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sexta-feira, 26 de agosto de 2011

PREUVES EXPERIMENTALES DE LA SURVIVANCE-LEON DENIS

 

Índice do Blog

 

LEON DENIS
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Christianisme
et Spiritisme
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PREUVES EXPERIMENTALES DE LA SURVIVANCE
RELATIONS AVEC LES ESPRITS DES MORTS
LA DOCTRINE SECRETE
LA NOUVELLE REVELATION
Vitam impendere vero.
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NOUVELLE EDITION
CONFORME A L'EDITION DE 1920
INTRODUCTION
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Ce n'est pas un sentiment d'hostilité ou de malveillance qui a dicté ces pages. De la malveillance, nous n'en avons pour aucune idée, pour aucune personne. Quelles que soient les erreurs ou les fautes de ceux qui se recommandent du nom de Jésus et de sa doctrine, ils ne peuvent diminuer le profond respect et la sincère admiration que nous avons pour la pensée du Christ. Elevé dans la religion chrétienne, nous savons tout ce qu'elle renferme de poésie et de grandeur. Si nous avons abandonné le domaine de la foi catholique pour celui de la philosophie spirite, nous n'avons pas oublié pour cela les souvenirs de notre enfance, l'autel orné de fleurs devant lequel se courbait notre front juvénile, la grande harmonie des orgues succédant aux chants graves et profonds, et la lumière tamisée par les vitraux peints, qui se joue sur les dalles parmi les fidèles prosternés. Nous n'avons pas oublié que la croix austère étend ses bras sur la tombe de ceux que nous avons le plus aimés en ce monde. S'il est pour nous une image vénérable entre toutes et sacrée, c'est celle du supplicié du Calvaire, du martyr cloué sur le bois d'infamie, blessé, couronné d'épines et qui, agonisant, pardonne à ses bourreaux.
Encore aujourd'hui, c'est avec une attention émue que nous prêtons l'oreille aux appels lointains des cloches, aux voix de bronze allant réveiller les échos sonores des vallées et des bois. Et, aux heures de tristesse, nous aimons à méditer dans l'église solitaire et silencieuse, sous l'influence pénétrante qu'y ont accumulée les prières, les aspirations, les larmes de tant de générations.
Mais une question se pose : tout cet appareil, qui frappe les sens et touche le coeur, toutes ces manifestations de l'art, la pompe du rite romain et l'éclat des cérémonies ne sont-ils pas comme un voile brillant qui cache la pauvreté de l'idée et l'insuffisance de l'enseignement ? N'est-ce pas le sentiment de son impuissance à satisfaire les hautes facultés de l'âme, qui a poussé l'Eglise dans la voie des manifestations extérieures et matérielles ?
Le protestantisme, lui du moins, est plus sobre. S'il dédaigne les formes, le décor, c'est pour mieux faire ressortir la grandeur de l'idée. Il établit l'autorité unique de la conscience et le culte de la pensée, et, de degrés en degrés, de conséquences en conséquences, aboutit logiquement au libre examen, c'est-à-dire à la philosophie.
Nous savons tout ce que la doctrine du Christ renferme de sublime ; nous savons qu'elle est par excellence la doctrine de l'amour, la religion de la pitié, de la miséricorde, de la fraternité entre les hommes. Est-ce là celle qu'enseigne l'Eglise romaine ? La parole du Nazaréen nous est-elle parvenue pure et sans mélange, et l'interprétation que l'Eglise nous en donne est-elle exempte de tout élément parasite ou étranger ?
Il n'est pas de question plus grave, plus digne de la méditation des penseurs, comme de l'attention de tous ceux qui aiment et cherchent la vérité. C'est là ce que nous nous proposons d'examiner dans la première partie de cet ouvrage, avec l'aide et l'inspiration de nos guides de l'espace, en écartant tout ce qui pourrait troubler les consciences et fomenter la division parmi les hommes.
Ce travail, il est vrai, d'autres l'ont entrepris avant nous. Mais leur but, leurs moyens d'investigation et de contrôle différaient des nôtres. Ils ont moins cherché à édifier qu'à détruire tandis que nous avons voulu, avant tout, faire oeuvre de reconstitution et de synthèse. Nous nous sommes attachés à dégager de l'ombre des âges, de la confusion des textes et des faits, la pensée maîtresse, pensée de vie qui est à la fois la source pure, le foyer intense et radieux du christianisme, et l'explication des phénomènes étranges qui caractérisent ses origines. Ces phénomènes se renouvellent chaque jour sous nos yeux, et peuvent s'expliquer par des lois naturelles. Dans cette pensée cachée, dans ces phénomènes jusqu'ici inexpliqués, mais qu'une science nouvelle observe et enregistre, nous trouvons la solution des problèmes suspendus depuis tant de siècles au-dessus de la raison humaine.
Une des plus fortes objections adressées par la critique moderne au christianisme, c'est que sa morale et sa doctrine de l'immortalité reposent sur un ensemble de faits dits « miraculeux ».
La question s'éclairera d'une vive lumière s'il est possible d'établir que ces faits se sont produits dans tous les temps, qu'ils sont le résultat de causes libres, invisibles, perpétuellement agissantes et soumises à d'immuables lois ; or, c'est précisément là un des buts du spiritisme. Par une étude approfondie des manifestations d'outre-tombe, il démontre que ces faits ont eu lieu à toutes les époques, que presque tous les grands missionnaires, les fondateurs de sectes et de religions ont été des médiums inspirés ; qu'une communion permanente unit deux humanités, en reliant les habitants de l'espace à ceux du monde terrestre.
Ces faits se reproduisent autour de nous avec une intensité nouvelle. Depuis cinquante ans, des formes apparaissent, des voix se font entendre, des messages nous arrivent par voie typtologique ou d'incorporation, ainsi que par l'écriture automatique. Des preuves d'identité viennent en foule nous révéler la présence de nos proches, de ceux que nous avons aimés sur la terre, qui ont été notre chair et notre sang, et dont la mort nous avait momentanément séparés. Par leurs entretiens, par leurs enseignements, nous apprenons à connaître cet Au-delà mystérieux, objet de tant de rêves, de disputes et de contradictions. Les conditions de la vie future se précisent dans notre entendement. Le passé et l'avenir s'éclairent jusque dans leurs intimes profondeurs.
Ainsi le spiritisme, nous apportant les preuves naturelles et tangibles de l'immortalité, nous ramène aux pures doctrines chrétiennes, au fond même de l'Evangile, que l'oeuvre du catholicisme et la lente édification des dogmes ont recouvert de tant d'éléments disparates et étrangers. Par son étude scrupuleuse du corps fluidique ou périsprit, il rend plus compréhensibles, plus acceptables, les phénomènes d'apparition et de matérialisation sur lesquels le christianisme repose.
Ces considérations feront mieux ressortir l'importance des problèmes soulevés dans le cours de cet ouvrage, et dont nous présentons la solution, en nous appuyant à la fois sur les attestations de savants impartiaux et éclairés, et sur les résultats d'expériences personnelles, poursuivies depuis plus de trente ans.
Jamais d'ailleurs le besoin de lumière sur des questions vitales, auxquelles se rattache d'une manière étroite le sort des sociétés, ne s'est fait sentir d'une façon plus impérieuse. Fatiguée des dogmes obscurs, des théories intéressées, des affirmations sans preuves, la pensée humaine s'est laissé, depuis longtemps, envahir par le doute. Une critique inexorable a passé au crible tous les systèmes. La foi s'est tarie dans sa source ; l'idéal religieux s'est voilé. En même temps que les dogmes, les hautes doctrines philosophiques ont perdu leur prestige. L'homme a oublié à la fois le chemin des temples et celui des portiques de la sagesse.
La critique et la science matérialistes ont resserré les horizons de la vie. Elles ont ajouté aux tristesses de l'heure présente la négation systématique, l'idée accablante du néant. Et par là, elles ont aggravé toutes les misères humaines ; elles ont enlevé à l'homme, avec ses armes morales les plus sûres, le sentiment de ses responsabilités. Elles ont ébranlé, jusque dans leurs profondeurs, les assises mêmes du moi. Aussi, de proche en proche, les caractères s'affaissent, la vénalité s'accroît, l'immoralité s'étend comme une plaie immense.
Contre ces doctrines de négation et de mort, les faits parlent aujourd'hui. Une expérimentation méthodique, prolongée, nous conduit à cette certitude : l'être humain survit à la mort, et sa destinée est son oeuvre.
Les phénomènes se sont multipliés, innombrables, apportant des données nouvelles sur la nature de la vie et l'évolution non interrompue de l'être. La science les a dûment constatés. Maintenant, il importe de les interpréter, de les mettre en lumière et surtout d'en dégager la loi, les conséquences, tout ce qui peut en découler pour la vie individuelle et sociale.
Ces faits vont réveiller au fond des consciences les vérités endormies. Ils rendront à l'homme l'espérance, avec l'idéal élevé qui éclaire et fortifie. En prouvant que nous ne mourons pas tout entiers, ils dirigeront les pensées et les coeurs vers ces vies ultérieures, où la justice trouve son accomplissement.
Par là, tous comprendront que l'existence a un but, que la loi morale est une réalité et qu'elle a une sanction ; qu'il n'y a pas de souffrances inutiles, pas de travail sans profit, pas d'épreuves sans compensation, que tout est pesé dans la balance du divin Justicier.
Au lieu de ce champ clos de la vie, où les faibles succombent fatalement, au lieu de cette aveugle et gigantesque machine du monde qui broie les existences, et dont nous parlent les philosophies négatives, le nouveau Spiritualisme fera apparaître aux yeux de ceux qui cherchent et de ceux qui souffrent, la puissante vision d'un monde d'équité, de justice et d'amour, où tout est réglé avec ordre, sagesse, harmonie.
Alors la souffrance sera atténuée, le progrès de l'homme sera assuré, son travail sanctifié ; la vie revêtira plus de dignité et de grandeur.
Car l'homme a besoin d'une croyance autant que d'une patrie, autant que d'un foyer. C'est ce qui explique que des formes religieuses, caduques et vieillies, gardent encore leurs partisans. Il y a dans le coeur humain des tendances et des besoins qu'aucun système négatif ne pourra jamais combler. Malgré le doute qui l'étreint, dès que l'âme souffre, instinctivement elle se tourne vers le ciel. Quoi qu'il fasse, l'homme retrouve la pensée de Dieu dans les chants de son berceau, dans les rêves de son enfance, comme dans les méditations silencieuses de son âge mûr. A certaines heures, le sceptique le plus endurci ne peut contempler l'infini étoilé, la course des millions de soleils qui se déroule dans l'immensité, ni passer devant la mort sans respect et sans trouble.
Au-dessus des polémiques vaines, des disputes stériles, il y a une chose qui échappe à toutes les critiques, c'est cette aspiration de l'âme humaine vers un idéal éternel, qui la soutient dans ses luttes, la console dans ses épreuves, qui l'inspire aux heures des grandes résolutions ; c'est cette intuition que, derrière la scène où se déroulent les drames de la vie et le spectacle grandiose de la nature, une puissance, une cause suprême se cache, qui en a réglé les phases successives et tracé les lignes d'évolution.
Mais où l'homme trouvera-t-il la voie sûre qui le conduira vers Dieu ? où puisera-t-il la conviction forte qui le guidera d'étapes en étapes, à travers les temps et l'espace, vers le but suprême des existences ? En un mot, quelle sera la foi de l'avenir ?
Les formes matérielles et transitoires de la religion passent ; quant à l'idée religieuse, à la croyance pure, elle est indestructible dans son essence. L'idéal religieux évoluera, comme toutes les manifestations de la pensée. Il ne saurait échapper à la loi du progrès qui gouverne les êtres et les choses.
La foi de l'avenir, qui surgit déjà du sein de l'ombre, ne sera ni catholique, ni protestante ; elle sera la croyance universelle des âmes, celle qui règne sur toutes les sociétés avancées de l'espace, et par qui cessera l'antagonisme qui sépare la science actuelle de la religion. Car, avec elle, la science deviendra religieuse, et la religion deviendra scientifique. Elle s'appuiera sur l'observation, sur l'expérience impartiale, sur des faits mille fois répétés. En nous montrant les réalités objectives du monde des Esprits, elle dissipera tous les doutes, chassera les incertitudes et ouvrira à tous des perspectives infinies sur l'avenir.
A certaines époques de l'histoire, il passe sur le monde des courants d'idées qui viennent arracher l'humanité à sa torpeur. Des souffles d'en haut soulèvent la grande houle humaine, et, par eux, les vérités oubliées dans la nuit des siècles sortent de l'ombre. Elles surgissent des muettes profondeurs où dorment les trésors des forces cachées, où se combinent les éléments rénovateurs, où s'élabore l'oeuvre mystérieuse et divine. Elles se manifestent sous des formes inattendues ; elles reparaissent et revivent. D'abord méconnues, raillées par la foule, elles poursuivent, impassibles, sereines, leur chemin. Et un jour arrive où l'on est obligé de reconnaître que ces vérités dédaignées venaient offrir le pain de vie, la coupe d'espérance à toutes les âmes souffrantes et déchirées, qu'elles nous apportaient une base nouvelle d'enseignement et un moyen de relèvement moral.
Telle est la situation du Spiritualisme moderne, en qui renaissent tant de vérités voilées depuis des siècles. Il résume en lui les croyances des sages et des initiés antiques, la foi des premiers chrétiens et celle de nos pères les Celtes ; il reparaît sous des formes plus puissantes, pour diriger une étape nouvelle et ascendante de la marche de l'humanité.
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PREFACE DE LA DEUXIEME EDITION
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En tête de notre édition de février 1910, nous écrivions :
Depuis la publication de cet ouvrage, dix années se sont écoulées. L'histoire a déroulé sa trame, et des événements considérables se sont accomplis en notre pays. Le Concordat a été dénoncé. L'Etat a rompu le lien qui l'unissait à l'Eglise romaine. Sauf dans quelques villes, c'est avec une sorte d'indifférence que l'opinion publique a accueilli les mesures de rigueur prises par le pouvoir civil contre les institutions catholiques.
D'où vient cet état d'esprit, cette désaffection non seulement locale, mais presque générale, des Français envers l'Eglise ? De ce que celle-ci n'a réalisé aucune des espérances qu'elle avait fait naître. Elle n'a su ni comprendre, ni remplir son rôle et ses devoirs d'éducatrice et de conductrice des âmes.
Depuis un siècle, l'Eglise catholique traversait une des crises les plus redoutables de son histoire. En France, la Séparation est venue accentuer cet état de choses, le rendre plus aigu.
Reniée par la société moderne, abandonnée par l'élite intellectuelle, en conflit perpétuel avec le droit nouveau qu'elle n'a jamais accepté, et, partant, en contradiction presque sur tous les points essentiels avec les lois civiles de tous les pays, méconnue et haïe d'une partie du peuple et surtout du monde ouvrier, il ne reste plus guère d'adeptes à l'Eglise que parmi les femmes, les enfants, les vieillards. L'avenir ne lui appartient plus, puisque l'éducation de la jeunesse lui a été arrachée, non sans quelque brutalité, par les lois de la République française.
Voilà le bilan de l'Eglise romaine au seuil du vingtième siècle. Nous voudrions dans une étude impartiale, respectueuse même, rechercher les causes profondes de cette éclipse de la puissance ecclésiastique, éclipse partielle encore, mais qui menace de devenir totale et définitive dans un avenir peu éloigné.
Comment l'Eglise catholique en est-elle arrivée là ? C'est qu'elle a trop négligé la cause du peuple. L'Eglise ne fut vraiment démocratique et populaire qu'à ses origines, quand l'esprit de Jésus était avec elle, durant les âges apostoliques, période de persécution et de martyre ; c'est ce qui expliquait alors sa force de prosélytisme, la rapidité de ses conquêtes, sa puissance de persuasion et d'extension. Du jour où elle fut reconnue officiellement par l'Empire, à partir de la conversion de Constantin, elle devint l'amie des Césars, l'associée, et quelquefois la complice des puissants. Elle entra dans l'ère stérile des arguties théologiques, des querelles byzantines, et à dater de ce moment, elle prit toujours ou presque toujours le parti du plus fort. Féodale au moyen âge, essentiellement aristocratique sous Louis XIV, elle ne fit à la Révolution que des concessions forcées et tardives. Toutes les émancipations intellectuelles et sociales ont été faites malgré elle. Il était logique, fatal, que celles-ci se retournassent contre elle.
Longtemps rivée en France au Concordat, elle fut sans cesse en lutte sourde et systématique avec l'Etat. Cette union violentée, qui durait depuis un siècle, devait nécessairement aboutir au divorce. La loi de séparation l'a prononcé. Le premier usage que fit l'Eglise de sa liberté reconquise, ce fut de se jeter dans les bras des partis réactionnaires, prouvant par ce geste qu'elle n'a rien appris depuis un siècle, ni rien oublié.
Devenue solidaire des partis politiques démodés, l'Eglise catholique, celle de France surtout, se condamne par là même à mourir le même jour qu'eux et de la même mort : celle de l'impopularité. Un pape de génie, Léon XIII, essaya un moment de la dégager de toute compromission directe ou indirecte avec l'élément réactionnaire, mais il ne fut ni écouté ni obéi.
Son successeur, Pie X, reprenant la tradition de Pie IX, ne crut avoir rien de mieux à faire que d'appliquer les doctrines du Syllabus et de l'infaillibilité. Sous le nom vague de modernisme, il a jugé à propos d'anathématiser la société moderne et de frapper toute tentative de réconciliation ou de conciliation avec elle . La guerre religieuse faillit s'allumer aux quatre coins du pays. Le prestige de grandeur que Léon XIII avait rendu à l'Eglise, à force de génie diplomatique, s'est évanoui en quelques années. Le catholicisme refoulé dans le domaine de la conscience individuelle et privée, ne semble plus devoir vivre de la vie officielle et publique.
Encore une fois, quelle est la cause profonde de cet affaiblissement de la plus puissante institution de l'univers ? Les politiciens, les philosophes, les savants croiront la trouver dans les circonstances extérieures, en des raisons d'ordre sociologique. Nous, nous la chercherons au coeur même de l'Eglise. C'est d'un mal organique qu'elle se meurt ; chez elle, le foyer de la vie est atteint.
La vie de l'Eglise, c'était l'esprit de Jésus en elle. Le souffle du Christ, ce souffle divin de foi, de charité, de fraternité universelle, c'était là le moteur de ce vaste organisme, la pièce maîtresse de son fonctionnement vital. Or, depuis longtemps, l'esprit de Jésus semble avoir abandonné l'Eglise. Ce n'est plus le feu de la Pentecôte qui rayonne en elle et autour d'elle ; cette flamme généreuse s'est éteinte.
Elle fut pourtant grande et belle autrefois, l'Eglise de France. Elle fut l'asile des plus hauts esprits, des plus nobles intelligences. Aux temps barbares, elle était à la fois la science et la philosophie, l'art et la beauté, la foi et la prière. Les grands monastères, les célèbres abbayes devinrent les refuges de la pensée. Là se conservaient les trésors intellectuels, les débris du génie antique. Au treizième siècle, elle a inspiré une belle part de ce que l'esprit humain a produit de plus éclatant. Elle domptait tous ces hommes rudes, ces barbares à peine dégrossis ; elle les courbait d'un geste dans l'attitude de la prière.
Et maintenant, elle ne vit, elle ne brille plus que du reflet de sa grandeur passée. Où sont aujourd'hui, dans l'église, les penseurs et les artistes, les vrais prêtres et les saints ? Les chercheurs de vérités divines, les grands mystiques adorateurs du beau, les rêveurs d'infini y ont fait place aux politiciens batailleurs et aux marchands. La maison du Seigneur est transformée en banque et en tribune. L'Eglise a un royaume qui est de ce monde, et rien que de ce monde. Ce n'est plus le rêve divin qui la hante, mais des convoitises terrestres, une hautaine prétention à tout dominer, à tout diriger.
Les encycliques et les canons ont remplacé le sermon sur la montagne, et les enfants du peuple, les générations qui se succèdent, n'ont pour guide qu'un catéchisme bizarre, bourré de notions incompréhensibles, et qui ne saurait être d'un secours efficace aux heures difficiles de l'existence. De là vient l'irréligion du plus grand nombre. Le culte de certaine madone a rapporté jusqu'à deux millions par an, mais il n'y a pas une seule édition populaire de l'Evangile entre les mains des catholiques.
Toutes les tentatives pour faire pénétrer dans l'Eglise un peu d'air et de lumière, et comme un souffle des temps nouveaux, ont été étouffées, comprimées. Lamennais, H. Loyson, Didon furent contraints de se rétracter ou de quitter le « giron ». L'abbé Loisy a été chassé de sa chaire.
Courbée depuis des siècles sous le joug de Rome, l'Eglise a perdu toute initiative, toute force virile, toute velléité d'indépendance. L'organisation du catholicisme est telle, qu'aucune décision ne peut être prise, aucun acte s'accomplir, sans l'aveu ou le signal du pouvoir romain. Et Rome est pétrifiée dans sa pose hiératique comme la statue du Passé.
Le cardinal Meignan, parlant du Sacré Collège, disait un jour à un de mes amis : « Ils sont là, soixante-dix vieillards, ployés, non sous le poids des ans, mais sous celui des responsabilités, veillant à ce que pas un iota ne soit retranché du dépôt sacré, que pas un iota n'y soit ajouté. » Dans de telles conditions, l'Eglise catholique n'est plus, moralement, une institution vivante ; ce n'est plus un corps où circule la vie ; c'est une tombe, un sépulcre dans lequel la pensée humaine est comme ensevelie.

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Depuis de longs siècles, l'Eglise n'était plus qu'une puissance politique, admirablement hiérarchisée, organisée ; elle emplissait l'histoire du bruit de ses luttes retentissantes avec les empereurs et les rois, partageant avec eux l'hégémonie du monde. Elle avait conçu un plan grandiose : la chrétienté, c'est-à-dire l'ensemble des peuples catholiques massés, serrés comme une armée formidable autour du pape romain, souverain seigneur et point culminant de la féodalité. C'était grand, mais purement humain.
A l'Empire romain, miné par les Barbares, l'Eglise avait substitué l'Empire d'Occident, vaste et puissante institution autour de laquelle gravita le moyen âge tout entier. Tout disparaissait dans cette confédération politique et religieuse, d'où émergeaient uniquement deux têtes : le pape et l'empereur, « ces deux moitiés de Dieu ».
Jésus n'avait pas fondé la religion du Calvaire pour dominer les peuples et les rois, mais pour arracher les âmes au joug de la matière et prêcher, par la parole et l'exemple, l'unique dogme rédempteur : l'Amour.
Passons sur les despotismes solidaires de l'Eglise et des rois ; oublions l'Inquisition et ses victimes, et revenons aux temps actuels.
L'une des plus grandes fautes de l'Eglise romaine au dix-neuvième siècle a été la définition du dogme de l'infaillibilité personnelle du pontife romain. Un tel dogme, imposé comme article de foi, fut un défi jeté à la société moderne et à l'esprit humain.
Proclamer au vingtième siècle, en face d'une génération fiévreuse, tourmentée du mal de l'infini, devant des hommes et des peuples qui poursuivent la vérité sans pouvoir l'atteindre, qui recherchent la justice, la liberté, comme le cerf altéré cherche et désire l'onde de la fontaine et la source du torrent, proclamer, disons-nous, dans un tel monde en travail d'enfantement, qu'un seul homme sur la terre possède toute vérité, toute lumière, toute science, n'est-ce pas, nous le répétons, jeter un défi à l'humanité tout entière, à cette humanité condamnée sur la terre à la soif de Tantale, aux déchirements de Prométhée ?
L'Eglise catholique se relèvera difficilement de cette faute grave. Le jour où elle a divinisé un homme, elle a mérité le reproche d'idolâtrie que lui faisait Montalembert, lorsque, apprenant sur son lit de mort la définition de l'infaillibilité pontificale, il s'écria : « Jamais je n'adorerai l'idole du Vatican ! » Le mot idole est-il exagéré ? Comme les Césars romains à qui l'on offrait un culte, le pape affecte de se faire appeler pontife et roi. Qu'est-il, sinon le successeur des empereurs de Rome et de Byzance ? Son costume même, ses gestes, son attitude, l'étiquette surannée et le faste de sa curie, tout rappelle les pompes césariennes des plus mauvais jours, et n'est-ce pas l'éloquent orateur espagnol, le religieux Emilio Castelar, qui s'écriait un jour, en voyant Pie IX porté sur la sedia et allant processionnellement à Saint-Pierre : « Ce n'est pas là le pêcheur de Galilée, c'est un satrape de l'Orient ! »
La cause profonde de la déchéance et de l'impopularité de l'Eglise romaine est là : elle a mis le pape à la place de Dieu. L'esprit du Christ s'est retiré d'elle. En perdant la vertu d'en haut qui la soutenait, l'Eglise est tombée au pouvoir de la politique humaine. Elle n'est plus une institution d'ordre divin ; la pensée de Jésus ne l'inspire plus, et les dons merveilleux que l'Esprit de la Pentecôte lui avait communiqués se sont évanouis.
Bien plus : frappée d'aveuglement, comme les prêtres de la Synagogue antique à l'avènement de Jésus, l'Eglise a oublié le sens profond de sa liturgie et de ses mystères. Ses prêtres ne connaissent plus le sens caché des choses ; ils ont perdu le secret de l'initiation. Leurs gestes sont devenus stériles ; leurs bénédictions ne bénissent plus, leurs anathèmes ne maudissent pas. Ils sont redescendus au niveau commun, et le peuple, comprenant que leur puissance est vaine, que leur ministère est illusoire, s'est tourné vers d'autres pouvoirs et a encensé d'autres dieux.
Dans l'Eglise, la théologie a tué l'Evangile, comme dans la vieille Synagogue le Talmud avait dénaturé la Loi. Ce sont les partisans de la lettre qui aujourd'hui la dirigent. Une collectivité de fanatiques étroits et violents achèvera d'enlever à l'Eglise les derniers restes de sa grandeur, de consommer son impopularité. Nous assisterons probablement à la ruine progressive de cette institution, qui fut pendant vingt siècles l'éducatrice du monde, mais qui semble avoir forfait à sa véritable vocation.
S'ensuit-il que l'avenir religieux de l'humanité soit irrévocablement perdu, que le monde entier doive sombrer dans le matérialisme comme dans une mer bourbeuse ? Loin de là. Le règne de la lettre se meurt, celui de l'esprit commence. Le feu de la Pentecôte, qui abandonne le chandelier d'or de l'Eglise, vient allumer d'autres flambeaux. La véritable révélation s'inaugure dans le monde par la vertu de l'invisible. Quand le feu sacré s'éteint sur un point, c'est pour se ranimer ailleurs. Jamais la nuit totale ne couvre le monde de ses ténèbres. Il brille toujours quelque étoile au firmament.
L'âme humaine, par ses racines profondes, plonge dans l'infini. L'homme n'est pas un atome isolé dans le grand tourbillon vital. Son esprit est toujours en relation avec la Cause éternelle ; sa destinée fait partie intégrante des harmonies divines et de la vie universelle. Par la force des choses, l'homme se rapprochera de Dieu.
Nous assistons aujourd'hui au crépuscule des Eglises formalistes ; mais déjà nous pouvons pressentir l'aube initiale d'un astre qui se lève : celui du spiritualisme moderne.
A l'heure trouble où nous sommes, un grand combat se livre entre la lumière et la nuit.
Sursum corda ! C'est la vie éternelle qui s'ouvre radieuse, illimitée devant nous ! De même que dans l'infini des milliers de mondes sont emportés par leurs soleils vers l'incommensurable, en une course harmonieuse, rythmée comme une danse antique, et qu'aucun astre, aucune terre ne repasse jamais par un même point, ainsi les âmes, emportées par l'attraction magnétique de leur centre invisible, poursuivent leur évolution dans l'espace, sans cesse attirées par un Dieu dont elles s'approchent toujours sans l'atteindre jamais.
Reconnaissons que cette doctrine est autrement vaste que les dogmes exclusifs des Eglises mourantes, et que, si l'avenir appartient à quelque chose ou à quelqu'un, c'est vraisemblablement au spiritualisme universel, à cet Evangile de l'infini et de l'éternité !

I. - ORIGINE DES EVANGILES
Depuis un siècle environ, des travaux considérables, entrepris dans les divers pays chrétiens par des hommes occupant de hautes situations dans les Eglises et les Universités, ont permis de reconstituer les véritables origines et les phases successives de la tradition évangélique.
C'est surtout dans les centres de religion protestante que se sont élaborés ces travaux, si remarquables par leur érudition, leur caractère minutieux, et qui ont jeté de vives lumières sur les premiers temps du christianisme, sur le fond, la forme, la portée sociale des doctrines de l'Evangile .
Ce sont les résultats de ces travaux que nous exposerons brièvement ici, sous une forme que nous nous efforcerons de rendre plus simple que celle des exégètes protestants.
Le Christ n'a rien écrit. Ses paroles, répandues au long des chemins, ont été transmises de bouche en bouche, puis transcrites à des époques diverses, longtemps après sa mort. Une tradition religieuse populaire s'est formée peu à peu, tradition qui a subi une évolution constante jusqu'au quatrième siècle.
Durant cette période de trois cents ans, la tradition chrétienne n'est jamais restée stationnaire ni semblable à elle-même. En s'éloignant de son point de départ, à travers les temps et les lieux, elle s'est enrichie et diversifiée. Un puissant travail d'imagination s'est accompli, et, suivant les formes qu'ont revêtues les divers récits évangéliques, suivant leur origine hébraïque ou grecque, on a pu établir sûrement l'ordre dans lequel cette tradition s'est développée, fixer la date et la valeur des documents qui la représentent.
Pendant près d'un demi-siècle après la mort de Jésus, la tradition chrétienne, orale et vivante, est comme une eau courante à laquelle chacun peut puiser. Elle est propagée par la prédication, par l'enseignement des apôtres, hommes simples, illettrés , mais qu'illumine la pensée du Maître.
Ce n'est que de l'an 60 à l'an 80 qu'apparaissent les premières relations écrites, celle de Marc d'abord, qui est la plus ancienne ; puis les premiers récits attribués à Matthieu et à Luc, tous écrits fragmentaires et qui vont s'accroître par des additions successives comme toutes les oeuvres populaires .
C'est seulement vers la fin du premier siècle, de 80 à 98, qu'est né l'évangile de Luc, ainsi que celui de Matthieu, le primitif, actuellement perdu ; enfin, de 98 à 110, apparut, à Ephèse, l'évangile de Jean.
A côté de ces évangiles, seuls reconnus depuis par l'Eglise, un grand nombre d'autres voyaient le jour. On en connaît actuellement une vingtaine, mais, au troisième siècle, Origène en citait un nombre plus élevé. Luc y fait allusion dans le premier verset de l'oeuvre qui porte son nom.
Pour quelle raison ces nombreux documents ont-ils été déclarés apocryphes et rejetés ? Très probablement parce qu'ils étaient devenus gênants pour ceux qui, aux deuxième et troisième siècles, imprimèrent au christianisme une direction qui devait l'éloigner de plus en plus de ses formes primitives. Après avoir repoussé mille systèmes religieux qualifiés d'hérésies, cette action devait aboutir à la création de trois grandes religions dans lesquelles la pensée du Christ gît cachée, ensevelie sous les dogmes et les pratiques, comme en un tombeau .
Les premiers apôtres se bornaient à enseigner la paternité de Dieu et la fraternité humaine. Ils démontraient la nécessité de la pénitence, c'est-à-dire de la réparation de nos fautes. Cette purification était symbolisée par le baptême, pratique adoptée par les Esséniens, initiateurs de Jésus, auxquels les apôtres empruntaient encore la croyance à l'immortalité et à la résurrection, c'est-à-dire au retour de l'âme à la vie spirituelle, à la vie de l'espace.
De là, une morale et un enseignement qui attiraient de nombreux prosélytes autour des disciples du Christ, car ils ne contenaient rien qui ne pût s'allier à certaines doctrines juives, prêchées dans le Temple et dans les synagogues.
Avec Paul et après lui, des courants nouveaux s'établissent, et des doctrines confuses surgissent au sein des communautés chrétiennes. Successivement, la prédestination et la grâce, la divinité du Christ, la chute et la rédemption, la croyance à Satan et à l'enfer, seront jetées dans les esprits et viendront altérer la pureté et la simplicité de l'enseignement du fils de Marie.
Cet état de choses va se poursuivre et s'aggraver, en même temps que les convulsions politiques et sociales agiteront l'enfance du monde chrétien.
Les premiers Evangiles nous reportent à l'époque troublée où la Judée, soulevée contre les Romains, vit la ruine de Jérusalem et la dispersion du peuple juif (an 70). C'est au milieu du sang et des larmes qu'ils ont été écrits, et les espérances qu'ils expriment semblent jaillir d'un abîme de douleurs, alors que, dans les âmes attristées, s'éveille l'idéal nouveau, l'aspiration vers un monde meilleur, appelé « royaume des cieux », où seront redressées toutes les injustices présentes.
A cette époque, tous les apôtres, à l'exception de Jean et de Philippe, étaient morts ; le lien qui unissait les chrétiens étaient encore bien faible. Ceux-ci formaient des groupes isolés les uns des autres et portant le nom d'églises (ecclesia, assemblée), dirigés chacun par un évêque ou surveillant nommé à l'élection.
Chaque église était livrée à ses propres inspirations ; elle n'avait, pour se diriger, qu'une tradition incertaine, fixée en quelques manuscrits, qui résumaient plus ou moins fidèlement les actes et les paroles de Jésus, et que chaque évêque interprétait à son gré.
Ajoutons à ces difficultés si grandes celles provenant de la fragilité des parchemins, à une époque où l'imprimerie était inconnue, l'inintelligence de certains copistes, tous les maux que peut faire naître l'absence de direction et de contrôle, et nous comprendrons aisément que l'unité de doctrine et de croyance n'ait pu se maintenir en des temps aussi tourmentés.
Les trois Evangiles synoptiques  sont fortement imprégnés de la pensée judéo-chrétienne des apôtres, mais déjà l'évangile de Jean s'inspire d'une autre influence. On y trouve un reflet de la philosophie grecque, rajeunie par les doctrines de l'école d'Alexandrie.
Vers la fin du premier siècle, les disciples des grands philosophes grecs avaient ouvert des écoles dans toutes les villes importantes de l'Orient. Les chrétiens se trouvant en contact avec eux, des discussions fréquentes s'élevaient entre les partisans des diverses doctrines. Recrutés dans les rangs inférieurs de la population, peu lettrés pour la plupart, les chrétiens étaient mal préparés à ces luttes de la pensée. De leur côté, les théoriciens grecs furent frappés de la grandeur et de l'élévation morale du christianisme. De là un rapprochement, une pénétration des doctrines, qui se produisit sur certains points. Le christianisme naissant subissait peu à peu l'influence grecque, qui l'amenait à faire du Christ, le Verbe, le Logos de Platon.
II. - AUTHENTICITE DES EVANGILES
Dans les temps reculés, bien avant la venue de Jésus, la parole des prophètes, comme un rayon voilé de la vérité, préparait les hommes aux enseignements plus profonds de l'Evangile.
Mais, déjà travesti par la version des Septante, l'Ancien Testament ne donnait plus, dans les derniers siècles avant le Christ, qu'une vague intuition des vérités supérieures .
« Les vérités éternelles, qui sont les pensées de Dieu », - nous dit une individualité éminente de l'espace, - « ont été communiquées au monde à toutes les époques, apportées dans tous les milieux, mises à la portée des intelligences avec une paternelle bonté. Mais l'homme les a souvent méconnues. Dédaigneux des principes enseignés, emporté par ses passions, il a passé de tout temps près de grandes choses sans les voir. Cette insouciance du beau moral, cause de décadence et de corruption, pousserait les nations à leur perte, si la main de l'adversité et les grandes commotions de l'histoire, en secouant profondément les âmes, ne les ramenaient vers ces vérités. »
Jésus vint, esprit puissant, missionnaire divin, médium inspiré. Il vint, s'incarnant parmi les humbles, afin de donner à tous l'exemple d'une vie simple et cependant pleine de grandeur, vie d'abnégation et de sacrifice, qui devait laisser sur la terre des traces ineffaçables.
La grande figure de Jésus dépasse toutes les conceptions de la pensée. C'est pourquoi elle n'a pu être créée par l'imagination. Dans cette âme, d'une sérénité céleste, on ne voit aucune tache, aucune ombre. Toutes les perfections se fondent en elle avec une harmonie si parfaite qu'elle nous apparaît comme l'idéal réalisé.
Sa doctrine, toute d'amour et de lumière, s'adresse surtout aux pauvres et aux affligés, à ces femmes, à ces hommes du peuple courbés vers la terre, à ces intelligences écrasées sous le poids de la matière et qui attendent, dans l'épreuve et la souffrance, la parole de vie qui doit les consoler et les réchauffer.
Et cette parole, elle leur est donnée avec une si pénétrante douceur, elle exprime une foi si communicative, qu'elle chasse tous leurs doutes et les entraîne sur les pas du Christ.
Ce que Jésus appelait prêcher aux simples « l'évangile du royaume des cieux », c'était mettre à la portée de tous la connaissance de l'immortalité et du Père commun, du Père dont on entend la voix dans la paix du coeur, dans le calme de la conscience.
Peu à peu cette doctrine, transmise verbalement dans les premiers temps du christianisme, s'altère et se complique, sous l'influence des courants contraires qui agitent la société chrétienne.
Les apôtres, choisis par Jésus pour continuer sa mission, avaient bien su le comprendre ; ils avaient reçu l'impulsion de sa volonté, et de sa foi. Mais leurs connaissances étaient restreintes, et ils ne purent que conserver pieusement, par la mémoire du coeur, les traditions, les pensées morales et le désir de régénération qu'il avait déposés en eux.
Dans la course à travers le monde, les apôtres se bornent donc à créer, de ville en ville, des groupes de chrétiens, à qui ils révèlent les principes essentiels, puis, hâtivement, vont porter la « bonne nouvelle » à d'autres contrées.
Les Evangiles, écrits au milieu des convulsions qui marquent l'agonie du monde juif, puis sous l'influence des discussions qui signalent les premiers temps du christianisme, se ressentent des passions, des préjugés de l'époque et du trouble des esprits. Chaque groupe de fidèles, chaque communauté a ses évangiles, qui diffèrent plus ou moins des autres . De grandes querelles dogmatiques agitent le monde chrétien et provoquent des troubles sanglants dans l'Empire, jusqu'à ce que Théodose, en donnant la suprématie à la papauté, impose l'opinion de l'évêque de Rome à la chrétienté. Dès lors, la pensée, trop féconde créatrice de systèmes divers, sera comprimée.
Afin de mettre un terme à ces divergences de vues, au moment même où plusieurs conciles viennent de discuter sur la nature de Jésus, les uns admettant, les autres rejetant sa divinité, le pape Damase confie à saint Jérôme, en 384, la mission de rédiger une traduction latine de l'Ancien et du Nouveau Testament. Cette traduction devra, désormais, être seule considérée comme orthodoxe et deviendra la règle des doctrines de l'Eglise ; c'est elle qui porte le nom de Vulgate.
Ce travail soulevait de grandes difficultés. Saint Jérôme se trouvait, ainsi qu'il le dit lui-même, en présence d'autant d'exemplaires que de copies. Cette variété infinie des textes l'obligeait à un choix et à des remaniements profonds. C'est ce que, effrayé des responsabilités encourues, il expose dans les préfaces de son oeuvre, préfaces réunies en un livre célèbre. Voici, par exemple, celle qu'il adresse au pape Damase, en tête de sa traduction latine des Evangiles :
« D'un ancien ouvrage, vous m'obligez à en faire un nouveau. Vous voulez que je me place en quelque sorte comme arbitre entre les exemplaires des Ecritures qui sont dispersés dans tout le monde, et, comme ils diffèrent entre eux, que je distingue ceux qui sont d'accord avec le véritable texte grec. C'est là un pieux labeur, mais c'est aussi une périlleuse hardiesse de la part de celui qui doit être jugé par tous, de juger lui-même les autres, de vouloir changer la langue d'un vieillard et de ramener à l'enfance le monde déjà vieux.
« Quel est, en effet, le savant et même l'ignorant, qui, lorsqu'il aura en main un exemplaire (nouveau), après l'avoir parcouru seulement une fois, voyant qu'il est en désaccord avec celui qu'il est habitué à lire, ne se mette aussitôt à pousser des cris, prétendant que je suis un sacrilège, un faussaire, parce que j'aurai osé ajouter, changer, corriger quelque chose dans les livres anciens ? [ Me clamitans esse sacrilegum qui audeam aliquid in veteribus libris addere, mutare, corrigere.  ]
« Un double motif me console de cette accusation. Le premier, c'est que vous, qui êtes le souverain pontife, m'ordonnez de le faire ; le second, c'est que la vérité ne saurait exister dans des choses qui différent, alors même qu'elles auraient pour elles l'approbation des méchants. »
Saint Jérôme termine ainsi :
« Cette courte préface s'applique seulement aux quatre Evangiles, dont l'ordre est le suivant : Matthieu, Marc, Luc, Jean. Après avoir comparé un certain nombre d'exemplaires grecs, mais des anciens, qui ne s'éloignent pas beaucoup de la version italique, nous les avons combinés de telle manière (ita calamo temperavimus) que, corrigeant seulement ce qui nous paraissait altérer le sens, nous avons maintenu le reste tel qu'il était. » (Oeuvres de saint Jérôme, édition des Bénédictins, 1693, t. I, col. 1425.)
Ainsi, c'est d'après une première traduction de l'hébreu en grec, pour les copies portant les noms de Marc et de Matthieu ; c'est, à un point de vue plus général, d'après de nombreux textes dont chaque copie diffère des autres, (tot sunt enim exemplaria quot codices), que se constitue la Vulgate, traduction corrigée, augmentée, modifiée comme l'avoue l'auteur, de manuscrits anciens.
Cette traduction officielle, qui devait être définitive dans la pensée de celui qui en avait ordonné l'exécution, fut cependant remaniée elle-même à différentes époques par l'ordre des pontifes romains. Ce qui avait paru bon de l'an 386 à l'an 1586, ce qui avait été approuvé en l'an 1546 par le concile oecuménique de Trente, fut déclaré insuffisant et erroné par Sixte-Quint en 1590. Une nouvelle révision fut faite par ses ordres ; l'édition qui en résulta et qui portait son nom fut elle-même modifiée par Clément VIII. C'est l'édition, en usage aujourd'hui, d'après laquelle ont été faites les traductions françaises des livres canoniques, soumis à tant de remaniements à travers les siècles.
Cependant, malgré toutes ces vicissitudes, nous n'hésitons pas à admettre l'authenticité des Evangiles dans leurs textes primitifs. La parole du Christ y éclate avec puissance ; tout doute s'évanouit sous le rayonnement de sa personnalité sublime. Sous le sens altéré ou caché, on voit poindre la force de l'idée première. La main du grand semeur s'y révèle ; dans la profondeur de ces enseignements, unie à la beauté morale et à l'amour, on sent l'oeuvre d'un envoyé céleste.
Mais, à côté de cette main puissante, la faible main de l'homme s'est glissée dans ces pages, y introduisant des conceptions débiles, mal reliées aux pensées premières et, à côté des envolées de l'âme, provoquant l'incrédulité.
Si les Evangiles s'imposent sur bien des points, il convient cependant d'en soumettre l'ensemble au contrôle de la raison. Toutes les paroles, tous les faits qui y sont consignés ne sauraient être attribués au Christ.
A travers les temps qui séparent la mort de Jésus de la rédaction définitive des Evangiles, bien des pensées sublimes ont été oubliées, bien des faits contestables acceptés comme réels, bien des préceptes, mal interprétés, ont dénaturé l'enseignement primitif. Pour les besoins d'une cause, les plus belles, les plus fortes branches de cet arbre de vie ont été élaguées. On a étouffé avant leur éclosion les principes fortifiants qui eussent amené les peuples à la vraie croyance, celle qu'ils cherchent encore aujourd'hui.
La pensée du Christ subsiste dans l'enseignement de l'Eglise et dans les textes sacrés, mais elle s'y trouve mélangée de vues ultérieures, d'éléments divers, introduits par les papes et les conciles, dont le but était d'assurer, de fortifier, de rendre inébranlable l'autorité de l'Eglise. C'est là l'objectif poursuivi à travers les siècles, la pensée qui a inspiré tous les remaniements apportés aux documents primitifs. Malgré tout, ce qui reste dans l'Eglise d'esprit évangélique, vraiment chrétien, a suffi pour engendrer des oeuvres admirables, oeuvres de charité qui ont fait la gloire des églises chrétiennes et qui jurent de se trouver associées à tant d'entreprises ambitieuses, inspirées par l'amour de la domination et des biens matériels.
Un grand travail serait nécessaire pour séparer la véritable pensée du Christ des éléments étrangers contenus dans les Evangiles, travail possible, quoique ardu, pour les inspirés que guide une intuition sûre, mais labeur impossible pour ceux que leurs propres facultés seules dirigent dans ce dédale, où les fictions se mêlent aux réalités, le profane au sacré, la vérité à l'erreur.
Dans tous les siècles, certains hommes, poussés par une force supérieure, se sont consacrés à cette tâche, cherchant à dégager la pensée suprême des ombres accumulées autour d'elle.
Soutenus, éclairés par cette étincelle divine qui ne brille que d'une façon intermittente pour les hommes, mais dont le foyer ne s'éteint jamais, ils ont affronté toutes les accusations, tous les supplices, pour affirmer ce qu'ils pensaient être la vérité. Tels furent les apôtres de la Réforme. Ils sont morts à la peine, et, du sein de l'espace, ils soutiennent encore et inspirent ceux qui luttent pour l'émancipation des âmes. Grâce à tant d'efforts, la nuit commence à se dissiper devant l'aurore d'une révélation plus puissante.
C'est à l'aide des lumières apportées par cette nouvelle révélation, à la fois scientifique et philosophique, déjà répandue dans le monde entier sous le nom de spiritisme ou spiritualisme moderne, que nous chercherons à dégager la doctrine de Jésus des obscurités dont l'a enveloppée le travail des siècles. Nous arriverons ainsi à conclure que cette doctrine et celle des Esprits sont identiques, que le spiritisme est simplement le retour au christianisme primitif, sous des formes plus précises, avec un cortège imposant de preuves expérimentales qui empêchera tout accaparement ultérieur, tout retour des causes qui ont dénaturé la pensée du Christ.

III. - SENS CACHE DES EVANGILES
Une certaine école attribue au christianisme en général, et aux Evangiles en particulier, un sens allégorique et caché. Certains penseurs et philosophes vont même jusqu'à nier l'existence de Jésus ; ils voient en lui, dans ses paroles, dans les faits de sa vie, une idée philosophique, une abstraction, à laquelle on donna un corps pour satisfaire la tradition qui annonçait un sauveur, un messie au peuple juif.
D'après eux, l'histoire de Jésus ne serait qu'un drame poétique représentant la naissance, la mort, la résurrection de l'idée libératrice au sein du peuple hébreu asservi, ou bien une série de figures imaginées pour rendre sensible aux masses le côté pratique et social du christianisme, l'union des types divin et humain en un modèle de perfection offert à l'admiration des hommes.
Si l'on acceptait cette thèse, les Evangiles devraient être considérés comme des inventions, des fables. Le puissant mouvement du christianisme aurait eu pour point de départ une imposture. Il y a là une exagération évidente. Si la vie de Jésus n'est qu'une fiction, comment a-t-elle pu être acceptée par ses contemporains d'abord, puis par une longue suite de générations ?
Quels seraient donc les véritables fondateurs du christianisme ? les apôtres ? Ils étaient incapables de telles conceptions. A l'exception de Paul, qui trouva une doctrine déjà formée, leur insuffisance est notoire. La personnalité éminente de Jésus se détache avec vigueur sur le fond de médiocrité de ses disciples. La moindre comparaison fait ressortir l'impossibilité d'une telle hypothèse.
On a pu distinguer dans les Evangiles les additions des chrétiens juifs ; elles décèlent clairement leur origine et forment un contraste frappant avec les paroles et la doctrine de Jésus . Il en résulte un fait évident, c'est que des auteurs, imbus à ce point, de vues étroites et superstitieuses, étaient incapables d'inventer une personnalité, une doctrine, une vie, une mort comme celles du Christ.
Dans ce monde juif, sombre et exclusif, où régnaient l'égoïsme et la haine, la doctrine de fraternité et d'amour ne pouvait émaner que d'une intelligence hors de pair.
Si les Ecritures n'étaient dans leur ensemble qu'un échafaudage d'allégories, une oeuvre d'imagination, la doctrine de Jésus n'aurait pu se maintenir à travers les siècles au milieu des courants divers qui ont agité la société chrétienne. Construction sans base, elle se serait désagrégée, écroulée sous le souffle des temps. Elle est debout cependant et domine les siècles malgré les altérations subies, malgré tout ce que les hommes ont fait pour la défigurer, pour la noyer sous les flots d'une interprétation erronée.
La croyance à un mythe n'eût pas suffi à inspirer aux premiers chrétiens l'esprit de sacrifice, l'héroïsme en face de la mort ; elle ne leur aurait pas fourni les moyens de fonder une religion qui dure depuis vingt siècles. La vérité seule peut défier les âges et conserver sa force, sa morale, sa grandeur, malgré les efforts de la sape qui cherche à la ruiner. Jésus est bien la pierre angulaire du christianisme, l'âme de la révélation nouvelle. Il en fait toute l'originalité.
D'ailleurs, les témoignages historiques de l'existence de Jésus, quoique en petit nombre, ne font pas absolument défaut.
Suétone, dans l'histoire des premiers Césars, parle du supplice de « Christus ». Tacite et lui mentionnent l'existence de la secte chrétienne chez les Juifs avant la prise de Jérusalem par Titus.
Le Talmud parle de la mort de Jésus sur la croix, et tous les rabbins israélites reconnaissent la haute valeur de ce témoignage .
Au besoin, l'Evangile suffirait seul à nous fournir la preuve morale de l'existence et de la haute mission du Christ. Si nombre de faits apocryphes y ont été introduits après coup, si les superstitions juives s'y retrouvent sous la forme de récits fantaisistes et de théories surannées, il y subsiste deux choses qui n'ont pu être inventées et qui portent en elles-mêmes un imposant caractère d'authenticité : c'est le drame sublime du Calvaire, c'est la douce et profonde doctrine de Jésus.
Cette doctrine était simple et claire dans ses principes essentiels ; elle s'adressait à la foule, surtout aux humbles et aux déshérités. Tout, en elle, était fait pour toucher les coeurs, pour porter les âmes à l'enthousiasme, en éclairant, en fortifiant les consciences. Elle renferme cependant les traces d'un enseignement secret. Jésus parle souvent en paraboles. Sa pensée, si lumineuse d'ordinaire, se noie parfois dans une demi-obscurité. On n'aperçoit plus alors que les contours vagues d'une grande idée, dissimulée sous le symbole.
C'est ce qu'il explique lui-même lorsque, citant Isaïe (ch. VI, 9), il ajoute :
« Je leur parle par des similitudes, parce qu'il vous est donné de connaître les mystères du royaume des cieux, mais cela ne leur est point donné. » (Matth., XIII, 10 et 11.)
Il est évident qu'il y avait deux doctrines dans le christianisme primitif : celle destinée au vulgaire et présentée sous des formes accessibles à tous, et une doctrine cachée, réservée aux disciples et aux initiés. C'est ce qui existait d'ailleurs dans toutes les philosophies et religions de l'antiquité .
La preuve de l'existence de cet enseignement secret se trouve dans les paroles déjà citées et dans celles qui suivent la parabole du semeur, contenue dans les trois évangiles synoptiques. Les disciples demandent à Jésus le sens de cette parabole, et il leur répond :
« Il vous est donné de connaître le mystère du royaume de Dieu ; mais pour ceux qui sont de dehors, tout se traite par des paraboles ;
« De sorte qu'en voyant, ils voient et n'aperçoivent point ; et qu'en entendant, ils entendent et ne comprennent point. » (Marc, IV, 11 et 12 ; Luc, VIII, 10.)
Saint Paul le confirme dans sa première Epître aux Corinthiens, chapitre III, lorsqu'il distingue le langage à tenir à des hommes charnels ou à des hommes spirituels, c'est-à-dire à des profanes ou à des initiés.
L'initiation était graduelle, sans doute. Ceux qui la recevaient étaient oints et, après avoir reçu l'onction, entraient dans la communion des saints. C'est ce qui rend compréhensibles ces paroles de Jean :
« Vous avez reçu l'onction de la part du saint, et vous connaissez toutes choses. Je vous ai donc écrit, non comme à des gens qui ne connaissent pas la vérité, mais comme à des personnes qui la connaissent. » (I° Epître de saint Jean, ch. II, 20, 21, 27.)
A l'époque de sa controverse avec Celse, Origène défendit énergiquement le christianisme. Dans sa chaleureuse apologie, il parle souvent des enseignements secrets de la religion nouvelle. Celse ayant reproché à celle-ci son caractère mystérieux, Origène réfute ces critiques en lui prouvant que si, sur certains points spéciaux, les initiés seuls recevaient un enseignement complet, d'autre part, la doctrine chrétienne, dans son sens général, était mise à la portée de tous. Et la preuve en est, dit-il, que le monde entier, ou peu s'en faut, est plus au courant de cette doctrine que des opinions favorites des philosophes. Ce double système d'enseignement, continue-t-il en substance, est d'ailleurs usité dans toutes les écoles. Pourquoi en faire un reproche à la seule doctrine chrétienne ? Les nombreux mystères célébrés en Grèce et en d'autres pays ne sont-ils pas reconnus par tous ?
Le fondateur du christianisme ne séparait pas l'idée religieuse de son application sociale. Le « royaume des cieux » était pour lui cette société parfaite des esprits dont il voulait réaliser l'image sur la terre. Mais il devait se heurter aux intérêts établis et susciter autour de lui mille obstacles, mille dangers. De là une nouvelle raison de cacher sous le mythe la parabole, le mystère, ce qui, dans sa doctrine, allait choquer les idées régnantes et menacer les institutions politiques ou religieuses.
Les obscurités de l'Evangile sont donc calculées, intentionnelles. Les vérités supérieures s'y cachent sous des voiles symboliques. On y enseigne à l'homme ce qui lui est nécessaire pour se conduire moralement dans la pratique de la vie ; mais le sens profond, le sens philosophique de la doctrine, est réservé au petit nombre.
En cela consistait la « communion des saints », la communion des pensées élevées, des hautes et pures aspirations. Cette communion dura peu. Les passions terrestres, les ambitions, les égoïsmes l'eurent bientôt détruite. La politique s'introduisit dans le sacerdoce. Les évêques, d'humbles adeptes, de modestes « surveillants » qu'ils étaient à l'origine, devinrent puissants et autoritaires. La théocratie se reconstitua ; elle trouva intérêt à mettre la lumière sous le boisseau et la lumière s'éteignit. La pensée profonde disparut. Les symboles matériels, seuls, restèrent. Cette obscurité rendait plus facile le gouvernement des foules. On préféra laisser les masses plongées dans l'ignorance, plutôt que de les élever vers les hauteurs intellectuelles. Les mystères chrétiens ne furent plus expliqués aux gens d'église. On poursuivit même comme hérétiques les penseurs, les chercheurs sincères qui s'efforçaient de ressaisir les vérités perdues. La nuit se fit de plus en plus épaisse sur le monde, après la dissolution de l'empire romain. La croyance à Satan et à l'enfer prit une place prépondérante dans la foi chrétienne. Au lieu de la religion de l'amour prêchée par Jésus, on eut la religion de la peur.
L'invasion des barbares avait contribué puissamment à faire naître cet état de choses. Elle ramena la société à l'état d'enfance, car les envahisseurs, au point de vue de la raison, n'étaient que des enfants. Du sein des vastes steppes et des forêts profondes, le monde barbare se ruait sur la civilisation. Toutes ces multitudes ignorantes et grossières, que le christianisme amena à lui, causèrent dans le monde païen en décadence et dans le milieu nouveau où elles pénétraient, un abaissement intellectuel.
Le christianisme réussit à les dompter, à les soumettre, mais à son propre détriment. L'idéal divin se voila ; le culte devint matériel. Pour frapper l'imagination des foules, on revint à des pratiques idolâtres, dignes des premiers âges de l'humanité. Afin de dominer ces âmes et de les conduire par la crainte ou par l'espérance, on combina des dogmes étranges. Il ne fut plus question de réaliser dans le monde ce règne de Dieu et de sa justice, qui avait été l'idéal des premiers chrétiens. Puis l'annonce de la fin du monde et du jugement dernier, pris à la lettre, les préoccupations du salut individuel, exploitées par les prêtres, mille causes détournèrent le christianisme de sa véritable voie et noyèrent la pensée de Jésus sous un flot de superstitions.
Mais, à côté de ces maux, il faut rappeler les services rendus par l'Eglise à la cause de l'humanité. Sans sa hiérarchie et sa forte organisation, sans la papauté qui opposa le pouvoir de l'idée, quoique obscurcie et dénaturée, à la puissance du glaive, on peut se demander ce que serait devenue la vie morale, la conscience de l'humanité. Au milieu des siècles de violence et de ténèbres, la foi chrétienne anima les peuples barbares d'une ardeur nouvelle, qui les poussa à des oeuvres généreuses, comme les croisades, la fondation de la chevalerie, la création des arts du moyen âge. Dans le silence et l'obscurité des cloîtres, la pensée trouva un refuge. La vie morale, grâce aux institutions chrétiennes, ne s'éteignit pas, malgré les moeurs brutales de l'époque. Ce sont là des services dont il faut tenir compte à l'Eglise, quels que soient les moyens dont elle s'est servie pour s'assurer l'empire des âmes.
En résumé, la doctrine du grand Crucifié, dans ses formes populaires, voulait la conquête de la vie éternelle par le sacrifice du présent. Religion du salut, de l'élévation de l'âme par la domination de la matière, elle constituait une réaction nécessaire contre le polythéisme grec et romain, plein de vie, de poésie, de lumière, mais qui n'était plus alors qu'un foyer de sensualisme et de corruption. Le christianisme devenait une étape indispensable dans la marche de l'humanité, dont la destinée est de s'élever sans cesse de croyances en croyances, de conceptions en conceptions, vers des synthèses toujours plus larges et plus fécondes.
Avec ses douze siècles de douleurs et de ténèbres, le christianisme n'a pas été une ère de bonheur pour la race humaine ; mais le but de la vie terrestre n'est pas le bonheur, c'est l'élévation par le travail, par l'étude et la souffrance ; c'est l'éducation de l'âme, en un mot, et la voie douloureuse mène plus sûrement à la perfection que celle des jouissances.
Le christianisme représente donc une phase de l'histoire de l'humanité qui a été profitable pour celle-ci ; elle n'eût pas été capable de réaliser les oeuvres sociales qui assureront son avenir, si elle ne s'était imprégnée de la pensée et de la morale évangéliques.
L'Eglise s'est rendue coupable, cependant, en travaillant à prolonger indéfiniment l'état d'ignorance de la société. Après avoir nourri et protégé l'enfant, elle a voulu le maintenir en état de soumission et de servitude intellectuelle. Elle n'a sauvé la conscience que pour mieux l'opprimer.
L'Eglise romaine n'a pas su conserver le flambeau divin dont elle était dépositaire, et, par un châtiment d'en haut, ou plutôt par un juste retour des choses, la nuit qu'elle voulait pour les autres s'est faite en elle-même. Elle n'a pas cessé de faire obstacle au développement des sciences et de la philosophie, jusqu'à proscrire, du haut de la chaire de saint Pierre, « le progrès - cette loi éternelle - le libéralisme et la civilisation moderne » (article 80 du Syllabus).
Aussi c'est en dehors d'elle, et c'est contre elle, à partir d'une certaine heure de l'histoire, que s'est réalisé tout le mouvement, toute l'évolution de l'esprit humain. Il a fallu des siècles d'efforts pour dissiper l'obscurité qui pesait sur le monde au sortir du moyen âge. Il fallut la renaissance des lettres, la réforme religieuse du seizième siècle, la philosophie, toutes les conquêtes de la science, pour préparer le terrain à la révélation nouvelle, à ces voix d'outre-tombe qui viennent, par milliers et sur tous les points de la terre, rappeler les hommes aux purs enseignements du Christ, rétablir sa doctrine, rendre compréhensibles pour tous les vérités supérieures, ensevelies sous l'ombre des temps.
IV. - LA DOCTRINE SECRETE
Quelle est la véritable doctrine du Christ ? Ses principes essentiels sont clairement énoncés dans l'Evangile. C'est l'universelle paternité de Dieu et la fraternité des hommes, avec les conséquences morales qui en découlent ; c'est la vie immortelle ouverte à tous et permettant à chacun de réaliser en soi le « royaume de Dieu », c'est-à-dire la perfection, par le détachement des biens matériels, le pardon des injures et l'amour du prochain.
Aimer, pour Jésus, c'est en un seul mot toute la religion, c'est toute la philosophie :
« Aimez vos ennemis ; faites du bien à ceux qui vous persécutent et vous calomnient, afin que vous soyez les enfants de votre Père qui est dans les cieux, qui fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants et fait pleuvoir sur les justes et les injustes. Car, si vous n'aimez que ceux qui vous aiment, quelle récompense en aurez-vous ? » (Matthieu, V, 44 et suiv.)
Cet amour, Dieu lui-même nous en donne l'exemple, car toujours ses bras sont ouverts au pécheur :
« Ainsi votre Père qui est dans les cieux ne veut pas qu'un seul de ces petits périsse. »
Le sermon sur la montagne résume en traits ineffaçables l'enseignement populaire de Jésus. La loi morale y est exprimée sous une forme que nul n'a égalée. Les hommes y apprennent que les plus sûrs moyens d'élévation sont les vertus humbles et cachées.
« Heureux les pauvres en esprit (c'est-à-dire les esprits simples et droits), car le royaume des cieux est à eux. - Heureux ceux qui pleurent, car ils seront consolés. -Heureux ceux qui sont affamés de justice, car ils seront rassasiés. - Heureux ceux qui sont miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde. - Heureux ceux qui ont le coeur pur, car ils verront Dieu. » (Matth., V, 1 à 12 ; Luc, VI, 20 à 25.)
Ce que veut Jésus, ce n'est pas un culte fastueux ; ce n'est pas une religion sacerdotale, riche en cérémonies et en pratiques qui étouffent la pensée ; non, c'est un culte simple et pur, tout de sentiment, consistant dans le rapport direct, sans intermédiaire, de la conscience humaine avec Dieu, son père :
« Le temps vient où les vrais croyants adoreront le Père en esprit et en vérité, car ce sont là les adorateurs que le Père cherche. Dieu est esprit, et il faut que ceux qui l'adorent, l'adorent en esprit et en vérité. »
L'ascétisme est chose vaine. Jésus se borne à prier et à méditer dans les lieux solitaires, dans ces temples naturels qui ont pour colonnes les montagnes, pour coupole le dôme des cieux, et d'où la pensée s'élève plus librement vers le Créateur.
A ceux qui croient se sauver par le jeûne et l'abstinence, il dit :
« Ce n'est pas ce qui entre dans la bouche qui souille l'âme, mais ce qui en sort. »
Aux partisans des longues oraisons :
« Votre Père sait de quoi vous avez besoin avant que vous le lui demandiez. »
Il n'impose que la charité, la bonté, la simplicité :
« Ne jugez pas et vous ne serez point jugés. Pardonnez et on vous pardonnera. Soyez miséricordieux, comme votre Père céleste est miséricordieux. Donner est plus doux que recevoir.
« Celui qui s'humilie sera élevé ; celui qui s'élève sera humilié.
« Que ta main gauche ne sache pas ce que fait ta droite, afin que ton aumône reste dans le secret, et alors ton Père qui voit dans le secret te la rendra. »
Et tout se résume en ces mots, d'une éloquente concision :
« Aimez votre prochain comme vous-mêmes et soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait. C'est là toute la loi et les prophètes. »
Sous la douce et suave parole de Jésus, tout imprégnée du sentiment de la nature, cette doctrine revêt un charme pénétrant, irrésistible. Elle est pleine de tendre sollicitude pour les faibles et les déshérités. C'est la glorification, c'est l'exaltation de la pauvreté, de la simplicité. Les biens matériels nous rendent esclaves ; ils enchaînent l'homme à la terre. La richesse est une entrave ; elle arrête les essors de l'âme ; elle la retient loin du « royaume de Dieu ». Le renoncement, l'humilité, détachent ces liens et facilitent notre ascension vers la lumière.
C'est par là que la doctrine évangélique est restée à travers les siècles la plus haute expression du spiritualisme, le suprême remède aux maux terrestres, la consolation des âmes affligées en cette traversée de la vie, semée de tant d'angoisses et de larmes. C'est elle qui fait encore, en dépit des éléments étrangers qui y ont été mêlés, toute la grandeur, toute la puissance morale du christianisme.

