Índice do Blog – Parte 1 – Parte 2
Animisme
et
Spiritisme
Essai d’un examen critique
Des phénomènes médiumniques
Spécialement en rapport avec les hypothèses de la « force nerveuse »,
De l’ « hallucination » et de l’ « inconscient »
Comme réponse
À l’ouvrage du Dr Ed. von Hartman, intitulé : « Le Spiritisme »
Par
Alexandre Aksakof
Directeur des Psychische Studien (Recherches psychiques), à Leipzig
Avec portrait de l’auteur, et dix planches
Traduit de l’éditeur russe par Berthold Sandow
AVANT-PROPOS DU TRADUCTEUR
Selon un arrangement passé avec M. Alexandre Aksakof, conseiller d'État actuel de S. M. l'Empereur de Russie, j'ai assumé la responsabilité de publier en français son œuvre si connue à l'étranger : Animismus und Spiritismus. Le philosophe bavarois M. Carl Du Prel me recommandait cette œuvre comme indispensable à tout chercheur consciencieux ; j'étais de son avis. J'ai confié la traduction de l'ouvrage à M. B. Sandow, notre collaborateur, en raison de ses connaissances linguistiques ; j'ajouterai que les épreuves définitives ont été soumises à l'approbation de l'auteur. Je laisse au traducteur le soin de présenter au public français quelques considérations sur « Animisme et Spiritisme » et sur les origines de ce volume.
L'éditeur : P.-G. Leymarie.
L’œuvre que nous présentons au public n'a pas été écrite dans le but spécial de défendre la cause spirite, mais plutôt pour préserver cette doctrine contre les attaques sérieuses futures auxquelles elle serait indubitablement exposée, dès le moment où les faits sur lesquels elle se base seront admis par la science.
La lecture de ce livre produira certainement une impression profonde sur l'esprit de tous ceux que captive le problème de la vie et qui méditent sur les destinées humaines. Les spirites n'y trouveront sans doute que la confirmation, scientifiquement formulée, de leurs croyances ; les incrédules, qu'ils le soient de parti pris ou qu'ils se complaisent simplement dans la quiétude d'un scepticisme indifférent, seront au moins conduits vers le doute, qui résume, malgré tout, la suprême sagesse chez l'homme, lorsqu'il n'a pas, pour sanctionner ses convictions, une certitude absolue.
C'est à une plume beaucoup plus autorisée que la mienne qu'il appartiendrait de présenter « Animisme et Spiritisme » aux lecteurs français. Mais aucune nécessité de ce genre ne s'impose, car le nom de l'écrivain suffit pour recommander son œuvre ; et d'ailleurs, sa « Préface» justifie amplement, devant tous les penseurs, la publication du livre : elle expose d'une façon admirable la profession de foi de l'auteur et fait connaître nettement le but qu'il a poursuivi. On ne saurait rien y ajouter.
Mon rôle doit donc, ici, se borner à mentionner brièvement quelques détails ayant trait aux origines de ce travail.
Ainsi qu'on peut le voir en tête du volume, il a été écrit en réponse à une brochure que le philosophe allemand bien connu Edouard von Hartmann, - continuateur de Schopenhauer, - publia en 1885, sur le Spiritisme.
La première édition originale (allemande) de Animismus und Spiritismus[1] (Leipzig, 1890) provoqua de la part du docteur von Hartmann, une réplique intitulée « l'Hypothèse des esprits et ses fantômes » (Berlin, 1891), dans laquelle il revient, avec insistance, sur les arguments qu'il avait déjà donnés. Cette fois, ce fut le savant Carl Du Prel qui se chargea de continuer contre cet adversaire si redoutable la polémique que l'état de sa santé forçait malheureusement M. Aksakof à suspendre.
Ni la réponse du Dr Carl Du Prel ni les deux publications du Dr von Hartmann n'ont jusqu'à présent été traduites en français ; mais cette lacune ne diminuera pas sensiblement l'intérêt que le lecteur attentif trouvera dans cette œuvre, étant donné que l'auteur y reproduit in extenso les principaux arguments de son adversaire.
Il me reste à fournir quelques indications sur les sources dont je me suis servi pour donner à cette traduction une fidélité aussi scrupuleuse que possible.
J'ai traduit du texte allemand même les nombreuses citations extraites du livre du Dr von Hartmann. Les renvois se rapportent donc naturellement à l'édition allemande, puisque, comme je l'ai dit plus haut, il n'existe aucune traduction française de ce livre. La partie du texte primitif d'Animisme et Spiritisme, écrite par l'auteur en langue française, m'a permis de fixer dans la traduction une terminologie consacrée déjà par l'auteur lui-même. Pour les changements apportés dans l'édition russe, parue en 1893, j'ai soigneusement consulté cette édition ; quant aux citations de source anglaise, je n'ai pas eu sous les yeux tous les textes originaux et me suis ainsi trouvé obligé, pour beaucoup d'entre eux, de m'en tenir aux traductions allemande et russe, qui ne laissent, je m'empresse d'ajouter, rien à désirer. Ai je encore besoin, après ces constatations, de solliciter l'indulgence du lecteur ?
Mes efforts seront, j'espère, appréciés d'une façon équitable par ceux qui s'intéressent à ces questions d'une importance si capitale.
Je ne puis omettre, en terminant, d'exprimer ma plus vive reconnaissance à mon savant ami, le Dr H., pour le précieux concours qu'il a bien voulu me prêter. J'ai eu recours à ses lumières pour la traduction de divers passages d'ordre scientifique et technique, et je puis dire que j'ai toujours trouvé auprès de lui des conseils aussi éclairés que bienveillants.
Je dois enfin remercier M. Leymarie d'avoir bien voulu me confier ce travail aussi délicat qu'intéressant.
B. Sandow
PRÉFACE DE L'EDITION ALLEMANDE
Aujourd'hui que ma réponse à M. Hartmann, après quatre années de travail accompli au milieu de souffrances morales et physiques, est enfin prête, je ne crois pas inutile de donner aux personnes qui me liront quelques mots d'explication pour les guider dans leur lecture.
M. Hartmann, en écrivant son ouvrage sur le « Spiritisme », a imaginé, pour en expliquer les phénomènes, une théorie basée uniquement sur l'acceptation conditionnelle de leur réalité, c'est-à-dire ne les admettant que provisoirement, avec les caractères qui leur sont attribués dans les annales du spiritisme. Par conséquent, le but général de mon travail n'a pas été de prouver et de défendre à tout prix la réalité des faits médiumniques, mais d'appliquer à leur explication une méthode critique, conforme aux règles indiquées par M. Hartmann.
C'est donc un travail comparable à la solution d'une équation algébrique dont les inconnues n'auraient qu'une valeur supposée.
Seul, le premier chapitre, traitant des matérialisations, se distingue, sous ce rapport, du reste de l'ouvrage, car ici M. Hartmann, tout en admettant la réalité subjective ou psychique du phénomène considéré par lui comme une hallucination, avait exigé, pour l'adoption de sa réalité objective, certaines conditions d'expérimentation auxquelles j'ai tâché de satisfaire. Ainsi donc, je n'ai à prendre la défense des faits ni devant les spirites, qui n'en doutent pas, ni devant ceux qui les nient à priori, car il s'agit ici non de les discuter, mais d'en chercher l'explication.
II est indispensable que cet état de choses soit précise de prime abord, pour que les personnes non spirites qui pourraient songer à me critiquer ne fassent pas fausse route en se rabattant, comme d'ordinaire, sur l'impossibilité, l’invraisemblance, la fraude inconsciente ou consciente, etc.
Quant aux critiques qui auront pour objet de faire ressortir les erreurs d'application de la méthode, elles seront pour moi les bienvenues.
Cela dit une fois pour toutes, je préciserai que le but spécial de mon travail a été de rechercher si les principes méthodologiques proposés par M. Hartmann suffisent, comme il l'affirme, pour dominer l'ensemble des phénomènes médiumniques et pour en donner une « explication naturelle » - selon son expression - qui soit à la fois simple et rationnelle. Mieux encore : les hypothèses explicatives de M. Hartmann, une fois admises, excluent-elles vraiment toute nécessité de recourir à l'hypothèse spiritique ?
Or les hypothèses proposées par M. Hartmann sont bien arbitraires ; bien hardies, bien larges ; par exemple :
Une force nerveuse qui produit, en dehors du corps humain des effets mécaniques et plastiques ; des hallucinations doublées de cette même force nerveuse et produisant également des effets physiques et plastiques ; une conscience somnambulique latente qui est capable - le sujet se trouvant à l'état normal - de lire, dans le fond intellectuel d'un autre homme, son présent et son passé ; et enfin, cette même conscience disposant, aussi à l'état normal du sujet, d'une faculté de clairvoyance qui le met en rapport avec l'Absolu, et lui donne, par conséquent, la connaissance de tout ce qui est et a été !
Il faut convenir qu'avec des facteurs aussi puissants et dont le dernier est positivement « surnaturel » ou « métaphysique », - ce dont M. Hartmann convient, - toute discussion devient impossible. Mais il faut rendre à M. Hartmann cette justice qu'il a tenté lui-même de fixer les conditions et les limites dans lesquelles chacune de ses hypothèses est applicable.
Ma tâche était donc de rechercher s'il n'existe pas des phénomènes que les hypothèses de M. Hartmann - dans les limites ou conditions où elles sont applicables d'après ses propres règles - sont impuissantes à expliquer.
En affirmant l'existence de ces phénomènes, ai-je bien soutenu ma thèse ? Ce n'est pas à moi de me prononcer sur ce point.
Je me suis intéressé au mouvement spirite dès 1855, et depuis lors, je n'ai cessé de l'étudier dans tous ses détails et à travers toutes les littératures. Longtemps j'acceptai les faits sur le témoignage d'autrui ; ce n'est qu'en 1870 que j'assistai à la première séance, dans un cercle intime que j'avais formé. Je ne fus pas surpris de constater que les faits étaient bien tels qu'ils m'avaient été rapportés par d'autres ; j'acquis la profonde conviction qu'ils nous offraient - comme tout ce qui existe dans la nature, - une base vraiment solide, un terrain ferme, pour le fondement d'une science nouvelle qui serait peut-être capable, dans un avenir éloigné, de fournir à l'homme la solution du problème de son existence. Je fis tout ce qui était en mon pouvoir pour faire connaître les faits et attirer sur leur étude l'attention des penseurs exempts de préjugés.
Mais, pendant que je me dépensais à ce travail extérieur, un travail intérieur se faisait.
Je crois que tout observateur sensé, dès qu'il se met à étudier ces phénomènes, est frappé de ces deux faits incontestables : l'automatisme évident des communications spiritiques et la fausseté impudente, et tout aussi évidente, de leur contenu ; les grands noms dont elles sont souvent signées sont la meilleure preuve que ces messages ne sont pas ce qu'ils ont la prétention d'être ; de même, pour les phénomènes physiques simples, il est tout aussi évident qu'ils se produisent sans la moindre participation consciente du médium, et rien, au premier abord, ne justifie la supposition d'une intervention des « esprits ». Ce n'est que dans la suite, quand certains phénomènes d'ordre intellectuel nous obligent à reconnaître une force intelligente extra médiumnique, qu'on oublie ses premières impressions et qu'on envisage avec plus d'indulgence la théorie spiritique, en général.
Les matières que j'avais accumulées tant par la lecture que par l'expérience pratique étaient considérables, mais la solution du problème ne venait pas. Au contraire, les années se passant, les côtés faibles du spiritisme ne devenaient que plus apparents : la banalité des communications, la pauvreté de leur contenu intellectuel, même quand elles ne sont pas banales, le caractère mystificateur et mensonger de la plupart des manifestations, l'inconstance des phénomènes physiques quand il s'agit de les soumettre à l'expérience positive, la crédulité, l'engouement, l'enthousiasme irréfléchi des spirites et des spiritualistes, enfin la fraude qui fit irruption avec les séances obscures et les matérialisations, - que je connus non seulement par la lecture, mais que je fus forcé de constater par ma propre expérience, dans mes rapports avec les médiums de profession les plus renommés, - en somme une foule de doutes, d'objections, de contradictions et de perplexités de toute sorte, ne faisaient qu'aggraver les difficultés du problème.
Les impressions du moment, les arguments qui viennent vous assaillir, font passer l'esprit d'un extrême à l'autre et le jettent dans le doute et l'aversion les plus profonds. En se laissant entraîner sur cette pente, on finit souvent par oublier le pour, pour ne plus voir que le contre. Souvent, en m'occupant de cette question, mon esprit s'est arrêté sur les grandes illusions par lesquelles l'humanité a passé dans son évolution intellectuelle ; en récapitulant toutes les théories erronées, depuis celle de l'immobilité de la terre et de la marche du soleil, jusqu'aux hypothèses admises par les sciences abstraites et positives, je me demandai si le spiritisme n'était pas destiné à être une de ces illusions ? En me laissant aller à ces impressions défavorables, je me serais aisément découragé, mais j'avais pour me soutenir des considérations plus élevées et une série de faits incontestables qui avaient, pour plaider leur cause, un défenseur tout-puissant : la Nature elle-même.
Je désirais, depuis longtemps, m'orienter dans cet ensemble imposant de faits, d'observations et d'idées ; aussi suis-je très reconnaissant à M. Hartmann d'avoir bien voulu nous donner sa critique du spiritisme ; il m'a forcé à me mettre au travail et, en même temps, m'a beaucoup aidé en me fournissant le cadre, la méthode nécessaire pour me diriger dans ce chaos.
Je me suis d'autant plus volontiers mis à l'œuvre, que les armes créées par M. Hartmann pour l'attaque ont été bien puissantes, même toutes-puissantes : ne dit-il pas lui-même que sous le coup de ces armes aucune théorie spirite ne résistera ?
Son distingué traducteur anglais, M. C. C. Massey, admet aussi que cet ouvrage est le coup le plus fort qui ait été porté au spiritisme. Et, comme un fait exprès, l'ouvrage de M. Hartmann parut juste au moment où la disposition sceptique de mon esprit prenait le dessus.
Si donc, après un examen attentif de tous les phénomènes médiumniques, j'avais trouvé que les hypothèses de M. Hartmann peuvent les embrasser tous, en en donnant une explication simple et rationnelle, je n'aurais pas hésité à abjurer complètement l'hypothèse spiritique. La vérité subjugue.
Je ne pus me retrouver dans ce dédale de faits qu'à l'aide d'un index systématique, composé au fur et à mesure de mes lectures ; en les groupant sous différentes rubriques, genres et sous-genres, selon la valeur de leur contenu et les conditions de leur production, nous arrivons (par voie d'élimination ou par gradation) des faits simples à des faits plus complexes, nécessitant une nouvelle hypothèse.
Les ouvrages spiritiques, et surtout les journaux, manquent complètement d'index systématique. Celui, par exemple, que vient de publier M. Blackburn, pour toutes les années du Spiritualist, ne peut être d'aucune utilité pour une étude critique. Mon travail sera le premier essai de ce genre, et j'espère qu'il pourra servir au moins de manuel ou de guide pour la composition des index systématiques des phénomènes médiumniques, index indispensables pour rétablissement et la vérification de toute méthode critique, appliquée à l'examen et à l'explication de ces faits.
Le groupement des phénomènes et leur subordination, voilà la vraie méthode qui a donné de si grands résultats dans l'étude des phénomènes du monde visible, et qui en donnera de tout aussi importants quand elle sera appliquée à l'étude des phénomènes du monde invisible ou psychique.
Ce qui a valu au spiritisme un accueil si peu raisonnable et si peu tolérant, c'est que, dès son invasion en Europe sous sa forme la plus élémentaire, les tables tournantes et parlantes, l'ensemble de tous ses phénomènes fut immédiatement attribué, par la masse aux « esprits ».
Cette erreur était pourtant inévitable et, par conséquent, excusable en face des faits toujours plus nombreux, aussi nouveaux que mystérieux et de nature à frapper d'étonnement les témoins abandonnés à leurs propres conjectures. De leur côté, les adversaires du spiritisme tombaient dans l'extrême opposé, ne voulant rien savoir des « esprits » et niant tout. La vérité ici, comme toujours, se trouve entre les deux.
La lumière pour moi ne commença à poindre que le jour où mon Index me força d'introduire la rubrique de l'Animisme, c'est-à-dire lorsque l'étude attentive des faits m'obligea à admettre que tous les phénomènes médiumniques, quant à leur type, peuvent être produits par une action inconsciente de l'homme vivant, - conclusion qui ne reposait pas sur une simple hypothèse ou sur une affirmation gratuite, mais sur le témoignage irrécusable des faits eux-mêmes, - d'où cette conséquence, que l'activité psychique inconsciente de notre être n'est pas limitée à la périphérie du corps et qu'elle ne présente pas un caractère exclusivement psychique, mais quelle peut aussi franchir les limites du corps, en produisant des effets physiques et même plastiques ; donc, que cette activité peut être intra-corporelle et extracorporelle.
Cette dernière offre un champ d'exploration tout nouveau, plein de faits merveilleux, généralement considérés comme surnaturels ; c'est ce domaine, aussi immense, sinon plus, que celui du Spiritisme, que j'ai désigné sous le nom d'Animime, afin de l'en différencier d'une façon catégorique.
Il est extrêmement important de reconnaître et d'étudier l'existence et l'activité de cet élément inconscient de notre nature, dans ses manifestations les plus variées et les plus extraordinaires, comme nous les voyons dans l’Animisme. Ce n'est qu'en prenant ce point de départ qu'il est possible d'accorder une raison d'être aux phénomènes et aux prétentions du spiritisme, car si quelque chose survit au corps et persiste, c'est précisément notre inconscient ou, mieux, cette conscience intérieure que nous ne connaissons pas à présent, mais qui constitue l'élément primordial de toute individualité.
De cette façon, nous avons à notre disposition non une, mais trois hypothèses, susceptibles de fournir l'explication des phénomènes médiumniques, hypothèses dont chacune a sa raison d'être pour l'interprétation d'une série de faits déterminés ; par conséquent, nous pouvons ranger tous les phénomènes médiumniques en trois grandes catégories qu'on pourrait désigner de la manière suivante :
1° Personnisme. - Phénomènes psychiques inconscients, se produisant dans les limites de la sphère corporelle du médium, ou intra-médiumniques, dont le trait distinctif est, principalement, la personnification, c'est-à-dire l'appropriation (ou l'adoption) du nom et souvent du caractère d'une personnalité étrangère à celle du médium. Tels sont les phénomènes élémentaires du médiumnisme : la table parlante, l'écriture et la parole inconsciente. Nous avons ici la première et la plus simple manifestation du dédoublement de la conscience, ce phénomène fondamental du médiumnisme. Les faits de cette catégorie nous révèlent le grand phénomène de la dualité de l'être psychique, de la non-identité du moi individuel, intérieur, inconscient, avec le moi personnel, extérieur et conscient ; ils nous prouvent que la totalité de l'être psychique, son centre de gravité, n'est pas dans le moi personnel ; que ce dernier n'est que la manifestation phénoménale du moi individuel (nouménal) ; que, par conséquent, les éléments de cette phénoménalité (nécessairement personnels) peuvent avoir un caractère multiple, - normal, anormal ou fictif, - selon les conditions de l'organisme[2]. Cette rubrique donne raison aux théories de la « cérébration inconsciente » de Carpenter, du « somnambulisme inconscient ou latent » du docteur Hartmann, de « l'automatisme psychique » de MM. Myers, Janet et autres.
Par son étymologie, le mot personne serait tout à fait apte à rendre compte du sens qu'il faut attacher au mot personnisme. Le latin persona se rapportait anciennement au masque que les acteurs mettaient sur leur visage pour jouer la comédie, et plus tard on désigna par ce mot l'acteur lui-même.
2° Animisme. - Phénomènes psychiques inconscients se produisant en dehors des limites de la sphère corporelle du médium, ou extra-médiumniques[3]. Nous avons ici la manifestation culminante du dédoublement psychique ; les éléments de la personnalité franchissent les limites du corps et se manifestent à distance par des effets non seulement psychiques, mais encore physiques et même plastiques, et allant jusqu'à la pleine extériorisation ou objectivation, prouvant par là qu'un élément psychique peut être non seulement un simple phénomène de conscience, mais encore un centre de force substantielle pensante et organisatrice, pouvant aussi, par conséquent, organiser temporairement un simulacre d'organe, visible ou invisible, et produisant des effets physiques.
Le mot âme (anima), avec le sens qu'il a généralement dans le spiritisme et le spiritualisme, justifie pleinement l'emploi du mot animisme. D'après la notion spiritique, l'âme n'est pas le moi individuel (qui appartient à l'esprit), mais l'enveloppe, le corps fluidique ou spirituel de ce moi. Par conséquent, nous aurions, dans les phénomènes animiques, des manifestations de l'âme, comme entité substantielle, ce qui expliquerait que ces manifestations peuvent revêtir aussi un caractère physique ou plastique, d'après le degré de désagrégation du corps fluidique ou du « périsprit », ou encore du « métaorganisme », selon l'expression de Hellenbach. Et, comme la personnalité est le résultat direct de notre organisme terrestre, il s'ensuit naturellement que les éléments animiques (appartenant à l'organisme spirituel) sont aussi les porteurs de la personnalité.
3° Spiritisme. - Phénomènes de personnisme et d'animisme en apparence, mais qui reconnaissent une cause extra-médiumnique, supraterrestre, c'est-à-dire en dehors de la sphère de notre existence. Nous avons, ici, la manifestation terrestre du moi individuel au moyen de ceux des éléments de la personnalité qui ont eu la force de se maintenir autour du centre individuel, après sa séparation d'avec le corps et qui peuvent se manifester par la médiumnité ou l'association avec les éléments psychiques homogènes d'un être vivant. Ce qui fait que les phénomènes du spiritisme, quant à leur mode de manifestation, sont semblables à ceux du personnisme et de l'animisme et ne s'en distinguent que par le contenu intellectuel qui trahit une personnalité indépendante.
Les faits de cette dernière catégorie une fois admis, il est clair que l'hypothèse qui en ressort peut également s'appliquer aux faits des deux premières catégories ; elle n'est que le développement ultérieur des hypothèses précédentes. La seule difficulté qui se présente, c'est que, souvent, les trois hypothèses peuvent servir à titre égal à l'explication d'un seul et même fait. Ainsi, un simple phénomène de personnisme pourrait aussi être un cas d''animisme ou de spiritisme. Le problème est donc de décider à laquelle de ces hypothèses il faut s'arrêter, car on se tromperait en pensant qu'une seule suffit à dominer tous les faits. La critique défend d'aller au-delà de celle qui suffit pour l'explication du cas soumis à l'analyse[4].
Ainsi donc, la grande erreur des partisans du Spiritisme est d'avoir voulu attribuer tous les phénomènes, généralement connus sous ce nom, aux « esprits ». Ce nom, à lui seul, suffit pour nous engager dans une mauvaise voie. Il doit être remplacé par un autre, par un terme générique, n'impliquant aucune hypothèse, aucune doctrine, comme par exemple le mot médiumnisme, dénomination que nous avons depuis longtemps introduite en Russie.
Toute nouvelle vérité, dans le domaine des sciences naturelles, fait son chemin lentement, graduellement, mais sûrement. Il a fallu cent ans pour faire accepter les faits du magnétisme animal, quoiqu'ils soient bien plus faciles à obtenir et à étudier que ceux du médiumnisme. Après bien des vicissitudes, ils ont enfin rompu les barrières hautaines de l' « ignorabimus » des savants ; la science a dû leur faire bon accueil, et elle a fini par adopter ce fils bien légitime, en le baptisant du nom d'hypnotisme. Il est vrai que cette science nouvelle s'en tient principalement à ses formes élémentaires, sur le terrain physiologique. Mais la suggestion verbale conduira fatalement à la suggestion mentale, et déjà des voix s'élèvent qui l'affirment.
C'est le premier pas dans la voie du suprasensible. On arrivera, tout naturellement et inévitablement, à reconnaître l'immense domaine des phénomènes télépathiques et un groupe de savants intrépides et infatigables les ont déjà étudiés, acceptés et classés. Ces faits ont une haute valeur pour l'explication et la légitimation des autres faits tant animiques que spiritiques. Encore un peu, et nous voici arrivés aux faits de clairvoyance, - ils frappent déjà aux portes du sanctuaire !
L'hypnotisme est le coin qui forcera les remparts matérialistes de la science, pour y faire pénétrer l'élément suprasensible ou métaphysique. Il a déjà créé la psychologie expérimentale[5] qui finira fatalement par comprendre les faits de l’Animisme et du Spiritisme, lesquels, à leur tour, aboutiront à la création de la métaphysique expérimentale, comme Schopenhauer l'a prédit.
Aujourd'hui, grâce aux expériences hypnotiques, la notion de la personnalité subit une complète révolution. Ce n'est plus une unité consciente, simple et permanente, comme l'affirmait la vieille école, mais une « coordination psychophysiologique » un ensemble cohérent, un consensus, une synthèse, une association des phénomènes de la conscience, bref un agrégat d'éléments psychiques ; par conséquent, une partie de ces éléments peut, dans certaines conditions, se dissocier, se détacher du noyau central, au point que ces éléments prennent pro tempore le caractère d'une personnalité indépendante. Voilà une explication provisoire des variations et des dédoublements de la personnalité, observés dans le somnambulisme et l'hypnotisme. Dans cette explication nous voyons déjà le germe d'une hypothèse plausible pour les phénomènes du médiumnisme, et effectivement on commence à l'appliquer aux phénomènes élémentaires, que messieurs les savants veulent bien reconnaître à présent, sous le nom « d'automatisme psychologique[6] ».
Si la science n'avait pas dédaigné les faits du magnétisme animal, dès le début, ses études sur la personnalité auraient fait un pas immense et seraient entrées dans le domaine du savoir commun ; la masse se serait alors comportée autrement à l'égard du spiritisme, et la science n'aurait pas tardé à voir, dans ces phénomènes supérieurs, un nouveau développement de la désagrégation psychologique, et cette hypothèse, avec certains développements, aurait pu même s'appliquer aussi à tous les autres genres de phénomènes médiumniques ; ainsi dans les phénomènes supérieurs d'ordre physique (mouvements d'objets sans contact, etc.), elle aurait vu un phénomène de désagrégation à effet physique, et dans les faits de matérialisation, un effet de désagrégation à effet plastique.
Un médium, d'après cette terminologie, serait un sujet chez lequel l'état de désagrégation psychologique survient facilement, chez lequel, pour employer l'expression de M. Janet, « la puissance de synthèse psychique est affaiblie et laisse échapper, en dehors de la perception personnelle, un nombre plus ou moins considérable de phénomènes psychologiques[7]. »
Comme l'hypnotisme est de nos jours un instrument au moyen duquel certains phénomènes d'automatisme psychologique (de dissociation des phénomènes de la conscience, ou de désagrégation mentale) peuvent être obtenus à volonté et soumis à l'expérimentation, de même, nous n'hésitons pas à l'affirmer, l'hypnotisme deviendra bientôt un instrument au moyen duquel presque tous les phénomènes de l'animisme pourront être soumis à une expérimentation positive, obéissant à la volonté de l'homme ; la suggestion sera l'instrument au moyen duquel la désagrégation psychique franchira les limites du corps et produira des effets physiques à volonté[8].
Ce sera là aussi le premier pas vers la production à volonté d'un effet plastique, et le phénomène connu de nos jours sous le nom de « matérialisation » subira son baptême scientifique. Tout cela implique nécessairement la modification des doctrines psychologiques et les ramènera au point de vue monistique selon lequel chaque élément psychique est porteur non seulement d'une forme de conscience, mais aussi d'une force organisatrice[9]. L'auteur de ce remarquable ouvrage, fondé sur les bases de la psychologie de Beneke, arrive à la conclusion suivante : « Les forces psychiques constituent une substance réelle. L'âme humaine est un organisme composé de ces substances psychiques, aussi éternelles et indestructibles que n'importe quelle substance d'ordre le plus matériel. » (P. 529.)
En disséquant la personnalité, l'expérimentation psychologique finira par rencontrer l'individualité, qui est le noyau transcendant des forces indissociables, autour duquel viennent se grouper les éléments multiples et dissociables qui constituent la personnalité. C'est alors que le spiritisme fera valoir ses droits. Lui seul peut prouver l'existence et la persistance métaphysique de l'individu. Et le temps viendra où, au sommet de la puissante pyramide que la science élèvera avec les innombrables matériaux rassemblés dans le domaine des faits non moins positifs que transcendants, on verra briller, allumés par les mains de la Science elle-même, les feux sacrés de l'Immortalité.
En dernier lieu, il me reste à faire appel à l'indulgence de mes lecteurs. Mon travail terminé, je vois mieux que tout autre ses défauts. Désireux de ne pas différer ma réponse à M. Hartmann jusqu'à l'achèvement complet de mon travail, c'est-à-dire à une époque indéterminée, je commençai à le publier immédiatement dans les Psychische Studien par articles mensuels, ce qui nécessite toujours une certaine hâte et rend impossible la révision d'un chapitre dans son ensemble et, à fortiori, de tout le travail. Il en est résulté une certaine disproportion des parties et des défauts dans l'exposition, les définitions, etc., contre lesquels je me heurte actuellement. Certains chapitres sont trop longs et trop détaillés, d'autres trop brefs, sans parler des répétitions dans l'argumentation.
C'est ainsi que je regrette de n'avoir pas donné, dans le chapitre consacré à la photographie transcendantale, le texte complet des expériences de Beattie, que je considère comme très importantes. Je n'ai fait que renvoyer aux Psychische Studien. Pour ma traduction russe, j'ai remanié toute cette partie de l'ouvrage, et c'est cette dernière qui sert de base à l'édition française. D'autre part, je regrette d'avoir, au contraire, donné trop de développement, dans le chapitre des matérialisations, aux expériences de moulage et de photographie, au lieu de m'en tenir aux faits répondant directement aux exigences du Dr Hartmann ; ce n'était, pas la peine de perdre tant de temps à une simple question de faits dont la réalité objective ne fait pas l'ombre d'un doute pour ceux qui ont eu occasion de l'observer, et qui ne tarderont pas à acquérir droit de cité avec l'ensemble des phénomènes médiumniques ; du reste, leur importance théorique n'est que de second ordre.
Je regrette aussi de n'avoir pu donner au chapitre Animisme, qui est la partie la plus essentielle pour la justification du Spiritisme, un développement plus systématique et plus complet.
La grande difficulté pour moi a été le choix des faits. J'ai insisté sur ce point au début de ma préface et j'y reviens en la terminant. J'ai bien dit que le but de mon ouvrage n'est pas de prendre la défense des faits, et c'est vrai, lorsque je me place au point de vue de M. Hartmann ; mais j'avoue que j'avais aussi devant les yeux un objectif plus général et que j'ai toujours cherché à présenter les faits qui répondaient le mieux aux exigences de la critique, par les conditions mêmes de leur production. C'est là le point vulnérable ; car aucune condition, aucune mesure de précaution prise, ne suffit à convaincre de la réalité d'un fait, tant que ce fait reste pour l'opinion publique une impossibilité. Et puis la possibilité de la fraude - consciente ou inconsciente, - possibilité qu'on peut toujours supposer et dont l'absence ne peut se prouver, - vient encore aggraver la difficulté. Les phénomènes intellectuels offrent, sous ce rapport, un champ d'étude moins ingrat, car ils présentent bien souvent des preuves intrinsèques de leur authenticité, qu'aucun recours à la fraude n'est en mesure de donner, à moins de conclure à l'hypothèse d'un mensonge universel. La réfutation de cette hypothèse-là est hors de tout pouvoir humain.
Donc, la foi morale est ici, comme dans toute autre étude humaine, la base indispensable du progrès vers la Vérité.
Je ne puis faire autre chose que d'affirmer publiquement ce que j'ai vu, entendu ou ressenti ; et, quand des centaines, des milliers de personnes affirment la même chose, quant au genre du phénomène, malgré la variété infinie des détails, la foi dans le type du phénomène s'impose.
Ainsi, je ne viendrai pas affirmer avec insistance que chaque fait que j'ai relaté s'est produit exactement tel qu'il est décrit, - car il n'y a pas de cas qui ne puisse prêter à objection, - mais j'insiste sur le genre du fait, voilà l'essentiel. Je sais qu'il existe, et cela me suffit pour en admettre les variétés. Voyez les faits de télépathie prouvés et collectionnés avec tant de soin et de zèle par les travailleurs infatigables de la Société des Recherches psychiques de Londres. Ont-ils convaincu la masse ? Pas du tout, - et encore moins la science. Il leur faudra du temps, comme il en a fallu pour l'hypnotisme ; et pour les faits dont j'ai traité dans ce livre, il en faudra plus encore.
Jusque-là ce ne seront que des jalons plantés le long de la route qu'un avenir peut-être pas trop éloigné remplacera par des colonnes de granit.
Un mot encore : au déclin de ma vie, je me demande quelquefois si j'ai vraiment bien fait de consacrer tant de temps, de travail et de ressources à l'étude et à la propagation de tous ces phénomènes. N'ai-je pas fait fausse route ? N'ai-je pas poursuivi une illusion ? N'ai-je pas sacrifié toute une existence sans que rien ne justifiât ou ne rétribuât les peines que je me suis données ?
Mais toujours je crois entendre la même réponse : pour l'emploi d'une existence terrestre, il ne peut être de but plus élevé que de chercher à prouver la nature transcendante de l'être humain, appelé à une destinée bien plus sublime que l'existence phénoménale !
Je ne puis donc regretter d'avoir consacré toute ma vie à la poursuite de ce but, quoique par des voies impopulaires et illusoires, selon la science orthodoxe, mais que je sais être plus infaillible que cette science. Et, si j'ai réussi, pour ma part, à apporter ne fût-ce qu'une seule pierre à l'érection du temple de l'Esprit, - que l'humanité, fidèle à la voix intérieure, édifie à travers les siècles avec tant de labeur, - cela sera pour moi la seule et la plus haute récompense à laquelle je puisse aspirer.
Alexandre Aksakof
Saint-Pétersbourg, le 3/15 février 1890
INTRODUCTION
La publication de l'ouvrage du Dr Hartmann sur le « Spiritisme » m'a procuré la plus vive satisfaction. Mon désir le plus sincère avait toujours été qu'un éminent philosophe n'appartenant pas au camp spirite s'occupât de cette question d'une manière absolument sérieuse, après avoir acquis une connaissance approfondie de tous les faits qui s'y rattachent ; je souhaitais qu'il les soumît à un examen rigoureux, sans tenir compte des idées modernes, des principes moraux et religieux qui nous gouvernent ; cet examen devait appartenir à la logique pure basée sur la science psychologique.
Dans le cas où il arriverait à cette conclusion que l'hypothèse proposée par le spiritisme était illogique, je désirais qu'il m'en indiquât les raisons, le pourquoi, et quelle serait, selon lui, l'hypothèse qui répondrait le mieux aux lois de la logique et aux exigences de la science contemporaine.
Sous ce rapport, l'ouvrage du Dr Hartmann constitue une œuvre de maître et présente la plus haute importance pour le spiritisme.
Dans notre journal hebdomadaire, le Rébus, se publiant à Saint-Pétersbourg, j'ai annoncé l'apparition de cet ouvrage dans un article intitulé : un Événement dans le monde du Spiritisme, article dans lequel je dis, entre autres : « Le livre de M. von Hartmann est pour les spirites un guide qui les mettra à même d'étudier une question de cette nature, et de se faire une idée du soin avec lequel ils doivent conduire leurs expériences, et de la circonspection dont ils doivent user en tirant leurs conclusions pour affronter avec confiance la critique de la science contemporaine. »
J'ai immédiatement proposé au Rébus de publier la traduction de cet ouvrage, comme l'avait fait le journal Light de Londres ; actuellement le livre du Dr Hartmann a paru tout à la fois dans le Rébus et en un volume séparé.
Nous pouvons donc espérer qu'avec le secours d'un penseur tel que M. Hartmann (nous avons tout lieu de croire que, dans l'avenir, il ne nous refusera pas le concours de ses lumières) - cette question, dont l'incommensurable importance pour l'étude de l'homme commence à apparaître, sera enfin mise à l'ordre du jour, commandera et provoquera l'appréciation à laquelle elle a droit.
Tous mes efforts en Allemagne (pays considéré par nous comme occupant le premier rang dans l'étude des questions philosophiques) ont eu pour but d'attirer sur le spiritisme l'attention impartiale de ses savants, dans l'espoir d'obtenir leur appui et les indications nécessaires pour poursuivre l'étude rationnelle de cette question.
L'Allemagne offrait pour l'investigation et la discussion d'un tel sujet le terrain libre que je ne pouvais trouver en Russie il y a de cela vingt ans ; je procédai de la manière suivante : j'ai publié en traduction allemande les matériaux les plus importants puisés dans la littérature anglaise, sur ce sujet ; ensuite, à partir de l'année 1874, j'ai édité, à Leipzig, un journal mensuel, Psychische Studien, qui avait pour mission de populariser ces écrits. Mes efforts furent accueillis par une violente opposition ; les savants allemands en majeure partie ne voulaient rien savoir de cette question réputée indigne ; ils niaient les faits, condamnaient la théorie, et cela malgré l'attitude encourageante de plusieurs écrivains célèbres, tels que : Emmanuel Fichte, Franz Hoffmann, Maximilien Perty et autres, qui me prêtèrent leur appui, tant en parole que par le fait en publiant des articles dans mon journal. L'entrée en scène de M. Zöllner a donné une nouvelle direction à cette controverse. Les matériaux que j'avais préparés pour la commission spirite, nommée en 1870 par l'Université de Saint-Pétersbourg, matériaux qui consistaient dans la démonstration ad oculos de faits tangibles, en la personne du Dr Slade, et qui ne furent point utilisés par ladite commission, qui avait hâte de se dissoudre, ne tardèrent pas néanmoins à porter leurs fruits en Allemagne.
Lorsque le professeur Zöllner, par le fait de la réussite de ses premières expériences avec Slade, voulut acquérir une plus ample connaissance en cette matière, il trouva, à sa satisfaction, tout ce qui lui était nécessaire, dans mes diverses publications. Plus d'une fois, il m'en a témoigné sa gratitude, et la constatation qu'il fit de la réalité des phénomènes médiumniques produisit en Allemagne une sensation immense.
Bientôt après parurent les ouvrages du baron Hellenbach, qui fut, en Allemagne, le premier chercheur indépendant dans cet ordre de phénomènes. Il fut bientôt suivi dans cette voie par un autre penseur distingué, le Dr Carl du Prel. D'ailleurs, depuis Zöllner, la question spirite avait engendré en Allemagne toute une littérature.
En même temps, les démonstrations publiques du magnétiseur hypnotiseur Hansen produisirent une révolution dans le domaine du magnétisme animal. Ces phénomènes, niés et dénigrés systématiquement pendant un siècle, furent enfin recueillis par la science ; les merveilles de l'hypnotisme, aujourd'hui reconnues dans toute leur réalité, préparent la voie qui doit conduire à l'acceptation des merveilles médiumniques.
Peut-être est-ce même à ce concours de circonstances que nous devons l'apparition du livre de Hartmann, car c'est précisément sur la théorie de la suggestion mentale en général et de la suggestion des hallucination s en particulier, que ce philosophe a basé une partie essentielle de son hypothèse.
Là aussi, mon humble travail préparatoire rendit de notables services, car c'est en majeure partie dans mes publications allemandes et dans mon journal Psychische Studien que Hartmann a puisé les faits qui lui ont servi à formuler son jugement sur la question spirite. Il m'a même fait cet honneur de recommander mon journal comme particulièrement utile à l'étude de ce sujet.
Enfin, du moment que Hartmann insiste sur la nécessité de soumettre les phénomènes médiumniques à un examen scientifique et demande que le gouvernement nomme à cet effet des commissions scientifiques, je puis en toute confiance considérer mon activité en Allemagne comme ayant pleinement atteint son but ; j'ai toutes les raisons de croire que, du moment où une voix aussi autorisée s'est fait entendre pour proclamer la nécessité d'une pareille investigation, la question spirite fera toute seule son chemin en Allemagne. Il est donc temps que je m'efface pour consacrer le reste de mes forces à la continuation de mon œuvre en Russie.
Cependant, avant de me retirer, il serait peut-être utile que j'exposasse aux lecteurs de mon journal les raisons qui ne me permettent pas d'accepter sans réserves les hypothèses et les conclusions du Dr Hartmann, lesquelles doivent être d'une autorité très grande, non seulement pour l'Allemagne, mais pour le monde philosophique entier. Le motif qui m'y pousse ne provient aucunement de ce fait que le Dr Hartmann s'est décidément prononcé contre l'hypothèse spirite ; pour le moment, je considère le côté théorique comme placé au second plan, comme d'une importance secondaire, et même prématurée au point de vue strictement scientifique ; M. Hartmann le reconnaît du reste lui-même, lorsqu'il dit : « Les matériaux dont nous disposons ne sont pas suffisants pour considérer cette question comme mûre pour la discussion. » (Der Spiritismus, p. 14.) Mon programme a toujours été de poursuivre avant tout la recherche des faits, pour en établir la réalité, suivre leur développement et les étudier, en tant que faits, dans toute leur prodigieuse variété. A mon avis, on passera par bien des hypothèses avant d'arriver à une théorie susceptible d'être universellement adoptée comme la seule vraie, tandis que les faits, une fois bien établis, resteront acquis à jamais. J'ai énoncé cette pensée il y a de cela vingt ans, en publiant ma traduction russe de l'ouvrage du Dr Hare[10], en ces termes :
« La théorie et les faits sont deux choses distinctes ; les erreurs de la première ne pourront jamais détruire la force de ces derniers, etc. » (Éd. all., p. LVIII.)
Dans ma préface à l'édition russe de W. Crookes, j'écrivais encore :
« Lorsque l'étude de cette question fera partie du domaine de la science, elle subira plusieurs phases qui correspondront aux résultats obtenus : 1° constatation des faits spiritualistes ; 2° constatation de l'existence d'une force inconnue ; 3° constatation de l'existence d'une force intelligente inconnue ; 4° recherche de la source de cette force, à savoir : se trouve-t-elle en dedans ou en dehors de l'homme ? Est-elle subjective ou objective ? La solution de ce problème constituera l'épreuve définitive, l’experimentum cruels de cette question ; la science sera alors appelée à prononcer le plus solennel verdict qui ait jamais été demandé à sa compétence. Si ce jugement est affirmatif pour la deuxième alternative, c'est-à-dire si elle décide que la force en question dérive d'une source en dehors de l'homme, alors commencera le cinquième acte, une immense révolution dans la science et dans la religion. » (Édition allem., p. XI-XIII.)
Où en sommes-nous actuellement ? Pouvons-nous affirmer que nous soyons au quatrième acte ? Je ne le pense pas. Je crois plutôt que nous sommes encore au prologue du premier acte, car la question, quant aux faits mêmes, n'est pas encore admise par la science, qui ne veut pas les connaître ! Nous sommes bien éloignés encore de la vraie théorie, en Allemagne surtout, où la partie phénoménale de cette question est si peu développée qu'on y est totalement dépourvu de médiums possédant une force suffisante pour les exigences de l'étude expérimentale.
Tous les faits sur lesquels Hartmann base son argumentation ont été acquis en dehors de l'Allemagne ; M. Hartmann n'a même pas eu l'occasion de les observer en personne. Il est vrai qu'il a eu le courage très méritoire d'accepter les témoignages d'autrui, mais personne ne pourra nier que, dans cette question, les expériences personnelles soient d'une importance capitale. Bien plus, la limite où peuvent atteindre ces faits est loin d'être tracée ; leur expansion, leur développement sont lents, mais constants ; ce que Hartmann en exige au point de vue de la critique doit encore être acquis.
Comme preuve que je ne tiens pas au triomphe exclusif de l'une ou de l'autre des hypothèses spirites, j'en appelle à ce fait : J'ai laissé à mon estimé collaborateur, M. Wittig, pleine liberté de publier sur les phénomènes en question ses idées personnelles ! qui tendent à en chercher l'explication dans la théorie dite psychique, plutôt que dans la théorie spirite.
Mais, tout en professant une parfaite tolérance à l'égard des diverses théories proposées, je ne puis garder la même attitude passive en présence de l'ignorance des faits, leur oubli, leur suppression, dès qu'ils ne paraissent pas être d'accord avec l'hypothèse émise. Celui qui désire être absolument impartial dans l'étude d'un problème aussi compliqué ne doit nécessairement jamais perdre de vue la totalité, l'ensemble des faits déjà acquis ; mais, malheureusement, l'une des erreurs ordinaires que commettent les promoteurs d'une hypothèse, c'est qu'en voulant à tout prix donner raison à leur système, ils oublient ou passent sous silence les faits qu'il s'agit précisément d'expliquer.
C'est dans cet ordre d'idées que je me suis vu forcé d'entamer une polémique avec M. Wittig, lequel poussa le développement de son hypothèse jusqu'à parler de la photographie d'une hallucination, ce qui est une flagrante contradictio in adjecto.
C'est probablement cette polémique que vise M. Hartmann lorsqu'il dit que M. Wittig n'a pu élever la voix pour la défense de sa théorie « que dans une lutte contre l'éditeur même du journal » (Spiritismus, p. 2). S'il y a eu lutte, elle n'a pas été engagée pour la défense de l'hypothèse même, mais pour la cause de la logique et de l'impartialité que l'on doit aux faits.
La critique de M. Hartmann est entièrement basée sur l'acceptation provisoire (conditionnelle) de la réalité des faits spirites, à l'exception des phénomènes de la matérialisation, qu'il nie purement et simplement. Cette licence, à elle seule, ne pourrait être laissée sans réplique. Mais, indépendamment de la matérialisation, il existe de nombreux faits qui ont échappé à la connaissance de M. Hartmann, ou sur lesquels il a gardé le silence, ou bien dont il n'a pas dûment apprécié les particularités. Or je crois de mon devoir de présenter tous ces faits, en faisant ressortir leur juste valeur. Je profiterai de cette occasion pour donner enfin les conclusions auxquelles je suis arrivé après de longues études sur ce sujet, conclusions que je n'ai pas publiées avant l'apparition de cet ouvrage.
APERÇU HISTORIQUE DES THÉORIES ANTISPIRITES
Par rapport aux théories, l'ouvrage de M. Hartmann ne présente rien de nouveau. La force neurique, la transmission de la pensée, le somnambulisme, tout cela avait déjà, dès le début, été mis à contribution pour donner des phénomènes spirites une explication naturelle.
Plus tard, lorsqu'on eut à compter avec les phénomènes de matérialisation, on recourut à l'argument des hallucinations.
Le mérite capital du travail de M. Hartmann consiste dans le développement systématique de ces principes et dans la classification méthodique de tous les faits qui ont trait à cette question. Je crois néanmoins qu'un coup d'œil rapide sur les travaux de ceux qui ont précédé M. Hartmann ne serait pas sans intérêt, ni pour les lecteurs, ni pour M. Hartmann lui-même.
Il serait certainement bien difficile et d'ailleurs inutile d'entrer dans des détails minutieux. Sur ces travaux je ne donnerai qu'un bref aperçu des principaux ouvrages traitant de la question qui nous intéresse.
Procédant par ordre chronologique, il faut d'abord citer :
The daimonion, or the spiritual medium, illustrated by the history of its uniform mysterious manifestations when unduly excited. By traverse Oldfield[11]. (Boston, 1852, 157 pages, petit in-8°.) Le véritable auteur est G. W. Samson. Le Spiritual Médium dont il s'agit, c'est le principe nerveux.
L'ouvrage le mieux élaboré et le plus systématique dans cet ordre d'idées est certainement celui-ci : philosophy of mysterious agents, human and mundane, or the dynamic laws and relations of man, embracing the natural philosophy of phenomena styled : spiritual manifestations[12]. Par E. G. Rogers. (Boston, 1853, 336 pages, petit in-8°.)
A l'apparition de cet ouvrage, il y eut une discussion intéressante dans les journaux américains The Tribune et The Spiritual Télégraphe entre le Dr Richmond et le Dr Brittan, au sujet des manifestations spirituelles. Le premier soutenait qu'il était possible d'expliquer ces phénomènes sans admettre, pour cela, l'intervention des esprits. Le second maintenait l'opinion contraire. Les quarante-huit lettres publiées par les deux partis ont été éditées en un volume, sous ce titre : A discussion of the facts and pylosophy of ancient and modern spiritualism. By S. B. Brittan and B. W. Richmond. (New-York, 1853, 377 pages gr. in-8°.)
Modern mysteries explained and exposed (Mystères modernes expliqués et démasqués) ; par. Rev. A. Mahan, First Président of Cleveland University. (Boston, 1855, 466 pages in-8°.) Cet ouvrage a pour but de développer et de défendre les deux thèses suivantes : 1° « La cause immédiate de ces manifestations est identique non seulement avec la force odique[13], mais aussi avec la force qui engendre les phénomènes du mesmerisme et de la clairvoyance (p. 106). » - 2° « Nous possédons des preuves positives et concluantes que ces manifestations proviennent exclusivement de causes naturelles et non de l'intervention d'esprits détachés du corps (p. 152). »
Mary Jane, or spiritualism chemically EXPLAINED ; also essays by and ideas (PERHAPS ERRONEOUS) of a child at school[14]. (London, 1863, 379 pages, gr. in-8°, avec fig.) C'est un des livres les plus curieux sur cette matière. L'auteur, M. Samuel Guppy, matérialiste accompli, s'était proposé de publier un recueil d'essais sur divers sujets, tels que : Lumière, Instinct et intelligence. Éléments de l'homme. Génération spontanée, des Principes de l'intelligence humaine, la Vie, l'Astronomie, la Création, l'Infini, etc. Or, son livre était déjà imprimé jusqu'à la page 300, lorsque dans sa propre maison se produisirent soudain des phénomènes médiumniques des plus extraordinaires : déplacement spontané d'objets, écriture automatique, réponses à des questions mentales, jeu d'instruments de musique, écriture directe, exécution directe (sans le contact d'une personne) de dessins et de peintures, etc. Le médium était sa propre femme.
on force, ITS mental AND moral correlates, AND ON ThAT WHICH IS SUPPOSED TO UNDERLIE ALL PHENOMENA ; WITH speculations ON spiRITUALISM AnD OTHER abnormal conditions OF mind[15]. By Charles Bray, author of The Philosophy of Necessity, The Education of Feelings, etc. (London, 1867, 164 pages in-8°.)
exalted states OF THE nervous system IN explanation OF THE mysteries OF modern spiritualism, dreams, trance, somnambulism, vital photographY[16], etc. Par Robert H. Collyer, M. D. (Londres, 1873, 140 pages in 8°.) Ce livre ne présente pas un travail systématique ; il contient plutôt des indications, des allusions à divers sujets intéressant cette question.
spiritiALISM AND ALLIED causes AND conditions OF nervous derangements, BY WiLLIAM a. hammond, m. d. professor OF DESEASES OF THE mind ANd nervous system IN THE medical departement OF thE university of the city of new york[17]. (Londres, 1876.) Un gros volume de 366 pages in-8°, dans lequel l'auteur ne veut parler que des faits qui peuvent s'expliquer d'une façon naturelle.
Passons aux ouvrages écrits en langue française. Ils ne sont pas nombreux. Le premier appartenant à cette catégorie est celui du comte Agenor de Gasparin, publié à Paris, en 1854, sous ce titre : DES tables TOURNANTES, DU SURNATUREL EN GÉNÉRAL ET des esprits (2 volumes in-8°,500 pages), dans lequel l'auteur donne d'amples détails sur une longue série d'expériences physiques tentées par lui et quelques amis particuliers, chez lesquels cette force se trouvait considérablement développée. Ces essais furent très nombreux et furent poursuivis dans des conditions de contrôle des plus rigoureuses. Le fait du mouvement de corps pesants sans contact mécanique fut reconnu, prouvé et démontré. De sérieuses expériences furent faites pour mesurer la force, tant d'accroissement que de diminution de poids, qui se communiquait ainsi aux substances mises à l'épreuve, et le comte Gasparin adopta un moyen ingénieux, qui lui permit d'obtenir une évaluation numérique approximative du pouvoir de la force psychique qui existait dans chaque individu. L'auteur arrivait à cette conclusion finale, qu'on pouvait expliquer tous ces phénomènes par l'action de causes naturelles, et qu'il n'était pas besoin de supposer des miracles ni l'intervention d'influences spirituelles ou diaboliques.
Il considérait comme un fait pleinement établi par ses expériences que la volonté, dans certaines conditions de l'organisme, peut agir à distance sur la matière inerte, et la plus grande partie de son livre est consacrée à établir les lois et les conditions dans lesquelles cette action se manifeste.
En 1855, M. Thury, professeur à l'Académie de Genève, a publié un ouvrage sous le titre : les tables parlantes (Genève, Librairie allemande de J. Kessmann, 1855), dans lequel il passe en revue les expériences du comte de Gasparin ; il entre dans de longs détails sur les recherches qu'il a faites en même temps. Là, aussi, les essais furent faits avec l'aide d'amis intimes et furent conduits avec tout le soin qu'un homme de science est capable d'apporter en cette matière. L'espace ne me permet pas de citer les importants et nombreux résultats obtenus par M. Thury, mais par les titres suivants de quelques-uns des chapitres, on verra que l'enquête n'a pas été faite superficiellement :
« Faits qui établissent la réalité des nouveaux phénomènes ; Action mécanique rendue impossible ; Mouvements effectués sans contact ; Leurs causes ; Conditions requises pour la production et l'action de la force ; Conditions de l'action eu égard aux opérateurs ; La volonté ; Est-il nécessaire qu'il y ait plusieurs opérateurs ? Nécessités préliminaires. Condition mentale des opérateurs ; Conditions météorologiques ; Conditions relatives aux instruments employés ; Conditions relatives au mode d'action des opérateurs sur les instruments ; Action des substances interposées ; Production et transmission de la force ; Examen des causes qu'on lui assigne ; Fraude ; Action musculaire inconsciente produite par un état nerveux particulier ; Electricité ; Nervo-magnétisme ; Théorie de M. de Gasparin d'un fluide spécial ; Question générale au sujet de l'action de l'esprit sur la matière. Première proposition : dans les conditions ordinaires des corps, la volonté n'agit directement que dans la sphère de l'organisme. Deuxième proposition : dans l'organisme lui-même, il y a une série d'actes médiats. Troisième proposition : la substance sur laquelle l'esprit agit directement, le psychode, n'est susceptible que de modifications très simples sous l'influence de l'intelligence. Explications basées sur l'intervention des esprits. »
M. Thury réfute toutes ces explications et croit que ces effets sont dus à une substance particulière, à un fluide ou à un agent, lequel, -d'une manière analogue à celle de l'éther des savants, - transmet la lumière, pénètre toute matière nerveuse, organique ou inorganique, et qu'il appelle psychode. Il entre dans la pleine discussion des propriétés de cet état ou forme de matière, et propose le nom de force ecténique (extension} au pouvoir qui s'exerce quand l'esprit agit à distance par le moyen de l'influence du psychode[18].
etudes EXPÉRIMENTALES SuR CERTAINS PHÉNOMÈNES NERVEUX, ET SOLUTION rationnelle DU PROBLÈME SPIRITE, par CHEVILLARD, professeur à l'École nationale des Beaux-Arts (Paris, 1872, 90 pages, in-8). Le fond de sa théorie, laquelle se rapporte seulement aux frappements (raps) et au mouvement des objets, se résume en ces lignes : « Les vibrations de la table, après que ses parties se sont mises en équilibre de température, ne sont autres que les vibrations fluidiques émises par la fonction maladive qui constitue l'état nerveux du médium. En l'état normal, chacun émet du fluide nerveux, mais non de manière à faire vibrer sensiblement la surface d'un corps solide, que l'on touche. Le médium est sans doute aussi aidé par l'émission naturelle des assistants crédules, toujours nombreux, car tout envoi fluidique, même très faible, vers la table, doit s'y répartir de suite, à cause de la température déjà convenable. La table est véritablement magnétisée par l'émission du médium, et le mot magnétisé n'a d'autre sens que de faire entendre qu'elle est couverte ou imprégnée de fluide nerveux vibrant, c'est-à-dire vital du médium. La table est alors comme un harmonica qui attend le coup de marteau de la pensée de celui qui l'a imprégnée. Le médium veut un coup à un moment qu'il se donne en regardant attentivement le crayon courir sur l'alphabet, et cette pensée, en se fixant subitement, engendre un choc cérébral nerveux qui se répercute instantanément, par l'intermédiaire des nerfs, sur la surface tabulaire vibrante. Le coup résonne en intégrant les vibrations de la table en un fort éclat ou étincelle obscure, dont le bruit est la conséquence de cette condensation instantanée faite dans l'air ambiant (pp. 25 et 26). » - « Il n'y a dans tout acte typtologique (Produisant des coups.) ou nervostalique que des condensations ou intégrations de vibrations en étincelles obscures (p. 38). »
Quant aux mouvements des objets, l'auteur émet la théorie suivante : « Les mouvements, dits spirites, d'un objet inanimé sont un effet réel, mais nervo-dynamique, des soi-disant médiums, qui transforment l'objet en organe extérieur momentané, sans en avoir conscience (p. 54). » Plus loin, M. Chevillard développe davantage cette même proposition : « L'idée de l'action volontaire mécanique se transmet par le fluide nerveux du cerveau jusqu'à l'objet inanimé suffisamment échauffé ; après quoi celui-ci exécute rapidement l'action en qualité d'organe automatique lié par le fluide à l'être voulant, que la liaison soit au contact ou à distance courte ; mais l'être n'a pas la perception de son acte, attendu qu'il ne l'exécute pas par un effort musculaire (p. 62). » En somme : « les phénomènes dits spirites ne sont que des manifestations inconscientes de l'action magnéto-dynamique du fluide nerveux (p. 86). »
Dernièrement parut un ouvrage fort intéressant, ayant pour titre : adolphe d'àssier, essai sur l'humanité posthume et le spiritisme, par un positiviste. (Paris, 1883, 303 p. in-12.)
L'ouvrage cité présente cet intérêt que l'auteur a été forcé, par sa propre expérience, de reconnaître la réalité objective de certains phénomènes, habituellement désignés comme « surnaturels » et dont M. Hartmann ne fait pas mention dans son livre sur « le spiritisme » ; et cependant, ces phénomènes ont un rapport immédiat avec le spiritisme ; ils s'imposent d'ailleurs, si l'on veut établir une hypothèse générale.
Dans sa préface, l'auteur expose l'évolution qui s'est opérée dans son esprit et donne une idée générale de son travail. Nous en donnerons quelques extraits :
« Le titre de cet essai paraîtra peut-être à certaines personnes en désaccord avec les opinions philosophiques que j'ai professées toute ma vie et avec la grande école vers laquelle m'avait acheminé l'étude des sciences. Que ces personnes se rassurent, la contradiction n'est qu'apparente. Les idées que j'expose s'éloignent autant des rêveries du mysticisme que des hallucinations des spirites. Ne sortant pas du domaine des faits, n'invoquant aucune cause surnaturelle pour les interpréter, j'ai cru pouvoir donner à mon livre l'estampille du positivisme. Voici, au surplus, comment j'ai été conduit à des recherches si différentes de mes travaux ordinaires. »
L'auteur parle ensuite du sort qu'ont eu les aérolithes, si longtemps niés par la science, et de la réponse que fit un jour Lavoisier au nom de l'Académie des Sciences : « Il n'existe pas de pierres dans le ciel ; il ne saurait, par conséquent, en tomber sur la terre ; » il fait aussi mention du récit des crapauds qui tombent avec les fortes pluies, récit que les savants accueillirent en disant qu'il « n'existait pas de crapauds dans les nuages ; il ne peut, par conséquent, en tomber sur la terre. »
Après cela, M. D'Assier continue :
« Il était permis de supposer que de telles leçons ne seraient pas perdues et que les personnes se disant sérieuses se montreraient à l'avenir plus circonspectes dans leurs dénégations systématiques. Il n'en fut rien. Les notions fausses que nous puisons dans nos préjugés, ou dans une éducation scientifique incomplète, impriment à notre cerveau une sorte d'équation personnelle dont nous ne pouvons nous débarrasser. Pendant trente ans j'ai ri de la réponse de Lavoisier sans m'apercevoir que j'invoquais le même argument dans l'explication de certains phénomènes non moins extraordinaires que les pluies de pierres ou de crapauds. Je veux parler des bruits étranges qu'on entend parfois dans certaines habitations et qu'on ne peut rapporter à aucune cause physique, du moins dans le sens vulgaire que nous donnons à ce mot. Une circonstance digne de remarque vient doubler la singularité du phénomène. C'est que ces bruits n'apparaissent d'ordinaire qu'après la mort d'une personne du logis. Étant enfant, je vis en émoi tous les habitants d'un canton. L'abbé Peyton, curé de la paroisse de Sentenac (Ariège), venait de mourir. Les jours suivants, il se produisit dans le presbytère des bruits insolites et si persistants que le desservant qui lui avait succédé fut sur le point d'abandonner son poste. Les gens du pays, aussi ignorants que superstitieux, n'étaient point embarrassés pour expliquer ce prodige.
« Ils déclarèrent que l'âme du défunt était en peine parce qu'il n'avait pas eu le temps de dire avant sa mort toutes les messes dont il avait reçu le prix. Pour mon compte, je n'étais nullement convaincu. Elevé dans le dogme chrétien, je me disais que l'abbé Peyton avait définitivement quitté la planète pour une des trois résidences posthumes : le ciel, l'enfer, le purgatoire, et je supposais les portes des deux pénitenciers trop solidement verrouillées pour qu'il lui prît fantaisie de retourner en arrière. Plus tard, étant entré dans un autre courant d'idées, autant par l'étude comparée des religions que par celle des sciences, je devins encore plus incrédule, et je prenais en pitié ceux qui prétendaient avoir assisté à de pareils spectacles.
« Les esprits, ne cessai-je de répéter, n'existent que dans l'imagination des médiums ou des spirites ; on ne saurait donc en rencontrer ailleurs. En 1868, me trouvant dans le Berry, je me fâchai tout rouge contre une pauvre femme qui persistait à affirmer que, dans un logement qu'elle habitait à une certaine époque, chaque soir une main invisible lui tirait les couvertures de son lit, dès qu'elle avait éteint la lumière. Je la traitai d'imbécile, de pécore, d'idiote.
« Bientôt après survint l'année terrible. J'en sortis pour ma part avec la perte de la vue, et chose encore plus grave, avec les premières atteintes d'une paralysie générale. Ayant été témoin des cures merveilleuses que produisent les eaux d'Aulus, dans le traitement de certaines maladies, notamment quand il s'agit de réveiller l'énergie vitale, je m'y rendis vers le printemps de 1871, et je pus arrêter le progrès du mal. La pureté de l'air des montagnes autant que l'action vivifiante des eaux me détermina à y fixer mon séjour. Je pus alors étudier de près ces vacarmes nocturnes que je ne connaissais que par ouï-dire.
« Depuis la mort de l'ancien propriétaire des sources, l'établissement thermal était presque chaque nuit le théâtre de scènes de ce genre. Les gardiens n'osaient plus y coucher seuls. Parfois les baignoires résonnaient au milieu de la nuit comme si on les eût frappées avec un marteau. Ouvrait-on les cabines d'où partait le bruit, il cessait aussitôt, mais recommençait dans une salle voisine. Quand les baignoires restaient en repos, on assistait à d'autres manifestations non moins singulières. C'étaient des coups frappés sur les cloisons, les pas d'une personne qui se promenait dans la chambre du gardien, des objets lancés contre le parquet, etc. Mon premier mouvement, lorsqu'on me raconta cette histoire fut, comme toujours, l'incrédulité. Cependant, me trouvant en contact journalier avec les personnes qui avaient été témoins de ces scènes nocturnes, la conversation revenait assez souvent sur le même sujet. Certaines particularités finirent par éveiller mon attention. J'interrogeai le régisseur et les gardiens de l'établissement, les diverses personnes qui avaient passé la nuit dans les thermes, tous ceux, en un mot, qui, à un titre quelconque, pouvaient me renseigner sur ces mystérieux événements. Leurs réponses furent toutes identiques, et les détails qu'ils me donnèrent étaient tellement circonstanciés que je me vis acculé à ce dilemme : les croire ou supposer qu'ils étaient fous. Or je ne pouvais taxer de folie une vingtaine d'honnêtes villageois vivant paisiblement à mes côtés, par l'unique motif qu'ils représentaient ce qu'ils avaient vu ou entendu, et que leurs dépositions étaient unanimes.
« Ce résultat inattendu me remit en mémoire des circonstances du même genre qu'on m'avait relatées à d'autres époques. Connaissant les localités où ces phénomènes avaient eu lieu, ainsi que les personnes qui en furent témoins, je procédai à de nouvelles enquêtes, et, là encore, je fus forcé de me rendre à l'évidence. Je compris alors que j'avais été aussi ridicule que ceux dont je m'étais si longtemps moqué, en niant des faits que je déclarais impossibles, parce qu'ils ne s'étaient pas produits sous mes yeux, et que je ne pouvais les expliquer. Cette dynamique posthume qui, en certains points, semble l'antithèse de la dynamique ordinaire, me donna à réfléchir, et je commençai à entrevoir que dans certains cas, d'ailleurs assez rares, l'action de la personnalité humaine peut se continuer encore quelque temps après la cessation des phénomènes de la vie. Les preuves que je possédais me paraissaient suffisantes pour convaincre les esprits non prévenus. Toutefois, je ne m'en tins pas là, et j'en demandai de nouvelles aux écrivains les plus accrédités de divers pays. Je fis alors un choix parmi celles qui présentaient tous les caractères d'une authenticité indiscutable, m'attachant de préférence aux faits qui avaient été observés par un grand nombre de témoins.
« Restait à interpréter ces faits, je veux dire à les débarrasser du merveilleux qui voile leur véritable physionomie, afin de les rattacher, comme tous les autres phénomènes de la nature, aux lois du temps et de l'espace. Tel est le principal objet de ce livre. Devant une tâche si ardue, je ne saurais avoir la prétention de donner le dernier mot de l'énigme. Je me suis contenté de poser nettement le problème et d'indiquer quelques-uns des coefficients qui doivent entrer dans sa mise en équation. Mes continuateurs trouveront la solution définitive dans la voie que je leur ai tracée..... L'idée philosophique du livre peut donc se résumer ainsi : faire entrer dans le cadre des lois du temps et de l'espace les phénomènes d'ordre posthume niés jusqu'ici par la science, parce qu'elle ne pouvait les expliquer, et affranchir les hommes de notre époque des énervantes hallucinations du spiritisme (pp. 5, 6, 7, 8, 9 et 11). »
Dans le premier chapitre, l'auteur recueille de première source une série du faits qui confirment l'existence posthume de la personnalité humaine : bruits insolites, résonance de pas, frôlement d'habits, déplacement d'objets, attouchements, apparition de mains et de fantômes, etc. Au commencement du deuxième chapitre, l'auteur dit : « L'existence de la personnalité posthume étant démontrée par des milliers de faits observés dans tous les siècles et chez tous les peuples, il reste à rechercher sa nature et son origine. Elle procède évidemment de la personnalité vivante, dont elle se présente comme la continuation avec sa forme, ses habitudes, ses préjugés, etc. ; examinons donc s'il ne se trouve pas dans l'homme un principe qui, se détachant du corps lorsque les forces vitales abandonnent ce dernier, continue encore pendant quelque temps l'action de l'individualité humaine. De nombreux faits démontrent que ce principe existe, et qu'il se manifeste quelquefois pendant la vie, offrant en même temps les caractères de la personnalité vivante et ceux de la personnalité posthume. Je vais en rapporter quelques-uns, puisés aux meilleures sources, et qui paraissent concluants (p. 4.7). »
Après avoir cité de remarquables faits d'apparition de personnes vivantes ou de dédoublement, l'auteur termine ainsi ce chapitre : « D'innombrables faits observés depuis l'antiquité jusqu'à nos jours démontrent dans notre être l'existence d'une seconde personnalité, l'homme interne. L'analyse de ces diverses manifestations nous a permis de pénétrer sa nature. A l'extérieur, c'est l'image exacte de la personne dont il est le complément. A l'intérieur, il reproduit le calque de tous les organes qui constituent la charpente du corps humain. On le voit, en effet, se mouvoir, parler, prendre de la nourriture, remplir, en un mot, toutes les grandes fonctions de la vie animale. La ténuité extrême de ses molécules constitutives, qui représentent le dernier terme de la matière organique, lui permet de passer à travers les murs et les cloisons des appartements. De là le nom de fantôme, par lequel il est généralement désigné. Néanmoins, comme il est relié au corps d'où il émane par un réseau musculaire invisible, il peut, à volonté, attirer à lui, par une sorte d'aspiration, la plus grande partie des forces vives qui animent ce dernier. On voit alors, par une inversion singulière, la vie se retirer du corps, qui ne présente plus qu'une rigidité cadavérique, et se porter tout entière sur le fantôme, qui prend de la consistance, au point de lutter quelquefois avec les personnes devant lesquelles il se manifeste.
« Ce n'est qu'exceptionnellement qu'il se montre du vivant des individus. Mais, dès que la mort a rompu les liens qui le rattachent à notre organisme, il se sépare d'une manière définitive du corps humain et constitue le fantôme posthume (pp. 81 et, 82). »
« Mais son existence est de courte durée. Son tissu se désagrège facilement sous l'action des forces physiques, chimiques et atmosphériques qui l'assaillent sans relâche, et rentre, molécules par molécules dans le milieu planétaire (p. 298). »
Voici le sommaire du chapitre IV : caractère de l'être posthume. - sa CONSTITUTION PHYSIQUE. - son MODE DE LOCOMOTION. - son AVERSION POUR LA LUMIÈRE. - son VESTIAIRE. - ses MANIFESTATIONS. - son RÉSERVOIR DE FORCE VIVE. - sa BALISTIQUE. - tout HOMME POSSÈDE SON IMAGE FLUIDIQUE. - la VOYANTE DE préVORST.
Chapitre V : fluide universel. - fluide nerveux. - analoGIE ET DISSEMBLANCE DE CES DEUX FLUIDES. - animaux ÉLECTRIQUES. - personnes ÉLECTRIQUES. - plantes ÉLECTRIQUES. - action DU fluide nerveux sur la personnalité interne. Le fantôme humain ne se révèle pas toujours d'une manière aussi nette que dans les exemples que j'ai cités.
