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sexta-feira, 26 de agosto de 2011

LA GRANDE ENIGME DIEU & L’UNIVERS -LEON DENIS

 

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LEON DENIS

LA

GRANDE ENIGME

DIEU & L’UNIVERS

AU LECTEUR

Aux heures pesantes de la vie, aux jours de tristesse et d’accablement, ouvre ce livre ! Écho des voix d’en haut, il le donnera le courage ; il l’inspirera la patience, la soumission aux lois éternelles !
Où et comment ai-je songé à l’écrire ? C’était un soir d’hiver, un soir de promenade sur la côte azurée de Provence.
Le soleil se couchait sur la mer paisible. Ses rayons d’or, glissant sur la vague endormie, allumaient des teintes ardentes sur le sommet des roches et des promontoires ; tandis que le mince croissant lunaire montait dans le ciel sans nuages. Un grand silence se faisait, enveloppant toutes choses. Seule, une cloche lointaine, lentement, tintait l’angélus.
Pensif, j’écoulais les bruits étouffés, les rumeurs à peine perceptibles des villes d’hiver, en fêle, et les voix qui chantaient en mon âme.
Je songeais à l’insouciance des humains qui se grisent de plaisirs pour mieux oublier le but de la vie, ses impérieux devoirs, ses lourdes responsabilités. La mer berceuse, l’espace qui, peu à peu, se constellait d’étoiles, les senteurs pénétrantes des myrtes et des pins, les harmonies lointaines dans le calme du soir, tout contribuait à répandre en moi et autour de moi un charme subtil, intime et profond.
Et la voix me dit : publie un livre que nous t’inspirerons, un petit livre qui résume tout ce que l’âme humaine doit connaître pour s’orienter dans sa voie; publie un livre qui démontre à tous que la vie n’est pas une chose vaine, dont on puisse user avec légèreté, mais une lutte pour la conquête du ciel, une œuvre haute et grave d’édification, de perfectionnement, une œuvre que régissent des lois augustes et équitables, au-dessus desquelles plane l’éternelle Justice, tempérée par l’Amour.


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La Justice ! S’il est en ce monde un besoin, une nécessité impérieuse pour tous ceux qui souffrent, dont l’âme est déchirée, n’est-ce pas le besoin de croire, de savoir que la justice n’est pas un mot vide, qu’il y a quelque part des compensations pour toutes les douleurs, une sanction à tous les devoirs, une consolation pour tous les maux ?
Or, cette justice absolue, souveraine, quelles que soient nos opinions politiques et nos vues sociales, il faut bien le reconnaître, elle n’est pas de notre monde. Les institutions humaines ne la comportent pas.
Et quand même nous parviendrions à corriger, à améliorer ces institutions et, par la suite, à atténuer bien des maux, à diminuer la somme des inégalités  et des misères humaines, il y a des causes d’affliction, des infirmités cruelles et innées contre lesquelles nous serons toujours impuissants : la perte de la santé, de la vue, de la raison, la séparation des êtres aimés et tout l’immense cortège des souffrances morales, d’autant plus vives que l’homme est plus sensible et la civilisation plus affinée.
Malgré toutes les améliorations sociales, nous n’obtiendrons jamais que le bien et le mal trouvent ici-bas leur entière sanction. S’il est une justice absolue, intégrale, elle ne peut être que dans l’au-delà ! Mais qui nous prouvera que cet au-delà n’est pas un mythe, une illusion, une chimère ? Les religions, les philosophies ont passé ; elles ont déployé sur l’âme humaine le riche manteau de leurs conceptions et de leurs espérances. Cependant le doute a subsisté au fond de l’âme. Une critique minutieuse et savante a passé au crible toutes les théories d’antan. Et de cet ensemble majestueux, il n’est resté que des ruines.
Mais alors, sur tous les points du globe, des phénomènes psychiques se produisirent. Variés, continus, innombrables, ils apportaient la preuve de l’existence d’un monde spirituel, invisible, régi par des principes rigoureux, aussi immuables que ceux de la matière, monde qui recèle dans ses profondeurs le secret de nos origines et de nos destins . Une nouvelle science est née, basée sur les expériences, les enquêtes et les témoignages de savants éminents ; par elle, une communication s’établit avec ce monde invisible qui nous entoure, et une révélation puissante découle sur l’humanité comme une onde pure et régénératrice.


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Jamais, peut-être, au cours de son histoire, la France n’a senti plus profondément l’opportunité d’une nouvelle orientation morale. Les religions, disons-nous, ont beaucoup perdu de leur prestige, et les fruits empoisonnés du matérialisme se montrent de toutes parts. A côté de l’égoïsme et de la sensualité des ans s’étalent la brutalité et les convoitises des autres. Les actes de violence, les meurtres, les suicides se multiplient. Les grèves revêtent un caractère de plus en plus tragique. C’est la lutte des classes, le déchaînement des appétits et des fureurs. La voix populaire monte et gronde ; la haine des petits envers ceux qui possèdent et jouissent tend à passer du domaine des théories dans celui des faits. Les pratiques barbares, destructrices de toute civilisation, pénètrent dans les mœurs ouvrières. On saccage les usines; on brise les machines ; on « sabote » l’outillage industriel. Cet état de choses, en s’aggravant, nous ramènerait tout droit à la guerre civile et à la sauvagerie.
Tels sont les résultats d’une fausse éducation nationale. Depuis des siècles, ni l’école ni l’Église n’ont enseigné au peuple ce qu’il a le plus besoin de connaître : le pourquoi de l’existence, la loi de la destinée avec le vrai sens des devoirs et des responsabilités qui s’y rattachent. De là, de toutes parts, en haut comme en bas, le désarroi des intelligences et des consciences, la confusion de toutes choses, la démoralisation, l’anarchie. Nous sommes menacés de la faillite sociale.
Faudra-t-il  descendre jusqu’au fond du gouffre des misères publiques, pour voir l’erreur commise et comprendre qu’il faut rechercher par-dessus tout le rayon de lumière qui éclaire la grande marche humaine sur la route sinueuse, à travers les fondrières et les rocs éboulés ?

Novembre 1910.

PREMIERE PARTIE
DIEU ET L’UNIVERS

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I. LA GRANDE ENIGME

Y a-t-il un but, y a-t-il une loi dans l’univers ?
Ou bien cet univers n’est-il qu’un abîme où la pensée se perd, faute d’un point d’appui, ou elle tourne sur elle-même comme la feuille morte sous le souffle du vent ?
Y a-t-il une force, une espérance, une certitude qui puisse nous élever au-dessus de nous-mêmes vers un but supérieur, vers un principe, un être en qui s’identifient le bien, la vérité, la sagesse ; ou bien n’y aurait-il en nous et autour de nous que doute, incertitude et ténèbres ?
L’homme, le penseur, sonde du regard la vaste étendue. Il interroge les profondeurs du ciel. Il y cherche la solution de deux grands problèmes : le problème du monde, le problème de la vie. Il considère ce majestueux univers, dans lequel il se sent comme noyé. Il suit des yeux la course des géants de l’espace, soleils de la nuit, effrayants foyers dont la lumière parcourt les immensités mornes. Il interroge ces astres, ces mondes innombrables, mais ils passent, muets, poursuivant leur route vers un but que nul ne connaît. Un silence écrasant plane sur l’abîme enveloppe l’homme, rend cet univers plus solennel encore .
Pourtant deux choses nous apparaissent à première vite dans l’univers : la matière et le mouvement, la substance et la force. Les mondes sont formés de matière, et cette matière, inerte par elle-même, se meut. Qui donc la fait mouvoir? Quelle est cette force qui l’anime ? Premier problème. Mais l’homme, de l’infini, reporte sur lui-même son attention. Cette matière et cette force universelles, il les retrouve en lui et, avec elles, un troisième élément, à l’aide duquel il a connu, vu, mesuré les autres : l’intelligence.
Cependant l’intelligence humaine n’est pas, à elle-même, sa propre cause. Si l’homme était sa propre cause, il pourrait maintenir et conserver la puissance de vie qui est en lui ; tandis que cette puissance, sujette à des variations, à des défaillances, échappe à sa volonté.


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Si l’intelligence est en l’homme, elle doit se retrouver dans cet univers dont il fait partie intégrante. Ce qui existe dans la partie doit se retrouver dans le tout. La matière n’est que le vêtement, la forme sensible et changeante, revêtue par la vie; un cadavre ne pense ni ne se meut. La force est un simple agent appelé à entretenir les fonctions vitales. C’est donc l’intelligence qui gouverne les mondes et régit l’univers.
Cette intelligence se manifeste par des lois, lois sages et profondes, ordonnatrices et conservatrices de l’univers.
Toutes les recherches, tous les travaux de la science contemporaine concourent à démontrer l’action des lois naturelles, qu’une loi suprême relie, embrasse, pour constituer l’universelle harmonie. Par cette loi, une intelligence souveraine se révèle comme la raison même des choses, raison consciente, unité universelle où convergent, se relient et se fondent tous les rapports, où tous les êtres viennent puiser la force, la lumière et la vie ; être absolu et parfait, fondement immuable et source éternelle de toute science, de toute vérité, de toute sagesse, de tout amour.


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Pourtant, certaines objections sont à prévoir. On peut me dire, par exemple : les théories sur la matière, la force et l’intelligence, telles que les formulaient naguère les écoles scientifiques et philosophiques, ont fait leur temps. Des conceptions nouvelles les remplacent. La physique actuelle nous démontre que la matière se dissocie à l’analyse, se résout en centres de forces, et que la force se résorbe dans l’éther universel.
Oui, certes, les systèmes vieillissent et passent ; les formules s’usent ; mais l’idée éternelle reparaît sous des formes toujours neuves et plus riches. Matérialisme et spiritualisme sont des aspects transitoires de la connaissance. Ni la matière ni l’esprit ne sont ce que pensaient les écoles d’autrefois, et peut-être la matière, la pensée et la vie sont-elles reliées par des liens étroits que nous commençons à entrevoir.
Néanmoins, certains faits subsistent et d’autres problèmes se posent. La matière et la force se résorbent dans l’éther ; mais qu’est-ce que l’éther ? C’est, nous dit-on, la matière première, le substratum définitif de tous les mouvements. L’éther lui-même est traversé de mouvements innombrables : radiations lumineuses et calorifiques, courants d’électricité et de magnétisme. Or, il faut bien que ces mouvements soient réglés de certaine façon.
La force engendre le mouvement, mais la force n’est pas la loi. Aveugle et sans guide, elle ne pourrait produire l’ordre et l’harmonie dans l’univers. Ceux-ci sont pourtant manifestes. Au sommet de l’échelle des forces, apparaît l’énergie mentale, la volonté, l’intelligence qui construit les formes et fixe les lois .
L’inertie, nous dira-t-on encore, n’est que relative, puisque la matière est de l’énergie concrétée. En réalité, toutes les particules constitutives d’un corps se meuvent. Cependant l’énergie emmagasinée dans ces corps ne peut entrer en puissance d’action que si la matière composante est dissociée. Ce n’est pas le cas pour les planètes, dont les éléments représentent la matière à son dernier degré de concrétion. Leurs mouvements ne peuvent s’expliquer par une force interne, mais seulement par l’intervention d’une énergie extérieure.
« L’inertie, dit G. Lebon , est la résistance, de cause inconnue, que les corps opposent au mouvement ou changement de mouvement. Elle est susceptible de mesure, et c’est cette mesure qu’on définit par le terme de masse. La masse est donc la mesure de l’inertie de la matière, son coefficient de résistance au mouvement. »
Depuis Pythagore jusqu’à Claude Bernard, tous les penseurs affirment que la matière est dépourvue de spontanéité. Toute tentative de prêter à la substance inerte une spontanéité capable d’organiser et d’expliquer la force, a échoué.
Il faut donc revenir à la nécessité d’un premier moteur transcendant pour expliquer le système du monde. La mécanique céleste ne s’explique pas par elle-même, et l’existence d’un moteur initial s’impose. La nébuleuse primitive, mère du soleil et des planètes, était animée d’un mouvement giratoire. Mais qui lui avait imprimé ce mouvement ? Nous répondons sans hésiter : Dieu  !


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Est-ce seulement la science contemporaine qui nous révèle Dieu, l’Être universel ? L’homme interroge l’histoire de la terre. Il évoque le souvenir des multitudes mortes, des générations qui reposent sous la poussière des siècles. Il interroge la foi crédule des simples et la foi raisonnée des savants, et partout, au-dessus des opinions contradictoires et des disputes d’écoles, au-dessus des rivalités de castes, d’intérêts et de passions, partout il voit les élans, les aspirations de la pensée humaine vers la grande cause qui veille, auguste et silencieuse, sous le voile mystérieux des choses.
En tous temps et en tous milieux, la plainte humaine monte vers cet Esprit divin, vers cette Ame du monde que l’on honore sous des noms divers, mais qui, sous tant d’appellations : Providence, grand Architecte, Être suprême, Père céleste, est toujours le Centre, la Loi, la Raison universelle, en qui le monde se connaît, se possède, retrouve sa conscience et son moi.
Et c’est ainsi qu’au-dessus de cet incessant flux et reflux d’éléments passagers et changeants, au-dessus de cette variété, de cette diversité infinie des êtres et des choses, qui constituent le domaine de la nature et de la vie, la pensée rencontre dans l’univers ce principe fixe, immuable, cette unité consciente, en qui s’unissent l’essence et la substance, source première de toutes les consciences et de toutes les formes, car conscience et forme, essence et substance, ne peuvent exister l’une sans l’autre. Elles s’unissent pour constituer cette unité vivante, cet Etre, absolu et nécessaire, source de tous les êtres, que nous appelons Dieu.
Mais le langage humain est impuissant à exprimer l’idée de l’Être infini. Dès que nous nous servons de noms et de termes, nous limitons ce qui est sans limites. Toutes les définitions sont insuffisantes et, dans une certaine mesure, induisent en erreur. Cependant la pensée, pour s’exprimer, a besoin de termes. Le moins éloigné de la réalité est celui par lequel les prêtres d’Égypte désignaient Dieu : Je suis, c’est-à-dire je suis l’Être par excellence, absolu, éternel, de qui émanent tous les êtres.


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Un malentendu séculaire divise sur ces questions les écoles philosophiques. Le matérialisme ne voyait dans l’univers que la substance et la force. Il semblait ignorer les états quintessenciés, les transformations infinies de la matière. Le spiritualisme ne voit encore en Dieu que le principe spirituel. Il considère comme immatériel tout ce qui ne tombe pas sous nos sens. Tous deux se trompent. Le malentendu qui les sépare ne cessera que lorsque les matérialistes verront dans leur principe et les spiritualistes dans leur Dieu la source des trois éléments: substance, force, intelligence, dont l’union constitue la vie universelle.
Pour cela, il suffit de comprendre deux choses : si l’on admet que la substance est en dehors de Dieu, Dieu n’est pas infini, et, puisque la conscience existe dans le monde actuel, il faut évidemment qu’elle se retrouve dans ce qui a été le Principe de ce monde.
Mais la science, après s’être attardée pendant un demi-siècle dans les déserts du matérialisme et du positivisme, après en avoir reconnu la stérilité, la science actuelle a modifié son orientation. Dans tous les domaines : physique, chimie, biologie, psychologie, elle s’achemine aujourd’hui d’un pas décidé vers cette grande unité que l’on entrevoit au fond de tout. Partout elle reconnaît l’unité de substance, l’unité de forces, l’unité de lois. Derrière toute substance mue, la force se retrouve, et la force n’est que la projection de la pensée, de la volonté dans la substance. L’éternelle création, l’éternel renouvellement des êtres et des choses n’est que la projection constante de la pensée divine dans l’univers.
Peu à peu, le voile se soulève ; l’homme, commence à entrevoir l’évolution grandiose de la vie à la surface des mondes. Il voit la corrélation des forces et l’adaptation des formes et des organes en tous milieux. Il sait que la vie se développe, se transforme et s’affine à mesure qu’elle parcourt sa spirale immense. Il comprend que tout est réglé en vue d’un but, qui est le perfectionnement continu de l’être et l’accroissement en lui de la somme du bien et du beau.
Même ici-bas, il peut suivre cette loi majestueuse du progrès à travers tout le lent travail de la nature, depuis les formes les plus inférieures de l’être, depuis la cellule verte flottant au sein des eaux, jusqu’à l’homme conscient en qui l’unité de la vie s’affirme, et au-dessus de lui, de degré en degré, jusqu’à l’infini. Et cette ascension ne se comprend, ne s’explique que par l’existence d’un principe universel, d’une énergie incessante, éternelle, qui pénètre toute la nature ; c’est elle qui règle et stimule cette évolution colossale des êtres et des mondes vers le mieux, vers le bien.    
Dieu, tel que nous le concevons, n’est donc pas le Dieu du panthéisme oriental, qui se confond avec l’univers, ni le Dieu anthropomorphique, monarque du ciel, extérieur au monde, dont nous parlent les religions de l’Occident. Dieu est manifesté par l’univers qui en est la représentation sensible, mais ne se confond pas avec lui. De même qu’en nous l’unité consciente, l’âme, le moi, persiste au milieu des modifications incessantes de la matière corporelle, ainsi, au milieu des transformations de l’univers et de l’incessant renouvellement de ses parties, subsiste l’Être immuable qui est l’âme, la conscience, le moi qui l’anime, lui communique le mouvement et la vie.
Et ce grand Être, absolu, éternel, qui connaît nos besoins, entend nos appels, nos prières, qui est sensible à nos douleurs, est comme l’immense foyer où tous les êtres, par la communion de la pensée et du sentiment, viennent puiser les forces, les secours, les inspirations nécessaires pour les guider dans les voies de la destinée, pour les soutenir dans leurs luttes, les consoler dans leurs misères, les relever dans leurs défaillances et leurs chutes.


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Ne cherche pas Dieu dans les temples de pierre et de marbre, ô homme qui veut le connaître, mais dans le temple éternel de la nature, dans le spectacle des mondes parcourant l’infini, dans les splendeurs de la vie qui s’épanouit à leur surface, dans la vue des horizons variés : plaines, vallées, montagnes et mers, que t’offre ta demeure terrestre. Partout, sous l’éclat du jour ou sous le manteau constellé des nuits, au bord des océans     tumultueux comme dans la solitude des forêts, si tu sais te recueillir, tu entendras les voix de la nature et les subtils enseignements qu’elle murmure à l’oreille de ceux qui fréquentent ses retraites et étudient ses mystères.   
La terre vogue sans bruit dans l’étendue. Cette masse de dix mille lieues de tour glisse sur les flots de l’éther comme un oiseau dans l’espace, comme un moucheron dans la lumière. Rien ne trahit sa marche imposante. Aucun grincement de roues, aucun murmure de vagues sous ses flancs. Silencieuse, elle passe, elle roule parmi ses sœurs du ciel. Toute la puissante machine de l’univers s’agite ; les millions de soleils et de mondes qui la composent, mondes près desquels le nôtre n’est qu’un enfant, tous se déplacent, s’entrecroisent, poursuivent leurs révolutions avec des vitesses effrayantes, sans qu’aucun son, aucun heurt ne vienne trahir l’action de ce gigantesque appareil. L’univers reste calme. C’est l’équilibre absolu ; c’est la majesté d’un pouvoir mystérieux, d’une intelligence qui ne s’impose pas, qui se cache au sein des choses, mais dont la présence se révèle à la pensée et au cœur, et qui attire le chercheur comme l’abîme.
Si la terre évoluait avec bruit ; si le mécanisme du monde se remontait avec fracas, les hommes, effrayés, se courberaient et croiraient. Mais non ! L’œuvre formidable s’accomplit sans efforts. Globes et soleils flottent dans l’infini, aussi légers que des plumes sous la brise. En avant, toujours en avant ! La ronde des sphères se déroule, guidée par une puissance invisible.
La volonté qui dirige l’univers se dissimule à tous les yeux. Les choses sont disposées de manière que personne ne soit obligé de croire en elle. Si l’ordre et l’harmonie du cosmos ne suffisent pas à convaincre l’homme, il est libre. Rien ne contraint le sceptique d’aller à Dieu.
Il en est de même des choses morales. Nos existences se déroulent et les événements se succèdent sans liaison apparente. Mais l’immanente justice plane de haut sur nous et règle nos destins d’après un principe inéluctable, par lequel tout s’enchaîne en une série de causes et d’effets. Leur ensemble constitue une harmonie que l’Esprit affranchi de préjugés, éclairé par un rayon de la sagesse, découvre et admire.
Que savons-nous de l’univers ? Notre oeil ne perçoit qu’un domaine restreint de l’empire des choses. Seuls, les corps matériels, semblables à nous, l’affectent. La matière subtile et diffuse nous échappe . Nous ne voyons que ce qu’il y a de plus grossier dans notre entourage. Tous les mondes fluidiques, tous les cercles où s’agite la vie supérieure, la vie radieuse, échappent aux regards humains. Nous ne distinguons que les mondes opaques et lourds qui se meuvent dans les cieux. L’espace qui les sépare nous paraît vide. Partout, de profonds abîmes semblent s’ouvrir. Erreur ! L’univers est plein. Entre ces demeures matérielles, dans l’intervalle de ces mondes planétaires, prisons ou bagnes flottant dans l’espace, d’autres domaines de la vie s’étendent, vie spirituelle, vie glorieuse que nos sens épais ne peuvent percevoir, car, sous ses radiations, ils se briseraient comme une vitre au choc d’une pierre.
La sage nature a limité nos perceptions et nos sensations. C’est degré à degré qu’elle nous conduit dans le chemin du savoir. C’est lentement, étapes par étapes, vies après vies, qu’elle nous mène à la connaissance de l’univers, soit visible, soit caché. L’être gravit une à une les marches de l’escalier gigantesque qui conduit à Dieu. Et chacun de ces degrés représente pour lui une longue série de siècles.
Si les mondes célestes nous apparaissaient soudain, sans voiles, dans toute leur gloire, nous en serions éblouis, aveuglés. Mais nos sens extérieurs ont été mesurés et limités. Ils s’accroissent et s’affinent à mesure que l’être s’élève sur l’échelle des existences et des perfectionnements. Il en est de même de la connaissance, de la possession des lois morales. L’univers se dévoile à nos yeux à mesure que notre capacité d’en comprendre les lois se développe et grandit. Lente est l’incubation des âmes sous la lumière divine.


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C’est vers toi, ô Puissance suprême ! Quel que soit le nom qu’on te donne et si imparfaitement que tu sois comprise, c’est vers toi, source éternelle de la vie, de la beauté, de l’harmonie, que montent nos aspirations, notre confiance, notre amour !
Où es-tu? Dans quels cieux profonds, mystérieux es-tu cachée ? Que d’âmes ont cru qu’il suffirait, pour te rencontrer, de quitter la terre ! Mais tu restes invisible dans le monde spirituel comme dans le monde terrestre, invisible pour ceux qui n’ont pas encore acquis la pureté suffisante pour refléter tes divins rayons. Pourtant tout révèle et manifeste ta présence. Tout ce qui, dans la nature et dans l’humanité, chante et célèbre l’amour, la beauté, la perfection, tout ce qui vit et respire est un message de Dieu. Les forces grandioses qui animent l’univers proclament la réalité de l’intelligence divine ; à côté d’elles, la majesté de Dieu se manifeste dans l’histoire par l’action des grandes âmes qui, semblables a des vagues immenses, apportent aux rivages terrestres toutes les puissances de l’œuvre de sagesse et d’amour.
Et Dieu est aussi en chacun de nous, dans le temple vivant de la conscience. C’est là qu’est le lieu sacré , le sanctuaire où se cache la divine étincelle.
Ô hommes ! Apprenez à descendre en vous-mêmes, à fouiller les replis les plus intimes de votre être, interrogez-vous dans le silence et dans la retraite. Et vous apprendrez à vous connaître, à connaître la puissance cachée en vous. C’est elle qui élève et fait resplendir au fond de nos consciences les saintes images du bien, de la vérité, de la justice, et c’est en honorant ces images divines, en leur rendant un culte de chaque jour, que cette conscience encore obscure se purifie et s’éclaire. Peu à peu, la lumière grandit en nous. Comme l’aurore succède à la nuit, comme graduellement, d’une manière insensible, les ombres font place à l’éclat du jour, ainsi l’âme s’illumine des radiations de ce foyer qui est en elle, et qui fait éclore dans notre pensée et dans notre cœur des formes toujours nouvelles, toujours inépuisables de vérité et de beauté. Et cette lumière est aussi une harmonie pénétrante, une voix qui chante dans l’âme du poète, de l’écrivain, du prophète, qui les inspire et leur dicte les oeuvres grandes et fortes par lesquelles ils travaillent à l’élévation de l’humanité. Mais ceux-là seuls ressentent ces choses qui, ayant maîtrisé la matière, se sont rendus dignes de cette communion sublime par de séculaires efforts, ceux dont le sens intime s’est ouvert aux impressions profondes et connaît le souffle puissant qui attise les feux du génie, le souffle qui passe sur les fronts pensifs et fait tressaillir les enveloppes humaines.

II. UNITE SUBSTANTIELLE DE L’UNIVERS.

L’univers est un, quoique triple en apparence. Esprit, force et matière ne semblent être que les modes, les trois états d’une substance immuable en son principe, variable à l’infini dans ses manifestations.
L’univers vit et respire, animé par deux courants puissants. absorption et diffusion. Par cette expansion, par ce souffle immense, Dieu, l’Être des êtres, l’Ame de l’univers, crée. Par son amour, il attire à lui. Les vibrations de sa pensée et de sa volonté, sources premières de toutes les forces cosmiques, meuvent l’univers et engendrent la vie.
La matière, disons-nous, n’est qu’un mode, une forme passagère de la substance universelle. Elle échappe à l’analyse et disparaît sous l’objectif des microscopes, pour se résoudre en radiations subtiles. Elle n’a pas d’existence propre ; les philosophies qui la prennent pour base reposent sur une apparence, sur une sorte d’illusion .
L’unité de l’univers, longtemps niée ou incomprise, commence à être entrevue par la science. Il y a une vingtaine d’années, W. Crookes, au cours de ses études sur les matérialisations d’Esprits, découvrait le quatrième état de la matière, l’état radiant, et cette découverte, par ses conséquences, allait bouleverser toutes les vieilles théories classiques. Celles-ci établissaient une distinction entre la matière et la force. Nous savons maintenant que toutes deux se confondent. Sous l’action de la chaleur, la matière la plus grossière se transforme en fluides, puis les fluides se réduisent à leur tour en un élément plus subtil qui échappe à nos sens. Toute matière peut se réduire en force, et toute force se condense en matière, parcourant ainsi un cercle incessant .
Les expériences de sir W. Crookes ont été poursuivies, confirmées par une légion d’investigateurs. Le plus célèbre, Rœntgen, a appelé rayons X les radiations émanées des ampoules de verre ; ils ont la propriété de traverser la plupart des corps opaques, et permettent de percevoir et de photographier l’invisible.
Peu après, M. Becquerel démontrait les propriétés de certains métaux d’émettre des radiations obscures qui pénètrent la matière la plus dense, comme les rayons Rœntgen, et impressionnent les plaques photographiques à travers des lames métalliques.
Le radium, découvert par M. Curie, produit de la chaleur et de la lumière, d’une façon continue, sans s’épuiser d’une manière sensible. Les corps soumis à son action deviennent eux-mêmes radiants. Quoique la quantité d’énergie rayonnée par ce métal soit considérable, la perte de substance matérielle qui y correspond est presque nulle. W. Crookes a calculé qu’une centaine d’années étaient nécessaires pour la dissociation d’un gramme de radium .
Bien plus. Les ingénieuses découvertes de M. G. Lebon  ont prouvé que les radiations sont une propriété générale de tous les corps. La matière peut se dissocier indéfiniment ; elle n’est que de l’énergie concrétée. Ainsi la théorie de l’atome indivisible, qui depuis deux mille ans servait de base à la physique et à la chimie, s’écroule et, avec elle, les distinctions classiques entre le pondérable et l’impondérable . La souveraineté de la matière, qu’on disait absolue, éternelle, prend fin.
Il faut donc le reconnaître, l’univers n’est, point tel qu’il apparaissait à nos faibles sens. Le monde physique n’en constitue qu’une infime partie. En dehors du cercle de nos perceptions, il existe une infinité de forces et de formes subtiles que la science a ignorées jusqu’ici. Le domaine de l’invisible est bien plus vaste et plus riche que celui du monde visible.
Dans son analyse des éléments qui constituent l’univers, la science a erré pendant des siècles, et maintenant il lui faut détruire ce qu’elle a péniblement édifié. Le dogme scientifique de l’unité irréductible et indestructible de l’atome, en s’effondrant, entraîne avec lui toutes les théories matérialistes. L’existence des fluides, affirmée par les spirites depuis cinquante ans - ce qui leur valut tant de railleries de la part des savants officiels - cette existence, l’expérimentation l’établit désormais d’une manière rigoureuse.
Les êtres vivants, eux aussi, émettent des radiations de natures différentes. Des effluves humains, variant de forme et d’intensité sous l’action de la volonté, imprègnent les plaques de leur mystérieuse lumière. Ces influx, soit nerveux, soit psychiques, connus depuis longtemps des magnétiseurs et des spirites, mais niés par la science, les physiologistes en constatent aujourd’hui, d’une manière irrécusable, la réalité. Par là, le principe de la télépathie est trouvé. Les volitions de la pensée, les projections de la volonté se transmettent à travers l’espace, comme les vibrations du son et les ondulations de la lumière, et vont impressionner des organismes en sympathie avec celui du manifestant. Les âmes en affinité de pensée et de sentiment peuvent échanger leurs effluves, à toutes distances, de la même façon que les astres échangent, à travers les abîmes de l’espace, leurs rayons tremblants. Nous découvrons là encore le secret des ardentes sympathies ou des invincibles répulsions qu’éprouvent certains hommes les uns pour les autres, à première entrevue.
La plupart des problèmes psychologiques : suggestion, communication à distance, actions et réactions occultes, vision à travers les obstacles, trouveront là leur explication. Nous ne sommes encore qu’à l’aurore de la vraie connaissance. Mais le champ des recherches est largement ouvert, et la science va marcher de conquête en conquête dans une voie riche en surprises. Le monde invisible se révèle comme la base même de l’univers, comme la source éternelle des énergies physiques et vitales qui animent le Cosmos.
Ainsi tombe le principal argument de ceux qui niaient la possibilité de l’existence des Esprits. Ils ne pouvaient concevoir la vie invisible, faute d’un substratum, d’une substance échappant à nos sens. Or, nous trouvons à la fois, dans le monde des impondérables, les éléments constitutifs de la vie de ces êtres et les forces qui leur sont nécessaires pour manifester leur existence.
Les phénomènes spirites de tous ordres s’expliquent par le fait qu’une dépense considérable et constante d’énergie peut se produire sans déperdition apparente de matière. Les apports, la désagrégation et la reconstitution spontanée d’objets en des chambres closes ; les cas de lévitation, le passage des Esprits à travers les corps solides, leurs apparitions et leurs matérialisations, qui provoquèrent tant d’étonnement, suscitèrent tant de railleries, tout cela devient facile à admettre et à comprendre, dès qu’on connaît le jeu des forces et des éléments en action dans ces phénomènes. Cette dissociation de la matière, dont parle M. G. Lebon, et que l’homme est encore impuissant à produire, les Esprits en possèdent depuis longtemps les règles et les lois.
L’application des rayons X à la photographie n’explique-t-elle pas aussi le phénomène de la double vue des médiums et celui de la photographie spirite ? En effet, si des plaques peuvent être influencées par des rayons obscurs, par des radiations de la matière impondérable qui pénètrent les corps opaques, à plus forte raison les fluides quintessenciés dont se compose l’enveloppe des Esprits peuvent-ils, dans certaines conditions, impressionner la rétine des voyants, appareil plus délicat et plus complexe que n’est la plaque de verre.
C’est ainsi que le spiritisme se fortifie chaque jour par l’appoint d’arguments tirés des découvertes de la science, et qui finiront par ébranler les sceptiques les plus endurcis.


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La grande querelle séculaire qui divisait les écoles philosophiques se réduit donc à une question de mots. Dans les expériences dont sir W, Crookes a pris l’initiative, la matière se fond, l’atome s’évanouit; à leur place, l’énergie apparaît. La substance est un Protée qui revêt mille formes inattendues. Les gaz, que l’on considérait comme permanents, se liquéfient ; l’air se décompose en éléments bien plus nombreux que la science d’hier ne l’enseignait; la radioactivité, c’est-à-dire l’aptitude des corps à se désagréger en émettant des effluves analogues aux rayons cathodiques, se révèle comme un fait universel. Toute une révolution s’accomplit dans les domaines de la physique et de la chimie. Partout, autour de nous, nous voyons s’ouvrir des sources d’énergie, d’immenses réservoirs de forces, bien supérieurs en puissance à tout ce que l’on connaissait jusqu’ici . La science s’achemine peu à peu vers la grande synthèse unitaire, qui est la loi fondamentale de la nature. Ses plus récentes découvertes ont une portée incalculable, en ce sens qu’elles démontrent expérimentalement le grand principe constitutif de l’univers : unité des forces, unité des lois. L’enchaînement prodigieux des forces et des êtres se précise et se complète. On constate qu’il existe une continuité absolue, non seulement entre tous les états de la matière, mais encore entre ceux-ci et les différents états de la force .
L’énergie paraît être la substance, unique, universelle. A l’état compact, elle revêt les apparences que nous nommons matière, solide, liquide, gazeuse ; sous un mode plus subtil, elle constitue les phénomènes de lumière, chaleur, électricité, magnétisme, affinité chimique. En étudiant l’action de la volonté sur les effluves et les radiations, nous pourrions peut-être entrevoir le point, le sommet où la force s’intelligente, où la loi se manifeste, où la pensée se change en vie.
Car tout se relie et s’enchaîne dans l’univers. Tout est réglé par les lois du nombre, de la mesure, de l’harmonie. Les manifestations les plus élevées de l’énergie confinent à l’intelligence. La force devient attraction ; l’attraction devient amour. Tout se résume en un pouvoir unique et primordial, moteur éternel et universel, auquel on a donné des noms divers et qui n’est autre que la pensée, la volonté divine. Ses vibrations animent l’infini. Tous les êtres, tous les mondes sont baignés dans l’océan des radiations qui émanent de l’inépuisable loyer.
Conscient de son ignorance et de sa faiblesse, l’homme reste confondu devant cette unité formidable qui embrasse toutes choses et porte en elle la vie des humanités. Mais, en même temps, l’étude de l’univers lui ouvre des sources profondes de jouissances et d’émotions. Malgré notre infirmité intellectuelle, le peu que nous entrevoyons des lois universelles nous ravit, car, dans la puissance ordonnatrice des lois et des mondes, nous pressentons Dieu et, par là, nous acquérons la certitude que le bien, le beau, l’harmonie parfaite règnent au-dessus de tout.

III. SOLIDARITE ; COMMUNION UNIVERSELLE.

Dieu est l’esprit de sagesse, d’amour et de vie, la puissance infinie qui gouverne le monde. L’homme est fini, mais il a l’intuition de l’infini. Le principe spirituel qu’il porte en lui l’incite à scruter des problèmes qui dépassent les limites actuelles de son entendement. Son esprit, prisonnier dans la chair, s’en dégage parfois et s’élève vers les domaines supérieurs de la pensée, d’où lui viennent ces hautes aspirations, trop souvent suivies de rechutes dans la matière. De là tant de recherches, de tâtonnements et d’erreurs, à tel point qu’il serait impossible de distinguer la vérité dans l’amoncellement des systèmes et des superstitions que le travail des âges a accumulés, si les puissances invisibles ne venaient faire la lumière dans ce chaos.
Chaque âme est un rayonnement de la grande âme universelle, une étincelle émanée de l’éternel foyer. Mais nous nous ignorons nous-mêmes, et cette ignorance est la cause de notre faiblesse et de tous nos maux.
Nous sommes unis à Dieu dans le rapport étroit qui relie la cause à l’effet, et nous sommes aussi nécessaires à son existence qu’il est nécessaire à la nôtre. Dieu, Esprit universel, se manifeste dans la nature, et l’homme est, sur terre, la plus haute expression de la nature. Nous sommes l’œuvre et l’expression de Dieu, qui est la source du bien. Mais ce bien, nous le possédons seulement à l’état de germe, et notre tâche est de le développer. Nos vies successives, notre ascension sur la spirale infinie des existences, n’ont pas d’autre but.
Tout est écrit au fond de l’âme en caractères mystérieux : le passé, d’où nous émergeons et que nous devons apprendre à sonder ; l’avenir, vers lequel nous évoluons, avenir que nous édifierons nous-mêmes comme un monument merveilleux, fait de pensées élevées, de nobles actions, de dévouements et de sacrifices.
L’œuvre à réaliser par chacun de nous se résume en trois mots : savoir, croire, vouloir; c’est-à-dire : savoir que nous avons en nous des ressources incalculables; croire à l’efficacité de notre action sur les deux mondes de la matière et de l’esprit ; vouloir le bien en dirigeant nos pensées vers ce qui est beau et grand, en conformant nos actions aux lois éternelles du travail, de la justice et de l’amour.
Issues de Dieu, toutes les âmes sont sœurs ; tous les enfants de la race humaine sont unis par des liens étroits de fraternité et de solidarité. Aussi, les progrès de l’un de nous sont ressentis par tous, de même que l’abaissement d’un seul affecte l’ensemble.
De la paternité de Dieu découle la fraternité humaine ; tous les rapports qui nous unissent se rattachent à ce fait. Dieu, père des âmes, doit être considéré comme l’Être conscient par excellence et non comme une abstraction. Mais ceux qui ont une conscience droite et sont éclairés par un rayon d’en haut, reconnaissent Dieu et le servent dans l’humanité qui est sa fille et son oeuvre.
Quand l’homme est parvenu à la connaissance de sa véritable nature et de son unité avec Dieu, lorsque cette notion est entrée dans sa raison et dans son cœur, il s’est élevé jusqu’à la vérité suprême ; il domine de haut les vicissitudes terrestres ;  il a trouvé la force qui « soulève les montagnes », rend vainqueur dans la lutte contre les passions, fait mépriser les déceptions et la mort. Il accomplit ce que le vulgaire appelle des prodiges. Par sa volonté, par sa foi, il soumet, il gouverne la substance ; il brise les fatalités de la matière ; il devient presque un dieu pour les autres hommes. Plusieurs, dans leur passage ici-bas, sont parvenus à ces hauteurs de vues ; seul, le Christ s’en est pénétré au point d’oser dire à la face de tous : « Moi et mon Père, nous sommes un ; il est en moi et je suis en lui. »
Ces paroles ne s’appliquaient cependant pas à lui seul ; elles sont vraies pour l’humanité entière. Le Christ savait que tout homme doit arriver à la compréhension de sa nature intime, et c’est dans ce sens qu’il disait à ses disciples : « Vous êtes tous des dieux . » Il aurait pu ajouter : des dieux en devenir !
C’est l’ignorance de notre propre nature et des forces divines qui dorment en nous, c’est l’idée insuffisante que nous nous faisons de notre rôle et des lois de la destinée, qui nous assujettissent aux influences inférieures, à ce que nous appelons le mal. En réalité, ce n’est là qu’un manque de développement. L’état d’ignorance n’est pas un mal par lui-même ; c’est seulement une des formes, une des conditions nécessaires de la loi d’évolution. Notre intelligence n’est pas mûre ; notre raison enfant trébuche aux accidents du chemin ; de là l’erreur, les défaillances, les épreuves, la douleur. Mais toutes ces choses seront un bien, si on les considère comme autant de moyens d’éducation et d’élévation. L’âme doit les traverser pour arriver à la conception des vérités supérieures, à la possession de la part de gloire et de lumière qui fera d’elle une élue du ciel, une expression parfaite de la puissance et de l’amour infinis. Chaque être possède les rudiments d’une intelligence qui atteindra au génie, et il a l’immensité des temps pour la développer. Chaque vie terrestre est une école, l’école primaire de l’éternité.
Dans la lente ascension qui porte l’être vers Dieu, ce que nous cherchons avant tout, c’est le bonheur, la félicité. Toutefois, dans son état d’ignorance, l’homme ne saurait atteindre ces biens, car il les recherche presque toujours où ils ne sont pas, dans la région des mirages et des chimères, et cela au moyen de procédés dont la fausseté ne lui apparaît qu’après bien des déceptions et des souffrances. Ce sont ces souffrances qui nous éclairent; nos douleurs sont des leçons austères ; elles nous apprennent que le vrai bonheur n’est pas dans les choses de la matière, passagères et changeantes, mais dans la perfection morale. Nos erreurs et nos fautes répétées, les fatales conséquences qu’elles entraînent, finissent par nous donner l’expérience, et celle-ci nous conduit à la sagesse, c’est-à-dire à la connaissance innée, à l’intuition de la vérité. Parvenu sur ce terrain solide, l’homme sentira le lien qui l’unit à Dieu et il avancera d’un pas plus sûr, d’étapes en étapes, vers la grande lumière qui ne s’éteint jamais.


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Tous les êtres sont reliés les uns aux autres et s’influencent réciproquement. L’univers entier est soumis à la loi de solidarité.
Les mondes perdus dans les profondeurs de l’éther, les astres qui, à des milliards de lieues de distance, entrecroisent leurs rayons d’argent, se connaissent, s’appellent et se répondent. Une force que nous nommons attraction les réunit à travers les abîmes de l’espace.
De même, sur l’échelle de vie, toutes les âmes sont unies par de multiples rapports. La solidarité qui les lie est fondée sur l’identité de leur nature, sur l’égalité de leurs souffrances à travers les temps, sur la similitude de leurs destinées et de leurs fins.
Comme les astres du ciel, toutes ces âmes s’attirent. La matière exerce sur l’Esprit ses pouvoirs mystérieux. Ainsi que Prométhée sur son roc, elle l’enchaîne aux mondes obscurs. L’âme humaine ressent toutes les attractions de la vie intérieure ; en même temps, elle perçoit les appels d’en haut.
Dans cette laborieuse et pénible évolution qui entraîne les êtres, il est un fait consolant sur lequel il est bon d’insister : c’est qu’à tous les degrés de son ascension, l’âme est attirée, aidée, secourue par les entités supérieures. Tous les Esprits en marche sont aidés par leurs frères plus avancés et doivent aider à leur tour ceux qui sont placés au-dessous d’eux.
Chaque individualité forme comme un anneau de la grande chaîne des êtres. La solidarité qui les unit peut bien restreindre quelque peu la liberté de chacun d’eux, mais si cette liberté est limitée en étendue, elle ne l’est pas en intensité. Si bornée que soit l’action de l’anneau, une seule de ses impulsions peut agiter toute la chaîne.
C’est une chose merveilleuse que cette fécondation constante du monde inférieur par le monde supérieur. De là viennent toutes les intuitions géniales, les inspirations profondes, les révélations grandioses. Dans tous les temps, la pensée élevée a rayonné dans le cerveau humain. Dieu, dans son équité, n’a refusé son secours ni sa lumière à aucune race, à aucun peuple. A tous, il a envoyé des guides, des missionnaires, des prophètes. La vérité est une et éternelle ; elle pénètre dans l’humanité par rayonnements successifs, à mesure que notre entendement devient plus apte à se l’assimiler.
Chaque révélation nouvelle est une continuation de l’ancienne. C’est là le caractère du spiritualisme moderne, qui apporte un enseignement, une connaissance plus complète de la rôle de l’être humain, une révélation des pouvoirs cachés en lui et aussi de ses relations intimes avec la pensée supérieure et divine.
L’homme, esprit incarné, avait oublié son véritable rôle. Enseveli dans la matière, il perdait de vue les grands horizons de sa destinée ; il dédaignait les moyens de développer ses ressources latentes, de se rendre plus heureux en devenant meilleur. La révélation nouvelle vient lui rappeler toutes ces choses. Elle vient secouer les âmes endormies, stimuler leur marche, provoquer leur élévation. Elle éclaire les replis obscurs de notre être, nous dit nos origines et nos fins, nous a explique le passé par le présent et nous ouvre un avenir que nous sommes libres de faire grand ou misérable suivant nos actes.


