des insulaires du Pacifique tel qu'il était quarante-cinq ans auparavant et que je me rappelai bien. Elle me parla dans sa langue maternelle.
18 septembre. - La même femme se matérialisa de nouveau ; elle me secoua les mains et me dit qu'elle était originaire du New-Hever, une île de l'archipel des Marquises. Elle me rappela combien elle avait été épouvantée par la canonnade lorsqu'elle vint à bord avec sa mère, la reine de l'île.
29 septembre. - Elle se présenta de nouveau. Cette fois, Billy Marr se matérialisa également. C'est lui, dit-il, qui l'avait déterminée à venir là. Il l'appelait Yeney.
17 octobre. - A la séance de M. Allens arriva la reine ; elle s'annonça sous son nom de Perfeney. Elle fit avec moi le tour de la société et m'autorisa à couper un fragment de son vêtement qui ressemblait exactement à la pièce de drap que j'avais rapportée des îles quarante ans auparavant.
5 novembre. - Le médium étant le même, Perfeney m'autorisa à couper quatre morceaux de son vêtement à titre de preuve. Ils étaient exactement pareils à celui que j'avais coupé à la précédente séance donnée par M. Allens. Elle me rappela alors, par le mot «powey»,un détail de l'alimentation des indigènes ; elle s'assit sur le sol et me montra comment on prend de ce « powey » dans un vase avec les doigts. »
On pourrait citer encore quelques exemples de ce genre, mais je crois qu'il serait impossible de trouver un cas plus concluant, plus parfait comme preuve d'identité de l'apparition d'une forme matérialisée, que celui que nous présente l'apparition d'« Estelle », décédée en 1860, à son mari M. C. Livermore. Ce cas réunit toutes les conditions nécessaires pour devenir classique ; il répond à toutes les exigences de la critique. On peut en trouver le récit détaillé dans le Spiritual Magazine de 1861, dans les articles de M. B. Coleman, qui en tenait tous les détails directement de M. Livermore (ils ont été ensuite publiés sous forme d'une brochure intitulée Spiritualism in America, par Benjamin Coleman, Londres, 1861) et enfin dans l'ouvrage de Dale Owen, Debatable Land,qui en a emprunté les détails au manuscrti même de M. Livermore[138]. Je ne mentionnerai ici que les principaux. La matérialisation de la même figure a continué pendant cinq ans, de 1861 à 1866, durant lesquels M. Livermore a eu trois cent quatre-vingt-huit séances avec le médium Kate Fox et dont les détails ont été immédiatement enregistrés par M. Livermore dans un journal. Elles ont eu lieu dans une complète obscurité. M. Livermore était le plus souvent seul avec le médium, qu'il tenait tout le temps par les deux mains ; le médium était toujours à son état normal et témoin conscient de tout ce qui se passait. La matérialisation visible de la figure d'Estelle fut graduelle ; ce n'est qu'à la quarante-troisième séance que Livermore put la reconnaître, au moyen d'un éclairage intense, de source mystérieuse, dépendante du phénomène et généralement sous la direction spéciale d'une autre figure qui accompagnait Estelle et l'aidait dans ses manifestations et qui se donnait le nom de Franklin[139].
Depuis lors, l'apparition d'Estelle devint de plus en plus parfaite et put supporter même la lumière d'une lanterne apportée par M. Livermore. Heureusement, pour l'appréciation du fait, la figure ne put parler, sauf quelques mots qu'elle prononça, et tout le côté intellectuel de la manifestation dut revêtir une forme qui laissa des traces à tout jamais persistantes. Je parle des communications par écrit que M. Livermore reçut d'Estelle sur des cartes qu'il apportait lui-même et qui furent écrites non par la main d'un médium, mais directement par la main d'Estelle et même quelquefois sous les yeux de M. Livermore à la lumière créée ad hoc. L'écriture de ces communications est un parfait fac-similé de l'écriture d'Estelle de son vivant. (Voir pour détails p. 546.) Le contenu, le style, les expressions, tout, dans ces communications, témoignait de l'identité de la personnalité qui se manifestait et, outre ces preuves intellectuelles, plusieurs de ces communications furent écrites en français, langue qu'Estelle possédait à la perfection et que le médium ignorait complètement.
La cessation des manifestations d'Estelle par la voie de la matérialisation présente un rapprochement remarquable avec la cessation de l'apparition de Katie King. Nous lisons dans Owen : « C'est à la séance n° 388, le 2 avril 1866, que la forme d'Estelle apparut pour la dernière fois. De ce jour, M. Livermore n'a plus revu la figure bien connue de lui, quoiqu'il ait reçu, jusqu'à ce jour où j'écris (1871), de nombreux messages pleins de sympathie et d'affection[140]. »
Katie King de même, après un certain temps écoulé, ne put plus se manifester d'une façon matérielle, revêtir la forme corporelle, mais continua à témoigner sa sympathie par des moyens plus raffinés (p. 257).
C'est ainsi qu'Estelle, ne pouvant plus se manifester par une matérialisation visible, se manifesta encore par une matérialisation invisible, la seule de ses manifestations d'un genre plus raffiné qui soit parvenue à la connaissance du public et qui complète pour nous l'expérience précieuse de M. Livermore. Je parle des photographies transcendantales d'Estelle qui furent obtenues par M. Livermore en 1869 et dont j'ai déjà dit un mot (p. 66). A. l'époque où ces séances eurent lieu, il n'était pas encore d'usage d'avoir recours aux empreintes, moules et photographies pour constater l'objectivité des matérialisations ; quand M. Livermore entendit parler des photographies spirites de Mumler, il n'y crut pas et prit toutes les mesures possibles pour le confondre. Nous avons là-dessus sa propre déposition devant le tribunal lors du procès de Mumler, reproduite dans le Spiritual Magazine (1869, p. 252-254). Il fit deux essais avec Mumler : au premier une figure apparut sur le négatif à côté de Livermore, figure qui fut ensuite reconnue par le Dr Gray comme un de ses parents ; à la seconde fois, il y eut cinq expositions de suite, et pour chacune M. Livermore avait pris une autre pose. Sur les deux premières plaques il n'y eut que des brouillards sur le fond sur les trois dernières apparut Estelle, de plus en plus reconnaissable et dans trois poses différentes. « Elle fut très bien reconnue, dit M. Livermore, non seulement par moi, mais par tous mes amis. » Sur une question du juge, il déclara qu'il possédait chez lui plusieurs portraits de sa femme, « mais pas sous cette forme ».