« Il y a aussi, parfois, des manifestations obscures, de nature très variée, qui en font une sorte de Protéé insaisissable. Le mesmérisme reproduisant des manifestations analogues chez le somnambule, le médium, l'extatique, etc., il est souvent difficile de dire si la cause première de ces phénomènes doit être rapportée à la personnalité interne ou au fluide nerveux, ou bien encore à l'action combinée de ces deux agents. Dans un grand nombre de cas, leur liaison paraît si intime qu'on est amené à se demander si ce n'est pas du second que le premier tire son origine et ses énergies (p. 117). »
Chapitre VI : l'éther mesmérien et la personnalité qu'il engendre. - le SOMNAMBULE. - le SOMNILOQUE. - le VOYANT.
Voici les conclusions de l'auteur :
« 1° Le somnambulisme, spontané chez quelques individus, est à l'état latent chez les autres. Dans ces derniers, on ne l'entrevoit qu'imparfaitement, mais il peut atteindre toute son ampleur sous l'influence d'une forte tension d'esprit, d'une commotion morale ou d'autres causes physiologiques. Ces manifestations fréquentes, mais incomplètes, dans l'enfance, s'accusent mieux pendant la jeunesse, puis diminuent avec l'âge et semblent s'éteindre chez le vieillard.
« 2° Les choses extraordinaires qu'accomplit le somnambule, notamment dans le domaine intellectuel, accusent en lui l'existence d'une force active et intelligente, c'est-à-dire d'une personnalité interne. Cette personnalité semble complètement différente de la personnalité ordinaire et paraît avoir pour siège les ganglions nerveux de la région épigastrique, ainsi qu'on l'a vu pour la somnambule citée par Burdach, et comme nous le retrouverons d'une manière plus tranchée et plus précise dans d'autres manifestations du mesmérisme. On s'explique ainsi pourquoi le somnambule ne reconnaît pas la voix des personnes qui lui sont familières et ne conserve aucun souvenir de ce qu s'est passé pendant son sommeil. On se rend compte de la même manière de ce fait, qu'on n'a jamais observé en lui aucun acte immoral, comme si son mystérieux guide était affranchi des liens de l'animalité.
« 3° La personnalité qui apparaît dans le somnambulisme révèle une intelligence égale, parfois même supérieure à celle de la personnalité ordinaire. Mais, comme cette dernière, elle a aussi son équation personnelle, ses obscurités, ses défaillances. Pour me contenter d'un exemple, je rappellerai ce somnambule, cité par Burdach, qui, après avoir mis ses bottes, montait à califourchon sur une fenêtre, et donnait de l'éperon contre le mur pour faire avancer un coursier imaginaire.
« 4° Le somnambulisme est dû à un dégagement anormal du fluide nerveux ; plusieurs causes peuvent amener ce résultat : frayeur, grande tension d'esprit, exubérance de la jeunesse, etc., en un mot tout ce qui tend à rompre l'équilibre des fonctions physiologiques dont le système nerveux est le siège. Lorsque le fluide est peu abondant, les effets du somnambulisme ne s'accusent que d'une façon obscure et paraissent se confondre avec ceux du rêve. Mais dès qu'il se dégage en quantité convenable, on voit aussitôt apparaître la personnalité interne, et le somnambule offre alors les caractères d'un homme éveillé, car il a en lui un guide qui possède toutes les énergies de l'intelligence et du mouvement (pp. 149-151). »
Nous voilà enfin au chapitre VII, qui traite spécialement du sujet qui nous intéresse ; le sommaire en est : l'éther mesméRIEN ET LA PERSONNALITÉ QU'IL ENGENDRE (suite). - la TABLE TOURNANTE. - la TABLE PARLANTE. - le MÉDIUM.
Voici comment l'auteur rattache les phénomènes du spiritisme à sa théorie de l'être fluidique : « L'agent mystérieux qui mettait en branle les tables parlantes était évidemment le même que celui qui animait le crayon mobile du médium, je veux dire la personnalité mesmérienne des assistants ou du médium lui-même. S'il différait dans ses modes d'action, cela tenait uniquement à la nature des intermédiaires par lesquels il se manifestait. Il n'est pas, en effet, difficile de voir que le guéridon n'est qu'un instrument passif, une sorte de syllabaire acoustique mis en action par le fluide de celui qui interroge. En d'autres termes, c'est la personnalité mesmérienne de ce dernier qui remplit l'office de souffleur dans le dialogue tabulaire (p. 183). » - « On a souvent assimilé le médium à un somnambule éveillé. Cette définition nous paraît parfaitement juste. Ce sont les pôles extrêmes de la chaîne mesmérienne, deux modes d'action différents d'une même cause, qui passent de l'un à l'autre par degrés insensibles. On dirait une transformation de force analogue à celle qu'on observe dans les fluides impondérables, chaleur, lumière, électricité, magnétisme, qui ne sont, comme on sait, que des manifestations diverses d'un même agent, l'éther. On a vu des femmes tomber dans un sommeil magnétique en faisant la chaîne autour d'une table ; des phénomènes électriques d'attraction et de répulsion se manifester chez des personnes qui se livraient à la pratique du spiritisme ; des médiums devenir somnambules, et vice versa parfois ces deux caractères se présentent en même temps, de sorte qu'il est difficile de dire si l'on a affaire à un sujet éveillé ou endormi. Rien d'ailleurs, sauf la manière de procéder, qui différencie le somniloque du médium ; l'un parle, l'autre écrit, mais tous deux avouent qu'ils sont sous l'influence d'un inspirateur mystérieux qui dicte leurs réponses. Interrogé sur son origine et sa personnalité, ce souffleur invisible se donne tantôt comme un esprit sans nationalité, tantôt comme l'âme d'un défunt. »
« Dans ce dernier cas, il se dit volontiers l'ami ou le proche du médium, et il vient l'aider de ses conseils. Ici se place un des effets les plus surprenants du mesmérisme. Le personnage mystérieux, invité à tracer quelques lignes par l'intermédiaire du crayon mobile ou de la main du médium reproduit l'écriture, les locutions et jusqu'aux fautes d'orthographe qui étaient familières à l'ami ou au proche dont il se dit le représentant posthume. Un tel argument paraît à première vue irréfutable, et c'est sur des faits de ce genre qu'on s'appuya pour fonder la théorie du spiritisme (p. 185-187). »
« L'évocation des fantômes par le médium est donc un mirage, même lorsqu'ils revêtent une forme optique, comme cela a lieu pour certains médiums privilégiés. Ceux-ci n'en sont pas moins le jouet d'une hallucination, analogue à celle des somnambules qui voient leur apparaître tous les fantômes qu'il plaît au magnétiseur de leur montrer (p. 191). »
« On le voit, chez le médium comme chez le somnambule, c'est le même principe qui agit, le fluide vital (fluide nerveux, éther mesmérien). Il obtient son summum d'énergie dans le premier, car c'est de lui-même, je veux dire du centre de production, que celui-ci tire la force vive qui engendre les effets mesmériens, tandis que le second, l'empruntant à une source étrangère, la reçoit limitée et amoindrie dans son action. Aussi le spiritisme reproduit-il, en les agrandissant encore, tous les prodiges du sommeil magnétique. Comme le somnambule, et mieux que le somnambule, le médium, même illettré, devient polyglotte, compose des poésies, écrit des discours suivant les règles de l'art oratoire ; il devine les pensées de ceux qui sont auprès de lui, possède la faculté de la vue à distance, lit dans le passé et arrive parfois à la prescience de l'avenir (p. 193). »
Quant aux auteurs allemands qui ont traité de cette question, il est inutile que j'en fasse ici mention.
CHAPITRE PREMIER - DES PHÉNOMÈNES DE MATÉRIALISATION
Insuffisance, au point de vue des faits, de l'hypothèse hallucinatoire émise par le Dr Hartmann
La ressemblance entre la théorie de D'Assier et celle du Dr Hartmann saute aux yeux. La «personnalité mesmérique » du premier n'est autre chose que la « conscience somnambule » du dernier ; l'hypéresthésie (surexcitation) de la mémoire, la transmission des pensées, la clairvoyance, tels sont les points qui leur sont communs. Pour ce qui est de la connaissance du sujet traité et du développement systématique de la théorie, l'ouvrage de D'Assier ne peut évidemment pas être comparé au livre de M. Hartmann ; par contre, l'hypothèse de D'Assier possède un avantage indiscutable sur celle de M. Hartmann, celui d'admettre la réalité objective et indépendante, fût-ce temporellement, de la personnalité mesmérique ou fluidique ; cela lui permet de donner une explication assez plausible de toute cette série de phénomènes, dits mystiques, pour lesquels la théorie de M. Hartmann ne suffit plus.
Il était facile de trouver une réponse à l'opinion de M. D'Assier, que « les fantômes évoqués par le médium ne sont autre chose que des hallucinations, même lorsqu'ils revêtent une forme optique (p. 191) ». Ce n'était qu'une erreur de logique de sa part, car, du moment où il admettait la réalité du fantôme fluidique et le fait visible et tangible de son « dédoublement », il ne pouvait plus, logiquement, parler d'hallucination. Il en est autrement pour la théorie du Dr Hartmann, qui nie l'existence de l'être humain fluidique, comme l'appelle M. D'Assier. Il admet bien le fait de l'apparition, mais lui refuse une réalité objective. Cette réalité doit être démontrée autrement que par la voie des perceptions des sens de l'homme, lesquels sont toujours sujets à des illusions.
C'est précisément par ce côté que je commencerai mon étude critique des opinions du Dr Hartmann, attendu que nous divergeons complètement sur ce point, et, en outre, parce que de tous les problèmes du spiritisme, c'est celui qui se prête le mieux à la vérification au moyen d'expériences physiques, même dans l'état actuel de la question.
Or j'affirme que les phénomènes qu'en spiritisme on désigne habituellement sous le nom de « matérialisations », ne sont pas des hallucinations, des « produits de la fantaisie, privés de tout élément les rendant perceptibles aux sens », comme le représente le Dr Hartmann, se basant sur les faits dont il a eu connaissance ; j'avance que ces phénomènes sont des productions douées d'une certaine matérialité passagère, ou bien, pour employer l'expression du Dr Hartmann, possédant des éléments qui les rendent perceptibles aux sens. Le Dr Hartmann semble disposé à admettre cette réalité, à la condition qu'on fournisse à l'appui des preuves suffisantes, lesquelles, dit-il, peuvent être fournies seulement par la photographie, et à la stricte condition que le médium et l'apparition soient photographiés simultanément.
Dans sa « conclusion », M. Hartmann est encore plus explicite et entre dans des détails que je trouve utile de citer :
« Une question du plus haut intérêt au point de vue théorique, c'est de savoir si un médium a la faculté non seulement de provoquer l'hallucination visuelle d'une forme chez une autre personne, mais encore de produire cette forme comme quelque chose de réel, quoique consistant en une matière raréfiée, dans le lieu objectivement réel, où se trouvent réunis tous les expérimentateurs, et ceci, en dégageant préalablement de son propre organisme la matière nécessaire pour former l'image. Si les limites inaccessibles de la sphère d'action d'un médium étaient connues, la réalité objective des phénomènes de matérialisation aurait pu être établie au moyen de procédés mécaniques à effet durable, obtenus au delà de la sphère d'action du médium. Mais, du moment que ce n'est pas ici le cas et que les images matérialisées ne franchissent jamais les limites de la sphère d'action physique du médium, il ne reste, paraît-il, que la démonstration photographique, pour prouver que l'image matérialisée possède, dans l'espace objectivement réel, une surface capable de refléter la lumière.
« La condition indispensable d'une pareille preuve photographique, c'est, à mon avis, que ni un photographe de profession ni le médium ne soient admis à approcher de l'appareil, de la chambre noire ou de la plaque, afin d'écarter tout soupçon, soit d'une préparation antérieure de la chambre noire ou de la plaque (non encore recouverte de collodion), soit d'une manipulation ultérieure quelconque. A ma connaissance, ces mesures de prudence ne sont pas encore observées ; en tout cas, on n’en fait pas mention dans les comptes rendus, ce qui prouve que les expérimentateurs n'en ont pas encore reconnu l'importance. Et cependant, sans l'observation de ces mesures, les négatifs sur lesquels apparaissent en même temps et le médium et l'image ne fournissent pas la moindre preuve ; il va de soi que les épreuves positives tirées sur papier, voire les reproductions mécaniques faites d'après ces plaques, peuvent encore moins servir de témoignage convaincant. Seul, un chercheur, inspirant une confiance absolue, qui apporterait à la séance ses propres appareils et fournitures et qui opérerait en personne, pourrait obtenir une solution positive et convaincante de cet experimentum crucis ; aussi devrait-on toujours, autant que possible, chercher à avoir le concours de pareilles personnes à toute séance de matérialisation. »
A cet égard, je ne puis m'empêcher de remarquer que ces précautions auront beau être strictement observées, jamais on n'arrivera à écarter toute espèce de doute, car la valeur de l'expérience dépendra toujours de l'ascendant moral de l'expérimentateur, qui ne s'étend généralement que sur le nombre limité de personnes qui le connaissent bien. On ne peut pas tracer de limites aux conjectures ou aux soupçons. Ces expériences acquerraient toute leur portée alors seulement que les phénomènes médiumniques seraient plus répandus et par conséquent mieux appréciés qu'ils ne le sont actuellement. Ce qui se passe à présent dans le domaine de l'hypnotisme peut nous servir d'exemple.
Matérialisation d'objets échappant à la perception par les sens. Photographie transcendantale
Il y a deux genres de matérialisations : il y a d'abord la matérialisation invisible à l'œil, et ne présentant qu'un seul attribut physique, accessible à notre contrôle : il consiste en l'émission de rayons lumineux, qui ne produisent aucune action sur notre rétine, mais agissent sur la plaque sensible d'un appareil photographique ; pour les résultats ainsi obtenus je propose l’expression : photographie transcendantale.
Il y a, d'un autre côté, la matérialisation visible, qui est accompagnée des effets physiques propres au corps humain.
Je crois que si nous réussissons à établir la réalité de la première forme de matérialisation, nous aurons acquis des arguments solides pour admettre l'existence de la matérialisation visible.
En effet, si l'on établit le fait d'une formation médiumnique extra-corporelle, c'est-à-dire de la formation de quelque chose, en dehors du corps du médium, bien qu'imperceptible à l'œil humain, mais possédant certains attributs d'une existence réelle, alors le fait de la matérialisation visible et palpable se réduira à une question de degré de matérialité.
C'est pourquoi j'attache une si grande importance aux expériences photographiques faites par M. Beattie, à Bristol, en 1872 et 1873. Ces expériences ont été poursuivies dans des conditions qui répondent amplement à celles exigées par le Dr Hartmann.
J'ai personnellement connu M. Beattie, et c'est de ses mains que je tiens la collection de photographies dont je vais parler plus loin et dont une partie se trouve représentée dans les seize phototypies qui accompagnent le présent ouvrage. Il avait été lui-même un photographe de profession, mais il avait cessé de l'être à l'époque où il fit les expériences en question.
Nous possédons quatre documents se rapportant à ces expériences : une première lettre de M. Beattie, publiée dans le British Journal of Photography, numéro du 28 juin 1872, et dans le Photographic News, de Londres ; elle fut reproduite dans le Médium du 5 juillet 1872 ; une deuxième lettre de M. Beattie, la plus détaillée, parut dans le Spiritualist, Londres, le 15 juillet 1872 ; une troisième lettre de M. Beattie, publiée dans le British Journal of Photography du 22 août 1873 et reproduite dans le Spiritual Magazine de novembre 1873, ainsi que dans le Medium du 29 août 1873 ; enfin, le témoignage d'un tiers, le docteur Thompson, qui prit part à ces expériences ; ce témoignage, en forme de lettre, a été publié dans le journal Human Nature à Londres, 1874, page 390.
Pour commencer, faisons une enquête sur le caractère de M. Beattie, pour savoir s'il peut répondre à cette condition stipulée par le docteur Hartmann « que l'expérimentateur soit une personne d'une réputation irréprochable ».
Voici les renseignements donnés sur son compte par M. Taylor, éditeur du British Journal of Photography, dans le numéro de ce journal du 12 juillet 1873, renseignements que je reproduis d'après le Spiritual Magazine (1873, p. 374). « Tous ceux qui connaissent M. Beattie témoigneront volontiers que c'est un photographe intelligent et instruit ; c'est un des hommes les plus difficiles à induire en erreur, du moins dans les choses touchant la photographie, et un homme incapable de tromper les autres ; c'est cependant cet homme qui vient nous affirmer, sur la foi d'expériences faites soit par lui-même, soit en sa présence, des faits qui, a moins de leur refuser toute signification, démontrent qu'après tout, il y a quelque chose dans la « spirito-photographie » ; que du moins des figures et objets invisibles pour les personnes présentes dans la pièce, et qui n'étaient pas produits par l'opérateur, se sont développés sur la plaque, avec la même netteté, et parfois plus nettement que les personnes placées en face de l'appareil. »
Le journal avait une telle confiance en M. Beattie qu’il n'hésita pas à publier les deux lettres dans lesquelles il donne la description de ses étonnantes expériences.
La première lettre de M. Beattie fut encore reproduite dans un autre journal spécial, le Photographic News, avec cette remarque de la rédaction : « M. Beattie, comme nombre de nos lecteurs le savent, est un photographe-portraitiste extrêmement expérimenté, de plus, un gentleman dont personne ne penserait à mettre en doute la sincérité, la probité ni le talent. S'intéressant à la question du spiritisme et dégoûté de l'évidente supercherie des photographies spirites qu'il avait eu l'occasion de voir, il avait résolu de faire personnellement des recherches sur cette question.
Son récit donne le résultat de ces expériences. Il faut noter que dans le cas présent les expériences étaient conduites par des opérateurs honnêtes, experts dans tout ce qui touche la photographie, et qui les avaient entreprises dans l'unique but de s'en rendre personnellement compte ; donc, toute cause d'erreur était soigneusement écartée. Ils obtinrent un résultat absolument inattendu : les images obtenues ne ressemblaient en rien aux revenants si laborieusement reproduits sur les photographies frauduleuses. Pour ce qui est de la source ou de l'origine de ces images, nous ne pouvons offrir aucune explication ni théorie. » (Citation du Médium, 1872, p. 137).
Mais écoutons M. Beattie lui-même. Voici la première moitié de sa lettre adressée au British Journal of photography, contenant la description, des préparatifs et du commencement des expériences :
« Pendant de longues années, j'ai eu l'occasion d'observer de près les étranges phénomènes, qui, à peu d'exceptions près, n'étaient pas considérés dans le monde savant comme dignes d'être l'objet d'une investigation ; actuellement l'existence de ces faits s'impose à une impartiale et minutieuse vérification.
Il y a peu de temps, M. W. Crookes a démontré que, sous certaines conditions, il se manifeste une force mécanique, que ce savant désigne comme « nouvelle », et à laquelle il a donné une dénomination à part.
Si la théorie de « l'unité des forces » est exacte, en obtenant une force quelconque, on doit obtenir aussi bien toute autre force ; s'il est vrai encore que le mouvement instantanément suspendu, se transforme en calorique, en lumière, en action chimique, et vice versa, alors dans la force découverte et démontrée par M. W. Crookes nous trouvons en même temps une source de force électrique et chimique.
Je ne suis pas de l'avis de ceux qui supposent que tout changement n’est que le résultat d'une force, mais non d'un but. Je suis, par conséquent, forcé d'adjoindre un élément raisonnable à la conception de la force - la force comme telle n'a pas une existence indépendante du principe intelligent. Les expériences que je vais décrire ne sont peut-être pas nouvelles, mais les résultats obtenus (je n'ajoute pas : s'ils sont exacts, car je sais qu'ils le sont) prouvent beaucoup de choses, notamment que, dans les conditions données, il se produit une force invisible, possédant la faculté de susciter une puissante action chimique ; ce n'est pas tout : cette énergie est régie par une intelligence autre que celle des personnes présentes, attendu que les images évoquées ne pouvaient être le résultat de la pensée de ces personnes.
Sans autre préambule, je vais procéder à la description de ces expériences.
J'ai un ami à Londres, qui me montra, un jour qu'il était chez moi, ce qu'on appelait des « photographies spirites ». Je lui dis de suite qu'elles ne l'étaient pas, et je lui expliquai de quelle manière elles étaient obtenues. Mais, voyant que beaucoup de personnes croyaient à la possibilité de ces choses, je dis à mon ami que j'étais prêt à faire quelques expériences avec un bon « médium » que je connaissais : M. Butland. Après quelques pourparlers, celui-ci consentit à consacrer un certain temps à ces expériences. Je m'arrangeai ensuite avec M. Josty (photographe à Bristol) pour faire les expériences dans son atelier, à partir de six heures du soir, et je m'assurai la participation du docteur Thompson et de M. Tommy, en qualité de témoins. Je faisais toutes les manipulations moi-même, sauf de découvrir l'objectif, opération réservée à M. Josty.
La chambre obscure, munie d'un objectif Ross, était construite de façon à ce que l'on pût obtenir trois épreuves négatives sur la même plaque. On voilait le jour, pour pouvoir prolonger la pose jusqu'à quatre minutes. Le fond était semblable à celui que l'on emploie ordinairement, de couleur brun foncé, et touchait le mur. Le médium lui tournait le dos ; il était assis et avait une petite table devant lui. Le Dr Thompson et M. Tommy étaient assis d'un côté, à la même table, tandis que je me tenais vis-à-vis, durant la pose. »
Les figures 5, 6, 7, 8 sont prises d'après les photographies transcendantales de M. Beattie
La description des expériences mêmes est très sommaire dans cette lettre ; je citerai pour cela la lettre de M. Beattie au journal Spiritualist.
« A la première séance, on fit neuf poses sans résultat. A la seconde séance, qui eut lieu une semaine après, nous obtînmes un résultat à la neuvième pose. Si nous n'avions rien obtenu, nous avions décidé d'abandonner les expériences. Mais en développant la dernière plaque, nous vîmes immédiatement apparaître une image, ayant une vague ressemblance avec une forme humaine. Après maintes discussions, nous décidâmes que le résultat obtenu ne pouvait être attribué à aucun des accidents si fréquents en photographie. Nous fûmes donc encouragés à poursuivre les expériences. Je ferai observer que M. Josty raillait jusqu'à l'idée même de faire ces expériences ; cependant le résultat obtenu à la deuxième séance le fit réfléchir.
A la troisième séance, la première plaque ne donna rien. Sur la deuxième plaque, chacune des trois poses produisit un résultat ; après les deux premières, un buste lumineux, tenant les bras élevés et croisés ; à la troisième pose apparut la même image, mais allongée. Devant cette figure et au-dessus d'elle se trouvait une étrange forme recourbée, dont la position et la dimension changèrent à chaque nouvelle pose pour la même plaque. Après chaque pose successive, l'image se rapprochait de plus en plus de la figure humaine, tandis que la forme qui se trouvait au-dessus d'elle se transformait en étoile. Cette évolution continua durant les poses suivantes, après quoi l'étoile prit la forme d'une tête humaine.
Nous étions à l'une des poses de cette série, et M. Josty était assis sur une chaise auprès de l'appareil, pour ouvrir l'objectif, lorsque, tout à coup, nous entendîmes l'obturateur tomber de ses mains ; nous nous aperçûmes qu'il était plongé dans une profonde transe.
Au moment de revenir à lui, il manifestait une grande émotion. Un peu calmé, il dit qu'il ne se souvenait que d'avoir vu devant nous une forme humaine blanche, qui lui semblait être sa femme. Il nous pria d'envoyer de suite prendre de ses nouvelles.
Après cet incident, M. Josty paraissait en proie à une terreur superstitieuse et hésitait de toucher à la chambre obscure ou au châssis ; il ne riait plus.
A la quatrième séance, les résultats obtenus furent encore plus étonnants. Nous obtînmes tout d'abord l'image d'un cône, d'une longueur d'environ 2 millimètres, et, au-dessus, un autre cône plus court ; à la deuxième pose, ces cônes projettent un rayonnement vers les côtés ; à la troisième, le grand cône prend la forme d'une bouteille florentine, et le petit cône celle d'une étoile ; à la quatrième pose apparaissent les mêmes images et, en plus, un double de l'étoile. A la cinquième pose chacune de ces images paraît comme traversée par un fil de magnésium allumé, l'étoile ressemble à un oiseau lumineux volant, la fiole est comme tombée en éclats ; c'est comme une explosion de lumière. (Voyez ph. 1, 2, 3, 4.)
A la cinquième séance, nous eûmes dix-huit poses, sans le moindre résultat. La journée était très humide.
A la sixième séance, le samedi 15 juin, nous avons obtenu des résultats très étranges, de nature physique aussi bien que spirite. Je les décrirai aussi exactement que possible. Douze poses ne donnèrent aucun résultat. Ensuite MM. Butland et Josty tombèrent dans une transe (sommeil léthargique). M. Josty n'a pu complètement sortir de cet état léthargique durant tout le reste de la soirée ; il répétait à part soi : « Qu'est-ce donc ?... Je ne me trouve pas bien... Il me semble que je suis lié. » Il était évidemment dans l'état de demi-transe. A la pose suivante, il a été chargé d'ouvrir l'objectif ; ce qu'ayant fait, il s'approcha rapidement et se plaça derrière nous, ce qui nous étonna. Quand le temps nécessaire fut écoulé, il courut vers l'appareil et ferma l'objectif ; sur cette plaque, une image blanche avait paru devant lui. De la personne de M. Josty on ne voyait que la tête.
Jusqu'à présent, il se refuse à croire qu'il s'est levé et s'est placé devant l'appareil ; évidemment il avait agi dans un état de transe.
A l'expérience suivante, M. Josty était avec nous, et c'est le docteur Thompson qui était à l'objectif. Pendant la pose. M. Josty dit : « Je vois un nuage, pareil à un brouillard de Londres. » Au déplacement de la plaque pour la deuxième pose, il dit encore : « A présent, je ne vois rien, tout est blanc. » Et il étendit les mains pour s'assurer que nous étions-la. Au moment du déplacement de la plaque pour la troisième pose, il a déclaré qu'il voyait de nouveau le brouillard.
« M. Butland, de son côté, dit qu'il voyait une image. Je ferai observer que ces observations étaient faites pendant la pose. Dès que je plongeai la plaque dans le révélateur, j'obtins un résultat excessivement étrange, je dirai : inconcevable.
« La première partie de la plaque représentait un brouillard diaphane, uni ; les figures, sur cette plaque, étaient soit invisibles, soit neutralisées ; donc, simultanément, un effet était annulé, un autre était produit. Sur la partie suivante de la plaque, la nébulosité était devenue complètement opaque ; sur la troisième on voyait un léger voile et une figure comme l'avait vue M. Butland.
La septième séance, comprenant seize poses, ne donna qu'un résultat : une sorte d'image, rappelant la forme d'un dragon ; je n'ai pas compris ce qu'elle représentait.
Cette séance fut suivie d'une série de séances intéressantes, au cours desquelles on obtint des plaques marquées d'étranges taches lumineuses, qui furent, chaque fois, décrites en détail par les deux médiums, pendant la pose, quant à leur nombre, leur disposition et leur intensité.
Il y eut encore une dernière séance le 22 juin, à laquelle assistait M. John Jones, de Londres.
M. Josty souffrait d'un mal de tête violent et M. Butland était fatigué par ses travaux quotidiens. On fit vingt et une poses qui ne donnèrent que trois résultats : une fois une tâche lumineuse, et deux fois une espèce de faisceau ou de fagot, régulièrement massé, avec une ligne nettement tracée devant et des rayons lumineux derrière.
Dans ce compte rendu, j'ai donné, autant qu'il m'a été possible, une esquisse de nos expériences ; pendant leur durée, il s'est produit maintes choses qu'il fallait voir et entendre. Ces expériences furent faites pour notre satisfaction personnelle. Toutes les précautions avaient été prises pour écarter une intervention étrangère. Nous opérions attentivement et consciencieusement. Les résultats obtenus nous auraient satisfaits, même si nous n'avions rien obtenu de plus.
Je joins une série de ces photographies. Je suis persuadé que vous reconnaîtrez de suite leur grande importance au point de vue scientifique. Supposons qu'au lieu de ces images nous eussions reçu des portraits ; dans ce cas, quelque grande que fût notre propre satisfaction, les personnes étrangères auraient-elles autrement accueilli nos expériences et aurions-nous eu plus de chance d'être cru ?
Autant les photographies du même genre, que nous avons vues jusqu'à présent, dénotaient clairement de quelle manière elles avaient été faites, autant, je l'espère, vous vous apercevrez immédiatement, après un minutieux examen, que ces images dans leur ensemble portent en elles les preuves de leur étrange et extraordinaire origine. Au cours de toutes ces expériences, nous recevions, par l'intermédiaire de la table, des indications exactes touchant la lumière, l'ouverture et la fermeture de l'objectif. Je faisais moi-même le travail photographique. Les images ressortaient immédiatement bien avant les images normales, et ceci démontre l'énergie particulière de la force qui se produisait. »
Les courts témoignages de M. Tommy, qui assistait à ces expériences, et de M. Jones, qui avait pris part à l'une des séances, sont publiés par le Médium du 5 juillet 1872.
Dans sa troisième lettre, reproduite par le journal photographique en 1873, M. Beattie, après une intéressante notice préliminaire, raconte une nouvelle série d'expériences qu'il a faites cette année avec le concours des mêmes personnes. Les résultats furent, en général, semblables à ceux obtenus précédemment ; quant à ceux qui présentaient des particularités remarquables, j'en parlerai plus loin à leur place.
Je vais citer ici la lettre du docteur Thompson, dont il a été question plus haut, lettre qu'il avait écrite sur la demande d'un collaborateur du journal Human Nature, en 1874, à une époque, par conséquent, où il était encore sous la fraîche impression des phénomènes observés.
En dehors du fait que la communication de M. Thompson est très détaillée et qu'elle complète la description de M. Beattie par divers détails intéressants, elle a une valeur particulière, dans ce cas spécial, comme étant le témoignage d'une personne étrangère qui a assisté à toutes ces remarquables expériences, d'autant plus que M. Thompson est un distingué photographe amateur ; c'est pour cette raison que je cite cette communication in extenso :
« Lorsqu'il y a deux ans, le public commença à s'intéresser à la photographie spirite, mon ami, M. Beattie, m'a prié de le seconder dans quelques expériences dont le but était d’établir la réalité de ce fait, attendu que tous les cas observés jusqu'à ce jour par lui trahissaient avec plus ou moins d'évidence des supercheries.
Nous entreprîmes ces expériences uniquement pour notre propre édification ; nous nous intéressions tous les deux au spiritisme, en général, et plus particulièrement à cette question spéciale ; chacun de nous s'était occupé de la photographie pendant prés de trente années, - M. Beattie, lorsqu'il était le photographe principal de Bristol, et moi comme amateur.
Un ami commun, grâce au médiumisme duquel nous avions souvent été témoins de différents phénomènes de transes et sur la probité duquel nous pouvions pleinement compter, s'est obligeamment mis à notre disposition. Nous commençâmes nos expériences à la mi-juin 1872 en nous réunissant une fois par semaine, à six heures du soir (heure qui nous était imposée par les occupations personnelles du médium). Nous employâmes un objectif de Ross, avec foyer de six pouces ; la chambre noire était de celles qu'on emploie ordinairement pour la photographie format visite, avec châssis construit de manière à pouvoir obtenir trois épreuves sur la même plaque. Le bain d'argent était préparé dans un vase en porcelaine. Le fond était pareil à ceux qu’on emploie ordinairement, en toile, montée sur un châssis et d'une couleur entre le brun et le gris. Nous commencions chaque séance en nous plaçant autour d'une petite table, laquelle nous indiquait par des mouvements de quelle façon nous devions opérer. En suivant ces instructions, M. Beattie s'occupait de la préparation et du développement de la plupart des plaques, tandis que je veillais à la pose, dont la durée était également indiquée par les mouvements de la table, autour de laquelle étaient assis tous les expérimentateurs, sauf moi.
On sortait les plaques des bains préparés d'avance sans observer aucun ordre particulier. Je crois important de mentionner ce fait, car il permet de récuser une grande partie des objections, sinon toutes, tendant à mettre en doute l'authenticité de ces photographies. En dehors des précautions prises pour le choix des plaques, nous avions recours à d'autres mesures ; le médium ne quittait pas la table, à moins qu'il lui fût enjoint d'assister au développement de cette façon, - en supposant même que les plaques eussent été préparées d'avance, - il devenait absolument impossible de savoir quelle serait l'image qu'on obtiendrait sur la plaque ; néanmoins, le médium nous décrivait ces images jusqu'en leurs moindres détails.
Nos séances ne duraient habituellement pas plus de deux heures. A la première séance, nous fîmes neuf poses sans rien obtenir d'inusité.
Nous nous réunîmes la semaine suivante, et, après huit poses, également infructueuses, nous décidâmes de cesser les expériences si la neuvième ne donnait pas un résultat favorable. Mais, dès que nous procédâmes au développement de la neuvième plaque, nous vîmes instantanément apparaître une forme étrange, assez semblable à une figure penchée. Lorsque nous nous réunîmes pour la troisième fois, la première plaque ne présenta rien de particulier (en général à presque toutes les séances ultérieures les premières poses ne donnèrent aucun résultat). Sur la deuxième plaque apparut une figure remarquable qui ressemblait à la partie supérieure d'un corps féminin. La même image, mais plus allongée, parut également sur la troisième plaque. Dans la suite, au lieu de la forme de la tête, nous obtînmes des images se rapprochant plus ou moins de la forme d'une étoile. Au commencement de notre séance suivante ; nous subîmes d'abord douze échecs, mais, lorsque les manifestations commencèrent, nous trouvâmes que les images avaient changé et qu'elles avaient pris la forme de cônes ou de bouteilles qui étaient de plus en plus lumineuses vers le centre. Ces cônes lumineux apparaissaient invariablement sur le front ou sur la face du médium, et ils étaient généralement accompagnés d'une tache lumineuse qui se trouvait au-dessus de sa tête. Dans un cas, il y avait deux étoiles de ce genre, dont l'une était moins brillante et était en partie masquée par l'autre. Ces images, à leur tour, cédaient la place à d'autres : les cônes et les étoiles se transformaient en images rappelant des oiseaux aux ailes déployées, tandis que les bords primitivement lumineux des figures se confondaient graduellement avec le fond.
A la séance suivante, vingt et une poses ne donnèrent aucun résultat ; c'est pendant cette soirée que, pour la première fois, le médium commença à parler en transe et à nous décrire ce qu'il avait vu, alors que les plaques étaient encore dans le cabinet ; ses descriptions se trouvaient être exactement conformes aux images reçues ultérieurement. Une fois il s'écria : « Je suis entouré d'un brouillard épais et ne puis rien voir. » Au développement de la plaque, utilisée à ce moment, on n'aperçut rien ; toute la surface était voilée,. Ensuite, il décrivit une figure humaine entourée d'un nuage ; en développant la plaque, nous pûmes distinguer une image faible mais très nette rappelant une forme féminine. A une autre occasion, l'année précédente, lorsque j'étais assis à la table, le médium fit la description d'une figure de femme qui se serait tenue près de moi et dont l'esquisse sommaire parut assez nettement au développement. Depuis ce temps, les apparitions furent presque toutes décrites par le médium pendant la pose et dans chaque cas avec la même précision. L'an dernier, ces manifestations devinrent plus variées dans la forme que les précédentes ; une des plus curieuses manifestations fut une étoile lumineuse de la grandeur d'une pièce de 3 pence en argent, dans le milieu de laquelle se trouvait un buste encadré dans une sorte de médaillon dont les bords étaient nettement tracés en noir, ainsi que le médium l'avait décrit.
Au cours de cette séance, il attira tout à coup notre attention sur une lumière vive et nous la montra ; il s'étonnait que personne de nous ne la vît. Quand la plaque fut développée, il s'y trouvait une tache lumineuse et le doigt du médium qui l'indiquait. Tous ceux qui ont étudié la série entière de ces photographies ont remarqué que la plupart des images obtenues présentent, pour ainsi dire, un développement successif en commençant par une petite surface lumineuse qui s'agrandit graduellement, elles changent de contours, et la dernière phase de changement consiste en la fusion de deux images primitivement indépendantes.
M. Beattie nous faisait fréquemment observer la rapidité avec laquelle ces images apparaissaient au développement, tandis que les images normales n'apparaissaient que bien plus tard. La même particularité a été remarquée par d'autres personnes qui s'occupaient de semblables expériences et nous ont signalé ce fait.
Il arrivait souvent qu'à la fin de la séance, alors que le jour avait considérablement baissé, nous ne remarquions sur les plaques soumises au développement rien d'autre que les empreintes de ces formations lumineuses qui avaient été invisibles à nos yeux. Ce fait démontre que la force lumineuse agissant sur la plaque, bien que sans effet sur notre rétine, était considérable ; nous opérions par le fait dans les ténèbres, car la lumière visible, reflétée par les objets se trouvant clans la chambre, ne pouvait produire aucune action sur la couche sensible.
Cette circonstance m'a suggéré l'idée d'essayer si le rayon ultra violet du spectre avait une influence quelconque sur ces formations ; dans ce but je proposai d'exposer un morceau de papier imprégné d'une substance fluorescente dans la direction où le médium disait voir les lumières. A cet effet, je pris une feuille de papier buvard, j'en imprégnai la moitié d'une solution de quinine, laissant l'autre moitié intacte pour mieux voir quel effet produirait la présence de la quinine. Je fus, à mon regret, empêché d'assister à la séance où cette expérience se fit. Ce fut notre dernière expérience, mais M. Beattie exposa le papier, d'après mes indications, sans toutefois obtenir aucun résultat. »
Comme on en peut juger par les documents précédents, M. Beattie avait réuni, pour ces expériences, un petit groupe d'amis, composé au total de cinq personnes parmi lesquelles se trouvait un médium, M. Butland ; il est essentiel de faire remarquer que ce n'était pas un médium à effets physiques et à matérialisation, mais un transe médium (comme nous le voyons dans la lettre plus détaillée de M. Beattie, publiée par le Spiritualist du 15 juillet 1872) ; je le répète, il s'agit donc d'un médium chez lequel de pareils phénomènes ne se produisent pas généralement, et M. Beattie n'avait par conséquent, en l'invitant, aucune chance de succès ; il ne pouvait faire aucune supposition sur le genre de phénomènes qui se produiraient les résultats obtenus furent donc relativement faibles et assez vagues.
Mais M. Beattie, vivant à Bristol, n'avait pas grand choix et M. Butland étant son ami intime, il pouvait compter sur son obligeance, ce qui n'était pas à négliger dans la circonstance, puisque ce ne fut qu'à la dix-huitième pose que l'on obtint un résultat.
Ces expériences n'ont pas échappé à l'attention du docteur Hartmann, et il en fait mention à la page 46. Il les range sous la qualification « d'apparitions lumineuses », qu'il attribue à des « vibrations d'éther d'une réfrangibilité supérieure ». Mais les mots « apparitions lumineuses » sont assez vagues à la page 49, le docteur Hartmann en parle encore, en ces termes :
« Les apparitions lumineuses médiumniques, dit-il, présentent aussi des formes déterminées, mais ce sont plutôt,(?"?) des formes cristallines ou bien inorganiques, par exemple des croix, des étoiles, un champ lumineux avec des tâches plus brillantes, qui ont plus de ressemblance avec les figures électriques formées de fines poussières ou avec les figures du son (figures Chladni), qu'avec des formes organiques. »
M. Hartmann n'a pas vu les photographies de M. Beattie, et il ne prête aucune attention à celles des paroles de M. Beattie qui ne s'accordent pas avec son explication et dans lesquelles il est question de figures humaines. Mais, à présent que nos lecteurs peuvent se faire une idée de ces photographies, d'après les phototypies qui sont publiées à la suite de cet ouvrage, il devient clair pour chacun que dans les photographies en question, nous ne nous trouvons pas en présence de « formes cristallines ou non organiques », mais que nous voyons, au contraire, des apparitions qui tendent à prendre une forme organique, la forme humaine.
Ce qui est à remarquer, c'est que dans les premières planches (pl. I et II) la formation des images a deux centres de développement ; nous voyons deux corps lumineux : l'un se formait à la région de la tête du médium, l'autre à la région de la poitrine. Sur la première planche, on voit le médium assis au milieu, nous faisant face ; à droite, c'est M. Beattie lui-même ; à gauche, MM. Thompson et Tommy. Sur la planche II, on remarque une série de formations qu'on serait tenté de comparer à une formation vertébrale. Sur les planches III et IV, la réunion (les images est pour ainsi dire consommée, et nous voyons des figures qui ne peuvent être comparées à autres choses qu'à des formes humaines.
En outre, M. Beattie parle d'une séance à laquelle « trois poses consécutives ont donné des bustes lumineux avec les bras croisés ». (Ps Stud. V. p. 339.) De même ses autres expressions telles que « développement d'une figure humaine complète » (ibid.), « image lumineuse portant sur un côté » (voyez p. 14), « figure ombrée avec cheveux longs, étendant la main » (Ps. Stud. 1881, pp. 256-257), ne laissent aucun doute sur ce point. M. Thompson parle aussi de figures humaines se produisant fréquemment.
D'après tout cela, nous pouvons conclure que nous nous trouvons en présence, non de simples « apparitions lumineuses », mais de productions d'une certaine matière, invisible à notre œil et qui est ou lumineuse par elle-même, ou qui reflète sur la plaque photographique les rayons de lumière à l'action desquels notre rétine est insensible. Qu'il s'agit ici d'une certaine matière, cela est prouvé par ce fait, qu'elle est tantôt si peu compacte que les formes des personnes assises et la table se voient, et que tantôt elle est si dense qu'elle couvre l'image des assistants ; l’apparition des images humaines à travers la formation de matière est visible sur la planche IV, figures 14 et 15 ; elle est encore plus visible sur les photographies originales.
En même temps, cette matière est incontestablement douée d'une telle énergie photo-chimique que ses impressions apparaissent avant toutes les autres images, avant même les figures normales dont il faut attendre pendant un temps plus long le développement.
Parmi les expériences de M. Beattie, il y en a une qui établit d'une manière absolue l'impossibilité de définir le résultat obtenu par les mots « apparitions lumineuses », car la forme apparue est noire. Je reproduis ici les propres paroles de M Beattie :
« Après divers échecs, je préparai la dernière plaque pour cette soirée. Il était déjà 7 h. 45. Lorsque tout fut prêt, le médium nous déclara qu'il voyait sur le fond de derrière une figure de vieillard qui étendait la main. Un autre médium, qui était aussi présent, dit qu'il apercevait une figure claire. Chacun des deux médiums fit la description de la pose dans laquelle il voyait le fantôme. Ces figures apparurent en effet sur la plaque, mais faiblement, de sorte que le tirage ne réussit pas. Je les reproduisis en positif transparent, et ensuite en négatif très fort, et alors je pus en faire le tirage. Vous pouvez voir quel étrange résultat j'obtins. La figure plus noire semble représenter un personnage du XVIe siècle ; on dirait qu'il a une côte de maille et de longs cheveux. La figure claire est effacée ; elle ne paraît, en réalité, qu'en image négative. » (Ps. Stud., 1881, p. 257.)
Mais ce n'est pas tout. Ces expériences ont donné un autre résultat, qui est remarquable. Les images dont nous avons parlé jusqu'à présent, et qui ont été reproduites sur nos phototypies, peuvent être considérées comme spontanées ou originales. Il y en a eu d'autres, que l'on pourrait désigner comme artificielles. Ainsi, M. Beattie les assimile tantôt à « une couronne, ornée de pointes ayant la forme de glaives », tantôt à « un soleil brillant, au milieu duquel on voit une tête ». Dans sa troisième lettre, il fait la description suivante de cette dernière expérience :
« L'expérience suivante, la dernière, bien qu'absolument unique par ses résultats, peut être décrite en quelques mots : à la première pose de cette série on obtint une étoile à la deuxième pose, cette même étoile, mais agrandie et à la troisième, cette étoile était transformée en un soleil de dimensions considérables, un peu transparent d'après la description donnée par le médium, la main plongée dans ce soleil ressent une chaleur égale à celle de la vapeur montant d'une chaudière. A la quatrième pose, le médium voit un soleil superbe, dont le centre est transparent et montre le profil d'une tête « semblable à celles que l'on voit sur les shillings. » Après développement, toutes ces descriptions se trouvèrent être exactes. (Ps. Stud., 1881, p. 257.)
J'ai en ma possession la série complète de ces photographies. Sur la première, on aperçoit, au-dessus de la tête du médium, un corps lumineux de la grosseur d'un petit pois ; sur la deuxième épreuve, il a triplé de volume et présente le contour d'une croix ébauchée, grande d'un centimètre et demi, on voit la main du médium s'avançant vers ce corps lumineux ; sur la troisième photographie, l'image a pris une forme ovale, du même volume, à fond uni, garnie tout autour de protubérances ; sur la quatrième photographie, la figure ovale est plus régulière encore et ressemble à un cadre, de forme ovale, composé de courtes dentelures lumineuses, et ayant 1/2 centimètre en largeur sur 2 centimètres de longueur à l'intérieur du cadre se dessine, dans un ton plus foncé, le profil d'une tête « comme sur un shilling », longue de 1 centimètre.
M. Beattie arrive aux conclusions générales suivantes :
« Mes expériences ont démontré qu'il existe dans la nature un fluide ou un éther, qui se condense dans certaines conditions, et qui, dans cet état, devient visible aux personnes sensitives ; qu'en touchant la surface d'une plaque sensible, la vibration de ce fluide ou de cet éther est tellement active qu'elle produit une puissante réaction chimique, comme en peut produire seulement le soleil en pleine force. Mes expériences prouvent qu'il existe des personnes dont le système nerveux est de nature à provoquer (dans le sens physique) ces manifestations ; qu'en la présence de ces personnes, il se forme des images ayant une réalité, et qu'elles dénotent l'existence d'une force intelligente invisible. Mais, dans les pages de votre journal, cette question doit rester sur un terrain purement physique. Le fait est qu'en photographiant un groupe de personnes, nous obtenions sur la plaque des tâches nébuleuses présentant un caractère déterminé, et permettant de juger de la longueur, de la largeur et de l'épaisseur des formes ainsi photographiées ; ces formes ont leur propre lumière et ne jettent aucune ombre ; elles dénotent l'existence d'un but ; elles peuvent facilement être imitées, mais il est douteux que quelqu'un se les fut imaginées[19]. »
A la fin de sa lettre publiée dans le Spiritualist, M. Beattie arrive aux mêmes conclusions et ajoute : « Cette substance est saisie par des êtres intelligents invisibles et moulée par eux eu diverses formes, comme la terre glaise par l'artiste ; quelles qu'elles soient, ces formes, placées devant l'objectif, peuvent être photographiées ; les personnes dont la rétine est assez sensible pour percevoir ces formes en donnent la description exacte avant qu'elles soient rendues visibles à l'œil ordinaire par le développement de la plaque. »
Laissons, en attendant, de côté la question des « êtres intelligents invisibles », car c'est matière à discussion ; arrêtons-nous en ce moment au fait irrécusable, démontré par les expériences photographiques, à savoir que, sous certaines conditions médiumniques, il se produit des formations matérielles, invisibles à l'œil ordinaire, qui établissent l'existence d'une force intelligente, agissant dans un but préconçu, et qu’il y a évidemment développement progressif d'un type déterminé.
Il faut remarquer que ce fait est établi par une double preuve : d'un côté, le phénomène, au moment de sa production, est vu et décrit par les personnes sensitives du cercle expérimentateur ; d'un autre côté, la photographie donne une preuve matérielle de la réalité des phénomènes observés et confirme la justesse des descriptions faites par ces personnes. M. Hartmann ne le nie pas (p. 57). Nous possédons, par conséquent, la démonstration exigée par M. Hartmann, qui veut que la plaque photographique reçoive simultanément et le médium et l'apparition. Si les expériences photographiques n'avaient pas donné ce résultat, M. Hartmann aurait pu ranger ces visions du médium dans le domaine des hallucinations, comme il le fait sans hésiter dans toute autre occasion. Voici, par exemple, les termes qu'il aurait certainement appliqués aux expériences de M. Beattie, si elles n'étaient pas accompagnées de photographies : « Lorsque le médium a cette illusion, qu'un nuage se dégage du creux de son estomac et prend la forme d'un esprit, le spectateur fasciné aura la même illusion. » Du moment que nous possédons maintenant la preuve photographique (par les expériences de M. Beattie), que nous ne sommes pas en présence d'hallucinations, nous avons acquis un fait de la plus haute importance ; nous en parlerons en son temps. Il est utile également de faire observer que ce même fait démontre que le résultat obtenu sur la plaque photographique ne peut pas être uniquement attribué à l'action « d'un système de forces linéaires », émanant du médium (hypothèse par laquelle M. Hartmann explique les empreintes de corps organiques) et n'agissant que sur la surface de la plaque ; on est obligé d'admettre dans ces cas que des objets réels ont produit les résultats photographiques en question.
Très remarquable, aussi, cette conclusion de M. Beattie, que nous avons ici à faire à une matière invisible, artificiellement façonnée ; la même conclusion avait déjà été déduite de nombreuses observations sur les phénomènes de la matérialisation visible, et cependant cette matérialisation visible, d'abord, des figures humaines et, ensuite, du corps entier, commençait seulement à être connue, lorsqu'en 1872 M. Beattie arriva aux mêmes conclusions dont nous aurons encore à parler et dont nous pèserons la valeur.
M. Beattie n'a pas été le seul à vouloir vérifier en personne, avec le concours d'un cercle d'intimes, les nouvelles sensationnelles venant d'Amérique, au sujet de la photographie spiritique. Dans les journaux anglais de 1872 et 1873 (Médium, Spiritual Magazine et Spiritualist) on trouve de nombreux rapports sur de semblables expériences faites par des particuliers dans le but de se rendre compte de ces phénomènes de leurs propres yeux. Les premières photographies de ce genre ont été obtenues par M. Guppy, auteur du livre Mary Jane, dont nous avons parlé dans notre aperçu historique de la littérature spirite. Dans ce cas, le médium était Mme Guppy[20]. De semblables expériences ont été faites par M. Reeves, qui n'avait même aucune idée de l'art photographique quand il commença. Il a également obtenu des images d'objets inanimés et de figures humaines (Spirit. Mag., 1872, pp. 266 et 409) ; ce journal fait mention de cinquante et une photographies de ce genre. Citons encore les expériences de M. Parkes, sur lesquelles d'intéressants détails sont publiés par le Human Nature (1874, pp. 145-157), ainsi que dans le Spiritualist (1875, t. VI, pp 162-165, et t. VII, pp. 282-285) ; de M. Russell, qui a fait des expériences avec des personnes de sa famille, aussi bien qu'avec des médiums de profession, dans sa maison (Spirit. Mag., 1872, p. 407) ; de M. Slater, opticien de Londres, dont les sujets étaient également des membres de sa famille ; il faisait lui-même toutes les manipulations ; on trouve sa communication dans le Médium de 1872, p. 239 et suivantes. Nous aurons encore à parler de lui plus tard. Enfin, mentionnons M. Williams, maître ès droit, docteur en philosophie, sur les expériences duquel M. Wallace s'exprime dans les termes suivants:
« Une confirmation non moins probante a été obtenue par un autre amateur, M. Williams, après des tentatives qui durèrent un an et demi. L'année dernière, il a eu la chance d'obtenir trois photographies, dont chacune avec une partie de figure humaine, à côté de la personne qui posait ; une seule de ces figures avait les traits du visage nettement reproduits. Plus tard, M. Williams obtint encore une photographie sur laquelle se trouvait une forme d'homme bien nette, à côté de la personne exposée ; cependant, après les bains, cette image disparut du négatif. M. Williams me certifie par écrit que ces expériences excluaient toute fraude et toute supposition que ces images eussent été obtenues par un procédé quelconque connu[21]. » Nous ne devons pas non plus passer sous silence l'expérience personnelle de M. Taylor, rédacteur du British journal of Photography. Le témoignage de M. Taylor étant celui d'un homme qui non seulement se tenait à l'écart de toutes occupations touchant au spiritisme, mais qui avait même traité la photographie spirite d'imposture honteuse ; nous reproduisons ici textuellement sa communication. Il se rendit chez M. Hudson, photographe de profession à Londres, qui prétendait produire aussi des photographies spirites. M. Taylor fit toutes les manipulations lui-même et obtint des résultats absolument concluants.
Laissons-lui la parole :
« La réalité du fait une fois reconnue, on se trouve en face de cette question : Comment ces images se produisent-elles sur la plaque recouverte de collodion ? La première idée est de les attribuer à une double pose, arrangée par le photographe M. Hudson. Mais cette explication rencontre un démenti immédiat : la présence de M. Hudson n'est aucunement indispensable à la réussite de l'expérience ; nous devons à la vérité de dire que son cabinet noir était à notre entière disposition toutes les fois que nous nous trouvions dans son atelier pour faire les expériences en question. Nous employions notre collodion et nos plaques, pendant toute la durée de la préparation, de la pose et du développement, M. Hudson se tenait à une distance de 10 pieds de l'appareil.
Il est certain que sur plusieurs plaques nous obtînmes des images sortant de l'ordinaire. Quelle que soit leur origine, - nous laissons cette question de côté, pour le moment, - une chose paraît évidente : c'est que le photographe lui-même n'y est pour rien. De même, la supposition que le résultat produit était dû à des plaques qui avaient servi antérieurement n'est pas acceptable dans ce cas, les plaques étant toutes neuves, achetées dans la maison Rouch et Cie, quelques heures avant l'expérience d'ailleurs, elles étaient tout le temps sous nos yeux ; le paquet lui-même n'était ouvert qu'au commencement de la séance[22]. » C'est à la même époque que se rapportent les expériences que M. Reimers faisait dans un cercle intime ; toutes les manipulations étaient faites par lui-même ; les résultats obtenus étaient parfaitement d'accord avec les visions sensitives du médium, aussi bien qu'avec les observations faites par M. Reimers aux séances de matérialisation, au cours desquelles apparaissait la même image que sur les photographies[23].
Je puis encore mentionner des expériences pareilles faites par M. Damiani, à Naples. Voici sa communication : « Un jeune photographe allemand fut tellement frappé à la vue de ma collection de photographies spirites, qu'il me proposa de faire quelques expériences sur la terrasse de ma maison si je me chargeais d'inviter un médium à accepter sa proposition. Vers le milieu d'octobre, j'avais six médiums se mettant à la disposition du photographe : la baronne Cerapica, le major Vigilante, le chanoine Fiore et trois dames encore. Sur la première plaque apparut une colonne de lumière sur la deuxième, un globe lumineux surmontant la tête de l'une des dames médium ; sur la troisième, le même globe, avec une tâche dans le centre ; sur la quatrième plaque cette tache était plus accentuée sur la cinquième et dernière, on peut distinguer une ébauche hardie de tête au centre d'une tâche lumineuse. » (Spiritualist, 3 décembre, 1875.) Il est facile de voir dans ces expériences les mêmes signes caractéristiques que ceux qui se sont produits aux séances de M. Beattie.
Je ne puis évidemment entrer dans les détails de toutes les expériences que j'ai mentionnées. Cela demanderait un volume, Les expériences de M. Beattie nous suffisent, car elles mettent entre nos mains les documents nécessaires, et, de plus, les conditions dans lesquelles ces recherches ont été faites répondent aux exigences de la plus sévère critique. Nous le répétons, ces expériences n'ont eu d'autre but que celui de servir à la conviction personnelle d'un homme éclairé, chercheur studieux, qui était, en outre, un photographe distingué. Il n'a tiré aucun bénéfice matériel de ses expériences ; les photographies spirites obtenues par lui n'ont jamais été mises en vente du reste, elles n'ont été reproduites qu'à un nombre restreint d'exemplaires, pour être distribuées aux amis de la cause ; elles sont conservées, nous l'espérons, dans les dossiers des journaux de photographie auxquels ces épreuves sont parvenues en même temps que ses articles. Il n'est donc pas étonnant que ces photographies soient peu connues, en général, et à présent probablement oubliées, car toute l'attention s'est naturellement portée sur les phénomènes de matérialisation visible.
Me trouvant à Londres, en 1873, je me rendis à Bristol dans le but déterminé de faire la connaissance de M. Beattie. Il m'a obligeamment donné trente-deux photographies de sa collection. Pour étudier cette question sérieusement, il sérail utile de reproduire en phototypie la série entière des expériences de M. Beattie, dans l'ordre chronologique. Lui-même dit : « Ces photographies, pour être bien comprises, demandent à être étudiées dans leurs séries consécutives, car c'est précisément leur évolution qui est remarquable. »
Je ne possède pas, à mon regret, la collection complète : j'ai omis de numéroter les exemplaires qui m'ont été remis par M. Beattie, suivant ses indications. A présent, il est trop tard, car M. Beattie n'est plus de ce monde. J'ai donc fait la sélection de seize photographies que j'ai rangées suivant l'ordre de leur série, d'après la description qu'en donnent les articles. J'ajouterai qu'à mon avis, un ordre strictement chronologique n'est pas d'une nécessité rigoureuse, attendu que les diverses phases de l'évolution ne suivent pas, d'une manière absolue, la marche du temps, comme nous pouvons en juger d'après les comptes rendus : elles sont, pour beaucoup, assujetties aux conditions plus ou moins favorables qui accompagnent chaque expérience,
Je me suis étendu sur les expériences photographiques de M. Beattie parce que je considère que les résultats qu'il a obtenus sont la base fondamentale de tout le domaine phénoménal de la matérialisation médiumnique, en général, et de la photographie transcendantale, en particulier, qui va nous offrir des développements bien autrement significatifs.
L'ensemble des photographies de M. Beattie prouve que, pendant les phénomènes médiumniques, il se produit non seulement des phénomènes intellectuels, d'un ordre particulier, - ce que la critique veut bien admettre, généralement, - mais qu'il se produit aussi des phénomènes matériels, dans le sens strict du mot, c'est-à-dire des phénomènes de production d'une certaine matière, prenant diverses formes, ce qui est le point essentiel de la question ; cette matière se présente tout d'abord sous la forme d'une vapeur nébuleuse, lumineuse, unicolore, se condensant peu à peu, et prenant des contours plus définis, - comme cela a été observé et signalé par de nombreuses personnes sensitives ou clairvoyantes, notamment par les médiums de M. Beattie. En son dernier développement, cette matière se présente, dans ces expériences, sous des formes qu'on doit nécessairement appeler des formes humaines, quoiqu'elles ne soient pas encore parfaitement définies. Nous aurons la preuve, dans les développements ultérieurs de ce phénomène, démontré par la photographie transcendantale, que nous nous trouvons réellement en présence de formes humaines. Mais je ne dois pas oublier, en répondant à M. Hartmann, que je dois observer les conditions difficiles et sévères, - à vrai dire parfaitement rationnelles, - qu'il a imposées comme garantie de l'authenticité du phénomène dont il s'agit.
Heureusement nous pourrons procéder plus loin dans les conditions requises, qui seront tout aussi concluantes que celles des expériences de M. Beatlie.
Comme degré intermédiaire entre une forme humaine mal définie et une autre parfaitement définie, se présente la matérialisation définie d'un organe humain quelconque. Nous savons que les phénomènes de matérialisation visibles consistaient, - au début du mouvement spiritique, - dans l'apparition momentanée de mains humaines, visibles, palpables et provoquant des déplacements d'objets. M. Hartmann range ce phénomène dans le domaine des hallucinations. Mais nous voyons sur la planche V la photographie d'une main, - invisible pour les assistants, - obtenue par le Dr N. Wagner, professeur de zoologie à l'université de Saint-Pétersbourg. Je reproduis ici un extrait d'un article que ce savant a publié dans le Novoïé Vremia (Nouveau Temps) du 5 février 1886, sous ce titre : « La théorie et la réalité » ; cet article parut, précisément, à l'occasion de la publication d'une traduction russe du livre de M. Hartmann sur le spiritisme :
« Puisque M. Hartmann demande des preuves objectives du phénomène de la matérialisation des formes humaines, je suppose qu'il est opportun de publier les résultats d'une expérience que j'ai faite dans le but d'obtenir, par voie photographique, la preuve d'un phénomène de ce genre.
Je fis cette expérience il y a cinq ans. A cette époque, je me préoccupais de trouver une confirmation de ma théorie des phénomènes hypnotiques, exposée par moi dans trois lectures publiques. Je supposais que l'individualité psychique, se dégageant du sujet hypnotisé, peut prendre une forme, invisible pour l'expérimentateur, mais réelle en elle-même, et que la plaque photographique peut reproduire, car elle constitue un appareil bien plus sensible aux phénomènes de la lumière que notre œil. Je ne parlerai pas de toute la série d'expériences infructueuses que je fis dans ce but ; je ne raconterai qu'une seule expérience, qui eut lieu au mois de janvier 1881 et qui a donné des résultats absolument inattendus.
Mme E. D. de Pribitkof, à la complaisance de laquelle je suis redevable de la plus grande partie de mes observations médiumniques, m'a servi de sujet pour cette expérience. La veille, j'avais préparé sept plaques photographiques enduites de l'émulsion au collodion. La chambre noire que j'emploie est celle de Warnerke, construite par Dolmeyer ; elle est stéréoscopique, et je l'ai choisie telle pour que les doubles images se contrôlent les unes par les autres et pour qu'on puisse reconnaître les tâches accidentelles qui peuvent apparaître sur la plaque au développement du négatif. Cette chambre noire est de dimensions plus grandes que celles en usage chez les photographes de Russie pour cette raison, chaque, fois que j'ai besoin de nouvelles plaques, je dois les commander au photographe ou au vitrier ; elles sont coupées dans une feuille de verre entière, qui n'a jamais servi aux manipulations photographiques.
Par le procédé psychographique nous apprîmes que l'expérience devait être faite dans la matinée, combien de plaques nous devions exposer, enfin, que sur la troisième plaque se produirait une image médiumnique. Outre Mme de Pribitkof, j'avais invité encore un sujet hypnotique, un élève d'un gymnase de Saint-Pétersbourg, avec lequel j'avais fait des expériences d'hypnotisme fort bien réussies ; je le destinais à remplacer Mme de Pribitkof au cas où cette dame donnerait des marques de fatigue ou de quelque désordre nerveux. J'avais également invité une personne que je connaissais intimement et avec laquelle je faisais souvent des expériences d'hypnotisme, M. M. P. de Guédéonoff ; sa présence était nécessaire pour endormir le médium. Le dernier des assistants était mon vieux camarade d'école, M. W. S. de Jacoby, qui s'occupe de photographie. Tous mes invités arrivèrent à l'heure indiquée, midi, et nous ouvrîmes immédiatement la séance. Nous nous enfermâmes dans une grande chambre de mon logis, ayant deux fenêtres et une porte.
Le médium fut placé en face de l'une des fenêtres, et M. de Guédéonoff, au moyen de simples passes, la plongea bientôt dans un sommeil hypnotique. Nous avions exprimé le désir que, par le moyen de frappements, il nous fût indiqué quand il serait temps d'ouvrir l'objectif et de finir l'exposition. Nous n'eûmes pas longtemps à attendre : trois coups très forts retentirent dans le plancher et, après une exposition qui dura deux minutes, des coups frappés de la même façon nous avertirent qu'il était temps de fermer l'objectif.
Sur les deux premières plaques qui avaient été exposées, - après le développement, opéré immédiatement dans le cabinet noir, - on ne vit apparaître que le portrait du médium, endormi sur sa chaise. L'exposition de la troisième plaque dura près de trois minutes, et, après le développement, nous y trouvâmes la reproduction d'une main au-dessus de la tête du médium.
Voici en quelques mots la position qu'occupaient dans la chambre, au moment de l'exposition, les cinq personnes qui prirent part à cette expérience : M. de Guédéonoff se tenait près de la chambre noire ; le jeune collégien dont je vous ai parlé était assis à l'écart, à quatre pas de l'appareil ; enfin, mon ami Jacoby et moi, nous étions près de la chambre noire.
Je crois inutile de rappeler que l'appareil était stéréoscopique et que sur la plaque apparurent deux images identiques. La main, reproduite au-dessus de la tête du médium, ne pouvait être la main d'aucune des personnes présentes. Quoique la photographie soit faible et nébuleuse, - évidemment parce qu'elle n'a pas été assez longtemps exposée, - on y voit l'image très nette d'une main sortant d'une manche de vêtement féminin plus haut, on distingue le bras, mais il est à peine visible. La structure de la main est caractéristique ; c'est bien une main de femme ; elle est difforme, car le grand doigt se sépare des autres par une profonde échancrure. Il est évident que cette main n'a pas été complètement matérialisée.
Aucun doute ne peut subsister : la main photographiée est réellement un phénomène médiumnique.
Sur les autres plaques que je tirai, rien d'insolite n'apparut. Je fis encore, dans le même but, toute une série d'expériences et j'exposai, dans les mêmes conditions, dix-huit plaques mais aucune n'enregistra de nouveaux phénomènes médiumniques. »
De mon côté, j'ajouterai que je connais personnellement toutes les personnes qui assistèrent à cette expérience, dont le résultat me fut communiqué immédiatement. Le professeur Wagner vint lui-même m'apporter un exemplaire de la photographie qui est reproduite sur la Pl. V. Cela se passait au mois de janvier 1881. A l'exception de M. Jacoby, que j'avais rencontré plusieurs fois chez M. Wagner, je connais particulièrement toutes les autres personnes : Mme de Pribitkof est la femme du rédacteur du Rébus, capitaine de marine, et depuis de nombreuses années j'ai avec tous deux de constantes relations. Mme de Pribitkof est un médium à effets physiques et j'ai souvent assisté à ses séances : frappements, reproduction dans la table de coups et de sons produits par les assistants, soulèvement de table, écriture directe, déplacement d'objets en pleine lumière et dans l'obscurité : voilà les principales manifestations de son médiumnisme.
Qu'on me permette d'ouvrir ici une parenthèse pour signaler une expérience récente qui a été mentionnée dans le numéro 1 du Rébus, en 1886 : au cours d'une séance, se passant dans l'obscurité, une sonnette, placée sur la table autour de laquelle étaient assis les spectateurs, fut enlevée et se mit à sonner au-dessus des têtes. Un sceptique, en se guidant par le son, parvint à saisir adroitement la sonnette au moment où elle retentissait près de lui. Il saisit bien la clochette, mais pas la main dont il soupçonnait la présence. C'est peut-être cette main insaisissable qui est reproduite sur la photographie du docteur Wagner. Quelle eût été la conclusion de notre sceptique, s'il avait senti cette main à un état de matérialisation plus grossier et avec une manche par dessus ? Il eût certainement conclu avec « certitude » à une supercherie du médium, comme on l'a souvent proclamé hautement dans des cas analogues ; nous venons de voir, cependant, que cette « certitude » est loin d'être absolue ; la photographie en fait foi.
Mais je reviens à mon sujet : le second des assistants du docteur Wagner, M. Michel de Guédéonoff, est capitaine-lieutenant dans la garde impériale ; je le connais depuis une dizaine d'années après avoir fait en qualité d'officier la campagne de Turquie, il est actuellement attaché au service civil, à l'administration centrale des prisons.
Le jeune collégien, qui devait au besoin suppléer Mme de Pribilkof, se nomme Krassilnikof ; il a été depuis étudiant à l'Académie de médecine.
Toutes ces personnes reçurent, en souvenir de cette mémorable séance, un exemplaire de la photographie en question avant de publier ces renseignements, je les ai toutes interrogées sur différents détails de l'expérience. M. de Guédéonoff m'a donné son témoignage écrit, que je reproduis ici à titre de document supplémentaire :
« Au mois de janvier 1881, le professeur Wagner me fit part de son projet de faire quelques expériences de photographie d'une personne plongée dans le sommeil magnétique, avec l'espoir de recueillir une preuve objective de la possibilité du dédoublement de la personnalité. Comme à cette époque je m'occupais beaucoup de magnétisme, le professeur Wagner me proposa de prendre part à ces expériences en qualité de magnétiseur, et il invita, pour une prochaine séance, Mme de Pribitkof et M. Krassilnikof, qu'il désirait photographier.
Comprenant tout l'intérêt du projet de M. Wagner, j'acceptai son invitation la veille de la séance, je me rendis chez le professeur Wagner pour m'entendre définitivement avec lui sur les détails de l'expérience et pour assister, en ma qualité de témoin, à la préparation des plaques servant aux négatifs. Je rencontrai chez le professeur M. Jacoby, qui se chargeait de la partie technique de la photographie. En notre présence, les plaques furent soigneusement examinées, lavées, numérotées et enduites de l'émulsion nécessaire ; puis elles furent enfermées par M. Wagner dans une boîte.
Le lendemain matin, Mme Pribitkof, M. Krassilnikof, M. Jacoby et moi, nous nous réunîmes chez le professeur Wagner, dans son logis, à l'Université ; nous procédâmes immédiatement aux expériences photographiques. Dans ce but, Mme Pribitkof fut assise dans un fauteuil, en face de la fenêtre ; devant elle, près de la chambre noire, se tenaient M. Wagner et M. Jacoby ; M. Krassilnikof était assis à l'écart, près d'une table. Ayant endormi Mme Pribitkof, au moyen de passes magnétiques dans l'espace de huit à dix minutes, je me rendis auprès de M. Jacoby, et nous attendîmes le signal annoncé pour ouvrir l'objectif.
Pendant toute la durée de l'exposition, - qui fut assez longue en raison de la faible lumière, - j'évitai de fixer constamment le visage du médium endormi mais, à deux reprises, je fus obligé de le regarder avec fixité pour le rendre complètement immobile, car dans ces deux cas des coups retentissaient dans le plancher, et je craignais, si le fauteuil était mis en mouvement, que la position du corps fût modifiée, ce qui eût contrarié l'expérience. Mais, depuis le moment où j'eus pris place près de M. Jacoby, en face de Mme Pribitkof, je ne me suis plus approché du médium en somme, jusqu'à la fin de l'exposition, personne ne s'est approché du médium et personne ne s'est trouvé entre le médium et l'appareil photographique. Les expériences suivantes furent faites dans les mêmes conditions, et sur l'un des négatifs apparut, au-dessus de la tête du médium, l'image d'une main de femme, dans une manche large, de forme ancienne.