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L’âme humaine ne peut réellement progresser que dans la vie collective, en travaillant au profit de tous. Une des conséquences de cette solidarité qui nous lie, c’est que la vue des souffrances des uns trouble et altère la sérénité des autres.
Aussi est-ce la préoccupation constante des Esprits élevés, d’aller porter dans les régions obscures, aux âmes attardées dans les voies de la passion et de l’erreur, les radiations de leur pensée et les élans de leur amour. Aucune âme ne peut se perdre ; si toutes ont souffert, toutes seront sauvées. Au milieu de leurs épreuves douloureuses, la pitié et l’affection de leurs sœurs les enlacent et les entraînent vers Dieu.
Comment comprendre, en effet, que les Esprits radieux puissent oublier ceux qu’ils ont aimés autrefois, ceux qui partagèrent leurs joies, leurs soucis et peinent encore dans les sentiers terrestres ? La plainte de ceux qui souffrent, de ceux que la destinée enchaîne encore aux mondes arriérés, arrive jusqu’à eux et suscite leur compassion généreuse. Lorsqu’un de ces appels traverse l’espace, ils quittent les demeures éthérées pour verser les trésors de leur charité dans les sillons des mondes matériels. Comme les vibrations de la lumière, les élans de leur amour se propagent dans l’étendue, portant la consolation aux cœurs attristés, versant sur les plaies des humains le baume de l’espérance.
Parfois aussi, pendant le sommeil, les âmes terrestres, attirées par leurs sœurs aînées, s’élancent avec force vers les hauteurs de l’espace pour s’imprégner des fluides vivifiants de la patrie éternelle. Là, des Esprits amis les entourent, les exhortent, les réconfortent, calment leurs angoisses ; puis, éteignant peu à peu la lumière autour d’elles, afin que les regrets déchirants de la séparation ne les accablent pas, ils les reconduisent aux frontières des mondes inférieurs. Leur réveil est mélancolique, mais doux ; et bien qu’oublieuses de leur séjour passager dans les hautes régions, elles se sentent réconfortées et reprennent plus allégrement les charges de leur existence ici-bas.


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Chez les âmes évoluées, le sentiment de la solidarité devient assez intense pour se changer en communion perpétuelle avec tous les êtres et avec Dieu.
L’âme pure communie avec la nature entière ; elle s’enivre des splendeurs de l’œuvre infinie. Tout : les astres du ciel, les fleurs de la prairie, la chanson du ruisseau, la variété des paysages terrestres, les horizons fuyants de la mer, la sérénité des espaces, tout lui parle un harmonieux langage. En toutes ces choses visibles, l’âme attentive découvre une manifestation de la pensée invisible qui anime le Cosmos. Celui-ci revêt pour elle un aspect saisissant. Il devient le théâtre de la vie et de la communion universelles, communion des êtres les uns avec les autres et de tous les êtres avec Dieu, leur père.
Il n’est pas de distance pour les âmes qui sympathisent. De même que les mondes échangent leurs radiations à travers les profondeurs étoilées, de même les âmes qui s’aiment communiquent ensemble par la pensée. L’univers est animé d’une vie puissante ; il vibre comme une harpe sous l’action divine. Les radiations de la pensée le parcourent en tous sens ; elles transmettent les messages de l’esprit à l’esprit à travers la vaste étendue. Cet univers que Dieu a peuplé d’intelligences, afin qu’elles le connaissent, l’aiment et accomplissent sa loi, il le remplit de sa présence, il l’éclaire de sa lumière et le réchauffe de son amour.
La prière est l’expression la plus haute de cette communion des âmes. Considérée sous cet aspect, elle perd toute analogie avec les formules banales, les récitatifs monotones en usage, pour devenir un élan du cœur, un acte de la volonté par lequel l’esprit s’arrache aux servitudes de la matière, aux vulgarités terrestres pour pénétrer les lois, les mystères de la puissance infinie et s’y soumettre en toutes choses : « Demandez et vous recevrez ! » Prise dans ce sens, la prière est l’acte le plus important de la vie ; c’est l’aspiration ardente de l’être humain qui sent sa petitesse et sa misère, et cherche, ne serait-ce qu’un instant, à mettre les vibrations de sa pensée en harmonie avec la symphonie éternelle. C’est l’œuvre de la méditation qui, dans le recueillement et le silence, élève l’âme jusqu’à ces hauteurs célestes où elle s’augmente des forces, où elle s’imprègne des radiations de la lumière et de l’amour divins. Mais combien peu savent prier ! Les religions nous ont désappris la prière en la changeant en exercice oiseux, parfois ridicule.
Sous l’influence du Nouveau Spiritualisme, la prière deviendra plus noble et plus digne ; elle sera faite avec plus de respect de la puissance suprême ; avec plus de foi, de confiance et de sincérité, dans un complet détachement des choses matérielles. Toutes nos anxiétés et nos incertitudes cesseront lorsque nous aurons compris que la vie est une communion universelle, et que Dieu et tous ses enfants vivent ensemble cette vie. Alors la prière deviendra le langage de tous, l’irradiation de l’âme qui, dans ses élans, met en branle le dynamisme spirituel et divin. Ses bienfaits s’étendront sur tous les êtres et particulièrement sur ceux qui souffrent, sur les ignorés de la terre et de l’espace. Elle ira vers ceux à qui nul ne songe, et qui gisent dans l’ombre, la tristesse et l’oubli, en face d’un passé accusateur. Elle éveillera en eux des aspirations nouvelles ; elle fortifiera leur cœur et leur pensée. Car l’action de la prière n’a pas de limites, pas plus que les forces et les pouvoirs qu’elle peut mettre en oeuvre pour le bien des autres.
La prière, il est vrai, ne peut rien changer aux lois immuables ; elle ne saurait en aucune façon modifier nos destinées ; son rôle est de nous procurer des secours et des lumières qui nous rendent plus facile l’accomplissement de notre tâche terrestre. La prière fervente ouvre toutes grandes 1es portes de l’âme et, par ces ouvertures, les rayons de force, les radiations du foyer éternel nous pénètrent et nous vivifient.
Travailler avec un sentiment élevé, en poursuivant un but utile et généreux, c’est encore prier. Le travail, c’est la prière active de ces millions d’hommes qui luttent et peinent sur la terre, au profit de l’humanité.
La vie de l’homme de bien est une prière continue, une communion perpétuelle avec ses semblables et avec Dieu. Il n’a plus besoin de paroles ni de formes extérieures pour exprimer sa foi : elle s’exprime par tous ses actes et toutes ses pensées. Il respire, il s’agite sans effort dans une pure atmosphère fluidique, plein de tendresse pour les malheureux, plein de bon vouloir pour toute l’humanité. Cette communion constante devient pour lui une nécessité, une seconde nature. C’est grâce à elle que tous les Esprits d’élection se maintiennent aux hauteurs sublimes de l’inspiration et du génie.
Ceux qui vivent d’une vie égoïste et matérielle, dont la compréhension n’est pas ouverte aux influences d’en haut, ceux-là ne peuvent savoir quelles impressions ineffables procure cette communion de l’âme avec le divin.
C’est elle, c’est cette union étroite de nos volontés avec la Volonté suprême, que doivent s’efforcer de réaliser tous ceux qui, voyant l’espèce humaine glisser sur les pentes de la décadence morale, cherchent les moyens d’arrêter sa chute. Il n’y a pas d’ascension possible, pas d’entraînement vers le bien si, de temps à autre, l’homme ne se tourne vers son Créateur et son Père, pour lui exposer ses faiblesses, ses incertitudes, ses misères, pour lui demander les secours spirituels indispensables à son élévation. Et plus cette confession, plus cette communion intime avec Dieu est fréquente, sincère, profonde, plus l’âme se purifie et s’amende. Sous le regard de Dieu, elle examine, elle étale ses intentions, ses sentiments, ses désirs ; elle passe en revue tous ses actes et, avec cette intuition qui lui vient d’en haut, elle juge ce qui est bon ou mauvais, ce qu’il faut détruire ou cultiver. Elle comprend alors que tout ce qui vient du moi doit être abaissé pour faire place à l’abnégation, à l’altruisme ; que, dans le sacrifice de soi-même, l’être trouve le plus puissant moyen d’élévation, car plus il se donne, plus il s’agrandit. De ce sacrifice, il fait la loi de sa vie, loi qu’il imprime au plus profond de son être en traits de lumière afin que toutes ses actions soient marquées de son empreinte.
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Debout sur la terre, mon soutien, ma nourrice et ma mère, j’élève mes regards vers l’infini, je me sens enveloppé dans l’immense communion de la vie ; les effluves de l’Ame universelle me pénètrent et font vibrer ma pensée et mon cœur ; des forces puissantes me soutiennent, avivent en moi l’existence. Partout où ma vue s’étend, partout où mon intelligence se porte, je vois, je discerne, je contemple la grande harmonie qui régit les êtres et, par des voies diverses, les guide vers un but unique et sublime. Partout, je vois rayonner la Bonté, l’Amour, la Justice !
Ô mon Dieu ! Ô mon Père ! Source de toute sagesse et de tout amour, Esprit suprême dont le nom est Lumière, je t’offre mes louanges et mes aspirations! Qu’elles montent à toi comme le parfum des fleurs, comme les senteurs enivrantes des bois montent vers le ciel. Aide-moi à avancer dans la voie sacrée de la connaissance, vers une compréhension plus haute de tes lois, afin qu’il se développe en moi plus de sympathie, plus d’amour pour la grande famille humaine. Car je sais que par mon perfectionnement moral, par la réalisation, par l’application active autour de moi et au profit de tous, de la charité et de la bonté, je me rapprocherai de toi et je mériterai de te mieux connaître, de communier plus intimement avec toi dans la grande harmonie des êtres et des choses. Aide-moi à me dégager de la vie matérielle, à comprendre, à sentir ce qu’est la vie supérieure, la vie infinie. Dissipe l’obscurité qui m’enveloppe ; dépose dans mon âme une étincelle de ce feu divin qui réchauffe et embrase les Esprits des sphères célestes. Que ta douce lumière et, avec elle, les sentiments de concorde et de paix se répandent sur tous les êtres !

IV. LES HARMONIES DE L’ESPACE.

Une des impressions que nous cause, la nuit, l’observation des cieux, c’est celle d’un majestueux silence ; mais ce silence n’est qu’apparent ; il résulte de l’impuissance de nos organes. Pour des êtres mieux partagés, doués de sens ouverts aux bruits subtils de l’infini, tous les mondes vibrent, chantent, palpitent, et leurs vibrations, mariées, forment un immense concert.
Cette loi des grandes harmonies célestes, nous pouvons l’observer dans notre propre famille solaire.
On sait que l’ordre de succession des planètes dans l’espace est réglé par une loi de progression, dite loi de Bode. Les distances doublent, de planète en planète, à partir du soleil. Chaque groupe de satellites obéit à la même loi. Or, ce mode de progression a un principe et un sens. Ce principe se rattache à la fois aux lois du nombre et de la mesure, aux mathématiques et à l’harmonie .
Les distances planétaires sont réglées d’après l’ordre normal de la progression harmonique ; elles expriment l’ordre même des vibrations de ces planètes, et les harmonies planétaires, calculées d’après ces règles, donnent un accord parfait. On pourrait comparer le système solaire à une harpe immense dont les planètes représentent les cordes. Il serait possible, dit Azbel, «en réduisant aux cordes sonores la progression des distances planétaires, de construire un instrument complet et absolument accordé » .
Au fond - et c’est là la merveille - la loi qui régit les rapports du son, de la lumière, de la chaleur, est la même qui régit le mouvement, la formation et l’équilibre des sphères, en même temps qu’elle règle leurs distances. Cette loi est à la fois celle des nombres, des formes et des idées. C’est la loi d’harmonie par excellence : c’est la pensée, c’est l’action divine entrevue !
La parole humaine est bien pauvre ; elle est insuffisante à exprimer les mystères adorables de l’harmonie éternelle. L’écriture musicale, seule, peut en fournir la synthèse, en communiquer l’impression esthétique. La musique, langue divine, exprime le rythme des nombres, des lignes, des formes, des mouvements. C’est par elle que les profondeurs s’animent et vibrent. Elle emplit de ses ondes l’édifice colossal de l’univers, temple auguste où retentit l’hymne de la vie infinie.
Pythagore et Platon croyaient déjà percevoir la « musique des sphères ». Dans le songe de Scipion, que Cicéron relate en une des plus belles pages que nous ait léguées l’antiquité, le dormeur s’entretient avec les âmes de son père Paul-Emile et son grand-père Scipion l’Africain ; il contemple avec eux les merveilles célestes et le dialogue suivant s’établit :
« Quelle est donc, demande C. Scipion, cette harmonie si puissante et si douce qui me pénètre ? »
«  - C’est, répond son aïeul, l’harmonie qui, formée d’intervalles inégaux mais combinés suivant la juste proportion, résulte de l’impulsion et du mouvement des sphères, et qui, fondant les tons graves et les tons aigus dans un commun accord, fait de toutes ces notes si variées un mélodieux concert. De si grands mouvements ne peuvent s’accomplir en silence. »
Presque tous les compositeurs de génie qui ont illustré l’art musical, tels que les Bach, les Beethoven, les Mozart, etc…, ont déclaré qu’ils percevaient des harmonies bien supérieures à tout ce que l’on peut imaginer et qu’il leur était impossible de transcrire. Beethoven, pendant qu’il composait, était hors de lui, ravie dans une sorte d’extase, et écrivait fébrilement, essayant en vain de reproduire cette musique céleste qui l’enivrait.
Pour être réceptif à ce point, il faut une faculté psychique remarquable. Les rares humains qui la possèdent affirment que tous ceux  qui ont saisi le sens musical de l’univers ont trouvé la forme supérieure, l’idéale expression de la beauté et de l’harmonie éternelles. Les plus hautes conceptions du genre humain ne sont qu’un écho lointain, une vibration affaiblie de la grande symphonie des mondes.
C’est la source des plus pures jouissances de l’Esprit, le secret de la vie supérieure dont nos sens grossiers nous empêchent encore de comprendre, de sentir la puissance et l’intensité. Pour celui qui les goûte pleinement, le temps n’a plus de mesure, et la suite des jours innombrables ne semble qu’un seul jour. Mais ces joies encore ignorées, l’évolution nous les procurera à mesure que nous nous élèverons sur l’échelle des existences et des mondes.
Déjà nous connaissons des médiums qui perçoivent, dans l’état de transe, de suaves mélodies. Les larmes abondantes qu’ils versent alors sont le témoignage que leurs sensations ne sont pas illusoires.


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Revenons à l’étude du mouvement des sphères et remarquons qu’il n’est pas jusqu’aux exceptions à la règle universelle d’harmonie, elles-mêmes, aux déviations apparentes des planètes qui ne s’expliquent et ne soient des sujets d’admiration. Elles constituent des sortes de « dialogues de vibrations aussi rapprochées que possible de l’unisson » et présentent un charme esthétique de plus dans ce prodige de beauté qu’est l’univers .
Un exemple, des plus frappants, est celui des petites planètes, dites télescopiques, qui évoluent entre Mars et Jupiter, au nombre de plus de 520, occupant un espace d’octave entier, divisé en autant de degrés ; d’où la probabilité que cet ensemble de mondicules ne constitue pas, comme on l’a cru, un univers de débris, mais le laboratoire de plusieurs mondes en formation, mondes dont l’étude du ciel nous dira la genèse future.
Les grands rapports harmoniques qui règlent la situation respective des planètes de notre système solaire sont au nombre de quatre. Ils trouvent leur application :
En premier lieu : du soleil à Mercure ; sur ce point aussi les forces harmoniques sont en travail ; des planètes nouvelles s’ébauchent ;
Puis, de Mercure à Mars. C’est la région des petites planètes, où se meut notre Terre ; elle y joue le rôle de dominante locale, avec une tendance à s’éloigner du soleil pour se rapprocher des harmonies planétaires supérieures. Mars, composante de ce groupe, et dont nous pouvons distinguer au télescope les continents, les mers, les canaux gigantesques, tout l’appareil d’une civilisation antérieure à la nôtre, Mars, quoique plus petit, est mieux équilibré que notre demeure.
Les 500 planètes télescopiques, constituent ensuite un intervalle de transition ; elles forment comme un collier de perles célestes reliant le groupe des planètes inférieures à la chaîne imposante des grandes planètes, de Jupiter à Neptune et au delà. Cette chaîne forme le quatrième rapport harmonique, aux notes décroissantes comme le volume des sphères géantes qui la composent. Dans ce groupe, Jupiter a le rôle de dominante ; les deux modes, majeur et mineur, se combinent en lui.
« Comme dans l’inversion harmonique du son, dit Azbel , c’est par une progression constante que le groupe ancien de Neptune à Jupiter affirme la formation de ses volumes. Le chaos de corpuscules télescopiques, qui suit, a arrêté brusquement cette progression. Jupiter est resté là, comme un second soleil, au seuil des deux systèmes. Des rôles d’octave et de seconde dominante, il a passé à celui de tonique secondaire et relative, pour exprimer le caractère du rôle spécial, évidemment mineur et relatif, par rapport à celui du soleil, qu’il allait remplir, pendant que de jeunes formations se disposaient en deçà, l’éloignant peu à peu, lui et les mondes qu’il a désormais en tutelle, de l’astre dont il est le plus robuste fils. »
Il est robuste, en effet, et bien imposant dans sa course, ce colossal Jupiter, que j’aime à contempler dans le calme des nuits d’été, douze cents fois plus gros que notre globe, escorté par ses cinq satellites, dont l’un, Ganymède, a le volume d’une planète. Debout sur le plan de son orbite, de façon à jouir d’une égalité perpétuelle de température sous toutes les latitudes, avec des jours et des nuits toujours uniformes dans leur durée, il est, en outre, composé d’éléments d’une densité quatre fois moindre que ceux de notre massive demeure, ce qui permet d’entrevoir, pour les êtres qui habitent ou habiteront Jupiter, des facilités de déplacement, des possibilités de vie aérienne qui doivent en faire un séjour de prédilection. Quel théâtre magnifique de la vie ! Quelle scène d’enchantement et de rêve que cet astre géant !
Plus étrange, plus merveilleux encore est Saturne, dont l’aspect est si impressionnant au télescope, Saturne, égal à huit cents globes terrestres amoncelés, avec son immense diadème en forme d’anneau et ses huit satellites, parmi lesquels Titan égale en dimension Mars lui-même.
Saturne, avec le riche cortège qui l’accompagne dans sa lente révolution à travers l’espace, constitue à lui seul un véritable univers, image réduite du système solaire. C’est un monde de travail et de pensée, de science et d’art, où les manifestations de l’intelligence et de la vie se développent sous des formes d’une variété et d’une richesse inimaginables. Son esthétique est savante et compliquée ; le sens du beau y est rendu plus subtil et plus profond par les mouvements alternants, les éclipses des satellites et des anneaux, tous les jeux d’ombre, de lumière, de couleurs, où les nuances se fondent en des dégradations inconnues à l’œil des terriens, et aussi par des accords harmoniques, si émouvants en leurs conclusions analogiques avec ceux de l’univers solaire tout entier !
Viennent ensuite, aux frontières de l’empire du soleil, Uranus et Neptune, planètes mystérieuses et magnifiques, dont le volume égale près d’une centaine de globes terrestres réunis. La note harmonique de Neptune serait : « la culminante d’accord général, le sommet de l’accord majeur de tout le système ». Puis, ce sont d’autres planètes lointaines, sentinelles perdues de notre groupement céleste, encore inaperçues, mais pressenties et même calculées, d’après les influences qu’elles exercent sur les confins de notre système, longue chaîne qui nous rattache à d’autres familles de mondes.
Plus loin se déroule l’immense océan stellaire, gouffre de lumière et d’harmonie, dont les vagues mélodieuses enveloppent de toutes parts et bercent notre univers solaire, cet univers si vaste pour nous, si chétif par rapport à l’au-delà. C’est la région de l’inconnu, du mystère, qui attire sans cesse notre pensée et que celle-ci est impuissante à mesurer, à définir, avec ses millions de soleils de toutes grandeurs, de toutes puissances, ses astres doubles, multiples, colorés, effrayants foyers qui illuminent les profondeurs, versant à flots la lumière, la chaleur, l’énergie, et que des vitesses formidables emportent dans l’immensité, avec leurs cortèges de mondes, terres du ciel invisibles niais soupçonnées, et les familles humaines qui les habitent, les peuples et les cités, les civilisations grandioses dont elles sont le théâtre.
Partout les merveilles succèdent aux merveilles : groupes de soleils animés de colorations étranges, archipels d’astres, comètes échevelées, errant dans la nuit de leur aphélie, foyers mourants qui se rallument tout à coup et flamboient au fond de l’abîme, pâles nébuleuses aux formes fantastiques, fantômes lumineux dont les radiations, nous dit Herschel, mettent deux millions d’années à nous parvenir, formidables genèses d’univers, berceaux et tombes de la vie universelle, voix du passé, promesses de l’avenir, splendeurs de l’infini !
Et tous ces mondes unissent leurs vibrations en une mélodie puissante. L’âme, délivrée des liens terrestres et parvenue à ces hauteurs, entend la voix profonde des cieux éternels !


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Dans leur ensemble, les rapports harmoniques qui règlent les distances planétaires représentent exactement, comme l’a établi Azbel , l’étendue de notre clavier sonore. Les rapports d’octave, ou puissances harmoniques, sont identiques à ceux des distances et à la loi des mouvements. Notre système solaire représente une sorte d’édifice à huit étages, c’est-à-dire huit octaves, avec un escalier formé de 320 degrés ou ondes harmoniques, sur lequel les planètes se trouvent placées, occupant des « paliers indiqués par l’harmonie d’un accord parfait multiple ».
Les dissonances ne sont qu’apparentes ou passagères. L’accord se retrouve au fond de tout. Les règles de notre harmonie musicale ne semblent être qu’une conséquence, une application bien imparfaite de la loi d’harmonie souveraine qui préside à la marche des mondes. Nous pouvons donc croire logiquement que la mélodie des sphères serait intelligible pour notre esprit, si nos sens pouvaient percevoir les ondes sonores qui emplissent l’espace .
La règle générale, pour être absolue, n’est cependant pas étroite et rigide. Dans certains cas, comme dans celui de Neptune, l’harmonie relative parait s’écarter du principe, jamais pourtant de façon à en sortir. L’étude des mouvements planétaires en fournit la démonstration évidente.
Dans cet ordre d’études, plus qu’en tout autre, nous voyons se manifester, dans son imposante grandeur, la loi du Beau et du Parfait qui régit l’univers. A peine notre attention se porte-t-elle vers les immensités sidérales, qu’aussitôt la sensation d’esthétique devient intense. Cette sensation va grandir encore et s’accroître à mesure que se préciseront les règles, de l’harmonie universelle, à mesure que se lèvera pour nous le voile qui nous dérobe les splendeurs célestes.
Partout, nous retrouverons cette concordance qui charme et émeut. En ce domaine, aucune de ces discordances, de ces déceptions, si fréquentes au sein de l’humanité. Partout se déploie cette puissance de beauté qui porte à l’infini ses combinaisons, embrassant dans une même unité toutes les lois dans tous les sens : arithmétique, géométrie, esthétique .
L’univers est un poème sublime dont nous commençons à peine à épeler le premier chant. Nous en saisissons seulement quelques notes, quelques murmures lointains et affaiblis, et déjà ces premières lettres du merveilleux alphabet musical nous remplissent d’enthousiasme. Que sera-ce quand, devenus plus dignes d’interpréter le divin langage, nous percevrons, nous comprendrons les grandes harmonies de l’espace, l’accord infini dans l’infinie variété, le cantique chanté par ces millions d’astres qui, dans la diversité prodigieuse de leurs volumes et de leurs mouvements, accordent leurs vibrations pour une symphonie éternelle ?
Mais, demandera-t-on, cette musique céleste, cette voix des cieux profonds, que dit-elle ?
Ce, langage rythmé, c’est le Verbe par excellence, celui par qui tous les mondes et les êtres supérieurs communiquent entre eux, s’appelant à travers les distances ; par qui nous communiquerons un jour avec les autres familles humaines qui peuplent l’espace étoilé.
C’est, dans le principe même des, vibrations qui servent à traduire la pensée, la télégraphie universelle, véhicule de l’idée dans toutes les régions de l’univers, par qui les âmes élevées procèdent à de perpétuels échanges, à des effusions de science, de sagesse et d’amour, s’entretenant d’un astre à l’autre de leurs oeuvres communes, du but à atteindre, des progrès à réaliser.
C’est encore l’hymne que les mondes chantent à Dieu, tour à tour chant d’allégresse, adoration, plainte, prière ; c’est la grande voix des sphères, la suprême harmonie des êtres et des choses, le cri d’amour qui monte éternellement vers l’intelligence ordonnatrice des univers.
Quand donc saurons-nous détacher nos pensées des banalités quotidiennes et les élever vers ces cimes ? Quand saurons-nous pénétrer ces mystères du ciel et comprendre que chaque découverte réalisée, chaque conquête poursuivie dans cette voie de lumière et de beauté, contribue à ennoblir notre Esprit, à agrandir notre vie morale, et nous procure des joies supérieures à toutes celles de la matière ?
Quand donc comprendrons-nous que c’est là, dans ce splendide univers, que notre propre destinée se déroule, et que l’étudier, c’est étudier le milieu même où nous sommes appelés à revivre, à évoluer sans cesse, en nous pénétrant de plus en plus des harmonies qui l’emplissent ? Que partout la vie s’épanouit en des floraisons d’âmes ? Que l’espace est peuplé de sociétés sans nombre auxquelles l’âtre humain est rattaché par les lois de sa nature et de son avenir ?
Ah ! Qu’ils sont à plaindre ceux qui détournent leurs regards de ces spectacles et leur esprit de ces problèmes! Car il n’est pas d’étude plus impressionnante, plus émouvante, pas de révélation plus haute de science et d’art, pas de plus sublime leçon.
Non, le secret de notre bonheur, de notre puissance, de notre avenir n’est pas dans les choses passagères de ce monde ; il est dans les enseignements d’en haut et de l’au-delà. Et les éducateurs de l’humanité sont bien inconscients ou bien coupables, qui ne songent pas à élever les âmes vers les sommets où resplendit la vraie lumière.
Si le doute et l’incertitude nous assiègent, si la vie nous paraît lourde, si nous tâtonnons dans la nuit à la recherche du but, si le pessimisme et la tristesse nous envahissent, n’en accusons que nous-mêmes, car le grand livre infini est là, ouvert sous nos yeux, avec ses pages magnifiques dont chaque mot est un groupe d’astres, chaque lettre un soleil, le grand livre où nous devons apprendre à lire le sublime enseignement. La vérité est là, écrite en lettres d’or et de flamme ; elle appelle, elle sollicite notre regard, vérité, réalité plus belle que toutes les légendes et toutes les fictions.
C’est elle qui nous dit la vie impérissable de l’âme, ses vies renaissantes sur la spirale des mondes, les étapes innombrables sur la route radieuse, la poursuite de l’éternel bien dans l’infinie durée, l’escalade des cieux à la conquête de la pleine conscience, la joie de toujours vivre pour toujours aimer, toujours monter, toujours acquérir de nouvelles puissances, des vertus plus hautes, des perceptions plus vastes. Et par-dessus tout, la vision, la compréhension, la possession de l’éternelle beauté, la félicité d’en pénétrer les lois, de s’associer plus étroitement à l’œuvre divine et à l’évolution des humanités.
Car de ces magnifiques études, l’idée de Dieu se dégage plus majestueuse, plus sereine. La science des harmonies célestes est comme le piédestal grandiose sur lequel se dresse l’auguste figure, Beauté souveraine dont l’éclat, trop éblouissant pour nos faibles yeux, reste encore voilé, mais rayonne doucement à travers l’obscurité qui l’enveloppe.
Idée de Dieu, centre ineffable où convergent et se fondent, en une synthèse sans bornes, toutes les sciences, tous les arts, toutes les vérités supérieures, tu es le premier et le dernier mot des choses présentes ou passées, proches ou lointaines ; tu es la Loi même, la cause unique de toutes les causes, l’union absolue, fondamentale, du Bien et du Beau, que réclame la pensée, qu’exige la conscience et en qui l’âme humaine trouve sa raison d’être et la source intarissable de ses forces, de ses lumières, de ses inspirations !

V. NECESSITE DE L’IDEE DE DIEU.

Dans les chapitres précédents, nous avons démontré la nécessité de l’idée de Dieu. Elle s’affirme et s’impose en dehors et au-dessus de tous les systèmes, de toutes les philosophies, de toutes les croyances. Aussi est-ce libre de toute attache avec une religion quelconque que nous nous livrons à cette étude, dans l’indépendance absolue de notre pensée et de notre conscience. Car Dieu est plus grand que toutes les théories et tous les systèmes. Voilà pourquoi il ne saurait être atteint ni amoindri par les erreurs et les fautes que les hommes ont commises en son nom. Dieu plane au-dessus de tout.
Dieu est au-dessus de toutes les dénominations, et si nous l’appelons Dieu, c’est faute d’un nom plus grand, comme l’a dit Victor Hugo.
La question de Dieu est le plus grave de tous les problèmes suspendus sur nos têtes et dont la solution se lie d’une manière étroite, impérieuse, au problème de l’être humain et de sa destinée, au problème de la vie individuelle et de la vie sociale.
La connaissance de la vérité sur Dieu, sur le monde et la vie est ce qu’il y a de plus essentiel, de plus nécessaire, car c’est elle qui nous soutient, nous inspire et nous dirige, même à notre insu. Et cette vérité n’est pas inaccessible, comme nous le verrons ; elle est simple et claire ; elle est à la portée de tous. Il suffit de la rechercher sans préjugés, sans parti pris, à l’aide de la conscience et de la raison.
Nous ne rappellerons pas ici les théories, les systèmes innombrables que les religions et les écoles philosophiques ont élevés à travers les siècles. Peu nous importent aujourd’hui les disputes, les colères, les agitations vaines du passé.
Pour élucider un tel sujet, nous avons maintenant des ressources plus hautes que celles de la pensée humaine ; nous avons l’enseignement de ceux qui ont quitté la terre, l’appréciation des âmes qui, ayant franchi la tombe, nous font entendre, du sein du monde invisible, leurs avis, leurs appels, leurs exhortations.
Il est vrai que tous les Esprits ne sont pas également aptes à traiter ces questions. Il en est des Esprits d’outre-tombe comme des hommes. Tous ne sont pas également développés ; tous ne sont pas parvenus au même degré d’évolution. De là, les contradictions, les différences de vue. Mais au-dessus de la foule des âmes obscures, ignorantes, arriérées, il y a des Esprits éminents, descendus des hautes sphères pour éclairer et guider l’humanité.
Or, que disent ces Esprits sur la question de Dieu ?
L’existence de la Puissance suprême est affirmée par tous les Esprits élevés. Ceux d’entre nous qui ont étudié le spiritisme philosophique savent que, tous les grands Esprits, tous ceux dont les enseignements ont réconforté nos âmes, adouci nos misères, soutenu nos défaillances, sont unanimes à affirmer, à proclamer, à reconnaître la haute Intelligence qui gouverne les êtres et les mondes. Ils disent que cette Intelligence se révèle plus éclatante et plus sublime à mesure que l’on monte les degrés de la vie spirituelle. Il en est de même des écrivains et des philosophes spirites, depuis Allan Kardec jusqu’à nos jours. Tous affirment l’existence d’une cause éternelle dans l’univers.
« Il n’y a pas d’effet sans cause, a dit Kardec, et tout effet intelligent a forcément une cause intelligente. » Voilà le principe sur lequel repose le Spiritisme tout entier. Ce principe, lorsque nous l’appliquons aux manifestations d’outre-tombe, démontre l’existence des Esprits. Appliqué à l’étude du monde et des lois universelles, il démontre l’existence d’une cause intelligente dans l’univers. C’est pourquoi l’existence de Dieu constitue un des points essentiels de l’enseignement spirite. J’ajoute qu’il est inséparable du reste de cet enseignement, parce que, dans ce dernier, tout se lie, se coordonne et s’enchaîne. Que l’on ne nous parle pas de dogmes ! Le spiritisme n’en comporte pas. Il n’impose rien ; il enseigne. Tout enseignement a ses principes. L’idée de Dieu est un des principes fondamentaux du spiritisme.
On nous dit parfois : A quoi bon s’occuper de cette question de Dieu ? L’existence de Dieu ne peut être prouvée ! Ou bien encore : l’existence de Dieu ou sa non-existence est sans influence sur la vie des masses, sur la vie de l’humanité. Occupons-nous de quelque chose de plus pratique ; ne perdons pas notre temps à des dissertations vaines, à des discussions métaphysiques.
Eh bien ! N’en déplaise à ceux qui tiennent ce langage, je répéterai que la question de Dieu est la question suprême, la question vitale par excellence ; je répondrai que l’homme ne peut pas s’en désintéresser, parce que l’homme est un être. L’homme vit, et il lui importe de savoir quelle est la source, quelle est la cause, quelle est la loi de la vie. L’opinion qu’il se fait de la cause, de la loi de l’univers, cette opinion, qu’il le veuille ou non, qu’il le sache ou non, se reflète dans ses actes, dans toute sa vie publique ou privée.
Quelle que soit l’ignorance de l’homme au sujet des lois supérieures, en réalité c’est d’après l’idée qu’il se fait de ces lois, si vague et si confuse qu’elle puisse être, c’est d’après elle qu’il agit. Cette opinion sur Dieu, sur le monde, sur la vie - remarquez que ces trois sujets sont inséparables - cette opinion, les sociétés humaines en vivent ou en meurent !
C’est elle qui divise l’humanité en deux camps. Et l’on voit partout des familles en désaccord, en désunion intellectuelle, parce qu’il y a plusieurs systèmes sur Dieu : le prêtre ayant inculqué l’un à la femme ; le professeur ayant enseigné l’autre à l’homme, quand il ne lui a pas suggéré l’idée du néant.
Ces disputes, ces contradictions s’expliquent, d’ailleurs. Elles ont leur raison d’être. Il faut se rappeler que toutes les intelligences ne sont pas arrivées au même point d’évolution ; que toutes ne peuvent voir et comprendre de la même manière et dans tous les sens. De là, tant d’opinions, de croyances diverses. La possibilité que nous avons de comprendre, de juger, de discerner ne se développe en nous que lentement, de siècles en siècles, d’existences en existences. Notre connaissance, notre compréhension des choses, se complète et s’éclaire à mesure que nous nous élevons sur l’échelle immense des renaissances. Tout le monde le sait : celui qui est placé au pied d’une montagne ne peut voir ce que contemple celui qui est parvenu au sommet. Mais, en poursuivant son ascension, l’un arrivera à voir les mêmes choses que l’autre. Il en est de même de l’esprit dans son ascension graduelle. L’univers ne se dévoile pour lui que peu à peu, à mesure que sa capacité d’en comprendre les lois se développe et grandit.
De là viennent les systèmes, les écoles philosophiques et religieuses qui répondent aux divers degrés d’avancement des esprits qui s’y classent et, souvent, s’y confinent.

VI. LES LOIS UNIVERSELLES.

Répétons-le, tous les travaux scientifiques accomplis depuis un demi-siècle nous démontrent l’existence et l’action des lois naturelles. Ces lois sont reliées, par une loi supérieure qui les embrasse toutes, les régularise et les ramène à l’unité, à l’ordre, à l’harmonie. C’est par ces lois sages et profondes, ordonnatrices et organisatrices de l’univers, que l’Intelligence suprême se révèle.
Certains savants objectent, il est vrai, que les lois universelles sont aveugles. Mais comment des lois aveugles pourraient-elles diriger la marche des mondes dans l’espace, régler tous les phénomènes, toutes les manifestations de la vie, et cela avec une précision admirable ? Si les lois sont aveugles, dirons-nous, évidemment elles doivent agir au hasard. Mais le hasard, c’est le manque de direction, l’absence de toute intelligence agissante. Il est inconciliable avec la notion d’ordre et d’harmonie.
L’idée de loi nous paraît donc inséparable de l’idée d’intelligence. La loi est la manifestation d’une intelligence, parce qu’elle est l’œuvre d’une pensée. Seule, celle-ci a pu disposer, agencer toutes choses dans l’univers. Et la pensée ne peut se produire sans l’existence d’un être qui en est le générateur.
Il n’y a pas de loi possible en dehors et sans le concours de l’intelligence, de la volonté qui la dirige. Sinon la loi serait aveugle, comme le disent les matérialistes, mais alors elle irait au hasard, à la dérive. Ce serait exactement comme un homme qui voudrait suivre une route sans le secours de la vue et qui tomberait dans un fossé au bout de quelques pas. Aussi nous est-il permis d’affirmer qu’une loi qui serait aveugle ne serait plus une loi.
Nous venons de voir que les recherches de la science démontrent l’existence des lois universelles. Tous les jours, la science avance, souvent à son insu, il est vrai, mais enfin elle avance peu à peu vers cette grande unité que nous entrevoyons au fond des choses.
Il n’est pas jusqu’aux positivistes et aux matérialistes eux-mêmes qui ne soient entraînés par ce mouvement d’idées. Ils s’acheminent, sans s’en apercevoir, vers cette conception grandiose qui réunit toutes les forces, toutes les lois de l’univers. En effet, on pourrait établir qu’Auguste Comte, Littré, le docteur Robinet, toute l’école positiviste, se livrent sur ces questions aux contradictions les plus flagrantes. Ils rejettent l’idée d’absolu, celle d’une cause génératrice, et ils proclament, et même ils prouvent que « la matière n’est que la manifestation sensible d’un principe universel ». D’après eux, « toutes les sciences se superposent et finissent par se réunir dans une généralité suprême qui met le sceau à leur unité ». D’après Burnouf, « la science est près d’aboutir à une théorie, dont la formule générale constaterait l’unité de la substance, l’invariabilité de la vie et leur union indissoluble avec la pensée ».
Or, qu’est-ce donc que cette trilogie de la substance, de la vie et de la pensée, cette « généralité suprême, cette loi universelle, ce principe unique», qui président à tous les phénomènes de la nature, à toutes les métamorphoses, à tous les actes de la vie, à toutes les inspirations de l’esprit ? Qu’est donc ce centre en lequel se résume et se confond tout ce qui est, tout ce qui vit, tout ce qui pense ? Qu’est-ce, sinon l’absolu, sinon Dieu même !
Il est vrai qu’on s’obstine à refuser l’intelligence et la conscience à cet absolu, à cette cause suprême, mais il restera toujours à expliquer comment une cause inintelligente, aveugle, inconsciente a pu produire toutes les magnificences du cosmos, toutes les splendeurs de l’intelligence, de la lumière et de la vie sans savoir ce qu’elle faisait. Comment, sans conscience ni volonté, sans réflexion ni jugement, a-t-elle pu produire des êtres qui réfléchissent, veulent, jugent, qui sont doués de conscience et de raison ?
Tout vient de Dieu et remonte à lui. Un fluide plus subtil que l’éther émane de la pensée créatrice. Ce fluide, trop quintessencié pour être saisi par notre compréhension, à la suite de combinaisons successives, est devenu l’éther. De l’éther sont sorties toutes les formes graduées de la matière et de la vie. Parvenues au point ultime de descente, la substance et la vie remontent le cycle immense des évolutions.
Nous l’avons vu, l’ordre et la majesté de l’univers ne se révèlent pas seulement dans le mouvement des astres, dans la marche des mondes ; ils se révèlent aussi d’une manière imposante dans l’évolution et le développement de la vie à la surface de ces mondes. Aujourd’hui, on peut établir que la vie se développe, se transforme et s’affine suivant un plan préconçu ; elle se perfectionne à mesure qu’elle parcourt sa route immense. On commence à comprendre que tout est réglé en vue d’un but, et ce but, c’est la progression de l’être ; c’est l’accroissement continuel et la réalisation en lui de formes toujours plus parfaites de beauté, de sagesse, de moralité.
On peut observer autour de nous cette loi majestueuse du progrès à travers tout le lent travail de la nature : depuis les formes les plus inférieures, depuis les infiniment petits, les infusoires flottant dans les eaux, s’élevant de degré en degré sur l’échelle des espèces, jusqu’à l’homme. L’instinct devient sensibilité, intelligence, conscience, raison. Nous savons aussi que cette ascension ne s’arrête pas là. Grâce aux enseignements de l’au-delà, nous apprenons qu’elle se poursuit à travers les mondes invisibles, sous des formes de plus en plus subtiles ; elle se poursuit de puissances en puissances, de gloires en gloires jusqu’à l’infini, jusqu’à Dieu. Et cette ascension grandiose de la vie ne s’explique que par l’existence d’une volonté, d’une cause intelligente, d’une énergie incessante, qui pénètre, enveloppe toute la nature : c’est elle qui règle et stimule cette évolution colossale de la vie vers le Bien, le Beau, le Parfait !
Il en est de même dans le domaine moral. Nos existences se succèdent et se déroulent à travers les siècles. Les événements se suivent sans que nous voyions le lien qui les relie. Mais la justice immanente plane sur toutes choses. Elle fixe notre sort d’après une loi, d’après un principe infaillible. Pensées, paroles, actions, tout s’enchaîne, tout est relié par une série de causes et d’effets qui est comme la trame de nos destins .
Insistons sur un point : c’est grâce à la révélation des Esprits que la Loi de justice nous est apparue avec ce caractère imposant, avec ses vastes conséquences et l’enchaînement prodigieux des choses qu’elle domine et régit.