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La doctrine secrète allait plus loin. Sous le voile des paraboles et des fictions, elle cachait des vues profondes. Cette immortalité promise à tous, elle en précisait les formes en affirmant la succession des vies terrestres, dans lesquelles l'âme, réincarnée en des corps nouveaux, subissait les conséquences de ses existences antérieures et préparait les conditions de sa destinée future. Elle enseignait la pluralité des mondes habités, les alternances de vie de chaque être, dans le monde terrestre où il reparaît à la naissance, dans le monde spirituel où il retourne à la mort, recueillant dans l'un et l'autre de ces milieux les fruits bons ou mauvais de son passé. Elle enseignait l'union étroite et la solidarité de ces deux mondes et, par suite, la communication possible de l'homme avec les esprits des morts qui peuplent l'étendue.
De là, l'amour actif, non seulement pour ceux qui souffrent dans le cercle de l'existence terrestre, mais aussi pour les âmes qui errent autour de nous, poursuivies par de douloureux souvenirs. De là, le dévouement pour les deux humanités, visible et invisible, la loi de fraternité dans la vie et dans la mort, et la célébration de ce que l'on appelait « les mystères », la communion par la pensée et par le coeur avec ceux, esprits bons ou médiocres, inférieurs ou élevés, qui composent ce monde invisible dont nous sommes entourés, et sur lequel s'ouvrent deux issues par où passent alternativement tous les êtres : le berceau et la tombe.
La loi de réincarnation est indiquée dans plusieurs passages de l'Evangile. Elle doit être considérée sous deux aspects différents : le retour dans la chair des esprits en voie de perfectionnement, la réincarnation des esprits envoyés sur terre en mission.
Dans son entretien avec Nicodème, Jésus s'exprime ainsi :
« En vérité, je vous le dis, si quelqu'un ne naît de nouveau, il ne peut voir le royaume de Dieu. » Nicodème lui objecte : « Comment un homme peut-il renaître, étant devenu vieux ? » Jésus répond : « En vérité, je vous dis que si un homme ne renaît de l'eau et de l'esprit, il ne peut entrer dans le royaume de Dieu. Ce qui est né de la chair est chair, et ce qui est né de l'esprit est esprit. Ne t'étonne point de ce que je t'ai dit : Il faut que vous naissiez de nouveau. Le vent souffle où il veut, et tu en entends le bruit, mais tu ne sais ni d'où il vient ni où il va. Il en est de même de tout homme qui est né de l'esprit. » (Jean, III, 3 à 8.)
Jésus ajoute ces paroles significatives :
« Tu es maître en Israël, et tu ignores ces choses ? »
Ce qui démontre qu'il ne s'agissait pas du baptême, qui était connu des Juifs et de Nicodème, mais bien de la réincarnation déjà enseignée par le Zohar, livre sacré des Hébreux .
Ce vent ou cet esprit qui souffle où il veut, c'est l'âme qui choisit un nouveau corps, une nouvelle demeure, sans que les hommes sachent d'où elle vient ni où elle va. C'est la seule explication satisfaisante.
Dans la Kabbale hébraïque, l'eau, c'était la matière primaire, l'élément fructifiant. Quant à l'expression Saint-Esprit, qui se trouve dans le texte et qui le rend incompréhensible, il faut remarquer que le mot Saint n'y figure pas à l'origine et qu'il a été introduit longtemps après, ainsi que dans beaucoup d'autres cas . Il faut donc lire : renaître de la matière et de l'esprit.
Un autre jour, à propos d'un aveugle-né rencontré sur le chemin, les disciples demandent à Jésus :
« Maître, qui est-ce qui a péché ? Est-ce cet homme, ou son père, ou sa mère, pour qu'il soit ainsi né aveugle ? » (Jean, IX, 1, 2)
D'abord, la question indique que les disciples attribuaient l'infirmité de l'aveugle à une expiation. Dans leur pensée, la faute a précédé la punition ; elle en a été la cause première. C'est la loi de la conséquence des actes fixant les conditions de la destinée. Ici, il s'agit d'un aveugle de naissance ; la faute ne peut s'expliquer que par une existence antérieure.
De là, cette idée de la pénitence, qui revient à chaque instant dans les Ecritures. « Faites pénitence », disent-elles sans cesse, c'est-à-dire accomplissez la réparation qui est le but de votre nouvelle vie ; rectifiez votre passé, spiritualisez-vous, car vous ne sortirez du domaine terrestre, du cercle des épreuves, qu'après « avoir payé jusqu'à la dernière obole. » (Matth., V, 26.)
En vain les théologiens ont-ils cherché à expliquer autrement que par la réincarnation ce passage de l'Evangile. Ils sont tombés dans des raisonnements au moins étranges. C'est ainsi que le synode d'Amsterdam n'a pu sortir d'embarras que par cette déclaration : « L'aveugle-né avait péché dans le sein de sa mère . »
C'était aussi une opinion accréditée à cette époque, que des Esprits éminents venaient, dans de nouvelles incarnations, continuer, achever des missions interrompues par la mort. Par exemple, Elie était revenu sur terre en la personne de Jean-Baptiste. Jésus l'affirme en ces termes, en s'adressant à la foule :
« Qu'êtes-vous allés voir ? Un prophète ? Oui, je vous le déclare, et plus qu'un prophète... - Et si vous voulez comprendre, il est lui-même Elie qui devait venir. - Que celui qui a des oreilles pour entendre, entende. » (Matth., XI, 9, 14, 15.)
Plus tard, après la décapitation de Jean-Baptiste, il le répète à ses disciples :
« Et ses disciples l'interrogèrent, disant : « Pourquoi donc les scribes prétendent-ils qu'il faut qu'Elie vienne premièrement ? - Et lui, répondant, leur dit : Elie, en effet, devait venir et rétablir toutes choses. Mais je vous le dis : Elie est déjà venu, ils ne l'ont pas connu et ils lui ont fait ce qu'ils ont voulu. - Alors ses disciples comprirent que c'était de Jean-Baptiste qu'il parlait. » (Matth., XVII, 10, 11, 12, 15.)
Ainsi, pour Jésus comme pour ses disciples, Elie et Jean-Baptiste étaient une seule et même individualité. Or, cette individualité ayant revêtu successivement deux corps, un tel fait ne peut s'expliquer que par la loi de réincarnation.
Dans une circonstance mémorable, Jésus demande à ses disciples : « Que dit-on du fils de l'homme ? » Et ils lui répondent :
« Les uns disent : C'est Jean-Baptiste ; les autres, Elie ; les autres, Jérémie ou l'un des prophètes. » (Matth., XVI, 13, 14 ; Marc, VIII, 28.)
Jésus ne proteste pas contre cette opinion comme doctrine, pas plus qu'il n'avait protesté dans le cas de l'aveugle-né.
Du reste, l'idée de la pluralité des vies, des échelons successifs à parcourir pour s'élever vers la perfection, ne se trouve-t-elle pas contenue implicitement dans ces paroles célèbres : « Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait ? » Comment l'âme humaine pourrait-elle parvenir à l'état parfait en une seule existence ?
Nous retrouvons la doctrine secrète, dissimulée sous des voiles plus ou moins transparents, dans les oeuvres des apôtres et des Pères de l'Eglise des premiers siècles. Ceux-ci ne pouvaient en parler ouvertement. De là les obscurités de leur langage.
Barnabé écrivait aux premiers fidèles :
« Autant que je l'ai pu, je crois m'être expliqué simplement et n'avoir rien omis de ce qui peut contribuer à votre instruction et à votre salut, en ce qui regarde les choses présentes, car si je vous écrivais touchant les choses futures, vous ne comprendriez pas, parce qu'elles sont exposées en paraboles. » (Epître catholique de saint Barnabé, XVII, 1, 5.)
C'est en suivant cette règle qu'un disciple de saint Paul, Hermas, décrit la loi des réincarnations sous la figure de « pierres blanches, carrées et taillées », tirées de l'eau pour servir à la construction d'un édifice spirituel. (Livre du Pasteur, III, XVI, 3, 5.)
« Pourquoi ces pierres ont-elles été tirées d'un lieu profond, et employées ensuite dans la structure de cette tour, puisqu'elles étaient déjà animées de l'esprit ? - Il était nécessaire, me dit le Seigneur, qu'avant d'être admises dans l'édifice, elles fussent élevées par le moyen de l'eau. Elles ne pouvaient autrement entrer dans le royaume de Dieu qu'en se dépouillant de l'infirmité de leur première vie. »
Evidemment, ces pierres, ce sont les âmes des hommes ; les eaux , ce sont les régions obscures, inférieures, les vies matérielles, vies d'épreuve et de douleur, pendant lesquelles les âmes sont taillées, polies, lentement préparées, afin de prendre place un jour dans l'édifice de la vie supérieure, de la vie céleste. C'est bien là un symbole de la réincarnation, dont l'idée était encore admise au troisième siècle et répandue parmi les chrétiens.
Parmi les Pères de l'Eglise, Origène est un de ceux qui se sont prononcés le plus éloquemment en faveur de la pluralité des existences. Son autorité était grande. Saint Jérôme le considère, « après les Apôtres, comme le grand maître de l'Eglise, vérité, dit-il, que l'ignorance seule pourrait nier ». Et il professe une telle admiration pour Origène, qu'il se chargerait, écrit-il, de toutes les calomnies qui ont été dirigées contre lui, pourvu qu'à ce prix, lui, Jérôme, pût avoir sa science profonde des Ecritures.
Dans son livre célèbre, Des Principes, Origène développe les puissants arguments qui montrent dans la préexistence et la survivance des âmes en d'autres corps, dans la succession des vies en un mot, le correctif nécessaire à l'inégalité apparente des conditions humaines. Il y voit une compensation au mal physique comme au mal moral qui semble régner sur le monde, si l'on n'admet qu'une seule existence terrestre pour chaque âme. Origène erre sur un point cependant. C'est lorsqu'il suppose que l'union de l'esprit au corps est toujours une punition. Il perd de vue la nécessité de l'éducation des âmes et la laborieuse réalisation du progrès.
Une opinion erronée s'est glissée dans beaucoup de milieux au sujet des doctrines d'Origène, en général, et de la pluralité des existences, en particulier, que l'on considère comme ayant été condamnées par le concile de Chalcédoine, d'abord, et, plus tard, par le cinquième concile de Constantinople. Or, si l'on remonte aux sources , on reconnaît que ces conciles ont rejeté, non pas la croyance à la pluralité des vies de l'âme, mais simplement la préexistence, telle que l'enseignait Origène, sous cette forme particulière que les hommes étaient des anges déchus, et que le point de départ avait été pour tous la nature angélique.
En réalité, la question de la pluralité des existences de l'âme n'a jamais été tranchée par les conciles. Elle reste ouverte aux résolutions de l'Eglise dans l'avenir, et c'est là un point qu'il importe d'établir.
Comme la loi des renaissances, la pluralité des mondes est indiquée dans l'Evangile, sous forme de parabole :
« Il y a plusieurs demeures dans la maison de mon Père. Je m'en vais vous préparer le lieu et, après que je m'en serai allé et que je vous aurai préparé le lieu, je reviendrai, et je vous retirerai à moi, afin que là où je serai, vous soyez aussi. » (Jean, XIV, 2 et 3.)
La maison du Père, c'est le ciel infini ; les demeures promises, ce sont les mondes qui parcourent l'espace, sphères de lumière près desquelles notre pauvre terre n'est qu'une obscure et chétive planète. C'est vers ces mondes que Jésus guidera les âmes qui s'attacheront à lui et à sa doctrine. Ils lui sont familiers, et il saura nous y préparer une place suivant nos mérites.
Origène commente ces paroles en termes précis :
« Le Seigneur fait allusion aux stations différentes que les âmes doivent occuper, après qu'elles ont été dépouillées de leurs corps actuels et qu'elles en ont revêtu de nouveaux. »
V. - RELATIONS AVEC LES ESPRITS DES MORTS
Les premiers chrétiens communiquaient avec les esprits des morts et recevaient d'eux des enseignements. Aucun doute n'est possible sur ce point, car les témoignages abondent. Ces témoignages découlent des textes mêmes des livres canoniques, textes qui ont échappé aux vicissitudes des temps, et dont l'authenticité n'est pas douteuse .
Le christianisme tout entier s'appuie sur des faits d'apparition et de manifestation des morts. Il fournit d'innombrables preuves de l'existence du monde invisible et des âmes qui le peuplent.
Ces preuves sont également abondantes dans l'Ancien et le Nouveau Testament. Dans l'un comme dans l'autre, on trouvera des apparitions d'anges , celles des esprits des justes, des avertissements et des révélations donnés par les âmes des morts, le don de prophétie  et le don de guérir . On trouvera dans le Nouveau Testament les apparitions de Jésus lui-même, après son supplice et son ensevelissement.
L'existence du Christ n'avait été qu'une communion constante avec le monde invisible. Le fils de Marie était doué de facultés qui lui permettaient de s'entretenir avec les Esprits. Parfois ceux-ci se rendaient visibles à ses côtés. Ses disciples effrayés le virent converser un jour sur le Thabor avec Moïse et Elie .
Dans les moments difficiles, lorsqu'une question l'embarrasse, comme dans le cas de la femme adultère, il évoque les âmes supérieures, et son doigt trace sur le sable la réponse à faire, comme le médium de nos jours, mû par une force étrangère, trace des caractères sur l'ardoise.
Ces faits sont connus, relatés, mais beaucoup d'autres, se rattachant à ce commerce continuel de Jésus avec l'invisible, sont restés ignorés des hommes, même de ceux qui l'entouraient.
Les rapports du Christ avec le monde des Esprits s'affirment par le soutien constant que cet envoyé divin a reçu de l'Au-delà.
Parfois, malgré son courage, malgré l'abnégation qui inspire ses actes, troublé par la grandeur de sa tâche, il élève son âme vers Dieu, il prie, il réclame des forces nouvelles, et il est exaucé. Un souffle puissant passe sur son front. Sous une impulsion irrésistible, il reproduit les pensées suggérées ; il se sent secouru, réconforté.
Aux heures de solitude, ses yeux distinguent des lettres de feu qui retracent les volontés d'en haut  ; des voix bruissent à ses oreilles, apportant la réponse à ses ardentes prières. C'est la transmission directe des enseignements qu'il doit répandre, des préceptes régénérateurs pour la propagation desquels il est venu sur la terre. Les vibrations de la pensée suprême qui anime l'univers sont sensibles pour lui ; elles lui inculquent ces principes éternels qu'il répandra et qui ne s'effaceront jamais de la mémoire des hommes. Il perçoit de célestes accents, et ses lèvres répètent les paroles entendues, révélation sublime, mystère encore pour beaucoup d'êtres humains, mais, pour lui, confirmation absolue de cette protection constante et des intuitions qui lui parviennent des mondes supérieurs.
Et, lorsque cette grande vie fut accomplie, lorsque le sacrifice fut consommé, que Jésus fut mis en croix, puis descendu dans une tombe, son esprit s'affirme par de nouvelles manifestations. Cette âme puissante, qu'aucune tombe ne pouvait retenir, apparaît à ceux qu'elle avait laissés sur la terre tristes, abattus, découragés. Elle leur dit que la mort n'est rien. Par sa présence, elle leur rend l'énergie, la force morale nécessaires pour accomplir la mission qui leur est confiée.
Les apparitions du Christ sont connues et ont eu de nombreux témoins. Elles présentent des analogies frappantes avec celles que l'on constate de nos jours, à tous les degrés, depuis la forme éthérée, sans consistance, apparue à Marie-Madeleine, et qui n'aurait supporté aucun contact, jusqu'à la matérialisation complète, telle que la vit Thomas, dont la main put toucher les plaies du Christ . De là ces contrastes dans les paroles de Jésus : « Ne me touche pas », dit-il à Marie-Madeleine, alors qu'il engage Thomas à poser son doigt sur la marque des clous : « Approche aussi ta main, ajoute-t-il, et mets-la sur mon côté. »
Jésus apparaît et disparaît instantanément. Il pénètre dans une maison, les portes fermées. A Emmaüs, il s'entretient avec deux de ses disciples qui ne le reconnaissent pas, puis s'évanouit tout à coup. Il est en possession de ce corps fluidique, éthéré, qui se retrouve en chacun de nous, de ce corps subtil, enveloppe inséparable de chaque âme, qu'un esprit élevé comme le sien sait diriger, modifier, condenser, dissocier à volonté . Et il le condense à tel point, qu'il se rend visible et tangible pour les assistants.
Les apparitions de Jésus après sa mort sont la base même, le point vital de la doctrine chrétienne, et c'est pourquoi saint Paul a dit : « Si le Christ n'est pas ressuscité, votre foi est vaine. » Dans le christianisme, l'immortalité n'est pas une espérance, c'est un fait naturel, un fait appuyé sur le témoignage des sens. Les apôtres ne croyaient pas seulement à la résurrection, ils en étaient sûrs.
Aussi leur prédication prenait-elle ce ton chaleureux et pénétrant qu'inspire une conviction ardente. Par le supplice de Jésus, le christianisme était frappé au coeur. Les disciples, consternés, étaient prêts à se disperser. Mais le Christ leur apparut, et leur foi en lui devint si profonde que, pour la confesser, ils bravèrent tous les tourments. Les apparitions du Christ après sa mort assurèrent la persistance de l'idée chrétienne, en lui donnant pour base tout un ensemble de faits.
Il est vrai que les hommes ont jeté la confusion sur ces phénomènes, en leur attribuant un caractère miraculeux. Le miracle est une dérogation aux lois éternelles, voulues et fixées par Dieu ; or il serait peu digne de la Puissance suprême de sortir de sa propre nature et de varier dans ses décrets.
Selon l'Eglise, Jésus serait ressuscité avec son corps charnel. Cela est contraire au texte primitif de l'Evangile. Des apparitions soudaines, avec changements de forme, se produisant dans des endroits clos, ne peuvent être que des manifestations spirites, fluidiques et naturelles. Jésus est ressuscité comme nous ressusciterons tous, lorsque notre esprit abandonnera sa prison de chair.
Dans Marc et Matthieu, et dans le récit de Paul (I° Cor., XV), ces apparitions sont décrites de la manière la plus concise. D'après Paul, le corps du Christ est incorruptible ; il n'a ni chair ni sang. Cette opinion découle de la tradition la plus ancienne. La matérialité n'est venue que plus tard, avec Luc. Le récit se complique alors et s'agrémente de détails merveilleux, dans le but évident d'impressionner le lecteur .
Cette manière de voir, comme en général toute la théorie du miracle, résulte d'une fausse interprétation des lois de l'univers. Il en est de même de l'idée du surnaturel, qui correspond à une conception insuffisante de l'ordre du monde et des règles de la vie. En réalité, il n'y a rien en dehors de la nature, laquelle est l'oeuvre divine dans son majestueux épanouissement. L'erreur de l'homme provient de l'idée étroite qu'il se fait de la vie et de ses formes, limitées pour lui au cercle tracé par ses sens. Or, nos sens n'embrassent qu'une portion fort restreinte de l'empire des choses. Au-delà des bornes qu'ils nous imposent, la vie se déploie sous des aspects riches et variés, sous des formes subtiles, quintessenciées, qui se graduent, se multiplient et se renouvellent à l'infini.
A ce domaine de l'invisible appartient le monde fluidique ; il est peuplé des esprits des hommes qui ont habité la terre et ont dépouillé leur enveloppe grossière. Ils subsistent sous cette forme subtile dont nous venons de parler, forme encore matérielle, quoique éthérée, car la matière a bien des états qui ne nous sont pas familiers. Cette forme est l'image ou plutôt le canevas des corps charnels que ces esprits ont animés dans leurs vies successives. Ils passent, mais elle demeure, comme l'âme dont elle est l'organisme indestructible.
Les esprits occupent des situations variées, en rapport avec leur élévation morale. Leur rayonnement, leur éclat, leur puissance, sont d'autant plus grands qu'ils sont arrivés plus haut dans l'échelle des vertus, des perfections, et qu'ils ont servi avec plus de dévouement la cause du bien et de l'humanité. Ce sont ces êtres ou esprits qui se manifestent à toutes les époques de l'histoire et dans tous les milieux, par l'intermédiaire de sujets spécialement doués, que, suivant les temps, on nomme devins, sibylles, prophètes ou médiums.
Les apparitions qui marquent les premiers temps du christianisme, comme les époques bibliques plus lointaines, ne sont pas des phénomènes isolés, mais la manifestation d'une loi universelle, éternelle, qui a toujours réglé les rapports entre les habitants des deux mondes, le monde de la matière grossière, auquel nous appartenons, et le monde fluidique, invisible, peuplé par les esprits de ceux que nous appelons si improprement les morts .
C'est seulement à une époque récente que cet ordre de manifestations a pu être étudié par la science. Grâce aux observations de nombreux savants, l'existence du monde des Esprits a été établie d'une manière positive, et les lois qui le régissent ont été déterminées avec une certaine précision.
On a pu constater la présence, en chaque être humain, d'un double fluidique, survivant à la mort, et, dans ce double, on a reconnu l'enveloppe impérissable de l'esprit. Ce double, qui se dégage déjà dans le sommeil et l'extase, qui se transporte et agit à distance pendant la vie, devient, après la séparation définitive du corps charnel, et d'une manière plus complète, le serviteur fidèle et le centre des forces actives de l'esprit.
C'est au moyen de cette enveloppe fluidique que l'esprit préside à ces manifestations d'outre-tombe, qui ne sont plus un secret pour personne, depuis que des commissions scientifiques en ont étudié les multiples aspects, jusqu'à peser et photographier les esprits, comme l'ont fait W. Crookes pour celui de Katie King, Russell Wallace et Aksakof pour ceux d'Abdullah et de John King .
C'est ainsi que des phénomènes, étranges sans doute, peu étudiés jusqu'ici, mais parfaitement naturels, puisqu'ils sont produits par des esprits, c'est-à-dire par des êtres semblables à nous dans leur principe essentiel de vie, sont entrés peu à peu dans le domaine de l'observation et sont passés dans l'ordre des faits établis.
Il est probable que le don des langues, communiqué aux apôtres, présentait des analogies avec le phénomène que nous connaissons aujourd'hui sous le nom de xénoglossie. La lumière odique de Reichenbach et la matière radiante expliquent l'auréole des saints ; les flammes ou « langues de feu », apparues le jour de la Pentecôte, se retrouvent à notre époque dans les faits signalés au Congrès spiritualiste de 1900, par le docteur Bayol, sénateur des Bouches-du-Rhône . Enfin, les visions des martyrs sont des phénomènes du même ordre que ceux constatés de nos jours au moment du décès de certaines personnes . De même, la disparition du corps du Christ dans le sépulcre peut s'expliquer par la désagrégation de la matière, observée il y a quelques années, au cours de séances d'expérimentation psychique .
Trop longtemps, les hommes n'ont vu là que des faits miraculeux, provoqués par Dieu même ou par ses anges, opinion entretenue soigneusement par les prêtres, afin de frapper l'imagination des masses et de les rendre plus dociles à leur pouvoir.
Nous trouvons dans les Ecritures des exemples fréquents des méprises dont ces phénomènes furent l'objet. A Pathmos, Jean voit apparaître un génie qu'il veut d'abord adorer, mais qui lui affirme être l'esprit d'un de ses frères, les prophètes . Dans ce cas, l'erreur a été dissipée : l'esprit a fait connaître sa personnalité ; dans combien d'autres la méprise n'a-t-elle pas persisté ? Il en est de même de l'intervention si fréquente des anges dans la Bible. Il faut se mettre en garde contre les tendances des juifs et des chrétiens à attribuer à Dieu et à ses anges des phénomènes produits par les esprits des morts, et sur lesquels il appartenait à notre époque de faire la lumière, en les replaçant dans leur ordre véritable.
A l'époque de Jésus, la croyance à l'immortalité était affaiblie. Les Juifs étaient divisés au sujet de la vie future. Les sceptiques saducéens augmentaient en nombre et en influence. Jésus vient. Il ouvre plus larges les voies qui font communiquer le monde terrestre avec le monde spirituel. Il rapproche les invisibles des humains à tel point qu'ils peuvent correspondre de nouveau. De sa main puissante, il soulève le voile de la mort et, au sein de l'ombre, des visions apparaissent ; au milieu du silence, des voix se font entendre ; et ces visions et ces voix viennent affirmer à l'homme l'immortalité de sa vie.
Le christianisme primitif a donc ce caractère particulier d'avoir rapproché les deux humanités : terrestre et céleste ; il a rendu plus intenses les relations entre le monde visible et le monde invisible. En effet, dans chaque groupe chrétien, comme actuellement dans chaque groupe spirite, on se livrait à des évocations ; on possédait des médiums parlants, inspirés, à effets physiques, comme il est dit au chapitre XII de la I° Epître de saint Paul aux Corinthiens. Alors, comme aujourd'hui, certains sujets possédaient le don de prophétie, le don de guérir, de chasser les mauvais esprits .
Dans l'épître citée, saint Paul parle aussi du corps spirituel, incorruptible, impondérable :
« L'homme est mis en terre comme un corps animal et il ressuscitera comme un corps spirituel ; de même qu'il y a un corps animal, il y a un corps spirituel. » (I Corinth., XV, 44.)
C'était un phénomène spirite, l'apparition de Jésus sur la route de Damas, qui avait fait de saint Paul un chrétien . Paul n'avait pas connu le Christ et, au moment de cette vision qui décida de sa destinée, il était loin d'être préparé à sa tâche future : « Ne respirant toujours que menaces et carnage contre les disciples du Seigneur », et pourvu contre eux de lettres d'emprisonnement, il se rendait à Damas pour les persécuter. Ici, l'on n'invoquera pas, comme on pourrait le faire pour les apôtres, un phénomène d'hallucination, provoqué par l'idée constante de leur Maître. D'ailleurs, cette vision ne fut pas isolée : dans tout le cours ultérieur de son existence, Paul resta en rapports constants avec l'invisible et notamment avec le Christ, dont il recevait les instructions indispensables à sa mission. Lui-même nous apprend qu'il puise ses inspirations dans ses entretiens secrets avec le fils de Marie.
Saint Paul ne fut pas seulement assisté par des Esprits de lumière dont il était l'interprète, le porte-parole  ; des esprits inférieurs l'obsédaient parfois, et il devait résister à leur influence . C'est ainsi que dans tous les milieux, pour l'éducation de l'homme et le développement de sa raison, la lumière et l'ombre, la vérité et l'erreur se mêlent. Il en est de même dans le domaine du spiritualisme moderne, où tous les ordres de manifestations se rencontrent, depuis les messages du caractère le plus élevé, jusqu'aux phénomènes grossiers produits par des Esprits arriérés. Mais ceux-là aussi ont leur utilité au point de vue des éléments d'observation et des cas d'identité qu'ils fournissent à la science.
Saint Paul connaissait ces choses. Instruit par l'expérience, il avertissait les prophètes , ses frères, de se tenir en garde contre ces embûches. Et il ajoutait comme conséquence : « Les esprits des prophètes sont soumis aux prophètes » (I Cor., XIV, 32), c'est-à-dire qu'il ne faut pas accepter aveuglément les instructions des esprits, mais les soumettre au contrôle de la raison.
Dans le même sens, saint Jean disait :
« Mes bien-aimés, ne croyez pas à tout esprit, mais éprouvez si les esprits sont de Dieu. » (I Epît., IV, 1.)
Les Actes des Apôtres fournissent de nombreuses indications sur les rapports des disciples de Jésus avec le monde invisible. On y voit comment, en suivant les enseignements des Esprits , les apôtres acquirent une plus grande largeur de vues. Ils en vinrent à ne plus faire de distinction entre les viandes, à ouvrir la barrière qui séparait les Juifs des Gentils, à remplacer la circoncision par le baptême .
Les communications des chrétiens avec les âmes des défunts étaient chose si fréquente dans les premiers siècles, que des instructions précises circulaient parmi eux sur ce sujet.
Hermas, disciple des apôtres, le même que saint Paul fait saluer de sa part dans son Epître aux Romains (XVI, 14), indique, à son tour, dans son Livre du Pasteur , les moyens de distinguer entre les bons et les mauvais esprits.
Dans les lignes suivantes, écrites il y a dix-huit cents ans, on croirait lire la description fidèle des séances d'évocations telles qu'elles se pratiquent de nos jours dans beaucoup de milieux :
« L'esprit qui vient de la part de Dieu est paisible et humble ; il s'éloigne de toute malice et de tout vain désir de ce monde, et se met au-dessus de tous les hommes. Il ne répond pas à tous ceux qui l'interrogent, ni aux personnes particulières, car l'esprit venant de Dieu ne parle pas à l'homme quand l'homme le veut, mais quand Dieu le permet. Donc, lorsqu'un homme qui a un esprit venant de Dieu vient dans l'assemblée des fidèles et que l'on a fait la prière, l'esprit remplit cet homme qui parle dans l'assemblée comme Dieu veut. » (C'est le médium parlant.)
« Au contraire, on reconnaît l'esprit terrestre, vain, sans sagesse et sans force, en ce qu'il s'agite, s'élève et prend la première place. Il est importun, bavard et ne prophétise pas sans récompense. Un prophète de Dieu n'agit pas ainsi. »
Les esprits manifestaient alors leur présence de mille manières, soit en se rendant visibles , ou en désagrégeant la matière, comme ils le firent pour libérer Pierre de ses chaînes et l'extraire de sa prison , soit encore en provoquant des cas de lévitation . Ces phénomènes étaient parfois si impressionnants, que des magiciens eux-mêmes en étaient touchés au point de se convertir .
Animés de cet esprit de charité, d'abnégation que leur communiquait le Christ, les premiers chrétiens vivaient dans une étroite solidarité. « Ils possédaient tout en commun » et « étaient aimés de tout le peuple  ».
La révélation des esprits se poursuivit longtemps après la période apostolique. Pendant les deuxième et troisième siècles, les chrétiens s'adressaient directement aux âmes des morts pour décider des points de doctrine.
Saint Grégoire le thaumaturge, évêque de Néo-Césarée, déclare « avoir reçu de Jean l'Evangéliste, dans une vision, le symbole de la foi, prêché par lui à son église  ».
Origène, ce sage que saint Jérôme considérait comme le grand maître de l'Eglise après les apôtres, parle souvent, dans ses oeuvres, des manifestations des morts.
Dans sa controverse avec Celse, il dit :
« Je ne doute pas que Celse ne se moque de moi, mais les railleries ne m'empêcheront pas de dire que beaucoup de personnes ont embrassé le christianisme comme malgré elles, leur coeur ayant été tellement changé soudain par quelque esprit, soit par une apparition, soit dans un songe, qu'au lieu de l'aversion qu'elles avaient pour notre foi, elles l'ont aimée jusqu'à mourir pour elle. Je prends Dieu à témoin de la vérité de ce que je dis : il sait que je ne veux pas rendre recommandable la doctrine de Jésus-Christ par des histoires fabuleuses, mais par la vérité de faits incontestables . »
L'empereur Constantin était lui-même doué de facultés médianimiques et subissait l'influence des esprits. Les principaux événements de sa vie, sa conversion au christianisme, la fondation de Byzance, etc., sont marqués par des interventions occultes. Nous en trouvons la démonstration dans les faits suivants, dont nous empruntons le récit à M. Albert de Broglie, historien froid et sévère, peu enclin au mysticisme  :
« Au moment de porter la main sur Rome, un sentiment intérieur pressa Constantin de se recommander à quelque puissance surnaturelle, et d'appeler la protection divine à l'aide des forces humaines. Mais l'embarras était grand pour un Romain pieux de cet âge... Il se demanda avec anxiété de quel Dieu il allait implorer l'assistance. Il tomba alors dans une méditation rêveuse sur les vicissitudes politiques dont il avait été lui-même témoin. »
Il constate que placer sa confiance dans la multitude des dieux porte malheur, alors que son père Constance, secret adorateur du Dieu unique, avait fini ses jours en paix.
« Constantin se décida à prier le Dieu de son père de prêter main-forte à son entreprise.
« La réponse à cette prière fut une vision miraculeuse qu'il racontait lui-même, bien des années après, à l'historien Eusèbe, en l'attestant par serment et avec les détails suivants : un après-midi, pendant une marche qu'il faisait à la tête de ses troupes, il aperçut dans le ciel, au-dessus du soleil déjà incliné vers l'occident, une croix de lumière portant cette inscription : 'E* ***** **** (triomphez par ceci). Toute son armée et beaucoup de spectateurs qui l'environnaient, virent comme lui ce prodige avec stupéfaction. Il demeura fort en peine de savoir ce que signifiait cette apparition. La nuit le trouva encore dans la même perplexité. Mais, pendant son sommeil, le Christ lui-même lui apparut avec la croix qui s'était fait voir dans le ciel et lui ordonna de faire façonner, sur ce modèle, un étendard militaire dont il se servirait comme de protection dans les combats. Au point du jour, Constantin se leva et fit part de la révélation à ses confidents. Sur-le-champ, des orfèvres furent appelés, et l'Empereur leur donna ses instructions pour que la croix mystérieuse fût reproduite en or et en pierreries. »
Plus loin, au sujet de l'adoption de Byzance comme capitale de l'Empire, le même auteur relate ceci : Quand les yeux de Constantin s'arrêtèrent sur Byzance, elle ne présentait plus que les débris d'une grande cité. Dans le choix qu'il fit de cette ville, il crut que l'intervention divine ne lui avait pas fait défaut. Par une confidence miraculeuse, il avait su, disait-on, qu'à Rome l'Empire n'était pas en sûreté. Pour ce choix, on parlait aussi d'un songe, etc. Philostorge rapporte que :
« ... pendant qu'il (Constantin) traçait, une pique à la main, la nouvelle enceinte de la ville, ceux qui le suivaient, voyant qu'il avançait toujours de manière à comprendre un espace immense, lui demandèrent respectueusement jusqu'où donc il comptait aller. - J'irai, répondit-il, jusqu'à ce que celui qui est devant moi s'arrête . »
Il est probable que Constantin subit, sans le savoir, l'influence des invisibles pour tout ce qui devait favoriser l'établissement de la nouvelle religion, souvent au détriment du bien de l'Etat et de ses propres intérêts. Son caractère, sa vie intime n'en furent nullement modifiés. Constantin resta toujours cruel et fourbe, réfractaire à la morale évangélique. Ceci démontre qu'il fut, pour le reste, un instrument entre les mains des hautes Entités dont la mission était de faire triompher le christianisme.
Sur la question qui nous occupe, le célèbre évêque d'Hippone, saint Augustin, n'est pas moins affirmatif. Dans ses Confessions , il parle de ses efforts infructueux pour renoncer à sa vie de débauche. Un jour qu'il priait Dieu avec ferveur pour qu'il l'éclairât, il entendit subitement une voix lui répéter à différentes reprises ces mots : « Tolle et lege, prends et lis. » S'étant assuré que ces paroles ne provenaient pas d'un être vivant, il fut persuadé que c'était un ordre divin lui disant d'ouvrir les saintes Ecritures et d'y lire le premier passage qui tomberait sous ses regards. Ce furent des conseils de saint Paul sur la pureté des moeurs.
Dans ses lettres, le même auteur mentionne des « apparitions de défunts, allant et venant dans leur demeure accoutumée, - faisant des prédictions que les événements réalisent ».
Son traité De Cura pro mortuis parle en ces termes des manifestations des morts :
« Les esprits des morts peuvent être envoyés aux vivants ; ils peuvent leur dévoiler l'avenir qu'eux-mêmes ont appris, soit par d'autres esprits, soit par les anges, soit par une révélation divine . »
Dans sa Cité de Dieu, au sujet du corps lucide, éthéré, aromal, qui est le périsprit, il parle des opérations théurgiques, qui le rendent propre à communiquer avec les esprits et les anges et à recevoir des visions.
Saint Clément d'Alexandrie, saint Grégoire de Nysse, dans son Discours catéchétique, saint Jérôme lui-même, dans sa controverse fameuse avec Vigilantius le Gaulois, se prononcent dans le même sens.
Saint Thomas d'Aquin, l'Ange de l'école, nous dit l'abbé Poussin, professeur au séminaire de Nice, dans son ouvrage : Le Spiritisme devant l'Eglise (1866), « communiquait avec les habitants de l'autre monde, avec des morts qui lui apprenaient l'état des âmes auxquelles il s'intéressait, avec des saints qui le réconfortaient et lui ouvraient les trésors de la science divine  ».
L'Eglise, par la voix des conciles, crut bon de condamner les pratiques spirites lorsque, de démocratique et populaire qu'elle était à l'origine, elle devint despotique et autoritaire. Seule elle voulut posséder le privilège des communications occultes et le droit de les interpréter. Tous les laïques convaincus de rapport avec les défunts furent persécutés comme sorciers et brûlés.
Mais ce monopole des relations avec le monde invisible, malgré ses jugements et ses condamnations, malgré les exécutions en masse, l'Eglise n'a jamais pu l'obtenir. Au contraire, à partir de ce moment, les manifestations les plus éclatantes se produisent en dehors d'elle. La source des hautes inspirations, fermée pour les clercs, reste ouverte pour les hérétiques. L'histoire l'atteste. Ce sont les voix de Jeanne d'Arc, ce sont les génies familiers du Tasse et de Jérôme Cardan, les phénomènes macabres du moyen âge produits par des esprits d'ordre inférieur, les convulsionnaires de Saint-Médard, puis les petits prophètes inspirés des Cévennes, Swedenborg et son école ; mille autres faits encore forment une chaîne ininterrompue, qui, depuis les manifestations de la plus haute antiquité, nous amène au spiritualisme moderne.
Cependant, à une époque récente, au sein de l'Eglise, quelques rares penseurs scrutaient encore le problème de l'invisible. Sous le titre : Du Discernement des Esprits, le cardinal Bona, ce Fénelon de l'Italie, consacrait un ouvrage à l'étude des différentes catégories d'esprits qui peuvent se manifester aux hommes.
« On a sujet de s'étonner, - dit-il, - qu'il se soit pu trouver des hommes de bon sens qui aient osé nier tout à fait les apparitions et les communications des âmes avec les vivants, ou les attribuer à une imagination trompée ou bien à l'art des démons. »
Ce cardinal ne prévoyait pas les anathèmes des prêtres catholiques contre le spiritisme .
Il faut donc le reconnaître, les dignitaires de l'Eglise qui, du haut de la chaire, ont fulminé contre les pratiques spirites, se sont égarés. Ils n'ont pas su comprendre que les manifestations des âmes sont une des bases du christianisme, que le mouvement spirite, à vingt siècles de distance, est la reproduction du mouvement chrétien à son origine. Ils n'ont pas su se rappeler à temps que nier la communication avec les morts ou bien l'attribuer à l'intervention des démons, c'est se mettre en contradiction avec les Pères de l'Eglise et avec les apôtres eux-mêmes. Déjà les prêtres de Jérusalem accusaient Jésus d'agir sous l'influence de Belzébuth. La théorie du démon a fait son temps ; elle n'est plus de mise aujourd'hui.
En réalité, le spiritisme se retrouve dans tous les milieux, non comme une superstition, mais comme une loi fondamentale de la nature.
Les rapports entre les hommes et les esprits ont toujours existé, avec plus ou moins d'intensité. Par ce moyen, une révélation continue s'est répandue sur le monde. Il coule à travers les temps un grand courant de puissance spirituelle dont le monde invisible est la source. Parfois ce courant se cache dans l'ombre ; il se dissimule sous la voûte des temples de l'Inde et de l'Egypte, dans les sanctuaires mystérieux de la Gaule et de la Grèce ; il n'est connu que des sages, des initiés. Mais parfois aussi, aux époques voulues par Dieu, il sort des lieux cachés, il reparaît au grand jour, à la vue de tous ; il apporte à l'humanité ces trésors, ces richesses oubliées, qui vont l'embellir, l'enrichir, la régénérer.
C'est ainsi que les vérités supérieures se révèlent à travers les siècles, pour faciliter, stimuler l'évolution des êtres. Elles se manifestent par l'intervention au milieu de nous, à l'aide de médiums puissants, des Esprits de génie qui ont vécu sur terre, qui y ont souffert pour le bien et la justice. Ces Esprits d'élite sont retournés à la vie de l'espace, mais ils n'ont pas cessé de veiller sur l'humanité et de communiquer avec elle.
A certaines heures de l'histoire, un souffle d'en haut passe sur le monde ; les brumes qui enveloppent la pensée humaine se dissipent ; les superstitions, les doutes, les chimères s'évanouissent ; les grandes lois de la destinée se révèlent, la vérité apparaît !
Heureux alors ceux qui savent la reconnaître et l'accueillir !
VI. - ALTERATION DU CHRISTIANISME. LES DOGMES
Comme des paillettes d'or dans les flots troubles d'un fleuve, l'Eglise mêle dans son enseignement la pure morale évangélique au vague de ses propres conceptions.
Nous venons de voir qu'après la mort du Maître, les premiers chrétiens possédaient encore, dans leur commerce avec le monde invisible, une source féconde d'inspirations. Ils en usaient ouvertement. Mais les instructions des esprits n'étaient pas toujours en harmonie avec les vues du sacerdoce naissant, qui, s'il trouvait un secours dans ces rapports, y rencontrait souvent un contrôle sévère et parfois même une condamnation.
On peut lire dans l'ouvrage du Père de Longueval  comment, à mesure que s'édifie l'oeuvre dogmatique de l'Eglise dans les premiers siècles, les esprits se détachent peu à peu des chrétiens orthodoxes, pour inspirer ceux que l'on désignait alors du nom d'hérésiarques.
Montan, dit aussi l'abbé Fleury , avait deux prophétesses, deux dames nobles et riches, nommées Priscilla et Maximilla. Cérinthe obtenait également des révélations . Apollonius de Tyane comptait parmi ces hommes favorisés du ciel qui sont assistés par un « Esprit surnaturel  ». Presque tous les maîtres de l'école d'Alexandrie étaient inspirés par des génies supérieurs.
Tous ces esprits, s'appuyant sur l'aveu de saint Paul : « Ce que nous avons maintenant de connaissance et de prophétie est très imparfait » (I Cor., XIII, 9), apportaient, disaient-ils, une révélation qui venait confirmer et compléter celle de Jésus.
Dès le troisième siècle ils affirmaient que les dogmes imposés par l'Eglise comme un défi à la raison, n'étaient qu'un obscurcissement de la pensée du Christ. Ils combattaient le faste déjà excessif et scandaleux des évêques, s'élevant avec énergie contre ce qui était à leurs yeux un relâchement de la morale .
Cette opposition grandissante devenait intolérable aux yeux de l'Eglise. Les « hérésiarques », conseillés et dirigés par les esprits, entraient en lutte ouverte avec elle. Ils interprétaient l'Evangile avec une largeur de vues que l'Eglise ne pouvait admettre sans ruiner ses intérêts matériels. Presque tous devenaient néoplatoniciens, acceptant la succession des vies de l'homme et ce qu'Origène appelait « les peines médicinales », c'est-à-dire des punitions proportionnées aux fautes de l'âme, réincarnée en des corps nouveaux pour racheter son passé et se purifier par la douleur. Cette doctrine, enseignée par les esprits, et dont Origène et plusieurs Pères de l'Eglise trouvaient, comme nous l'avons vu, la sanction dans les Ecritures, était plus conforme à la justice et à la miséricorde divines. Dieu ne peut pas condamner les âmes à des supplices éternels après une seule vie, mais doit leur fournir les moyens de se relever par des existences laborieuses, par des épreuves acceptées avec résignation, supportées avec courage.
Cette doctrine d'espérance et de progrès n'inspirait pas, aux yeux des chefs de l'Eglise, assez de terreur du péché et de la mort. Elle ne permettait pas d'asseoir sur des bases assez solides l'autorité du sacerdoce. L'homme, pouvant se racheter lui-même de ses fautes, n'avait pas besoin du prêtre. Le don de prophétie, la communication constante avec les esprits étaient des forces qui minaient sans cesse le pouvoir de l'Eglise. Celle-ci, effrayée, et sous prétexte des abus que ces pratiques engendraient, résolut de mettre un terme à cette lutte en étouffant le prophétisme. Elle imposa silence à tous ceux, invisibles ou humains, qui, dans le but de spiritualiser le christianisme, affirmaient des idées dont l'élévation l'épouvantait.
Après avoir vu pendant trois siècles dans le don de prophétie ou de médiumnité, que tous pouvaient acquérir, suivant la promesse des apôtres, un moyen souverain pour élucider les problèmes religieux et fortifier la foi, l'Eglise en vint à déclarer que tout ce qui provenait de cette source était illusion pure ou oeuvre du démon. Elle s'affirma, du haut de son autorité, comme étant elle-même la seule prophétie vivante, l'unique révélation perpétuelle et permanente. Tout ce qui n'émanait pas d'elle fut condamné, honni. Et ce côté grandiose de l'Evangile, dont nous avons parlé, toute l'oeuvre des prophètes qui le complétait et l'éclairait, fut rejeté dans l'ombre. Il ne fut plus question des esprits ni de l'élévation des êtres sur l'échelle des existences et des mondes ; plus de rachat des fautes commises, plus de progrès réalisés et de travaux poursuivis à travers l'infini des espaces et du temps.
On perdit de vue tous ces enseignements ; on oublia la véritable nature des dons de prophétie, au point que les commentateurs modernes des Ecritures disent que la « prophétie n'était que le don d'expliquer aux fidèles les mystères de la religion ». Les prophètes étaient pour eux l'évêque et le prêtre qui jugeaient, par le don du discernement et les règles de l'Ecriture, si ce qui est dit vient de l'esprit de Dieu ou de l'esprit du démon ». Contradiction absolue avec l'opinion des premiers chrétiens, qui voyaient dans les prophètes des inspirés, non de Dieu, mais des esprits, comme le dit saint Jean dans le passage déjà cité de sa première Epître (IV, 1).
Un moment, on avait pu croire que la doctrine de Jésus, alliée aux vues profondes des philosophes alexandrins, allait prévaloir sur les tendances du mysticisme judéo-chrétien et pousser l'humanité dans la voie large du progrès, vers la source des hautes inspirations spirituelles. Mais les hommes désintéressés, aimant la vérité pour elle-même, n'étaient pas assez nombreux dans les conciles. Des doctrines mieux adaptées aux intérêts terrestres de l'Eglise furent élaborées par ces assemblées célèbres, qui ne cessèrent d'immobiliser et matérialiser la religion. C'est par elles et sous l'influence souveraine des pontifes romains que fut élevé, à travers les siècles, cet échafaudage de dogmes bizarres, qui n'ont rien de commun avec l'Evangile et lui sont de beaucoup postérieurs ; la pensée humaine, semblable à un aigle captif, impuissant à déployer ses ailes et ne voyant plus qu'un coin du ciel, y fut enfermée pendant longtemps comme dans un tombeau.
Cette construction massive, qui barre le chemin à l'humanité, est sortie de terre en 325, avec le concile de Nicée, et s'est achevée en 1870, avec le dernier concile de Rome. Elle a pour fondement le péché originel, pour couronnement l'immaculée conception et l'infaillibilité papale.
C'est par cette oeuvre monstrueuse que l'homme apprit à connaître ce Dieu impitoyable et vengeur, cet enfer toujours béant, ce paradis fermé à tant d'âmes vaillantes, à tant de nobles intelligences, et facilement conquis par une vie de quelques jours terminée après le baptême, ou par une confession in extremis, conceptions qui ont poussé tant d'êtres humains à l'athéisme et au désespoir.

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Examinons les principaux dogmes et mystères dont l'ensemble constitue l'enseignement des Eglises chrétiennes. Nous en trouvons l'exposé dans tous les catéchismes orthodoxes.
C'est d'abord cette étrange conception de l'Etre divin qui aboutit au mystère de la Trinité, un seul Dieu en trois personnes : le Père, le Fils et le Saint-Esprit.
Jésus avait apporté au monde une notion de la divinité peu connue au judaïsme. Le Dieu de Jésus n'est plus le despote partial et jaloux qui protège Israël contre les autres peuples ; c'est le Dieu, père de l'humanité. Toutes les nations, tous les hommes sont ses enfants. C'est le Dieu en qui tout vit, s'agite et respire, immanent dans la nature et dans la conscience humaine.
Pour le monde païen comme pour les Juifs, cette notion de Dieu contenait toute une révolution morale. A des hommes qui étaient arrivés à tout diviniser et à craindre tout ce qu'ils avaient divinisé, la doctrine de Jésus révélait l'existence d'un seul Dieu, Créateur et Père, par qui tous les hommes sont frères et au nom de qui ils se doivent assistance et affection. Elle rendait possible la communion avec ce Père, par l'union fraternelle des membres de la famille humaine. Elle ouvrait à tous la voie de la perfection par l'amour du prochain et le dévouement à l'humanité.
Cette doctrine, simple et grande à la fois, devait élever l'esprit humain jusqu'à des hauteurs imposantes, vers ce foyer divin dont chaque homme peut sentir en lui le rayonnement. Comment cette idée si pure de la divinité, qui pouvait régénérer le monde, a-t-elle été transformée au point de devenir méconnaissable ?
C'est là le résultat des passions et des intérêts matériels qui entrèrent en action dans le monde chrétien après la mort de Jésus.
La notion de la Trinité, tirée d'une légende hindoue qui était l'expression d'un symbole, vint obscurcir et dénaturer cette haute idée de Dieu. L'intelligence humaine pouvait s'élever jusqu'à cette conception de l'Etre éternel qui embrasse l'univers et donne la vie à toute créature. Elle ne peut s'expliquer comment trois personnes s'unissent pour constituer un seul Dieu. La question de consubstantialité n'élucide en rien le problème. En vain nous ferait-on observer que l'homme ne peut connaître la nature de Dieu. Ici, il ne s'agit pas des attributs divins, mais de la loi des nombres et de la mesure, loi qui règle tout dans l'univers, même les rapports rattachant la raison humaine à la Raison suprême des choses.
Pourtant cette conception trinitaire, si obscure, si incompréhensible, avait un grand avantage aux yeux de l'Eglise. Elle lui permettait de faire de Jésus-Christ un Dieu. Elle donnait au puissant Esprit qu'elle considère comme son fondateur, une autorité, un prestige dont l'éclat rejaillissait sur elle et assurait son pouvoir. C'est là le secret de son adoption par le concile de Nicée. Les discussions et les troubles que cette question souleva agitèrent les esprits pendant trois siècles ; ils ne cessèrent que par la proscription des évêques ariens, ordonnée par l'empereur Constance, et le bannissement du pape Libère, qui avait refusé de sanctionner la décision du concile .
La divinité du Christ, rejetée par trois conciles, parmi lesquels le plus important fut celui d'Antioche (269), est proclamée en ces termes, en 325, par celui de Nicée :
« L'Eglise de Dieu, catholique et apostolique, anathématise ceux qui disent qu'il y avait un temps où le Fils n'existait pas, ou qu'il n'existait pas avant d'avoir été engendré. »
Cette déclaration est en contradiction formelle avec les vues des apôtres. Alors que tous croyaient le Fils créé par le Père, les évêques du quatrième siècle proclament le Fils égal au Père, « éternel comme lui, engendré et non créé », donnant ainsi un démenti au Christ lui-même, qui disait et répétait : « Mon Père est plus grand que moi. »
Pour justifier cette affirmation, l'Eglise s'appuie sur certaines paroles du Christ qui, si elles sont exactes, ont été mal comprises, mal interprétées. Par exemple, dans Jean (X, 33) il est dit : « Nous te lapidons, parce qu'étant homme, tu te fais Dieu. »
La réponse de Jésus détruit cette accusation et révèle sa pensée intime : « N'est-il pas écrit dans votre loi : J'ai dit : Vous êtes des dieux ? » (Jean, X, 34) .
« Si elle a appelé dieux ceux à qui la parole de Dieu est adressée... » (Jean, X, 35.)
Chacun sait que les anciens, Latins et Orientaux, appelaient dieux tous ceux qui, à un titre quelconque, s'élevaient au-dessus du commun des hommes . Le Christ, à cette qualification abusive, préférait celle de fils de Dieu pour désigner ceux qui recherchaient et observaient les enseignements divins. C'est ce qu'il explique dans le verset suivant :
« Heureux ceux qui procurent la paix, car ils seront appelés fils de Dieu. » (Matth., V, 9.)
Les apôtres donnaient le même sens à cette expression :
« Tous ceux qui sont conduits par l'esprit de Dieu sont enfants de Dieu. » (Saint Paul, Ep. aux Romains, VIII, 14.)
Jésus le confirme en plusieurs circonstances :
« Direz-vous que je blasphème, moi que le Père a sanctifié et qu'il a envoyé dans le monde, parce que j'ai dit : Je suis le fils de Dieu ? » (Jean, X, 36) .
Jésus répond à un Israélite : « Pourquoi m'appelles-tu bon ? Personne n'est bon, sinon Dieu seul. » (Luc, XVIII, 19.) - « Je ne puis rien faire par moi-même. Je ne cherche point à faire ma volonté, mais la volonté du Père qui m'a envoyé. » (Jean, V, 30.)
Les paroles suivantes sont plus explicites encore :
« Vous cherchez à me tuer, moi qui suis un homme, qui vous ai dit la vérité que j'ai apprise de Dieu. » (Jean, VIII, 40.)
« Si vous m'aimez, vous vous réduirez de ce que je vais à mon Père, car mon Père est plus grand que moi. » (Jean, XIV, 28.)
Jésus dit à Madeleine : « Va vers mes frères et dis-leur que je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu. » (Jean, XX, 17.)
Ainsi, bien loin d'énoncer l'idée sacrilège qu'il était Dieu, en toutes circonstances Jésus parle de l'Etre infini comme la créature doit parler du Créateur, ou bien comme un subordonné parle de son seigneur.
Sa mère elle-même ne croyait pas à sa divinité, et pourtant qui eût été plus autorisé à l'admettre ? N'avait-elle pas reçu la visite de l'ange lui annonçant la venue de l'Enfant, béni par le Très-Haut et conçu par sa grâce  ? Pourquoi, alors, cherche-t-elle à entraver son oeuvre, en s'imaginant qu'il a perdu l'esprit  ? Il y a là une contradiction manifeste.
De leur côté, les apôtres ne voyaient en Jésus qu'un missionnaire, un envoyé d'en haut, un esprit supérieur, sans doute, par ses lumières et ses vertus, mais un esprit humain. Leur attitude envers lui, leur langage, le prouvent clairement. S'ils l'avaient considéré comme un dieu, ne se seraient-ils pas prosternés devant lui, n'est-ce pas à genoux qu'ils lui eussent adressé la parole ? Tandis que leur déférence et leur respect ne dépassaient pas ce que l'on doit à un maître, à un homme éminent. C'est d'ailleurs ce titre de maître (en hébreu rabbi), qu'ils lui décernaient habituellement. Les Evangiles en font foi. Quand ils l'appellent Christ, ils ne voient dans cette qualification que le synonyme d'envoyé de Dieu :
« Pierre répondit : Tu es le Christ ! » (Marc, VIII, 29.)
La pensée des apôtres se trouve expliquée, éclairée, par certains passages des Actes (II, 22). Pierre s'adresse à la foule :
« Hommes israélites, écoutez mes paroles. Jésus le Nazaréen a été un homme (vir), approuvé de Dieu parmi vous, par les effets de sa puissance, par les miracles qu'il a faits par lui au milieu de vous. »
On trouve la même pensée exprimée en Luc (XXIV, 19) :
« Jésus de Nazareth a été un prophète puissant en oeuvres et en paroles devant Dieu et devant tout le peuple. »
Si les premiers chrétiens avaient cru à la divinité du Christ, s'ils en avaient fait un dieu, il est fort probable que leur religion se serait noyée dans la multitude de celles qu'admettait l'empire romain, relevant chacune de divinités particulières. La flamme d'enthousiasme qui animait les apôtres, l'énergie invincible des martyrs, avaient leur source dans la résurrection de Jésus. Le considérant comme un homme semblable à eux, ils voyaient dans cette résurrection la preuve manifeste de leur propre immortalité. Saint Paul confirme très nettement cette opinion, lorsqu'il dit :
« Si les morts ne ressuscitent pas, Jésus-Christ n'est donc pas ressuscité, et si Christ n'est pas ressuscité, notre prédication est vaine et votre foi est vaine aussi. Il se trouverait même que nous sommes de faux témoins par rapport à Dieu, car nous avons rendu de lui ce témoignage qu'il a ressuscité Jésus-Christ ; or il ne l'a point ressuscité, si les morts ne ressuscitent point . »
Ainsi, pour les disciples de Jésus, comme pour tous ceux qui étudient attentivement et sans passion le problème de cette merveilleuse existence, le Christ, selon l'expression qu'il s'applique lui-même, n'est que le « prophète » de Dieu, c'est-à-dire l'interprète, le porte-parole de Dieu, un esprit doué de facultés spéciales, de pouvoirs exceptionnels et non supérieurs à la nature humaine. Sa clairvoyance, ses inspirations, le don de guérir qu'il possédait à un si haut point, se retrouvent à différentes époques et à divers degrés chez d'autres hommes.
On peut constater l'existence de ces facultés chez les médiums de nos jours, non pas groupées, réunies, de manière à constituer une personnalité puissante comme celle du Christ, mais dispersées, réparties à un grand nombre d'individus. Les guérisons de Jésus ne sont pas des miracles , elles sont les effets d'un pouvoir fluidique et magnétique que nous retrouvons, plus ou moins développé, chez certains guérisseurs de notre époque. Ces pouvoirs sont sujets à des variations, à des intermittences que nous constatons chez le Christ lui-même, comme le prouvent ces versets de l'Evangile de Marc (VI, 4, 5) :
« Et Jésus leur dit : Un prophète n'est méprisé que dans sa patrie, dans sa maison et dans sa famille. Et il ne put faire là aucun miracle. »
Tous ceux qui ont observé de près les phénomènes du spiritisme, du magnétisme et de la suggestion, et ont remonté des effets à la cause qui les produit, tous ceux-là savent qu'il existe une grande analogie entre les guérisons opérées par le Christ et celles qu'obtiennent nos praticiens modernes. Comme lui, mais avec moins de force et de succès, les guérisseurs spirites traitent les cas d'obsession et de possession, et à l'aide de passes, d'attouchements, par l'imposition des mains, délivrent les malades des maux causés par l'influence des esprits impurs, de ceux que l'Ecriture désigne sous le nom de démons :
« Et le soir étant venu, on lui présenta plusieurs démoniaques dont il chassa les mauvais esprits par sa parole ; il guérit tous ceux qui étaient malades. » (Matth., VIII, 16.)
La plupart des maladies nerveuses proviennent des troubles causés par des influences étrangères dans notre organisme fluidique ou périsprit. La médecine, qui étudie simplement le corps matériel, n'a pu découvrir la cause de ces maux et les remèdes applicables. Aussi est-elle presque toujours impuissante à les guérir. L'action fluidique de certains hommes, soutenue par la volonté, la prière et l'assistance des Esprits élevés, peut faire cesser ces troubles, rendre à l'enveloppe fluidique des malades ses vibrations normales, et contraindre les mauvais esprits à la retraite. C'est ce qu'obtenaient facilement Jésus et, après lui, les apôtres et les saints.

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Les connaissances répandues parmi les hommes par le spiritualisme moderne nous permettent de mieux comprendre, de mieux définir la haute personnalité du Christ. Jésus était un missionnaire divin, doué de grands pouvoirs, et un médium incomparable. Lui-même l'affirme :
« Je n'ai point parlé de moi-même, mais celui qui m'a envoyé, le Père, m'a lui-même prescrit ce que je dirais et de quoi je parlerais. » (Jean, XII, 49.)
A toutes les races humaines, à toutes les grandes époques de l'histoire, Dieu a envoyé ses missionnaires, Esprits supérieurs, arrivés par leurs efforts et leurs mérites au plus haut degré de la hiérarchie spirituelle. On peut suivre à travers les temps la trace de leurs pas. Leurs fronts dominent de haut la foule des humains, qu'ils ont pour tâche de diriger vers les sommets intellectuels. Le Ciel les a armés pour les luttes de la pensée ; de lui ils ont reçu courage et puissance.
Jésus est un de ces missionnaires divins, et il est le plus grand de tous. Dépouillé de la fausse auréole de sa divinité, il nous paraît plus imposant. Ses souffrances, ses défaillances, sa résignation, nous laissaient presque insensibles venant d'un dieu. Elles nous touchent, elles nous émeuvent profondément chez un frère. Jésus est de tous les enfants des hommes le plus digne d'admiration. Il est bien grand lorsqu'il enseigne sur la montagne, parmi la foule des humbles. Il est plus grand encore sur le Calvaire, lorsque l'ombre de sa croix s'étend sur le monde, au soir du supplice.
Nous voyons en lui l'homme arrivé au point final de son évolution, et c'est dans ce sens qu'on peut l'appeler dieu, conciliant ainsi les partisans de sa divinité avec ceux qui la nient. L'humanité et la divinité du Christ représentent les points extrêmes de son individualité, comme elles le font pour tout être humain. Au terme de son évolution, chacun de nous deviendra un « Christ » et ne fera plus qu'un avec le Père ; il sera parvenu à l'état divin.
Le passage de Jésus sur la terre, ses enseignements, ses exemples, ont laissé des traces ineffaçables, et son influence s'étendra sur les siècles à venir. Aujourd'hui encore, il préside aux destinées du globe sur lequel il a vécu, aimé, souffert. Gouverneur spirituel de ce monde, il est venu l'entraîner par son sacrifice dans la voie du bien. Et c'est aussi sous sa direction occulte, c'est avec son appui que s'opère cette révélation nouvelle, qui, sous le nom de spiritualisme moderne, vient rétablir sa doctrine, rendre aux hommes le sentiment de leurs devoirs, la connaissance de leur nature et de leurs destinées.
VII. - LES DOGMES (suite), LES SACREMENTS,
LE CULTE
Le péché originel est le dogme fondamental sur lequel repose tout l'édifice des dogmes chrétiens. Idée vraie, au fond, mais fausse dans la forme et dénaturée par l'Eglise. Vraie en ce sens que l'homme souffre de l'intuition qu'il conserve des fautes commises dans ses vies antérieures et des conséquences qu'elles entraînent pour lui. Cependant cette souffrance est personnelle et méritée. Nul n'est responsable des fautes d'autrui, s'il n'y a participé. Présenté sous son aspect dogmatique, le péché originel, qui punit toute la postérité d'Adam, c'est-à-dire l'humanité entière, de la désobéissance du premier couple, pour la sauver ensuite par une iniquité plus grande, l'immolation d'un juste, est un outrage à la raison et à la morale, considérées dans leurs principes essentiels : la justice et la bonté. Il a plus fait pour éloigner l'homme de la croyance en Dieu, que toutes les attaques et toutes les critiques de la philosophie.
Ce n'est pas impunément, en effet, que l'on tente de séparer, dans la pensée et dans la conscience, l'idée de Dieu et celle de justice. On jette par là le trouble dans les âmes, et l'on provoque un travail mental qui aboutit forcément à la ruine d'une des deux idées. Or, c'est l'idée de Dieu qui a failli périr, car l'homme ne peut voir en Dieu que la plus haute personnification de la justice, de la sagesse et de l'amour. Toutes les perfections doivent se trouver réunies en l'Etre éternel.
De son passé coupable, l'homme a perdu le souvenir précis, mais il en a conservé le vague sentiment. De là est venue cette conception du péché originel, que l'on retrouve dans plusieurs religions, et de l'expiation qu'il nécessite. Cette conception erronée a donné naissance à celles de la chute, du rachat et de la rédemption par le sang du Christ, aux mystères de l'incarnation de la vierge-mère, de l'immaculée conception, en un mot à tout l'échafaudage du catholicisme .
Tous ces dogmes constituent une véritable négation de la raison et de la justice divine, si on les prend à la lettre, comme le veut l'Eglise, et dans leur sens matériel.
Il n'est pas admissible que Dieu ait créé l'homme et la femme à la condition qu'ils ne s'instruiraient pas. Il est moins admissible encore qu'il ait, pour une seule désobéissance, condamné leur postérité et l'humanité entière à la mort et à l'enfer.
« Que penserait-on », - dit avec raison E. Bellemare, - « d'un juge qui condamnerait un homme sous le prétexte qu'il y a des milliers d'années, un de ses ancêtres a commis un crime ? » C'est cependant le rôle odieux que le catholicisme attribue au juge suprême, à Dieu.
C'est par de telles données que se justifient l'éloignement et la haine que certains penseurs ont conçus pour l'idée de Dieu. C'est là ce qui explique, sans l'excuser, l'accusation véhémente d'un écrivain célèbre : Dieu, c'est le mal.
Si on considère le dogme du péché originel et de la chute pour ce qu'il est réellement, c'est-à-dire comme un mythe, une légende orientale, tels qu'il s'en trouve dans toutes les cosmogonies antiques ; si l'on souffle sur ces chimères, aussitôt tout l'édifice des dogmes et des mystères s'écroule. Que restera-t-il alors du christianisme ? peut-on me demander. Il restera ce qu'il y a en lui de vraiment grand, de vivant, de rationnel, c'est-à-dire tout ce qui est susceptible d'élever et de fortifier l'humanité.
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Reprenons notre examen. La souveraineté de Dieu, nous disent les théologiens, se manifeste par la prédestination et la rédemption. Dieu étant souverain absolu, sa volonté est la cause dernière et décisive de tout ce qui s'accomplit dans l'univers. Augustin est l'auteur de ce dogme, qu'il établit dans sa lutte contre les Manichéens, partisans de deux principes opposés : le bien et le mal, et contre Pélage, qui revendiquait les droits de la liberté humaine. Toutefois, Augustin s'en rapporte, pour défendre son dogme, à l'autorité de saint Paul, véritable créateur de la doctrine et de la prédestination, dont l'exposé, peu concluant pour nous, se trouve au chapitre IX de l'Epître aux Romains.
Selon saint Paul, dont la théorie a été reprise successivement par Augustin, par les réformateurs du seizième siècle, puis par Jansénius, Pascal, etc., l'homme ne peut faire son salut par ses propres oeuvres, sa nature le portant invinciblement au mal.
Cette inclination funeste est le résultat de la chute du premier homme et de la corruption qui en découle sur l'humanité entière, cette corruption étant devenue l'héritage de tous les fils d'Adam. C'est par la conception que se transmet aux enfants le péché. Ce dogme s'appelle le traducianisme, et les Eglises chrétiennes ne semblent pas s'apercevoir que, par cette affirmation monstrueuse, elles se font les alliées du matérialisme, qui proclame la même théorie sous le nom de loi de l'hérédité.
Tous les hommes, perdus par le péché d'Adam, seraient livrés à la damnation éternelle, si Dieu, dans sa miséricorde, n'eût trouvé un moyen de les sauver. Ce moyen, c'est la rédemption. Le fils de Dieu s'est fait homme. Dans sa vie terrestre, il a accompli la volonté de son Père et donné satisfaction à sa justice, en s'offrant en holocauste pour le salut de tous ceux qui se rattachent à son Eglise.
Il résulte de ce dogme que les fidèles ne sont pas sauvés par un exercice de leur libre volonté, ni par leurs propres mérites, car il n'y a pas de libre arbitre en face de la souveraineté de Dieu, mais par l'effet d'une grâce que Dieu accorde à ses élus. En poussant cet argument dans toutes ses conséquences logiques, on pourrait dire : c'est Dieu qui attire les élus ; c'est Dieu qui endurcit les pécheurs. Tout se fait par la prédestination divine. Adam n'a donc pas péché par son libre arbitre. C'est Dieu, souverain absolu, qui l'a prédestiné à la chute.
Ce dogme aboutit à des résultats si déplorables, que Calvin lui-même, qui l'a affirmé avec toutes ses conséquences, l'appelle, en parlant des hommes prédestinés à l'éternelle damnation, un « décret horrible » (decretum horribile). « Mais Dieu a parlé, ajoute-t-il, et la raison doit se soumettre. »
Dieu a parlé ! Où et par qui a-t-il parlé ? Dans des textes obscurs, oeuvre d'une imagination troublée.
Et, pour imposer de telles vues, pour les asseoir dans les esprits, Calvin n'a pas reculé devant l'emploi de la violence. Le bûcher de Servet nous l'atteste.
Logique terrible qui, procédant de vérités mal comprises, comme nous l'avons dit plus haut, se confond dans ses propres sophismes et en appelle au fer et au feu pour s'imposer et trancher des questions inextricables, pour élucider un imbroglio créé par l'ignorance et les passions.
« Comment, - ripostait Pélage à Augustin, - Dieu nous pardonne nos propres péchés et il nous attribuerait ceux d'autrui ? »

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« Il y a, - dit saint Paul , - un seul Dieu, et un seul médiateur  entre Dieu et les hommes : Jésus-Christ, homme. »
Médiateur, c'est-à-dire intermédiaire, médium incomparable, trait d'union entre l'humanité et Dieu, voilà Jésus ! Médiateur et non rédempteur, car l'idée de rédemption ne supporte pas l'examen. Elle est contraire à la justice divine ; elle est contraire à l'ordre majestueux de l'univers. Parmi les mondes qui roulent dans l'espace, la terre n'est pas le seul lieu de douleur. Il est d'autres séjours de souffrances où les âmes, captives dans la matière, apprennent, comme ici-bas, à dompter leurs vices et à acquérir des qualités qui leur faciliteront l'accès des mondes heureux.
Si le sacrifice de Jésus était nécessaire pour sauver l'humanité terrestre, Dieu devrait le même secours aux autres humanités malheureuses. Mais le nombre des mondes inférieurs où dominent les passions matérielles étant illimité, le fils de Dieu serait condamné par là même à des souffrances et à des sacrifices sans fin. Une telle hypothèse est inadmissible.
Par son sacrifice, disent d'autres théologiens, Jésus a « vaincu le péché et la mort, car la mort est le salaire du péché et un effroyable désordre dans la création  ».
Cependant, on meurt depuis la venue de Jésus comme l'on mourait avant lui. La mort, considérée par certains chrétiens comme une conséquence du péché et une punition de l'être, est pourtant une loi naturelle et une transformation nécessaire au progrès et à l'élévation de l'âme. Elle ne peut être un élément de désordre dans l'univers. La juger de cette façon, n'est-ce pas méconnaître la sagesse divine ? C'est ainsi qu'en partant d'un point de vue erroné, les hommes d'Eglise en arrivent aux conceptions les plus étranges.
Lorsqu'ils affirment que, par sa mort, Jésus s'est offert à Dieu en holocauste pour le rachat de l'humanité, cela n'équivaut-il pas à dire, pour ceux qui croient à la divinité du Christ, qu'il s'est offert à lui-même ? et de quoi a-t-il racheté les hommes ? Ce n'est pas des peines de l'enfer, puisque l'on nous répète chaque jour que les hommes morts en état de péché mortel sont condamnés aux peines éternelles.
Le mot de péché n'exprime lui-même qu'une idée confuse. La violation de la loi amène en chaque être un amoindrissement moral, une révolte de la conscience, qui est une cause de souffrance intime et une diminution des perceptions animiques. Ainsi l'être se punit lui-même. Dieu n'intervient pas ; il ne peut être ni atteint, ni offensé, car Dieu est l'infini et l'absolu ; aucun être ne saurait lui causer un tort quelconque.
Si le sacrifice de Jésus a racheté les hommes du péché, pourquoi baptise-t-on encore ? Cette rédemption, dans tous les cas, ne peut s'étendre qu'aux seuls chrétiens, à ceux qui ont connu et accepté la doctrine du Nazaréen. Elle aurait donc laissé en dehors de sa sphère d'action la plus grande partie de l'humanité ? Encore aujourd'hui, il y a sur terre un milliard d'hommes qui vivent en dehors des Eglises chrétiennes, dans l'ignorance de leurs lois, privés de cet enseignement sans l'observation duquel, nous dit-on, « il n'y a pas de salut ». Que penser de vues aussi opposées aux véritables principes de justice et d'amour qui régissent les mondes ?
Non, la mission du Christ n'était pas de racheter par son sang les fautes de l'humanité. Le sang, même d'un Dieu, ne saurait racheter personne. C'est nous-mêmes qui devons nous racheter de l'ignorance et du mal ; rien d'extérieur à nous ne le pourrait. Voilà ce que les esprits affirment par milliers sur tous les points du monde. Des sphères de lumière où tout est paix et sérénité, le Christ est descendu dans nos régions obscures et troublées, pour nous montrer le chemin qui mène vers Dieu : tel est son sacrifice. L'effusion d'amour qu'il répand sur les hommes, son identification avec eux dans leurs joies comme dans leurs peines, telle est la rédemption qu'il nous offre et qu'il dépend de nous d'accepter. D'autres, avant lui, ont poussé les peuples dans la voie du bien et de la vérité. Aucun ne l'a fait avec cette exquise douceur, avec cette tendresse profonde qui caractérise l'enseignement de Jésus. Aucun n'a su comme lui nous apprendre à pratiquer les vertus modestes et cachées. Là est la puissance, la grandeur morale de l'Evangile ; là est l'élément vital du christianisme, qui s'affaisse sous le poids des dogmes bizarres dont il est surchargé.

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Le dogme des peines éternelles doit retenir notre attention. Arme redoutable entre les mains du prêtre aux âges de foi, menace suspendue sur la tête de l'homme, il a été pour l'Eglise un moyen incomparable de domination.
D'où vient cette conception de Satan et de l'enfer ? Uniquement des fausses notions que le passé nous a léguées de l'idée de Dieu. Toute l'humanité primitive a cru aux dieux du mal, aux puissances des ténèbres, et cette croyance s'est traduite en légendes effrayantes, en images terribles, qui se sont transmises de génération en génération et ont inspiré un grand nombre de mythes religieux. Les forces mystérieuses de la nature, dans leurs manifestations, jetaient la terreur dans l'esprit des premiers hommes. Partout autour d'eux, dans l'ombre, ils croyaient voir se dresser des formes menaçantes prêtes à les saisir, à les étreindre. Ces puissances mauvaises, l'homme les a personnifiées, individualisées ; par là, il a créé les dieux du mal. Et ces traditions lointaines, héritage des races disparues, perpétuées d'âge en âge, se retrouvent encore dans les religions actuelles.
De là Satan, l'éternel révolté, l'éternel ennemi du bien, plus puissant que Dieu même, puisqu'il règne en maître sur le monde, et que les âmes, créées pour le bonheur, tombent pour la plupart sous son empire ; Satan, la ruse, la perfidie en personne, et puis l'enfer et ses tortures raffinées, dont la peinture affole les esprits simples.
C'est ainsi que, dans tous les domaines de la pensée, l'homme terrestre a substitué aux pures lumières de la raison, que Dieu lui donna comme un guide sûr, les chimères de son imagination troublée.
Il est vrai que notre époque sceptique et railleuse ne croit plus guère au diable, mais les prêtres n'en continuent pas moins à enseigner son existence et celle de l'enfer. De temps à autre, on peut entendre, du haut de la chaire, se dérouler la description des châtiments réservés aux damnés ou celle des méfaits de Satan. Et il ne s'agit pas ici de modestes chaires de campagne, c'est sous les voûtes de Notre-Dame de Paris que le P. Janvier prononçait ces paroles, lors du carême de 1907 :
« Quantité d'esprits s'imaginent que le démon n'est qu'un symbole, une figure littéraire ne répondant à rien dans la création, une poétique fiction, un mot servant à désigner le mal et les passions : c'est une erreur. Le démon est, dans la doctrine catholique, un être réel, ayant sa vie propre, son domaine, son action... Mais ce qui est infiniment plus redoutable, c'est l'action ordinaire, continue, exercée par Satan sur la création, son intervention réelle et cachée dans la marche des choses, dans le cours des saisons, dans la germination des plantes, dans le déchaînement des vents et des tempêtes . »
Ainsi l'Eglise s'enfonce dans les doctrines du passé. Elle continue à proscrire la science et la connaissance, à introduire le démon en toutes choses, jusque dans le domaine, de la psychologie moderne. Elle menace des flammes éternelles tout homme qui cherche à s'affranchir d'un Credo que sa raison et sa conscience repoussent. Entre ses mains, l'Evangile de l'amour est devenu un instrument d'épouvante.
Sans doute, l'Eglise est fondée à recommander la prudence à ses fidèles, mais elle aurait tort de leur interdire les pratiques spirites, sous prétexte qu'elles émanent du démon. Est-ce un démon, l'esprit qui témoigne de son repentir et demande des prières ? Est-ce un démon, celui qui nous invite à la charité, au pardon ? Dans la plupart des cas, Satan, au lieu d'être ce personnage plein de ruse et de malice dépeint par l'Eglise, manquerait totalement de bon sens, en ne s'apercevant pas qu'il travaille contre lui-même. S'il est de mauvais esprits, auxquels, à juste titre, pourrait s'appliquer ce terme de démon, il ne faut pas oublier non plus que ces démons sont perfectibles. Ce sont, par exemple, les criminels que la peine de mort envoie dans l'autre vie le blasphème à la bouche et la haine au coeur. Ceux-là répandent en tout temps sur les humains leurs mauvaises influences ; à plus forte raison en sera-t-il de même, s'ils se présentent aux séances spirites et qu'il n'y ait pas, pour les repousser, un faisceau de volontés énergiques.
Ne suffit-il pas de réfléchir, de considérer un instant l'oeuvre divine pour rejeter toute croyance au démon ? Comment admettre que le foyer suprême du bien et du beau, que la source inépuisable de bonté, de miséricorde, ait pu créer cet être hideux et malfaisant ? Comment croire que Dieu lui ait donné, avec la science du mal, tout pouvoir sur le monde, et livré, comme une proie facile, toute la famille humaine ? Non, Dieu n'a pu créer l'immense majorité de ses enfants pour les perdre, pour faire leur malheur éternel ; Dieu n'a pas donné la puissance à celui qui doit en abuser le plus, au plus pervers, au plus méchant. Cela est inacceptable, indigne d'une âme qui croit à la justice, à la bonté du Créateur. Admettre Satan et l'enfer éternel, c'est faire injure à la divinité. De deux choses l'une : ou Dieu a la prescience, et il a su quels seraient les résultats de son oeuvre ; en la réalisant, il s'est fait le bourreau de ses créatures ; ou bien il n'a pas prévu ce résultat, il n'a pas la prescience, il est faillible comme son oeuvre ; et alors, en proclamant l'infaillibilité du Pape, l'Eglise l'a élevé au-dessus de Dieu. C'est avec de telles affirmations que l'on pousse les peuples au scepticisme, au matérialisme. De ce chef, l'Eglise romaine encourt les plus graves responsabilités.
Quant aux châtiments réservés aux coupables comme sanction pénale et pour assurer l'accomplissement de la loi de justice, il n'est pas besoin d'en chercher d'imaginaires.
Si nous jetons les yeux autour de nous, nous verrons que partout, sur terre, la douleur nous guette. Il n'est pas nécessaire de sortir de ce monde pour trouver des souffrances proportionnées à toutes les fautes, des conditions expiatoires pour tous les coupables. Pourquoi chercher l'enfer dans des régions chimériques ? L'enfer est autour de nous. Quel est le véritable sens de ce mot ? Lieu inférieur ! Or, la terre est un des mondes inférieurs de l'univers. La destinée de l'homme ici-bas est parfois assez dure, et la somme de ses maux assez grande, sans assombrir encore par des conceptions fantastiques les perspectives de l'avenir. De telles vues sont un outrage envers Dieu. Il ne peut y avoir de maux éternels, mais seulement des maux temporaires, appropriés aux nécessités de la loi de progrès et d'évolution. Le principe des réincarnations successives est plus équitable que la notion de l'enfer éternel ; il réalise la justice et l'harmonie dans l'univers. C'est au cours de nouvelles et pénibles existences terrestres que le coupable rachète ses fautes passées. La loi de la destinée se tisse, pour chacun de nous, sur la trame de nos actions bonnes et mauvaises, qui, toutes, se répercutent à travers les temps avec leurs conséquences heureuses ou funestes. Ainsi, chacun prépare son ciel ou son enfer.
L'âme, dans la partie inférieure de son évolution, enfermée dans le cercle des vies terrestres, hésitante, incertaine, ballottée entre des attractions diverses, ignorante des grandes destinées qui l'attendent et du but de la création, erre, faiblit, s'abandonne aux passions, aux courants matériels qui l'entraînent. Mais, peu à peu, par le développement de ses forces psychiques, de ses connaissances, de sa volonté, l'âme s'élève, s'affranchit des influences inférieures et plane dans les régions divines.
Un temps viendra où le mal ne sera plus la condition de cette vie, où les êtres, purifiés par la souffrance, après avoir reçu la longue éducation des siècles, quitteront la voie obscure pour s'avancer vers l'éternelle lumière. Les humanités, unies par les liens d'une solidarité étroite et d'une profonde affection, marcheront de progrès en progrès, de perfections en perfections, vers le grand foyer, vers le but suprême, qui est Dieu, accomplissant ainsi cette oeuvre du Père qui n'a pas voulu la perte, mais le salut de tous ses enfants.