Nous avons un nouveau témoignage de ce fait dans les paroles suivantes prononcées par M. Coleman à une des conférences des spirites de Londres sur les photographies spirites : « M. Livermore m'a envoyé le portrait de sa femme ; il voulait donner un démenti au fait de la photographie spirite et se rendit auprès de Mumler dans ce but ; il prit une autre pose immédiatement avant que l'obturateur de la chambre obscure fût enlevé, pour prévenir tout préparatif frauduleux de la part de Mumler à l'effet de faire apparaître sur le négatif une figure d'esprit en rapport avec sa pose primitive. M. Livermore ne montra aucun enthousiasme à faire connaître ces faits et ne vint au tribunal que pour témoigner, et cela sur la prière instante du juge Edmonds. » (Spiritualist, 1877, I, p. 77.)
Il ne me reste plus qu'à formuler le dernier desideratum relativement à la preuve d'identité par la matérialisation ; c'est que cette preuve, - de même que nous l'avons exigé pour les communications intellectuelles et la photographie transcendantale, - soit donnée en l'absence de toute personne pouvant reconnaître la figure matérialisée. Je crois qu'on pourrait trouver plusieurs exemples de ce genre dans les annales des matérialisations. Mais la question essentielle est celle-ci : le fait étant donné, pourrait-il servir de preuve absolue ? Evidemment non. Car, étant admis qu'un « esprit » peut se manifester de telle sorte, il peut toujours eo ipso se prévaloir de tous les attributs de personnalité d'un autre esprit et le personnifier en l'absence de qui que ce soit qui pût le reconnaître. Une telle mascarade serait parfaitement insipide, vu qu'elle n'aurait absolument aucune raison d'être ; mais, au point de vue de la critique, sa possibilité ne saurait être illogique.
Il est évident que cette possibilité d'imitation ou de personnification (de substitution de la personnalité) est également admissible pour les phénomènes d'ordre intellectuel.
Le contenu intellectuel de l'existence terrestre d'un « esprit » que nous appellerons A doit être encore plus accessible à un autre « esprit », que nous désignerons par B, que les attributs extérieurs de cette existence. Prenons même le cas du parler dans une langue étrangère au médium, mais qui était celle du défunt ; il est tout à fait possible que « l'esprit » mystificateur connaisse précisément aussi cette langue. Il ne resterait donc que la preuve d'identité par l'écriture qui ne pourrait être imitée ; mais il faudrait que cette preuve fût donnée avec une abondance et une perfection hors ligne, comme dans le cas de M. Livermore, car on sait bien que l'écriture et les signatures surtout sont aussi sujettes à contrefaçon et à imitation. Ainsi donc, après une substitution de la personnalité sur le plan terrestre, - par l'activité inconsciente du médium, - nous nous trouvons avoir affaire à une substitution de la personnalité sur un plan supraterrestre par une activité intelligente en dehors du médium. Et une telle substitution, logiquement parlant, n'aurait pas de limites. Le quiproquo serait toujours possible et supposable. Ce que la logique nous fait ici admettre en principe, la pratique spiritique le prouve. L'élément mystification dans le spiritisme est un fait incontestable. Il a été reconnu dès son avènement. Il est clair qu'au-delà de certaines limites il ne peut plus être mis au compte de l'inconscient, et devient un argument en faveur du facteur extramédiumnique, supraterrestre[141].
Quelle sera donc la conclusion de tout notre travail sur l'hypothèse spiritique ? La voici : Tout en ayant acquis par une voie laborieuse la conviction que le principe individuel survit à la dissolution du corps et peut, sous certaines conditions, se manifester de nouveau par un corps humain accessible à des influences de ce genre, la preuve absolue de l'identité de l'individualité qui se manifeste revient à une impossibilité. Nous devons nous contenter d'une preuve relative, de la possibilité d'admettre le fait. Voilà une vérité dont nous devons bien nous pénétrer.
Ainsi donc la preuve incontestable de l'identité de la personnalité des esprits, par quelque manifestation que ce soit, est impossible, justement pour cette raison que nous sommes forcés d'admettre l'existence de ces « esprits », et c'est là l'essentiel, ce qu'il fallait démontrer.
CONSIDÉRATIONS FINALES
Maintenant que le fait de l'existence individuelle de l'esprit humain après la mort est établi, la question de l'identité de sa personnalité, au point de vue subjectif, acquiert des droits qui lui ont été refusés jusqu'à présent. Le point de vue objectif est implacable ; ses exigences sont péremptoires, il n'écoute que la logique, et celle-ci affirme que la preuve absolue est impossible. Le point de vue subjectif est tout autre ; ses exigences sont loin d'être aussi rigoureuses ; ce qui n'est pas suffisant pour la logique se trouve être suffisant pour un verdict qui satisfait la conscience intime, la conviction personnelle, qui se base sur un ensemble de données insaisissables pour le jugement objectif, mais d'une force irrésistible pour la conviction subjective. Ce qui pour moi est tout à fait concluant et démonstratif n'est rien pour un autre. Par exemple, en ce qui me concerne personnellement, je n'ai jamais eu aucune preuve d'identité que je puisse produire. Mais à une séance tout à fait ordinaire, même avec des personnes qui m'étaient bien connues, le nom de ma sœur défunte fut donné ; elle ne me dit que quatre mots bien ordinaires, mais dans ces quatre mots, dans la manière dont ils furent dits, il y avait tout le drame de ma vie intime, et j'ai la profonde conviction qu'aucun jeu inconscient de la conscience des personnes qui assistaient à la séance n'aurait pu formuler ces quatre mots : ils étaient trop simples pour eux.
Il y a des milliers de faits probants qui se sont produits de la façon ordinaire, par l'écriture ou par la parole, en présence des personnes connaissant le défunt, et pour lesquelles les hypothèses les plus subtiles, en dehors de l'hypothèse spiritique, sont de pures subterfuges ; je les ai passés sous silence, car le but était de donner des preuves objectives, incontestables, obtenues en l'absence de personnes connaissant le défunt. Mais ces preuves sont bien difficiles à fournir et bien rares ; le hasard seul les donne quelquefois les exiger à tout prix est un acte de violence, car elles sont contraires à la nature et à l'essence même de la chose, et il est évident que le désir suprême d'un mort doit être d'annoncer, de faire constater son existence à celui qui le connaît, à celui pour qui seul ce fait a de la valeur.
N'oublions pas de rappeler qu'ici, comme dans l'animisme, la réalité des faits qui s'y rapportent se trouve confirmée par des faits spontanés, en dehors de l'expérimentation directe ; de même la réalité de l'existence d'êtres supraterrestres ou suprasensibles, reposant sur des faits spiritiques, se trouve aussi confirmée par des faits spontanés, en dehors de toute expérimentation, par des faits qui ont existé de tout temps, mais qui, par suite de l'impossibilité de les soumettre à l'expérimentation, ont été rélégués dans le domaine de la superstition : je veux parler des apparitions en songe, ou à l'état de veille, de personnes mortes. L'analogie de ces faits avec ceux de l'animisme et du spiritisme est parfaitement évidente.