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Lorsqu’on étudie le problème de la vie future, lorsqu’on examine la situation de l’esprit après la mort - et, c’est là l’objet capital des recherches psychiques - on se trouve en présence d’un fait considérable, gros de conséquences morales. On constate un état de choses qui est réglé par une loi d’équilibre et d’harmonie.
Aussitôt que l’âme franchit la mort, dès qu’elle se réveille dans le monde des Esprits, le tableau de ses vies passées se déroule peu à peu à sa vue. Il y a en elle comme un miroir qui réfléchit fidèlement tous les actes accomplis, pour l’accuser ou la glorifier. Pas de distraction, pas de fuite possibles. L’esprit est obligé de se contempler lui-même, d’abord pour se reconnaître ou pour souffrir, et, plus tard, pour se préparer à une autre vie de progrès ou de réparation. De là, pour le plus grand nombre, le remords, la honte et la souffrance !
Les enseignements d’outre-tombe nous apprennent que rien ne se perd, ni le bien ni le mal, mais que tout s’inscrit, se répare, se rachète au moyen d’autres existences terrestres, difficiles et douloureuses.
Nous apprenons également qu’aucun effort n’est perdu et que nulle souffrance n’est inutile. Le devoir n’est pas un vain mot, et le Bien règne sans partage au-dessus de tout. Chacun de nous construit jour par jour, heure par heure, souvent sans le savoir, son propre avenir. Le sort que nous subissons dans la vie actuelle a été préparé par nos agissements antérieurs ; de même, nous édifions dans le présent les conditions de notre existence future. De là, pour le sage, la résignation à ce qu’il y a d’inévitable dans la vie actuelle ; de là aussi un stimulant puissant pour agir, se dévouer, se préparer une destinée meilleure.
Ceux qui savent cela ne seront-ils pas remplis de crainte en songeant à ce qui attend la société actuelle, dont les pensées, les tendances, les actes sont trop souvent inspirés par l’égoïsme ou par des passions mauvaises, la société actuelle qui accumule ainsi au-dessus d’elle de sombres nuées fluidiques qui portent l’orage dans leurs flancs ?
Comment ne serait-on pas effrayé en présence de tant de défaillances morales, devant tant de corruptions qui s’affichent, effrayé en constatant que le sentiment du bien tient si peu de place dans certaines consciences, effrayé enfin de retrouver au fond de tant d’âmes humaines, l’affaissement, la démoralisation, le découragement, le dégoût de la vie ?
Et si nous sentons cela, comment hésiterions-nous à affirmer à la face de tous, à faire connaître à tous cette loi de justice que les enseignements de l’au-delà nous montrent si grande, si imposante, cette loi qui s’exécute d’elle-même, sans tribunal et sans jugement, mais à laquelle n’échappe pourtant aucun de nos actes, loi qui nous révèle une intelligence directrice du monde moral, loi vivante, raison consciente de l’univers, source de toute vie, de toute lumière, de toute perfection !
Voilà ce qu’est Dieu. Lorsque cette idée de Dieu aura pénétré dans l’enseignement et, de là, dans les esprits et les consciences, on comprendra que le principe de justice n’est autre chose que l’instrument admirable par lequel la Cause suprême ramène tout à l’ordre et à l’harmonie, et l’on sentira que l’idée de Dieu est indispensable aux sociétés modernes, qui s’affaissent et périssent moralement parce que, ne comprenant plus Dieu, elles ne peuvent se régénérer. Alors toutes les pensées, toutes les consciences se tourneront vers ce foyer moral, vers cette source d’éternelle justice qui est Dieu, et l’on verra changer la face du monde !
La justice n’est pas seulement d’origine sociale, comme la révolution de 89 a cherché à l’établir. Elle vient de plus haut; elle est d’origine divine. Si les hommes sont égaux devant la loi humaine, c’est parce qu’ils sont égaux devant la loi éternelle.
Et c’est aussi parce que nous sommes tous issus d’une même source d’intelligence et de conscience, que nous sommes tous frères, solidaires les uns des autres, unis dans nos destinées immortelles. Car la solidarité et la fraternité des êtres ne sont possibles que s’ils se sentent reliés à un même centre commun.
Nous sommes les enfants d’un même Père, parce que l’âme humaine est une émanation de l’âme divine, une étincelle de la pensée éternelle.


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Tout nous parle de Dieu, le visible et l’invisible. L’intelligence le discerne ; la raison et la conscience le proclament.
Mais l’homme n’est pas seulement raison et conscience ; il est aussi amour. Ce qui caractérise l’être humain, par-dessus tout, c’est le sentiment, c’est le cœur. Le sentiment est un privilège de l’âme ; c’est par là qu’elle s’attache à ce qui est bon, beau et grand, à tout ce qui mérite sa confiance et peut être son soutien dans le doute, sa consolation dans le malheur. Or, tous ces modes de sentir et de concevoir nous révèlent également Dieu, car la bonté, la beauté, la vérité ne se trouvent dans l’être humain qu’à l’état partiel, borné, incomplet. La bonté, la beauté, la vérité ne peuvent exister qu’à la condition de retrouver leur principe, leur plénitude, leur source dans un être qui les possède à l’état supérieur, à l’état infini.
L’idée de Dieu s’impose à nous par toutes les facultés de notre esprit, en même temps qu’elle parle à nos yeux par toutes les splendeurs de l’univers. L’intelligence suprême se révèle comme la cause éternelle, où tous les êtres viennent puiser la force, la lumière et la vie. C’est là l’Esprit divin, l’Esprit puissant que l’on honore, sous tant d’appellations différentes, mais qui, sous tous ces noms, est toujours le centre, la loi vivante, la raison par qui les êtres et les mondes se sentent vivre, par qui ils se connaissent, se renouvellent et s’élèvent.
Dieu nous parle par toutes les voix de l’infini. Il nous parle, non pas dans une bible écrite il y a des siècles, mais dans une bible qui s’écrit tous les jours, avec ces caractères majestueux qui s’appellent l’océan, les mers, les montagnes, les astres du ciel ; par toutes les harmonies douces et graves qui montent du sein de la terre ou descendent des espaces éthérés. Il nous parle encore dans le sanctuaire de notre être, aux heures de silence et de méditation. Quand les bruits discordants de la vie matérielle se taisent, alors la voix intérieure, la grande voix s’éveille, se fait entendre. Cette voix sort des profondeurs de la conscience et nous parle de devoir, de progrès, d’ascension. Il y a en nous comme une retraite intime, comme une source profonde d’où peuvent jaillir des flots de vie, d’amour, de vertu, de lumière. Là se manifeste ce reflet, ce germe divin, caché dans toute âme humaine.
C’est pour cela que l’âme humaine est le plus beau témoignage qui s’élève en faveur de l’existence de Dieu : elle est un rayonnement de l’âme divine. Elle en contient à l’état d’embryons toutes les puissances, et son rôle, sa destinée consiste à les mettre en valeur au cours de ses existences innombrables, dans ses transmigrations à travers les temps et les mondes.
L’être humain, doué de raison, est responsable ; il est susceptible de se connaître, et a le devoir de se gouverner lui-même, Comme l’a dit Jean l’évangéliste : « La raison humaine est cette véritable lumière qui éclaire tout homme venant en ce monde. » (JEAN, 1, 9.) La raison humaine, avons-nous dit, est une étincelle de la raison divine. C’est en remontant vers sa source, c’est en communiant avec la Raison absolue, éternelle, qu’elle découvre la vérité, comprend la loi et l’ordre universels. Aussi dis-je à tous : O hommes ! Fils de la Lumière, ô mes frères ! Souvenons-nous de notre origine ; souvenons-nous du but pendant le voyage de la vie ! Détachons-nous des choses qui passent ; attachons-nous aux choses qui demeurent.
Il n’est pas deux principes dans le monde : le bien et le mal. Le mal n’est qu’un effet de contraste, ce que la nuit est au jour. Il n’a pas d’existence propre. Le mal est l’état d’infériorité et d’ignorance de l’être en voie d’évolution. Les premiers degrés de l’échelle immense représentent ce qu’on appelle le mal ; mais à mesure que l’être s’élève, il réalise le bien en lui et autour de lui. Par contre, le mal s’atténue, puis s’évanouit. Le mal, on l’a dit, n’est que l’absence du bien. S’il semble dominer encore sur notre planète, c’est parce que celle-ci est un des premiers anneaux de la chaîne, un séjour d’âmes élémentaires qui débutent dans le rude sentier de la connaissance, ou bien d’âmes coupables, en voie de réparation. Sur les mondes plus avancés, le bien s’épanouit et, de degré en degré, finit par régner sans partage.
Le Bien est indéfinissable par lui-même. Le définir serait l’amoindrir. Il faut le considérer, non dans sa nature, mais dans ses manifestations.
Au-dessus des essences, des formes et des idées, plane le principe du Beau et du Bien, dernier terme que nous soyons capables d’atteindre par la pensée, sans l’embrasser toutefois. Il est dans notre infirmité de ne pouvoir saisir la réalité ultime des choses ; mais la sensibilité, l’intelligence et la connaissance sont en nous autant de points d’appui, qui permettent à l’âme de se dégager de son état d’infériorité et d’incertitude, et de se convaincre que tout dans l’univers, les forces et les êtres, tout est régi par le Bien et le Beau. L’ordre et la majesté du monde, ordre physique et ordre moral, justice, liberté, moralité, tout repose sur des lois éternelles, et il n’y a pas de lois éternelles sans un Principe supérieur, sans une Raison première, cause de toute loi. Aussi l’être humain, pas plus que la société, ne peut-il grandir et progresser sans l’idée de Dieu, c’est-à-dire sans justice, sans liberté, sans respect de soi-même, sans amour, car Dieu représentant la perfection, est le dernier mot, la suprême garantie de tout ce qui constitue la beauté, la grandeur de la vie, de tout ce qui fait la puissance et l’harmonie de l’univers !

VII. L’IDEE DE DIEU ET L’EXPERIMENTATION PSYCHIQUE.

Jusqu’ici, dans notre étude de la question de Dieu, nous nous sommes maintenus sur le terrain des principes. Dans ce domaine, l’idée de Dieu nous apparaît comme la clé de voûte de la doctrine spiritualiste. Voyons maintenant si elle n’est pas d’une importance égale dans le domaine des faits, dans l’ordre expérimental .
A première vue, il peut sembler étrange d’entendre dire que l’idée de Dieu jouerait un rôle utile dans l’étude expérimentale, dans l’observation des faits spirites. Remarquons d’abord qu’il y a tendance, de la part de certains groupements, à donner au spiritisme un caractère surtout expérimental, à s’attacher exclusivement à l’étude des phénomènes, à négliger ce qui a un caractère philosophique ; tendance à rejeter tout ce qui peut rappeler, si peu que ce soit, les doctrines du passé, pour se cantonner sur le terrain scientifique. Dans ces milieux, on tient à écarter la croyance et l’affirmation de Dieu comme superflues, tout au moins comme étant d’une démonstration impossible. On pense ainsi attirer les hommes de science, les positivistes, les libres penseurs, tous ceux qui éprouvent une sorte d’aversion pour le sentiment religieux, pour tout ce qui a une apparence mystique ou doctrinale.
D’un autre côté, on voudrait faire du spiritisme un enseignement philosophique et moral, basé sur les faits, un enseignement susceptible de remplacer les doctrines vieillies, les systèmes surannés et de donner satisfaction aux âmes nombreuses qui recherchent avant tout des consolations pour leurs douleurs, une philosophie simple, populaire, qui les repose des tristesses de la vie.
D’un côté comme de l’autre, il y a des foules à satisfaire ; beaucoup plus même d’un côté que de l’autre, car la foule de ceux qui luttent et souffrent dépasse en grand nombre celle des hommes d’étude.
Pour soutenir ces deux thèses, nous voyons de part et d’autre des hommes sincères et convaincus, aux qualités desquels nous nous plaisons à rendre hommage. Pour qui faudrait-il opter ? Dans quel sens convient-il d’orienter le spiritisme pour assurer son évolution ? Le résultat de nos recherches et de nos observations nous amène à reconnaître que la grandeur du spiritisme, l’influence qu’il acquiert sur les masses provient surtout de sa doctrine ; les faits ne sont que les fondations sur lesquelles l’édifice s’appuie. Certes ! Les fondations jouent un rôle essentiel dans tout édifice, mais ce n’est pas dans les fondations, c’est-à-dire en des constructions souterraines, que la pensée et la conscience peuvent trouver un abri.
A nos yeux, la mission réelle du spiritisme n’est pas seulement d’éclairer les intelligences par une connaissance plus précise et plus complète des lois physiques du monde ; elle consiste surtout à développer la vie morale chez les hommes, la vie morale que le matérialisme et le sensualisme ont bien amoindrie. Relever les caractères et fortifier les consciences, telle est la tâche capitale du spiritisme. A ce point de vue, il peut être un remède efficace aux maux qui assiègent la société contemporaine, un remède à cet accroissement inouï de l’égoïsme et des passions qui nous pousse aux abîmes.
Nous croyons devoir exprimer ici notre entière conviction : ce n’est pas en faisant du spiritisme seulement une science positive, expérimentale ; ce n’est pas en éliminant ce qu’il y a d’élevé en lui, ce qui entraîne la pensée au-dessus des horizons étroits, c’est-à-dire l’idée de Dieu, l’usage de la prière, que l’on facilitera sa tâche ; au contraire, on le rendrait stérile, sans action sur le progrès des masses.
Certes ! Nul plus que nous n’admire les conquêtes de la science ; nous avons toujours aimé à rendre justice aux efforts courageux des savants qui font reculer chaque jour les bornes de l’inconnu. Mais la science n’est pas tout. Sans doute elle a contribué à éclairer l’humanité ; cependant elle s’est toujours montrée impuissante à la rendre plus heureuse et meilleure.
La grandeur de l’esprit humain ne consiste pas seulement dans la connaissance ; elle est aussi dans l’idéal élevé. Ce n’est pas la science, c’est le sentiment, la foi, l’enthousiasme qui ont fait Jeanne d’Arc, 1789, toutes les grandes épopées de l’histoire.
Les envoyés d’en haut, les grands prédestinés, les voyants, les prophètes n’ont pas choisi comme mobile la science ; ils ont choisi la croyance. Ils n’ont pas frappé les cerveaux ; ils ont touché les cœurs. Tous sont venus pour pousser les nations vers Dieu.
Qu’est devenue la science du passé ? Les vagues de l’oubli l’ont submergée, comme elles submergeront la science de nos jours. Que seront les méthodes, les théories actuelles dans vingt siècles ? Par contre, les noms des grands missionnaires ont survécu à travers les temps. Ce qui survit à tout, dans le désastre des civilisations, c’est ce qui élève l’âme humaine au-dessus d’elle-même, vers un but sublime, vers Dieu!
Il y a autre chose encore. Même en nous cantonnant sur le terrain de l’étude expérimentale, il est une considération capitale dont nous devons nous inspirer. C’est la nature des rapports qui existent entre les hommes et le monde des Esprits ; c’est l’étude des conditions à remplir pour tirer de ces rapports les meilleurs effets.
Dès qu’on aborde ces phénomènes, on est frappé par la composition de ce monde invisible qui nous entoure, par le caractère de ces foules d’Esprits qui nous enveloppent et cherchent sans cesse à se mettre en relations avec les hommes. Autour de notre planète arriérée flotte une vie puissante, invisible, où dominent les Esprits légers et moqueurs, auxquels se mêlent des Esprits pervers et malfaisants. Il y a là bien des passionnés, des vicieux, des criminels. Ils ont quitté la terre, l’âme pleine de haine, la pensée altérée de vengeance ; ils attendent dans l’ombre le moment propice pour satisfaire leurs rancunes, leurs fureurs, aux dépens des expérimentateurs imprudents et imprévoyants qui, sans précaution, sans réserve, ouvrent toutes larges les voies qui font communiquer notre monde et celui des Esprits.
C’est de ce milieu que nous viennent les mystifications sans nombre, les tromperies audacieuses, les manœuvres que connaissent bien les spirites expérimentés, manœuvres perfides, qui, dans certains cas, conduisent les médiums à l’obsession, à la possession, à la perte de leurs plus belles facultés. A tel point que certains critiques, en faisant le dénombrement des victimes de ces faits, en énumérant tous les abus qui découlent d’une pratique inconsidérée et frivole du spiritisme, se sont demandé s’il n’y avait pas là une source de dangers, de misères, une nouvelle cause de décadence pour l’humanité .
Fort heureusement, à côté du mal est le remède. Pour nous délivrer des influences mauvaises, il existe une ressource suprême. Nous possédons un moyen puissant pour écarter les Esprits de l’abîme et faire du spiritisme un élément de régénération, un soutien, un réconfort. Cette ressource, ce préservatif, c’est la prière, c’est la pensée dirigée vers Dieu ! La pensée de Dieu est comme une lumière qui dissipe l’ombre et éloigne les Esprits de ténèbres ; c’est une arme qui écarte les esprits malfaisants et nous préserve de leurs embûches. La prière, lorsqu’elle est ardente, improvisée, et non pas une récitation monotone, a un pouvoir dynamique et magnétique considérable  ; elle attire les Esprits élevés et nous assure leur protection. Grâce à eux, nous pouvons alors communiquer avec ceux que nous avons aimés sur terre, ceux qui ont été la chair de notre chair, le sang de notre sang et qui, du sein des espaces, tendent leurs bras vers nous.
Nous l’avons constaté bien des fois dans notre carrière déjà longue d’expérimentateur : lorsque, dans une réunion spirite, toutes les pensées et les volontés s’unissent en un élan puissant, dans une conviction profonde, lorsqu’elles montent vers Dieu par la prière, le secours ne fait jamais défaut. Toutes ces volontés réunies constituent un faisceau de forces, une arme sûre contre le mal. A l’appel qui s’élève vers le ciel, il y a toujours quelque Esprit d’élite qui répond. Cet Esprit protecteur, par une invitation d’en haut, vient diriger nos travaux, écarter les Esprits inférieurs ; il laisse seulement intervenir ceux dont les manifestations sont utiles pour eux-mêmes ou pour les incarnés.
Il y a là un principe infaillible. Avec la pensée épurée et l’élévation vers Dieu, le spiritisme expérimental peut être une lumière, une force morale, une source de consolations. Sans elles, c’est l’incertitude, la porte ouverte à tous les pièges de l’invisible. C’est une issue offerte à toutes les influences, à tous les souffles de l’abîme, à ces souffles de haine, à ces tempêtes du mal qui passent sur l’humanité comme des trombes et la couvrent de désordre et de ruines.
Oui, il est bon, il est nécessaire d’ouvrir des routes pour communiquer avec le monde des Esprits, mais avant tout il faut éviter que ces routes ne servent à nos ennemis pour nous envahir. Rappelons-nous que, dans le monde invisible, il y a bien des éléments impurs. Leur ouvrir une issue, ce serait déverser sur la terre des maux innombrables : ce serait livrer aux Esprits pervers une foule d’âmes faibles et désarmées. Pour entrer en relations avec les puissances supérieures, avec les Esprits éclairés, il faut la volonté et la foi, le désintéressement absolu et l’élévation des pensées. En dehors de ces conditions, l’expérimentateur serait le jouet des Esprits légers. « Qui se ressemble s’assemble », dit le proverbe. En effet, la loi des affinités régit le monde des âmes comme celui des corps.
Il y a donc nécessité, au point de vue théorique comme au point de vue pratique, nécessité au point de vue du progrès du spiritisme, de développer le sens moral, de s’attacher aux croyances fortes, aux principes supérieurs, nécessité de ne pas abuser des évocations, de n’entrer en communication avec les Esprits que dans des conditions de recueillement et de paix morale.
Le spiritisme a été donné à l’homme comme, un moyen de s’éclairer, de s’améliorer, d’acquérir les qualités indispensables à son évolution. Si l’on détruisait dans les âmes ou seulement si l’on négligeait l’idée de Dieu et les aspirations élevées, le spiritisme pourrait devenir une chose dangereuse. C’est pourquoi nous n’hésitons pas à dire que se livrer aux pratiques spirites sans épurer ses pensées, sans les fortifier par la foi et la prière, ce serait accomplir une oeuvre funeste, dont la responsabilité pourrait retomber lourdement sur ses auteurs.


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Arrivons maintenant à un point particulièrement délicat de la question. On reproche parfois aux spirites de ne pas vivre toujours en harmonie avec leurs principes ; on leur fait observer que chez eux le sensualisme, les appétits matériels, l’amour du lucre, occupent une place souvent considérable. On nous reproche surtout les divisions intestines, les rivalités de groupes et de personnes, qui sont un si grand obstacle à l’organisation des forces spirites et à leur marche en avant.
Il ne nous convient pas d’insister sur ces propos ; nous ne voulons prononcer ici aucun jugement défavorable pour personne. Qu’on nous permette seulement de faire remarquer que ce ne serait pas en réduisant le spiritisme au rôle de simple science d’observation que l’on réussirait à pallier, à atténuer ces faiblesses. Au contraire, on ne ferait que les aggraver. Le spiritisme exclusivement expérimental n’aurait plus l’autorité ni la puissance morale nécessaires pour relier les âmes. Certains croient voir dans l’effacement de l’idée de Dieu une mesure profitable au spiritisme. Nous dirons, nous, que c’est l’insuffisance actuelle de cette notion et, en même temps, l’insuffisance des nobles sentiments et des hautes aspirations qui font le manque de cohésion et créent les difficultés d’organisation du spiritisme. Il faut remarquer une chose, en effet : dès que l’idée de Dieu s’affaiblit dans une âme, la notion du moi, c’est-à-dire de la personnalité, grandit aussitôt; elle grandit au point de devenir tyrannique et absorbante. L’une de ces notions ne s’accroît et se fortifie qu’au détriment de l’autre. Qui n’adore pas Dieu, a dit un penseur, s’adore soi-même !
Ce qui est bon pour les milieux d’expérimentation spirite est bon pour la société tout entière. L’idée de Dieu - nous l’avons démontré - se relie étroitement à l’idée de loi comme à celle de devoir et de sacrifice. L’idée de Dieu se relie à toutes les notions indispensables à l’ordre, à l’harmonie, à l’élévation des êtres et des sociétés. C’est pourquoi, lorsque l’idée de Dieu s’affaisse, toutes ces autres notions s’affaiblissent ; elles s’évanouissent peu à peu, pour faire place au personnalisme, à la présomption, à la haine de toute autorité, de toute direction, de toute loi supérieure. Et c’est ainsi que, petit à petit, degré à degré, on arrive à cet état social qui se traduit par une devise célèbre, devise que nous avons entendue retentir de toutes parts : Ni Dieu, ni Maître !
On a tellement abusé de l’idée de Dieu à travers les siècles ; on a torturé, immolé en son nom tant d’innocentes victimes ; au nom de Dieu, on a tellement arrosé le monde de sang humain, que l’homme moderne s’est détourné de lui. Nous craignons bien que la responsabilité de cet état de choses ne retombe sur ceux qui ont fait du Dieu de bonté et d’éternelle miséricorde, un Dieu de vengeance et de terreur. Mais il ne nous appartient pas d’établir les responsabilités. Notre but est plutôt de rechercher un terrain de conciliation et de rapprochement où tous les bons Esprits puissent se réunir.
Quoi qu’il en soit, les hommes modernes, en grande majorité, ne veulent plus supporter au-dessus d’eux ni Dieu, ni loi, ni contrainte ; ils ne veulent plus comprendre que la liberté sans la sagesse et sans la raison est impraticable. La liberté sans la vertu mène à la licence, et la licence aboutit à la corruption, à l’affaissement des caractères et des consciences, en un mot à l’anarchie. C’est seulement lorsqu’on aura traversé de nouvelles et plus rudes épreuves que l’on consentira à réfléchir. Alors la vérité se fera jour, et la grande parole de Voltaire se vérifiera sous nos yeux : « L’athéisme et le fanatisme sont les deux pôles d’un monde de confusion et d’horreur ! » (Histoire de Jenni.)
Il est vrai qu’on nous parle beaucoup d’altruisme, autrement dit de l’amour de l’humanité, et l’on prétend que ce sentiment doit suffire. Mais comment fera-t-on de l’amour de l’humanité une chose vécue, réalisée, alors qu’on n’arrive même pas, je ne dirai pas à s’aimer, mais seulement à se supporter les uns les autres ? Pour grouper les sentiments et les aspirations, il faut un idéal puissant. Eh bien ! Cet idéal, vous ne le trouverez pas dans l’être humain, fini, borné ; vous ne le trouverez pas dans les choses de ce monde, toutes passagères et transitoires. Il n’existe que dans l’Être infini, éternel. Lui seul est assez vaste pour recueillir, absorber tous les élans, toutes les forces, toutes les aspirations de l’âme humaine, pour les réchauffer et les féconder. Cet idéal, c’est Dieu !
Mais qu’est-ce que l’idéal ? C’est la perfection. Dieu étant la perfection réalisée est en même temps l’idéal réel, l’idéal vivant !

VIII. ACTION DE DIEU DANS LE MONDE ET DANS L’HISTOIRE.

Dieu, foyer d’intelligence et d’amour, est aussi indispensable à la vie intérieure que le soleil à la vie physique !
Dieu est le soleil des âmes. C’est de lui qu’émane cette force, à la fois énergie, pensée, lumière, qui anime et vivifie tous les êtres. Lorsqu’on prétend que l’idée de Dieu est inutile, indifférente, autant vaudrait dire que le soleil est inutile, indifférent à la nature et à la vie.
Par la communion de pensée, par l’élévation de l’âme à Dieu, il se produit comme une pénétration continue, une fécondation morale de l’être, un épanouissement graduel des puissances cachées en lui, car ces puissances, pensée et sentiment, ne peuvent s’éveiller, grandir que par de hautes aspirations, par les élans de notre cœur. En dehors de cela, toutes ces forces latentes sommeillent en nous ; elles restent inertes, endormies !
Nous avons parlé de la prière. Expliquons-nous encore sur ce mot. La prière est la forme, l’expression la plus puissante de la communion universelle. Elle n’est pas, à nos yeux, ce que tant de personnes supposent : une récitation banale, un exercice monotone et souvent répété. Non ! Par la vraie prière, la prière improvisée, celle qui ne comporte pas de formules, l’âme s’élance vers les régions supérieures ; elle y puise des forces, des lumières ; elle y trouve un soutien que ne peuvent connaître ni comprendre ceux qui méconnaissent Dieu et la communion avec lui. Prier, c’est se tourner vers l’Être éternel, c’est lui exposer nos pensées et nos actions, pour les soumettre à sa loi et faire de sa volonté la règle de notre vie ; c’est se procurer par là même la paix du cœur, la satisfaction de la conscience, en un mot ce bien intérieur qui est le plus grand, le plus impérissable de tous les biens !
Nous dirons donc que méconnaître, négliger la croyance en Dieu et la communion de pensées qui s’y rattache, la communion avec l’Ame de l’univers, avec ce foyer d’où rayonnent à jamais l’intelligence et l’amour, ce serait, en même temps, méconnaître ce qu’il y a de plus grand, et dédaigner les puissances intérieures qui font notre véritable richesse. Ce serait fouler aux pieds notre propre bonheur, tout ce qui peut faire notre élévation, notre gloire, notre félicité.
L’homme qui méconnaît Dieu, et ne veut pas savoir quelles forces, quelles ressources, quels secours viennent de lui, de la communion avec lui, celui-là est comparable à un indigent qui habite à côté de palais pleins de trésors, et risque de mourir de misère devant la porte qui lui est ouverte et par où tout l’invite à entrer.
Parfois on entend certains profanes dire: « Moi, je n’ai pas besoin de Dieu ! » Parole triste et déplorable, parole orgueilleuse de ceux qui, sans Dieu, ne seraient rien, n’auraient jamais existé. O cécité de l’esprit humain, cent fois pire que celle du corps ! Avez-vous jamais entendu dire à la fleur : Je n’ai pas besoin de soleil ? Avez-vous entendu dire à l’enfant : Je n’ai pas besoin de père ; à l’aveugle : Je n’ai pas besoin de lumière ?
Puis, nous le savons, Dieu n’est pas seulement la lumière des âmes ; il est aussi l’amour ! Et l’amour est la force des forces. L’amour triomphe de toutes les puissances brutales. Souvenons-nous que si l’idée chrétienne a vaincu le monde antique, si elle a triomphé de la puissance romaine, de la force des armées, du glaive des Césars, c’est par l’amour ! Elle a vaincu par ces paroles : « Heureux ceux qui ont la douceur, car ils posséderont la terre ! »
Et, en effet, il n’y a pas d’homme, si dur, si cruel soit-il, qui ne soit désarmé contre vous si cet homme est convaincu que vous voulez son bien, son bonheur, que vous le voulez d’une façon réelle et désintéressée.
L’amour est tout-puissant ; il est la chaleur qui fait fondre les glaces du scepticisme, de la haine, de la fureur, la chaleur qui vivifie les âmes engourdies, mais prêtes à éclore et à se dilater sous ce rayon d’amour.
Remarquez-le : ce sont les forces subtiles et invisibles qui sont les reines du monde, les maîtresses de la nature. Voyez l’électricité ! Cela ne pèse rien et ne paraît rien, et cependant l’électricité est une force merveilleuse ; elle volatilise les métaux et décompose tous les corps. Il en est de même pour le magnétisme, qui peut paralyser le bras d’un géant. De même, l’amour peut dominer la force et la réduire ; il peut transformer l’âme humaine, principe de la vie en nous, siège des forces de la pensée. Voilà pourquoi Dieu, étant le foyer d’amour universel, est aussi la puissance suprême.
Si nous comprenions à quelles hauteurs, à quelles grandes et nobles tâches notre esprit peut parvenir par une compréhension profonde de l’œuvre divine, par une pénétration de la pensée de Dieu en nous, nous serions transportés d’admiration.
Il est des hommes qui croient qu’en poursuivant notre ascension spirituelle, nous finirons par perdre l’existence, par aller nous anéantir dans l’Être suprême. C’est là une erreur grave ; car, au contraire, ainsi que la raison l’indique et comme le confirment tous les grands Esprits, plus nous nous développons en intelligence et en moralité, plus notre personnalité s’affirme. L’être peut s’étendre et rayonner; il peut s’accroître en perception, en sensation, en sagesse, en amour, sans pour cela cesser d’être lui-même.
Ne le voyons-nous pas par les Esprits élevés qui sont des personnalités puissantes ? Et nous-mêmes, ne sentons-nous pas que plus nous aimons, plus nous devenons susceptibles d’aimer ; que mieux nous comprenons, plus nous nous sentons capables de sentir et de comprendre ?
Être uni à Dieu, c’est ressentir, c’est réaliser la pensée de Dieu. Mais ce pouvoir de sentir, cette possibilité d’action de l’esprit ne détruisent pas celui-ci. Elles ne peuvent que l’agrandir. Et lorsqu’elle est parvenue à certains degrés d’ascension, l’âme devient à son tour une des puissances, une des forces actives de l’univers ; elle devient un des agents de Dieu dans l’œuvre éternelle, car sa collaboration s’étend sans cesse. Son rôle est de transmettre les volontés divines aux êtres qui sont au-dessous d’elle, d’attirer à elle dans sa lumière, dans son amour, tout ce qui s’agite, lutte et souffre dans les mondes inférieurs. Elle ne se contente même pas d’une action occulte. Parfois elle s’incarne, elle prend un corps et devient un de ces missionnaires qui passent comme des météores dans la nuit des siècles.
Il est d’autres théories qui consistent à croire que lorsque, à la suite de ses pérégrinations, l’âme est parvenue à la perfection absolue, à Dieu, après un long séjour au sein des béatitudes célestes, elle redescend dans l’abîme matériel, dans le monde de la forme, au plus bas degré de l’échelle des êtres, pour recommencer la lente, pénible et douloureuse ascension qu’elle vient d’accomplir.
Cette théorie n’est pas plus admissible que l’autre ; pour l’accepter, il faudrait faire abstraction de la notion d’infini. Or, cette notion s’impose, quoiqu’elle échappe à toute analyse. Il suffit de réfléchir quelque peu, pour comprendre que l’âme peut poursuivre sa marche ascendante et se rapprocher sans cesse de l’apogée, sans jamais l’atteindre. Dieu, c’est l’infini ! C’est l’absolu ! Et nous ne serons jamais par rapport à lui, malgré nos progrès, que des êtres finis, relatifs, limités.
L’être peut donc évoluer, s’accroître sans cesse, sans jamais réaliser la perfection absolue.
Cela paraît difficile à comprendre, et cependant quoi de plus simple ? Laissez-nous choisir un exemple à la portée de tous, un exemple mathématique. Vous prenez une unité - et l’unité c’est un peu l’image de l’être - vous posez l’unité et vous y ajoutez la plus forte fraction que vous trouverez. Vous vous rapprocherez du chiffre 2, mais vous ne l’atteindrez jamais.
Nous, hommes, enfermés dans la chair, nous avons de la peine à nous faire une idée du rôle de l’esprit, qui porte en lui toutes les puissances, toutes les forces de l’univers, toutes les beautés, les splendeurs de la vie céleste, et les fait rayonner sur le monde. Mais ce que nous pouvons et devons comprendre, c’est que ces Esprits puissants, ces missionnaires, ces agents de Dieu ont été comme nous des hommes de chair, pleins de faiblesses et de misères ; s’ils ont atteint ces hauteurs, c’est par leurs recherches et leurs études, par l’application à tous leurs actes de la loi divine. Or, ce qu’ils ont fait, chacun de nous peut le faire. Tous, nous avons en nous les germes d’une puissance et d’une grandeur égales à leur puissance, à leur grandeur. Tous, nous avons les mêmes destinées splendides ; tous, nous avons le même avenir grandiose, et il ne dépend que de nous de le réaliser à travers nos existences innombrables.
Grâce aux études psychiques, aux phénomènes télépathiques, nous sommes tout au moins aptes à comprendre, dès maintenant, que nos facultés ne sont pas bornées à nos sens. Notre esprit peut rayonner au delà de notre corps ; il peut recevoir les influences des mondes supérieurs, les impressions de la pensée divine. L’appel de la pensée humaine est entendu par la pensée divine ; l’âme, brisant les fatalités de la chair, peut s’élancer vers ce monde spirituel qui est son héritage, son domaine à venir. C’est pourquoi il faut que chacun devienne son propre médium, et apprenne à communiquer avec le monde supérieur de l’esprit.
Ce pouvoir a été jusqu’ici le privilège de quelques initiés. Aujourd’hui, il faut que tous l’acquièrent, et que tout homme arrive à saisir, à comprendre les manifestations de la pensée supérieure. Il peut y arriver par une vie pure et sans tache, et par un entraînement graduel de ses facultés.


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L’action de Dieu se révèle dans l’univers, aussi bien dans le monde physique que dans le monde moral ; il n’est pas un seul être qui ne soit l’objet de sa sollicitude. Nous l’avons vue se manifester dans cette majestueuse loi du progrès qui préside à l’évolution des êtres et des choses et les porte vers un état toujours plus parfait. Cette action se montre également dans l’histoire des peuples. On peut suivre à travers les temps cette marche grandiose, cette poussée de l’humanité vers le Bien, vers le Mieux. Sans doute, il y a dans cette marche séculaire beaucoup de défaillances et de reculs, beaucoup d’heures tristes et sombres, mais il ne faut pas oublier que l’homme est libre de ses actions. Ses maux sont presque toujours la conséquence de ses errements, de son état d’infériorité.
N’est-ce pas un choix providentiel qui désigne les hommes destinés à apporter les grandes innovations, les découvertes qui contribuent au développement des civilisations ? Ces découvertes s’enchaînent ; elles apparaissent les unes après les autres, d’une façon méthodique, régulière, à mesure qu’elles peuvent se greffer avec succès sur les progrès antérieurs.
Ce qui démontre, d’une façon éclatante, l’intervention de Dieu dans l’histoire, c’est l’apparition aux temps voulus, aux heures solennelles, de ces grands missionnaires, qui viennent tendre la main aux hommes et les remettre dans la voie perdue en leur enseignant la loi morale, la fraternité, l’amour de leurs semblables, en leur donnant le grand exemple du sacrifice de soi pour la cause de tous.
Y a-t-il rien de plus imposant que ce rôle des envoyés divins ? Ils viennent, ils marchent au milieu des peuples. En vain les sarcasmes et les railleries pleuvent sur eux. En vain le mépris, la souffrance les attendent. Ils marchent toujours ! En. vain se dressent autour d’eux les gibets, les échafauds. Les bûchers s’allument. Ils vont, le front haut, l’âme sereine. Quel est donc le secret de leur force ? Qui donc les pousse ainsi en avant ?
Au-dessus des ombres de la matière et des vulgarités de la vie, plus haut que la Terre, plus haut que l’humanité, ils voient resplendir ce foyer éternel, dont un rayon les éclaire et leur donne le courage d’affronter toutes les douleurs, tous les supplices. Ils ont contemplé la vérité sans voiles, et désormais ils n’ont plus d’autre souci que de répandre, de mettre à la portée des foules la connaissance des grandes lois qui régissent les âmes et les mondes !
Tous ces Esprits puissants ont déclaré venir au nom de Dieu et pour exécuter sa volonté. Jésus l’affirme souvent: « C’est mon père, dit-il, qui m’a envoyé. » Et Jeanne d’Arc n’est pas moins précise : « Je viens de la part de Dieu, pour délivrer la France des Anglais. »
Au milieu de la nuit affreuse du quinzième siècle, dans ce gouffre de misères et de douleurs où sombraient la vie et l’honneur d’une grande nation, qu’est-ce que Jeanne apportait à la France trahie, vaincue, agonisante ? Était-ce un secours matériel, des soldats, une armée ? Non, ce qu’elle apportait, c’était la foi, la foi en soi-même, la foi en l’avenir de la France, la foi en Dieu ! « Je viens de la part du Roi du ciel, disait-elle, et je vous apporte les secours du ciel. » Et avec cette foi, la France s’est relevée; elle a échappé à la destruction, à la mort !
Il en est de même aujourd’hui ! Il n’y a qu’un remède, soit à ce scepticisme gouailleur, soit à ce découragement, à cette désespérance qui nous envahissent de toutes parts.
Il n’y a qu’un remède à cet affaissement de la pensée et de la conscience, à ce dégoût de la vie, qui se traduisent par tant de suicides. Ce remède, c’est la foi en nous-mêmes, en nos destinées immortelles, la foi en cette Puissance suprême qui n’abandonne jamais ceux qui ont placé leur confiance en elle.
Le seul moyen de sauver la société en péril, et qui menace de s’abîmer dans l’anarchie, c’est de hausser les pensées et les cœurs, toutes les aspirations de l’âme humaine vers cette Puissance infinie qui est Dieu ; c’est d’unir notre volonté à la sienne et nous pénétrer de sa loi: là est le secret de toute force, de toute élévation !
Et nous serons tout surpris et émerveillés, en avançant dans cette voie oubliée, de reconnaître, de découvrir que Dieu n’est pas une abstraction métaphysique, un vague idéal perdu dans les profondeurs du rêve, un idéal qui n’existe, comme le disent Vacherot et Renan, que lorsque nous y pensons ! Non, Dieu est un Être vivant, sensible, conscient, Dieu est une réalité agissante. Dieu est notre père, notre guide, notre consolateur, notre ami le meilleur ; pour peu que nous lui adressions nos appels et que nous lui ouvrions notre cœur, il nous éclairera de sa lumière, nous réchauffera de son amour ; il répandra sur nous son Ame immense, son Ame riche de toutes les perfections ; par lui et en lui seulement, nous nous sentirons véritablement frères ; par lui nous nous sentirons heureux, et en dehors de lui nous ne trouverons qu’obscurité, incertitude, déception, douleur et misère morale ! Voilà le secours que Jeanne apportait à la France, le secours que le spiritualisme moderne apporte à l’humanité !
On peut dire que la pensée de Dieu rayonne sur l’histoire et sur le monde : elle a inspiré les générations dans leur marche, soutenu, relevé des millions d’âmes désolées. Elle a été la force, l’espérance suprême, le dernier appui des affligés, des spoliés, des sacrifiés, de presque tous ceux qui, à travers les temps, ont souffert de l’injustice, de la méchanceté des hommes et des coups de l’adversité !
Si vous évoquez le souvenir des générations qui se sont succédé sur la terre, partout, vous verrez les regards des hommes tournés vers cette lumière que rien ne pourra éteindre ni amoindrir !
C’est pourquoi nous vous disons : mes frères, recueillez-vous dans le silence de vos demeures ; élevez souvent vers Dieu les élans de vos pensées et de vos cœurs, exposez-lui vos besoins, vos faiblesses, vos misères, et, aux heures difficiles, aux moments solennels de votre vie, adressez-lui l’appel suprême. Alors, au plus intime de votre être, vous entendrez comme une voix vous répondre, vous consoler, vous secourir. Cette voix vous pénétrera d’une émotion profonde ; elle fera peut-être jaillir vos larmes, mais vous vous relèverez fortifiés, réconfortés.
Apprenez à prier du plus profond de votre âme, et non plus du bout des lèvres ; apprenez à entrer en communion avec votre Père, à recevoir ces enseignements mystérieux, réservés non pas aux savants et aux puissants, mais aux âmes pures, aux cœurs sincères.
Quand vous voudrez trouver un refuge contre les tristesses et les déceptions de la terre, souvenez-vous qu’il n’y a qu’un moyen : élever sa pensée vers ces pures régions de la lumière divine, où ne pénètrent pas les influences grossières de notre monde. Les rumeurs des passions, le conflit des intérêts n’arrivent pas jusque-là. Parvenu à ces régions, l’Esprit se dégage de ses préoccupations inférieures, de toutes les choses mesquines de notre existence ; il plane au-dessus de la tempête humaine, plus haut que les bruits discordants de la lutte pour la vie, pour la richesse et les vains honneurs ; plus haut que toutes ces choses éphémères et changeantes qui nous rattachent aux mondes matériels. Là-haut l’Esprit s’éclaire ; il s’enivre des splendeurs de la vérité et de la lumière. Il voit, il comprend les lois de sa destinée.
Devant les larges perspectives de l’immortalité, devant le spectacle des progrès et des ascensions qui nous attendent sur l’échelle des mondes, que deviennent pour nous les misères de la vie actuelle, les vicissitudes du temps présent ?    
Celui qui a dans sa pensée et dans son cœur cette foi ardente, cette confiance absolue en l’avenir, cette certitude qui l’élève, celui-là est cuirassé contre la douleur. Il restera invulnérable au milieu des épreuves. C’est là le secret de toute force, de toute vaillance, le secret des novateurs, des martyrs, de tous ceux qui, à travers les siècles, ont donné leur vie pour une grande cause ; de tous ceux qui, au milieu des tortures, sous la main du bourreau, alors que leurs os et leur chair, broyés par la roue ou le chevalet, n’étaient plus qu’une boue sanglante, trouvaient encore la force de dominer leurs souffrances et d’affirmer la divine justice ; de ceux qui, sur l’échafaud comme sur le bûcher, vivaient déjà par anticipation de la vie glorieuse, impérissable de l’Esprit !