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Le principal argument des défenseurs de la théorie de l'enfer est que l'offense faite par l'homme, être fini, à Dieu, être infini, est par suite, infinie et mérite une peine éternelle. Or, tout mathématicien nous dira que le rapport d'une quantité finie à l'infini est nul. On pourrait retourner l'argument et dire que l'homme, ignorant et fini, ne saurait offenser l'infini et que son offense est nulle par rapport à celui-ci. Il ne peut faire de mal qu'à lui-même, en retardant son élévation et en s'attirant les souffrances que tout acte coupable engendre.
Les chefs de l'Eglise sont-ils réellement convaincus de l'existence de l'enfer éternel, et ne voient-ils pas là plutôt un épouvantail illusoire, mais nécessaire à la conduite de l'humanité ? C'est ce que l'on pourrait croire en commentant les paroles suivantes du traducteur de la Vulgate, Saint Jérôme :
«... Tels sont les motifs sur lesquels s'appuient ceux qui veulent faire entendre qu'après les supplices et les tourments, il y aura des soulagements, ce que l'on doit cacher quant à présent à ceux à qui la crainte est utile, afin que, redoutant les supplices, ils s'abstiennent de pécher (Quae nunc abscondenda sunt ab his quibus timor est utilis, ut, dum supplicia reformidant, peccare desistant) .
Il est vrai que saint Jérôme n'a pas craint de faire figurer dans le texte de l'Evangile selon saint Matthieu ces expressions : « le feu éternel, le supplice éternel ». Mais les mots hébreux que l'on a ainsi traduits ne semblent nullement avoir le sens que les Latins leur ont attribué .
Telle ne peut être la pensée de celui qui a dit : « Dieu ne veut qu'aucun de ces petits périsse. » Ces paroles sont confirmées par celles des apôtres :
« Dieu veut que tous les hommes soient sauvés et viennent à la connaissance de la vérité. » (Saint Paul, I Timoth., II, 4.)
« Dieu est le sauveur de tous les hommes. » (Saint Paul, I Timoth., IV, 10.)
« Dieu ne veut qu'aucun homme périsse, mais que tous viennent à la pénitence. » (Saint Pierre, II Epît., III, 9.)
Plusieurs, parmi les Pères de l'Eglise, abondent dans le même sens. C'est d'abord le maître d'Origène, saint Clément d'Alexandrie, qui dit :
« Le Christ sauveur opère finalement le salut de tous, et non pas seulement de quelques privilégiés. Le souverain Maître a tout disposé, soit dans l'ensemble, soit dans les détails, pour que ce but définitif fût atteint . »
C'est ensuite saint Grégoire de Nysse qui se prononce de la manière la plus formelle contre l'éternité des peines. Pour lui :
« Il y a nécessité que l'âme immortelle soit purifiée de ses souillures et guérie de toutes ses maladies. Les épreuves terrestres ont pour objet d'opérer cette guérison, qui s'achève après la mort, lorsqu'elle n'a pu être achevée dès cette vie. Quand Dieu fait souffrir le pécheur, ce n'est pas dans un esprit de haine ni de vengeance ; il veut ramener l'âme à Lui, qui est la source de tout bonheur. Le feu de la purification ne dure que pendant un temps convenable, et le seul but de Dieu est de rendre définitivement tous les hommes participants des biens qui constituent son essence . »
De nos jours, c'est Mgr Méric, directeur de Saint-Sulpice, qui expose très longuement, dans ses ouvrages, la théorie de la mitigation des peines . Et l'Eglise, sentant peut-être que l'idée d'un enfer éternel a fait son temps, ne s'est pas opposée à la publication de cette thèse.
La notion du purgatoire, moyen terme adopté par l'Eglise, est issue des mêmes préoccupations. Celle-ci a reculé devant l'énormité des peines éternelles, appliquées à certaines fautes légères. La question du purgatoire est de la plus haute importance, car elle peut constituer un lien, un trait d'union entre les doctrines catholiques et celles du spiritualisme moderne. Dans la pensée de l'Eglise romaine, le purgatoire est un lieu non défini, indéterminé. Rien n'empêche le catholique de concevoir les peines purificatrices de l'âme sous la forme de vies planétaires ultérieures, tandis que le protestant orthodoxe, pour adopter la notion des vies successives, est obligé de faire table rase de ses croyances, où le purgatoire n'a aucune place.
Dans la plupart des cas, le purgatoire, c'est la vie terrestre et les épreuves qu'elle comporte. Cela, les premiers chrétiens ne l'ignoraient pas. L'Eglise du moyen âge a écarté cette explication, qui eût entraîné l'affirmation de la pluralité des existences de l'âme et la ruine de l'institution des indulgences, source de grands profits pour les pontifes romains. On sait quels abus en sont sortis.

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En réalité, Satan n'est qu'une allégorie. Satan, c'est le symbole du mal. Mais le mal n'est pas, sur la terre, un principe éternel, coexistant avec le bien. Il passera. Le mal, c'est l'état transitoire des êtres en voie d'évolution.
Il n'y a ni lacune ni imperfection dans l'univers. L'oeuvre divine est harmonique et parfaite. Cette oeuvre, l'homme n'en voit qu'un fragment, et cependant il veut la juger d'après ses perceptions restreintes. L'homme, par sa vie présente, n'est qu'un point dans le temps et dans l'espace. Pour juger la création, il lui faudrait l'embrasser tout entière, mesurer la chaîne des mondes qu'il est appelé à parcourir, et la succession des existences qui l'attendent au sein des siècles à venir. Ce vaste ensemble échappe à ses conceptions ; de là ses erreurs ; de là l'infirmité de ses jugements.
Presque toujours, ce que nous appelons le mal n'est que la souffrance ; mais celle-ci est nécessaire, car, seule, elle mène à la compréhension. Par elle, l'homme apprend à différencier, à analyser ses sensations.
L'âme est une étincelle sortie de l'éternel foyer créateur. C'est par la souffrance qu'elle arrive à son plein éclat, à la pleine conscience d'elle-même. La douleur est comme l'ombre qui fait ressortir et apprécier la lumière. Sans la nuit, contemplerions-nous les étoiles ? La douleur brise la chaîne des fatalités matérielles et ouvre à l'âme des échappées vers la vie supérieure.
Au point de vue physique, le mal, la souffrance, sont souvent des choses relatives et de pure convention. Les sensations varient à l'infini suivant les personnes ; agréables pour les unes, elles seront douloureuses pour les autres. Il est des mondes très différents du milieu terrestre, où tout serait pénible pour nous, alors que d'autres hommes y peuvent vivre commodément.
Si nous faisons abstraction du milieu étroit où nous vivons, le mal ne nous apparaîtra plus comme une cause fixe, un principe immuable, mais comme des effets passagers, variant suivant les individus, se transformant et s'atténuant avec leur perfectionnement.
L'homme, ignorant au début de sa course, doit développer son intelligence et sa volonté par des efforts constants. Dans sa lutte contre la nature, son énergie se trempe, son être moral s'affirme et grandit. C'est grâce à cette lutte que le progrès se réalise, que se poursuit l'ascension de l'humanité montant d'étapes en étapes, de degrés en degrés, vers le bien et le mieux, conquérant elle-même sa prépondérance sur le monde matériel.
Si l'homme avait été créé heureux et parfait, il serait resté confondu dans la perfection divine ; il n'aurait pu individualiser le principe spirituel qui est en lui. Il n'y aurait eu ni travail, ni efforts, ni progrès dans l'univers ; rien que l'immobilité, l'inertie. L'évolution des êtres serait remplacée par une morne et monotone perfection. Ce serait le paradis catholique.
Sous le fouet de la nécessité, sous l'aiguillon du besoin et de la douleur, l'homme marche, avance, s'élève, et de vies en vies, de progrès en progrès, arrive à poser sur le monde le sceau de son intelligence et de sa domination.
Il en est de même du mal moral. Comme le mal physique, ce n'est là qu'un aspect passager, une forme transitoire de la vie universelle. L'homme fait le mal par ignorance, par faiblesse, et ses actes réagissent sur lui. Le mal est la lutte qui se produit entre les puissances inférieures de la matière et les puissances supérieures qui constituent son être pensant, son véritable moi. Mais du mal et de la souffrance naîtront un jour la félicité et la vertu. Quand l'âme aura vaincu les influences matérielles, ce sera pour elle comme si le mal n'avait jamais existé.
Ce n'est donc pas l'enfer qui lutte contre Dieu ; ce n'est pas Satan qui jette ses filets sur le monde. Non, c'est, l'âme humaine qui cherche sa voie dans l'ombre, c'est elle qui fait effort pour s'affirmer dans sa personnalité grandissante, et, après bien des défaillances, des chutes et des relèvements, dompte ses vices, conquiert la force morale et la vraie lumière. C'est ainsi que, lentement, d'âge en âge, à travers le flux et le reflux des passions, le progrès s'accentue, le bien se réalise.
L'empire du mal, ce sont les mondes inférieurs et ténébreux ; c'est la foule des âmes arriérées qui s'agitent dans les voies de l'erreur et du crime, tourbillonnant dans le cercle des existences matérielles, et, sous le choc des épreuves, sous le fouet de la douleur, émergent lentement de cet abîme d'ombre, d'égoïsme et de misère, pour s'illuminer des rayons de la science et de la charité. Satan, c'est l'ignorance, c'est la matière et ses lourdes influences ; Dieu, c'est la connaissance, c'est la clarté sublime, dont un reflet éclaire toute conscience humaine.
La marche de l'humanité se poursuivra vers les hauts sommets. L'esprit moderne s'affranchira de plus en plus des préjugés du passé. La vie perdra l'aspect farouche des siècles de fer, pour devenir le champ pacifique et fécond où l'homme travaillera au développement de ses facultés et de ses qualités morales.
Nous n'en sommes pas encore là : le mal n'est pas éteint sur la terre, la lutte n'est pas terminée. Les vices, les passions couvent au fond de l'âme humaine. Des conflits redoutables, des tempêtes sociales sont à craindre. Partout, de sourds grondements, des revendications ardentes se font entendre. La lutte est nécessaire dans les mondes de la matière, nécessaire pour arracher l'homme à sa torpeur, à ses jouissances grossières, pour préparer l'avènement d'une société nouvelle. Comme l'étincelle jaillit du choc des cailloux, ainsi, du choc des passions peut surgir un idéal nouveau, une forme plus haute de la justice, sur laquelle l'humanité modèlera ses institutions.
Déjà l'homme moderne sent augmenter en lui la conscience de son rôle et de sa valeur. Bientôt il se sentira rattaché à l'univers, participant à sa vie immense ; pour toujours, il se saura citoyen du ciel. Par son intelligence, par son âme, l'homme saura agir, collaborer à l'oeuvre universelle ; à son tour, il deviendra créateur, ouvrier de Dieu.
La révélation nouvelle lui aura appris à se connaître, à connaître la nature de l'âme, son rôle et ses destinées. Elle lui montrera le double pouvoir qu'il possède sur le monde de la matière et sur le monde de l'esprit. Toutes les incohérences, toutes les contradictions apparentes de l'oeuvre divine s'expliqueront pour lui. Ce qu'il appelait le mal physique et le mal moral, tout ce qui lui apparaissait comme la négation du bien, du beau, du juste, tout s'unifiera dans les lignes d'une oeuvre puissante et forte, dans l'harmonie de lois sages et profondes. L'homme verra se dissiper le rêve effrayant, le cauchemar de la damnation ; il élèvera son âme vers l'espace que remplit la pensée divine, vers l'espace d'où descend le pardon de toutes les fautes, le rachat de tous les crimes, la consolation pour toutes les douleurs, vers l'espace rayonnant où règne l'éternelle miséricorde.
Les puissances de l'enfer se seront évanouies pour jamais ; le règne de Satan aura pris fin ; l'âme, affranchie de ses terreurs, se rira des fantômes qui, si longtemps, l'ont épouvantée !
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Parlerons-nous de la résurrection de la chair, dogme d'après lequel les atomes de notre corps charnel, éparpillés, dispersés en mille corps nouveaux, doivent se réunir un jour, reconstituer notre enveloppe et figurer au dernier jugement.
Les lois de l'évolution matérielle, la circulation incessante de la vie, le jeu des molécules qui passent en courants innombrables de formes en formes, d'organismes en organismes, rendent cette théorie inadmissible. Le corps humain se modifie constamment ; les éléments qui le composent se renouvellent entièrement en quelques années. Aucun des atomes actuels de notre chair ne se retrouvera à la mort, pour peu que notre vie se prolonge, et ceux qui constitueront alors notre enveloppe seront dispersés aux quatre vents du ciel.
La plupart des Pères de l'Eglise l'entendaient autrement. Ils connaissaient l'existence du périsprit, de ce corps fluidique, subtil, impondérable, qui est l'enveloppe permanente de l'âme, avant, pendant, et après la vie terrestre ; ils l'appelaient corps spirituel. Saint Paul, Origène et les Pères alexandrins affirmaient son existence. Pour eux, les corps des anges et des élus, formés de cet élément subtil, étaient « incorruptibles, déliés, ténus et souverainement agiles  ».
Aussi n'attribuaient-ils la résurrection qu'à ce corps spirituel, lequel résume en sa substance quintessenciée toutes les enveloppes grossières, périssables que l'âme a revêtues, puis abandonnées, dans ses pérégrinations à travers les mondes.
Le périsprit, en pénétrant de son énergie toutes les matières passagères de la vie terrestre, est bien, en effet, le corps essentiel.
La question était, par là, simplifiée. Cette croyance des premiers Pères au corps spirituel jetait, en outre, d'assez vives lumières sur le problème des manifestations occultes.
Tertullien dit (De Carne Christi, ch. VI) :
« Les anges ont un corps qui leur est propre et se pouvant transfigurer en une chair humaine ; ils peuvent, pour un temps, se faire voir aux hommes et communiquer visiblement avec eux. »
Que l'on étende aux Esprits des morts le pouvoir que Tertullien attribue aux anges, et voilà le phénomène des matérialisations et des apparitions expliqué !
D'un autre côté, si l'on consulte les Ecritures avec attention, on remarquera que le sens grossier attribué de nos jours par l'Eglise à la résurrection n'est nullement justifié. On n'y rencontrera pas les termes : résurrection de la chair, mais plutôt ressusciter d'entre les morts (a mortuis resurgere), et, dans un sens plus général : la résurrection des morts (resurrectio mortuorum). La différence est grande.
D'après les textes, la résurrection prise dans le sens spirituel, c'est la renaissance à la vie de l'Au-delà, la spiritualisation de la forme humaine pour ceux qui en sont dignes, et non l'opération chimique qui reconstituerait des éléments matériels ; c'est l'épuration de l'âme et de son périsprit, canevas fluidique sur lequel le corps matériel est formé pour le temps de la vie terrestre.
C'est ce que l'apôtre s'évertuait à faire entendre :
« L'homme est semé dans la corruption, il se reconstruit dans l'incorruptibilité ; il est semé dans l'ignominie, il se reconstruit dans la gloire ; il est semé dans l'infirmité, il se reconstruit dans la puissance. Il est semé corps animal, il se reconstruit corps spirituel... Je vous le dis, mes frères, la chair et le sang ne peuvent hériter le royaume de Dieu, ni la corruption hériter l'incorruptibilité . »
Plusieurs théologiens adoptent cette interprétation, en donnant aux corps ressuscités des propriétés inconnues à la matière charnelle, en les faisant « lumineux, agiles comme des esprits, subtils comme l'éther, et impassibles  ».
Tel est le véritable sens de la résurrection des morts, comme l'entendaient les premiers chrétiens. Si l'on voit, à une époque postérieure, apparaître dans certains documents, et en particulier dans le Symbole apocryphe des apôtres, le mot de résurrection de la chair, c'est toujours dans le sens de réincarnation , - c'est-à-dire de retour à la vie matérielle, - acte par lequel l'âme revêt une nouvelle chair pour parcourir le champ de ses existences terrestres.

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Le christianisme, sous le triple aspect qu'il a revêtu de nos jours : catholicisme romain, protestantisme orthodoxe, ou religion grecque, ne s'est donc pas constitué tout d'une pièce et en un seul moment, comme certains le croient, mais lentement, à travers les siècles, au milieu de tâtonnements, de luttes acharnées, de déchirements profonds. Chaque dogme, s'édifiant sur un autre, venait affirmer ce que les temps antérieurs avaient nié. Le dix-neuvième siècle lui-même a vu promulguer deux des dogmes les plus contestés, les plus controversés, ceux de l'immaculée conception et de l'infaillibilité papale, dont un prêtre catholique de grande valeur a pu dire : « Ils inspirent peu de vénération, lorsqu'on a vu comment on les fait . »
Cependant, cette oeuvre des siècles, dont la tradition ecclésiastique a fait une doctrine inintelligible, aurait pu devenir le vêtement d'une religion raisonnable, conforme aux données de la science et aux exigences du sens commun, si, au lieu de prendre chaque dogme à la lettre, on avait voulu y voir une image, un transparent symbole. En le dépouillant de son caractère surnaturel, on pourrait presque toujours y trouver une idée philosophique, un substantiel enseignement.
Par exemple, la Trinité, définie par l'Eglise « un seul Dieu en trois personnes », ne serait, à ce point de vue, qu'un concept de l'esprit représentant la Divinité sous trois aspects essentiels. La Loi, vivante et immuable : c'est le Père ; la Raison ou sagesse éternelle : c'est le Fils ; l'Amour, puissance créatrice et fécondante : c'est le Saint-Esprit.
L'incarnation du Christ, c'est la divine sagesse descendant du ciel dans l'humanité, y prenant corps, pour former un type de perfection morale offert en exemple aux hommes, qu'il initie à la grande loi du sacrifice.
Le péché originel, les fautes dont l'homme est responsable, sont celles de ses vies antérieures, qu'il doit tâcher d'effacer par son mérite, son courage et sa résignation dans l'épreuve.
On pourrait expliquer ainsi, d'une façon simple, claire, rationnelle, tous les dogmes anciens du christianisme, ceux qui découlent de la doctrine secrète enseignée dans les premiers siècles et dont on a perdu la clé, méconnu le sens.
Quant aux dogmes modernes, on ne peut voir en eux qu'un produit de l'ambition sacerdotale. Ils n'ont été promulgués que pour rendre plus complet l'asservissement des âmes.
Mais, si profonde que soit la pensée philosophique cachée sous le symbole, elle ne saurait suffire désormais à une restauration des croyances humaines. Les lois supérieures et les destinées de l'âme nous sont révélées par des voix plus autorisées que celles des penseurs de l'antiquité ; ce sont celles des êtres qui habitent l'espace et vivent de cette vie fluidique qui sera la nôtre un jour.
Cette révélation servira de base aux croyances de l'avenir, car elle apporte une démonstration éclatante de cet Au-delà dont l'âme a soif, de ce monde spirituel auquel elle aspire, et que les religions lui ont présenté jusqu'ici sous des formes si incomplètes ou si chimériques.
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L'explication rationnelle des dogmes peut s'étendre aux sacrements, institutions respectables, si on les considère comme des figures symboliques, comme des moyens d'entraînement moral et de discipline religieuse, mais qu'on ne saurait prendre à la lettre, dans le sens imposé par l'Eglise.
Ce que nous avons dit du péché originel nous conduit à considérer le baptême comme une simple cérémonie d'initiation ou de Consécration, car l'eau est impuissante à débarrasser l'âme de ses souillures.
La confirmation ou imposition des mains était l'acte de transmission des dons fluidiques, du pouvoir de l'apôtre à une autre personne, qu'il mettait ainsi en relations avec l'invisible . Ce pouvoir se justifiait par des mérites acquis au cours de vies antérieures.
La pénitence et la rémission des péchés ont donné naissance à la confession, publique d'abord et faite à d'autres chrétiens ou directement à Dieu, puis auriculaire dans l'Eglise catholique et s'adressant au prêtre. Celui-ci, devenu seul arbitre, a jugé ce moyen indispensable pour s'éclairer et discerner les cas où l'absolution est méritée. Mais peut-il jamais se prononcer avec certitude ? La contrition du pénitent, nous dit l'Eglise, est nécessaire. Et cette contrition, comment établir qu'elle est réelle et suffisante ? La décision du prêtre découle de l'aveu des fautes ; est-il jamais certain que cet aveu soit complet ?
Si nous consultons tous les textes sur lesquels repose l'institution de la confession , nous n'y trouvons qu'une chose : c'est que l'homme doit convenir de ses torts envers le prochain ; c'est qu'il doit avouer ses fautes devant Dieu. De ces textes se dégage plutôt cette considération : la conscience individuelle est sacrée ; elle relève directement de Dieu. Rien n'y vient justifier la prétention du prêtre de s'ériger en juge.
Que dit saint Paul, en parlant de la communion et de ceux qui en sont dignes :
« Que chacun s'éprouve soi-même. » (I Epître aux Corinthiens, XI, 28.)
Il reste muet en ce qui concerne la confession, considérée de nos jours comme indispensable en pareille circonstance.
Saint Jean Chrysostome, dans un cas semblable, s'écrie :
« Révélez votre vie à Dieu ; confessez vos péchés à Dieu ; confessez-les à votre juge, en le priant, sinon de la voix, au moins mentalement, et priez-le de telle sorte qu'il vous pardonne. » (Homélie XXXI sur l'Epît. aux Hébreux.)
La confession auriculaire n'a jamais été pratiquée dans les premiers temps du christianisme ; elle ne vient pas de Jésus-Christ, mais des hommes.
Quant à la rémission des péchés, déduite de ces paroles célèbres du Christ : « Ce qui est lié sur la terre sera lié dans les cieux », il semble que cette forme de langage s'applique plutôt aux habitudes, aux goûts matériels contractés par l'esprit durant la vie terrestre, et qui l'enchaînent fluidiquement à la terre après sa mort.
Puis vient l'Eucharistie ou présence réelle du corps et du sang de Jésus-Christ, l'hostie consacrée, le sacrifice de la croix renouvelé tous les jours, sur les milliers d'autels de la catholicité, à la voix du prêtre, et l'absorption par les fidèles du corps vivant et saignant du Christ, selon la formule du catéchisme du concile de Trente :
« Ce n'est pas seulement le corps de Jésus-Christ qui est contenu dans l'Eucharistie, avec tout ce qui constitue un corps véritable, comme les os et les nerfs ; c'est Jésus-Christ tout entier. »
D'où vient ce mystère affirmé par l'Eglise ? De paroles de Jésus, prises à la lettre, et qui avaient un caractère purement symbolique. Ce caractère est nettement indiqué, d'ailleurs, par la phrase qu'il ajoute : Faites ceci en mémoire de « moi  ». Par là, le Christ écarte toute idée de présence réelle. Il n'a évidemment voulu parler que de son corps spirituel, personnifiant l'homme régénéré par l'esprit de charité et d'amour. La communion entre l'être humain et la nature divine s'opère par l'union morale avec Dieu ; elle se réalise par les élans puissants de l'âme vers son Père, par des aspirations constantes vers le foyer divin. Toute cérémonie matérielle est vaine, si elle ne correspond à un état élevé de la pensée et du coeur. Ces conditions étant remplies, elle établit, au contraire, comme à l'origine, un rapport mystérieux entre l'homme fervent et le monde invisible. Des influences magnétiques descendent sur cet homme et sur l'assemblée dont il fait partie, et plusieurs en ressentent les bienfaits.

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Le culte religieux est un hommage légitime rendu à la Toute-Puissance ; c'est l'élévation de l'âme vers son Créateur, le rapport naturel et essentiel de l'homme avec Dieu. Les pratiques de ce culte sont utiles ; les aspirations qu'elles éveillent, la poésie consolatrice qui en découle, sont un soutien pour l'homme, une protection contre ses passions. Mais, pour parler à l'esprit et au coeur du croyant, le culte doit être sobre dans ses manifestations ; il doit renoncer à un déploiement de richesse matérielle toujours nuisible au recueillement et à la prière. Il ne doit laisser aucune place aux superstitions puériles. Simple et grand dans ses formes, il doit donner l'impression de la majesté divine.
Dans les âges lointains, le culte extérieur a presque toujours dépassé les limites que lui assigne une foi pure et élevée. Emporté par le fanatisme religieux résultant de son ignorance et de son infériorité morale, l'homme a offert à la Divinité des sacrifices sanglants ; le prêtre a enfermé l'esprit des générations dans un réseau de cérémonies terrifiantes.
Les temps ont changé ; l'intelligence s'est développée ; les moeurs se sont adoucies ; mais l'oppression sacerdotale se manifeste encore de nos jours, dans ces rites sous lesquels l'idée de Dieu se voile et s'obscurcit, dans ce cérémonial dont le luxe et l'éclat captivent les sens et détournent la pensée du but élevé qu'elle poursuit. Ne sent-on pas sous ce faste, sous ces pompes brillantes du catholicisme, un esprit de domination qui cherche à tout envahir, à tout enlacer, et, sous ces formes diverses, par ces pratiques extérieures, s'éloigne de plus en plus du véritable idéal chrétien ?
Il est nécessaire, il est urgent que le culte rendu à Dieu redevienne simple, austère dans son principe comme dans ses manifestations. Que de progrès se réaliseraient, si le culte, pratiqué dans la famille, permettait à tous ses membres, groupés et recueillis, d'élever dans un même élan de foi leurs pensées et leurs coeurs vers l'Eternel ; si, à des époques fixées, tous les croyants se réunissaient pour entendre, d'une bouche autorisée, la parole de vérité ! Alors, la doctrine de Jésus, mieux comprise, serait aimée et pratiquée ; le culte, redevenu simple et sincère, exercerait une action efficace sur les âmes.
Malgré tout, le culte romain s'obstine à conserver des formes empruntées aux anciennes religions orientales, formes qui ne disent plus rien au coeur et sont pour les fidèles une habitude routinière, sans influence sur leur vie morale. Il persiste à s'adresser à Dieu, depuis deux mille ans, dans une langue que l'on ne comprend plus, avec des paroles que les lèvres murmurent, mais dont on ne saisit plus le sens.
Toutes ces manifestations tendent à détourner l'homme de l'étude approfondie et de la réflexion, pour développer en lui la vie contemplative. Les longues prières, le cérémonial éclatant occupent les sens, entretiennent l'illusion et habituent la pensée à fonctionner mécaniquement, sans le concours de la raison.
Toutes les formes du culte romain sont un legs du passé. Ses cérémonies, ses vases d'or et d'argent, ses chants, ses processions, l'eau lustrale, sont un héritage du paganisme. Au brahmanisme on a emprunté l'autel, la flamme sacrée qui y brûle, le pain et la liqueur du soma consacrés à la Divinité. Du bouddhisme, on a copié le célibat des prêtres et la hiérarchie sacerdotale. La chasuble fut imitée des prêtres du soleil ; la soutane noire, empruntée aux sacrificateurs de Mithra ; la chasuble dorée était en usage dans les temples égyptiens ; la mitre vient des mages de la Chaldée, et la crosse des augures romains.
Une lente substitution s'est produite, dans laquelle on retrouve les vestiges des croyances évanouies. Les dieux païens sont devenus des démons. Les divinités des Phéniciens et des Assyriens : Baal-Zeboud (Belzébuth), Astaroth, Lucifer, furent transformés en puissances infernales. Les démons du platonicisme, qui étaient des esprits familiers, devinrent des diables. Des héros, des personnages révérés en Gaule, en Italie, en Grèce, on fit des saints. On conserva les fêtes religieuses des peuples anciens, en leur donnant des formes à peine différentes, comme celle des Morts. Partout on greffa sur le culte antique un culte nouveau, qui en était, sous d'autres noms, la reproduction. Les dogmes chrétiens eux-mêmes se retrouvent dans l'Inde et la Perse.
Le Zend-Avesta , comme la doctrine chrétienne, contient les théories de la chute et de la rédemption, celle des bons et des mauvais anges, la désobéissance initiale de l'homme et la nécessité du salut par la grâce.
Sous cet amas de formes matérielles et de conceptions surannées, au milieu de ce pesant héritage des religions disparues qui constitue le christianisme moderne, on a peine à reconnaître la pensée du fondateur. Certes, les auteurs de l'Evangile n'avaient prévu ni les dogmes, ni le culte, ni le sacerdoce. Rien de semblable ne se trouve dans la pensée évangélique. Nul n'a été moins que Jésus imbu de l'esprit sacerdotal ; nul n'a été moins épris des formes, des pratiques extérieures. Tout en lui est sentiment, élévation de la pensée, simplicité et pureté de coeur.
Sur ce point, ses successeurs ont complètement méconnu ses intentions. Entraînés par les instincts matériels qui dominent dans l'humanité, ils ont surchargé la religion chrétienne d'un pompeux appareil, sous lequel l'idée-mère est étouffée.
« Ne souffrez pas qu'on vous appelle maîtres  », avait dit Jésus, et les papes se font appeler Sainteté et se laissent encenser ! Ils ont oublié l'exemple de l'apôtre Pierre disant au centurion Corneille, prosterné à ses pieds : « Lève-toi, je ne suis qu'un homme  !  » Ils ne songent plus que, semblables au Maître, ils auraient dû rester doux et humbles de coeur ; l'orgueil les a envahis. Dans l'Eglise s'est constituée une hiérarchie imposante, basée, non plus sur les dons spirituels, comme aux premiers temps, mais sur une autorité purement humaine. A l'influence d'en haut, qui seule dirigeait l'Eglise primitive, s'est substitué peu à peu le principe d'obéissance passive aux règles fixées. Mais tôt ou tard la pensée du Maître, rétablie dans sa pureté première, brillera d'un nouvel éclat. Les formes religieuses passeront ; les institutions humaines s'écrouleront ; la parole du Christ vivra éternellement, pour vivifier les âmes et régénérer les sociétés.
VIII. - DECADENCE DU CHRISTIANISME
Dix-neuf siècles se sont écoulés depuis les temps du Christ, dix-neuf siècles d'autorité pour l'Eglise, dont douze de pouvoir absolu. Quelles sont, à l'heure actuelle, les conséquences de son enseignement ?
Le christianisme avait pour mission de recueillir, d'expliquer, de répandre la doctrine de Jésus, d'en faire la règle d'une société meilleure et plus heureuse. A-t-il su accomplir cette grande tâche ? « On juge l'arbre à ses fruits », dit l'Ecriture. Regardez l'arbre du christianisme. Ploie-t-il sous le poids de fruits d'espérance et d'amour ?
L'arbre est toujours gigantesque, sans doute, mais, parmi ses rameaux, que de branches ont été coupées, mutilées ; combien d'autres se sont desséchées, combien sont restées infécondes ! Le pèlerin de la vie s'arrête, épuisé, sous son ombre, et c'est en vain qu'il y cherche le repos de l'âme, la confiance, la force morale nécessaire pour reprendre sa course. Il aspire à des ombrages plus salutaires ; il convoite un aliment plus savoureux ; instinctivement, ses regards explorent l'horizon.
A l'heure présente, dans ce siècle de progrès, l'homme ne sait encore rien de l'avenir, rien du sort qui l'attend à la fin de l'étape terrestre. La foi en l'immortalité est bien faible chez beaucoup de ceux qui se disent les disciples du Christ ; parfois leurs espérances vacillent sous le souffle glacé du scepticisme. Les fidèles couchent leurs morts dans le cercueil, et, avec les coups de marteau qui frappent la bière, le doute pesant tombe sur leurs âmes et les étreint.
Le prêtre connaît sa faiblesse ; il se sait fragile, sujet à l'erreur comme ceux qu'il a la prétention de diriger, et, si ce n'était sa situation matérielle et sa dignité qui sont en question, il reconnaîtrait son insuffisance et cesserait d'être un aveugle, conducteur d'aveugles. Car celui qui, ne sachant rien de la vie future et de ses véritables lois, s'érige en conducteur des autres, devient l'homme dont parle l'Evangile :
« Si un aveugle en conduit un autre, ils tombent tous deux dans la fosse. » (Matth., XV, 14.)
L'obscurité s'est faite dans le sanctuaire. Il n'est pas un évêque qui paraisse savoir, sur les conditions de la vie d'outre-tombe, ce que savait le moindre initié des temps anciens, le plus humble diacre de la primitive Eglise.
Au-dehors, règnent le doute, l'indifférence, l'athéisme. L'idéal chrétien a perdu son influence sur le peuple ; la vie morale s'est affaiblie. La société, ignorante du but élevé de l'existence, se jette avec frénésie à la conquête des jouissances matérielles. Une période de trouble et de décomposition s'est ouverte, période qui aboutirait à l'abîme et à la ruine, si déjà, confusément, un nouvel idéal ne commençait à poindre et à éclairer les intelligences.
D'où vient l'état de choses actuel ?
Pendant douze siècles, l'Eglise a dominé, pétri à sa guise l'âme humaine et la société entière. Tous les pouvoirs étaient dans sa main. Toutes les autorités étaient en elle ou venaient d'elle. Elle régnait sur les esprits et sur les corps ; elle régnait par la parole et par le livre, par le fer et par le feu. Elle était maîtresse absolue dans le monde chrétien : aucun frein, aucune borne ne limitait son action. Qu'a-t-elle fait de cette société ? Elle se plaint de sa corruption, de son scepticisme, de ses vices. Songe-t-elle qu'en l'accusant, elle s'accuse elle-même ? Cette société est son oeuvre ; la vérité, c'est qu'elle a été impuissante à la diriger, à l'améliorer. La société sceptique et corrompue du dix-huitième siècle est sortie de ses mains. Ce sont les abus, les excès, les erreurs du sacerdoce qui ont engendré son état d'esprit. C'est l'impossibilité de croire aux dogmes de l'Eglise qui a poussé l'humanité vers le doute et la négation.
Le matérialisme a pénétré le corps social jusqu'aux moelles. Mais à qui la faute ? Si les âmes avaient trouvé dans la religion, telle qu'elle leur était enseignée, la force morale, les consolations, la direction spirituelle dont elles avaient besoin, se seraient-elles détachées de ces Eglises, qui ont bercé dans leurs mains puissantes tant de générations ? Auraient-elles cessé de croire, d'espérer et d'aimer ?
La vérité est que l'enseignement de l'Eglise n'a pas réussi à satisfaire les intelligences et les consciences. Il n'a pu dominer les moeurs ; il a jeté partout l'incertitude, le trouble de la pensée, d'où est venue l'hésitation dans le devoir et, pour beaucoup, la ruine de toute espérance.
Alors qu'au comble de la puissance, l'Eglise n'a pu régénérer l'humanité, comment le pourrait-elle aujourd'hui ? Ah ! peut-être, si elle abandonnait ses palais, ses richesses, son culte fastueux et théâtral, l'or et la pourpre ; si, couverts de bure, le crucifix à la main, les évêques, les princes de l'Eglise, renonçant à leurs biens matériels et devenant, comme Christ, des vagabonds sublimes, allaient prêcher aux foules le véritable évangile de paix et d'amour, alors peut-être l'humanité croirait en eux. L'Eglise romaine ne parait pas disposée à jouer ce rôle ; l'esprit du Christ semble l'abandonner de plus en plus. Il ne reste guère en elle qu'une forme extérieure, une apparence, sous laquelle repose le cadavre d'une grande idée.
Les Eglises chrétiennes, dans leur ensemble, ne subsistent que par ce qui reste en elles de morale évangélique ; leur conception du monde, de la vie, de la destinée, est devenue lettre morte. Que penser, en effet, d'un enseignement qui a forcé les hommes à croire, à affirmer pendant des siècles l'immobilité de la terre et la création du monde en six jours ? Que penser d'une doctrine qui voit dans la résurrection de la chair l'unique moyen de rendre les morts à la vie ? Que dire de cette croyance d'après laquelle les atomes de notre corps, depuis longtemps disséminés, doivent un jour se réunir ? Au regard des données nouvelles qui, chaque jour, viennent éclairer le problème de la survivance, tout cela n'est qu'un rêve d'enfant.
Il en est de même de l'idée de Dieu. Le plus grave reproche que l'on puisse adresser à l'enseignement des Eglises, c'est d'avoir faussé, dénaturé l'idée de Dieu et, par là, de l'avoir rendue odieuse à beaucoup d'esprits. L'Eglise romaine a toujours imposé aux foules la crainte de Dieu. C'était là un sentiment nécessaire pour réaliser son plan de domination, pour courber l'humanité à demi barbare sous le principe d'autorité, mais un sentiment dangereux, parce qu'après avoir fait longtemps des esclaves, il a fini par faire des révoltés ; un sentiment malsain, celui de la peur, qui, après avoir porté l'homme à craindre, l'a poussé à haïr. Dans la Puissance suprême, il n'a vu que le Dieu des châtiments effroyables et des peines éternelles, le Dieu au nom duquel se sont dressés les échafauds et les bûchers, au nom duquel le sang a coulé dans les salles de torture. De là est sortie cette réaction violente, cette négation furieuse, cette haine de l'idée de Dieu, du Dieu despote et bourreau, haine traduite par ce cri, qui retentit de toutes parts aujourd'hui, dans nos demeures, sur nos places, dans nos feuilles publiques : Ni Dieu ni maître !
Et si vous ajoutez à cela la discipline terrible imposée aux fidèles par l'Eglise du moyen âge, les jeûnes, les macérations, les scrupules exagérés, la crainte perpétuelle de la damnation, un regard, une pensée, une parole coupables étant passibles des peines de l'enfer, vous comprendrez quel sombre idéal, quel régime d'épouvante l'Eglise a fait peser pendant des siècles sur le monde, le poussant au renoncement envers tout ce qui constitue la civilisation, la vie sociale, pour ne songer qu'au salut personnel, au mépris des lois naturelles, qui sont les lois divines.
Ah ! ce n'est pas là ce qu'enseignait Jésus, lorsqu'il parlait du Père, lorsqu'il affirmait ce seul, ce véritable principe du christianisme, l'amour, sentiment qui féconde l'âme, la relève de tout abaissement, ouvre une issue aux puissances affectives qu'elle contient, sentiment d'où peut sortir encore la rénovation, la régénération de l'humanité.
Car nous ne pouvons connaître Dieu et nous rapprocher de lui que par l'amour ; lui seul attire et vivifie. Dieu est tout amour ; pour le comprendre, il faut développer en soi ce principe divin. Il faut cesser de vivre dans la sphère du moi, pour vivre dans la sphère du divin qui embrasse toutes les créatures. Dieu est en tout homme qui sait aimer. Aimer et cultiver ce qu'il y a de divin en nous et dans l'humanité, c'est là le secret de toute progression, de toute élévation. Il a été dit : « Aime Dieu par-dessus toute chose et ton prochain comme toi-même. »
C'est par là que les grandes âmes chrétiennes se sont élevées à des hauteurs sublimes. C'est par là que les Vincent de Paul, les François d'Assise et d'autres ont pu réaliser des oeuvres qui font l'admiration des siècles. Leur ardente charité n'était pas inspirée par le dogme catholique : c'est dans l'Evangile que ces nobles esprits ont puisé la foi et l'amour dont ils étaient animés.
Si les préceptes évangéliques avaient prévalu, le christianisme serait à l'apogée de sa puissance et de sa gloire. Aussi faudra-t-il revenir aux purs enseignements du Christ, si l'on veut relever et sauver la religion ; car, si la religion du pouvoir a sa grandeur, plus grande est celle de l'amour ; si la religion de la justice est grande, plus grande est celle du pardon et de la miséricorde. Ce sont là les principes véritables et la base réelle du christianisme.
Il en a été de la conception du monde et de la vie comme de l'idée de Dieu. Longtemps l'Eglise a imposé aux intelligences cette vieille théorie, qui faisait de la terre le corps central le plus important de l'univers ; du soleil et des astres, des tributaires s'agitant autour d'elle. Les cieux étaient comme une voûte solide ; au-dessus trônait l'Eternel, entouré des armées célestes ; au-dessous de la terre, les lieux profonds, inférieurs, les enfers. Le monde, créé il y a six mille ans, devait avoir une fin prochaine ; de là une menace permanente, suspendue sur l'humanité. Avec la fin du monde coïncidera le jugement terrible, définitif, universel, qui verra tous les morts sortir des tombeaux, revêtus de leurs corps charnels, pour comparaître devant le tribunal de Dieu.
L'astronomie moderne a détruit ces conceptions. Elle démontre que notre globe est un simple membre de la grande famille des corps célestes, que les profondeurs du ciel sont peuplées d'astres en nombre infini. Partout, des terres, des soleils, des sphères, en voie de formation, de développement ou de décroissance, nous racontent les merveilles d'une création incessante, éternelle, où les formes de la vie se multiplient, se succèdent et se renouvellent, comme les enfantements d'une pensée souveraine.
Parmi ces mondes qui roulent dans l'immensité des cieux, notre terre est un grain de sable, un atome perdu dans l'espace. Cet atome, l'Eglise persiste à le croire seul habité. Mais la science, la philosophie, la révélation des Esprits, nous montrent la vie s'épanouissant à la surface de ces mondes et s'élevant de degrés en degrés, à travers de lentes transformations, vers un idéal de beauté et de perfection. Partout, des peuples, des races, des humanités innombrables poursuivent leurs destinées, au sein de l'harmonie universelle.
L'Eglise enseigne qu'un premier homme a paru sur la terre, il y a six mille ans, dans un état de félicité d'où il est tombé par suite de son péché. L'anthropologie préhistorique recule l'existence de l'humanité à des époques beaucoup plus lointaines. Elle nous montre l'homme d'abord à l'état sauvage, d'où il est sorti peu à peu pour s'élever par une progression constante jusqu'à la civilisation actuelle.
Le globe terrestre n'a pas été créé en six jours ; c'est un organisme qui s'est développé à travers les âges. Dans les couches superposées qui s'étendent à sa surface, la géologie voit les phases successives de sa formation. L'observation scientifique, l'étude patiente et persévérante des lois de la vie, a fait reconnaître l'action d'une volonté qui a disposé toutes choses sur un plan déterminé. En vertu de ce plan, les êtres possèdent en eux leur principe d'existence et s'élèvent par des gradations mesurées, de formes en formes, d'espèces en espèces, vers des types toujours plus parfaits. Nulle part n'apparaissent les traces d'une création arbitraire ou miraculeuse, mais plutôt le lent travail d'une création qui s'accomplit par les efforts de chacun et au profit de tous. Partout se révèle l'action de lois sages et profondes, la manifestation d'un ordre universel, d'une pensée divine, qui a laissé à l'être la liberté et les moyens de se développer lui-même, au prix du temps, du travail et des épreuves.
L'Eglise, qui, pendant tant de siècles, a enseigné, régenté, dirigé le monde, a toujours ignoré, en réalité, les véritables lois de l'univers et de la vie. Cependant, ce sont là les oeuvres de Celui qu'elle dit représenter, au nom de qui elle prétend parler et enseigner. Ces oeuvres, elle les a méconnues et les méconnaît encore. Ses explications sur l'ordre et la structure de l'univers, sur la vie de l'âme et son avenir, sur les puissances psychiques de l'être, ont toujours été erronées.
Il a fallu les efforts répétés de la pensée libre et de la science pour sonder cet immense domaine de la nature, dont l'Eglise disait avoir la garde et l'interprétation. C'est la science seule qui l'a amenée à se rectifier elle-même sur nombre de points, et à distinguer dans le christianisme les vérités essentielles des fictions allégoriques.
L'Eglise a longtemps considéré comme hérétiques les savants qui affirmaient le mouvement de la terre. Galilée fut condamné à la prison pour avoir enseigné que le globe se meut . Le moine irlandais Virgile fut excommunié par le pape Zacharie, pour avoir affirmé qu'il existe des antipodes.
Prenant à la lettre ce qui n'était que figures, l'Eglise ne pouvait croire à la sphéricité du globe, alors que plusieurs passages des Ecritures semblent lui imposer quatre coins. Maintenant, elle déclare qu'en parlant de l'immobilité de la terre au centre du monde, les Ecritures se plaçaient au point de vue de l'ignorance antique, et elle s'est ralliée, dans certains cas, au système de Galilée et de Descartes. Mais ce n'est pas sans de longues hésitations, car les ouvrages de Galilée et de Copernic n'ont été effacés de l'index qu'en 1835. Ainsi, l'Eglise est arrivée insensiblement à considérer comme une simple fiction ce qui, autrefois, était un dogme pour elle. Sur ce point, c'est donc la science qui l'a aidée à comprendre la Bible.
Il en est de même de ses vues sur la création. La haute antiquité de notre planète et sa lente formation, établies par la science, ont été longtemps condamnées par l'Eglise, comme opposées au récit de la Genèse. Aujourd'hui, elle cède à la pression des études géologiques et ne voit plus dans ce récit qu'un tableau symbolique de l'oeuvre de la nature, se développant à travers le temps, selon un plan divin.
S'en tiendra-t-elle là ? Ne sera-t-elle pas obligée de s'incliner devant l'histoire et devant l'exégèse, comme elle l'a fait devant l'astronomie et la géologie ? N'en viendra-t-elle pas à dégager la personnalité du Christ et sa haute mission morale de toutes les hypothèses établies sur son origine et sa nature divines  ?
Après avoir combattu et renié la science, l'Eglise devra tôt ou tard, si elle veut vivre, se ranger derrière elle et s'assimiler ses découvertes. Ses séculaires erreurs n'en resteront pas moins comme un témoignage de son impuissance à s'élever d'elle-même à la connaissance des lois universelles. Et l'on se demandera - l'Eglise s'étant trompée ainsi sur des choses physiques, toujours vérifiables - quel crédit on peut lui accorder en ce qui concerne des doctrines mystiques, restées jusqu'ici en dehors de tout contrôle.
Tout nous démontre que cette partie de son enseignement n'est pas moins défectueuse. Déjà les manifestations des esprits des morts, en se multipliant, nous ouvrent sur les conditions de la vie d'outre-tombe une source d'éclaircissements, d'aperçus nouveaux, qui viennent ruiner les affirmations du dogme.
Nous ne pouvions plus croire à un monde, à un univers créé de rien, que Dieu gouverne par le miracle et par la grâce. Nous ne pouvons pas croire davantage que la vie soit une oeuvre de salut personnel, le travail une flétrissure, un châtiment, avec l'enfer éternel pour perspective, ou bien un purgatoire d'où l'on ne peut sortir que par des prières payées, ou encore un paradis morne et monotone où nous serions condamnés à vivre sans activité, sans but, à jamais séparés peut-être de ceux que nous avons aimés. Nous ne pouvons plus croire au péché d'Adam retombant sur l'humanité entière, ni au rachat par l'immolation d'un Dieu sur la croix.
La pensée moderne se détache de plus en plus de ces mythes, de ces épouvantails puérils ; elle brise ces toiles d'araignées que l'on a voulu étendre entre elle et la vérité. Elle s'élève chaque jour, et, dans le spectacle des mondes et le grand livre de la nature, dont les pages se déroulent autour d'elle, dans le tableau merveilleux de la vie en ses perpétuelles évolutions, dans cette loi de progrès inscrite au ciel et sur la terre, dans la loi de liberté et d'amour gravée au coeur de l'homme, elle voit l'oeuvre d'un Etre qui n'est pas le Dieu fantasque de la Bible, mais la Majesté souveraine, principe éternel de justice, loi vivante du bien, du beau et du vrai, qui remplit l'infini et plane au-dessus des temps.
On en vient à se demander comment l'aliment dogmatique de l'Eglise a pu être servi pendant des siècles aux intelligences populaires, alors que la moindre étude de l'univers, le moindre regard jeté sur l'espace nous donnent de la vie toujours renaissante, de la Cause suprême et de ses lois, une idée si imposante, si féconde en grands enseignements, en puissantes inspirations.
A cette idée vient s'ajouter la notion claire et précise du but de l'existence, du but que tous les êtres poursuivent dans leur marche, se rachetant eux-mêmes de ce fonds d'égoïsme et de barbarie, seul péché originel, conquérant pas à pas cette perfection dont Dieu a placé le germe en eux, et qu'ils doivent développer par le retour dans la chair, dans la succession de leurs vies à venir.
Ainsi se révèle la pensée de Dieu. Car Dieu, étant la justice absolue, n'a pu vouloir la damnation, ni même le salut par la grâce ou par les mérites d'un sauveur, mais le salut de l'homme par ses propres oeuvres et la satisfaction pour nous de réaliser nous-mêmes, avec son aide, notre élévation et notre bonheur.
Malheureusement, cette conception du monde et de la vie, indispensable au développement des sociétés humaines, n'est encore que le partage du petit nombre. La masse erre dans les sentiers de l'existence, ignorante des lois de la nature, n'ayant pour nourriture morale que ce catéchisme enseigné aux enfants dans tous les pays chrétiens, incompréhensible, inintelligible pour la plupart, et ne laissant dans l'esprit que peu de traces.
C'est cependant une nécessité impérieuse que tous les hommes possèdent une notion précise du but de la vie ; que tous sachent ce qu'ils sont, d'où ils viennent, où ils vont, comment et pourquoi ils doivent agir.
Cette notion, cette connaissance, quand elle est sûre et élevée, peut les guider, les soutenir aux heures difficiles, les préparer aux luttes inévitables. Sans la connaissance du but de l'existence, il n'est pas de force d'âme, pas de solidarité durable entre les membres d'une même société. C'est l'idée seule qui relie les hommes, c'est le fond commun des principes et des croyances qui fait l'unité morale dans la société, dans la nation, dans l'humanité.
L'Eglise seule jusqu'ici a eu le monopole de cette conception du monde, de la vie et de son but ; elle l'enseigne à tous par le catéchisme. Si insuffisants, si obscurs, si démodés que soient les principes de cet enseignement populaire, où la morale chrétienne se mêle à des dogmes surannés, ils font encore à notre époque la force de l'Eglise et sa supériorité sur la société laïque. Celle-ci n'a encore rien su mettre à la place du catéchisme, et, dans son hésitation ou son impuissance à donner à l'enfant, à l'homme, une synthèse, une idée exacte de ses rapports avec l'univers, avec lui-même, avec ses semblables, avec Dieu, elle abandonne la direction morale du peuple à une institution qui ne représente plus qu'un idéal agonisant, incapable de régénérer les nations. On trouve bien dans les nouveaux manuels d'enseignement laïque quelques pages consacrées aux questions morales, à Dieu, à l'âme immortelle, mais ces notions sont fort négligées dans la pratique. L'instituteur, presque toujours dans l'impossibilité de satisfaire aux exigences d'un programme surchargé, manquant lui-même de conviction dans la plupart des cas, néglige ou dédaigne ce côté essentiel de l'enseignement.
Il en résulte, comme nous le disions, que le catéchisme reste le seul moyen d'éducation morale mis à la portée de tous. C'est par lui, par les vues d'ensemble qu'il donne, que la société chrétienne s'est formée et maintenue, et par lui se perpétue le pouvoir de l'Eglise. Mais cet enseignement est tout de surface, tout de mémoire ; les notions incomplètes qu'il inculque à l'enfant sont apprises par coeur ; elles ne sont pas senties : elles ne pénètrent pas dans son âme et ne résistent guère aux influences extérieures qu'il est appelé à subir, ni au développement de sa propre raison. Lorsque l'enfant du pauvre, obligé de se livrer de bonne heure au travail, et n'ayant pour se diriger que les enseignements du catéchisme, arrive à ne plus y croire, c'est l'écroulement, c'est le vide qui se fait dans sa pensée et dans sa conscience. Incapable de s'élever par lui-même à une conception plus haute de la vie, de ses droits et de ses devoirs, ayant rejeté, avec la croyance aux dogmes, tout ce qu'il possédait de notions morales, il reste livré à tous les courants du matérialisme et de la négation, sans préservatif contre les appétits grossiers, sans défense, aux jours de misère, contre les suggestions du suicide ou de la dépravation.

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Depuis les âges de foi aveugle, la société chrétienne en est donc réduite à vivre d'un idéal arriéré, d'une conception de l'univers et de la vie inconciliable, sur bien des points, avec les découvertes de la science et les aspirations de l'humanité. De là, un trouble profond dans les intelligences et dans les consciences ; de là, une altération de toutes les conditions nécessaires à l'harmonie sociale.
Un souffle de liberté a passé sur le monde ; la pensée se dégage des entraves qui l'enserraient, la foi s'est amoindrie. Mais les peuples latins conservent la forte empreinte de l'enseignement catholique, qui, pendant douze siècles, les a façonnés à sa guise, a entretenu en eux les qualités et les défauts qui les caractérisent, et ces défauts précipitent leur décadence.
La doctrine catholique, en donnant à l'homme une idée erronée de son rôle, a contribué à obscurcir la raison, à fausser le jugement des générations. Elle n'a pu se soutenir qu'à l'aide d'arguments subtils et captieux, dont l'usage répété fait perdre l'habitude de raisonner et de juger sainement les choses. On est arrivé peu à peu à accepter, à considérer comme infaillibles des systèmes faux, en opposition avec les lois naturelles et les hautes facultés de l'âme.
Cette manière de voir et de juger devait forcément rejaillir sur les actes de la vie sociale et les oeuvres de la civilisation. Aussi, on a vu souvent les peuples catholiques, par trop de confiance en eux-mêmes, perdre le sens pratique et se passionner pour des entreprises sans profit et sans avenir.
C'est ce qui apparaît dans toutes les oeuvres politiques, financières et de colonisation, dans lesquelles ils se montrent sensiblement inférieurs aux nations protestantes, mieux préparées, par leur éducation religieuse et l'esprit de libre examen, à tout ce qui exige l'ordre, la prévoyance, le jugement, la persévérance dans le travail. En revanche, les catholiques excellent dans les arts et les lettres ; mais c'est là une compensation insuffisante.
Les peuples latins, chez qui l'éducation catholique a développé le sentiment et l'imagination au détriment de la raison, s'enthousiasment facilement, adoptent certaines idées sans les mûrir, en poursuivent l'exécution avec une ardeur et une exagération qui aboutissent souvent à l'échec et à la ruine. Les passions toujours plus vives lorsque la raison ne vient pas les réfréner, portent ces peuples au changement ; les modes, les idées, les goûts y varient souvent, aux dépens des oeuvres fortes et durables.
Aussi voit-on les nations anglo-saxonnes et de religion protestante réussir où les autres échouent. De plus en plus, l'initiative dans les oeuvres de progrès, la conquête et la colonisation du globe passent aux mains des peuples du Nord, qui grandissent et se fortifient sans cesse, au préjudice des nations latines et catholiques.
L'influence sur les moeurs n'est pas moins fâcheuse. Le caractère latin, l'esprit français en particulier, façonné pendant des siècles par le catholicisme, est devenu peu propre aux choses sérieuses et profondes. En France, les conversations sont souvent frivoles ; on y parle, de préférence, de plaisirs, de choses futiles ; la médisance, la critique maligne, l'habitude du dénigrement, jouent un grand rôle dans les entretiens. Elles détruisent peu à peu l'esprit de bienveillance et de tolérance qui lie les membres d'une même société ; elles fomentent parmi les hommes l'esprit de malice, la jalousie et la rancune.
Ces défauts ne se retrouvent pas au même degré dans les sociétés protestantes. L'instruction y est plus développée ; les conversations y sont généralement plus sérieuses et la médisance plus atténuée. On y est plus attaché à la religion et on la pratique avec plus de scrupule. Au contraire, chez la plupart des catholiques, la religion est devenue une question de forme, question politique plutôt que conviction ; la morale évangélique y est de moins en moins observée. Les goûts sérieux se font rares ; chacun veut satisfaire ses penchants, briller et jouir.
Il semble que l'Eglise romaine, dans ses enseignements, s'applique à occuper l'esprit, à l'égarer dans les voies du sentiment, pour lui faire oublier le but réel de l'étude, qui est la conquête de la vérité. Elle n'offre aux intelligences qu'une nourriture creuse, une doctrine illusoire, parfaitement adaptée d'ailleurs à ses intérêts matériels.
Les pompes du culte, les fêtes nombreuses, les cérémonies prolongées, détournent les fidèles des recherches ardues, du travail fructueux, et les portent à l'oisiveté. Tout labeur est pour eux une contrainte plutôt qu'une bienfaisante nécessité. Ils le subissent sans l'aimer. Aussi voit-on plus d'ignorance et de misère chez les nations latines que chez les peuples du Nord.
Il serait injuste, sans doute, d'imputer à l'Eglise tous les défauts de notre race ; le caractère français est, par lui-même, léger, impressionnable, peu réfléchi ; mais ces défauts, le catholicisme les a aggravés, en annihilant, par sa doctrine, l'usage de la raison et l'esprit d'observation, en exigeant de ses fidèles une crédulité aveugle à l'égard d'affirmations dénuées de preuves.
Ce n'est pas impunément que, pendant des siècles, l'on foule aux pieds, la raison, cette faculté maîtresse donnée par Dieu à l'homme pour le guider dans les voies de la destinée. Par là, on prépare fatalement l'abaissement des nations.
Dans bien des cas, le catholicisme ne se présente pas seulement à nous comme une doctrine religieuse, mais aussi comme un pouvoir temporel, mêlé à toutes les querelles de ce monde, hanté du désir d'acquérir une autorité absolue et de prétendu droit divin. Ce double aspect a largement contribué à enlever au catholicisme la dignité sereine, le détachement des choses matérielles qui devraient faire le prestige des religions. Il ne semble pas que ce soit pour lui que Jésus ait dit : « Mon royaume n'est pas de ce monde. »
En tout temps, le catholicisme s'est doublé d'un parti politique, prêt à soutenir les efforts de la réaction contre le courant des idées modernes. A ce point de vue, on peut dire que l'éducation catholique développe l'esprit d'intolérance et pousse à la résistance au progrès ; elle entretient dans la nation un instinct de lutte, un état d'antagonisme et de discorde, par lequel se dépensent et s'annulent bien des ressources intellectuelles et morales.
La société se trouve par là divisée en deux camps ennemis ; l'opposition se perpétue entre les deux moitiés de la nation, l'une voulant marcher en avant, l'autre tendant à rétrograder vers le passé ; elles usent ainsi leurs forces vives, au grand détriment de la prospérité et de la paix générales.
L'Eglise romaine, qui, pendant quinze siècles, a étouffé la pensée, opprimé la conscience au nom de l'unité de la foi, qui s'est associée à tous les despotismes quand elle avait intérêt à le faire, l'Eglise se réclame aujourd'hui du principe de liberté. Ce serait une revendication fort légitime si, par liberté, elle n'entendait pas privilège ; mais il faut remarquer que jamais le catholicisme n'a pu se concilier avec l'esprit de liberté. Celui-ci n'a commencé à se manifester dans le monde que du jour où la puissance de l'Eglise a diminué. Les progrès de l'un ont toujours été en proportion exacte avec l'amoindrissement de l'autre, tandis que les protestants modernes, habitués par leur religion à l'usage de la liberté, ont su l'appliquer à la vie civile et politique.
Maintenant encore, l'Eglise ne condamne-t-elle pas la liberté de la pensée, comme elle condamne le libre examen, appliqué à l'interprétation des Ecritures ? N'interdit-elle pas à tous les siens de raisonner et de discuter la religion ? Et c'est encore là ce qui nous montre combien les vues de l'Eglise romaine se sont écartées des principes du christianisme véritable.
Voici ce que disait saint Paul :
« Eprouvez toutes choses, et retenez ce qui est bon. » (I Thessalonic., V, 21.)
« Où est l'esprit du Seigneur, là est la liberté. » (II° Epît. aux Corinthiens, III, 17.)
La doctrine de Jésus, telle qu'elle est exprimée dans les Evangiles et les Epîtres, est une doctrine de liberté. L'affirmation de cette liberté morale et de la souveraineté de la conscience se répète à presque toutes les pages du Nouveau Testament.
C'est pour l'avoir oublié que les chefs de l'Eglise ont fait dévier le christianisme et ont opprimé les consciences. Ils ont imposé la foi, au lieu de la demander à la volonté libre et éclairée de l'homme, et ils ont fait ainsi de l'histoire du catholicisme le calvaire de l'humanité.
On peut en dire autant de la raison, tant outragée par les prêtres de Celui qui fut la Raison personnifiée, le Verbe, la Parole.
Ils ont oublié que la raison, « cette lumière, - dit saint Jean - avec laquelle tout homme vient en ce monde », est une, que la raison humaine, étincelle détachée de la raison divine, ne diffère d'elle qu'en puissance et en étendue, et qu'obéir à ses lois, c'est obéir à Dieu.
« O Raison ! » - disait Fénelon dans un moment d'intuition profonde, - « n'es-tu pas le Dieu que je cherche ? »
Si l'Eglise avait compris l'essence même du christianisme, elle se serait abstenue de jeter l'anathème au rationalisme et d'immoler la liberté et la science sur l'autel des superstitions romaines.
Le droit de penser est ce qu'il y a de plus noble et de plus grand en nous. Or, ce droit, l'Eglise s'est toujours efforcée d'empêcher l'homme d'en user. Elle lui a dit : « Crois et ne raisonne pas ! Ignore et abaisse-toi ! Ferme les yeux et reçois le joug ! » N'est-ce pas nous enjoindre de renoncer à notre privilège divin ?
La raison, dédaignée par l'Eglise, est en effet le plus sûr moyen que l'homme ait reçu de Dieu pour découvrir la vérité. La méconnaître, c'est méconnaître Dieu lui-même, qui en est la source. C'est par elle que l'homme éclaire et résout tous les problèmes de la vie politique, sociale, familiale. Et l'on voudrait qu'il la rejetât, quand il s'agit de vérités religieuses qu'il ne peut pénétrer sans son aide ?
Relative et faillible par elle-même, la raison humaine se rectifie et se complète, en remontant vers sa source divine, en communiant avec cette Raison absolue, qui se connaît, se réfléchit, se possède, et qui est Dieu.
Il peut falloir des facultés assez élevées pour inventer et exprimer des systèmes erronés, pour les défendre et les propager. La vérité, simple et claire, est saisie et comprise par les esprits les plus humbles, lorsqu'ils savent s'aider de la raison, tandis que les sophistes qui la repoussent s'écartent de plus en plus de la vérité, pour s'égarer dans un dédale de théories, de dogmes, d'affirmations où ils se perdent. Pour retrouver la voie sûre, il leur faudra détruire ce qu'ils ont péniblement édifié, et revenir à cette raison méprisée, qui, seule, leur donnera le sens réel de la vie et la connaissance des lois divines.
Ainsi se vérifie cette parole de l'Ecriture : «Il a été caché aux sages ce qui a été révélé aux enfants. »
Nous venons de faire ressortir les conséquences de l'éducation religieuse dans notre pays. Son influence, parfois si fâcheuse dans la pratique de la vie, persiste après la mort et prépare aux âmes crédules de profondes et cruelles déceptions. Combien de catholiques, revenus à l'état d'esprits, nous ont, en de nombreux messages médianimiques, décrit leurs angoisses, lorsque, s'attendant aux récompenses promises, imbus des idées de paradis et de rédemption, ils se sont retrouvés dans l'espace vide, morne, immense, errant pendant des années à la recherche d'une félicité chimérique et ne comprenant rien à ce nouveau milieu, si différent de celui qu'on leur avait tant de fois vanté. Leurs perceptions restreintes, leur compréhension voilée par une doctrine et des pratiques abusives, ne leur permettaient pas de saisir les beautés de l'univers fluidique.
Et lorsque, dans leurs recherches et leurs pérégrinations extra-terrestres, ils retrouvent ces prêtres, leurs éducateurs religieux, revenus comme eux à l'état d'esprits, leurs plaintes, leurs reproches ne rencontrent chez ceux-ci que le trouble et l'anxiété, auxquels ils sont eux-mêmes en proie.
Triste effet d'un enseignement si peu fait pour préparer les âmes aux combats et aux réalités de la destinée.
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Au cours de cette étude, il nous est arrivé plusieurs fois de comparer les doctrines de l'Eglise romaine à celles du protestantisme, et de faire ressortir, sur certains points, la supériorité de ces dernières. S'en suit-il que nous considérions le protestantisme comme la plus parfaite des religions ? Telle n'est pas notre pensée.
Le protestantisme, dans son culte et son enseignement, se rapproche davantage, il est vrai, de la simplicité et des vues des premiers chrétiens. Il ne dédaigne pas la raison, comme le fait le catholicisme ; au contraire, il la respecte et s'appuie sur elle. Sa morale est très pure et son organisation sans faste et sans apparat. Il supprime la hiérarchie sacerdotale, le culte de la Vierge et des saints, les pratiques fastidieuses, les longues prières, les chapelets, les amulettes, tout l'arsenal puéril de la dévotion catholique. Le pasteur n'est plus qu'un professeur de morale, chargé de présider aux cérémonies religieuses, réduites au baptême, à la communion, à la prédication ; de bénir les mariages, d'assister les pauvres, les malades et les mourants.
Le protestantisme établit le libre examen, la libre interprétation des Ecritures. Par là, il développe le jugement et favorise l'instruction, considérée de tout temps comme dangereuse par l'Eglise romaine. Le protestant reste donc libre et apprend à se gouverner lui-même, tandis que le catholique abdique sa raison et sa liberté entre les mains du prêtre.
Cependant, si grande que soit l'oeuvre de la Réforme du seizième siècle, elle ne saurait suffire aux besoins actuels de la pensée. Le protestantisme a conservé du bagage dogmatique du moyen âge trop de choses inacceptables. A l'autorité du Pape il a subsisté celle d'un livre ; or, la Bible, interprétée par le libre examen, ne peut plus être considérée comme d'inspiration divine . Les consciences qui ont échappé au joug de Rome ne sauraient se placer sous celui d'un ouvrage, respectable sans doute et dont il faut tenir compte, mais d'origine purement humaine, parsemé de fictions et d'allégories, sous lesquelles la pensée philosophique se dissimule et disparaît souvent.
Luther proclamait la divinité de Jésus et sa naissance miraculeuse ; Calvin impose les dogmes de la trinité et de la prédestination. Les articles de la Confession d'Augsbourg et de la Déclaration de la Rochelle affirment le péché originel, le rachat par le sang du Christ, les peines éternelles, la damnation des enfants morts sans baptême.
Parmi les protestants, même orthodoxes, combien en est-il aujourd'hui qui souscrivent à ces affirmations et acceptent dans son ensemble le symbole des apôtres, lu dans tous les temples, et que les apôtres n'ont jamais connu ?
A côté de l'orthodoxie protestante, un grand parti s'est formé sous le nom de protestantisme libéral. Il repousse les dogmes que nous venons d'énumérer et se borne à reconnaître la grandeur morale de Jésus et de ses enseignements. Ce parti compte dans ses rangs des esprits très éclairés, animés d'un louable sentiment de tolérance et d'un grand amour du progrès, des hommes dignes de sympathie et d'admiration.
Mais les protestants libéraux se sont placés dans une situation délicate et fausse. Ils persistent à rester dans l'Eglise réformée, après en avoir rejeté, un à un, presque tous les points de doctrine. Ils ont participé largement aux travaux considérables dont nous parlions au début de cet ouvrage, travaux entrepris sur les origines du christianisme et l'authenticité des livres saints. Ils ont passé au crible d'une critique rigoureuse tous les documents sur lesquels se fonde la tradition chrétienne. L'application du libre examen les a poussés à des recherches constantes, à la suite desquelles les dogmes, les miracles et nombre de faits historiques ont perdu toute créance à leurs yeux. De cet examen, une seule chose est restée debout : la morale évangélique.
Les protestants libéraux ont été amenés à placer le principe de la liberté et de la souveraineté de la conscience au-dessus de l'unité de la foi ; en agissant ainsi, ils ont rompu les liens religieux qui les rattachaient à l'Eglise réformée. Ce ne sont plus des protestants, en réalité, mais plutôt des chrétiens libres-penseurs.
Aussi est-ce une anomalie de les voir pratiquer dans toutes ses formes un culte qui répond si peu à leurs propres aspirations. On pourrait mieux faire, il nous semble, dans les assemblées religieuses des « protestants libéraux », que de lire et commenter la seule Bible, de chanter des psaumes sur des airs surannés, de parler d'un « Dieu fort et jaloux », ou de recommander aux habitants de Paris, comme on le fait tous les dimanches au temple de l'Oratoire, de ne convoiter « ni le boeuf, ni l'âne de leur prochain ». Un tel culte et de telles exhortations pouvaient convenir aux peuples pasteurs de l'antiquité ; ils ne répondent plus aux besoins, aux idées, aux espérances des chrétiens de nos jours.
Aux aspirations modernes il faut d'autres accents, d'autres formes, d'autres manifestations religieuses. Il faut un langage et des chants qui parlent à l'âme, qui l'entraînent, l'émeuvent, en fassent vibrer les cordes profondes. Tout en restant simple et sobre, le culte doit s'inspirer davantage de l'art musical contemporain, et s'efforcer d'élever la pensée vers les sphères divines, vers les pures régions de l'idéal.
En résumé, le protestantisme, dans son ensemble, peut être considéré comme supérieur au catholicisme, en ce sens qu'il se rapproche davantage de la véritable pensée du Christ. Mais, trop attaché encore à la forme et à la lettre, il ne saurait donner satisfaction aux besoins de l'âme contemporaine.
Il ferait oeuvre utile en abandonnant l'héritage de la Réforme, pour s'inspirer exclusivement des préceptes évangéliques. L'esprit de la Réforme avait sa raison d'être au seizième siècle, à l'issue d'une longue période de despotisme et de ténèbres ; il ne peut plus offrir au monde moderne que des fantaisies théologiques et des motifs de division entre les membres de la grande famille chrétienne.
Ce qu'il faut présentement à l'humanité, ce n'est plus une croyance, une foi découlant d'un système ou d'une religion particulière, inspirée par des textes respectables, mais d'une authenticité douteuse, où la vérité et l'erreur se mêlent et se confondent. Ce qu'il faut, c'est une croyance appuyée sur des preuves, sur des faits ; c'est une certitude basée sur l'étude et l'expérience, d'où se dégagent un idéal de justice, une notion précise de la destinée, un mobile de perfectionnement, susceptibles de régénérer les peuples et d'unir les hommes de toutes races et de toutes religions.
Sans doute, trop de liens historiques et religieux rattachent l'âme moderne à l'idée chrétienne, pour qu'elle puisse s'en désintéresser. Il y a dans le christianisme des éléments de progrès, des germes de vie sociale et de moralité, qui, en se développant, peuvent produire de grandes choses. La doctrine du Christ contient beaucoup d'enseignements restés incompris, qui, sous des influences plus éclairées, peuvent produire des fruits de sagesse et d'amour, des résultats puissants pour le bien général. Soyons chrétiens, mais en nous élevant au-dessus des confessions diverses, jusqu'à la source pure d'où l'Evangile est sorti. Aimons le Christ, mais plaçons-le au-dessus des sectes intolérantes, au-dessus des Eglises qui s'excluent les unes les autres et se jettent l'anathème. Le Christ ne peut être ni jésuite, ni janséniste, ni huguenot ; ses bras sont largement ouverts à toute l'humanité.