Dans les faits de télépathie, il est souvent difficile de préciser le moment où le fait animique devient un fait spiritique. Est-ce l'énergie d'un mourant ou d'un mort qui se manifeste ? La Société des recherches psychiques de Londres, qui s'est spécialement occupée des « Fantômes des vivants », admet que même les « fantômes » qui apparaissent douze heures après la mort peuvent être mis encore au compte des vivants[142]. Au delà de ce terme, « la preuve ne s'impose pas ». Voilà l'opinion des laborieux auteurs des Fantômes des vivants mais ils sont loin de nier la possibilité du fait. « La mort, disent-ils, peut être considérée en quelque sorte non comme une cessation, mais comme une mise en liberté d'énergie.
Comme notre théorie télépathique est purement psychique et n'emprunte rien à la physique, au corporel, elle pourrait s'appliquer aussi à l'état de désincarnation. » Par conséquent, l'effet télépathique peut être également attribué à une cause extraterrestre. Les exigences de ces auteurs sont beaucoup moins élevées que les nôtres pour l'admission d'une cause extraterrestre. « Le cas, disent-ils, doit présenter des traits spéciaux et bien caractéristiques pour permettre d'établir ne fût-ce qu'une présomption en faveur d'une cause efficiente extérieure à l'esprit même du percipient. Par exemple, la même hallucination devra frapper plusieurs personnes indépendamment l'une de l'autre et à des moments différents ; ou bien le fantôme devra dévoiler un fait qu'on reconnaîtra ensuite pour vrai et que le percipient n'a jamais connu, cette dernière condition étant probablement la seule qui soit susceptible de prouver l'existence d'une cause intelligente extérieure. » Nous notons avec plaisir l'aveu qui suit ces paroles : « Il existe une certaine somme de cas probants de ces deux types, ce qui nous impose le devoir de laisser cette question ouverte pour des recherches ultérieures. » On trouvera une esquisse critique de l'état actuel de la question dans un mémoire de M. Sidgwick intitulé « Des preuves, réunies par la Société des recherches psychiques, de l'existence des fantômes des morts », dans le volume VIII, page 512 des Proceedings.
Ce n'est donc qu'une question de temps ; il arrivera un moment où les phénomènes de ce genre seront sérieusement recueillis et étudiés et ne seront plus condamnés d'avance par le préjugé dédaigneux de la science et de l'opinion publique.
Maintenant que nous connaissons les phénomènes de l'animisme et du spiritisme, la question des apparitions se présente sous un aspect tout autre. Nos notions actuelles sur la force et la matière devront subir une modification radicale. Dans un phénomène de matérialisation nous avons une démonstration ad oculos d'un phénomène de création, pour ainsi dire ; une démonstration de « métaphysique expérimentale », comme s'est exprimé Schopenhauer ; il nous est prouvé par des faits que la matière n'est qu'une expression de la force, un devenir de la volonté, ou, en d'autres termes, que la matière n'est que l'objectivation, la représentation de la volonté. Nous pouvons accepter qu'une apparition peut n'être qu'un phénomène psychique, une « hallucination véridique », causée par une « suggestion émanant d'un centre de conscience supra terrestre », et nous pouvons de même accepter que cette apparition peut produire un effet physique, bien qu'elle ne soit alors qu'une objectivation matérielle de la volonté émanant du même centre d'action. Les deux manifestations sont possibles, selon les conditions données.
Il ne sera pas inutile de rappeler ici, à la fin de mon travail, ce que j'ai déjà dit au commencement du chapitre Ier, à l'occasion de la photographie transcendantale : c'est, notamment, que les formes humaines qui sont censées représenter des « esprits », soit qu'elles apparaissent à la vision mentale, soit qu'elles s'obtiennent par la photographie transcendantale ou par la matérialisation, ne sont pas du tout les formes réelles de ces esprits, celles qui sont propres à leur mode d'existence ; ce ne sont que des formes temporaires, créées par un effort de mémoire et de volonté dans le but spécial d'être reconnues dans notre sphère. C'est le mot « esprit » qui cause la confusion quand il s'agit de spiritisme. Nous sommes habitués à associer les mots « esprit », « âme » avec les idées habituelles que nous nous faisons d'un être humain, et nous transportons les mêmes images dans le domaine transcendantal. En réalité, nous ne savons pas du tout ce que c'est qu'un « esprit », ni celui que nous supposons animer le corps de l'homme, ni celui que nous supposons lui survivre.
Cette conception vague que nous avons d'un « esprit » nous vient encore d'une autre cause de confusion qui se manifeste dès qu'il s'agit de spiritisme : des idées que nous nous faisons du temps et de l'espace, qui viennent conditionner involontairement notre idée d'un « esprit ».
Nous admettons bien comme logique qu'un « esprit » doit se trouver en dehors du temps et de l'espace, et en même temps nous lui prêtons un corps, une forme, c'est-à-dire des attributs qui dépendent nécessairement de l'espace et du temps. C'est une contradiction évidente. La philosophie critique se prévaut justement de cette contradiction pour se moquer de la doctrine des « esprits » et de leurs manifestations. Elle nie l'existence individuelle après la mort précisément en se basant sur l'axiome kantien que l'espace et le temps ne sont que des formes de notre intuition[143] dépendant de notre organisme terrestre ; cet organisme une fois disparu, ces formes d'intuition n'existent plus, et, par conséquent, la personnalité dépendant des idées de temps et d'espace disparaît aussi. Mais, si la chose en soi existe, comme cette même philosophie l'admet, non dans l'unité, mais dans la multiplicité, nous pouvons supposer que l'esprit humain, le principe individuel, est aussi une de ces choses en soi, et par conséquent ses rapports avec les autres choses en soi détermineront aussi des formes d'intuition et de conception qui lui sont propres et qui n'auront plus rien de commun avec les nôtres. Une monade, - un centre de force et de conscience à un degré supérieur de développement, autrement dit une entité individuelle douée d'intelligence et de volonté, - voilà la seule définition que nous pourrions nous hasarder à donner de la conception d'un esprit. Du moment qu'elle se manifeste de nouveau sur le plan terrestre, elle doit nécessairement revêtir la forme humaine terrestre. Aussi une apparition visible et tangible ne serait-t-elle qu'une objectivation temporaire d'une monade humaine, revêtissant un caractère de personnalité dans le monde phénoménal.