IX. OBJECTIONS ET CONTRADICTIONS.

Le problème divin étant le plus vaste, le plus profond des problèmes, puisqu’il embrasse tous les autres, a enfanté des théories, des systèmes sans nombre, qui correspondent à autant de degrés de la compréhension humaine, à autant d’étapes de la pensée dans sa marche vers l’Absolu.
Dans ce domaine, les contradictions abondent. Chaque religion explique Dieu à sa manière ; chaque théorie le décrit à sa façon. Et de tout cela résulte une confusion, un chaos inextricable. Que de formes variées de l’idée de Dieu, depuis le fétiche du nègre jusqu’au Parabrahm des Indous, jusqu’à l’Acte pur de saint Thomas ! De cette confusion, les athées ont tiré des arguments pour nier l’existence de Dieu ; les positivistes, pour le déclarer «inconnaissable ».
Comment remédier à ce désordre ? Comment échapper à ces contradictions ? De la façon la plus simple. Il suffit de s’élever au-dessus des théories et des systèmes, assez haut pour les relier dans leur ensemble et par ce qu’ils ont de commun. Il suffit de s’élever jusqu’à la grande Cause, en laquelle tout se résume et tout s’explique.
L’étroitesse de vues a dénaturé, compromis l’idée de Dieu. Supprimons les barrières, les geôles, les systèmes fermés qui se contredisent, s’excluent, se combattent, pour y substituer les vues larges des conceptions supérieures. A certaines hauteurs, la science, la philosophie, la religion, jusque-là divisées, opposées, hostiles sous leurs formes inférieures, s’unissent et se fondent en une puissante synthèse qui est celle du spiritualisme moderne.
Ainsi s’accomplit la loi d’évolution des idées. Après la thèse, nous avons eu l’antithèse. Nous touchons à la synthèse, qui résumera toutes les formes et les croyances, et ce sera la gloire du vingtième siècle de l’avoir établie et formulée.
Examinons rapidement les objections les plus communes. La plus fréquente est celle qui consiste à dire : si Dieu existe, s’il est, comme vous le prétendez, Bonté, Justice, Amour, pourquoi le mal et la souffrance règnent-ils en maîtres autour de nous ? Dieu est bon, et des millions de pauvres êtres souffrent dans leur âme et dans leur chair. Tout est douleur et déchirement dans la vie des multitudes. L’iniquité est souveraine sur notre globe, et l’ardente lutte pour l’existence y fait chaque jour des victimes sans nombre.
Ainsi que nous l’avons démontré ailleurs , la souffrance est un puissant moyen d’éducation pour les âmes. Elle développe la sensibilité, qui est déjà par elle-même un accroissement de vie. Parfois, elle est une des formes de la justice, un correctif à nos actes antérieurs ou lointains.
Le mal n’est que la conséquence de l’imperfection humaine. Si Dieu avait fait les êtres parfaits, le mal n’existerait pas. Mais, alors, l’univers serait figé, immobilisé dans sa monotone perfection. La magnifique ascension des âmes à travers l’infini serait supprimée du coup. Plus rien à conquérir; plus rien à désirer ! Or, que serait une perfection sans mérites, sans efforts pour l’obtenir ? Aurait-elle seulement un prix quelconque à nos yeux ?
En résumé, le mal n’est que le moins évoluant vers le plus, l’inférieur vers le supérieur, l’âme vers Dieu.
Dieu nous a fait libres : de là, le mal, phase transitoire de notre ascension. La liberté est la condition nécessaire de la variété dans l’unité universelle. Sans elle, la monotonie aurait fait un univers insupportable. Dieu nous a donné la liberté avec cette impulsion de vie initiale par laquelle l’être évoluera de son propre effort à travers les espaces et les temps sans bornes, sur l’échelle des vies successives, à la surface des mondes qui peuplent l’étendue.
Nous émanons de Dieu comme nos pensées émanent de notre esprit, sans le fractionner, sans le diminuer. Libres et responsables, nous devenons maîtres et artisans de nos destinées. Mais, pour développer les germes et les forces qui sont en nous, la lutte est nécessaire, la lutte contre la matière, contre les passions, contre tout ce que nous appelons le mal. Cette lutte est douloureuse et les échecs sont nombreux. Pourtant, peu à peu, l’expérience s’acquiert, la volonté se trempe, le bien se dégage du mal. Une heure vient où l’âme triomphe des influences inférieures, se rachète et s’élève par l’expiation et la purification, jusqu’à la vie bienheureuse. Alors elle comprend, elle admire la sagesse et la prévoyance de Dieu, qui, en faisant d’elle l’arbitre de ses propres destins, a disposé toutes choses de façon à en dégager la plus grande somme de bonheur final pour chacun de nous.
La condition actuelle de toute âme est le juste résultat de ses existences passées. De même, notre existence présente enfante, jour par jour, par nos actes libres, le sort que nous subirons dans l’avenir.


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D’autres objections se présentent. Il en est une que nous ne pouvons négliger, car elle constitue une des questions capitales de la philosophie. On nous demande : Dieu est-il un être personnel, ou bien est-il l’Être universel, infini ? Il ne peut être les deux, car, dit-on, ces conceptions sont différentes et s’excluent mutuellement. De là, les deux grands systèmes sur Dieu : le déisme et le panthéisme. En réalité, cette contradiction n’est qu’une erreur d’optique de l’esprit humain, qui ne sait comprendre ni la personnalité ni l’infini.
La personnalité véritable, c’est le moi, l’intelligence, la volonté, la conscience. Rien n’empêche de la concevoir sans limites, c’est-à-dire infinie. Dieu étant la perfection ne peut être limité. Ainsi se concilient deux notions en apparence contradictoires.
Autre chose : Dieu est-il l’inconnaissable, comme le disent les positivistes et, parmi eux, Berthelot ? Est-il l’abîme des gnostiques, l’Isis voilée des temples d’Égypte, le redoutable et mystérieux Saint des Saints des Hébreux ou bien Dieu peut-il être connu ?
La réponse est facile : Dieu est inconnaissable dans son essence, dans ses profondeurs intimes, mais il se révèle par toute son oeuvre, dans le grand livre ouvert sous nos yeux et au fond de nous-mêmes.
On insiste encore : vous nous avez dit que le but essentiel de la vie, de toutes nos vies était d’entrer de plus en plus dans la communion universelle, pour mieux aimer et mieux servir Dieu en ses desseins. Dieu ne pouvant être connu dans sa plénitude, comment pourrait-on aimer et servir l’inconnu ?
Sans doute, répliquerons-nous, nous ne pouvons connaître Dieu dans son essence ; mais nous le connaissons par ses lois admirables, par le plan qu’il a tracé à toutes les existences, et dans lequel éclatent sa sagesse et sa justice. Pour aimer Dieu, il n’est pas nécessaire de le séparer de son oeuvre, il faut le voir dans son universalité, dans le flot de vie et d’amour qu’il déverse sur toutes choses. Dieu n’est pas l’inconnu, il est seulement l’invisible.
L’âme, la pensée, le bien, la beauté morale sont également invisibles. Et, cependant, ne devons-nous pas les aimer ? Et les aimer, n’est-ce pas encore aimer Dieu qui en est la source, puisqu’il est à la fois la pensée suprême, la beauté parfaite, le bien absolu !
Nous ne comprenons dans leur essence aucun de ces principes. Pourtant, nous savons qu’ils sont et nous ne pouvons échapper à leur influence et nous dispenser de leur rendre un culte. Si nous aimons seulement ce que nous connaissons et comprenons avec plénitude, qu’aimerons-nous, limités comme nous le sommes actuellement, dans les bornes étroites de notre compréhension terrestre !
A ceux qui réclament absolument une définition, on pourrait dire que Dieu c’est l’esprit pur, l’idée, la pensée pure. Mais l’idée pure, dans son essence, ne peut être formulée sans en être aussitôt diminuée, altérée. Toute formule est une prison. Enfermée dans la geôle du mot, la pensée perd son rayonnement, son éclat, quand elle ne perd pas son sens véritable et étendu. Appauvrie, déformée, elle devient ainsi sujette à la critique et voit s’évanouir ce qu’il y avait de plus probant en elle-même.
Dans la vie de l’espace, la pensée est une image brillante. Comparée à la pensée exprimée par des mots humains, elle est ce que serait une jeune fille resplendissante de vie et de beauté, comparée à la même jeune fille couchée dans le cercueil, sous les formes rigides et glacées de la mort.
Cependant, malgré notre impuissance à l’exprimer dans son étendue, l’idée de Dieu s’impose, avons-nous dit, puisqu’elle est indispensable à notre vie. Nous venons de voir que le Bien, le Vrai, le Beau, nous échappent dans leur essence parce qu’ils sont de nature divine. Notre propre intelligence, elle-même, est pour nous incompréhensible, précisément parce qu’elle renferme une parcelle divine qui la doue de facultés augustes. Et ce n’est qu’en pénétrant le mystère de l’âme humaine qu’un jour nous parviendrons à résoudre l’énigme de l’Être infini.
Dieu est en nous et nous sommes en lui. Dieu est le grand foyer de vie et d’amour dont chaque âme est une étincelle, ou plutôt un petit foyer encore obscur et voilé, qui contient à l’état embryonnaire toutes les puissances. A tel point que si nous savions tout ce qu’il y a en nous et quelles oeuvres grandioses nous pouvons réaliser, nous transformerions le monde ; nous l’élèverions d’un bond dans la voie immense du progrès.
Pour nous connaître, il faut donc étudier Dieu, car tout ce qui est en Dieu est en nous au moins à l’état de germe. Dieu est l’esprit universel qui s’exprime et se manifeste dans la nature, et l’homme est l’expression la plus haute de la nature.
Tous les hommes doivent arriver à cette compréhension de leur nature supérieure ; car c’est l’ignorance de cette nature et des ressources qui dorment en nous qui est la cause de toutes nos épreuves, de nos défaillances et de nos chutes.
C’est pourquoi nous dirons à tous : élevons-nous au-dessus des querelles d’école, au-dessus des discussions et des polémiques vaines. Elevons-nous assez haut pour comprendre que nous sommes autre chose qu’un rouage dans la machine aveugle du monde : nous sommes les enfants de Dieu, et, comme tels, liés étroitement à lui et à son oeuvre, destinés à un but immense, près duquel tout le reste devient secondaire ; ce but, c’est l’entrée dans la sainte harmonie des êtres et des choses, qui ne se réalise qu’en Dieu et par Dieu !
Élevons-nous jusque-là, et nous sentirons la puissance qui est en nous ; nous comprendrons le rôle que nous sommes appelés à jouer dans l’œuvre du progrès éternel. Souvenons-nous que nous sommes des Esprits immortels. Les choses de la terre sont pour nous un marchepied, un moyen d’éducation, de transformation. Nous pouvons perdre ici-bas tous nos biens terrestres. Qu’importe ? Ce qu’il faut avant tout, c’est agrandir, c’est arracher de sa gangue grossière cet esprit divin, ce dieu intérieur qui est, en tout homme, la source de sa grandeur, de sa félicité à venir. Voilà le but suprême de la vie !
Nous concluons : Dieu est la grande âme de l’univers, le foyer d’où émane toute vie, toute lumière morale. Vous ne pouvez pas plus vous passer de Dieu que la terre et tous les êtres qui vivent à sa surface ne peuvent se passer du foyer solaire. Que le soleil s’éteigne tout à coup, qu’arrivera-t-il ? Notre planète roulera dans le vide des espaces, emportant dans sa course son humanité couchée pour toujours dans son sépulcre de glace. Toutes choses seront mortes, le globe ne sera plus qu’une immense nécropole. Un morne silence régnera sur les grandes cités endormies du dernier sommeil.
Eh bien ! Dieu est le soleil des âmes ! Éteignez l’idée de Dieu, aussitôt la nuit morale se fera sur le monde. C’est précisément parce que l’idée de Dieu est faussée, dénaturée par les uns, repoussée, méconnue par beaucoup d’autres, que l’humanité actuelle erre au milieu des orages, sans pilote, sans boussole, sans guide, en proie au désordre, livrée à tous les déchirements.
Relever, agrandir l’idée de Dieu, la débarrasser des scories dont les religions et les systèmes l’ont enveloppée, tel est le rôle du spiritualisme moderne !
Si tant d’hommes sont encore incapables devoir et de comprendre l’harmonie suprême des lois, des êtres et des choses, c’est que leur âme n’est pas encore entrée par son sens intime en communication avec Dieu, c’est-à-dire avec ces pensées divines qui éclairent l’univers et sont la lumière impérissable du monde.
Nous nous demandons en terminant si nous avons réussi à donner un aperçu de l’idée de Dieu. La parole humaine est bien faible, bien sèche et bien froide pour traiter un pareil sujet. Seule, l’harmonie elle-même, la grande symphonie des sphères, la voix de l’infini pourrait rendre et exprimer la loi universelle. Il est des choses si profondes qu’elles se sentent et ne se décrivent pas. Dieu. seul, dans son amour sans bornes, peut nous en révéler le sens caché. Et c’est ce qu’il fera, si dans notre foi, dans notre élan vers la vérité, nous savons présenter à Celui qui sonde les replis les plus mystérieux des consciences, une âme capable de le comprendre, un cœur digne de l’aimer !

DEUXIEME PARTIE
LE LIVRE DE LA NATURE

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X. LE CIEL ETOILE

Un livre grandiose, avons-nous dit, est ouvert sous nos yeux, et tout observateur patient peut y lire le mot de l’énigme, le secret de la vie éternelle.
On y voit qu’une volonté a disposé l’ordre majestueux en qui s’agitent toutes les destinées, se meuvent toutes les existences, palpitent tous les esprits et tous les cœurs.
0 âme ! Apprends d’abord la suprême leçon qui descend des espaces sur les fronts soucieux. Le soleil est caché sous l’horizon ; ses dernières lueurs de pourpre teintent encore le ciel ; une lumière adoucie indique que, là-bas, un astre s’est voilé à nos yeux. La nuit étend au-dessus de nos têtes son dôme constellé d’étoiles. Notre pensée se recueille et cherche le secret des choses. Tournons-nous vers l’Orient. La voie lactée déroule comme une écharpe immense ses myriades d’étoiles, si pressées, si lointaines qu’elles semblent former une masse continue. Partout, à mesure que la nuit se fait plus noire, d’autres étoiles apparaissent, d’autres flammes s’allument comme des lampes suspendues dans le sanctuaire divin. A travers les profondeurs insondables, ces mondes s’envoient leurs rayons d’argent ; ils nous impressionnent à distance et nous parlent un muet langage.
Ils ne brillent pas du même éclat et le puissant Sirius n’est pas comparable à la lointaine Capella. Leurs vibrations ont mis des siècles à parvenir jusqu’à nous, et chacun de leurs rayons est comme un chant, une mélodie, une voix pénétrante. Ces chants se résument ainsi : « Nous aussi, nous sommes des foyers de vie, de souffrance et d’évolution. Des âmes, par milliers, accomplissent en nous des destinées semblables aux vôtres. »
Cependant, tous n’ont pas le même langage, car les uns sont des ajours de paix et de félicité, et d’autres, des mondes de lutte, d’expiation, de réparation par la douleur, Les uns semblent dire : Je t’ai connue, âme humaine, âme terrestre ; je t’ai connue et je te reverrai ! Je t’ai abritée dans mon sein autrefois et tu reviendras vers moi. Je t’attends pour guider à ton tour les êtres qui s’agitent à ma surface !
Et puis, plus loin encore, cette étoile qui semble perdue au fond des abîmes du ciel et dont la lumière tremblante est à peine perceptible, cette étoile nous dira : Je sais que tu passeras sur les terres qui forment mon cortège et que j’inonde de mes rayons ; je sais que tu y souffriras et que tu y deviendras meilleure. Hâte-toi dans ton ascension. Je serai et je suis déjà pour toi une amie, car vers moi sont montées tes pensées, jusqu’à moi est arrivé ton appel, ton interrogation, ta prière à Dieu.
Ainsi toutes les étoiles nous chantent leur poème de vie et d’amour, toutes nous font entendre une évocation puissante du passé ou de l’avenir. Elles sont les « demeures » de notre Père, les étapes, les jalons superbes des routes de l’infini, et nous y passerons, nous y vivrons tous pour entrer un jour dans la lumière éternelle et divine.
Espaces et mondes ! Quelles merveilles nous réservez-vous ? Immensités sidérales, profondeurs sans limites, vous donnez l’impression de la majesté divine. En vous, partout et toujours, est l’harmonie, la splendeur, la beauté ! Devant vous, tous les orgueils tombent, toutes les vaines gloires s’évanouissent. Ici, parcourant leurs orbes immenses, ce sont des astres de feu près desquels notre soleil n’est qu’un pâle flambeau. Chacun d’eux entraîne à sa suite un imposant cortège de sphères, qui sont autant de théâtres d’évolution. Là, comme sur la Terre, des êtres sensibles vivent, aiment, pleurent. Leurs épreuves et leurs luttes communes créent entre eux des liens d’affection qui grandiront peu à peu. Et c’est ainsi que les âmes commencent à sentir les premiers effluves de cet amour que Dieu veut faire connaître à tous. Plus loin, dans l’insondable abîme, se meuvent des mondes merveilleux, habités par des âmes pures qui ont connu la souffrance, le sacrifice, et sont parvenues aux sommets de la perfection; des âmes qui contemplent Dieu dans sa gloire et vont, sans jamais se lasser, d’astres en astres, de systèmes en systèmes, porter les appels divins. Elles ont déjà en elles quelque chose de cet infini qui se confond avec l’éternité.
Toutes ces étoiles semblent nous sourire comme des amis oubliés. Leurs mystères nous attirent. Nous sentons qu’elles sont l’héritage que Dieu nous réserve. Plus tard, dans les siècles futurs, nous connaîtrons ces merveilles que notre pensée ne fait qu’effleurer. Nous parcourrons cet infini que la parole ne peut décrire dans une langue bornée. Sans doute, il est, dans cette ascension, des degrés si nombreux que nous ne pouvons les compter ; mais nos guides nous aideront à les gravir en nous apprenant à épeler les lettres d’or et de feu, le divin langage de la lumière et de l’amour. Alors, le temps n’aura plus de mesure pour nous. Les distances n’existeront plus. Nous ne penserons plus aux chemins obscurs, tortueux, escarpés, que nous aurons suivis dans le passé, et nous aspirerons aux joies sereines des êtres qui nous auront devancés et qui tracent, par des jets de lumière, notre route sans fin. Les mondes où nous aurons vécu se seront évanouis ; ils ne seront plus que poussière et débris, mais nous garderons la délicieuse impression des bonheurs cueillis à leur surface, des effusions du cœur qui ont commencé à nous unir à d’autres âmes sœurs. Nous conserverons le cher et douloureux souvenir des maux partagés, et nous ne serons plus séparés de ceux que nous avons aimés, car les liens sont entre les âmes comme entre les étoiles. A travers les siècles et les lieux célestes, nous monterons ensemble vers Dieu, le grand foyer d’amour qui attire toutes les créatures !

XI. LA FORET.

0 âme humaine ! Redescends sur la terre, recueille-toi ; tourne les pages du grand livre ouvert à tous les regards ; lis dans les couches du sol que tu foules, l’histoire de la fente formation des mondes, l’action des forces immenses préparant le globe à la vie des sociétés.
Puis, écoute ! Écoute les harmonies de la Nature, les bruits mystérieux des forêts, les échos des monts et des vallées, l’hymne que le torrent murmure dans le silence de la nuit. Écoute la grande voix de la mer ! Partout retentit le chant des êtres et des choses, la vie bruissante, la plainte des âmes qui souffrent déjà comme nous, et font effort pour se dégager de la gangue matérielle qui les étreint.


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La forêt déploie jusqu’à l’horizon lointain ses masses de verdure qui frémissent sous la brise et ondulent de collines en collines. A travers les lourdes frondaisons, la lumière se déverse en nappes blondes sur les troncs d’arbres et sur les mousses ; les souffles du vent se jouent dans les ramures. L’automne ajoute à ces prestiges la symphonie des couleurs, depuis le vert jaunissant jusqu’au roux fauve et à l’or pur ; elle diapre et roussit les taillis, tache d’ocre les châtaigniers, de pourpre les hêtres, égrène les bruyères roses des clairières.
Engageons-nous sous la feuillée. A mesure qu’on avance, la forêt nous enveloppe de ses effluves et de son mystère. Des senteurs fécondes montent du sol ; les plantes exhalent un subtil arôme. Un puissant magnétisme se dégage des arbres géants, nous pénètre et nous enivre. Là-bas, des rayons dorés tombent dans une éclaircie et font briller les troncs des bouleaux comme les colonnades d’un temple. Plus loin, de sombres futaies se dressent, coupées en ligne droite par une allée qui allonge à perte de vue ses arceaux de verdure, semblables à des voûtes de cathédrale. De toutes parts s’ouvrent des retraites pleines d’ombre et de silence, des solitudes profondes qui inspirent une sorte d’émoi. On y chemine sous des ténèbres épaisses, criblées de gouttes de soleil.
Ici, une hêtraie vénérable arrondit aux flancs d’un coteau ses dômes feuillus. Là, des chênes inclinent sur le miroir d’un étang leurs épaisses frondaisons. Un arbre séculaire, patriarche des bois, respecté par la hache et que trois ou quatre hommes ne pourraient embrasser, se dresse, isolé, haut comme une église. La foudre l’a souvent visité ; elle n’a fait que trouer ses ramures, le laissant chaque fois debout, altier et protecteur. Son pied se renfle de racines monstrueuses, feutrées de mousse, et des coléoptères, semblables à des pierres précieuses, courent sur sa rugueuse écorce.
Dans une solitude triste, des pins montrent leurs fûts rougeâtres et leurs branches tordues en formes de lyre. Est-ce un caprice de la nature ? Le pin est l’arbre musical par excellence. Ses aiguilles fines et souples se balancent sous le vent en mélodies plaintives ; ses rameaux chanteurs sont pleins de caresses et de chuchotements.
Qu’il fait bon vagabonder sous l’ombre silencieuse et frissonnante des grands bois, le long du clair ruisseau et des sentes vagues tracées par les chevreuils ! Qu’il est doux de s’étendre sur le velours des mousses ou les tapis de fougères, au bas de quelque rocher granitique, pour suivre de l’œil la course des scarabées dorés dans les herbes, des petits lézards sur la pierre et prêter l’oreille au joyeux gazouillis des oiseaux ! Un monde invisible s’agite et bruit autour de nous: concert des infiniment petits, berçant le repos de la terre. Des insectes, par myriades, mènent leur ronde dans un rayon de lumière, tandis qu’à la cime d’un tremble, une fauvette s’égosille en roulades perlées. Ici, tout est joie de vivre et métamorphose féconde !
Au sein d’un bouquet d’arbres, une source jaillit parmi les rochers ; elle s’épanche sur un lit de cailloux, parmi les liserons et les campanules, les menthes sauvages et les sauges. De la vasque sculptée par ses eaux où viennent boire les mésanges, l’onde cristalline s’écoule goutte à goutte et jase doucement. Un grand pin ombrage et protège la conque mignonne. Le vent agite ses aiguilles, pendant que la source murmure sa cantilène. Un rayon de soleil, glissant dans la ramure, vient mettre mille reflets étincelants sur la nappe limpide. Dans l’air, des libellules dansent et folâtrent ; de jolies mouches multicolores bourdonnent dans le calice des fleurs.
Dans le paysage tranquille, l’eau courante et babillarde est un symbole de notre vie, qui surgit des profondeurs obscures du passé et fuit, sans jamais s’arrêter, vers l’océan des destinées, où Dieu la conduit par des tâches toujours plus hautes, toujours nouvelles. Petite source, petit ruisseau, amis des philosophes et des penseurs, vous me parlez de l’autre rive, vers laquelle je m’achemine à chaque seconde, et vous me rappelez que tout, autour de nous, est leçon, enseignement pour qui sait voir, écouter, comprendre le langage des êtres et des choses !
Mais, soudain, l’autan se lève ; un souffle puissant passe sur la forêt, qui vibre comme un orgue immense. Semblable à une marée d’émeraude, le grand flux végétal s’enfle peu à peu, ondule et bruit. Un chœur invisible anime la solitude farouche. Les troncs gigantesques se tordent avec de longs gémissements. Des clameurs montent des fourrés on dirait des roulements de chars ou des armées qui s’entrechoquent.
Le sentier gravit un plateau et serpente à travers un bois de châtaigniers. Ces arbres centenaires tremblent au vent. En inclinant leurs branches pesamment chargées, ils semblent dire à l’homme : Prends mes fruits, en qui j’ai distillé le suc de mes moelles; prends mes branches mortes, qui, l’hiver, réchaufferont ton foyer. Prends, mais ne sois ni ingrat, ni indifférent, car toute la nature travaille pour toi. Ne sois pas ingrat, sinon les épreuves, les rudes leçons de l’adversité viendront fatalement attendrir ton cœur, t’arracher tôt ou tard à ton insouciance, à tes doutes, à tes erreurs et orienter ta pensée vers la compréhension de la grande Loi !
Bientôt l’impression change et s’adoucit. Le vent est tombé. La lande a succédé à la forêt ; les ajoncs, les lavandes, les genêts font suite à l’auguste assemblée des bois. Sur un renflement du sol, un haut monolithe se dresse, au centre d’un cercle de pierres moussues, les unes encore debout, les autres gisant dans l’herbe, racontant l’histoire de races millénaires, leurs rêves, leurs traditions, leurs croyances. Le spectacle de ces pierres énigmatiques nous replonge dans l’abîme des temps. Il s’en dégage la mélancolie des choses évanouies, tandis qu’autour de nous la nature nous donne la sensation d’une jeunesse éternelle.
Sur les pentes, des vallons s’ouvrent, des ravins se creusent. Sous des buissons touffus et odorants, des fontaines sourdent, pures, fraîches ; leur murmure emplit la vallée. Le jour décline. A travers les gorges, dans une échancrure bleuâtre, le soleil projette des reflets de pourpre et d’or. Des lueurs d’incendie s’allument sur la lisière des bois. Derrière nous, sous les feux du couchant, la grande forêt domaniale déploie ses futaies géantes, ses taillis serrés, tout le somptueux et chatoyant vêtement dont l’automne l’a parée. Les rayons obliques du soleil glissent parmi les colonnades et vont éclairer les solitudes lointaines. Ils en font ressortir les feuillages multicolores : roux variés, ors fauves, rouges éclatants, chromes et laques ; tout s’illumine, tout flamboie dans une sorte d’apothéose. Devant ce décor féerique qui m’éblouit, dans la paix du soir, ma pensée s’exalte. Elle s’élève et monte vers la Cause de tant de merveilles, pour la glorifier !


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Tout, dans la forêt, est enchantement, soit qu’au printemps les sèves puissantes gonflent ses mille artères et que les jeunes pousses verdissent à l’envi, soit que l’automne la décore de teintes ardentes, de couleurs prestigieuses, soit même lorsque l’hiver la change en un magique palais de cristal, que les sombres ramures ploient sous la neige ou se chargent de pendeloques de diamants, transformant chaque sapin en arbre de Noël.
La forêt n’est pas seulement un merveilleux spectacle ; c’est encore un perpétuel enseignement. Sans cesse, elle nous parle des règles fortes, des principes augustes qui régissent toute vie et président au renouvellement des êtres et des saisons. Aux tumultueux, aux agités, elle offre ses retraites profondes, propices à la réflexion. Aux impatients, avides de jouir, elle dit que rien n’est durable qui n’a pris la peine et le temps de germer, de sortir de l’ombre et de monter vers le ciel. Aux violents, aux impulsifs, elle oppose la vue de sa lente évolution. Elle verse le calme aux âmes enfiévrées. Sympathique aux joies, compatissante aux douleurs humaines, elle panse les cœurs meurtris, console, repose, communique à tous les forces obscures, les énergies cachées dans son sein. La légende d’Antée est toujours applicable aux blessés de l’existence, à tous ceux qui ont épuisé leurs facultés, leurs puissances vitales dans les âpres luttes de ce monde. Il leur suffit de reprendre contact avec la nature pour trouver, dans la vertu secrète qui s’en dégage, des ressources illimitées.
Et quelles analogies, quelles leçons en toutes choses ! Le gland, sous son enveloppe modeste, contient non seulement tout un chêne dans son épanouissement majestueux, mais toute une forêt. La graine, plus minuscule encore, renferme, en son coquet berceau, toute la fleur avec sa grâce, ses couleurs, ses parfums. De même, l’âme humaine possède en germe tout le développement de ses facultés, de ses puissances à venir. Si nous n’avions sous les yeux le spectacle des métamorphoses végétales, nous nous refuserions à y croire. Les phases de l’évolution des âmes en leur course infinie nous échappent, et nous ne pouvons comprendre actuellement toute la splendeur de leur devenir. Nous en avons pourtant un  exemple dans la personne de ces génies qui ont passé à travers l’histoire comme un éblouissement, en laissant derrière eux des oeuvres impérissables. Telles sont les hauteurs où peuvent s’élever les âmes les plus arriérées sur l’échelle des vies innombrables, à l’aide de ces deux facteurs essentiels : le temps et le travail !
Ainsi la nature nous montre en tout la beauté de la vie, le prix de l’effort patient et courageux et l’image, de nos destinées sans fin. Elle nous dit que tout est à sa place dans l’univers ; mais aussi que tout évolue, se transforme, âmes et choses. La mort n’est qu’apparente ; aux mornes hivers succèdent les renouveaux printaniers, pleins de sèves et de promesses. La loi de notre existence n’est pas différente de celle des saisons. Après les jours ensoleillés de l’été vient l’hiver de la vieillesse, et, avec lui, l’espoir des renaissances et d’une jeunesse nouvelle. La nature, comme nous, aime et souffre. Par tout, sous le flot d’amour qui déborde dans l’univers, on retrouve le courant de la douleur, mais celle-ci est salutaire, puisqu’en affinant la sensibilité de l’être, elle éveille en lui des qualités latentes d’émotion, de tendresse, et lui procure ainsi un accroissement de vie.


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La forêt, c’est la parure de la terre et la véritable conservatrice du globe. Sans elle, le sol, entraîné par les pluies, retournerait vite aux abîmes de la mer immense. Elle retient les larges gouttes de l’orage dans ses tapis de mousse, dans l’enchevêtrement de ses racines ; elle les économise pour les sources et les rend peu à peu, transformées, devenues fertilisantes et non plus dévastatrices. Partout où les arbres disparaissent, la terre s’appauvrit, perd sa beauté. Graduellement viennent la monotonie, l’aridité, puis la mort. Régénératrice par excellence, la respiration de ses milliards de feuilles  distille l’air et purifie l’atmosphère.
Au point de vue psychique, nous l’avons vu, le rôle de la forêt n’est pas moins considérable. Elle fut toujours l’asile de là pensée recueillie et rêveuse. Que d’œuvres délicates et fortes ont été méditées dans son ombre fraîche et mouvante, dans la paix de ses puissantes et fraternelles ramures ! Quiconque possède une âme d’artiste, d’écrivain, de poète, saura puiser à cette source vivante et trop pleine l’inspiration féconde.
De son rythme majestueux, la forêt a bercé l’enfance des religions. L’architecture sacrée, dans ses plus fières audaces, n’a fait que la copier. Les nefs gothiques de nos cathédrales sont-elles autre chose que l’imitation par la pierre des mille colonnades. et des voûtes imposantes des bois ? La voix des orgues, n’est-ce pas le frémissement du vent, qui, suivant l’heure, soupire dans les roseaux ou fait gémir les grands sapins ? La forêt a servi de modèle aux manifestations les plus hautes de l’idée religieuse dans son épanouissement esthétique. Aux premiers âges, elle couvrait la surface presque entière du globe. Rien d’impressionnant pour nos pères comme l’antique et profonde sylve des Gaules, dans sa grandeur mystérieuse, avec ses sanctuaires naturels, où s’accomplissaient les rites sacrés, ses retraites parfois pleines d’horreur, lorsque les grondements de l’orage faisaient résonner les échos des bois et que, du sein des halliers, montait le cri des fauves ; pleines de charme et de poésie, lorsque, le calme revenu, le ciel bleu et la claire lumière reparaissaient à travers les branches et que le chant des oiseaux célébrait la fête éternelle de la vie.
De siècle en siècle, l’âme celtique a gardé la forte empreinte de la forêt primitive et l’amour de ses sanctuaires, séjours des esprits tutélaires que Vercingétorix et Jeanne d’Arc ont honorés, dont ils ont écouté, dans la verte solitude, les voix inspiratrices.
L’esprit celtique est avide de clarté et d’espace, passionné pour la liberté ; il possède une intuition profonde des choses de l’âme qui réclament une révélation directe, une communion personnelle avec la nature visible et invisible. C’est pourquoi il restera toujours en opposition avec l’Église romaine, défiante de cette nature, et dont la doctrine est toute de compression et d’autorité. Les druides et les bardes lui furent rebelles. Malgré la conquête romaine et les invasions barbares qui facilitèrent l’expansion du christianisme, l’âme celtique, par une sorte d’instinct, s’est toujours sentie l’héritière d’une foi plus large et plus libre que celle de Rome.
C’est en vain que les moines chercheront à lui imposer l’idée d’ascétisme et de renoncement, la soumission à des dogmes rigides, à une conception lugubre de la mort et de l’au-delà, l’esprit celtique, dans sa soif ardente de savoir, de vivre et d’agir, échappera à ce cercle étroit.
L’idée fondamentale du druidisme, c’est l’évolution, l’idée de progrès et de développement dans la liberté. Cette idée est empruntée, dans une certaine mesure, à la nature et complétée par la révélation. En effet, l’impression générale qui ressort du spectacle du monde est un sentiment d’harmonie, une notion d’enchaînement, une idée de but et de loi, c’est-à-dire de rapports éternels des êtres et des choses. La conception évolutive se dégage de l’étude de ces lois. Il y a une direction, une finalité dans l’évolution, et cette direction porte l’ensemble des vies, par des gradations insensibles et séculaires, vers un état toujours meilleur.
Le christianisme, ou plutôt le catholicisme, a écarté cette idée, mais la science nouvelle nous y ramène. D’abord, elle spiritualise la matière en la réduisant à des centres de forces. Elle nous montre le système nerveux se compliquant de plus en plus dans l’échelle des êtres pour aboutir à l’homme. Les espèces fauves tendent à disparaître devant la supériorité humaine. Avec le développement du cerveau, la pensée triomphe. La conscience accomplit son ascension parallèle. Il y a un rapprochement entre les lois morales et les certitudes physiques et biologiques. L’ordre qui se manifeste dans les deux domaines aboutit à des conclusions analogues : La nature est plastique comme la conscience, mobile comme elle, et subit l’influence de l’Esprit divin.
Cette évolution étant la loi centrale de l’univers, le principal rôle de l’ordre social est de la faciliter à tous ses membres. La vie est donc bonne, utile et féconde. Devant les perspectives infinies qu’elle nous ouvre, tous les sentiments déprimants : pessimisme, doute, tristesse, désespoir s’évanouissent pour faire place aux aspirations immortelles, à l’espoir impérissable.
C’est ce génie de notre race, surnageant sur le flot des invasions, survivant à toutes les vicissitudes de l’histoire, reparaissant sous vingt formes diverses, après des périodes d’éclipse et de silence qui explique la grande mission et le rayonnement de la France dans l’œuvre de la civilisation. Plus que toute autre race, les Celtes, dont les origines se perdent dans le lointain vertigineux des âges, les Celtes se rapprochent, par l’instinct héréditaire, du monde des causes et des sources de la vie. Aussi bien dans la science que dans la philosophie, ils ont réussi mainte fois à ramener la pensée égarée au sentiment de la nature et de ses lois révélatrices, à une conception plus nette des principes éternels. Si l’enthousiasme et la foi celtiques pouvaient s’éteindre, il y aurait moins de lumière et de joie dans le monde, moins d’élans passionnés vers la vérité et le bien. Depuis plus d’un siècle, le matérialisme allemand a enténébré la pensée, paralysé son essor ; nous pouvons constater partout, autour de nous, les résultats funestes de son influence. Mais voici que le génie celtique reparaît sous la forme du spiritualisme moderne, pour éclairer de nouveau l’Ame humaine dans son ascension ; il offre à tous ceux dont les lèvres sont desséchées par l’âpre vent de la vie, la coupe d’espérance et d’immortalité.

XII. LA MER.

Du pont du navire qui m’emporte, je contemple l’immensité des eaux. Jusqu’aux confins du firmament, la mer étale sa nappe mobile, étincelante sous les feux du jour. Pas un nuage ; pas un souffle. Le soleil du Midi allume de fugitifs éclairs à la crête des vagues. Sur ce vaste miroir, sa lumière se joue en nuances, délicates, en frissons changeants. Elle enveloppe les îles, les caps et les plages d’une clarté légère ; elle adoucit l’horizon, en idéalise les perspectives lointaines. Les rares passagers font la sieste, le pont est désert. Le silence n’est troublé que par le bruit de l’hélice et le chant de la vague, qui caresse mollement les flancs du navire. Partout, autour de nous, règne une paix profonde. Nulle part, je n’ai ressenti une impression aussi reposante. C’est comme un apaisement, une sérénité, un détachement de tout, l’oubli des misérables agitations humaines, une dilatation de l’âme, une sorte de volupté de vivre et de savoir qu’on vivra toujours, la sensation d’être impérissable comme cet infini de la terre et du ciel.
Les côtes dorées de la Provence semblent fuir ; la proue du paquebot, orientée vers l’Afrique, fend les eaux bleues. La Méditerranée est une enchanteresse sous son ciel d’azur; mais toutes les mers ont leur prestige, leur beauté, soit dans leurs jours de colère et de déchaînement furieux, avec l’émouvante fascination de leurs flots écumants, soit aux heures de calme, avec la splendeur de leurs soleils couchants. Leurs horizons sans limites portent l’âme à la contemplation des choses éternelles et aux rêves divins. Presque tous les marins sont idéalistes et croyants.


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Nos rivages de France sont tournés vers deux mers. La Méditerranée est belle par l’harmonie de ses contours, la limpidité de son atmosphère, la richesse de son coloris.
L’Océan est imposant dans ses tumultes comme dans ses recueillements, avec ses grandes vagues qui balaient les grèves deux fois par jour, son ciel agité, souvent assombri, et son grand souffle purificateur. C’est surtout du haut des promontoires armoricains que l’Océan est majestueux à voir dans ses heures de courroux, lorsque le flot déferle en grondant sur les récifs, mugit dans les anses profondes et secrètes, ou roule en tonnerre dans l’ombre des cavernes creusées dans le roc. La plainte de la mer a quelque chose de pénétrant, de solennel, qui rend la solitude plus triste, plus impressionnante. Les cris des courlis, des mouettes, des goélands, qui volent en tournoyant au milieu de la tempête, ajoutent à la désolation de la scène. Toute la côte est blanche d’écume. Sous les pieds de l’observateur, le sol tremble à chaque coup sourd de la lame.
Du cap de la Chèvre, du Raz de Sein, de la pointe de Penmarch, le spectacle a le même caractère de grandeur épique et sauvage. Partout des amas de roches noircies prolongent le continent comme autant de fragments arrachés à l’ossature du globe par la fureur des eaux. De longues lignes de débris s’allongent, témoignant des combats séculaires que le flot livre à l’âpre granit. C’est un chaos formidable, où les éléments déchaînés tourbillonnent et se ruent sur la terre, qui gémit sous leurs efforts redoublés.
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La mer s’est calmée le vent s’est apaisé. La nuit est descendue, et les scintillements d’étoiles s’allument dans le bleu profond du ciel. Les phares à éclipses brillent, éclairant les routes du large. Le silence s’est fait, troublé seulement par la grande mélopée de l’Océan, qui s’élève, lente, grave, continue, semblable à une psalmodie ou à une incantation. Que dit-elle ? Comme toutes les harmonies de la nature, elle parle de la Cause suprême, de l’œuvre immense et divine. Elle nous rappelle combien l’homme est petit par sa forme matérielle, devant la majesté des eaux et du ciel ; combien grand par son âme qui peut embrasser toutes choses, en savourer les beautés, en dégager les enseignements.
Quel homme n’a éprouvé ce sentiment mystérieux qui nous retient, contemplatif et rêveur, devant les spectacles de la mer ? Chez les uns, suivant le degré d’évolution, c’est une sorte de stupeur admirative, mêlée de crainte ; chez d’autres, c’est une communion intime et muette qui les envahit tout entiers.
Chaque élément manifeste à sa façon les secrets de sa vie profonde. L’âme humaine, par ses sens intérieurs, perçoit ce langage. Les choses tendent vers nous, sans toujours nous atteindre. Notre âme va vers les choses, sans réussir à les pénétrer complètement, mais elle s’en approche assez pour sentir la parenté qui nous relie. De là, entre la nature et nous, des liens, des rapports multiples et cachés. Cette fusion avec l’âme universelle se traduit par une ivresse de vie qui nous pénètre par tous les pores, ivresse que la parole ne saurait exprimer. La mer, comme la forêt, comme la montagne, agit sur notre vie psychique, sur nos sentiments et nos pensées, et par cette communion intime, la dualité de la matière et de l’esprit cesse un instant, pour se fondre dans la grande unité qui a tout engendré. Nous nous sentons associés aux forces immenses de l’univers, destinés comme elles, mais d’une autre manière, à jouer un rôle sur ce vaste théâtre.