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Nous avons vu plus haut quelles étaient les conséquences de l'éducation religieuse dans notre pays. Si l'éducation catholique, en particulier, est incomplète et semée d'illusions, l'enseignement laïque doit-il pour cela lui être préféré ?
L'enseignement laïque produit des effets opposés à ceux que nous avons indiqués. Il donne aux hommes l'esprit d'indépendance ; il les affranchit de la tutelle gouvernementale et religieuse, mais il affaiblit en même temps la discipline morale, sans laquelle il n'est pas de société forte.
Cet enseignement n'est pas, comme le prétendent ses détracteurs, entièrement dénué de principes ; cependant, il n'a pas su donner un but élevé à la vie et n'a rien pu mettre à la place de l'idéal chrétien ; il a relâché les liens de solidarité, qui doivent unir les hommes et les porter vers un but commun.
C'est pourquoi l'esprit de famille et l'autorité paternelle se sont affaiblis dans notre pays. Les parents y semblent subordonnés à leurs enfants, chez qui on ne trouve plus ces sentiments respectueux qui font la force de la famille et assurent à l'âge mûr l'autorité nécessaire. Ces causes d'affaiblissement semblent, de proche en proche, envahir le corps social tout entier. Presque partout, on contracte des habitudes nouvelles et une manière de vivre d'où sont exclues les choses sérieuses, les seules capables de fortifier l'esprit, de l'orienter vers la pratique constante du devoir.
L'enseignement primaire ne donne qu'une instruction à peine ébauchée et trop tôt abandonnée, une instruction hâtive, dépourvue de lien, d'enchaînement et surtout de couronnement. Elle n'est pas complétée par cet élément indispensable qu'est l'enseignement moral. Elle laisse ignorer à l'enfant et, par suite à l'homme, les choses les plus essentielles, les grandes lois de la vie.
Quand, de douze à quatorze ans, l'enfant des écoles primaires, muni de son certificat d'études, est lancé dans la mêlée des intérêts, dans la grande bataille sociale, il lui manque ce fond solide, cette connaissance de la vérité et du devoir, qui est le suprême soutien, l'arme la plus nécessaire pour les combats de l'existence.
Tout ce qu'on lui a dit sur les devoirs de l'homme - et cela se réduit à bien peu de chose - on le lui a dit à un âge où il ne pouvait pas en sentir la valeur. Et tout cela va s'émietter, s'évanouir, sans laisser de traces.
Mais, dira-t-on, si l'instruction primaire est insuffisante, mal présentée, mal digérée, plus haut, dans l'enseignement supérieur et classique, le jeune homme doit trouver une ample moisson de principes, de notions essentielles à la poursuite d'un but élevé ? Eh bien ! c'est encore là une illusion. Je m'en rapporte sur ce point à l'opinion d'un écrivain compétent : Francisque Sarcey déclarait, dans une de ses chroniques du Petit Journal (7 mars 1894) :
« De mes études classiques, de mon passage dans les classes de philosophie, il ne s'est dégagé pour moi aucune notion précise sur les destinées de l'âme humaine. »
Cela nous rappelle cette appréciation connue d'un bon juge en la matière : « La philosophie classique n'est que l'histoire des contradictions de l'esprit humain. »
Le matérialisme et le positivisme règnent presque exclusivement dans les hautes sphères politiques, peuplées d'intelligences façonnées par l'enseignement supérieur. L'influence de ces théories rejaillit sur toute la vie politique et sociale, et, concurremment avec les doctrines du catholicisme, contribue à déprimer les caractères et les volontés.
Quand on va au fond des choses, malgré quelques légères apparences de spiritualisme, on est obligé de reconnaître que l'enseignement laïque, à tous les degrés, est imprégné de scepticisme, inspiré par les philosophies négatives. De là, son impuissance à inculquer de profondes notions de moralité à l'enfant.
C'est en vain que l'on préconise la morale indépendante de toute croyance, de toute religion ; l'expérience nous démontre que plus les conceptions matérialistes et athées se répandent, plus les consciences s'affranchissent des principes de moralité et, par suite, des devoirs qu'ils imposent. La démoralisation coïncide avec l'effondrement des croyances .
Il est vrai qu'on nous parle beaucoup d'altruisme, mais l'altruisme n'est qu'un mot vide, une théorie dépourvue de base et de sanction. C'est une semence jetée sur le roc et condamnée à périr, car il ne suffit pas de semer, il faut encore préparer le terrain. Les notions savantes de l'altruisme ne sauraient émouvoir et moraliser des hommes pénétrés de l'idée que la lutte des besoins et des intérêts est la loi suprême de l'existence, convaincus que toutes les espérances, tous les élans généreux aboutissent au néant.
Le matérialisme, réaction vigoureuse et inévitable contre le dogme et la superstition, s'est insinué dans toutes les couches de la société française. Chez les esprits cultivés, il se pare du nom de positivisme. Quelles que soient les appellations dont on décore les philosophies négatives et les différences qui caractérisent leurs méthodes, leurs recherches se bornant aux choses concrètes, au domaine de la matière et des forces élémentaires, aboutissent aux mêmes résultats. C'est pourquoi on peut, sans injustice, les réunir dans une appréciation commune.
Le matérialisme a eu son heure de triomphe. A un moment donné, ses théories ont dominé la science. Dans ses luttes contre une oppression séculaire, dans ses efforts pour affranchir la conscience et donner un libre essor à la pensée, il avait beaucoup mérité de l'humanité. Mais, puissant pour détruire, il n'a rien pu édifier. S'il délivre l'âme humaine du réseau de superstitions qui l'enserre, c'est pour la laisser vaguer ensuite au hasard, sans guide et sans appui. Il ignore ou veut ignorer la véritable nature de l'homme, ses besoins, ses aspirations, car il se sent incapable de les satisfaire. Il démolit l'édifice des croyances surannées, édifice étroit qui ne suffisait plus à abriter la pensée et la conscience, et, au lieu d'une construction plus spacieuse, mieux éclairée, c'est le vide qu'il leur offre, c'est un abîme de désespérance et de misère morale. Aussi toutes les âmes souffrantes, toutes les intelligences éprises d'idéal qui ont répondu à ses appels, finissent tôt ou tard par l'abandonner.
Si les courants d'idées matérialistes ont pénétré des hautes régions politiques jusqu'aux couches profondes de la société, en revanche, dans le domaine de la science, ils ont perdu beaucoup d'influence. Les expériences de la psychologie moderne ont démontré surabondamment que tout n'est pas seulement matière ou force, comme l'affirmaient Büchner, Carl Vogt, Jules Soury et d'autres ; elles ont prouvé que la vie n'est pas une propriété des corps, s'évanouissant avec eux . Après les expériences du docteur Luys, de Baraduc, de Rochas, Myers, Richet, etc., on n'oserait plus dire avec Carl Vogt que « le cerveau sécrète la pensée comme le foie sécrète la bile ». Les sécrétions du corps humain se pèsent, mais qui donc a pesé la pensée ? La théorie atomiste elle-même est tombée en discrédit. L'atome, base essentielle de l'univers, nous disaient les matérialistes, est désormais considéré par les chimistes comme une pure abstraction. C'est ce que dit Berthelot dans ses Origines de la chimie, page 320 :
« L'éther des physiciens et l'atome des chimistes     s'évanouissent, pour faire place à des conceptions plus hautes, qui tendent à tout expliquer par les seuls phénomènes du mouvement. »
W. Ostwald, professeur de physique à l'Université de Leipzig, dans son étude intitulée : La déroute de l'atomisme (Revue générale des sciences, de novembre 1895), s'exprime en ces termes au sujet de l'atome et de la théorie mécanique de l'univers, laquelle embrasse à la fois la mécanique céleste et les phénomènes de la vie organique :
« C'est une invention assez imparfaite. La tentative n'a même pas la valeur d'une hypothèse auxiliaire. C'est une erreur pure et simple. »
M. Ostwald croit, comme Newton, qu'il doit exister des « principes plus élevés » que ceux connus actuellement.
Il résulte de ces appréciations des hommes les plus compétents, que les matérialistes ont construit l'édifice de la science sur la base la plus fragile que l'on puisse imaginer.
Le matérialisme ne voit que le premier plan des choses ; il n'embrasse qu'un seul côté de la réalité. Sans doute, la matière est un monde magnifique, quand on la considère dans la majestueuse unité de ses lois. Mais la matière, même si on pouvait la connaître dans son essence, la matière n'est pas tout. Elle ne représente que l'aspect inférieur du monde et de la vie.
La philosophie qui s'y rattache appuie ses conclusions sur le témoignage exclusif des sens ; or, nos sens sont bornés et insuffisants ; souvent ils nous trompent. Ce n'est pas avec les sens physiques, ni avec des instruments de précision ou des cornues, que l'on découvre les lois et les causes supérieures. La raison seule peut connaître la raison suprême des choses.
Par leur étude attentive des formes physiques, les matérialistes ont cru pénétrer tous les secrets de la nature. Ils n'en considéraient, en réalité, que l'aspect le moins subtil ; ils faisaient abstraction de tout un ensemble de forces et de causes, sans la connaissance desquelles toute explication de l'univers est impossible.
Les matérialistes ont fait comme le mineur qui creuse son filon sous la terre. Celui-ci, à chaque pas, découvre des trésors, des richesses nouvelles ; il en a été de même de la science positive, rendons-lui cette justice ; mais, à mesure qu'il poursuit plus avant son oeuvre, le mineur perd de vue la lumière du jour, le domaine splendide de la vie, pour s'enfoncer dans les régions de la nuit, du silence et de la mort. Ainsi a procédé le matérialisme.
Dans les hautes sphères intellectuelles, la déroute matérialiste a failli entraîner celle de la science. On a jeté la pierre à celle-ci, comme si elle pouvait être rendue responsable des théories présentées en son nom. En des articles retentissants, on a accusé la science de n'avoir pas donné tout ce que l'esprit humain était en droit d'attendre d'elle.
M. Séailles, dans son discours prononcé à l'ouverture de la Faculté des lettres en 1894, ne disait-il pas :
« La science moderne tourne à la confusion de la pensée, qui se perd dans le monde qu'elle avait ouvert devant elle, et s'ensevelit dans sa victoire. »
D'autres assuraient, avec M. Brunetière, que la science avait fait banqueroute. Evidemment, le terme était excessif et inexact. Ce qui a fait banqueroute, en réalité, ce n'est pas la science dans son ensemble, mais plutôt certaines théories, basées sur le matérialisme et le positivisme.
Si on jette le gant à la science, ce n'est pas que l'on méconnaisse les services qu'elle a rendus et qu'elle rend tous les jours à l'humanité. Personne n'oserait soutenir qu'elle n'a pas contribué largement au développement du progrès matériel et de la civilisation. Nous avons vu plus haut que c'est grâce à la science, à ses découvertes, que les conceptions erronées de la théologie ont été rectifiées.
Où l'on est en droit de s'étonner toutefois, c'est lorsque l'on considère son impuissance à fournir à l'homme la connaissance réelle de soi-même et des lois qui régissent sa destinée. Or, on sent confusément que la science aurait pu aboutir à ces résultats si, au lieu de se confiner dans l'étude de la matière, elle avait voulu explorer sincèrement et assidûment tous les domaines de la vie. Sous la pression des doctrines négatives, elle s'est perdue dans l'analyse, dans l'étude fragmentaire de la nature physique. Mais la poussière de la science n'est pas la science, la poussière de la vérité n'est pas la vérité.
L'humanité, lasse des conceptions métaphysiques et des systèmes théologiques, avait tourné ses regards et ses espérances vers la science. Elle lui demandait le secret de l'existence, une croyance, une foi nouvelle pour remplacer celle des temples qui s'écroule. Elle lui demandait la solution de ces problèmes de la vie qui la dominent, l'enserrent, l'enveloppent dans leurs profondeurs.
Devant ces appels répétés, la science est restée muette, ou plutôt si, parfois, elle a proposé une solution, l'idée dominante qui s'en dégageait, c'était celle du néant. De là, la déception, l'irritation de certains penseurs ; de là, les accusations qui se sont élevées ; mais ces accusations doivent retomber uniquement sur les écoles matérialiste et positiviste. La science dans son ensemble, dès qu'elle sera affranchie, saura se compléter par les conceptions plus hautes et plus éclairées, qu'elle commence à entrevoir. Des sociétés officiellement constituées, tel l'Institut général psychologique sous les directions successives du docteur Duclaux et du professeur d'Arsonval, ont entrepris des recherches dans un nouveau domaine, celui du psychisme. Et si la conclusion du rapport publié en 1909 par cet Institut n'est pas encore affirmative, l'attention de ses membres, portée maintenant sur ces questions essentielles, ne saurait plus s'en détourner. Leurs expériences, poursuivies dans de meilleures conditions leur prouveront l'existence d'un monde resté jusqu'ici en dehors de leurs investigations, et dont il faudra bien, tôt ou tard, reconnaître la réalité.

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Une chose nous a toujours extrêmement étonné : c'est que, parmi les hommes de liberté qui dirigent les destinées de la République, beaucoup se croient, se disent matérialistes et athées. Comment n'ont-ils pas compris que le matérialisme, en s'appuyant sur la fatalité aveugle et en consacrant le droit de la force, ne peut faire des hommes libres ? Les démocrates de 89 et de 48 avaient d'autres vues !
Suivant les théories matérialistes, l'homme n'est qu'une machine gouvernée par des instincts. Or, pour une machine, il ne peut y avoir ni liberté, ni responsabilité, ni lois morales, car la morale est une loi de l'esprit. Et sans loi morale, que devient l'idée du devoir ? Elle s'écroule, et avec elle tout l'ordre établi. Une société ne peut vivre, se développer et grandir qu'en s'appuyant sur l'idée du devoir, autrement dit sur la vertu et la justice. Ce sont les seules bases possibles de l'ordre social. C'est pourquoi celui-ci n'a jamais pu se concilier avec l'athéisme et le matérialisme : de même que la superstition et l'idolâtrie nous entraînent à l'arbitraire et au despotisme, de même l'athéisme et le matérialisme aboutissent logiquement à la dépréciation des forces sociales, souvent même à l'anarchie et au nihilisme.
Le matérialisme, par l'idée toute mécanique qu'il se fait de l'univers et de la vie, a jeté dans le domaine de la pensée une notion accablante de notre avenir. Pour lui, l'homme n'est qu'un jouet du sort, un simple rouage de la grande machine aveugle du monde ; l'existence n'est que la lutte âpre, farouche, où la force domine, où les faibles succombent fatalement. Qui ne connaît la doctrine du struggle for life, par laquelle la vie devient un champ clos sinistre, où les êtres passent, se succèdent, se poussent, pour aller s'engloutir dans les abîmes du néant ?
C'est par de telles théories, répandues dans les masses, que le matérialisme est devenu un véritable péril social. Par là, il a rendu plus lourd à l'homme le poids de ses misères, plus sombre le tableau de l'existence ; il a diminué l'énergie humaine, poussé les malheureux à la tristesse, au désespoir ou à la révolte.
Aussi, comment s'étonner si les infanticides, les suicides, les cas d'aliénation mentale se multiplient ? De nos jours, comme un signe des temps, on voit souvent des jeunes gens des deux sexes, presque des enfants, recourir au suicide pour des motifs futiles . Les crimes des adolescents sont fréquents. L'armée du vice et de l'assassinat s'accroît dans des proportions effrayantes.
Avec les théories de l'école matérialiste, la responsabilité morale s'effondre. L'homme n'est pas libre, nous disent Büchner et ses disciples ; il est l'esclave de son milieu. Le crime s'explique par l'atavisme et par l'hérédité. C'est un phénomène naturel ; c'est l'effet nécessaire d'une cause, la conséquence d'une sourde fatalité. En définitive, il n'y a ni bien, ni mal ! Et par là on excuse les fautes les plus graves, on endort la conscience, on ruine toute idée de sanction morale et de justice. En effet, si le crime est fatal, il est involontaire, il n'est pas coupable, il n'est pas honteux. Si la passion est irrésistible, à quoi bon essayer de la combattre ? De telles vues, propagées dans tous les milieux, ont eu pour conséquence de surexciter au plus haut point les appétits, de développer le sensualisme et les instincts égoïstes. Dans les classes aisées, beaucoup n'ont plus qu'un but : supprimer les devoirs et les luttes austères de la vie, faire de l'existence une fête perpétuelle, une sorte d'ivresse, mais une ivresse dont le réveil pourrait être terrible.
On nie le libre arbitre et la survivance de l'être ; on nie Dieu, le devoir, la justice, tous les principes sur lesquels reposent les sociétés humaines, sans se préoccuper de ce qui peut résulter de ces négations. On ne voit pas quelle influence déplorable elles exercent sur les foules, qu'elles poussent aux excès. C'est ainsi que, de proche en proche, les caractères s'affaissent, la dignité humaine s'amoindrit, les sociétés perdent leur virilité et leur grandeur.
Une littérature inspirée par le dégoût de la vie a surgi et s'est partout répandue, une littérature dont le flot monte, s'étend, menace d'éteindre toute flamme, d'étouffer au sein de l'âme humaine les espérances généreuses, les saints enthousiasmes, de submerger la pensée dans les eaux du plus noir pessimisme.
Lisez, par exemple, la Mêlée sociale, de M. Clemenceau. Arrêtez votre attention sur la préface de cet ouvrage, où tout parle de décrépitude envahissante, de mort de la pensée et de la conscience, du néant, surtout, vers lequel l'auteur croyait alors que toutes « choses roulent ou se traînent. »
M. Clemenceau décrivait les dernières phases de la vie sur terre :
« Nos cités croulantes, parmi d'informes vestiges humains, les dernières ruines effondrées sur la vie mourante, toute la pensée, tout l'art engloutis dans la grande mort montante. Toute l'oeuvre humaine sous la dernière viscosité de la vie.
« Et puis l'ultime manifestation de vie terrestre sera détruite à son tour. Inutilement, le globe froid et nu promènera son indifférence par les stériles chemins de l'espace. Alors s'accomplira le cycle des dernières planètes soeurs, les unes mortes dès aujourd'hui peut-être. Et le soleil éteint, suivi de son funèbre cortège, précipitera dans la nuit sa course incalculée vers l'inconnu. »
L'auteur ignorait-il donc que la vie est éternelle ? Si des univers s'éteignent au fond des cieux, d'autres s'allument et resplendissent ; s'il y a des tombes dans l'espace, il y a aussi des berceaux. Rien ne peut être détruit, ni une molécule, ni un principe de vie ; pour chaque être comme pour chaque monde, la mort n'est qu'un passage, le crépuscule qui précède l'aube d'un éternel recommencement ! L'univers, c'est le champ d'éducation de l'esprit immortel, et la vie, sa voie d'ascension vers un état plus beau, illuminé des rayons de la justice et de l'amour.
En définitive, de tant de luttes, de vicissitudes et de maux, c'est le bien final des êtres qui se dégage. Malheureux celui qui ne sait le comprendre.
Ecoutons maintenant M. Jules Soury, dans un article de la Justice du 10 mai 1895, par lequel il analysait l'ouvrage précité :
« Qu'est-ce que le beau, le vrai, le bien, sinon de purs concepts, des abstractions d'abstractions ? Or     un concept ne correspond à rien d'objectif. Dans la nature, il n'y a ni bien ni mal, ni vérité ni erreur, ni beauté ni laideur. Ces fantômes ne hantent que notre esprit ; ils s'évanouissent avec le dernier homme.
« Nous ignorerons toujours l'étoffe dont est fait ce monde. Nous ne saurons jamais s'il y a autre chose dans l'univers que des mécanismes. Et là où règnent les lois de la mécanique, il n'y a pas de Dieu, il n'y a pas d'âme, il n'y a ni religion, ni métaphysique. »
C'est le même auteur qui nous disait  :
« La vie est un rêve sinistre, une hallucination douloureuse, au prix de laquelle le néant serait un bien. »
D'autres vont plus loin encore. Un journaliste bien connu, Edmond Lepelletier, écrivait au sujet du naufrage de l'Utopia :
« Tous les avantages dans l'existence appartiennent à ceux qui sont les mieux armés pour triompher de la concurrence vitale, et le mieux armé, c'est le plus impitoyable, le plus égoïste, le moins accessible aux sentiments de douleur, d'humanité et de justice aussi.
« C'est cette nécessité de lutte et cette fatalité de la victoire de la force, au mépris du droit, de la justice, de l'humanité, qui fait toute la vigueur des sociétés et le salut des civilisations . »
« Qu'est-ce qui est bon ? - dit Frédéric Nietzsche - La puissance ! Qu'est-ce qui est mauvais ? La faiblesse ! Qu'est-ce que le bonheur ? Le sentiment que la puissance grandit, qu'une résistance est surmontée. Non du contentement, mais plus de puissance ; non la paix avant tout, mais la guerre ; non la vertu, mais la valeur.
« Périssent les faibles et les ratés ! Et qu'on leur aide encore à disparaître. Qu'y a-t-il de plus nuisible que n'importe quel vice ? La pitié pour les déclassés et les faibles  ! »
Voilà ce que les écrivains et les philosophes matérialistes répandent dans les feuilles publiques. Ont-ils vraiment conscience des responsabilités qu'ils encourent ? Songent-ils à la moisson que donnera une telle semence ? Savent-ils qu'en vulgarisant ces doctrines iniques et désespérantes, ils placent dans la main des déshérités la torche des incendies et les engins de mort ?
Ah ! ces doctrines, elles paraissent anodines, inoffensives aux heureux, aux satisfaits, aux jouisseurs sceptiques qui possèdent le nécessaire avec le superflu, et dont elles justifient tous les appétits, dont elles excusent tous les vices, mais ceux que le sort frappe, ceux qui pâtissent et souffrent, quel usage, quelle application en feront-ils ? Des exemples que nous nous dispenserons de rappeler ne le disent que trop.
O science de la matière ! avec tes affirmations implacables, avec tes lois inexorables de l'atavisme et de l'hérédité, lorsque tu enseignes que la fatalité et la force régissent le monde, tu brises tout ressort, toute énergie morale chez les faibles et les blessés de la vie ; tu fais entrer le désespoir au foyer de familles innombrables ; tu distilles tes poisons jusqu'au coeur des sociétés !
O matérialistes ! vous avez effacé le nom de Dieu du coeur du peuple ; vous lui avez dit que tout se résumait dans les jouissances terrestres ; que tous les appétits étaient légitimes et que la vie était une ombre d'un instant.
Et le peuple l'a cru ; les voix intérieures, qui lui parlaient de justice et d'espérance, se sont tues. Les âmes se sont fermées à la foi pour s'ouvrir aux passions mauvaises. L'égoïsme a chassé le désintéressement, la pitié, la fraternité !
Sans idéal dans sa triste vie, sans foi dans l'avenir, sans lumière morale, l'homme est redescendu vers l'état bestial ; il a senti se réveiller ses instincts féroces ; il s'est livré à la convoitise, à l'envie, aux emportements furieux. Et maintenant, les fauves rugissent dans l'ombre, la haine et la rage au coeur, prêts à déchirer, à détruire, à amonceler ruines sur ruines.
La société est atteinte de maux profonds. Le spectacle des corruptions, des impudeurs qui s'étalent autour de nous, la fièvre des richesses, le luxe insolent, la frénésie de la spéculation qui, dans son avidité, arrive à épuiser, à tarir en peu de temps les sources naturelles de la production, tout cela remplit le penseur de tristesse.
Et comme tout s'enchaîne dans l'ordre des choses, comme tout porte ses fruits, le mal, semé à profusion, appelle la douleur et la tempête. Nous avons connu et nous connaîtrons des heures sombres.
Malheur à ceux qui ont étouffé les voix de la conscience, qui ont tué l'idéal pur et désintéressé, à ceux qui enseignent au peuple que tout est matière et que la mort est le néant ! Malheur à ceux qui n'ont pas voulu comprendre que tout être humain a droit à l'existence, à la lumière et plus encore à la vie spirituelle, à ceux qui donnent l'exemple de l'immoralité, de l'égoïsme, du sensualisme ! Car ce n'est pas sans danger que l'on comprime l'âme humaine, qu'on arrête l'évolution morale du monde, en enserrant la pensée dans le cercle de fer du scepticisme et du néantisme. Un jour vient où cette pensée se retourne avec violence, où les assises sociales sont ébranlées par d'effrayantes convulsions.
Mais relève ton front, homme, et rappelle l'espérance. Un rayon nouveau va descendre des espaces et éclairer ta route. Tout ce qu'on t'a enseigné jusqu'ici était incomplet et stérile. Les matérialistes n'ont vu des choses que la surface et l'apparence. Ils ne connaissent de la vie infinie que ses aspects inférieurs. Leur rêve est un cauchemar.
Sans doute, si l'on considère le spectacle de la vie sur la terre, il faut bien reconnaître que ce qui domine en elle, dans les régions inférieures de la nature, c'est la lutte ardente, le combat sans trêve, la guerre perpétuelle par laquelle chaque être cherche à se faire une place au soleil. Oui, les êtres s'étreignent et les forces universelles se heurtent dans une lutte gigantesque ; mais, en définitive, ce qui se dégage de cette lutte, ce n'est pas la confusion, le chaos, comme on pourrait l'attendre de forces aveugles, c'est l'équilibre et l'harmonie. Partout la destruction des êtres et des choses n'est que le prélude de reconstructions, de naissances nouvelles.
Et qu'importe la mort apparente, si la vie est immortelle, si l'être est impérissable dans son essence, si cette mort elle-même est une des conditions, une des phases de son élévation !
Il ne faut pas voir seulement l'évolution matérielle : elle n'est qu'une face des choses. La destruction des organismes ne prouve rien : ce sont des constructions passagères ; le corps n'est qu'un vêtement. La réalité vivante est dans l'être psychique, dans l'esprit. C'est lui qui anime ces formes matérielles. L'esprit se retrouve tout entier au-delà de la tombe, avec les qualités acquises et les mérites accumulés, prêt à des ascensions nouvelles. Il se retrouve, revêtu de cette enveloppe subtile, de ce corps fluidique dont il est inséparable, qui existait avant la naissance, subsiste actuellement en chacun de nous et survivra à la mort ; l'existence de ce corps subtil est démontrée par des expériences journalières de dédoublement, d'extériorisation de la sensibilité, par l'apparition à distance des fantômes de vivants pendant leur sommeil ainsi que par celle des décédés .
Sur d'autres points, les théories matérialistes ne sont pas plus heureuses. Elles nous disent que tout ce qui caractérise l'esprit humain : aptitudes, facultés, vertus et vices, tout s'explique par la loi d'hérédité et l'influence des milieux. Regardez autour de vous ; vous verrez dans les faits un démenti à cette assertion. Oui, l'influence des conditions matérielles est puissante ; elle courbe parfois certains esprits sous son joug. Mais combien d'autres, par la volonté, le courage, la persévérance, ont su s'élever de la situation la plus obscure, des rangs les plus inférieurs, jusqu'aux hauteurs où brille le génie ! Combien de penseurs, de savants, de philosophes, nés dans la pauvreté, ont su par leurs efforts atteindre aux premiers rangs ! Est-il nécessaire de les nommer ? Rappelons seulement que Copernic était fils d'un boulanger ; Kepler, fils d'un cabaretier, fut lui-même garçon de cabaret dans sa jeunesse ; d'Alembert, enfant trouvé, ramassé par une nuit d'hiver sur le seuil d'une église, fut élevé par la femme d'un vitrier ; Newton et Laplace étaient issus de pauvres paysans : Humphry Davy, domestique d'un pharmacien ; Faraday, ouvrier relieur ; Franklin, apprenti imprimeur. Tous ceux-là, et des milliers d'autres, ont su réagir contre les conditions les plus défavorables, triompher des plus grands obstacles, conquérir une réputation ineffaçable.
Ce n'est donc ni la condition, ni l'origine, qui donnent le talent. Un père illustre peut avoir une descendance médiocre. Deux frères peuvent se ressembler physiquement, se nourrir des mêmes aliments, recevoir la même éducation, sans avoir pour cela les mêmes aptitudes, les mêmes facultés.
A l'encontre des théories négatives, tout démontre que l'intelligence, le génie, la vertu ne sont pas les résultats des conditions matérielles ; ils s'affirment, au contraire, comme une puissance supérieure à ces conditions et qui, souvent, les domine, les gouverne.
Oui, sans doute, d'une manière générale, la matière pèse lourdement sur l'esprit et entrave son essor, mais parfois aussi la volonté se redresse et dompte les résistances de la chair jusqu'au milieu des tortures les plus cruelles. Ne le voyons-nous pas chez tous ceux qui ont souffert et sont morts pour une grande cause, chez tous ces martyrs qui ont donné leur vie pour la vérité ? C'est Jordano Bruno, préférant le supplice à la rétractation ; Campanella, qui subit sept fois la torture, et recommence sept fois ses amères satires contre les inquisiteurs ; Jeanne d'Arc, qui meurt sur le bûcher ; c'est Socrate, qui boit la ciguë plutôt que de renier ses doctrines. C'est Pierre Ramus, Arnauld de Brescia, Jean Huss, Jérôme de Prague, Savonarole.
Chez tous ces grands suppliciés, nous voyons s'affirmer la supériorité éclatante de l'esprit sur la matière. Le corps, tenaillé par la souffrance, se tord et gémit ; mais l'âme est là, qui s'impose et domine les convulsions de la chair.
Tout ceci nous démontre quelle ressource immense est la volonté, faculté maîtresse, dont l'usage constant et éclairé peut élever l'homme si haut. La volonté est l'arme par excellence qu'il faut lui apprendre à utiliser, à aiguiser sans cesse. Ceux qui, par leurs sophismes, cherchent à l'amoindrir, à l'émousser, commettent l'action la plus funeste.
N'est-il pas bien amer d'être obligé de constater que les doctrines les plus répandues parmi nous, le catholicisme, d'une part, le matérialisme, de l'autre, concourent toutes deux à annihiler ou tout au moins à entraver l'exercice des puissances cachées dans l'être humain : raison, volonté, liberté, puissances par lesquelles l'homme pourrait réaliser de si grandes choses et se créer un merveilleux avenir ?
Comment s'étonner après cela que notre civilisation présente encore tant de plaies honteuses, lorsque l'homme s'ignore lui-même et ignore l'étendue des richesses que la main divine a placées en lui, pour son élévation et son bonheur ?

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L'humanité, dans le cercle de sa vie, s'agite entre deux erreurs : l'une qui affirme et l'autre qui nie ; l'une qui dit à l'homme : Crois sans comprendre ! l'autre qui lui crie : Meurs sans espérer !
D'un côté, l'idolâtrie ; car c'est une idole, ce Dieu qui semble désirer encore le sang jadis répandu en son nom ; qui se dresse comme un obstacle entre l'homme et la science ; qui combat le progrès et la liberté ; sombre divinité qu'on ne peut enseigner sans voiler la face du Christ, sans fouler aux pieds la raison et la conscience.
De l'autre côté, le néant, la mort de toute espérance, de toute aspiration vers l'Au-delà, la ruine de toute idée de solidarité, de fraternité entre les hommes ; s'ils peuvent se sentir reliés par une croyance, même aveugle, ils ne le sont point par des négations.
La France, en particulier, est prise comme dans un étau entre ces deux conceptions opposées, toutes deux dogmatiques à leur manière, toutes deux cherchant à s'imposer au pays entier, pour y réaliser le règne de la théocratie ou de l'athéisme.
Si le matérialisme et le néantisme n'avaient été que les ennemis de la superstition et de l'idolâtrie, on aurait pu voir en eux les agents d'une transformation nécessaire ; mais ils ne se sont pas contentés de combattre les dogmes religieux. Ils ont condamné tout ce qui fait la grandeur de l'âme, brisé ses énergies morales, détruit sa confiance en elle-même et en Dieu ; ils ont préconisé cet abandon à la fatalité, cet attachement exclusif aux choses matérielles, qui lentement nous désarme, nous affaiblit, nous prépare à la défaite et à la chute.
L'âme humaine a reculé devant cet abîme. Les progrès du matérialisme, ses conséquences sociales, ont semé l'épouvante dans un grand nombre d'esprits. Devant l'oeuvre de destruction accomplie par la critique matérialiste, devant l'absence de tout enseignement susceptible d'élever et de fortifier l'âme des démocraties, ils se sont souvenus de la puissance de l'idée religieuse et se sont tournés vers l'Eglise, comme vers le seul refuge, la seule autorité ferme et sûre. De là un regain de vitalité, un retour de faveur du catholicisme. Celui-ci, profitant des fautes de ses adversaires, fait de vigoureux efforts pour disputer aux libres penseurs la direction des masses et ressaisir l'influence perdue.
Mais, nous l'avons vu, l'Eglise romaine ne saurait satisfaire le besoin d'idéal et de lumière qui attire à elle certains esprits. Ce qu'elle porte dans ses flancs, ce n'est pas l'avenir, c'est le passé avec ses ombres, ses intolérances, ses rancunes, ses causes de division, de perpétuelle discorde entre les hommes. Ce retour des choses qui la favorise ne peut être qu'éphémère. L'insuffisance de l'Eglise apparaîtra vite aux yeux d'une génération éclairée, avide de faits et de réalités.
L'Eglise a pris soin elle-même de dissuader ceux qui fondaient en elle quelques espérances de progrès et de rénovation.
Par son encyclique « Satis cognitum », publiée en août 1896, Léon XIII se replongeait dans les doctrines du passé, dans les affirmations les plus intransigeantes.
« C'est dans l'Eglise romaine que se perpétue, dit-il, la mission constante et immuable d'enseigner tout ce que Jésus-Christ a enseigné lui-même. Pour tous subsiste l'obligation constante et immuable d'accepter et de professer toute la doctrine ainsi enseignée.
« L'Eglise et les saints Pères ont toujours regardé comme exclu de la communion catholique et hors de l'Eglise, quiconque se sépare le moins du monde de la doctrine enseignée par le magistère authentique.
« Toutes les fois donc que la parole de ce magistère, institué par Jésus-Christ dans l'Eglise, déclare que telle ou telle vérité fait partie de l'ensemble de la doctrine divinement révélée, chacun doit croire avec certitude que cela est vrai. »
Depuis lors, Pie X, par ses instructions sur le modernisme, a encore accentué cet état d'esprit .
Ainsi, plus que jamais, les papes prétendent décider de la destinée des âmes. Leurs encycliques ne sont que des rééditions en d'autres termes de la parole fameuse : « Hors l'Eglise point de salut ! » Ils condamnent toutes les doctrines qui n'acceptent pas leur suprématie. Ils creusent plus profondément le fossé qui sépare la pensée moderne, le libre et clair spiritualisme, du dogmatisme romain. Ils anéantissent les illusions de ceux qui avaient cru à un retour possible du catholicisme vers des horizons plus larges et plus éclairés, à la conciliation entre les croyants de tous ordres, unissant leurs efforts pour combattre l'athéisme et la démoralisation.

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Malgré les assauts qu'elle a eu à subir dans les derniers siècles, l'Eglise a pu résister et se maintenir. Sa force était, rappelons-le, dans ce fait qu'elle possédait une conception générale du monde et de la vie, quoique fausse, à opposer au vide et à la stérilité des doctrines matérialistes. Ce qui reste en elle de morale évangélique, joint à sa puissante organisation hiérarchique, à sa rigoureuse discipline, à ses oeuvres de bienfaisance et aux vertus d'un certain nombre de ses prêtres, a suffi à faciliter sa résistance, à assurer sa vie au milieu d'un monde qui s'efforçait d'échapper à ses étreintes.
Mais il serait puéril de croire que la foi du passé peut renaître ; le lien religieux qui unissait les hommes à l'Eglise romaine s'est relâché pour jamais. Le catholicisme, avons-nous dit, n'est plus en état de fournir aux sociétés modernes l'aliment nécessaire à leur vie spirituelle, à leur élévation morale. Ne le voyons-nous pas autour de nous ? Les croyants de nos jours, pris dans leur ensemble, ne sont ni moins matériels, ni moins épris de fortune ou de plaisirs que les libres penseurs.
Parmi eux, combien d'indifférents qui pratiquent à demi sans croire, sans réfléchir jamais aux problèmes religieux sur l'univers, l'homme et la vie ! Toutes les erreurs du passé, tous les vices du vieux monde, le pharisaïsme juif, les superstitions et l'idolâtrie païennes, ont reparu dans la société dite chrétienne, au point qu'on peut se demander si la civilisation qui se pare de ce nom est supérieure aux autres sociétés humaines.
Le christianisme était une foi vivante et rayonnante ; le catholicisme n'est plus qu'une doctrine sèche et sombre, inconciliable avec les préceptes de l'Evangile, n'ayant à opposer aux arguments de la critique rationaliste que les affirmations d'un dogme impuissant à prouver et à convaincre.
Toutes les déclarations, toutes les encycliques pontificales n'y peuvent rien. Il faudra changer ou mourir. L'Eglise romaine ne ressaisira pas le gouvernement du monde.
A l'heure présente, il n'y a de rénovation morale possible qu'en dehors du dogmatisme des Eglises. Ce que nos sociétés réclament, c'est une conception religieuse en harmonie avec l'univers et la science, et qui satisfasse la raison. Toute restauration dogmatique serait stérile. Les peuples ne s'y tromperaient pas. Le dogme, pour eux, c'est l'Eglise. Et l'Eglise, en s'alliant à toutes les oppressions, est devenue, selon la parole de J. Jaurès, « une des formes de l'exploitation humaine ». Ses affirmations ont perdu tout crédit dans l'esprit des masses. Le peuple, aujourd'hui, veut la vérité, toute la vérité !
Cependant la société moderne tient encore, sinon à l'Eglise, du moins au christianisme par certains liens, les liens de tout un passé, lentement formés à travers les siècles. Elle reste attachée à l'idée chrétienne, parce que les principes de l'Evangile sont entrés, peut-être à son insu et sous des noms nouveaux, dans sa pensée et dans son coeur.
Il y a dans l'Eglise des principes longtemps incompris, des germes cachés, comme la semence sous la terre, et qui, après bien des souffrances, après une lente et douloureuse fermentation, ne demandent qu'à éclore, à lever, à produire des fruits. Il faut pour cela une impulsion nouvelle, une orientation distincte de la pensée néo-chrétienne, provoquée par des esprits sincères et désintéressés.
Le christianisme avait apporté au monde - plus que toutes les autres religions - l'amour actif pour tout ce qui souffre, le dévouement pour l'humanité poussé jusqu'au sacrifice, l'idée de fraternité dans la vie et dans la mort, apparaissant pour la première fois dans l'histoire sous l'image du Crucifié, du Christ mourant pour tous.
C'est cette grande pensée qui, malgré les agissements de l'Eglise et la falsification des doctrines primitives, a pénétré dans les sociétés occidentales et porté les races blanches, d'étapes en étapes, vers des formes sociales plus conformes à l'esprit de justice et de fraternité, les incitant à faire aux petits une place de plus en plus large au soleil de la vie. Il faut qu'un nouveau mouvement d'idées, parti, non du sanctuaire, mais du dehors, vienne compléter et mettre en lumière ces préceptes, ces vérités cachées, montrer en elles le principe des lois qui régissent les êtres dans l'une comme dans l'autre vie. Ce sera le rôle du spiritualisme moderne.
La nouvelle révélation, les enseignements des Esprits, les preuves qu'ils donnent de la survivance, de l'immortalité de l'être et de la justice éternelle, nous apprennent à distinguer ce qu'il y a de vivant ou de mort dans le christianisme. Si les hommes de foi veulent se convaincre de la puissance de ces enseignements et en accepter les fruits, ils pourront y retrouver la vie épuisée, l'idéal agonisant. Cet idéal, que proclament les voix du monde invisible, n'est pas différent de celui des fondateurs du christianisme. Il s'agit toujours de réaliser sur terre le « règne de Dieu et de sa justice », de purifier l'âme humaine de ses vices, de la relever de ses chutes, et, en lui donnant la connaissance des lois supérieures et de ses destinées véritables, de développer en elle cet esprit de sagesse et d'amour sans lequel il n'est ni paix sociale ni élévation.
Le christianisme, pour renaître et resplendir, devra se vivifier à cette source où se désaltéraient les premiers chrétiens. Il lui faudra se transformer, s'affranchir de tout caractère surnaturel et miraculeux, redevenir simple, clair, rationnel, sans cesser d'être un lien, une relation entre l'homme, le monde invisible et Dieu. Sans cette relation, pas de croyance forte, pas de philosophie élevée, pas de religion vivante.
Se dégageant des formes vieillies, la religion doit s'inspirer des découvertes modernes, des lois de la nature et des prescriptions de la raison. Elle doit familiariser l'esprit humain avec cette loi de la destinée qui multiplie ses existences, le place alternativement dans les deux mondes, matériel et fluidique, et lui permet ainsi de se compléter, de se développer, de conquérir sa félicité. Elle doit lui faire comprendre qu'une solidarité étroite unit les membres des deux humanités, celle de la terre et celle de l'espace, ceux qui vivent dans la chair et ceux qui aspirent à y renaître, pour travailler à leur progression et à celle de leurs semblables. Elle doit lui montrer, au-dessus de tout, cette règle de souveraine justice en vertu de laquelle chacun récolte, à travers les temps, tout ce qu'il a semé de bien et de mal, de germes de bonheur et de souffrance.
Ces notions, ces lois, mieux comprises, fourniront une nouvelle base d'éducation, un principe de relèvement, un lien religieux entre les hommes. Car le lien de solidarité qui les rassemble s'étend au passé comme à l'avenir, embrasse tous les siècles, les unit à tous les mondes. Membres d'une même grande famille, solidaires à travers leurs existences, dans le vaste champ de leurs destinées, partis du même point pour aboutir aux mêmes sommets, tous les hommes sont frères et doivent s'entraider, se soutenir dans leur marche à travers les âges, vers un idéal de sagesse, de savoir et de vertu.

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Le Christ a dit : « La lettre tue et l'esprit vivifie. » Et cependant les hommes de la lettre ont toujours cherché à asservir l'esprit. Ils ont enlacé la pensée dans un réseau de dogmes, dont elle ne peut sortir que par un déchirement. A force de comprimer la vérité, les Eglises ont fini par méconnaître sa puissance. Mais un jour vient, tôt ou tard, où elle éclate avec une force invincible, ébranlant jusque dans leurs bases les institutions qui, longtemps, l'assujettirent.
C'est là ce qui menace les Eglises. Les avertissements ne leur ont pas manqué cependant. Même parmi les chrétiens les plus sincères, des voix prophétiques se sont élevées. Que disait de Maistre, dès la première moitié du dix-neuvième siècle ?
« Eglise chrétienne, vous semble-t-il qu'un tel état de choses puisse durer, et que cette vaste apostasie ne soit pas à la fois et la cause et le présage d'un mémorable jugement ? Voyez si les illuminés ont tort d'envisager comme plus ou moins prochaine une troisième explosion de la toute-puissante bonté de Dieu envers les hommes ? Je n'en finirais pas, si je voulais rassembler toutes les preuves qui se réunissent pour justifier cette grande attente. Il faut nous tenir prêts pour un événement immense dans l'ordre divin. Il n'y a plus de religion sur la terre. Des oracles redoutables annoncent d'ailleurs que les temps sont arrivés. »
Les prévisions de cet écrivain se réalisent. L'humanité traverse, au point de vue philosophique, religieux et social, une crise intense. Les puissances invisibles sont à l'oeuvre. Tous ceux qui, dans le silence, alors que les bruits de la terre se taisent, ont entendu leurs voix ; tous ceux qui étudient les courants, les souffles mystérieux qui passent sur le monde, ceux-là savent qu'un travail de fermentation s'opère dans les profondeurs de la pensée et dans la science elle-même. Une rénovation se prépare. Notre siècle verra l'épanouissement d'une grande idée.
C'est pourquoi nous disons aux prêtres de tous les cultes et de toutes les religions : Si vous voulez que vos Eglises vivent, tournez vos regards vers la nouvelle lumière que Dieu envoie à l'humanité. Laissez-la pénétrer dans le sombre édifice de vos conceptions ; laissez-la entrer à flots dans les intelligences, afin que les hommes s'amendent en s'éclairant, afin que l'idéal religieux renaisse, réchauffe les coeurs, vivifie les sociétés.
Elargissez vos horizons ; cherchez ce qui rapproche les âmes et non ce qui les divise. Ne jetez pas l'anathème à ceux qui ne pensent pas comme vous, car vous vous prépareriez de cruelles déceptions dans l'Au-delà. Que votre foi ne soit ni exclusive ni intolérante.
Apprenez à discerner, à séparer les choses imaginaires des réelles. Abstenez-vous de combattre la science et de renier la raison, car la raison, c'est Dieu en nous, et notre conscience est son sanctuaire.
Mais, objecterez-vous, ce ne sera plus là notre religion ?
Sans doute, le nouveau spiritualisme n'est pas une religion : mais il apparaît dans le monde, tenant un flambeau dont la lumière va éclairer au loin et féconder toutes les religions. Le spiritualisme moderne est une croyance basée sur des faits, sur des réalités sensibles, une croyance qui se développe, progresse avec l'humanité et peut unir tous les êtres en les élevant vers une conception toujours plus haute de Dieu, de la destinée et du devoir. Par là, chacun de nous apprendra à communier avec le suprême Auteur des choses, avec ce Père de tous qui est votre Dieu et le nôtre, et que recherchent, depuis l'origine des âges, toutes les raisons qui pensent et tous les coeurs qui adorent.
Ne demandez plus le lien moral et religieux à une doctrine d'oppression et d'épouvante. Laissez à l'esprit humain son libre essor vers la lumière et l'espace. Tout rayon d'en haut est une émanation de Dieu, ce soleil éternel des âmes.
Quand l'humanité sera délivrée des superstitions et des fantômes du passé, vous verrez s'épanouir en elle les germes d'amour et de bien que la main divine y a déposés, et vous connaîtrez la vraie religion, celle qui s'élève au-dessus des croyances diverses et n'en maudit aucune.
IX. - LA NOUVELLE REVELATION.
LE SPIRITISME ET LA SCIENCE
La nouvelle révélation se produit sous des formes inattendues, ou plutôt sous des formes oubliées, identiques cependant à celles que revêtirent les premières manifestations du christianisme.
Celui-ci avait débuté par le miracle. C'est sur la preuve matérielle de la survivance que la religion du Christ est fondée . Le spiritualisme moderne se révèle à l'aide du phénomène. Or, miracle et phénomène sont deux mots pour un seul et même fait. Le sens différent qui s'y attache donne la mesure du chemin parcouru en vingt siècles par l'esprit humain. Le miracle est supérieur à la loi naturelle ; le phénomène y est soumis. Il n'est que l'effet d'une cause, la résultante d'une loi. L'expérience et la raison ont démontré que le miracle est impossible. Les lois de la nature, qui sont les lois divines, ne sauraient être violées, car ce sont elles qui règlent et maintiennent l'harmonie de l'univers. Dieu ne peut se démentir.
Les phénomènes d'outre-tombe se retrouvent à la base de toutes les grandes doctrines du passé : dans tous les temps, des rapports ont uni le monde invisible au monde des vivants. Dans l'Inde, en Egypte et en Grèce, leur étude était le privilège d'un petit nombre de chercheurs et d'initiés ; les résultats obtenus étaient soigneusement tenus cachés.
Pour rendre ces recherches accessibles à tous, pour faire connaître les véritables lois qui régissent le monde invisible, pour apprendre aux hommes à voir dans ces phénomènes, non plus un ordre de choses surnaturel, mais un côté ignoré de la nature et de la vie, il fallait l'immense travail des siècles, toutes les découvertes de la science, toutes les conquêtes de l'esprit humain sur la matière. Il fallait que l'homme connût sa véritable place dans l'univers, qu'il apprit à mesurer la faiblesse de ses sens, leur impuissance à explorer, par eux-mêmes et sans secours, tous les domaines de la nature.
La science, par ses inventions, a atténué cette imperfection de nos organes. Le télescope a ouvert à notre regard les abîmes de l'espace ; le microscope nous a révélé l'infiniment petit. La vie nous est apparue partout, dans le monde des infusoires comme à la surface des globes géants qui roulent dans la profondeur des cieux. La physique a découvert la transformation des forces, la radioactivité des corps et les lois qui assurent l'équilibre universel ; la chimie nous a fait connaître les combinaisons de la substance. La vapeur et l'électricité sont venues révolutionner la face du globe, faciliter les rapports des peuples et les manifestations de la pensée, afin que l'idée rayonne et se propage sur tous les points de la sphère terrestre.
L'esprit humain a pu plonger ses regards dans cette grande Bible de la nature, dans ce livre divin qui surpasse de toute sa majesté les bibles humaines. Il y a lu couramment les formules et les lois qui président aux évolutions de la vie, à la marche des univers.
Aujourd'hui, l'étude du monde invisible vient compléter cette magnifique ascension de la pensée et de la science. Le problème de l'Au-delà se dresse devant l'esprit humain avec une puissance, une autorité, une insistance telles que rien de semblable peut-être ne s'est produit dans l'histoire. Car jamais on n'avait vu un ensemble de faits, de phénomènes, considérés d'abord comme impossibles, qui n'éveillaient dans la pensée de la majorité de nos contemporains que l'antipathie et le dédain, finir par s'imposer à l'attention et à l'examen des plus compétents et des plus autorisés.
Vers le milieu du dernier siècle, l'homme, déçu par toutes les théories contradictoires, par tous les systèmes incomplets dont on a voulu nourrir sa pensée, se laissait aller au doute ; il perdait de plus en plus la notion de la vie future. C'est alors que le monde invisible est venu à lui et l'a poursuivi jusque dans ses demeures. Par des moyens divers, les morts se sont manifestés aux vivants. Les voix d'outre-tombe ont parlé. Les mystères des sanctuaires orientaux, les phénomènes occultes du moyen âge, après un long silence, se sont renouvelés ; le spiritisme est né.
C'est au-delà des mers, dans un monde jeune, riche d'énergie vitale, d'expansion ardente, moins assujetti que la vieille Europe à l'esprit de routine et aux préjugés du passé, c'est dans l'Amérique du Nord que se sont produites les premières manifestations du spiritualisme moderne. De là, elles se sont répandues sur le globe entier. Ce choix était profondément judicieux. La libre Amérique était bien le milieu le plus propice à une oeuvre de diffusion et de rénovation. Aussi y compte-t-on aujourd'hui vingt millions de « modernes-spiritualistes ».
Mais, d'un côté de l'Atlantique comme de l'autre, quoique avec des intensités diverses, les phases de progression de l'idée spirite ont été les mêmes.
Sur les deux continents, l'étude du magnétisme et des fluides avait préparé certains esprits à l'observation du monde invisible.
D'abord, des faits étranges se manifestèrent de tous côtés, faits dont on n'osait s'entretenir qu'à voix basse, dans l'intimité. Puis, peu à peu, le ton s'éleva. Des hommes de talent, des savants, dont les noms sont autant de garanties d'honorabilité et de sincérité, osèrent en parler tout haut et les affirmer. Il fut question d'hypnotisme, de suggestion, puis vinrent la télépathie, les cas de lévitation et tous les phénomènes du spiritisme.
Des tables s'agitaient en une ronde folle ; des objets se déplaçaient sans contact, des coups retentissaient dans les murailles et les meubles. Tout un ensemble de manifestations se produisait, vulgaires en apparence, mais parfaitement adaptées aux exigences du milieu terrestre, à l'état d'esprit positif et sceptique des sociétés modernes.
Le phénomène parlait aux sens, car les sens sont comme les ouvertures par où le fait pénétrera jusqu'à l'entendement. Les impressions produites sur l'organisme éveillent la surprise, provoquent la recherche, mènent à la conviction.
Après une première phase matérielle et grossière, les manifestations revêtirent un nouvel aspect. Les coups frappés se régularisèrent et devinrent un mode de communication intelligent et conscient. La possibilité de rapports entre le monde visible et le monde invisible apparut comme un fait immense, bouleversant les idées reçues, ébranlant les enseignements habituels, mais ouvrant sur la vie future une issue que l'homme hésitait encore à franchir, ébloui devant les perspectives qui s'offraient à lui.
A mesure qu'il se propageait, le spiritisme voyait se dresser contre lui de nombreuses oppositions. Comme toutes les conceptions nouvelles, il dut affronter le mépris, la calomnie, la persécution morale. Telle l'idée chrétienne à ses débuts, il fut accablé d'amertume et d'injures. Il en est toujours ainsi. Lorsque des aspects ignorés de la vérité apparaissent aux hommes, c'est toujours la défiance et l'hostilité qu'ils provoquent.
Cela est facile à comprendre. L'humanité a épuisé les vieilles formes de la pensée et de la croyance, et lorsque ces formes inattendues de la vérité se révèlent, elles semblent peu répondre à l'idéal ancien qui est affaibli et non pas mort. Aussi faut-il une assez longue période d'examen, de réflexion, d'incubation, pour que l'idée nouvelle fasse son chemin dans les esprits. De là, les incertitudes et les souffrances de la première heure.
On a beaucoup raillé les formes que revêtait le nouveau spiritualisme. Mais les puissances invisibles qui veillent sur l'humanité sont meilleures juges que nous des moyens d'action et d'entraînement qu'il convient d'adopter, suivant les temps et les milieux, pour ramener l'homme au sentiment de son rôle et de ses destinées, sans entraver son libre arbitre. Car c'est là l'essentiel : il faut que la liberté de l'homme reste entière.
La volonté supérieure sait approprier aux besoins d'une époque et d'une race toutes les formes de l'éternelle révélation. C'est elle qui suscite au sein des sociétés les penseurs, les expérimentateurs, les savants, qui indiqueront la voie à suivre et poseront les premiers jalons. Leur oeuvre se déroule lentement. Faibles et insensibles d'abord sont les résultats ; pourtant l'idée pénètre peu à peu dans les intelligences. Le mouvement, pour être inaperçu, n'en est parfois que plus sûr et plus profond.
A notre époque, la science est devenue la maîtresse souveraine, la directrice du mouvement intellectuel. Lasse des spéculations métaphysiques et des dogmes religieux, l'humanité réclamait des preuves sensibles, des bases solides, sur lesquelles elle pût asseoir ses convictions. Elle s'attachait à l'étude expérimentale, à l'observation des faits, comme à une planche de salut. De là, le grand crédit des hommes de science à l'heure où nous sommes. Aussi la révélation a-t-elle pris un caractère scientifique. C'est par des manifestations matérielles que l'on a frappé l'attention des hommes, devenus eux-mêmes matériels.
Les phénomènes mystérieux que l'on trouve disséminés dans l'histoire du passé se sont renouvelés et multipliés autour de nous ; ils se sont succédés dans un ordre progressif, qui semble indiquer un plan préconçu, l'exécution d'une pensée, d'une volonté.
En effet, à mesure que le nouveau spiritualisme gagnait du terrain, les phénomènes se transformaient. Les manifestations grossières du début s'amélioraient, revêtaient un caractère plus élevé. Des médiums recevaient, par l'écriture, d'une manière mécanique ou intuitive, des messages, des inspirations de source étrangère. Des instruments de musique jouaient sans contact. On entendait des voix et des chants ; des mélodies pénétrantes semblaient descendre du ciel et troublaient les plus incrédules. L'écriture directe se produisait à l'intérieur d'ardoises juxtaposées et scellées. Des phénomènes d'incorporation permettaient aux défunts de prendre possession de l'organisme d'un sujet endormi, et de s'entretenir avec ceux qui les avaient connus sur la terre. Graduellement, et comme par suite d'un développement calculé, les médiums voyants, parlants, guérisseurs, apparaissaient.
Enfin, les habitants de l'espace, revêtant des enveloppes temporaires, venaient se mêler aux humains et vivre un instant de leur vie matérielle et terrestre, se laissant voir, toucher, photographier, donnant des empreintes de leurs mains, de leurs visages, pour s'évanouir ensuite et reprendre leur vie éthérée.
C'est ainsi que tout un enchaînement de faits s'est produit, depuis les plus inférieurs et les plus vulgaires, jusqu'aux plus subtils, suivant le degré d'élévation des Intelligences qui interviennent ; tout un ordre de manifestations s'est déroulé sous le regard des observateurs attentifs.
Aussi, malgré les difficultés d'expérimentation, malgré les cas d'imposture et les modes d'exploitation dont ces phénomènes ont été quelquefois le prétexte, l'appréhension et la défiance se sont atténuées peu à peu ; le nombre des examinateurs est allé croissant.
Depuis soixante-dix ans, en tous pays, le phénomène spirite a été l'objet de fréquentes enquêtes, entreprises et dirigées par des commissions scientifiques. Des savants sceptiques, des professeurs célèbres, appartenant à toutes les grandes universités du monde, ont soumis ces faits à un examen rigoureux et approfondi. Leur intention était d'abord de faire la lumière sur ce qu'ils croyaient être le résultat de fourberies ou d'hallucinations. Mais tous, d'incrédules qu'ils étaient, après des années d'étude consciencieuse et d'expérimentations répétées, ont abandonné leurs préventions et se sont inclinés devant la réalité des faits.
Plus on a examiné et scruté le problème, plus nombreux et plus pressés se sont révélés les cas d'identité, les preuves de la persistance de la personnalité humaine au-delà du tombeau. Les manifestations spirites, constatées par milliers sur tous les points du globe, ont démontré qu'un monde invisible s'agite autour de nous, à notre portée, un monde où vivent, à l'état fluidique, tous ceux qui nous ont précédés sur la terre, qui y ont lutté et souffert et constituent par-delà la mort une seconde humanité.
Le nouveau spiritualisme se présente aujourd'hui avec un cortège de preuves, avec un ensemble de témoignages tellement imposant, que le doute n'est plus possible pour les chercheurs de bonne foi. C'est ce qu'exprimait en ces termes le professeur Challis, de l'Université de Cambridge :
« Les attestations ont été si abondantes et si parfaites, les témoignages sont venus de tant de sources indépendantes les unes des autres et d'un nombre si énorme de témoins, qu'il faut ou admettre les manifestations telles qu'on les représente, ou renoncer à la possibilité de certifier quelque fait que ce soit par une déposition humaine . »
Aussi le mouvement de propagation s'est-il accentué de plus en plus. A l'heure présente, nous assistons à un véritable épanouissement de l'idée spirite. La croyance au monde invisible s'est répandue sur toute la surface de la terre. Partout le spiritisme a ses sociétés d'expérimentation, ses vulgarisateurs, ses journaux.
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Revenons sur un point essentiel : l'erreur ou le scepticisme de l'homme touchant l'existence du monde invisible tenaient à une cause unique, l'impuissance de son organisme à lui fournir une idée complète des formes et des possibilités de la vie.
On a trop perdu de vue que nos sens, quoiqu'ils se soient affinés et développés depuis l'origine de l'humanité, ne perçoivent encore que les formes les plus rudimentaires de la matière ; ses états subtils leur échappent absolument. De là, l'opinion généralement répandue que la vie n'était possible que sous des formes et avec des organismes semblables à ceux qui frappent nos regards. De là, l'idée fausse que la vie n'était partout qu'une imitation, une reproduction de ce que nous voyons autour de nous.
Du jour où, avec l'aide de puissants instruments d'optique, l'infiniment grand et l'infiniment petit se sont révélés, il a bien fallu reconnaître que nos sens, réduits à eux-mêmes, n'embrassaient qu'un cercle très restreint de l'empire des choses, un champ très borné de la nature ; qu'en définitive nous ne savions presque rien de la vie universelle.
A une époque beaucoup plus récente, nous ne connaissions encore de la matière que ses trois modes les plus élémentaires : les solides, les liquides, les gaz. Nous ne savions rien des innombrables transformations dont elle est susceptible.
C'est seulement depuis une trentaine d'années que le quatrième état de la matière, l'état radiant, est connu des savants. W. Crookes, l'académicien anglais, en a le premier constaté l'existence, et ses expériences spirites, poursuivies pendant trois années, n'ont pas été étrangères à cette découverte. Il a pu démontrer que la matière, devenue invisible, réduite à des quantités infinitésimales, acquiert des énergies, des puissances incalculables et que ces énergies augmentent sans cesse, à mesure que la matière se raréfie.
Plus récemment, les recherches de nombreux savants sont venues confirmer ces découvertes. Peu à peu, la science a abordé le domaine de l'invisible, de l'intangible, de l'impondérable. Elle a dû reconnaître que l'état radiant n'est pas le dernier que la matière puisse revêtir ; au-delà, celle-ci lui est apparue sous des aspects de plus en plus subtils et quintessenciés, se raréfiant presque à l'infini, sans cesser d'être la forme possible, la forme nécessaire de la vie.
Ce que la science commence seulement à entrevoir, les spirites le savaient depuis longtemps par la révélation des Esprits. Ils avaient appris que le monde visible n'est qu'une portion infime de l'univers, qu'en dehors de ce qui tombe sous nos sens, la matière, la force, la vie se présentent sous des modes variés, sous des aspects innombrables ; que nous sommes entourés, enveloppés de radiations invisibles pour nous, en raison de la grossièreté de nos organes.
Toutes ces notions, les expériences scientifiques viennent les démontrer aujourd'hui. La constatation de ces modes d'énergie, l'existence de ces formes subtiles de la matière, fournissent en même temps l'explication rationnelle des phénomènes spirites. C'est là que les Invisibles puisent les forces dont ils se servent dans leurs manifestations physiques ; c'est des éléments de la matière impondérable que sont constitués leurs enveloppes, leurs organismes.
Les chercheurs de bonne foi n'ont pas tardé à le reconnaître. Depuis la découverte de la matière radiante, la science s'est avancée pas à pas dans ce vaste empire de l'inconnu. Tous les jours elle vient confirmer, par des expériences nouvelles, ce que l'esprit humain, plus clairvoyant que nos sens, avait pressenti depuis longtemps.
La science avait commencé par photographier les rayons invisibles du spectre solaire, les rayons ultraviolets et infrarouges, qui n'impressionnent pas notre rétine. Puis, elle a obtenu la reproduction, sur la plaque sensible, d'un grand nombre de mondes stellaires, d'étoiles lointaines, d'astres perdus dans les profondeurs de l'espace, à un éloignement tel que leurs radiations lumineuses échappent, non seulement à notre oeil, mais parfois même au télescope.
On sait que les sensations de lumière, comme celles de son, de chaleur, etc., sont produites par une quantité déterminée des vibrations de l'éther.
La rétine, organe de la vue, perçoit, dans de certaines limites, les ondes lumineuses . Au-delà de ces limites, un grand nombre de vibrations lui échappent. Or, ces vibrations, insaisissables pour nous, peuvent être perçues par la plaque photographique, plus sensible que l'oeil humain, ce qui permet de dire que l'objectif photographique est comme un regard ouvert sur l'invisible.
Nous en avons une preuve nouvelle par l'application des rayons X, des rayons obscurs de Roentgen, à la photographie. Quoique invisibles, ils ont le pouvoir de traverser certains corps opaques, tels que l'étoffe, la chair, le bois, et permettent de reproduire des objets cachés à tous les yeux, comme le contenu d'une bourse, d'une lettre, etc. Ils pénètrent dans les profondeurs de l'organisme humain, et les moindres détails de notre anatomie n'ont plus de secrets pour eux.
L'utilisation des rayons X tend à se généraliser de plus en plus ; elle nous montre quel parti considérable la science de l'avenir pourra tirer des formes subtiles de la matière, quand elle saura les emmagasiner et les diriger.
La découverte de la matière lumineuse et de ses applications a une portée incalculable. Non seulement elle nous prouve que des formes de la matière s'échelonnent au-delà de nos sens, formes perceptibles seulement pour des appareils enregistreurs, mais aussi que ces formes et ces rayonnements acquièrent plus de force et de pénétration à mesure que s'accroit leur subtilité. Nous nous habituons ainsi à étudier la nature sous ses aspects cachés, qui sont ceux de sa plus grande puissance.
Dans ces manifestations encore mal définies de l'énergie, nous trouvons l'explication scientifique d'une foule de phénomènes, comme les apparitions, le passage des esprits à travers les corps solides, etc. L'application des rayons Roentgen à la photographie nous fait comprendre le phénomène de la double vue des médiums et celui de la photographie spirite. En effet, si des plaques peuvent être influencées par des rayons invisibles, par des radiations de la matière impondérable qui pénètrent les corps opaques, à plus forte raison les fluides quintessenciés dont se compose l'enveloppe invisible des Esprits peuvent-ils, dans certaines conditions, impressionner la rétine des médiums, appareil plus délicat et plus complexe que ne l'est la plaque de verre.
C'est ainsi que le spiritisme se fortifie chaque jour par l'appoint d'arguments tirés des découvertes de la science, et qui finiront par ébranler les sceptiques les plus endurcis.
La photographie des radiations de la pensée vient d'ouvrir un champ nouveau aux investigateurs.
De nombreux expérimentateurs  ont réussi à fixer sur la plaque sensible les radiations de la pensée et les vibrations de la volonté. Leurs recherches ont démontré qu'il existe en chaque être humain un centre de radiations invisibles, un foyer de lumières qui échappent à la vue mais peuvent impressionner les plaques photographiques.
Soit en appuyant les doigts sur le côté enduit de gélatine, ou en appliquant dans l'obscurité, le côté verre près du cerveau, on obtient sur la plaque des ondes, des vibrations, variant d'aspect et d'intensité sous l'influence des dispositions mentales de l'opérateur. Uniformes, régulières dans l'état normal, ces ondes se forment en tourbillons, en spirales, dans les cas d'excitation, s'étendent en nappes, en larges effluves dans l'extase, et s'élèvent en colonnes majestueuses pendant la prière, comme des vapeurs d'encens.
On a même pu reproduire sur les plaques le double fluidique de l'homme, centre de ces radiations. Le colonel de Rochas et le docteur Barlemont ont obtenu, chez Nadar, la photographie simultanée du corps d'un médium et de son double, momentanément séparés .
Comme un prélude à tant d'autres preuves objectives que nous signalerons plus loin, la photographie vient donc nous révéler l'existence de ce corps fluidique, qui double et soutient notre corps physique, de cette enveloppe éthérée qui est la forme radiante de l'esprit, inséparable de lui pendant la vie comme après la mort.
Les plaques photographiques ne sont pas seulement impressionnées par les vibrations fluidiques de l'être humain, elles le sont également par des formes qui appartiennent au monde invisible, par des êtres qui existent, vivent et s'agitent autour de nous, présidant à tout un ensemble de manifestations que nous allons passer en revue et que l'on ne peut expliquer, sinon par leur présence et leur action.
Ces êtres, affranchis par la mort des besoins et des misères de la nature humaine, continuent à agir à l'aide du corps fluidique, impérissable, formé de ces éléments très subtils de la matière dont nous venons de parler, qui échappaient jusqu'ici à nos sens dans leur état normal.