Les hypothèses spiritiques selon M. Hartmann
Après tout ce qui vient d'être dit ici, je n'ai pas besoin de soumettre à une critique spéciale le chapitre du livre de M. Hartmann sur « l'hypothèse des esprits » ; je ferai ressortir seulement quelques-uns des traits les plus intéressants.
Dans la première partie de ce chapitre, M. Hartmann passe en revue le développement progressif des théories du spiritisme. Voici un court résumé de ces théories :
La première consiste dans « la croyance naïve du peuple que les morts conservent leur forme actuelle dans l'autre monde » et que les « esprits » agissent en se servant des membres de leur corps astral invisible (pp. 106, 107).
La deuxième est aussi grossièrement sensorielle : « On admet que le médium est également un esprit et qu'ainsi il doit pouvoir faire ce que font les esprits des morts, c'est-à-dire agir en se servant des membres de son corps astral invisible. C'est le premier écueil de la croyance naïve aux esprits » (pp. 107,108).
La troisième théorie est la contre-partie de la croyance populaire naïve ; elle repose sur l'existence de la force nerveuse médiumnique improprement appelée « force psychique ».- « La plus grande partie des phémomènes est attribuée au médium comme à leur seule et unique cause » (pp. 108 et 109).
Quatrième théorie. « La pratique plus récente des matérialisations a davantage encore ébranlé l'hypothèse spiritique » (p. 109). La matérialisation n'est le plus souvent qu'une « transfiguration » du médium lui-même. En observant attentivement le phénomène, on a constaté « que le fantôme émane tout entier du médium et se diffuse de nouveau en lui » (p. 110).
Cinquième théorie. Dès lors, le médium n'est que l'instrument et la source matérielle des phénomènes dont « l'esprit dirigeant » est la cause transcendantale. C'est « l'hypothèse de la possession » ; elle constitue certainement un progrès.
Sixième théorie. Hypothèse de l'inspiration. Ce n'est pas le corps du médium, mais la conscience somnambulique, qui produit les phrases et les formes « que l'esprit dirigeant fait passer de sa conscience dans la conscience somnambulique du médium » (p. 114). « A partir de ce moment, l'hypothèse spiritique entre dans une phase qui permet à la psychologie et à la métaphysique d'intervenir raisonnablement pour s'en occuper au point de vue de la critique » (idem).
L'exposé historique de ces théories est loin d'être exact ; mais c'est là la moindre des choses. M. Hartmann a exposé toutes ces théories dans le but de mettre en relief le manque de « réflexion et de sens critique » des spiritualistes, et ce n'est que la dernière qu'il trouve assez «, convenable » pour que la science s'en occupe. Quant à moi, je me permettrai de dire que l'exposé du développement progressif de ces théories, tout incomplet qu'il soit, est le meilleur éloge qui ait été fait des « spiritualistes ». Car toutes ces théories témoignent des efforts qui ont été faits par les spirites pour arriver à connaître la vérité. Ni les philosophes ni les savants ne les ont aidés à s'orienter dans cette question difficile ; ils ont été abandonnés à eux-mêmes, ne trouvant que le mépris ou l'ironie dans la science et le public, et ce n'est que grâce à la persévérance et au bon sens de l'esprit anglo-saxon que la question a toujours été poursuivie sur le terrain expérimental et que le développement des phénomènes a donné des résultats que la science, bon gré, mal gré, sera un jour appelée à reconnaître, comme elle a dû reconnaître, après cent ans, ceux du magnétisme animal. Les théories de la transmission des pensées et de la clairvoyance ont été aussi bien souvent débattues par les spirites plus que partout ailleurs, car le spiritisme avait immédiatement saisi les rapports qui existaient entre lui et le somnambulisme ; il était, pour ainsi dire, son plus proche héritier, et ces deux facultés merveilleuses de notre esprit ont été bien souvent prises en considération dans l'examen critique des faits du spiritisme. Et voilà que M. Hartmann lui-même bâtit tout l'édifice de sa critique sur ces deux théories, - les poussant à l'extrême, - c'était l'unique issue. Mais ces deux théories, au point de vue de la science moderne, sont tout à fait hérétiques ; la science s'en moque, comme du spiritisme lui-même[144].
Ainsi M. Hartmann explique une hérésie par deux autres hérésies. Si la science prouve un jour que ces deux théories sont dénuées de fondement, l'hypothèse spiritique n'y fera que gagner si, au contraire, la science finit par les sanctionner, le temps prouvera si elles sont vraiment suffisantes pour expliquer le tout.
En attendant, arrêtons-nous au point le plus intéressant, et voyons un peu pourquoi « l'hypothèse de l'inspiration », que M. Hartmann considère comme l'hypothèse spiritique la plus raisonnable, la plus « convenable », - celle dans laquelle l'intervention « intellectuelle » des esprits est ramenée à sa signification la plus vraie et la plus élevée (p. 114), - est malgré tout à rejeter. Voici le résumé de ses raisons :
1° Difficultés formelles. - « S'il existe des esprits, on pourrait admettre la possibilité de la transmission des images mentales d'un esprit à l'homme, puisqu'elle est possible entre deux hommes. Mais cette hypothèse se heurte à quelques difficultés dont l'importance ne saurait être méconnue. L'esprit d'un mort ne possède pas un cerveau dont les vibrations pourraient déterminer par induction dans un cerveau humain voisin des vibrations semblables ; la transmission mécanique par les vibrations de l'éther, telle que nous pouvons l'admettre entre deux hommes peu éloignés ou en contact ne peut donc être prise en considération quand il s'agit d'un esprit transmetteur, et l'on ne peut avoir recours qu'à l'autre mode de tansmission, celui qui se ferait sans intermédiaire matériel et ne paraît pas lié à la distance. En effet, les spirites modernes admettent sur la foi de communications médiumniques que l'esprit exerçant le contrôle peut se trouver à une distance quelconque du médium par lequel il se manifeste, sans que cela affecte l'intimité de leurs rapports.
Il n'y a qu'un malheur, c'est que d'après l'expérience acquise ni les pensées ni les mots, mais seulement les hallucinations sensorielles, et aussi vives que possible, peuvent être transmises à de grandes distances » (p. 115).
Nous avons vu suffisamment que tel n'est pas le cas. En ce qui concerne l'absence du cerveau, il n'y a pas là de difficulté pour la théorie, qui admet l'existence du sujet transcendantal, comme nous le verrons plus loin.
2° Difficultés relatives au contenu des messages. - « Ce contenu est généralement au-dessous du niveau intellectuel du médium et des assistants. C'est tout au plus s'il atteint ce niveau, mais il ne s'élève jamais au-dessus » (p. 116).
Nous avons vu, également, qu'il n'en est pas ainsi.