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La mer est une grande régénératrice. Sans elle, la terre serait stérile, inféconde : dans son sein s’élaborent les pluies bienfaisantes ; tout le système d’arrosage du globe y prend naissance. Son effusion de vie est sans bornes. Cette grande force salutaire, quoique âpre et sauvage, corrige, atténue nos faiblesses physiques et morales. Par le perpétuel danger qu’elle présente, la mer est une école d’héroïsme. Elle communique à l’homme ses énergies ; elle donne à sa pensée, à son caractère, ce tour sérieux, recueilli, cette empreinte particulière de calme et de gravité qui sied aux populations des côtes. De ses souffles vivifiants, elle trempe à la fois les corps et les volontés ; elle procure l’endurance et la vigueur. Aussi a-t-elle ses fidèles, ses amants, ses dévots. Malgré ses colères, ses révoltes, malgré ses périls constants, ceux qui l’ont longtemps pratiquée ne peuvent plus se séparer d’elle; ils lui sont attachés par toutes les fibres de leur être.
La vaste mer est pour nous une image de la puissance, de l’étendue, de la durée. Tous ceux qui l’ont décrite ont comparé le globe à un organisme vivant ; ils disent en percevoir, certains jours d’été, les pulsations. Le flux, le reflux en sont la respiration. Pendant la nuit, entendant au loin le bruit monotone de la vague, j’ai eu souvent cette impression que l’Océan respire comme un Léviathan endormi.
Ses grands courants font rayonner jusqu’aux extrémités du monde la chaleur et l’électricité. Il est, sur notre planète, deux centres intenses de vie : Java et la mer des Antilles, qu’entourent deux cercles de volcans, foyers formidables de vitalité et d’activité sous-marine. Deux fleuves énormes en débouchent, semblables à des aortes, et vont réchauffer l’hémisphère boréal. Maury les a appelés les « deux voies lactées de la mer ». D’autres courants secondaires vont féconder l’océan Indien, baignant le vaste réseau d’îles, de récifs et de bancs où le travail des polypes pose les assises d’un continent futur.
    Si la mer a ses pulsations, elle a aussi ses spasmes, ses convulsions. Cependant sa véritable personnalité ne se révèle pas dans les accidents ou les crises de sa surface : les tempêtes les plus violentes n’agitent qu’une très faible partie de sa masse liquide. Pour la connaître, il faut l’étudier dans ses profondeurs mystérieuses. Là, dans ses fonds de huit mille mètres, grouille une vie obscure, étrange, illuminée par des phénomènes de phosphorescence qui éclairent de lueurs fantastiques la nuit silencieuse de l’abîme.
Des êtres lumineux y pullulent. Lorsqu’ils sont attirés à la surface, ils brillent un instant en traînées de feu, en gerbes étincelantes, mais pour s’éteindre aussitôt. Leurs formes sont infiniment variées ; elles présentent les aspects, les couleurs les plus inattendus : rosaces de cathédrale, chapelets de perles et de corail, lustres de cristal aux riches girandoles, étoiles marines teintées de vert, de pourpre et d’azur. Cette apparition fugitive est un éblouissement; elle nous donne une idée affaiblie des merveilles que recèlent les cryptes secrètes de la mer. Puis ce sont des végétations de féerie, des fucus géants, des nacres, des émaux de couleurs éclatantes, des forêts de coraux, gorgones et isis, tout un monde singulier, premier éveil de la vie, effort d’une pensée qui aspire à la lumière. Que de mystères au fond de ces ténèbres ! Que de continents engloutis, de cités jadis florissantes, gisent aussi sous le linceul des grandes eaux !
Ce fut le creuset gigantesque où s’élaborèrent les premières manifestations de la vie. Encore aujourd’hui, c’est la mère, la nourrice féconde par qui se développent les existences prodigieuses, la sève débordante dont rien, ni la rage destructive de l’homme, ni les causes réunies de mortalité, de lutte, de guerre entre les espèces, rien ne peut amoindrir l’intensité. La puissance de reproduction de certaines familles est telle que, sans les forces qui la combattent et en atténuent les effets, la mer serait depuis longtemps changée en une masse solide.
Les harengs voguent en bancs innombrables, en torrents de fécondité . Chacun d’eux porte une moyenne de cinquante mille oeufs et chaque œuf se multiplie à son tour par cinquante mille. La morue, qui se gorge de harengs, a neuf millions d’œufs, le tiers de son poids, et elle engendre neuf mois sur douze. L’esturgeon, qui dévore la morue, n’est guère moins prolifique. A eux trois, dans leur ardeur de reproduire, ils auraient réussi à combler l’Océan sans les éléments de mort qui viennent rétablir l’équilibre. Par là, l’immolation devient bienfaisante, car sans le combat que les espèces se livrent, l’harmonie serait rompue et la vie périrait par ses propres excès.
Pour le monde des mers, l’œuvre essentielle, c’est aimer et multiplier ! Quand on examine l’eau salée au microscope, en certaines régions, elle présente des quantités effrayantes d’œufs, de germes, d’infusoires. L’Océan est comparable à une immense cuve toujours en fermentation d’existences, toujours en travail d’enfantement. La mort y engendre la vie : sur les débris organiques des êtres détruits, d’autres organismes apparaissent et se développent, sans cesse !

XIII. LA MONTAGNE.

(Impressions de voyage)

Sur certains points de nos côtes, la mer la montagne se rejoignent, se font face. Elles opposent l’une à l’autre, celle-ci la variété de ses formes dans l’immobilité silencieuse, celle-là le bruit, le mouvement incessant dans l’uniformité. D’un côté, l’agitation sans trêve ; de l’autre, le calme majestueux.
La nature se plait à ces contrastes. Les monts, tantôt âpres et nus, tantôt parés de verdure, se dressent au-dessus des vallées profondes et des vastes horizons de la mer ; des sites gracieux ou austères encadrent la nappe bleue des lacs. Au-dessus de toutes choses, l’espace se déroule, et, au sein des cieux, les astres poursuivent leur course éternelle.
L’œuvre est variée dans ses moindres détails ; mais, des éléments divers qui la composent se dégage une harmonie puissante, où se révèle l’art du divin auteur. Il en est de même dans le domaine moral. Il existe des âmes innombrables, aux aptitudes infiniment variées : âmes ternes ou brillantes, nobles ou vulgaires, tristes ou joyeuses, âmes de foi, âmes de doute, âmes de glace, âmes de feu ! Toutes semblent se mêler, se confondre dans l’immense arène de la vie. De ces discordances apparentes, de ces attractions, de ces contrastes proviennent les luttes, les conflits, les haines, les amours fous, les félicités enivrantes, les douleurs aiguës. Mais, de ce brassement continu, un mélange se produit ; de perpétuels échanges s’effectuent; un ordre grandissant se dégage. Les fragments des rocs, les pierres entraînées par le torrent, se changent à la longue en galets ronds et polis. Il en est de même pour les âmes : heurtées, roulées par le fleuve des existences, de degrés en degrés, de vies en vies, elles s’acheminent dans la voie des perfections.


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La France est admirablement partagée sous le rapport des montagnes. Celles-ci couvrent un tiers de sa surface et, suivant les latitudes, selon l’intensité de la lumière qui baigne leurs cimes, elles offrent des aspects, des colorations d’une diversité merveilleuse.
Au Nord-Est, les Vosges, avec leurs roches de grès rouge perçant le sol, les vieux burgs suspendus comme des nids d’aigle à la hauteur des nuées et les sombres sapinières qui tapissent leurs flancs.
Au Centre, le grand massif volcanique de l’Auvergne, avec ses cratères envahis par les eaux et ses longues cheires, ou coulées de lave, épandues à la base des puys. Au Sud, c’est le morne et fantastique pays des Causses, ses gorges étroites, ses rouges falaises, ses gouffres, ses rivières souterraines.
Comme cadre à ce vaste tableau, une série de monts s’échelonne de la Franche-Comté au Béarn. Ce sont les chaînes du Jura, des Alpes savoisiennes, dauphinoises et provençales, les côtes ensoleillées de la mer bleue, l’Estérel et les Cévennes. Enfin, la haute muraille des Pyrénées avec ses pics dentelés, ses cirques sublimes, ses romantiques solitudes.    
Toutes ces montagnes de France me sont familières. Je les ai parcourues bien souvent. Je puis dire que ce fut une des rares félicités de ma vie d’en savourer les enivrantes beautés. La montagne est mon temple ! On s’y sent plus loin des vulgarités de ce monde, plus près du ciel, plus près de Dieu !
Avec l’imprévu de ses changements à vue et le déploiement de ses féeries : cimes neigeuses, glaciers éblouissants, escarpements formidables, grottes, ravins ombreux, pâturages, lacs, torrents, cascades, la montagne est une source inépuisable d’impressions fortes, de sensations élevées, d’enseignements féconds.
Qu’il fait bon, à l’aube fraîche, tout imprégnée des senteurs pénétrantes de la nuit, gravir les pentes, le grand bâton pointu à la main, le sac de provisions sur l’épaule ! Autour de vous, tout est calme ; la terre exhale cette paix sereine qui retrempe les cœurs et les pénètre d’une allégresse intime. Le sentier est si gracieux en ses contours, la forêt si pleine d’ombre et de mystérieuse douceur ! A mesure que vous vous élevez, la perspective s’élargit, de superbes échappées s’ouvrent au loin sur les plaines. Les villages montrent leurs taches blanches dans la verdure, parmi les moissons, les landes et les bois. L’eau des étangs et des rivières miroite comme de l’acier poli.
Bientôt, la végétation se fait plus rare ; le sentier devient plus abrupt ; il s’encombre de troncs d’arbres et de blocs éboulés. De toutes parts apparaissent les fleurettes des altitudes : l’arnica aux fleurs jaunes, les rhododendrons, les saxifrages, les iris bleus et blancs. Des senteurs balsamiques flottent dans l’air. Partout, des eaux jaillissantes, des sources limpides. Leur murmure emplit la montagne d’une douce symphonie.
Étendu sur la mousse, combien d’heures ai-je passées à écouter le babil cristallin des sources parmi les roches, et la voix du torrent montant dans le grand silence ! Tout s’idéalise à ces hauteurs. Les appels lointains et les chants mélancoliques des pâtres, les bruits de clochettes des troupeaux, le grondement des eaux souterraines, la plainte du vent dans les mélèzes, tout devient mélodie mais voici l’orage : à sa voix puissante, tout se tait !...
J’aime tout de la montagne : ses jours ensoleillés pleins d’effluves et de rayons, et ses nuits sereines sous les millions d’étoiles qui scintillent avec plus de force et semblent plus près de vous. J’aime jusqu’à ses tempêtes et les éclats de la foudre sur les sommets.
L’orage est passé. La nature a repris son air de fête. Partout retentit le grincement des criquets et les crécelles des grillons. Insectes de toutes formes, de toutes couleurs manifestent à leur manière leur joie de vivre, de s’enivrer d’air et de lumière. Plus bas, dans la forêt profonde, la forêt enchantée, le concert des êtres et des choses, que domine la basse-taille du vent dans les ramures : chants d’oiseaux, bourdonnements d’insectes, mélopée des ruisseaux, des sources et des cascatelles, tout cela vous enchante, vous enveloppe d’un charme indéfinissable et irrésistible.
Reprenons notre course. Encore quelques efforts ; haletant, vous atteignez le sommet. Mais, quelle compensation à votre peine ! Un panorama immense se déploie, un décor incomparable se révèle subitement, spectacle qui éblouit le regard et remplit l’âme d’une émotion religieuse.
Des cimes, puis encore des cimes se dressent dans la gloire de l’aube. Au fond de l’horizon, des pics solennels s’alignent, tout blancs de neige, avec leurs glaciers que le soleil fait briller comme des nappes d’argent. Entre leurs croupes énormes se creusent des défilés sauvages ou s’ouvrent de douces vallées. Vers le Nord, la chaîne s’abaisse en ondulations souples et fait place à la plaine sans fin. Les derniers contreforts sont couverts de jolis bois, de fraîches prairies, de villages pittoresques. Au delà, le déroulement sans limites du tapis vert et or des champs, des prés, des guérets, des bruyères, un damier de cultures, une variété de tons, de couleurs qui se fondent dans un lointain vaporeux. Plus loin encore, la mer immense resplendit sous l’infini de l’azur.
Le temps s’écoule, rapide, à ces hauteurs. Bientôt, il faut songer au retour. Lentement, le soleil décline ; les vallées s’emplissent d’ombre. Déjà, les silhouettes noires des grands pics se dressent dans le ciel pur où s’allument les feux stellaires. La voix du torrent s’élève, plus haute et plus grave, dans la paix du soir. Les troupeaux rentrent, assemblés par les bergers, sous l’œil vigilant des chiens. Les cloches tintent, argentines, conviant au repos, au sommeil. Les lumières s’éteignent, une à une, dans le val. Et mon âme, bercée par les harmonies de la montagne, adresse un ardent hommage au Dieu puissant, au Dieu créateur.


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Jeunes gens qui me lisez, ma pensée va vers vous d’un élan fraternel pour vous dire : Apprenez à aimer la montagne. C’est le livre par excellence, devant lequel tout livre humain est petit. En feuilletant ses pages grandioses, mille beautés cachées vous apparaîtront, mille révélations que vous ne soupçonniez pas. Vous recueillerez des joies précieuses qui enrichiront votre âme en l’épurant. Apprenez à voir, à lire, à entendre. Emplissez vos yeux et vos cœurs de ces paysages agrestes ou charmants. Pénétrez-en la grâce et la force, la sévérité et la douceur. Tour à tour, l’arbre antique et vénérable, le torrent jaseur, la cime altière vous diront des leçons sublimes, qui resteront gravées à jamais dans votre mémoire et berceront plus tard de doux souvenirs les journées tristes et assombries de votre déclin. Sachez comprendre leur langage. Leurs voix unies composent l’hymne d’adoration que les êtres et les choses chantent à l’Éternel.
La montagne est une bible, disions-nous, dont les pages présentent un sens caché, un sens profond. Dans ses couches rocheuses, plissées, contournées dans les soulèvements plutoniens, vous pouvez lire la genèse du globe, les grandes épopées de l’histoire du monde avant l’apparition de l’homme. Les mouvements de l’écorce terrestre, écrits autour de vous en caractères formidables, vous montreront l’action des forces combinées créant notre commune demeure. Puis, ce sera le lent travail des eaux, goutte à goutte, creusant les cirques et les gorges, sculptant les colosses de granit. Enfin, viendra l’étude de la flore et de la faune en leur diversité sans limite.
Les poussées éruptives, les coulées refroidies, les porphyres géants vous diront les efforts de la masse embrasée soulevant les chaînes en jets aigus ou en dômes arrondis.
Les volcans sont les orifices respiratoires de la terre. Au-dessous, on sent fort bien là circulation violente, la poussée de sève et de vie qui, sans ces exutoires, ébranlerait le sol briserait l’écorce planétaire. Les sources chaudes vous démontrent que les entrailles du globe recèlent encore la vie ardente, brûlante, prête à jaillir, et que l’action de l’énorme et ténébreux cyclope reste toujours possible.
Du foyer central, du fond de l’abîme, montent à la surface les forces expansives qui transforment les éléments, les liquéfient, les chargent d’électricités inconnues, dans leur élan vers le soleil, dont les radiations les sollicitent et les attirent à travers l’espace.
C’est le laboratoire prodigieux où s’élabore le grand oeuvre, la préparation du vaste théâtre où se joueront les drames de la vie.
Pour tous ceux qui savent l’aimer, la comprendre, la montagne est une longue et profonde initiation.


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La fleur s’ouvre aux caresses du soleil et aux larmes de la rosée : de même l’âme s’épanouit sous l’influence radieuse de la grande nature. Sous ces impressions puissantes, tout en elle s’émeut et vibre. Elle prie, et sa prière est un cri de reconnaissance et d’amour. De la prière, elle passe à la contemplation, cette forme supérieure de la pensée par où s’infuse mystérieusement en nous le sens auguste, le sens divin de l’œuvre universelle.
Mais la contemplation ne suffit pas. La véritable vie, c’est l’action ; la loi nous impose la lutte et l’épreuve : par là seulement nous acquérons des mérites. Nos devoirs, notre tâche quotidienne nous absorbent, nous retiennent loin des sources pures de la pensée. C’est pourquoi il est bon, il est salutaire de se tourner de temps à autre vers la nature, pour puiser en elle des forces et des inspirations. Quiconque la méconnaît ou l’ignore en pâtit, en est diminué. A ceux qui l’aiment, elle communique, en revanche, le secours moral, le viatique nécessaire pour marcher à travers les rocs et les brumes de la vie vers le but suprême, lumineux, lointain.
De même que la mer, et plus qu’elle encore, la montagne est apaisante, fortifiante. Elle possède un principe régénérateur qui rend le calme aux névrosés, la santé aux dégénérés, un moyen de relèvement vital pour la débile humanité.
En montagne, les agitations fébriles, les soucis de la vie factice, étouffante des cités, s’évanouissent pour faire place à un mode d’existence plus simple, plus naturel. L’altitude est une école d’énergie pour ceux que la ville n’a pas trop affaiblis. Les vastes perspectives aiguisent le regard. Les poumons se dilatent à l’air pur des cimes. Les obstacles stimulent nos efforts ; l’ascension, l’escalade nous font des muscles d’acier. En même temps que les forces physiques se déploient, les puissances intellectuelles se reconstituent, les volontés se trempent. On s’habitue à agir, à vaincre, à mépriser la mort.
Car la montagne a ses dangers. Ses sentiers sont escarpés, ses précipices effrayants. Le vertige vous guette sur les hauteurs. Le vent y est âpre à certains jours, et la foudre y gronde souvent. Ou bien ce sont des brumes soudaines qui vous enveloppant et vous cachent le péril. Parfois, il faut cheminer sur d’étroites corniches, entre l’abîme et l’avalanche, éviter les crevasses béantes des glaciers, descendre les pentes glissantes qui se terminent en gouffres. Au cours de mes excursions, j’ai entendu fréquemment rouler, d’écho en écho, le lourd tonnerre des chutes de pierres ou des masses de neige. Dans tel repli sauvage des monts, dans tel ravin désolé vous vous trouvez tout à coup en présence de croix qui marquent le lieu où maint voyageur a péri.
Par contre, il y a aussi là-haut toutes les ivresses, toutes les harmonies de la lumière et des enchantements que les plaines ne connaissent pas. On y perçoit la symphonie universelle et mystérieuse des bruits, des parfums, des couleurs, la douce et intime musique des brises et des eaux. On y goûte mieux la mélancolie des soirs, quand l’odeur des prés et des bois, du sein des vallées, monte jusqu’aux cimes. Alors l’âme de l’homme rompt les liens qui l’enchaînent à la chair et plane dans l’éther subtil. Elle goûte des extases presque divines.
Ce n’est pas sans raison que les faits les plus considérables de l’histoire religieuse se sont accomplis sur les sommets. Le Mérou, le Gatya , le Sinaï, le Nébo, le Thabor, le Calvaire sont les autels superbes d’où monte, d’un élan puissant, la prière des grands initiateurs.
Chez les âmes d’élite, la majesté des grands spectacles réveille les sens intimes, les facultés psychiques, et la communion avec l’Invisible s’établit. Mais, à des degrés divers, presque tous nous ressentons cette influence. A ces moments, ce qu’il y a d’artificiel ou de vulgaire dans notre existence, s’évanouit pour faire place à des impressions surhumaines. C’est comme une éclaircie qui s’ouvre au milieu de nos ténèbres, à travers les noires fumées qui nous cachent habituellement le ciel et asphyxient à la longue les plus belles intelligences. Un instant, nous entrevoyons le monde supérieur, céleste, infini. Alors les radiations de la pensée divine descendent comme une rosée dans l’âme ravie.
Loin des préjugés et des routines sociales, l’âme s’épanouit librement. Elle retrouve son génie propre : l’awen des Druides. Ses sûres intuitions lui disent que tous les systèmes sont stériles et que, seule, la grande mère nature, le grand livre vivant peut nous enseigner la vérité, la beauté parfaite. Aux heures de recueillement profond, soit quand le soleil jette la prodigalité de sa pourpre sur l’assemblée des monts, soit quand la lune répand sa lumière argentée au milieu du silence formidable, un entretien solennel s’établit entre l’âme et Dieu.
Ces grandes haltes de la vie sont indispensables pour nous retremper, nous reconnaître, nous ressaisir, voir le but suprême et nous orienter d’un pas sûr vers ce but. Alors, comme les prophètes, nous redescendons des cimes, agrandis, illuminés d’une clarté intérieure.


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Aux appels de ma pensée, les souvenirs s’éveillent en foule. C’est, dans les Pyrénées, une ascension au pic du Ger, près d’Eaux-Bonnes. Pour atteindre la plateforme rocheuse, sorte de belvédère qui en constitue le sommet, il faut franchir à califourchon une arête aiguë comme un tranchant de rasoir, longue de cinquante mètres, au-dessus d’un vertigineux abîme de deux mille pieds. Mais de là, quelle vue ! Toute la chaîne centrale se déploie, depuis les monts Maudits jusqu’au pic d’Anie, dont la noire cime émerge d’une mer de nuages comme une île du sein de l’Océan.
L’atmosphère est si pure, si limpide qu’on distingue les contours des monts les plus lointains. Le Vignemale, Néouvielle, le groupe des grands pics du Bigorre, avec leurs fines arêtes, leurs couronnes de glaciers, leurs neiges immaculées, se dressent comme de blancs fantômes sous l’ardente lumière du Midi. Grâce à la transparence de l’air, des pics espagnols, situés à plus de cent kilomètres, se montrent avec tant de netteté qu’on les croirait tout proches.
Je les revois comme si c’était d’hier, ces cimes grandioses dominant des lignes de crêtes qui se succèdent jusqu’au fond de l’horizon : l’énorme Baleïtous, et au delà, dans une échancrure, le sombre Mont Perdu. Plus près de nous, les formes familières du Monné, du Gabizos, les pylônes du Marboré, le Taillon, la brèche de Roland, vieilles connaissances que je salue de loin avec plaisir.
Une sérénité inaltérable enveloppe cette assemblée de géants, figée dans un conciliabule éternel. Au premier plan, le pic granitique d’Ossau, solitaire et farouche, continue son rêve de cent siècles.
Là-bas, ces croupes rougeâtres qui s’échelonnent vers le sud appartiennent au versant espagnol, âpre, dévoré du soleil, mais si riche de coloris. De ce versant, j’ai exploré maintes fois les cirques sauvages, si peu connus et d’un accès difficile, les gargantas, gouffres où bondissent les cascades, où grondent des torrents invisibles qui se sont creusé un lit souterrain parmi des chaos d’enfer. Et quels sentiers, taillés en corniche, au flanc des parois à pic ! Sous vos pieds s’ouvre l’abîme, à plusieurs centaines de mètres ; sur vos têtes, le vautour, aux appétits voraces, tournoie en décrivant de grands cercles. Entre ces crêtes déchiquetées s’allonge le Bramatuero, couloir sinistre, coupé de névés et de lacs glacés, où un prêtre italien, se rendant à Lourdes, fut assassiné quelques jours avant mon passage. Plus loin, cachée au fond d’un cirque en entonnoir, aux parois abruptes et dénudées, Panticosa, station thermale espagnole. Le site est désolé, partout, du fond des gorges, s’élève le grondement des eaux, semblable aux rumeurs d’une troupe en marche ou au roulement sourd des chars.
Revenons au pic du Ger. Sur le glacier voisin, mon guide me fait remarquer un point noir immobile, que je prends pour un rocher. Mais à ses cris, l’objet se déplace, se meut, détale rapidement. C’était un izard. Les cris du guide ont réveillé les échos de la montagne. De tous les replis du sol, des ravins sauvages, des gorges étroites sortent des milliers de voix. On dirait une légion de lutins, de gnomes, d’Esprits moqueurs. L’effet est saisissant.
Jetons un dernier et long regard sur ce panorama splendide. Sous la coupole azurée, les hautes montagnes se colorent de teintes fondues, d’une pureté, d’une richesse incomparables. Le soleil du Midi répand sur elles une profusion de clarté, un ruissellement de lumière dorée, qui accroît encore le prestige de leurs formes fantastiques et tourmentées. Tout un monde de tours, d’aiguilles, de pics crénelées, de dômes, de clochetons, de pyramides se dresse sous le ciel, enchevêtrement gigantesque de lignes tantôt rudes et heurtées, tantôt arrondies par le lent travail des eaux. Puis, çà et là, dans l’intervalle, de hauts pâturages verdoyants, parsemés de bergeries d’où montent de minces filets de fumée bleuâtre, les épaisses forêts qui bordent la frontière, vers Gabas, les cascades étincelantes, des lacs tranquilles, de riantes prairies et des plateaux glacés, de mornes déserts de pierrailles et d’éboulis, ruines de montagnes écroulées.
Devant ce spectacle, toutes les impressions se fondent dans la sensation de l’immense. C’est une splendeur de formes, d’aspects, de couleurs qu’on ne peut décrire avec les pâles mots d’une langue terrestre. L’homme se reconnaît bien petit ; toutes ses oeuvres lui paraissent éphémères et misérables en face de ces colosses. Que ceux-ci se secouent seulement, et, d’un haussement d’épaules, tout le travail humain s’effondre, disparaît. Mais l’âme grandit par la pensée. Un monde d’intuitions et de rêves s’éveille en elle. Elle sent que ces spectacles sont un simple avant-goût des merveilles que le destin lui réserve dans son ascension éternelle, d’orbes en orbes, dans la succession des temps et des mondes sidéraux.
L’univers tout entier se reflète en nous comme dans un miroir. Le monde invisible, par une transition insensible, se relie au monde visible. Au-dessus règne la loi d’harmonie qui les régit tous deux. Et l’âme, dans sa contemplation, projetée hors d’elle-même, extériorisée en quelque sorte, les pénètre et les embrasse. Un instant, elle a senti passer en elle le grand frisson de l’infini, elle a communié avec la pensée suprême ; elle a compris que celle-ci n’a enfanté les mondes que pour servir d’échelons aux ascensions de l’esprit.


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Un soir de juillet, au cours d’une promenade solitaire aux environs d’Eaux-Bonnes, je m’étais égaré dans la montagne boisée du Gourzy. La nuit étant venue et le retour rendu impossible par les sentes escarpées que j’avais suivies, je dus me résigner à attendre le lever du jour sur un lit de mousse  improvisé. Cette nuit a laissé dans ma mémoire un souvenir plein de charme et de poésie pénétrante. Que d’impressions recueillies ! J’entendais les glapissements, les appels des hôtes des bois : le renard, le coq de bruyère, le grand hibou des montagnes, au cri presque humain. La vie rôdait autour de moi, mystérieuse ; j’en percevais les rumeurs, les palpitations légères.
Dans un fourré, à quelque distance, une illumination étrange attire mon attention. Je m’approche : c’est une assemblée de vers luisants. Leurs petites lanternes vertes constellent les buissons, tandis qu’au ciel d’autres luminaires plus puissants resplendissent au-dessus de ma tête. Je puis suivre des yeux, durant cette nuit, tout le défilé de l’armée céleste. Puis, avec la marche imposante des étoiles, le lever de la lune, dont la clarté tremblante glisse à travers le feuillage et vient se jouer sur les mousses et les fougères. Aucune pensée de crainte ne trouble mon âme. Je me sens entouré de protecteurs invisibles, envahi d’une sorte de béatitude inexprimable. La grande voix du gave retentit dans le silence de la nuit, m’entretenant de choses graves et profondes. Que dit-elle ? Elle dit l’aspiration vers le divin ; elle chante l’immortalité, la participation de tous les êtres, suivant leur mesure, à l’œuvre immense, à la puissante harmonie du monde. Elle dit : « Observe mon cours ; c’est l’image de ta destinée. Maintenant je fuis, torrent impétueux, parmi les blocs tourmentés. Mon flot roule en cascades ou se brise en écume ; mais, plus tard, je deviendrai le large fleuve, coupé d’îles, qui coulera, calme, imposant, à travers l’émeraude des prés, sous l’opale du ciel. » Voilà ce que dit la voix solennelle, superbe de grandeur et d’éloquence, pendant que je contemple les cieux.
Là-haut, d’autres problèmes m’attirent. Où vont ces mondes innombrables ? En vertu de quelle force se meuvent-ils, se cherchent-ils au sein de l’insondable abîme ? Toujours, au fond de tout, surgit la pensée de Dieu, énergie éternelle, éternel amour ! La main qui dirige les astres dans l’étendue y a écrit un nom en lettres de feu, un seul nom ! Tous ces mondes connaissent leur route, leur mission sacrée ; ils les poursuivent infailliblement. Ils savent qu’ils jouent un rôle dans le plan divin et s’y associent étroitement. Tout le secret de la nature est là. Les mers, les forêts, les montagnes ne disent pas autre chose. La voie lactée qui déroule, à travers l’espace, sa poussière de mondes, les cèdres géants qui étendent leurs longues branches au-dessus des précipices, la fleur qui se pâme sous les baisers du soleil, tout nous murmure : C’est à Lui que nous devons l’être ; c’est pour Lui que nous vivons et mourons !
Oui, c’est là le sanctuaire où l’âme s’ouvre et s’épanouit à la vision du grand ciel et de Dieu, qui en a fait l’ordre et la sublime beauté. C’est là le temple de la religion éternelle et vivante, dont l’inéluctable loi est écrite au front des nuits étoilées et aux profondeurs de la conscience humaine.
Mais voici l’aube, le majestueux lever du soleil sur les cimes lointaines. Tel qu’une sphère de métal rougi, l’astre-roi monte à l’horizon. D’abord, les sommets dentelés des pics flamboient dans la lumière renaissante, et, de même que, la veille au soir, elle avait monté rapidement autour de moi, l’ombre descend d’une pareille vitesse. Comme si un voile se fût déchiré, tous les détails de la forêt, les hautes frondaisons, les escarpements abrupts des rochers, les sinuosités du sentier s’éclairent. Étonnant prestige da la couleur ! En un instant, tout s’anime, frémit, palpite ; le ciel et la terre vibrent d’un long frisson. Au-dessus de la gorge étroite où chante le gave, la silhouette noire du pic d’Ossau se dessine nettement. Et je reprends le chemin de l’hôtel, bénissant les circonstances qui m’avaient permis de jouir de tels spectacles.


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D’autres impressions m’attendaient dans les Alpes. On pourrait dire avec raison que les Pyrénées, par leurs formes sveltes, élancées, élégantes, représentent le type féminin de la montagne. Elles ont souvent le charme et la grâce de la femme. Un voile léger pare leurs fronts superbes. D’autres fois, les jeux de la lumière les transfigurent, en font des montagnes fées.
Les Alpes, avec leurs formes massives, leur ossature puissante, rappellent plutôt le type masculin. Elles symbolisent la force, la durée, la grandeur austère ; elles semblent les bornes gigantesques qui marquent les frontières du temps et de l’éternité.
Lorsque, pour la première fois, on contemple le Mont Blanc, ce géant solitaire dont la cime domine l’Europe, on se sent comme écrasé devant cette immense blancheur semblable à un linceul. En effet, son apparence est celle de la mort. Et cependant, sous son épais manteau de glaces, se cache une vie toujours active, chaude, fulgurante, qui se manifeste et s’épanche par les sources bouillonnantes de Saint-Gervais.
Ajoutez les cinquante lieues de glaciers qui couronnent les Alpes, leurs vastes réservoirs souterrains qui donnent naissance aux plus grands fleuves d’Occident, versant la fécondité sur tant de plaines, et vous aurez un aperçu de cette chaîne formidable.
Dans le massif de l’Oisans, la sensation n’est pas moins vive qu’au Mont Blanc. Du belvédère de la Tête de Maye, on voit se dresser toute une forêt de pics et d’aiguilles, toute une dentelle de granit. Le jour où j’y montai, les glaciers, resplendissaient, fondant lentement sous les ardeurs du soleil ; de toutes parts, ruisselaient les torrents et les cascades. Le roulement des eaux s’engouffrant sous le sol, produisait un bruit sourd qui variait d’heure en heure, selon le volume de la masse liquide. Autour de moi, le désert ; aussi loin que la vue peut s’étendre, pas un être humain. Le silence impressionnant des sommets m’enveloppe. On n’entend que le grondement des eaux et la plainte du vent qui agite les herbes et les fleurettes alpestres. Une flore merveilleuse s’étale sur ces hauteurs. Voici l’edelweiss et l’égrinette à la frêle tige. Des campanules balancent leurs gracieuses clochettes. Plus loin, c’est la gentiane bleue, bordée de noir, si hautaine dans son attitude, la superbe anémone jaune, tant recherchée des botanistes. Puis, c’est la daphné, l’orchis, la digitale, vingt espèces dont j’ignore les noms; en un mot, tout un petit monde végétal s’épanouit sous ce ciel de feu. L’air en est embaumé.
Barrant l’horizon, la Meije, cette redoutable « mangeuse d’hommes », montre ses contreforts puissants, que surmonte un diadème de neige et de glace. Le Pelvoux, la Barre des Écrins, d’autres cimes encore, se dressent comme une famille de titans rangés en demi-cercle.


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Nous voici à la Grande Chartreuse. J’ai passé plusieurs jours dans cet asile de paix et de recueillement. J’en ai exploré les abords, promenant mes pas sous les voûtes sombres de la forêt qui l’enserre, écoutant la chanson des torrents, les grandes orgues du vent dans les ramures, les appels lointains des pâtres et des bûcherons. Les sons de la cloche du monastère m’arrivaient sur l’aile de la brise ; leurs vibrations, en vagues sonores, allaient mourir et renaître, puis se perdre au fond des gorges et sur les pentes de la montagne. De tous côtés, la vue est bornée par de grands sommets chauves, âpres, nus, battus des orages. Mais la pensée de l’absolu, de l’infini enveloppe ces monts, et le regard de Dieu plane sur toutes choses.
Dans le grand silence du cloître, l’horloge sonne lentement les heures. Combien d’âmes secouées par les tempêtes de la vie sont venues chercher là le repos et l’oubli ! Cette mystique chrétienne qui les attirait a des profondeurs d’abîme qui fascinent. Sans doute, elle s’égare sur bien des points et s’éloigne des réalités invisibles. Elle crée, dans le cerveau du croyant, tout un monde d’illusions, de chimères superstitieuses imposées par la tyrannie des dogmatistes. Pourtant, elle n’est pas sans beauté. Aux époques de fer et de sang, la vie monastique était le seul refuge pour une âme délicate et studieuse. Même dans les temps modernes, elle pouvait être, dans une certaine mesure, un moyen d’entraînement vers les choses supérieures, une préparation à l’au-delà. C’est pourquoi, de ce sanctuaire alpestre, rayonnaient sur toute la contrée de bienfaisantes influences. Depuis lors, les moines ont disparu, la Chartreuse a été abandonnée ; le site a perdu son prestige religieux.
De la tribune réservée aux visiteurs, j’ai assisté à l’office de minuit. Trois faibles lumières, espacées dans la nef de la chapelle, trouent seules l’obscurité profonde. Les chartreux arrivent un à un, munis d’une petite lanterne, et gagnent leurs stalles. Les psalmodies commencent, invocations, cris d’appel d’âmes en détresse : Deus in adjutorium meum intende !... « Mon Dieu, venez à mon secours ! Seigneur, hâtez-vous, je succombe ! »
Cette lamentation du vieux Job, qui a traversé les siècles, semble résumer toute la douleur humaine. C’est la plainte des cœurs brisés, de tous ceux qui se détachent de cette terre d’épreuves, où ils ne voient plus que désespérance, abandon, exil, pour chercher dans le sein du Père aide et consolation.
Ces moines austères, qui quittent leur dure couche pour s’unir en pensée à l’humanité souffrante, ces chants d’une tristesse poignante, qui retentissent à l’heure où tout repose, cela est émouvant.
Les psaumes se succèdent sur un rythme lent, grave, solennel. De ces notes mélancoliques, parfois monotones, s’élance, de temps à autre, un cri d’amour, véritable fleur de l’âme qui, de cet océan des misères humaines, monte jusqu’au ciel pour implorer le Créateur. Puis, les phrases psalmodiées s’éteignent. Dans la pénombre des stalles, les religieux prosternés semblent plongés en une méditation profonde. Enfin, éclate le dernier appel de David dans sa pénitence, sanglot ultime de l’humanité déchirée, qu’un rayon d’espérance éclaire et réchauffe : De profundis clamavi ad te, Domine, exaudi vocem meam : « Des profondeurs de ma douleur, j’ai crié vers toi, Seigneur ; exauce ma prière ! »
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Le cimetière du couvent est d’aspect lugubre. Aucune dalle, aucune inscription n’en marque les tombes. Dans la fosse béante, on dépose simplement le corps du chartreux, revêtu de son froc et cloué sur une planche, sans cercueil ; puis, on le recouvre de terre. Pas d’autre signe qu’une croix ne désigne la sépulture de ce passant de la vie, de cet hôte du silence, dont nul, sauf le prieur, ne saura le nom véritable !
Est-ce la première fois que je parcours ces longs couloirs et ces cloîtres solitaires ? Non !
Quand je sonde mon passé, je sens tressaillir en moi la mystérieuse chaîne qui relie ma personnalité actuelle à celle des siècles écoulés. Je sais que, parmi les dépouilles qui gisent là, dans ce cimetière, il en est une que mon esprit a animée. Je possède un redoutable privilège, celui de connaître mes existences évanouies. L’une d’elles s’acheva en ces lieux. Après les vingt années de luttes de l’épopée napoléonienne, dans lesquelles le sort m’avait jeté, las de tout, écœuré par la vue du sang et la fumée de tant de batailles, j’y suis venu chercher la paix profonde. Dans la série de nos vies successives, une existence monastique peut être utile, si elle nous apprend le détachement des choses mondaines, la concentration de la pensée, l’austérité des mœurs. Dans le cloître, l’esprit se libère des suggestions matérielles et s’ouvre aux visions divines !
Serait-il bon que toutes les âmes descendues dans la chair conservassent le souvenir de leurs antériorités ? Je ne le pense pas. Dieu a fait sagement en voilant à nos yeux, au moins durant le difficile passage de la vie terrestre, les scènes tragiques, les défaillances, les erreurs funestes de notre propre histoire.
Notre présent est par là allégé, la tâche actuelle rendue plus facile. Il sera toujours assez tôt, à notre retour dans l’espace, de voir se dresser devant nous les fantômes accusateurs. Sans doute, beaucoup n’ont rien à redouter de semblable. Que la paix soit dans leur esprit ! Quant à moi, je sais une chose : lorsque je quitterai la terre pour retourner dans l’au-delà, les voix du passé se réveilleront et crieront, contre moi, car je fus un coupable, et le sang a rougi mes mains. Mais les âmes que j’ai pu éclairer et consoler en cette vie se lèveront aussi, je l’espère, pour plaider en ma faveur, et le jugement suprême en sera d’autant atténué.

XIV. ELEVATION.

Esprit, âme, toi qui parcours ces pages, d’où viens-tu et où vas-tu ? Tu montes du fond de l’abîme et tu gravis les degrés innombrables de l’échelle de vie. Tu vas vers les demeures éternelles où la grande Loi nous appelle et où la main de Dieu nous conduit. Tu vas vers la Lumière, vers la Sagesse, vers la Beauté !
Contemple et médite ! Partout, des oeuvres belles et puissantes sollicitent ton attention. Dans leur étude, tu puiseras, avec le courage et la confiance, le juste sentiment de ta valeur et de ton avenir. Les hommes ne se haïssent, ne se méprisent que parce qu’ils ignorent l’ordre magnifique par lequel ils sont tous étroitement rapprochés.
Ta route est immense ; mais le but surpasse en splendeur tout ce que tu peux concevoir. Maintenant, tu parais bien petit au milieu du colossal univers ; mais tu es grand par la pensée, grand par tes destinées immortelles.
Travaille, aime et prie ! Cultive ton intelligence et ton cœur ! Développe ta conscience ; rends-la plus vaste, plus sensible. Chaque vie est un creuset fécond, d’où tu dois sortir purifié, prêt aux missions futures, mûr pour des tâches toujours plus nobles et plus grandes. Ainsi, de sphère en sphère, de cercle en cercle, tu poursuivras ta course, acquérant des forces et des facultés nouvelles, uni aux êtres que tu as aimés, qui ont vécu et revivront avec toi.
Vous évoluerez en commun sur la spirale des existences, au sein de merveilles insoupçonnées, car l’univers, comme toi-même, se développe par le travail et déroule ses vivantes métamorphoses, offrant des joies, des satisfactions toujours croissantes, toujours renouvelées, aux aspirations, aux purs désirs de l’esprit !
Aux heures d’hésitation, tourne-toi vers la Nature : c’est la grande inspiratrice, le temple auguste où, sous ses voiles mystérieux, le Dieu caché parle au cœur du sage, à l’esprit du penseur. Observe le firmament profond : les astres qui le peuplent sont les étapes de ton long pèlerinage, les stations de la grande voie où ton destin te porte.
Viens ! Elevons nos âmes ; plane un instant avec moi, par la pensée, parmi les soleils et les mondes ! Plus haut, toujours plus haut dans l’éther insondable ! Là-bas, la terre n’est plus qu’un point dans la vaste étendue. Devant nous et au-dessus de nous, les astres se multiplient. Partout, des sphères d’or, des feux d’émeraude, de saphir, d’améthyste et de turquoise, décrivent leurs mouvements rythmés. Vers nous vogue un astre énorme, entraînant cent mondes planétaires dans son orbe, cent mondes qui évoluent en des courbes savantes. A peine entrevu, le voilà déjà qui fuit, poursuivant sa course, lui et son cortège splendide . Après eux, se présentent dix soleils de couleurs différentes, groupés dans une même atmosphère lumineuse qui les enveloppe comme d’une écharpe de gloire.
Et toujours, les systèmes succèdent aux systèmes, paradis ou bagnes flottants, mondes magiques, drapés d’azur, d’or et de lumière. Plus loin, les comètes vagabondes, les pâles nébuleuses dont chaque atome est un soleil au berceau . Sache une chose : tous ces mondes sont les demeures d’autres sociétés d’âmes. Jusqu’aux lointaines étoiles dont les lueurs tremblantes mettent des milliers d’années à nous parvenir, partout la famille humaine étend son empire ; partout, nous avons des frères célestes. Toutes ces demeures, nous sommes destinés à les connaître, à en jouir. Nous revivrons sur ces terres de l’espace, en des corps nouveaux, afin d’y acquérir des forces, des connaissances, des mérites plus grands, et nous élever encore plus haut dans notre perpétuel voyage.
Autant de mondes, autant d’écoles pour l’âme ; autant de champs d’évolution pour cultiver notre entendement et, en même temps, nous construire des organismes fluidiques de plus en plus délicats, épurés, brillants. Après les luttes, les tourments, les revers de mille existences ardues, après les épreuves et les douleurs des cycles planétaires, viendront les siècles de bonheur sur ces astres heureux dont les clartés adoucies projettent jusqu’à nous des rayons de paix et de joie. Puis, les missions bénies, les nobles apostolats, la tâche enviée de provoquer l’éveil, l’éclosion des âmes endormies, d’aider, à notre tour, nos sœurs plus jeunes dans leurs pérégrinations à travers les régions matérielles.
Enfin, nous atteindrons les sublimes profondeurs, le ciel d’extase où vibre, plus puissante, plus mélodieuse, la pensée divine, où le temps et la distance s’évanouissent, où la lumière et l’amour unissent leurs radiations, où la Cause des causes, en sa fécondité incessante, enfante à jamais la vie éternelle et l’éternelle beauté !
De nos jours, le ciel ne peut plus être ce qu’il fut si longtemps pour la science humaine, c’est-à-dire un espace vide, morne et désert. L’infini se transforme et s’anime. Le cercle de notre vie s’élargit dans tous les sens. Nous nous sentons reliés à cet univers par mille liens. Sa vie est la nôtre ; son histoire est notre histoire. Des sources inconnues de sensation, de méditation s’ouvrent. L’avenir prend à nos yeux un tout autre caractère. Une impression profonde nous envahit à la pensée de destinées si amples. Pour toujours, nous sommes unis à tout ce qui vit, aime et souffre. De tous les points de l’espace, de tous ces astres qui brillent dans l’étendue, partent des voix qui nous appellent, les voix de nos frères aînés, et ces voix nous disent : marche, marche, élève-toi par le travail ; fais le bien ; accomplis le devoir. Viens à nous qui, comme toi, avons peiné, lutté, souffert sur les mondes de la matière. Viens poursuivre avec nous ton ascension vers Dieu !