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La question du corps fluidique ou périsprit, quoique déjà traitée par nous en d'autres pages , nécessite de nouvelles explications, car elle nous fait mieux comprendre la vie de l'espace et le mode d'action des esprits sur la matière.
Tout le monde sait que les molécules de notre corps physique sont soumises à des mutations constantes. Chaque jour, notre enveloppe charnelle élimine un certain nombre d'éléments ; chaque jour, elle s'en assimile de nouveaux. Le corps entier, depuis les parties molles du cerveau jusqu'aux parties les plus dures de la charpente osseuse, se renouvelle dans l'espace de quelques années. Au milieu de ces courants continuels, il subsiste en nous une forme fluidique originelle, compressible et expansible, qui se maintient et se perpétue. C'est en elle, sur le dessin invisible qu'elle présente, que viennent s'incorporer, se fixer les molécules de la matière grossière. Le périsprit est comme le moule, le canevas fluidique de l'être humain. C'est pourquoi, lorsque la séparation s'effectue à la mort, le corps matériel s'affaisse aussitôt, se dégrade et se décompose.
Le périsprit est l'enveloppe permanente de l'esprit ; notre corps physique n'est qu'une enveloppe temporaire, un costume d'emprunt, que nous revêtons pour accomplir notre pèlerinage terrestre. Le périsprit existait avant la naissance et survit à la mort. Il constitue, dans son union intime avec l'esprit, l'élément essentiel et persistant de notre individualité, à travers les existences multiples qu'il nous est donné de parcourir .
C'est par l'existence de ce corps fluidique, par son dégagement pendant le sommeil naturel ou provoqué, que s'expliquent les apparitions des fantômes des vivants et, par extension, celles des esprits des morts.
Déjà on avait pu constater, dans bien des cas, que le double fluidique de personnes vivantes se détachait, dans certaines conditions, du corps matériel, pour apparaître et se manifester à distance. Ces phénomènes sont connus sous le nom de faits télépathiques.
Dès lors, il devenait évident que si, pendant la vie, la forme fluidique peut agir en dehors et sans le concours du corps, la mort ne pouvait plus être le terme de son activité.
Dans l'étude spéciale des phénomènes d'extériorisation de la sensibilité et de la motricité, le colonel de Rochas et, avec lui, le professeur Ch. Richet, le docteur Dariex, MM. de Grammont et de Watteville, avaient abordé le domaine des preuves expérimentales, d'où jaillit la certitude de l'action du double fluidique à distance. De leur côté, les savants anglais ont constaté nombre de cas où des formes fluidiques d'esprits désincarnés sont devenues visibles, par voie de condensation ou plutôt de matérialisation, comme la vapeur d'eau, répandue à l'état invisible dans l'atmosphère, peut, par des transformations successives, devenir visible et tangible, à l'état de glace.
Le périsprit est invisible pour nous dans son état ordinaire : son essence subtile produit un nombre de vibrations qui dépasse le champ de perception de notre vue. Pour se matérialiser, l'esprit est obligé d'emprunter aux médiums, ou aux autres personnes présentes, des fluides plus grossiers qu'il assimile aux siens, afin d'adapter le nombre des vibrations de son enveloppe à la capacité de notre sens visuel. L'opération est délicate, pleine de difficultés. Cependant, les cas d'apparitions d'esprits sont nombreux et s'appuient sur des témoignages considérables.
Le plus célèbre est celui de l'esprit Katie King, qui se manifesta pendant trois années chez W. Crookes, académicien anglais, avec l'aide du médium Florence Cook. Sir W. Crookes a décrit lui-même ces expériences dans un ouvrage très répandu . Katie King et Florence Cook ont été vues côte à côte. Elles étaient de taille et de physionomie différentes et se distinguaient l'une de l'autre sous bien des rapports.
Le témoignage de W. Crookes est confirmé par ceux des docteurs Gully et Sexton, du prince de Sayn-Wittgenstein, de Harrisson, de B. Coleman, de Sergeant Cox, de Varley, ingénieur électricien, de Mme Florence Marryat, etc., qui assistèrent, en différents milieux, aux apparitions de Katie.
C'est en vain qu'on a cherché plusieurs fois à insinuer que sir Crookes était revenu sur ses affirmations. Le 7 février 1909, W. Stead, directeur de la Review of Reviews, écrivait au New-York American : « J'ai vu sir Ch. W. Crookes au Ghost Club, où il était venu dîner, et il m'autorise à dire ceci : « Depuis mes expériences en matière de spiritualisme, que j'ai commencées il y a trente ans, je ne vois aucune raison pour modifier mon opinion d'autrefois. »
En outre, la Revue scientifique et morale du Spiritisme de mai 1919 publiait la lettre suivante, signée de sir W. Crookes lui-même :
« Répondant à votre demande, je ne vois aucune objection à établir ma position au sujet de ce que l'on appelle les phénomènes psychiques et à affirmer de nouveau, comme il y a quarante ans, lorsque j'ai entrepris mon enquête, que je reste fidèle à ce que j'ai écrit et n'ai rien à rétracter... A mon avis, ces phénomènes donnent encore plus de force aux opinions de plusieurs de mes collègues et amis de la Société pour les recherches psychiques, qui voient dans ces faits la preuve qu'une existence d'un autre ordre suit l'existence humaine et qu'en certaines circonstances des communications peuvent exister entre ce monde et un autre. »
Un cas non moins célèbre est celui de l'esprit Abdullah, relaté par Aksakow, conseiller d'Etat russe, dans son ouvrage Animisme et Spiritisme. L'esprit était de type oriental, et sa forme dépassait six pieds de haut, tandis que le médium, Eglinton, était de petite taille et de type anglo-saxon très accusé.
Un savant américain, Robert Dale Owen, ancien ambassadeur des Etats-Unis à Naples, a consacré six années aux expériences de matérialisations. Il a déclaré avoir vu des centaines de formes d'esprits. Dans une séance provoquée par la Société de recherches psychiques des Etats-Unis, à laquelle assistait le Rév. Savage, prédicateur renommé, trente esprits matérialisés apparurent aux yeux des assistants, qui reconnurent en eux des parents et des amis décédés. Ces manifestations sont fréquentes en Amérique .
Le professeur Lombroso, de l'Université de Turin, connu dans le monde entier par ses travaux de physiologie criminaliste, parle aussi de plusieurs apparitions qui se produisirent en sa présence à l'aide du médium Eusapia Paladino. Voici comment il raconte, dans son livre posthume Ricerche sui fenomeni ipnotici e spiritici, la première apparition de sa mère :
« C'était à Gênes, en 1902 ; le médium était en état de demi-inconscience et je n'espérais pas obtenir de phénomène sérieux. Avant la séance, je l'avais priée de déplacer, en pleine lumière, un lourd encrier de verre. Elle me répondit avec son ton vulgaire : « Pourquoi t'occupes-tu de ces niaiseries ? Je suis capable de bien autre chose ; je suis capable de te faire voir ta mère. Voilà à quoi tu devrais penser ! » Impressionné par cette promesse, après une demi-heure de séance je fus pris du désir le plus intense de la voir exécutée, et la table répondit par trois coups à ma pensée. Tout à coup je vis (nous étions dans une demi-obscurité avec la lumière rouge) sortir du cabinet une forme assez petite, comme était celle de ma mère. (Il est à remarquer que la taille d'Eusapia est d'au moins dix centimètres supérieure à celle de ma mère.) Le fantôme était voilé ; il fit le tour complet de la table, jusqu'à moi, en murmurant des paroles que beaucoup entendirent, mais que ma demi-surdité ne me permit pas de saisir. Tandis que, hors de moi par l'émotion, je la suppliais de me les répéter, elle me dit : Cesare mio fio ! Ce qui, je le reconnais, n'était pas dans ses habitudes. En effet, elle était Vénitienne et avait l'habitude locale de me dire : mio fiol ! Peu après, sur ma demande, elle écarta un instant son voile et me donna un baiser. »
A la page 93 de l'ouvrage cité plus haut, on peut lire que la mère de l'auteur lui réapparut une vingtaine de fois encore, au cours des séances d'Eusapia .
L'objection favorite des incrédules, touchant ce genre de phénomènes, est qu'ils se produisent dans l'obscurité, si favorable aux supercheries. Il y a une part de vérité dans cette objection, et nous n'avons pas hésité à signaler nous-même des fraudes scandaleuses ; mais il faut remarquer que l'obscurité est indispensable aux apparitions lumineuses, les plus nombreuses de toutes. La lumière exerce une action dissolvante sur les fluides, et nombre de manifestations ne peuvent réussir qu'en son absence. Il y a cependant des cas où certains esprits ont pu apparaître à la lumière phosphorée. D'autres se dématérialisent en pleine lumière. Sous les radiations de trois becs de gaz, on a vu Katie King fondre peu à peu, se dissoudre et disparaître .
A ces témoignages nous avons le devoir de joindre le nôtre, en relatant un fait qui nous est personnel.
Pendant dix ans, nous avons poursuivi cet ordre d'études avec l'aide d'un médecin de Tours, le docteur A..., et du capitaine archiviste du IX° corps. Par l'intermédiaire de l'un d'eux, endormi du sommeil magnétique, les Invisibles nous promettaient depuis longtemps une matérialisation, lorsqu'un soir, réunis dans le cabinet de consultation de notre ami, les portes soigneusement closes, et le jour pénétrant encore suffisamment par la haute fenêtre pour nous permettre de voir très distinctement les moindres objets, nous entendîmes trois coups retentir sur un point de la muraille. C'était le signal convenu.
Nos regards s'étant portés de ce côté, nous vîmes surgir d'un mur plein, sans aucune solution de continuité, une forme humaine de taille moyenne. Elle apparaissait de profil ; l'épaule et la tête se montrèrent d'abord, puis, graduellement, tout le corps apparut. La partie supérieure était bien dessinée ; les contours en étaient nets et précis. La partie inférieure, plus vaporeuse, ne formait qu'une masse confuse. L'apparition ne marchait pas ; elle glissait. Après avoir traversé lentement la salle, à deux pas de nous, elle alla s'enfoncer et disparaître dans le mur opposé, à un endroit qui n'offrait aucune issue. Nous pûmes la considérer pendant trois minutes environ, et nos impressions, comparées ensuite, furent reconnues identiques.
Nous ajouterons ici un phénomène du même genre, plus récent, obtenu à Londres en mai 1912 et relaté par les Annales des Sciences psychiques, dans le numéro de juin de la même année.
Il s'agit d'une manifestation de W. Stead, le grand publiciste anglais, victime de la catastrophe du Titanic. Les témoins furent le diplomate M. Miyatovich, ministre de Serbie ; son ami Hinkovitch, docteur en droit, et le médium Mme Wriedt. Nous citons textuellement :
« ... Un instant après, apparut une lueur derrière le médium, et elle se mit de la gauche à la droite du cabinet, comme si elle avait été transportée lentement par une douce brise. Là, dans cette clarté qui se déplaçait lentement, se trouvait l'esprit, ou plutôt la personne elle-même de mon ami William T. Stead vêtu de son costume habituel. Mon ami Hinkovitch, qui ne connaissait M. Stead que par des photographies, dit : « Oui, c'est M. Stead ! ». L'esprit de M. Stead me fit un geste amical et disparut. Une demi-minute après, il apparut de nouveau et se tint en face de moi, me regardant et s'inclinant. Il se montra une troisième fois, d'une façon encore plus nette. Nous entendîmes alors ces paroles : Oui, je suis Stead, William T. Stead. Mon cher ami Miyatovich, je suis bien heureux de vous voir ici ; je suis venu pour vous donner une nouvelle preuve qu'il y a une vie après la mort, et que le spiritisme est une vérité. »
Les matérialisations et apparitions d'esprits rencontrent, nous l'avons vu, des difficultés qui en limitent forcément le nombre. Il en est autrement de certains phénomènes d'ordre physique et de nature très variée, qui se propagent et se multiplient de plus en plus autour de nous.
Nous allons examiner succinctement ces faits, dans leur ordre progressif, au point de vue de l'intérêt qu'ils présentant et des certitudes qui s'en dégagent, touchant la vie libre de l'esprit.
En première ligne, vient le phénomène, si répandu aujourd'hui, des maisons hantées. Ce sont des habitations fréquentées par des esprits d'ordre inférieur, où ils se livrent à des manifestations bruyantes. Des coups, des sons de tout ordre, depuis les plus faibles jusqu'aux plus puissants, font vibrer les parquets, les meubles, les murailles, l'air même. La vaisselle est déplacée et brisée ; des pierres sont projetées du dehors jusque dans les appartements.
Les journaux nous apportent fréquemment le récit de phénomènes de ce genre. A peine ont-ils cessé sur un point, qu'ils se reproduisent sur d'autres, soit en France, soit à l'étranger, suscitant l'attention publique. En certains lieux, comme à Valence-en-Brie, à Yzeures (Indre-et-Loire), à Ath (Brabant), à Agen, à Turin, etc., ils ont duré des mois entiers, sans que les plus habiles policiers aient réussi à découvrir une cause humaine à ces manifestations.
Voici le témoignage de Lombroso à leur sujet. Il écrivait dans la Lettura :
« Les cas de maisons hantées, dans lesquelles, pendant des années, se reproduisirent des apparitions ou des bruits concordant avec le récit de morts tragiques, et observés en dehors de la présence de médiums, plaident en faveur de l'action des trépassés. »
- « Il s'agit souvent de maisons inhabitées, où ces phénomènes se produisent parfois pendant plusieurs générations et même pendant des siècles . »
Le docteur Maxwell, alors avocat général à la Cour d'appel, de Bordeaux, a retrouvé des arrêts de divers parlements, au dix-huitième siècle, résiliant des baux pour cause de hantise .
Ces faits s'expliquent par l'action malfaisante d'êtres invisibles, qui assouvissent, post mortem, des rancunes nées sur la terre, de mauvais rapports antérieurs, de dommages causés par certaines familles ou individus, qui, par là, donnent prise sur eux à l'influence néfaste de ces désincarnés. Ainsi, dans le plan général d'évolution, même la liberté du mal, l'oeuvre des passions inférieures, en attirant, par la production de ces phénomènes, l'attention publique sur un monde ignoré, concourt à l'instruction et au progrès de tous.
Malgré les répugnances de la science, en général, à s'occuper de ces faits, chaque jour voit s'accroître le nombre des chercheurs consciencieux, qui, s'écartant des chemins battus, se livrent à l'observation patiente du monde invisible. Il n'est pas de mois, de semaine, qui n'enregistre un résultat nouveau dans le domaine expérimental.
Les phénomènes d'ordre physique, les soulèvements de corps pesants et leur transport à distance, sans contact, provoquent tout spécialement l'observation de certains savants.
Nous avons parlé ailleurs  des expériences dirigées à Naples et à Milan, en 1892, par des hommes de science de différentes nations. Des procès-verbaux, rédigés par eux, reconnaissaient l'intervention de forces et de volontés inconnues dans la production de ces phénomènes.
Des expériences analogues ont été poursuivies depuis à Rome, à Varsovie, chez le docteur Ochorowicz, à l'île Roubaud, chez M. Richet, professeur à l'Académie de médecine de Paris, à Bordeaux, à l'Agnélas, près de Voiron (Isère), chez M. le colonel de Rochas. Citons encore celles du professeur Botazzi, directeur de l'Institut de physiologie à l'Université de Naples, en mai 1907, assisté du professeur Cardarelli, sénateur, de Galeotti, Pausini, Scarpa, de Amicis, etc.
Ces expériences furent dirigées d'une manière rigoureusement scientifique. Comme, évidemment, les sens peuvent tromper, on se servit d'appareils enregistreurs, qui permirent d'établir non seulement la réalité, l'objectivité du phénomène, mais encore le graphique de la force psychique en action.
Voici les mesures prises par le groupe de savants désignés plus haut, Eusapia Paladino étant médium :
A l'extrémité de la salle, derrière un rideau, on dispose à l'avance une table à deux étages, du poids de 21 kilos, qui occupe tout le vide du cabinet, et, intérieurement, reste à une distance d'environ 20 centimètres du rideau.
Sur cette table sont placés :
1° Un cylindre couvert de papier fumé, mobile autour d'un axe, sur lequel est fixé une sorte de porte-plume, dont la pointe touche la surface du cylindre ; si on donne un mouvement de rotation au cylindre, le porte-plume y enregistre une ligne horizontale ;
2° Une balance pèse-lettres ;
3° Un métronome électrique Zimmermann (le contact est établi par une pointe de platine qui, à chaque double oscillation de la baguette, s'enfonce dans un petit puits de mercure), mis en communication avec un signal Desprez, situé dans une chambre à côté ;
4° Une touche télégraphique, jointe à un autre signal Desprez ;
5° Une poire de caoutchouc reliée, au moyen d'un long tuyau de caoutchouc à travers la paroi, avec un manomètre à mercure de François Franck, situé dans la chambre contiguë.
C'est dans ces conditions que tous les appareils désignés ont été impressionnés à distance, les mains d'Eusapia étant tenues par deux des expérimentateurs, et tous les assistants formant cercle autour d'elle.
Partout on a constaté le déplacement de meubles, d'instruments de musique, sans contact, la lévitation de corps humains, le soulèvement de chaises avec les personnes qui les occupaient. Le professeur Lombroso, dans un de ces rapports, parle d'un buffet « qui s'avançait comme un pachyderme ».
Toutes ces manifestations pourraient s'expliquer, tant bien que mal, par des causes exclusivement matérielles, par l'action de forces inconscientes. La force psychique, extériorisée par le médium, suffirait, par exemple, à expliquer les mouvements de tables et autres objets à distance, et, par extension, tous les phénomènes qui ne démontrent pas l'action d'une intelligence autre que celle des assistants.
Mais, ce qui complique le phénomène et rend cette explication insuffisante, c'est que, dans la plupart des séances dont nous parlons, aux mouvements d'objets et aux déplacements de personnes se mêlent des attouchements, des apparitions de mains lumineuses et de formes humaines qui ne sont pas celles des expérimentateurs.
Les Annales des Sciences psychiques du 1° février 1903 relaient les faits suivants, observés par le docteur Venzano :
« Dans une séance à Milan, lorsqu'Eusapia était au plus fort de sa transe, nous vîmes apparaître à droite, moi et ceux qui m'avoisinaient, une forme de femme bien chère, qui me dit une parole confuse : « trésor », me sembla-t-il. Au centre se trouvait Eusapia endormie près de moi et, au-dessus, le rideau se gonfla plusieurs fois ; en même temps, à gauche, une table remuait dans le cabinet, et, de là, un petit objet était transporté sur la table du milieu.
« A Gênes, le docteur Imoda observa que, tandis qu'un fantôme ôtait de la main et redonnait une plume à M. Becker, un autre fantôme s'appuyait sur le front d'Imoda. Une autre fois, tandis que j'étais caressé par un fantôme, la princesse Ruspoli se sentait toucher la tête par une main, et Imoda sentait serrer avec force sa main par une autre main.
« Or, comment expliquer que la force psychique d'un médium agisse en même temps en trois directions et pour trois buts différents ? Est-il possible de concentrer une attention assez forte pour obtenir des phénomènes plastiques en trois directions différentes ? »
Parfois des airs sont exécutés sur des pianos fermés ; des voix et des chants sont entendus, et, comme à Rome, dans les expériences du docteur Sant' Angelo, des mélodies pénétrantes, qui n'ont rien de terrestre, jettent les assistants dans un ravissement qui touche à l'extase.
Tous ces phénomènes ont été obtenus en présence de médiums devenus célèbres, entre autres Jesse Stephard et Eusapia Paladino. Ici, quelques explications sur la nature et le véritable rôle de la médiumnité nous paraissent indispensables.

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Nos sens, avons-nous dit plus haut, ne nous laissent connaître qu'un domaine restreint de l'univers. Cependant, le cercle de nos connaissances s'est élargi peu à peu, et il s'agrandira encore, à mesure que nos modes de sensation se perfectionneront.
Il nous suffirait d'avoir un sens de plus, une nouvelle faculté psychique, pour voir s'ouvrir devant nous quelques-uns des empires ignorés de la vie, pour voir se déployer à notre portée les merveilles du monde invisible.
Or, ces sens nouveaux, ces facultés qui seront dans l'avenir le partage de tous, il est des personnes qui les possèdent dès maintenant, à des degrés divers ; ce sont elles que l'on désigne sous le nom de médiums.
Il faut remarquer d'ailleurs que, dans tous les temps, il a existé des sujets doués de facultés spéciales leur permettant de communiquer avec l'invisible. L'histoire, les livres sacrés de tous les peuples, en font mention presque à chaque page. Les voyantes de la Gaule, les oracles et les pythonisses de la Grèce, les sibylles du monde païen, les prophètes, grands et petits, de la Judée, n'étaient pas autre chose que les médiums de nos jours. Les puissances supérieures se sont toujours servies de ces intermédiaires pour faire entendre aux hommes leurs enseignements et leurs exhortations. Les noms seuls changent ; les faits restent les mêmes, avec cette seule réserve que les faits se produisent plus nombreux, sous des formes plus variées, lorsque vient pour l'humanité l'heure de commencer une étape, une ascension nouvelle vers les sommets de la pensée qui sont le but de son voyage.
Ajoutons que les Esprits élevés ne sont pas seuls à se manifester ; les esprits de tout ordre aiment à entrer en rapport avec les hommes, dès qu'ils en trouvent les moyens. D'où la nécessité de distinguer, dans les communications occultes, ce qui vient d'en haut de ce qui vient d'en-bas, ce qui émane des Esprits de lumière de ce qui est produit par des esprits arriérés. Il y a des esprits de tout caractère et de toute élévation ; il y en a même, autour de nous, beaucoup plus d'inférieurs que d'élevés. Ce sont ceux-là qui produisent les phénomènes physiques, les manifestations bruyantes, tout ce qui est d'ordre vulgaire, manifestations utiles cependant, comme nous l'avons démontré, puisqu'elles nous apportent la connaissance de tout un monde oublié.
Dans ces phénomènes, les médiums jouent un rôle, comparable à celui des piles en électricité. Ce sont des producteurs, des accumulateurs de fluides, en qui les esprits puisent les forces nécessaires pour agir sur la matière. On trouve cette catégorie de médiums un peu partout, même dans les milieux peu éclairés. Leur concours est surtout matériel ; leurs aptitudes sont plutôt un privilège physique qu'un indice d'élévation. Tout autre est la part du médium dans les phénomènes intellectuels, les plus intéressants de tous, en qui se révèle le mieux la personnalité des Intelligences invisibles. C'est par eux que nous arrivent les enseignements, les révélations qui font du spiritisme, non seulement un champ d'explorations scientifiques, mais encore, suivant l'expression de Russel Wallace, « un verbe, une parole ».
Nous allons passer en revue quelques-uns de ces phénomènes :
Celui de l'écriture directe attirera d'abord notre attention. Dans certaines circonstances, on voit apparaître des papiers couverts d'une écriture d'origine non humaine . Nous avons assisté nous-même à la production de plusieurs faits de ce genre. Un jour, entre autres, à Orange, au cours d'une séance de spiritisme, nous vîmes descendre dans le vide, au-dessus de notre tête, un lambeau de papier qui semblait sortir du plafond et vint lentement s'abattre dans notre chapeau, placé sur la table, près de nous. Deux lignes d'une fine écriture, deux vers, y étaient tracés. Ils exprimaient un avertissement, une prédiction nous concernant, et qui s'est réalisée depuis.
Le plus souvent, ce phénomène se produit sur des ardoises doubles, fermées, scellées, cachetées, à l'intérieur desquelles on a placé un fragment de crayon. Le message est écrit en présence des assistants, parfois même en langue étrangère, inconnue du médium et des autres personnes présentes, et répond à des questions posées par celles-ci.
Le docteur Gibier a étudié ce genre de manifestations dans trente-trois séances, avec l'aide du médium Slade .
On a reproché à ce dernier d'expérimenter en dehors de la vue des assistants, en plaçant les ardoises sous la table. Nous citerons donc, de préférence, le cas du médium Eglinton, relaté dans l'ouvrage du professeur Stainton Moses, de l'Université d'Oxford, intitulé Psychography. Là, le phénomène se produisait en pleine lumière, à la vue de tous.
Dans cet ouvrage, il est parlé d'une séance à laquelle assistait M. Gladstone. Le grand homme d'Etat anglais inscrit une question sur une ardoise, qu'il retourne aussitôt en l'adaptant à une autre ; un bout de crayon est déposé dans l'intervalle. On lie les deux ardoises, sur lesquelles le médium place l'extrémité des doigts pour établir la communication fluidique. Peu après, on entend le grincement du crayon. Les regards perçants de M. Gladstone ne se détachaient pas du médium. Dans ces conditions de rigoureux contrôle, des réponses furent obtenues en plusieurs langues, dont quelques-unes ignorées du médium, réponses en concordance parfaite avec les questions posées.
La Revue spirite du mois d'avril 1907 relate les expériences d'écriture directe observées par le docteur Roman Uricz, médecin en chef de l'hôpital de Bialy-Kamien, en Galicie. Il s'exprime en ces termes :
« Longtemps je me suis occupé de spiritisme. J'ai, en ce moment, un médium avec qui j'ai fait, pendant trois mois, des expériences, deux fois par semaine, et dont j'ai obtenu des phénomènes vraiment fort intéressants.
« Ce médium est une paysanne de quatorze ans, tout à fait ignorante. Elle n'a suivi les classes de son village que pendant deux années ; elle lit avec difficulté et écrit un peu. Elle est employée comme femme de chambre chez une Mme R..., à Bialy-Kamien. Aux séances, tenues chez moi, assistent, outre le médium, cette Mme R... et un de mes amis, le docteur W.... Nous obtenons de l'écriture directe. Ce qu'il y a de remarquable et ce qui est nouveau, à ma connaissance, c'est la façon dont nous l'obtenons. J'ai vu bien des fois l'écriture produite entre deux ardoises ou sur du papier, avec un crayon, dans une chambre obscure ; mais les précautions que nous avons prises ont été telles qu'elles excluent absolument toute possibilité de fraude, non seulement de la part du médium, mais aussi de toute autre personne. J'ai voulu voir, sans doute possible, comment l'écriture se produit. J'ai donc fait construire, avec le consentement de l'intelligence directrice, l'appareil suivant :
« Une petite boite de bois, ABCD, possède, au lieu de la paroi antérieure BD, un sac en forme d'entonnoir SS, composé d'une étoffe de soie foncée souple, mais épaisse, de 50 centimètres de longueur.
« A l'extrémité de ce sac est fixé un petit tube H, dans lequel un crayon MN est inséré, de telle sorte que le bout plat du crayon, et le crayon presque tout entier, est dans la boite, le bout pointu du crayon N sortant du tube H et reposant sur une feuille de papier P. L'intérieur de la boîte est tout à fait obscur, et le sac ne gêne en rien les mouvements du crayon. Avec cette disposition, nous avons réussi à obtenir en pleine lumière, très rapidement et en toute sécurité, des communications écrites par un procédé visible aux yeux de tout le monde. Le médium place ses mains sur la paroi supérieure CD, et au bout de quelques minutes l'écriture commence, tandis que la partie inférieure du sac se gonfle, comme si une main s'était introduite à l'intérieur.
« C'est dans de telles conditions, et par ce seul moyen, que nous communiquons maintenant avec l'Intelligence invisible. Quant au contenu des messages, souvent très longs, ils sont bien supérieurs à l'intelligence du médium, et souvent dépassent la portée des autres assistants, car nous recevons fréquemment des communications en allemand et en français - le médium ne parle que le petit-russien - et nous reçûmes un jour un message de cinq pages en anglais, langue que personne de nous ne connaît. Les messages sont souvent très ingénieux et suggestifs ; ainsi, je demandai un certain soir si les esprits étaient immatériels. « Oui, dans un certain sens », me fut-il répondu. - « Alors, vous êtes hors du temps et de l'espace », répliquai-je. - « Non. » - « Comment ? » - « Un point géométrique est immatériel, lui aussi, puisqu'il n'a pas de dimensions, et pourtant il est dans l'espace. Ce que je dis là ne constitue qu'une comparaison, car nous autres, esprits, nous avons des dimensions, mais non comme vous. » Une paysanne ignorante de quatorze ans est-elle capable de faire une telle réponse ?
« Un jour, nous reçûmes une preuve d'identité indubitable. Pendant la séance, le crayon écrivit, en caractères tout à fait nouveaux pour nous : « Je vous remercie pour l'injection que vous m'avez faite quand j'étais sur mon lit de mort. Vous m'avez soulagée. Caroline C... » Je demandai à qui s'adressaient ces paroles. « A vous », me répondit l'Intelligence. - « Quand ce fait s'est-il passé, et qui êtes-vous ? » demandai-je. Le crayon écrivit : « Le 18 septembre 1900, à la clinique de Lemberg. » Cette année-là, j'étais encore étudiant et je travaillais à cette clinique comme aide. C'était tout ce que je me rappelais à ce sujet.
« Quelques jours après cette séance, j'eus l'occasion d'aller à Lemberg. Je me rendis à l'hôpital et je trouvai sur le registre de 1900 le nom en question. C'était celui d'une femme de cinquante-six ans, malade d'un cancer à l'estomac et qui y mourut. J'allai alors au bureau des renseignements de la police et demandai s'il y avait à Lemberg quelqu'un du nom de C... On m'informa qu'il s'y trouvait en ce moment une institutrice de ce nom. J'allai la voir le même jour, et comme elle me disait qu'elle avait perdu sa mère en 1900, je lui montrai le message que j'avais reçu par écriture directe. A son grand étonnement, cette dame reconnut aussitôt l'écriture caractéristique et la signature de sa mère décédée, et me montra des lettres écrites par la défunte, qui prouvaient, sans doute possible, l'identité de l'écriture. La dame me donna avec plaisir une de ces lettres. Toutefois, je ne me rappelle pas avoir donné une injection de morphine à Caroline C... »
Beaucoup plus commun que le précédent est le phénomène de l'écriture médianimique. Le sujet, sous une impulsion occulte, trace sur le papier des communications, des messages, dans la rédaction desquels sa pensée et sa volonté n'ont qu'une faible part. Cette faculté présente des aspects très variés. Purement mécanique chez certains médiums qui ignorent, au moment où ils écrivent, la nature et le sens des messages obtenus, - au point que certains peuvent parler en écrivant, détourner leur attention et travailler dans l'obscurité, - chez le plus grand nombre, elle est semi-mécanique ; dans ce cas, le bras et le cerveau sont également influencés ; les mots se présentent à la pensée du médium au moment même où le crayon les trace. Parfois elle est purement intuitive et, par suite, de nature moins convaincante et plus difficile à contrôler.
Les messages obtenus par ces divers procédés présentent une grande variété de style et sont de valeur très inégale. Beaucoup ne renferment que des banalités, mais il en est de remarquables par la beauté de la forme et l'élévation de la pensée.
Nous en donnerons ci-après quelques exemples, obtenus par différents médiums.

LA PRIERE
Médium : Mme Forget
Le moment est venu où l'intelligence, assez développée chez l'homme, peut comprendre l'action, le sens et la portée de la prière. Sûr d'être compris, je puis donc dire : Plus d'incrédulité ! plus de fanatisme ! mais l'assurance complète de la force que Dieu accorde à tous les êtres, quand la pensée s'élève vers lui.
Dans la prière, dans le souvenir donné à ce Père, source intarissable de bonté et de charité, loin de vous ces mots appris, que les lèvres prononcent par habitude, laissant le coeur froid dans ses appels. Que vos coeurs, réchauffés et entraînés vers lui par la connaissance de la vérité, par la foi profonde et la vraie lumière, envoient à l'Eternel, dans une pensée d'amour, de respect, de confiance et d'abandon, dans un élan de tout l'être enfin, cette envolée puissante qui, seule, peut être appelée prière !
Dès l'aube, l'âme qui, par la prière, s'élève vers l'infini, éprouve un renouveau de pensée qui, dans les circonstances diverses de l'existence, la porte vers le but précis qui lui est assigné.
La prière conserve à l'enfant cette innocence où vous sentez encore la pureté, reflet du repos que l'âme a pris dans l'espace. Pour l'adolescent, elle est la digue préservatrice de la fougue qui vient en lui comme un flux puissant ; sève génératrice si elle est guidée, perte certaine s'il y a défaillance, mais rachat, si elle peut et sait se retremper dans la prière.
Puis, à l'âge où, dans la plénitude de sa force et de ses facultés, l'homme sent en lui l'énergie qui souvent doit le conduire aux grandes choses, le recueillement qui assure sa pensée, ce cri de la conscience qui dirige ses actions, n'est-ce pas encore la prière ?
Et, du faible soutien puissant, la prière n'est-elle pas la consolation, la lumière qui l'aide à se diriger, comme le prisme du phare indique au naufragé le rivage sauveur ?
Dans le danger, par ces deux mots prononcés avec foi : « Mon Dieu ! » l'homme envoie au Créateur sa prière. Ce cri, cet appel au Tout-Puissant, n'est-il pas, par le souvenir, l'instinct du secours qu'il espère recevoir ?
Le marin, livré aux dangers, éloigné de tout secours au milieu des éléments déchaînés, dans sa foi profonde, forme un voeu : prière ! dont la sincérité monte radieuse vers Celui qui peut le sauver.
Et quand sur la terre gronde l'orage, grands et petits tremblent en pensant à leur faiblesse, et sous cette voix puissante qui se répercute aux profondeurs de la terre, ils prient et, confiants, disent ces mots : « Dieu ! préserve-nous de tout danger ! » - Abandon complet, dans la prière, à Celui qui peut tout par sa volonté.
Quand arrive l'âge où, chez vous, la force disparaît, où les années pèsent lourdement, où l'âme assombrie par les peines, par la faiblesse qui l'assaille, se sent incapable de réagir, quand l'être enfin sent l'inaction peser sur lui, la prière, source rafraîchissante, vient calmer et fortifier les dernières heures qu'il doit passer sur la terre.
A tout âge, lorsque les épreuves vous entourent, lorsque le corps souffre, et surtout quand le coeur, meurtri, ne laisse plus la pensée se reposer, heureuse, sur ce qui, sur la terre, charme et console, à la prière, à la prière seule, l'âme, le coeur, la pensée demandent le calme qu'ils ne connaissent plus.
Quand l'incarné, dans la plénitude de ses forces, inspiré par le désir du grand et du beau, reporte ses aspirations sur tout ce qui l'entoure, il fait le bien, il se rend utile, il aide les malheureux et, prière céleste, force de la pensée, dans ses actions il est aidé par le fluide puissant qui, de l'Au-delà, s'unit à lui, chaîne constante et invisible de l'incarné avec les désincarnés, et pour moi, prière !
Je dirai donc à tous ceux que la bonté inspire, à ceux qui sentent, dans ce siècle où la pensée inquiète cherche sans précision, le besoin d'une foi profonde et régénératrice : - Dès le berceau enseignez la prière à l'enfant ! Tout être, même dans l'égarement des passions, conserve le souvenir de l'impression reçue au début de la vie et retrouve, au soir de l'existence parcourue, comme consolation, le charme encore présent des années bénies où l'enfant, s'initiant à la vie, respire sans crainte, vit sans inquiétude, prononçant dans les bras de sa mère ce nom si grand et si doux : « Dieu ! » qu'elle lui fait murmurer.
Puisant dans ce pieux souvenir une force et une conviction, il redira avec confiance, dans le dernier adieu à la terre, la prière apprise dans le premier sourire.
JEROME DE PRAGUE.

LE CIEL ETOILE. LES MONDES
Médium : Mlle M. L.
Clartés sidérales, voies du ciel ! vous qui tracez aux âmes les lignes idéales de leur évolution, vous vous déroulez dans les profondeurs des espaces ! Des planètes d'où les âmes vous contemplent, vous n'êtes que des poussières d'or, des traînées lumineuses sur le ciel assombri de l'été. Mais pour celles que n'enserre plus le tombeau de la chair, ô planètes, étoiles, vous êtes les vraies messagères de la pensée divine, vous écrivez sur le mystérieux et divin livre de la création les psaumes glorieux dont Dieu a voulu marquer son oeuvre ! Vous êtes le perpétuel étonnement des êtres, et toujours vos lumières leur donneront les sensations vertigineuses de l'infini. O nébuleuses, voies lactées, constellations innombrables, vous êtes comme des bacchantes qu'enivre la pensée du dieu ! Vous précipitez vos courses éternelles autour des soleils, comme les antiques prêtresses autour du char du dieu. Vos vibrations harmoniques accompagnent l'hymne sacré des âmes, et jamais votre course mélodieuse ne paraît plus belle à nos yeux qu'à l'heure où, terminant enfin le parcours que Dieu vous a assigné, ou ayant fini votre tâche de patrie des âmes en évolution, vous allez vous briser sur l'écueil indiqué par Dieu, en projetant à travers les espaces épouvantés de votre disparition, les particules de cette matière qui vous formait, et qui retournera dans le sein de Dieu pour reconstituer d'autres univers.
Passez, étoiles et planètes ; vous allez, rapides et diverses, et votre course, vos orbes immenses, semblent le symbole de l'éternité ; vous êtes belles et vous éblouissez les yeux humains, mais qu'êtes-vous pour l'âme ? Des lieux de passage, l'hôtellerie chère où l'on s'est attardé un soir à écouter les sons mélodieux que chantent les arbres dans le vent. Mais le voyageur s'en est allé, la maison s'est lézardée, écroulée, ses vieilles pierres restent seules, dorées par le soleil d'été, à moitié recouvertes par les folles herbes envahissantes.
Ainsi vous vous détruirez, étoiles, planètes ; vous ne serez plus qu'une poussière d'étoiles, vagabondes dans le ciel. Mais l'âme restera fidèle à votre souvenir, et lorsqu'un de ces bolides passera près d'elle, elle reconnaîtra quelque chose de l'ancienne demeure que Dieu lui avait assignée.
Terre, toi qui m'as vu passer, qui as reçu dans ton sein les larmes que versait l'homme affaibli par la douleur, tu vas t'écrouler devant ton Seigneur. Déjà l'âme prévoit le temps où tu ne seras plus qu'une planète sans vie, et nous redoutons même ta disparition. Ainsi est la loi. O terre, ô ma mère ! tu périras, mais les milliers d'âmes embryonnaires qui constituaient ta matière seront alors libérées et reprendront ailleurs leur évolution. Ne pleurons donc pas sur ton sort : il est noble, il est grand, il est en harmonie avec la loi de Dieu. Et lorsque, parvenus à d'autres hauteurs morales, mes yeux contempleront ravis les constellations éclatantes dans la profondeur des espaces, je chercherai la place où tu devais passer, rayonnante des pensées que secoue ta robe divine. Je ne verrai rien qu'un souvenir, je trouverai d'autres étoiles en formation ; l'espace sera encore immuable, d'autres planètes seront d'autres terres pour des âmes comme celles que tu portes aujourd'hui. Mais ce qui fut tes montagnes, tes vallées bénies où résonne l'appel de l'humanité, ne sera même pas une poussière dans le sein des firmaments. Il ne sera plus rien de ton ancienne forme. Mais sois fière, ô terre, tu auras fait ton devoir : les âmes seront allées ailleurs, grâce à toi, dans les espaces où constamment passent les pensées de l'amour impénétrable, qui sont la vie et l'existence des âmes éblouies par ce foyer sans cesse renaissant.
A Dieu, terre, à ton Maître tu dois l'amour et la reconnaissance, et je sais que tu lui fais hommage, car j'entends, ravi, les chants mélodieux que ton atmosphère, passant dans l'éternel éther, clame comme les âmes conscientes de la vérité.
Etoiles, inclinez-vous sur vos orbes radieux ; éternellement laissez au firmament les gerbes de lumière qui vous révèlent. Vous êtes dans le sein de Celui qui est !
R.

LA REINCARNATION
Médium : J. D.
Mes frères, la grande idée de la réincarnation est seule capable de revivifier la société décadente qui est la nôtre.
Seule, elle peut refréner cet égoïsme envahissant qui désagrège famille, patrie, société, et qui substitue à la généreuse idée du devoir cette conception féroce d'une individualité qui doit s'affirmer quand même et à tout prix.
Le matérialisme, qui a ruiné la croyance en la vie future, et les dogmes incomplets, qui ont dénaturé le sublime principe des religions, ont flétri dans l'âme humaine ces fleurs admirables d'un idéal supérieur aux basses contingences de la vie matérielle, et aux brutales impulsions des instincts.
Il faut, mes frères, que quelque chose revienne éveiller dans les âmes le sens de la vie spirituelle.
La science a beau multiplier ses merveilles, l'homme a beau prodiguer les admirables facultés de son intelligence et de son génie : tous ses efforts restent stériles, s'il n'a en lui les sources vives de la vie spirituelle, s'il ne sent palpiter en lui cette vie impérissable qui assure son immortalité, et qui le rend conscient de cet univers dont il est une des vivantes et éternelles particules.
Non, non, mes frères ; l'homme n'est pas cet être anonyme et éphémère, poussière transitoire de vie qui ne dure qu'un instant pour souffrir et mourir.
L'homme est la vie, la vie éternelle, individualisée dans la substance pour prendre conscience d'elle-même, et pour acquérir la plénitude du bonheur par la plénitude de la connaissance.
Oui, l'homme est grand ; il est grand parce que lui-même est l'ouvrier de sa propre grandeur, l'homme est grand parce qu'il se crée par son propre effort sa personnalité future, parce que tous les acquis de son intelligence, de sa raison et de son coeur, il les doit à son travail et à son expérience.
O divine réincarnation ! Par toi, la brute inconsciente devient l'être de génie ; par toi, le méchant acquiert la suprême bonté, l'ignorant, la connaissance de toute chose.
Par toi, l'homme graduellement prend conscience de lui-même ; chaque vie lui apporte une expérience, chaque existence, une force et une puissance nouvelles ; par toi, chaque douleur et chaque épreuve ont un but ; chaque joie est une récompense. Par toi, la solidarité la plus étroite relie toutes les créatures, et le progrès, la réalisation d'une société meilleure, est l'oeuvre séculaire et commune.
Lorsque l'idée de la réincarnation se sera de nouveau rendue maîtresse de la mentalité humaine, le progrès social fera un pas immense. Les misères et les épreuves de l'homme lui paraîtront moins douloureuses, parce qu'elles auront pour lui un sens précis. Il goûtera ses joies avec plus de sécurité, parce qu'il sentira sa vie devenue stable par son immortalité. L'univers ne lui apparaîtra plus comme une implacable machine, dont les rouages brisaient impitoyablement toutes les créatures, sans se soucier de leurs cris et de leur râle.
L'homme comprendra alors qu'il existe un grand foyer dont la flamme réchauffe et anime tout l'univers, et dont il est appelé à devenir un rayon conscient et fécond, après avoir appris dans la série de ses existences successives le secret de l'éternelle vie : c'est-à-dire l'intelligence qui sait, la conscience qui agit, et l'amour qui aime.
Pasteur B...

LA NATURE
Médium : Mlle M. L.
Je suis allée bien des fois dans votre beau pays, quand mon mari habitait les rives de la Loire, et je sais quel est le charme du printemps chez vous. J'y ai vu l'oiseau répondre à sa couvée, alors que ses premiers pépiements réclamaient impérieusement une nourriture plus abondante. Vous n'avez pas les chaudes ardeurs du Midi, mais votre ciel est plus doux à l'oeil ; la lumière de vos soleils couchants se diversifie et se multiplie de nuage en nuage, et prolonge le crépuscule.
J'ai écouté bien des fois, comme vous pourriez le faire vous-mêmes, la chute étouffée des flocons blancs et duveteux de la neige. Les nids se balancent vides et oubliés aux extrémités des branches d'arbres, dépouillés de leurs feuilles. La nature paraît morte, mais, comme toute véritable oeuvre de Dieu, elle recèle l'espoir des printemps à venir. Mon âme est soeur de l'hiver : ses souvenirs dorment en elle ; mais je sais que ma volonté peut ressusciter ce passé d'hier et me donner, avec la permission de Dieu, l'illusion des vies évanouies et la certitude d'une amélioration toujours désirée. La nature est notre grande éducatrice ; elle nous a appris à bégayer le nom divin ; elle a chanté dans les nuits l'hymne universel, que l'humanité écoute le coeur ému. C'est elle qui verse la joie dans nos coeurs, qui nous fait voir la vérité, car elle est la grande médiatrice. Si nous savions écouter sa voix, nous serions plus que des hommes : nous aurions deviné la parole divine.
Mme MICHELET.

INVOCATIONS
Médium : Mlle B. R.
O Dieu, toi qui remplis à la fois de noble terreur et d'admiration souveraine ceux qui prononcent ton nom, daigne inonder de ta resplendissante lumière les faibles qui s'adressent à toi, dans un cri de détresse et d'amour !
Vers toi, mon Dieu, lentement ma pensée s'élève. A ton foyer d'amour mon âme cherche à s'embraser. Fais descendre sur ta créature humaine ton souffle brûlant ; fais tomber le voile qui aveugle mes yeux et me cache tes immenses horizons ; révèle à mon être tes splendeurs infinies ; murmure à mon coeur des paroles de vie ; parle-moi, ô toi que je sens vibrer en tout mon être !
Dieu ! être majestueux de grandeur et de simplicité, foyer toujours ardent de vie, de lumière et d'amour ! toi qui dans une éternité sais tenir l'infini ! toi, le récepteur à la fois de mes plaintes et de mes expansions joyeuses ; toi encore, qui, par tes radieux météores dont le rapide passage illumine mon sombre asile, me guide, - soutiens-moi, console-moi ! Toi enfin, dont le souffle brûlant ranime en moi la flamme mourante, arrête un instant ta pitié sur moi ; fais renaître en moi l'étincelle détachée de ton brasier d'amour. Entends ma prière ! Envoie, pour lui répondre, un rayon de ta pure clarté, et fais qu'à ton nom, mon être entier, en un transport sublime, s'élance jusqu'à toi !
I. IRIAC.

Les savants expérimentateurs anglais ont imaginé, sous le nom de « cross-correspondance », un nouveau procédé de communication avec l'invisible, qui serait bien de nature à prouver l'identité des esprits dont les manifestations se produisent au moyen de l'écriture médianimique. Il a été décrit par sir Oliver Lodge, le 30 janvier 1908, lors d'une réunion de la Société de recherches psychiques de Londres.
« La « cross-correspondance », - dit-il, - c'est-à-dire la réception par un médium d'une partie de communication, et de l'autre partie par un autre médium, chacune de ces parties ne pouvant être comprise sans le secours de l'autre, est une bonne preuve qu'une même intelligence agit sur les deux automatistes. Si, en outre, le message porte la caractéristique d'un défunt et est reçu à ce titre par des personnes qui ne le connaissaient pas intimement, on peut y voir la preuve de la persistance de l'activité intellectuelle du disparu. Et si l'on obtient de la sorte un morceau de critique littéraire entièrement conforme à sa manière de penser, et qui ne saurait être imaginé par une tierce personne, je dis que la preuve est convaincante. Telles sont les espèces de preuves que la société peut communiquer sur ce point. »
Après avoir parlé des efforts tentés dans ce sens par les esprits de Gurney, Hodgson et Myers, en particulier, l'orateur ajoute :
« Nous trouvons que leurs réponses à des questions spéciales sont faites d'une façon qui caractérise leur personnalité et révèle des connaissances qui étaient de leur compétence.
« La cloison qui sépare les incarnés des désincarnés - dit-il pour conclure - tient encore ferme, mais elle se trouve amincie en maint endroit. Comme les travailleurs d'un tunnel, nous entendons, au milieu du bruit des eaux et des autres bruits, les coups de pic de nos camarades de l'autre côté. »
Les Anglais ne s'en sont pas tenus là. Ils ont établi un bureau de communications régulières avec l'autre monde. C'est le vaillant écrivain, W. Stead, mort depuis, dans la catastrophe du Titanic, qui l'a fondé à Londres, sur les instances d'une amie disparue, Mlle Julia Ames : de là son nom de bureau Julia. Cet esprit désire venir en aide à tous les désincarnés qui cherchent à entrer en rapport avec les vivants laissés derrière eux, de même qu'aux incarnés éprouvés par la perte d'un être regretté. Pour être admis à demander une communication, Julia, qui dirige elle-même les séances, ne requiert que deux choses : une affection sincère et licite entre le vivant et le mort, ainsi qu'une étude préalable de la question spirite. Aucune rétribution n'est tolérée par Julia. Le solliciteur, sa requête prise en considération, est envoyé auprès de trois médiums différents et tous les résultats sont enregistrés.
Déjà, depuis sa fondation, ce bureau a pu établir de nombreuses communications avec l'invisible. « Il a jeté un pont d'un bord à l'autre de la tombe », a dit W. Stead avec quelque raison.
Au cours du premier trimestre de son existence, des centaines de demandes lui ont été adressées, dont la plupart furent acceptées par Julia. W. Stead estime qu'au moins 75 p. 100 de ceux qui ont passé par la triple épreuve des médiums reçurent des réponses concluantes et, dans la moitié des cas, des solliciteurs ont affirmé, de la façon la plus absolue, avoir obtenu par l'un ou l'autre des médiums, sinon par plusieurs, des preuves à l'abri de toute contradiction .
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Le monde des esprits étant, en grande partie, composé des âmes qui ont vécu sur la terre, et les intelligences d'élite, dans un milieu comme dans l'autre, étant en petit nombre, nous comprendrons facilement que la plupart des communications d'outre-tombe soient dépourvues de grandeur et d'originalité. Presque toutes, cependant, ont un caractère moral incontestable et dénotent de louables intentions. Que de personnes éplorées ont pu, par ce moyen, recevoir de ceux qu'elles avaient aimés et croyaient perdus, des encouragements et des consolations ! Que d'âmes hésitantes dans la voie obscure du devoir ont été réconfortées, détournées du suicide, armées contre la passion, par des exhortations venues de l'Au-delà !
Au-dessus de ces manifestations, dont l'utilité est si évidente et l'effet moral si intense, il faut placer certains messages extraordinaires, signés de noms modestes ou de termes allégoriques, mais animés d'un souffle puissant, et qui portent par leur forme et leurs enseignements, la marque d'Esprits vraiment supérieurs. C'est au moyen de documents de cette nature qu'a été constituée la doctrine du spiritisme. Allan Kardec en a recueilli un grand nombre. Après lui, ces sources de la pensée surhumaine ne se sont pas taries ; elles ont continué à se déverser sur l'humanité.
Les phénomènes de l'écriture directe ou automatique sont complétés et confirmés par les faits d'incorporation . Ici, les esprits ne se contentent plus d'écrire ou de faire écrire ; ils parlent ! Ils parlent au moyen des organes d'un médium endormi. Celui-ci, plongé par eux dans le sommeil magnétique, abandonne son enveloppe à des personnalités invisibles, qui s'en emparent pour converser avec les assistants. Par ce moyen, des entretiens suggestifs s'établissent entre les habitants de l'espace et les parents ou amis qu'ils ont laissés sur la terre.
Déjà dans les manifestations de l'écriture mécanique l'identité des esprits se précise par la forme des caractères tracés, par l'analogie des signatures, la tournure des expressions et jusqu'aux fautes d'orthographe habituelles à ces esprits, et que l'on retrouve dans leurs messages. Dans les phénomènes d'incorporation, cette identité est plus évidente encore. Par ses attitudes, ses gestes, ses propos, l'esprit se révèle tel qu'il était sur la terre. Ceux qui l'ont connu dans sa précédente incarnation le retrouvent tout entier ; son individualité reparaît dans des locutions caractéristiques, dans des expressions qui lui étaient familières, en mille détails psychologiques, peu susceptibles d'analyse et que peuvent seules apprécier les personnes versées dans l'étude de ces phénomènes. Rien de plus émouvant, par exemple, que d'entendre une mère venir, de l'autre côté de la tombe, exhorter et encourager ses enfants laissés en ce monde. Rien de plus curieux que de voir des esprits d'ordres divers animer successivement l'enveloppe d'un médium, et se manifester aux assistants par la parole et par le geste. A chacun d'eux, la physionomie du sujet se transforme, la voix change, l'expression des traits se modifie. Par le langage et l'attitude, la personnalité de l'esprit se révèle, avant même qu'il se soit nommé.
Nous avons possédé longtemps, dans un cercle d'expérimentation dont nous présidions les travaux, deux dames médiums à incorporation. L'une servait d'organe aux Esprits protecteurs du groupe. Quand un de ceux-ci l'animait, les traits de son visage prenaient une expression angélique, sa voix s'adoucissait, devenait mélodieuse. Le langage revêtait des formes d'une pureté, d'une poésie, d'une élévation bien au-dessus des facultés personnelles du sujet. Sa vue semblait pénétrer jusqu'au fond du coeur des assistants. Elle lisait leurs pensées ; elle adressait à tour de rôle, à chacun d'eux, des avis, des avertissements touchant leur état moral et leur vie privée, qui dénotaient, même à première entrevue, une connaissance parfaite de leur caractère et de leur état de conscience. Elle les entretenait de choses intimes, d'eux seuls connues. Son air majestueux, autant que la sagesse et la douceur de ses propos, imposait à tous. L'impression produite était profonde. Tout semblait vibrer et s'éclairer autour de cet Esprit. Nous sentions après son départ que quelque chose de grand avait passé au milieu de nous.
Presque toujours, un second Esprit, d'une certaine élévation, mais de tout autre, caractère, lui succédait dans le corps du médium. Cet Esprit avait la parole brève et forte, le geste énergique et dominateur. Sa science était vaste. Il avait accepté la charge de diriger les études philosophiques et morales du groupe, et savait résoudre les problèmes les plus ardus. Nous l'avions pris en grande vénération et aimions à lui obéir. Mais, pour tout nouveau venu, c'était un spectacle étrange que de voir se succéder, dans la frêle enveloppe d'une dame d'allures timides et de savoir modeste, deux Esprits d'un caractère aussi élevé et aussi dissemblable.
Notre deuxième médium ne présentait pas, dans les manifestations dont il était l'agent, un moindre intérêt. C'était une dame élégante et instruite, épouse d'un officier supérieur, et qui semblait, de prime abord, réunir les meilleures conditions pour des phénomènes d'un ordre transcendant. Or, dans la pratique, c'était tout le contraire qui se produisait. Cette dame servait habituellement d'organisme à des esprits peu avancés, ayant occupé sur terre des situations très diverses. C'était chose plaisante que d'entendre, par exemple, une ex-marchande de légumes d'Amiens s'exprimer en patois picard par la bouche d'une personne de manières distinguées, et qui n'était jamais allée en Picardie. Le langage du médium, correct et choisi dans la veille, devenait confus, empâté, parsemé de lapsus et d'expressions du terroir pendant le sommeil magnétique, lorsque l'esprit de Sophie intervenait dans nos séances. Dès que celui-ci s'éloignait, d'autres esprits prenaient sa place, défilant, pour ainsi dire, dans l'enveloppe du sujet et nous présentant successivement les types les plus disparates : un ancien sacristain à la parole onctueuse et traînante, émise sur un ton bas, comme dans une église ; un ex-procureur, au geste impérieux, au ton moqueur, à la parole dure et tranchante, etc.
D'autres fois, il se produisait des scènes touchantes, qui arrachaient des larmes aux assistants. Des amis d'outre-tombe venaient leur rappeler des souvenirs d'enfance, les services rendus, les erreurs commises, exposer leur manière de vivre dans l'espace, parler des joies ou des souffrances morales recueillies dans l'Au-delà, suivant leur mode d'existence sur la terre. Nous assistions à des conversations animées entre esprits, à des dissertations émouvantes sur les mystères de la vie et de la mort, sur tous les grands problèmes de l'univers, et chaque fois nos âmes en étaient remuées et fortifiées. Cette communion intime avec le monde invisible ouvrait des perspectives infinies à notre pensée ; elle influençait tous nos actes ; elle éclairait pour nous d'une vive lumière cette route de l'existence encore si obscure et si tortueuse pour la foule de ceux qui la parcourent. Un jour viendra où l'humanité connaîtra le prix de ces enseignements et y participera. Ce jour-là, la face du monde sera renouvelée.

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Après avoir passé en revue les principaux phénomènes qui servent de base au spiritualisme moderne, notre résumé serait incomplet, si nous ne disions quelques mots des objections présentées et des théories contraires, à l'aide desquelles on a cherché à les expliquer.
D'abord, il y a la négation absolue. Le spiritisme, a-t-on dit, n'est qu'un ensemble de fraudes et de supercheries. Tous les faits extraordinaires sur lesquels il s'appuie sont des faits simulés.
Il est vrai que des imposteurs ont cherché à imiter ces phénomènes ; leurs ruses ont été facilement découvertes, et les spirites furent les premiers à les signaler. Dans presque tous les cas cités plus haut : lévitation, apparitions, matérialisation d'esprits, les médiums sont liés, attachés sur leur chaise ; fréquemment, leurs pieds et leurs mains sont tenus par les expérimentateurs. Parfois même, ils sont placés dans des cages spécialement préparées à cet effet, cages fermées, dont la clé est aux mains des opérateurs, rangés autour du médium. C'est dans de telles conditions que de nombreuses matérialisations de fantômes se sont produites.
Somme toute, les impostures ont presque toujours été démasquées, et beaucoup de phénomènes n'ont jamais été imités, par la raison qu'ils échappent à toute imitation.
Les phénomènes spirites ont été observés, vérifiés, contrôlés, par des savants sceptiques, qui ont passé par tous les degrés de l'incrédulité, et dont la conviction ne s'est faite que peu à peu, sous la pression continue des faits.
Ces savants étaient des hommes de laboratoire, des physiciens et des chimistes éprouvés, des médecins et des magistrats. Ils avaient toutes les qualités requises, toute la compétence nécessaire, pour démasquer les fraudes les plus habiles, pour déjouer les trames les mieux ourdies. Leurs noms sont parmi ceux que l'humanité entière respecte et honore. A côté de ces hommes illustres, tous ceux qui se sont livrés à une étude patiente, consciencieuse et persévérante de ces phénomènes viennent en affirmer la réalité, tandis que la critique et la négation émanent de personnes dont le jugement, basé sur des notions insuffisantes, provient surtout d'un parti pris.
Il est arrivé à quelques-uns d'entre eux ce qui arrive souvent aux observateurs inconstants. Ils n'ont pu obtenir que de faibles résultats, parfois même des résultats négatifs, et ils en sont devenus d'autant plus sceptiques. Ils n'ont pas voulu tenir compte d'une chose essentielle : c'est que le phénomène spirite est régi par des lois, soumis à des conditions qu'il faut connaître et observer . Leur patience s'est trop vite lassée. Les preuves qu'ils exigent ne s'obtiennent pas en quelques jours. W. Crookes, Russell Wallace, Zollner, Aksakof, Dale Owen, Robert Hare, Myers, Lombroso, Oliver Lodge et beaucoup d'autres savants ont étudié la question pendant de nombreuses années. Ils ne se sont pas contentés d'assister à quelques séances plus ou moins bien dirigées et pourvues de bons médiums. Ils se sont donné la peine de rechercher les faits, de les grouper, de les analyser ; ils sont allés au fond des choses. Aussi, leur persévérance a été couronnée de succès, et leur méthode d'investigation peut être offerte en exemple à tout chercheur sérieux.
Parmi les théories mises en avant pour expliquer les phénomènes spirites, celle de l'hallucination tient toujours la plus grande place. Elle a perdu toute raison d'être cependant, devant les photographies d'esprits obtenues par Aksakof, Crookes, Volpi, Ochorowicz, W. Stead et tant d'autres. On ne photographie pas des hallucinations.
Les Invisibles impressionnent non seulement les plaques photographiques, mais encore des instruments de précision, comme les enregistreurs Marey  ; ils soulèvent des objets matériels, les décomposent et les recomposent ; ils laissent des empreintes dans la paraffine chaude. Ce sont là autant de preuves contre la théorie de l'hallucination, soit individuelle, soit collective.
Certains critiques accusent les phénomènes spirites de vulgarité, de grossièreté, de trivialité ; ils les considèrent comme ridicules. Ces appréciations prouvent leur incompétence. Les manifestations ne peuvent être différentes de ce qu'elles eussent été, venant du même esprit, lorsqu'il vivait sur la terre. La mort ne nous change pas, et nous sommes seulement, dans l'Au-delà, ce que nous nous sommes faits durant cette vie. De là l'infériorité de tant d'êtres désincarnés.
D'un autre côté, ces manifestations triviales et grossières ont leur utilité : ce sont elles qui révèlent le mieux l'identité de l'esprit. Elles ont convaincu nombre d'expérimentateurs de la réalité de la survivance et les ont amené peu à peu à observer, à étudier des phénomènes d'un ordre plus élevé. Car, nous l'avons vu, les faits s'enchaînent et se lient dans un ordre gradué, en vertu d'un plan qui semble indiquer l'action d'une puissance, d'une volonté supérieure, cherchant à arracher l'humanité à son indifférence, à la pousser vers l'étude et la recherche de ses destinées. Les phénomènes physiques : tables parlantes, maisons hantées, étaient nécessaires pour frapper l'attention des hommes, mais il ne faut voir là que des moyens préliminaires, un acheminement vers des domaines plus élevés de la connaissance.
Longtemps le spiritisme a été considéré comme une chose ridicule ; trop longtemps les spirites ont été raillés, bafoués, accusés de folie. N'en est-il pas de même de tous ceux qui ont apporté une idée, une force, une vérité nouvelle ? n'ont-ils pas tous été traités de fous ? Fou ! a-t-on dit de Galilée ; fous, Giordano Bruno, Galvani, Watt, Palissy, Salomon de Caus !
La route du progrès est parfois rude aux novateurs. Elle a été arrosée par bien des larmes et par beaucoup de sang. Ceux dont nous venons de citer les noms ont dû cheminer au milieu des intérêts conjurés. Ils étaient méprisés par les uns, haïs et persécutés par les autres. Ils ont lutté et souffert, et, comparativement à eux, ceux que l'on se contente de railler aujourd'hui peuvent trouver leur sort bien doux. C'est en s'inspirant de ces grands exemples que les spirites ont appris à supporter leurs maux avec patience. Une chose les a consolés de tous les sarcasmes, c'est la certitude qu'ils apportent, eux aussi, un bienfait, une force, une lumière à l'humanité.
A chaque siècle, l'histoire rectifie ses jugements. Ce qui paraissait grand devient petit, et ce qui semblait petit s'élève. Aujourd'hui déjà, on commence à comprendre que le spiritisme est un des événements les plus considérables des temps modernes, une des formes les plus remarquables de l'évolution de la pensée, le germe d'une des plus grandes révolutions morales que le monde ait connues.
Quelles que soient les railleries dont il est l'objet, il faut bien reconnaître que c'est au spiritisme que la nouvelle science psychique doit le jour : sans lui, sans l'impulsion qu'il a donnée, toutes les découvertes qui se rattachent à cette science seraient encore à venir.
En ce qui concerne l'étude des manifestations des esprits, les spirites se savent en bonne compagnie. Les noms illustres de Russell Wallace, de Crookes, de Robert Hare, de Mapes, de Zollner, d'Aksakof, de Boutlerof, de Flammarion, de Myers, de Lombroso ont été souvent cités. On voit aussi des savants comme les professeurs Barlett, Hyslop, Morselli, Botazzi, William James, de l'Université Harvard, Lodge, recteur de l'Université de Birmingham, le professeur Richet, le colonel de Rochas, etc., qui ne considèrent pas ces études comme indignes d'eux. Que penser après cela des accusations de ridicule, de folie ? Que prouvent-elles, sinon une chose attristante : c'est que le règne de l'aveugle routine persiste dans certains milieux. L'homme incline trop souvent à juger les faits d'après l'horizon étroit de ses préjugés et de ses connaissances. Il faut élever plus haut, étendre plus loin ses regards et mesurer sa faiblesse en face de l'univers. On apprendra par là à être modeste, à ne rien rejeter ni condamner sans examen.