Après cette séance, plusieurs autres eurent encore lieu ; mais le but que M. Wagner s'était proposé ne fut pas atteint, et bientôt la maladie de Mme de Pribitkof nous obligea à interrompre ces expériences. »
Signé : Michel de Guédéonoff. Saint-Pétersbourg,
janvier 1886. Foatanka, 52.
La photographie dont il est question est remarquable à plusieurs titres. Le résultat obtenu était inattendu : le but que poursuivait le professeur Wagner était d'obtenir un phénomène de dédoublement psychique, démontré par la photographie, c'est-à-dire qu'il voulait voir paraître, avec le médium, la forme transcendantale de son double (le phénomène, nous le verrons plus tard, s'est réellement produit). Au lieu de cela, il ne parut sur la photographie qu'une main, qu'on peut, si on le veut, considérer comme une partie de ce double mais nous signalons ici une particularité qui écarte cette supposition : les apparitions de double qui ont été observées présentent l'image parfaite non seulement de la personne en question, mais aussi la reproduction de son vêtement. Dans le cas qui nous occupe, nous avons une main qui ne ressemble pas à celle du médium, car elle est difforme, et nous avons le fait positif de son apparition dans une manche de vêtement féminin, qui n'était pas la manche du vêtement porté par le médium. Si cette manche ressemblait à celle du médium, nous aurions pu supposer qu'il s'agissait du dédoublement partait de la main avec la manche ; mais cette ressemblance n'existe pas. La photographie est abîmée malheureusement à l'endroit où se trouvait le bras droit du médium, et on ne peut distinguer les détails de fabrication du vêtement mais je me suis informé spécialement au sujet de cette particularité, et les quatre assistants du docteur Wagner m'affirmèrent que le médium portait un corsage avec manches étroites, comme on les porte à présent. Au surplus, j'ai prié Mme de Pribitkof de me donner un dessin de cette manche ; elle me l'a immédiatement envoyé en y joignant la notice suivante :
« Au commencement de l'année 1881, j'ai été invitée par le professeur Wagner à servir à des expériences de photographie, en ma qualité de personne ayant des facultés médiumniques. Vers onze heures du matin, je me rendis chez le professeur Wagner, à son logis, où je rencontrai M. de Guédéonof, M. Krassilnikof et M. Jacoby. Quand ce dernier eut préparé l'appareil photographique, M. de Guédéonof me magnétisa ; je m'endormis et je ne sais plus rien. Le vêtement que je portais était gris brun, avec une garniture de velours noir ; les manches étaient étroites, serrant le bras jusqu'au poignet, avec un revers de velours au bout et un petit plissé, de la même étoffe que la robe. Je vous envoie un dessin reproduisant cette manche.
Signé : Elisabeth, de Pribitkof. »
Je considère l'apparition de cette manche comme une particularité extrêmement importante, sous plusieurs rapports. Sans cette manche, on aurait, sans aucun doute, prétendu que la photographie reproduisait la main de l'un des assistants, placée par hasard entre l'objectif et le médium ; cette explication ne serait pas très sérieuse, car il faudrait supposer, pour l'admettre, que la main aurait été intentionnellement exposée au moins pendant quelques secondes dans cette position mais, si mauvaise qu'elle soit, l'explication servirait, car une fois entré dans la voie de la négation systématique, il n'y a pas de raison pour qu'on s'arrête.
La manche, que la lumière n'a pas dérobée à la sensibilité des plaques photographiques, détruit toutes ces argumentations subtiles. Il n'y a que la fraude intentionnellement commise par le professeur Wagner (en préparant une plaque avant la séance), avec la complicité de toutes les personnes honorables qui prirent part à l'expérience, qui pourrait expliquer le résultat obtenu mais encore une fois, en admettant l'existence d'une fraude, on ne peut croire que l'un des assistants aurait eu l'idée de faire paraître une main d'esprit dans une manche : ce serait un moyen sûr de taire croire à une supercherie.
Mais la nature nous présente les choses à sa façon, et elle produit des phénomènes qui ne s'accordent pas du tout avec nos raisonnements sur la possibilité de leur contenu objectif. Les apparitions traditionnelles se revêtent tantôt d'une draperie blanche, tantôt du vêtement ordinaire ; le double traditionnel apparaît toujours dans un habillement quelconque et voilà la photographie transcendantale qui nous révèle des formes humaines, vêtues ! Nous verrons plus loin que ce fait se reproduit dans toutes les photographies de ce genre, ce à quoi, - d'après nos conceptions ordinaires, - nous ne pouvions pas nous attendre.
Ayant maintenant sous les yeux la preuve indiscutable de la photographie transcendantale d'un objet, qui a indubitablement la forme d'une main humaine, nous pouvons nous occuper du développement ultérieur de ce phénomène : de la révélation par la photographie des figures humaines invisibles, et qui seront non seulement parfaitement définies, mais encore reconnaissables. Nous allons en donner une preuve, en observant les conditions absolues d'authenticité exigées par le docteur Hartmann.
Nous avons déjà mentionné plus haut le nom de M. Slater parmi les personnes qui ont fait des expériences transcendantales pour leur satisfaction personnelle. Pour donner une idée des résultats remarquables qu'obtint M. Slater, nous ne pouvons mieux faire que de citer le témoignage de M. Wallace :
« M. Thomas Slater, opticien, demeurant depuis longtemps dans la Euston Road, à Londres, et en même temps photographe amateur, apporta une nouvelle chambre noire de sa propre confection, fournit ses propres plaques, et se rendit chez M. Hudson. Il suivait attentivement tout ce qui se faisait chez le photographe et obtint son portrait avec une figure nuageuse à côté de lui ; ensuite il fit lui-même des expériences dans sa maison et arriva à des résultats remarquables. Au cours de sa première expérience, il obtint le portrait de sa sœur entre deux têtes, dont l'une était indubitablement le portrait de feu lord Brougham, l'autre, moins nette, a été reconnue par M. Slater pour être le portrait de Robert Owen, avec lequel il avait été intimement lié jusqu à sa mort. Sur un des négatifs apparut une femme dans un vêtement flottant, noir et blanc, qui se tenait aux côtés de M. Slater. Sur une autre plaque apparut la tête et le buste de cette femme, s'appuyant sur son épaule. Les figures des deux portraits étaient d'une ressemblance absolue ; les autres membres de la famille Slater y ont reconnu la mère de M. Slater, morte à l'époque où lui-même était encore enfant. Un autre négatif portait l'image d'un enfant, accoutré de blanc, qui se tenait auprès du jeune fils de M. Slater. Ces images sont-elles complètement identiques aux personnes que l'on a affirmé reconnaître ? La question principale n'est pas là. Le fait seul que des figures humaines apparaissent sur des négatifs, obtenus dans l'atelier particulier d'un opticien connu, qui est en même temps un photographe amateur, et qui a fait lui-même tous les préparatifs de l'opération, - laquelle, de plus, avait lieu en présence seulement des membres de sa famille, - est un fait véritablement prodigieux. Il est arrivé, une autre fois, que sur la plaque où M. Slater faisait son propre portrait, - étant tout seul, - parut une autre image. M. Slater et les membres de sa famille étant eux-mêmes médiums, ils n'avaient pas besoin de recourir au concours d'autres personnes ; c'est à cette circonstance que l'on peut attribuer la réussite particulièrement heureuse de leurs expériences. Une des photographies, parmi les plus extraordinaires produites par M. Slater, fut le portrait en pied de sa sœur, sur lequel on voyait non pas une autre figure, mais une espèce de dentelle transparente entourant cette personne. En examinant de plus près cette dentelle, on peut voir qu'elle consiste en anneaux de différentes dimensions qui ne rappelaient d'aucune façon les dentelles ordinaires que j'ai vues ou dont on m'a donné la description. M. Slater lui-même m'a montré ces portraits en m'expliquant les conditions dans lesquelles ils avaient été faits. Ces expériences ont été faites sans aucune fraude ; sur ce point il ne peut y avoir de doute. Elles ont une portée particulière comme étant la confirmation des résultats obtenus antérieurement par les photographes de profession[24]. »
Lorsque j'étais à Londres, en 1886, j'ai eu quelque peine à trouver M. Slater. Il ne lui restait plus de photographies ; tout ce qu'il put me montrer, ce fut une série de négatifs qu'il avait pu conserver.
A propos de M. Slater et des photographies de lord Brougham et de Robert Owen, ci-dessus mentionnées, voici une intéressante notice explicative de leur origine :
« A une récente réunion de spiritualistes, à Londres, Gower Street, M. Slater (opticien, Euston Road, 136) fit le récit suivant, relatif à son début dans le spiritisme : «En 1856, Robert Owen[25], se trouvant chez moi en compagnie de lord Brougham, reçut un message spirite au moyen de coups frappés ; pendant ce temps, j'étais occupé à quelques appareils photographiques. Les coups frappés communiquèrent qu'il viendrait un moment où je ferais des photographies spirites Robert Owen déclara que, s'il se trouvait alors dans un autre monde, il se ferait paraître sur la plaque. Au mois de mai 1872, je m'occupai, en effet, de faire de la photographie spirite. Je fis quantité d'expériences et sur l'une des plaques parurent les figures de Robert Owen et de lord Brougham, lequel, comme on le sait, fut, durant de longues années, l'un des amis les plus intimes de Robert Owen et prenait un vif intérêt à sa carrière publique[26]. »
Avant d'entamer la dernière partie du chapitre de la photographie transcendantale de formes humaines, il me semble utile de citer les sages paroles dont M. Russell Wallace, dans sa Défense du spiritualisme moderne, fait précéder cette partie de l'ouvrage qui traite de la photographie spirite ; ces paroles reproduisent une argumentation bien connue des spirites, mais ordinairement ignorée par la critique ; les voici :
« M. Lewes a conseillé au comité de la Société Dialectique qui avait été chargé de s'occuper de la question spirite de distinguer soigneusement entre les faits et les déductions. Ceci est particulièrement nécessaire dans la question des photographies spirites. Les formes humaines qui y apparaissent, n'étant pas l’œuvre de la main humaine, peuvent être d'origine spirite sans être pour cela les images « d'esprits ». Bien des choses plaident en faveur de la supposition que, dans certains cas, ces images résultent de l'action d'êtres intelligents, invisibles, mais qu'elles en sont distinctes. Dans d'autres cas, ces êtres revêtent une espèce de matérialité perceptible pour nos sens mais, même dans ces cas, il ne s'en suit pas que l'image créée soit la véritable image de l'être spirituel. Il se peut que ce soit la reproduction de l'ancienne forme mortelle avec ses attributs terrestres auxquels l'esprit a recours pour établir son identité[27]. »
Puisque nous avons acquis maintenant, par trois sources (MM. Beattie, Wagner et Slater) parfaitement sûres, - et dans les conditions exigées par M. Hartmann, - la preuve irréfutable, par procédé photographique, de la possibilité de formations matérielles invisibles à nos yeux et revêtant la forme humaine, nous avons le droit de poursuivre le développement de ce phénomène à tous les degrés de perfection qu'il a atteints chez certains photographes de profession, acceptant la preuve de son authenticité, non plus sur la seule affirmation d'un opérateur de bonne foi, mais sur les témoignages des personnes auxquelles les photographies se rapportent directement et qui, seules, peuvent décider de leur valeur intrinsèque.
Je ne parlerai pas du photographe anglais Hudson de Londres, car les opinions des spiritualistes eux-mêmes sont partagées sur son compte : les uns l'accusent de fraude, les autres énumèrent des cas où la ressemblance avec la personne morte depuis longtemps était évidente, ou encore des cas où l'apparition de la figure sur la photographie, dans des poses ou avec des accessoires imposés mentalement par la personne qui posait exclut toute supposition de fraude.
Un grand nombre de phénomènes de ce genre sont énumérés dans le traité de MM. A. (Oxon.) : la Photographie spirite, publié dans le journal Human Nature, 1874, pages 393 et suivantes. Je préfère m'en rapporter à Mumler, dont la réputation est restée intacte pendant sa longue carrière professionnelle ; l'authenticité des épreuves photographiques obtenues par ce photographe est établie par une épreuve dont la valeur est égale à celle d'une investigation scientifique.
Les photographies de Mumler furent l'objet d'un procès, et, malgré l'acharnement des détracteurs, soutenus par l'opinion publique et toute la puissance du préjugé, elles sortirent triomphantes de cette lutte. Je ne puis entrer ici dans tous les détails de la carrière de Mumler et de son procès : c'est un sujet qui a lui seul donnerait matière à un ouvrage complet. Cependant quelques données nous sont nécessaires, et il est surtout intéressant de rappeler l'origine des expériences photographiques de Mumler ; nous en emprunterons l'explication au propre récit de Mumler d'après sa déclaration devant le tribunal, lors de son procès. Il est utile de remarquer que les manifestations de photographie transcendantale se produisirent à l'époque où Mumler exerçait la profession de graveur et n'avait aucune connaissance de la photographie. Voici ce qu'il dit :
« En 1861, à Boston, où j'exerçais la profession de graveur, je fréquentais un jeune homme qui travaillait dans l'atelier photographique de M Stuart, Washington Street à l'occasion je manipulais les appareils et les substances chimiques. Un dimanche, me trouvant dans la galerie, j'essayai de faire mon portrait, et, en développant le négatif, je remarquai, pour la première fois, que la plaque portait une deuxième image. A cette époque, je n'avais pas encore entendu parler de photographie spirite, quoique je m'intéressasse déjà au spiritisme. Ma première pensée fut, comme beaucoup de personnes le supposent jusqu'à présent, que l'image qui était reproduite à côté de la mienne se trouvait déjà sur la plaque avant l'opération. C'est dans ce sens que je répondais à toutes les questions qui m'étaient posées.
Néanmoins les expériences suivantes, que je fis dans des conditions qui excluaient cette supposition d'une manière absolue, me convainquirent que la force produisant ces images existait en dehors du pouvoir humain ; des experts appelés pour opérer dans les mêmes conditions ne purent produire rien de semblable.
Je voudrais ici attirer l'attention sur cette circonstance que, lorsque je développai ces images, j'étais tout à fait novice dans l'art photographique et n'avais aucune notion des compositions chimiques que j'employais en me servant de tel ou tel produit chimique, je ne faisais qu'imiter les manipulations de mon ami. Après avoir reçu les images dont j'ai parlé, je répétai ces expériences, suivant les conseils de quelques amis auxquels je montrais mes plaques, et toujours j'obtins de surprenants résultats. Je résolus alors d'abandonner ma profession pour me consacrer à la photographie. » (Spirit. Mag., 1869, pp. 256,257.)
Le fait même de l'origine de ces photographies est corroboré par les témoignages donnés à cette époque et qui se trouvent dans les articles du Herald of Progress, 1er nov. 1862, édité par Davis et du Banner of Light (8 nov. 1862), qui publièrent les premiers rapports sur ce phénomène inattendu ; ces documents furent accueillis par la rédaction des journaux susmentionnés sans aucun enthousiasme et plutôt avec scepticisme et réserve.
Il est surtout intéressant de savoir sous quelle forme se produisirent les premières photographies transcendantales de Mumler. Sur ce point, les données ne sont ni nombreuses ni circonstanciées ; néanmoins elles existent, et voila la description des deux premières photographies, due à un correspondant du Banner :
« La première présente un portrait du médium, M. Mumler, s'appuyant d'une main sur une chaise, tandis que l'autre tient, le drap noir qui venait d'être enlevé de la chambre noire. Sur une chaise était assise une forme féminine, qui paraissait être une jeune fille de douze à quatorze ans. Nous reconnûmes en elle une parente décédée ; au-dessus de sa tête, il y avait un nuage, effet que nous n'avions encore jamais observé sur les photographies. Sur une autre plaque, la tête était entourée d'un faible disque de lumière, comme si des rayons lumineux jaillissaient en tous sens et se perdaient à une distance déterminée. Sur deux autres photographies encore parut le même effet, avec cette différence que le cercle lumineux était d'un tel diamètre qu'il eût enveloppé la forme entièrement, si la plaque avait été plus grande.
Je possède une épreuve de cette première photographie de Mumler, et je puis ajouter que le contour de la partie supérieure du corps ressort avec une certaine netteté, la figure elle-même étant confuse et fondue. On voit distinctement la chaise à travers le corps et les bras, ainsi que la table sur laquelle un des bras repose. En dessous de la taille, la forme, - qui est apparemment revêtue d'une robe décolletée avec manches courtes, - se fond dans une sorte de nébulosité, qui n'est plus visible au-dessous de la chaise. Une partie du dossier de la chaise est visible à travers le bras gauche ; une petite partie du dossier est complètement masquée par l'épaule gauche, qui est aussi opaque que le cou et la poitrine. Au-dessus de la tête on aperçoit une vapeur nuageuse blanche, qui entoure la tête d'une tempe à l'autre, descend jusqu'à la main de Mumler, qui est appuyée sur le dossier et qu'elle couvre. La photographie que je possède est une copie faite à Londres sur l'original et par conséquent moins nette.
Sur la deuxième photographie se trouve la forme d'une femme assise sur une chaise ayant, derrière elle, une sorte de masse blanche indéfinissable, quelque chose comme deux ou trois coussins[28]. »
Nous pouvons donc constater ce fait remarquable que les premières photographies de Mumler portent les traces de ces masses lumineuses que nous avons vues chez M. Beattie, et qui ont précédé la formation des figures humaines. Il est plus que probable que ce qui se présente sur ces deux photographies comme une «vapeur nuageuse blanche», un «disque de lumière », ou une « masse blanche ressemblant à deux coussins » aurait été décrit par un sensitif comme une masse lumineuse.
Mais revenons aux origines. Dès que se répandit la nouvelle que ces photographies avaient été faites, M. J. A. Davis, qui éditait à ce moment, à New-York, le Herald of Progress, envoya spécialement, à Boston, un photographe de ses amis, M. Guay, pour faire une enquête sur ce phénomène et s'assurer de son authenticité. Le résultat de cette première enquête technique a été publié, in extenso, dans le Herald du 29 novembre 1862, et, en abrégé, dans une lettre de M. Guay, publiée dans le Banner de la même date, et que nous reproduisons ici :
« Boston, 18 novembre 1862.
Monsieur l’éditeur,
Ayant appris de M. Mumler que vous désirez publier les résultats de mes recherches sur les photographies spirites préparées par M. Mumler, je vous communique avec plaisir mes observations personnelles. Vous pouvez être persuadé qu'agissant à la demande de M. Davis, je procédai à mes investigations avec la ferme détermination de les conduire le plus rigoureusement possible, afin que rien ne pût échapper à mon attention. Après une expérience ininterrompue de dix années, pendant lesquelles je faisais des négatifs sur verre et des impressions positives sur papier, je me sentais en mesure de découvrir toute fraude.
M. Mumler ne m'opposant aucune difficulté, je fis moi-même, sur la plaque choisie pour mon portrait, toutes les opérations de bains, de virage et de montage. Pendant tout ce temps, je ne perdis pas de vue la plaque, et je n'en laissai approcher M. Mumler qu’après la fin de l'opération. Je soumis ensuite à une minutieuse inspection le cabinet noir, le châssis, le tube, l'intérieur des cuvettes, etc. Et malgré tout j'obtins, à mon extrême étonnement, ma photographie accompagnée d'une autre image.
Ayant depuis continué mes recherches, dans les mêmes conditions, avec des résultats encore plus probants, je me suis vu obligé, en toute sincérité, de reconnaître leur authenticité.
Agréez, etc.
W. Guay. [29]»
Nous ajouterons seulement que sur le premier négatif apparut l'image de la femme défunte de M. Guay, et, sur la seconde, l'image de son père. Et M. Guay ajoute : « Il est impossible que Mumler se soit procuré un portrait de ma femme ou de mon père. » (Herald, 29 novembre.)
Nous pouvons passer maintenant sous silence la longue série de tous les témoignages portés en faveur de Mumler et de toutes les investigations entreprises dans le but de découvrir la fraude, comme il était naturel de le supposer, mais qui aboutirent toujours à un résultat négatif. Il nous suffira de reproduire ici un article du British Journal of Photography, envoyé à ce journal par son correspondant de Philadelphie, M. C. Sellers, qu'on ne peut pas taxer d'engouement pour le spiritisme. Voici cet article :
« Il y a quelques mois, des journaux ont publié une communication d'un photographe de Boston qui avait obtenu une double image, sur une plaque, au cours d'expériences faites pendant ses loisirs du dimanche ; l'image supplémentaire représentait le portrait d'un parent décédé. Depuis, il remarqua que toutes ou presque toutes les photographies qu'il faisait portaient la même image, plus ou moins nette. Le bruit de ce prodige s'étant répandu partout, son atelier fut bientôt inondé de curieux qui désiraient obtenir les portraits de leurs amis défunts. Les photographes s'en amusaient et affirmaient que la fraude serait bientôt découverte. On fit beaucoup d'imitations à l'aide du procédé ordinaire qui avait été d'abord proposé par Sir David Brewster. On en fit davantage encore, par le moyen de deux plaques superposées, dont l'une portait la deuxième image, et l'on expliquait le phénomène par l'un de ces deux procédés ; des hommes connus pour leur instruction scientifique s'occupèrent d'en rechercher l'explication et ne purent découvrir l'imposture...
En ce qui concerne les images elles-mêmes, elles se distinguent essentiellement de toutes celles que j'avais déjà vues, et je ne connais aucun procédé pour les imiter. Le fantôme n'apparaît jamais en pied ; il ne se reproduit pas au-delà du buste ou, tout au plus, jusqu'aux genoux, et l'on ne peut cependant dire, avec précision, à quel endroit l'image disparaît. A première vue, beaucoup de personnes croient distinguer clairement l'image entière, mais, après un examen plus minutieux, elle paraît moins nette. Je n'ai pas vu les négatifs ; mais, jugeant d'après les épreuves et d'après le ton faible de l'image de « l'esprit », je serais tenté d'affirmer que cette image devait être la première à se développer sur la plaque. Les contours ne sont pas du tout nets ; les traits principaux sont assez visibles, mais, sauf le visage, qui est complètement opaque, les autres parties de la forme sont suffisamment transparentes pour que l'on puisse clairement voir au travers. Et cependant, aucun de ces traits ne ressort avec autant de vigueur que sur les images des deuxièmes plaques dans les contrefaçons de photographies spirites. On constate nettement que ces images ne sont pas formées au foyer lorsqu'elles se trouvent derrière la personne qui a posé ou devant elle ; elles sont un peu plus nettes lorsqu'elles se trouvent sur le même plan. Mais, dans tous les cas, il y a excès de pose.
Les adeptes du spiritisme expliquent ce fait de la manière suivante : Les « esprits » ne peuvent produire leur propre image sur la plaque sensible ; mais ils peuvent donner la forme voulue aux éléments les plus subtils de la matière, et cette matière, quoique invisible à l'œil nu, peut refléter les rayons chimiques de la lumière et ainsi agir sur la plaque. A l'appui, ils citent ce qui est arrivé pour le portrait que j'ai vu chez le Dr Child et qui représente une dame qui désirait ardemment obtenir l'image d'une guitare dans ses bras : la forme désirée parut ! Les spirites disent que, certainement, « l'esprit » d'un corps inanimé ne peut exister, mais que les « esprits » peuvent former de pareils objets, suivant leur désir ; toutes les images qui apparaissent ne sont donc que des modèles exposés par les « esprits », devant l'appareil, mais aucunement les portraits des esprits eux-mêmes ; ils affirment également que les « esprits » puisent ces images dans la mémoire des personnes présentes. C'eût été un sujet digne de la plume de Bulwer ; quelle merveilleuse histoire il eût tirée de ces étranges phénomènes !
G. Sellers[30]. »
J'ai abrégé la lettre, qui est un peu longue : mais j'ai reproduit les détails techniques qui ont leur valeur et, surtout, l'hypothèse, déjà formulée à cette époque, de la matière invisible travaillée et modelée, - hypothèse que nous retrouvons dix ans après chez Beattie et qui aura pour nous une importance capitale lorsqu'il sera question des matérialisations visibles.
Pour en finir avec le Journal of Photography, je reproduirai encore une note qu'il a publiée à l'époque du procès de Mumler, et qui me semble avoir sa place ici :
« A propos des photographies spirites de Mumler, il a été dit beaucoup de choses absurdes, pour et contre. Un auteur de cette dernière catégorie est allé jusqu'à affirmer que tout ce qui est visible pour l'œil du cabinet noir, et par conséquent susceptible d'être reproduit en photographie, doit nécessairement, pour cette raison même, être visible à l'œil humain ; cet auteur n'a certainement aucune notion de cette branche importante des sciences physiques qui comprend les phénomènes connus sous le nom de fluorescence. Or il y a beaucoup de choses totalement invisibles pour l'œil physique, et qui, cependant, peuvent être photographiées. Par exemple dans une chambre où n'ont accès que les rayons ultra violets du spectre solaire, une photographie peut être prise au moyen de cette « lumière obscure ». Dans une chambre ainsi éclairée, les objets sont clairement visibles à la lentille de la chambre noire ; dans tous les cas, ils peuvent être reproduits sur une plaque sensible, sans que pour cela le moindre atome de clarté ne soit aperçu dans la chambre par une personne douée de l'acuité visuelle physiologique. Donc la reproduction photographique d'une image invisible, celle d'un esprit ou celle d'une masse de matière, n'est pas scientifiquement impossible ; si elle ne reflète que la fluorescence ou les rayons ultra violets du spectre, l'image sera aisément photographiée, tout en étant complètement invisible à la vue la plus perçante[31]. »
Nous sommes arrivés, enfin, au procès qui fit la gloire de Mumler ; il lui fut intenté par le journal le World de New-York, au mois d'avril 1869. M. Mumler fut arrêté sous l'inculpation « d'avoir commis des fraudes et des supercheries aux dépens du public, au moyen de photographies spirites. » Voici les traits saillants du procès :
Les plaignants produisirent huit photographies pour prouver que M. Mumler était un imposteur, et ils indiquèrent six différentes méthodes, au moyen desquelles on pouvait obtenir de ces prétendues photographies d'esprits. Pourtant, aucun des plaignants n'avait vu Mumler au travail ni inspecté son atelier et ses appareils ; bref, rien ne prouvait que les images de Mumler fussent produites au moyen de l'une des méthodes indiquées ; au contraire, quatre photographes, MM. Slee, Guay, Silver et Gurnay, qui avaient été chez M. Mumler et qui l'avaient vu opérer témoignèrent qu'aucune des six méthodes mentionnées n'avait un rapport quelconque avec la méthode de Mumler, en tout semblable à la méthode ordinaire. Mieux que cela, M. Slee, photographe à Poughkeepsie, avait invité M. Mumler à venir à sa maison de Poughkeepsie, et, là, on produisit, avec le cabinet noir de M. Slee, ses verres et ses produits chimiques, les mêmes effets. M. Guay passa trois semaines avec M. Mumler pour étudier ces phénomènes ; il attesta qu'il avait vu ces images se produire, alors qu'il conduisait lui même les opérations depuis le lavage de la plaque jusqu'au développement. M. Silver déposa que, lorsque M. Mumler venait dans sa galerie et employait ses appareils et ses produits, une image apparaissait à côté de M. Silver ; des photographies spirites se sont même produites quand M. Silver en personne faisait toutes les manipulations avec ses propres appareils, en présence de M. Mumler. Enfin, M. Gurnay, photographe connu de New-York (n° 707, Broadway), fit la déposition suivante :
« Je m'occupe de photographie depuis vingt-huit ans ; j'ai examiné les procédés de M. Mumler, et, quoique je fusse venu avec l'intention de faire une enquête rigoureuse, je ne découvris rien qui ressemblât à une fraude ou à une supercherie. Sa manière de photographier était la manière ordinaire, et la seule chose qui ne s'accordait pas avec la routine du métier, c'était que l'opérateur tenait la main sur la chambre noire. »
Les figures de la planche VI, nos 1, 2, 3, 4, sont prises d'après les photographies transcendantales de Mumler.
Mais un autre fait encore a été établi péremptoirement par les témoignages : tous les photographes appelés par les plaignants comme experts ont été d'accord pour reconnaître que des images d'ombres, semblables à celles parues sur les plaques, ne peuvent être reflétées d'une plaque négative sur la plaque sensible avec d'autre lumière que celle du gaz des bougies ou du jour. Et il a été affirmé par une demi-douzaine de témoins, - qui avaient assisté aux expériences de Mumler, dans son atelier et dans le but de découvrir la fraude, - qu'ils n'avaient employé dans sa chambre noire ni la lumière du gaz, ni celle des bougies et des lampes, ni la lumière du jour, et que la seule lumière qui pénétrât dans la chambre provenait d'une petite fenêtre tendue d'une étoffe jaune foncé néanmoins, Mumler produisait ses images, et, dans beaucoup de cas, il les montrait aux visiteurs quelques minutes après l'exposition.
Dans le cas de M. Livermore, banquier connu de New-York, qui était l'un des témoins, M. Mumler développa trois portraits de sa femme défunte, dans trois poses différentes, moins de dix minutes après que M. Livermore eut posé.
Non seulement l'enquête judiciaire établit le fait de la production sur la plaque de figures humaines invisibles à l’œil nu, mais encore douze témoins déclarèrent qu'ils avaient reconnu dans ces figures les images de leurs amis ou parents décédés. Mieux encore, cinq témoins, parmi lesquels se trouvait le juge Edmonds, déposèrent que des images se sont produites et ont, été reconnues alors que les personnes qu'elles représentaient n'avaient jamais été photographiées de leur vivant.
Un grand nombre de témoignages semblables auraient pu être obtenus, mais le juge, trouvant que les témoignages produits étaient suffisants, rendit la sentence suivante :
« Après avoir soigneusement examiné la cause il était arrivé à cette conclusion que le détenu devait être mis en liberté ; il constatait que l'accusé eût-il même commis des fraudes et supercheries, il était obligé, en sa qualité de magistrat, de décider que le défendeur ne serait pas envoyé devant le grand Jury ; car, dans son opinion, la partie plaignante n'avait pas réussi à prouver le fait[32]. » Pour donner à nos lecteurs une idée de ces photographies transcendantales reconnues, je joins à cet ouvrage (planche VI) quelques spécimens avec les témoignages et explications qui s'y rapportent.
Voici une lettre de M. Bronson-Murray[33], publiée dans le Banner of Light du 25 janvier 1873 :
« Monsieur le directeur,
Dans les derniers jours de septembre dernier, Madame W. H. Mumler, de votre ville, (170 West Springfield street) se trouvant dans un état de transe, au cours duquel elle donnait des conseils médicaux à l'un de ses malades, s'interrompit soudain pour me dire que, lorsque M. Mumler ferait ma photographie, sur la même plaque il apparaîtrait à côté de mon portrait l'image d'une femme, tenant d'une main une ancre faite de fleurs ; cette femme désirait ardemment annoncer sa survivance à son mari, et vainement elle avait cherché jusqu'à présent une occasion de se rapprocher de lui ; elle croyait y arriver par mon intermédiaire. Mme Mumier ajouta : « Au moyen « d'une loupe, on pourra distinguer, sur cette plaque, les lettres : « R. Bonner. » Je lui demandai en vain si ces lettres ne signifiaient pas Robert Bonner. Au moment où je me préparais à poser pour avoir ma photographie, je tombai en transe, ce qui ne m'était jamais arrivé ; M. Mumler ne réussit pas, malgré tous ses efforts, à me mettre dans la position voulue. Il lui fut impossible de me faire rester droit et de m'appuyer la tête contre le support. Mon portrait fut par conséquent pris dans la situation que l'épreuve indique, et, à côté, apparut la figure de femme avec l'ancré et les lettres, composées de boutons de fleurs, ainsi que cela m'avait été prédit. Malheureusement je ne connaissais personne du nom de Bonner, personne qui pût reconnaître l'identité de la figure photographiée. (Voy. pl. VI, fig. 1.)
De retour dans la ville, je racontai à plusieurs personnes ce qui était arrivé ; l'une d'elles me dit avoir récemment rencontré un M. Bonner, de Géorgie ; elle désirait lui faire voir la photographie. Quinze jours plus tard, elle me fit prier de passer chez elle. Quelques instants après, un visiteur entra, c'était un M. Robert Bonner. Il me dit que la photographie était celle de sa femme, qu'il l'avait vue chez la dame en question et trouvait la ressemblance parfaite. Personne ici ne conteste d'ailleurs la ressemblance que cette photographie présente avec un portrait de Mme Bonner, fait deux ans avant sa mort[34].
Mais ce n'est pas tout. Dès que M. Bonner eut vu mon épreuve, il écrivit une lettre à sa femme à laquelle il posait diverses questions. Il prit toutes les précautions pour être certain que la lettre ne serait pas ouverte et l'expédia par la poste au docteur Flint, à New York[35].
Le lendemain la lettre lui revint, non décachetée, et contenant une réponse de sept pages.
Dans cette communication - signée de son petit nom : Ella - Mme Bonner disait à son mari qu'elle avait demandé la permission d'apparaître sur ma plaque, comme elle l'avait fait ; elle lui affirmait que les deux frères de M. Bonner, William et Hamilton, se trouvaient avec elle, ainsi que son vieil ami, le simple et bon Sam Graig ; elle devait écrire, sous peu, par l'intermédiaire de M. Flint, une lettre à son jeune fils Hammie ; elle ajoutait que M. B. le soignait bien elle priait ensuite de se rendre à Boston, chez le photographe spirite, affirmant qu'elle apparaîtrait avec lui sur la même plaque, tenant une couronne de fleurs d'une main, portant une deuxième couronne sur la tête, tandis que son autre main montrerait le ciel. J'ai lu tout ce qui précède dans cette lettre. M. Bonner ajouta : « Demain, j'irai à Boston, « sans dire mon nom à qui que ce soit. »
Quatre jours après, M. Bonner vint me trouver. Il avait été à Boston sans se faire connaître à personne et avait, cependant, obtenu la photographie promise, avec l'image de sa femme, exactement comme elle l'avait écrit. (Voy. pl. VI, fig. 2). La couronne que sa femme tient à la main est à peine visible sur la phototypie.
Toutes les personnes désireuses de s'assurer du fait peuvent voir ces photographies chez M. Mumier, à Boston, ou chez moi, à New York... M. Bonner est un homme très connu en Géorgie, et dans l'Alabâma... ceux qui me connaissent savent que je n'ai aucun profit à publier ce récit, dont je certifie l'exactitude.
Bronson Murray. »
238 West 52 d. Street, New York City
Ce 7 janvier 1873. »
La photographie n° 4, sur la même planche, représente M. Moses A. Dow, mort en 1886, éditeur d'une revue bien connue en Amérique : The Waverley Magazine. Quant à l'image de la personne qui se tient auprès de lui, on lira tous les détails s'y rattachant, dans la lettre suivante de M. Dow à M. A. (Oxon.) demeurant à Londres, personnage qui occupe une place marquante dans la littérature spirite :
« Boston, 28 septembre 1874.
Monsieur,
Votre lettre du 17 courant m'est parvenue ce matin. En réponse, je vais essayer de vous donner une esquisse des expériences de photographie spirite dont j'ai été témoin. Dans les bureaux de l'imprimerie et de la rédaction du Waverley Magazine, j'emploie une quinzaine de jeunes personnes ; les unes font la composition, d'autres sont occupées à la machine, à l'expédition ou bien à la correction des manuscrits. Parmi ces dernières, il y avait une jeune fille qui fut occupée, dans mes bureaux, de 1861 à 1870 ; elle tomba subitement malade et mourut à l'âge de vingt-sept ans. Pendant les dernières années, elle s'était bien formée et était devenue une jeune personne de beaucoup d'intelligence, aimable et d'un extérieur très agréable. Le zèle et le désintéressement dont elle faisait preuve dans son travail éveillèrent en moi le plus vif intérêt pour elle ; cet attachement fut réciproque, comme elle me l'a exprimé à plusieurs reprises. Ci-inclus un portrait d'elle, fait deux semaines avant sa mort. Je ne m'étendrai pas sur les circonstances qui ont accompagné sa mort et sur le chagrin que j'en éprouvai. Sept jours après son décès, je me trouvai en présence d'un médium, dont l'esprit guide (une jeune indienne) me dit : « Une belle personne vient vous voir ; elle tient dans sa main des roses qui sont pour vous ; c'est vous qu'elle aimait le plus en ce monde, parce que vous étiez si bon pour elle. » Je fus bien surpris de ces paroles, car je ne croyais pas qu'une affection terrestre se perpétuât dans l'esprit de nos amis décédés, après avoir quitté leur enveloppe humaine, tout en admettant la réalité de certaines manifestations posthumes.
Je me rendis pour un mois à Saratoga, à cent-cinquante lieues environ de Boston. Là, je fis la connaissance du célèbre médium M. Slade, lequel ne me connaissait pas. Au cours d'une séance que j'eus avec lui, il tenait, de sa main droite, une ardoise ordinaire sous la table ; la main gauche était placée sur la table, touchant la mienne. On entendit immédiatement le mouvement du crayon sur l'ardoise. Quand celle-ci fut retirée, elle portait ces mots : « Je suis toujours auprès de vous. » avec la signature.
De retour à Boston, comme on me l'avait conseillé à Saratoga, je m'adressai à Mme Mary M. Hardy, le transe-médium le plus connu de cette ville.
Mon amie se présenta aussitôt et me dit qu'elle m'avait donné une preuve démonstrative à Saratoga, par l'intermédiaire de M. Slade, sur une ardoise. Elle ajouta qu'elle était constamment présente, pour me guider et me conseiller, n'ayant aimé personne autant que moi durant sa vie terrestre. A une autre séance, elle me dit spontanément qu'elle voulait me donner son portrait. Je ne prêtai aucune attention à cette promesse, supposant que ce portrait serait exécuté au pinceau par un peintre de la ville. Pendant trois mois, j'eus des séances avec Mme Hardy, une fois par semaine, sans qu'il fût question de ce portrait. Vers la fin de ce laps de temps, je lui demandai si elle allait me donner son portrait. Elle me répondit qu'elle était prête à le faire. A ma question : Comment ce portrait sera-t-il obtenu ? je reçus cette réponse : « Par la photographie. - Sera-ce le même artiste qui vous a photographiée de votre vivant ? - Non, ce doit être fait par un artiste médium. »
Une semaine plus tard, mon amie me dit, par l'intermédiaire de Mme Hardy, en état de transe : « Allez chez M. Mumler et dites-lui que vous viendrez pour vous faire photographier dans une semaine, à une heure ; vous irez à midi (heure habituelle de mes entretiens avec elle), et nous aurons alors le temps de causer. » Je me rendis de suite chez M. Mumler, où je ne trouvai que Mme Mumler ; je lui dis que je désirais avoir une photographie spirite. Elle me demanda quand je reviendrais et je répondis :
- Dans une semaine, à une heure. »
- Quel est votre nom ?
- Je ne désire pas vous dire mon nom véritable, mais vous pouvez m'appeler M. Johnson.
Elle me dit que les étrangers étaient priés de payer d'avance. Je payai les cinq dollars demandés et je rentrai chez moi. Au bout d'une semaine, je revins chez Mme Hardy, comme cela avait été convenu. Elle tomba en transe. Mon amie, qui était déjà présente, me demanda : « Comment allez-vous, M. Johnson ? » Ensuite elle ajouta : «Monsieur Dow, je n'avais jamais observé, auparavant, que vous eussiez honte de votre nom. » Je lui répondis : « Je pense bien obtenir mon portrait, mais je ne suis pas certain d'avoir le vôtre sur la même plaque ». « Oh! quel sceptique! » s'écria-t-elle. Je pris congé et me rendis chez M. Mumler, arrivant un quart d'heure avant l'heure convenue. Je le trouvai seul, et nous nous mîmes de suite à l’œuvre. Quand je me fus place dans la pose indiquée, il posa l'appareil à une distance de sept pieds, mit la plaque et m'indiqua le point que je devais fixer. La pose dura deux ou trois minutes ; il porta la plaque dans la chambre voisine et revint bientôt, en disant qu'il n'y avait rien ; il mit une deuxième plaque, la durée de la pose fut la même. M. Mumler me dit qu'il y avait un contour indécis. Sur mon observation, qu'un portrait m'avait été promis, il me répondit qu'il fallait continuer les expériences, qu'il lui arrivait de recommencer cinq ou six fois avant de réussir.
La troisième pose dura juste cinq minutes, montre en main ; il me tournait le dos, ayant l'autre main sur l'appareil.
La pose terminée, il emporta la plaque, et, pendant qu'il était absent, Mme Mumler entra ; elle semblait être dans une demi-transe. Je lui demandai si elle apercevait quelqu'un ; elle me répondit qu'elle voyait auprès de moi une belle jeune dame. Là-dessus elle tomba dans une transe complète, et mon amie me parla de nouveau : « A présent, dit-elle, vous aurez mon portrait. Je me tiendrai auprès de vous, ma main sur votre épaule ; sur la tête j'aurai une couronne de fleurs. » En ce moment, M. Mumler rentra avec la plaque et me dit que cette fois il y avait une image sur le négatif je distinguai nettement mon portrait, et une forme féminine qui se tenait auprès de moi. M. Mumler promit de m'envoyer une épreuve le lendemain même. Je le priai de l'expédier au nom de M. Johnson, poste restante. Deux jours après, je passai au bureau de poste et reçus un pli adressé à M. Johnson. En l'ouvrant, je trouvai une épreuve. De retour chez moi, je l'examinai avec une bonne loupe, à travers laquelle l'image m'apparaissait de grandeur naturelle ; c'était un excellent portrait de mon amie décédée. J'écrivis à M. Mumler pour lui dire que j'étais content de la photographie, et signai de mon vrai nom. Je considère ce portrait comme étant authentique ; d'ailleurs, mon amie me l'affirma et à maintes reprises. Les photographies ci-incluses vous mettront à même de juger de la ressemblance.
Agréez, etc.
Moses A. Dow[36]. »
Voici la lettre que M. Dow envoya à M. Mumler :
« Boston, ce 20 janvier 1871.
Très cher monsieur Mumler,
Samedi dernier je passai à la poste, et j'y reçus l'enveloppe contenant l'épreuve que vous m'avez envoyée. C'est un portrait parfaitement réussi de mon amie. Ci-inclus, vous trouverez une photographie d'elle, faite une semaine avant sa maladie ; elle-même n'avait vu que le négatif. Sa maladie a duré juste neuf jours. Jeudi dernier, à midi, elle me disait, par l'intermédiaire du médium, qu'elle se tiendrait à côté de moi, une fleur à la main et son bras reposant sur mon épaule. En regardant mon épaule gauche, vous apercevrez une faible reproduction de sa main tenant une fleur mais, pour bien voir, il est nécessaire d'avoir recours à une loupe.
Il me semble que l'examen de ces deux portraits peut convaincre l'esprit le plus sceptique. Je quitte le nom d'emprunt de Johnson pour signer de mon vrai nom.
Avec ma parfaite estime,
Moses A. Dow, éditeur du Waverley Magazine[37]. »
Je possède un exemplaire de la photographie de Mabel Warren, faite de son vivant, que Dow a envoyée à Mumler pour comparer les deux images ; la ressemblance est aussi frappante que dans celle de M. Bonner.
Dans le Banner du 18 mars 1871, on lit une longue lettre de Moses Dow, dans laquelle il raconte, avec les plus minutieux détails, l'histoire de cette photographie ; elle nous apprend que la jeune dame en question se nommait Mabel Warren, qu'elle mourut en juillet 1870, et que ce n'est qu'au commencement de cette année que diverses circonstances mirent M. Dow en présence de quelques manifestations spirites ; il était si ignorant de ces choses qu'il ne comprit même pas de quel «portrait» il s'agissait, et, quand il alla chez Mumler, il ne lui donna pas son véritable nom, croyant, comme beaucoup d'autres, qu'il était un imposteur.
Les spécimens que je donne des photographies transcendantales de Mumler suffisent pour donner une idée du caractère général de ce phénomène, obtenu au moyen de sa médiumnité. J'ai dans ma collection une trentaine de ces photographies, qui confirment les observations faites par M. Sellers, le correspondant du British Journal of Photography, observations que nous avons reproduites plus haut.
J'ajouterai encore, - et ce fait est essentiel pour nos recherches ultérieures, - que généralement une sorte d'habillement fait partie de l'image apparue, ainsi qu'on le voit sur les photographies de MMmes Bonner et Mabel Warren ; très souvent des fleurs ornent l'image ainsi, sur une photographie de Mme Conant, le célèbre médium de la rédaction du Banner, on voit trois mains parfaitement formées, avec la moitié des bras, lesquelles apparaissent au-dessus de la tête du médium et qui semblent jeter sur lui des fleurs dont une partie tombe sur sa tête et sa poitrine, tandis que l'autre reste suspendue dans l'espace. L'une de ces mains sort d'une manche, ainsi que nous le voyons sur la photographie du professeur Wagner, - mais cette manche est étroite, épaisse, et du reste blanche, comme la main elle-même.
Je veux mentionner encore trois photographies qui ont une importance spéciale : sur l'une d'elles on voit une dame assise. Mme Tinkham ; au moment de l'exposition, elle vit une partie de la manche de son bras gauche se soulever, et ses yeux se portèrent sur ce point ; on remarque sur la photographie, à côté de cette dame, l'image, - disons : l'image astrale, - d'une petite fille, dans laquelle Mme Tinkham a reconnu son enfant ; on voit parfaitement que la manche du vêtement de Mme Tinkham est soulevée par la petite main de l'enfant. Nous possédons donc la photographie d'un objet matériel mis en mouvement par une main invisible[38]. Sur la seconde photographie on voit de nouveau Mme Conant au moment où la plaque allait être découverte, elle se tourna vers la droite, en s'écriant : «Oh! voilà ma petite Wash-ti !» (une petite fille indienne qui se manifestait très souvent par son entremise) et elle étendit vers elle sa main gauche, comme pour lui prendre la main. On voit sur la photographie la figure parfaitement reconnaissable de la petite indienne, avec les doigts de la main droite dans la main de Mme Conant. Ici nous avons donc la photographie d'une figure astrale signalée et reconnue par le sujet sensitif, au moment de l'exposition, comme chez Beattie (Médium, 1872, p.104.)
On trouve la description d'un phénomène du même genre dans la relation d'un cas remarquable de photographie transcendantale, adressée par le professeur Gunning (géologue américain), à la Tribune, journal de New-York, à l'occasion du procès de Mumler, et réimprimée dans le Spiritual Magazine de Londres (1869, p. 260) ; cette lettre contient des faits tellement intéressants que j'en citerai la partie essentielle :
« En février 1867, je fis la connaissance d'un photographe habitant Connecticut en entrant dans son atelier pour me faire photographier, je remarquai que le photographe était particulièrement inquiet pendant que je posais. Lorsque la plaque fut développée, il se trouvait à côté de mon image une forme féminine, claire, mais nébuleuse. Je n'avais pas encore entendu parler de M. de Mumler ni, en général, de photographies spirites. Je demandai au photographe comment cette image avait pu paraître sur la plaque ; il me répondit qu'il n'en savait rien, mais qu'en me photographiant il avait vu cette image à côté de moi. Il ne désirait pas laisser sortir ce portrait de son atelier, et il me demanda de n'en parler à personne ; il me raconta alors que depuis quelques années, il lui arrivait souvent d'obtenir de pareilles photographies, mais qu'il n'y était pour rien. Il pouvait du reste les obtenir quand il voulait ; il lui suffisait pour cela de se laisser aller à l'influence d'êtres qu'il appelait « Esprits », mais qu'il ne désirait pas avoir de relations avec eux. Il ne voulait pas que son nom fût mêlé au spiritisme.
J'étais si persuadé de la bonne foi de mon ami que j'eus le désir d'étudier la singulière vertu qu'il avait. Ce n'est qu'après de longues instances que je réussis à le persuader de me donner quelques séances et de se soumettre aux « invisibles ». J'avais l'intention de le récompenser largement pour cette perte de temps, mais il déclina toutes mes offres, disant qu'il ne croyait pas avoir le droit d'exploiter sa force mystérieuse dans un but mercantile. Il consentit à toutes les conditions imaginables pour mes expériences, et, en conséquence, je conviai un de mes amis à y assister. Pendant quatre jours, tous les après-midi du photographe nous appartinrent ; nous étions convaincus de son honnêteté, mais nous prîmes cependant des mesures comme si nous avions affaire à un habile imposteur. La préparation des plaques et leur développement s'effectuaient en ma présence, et, en général, nous n'omettions aucune mesure de prudence pour écarter toute fraude. A presque toutes les séances nous obtenions l'image de la même femme ; la même forme claire, mais nébuleuse, apparaissait quand j'étais seul ou, pour mieux dire, quand je croyais être seul. Le photographe tombait dans une transe presque chaque fois. Que pourrions-nous dire ? C'est un homme dont la position est bien établie et qui a une réputation irréprochable.
Je ne puis admettre le moindre doute au sujet de sa probité. Il n'avait du reste aucune raison pour me tromper. Il ne voulait pas faire commerce de sa puissance occulte, et même, si je le soupçonnais de fraude, je ne serais pas en état d'expliquer l'origine de ses photographies.
Je ne connais que deux moyens pour obtenir une image photographiée sur une plaque sensible ; ou bien un objet capable de refléter la lumière doit être posé à une distance voulue de l'objectif, ou bien la plaque sensible est exposée au jour et recouverte d'une autre photographie. Le jour qui perce à travers la photographie superposée produit une image trouble ; le photographe peut aussi employer une plaque qui aurait déjà servi, et alors l'ancienne image peut quelquefois reparaître. Cette explication avait été récemment proposée par un correspondant de la Tribune. Mon photographe n'employait pas de vieilles plaques ; par conséquent, il n'y a que l'une des deux premières explications indiquées qui lui soit applicable ; or, je sais pertinemment qu'il n'a posé aucun autre négatif sur la plaque sensible. Donc il obtenait ces images par un autre moyen. Il reste encore une autre supposition : n'y avait-il pas, tout simplement, un objet quelconque placé devant le cabinet noir ? Mais il est certain que les seules personnes présentes étaient le photographe, mon ami et moi ; il n'est pas probable que nous ayons pu être trompés si grossièrement pendant quatre jours. Et, en admettant même que nous étions joués, on se demande comment le mystérieux complice qui tenait le rôle de l'esprit aurait pu se rendre si transparent ? Comment pouvait-il se présenter suspendu dans l'espace ? car sur l'une des photographies apparaît une femme dans cette position. Toutes les images sont aussi transparentes que des tissus de gaze ; comment étaient-elles produites ? Je ne me hâtai point de tirer des conclusions.
Un autre cas parvint encore à ma connaissance ; une jeune fille de Chelsea se fit photographier chez un photographe en renom de cette ville. Elle arriva au moment où il s'apprêtait à fermer son atelier. La jeune fille se plaça devant la chambre noire et, durant l'exposition, elle aperçut une espèce d'ombre qui glissait devant elle. Elle en parla à M. A., qui se tenait près du cabinet, et celui-ci lui répondit que ce n'était rien, qu'elle pouvait cligner des yeux, mais ne pas remuer. Sur la plaque développée la jeune fille avait deux mains sur la figure. Cette photographie est remarquable ; j'en ai examiné quatre épreuves, dont l'une est en ma possession. Les mains transparentes saisissent la nuque ; elles sont visibles jusqu'au poignet, où elles disparaissent dans une vapeur informe. L'une de ces mains s'avance jusqu'au menton de la jeune fille, qui se voit nettement à travers cette main. Toutes ces photographies offrent une particularité commune, c'est leur transparence.
Le juge Edmonds assure que les esprits qui lui apparaissent sont transparents ; un autre de mes amis, un homme d'une grande instruction, m'a dit qu'il les avait vus tout pareils.
Il est également inadmissible que ces mains aient été préalablement photographiées sur la plaque métallique. Le photographe me disait que la plaque était nouvelle, qu'elle n'avait jamais été en usage ; en supposant qu'il ne disait pas la vérité, on ne peut cependant comprendre comment ces mains ont pu apparaître devant la face. Peut-on admettre qu'il les ait photographiées après la jeune fille ? Vous pouvez voir que le petit doigt et l'annulaire de la main gauche sont placés sous le col, ce qui prouve, de toute évidence, que la jeune fille et les mains ont été photographiées simultanément. Même en admettant qu'une femme se serait glissée imperceptiblement et qu'elle aurait entouré de ses mains la tête de la personne qui posait, alors comment aurait-elle pu échapper à l'œil du photographe ?
Il assure qu'il n'y avait dans la chambre que lui et la jeune fille ; admettons un moment qu'une femme soit entrée à leur insu ; commenta-t-elle pu rendre ses mains transparentes et le reste de son corps invisible ?
Le photographe est un homme méritant toute confiance. Il dit n'avoir jamais eu l'idée de faire des photographies spirites et n'avoir jamais tenté de se créer une opinion théorique sur cette question ; il sait seulement qu'il n'est pour rien dans l'apparition de ces mains. »
Des renseignements sur ce dernier cas tout à fait extraordinaire sont donnés plus longuement dans une lettre de M. Gunning, au Banner, 6 juillet 1867, à laquelle je n'emprunterai que les deux lignes suivantes, qui ont pour nous un intérêt spécial : « La main gauche est très distinctement visible, jusqu'au poignet, et plus haut elle est enveloppée d'un revers. »
Le rédacteur du Spiritual Magazine ajoute que le professeur Gunning, lors d'une visite à Londres, lui confirma de vive voix ces mêmes phénomènes et qu'il lui montra les daguerréotypes dont il était question ; l'image de femme, qui avait paru sur la première photographie dont il fait mention, était celle de sa femme, et elle est d'une ressemblance incontestable[39].
Il me reste à mentionner enfin une photographie de Mumler, sur laquelle est représenté M. Herrod, un jeune médium dormant sur une chaise, en état de transe. On voit derrière le médium l'image astrale de sa propre personne, on de son double, se tenant debout, presque de profil, les yeux fermés, la tête un peu inclinée vers le médium (Médium, 1872, p. 104.)
Un autre cas de photographie d'un double, chez un autre photographe, est constaté par le juge Carter dans sa lettre au Banner du 31 juillet 1875, et reproduite dans Human Nature, de 1875, pp. 424 et 425. Un troisième cas de photographie d'un double est signalé par M. Glendinning, et, comme il s'est produit dans un cercle privé, il mérite notre attention, et j'en reproduirai ici la relation :
« Il y a vingt ans environ que l'un de mes amis, bon médium, et moi, nous nous sommes occupés de photographie spirite. Nos expériences ont été couronnées de quelque succès.
Au commencement, nous obtenions sur la plaque des taches bizarres. Si j'avais été plus versé dans la question, j'aurais certainement conservé ces plaques pour les soumettre à un minutieux examen ; toutes les fois que nous n'avons pas obtenu un résultat bien net, je frottais la plaque avec les doigts et je la lavais ensuite. Les verres et les produits nous étaient fournis par M. Melhuish, secrétaire d'une société photographique écossaise. Nous étions tous de bonne foi, comme cela se passe entre hommes comme il faut. Un jour nous obtînmes le portrait du médium dans une pose qu'il avait occupée dix ou quinze minutes avant l'exposition, c'est-à-dire à mi-chemin entre la chambre noire et le fond. Nous avions dans cette pièce ce qu'on appelle la planchette, connue sous le nom d'indicator, qui indiquait très rapidement, au moyen de l'alphabet, ce que nous devions faire, car les « esprits » nous disaient qu'eux-mêmes ne savaient pas encore comment produire ces images ; qu'il fallait faire quelques essais ; ils nous donnèrent le conseil de mesmériser la chambre obscure, les produits chimiques et tout le reste. Nous suivîmes ces indications autant pour nous amuser que par curiosité. Lorsque nous leur demandâmes pourquoi nous avions obtenu le portrait du médium dans la pose qu'il occupait avant l'exposition de la plaque, ils nous répondirent que c'était dans cette position qu'il avait laissé son « influence », et que, s'il s'était trouvé un clairvoyant dans la chambre, il aurait perçu le médium précisément dans cette pose. Je ne comprends pas cela, mais nous n'avons pas obtenu d'autre explication[40]. »
Ces photographies de doubles invisibles à l'œil humain sont les précurseurs des photographies de doubles visibles et tangibles dont nous nous occuperons plus tard. Comme nous l'avons vu, les phénomènes de photographie transcendantale se sont produits chez un grand nombre de personnes aussi bien en Amérique qu'en Europe. Il y a beaucoup de cas dont je n'ai pas fait mention ; je noterai seulement, au point de vue historique, que, en tant que mes recherches soient fondées, les premiers indices de ce genre de phénomènes remontent à 1855 ; je trouve en effet, dans le Spiritual Telegraph, édité à New-York, chez Brittan, au volume VIII, 1855, page 152, un article intitulé : Daguerréotypie d’images spirites :
« De nombreuses expériences ont été faites pour savoir si des formes et apparitions spirites peuvent être reproduites par la daguerréotypie ; mais elles ont été toutes infructueuses, à l'exception d'un cas qui a été communiqué au rédacteur par une lettre personnelle d'un ami estimé de la Nouvelle-Orléans. Les principaux faits sont les suivants : M. H..., daguerréotypiste et médium, voulut, le 8 mars, faire le portrait de son jeune fils, âgé de deux mois, et il le déposa sur les genoux de sa grand-mère. A la troisième séance, il obtint un beau portrait, mais, chose curieuse, en haut du daguerréotype, jaillit d'une sorte de petit nuage une large bande lumineuse, descendant jusqu'à l'épaule de l'enfant où elle se perd. Cette bande est large et puissante, ressemblant à un rayon de soleil surgissant d'une étroite ouverture... A un examen plus approfondi, on observe qu'elle est un peu transparente... Aucun des résultats précédents n'avait présenté rien de pareil, et la plus minutieuse observation des objets environnants n'a pu indiquer une raison tant soit peu plausible de cet effet. »
Je trouve un second cas mentionné à la page 170 du même volume :
« Quelques jours auparavant, M. Henry Hebhard, de cette ville, avait exhibé dans notre bureau de rédaction une belle photographie de son jeune fils, âgé d'environ dix ans, laquelle présentait un phénomène singulier consistant en une lumière intense, de forme elliptique, traversant obliquement la région du thorax, et dont une extrémité se termine au dehors près de l'épaule gauche et l'autre sous le bras droit. La clarté est plus intense au centre et diminue graduellement vers les bords. Cet étrange phénomène n'a pu être ramené à une cause naturelle ; du moins, ni le photographe ni les autres personnes n'en découvrirent. »
Il est facile de reconnaître dans ces deux cas les mêmes particularités que présentent les premières expériences faites par M. Beattie.
Je ne puis terminer le chapitre sur la photographie transcendantale sans citer le cas suivant, l'un des plus récents. Je veux parler des photographies spirites obtenues par M. Jay Y. Hartman -Cincinnati (Ohio). Je ne saurais passer sous silence ces expériences, pour cette raison qu'elles ont été soumises au contrôle le plus sévère par un comité de photographes et qu'elles ont été faites dans des conditions que le Dr Hartmann ne pourra se dispenser de trouver concluantes.
Voici ce que nous lisons dans le Spiritual Scientist, de Boston, du 6 janvier 1876 :
« On sait que M. Jay J. Hartman a produit des photographies spirites dans l'atelier de M. Teeple (100, West Fourth Street, Cincinnati). Il fut l'objet de violentes, attaques de la part de gens sceptiques, qui l'accusaient de commettre des supercheries. Récemment encore, un journal du matin publiait un article de trois colonnes qui contenait divers arguments et raisonnements tendant à démontrer que toute l'affaire n'était qu'une banale mystification et que Hartmann n'était qu'un impudent charlatan. Malgré les séances de contrôle qu'il organisait pour un cercle d'intimes, et qui paraissaient suffisamment convaincantes, beaucoup de ses amis conçurent des doutes quant au caractère de ses expériences ; c'est pourquoi il inséra, la semaine dernière, une annonce adressée au public en général et aux photographes en particulier, les invitant à une séance publique gratuite, qui aurait lieu le samedi matin 25 décembre : il annonçait que la manière de procéder à ces expériences serait déterminée par les personnes qui y prendraient part ; elles choisiraient la chambre pour les expériences et seraient libres d'apporter leurs plaques marquées, leur chambre noire et leurs produits chimiques ; bref, ils fourniraient tout le nécessaire.
M. Hartman se réservait seulement de préparer les plaques, sous la surveillance de photographes expérimentés, afin d'écarter tout soupçon.
Le jour de Noël, par un temps clair, dès le matin, seize personnes étaient réunies chez M. Hartman, dont cinq photographes de cette ville. Après délibération, on résolut de se rendre dans l'atelier de M. Van Cutter (28, West Fourlh Street). Considérant que M. Cutter avait, à plusieurs reprises, dévoilé les impostures de soi disant photographes spirites, et que M. Hartman n'étant jamais allé dans son atelier, les conditions dans lesquelles celui-ci était appelé à opérer devenaient doublement difficiles : il se trouvait dans un atelier étranger, et, de plus, entouré de sceptiques, hommes de profession, qui auraient vite fait de découvrir la moindre fraude.
M. Hartman consentit volontiers à tout, mais à une seule condition : on s'abstiendrait de toute discussion, plaisanterie ou autre interruption, par la parole ou par le fait, ce qui pourrait rompre le calme et l'harmonie indispensables à la réussite des expériences. Cette condition de M. Hartman étant parfaitement légitime, elle fut acceptée sans aucune difficulté, et toute la compagnie se rendit chez M. Cutter.
A leur entrée dans la chambre où les expériences devaient avoir lieu, les assistants furent priés de s'asseoir des deux côtés de la chambre noire et de réunir leurs mains. M. Hartman exprima le désir qu'on lui bandât les yeux, mais cette mesure fut jugée inutile. M Hartman choisit M. Moreland comme aide et en même temps comme témoin de la loyauté de l'opération. On choisit en outre M. Murhman, photographe de profession, l'un des plus incrédules. Ils entrèrent tous trois dans le cabinet noir, M. Murhman apportant ses propres plaques. Quand les plaques furent préparées, les trois opérateurs revinrent auprès de la chambre noire ; M. Murhman mit la plaque en place et s'assit pour poser. L'exposition se fit dans un silence profond, après quoi l'on porta la plaque dans le cabinet noir, où M. Hartman se rendit également. Bientôt on entendit le cri : « Pas de résultat. » Les sceptiques étaient rayonnants.
On prépara une deuxième plaque. M. Murhman continuait à surveiller tous les mouvements de M. Hartman. Cette fois encore le résultat fut nul. Le scepticisme triomphait.
Les manipulations furent ensuite conduites par M. Cutter, propriétaire de l'atelier, un incrédule accompli, et, paraît-il, le meilleur expert-photographe de la ville. Hartman paraissait abattu ; il refusa d'entrer dans le cabinet noir et resta près de l'appareil, plongé dans une profonde méditation. Les experts entrèrent donc sans lui dans le cabinet noir ; ce fut M. Cutter qui prépara la plaque. On remit le châssis à M. Hartman, qui était si ému qu'il eut peine à le mettre en place. Il pria deux des assistants de poser leurs mains sur la chambre noire en même temps que lui. Cette troisième exposition fut aussi stérile que les précédentes.
Les choses prenaient une mauvaise tournure pour le pauvre M. Hartman et ses amis. Il proposa, néanmoins, d'exposer encore une plaque, mais il devint plus pensif encore. M. Murhman était assis auprès de la chambre noire et de M. Hartman, scrutant tous ses gestes, ainsi qu'il avait eu l'habitude de le faire pendant sa longue carrière de « démasqueur des médiums professionnels ».
Quand M. Cutter eut terminé la préparation de la quatrième plaque dans le cabinet noir, en présence de M. Moreland, il sortit et remit le châssis à M. Hartman.
C'était le tour du Dr Morrow de poser ; un autre des assistants devait tenir la main sur la chambre noire. Pendant l'exposition de la plaque, il régnait toujours un profond silence. M. Hartman tremblait visiblement et paraissait s'absorber dans une muette prière. Les mains des personnes qui touchaient à la chambre noire tremblaient également, comme sous l'influence d'une force mystérieuse. Enfin M. Hartman interrompit cette attente pénible en fermant la chambre noire. Alors M. Cutter retira la plaque et se rendit, accompagné de M. Moreland, dans le cabinet noir, pour faire le développement. M. Hartman était resté près de l'appareil, de grosses gouttes de sueur sur le front. Les autres assistants attendaient silencieusement la sentence qui devait détruire définitivement les croyances les plus chères des spiritualistes.
Mais bientôt on entendit une exclamation d'étonnement et de surprise de MM. Moreland et Cutter : « II y a un résultat ! » La figure de M. Hartman s'illumina d'un éclair de satisfaction ; ses amis, qui osaient à peine croire à la bonne nouvelle, ainsi que les incrédules, se pressèrent autour de M. Cutter, qui tenait la plaque contre le jour. En effet, auprès de la tête de M. Morrow, on pouvait voir la forme d'une jeune femme penchée vers lui : et cette image était encore plus nette et plus distincte que son portrait. Ce résultat inattendu stupéfia tout le monde. M. Murhman et M Cutter se regardaient tout ébahis. Ce dernier assurait qu'il n'y avait été pour rien que cette plaque était une des siennes et qu'il savait pertinemment qu'il n'y avait rien dessus lorsqu'on la porta dans le cabinet. L'image y était pourtant. Quant à M. Hartman, il n'avait même pas touché à la plaque, n'était même pas entré dans le cabinet noir pendant la préparation. De quelle façon cette image s'était-elle produite ? Il n'en savait rien, mais elle était bien là ! Les sceptiques aussi bien que les spirites, étaient surpris de ce résultat remarquable, résultat décisif.
Décisif en ce sens, que MM. Cutter, Murhman et les autres, bien que se refusant toujours à reconnaître une origine spirite à l'image obtenue, étaient néanmoins tous d'accord sur ce point que, dans les conditions données, M. Hartman n'avait pas pu produire frauduleusement ce résultat, attendu qu'il n'était pas entré dans le cabinet noir et n'avait pas touché à la plaque. Toutes les personnes présentes consentirent à lui délivrer un certificat signé de leurs noms pour témoigner du résultat obtenu. »
Certificat faisant foi du résultat.
«Nous, soussignés, ayant pris part à la séance publique de photographie spirite, organisée par M. Jay J. Hartman, certifions par la présente que nous avons minutieusement suivi toutes les manifestations auxquelles ont été soumises nos propres plaques sensibles, qui étaient marquées que nous avons contrôlé les opérations dans le cabinet noir aussi bien qu'au dehors, et que nous n'avons pas découvert le moindre indice de supercherie ou d'un truc quelconque employé par M. Hartman. Nous certifions aussi que durant la dernière expérience, au cours de laquelle le résultat fut obtenu, M. Hartman n'a pas touché à la plaque, et n'est même pas entré dans le cabinet noir. »
J. Slatter, C. H. Murhman. V. Cutter, J. P. Weckman, F. T. Moreland, T. Teeple, photographes de profession. E. Saunders, Wm. Warrington, Joseph Kinsay, Benjamin E. Hopkins, E. Hopkins, G. A. Garnahan, Wm. Sullivan, James P. Geppert, D. V. Morrow, M. D., et Robert Leslie !
Cincinnati, Ohio, 23 décembre 1875[41]. »
Mais le public n'a jamais assez de preuves ; il en demande toujours de nouvelles, et les témoignages personnels ne suffisent pas quand il s'agit de faits touchant au miraculeux. Quelques mois à peine après avoir reçu le certificat précité, signé par six photographes, M. Hartmann se vit obligé de publier une nouvelle invitation, dans le Cincinnati Enquirer. Il se forma une nouvelle commission, dans le même but, ayant à sa tête M. Slatter ; cette investigation fut un nouveau triomphe pour M. Hartmann, comme en fait preuve le certificat qui lui fut délivré ; il a été publié dans le Spiritual Scientist du 25 mai 1876, page 135, et reproduit par le Spiritualist, 1876, I, page 314.
Ce que nous avons exposé dans ce chapitre nous donne le droit, il me semble, de considérer la photographie transcendantale comme un fait établi d'une manière positive ; par conséquent, l'hypothèse des hallucinations, qui sert d'appui aux théories du Dr Hartmann, est fortement ébranlée.
A mon tour, je puis donc me servir de la phrase qu'il emploie, en parlant de l'insuffisance de l'hypothèse spirite ; je puis dire que « le sol commence à fuir sous l'hypothèse des hallucinations, et qu'il ne lui reste qu'un étroit espace, la largeur du pied ». Nous verrons bientôt, à la fin du chapitre sur la matérialisation, s'il lui reste quelque chose de cet « espace étroit ».
Nouvelle importante. - Je viens d'apprendre, trop tard pour en parler dans le corps de l'ouvrage, que M. Taylor, le directeur bien connu du Journal britannique de photographie, vient de publier dans ce journal, numéro du 17 mars 1893, un article intitulé « La photographie spiritique », dans lequel il expose ses expériences avec M. D., un médium écossais. Les résultats obtenus par lui confirment péremptoirement la possibilité de la photographie transcendantale. Est-il nécessaire d'insister sur l'importance de ce témoignage ? La photographie peut-nous fournir tous les éléments voulus pour démontrer que les phénomènes médiumniques ne présentent pas toujours un caractère subjectif, qu'un certain nombre d'entre eux offrent tous les attributs d'une réalité objective. Par-là, il nous devient possible de faire la preuve de l'existence de formes ou d'êtres invisibles intelligents. C'est aussi pourquoi j'ai considéré les expériences produites par feu M. Beattie en 1872 comme pierre angulaire de tout l'édifice. Et voilà que vingt ans après avoir publié dans son journal le compte rendu des expériences de M. Beattie, dont la bonne foi ne faisait pas de doute pour lui, M. Taylor a repris les mêmes expériences.
M. Taylor (voir p. 27) a certainement du faire ses essais dans des conditions rigoureusement scientifiques.
Matérialisation et dématérialisation d'objets accessibles à nos sens.
Dans ce chapitre, nous allons nous occuper spécialement des phénomènes d'apparition éphémère de corps ou d'objets accessibles à nos sens, et de leur disparition plus ou moins rapide.