Le passage suivant, qui vient immédiatement après la citation qui précède, mérite d'être relevé:
« Si les esprits n'ont rien de mieux à nous révéler que ce que nous savons déjà, ou sont dans l'impuissance de le faire, comme il semble, nous voyons disparaître le seul motif qui puisse être invoqué en faveur de leur penchant à se manifester, c'est-à-dire le désir de nous rendre plus sages et meilleurs que nous ne sommes. »
Don le « seul motif » admissible serait « le désir de nous rendre plus sages et meilleurs ». Ce motif existe bien mais, pour le justifier, faut-il absolument que les esprits nous disent quelque chose de nouveau, que nous ne sachions déjà ?
Le thème de l'amour de Dieu et du prochain sera toujours vieux et toujours nouveau, tant qu'il s'agira du progrès moral de l'homme. Et, de plus, M. Hartmann a bien admis, pour la clairvoyance, la force magique des intérêts du cœur ! Pourquoi m veut-il pas l'admettre ici aussi comme un motif suffisant ? Effectivement, si l'on peut admettre que quelque chose survive à la mort, c'est bien l'amour, la compassion, l'intérêt pour ceux qui nous sont proches, le désir de leur dire que nous existons encore et ce sont justement ces sentiments qui servent le plus souvent de « motif » pour une intervention spirituelle. Le langage du cœur est partout le même ; mais il nous sera toujours aussi impossible de nous faire une idée d'un monde transcendantal que de nous figurer un espace à quatre dimensions. Il n'est donc pas étonnant que les notions qui s'y rapportent ne nous soient pas transmises, et il est inutile et illogique de demander qu'elles le soient.
3° Enfin, « abstraction faite des difficultés soulevées au point de vue formel et à celui du contenu intellectuel, l'hypothèse spiritique à son degré supérieur d'hypothèse de l'inspiration est avant toutes choses un super fin, une cinquième roue au char..... »
« A ce degré de l'hypothèse, il faudrait pouvoir conclure tout d'abord du contenu des communications que la conscience somnambulique du médium est incapable de les produire. Tant qu'on ne sait rien de l'hyperesthésie somnambulique de la mémoire, de la lecture des pensées et de la clairvoyance, toutes ces communications passent pour des révélations d'esprits inspirant le médium et lui transmettant des idées qui sont étrangères à sa conscience à l'état de veille ou ne lui sont pas accessibles par la voie de la perception sensorielle. Mais, dès qu'on reconnaît la légitimité de ces trois sources d'information, à côté de la perception sensorielle, il n'existe plus de contenu intellectuel qui, d'après sa nature, ne saurait y être puisé » (pp. 116-117).
Nous avons vu suffisamment dans notre chapitre III que tel n'est pas le cas davantage.
Et M. Hartmann conclut : « C'est ainsi que toute l'hypothèse spiritique s'est trouvée réduite à néant, d'abord lorsqu'il fut prouvé que les manifestations physiques attribuées aux esprits émanent du médium, ensuite que les phénomènes de matérialisation et enfin la production du contenu intellectuel des communications ont la même source » (p. 117).
Nous aimons à croire qu'après tout ce qui a été dit dans ce travail, cette conclusion sera rectifiée peut-être par M. Hartmann lui-même, pour peu qu’il reste fidèle à ses principes, car je n'ai pas, heureusement, à le convaincre de la réalité des faits que j'ai exposés. Je ne perds jamais de vue que l'objet de sa critique éclairée ne porte pas sur « l'authenticité des faits », mais sur « les conclusions qui en ont été tirées ».
Arrivé enfin au terme de mon travail, il m'est agréable de pouvoir constater que les prétentions de l'hypothèse spiritique ne sont pas du tout en contradiction avec la philosophie de M. Hartmann, comme on le pense assez souvent. Nous avons là-dessus son propre témoignage, ainsi exprimé :
« C'est à tort que l'on croit que mon système philosophique est incompatible avec l'idée de l'immortalité. L'esprit individuel est, d'après ma conception, un groupe relativement constant de fonctions inconscientes de l'Esprit absolu, fonctions qui trouvent dans l'organisme qu'elles gouvernent le lien de leur unité simultanée et successive. Si l'on pouvait démontrer que la partie essentielle de cet organisme, - c'est-à-dire ceux des éléments constitutifs de sa forme, qui sont porteurs des particularités formant son caractère, de sa mémoire et de sa conscience, - peut persister sous une forme capable d'activité fonctionnelle même après la désagrégation du corps cellulaire matériel, j'en tirerais inévitablement cette conclusion que l'esprit individuel continue à vivre avec son substratum substantiel : car l'Esprit absolu continuerait à maintenir l'organisme persistant sous le régime des fonctions psychiques inconscientes qui lui étaient attribuées.
Réciproquement, si l'on pouvait démontrer que l'esprit individuel persiste après la mort, j'en conclurais que, malgré la désagrégation du corps, la substance de l'organisme persisterait sous une forme insaisissable, parce qu'à cette condition seulement je puis m'imaginer la persistance de l'esprit individuel. La preuve de la persistance provisoire de l'esprit individuel après la mort n'entraînerait même pas une modification de mon système philosophique au point de vue des principes, mais en élargirait simplement le champ des applications dans une certaine direction ; en d'autres termes, elle ne porterait aucune atteinte à la phénoménologie de l'Inconscient.[145]»
Le spiritisme dès ses débuts a proclamé et affirmé comme condition sine qua non « la persistance de l'esprit individuel » il est toujours parti de ce principe fondamental : « Ceux des éléments de l'organisme qui sont porteurs des particularités formant son caractère, de sa mémoire et de sa conscience, persistent même après la désagrégation du corps cellulaire matériel, sons une forme capable d'activité fonctionnelle. » Si telle est la condition formelle à priori imposée par la philosophie, le spiritisme a la prétention d'y avoir répondu à posteriori. Le grand mérite du spiritisme est justement d'avoir prouvé que les questions les plus mystérieuses qui se rapportent au problème de notre existence peuvent être étudiées par la voie expérimentale. Dès ses premiers pas, il a admis que le côté mystique de ce problème est non moins naturel et que tous les phénomènes qui s'y rattachent sont des phénomènes naturels, sujets à une loi. Il est donc tout à fait injuste de la part de M. Hartmann d'accuser le spiritisme « d'avoir accepté, à côté d'une série de causes naturelles, une série de causes surnaturelles, nullement justifiées par l'expérience » (p. 118), puis « d'avoir admis en dehors de la sphère naturelle et connue des existences terrestres un monde mystérieux et occulte d'individus surnaturels » (p. 82).