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On a cherché à expliquer tous les phénomènes du spiritisme par la suggestion et la double personnalité. Dans les expériences, nous dit-on, le médium se suggestionne lui-même, ou bien il subit l'influence des assistants.
La suggestion mentale, qui n'est autre chose que la transmission de pensée, malgré les difficultés qu'elle présente, peut se comprendre et s'établir entre deux cerveaux organisés, par exemple entre le magnétiseur et son sujet. Mais peut-on croire que la suggestion agisse sur des tables ? Peut-on admettre que des objets inanimés soient aptes à recevoir et reproduire les impressions des assistants ?
On ne saurait expliquer par cette théorie les cas d'identité, les révélations de faits, de dates, ignorés du médium et des assistants, qui se produisent assez souvent dans les expériences, pas plus que les manifestations contraires à la volonté de tous les spectateurs. Bien des fois, des détails absolument inconnus de tout être vivant sur la terre ont été révélés par des médiums, puis vérifiés et reconnus exacts. On en trouve de remarquables exemples dans l'ouvrage d'Aksakof : Animisme et Spiritisme, et dans celui de Russell Wallace : le Moderne Spiritualisme, ainsi que des cas de médiumnité constatés chez des enfants en bas âge, qui, pas plus que les précédents, ne sauraient être expliqués par la suggestion .
Selon MM. Pierre Janet et Ferré  - et c'est là une explication dont se servent fréquemment les adversaires du spiritisme - on doit assimiler un médium écrivain à un sujet hypnotisé, auquel on suggère une personnalité pendant le sommeil, et qui a perdu au réveil le souvenir de cette suggestion. Le sujet écrit d'une manière inconsciente une lettre, un récit se rapportant à ce personnage imaginaire. C'est là, nous dit-on, l'origine de tous les messages spirites.
Tous ceux qui ont quelque expérience du spiritisme savent que cette explication est inadmissible. Les médiums écrivant d'une manière automatique ne sont pas plongés au préalable dans le sommeil hypnotique. C'est, en général, à l'état de veille, dans la plénitude de leurs facultés et de leur moi conscient, que les médiums écrivent sous l'impulsion des esprits. Dans les expériences de M. Janet, il y a toujours un hypnotiseur en liaison magnétique avec le sujet. Il n'en est pas de même dans les séances spirites ; ni l'évocateur, ni les assistants n'agissent sur le médium ; celui-ci ignore absolument le caractère de l'esprit qui va intervenir. Souvent même, les questions sont posées aux esprits par des incrédules plus disposés à combattre la manifestation qu'à la faciliter.
Le phénomène de la communication graphique ne consiste pas seulement dans le caractère automatique de l'écriture, mais surtout dans les preuves intelligentes, dans les identités qu'elle fournit. Or, les expériences de M. Janet ne donnent rien de semblable. Les communications suggérées aux sujets hypnotisés sont toujours d'une banalité désespérante, tandis que les messages des esprits nous apportent souvent des indications, des révélations ayant trait à la vie, présente ou passée, d'êtres que nous avons connus sur la terre, qui ont été nos amis ou nos proches, détails ignorés du médium et dont le caractère de certitude les distingue absolument des expériences d'hypnotisme.
On ne saurait par la suggestion faire écrire des illettrés, ni recevoir d'un guéridon des poésies comme celles recueillies par M. Jaubert, président du tribunal de Carcassonne, et qui obtinrent des prix aux jeux floraux de Toulouse. On ne saurait pas davantage, par ce moyen, susciter l'apparition de mains, de formes humaines, pas plus que l'écriture dont se couvrent les ardoises apportées par des observateurs sans qu'ils s'en soient dessaisis.
Il faut se rappeler que la doctrine des esprits a été constituée à l'aide de nombreux messages, obtenus par des médiums écrivains à qui ces enseignements étaient absolument étrangers. Presque tous avaient été bercés dès l'enfance par l'enseignement des Eglises, par les idées de paradis et d'enfer. Leurs convictions religieuses, leurs notions sur la vie future, étaient en opposition frappante avec les vues exposées par les esprits. Il n'existait en eux aucune idée préalable de la réincarnation, ni des vies successives de l'âme, pas plus que de la véritable situation de l'esprit après la mort, toutes choses exposées dans les messages obtenus. Il y a là une objection irréfutable à la théorie de la suggestion : la réalité objective des communications ressort avec d'autant plus de force, que les médiums n'étaient nullement préparés, par leur éducation et leurs vues personnelles, aux conceptions exprimées par les esprits.
Il est évident que, parmi l'énorme quantité de faits spirites actuellement enregistrés, il s'en trouve de faibles, de peu concluants ; d'autres peuvent être expliqués par la suggestion ou par l'extériorisation du sujet. Dans certains groupes spirites, on est trop porté à tout accepter comme émanant des esprits, et l'on ne fait pas assez la part des phénomènes douteux. Mais, si large que soit cette part, il reste un ensemble imposant de manifestations inexplicables par la suggestion, l'inconscient, l'hallucination ou autres théories analogues.
Les critiques procèdent toujours de la même façon envers le spiritisme. Ils ne s'adressent qu'à un genre spécial de phénomènes, et écartent à dessein de la discussion tout ce qu'ils ne peuvent comprendre ni réfuter. Dès qu'ils croient avoir trouvé l'explication de quelques faits isolés, ils s'empressent de conclure à l'absurdité de l'ensemble. Or, presque toujours, leur explication est inexacte, elle laisse dans l'ombre les preuves les plus frappantes de l'existence des esprits et de leur intervention dans les choses humaines.
Une autre théorie, souvent invoquée par les contradicteurs de l'idée spirite, est celle de l'inconscient. Des systèmes nombreux, obscurs et compliqués, s'y rattachent.
D'après elle, deux êtres coexisteraient en nous : l'un, conscient, qui se connaît et se possède ; l'autre, inconscient ou subconscient, qui s'ignore lui-même comme il est ignoré de nous et, néanmoins, possède des facultés supérieures aux nôtres, puisqu'on lui attribue tous les phénomènes du magnétisme et du spiritisme. Et il y aurait non seulement un second nous-même, mais un troisième, un quatrième et davantage, car certains théoriciens admettent l'existence en l'homme d'un grand nombre de personnalités, de consciences diverses. Ce système est connu sous le nom de poly-conscience.
Ainsi que l'a démontré M. Ch. Richet dans son livre : L'Homme et l'Intelligence ; le Somnambulisme provoqué, ce qu'on nomme la double personnalité représente simplement les états divers d'une seule et même personnalité. De même, l'inconscient n'est qu'une forme de la mémoire, le réveil en nous de facultés, de puissances, de souvenirs endormis . Les théoriciens de l'inconscient prétendent, par ce moyen, combattre le merveilleux, et ils inventent un système plus fantastique et plus compliqué que tout ce qu'ils visent. Non seulement leur théorie est inintelligible, mais elle n'explique pas du tout les phénomènes spirites, car on ne peut comprendre comment l'inconscient pourrait produire des formes de défunts, des communications intelligentes par sons ou coups frappés, et tous les autres faits attestés par des expérimentateurs de tous pays.
On a aussi voulu attribuer les messages dictés en séance à une sorte de conscience collective se dégageant de l'ensemble des assistants, conception illogique s'il en fut.
Voici, entre mille, un fait qui réfute toutes les objections que nous venons de passer en revue : ce fait, nous l'empruntons au remarquable ouvrage de sir William Barrett, membre de la Société Royale, professeur de physique expérimentale au Collège des sciences d'Irlande. Il est intitulé : On the threshold of the Unseen (Sur le seuil de l'Invisible).
Sir W. Barrett explique d'abord qu'il se servait fréquemment du Oui-ja ou planchette américaine, en prenant toutes précautions pour éviter les fraudes ou l'action inconsciente du médium. On lui bandait d'abord les yeux, ce qui n'empêchait pas les lettres de se succéder avec la même rapidité qu'auparavant. Sans le prévenir, on renversait la planche, de façon à présenter les lettres à l'envers du côté du médium, puis on lui substituait un tableau où lettres et chiffres, au lieu de se suivre dans l'ordre habituel, étaient complètement mélangés. Toutes ces précautions étaient prises à l'insu du médium, qui, les yeux toujours bandés, continuait à donner des réponses correctes.
C'est dans ces conditions que la manifestation suivante se produisit :
« Le jour même où l'on apprit le torpillage du paquebot anglais Lusitania, M. Lennox Robinson et moi nous étions occupés à questionner le Oui-ja, le révérend Saville Hicks notant les lettres indiquées, lorsque furent épelés les mots : « Priez pour l'âme de Hugh Lane. »
« Je demandai : « Qui est là ? qui êtes-vous ? » - « Je suis Hugh Lane », répondit le Oui-ja, et il donna alors la nouvelle détaillée du naufrage, auquel nous ne pouvions pas nous résigner à croire, tant nous considérions pareil attentat comme monstrueux, ajoutant : « Ce fut la paisible fin d'une vie agitée ».
« Nous savions M. Hugh Lane en Amérique et ne pouvions pas nous imaginer qu'il se fût embarqué sur le Lusitania.
« A ce moment on entendit au-dehors le cri d'un marchand annonçant les journaux du soir. M. Robinson se précipita dans la rue et en rapporta un journal qui donnait tous les détails de la catastrophe ainsi que les noms des victimes connues, en tête desquels était celui de sir Hugh Lane.
« Nous nous remîmes au Oui-ja pour le questionner, mais l'Esprit se contenta de confirmer le récit du naufrage en ajoutant : « Je n'ai pas souffert. J'ai été noyé et « n'ai rien senti. »
Presque toujours on confond le subconscient, soit avec le double fluidique qui n'est pas un être, mais un organisme, soit avec l'esprit familier, préposé à la garde de toute âme incarnée en ce monde.
On peut se demander en vertu de quel accord universel ces inconscients cachés dans l'homme, qui s'ignorent entre eux et s'ignorent eux-mêmes, sont unanimes, au cours des manifestations occultes, à se dire les esprits des morts.
C'est du moins ce que nous avons pu constater dans les innombrables expériences auxquelles nous avons pris part, durant plus de trente années, sur tant de points divers, en France et à l'étranger. Nulle part les êtres invisibles ne se sont présentés comme les inconscients ou moi supérieurs des médiums et autres personnes présentes. Ils se sont toujours annoncés comme des personnalités différentes, jouissant de la plénitude de leur conscience, comme des individualités libres, ayant vécu sur la terre, - connues des assistants dans la plupart des cas, - avec tous les caractères de l'être humain, ses qualités et ses défauts, ses faiblesses et ses grandeurs, et fréquemment ils donnaient des preuves de leur identité .
Ce qu'il y a de plus remarquable en ceci, croyons-nous, c'est l'ingéniosité, la fécondité de certains penseurs, leur habileté à échafauder des théories fantaisistes, dans le but d'échapper à des réalités qui leur déplaisent et les gênent.
Sans doute, ils n'ont pas prévu toutes les conséquences de leurs systèmes ; ils ont fermé les yeux sur les résultats qu'on en peut attendre. Ne se rendant pas compte que ces doctrines funestes annihilent la conscience et la personnalité en les divisant, ils aboutissent logiquement, fatalement, à la négation de la liberté, de la responsabilité et, par suite, à la destruction de toute loi morale.
En effet, avec cette hypothèse, l'homme serait une dualité ou une pluralité mal équilibrée, où chaque conscience agirait à sa guise, sans souci des autres. Ce sont de telles notions qui, en pénétrant dans les âmes, en devenant pour elles une conviction, un argument, les poussent à tous les excès.
Résumons-nous : tout dans la nature et dans l'homme est simple, clair, harmonique. C'est l'esprit de système qui complique et obscurcit tout.
De l'examen attentif, de l'étude constante et approfondie de l'être humain, il résulte une chose, l'existence en nous de trois éléments : le corps physique, le corps fluidique ou périsprit et, enfin, l'âme ou esprit. Ce que l'on nomme l'inconscient, la personne seconde, le moi supérieur, la polyconscience, etc., c'est tout simplement l'esprit qui, dans certaines conditions de dégagement et de clairvoyance, voit se produire en lui comme une manifestation de puissances cachées, un ensemble de ressources que ses existences antérieures ont accumulées en lui et qui étaient momentanément dissimulées sous le voile de la chair.
Non certes, l'homme n'a pas plusieurs consciences. L'unité psychique de l'être est la condition essentielle de sa liberté et de sa responsabilité. Mais il y a en lui plusieurs états de conscience. A mesure que l'esprit se dégage de la matière et s'affranchit de son enveloppe charnelle, ses facultés et ses perceptions s'étendent, ses souvenirs se réveillent, le rayonnement de sa personnalité s'élargit. C'est ce qui se produit quelquefois à l'état de transe, de sommeil magnétique. Dans cet état, le voile de la matière retombe, l'âme se dégage et les puissances latentes reparaissent en elle. De là, certaines manifestations d'une même intelligence, qui ont pu faire croire à une double personnalité, à une pluralité de consciences.
Cependant cela ne suffit pas à expliquer les phénomènes spirites ; dans la plupart des cas, l'intervention d'entités étrangères, de volontés libres et autonomes, s'impose comme la seule explication rationnelle.
Nous ne citerons que pour mémoire la théorie qui attribue ces manifestations aux démons. C'est là un argument bien démodé, car on en a fait usage dans tous les temps et contre presque toutes les innovations. « On doit juger l'arbre à ses fruits », dit l'Ecriture. Or, si on mesure tout le bien moral que le spiritisme a déjà réalisé dans le monde, si on considère combien de sceptiques, d'indifférents, de sensuels, ont été par lui guidés vers une conception plus haute et plus saine de la vie, de la justice et du devoir, combien d'athées ont été ramenés à la pensée de Dieu, il faudrait en conclure que le démon, s'il est l'auteur des phénomènes d'outre-tombe, travaille contre lui-même, au détriment de ses propres intérêts. Ce que nous avons dit ailleurs  de l'enfer et des démons nous dispense d'insister. Satan n'est qu'un mythe. Aucun être n'est éternellement voué au mal.
Si la plupart des critiques adressées au spiritisme sont injustes et erronées, il faut reconnaître que, dans le nombre, il en est aussi de fondées. Beaucoup d'abus font obstacle à la marche et au développement du spiritualisme moderne. Ces abus doivent être attribués, non à l'idée elle-même, mais à la mauvaise application qui en est faite dans certains milieux. N'en est-il pas ainsi de toutes les choses humaines ? Il n'est aucune idée, si sainte, si respectable soit-elle, qui n'ait engendré des abus ; c'est la conséquence inévitable de l'infériorité de notre monde. En ce qui concerne le spiritisme, il faut signaler tout d'abord la médiumnité vénale, qui entraîne trop de sujets à la simulation des phénomènes ; puis les fâcheuses pratiques en usage dans quelques groupes manquant de savoir, de préparation et de direction. Beaucoup de personnes font du spiritisme un jeu frivole et, par ce qu'on a appelé « la danse des tables », attirent à elles des esprits inférieurs et légers ; ceux-ci ne se font pas scrupule de les mystifier, et de nouer avec elles des rapports qui peuvent aller jusqu'à l'obsession.
D'autres se livrent sans contrôle à l'écriture médianimique ; elles obtiennent, en abondance, des messages faussement signés de noms célèbres, oeuvres médiocres, dépourvues de style et d'originalité, et destinées trop souvent à capter leur confiance, dans le but de les égarer.
Il existe ainsi un spiritisme de bas étage, domaine exclusif des esprits inférieurs, entaché parfois de fraude, de supercherie, de mensonge, et contre lequel on ne saurait trop se mettre en garde.
Ce sont ces pratiques qui ont fait croire à l'intervention de démons, alors qu'il ne s'agissait que d'entités vulgaires et arriérées. Il suffit d'acquérir quelque expérience de ces choses, pour distinguer la nature des êtres invisibles et se garer des embûches des esprits attardés.
Les abus dont nous parlons ont souvent été signalés et même exagérés à plaisir. On s'en est servi pour combattre le spiritualisme moderne. Ce serait une erreur grave de ne voir dans l'usage du spiritisme que ces inconvénients et, sous prétexte de les éviter, de chercher à priver l'humanité des avantages réels et considérables qu'elle peut retirer d'une étude sérieuse, d'une pratique sage et réfléchie de la médiumnité.
Quant aux dangers que présente le spiritisme, on peut facilement les conjurer, en écartant dans les séances toute pensée frivole, tout but intéressé, en procédant aux évocations avec un sentiment pieux et élevé. « Les semblables s'attirent », nous dit un proverbe. Rien n'est plus vrai dans le domaine des études occultes. Les questions banales et les faciles plaisanteries en usage dans certains milieux attirent les Esprits mystificateurs. Au contraire, les dispositions sérieuses, les pensées graves et recueillies plaisent aux Intelligences supérieures.
Il est dangereux de travailler seul, sans contrôle, sans protection efficace, dangereux de se livrer isolément aux évocations spirites. Pour éviter les influences mauvaises et les manifestations grossières, on doit s'unir à un petit nombre de personnes éclairées, portées au bien, sous la direction d'un croyant expérimenté. Dans ces conditions, demandez à Dieu, d'un coeur sincère, de permettre à un Esprit élevé de vous prêter son appui, d'écarter les rôdeurs de l'ombre, de faciliter l'accès de votre groupe à ceux que vous aimez et dont vous pleurez le départ ; demandez aux Intelligences supérieures de vous apporter leurs enseignements, de guider vos pas dans cette voie féconde de la communion spirituelle. Si vos sentiments sont désintéressés, si vous ne recherchez dans ces études qu'un moyen d'amélioration, ils seront heureux de répondre à vos appels, et le spiritisme deviendra pour vous une source de lumières et de hautes inspirations.

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Il résulte de notre exposé que nous touchons à une heure décisive de l'histoire de la science.
La science expérimentale a franchi la limite qui sépare deux mondes, le visible et l'invisible. Elle se trouve en présence d'un infini vivant. C'est ce que disait le professeur Ch. Richet, de l'Académie de médecine de Paris, dans son rapport sur les séances spirites de Milan : « C'est un monde nouveau qui s'ouvre à nous. » Depuis un demi-siècle, lentement mais sûrement, la science s'achemine, de découvertes en découvertes, vers une connaissance de la vie fluidique, de la vie invisible, en parfait accord avec l'enseignement du spiritualisme moderne ; de cette concordance va se dégager la plus puissante certitude que l'homme ait jamais possédée de la survivance de l'âme et de son indestructibilité.
Actuellement, cette question, serrée de près pendant des années, résolue par de nombreux savants, ne l'est pas encore par la science officielle, toujours hésitante ; mais son verdict ne saurait tarder. Au-dessus des questions d'intérêt, au-dessus des rivalités, des sophismes, des arguties, des contradictions, le problème se pose d'une manière impérieuse devant le tribunal de la pensée. En face des faits spirites, de leur persistance, de leur renouvellement incessant et de leur prodigieuse variété, il faut se prononcer et dire si la mort est le néant, ou bien s'il y a une destinée humaine.
C'est là un débat vraiment grave et solennel. Toutes les négations et toutes les espérances sont en jeu. Toutes les écoles sont intéressées à la solution du problème, intéressées à savoir s'il y a, comme nous l'établissons, une preuve objective de la survivance de l'être, dégagée de tout caractère mystique.
Les écoles matérialistes, d'une part, les Eglises de l'autre, s'inquiètent et s'agitent, parce qu'elles voient là pour elles une cause de décadence et d'amoindrissement, tandis qu'en réalité cette constatation de la survivance serait un moyen de rapprochement et de conciliation. De là aussi, toutes les objurgations, toutes les protestations qui s'élèvent. Mais quelles que soient l'indécision de la science, l'opposition des écoles, l'obstination avec laquelle on combat l'idée nouvelle et les découvertes qui l'ont fait naître, les puissances invisibles qui agissent dans le monde ne mettront pas moins d'énergie et de ténacité à les défendre et à les propager. Plus haut que les intérêts des écoles, plus haut que les théories et les systèmes, il y a une chose qui doit triompher et s'imposer, c'est la vérité.
Le monde invisible, refoulé depuis longtemps dans ses profondeurs, soit par le matérialisme qui en niait l'existence, soit par l'Eglise qui, sous prétexte de sorcellerie, en arrêtait les manifestations, le monde invisible se recueillait depuis des siècles. Aujourd'hui, il entre de nouveau en action. Les manifestations occultes se produisent sous toutes les formes, depuis les plus banales jusqu'aux plus raffinées, suivant le degré d'élévation des Intelligences qui interviennent. Elles se déroulent d'après un plan majestueux, dont le but apparaît clairement ; ce but, c'est de démontrer à l'homme qu'il n'est pas seulement matière périssable, qu'il y a en lui une essence qui survit au corps et peut entrer en communication avec d'autres êtres humains après la mort, une individualité appelée à se développer librement, à travers l'infini du temps et l'immensité des espaces.
L'invisible a fait, peu à peu, irruption dans le monde visible et, en dépit des dédains, des hostilités, des résistances, il est évident que son action va s'étendre et se multiplier de plus en plus, jusqu'à ce que l'homme arrive enfin à se mieux connaître, à discerner la loi de sa vie et de ses destinées.
Il y a donc, dans l'observation de ces faits, le germe d'une révolution qui embrassera, de proche en proche, tout le domaine des connaissances humaines.
Au point de vue scientifique d'abord, ces faits nous ouvrent tout un monde de forces, d'influences, de formes de vie, dans lequel nous étions plongés sans en soupçonner l'existence, un monde dont la grandeur, les richesses, les énergies en réserve défient tout calcul, toute prévision. Ils nous apprennent aussi à voir en l'homme le siège de facultés, de puissances cachées, dont l'utilisation et le développement peuvent nous élever à des hauteurs imposantes.
La vie nous apparaît maintenant sous un double aspect : elle est à la fois corporelle et fluidique. L'existence de l'homme est tour à tour terrestre et extra-terrestre. Elle s'accomplit alternativement sur terre, dans la chair, puis dans l'atmosphère ou dans l'espace, toujours sous la forme humaine, mais impalpable et impondérable. Ces deux modes de vie alternent et se succèdent en un rythme harmonique, comme le jour succède à la nuit, la veille au sommeil, et l'été à l'hiver.
Au point de vue philosophique et moral, les conséquences du phénomène spirite ne sont pas moins considérables.
Depuis plus de cinquante ans, on a constaté les faits ; quand, de ces faits, on a voulu remonter aux causes qui les produisent ; quand, de l'ensemble des phénomènes, on a voulu dégager la loi qui les régit, on s'est trouvé en présence d'un ordre de choses qui entraîne forcément une conception nouvelle de l'univers et de la vie. Non seulement on a été obligé de reconnaître l'existence d'êtres invisibles qui sont les esprits des morts, mais aussi que ces êtres sont reliés par les liens d'une étroite solidarité et qu'ils évoluent vers un but commun, vers des états toujours plus élevés.
Par cette conception, toutes les idées de loi, toutes les notions de progrès, de justice, de devoir, s'éclairent d'une lumière nouvelle. Le sentiment des responsabilités morales s'accroît. On entrevoit le remède attendu, le remède possible aux défaillances, aux misères qui désolent et affaiblissent l'humanité. Car, chose providentielle, cette révélation arrive à l'heure précise où toutes les doctrines s'affaissent sous le poids du temps, à l'heure où les systèmes religieux se lézardent, où l'homme semblait réduit à chercher sa voie dans la nuit. Elle arrive à l'heure où la société est travaillée par d'immenses forces destructives ; où, des masses profondes, monte vers le ciel un cri de souffrance et de désespoir. C'est à ce moment que nous parviennent les messages de paix, d'espérance et d'amour que les Puissances de l'espace, les Esprits de lumière, apportent à la pauvre humanité troublée.
X. - LA NOUVELLE REVELATION ; LA DOCTRINE DES ESPRITS
Le spiritualisme moderne, avons-nous dit, est une forme nouvelle de l'éternelle révélation.
Pour nous, révélation signifie simplement l'action d'ôter un voile, de découvrir des choses cachées.
A ce point de vue, toutes les sciences sont des révélations, mais il en est une plus haute : celle des vérités morales, qui nous arrive par l'intermédiaire de missionnaires célestes et, plus souvent, par les aspirations de la conscience.
Tous les temps et tous les peuples ont eu leur part de révélation. Celle-ci n'est pas, comme certains le croient, un fait accompli à une époque, dans un milieu déterminés, et pour toujours. Elle est perpétuelle, incessante ; c'est l'oeuvre de l'esprit humain dans ses efforts pour s'élever, sous l'influence de l'esprit divin, vers la connaissance intégrale des lois et des choses. Cette influence se produit souvent à l'insu de l'homme. C'est par des moyens humains que Dieu agit sur l'humanité, aussi bien dans le domaine des faits historiques que dans celui de la pensée et de la science.
A mesure que l'histoire se déroule, à mesure que se déploie à travers les siècles la caravane immense de l'humanité, une lumière plus vive se fait en nous et autour de nous. La Puissance invisible qui, du sein des espaces, suit cette marche, nous dispense, selon notre degré d'évolution et de compréhension, de nouvelles données sur le grand problème de l'univers et de la vie.
Les révélations des siècles passés ont fait leur oeuvre. Elles ont toutes réalisé un progrès les unes sur les autres, marquant ainsi les étapes successives de l'humanité ; mais elles ne répondent plus aux besoins de l'heure présente, car la loi du progrès opère incessamment et, à mesure que l'homme avance et s'élève, ses horizons doivent s'élargir. C'est pourquoi une dispensation plus complète que les autres se répand aujourd'hui sur le monde.
Il faut aussi se rappeler une chose : c'est que, si chaque grande époque a eu ses révélateurs, si de puissants Esprits sont venus apporter aux hommes, suivant les temps et les lieux, des éléments de vérité et de progrès, les germes qu'ils ont semés sont trop souvent restés stériles. Leurs doctrines, mal comprises, ont donné naissance à des religions qui s'excluent et se condamnent injustement, car toutes sont soeurs et reposent sur deux bases communes : Dieu et l'immortalité. Elles se fondront tôt ou tard en une vaste unité, lorsque les ombres qui enveloppent la pensée humaine se seront évanouies au soleil de la vérité.
A côté des messagers divins, beaucoup de faux prophètes se sont levés. De prétendus révélateurs ont cherché à s'imposer aux foules ; des doctrines confuses et contradictoires se sont répandues, au profit apparent de quelques-uns et, en réalité, au détriment de tous.
Aussi, pour prévenir de tels abus, la révélation nouvelle revêt un tout autre caractère. Elle n'est plus une oeuvre individuelle et ne se produit pas dans un milieu circonscrit. Elle est donnée, sur tous les points du globe, à ceux qui la recherchent, par l'intermédiaire de personnes de tout âge, de toute condition, de toute nationalité, au moyen de messages innombrables dont la valeur a été soumise au contrôle le plus rigoureux. Oeuvre des grands Esprits de l'espace, qui viennent, par milliers, instruire et moraliser l'humanité, elle présente un caractère impersonnel et universel. Sa tâche est d'éclairer, de coordonner toutes les révélations du passé, contenues dans les livres sacrés des différentes races humaines, et voilées sous le symbole et la parabole.
La révélation nouvelle, dégagée de toute forme matérielle, se manifeste directement à l'humanité, dont l'évolution intellectuelle est devenue suffisante pour aborder les hauts problèmes de la destinée. Préparée par les travaux des sciences naturelles, sur lesquelles elle s'appuie, et par les connaissances que l'esprit humain a lentement acquises, elle féconde ces travaux et ces connaissances ; elle les relie entre eux, et en forme un tout solide.
La révélation chrétienne avait succédé à la révélation mosaïque. Celle des Esprits vient les compléter toutes deux. Le Christ l'a annoncée , et l'on peut ajouter qu'il préside lui-même à cet essor nouveau de la pensée.
Comme cette révélation n'a pas lieu par le canal de l'orthodoxie, nous voyons les Eglises établies la méconnaître ; il en a été de même de la révélation chrétienne vis-à-vis du sacerdoce juif. Le clergé chrétien se trouve aujourd'hui dans la même situation que les prêtres d'Israël, il y a deux mille ans, à l'égard du christianisme. Ce rapprochement historique doit leur donner à réfléchir.
La révélation nouvelle se manifeste en dehors et au-dessus des Eglises. Son enseignement s'adresse à toutes les races de la terre. Partout, les Esprits proclament les principes sur lesquels il s'appuie. Sur toutes les régions du globe passe la grande voix qui rappelle l'homme à la pensée de Dieu et de la vie future. Au-dessus des agitations stériles et des vaines discussions des partis, au-dessus des luttes d'intérêt et du conflit des passions, la voix profonde descend de l'espace et vient offrir à tous, avec l'enseignement de la parole, la divine espérance et la paix du coeur.
C'est la révélation des temps prédits. Par elle, tous les enseignements du passé, partiels, restreints, limités dans leur action, sont surpassés, enveloppés. Elle utilise les matériaux qu'ils ont rassemblés : elle les réunit, les cimente, pour en former un vaste édifice où la pensée pourra se déployer à l'aise. Elle ouvre une phase nouvelle et décisive à l'ascension de l'humanité.

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Toutefois, on ne peut passer sous silence les nombreuses objections formulées contre la doctrine des Esprits. Malgré le caractère imposant de la nouvelle révélation, beaucoup n'ont vu en elle qu'un système de plus, une théorie spéculative. Même parmi ceux qui admettaient la réalité des phénomènes, il en est qui ont reproché aux spirites d'avoir édifié sur ces faits une doctrine prématurée et d'avoir ainsi amoindri le caractère positif du spiritualisme moderne.
Ceux qui tiennent ce langage n'ont pas compris la véritable nature du spiritisme. Celui-ci n'est pas, comme on le prétend, une doctrine hâtivement élaborée, encore moins une théorie préconçue ; il n'est que la conséquence logique des faits, leur couronnement nécessaire.
Depuis plus d'un demi-siècle, les communications établies avec le monde invisible n'ont cessé de nous fournir des indications, aussi nombreuses que précises, sur les conditions de la vie dans l'Au-delà. Les esprits, dans les messages qu'ils nous adressent en abondance, soit par l'écriture automatique, soit par les dictées typtologiques, ou bien au cours d'entretiens à l'état de transe, en un mot par tous les moyens à leur disposition, les esprits de tous ordres donnent des descriptions très détaillées de leur mode d'existence après la mort. Ils dépeignent leurs impressions à la séparation du corps, les déceptions ou les satisfactions qu'ils ont recueillies, suivant leur genre de vie sur la terre. De toutes ces descriptions, comparées les unes aux autres, contrôlées les unes par les autres, se dégage une connaissance très nette de la vie future et des lois qui la régissent.
Les Intelligences élevées, dans leurs rapports médianimiques avec les hommes, viennent compléter ces indications. Elles confirment les renseignements donnés par les esprits moins avancés ; s'élevant plus haut, elles nous exposent leurs vues, leurs opinions sur tous les grands problèmes de la vie et de la mort, sur l'évolution générale des êtres, sur les lois supérieures de l'univers. Toutes ces révélations concordent et s'unissent pour former une imposante philosophie.
On a cru voir certaines divergences de vues dans l'enseignement des Esprits ; ces divergences sont beaucoup plus apparentes que réelles. Elles consistent le plus souvent dans la forme, dans l'expression des idées et n'atteignent pas le fond même du sujet. Elles s'évanouissent devant un mûr examen. Nous en avons un exemple en ce qui touche la doctrine des réincarnations successives de l'âme.
On a fait de cette question une arme contre le spiritisme, parce que certains esprits, en pays anglo-saxon, semblaient nier la réincarnation des âmes sur la terre. Nous ferons remarquer que, partout, les esprits affirment le principe des existences successives, avec cette seule réserve, dans le milieu assez circonscrit dont nous parlons, que la réincarnation s'effectuerait non sur terre, mais sur d'autres mondes. Il n'y a donc là qu'une différence de lieu ; le principe reste intact.
Si les esprits, dans quelques pays hantés de préjugés tenaces, ont dû passer sous silence, au début, quelques points de leur enseignement, n'était-ce pas, comme ils l'ont reconnu eux-mêmes, pour ménager certaines vanités de race ou de couleur ? Ce qui le prouverait, c'est que le nombre des spiritualistes anti-réincarnationistes, en Amérique comme en Angleterre, va s'amoindrissant de jour en jour, alors que celui des partisans de la réincarnation n'a cessé de s'accroître.
Les esprits qui se manifestent à nous, objecte-t-on encore, ne sont pas tous d'un ordre élevé. Certains font preuve de vues fort restreintes, de connaissances très imparfaites sur toutes choses. D'autres sont encore imbus de préjugés terrestres ; leurs conceptions portent le reflet des milieux où ils ont vécu.
La mort ne nous change guère, comme nous l'avons dit . Il n'y a, dans notre course infinie, aucune transformation brusque. Ce n'est que lentement, à la suite d'existences nombreuses, que l'esprit se dégage de ses passions, de ses erreurs, de ses faiblesses, et s'élève vers la sagesse et la lumière.
De cet état de choses résulte nécessairement une grande variété, une grande diversité de situations parmi les Invisibles. Les communications des habitants de l'espace, comme leurs auteurs, sont de valeur très inégale et sujettes à contrôle. Elles doivent être passées au crible de la raison et du jugement.
Aussi le spiritualisme moderne ne dogmatise pas, ne s'immobilise pas. Il n'a aucune prétention à l'infaillibilité. Quoique supérieur à ceux qui l'ont précédé, l'enseignement spirite est progressif comme les esprits eux-mêmes. Il se développe et se complète, à mesure que, par l'expérience, le progrès se réalise dans les deux humanités, celle de la terre et celle de l'espace, humanités qui se pénètrent l'une l'autre, et dont chacun de nous doit faire partie tour à tour.
Les principes du spiritualisme moderne ont été exposés, établis, fixés par des documents nombreux, émanant des sources médianimiques les plus diverses, et d'une parfaite concordance entre eux. Allan Kardec et, après lui, tous les écrivains spirites se sont livrés à un long et minutieux examen des messages d'outre-tombe. C'est en groupant, en coordonnant ce que ceux-ci avaient de commun, qu'ils ont réuni les éléments d'un enseignement rationnel, fournissant une explication satisfaisante des problèmes restés insolubles avant lui. Cet enseignement est toujours vérifiable d'ailleurs, puisque la source d'où il émane ne tarit pas. La communication établie entre les hommes et les esprits est permanente et universelle ; elle s'affirmera de plus en plus avec les progrès de l'humanité.
S'il est vrai que les esprits obscurs et arriérés abondent autour de nous, il ne faut pas perdre de vue que les âmes élevées, descendues des sphères de lumière, viennent aussi apporter à la terre ces sublimes enseignements que l'on n'oublie plus lorsqu'on les a entendus. On ne saurait se méprendre à leurs accents. Tous ceux qui ont eu la faveur de recevoir leurs instructions en gardent longtemps l'impression et le souvenir. Il est facile de comprendre que leur langage n'est pas de ce monde, mais vient de plus haut.
A ces Esprits radieux se joignent souvent les âmes de nos proches, de ceux que nous avons aimés ici-bas, et dont le sort ne peut nous laisser indifférents. Dès que l'identité de ces êtres si chers est établie à nos yeux, dès que leur personnalité s'affirme de mille manières, ne s'éveille-t-il pas en nous un impérieux besoin de connaître les conditions de leur nouvelle vie ?
Comment rester sourds, insensibles à la voix de ceux qui nous ont bercés, portés dans leurs bras, de ceux qui ont été notre chair et notre sang ? Cette affection qui nous unit à nos morts, ce sentiment qui nous élève au-dessus des poussières terrestres et nous distingue de l'animal, ne nous fait-il pas un devoir de recueillir pieusement, d'examiner, de propager tout ce qu'ils nous révèlent touchant ces graves problèmes de la destinée, suspendus depuis tant de siècles au-dessus de la pensée humaine ?
Ceux qui ne veulent voir dans le spiritualisme moderne que le côté expérimental, le fait physique, qui en dédaignent les conséquences, ne préfèrent-ils pas la coquille à la noix, la reliure au contenu du livre ? Ne méconnaissent-ils pas le sage conseil de Rabelais, disant : « Rompez l'os, et sucez la moelle » ? Moelle fortifiante, en effet, que cet enseignement ! Il nous guérit de la peur de la mort ; il nous arme pour les luttes fécondes, pour la conquête des grands sommets intellectuels.
Le spiritisme a tout un côté scientifique ; il repose sur des preuves sensibles, sur des faits indéniables, mais ce sont surtout ses conséquences morales qui intéressent la grande majorité des hommes. L'expérimentation, l'analyse minutieuse des faits, n'est pas à la portée de tous. Quand bien même le temps ne manquerait pas, il faut les agents, les moyens d'action et de contrôle. Les humbles, les petits, ceux qui forment la masse du peuple, ne disposent pas toujours de ce qui est nécessaire pour l'étude des phénomènes, et ce sont précisément ceux-là qui ont le plus besoin d'en connaître tous les fruits, toute la portée.

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La doctrine des Esprits peut se résumer en trois points essentiels : la nature de l'être, ses destinées, les lois supérieures de l'univers. Nous les aborderons successivement.
L'étude la plus nécessaire pour nous, c'est nous-mêmes. Ce qu'il nous importe de savoir avant tout, c'est ce que nous sommes. Or, ce problème est, de tous, celui qui est resté le plus obscur jusqu'ici. Aujourd'hui, la connaissance de la nature intime de l'homme se dégage aussi bien des communications dictées par les esprits, que de l'observation directe des phénomènes du spiritisme et du somnambulisme.
L'homme a deux corps : l'un de matière grossière, qui le met en relation avec le monde physique ; l'autre, fluidique, par lequel il entre en rapport avec le monde invisible.
Le corps physique est périssable et s'évanouit à la mort ; c'est un habillement revêtu pour la durée de notre voyage terrestre. Le corps fluidique est indestructible, mais il s'affine et s'épure avec les progrès de l'âme, dont il est l'enveloppe permanente, inséparable. On doit voir en lui le corps véritable, le type de la création corporelle, le canevas sur lequel se développe le plan de la vie physique. C'est sur lui que se modèlent les organes, que se groupent les cellules ; c'est lui qui en assure le fonctionnement. Le périsprit ou corps fluidique est l'agent de toutes les manifestations de la vie, aussi bien sur terre, pour l'homme, que dans l'espace, pour l'esprit. Il contient la somme de vitalité nécessaire à l'être pour renaître et se développer.
Les connaissances accumulées au cours de nos vies antérieures, les souvenirs de nos existences passées, se capitalisent et s'enregistrent dans le périsprit. Exempt des mutations constantes subies par le corps matériel, il est l'asile impérissable de la mémoire et assure sa conservation.
Le plan admirable de la vie se révèle dans la constitution intime de l'être humain. Destiné à habiter alternativement deux mondes différents, son organisme devait contenir tous les éléments susceptibles de le mettre en relation avec ces mondes, et d'y faciliter son oeuvre de progression. Non seulement nos sens sont appelés à se développer, mais le périsprit renferme, en outre, les germes de sens nouveaux, qui écloront et se manifesteront au cours de nos existences futures ; ils élargiront de plus en plus le champ de nos sensations.
Nos modes de perception sont en corrélation avec notre degré devancement, et en rapport direct avec le milieu que nous habitons. Tout s'enchaîne et s'harmonise dans la nature physique comme dans l'ordre moral des choses. Un organisme supérieur au nôtre n'aurait pas eu de raison d'être sur un monde où l'homme vient essayer ses premiers pas, parcourir les premières étapes de sa route infinie. Cependant nos sens sont susceptibles d'un perfectionnement illimité. L'homme actuel possède tous les éléments de sa grandeur future ; par une progression croissante, il verra se manifester autour de lui, en toutes choses, des propriétés, des qualités qui lui sont encore inconnues. Il apprendra à connaître des forces, des puissances dont il ne soupçonne pas même l'existence, car il n'y a pas de rapports possibles entre elles et l'organisme imparfait dont il dispose aujourd'hui.
L'étude du périsprit nous montre, dès maintenant, comment l'homme peut vivre simultanément de la vie physique et de la vie libre de l'espace. Les phénomènes du somnambulisme, du dédoublement, de la vision, de l'action à distance, sont des modes de cette vie extérieure dont nous n'avons aucune conscience durant la veille. L'esprit dans la chair est comme un prisonnier dans son cachot ; l'état de somnambulisme et de médiumnité l'en fait sortir, lui permet d'étendre plus ou moins le cercle de ses perceptions, tout en le maintenant attaché par un lieu à son enveloppe. La mort est sa complète libération.
A ces diverses formes de vie correspondent des degrés divers de conscience et de connaissance, d'autant plus élevés que l'âme est plus libre et plus avancée sur l'échelle des perfections.
C'est en observant assidûment ces différents aspects de l'existence que l'on arrivera à la connaissance parfaite de l'être. L'homme cessera d'être pour lui-même un vivant mystère ; il ne sera plus, comme il l'est encore aujourd'hui, dépourvu de notions précises sur sa nature intime et son avenir.
La science officielle a le devoir d'étudier les sources profondes de la vie ; tant qu'elle bornera ses observations au corps physique, qui en est simplement la manifestation extérieure, superficielle, la physiologie et la médecine resteront frappées d'impuissance et de stérilité.
Nous avons vu, par certaines expériences de photographie et de matérialisation, comment le corps fluidique, émet des vibrations, des radiations variant de formes et d'intensité, selon l'état mental de l'opérateur. C'est la démonstration positive de ce fait, affirmé par les messages d'outre-tombe : la puissance de rayonnement de l'esprit, l'étendue de ses perceptions, sont toujours proportionnelles à son degré d'élévation. La pureté, la transparence de l'enveloppe fluidique sont, dans l'espace, les témoins irrécusables de la valeur de l'âme ; l'affinage de ses éléments constitutifs, l'amplitude de ses vibrations augmentent avec son épuration. A mesure que la moralité se développe, de nouvelles conditions physiques apparaissent dans le corps fluidique.
Les pensées, les actions de l'être réagissent constamment sur son enveloppe, et, suivant leur nature, la rendent plus épaisse ou plus subtile. L'étude persévérante, la pratique du bien, l'accomplissement du devoir dans toutes les conditions sociales, sont autant de facteurs qui favorisent l'ascension de l'âme, accroissent le champ de ses sensations et la somme de ses jouissances. Par un entraînement intellectuel et moral prolongé, par des vies méritoires, des aspirations généreuses et de grands sacrifices, le rayonnement de l'esprit s'étend graduellement ; ses vibrations périspritales s'activent ; son éclat devient plus vif, en même temps que la densité de son enveloppe s'amoindrit.
Ces phénomènes se produisent en sens inverse chez les êtres enclins aux passions violentes ou aux plaisirs sensuels ; leur mode d'existence détermine dans le corps fluidique une augmentation de densité, une réduction des vitesses vibratoires, d'où viennent l'obscurcissement des sens et la diminution des perceptions dans la vie de l'espace. En persistant dans le mal, l'esprit vicieux peut ainsi faire de son organisme un véritable tombeau, dans lequel il se trouvera comme enseveli après la mort, jusqu'à une nouvelle incarnation.
Le pouvoir, le bonheur, le rayonnement de l'esprit dépendant de l'épuration de son enveloppe, qui est elle-même la conséquence de son avancement moral, on comprendra dès lors comment l'être est l'artisan de son propre malheur ou de sa félicité, de son abaissement ou de son élévation. L'homme crée lui-même sa destinée par ses actes : la répartition des facultés et des vertus n'est que le résultat mathématique des mérites, des efforts, des longs travaux de chacun de nous.
L'homme a deux corps, disions-nous, mais ces corps ne sont que des enveloppes, des vêtements, l'un subtil et persistant, l'autre grossier et de courte durée. C'est l'âme de l'homme qui est son moi pensant et conscient.
Nous appelons Esprit l'âme revêtue de son corps fluidique. L'âme est le centre de vie du périsprit, comme celui-ci est le centre de vie de l'organisme physique. C'est elle qui sent, pense et veut ; le corps physique, joint au corps fluidique, constitue le double organisme à l'aide duquel elle agit sur le monde de la matière.
La mort est l'opération par laquelle ces éléments se séparent. Le corps physique se désagrège et retourne à la terre. L'âme, revêtue de sa forme fluidique, se retrouve libre, indépendante, telle qu'elle s'est faite elle-même, intellectuellement et moralement, au cours des existences parcourues. La mort ne la change pas ; elle lui rend seulement, avec sa liberté, la plénitude de ses facultés, de ses connaissances, et le souvenir de ses vies antérieures. Elle lui ouvre les champs de l'espace. L'esprit s'élance ; il s'élève d'autant plus haut que son essence est plus affinée, moins chargée des éléments impurs qu'y accumulent les passions terrestres et les habitudes matérielles.
Il y a donc pour l'esprit humain trois états de vie : la vie dans la chair, l'état de dégagement ou de désincarnation partielle dans le sommeil, la vie libre de l'espace. Ces états correspondent aux milieux dans lesquels l'âme doit travailler à sa progression constante : le monde matériel et le monde fluidique ou supérieur. C'est en les parcourant à travers les siècles sans nombre, qu'elle poursuit la réalisation en elle et autour d'elle du beau, du vrai, du bien, et conquiert l'amour qui la rapproche de Dieu.

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La loi de la destinée - les considérations qui précèdent nous le font comprendre - consiste dans le développement progressif de l'âme, qui édifie sa personnalité morale et crée elle-même son propre avenir : c'est l'évolution rationnelle de tous les êtres, partis du même point pour aboutir aux mêmes sommets, aux mêmes perfections. Cette évolution se poursuit alternativement dans l'espace et à la surface des mondes, à travers des existences innombrables, reliées entre elles par la loi de cause à effet. La vie présente est, pour chacun de nous, l'héritage du passé et l'enfantement de l'avenir. C'est une école et un champ de labeur ; la vie de l'espace, qui la suit, en est la résultante. L'esprit y récolte, dans la lumière, ce qu'il a semé dans l'ombre et, souvent, dans la douleur.
L'esprit se retrouve dans l'Au-delà avec ses acquisitions intellectuelles et morales, ses qualités et ses défauts, ses tendances, ses penchants, ses affections. Ce que nous sommes moralement en ce monde, nous le sommes encore dans l'autre ; de là vient notre bonheur ou notre souffrance. Nos jouissances sont d'autant plus vives que nous nous sommes mieux préparés à cette vie de l'espace, où l'esprit est tout et la matière peu de chose, où il n'y a plus de besoins physiques à satisfaire, plus d'autres joies que celles de l'intelligence et du coeur.
Pour les âmes attirées vers la matière, la vie de l'espace est une vie de privations et de misère ; c'est l'absence de tout ce qui peut leur plaire. Les esprits qui ont su s'affranchir des habitudes matérielles et vivre par les hautes facultés de l'âme y trouvent, au contraire, un milieu conforme à leurs goûts, un vaste champ ouvert à leur activité. Il n'y a là, en réalité, qu'une large application de la loi des attractions et des affinités, rien que les conséquences naturelles de nos actes, qui retombent sur nous.
Le développement graduel de l'être ouvre en lui des sources de plus en plus abondantes d'impressions et de sensations. A chaque conquête sur le mal, à chaque progrès nouveau, son cercle d'action s'étend, l'horizon de sa vie s'élargit. Après les sombres régions terrestres où règnent les vices, les passions, les fureurs, s'ouvrent pour lui les profondeurs étoilées, les mondes de lumière avec leurs enchantements, leurs splendeurs, leurs enivrantes harmonies. Après les vies d'épreuves, de larmes, de sacrifices, la vie heureuse, la joie des divines affections, les missions bénies au service de l'éternel Créateur.
Par contre, le mauvais usage de nos facultés, la recherche des jouissances physiques, des satisfactions égoïstes, resserre nos horizons, accumule l'ombre en nous et autour de nous. Dans ces conditions, la vie de l'espace ne nous offre plus que ténèbres, gêne, inquiétude, avec la vision vague et confuse des âmes heureuses, le spectacle d'une félicité que nous n'avons pas su mériter.
L'âme, après un temps de repos dans l'espace, renaît dans la condition humaine ; elle y apporte les réserves et les acquis de ses vies antérieures. Par là s'expliquent les inégalités intellectuelles et morales qui différencient les habitants de notre monde. La supériorité native de certains hommes découle de leurs oeuvres passées. Nous sommes de plus jeunes ou de plus vieux esprits ; nous avons plus ou moins travaillé, plus ou moins acquis de vertus et de savoir. Ainsi, la variété infinie des caractères, des aptitudes et des goûts cesse d'être une énigme.
Cependant, l'âme réincarnée ne peut pas toujours utiliser dans leur plénitude ses puissances et ses facultés. Elle dispose ici-bas d'un organisme très imparfait, d'un cerveau qui n'a enregistré aucun des souvenirs d'autrefois. Elle ne peut trouver en eux toutes les ressources nécessaires à la manifestation de ses énergies cachées. Pourtant le passé reste en elle ; ses intuitions et ses tendances en sont la révélation sensible.
Les facultés innées chez certains enfants, les jeunes prodiges : artistes, musiciens, peintres, savants, sont des témoignages éclatants de l'existence de cette loi. Parfois aussi des âmes géniales et orgueilleuses renaissent en des corps infirmes, souffreteux, pour s'humilier et acquérir les vertus qui leur manquaient : patience, soumission, résignation.
Toutes les existences pénibles, les vies de lutte et de souffrance s'expliquent par les mêmes raisons. Ce sont là des formes transitoires, mais nécessaires, de la vie immortelle ; chaque âme les connaîtra à son tour. L'épreuve et la souffrance sont autant de moyens de réparation, d'éducation, d'élévation ; c'est par elles que l'être efface un passé coupable et regagne le temps perdu. Par elles, les caractères se trempent, l'expérience s'acquiert, l'homme se prépare à des ascensions nouvelles. L'âme qui souffre cherche Dieu, songe à le prier, et par cela même se rapproche de Lui.
En revenant en ce monde, chaque être humain perd le souvenir de son passé ; celui-ci, enregistré dans le périsprit, disparaît momentanément sous l'enveloppe charnelle. C'est là une nécessité physique ; c'est là aussi une des conditions morales de l'épreuve terrestre que l'esprit vient de nouveau affronter ; revenu à l'état libre, dégagé de la matière, il retrouve la mémoire des nombreuses étapes parcourues.
Cet oubli temporaire de nos existences antérieures, ces alternances de lumière et d'obscurité qui se produisent en nous, tout étranges qu'ils paraissent à première vue, s'expliquent aisément. Si la mémoire actuelle ne nous permet pas de nous rappeler nos plus jeunes années, il n'est pas étonnant que nous ayons oublié des vies séparées entre elles par un long séjour dans l'espace. Les états de veille et de sommeil, par lesquels nous passons chaque jour, de même que les expériences de somnambulisme et d'hypnotisme, nous prouvent que l'on peut oublier momentanément son existence normale, sans perdre pour cela sa personnalité. Des éclipses de même nature touchant nos existences passées n'ont donc rien d'invraisemblable. Notre mémoire se perd et se ressaisit à travers l'enchaînement de nos vies, comme pendant la succession des jours et des nuits qui composent l'existence actuelle.
Au point de vue moral, le souvenir de nos vies précédentes causerait, ici-bas, de profondes perturbations. Tous les criminels renaissant pour se racheter seraient reconnus, rejetés, méprisés ; eux-mêmes seraient terrifiés et comme hypnotisés par leurs propres souvenirs. La réparation du passé serait rendue impossible ; l'existence deviendrait insupportable. Il en serait de même, à des degrés divers, de tous ceux dont le passé est souillé. Les souvenirs antérieurs introduiraient dans la vie sociale des causes de haine, des éléments de discorde, qui aggraveraient la situation de l'humanité et rendraient toute amélioration irréalisable. Le lourd fardeau des erreurs et des fautes, la vue des actes honteux inscrits sur les pages de son histoire, accableraient l'âme et paralyseraient son initiative. Dans ceux qui l'entourent elle pourrait reconnaître des ennemis, des persécuteurs, des rivaux ; elle sentirait se réveiller et s'attiser en elle les mauvaises passions que sa nouvelle existence a pour but de détruire, ou tout au moins d'atténuer.
La connaissance des existences passées perpétuerait en nous, non seulement la succession des faits qui les composent, mais encore les habitudes routinières, les vues étroites, les manies puériles, obstinées, afférentes aux diverses époques, et qui opposent un grand obstacle à l'essor de l'humanité. On en trouve encore les traces chez beaucoup d'incarnés. Que serait-ce, sans l'oubli qui nous dégage momentanément de ces entraves et permet à une éducation nouvelle de nous réformer, de nous préparer à des tâches plus hautes ?
Quand on considère mûrement toutes choses, on reconnaît que l'effacement temporaire du passé est indispensable à l'oeuvre de réparation, et que la Providence, en nous privant ici-bas de nos lointains souvenirs, a tout disposé avec une profonde sagesse.
Les âmes s'attirent en raison de leurs affinités ; elles forment des groupes ou familles dont les membres se suivent et s'entraident, à travers leurs incarnations successives. Des liens puissants les unissent ; de nombreuses vies, parcourues en commun, leur procurent ces similitudes de vues et de caractère que l'on rencontre dans tant de familles. Il est des exceptions. Certains esprits changent parfois de milieu pour progresser plus rapidement. En ceci, comme dans tous les actes importants de la vie, il y a une part réservée à la libre volonté de l'être, qui peut, dans une certaine mesure, et selon son degré d'élévation, choisir la condition où il renaîtra ; il y a aussi la part du destin ou de la loi divine qui, d'en haut, fixe l'ordre des renaissances.

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La pluralité des existences de l'âme et son ascension sur l'échelle des mondes constituent le point essentiel des enseignements du spiritisme moderne. Nous avons vécu avant la naissance et nous revivrons après la mort. Nos vies sont les étapes successives du grand voyage que nous poursuivons dans notre marche vers le bien, vers la vérité, vers la beauté éternelle.
Par la doctrine des préexistences et des réincarnations, tout se lie, s'éclaire, se comprend ; la justice divine apparaît ; l'harmonie se fait dans l'univers et dans la destinée.
L'âme n'est plus formée de toutes pièces par un Dieu capricieux, qui distribue, au hasard de son bon plaisir, le vice ou la vertu, le génie ou l'imbécillité ; créée simple et ignorante, elle s'élève par ses propres oeuvres, s'enrichit elle-même en récoltant dans le présent les fruits de ses vies antérieures, et elle sème pour ses vies futures.
L'âme construit donc sa propre destinée degré à degré, elle monte, de l'état inférieur et rudimentaire jusqu'à la plus haute personnalité, de l'inconscience du sauvage jusqu'à la supériorité de ces êtres sublimes qui illuminent la route de l'histoire et passent sur terre comme un rayon divin.
Ainsi considérée, la réincarnation devient une vérité consolante et fortifiante, un symbole de paix entre les hommes ; elle montre à tous la voie du progrès, la grande équité d'un Dieu qui ne punit pas éternellement, mais permet au coupable de se racheter par la douleur. Bien qu'inflexible, cette loi sait proportionner la réparation à la faute et, après le rachat, elle nous montre le relèvement. Elle resserre la fraternité humaine, en apprenant à ceux qui pourraient être choqués par les inégalités sociales et les différences de condition, qu'en réalité tous les hommes ont la même origine et le même avenir. Il n'y a ni déshérités, ni favorisés, puisque le résultat final sera le même pour tous, si tous savent le conquérir.
La loi de réincarnation met un frein aux passions, en nous montrant les conséquences de nos actes, de nos paroles, de nos pensées, rejaillissant sur notre vie présente et sur nos vies futures, pour y semer des germes de malheur ou de félicité. Par elle, chacun apprend à veiller sur soi-même, à se tenir sur ses gardes, à préparer soigneusement l'avenir.
L'homme qui a compris toute la grandeur de cette doctrine ne pourra plus accuser Dieu d'injustice et de partialité. Il saura que chacun est à sa place en ce monde, que toute âme est assujettie aux épreuves qu'elle a méritées ou désirées. Il remerciera l'Eternel de lui donner, par les renaissances, le moyen de réparer ses fautes et d'acquérir, par un travail constant, une parcelle de sa puissance, un reflet de sa sagesse, une étincelle de son amour.
Telle est la destinée de l'âme humaine, née dans la faiblesse, dans la pénurie des facultés et des moyens d'action, mais appelée, en s'élevant, à réaliser la vie en elle dans sa plénitude, à conquérir toutes les richesses de l'intelligence, toutes les délicatesses du sentiment, à devenir un jour collaboratrice de Dieu.
C'est là le rôle de l'être et son but grandiose ; collaborateur de Dieu, c'est-à-dire destiné à réaliser autour de lui, par des missions de plus en plus imposantes, l'ordre, la justice, l'harmonie ; à attirer à lui ses frères inférieurs, à les entraîner vers les sommets divins, à monter avec eux, de cercle en cercle, vers l'objectif suprême, vers Dieu, vers l'Etre parfait, loi vivante et consciente de l'univers, foyer éternel d'amour et de vie.
Cette participation à l'oeuvre infinie est d'abord bien inconsciente ; l'être collabore sans le savoir, et souvent sans le vouloir, à l'ordre universel ; puis, à mesure qu'il parcourt sa voie, cette collaboration devient de plus en plus consciente. Peu à peu sa raison s'éclaire ; l'âme saisit l'harmonie profonde des choses ; elle en pénètre les lois et s'y associe étroitement par ses actes. Plus ses facultés se développent, plus ses qualités affectives s'accroissent, et plus s'affirme et s'accentue sa participation au divin concert des êtres et des mondes.
Cette ascension de l'âme, édifiant elle-même son avenir et conquérant ses grades, ce spectacle de la vie individuelle et collective qui se déroule d'étapes en étapes à la surface des terres de l'espace, progressant et se perfectionnent toujours pour s'élever vers Dieu, nous font mieux comprendre l'utilité de la lutte, la nécessité de la douleur pour l'éducation et l'épuration des êtres.
Toutes les âmes qui vivent dans les régions matérielles sont plongées dans une sorte de léthargie. Leur intelligence engourdie sommeille, ou bien, indifférente, elle flotte à tous les vents de la passion. Bien peu entrevoient le but. Il faut pourtant que ces âmes s'éveillent à la vérité, que ces intelligences s'ouvrent aux sensations du bien et du beau. Toutes doivent atteindre les mêmes hauteurs, éclore et s'épanouir sous les rayons du soleil divin. Or, que serait une existence unique, isolée, pour l'accomplissement d'un tel labeur ? D'où la nécessité des étapes nombreuses, des vies de difficultés et d'épreuve, afin que ces âmes s'affinent et que les puissances endormies en elles se réveillent, entrent en action.
C'est par l'aiguillon de la lutte et des besoins, par la joie et la douleur, par les soucis, les regrets, les remords dont la vie humaine est tissée, c'est à travers les chutes et les relèvements, les reculs et les ascensions, les coups d'ailes dans l'azur et les descentes brusques dans l'abîme, c'est par toutes ces alternatives que l'âme se développe, que les humanités sortent de leur gangue de bestialité et d'ignorance. Par la souffrance les âmes s'épurent, s'ennoblissent, s'élèvent à la haute conception des lois et des choses, s'ouvrent à la pitié, à la bonté.
Ainsi se résout le problème du mal. Le mal n'est qu'un effet de contraste ; il n'a pas d'existence propre. Le mal est au bien ce que l'ombre est à la lumière. Nous n'apprécions celle-ci qu'après en avoir été privés ; de même, sans la peine nous ne pourrions connaître la joie ; sans la privation nous ne pourrions vraiment goûter le bien acquis, les satisfactions obtenues.
Tout, s'explique et s'éclaire dans l'oeuvre divine, quand on la considère de haut. La loi du progrès régit la vie infinie et fait la splendeur de l'univers. Les luttes de l'esprit contre la matière, son ascension par la douleur, telle est l'épopée grandiose que les cieux racontent à la terre, et que la voix des Invisibles répète à tous ceux qui ont soif de vérité. C'est l'enseignement qu'il faut répandre, afin de montrer à tous l'enchaînement des effets et des causes et, avec lui, la solidarité des êtres et l'amour divin qui enveloppe toute la création.
Envisagé ainsi, le problème de la destinée n'est plus que l'application logique et la consécration de cette loi d'évolution dont tant de penseurs, à notre époque, ont eu, suivant leur état d'esprit, ou l'intuition confuse ou la claire vision. C'est la loi supérieure qui régit toutes choses.

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Le plan général de l'univers nous est apparu dans l'exposé qui précède. Nous n'avons plus qu'à en préciser les points essentiels.
L'enseignement des Esprits nous montre partout l'unité de loi et de substance. Par cette unité, l'ordre et l'harmonie règnent dans l'oeuvre éternelle.
Le monde invisible ne se distingue du monde visible que par rapport à nos sens. L'invisible est la continuation, le prolongement naturel du visible. Dans leur unité, ils forment un tout inséparable ; mais c'est dans l'invisible qu'il faut chercher le monde des causes, le foyer de toutes les activités, de toutes les forces subtiles du Cosmos.
La force ou énergie, nous dit la science, meut la matière et dirige les astres dans leur course. Qu'est-ce que la force ? D'après la révélation nouvelle, elle n'est que l'agent, le mode d'action d'une volonté supérieure. C'est la pensée de Dieu, qui donne le mouvement et la vie à l'univers !
Tous ceux qui ont trempé leurs lèvres à la coupe du spiritualisme moderne savent que les grands Esprits de l'espace sont unanimes à reconnaître, à proclamer l'Intelligence suprême qui gouverne les mondes. Ils ajoutent que cette Intelligence se révèle plus éclatante à mesure que l'on gravit les degrés de la vie spirituelle. S'ils émettent des conceptions diverses, plus ou moins étendues sur l'Etre divin, c'est que les esprits, comme les hommes, sont inégalement développés et ne peuvent tous voir de la même manière.
Les écrivains et les philosophes spirites, depuis Allan Kardec jusqu'à nos jours, affirment tous l'existence d'une Cause immanente dans l'Univers.
« Il n'y a pas d'effet sans cause », - a dit Kardec - « et tout effet intelligent a forcément une cause intelligente ».
C'est l'axiome sur lequel repose le Spiritisme tout entier. Appliqué aux manifestations d'outre-tombe, il démontre l'existence des esprits. De même, si nous l'appliquons à l'étude du monde et des lois universelles, il démontrera la nécessité d'une cause intelligente. C'est pourquoi l'existence de Dieu constitue un des points essentiels de l'enseignement spirite. Il suffit de constater qu'il y a de l'intelligence et de la conscience dans les êtres créés, pour les retrouver dans la source créatrice, dans cette Unité suprême qui n'est pas la cause première, comme le disent les uns, ni une cause finale, comme le pensent les autres, mais la Cause éternellement agissante d'où émane toute vie.
La solidarité qui relie tous les êtres n'a d'autre centre que cette Unité universelle et divine ; tous les rapports viennent aboutir en elle pour s'y fondre et s'harmoniser. Par elle seule nous pouvons connaître le but de la vie et ses lois, puisqu'elle est la raison d'être et la loi vivante de l'univers. Elle est en même temps la base et la sanction de toute morale. Dès que l'on étudie le problème de l'Au-delà, la situation de l'esprit après la mort, on se trouve en présence d'un état de choses réglé par une loi de justice, qui s'exécute d'elle-même, sans tribunal et sans jugement, mais à laquelle n'échappe aucune de nos pensées, aucun de nos actes. Et cette loi, qui révèle une Intelligence directrice du monde moral, est en même temps la source de toute vie, de toute lumière, de toute perfection.
L'idée de loi est inséparable de l'idée d'intelligence. Sans cette notion, les lois universelles seraient dénuées de point d'appui. On nous parle souvent des lois aveugles de la nature. Que signifie cette expression ? Des lois aveugles ne pourraient agir qu'au hasard. Le hasard, c'est l'absence de plan, de direction intelligente ; c'est la négation même de toute loi. Le hasard est incapable de réaliser l'unité et l'harmonie ; il produit seulement l'incohérence et la confusion. Aussi une loi ne peut être que la manifestation d'une intelligence souveraine, l'oeuvre d'une pensée supérieure. C'est la pensée seule qui a pu disposer, agencer, combiner toutes choses dans l'univers. Et la pensée exige l'existence d'un être qui en est le générateur.
Les lois universelles ne sauraient reposer sur une chose aussi mobile et changeante que le hasard. Elles doivent nécessairement s'appuyer sur un principe immuable, ordonnateur et régulateur. Privées du concours d'une volonté directrice, ces lois seraient aveugles, au sens des matérialistes ; elles iraient à la dérive, elles ne seraient plus des lois.
Tout, les forces et les êtres, les mondes et les humanités, tout est gouverné par l'intelligence. L'ordre et la majesté de l'univers, la justice, l'amour, la liberté, tout repose sur des lois éternelles, et il n'y a pas de lois éternelles sans une raison supérieure, source de toute loi. C'est pourquoi aucun être, aucune société ne peut se développer et progresser sans l'idée de Dieu, c'est-à-dire sans justice ni amour, sans liberté ni raison, car Dieu, représentant l'éternité et la perfection, est la base essentielle de tout ce qui fait la beauté, la grandeur de la vie, la magnificence de l'univers.
Bien des malentendus ont divisé le monde sur ces questions ; le spiritualisme moderne vient les dissiper. Jusqu'ici, les matérialistes cherchaient le secret de la vie universelle où il n'est pas : dans les effets ; les chrétiens, de leur côté, le cherchaient en dehors de la nature. Nous comprenons aujourd'hui que la cause éternelle du monde n'est pas extérieure au monde ; elle lui est intérieure ; elle en est l'âme, le foyer, comme notre âme est le foyer de la vie en nous.
L'ignorance de ces choses est la principale cause de nos errements ; elle pousse l'homme et la société à des actes dont les conséquences accumulées les écrasent.
Trop longtemps, on a considéré l'oeuvre divine et les lois supérieures au point de vue étroit de la vie présente et du cadre restreint de la terre, sans comprendre que c'est dans l'enchaînement de nos vies successives et dans la collectivité des mondes, que se révèlent l'universelle harmonie, l'absolue justice et la grande loi de l'évolution des êtres vers Dieu, le Bien parfait.
L'oeuvre divine ne saurait être mesurée ni dans le temps, ni dans l'étendue. Elle s'épanouit dans les cieux en gerbes de soleils, et se manifeste sur terre aussi bien dans l'humble fleurette que dans les géants des forêts. Dieu est infini ; la création est éternelle. On ne peut se figurer la création sortie du néant, car le néant n'est pas ! Dieu n'a rien pu tirer d'un impossible néant, ni rien créer en dehors de son infinité. La création est incessante ; l'univers, immuable dans son tout, est en voie de transformation constante dans ses parties.
Avec tous ses mondes visibles et invisibles, ses espaces célestes, ses populations planétaires et sidérales, l'univers nous représente un immense atelier, où tout ce qui se meut et respire travaille à la production, à l'entretien et au développement de la vie. Chaque globe roulant dans l'étendue est la demeure d'une société humaine. La terre n'est qu'une des plus chétives planètes de la grande hiérarchie des mondes ; la société terrestre, une des plus inférieures. Mais elle-même se perfectionnera, et notre sphère deviendra un séjour heureux. De plus nobles aspirations porteront l'humanité dans les voies de la rénovation graduelle et du progrès moral.
Tout se transforme et se renouvelle par le rythme incessant de la vie et de la mort. Tandis que des astres s'éteignent, d'autres s'allument au sein des espaces. C'est ce qui a fait dire au poète qu'il y a des berceaux et des tombes dans le ciel. Comme l'homme, les mondes naissent, vivent et meurent ; les univers se dissolvent, toutes les formes passent et s'évanouissent, mais la vie infinie subsiste dans son éternelle splendeur.
De même, la chaîne de nos existences déroule, dans la suite des siècles, ses anneaux ternes ou brillants. Les événements se suivent, sans liaison apparente, et cependant l'infaillible Justice en fixe le cours d'après des règles immuables. Tout se relie, dans le domaine moral comme dans l'ordre matériel.
Un plan admirable s'exécute : Dieu seul en connaît l'ensemble. Nous n'en voyons que quelques lignes, et cette vue est un éblouissement. Cette compréhension des choses divines s'accroîtra avec nos progrès, à mesure que nos facultés et nos sens, en grandissant, nous ouvriront des perspectives nouvelles sur les mondes supérieurs.
Comparez les conceptions du passé : la terre, centre de l'univers, seule planète habitée ; l'unique et courte vie de l'homme, perdue dans l'infini des temps et d'après laquelle il est jugé, et son sort fixé pour l'éternité ; comparez-les à cette révélation des espaces, à cet univers sans bornes, peuplé de soleils, avec leurs cortèges de mondes secondaires, les cités, les peuples, les humanités innombrables qui les couvrent, avec les civilisations variées et les oeuvres merveilleuses que l'esprit y enfante. Pensez à cet avenir de l'âme, destinée à renaître de vies en vies sur ces mondes, à les gravir un à un, comme les degrés d'une colossale ascension, participant à des états sociaux tellement supérieurs aux nôtres que rien, dans nos faibles conceptions terrestres, ne peut nous en donner l'idée. Et l'âme, dans ses pérégrinations infinies, acquiert toujours des qualités nouvelles, des puissances grandissantes, qui la rendront apte à jouer un rôle de plus en plus élevé.
Ainsi, ni élus, ni réprouvés. L'humanité ne se divise pas en deux parties : ceux qui sont sauvés et ceux qui sont perdus. Le chemin du salut par le progrès est ouvert à tous. Tous le parcourent d'étapes en étapes, de vies en vies ; tous s'élèvent vers la paix et la félicité, par le travail et par l'épreuve. Toutes les âmes sont perfectibles et susceptibles d'éducation ; elles doivent parcourir les mêmes voies et parvenir de la vie inférieure à la plénitude du savoir, de la sagesse et de la vertu. Elles ne sont pas également avancées, mais toutes graviront, tôt ou tard, les pentes ardues conduisant aux sommets radieux que baigne l'éternelle lumière.
La pensée divine préside à cet ordre majestueux ; elle veille à l'accomplissement de ses lois, à l'évolution de la vie renaissante. Au-dessus de tout, règne la Puissance infinie, qui anime l'univers de son souffle et le réchauffe de son amour.

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Bien des hommes ferment leur âme à la conception de Dieu ; ils se refusent à voir, à admettre la Puissance éternelle qui rayonne à travers la nature entière. D'autres nous objectent parfois qu'il y a des lacunes, des tâtonnements, des erreurs même dans l'oeuvre universelle. Nous sommes disposés à croire que c'est là surtout une conséquence de notre incompréhension ou de notre ignorance, et que ces erreurs apparentes s'évanouiraient devant une connaissance plus approfondie des choses.
Le soleil brille sur les eaux ; ses rayons tremblants caressent la vague endormie. Du ciel, il vient éclairer la mer apaisée ; il allume des millions d'étincelles à la crête des flots. Tout être qui se meut au sein des eaux peut l'apercevoir. Il lui suffit de faire effort pour quitter les profondeurs et se baigner dans ses rayons. S'il refuse de quitter sa sombre demeure, s'il se complaît dans ses ténèbres, le rayon n'en existera-t-il pas moins ?
Il en est ainsi du grand Foyer divin. Sans la pensée de Dieu qui illumine les profondeurs du Cosmos, sans cette impérissable lumière, tout resterait noyé dans l'ombre. Mais cette pensée n'apparaît dans tout son éclat qu'aux êtres devenus dignes de la comprendre, à ceux dont le sens intime s'est ouvert à la grande voix de l'infini, à ce souffle qui passe sur les mondes, féconde les âmes et les univers.
Dieu, dans sa pure essence, nous disent les Esprits, est comme un océan de flamme. Dieu n'a pas de forme, mais il peut en revêtir une pour apparaître à ses élus. C'est la récompense accordée aux grands dévouements, aux existences de sacrifice et de renoncement. Il y a là une sorte de matérialisation, bien différente de tout ce que nous pouvons supposer. Même sous cet aspect sensible, la majesté de Dieu est telle, que les plus purs Esprits peuvent à peine en supporter l'éclat : ils ont le privilège de contempler la Divinité sans voile, et déclarent que le langage humain est trop pauvre pour permettre de donner une description, si affaiblie fût-elle, du Foyer divin.
Dieu voit tout, connaît tout, jusqu'aux plus secrètes pensées. Comme l'esprit est partout dans le corps, Dieu est partout dans l'univers, en rapport avec tous les éléments de la création. Son amour enveloppe et relie tous les êtres, dont il a fait, en les appelant à la vie, les artisans de son oeuvre éternelle. Sa sollicitude s'étend jusqu'aux plus humbles et aux plus obscurs, car tous sont issus de Lui. Aussi tous, à défaut d'une haute intelligence et d'une raison exercée, tous peuvent connaître et sentir Dieu par les puissances du coeur.
Ce qui caractérise par-dessus tout l'âme humaine, c'est le sentiment. Par là, l'homme s'attache à ce qui est bon, beau et grand, à ce qui deviendra son soutien dans le doute, sa force dans la lutte, sa consolation dans l'épreuve. Et tout cela révèle Dieu. Le beau et le bien ne se rencontrent en nous qu'à l'état partiel et borné ; ils ne peuvent exister qu'à la condition de retrouver leur source, leur principe, leur plénitude dans un Etre qui les possède à l'état supérieur, à l'état infini. C'est ce qu'ont senti instinctivement toutes les générations, toutes les multitudes qui reposent sous la poussière des âges. Les élans de leurs pensées sont montés, dans tous les temps, vers cet Esprit divin qui plane au-dessus de toutes les religions et de tous les systèmes, vers cette Ame du monde, honorée sous tant de noms divers, Cause unique, d'où tout émane, où tout retourne, éternellement.
Dieu est la grande Ame universelle, dont chaque âme humaine est un rayonnement, une étincelle. Chacun de nous possède, à l'état latent, des forces émanées du foyer divin ; il peut les développer en s'unissant étroitement à la cause dont il est l'effet. Par l'élévation de nos pensées vers Dieu, par la prière, jaillissant des profondeurs de l'être et reliant la créature au Créateur, il se produit une pénétration continue, une fécondation morale, un épanouissement des richesses cachées en nous. Mais l'âme humaine s'ignore elle-même, faute de connaissance et de volonté, elle laisse ses puissances intérieures endormies. Au lieu de commander à la matière, elle en subit trop souvent la domination ; là est la source de ses maux, de ses épreuves, de ses faiblesses.
C'est pourquoi le spiritualisme moderne vient dire à tous : Hommes, élevez-vous par la pensée au-dessus des choses terrestres ; élevez-vous assez haut pour comprendre que vous êtes les enfants de Dieu, assez haut pour sentir que vous êtes reliés à Lui, à son oeuvre immense, destinés à un but près duquel tous les autres sont secondaires ; et ce but, c'est l'entrée dans la grande communion, dans la sainte harmonie des êtres et des mondes, qui ne se réalise qu'en Dieu et par Dieu !
XI. - RENOVATION
Comme nous croyons l'avoir établi dans les pages qui précédent, le spiritualisme moderne repose sur des témoignages universels. Il s'appuie sur des faits d'expérience, observés sur tous les points du globe, par des hommes de toute condition, parmi lesquels des savants appartenant à toutes les grandes universités et à plusieurs académies célèbres. C'est grâce à eux, grâce à leurs efforts, que la science contemporaine, malgré ses hésitations et ses répugnances, a été amenée peu à peu à s'intéresser à l'étude du monde invisible.
D'année en année, le nombre des expérimentateurs s'est accru. Les enquêtes ont succédé aux enquêtes et, toujours, les résultats ont démontré l'exactitude des affirmations antérieures. De ces observations, multipliées à l'infini, s'est dégagée une certitude : celle de la survivance de l'être humain et, avec elle, des notions plus précises sur les conditions de la vie future.
Par l'étude attentive des phénomènes, par la communication permanente établie avec l'Au-delà, le spiritisme est venu confirmer les grandes traditions du passé, les enseignements de toutes les religions, de toutes les philosophies élevées, touchant l'immortalité de l'être et l'existence d'une Cause ordonnatrice de l'univers. Il leur a donné une sanction définitive. Ce qui, jusqu'alors, n'était qu'hypothèse et spéculation de la pensée, devient un fait acquis. La vie future se montre dans sa réalité saisissante ; la mort a perdu son aspect effrayant ; le ciel s'est rapproché de la terre.
Le spiritualisme a fait plus. De cet ensemble d'études et de constatations, de cette enquête poursuivie depuis un demi-siècle, de toutes les révélations qui en découlent il a constitué un enseignement nouveau, dégagé de toute forme obscure ou symbolique, facilement accessible, même aux plus humbles, et qui ouvre aux érudits et aux penseurs de vastes perspectives sur les hauts degrés de la connaissance, sur la conception d'un idéal supérieur.
Cet enseignement peut donner satisfaction à tous, aux esprits les plus raffinés comme aux plus modestes, mais il s'adresse surtout à ceux qui souffrent, à ceux qui ploient sous une lourde tâche ou de pénibles épreuves, à tous ceux qui ont besoin d'une foi virile qui les soutienne dans leur marche, dans leurs travaux, dans leurs douleurs. Il s'adresse à la foule des humains, à cette foule devenue incrédule et méfiante à l'égard de tout dogme, de toute croyance religieuse, car elle reconnaît avoir été abusée pendant des siècles. Cependant, il subsiste toujours en elle des aspirations confuses vers le bien, un besoin inné de progrès, de liberté et de lumière qui facilitera l'éclosion de l'idée nouvelle et son action régénératrice.
Le spiritualisme expérimental répond à ces besoins innés de l'âme humaine, qu'aucune autre doctrine n'avait pu satisfaire entièrement. Par la loi des existences successives, il nous montre la justice réglant la destinée de tous les êtres. Avec elle, plus de grâces particulières ni de privilèges, plus de rédemption par le sang d'un juste, plus de déshérités ni de favorisés. Tous les esprits qui peuplent l'immensité, disséminés dans l'espace ou sur les mondes matériels, sont fils de leurs oeuvres ; toutes les âmes qui animent des corps de chair ou attendent des incarnations nouvelles, sont de même origine et appelées au même avenir. Les mérites, les vertus acquises, seuls les distinguent, mais toutes peuvent s'élever par leurs efforts et parcourir la voie des perfectionnements infinis. Les esprits en marche vers un but commun forment une même famille, subdivisée en nombreux groupements sympathiques, en associations spirituelles, dont la famille humaine n'est qu'un reflet, une réduction, et dont tous les membres se suivent et s'entraident à travers leurs multiples existences, vivant alternativement de la vie terrestre ou de la vie libre des espaces, et se rejoignant tôt ou tard.
La mort perd ainsi le caractère lugubre, terrifiant qu'on lui prêtait jusqu'ici. Elle n'est plus le « roi des épouvantements », mais plutôt une renaissance, une des conditions de l'accroissement et du développement de la vie. Toutes nos existences se relient et forment un ensemble. La mort n'est que le passage de l'une à l'autre ; pour le sage, pour l'homme de bien, c'est la porte d'or qui s'ouvre sur des horizons plus beaux.
Quand les préjugés qui hantent nos cerveaux se seront évanouis, l'homme comprendra la beauté sereine et la majesté de la mort. C'est une erreur de croire qu'elle nous éloigne de ceux qui nous sont chers. Grâce au spiritisme, nous avons la consolation de savoir que les êtres aimés qui nous ont devancés dans l'Au-delà veillent sur nous et nous guident dans la voie obscure de l'existence. Ils sont souvent à nos côtés, invisibles, prêts à nous assister dans la détresse, à nous secourir dans le malheur. Cette certitude nous donne le calme d'esprit, la force morale dans l'épreuve. Leurs communications, leurs messages, adoucissent pour nous les amertumes du présent, les tristesses d'une séparation qui n'est qu'apparente. Les enseignements des Esprits développent nos connaissances et nos sentiments élevés. Ils tendent à nous rendre meilleurs, plus confiants dans l'avenir et dans la bonté de Dieu.
Ainsi se réalise et se révèle à nos yeux la loi de fraternité et de solidarité qui relie tous les êtres, et dont l'humanité a toujours eu l'intuition. Plus de salut personnel, plus de jugement inexorable, qui fixe à jamais l'âme loin de ceux qui lui sont chers, mais la réparation toujours possible, avec l'assistance de nos frères de l'espace, l'union des êtres dans leur ascension collective et éternelle.
Les ressources que cette révélation vient offrir nous garantissent contre les défaillances, les tentations, les pensées mauvaises, qui pourraient nous assaillir, et dont nous nous garderons avec d'autant plus de soin qu'elles seraient un sujet d'affliction pour les membres de notre famille spirituelle, pour nos invisibles amis.
Avec le matérialisme, la fraternité n'était qu'un mot, l'altruisme une théorie sans racines et sans portée. Privé de foi dans l'avenir, l'homme concentrait forcément toute son attention sur le présent et les jouissances qu'il peut contenir. En dépit de toutes les sollicitations des théoriciens et des sophistes, il se sentait peu disposé à sacrifier sa personnalité, ses intérêts ou ses goûts, au profit d'une collectivité passagère, à laquelle l'attachaient des liens formés d'hier et que demain dénouera. Si la mort est la fin de tout, pensait-il, pourquoi s'imposer des privations que rien ne viendra compenser ? A quoi bon la vertu et le sacrifice, si tout doit aboutir au néant ?
Le résultat inévitable de telles doctrines était le développement de l'égoïsme, la recherche fiévreuse des richesses, la préoccupation exclusive des jouissances matérielles ; c'était le déchaînement des passions, des appétits furieux, des ardentes convoitises. Et de là, selon le degré d'éducation, les arrivistes ou les apaches. Sous l'action de ces souffles destructeurs, la société oscille sur ses bases et, avec elle, les notions de moralité, de fraternité, que le nouveau spiritualisme vient à point restaurer et consolider.
« La croyance à l'immortalité » - a dit Platon - « est le lien de toute société ; brisez ce lien, et la société se dissout. »
Notre époque, portée au doute et à la négation par des exagérations théologiques, perdait de vue cette idée salutaire. Le spiritualisme expérimental lui rend la foi évanouie, en l'appuyant sur des bases nouvelles et indestructibles.
La supériorité morale de la doctrine des Esprits s'affirme sur tous les points. Avec elle s'évanouit l'idée inique du péché d'un seul homme retombant sur tous. Il n'y a plus de déchéance, de chute collective ; les responsabilités sont personnelles. Quelle que soit sa condition en ce monde, qu'il soit né dans la misère et la souffrance, ou dépourvu d'avantages physiques et de brillantes facultés, l'homme sait qu'il ne subit pas un sort immérité, mais simplement les conséquences de ses agissements antérieurs. Parfois aussi, les maux qu'il endure sont le résultat de son libre choix, lorsqu'il les a acceptés comme un moyen d'avancement plus rapide .
Dès lors, la sagesse consiste à accepter notre sort sans murmures, à remplir fidèlement notre tâche, à nous préparer ainsi à des situations qui iront s'améliorant, à mesure que, par nos progrès, nous obtiendrons l'accès de mondes meilleurs, affranchis des sujétions qui pèsent sur les sociétés terrestres.
Par la doctrine des Esprits, l'homme comprend enfin le but de l'existence et voit en elle un moyen d'éducation ou de réparation. Il cesse de maudire la destinée et d'accuser Dieu ; il se trouve délivré à la fois des cauchemars du néant et de l'enfer, comme des illusions d'un paradis oisif. La vie future n'est plus pour lui une béate et inutile contemplation, l'éternelle immobilité des élus ou le supplice sans fin des damnés. C'est l'évolution graduelle, c'est, après le cercle des épreuves et des transmigrations, le cercle du bonheur ; c'est toujours la vie active, la conquête par le travail d'une somme croissante de science, de puissance et de vertu, c'est une participation progressive à l'oeuvre divine, sous la forme de missions variées, missions de dévouement et d'enseignement, au service des humanités.