Ces phénomènes sont tellement contraires à toutes les croyances, à toutes les probabilités et même tellement différents de la série des phénomènes ordinaires du médiumnisme, que le docteur Hartmann lui-même, qui admet la responsabilité des phénomènes ordinaires, en acceptant intégralement les témoignages humains cités, se refuse à admettre ces témoignages lorsqu'il s'agit des phénomènes dont nous nous occupons. M. Hartmann dénie à ces derniers toute valeur objective, et il trouve qu'il est nécessaire de les transporter en entier dans le domaine subjectif.
Avant de passer à l'étude de phénomènes si extraordinaires, nous devons rechercher dans les annales du médiumnisme d'autres faits plus simples, se rapprochant des idées déjà admises et appartenant au même domaine, qui pourraient nous servir d'antécédents pour faire admettre et comprendre des phénomènes plus complexes ; c'est ainsi que nous avons procédé dans la démonstration de la photographie transcendantale. Ces phénomènes plus simples existent, et ils sont connus généralement sous le nom de « faits de pénétration de la matière » ; ils se présentent le plus souvent sous la forme d'apport et de disparition d'objets dans une chambre close.
Les faits de ce genre occupent une large place dans le répertoire des phénomènes médiumniques ; ils se sont produits, de même que les faits de matérialisation partielle, dès le début des études spirites. Mais l'étude de ces phénomènes simples, comparativement parlant, était déjà très avancée, alors que les faits de matérialisation se présentaient encore à l'état rudimentaire, étant données la nature complexe de ces phénomènes et leur dépendance d'un principe d'évolution.
Quoique très simples, en apparence, les faits de pénétration de la matière ont cependant une grande importance. On ne peut assez se préoccuper de leur signification, car ils nous fournissent la preuve évidente et positive que nous sommes en présence d'un fait transcendantal, c'est-à-dire d'un phénomène produit par des forces qui ont sur la matière un pouvoir dont nous ne connaissons ni l'origine, ni la nature, ni l'étendue.
Il est important, pour notre critique, de constater que le principe qui sert de base à la démonstration de ce phénomène, est déjà admis, au moins tacitement, par le Dr Hartmann.
Après avoir parlé de « l'action expansive de la force nerveuse médiumnique, qui combat la cohésion des particules de matière », M. Hartmann passe en revue les phénomènes médiumniques se rapportant à « la pénétration de la matière », qu'il range dans une « catégorie de faits particulièrement invraisemblables » et il cite les expériences concluantes faites par Zöllner, entre autres l'apport d'objets dans une chambre close, qui a été observé souvent, dans des conditions qui imposent la conviction.
Et, quand M. Hartmann eut à s'occuper des phénomènes de matérialisation et à les expliquer par des hallucinations produites par le médium, il s'est largement prévalu du fait médiumnique de la pénétration de la matière, admis par les spirites, pour nier l'objectivité réelle de tous les phénomènes de matérialisation observés pendant la réclusion du médium : aucun lien ne peut retenir ce dernier à sa place : pas plus un sac qu'une cage dans laquelle le médium serait enfermé, « car, du moment que le médium somnambule peut pénétrer cette matière, il peut aussi se montrer aux spectateurs sous forme d'apparition, en dépit de toutes les mesures de précaution ».
Ainsi M. Hartmann admet, en principe, la possibilité du fait médiumnique de la pénétrabilité de la matière, comme il admet aussi la possibilité de tous les autres faits, en se basant sur le témoignage d'autrui. Mais, en parlant de ces faits et en s'en prévalant pour sa théorie de l'hallucination, il ne nous en donne aucune explication ; il n'a en vue que de combattre l'hypothèse de la quatrième dimension de l'espace imaginée par Zöllner, et il se prononce pour une « commotion moléculaire des combinaisons de la matière » qui peut même aller jusqu'à une explosion, ainsi que cela a été observé. Mais une fois que le fait de la pénétration d'un corps solide par un autre semblable est admis, ne fût-ce qu'en principe, il est certain que nous ne pouvons nous le représenter autrement qu'en supposant une désagrégation momentanée de la matière solide, au moment du passage d'un objet, et sa reconstitution immédiatement après, c'est-à-dire, - en langage médiumnique - sa dématérialisation et sa rematérialisation. Il est bien entendu que cette définition n'est que conventionnelle, - acceptée à défaut d'une autre meilleure, - vu qu'elle ne s'applique qu'à l'apparence du phénomène et non à son essence.
Il est inutile de multiplier ici les exemples de pareils phénomènes, puisque M. Hartmann en cite un nombre suffisant. J'en citerai cependant deux qui ont le mérite de s'être produits, sous les yeux de l'observateur, non d'une manière inattendue, mais dans des conditions fixées d'avance.
Voici un témoignage dû au Rév. M. Colley, dans une lettre publiée dans le Médium and Daybreak, année 1877, page 709, et concernant un fait qui démontre la pénétrabilité de la matière. Après avoir fait le récit d'une séance avec le médium, Dr Monck, - au cours de laquelle il avait constaté la mise en action d'une force considérable, ce qui l'avait induit à tenir sous la table une ardoise avec un morceau de crayon ordinaire (faute de crayon d'ardoise), dans l'espoir d'obtenir une écriture directe, - il continue ainsi : « Mais aucun résultat ne fut obtenu ; je ne trouvai sur l'ardoise qu'une espèce de croche, comme pour me faire comprendre que le crayon ne pouvait pas servir. Ce crayon inutile avait probablement irrité Samuel (l'inspirateur invisible), car il me demanda, par l'intermédiaire du médium, qui était en transe :
- Faut-il brûler ou noyer le crayon ?
- Le noyer ! répondis-je.
- Pose ta main sur le goulot de la carafe (la vaisselle du souper n'avait pas encore été enlevée) maintenant regarde attentivement ! » Le crayon était sur l'ardoise, à mes pieds, et le médium, qui se trouvait à quelque distance, n'y avait pas touché une seule fois.
- Eh bien ! reprit Samuel, parlant par M. Monck, qu'il avait entraîné à l'autre bout de la chambre, et dont la main était étendue dans la direction de la carafe, fais attention, regarde bien. » En un clin d'œil, le petit crayon, qui n'était pas long de plus d'un pouce, fut, pour ainsi dire, lancé à travers ma main jusque dans la carafe, où il resta, nageant sur l'eau.
Londres, le 1er novembre 1877.
Thomas Colley. »
Quelque temps après, le Rév. M. Colley publia le récit de l'expérience suivante :
« A une séance avec le médium Monck, j'écrivis sur une ardoise : « Peux-tu transporter cette ardoise sur la cinquième marche de l'escalier qui aboutit au couloir ? » Après avoir déposé l'ardoise à terre, la face écrite tournée vers le sol, je demandai tout haut si nous allions obtenir un message quelconque écrit sur cette ardoise. A peine avais-je regagné ma place et pris les mains de M. Monck dans les miennes, que je sentis mes jambes poussées de côté sous l'impulsion d'un corps lourd, et j'aperçus une lumière plus vive que celle des deux becs de gaz qui nous éclairaient, jaillissant subitement de dessous la table, dans la direction de la porte fermée ; au même moment retentit un craquement semblable à celui que produirait une ardoise violemment lancée contre une porte, ainsi que je m'en suis assuré depuis. Cependant, bien qu'ayant vu la lumière et entendu le craquement, nous n'avons pas pu suivre le déplacement de l'ardoise ; ce n'est qu'au moment où le choc s'est produit que je sentis un côté du cadre (qui avait été projeté en arrière) venir heurter ma jambe et glisser à terre. Ce qui venait de se passer me fit supposer que l'ardoise avait été projetée, suivant mon désir, à travers la porte, qui était fermée à clef, et que j'étais encore une fois témoin du phénomène surprenant de la pénétration d'une matière par une autre ; je me levai et m'approchai de la porte et l'ouvris, tenant toujours la main de M. Monck ; en effet, l'ardoise était sur la cinquième marche de l'escalier! En la relevant, je pus constater que l'inscription qu'elle portait était parfaitement d'accord avec le fait mystérieux qui venait de se produire, car à ma question : Peux-tu transporter l'ardoise sur la cinquième marche de l'escalier ? je trouvai cette réponse : « Juge par toi-même, la voici. Adieu ! » (Médium, 1877, p. 741.)
La même expérience a été répétée deux fois encore, en présence d'autres témoins (idem, pp. 761 et 786) à la deuxième séance, l'ardoise fut instantanément transportée dans l'appartement de l'une des personnes présentes, à une distance de deux milles du lieu où se trouvaient les expérimentateurs.
Le fait de la pénétrabilité de la matière - c'est-à-dire de la dématérialisation et rematérialisation momentanée d'un objet- étant admis, on est logiquement amené à poser cette question : Pourquoi la force produisant cette dématérialisation n'aurait-elle pas le pouvoir de donner aux corps dématérialisés, en les rematérialisant, une autre forme que celle qu'ils avaient auparavant ? Si la force qui produit ce phénomène est la force nerveuse - ainsi que le docteur Hartmann incline à l'admettre - nous devons nous rappeler que la force nerveuse peut produire, sur les corps, des empreintes persistantes, c'est-à-dire produire certains changements moléculaires correspondant non seulement à la forme des organes du médium, dont cette force émane, mais encore à toute autre forme étrangère qu'il plairait à la fantaisie somnambulique du médium de donner à une pareille empreinte. Ainsi donc la force nerveuse, par cela même qu'elle est susceptible de désagréger un corps quelconque, disposerait à sa guise de tous les atomes de ce corps et, en le reconstituant au moyen de ces atomes, elle pourrait lui donner la forme que la volonté somnambulique du médium se plairait à produire. Cette conclusion ne serait pas contraire à la logique de l'hypothèse de M. Hartmann, et nous ne voyons pas les raisons qu'il pourrait invoquer pour la combattre - en supposant, je le répète, que nous ayons affaire ici à la force nerveuse avec les propriétés que lui attribue le docteur Hartmann.
En nous basant sur le même raisonnement, nous avons le droit de modifier cette conclusion de la manière suivante : La force qui posséderait sur la matière un tel pouvoir de désagrégation n'est pas absolument tenue de désagréger toute la masse d'un objet donné : il lui suffirait d'utiliser une certaine quantité d'atomes de cette matière pour produire, ou bien un simulacre de l'objet, ou un objet d'une autre forme. En effet, le spiritisme nous offre ces deux genres de phénomènes connus sous le nom de dédoublement et sous celui de matérialisation au sens propre, et s'observant également sur les objets inanimés et animés. La ligne de démarcation entre ces deux séries de phénomènes ne peut pas, naturellement, être tout à fait précise, car il ne s'agirait que du degré de la matérialité.
En matière de dédoublement d'objets inanimés, c'est le dédoublement des étoffes qui a été le plus souvent observé ; c'est un fait assez commun que de voir - le médium étant tenu par les mains - le double de la main du médium avec la manche de son vêtement. Je puis citer, comme le fait le mieux constaté de ce genre, celui qui se produisit lors de l'expérience électrique de M. Crookes avec Mme Fay. M. Hartmann considère que cet exemple est parfait au point de vue de l'exclusion de toute participation personnelle de la part du médium. « Le contrôle au moyen du contact, avec les électrodes, comme l'ont appliqué Crookes et Varley dans leur séance physique avec Mme Fay, peut être considéré comme une garantie suffisante. » (P. 18.) Malgré cela, la main qui s'est montrée entre les rideaux et qui a présenté les livres aux assistants était revêtue d'une manche en soie bleue, identique à celle de l'habit du médium ; nous avons sur ces point le témoignage de M. Cox lui-même[42]. Suivant l'hypothèse du Dr Hartmann, cela devrait être le résultat d'une hallucination, mais elle n'a pas ici de raison d'être bien certainement, le médium se serait gardé de produire l'hallucination de son propre vêtement. Quant aux assistants, ils ne s'attendaient pas évidemment à cette surprise.
Un autre fait de ce genre, tout aussi précieux, se produisit à plusieurs reprises, lorsque, à une séance de Davenport, faite dans l'obscurité, une allumette ayant été tout à coup allumée, on vit Davenport assis sur une chaise et lié par les mains et les pieds et le double parfait de son corps - avec les vêtements - disparaissant dans le corps du médium[43].
En parlant du dédoublement des vêtements, on est amené naturellement à mentionner, en même temps, le dédoublement des formes humaines, dont nous trouvons déjà des antécédents dans les phénomènes de la photographie transcendantale ; mais je m'abstiendrai de faire ici une étude détaillée de ces phénomènes, car nous aurons à y revenir plus loin. Nous allons passer immédiatement à l'étude de la série des phénomènes de la matérialisation.
A. - Matérialisation et dématérialisation d'objets inanimés.
Je n'oublie pas que je dois traiter cette question uniquement au point de vue de la théorie de l'hallucination. Le docteur Hartmann n'admet pas les témoignages concordants de la vue et du toucher, même s'ils émanent de plusieurs personnes à la fois : la matérialisation d'un objet sous les yeux des témoins et sa dématérialisation graduelle, observée par les mêmes témoins, - ce qui est pour le jugement et l'expérience ordinaires le summum de la preuve exigée et ce qui s'est produit souvent aux séances médiumniques, - est pour M. Hartmann la preuve eo ipso de l'hallucination. Je dois donc chercher à prouver le phénomène par des effets durables (p. 99), dont les plus positifs seraient des matérialisations, non pas éphémères, mais permanentes. Mais ici la preuve la plus parfaite cesse pour cela même d'être une preuve, car l'objet, une fois matérialisé, ne diffère plus d'aucune façon d'un autre objet. En sorte que la preuve du phénomène ne pourrait avoir d'autre base que celle sur laquelle s'appuie aussi le phénomène de la pénétration de la matière, c'est-à-dire le témoignage humain. En me basant sur ce témoignage, j'espère pouvoir produire quelques exemples assez satisfaisants ; c'est ici que la photographie transcendantale vient à notre aide ; elle nous fournit une preuve positive de la matérialisation invisible de toute sorte d'objets inanimés, le plus communément des étoffes et des fleurs[44]. Les étoffes que l'on voit sur ces photographies ne présentent généralement rien de distinctif, car elles ne sont qu'un accessoire ; néanmoins elles offrent quelquefois des particularités remarquables ; c'est ainsi que M. Hallock témoigne que sur l'une des photographies de Mumler qui représente M. Livermore avec le portrait de feu sa femme (et que nous avons mentionnée page 66), les étoffes qui entourent la figure sont particulièrement fines et d'un beau dessin, surtout vues à la loupe ; on pourrait les comparer à une aile de papillon. (Spiritualist, 1877, I, 239.) Nous avons également mentionné plus haut que, sur l'une des photographies obtenues par M. Slater, le portrait de la personne qui posait était artistement enveloppé d'une dentelle transparente, examinée de près, cette dentelle paraissait formée de petits anneaux de diverses dimensions, ne rappelant en rien les dentelles de fabrication ordinaire.
Nous appuyant sur cet antécédent, nous sommes en droit de supposer que le phénomène de la matérialisation de semblables objets doit se produire aussi dans le domaine de la matérialisation appréciable aux sens. Nous trouvons en effet dans la catégorie des phénomènes médiumniques de nombreux exemples de la matérialisation des tissus et des fleurs. Les faits d'apport de ces objets, dans des conditions excluant toute possibilité de fraude, sont innombrables comme le docteur Hartmann n'a pas mis en doute la réalité de ce phénomène, il est inutile que je m'applique ici à sa démonstration en citant quelques-unes des expériences faites. Au début, on était disposé à attribuer aux tissus dont les figures matérialisées étaient revêtues une origine supra sensible mais bientôt on en vint à discerner la différence entre « l'apport » transcendantal d'un tissu et sa matérialisation temporaire, dans le sens strict du mot. Ainsi que nous l'avons vu, le premier phénomène est précurseur du second, et c'est de ce dernier que nous devons nous occuper en ce moment. Nous avons été logiquement amenés à l'hypothèse que le phénomène de la matérialisation pourrait se produire aux dépens d'un objet donné, sans le dématérialiser complètement. Et c'est effectivement ce qui a lieu d'après l'observation et le dire des forces intelligentes produisant ce phénomène. La matérialisation temporaire d'un tissu se produirait donc aux dépens des tissus portés par les assistants ; c'est le tissu qui servirait de médium à la matérialisation d'un tissu. Voici ce que j'ai trouvé à ce sujet dans une communication : « Il est impossible de former pareille matière à moins qu'une matière correspondante soit en possession du médium ou des assistants, attendu que toute chose dans le monde de la matière à sa qualité correspondante dans le monde spirituel. Généralement, c'est la couleur blanche qui est choisie mais, si des couleurs végétales sont placées dans la chambre où a lieu la séance, alors presque chacun de nous pourrait changer la couleur blanche de sa draperie en l'une des nuances représentées dans la chambre. Ce phénomène pourrait, après une suite d'expériences, être produit sous les yeux des assistants, soit avec la draperie matérialisée par nous, soit avec un tissu fabriqué dans votre monde[45]. »
Je ne connais qu'une seule expérience faite dans ce sens par M. Clifford-Smith, obtenue par la photographie transcendantale. Le but était de prouver la matérialisation transcendantale d'une étoffe aux dépens d'une étoffe naturelle, reproduisant, comme preuve, le dessin de cette étoffe. Pour faire cette expérience, M. Smith prit chez lui un tapis de table et se rendit avec le médium Williams chez M. Hudson, photographe. Voici le récit qu'il a fait de cette séance :
« M. Hudson était sorti, mais il revint bientôt. Nous nous rendîmes immédiatement à son atelier. M. Hudson n'avait jamais vu le tapis, et il ne pouvait connaître mes intentions. Je lui demandai : « Ce dessin (du tapis) apparaîtrait-il clairement sur une photographie. » Il me répondit affirmativement et me proposa de le photographier. J'y consentis avec l'intention d'étaler simplement le tapis sur le dossier d'une chaise mais, au moment ou il allait faire la photographie, j'eus l'inspiration de demander à M. Williams de se placer à côté de la chaise, mais hors du champ de photographie, tout en restant derrière la draperie. Je ne détachai pas mes yeux du tapis placé sur la chaise. Le résultat fut l'apparition d'une forme spirite vêtue de blanc, dont le visage était très reconnaissable à travers l'étoffe ; mais le fait caractéristique était que sur les épaules on voyait un fac-similé du tapis de table, exactement comme je l'avais placé chez moi, sur M. Williams ; le dessin de l'étoffe était très net, plus aisé même à distinguer sur la forme spirite que sur la chaise où il était étalé, et cependant il était resté visible sur la chaise pendant tout le temps[46]. »
Un des cas les plus authentiques de matérialisation d'étoffes est celui qui s'est produit aux séances de M. W. Crookes, avec Miss Cook, par la forme matérialisée connue sous le nom de Katie King. Voici comment M. Harrison, l'éditeur du Spiritualist, témoigne de ce fait :
« La forme féminine, qui se donnait le nom de Katie, était assise sur le plancher, en deçà de la porte qui donnait dans la chambre servant de cabinet noir. Dans ce cabinet noir, nous pouvions voir, pendant toute la séance, celle que nous croyions être Mlle Florence Cook, sa tête n'était pas tournée vers nous, de sorte que nous ne pouvions voir son visage, mais nous pouvions distinguer ses vêtements, ses mains et sa chaussure. Katie était sur le plancher, hors du cabinet ; tout près d'elle étaient assis, d'un côté M. W. Crookes, de l'autre M. Tapp. Parmi les personnes présentes se trouvaient les parents du médium, Mme Ross-Church, moi-même et quelques autres personnes encore, dont je ne me rappelle pas les noms. Katie découpa du pan de son large vêtement une dizaine de morceaux, et les distribua aux assistants ; les découpures qu'elle fit dans son vêtement étaient de diverses dimensions, et on pouvait aisément passer la main dans quelques-unes. Je lui dis spontanément : « Katie, si vous pouviez reconstituer l'étoffe, comme vous le faisiez quelquefois !» Il est bon de remarquer que tout cela se passait à la lumière du gaz, et en présence de nombreux témoins. J'avais à peine exprimé mon désir qu'elle recouvrît tranquillement la partie découpée de son vêtement avec la partie qui était restée intacte, puis, aussitôt, la découvrît ; cette opération ne dura que trois ou quatre secondes. Le pan de son vêtement était entièrement rétabli, il n'y avait plus un seul trou. M. Crookes demanda à examiner l'étoffe, ce à quoi Katie consentit ; il palpa toute la partie découpée, centimètre par centimètre, l'examina attentivement, et déclara qu'il ne s'y trouvait plus la moindre solution de continuité, de découpure ou de couture, ni aucune autre trace. M. Tapp demanda la permission d'en faire autant et, après un long et minutieux examen, il donna le même témoignage[47]. »
Il faut lire aussi les témoignages relatifs au même fait, dans le Spiritualist, 1876, I, 235, 258, 259. De semblables expériences ont du reste été faites plusieurs fois avec d'autres médiums[48].
M. Hartmann, en mentionnant ce genre de phénomènes, en conclut « qu'il est clair que l'on s'est trouvé en présence, dans ces divers cas, d'une combinaison de l'hallucination de la vue et du toucher (pp. 102 et 103). Mais l'objection est que les morceaux d'étoffes coupés ne disparaissent pas, et j'ai vu chez M. Harrison l'étoffe qu'il avait coupée.
Nous nous trouvons donc en présence de ce dilemme ou le vêtement était hallucinatoire, et dans ce cas l'étoffe n'a pu être coupée et subsister ou bien le vêtement existait réellement, et alors le trou n'a pu être réparé. Pour sortir de cette difficulté, M. Hartmann ajoute : « Lorsque le fantôme fait découper son vêtement par les assistants, et que les morceaux présentent la résistance d'étoffes terrestres, surgit cette question : Se trouve-t-on en présence d'une hallucination du toucher, ou de l'apport d'un objet réel ? » (P. 103.)
Comment M. Hartmann éclaircit-il ce doute ? Il dit : « Si les morceaux d'étoffes disparaissent ultérieurement, ou s'ils sont introuvables après la séance, il faut considérer leur caractère hallucinatoire comme démontré ; si, par contre, ces morceaux subsistent et peuvent être taxés suivant leur prix, leur réalité, leur provenance terrestre est indubitable. » (Même page.) Mais comment expliquer cette provenance terrestre ? M. Hartmann nous a déjà dit que si ce n'est pas une hallucination du toucher, c'est l'apport d'un objet réel.
De la part de M. Hartmann ce mot est imprudent ; il n'a pas le droit de parler d'apport pour l'explication d'un phénomène médiumnique quelconque. L'apport est un fait transcendantal, inexplicable - du moins M. Hartmann n'en a donné aucune explication. - donc, expliquer l'origine d'un tissu par l'hypothèse de l'apport, c'est expliquer l'inexplicable par l'inexplicable, et M. Hartmann est tenu de nous donner des explications naturelles. Peu nous importe qu'il base son explication sur un fait admis par les spirites : l'apport ; il n'a pas le droit de faire cette concession aux spirites, car il a pris la plume pour leur apprendre « quels sont les trois principes de méthode contre lesquels le spiritisme pèche », et dont le troisième nous apprend « qu'il faut s'en tenir autant que possible aux causes naturelles» (p. 118) et pour leur démontrer que dans le spiritisme « il n'y a pas la moindre raison d'aller au delà des explications naturelles » (P. 106).
Un fait qui prouverait qu'une étoffe matérialisée n'est pas une étoffe apportée, - de provenance terrestre, - serait sa disparition graduelle, non au moment de la séance, alors que l'influence hallucinatoire du médium sur les assistants est toute puissante, mais en dehors de ces conditions et cette dématérialisation pourrait être constatée par la photographie. C'est une expérience à faire. Pour le moment, nous nous en tiendrons aux quelques relations constatant le fait de la matérialisation de tissus entiers et en quantité sous les yeux des assistants, l'enlèvement d'un morceau de ces tissus au moyen de ciseaux, sa conservation pendant quelques jours, sa dématérialisation graduelle et enfin sa disparition.
Nous passerons maintenant à la matérialisation des fleurs. Leur apport, dans une chambre fermée, a été constaté très souvent mais le phénomène de leur matérialisation s'est produit rarement. Les premiers faits de ce genre ont été obtenus par M. Livermore, avec le médium Miss Kate Fox[49].
D'après le témoignage de M. A. J. Davis, dans le Herald of Progress :
« Dans l'un des cercles spirites de New York, il se produisait fréquemment de belles fleurs douées d'une vie momentanée, créées artificiellement à l'aide des éléments chimiques répandus dans l'atmosphère. Ces spécimens de la création spirite étaient ensuite offerts aux membres du cercle ; chacune de ces fleurs était par conséquent mise à la portée de nos sens ; leur arôme agissait directement sur l'odorat, et la tige et les feuilles pouvaient être touchées, prises en main. Au cours de l'une de ces séances, le message spirite nous a indiqué de mettre une de ces fleurs sur la cheminée, ce qui fut exécuté par un des membres du cercle qui revint de suite à sa place. Aux yeux des assistants, qui regardaient tous fixement la fleur, celle-ci disparut complètement, après douze minutes[50]. »
Dans le livre de Wolfe, Faits surprenants (pp. 508 et 538), nous lisons le passage suivant : « Sous le tapis de la table, on vit une lumière devenant de plus en plus intense, jusqu'à ce qu'une belle fleur fût complètement matérialisée alors, la fleur fut projetée dans la chambre, à une distance suffisante pour qu'on pût voir entièrement la main qui la tenait. Observée pendant une demi-minute, elle disparut, mais pour être représentée de nouveau. La fleur n'était pas à plus de 12 pouces de nos yeux. D'après ses dimensions, sa forme et sa couleur, la fleur ressemblait à une rose mousseuse. »
Ces matérialisations, étant éphémères, ne peuvent servir de réponse à la théorie hallucinatoire de M. Hartmann ; j'ai tout lieu de supposer que la photographie aurait pu donner la preuve nécessaire de leur existence objective ; je ne doute pas que cette expérience soit faite un jour mais je ne cite ici ces faits que parce qu'ils sont les antécédents naturels de la matérialisation des fleurs et des fruits, produite sous les yeux, et ayant le caractère de la matérialité permanente. Les faits les plus remarquables de ce genre sont ceux qui se sont produits par la médiumnité de Mme Espérance de Newcastle, et qui sont rapportés, in extenso, dans le Médium de 1880, pages 528, 538 et 542, et aussi dans le Herald of Progress de 1880, publié à Newcastle. Ce phénomène s'est manifesté de trois façons :
1° dans un verre d'eau ;
2° dans une boîte avec de la terre fraîche ;
3° dans une carafe à eau, contenant du sable et de l'eau.
Cela se passait à des séances de matérialisation ; le médium s'était retiré dans un cabinet et l'opérateur était une figure matérialisée qui se donnait pour une jeune fille arabe nommée Yolanda. Voici quelques renseignements sur les trois formes affectées par le phénomène, sous les yeux de nombreux témoins et à plusieurs reprises :
1° M. Fitton avait posé sur la paume de sa main un verre contenant un peu d'eau, à la vue de tous ; il n'y avait rien dans le verre, mais, après que Yolanda eut fait quelques passes, M. Fitton vit un bouton de rose dans le verre ; ce bouton s'entrouvrit bientôt à moitié, et Yolanda le prit et le remit à M. Fitton. Celui-ci le fit voir pendant quelques instants à Mme Fidier et, quand il le reprit, il vit que, dans ce court intervalle, la fleur s'était épanouie[51].
2° Pour la reproduction d'une plante entière, l'opérateur mystérieux demanda une boîte avec de la terre fraîche et une plante vivante et saine, devant servir de médium, ce qui fut fourni par l'un des assistants.
A la séance du 20 avril 1880, la boîte contenant la terre fut posée au milieu de la chambre, et la plante-médium, une jacinthe, auprès de la boîte. Yolanda arrosa la terre avec de l'eau qui lui fut présentée, puis elle couvrit la boîte avec une draperie et se retira dans le cabinet. Elle en sortait de temps en temps, fixait la draperie pendant quelques instants ou faisait des passes, puis se retirait de nouveau. Après une vingtaine de minutes, la draperie parut se soulever et gagner graduellement en hauteur et en ampleur. Alors Yolanda enleva la draperie et on vit dans la boîte un grand et beau pélargonium, dans toute sa fraîcheur, haut de 25 pouces, avec des feuilles larges de 1 à 5 pouces ; il fut transplanté dans un pot ordinaire et continua à vivre, tandis que la plante médium ne tarda pas à dépérir[52].
C'est de la même façon que fut produit à la séance du 22 juin, dans l'espace d'une demi-heure, un beau fraisier, portant des fruits à divers degrés de maturité ; la plante qui servit cette fois de médium était un géranium[53].
3° La production d'une plante dans une carafe, à la séance du 4 août, est décrite par M. Oxley dans le Herald of Progress (n° 8) :
« En sortant du cabinet, Yolanda fit signe qu'on lui donnât une carafe, de l'eau et du sable (lequel venait d'être acheté juste avant la séance) ; ensuite, s'accroupissant sur le plancher, au vu de tout le monde, elle appela M. Reimers, qui, d'après ses indications, versa dans la carafe un peu d'eau et du sable. Yolanda plaça la carafe au milieu de la chambre, fit quelques passes, la couvrit d'un petit drap léger et s'éloigna vers le cabinet, à une distance d'environ 3 pieds de la carafe. A ce moment même, nous vîmes quelque chose s'élever en dessous du drap et s'étendre en tous sens, atteignant une hauteur de quatorze pouces. Lorsque Yolanda s'approcha et enleva le drap, nous nous aperçûmes qu'une plante avait poussé dans la carafe, une vraie plante avec racines, tige et feuilles vertes. Yolanda prit la carafe dans ses mains, s'approcha de l'endroit où je me tenais et me la tendit. Je la pris dans une main et l'examinai avec mon ami Calder ; la plante ne portait pas encore de fleurs. Je plaçai la carafe sur le plancher, à 2 pieds de moi. Yolanda rentra dans le cabinet, où nous entendîmes retentir des frappements ayant cette signification, suivant l'alphabet convenu : « Regardez la plante, à présent. » Alors Calder, saisissant la carafe et la tenant en l'air, s'écria, tout surpris : « Mais voyez, il y a une fleur ! » En effet, la plante portait une grande fleur. Pendant les quelques minutes que la carafe était restée à mes pieds, la plante avait grandi de six pouces, avait jeté plusieurs nouvelles feuilles et une belle fleur de couleur rouge doré ou orange[54]. »
Ce fait n'était pas une hallucination, ainsi que l'atteste une photographie de la plante faite par M. Oxley le lendemain. La plante se trouvait être une Ixora crocata ; le dessin en est joint à l'article de M. Oxley, dans le Herald, ainsi qu'au livre de Mme Emma Hardinge-Brittan, les Miracles du XIXe siècle, et à l'édition allemande de cet ouvrage, page 132.
M. Oxley, à qui je m'étais adressé pour quelques renseignements, a eu l'obligeance de me faire tenir, en même temps que sa réponse, une belle photographie représentant la plante entière dans la carafe, laissant voir les racines et le sable dans lequel elles ont poussé. Dans sa lettre, M. Oxley confirme le fait de l'origine extraordinaire de cette plante ; il dit, entre autres : « Pas moins de vingt personnes étaient témoins de ce phénomène, qui s'est produit par une lumière modérée, mais suffisante pour voir ce qui se passait. Le drap reposait immédiatement sur le goulot de la carafe, et nous avons pu très distinctement le voir se soulever graduellement. » M. Oxley a eu l'obligeance de m'envoyer une partie de la plante même pour être comparée à la photographie ; c'était précisément la partie supérieure, avec la fleur et trois feuilles, coupés et mis sous verre aussitôt après l'exécution de la photographie. Les feuilles mesuraient 17 à 18 centimètres de long et 6 centimètres de large ; pour ce qui est de la fleur, elle consistait en un faisceau de quarante pistils d'une longueur de 4 centimètres et se terminant chacun par une fleur composée de quatre pétales. M. Sellin, de Hambourg, ayant assisté à cette séance, j'ai naturellement eu l'idée de m'assurer son témoignage et lui ai écrit la lettre suivante :
« Saint-Pétersbourg, ce 7/19 avril 1886.
Monsieur, puisque vous avez assisté, conjointement avec MM. Oxley et Reimers, à la séance de Mme Espérance, au cours de laquelle s'est produite la remarquable croissance d'une plante que Yolanda a remise à M. Oxley, votre témoignage aura pour moi une valeur particulière ; aussi viens-je vous prier de bien vouloir m'envoyer une réponse aux questions suivantes :
1° Par quel éclairage ce phénomène s'est-il produit ?
2° Êtes-vous bien sûr d'avoir vu le vase même dans lequel la plante a poussé, et êtes-vous persuadé qu'il n'y avait, dans ce vase, que de l'eau et du sable ?
3° Avez-vous clairement vu que la plante s'élevait graduellement de la carafe, pour atteindre les dimensions indiquées dans la description ?
4° Avez-vous bien remarqué qu'alors que la plante a été remise à M. Oxley elle n'avait pas de fleur ? que celle-ci ne parut que plus tard ?
5° Avez-vous un doute quelconque sur l'authenticité du phénomène, et, sinon, comment vous l'expliquez-vous ?
Vous m'obligeriez beaucoup en me donnant ces renseignements. Agréez, etc. »
Voici la réponse que M. Sellin m'a obligeamment communiquée :
« Hambourg, ce 5 mai 1886..
Borgfelde, Mittelweg, 39.
Monsieur, je vous présente mes excuses de répondre si tardivement à votre lettre du 19 avril, qui m'est parvenue seulement le 27, à mon retour d'Angleterre, où j'ai passé deux semaines. J'espère, néanmoins, que ma réponse vous arrivera à temps.
Pour plus de clarté, j'y joins un dessin de la pièce où les séances ont eu lieu, avec indication du cabinet et des endroits que nous occupions.
Dans ce dessin, je n'ai point observé une exactitude rigoureuse, ce qui, d'ailleurs, n'a pas une grande importance ; je tiens essentiellement à indiquer l'endroit où je me trouvais, endroit qui me mettait, comme vous pouvez le voir, dans des conditions particulièrement avantageuses.
Quant aux questions que vous me posez :
1° Il est très difficile de déterminer l'intensité de la lumière. La chambre était éclairée au gaz, à travers une fenêtre masquée par un rideau rouge ; la flamme pouvait être réglée à l'intérieur de la chambre ; on la levait ou la baissait.
Tant que durait la croissance, l'éclairage était faible, mais suffisant, non seulement pour voir Yolanda et pour distinguer la carafe, recouverte du drap blanc, mais aussi pour suivre le soulèvement graduel de ce drap an fur et à mesure que la plante grandissait. Comme le dessin l'indique, je me trouvais à une distance de la plante ne dépassant pas 3 pieds, et je puis par conséquent dire avec assurance que le drap blanc s'est soulevé à une hauteur de 16 pouces dans l'espace de trois minutes. Lorsque ensuite Yolanda ôta le drap de dessus la plante, que je n'ai pas perdue de vue un instant, j'ai cru voir un Ficus à la place de l’Ixora crocata, plante que je ne connaissais pas. La clarté existante me permettait de distinguer chaque feuille, de sorte que j'ai pu reconnaître mon erreur avant que Yolanda eut remis la carafe avec la plante à M. Oxley.
2° Le vase employé en cette circonstance (une carafe avec un goulot de moins d'un pouce en diamètre) est absolument semblable à celui reproduit par un dessin dans le Herald of Progress ; je l'ai vu tant avant la séance qu'après, et j'ai pu l'examiner minutieusement, car, alors qu'on apportait la carafe, le sable, l'eau et la feuille de journal, la lumière a été augmentée. Ce détail ne peut nullement être mis en doute. Voici l'ordre que l'on a observé dans la séance : lorsqu'au début Yolande eut distribué ses roses, elle s'éloigna dans le cabinet, elles objets précités ont été demandés par des frappements sortant de ce cabinet. M. Oxley dit qu'avant la séance il avait été prévenu (probablement au moyen d'écritures automatiques) que ces objets devaient être tenus prêts d'avance. M. Armstrong, en l'honnêteté duquel je ne puis avoir aucun doute, et qui dirigeait ces séances, a fourni ces accessoires lui-même. Mme Espérance se trouvait en ce moment dans un état de transe probablement partiel, car, étant dans le cabinet, elle causait et toussait. Lorsqu'on eut diminué la lumière, Yolande sortit du cabinet, appela d'un geste M. Reimers et lui fit signe de poser la feuille de journal par terre et de remplir la carafe, qui fut posée dessus, avec du sable, jusqu'à une hauteur déterminée, et d'y verser une partie de l'eau. M. Reimers accomplit ce qui lui était demandé, se tenant à genoux au bord du journal, tandis que Yolande était en face de lui à l'autre bout, également à genoux. Lorsque M. Reimers eut fini, Yolanda lui donna un baiser au front et lui fit signe de retourner à sa place. Elle-même se leva et recouvrit la carafe du drap blanc. D'où l'avait-elle pris ? Était-ce une partie de son vêtement, ou bien l'avait-elle produit sur place ? Je ne voudrais pas aventurer une opinion quelconque à ce sujet mais je puis dire qu'à partir du moment où la carafe fut recouverte, j'étais à même d'examiner aussi bien la carafe que le fantôme jusqu'à l'instant où il releva le drap.
3° La réponse à cette question se trouve déjà dans ce qui précède.
4° Qu'il n'y avait pas de fleurs sur la plante au moment d'ôter le drap, je puis en témoigner en toute assurance, ne fût-ce que pour cette raison que je n'aurais certainement pas pu prendre pour un ficus cette grande fleur de forme sphéroïdale ayant les dimensions du poing et la forme d'un dahlia. Mais je ne puis affirmer que la plante ne portait pas de boutons ; je ne l'ai pas vu, mais, s'il y en avait un dans la première période du développement, j'ai pu facilement ne pas le remarquer. Sur ce point je dois m'en rapporter complètement au témoignage de M. Oxley et du respectable John Calder. Lorsqu'on augmenta la lumière au bout de quelques minutes et que toutes les personnes présentes eurent examiné la plante pour la deuxième fois, il s'y trouvait déjà un bouton complètement épanoui. On plaça la carafe sur une armoire, ou elle est restée jusqu'à la fin de la séance, au cours de laquelle il se produisit encore une demi-douzaine environ de figures matérialisées sortant du cabinet et s'approchant des personnes présentes. Quand M. Oxley, à la fin de la séance, enleva la carafe de l'armoire pour la porter chez lui, je profitai de cette occasion pour regarder la plante encore une fois, et je m'aperçus qu'encore trois boutons d'une belle teinte jaune-orange s'étaient entre temps ouverts. Le lendemain, en portant la plante chez le photographe, nous nous aperçûmes que la touffe entière était épanouie, comme cela se voit sur l'épreuve. Après examen plus minutieux des feuilles, je remarquai avec surprise que l'une d'elles avait une déchirure qui avait eu le temps de durcir. A la séance du 5 août, à laquelle se produisit, de la même manière, dans un pot rempli de terre, un Anthurium Scherzerianum, une plante de l'Amérique centrale, je demandai comment une pareille fissure avait pu se produire sur une plante qui venait seulement de pousser. On me donna pour réponse que Yolanda, en ôtant trop précipitamment le drap, avait détérioré la feuille, et que cette déchirure s'était refermée en si peu de temps grâce à la croissance rapide de la plante.
5° D'après la manière dont les choses se sont passées, il ne me reste aucun doute sur l'authenticité des phénomènes ; cependant, au début, j'ai été peu favorablement impressionné par la déchirure de la feuille. Quant à l'endroit où l'on plaça la carafe, je l'avais inspecté pendant la journée, alors que je visitais la chambre de Mme Espérance, et n'y découvris rien qui pût indiquer l'existence d'une trappe quelconque. Pour ce qui est de l'explication des phénomènes, je me trouve, naturellement, en présence d'une énigme, comme dans la plupart des manifestations spiritiques. Il se peut que ce fut un cas d' « apport », comme pour les roses qu'elle prend dans le verre, pour les distribuer. Ces roses étaient d'origine purement naturelle ; je les ai gardées quelque temps, et les ai jetées quand elles ont été fanées. Dans le cas présent, la grande difficulté était de faire entrer la plante dans la carafe. Le goulot en était si étroit, que je tiens pour à peu près impossible d'y introduire les racines d'une plante complètement formée, et de les implanter dans le sable humide, en leur donnant une direction toute naturelle. J'avoue qu'une pareille supposition me paraît être en contradiction avec le soulèvement graduel du drap, en sens vertical, fait que j'ai pu voir très distinctement.
On pourrait encore supposer que, pendant le temps où Reimers emplissait la carafe de sable mouillé, on bien au moment de la recouvrir du drap, le fantôme y avait glissé un bourgeon ou une semence d'ixora, - n'étant pas botaniste, je ne puis dire lequel des deux est le plus probable - et qu'ensuite, à l'aide d'une force qui nous est inconnue, il avait effectué une germination et un développement extraordinairement rapide de la plante. Je me suis arrêté à cette supposition, d'autant plus qu'elle présente quelque analogie avec l'accélération de la croissance d'une plante au moyen de l'électricité (expérience faite par M. Reimers).
Agréez, etc.
C. W. Sellin. »
Certainement rien ne se fait de rien, et ces plantes ne se sont pas formées de rien. Nous ne sommes pas en présence d'un simple (!) phénomène d'apport, cela est évident, puisqu'il y a eu développement graduel, ce qui est précisément un des caractères du phénomène de la matérialisation, comme on peut en juger par les expériences ci-dessus décrites, dans lesquels le phénomène s'est produit sous les yeux de tous les observateurs. Ce développement graduel est surtout évident lorsqu'on constate que la plante, après avoir été mise à découvert et bien examinée, a encore grandi de 6 pouces et qu'elle a produit plusieurs feuilles et une grande fleur de 5 pouces de diamètre consistant en une cinquantaine de petites fleurs, - ce qui prouve qu'il y avait dans la partie de la plante produite dans la première phase une grande concentration de vitalité et d'éléments matériels qui restaient encore à l'état latent. Comme les plantes matérialisées, dont nous venons de parler, ne ressemblent pas aux plantes ayant servi de médium, et comme Ixora a été produite, à ce qu'il paraît, sans le concours d'aucune autre plante, on est porté à supposer que nous assistons ici à un phénomène mixte d'apport et de matérialisation ; on pourrait donc supposer que ces plantes ont été dématérialisées sur place et que, leur essence typique étant conservée, elles ont été graduellement rematérialisées pendant la séance, avec l'aide de l'essence vitale d'une autre plante, ou même sans cela. Quoi qu'il en soit, il s'agit toujours d'un fait de matérialisation produit sous les yeux des observateurs, et son caractère non hallucinatoire est établi.
L'insuccès d'une expérience de ce genre nous servira à démontrer que nous n'avons pas affaire à de simples apports pour une de ces séances, tout fut préparé comme de coutume : la boîte avec la terre, l'eau, une couverture et une plante médium. Yolanda parut, produisit toutes les manipulations habituelles et enfin repoussa la caisse avec un dégoût si manifeste qu'il aurait excité de l'hilarité en toute autre circonstance moins intéressante. Elle nous expliqua que la terre était mauvaise et moisie que par conséquent il ne s'est produit sous son influence que de la moisissure (Medium, p. 466). Il est évident qu'un « apport » n'aurait rien eu de commun avec la terre et sa qualité.
Pour compléter la série de matérialisations d'objets inanimés, il me reste à mentionner la matérialisation d'un métal par la médiumnité d'un métal. Nous trouvons l'antécédent de ce phénomène dans les apports ou disparitions et réapparitions d'objets métalliques, qui se sont produits souvent pendant les séances mais, en fait de matérialisation, je ne connais que l'exemple suivant, et, comme il s'agit d'un anneau d'or, je puis mentionner son antécédent spécial : la dématérialisation d'un anneau d'or, pendant qu'on le tenait dans la main. Voici ce dont témoigne M. Cateau Van Rosevelt, membre du conseil privé de la Guyanne hollandaise, qui, étant à Londres, eut une séance avec Mlle Kate Cook (la sœur de la célèbre Florence Cook), au cours de laquelle le phénomène suivant se produisit : « Mme Cook, la mère du médium, me donna, dit M. Van Rosevelt, deux bagues d'or, que je remis à Lily (forme matérialisée), qui se les mit aux doigts. Je lui dis que, ne pouvant porter ces ornements dans le monde des esprits, elle ferait mieux de me les rendre pour que je les remette à Mme Cook. Elle ôta les bagues, que je reçus dans ma main droite : « Tenez-les bien, dit-elle, car je veux « les dissoudre. » Je tenais les bagues avec force entre mes doigts, mais elles devenaient de plus en plus petites, et disparurent complètement au bout d'une demi-minute : « Les voici, » dit Lily, en me montrant les bagues dans sa main. Je les pris et les remis à Mme Cook[55]. »
Passons à présent au fait correspondant de la matérialisation d'un anneau d'or. Voici un phénomène qui a été observé à une série de séances, tout à fait intimes, tenues par un cercle avec un médium amateur, M. Spriggs ; ce phénomène est raconté par un des membres du cercle, M. Smart, dans une lettre publiée dans le Light de 1886, page 94 : « La même figure a matérialisé un jour un anneau d'or dont elle a démontré la dureté en en frappant l'abat-jour de la lampe et en l'appuyant sur nos mains. Ce qu'il y a de curieux dans ce fait, c'est que, pour aider à la matérialisation, elle demanda la chaîne d'or d'un assistant, la mit sur la table et fit des passes de la chaîne à sa main, comme si elle voulait en extraire une partie des éléments les plus subtils[56]. »
Il faut supposer que cet anneau disparut avec la figure, et ce phénomène ne peut, par conséquent, me servir de preuve dans ma réponse à M. Hartmann mais, pour tous ceux qui ne partagent pas sa théorie sur l'hallucination, il aura une signification particulière. N'est-ce pas à cette catégorie de phénomènes que se rattache ce fait curieux que l'on pourrait appeler : le dédoublement d'un verre, dont fait mention M. A. R. Wallace dans son livre : Défense du Spiritualisme moderne ?
Je comprends très bien qu'en traitant cette question des matérialisations d'objets inanimés, au point de vue de l'hallucination, les preuves que j'ai mises sous les yeux des lecteurs ne sont pas nombreuses, et qu'elles ne peuvent pas être considérées comme parfaitement satisfaisantes, ou encore moins produites dans des conditions répondant aux exigences d'une science positive ; ainsi que je l'ai déjà dit, la difficulté réside dans le caractère même du phénomène à établir et, aussi, dans la pénurie d'expériences faites dans ce sens, toute l'attention et tout l'intérêt s'étant concentrés, bien naturellement, sur la matérialisation des formes humaines. Je ne mentionne que des faits qui se sont produits par hasard, de temps à autre, et non comme étant le résultat d'une investigation systématique et spéciale ayant pour but de prouver qu'il ne s'agit pas d'hallucinations ; je les mentionne parce que, de tout temps, le témoignage des sens et de plusieurs personnes ayant assisté à un phénomène a été considéré comme suffisant.
Mon but a été seulement de démontrer que, lorsque la photographie transcendantale nous présente le phénomène surprenant d'images d'objets inanimés invisibles à nos yeux, ce phénomène peut trouver sa justification dans le phénomène correspondant et non moins étrange de la matérialisation et de la dématérialisation visible d'objets inanimés, et vice versa. Je suis même étonné d'avoir pu rassembler, en puisant dans les matériaux existants, les quelques faits qui m'ont permis de compléter la série des analogies dans l'ensemble de ce domaine.
B. - Matérialisation et dématérialisation de formes humaines
Incompatibilité logique de la théorie de l'hallucination du Dr Hartmann avec sa théorie de la force nerveuse.
Dans le chapitre précédent, nous basant sur le fait transcendantal, établi par l'expérience, de la pénétration d'un corps quelconque à travers un autre corps, et sur l'admission de l'hypothèse de la dématérialisation et de la rematérialisation de ce corps, nous avons été logiquement amenés à admettre la possibilité d'une formation ou matérialisation, de plus ou moins de durée, d'un autre corps analogue aux dépens du corps donné et nos recherches dans ce domaine nous ont fait découvrir des faits de matérialisations non seulement temporaires, mais même durables, de corps inanimés, aux dépens d'autres corps analogues : nous avons vu des faits de matérialisation de tissus par la médiumnité d'un tissu, de matérialisation d'une plante par la médiumnité d'une plante et d'un métal par la médiumnité d'un métal. Nous allons passer maintenant à l'examen des faits les plus nombreux les plus développés et les plus extraordinaires de ce genre : aux matérialisations temporaires de formes humaines par la médiumnité du corps humain.
La matérialisation de formes humaines comprend, par ordre chronologique de son développement, la main, le visage, le buste, le corps entier.
Le fait positif de la production de semblables formes, quoique invisibles à nos yeux, nous est fourni par la photographie transcendantale. Elle nous a révélé et fait constater la présence de corps vaporeux de formes diverses, prenant peu à peu la forme humaine, d'abord diffuse, puis des contours humains de plus en plus définis, jusqu'à ce qu'ils soient enfin parfaitement reconnaissables. Nous allons retrouver une série de faits correspondants dans le domaine de la matérialisation, qui peuvent être constatés par le témoignage des sens et qui se traduisent par tous les effets qu'un organisme matériel peut généralement produire.
Notre but étant de prouver que ce phénomène n'est pas le résultat d'une hallucination, nous n'avons pas besoin de le poursuivre dans toutes les phases de son développement donc, si nous parvenons à prouver la réalité objective de la matérialisation d'un seul membre humain, - disons d'une main ou d'un pied, - c'est tout ce qu'il nous faut.
Le caractère non hallucinatoire de l'apparition d'une main peut être prouvé :
1° Par le fait, qu'elle a été vue par plusieurs personnes à la fois, unanimes dans leurs témoignages ;
2° Par le fait qu'elle a été vue et, simultanément, touchée par plusieurs personnes à la fois, et que les impressions de ces deux sens concordent entre elles ;
3° Par des effets physiques, produits par cette main, comme, par exemple, des mouvements divers d'objets, sous les yeux des témoins ;
4° Par la production d'effets physiques durables qui sont, certainement les preuves les plus concluantes, et notamment :
A, par l'écriture produite en présence de plusieurs témoins ;
B, par des empreintes laissées par la main elle-même sur des substances molles ou noircies ;
C, par certains effets exercés sur la main par les personnes présentes ;
D, par des moulages obtenus avec la main apparue ;
E, par la photographie des apparitions de ce genre ;
5° Par la pesée d'une apparition quand elle atteint le développement d'une forme humaine entière.
Toutes ces preuves existent dans les annales du spiritisme.
1° et 2° L'apparition des mains visibles et tangibles a été constatée au début du mouvement spirite.
Il existe des relations de ce phénomène remontant à février 1850 ; donc, deux ans à peine après les premiers « frappements de Rochester[57] ». Il se produisait alors, en pleine lumière, pendant les séances qu'on tenait autour d'une table, et il a continué à se produire jusqu'à nos jours ; les rapports sur ces faits sont innombrables et unanimes. Ce phénomène est, d'après M. Hartmann, une hallucination, ou de la vue seule, ou bien une hallucination combinée de la vue et du toucher. Mais, pour ne pas être en contradiction avec son explication des empreintes organiques, M. Hartmann se déclare prêt à admettre une double explication : « En ce qui concerne les hallucinations du toucher proprement dites subsiste l'éventualité que la pression éprouvée, comme émanant de mains et de pieds invisibles, dépend d'un système de lignes dynamiques de pression et de tension, qui déterminent la sensation d'une surface palmaire, par exemple, alors que cette surface n'appartient pas à une main matérielle. » (p. 99.)
De telle sorte que l'hallucination du toucher ne serait plus une hallucination, mais une sensation véritable produite par des lignes dynamiques de pression et de tension ou bien une action dynamique de la force nerveuse médiumnique.
Ainsi, quand je tiens dans ma main une main matérialisée, la vue de cette main serait une hallucination, mais le toucher serait réel : je serrerais dans ma main un système de lignes de force nerveuse.
On se demande alors pourquoi la vue de la main temporairement apparue devrait être une hallucination. Si un système de lignes de force nerveuse peut se faire sensible au toucher, il peut tout aussi bien être visible. Il ne serait pas logique d'accorder à la force nerveuse la tangibilité et de lui refuser la visibilité quand l'affirmation et la négation de ces propriétés reposent sur la même base ou pour s'exprimer autrement, il ne serait pas logique d'admettre une cause réelle objective pour la sensation tactile et de rejeter la même cause, tout aussi réelle et objective, pour la sensation visuelle, quand il s'agit du même phénomène et du même témoignage. La conséquence logique de cette double explication serait que, en ce qui concerne les phénomènes de matérialisation, l'hypothèse de l'hallucination, qui joue un si grand rôle dans la philosophie médiumnique du Dr Hartmann, serait tout d'abord en désaccord avec les données de son hypothèse de la force nerveuse, qui occupe chez lui une part tout aussi grande, et ce désaccord jusqu'ici présumable va devenir - avec les développements que M. Hartmann donne aux phénomènes produits par la force nerveuse - un fait positif, comme nous allons le voir. Passons à la rubrique
3° Aux preuves fournies par les effets physiques.
Celles-ci aussi ne peuvent, selon M. Hartmann, servir de preuves de la matérialisation, car la vue de la main n'est qu'une hallucination, et le mouvement d'un objet imprimé par cette main n'est qu'un effet produit par la force nerveuse du médium d'accord avec l'hallucination qu'il communique aux assistants :
« Le déplacement d'objets constaté après la séance peut servir de preuve que ce déplacement a été réel, objectif. Si ces déplacements ne se produisent pas en dehors de la sphère d'activité de la force nerveuse du médium, c'est-à-dire s'ils ne dépassent pas les limites des effets que cette force peut produire, quant à leur genre et leur puissance, il n'y a aucune raison de les attribuer à une autre cause. Dans ce cas, le médium somnambule a combiné dans son imagination son hallucination avec le déplacement d'objets à produire, il a effectué inconsciemment ces déplacements, au moyen de sa force nerveuse médiumnique, croyant de bonne foi que ce sont les images de sa fantaisie qui ont fait ces déplacements par leur propre puissance ; en faisant partager son hallucination par les assistants, il leur a en même temps transmis la conviction que ces déplacements d'objets sont réellement dus aux fantômes. » (Pp. 101,102.)
Nous avons donc ici une hallucination doublée de force nerveuse. Mais il est inutile de nous arrêter plus longtemps sur ce point ; on remarquera seulement que l'inconséquence logique de cette explication aurait augmenté d'un degré, tandis que d'autre part le témoignage de la vue et du toucher se trouverait corroboré par la production d'un effet physique correspondant. M. Hartmann emploie souvent les expressions « en dehors ou en dedans de la sphère d'action de la force nerveuse du médium ». Mais il ne nous indique pas les limites de cette force nerveuse ; il peut donc reculer ces limites à sa guise ou bien même considérer cette force comme illimitée. En présence du manque de définition, il est impossible de vérifier la théorie du Dr Hartmann par des faits.
4° Nous passons aux preuves qui sont, à notre avis, des preuves positives et qui consistent dans la production d'effets physiques permanents.
En premier lieu se présente :
A. l'écriture produite par une main matérialisée
Elle est détachée en apparence de tout autre corps, en pleine lumière, sous les yeux des témoins, et le médium est visible tout le temps. Selon M. Hartmann, ce phénomène ne serait autre chose aussi qu'une hallucination doublée de force nerveuse : « Il ne serait pas surprenant d'entendre sous peu parler d'une écriture médiumnique à distance, la main écrivant étant visible pour les assistants, ce qui, à ma connaissance, ne s'est pas encore produit, du moins aux séances en plein jour. Il n'y aurait aucune raison de considérer cette main comme autre chose que la transmission d'une hallucination de la vue. » (P. 101.)
Sans nous arrêter à ce raisonnement, qui ne diffère pas des précédents, nous passerons à la rubrique suivante, où il atteint son comble et devient une impossibilité. Nous ferons seulement remarquer que M. Hartmann, en supposant que ce phénomène n'ait pas encore été observé à la lumière, a bien fait d'ajouter : « A ma connaissance », car ce phénomène a été constaté à plusieurs reprises. R.Dale Owen, par exemple, raconte une séance avec Slade, dans laquelle, en pleine lumière, une main venant de dessous la table écrivit une communication en anglais, sur une feuille de papier posée sur une ardoise, reposant sur les genoux de M. Dale Owen ; puis une autre main écrivit sur la même feuille quelques lignes en grec[58]. Olcott, dans son livre : Gens de l'autre monde, donne même le dessin d'une main matérialisée écrivant sur un livre qu'on lui présente. Il faut voir aussi les nombreuses expériences du Dr Wolfe mentionnées dans son ouvrage : Faits étonnants du Spiritualisme moderne, paru à Cincinnati en 1874, pages 309, 475, et passim.
M. Hartmann se trompe en disant : « Les quelques rapports sur l'écriture par une main visible d'un esprit n'ont aucune importance, car ils ont trait à des séances sans lumière au cours desquelles on aurait vu d'une manière indistincte le contour confus d'une main se dessinant sur du papier phosphorescent. » (P. 53.) Le témoignage de M. Crookes est sur ce point catégorique : « Une main lumineuse descendit du haut de la chambre, et, après avoir plané pendant quelques secondes à mes côtés, elle prit le crayon de mes mains, écrivit rapidement quelque chose sur une feuille de papier, jeta le crayon, puis s'éleva au-dessus de nos têtes et disparut graduellement dans les ténèbres[59]. »
Un fait semblable, produit en présence de plusieurs témoins, est rapporté par M. Jencken dans le Spiritualist, 1876, II, page 126, avec le dessin de la main écrivant.
B. Il est bien naturel qu'on ait cherché depuis longtemps à obtenir des empreintes
Des empreintes de mains qu'on voyait momentanément apparaître et disparaître aux séances car une empreinte pareille devait servir à prouver positivement qu'il s'agissait, non d'hallucinations, mais de formations réelles d'un certain corps. Je ne puis préciser quand furent faites les premières tentatives de ce genre, mais je trouve dans mes notes une indication remontant à 1867 ; une empreinte fut reçue sur de l'argile molle[60]. Plus tard, des empreintes furent faites sur de la farine ou du papier enduit de noir de fumée. Nous avons aussi, par rapport à ce phénomène, les expériences concluantes des professeurs Zöllner et Wagner[61]. Il faut mentionner aussi le fait similaire obtenu par M. Reimers, rapporté dans les Psychische Studien, 1877, page 401, et Jencken, Spiritualist, 1878, II, page 134 ; Medium, 1878, page 609.
Dans ces cas, la main ou le pied qui avaient produit les empreintes n'ont pas été vus ; mais les conditions dans lesquelles elles se sont produites sont telles, qu'elles excluent toute idée de fraude ; c'est ainsi que chez M. Zöllner les empreintes furent obtenues entre deux ardoises qu'il tenait sur ses genoux, et chez M. Wagner entre deux ardoises cachetées.
Dans d'autres cas cependant, la forme matérialisée qui a produit l'empreinte a été vue durant la production du phénomène, et le résultat fut trouvé d'accord avec la forme observée. « Cette expérience, dit le Dr V. Hartmann, n'a encore été faite nulle part à ma connaissance ; je ne sais qu'un compte rendu isolé qui établit le fait de l'empreinte d'un pied d'enfant produite dans une séance de matérialisation ce pied était visible, mais non tangible[62]. Ce fait demanderait avant tout à être confirmé par des expériences analogues faites par d'autres personnes. » (Pp. 100, 101.) Je puis fournir cette confirmation : ce sont les expériences que le Dr Wolfe a faites avec le médium Mme Hollis. Ces expériences eurent lieu pendant des séances autour d'une table, en plein jour.
La table était simplement garnie sur son pourtour d'une pièce de calicot noir à franges descendant jusqu'au plancher et présentant une ouverture de 6 pouces carrés. Dans l'expérience qui suit, le Dr Wolfe était seul avec le médium ; laissons-lui la parole :
« La première expérience a été faite avec un plat de farine ; je plaçai le plat sur une chaise devant l'ouverture et priai Jim Nolan (l'un des opérateurs invisibles) d'y produire l'empreinte de sa main droite. Deux ou trois minutes après parut une main élégante et délicate ressemblant fort peu à celle de Jim et qui disparut après avoir plané quelques instants au-dessus du plat. Elle reparut cinq minutes après et se plongea profondément dans la farine, laissant son empreinte nettement dessinée dans la couche molle blanche comme de la neige. Je fis venir ensuite un autre plat avec de la farine, sur la demande de Jim et cette fois il y imprima sa propre main, qui laissa une empreinte une fois et demie plus grande que la première. Après avoir minutieusement examiné la main de Mme Hollis, sur laquelle on ne trouva pas la moindre parcelle de farine, je la priai de placer sa main dans les empreintes obtenues. Dans l'une de ces dernières, cette main aurait pu être placée deux fois ; l'autre aussi se trouva être beaucoup plus grande que sa main: l'empreinte qu'elle fit ensuite avec sa main était plus petite et d'une tout autre forme. » (Startling Facts, p. 481.)
Voici le même fait raconté par un autre témoin, M. Plimpton, l'un des éditeurs d'un journal de Cincinnati, dans un article publié par lui dans le journal The Capital, édité à Washington par le colonel Down Piatt. D'après un plan de la chambre joint à l'article, on voit que la table se trouvait au milieu de la pièce ; le médium se trouvait d'un côté et en face de lui, de l'autre, près du coin de la table, se tenait le Dr Wolfe ; l'ouverture dans le rideau qui entourait la table se trouvait du troisième côté. En face de cette ouverture se trouvait M. Plimpton, éloigné d'un pas de la table. Voici le compte rendu de cette séance. « Le Dr Wolfe apporta un plat de farine et demanda si les opérateurs invisibles pouvaient y laisser l'empreinte d'une main ; les coups frappés indiquèrent une réponse affirmative. Sur une injonction exprimée par l'écriture, le docteur tint le plateau au devant du rideau, le plus loin possible de Mme Hollis. La main parut et fit des évolutions d'une rapidité électrique, demeura un instant dans le plat et se retira après avoir secoué les particules adhérentes. Mme Hollis fut priée d'appliquer sa main sur l'empreinte ; les doigts marqués sur cette dernière étaient d'un pouce plus longs que les siens. L'empreinte représentait la main d'un homme adulte avec tous les détails anatomiques. Il faut ajouter que si Mme Hollis avait entrepris l'opération, elle aurait été obligée de se pencher jusqu'au bord de la table pour pouvoir atteindre à cette distance. Mais elle n'a pas changé de position, et ce fait établit l'impossibilité matérielle de son intervention personnelle. D'autre part, un homme n'aurait pas pu s'être caché sous la table, que j'ai retournée immédiatement après la production de l'empreinte. Y a-t-il peut-être eu illusion ? Mais l'empreinte dans la farine a depuis été vue par d'autres personnes et je suis aussi sûr d'avoir vu la main qui a produit l'empreinte que ces personnes sont sûres d'avoir vu cette empreinte. » (Ibid., p. 541.)
Et dire que pour trouver une explication à ce phénomène le Dr Hartmann ne se départit en rien de sa théorie. Il admet bien que ce n'est pas une hallucination.
Il ne dit plus, comme plus haut, en parlant du sens du toucher, que « la possibilité d'un effet réel produit par une cause objective n'est pas exclue » il en est à l'affirmer d'une manière positive en ces termes : « Les empreintes obtenues offrent une preuve probante que l'on ne se trouve pas en présence de l'effet d'une hallucination. » (P. 52.) Mais quelle explication donne-t-il de ce phénomène ? Il y a lieu de supposer que personne, fût-ce le savant le plus positif, ne pourra nier qu'une empreinte obtenue dans les conditions précitées - à plus forte raison si l'authenticité du phénomène est admise - a dû être produite parmi corps temporairement matérialisée, c'est-à-dire ayant pris une forme humaine tangible. Mais le Dr Hartmann en conclut autrement : pour rester fidèle à sa théorie de la force nerveuse, il donne à cette dernière un développement extrême. Cette force serait en état non seulement de produire le déplacement d'objets, mais encore des effets plastiques. Selon lui cette empreinte est produite par « la force nerveuse émanée du médium ; celle-ci se traduit par un système de radiations produisant des effets de traction et de pression[63] »
Et quand le corps (ou dans ce cas la main) produisant ce résultat est visible, c'est de nouveau comme dans les cas précédents une hallucination, - la combinaison d'un résultat réel avec une hallucination. Comme nous le voyons, et comme il était facile de le prévoir, l'inconséquence logique dans laquelle tombe le Dr Hartmann, - inconséquence qui n'était qu'une présomption, quand il s'agissait de l'application de son hypothèse à l'explication de la sensation tactile, - n'a fait que grandir, et, lorsqu'il veut appliquer la même hypothèse à l'explication des empreintes, cette inconséquence arrive à son comble et devient un fait.
Je vois une main apparaître : c'est une hallucination. Je vois cette main, je la touche, je la sens : la sensation du toucher peut être réelle, mais la vue est une hallucination. Je vois cette main mouvoir un objet, écrire : l'effet physique produit est réel, mais la vue est une hallucination ! Je vois cette main produire une empreinte, établissant que c'est bien une main : l'empreinte est réelle, mais la vue est une hallucination !
En vertu de ce système, le témoignage de nos sens est accepté pour une série d'effets réels, mais il est repoussé pour une forme spéciale de l'impression de la vue, quoique l'un des effets réels et permanents obtenus - l'empreinte - prouve l'accord des témoignages de la vue et du toucher, avec cet effet réel. De même, d'autre part, nous avons un phénomène qui a toutes les apparences d'un corps et dont la réalité est établie par tous les effets qu'un corps peut généralement produire : il est visible, tangible, il meut un autre corps, laisse des traces permanentes, s'imprime dans un autre corps ; toutes ces propriétés lui sont concédées par le Dr Hartmann comme réels, objectifs, hors celui de la visibilité. Pourquoi ? Par quel raisonnement logique ?
Cette logique nous paraîtra plus étrange encore, quand nous demanderons à M. Hartmann la définition d'un corps, en général, d'après sa propre philosophie.
La matière, nous répondra-t-il, n'est autre chose qu'un système de forces atomiques, un système de dynamides[64]. Ainsi, quand je tiens dans ma main une autre main naturelle, je tiens, d'après le Dr Hartmann, « un système de forces atomiques », et il ne lui refuse pas la propriété de la visibilité ; il ne qualifie pas ce témoignage de mes sens d'hallucination. Mais, quand je tiens dans ma main une semblable main matérialisée que je sens et que je vois, et à laquelle M. Hartmann prête la même définition, puisqu'il la considère comme « un système de lignes de force », dans ce cas, nous dit-il, la sensation du toucher est réelle, mais l'impression de la vue de cette main est une hallucination.
Pourquoi ? En vertu de quelle logique ?
Une fois qu'il est admis qu'un « système dynamique » est capable de produire, dans notre organisme, une sensation tactile réelle et objective, où donc est la difficulté d'admettre que le même « système dynamique » puisse donner lieu à la sensation de visibilité réelle et objective, du moment que le témoignage subjectif en faveur de l'une ou de l'autre de ces sensations est le même ? Jamais le Dr Hartmann ne pourra prouver la logique de cette négation. Ainsi, après toutes les concessions qu'il a faites, en admettant la réalité du même phénomène pour d'autres perceptions sensorielles, son hypothèse de l'hallucination devient logiquement insoutenable.
Quant à l'explication physique que donne M. Hartmann des empreintes obtenues par voie médiumnique, elle est tellement en contradiction avec toutes les lois physiques connues que la physique et la physiologie ne pourront jamais l'accepter et ce qui est curieux, c'est que le développement logique de l'explication physique de M. Hartmann nous conduit inévitablement à une conclusion qu'il repousse de toutes ses forces. Pour le prouver, je dois entrer dans quelques explications. Le phénomène des empreintes de formes organiques ayant une grande importance, - je le considère comme l'antécédent de la preuve absolue de la matérialisation, - nous devons accorder toute notre attention à l'explication que nous en donne M. Hartmann, qui, de son côté, trouve que ces phénomènes « appartiennent aux plus frappants dans ce domaine. » (P. 52.) Voici cette explication :
« Que l'on s'imagine une autre disposition des radiations dynamiques de la force nerveuse médiumnique, disposition qui correspondrait à l'empreinte produite par la face palmaire d'une main étendue à plat sur une matière plastique, alors le déplacement des particules de matière, produit par un semblable système dynamique, devrait être en rapport avec le déplacement produit par l'empreinte de la main, c'est-à-dire elle devrait être la reproduction d'une forme organique, sans qu'une forme organique ayant pu produire cette empreinte se trouvât matériellement présente. » (P. 50.)
Cette explication présente au point de vue de la physique une série d'impossibilités. Je rappellerai ici que les empreintes dont il s'agit sont de deux espèces, bien différentes : elles se produisent ou sur des substances molles comme la farine et l'argile, reproduisant en relief, avec une exactitude parfaite, tous les détails anatomiques d'un organe, ou bien sur des substances dures (des surfaces noircies) reproduisant ces mêmes détails, en partie, car toute la surface d'un organe ne peut pas bien entendu, toucher la surface plate d'un corps dur à moins de subir une pression extraordinaire.
Voyons maintenant les impossibilités de l'hypothèse du docteur Hartmann, d'abord en ce qui concerne les impressions sur des substances molles :
1° Toute force d'attraction ou de répulsion se propage en ligne droite pour dévier de cette direction, elle doit subir l'action d'une autre force émanant d'un autre centre d'activité. Ici nous avons une autre force physique, dite force nerveuse, émanant d'un organe du médium, et se propageant elle-même, non en ligne droite, mais par des voies sinueuses des plus irrégulières, pour aller rencontrer le corps sur lequel elle doit s'imprimer, et sur lequel, pour produire cet effet, elle doit agir perpendiculairement, sinon l'image du corps à imprimer serait tout à fait irrégulière. Souvenons-nous des empreintes de pieds produites sur une ardoise placée sur les genoux de Zöllner. Quelles sont ces autres forces qui déterminent les changements de direction de la force nerveuse ? Il leur faut aussi des centres d'où elles émaneraient et agiraient dans une direction donnée. Ces centres ne pouvant se trouver dans le corps du médium, où se trouvent-ils ?