Le spiritisme fournit des matériaux non dégrossis, comme sont ceux que nous puisons dans notre expérience journalière. C'est à la philosophie de les analyser, de les expliquer. L'observation des phénomènes est facile : leur intelligence exige des siècles, - cela s'applique même à ceux de l'ordre physique. - Le fait de notre existence, de notre conscience personnelle, reste jusqu'à présent un mystère ; il faut nous résigner : le problème ne sera jamais résolu donc nous sommes même ici-bas dans le « surnaturel » mais nous pouvons en reculer les limites, pénétrer plus avant dans ses profondeurs. Une forme de la conscience n'implique pas qu'elle est la forme unique ; une forme, celle que nous connaissons, n'est pas moins merveilleuse qu'une autre, que nous ne connaissons pas.
Lorsque les faits spiritiques seront acceptés et établis dans leur totalité, la philosophie devra en conclure non à l'existence d'un monde surnaturel d'individus surnaturels, mais à celle d'un monde de perceptions transcendantales appartenant à une forme de conscience transcendantale, et les manifestations « spiritiques » ne seront plus alors qu'une manifestation de cette forme de conscience dans les conditions de temps et d'espace du monde phénoménal.
Au point de vue de la philosophie monistique, le spiritisme, comme phénomènes et théorie, est facilement admissible et, plus que cela, il se présente même comme une nécessité, car il complète, il couronne cette conception philosophique de l'Univers, dont les progrès sont incessants et à laquelle il ne manque qu'une seule chose, la plus essentielle : la compréhension du but de l'existence des choses et de celle de l'homme en particulier.
Le résultat final de l'évolution, - aussi évident que rationnel à nos yeux, - c'est-à-dire le développement des formes les plus élevées de la conscience - soit individuelle, soit collective, - ne subit pas un arrêt brusque et insensé juste au moment où le but suprême est atteint ou est près de l'être.
FIN
TABLE DES MATIERES
PRÉFACE DE L'EDITION ALLEMANDE. 5
APERÇU HISTORIQUE DES THÉORIES ANTISPIRITES. 15
CHAPITRE PREMIER - DES PHÉNOMÈNES DE MATÉRIALISATION. 22
A. - Matérialisation et dématérialisation d'objets inanimés. 56
B. - Matérialisation et dématérialisation de formes humaines 63
3° Aux preuves fournies par les effets physiques. 65
5° La démonstration de la nature non hallucinatoire des matérialisations 127
6° Insuffisance de la théorie hallucinatoire du Dr Hartmann au point de vue théorique. 128
CHAPITRE II - LES PHÉNOMÈNES PHYSIQUES. 137
1 - Des manifestations qui sont contraires à la volonté du médium. 145
2. - Des manifestations qui sont contraires aux convictions du médium. 161
3. - Des manifestations contraires au caractère et aux sentiments du médium. 163
4. - Des communications dont la nature est au-dessus du niveau intellectuel du médium. 165
5. - Médiumnité des nourrissons et des petits enfants 173
6.- Médiums parlant des langues qui leur sont inconnues 178
7. - Différents phénomènes d'un genre mixte composé. 187
8. - Communication de faits que ne connaissent ni le médium ni les assistants 192
a) La vision dans l'obscurité et dans des endroits clos. 193
b) Des faits connus indépendamment des organes servant habituellement à la perception. 200
c) Communication de faits inconnus aux personnes prenant part à la séance. 205
10. - Transmission de messages à une grande distance. 222
11. - Transport d'objets à de grandes distances 224
CHAPITRE IV - L'HYPOTHÈSE DES ESPRITS. 232
VIII. - Identité de la personnalité d'un défunt attestée par l'apparition de sa forme terrestre. 293
[1] Hare : Recherches expérimentales sur les manifestations spirites, pp. 61 et 62.
[2] Revue Philos. de novembre 1885.
[3] J'ai publié, dans le Rébus de 1887 (n° 1),un article intitulé : « Mon entrevue avec M. Charles Richet ».
[4] Light, 1883, p. 124.
[5] Voir Ps. Stud., 1874, p, 93 : Entrevue du Dr Büchner avec Hudson Tuttle en Amérique.
[6] C'est moins une attraction qu'un état cataleptique, comme je l'ai fréquemment observé chez ma femme après une séance d'écriture. A. A.
[7] Essais sur le monde invisible, délivrés par la bouche de W.Z., un sensitif, et recueillis par A T. T. P., London 1885.
[8] Membre de la Société de Géologie.
[9] Light, 1875, p. 128
[10] Light, 1885, p. 189.
[11] Light, 1883, p. 202.
[12] M. Barkas n'en avait pas du tout, ainsi qu'il le dit à un autre endroit, Medium, 1887, p. 645.
[13] Spiritualist, 1874, I, p. 310 ; voir aussi le Medium, 1874, p. 408.
[14] Médium, 1874, 8 mai, pp. 167 et 290.
[15] Spiritualist, 1875, I, p. 222.
[16] Voy. Religio-Philosophical Journal, 1890, 25 janvier.
[17] Light, 1882, p. 337.
[18] Voy. Figuier : Histoire du Merveilleux, 1860, II, pp. 267,401, 402, et les Camisards des Cévennes, par Eugène Bonnemère.
[19] Stuttgard, 1853.
[20] Le juge Edmonds jouissait dans son temps d'une renommée considérable aux Etats-Unis pour les hautes fonctions qu'il remplissait, d'abord comme président du Sénat, ensuite comme membre de la haute cour d’appel de New-York. Lorsque son attention, fut attirée sur le spiritualisme comme devant exercer une influence sur le mouvement intellectuel, il le considéra avec tout le scepticisme et l'expérience du magistrat habitué a juger de la valeur des témoignages humains. Après une étude consciencieuse, il a eu le courage de reconnaître non seulement l'existence des faits, mais encore leur origine spirituelle. La stupéfaction et l'indignation furent si vives qu'il se démit immédiatement de ses fonctions de magistrat pour pouvoir se ranger du coté de ce qui était, selon lui, la vérité. Son témoignage donna au spiritualisme américain un élan vigoureux, et a toujours été d'une grande autorité.
[21] Tract, n° 6.
[22] U. S. Indian Peace Commission.
[23] J'ai tout lieu de croire que l'alphabet Morse était ignoré de toutes les autres personnes présentes ; moi-même je ne le connaissais qu'imparfaitement.
[24] Voir Crookes, Researches, p. 93.
[25] Guérison des nations.
[26] Je ferai remarquer, en passant, que, s'il lui arrivait d'égarer un objet quelconque à l'état de veille, elle pouvait indiquer chaque fois, étant endormie, l'endroit où elle avait déposé cet objet.
[27] Light. 1883, p. 124.
[28] Light, 1881,p. 260.
[29] Experimental Investigation of the Spirit Manifestations, § 1602.