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Tout le monde aujourd'hui reconnaît la nécessité d'une éducation morale, susceptible de régénérer la société et d'arracher la France à un état de décadence qui, en s'accentuant, menacerait d'aboutir à la chute et à la ruine.
On a cru longtemps avoir fait assez en répandant l'instruction ; mais l'instruction sans l'enseignement moral est impuissante et stérile. Avant tout, il faut faire de l'enfant un homme, un homme comprenant ses devoirs comme il comprend ses droits. Il ne suffit pas de développer les intelligences ; il faut former les caractères, fortifier les âmes et les consciences. Les connaissances doivent être complétées par des lumières qui éclairent l'avenir et précisent la destinée de l'être. Pour renouveler une société, il faut des hommes nouveaux et meilleurs. Sans cela, toutes les réformes économiques, toutes les combinaisons politiques, tous les progrès intellectuels seront insuffisants. L'ordre social ne vaudra jamais que ce que nous valons nous-mêmes.
Mais cette éducation nécessaire, sur quoi l'appuiera-t-on ? Ce n'est pas sur des théories négatives ; elles ont causé en partie les maux du présent. Ce ne sera pas davantage sur des dogmes surannés, sur des doctrines mortes, sur des croyances toutes de surface et d'apparence, qui n'ont plus de racines dans les âmes.
Non ! l'humanité ne veut plus de symboles, de légendes, de mystères, plus de vérités voilées. Il lui faut la grande lumière, la splendide éclosion du vrai que le nouveau spiritualisme vient lui procurer.
Lui seul peut fournir à la morale une base définitive, et donner à l'homme moderne les forces nécessaires pour supporter dignement ses épreuves, en discerner les causes, réagir contre elles, accomplir en tout son devoir.
Avec cette doctrine, l'homme voit où il va ; son pas devient plus ferme, plus assuré. Il sait que la justice gouverne le monde, que tout s'enchaîne, que chacun de ses actes, bon ou mauvais, retombera sur lui à travers les temps. Dans cette pensée, il trouve un frein pour le mal, un stimulant puissant pour le bien.
Les messages des Esprits, la communion des vivants et des morts lui ont montré l'avenir d'outre-tombe dans sa réalité vivante ; il sait quel sort l'attend, quelles responsabilités lui incombent, quelles qualités il doit acquérir pour être heureux.
En effet, dès que les conditions de la vie future sont connues, le but de l'existence se précise, la règle de la vie présente se pose d'une manière impérieuse devant tout esprit soucieux de son avenir. Il comprend qu'il n'est pas venu ici-bas pour rechercher des plaisirs frivoles, pour satisfaire de vaines et puériles ambitions, mais pour développer ses qualités supérieures, corriger ses défauts, mettre en oeuvre tout ce qui peut contribuer à son élévation.
L'étude du spiritisme nous apprend que la vie est un combat pour la lumière ; la lutte et l'épreuve ne cesseront que par la conquête du bien moral. Cette pensée trempe les âmes ; elle les prépare aux grandes tâches, aux nobles actions. Avec le sens du vrai, elle éveille en nous la confiance. Nourris de ces préceptes, nous ne redouterons plus ni l'adversité, ni la mort. D'un coeur intrépide, à travers les coups du sort, nous avancerons dans la voie tracée ; sans faiblesse, sans regret, nous aborderons l'autre rive quand l'heure sera venue.
Aussi l'influence moralisatrice du spiritisme pénètre-t-elle peu à peu dans les milieux les plus divers, depuis les plus cultivés jusqu'aux plus obscurs et aux plus dégradés.
Nous en avons la preuve dans le fait suivant : dès 1888, les forçats du bagne de Tarragone (Espagne) envoyaient au Congrès spirite international de Barcelone une adresse touchante, faisant connaître toute l'étendue du secours moral que leur avait procuré la connaissance du spiritisme .
On peut constater aussi dans les centres ouvriers où le spiritisme est répandu, un adoucissement sensible des moeurs, une plus ferme résistance à tous les excès en général et aux théories anarchistes en particulier. Grâce aux conseils des Esprits, bien des habitudes vicieuses ont été réformées, bien des intérieurs troublés sont devenus paisibles. Leurs enseignements ont fait renaître dans ces milieux des vertus devenues rares aujourd'hui.
C'est un spectacle réconfortant, par exemple, que de voir tous les dimanches affluer à Jumet (Belgique), de tous les points du bassin de Charleroi, de nombreuses familles de mineurs spirites. Elles se groupent dans une vaste salle, où, après les préliminaires d'usage, elles écoutent, avec recueillement, les instructions que leurs guides invisibles leur font entendre par la bouche des médiums endormis. C'était par l'un d'eux, simple ouvrier mineur, peu lettré, s'exprimant habituellement en patois wallon, que se manifestait l'esprit du chanoine Xavier Mouls, prêtre de grande valeur et de haute vertu, à qui on doit la vulgarisation du magnétisme et du spiritisme dans les « corons  » du bassin. Mouls, après de cruelles épreuves et de dures persécutions, a quitté la terre, mais son esprit veille toujours sur ses chers mineurs. Tous les dimanches, il prenait possession des organes de son médium favori, et, après une citation des textes sacrés, avec une éloquence toute sacerdotale, il développait devant eux, en pur français, durant une heure, le sujet choisi, parlant au coeur et à l'intelligence de ses auditeurs, les exhortant au devoir, à la soumission aux lois divines. Aussi l'impression produite sur ces braves gens était grande. Il en est de même dans tous les milieux où le spiritisme est pratiqué d'une manière sérieuse par les humbles de ce monde.
Parfois, des esprits de mineurs, connus des assistants dont ils ont partagé l'existence laborieuse, viennent se manifester à eux. On les reconnaît facilement à leur langage, à leurs expressions familières, à mille détails psychologiques qui sont autant de preuves d'identité. Ils décrivent leur manière de vivre dans l'espace, les sensations éprouvées à la mort, les souffrances morales résultant d'un mauvais passé, d'habitudes pernicieuses contractées, de penchants à la médisance ou à l'alcoolisme, et ces descriptions émouvantes, pleines d'animation et d'originalité, exercent sur l'auditoire un grand effet moral, une vive et salutaire impression. De là, une transformation sensible dans les idées et dans les moeurs.
En considérant ces faits, déjà nombreux, et qui se multiplient chaque jour, on peut supputer, dès maintenant, le nombre considérable des pauvres âmes que le spiritisme a consolées et réconfortées. Il a préservé du suicide bien des désespérés ; en leur prouvant la réalité de la survivance et le sort qui les attendrait, il leur a rendu le courage et le goût de la vie.
Nous ne commettrons aucune exagération en disant que des milliers d'êtres humains, appartenant aux différentes confessions religieuses, catholiques et protestantes, et même des représentants officiels de ces religions, accablés par leurs épreuves ou la mort de leurs proches, ont trouvé dans la communion des morts, à la place d'une foi vague, une conviction précise, une confiance inébranlable en l'immortalité.
Voici ce qu'écrivait un pasteur protestant à Russell Wallace, académicien anglais, après avoir constaté la réalité des phénomènes spirites :
« La mort est pour moi maintenant une chose toute différente de ce qu'elle fut jadis ; après avoir subi un grand accablement, à la suite de la mort de mes fils, je suis actuellement plein de confiance et de gaieté ; je suis un autre homme . »
A l'encontre de ces témoignages, si éloquents dans leur simplicité, on pourrait objecter, il est vrai, les fraudes, les habitudes de supercherie, le charlatanisme et la médiumnité vénale, en un mot tous les abus engendrés dans bien des cas par une mauvaise pratique expérimentale du spiritisme, et dont nous avons déjà parlé.
Ceux qui se livrent à ces agissements prouvent par là même leur ignorance du spiritisme. S'ils en comprenaient les préceptes et les lois, ils sauraient ce que leur préparent des actes qui sont autant de profanations. Ils sauraient ce que l'on risque à faire d'une chose respectable et sacrée, à laquelle on ne doit toucher qu'avec recueillement et piété, un moyen vulgaire d'exploitation, un commerce éhonté.
On nous rappellera aussi l'influence des mauvais esprits, les communications apocryphes signées de noms fameux, les cas d'obsession et de possession. Mais ces influences se sont exercées, ces faits se sont produits dans tous les temps ; les hommes ont toujours été exposés - souvent sans en connaître les causes - aux méfaits des Invisibles d'ordre inférieur. L'étude du spiritisme vient précisément nous fournir les moyens d'écarter ces influences, d'agir sur les esprits malfaisants, de les ramener au bien par l'évocation et la prière.
En effet, l'action salutaire du spiritisme ne s'exerce pas seulement sur les hommes ; elle s'étend aux habitants de l'espace. Au moyen des rapports établis entre les deux mondes, les adeptes éclairés peuvent agir sur les esprits inférieurs et, par des paroles de consolation et de pitié, par de sages conseils, les arracher au mal, à la haine, au désespoir.
Et c'est là un devoir impérieux, le devoir de tout être supérieur envers ses frères arriérés, qu'ils appartiennent à un monde ou à l'autre ; c'est le devoir de l'homme de bien, que le spiritisme élève à la dignité d'éducateur et de guide des esprits ignorants ou pervers, envoyés vers lui pour être instruits, éclairés, améliorés. En même temps, aucun moyen n'est plus sûr pour assainir fluidiquement les approches de la terre, le milieu où vit et s'agite l'humanité.
C'est dans ce but que tout cercle spirite de quelque importance consacre une partie de ses séances à l'instruction et à la moralisation des âmes coupables. Par la sollicitude qui leur est témoignée, par de charitables avis et surtout au moyen de prières ferventes qui retombent sur eux en effluves magnétiques, il n'est pas rare de voir les esprits les plus endurcis, ramenés à des sentiments meilleurs, mettre d'eux-mêmes un terme aux pénibles obsessions dont ils assiégeaient leurs victimes.
Par sa conception erronée de la vie d'outre-tombe, par sa doctrine de la damnation éternelle, l'Eglise a longtemps entravé l'accomplissement ce devoir. Elle avait interdit tout rapport entre les hommes et les esprits, et creusé entre eux un abîme. Tous ceux qui, en quittant la terre, étaient considérés comme damnés pour leurs fautes, voyaient se fermer du côté des hommes toute issue, s'évanouir toute possibilité de rapprochement et, par suite, toute espérance de consolation et de secours moral.
Il en était de même du côté du ciel, car les Esprits élevés, par la nature subtile de leur enveloppe, par leurs fluides éthérés, peu en harmonie avec ceux des esprits inférieurs, éprouvent plus de difficultés que les hommes à communiquer avec eux, en raison de la différence d'affinités. Les pauvres âmes errantes, déchirées par l'angoisse, assaillies par les souvenirs poignants du passé, étaient abandonnées à elles-mêmes, sans qu'une pensée amie, comme un rayon de soleil, pût éclairer leurs ténèbres. Imbues, pour la plupart, de préjugés invétérés ; souvent pénétrées, par une fausse éducation, de l'idée des peines éternelles qu'elles croyaient subir, leur situation devenait horrible et suscitait parfois en elles des pensées de rage et de fureur, un besoin de vengeance qu'elles cherchaient à assouvir sur les hommes faibles ou enclins au mal.
L'action malfaisante de ces esprits s'accroissait par le fait même de leur abandon. Retenus par leurs fluides grossiers dans l'atmosphère terrestre, en contact permanent avec les humains accessibles à leur influence, et pouvant leur faire sentir la leur, ils n'avaient plus qu'un but, celui de faire partager aux hommes les tourments qu'ils ressentaient.
C'est pourquoi, pendant tout le moyen âge, époque à laquelle les relations avec le monde invisible sont interdites, considérées comme coupables et passibles de la peine du feu, on voit se multiplier, durant de longs siècles, les cas d'obsession, de possession, et s'étendre l'influence pernicieuse des esprits du mal. Au lieu de chercher à les ramener par des prières et des exhortations bienveillantes, l'Eglise n'a pour eux qu'anathèmes et malédictions ; elle ne procède que par voie d'exorcismes, moyen d'ailleurs impuissant, dont le seul résultat est d'irriter les esprits mauvais, de provoquer leurs réponses cyniques et impies, et les actes indécents ou odieux qu'ils suggèrent à leurs victimes.
En perdant de vue les pures traditions chrétiennes, en étouffant les voix du monde invisible par la menace des tortures et du bûcher, l'Eglise a méconnu la grande loi de solidarité qui unit toutes les créatures de Dieu dans leur ascension commune, et impose aux plus avancées l'obligation de travailler à instruire et à amender leurs soeurs inférieures. Pendant des siècles, elle a privé l'homme des secours, des lumières, des ressources inappréciables que procure la communion des Esprits élevés. Elle a privé les générations de ces échanges de tendresse avec les êtres aimés qui nous ont devancés dans l'autre vie, échanges qui sont la joie, la suprême consolation des affligés, des isolés sur la terre, de tous ceux qui souffrent des angoisses de la séparation. Elle a privé l'humanité de ce flot de vie spirituelle qui descend des espaces, retrempe les âmes, relève les coeurs défaillants et attristés.
Ainsi l'obscurité s'est faite peu à peu dans les cerveaux et dans les doctrines ; les vérités les plus éclatantes se sont voilées ; des conceptions enfantines ou odieuses ont pris naissance, faute de tout contrôle. Et le doute s'est répandu, l'esprit de scepticisme et de négation a envahi le monde .
Le spiritisme vient rétablir cette communion des âmes qui est une source de force et de lumière. En nous faisant connaître la vie future sous ses aspects véritables, il nous relie à toutes les puissances de l'infini et nous rend aptes à recevoir leurs inspirations. Les enseignements des Esprits supérieurs, les conseils de nos amis d'outre-tombe, exercent sur nous une impression plus profonde que toutes les exhortations tombées de la chaire, ou les leçons de la plus haute philosophie.
En nous montrant dans les esprits mauvais des âmes égarées, susceptibles de retour au bien ; en nous fournissant les moyens d'agir sur eux, d'améliorer leur sort, de préparer leur relèvement, le spiritisme fait cesser un antagonisme déplorable ; il rend impossible le retour des scènes de possession dont le passé est rempli. Il inspire à l'homme la seule attitude qui convienne envers les Esprits élevés qui sont ses maîtres et ses guides, envers les esprits inférieurs qui sont ses frères. Il le prépare à remplir dignement le rôle que lui impose la loi de solidarité et de charité qui relie tous les êtres.
On le voit, le spiritisme exerce dans tous les milieux son influence bienfaisante.
Dans l'espace, il améliore l'état des âmes arriérées, en permettant aux hommes éclairés de travailler à leur relèvement. Sur terre, il introduit dans l'ordre social des éléments puissants de moralisation, de conciliation et de progrès. En faisant la lumière sur les obscurs problèmes de la vie, il offre un remède efficace aux utopies dangereuses, aux ambitions déréglées, aux théories dissolvantes. Il apaise les haines, calme les passions ardentes et rétablit la discipline morale, sans laquelle ne sauraient exister ni paix ni harmonie parmi les hommes.
Aux cris menaçants, aux revendications tumultueuses qui parfois s'élèvent des foules, aux appels à la violence, aux malédictions contre le sort, la voix des Esprits vient répondre : Hommes, rentrez en vous-mêmes, apprenez à vous connaître, à discerner les lois qui régissent les sociétés et les mondes. Vous parlez sans cesse de vos droits ; sachez que vous possédez uniquement ceux que vous confère votre valeur morale, votre degré d'avancement. N'enviez pas la richesse ; elle impose de grands devoirs et de lourdes responsabilités. Ne recherchez pas la vie oisive et luxueuse ; le travail et la simplicité sont les meilleurs instruments de nos progrès et de notre bonheur à venir. Tout est réglé avec équité ; rien n'est laissé au hasard. La situation de l'homme ici-bas est celle qu'il s'est préparée lui-même. Supportez donc avec patience les maux nécessaires, par vous-mêmes choisis. La douleur est un moyen d'élévation ; la souffrance du présent répare les torts d'autrefois et enfante les félicités futures.
L'existence terrestre n'est qu'une page du grand livre de vie, un court passage reliant deux immensités, celle du passé à celle de l'avenir. Le globe que vous habitez est un simple point dans l'espace, un séjour inférieur, un lieu d'éducation, de préparation à des destinées plus hautes. Ne jugez donc pas, ne mesurez pas l'oeuvre divine avec la règle étroite et dans le cercle borné du présent. Comprenez que la justice éternelle n'est pas la justice des hommes ; elle ne peut être définie que par ses rapports avec l'ensemble de nos vies et l'universalité des mondes. Confiez-vous à la suprême Sagesse ; remplissez le rôle qu'elle vous assigne et que, librement, vous avez accepté avant de naître. Travaillez avec courage et conscience à améliorer votre sort et celui de vos semblables ; éclairez votre intelligence ; développez votre raison et vos facultés. Plus votre tâche sera ardue, plus rapide sera votre avancement. La fortune et le plaisir ne sont que des entraves pour qui veut s'élever. On n'emporte de ce monde ni biens ni honneurs, mais seulement les qualités acquises et les perfectionnements réalisés ; ce sont là les richesses impérissables contre lesquelles la mort ne peut rien.
Elevez vos regards au-dessus de la terre. Avec l'aide des Invisibles, de vos guides spirituels, dont les secours ne vous manqueront pas, si vous les appelez avec ferveur, avancez résolument dans le chemin de la vie. Aimez vos frères ; pratiquez envers tous la charité et la justice. Rappelez-vous que vous ne formez qu'une grande famille issue de Dieu, et que, manquer à vos frères, c'est manquer à l'éternelle bonté de Dieu, notre Père commun ; c'est manquer à vous-mêmes, qui ne faites qu'un avec eux dans la pensée créatrice de Celui à qui nous devons tout. Car le seul bonheur, la seule harmonie possible ici-bas n'est réalisable que par l'union avec nos semblables, l'union par la pensée et par le coeur, tandis que de la division découlent tous les maux : le désordre, la confusion, la perte de tout ce qui constitue la force et la grandeur des sociétés.

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On pose fréquemment cette question : Le spiritualisme moderne est-il une science ou une religion ?
Jusqu'ici, ces deux sillons tracés par l'esprit humain dans sa recherche séculaire de la vérité ont conduit à des résultats opposés, signe manifeste de l'état d'infériorité de la pensée comprimée, asservie, limitée dans son champ d'action. Mais, en poursuivant sa marche, un jour doit venir forcément - et ce jour est proche - où elle abordera un domaine commun à ces deux formes de l'idée ; là, elles s'uniront, se fondront en une synthèse, en une conception de la vie et du monde qui embrassera le présent et le futur et fixera les lois de la destinée.
Le spiritualisme moderne ou spiritualisme intégral sera le terrain où ce rapprochement s'effectuera. Aucune autre doctrine ne peut fournir à l'humanité cette conception générale qui, depuis les bas-fonds de la vie inférieure, élève la pensée jusqu'aux sommets de la création, jusqu'à Dieu, et relie tous les êtres dans une chaîne sans fin.
Lorsque cette conception aura pénétré dans les âmes, lorsqu'elle sera devenue le principe de l'éducation, l'aliment intellectuel, le pain de vie de tous les enfants des hommes, il n'y aura plus possibilité de séparer la science de la religion et encore moins de combattre l'une au nom de l'autre. Alors, la science, confinée jusqu'ici dans le cercle de la vie terrestre et du monde matériel, aura reconnu l'invisible et soulevé le voile qui cache la vie fluidique ; elle aura sondé l'Au-delà pour en déterminer les formes et en préciser les lois. Et l'existence future, l'ascension de l'âme en ses demeures innombrables, ne sera plus une hypothèse, une spéculation dénuée de preuves ; ce sera la réalité vivante et agissante.
Il ne sera pas possible de combattre la religion au nom de la science, parce que la religion ne sera plus le dogme étroit, exclusif, le culte matériel que nous aurons connu ; elle sera le couronnement de toutes les conquêtes, de toutes les aspirations de l'esprit humain ; ce sera l'élan de la pensée qui s'appuie sur la certitude expérimentale, sur la constatation du monde invisible, sur la possession de ses lois, et, forte de cette base solide, s'élève vers la Cause des causes, vers l'Intelligence souveraine qui préside à l'ordre de l'univers, pour la bénir de lui avoir donné la possibilité de pénétrer ses oeuvres et de s'y associer.
Alors, chacun comprendra que science et religion n'étaient que des mots nécessaires pour désigner les tâtonnements de la pensée dans ses premiers essais enfantins, l'état transitoire de l'esprit dans son évolution vers le vrai. Cet état s'évanouira bientôt avec les ombres de l'ignorance, de la superstition, pour faire place à la Connaissance, la connaissance réelle de l'âme et de son avenir, de l'univers et de ses lois ; avec cette connaissance, viendront la lumière et la force, qui permettront enfin à l'âme humaine de prendre sa place légitime et de jouer son véritable rôle dans l'oeuvre de la création.
La science s'est toujours glorifiée de ses conquêtes, et son orgueil est justifié. Cependant, incomplète et changeante, elle n'est que l'ensemble des conceptions d'un siècle que la science du siècle suivant dépasse et submerge. Malgré leurs négations aveugles et leur obstination étroite, chaque jour les savants se voient démentis sur quelque point. Les théories péniblement échafaudées s'écroulent pour faire place à d'autres théories. A travers la succession des temps, la pensée se déroule et avance ; mais, dans sa marche, que d'hésitations, que de périodes d'éclipse et même de recul !
C'est en considérant les préjugés et les routines de la science, que certains écrivains se sont élevés contre elle avec véhémence et l'ont accusée d'impuissance et d'avortement. C'était une accusation injuste. Comme nous l'avons démontré, la « banqueroute » n'a atteint que les systèmes matérialistes et positivistes. Dans le sens opposé, la théologie et la scolastique, en poussant les esprits au mysticisme, avaient provoqué une réaction inévitable.
Le mysticisme et le matérialisme ont fait leur temps. L'avenir appartient à la science nouvelle, à la science psychique qui étudie tous les phénomènes, en recherche les causes, reconnaît l'existence d'un monde invisible, et, de toutes les analyses qu'elle possède, réalisera une magnifique synthèse de la vie et de l'univers, pour en répandre la connaissance dans l'humanité.
Elle détruira la notion du surnaturel, mais elle ouvrira aux recherches des domaines inconnus de la nature, qui recèlent d'inépuisables richesses.
C'est sous l'influence du spiritualisme expérimental que cette évolution scientifique se produit déjà. C'est à lui, quoi qu'on dise, que la science nouvelle doit la vie, car, sans l'impulsion qu'il a donnée à la pensée, cette science serait encore à naître.
Le spiritisme apporte à chaque science les éléments d'une véritable rénovation. Par la constatation des phénomènes, il conduit la physique à la découverte des formes subtiles de la matière. Il éclaire tous les problèmes de la Physiologie par la connaissance du corps fluidique. Sans l'existence de celui-ci, il était impossible d'expliquer le groupement, dans la forme organique, sur un plan déterminé, des molécules innombrables qui constituent notre enveloppe terrestre, pas plus que la conservation de l'individualité et celle de la mémoire, à travers les mutations constantes du corps humain.
Grâce au spiritisme, la psychologie n'est plus arrêtée par tant de questions obscures, et particulièrement par celle des personnalités multiples qui se succèdent sans se connaître chez le même individu. Les expériences spirites fournissent à la pathologie les moyens de guérir l'obsession, la possession, et les cas innombrables de folie et d'hallucination qui s'y rattachent. La pratique du magnétisme, l'utilisation des fluides curatifs révolutionne et transforme la thérapeutique.
Le spiritualisme intégral nous fait mieux comprendre l'évolution de la vie, en nous montrant son principe dans les progrès psychiques de l'être, qui construit et perfectionne lui-même ses formes à travers les temps.
Cette évolution, où nos vies terrestres ne sont qu'une phase transitoire, de simples étapes de notre grand voyage ascensionnel à travers les mondes, vient confirmer les vues de l'astronomie, qui établit le peu d'importance de notre planète dans l'ensemble de l'univers, et conclut à l'habitabilité des autres terres de l'espace.
C'est ainsi que le spiritisme vient enrichir et féconder les domaines les plus divers de la pensée et de la science. Celle-ci s'était limitée à l'étude du monde sensible, du monde inférieur de la matière. Le spiritisme, en lui démontrant l'existence d'un monde fluidique, qui en est le prolongement, le complément, lui ouvre des horizons sans limites, prépare son développement et son essor. Et, comme ces deux mondes se relient et réagissent constamment l'un sur l'autre, la connaissance de l'un étant incomplète sans la connaissance de l'autre, le spiritisme, en les rapprochant, en les unissant, va rendre possibles l'explication des phénomènes de la vie et la solution des multiples problèmes devant lesquels la science était restée jusqu'ici impuissante et muette. Il va enfin libérer l'humanité des systèmes étroits, des routines obstinées, pour la faire participer à la vie large, à la vie infinie.
L'oeuvre est grande et imposante. Le nouveau spiritualisme y convie toutes les intelligences, tous les esprits généreux, toutes les âmes avides d'idéal et de lumière. Le champ d'action qu'il leur ouvre, les richesses qu'il leur apporte sont sans bornes. Savants, penseurs, artistes, poètes, tous, ceux qui sont épris de science profonde, de beauté idéale, de divine harmonie, trouveront en lui une source inépuisable d'inspirations.
La doctrine des transmigrations, la magnifique épopée de la vie immortelle se déroulant à la surface des mondes, enfantera des chefs-d'oeuvre qui surpasseront en grandeur les conceptions géniales du passé.
Cette action rénovatrice se fera également sentir sur les religions, bien que plus lentement, plus difficilement. Parmi les institutions humaines, il n'en est pas, en effet, de plus réfractaires à toute réforme, à tout mouvement en avant ; cependant, comme toutes choses, elles sont soumises à la loi divine du progrès.
Dans le plan supérieur d'évolution, chaque symbole, chaque forme religieuse doit faire place à des conceptions plus hautes et plus pures. Le christianisme ne peut disparaître, car ses principes contiennent le germe de renaissances infinies ; mais il doit dépouiller les formes diverses revêtues au cours des âges, se régénérer aux sources de la révélation nouvelle, s'appuyer sur la science des faits et redevenir une foi vivante.
Aucune conception religieuse, aucune forme cultuelle n'est immuable. Un jour viendra où les dogmes et les cultes actuels iront rejoindre les débris des cultes antiques, mais l'idéal religieux ne périra pas ; les préceptes de l'Evangile domineront toujours les consciences, comme la grande figure du Crucifié dominera le cours des siècles.
Dans une certaine mesure, les croyances, les religions diverses, prises dans leur ordre successif, peuvent être considérées comme les degrés que la pensée gravit dans son ascension vers des conceptions de plus en plus vastes de la vie future et de l'idéal divin. A ce point de vue, elles ont leur raison d'être ; cependant, il arrive toujours une heure où les plus parfaites deviennent insuffisantes, une heure où l'esprit humain, dans ses élans et ses aspirations, s'élève au-delà du cercle des croyances usuelles, pour chercher une forme plus complète de la connaissance.
Alors il saisit l'enchaînement qui les relie toutes. Il comprend qu'elles se rattachent les unes aux autres par un fonds de principes communs, les vérités impérissables, tandis que tout le reste : formes, rites, symboles, sont des choses changeantes, des accidents passagers de l'histoire.
Son attention se détachant de ces formes, de ces expressions religieuses, se porte vers l'avenir. Là, il voit s'élever au-dessus de tous les temples, au-dessus des religions exclusives, une religion plus vaste, qui les embrassera toutes, qui n'aura plus ni rites, ni dogmes, ni barrières, mais rendra témoignage aux faits et aux vérités universelles, une Eglise qui, au-dessus de toutes les sectes, de toutes les Eglises, étendra ses mains puissantes pour protéger et pour bénir. Il voit se dresser un temple où l'humanité entière, recueillie et prosternée, unira ses pensées, et ses croyances dans une même communion d'amour, dans une même confession de foi, résumée en ces mots : « Notre Père qui es aux cieux ! »
Telle sera la religion de l'avenir, la religion universelle. Elle ne sera pas une institution fermée, une orthodoxie régie par des règles étroites, mais une fusion des esprits et des coeurs. Le spiritualisme moderne, par le mouvement d'idées qu'il provoque, prépare son avènement. Son action croissante arrachera les Eglises actuelles à leur immobilité, et les forcera à se tourner vers la lumière qui monte à l'horizon.
Il est vrai que, devant cette lumière, devant les profondeurs qu'elle éclaire, beaucoup d'âmes attachées au passé tremblent encore et se sentent saisies de vertige. Elles craignent pour leur foi, pour leur idéal vieilli et chancelant ; cette lumière si vive les éblouit. N'est-ce pas Satan, disent-elles, qui fait briller aux yeux des hommes un mirage trompeur ? N'est-ce pas là l'oeuvre de l'esprit du mal ?
Rassurez-vous, pauvres âmes ; il n'y a d'autre esprit du mal que l'ignorance. Ce rayon, c'est l'appel de Dieu ; Dieu veut que vous vous rapprochiez de lui, que vous quittiez les régions obscures pour planer dans les sphères lumineuses.
Les Eglises chrétiennes n'ont pas à s'alarmer de ce mouvement. La révélation nouvelle ne vient pas les détruire, mais les éclairer, les féconder, les régénérer. Si elles savent la comprendre et l'accepter, elles y trouveront un secours inespéré contre le matérialisme qui bat sans cesse leurs assises de ses flots grondants ; elles y trouveront une nouvelle puissance de vie.
Avez-vous vu ces grottes ornées de stalactites et de blancs cristaux, et les galeries souterraines des mines d'argent ? Toutes leurs richesses sont plongées dans l'ombre. Rien ne décèle leur splendeur cachée. Mais que la lumière y pénètre et aussitôt tout s'allume ; les cristaux et le précieux minerai étincellent ; les voûtes, les parois, tout resplendit de feux éblouissants.
Cette lumière, le nouveau spiritualisme l'apporte aux Eglises. Sous ses rayons, toutes les richesses cachées de l'Evangile, tous les joyaux de la doctrine secrète du christianisme, enfouis sous l'épaisseur du dogme, toutes les vérités voilées sortent de la nuit des siècles, reparaissent dans leur éclat. Voilà ce que la révélation nouvelle vient offrir aux religions. C'est un secours du ciel, une résurrection des choses mortes et oubliées qu'elles renferment dans leur sein. C'est une floraison nouvelle de la pensée du Maître, embellie, enrichie, remise en lumière par les soins des Esprits célestes.
Les Eglises comprendront-elles cela ? Sentiront-elles la puissance de la vérité qui se manifeste et la grandeur du rôle qu'il leur appartient encore de jouer, si elles savent la reconnaître et se l'assimiler ? Nous ne savons. Mais c'est en vain qu'elles voudraient la combattre, entraver sa marche, arrêter son essor : « La volonté de Dieu est là, - disent les voix de l'espace, - ceux qui s'élèveront contre elle seront brisés et dispersés. Nulle force humaine, nul dogme, nulle persécution ne sauraient empêcher la dispensation nouvelle, complément nécessaire de l'enseignement du Christ, annoncée et dirigée par lui. »
Il a été dit : « Quand les temps seront venus, je répandrai mon esprit sur toute chair ; vos fils et vos filles prophétiseront ; vos jeunes gens auront des songes et vos vieillards auront des visions. »
Cette époque est venue. L'évolution physique et le développement intellectuel de l'humanité fournissent aux Esprits supérieurs des instruments assez souples, des organismes assez affinés, pour leur permettre de manifester leur présence et de répandre leurs instructions. Tel est le sens de ces paroles.
Les puissances de l'espace sont à l'oeuvre, et partout leur action se fait sentir. Mais ces puissances, quelles sont-elles, me demandera-t-on ?
Membres et représentants des Eglises de ce monde, écoutez ceci et gravez-le dans votre mémoire :
Au-dessus de la terre, dans les vastes champs de l'espace, vit, pense et agit une Eglise invisible qui veille sur l'humanité. Elle est composée des apôtres, des disciples du Christ et de tous les génies des temps chrétiens. Près d'eux vous rencontreriez aussi les Esprits élevés de toutes les races, de toutes les religions, toutes les grandes âmes qui ont vécu en ce monde suivant la loi d'amour et de charité. Car les jugements du ciel ne sont pas les jugements de la terre. Dans les espaces éthérés, il n'est demandé compte aux âmes des hommes ni de leur race ni de leur religion, mais de leurs oeuvres et du bien qu'elles ont réalisé.
C'est là l'Eglise universelle ; elle n'est pas limitée comme les Eglises conventionnelle de la terre ; elle réunit les Esprits de tous ceux qui ont souffert pour la vérité.
Ce sont ses décisions, inspirées par Dieu, qui régissent le monde ; c'est sa volonté qui soulève, aux heures choisies, les grandes vagues de l'idée et pousse l'humanité vers le port, à travers les écueils et les orages. C'est elle qui dirige la marche du spiritualisme moderne et en protège le développement. Les Esprits qui la composent combattent pour lui ; les uns, du sein de l'espace, en influençant ses défenseurs - car il n'y a pas de distances pour l'Esprit, dont la pensée vibre à travers l'infini ; - les autres, en descendant sur la terre, où parfois ils renaissent au milieu des hommes, pour remplir encore le rôle de missionnaires divins.
Dieu tient en réserve d'autres forces cachées, d'autres âmes d'élite pour l'heure de la rénovation. Cette heure est annoncée par de grandes crises et des événements douloureux. Il faut que les sociétés souffrent ; il faut que l'homme soit frappé pour rentrer en lui-même, sentir le peu qu'il est, ouvrir son coeur aux influences d'en haut.
La terre vient de vivre bien des jours sombres, bien des jours de deuil ; d'autres tempêtes éclateront .
Pour que le blé germe, il faut les chutes de neige et la triste incubation de l'hiver. Des souffles puissants viendront dissiper les brouillards de l'ignorance et les miasmes de la corruption. Les tempêtes passeront ; le ciel bleu reparaîtra. L'oeuvre divine s'épanouira dans une éclosion nouvelle. La foi renaîtra dans les âmes, et la pensée du Christ rayonnera de nouveau, plus éclatante, sur le monde régénéré.