2° La direction de ces radiations dynamiques de la force nerveuse pour produire une empreinte doit être absolument parallèle, sans la moindre rencontre de ces radiations mais les inégalités d'un organe humain, où cette force a sa source, s'opposent à ce parallélisme, la force nerveuse devant, à cause de ces inégalités, rayonner dans diverses directions.
3° Toutes ces lignes de pression doivent, pour qu'on obtienne le résultat demandé, être non seulement d'une même longueur, mais encore d'une longueur voulue, pour correspondre, à une distance voulue, à toutes les inégalités de l'organe dont l'empreinte doit se produire. Qu'est-ce qu'une ligne de pression physique d'une longueur déterminée ?
4° Ce système de lignes de pression consiste nécessairement en radiations émanant absolument de chaque point de l'organe à reproduire, et par conséquent il doit former un faisceau de lignes correspondant dans sa coupe au contour de l'empreinte obtenue. Ce faisceau de radiations dynamiques aurait, donc une épaisseur déterminée ?
5° Du moment que (selon le Dr Hartmann) l'action dynamique de la force nerveuse médiumnique pénètre librement toute espèce de matière, de même que l'action de la force magnétique, il est clair que la force nerveuse, émanant d'un organe du médium, ne peut pas agir exclusivement sur la surface du corps sur lequel elle doit produire une empreinte, mais qu'elle doit passer au travers. Par exemple, la force nerveuse émanant de la main d'un médium posée sur une table passe à travers cette table, mais, d'après M. Hartmann, elle s'arrête à la surface de la farine dans une assiette déposée sous la table, - ou à la surface d'un papier enduit de noir de fumée, placé entre deux ardoises, après avoir aussi traversé sans obstacle la première ardoise. Pourquoi ? Il faudrait donc supposer qu'à un point déterminé - par qui et par quoi ? - cette force prend une telle consistance qu'elle cesse de passer au travers de la masse des corps. Ainsi donc il s'agirait ici d'une force qui aurait une certaine longueur, une certaine épaisseur et une certaine consistance. Jamais une force physique n'a eu de pareilles propriétés.
Si nous passons maintenant aux empreintes produites sur des surfaces dures et planes (papier enduit de noir de fumée et collé sur une ardoise), nous rencontrerons de nouvelles impossibilités :
D’après la photographie prise des moulages de la main droite du médium et de celle d’une forme matérialisée
1° Les radiations de la force nerveuse émanant de tous les points de l'organe qui doit s'imprimer, il est évident que tous les points de cet organe doivent être reproduits sur l'empreinte obtenue. Mais tel n'est pas le résultat : nous voyons sur les images photographiques de deux empreintes de ce genre, - l'une publiée par le professeur Zöllner, et l'autre par le professeur Wagner (ps. St., juin 1879), - que les creux formés par le milieu de la semelle et par les doigts du pied, et le creux formé par la paume de la main, n'ont laissé sur l'empreinte, aux endroits correspondants, aucune trace sur les empreintes obtenues ces parties sont restées en noir. Pourquoi cela ? Dans les cas où l'empreinte se forme sur les substances molles, toutes les lignes de pression agissent sur la substance pour la déprime ici au contraire, lorsqu'un simple contact suffirait, - ce qui est plus facile, - une partie de ces mêmes lignes de pression n'agit plus. Les radiations de la force nerveuse ne se seraient-elles manifestées qu'aux points saillants de l'organe ? D'après l'hypothèse de la matérialisation, il est au contraire parfaitement naturel que ce soient ces points saillants qui touchent la surface noircie.
2° Ce système de radiations de la force nerveuse, pour produire une empreinte sur du papier enduit de noir de fumée, doit enlever et faire disparaître une partie de ce noir de fumée, comme on le voit habituellement. Comment comprendre qu'une force physique, en exerçant une pression, enlève une matière quelconque et la fait disparaître ?
Si le Dr V. Hartmann allait répondre aux objections des paragraphes 1 à 4 par cet argument : « Pour ce qui concerne la disposition des lignes de pression, elle est déterminée par l'image que se représente le médium en état de somnambulisme, » - il est clair qu'il ne peut plus être question ici d'une force purement physique, - car c'est ainsi que M. Hartmann envisage la force nerveuse, puisqu'il la compare à la gravitation, au magnétisme, à la chaleur, et admet qu'elle peut être convertie en lumière, chaleur, électricité, etc.
Enfin, quand M. Hartmann nous dit que cette même force nerveuse n'est pas tenue de reproduire seulement des empreintes correspondant aux organes du médium, comme sources de cette force, mais qu'elle peut produire de la même façon toutes les formes de membres humains qu'il plaira à la fantaisie somnambulique du médium de créer, on se demande pourquoi cette fantaisie se bornerait à produire des membres humains. Elle produirait sans doute aussi des empreintes de plantes, d'animaux et d'autres objets. Bref, le médium aurait la précieuse faculté de produire des empreintes suivant sa fantaisie. Et M. Hartmann, pour rester fidèle à la logique de son hypothèse, n'aurait pas le droit de le nier.
Voilà où nous conduit son hypothèse. Aussi, je me permets de lui dire qu'au point de vue de la physique, la théorie de la force nerveuse, dans les applications qu'il lui donne, est une évidente hérésie, et qu'en avançant une pareille hypothèse, M. Hartmann pèche contre les principes méthodologiques que lui-même a indiqués, car il ne reste pas « dans les limites des causes, dont l'existence est établie, soit par l'expérience, soit par des déductions indubitables ». (P. 118.)
Nous avons vu que l'hypothèse d'une force nerveuse, qui produit des empreintes, oblige forcément à admettre que cette force a une longueur, une épaisseur et une consistance ou densité, en d'autres termes qu'elle possède les mêmes qualités qui servent à définir un corps ; nous sommes donc obligés de supposer que ces empreintes sont produites par l'action d'un corps invisible, dont la substance est dérivée de l'organisme du médium. Ce qui m'étonne surtout, c'est que ce soit précisément M. Hartmann qui trouve « inutile » d'admettre l'hypothèse d'une « matière qui prend une forme, mais qui est invisible et impalpable » et que justement il considère cette hypothèse comme « n'ayant aucune base scientifique », alors que, d'après sa propre théorie philosophique, ainsi que nous l'avons dit plus haut, « la matière n'est qu'un système de forces atomiques » et que « la force elle-même n'est autre chose que la volonté » d'où M. Hartmann déduit que « les manifestations des forces atomiques sont des actes individuels de la volonté, dont le contenu consiste dans la représentation inconsciente de l'acte qui va être accompli. La matière est ainsi décomposée en volonté et représentation. La différence fondamentale entre l'esprit et la matière est, par-là, supprimée, et cela non pas par le fait de la mort de l'esprit, mais, au contraire, par l'animation de la matière[65].»
Suivant cette philosophie, nous aurions trouvé dans les phénomènes médiumniques de matérialisation une démonstration ad oculos de « l'objectivation » de la volonté et, notamment, une objectivation graduelle, pas une transformation directe de l'esprit en matière ; c'est là un fait particulièrement important, car cette gradation répondrait à l'idée d'une « matière invisible et intangible, mais non informe ».
Par conséquent, ces phénomènes apporteraient précisément une « preuve scientifique » aux déductions spéculatives de cette philosophie, et nous sommes convaincu que M. Hartmann, lorsqu'il aura reconnu la réalité de ces phénomènes, n'en cherchera point d'autre explication.
C. Nous avons vu qu'une main matérialisée peut s'imprimer sur du papier enduit de noir
Une main matérialisée peut s'imprimer sur du papier enduit de noir de fumée et enlever une partie de cet enduit. Ici se pose naturellement cette question que deviennent les molécules de noir enlevées ?
Comme la main se forme aux dépens du corps du médium, qu'elle en émane et y retourne, ainsi que cela a été souvent observé, nous devons conclure que le noir enlevé par la main doit se retrouver sur le corps du médium et comme la main apparue a son origine dans la main du médium, c'est sur cette main que nous devons retrouver le noir de fumée. C'est ce qui se produit effectivement. Dans le but de démasquer la fraude, on a souvent enduit les objets qui se déplacent dans l'obscurité de différentes substances colorées, ou l'on a touché directement la main apparue avec une de ces substances, le plus souvent avec du noir de fumée. Et, lorsque les mains du médium - quoiqu'il eût les pieds et les mains liés et que les liens fussent retrouvés intacts - se trouvaient couvertes de la même substance, on en déduisait que la fraude était évidente, et les spiritualistes eux-mêmes le proclamaient triomphalement. Mais, dans la suite, quand on eut acquis plus d'expérience, quand on reconnut que le phénomène du dédoublement du corps du médium jouait un grand rôle dans les phénomènes de matérialisation, on fut forcé de reconnaître que le fait du transfert de la matière colorée sur le corps du médium n'était pas du tout, une preuve, de la mauvaise foi de ce dernier, mais la conséquence d'une loi naturelle. Cette conclusion est évidemment fondée sur des expériences où toute possibilité de fraude a été éliminée, - la plus concluante étant celle qui consiste à tenir dans ses mains celles du médium.
La première constatation de ce phénomène remonte, si je ne me trompe, à 1863, et fut faite à l'occasion de la découverte des prétendues supercheries du jeune médium Allen ; ces sortes de découvertes ont toujours fait le plus grand bien au développement des phénomènes médiumniques ; c'est à une circonstance de ce genre que nous devons les expériences de M. Crookes et enfin la production d'une série de matérialisations sous les yeux de témoins. Voici le récit de l'expérience avec le « garçon Allen » faite par M. Hall, publié dans le Banner of Light du 1er avril 1855, puis reproduit dans le Spiritual Magazine (1865, pp. 258 et 259) :
« Tous nos journaux du matin expriment leur satisfaction au sujet, de la soi-disant découverte des supercheries du jeune médium Allen. Plusieurs personnes, avant de se rendre à la séance, s'étaient noircies les cheveux ; une main parut et les tira par les cheveux et voyez, la main du médium a été trouvée enduite de cette même suie, et le médium lui-même proclamé imposteur et charlatan.
Ce n'est pas la première fois, Monsieur le rédacteur, que l'on perd toute confiance dans les médiums, parce que leurs mains sont enduites de la matière qui a reçu le contact de la main fantôme. La fréquence de ce procédé, employé pour dévoiler l'imposture, et l'identité des résultats obtenus, m'ont suggéré l'idée que ce phénomène pourrait avoir pour cause une loi inconnue, une loi qui produirait invariablement le même effet. Quand Allen fut « démasqué », je résolus de le mettre à l'épreuve, ce à quoi le Dr Randall et le jeune Henry Allen consentirent très volontiers, me laissant toute liberté d'action.
Les résultats que j'obtins m'ont convaincu de la justesse de mes suppositions ; ils m'ont persuadé, en outre, que beaucoup d'autres médiums avaient encouru à tort divers soupçons au sujet des phénomènes physiques qu'ils avaient produits. J'ai la conviction que toute matière colorante, recevant le contact de la main matérialisée, sera immanquablement transférée sur la main du médium, à moins qu'il ne se produise un obstacle quelconque au parfait fonctionnement de cette loi.
Hier soir, en présence de plusieurs des citoyens les plus en vue de notre ville, j'ai organisé une séance avec Allen, dans le but de vérifier ma théorie. Comme de coutume, j'étais assis dans un fauteuil ; les instruments de musique étaient placés derrière moi, sur un canapé ; le jeune médium restait à ma gauche et tenait ma main gauche de ses deux mains, sa main droite étant liée à mon bras. Le manche de la sonnette avait préalablement été enduit de suie. Dès que nous en avons exprimé le désir, la sonnette s'est fait entendre. A l'instant même je retirai la couverture qui recouvrait les mains du médium, et je vis que les doigts de sa main droite, celle qui était attachée à la mienne, étaient noircis, comme s'il eût lui-même tenu la sonnette. Afin de rendre l'expérience plus probante encore, les personnes présentes lièrent les mains du jeune garçon, préalablement lavées, à ma main, au moyen d'un cordon solide, dont un bout était tenu par l'un des assistants, qui le tirait si fort que cela me coupait la peau.
Il était clair pour tout le monde que dans ces conditions le médium ne pouvait déplacer ses mains, fut-ce d'un centimètre seulement. Mon épaule gauche était recouverte d'une redingote qui masquait ma main et celles du médium. Par-dessus la redingote je plaçai encore ma main droite sur la sienne, de manière à ce qu'il n'y eût pas le moindre doute au sujet de l'immobilité du médium. Quand nous fûmes prêts, les invisibles se mirent à jouer des instruments, derrière notre dos et à faire résonner les sonnettes. Je découvris immédiatement les mains du médium, qui étaient restées immobiles tout le temps, comme je l'avais bien senti : l'une de ces mains était enduite de suie. Il me semble que cette expérience est on ne peut plus convaincante.
Agréez, etc.
Joseph Hall.
Portland, ce 23 mars 1865. »
J'ai eu l'occasion de vérifier ce phénomène dans une expérience que j'ai faite avec la célèbre Kate Fox (Jencken) lorsqu'elle vint à Saint-Pétersbourg, en 1883. J'étais assis devant elle à une petite table ; comme cela se passait dans l'obscurité, j'avais placé ses deux mains sur une plaque de verre, lumineuse dans la nuit, de telle façon que ses mains étaient visibles ; en outre, j'avais placé mes mains sur les siennes. Sur une table, à côté de nous, se trouvait une ardoise avec un papier couvert de noir de fumée. Je demandai que l'une des mains agissantes produisît une empreinte sur le papier. L'empreinte fut faite, et les bouts de doigts du médium correspondants à l'empreinte furent trouvés noircis.
Ces expériences nous donnent la preuve que la main qu'on voit apparaître et qui produit des effets physiques n'est pas le résultat d'une hallucination, mais bien un phénomène possédant une certaine corporéité, ayant la puissance de retenir et de transporter des substances adhérentes à une surface. Mais cette transmission n'est pas absolument nécessaire ni invariable quant à la forme et la place, car ce n'est pas toujours le même effet que l'on obtient ; on cite des cas où les mains enduites de substances colorantes ne les ont même pas transmises au corps du médium.
Mais, pour établir ma thèse, je n'ai pas à faire des recherches dans ce sens, car les faits de la nature de ces derniers seraient pour le Dr Hartmann la preuve eo ipso que la main apparue n'était qu'une hallucination.
En revanche, les cas où le transfert de la matière colorante sur le corps du médium s'opère à une place ne correspondant pas à la place de l'organe matérialisé, touché par la substance, ont pour nous une grande importance. Nous lisons par exemple dans le Spiritualist : « M. Crookes mit une petite quantité de couleur d'aniline sur la surface du mercure qui avait été préparé pour l'expérience ; l'aniline est un colorant puissant, aussi les doigts de M. Crookes en conservèrent-ils longtemps les traces. Katie King plongea ses doigts dans la couleur, et cependant les doigts de Miss Cook ne se sont pas trouvés tachés ; des traces d'aniline se voyaient, par contre, sur son bras. » (1876, v. I, p. 176). Le directeur du Spiritualist, M. Harrison, fait le récit d'une autre expérience de ce genre, produite avec le même médium : « Au cours d'une séance avec le médium Miss Cook, on avait enduit la main matérialisée, à la surface extérieure, d'un peu d'encre violette, et cette tache, grande environ comme une pièce de cinq francs, fut ensuite trouvée sur le bras du médium, près du coude. » (Spiritualist, 1873, p. 83.) En théorie, on pourrait faire cette supposition que dans les cas où se produit le phénomène du « dédoublement », il y a transport de la substance appliquée au corps matérialisé, tandis que dans les cas de formation de corps hétéromorphes, il y a disparition de cette substance.
Dans le même ordre d'idées, nous pouvons citer le fait suivant, qui ne se rattache pas directement an sujet traité sous la rubrique 4. Il s'agit de la réaction sur le médium d'une sensation éprouvée par un organe matérialisé. Nous lisons dans le livre The Scientific Basis of Spiritualism par Epes Sargent, Boston, 1881 : « Le Dr Willis communique le fait suivant, relatif à sa propre médiumnité. A l'une des séances, un monsieur sortit de sa poche un canif qui avait une longue lame bien tranchante ; il n'avait confié ses intentions à personne, et à un moment donné, il en porta un coup formidable sur l'une des mains matérialisées. Le médium poussa un cri de douleur. Il avait ressenti comme un couteau traversant sa main. Le monsieur en question bondit de joie d'avoir « confondu » le médium, comme il le croyait, persuadé de trouver la main du médium transpercée et couverte de sang. A son grand étonnement et à sa confusion, il ne trouva pas la moindre écorchure sur les mains du médium ; celui-ci avait cependant exactement éprouvé la sensation d'un couteau traversant les muscles et les articulations de sa main ; la douleur ne cessa qu'au bout de plusieurs heures. » (P. 198.) Ce fait nous prouve que la main apparue n'était ni une hallucination ni la main du médium.
D. Reproduction de formes matérialisées par des moulages en plâtre
Je passe maintenant aux expériences que je considère comme les preuves les plus positives et les plus concluantes du phénomène de la matérialisation. Il ne s'agit plus d'empreintes, mais de moulages de tout un membre matérialisé, au moyen desquels on fait ensuite un modèle en plâtre, reproduisant avec une parfaite exactitude tous les détails de la forme du corps momentanément matérialisé. L'opération se fait de la manière suivante : on prépare deux vases, l'un avec de l'eau froide, l'autre avec de l'eau chaude à la surface de laquelle se trouve une couche de cire fondue. On demande que la main apparue se plonge d'abord dans la cire en fusion, pendant quelques instants, puis dans l'eau froide, et cela à plusieurs reprises de cette façon, la main est bientôt enveloppée d'un gant de cire d'une certaine épaisseur et, lorsque la main matérialisée se retire, on conserve un moule parfait qu'on emplit ensuite de plâtre ; le moule, fondu dans l'eau bouillante, laisse un moulage en plâtre ayant exactement la forme du corps qui remplissait le moule. Une expérience de ce genre, faite dans les conditions requises pour prévenir toute fraude, nous donne une preuve absolue : l'image complète et permanente du phénomène qui s'était produit. M. Hartmann ne fait pas mention de ces expériences ; le seul passage de son livre qui semble s'y rapporter ne s'applique pas du tout aux faits dont je parle. Le Dr Hartmann dit : « Chaque fois que la non identité du médium et de l'apparition n'est basée sur d'autres arguments que l'isolement matériel du médium, cette assertion doit être rejetée comme manquant de preuves ; tout ce que l'apparition produit, dans ces cas, doit être attribué au médium lui-même, ainsi, par exemple quand le fantôme laisse l'empreinte de ses mains, de ses pieds ou de son visage dans la paraffine fondue et les remet ensuite aux spectateurs[66]. »
La première de ces citations des Psychische Studien (VI, p. 526) a trait à une courte notice relative à l’empreinte d'un visage laissée dans de la paraffine fondue (désignée sous le nom de cire), tandis que je parle du moulage complet d'un membre quelconque, ce qui n'est pas du tout la même chose ; la seconde citation des Psychische Studien (IV, 545-548) se rapporte à la matérialisation complète d'une forme humaine, et il n'y est question ni d'empreinte ni de moulage. Cela est d'autant plus surprenant que dans le même volume des Psychische Studien on peut lire plusieurs articles de M. Reimers, qui fait le récit d'une série d'expériences, faites avec le plus grand soin, se rapportant, à la production de moulages de mains matérialisées ; M. Hartmann passe ces articles sous silence ! Il est impossible de considérer ce silence comme ressortant de l'argument précité de M. Hartmann, à savoir que le médium était « enfermé » et que par conséquent tout ce que l'apparition avait produit devait être attribué au médium lui-même, attendu que, dans le cas présent, la non identité du médium et de l'apparition n'est pas uniquement basée sur le fait de la réclusion du médium, mais encore sur la différence constatée entre la forme de la main matérialisée qui a produit son moule dans la paraffine et celle du médium.
Or je considère la production de moulages par les formes matérialisées comme la preuve absolue de la réalité objective du phénomène de la matérialisation et, par conséquent aussi, comme la preuve qu'il n'y a pas d'hallucination dans ce phénomène ; je dois donc donner ici un aperçu des expériences de ce genre, avec tous les détails nécessaires.
L'idée de mouler les formes matérialisées est de M. Denton[67], professeur de géologie bien connu en Amérique, et c'est en 1875 qu'il obtint ses premiers moulages de doigts. Voici comment il raconte cette expérience dans une lettre au Banner, reproduite par le Médium (1873, p. 674), auquel nous l'empruntons :
« J'ai appris récemment que si l'on trempe un doigt dans de la paraffine fondue, celle-ci se détache facilement du doigt après refroidissement ; si on remplit le moule de plâtre, on obtient ainsi une reproduction exacte du doigt.
J'écrivis alors à M. John Hardy que j'avais trouvé un excellent moyen d'obtenir des moulages et le priai d'organiser une séance avec Mme Hardy, pour essayer d'obtenir les moulages des mains matérialisées qui apparaissaient fréquemment au cours de ses expériences. Je ne communiquai rien sur le procédé que je voulais employer.
A la suite de l'invitation de M. Hardy, je me rendis à sa maison avec une provision de paraffine et de plâtre. Aussitôt les préparatifs terminés, nous procédâmes aux expériences.
Au milieu de la chambre, on plaça une grande table, recouverte d'une couverture piquée et d'une housse de piano, afin que l'espace en dessous fût le plus obscur possible. Sous la table on plaça un seau d'eau chaude, sur laquelle surnageait une couche de paraffine fondue. Mme Hardy prit place auprès de la table et posa ses mains dessus. M. Hardy et moi, nous nous tenions de chaque côté de Mme Hardy. H n'y avait pas d'autre personne dans la pièce.
Bientôt nous entendîmes un bruit, provenant de l'eau mise en mouvement au moyen de coups frappés, il fut demandé à Mme Hardy d'avancer sa main de quelques centimètres sous la table entre la couverture et la housse, ce qu'elle exécuta, et, après plusieurs reprises de cette manœuvre, elle obtint quinze à vingt moules de doigts, de diverses grandeurs, depuis des doigts d'enfant jusqu'à des doigts gigantesques. Sur la plupart de ces formes, notamment sur les plus grandes ou sur celles qui se rapprochaient par leurs dimensions des doigts du médium, toutes les lignes, les creux et les reliefs que l'on voit sur les doigts humains ressortaient avec beaucoup de netteté. Le plus grand de ces doigts, le pouce du grand Dick (Big Dick) - comme il nous fut désigné - était deux fois gros comme mon pouce ; la plus petite de ces formes, avec un ongle nettement dessiné, correspondait au doigt potelé d'un enfant d'un an.
« Pendant que ces formes se produisaient, la main du médium était à une distance d'au moins 2 pieds de la paraffine, ainsi que je puis l'affirmer. Les moules étaient encore chauds, en grande partie, au moment où Mme Hardy les retirait des mains qui lui étaient tendues sous la table ; il est arrivé plus d'une fois que la paraffine était encore trop molle et que les formes s'abîmaient.
Je voudrais attirer l'attention des frères Eddy, du jeune Allen (Allen boy) et d'autres médiums à effets physiques, sur cette méthode, qui est la plus propre à démontrer aux sceptiques la réalité des apparitions et de leur existence en dehors du médium. Si l'on pouvait obtenir des moules de mains dépassant les dimensions des mains humaines, - ce dont je ne doute aucunement, - on pourrait les adresser à des cercles spirites éloignés, comme preuve irréfutable.
William Denton.
Wellesley, Mass., 14 septembre 1875. »
Dans une lettre ultérieure, publiée dans le Donner of Light du 15 avril 1876, M. Denton, se reportant à sa première lettre, la complète par ce détail important : « Au cours de la séance, il m'est plusieurs fois arrivé de voir sortir de dessous la table des doigts encore recouverts de paraffine. »
La lettre de M. Hardy, le mari du médium, confirme ce fait et ajoute quelques détails qui ne sont pas dépourvus d'intérêt, et que nous allons reproduire ici, d'après le Médium (1875, p. 647) :
« Le 15 de ce mois, je reçus une lettre du professeur W. Denton, demeurant à Wellesley, à 10 lieues de Boston, et qui est bien connu pour ses conférences sur la géologie et le spiritualisme. Il m'écrivait qu'il avait trouvé un moyen très simple d'obtenir le moulage des mains et des doigts matérialisés à condition d'avoir affaire à un bon médium. Il me demandait si Mme Hardy consentirait à prêter son concours à ces expériences. Je lui répondis de suite que nous serions heureux de le seconder dans ses efforts pour démontrer la réalité du phénomène des matérialisations. Par retour du courrier, il m'annonça son arrivée pour le jour suivant, le 16. Il apporta ses préparations, au sujet desquelles il ne nous avait donné aucun détail. Nous procédâmes de suite aux expériences.
Une table ordinaire, de 4 pieds de long et de 2 pieds de large, fut tendue, autour, d'une draperie pour ménager un espace obscur sous la table. M. Denton apporta un seau contenant de l'eau bouillante qui ne le remplissait pas jusqu'aux bords, posa dessus un morceau de paraffine, qui ne tarda pas à fondre tout en surnageant. M. Denton mit le seau sous le milieu de la table ; Mme Hardy avait pris place à l'une des extrémités de la table, ayant M. Denton d'un côté et moi de l'autre. Le contrôle des mains était superflu, car toutes reposaient sur la table, ce qui permettait d'en surveiller le moindre déplacement. Quelques minutes après, nous entendîmes le bruit de l'eau mise en mouvement, et alors les agents invisibles nous annoncèrent le succès de l'expérience et prièrent le médium de tendre la main, pour prendre un objet qui lui serait remis. Alors seulement Mme Hardy avança sa main sous la table ; son bras restait tout le temps eu vue, à partir du poignet, et la distance qui séparait ses doigts de l'eau n'a jamais été inférieure à 2 pieds. Les mains qui plongeaient dans la paraffine s'élevaient elles-mêmes vers le médium pour lui permettre d'enlever les moules. Nous avons ainsi obtenu quinze à vingt formes qui portaient nettement le dessin des ongles et de toutes les lignes sillonnant la peau. Ces doigts peuvent être classés en cinq catégories de dimensions : trois ou quatre d'entre eux appartenaient à des enfants d'un à trois ans ; les autres formes étaient beaucoup plus grandes ; enfin, il yen avait une qui représentait un pouce d'une grandeur telle que nous n'en avions jamais vu, avec l'ongle et toutes les lignes très nettement marqués.
Tous ces moules se trouvent en ce moment en possession de M. Denton, qui se propose de publier cette expérience en détail dans le prochain numéro du Banner, sous sa signature. Ces faits parlent par eux-mêmes et marquent une étape importante dans le progrès des choses. Les phénomènes que je cite se sont produits, en plein jour, bien que les rideaux fussent baissés ; il n'y avait pas de cabinet, et le médium n'a pas été couvert d'un drap quelconque ; le tout se passait dans la même chambre, et pas le moindre mouvement d'une des personnes présentes ne pouvait échapper aux autres assistants.
John Hardy.
Boston, ce 20 septembre 1875. »
On obtint, de cette manière, dans une série de séances, des moules de mains et de pieds complets et des formes les plus diverses. Les conditions dans lesquelles ces expériences étaient conduites, ainsi que les résultats obtenus, auraient dû, semble-t-il, suffire à toutes les exigences ; mais la critique faisait son œuvre ; elle s'ingéniait à démasquer la duperie, car duperie il devait y avoir. On commença par alléguer que le médium pouvait apporter à la séance des moules préparés d'avance et les donner pour résultat immédiat des expériences. Le professeur Denton imagina alors la démonstration suivante : il pesait le bloc de paraffine qui devait servir à l'expérience ; après la séance il pesait le moule obtenu, ainsi que le restant de la paraffine, et, en additionnant ces deux derniers poids, il trouvait que cette somme correspondait exactement au poids primitif de la paraffine. L'épreuve du pesage a été maintes fois exécutée publiquement, devant une nombreuse assistance, par les soins de commissions nommées par le public même ; ces expériences eurent lieu, entre autres, à Boston, Charlestown, Portland, Baltimore, Washington, etc., et toujours avec un succès complet. La critique, néanmoins, ne se tenait pas encore pour battue ; elle prétendait que le médium pouvait enlever avec la main ou avec le pied la quantité voulue de paraffine et la dissimuler d'une façon ou d'une autre. On demanda donc que le médium fût mis dans un sac ! Cette condition fut acceptée, et à une vingtaine de séances publiques, le médium fut placé dans un sac qu'on lui nouait autour du cou. Les résultats furent les mêmes, et toujours sous la surveillance d'une commission choisie par le public. Mais ces mesures de contrôle ne parurent pas suffisantes : on alla jusqu'à dire que le médium pouvait défaire et ensuite refaire une partie de la couture du sac, du moment qu'il avait les mains libres, bien que les membres de la commission n'eussent rien remarqué qui pût justifier cette supposition. On s'arrêta à une combinaison qui devait fournir la preuve la plus convaincante et la plus absolue : on exigea que le moule se formât à l'intérieur d'une caisse fermée à clé. Dans ces conditions, l'expérience devenait absolument concluante ; aussi vais-je citer in extenso le compte rendu auquel elle donna lieu et qui fut publié dans le Banner of Light du 27 mai 1876, avec la signature des membres de la commission. Voici d'abord la description de la caisse confectionnée spécialement pour l'expérience, d'après les indications du Dr Gardner :
« Cette caisse, de forme rectangulaire, mesure 30 pouces de longueur et de profondeur sur 24 de largeur. Le fond, les quatre supports des coins et le couvercle à deux battants sont en bois, ainsi que la partie supérieure des parois comprise entre le couvercle et le treillis en fil de fer ; ce cadre en bois, haut de 8 pouces 1/2, est perforé de trous espacés de 1 pouce, et ayant 3/4 de pouce de diamètre. Ces orifices se trouvent réduits de 1/4 de pouce par un placage collé à l'intérieur. Le treillis de fer qui forme le corps de la caisse est composé d'un morceau unique de fil, dont les deux bouts se joignent sur l'un des supports et sont masqués par une planchette en bois clouée au support. Le couvercle est composé de deux parties s'ouvrant au dehors : l'un des battants se ferme des deux côtés au moyen de verrous ; l'autre se fermait primitivement par un simple fermoir à levier. Le treillis, très solide et très épais, forme des mailles de 3/8 de pouce. Après plusieurs séances réussies, mais auxquelles nous n'avions pas assisté, on remarqua quelques défauts dans la boîte et on fit exécuter quelques modifications, afin qu'elle répondît à toutes les exigences : les deux côtés du couvercle furent munis de serrures, assurant la fermeture absolue de la boîte. Si nous avons si longuement, insisté sur les détails de cet appareil, c'est qu'il doit servir à établir d'une manière péremptoire la bonne foi du médium[68]. »
Voici maintenant le document même : « Le lundi 1er mai 1876, dans une chambre du rez-de-chaussée occupée par M. Hardy, square de la Concorde, numéro 4, se trouvaient présentes les personnes qui suivent : le colonel Frederick A. Pope, de Boston ; John Wetherbee, J.-S. Draper, Epes Sargent, Mme Dora Brigham et M. et Mme Hardy. La caisse fut soumise à un examen scrupuleux. Le colonel Pope, expert en toutes espèces de travaux de menuiserie, retourna la caisse dans tous les sens et l'inspecta de tous côtés, tant à l'extérieur qu'à l'intérieur. Les autres assistants suivirent cet examen, puis examinèrent la caisse à leur tour. Le treillis a été l'objet d'une attention toute particulière, les expérimentateurs désirant se rendre compte s'il y avait un moyen, avec un instrument en fer, d'élargir les mailles au point de permettre le passage d'un objet qui a plus d'un demi-pouce d'épaisseur, et de les rétrécir ensuite. L'examen démontra l'impossibilité d'une pareille opération sans qu'il en restât des traces.
Lorsque tout le monde se fut rendu compte de la parfaite sûreté de la caisse, M. Wetherbee prit un seau rempli d'eau froide, très limpide, et le plaça dans la caisse, après l'avoir préalablement présenté à l'inspection des personnes présentes. Le colonel Pope s'empara d'un seau d'eau bouillante, à la surface de laquelle nageait une couche de paraffine en fusion, et, après examen, le posa également dans la caisse. Le couvercle fut verrouillé et fermé à clé. Pour plus de sûreté, on apposa des cachets sur chaque trou de serrure, le long de la jointure des deux ventaux du couvercle et sur les coins, bien que cette mesure fût superflue, du moment que nous ne devions pas quitter des yeux le médium pendant toute la durée de l'expérience. La chambre étant éclairée, nous pouvions nous assurer à travers le treillis que la caisse ne renfermait pas autre chose que les deux seaux et leur contenu.
Pour obtenir l'obscurité nécessaire à la production du phénomène, on recouvrit la caisse d'une toile, et on diminua le jour dans la pièce ; mais il en restait toujours suffisamment pour que nous puissions consulter nos montres et distinguer les visages des assistants, y compris celui du médium. Mme Hardy se plaça devant le cercle que nous formions, en face du côté étroit de la caisse. M. Hardy se tint tout le temps à l'écart, derrière la compagnie.
Aucune contrainte ni aucune condition ne furent imposées aux assistants. Ils ne chantaient ni ne produisaient aucun bruit, mais la conversation à demi-voix dura presque tout le temps. Mme Hardy était dans son état normal, elle n'avait l'air ni émue ni préoccupée. Une harmonie complète régnait dans l'assemblée ; les yeux de tous étaient fixés sur le médium. De temps en temps on posait des questions à l'opérateur invisible, qui répondait au moyen de coups.
Enfin, après une attente de quarante minutes environ, nous entendîmes des coups rapides et animés, nous annonçant la réussite de l'expérience. Nous quittâmes nos places pour aller enlever la toile qui recouvrait la caisse, et en regardant à travers le filet de fer nous aperçûmes la forme complète d'une grande main surnageant dans l'eau froide. Nous examinâmes les cachets : ils étaient intacts. Nous inspectâmes encore une fois la caisse et trouvâmes que tout était en règle : bois et treillis n'avaient pas subi le moindre changement. Après avoir enlevé les cachets, nous tirâmes les verrous, ouvrîmes le couvercle de la caisse et en sortîmes le seau avec le moule. Nous fûmes forcés, - comme nous le sommes encore aujourd'hui, - de formuler cette conclusion que le moule a été produit et placé dans le seau par une force qui a la faculté de matérialiser des organes humains, en rien semblables à ceux du médium.
Jeudi, le 4 mai, nous eûmes une deuxième séance, à laquelle prirent part, outre les personnes déjà nommées : M. J.-W. Day (appartenant à la rédaction du Banner of Light) et M. J.-F. Alderman. Les expériences ont été faites dans les mêmes conditions, et avec un résultat encore plus frappant que celui de la séance du 1er mai, en tant que les moules obtenus étaient de plus fortes dimensions et que les doigts étaient plus écartés. On eut recours aux même précautions, au commencement et à la fin de la séance : c'est-à-dire que la boîte fut deux fois examinée par toutes les personnes présentes. Un doute ayant été exprimé au sujet de la solidité des charnières, on apporta un tournevis et on éprouva la solidité des vis, qui furent serrées à fond.
Outre le moule qui nageait dans le seau, nous trouvâmes une partie d'un autre moule au fond de la caisse.
Voici les conclusions auxquelles nous sommes arrivés :
1. Le moule exact d'une main humaine, de grandeur naturelle, s'est produit dans une caisse fermée, par l'action intelligente d'une force inconnue.
2. Les conditions dans lesquelles l'expérience a été produite mettent hors de question la bonne foi du médium ; les résultats obtenus constatent, en même temps, d'une manière indiscutable, la réalité de sa puissance médiumnique.
3. Toutes les dispositions prises étaient d'une simplicité et d'une rigueur telles, qu'elles excluent toute idée de supercherie, ainsi que toute possibilité d'illusion, de sorte que nous considérons notre témoignage comme définitif.
4. Cette expérience confirme le fait - depuis longtemps connu des chercheurs - que des mains temporairement matérialisées, dirigées par une intelligence et émanant d'un organisme invisible, peuvent être rendues visibles et palpables.
5. L'expérience de la production des moules en paraffine, liée à la photographie dite spirite, constitue une preuve objective de l'action d'une force intelligente en dehors des organismes visibles, et constitue un point de départ sérieux pour les recherches scientifiques.
6. La question de savoir « comment ce moule s'est produit à l'intérieur de la caisse » conduit à des réflexions qui sont appelées à exercer une influence des plus considérables tant sur la philosophie de l'avenir que sur les problèmes de la psychologie et de la physiologie, et qui ouvrent un nouvel horizon aux recherches sur les forces occultes et la destinée future de l'homme.
Boston, ce 24 mai 1867.
J. F. Aldernan, 46, Congress-street, Boston. Mrs Dora Brigham, 3, James-street, Franklin st. Colonel Frederick A. Pope, 69, Montgomery-street. John W. Day, 9, Montgomery-place. John Wetherbee, 48, Congress-street. Epes Sargent, 67, Moreland-street. J.-S. Draper, Wayland, Mass. »
Parmi ces signatures, on remarquera celle de M. Epes Sargent, nom bien connu dans la littérature américaine.
Nous avons donc ici une expérience faite dans des conditions qui répondent amplement aux exigences du Dr Hartmann : une réclusion du médium n'a pas lieu, il est assis avec les témoins de l'expérience dans une chambre suffisamment éclairée ; le moule se produit dans un espace isolé, rendant toute intervention extérieure impossible. Nous nous trouvons par conséquent devant un fait qui prouve d'une manière irrécusable, objective, une fois pour toutes, que les mains apparaissant aux séances spiritiques ne sont pas l'effet d'hallucinations, qu'elles représentent un phénomène réel, objectif, auquel la désignation de « matérialisation » est parfaitement applicable, sans que, par ce terme, nous prétendions expliquer la nature même du phénomène.
S'il y a encore place pour quelque doute, ce serait que l'expérience a été produite en Amérique, patrie classique du humbug. Pour le cas présent, cette objection n'aurait un fondement que s'il s'agissait d'un fait isolé, nouveau, sans antécédents. Or, pour ceux qui ont étudié la question de plus près, cette expérience n'est que le couronnement, de toute une suite de recherches opérées dans le même but. D'ailleurs, l'expérience en question revêt un caractère d'authenticité suffisante en considération des signatures des personnes qui y ont pris part, notamment : le professeur Denton, inventeur du procédé employé ; le Dr Gardner, un des représentants les plus estimés du spiritualisme en Amérique, qui eut l'initiative de l'expérience avec la caisse, et présida aux premières séances[69] ; M. Epes Sargent, homme de lettres et spiritualiste bien connu, qui a écrit au directeur du Spirituialist à Londres, en lui adressant le rapport de la commission :
« Ayant assisté aux séances en question, je puis me porter garant de l'exactitude scrupuleuse du compte rendu[70]». Il a aussi communiqué à cette même revue l'avis du sculpteur O'Brien, expert en ce genre de moules[71].
Nous reproduisons en entier ce document intéressant :
Washington, ce 20 janvier 1876.
A la suite d'une sollicitation qui m'a été adressée à cet effet, je certifie, par la présente, que je suis modeleur et sculpteur, exerçant ma profession depuis vingt-cinq ans, y compris plusieurs années que j'ai passées en Italie pour étudier les œuvres des grands maîtres de la peinture et de la sculpture que j'habite actuellement Washington, ayant mon atelier 343, Pennsylvania-avenue ; que le 4 janvier courant un ami m'invita à me rendre au domicile d'un particulier (1016, 1 street, N.-W. Washington) pour y examiner des moulages en plâtre sur lesquels je devais donner mon avis. En effet, un monsieur qui me fut présenté sous le nom de M. John Hardy, de Boston, me montra sept modèles de mains en plâtre, de différentes dimensions ; je les ai examinés sous un jour vif, à la loupe. Je trouvai que chacune de ces épreuves était une œuvre de merveilleuse exécution, reproduisant tous les détails anatomiques ainsi que les inégalités de la peau avec une finesse telle que je ne l'avais encore jamais constatée sur aucun modèle de mains ou autre partie de corps humain, si ce n'est ceux obtenus au moulage direct, en plâtre, fait sur la main ou une autre partie quelconque du corps et consistant en plusieurs morceaux, ce que nous appelons un moule à pièces. Cependant, les modèles en question ne portaient aucune trace de soudure et paraissaient sortir d'un moule sans assemblage. Parmi ces plâtres il s'en trouvait un qui représentait, m'a-t-on dît, la main de feu le vice-président Henry Wilson, et qui aurait été obtenue depuis sa mort. Le plâtre me parut singulièrement ressembler, de forme et de grandeur, à la main du défunt, que j'avais examinée peu de temps après le décès, quand j'étais venu pour prendre le masque en plâtre - le seul moulage qui ait été pris. J'avais alors également l'intention de mouler sa main, mais j'en fus empêché par les chirurgiens, auxquels il tardait de procéder à l'autopsie. « J'ajoute volontiers, sur demande, que dans le cas où ce plâtre de la main de M. Wilson aurait été obtenu à l'aide d'un procédé quelconque de moulage, elle ferait honneur au premier artiste du monde.
En ce qui concerne spécialement ce point, je n'hésite pas à affirmer que, parmi les sculpteurs en renom, il s'en rencontrerait peut-être un sur cent qui pourrait entreprendre et mener à bien le modelage d'une main semblable avec tous les menus détails, et encore ce sculpteur courrerait-il le risque de perdre sa peine, attendu que, dans notre art, le seul procédé pour reproduire les objets en ronde bosse est le moule à pièces, ce qui nécessite un ébarbage pour faire disparaître les bavures qui indiquent les raccords des diverses parties du moule, - soit un travail considérable, si j'en juge par l'examen microscopique auquel j'ai soumis les épreuves ; l'achèvement d'un seul objet (en supposant que le modeleur puisse se passer du concours d'un bon sculpteur) exigerait le travail de plusieurs journées. Ce soir même et au même endroit on me fit voir deux gants ou moules en paraffine dans le genre de ceux qui auraient servi au coulage de ces modèles. Ces moules, je les ai minutieusement examinés et n'y ai trouvé aucune trace de soudure ; ils avaient l'air d'être faits d'une pièce, par un procédé quelconque, par exemple sur un modèle d'une ressemblance parfaite avec une main humaine qui aurait ensuite été plongée à plusieurs reprises dans une substance semi-liquide et adhésive comme la paraffine, et qui aurait ensuite été retiré de ce gant, le laissant intact ; mais la forme de ces gants ou moules (et, par conséquent, des épreuves) avec les doigts recourbés, la paume de plusieurs centimètres plus large que le poignet, rendrait impossible, à mon avis, de les retirer intacts, de sorte que je me refuse à formuler une théorie tant soit peu satisfaisante sur la manière dont ils sont produits.
On me prie encore de déclarer que je ne suis pas spiritualiste, que je n'ai jamais assisté à aucune séance et que je n'ai jamais communiqué avec les dits « médiums », à mon su du moins.
Je ne sais rien de la philosophie du « spiritualisme moderne » en dehors de l'enseignement qui lui est attribué relativement à l'immortalité de l'âme et la possibilité d'avoir des rapports avec les esprits des défunts ; la première de ces thèses est pour moi une question de foi, et, quant à la deuxième, je ne la trouve pas encore appuyée sur des preuves suffisantes pour que je me permette de me prononcer pour ou contre.
John O'Brien, sculpteur. »
En règle générale, j'admets bien que les rapports qui nous arrivent d'Amérique sont fréquemment exagérés ou inexacts ; aussi me tiens-je dans mes recherches spiritiques de préférence aux sources anglaises, comme on peut le constater, et ce d'autant plus que je connais la plupart des personnes qui prennent une part active à ce mouvement en Angleterre. C'est pourquoi je donnerai place ici à un exposé circonstancié des expériences de ce genre, produites dans ce pays, expériences qui, peut-être, sont plus concluantes encore.
E. Autres exemples de moulages de formes matérialisées à l’aide de la paraffine
Ces expériences peuvent être divisées en quatre catégories, d'après les conditions dans lesquelles elles se produisent :
I. - Le médium est isolé ; l'agent occulte reste invisible.
II. - Le médium est en évidence ; l'agent occulte est toujours invisible.
III. - Le médium est isolé ; l'agent occulte apparaît.
IV. - L'agent et le médium sont simultanément visibles aux spectateurs.
I - Le médium est isolé ; l’agent occulte reste invisible
Les meilleures expériences de cette catégorie sont, sans contredit, celles qui ont été faites par M. Reimers (à Manchester), que je connais personnellement et qui, dès le début, m'en avait communiqué les résultats, d'une manière très détaillée, indépendamment des comptes rendus qu'il a publiés dans les revues anglaises. Les lecteurs des Psychische Sludien en ont eu connaissance par les articles que M. Reimers y a fait paraître en 1877 et les années suivantes. J'emprunte à la lettre de M. Reimers, du 6 avril 1876, qui est en ma possession, un exposé détaillé de la première expérience de cette espèce :
« Le médium, - une femme très corpulente, - était couvert d'un sac en tulle qui cachait la tête et les mains ; il se fermait au moyen d'un cordon passé dans une coulisse assez large ; ce cordon fut solidement noué autour de la taille du médium, de sorte que les bras, ainsi que tout le haut du corps, étaient emprisonnés. Je réunis les bouts de ce cordon au moyen de plusieurs nœuds bien serrés, rendant absolument impossible le dégagement du médium. Ainsi ligoté, il était assis dans un coin de ma chambre. Jetais ressortir avec intention cette circonstance, car elle exclut toute hypothèse d'une porte secrète.
Après avoir soigneusement pesé la paraffine, je la mis dans un petit seau que je remplis ensuite d'eau bouillante ; en peu de temps la paraffine était fondue, et alors je plaçai le seau sur une chaise, à côté du médium. Ce coin de la chambre fut masqué par un rideau en calicot ; l'encoignure était complètement occupée par une étagère, deux chaises, un tabouret, le seau et un panier à papiers, de sorte qu'il n'y avait aucune possibilité de s'y blottir. A une lumière adoucie, je m'assis devant le rideau et constatai bientôt que le médium se trouvait en état de transe. Aucune figure n'apparaissait, mais une voix prononça ces paroles : « C'est réussi ; prends doucement le moule, il est encore chaud, et ait soin de ne pas réveiller le médium. » J'écartai le rideau et aperçus une figure se tenant à côté du médium, mais elle disparut aussitôt. Le moule était fait. Je pris le seau et priai le médium de plonger sa main dans la paraffine qui était encore chaude, afin d'en obtenir le moule. Je pesai ensuite les deux moules ensemble avec le restant de paraffine. Le poids était le même, sauf une légère diminution provenant de l'adhésion inévitable d'un peu de paraffine aux parois du seau. Avant de délivrer le médium, je m'assurai soigneusement que les nœuds et les ligatures étaient restés intacts. L'unique porte donnant accès dans la chambre avait été fermée à clé, et je n'ai pas perdu de vue, pour un instant, le coin drapé. Il est tellement évident qu'aucune espèce de supercherie n'a pu être pratiquée, que je trouve inutile d'insister sur ce point. L'emploi d'un sac en tulle était une idée fort heureuse. Je la dois au professeur Boutleroff, qui l'avait mise en pratique aux séances avec le médium Brédif. Alors même que les bras et les mains du médium resteraient libres, le doute serait impossible.
En admettant que le médium eût apporté en cachette une main en plâtre, comment aurait-il pu la retirer sans briser ou, du moins, endommager la forme, qui est très délicate et friable ? Une main fabriquée avec une substance molle, élastique, ne résisterait pas à la température du liquide, qui était si élevée que le médium a failli pousser un cri de douleur en y plongeant la main.
Supposons encore qu'un moule en paraffine ait été apporté tout fait mais alors ce moule serait plus épais, et la fraude serait facilement dévoilée par le pesage. »
De cette manière, M. Reimers obtint un premier plâtre d'une main droite, dont la conformation était pareille à celle qu'il avait aperçue pendant quelques instants, et dont il avait antérieurement obtenu une empreinte sur de la farine[72] cette main différait complètement, de forme et de dimensions, de celle du médium, qui était une femme âgée, appartenant à la classe ouvrière.
Cette première expérience eut lieu le 30 janvier 1876, comme on peut le voir par la lettre que M. Reimers a adressée au Spiritualist le 11 février 1876[73].
M. Reimers a répété cette même expérience le 5 février, aussi dans son appartement, en présence de deux témoins : M. Oxley et M. Lightfoot, dont le premier en a envoyé un compte rendu au Spiritualist (11 février 1876). On avait pris les mêmes mesures de précaution. M. Oxley exprima le désir d'obtenir la main gauche, faisant la paire avec la main dont on avait déjà obtenu le moule. Bientôt on entendit le clapotement de l'eau et, la séance terminée, les assistants trouvèrent dans le seau le moule, tout chaud encore, d'une main gauche, qui donna un plâtre faisant parfaitement la paire avec la main droite, coulée dans le premier moule[74].
M. Reimers m'envoya obligeamment le plâtre de cette main gauche, qui se distingue de toutes les autres formes qu'il a depuis obtenues sur la face dorsale, elle porte en relief la forme d'une croix que M. Reimers avait donnée à une apparition qui se montra à toutes les séances ultérieures, sous le nom de Bertie, toujours avec cette croix. M. Reimers m'envoya, en outre, le plâtre de la main gauche du médium, qui fut fait immédiatement après que le moule de la main de Bertie fut produit, ainsi qu'il le communique au Psychische Studien (1877, p. 404). Ci-joint les planches VII et VIII avec phototypies représentant ces deux mains, afin que le lecteur puisse, par lui-même, faire la comparaison. Les deux plâtres, placés ensemble au foyer du même appareil, ont été photographiés en ma présence. Les phototypies ne rendent pas tous les détails de la photographie, mais il suffit d'y jeter un coup d'œil pour constater leur entière dissemblance : la main du médium est grande et vulgaire, celle de Bertie petite et élégante ce qui saute particulièrement aux yeux, c'est la différence des doigts et des ongles. Mais la différence principale se trouve dans la longueur des doigts, comme la mensuration l'a démontré : les doigts du médium ont 1 centimètre de plus que ceux de Bertie. La circonférence de la face palmaire de la main du médium, mesurée immédiatement au-dessous de la racine des doigts, c'est-à-dire dans une région où la largeur de la paume est invariable, est plus grande de 1 centimètre ; la circonférence du poignet du médium excède celle de la main matérialisée de 2 centimètres. La reproduction photographique de la main de Bertie n'est prise que sur une copie du plâtre ; mais M. Reimers m'a aussi envoyé deux moules en paraffine, provenant du moulage des deux mains de Bertie.
A ce sujet, il m'écrit en date du 4 avril 1876 :
« Le résultat remarquable que j'ai obtenu en réussissant à mouler une main matérialisée me paraît avoir une importance telle, que je crois bien faire en vous envoyant un exemplaire du petit nombre de ceux que nous avons pu avoir. La main que je vous envoie, nous l'avons obtenue dans les mêmes conditions que la première, en présence de M. Oxley et d'un ami[75].
L'histoire de la croix est curieuse par-dessus tout ; j'en avais fait cadeau à l'apparition qui s'était présentée, alors que le médium était renfermé dans le sac de tulle. Quand le médium fut réveillé, la croix avait disparu. Je n'ai dénoué le sac qu'après avoir épuisé tous les efforts pour retrouver la croix. A la séance suivante, Bertie parut avec la croix suspendue à son cou. La conformation de ses mains est exactement telle que vous la voyez sur l'épreuve en plâtre que je vous envoie. Je puis l'affirmer en ma qualité de bon dessinateur. Jusqu'à ce jour, j'ai obtenu deux mains droites, trois mains gauches, - toutes dans des poses différentes, - ce qui n’empêche pas que les lignes et les plis soient identiques dans tous les exemplaires ; c'est indubitablement à la même personne que ces mains appartiennent.
Cette identité de mains, douées de vitalité, est pour moi une preuve décisive que nous nous trouvons devant un phénomène de matérialisation.
Le paquet était déjà prêt pour être expédié, quand j'eus l'idée d'y ajouter encore quelque chose. Je vous envoie en même temps deux formes en paraffine que j'ai obtenues hier. J'avais passé sur le médium un sac en tulle, comme d'ordinaire, et j'avais, en outre, épingle les bouts du cordon aux vêtements, derrière le dos. Bertie se montra bientôt dans l’écartement du rideau et au-dessus du cabinet, et disparut ensuite. J'entendis un bruit dans l'eau et trouvai les deux moules, refroidis, dans le seau... Remplissez-les d'une solution de plâtre très fin, etc.; ensuite prenez une loupe et comparez les plâtres que vous aurez obtenus avec les mains que je vous envoie : vous verrez qu'ils proviennent du même individu. J'en suis si bien convaincu que je vous expédie les moules que je viens d'obtenir à l'instant même. Je sais d'avance que les résultats de votre examen ne peuvent que corroborer mon assertion. »
En effet, le plâtre coulé de la main droite correspond exactement à la main gauche moulée par M. Reimers. Quant au moule de la main gauche, j'eus l'imprévoyance de le conserver en son état primitif, c'est-à-dire sans le remplir de plâtre, ce qui a été cause qu'il s'est aplati. Ce n'est qu'à présent (dix ans plus tard) que je l'emplis de plâtre. La paume est défigurée, mais les doigts ont assez bien conservé leur forme ; ce sont les mêmes doigts ; il n'y a pas de doute possible.
Dernièrement, je priai qu'on m'envoyât de Leipzig un plâtre d'un moule fait à une séance qui eut lieu le 17 avril 1876 (il en sera question plus loin) et qui était spécialement destinée aux « amis de Leipzig ». Si l'on compare ce plâtre de la main droite à celui qui était en ma possession, il est facile de reconnaître qu'ils se rapportent à une même main ; il n'y a qu'une légère différence dans la position des doigts, chose particulièrement intéressante à constater.
On a beaucoup discuté sur la question de savoir dans quelles conditions la main (ou tout autre organe) quitte le moule. Est-ce qu'elle se dématérialise dans le moule qui l'enveloppe, ou bien se retire-t-elle d'une autre manière ? Il paraît, ainsi que certaines données le font supposer, que l'un et l'autre cas se produisent, et que cela dépend de la forme du moule.
Il y a lieu d'admettre une dématérialisation lorsque la position des doigts s'oppose d'une manière absolue à ce que la main soit simplement extraite du moule. Je citerai plus loin un cas de ce genre ; mais il y aura toujours des divergences d'opinion sur ce point.
Pour moi, la question essentielle est de constater que ces moules sont produits dans des conditions excluant toute possibilité de fraude. Le plâtre représente-t-il une copie exacte de la main du médium, - ce sera un exemple précieux de dédoublement ; ce fait, bien constaté, nous offre la première ébauche du phénomène de la matérialisation. Si, au contraire, le plâtre diffère par sa forme du membre du médium, nous nous trouverons en présence d'un phénomène bien plus compliqué et qui, forcément, nous conduira à des conclusions d'une tout autre portée.
Au point de vue des preuves organiques, je ne saurais passer sous silence une observation que j'ai faite : en examinant attentivement le plâtre du moulage de la main de Bertie et la comparant au plâtre de celle du médium, je remarquai avec surprise que la main de Bertie, tout en ayant la rondeur d'une main de jeune femme, présentait par son aspect à la face dorsale les signes distinctifs de l'âge. Or, le médium, comme je l'ai dit plus haut, était une femme âgée. Elle est morte bientôt après l'expérience. Voilà un détail qu'aucune photographie ne peut produire, et qui prouve d'une manière évidente que la matérialisation s'effectue aux dépens du médium, et que ce phénomène est dû à une combinaison de formes organiques existantes avec des éléments formels introduits par une force organisatrice étrangère, celle qui produit la matérialisation. Aussi éprouvai-je un vif plaisir en apprenant que M. Oxley avait fait les mêmes observations, comme il apporte de sa lettre datée du 20 février 1876 et relative à des épreuves de moulage qu'il m'envoyait et dont il sera question plus loin.
« Chose curieuse, m'écrit-il, on reconnaît toujours dans ces moulages les signes distinctifs du jeune âge et de la vieillesse. Cela prouve que les membres matérialisés, tout en conservant leur forme juvénile, présentent des particularités qui trahissent l'âge du médium. Si vous examinez les veines de la main, vous y trouverez des indices caractéristiques se rapportant indiscutablement à l'organisme du médium. (Il s'agit de la main de Lilly, dont je joins également une phototypie). »
Je citerai ici un cas se rapportant au même phénomène, le moulage de mains absolument identiques aux précédentes, mais obtenues dans des conditions très remarquables : par l'intermédiaire d'un autre médium, appartenant même à l'autre sexe : le docteur Monck. Il est vrai que l'ancien médium, Mme Firman, assistait à la séance en qualité de spectatrice, de sorte qu'on pourrait attribuer les résultats obtenus à l'influence qu'elle exerçait à distance.
Autre particularité remarquable de cette séance : les formes humaines émergeaient de derrière le rideau, et, après s'être retirées pour opérer les moulages, elles apparaissaient de nouveau présentant les moules aux assistants, qui les enlevaient eux-mêmes des mains ou des pieds matérialisés. Voici en quels termes M. Reimers raconte le fait :
« Bientôt la force occulte commença à agir ; on entendit le clapotement de l'eau. Quelques minutes après, je fus sommé de me lever et d'étendre les mains en restant dans une attitude courbée pour retirer les moules. Je sentis le contact d'un moule en paraffine et le pied matérialisé s'en dégagea avec la rapidité de l'éclair en produisant un son bizarre, et laissant le moule entre mes mains. Ce même soir, nous obtînmes aussi les deux mains. Les trois plâtres portent exactement les lignes et traits caractéristiques des mains et des pieds de Bertie comme je les avais observés quand les moules avaient été obtenus aux séances avec le médium, Mme Firman[76]. »
A cette même séance, on a reçu le moule d'une autre figure matérialisée, appartenant à un sujet qui prenait le nom de Lilly. Ce moule fournit une nouvelle et remarquable preuve de l'authenticité du phénomène. Un compte rendu sommaire de cette expérience, qui eut lieu le 11 avril 1876, a été publié par M. Oxley, qui y avait pris part, dans le Spiritualist du 21 avril 1876. Plus tard, en 1878, il communiqua à cette revue un récit détaillé de ces phénomènes, y joignant les dessins dé la main et du pied, coulés au moyen de moules qu'ils avait lui-même retirés des membres matérialisés[77].
M. Oxley a eu l'obligeance de me faire parvenir les plâtres coulés dans ces moules ; je crois utile de citer l'article qu'il consacre à la main de Lilly (ci-joint une phototypie de cette épreuve (pi. IX) d'après une photographie faite à Saint-Pétersbourg, en ma présence). Nous lisons donc dans le Spiritualist du 24 mai 1878 :
« L'image ci-contre reproduit exactement le plâtre de la main de l'esprit matérialisé, qui s'intitulait Lilly, et qui a été pris coulé dans le moule laissé par cet esprit à la séance du 11 avril 1876, et cela dans des conditions rendant toute supercherie impossible. Comme médium, nous avions le Dr Monck : après que nous l'eûmes fouillé, sur sa propre demande, il fut placé dans un cabinet improvisé en mettant un rideau à travers l'embrasure d'une fenêtre ; la chambre resta éclairée au gaz durant toute la séance. Nous approchâmes une table ronde du rideau même et y prîmes place, au nombre de sept.
Bientôt deux figures de femme, que nous connaissions sous les noms de « Bertie » et « Lilly », se montrèrent à l'endroit où les deux parties du rideau se touchaient, et, quand le Dr Monck passa sa tête à travers l'ouverture, ces deux figures apparurent au-dessus du rideau, tandis que deux figures d'homme (« Mike » et « Richard ») l'écartaient des deux côtés et se faisaient également voir. Nous aperçûmes donc simultanément le médium et quatre figures matérialisées, dont chacune avait ses traits particuliers qui la distinguaient des autres figures, comme c'est le cas avec les personnes vivantes.
Il va de soi que toutes les mesures de précaution avaient été prises pour empêcher toute supercherie et que nous nous serions aperçus de la moindre tentative de fraude.
D'ailleurs, la forme obtenue et l'épreuve en plâtre parlent d'elles-mêmes : on y distingue nettement les moindres saillies de la peau, et la courbure des doigts n'aurait pas permis de retirer la main du moule sans l'endommager ; la largeur du poignet n'était que de 1/4 X 2 pouces, alors que la largeur de la paume entre l'index et le petit doigt était de 3 pouces 1/2. Je portai cette forme chez un modeleur, qui en fit le plâtre.
J'avais moi-même préparé la paraffine et l'avais portée dans le cabinet. Bertie remit d'abord le moule de sa main à M. Reimers et me donna ensuite celui de son pied. Après cela, Lilly me demanda si je désirais avoir la forme de sa main : elle reçut, naturellement, une réponse affirmative. Elle plongea sa main dans la paraffine (je puis le dire, parce que nous avons entendu le bruit que produisit le déplacement de l'eau), et, une minute après, elle me la tendit entre les rideaux, m'invitant à retirer le gant de paraffine qui l'enveloppait. Je me penchai de son côté, par-dessus la table à l'instant même sa main disparut, laissant entre les miennes le moule formé.
L'authenticité de ce phénomène est hors de doute, parce que le médium a été fouillé avant d'entrer dans le cabinet, et que la table, à laquelle nous étions assis en demi-cercle, avait été placée juste contre le rideau par conséquent, il était impossible d'y pénétrer ou d'en sortir inaperçu, la chambre étant suffisamment éclairée pour que l'on pût voir tout ce qui s'y passait.
Dans le cas cité, la main qui a servi de modèle au moule n'était évidemment ni celle du médium ni celle de l'un des assistants. Alors, du moment que toute intervention de la part d'un être humain était complètement exclue, on peut se demander : Quelle est donc la main qui a servi de modèle au moule ?
Nous savons que la figure apparue est d'une parfaite ressemblance avec une femme vivante ; elle tendit hors du cabinet sa main recouverte du gant de paraffine, et ce gant resta entre mes mains après la disparition de la main matérialisée.
Si en général, on peut avoir foi dans le témoignage des hommes (et nous sommes prêts, tous les sept, à confirmer l'exactitude de ce récit), nous possédons dans le présent cas une preuve irréfutable de l'intervention d'une force étrangère, n'émanant ni du médium ni des personnes présentes ; ainsi se trouve établie, d'une manière indiscutable, l'existence d'êtres vivants en dehors de la sphère terrestre. »
Autant que je puis en juger, la courbure des doigts, dans ce moulage, serait un obstacle insurmontable à la libre sortie de la main moulée par conséquent, ce plâtre, qui ne présente aucune trace de lésion, ni de fissure, ni de soudure, doit par cela même être considéré comme la preuve matérielle de son origine supra-naturelle.
L'épreuve en plâtre du pied de Bertie, que j'ai reçue de M. Oxley, présente également des particularités remarquablement convaincantes ; les creux formés par les orteils, au niveau de leur réunion avec la plante des pieds, ont nécessairement dû être comblés de paraffine et ont dû former des saillies verticales qui auraient été infailliblement brisées si le pied se fût retiré à la manière ordinaire or la forme des doigts est restée intacte. Autre circonstance significative: ce ne sont pas seulement les cavités et creux qui sont reproduits dans la perfection, mais les lignes sinueuses qui sillonnent la peau sont non moins nettement marquées sur la plante du pied, - au nombre d'environ cinquante par pouce, ainsi que l'a constaté M. Oxley.
Autre détail : le deuxième orteil est plus relevé que les autres et n'a que 14 millimètres de largeur à sa racine, alors qu'il en mesure 19 dans la région de l'ongle, comme je l'ai constaté par mes propres mensurations et, cependant, la forme de l'orteil et les moindres saillies de la peau ressortent avec une parfaite netteté, surtout au niveau de la racine. Si l'orteil avait été retiré de la forme à la manière ordinaire, tous ces détails auraient disparu, et l'orteil même aurait acquis une épaisseur uniforme sur toute sa longueur.
Afin de donner une idée aussi complète que possible de la personnalité qui apparaissait sous le nom de Bertie, je mets sous les yeux du lecteur une phototypie du modèle en plâtre de son pied (pi. X) ; M. Oxley en a publié une description détaillée, accompagnée de dessins et d'un schéma, dans le Spiritualist du 26 juillet 1878, et aussi dans l'ouvrage de Mme Hardinge-Britten : Nineteenth Century Miracles (Manchester, 1884, p. 204).
De mon côté, je puis ajouter le détail suivant : au cours de ma correspondance avec MM. Oxley et Reimers, à l'époque même où ces expériences se produisaient, M. Oxley a bien voulu m'envoyer le contour du premier coulé en plâtre du pied de Bertie, ainsi que le contour du pied du médium, l'un et l'autre étant pris par M. Oxley lui-même. En plaçant le plâtre original du pied de Bertie sur le premier de ces dessins, je trouvai la concordance complète, la longueur du pied étant de 19,8 centimètres, en tous cas pas plus de 20 centimètres, tandis que le pied du médium était plus long de 3 centimètres.
Désirant avoir encore quelques détails complémentaires sur cette séance remarquable, j'écrivis encore plusieurs lettres à M. Oxley, lui posant diverses questions. Je donne ici ses réponses, qui contiennent des renseignements très intéressants :
« Le 24 mars 1884.
63, Bury New Road, Higher Broughton, Manchester.
Monsieur,
Ci-inclus, je vous envoie le plan de la chambre ; elle n'a qu'une porte, dont la clé était retirée chaque fois au commencement de la séance et restait soit entre mes mains, soit entre celles de M. Reimers. Il est vrai que la pièce était au rez-de-chaussée et que la fenêtre faisait saillie sur la rue, mais je prenais toutes les dispositions nécessaires pour transformer l'embrasure de cette fenêtre en un cabinet approprié aux expériences : on baissait les jalousies et on fermait les volets mais, comme le jour de la rue pénétrait toujours, nous suspendions devant la fenêtre un drap noir, que je fixais moi-même avec des clous, en montant sur une échelle.
Comme vous le voyez, le médium se trouvait dans l'impossibilité absolue de franchir ces obstacles, en supposant qu'il l'aurait voulu, car toute tentative de ce genre aurait produit un bruit qui serait sûrement arrivé à nos oreilles, attendu que nous étions assis tout près du rideau, comme le dessin l'indique.
D'ailleurs, quand même le médium serait monté sur une chaise, il n'aurait pas pu atteindre le haut de la fenêtre pour reclouer le drap. Je puis donc prétendre qu'aucune négligence n'avait été commise dans nos mesures de précautions.
En outre, nous entendions toujours le bruit que faisait l'objet plongé dans l'eau. Pour contrôle, nous avons à plusieurs reprise pesé la paraffine avant de la faire fondre, et, quand les moules étaient formés, nous les pesions à nouveau avec le restant de la paraffine ; les deux poids étaient parfaitement égaux, ce qui prouve que les moules ont été faits derrière le rideau.
D'ailleurs, l'épreuve en plâtre porte sur elle l'indication de son origine, et ceux qui prétendent qu'elle a pu être fabriquée par un procédé de moulage, sans une seule soudure, n'ont qu'à essayer.
Par rapport au doigt saillant sur lequel vous me questionnez, je puis vous dire seulement que l'agent occulte avait dû l'avoir ainsi conformé. Le pied du médium n'avait pas cette particularité ; les doigts du pied de Mme Firman sont plus longs et n'ont aucune ressemblance avec ceux-ci. Il faut vous rappeler aussi que le pied matérialisé sortit de derrière le rideau enveloppé dans le moule, et qu'il se retira aussitôt, laissant le moule entre mes mains.
Ces données auront pour effet, je le suppose, de répondre à toutes les objections. J'espère que mon envoi vous parviendra bientôt et en bon état.
Votre dévoué,
Wm. Oxley. »
« Le 17 mai 1886.
N° 65, Bury New Road, Higher Broughton, Manchester.
Monsieur,
Je viens de rentrer chez moi après une absence de cinq semaines, ce qui vous expliquera pourquoi je n'ai pas répondu plus tôt à votre estimée lettre.
En réponse à vos questions, je vous dirai que les moules en paraffine se trouvaient sur les mains et les pieds matérialités, qui s'avançaient de derrière le rideau. J'ai bien vu une partie nue de la main ou du pied, au-dessus du moule, et je puis en témoigner. Les fantômes me disaient : « Prenez » et, dès que je touchais la paraffine, les organes matérialisés s'en dégageaient, laissant les formes entre mes mains. La main s'avançait vers moi assez près pour que je la pusse saisir en me penchant par-dessus la table.
Ce qu'il y a de plus curieux, c'est la grandeur même de la main. L'apparition, que j'ai invariablement reconnue comme la même « Lilly », variait en grandeur : tantôt sa taille ne dépassait pas celle d'un enfant bien formé ; d'autres fois elle présentait les dimensions d'une jeune femme ; je crois même qu'elle n'a pas paru deux fois sous une forme absolument identique, mais je la reconnaissais toujours et ne l'ai jamais confondue avec les autres apparitions. Je savais, par expérience, que la taille et l'apparence extérieure des figures matérialisées sont soumises à des conditions dépendant des personnes qui prennent part aux séances. Par exemple, si une personne étrangère était présente, je remarquais une certaine différence dans les manifestations. Quelquefois les figures ne se formaient pas complètement : on n'apercevait que la tête et le buste ; d'autres fois elles se montraient en pied, suivant les conditions. Quant à la main de Lilly, elle présente un mélange bizarre de jeunesse et de vieillesse, ce qui prouve, à mon avis, que les figures matérialisées empruntent, dans une certaine mesure, les traits caractéristiques du médium.
Mais la main même du médium n'a pas la moindre ressemblance avec celle que je vous envoie, et la différence entre elles est aussi grande que possible. Il m'est souvent arrivé de voir l'esprit que je connaissais sous le nom de Lilly dans d'autres maisons et chez des amis, mais seulement avec les mêmes médiums : soit MM. Firman, soit avec le Dr Monck. Dans la maison de mon ami M. Gaskell, il m'est arrivé une fois de voir cette figure se matérialiser et se dématérialiser devant nos yeux, sous un éclairage assez intense ; elle se tenait tout le temps suspendue dans l'air, sans toucher le plancher une seule fois. J'ai touché avec la main son corps et ses vêtements. Le médium était M. Monck. Cette fois, sa taille n'était que de trois pieds environ. Mais ces détails n'infirment en rien l'authenticité du phénomène, qui nous est prouvée d'une manière positive.