[30] S. R. Brittan et Richmond, Une Discussion sur les faits et la philosophie da Spiritualisme ancien et moderne ; New-York, 1853, p. 289.
[31] Il faut expliquer ici que les trois lettres russes se prononcent ou, i, tsch, ou, ensemble, comme le mot anglais which.
[32] Wolfe, Startling Facts in Modern Spiritualism ; Cincinnati, 1874, p. 48.
[33] Crookes, Recherches, p. 95.
[34] Rapport de la Société de Dialectique, part. II.
[35] Recherches sur les phénomènes du spiritualisme, p. 168.
[36] Voir l'expérience de Zœllner pour les empreintes et l'écriture obtenue entre deux ardoises.
[37] Hare, Expérimental Investigation, § 112, p. 33.
[38] Force psychique, William Crookes ; Paris, librairie des sciences psychologiques.
[39] voir aussi : Spirit Identity, par M. A. Oxon, p. 79.
[40] Je dois dire que les médiums, me nommant une suite de lettres qui n'avaient pour eux aucun sens, n'auraient pu, naturellement, les répéter quant aux notes que je prenais, ils ne les voyaient pas et tout de même, le même mot me fut dicté en lettres russe.
[41] Je veille. Ce n'est qu'un jeu de mots basé sur la différence entre les mots Γρηγορε˜ι et Γρηγόρει
[42] Le professeur Boutleroff n'avait pas assisté à ces dernières séances ; il est donc évident que sa présence à la première n'a eu aucune influence sur la production de l'épigraphe hébraïque.
[43] Edmonds, Lettres sur le Spiritualisme, New-York, 1860, pp. 118-120.
[44] Light, 1884, p. 448.
[45] Ce récit a d'abord paru dans le Bristol Journal, le 10 octobre 1863, puis a été reimprimé dans le Spiritual Magazine, numéro de novembre de la même aunée, et cette fois avec le nom du docteur James Davey, médecin à la maison de santé de Norwood, près de Bristol, lequel dans la première publication était désigné sous l'initiale Dr...
[46] Voyez le Rapport de la Société de Dialectique, 1873, p. 33.
[47] Voyez Edmonds, Spiritual Tracts.
[48] Voyez les détails dans le Light de 1882, p. 303.
[49] Voir Edmonds, Spiritualisme vol. I, p. 30.
[50] Light, 1881, p. 407.
[51] Light, 1887, p. 248.
[52] D'après cette apostrophe, on voit que M. Cook était quaker. - A. A.
[53] Light, 1886, pp. 63, 172, 184.
[54] Examen raisonné des faits et de la philosophie du spiritualisme ancien et moderne.
[55] Light, 1883, p. 30.
[56] Crookes, Recherches, p. 171, éd. Française.
[57] Communication du colonel Olcott dans le New-York Sun, 18 août 1875.
[58] Ressemblance qui ne trouve et ne pourra jamais trouver une explication quelconque dans la « fantaisie somnambulique.
[59] Psych. Stud., 1880, p. 209.
[60] Ibid., p. 211.
[61] D'après M. Hartmann, c'est une fonction des parties moyennes du cerveau ; suivant l'opinion d'autres personnes, c'est une individualité, un être transcendantal. Nous laisserons de côté ces définitions ; il nous suffit de dire que l'activité psychique de l'homme se présente comme double : activité consciente et activité inconsciente, - extérieure et intérieure, - et que les facultés de cette dernière surpassent de beaucoup celles de la première.
[62] Le mot animisme a été d'abord employé par Stahl, si je ne me trompe ; dans son système médical, il considère l'âme (anima) comme le principe vital ; le corps est non seulement la création de l'âme, mais même toutes ses fonctions vitales sont exécutées par cette dernière. De nos jours, ce terme a été employé par Taylor, dans son livre : Culture primitive, dans un sens très large, pour désigner non uniquement la science traitant de l'âme comme d'une chose essentielle, indépendante et de ses diverses manifestations terrestres ou posthumes, mais aussi la doctrine ayant trait à toute espèce d'êtres spirituels ou esprits. Quaut à moi, j'ai adopté le terme animisme dans un sens plus restreint et très déterminé. A la vérité, le mot psychisme aurait pu faire le même office que le mot animisme, mais, une fois le mot spiritisme accepté, il me semble qu'il vaut mieux former les deux expressions avec des radicaux latins, et s'en tenir à ces deux termes pour désigner ces deux catégories de phénomènes, absolument distincts quant à leur source, bien qu'ils aient une grande affinité dans leur manifestation extérieure. D'ailleurs, l'adjectif psychique sert aujourd'hui pour traduire des idées des plus variées, souvent très vagues.
[63] Je ne croyais pas alors à l'homœopathie et estimais que, dans les cas graves, il fallait transporter tout malade chez le médecin de la ville.
[64] Psych. Stud., 1879.
[65] Je ferai observer qu'une sensation analogue de légèreté et de bien-être se remarque généralement pendant le sommeil magnétique.
[66] Voy. le Spiritualist, 1875, II, pp. 244-45.
[67] Light, 1886, p. 98.
[68] Human Nature, 1877, p. 348.
[69] Ces deux derniers exemples se trouvent aussi dans l'article de M. A. Oxon : « Action extracorporelle de l'esprit », publié dans le Human Nature de 1876, pp. 106, 107.
[70] Human Nature, 1875, p. 555.
[71] Voir la Revue philosophique.
[72] Light, 1883, p. 458.
[73] Perty, Phénomènes mystiques, 1872, t. II, p. 124.
[74] Magicon, t. V, p. 495 ; Perty, ibid., p. 123.
[75] Harrison, Spirits be fore our eyes, Les Esprits devant nos yeux, p. 146.
[76] Voyez, pour plus de détails, Light, 1884, p.505.
[77] la Mystique, traduction française, t. III, p. 325.
[78] Spiritualist, 1875, t. I, p. 129.
[79] Edition française abrégée, sous le titre de : Hallucinations télépathiqnes ; Paris, 1891, in-8°, Alcan.
[80] Voir Spiritualism in America, p. 4, et Spiritualist, 1873, p. 470.
[81] Voir The Davenport Brothers, a biography, par Randolph, Boston, 1869, pp. 1989 ; cité dans le Spiritualist, 1873, pp. 154-470.
[82] Voir ibid., pp. 185-186.
[83] Supramundane Facts in the Life of Rev. J. B. Fergusson, Faits supraterrestres dans la vie du Révérend J.B. Fergusson, Londres, 1865, p. 109.
[84] 1876, I, p. 205 ; 1879, I, p. 133.
[85] Spiritualist, 1875, I, p. 151.
[86] Spiritualist, 1876, I, p. 298.
[87] Voir la Revue spirite, 1889, p. 587.