NOTES COMPLEMENTAIRES
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N° 1. - SUR L'AUTORITE DE LA BIBLE
ET LES ORIGINES DE L'ANCIEN TESTAMENT
Pour la plupart des Eglises chrétiennes, la Bible est l'autorité suprême, les soixante-six livres qui composent l'Ancien et le Nouveau Testament étant l'expression de la « parole de Dieu ».
Nous, enfants curieux du vingtième siècle, nous nous demandons : Pourquoi précisément soixante-six livres ? pourquoi pas plus ou moins ?
Les livres de l'Ancien Testament ont été choisis, parmi beaucoup d'autres, par des rabbins juifs restés inconnus. La valeur de ces livres est d'ailleurs très inégale. Par exemple, le deuxième livre des Macchabées est de beaucoup supérieur à celui d'Esther ; le livre de la Sagesse surpasse l'Ecclésiaste.
Il en est de même du Nouveau Testament, composé d'après une règle que les chrétiens du premier siècle ne connaissaient pas. L'Apocalypse a été écrite en l'an 68 après J.-C. Le quatrième Evangile n'apparut qu'à la fin du premier siècle - certains disent en l'an 140 ; - l'un et l'autre portent le nom de saint Jean ; mais ces deux livres sont animés d'un esprit bien différent. Le premier est l'oeuvre d'un chrétien juif ; l'autre est écrit par un chrétien de l'école philosophique d'Alexandrie, qui, non seulement avait rompu avec la dogmatique juive, mais s'appliquait à la combattre.
On comprend facilement que les réformateurs protestants, en se basant sur ce principe que la Bible reproduit la « parole de Dieu », se soient heurtés à des difficultés insurmontables. Ce sont eux surtout qui ont prêté à la Bible cette autorité absolue qui devait causer tant d'abus ; mais il ne faudrait pas les juger seulement d'après les résultats de la théologie qu'ils ont édifiée. Les nécessités du temps les contraignirent à opposer à l'autorité de l'Eglise romaine, à l'abus des indulgences, au culte des saints, aux oeuvres mortes d'une religion où les vaines pratiques avaient remplacé la foi vivifiante, la souveraineté de Dieu et l'autorité de sa parole, exprimée par la Bible.
Malgré l'inégalité des éléments qui composent cet ouvrage, on n'en saurait contester la haute importance et l'inspiration parfois très élevée. Un examen rapide nous montrera cependant qu'il ne peut avoir l'origine qu'on lui attribue.
Genèse. - Si nous lisons avec attention les premiers chapitres de la Genèse, nous remarquerons qu'ils renferment deux récits distincts de la Création. Les chapitres I et II, v. 1 à 3, contiennent un premier exposé, mais au chapitre II, 4, un autre récit recommence ; ces deux récits nous révèlent la pensée de deux auteurs différents. L'un, parlant de Dieu, l'appelle Elohim, c'est-à-dire « les dieux ».
D'après certains commentateurs, ce terme désignerait les forces, les êtres divins, les Esprits collaborateurs de l'Unique. Cette opinion est confirmée par plusieurs passages du livre sacré. « Voilà Adam devenu comme l'un de nous », lit-on, par exemple, dans la Genèse . « Je suis le Jahveh de vos dieux », dit le Lévitique . Dans le livre de Daniel, en parlant de ce prophète, la femme de Balthasar assure qu'il possède l'esprit des dieux saints . Avec le pluriel Elohim, exprimant la collectivité, le verbe doit se mettre au singulier : les dieux créa, alors que ces forces parlant d'elles-mêmes, le verbe est au pluriel. « Elohim dit : Faisons l'homme à notre image. » L'autre auteur de la Genèse se sert du nom de Jéhovah - Jahveh, d'après les orientalistes modernes - nom particulier du Dieu d'Israël. Cette différence est constante et se retrouve dans tout l'ouvrage, à tel point que les exégètes en sont arrivés à distinguer ces deux auteurs, les désignant sous les noms d'auteur Elohiste et d'auteur Jéhoviste.
Chacun d'eux a ses vues particulières. Le premier, par exemple, s'est efforcé de donner une sanction divine à l'institution du sabbat, en alléguant que Dieu s'était reposé le septième jour. Le second explique le problème de la souffrance humaine. Elle provient, dit-il, du péché, et le péché découle de la chute d'Adam. Enchaînement terrible de conséquences dogmatiques, qui devait peser lourdement sur la pensée humaine et arrêter son essor. Renan proclame cet auteur le plus grand des philosophes. C'est là une étrange appréciation. On ne saurait nier sans doute que ses vues aient inspiré saint Paul, saint Augustin, Luther, Calvin, Pascal ; mais dans quels effrayants dédales n'ont-elles pas égaré la raison humaine !
Au chapitre IV de la Genèse, une étrange contradiction apparaît. Après le meurtre d'Abel, Caïn se rend dans un lointain pays, y rencontre des hommes, se marie et fonde une ville. Voilà qui porte une grave atteinte au récit de la création et à la théorie de l'unité d'origine des races humaines !
Deutéronome. - Considérons maintenant ce cinquième livre de l'Ancien Testament. Il est dit au chapitre I, v. 1, qu'il est l'oeuvre de Moïse. C'est là un premier exemple de ces fraudes pieuses qui consistaient à publier un écrit sous le nom d'un auteur vénéré, pour lui donner plus d'autorité. Nous sommes renseignés sur l'origine de ce livre par le récit des Rois, II°, XXII, v. 8 et 10. Il fut trouvé dans le Temple sous le règne de Josias, un des derniers rois de Juda, cinq siècles après Moïse, à une époque où l'astre de la dynastie de Juda penchait déjà vers son déclin. L'auteur véritable l'avait évidemment placé dans le Temple afin qu'il fût découvert et présenté au roi, homme pieux, qui prit le livre au sérieux, crut qu'il venait de Moïse et usa de son autorité pour appliquer les réformes qu'il réclamait. Les Juifs étaient alors plongés dans l'idolâtrie ; les préceptes du Décalogue étaient tellement oubliés que l'auteur du Deutéronome, un réformateur bien intentionné, s'étant attaché à les remettre en mémoire, provoqua une réelle frayeur dans les esprits et put faire accepter son livre comme une nouvelle révélation.
Remarquons à ce sujet, dans le Deutéronome, ch. XXVIII, que les séduisantes promesses et les menaces effrayantes par lesquelles l'auteur s'efforce de restaurer le culte de Jéhovah se rapportent exclusivement à la vie terrestre. Il semble n'avoir aucune notion de l'immortalité.
Il en est ainsi dans tout le Pentateuque, ensemble des ouvrages attribués à Moïse. Nulle part le grand législateur juif, ni ceux qui parlent en son nom, ne font mention de l'âme comme entité survivant au corps. Pour eux, la vie de l'homme, créature éphémère, se déroule dans le cercle restreint de la terre, sans perspective ouverte vers le ciel, sans espérance et sans avenir.
La plupart des livres de l'Ancien Testament ne parlent de l'avenir de l'homme qu'avec le même doute, avec le même sentiment de tristesse désespérée.
Salomon dit (Ecclés., III, v. 17 et suivants) :
« Qui sait si l'esprit de l'homme monte vers les hauteurs ? Méditant sur la condition des hommes, j'ai vu qu'elle était la même que celle des bêtes. Leur fin est la même ; l'homme périt comme l'animal ; ce qui reste de l'un n'est pas plus que ce qui reste de l'autre ; tout est vanité . »
Est-ce donc là la « parole de Dieu » ? Peut-on admettre qu'il ait laissé ignorer à son peuple de prédilection les destinées de l'âme et la vie future, alors que ce principe essentiel de toute doctrine spiritualiste était depuis longtemps familier à l'Inde, à l'Egypte, à la Grèce, à la Gaule ?
La Bible pose en principe le monothéisme le plus absolu. Il n'y est pas question de la Trinité. Jahveh règne seul dans le ciel, solitaire et jaloux. Mais Jahveh n'est tout d'abord qu'un dieu national, opposé aux divinités en honneur chez d'autres peuples. Plus tard seulement, les Hébreux s'élevèrent à la conception de cette Puissance unique, suprême, qui régit l'univers. Les anges ne se montrent que de loin en loin comme messagers de l'Eternel. Nulle place pour les âmes des hommes dans ces cieux vides et mornes.
Au point de vue moral, Dieu est présenté dans la Bible sous des aspects multiples et contradictoires. On le dit le meilleur des pères, et on le fait sans pitié pour ses enfants coupables. On lui attribue la toute-puissance, la bonté infinie, la souveraine justice, et on le rabaisse au niveau des passions humaines en nous le montrant terrible, partial, implacable. On l'établit créateur de tout ce qui est, on lui donne la prescience, puis on le dit repentant de son oeuvre :
« Il se repentit d'avoir fait l'homme sur la terre, et il en eut un grand déplaisir dans son coeur. »
« Et l'Eternel dit : J'exterminerai de dessus la terre les êtres que j'ai créés, depuis les hommes jusqu'au bétail, jusqu'à tout ce qui rampe, et jusqu'aux oiseaux des cieux, car je me repens de les avoir faits . »
Seuls, Noé et sa famille trouvèrent grâce devant l'Eternel. Que deviennent après ce récit la puissance et la prévoyance divines ?
Remarquons-le cependant : la notion de la Divinité s'épure à mesure que le peuple évolue. Les prophètes, ces hommes inspirés, rejettent, au nom du Seigneur, les sacrifices sanglants, premiers hommages des Hébreux à Jahveh ; ils réprouvent le jeûne et les signes d'humiliation, dans lesquels la pensée n'est pour rien.
« Quand vous me présentez les holocaustes de vos bêtes grasses, je n'y prends aucun plaisir », s'écrie l'Eternel, par la bouche d'Amos. « Ce que je veux, c'est que la droiture soit comme un courant d'eau et la justice comme un torrent qui ne tarit jamais . »
« Vous ne jeûnez pas comme il faut - écrit Esaïe. - Courber la tête comme un jonc et se coucher sur le sac et la cendre, est-ce le jeûne que vous appelez agréable au Seigneur ? Voici le jeune auquel je prends plaisir : Rompez les chaînes de la méchanceté, brisez les liens de la servitude, renvoyez libres les opprimés, partagez votre pain avec celui qui a faim, et faites entrer dans votre maison les malheureux à qui manque un asile ; donnez des vêtements à ceux qui en sont dépourvus, ne vous détournez pas de vos semblables, et alors la lumière poindra comme l'aurore, la justice marchera devant vous et la gloire de l'Eternel vous accompagnera . »
« Ce que l'Eternel réclame de toi - dit Michée - c'est que tu pratiques la justice, que tu aimes la miséricorde, et que tu marches humblement avec ton Dieu . »
Dans son ouvrage Autour d'un petit livre, répondant aux critiques suscitées par son travail sur l'Evangile et l'Eglise, l'abbé Loisy exprime l'opinion que les livres de l'Ancien Testament, dans leur ensemble, n'ont pas d'autre objet que l'instruction religieuse et l'édification morale du peuple. « L'exactitude bibliographique y est inconnue, ajoute-t-il ; le souci du fait matériel et de l'histoire objective en est absent. »
Tel est aussi notre avis. Il en résulte que la Bible ne saurait être considérée comme la « parole de Dieu », ni comme une révélation surnaturelle. Il faut voir en elle un recueil de récits historiques ou légendaires, d'enseignements sublimes à côté de détails parfois vulgaires.
En certains cas, les auteurs du Pentateuque semblent s'inspirer de révélations plus anciennes, comme le fait observer Swedenborg, avec preuves à l'appui. Les initiés regardent l'Ancien Testament comme purement symbolique, et croient y découvrir toutes les vérités au moyen de la Kabbale. Pour nous aussi, il peut revêtir la forme d'un symbole. De même que nous y voyons l'acheminement du peuple hébreu vers l'avènement du christianisme, sous la direction de Moïse et des prophètes, auxquels il se montre parfois si rebelle, de même ce livre peut nous représenter la marche de l'esprit humain vers la perfection où l'entraînent les Esprits supérieurs de l'un et l'autre monde.
L'Ancien Testament semble être destiné à servir de lien entre la race sémitique et la race aryenne. Jésus ne nous paraît-il pas, en effet, plus aryen que juif ? Sa douceur infinie, la clarté sereine de sa pensée, ne s'opposent-elles pas aux rigides, aux sombres aspects du judaïsme ?
Cet ouvrage ne remonte pas à une date aussi ancienne qu'on s'est plu à le croire. Il fut, en tout cas, remanié plus ou moins longtemps après le retour de Babylone, car, de loin en loin, on y trouve des allusions à la captivité des Juifs dans ce pays . Il est bien l'oeuvre des hommes, le témoignage de leur foi, de leurs aspirations, de leur savoir et aussi de leurs superstitions, de leurs erreurs. Les prophètes y ont introduit la parole vibrante qui leur était inspirée ; des voyants y ont retracé les images des réalités invisibles qui leur apparaissaient ; des écrivains y ont décrit des scènes de la vie sociale et les moeurs de l'époque.
C'est dans le but de donner à ces enseignements si divers plus de poids, plus d'autorité, qu'ils furent présentés comme émanant de la Puissance souveraine qui régit les mondes.
N° 2. - SUR L'ORIGINE DES EVANGILES
L'Ancien Testament est le livre sacré d'un peuple, le peuple hébreu ; l'Evangile est le livre sacré de l'humanité. Les vérités essentielles qu'il contient se relient aux traditions de tous les peuples et de tous les âges. Mais, à ces vérités bien des éléments inférieurs sont venus s'ajouter.
A ce point de vue, l'Evangile est comparable à un vase précieux, où, parmi la poussière et les cendres, se trouvent des perles et des diamants. La réunion de ces joyaux constitue la pure doctrine chrétienne.
Quant à leur véritable origine, en admettant que les Evangiles canoniques soient l'oeuvre des auteurs dont ils portent les noms, il faut remarquer que deux d'entre eux, Marc et Luc, se sont bornés à transcrire ce qui leur avait été dit par les disciples. Les deux autres, Matthieu et Jean, ont vécu auprès de Jésus et recueilli ses enseignements. Mais leurs évangiles n'ont été écrits que quarante et soixante ans après la mort du Maître.
Le passage suivant de Matthieu (XXIII, 35) - à moins d'y voir une interpolation assez vraisemblable - prouve que cette oeuvre est postérieure à la prise de Jérusalem (an 70). Jésus adresse cette apostrophe véhémente aux pharisiens :
« Afin que tout le sang innocent qui a été répandu sur la terre retombe sur vous, depuis le sang d'Abel jusqu'au sang de Zacharie, fils de Barachie, que vous avez tué entre le temple et l'autel. »
Or, d'après tous les historiens et en particulier d'après Flavius Josèphe , ce meurtre a eu lieu en l'an 67, soit trente-quatre ans après la mort de Jésus.
Si l'on attribue au Christ la mention d'un fait qu'il n'a pu connaître, que n'a-t-on pas osé sur d'autres points !
Les Evangiles ne sont pas d'accord sur les faits les plus considérables attribués au Christ. Ainsi, chacun d'eux rapporte différemment ses dernières paroles. D'après Matthieu et Marc, elles auraient été : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné  ? » D'après Luc, le Christ expirant aurait dit : « Père, je remets mon esprit entre tes mains  », témoignage expressif de l'amour filial qui l'unissait à Dieu. Enfin, Jean lui met dans la bouche ces paroles : « Tout est accompli . »
Il en est de même pour la première apparition de Jésus : ici encore les évangélistes ne sont pas d'accord. Matthieu parle de deux femmes qui l'auraient vu ensemble. Pour Luc, ce fut aux deux disciples qui se rendaient à Emmaüs, que le Christ se montra en premier lieu. Marc et Jean ne signalent que Marie-Madeleine comme témoin de sa première apparition .
Constatons une nouvelle divergence, en ce qui concerne l'Ascension : Matthieu et Jean, les seuls compagnons de Jésus qui aient écrit sa vie, n'en parlent pas. Marc la place à Jérusalem (XVI, 14, 19), et Luc déclare qu'elle eut lieu à Béthanie (XXIV, 50, 51), le jour même de sa résurrection, alors que les Actes des Apôtres la mettent quarante jours plus tard (Actes, I, 3).
D'autre part, il est évident que le dernier chapitre de l'évangile de Jean n'est pas du même auteur que les précédents. L'ouvrage se terminait primitivement au verset 31 du chapitre XX, et le premier verset qui le suit indique un raccordement.
Jean aurait-il osé se dire « le disciple que Jésus aimait » ? Aurait-il pu prétendre que le monde entier ne saurait contenir les livres que l'on pourrait écrire sur les faits et gestes de Jésus (XXI, 25) ? Si nous reconnaissons qu'un chapitre entier a été ajouté à cet évangile, nous serons entraînés à conclure que de nombreuses interpolations ont pu également se produire.
Nous avons parlé du grand nombre des Evangiles apocryphes. Fabricius en comptait trente-cinq. Ces évangiles, aujourd'hui dédaignés, n'étaient cependant pas sans valeur aux yeux de l'Eglise, puisque c'est dans l'un d'eux, dit de Nicodème, qu'elle puise sa croyance en la descente de Jésus aux enfers, croyance imposée à tout chrétien par le symbole du concile de Nicée, et dont ne parle aucun des Evangiles canoniques.
En résumé, selon A. Sabatier, doyen de la Faculté de théologie protestante de Paris , les manuscrits originaux des Evangiles ont disparu sans laisser aucune trace certaine dans l'histoire. Ils ont probablement été détruits lors de la proscription générale des livres chrétiens ordonnée par l'empereur Dioclétien (édit impérial de 303). Les écrits sacrés qui échappèrent à la destruction ne sont donc que des copies.
Primitivement, ces documents étaient dépourvus de ponctuation, mais, de bonne heure, ils furent divisés en péricopes, pour la commodité de la lecture en public : divisions souvent arbitraires et différant entre elles. La division actuelle parut pour la première fois dans l'édition de 1551.
Malgré toutes ses recherches, ce que la critique a pu établir scientifiquement de plus ancien, ce sont les textes des cinquième et quatrième siècles. Elle n'a pu remonter au-delà que par des conjectures toujours sujettes à discussion.
Origène se plaignait déjà amèrement de l'état des manuscrits de son temps. Irénée rapporte que des peuples entiers crurent en Jésus sans l'intermédiaire du papier et de l'encre. On n'écrivit pas de suite, parce qu'on attendait le retour du Christ.
N° 3. - SUR L'AUTHENTICITE DES EVANGILES
Un examen attentif des textes démontre qu'au milieu des discussions et des troubles qui ont agité le monde chrétien dans les premiers siècles, on n'a pas craint, pour se créer des arguments, de dénaturer les faits, de fausser le sens réel de l'Evangile. Celse, dès le deuxième siècle, dans le Discours véritable, faisait aux chrétiens le reproche de remanier sans cesse les Evangiles et d'effacer le lendemain ce qui avait été inséré la veille.
Beaucoup de faits semblent imaginaires et ajoutés après coup. Tels sont, par exemple, la naissance à Bethléem de Jésus de Nazareth, le massacre des Innocents, dont l'histoire ne fait aucune mention, la fuite en Egypte, la double généalogie, en tant de points contradictoires, de Matthieu et de Luc.
Comment croire aussi à la tentation de Jésus, que l'Eglise admet dans ce même livre où elle croit trouver les preuves de sa divinité ? Satan entraîne Jésus sur la montagne et lui offre l'empire du monde s'il veut se soumettre à lui. Si Jésus est Dieu, Satan a-t-il pu l'ignorer ? et s'il connaît sa nature divine, comment espère-t-il l'influencer ?
La résurrection de Lazare, le plus grand des miracles de Jésus, est mentionnée seulement dans le quatrième Evangile, plus de 60 ans après la mort du Christ, alors que ses moindres guérisons sont citées par les trois premiers.
Avec le quatrième Evangile et Justin Martyr, la croyance chrétienne accomplit l'évolution qui consiste à substituer à l'idée d'un homme devenu divin, celle d'un être divin devenu homme.
Après la proclamation de la divinité du Christ, au quatrième siècle, après l'introduction dans le système ecclésiastique du dogme de la Trinité, au septième siècle, on modifia plusieurs passages du Nouveau Testament, afin de leur faire exprimer les nouvelles doctrines (Voir Jean, I, 5, 7). « Nous avons vu, dit Leblois , à la Bibliothèque nationale, à celle de Sainte-Geneviève, à celle du monastère de Saint-Gall, des manuscrits où le dogme de la Trinité n'est qu'ajouté en marge. Plus tard, on l'intercala dans le texte, où il se trouve encore. »
N° 4. - SUR LE SENS CACHE DES EVANGILES
Parmi les Pères de l'Eglise, plusieurs affirment que les évangiles renferment un sens caché.
Origène dit :
« Les Ecritures sont de peu d'utilité pour ceux qui les prennent comme elles ont été écrites. La source de beaucoup de maux est dans le fait que l'on s'attache à leur partie charnelle et extérieure.
« Cherchons donc l'esprit et les fruits substantiels de la Parole, qui sont cachés et mystérieux. »
Tertullien et Denys l'Aréopagite parlent aussi d'un ésotérisme chrétien.
Saint Hilaire déclare à plusieurs reprises qu'il est nécessaire, pour l'intelligence des Evangiles, de leur supposer un sens caché, une interprétation spirituelle .
Saint Augustin abonde dans le même sens :
« Dans les oeuvres et les miracles de notre Sauveur, il y a des mystères cachés qui ne peuvent s'interpréter imprudemment et selon la lettre, sans que nous tombions dans l'erreur et commettions de lourdes fautes. »
Saint Jérôme, dans son Epître à Paulin, déclare avec insistance :
« Prends garde, mon frère, au chemin que tu suivras dans la sainte Ecriture. Tout ce que nous lisons dans la parole sainte est lumineux et rayonne aussi extérieurement, mais la partie intérieure est encore plus douce. Celui qui veut manger le noyau doit briser la coquille. »
Sur ce même sujet, il s'éleva une vive discussion théologique entre Bossuet et Fénelon. Celui-ci affirmait qu'il existait un sens secret des Ecritures, transmis seulement à des initiés, une gnose catholique fermée au vulgaire .
Toutes ces significations cachées, l'Eglise primitive en possédait le sens, mais elle le dissimulait avec soin ; il s'est perdu peu à peu.
N° 5. - SUR LA REINCARNATION
Dans ses oeuvres, l'historien juif Josèphe fait profession de sa foi en la réincarnation ; il rapporte que c'était la croyance des Pharisiens. Le P. Didon le confirme en ces termes, dans sa Vie de Jésus : « On croyait alors, dans le peuple (juif) et même dans les écoles, au retour de l'âme des morts dans les vivants. »
C'est ce qui explique en plusieurs cas les questions faites à Jésus par ses disciples.
Au sujet de l'aveugle-né, le Christ répond à une de ces interrogations :
« Ce n'est point qu'il ait péché, ni ceux qui l'ont mis au monde, mais c'est afin que les oeuvres de la puissance de Dieu éclatent en lui. »
Les disciples croyaient qu'on pouvait avoir péché avant de naître, c'est-à-dire dans une vie antérieure. Jésus partage leur croyance, car, venu pour enseigner la vérité, il n'aurait pas manqué de rectifier cette opinion, si elle avait été erronée. Au contraire, il y répond en expliquant le cas qui les préoccupe.
Le savant bénédictin Dom Calmet s'exprime ainsi dans son Commentaire, sur ce passage des Ecritures :
« Plusieurs docteurs juifs croient que les âmes d'Adam, d'Abraham, de Phinées, ont animé successivement plusieurs hommes de leur nation. Il n'est donc nullement étrange que les apôtres aient raisonné comme ils semblent raisonner ici sur l'incommodité de cet aveugle, et qu'ils aient cru que c'était lui qui, par quelque péché secret, commis avant sa naissance, s'était attiré cette disgrâce. »
Au sujet de l'entretien de Jésus avec Nicodème, un pasteur de l'Eglise hollandaise nous écrit en ces termes :
« Il est clair que la réincarnation est la véritable naissance pour une meilleure vie. C'est un acte volontaire de l'esprit, et non le résultat exclusif du commerce charnel des parents. Il résulte de la double résolution de l'âme de prendre un corps matériel et de devenir un homme meilleur.
« Remarquons comme S. Jean (I, 13) nie ouvertement la part des parents à la naissance de l'âme, quand il dit : « Qui ne sont pas nés du sang, ni de la chair, ni de la volonté de l'homme, mais de Dieu. »
« Tous ces points obscurs s'éclairent d'une vive lumière, quand on les considère au point de vue spirite. »
Dans l'entretien de Jésus et de Nicodème, celui-ci, en entendant le Christ parler de renaissance, ne comprend pas comment elle peut se produire. Devant cette étroitesse d'esprit, Jésus est embarrassé. Sa pensée ne peut s'étendre ni prendre son essor. Pour lui, la réincarnation n'est que le premier chaînon d'une série de plus hautes vérités. Elle était déjà connue des hommes de ce temps. Et voilà un docteur en Israël qui n'y comprend rien ! De là, l'apostrophe de Jésus : Comment, si vous ne comprenez pas les choses terrestres, pourrai-je vous expliquer les choses célestes, celles qui se rapportent à ma mission particulière !
L'étonnement de Jésus s'explique en effet, car les livres sacrés des Hébreux sont affirmatifs sur la question des renaissances.
Le Talmud enseigne que l'âme d'Abel passa dans le corps de Seth et plus tard dans celui de Moïse. Le Zoar dit : « Toutes les âmes sont soumises aux épreuves de la transmigration » et la Kabalah : « Ce sont les renaissances qui permettent aux hommes de se purifier. »
De tous les Pères de l'Eglise, Origène est celui qui a affirmé de la manière la plus précise, en de nombreux passages de ses Principes (livre I°), la réincarnation ou renaissance des âmes. Sa thèse est celle-ci : « La justice du Créateur doit apparaître en toutes choses. » Voici en quels termes l'abbé Bérault-Bercastel résume son opinion :
« D'après ce docteur de l'Eglise, l'inégalité des créatures humaines n'est que l'effet de leur propre mérite, parce que toutes les âmes ont été créées simples, libres, naïves et innocentes par leur ignorance même, et toutes, par là aussi, absolument égales. Le plus grand nombre tomba dans le péché, et, à proportion de leurs fautes, elles furent renfermées dans des corps plus ou moins grossiers, créés exprès pour leur servir de prison. De là, les traitements divers de la famille humaine. Mais, quelque grave que soit la chute, elle n'entraîne jamais le retour de l'esprit coupable à l'état de brute ; elle l'oblige seulement à recommencer de nouvelles existences, soit ici-bas, soit dans d'autres mondes, jusqu'à ce que, fatigué de souffrir, il se soumette à la loi du progrès et s'améliore. Tous les esprits sont sujets à passer du bien au mal et du mal au bien. Les peines décernées par le Dieu Bon ne sont que médicinales, et les démons eux-mêmes cesseront un jour d'être les ennemis du bien et l'objet des rigueurs de l'Eternel. » (Histoire de l'Eglise, par l'abbé BERAULT-BERCASTEL.)
Saint Jérôme, de son côté, affirme que la transmigration des âmes faisait partie des enseignements révélés à un certain nombre d'initiés.
Dans ses Confessions , saint Augustin nous dit :
« Mon enfance n'a-t-elle point succédé à un autre âge mort avant elle ?... Même avant ce temps-là, ai-je été quelque part ? Etais-je quelqu'un ? »
Encore au quinzième siècle, le cardinal Nicolas de Cusa « soutint en plein Vatican la théorie de la pluralité des existences de l'âme et des mondes habités, non seulement avec l'assentiment, mais avec les encouragements successifs de deux papes : Eugène IV et Nicolas V . »
M. I. Calderone, directeur de La Filosofia della Scienza, de Palerme , qui a ouvert une vaste enquête sur nos contemporains, au sujet de la réincarnation, a publié quelques lettres échangées entre Mgr L. Passavalli, archevêque-vicaire de la Basilique patriarcale de Saint-Pierre, à Rome, et M. Tancredi Canonico, sénateur du Royaume, garde des sceaux, président de la Cour suprême de cassation en Italie et catholique convaincu.
Voici deux passages de la lettre de Mgr Passavalli :
« Désormais, j'ai vu disparaître de mon esprit ces difficultés qui me troublaient lorsque Stanislas « de sainte mémoire » (Mgr Fialkowsky, mort à Cracovie, le 18 janvier 1885), à l'esprit duquel j'attribue en grande partie cette nouvelle lumière qui m'éclaire, m'annonçait, pour la première fois, la doctrine de la pluralité des vies de l'homme. Je suis bien heureux d'avoir pu voir l'effet salutaire de cette vérité sur l'âme de mon frère. »
« Signé : LOUIS, archevêque. »
Autre lettre :
« Il me semble que si l'on pouvait propager l'idée de la pluralité des existences de l'homme, aussi bien dans ce monde que dans d'autres, comme un moyen de réaliser les desseins miséricordieux de Dieu dans l'expiation et la purification de l'homme, dans le but de le rendre, enfin, digne de Lui et de la vie immortelle des cieux, on aurait déjà fait un grand pas, car cela suffirait à résoudre les problèmes les plus embrouillés et les plus ardus qui agitent actuellement les intelligences humaines. Plus je pense à cette vérité, plus elle m'apparaît grande et féconde en conséquences pratiques pour la religion et la société. »
« Signé : Louis, archevêque. »
Il résulte de la correspondance de T. Canonico, publiée dernièrement à Turin, que lui-même avait été initié à la croyance de la réincarnation par Mgr Towiansky, l'écrivain catholique bien connu. Dans une longue lettre, portant la date du 31 décembre 1884, il expose les raisons pour lesquelles il estime que cette croyance n'a rien de contraire à la religion catholique, en l'appuyant de plusieurs citations tirées de l'Ecriture.
N° 6. - SUR LES RELATIONS DES PREMIERS CHRETIENS AVEC LES ESPRITS
Dans la langue philosophique grecque, le mot démon (daïmon) était synonyme de génie ou d'esprit. Tel le démon de Socrate. On distinguait entre les bons et les méchants démons ; Platon donne même à Dieu le nom de tout-puissant démon. Le christianisme a adopté ces termes en partie, mais il en a changé le sens . Aux bons démons il a donné le nom d'anges, et les mauvais sont devenus les démons, sans adjectif. Le mot esprit (pneuma) est resté l'expression usitée pour désigner une intelligence privée de corps charnel.
Ce mot pneuma, S. Jérôme l'a traduit par spiritus, reconnaissant avec les Evangélistes qu'il y a de bons et de mauvais esprits. L'idée de diviniser l'Esprit n'est venue qu'au deuxième siècle. C'est seulement après la Vulgate que le mot sanctus fut constamment accolé au mot spiritus, cette combinaison ne réussissant, la plupart du temps, qu'à rendre le sens plus obscur et parfois même inintelligible. Les traducteurs français des livres canoniques ont encore surenchéri sur ce point et contribué à dénaturer le sens primitif. En voici un exemple parmi beaucoup d'autres : on lit dans Luc (ch. XI, texte grec) :
10. « Celui qui demande, obtient ; celui qui cherche trouve ; il sera ouvert à celui qui frappe. » - 13. « Si donc vous, bien que vous soyez mauvais, savez donner de bonnes choses à vos enfants, à combien plus forte raison votre Père enverra-t-il du ciel un bon esprit à ceux qui le lui demanderont. »
Les traductions françaises portent le Saint-Esprit. C'est un contresens. Dans la Vulgate, traduction du grec en latin, il est dit Spiritum bonum, mot à mot Esprit bon ; la Vulgate ne parle nullement de l'Esprit saint. Le texte grec primitif est encore plus précis, et il n'en saurait être autrement ; puis l'Esprit saint, comme troisième personne de la Trinité, n'a été imaginé qu'à la fin du deuxième siècle.
Il faut remarquer toutefois que, dans certains cas, la Bible parle de l'Esprit saint, mais toujours dans le sens d'esprit familier, d'esprit attaché à une personne. Ainsi, dans l'Ancien Testament (Daniel, XIII, 45) , il est dit : « Le Seigneur suscita l'Esprit saint d'un jeune homme nommé Daniel. »
Au sujet du commerce des premiers chrétiens avec les esprits, les passages suivants des Ecritures méritent encore de retenir notre attention :
Actes, XXI, 4 :
« Et ils dirent à Paul, sous l'influence de l'esprit, qu'il ne montât pas à Jérusalem. »
Certaines traductions françaises portent Saint-Esprit.
I. Cor., XIV, 30, 31. Il s'agit de l'ordre à établir dans les réunions des fidèles :
« Que si l'un de ceux qui sont assis (dans le temple) a une révélation, que le premier se taise. Car vous pouvez tous prophétiser l'un après l'autre, afin que tous apprennent et que tous soient exhortés. »
Il résulte de cette instruction que prophétiser n'était autre chose que transmettre un enseignement ; c'est encore le rôle du médium parlant ou à incorporations.
Actes, XXIII, 6-9. Paul, s'adressant à une assemblée, disait :
« C'est à cause de l'espérance d'une autre vie et de la résurrection des morts que l'on veut me condamner... »
Il s'éleva un grand bruit, et quelques-uns des Pharisiens contestaient, en disant :
« Nous ne trouvons point de mal en cet homme. Que savons-nous si un esprit ou un ange ne lui a point parlé ? »
Actes, XVI, 16, 17, 18. Paul avait été averti en songe de passer en Macédoine avec Timothée :
« Ils rencontrèrent une jeune servante qui, ayant un esprit de Python, apportait un grand gain à ses maîtres en devinant. Elle se mit à les suivre pendant plusieurs jours, en criant : Ces hommes sont des serviteurs du Très-Haut, qui vous annoncent la voie du salut. »
L'expression « esprit de Python » désigne, dans le langage du temps, un mauvais esprit. Elle était employée par les Juifs orthodoxes, qui admettaient seulement le prophétisme officiel, reconnu, garanti par l'autorité sacerdotale, lorsque ses enseignements étaient conformes aux siens ; par contre, ils condamnaient le prophétisme populaire, pratiqué surtout par des femmes qui en tiraient parti, comme le font encore de nos jours certains médiums rétribués. Mais cette qualification d' « esprit de Python » était souvent arbitraire. Nous en trouvons la preuve dans ce fait que la voyante ou « pythonisse » d'Endor, qui servit d'intermédiaire à Saül pour communiquer avec l'Esprit de Samuel, possédait, elle aussi, suivant l'expression biblique, un « esprit de Python ». Il n'est pas possible cependant de confondre l'Esprit du prophète Samuel avec des esprits d'ordre inférieur. La scène décrite par la Bible est d'une imposante grandeur ; elle présente tous les caractères d'une manifestation élevée .
Dans le cas de la jeune servante, cité plus haut au sujet de Paul, si l'on admet que les mauvais esprits pouvaient prêcher l'Evangile à la suite des apôtres, il devenait difficile de distinguer la source des inspirations.
C'est à quoi on s'appliquait en toutes circonstances dans les assemblées des fidèles. Nous en trouvons l'affirmation dans un document célèbre, dont nous donnons ici l'analyse :
La Didachè, petit traité découvert en 1873 dans la bibliothèque du patriarcat de Jérusalem, à Constantinople, composé probablement en Egypte entre les années 120 et 160, répand un jour nouveau sur l'organisation de l'Eglise chrétienne au commencement du deuxième siècle, sur son culte et sa foi ; il comprend plusieurs parties : la première, essentiellement morale, embrasse six chapitres destinés à l'instruction des catéchumènes. Ce qui frappe surtout dans ce catéchisme, c'est l'absence complète de tout élément dogmatique. La deuxième partie traite du culte, c'est-à-dire du baptême, de la prière et de la communion ; la troisième renferme une liturgie et une discipline. Elle recommande l'observation du dimanche ; elle fournit des règles pour discerner les vrais prophètes (lisez médiums) des faux ; elle indique les conditions requises pour être évêque ou diacre, et se termine par un chapitre sur les choses finales et la Parousie ou retour du Christ.
Cet ouvrage présente un tableau de l'Eglise primitive bien différent de celui qu'on s'imagine habituellement . Les chrétiens d'alors connaissaient parfaitement les pratiques nécessaires pour entrer en relation avec les esprits, et ils ne se faisaient pas faute d'y recourir. En voici deux exemples tout à fait remarquables :
Le pape saint Léon avait écrit à Flavien, évêque de Constantinople, une lettre célèbre sur l'hérésie d'Eutychès et de Nestorius, mais, avant de l'expédier, il la déposa dans le tombeau de saint Pierre, qu'il avait fait ouvrir, et auprès duquel il se mit à prier et à jeûner pendant quatre jours, conjurant le prince des apôtres de corriger lui-même ce qui pourrait avoir échappé à sa faiblesse et à sa prudence, de contraire à la foi et aux intérêts de son Eglise. Au bout de quatre jours, le prince des apôtres lui apparut et lui dit : « J'ai lu et j'ai corrigé. » Le pape fait ouvrir le tombeau et trouve en effet l'écrit corrigé .
Mais voici mieux encore. Suivant Grégoire de Césarée  et après lui Nicéphore , un concile tout entier aurait évoqué les Esprits :
« Pendant que le concile tenait encore ses séances, et avant que les Pères aient pu en signer les décisions, deux pieux évêques, Chrysanthus et Mysonius, vinrent à mourir. Le concile, après avoir rendu sa sentence, regrettant vivement de n'avoir pu joindre leur vote à tous les autres, se porte en corps à leur tombeau et l'un des Pères prenant la parole : « Très saints pasteurs, dit-il, nous avons tous ensemble achevé notre carrière et combattu les combats du Seigneur ; si notre oeuvre lui est agréable, veuillez nous le faire savoir en y apposant votre signature. » Aussitôt la décision fut cachetée et déposée dans le tombeau, sur lequel on apposa le sceau du concile. Après avoir passé toute la nuit en prière, le lendemain, au point du jour, on brise les mêmes sceaux, et l'on trouve au bas du manuscrit les lignes suivantes revêtues des paraphes et des signatures des défunts consultés : « Nous, Chrysanthus et Mysonius, qui avons consenti, avec tous les Pères, au premier et saint Concile Oecuménique, quoique à présent dépouillés de nos corps, nous avons pourtant souscrit, de notre propre main, à leur décision. » L'Eglise, ajoute Nicéphore, considéra cette manifestation comme un triomphe remarquable et positif sur ses ennemis . »
Ce sont là deux faits d'écriture directe, phénomène constaté aussi de nos jours .
De même que les Pharisiens accusaient certains prophètes d'être animés de « l'esprit de Python », de même, parmi les prêtres catholiques de nos jours, il en est qui attribuent les manifestations spirites aux démons ou esprits infernaux : « Ce sont les démons », dit l'archevêque de Toulouse, dans son mandement du carême, 1875, « puisqu'il n'est pas permis de consulter les morts ; Dieu leur refuse la faculté de satisfaire à nos vaines curiosités. »
Il ne refusa cependant pas à Samuel, dans le cas rappelé plus haut, de satisfaire à la curiosité de Saül à Endor.
Mais tous les prêtres catholiques ne partagent pas cette opinion. Au sein du clergé, des esprits pénétrants ont compris l'importance des manifestations spirites et leur véritable caractère.
Le Père Lacordaire écrivait, le 20 juin 1853, à Mme Svetchine, à propos des tables tournantes :
« Peut-être aussi, par cette divulgation, Dieu veut-il proportionner le développement des forces spirituelles au développement des forces matérielles, afin que l'homme n'oublie pas, en présence des merveilles de la mécanique, qu'il y a deux mondes inclus l'un dans l'autre, le monde des corps et le monde des esprits. »
Le Père P. Le Brun, de l'Oratoire, dans son ouvrage intitulé : Histoire des pratiques superstitieuses, t. VI, p. 358, s'exprime ainsi :
« Les âmes qui jouissent de la béatitude éternelle, toutes abîmées dans la contemplation de la gloire de Dieu, ne laissent pas de s'intéresser encore à ce qui regarde les hommes dont elles ont éprouvé les misères ; et, comme elles sont parvenues au bonheur des anges, tous les écrivains sacrés leur attribuent le privilège de pouvoir, sous des corps aériens, se rendre visibles à leurs frères qui sont encore sur la terre, pour les consoler et leur apprendre les volontés divines. »
L'éminent prélat anglais Mgr Benson, fils de feu l'archevêque de Cantorbery, converti à la religion catholique, et qui fait partie du diocèse de Westminster, à Londres, expose dans le Daily Express , sa manière de voir sur le spiritisme. « Je suis convaincu, dit-il, que certaines manifestations psychiques nous permettent des relations avec l'âme des morts...
« Toute la race humaine sent la présence réelle des âmes autour d'elle depuis des siècles. On a enregistré des manifestations des Esprits et parlé de maisons hantées. Le phénomène a un fond absolu de vérité... Pour ma part, j'imagine que le monde des Esprits s'agite autour de nous, exerçant sa puissance, mais que certains de ces esprits, dans des cas dont les conditions exactes nous échappent, apparaissent véritablement. »
Dans ses Lettres à Mlle Th. V. , le P. Didon écrit ces paroles, au sujet d'une personne qui vient de mourir : « ... moi qui crois à l'action constante des esprits et des morts sur nous, je crois volontiers que cet être disparu vous garde et vous assiste invisiblement. »
Et plus loin, nous lisons :
« Je crois à l'influence divine que les morts et les saints exercent mystérieusement sur nous. Je vis en communion profonde avec ces invisibles et j'expérimente avec délices les bienfaits de leur secret voisinage. »
Le docteur Joseph Lapponi, médecin de deux papes : Léon XIII et Pie X, relate dans son ouvrage : l'Hypnotisme et le Spiritisme, de nombreux phénomènes spirites, dont il admet l'authenticité.
Ainsi, d'un côté, dans l'Eglise catholique, on condamne le spiritisme comme contraire aux lois de Dieu et de l'Eglise, et, de l'autre, on le considère comme un auxiliaire de la religion. En présence de telles contradictions, grande doit être la perplexité des croyants.
Il en est de même au sein des Eglises protestantes. Beaucoup de pasteurs, et non des moins éminents, viennent au spiritisme sans détours. Le pasteur Bénezech, de Montauban, nous écrivait en février 1905, au sujet de phénomènes observés par lui-même :
« Je pressens que le spiritisme pourrait bien devenir une religion positive, non pas à la manière des religions révélées, mais en qualité de religion établie sur des faits d'expérience et pleinement d'accord avec le rationalisme et la science. Chose étrange ! à notre époque de matérialisme, où les Eglises semblent sur le point de se désorganiser et de se dissoudre, la pensée religieuse nous revient par des savants, accompagnée du merveilleux des temps anciens. Mais ce merveilleux que je distingue du miracle, puisqu'il n'est qu'un naturel supérieur et rare, ne sera plus au service d'une Eglise particulièrement honorée des faveurs de la divinité ; il sera la propriété de l'humanité, sans distinction de cultes. Comme cela est plus grand et plus moral ! »
A Londres, le révérend Haweis prêchait naguère la « doctrine des Morts » dans l'église de Marylebone, et invitait ses auditeurs à passer dans la sacristie après ses sermons, pour examiner des photographies d'esprits.
Plus récemment encore, dans l'église Saint-Jacques, le même orateur prêchait sur « les tendances du spiritualisme moderne », et concluait en disant que « les faits spirites sont en parfaite concordance avec le mécanisme général et les théories de la religion chrétienne ». (Traduit de la revue Light, de Londres, 7 août 1897.)
Un certain nombre de pasteurs américains sont entrés dans cet ordre d'idées.
Les Neue Spiritualistische Blätter du 16 mars 1893 publient la traduction d'un article de M. Savage, pasteur de l'Eglise unitaire de Boston, dans lequel ce penseur, cet écrivain de mérite bien connu aux Etats-Unis, relate ses recherches dans le domaine psychique, et raconte de quelle façon il fut amené à ajouter foi aux faits spirites.
Nous reproduisons ici une partie de cet article :
« A l'égard de ces questions, j'étais, comme jadis les honnêtes gens de Jérusalem, de Corinthe et de Rome à l'égard du christianisme : il me semblait que c'était une superstition pestilentielle. Une fois, me fondant sur mon ignorance invincible, je fis contre ces idées un discours en quatre points, après lequel je m'étonnai fort qu'il y eût encore parmi mes connaissances des gens éclairés persistant tout de même à y croire... Je reconnus qu'il était de mon devoir d'étudier consciencieusement ces phénomènes, jusqu'à ce que je me sois fait une opinion intelligente sur leur valeur. Tels furent principalement les motifs qui me portèrent vers ces longues recherches.
« Dans ces recherches, j'ai suivi la méthode scientifique, la seule qui, selon moi, mène à la connaissance. Par une observation minutieuse, j'ai toujours cherché à me convaincre si j'avais affaire à un fait réel, et je n'ai accordé mon attention à aucune des manifestations qui se produisent dans les ténèbres, ou dans des conditions où je ne pouvais pas être sûr de mon affaire. Sans prétendre que les manifestations obtenues dans des conditions pareilles soient nécessairement dues à la fraude, je ne leur attribuai aucune valeur ; de plus, quoique je reconnusse fort bien qu'une chose reproduite dans d'autres conditions n'est pas une simple imitation, j'appris à fond l'art des escamoteurs, qui me devint assez familier. La majeure partie des manifestations qu'il me fallut reconnaître pour réelles et qui eurent pour effet de me convaincre, eurent lieu en présence de quelques amis sûrs et sans médium de profession.
« Une fois certain d'avoir affaire à un fait, j'appelai à mon aide toutes les théories possibles pour l'expliquer sans avoir recours à celle des esprits. Je ne dis pas : sans avoir recours à une explication surnaturelle, mais sans avoir recours à la théorie des esprits, car je ne crois à rien de surnaturel. S'il y a des esprits, notre incapacité à les voir ne les rend pas plus surnaturels que ne l'est, pour la science, l'atome que nous ne voyons pas davantage.
« Or, j'ai découvert des faits qui prouvent que le moi ne meurt pas et qu'après ce que nous appelons la mort, il est capable, dans de certaines conditions, d'entrer encore en communication avec nous. »
« Le révérend J. Page Hopps, dans une réunion de pasteurs à Manchester, affirmait « la communion des esprits dans le visible et l'invisible », et proposait la fondation d'une Eglise dont les voies seraient « les messages d'en haut. » (Aurore, juillet 1893.)
Dans un article du Pontefract Express, du 29 janvier 1898, le révérend C. Ware, ministre de l'Eglise méthodiste, parle longuement des Actes des Apôtres. Il engage les chrétiens « à faire une étude approfondie de ce livre, au point de vue des faits innombrables et merveilleux qu'il relate et qui ne sont autres que des phénomènes spirites. Il fait remarquer qu'au début de l'établissement du christianisme, deux classes de coopérateurs se trouvent constamment en contact : ce sont les esprits désincarnés et les incarnés. Le révérend Ware mentionne tous les phénomènes extraordinaires qui accompagnèrent la prédication des disciples, après que les langues de feu eurent été répandues sur leurs têtes, et l'ardente ferveur communiquée aux premiers chrétiens par ces phénomènes, qui tous se reproduisent actuellement dans les séances spirites ».
Le pasteur hollandais Beversluis, au Congrès spiritualiste tenu à Paris en 1900, prononçait ces paroles :
« J'ai acquis la certitude que le spiritisme est vrai... Cette lumière céleste fait disparaître la peur de l'enfer, de Satan et de ce Dieu terrible du calvinisme qui hait ses créatures et les condamne à une punition éternelle. Au lieu de cette frayeur, le spiritisme fait naître une confiance d'enfant et un dévouement tendre au Dieu d'amour. »
Enfin, dans une lettre publiée le 1° février 1906 par le Daily Mail, le vénérable archidiacre Colley s'exprime en ces termes :
« Je suis spirite depuis plus de trente-trois ans..., et je puis dire que... je n'ai jamais vu, ou bien rarement, que le spiritisme ait produit autre chose que du bien, se montrant une force pour l'élévation intellectuelle et morale de soi-même, pour l'amélioration humaine, un soulagement dans le malheur, une cause de satisfaction dans l'existence... Le spiritisme est en outre une cure pour le manque de foi, surtout parce qu'il fournit une preuve scientifique de la continuation de la vie au-delà de la tombe. »
Et il continue en disant qu'à son avis, le spiritisme est comme le couronnement de tout ce qu'il y a de plus précieux dans chaque religion .
N° 7. - LES PHENOMENES SPIRITES DANS LA BIBLE
On a beaucoup insisté sur les défenses de Moïse contenues dans l'Exode, le Lévitique, le Deutéronome. C'est en s'inspirant de ces défenses que certains théologiens condamnent l'étude et la pratique des faits spirites. Mais, ceux que Moïse condamne, ce sont les magiciens, les devins, les augures, en un mot tout ce qui constitue la magie, et c'est ce que fait le spiritualisme moderne lui-même. Ces pratiques faussaient la conscience du peuple, brisaient, son initiative ; elles obscurcissaient en lui l'idée divine, en affaiblissant la foi en cet Etre suprême et tout-puissant que le peuple hébreu avait mission de proclamer. Aussi les prophètes ne cessent-ils de le mettre en garde contre les « enchantements et les sortilèges » qui le perdent .
Les interdictions de Moïse et des prophètes n'avaient qu'un but : préserver les Hébreux de l'idolâtrie des peuples voisins. Peut-être aussi ne visaient-elles que l'abus, le mauvais usage des évocations, car, malgré ces prohibitions, les phénomènes spirites abondent dans la bible. Le rôle des voyants, des oracles, des pythonisses, des inspirés de tout ordre y est considérable. N'y voyons-nous pas Daniel, par exemple, provoquer par la prière des faits médianimiques ? (Daniel, IX, 21.) Le livre qui porte son nom est cependant considéré comme inspiré.
Comment les défenses de Moïse pourraient-elles servir d'argument aux croyants de nos jours, alors que pendant les trois premiers siècles de notre ère, les chrétiens n'y ont vu aucun obstacle à leurs relations avec le monde invisible ?
Saint Jean disait : « Ne croyez pas à tout esprit, mais éprouvez les esprits pour savoir s'ils viennent de Dieu. » (I, Jean, IV, 1.) Ce n'est pas là une prohibition, au contraire.
Les Hébreux, dont la croyance générale était que l'âme de l'homme, après la mort, se rend au scheol pour n'en plus sortir (Job, X, 21, 22), n'hésitaient pas à attribuer à Dieu même toutes ces manifestations. Dieu intervient à chaque instant dans la Bible, et parfois même dans des circonstances peu dignes de lui.
Il était d'usage de consulter les voyants sur tous les faits de la vie intime, sur les objets perdus, les alliances, les entreprises de tout ordre. On lit dans Samuel, I, IX, 9 :
« Jadis, lorsqu'on allait consulter Dieu, on disait : Venez, allons trouver le voyant ! - Car ceux qu'on appelle aujourd'hui prophètes, on les appelait voyants. »
Le grand prêtre lui-même rendait des jugements ou oracles au moyen d'un objet d'une nature restée inconnue, nommé urim, placé sur sa poitrine (Exode, XXVIII, 30. - Nombres, XXVII, 21).
Par une contradiction singulière chez ceux qui niaient les manifestations des âmes, on en venait parfois à évoquer les morts, admettant ainsi les faits après avoir nié la cause qui les produisait. C'est ainsi que Saül évoque l'esprit de Samuel chez la pythonisse d'Endor (I, Samuel, XXVIII, 7-14) .
Il résulte de ces récits que, malgré l'absence de toute notion sur l'âme et la vie future, malgré les défenses de Moïse, certains parmi les Hébreux croyaient à la survivance et à la possibilité de communiquer avec les morts. De là à expliquer l'inégalité d'inspiration des prophètes et leurs fréquentes erreurs par l'inspiration d'esprits plus ou moins éclairés, il n'y avait qu'un pas. Comment les auteurs juifs ne l'ont-ils pas franchi ? Il n'y a cependant pas d'autre explication. Dieu étant la sagesse infinie, il n'est pas possible de considérer comme venant de lui une doctrine qui néglige de fixer l'homme sur un point aussi essentiel que ses destinées d'outre-tombe ; tandis que les esprits ne sont que les âmes des hommes désincarnés, plus ou moins pures et éclairées, et ne possédant sur toute chose qu'un savoir limité. Leur inspiration, s'étendant sur les prophètes, devait nécessairement se traduire par des enseignements tantôt puissants et élevés, tantôt vulgaires et entachés d'erreurs.
Dans bien des cas même, ils durent tenir compte, dans leurs révélations, des nécessités du temps et de l'état arriéré du peuple auquel ils s'adressaient.
Peu à peu, les croyances des Juifs s'élargirent et se complétèrent au contact d'autres peuples plus avancés en civilisation. L'idée de la survivance et des existences successives de l'âme pénétra de l'Egypte et de l'Inde jusqu'en Judée. Les Saducéens reprochaient aux Pharisiens d'avoir emprunté aux Orientaux la croyance aux vies renaissantes de l'âme. Ce fait est affirmé par l'historien Josèphe (Antiq. Jud., l. XVIII). Les Esséniens et les Thérapeutes professaient la même doctrine. Peut-être même existait-il dès cette époque, en Judée, comme cela est prouvé plus tard, à côté de la doctrine officielle, une doctrine secrète plus complète, réservée aux intelligences d'élite .
Quoi qu'il en soit, revenons aux faits spirites mentionnés dans la Bible et qui établissent les relations des Hébreux avec les esprits des morts, dans des conditions analogues à celles que nous observons aujourd'hui.
Comme de nos jours, leurs médiums, qu'ils appelaient prophètes, étaient reconnus tels à cause d'une faculté spéciale (Nombres, XII, 6), parfois latente et exigeant un développement particulier, semblable à celui qui est usité encore dans les groupes spirites. C'est ce que nous voyons pour Josué, que Moïse « instruit » par l'imposition des mains (Nombres, XXXVII, 15-23). Ce fait se retrouve maintes fois dans l'histoire des apôtres.
Semblable à celle de nos médiums, la lucidité des prophètes était intermittente. « Les prophètes les plus éclairés », - dit Le Maistre de Sacy dans son commentaire du livre I des Rois, - « n'ont pas toujours la faculté entraînante dans la prophétie. » (Voir aussi Esaïe, XXIX, 10.)
De même qu'aujourd'hui, les rapports médianimiques tardaient parfois à s'établir ; Jérémie attend dix jours une réponse à sa supplication (Jér., XLII, 7).
D'autres exploitaient leur prétendue lucidité pour en faire métier et marchandise. Nous lisons dans Ezéchiel, XIII, 2, 3, 6 :
« Fils de l'homme, prophétise contre les prophètes d'Israël qui prophétisent selon leur propre coeur : Malheur aux prophètes insensés qui n'entendent que la voix de leur propre esprit !... Ils ont des visions de vanité et des divinations de mensonge, faisant parler l'Eternel qui ne les a point envoyés. Ils donnent des espérances que l'événement ne réalise point ! » Voir aussi Michée, III, 11 et Jér., V, 31.)
Dans l'antiquité juive, on avait souvent recours à la musique pour favoriser la pratique de la médiumnité ; Elisée demande un joueur de harpe pour pouvoir prophétiser (Rois, II, III, 15), et l'obscurité était regardée comme propice à cet ordre de phénomène. « L'Eternel veut habiter dans l'obscurité, » dit Salomon, parlant du lieu saint, lors de la dédicace du Temple (Chron. II, VI, 1), et c'est en effet dans le sanctuaire qu'ont lieu souvent les manifestations : la « nuée » s'y montre (Chron. II, V, 13, 14), et Zacharie y voit l'ange qui lui prédit la naissance de son fils (Luc, I, 10 et suiv.).
La musique était appelée également à calmer les personnes en proie à quelque mauvais esprit, ainsi que nous le voyons pour Saül, que soulageait la harpe du jeune David (Samuel, 1, XVI, 14-23).
Appréciant à sa valeur le don de la médiumnité, on s'appliquait, alors, comme aujourd'hui, à la faire naître ; seulement, ce qui se fait actuellement en petit parmi les spirites, se pratiquait jadis sur une plus grande échelle. Déjà Moïse, ce grand initié, avait communiqué, au désert, le don de prophétie à soixante-dix anciens d'Israël (Nombres, XI), et plus tard, en Judée, on comptait plusieurs écoles de prophètes, autrement dit de médiums, à Béthel, Jéricho, Galgala, etc.
La vie qu'on y menait, toute de recueillement, de prière, de méditation, prédisposait aux influences spirituelles. Certains prophètes prédisaient l'avenir ; les autres, parlant au peuple par inspiration, réchauffaient son zèle religieux et l'exhortaient à une vie morale.
Les expressions dont ils se servaient pour indiquer leur envahissement par l'Esprit, rappellent la manière dont ces phénomènes continuent à se produire de nos jours. « Le fardeau, ou le Verbe, du Seigneur est sur moi, disent-ils. La main du Seigneur est tombée sur moi. L'Esprit du Seigneur est entré en moi. J'ai vu et voici ce que dit le Seigneur. » Rappelons qu'à cette époque, on considérait toute inspiration comme provenant directement de la Divinité. « L'Esprit se précipite sur lui », dit encore l'Ecriture au sujet de Samson, dont la médiumnité avait pour caractéristique l'impétuosité. (Juges, XV, 14.)
Quant aux phénomènes eux-mêmes, un examen tant soit peu attentif des récits bibliques nous prouvera qu'ils étaient de même nature que ceux dont on est témoin aujourd'hui.
Passons-les rapidement en revue, en commençant par ceux qui, ayant, les premiers de nos jours, appelé l'attention sur le monde invisible, symbolisent encore, aux yeux de certains observateurs très superficiels ou peu initiés, le fait spirite lui-même : nous voulons parler des mouvements d'objets sans contact. La Bible (Rois, II, VI, 6) nous raconte qu'Elisée fait revenir à la surface, en jetant un morceau de bois dans l'eau, un morceau de fer qui y était tombé.
Pour la lévitation, ce même Elisée, transporté vers les exilés qui demeuraient près du fleuve du « Kebar » (Ez., III, 14, 15) ; Philippe, qui disparaît subitement aux yeux de l'Ethiopien et se retrouve à Azoth (Actes, VIII, 39, 40), en sont des exemples remarquables. On peut citer, à propos d'écriture médianimique, celui des Tables de la Loi (Exode, XXXII, 15, 16 ; XXXIV, 28). Toutes les circonstances dans lesquelles ces tables furent obtenues prouvent surabondamment l'intervention du monde invisible.
Non moins probante est l'inscription tracée par une main matérialisée, sur un mur du palais, pendant un festin que donnait le roi Balthazar (Daniel, ch, V).
On pourrait considérer comme phénomènes d'apports la manne qui nourrit les Israélites pendant leur marche vers Canaan, le pain et le vase d'eau placés auprès d'Elie à son réveil, lors de sa fuite au désert (Rois I. XIX, 5, 6), etc.
Tous les phénomènes lumineux observés aujourd'hui ont également leurs parallèles dans la Bible, depuis le rayonnement périsprital constaté chez Moïse (Ex., XXXIV, 29, 30) et le Christ (Transfiguration), la production de lumières (Actes, II, 3, et IX, 3), jusqu'aux apparitions complètes qui ne se comptent pas dans la Bible, tant elles sont fréquentes .
La médiumnité auditive a de nombreux représentants en Judée : les appels réitérés adressés au jeune Samuel (Sam. I, ch. III), la voix qui parle à Moïse (Exode, XIX, 19), celle qui se fait entendre au moment du baptême du Christ, (Luc, III, 22), comme celle qui le glorifie un peu avant sa mort (Jean, XII, 28), sont autant de faits spirites.
Les cures magnétiques sont innombrables. Tantôt la prière et la foi soutiennent l'action fluidique, comme dans le cas de la fille de Jaïre (Luc, VIII, 41, 42, 49-56) ; tantôt la force magnétique intervient seule, à l'insu de la volonté (Marc, V, 25-34) ; ou bien encore la guérison s'obtient par l'imposition des mains, ou au moyen d'objets magnétisés (Actes, XIX, 11-12).
La médiumnité au verre d'eau se retrouve également dans ces récits antiques. Qu'est-ce, en effet, que la coupe dont Joseph se servait (Genèse, XLIV, 5) « pour deviner », sinon le vulgaire verre d'eau ou la boule de cristal, ou tout autre objet présentant une surface polie, où les médiums actuels voient se dessiner des tableaux qu'ils sont seuls à percevoir ?
Dans la Bible, on peut constater encore des cas de clairvoyance, comprenant, alors comme aujourd'hui, songes, intuitions, pressentiments, formes ou dérivés de la médiumnité qui de tout temps ont été fort nombreux et se reproduisent sous nos yeux.
Disons encore un mot de l'inspiration, cet afflux de hautes pensées qui nous vient de l'Au-delà et donne à nos paroles quelque chose de surhumain. Moïse, chez qui se rencontrent tous les genres de médiumnité, chante à l'Eternel, en différents endroits, des cantiques inspirés, tel celui du chapitre XXXII du Deutéronome.
Un cas remarquable, noté dans les Ecritures, est celui de Balaam. Ce mage chaldéen cède aux sollicitations réitérées du roi de Moab, Balak, et vient du fond de la Mésopotamie pour maudire les Israélites. Sous l'influence de Jéhovah, il est contraint, à maintes reprises, de célébrer et de bénir ce peuple, au désappointement croissant de Balak .
Les hommes de Judée, ces prophètes à l'âme ardente, ont, eux aussi, éprouvé les bienfaits de l'inspiration, et c'est grâce à ce don, à ce souffle qui anime leurs discours, que l'antique Bible hébraïque doit d'avoir été longtemps considérée comme le produit d'une révélation divine. On a voulu ignorer les taches nombreuses qui s'y découvrent aux yeux d'un observateur non prévenu, l'insuffisance, la puérilité des conseils ou des renseignements demandés à Dieu (Gen., XXV, 22 ; Sam., I, IX, 6 ; Rois, II, 1, 2 ; Sam., I, XXX, 1-8), alors qu'on nous ferait avec raison un reproche de traiter de ces choses dans les groupes spirites. On oublie les cruautés approuvées, voire même commandées par Jéhovah, les détails scabreux, enfin tout ce qui, dans ce livre, nous révolte ou mérite notre blâme, pour n'y voir que les beautés morales qu'il renferme, et surtout l'expression d'une foi vivante et passionnée qui attend le règne de la justice, sinon pour la génération présente, que l'espoir seul console et soutient, du moins pour celles à venir.
N° 8. - SUR LE SENS ATTRIBUE AUX MOTS DIEUX ET DEMONS
Toute l'antiquité a admis l'existence des dieux, mot par lequel elle entendait les Esprits purs et élevés, et des demi-dieux ou héros, comme par les mots démons ou génies, elle en tendait les Esprits en général.
Les chrétiens eux-mêmes se servaient de ces appellations.
Saint Paul dit (Corinthiens, I, VIII, 5, 6) :
« Car, encore qu'il y en ait qui soient appelés dieux, soit au ciel, soit sur la terre, nous n'avons pourtant qu'un seul Dieu, qui est le Père, duquel sont toutes choses. »
Dans ses Commentaires sur saint Jean (liv. II, n° 2), Origène s'exprime ainsi :
« Le Dieu éternel a droit à plus d'hommages ; seul il a droit à l'adoration véritable et non les autres dieux qui vivent avec lui et sont ses ministres et ses subordonnés, étant lui-même leur Dieu et leur Créateur. »
Saint Augustin dit (De Civitate Dei, I. VIII, c. XXIV) :
« Les démons (mauvais esprits) ne peuvent être amis des dieux pleins de bonté que nous nommons les saints anges. »
C'est dans le même sens que saint Justin, dans son Discours aux Grecs, n° 5, dit :
« En suivant bien la foi, nous pouvons « devenir des dieux », et saint Irénée (Contrà haereses, L. IV, ch. XXXVIII) : « Nous ne sommes encore que des hommes, mais un jour nous serons des dieux. »
Le même saint Justin (Apologétique, I, 18), édition des Bénédictins de 1742, p. 54, écrit ceci, au sujet des manifestations des morts :
« La nécromancie, les évocations des âmes humaines... vous démontreront que les âmes, même après la mort, sont douées de sentiment ; ceux qui sont possédés par les esprits des morts sont appelés par tous démoniaques et furieux (et qui ab animabus mortuorum correpti projiciuntur, daemoniaci et furiosi ab omnibus appellati). »
N° 9. - SUR LE PERISPRIT OU CORPS SUBTIL ; OPINION DES PERES DE L'EGLISE
Aux citations contenues dans notre étude sur la résurrection des morts (chap. VII), nous ajouterons les opinions de quelques Pères de l'Eglise.
Tertullien déclare que la corporalité de l'âme est affirmée par les Evangiles : « Corporalitas animae in ipso Evangelio relucescit », car - ajoute-t-il - si l'âme n'avait pas un corps, « l'image de l'âme n'aurait pas l'image du corps ». (Traité De anima, chap. VII, VIII et IX, édition de 1657, p. 8.)
Saint Basile parle du corps spirituel comme avait fait Tertullien. Dans son traité du Saint-Esprit, il assure que les anges se rendent visibles par les espèces de leur propre corps, en apparaissant à ceux qui en sont dignes. (SAINT BASILE, Liber de Spiritu sancto, chap. XVI, édit. bénédictine de 1730, t. III, p. 32.)
Cette doctrine était aussi celle de saint Grégoire, de saint Cyrille d'Alexandrie et de saint Ambroise. Ce dernier s'exprime ainsi :
« Ne nous imaginons pas qu'aucun être soit exempt de matière dans sa composition, à l'unique exception de la substance de l'adorable Trinité. » (Abraham, lib. II, § 58 ; édit. bénédict. de 1686, t. I, col. 338.)
Saint Cyrille de Jérusalem écrit ceci :
« Le nom d'esprit est un nom générique et commun ; tout ce qui n'a pas un corps épais et lourd est, d'une façon générale, appelé esprit. » (Catechesis, XVI, édit. bénédict. de 1720, pp. 251, 252.)
En d'autres passages, saint Cyrille attribue, soit aux anges, soit aux démons, soit aux âmes des défunts, des corps plus subtils que le corps terrestre : Cat. XII, parag. 14 ; Cat. XVIII, parag. 19. » (Ouvrage cité, p. 252. Note du bénédictin dom A. Toutée.)
Evode, évêque d'Uzale, écrit en 414 à saint Augustin pour l'interroger sur la nature et la cause d'apparitions dont il lui donne plusieurs exemples, et pour lui demander si, après la mort :
« Quand l'âme a quitté ce corps grossier et terrestre, cette substance incorporelle ne demeure point unie à quelque autre corps non composé des quatre éléments comme celui-ci, mais plus subtil, et qui tienne de la nature de l'air ou de l'éther ? »
Et il termine ainsi sa lettre :
« Je crois donc que l'âme ne saurait être sans quelque corps. » (Oeuvres de saint Augustin, édit. bénédictine de 1679, t. II, lettre 158, col. 560 et suiv.)
Voir aussi la lettre de saint Augustin à Nébride, écrite vers 390, où l'évêque d'Hippone s'exprime ainsi :
« Il est nécessaire que tu te rappelles que souvent nous avons agité, dans des discussions qui nous laissaient tout hors d'haleine et tout échauffés, cette question de savoir si l'âme n'a point à demeure quelque espèce de corps, ou quelque chose d'analogue à un corps, que certains, comme tu le sais, appellent son véhicule. » (SAINT AUGUSTIN, Op. cit., t. II, lettre 14, col. 16 et 17.)
Enfin, saint Jean de Thessalonique résume la question en ces termes, dans sa déclaration au deuxième concile de Nicée (787), lequel adopta ses vues :
« Sur les anges, les archanges et sur les puissances, et j'ajoute aussi sur les âmes, l'Eglise décide que ces êtres sont à la vérité spirituels, mais non complètement privés de corps, et doués au contraire d'un corps ténu, aérien, ou igné. Nous savons que c'est ainsi que beaucoup de saints Pères ont pensé, parmi lesquels Basile, surnommé le grand, le bienheureux Athanase, et Méthodius, et ceux qui sont placés auprès d'eux. Il n'y a que Dieu seul qui soit incorporel et sans forme. Quant aux créatures spirituelles, elles ne sont nullement incorporelles. » (Hist. universelle de l'Eglise catholique, par l'abbé ROHRBACHER, docteur en théologie, t. XI, pp. 209, 210.)
Un concile tenu à Vienne, en Dauphiné, le 3 avril 1312, sous Clément V, déclara hérétiques ceux qui n'admettraient point la matérialité de l'âme. (Le Spiritualisme dans l'histoire, par M. ROSSI DE GIUSTINIANI.)
Nous avons cru devoir rappeler ces opinions, parce qu'elles constituent autant d'affirmations en faveur de l'existence du périsprit. Celui-ci n'est autre chose, en réalité, que ce corps subtil, enveloppe inséparable de l'âme, indestructible comme elle, entrevu par les autorités ecclésiastiques de tous les temps.
Ces affirmations sont complétées par les témoignages de la science actuelle. Les enquêtes successives de la Société des recherches psychiques, de Londres, ont établi seize cents cas d'apparitions de « fantômes » des vivants et des morts. L'existence du périsprit est prouvée, en outre, par de nombreux moulages de mains et de visages fluidiques matérialisés ; par les phénomènes d'extériorisation et de dédoublement de vivants ; par la vision des médiums et somnambules ; par des photographies de défunts, en un mot par un imposant ensemble de faits dûment constatés . (Voir note n° 12.)
Certains écrivains catholiques confondent volontiers l'action du périsprit et ses manifestations après la séparation du corps humain avec l'idée de la « résurrection de la chair ». Nous avons déjà fait remarquer que cette expression se rencontre peu dans les Ecritures. On y trouve plutôt celle de « résurrection des morts ». (Voir, par exemple, I, Cor., XV, 15 et suiv.)
La résurrection de la chair est rendue impossible par ce fait que les molécules composant notre corps actuel ont appartenu dans le passé à des milliers de corps humains, comme elles appartiendront à des milliers d'autres corps dans l'avenir. Au jour du jugement, lequel de ceux-ci pourrait revendiquer la possession de ces molécules errantes ?
La résurrection est un fait spirite, que le spiritisme seul rend compréhensible. Pour l'expliquer, les catholiques sont obligés de recourir au miracle, c'est-à-dire à la violation par Dieu des lois naturelles par lui-même établies.
Comment, sans l'existence du périsprit, sans la double corporalité de l'homme, pourrait-on expliquer les nombreux cas de bilocation relatés dans les annales du catholicisme ?
Alphonse de Liguori fut canonisé pour s'être montré simultanément en deux lieux différents.
Saint Antoine défend son père d'une accusation de meurtre devant le tribunal de Padoue, et dénonce le vrai coupable, au même moment où il prêchait en Espagne devant de nombreux fidèles.
Saint François Xavier se montre plusieurs fois à la même heure en des milieux fort éloignés l'un de l'autre.
Est-il possible de voir en ces faits autre chose que des cas de dédoublement de l'être humain et l'action à distance de son enveloppe fluidique ?
Il en est de même des nombreuses apparitions de morts mentionnées par les Ecritures. Elles ne sont explicables que par l'existence d'une forme semblable à celle que l'esprit possédait sur terre, mais plus subtile et plus ténue, et survivant à la destruction du corps charnel. Sans périsprit, sans forme, comment les Esprits pourraient-ils se faire reconnaître des hommes ? comment pourraient-ils se reconnaître entre eux dans l'espace ?
N° 10. - GALILEE ET LA CONGREGATION DE L'INDEX
Voici un extrait du texte de la condamnation de Galilée en 1633, photographié aux archives du Vatican par un fervent catholique, le comte Henri de l'Epinois :
« Tu as été dénoncé en 1615 au Saint-Office :
« Parce que tu soutenais comme vraie une doctrine fausse que beaucoup répandaient, à savoir : « que le soleil est immobile au centre du monde et que la terre a un mouvement diurne » ;
« Parce que tu enseignais cette doctrine à tes disciples ; parce que tu entretenais à ce sujet une correspondance avec des mathématiciens de Germanie ; parce que tu publiais des lettres sur les taches solaires, dans lesquelles tu présentais cette doctrine comme la vérité ; parce qu'aux objections qu'on t'adressait, tu répondais en expliquant la sainte Ecriture d'après ton idée...
« Le tribunal a voulu parer aux inconvénients et aux dommages qui en provenaient et s'aggravaient au détriment de la foi.
« D'après l'ordre du pape et des cardinaux, les théologiens chargés de cette mission ont qualifié ainsi les deux propositions :
« Le soleil est au centre du monde et immobile. »
« Proposition absurde, fausse en philosophie et hérétique dans son expression, car elle est contraire à la sainte Ecriture.
« La terre n'est pas le centre du monde ; elle n'est pas immobile, mais elle se meut par un mouvement diurne.
« Proposition également absurde et fausse en philosophie, et considérée au point de vue théologique, erronée dans la foi...
« Nous déclarons que tu t'es rendu follement suspect d'hérésie :
« Parce que tu as cru et soutenu une doctrine fausse et contraire aux saintes et divines Ecritures, à savoir : que le soleil est le centre de l'univers et ne se meut nullement d'orient en occident ; que la terre se meut et n'est point le centre du monde ;
« Parce que tu as cru que tu pouvais soutenir, comme probable, une opinion qui a été déclarée contraire à la sainte Ecriture.
« En conséquence, nous déclarons que tu as encouru toutes les censures et peines portées par les sacrés canons et autres constitutions générales et particulières contre ceux qui désobéissent aux statuts et autres décrets promulgués.
« Desquelles censures il nous plaît de t'absoudre, pourvu que, préalablement, avec un coeur sincère et une foi réelle, tu abjures devant nous, tu maudisses et détestes, suivant la formule que nous te présentons, les dites erreurs et hérésies, et toute autre erreur et hérésie contraire à l'Eglise catholique, apostolique, romaine.
« Et, afin que ta grave et pernicieuse erreur et ta désobéissance ne restent pas impunies ;
« Afin qu'à l'avenir tu sois plus réservé et que tu serves d'exemple aux autres pour qu'ils évitent ces délits :
« Nous déclarons que, par édit public, le livre des Dialogues, de Galilée, est prohibé.
« Nous te condamnons à la prison ordinaire de ce Saint-Office pour un temps qui sera limité à notre gré ;
« A titre de pénitence salutaire, nous t'ordonnons de réciter pendant trois ans, une fois par semaine, les sept psaumes de la Pénitence.
« Nous réservant le pouvoir de modérer, de changer et de remettre tout ou partie des peines et pénitences ci-dessus. »
Un théologien dicta, il y a quinze ans, à M. Henri Lasserre, les lignes suivantes, que l'auteur de Notre-Dame de Lourdes et de la Traduction nouvelle des Evangiles, (ce dernier ouvrage condamné aussi par l'Index) relate dans ses Mémoires à sa Sainteté :
« Ce décret, qui anathématisa l'admirable découverte du grand astronome et qui le punit de la prison, fut une double et complète erreur.
« Il fut une erreur incidente et secondaire sur l'astronomie ; il fut, avant tout, une erreur principale sur la doctrine.
« Chose remarquable : par toutes les paroles du décret la Sacrée Congrégation s'était condamnée elle-même.
« En qualifiant d'absurde, c'est-à-dire de contraire à la raison, ce qui lui est conforme, la Sacrée Congrégation s'était convaincue d'être en dehors de la raison et opposée à la raison.
« En qualifiant de faux, c'est-à-dire de contraire à la vérité, ce qui lui est conforme, elle s'était convaincue d'être en dehors de la vérité et opposée à la vérité.
« En qualifiant d'hérésie, c'est-à-dire de contraire à l'orthodoxie, ce qui est une loi divine de l'univers visible, elle s'était convaincue d'être hors de l'orthodoxie et opposée à l'orthodoxie, car, si c'est une hérésie que de s'affranchir de la croyance en un dogme de l'Eglise, ce n'est pas une moindre hérésie que de vouloir imposer comme dogme ce qui n'en est point un, et particulièrement l'erreur, laquelle, de soi, est comme l'antinomie de tous les dogmes.
« En qualifiant de contraire aux Ecritures une merveilleuse ordonnance du Créateur, la Sacrée Congrégation s'était convaincue d'être en dehors de la science des Ecritures et opposée à leur véritable interprétation.
« Chacun à Rome, pris à part, ne tarda pas, dans l'intime abandon de la causerie, à confesser et à déplorer la faute commise par les éminentissimes juges.
« Toutefois, ce qui fut déplorable encore, c'est que, malgré les plaintes et réclamations, malgré les preuves et malgré les évidences, malgré les ordres de Benoît XIV et une sentence de radiation que ce pontife fit prendre le 10 mai 1754, malgré un second décret de même nature, rendu par Pie VII le 25 septembre 1822, la répugnance à se déjuger elle-même ou à être déjugée par le pape est si forte dans la Congrégation romaine que, pendant plus de deux siècles et à l'encontre de la vérité connue, ce tribunal maintint son décret sur le catalogue de l'Index librorum prohibitorum.
« Les ouvrages contenant les découvertes de Galilée et de Copernic, condamnés le 23 août 1635 avec les qualifications d'absurdes, de faux, d'hérétiques, de contraires aux saintes et divines Ecritures, n'ont été effacés de l'Index que dans l'édition de 1835. Ils y ont séjourné deux cents ans. »
N° 11. - PIE X ET LE MODERNISME
Le décret Lamentabili sane exitu (3 juillet 1907) vise :
« Les écrivains qui, sortant des limites fixées par les Pères et la sainte Eglise elle-même, poursuivent un progrès des dogmes sous prétextes de les mieux comprendre et au nom de recherches historiques, mais en réalité les corrompent. »
Parmi les propositions condamnées, figurent :
« 11°. L'inspiration divine ne s'étend pas de telle sorte à toute la sainte Ecriture, qu'elle la préserve de toute erreur dans toutes et chacune de ses parties. »
Ainsi l'idée de la stabilité de la terre et toutes les erreurs scientifiques de la Bible seraient inspirées, et il est défendu de dire le contraire.
« 22°. Les dogmes que l'Eglise propose comme révélés ne sont pas des vérités descendues du ciel, mais ils sont une certaine interprétation des faits religieux que l'esprit humain s'est acquise par un laborieux effort. »
Il résulte de la condamnation de cette proposition que l'esprit humain est impuissant à découvrir la moindre vérité dans l'ordre religieux, et à s'élever de lui-même à la conception de l'existence de Dieu et de l'immortalité de l'âme.
« 53°. La constitution organique de l'Eglise n'est pas immuable, mais la société chrétienne reste sujette, comme toute société humaine, à une évolution perpétuelle. »
Ainsi liée par ses propres enseignements, l'Eglise ne peut rien modifier, même dans « sa constitution organique ». Or, il résulte de faits patents qu'elle a souvent et grandement changé. Expliquera qui pourra cette anomalie. On ne peut lancer une condamnation plus téméraire.
Inutile de faire remarquer que ces divers règlements nous ramènent aux temps de l'inquisition, par le fait qu'ils s'imposent aux consciences en vertu d'un prétendu pouvoir divin.
N° 12. - LES PHENOMENES SPIRITES CONTEMPORAINS ; PREUVES D'IDENTITE DES ESPRITS
Grâce au spiritualisme expérimental, le problème de la survivance, dont les conséquences philosophiques et morales sont incalculables, a reçu une solution définitive. L'âme est devenue objective, parfois tangible : son existence s'est révélée, après la mort comme pendant la vie, par des manifestations de tout ordre.
Les phénomènes physiques n'offraient au début qu'une base insuffisante d'argumentation ; mais, depuis, les faits ont revêtu un caractère intelligent. Ils se sont accentués au point que toute négation est devenue impossible.
C'est par des preuves positives que la question de l'existence de l'âme et de son immortalité a été tranchée. Les radiations de la pensée sont photographiées ; l'esprit revêtu de son corps fluidique, de son enveloppe impérissable, apparaît sur la plaque sensible. Son existence est devenue aussi certaine que celle du corps physique.
L'identité des Esprits est établie par des faits innombrables ; nous croyons devoir en citer quelques-uns :
M. Oxon (aliàs Stainton Moses), professeur à l'Université d'Oxford, dans son livre Spirit Identity, rapporte le cas où la table donne un récit long et circonstancié de la mort, de l'âge, jusqu'au nombre de mois, et les petits noms (quatre pour l'un d'entre eux et trois pour un autre) de trois petits êtres, enfants d'un même père, à qui ils avaient été enlevés subitement par la mort. « Nul de nous n'avait connaissance de ces noms peu communs. Ils étaient morts dans l'Inde, et, quand le message nous fut donné, nous n'avions aucun moyen apparent de vérification. » Cette révélation fut cependant contrôlée et reconnue exacte plus tard, par le témoignage de la mère de ces enfants, dont M. Oxon fit ultérieurement la connaissance.
Le même auteur cite le cas d'un nommé Abraham Florentine, mort aux Etats-Unis, tout à fait inconnu des expérimentateurs, et dont l'identité fut rigoureusement constatée.
L'histoire de Siegwart Lekebusch, jeune tailleur qui périt écrasé par un train de chemin de fer, prouve encore qu'il est contraire à la vérité d'affirmer que les personnalités qui se manifestent par la table sont toujours connues des assistants.
D'après Animisme et Spiritisme, d'Aksakof, l'identité posthume des esprits se prouve :
1° Par des communications de la personnalité dans sa langue maternelle, ignorée du médium (voir p. 538, le cas de miss Edmonds, de M. Turner, de miss Scongall et de Mme Corvin, qui s'entretint avec un assistant au moyen de gestes empruntés à l'alphabet des sourds-muets, qui lui était inconnu à l'état de veille).
2° Au moyen de communications données dans le style caractéristique du défunt, ou avec des expressions qui lui étaient familières, reçues en l'absence de personnes l'ayant connu (p. 543). Achèvement d'un roman de Dickens, Edwin Drood, par un jeune ouvrier illettré, sans qu'il soit possible de constater où se termine le manuscrit original et où commence la communication médianimique.
Voir par exemple l'histoire de Louis XI, écrite par Mlle Hermance Dufaux, à l'âge de quatorze ans. (Revue spirite, 1858.) Cette histoire, très documentée, contient des renseignements inédits jusqu'alors.
3° Par des phénomènes d'écriture où l'on reconnaît celle du défunt (p. 345). Lettre de Mme Livermore, écrite par elle-même après sa mort. Cet esprit a établi son identité en se montrant, écrivant et causant comme durant sa vie. Fait remarquable : l'esprit a même écrit, en français, langue ignorée du médium, Kate Fox. Le cas où M. Owen obtint une signature d'esprit qui fut reconnue identique par un banquier (voir Guldenstubbe, la Réalité des Esprits). Ecriture directe d'une parente de l'auteur, reconnue identique à son écriture de son vivant. (Ces faits ont été obtenus nombre de fois dans notre propre cercle d'expériences.)
4° Par des communications contenant un ensemble de détails relatifs à la vie du défunt, et reçues en l'absence de toute personne l'ayant connu (voir p. 436). Par la médiumnité de Mme Conant, un grand nombre d'esprits inconnus du médium ont été identifiés avec des personnes ayant vécu dans différents pays (p. 559 et suivantes). Le cas du vieux Chamberlain, celui de Violette, de Robert Dale Owen, etc.
5° Par la communication de faits qui n'ont pu être connus que du défunt et que, seul, il a pu communiquer (voir p. 466). Le cas du fils du docteur Davey, empoisonné et volé en mer, fait reconnu exact par la suite : découverte du testament du baron Korff ; l'esprit Jack, qui indique ce qu'il doit et ce qui lui est dû, etc.
6° Par des communications qui ne sont pas spontanées, comme celles qui précèdent, mais provoquées par des appels directs au défunt, et reçues en l'absence de personnes ayant connu ce dernier (voir p. 585). Réponse, par des esprits, à des lettres fermées (médium Mansfield). Ecriture directe donnant la réponse à une question inconnue du médium, M. Watkins.
7° Par des communications reçues en l'absence de toute personne ayant connu le défunt, et qui trahissent certains états psychiques ou provoquent des sensations physiques qui lui étaient propres (p. 597). L'esprit d'une folle, encore troublé dans l'espace. Le cas de M. Elie Pond, de Woonsoket, etc.
(Ces phénomènes se sont produits un nombre considérable de fois dans les séances que nous avons dirigées nous-même.)
8° Par l'apparition de la forme terrestre du défunt (p. 605).
Parfois, les esprits se sont servis des défectuosités naturelles de leur organisme matériel pour se faire reconnaître après leur mort, en reproduisant ces accidents par des matérialisations. Tantôt, c'est une main avec deux doigts recourbés vers la paume, à la suite d'une brûlure, ou bien avec l'index plié sur la deuxième phalange, etc.
Nous pourrions allonger indéfiniment cette liste d'identité d'esprits. Un certain nombre figurent aussi en notre livre Dans l'Invisible, chap. XXI. Voir aussi notre dernier ouvrage le Monde Invisible et la guerre, chap. XXV, les cas Wilkinson et Mérou.
Nous croyons devoir ajouter les trois cas suivants, qui nous paraissent caractéristiques et appuyés sur des témoignages importants.
Le premier, rapporté par Myers, dans son ouvrage sur la Conscience subliminale, concerne une personne bien connue de l'auteur, M. Brown, dont il garantit la parfaite sincérité. Un jour, ce monsieur rencontre un nègre en qui il reconnaît un Cafre ; il lui parle la langue de son pays et l'invite à lui rendre visite. Au moment où ce nègre se présente chez lui, la famille de M. Brown se livrait à des expériences spirites. Le visiteur introduit, on s'informe s'il y aurait de ses amis présents à la séance. Aussitôt la jeune fille de la maison, qui ne connaissait pas un mot de cafre, écrit plusieurs noms en cette langue. Lus au nègre, ils provoquent chez lui une vive stupeur. Puis vient un message en langue cafre, dont il comprend tout à fait la lecture, à l'exception d'un mot inconnu de M. Brown. En vain celui-ci le prononce de diverses manières, le visiteur n'en saisit pas le sens. Tout à coup, le médium écrit : « Fais claquer la langue. » Alors M. Brown se rappelle soudain le claquement caractéristique de la langue qui accompagne le son de la lettre t, dans l'alphabet cafre. Il prononce en conséquence et se fait comprendre immédiatement.
Les Cafres ignorant l'art d'écrire, M. Brown s'étonnait de recevoir un message écrit. Il lui fut répondu que ce message avait été dicté, à la demande des amis du Cafre, par un de ses amis à lui, parlant couramment cette langue. Le nègre semblait terrifié à la pensée que des morts étaient là, invisibles.
Le second cas est relatif à l'apparition d'un esprit, nommé Nephentès, dans une séance tenue à Christiania, chez le professeur E., avec Mme d'Espérance comme médium. L'esprit donna le moulage de sa main dans la paraffine. Ce modèle en creux, porté chez un professionnel pour qu'il en fît le relief, excita sa stupéfaction et celle de ses ouvriers : ils comprenaient bien qu'une main humaine n'avait pu le produire, parce qu'elle l'aurait brisé en se retirant, et déclarèrent que c'était une oeuvre de sorcellerie.
Une autre fois, Nephentès écrivit sur le carnet du professeur E. des caractères grecs. Traduites, le lendemain, du grec ancien en langage moderne, ces paroles disaient : « Je suis Nephentès, ton amie. Lorsque ton âme sera oppressée par trop de douleur, invoque-moi, Nephentès, et j'accourrai promptement pour soulager tes peines. »
Enfin, le troisième cas est certifié authentique par M. Chedo Mijatovitch, ministre plénipotentiaire de Serbie à Londres, et nullement spirite en 1908, date de sa communication au Light. Prié par des spirites hongrois de se mettre en rapport avec un médium, pour résoudre certaine question relative à un ancien souverain serbe, mort vers 1350, il se rendit chez M. Vango, dont on parlait beaucoup à cette époque et qu'il n'avait jamais vu auparavant. Endormi, le médium annonça la présence d'un jeune homme très désireux de se faire entendre, mais dont il ne comprenait pas la langue. Pourtant, il finit par en reproduire quelques mots, en commençant, chose curieuse, chacun d'eux par la dernière syllabe, pour la répéter ensuite dans l'ordre voulu, en remontant jusqu'à la première. Ainsi : « lim, molim ; te, shite, pishite ; liyi, taliyi, Nataliyi, etc. ». C'était du serbe, dont voici la traduction :
« Je te prie de vouloir écrire à ma mère Nathalie, en lui disant que j'implore son pardon. » L'esprit était celui du jeune roi Alexandre. M. Chedo Mijatovitch en douta d'autant moins que de nouvelles preuves d'identité s'ajoutèrent bientôt à la première : description de son apparence par le médium, et son regret de ne pas avoir suivi un conseil confidentiel que lui avait donné, deux ans avant son assassinat, le diplomate consultant. (Voir, pour ces trois cas, les Annales des Sciences psychiques, 1° et 16 janvier 1910, pp. 7 et suiv.)

FIN
INDEX ALPHABETIQUE

Abstinence, 31
Aksakof, 41; 132; 155; 157; 158; 248
Allan Kardec, 151; 173; 185
Ancien Testament, 19; 211; 213; 214; 215; 216; 225
Anges, 36; 37; 42; 48; 75; 82; 214; 225; 229; 240; 241; 242
Apparitions, 37; 38; 39; 41; 48; 49; 75; 128; 131; 132; 133; 134; 135; 136; 138; 154; 238; 241; 242; 244
Ascétisme, 31
Augustin, 48; 62; 63; 213; 221; 223; 240; 241; 242
Aveugle-né, 33; 34; 221
Baptême, 16; 32; 44; 53; 78; 97; 98; 227; 238
Basile, 241; 242
Belzébuth, 50; 81
Bénezech (Pasteur), 230
Benson (Mgr), 229
Béraut-Bercastel (Abbé), 223
Beversluis (Pasteur), 232
Bible, 42; 88; 90; 98; 99; 121; 211; 212; 214; 215; 225; 227; 233; 234; 236; 237; 238; 239; 246
Bona (Cardinal), 49
Bureau Julia, 150
Calvin, 63; 98; 213
Catéchisme, 9; 79; 90; 91; 227
Catholicisme, 3; 8; 10; 61; 76; 80; 93; 94; 95; 97; 99; 102; 113; 114; 115; 116; 243
Charité, 9; 23; 31; 45; 67; 73; 79; 86; 143; 201; 202; 208
Christ, 1; 2; 9; 11; 15; 16; 17; 18; 19; 22; 23; 24; 25; 29; 30; 37; 38; 39; 40; 42; 43; 45; 46; 47; 51; 55; 57; 58; 59; 61; 63; 64; 65; 70; 77; 79; 82; 83; 84; 86; 89; 98; 99; 100; 113; 115; 117; 118; 120; 170; 208; 209; 217; 218; 219; 220; 221; 222; 227; 238
Christianisme, 2; 3; 15; 16; 18; 19; 20; 23; 24; 25; 26; 27; 28; 29; 31; 37; 39; 41; 43; 46; 47; 49; 50; 52; 61; 65; 76; 77; 79; 82; 83; 86; 88; 95; 96; 99; 100; 116; 117; 120; 170; 206; 207; 216; 224; 231; 232
Colley (Archidiacre), 232
Communion, 78; 79; 97; 115; 227
Communion des saints, 26; 27
Concile (Evocation d'esprits dans un), 228
Confession, 53; 78; 79; 98; 207
Constantin, 8; 46; 47
Création, 16; 28; 64; 66; 68; 71; 85; 87; 88; 89; 145; 174; 184; 186; 189; 203; 212; 213
Crime, 61; 73; 107
Crookes (W), 41; 126; 132; 155; 157
Culte, 2; 9; 11; 28; 30; 60; 80; 81; 82; 84; 94; 97; 99; 203; 211; 213; 227
Cyrille (S.), 241
Damnation, 62; 63; 74; 85; 90; 98; 198
Démons, 49; 50; 58; 67; 81; 163; 164; 223; 224; 225; 228; 229; 240; 241
Didon (Le Père), 10; 221; 230
Dieu, 11; 16; 19; 26; 28; 30; 31; 32; 35; 38; 39; 42; 44; 45; 46; 48; 50; 52; 53; 54; 55; 56; 57; 58; 59; 60; 61; 62; 63; 64; 65; 66; 67; 68; 69; 70; 73; 74; 76; 77; 78; 79; 80; 81; 85; 86; 87; 89; 90; 91; 94; 95; 96; 99; 108; 109; 110; 113; 114; 117; 118; 119; 120; 121; 143; 144; 145; 146; 147; 149; 163; 165; 168; 169; 170; 177; 179; 181; 182; 183; 184; 185; 186; 187; 188; 189; 190; 192; 194; 199; 202; 203; 207; 208; 209; 211; 212; 214; 215; 217; 219; 221; 222; 223; 224; 229; 230; 232; 234; 235; 239; 240; 242; 243
Divinité du Christ, 17; 55; 57; 59; 64; 220
Dogmes, 3; 4; 13; 16; 28; 50; 51; 53; 60; 61; 65; 76; 77; 78; 81; 82; 84; 91; 92; 96; 98; 99; 114; 118; 124; 147; 194; 206
Ecriture directe, 124; 140; 141; 142; 151; 228
Ecriture médianimique, 143; 150; 164; 238
Education morale, 91; 194
Eglise romaine, 2; 7; 11; 29; 67; 71; 84; 85; 93; 95; 97; 98; 114; 115; 116; 211
Eglise universelle, 208
Elie, 33; 34; 37; 238
Enfer, 17; 27; 53; 61; 64; 65; 66; 67; 68; 69; 70; 73; 74; 85; 89; 159; 164; 194; 232
Enseignement laïque, 91; 100; 102
Erreurs de l'Eglise catholique, 84; 89; 116
Esprit-Saint, 225
Esprits, 23; 27; 32; 33; 37; 40; 41; 42; 43; 44; 45; 46; 48; 49; 50; 51; 52; 53; 55; 58; 59; 63; 65; 66; 67; 75; 76; 81; 84; 85; 86; 87; 89; 96; 97; 98; 102; 112; 114; 117; 122; 123; 127; 128; 130; 131; 133; 134; 135; 139; 140; 142; 150; 151; 152; 153; 154; 155; 157; 158; 159; 160; 162; 164; 165; 167; 168; 169; 170; 171; 172; 173; 174; 178; 179; 181; 184; 185; 189; 191; 192; 193; 194; 195; 196; 197; 198; 199; 200; 201; 204; 205; 207; 208; 209; 212; 213; 216; 223; 224; 225; 227; 228; 229
Eternité, 13; 146; 149; 186
Eternité des peines, 70; 187
Eucharistie, 79
Eusapia Paladino, 133; 137; 138
Evangiles. Apocryphes, 16; 218
Evangiles. Authenticité, 18; 22; 25; 37; 99; 100; 219
Evangiles. Origine, 15; 24; 98; 212; 213; 217
Evangiles. Sens caché, 12; 23; 220; 221
Fraudes, 133; 154; 155; 161; 197; 213
Galilée, 11; 88; 156; 244; 245; 246
Grégoire de Nysse, 48; 70
Guérisons, 58; 219
Haweis (Révérend), 230
Hérédité, 62; 107; 110; 112
Hérésies, 16
Hermas, 35; 44
Identité (Preuves d'), 3; 196
Immaculée Conception, 53; 61; 76
Inconscient (Théorie de l'), 160; 161; 163
Infaillibilité pontificale, 11
Janet (Pierre), 158; 159
Janvier (Le Père), 66; 150; 224; 232
Jean-Baptiste (S.), 34
Jérôme (S.), 20; 21; 35; 46; 48; 49; 69; 113; 145; 221; 223; 225
Justin (S.), 240
Kardec (Allan), 151; 173; 184; 185
Lacordaire (Le Père), 229
Langues (Don des), 41
Lapponi (Dr Joseph), 230
Le Brun (Le Père), 229
Liberté de penser, 95
Loisy (Abbé), 10; 215
Lombroso, 133; 135; 137; 155; 157
Lusitania (Torpillage du), 161
Luther, 98; 213
Maistre (De), 118
Mal, 61; 62; 66; 68; 71; 72; 73; 74; 110; 176; 178; 195
Martyrs, 42; 57; 112
Matérialisme, 12; 62; 67; 84; 92; 102; 103; 104; 105; 106; 107; 113; 114; 147; 166; 192; 204; 207; 230
Maxwell, 136
Médiumnité vénale, 164; 197
Médiums, 3; 40; 43; 50; 58; 124; 128; 131; 136; 138; 139; 140; 143; 150; 151; 152; 154; 155; 158; 159; 162; 196; 226; 227; 236; 237; 239; 243
Méric (Mgr), 70
Miracle, 39; 40; 58; 89; 120; 230; 243
Miraculeux (Faits), 42
Modernisme, 8; 115; 246
Moïse, 37; 213; 216; 222; 234; 235; 236; 237; 238; 239
Mort, 24; 64; 108; 113; 131; 156; 175; 177; 191; 192; 197
Mouls (Xavier), 196
Myers, 103; 150; 155; 157; 249
Nietzsche, 109
Origène, 16; 26; 35; 36; 46; 51; 52; 70; 75; 219; 220; 223; 240
Ostwald, 104
Ouija, 161; 162
Owen (Robert Dale), 132; 155; 248
Oxon (Professeur), 247
Passavalli (Mgr), 223; 224
Paul (S.), 39; 51; 95
Péché originel, 53; 60; 61; 77; 78; 90; 98
Pénitence, 16; 33; 70; 78; 245
Pensée libre, 88
Périsprit, 3; 48; 58; 74; 75; 130; 131; 163; 174; 175; 177; 179; 241; 242; 243; 244
Pessimisme, 108
Philosophie Grecque, 18
Photographie, 128; 129; 155; 176
Pie X, 8; 115; 230; 246
Pluralité des vies, 34; 36; 224
Prédestination, 17; 62; 63; 98
Prière, 9; 45; 47; 59; 80; 129; 143; 144; 145; 149; 190; 198; 227; 228; 234; 237; 238
Prophètes, 18; 31; 34; 40; 42; 44; 49; 52; 53; 139; 169; 215; 216; 227; 228; 234; 235; 236; 237; 239
Protestantisme, 1; 76; 97; 98; 99
Purgatoire, 71; 89
Python (Esprit de), 226; 227; 228
Rationalisme, 96; 230
Rédemption, 17; 61; 62; 63; 64; 65; 82; 97; 191
Réincarnation, 32; 33; 34; 35; 76; 147; 148; 159; 171; 172; 181; 182; 221; 222; 223; 224
Religion et religions, 1; 2; 5; 10; 15; 25; 26; 27; 28; 30; 47; 52; 53; 57; 76; 77; 82; 84; 86; 93; 95; 100; 102; 109; 118; 119; 120; 202; 203; 206; 207; 208; 211; 224; 229; 230; 231; 233
Résurrection, 17; 24; 39; 57; 74; 75; 76; 85; 207; 218; 219; 226; 241; 243
Richet (Ch.), 103; 131; 136; 157; 160; 165
Rochas (De), 103; 129; 131; 136; 157
Sacrements, 60; 78
Saint-Esprit, 33; 54; 77; 225; 226; 241
Satan, 17; 27; 65; 66; 67; 71; 73; 74; 164; 207; 219; 232
Savage (Pasteur), 133; 231
Science, 2; 4; 5; 9; 11; 29; 35; 41; 44; 48; 66; 67; 73; 77; 87; 88; 89; 92; 96; 103; 104; 105; 106; 110; 113; 116; 119; 120; 121; 124; 126; 127; 128; 129; 136; 147; 153; 157; 165; 166; 168; 176; 184; 190; 194; 202; 203; 204; 205; 206; 230; 231; 242; 246
Séailles, 105
Soury (Jules), 103; 109
Spiritualisme moderne, 6; 12; 23; 44; 49; 59; 60; 71; 117; 119; 120; 122; 154; 164; 166; 168; 171; 172; 173; 184; 186; 190; 202; 207; 209; 231; 234
Stead (William), 132; 134; 135; 150; 151; 155
Suggestion, 58; 122; 157; 158; 159; 160
Talmud, 12; 25; 222
Tertullien, 75; 220; 241
Traducianisme, 62
Trinité, 54; 77; 98; 214; 220; 225; 241
Univers, 54; 64; 86; 88; 89; 90; 91; 92; 97; 103; 104; 107; 108; 109; 116; 120; 121; 127; 139; 146; 147; 148; 154; 157; 167; 169; 171; 174; 181; 182; 183; 184; 185; 186; 187; 188; 189; 191; 203; 204; 205; 214; 244; 246
Vulgate, 20; 21; 69; 225
Ware (Révérend C.), 232
Xénoglossie, 42

TABLE DES MATIERES
INTRODUCTION    1
PREFACE DE LA DEUXIEME EDITION    5
I. - ORIGINE DES EVANGILES    9
II. - AUTHENTICITE DES EVANGILES    11
III. - SENS CACHE DES EVANGILES    14
IV. - LA DOCTRINE SECRETE    18
V. - RELATIONS AVEC LES ESPRITS DES MORTS    23
VI. - ALTERATION DU CHRISTIANISME. LES DOGMES    32
VII. - LES DOGMES (suite), LES SACREMENTS,  LE CULTE    38
VIII. - DECADENCE DU CHRISTIANISME    51
IX. - LA NOUVELLE REVELATION.  LE SPIRITISME ET LA SCIENCE    72
LA PRIERE    85
LE CIEL ETOILE. LES MONDES    86
LA REINCARNATION    87
LA NATURE    88
INVOCATIONS    88
X. - LA NOUVELLE REVELATION ; LA DOCTRINE DES ESPRITS    100
XI. - RENOVATION    113
NOTES COMPLEMENTAIRES    125
N° 1. - SUR L'AUTORITE DE LA BIBLE  ET LES ORIGINES DE L'ANCIEN TESTAMENT    125
N° 2. - SUR L'ORIGINE DES EVANGILES    129
N° 3. - SUR L'AUTHENTICITE DES EVANGILES    131
N° 4. - SUR LE SENS CACHE DES EVANGILES    132
N° 5. - SUR LA REINCARNATION    133
N° 6. - SUR LES RELATIONS DES PREMIERS CHRETIENS AVEC LES ESPRITS    136
N° 7. - LES PHENOMENES SPIRITES DANS LA BIBLE    142
N° 8. - SUR LE SENS ATTRIBUE AUX MOTS DIEUX ET DEMONS    146
N° 9. - SUR LE PERISPRIT OU CORPS SUBTIL ; OPINION DES PERES DE L'EGLISE    147
N° 10. - GALILEE ET LA CONGREGATION DE L'INDEX    149
N° 11. - PIE X ET LE MODERNISME    151
N° 12. - LES PHENOMENES SPIRITES CONTEMPORAINS ; PREUVES D'IDENTITE DES ESPRITS    152
INDEX ALPHABETIQUE    155