Votre dévoué,
Wm. Oxley. »
Avant d'en finir avec les expériences de M. Reimers, je citerai encore le procès-verbal d'une séance strictement contrôlée, qui a été organisée à Manchester, le 18 avril 1876. Le compte rendu en a été publié dans le Spiritualist du 12 mai de la même année, et ensuite dans les Psychische Studien (1877, pp. 550-553). Sur les cinq témoins de cette expérience, j'en connais trois personnellement ; ce sont : MM. Tiedemann-Marthèze, Oxley et Reimers. Voici ce procès-verbal :
« Nous, soussignés, certifions par la présente que nous avons été témoins des faits suivants, qui se sont passés, le 17 avril 1876, dans l'appartement de M. Reimers.
Après avoir pris une quantité de paraffine pesant juste trois quarts de livre, nous l'avons mise dans un seau ; ensuite nous avons versé dessus de l'eau bouillante, qui a fait fondre la paraffine.
Si l'on trempe la main dans ce liquide, à plusieurs reprises, elle se couvre d'une couche de paraffine ; en retirant doucement la main, on obtient ainsi un moule qui peut servir de forme pour produire des modèles en plâtre.
Après avoir rempli un deuxième seau d'eau froide (pour accélérer le refroidissement des formes), nous avons placé les deux seaux dans un cabinet quadrangulaire, formé dans un coin de la chambre au moyen de deux morceaux de calicot, mesurant 6 X 4 pieds et attachés à des tiges métalliques: le mur extérieur de la pièce ne faisait pas corps avec la maison voisine, et tout l'espace compris dans l'encoignure en question était occupé par divers meubles : l'existence d'une porte dissimulée était inadmissible.
Quand les seaux eurent été portés dans le cabinet, on couvrit le médium (une femme) d'un sac en tulle qui lui enfermait la tête, les mains et tout le buste jusqu'à la taille ; la coulisse fut fortement serrée, et le cordon noué derrière le dos, en plusieurs nœuds, dans lesquels on avait passé un morceau de papier, qui devait s'échapper au moindre effort pour en défaire les nœuds ; les bouts du cordon furent fixés au sac avec des épingles, sur le dos, entre le cou et la taille. Tous les témoins étaient d'accord pour reconnaître qu'il était absolument impossible au médium de se délivrer tout seul sans se trahir. Ainsi lié, le médium alla occuper la place qui lui fut assignée dans le cabinet, lequel ne contenait que des meubles et les seaux, et rien autre, ainsi que nous nous en sommes assurés à la vive lumière du gaz. Lorsque tous les témoins furent réunis, c'est-à-dire au début même de ces préparatifs, la porte fut fermée à clef. Alors nous baissâmes la lumière, qui resta assez intense cependant pour permettre de distinguer tous les objets qui se trouvaient dans la chambre ; nous occupâmes nos places, qui étaient à une distance de 4 à 6 pieds du cabinet.
Tout en attendant, nous entonnâmes quelques chants ; bientôt nous aperçûmes, à l'ouverture en forme de fenêtre ménagée au haut du rideau, une figure qui se montra d'abord à la face antérieure, puis passa de côté. Tous les assistants ont vu avec une netteté égale une couronne lumineuse avec une parure blanche sur la tête de la figure, et une croix en or suspendue à son cou, sur un ruban noir. Une deuxième figure de femme parut ensuite, portant également une couronne sur la tête, et toutes deux s'élevèrent au-dessus du rideau, nous adressant d'aimables saluts avec la tête. Une voix d'homme partant du cabinet nous souhaita le bonjour et nous informa qu'il essayait de produire des moulages. Ensuite la première de ces figures apparut de nouveau à l'ouverture du rideau et invita M. Marthèze à s'approcher d'elle et lui serrer la main. M. Marthèze a pu alors voir, en même temps, et le fantôme, et le médium, couvert du sac et assis à l'autre bout. Le fantôme disparut aussitôt, se dirigeant du côté du médium. Lorsque M. Marthèze eut regagné sa place, la même voix, derrière le rideau, nous demanda quelle main nous voulions avoir. Après quelque temps, M. Marthèze dut se lever de nouveau pour prendre le moule d'une main gauche. Ce fut ensuite le tour de M. Reimers de s'approcher pour retirer le moule de la main droite, celle qu'il devait envoyer aux amis de Leipzig (comme cela avait été promis).
En ce moment, le médium se mit à tousser. Au commencement de la séance, ces quintes étaient tellement violentes que nous avions eu des appréhensions pour la réussite de l'expérience ; elles se calmèrent néanmoins au cours de la séance, qui dura plus d'une heure. Dès que le médium eut quitté le cabinet, nous examinâmes les nœuds et le reste et trouvâmes que tout était à sa place, même l'épingle, qui était très peu enfoncée dans l'étoffé et aurait facilement pu s'échapper si le médium avait fait un mouvement brusque.
Ayant retiré la paraffine qui restait dans le seau, nous la pesâmes avec les deux formes obtenues : le poids était un peu plus de trois quarts de livre ; mais cet excédent s'explique naturellement par l'eau qui a du être dans une certaine mesure absorbée par la paraffine, comme nous avons pu le constater en comprimant le résidu.
Avec ceci, notre expérience était terminée. Les épreuves en plâtre faites dans les moules ainsi obtenus se distinguent complètement des mains du médium sous beaucoup de rapports ; elles portent l'empreinte d'une main parfaitement vivante, et d'autres particularités indiquent qu'elles proviennent du même individu, celui qui avait déjà plusieurs fois produit de semblables moules en paraffine, dans les mêmes conditions du strict contrôle...
J.-N. Tiedemann-Marthèze, 20, Palmeira square, Brighton.
Christiam Reimers, 2, Ducie avenue, Oxford-road, Manchester.
William Oxley, 63, BuryNew-road, Manchester.
Thomas Gaskell, 69, Oldham Str., Manchester.
Henry Marsh, Birch, cottage, Fairy Lane, Bury New-road, Manchester.
Manchester, ce 29 avril 1877. »
Voici une récapitulation succincte des faits établis par les expériences de M. Reimers :
1° Le médium était isolé dans des conditions offrant toutes les garanties désirables ; les autres mesures de contrôle étaient également combinées de façon à ne laisser subsister aucun soupçon de fraude. Quant à l'avis du Dr Hartmann relativement à la nullité absolue des mesures d'isolement et de ligature, comme preuves de la non-identité du médium avec le fantôme, j'y reviendrai dans le chapitre suivant, qui traite de la photographie des figures matérialisées.
2° D'ailleurs, dans les cas considérés, les preuves de la réalité du phénomène ne reposent pas uniquement sur l'isolement du médium, mais encore sur la différence anatomique entre les organes matérialisés et les membres correspondants du médium, différence constatée et par les témoins et par l'évidence des moulages.
3° Le même type d'organe matérialisé s'est reproduit à toutes les séances, qui ont été nombreuses et parfois ont eu lieu dans des endroits différents, ce qui prouve la présence d'un même agent. Le nombre des formes obtenues atteint le chiffre de quinze.
4° Les épreuves en plâtre correspondaient exactement aux mains et aux pieds matérialisés, que les témoins avaient vus et touchés nombre de fois avant, pendant et après le moulage.
5° La position des doigts est autre dans chaque modèle.
6° Plusieurs fois les moules ont été présentés aux assistants pendant qu'ils revêtaient les organes autour desquels ils s'étaient formés.
7° Le même type anatomique de membre matérialisé s'est reproduit malgré la substitution au médium féminin d'un médium homme.
8° Enfin, quelques-unes de ces épreuves en plâtre témoignent clairement de leur origine supra-naturelle, car elles n'ont pu être obtenues par un procédé quelconque de moulage.
L'ensemble de ces particularités prête une importance exceptionnelle aux expériences de M. Reimers.
II - Le médium est devant les yeux des assistants, l'agent occulte restant invisible
La première expérience de ce genre fut faite par M. Ashton avec le médium miss Annie Fairlamb. Elle est décrite dans le Spiritualist du 6 mars 1877, page 126, en ces termes :
« Monsieur, vous m'obligeriez beaucoup en publiant dans votre estimée revue ce compte rendu d'une séance à laquelle j'ai assisté et qui présente des garanties exceptionnelles de l'authenticité des phénomènes. J'ai envisagé comme une vraie faveur l'invitation de me rendre, avec plusieurs amis, le 2 mars, vendredi, à l'une des séances hebdomadaires organisées spécialement pour l'étude des phénomènes spirites au siège de la « Society of Spiritualists », à Newcastle, avec le médium miss Annie Fairlamb.
En pénétrant dans la première pièce, nous aperçûmes M. Armstrong, le président de la Société, occupé à faire fondre de la paraffine dans un seau aux trois quarts rempli d'eau bouillante. Dans une séance antérieure, au cours de laquelle nous faisions des tentatives pour obtenir des formes en paraffine, il nous avait été promis qu'un jour « Minnie » (un des guides invisibles de miss Fairlamb) essayerait de faire pour nous plusieurs moules de ses mains. Quand la paraffine fut en fusion, on porta le seau dans la chambre désignée pour la séance, et on le plaça dans le coin le plus éloigné du cabinet obscur. A côté, on mit un autre seau contenant de l'eau froide.
Le cabinet avait été aménagé à l'aide de deux morceaux d'étoffe en laine verte, ramassés et fixés au mur sur un crochet, d'où l'étoffe tombait sur une barre de fer en demi-cercle, dont les bouts étaient solidement enfoncés dans le mur, formant une espèce de tente. Avant de baisser la toile, M. Armstrong nous demanda à quelles conditions nous voulions soumettre le médium. Je proposai au médium d'entrer dans le cabinet, tout en exposant mes motifs mais miss Fairlamb objecta que dans ce cas nous n'aurions pas une preuve suffisante de l'authenticité du phénomène qui se produirait. Alors M. Armstrong proposa de couvrir la tête et les épaules du médium d'un morceau d'étoffe en laine, afin de le protéger contre le jour, ce qui fut accepté.
Cette couverture n'enveloppait que la tête et les épaules du médium, sans le dérober aux regards des expérimentateurs, dont quatre étaient placés de manière à pouvoir observer l'espace qui séparait le médium du cabinet. Miss Fairlamh tomba en transe et se mit à parler sous l'impulsion de l'un de ses inspirateurs invisibles, qui exigea d'abord que j'approchasse ma chaise du fauteuil occupé par le médium, à 2 pieds du rideau. Il me fut ensuite enjoint de tenir les deux mains du médium, et mon voisin devait approcher sa chaise de la mienne et poser ses mains sur mes épaules. Nous sommes restés dans cette attitude pendant toute la durée de la séance, qui se passa à une très bonne lumière.
Ces dispositions prises, on nous proposa d'entonner des chants. A peine avions-nous commencé, que nous entendîmes le clapotement de l'eau dans le cabinet. Nous écartâmes le rideau et aperçûmes deux moules parfaitement réussis, représentant les deux mains de Minnie (principal guide de miss Fairlamb) sur le plancher, à côté du seau contenant la paraffine et qui se trouvait au milieu du cabinet au lieu d'être dans le coin extrême où nous l'avions mis.
Je certifie que non seulement miss Fairlamb n'est pas entrée dans le cabinet, mais que ni avant ni durant la séance elle n'a franchi la distance sus-indiquée qui l'en séparait. A partir du moment précis où elle est entrée dans la chambre, elle a été très étroitement surveillée.
Avant la séance, j'avais passé environ trois heures en compagnie de miss Fairlamb et l'avais accompagnée pendant tout le trajet jusqu'en ville, environ 3 milles d'Angleterre ; nous arrivâmes tout juste à l'heure fixée pour la séance.
Je suis curieux de savoir quelle sera la théorie que le Dr Carpenter, savant si compétent, imaginera pour expliquer les phénomènes spiritiques précités.
Thomas Ashton.
8, Rutherford-terrace, Byker, Newcastle-on-Tyne, ce 6 mars 1877. »
Une autre expérience, dans les mêmes conditions, fut organisée par le Dr Nichols avec le médium Eglinton ; cette séance est d'autant plus importante que non seulement les personnes présentes pouvaient surveiller les pieds et les mains du médium, mais que les moulages en plâtre représentaient des mains qui furent reconnues.
Voici l'article de M. Nichols, paru dans le Spiritual Record pour décembre 1883 :
« Lorsque M. Eglinton était mon hôte à South-Kensington, nous essayâmes d'obtenir des moules de mains matérialisées. Ma fille Willie, dont les écrits et dessins vous sont connus par les spécimens que je vous ai communiqués, nous promit d'essayer si elle pourrait faire le moule de sa main. En conséquence, nous fîmes les préparatifs nécessaires ; j'achetai deux livres de paraffine, de celle qu'on emploie dans la fabrication des bougies, et qui est une substance blanche, semblable à la cire, mais plus friable. Je la fondis dans mon étuve et la versai dans un seau en zinc, à moitié plein d'eau chaude, pour la maintenir en fusion. Je remplis ensuite un deuxième seau d'eau froide. Nous avions invité un cercle choisi, composé de douze personnes, parmi lesquelles il n'y avait qu'un seul étranger, un docteur allemand, M. Friese, qui s'intéressait beaucoup au spiritualisme.
M. Eglinton prit place derrière un rideau qui isolait une partie de la chambre, à l'une des extrémités. Il était assis au centre, à l'endroit où les deux moitiés du rideau se rejoignaient et, en face de lui, en deçà du rideau, se plaça le docteur allemand, qui lui tenait tes mains. Le gaz brûlait clair, de sorte que nous pouvions très bien nous voir les uns les autres. Quand tout fut prêt, j'apportai les deux seaux qui étaient dans ma chambre, l'un avec l'eau froide et l'autre contenant l'eau chaude avec la paraffine en fusion, et les plaçai dans un coin de la pièce, derrière le rideau, à une distance d'environ 6 pieds de M. Eglinton, dont les mains étaient retenues, comme je l'ai mentionné, par celles du Dr Friese. Voici la disposition :
les deux seaux
o o
______________________M. Eglinton___ _______ Le rideau ___
Dr Friese
Les invités s'assirent en demi-cercle, le plus loin possible du rideau. Chacun de nous était distinctement visible ; il n'y avait personne auprès des seaux ; personne non plus n'aurait pu s'en approcher. Au bout de quelques instants, nous entendîmes des voix sortant de l'endroit où se trouvaient les seaux, ainsi que le clapotement de l'eau ; bientôt après, les coups d'avertissement. Alors je m'approchai et relirai les seaux de derrière le rideau.
Sur l'eau froide, il y avait deux pièces de paraffine solidifiée, dont l'une avait la forme d'un gant blanc épais en albâtre, et l'autre représentait quelque chose d'analogue, mais beaucoup plus petite. Je retirai le plus volumineux de ces objets et m'aperçus qu'il était creux et qu'il avait la forme d'une main humaine. L'autre objet était le moule d'une main d'enfant. Une dame faisant partie de l'assistance remarqua sur cette main un signe particulier, une légère difformité distincte qui lui désignait la main de sa fille, laquelle avait péri noyée dans le sud de l'Afrique a l'âge de cinq ans. Je portai les deux seaux dans mon cabinet d'études en laissant les moules flotter dans l'eau. Je fermai la porte et retirai la clef.
Le lendemain, nous nous procurâmes du plâtre très fin et le versâmes dans la grande forme. Pour en extraire l'épreuve, il fallut sacrifier le moule. Ce modèle de la main de ma fille Willie avec ses doigts longs et effilés et ce mouvement gracieux qu'elle avait pris en se plongeant dans la paraffine en fusion, chaude presque comme de l'eau bouillante ; je l'ai encore aujourd'hui sur le manteau de ma cheminée, sous un verre. Tout le monde est frappé de la ressemblance de ce modèle avec ma main, lorsque je la tiens dans la même pose, à part l'énorme différence dans les dimensions.
Cette main n'a rien de la forme convenue que créent les statuaires: c'est une main purement naturelle, anatomiquement correcte, montrant chaque os et chaque veine et les moindres sinuosités de la peau. C'est bien la main que je connaissais si bien dans son existence mortelle, que j'ai si souvent palpée depuis, quand elle se présentait matérialisée.
Le petit moule fut remis à la mère de l'enfant. Elle en a conservé le plâtre, n'ayant pas le moindre doute au sujet de l'identité de cette main avec celle de sa fille.
Je puis affirmer, de la façon la plus formelle, que l'épreuve en plâtre qui est placée sur ma cheminée a été coulée dans le moule de la main matérialisée de ma fille. D'un bout a l'autre, l'expérience a été conduite par moi et soumise aux conditions les plus rigoureuses.
Si le moule eût été pris sur une main vivante, il n'en aurait pas pu être enlevé. La circonférence du poignet est plus petite d'un pouce et demi que celle de la paume à l'endroit du pouce. Une main pareille ne saurait être dégagée du moule sans le briser en plusieurs morceaux. La seule explication possible de ce phénomène serait de supposer qu'en quittant le moule, la main s'est dissoute, ou dématérialisée. »
Je priai le Dr Robert Friese, - que les lecteurs des Psychische Studien connaissent et dont le Dr Hartmann fait mention dans son livre, - de m'envoyer la description de cette séance, à laquelle il avait pris une part active, ayant lui-même tenu les mains de M. Eglinton.
Voici un extrait de la lettre qu'il m'écrivit à ce sujet, et qui est datée d'Elbing, du 20 mars 1886:
« Monsieur, répondant à votre désir, je viens vous communiquer le compte rendu de la séance du 9 décembre 1878, organisée à Londres, chez le Dr Nichols, avec le médium Eglinton.
Nous étions au nombre de douze ; nous prîmes place le long de trois des parois de la pièce, qui avait 4 mètres de large et environ cinq de long. Un rideau en calicot, coupant la chambre d'un mur à l'autre, la raccourcissait d'un mètre, de sorte que l'espace occupé par nous formait un carré ayant quatre mètres de côté.
Dans le milieu se trouvait une table massive en acajou, qui n'avait pas moins d'un mètre et demi de diamètre ; au-dessus, un bec clé gaz brûlait à pleine flamme..... »
Suit la description de divers phénomènes qui ont eu lieu au commencement de la séance. Je citerai ici l'endroit qui se rapporte spécialement à la production des moules en paraffine:
« Le rideau, composé de deux parties se rejoignant au milieu, était haut de deux mètres. Eglinton ayant pris place derrière le rideau, en face de la fente, on me proposa de m'asseoir vis-à-vis de lui en deçà du rideau et de fortement lui tenir les mains. Le gaz était grand ouvert. On plaça deux seaux derrière le rideau, l'un avec de l'eau froide, l'autre contenant l'eau chaude et la paraffine en fusion. Dès que j'eus saisi les mains d'Eglinton, nous entendîmes de derrière le rideau la voix aiguë de Joey (un des esprits-guides d'Eglinton) donner des ordres :
- Trempe la main. C'est ça. Encore. Voilà. Maintenant, vite dans l'eau !
La même voix donna l'ordre de répéter le procédé :
- Plus profondément ! Quoi, c'est trop chaud ? Quelle bêtise ! Plonge donc plus bas, comme ça à présent, de nouveau dans l'eau froide et puis encore dans la paraffine.
J'entendis ensuite le choc que produit le moule en touchant le fond du seau.
Après cette première forme, on en obtint une deuxième, dans les mêmes conditions. Lorsque, à la fin de la séance, le rideau fut ouvert, toutes les personnes présentes purent constater que je tenais toujours les mains d'Eglinton et qu'il n'y avait personne d'autre que lui derrière le rideau.
Nous retirâmes les moules qui gisaient au fond du seau d'eau froide et les examinâmes soigneusement: ils étaient très délicats et friables, quoique d'une consistance suffisante pour que nous pussions les manier en prenant quelques précautions.
Ce qui nous frappa, d'abord c'est que les deux formes donnaient les moules du bras bien au-dessus du poignet. Pour obtenir des épreuves, il suffit de les remplir d'une solution de plâtre. »
Après réception de cette lettre, j'adressai encore quelques questions au Dr Friese, auxquelles il me répondit à la date du 5 mars :
« Monsieur,
En réponse aux questions que vous me posez, j'ai l'honneur de vous communiquer ce qui suit :
1° Dans la partie de la chambre isolée par le rideau, il n'y a ni fenêtres ni portes, ce qui, d'ailleurs, pouvait être constaté à première vue, car elle était suffisamment éclairée parle gaz qui brûlait dans la chambre, et ne contenait aucun meuble, sauf un petit canapé.
2° Pendant la séance, je ne voyais de M. Egiinton que les mains, passées en deçà du rideau, mais il me les avait tendues avant que le rideau ne fût fixé avec cinq épingles ; jusque-là je pouvais le voir entièrement. Ayant pris ses mains, je ne les quittai pas jusqu'au moment où le rideau fut écarté, et alors tout le monde a pu s'assurer que c'étaient bien les mains d'Eglinton que je tenais, et non autre chose.
3° J'étais assis en face du médium, tenant ses jambes entre les miennes, et je pouvais voir les pointes de ses pieds tout le temps.
4° Il restait calme, mais rien ne m'indiquait qu'il fût eu transe ; l'état de transe se serait infailliblement trahi et dans l'attitude du médium et dans la tension de ses bras ; il occupait, du reste, une simple chaise et non un fauteuil, dont les bras auraient pu le soutenir en cas d'affaissement.
Au moment où il me donna ses mains, il ne s'appuyait même pas au dos de la chaise ; s'il l'eût fait ensuite, je n'aurais pas manqué de m'en apercevoir.
5° Les deux moules en paraffine furent prêts au bout d'une dizaine de minutes.
6° La hauteur de la chambre était de plus de quatre mètres ; le rideau s'élevait à deux mètres environ. Le gaz brûlait à pleine flamme, éclairant l'un et l'autre compartiment. »
Le Dr Nichols eut l'obligeance de m'envoyer aussi la photographie du moule en plâtre de la main de sa fille dont il s'agit dans l'expérience en question. La dame qui a obtenu à cette même séance la forme de la main de son enfant m'a également envoyé, par l'entremise de M. Eglinton, une photographie de l'épreuve, sur laquelle deux doigts sont marqués de la difformité qui a servi pour établir l'identité.
Une troisième expérience, exécutée dans des conditions analogues, eut lieu devant une commission réunie ad hoc. Cette fois, seul le pied droit du médium (toujours M. Eglinton) resta visible à l'assistance pendant toute la durée de la séance ; quant à ses mains, on ne les voyait pas, mais elles étaient fortement attachées, ainsi que les pieds.
La forme en paraffine que l'on obtint à cette séance étant précisément celle du pied droit, c'est comme si le médium avait été entièrement visible, en raison de l'argument : pars pro toto.
Voici un article sur cette séance, paru dans le Spiritualist du 5 mai 1876 (p. 206) :
« Le 28 avril, vendredi, 1876, était jour de séance chez M. Blackburn, qui en avait organisé une série à Londres, 38, Great Russel-Street. Le médium était M. Eglinton ; l'assistance se composait des personnes suivantes : le capitaine James, le Dr Carter Blake, M. Algernon Joy, Mrs Fitz-Gerald, Mrs Desmond Filz-Gerald, M. A. Vacher, F. C. S., Mrs C..., Miss Kislingbury, St. George Stock, M. A. et moi, signataire du présent compte rendu, agissant en ma qualité de délégué du comité d'organisation des séances.
L'esprit guide du médium, Joey, annonça qu'il allait tenter d'obtenir des moules en paraffine au moyen d'immersions répétées du membre matérialisé dans le liquide préparé. On fit apporter deux livres de paraffine, qui fut mise à fondre et fut versée à la surface de l'eau chaude contenue dans un seau. Celle opération avait été exécutée d'après les indications de M. Vacher. Le poids spécifique de la paraffine, étant 87, et sa température de fusion 110°,7 F., la couche ainsi préparée devait rester assez longtemps à l'état liquide. Le seau contenant la paraffine fut placé d'un côté du cabinet, auprès d'un bassin rempli d'eau froide, destinée au refroidissement des couches successives de paraffine qui composent le moule. Le médium fut installé dans un fauteuil de jonc et solidement lié par les soins de M. Joy et du dr Blake, qui lui lièrent ensemble les mains et les pieds et les attachèrent ensuite au fauteuil, ainsi que le cou.
Je ferai observer qu'après que le médium fut lié, on fit avancer son pied droit autant que les entraves le permettaient, et que, le rideau étant tiré, on put garder sous les yeux, jusqu'à la fin de la séance, ce pied, ou plutôt, pour m'exprimer avec une rigoureuse exactitude, la bottine dont il était indubitablement chaussé au début de l'expérience. Plusieurs personnes, - et je fais partie de ce nombre, - se sont contentées de l'observer de temps à autre, ne supposant pas que cette exposition eût un caractère intentionnel, mais, après la séance, quatre d'entre les assistants me déclarèrent qu'ils n'avaient pas quitté des yeux le pied exposé. Je ferai encore ressortir ce détail que le médium portait des chaussettes en laine et des bottines à élastiques et que, dans ces conditions, il ne lui eût pas été possible d'en retirer son pied sans qu'on s'en aperçût. D'ailleurs, à un moment donné, on remarqua une légère trépidation dans le pied, comme si le médium avait des convulsions.
La séance venait de commencer lorsque Joey nous pria d'ouvrir les deux fenêtres qui se trouvaient dans le cabinet, probablement à cause de la température élevée qui régnait dans cet espace fermé. Au bout d'environ quarante minutes, nous entendîmes à plusieurs reprises le clapotement de l'eau, comme si un objet quelconque eût été plongé dans les seaux et, une heure après, Joey nous dit : Maintenant vous pouvez entrer ; nous vous avons donné une preuve de nature particulière, nous avons fait de notre mieux. Voyons si nous avons su vous satisfaire !
En entrant dans le cabinet, je constatai que le médium était lié, comme au commencement de la séance, et j'aperçus deux formes nageant dans le seau qui contenait l'eau froide ; elles étaient un peu chiffonnées. Ces moules avaient évidemment été pris sur un pied droit. M. Vacher, aidé par le Dr Blake, les remplit de plâtre et obtint des épreuves qui indiquaient clairement que les deux formes avaient été moulées sur un même pied. Il est à noter que les particularités de la surface cutanée sont très nettement gravées sur la face intérieure des moules. Le Dr Blake se propose de comparer ces épreuves avec les pieds du médium, avec lesquels ils pourraient avoir une certaine ressemblance, suivant des hypothèses données.
Pour dégager le médium, je fus obli gé de couper les liens, ne pouvant réussir à défaire les nœuds. Je puis affirmer sur ma foi que la position du médium et l'état des liens qui le retenaient étaient exactement les mêmes à la fin de la séance qu'au commencement.
Desmond G. Fitz-Gerald, M. S. Tel. E. (Membre de la Société des Ingénieurs-Télégraphes)
Au nom du comité des séances. »
Quelque temps après, la notice suivante parut dans le Spiritualist, à la page 300 :
« Dédoublement du corps humain. Le moule en paraffine d'un pied droit matérialisé, obtenu à une séance, Great Russel-Street, 38, avec le médium M. Eglinton, dont le pied droit est resté visible, pendant toute la durée de l'expérience, pour les observateurs placés en dehors du cabinet, s'est trouvé être la reproduction exacte du pied de M. Eglinton, ainsi qu'il résulte de l'examen minutieux du Dr Carter-Blake. »
C'est un cas frappant de dédoublement du corps du médium, constaté non seulement par les yeux, mais établi d'une manière absolue par la reproduction plastique du membre dédoublé. L'exemple n'est pas unique, mais il est particulièrement remarquable à cause des conditions dans lesquelles il s'est produit, notamment parce que le comité d'organisation des séances, qui était composé de personnes d'une haute instruction s'était déjà livré à une série d'expériences très soigneuses, et toujours à la condition expresse de pouvoir observer sinon le médium tout entier, du moins une partie de son corps, et que ce comité est pleinement convaincu et de la bonne foi du médium Eglinton, qui a servi à toutes ces séances, et du caractère d'authenticité des phénomènes. Une preuve si palpable du dédoublement étant acquise, nous avons le droit d'affirmer que, s'il arrive que la figure matérialisée présente une ressemblance marquée avec le médium, - comme dans le cas de Katie King, - il ne s'ensuit pas nécessairement que cette figure soit toujours le médium in propria persona, en travesti ; nous pouvons donc dire que M. Hartmann est dans l'erreur quand il vient catégoriquement nous assurer que « là où il n'est pas prouvé que c'est une hallucination, on doit toujours considérer le phénomène comme une illusion[78]. Nous abordons maintenant la troisième catégorie d'expériences.
III. L'agent occulte est visible, le médium est isolé
Je citerai un exemple qui n'a pas dû rester ignoré du Dr Hartmann, puisqu'il est relaté dans les Psychische Studien. C'est probablement le fait que le Dr H. vise en parlant des séances au cours desquelles le médium avait été enfermé dans une cage.
En effet, dans l'expérience dont il va être question et qui a eu lieu à Belper (Angleterre), M. W.-P. Adshead a employé une cage, construite spécialement dans le but d'y enfermer le médium pendant les séances de matérialisation, afin de résoudre définitivement cette question : l'apparition de la figure matérialisée est-elle, oui ou non, une chose distincte de la personne du médium ?
Cette question a été résolue dans un sens affirmatif. On plaça le médium, miss Wood, dans une cage dont la porte fut fermée au moyen de vis. Les plans de la chambre et du cabinet auprès duquel la cage avait été placée sont reproduits à la page 296 des Psychische Studien, 1878. C'est dans ces conditions que l'on vit apparaître deux fantômes : celui d'une femme connue sous le nom de Meggie, et ensuite d'un homme s'appelant Benny. L'un et l'autre se sont avancés hors du cabinet (pp. 349, 354 et 451) ces figures se sont ensuite matérialisées et dématérialisées devant les yeux des assistants, et enfin elles ont procédé, successivement, au moulage d'un de leurs pieds, dans la paraffine. Selon M. Hartmann, ces résultats s'expliquent d'une manière fort simple : au commencement, c'est le médium en personne, vêtu d'un costume, soit hallucinatoire, soit apporté par la force nerveuse, qui passe et repasse à travers la cage, sans la moindre difficulté ; c'est, en somme, une semi-hallucination. La deuxième phase de ce phénomène n'est que l'hallucination complète de la figure et des vêtements. La troisième phase est de nouveau une semi-hallucination, parce que les moules réels que l'on a obtenus impliquent l'intervention personnelle du médium (Spiritismus, p. 89). Mais voici le point difficile que M. Hartmann a passé sous silence : le fait est que l'un et l'autre des fantômes ont laissé le moule de leur pied gauche, de sorte qu'on a obtenu les formes de deux pieds gauches, de dimensions et de conformation différentes et c'est précisément dans ce détail que l'expérience puise sa force démonstrative.
En supposant même qu'il n'y eût pas de cage (pendant la production des moules on l'a laissée entrouverte), la preuve conserverait, néanmoins, toute sa force, car elle n'est pas basée sur l'emprisonnement du médium, mais sur la différence des moules, circonstance que M. Hartmann ne pouvait ignorer, en raison du passage suivant, que je cite textuellement :
« Ce fut Meggie qui tenta l'opération d'abord. En s'avançant hors du cabinet, elle approcha de M. Smedley et mit sa main sur le dos de la chaise qu'il occupait. A la question de M. Smedley, si l'esprit avait besoin de la chaise, Meggie fit avec la tête un signe affirmatif. Il se leva et posa la chaise devant les seaux. Meggie y prit place, rassembla ses longs vêtements et se mit à plonger son pied gauche tour à tour dans la paraffine et dans l'eau froide, continuant ce manège jusqu'à ce que la forme fût achevée.
Le fantôme était si bien caché sous ses vêtements qu'il ne nous fut plus possible de reconnaître l'opérateur. L'un des assistants, trompé par la vivacité des gestes, s'écria : « C'est Benny ». Alors l'apparition posa sa main sur celle de M. Smedley, comme pour lui dire :
- Touche pour savoir qui je suis.
- C'est Meggie, proféra M. Smedley, elle vient de me donner sa petite main.
Quand la couche de paraffine eut, atteint l'épaisseur voulue, Meggie posa son pied gauche sur son genou droit et resta dans cette position deux minutes environ ; puis elle enleva le moule, le tint quelque temps en l'air et frappa dessus, de manière que toutes les personnes présentes pussent le voir et entendre les coups ; puis elle me le tendit, sur ma demande, et je le déposai dans un endroit sûr. Meggie tenta ensuite la même expérience avec son pied droit, mais, après l'avoir trempé deux ou trois fois, elle se leva, probablement à la suite de l'épuisement de ses forces, s'éloigna dans le cabinet et ne revint plus.
La paraffine qui avait adhéré à son pied droit a été ensuite retrouvée dans le cabinet, sur le plancher.
Alors ce fut le tour de Benny. Il fit un salut général et, suivant son habitude, posa sa grande main sur la tête de M. Smedley. Il prit la chaise qu'on lui tendait et la plaça devant les seaux, s'assit et se mit à plonger son pied gauche alternativement dans les deux seaux, ainsi que l'avait fait Meggie, mais beaucoup plus alertement. La rapidité de ses mouvements lui donnait l'apparence d'une petite machine à vapeur, suivant la comparaison de l'un des assistants.
Afin de donner aux lecteurs une idée exacte des conditions favorables dans lesquelles se trouvaient les spectateurs pour suivre les opérations, je mentionnerai que, pendant le moulage du pied de Benny, M. Smedley était assis immédiatement à la droite du fantôme, de sorte que celui-ci a pu lui poser sa main sur la tête et lui caresser la joue. J'étais à la gauche de Benny et si rapproché que j'ai pu prendre le moule qu'il me tendit sans quitter ma place ; les personnes qui occupaient le premier rang de chaises étaient éloignées des deux seaux d'environ trois pieds.
Tout le monde pouvait très bien voir l'opération entière, depuis la première immersion du pied jusqu'à l'achèvement du moule ; le phénomène lui-même est pour nous un fait aussi indéniable que la clarté du soleil ou la chute de la neige. Si l'un d'entre nous eût soupçonné le médium d'avoir employé un « artifice subtil » quelconque pour nous offrir le moule de son propre petit pied, le soupçon aurait disparu infailliblement à l'aspect du moule que Benny me tendit, après l'avoir enlevé de son pied gauche, aux yeux de toute l'assistance. Je ne pus alors retenir l'exclamation : « Quelle différence ! »
Quand Benny eut fini avec le modelage, il remit la chaise à sa place et fit le tour des spectateurs, leur serrant la main et causant avec eux. Tout à coup il se souvint que, sur sa demande, la porte de la cage avait été laissée entrouverte et, voulant nous prouver qu'en dépit de cette circonstance le médium n'était intervenu en rien dans l'expérience, il poussa la table contre la porte de la cage après l'avoir fermée, saisit mon bras de ses deux mains, le pressa avec force sur la table, comme s'il voulait me dire que je ne devais pas la laisser se déplacer d'un pouce ; ensuite il se pencha pour prendre la boîte à musique qu'il adossa à la cage dans une position inclinée, une arête appuyée contre la porte de la cage, l'autre reposant sur le plancher, de sorte qu'en s'ouvrant, la porte eût infailliblement renversé la boîte. Là-dessus Benny prit congé et disparut.
Il me reste à constater que la table n'a pas bougé, qu'après la séance la boîte à musique a été trouvée adossée à la cage, au même endroit, et que le médium était dans la cage, attaché à la chaise, et en état de transe. De tout ce qui précède il faut conclure que les moules en paraffine ont été obtenus dans des conditions tout aussi concluantes que si la porte de la cage eût été fermée avec des vis. En admettant même que l'expérience avec la cage laissât à désirer, les résultats acquis n'en exigent pas moins une explication : En premier lieu, un individu n'a qu'un seul pied gauche, alors que les moules obtenus par nous appartiennent à deux pieds gauches, dissemblables par leurs dimensions et leur conformation : mesure prise, le pied de Benny avait 9 pouces de longueur et 4 de largeur, et le pied de Meggie, 8 de longueur et 2 1/4 de largeur. En outre, le cabinet était si étroitement surveillé qu'aucun être humain n'aurait pu y pénétrer sans être immédiatement découvert.....
Alors, si les formes en question n'ont pas été moulées sur les pieds du médium, - et cela me semble prouvé d'une manière absolue, - quels sont donc les pieds qui ont servi de modèles[79] ? »
Et pourtant M. Hartmann affirme délibérément que : « Tous les comptes rendus de cette espèce devant servir à prouver la soi-disant réalité objective des phénomènes ont ce défaut qu'ils sautent par-dessus la question de l'identité du médium et du fantôme, en vertu, de l'isolement ou du garrottage du médium[80] »
Désirant faire le plus grand jour possible sur le mode de production des moules dont il vient d'être question et sur le degré de dissemblance entre eux, je m'adressai à M. Adshead, le priant d'en faire prendre des photographies pour moi, au cas où les moules seraient encore en bon état de conservation. M. Adshead se prêta immédiatement à mon désir et m'envoya deux photographies exécutées par M. Schmidt, à Belper, et montrant les moules sous deux faces : vus d'en haut et de côté. Il suffit d'un coup d'œil sur ces épreuves pour en saisir la différence considérable.
Mais, afin de pouvoir juger avec plus de certitude encore, je priai M. Adshead de sacrifier les moules mêmes pour en produire des épreuves en plâtre et de m'envoyer les photographies de ces dernières, ainsi que les mesures exactes. M. Adshead eut encore l'extrême obligeance d'accéder à cette prière.
En posant ces photographies l'une sur l'autre, il est facile de voir la différence de forme et de dimensions des deux pieds. Voici les mesures que me communiqua M. Adshead : pied de Meggie, périphérie de la plante, 19 1/8 pouces ; longueur, 8 pouces ; circonférence mesurée à la racine du petit doigt, 7 1/2 pouces ; - pied de Benny, périphérie de la plante, 21 1/4 pouces; longueur, 9 pouces ; circonférence mesurée à la racine du petit doigt, 9 1/2 pouces.
Je passe à la quatrième série d'expériences de moulages :
IV. Le fantôme et le médium sont simultanément visibles aux spectateurs
Voici quelques passages tirés d'une conférence de M. Ashton, faite à Newcastle, le 19 septembre 1877 et imprimée dans le Medium and Daybreak (Londres) du 5octobre 1877, p. 626 :
« J'ai été témoin de faits remarquables qui se sont produits avec le médium miss Fairlamb et viens vous communiquer ce qui s'est passé à la séance du dimanche 8 avril dernier, dans les locaux de notre société. Outre le médium, l'assistance se composait d'une dame et de sept hommes.
A l'arrivée de miss Fairlamb, on apporta dans la chambre désignée pour la séance deux seaux, l'un contenant la paraffine fondue, l'autre de l'eau froide, et on les plaça devant le cabinet, à une distance de 2 pieds. Le cabinet était formé au moyen d'un rideau en étoffe de laine verte, fixé au mur par l'un de ses points, d'où il tombait sur une barre de fer courbée en demi-cercle, en formant une espèce de tente. Après avoir fait une investigation minutieuse du cabinet et des seaux, on installa le médium à l'intérieur du cabinet. Ayant aperçu dans l'assistance une personne qui lui était inconnue, miss Fairlamb demanda que l'on prît toutes les précautions nécessaires pour écarter le moindre doute sur l'authenticité des phénomènes qui allaient se produire. Cependant la majeure partie des personnes présentes était persuadée de l'inutilité des moyens habituellement employés pour obtenir l'isolement du médium, à savoir : les cordes ou rubans avec lesquels on le liait, les cachets apposés sur les nœuds, l'emprisonnement dans un sac ou dans une cage, etc., car les forces occultes qui se manifestaient à ces séances semblaient surmonter toutes les entraves matérielles. En outre, tout le monde avait une confiance complète en miss Fairlamb et en ses guides invisibles. Nous renonçâmes donc aux mesures de contrôle et n'eûmes pas à nous en plaindre.
Quand nous eûmes chanté deux ou trois airs, nous vîmes le rideau s'écarter lentement et une tête sortir du cabinet ; la figure avait le teint basané, les yeux noirs, et était garnie d'une barbe et de moustaches brunes (le médium est une personne blonde, aux yeux bleus). On voyait cette tête tantôt s'avancer jusqu'à montrer les épaules, tantôt se retirer, comme si le fantôme voulait s'assurer qu'il pourrait supporter la lumière. Subitement le rideau s'ouvrit, et devant nos yeux se présenta la forme matérialisée d'un homme. Il portait une chemise ordinaire en flanelle, à rayures, et un pantalon en calicot blanc ; sa tête était enveloppée d'une espèce de mouchoir ou châle. C'était tout son costume. Le col et les manches de la chemise étaient boutonnés. L'homme me paraissait avoir 5 ou 6 pieds de taille ; il était maigre, mais solidement bâti, et produisait, dans son ensemble, l'impression d'un gaillard souple et agile. Après avoir exécuté avec ses bras quelques mouvements circulaires, comme s'il eût voulu les dégourdir, il entra dans le cabinet pour monter la flamme du gaz, qui est aménagé de manière à pouvoir être réglé à l'intérieur du cabinet aussi bien qu'au dehors. Ensuite il apparut à nouveau et se livra à de nouveaux exercices gymnastiques, rentra encore une fois derrière le rideau, renforça encore la lumière et revint vers nous d'une allure dégagée et pleine de vigueur, se livra derechef à quelques exercices de corps et procéda aux préparatifs de moulage : il se baissa, saisit les seaux et les porta plus près des spectateurs...
Puis il prit une chaise qui se trouvait à côté de M. Armstrong et la plaça de manière que le dos écartât le rideau d'environ 20 pouces (ce qui permit à trois personnes de l'assistance de voir le médium) ; il s'assit et commença le moulage de son pied. Pendant les quinze minutes que dura l'opération, les expérimentateurs pouvaient donc voir en même temps et le fantôme et le médium, éclairés plus que suffisamment[81]. »
Si je puis en juger, l'ensemble des faits que j'ai réunis dans ce chapitre constitue une preuve absolue de l'objectivité réelle du phénomène de la matérialisation, et, du moment qu'il s'agit pour moi de répondre à M. Hartmann, j'insiste tout particulièrement sur le principe qui sert de base à ces démonstrations, à savoir que, la réalité du fait de la formation de moules par un être matérialisé une fois établie, ce fait prouve d'une manière absolue que le phénomène de matérialisation ne doit pas être considéré comme l'effet d'une hallucination.
Si M. Hartmann ne veut pas l'admettre, nous écouterons sa réplique avec le plus vif intérêt. Il ne s'agit pas de telle ou telle expérience, c'est le principe même qu'il faudra réfuter.
F. Les expériences photographiques
J'arrive à une autre catégorie de preuves devant servir à démontrer la réalité objective du phénomène de la matérialisation.
Si la photographie n'était pas encore découverte, les moyens de constater le phénomène en question seraient limités aux faits que je viens d'exposer, de sorte que la photographie vient nous donner comme des preuves de luxe. Je dirai même qu'au point de vue de son importance intrinsèque, elle ne peut, de beaucoup, être placée sur le même rang que les expériences de moulage : celles-ci nous procurent la reproduction plastique de tout un membre matérialisé, alors que la photographie ne peut nous transmettre qu'une image plane de l'une de ses faces. Aussi ne suis-je pas sans éprouver quelque surprise en présence de cet avis de M. Hartmann, que seule la photographie peut fournir une constatation absolue du phénomène. La lecture des Psychische Studien a dû lui apprendre que l'on avait eu recours aux expériences de moulage comme méthode du démonstration ; il aurait donc pu, de même qu'il l'a fait relativement à la photographie, préciser quelles sont les conditions sine qua non à observer, à son avis, pour que ces preuves deviennent concluantes. Mais, du moment que c'est à la photographie et non au moulage que M. Hartmann demande une preuve irréfutable, force nous est de le suivre sur ce terrain.
Au préalable, je ferai observer qu'en exigeant cette preuve, M. Hartmann pèche contre la logique ; elle ne cadre pas avec les hypothèses qu'il a émises pour expliquer d'autres effets permanents produits par des phénomènes médiumniques analogues. Ayant mis en avant l'hypothèse des « effets dynamiques de la force nerveuse médiumnique » (dynamische Wirkungen der mediumistischen Nervenkraft) pour expliquer les empreintes faites par des corps matérialisés sur une substance quelconque, M. Hartmann aurait dû, en bonne logique, s'en tenir à cette hypothèse, en la développant selon les exigences, pour affirmer que la photographie d'un corps matérialisé ne peut pas, non plus, prouver l'existence objective de ce corps, qu'elle n'est que le résultat « d'une force nerveuse, agissant à distance ». Il ne faut pas oublier que, suivant M. Hartmann, cette force nerveuse médiumnique est une force physique, comme la lumière, la chaleur, etc., que, par conséquent, l'objectif de l'appareil photographique pourrait faire converger sur la plaque sensible les rayons de cette force quant à l'action chimique nécessaire pour produire l'image photographiée, M. Hartmann pourrait l'admettre par-dessus le marché.
Rappelons-nous encore que M. Hartmann accorde à cette force nerveuse la surprenante propriété de produire sur les corps toutes espèces d'empreintes, déterminées par la fantaisie du médium ; dans la photographie, donc, comme ailleurs, la disposition des lignes de tension « aurait été réglée par l'image créée dans la fantaisie du médium somnambule », avec cette différence que « le système de lignes de tension serait, dans ce cas, orienté suivant une surface plane, c'est-à-dire la plaque sensible ». Cet effet pourrait être obtenu, soit directement sur l'épreuve négative, soit « par l'action, sur l'objectif de l'appareil, d'un système de forces agissant à l'instar d'une surface quelconque, sans la présence d'un corps ». M. Hartmann veut bien l'admettre pour les expériences avec les empreintes.
Mais ce n'est pas à moi à développer l'hypothèse de M. Hartmann, après avoir démontré son insuffisance par rapport aux empreintes.
Je veux seulement en tirer cette déduction : si, comme le prétend M. Hartmann, une hallucination, coopérant avec la force nerveuse, peut laisser sur un objet une trace durable et conforme « sans qu'il existe une forme organique matérielle », cette hallucination - secondée par la force nerveuse - doit également pouvoir produire sur la plaque une image, durable aussi et également conforme à l'hallucination même « sans qu'il existe une forme organique matérielle ». La deuxième proposition n'est que le corollaire de la première, et la négation de l'une entraîne la négation de l'autre. Par conséquent, la photographie d'un corps matérialisé ne serait, d'après la théorie de M. Hartmann, qu'une névro-dynamographie ; et cependant il la considère comme pouvant fournir une preuve absolue !
En me retranchant derrière cet argument, je pourrais échapper à l'obligation de chercher des preuves dans la photographie, d'autant mieux que j'en ai trouvé d'autres ailleurs, et de plus concluantes mais M. Hartmann n'a pas voulu donner à son hypothèse de la force nerveuse un développement complet ; il veut bien admettre que la photographie aurait pu fournir la preuve irrécusable de la réalité du phénomène de matérialisation, - nous devons donc examiner ces preuves.
La condition sine qua non exigée par M. Hartmann serait que le médium et la forme matérialisée parussent ensemble sur la même plaque. Cette preuve existerait depuis longtemps si, pour l'obtenir, on ne se heurtait pas à des difficultés dépendant des conditions physiques : on sait que la photographie exige une lumière intense, tandis que les phénomènes de matérialisation ne supportent qu'une lumière faible donc, pour arriver à un résultat satisfaisant, se prêtant aux observations, il fallait avoir recours à la combinaison suivante : on plaçait le médium dans un compartiment complètement obscur - un cabinet ou une armoire, - on baissait la lumière éclairant la chambre, à un degré correspondant à la force du phénomène de matérialisation, qui devait se produire dans l'espace obscur pour ensuite pouvoir affronter la lumière.
L'obligation de se soumettre à des exigences si compliquées devait naturellement doubler la vigilance des expérimentateurs, de crainte d'être dupes d'une imposture, volontaire ou non, de la part du médium. Nous voilà forcés d'adopter d'innombrables mesures de précaution, destinées à mettre le médium dans l'impossibilité de nous servir un simulacre de phénomène, et nous voilà revenus à la question de l'isolement du médium, mesure à laquelle M. Hartmann refuse toute valeur démonstrative pour ce genre d'investigations, en partant de cet argument, que : « De toutes façons il est clair que, si l'on accorde au médium la propriété de pénétrer la matière, il est besoin de tout autres moyens que l'isolement ou le garrottage du médium pour prouver sa non-identité avec l'apparition. »
Avant de passer à ces « autres preuves » exigées par M. Hartmann, je dois dire quelques mots sur son raisonnement même. De même que j'ai protesté contre cet argument quand il s'agissait des apports, je dois m'y opposer ici, à propos de l'isolement et du garrottage du médium. Que veut dire, sous la plume de M. Hartmann, cette phrase : « du moment que l'on accepte la pénétrabilité de la matière par le médium » ? Qui donc accepte ? Il faut supposer que ce soit M. Hartmann lui-même qui accepte, car c'est là-dessus qu'il base ses explications. Ayant admis, conditionnellement, toutes les autres manifestations physiques du médiumnisme pour en donner une explication conforme à ses idées, c'est-à-dire une explication naturelle, il admet, conditionnellement aussi, les phénomènes que les spirites expliquent par la pénétration de la matière ; partant, est tenu de donner également une explication naturelle de ces phénomènes, car, je le répète, M. Hartmann a écrit son livre dans le but bien déterminé de prouver qu'il n'y a rien de surnaturel dans le spiritisme, « que le spiritisme ne fournit pas la moindre donnée qui permette de se passer des explications naturelles », et d'apprendre aux spirites que l'on peut « s'en tirer avec des causes naturelles (118) ». Et voilà que, pour les phénomènes de la soi-disant pénétration de la matière, il ne donne aucune explication. Il les prend tels quels et les classe dans les phénomènes transcendantaux. Or, en faisant cette concession, fût-ce pour une seule catégorie de phénomènes, il détruit de fond en comble l'édifice de son système naturaliste. Ce point est beaucoup plus grave qu'il ne paraît d'abord, et je me demande comment la critique ne s'en est pas encore emparée ? C'est là le défaut de la cuirasse de la théorie si bien élaborée par le Dr Hartmann : il suffit d'y porter un coup pour faire crouler le système tout entier.
Nous disons donc que, si M. Hartmann avait voulu rester fidèle à son point de départ, il n'aurait pas eu le droit d'admettre dans sa théorie du spiritisme une explication qui se base sur le principe de la pénétrabilité de la matière. Pour lui, une corde est une corde, une cage est une cage, et, si le médium est bien lié avec une corde, les nœuds scellés, ou s'il est enfermé dans une cage, ce sont des conditions que M. H. devrait considérer comme suffisantes pour garantir la non-intervention personnelle du médium.
Qu'un médium puisse « passer à travers » les liens qui le « retiennent, traverser l'étoffe d'un sac ou sortir d'une cage, puis rentrer » dans ces liens ou dans cette cage, - ce sont là des phénomènes de l'ordre transcendantal que M. Hartmann ne saurait admettre sans « déroger aux principes méthodologiques » - ce qu'il reproche aux spirites.
M. Hartmann n'a pas non plus le droit de faire peser sur les spirites la responsabilité d'une pareille hypothèse. Pour certains phénomènes, les spirites admettent bien l'intervention des esprits pour d'autres, la matérialisation temporaire, mais réelle et objective, d'un corps pour d'autres encore, la pénétration de la matière, - mais M. Hartmann s'est précisément imposé la tâche de leur enseigner comment il faut s'y prendre pour expliquer ces divers phénomènes, sans sortir des limites du naturel et de leur démontrer qu'il n'y a ni esprits, ni matérialisation, ni pénétration de la matière par conséquent, si M. Hartmann consent à admettre cette hypothèse, il est d'accord avec les spirites, et il ne lui reste plus qu'à déposer les armes.
Ainsi M. Hartmann accepterait cette hypothèse, qu'un homme peut aisément se débarrasser de ses liens et les reprendre, traverser l'étoffe d'un sac, franchir les barreaux ou les parois d'une cage ? Une semblable concession de sa part est d'autant plus surprenante qu'elle ne s'imposait pas dans l'espèce, car, dans les cas aussi difficiles, M. Hartmann a toujours cette explication toute prête : l'hallucination.
Je pourrais aussi démontrer à M. Hartmann que, même lorsqu'on admet le principe de la pénétrabilité de la matière, il existe encore des moyens absolument sûrs pour prouver la présence du médium derrière le rideau ; par exemple, on peut introduire le médium dans un courant galvanique, ou tout simplement le ligoter avec un ruban dont les extrémités seraient tenues par les assistants, ou bien encore - comme on l'a fait avec Miss Cook - passer les cheveux du médium par une ouverture pratiquée dans la paroi du cabinet, de façon à les laisser constamment sous les yeux du public[82], etc., etc.
Mais il serait inutile de s'attarder à cette démonstration, puisque, ainsi que je l'ai rappelé plus haut, dès que la présence du médium dans le cabinet est indiscutablement établie, on nous objecte l'hallucination.
Je puis du reste ajouter que les phénomènes de matérialisation ont atteint graduellement un degré de développement tel qu'il est permis de ne pas se préoccuper du ligotement du médium et de considérer la séquestration comme une condition d'importance secondaire, attendu que la matérialisation et la dématérialisation se sont fréquemment produites en présence du médium et des spectateurs, ou bien, quand le médium était séquestré, en présence des assistants.
Mais, quelle que soit la valeur de ce témoignage, il est bien inutile d'y recourir, puisque M. Hartmann déclare que le témoignage de la vue, surtout, est sans valeur pour la constatation des faits. Nous voilà donc obligés de retourner à notre point de départ et de chercher « d'autres arguments » pour réhabiliter le témoignage collectif des hommes, basé sur l'usage de leurs sens, - témoignage auquel M. Hartmann refuse péremptoirement toute autorité.
Les preuves qui nous sont données des phénomènes de matérialisation doivent être réparties en cinq catégories, selon les conditions dans lesquels elles sont obtenues :
A ) Le médium est visible ; la figure matérialisée est invisible à l'œil, mais elle apparaît sur la plaque photographique.
B ) Le médium est invisible ; le fantôme est visible et reproduit par la photographie.
C ) Le médium et le fantôme sont vus en même temps seul, ce dernier est photographié.
D ) Le médium et le fantôme sont visibles tous deux et photographiés en même temps.
E ) Le médium et le fantôme sont invisibles ; la photographie se produit dans l'obscurité.
A ) Le médium est visible
Pour les phénomènes rangés dans la première catégorie, c'est la photographie transcendantale qui nous fournit la preuve de l'objectivité de la matérialisation.
Logiquement, il est permis de supposer que, si une photographie de ce genre peut nous reproduire des images de différentes formations matérielles invisibles à nos yeux, ce même procédé photographique doit, à plus forte raison, pouvoir reproduire une forme qui acquiert, dans de certaines conditions, un degré de matérialité qui la met à la portée de nos sens, même si cette perception sensorielle n'a pas lieu au moment même de la photographie ; en d'autres termes, nous sommes en droit de supposer qu'une figure qui se matérialise pendant les séances peut - je dirai même doit - apparaître en photographie transcendantale. Si l'image obtenue photographiquement correspond à la forme matérialisée observée pendant la séance et décrite antérieurement à plusieurs reprises, l'hypothèse d'une hallucination devient inadmissible.
Ces phénomènes se sont produits souvent. En effet, les médiums avec lesquels on obtenait la matérialisation ont fréquemment fait produire la photographie transcendantale de leurs « guides », c'est-à-dire des individualités qui se matérialisaient habituellement à leurs séances. Je ne citerai que quelques exemples, en commençant par le personnage bien connu de Katie King, dont la forme matérialisée, apparue sous l'influence du médium miss Cook, a été plusieurs fois photographiée, d'abord par M. Harrison à l'éclairage au magnésium, ensuite par M. W. Crookes à la lumière électrique. La même image fut reproduite en photographie transcendantale par M. Parkes, médium qui réussissait surtout dans ce genre d'expériences, et dont il a été parlé plus haut (p. 43).
Il importe de signaler que les photographies de M. Parkes offrent cette particularité qu'elles furent obtenues à la lumière du magnésium. Voici en quels termes cette expérience est exposée par M. Harrison, qui est très versé dans la technique de la photographie en général, et dans la photographie spirite en particulier :
« En ce qui me concerne, je n'ai pu reconnaître aucune des figures qui apparurent sur les plaques de M. Parkes. Mais, autant que possible, je variais les conditions dans lesquelles s'opérait la photographie. A l'insu de M. Parkes, j'écrivis à Mme Corner (Florence Cook), qui habitait dans les environs, et je la priai de venir dans l'après-midi chez M. Parkes pour assister à une séance de photographie spirite. Je m'étais dit que la présence imprévue d'un médium aussi puissant et si parfaitement digne de foi modifierait sans aucun doute le caractère des images qu'on obtiendrait, ce qui ne pourrait se produire si ces images avaient été préparées d'avance sur des transparents. Quelques heures après la réception de ma lettre, Mme Corner se rendit chez M. et Mme Parkes, qui ne la connaissaient pas. Elle se fit connaître et exposa le but de sa visite. Mme Parkes lui dit aussitôt : « Oh ! descendez donc avec nous et posez pour obtenir une photographie spirite. Je suis persuadée que nous obtiendrons une épreuve très réussie. » J'arrivai à ce moment, en retard d'un quart d'heure sur l'heure convenue. M. Parkes entrait en ce moment dans la chambre avec un négatif qu'il venait de développer et sur lequel se dessinait très distinctement, à côté de l'image de Mme Corner, celle de la célèbre Katie, drapée comme toujours, dans ses amples vêtements blancs. Ce fait constitue une excellente preuve de la loyauté du photographe, car, ainsi que je l'ai mentionné plus haut, Mme Corner s'était présentée chez M. Parkes à l'improviste, quelques minutes avant mon arrivée[83]. »
Il est utile de constater que l'image de Katie, telle qu'elle a été recueillie au cours de cette séance, ressemble plus aux portraits obtenus par M. Harrison, - qui procédait également au magnésium, - qu'à ceux produits par M. Crookes à l'éclairage électrique.
Je possède une épreuve de cette photographie qui m'a été offerte, en 1886, par Mme Cook, mère du médium ; il y a une certaine ressemblance entre ce portrait de Katie et celui reproduit dans le Spiritualist de 1873, page 200.
Le second exemple que je veux citer se rapporte à des formes matérialisées de personnages de race exotique, et qui présentaient, par conséquent, des traits si caractéristiques que leur identité pouvait aisément être constatée. Aux séances des médiums miss Wood et miss Fairlamb, de Newcastle, apparurent entre autres, deux petites figures au teint noir, qui furent bientôt connues sous les noms de Pocha et Cissey. Ces personnages, dans leurs communications, déclaraient qu'ils étaient de race noire. Les médiums sensitifs ou clairvoyants qui assistaient à ces séances constatèrent également que ces personnages étaient noirs. Pour appuyer ces témoignages, nous avons les photographies des médiums prises par M. Hudson, à Londres. On voit, sur l'une d'elles, celle de miss Wood, la figure noire de Pocha, qui se matérialisait habituellement à ces séances, et, sur celle de miss Fairlamb, la figure de Cissey[84].
Sur une photographie que je possède et qui représente miss Wood et miss Fairlamb ensemble, on voit, à côté de miss Wood, une forme drapée de blanc, assise sur le sol : c'est Pocha ; son visage noir est à découvert, et on est à première vue frappé de son type exotique très caractérisé. Sur une autre épreuve - que je possède également - on distingue, à côté de miss Fairlamb, une forme drapée de blanc, au visage noir, qui semble suspendue dans l'espace : c'est Cissey. Ces mêmes figures telles qu'elles sont reproduites par la photographie transcendantale, ont été vues, sous forme de matérialisations, par des centaines de personnes dont je citerai le témoignage lorsqu'il sera question de la photographie simple de ces deux formes, en état de matérialisation.
Dans ce phénomène, nous voyons réalisées toutes les conditions requises par M. Hartmann, à savoir que le médium et la forme matérialisée se trouvent reproduits sur la même plaque, mais par voie transcendantale. Je citerai ici un cas exceptionnel : la personne qui posait devant l'appareil photographique n'était pas le médium, c'était M. Reimers ; on avait jugé intéressant d'étudier la même manifestation dans d'autres formes d'objectivation. Nous connaissons déjà la figure de Bertie, qui apparaissait aux séances de M. Reimers, faites avec le concours de différents médiums. L'expérimentateur n'avait pas le moindre doute sur la réalité de cette apparition, car il avait reçu, antérieurement, l'empreinte de sa main dans la farine et, plus tard, le plâtre de cette main, ainsi qu'il est reproduit par une phototypie ci-jointe. Se trouvant un jour chez un transe médium. Mme Woodforde, Bertie ne tarda pas à se manifester, et M. Reimers, après une longue conversation, lui demanda sa photographie. Elle répondit : « C'est bien. J'espère que l'expérience réussira. Va demain chez Hudson ; peut-être me sera-t-il permis de satisfaire ton désir. » Le lendemain M. Reimers se rendit chez Hudson. « Je nettoyai moi-même les plaques, dit-il, et je ne les quittai pas des yeux, jusqu'au moment où elles furent placées dans la chambre noire. »
Sur la première plaque apparut, à gauche de M. Reimers, une forme flottant dans l'espace, dont on distingue parfaitement le visage féminin ; elle était placée de trois-quarts, regardant M. Reimers ; le reste de la tête est enveloppé d'une écharpe formant une sorte de chaperon conique qui retombe sur la nuque comme un voile. Je n'ai vu cette coiffure sur aucune des autres photographies que fit M. Hudson. Le buste de l'apparition est recouvert d'une draperie qui, d'un côté, descend jusqu'à terre ; le corps fait défaut de l'autre côté, la draperie est relevée jusqu'à hauteur du menton, comme si elle était maintenue par une main dissimulée en dessous. A la deuxième exposition, faite immédiatement après la première, la même forme apparut, mais, cette fois, à droite de M. Reimers ; elle flotte encore dans l'espace et le visage est toujours tourné du côté de M. Reimers. Sans aucun doute, c'est absolument la même figure ; mais, comme elle avait dû se tourner pour apparaître du côté droit, tous les détails de la photographie sont modifiés : la forme se trouve plus bas que lorsqu'elle était à gauche de M. Reimers ; elle en est aussi plus rapprochée ; c'est le même visage, mais vu de profil, la même coiffure avec d'autres plis dans l'écharpe, la même draperie pendant jusqu'à terre, mais de l'autre côté et cette main qui semblait retenir la draperie sur le buste, s'est abaissée jusqu'au-dessous de la poitrine, tout en restant dissimulée sous l'étoffe.
Cette expérience a été décrite par M. Reimers dans les Psychische Studien, 1877, page 212, mais les renseignements détaillés que je viens de donner sont empruntés aux photographies elles-mêmes, qu'il m'avait envoyées. Dans une lettre du 15 mai 1876, M. Reimers explique pourquoi il avait tout d'abord hésité à reconnaître la ressemblance qui existe entre ces deux images :
« J'ai rarement, dit-il, vu ce visage nettement et suis longtemps resté dans le doute avant de reconnaître que je me trouvais en présence du même personnage, présenté sous un autre aspect, toutes les conditions de la pose ayant subi un changement. L'extrême mobilité de la figure et la courte durée de son apparition m'ont empêché de bien retenir les traits du visage ; mais, actuellement, elle apparaît souvent sous une forme pareille à celle reproduite dans les photographies ci-jointes, avec une coiffure de l'époque de la reine Elisabeth. Hier elle s'est montrée dans un véritable nuage de gaze et s'est élevée dans l'espace, comme sur la photographie. »
J'ajouterai que l'objectivité de la matérialisation de Bertie a été confirmée par les expériences de photographie transcendantale faites par M. Reimers, chez lui, avec le médium qui servait habituellement à produire cette matérialisation. M. Reimers faisait alors lui-même toutes les manipulations photographiques. Laissons-lui la parole :
« Lors de mon séjour à Bristol, j'allai rendre visite à M. Beattie, qui avait obtenu de si remarquables résultats dans cette voie ; j'y rencontrai M, le conseiller d'État Aksakof, qui étudiait également ces phénomènes. Je me procurai les appareils nécessaires, et je fus bientôt en mesure de produire des images. Connaissant toutes les supercheries auxquelles on avait recours pour falsifier ces expériences, je résolus de faire moi-même toutes les manipulations nécessaires, de façon à rendre impossible la moindre fraude. J'aménageai moi-même le fond, afin d'empêcher éventuellement l'opération chimique qui consiste à produire, à l'aide d'un certain liquide, une image invisible à l'œil, mais qui peut être reproduite sur la plaque sensible. Ayant fait ces préparatifs, j'installai le groupe dans ma chambre, de manière à pouvoir observer tous les personnages pendant la durée entière de l'expérience. Aux premières expositions nos propres images seules furent reproduites, mais aux sept dernières expositions apparut la même figure que nous avions vue un nombre incalculable de fois. Un fait remarquable : au cours de ces séances, Mme L. (le médium clairvoyant) m'a dit à plusieurs reprises : « Je vois un nuage blanc au-dessus de votre épaule à présent, je vois distinctement une tête ; d'après vos descriptions, ce doit être notre Bertie. » En effet, sur toutes les photographies, la tête apparaît au-dessus de mon épaule gauche[85]. »
Plus loin nous verrons que M. Reimers a obtenu de cette figure une photographie prise dans une obscurité complète.
B) Le médium est invisible
Passons à la photographie ordinaire des figures matérialisées, dont nous venons de voir les images reproduites par voie transcendantale, mais les conditions seront renversées, c'est-à-dire que le médium sera invisible, alors que la figure, visible aux assistants, sera reproduite en photographie.
Dans cette partie, je citerai deux expériences, dont la première est publiée par le Medium and Daybreak (1875, p. 657) ; l'article est de M. Barkas, homme de science positive et géologue expert. Il demeure à Newcastle-on-Tyne, où, de temps à autre, il fait des conférences sur l'astronomie, la géologie, l'optique et la physiologie. Voici un extrait de cet article :
« Le 20 février, vendredi, 1875, je fus invité à me rendre dans une maison particulière, à Newcastle, pour assister à des expériences photographiques sur des figures matérialisées. A la première séance, qui avait eu lieu le 6 février, on avait fait un premier essai qui eut pour résultat la photographie d'une petite figure voilée. C'est M. Laws qui maniait l'appareil photographique aux deux séances en question. Cette première photographie a été désignée numéro 1, les négatifs, obtenus en ma présence, portent les numéros 2, 3 et 4.
Le 20 février, à huit heures, nous nous réunîmes dans le grand salon. L'assistance se composait des deux jeunes filles médiums, de quatre dames, quatorze témoins et deux photographes : M. Laws et son fils. M. Laws n'était pas spirite ; il ne s'était jamais occupé de cette question, et, avant le 6 février, vendredi, jour où il obtint la première photographie, il n'avait jamais eu l'occasion d'observer ces phénomènes. Dans un coin du salon, séparé du reste de la pièce par un paravent, on plaça deux coussins pour les médiums, qui entrèrent dans ce cabinet à huit heures vingt-sept ; elles étaient vêtues de robes à nuances sombres et portaient des manteaux. La cheminée et la glace qui la surmontait furent masquées avec un morceau de drap vert foncé, qui devait en même temps servir de fond pour la photographie.
Devant la cheminée, à deux pieds et demi du passage qui conduisait derrière le paravent, on plaça une chaise. La lampe à magnésium était sur un guéridon, près du paravent ; M. Laws aîné prit place sur une chaise, tout près, pour allumer le magnésium au moment voulu. Le piano fut avancé vers le milieu de la pièce, à dix pieds environ de la cheminée ; c'est sur ce piano que l'on plaça l'appareil photographique. Le foyer fut calculé pour l'espace qui séparait le paravent de la chaise. Afin de mieux déterminer la hauteur des figures qui apparaîtraient, on fixa avec des épingles trois feuilles de papier blanc sur le drap qui recouvrait la cheminée, à quatre pieds du plancher, ainsi qu'on peut le voir sur les photographies. Les personnes présentes prirent place par rangées, à gauche, à droite et derrière le piano, et en face du passage donnant accès dans le cabinet, endroit où l'on s'attendait à voir apparaître les fantômes. Tous les assistants s'étaient formés en chaîne. La lumière fut baissée au point de nous laisser dans l'obscurité. Nous restâmes ainsi près d'une heure, entonnant de temps en temps des airs populaires. A neuf heures trois minutes, nous fûmes sollicités par des coups frappés, et ensuite par les paroles d'un médium en état de transe, de monter la flamme du gaz et d'allumer une lampe à esprit de vin, afin d'atténuer pour la figure attendue, la transition à la lumière plus intense du magnésium, qui est indispensable pour la photographie ; nous suivîmes ces instructions ; la chambre se trouva par conséquent suffisamment éclairée. A neuf heures quarante, on nous dit de tenir les plaques prêtes. Quand nous eûmes annoncé que nous étions prêts, un pan du paravent s'ouvrit, et nous aperçûmes une petite forme féminine ou, du moins, un petit être vivant, drapé dans des vêtements de femme. Elle se tenait auprès du pan ouvert, en face de l'appareil. Immédiatement, on alluma le fil de magnésium. Une vive lumière éclaira toute l'apparition, et l'on put voir qu'elle était entièrement enveloppée d'un vêtement, qui laissait à découvert seulement le visage et les mains, qui étaient d'une teinte brun foncé, presque noirs, une main étant plus claire que l'autre. Ce vêtement paraissait être en mousseline ordinaire, tombant en larges plis jusqu'aux pieds ; il avait l'air d'être tout neuf, n'étant ni chiffonné ni défraîchi. Le visage avait le teint brun foncé des mulâtres : les yeux étaient grands, ternes, les paupières s'ouvrant et s'abaissant lourdement ; ils étaient sanguinolents, comme chez les nègres ; le nez était fort et large et les lèvres épaisses et d'un rouge éclatant. Suivant nos idées anglaises, ce visage n'était certainement pas beau. Il exprimait une sorte de timidité et la surprise que témoigne généralement un homme inculte quand il se trouve subitement transporté dans un milieu étranger. A la clarté du magnésium je distinguai nettement les traits de ce visage.