[88] Crookes, Recherches, édition française, p. 165.
[89] Spiritualist, 1875, I, p. 97.
[90] Light, 1883, p. 458.
[91] Light, ibid.
[92] Light, 1882, p. 26.
[93] Light, 1882, p. 50.
[94] Human Nature, 1876, p. 118.
[95] Human Nature, 1876, p. 112-113.
[96] Mystische Erscheinungen, « Apparitions mystiques », t. II, p. 142.
[97] Fountain, p. 187, 219.
[98] Psych. Stud., 1878, pp. 7 et 8.
[99] Appendice, Psych. Stud., 1883, p. 506.
[100] Je ne rappellerai que pour mémoire que, selon M. Hartmann, la transmission de pensée à grande distance ne peut se produire que sous la forme hallucinatoire. Voir le § 10 du chapitre III.
[101] Phantasms of the Living, «Fantômes de vivants», Les Hallucinations télépathiques,. Paris, 1892.
[102] Je laisse ici la parole à Mme Turner.
[103] C'est une vieille expression que le peuple emploie encore maintenant.
[104] Light, 1883, p. 437.
[105] Voir ce que j'ai dit plus haut de la graphologie et des variations de l'écriture dans les personnifications hypnotiques, ch. III, §3, p. 321.
[106] B. Coleman, le Spiritualisme en Amérique, Londres, 1861, pp. 30, 33, 35.
[107] Owen, Debatable Land, Londres, 1871, p. 390.
[108] Le Spiritualisme en Amérique, p. 34.
[109] Ces conditions donnent à l'expérience une grande valeur, car, dans la règle, cette opération est exécutée par le médium en personne. Note de l'auteur.
[110] Voir Light, 1884, p. 472.
[111] Cette lettre allemande présente la même valeur que celle d'Estelle, écrite en français. - A. A.
[112] Je cite ce détail intentionnellement, comme pouvant servir de preuve d'authenticité pour les communications antérieures. - A. A.
[113] A la séance dont parle M. B., elle a parfaitement reconnu la forme matérialisée de son ami, qui avait la tête découverte, elle était tout près de lui et l'a même tenu par la main: pendant ce temps, la lumière était augmentée, à dessein. - A. A.
[114] Je reproduis ce passage de la lettre de M. B. à titre de preuve complémentaire de l'authenticité de l'écriture directe, obtenue par la médiumnité d'Eglinton, en face de la persistance de la Société de Recherches psychiques de Londres à la nier. - A. A.
[115] Messages qui renferment leurs preuves en eux-mêmes.
[116] Je ne puis publier le nom véritable de cette dame (nom peu répandu), mais je puis dire que c'est aussi le nom d'une fleur favorite.
[117] Voir Owen, Footfalls, p. 294.
[118] Voir le cas extraordinaire de « White-Chaple murder » Spirit., 1875, II, p. 307.
[119] On comprendra à quels scrupules j'obéis en ne donnant pas les noms de ces familles, et pourquoi j'ai également modifié les prénoms des jeunes gens.
[120] Il est important de constater que ces révélations spiritiques furent portées à la connaissance des parents bien avant le dénouement fatal de cette histoire.
[121] Communication de faits que le défunt seul pouvait faire ; traits dislinctifs du caractère, tels que mépris des conventions sociales , sympathies individuelles , expressions particulières du langage, etc.
[122] Extrait du Cleveland Plaindealer.
[123] Voir Revue Spirite, 1889, n° 4 et 5, où la brochure entière de l'abbé Almignana est reproduite. Pour le cas ci-dessus mentionné, voir p. 135.
[124] Je me rappelle, à ce propos, une communication que j'ai reçue au cours de mes séances intimes : elle émanait d'un ami qui m'avait été cher et qui s'était beaucoup intéressé au spiritisme en tant que problème philosophique. Avant même de se nommer, il dicta cette phrase, en langue française :
« Naître, c'est oublier ; mourir, c'est savoir. »
Que ce soit une citation ou une pensée à lui, ces quelques mots renferment toute une philosophie, aussi belle que profonde, et j'ai toutes les raisons pour supposer qu'elle était totalement étrangère aux cerveaux des deux médiums présents.
[125] Voir Spirit Identity, par M. A. (Oxon), pp. 117-121.
[126] Human Nature, Londres, 1er octobre 1874, p. 426.
[127] Human Nature, Londres, 1er septembre 1874, p. 397.
[128] Light, 9 juillet, 1887, p. 308.
[129] Light, 1892, 7 mai.
[130] Voyez par exemple les cas rapportés dans Human Nature, 1874, p. 394 ; Light, 1885, p. 240 ; etc.
[131] Spiritual Magazine, 1873, p. 122.
[132] Light, 1884, p. 71.
[133] Voir Spiritualist, 1873, pp. 87,120.
[134] Spiritualist, 1876, t. II, p. 257.
[135] Spiritualist, 1874, t. I, p. 206.
[136] Spiritualist, 1876, t. II, p. 257.
[137] Materialised Apparitions. Boston, 1886, p. 76.
[138] Comme tous les détails qui se rapportent à ce cas sont précieux, J'ajouterai qu'on en trouvera encore de fort intéressants dans les années suivantes du Spiritual Magazine : l862, passim ; 1864, p. 328 ; 1865, p. 456 ; 1866, p. 34 ; 1867, p. 54, et 1869, p. 252. Nous parlerons de ces derniers plus loin.
[139] Benjamin Franklin, le célèbre homme politique et savant physicien américain, signataire du traité de l'indépendance des États-Unis et inventeur du paratonnerre ; d'après les traditions spirites, il fut l'initiateur de l'établissement des rapports réguliers entre ce monde et celui des invisibles et prit une part active dans le développement des différentes sortes de médiumnité au début même du mouvement spiritualiste (voir p. 383).
[140] Debatable Land, p. 398.
[141] Comme exemple démystification, aussi parfaite dans tous les détails qu'édifiante pour l'hypothèse spiritique, j'indiquerai celui qui est relaté dans le Light, 1882, p. 216 ; voir aussi les pp. 238, 275 et 333.
[142] Édition française, traduction Marillier, pp. 60 et 219.
[143] Le mot « intuition » est pris ici dans son sens philosophique comme traduction du mot « Anschauung » de Kant. Note du traducteur.
[144] Wundt traite tout cela de « bêtises ». V. son opuscule : Hypnotisme et suggestion.
[145] Ed. von Hartmann, Supplément au livre le Spiritisme. Comparez l’Inconscient au point de vue de la physiologie et de la théorie de la descendance, 2e édit., pp. 288-304, 356-358 ; Philosophie de l'Inconsciente, 9e édit., t. II, p. 362.