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Des espaces majestueux, reportons nos regards sur la Terre. Malgré ses proportions modestes, elle a, nous le savons, ses charmes, sa beauté. Chaque site a sa poésie, chaque paysage son expression, chaque vallon son sens particulier. La variété est aussi grande dans les prairies de notre monde que dans les champs étoilés.
L’été, c’est le sourire de Dieu ! Rien n’est plus suave, plus enivrant que l’apothéose d’un beau jour où tout est caresse, douceur, lumière. La fleurette cachée dans l’herbe, le poisson qui glisse entre les eaux en faisant miroiter au soleil ses écailles d’argent, l’oiseau qui égrène ses notes du haut des branches, le murmure des sources, la chanson mystérieuse des peupliers et. des ormeaux, le parfum sauvage des brandes, tout cela berce la pensée, réjouit le cœur. Loin des villes, on trouve le calme profond qui pénètre l’âme, la repose, des luttes et des déceptions de la vie. Alors seulement on comprend la vérité de ces grandes paroles: « Le bruit est aux hommes, le silence est à Dieu ! »
La contemplation, la méditation provoquent l’éveil des facultés psychiques, et, par elles, tout un monde invisible s’ouvre à nos perceptions. J’ai essayé, au cours de cet ouvrage, d’exprimer les sensations ressenties du haut des cimes ou au bord des mers, de décrire le charme des crépuscules et des aurores, la sérénité des champs sous la royale splendeur du soleil, le prodigieux poème des nuits d’étoiles, la féerie des clairs de lune, l’énigme des eaux et des bois. Il est des moments d’extase où l’âme s’élance hors de son enveloppe et embrasse l’infini, heures d’intuition et d’enthousiasme où l’influx divin nous envahit comme un flot irrésistible, où la pensée suprême vibre et palpite en nous, où brille, pour un instant, l’éclair du génie. Ces heures inoubliables, je les ai vécues quelquefois, et, à chacune d’elles, j’ai cru à la visite, à la pénétration de l’Esprit. Je leur dois l’inspiration de mes plus belles pages et de mes meilleurs discours.
Celui qui se recueille dans le silence et la solitude, devant les spectacles de la mer ou des montagnes, sent naître, monter, grandir en lui des images, des pensées, des harmonies qui le ravissent, l’enchantent, le consolent des terrestres misères et lui ouvrent les perspectives de la vie supérieure. Il comprend alors que la pensée de Dieu nous enveloppe et nous pénètre quand, loin des turpitudes sociales, nous savons lui ouvrir nos âmes et nos cœurs.


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Certes, on pourrait nous faire beaucoup d’objections. Par exemple, on nous a dit : vous faites ressortir les beautés de la nature, mais vous n’en montrez guère les laideurs. Elle n’a pas seulement des sourires et des caresses : elle a aussi ses révoltes, ses colères, ses fureurs. Vous ne parlez pas des monstres ni des fléaux qui la déparent. Quelle utilité trouvez-vous à l’existence des bêtes de proie, des reptiles, des plantes vénéneuses ? Pourquoi les convulsions du sol, les catastrophes, les épidémies, tous les maux qui engendrent la souffrance humaine ?
Il nous sera facile de répondre. Le beau, dirons-nous, nécessite des contrastes. Tous, les artistes, penseurs, écrivains de valeur, le savent. Et lorsque nous constatons que, dans l’ensemble des mondes, la Terre occupe un rang des plus inférieurs, qu’elle est, avant tout, pour les Esprits jeunes, une école, un séjour de lutte, d’épreuve et parfois de réparation, comment s’étonner qu’elle ne soit pas dotée de tous les avantages que possèdent les mondes supérieurs !
Les dangers, les obstacles, les difficultés de toutes sortes sont des facteurs essentiels du progrès, autant d’aiguillons qui stimulent l’homme dans sa voie, autant de causes qui le contraignent à observer, à s’ingénier, à devenir prévoyant, mesuré en ses actes. C’est dans l’alternance obligée du plaisir et de la douleur qu’est le principe de l’éducation des âmes. De là, la nécessité pour les êtres, des plus rudimentaires aux plus développés, de lutter et de souffrir. Le progrès ne saurait se réaliser sans l’équilibre indispensable des sentiments opposés, joies et peines, qui alternent dans le rythme grandiose de la vie. Mais c’est surtout la douleur, physique et morale, qui forme notre expérience : la sagesse humaine en est le prix.
Quant aux mouvements sismiques, aux tempêtes, aux inondations, remarquons qu’ils ont leurs lois. Ces lois, il suffit de les connaître pour en prévoir et en atténuer les effets. Quand on étudie les phénomènes de la nature et que la pensée pénètre au fond des choses, elle reconnaît ceci : ce qui est un mal en apparence est, en réalité, un bien .
La grandeur de l’esprit humain consiste à s’élever de la confusion, du chaos des contingences à la conception de l’ordre général. Il peut alors se sentir en sécurité au milieu des périls du monde, parce qu’il a compris les grandes lois qui, au prix de quelques accidents, assurent l’équilibre de la vie et le salut des races humaines.
L’homme chez qui le sens profond, le sens des choses divines n’est pas éveillé, le sceptique, en un mot, quels que soient son intelligence et son savoir en d’autres matières, se refuse à admettre ces choses. Il serait aussi superflu d’insister près de lui, que d’expliquer à un aveugle-né les couchers de soleil et les aurores, les jeux de la lumière sur les eaux ou sur les glaciers. Il lui faudra forcément les chocs de l’adversité, le concours des circonstances douloureuses qui le mettront en contact direct avec sa destinée et lui feront sentir, en même temps que l’utilité de la souffrance, ces notions de sacrifice et d’espérance par où la vie prend son sens réel et élevé.
Alors seulement il pourra pénétrer le grand mystère de l’univers et comprendre que tout a sa raison d’être, que la douleur a son rôle et que nous pouvons tirer bon parti de tout, de l’épreuve, de la maladie et de la mort même, puisque tout, suivant l’usage que nous en faisons, peut concourir à notre avancement, à notre amélioration morale. Dès lors, la confiance et la foi l’aideront à supporter patiemment l’inévitable, à abolir le chagrin présent, à souffrir en paix. La connaissance de la loi lui apportera la certitude des jours meilleurs et de l’avenir sans fin.
A dater de ce moment, sa vie, si terne, si banale, si incolore soit-elle, s’éclairera d’un rayon de lumière et de poésie, car la poésie la plus vraie est faite de la résonance intime de la symphonie éternelle en nous, et de l’accord de nos pensées, de nos sentiments et de nos actes avec la règle de notre destin.


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En parlant comme nous l’avons fait au cours de ces pages, nous serons, sans doute, accusé de mysticisme par plus d’un. Mais tous ceux dont la sensibilité et le jugement se sont éveillés, développés sous le coup des épreuves et des luttes de l’existence, sauront nous comprendre.
Certains Esprits terre à terre sont enclins à traiter de mystiques, d’hallucinés, de visionnaires, tous ceux dont les perceptions dépassent le cercle limité de leurs pensées habituelles. Ils se croient gens très positifs et très pratiques, alors qu’en réalité les âmes évoluées, affranchies des préjugés et des passions, dédaigneuses des petits intérêts matériels, ont, seules, l’intuition des grandes et hautes réalités de la vie, de ces réalités supérieures qui, dans la pénombre entretenue par les conventions, les routines et tout le quotidien de l’existence sociale, échappent encore au commun des hommes.
En résumé, la nature et l’âme sont sœurs, avec cette différence que l’une évolue invariablement suivant un plan établi et que l’autre trace elle-même, sur une page blanche, les grandes lignes de sa destinée. Elles sont sœurs, car toutes deux proviennent d’une même cause éternelle et mille liens les unissent. C’est ce qui explique l’empire de la nature sur nous. Elle agit sur les âmes sensibles comme un magnétiseur sur son sujet, provoquant le dégagement de l’esprit de sa chrysalide de chair. Alors, dans la plénitude de ses facultés psychiques, l’âme perçoit un monde supérieur et divin qui échappe à la plupart des intelligences.
N’oublions jamais ceci : tout ce qui tombe sous les sens physiques, tout ce qui est du domaine matériel, est passager, soumis à la destruction, à la mort. Les réalités profondes, éternelles, appartiennent au monde des causes, au domaine de l’invisible. Nous-mêmes appartenons à ce monde par la partie impérissable de notre être.
Voici que, peu à peu, l’expérimentation psychique et les découvertes qui en découlent se propagent et s’étendent. La connaissance du double fluidique de l’homme, son action à distance avant et après le décès, l’application des forces magnétiques, l’entrée en scène des puissances invisibles viennent démontrer à tout observateur attentif que le monde des sens n’est qu’une pauvre et obscure prison, comparée au domaine immense et radieux ouvert à l’Esprit .
Les sens intérieurs et les facultés profondes de l’âme sommeillent encore chez la plupart des hommes, qui ignorent leurs richesses cachées, leurs pouvoirs latents. C’est pourquoi leurs actes manquent de base, de point d’appui. De là, tant de faiblesses et de défaillances. Mais l’heure du réveil est proche. L’homme apprendra à connaître son âme, l’étendue de ses pouvoirs et de ses attributs : dès lors, la séparation et la mort cesseront d’exister pour lui ; la plupart des misères qui nous assiègent disparaîtront. Nos amis de l’espace viendront plus facilement nous visiter, correspondre avec nous. Une communion intime s’établira entre le ciel et la terre, et l’humanité entrera dans une phase plus haute et plus belle île ses glorieuses destinées.


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Avant de fermer ce livre, de ma vue affaiblie par le travail, je jette encore un regard sur ces cieux qui m’attirent et sur cette nature que j’aime. Je salue les mondes qui seront plus tard notre récompense : Jupiter, Sirius, Orion, les Pléiades et ces myriades de foyers dont les rayons tremblants ont tant de fois versé en mon âme anxieuse la paix sereine et les ineffables consolations.
Puis, de l’espace, je reporte mes regards sur cette Terre qui fut mon berceau et sera ma tombe. 0 Terre! Planète, notre mère, champ de nos communs labeurs, de nos progrès, de nos souffrances, où lentement, à travers l’obscurité des âges, ma conscience est éclose avec la conscience de l’humanité, tu flottes dans l’infini, bercée par les souffles divins ; tu répands autour de toi les vibrations puissantes de la vie qui s’agite sur tes flancs. On dirait une harmonie confuse faite de rumeurs et de vagissements, une harmonie qui monte du sein des mers et des continents, des vallées et des forêts, des fleuves et des bois, et à laquelle se mêle la plainte humaine : murmure des passions, accents de douleur, bruits du travail et chants de fêtes, cris de fureur et chocs d’armées. Parfois aussi, des notes calmes et graves dominent ces rumeurs : la mélodie humaine remplace les harmonies de la nature et le bruit des forces en action; le cantique de l’âme, affranchie des servitudes inférieures, salue la lumière. Un chant d’espérance monte vers Dieu comme un hosanna, une prière.
C’est ton âme, ô Terre ! Qui s’éveille et fait effort pour sortir de sa gangue obscure, pour mêler son rayonnement et sa voix aux radiations et aux harmonies des mondes sidéraux. C’est ton âme qui chante l’aube renaissante de son humanité ; car celle-ci s’éveille à son tour, elle sort de sa nuit matérielle, de l’abîme de ses origines. L’âme de l’humanité, qui est celle de la terre, se cherche ; elle apprend à se connaître, à pénétrer sa raison d’être ; elle pressent ses grandes destinées ; elle veut les réaliser.
Poursuis ta course, terre que j’aime ! Bien des fois, déjà, mon esprit a puisé dans tes éléments les formes nécessaires à son évolution. Pendant des siècles, ignorant et barbare, j’ai parcouru tes sentiers, tes forêts, vogué sur tes océans, ne sachant rien des choses essentielles ni du but à atteindre.
Mais voici que, parvenu au soir de la vie, à cette heure crépusculaire où une nouvelle étape s’achève, où les ombres montent à l’envi et couvrent toutes choses de leur voile mélancolique, je considère le chemin parcouru ; puis, je dirige mes regards en avant vers l’issue qui va s’ouvrir pour moi sur l’au-delà et ses clartés éternelles.
A cette heure où mon âme se dégage peu à peu de tes entraves, ô terre ! Et s’apprête à te quitter, elle comprend le but et la loi de la vie. Conscient de ton rôle et du mien, reconnaissant de tes bienfaits, sachant pourquoi je suis, pourquoi j’agis et comment il faut agir, je te bénis, ô terre ! Pour toutes les joies et toutes les douleurs, pour les épreuves salutaires que tu m’as procurées, car dans tout ce que je te dois : sensations, émotions, plaisirs, souffrances, je reconnais les instruments de mon éducation, de mon élévation. Je te bénis et je t’aime, heureux, quand je te quitterai, à la pensée de revenir plus tard, dans une existence nouvelle, travailler encore, souffrir, me perfectionner avec toi, contribuer par mes efforts à ton progrès et à celui de mes frères, qui sont aussi tes enfants.

TROISIEME PARTIE

LA LOI CIRCULAIRE, LA MISSION DU XXE SIECLE

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XV. LA LOI CIRCULAIRE ; LA VIE ; LES AGES DE LA VIE ; LA MORT.

La loi circulaire préside à tous les mouvements du monde ; elle régit les évolutions de la nature, celles de l'histoire et de l'humanité. Chaque être gravite dans un cercle, chaque vie décrit un circuit, toute l'histoire humaine se divise en cycles.
Les jours, les heures, les années, les siècles roulent dans l'orbite de l'espace et du temps et renaissent, car leur fin, si c'en est une, est précisément de retourner vers leur principe. Les vents, les nuées, les eaux, les fleurs, la lumière suivent la même loi. Les vents reviennent sur leurs orbes enlacés aux cavernes mystérieuses d'où ils procèdent.
La vapeur remonte vers les hauteurs ; elle forme les nuages, véritables océans suspendus sur nos têtes. Les nuées qui planent, mers immenses et mobiles, fondent en pluies et redeviennent les fleuves, les rivières qu'elles ont déjà été. Ainsi le Rhin, le Rhône, le Danube, le Volga ont roulé au-dessus de nos têtes avant de couler à nos pieds. C'est donc la loi, la loi de la nature et celle de l'humanité. Tout être a déjà été ; il renaît et monte, évolue ainsi dans une spirale dont les orbes vont en s'agrandissant chaque fois davantage, et c'est pour cela que l'histoire prend un caractère de plus en plus universel : c'est le corsoe ricorso dont parle le philosophe italien Vico.
Ces principes une fois posés, je voudrais consacrer cette méditation à étudier les âges de la vie humaine : la jeunesse, l'âge mûr, la vieillesse, à la lumière de cette grande loi, et la mort comme couronnement et comme apothéose. De ces études ressortira le grand principe spiritualiste de la réincarnation, le seul qui explique le mystère de l’être et de son destin.
Il faut renaître, c'est la loi commune de la destinée humaine qui, elle aussi, évolue dans un cercle dont Dieu est le centre.
« Personne, disait Jésus à Nicodème, personne ne verra le royaume de Dieu, c'est-à-dire ne comprendra la loi de sa destinée, s'il ne renaît de l'eau et de l'Esprit. »
La réincarnation est clairement exprimée dans ces paroles, et Jésus fait un reproche à Nicodème : c'est « d'être maître en Israël et d'ignorer ces choses ».
Combien parmi nos maîtres contemporains méritent le même reproche ! Il y a tant de gens qui se contentent de la notion superficielle de la vie et ne sont jamais tentés de regarder au fond ! Il est si facile de nier les choses pour s'exonérer du devoir et du travail de les étudier et de les comprendre ! Le positiviste n'aborde jamais le problème de l'origine, ni celui des fins ; il se contente du moment présent et l'exploite de son mieux. Beaucoup d'hommes, même intelligents, font comme lui. De son côté, le catholique se borne à croire ce qu'enseigne l’Eglise, qui met un mystère, au commencement et à la fin de la vie et quelques miracles au milieu et quand ces deux mots ont été prononcés : miracle, mystère ! On s'incline, on se tait et l'on croit.
D'autre part, les universitaires n'ont cru longtemps qu'aux données de l’expérimentation. Pour eux, tout ce qui ne figurait pas sur leurs programmes était sans valeur. Jamais les idoles de Bacon n'eurent davantage d'adorateurs. Aussi, la science officielle n'a fait faire que peu de progrès depuis cinquante ans à la pensée moderne.
Cependant, le médecin de nos jours, si attaché naguère aux systèmes matérialistes de l’école, commence à secouer le joug ; et c'est des rangs de la médecine actuelle que sortent les docteurs les plus autorisés et les mieux avisés du spiritualisme.
La génération prochaine sera plus heureuse et mieux douée encore. Une Jeunesse grandit qui ne relève d'aucun pédagogue et ne s'instruit qu'à la grande Ecole de la nature et de la conscience intime. Celle-là sera vraiment la jeunesse libre, c'est-à-dire indépendante de toute éducation factice, de toute méthode empirique et conventionnelle. Elle entend les vraies voix ; la voix intérieure, la voix subliminale de l'être, celle qui explique l'homme à l'homme et résout aussi clairement qu'on peut le faire le théorème de la destinée.
C'est pour cette jeunesse de demain que j'écris ces pages ; je les dédie aux « initiés » et aux « avertis », à ceux qui, selon la parole du Maître, ont des yeux pour voir et des oreilles pour entendre.
Revenons donc à la loi circulaire de la vie et de la destinée, c'est-à-dire à la doctrine de la réincarnation.
Nous en résumerons brièvement l'exposé scientifique, car notre but n’est point ici de faire un travail dogmatique, mais uniquement de nous abandonner à des effusions platoniciennes sur la vie, ses phases, sur la destinée et sur la mort qui la termine apparemment, pour lui permettre de reprendre son cours.


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La naissance - L'union de l'âme et du corps commence à la conception et n'est complète qu'au moment de la naissance. C'est l'enveloppe fluidique qui attache l'esprit au germe ; cette union va en se resserrant toujours davantage, jusqu'au moment où elle est complète, c'est-à-dire quand l'enfant voit le jour. Dans l'intervalle de la conception à la naissance, les facultés de l'âme sont peu à peu annihilées par le pouvoir toujours croissant de la force vitale reçue des générateurs, qui diminue le mouvement vibratoire du périsprit jusqu'au moment où l'esprit de l'enfant devient tout à fait inconscient. Cette diminution vibratoire du mouvement fluidique entraîne la perte du souvenir des vies antérieures dont nous allons parler bientôt.
L'esprit de l'enfant sommeille donc dans son enveloppe matérielle, et à mesure que le moment de la naissance approche, ses idées s'effacent, ainsi que la connaissance du passé, dont il n'a plus conscience lorsqu'il est parvenu à la lumière du jour. Ce sera seulement quand, par la dématérialisation finale ou par les influences profondes de l'extériorisation dans l'hypnose, l'âme reprendra son mouvement vibratoire, qu'elle retrouvera son passé et le monde endormi de ses souvenirs. Voilà la vraie genèse de la vie humaine. Les acquis du passé sont latents dans chaque âme ; les facultés ne sont pas détruites ; elles ont leurs racines dans l'inconscient et sont d'autant plus apparentes qu'elles ont progressé davantage antérieurement et capitalisé plus de connaissances, d'impressions, d'images, de savoir et d'expérience. C'est ce qui constitue « le caractère » de chaque individu vivant et lui donne les aptitudes originelles proportionnées à leur degré d'évolution.
L'enfant ne tient donc de ses parents qu'une chose : la force vitale, à laquelle il faut ajouter certains éléments héréditaires. Au moment de son incarnation, le périsprit s’unit, molécule à molécule, à la matière du germe. Dans ce germe, qui doit constituer plus tard l'individu, réside une puissance initiale qui résulte de la somme des éléments de vie du père et de la mère, au moment de la génération. Ce germe renferme une énergie potentielle plus ou moins grande qui, en se transformant en énergie active pendant la durée totale de la vie, détermine le degré de longévité de l'être.
C'est donc sous l'influence de cette force vitale émanée des générateurs, qui eux-mêmes la tiennent des ancêtres, que le périsprit développe ses propriétés fonctionnelles. Ainsi, le double fluidique reproduit sous forme de mouvements la trace ineffaçable de tous les états de l'âme depuis sa première naissance ; d'autre part, le germe matériel reçoit l'empreinte de tous les états successifs du périsprit : il y a là un parallélisme vital absolument logique et harmonieux. Le périsprit devient ainsi le régulateur et le support de l'énergie vitale modifiée par l'hérédité. C'est par là que se forme le type individuel de chacun de nous. Il n'est autre que le « médiateur plastique » du philosophe écossais Woodsworth, le réseau fluidique permanent à travers lequel passe le torrent de matière fluente qui détruit et reconstruit incessamment l'organisme vivant. C'est l'armature invisible qui soutient intérieurement la statue humaine.
Le périsprit est le principe d'identité physique et morale qui maintient, indéfectible, au milieu des vicissitudes de l'être mobile et changeant, le principe du moi conscient. La mémoire qui nous garde la certitude intime de notre identité personnelle est le rayonnement réflexe de ce périsprit.
Telle est l'origine de notre vie.
En réalité, nous sommes uniquement fils de nous-mêmes. Les faits sont là pour confirmer cette assertion. Les philosophes du dix-huitième siècle, avec leur système de l'âme comparée à une table rase sur laquelle rien n'est écrit encore, se sont donc trompés. Les docteurs du générationisme seraient plus près de la vérité ; cependant, ils ont exagéré la portée de leur doctrine, ainsi que ses conclusions.
Chaque incarnation périspritale apporte sans doute des modalités nouvelles dans l'âme de l'enfant qui réédite sa vie, mais elle trouve déjà son terrain cultivé. pour cela. Platon avait raison quand il disait : « Apprendre, c'est se souvenir. »
Ainsi s'expliquent les phénomènes illustres et la physiologie des grands génies dont parle l'histoire : la science dominante de Pic de la Mirandole ; l'intuition de Pascal, reconstituant à treize ans les théorèmes d'Euclide, et Mozart, composant à l'âge de douze ans une de ses oeuvres les plus célèbres.
Toutefois, il peut arriver, par contre, que les lois de l'hérédité entravent la manifestation du génie car l'esprit façonne son corps, mais il ne peut se servir que des éléments mis à sa disposition par cette hérédité.
Ce que nous venons de dire suffit pour le moment à justifier scientifiquement la doctrine lumineuse des vies successives.
Nous répondrons en peu de mots à l'objection de ceux qui ne cessent de redire que si nos vies étaient multiples, nous en conserverions au moins un vague souvenir.
On a vu plus haut comment et pourquoi se perd, au moment de la naissance, la mémoire de notre passé. Cette éclipse partielle et momentanée de nos existences antérieures est absolument nécessaire pour conserver intacte ici-bas notre pleine liberté. Si nous nous souvenions trop facilement, il y aurait confusion dans l'ordre logique et fatal de la destinée ; et le Maître n'a-t-il pas dit dans son Evangile : « Malheur à celui qui, ayant mis la main à la charrue, regarde en arrière. »
Pour tracer un sillon droit et sûr, il faut porter ses regards en avant et fixer uniquement l'avenir. Cependant l'oblitération du passé n'est ni absolue, ni définitive. Le périsprit, qui a enregistré toutes nos connaissances, toutes nos sensations, tous nos actes, se réveille ; sous l'influence de l'hypnotisme, les voix profondes du passé se font entendre. Nous ressemblons aux arbres millénaires de nos forêts. Leurs années sont inscrites dans les cercles concentriques de leur écorce séculaire ; ainsi chaque âge de nos existences successives laisse une zone inaltérable sur le périsprit, qui retrace fidèlement les nuances les plus imperceptibles de notre passé et les actes les plus apparemment effacés de notre vie mentale et notre conscience.
Mais c'est surtout à l'heure de la mort que le périsprit, sur le point de se dégager, sent se réveiller dans la mémoire les visions assoupies des existences passées. L'expérience de chaque jour l'atteste. Nous avons entendu dire par un médecin de nos amis que dans sa jeunesse, étant sur le point de se noyer, au moment où commençait l'asphyxie, tous les tableaux de sa vie se sont déroulés devant sa pensée en succession rétrograde, avec des détails précis et accompagnés d'un sentiment de bien ou de mal sur chacun des actes de sa vie entière. C'était le jugement spirituel qui commençait. Ce jugement, on le sait, n'est autre que le bilan instantané de notre conscience, qui fait que nous prononçons vis-à-vis de nous-mêmes le verdict qui fixe notre sort dans le monde nouveau où nous rentrons.
Maintenant que nous connaissons la loi de l'existence, la doctrine scientifique de l'incarnation, il nous sera plus facile de comprendre les vicissitudes de notre voyage terrestre, les âges par lesquels nous passons et le rôle que chaque étape de la vie humaine vient jouer dans l'économie harmonieuse de son ensemble. Ainsi la jeunesse, l’âge mûr, la vieillesse nous  apparaîtront sous leur véritable aspect ; à cette haute lumière du spiritualisme, nous saurons mieux les apprécier et les comprendre. Mourir pour revivre, revivre pour mourir et pour vivre encore, telle est la loi unique et universelle. La naissance et la mort ne sont donc que les portiques lumineux ou obscurs sous lesquels il nous faut passer pour entrer dans le temple de notre destinée.
Chose étrange ! cette science profonde de l'origine des choses, cette genèse de l'être, cette loi du destin, l'antiquité les connaissait, les comprenait infiniment mieux que nous. Ce que nous commençons à peine de rétablir et de prouver scientifiquement, la Grèce, l’Egypte, l'Orient le savaient par voie d'intuition et d'initiation.
C’était le fond des mystères isiaques et de ceux d'Eleusis, sorte de représentation dramatique de la réincarnation des âmes, de leur entrée dans le Hadès, de leur épuration et de leur transmigration successives. Ces fêtes duraient trois jours et traduisaient dans une trilogie émouvante tout le mystère de ce monde et celui de l'au-delà. A l'issue de ces initiations solennelles, les sages étaient sacrés pour toute la vie, et les peuples à qui l'on ne servait que la symbolique et l'hiéroglyphe de ces vérités ésotériques les pressentaient sous l’écorce du symbole et gardaient ainsi le vrai sens de la vie. Aujourd’hui, ce sens, nous l’avons perdu. Le christianisme primitif, celui de Jésus et des apôtres, le possédait encore. A partir du jour où l'esprit grec, dans sa subtilité, a créé la Théologie, le sens ésotérique a disparu et la vertu secrète des rites hiératiques s’est évaporée comme la vertu d'un sel affadi. La scolastique a étouffé la première révélation sous ses montagnes de syllogismes et d’argumentations spécieuses et sophistiquées.
La mythologie païenne avait, au plus haut degré, l'intelligence des origines et la notion de la genèse vitale. Sous la forme de mythes poétiques transpirait la vérité initiatique comme sous l'écorce de l'arbre se révèle la sève de vie.


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C'est à la lumière du spiritualisme que je veux étudier les diverses phases de la vie humaine, en les rattachant et les comparant aux saisons alternées qui se succèdent dans le temps.
Comme Maurice de Guérin, cet averti, cet initié, mort jeune ainsi que tous ceux qui « sont aimés des dieux », nous voudrions pouvoir, nous aussi, « pénétrer les éléments intérieurs des choses, remonter les rayons des étoiles, et le courant des fleuves, et celui de la vie, jusqu'au sein des mystères de leur génération ; être admis enfin, par la grande nature, air plus retiré de ses divines demeures, c'est-à-dire au point de départ de la vie universelle. Là, nous surprendrions certainement la cause première du mouvement et nous entendrions le premier chant des êtres dans leur matinale fraîcheur ».
Ces dons intuitifs sont, chez certains hommes, une des formes les plus hautes de la médiumnité, car on peut dire que la médiumnité, une dans son principe et multiforme dans ses manifestations, est la véritable initiation intime, la langue mystérieuse que le monde supérieur fait entendre à l'âme et à la pensée de ceux qu'il a élus pour ses correspondants ici-bas.
Méditons donc, à cette lumière et dans ces dispositions, sur le mystère de la vie humaine et sur les harmonies secrètes qui président à ses phases successives et aux différents âges, véritables saisons de l’âme, qui donnent, chacune à son tour, leurs fleurs, leurs fruits.
Les poètes ont chanté la jeunesse avec 1'opulence de ses dons, l'éclat de ses couleurs, les élans de sa force, le charme de sa grâce et de sa beauté ...
« La jeunesse est semblable aux forêts, dit encore Maurice de Guérin, dans son immortel Centaure, aux forêts verdoyantes, tourmentées par les vents ; elle agite de tous côtés les riches présents de la vie ; toujours quelque profond murmure bruit dans son feuillage. »
L'image est belle, belle surtout de justesse et de vérité.
Ce qui caractérise la jeunesse, c'est l'opulence, le trop-plein de vie, la surabondance des choses, l'élan vers l'avenir. Le dévouement, le besoin d'aimer, de se communiquer, caractérise cette période de la vie où l'âme, nouvellement attachée à un corps dont les éléments, sont neufs et puissants, se sent capable d'entreprendre une vaste carrière et se promet de longs espoirs.
La jeunesse a une importance capitale, parce qu'elle est la première orientation vers la destinée. Chez elle, l'oubli du passé est total ; il n'existe plus et toutes ses puissances sont tournées vers l'avenir. Voilà pourquoi tous les moralistes, tous les éducateurs ont concentré leur expérience et leurs efforts sur cette préface de la vie humaine, d'où dépendra le livre tout entier. «  L'espoir de la moisson est dans la semence, » disait Leibnitz ; la promesse des fruits est également contenue dans le sourire des fleurs.
Le christianisme monacal et médiéval a complètement faussé la notion de la vie et de l'éducation. En préconisant la laideur physique et le mépris du corps, il n'a pas compris que l'âme façonne son corps, comme Dieu forme l'âme, et que le corps doit porter la signature de tous les deux, laquelle ne peut et ne doit être que la signature de la Beauté. Tant que notre siècle ou le siècle qui suivra n'aura pas corrigé cette erreur, il n'aura rien fait pour le véritable progrès du monde. Embellissez les corps si vous voulez assainir les âmes et aplanir la voie de la destinée. N'oubliez pas, ô éducateurs futurs des peuples, que la laideur est un élément morbide.
Il faut donc refaire complètement l'éducation de la jeunesse, si l'on veut accélérer les victoire et les progrès du siècle à venir. Il faut que tout autour d'elle, hommes et choses, arts, sciences, littérature, tout lui parle de grandeur, de noblesse, de force, de gloire, de beauté.
Lorsque la jeunesse antique allait concourir annuellement aux fêtes glorieuses d'Olympie, dès qu'elle avait mis pied, dans la cité célèbre, elle était saisie par la magie fascinatrice de la, Beauté. Les édifices, avec leur impeccable symétrie, le Forum, avec ses superbes statues, qui représentaient tantôt, la beauté d'Hercule et tantôt celle d'Apollon, le concours religieux du peuple, la majesté des temples, l’harmonieuse organisation de la fête, les couronnes de myrte et de laurier qui respiraient déjà l'orgueil de la victoire, tout criait, aux jeunes éphèbes accourus des extrémités de l'Attique, pour lutter dans le stade : «  0 jeunes hommes, soyez beaux, soyez grands, soyez heureux, soyez forts ! » Un peu plus loin, dans le sanctuaire d'Olympie, le Jupiter de Phidias, rayonnant d'immortelle beauté, consacrait, par son geste divin, cette leçon, solennelle et harmonieuse des choses.
Il faut ressusciter cette discipline de l'antiquité sacrée, si nous voulons refaire la jeunesse et la force de l'humanité.
Tout repose aujourd'hui sur la science officielle comme méthode, sur la démocratie comme principe social. Voilà précisément que toutes les deux sont menacées. La science matérialiste s'évanouit dans la dissection et l'analyse ; elle décompose au lieu de créer et dissèque au lieu d'agir. D'autre part, la démocratie, dans ses œuvres vives, porte déjà des germes, de décadence. Elle préconise la médiocrité en tous genres ; elle proscrit le génie et se défie de la force, et le vingtième siècle a commencé sur ce bilan intellectuel et moral, impuissant et douloureux. L'erreur a été de prendre, la science pour un idéal et la démocratie pour une fin, alors que toutes les deux ne sont  que des moyens.
La jeunesse de demain devra vigoureusement réagir contre ces deux idolâtries - celle d’aujourd’hui commence déjà. - Il est parmi nos jeunes gens quelques esprits d'élite, des initiés, des avertis de la première heure qui frayent la route et préparent l'exode et la marche de l'esprit vers l'avenir. Ce sont les spiritualistes de bon aloi, ceux qui savent que là où souffle l’Esprit est la vraie liberté. Ce sera la devise de la légion nouvelle, c'est-à-dire la jeunesse libre, affranchie de l'entrave des fausses disciplines, la jeunesse qui s'interroge, et s'ausculte elle-même, qui entend ses voix intimes et cherche à comprendre sa destinée en étudiant le mystère et la loi de l’évolution.
Ce sera le règne de l'Esprit, vers lequel aspirent les âmes amantes des hauteurs. Certes, le but est loin d'être atteint encore ; il faudra pulvériser bien des idoles dont le socle est rebelle au marteau du démolisseur ; néanmoins, tout nous oriente vers ce terme entrevu par les penseurs, au delà des horizons de notre âge ; une force nous y pousse comme un vent du large pousse un esquif, et nous espérons, avant de mourir, pouvoir saluer de loin la terre promise que le soleil futur illuminera de sa gloire matinale et de ses fécondes clartés.


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L'Age mûr est, en réalité, l'âge d'or de la vie, car c'est l'époque de la moisson, le messidor où la maturation s'opère dans le cœur, dans l'esprit, dans l’être tout entier. Les exubérances de la jeunesse se sont éclaircies comme les allées, comme les clairières que le bûcheron a tracées dans l'opulence de la forêt. Les illusions, les rêves brillants, se sont évanouis. Sous la brume dorée qui recouvrait autrefois les choses, on voit apparaître les lignes graves, les formes austères de la réalité. Ceux qui nous entourent n’ont plus au front l’auréole poétique que notre imagination créatrice leur avait mise, l'amour lui-même nous a révélé quelques-unes de ses défaillances, peut-être même des trahisons ; enfin, la vertu nous a prouvé qu'elle n'est parfois qu’un mot. A cette période de la vie, un grand danger menace la plupart des hommes : c'est le scepticisme. Malheur à celui qui se laisse envahir par cette larve malsaine qui neutralise toutes les forces de la maturité ! C'est alors, au contraire, qu'il faut se ressaisir et réveiller en soi le saint enthousiasme de la jeunesse. Heureux les hommes dont le cœur a gardé la foi des premiers jours !
Sans doute, l'âge mûr est moins poétique, moins printanier que l'adolescence ; les fleurs sont tombées avec leur coloris et leur parfum, mais les fruits commencent à paraître aux extrémités de l'âme comme aux branches d'un arbre.
Dans la jeunesse, on se sent grandir ; dans le milieu de la vie, on se sent mûrir et c'est l'une des plus nobles et des plus productives étapes de l'évolution humaine. L'âge mûr est, par excellence, la période de plénitude ; c'est le fleuve qui coule à pleins bords et verse dans la prairie la richesse et la fécondité.
Chez les âmes évoluées, riches du capital accumulé dans les vies antérieures, les grandes œuvres s'écrivent ou s'ébauchent dans la jeunesse ; le génie est adolescent, si l'on peut s'exprimer de la sorte. La plupart des grands hommes de l'histoire ont senti dès leur première jeunesse monter à l'horizon de la pensée l'étoile qui devait un jour illuminer leur gloire et leur immortalité. Christophe Colomb était encore enfant quand le hantaient les visions du nouveau-monde ; Raphaël était immortel avant d'avoir atteint la seconde jeunesse. Milton avait douze ans quand germa dans sa pensée la première idée du Paradis perdu. Mais, pour la majorité des hommes, - car le génie est l'exception, - le talent seul est la règle ordinaire C'est dans la maturité de la vie au milieu de la forêt, comme s'exprime le Dante, que se réalisent les grandes pensées comme les grandes œuvres. Aussi, l'art de la vie consiste-t-il à préparer l'âge mûr comme le laboureur prépare en hâte la moisson.
Il faudrait pouvoir faire durer longtemps, très longtemps, cette période médiévale de notre existence où la vie périspritale bat son plein, possède toute sa puissance radiante et vibratoire ; et pour cela, il faut lui conserver le plus longtemps possible un aliment essentiel d'action et de travail : un sang pur, un système nerveux discipliné, un corps vigoureux et sain : ce mens sana in corpore sano dont parle le sage et qui n'est que l'équilibre parfait de la vie physique, intellectuelle et morale.
On comprend alors combien l’harmonie et l’ordre de l’être humain sont choses difficiles à organiser et à conquérir. Que de jeunesses brillantes et pleines de promesses sont tombées en avril comme des fleurs !
Le grand ennemi de l’âge mur, comme de la vie entière, c’est l’égoïsme. L’homme se diminue, se tue par le besoin de jouir. Les passions charnelles et cérébrales brûlent l’homme par les deux bouts, si l’on peut dire : elles vident la moelle du cerveau et du cœur. Le sang ne se rajeunit pas assez vit pour retarder la vieillesse ; et c’est ainsi que, plus vit qu’elle le doit, arrive la mort . Il faut donc se donner pour pouvoir se reprendre – le sacrifice est un élément conservateur, et celui, dit le Maître, qui met trop de soin à garder sa vie la compromet par là même et la perd - : « Il n'y a personne qui vive aussi longtemps sur la terre que celui qui est toujours prêt à mourir. » « Ils t'appellent, tu fuis, dit le poète à la mort ; je veux vivre, tu viens ! »
L'âge mûr est l'été de notre existence terrestre ; comme la saison brûlante, il est fait d'ardeurs, il est plein de lumière ; le lever du jour y est matinée ; le coucher du soleil, radieux, et les nuits, éclairées somptueusement par les étoiles. On s'y sent heureux de vivre, on a conscience de sa force et l'on sait s'en servir. C'est alors que l'homme atteint physiquement et moralement le point culminant de la Beauté. Car il y a une beauté de l'âge mûr ; et c'est la vraie. L'une de nos erreurs, c'est de croire que la seule beauté de la jeunesse est maîtresse de la vie ; il manque pourtant à celle-ci son élément principal, qui est la force, résultante de l'équilibre général et harmonieux de l'être.
L'âge mûr est l'âge de la victoire l'adolescence révèle la rose et le myrte, la maturité de la vie se réserve les lauriers. Le travail, l'inspiration, l'amour se réunissent pour lui tresser leurs couronnes : c'est l'heure solennelle où les trophées viennent se ranger a ses pieds. Toutes les divinités favorables lui sourient et le secondent ; la Fortune virile et le Génie tutélaire de la patrie l'invitent à sacrifier sur leurs autels.