Cependant le fantôme ne pouvait supporter la lumière et se détournait petit à petit ; aussi ne voit-on, sur la photographie numéro 2 qu'une partie du visage, aux traits complètement effacés. Les ombres qui sillonnent les vêtements sont projetées par les plis, un effet de l'éclairage oblique. Sur toutes ces photographies les pieds semblent faire défaut, et le corps a l'air d'être maintenu par un support. L'exposition a duré dix secondes environ. Quand le fantôme fut évanoui, nous reçûmes la promesse qu'il nous apparaîtrait de nouveau.
Après avoir préparé la deuxième plaque, nous attendîmes le retour de l'apparition. Cette fois, elle réussit à nous regarder en face : son visage ressemblait parfaitement à celui que j'ai décrit plus haut. Elle faisait des efforts évidents pour rester en place devant l'appareil, mais elle finit, tout de même, par être obligée de se détourner de la lumière, de sorte que la photographie numéro 3 n'est pas meilleure que la précédente. La durée de l'exposition a été de douze secondes. Nous priâmes le fantôme de revenir encore une fois et de rester bien en face de l'appareil. Il le promit, mais à la condition que tous les assistants fermeraient les yeux, à l'exception du photographe et de son aide. Ces conditions furent acceptées. On procéda à la préparation de la plaque ; pendant ce temps, nous fûmes avertis que l'un des médiums serait obligé de se déplacer et de s'asseoir sur une chaise, dans le but de soutenir les forces du fantôme pendant l'exposition. En effet, l'un des médiums, qui était enveloppé dans un manteau noir, sortit de derrière le paravent et se plaça machinalement sur une chaise. Ces préparatifs terminés, la petite figure se montra de nouveau et se mit à côté du médium. Conformément à leur promesse, tous les assistants fermèrent les yeux, et la photographie numéro 4 fut prise. On y voit le contour indécis d'un visage qui ressemble d'une manière incontestable à celui que j'avais remarqué dès ses premières apparitions. Cette dernière pose a duré près de quatorze secondes. Le fantôme et le médium disparurent tous les deux derrière le paravent. Il était 10 heures 25. La dépense de force médiumnique avait été si grande que les médiums ne purent revenir à leur état normal qu'une heure après.
L'authenticité de ces phénomènes fut confirmée d'une manière frappante par un fait qui se produisit plus tard. Les deux médiums se trouvaient à Londres chez M. Hudson, qui avait souvent obtenu des photographies spirites. Ils s'y étaient présentés dans le but de faire prendre leurs propres portraits et aussi, mais éventuellement, les apparitions qui pourraient les accompagner. Sur l'un des portraits on observe une petite figure féminine, dont le visage a une ressemblance marquée avec celui que je viens de décrire[86].»
Dans un mémoire qu'il a adressé à la conférence des spiritualistes de Londres, en 1877, M. Barkas, après avoir constaté que les médiums employés pour cette expérience étaient miss Wood et miss Fairlamb, conclut en ces termes :
« On pourra m'objecter, et non sans un semblant déraison, que dans le cas qui précède aucune mesure de précaution n'a été prise, c'est-à-dire qu'on n'a pas changé les vêtements des médiums, qu'ils n'ont pas été ligotés, ni fouillés après la séance. Toutes ces observations sont très justes, et cependant, en dépit de l'absence de ces mesures de contrôle, le fait de l'apparition d'une figure humaine indubitablement vivante et absolument dissemblable aux médiums constitue à lui seul une preuve suffisante que ce fantôme n'était pas la personne de l'un des médiums, tandis que d'autre part, son visage mobile, empreint de tous les indices de la vie réelle, atteste d'une manière évidente que ce n'était pas un masque[87]. »
Je ferai observer ici que, d'après M. Hartmann, lorsqu'une apparition est absolument dissemblable au médium quant à la grandeur, l'aspect, le teint, la nationalité, il n'est plus possible d'admettre la transfiguration du médium, et il faut trouver une autre explication de ces phénomènes. Tel est le cas, pour l'expérience dont il s'agit ici ; d'après M. Hartmann, l'apparition de la petite négresse doit donc être considérée comme une hallucination. Mais, d'un autre côté, la photographie qui en a été prise satisfait à toutes les conditions imposées par M. Hartmann pour la preuve du contraire ; elle doit par conséquent être acceptée par lui comme une preuve suffisante du caractère non hallucinatoire de l'apparition. D'ailleurs, je pourrais citer encore plusieurs expériences de ce genre.
Dans la seconde expérience, dont je tiens à parler, il s'agira encore de l'apparition classique, de Katie King, photographiée le 7 mai 1873, à la lumière du magnésium, par M. Harrison, l'éditeur du Spiritualist, qui, en sa qualité de photographe amateur avait fait lui-même toutes les manipulations. La description détaillée de cette expérience, la première de ce genre dans les annales du spiritisme, a été faite par M. Harrison dans le Spiritualist, pp. 200-201 ; elle est accompagnée d'une gravure sur bois reproduisant la photographie obtenue. Je n'emprunterai à cette minutieuse description que les détails qui sont utiles à mon argumentation.
La séance a été faite dans des conditions de contrôle les plus sévères. Avant de commencer, Mr. et Miss Corner, qui assistaient à l'expérience en qualité de témoins, conduisirent le médium (Miss Florence Cook) dans sa chambre à coucher, où elles lui ôtèrent ses vêtements, la fouillèrent et lui mirent un waterproof gris foncé directement sur les vêtements de dessous, et l'amenèrent ensuite dans la chambre des séances, où M. Luxmoore lui lia solidement les poignets au moyen d'un ruban de toile. Tous les assistants examinèrent les nœuds, sur lesquels on apposa des cachets ; ceci fait, on l'installa dans le cabinet, qui avait aussi préalablement été inspecté. Dans une lettre particulière, M. Luxmoore dit qu'il avait soigneusement examiné le cabinet, d'un bout à l'autre, pendant que Mme et Mlle Corner étaient occupées à fouiller Miss Cook. Il constate que rien n'aurait pu être dissimulé dans ce cabinet sans qu'il l'eût aperçu. Le ruban était pris dans un crampon de laiton fixé au plancher, passait à l'extérieur en dessous du rideau, et enfin était solidement attaché à une chaise, de sorte que le moindre mouvement du médium, toute supercherie, devait être immédiatement découvert. On pouvait se fier en toute sécurité à la solidité des nœuds faits par M. Luxmoore : il s'y connaissait en sa qualité de marin, qui passait une grande partie de son temps à bord de son yacht. Dès que le médium eut pénétré dans le cabinet, il tomba eu transe, et quelques minutes plus tard Katie entra dans la chambre, complètement vêtue de blanc, comme je l'ai mentionné plus haut. A la fin de la séance, tous les assistants examinèrent les nœuds et les cachets et les trouvèrent intacts ; alors seulement on les brisa. Les attaches étaient si solides qu'elles laissèrent des traces sur les poignets du médium.
Quatre photographies de Katie King furent prises dans ces conditions. Selon M. Hartmann, qui est tenu de nous donner des explications naturelles, c'est le médium lui-même qui a été photographié. Mais M. Hartmann oublie qu'il y a dans cette expérience trois phénomènes distincts qui exigent tous une explication basée sur des causes naturelles. Pour le premier phénomène, si le médium a, suivant la thèse de M. Hartmann, traversé les liens qui l'enserraient, puis est rentré dans ces liens, qui sont restés intacts, nous nous trouvons en présence d'un fait de pénétration de la matière, fait transcendantal dont M. Hartmann ne nous donne aucune explication naturelle. Deuxième phénomène ; le médium, habillé d'un waterproof de couleur gris sombre, apparaît pendant quelques minutes vêtu de blanc, couvert d'un voile blanc, avec une ceinture blanche ; donc il y a eu, toujours suivant M. Hartmann, apport et disparition de ces vêtements ; ce fait, que M. Hartmann admet également, n'en est pas moins un fait transcendantal, dont il ne nous donne aucune explication naturelle. Troisième phénomène : apparition de la figure à ce fait, M. Hartmann trouve une explication naturelle, en affirmant que cette figure n'est autre que celle du médium lui-même.
Donc M. Hartmann nous explique un phénomène naturel en s'appuyant sur deux phénomènes surnaturels. Un pareil procédé de discussion ne saurait être approuvé par un critique quelconque.
Il m'est donc permis de dire que tant que M. Hartmann ne nous fournira pas une explication simple et naturelle des deux premiers phénomènes, son explication naturelle du troisième ne sera pas admissible, même au point de vue de sa propre argumentation.
Pendant l'expérience photographique dont il vient d'être question, il s'est produit encore un fait curieux : « vers la fin de la première séance, Katie nous dit que ses forces s'affaiblissaient, qu'elle allait littéralement fondre. Effectivement, sous l'influence de la lumière qu'on avait laissée pénétrer dans le cabinet, la partie inférieure de l'apparition disparut, et elle s'affaissa à un tel point qu'elle touchait le sol avec l'occiput ; le reste du corps n'existait plus. Les dernières paroles qu'elle nous adressa étaient pour nous prier de chanter pendant quelques minutes sans quitter nos places. Katie fit sa réapparition ; elle avait le même aspect qu'auparavant, et nous réussîmes à tirer encore une photographie. »
Ailleurs, M. Luxmoore écrit : « Bientôt après la production de la première photographie, Katie écarta le rideau et nous dit de la regarder ; elle paraissait ne plus avoir de corps ; elle présentait un aspect des plus étranges : sa tête était presque à niveau du sol et semblait n'être supportée que par le cou en dessous de la tête on voyait sa robe blanche. »
Si la figure de Katie n'avait pas été photographiée plusieurs fois pendant cette séance, avant et après sa dématérialisation ad visum, M. Hartmann se serait bien certainement prévalu de cette circonstance pour trouver un argument en faveur de sa théorie favorite suivant laquelle l'apparition de Katie ne serait qu'une hallucination. Mais, du moment que Katie a été photographiée, il n'y avait pas hallucination ; sa dématérialisation seule serait une hallucination temporaire ; ainsi, nous avons pour le même phénomène deux explications absolument contradictoires : à un moment donné, c'est la forme du médium qui entre en scène un moment après, nous sommes le jouet d'une hallucination. Mais par qui donc cette hallucination est-elle produite ? Par le médium ! Ainsi, le médium enfermé dans un cabinet qui n'a que 37 pouces de longueur sur 21 de largeur, change en un instant sa toilette, reprend ses vêtements ordinaires, rentre dans ses liens, se débarrasse de ses vêtements blancs (et ses vêtements sont réels, puisqu'ils ont été photographiés), puis exhibe sur ce vêtement l'hallucination de sa tête. On chercherait en vain le sens et les motifs d'une mise en scène aussi baroque.
Nous venons d'étudier deux espèces d'expériences de caractère différent et qui se complètent réciproquement : la photographie d'une forme invisible est confirmée par la photographie de la même forme devenue visible, et vice versa. C'est-à-dire que la photographie transcendantale a servi à justifier l'authenticité de la forme reproduite par la photographie ordinaire. Mais ces phénomènes, bien que suffisamment convaincants par eux-mêmes, ne remplissent pas encore les conditions imposées par M. Hartmann ; nous allons aborder maintenant une série de faits qui se présenteront dans des conditions déjà très satisfaisantes pour le commun des mortels, mais non encore pour M. Hartmann.
C ) Le médium et le fantôme sont vus en même temps seul
Photographie d'une forme matérialisée, cette forme et le médium étant visibles en même temps. Il faut parler d'abord de la nouvelle expérience faite toujours au magnésium par M. Harrison, cinq jours après la première, c'est-à-dire le 12 mai 1873.
M. Harrison obtint encore quatre photographies de Katie dans les mêmes conditions de contrôle de plus, cette fois, le médium était resté visible pendant l'exposition de la forme matérialisée de Katie.
Voici le texte de ce rapport (Spir., 1873, p., 217) :
« Nous, soussignés, désirons témoigner encore une fois qu'à la séance de Miss Cook, le 12 mai, Katie est sortie du cabinet ; elle avait sa taille habituelle, et elle s'est fait voir sous les mêmes conditions de contrôle, en ce qui concerne le ligotement et l'examen du médium, qu'à la séance du 7 mai courant, avec ceci en plus, que Miss Corner (qui était assise à gauche du cabinet, à un endroit qui lui permettait de voir tout ce qui s'y passait) a déclaré qu'elle avait vu Miss Cook et Katie en même temps.
La position occupée par les autres assistants faisant cercle ne leur permettait pas de voir l'intérieur du cabinet. A part ce fait, il eût été inutile, peut-être, de publier un témoignage qui ne serait que la répétition de nos expériences antérieures.
Amelia Corner, 3, Saint-Thomas Square, Hackney.
Caroline Corner, 3, Saint-Thomas'Square, Hackney.
J.-C. Luxmoore, 16, Gloucester Square, Hyde-Park.
William H. Harrison, Chaucer-Road, Herne-Hill.
G.-R. Tapp, 18, Queen Margaret's Grove,Mildmay Park, London, N. »
En vérité, pareil témoignage eût pu être donné dès la première expérience par M. Luxmoore, puisqu'il était assis près du cabinet dans lequel se trouvait le médium et que, au moment où Katie, écartant le rideau, s'exhiba pour la photographie, il eût pu regarder dans le cabinet et voir le médium (de même que miss Corner dans le cas précédent). L'honnêteté scrupuleuse de M. Luxmoore a seule pu le déterminer à ne pas faire immédiatement cette déclaration, comme on en peut juger d'après une partie du discours qu'il a prononcé à Gower Street, en octobre 1873, alors qu'il était question de la photographie spirite. (Ibid., p. 361.)
Mais les preuves photographiques les plus positives se rapportant aux phénomènes rangés dans cette catégorie sont certainement celles que nous emprunterons aux expériences de M. Crookes.
Après les avoir étudiées attentivement, on reste stupéfait de la désinvolture affectée par M. Hartmann à l'égard de ces expériences, qui établissent le phénomène de la matérialisation de manière à ne laisser subsister aucun doute sur sa réalité.
Voici en quels termes étranges M. Hartmann parle de ces expériences.
« Malheureusement, dans ces expériences avec Miss Cook, M. Crookes n'a pas fait preuve de la circonspection que l'on pourrait exiger d'un homme de science : il croyait le médium suffisamment contrôlé par une chaîne galvanique, il n'a fait aucune distinction entre une matérialisation et la transfiguration du médium ; il n'a pas tenu compte de l'influence qu'exerce la transmission d'une hallucination sur la formation d'une transfiguration illusoire. »
Comme je n'aurai plus l'occasion de parler des expériences de M. Crookes, sur lesquelles M. Hartmann tente de jeter le discrédit, j'en dirai quelques mots à cette place.
De la phrase agressive de M. Hartmann il faut retenir ces deux accusations dirigées contre M. Crookes :
1° Il a jugé que la présence du médium miss Cook dans le cabinet était suffisamment établie par un courant galvanique ;
2° Il n'a pas su distinguer la forme matérialisée de la transfiguration du médium.
La première de ces accusations, qui demanderait à être fortement motivée, ne repose que sur cette brève observation :
« Le contrôle du médium au moyen d'électrodes, comme l'ont appliqué Crookes et Varley aux séances physiques de Mr Fay, peut bien servir de preuve convaincante, mais on ne saurait attribuer la même importance à la fixation aux bras, par le caoutchouc, de pièces de monnaie et de papier buvard humecté, attendu que ces objets peuvent être déplacés et ne constituent aucune entrave aux libres mouvements du médium[88].»
Les trois dernières lignes de cette note se rapportent à une expérience faite par MM. Crookes et Varley avec miss Cook, au cours desquelles elle a été introduite dans le courant galvanique.
Et c'est avec ces trois lignes que M. Hartmann prétend nier la valeur d'expériences faites avec le plus grand soin et la plus stricte loyauté par deux physiciens aussi autorisés que le sont MM. Crookes et Varley.
Examinons impartialement ces expériences pour juger si les faits donnent raison à M. Hartmann ou font justice de ses téméraires accusations.
Il nous semble qu'il suffit de lire les trois lignes échappées à la plume de M. Hartmann pour constater qu'il n'a compris ni la valeur ni la portée de l'expérience dont il est question. Pour se faire une idée exacte de la manière dont cette expérience, aussi ingénieuse qu'importante, a été conduite, je renverrai le lecteur aux explications détaillées données dans les Psychische Studien, 1874, pages 341 à 349. Pour ceux qui n'ont pas ce volume sous les yeux, je donne ici un abrégé de cette description :
« Pour établir si Miss Cook se trouvait à l'intérieur du cabinet pendant que Katie se présentait devant l'assistance, hors du cabinet, M. Varley[89] conçut l'idée de faire traverser le corps du médium par un faible courant électrique, pendant tout le temps que la forme matérialisée était visible, et de contrôler les résultats, ainsi obtenus, au moyen d'un galvanomètre placé dans la même chambre, en dehors du cabinet...
L'expérience dont nous parlons eut lieu dans l'appartement de M. Luxmoore. La pièce du fond fut séparée de celle de devant au moyen d'un rideau, pour empêcher l'entrée de la lumière ; elle devait servir de cabinet obscur. Avant le commencement de la séance, on eut soin de bien explorer ce cabinet obscur et d'en fermer les portes à clef. La pièce de devant était éclairée par une lampe à paraffine avec un écran qui en tamisait la lumière. On plaça le galvanomètre sur la cheminée, à une distance de 11 pieds du rideau.
L'assistance se composait de MM. Luxmoore, Crookes, Mme Crookes et Mme Cook avec sa fille ; MM. Tapp, Harrison et moi (Varley).
Miss Cook occupait un fauteuil dans la chambre du fond.
On fixa, avec du caoutchouc, à chacun de ses bras, un peu au-dessus des poignets, une pièce de monnaie en or, à laquelle était soudé un bout de fil de platine. Les pièces d'or étaient séparées de la peau par trois couches de papier buvard blanc, d'une forte épaisseur, humecté d'une solution de chlorhydrate d'ammoniaque. Les fils de platine passaient le long des bras jusqu'aux épaules et étaient attachés au moyen de cordons, de manière à laisser aux bras la liberté des mouvements. Les bouts extérieurs des fils de platine étaient réunis à des fils de cuivre, recouverts de coton, et qui arrivaient jusque dans la chambre éclairée où se trouvaient les expérimentateurs. Les fils conducteurs étaient reliés à deux éléments Daniel et à un appareil de contrôle. Quand tout fut prêt, on ferma les rideaux, laissant ainsi le médium (Miss Cook) dans l'obscurité. Le courant électrique traversa le corps du médium pendant toute la durée de la séance...
Ce courant, prenant naissance dans les deux éléments, passait par le galvanomètre, par les éléments de résistance, par le corps de Miss Cook et retournait ensuite à la batterie. »
Avant l'introduction de Miss Cook dans le courant, tandis que les deux pièces de monnaie qui formaient les pôles de la batterie étaient réunies, le galvanomètre marquait une déviation de 300".
Après l'introduction de Miss Cook, les pièces d'or furent placées sur les bras du médium, un peu au-dessus du poignet, et le galvanomètre ne marqua plus que 220°.
Ainsi donc le corps du médium, introduit dans le courant, offrait une résistance au courant électrique équivalant à 80 divisions de l'échelle.
Le but principal de cette expérience était précisément de connaître la résistance que le corps du médium pouvait offrir au courant électrique.
Le moindre déplacement des pôles de la batterie, qui étaient fixés aux bras de miss Cook par des caoutchoucs, aurait inévitablement produit un changement dans la force de résistance offerte par le corps du médium.
Or c'est dans ces conditions que la figure de Katie apparut plusieurs fois dans la fente du rideau ; elle montra ses deux mains et ses deux bras, puis demanda du papier, un crayon et écrivit sous les yeux des assistants.
D'après M. Hartmann, c'est le médium, lui-même qui aurait agi, « les pièces de monnaie et le papier buvard pouvant être déplacés dans deux sens, en haut et en arrière, et permettant ainsi au médium de se mouvoir librement ». Si les pièces de monnaie et le papier buvard avaient été relevés jusqu'aux épaules, de manière à découvrir les deux bras du médium, le trajet parcouru par le courant électrique dans le corps du médium aurait été raccourci au moins de moitié, par conséquent la résistance offerte par le corps du médium aurait aussi diminué de moitié, soit de 40°, et l'aiguille du galvanomètre serait montée de 220 à 260°. Et cependant c'est le contraire qui s'est produit : dès le début de la séance, non seulement il n'y a eu aucune augmentation de la déviation, au contraire, elle a constamment et graduellement diminué jusqu'à la fin de la séance, sous l'influence du dessèchement du papier mouillé ; cette circonstance a augmenté la résistance au courant électrique et a diminué la déviation de 220 à 146°.
Il est certain que si l'une des pièces d'or avait été refoulée, ne fût-ce que d'un pouce ; la déviation eût augmenté, et la supercherie du médium se fût trouvée démasquée mais, comme je l'ai dit, le galvanomètre n'a pas cessé de baisser.
Il est donc absolument établi que les pièces d'or appliquées sur les bras du médium n'ont pas été déplacées d'un millimètre, que les bras qui sont apparus et qui ont écrit n'étaient pas les bras du médium, que, par conséquent, l'emploi de la chaîne galvanique pour s'assurer de la présence du médium derrière le rideau doit être considéré comme étant une garantie suffisante, enfin que les explications que donne M. Hartmann pour en prouver l'insuffisance trahissent un examen peu approfondi de l'expérience en question.
Outre cette erreur capitale commise par M. Hartmann, et qui provient de son ignorance du principe physique sur lequel était basée l'expérience, il est curieux de constater que M. Hartmann n'en a pas du tout compris l'extrême délicatesse, malgré toutes les explications données dans le rapport paru dans les Psychische Studien ; il est clair qu'en usant de ce procédé, on n'avait pas uniquement pour but de s'assurer que l'appareil appliqué aux mains du médium resterait intact (c'était là le moindre des soucis des opérateurs), mais on voulait avant tout contrôler, enregistrer les moindres mouvements de ses mains, l'appareil restant intact. Les variations des conditions auxquelles le courant électrique était soumis en passant par le corps du médium, étaient indiquées par le galvanomètre-réflecteur, instrument si sensible que le courant électrique le plus faible, transmis à 3,000 milles par un câble sous-marin, serait enregistré.
Donc, le moindre mouvement du médium aurait aussi provoqué des oscillations de l'appareil ; et on en a fait la preuve avant l'expérience, ainsi qu'il résulte du passage suivant, extrait d'un article de M. Varley, où tous les mouvements du galvanomètre sont minutieusement consignés, minute par minute : « Avant que le médium ne tombât en transe, on le pria de faire des mouvements avec ses bras ; le changement de la surface métallique mise en contact réel avec le papier et le corps produisit une déviation s'élevant de 15 à 20 divisions, même davantage parfois ; par conséquent, si, au cours de la séance, le médium avait fait le moindre mouvement avec les mains, le galvanomètre l'aurait sûrement indiqué. Dans l'espèce, Miss Cook représentait un câble télégraphique au moment du contrôle[90]. » Et M. Hartmann ose prétendre que les pièces de monnaie et le papier humecté pouvaient être glissés en haut ou en arrière sans empêcher le médium de s'avancer vers le spectateur !
Mais, pour faire cette opération et montrer ses deux bras nus, le médium aurait dû relever jusqu'aux épaules les manches de son habit avec les monnaies, les caoutchoucs, les appliques de papier, les fils de platine et les liens qui maintenaient ces fils de platine sur les bras. Il aurait été obligé de faire cette opération pour un bras d'abord, puis pour l'autre. Tout cela non seulement sans interrompre pendant un seul instant le courant électrique (si le courant avait été interrompu, rien que pour un dixième de seconde, le galvanomètre aurait fait une oscillation d'au moins 290 divisions), bien plus sans même provoquer d'autres déviations que celles résultant du simple mouvement des mains.
Mais ce n'est pas tout. Si l'on accepte l'explication de M. Hartmann, le médium aurait, avant la fin de la séance, remis en place les manches de son vêtement tout en conservant les appareils sur les bras. Nous avons vu cependant qu'à 7 h. 45, Katie répétait encore l'expérience de l'écriture tout en tenant son bras en dehors du rideau à 7 h. 48, Katie serra la main de M. Varley et la séance prit fin. Pendant ces trois minutes, le galvanomètre n'enregistra que des oscillations insignifiantes, comprises entre 140 et 150°. Donc il était impossible au médium de faire les mouvements nécessaires pour rétablir le statu quo ante.
Au surplus, M. Hartmann oublie que Katie n'apparaissait jamais qu'avec une draperie blanche sur la tête et le corps. A cette séance, Katie souleva le rideau et se montra plusieurs fois dans son costume habituel. D'après M. Hartmann, cela prouve simplement que le médium aurait changé de toilette.
Et tout cela se serait fait malgré les fils de cuivre qui étaient reliés aux fils de platine et aboutissaient dans la chambre éclairée.
Les objections que je viens d'énumérer établissent que M. Hartmann n'a étudié que très superficiellement la belle expérience qui s'offrait à son examen. Mais tout cela est si clair, si net, si précis, que toute discussion devient superflue, dès que le principe physique sur lequel se basait l'expérience (l'appréciation de la somme de résistance offerte par le corps du médium au courant électrique) est bien compris, et si l'on tient compte de ce fait que le chiffre représentant cette force de résistance n'a jamais diminué.
Mais il y a encore un autre phénomène se rapportant à cette catégorie d'expériences de M. Crookes, et l'exposé de ce fait aggravera la responsabilité que M. Hartmann a encourue en émettant avec tant de légèreté son jugement sur la méthode appliquée par M. Crookes.
L'expérience dont nous venons de parier fut répétée par M. Crookes seul, et, cette fois, le médium ayant été introduit dans le courant, Katie King sortit entièrement de derrière le rideau. Voici le passage des Psychische Studien qui se rapporte à cet incident, que M. Hartmann aurait pu lire sur la page même ou commence la relation de l'expérience de M. Varley :
« A la deuxième séance, ce fut M. Crookes qui dirigea l'expérience, en l'absence de M. Varley. Il obtint des résultats similaires, tout en ayant pris la précaution de ne laisser aux fils de cuivre que juste assez de longueur pour permettre au médium de se montrer dans l'écartement du rideau, au cas où il se déplacerait. Cependant Katie s'avança au-delà du rideau, d'environ 6 à 8 pieds ; elle n'était retenue par aucun fil, et l'observation du galvanomètre ne fit constater rien d'anormal à aucun moment. En outre, Katie, sur la prière de M. Crookes, plongea ses mains dans un récipient contenant de l'iodure de potassium, sans qu'il en résultât la moindre oscillation de l'aiguille du galvanomètre. Si les fils conducteurs avaient été en communication avec sa personne, le courant se serait dirigé par la voie plus courte que lui offrait ainsi le liquide, ce qui aurait occasionné une plus forte déviation de l'aiguille[91]. »
M. Harrison, l'éditeur du Spiritualist, qui a assisté à cette expérience, et qui a publié dans son journal le compte rendu que nous venons de citer, a fait paraître dans le Medium la notice suivante, avec l'approbation de MM. Crookes et Varley :
« Monsieur le Directeur,
A la suite de ma présence à plusieurs séances récentes, au cours desquelles MM. Crookes et Varley ont dirigé un faible courant électrique à travers le corps de Miss Cook, pendant tout le temps qu'elle se trouvait dans le cabinet, alors que Katie était au dehors, quelques personnes ayant fait partie de l'assistance m'ont prié de vous communiquer les résultats obtenus à ces expériences, dans l'espoir que cet article aura pour effet de protéger un médium loyal et honnête contre d'indignes attaques.
Quand Katie sortit du cabinet, aucun fil métallique n'adhérait à sa personne ; pendant tout le temps qu'elle se tint dans la chambre, en dehors du cabinet, le courant électrique ne subit aucune interruption, ainsi que cela aurait inévitablement eu lieu si les fils avaient été détachés des bras de Miss Cook sans que leurs extrémités fussent immédiatement remises eu contact.
En admettant même que ce fait se fût produit, la diminution de la résistance aurait été aussitôt mise en évidence par l'aiguille du galvanomètre. Dans les expériences dont il s'agit, il a été, diversement démontré que Miss Cook était dans le cabinet pendant que Katie s'exhibait au dehors.
Les séances ont eu lieu en partie dans l'appartement de M. Luxmoore, en partie dans celui de M. Crookes. Avant de vous adresser la présente, lecture en a été faite à MM. Crookes et Varley, qui ont donné leur approbation.
11, Ave Maria lane, le 17 murs 1874.
William H. Harrison. »
D'ailleurs, l'article des Psychische Studien devait suffire à M. Hartmann s'il avait voulu le lire avec l'attention nécessaire. Comment prouvera-t-il « l'insuffisance du contrôle par le courant galvanique ? Où donc les pièces d'or et le papier humecté ont-ils pu être glissés »? Sans s'être donné la peine d'étudier à fond et de chercher à comprendre les belles expériences, de MM. Crookes et Varley, il s'avise de traiter ces deux savants physiciens comme des enfants qui feraient de la science un jeu. Pour détruire la valeur de leurs expériences, il donne les premières explications qui lui passent par la tête. Ce qui est permis au chroniqueur qui amuse le public aux dépens de la vérité ne sied pas au philosophe qui prétend la respecter.
A propos de ces expériences avec le courant galvanique, je dois mentionner encore un autre moyen de vérifier la matérialité et, par conséquent, la réalité objective d'une apparition.
Cette méthode, qui avait été suggérée à M. Crookes par M. Varley, a été mise à exécution par le premier des deux savants. Nous ne possédons malheureusement sur ce sujet que les quelques explications suivantes de M. Harrison :
« Les pôles opposés d'une batterie furent mis en communication avec deux vases remplis de mercure. Le galvanomètre et le médium furent ensuite introduits dans le circuit. Lorsque Katie King plongea ses doigts dans ces vases, la résistance électrique ne diminua pas, et le courant n'augmenta pas de force ; mais, quand Miss Cook sortit du cabinet et trempa ses doigts dans le mercure, l'aiguille du galvanomètre indiqua une déviation considérable. Katie King présentait au courant une résistance cinq fois plus grande que Miss Cook[92]. »
De cette expérience nous pouvons conclure que la conductibilité électrique du corps humain est cinq fois plus grande que celle d'un corps matérialisé.
Passons au deuxième reproche que M. Hartmann adresse à M. Crookes. Celui-ci n'aurait pas su distinguer « entre la formation d'une figure et la transfiguration du médium » et n'aurait « pas tenu compte de l'influence qu'exerce l'hallucination suggérée sur la production d'une transfiguration illusoire » (p. 18) Examinons donc l'argumentation de M. Crookes et la méthode qu'il emploie. Avant d'admettre la formation matérielle de Katie King, il avait pris pour principe la nécessité d'obtenir une preuve absolue ; cette preuve devait reposer sur ce fait que le médium et la forme matérielle seraient vus en même temps. M. Crookes dit textuellement :
« Personne n'est venu affirmer d'une manière catégorique, en se basant sur le témoignage des sens, qu'au moment où l'apparition s'intitulant Katie était visible dans la chambre, le corps de Miss Cook se trouvait, oui ou non, dans le cabinet. Il me semble que toute la question se réduit à résoudre cette alternative. Que l'on démontre le bien fondé de l'une ou de l'autre de ces suppositions, alors toutes les questions secondaires tomberont d'elles-mêmes ; mais cette preuve doit être absolue, et non basée sur des raisonnements ou sur la prétendue intégrité des sceaux, des nœuds et des coutures[93]. » Du moment que M. Crookes s'était imposé un principe aussi rigoureux, on serait malavisé de l'accuser de « manque de circonspection » et prétendre qu'il aurait négligé les mesures de contrôle nécessaires pour s'assurer qu'il n'était pas en présence d'une simple transfiguration du médium. La preuve absolue qu'il voulait avait précisément pour objet d'éliminer cette éventualité.
Deux mois plus tard, M. Crookes nous écrivait :
« Je suis heureux de pouvoir vous informer que j'ai enfin réussi à établir la preuve absolue dont j'ai parlé dans ma lettre précédente. »
Voici la description qu'il donne de son expérience :
« Katie déclare qu'elle croyait cette fois être en mesure de se montrer en même temps que Miss Cook. Elle m'engage à éteindre le gaz et à revenir, avec ma lampe à phosphore, dans la chambre qui servait alors de cabinet. Je fis selon son désir, après avoir prié un de mes amis, sténographe expert, d'inscrire chacune des paroles que je prononcerais quand je me trouverais dans le cabinet ; je savais à quoi m'en tenir sur l'importance des premières impressions et ne voulais pas me fier à ma mémoire plus que de raison. Les notes prises sont sous mes yeux. J'avançai avec précaution dans la chambre, qui était alors plongée dans l'obscurité, et cherchai à tâtons Miss Cook, que je trouvai étendue par terre. Je m'agenouillai près d'elle et introduisis de l'air dans la lampe. A la lueur phosphorique, j'aperçus la jeune femme, vêtue de velours noir, comme dans la première partie de la séance. Elle paraissait privée de connaissance ; elle ne fit aucun mouvement lorsque je lui pris la main et approchai la lumière de son visage, et continua à respirer tranquillement.
Je levai la lampe, et, jetant un regard autour de moi, je vis Katie debout, juste derrière Miss Cook. Elle portait une ample robe blanche, comme elle nous avait apparu tout d'abord. Comme je tenais toujours la main de Miss Cook, agenouillé sur le plancher, je portai la lampe alternativement en haut et en bas, afin d'éclairer la forme entière de Katie et de m'assurer ainsi que j'avais réellement devant moi cette même Katie que j'avais tenue dans mes bras quelques instants auparavant, et que je n'étais pas le jouet de l'illusion d'un cerveau surexcité. Sans rien dire, elle me faisait des signes de la tête et me souriait d'un air aimable.
A trois reprises, j'examinai soigneusement Miss Cook, couchée à côté de moi, pour être sûr que la main que je tenais appartenait à une femme vivante, et trois fois je dirigeai la lueur de la lampe sur Katie, l'examinant avec une attention soutenue jusqu'à ce que je n'eusse plus de doute sur sa réalité objective. Enfin Miss Cook remua, et immédiatement Katie me fit signe de m'éloigner. J'allai à l'autre bout de la pièce et ne vis plus Katie ; mais je n'ai pas quitté la chambre avant que Miss Cook ne se fût réveillée et que deux personnes qui avaient pris part à la séance fussent entrées avec de la lumière[94]. »
Comme tout ce qui sort de la plume de M. Crookes est précieux pour cette question, je donne ici un témoignage supplémentaire de cette preuve absolue, contenue dans une lettre de M. Crookes à M. Cholmondeley Pennell, écrite en réponse aux doutes émis par ce dernier. M. Pennell cite cette réponse dans une lettre qu'il a publiée dans le Spiritualist en 1874, p. 179. C'est à ce journal que nous l'empruntons :
« Au cours de cette expérience, j'étais trop profondément pénétré de son importance pour négliger aucune mesure de contrôle que je crusse de nature à pouvoir la rendre plus complète. Ayant tout le temps tenu dans ma main celle de Miss Cook, agenouillé près d'elle, approchant la lampe de son visage et épiant sa respiration, j'ai tout lieu d'être persuadé que je n'ai pas été mystifié au moyen d'un mannequin ou d'un paquet de vêtements ; quant à l'identité de Katie, j'en suis tout aussi convaincu. Sa taille, sa tournure, son visage, sa conformation, son habillement ainsi que son sourire gracieux étaient bien les mêmes que j'avais vus maintes fois ; l'extérieur de Katie m'était tout aussi familier que celui de Miss Cook, car je l'avais souvent regardée pendant plusieurs minutes, à une distance de quelques pouces seulement et parfaitement éclairée. »
Dans son troisième article publié dans les Psychische Studien (1875, p. 19), M. Crookes donne les détails suivants : « Depuis quelque temps seulement, Katie consent à ce que je fasse tout ce que je désire : la toucher, entrer dans le cabinet et en sortir, comme il me plaît, et je l'ai fréquemment suivie de près quand elle entrait dans le cabinet. Alors je la voyais, quelquefois en même temps que le médium, mais le plus souvent je ne trouvais que le médium seul, qui était plongé dans une transe et étendu sur le plancher, alors que Katie avait soudainement disparu. »
Il est donc parfaitement évident, d'après les observations de M. Crookes, qu'il ne saurait être question d'une transfiguration du médium. Et M. Hartmann vient nous affirmer, malgré tout, et avec un imperturbable aplomb, que M. Crookes n'a pas su distinguer entre la production d'une forme indépendante et la transfiguration du médium, c'est-à-dire qu'il a pris Katie King pour une forme indépendante, tandis que ce n'était qu'une transfiguration de Miss Cook. Affirmation bizarre, puisque les deux formes étaient présentes a la fois !
On voit que, logiquement, M. Hartmann, conformément à sa propre théorie, ne pourrait avoir recours qu'à l'hallucination pour expliquer les expériences de M. Crookes. Or il est bon de remarquer que M. Hartmann, par un raisonnement inexplicable, évite obstinément d'accuser M. Crookes d'avoir été le jouet d'une hallucination ; il persiste au contraire à affirmer que les phénomènes en question, que M. Crookes aurait pris pour une matérialisation, n'étaient autre chose qu'une transfiguration du médium. Mais les raisons de cette logique en quelque sorte instinctive se devinent aisément : M. Hartmann savait bien qu'il aurait à tenir compte des photographies obtenues par M. Crookes. Ce qui était hier une hallucination pourrait devenir demain une photographie, avec laquelle il serait forcé de compter.
Nous voilà ramenés à notre sujet : la réalité des matérialisations prouvée par les photographies prises pendant que le médium et le fantôme sont visibles en même temps. Fidèle à son principe de chercher une preuve absolue, M. Crookes fit plusieurs expériences de ce genre. Nous en donnons ici les détails essentiels :
« La dernière semaine avant sa disparition définitive, Katie apparaissait presque tous les soirs, aux séances que j'avais organisées chez moi afin de me trouver en mesure de la photographier à l'aide d'un jour artificiel. A cet effet on prépara cinq appareils photographiques complets, afin que l'opération ne subît aucun retard ; c'est moi-même d'ailleurs qui faisais toutes les manipulations, avec le secours d'un aide.
Mon bureau servait de cabinet noir. Une porte à deux battants conduit de cette pièce dans un laboratoire. L'un de ces battants fut enlevé et remplacé par un rideau, afin de permettre à Katie de passer plus facilement. Les amis qui assistèrent à cette séance se placèrent dans ce laboratoire, en face du rideau ; les chambres obscures étaient disposées derrière eux, toutes préparées à prendre l'image de Katie, à sa sortie du cabinet, ainsi que tout ce qui se trouvait dans la pièce, au moment où le rideau s'écarterait. Tous les soirs, trois ou quatre négatifs furent obtenus dans chacune des chambres obscures, ce qui faisait en moyenne environ quinze photographies différentes, dont plusieurs furent abîmées au développement, quelques autres pendant qu'on réglait l'intensité de la lumière. Je possède en tous quarante-quatre négatifs, dont plusieurs malvenus, d'autres passables et quelques-uns très bien réussis.
A son entrée dans le cabinet. Miss Cook se couchait sur le plancher, la tête sur un coussin, et tombait bientôt en transe. Pendant les séances photographiques, Katie enveloppait la tête de son médium dans un châle pour empêcher la lumière de donner sur son visage. Plusieurs fois je soulevais le rideau d'un côté, au moment où Katie se tenait près de Miss Cook, et alors il arrivait souvent que tous les assistants, au nombre de sept à huit, pouvaient contempler en même temps Katie et Miss Cook, grâce à un intense éclairage électrique. En ces occasions, nous ne voyions pas, il est vrai, le visage du médium, à cause du mouchoir qui le couvrait, mais nous pouvions voir ses mains et ses pieds, observer ses mouvements, qui dénotaient du malaise sous l'effet de la lumière, et nous pouvions entendre les gémissements qu'elle poussait par moments. Je possède une photographie qui les montre ensemble, mais Katie est assise devant Miss Cook, de manière à masquer sa tête[95]. »
La preuve absolue que cherchait M. Crookes, il l'a donc obtenue aussi par la voie photographique, et elle vient ainsi corroborer celle que le témoignage des sens lui avait antérieurement donnée.
De ce qui précède, comment conclure que dans ses expériences avec Miss Cook, M. Crookes n'a pas su distinguer entre une formation matérielle indépendante et une transfiguration du médium ?
Eh bien ! Que dit M. Hartmann des photographies obtenues par M. Crookes ? C'est tout simple : il affirme avec une parfaite assurance que l'image reproduite est celle du médium, sans se donner la peine de rechercher quelle pouvait être la personne que l'on voyait derrière le rideau, pendant que s'opérait au dehors la photographie de la forme matérialisée.
Il lui serait pourtant bien facile de dire que ce n'était qu'un mode de l'hallucination : la figure photographiée, c'était le médium transfiguré ; celle que l'on voyait étendue par terre derrière le rideau et que l'on prenait pour le médium, ce n'était qu'une hallucination suggérée par le médium aux assistants. La méthode critique appliquée en cette circonstance se présenterait donc ainsi : quand il ne s'agit pas de photographier et que le médium et le fantôme sont vus en même temps, le fantôme est une hallucination mais, quand il y a expérience photographique et que l'on voit simultanément le médium et le fantôme reproduits sur la plaque, alors c'est le médium qui devient une hallucination.
M. Hartmann aurait bien fait de nous dire s'il sanctionne cette méthode d'argumentation mais il n'en dit rien.
Il v a encore un autre point de nature à créer quelques difficultés à M. Hartmann. M. Crookes définit exactement les dissemblances constatées par lui entre Miss Cook et Katie : « La taille de Katie King est variable : chez moi, je l'ai vue dépassant celle de Miss Cook de six pouces. La nuit dernière, elle était plus grande que Miss Cook de quatre pouces et demi seulemen t: elle était pieds nus. Son cou était à découvert, et j'ai pu constater qu'elle avait la peau soyeuse et unie, tandis que Miss Cook porte sur le cou la marque d'une large balafre, très visible et que l'on sent au toucher. Les oreilles de Katie ne sont pas percées ; Miss Cook, au contraire, porte habituellement des boucles d'oreilles ; Katie est très blonde, Miss Cook une forte brune ; les doigts de Katie sont beaucoup plus effilés que ceux de Miss Cook, et son visage plus large[96]. » Voyons l'explication catégorique que nous sert M. Hartmann relativement à ces détails.
« Tant qu'il s'agit de dissemblances peu importantes entre le fantôme et le médium (par exemple comme dans les expériences de M. Crookes), l'entrée en scène du médium lui-même n'a évidemment pour effet que de faciliter la transmission de l'hallucination » (pp. 95 et 96).
Nous laisserons de côté la question d'opportunité de l'emploi de l'expression « peu importantes », en nous contentant de relever ce fait principal : selon M. Hartmann, ces dissemblances, ou « déviations » seraient donc des hallucinations que le médium aurait produites sur lui-même. Admettons le fait. Mais M. Hartmann oublie que parmi ces « déviations » il y en a une qui a été constatée par M. Crookes matériellement et d'une manière permanente, à savoir la différence dans la couleur des cheveux. Voici ce qu'il en dit : «J'ai sous les yeux une boucle provenant de l'opulente chevelure de Katie avec sa permission, je l'ai coupée, après m'être assuré, en la palpant jusqu'aux racines, qu'elle prenait réellement naissance sur sa tête ; cette boucle est d'un châtain très clair, alors que les cheveux de Miss Cook sont d'un brun qui les fait paraître noirs[97]. » Cette preuve matérielle vaut bien l'évidence d'une plaque photographique ! Ou bien, par aventure, M. Crookes, lorsqu'il coupait cette mèche, « n'aurait-il pas pris garde que précisément cette mèche offrait une teinte notablement différente de celle du reste de la chevelure » ? (Spiritisme, p. 89.) Peut-être l'hallucination s'est-elle limitée à cette mèche spéciale, comme aussi la « balafre », les « oreilles » et les « doigts » ? M. Hartmann oublie également de prendre en considération parmi ces « ressemblances » la taille des deux personnes, qui a été mesurée. Une différence de quatre et demi à six pouces dans la hauteur n'est pas une quantité négligeable. M. Hartmann serait-il tenté d'affirmer que la mensuration a été faite dans un état hallucinatoire ? Il se heurterait alors à quelques difficultés : M. Crookes a constaté cette différence de taille par la photographie, au moyen d'un procédé très ingénieux et très convaincant. Nous lisons : « Une des photographies les plus intéressantes est celle où je suis reproduit aux côtés de Katie. Elle était debout, nu-pieds, à une place déterminée après la séance, je revêtis Miss Cook d'une robe-semblable à celle que portait Katie, je la plaçai exactement dans la même position qu'elle, et je repris la place que j'occupais auparavant pour la photographier, on se servit des mêmes appareils avec le même éclairage. Ces deux photographies, superposées, sont conformes quant à ma taille personnelle, mais Katie est plus grande que Miss Cook d'une demi-tête, et paraît une grande femme à côté d'elle. Sur beaucoup de photographies, la largeur de son visage la distingue d'une façon marquée de son médium ; les mêmes images dénotent d'autres dissemblances encore[98]».
Une demi-tête, cela suffit amplement pour prouver qu'il n'y a pas eu dans l'espèce une « transmission d'hallucination », comme le prétend M. Hartmann (Spiritisme, p. 96). Quelle est donc son opinion au sujet de cette photographie ? Il n'est pas embarrassé pour si peu : c'est toujours le médium lui-même qui est reproduit en photographie. Il dit textuellement : « En admettant pour les médiums la faculté de pénétrer la matière, il est clair que l'on est forcé de recourir à d’autres procédés que l'isolement du médium pour établir sa non-identité avec le fantôme... Toutes les expériences où cette non-identité n'est basée que sur l'isolement doivent être récusées, comme ne fournissant aucune preuve convaincante ; tout ce qui est produit par l'apparition dans ces conditions doit être considéré comme un acte accompli par le médium: si, par exemple, elle coupe une mèche de ses cheveux et les distribue aux assistants ; si elle se promène au milieu d'eux, s'entretient avec eux, se laisse photographier, etc., c'est toujours le médium[99] »
Les citations des Psychische Studien faites par M. Hartmann se rapportent, on le voit, précisément aux expériences de M. Crookes dont il vient d'être question. Mais s'agit-il ici d'un « isolement des médiums » ? La preuve de la non-identité du médium et du fantôme n'est-elle pas basée dans ces expériences précisément sur un tout autre principe ?
Ainsi donc voilà toute l'attention que M. Hartmann consent à accorder aux expériences de matérialisation de M. Crookes, qui jouissent, à juste titre, chez les spirites, de la plus haute autorité. Nous nous étions particulièrement préoccupés de l'opinion qu'un philosophe, un penseur comme M. Hartmann, émettrait sur ces investigations ; nous avions la conviction que ces expériences décisives (le circuit galvanique et la photographie) seraient spécialement et consciencieusement examinées par lui et, tout au moins, lorsque nous avons vu M. Hartmann entamer la discussion en accusant M. Crookes d'avoir manqué de « sens critique », espérions-nous encore qu'il nous exposerait avec tous les détails nécessaires les raisons pour lesquelles il déclare que les expériences de M. Crookes ne répondent pas aux exigences imposées à un « chercheur sérieux ».
Au lieu de cela, nous n'avons découvert, éparses dans son livre, qu'une vingtaine de lignes ne contenant que des affirmations générales et arbitraires, en contradiction avec les faits, de telle manière que le lecteur qui ne se donnerait pas la peine de confronter les affirmations téméraires de M. Hartmann avec les attestations loyales de M. Crookes se ferait une idée complètement fausse des moyens employés par ce dernier pour l'étude de phénomènes, au plus haut point invraisemblables, et qui doivent être traités avec beaucoup de circonspection, de prudence, par un homme de science qui se respecte et qui sait qu'il engage sa réputation en proclamant publiquement l'existence de ces phénomènes.
Quand un philosophe, comme M. Hartmann, accuse un physicien de premier ordre, tel que M. Crookes, « de ne pas avoir apporté dans ses expériences le degré de circonspection que l'on peut attendre d'un homme de science » (p. 18), il est tenu, avant tout, de prouver que lui-même a fait preuve de cette circonspection, dont les conditions essentielles sont de comprendre à fond et d'expliquer avec clarté ce que l'on critique.
Je me vois obligé de constater, à mon grand regret, que M. Hartmann n'a pas agi loyalement envers M. Crookes et que l'accusation de « manquer de sens critique » doit lui être retournée.
Où chercher la cause de procédés aussi étranges ? M. Hartmann accuse les spirites « de se laisser guider dans leurs recherches uniquement par leurs sympathies » (p. 20). Que les spirites se consolent de cette accusation : ils ne sont pas seuls à se laisser fasciner par des intérêts de cette nature.
Mais nous n'en avons pas encore fini avec les assertions erronées de M. Hartmann à l'égard des photographies de M. Crookes, quoique M. Hartmann ait la prudence de ne le pas nommer. C'est ainsi que dans le passage suivant (p. 97 ) il reparle de ces photographies.
« Il est certain que toutes les expériences photographiques faites jusqu'à ce jour sur des apparitions perçues par les assistants témoignent contre l'objectivité de ces phénomènes, car elles ont toutes donné des résultats négatifs, à l'exception des cas où le médium a été photographié, et alors les reproductions n'ont pas une netteté suffisante pour établir si l'on a réussi à photographier, en même temps que le médium, l'image illusoire qui l'enveloppe ; autrement dit, si la photographie obtenue représente le fantôme même, et non le médium qu'il revêt» (p. 97).
Dans tout ce passage, très confus, à peine compréhensible, de quoi M. Hartmann entend-il parler ? Quelle est la généralité des expériences photographiques faites jusqu'à ce jour qui auraient « donné un résultat négatif ? » Et quelles sont les photographies qui « font exception » ? Pourquoi n'indique-t-il pas la source des renseignements sur lesquels il base cette affirmation ? Mais, comme M. Hartmann (d'après les documents dont il disposait et dont il cite la source dans son livre) n'a pu avoir connaissance d'autres « expériences photographiques faites sur des apparitions perçues par l'assistance » que celles publiées dans les Psychische Studien, où ne sont rapportées que les expériences photographiques de M. Crookes, il est évident que le passage ci-dessus cité n'a trait qu'à ces photographies ; c'est d'autant plus certain qu'immédiatement après ce paragraphe il parle de la photographie de M. Crookes, sur laquelle le médium et la forme matérialisée apparaissent ensemble. De tout cela il résulte que dans le passage cité, les mots « toutes les expériences photographiques faites sur des fantômes vus par les assistants... dans tous les cas rapportés jusqu'à présent, ont conduit à des échecs » n'ont aucun sens précis, ne s'appliquent à rien : - il n'y a pas eu de « tentatives sans résultat ».
Il est tout aussi difficile de comprendre la seconde moitié du même passage, où M. Hartmann affirme que dans les cas où le « résultat n'a pas été négatif », et où « le médium lui-même a été photographié », les images sont beaucoup trop indistinctes pour que l'on puisse se rendre compte si, en outre du médium, la photographie a reproduit aussi les vêtements illusoires dans lesquels il était drapé ».
Que faut-il entendre par « vêtements illusoires qui drapaient le médium » ?
D'après ce qu'on lit aux pages 90 et 103, il faut comprendre que ce sont les vêtements blancs en forme de voiles et « les pièces de vêtements hallucinatoires » au moyen desquelles le médium produit l'illusion désirée. Sur quoi se fonde M. Hartmann pour dire que sur ces photographies on ne voit pas les vêtements illusoires qui drapaient le médium » ? Quelles photographies a-t-il vues ? Desquelles parle-t-il ? Il aurait du nous le dire très exactement. Les photographies de formes matérialisées ne sont pas nombreuses ; on n'en compte que quelques-unes, et je n'en connais pas, pour ma part, auxquelles puissent s'appliquer les assertions de M. Hartmann.
Je puis certifier, au contraire, que sur toutes ces photographies, - que je possède, y compris les exemplaires que je tiens de M. Crookes, - « l'illusion qui drape le médium » dont parle M. Hartmann est parfaitement photographiée et que par conséquent la photographie représente effectivement ce que M. Hartmann appelle « le fantôme ».
Je ferai ici une brève digression, en racontant mon entrevue avec Katie King, entrevue dont le récit n'a jamais été publié par la presse étrangère.
C'était en 1873. M. Crookes avait déjà publié ses articles sur la force psychique, mais il ne croyait pas encore aux matérialisations, ajoutant qu'il n'y croirait que lorsqu'il aurait vu, en même temps, le médium et la forme matérialisée. Me trouvant à Londres, à cette époque, je souhaitais naturellement voir de mes propres yeux ce phénomène unique, alors. Ayant fait la connaissance de la famille de Miss Cook, je fus gracieusement invité à assister à la séance qui devait avoir lieu le 22 octobre. On se réunit dans une petite chambre servant de salle à manger. Le médium, Mlle Florence Cook, prit place sur une chaise dans le coin formé par la cheminée et la muraille, derrière un rideau glissant sur des anneaux. M. Luxmoore, qui dirigeait la séance, exigea que j'examinasse bien l'emplacement et, aussi, le ligotement du médium, car il estimait que cette dernière précaution était toujours indispensable. D'abord il attacha chacune des mains du médium, séparément, avec un ruban de toile, cacheta les nœuds puis, réunissant les mains derrière le dos, il les attacha ensemble avec les extrémités du même ruban et, de nouveau, il cacheta les nœuds ; puis il les lia encore avec un long ruban qu'il fit passer hors du rideau sous un crampon de cuivre et qui fut attaché à la table près de laquelle il était assis. De telle sorte que le médium n'eût pu se mouvoir sans imprimer un mouvement au ruban. La chambre était éclairée par une petite lampe, posée derrière un livre. Un quart d'heure ne s'était pas écoulé que le rideau fut soulevé suffisamment d'un côté, pour découvrir une forme humaine, debout près du rideau, vêtue complètement de blanc, le visage découvert, mais ayant les cheveux enveloppés d'un voile blanc ; les mains et les bras étaient nus. C'était Katie. Dans la main droite elle tenait un objet qu'elle remit à M. Luxmoore, en lui disant : « C'est pour M. Aksakof je lui donne le tout... » Elle m'offrait un petit pot de confiture ! Et la remise de ce cadeau provoqua un rire général. Comme on le voit, notre première rencontre n'eut rien de mystique.
J'eus la curiosité de demander d'où venait ce pot de confiture.
Katie me fit cette réponse, non moins prosaïque que son cadeau :
- De la cuisine.
Pendant toute cette séance, elle s'entretint avec les membres du cercle ; sa voix était voilée ; on ne percevait qu'un léger chuchotement. Elle répétait à tout instant :
- Posez-moi des questions, des questions sensées.
Alors je lui demandai :
- Ne pouvez-vous pas me montrer votre médium ?
Elle me répondit :
- Oui, venez vite et regardez. »
Immédiatement j'écartai les rideaux, dont je n'étais éloigné que de cinq pas la forme blanche avait disparu et devant moi, dans un coin sombre, j'aperçus le médium toujours assis sur sa chaise il avait une robe de soie noire et par conséquent je ne pouvais le voir très distinctement, dans l'ombre. Dès que j'eus repris ma place, Katie réapparut près du rideau et me demanda :
- Avez-vous bien vu ?
- Pas tout à fait, répondis-je ; il fait bien sombre derrière le rideau.
- Alors prenez la lampe et regardez au plus vite, me répondit Katie.
En moins d'une seconde, la lampe à la main, je me trouvai derrière le rideau.
Toute trace de Katie avait disparue. Je me trouvais en présence du médium, assis sur sa chaise, plongé dans un profond sommeil, les mains liées derrière le dos. La lumière de ma lampe, en jaillissant sur son visage, fit son effet ordinaire ; le médium gémit, faisant des efforts pour s'éveiller un intéressant colloque s'engagea, derrière le rideau, entre le médium, qui voulait s'éveiller complètement, et Katie, qui voulait l'endormir encore mais elle dut céder : elle prit congé des assistants, et le silence se fit.
La séance était terminée.
M. Luxmoore m'invita à bien examiner les liens, les nœuds et les cachets : tout était intact quand je dus couper les liens, l'éprouvai de grandes difficultés à introduire les ciseaux sous les rubans, tant les poignets avaient été fortement attachés.
J'examinai de nouveau le cabinet, dès que miss Cook l'eût quitté. Il ne mesurait qu'un mètre environ de largeur et moins d'un demi-mètre de profondeur ; les deux murs étaient en briques. Pour moi, il était évident que nous n'avions pas été le jouet d'une mystification de la part de miss Cook. Mais alors, d'où était venue et par où avait disparu cette forme blanche, vivante, parlante - une vraie personnalité humaine ?
Je me rappelle parfaitement l'impression que j'éprouvai ce jour. J'étais certainement préparé d'avance à voir ces choses, et cependant, j'avais peine à en croire mes yeux. Le témoignage des sens, la logique même, me forçaient à croire, tandis que la raison s'y opposait, tant il est vrai que la force de l'habitude subjugue tous nos raisonnements : quand nous sommes habitués à une chose, nous croyons la comprendre.
Un observateur superficiel supposera tout naturellement que le rôle de Katie a été joué par une personne quelconque s'introduisant par une ouverture habilement dissimulée.
Mais n'oublions pas que les séances n'avaient pas toujours lieu dans l'appartement occupé par la famille Cook. Ainsi, j'eus occasion, le 28 octobre, de revoir Katie à une séance qui fut organisée dans la maison de M. Luxmoore - un homme fortuné - ancien juge de paix. Les invités étaient au nombre de quinze.
En attendant l'arrivée de miss Florence Cook, nous examinâmes la pièce qui devait servir de cabinet obscur et qui s'ouvrait sur le salon. Il s'y trouvait une deuxième porte, que M. Dumphey (rédacteur au Morning Post) ferma à clef : il mit la clef dans sa poche. Bientôt arriva miss Florence, accompagnée de ses parents ; on l'installa sur une chaise, près de la porte qui donnait sur le salon, et M. Luxmoore la ligota, mais pas de la même manière qu'à la séance précédente : la taille et les bras étaient liés séparément ; le ruban qui enserrait la taille était cette fois encore passé sous un crampon de cuivre fixé au plancher, près de la chaise qu'occupait miss Cook et ensuite conduit dans le salon ; les nœuds du ruban furent cachetés comme la première fois par M. Luxmoore. Tous les invités assistèrent à cette opération, après laquelle nous passâmes au salon. Les rideaux furent tirés ; nous nous plaçâmes devant en demi-cercle. La chambre était suffisamment éclairée. Bientôt le rideau s'écarta d un pied et la forme de Katie apparut dans la porte, vêtue comme à l'ordinaire, et elle tint ses discours habituels. Le ruban qui reposait sur le plancher ne remuait pas. Katie insista de nouveau pour qu'on lui fît des questions sensées.
J'exprimai le désir qu'elle s'approchât de nous davantage, qu'elle s'avançât dans notre chambre, ne fût-ce que d'un pas, comme elle l'avait fait aux séances précédentes ; elle me répondit qu'elle ne pourrait le faire ce soir. Elle disparut pour un instant et réapparut tenant en ses mains un grand vase japonais qui se trouvait dans la chambre où était miss Cook, mais à une grande distance de la chaise sur laquelle elle était ligotée. Le vase fut retiré des mains de Katie, et celle-ci tourna trois fois sur place. Par ces mouvements, elle voulait évidemment nous démontrer que son corps et ses mains étaient libres d'entraves, et, par conséquent, que ce n'était pas le médium qui se montrait à nous.
La séance dura près d'une heure, Katie apparaissant ou disparaissant à plusieurs reprises. Enfin miss Cook commença à se réveiller ; elle eut encore un entretien avec Katie, et la séance se termina comme précédemment. L'un des assistants inspecta les cachets et les nœuds, coupa les rubans et les emporta.
Dans mon carnet de notes, je trouve cette notice, se rapportant à l'époque des expériences en question : « J'avoue que les séances de miss Cook m'ont fortement impressionné : d'un côté j'hésitais à en croire mes yeux, et cependant l'évidence des faits, les conditions dans lesquelles ils s'étaient produits, m'obligeaient à les accepter. Mais je ne puis m'empêcher de considérer tout cet attirail de ligotage comme étant peu fait pour inspirer une confiance complète ; son résultat est d'infliger au médium une gêne pénible et énervante.
La démonstration ne serait-elle donc pas plus convaincante si miss Cook avançait une main, sans quitter sa place, et la posait, par exemple, sur une autre chaise, en deçà du rideau, de manière que le spectateur puisse simultanément voir et le fantôme et cette main, ou, mieux encore - du moment qu'aucune des parties du corps du médium ne peut, dit-on, supporter la lumière - si Katie elle-même écartait le rideau de sa main, visible à tous, nous faisant ainsi voir le médium, ne fût-ce que pour un instant, ainsi que je l'en avais priée. On prétend qu'elle a promis de se laisser photographier un jour sur un même cliché avec le médium. »
Elle a tenu sa promesse. Personne n'aurait supposé, à cette époque, que ces expériences photographiques seraient faites par M. Crookes, qui ne croyait pas alors aux phénomènes de la matérialisation.
Au cours d'un entretien que j'eus avec lui, à la suite des séances relatées, il demanda mon avis sur ces manifestations. Je lui répondis que je me croyais forcé de les considérer comme authentiques. Il me dit : « Aucun ligotement ne me fera croire à ce phénomène ; si j'en puis juger, le ficelage n'offre pas d'entraves à la force agissante ; je ne me tiendrai pour convaincu que lorsque j'apercevrai en même temps le médium et la figure matérialisée. » C'est quelque temps après mon départ de Londres que se produisit l'incident qui a soi-disant amené à « démasquer » miss Cook et qui eut pour résultat de la mettre entre les mains de M. Crookes. On sait comment les choses se passèrent. Un spirite très sceptique résolut de tirer l'affaire au clair : au moment où la forme de Katie sortit de derrière le rideau il s'élança en avant et la saisit... il y eut un désarroi complet. Mais l'incrédule s'obstinait dans son opinion : « La figure matérialisée n'était autre que le médium lui-même. » C'est alors que les parents de miss Cook adressèrent à M. Crookes la prière de prendre leur fille sous son contrôle absolu, car tout le monde voulait avoir le cœur net sur cette affaire. A mon entrevue suivante avec M. Crookes, en 1875, il me montra la série de photographies qu'il avait obtenues.
Il m'est donc permis de témoigner, contrairement à l'affirmation de M. Hartmann (p. 97) que sur les photographies de Katie King « l'apparition illusoire qui avait transfiguré le médium » a également été « reproduite sur la photographie », que « les photographies obtenues » ont « une parfaite ressemblance avec le fantôme », que moi-même ainsi que d'autres personnes avons vu maintes fois.
D) Le médium et le fantôme sont visibles tous deux et photographiés en même temps
Passons maintenant à la quatrième catégorie de phénomènes, ceux qui se trouvent dans les conditions absolues imposées par M. Hartmann, c'est-à-dire que le médium et la forme matérialisée soient photographiées en même temps sur une même plaque.
En premier lieu, je dois mentionner ici l'une des photographies de M. Crookes, celle dont il dit : « Je possède une photographie sur laquelle le médium et la forme matérialisée sont reproduits en même temps, mais Katie est placée devant la tête de Miss Cook. » Il est vrai que cette photographie n'est pas satisfaisante ; j'ai eu l'occasion de la voir l'été dernier, à Londres : le médium est étendu sur le sol ; on ne voit pas sa tête, qui est recouverte d'un châle ; on ne voit pas non plus ses pieds, car la photographie n'a reproduit la forme que jusqu'à la moitié du jupon ; enfin, au milieu, on voit les contours assez indécis d'une forme blanche qui semble accroupie.
Mais M. Hartmann, qui n'a pas vu cette photographie, a d'autres motifs que moi pour la trouver incomplète et peu satisfaisante. Et voici comment il en parle : « La photographie produite par Crookes, sur laquelle on aperçoit à la fois le médium et le fantôme (Psych. Stud., II, 21) laisse fortement soupçonner qu'au lieu du fantôme supposé, ce soit le médium qui est reproduit, tandis qu'à la place du médium on ne verrait que ses vêtements reposant sur un coussin et à demi masqués. (Spirit., pp. 97-98.)
M. Hartmann ne nous explique pas ce qui a pu motiver son « fort soupçon » ; cette explication serait cependant nécessaire pour comprendre comment le témoignage de leurs yeux a pu tromper les sept ou huit personnes qui assistaient à la séance. Ainsi, pendant tout le temps que Katie se tenait hors du cabinet pour être photographiée, à plusieurs reprises, ces personnes « voyaient les pieds et les mains du médium et aussi les mouvements qu'il faisait sous l'influence du malaise que lui occasionnait la trop vive lumière » ; puis, tout à coup, la seule fois que Katie s'accroupit auprès du médium pour permettre de les photographier ensemble, ces mêmes personnes cessèrent de le voir et ne virent plus à sa place qu'un paquet de vêtements soutenus par un coussin placé au-dessous.
Il faudra au moins expliquer cela, si l'on désire que des « soupçons » de ce genre soient pris au sérieux.
Pour ma part, je me fais fort de prouver à toutes les personnes qui ont foi dans la parole de M. Crookes que ce soupçon de M. Hartmann est sans fondement et que M. Crookes, mis en garde contre de pareilles interprétations, s'était, bien assuré que ce n'était pas un mannequin qui restait dans le cabinet.
Nous possédons sur ce point le propre témoignage de M. Crookes d'après une lettre qu'il écrivit à M. Ditson, en Amérique, et que nous allons reproduire. La première partie de cette lettre nous apporte un complément important à la lettre qu'il avait écrite à M. Cholmondelly Pennell, que nous avons citée plus haut (p. 202), et, dans la seconde partie, nous trouverons les renseignements nécessaires sur la photographie dont il est question. Voici la teneur de cette lettre :
« Monsieur,
La citation donnée par M. Pennel dans sa lettre au Spiritualist est en effet tirée d'une lettre que je lui ai écrite. En réponse à votre question, j'ai l'honneur de confirmer que j'ai aperçu simultanément Miss Cook et Katie, à la clarté de la lampe à phosphore, qui était suffisante pour me permettre de distinguer nettement tout ce que j'ai décrit. L'œil humain tend naturellement à embrasser un angle aussi grand que possible ; aussi les deux figures se trouvaient-elles en même temps dans mon champ visuel mais, la lumière étant faible et la distance entre les deux figures de plusieurs pieds, j'étais obligé de diriger ma lampe et aussi mes yeux tantôt sur le visage de Miss Cook, tantôt sur celui de Katie, suivant que je désirais avoir l'un ou l'autre dans le point le plus favorable du champ visuel. Depuis lors, Katie et Miss Cook ont été vues simultanément par moi-môme et par huit autres témoins, dans ma maison, en pleine lumière électrique. A cette occasion le visage de miss Cook n'était pas visible, parce que sa tête était enveloppée d'un châle épais ; mais je m'assurai d'une manière certaine qu'elle s'y trouvait réellement. La tentative que l'on fît de diriger la lumière sur son visage alors qu'elle se trouvait en transe, entraîna des conséquences sérieuses.
Il n'est peut-être pas sans intérêt pour vous de savoir qu'avant que Katie eût pris congé de nous, je réussis à obtenir plusieurs très bonnes photographies d'elle, faites à l'éclairage électrique.
William Crookes.
Londres, le 28 mai 1874[100]. »
C'est vers cette époque, pendant les années 1872-76, qu'on s'est le plus occupé de photographies médiumniques en Angleterre, et, si je ne me trompe, c'est M. Russell, de Kingston-on-Thames, - dont j'ai parlé à propos des photographies transcendantales, - qui, le premier, a réussi à photographier en même temps la forme matérialisée et le médium. Je possède même une petite photographie représentant le médium Williams et la figure de John King, que j'ai trouvée à Londres, en 1886, dans la collection de photographies de M. H. Wedgwood, membre de la Société des Recherches Psychiques de Londres, et qui a eu la complaisance de me l'offrir ; cette photographie date de 1872. M. Russell n'est plus de ce monde ; mais M.Williams, le médium, m'a certifié que c'est bien une des photographies faites par M. Russell ; cependant, dans les journaux de l'époque, je n'ai pas trouvé de renseignements sur cette photographie ; il faut dire que les expériences de ce genre étaient faites, en ce temps, par les chercheurs pour leur satisfaction personnelle et qu'on ne leur donnait pas la publicité nécessaire.
Étant à Londres, je m'adressai à M. W. J. Champernowne, l'ami de M. Russell, qui habitait également Kingston, pour obtenir de lui quelques renseignements circonstanciés ; il me répondit :
« Je me trouvais auprès de Ch. Russell à l'époque où il fit ses expériences photographiques, et je me rappelle qu'il obtint la reproduction parfaite de figures matérialisées en même temps que le portrait de la personne qui posait ou, pour mieux dire, du médium ; les deux images se développaient nettement. Mais je ne sais ce que sont devenues ces photographies. Je me rappelle que je m'occupai de l'acquisition des plaques de verre, que le marchand taillait de la grandeur voulue, etc. »
Je ne puis donc faire mention de cette expérience qu'à titre d'antécédent historique ; j'ajouterai cependant cette observation importante, que sur cette photographie la forme de John Ring est un parfait dédoublement du médium ; le portrait de John King, qui a été fait par un artiste à la lumière du jour, pendant que le médium était dans le cabinet, tenu par les deux mains, et qui a été publié dans le Meduim de 1873, page 345, représente aussi les traits de Williams, mais embellis sur la photographie de John King matérialisé, qui fut obtenue chez le colonel Greek en 1874 (Medium, 1874, p. 786) à la lumière du magnésium, et que j'ai sous les yeux, il y a absence totale de ressemblance ; le visage est tout différent, il est réellement laid. M. Greek, qui habite actuellement Moscou, et auquel j'ai demandé quelques renseignements, explique cette laideur par un effet de la lumière du magnésium, ce qui est fort possible.