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La vieillesse est l'automne de la vie ; sur son dernier déclin, elle en est l'hiver. Rien qu’à prononcer ce mot de vieillesse, on sent déjà le froid qui monte au cœur ; la vieillesse, selon l'estimation commune des hommes, c'est la décrépitude, la ruine ; elle récapitule toutes les tristesses, tous les maux, toutes les douleurs de la vie ; c'est le prélude mélancolique et désolé du final adieu.
Il y a là une grave erreur. D'abord, en règle générale, aucune phase de la vie humaine n'est entièrement déshéritée des dons de la nature, encore moins des bénédictions de Dieu. Pourquoi la dernière étape de notre existence, celle qui précède immédiatement le couronnement de la destinée, serait elle plus désolée que les autres ? Ce serait là une contradiction   et il ne saurait y en avoir dans l'œuvre divine   tout y est harmonie, comme dans la vivante composition d'un impeccable concert. Au contraire, la vieillesse est belle, elle est grande, elle est sainte ; et nous allons l'étudier un instant, à la lumière pure et sereine du spiritisme.
Cicéron a écrit un éloquent traité de la vieillesse. Sans doute, nous retrouvons dans ces pages célèbres quelque chose du génie harmonieux de ce grand homme ; néanmoins, c'est une œuvre purement philosophique et qui ne contient que des vues froides, une résignation stérile, et de pures abstractions.
C'est à un autre point de vue qu'il faut se placer, pour comprendre et pour admirer cette péroraison auguste de l'existence terrestre.
La vieillesse récapitule tout le livre de la vie, elle résume les dons des autres époques de l'existence, sans en avoir les illusions, ni les passions, ni les erreurs.  Le vieillard a vu le néant de tout ce qu'il quitte ; il a entrevu la certitude de tout ce qui va venir, c'est un voyant. Il sait, il croit, il voit, il attend. Autour de son front, couronné d'une blanche chevelure comme de la bandelette hiératique des anciens pontifes, il plane une majesté toute sacerdotale. A défaut des rois, chez certains peuples, c'étaient les Anciens qui gouvernaient.
La vieillesse est encore, et malgré tout, une des beautés de la vie, et certainement une de ses harmonies les plus hautes. On dit souvent : quel beau vieillard ! Si la vieillesse n’avait pas son esthétique particulière, pourquoi cette exclamation ?
Toutefois, il ne faut pas oublier qu'à notre époque, y a, comme le disait déjà Chateaubriand, beaucoup de vieux, ce qui n'est pas la même chose et peu de vieillards. Le vieillard, en effet, est bon il est indulgent, il aime et encourage la jeunesse, son cœur, a lui, n'a point vieilli, tandis que les vieux sont jaloux, malveillants et sévères ; et si nos jeunes générations n'ont plus pour les aïeux le culte d'autrefois, n'est ce pas, précisément, parce que les vieux ont perdu la haute sérénité, la bienveillance aimable qui faisait jadis la poésie des antiques foyers. La vieillesse est sainte, elle est pure comme la première enfance c'est par cela qu'elle rapproche de Dieu et qu'elle voit plus clair et plus loin dans les profondeurs de l'infini.
Elle est, en réalité, un commencement de dématérialisation. L'insomnie, qui est la caractéristique ordinaire de cet âge, en est la preuve matérielle. La vieillesse ressemble à une veille prolongée. La veille de l'éternité, et le vieillard est comme la sentinelle avancée sur l'extrême frontière de la vie ; il a déjà un pied dans la terre promise et voit l'autre rive et le second versant de la destinée. De là ces « absences étranges », ces distractions prolongées, que l’on prend pour un affaiblissement mental et qui ne sont en réalité que des explorations momentanées dans l'au delà, c'est à dire des phénomènes d'expatriation passagère. Voilà ce que l'on ne comprend pas toujours. La vieillesse, a t on dit souvent : c'est le soir de la vie, c'est la nuit. Le soir de la vie, c'est vrai ; mais il y a de si beaux soirs et des couchers de soleil qui ont des reflets d'apothéose ! C'est la nuit : c'est encore vrai, mais la nuit est si belle avec sa parure de constellations ! Comme la nuit, la vieillesse a ses voies lactées, ses routes blanches et lumineuses, reflet splendide d'une longue vie pleine de vertu, de bonté et d'honneur !
La vieillesse est visitée par les Esprits de l’invisible ; elle a des illuminations instinctives ; un don merveilleux de divination et de prophétie : elle est la médiumnité permanente et ses oracles sont l'écho de la voix de Dieu. Voilà pourquoi les bénédictions du vieillard sont deux fois saintes ; on doit garder dans son cœur les derniers accents du vieillard qui meurt, comme l'écho lointain d'une voix aimée de Dieu et respectée des hommes.
    La vieillesse, lorsqu'elle est digne et pure, ressemble au neuvième livre de la sybille qui, à lui seul, vaut le prix de tous les autres, parce qu’il les récapitule et qu’en résumant toute la destinée humaine, il annule les autres livres. Poursuivons notre méditation sur la vieillesse, et étudions le travail intérieur qui s'accomplit en elle. « De toutes les histoires, a t on dit, la plus belle, est celle des âmes. » Et cela est vrai. Il est beau de pénétrer dans ce monde intérieur et d'y surprendre les lois de la pensée, les mouvements secrets de l'amour.
    L'âme du vieillard est une crypte mystérieuse, éclairée par l'aube initiale du soleil de l'autre monde. De même que les initiations antiques s'accomplissaient dans les salles profondes des Pyramides, loin du regard et du bruit des mortels distraits et inconscients, c'est, pareillement, dans la crypte souterraine de la vieillesse que s'accomplissent les initiations sacrées qui préludent aux révélations de la mort.
Les transformations ou plutôt les transfigurations opérées dans les facultés de l'âme par la vieillesse sont admirables. Ce travail intérieur se résume dans un seul mot : la simplicité. La vieillesse est éminemment simplificatrice de toutes choses. Elle simplifie d'abord le côté matériel de la vie ; elle supprime tous les besoins factices, les mille nécessités artificielles que la jeunesse et l'âge mur vous avaient créés, et qui avaient fait de notre existence compliquée un véritable esclavage, une servitude, une tyrannie. Nous l'avons dit plus haut : c'est un commencement de spiritualisation.
Le même travail de simplification s'accomplit dans l'intelligence. Les choses admises deviennent plus transparentes ; au fond de chaque mot on trouve l'idée ; au fond de chaque idée on entrevoit Dieu.
Le vieillard a une faculté précieuse : celle d'oublier. Tout ce qui a été futile, inutile dans sa vie, s'efface ; il ne garde dans sa mémoire, comme au fond d'un creuset, que ce qui a été substantiel.
Le front du vieillard n'a plus rien de l'attitude fière et provocatrice de la jeunesse et de l’âge viril ; il se penche sous le poids de la pensée comme de l'épi mûr.
Le vieillard courbe la tête et l'incline sur son cœur. Il s'applique à convertir en amour tout ce qui reste en lui de facultés, de vigueur et de souvenirs. La vieillesse n'est donc pas une décadence : elle est réellement un progrès ; une marche en avant vers le terme : à ce titre c'est une des bénédictions du Ciel.


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La vieillesse est la préface de la mort ; c'est ce qui la rend sainte comme la veille solennelle que faisaient les Initiés antiques avant de soulever le voile qui recouvrait les mystères. La mort est donc une initiation.
Toutes les religions, toutes les philosophies ont tenté d'expliquer la mort ; bien peu lui ont conservé son véritable caractère. Le christianisme l'a divinisée ; ses saints l'ont regardée noblement en face, ses poètes l'ont chantée comme une délivrance. Cependant, les saints du catholicisme n'ont vu en elle que l'exonération des servitudes de la chair, la rançon du péché, et, à cause de cela même, les rites funéraires de la liturgie catholique répandent une sorte de terreur sur cette péroraison, pourtant si naturelle, de l’existence terrestre.
La mort est simplement une seconde naissance ; on quitte ce monde de la même manière qu’on y est entré, selon l’ordre de la même loi.
Quelque temps avant la mort, un travail silencieux s’accomplit. La dématérialisation est déjà commencée. A certains signes, on pourrait la constater, si ceux qui entourent le mourant n’étaient pas distraits par les choses du dehors. La maladie joue ici un rôle considérable. Elle achève en quelques mois, en quelques semaines, en quelques jours peut être, ce que le lent travail de l’âge avait préparé : c'est l'œuvre de « dissolution » dont parle l'apôtre Paul. Ce mot de « dissolution » est très significatif : il indique nettement que l'organisme se désagrège et que le périsprit se « délie » du reste de la chair dont il était enveloppé.
Que se passe t il à ce moment suprême que toutes les langues appellent "l'agonie", c'est à dire le dernier combat ? On le pressent, on le devine. Un grand poète mourant traduisit cet instant solennel par ces vers :

C'est ici le combat du jour et de la nuit.

En effet, l'âme est entrée dans un état crépusculaire ; elle est sur la limite extrême, sur la frontière des deux mondes et visitée par les visions initiales de celui dans lequel elle va entrer. Le monde qu'elle quitte lui envoie les fantômes du souvenir, et tout un cortège d'Esprits lui arrive du côté de l'aurore.
On ne meurt jamais seul, de même qu’on ne naît jamais seul. Les invisibles qui l’ont connu, aimé, assisté ici bas viennent aider le mourant a se débarrasser des dernières chaînes de la captivité terrestre.
A cette heure solennelle, les facultés s'agrandissent, l'âme, à moitié dégagée, se dilate ; elle commence à rentrer dans son atmosphère naturelle, à reprendre sa vie vibratoire normale, et c'est pour cela qu'à cet instant il se révèle chez quelques mourants des phénomènes curieux de médiumnité. La Bible est pleine de ces révélations suprêmes. La mort du patriarche Jacob est le type accompli de la dématérialisation et de ses lois. Ses douze fils sont réunis autour de sa couche, comme une vivante couronne funéraire. Le vieillard se recueille, et après avoir récapitulé son passé, ses souvenirs, il prophétise à chacun d’eux l’avenir de sa famille et sa race. Sa vue s’étend plus loin encore ; il aperçoit à l’extrémité des temps celui qui doit un jour récapituler toute la médiumnité séculaire du vieil Israël : le Messie, et il montre comme le dernier rejeton de sa race, celui qui résumera toute la gloire de la postérité de Jacob. Aucun pharaon, dans son orgueil, ne mourut avec autant de grandeur que ce vieillard obscur et ignoré qui expirait dans un coin de la terre de Gessen.
Revenons à l'acte même de la mort. La dématérialisation s'est accomplie, le périsprit se dégage de l'enveloppe chamelle, qui vit encore quelques heures, quelques jours peut être, d'une vie purement végétative. Ainsi les états successifs de la personnalité humaine se déroulent dans l'ordre inverse de celui qui a présidé à la naissance. La vie végétative qui avait commencé dans le sein maternel s'éteint cette fois ci, la dernière ; la vie intellectuelle et la vie sensitive sont les deux premiers départs.
Que se passe t il alors ? L'Esprit, c'est à dire l’âme et son enveloppe fluidique, et, par conséquent, le moi, emporte la dernière impression morale et physique qui l'a frappé sur la terre ; il la garde un temps plus ou moins prolongé, selon son degré d'évolution. C'est pourquoi il importe d'entourer l’agonie des mourants de paroles douces et saintes, de pensées élevées, car ce sont ces derniers bruits, ces derniers gestes, ces ultimes images qui s'impriment sur les feuillets du livre subliminal de la conscience ; c'est la dernière ligne que lira le mort dès son entrée dans l'au-delà ou plutôt dès qu'il aura conscience de son nouveau mode d’être.
La mort est donc, en réalité, un passage ; c’est une transition et une translation. Si nous devions emprunter à la vie moderne une image, nous la comparions volontiers à un tunnel. En effet, l’âme avance dans le défilé de la mort plus ou moins lentement, selon son degré de dématérialisation et spiritualité.
Les âmes supérieures, qui ont toujours vécu dans les hautes sphères de la pensée et de la vertu, traversent cette obscurité avec la rapidité de l'express qui débouche en un instant dans la pleine lumière de la vallée ; mais c'est le privilège d'un petit nombre d'esprits évolués : ce sont les élus et les sages.
Nous ne parlerons pas ici des criminels, des êtres animalisés, aux instincts grossiers, qui ont vécu ou plutôt végété toute une existence dans les bas fonds du vice ou dans le cloaque du crime. Pour ceux ci, c'est la nuit, et la nuit pleine de hideux cauchemars. Nous avons peine, cependant, à croire que les frontières de l'au delà et le passage du temps à la vie erratique soient peuples de ces êtres effrayants que les occultistes nomment les élémentals. Il ne faut voir là que des symboles et des images, reflets des passions, des vices, des crimes que les pervers ont commis ici bas. N'envisageons ici que les vies ordinaires, les existences qui suivent tranquillement les phases logiques de leur destinée. C'est la condition commune de la plupart des mortels.
L'âme est entrée dans la sombre galerie : elle y demeure dans l'obscurité ou plutôt dans une pénombre proche de la lumière. C'est le crépuscule de l'au delà. Les poètes ont très heureusement rendu cet état et décrit ce demi jour, ce clair obscur du monde extraterrestre.
Ici, les analogies entre la naissance et la mort sont frappantes. L’enfant reste plusieurs semaines avant de fixer la lumière et de prendre conscience de ce qui l'entoure. Ses yeux ne sont pas encore dessillés, pas plus que la radiation de sa pensée.
Ainsi, le nouveau né au monde invisible demeure, lui aussi ; quelque temps avant de prendre conscience de sa modalité d'être et de sa destinée. Il entend à la fois les murmures lointains ou proches des deux inondes ; il entrevoit des mouvements et des gestes qu'il ne saurait préciser ni définir. Entré à moitié dans la quatrième dimension, il perd la notion précise de la troisième, dans laquelle il avait jusque là toujours évolué. Il ne se rend plus compte ni de la quantité, ni du nombre, ni de l'espace, ni du temps, puisque ses sens qui, comme autant d'instruments d'optique, lui aidaient à calculer, à mesurer et la peser, se sont refermés tout d'un coup comme une porte à jamais condamnée. Quel état étrange que celui de cette âme qui tâtonne, comme l'aveugle, sur le chemin de l’au delà ! Et cependant cet état est réel.
A ce moment, les influences magnétiques de la prière, du souvenir, de l’amour peuvent jouer un rôle considérable et hâter l’avènement des clartés révélatrices qui vont illuminer cette conscience encore endormie, cette âme « en peine » de sa destinée. La prière, dans ce cas, est une véritable évocation ; c’est le cri d’appel à l’âme indécise et flottante. Voilà pourquoi l’oubli des morts, la négligence de leur culte sont coupables et nous méritent plus tard des oublis semblables.
Toutefois, cette période de transition, cette halte dans le tunnel de la mort sont absolument nécessaires, comme préparation à la vision de lumière qui doit succéder à l'obscurité. Il faut que les sens psychiques se proportionnent graduellement au nouveau foyer qui va les éclairer. Un passage subit, sans transition aucune, de cette vie à l'autre, serait un éblouissement qui produirait un trouble prolongé. « Natura non facit saltus » dit le grand Limé ; cette loi régit pareillement les étapes progressives du dégagement spirituel.
Il faut que la vision de, l'âme s'agrandisse, que l'oiseau de nuit, qui ne peut fixer le lever de l'aurore, affermisse sa prunelle et puisse, comme l'aigle, regarder en face le soleil, d'un oeil intrépide. Ce travail de prépa¬ration s'accomplit progressivement, durant la halte plus ou moins prolongée dans le tunnel qui précède la vie erratique proprement dite peu à peu la lumière se fait d'abord très pâle, comme l'aube initiale qui se lève sur la crête des monts ; puis, à l'aube succède l’aurore ; cette fois-ci, l’âme entrevoit le monde nouveau qu’elle habite : elle se lit et se comprend, grâce à une lumière subtile qui la pénètre dans toute son essence.
Graduellement, toute sa destinée, avec ses vies antérieures et surtout avec la notion consciente et réflexe de la dernière, va se révéler comme dans un cliché cinématographique vibratoire et animé. L'esprit, alors, comprend ce qu'il est, où il est, ce qu'il vaut.
Les âmes vont d'un instinct infaillible dans la sphère proportionnée à leur degré d'évolution, à leur faculté d’illumination, à leur aptitude actuelle de perfectibilité. Les affinités fluidiques les conduisent, comme une brise douce, mais impérieuse, qui pousse une nacelle, vers d'autres âmes similaires, avec lesquelles elles vont s'unir dans une sorte d'amitié, de parenté magnétique ; et ainsi la vie, une vie vraiment sociale, mais d'un degré supérieur, se reconstitue absolument comme autrefois ici bas, car l’âme humaine ne saurait renoncer à sa nature. Sa structure intime, sa faculté de rayonnement lui imposent la société qu'elle mérite.
Dans l'au delà se reforment les familles, les groupes d’âmes, les cercles d'esprits, selon les lois de l'affinité et de la sympathie.
Le purgatoire est visité par les anges, disent les mystiques théologiens. Le monde erratique est visité, dirigé, harmonisé par les Esprits supérieurs, dirons nous.
Ici bas, parmi les élus du génie, de la sainteté et de la gloire, il y a eu et il y aura toujours des initiateurs. Ce sont des prédestinés, des missionnaires, qui ont reçu pour tâche de faire avancer le monde dans la vérité et dans la justice, au prix de leurs efforts, de leurs larmes et quelquefois de leur sang.
Les hautes missions de l’âme ne cessent jamais. Les Esprits sublimes, qui ont instruit et amélioré leurs semblables sur la terre, continuent dans un monde supérieur, dans un cadre plus vaste, leur apostolat de lumière et leur rédemption d'amour.
C'est ainsi, comme nous le disions au début de ces pages, que l'histoire éternellement recommence et devient de plus en plus universelle. La loi circulaire qui préside à l'éternel progrès des états et des mondes se déroule sans cesse dans des sphères et en des orbes chaque fois agrandis ; tout recommence en haut, en vertu de la même loi qui fait tout évoluer en bas. Tout le secret de l’univers est là.
Les âmes qui ont conscience d'avoir manqué leur dernière existence comprennent la nécessité de se réincarner et s'y préparent. Tout s'agite, tout se meut dans ces sphères toujours en vibration et en mouvement. C’est l'activité incessante, ininterrompue, progressive, éternelle.
Le travail des peuples sur la terre n'est rien en comparaison de ce labeur harmonieux de l’Invisible. Là-haut, aucune entrave matérielle, aucun obstacle charnel n’arrête les élans, ne décourage ou ne ralentit l’essor. Aucune hésitation, aucune anxiété, nulle incertitude. L’âme voit le but, elle sait les moyens, elle se précipite dans le sens où elle doit l’atteindre. Qui nous décrira l’harmonie dans ces pures intelligences, l’effort de ces droites volontés, l’élan de ces amours plus forts que la mort ?
Quelle langue pourra jamais redire la communion sublime et fraternelle de ces esprits qui tiennent entre eux des dialogues ardents comme la lumière, subtils comme des parfums, où chaque vibration magnétique a son écho dans l’âme même de Dieu ? Telle est la vie céleste ; telle est la vie éternelle, et ce sont ces perspectives que la mort ouvre indéfiniment devant nous ! O homme ! Comprends donc ton destin, sois fier et heureux de vivre ; ne blasphème pas la loi d’amour et de beauté qui trace devant toi des chemins aussi amples et aussi radieux ! Accepte la vie telle qu’elle est, avec ses phases, ses alternatives, ses vicissitudes ; elle n’est que la préface, le prélude d’une vie plus haute, où tu planeras comme l’aigle dans l’immensité, après avoir péniblement rampé dans un monde matériel et imparfait.
Ce n’est donc point par un hymne funèbre qu’il faut accueillir la mort, mais par un chant de vie ; car ce n’est point l’astre du soir qui se lève, cruel, mais bien l’étoile radieuse du véritable matin.
Chante, ô âme, l’hymne triomphal, l’hosanna du siècle nouveau, dans lequel tout va naître pour des destinées plus glorieuses. Monte toujours plus haut dans la pyramide infinie de lumière ; et comme le héros de la légende d’Excelsior, va planter ta tente sur les Thabors radieux de l’Incommensurable, de l’Eternel !

XI. LA MISSION DU XXE SIECLE.

Lorsqu'on jette un regard rapide sur l'ensemble de l'Histoire, ce véritable Livre du destin des peuples, il semble que chaque siècle ait un rôle spécial à remplir, une mission particulière à exercer dans la marche de l'humanité.
Le vingtième siècle parait avoir une vocation supérieure à celle de tous les autres.
Dans sa première moitié, il assiste à l'écroulement de tout ce qui fut le passé. Dans sa deuxième moitié, il posera les assises du monde futur, fait de beauté, de lumière, de justice, que nos contemporains saluent comme un mirage lointain de ce nouveau monde de la pensée et de la science, que nous pressentons comme Christophe Colomb pressentit les approches d'un continent inconnu.
La transition ne se fait pas sans secousses, sans heurts violents. Le spectacle des décompositions qui se produisent serait lamentable, si nous ne savions qu'aux grandes ruines succèdent les grandes résurrections.
L'Histoire, en effet, n'efface que pour écrire, la pensée ne démolit que pour reconstruire : c'est la loi de l'évolution, la marche logique de l'humanité.


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Nous assistons à l'écroulement des religions, ou plutôt des rites et des formes cultuelles ; car la religion dans son principe, dans son essence, c'est-à-dire l'élan de l'âme vers l'infini, l'aspiration des intelligences vers l'idéal divin, la religion est indestructible comme la vérité, inépuisable comme l'amour, inaltérable comme la beauté.
Ce qui doit périr et tend de jour en jour à disparaître, ce sont les vieilles formules dogmatiques, les pharisaïsmes antiques, les disciplines surannées. C'est tout l'appareil sacerdotal et le culte des idoles.
La religion catholique, en particulier, s'affaisse sous le poids de ses fautes séculaires.
L’Eglise romaine n'est plus depuis longtemps qu'une puissance politique. Ses pontifes ont méconnu leur mission, ses prêtres ont perdu le sens de l'initiation profonde et sacrée des premiers chrétiens.
Ainsi s'est accentuée par l'abolition du Concordat et par l'attitude du pape au cours de la dernière guerre, la rupture entre l’Eglise et la société moderne, la scission entre l'esprit de Rome et celui du siècle.


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Nous assistons également à l'écroulement de la science, non pas de la science véritable comme le prétendait M. Brunetière, car celle-ci ne peut périr - c'est une travailleuse qui ne dépose jamais son bilan - mais de la science matérialiste, celle qui a dominé le monde pendant plus de cent ans.
Il y a un demi-siècle, Ernest Renan publiait un livre sur l'Avenir de la Science, livre habilement conçu, qui eut une certaine vogue. Il y prophétisait la disparition, à bref délai, du mystère qui, sous des formes diverses, se pose comme un défi à la pensée humaine. Le mystère a subsisté... Il s'est même multiplié, grâce à la, découverte récente de la radio-activité des corps et au développement des phénomènes psychiques.
D'autres exemples feront voir jusqu'à quel point la science officielle, tout en proclamant ses victoires sur la matière, s'est montrée impuissante à résoudre les grandes questions qui ont trait à l'âme humaine et à ses facultés.
Dans ses Enigmes de l'Univers, Haeckel a écrit : « Tant que l'énigme de la substance, qui récapitule toutes les autres énigmes, ne sera pas résolue, il n'y aura rien de fait pour la satisfaction de l'esprit humain. »
Henri Poincaré, un des maîtres de la science moderne, que la mort a frappé au milieu de ses travaux, démontrait dans un de ses derniers ouvrages que la science n'est encore qu'une hypothèse et il confessait que toutes les lois de la physique sont à réviser.
M. d'Arsonval a tenu à peu près le même langage dans ses cours au Collège de France.
Voyons maintenant ce que disait sur ce même sujet William James, recteur de l'Université Harward, dans les dernières pages de son beau livre : L'Expérience religieuse. Il déclare ne pouvoir « sans entendre une admonestation intérieure » se mettre dans l'attitude de l'homme de science se représentant qu'il n'existe rien en dehors de la sensation et des lois de la matière. Et quelques lignes plus loin :
« Toute l'expérience humaine dans sa vivante réalité me pousse irrésistiblement à sortir des étroites limites où la science prétend nous enfermer. Le monde réel est autrement constitué, bien plus riche et plus complexe que celui de la science. »
C'est précisément ce monde réel, le monde psychique, que la plupart de nos savants ne veulent pas connaître ; au lieu d'étudier, comme ils le devraient, la vie dans ses hautes manifestations, ils se perdent dans l'analyse infinitésimale ; ils ne voient pour ainsi dire que la poussière des choses et des idées.
Il a toujours manqué à la science officielle l'indépendance et la liberté. Elle a dévié d'abord en se soumettant servilement à l'autorité de l’Eglise ; ensuite, en s'inféodant aux doctrines matérialistes du dix-huitième siècle, et bientôt après, au panthéisme germanique. Enfin, depuis près d'un siècle, elle est devenue le satellite du positivisme, cette doctrine incomplète, qui se désintéresse systématiquement du plus grand problème que l'esprit humain veut et doit résoudre, celui de son origine et de sa destinée. Elle se borne à traîner par le monde ses formules sèches et banales, pareille à la «Victoire aptère », qui, dépourvue d'ailes, se voyait condamnée à ramper sans pouvoir s'élancer vers les cimes.
La science sceptique avait mis la loi du nombre à la base de tout. Dès lors, la vie était devenue une sorte d'algèbre dont les équations nous menaient à une ou plusieurs inconnues. C'était aller au sens contraire de la nature ; car l'homme existe pour créer et non pour décomposer ; pour agir et non uniquement pour analyser. Ce système négatif avait rendu stériles les travaux de nos savants, et c'est ainsi que depuis longtemps nous avons vu, peu à peu, s'affaisser sous nos yeux les caractères et les, consciences, l'art, l'idéal et la beauté.
En effet, la science a méconnu la loi d'esthétique, en consacrant le naturalisme qui dissèque la vie, au lieu de la développer. En morale, elle a préconisé le déterminisme, qui pose en principe l'impuissance de l'effort et le renoncement à l'action. Dans l'ordre social, l'émiettement à l'infini des pouvoirs et des responsabilités produit par moments un état de choses qui confine au désordre et à la confusion.
La science avait mission de construire une société sur des bases nouvelles ; elle a détruit sans rien édifier. En perdant de vue les grands sommets, les grands foyers de la pensée, la science sceptique a refroidi le cœur humain. Elle a détruit l'idéal élevé qui poétise la vie, la rend supportable. C'est pourquoi les générations qui montent semblent désabusées et réclament autre chose.


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Le problème politique n'offre pas moins de gravité. Sous la poussée des événements, la plupart des institutions monarchiques se sont écroulées, et la démocratie triomphante s'épanouit sur leurs ruines, mais dans son sein une crise intense sévit. Les éléments d'anarchie s'accroissent et s'étendent. Le sort de la science matérialiste et celui du socialisme actuel sont corrélatifs ; ils s'inspirent des mêmes méthodes et des mêmes formules.
Il faut en convenir, la démocratie socialiste de nos jours se trouve en désaccord avec le principe même de la Révolution. Celle-ci était essentiellement individualiste ; elle voulait donner à chacun la libre initiative de ses actes personnels. Le régime actuel agit différemment, il tend à niveler toutes les individualités fortes et à passer logiquement de l'égalité de droit à l'égalité de fait ; il va au collectivisme, c'est-à-dire à la négation de la personne humaine et à son absorption dans le tout social. Ce n’est pas l’ « Étatisme » qui nous débarrasserait des médiocrités ; au contraire, il en serait par nature le protecteur. Ce n'est pas non plus la réglementation du travail par la collectivité qui donnera au prolétariat le bonheur que les utopistes du jour font miroiter à ses yeux.
Les hommes sont égaux, dira-t-on. Dans son sens historique restreint, la formule peut paraître exacte ; mais il ne saurait être question ici d'une égalité réelle, absolue. Si les hommes sont égaux en droits, ils seront toujours inégaux en intelligence, en facultés, en moralité. Affirmer le contraire serait nier la loi de l'évolution, qui, naturellement, n'agit pas avec la même efficacité sur tous les individus.
L'homme libre sur la terre libre ! Tel sera l'idéal social de l'avenir. Mais il faut tenir compte de la nécessité préalable d'un autre facteur, la Fraternité, qui seule, par l'harmonie, peut faire équilibre à la liberté.
Les siècles ont fui depuis l'âge héroïque des premiers chrétiens, où ceux-ci vendaient ce qu'ils possédaient pour que les apôtres en distribuassent le prix entre tous, selon les besoins de chacun. Ce principe de vraie fraternité, rappelé par Mably aux hommes de la Révolution, ou le retrouvera-t-on ? Ce n'est pas dans les mœurs actuelles, que caractérise l'égoïsme ; il est dans les aspirations de l'âme humaine, dans ce mouvement qui agite les peuples d'un bout a l'autre de la terre ; il est dans le lointain des âges futurs !...


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Nous venons de passer en revue les ruines que le vingtième siècle a déjà vues se produire. Nous allons parler maintenant des rénovations qu'il prépare et qu'il accomplira.
C'est toujours dans l'ordre intellectuel que les grandes rénovations commencent. Les idées précèdent et préparent les faits. C'est la logique de l'histoire et la loi du progrès humain.
L'abus des méthodes et des procédés d'analyse a failli nous perdre. Par conséquent, ce sont les grandes synthèses, les conceptions d'ensemble qu'il faut préparer. Voici qu'un point de vue nouveau s'établit sur toutes choses. Pour appliquer des méthodes nouvelles, il faut des hommes nouveaux. Pour la science libre de demain, il faut des esprits libres.
Tant que les hommes de cette génération, soumis aux disciplines de l’Eglise ou de l'Université, n'auront pas disparu, on ne pourra qu'ébaucher l’œuvre de rédemption de l'esprit humain. L’Eglise avec ses confessions, l'Université avec ses examens ont faussé les ressorts de l'âme et opprimé les élans de la pensée. Les cœurs, les intelligences se sont repliés sur eux-mêmes ; mais nul n'a eu le temps ni l'espace nécessaires pour sentir et vivre pleinement. Cependant, le travail de rénovation se prépare. Le dix-neuvième siècle et le commencement du vingtième ont vu apparaître les précurseurs. Les génies ne tarderont pas à venir.
A chaque époque de l'Histoire on compte un certain nombre d'esprits qui appartiennent plutôt au siècle suivant qu'au siècle où ils vivent et, par là même, ressemblent à des déclassés supérieurs, à des êtres étranges, inquiétants pour leurs contemporains.
Shakespeare a écrit : « Les grands événements projettent devant eux leur ombre avant que leur présence n'ébranle l'univers. »
Or les précurseurs l'ont vue cette ombre grandiose se dessiner sur leur route avec des formes mobiles et puissantes ; ils ont pressenti les choses et deviné les lois. C'est là le signe de leur élection intellectuelle et de leur vocation ; mais c'est là aussi la raison de leur isolement, de leur abandon, de leurs souffrances au milieu de la foule qui ne pouvait les comprendre.
Des événements ont surgi dans leur grandeur tragique. Pendant plus de quatre années les peuples se sont heurtés en des chocs formidables. La guerre a poursuivi son œuvre de ruine et de mort, mais, en même temps elle a balayé bien des erreurs, des illusions et des chimères. Sous le souffle de la tempête, les nuées se sont déchirées, un coin du ciel bleu est apparu.
Le dix-neuvième siècle a été le siècle de la matière ; le vingtième sera le siècle de l'esprit. Le dix-neuvième en scrutant la nature en a fait surgir des énergies inconnues ; le vingtième nous révélera des forces spirituelles, supérieures à tout ce que l'homme a rêvé, et l'étude de ces forces nous conduira à la solution du problème de la vie et de la mort. Les précurseurs sont grands devant l'Histoire ! Ce sont eux qui éclairent la marche de l'humanité sur la longue route de ses destinées. Ils ressemblent aux coureurs du stade antique dont parle Lucrèce et qui se passent de main en main le flambeau sacré de l'inspiration. Sans eux, les rénovations intellectuelles du monde ne trouveraient ni les chemins ouverts ni les esprits préparés. Parmi eux citons de nos jours : Allan Kardec, Jean Reynaud, Flammarion, Victor Hugo, Crookes, Myers, Lodge, etc.
Le livre de Myers sur la Personnalité humaine se termine par une belle synthèse spiritualiste. L'auteur démontre qu'il faut d'abord expliquer l'homme à l'homme lui-même. Apprendre, dit-il, à connaître l'homme mène à la connaissance de Dieu et de l'univers. C'est ce qu'avait déjà recommandé le poète anglais Pope dans son Essai sur l'homme.
Mais les générations passent et toujours cette étude essentielle de l'homme intérieur est négligée.
Le dix-neuvième siècle a consacré d'incalculables ressources, d'immenses labeurs à l'étude de l'univers matériel ; il a étendu prodigieusement le champ de ses observations et de ses expériences ; mais le monde ignore encore la constitution intime de l'être humain et les lois de sa destinée.
Par suite, nos législateurs se trouvent dans l'impossibilité de gouverner. Comment, en effet, diriger des hommes, administrer un peuple, quand on ignore, ou qu'on affecte d'ignorer le grand principe de la vie ! De là est sorti le malaise dont souffre aujourd'hui notre pays.
Le formidable problème du travail, avec ses difficultés multiples, n'a pas d'autre origine que cette erreur capitale. On n'a voulu voir dans la personne humaine qu'un corps à nourrir et à exploiter, et, partant de là, on ne s'est préoccupé que de ses besoins matériels. La lutte pour la vie est devenue aussi brutale qu'elle était aux temps barbares.
Le mal est grand et ce n'est pas avec des systèmes empiriques qu'on le guérira. Ce ne sera ni dans le socialisme sous sa forme actuelle, ni dans le collectivisme que l'on trouvera les remèdes.
Il faut chercher d'abord les causes et s'y attaquer. Or, celles-ci sont pour ainsi dire constitutionnelles à l'homme. Ce sont ses erreurs qu'il faut corriger, ses passions qu'il faut combattre, en agissant moins sur la masse que sur l’individu. C'est lui en effet qu'on doit éclairer, amende ; il faut cultiver et développer l'homme intérieur en chaque personnalité vivante, si l'on veut passer du règne de la matière au règne de l'Esprit.
Pour la science nouvelle, il faut des hommes qui connaissent à fond les lois supérieures de l'univers, le principe de la vie immortelle et la grande loi d'évolution, laquelle est une loi d'amour et non une loi d'airain, comme l'a dît Haeckel.
Il existe une doctrine à la fois vieille comme le monde et jeune comme l'avenir parce qu'elle est éternelle, étant la vérité ; une doctrine qui résume toute les notions fondamentales de la vie et de la destinée : c'est le Spiritisme, dont le livre de Myers, cité plus haut, n'est que le commentaire, scientifique.
Le spiritisme fait irruption dans le monde ; il déborde de toutes parts.
Quelle est la société savante, la revue hebdomaire, le journal quotidien, qui ne s'occupe de ses phénomènes, de ses manifestations, soit pour les nier, les critiquer, les travestir ou les combattre ?
Le spiritisme, c'est la question de l'heure présente, le problème universel. Il n'est plus possible de rester indifférent en face de lui !...
Et c'est précisément parce que cette invasion spirituelle remplit les deux mondes et préoccupe la pensée humaine que nous avons cru devoir insister sur les devoirs qui nous incombent vis-à-vis de cette foi nouvelle, de cette science jeune et forte qui offre des preuves irréfutables de la vie après la mort et contient en germe toutes les résurrections de l'avenir !...
Rappelons, en terminant, le caractère essentiel du spiritualisme moderne. Ce n'est pas un système nouveau venant s'ajouter à d'autres systèmes, ni un ensemble de théories vaines. C'est un acte solennel du drame de l'évolution humaine qui commence, une révélation qui illumine à la fois les profondeurs du passé et celles de l'avenir, qui fait surgir de la poussière des siècles les croyances endormies, les anime d'une flamme nouvelle et les fait revivre en les complétant.
C'est un souffle puissant qui descend des espaces et court sur le monde ; sous son action, toutes les grandes vérités se réveillent. Majestueuses, elles émergent de l'obscurité des âges, pour jouer le rôle que la pensée divine leur assigne. Les grandes choses se fortifient dans le recueillement et le silence. Dans l'oubli apparent des siècles, elles puisent des énergies nouvelles. Elles se replient sur elles-mêmes et se préparent aux tâches futures.
Au-dessus des ruines des temples, des civilisations éteintes et des empires écroulés, au-dessus du flux et du reflux des marées humaines, une voix puissante s'élève ; et cette voix s'écrie : Les temps sont venus, les temps sont arrivés !
Des profondeurs étoilées, les Esprits descendent par légions sur la terre, pour combattre le combat de la lumière contre les ténèbres. Ce ne sont plus les hommes, ce ne sont plus les sages, les philosophes qui apportent une doctrine nouvelle. Ce sont les génies de l'espace qui viennent parmi nous et soufflent à notre pensée les enseignements appelés à régénérer le monde. Ce sont les Esprits de Dieu ! Tous ceux qui possèdent le don de clairvoyance les aperçoivent, planant au-dessus de nous, se mêlant a nos travaux, luttant à nos côtés pour le rachat et l'ascension de l'âme humaine.
De grandes choses se préparent. Que les travailleurs de la pensée se lèvent, s'ils veulent participer à la mission offerte par Dieu à tous ceux qui aiment et servent la vérité.

NOTES COMPLEMENTAIRES
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N°1. SUR LA NECESSITE D’UN MOTEUR INITIAL POUR EXPLIQUER LES MOUVEMENTS PLANETAIRES

A ce sujet, M. le professeur Bulliot écrit dans la Revue du Bien :
« Forcément, disait Aristote, tous les êtres qui composent la nature se partagent a priori en trois catégories : ceux qui reçoivent le mouvement sans le donner ; ceux qui le reçoivent et le transmettent à d’autres corps, en restant de simples agents de transmission ; enfin les sources premières du mouvement, qui donnent de leur plénitude sans rien recevoir du dehors. La nécessité de chercher en dehors des corps la source première des mouvements qui les animent, est évidente dans l’hypothèse strictement mécanique de Descartes, suivant laquelle les corps privés de toute activité propre demeurent absolument passifs, livrés qu’ils sont aux impulsions du dehors. Mais, quelle que soit l’hypothèse que l’on fasse sur la nature intime de la matière, il suffit, pour justifier la nécessité de recourir à un premier moteur, de rencontrer dans les corps un mouvement ou une classe de mouvements qui ne s’explique pas par les forces ordinaires.
« Or, cette classe de mouvements se trouve réalisée dans les révolutions des planètes, qui gravitent autour du soleil, centre du système. Ce mouvement de translation, presque circulaire ou elliptique, est dû au concours de deux forces : une force de gravitation, qui tend sans cesse à faire tomber les planètes sur le soleil, suivant la verticale, et une force centrifuge, qui tend à les lancer au loin en ligne droite, suivant la tangente à l’orbite. Or, d’où vient cette force centrifuge ? Uniquement d’une impulsion primitive, donnée une fois pour toutes à la planète, à l’origine de ses révolutions, par une cause étrangère. Cette impulsion est de tous points analogue à celle qu’un enfant communique à une pierre en la faisant tourner rapidement à l’aide d’une fronde. Aucune force naturelle ne saurait en rendre raison. Aussi Newton n’hésite-t-il pas à prononcer cette grande parole, à la fin de ses Principes mathématiques de la philosophie naturelle : « Le monde ne s’explique pas par les lois de la mécanique. » Dans un élan enthousiaste, sa grande âme s’élance vers Celui qui seul a pu, de sa main Puissante, lancer les mondes sur la tangente de leur orbite. Jamais la science humaine, jamais le génie de l’homme ne se sont élevés plus haut que dans cette page célèbre, digne couronnement de ce livre grandiose.
« Avec Kant et Laplace, l’astronomie fait un nouveau pas en avant. Elle établit l’hypothèse d’une vaste nébuleuse animée d’un puissant mouvement de rotation sur elle-même. Par suite de ce mouvement, les planètes se détachent une à une, comme d’elles-mêmes, de la masse commune, dont la partie centrale donnera enfin naissance au soleil. Dès lors, il semble que tout soit changé et que l’idée de Dieu devienne étrangère à l’astronomie. Laplace ne prononce pas une seule fois ce nom. Mais au strict point de vue de l’explication des faits, ce silence est-il fondé ? En aucune manière. La question est restée pour nous exactement ce qu’elle était pour Newton. Après comme avant l’hypothèse de la nébuleuse, le problème est le même. Si rien ne fait équilibre à la gravité toujours présente et toujours agissante, les planètes tombent ; elles se précipitent en droite ligne sur le soleil. Ou plutôt, rien ne vient les détacher de la nébuleuse commune. Le mouvement giratoire de celle-ci peut seul fournir la force centrifuge indispensable. Et alors se pose à nouveau, et dans les mêmes termes, le grand problème inéluctable que l’on tentait vainement de passer sous silence : d’où vient le mouvement giratoire qui fait équilibre à la pesanteur ?
« Kant seul a osé répondre de la gravité et des forces répulsives développées par les chocs interatomiques. Kant n’était pas mathématicien, et il le montre trop bien ici. En vertu même du principe de l’égalité de l’action et de la réaction, les molécules, après le choc, développent la même force vive dans une direction que dans la direction contraire, de gauche à droite que de droite à gauche. Elles sont incapables, par conséquent, d’engendrer dans la nébuleuse la moindre rotation d’ensemble.
« Immobile au début, la nébuleuse demeurera éternellement immobile et, faute de force vive, les planètes ne se formeront pas. Si elles se sont détachées, en effet, de la masse centrale, c’est que celle-ci tournait sur elle-même, et si elle tournait, c’est que la même puissance créatrice qu’évoquait ostensiblement Newton, lui avait, en la formant, imprimé ce mouvement.
« Des astronomes de l’Observatoire de Paris, interrogés, MM. Wolf et Puiseux, n’ont fait aucune difficulté pour le reconnaître : « L’hypothèse invoquée par Kant, conclut M. Puiseux, doit être « regardée comme inopérante. » « Il faut un premier moteur », écrit M. Wolf. (C’est aussi l’opinion de C. Flammarion, consignée en ses ouvrages.)
« Et au fond, implicitement, Laplace ne dit peut-être pas autre chose ; car, s’il ne nomme pas Dieu en toutes lettres, il parle d’une nébuleuse en état de giration et, à plusieurs reprises, il écrit que, dans son mouvement d’ensemble, la somme des aires décrites par ses molécules autour de l’axe est nécessairement nulle. Donc, lui aussi se reconnaissait, comme Newton, incapable d’expliquer les mouvements du système solaire par les seules lois de la mécanique. »

N°2. SUR LES FORCES INCONNUES

Voici ce que dit sur cet important sujet M. G. Lebon :
« En remontant aux causes d’émission d’effluves pouvant se dégager de tous les corps avec une vertigineuse vitesse, nous constaterions l’existence d’une énergie intra-atomique, méconnue jusqu’ici et qui dépasse cependant toutes les forces connues par sa colossale grandeur. Nous ne savons la libérer encore qu’en quantité assez faible, mais du calcul de cette quantité on peut déduire que, s’il était possible de dégager entièrement toute l’énergie contenue dans un gramme d’une matière quelconque, elle pourrait produire un travail égal à celui obtenu par la combustion de plusieurs millions de tonnes de charbon. La matière nous apparaît comme un réservoir énorme d’énergie.
La constatation de l’existence de cette force nouvelle restée ignorée pendant si longtemps, malgré sa formidable grandeur, nous révélera immédiatement la source si mystérieuse encore de l’énergie manifestée par les corps pendant leur radio-activité. »
(Revue scientifique, 17 octobre 1903.)
(Revue scientifique, 17 octobre 1903.)

N°3. LES MERVEILLES CELESTES ; DIMENSIONS ET VOLUMES DES ETOILES

Les dimensions de certaines étoiles sont formidables. Notre soleil est, on le sait, 1.300.000 fois plus gros que la Terre, mais Sirius le dépasse douze fois en grandeur et Procyon seize fois ; Deneb du Cygne, la seconde étoile de la grande Ourse ; Véga, le beau soleil bleu de la Lyre ; Pollux des Gemeaux sont aussi des étoiles majestueuses, des phares géants disséminés dans la nuit sidérale et auprès desquels notre soleil ferait l'effet d'un simple point lumineux. Puis voici Capella ou la Chèvre, astre gigantesque 5.800 fois plus gros que notre soleil ; Arcturus qui, malgré son effrayante distance, brille encore d'un éclat qui éclipse tous les astres de notre ciel boréal, et enfin Bételgeuse, de la constellation d'Orion.
Cette fois, l'imagination la plus fantastique ne trouve plus de mots pour exprimer cette effrayante vision. Ces deux étoiles, Arcturus et Bételgeuse ,valent chacune plusieurs milliers de soleils comme le nôtre ; entre elles et notre astre du jour, il y a presque la même proportion qu'entre notre soleil et la terre.
Et cependant l'astronomie a trouvé une étoile qui les éclipse encore. Pour l'apercevoir, il faut gagner les régions australes, où elle brille dans la constellation du Navire ; c'est Canopus, la plus puissante étoile connue jusqu'à ce jour, car elle égale 8.760 soleils réunis.
Parmi tous les astres étudiés au télescope et dont on a essayé de mesurer la distance, la lumière, la chaleur et le mouvement propre, Canopus vient d'être l'objet d'une étude spéciale de la part d'un astronome anglais, M. Walkey, membre de la Société royale astronomique de Londres. Cette étude tendrait à montrer que ce prodigieux soleil pourrait être le centre de notre univers.
La distance de Canopus serait de 489 années de lumière, c'est-à-dire que le rayon lumineux qui nous arrive aujourd'hui de cette étoile doit être parti en l'an 1426.
Cet astre formidable n'est cependant pas le pivot autour duquel évolue notre soleil ; c'est autour d'Alcyone, étoile de la constellation des Pléiades, que notre système solaire accomplit en vingt-deux millions et demi d'années une de ses grandes révolutions, et, un rayon de lumière d'Alcyone doit voyager pendant 715 années avant de pouvoir atteindre notre terre. Il y a des étoiles dont la lumière ne nous arrive qu'au bout de 5.500 ans.
Le groupe des Pléiades se compose d'un millier d'étoiles, dont sept seulement visibles à l’œil nu. Alcyone est de 3e grandeur, mais chose remarquable, ces étoiles principales sont animées d’un mouvement uniforme et parallèle, ce qui expliquerait que leur attraction est plus puissante encore que celle du gigantesque Canapus.

N°4. SUR LA MUSIQUE DES SPHERES

«La vibration solaire, dit Azbel (Harmonie des Mondes, p. 22), projette les épanouissements sphériques des harmoniques de sa fondamentale à travers l’espace, non seulement sous la forme apparente de planètes invisibles, mais en principe et essentiellement sous l’expression éthérée d’ondes harmoniques, suivant la progression régulière 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, etc. C’est par les courants directs de ces ondes que les corps planétaires se dirigent directement, et par les courants circulaires - sortes de sinus de vagues formées aux nœuds de rencontre des ondes composées successives - que ces corps, en même temps, se dirigent complexement autour de la vibration maîtresse. »
« Toutefois, les corps planétaires sont soumis aux multiplicités de leurs esthétiques particulières de volume, masse ou densité, outre celles des révolutions elliptiques, etc., qui se conjuguent pour modifier plus ou moins leurs itinéraires théoriques. D’où des aviations conséquentes apparaissant d’abord comme des déviations, mais dont le calcul esthétique permet, ici, d’apercevoir le caractère harmonique, à côté du caractère mathématique simple. »
(Suivent de nombreuses figures, tableaux et graphiques très détaillés.)

N°5. SUR LE SPIRITUALISME EXPERIMENTAL OU SPIRITISME

Le spiritisme attire plus que jamais l’attention publique. Il est fréquemment question de maisons hantées, de phénomènes occultes, d’apparitions, de matérialisations d’Esprits. La science, la littérature, le théâtre, la presse s’en mêlent tour à tour, et les expériences de l’Institut psychique, les révélations du grand publiciste anglais W. Stead, le testament de William James, les enquêtes ouvertes par certaines feuilles parisiennes donnent à cette question un caractère d’actualité constante.
Examinons donc ce problème, et recherchons pourquoi ce spiritisme, qu’on a si souvent enterré, reparaît sans cesse et voit s’accroître de jour en jour le nombre de ses partisans.
N’est-ce pas là une chose étrange ? Jamais peut-être dans l’histoire rien de semblable ne s’est produit. Jamais on n’avait vu un ensemble de faits, considérés d’abord comme impossibles, dont l’idée ne soulevait, dans la pensée de la majorité des hommes, que l’antipathie, la méfiance, le dédain, qui étaient en butte à l’hostilité de plusieurs institutions séculaires, finir par s’imposer à l’attention et même à la conviction d’hommes instruits, compétents, autorisés par leurs fonctions et leur caractère. Et ces hommes, d’abord sceptiques, en sont venus, parleurs études, leurs recherches, leurs expériences, à reconnaître et affirmer la réalité de ces phénomènes.
L’illustre savant anglais, W. Crookes, connu dans le monde entier par sa découverte de la matière radiante, et qui, pendant trois ans, obtint chez lui des matérialisations de l’Esprit Katie King, dans des conditions de contrôle rigoureux, disait, parlant de ces manifestations : « Je ne dis pas que cela est possible ; je dis : cela est. »
Oliver Lodge, recteur de l’Université de Birmingham, membre de l’Académie royale, écrivait : « J’ai été amené personnellement à la certitude de l’existence future, par des preuves reposant sur une base purement scientifique. »
Frédéric Myers, le professeur de Cambridge, que le Congrès officiel international de psychologie de Paris, en 1900, avait élu président d’honneur, dans son beau livre : la Personnalité humaine, en arrive à cette conclusion, que des voix et des messages nous reviennent d’au-delà de la tombe. Parlant du médium Mrs. Thomson, il écrit : « Je crois que la plupart de ces messages viennent d’esprits qui se servent temporairement de l’organisme des médiums pour nous les donner. »
Le célèbre professeur Lombroso, de Turin, déclarait dans la Lettura : « Les cas de maisons hantées, dans lesquelles, pendant des années, se reproduisent des apparitions ou des bruits concordant avec le récit de morts tragiques, et observés en dehors de la présence de médiums, plaident en faveur de l’action des trépassés. » - « Il s’agit souvent de maisons inhabitées, où ces phénomènes se produisent parfois pendant plusieurs générations et même pendant des siècles . »
M. Boutroux, le philosophe bien connu, en de brillantes conférences, disserte sur les Esprits, les communications médianimiques, et assure que « la porte subliminale est l’ouverture par où de divin peut entrer dans l’âme humaine ». « Parfois, dit-il, les révélations spirites sont si étranges qu’il semble bien que le sujet soit en communication avec des êtres autres que ceux qui lui sont normalement accessibles . »
William James, recteur de l’Université Harvard, à New-York, l’éminent psychologue qui, vient de mourir, affirmait la vraisemblance des communications des défunts, dans son étude, parue en 1909 dans les Proceedings, au sujet de son ami décédé, Hodgson, qui venait l’entretenir par l’intermédiaire de Mme Piper. Il écrivait que « ces phénomènes donnent l’impression irrésistible que c’est réellement la personnalité d’Hodgson avec sa propre caractéristique, et que les sentiments des assistants étaient qu’ils conversaient avec le véritable Hodgson »
C’est en Amérique que nous trouvons le foyer du spiritisme, ou spiritualisme moderne. En réalité, les phénomènes d’outre-tombe se rencontrent à la base de toutes les grandes doctrines du passé. Dans presque tous les temps, des rapports ont uni le monde invisible au monde des vivants. Mais, dans l’Inde, en Égypte et en Grèce, cette étude était le privilège d’un petit nombre de chercheurs et d’initiés ; les résultats en étaient soigneusement tenus cachés.
Pour rendre cette étude possible à tous, pour faire connaître les véritables lois qui régissent le monde invisible, pour apprendre aux hommes à voir dans ces phénomènes, non plus un ordre de choses surnaturel, mais un domaine ignoré de la nature et de la vie, il fallait. l’immense travail des siècles, toutes les découvertes de la science, toutes les conquêtes de l’esprit humain sur la matière. Il fallait que l’homme connût sa véritable place dans l’univers, qu’il apprit à mesurer la faiblesse de ses sens, leur impuissance à explorer, par eux-mêmes et sans secours, tous les domaines de la nature vivante.
La science, par les inventions, a atténué cette imperfection de nos organes. Le télescope a ouvert à notre regard les abîmes de l’espace ; le microscope nous a révélé l’infiniment petit. La vie nous est apparue partout, dans le monde des infusoires comme à la surface des globes, géants qui roulent dans la profondeur des cieux. La physique a découvert les lois qui règlent la transformation des forces, la conservation de l’énergie et celles qui maintiennent l’équilibre des mondes. La radioactivité des corps a révélé l’existence de puissances ignorées et incalculables: rayons X, ondes hertziennes, radiations de toute nature et de tous degrés. La chimie nous a fait connaître les combinaisons de la substance. La vapeur et l’électricité sont venues révolutionner la face du globe, faciliter les rapports des peuples et les manifestations de la pensée, afin que l’idée rayonne et se propage sur tous les points de la sphère terrestre.
Aujourd’hui, l’étude du monde invisible vient compléter cette magnifique ascension de la pensée et de la science. Le problème de l’au-delà se dresse devant l’esprit humain avec puissance et autorité.
Vers la fin du dix-neuvième siècle, l’homme, déçu par toutes les théories contradictoires, par tous les systèmes incomplets dont on a voulu nourrir sa pensée, se laissait aller au doute, il perdait de plus en plus la notion de la vie future. C’est alors que le monde invisible est venu à lui et l’a poursuivi jusque dans ses demeures. Par des moyens divers, les morts se sont manifestés aux vivants. Les voix d’outre-tombe ont parlé. Les mystères des sanctuaires orientaux, les phénomènes occultes du moyen âge, après un long silence, se sont renouvelés; le spiritisme est né.
C’est au delà des mers, dans un monde jeune, riche d’énergie vitale, d’expansion ardente, moins assujetti que la vieille Europe à l’esprit de routine et aux préjugés du passé, que se sont produites les premières manifestations du spiritualisme moderne. De là elles se sont répandues sur le globe entier. Ce choix était profondément judicieux. La libre Amérique était bien le milieu le plus propice à une oeuvre de diffusion et de rénovation. Aussi y compte-t-on aujourd’hui vingt millions de « modernes spiritualistes ».
Mais, d’un côté de l’Atlantique comme de l’autre, quoique avec des intensités diverses, les phases de progression de l’idée spirite ont été les mêmes.
Sur les deux continents, l’étude du magnétisme et des fluides avait préparé certains Esprits à l’observation du monde invisible.
D’abord, des faits étranges se produisirent de tous côtés, faits dont on n’osait s’entretenir qu’à voix basse, dans l’intimité. Puis, peu à peu, le ton s’éleva. Des hommes de talent, des savants, dont les noms sont autant de garanties d’honorabilité et de sincérité, osèrent parler tout haut de ces faits et les affirmer. Il fut question d’hypnotisme, de suggestion ; puis vinrent la télépathie, les cas de lévitation et tous les phénomènes du Spiritisme.
Des tables s’agitaient en une ronde folle ; des objets se déplaçaient sans contact, des coups retentissaient dans les murailles et les meubles. Tout un ensemble de faits se produisait, manifestations vulgaires en apparence, mais parfaitement adaptées aux exigences du milieu terrestre, à l’état d’esprit positif et sceptique des sociétés modernes.
Le phénomène parlait aux sens, car les sens sont comme les ouvertures par où le fait pénétrera jusqu’à l’entendement. Les impressions produites sur l’organisme éveillent la surprise, provoquent la recherche, mènent à la conviction. De là, l’enchaînement des faits, la marche ascendante des phénomènes.
En effet, après une première phase matérielle et grossière, les manifestations revêtirent un nouvel aspect. Les coups frappés se régularisèrent et devinrent un mode de communication intelligent et conscient; l’écriture automatique se propagea. La possibilité de rapports entre le monde visible et le monde invisible apparut comme un fait immense, bouleversant les idées reçues, ébranlant les enseignements habituels, mais ouvrant sur la vie future une issue que l’homme hésitait encore à franchir, ébloui qu’il était devant les perspectives qui s’ouvraient devant lui.
En même temps qu’il se propageait, le spiritisme voyait se dresser contre lui de nombreuses oppositions. Comme toutes les idées nouvelles, il dut affronter le mépris, la calomnie, la persécution morale. Comme l’idée chrétienne à ses débuts, il fut accablé d’amertume et d’injures. Il en est toujours ainsi. Lorsque de nouveaux aspects de la vérité apparaissent aux hommes, c’est toujours l’étonnement, la défiance, l’hostilité qu’ils provoquent.
Cela est facile à comprendre. L’humanité a épuisé les vieilles formes de la pensée et de la croyance, et lorsque des formes inattendues de la vérité se révèlent, elles semblent peu répondre à l’idéal ancien qui est affaibli, mais non pas mort. Aussi faut-il une assez longue période d’examen, de réflexion, d’incubation, pour que l’idée nouvelle fasse son chemin dans l’opinion. De là les luttes, les incertitudes, les souffrances de la première heure.
On a beaucoup raillé les formes que revêtait le nouveau spiritualisme. Les puissances invisibles qui veillent sur l’humanité sont meilleurs juges que nous des moyens d’action et d’entraînement qu’il convient d’adopter, suivant les temps et les milieux, pour ramener l’homme au sentiment de son rôle et de ses destinées, et cela sans entraver son libre arbitre. Car c’est là l’essentiel : il faut que la liberté de l’homme reste entière.
La volonté supérieure sait approprier aux besoins d’une époque et d’une race les formes nouvelles de l’éternelle révélation. Elle suscite, au sein des sociétés, les penseurs, les expérimentateurs, les savants, qui indiqueront la voie à suivre et poseront les premiers jalons. Leur oeuvre se déroule lentement. Faibles et insensibles d’abord sont les résultats, mais l’idée pénètre peu à peu dans les intelligences. Le mouvement, pour être inaperçu, n’en est parfois que plus sûr et plus profond.
À notre époque, la science était devenue la maîtresse souveraine, la directrice du mouvement intellectuel. Lassée des spéculations métaphysiques et des dogmes religieux, l’humanité réclamait des preuves sensibles, des bases solides sur lesquelles elle pût asseoir ses convictions. Elle s’attachait à l’étude expérimentale, à l’observation des faits, comme à une planche de salut. De là, le grand crédit des hommes de science à l’heure où nous sommes. C’est pourquoi la révélation a pris un caractère scientifique. C’est par des faits matériels que l’on a frappé l’attention des hommes, devenus eux-mêmes matériels.
Les phénomènes mystérieux que l’on trouve disséminés dans l’histoire du passé se sont renouvelés et multipliés autour de nous ; ils se sont succédé dans un ordre progressif, qui semble indiquer un plan préconçu, l’exécution d’une pensée, d’une volonté.
En effet, à mesure que le nouveau spiritualisme gagnait du terrain, les phénomènes se transformaient. Les manifestations grossières du début s’affinaient, revêtaient un caractère plus élevé. Des médiums recevaient, par l’écriture, d’une manière mécanique ou intuitive, des messages, des inspirations de source étrangère. Des instruments de musique jouaient d’eux-mêmes. On entendait des voix et des chants ; des mélodies pénétrantes semblaient descendre du ciel et troublaient les plus incrédules. L’écriture directe se produisait à l’intérieur d’ardoises juxtaposées et scellées. Des phénomènes d’incorporation permettaient aux défunts de prendre possession de l’organisme d’un sujet endormi et de s’entretenir avec ceux qui les avaient connus sur la terre. Graduellement, et comme par suite d’un développement calculé, les médiums voyants, parlants, guérisseurs apparaissaient.
Enfin, les habitants de l’espace, revêtant des enveloppes temporaires, venaient se mêler aux humains, vivant un instant de leur vie matérielle et terrestre, se laissant voir, toucher, photographier, donnant des empreintes de leurs mains, de leurs visages, et s’évanouissant ensuite pour reprendre leur vie éthérée.
C’est ainsi que, depuis un demi-siècle, tout un enchaînement de faits s’est produit, depuis les plus inférieurs et les plus vulgaires jusqu’aux plus subtils, suivant le degré d’élévation des intelligences qui interviennent; tout un ordre de manifestations s’est déroulé sous le regard des observateurs attentifs.
Aussi, malgré les difficultés d’expérimentation, malgré les cas d’imposture et les modes d’exploitation dont ces phénomènes ont été quelquefois, le prétexte, l’appréhension et la défiance se sont atténuées peu à peu; le nombre des examinateurs est allé croissant.
Depuis cinquante ans, et en tous pays, le phénomène spirite a été l’objet de fréquentes enquêtes, entreprises et dirigées par des commissions scientifiques. Des savants sceptiques, des professeurs célèbres, appartenant à toutes les grandes universités du monde, ont soumis ces faits à un examen rigoureux et approfondi. Leur intention était d’abord de faire la lumière sur ce qu’ils croyaient être le résultat de fourberies ou d’hallucinations. Mais presque tous, d’incrédules qu’ils étaient, après des années d’études consciencieuses et d’expérimentation persistante, ils ont, rappelons-le, abandonné leurs préventions et se sont inclinés devant la réalité des faits.
Les manifestations spirites, constatées par milliers sur tous les points du globe, ont démontré qu’un monde invisible s’agite autour de nous, ou au sein des espaces, un monde où vivent, à l’état fluidique, ceux qui nous ont précédés sur terre, qui y ont lutté et souffert, et constituent par delà la mort une seconde humanité.
Le nouveau spiritualisme se présente aujourd’hui avec un cortège de preuves et un ensemble de témoignages tellement imposant que le doute n’est plus possible pour les chercheurs de bonne foi. C’est ce qu’exprimait en ces termes le professeur Challis, de l’Université de Cambridge :
« Les attestations ont été si abondantes et si parfaites, les témoignages sont venus de tant de sources indépendantes les unes des autres et d’un nombre si énorme de témoins, qu’il faut, ou admettre les manifestations telles qu’on les représente, ou renoncer à la possibilité de certifier quelque fait que ce soit par une déposition humaine. »
Aussi, le mouvement de propagation s’est-il accentué de plus en plus. A l’heure présente, nous assistons à un véritable épanouissement de l’idée spirite. La croyance au monde invisible s’est répandue sur toute la surface de la terre. Partout le spiritisme a ses sociétés d’expérimentation, ses vulgarisateurs, ses journaux .
Si la philosophie, dans ses spéculations les plus hardies, avait pu s’élever à la conception d’un autre mode d’existence après la mort du corps, la science humaine, cependant, n’était pas encore parvenue expérimentalement à la certitude du fait en lui-même. Le mérite du spiritisme est donc de nous fournir ces bases expérimentales en prouvant la communication possible, dans des conditions déterminées, des vivants avec des intelligences ayant habité parmi nous avant de passer dans le domaine de la vie invisible. Ces âmes ont pu fournir, dans certains cas, la démonstration de leur identité et de leur état de conscience.
Pour ne citer qu’un exemple entre mille, le docteur Richard Hodgson, décédé en décembre 1906, s’est communiqué depuis à son ami J. Hyslop, professeur à l’Université Columbia, entrant dans de minutieux détails au sujet des expériences et des travaux de la Société des recherches psychiques, dont il a été président pour la section américaine. Il explique comment il faudrait les conduire, et, par ces détails, il prouve absolument son identité.
Ces communications sont transmises par l’intermédiaire de différents médiums, qui ne se connaissent pas, et elles se confirment les unes par les autres. On y reconnaît les mots et les phrases familiers au communicant pendant sa vie.


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Si les débuts du spiritisme ont été difficiles, si sa marche fut lente, hérissée d’obstacles, depuis une dizaine d’années il a conquis droit de cité. Il est devenu une véritable science et, en même temps, un corps de doctrines, une philosophie générale de la vie et de la destinée, basée sur un ensemble imposant de faits, de preuves expérimentales, auxquels viennent s’ajouter chaque jour des faits nouveaux. Cette science, cette doctrine nous démontre de plus en plus la réalité d’un monde invisible, incommensurable, peuplé d’êtres vivants qui avaient jusqu’ici échappé à nos sens, et voici que de nouveaux horizons s’ouvrent ; les perspectives de notre destinée s’élargissent. Nous-mêmes, nous appartenons pour une part de notre être - la plus importante - à ce monde invisible qui se révèle chaque jour aux observateurs attentifs. Les cas télépathiques, les phénomènes de dédoublement, d’extériorisation des vivants, les apparitions à distance, tant de fois relatés par F. Myers, C. Flammarion, Ch. Richet, docteur Dariex, docteur Maxwell, etc., en seraient la démonstration expérimentale. Les procès-verbaux de la Société des Recherches psychiques de Londres sont riches en faits de ce genre.
Les spirites croient que cette partie invisible, impondérable de notre individu, siège inaltérable de nos facultés, de notre moi conscient, en un mot de ce que les croyants de toutes les religions ont appelé l’âme, survit à la mort. Elle poursuit, à travers le temps et l’espace, son évolution vers des états toujours meilleurs, toujours plus éclairés des rayons de la justice, de la vérité, de l’éternelle beauté. Cette âme, ce moi conscient, a pour enveloppe indestructible, pour véhicule, un corps fluidique, canevas du corps humain, formé de matière subtile, radiante, invisible, sur laquelle la mort n’a aucune action.
Ici, nous nous trouvons en présence d’une théorie, d’une conception susceptible de réconcilier les doctrines matérialiste et spiritualiste, si longtemps aux prises sans pouvoir s’ébranler ni se détruire réciproquement. L’âme ne serait plus une vague abstraction, mais un centre de force et de vie, inséparable de sa forme subtile, impondérable, quoique encore matérielle. Il y a là une base positive aux espérances et aux aspirations élevées de l’humanité. Tout ne finit pas avec cette vie : l’être, perfectible à jamais, recueille dans son état psychique, sans cesse affiné, le fruit des travaux, des oeuvres, des sacrifices de toutes ses existences.
La plainte douloureuse, le cri d’appel qui monte vers le ciel des profondeurs de l’humanité, ne reste pas sans réponse. Ceux qui ont vécu parmi nous et poursuivent dans l’espace, sous des formes plus éthérées, leur évolution infinie, ceux-là ne se désintéressent pas de nos souffrances et de nos larmes. Des sommets de la vie universelle découlent sans cesse sur la terre des courants de force et d’inspiration. De là viennent les éclairs du génie ; de là, les souffles puissants qui passent sur les foules aux heures décisives; de là, le réconfort pour ceux qui ploient sous le lourd fardeau de l’existence.
Un lien mystérieux relie le visible à l’invisible. Notre destinée se déroule sur la chaîne grandiose des mondes. Elle se traduit par des accroissements graduels de vie, d’intelligence, de sensibilité.
Mais l’étude de l’univers occulte ne va pas sans difficultés. Là, comme ici, le bien et le mal, la vérité et l’erreur se mêlent, suivant le degré d’évolution des Esprits avec lesquels nous entrons en rapport. De là, la nécessité d’aborder le terrain de l’expérimentation avec une extrême prudence, après des études théoriques préalables. Le spiritisme est la science qui règle ces rapports.
Il nous apprend à connaître, à attirer, à utiliser les forces bienfaisantes du monde invisible, à en écarter les influences mauvaises et, en même temps, à développer les puissances cachées, les facultés ignorées qui dorment au fond de tout être humain.

N°6. SUR LES PHENOMENES SPIRITES.

M. Gustave Lebon avait pris, en 1908, l’initiative d’une proposition qui semblait péremptoire : une prime de deux mille francs était offerte au médium qui, en pleine lumière, produirait devant un comité compétent un phénomène de lévitation.
Pourquoi stipuler la pleine lumière, puisqu’il est notoire que ce phénomène n’est normalement possible qu’avec une lumière atténuée, la lumière crue exerçant une action dissolvante sur la force psychique ?
Voyons, amis du bon sens, que diriez-vous d’un amateur qui exigerait, pour admettre la photographie, que celle-ci se produisît en pleine lumière, alors que, jusqu’ici, le phénomène requiert l’ombre absolue de la chambre noire ?
Remarquons que la nuit complète n’est nullement nécessaire pour les lévitations ; une lumière rouge affaiblie sera suffisante pour éliminer tout procédé et toute supposition de fraude. D’ailleurs, combien d’autres phénomènes naturels connus exigent une lumière très atténuée, sinon l’obscurité?
Le savant impartial observe la loi, la norme d’un phénomène, mais il se garde surtout de prétendre imposer à sa production des conditions a priori.
Les faits de soulèvement sans contact, de lévitation de meubles et de personnes, moulages de mains et de visages, ont été observés dans  des conditions qui défient toutes critiques, par des savants français et étrangers.
Des photographies ont été prises, ce qui répond d’une façon très nette à l’objection de la suggestion. La plaque photographique n’est pas sujette à hallucination !
Très nombreuses sont les expériences dirigées d’une manière rigoureusement scientifique ; citons, par exemple, celles du professeur Botazzi, directeur de l’Institut de physiologie à l’Université de Naples, en mai 1907, assisté du professeur Cardarelli, sénateur, et d’autres savants.
Comme, évidemment, les sens peuvent tromper, on se sert d’appareils enregistreurs, qui permettent d’établir non seulement la réalité, l’objectivité du phénomène, mais encore le graphique de la force physique en action.
Voici notamment les mesures prises par le groupe de savants désignés plus haut, Eusapia Paladino étant médium
A l’extrémité de la salle, derrière un rideau, on dispose à l’avance sur une table : 
1° Un cylindre couvert de papier fumé, mobile autour d’un axe ;
2° Une balance pèse-lettres ;
3° Un métronome électrique Zimmermann ;
4° Une touche télégraphique, jointe à un autre signal électrique ;
5° Une poire de caoutchouc reliée, au moyen. d’un long tuyau à travers la paroi, avec un manomètre à mercure situé dans la chambre contiguë.
Voici, n’est-ce pas, un joli luxe de précautions prises par les savants chercheurs sus-nommés, précautions qui, vraiment, devaient les assurer qu’ils n’étaient point trompés. Eh bien ! C’est dans ces conditions que tous les appareils désignés ont été impressionnés à distance, les mains d’Eusapia étant tenues par deux des expérimentateurs, et tous les assistants formant cercle autour d’elle.
Il y a vingt ans, Eusapia opérait déjà à Milan dans les circonstances suivantes :
L’Italia del Popolo, de Milan, publiait, à la date du 18 novembre 1892, Un supplément spécial contenant les procès-verbaux de dix-sept séances tenues dans cette ville. Ce document est signé des noms suivants : Schiaparelli, directeur de l’observatoire astronomique de Milan ; Aksakoff, conseiller d’État russe ; Brofferio, Gerosa, professeurs à l’Université ; Ermacora et G. Finzi, docteurs en physique ; Charles Richet, professeur à la Faculté de médecine de Paris, directeur de la Revue scientifique ; Lombroso, professeur à la Faculté de médecine de Turin.
Ces procès-verbaux constatent la production des phénomènes suivants, obtenus dans l’obscurité, les pieds et les mains du médium étant constamment tenus par deux des assistants :
« Transport d’objets divers sans contact : chaises, instruments de musique, etc. ; impressions de doigts sur du papier noirci;  empreintes de doigts dans l’argile ; apparitions de mains sur un fond lumineux ; apparitions de lumières phosphorescentes ; soulèvement du médium sur la table ; déplacement de chaises avec les personnes qui les occupent, attouchements ressentis par les assistants. »
Dans leurs conclusions, les expérimentateurs sus-nommés établissent qu’en raison des précautions prises, aucune fraude n’était possible.
« De l’ensemble des phénomènes observés, disent-ils, se dégage le triomphe d’une vérité qu’on a injustement rendue impopulaire. »
Quelle splendeur de langage saurait égaler la valeur probante de ce style net et concis ?
A ces témoignages, on pourrait en ajouter des centaines d’autres, d’une valeur égale. Seront-ils nuls aux yeux de nos contradicteurs, et faudra-t-il donc recommencer les expériences à chaque exigence nouvelle ?
Les séances d’Eusapia comportent bien d’autres phénomènes plus importants encore.
Le professeur C. Lombroso dit ceci dans l’Arena (février 1908) :
« Après le transport d’un objet très lourd, Eusapia, dans un état de trance, me dit : « Pourquoi perds-tu ton temps à ces bagatelles ? Je suis capable de te faire voir ta mère ; mais il faut que tu y penses fortement. »
« Poussé par cette promesse, après une demi-heure de séance, je fus pris du désir intense de la voir s’accomplir, et la table sembla donner son assentiment, avec ses mouvements habituels de soulèvements successifs, à ma pensée intime. Tout à coup, dans une demi-obscurité, à la lumière rouge, je vis paraître une forme un peu penchée, comme était celle de ma mère, couverte d’un voile, qui fit le tour de la table pour arriver jusqu’à moi, en murmurant des paroles que plusieurs entendirent, mais que ma demi-surdité ne me permit pas de saisir.
« Comme, sous le coup d’une vive émotion, je la suppliais de les répéter, elle me dit : « César, Fio mio ! », puis, écartant ses voiles, elle me donna un baiser. »
Lombroso rappelle ensuite les communications écrites ou parlées en langues étrangères, les révélations de faits inconnus aussi bien du médium que des assistants, et les faits de télépathie.
Enfin, pour terminer, transportons-nous en Angleterre, où le fantôme de Katie King fut photographié par sir W. Crookes, ce qui détruit toute hypothèse de suggestion.
Dans un discours prononcé le 30 janvier 1908 à la Société de recherches psychiques de Londres, sir O. Lodge, recteur de l’Université de Birmingham et membre de l’Académie des Sciences (Royal Society), parle des messages obtenus par certains médiums au moyen de l’écriture automatique :
« Les communicants ont compris aussi bien que nous la nécessité des preuves d’identité, et ils ont fait tous leurs efforts pour satisfaire cette exigence rationnelle. Quelques-uns parmi nous pensent qu’ils, y sont arrivés, d’autres doutent encore. Je suis un de ceux qui, tout en désirant obtenir des preuves nouvelles, pensent cependant qu’un grand pas a été fait et qu’il est légitime d’admettre ces moments de rapports lucides avec les personnes décédées qui, dans les meilleurs cas, viennent apporter une nouvelle masse d’arguments, comme faisant de cette hypothèse la meilleure hypothèse de travail.
« Nous trouvons, en effet, que les regrettés Gurney, Hodgson, Myers  et d’autres moins connus, semblent se mettre en communication constante avec nous, avec l’idée bien arrêtée et expresse de nous démontrer patiemment leur identité et de nous donner le contrôle réciproque de médiums étrangers les uns aux autres.
« La cross-correspondance, c’est-à-dire la réception par un médium d’une partie de communication et de l’autre partie par un autre médium, chacune de ces parties ne pouvant être comprise sans le secours de l’autre, est une bonne preuve qu’une même intelligence agit sur les deux automatistes. Si, en outre, le message porte la caractéristique d’une personne décédée et est reçue à ce titre par des personnes qui ne la connaissaient pas intimement, on peut y voir la preuve de la persistance de l’activité intellectuelle de cette personne. Si, enfin, nous obtenons d’elle un morceau de critique littéraire qui est éminemment dans sa façon et ne pourrait venir d’individus ordinaires, alors je déclare qu’une telle preuve, absolument. frappante, tend à prendre le caractère de cruciale. Telles sont les espèces de preuves que la Société peut communiquer sur ce point.
« Les frontières entre les deux états, le présent et le futur, tendent à s’effacer par place. De même qu’au milieu du grondement des eaux et des bruits divers, pendant la percée d’un tunnel, nous entendons de temps à autre le bruit des excavateurs qui viennent vers nous du côté opposé, de même, par intervalle, nous entendons les coups de pics de nos camarades passés dans l’au-delà. »
A tous ces témoignages, j’ajouterai mon témoignage personnel. Trente années d’expérimentation rigoureuse, poursuivie en des milieux divers, avec de nombreux sujets, m’ont démontré que, si les phénomènes dits psychiques s’expliquent en partie par l’extériorisation de forces émanant des vivants, un nombre important de ces faits ne trouvent d’explication que dans l’intervention d’entités invisibles. Celles-ci ne sont autres que les Esprits de défunts ; ils subsistent sous une forme subtile, impondérable, dont les éléments appartiennent à la matière quintessenciée.
L’explication spirite est donc la seule qui réponde d’une façon complète à la réalité des phénomènes considérés sous leurs multiples aspects. Ils nous fournissent la preuve qu’un océan de vie invisible nous entoure, nous enveloppe, et que, dans l’au-delà, l’être humain se retrouve dans la plénitude de ses facultés et de sa conscience.

N°7. SUR LE ROLE DES MEDIUMS DANS LES MANIFESTATIONS.

Dans l’Écho du Merveilleux d’octobre 1910, M. Jules Bois émet la proposition suivante : « La nécessité constante d’un médium et cette loi que le fait métapsychique résulte de lui, s’accomplit en lui et par lui. »
M. Jules Bois n’exclut pas l’intervention possible de causes plus profondes, mais que ce soit auto-suggestion, suggestion ou intervention de forces étrangères, toujours, à son avis, le véhicule est l’être humain vivant.
Cette proposition, pour être exacte en bien des cas, ne doit pas être généralisée. Le professeur Lombroso, après une minutieuse enquête sur les phénomènes de hantise, a dit (voir Annales des Sciences psychiques, février 1908) :
« Dans les maisons hantées, où l’on voit se mouvoir tout à coup, vertigineusement, des bouteilles, des tables, des chaises, etc., personne ne voudra parler d’influences de médium ; puisqu’il s’agit souvent de maisons inhabitées, où ces phénomènes se produisent parfois pendant plusieurs générations. »
Comme MM. Jules Bois et G. Lebon, Lombroso avait longtemps cherché la cause des phénomènes spirites dans le médium lui-même et attribuait ces manifestations à l’action des forces émanées du sujet.
Mais un grand nombre de faits observés par lui au cours de nouvelles expériences vinrent infirmer cette hypothèse et en démontrer l’insuffisance...
Ce fut d’abord la simultanéité de certains phénomènes au cours des séances : il n’était pas possible d’admettre que la force psychique du médium puisse non seulement se transformer à la fois et au même instant en force motrice et en force sensorielle, mais encore agir en même temps en plusieurs directions différentes et pour des buts distincts.
Il y a ensuite des faits qui se produisent contre la volonté du médium, contre la volonté des assistants et même contre celle de l’entité qui opère... Il peut donc intervenir dans les phénomènes spirites une volonté qui ne trouve son origine dans aucun des organismes humains réunis dans la salle...
Dans le phénomène de la trance, on voit se manifester des énergies motrices et intelligentes qui sont étrangères, supérieures et disproportionnées à celles du médium.
La lévitation complète du médium, par exemple, ne peut être expliquée par l’action d’une force provenant du sujet même qui s’élève au-dessus du sol. Le centre de gravité d’un corps, en effet, ne peut se déplacer dans l’espace, si une force externe n’agit pas sur ce corps.
Voici ce que dit à ce sujet le docteur Venzano (voir Annales des Sciences psychiques, 1er février 1908).
« Dans une séance à Milan, lorsque Eusapia était au plus fort de sa trance, nous vîmes apparaître, à droite, moi et ceux qui m’avoisinaient, une forme de femme bien chère, qui me dit une parole confuse : « Trésor », me sembla-t-il. Au centre se trouvait Eusapia endormie près de moi, et, au-dessus, le rideau se gonfla plusieurs fois ; en même temps, à gauche, une table s’agitait dans le cabinet et, de là, un petit objet était transporté sur la table du milieu.
« A Gênes, le docteur Imoda observa que, tandis qu’un fantôme ôtait de la main et redonnait une plume à M. Becker, un autre fantôme s’appuyait sur lui, Imoda. »
« Une autre fois, tandis que j’étais caressé par un fantôme, la princesse Ruspoli se sentait toucher la tête par une main, et Imoda sentait serrer avec force sa main par une autre main. »
On ne peut croire que la force psychique d’un médium puisse agir en même temps en trois directions différentes. Comment concentrer une action assez forte pour obtenir des phénomènes plastiques sur trois points séparés ?
La même observation s’applique aux phénomènes d’écriture directe. Un jour, à Orange, en plein midi, au cœur de l’été, alors qu’au dehors toute vie semblait suspendue et qu’on n’entendait que le chant des cigales et les plaintes du vent, j’étais assis près d’une table, chez un de mes amis, marchand de nouveautés, avec deux autres personnes, occupées à écrire et penchées sur leur travail. Je vis descendre dans le vide, au-dessus de ma tête, un lambeau de papier qui semblait sortir du plafond et vint lentement s’abattre dans mon chapeau placé sur la table, près de moi.
Deux lignes d’une fine écriture, deux vers y étaient tracés. Ils contenaient un avertissement, une prédiction me concernant et qui s’est réalisée depuis. Je suis convaincu que les deux personnes présentes n’étaient pour rien dans ce phénomène, qu’on ne saurait expliquer par la suggestion ni la subconscience.
Fidèle à la méthode expérimentale, je présenterai encore quelques faits établissant la réalité d’interventions étrangères et fournissant des indications sur leur nature et leur identité. Les faits, en effet, me semblent beaucoup plus éloquents que tous les commentaires.
Voici la reproduction d’un procès-verbal que j’ai entre les mains :
« Le 13 janvier 1899, douze personnes s’étaient réunies chez M. David, place des Corps-Saints, 9, à Avignon, pour leur séance hebdomadaire de spiritisme.
« Après un moment de recueillement, on vit le médium, Mme Gallas, en état de trance, se tourner du côté de M. l’abbé Grimaud et lui parler dans le langage des signes employés par certains sourds-muets. Sa volubilité mimique était telle que l’Esprit fut prié de se communiquer plus lentement, ce qu’il fit aussitôt. Par une précaution dont on appréciera l’importance, M. l’abbé Grimaud ne fit qu’énoncer les lettres à mesure de leur transmission par le médium. Comme chaque lettre isolée ne signifie rien, il était impossible, alors même qu’on l’eût voulu, d’interpréter la pensée de l’Esprit ; et c’est seulement à la fin de la communication qu’elle a été connue, la lecture en ayant été faite par l’un des deux membres du groupe chargé de transcrire les caractères.
« De plus, le médium a employé une double méthode : celle qui énonce toutes les lettres d’un mot, pour en indiquer l’orthographe, seule forme sensible pour les yeux, et celle qui énonce l’articulation, sans tenir compte de la forme graphique, méthode dont M. Fourcade est l’inventeur et qui est en usage seulement dans l’institution des sourds-muets d’Avignon. Ces détails sont fournis par l’abbé Grimaud, directeur et fondateur de l’établissement.
« La communication, relative à l’œuvre de haute philanthropie à laquelle s’est voué l’abbé Grimaud, était signée : Frère Fourcade, décédé à Caen. Aucun des assistants, à l’exception du vénérable ecclésiastique, n’a connu, ni pu connaître l’auteur de cette communication, bien qu’il eût passé quelque temps à Avignon, il y a trente ans, ni sa méthode. »
Ont signé : les membres du groupe ayant assisté à cette séance : Toursier, directeur de la Banque de France en retraite; Roussel, chef de musique du 58è ; Domenach, lieutenant au 58è ; David, négociant ; Brémond, Canuel, Mmes Toursier, Roussel, David et Brémond.
Au procès-verbal est jointe l’attestation suivante : « Je soussigné, Grimaud, prêtre, directeur fondateur de l’institution des infirmes de la parole, sourds-muets, bègues et enfants anormaux, à Avignon, certifie l’exactitude absolue de tout ce qui est rapporté ci-dessus. Je dois à la vérité de dire que j’étais loin de m’attendre à une pareille manifestation, dont je comprends toute l’importance, au point de vue de la réalité du spiritisme, dont je suis un adepte fervent, je ne fais aucune difficulté de le déclarer publiquement. »
Avignon, le 17 avril 1899. Signé : GRIMAUD, prêtre.
A citer, en outre, l’apparition photographiée d’un Boer relatée par W. Stead, le grand publiciste anglais. Ce Boer, nommé Piet Botha, était absolument inconnu de lui et fut reconnu plus tard par plusieurs délégués du Sud-Africain, venus en Angleterre (voir Revue du 15 janvier 1909).
Ajoutons les faits suivants : le cas de Blanche Abercrombie, cité par Myers dans Human Personality et qui ne peut s’expliquer ni par la suggestion, ni par la subconscience ; il en est de même du cas relaté par le docteur Funch (Annales du 7 janvier 1907) et du cas Evangélidès, message obtenu d’un défunt dont personne dans l’assistance ne connaissait le décès, par Miss Laura, fille du grand juge Edmonds, en langue grecque moderne, inconnue du médium (Annales des Sciences psychiques, juin 1907) ; le cas d’écriture directe du docteur Roman Uricz, médecin en chef de l’hôpital de Bialy-Kamien, relaté avec détails dans mon livre Christianisme et Spiritisme, nouvelle édition, p. 269.

TABLE DES MATIERES

AU LECTEUR    2

PREMIERE PARTIE    4
DIEU ET L’UNIVERS    4

I. LA GRANDE ENIGME    4
II. UNITE SUBSTANTIELLE DE L’UNIVERS.    10
III. SOLIDARITE ; COMMUNION UNIVERSELLE.    14
IV. LES HARMONIES DE L’ESPACE.    20
V. NECESSITE DE L’IDEE DE DIEU.    26
VI. LES LOIS UNIVERSELLES.    28
VII. L’IDEE DE DIEU ET L’EXPERIMENTATION PSYCHIQUE.    33
VIII. ACTION DE DIEU DANS LE MONDE ET DANS L’HISTOIRE.    37
IX. OBJECTIONS ET CONTRADICTIONS.    42

DEUXIEME PARTIE    46
LE LIVRE DE LA NATURE    46

X. LE CIEL ETOILE    46
XI. LA FORET.    48
XII. LA MER.    53
XIII. LA MONTAGNE.    56
XIV. ELEVATION.    65

TROISIEME PARTIE    71
LA LOI CIRCULAIRE, LA MISSION DU XXE SIECLE    71

XV. LA LOI CIRCULAIRE ; LA VIE ; LES AGES DE LA VIE ; LA MORT.    71
XI. LA MISSION DU XXE SIECLE.    83

NOTES COMPLEMENTAIRES    88

N°1. SUR LA NECESSITE D’UN MOTEUR INITIAL POUR EXPLIQUER LES MOUVEMENTS PLANETAIRES    88
N°2. SUR LES FORCES INCONNUES    89
N°3. LES MERVEILLES CELESTES ; DIMENSIONS ET VOLUMES DES ETOILES    90
N°4. SUR LA MUSIQUE DES SPHERES    90
N°5. SUR LE SPIRITUALISME EXPERIMENTAL OU SPIRITISME    91
N°6. SUR LES PHENOMENES SPIRITES.    96
N°7. SUR LE ROLE DES MEDIUMS DANS LES MANIFESTATIONS.    99