C'est à cette époque que furent tenues à Liverpool des séances de matérialisation tout à fait extraordinaires ; ces séances se tenaient dans un cercle d'intimes, et le médium, M. B.., n'a jamais voulu que son nom fût publié ; c'est pourquoi nous ne trouvons dans la presse spirite anglaise que quelques notes sur ces séances ; c'est d'autant plus regrettable que dans ces réunions furent prises un grand nombre de photographies d'esprits matérialisés qui furent bien reconnues ; la plupart étaient prises avec le médium. Étant à Londres, j'ai vu chez M. Burns (l'éditeur du Medium) plusieurs de ces photographies sous forme de positifs sur verre ; il ne possède de négatif que d'une photographie faite pendant l'unique séance à laquelle il a assisté lui-même avec sa femme ; c'est à son obligeance que je dois de m'être procuré un positif sur papier de cette photographie. Comme on peut y voir non seulement la forme matérialisée, mais aussi le médium, j'ai prié M. Burns de me rédiger un rapport détaillé de cette séance, ce qu'il a eu la bonté de faire. Je reproduis ici ce rapport inédit :
« Il y a de cela dix ans, un médium très puissant pour les phénomènes physiques donnait en son appartement, à Liverpool, des séances particulières, au cours desquelles se produisaient de remarquables et très curieuses manifestations de matérialisation. Malgré le caractère privé de ces séances, elles s'ébruitèrent, et le médium fut assailli de demandes d'admission ; des gens riches lui faisaient même des offres pécuniaires. Mais, implacable, le médium refusait toutes les propositions et ouvrait sa porte seulement à ses intimes ; d'un caractère indépendant, il évitait la publicité, et c'est ce qui retenait ses amis de communiquer à la presse des comptes rendus des manifestations qui se produisaient à ses séances. Ces détails ont de l'intérêt relativement au récit qui suit. Dans ces séances, le médium n'avait aucun motif pour pratiquer la fraude, car il n'y trouvait aucun intérêt pécuniaire et ne cherchait pas la renommée. Le présent article ne peut non plus lui servir dans ce sens, attendu que depuis longtemps il s'est complètement désintéressé de cette question.
Ces manifestations, si elles n'ont d'autre mérite, ont du moins celui de leur valeur intrinsèque.
Je connaissais un peu le médium ; je crois d'ailleurs que mes travaux ont eu pour effet de le mettre dans cette voie. Feu. M. Henry Pride, le poète, un de mes meilleurs amis, était membre de ce cercle de chercheurs. Un autre de mes amis, M. W. S. Balfour, de Liverpool (Saint-John's Market), assistait également à ces séances. Pendant un court séjour de M. Balfour à Londres, il fut décidé que Mme Burns et moi prendrions part aux expériences. Il fut également convenu que l'on obtiendrait de l'esprit-guide de ce cercle qu'il fournît une occasion favorable à l'un de mes guides spirituels de se manifester. Quelque temps après, on nous informa que l'esprit en question avait pu se manifester, et l'on fixa le jour de la séance. Le médium était un homme fort, énergique, et possédait des connaissances scientifiques réelles ; il avait inventé une poudre explosive qui permettait de prendre des photographies instantanées. Par ce moyen, on avait souvent photographié les formes matérialisées, le médium et les assistants, et il y avait tout lieu de croire que ce procédé donnerait d'aussi bons résultats à notre séance.
Le médium demeurait dans un faubourg, à une distance considérable du bureau où il était employé comme administrateur d'une maison importante. Dans son appartement, rien ne laissait supposer des préparatifs quelconques qui auraient pour but de mystifier les expérimentateurs. Les membres de ce petit cercle arrivaient ordinairement un peu avant l'heure fixée pour la séance et se réunissaient autour d'une table pour prendre le thé et causer familièrement. La maîtresse de la maison était une femme très sympathique ; les enfants étaient en bas âge, et l'on se racontait, dans la famille, que les esprits hantaient la maison et venaient même endormir les enfants en l'absence de la mère. Les séances avaient lieu dans une petite pièce donnant sur la cour, et qui ne mesurait pas plus de 12 pieds carrés. Le cabinet destiné au médium était aménagé dans une saillie du mur ; la fenêtre avait été condamnée. Ce cabinet était formé au moyen de plusieurs morceaux d'étoffe de laine suspendus à une tringle métallique recourbée en forme de fer à cheval, et fixée au mur. Derrière ce rideau, il y avait assez de place pour deux personnes. C'est là que les matérialisations se produisaient. Sur le mur opposé, tout près de la porte, était fixée une lampe à paraffine avec un réflecteur. L'éclairage n'était pas très intense, mais suffisant pour permettre de lire dans n'importe quel endroit de la pièce, de voir nettement tout ce qui s'y trouvait, et, par conséquent, de distinguer les formes qui devaient apparaître.
Au début de la séance, le médium entra dans le cabinet, et, quand le rideau fut tiré, il tomba dans une transe qui dura jusqu'à la fin de l'expérience. Les assistants formèrent un demi-cercle, dont le milieu se trouvait au mur, sous la lampe, et les deux extrémités touchaient le mur opposé. D'un côté de la chambre il y avait une table avec des livres, des journaux, etc. Tout le monde avait le visage tourné vers le cabinet, et le dos vers la lampe. Il apparut six à sept formes matérialisées qui sortirent du cabinet, l'une après l'autre. Dans ce nombre, il y avait un jeune homme aux gestes très vifs et agiles ; il prit une feuille de papier sur la table, en fit un rouleau et se mit à nous en frapper la tête, en faisant chaque fois un bond en arrière avec une grande légèreté. Puis apparurent quelques parents des maîtres de la maison, lesquels se montraient habituellement à ces séances, entre autres une dame âgée, la mère de l'un des époux. Elle était coiffée d'un bonnet à plissés. On l'avait déjà photographiée plusieurs fois, et souvent le portrait était fort ressemblant. Parmi les fantômes, il y eut encore une sœur, une jeune femme de belle apparence.
Une photographie que je possède représente un frère qui se tient d'un côté du cabinet, entre les rideaux ; à l'autre bout, on voit M. Archibald Lamont, récemment décédé. Donc une grande partie des esprits matérialisés étaient des amis intimes des assistants. L'esprit guide de la séance était un vieillard qui avait une longue barbe blanche ; il se trouve sur l'une des plaques avec le Dr Hitchman, l'un des assistants. Au cours de la séance à laquelle j'ai pris part, une grande partie du temps et des forces a été employée pour l'évocation de mes amis spirituels. L'un d'eux portait un long vêtement, à l'antique, cinglé à la ceinture ; il se donnait pour un philosophe et écrivain de l'antiquité. Un autre esprit était « Robert Bruce », que nous attendions plus spécialement. J'étais en communication avec lui depuis des années, et nous étions liés d'une sympathie marquée qui dure toujours. Il était doué d'une puissance considérable et réussissait à rester avec nous assez longtemps. Lorsqu'il sortit du cabinet, on m'invita à m'approcher de lui. Il me serra la main chaleureusement et avec tant de force que j'entendis craquer une des articulations de ses doigts, ainsi que cela arrive quand on se presse la main avec force. Ce fait anatomique était corroboré par le sentiment que j'éprouvais de tenir une main parfaitement naturelle. Ma femme avait également communiqué avec lui, et ce ne fut pas une apparition fugitive ; elle fut suffisamment prolongée pour permettre une investigation minutieuse. Certains détails de cette entrevue resteront toujours dans ma mémoire. Bruce alla vers la lampe et la décrocha du mur ; il la porta dans le cabinet, augmenta la flamme et dirigea la lumière sur le médium ; en même temps, il leva le rideau assez haut pour que nous pussions les voir tous les deux. Ensuite il baissa la flamme et porta la lampe à sa place. Il éprouvait certaines difficultés à faire entrer le crochet dans le trou, car cette partie de la lampe était dans l'ombre, projetée par le réflecteur. Une jeune dame qui était placée juste au-dessous de la lampe, de sorte que Bruce était obligé de se pencher au-dessus d'elle, voulut l'aider à la mettre en place, mais il déclina la proposition et poursuivit ses efforts avec persistance ; il réussit enfin.
Après avoir poursuivi pendant quelque temps ces expériences, au cours desquelles tous les assistants ont pu à plusieurs reprises voir en même temps le médium et les formes matérialisées, on procéda aux préparatifs pour photographier ensemble le médium, les apparitions et les assistants. On changea de place : au lieu de former un demi-cercle, toute l'assistance se plaça de front, en face de la porte et tournant le dos au cabinet. La chambre obscure avait été installée avant la séance dans un coin de la pièce, le foyer dirigé sur le cabinet à côté, il y avait une petite table sur laquelle se trouvait une certaine quantité de poudre de magnésium qui en flambant devait donner une lumière assez vive pour permettre de prendre une photographie instantanée. Les accessoires photographiques se trouvaient dans la cuisine ; comme les plaques sèches n'étaient pas encore en usage, il fallait avoir recours aux plaques fraîches, qui furent préparées par M. Balfour dans la cuisine sans être photographe de profession, il avait assez de connaissances en cette matière pour faire les manipulations nécessaires. J'accompagnai M. Balfour dans la cuisine et observai tous ses mouvements ; le médium lui-même m'avait prié de m'assurer que tout se passait correctement. Nous rentrâmes ensuite dans la chambre des séances, et le châssis renfermant la plaque fut introduit dans l'appareil. Tous les assistants étaient à la place où nous les avions laissés, y compris le médium et le fantôme. Pour conserver la plaque après l'exposition, on éteignit la lampe. La forme matérialisée se tenait en ce moment derrière nous, une main sur ma tête, l'autre sur celle de ma femme : celle-ci eut un frisson lorsque l'esprit se pencha vers elle et lui dit, en vrai dialecte écossais, de ne pas avoir peur. Ensuite le fantôme prit sa pose pour la photographie, et bientôt fut donné le signal d'allumer la mèche mise en contact avec la poudre ; le jet de lumière fut rapide comme un éclair. M. Balfour s'empressa d'enlever le châssis. J'éprouvais une certaine inquiétude au sujet de ma femme, qui paraissait prète à s'évanouir. Pendant ce temps, la chambre était plongée dans l'obscurité et envahie par les gaz nauséabonds de la poudre brûlée. Le fantôme n'avait pas quitté sa place ; il s'approcha de mon oreille et, dans le même dialecte écossais, d'une voix un peu rude et sénile : « Va chercher le portrait », dit-il, me faisant ainsi comprendre qu'il allait rester auprès de ma femme. Je suivis M. Balfour dans la cuisine. Il procéda au développement de la plaque, mais l'excitation qu'il éprouvait faisait trembler sa main ; il renvoya le liquide sur la plaque au lieu de le laisser égoutter, ce qui fut cause que le ton général de l'épreuve manque de netteté, et que la figure de ma femme est presque voilée. Le liquide durci fut en partie enlevé, mais on ne pouvait l'éloigner complètement sans effacer l'image de Mme Burns. D'autre part, la lumière a dû être trop vive, car la plaque porte les indices d'un excès de pose. Heureusement la reproduction du fantôme est bien réussie. La bande foncée qui lui traverse la poitrine obliquement représente un plaid écossais. L'image du médium apparaît faiblement dans l'enfoncement qu'il occupait. Les assistants, qui étaient placés de part et d'autre du cabinet, ne sont point visibles, l'épreuve que je possède n'étant que la partie du milieu découpée Quand la chambre fut éclairée, le médium se réveilla, encore étourdi par l'effet d'une transe prolongée. Il accueillit le récit de notre expérience avec son indifférence habituelle. Sur d'autres photographies obtenues par nous, le médium ressort beaucoup mieux à proprement parler, la photographie dont il est question ici est, de toute une série, la moins réussie, mais, en raison du caractère extraordinaire des résultats que nous avons obtenus, cette photographie est inestimable comme preuve de la réalité des phénomènes car ces résultats ne peuvent, en aucune façon, être considérés comme produits par une supercherie ni être expliqués par une hallucination. Ce n'est qu'une expérience prise dans toute une série d'expériences pareilles, qui se confirment les unes les autres de la manière la plus positive.
Spiritual Institution, 15, Southampton-Row. »
London, 19 juillet 1886.
J. Burns ».
Il me reste à dire encore que sur cette photographie, assez grande, puisqu'elle mesure 5 pouces sur 6, on voit très bien, malgré certains défauts techniques, un groupe de sept personnes parmi lesquelles on distingue la forme matérialisée, drapée de blanc, debout près du cabinet ; la moitié du rideau devant lequel elle se dresse est tirée, et on voit, dans le cabinet, le médium assis avec la moitié seule du visage visible, ses cheveux et sa barbe noire se confondant avec l'ombre qui régnait dans ce cabinet.
Mais, pour cette photographie, la présence du médium sur la plaque était superflue, car il n'y a aucune ressemblance entre lui et la forme matérialisée ; le médium est un homme brun, de trente ans ; la forme matérialisée est celle d'un vieillard tout chauve, avec une longue barbe grise, et son visage, large et rond, est complètement différent de celui du médium : il regarde en face, les yeux sont ouverts, on voit les prunelles. Sous le rapport de la netteté, cette photographie est plus intéressante que celle que j'avais faite avec Eglinton ; il est remarquable que ces apparitions supportent sans fermer les yeux la lumière éblouissante du magnésium.
On ne trouve dans la presse anglaise que deux relations sur les phénomènes de matérialisation produits en présence de ce médium ; ils sont dus à la même plume, celle de Mme Louisa Thompson Nosworthy, et ont trait à une même séance.
Je reproduirai ici une de ces deux relations, parce que, dans cette séance on fit non seulement la photographie de la forme matérialisée, mais aussi celle du médium. Le premier récit a paru dans le Spiritualist du 28 juillet 1876, page 350 ; j'en citerai les passages suivants : Séances curieuses à Liverpool par E. Louisa S. Nosworthy.
« Il serait peut-être intéréressant pour les lecteurs du Spiritualist d'apprendre qu'en même temps que les chercheurs faisaient des expériences avec des médiums professionnels et obtenaient des preuves irrécusables de la réalité des matérialisations temporaires de formes humaines, qui acquièrent une consistance matérielle comparable à celle de notre corps, ces mêmes phénomènes surprenants étaient observés dans un cercle intime, strictement privé, à Liverpool. Ayant souvent eu l'occasion de prendre part à ces séances, je vous envoie un compte rendu des choses dont j'ai été témoin.
C'était au mois de septembre de l'année dernière. Mon père, M. Georges Thompson, était venu me voir ; il témoigna un vif désir d'assister à une séance de matérialisation. En conséquence, j'obtins la permission de l'introduire dans le cercle en question.
Le Dr William Hitchman assistait à la même séance. La pièce où les expériences eurent lieu est très petite, mesurant environ 10 pieds carrés. Cette fois, comme d'ordinaire, nous fûmes invités à nous disposer en demi-cercle et à entonner des chants, après que le médium se fut retiré derrière le rideau. La lampe à paraffine donnait assez de lumière pour nous permettre de nous voir les uns les autres.
Peu après la disparition du médium, le rideau s'écarta, et dans l'écartement on aperçut comme un nuage, ayant une vague ressemblance avec une forme humaine. Cette vapeur devint de plus en plus dense ; il s'en dégagea la forme d'une tête et d'une main. La main se mit immédiatement à travailler la masse nébuleuse qui se trouvait au-dessous d'elle et en façonna une forme humaine, celle d'un homme de grande taille, vêtu de blanc. Ce fantôme, quoique issu d'un nuage et formé sous nos yeux, pour ainsi dire, nous donna bientôt des preuves qu'il n'était plus composé d'une vapeur impalpable : il s'avança vers le milieu de la chambre et nous serra fortement la main à chacun. On augmenta la lumière, et nous pûmes voir un vieillard majestueux, au regard sévère, avec la barbe et la chevelure blanches et flottantes. Il resta quelque temps en dehors du cabinet, improvisé avec de l'étoffe, comme on l'a dit plus haut, revint ensuite à l'endroit où il s'était formé, et, écartant de sa main le rideau, il fit signe à tous les assistants, l'un après l'autre, de s'approcher de lui et de se tenir à côté de lui et du médium. Le vieillard regardait chacun dans le blanc des yeux. Mon père a pu remarquer son teint frais, presque rosé, ainsi que l'expression digne de sa physionomie.
On ne saurait oublier cette apparition imposante, qui se tenait debout près du rideau, l'écartant d'une main et montrant de l'autre le médium plongé dans une profonde transe. Mon père me dit, par la suite, qu'il avait éprouvé une émotion saisissante à ce spectacle, surtout au moment où, en face du fantôme, le touchant presque, il entendit sortir des lèvres de cet être appartenant à un autre monde les paroles suivantes, prononcées d'une voix faible : « Que Dieu te bénisse. » Deux ou trois autres figures se sont montrées ensuite, dans les mêmes conditions à peu près: elles faisaient le tour des assistants, leur serraient la main, permettant de toucher et d'examiner leurs vêtements. L'une de ces apparitions présenta à chacun de nous un grain de piment: il ne s'en trouvait pas dans la maison.
A la fin de cette séance mémorable, la première forme apparat de nouveau, et alors on en fit la photographie, conjointement avec celle du Dr Hitchman...
M. Charles Blackburn a décrit une autre séance tenue par les mêmes personnes et à laquelle j'ai également assisté. Il examina, de concert avec l'architecte, la chambre où les séances avaient lieu, et constata que cette pièce n'était pas située au-dessus d'une cave, qu'elle touchait immédiatement au sol. Il arrivait souvent, à ces expériences, que nous voyions apparaître trois fantômes différents. Je me demande si un sceptique quelconque réussira à trouver une théorie autre que celle du spiritisme pour expliquer ces phénomènes dans tous leurs détails ! »
Un autre compte rendu de la même séance, par le même auteur, est publié dans le Psychological Review (1878, t. I, p. 348), sous le titre : « Souvenirs de George Thompson, par sa fille Louise Thompson ». Dans ce récit, on lit, en autres détails, que sur la première photographie, prise à la lumière du magnésium, on voit non seulement le fantôme, mais aussi le médium.
Dans ces deux rapports, il y a une contradiction en ce qui concerne les photographies : dans le compte rendu de 1876, on dit que le fantôme a été photographié conjointement avec le Dr Hitchman ; la lettre écrite en 1878 porte que c'est le médium qui aurait été photographié sur la même plaque que la figure matérialisée.
Désirant avoir un éclaircissement sur cette contradiction, j'écrivis au Dr Hitchman, qui me répondit par la lettre suivante :
« Liverpool, ce 26 avril 1887.
Monsieur,
J'ai l'honneur de vous accuser réception de votre estimée du 18 courant. Relativement aux diverses questions qu'elle contient, je ferai observer qu'à plusieurs reprises il y eut plus d'une séance dans la même soirée et qu'au cours de ces expériences photographiques le médium (M. B.) était tantôt reproduit, tantôt non. Il n'y a donc pas la nécessairement une « contradiction »,
Agréez, etc.
William Hitchman M. D. »
Pour compléter les relations ayant trait aux expériences photographiques faites avec ce médium remarquable, je ne pouvais faire mieux que de m'adresser encore à ce même M. Hitchman, un savant distingué, docteur en médecine, président de la Société d'anthropologie de Liverpool et auteur de Physiologie des inflammations, de Nature et prophylaxie de la phtisie, etc.. etc.; c'était la personne la plus compétente du cercle intime ou se produisaient les phénomènes en question. Voici la lettre qu'il m'écrivit en réponse :
« Liverpool, Pembroke-Place, 62, le 24 juillet 1886.
Monsieur,
Répondant à votre aimable lettre en date d'hier, je viens vous dire qu'absorbé par divers travaux très pressés, je regrette de ne pouvoir en ce moment vous communiquer tous les détails que vous me demandez au point de vue scientifique et philosophique.
Quant aux photographies des figures matérialisées, elles ont été obtenues à la lumière électrique.
Plusieurs appareils complets étaient aménagés spécialement pour nos expériences ; ils avaient plusieurs chambres noires, permettant respectivement d'employer la plaque entière, la demi-plaque ou le quart ; il y avait aussi des chambres binoculaires et stéréoscopiques ; on les plaçait derrière les spectateurs, ce qui permettait non seulement de les braquer sur le fantôme en suivant la ligne visuelle des assistants, mais encore de pliotographier en même temps le médium, quand les personnages apparus consentaient, sur notre demande, à écarter le rideau. Dans la règle, nous n'éprouvions jamais d'insuccès dans nos opérations.
On employait des bains de développement et de fixage, et les plaques étaient préparées d'avance, afin d'éviter tout retard. Il m'arrivait souvent d'entrer dans le cabinet a la suite d'une forme matérialisée, et alors je la voyais en même temps que le médium (M.B.) Par le fait, je crois avoir acquis la certitude la plus scientifique qu'il soit possible d'obtenir, que chacune de ces formes apparues était une individualité distincte de l'enveloppe matérielle du médium, car je les ai examinées à l'aide de divers instruments ; j'ai constaté chez elles l'existence de la respiration, de la circulation ; j'ai mesuré leur taille, la circonférence du corps, pris leur poids, etc. Ces apparitions avaient l'air noble et gracieux au moral et au physique ; elles semblaient s'organiser graduellement aux dépens d'une masse nébuleuse, alors qu'elles disparaissaient instantanément et d'une manière absolue. Je suis d'avis qu'il doit y avoir une existence spirituelle quelconque, quelque part, et que les êtres intelligents qui se présentaient à nos séances prenaient une « apparence corporelle », possédant une réalité objective, mais d'une nature différente de la « forme matérielle », qui caractérise notre vie terrestre, tout en étant doués d'une conscience, d'une intelligence semblable à la nôtre, et présentant le don de la parole, la faculté de locomotion, etc. Ayant souvent eu l'occasion (en présence de témoins compétents) de me tenir entre le médium et « l'esprit matérialisé », de serrer la main à ce dernier et de lui causer pendant près d'une heure, je ne me sens plus disposé à accepter des hypothèses fantaisistes, telles que les illusions de la vue et de l'ouïe, la cérébration inconsciente, la force psychique et nerveuse et tout le reste la vérité, en ce qui touche les questions de la matière et de l'esprit, ne pourra être acquise qu'à force de recherches.
Veuillez m'excuser de ne vous apporter que ces remarques trop superficielles et hâtives, en ayant égard aux circonstances où je me trouve.
Agréez, etc.
William Hitchman. »
N’ayant plus à sa disposition de photographie, le Dr Hitchman eut l'obligeance de m'envoyer la reproduction photographique d'un dessin qui représente une des séances de M. B. On y voit toutes les personnes faisant partie du cercle au milieu se trouve la forme matérialisée d'un vieillard drapé de blanc, tête découverte, debout auprès du rideau du cabinet, qu'il écarte de la main droite nous montrant le médium qui est assis, plongé dans une transe profonde. Entre le creux de la poitrine de la forme matérialisée et celui du médium on voit comme un faisceau lumineux reliant les deux corps et projetant une lueur sur le visage du médium.
Ce phénomène a été souvent observé pendant les matérialisations ; on l'a comparé au cordon ombilical. M. Hitchman accompagne son envoi des lignes suivantes :
« Le 26 juillet 1886.
Cher Monsieur,
Depuis que je vous ai adressé ma dernière lettre, j'ai pu, après des recherches minutieuses, trouver le dessin qui accompagne la présente. Il pourra peut-être servir à vous faire une idée plus complète de toute la série des séances de M. B. Je garantis la fidélité du dessin. La forme matérialisée que vous voyez se donnait pour le Dr W., de Manchester. C'est une intelligence fort développée... Le fantôme a dessiné mon portrait... A mon sens, seules des recherches expérimentales sérieuses et patientes, dans le domaine des faits objectifs ou des phénomènes physiques du spiritualisme, pourraient convaincre les philosophes allemands, ou autres, de leur réalité et de leur valeur, en tant que manifestations de la volonté divine, ou bien comme un effet de l'évolution naturelle se produisant dans des conditions convenables.
Les efforts de la raison, de la logique, de l'argumentation, etc., sans investigation pratique, ne sont qu'une perte inutile de temps et d'énergie.
Votre dévoué
W. Hitchman. »
P. S. - Dans le Psychological Review du mois d'avril 1879,une place d'honneur a été réservée à un article de moi, intitulé Ourselves and Science (Nous-Mêmes et la Science) et dans lequel j'expose les résultats de mes observations aussi scientifiquement que l'ont jamais été des travaux chimiques de laboratoire ou autres.
W. H »
Voulant obtenir la preuve absolue que M. Hartmann exigeait, et décidé à me soumettre à toutes les conditions par lui imposées,dans une expérience que je dirigerais moi-méme, j'organisai deux séries de séances photographiques avec le médium Eglinton. En 1886, je l'invitai à venirà Saint-Pétersbourg. En dépit de toutes nos peines, nous ne pûmes, cette fois, obtenir de résultat satisfaisant. Ces expériences sont décrites dans les Psychische Studicn (août 1886]. Pour la deuxième série d'expériences, qui eut lieu peu de temps après, je me rendis à Londres. Cette fois le résultat dépassa mes espérances. Le compte rendu a été publié dans les Psychische Studien (de mars 1887) et dans le Rébus (n° 58, 1886) ; je le reproduis in extenso, en y joignant la phototypie qui représente Eglinton intransé, soutenu par la figure matérialisée. En examinant cette image, on distingue immédiatement une figure humaine vivante, debout à côté du médium.
Après tout ce que j'ai dit pour prouver la réalité objective des phénomènes de la matérialisation, on pourrait bien accorder aux résultats que j'ai obtenus moi-même le caractère d'authenticité auquel ils ont droit, et cependant je suis le premier à reconnaître à quel point il est difficile d'admettre la réalité de cette sorte de phénomènes !
J'ajouterai, à l'intention de ceux des lecteurs qui n'auront pas eu connaissance de mes articles publiés dans le Rébus, que les expériences dont il va être parlé ont été organisées à Londres, chez un riche particulier, dans une maison qu'il avait récemment fait construire ; que notre cercle se composait du maître de la maison, de sa femme, d'Eglinton, de M. N., un ami de la maison, et de moi. Ces personnes désirent que leurs noms ne soient pas livrés à la publicité. Voici l'article :
« Nous nous réunîmes à 7 heures du soir, le 22 juillet, et, après avoir dîné avec nos hôtes, nous commençâmes nos préparatifs. Pour une séance dans laquelle il s'agissait d'obtenir la photographie du médium en même temps que celle de la figure matérialisée, il nous fallait une chambre où l'on pouvait aménager un cabinet noir derrière un rideau. Le salon fut la seule pièce convenable, l'entrée étant séparée du reste de la pièce parmi large rideau de peluche, qu'on pouvait relever au moyen d'une forte cordelière de soie. C'est cette partie du salon que l'on avait décidé de transformer en cabinet noir ; elle avait 10 pieds de large sur 14 de long. Il y avait une porte et une fenêtre ; cette porte, la seule dans toute la pièce, s'ouvrait sur un corridor: elle se fermait très bien. La fenêtre donnait sur un passage qui séparait la maison du bâtiment voisin. Pour obtenir l'obscurité, les volets de la fenêtre furent fermés, et à l'intérieur on recouvrit le bois de ces volets d'une toile cirée et de couvertures de laine, assujetties au moyen de petits clous ; il y avait dans ce compartiment quelques chaises, une étagère et un piano. Ce salon, ainsi que les autres pièces où nous tenions nos séances, se trouvait au troisième étage.
Notre hôte commença par disposer son appareil ; Eglinton s'assit en face de la fente du rideau. Le foyer était à une distance telle que la forme entière pouvait être prise sur la plaque. A quatre pas environ du rideau, vis-à-vis de la fente, qui n'était pas tout à fait au milieu, on plaça une petite table ronde à gauche de laquelle était l'appareil. Afin de protéger la chambre noire contre l'action directe de la lumière, du magnésium, on avait placé sur la table un large écran en carton, dans la courbure duquel on posa un réflecteur concave métallique, de 7 pouces de diamètre.
Nous nous étions plus d'une fois consultés pour savoir comment nous éclairerions le salon ; la lumière devait être faible, mais suffisante pour voir ce qui se passerait elle devait, en outre, être à notre portée pour nous permettre d'allumer le magnésium au moment voulu. Nous nous décidâmes pour une petite lampe à esprit de vin avec une mèche épaisse de coton ; elle donnait une lumière suffisante pour nos besoins. Cette lampe fut placée sur la petite table, à l'écart du réflecteur, et à côté nous plaçâmes plusieurs cordons de magnésium formés avec des fils tressés de ce métal et composés chacun de trois bandes ; ces cordons avaient environ 5 pouces de long. Ils étaient attachés avec du fil d'archal à des baguettes de verre. C'est M. N., l'ami de notre hôte, qui fut chargé d'allumer à la lampe le cordon de magnésium, à un signal donné, et de tenir le cordon allumé devant le centre du réflecteur, en ayant soin que les objets à photographier fussent dans le champ de la lumière projetée. Dans les expériences antérieures, que j'ai mentionnées plus haut, nous nous étions assurés qu'avec l'emploi du réflecteur, ces triples bandes de magnésium produisaient une lumière assez forte pour obtenir un bon résultat.
Quand tout fut prêt, je me retirai avec le maître de la maison dans le cabinet noir. A la clarté d'une lanterne rouge je sortis deux plaques et les marquai ; mon compagnon les mit dans le châssis. Nous revînmes au salon, fermant la porte d'entrée derrière nous. L'hôte me donna la clef, que je mis dans ma poche. Nous prîmes place en demi-cercle devant le rideau, à une distance de 5 à 6 pas, ainsi que le montre l'esquisse suivante :
Nous allumâmes la lampe à esprit de vin et éteignîmes le gaz. Il était 10 heures du soir. Eglinton prit place d'abord sur un fauteuil devant le rideau, puis se retira derrière le rideau, où il y avait un autre fauteuil pour lui. Il y resta plus d'une demi-heure sans que rien ne se produisit. Enfin il sortit en état de transe et commença à parler sous le contrôle d'un de ses guides ; celui-ci exprima son regret de la non-réussite de l'expérience. Il ajouta qu'il ne faudrait pas moins de dix séances pour obtenir le résultat désiré, et qu'ils doutaient s'ils avaient le droit d'imposer au médium un pareil épuisement ; qu'ils feraient néanmoins un dernier effort. Si quelqu'un apparaissait, ce serait Ernest lui-même, le principal guide du médium. Ce détail se rapportait à une supposition que j'avais exprimée antérieurement au cours de notre entretien, disant que dans cette sorte d'expériences il est probable qu'une autre figure apparaîtrait. Quelques instants après, Eglinton revint à lui, et la séance fut levée.
La deuxième séance de cette série, la dernière de toutes, fut fixée au 26 juillet. Le résultat négatif de la séance précédente était venu confirmer mes appréhensions ; j'étais d'autant plus convaincu que rien ne se produirait à cette dernière tentative.
Nous nous réunîmes à la même heure, comme l'autre fois nous nous retirâmes, notre hôte et moi, dans le cabinet noir ; lorsque les préparatifs furent terminés, je tirai de ma serviette deux plaques que j'avais apportées, les marquai en russe : « A. Aksakof, 14 juillet 1886 » (vieux style), et l'hôte les glissa dans le châssis ; avant de rentrer dans le salon, nous fermâmes la porte à clef. On se disposa dans le même ordre ; nous allumâmes la lampe à esprit de vin et éteignîmes le gaz. Eglinton s'assit dans un fauteuil devant le rideau et tomba bientôt dans une transe et commença à parler. Il nous fut communiqué par son organe que nos préparatifs étaient approuvés, et nous eûmes la promesse qu'aucun effort ne serait ménagé pour amener le succès, sans qu'il nous fût permis, toutefois, d'y compter sûrement ; le moment d'allumer le magnésium serait signifié à M. N. par voie de suggestion ; il prononcerait le mot : « maintenant ». On nous intima en outre, en cas de non-réussite au début, d'aller dans le cabinet noir pour faire de la photographie dans l'obscurité ; ils s'efforceraient alors d'évoquer une ombre féminine.
A 10 heures moins cinq minutes, Eglinton se retira derrière le rideau : je pouvais voir l'heure à la clarté de la petite lampe. Bientôt Eglinton sortit et commença à recueillir des forces, il s'approchait de chacun de nous, faisant des passes de nos têtes à son corps après cela, il se retira de nouveau derrière le rideau, ressortit et s'assit dans le fauteuil en face de la fente, le visage tourné de notre côté. Il faisait des mouvements agités, levait et baissait les bras. Quelque chose de blanc apparut au-dessus de sa tête... on entendit des coups frappés... Nous étions dans le doute ; les coups se répétèrent.
- Faut-il allumer ?
- Oui, fut la réponse, toujours par coups frappés.
Le magnésium fut allumé, et l'hôte découvrit l'objectif ; j'aperçus en ce moment la forme d'Eglinton baignée dans une lumière éblouissante ; il semblait dormir tranquillement, les mains croisées sur sa poitrine ; sur son épaule gauche on voyait une troisième main avec un bout de draperie blanche, et sur sa tête, tout près du front, apparut une quatrième main. Ces mains étaient vivantes, des mains naturelles elles n'avaient pas cette blancheur frappante comme à Saint-Pétersbourg ; elles ne disparurent pas à la fin de l'exposition, mais attirèrent Eglinton derrière le rideau. L'hôte retourna immédiatement le châssis et découvrit la deuxième plaque. J'avais pensé que la séance en resterait là, mais l'hôte avait à peine regagné sa place qu'une grande forme masculine, vêtue de blanc et portant un turban blanc émergea de derrière le rideau et fit trois ou quatre pas dans la chambre.
- C'est Abdullah, remarquai-je.
- Non, me fit observer l'hôte, cette ombre a ses deux mains[101]. » Comme pour confirmer cette dernière observation, le fantôme fit un mouvement avec ses deux bras et les croisa sur sa poitrine, puis il nous fit un salut et disparut derrière le rideau.
Quelques secondes après, Eglinton se montra, suivi d'une figure en blanc, la même que nous venions de voir. Tous les deux se placèrent devant le rideau et une voix prononça : « Light ! » (de la lumière). Pour la deuxième fois le magnésium flamba, et je regardai, avec stupéfaction, cette grande forme humaine qui entourait et soutenait de son bras gauche Eglinton, qui, plongé dans une profonde transe, avait peine à se tenir sur ses pieds. J'étais assis à cinq pas et pouvais très bien contempler l'étrange visiteur. C'était un homme parfaitement vivant ; je distinguais nettement la peau animée de son visage, sa barbe noire, absolument naturelle, ses sourcils épais, ses yeux perçants et durs qui fixèrent la flamme pendant une quinzaine de secondes, tout le temps qu'elle brûla.
« Le fantôme portait un vêtement blanc qui descendait jusqu'à terre et une espèce de turban de sa main gauche, il entourait Eglinton de sa main droite, il tenait son vêtement. Lorsque M. N. prononça « Maintenant » pour avertir qu'il fallait fermer l'obturateur, le fantôme disparut derrière le rideau, mais sans avoir eu le temps d'entraîner avec lui le médium ; celui-ci tomba à terre, comme un corps inerte, devant le rideau. Personne de nous ne bougea, car nous savions que le médium était dans le pouvoir d'une force qui échappait à notre contrôle. Le rideau s'écarta immédiatement, la même figure apparut encore une fois, s'approcha d'Eglinton et, penchée sur lui, se mit à faire des passes. Silencieux, nous regardions avec étonnement cet étrange spectacle. Eglinton commença lentement à se relever quand il fut debout, le fantôme l'entoura de son bras et l'entraîna dans le cabinet. Alors nous entendîmes la petite voix de Joey (un des guides du médium) qui nous enjoignit de conduire Eglinton au grand air et de lui mouiller les tempes avec de l'eau. Il était 10 heures 30. La séance avait donc duré, en tout, trente-cinq minutes. La maîtresse de la maison s'empressa d'aller chercher de l'eau, et, trouvant la porte fermée, elle revint, à moi pour prendre la clef. Je refusai en m'excusant : les circonstances exigeaient que j'ouvrisse la porte moi-même avant de l'ouvrir, je pénétrai dans le cabinet avec une lumière et m'assurai qu'elle était bien fermée. Eglinton était affaissé dans son fauteuil, profondément intransé ; on ne pouvait songer à le faire tenir sur ses pieds : nous le portâmes donc dans la salle à manger et l'installâmes dans un fauteuil, près d'une fenêtre ouverte. A peine l'avions-nous placé dans cette position qu'il roula par terre, avec des convulsions ; il avait du sang sur les lèvres. Nous nous mîmes à le frotter vigoureusement et lui fîmes respirer des sels. Ce n'est qu'au bout d'un quart d'heure qu'il put se remettre. Il respira profondément et ouvrit les yeux.
Je le confiai dans cet état aux soins de nos hôtes et revins avec M. N. dans le cabinet noir, pour développer les plaques. Dès que je vis se dessiner, sur l'une d'elles, les contours des deux formes, j'eus hâte d'aller faire part de cette bonne nouvelle à Eglinton, qui, n'étant pas en état de venir lui-même, manifestait une grande impatience de connaître le résultat de la séance. En apprenant ce succès, ses premières paroles furent :
- Eh bien, est-ce suffisant pour M. Hartmann ?
Je lui répondis : « C'est fini, à présent, avec les hallucinations. »
Mais ce triomphe en coûta à Eglinton. Il se passa une heure avant qu'il eût repris assez de forces pour se rendre péniblement à la station du chemin de fer souterrain. M. N. se chargea de le reconduire chez lui, et de l'installer dans son lit. Arrivé chez lui, Eglinlon eut un nouvel accès de convulsions accompagnées d'hémorragie pulmonaire. Il avait insisté pour que les incidents de la soirée fussent tenus cachés à ses proches ; mais le lendemain son aspect inspira des inquiétudes à sa famille, et l'on vint chez moi pour demander ce que l'on avait fait avec Eglinton, la veille, pour le mettre dans cet état d'épuisement qu'on n'avait encore jamais observé chez lui.
Les photographies ainsi obtenues étaient fort réussies, bien que préparées à la hâte ; la meilleure est celle où l'on voit les mains posées sur Eglinton.
A une séance semblable, à Saint-Pétersbourg, le médium n'avait pas conservé toute l'immobilité requise pour une bonne pose, ce qui fait que les mains ne sont pas reproduites aussi nettement qu'à cette dernière expérience. La deuxième photographie est, malheureusement, moins distincte. Cela tient évidemment à ce que les deux formes, restant debout, faisaient des mouvements, insaisissables à l'œil. Cependant, pour le but que nous nous proposions, ces photographies sont tout à fait suffisantes : Eglinton est facile à reconnaître, bien que sa tête soit un peu rejetée en arrière, appuyée contre la main par laquelle il est soutenu à son côté se tient la même grande forme d'homme que nous avions tous vue. La barbe et les sourcils ressortent nettement ; les yeux sont voilés. Un des traits particuliers de ce visage, c'est son nez court, complètement différent de celui d'Eglinton. Sur les deux photographies on distingue les marques que j'ai faites sur les plaques. Tous les négatifs sont en ma possession.
Je puis donc considérer mes efforts à Londres comme couronnés de succès. Ce succès, j'en suis entièrement redevable au cercle qui s'est prêté à mes expériences.
Je savais que la condition essentielle pour obtenir de bons résultats médiumniques, c'était un milieu approprié ; je savais que tout dépend du milieu, mais jamais je n'avais encore eu l'occasion de m'en assurer d'une manière aussi évidente.
La facilité, la promptiude et la netteté avec laquelle les phénomènes se produisaient étaient au-dessus de toute comparaison avec ce que nous avions vu à Saint-Pétersbourg. Indépendamment de la composition d'élite du cercle dans lequel j'avais été admis, nous étions favorisés par cette condition importante que, dans ce cercle, on avait déjà obtenu des photographies transcendantales, et que, par conséquent, la présence de l'élément médiumnique nécessaire avait déjà préparé le terrain précisément pour les expériences que j'avais proposées. Je n'insiste pas sur l'importance et l'avantage que m'offrait une maison particulière pour les expériences de ce genre: à Londres, il n'est pas facile à un étranger de trouver pour cela un local convenable. Si je les avais organisées dans l'appartement d'Eglinton, elles auraient perdu une grande partie de leur prix. Les bons services qui me furent offerts si gracieusement par notre hôte avaient pour moi une grande valeur ; aussi je me fais un plaisir de lui en témoigner ici ma sincère gratitude, tant pour ma part qu'au nom de tous ceux qui prennent à cœur la cause spirite.
Il est nécessaire d'ajouter ici que personne à Londres, à l'exception des intimes de notre hôte, ne sait rien des photographies que l'on produit dans ce cercle. Ces séances sont tout à fait privées, et aucun récit n'en a été publié dans la presse spiritualiste anglaise. Lors de mon admission dans ce cercle, il était bien entendu que je ne publierais pas les noms de ses membres. Mais, quand nos séances furent terminées, notre hôte se décida à me dire, en présence des résultats remarquables que nous avions obtenus, qu'il ne se croirait plus en droit de prolonger son anonymat au cas où je trouverais utile de le nommer. Je lui répondis que l'indication de la maison ou les expériences avaient eu lieu était certainement désirable pour rendre le récit complet, et le remerciai de son dévouement : car, il faut le dire, dans l'état actuel de la question, cette expression n'est pas exagérée. Mais, réflexion faite, et prenant en considération les exemples fournis par Crookes et Wallace, qui eux-mêmes n'avaient pas réussi à conquérir le crédit public à ce sujet, j'exprimai à M. X. mon intime conviction que la divulgation de son nom et de son adresse ne serait d'aucune utilité pour la cause, pas plus que, dans les cas précédents, et que personne n'ajouterait foi aux résultats de nos expériences, si ce n'est les personnes qui croient déjà à ces phénomènes ou bien ceux qui connaissaient M. X. ; j'alléguai encore qu'il aurait à endurer toutes sortes de railleries et d'ennuis. Je proposai toutefois d'annoncer que j'avais l'autorisation de communiquer son nom en particulier aux personnes spécialement intéressées au sujet et que je croirais dignes de confiance. Nous sommes demeurés sur cette décision.
A propos d'incrédulité, il est coutume de soupçonner de supercherie les médiums professionnels comme y étant matériellement intéressés. Dans les expériences relatées, il est évident qu'Eglinton n'aurait pu accomplir à lui seul toutes les manipulations que nécessite une supercherie ; on serait forcé d'admettre qu'il avait des compères parmi les assistants. Or M. X., l'hôte, occupe une situation indépendante, même très riche, et est dans une position sociale équivalente à la mienne. Avant d'admettre qu'il eût pu se rendre coupable d'une supercherie, chose qui aurait nécessité bien des préparatifs, c'était bien le moins que l'on cherchât à découvrir le motif de semblables manœuvres du moment que l'intérêt matériel doit être mis hors de cause, je demande quel mobile aurait pu le pousser à tromper ses invités. Et pourquoi lui, plutôt que moi, serait-il le mystificateur ? Il serait vraiment plus logique de supposer qu'une supercherie aurait été commise par moi ; ici, le motif se présenterait tout seul : ayant pris publiquement cause pour le spiritisme, j'étais forcé de le défendre à tout prix.
Mais l'incrédulité ne me surprend ni ne me décourage. Elle est tout à fait naturelle et excusable. Les convictions ne s'imposent point ; elles sont la résultante d'opinions antérieures qui ont concouru à sa formation dans la suite des siècles. Quant à la croyance aux phénomènes de la nature, elle ne s'acquiert pas avec la raison et la logique, mais par la force de l'habitude. L'habitude seule peut faire que le merveilleux cesse de paraître un miracle.
Au demeurant, pour ce qui est plus particulièrement des expériences ici décrites, je les ai entreprises dans le but spécial de répondre à un écrivain qui respecte, le témoignage des hommes, en reconnaît la valeur, et qui invite même les propagateurs des phénomènes médiumniques à instituer de semblables expériences. « Pour mémoire, je citerai ici ses paroles encore une fois :
« Une question du plus haut intérêt théorique, c'est de savoirsi un médium possède la faculté non seulement de produire chez une autre personne l'hallucination d'une image quelconque, mais encore de donner à cette image une consistance matérielle, d'une matérialité bien faible, il est vrai, mais ayant tout de même une existence réelle dans l'espace objectif de la chambre ou les séances ont lieu, en admettant que pour faire cette création le médium projette une partie de la matière composant son propre organisme pour lui faire prendre cette forme déterminée...... Puisque la réclusion matérielle du médium n'offre aucune garantie pour l'authenticité du phénomène, il est indispensable de voir le médium et le fantôme photographiés simultanément sur le même cliché, avant de concéder l'objectivité aux apparitions perçues seulement par la vue des assistants..... A mon avis, la condition essentielle d'une telle démonstration photographique consiste à ne laisser approcher ni un photographe de profession ni le médium de l'appareil, du châssis ou de la plaque, afin d'écarter tout soupçon de préparations préalables ou de manipulalions ultérieures..... La solution définitive de cette question capitale ne pourra venir que d'un expérimentateur dont l'intégrité soit au-dessus de tout soupçon et qui apporte à la séance ses propres appareils et accessoires et exécute lui-même toutes les manipulations[102]. »
J'ose estimer que ces conditions ont été observées dans leur plénitude et que M. Hartmann, après avoir pesé tous les détails de l'expérience demandée, au point de vue moral et physique, avouera qu'elle est suffisante pour établir la réalité des phénomènes de la matérialisation.
E ) Le médium et le fantôme sont invisibles ; la photographie se produit dans l'obscurité
J'arrive à la dernière catégorie des preuves de l'objectivité de la matérialisation par voie photographique, et ce dans des conditions très curieuses : dans une obscurité absolue.
Il ne s'agit plus de savoir où le médium se trouve. Il aurait beau se transfigurer, cela ne lui donnerait pas le moyen de réagir sur la plaque sensible dans l'obscurité. Et cependant il est de fait qu'une forme matérialisée peut être photographiée dans une obscurité absolue, et c'est cette circonstance même qui démontre son origine transcendantale.
Les premières nouvelles relatives à ce genre de photographie nous sont arrivées d'Amérique en 1875[103] mais la série la plus remarquable d'expériences de photographie dans l'obscurité a été organisée à Paris, en 1877, par le comte de Bullet, avec le médium Firman[104]. M. de Bullet en publia à la suite un rapport circonstancié dans la revue précitée en 1878 (t. II, p. 175).
Dans les articles de M. Reimers nous trouvons le récit d'une expérience semblable, toujours avec le même médium, et c'est encore « Bertie » qui complète la série de preuves qu'elle lui a fournies de son individualité objective, en reproduisant son image par un procédé photographique défiant toutes les conjectures qui tendraient à attribuer le résultat obtenu à des manipulations frauduleuses, à moins d'accuser M. Reimers lui-même de les avoir pratiquées. Voici le fait qu'il rapporte :
« Dans le courant de cet hiver, j'ai eu l'occasion de faire une expérience photographique unique dans son genre et qui ne se prête à aucune explication par les procédés connus. J'achetai une plaque sèche, la glissai dans le châssis, à 9 heures du soir, et je posai mes mains sur la chambre noire jusqu'au moment où le médium s'installa derrière le rideau ; alors j'éteignis la lumière. Le signal convenu pour ouvrir l'objectif et pour le refermer quelques instants après fut donné par la voix de l'agent invisible. Accompagné du médium, qui s'était réveillé, j'allai dans le cabinet noir pendant tout le temps que dura le développement, je ne quittai pas la plaque des yeux, et j'y vis se dessiner, petit à petit, l'image de Bertie, avec sa croix au cou, telle qu'elle apparaît ordinairement dans ses matérialisations.
Et dire que c'est la reproduction photographique, dans une complète obscurité, d'une forme qui a évidemment projeté sur la plaque sensible des rayons qui pour nous sont invisibles, c'est-à-dire à rencontre de toutes les lois naturelles connues ! Cette image seule est visible sur la plaque, qui ne porte pas la moindre trace des choses environnantes ; il faut en conclure que ces rayons émanaient de la figure même, que ce n'était pas une lumière reflétée[105]. »
Je demandai à M. Reimers quelques détails supplémentaires et reçus de lui la réponse suivante :
« Wellington Parade, Powlett street, E. Melbourne (Australie), le 8 juin 1886.
Monsieur,
Je ne crois pas avoir décrit l'expérience photographique dans l'obscurité d'une manière suffisamment détaillée ; il est donc utile que j'éclaircisse davantage les points importants.
Je me rendis à Londres avec Alfred Firman, et j'achetai des plaques sèches, au coin desquelles je fis une marque. Rentrés à Richmond, nous apprêtâmes le cabinet et disposâmes l'appareil de manière que le foyer se trouvât à l'endroit où la forme devait apparaître, suivant les indications qui nous avaient été données. La nuit venue (il était près de 9 heures ; nous étions au mois de septembre), Firman entra dans le cabinet, tandis que, je restai auprès de l'appareil, tenant tout le temps ma main placée dessus ; j'avais mis en place la plaque, qui était restée dans ma poche depuis que nous avions quitté le magasin. John King nous dit, par la voix du médium, de nous tenir prêts à découvrir l'objectif à son commandement. Pendant quelque temps un silence si complet s'établit que le moindre pas du médium aurait été entendu. Tout à coup nous entendîmes la voix de John King donnant cet ordre : « Maintenant, ouvrez » et, quelques minutes après : « Fermez. » J'allumai la bougie, je sortis la plaque, et, quand Firman eut préparé le bain, je la lui passai, regardant pardessus son épaule, je suivis les progrès du développement. Sur le négatif il y a une figure portant une croix au cou : c'est l'image de Bertie, comme elle m'apparaissait habituellement, mais seulement plus foncée et sur un fond gris.
Après ce résultat étonnant, je me mis à passer en revue, ainsi que je le fais à la fin de chaque séance, toutes les combinaisons imaginables de supercherie auxquelles on aurait pu avoir recours pour obtenir ce résultat, et j'arrivai à cette conclusion, que non seulement il était impossible d'imiter la marque que j'avais faite sur la plaque, mais qu'à plus forte raison il est inadmissible qu'une autre plaque, déjà impressionnée, lui eût été substituée. Ce serait chose matériellement impossible pour le médium que d'enlever la plaque du châssis et d'y introduire une autre plaque sans faire le moindre bruit, et ce, dans une complète obscurité, surtout étant donné que je tenais ma main sur l'appareil. N'ayant d'ailleurs pas quitté des yeux la plaque depuis le moment où je l'avais retirée du châssis, je laisse à d'autres de faire des conjectures... Votre dévoué,
C. Reimers. »
Les expériences de photographie dans l'obscurité, faites par moi-même, m'ont convaincu que ce fait est possible. Il a été question de cela dans les premiers numéros des Psychische Studien de cette année. La phototypie d'une de ces photographies se trouve dans le journal anglais Light (numéro du 23 avril 1887).
5° La démonstration de la nature non hallucinatoire des matérialisations
Là se termine la démonstration de la nature non hallucinatoire des matérialisations par le moyen d'effets physiques durables produits par ces apparitions ; cependant je dois mentionner encore un mode de contrôle auquel on a eu recours pour s'assurer que la matérialisation est un phénomène qui possède les attributions d'une corporéité réelle, et ne constitue pas une hallucination, je veux dire qu'on a pesé la forme matérialisée et le médium pendant que le phénomène se produisait. M. Hartmann lui-même admet que ces expériences paraissent « bien aptes à élucider la question ».
Mais la force nerveuse ne possède-t-elle donc pas la faculté miraculeuse de produire tous les effets de la pesanteur ? Elle peut, en effet, rendre le médium plus léger que l'air et faire peser un fantôme aussi lourd que le médium, et M. Hartmann finit naturellement par conclure que « par cette voie on ne peut donc rien constater d'une manière positive ». Ceci serait pour moi une raison pour ne pas insister sur cette catégorie de preuves dans ma « réponse » à M. Hartmann, si on ne lisait, immédiatement après la phrase ci-dessus, la remarque suivante :
« Dans le seul cas où, à ma connaissance, un fantôme ait été pesé, son poids était égal à celui du médium [106], d'où il ressort que c'est le médium lui-même qui s'était placé sur la balance. »
Je comparai cette phrase avec le passage ci-dessus mentionné dans Psychische Studien, et voici ce que je trouvai dans mon journal ; c'est un extrait de la lettre de M. Armstrong à M. Reimers :
« J'assistai à trois séances organisées avec Miss Wood, et dans lesquelles on a employé la balance de M. Blackburn. On pesa le médium et on le conduisit ensuite dans le cabinet (qui était aménagé de manière à mettre le médium dans l'impossibilité d’en sortir au cours de la séance).
Trois figures apparurent l'une après l'autre et montèrent sur la balance. A la deuxième séance, le poids varia entre 34 et 176 livres ; ce dernier chiffre représente le poids normal du médium.
A la troisième séance, un seul fantôme se montra ; son poids oscilla entre 83 et 84 livres. Ces expériences de pesée sont très concluantes à moins que les forces occultes ne se soient jouées de nous.
Cependant il serait intéressant de savoir ce qui peut bien rester du médium, dans le cabinet, lorsque le fantôme a le même poids que lui ? Comparés à d'autres expériences du même genre, ces résultats deviennent encore plus intéressants.
A une séance de contrôle avec le médium Miss Fairlamb, cellc-ci fut, pour ainsi dire, cousue dans un hamac dont les supports étaient pourvus d'un enregistreur marquant toutes les oscillations du poids du médium, et cela aux yeux des assistants. Après une courte attente, on a pu constater une diminution graduelle du poids ; enfin une figure apparut et fit le tour des assistants. Pendant ce temps, l'enregistreur indiquait une perte de soixante livres dans le poids du médium, soit la moitié de son poids normal. Pendant que le fantôme se dématérialisait, le poids du médium augmentait, et à la fin de la séance ; comme résutlat final, il avait perdu trois à quatre livres. N'est-ce pas une preuve que, pour les matérialisations, de la matière est prise à l'organisme du médium[107] ? »
Cette lettre nous indique qu'à la « troisième séance » avec Miss Wood le poids de la forme matérialisée était égal, pendant toute la durée de la séance, à la moitié environ du poids normal du médium dans l'expérience avec Miss Fairlamb, le médium avait encore perdu environ la moitié de son poids normal, soit 60 livres. Quel rapport la remarque de M. Hartmann peut-elle avoir avec le fait qu'il cite ? Faut-il chercher la source de cette erreur dans le domaine de l' « inconscient » ?
Et la diminution du poids du médium, allant jusqu'à 3 ou 4 livres, après la séance, est-ce encore un effet de la force nerveuse ? M. Hartmann nous reste devoir une explication de ce détail.
Les personnes qui voudraient avoir de plus amples renseignements sur l'historique de cette méthode d'expérimentation, appliquée aux phénomènes de la matérialisation, peuvent consulter les publications suivantes : People from the Other World par Olcott, Hartford, 1875, pp. 241-243, 487 - The Spiritualist, 1875,1, pp. 207, 290 ; 1878, I, pp. 211, 235, 268, 287 ; II, pp. 115, 163 ; - Light, 1886, pp. 19, 195, 211, 273.
Ici finit la première partie de mon chapitre sur les phénomènes de la matérialisation ; il avait pour objet de démontrer l'insuffisance de l'hypothèse hallucinatoire de M. Hartmann, au point de vue des faits. Nous avons trouvé toutes les preuves nécessaires pour nous convaincre que la matérialité, quoique temporaire, qui caractérise ces phénomènes, est une chose réelle, objective, identique avec la matérialité des corps qui existent dans la nature, et non l'effet d'une hallucination.
Je me crois, par conséquent, le droit de dire que la théorie des hallucinations à non seulement perdu « le sentier étroit » sur lequel elle s'acheminait péniblement, mais que le « terrain même lui manque ».
J'ai la conviction que l'hallucination n'est pour rien dans les phénomènes de la matérialisation ; quant à l'imagination, l'illusion, c'est autre chose mais, tout en admettant que celles-ci ont exercé leur part d'influence, il est juste de dire que c'était aux premiers temps de ces expériences seulement, et tout le monde sera d'accord pour trouver cela fort naturel et excusable.
Actuellement l'expérience acquise a déjà porté ses fruits, et les spiritualistes envisagent aujourd'hui ces remarquables phénomènes d'une façon beaucoup plus calme et raisonnable.
La deuxième partie de ce chapitre sera consacrée au côté théorique de la même question.
6° Insuffisance de la théorie hallucinatoire du Dr Hartmann au point de vue théorique[108]
La première partie de ce chapitre a atteint un développement que je n'avais pas prévu. Mais je n'ai pas hésité à recueillir et à utiliser toutes les matières qui s'offraient à moi à mesure que j'avançais dans mon travail, car je considère le phénomène de la matérialisation comme le résultat le plus remarquable, le plus essentiel, qu'ait atteint le spiritisme. Aussi, la démonstration de la réalité objective de ce phénomène, -contrairement aux hypothèses négatives du Dr Hartmann, - était-elle d'une importance capitale pour ma réfutation.
Ai-je atteint le but que je m'étais proposé ? Je l'ignore. Généralement les philosophes sont épris de leurs théories, et ils les défendent avec passion. Mais, comme tout l'ouvrage de M. Hartmann est fondé sur la supposition de la réalité des phénomènes, j'ose espérer qu'il voudra bien formuler aussi un jugement « ayant une valeur conditionnelle » sur les faits dont j'ai fait mention dans ce chapitre, et qu'il ne connaissait pas auparavant ; j'aime à croire qu'il ne voudra pas se dérober aux conclusions qu'on est forcé d'en tirer, en se retranchant spécialement pour cette occasion derrière l'argument trop facile de la supercherie quand même !
Les faits sont certainement la base de toute investigation dans le domaine de la nature, et, pour répondre à M. Hartmann, la meilleure méthode que j'avais à suivre était de m'appuyer sur des faits, en les présentant, autant qu'il était possible, dans les conditions imposées par mon contradicteur ou qui paraissaient nécessaires pour réfuter l'hypothèse de l'hallucination.
Après toutes les preuves que j'ai accumulées dans la section A du chapitre précédent pour établir par la logique des faits le caractère non hallucinatoire du phénomène de la matérialisation, je pourrais me dispenser d'engager ici une discussion théorique.
Mais l'hypothèse de M. Hartmann présente, même au point de vue théorique, des inconséquences si flagrantes, que je ne puis les passer complètement sous silence. Je serai bref, car les discussions de principe ne résolvent rien, et un simple fait a cent fois plus de valeur que des argumentations longues et compliquées ; c'est pourquoi je ne fais pas grand cas des discussions théoriques, et je m'y attarderai d'autant moins que les théories de M. Hartmann sont fondées sur l'entrée en scène d'agents auxquels il prête au gré de sa plume des vertus magiques, mais contraires aux exigences de la saine logique, en dépit de leur mise en scène artistique.
Arrêtons-nous tout d'abord aux principes généraux de la théorie de M. Hartmann tels qu'il les établit.
Sa première thèse est que le médium a la faculté de se mettre lui-même en état de somnambulisme et de se suggérer dans cet état l'hallucination désirée. Je ne me préoccuperai pas de la première partie, mais je demanderai à M. Hartmann sur quoi il peut fonder cette assertion que le médium en état de transe peut s'halluciner lui-même ?
Si nous interrogeons les médiums et surtout ceux avec lesquels les matérialisations ne se traduisent pas seulement par des formes stéréotypées, ils nous répondront qu'ils s'endorment sans penser aux formes qui peuvent apparaître, qu'ils ne donnent aucune direction à leur conscience somnambulique et qu'à leur réveil ils ne se souviennent de rien.
On m'objectera que ces témoignages ne peuvent être acceptés, car, outre qu'il est permis d'en suspecter la bonne foi, il est admissible aussi que l'auto suggestion se fasse inconsciemment comme résultat de la conscience somnambulique.
Vérifions la théorie de M. Hartmann par l'examen de l'état du médium en sommeil. Les sujets hypnotiques ou somnambuliques, lorsqu'ils ont des hallucinations, manifestent toujours par des signes extérieurs ce qui se passe en eux, mais le médium en transe, au contraire, semble inanimé ; il ne lui échappe pas une parole, il ne fait pas un geste qui puisse laisser supposer qu'il voit quelque chose, et encore moins la figure matérialisée, que tous les assistants voient cependant. Si on lui parle, il ne répond pas. Or qu'est-ce qu'une hallucination pendant le sommeil, sinon un rêve dont la réalité apparente est poussée au suprême degré d'intensité, jetant le dormeur dans un tel état de surexcitation qu'il se réveille en sursaut et, à son réveil, se croit encore aux prises avec ce songe effrayant ? Très souvent des personnes endormies parlent et gesticulent, ce qui prouve qu'elles « voient » en rêvant. Avec le médium en transe, on ne constate rien de semblable ; il dort profondément, paisiblement. Alors, sur quoi se fonde cette proposition fondamentale de M. Hartmann que le médium endormi a des hallucinations qui seraient même d'une extraordinaire intensité ? (P. 31.) Cette supposition est absolument gratuite.
La seconde thèse générale de M. Hartmann est que le médium, endormi et halluciné, transmet aux assistants l'hallucination, qu'il subit lui-même, et qu'il éprouve « un désir impérieux de faire partager aux personnes présentes la perception de cette réalité imaginaire, c'est-à-dire de leur imposer les mêmes hallucinations qui se présentent à lui. »
Voilà qui est aisé à dire en termes généraux, mais examinons de plus près ce qui se passerait en réalité dans ce cas. Le médium, placé derrière le rideau, dort, et il voit une figure qu'il croit réelle. Alors lui vient l'idée (car il n'oublie pas son rôle de médium) que les assistants doivent voir aussi cette figure, car c'est le but de la séance. Selon son désir, la figure sort du cabinet obscur pour se présenter aux spectateurs ; c'est ainsi que cela se passe habituellement. Dès que la figure est sortie du cabinet, le médium ne la voit plus, donc il n'a plus d'hallucination, et, par conséquent les spectateurs ne voient rien non plus, car le médium ne peut leur suggérer une hallucination qu'il n'a plus !
Si M. Hartmann me répond que l'hallucination est un phénomène subjectif qui s'impose au cerveau des assistants, qu'il ne peut être limité par un cabinet ou un rideau, que le médium peut continuer à subir l'hallucination, - de l'autre côté du rideau, - je soutiendrai le contraire, car toute la mise en scène devra correspondre à la réalité ; le médium devra se voir dans le cabinet obscur derrière le rideau ; il devra être convaincu qu'il est en présence d'une figure réelle qu'il ne verra plus dès qu'elle sortira du cabinet ; s'il continuait à la voir à travers le rideau, ce serait contraire aux lois de la réalité : il comprendrait alors qu'il est le jouet d'une hallucination et, ce raisonnement fait, l'hallucination n'existerait plus.
De plus, il ne faut pas oublier que si « la conscience à l'état de veille » a suggéré au médium que pendant la séance une figure doit apparaître aux spectateurs, cette même « conscience à l'état de veille » lui suggère que pendant cette apparition il serait en transe, derrière le rideau, et qu'il ne verrait rien - telle est la tradition des cercles spirites. - Esclave de cette suggestion, son hallucination, si hallucination il y a, ne pourrait aller au delà du rideau. Ainsi cette seconde hypothèse de M. Hartmann est détruite par la loi même des hallucinations suggérées.
Voyons sa troisième thèse. Comment le médium impose-t-il ses hallucinations aux assistants ? M. Harmann nous l'explique ainsi : « Un médium universel doit être plus qu'un auto somnambule, il doit être en même temps un puissant magnétiseur » (p. 34). « Il est certain, dit encore M. Hartmann, que les médiums, à l'état de somnambulisme latent ou apparent, disposent d'une quantité de force nerveuse, tirée de leur propre organisme ou de celui des assistants, bien supérieure à celle qu'un magnétiseur peut développer à l'état de veille ; il est donc non moins certain que les médiums doivent posséder à un plus haut degré que celui-ci la faculté d'utiliser cette force nerveuse pour produire chez les assistants un état de somnambulisme latent ou apparent » (p. 55).
Cette explication ne concorde pas avec les données de l'expérience. Le médium est un être passif, sensitif, soumis à toutes sortes d'influences ; lorsqu'il entre en transe ou, selon M. Hartmann, en sommeil somnambulique, il passe à l'état de complète passivité. Tout sommeil, du reste, est un état passif, dont le caractère distinctif est l'absence de volonté. Cela est d'autant plus vrai pour le sommeil somnambulique provoqué, que la volonté du somnambule est complètement annihilée, puisqu'elle appartient au magnétiseur. Chez le médium auto-somnambule, c'est la volonté consciente qui fait office de magnétiseur et qui donne à sa conscience somnambulique la « direction » pour son hallucination quasi-automatique. Mais, une fois l'impulsion donnée, dès que la transformation est accomplie, le médium n'est plus qu'un automate, un esclave de l'hallucination, qui l'a envahi et subjugué. Et M. Hartmann vient prétendre que cet automate, sans cesser d'être halluciné, devient subitement actif, qu'il devient magnétiseur à son tour et dispose d'une force considérable, subjuguant les esprits des assistants sans prononcer une parole, sans faire un geste ; sans même se montrer, il les plonge dans « un état hypnotique sans sommeil », ce que M. Hartmann nomme un « état de somnambulisme latent », pour leur imposer ses propres hallucinations.
Le magnétiseur somnambule agit avec discernement. Ce n'est que lorsqu'il a jugé que « tous ceux qui prennent part à la séance sont tombés sous sa domination », qu'il met en jeu ses hallucinations. Il délibère sur le genre d'hallucination qu'il aura lui-même et qu'il suggérera aux autres : Apparaîtra-t-il lui-même dans le rôle de John King, ou sera-ce un décédé qu'il présentera à l'assistance (pp. 94, 95), et aussi quels sens seront affectés par l'hallucination (p. 100) ?
Ici M. Hartmann a oublié de nous dire comment le médium auto-somnambule modifie ses hallucinations. D'où vient la nouvelle « direction » ? Supposons qu'il a l'hallucination d'être ou de voir John King et qu'il impose cette hallucination aux assistants ; puis, brusquement, cette hallucination fait place au « désir impérieux de transmettre au sujet qui se trouve à sa portée son hallucination de la présence de l'esprit d'un décédé » comment s'opère ce changement ? Dans la pratique magnétique ou hypnotique, pour obtenir le changement des hallucinations suggérées, on réveille le sujet, puis on le rendort en lui suggérant la nouvelle hallucination. M. Hartmann a imaginé que l'auto somnambule fait tout lui-même. Après s'être suggéré et avoir suggéré aux autres que, par exemple, il était John King, il trouve que le temps est venu de changer l'objet de son hallucination ; il retourne à un état de somnambulisme sans hallucination, il examine l'état de somnambulisme latent des assistants, puis, avant perçu au moyen de la lecture des pensées dans la mémoire hyperesthésique de l'un des assistants l'image d'un défunt, il s'en suggère l'hallucination et la transmet en même temps à la conscience somnambulique latente de cet assistant et de tous les autres... pour recommencer bientôt avec une autre hallucination.
Ainsi le médium somnambule est un être à la fois actif et passif, halluciné et hallucinant les autres, halluciné et conscient de son hallucination, halluciné et restant maître de ses hallucinations, qu'il offre en spectacle aux assistants comme dans un théâtre de marionnettes. Tout cela n'est qu'une série de contradictions psychiques insoutenables. Et c'est en vain que M. Hartmann en appellera à cet agent magique, la conscience somnambulique du médium, le deus ex machina de son hypothèse. Mais ce dieu, - tout dieu qu'il soit, - ne peut cependant faire tant de choses à la fois !
Quatrième thèse : Le médium auto somnambule ne se contente pas de s'halluciner et d'halluciner les assistants avec lui, il fait aussi accomplir par les personnages de ces hallucinations des actes physiques : ils écrivent, déplacent des objets, font des moulages, produisent des empreintes, etc. Ces mouvements sont produits par la force nerveuse du médium, qu'il dirige selon la volonté de sa conscience somnambulique (pp. 54, 102, 103).
Ainsi donc à la double activité psychique que la conscience somnambulique du médium avait déjà déployée s'en joint une troisième : une activité entièrement physique, car telle est la nature de la force nerveuse, selon M. Hartmann. Cette théorie de notre contradicteur est aussi facile à émettre que difficile à défendre, car elle répond encore moins que les autres à la doctrine de l'unité de l'acte psychique. En effet, l'opération de la transmission de l'auto hallucination à plusieurs personnes serait à elle seule, de la part du médium, un tour de force qui absorberait toute son énergie psychique mais, pas du tout, d'après M. Hartmann, elle se fait en même temps qu'un effort de la volonté, qui dégage la force nerveuse médinmnique ou magnétique qui se trouve dans le système nerveux et la dirige d'une certaine manière sur des objets animés ou inanimés (p. 54). » Ici, je retiens un mot qui donne à penser. Que veut dire : « d'une certaine manière » ? M. Hartmann ne nous l'explique pas.
Et pourtant voyons ce qui se passerait en réalité. Une forme apparaît, je lui tends du papier et un crayon, elle les prend, écrit sur le papier et le pose sur la table. Pour produire ces mouvements, l'opérateur invisible (le médium, ou sa conscience somnambulique) doit être clairvoyant. Ce n'est pas une simple « lecture » ou « transmission » de pensées qui peut donner à l'opérateur une idée de la forme et des facultés actuelles du fantôme. Oh ! non, cela ne suffirait pas pour faire coïncider les mouvements de la figure hallucinatoire avec les faits tels qu'ils se passent réellement dans l'espace objectif ; il faut pour cela une clairvoyance directe de tout ce qui se trouve dans cet espace. Voilà ce que signifie l'expression « d'une certaine manière ».
Et, de cette façon, l'activité déployée par le médium auto somnambule serait quadruplée. Cette multiplicité d'actions simultannées imposées par M. Hartmann à l'unité psychique présente un imbroglio d'affirmations fantaisistes devant lequel tout esprit critique recule et renonce à discuter.
Cinquième thèse : les assistants doivent, pendant la séance, se trouver dans un état de sommeil somnambulique latent ; c'est le médium qui les plonge dans cet état, car cela est indispensable pour qu'il puisse leur suggérer ses hallucinations (pp. 55, 56). C'est toujours, d'après le Dr Hartmann, la condition sine qua non de la perception du phénomène de la « soi-disant matérialisation. » Quel est donc cet état de somnambulisme latent ? Par quels symptômes extérieurs se dislingue-t-il de l'état normal ? Par aucun, nous dit M. Hartmann (pp. 30. 57). Pourquoi donc le nomme-t-on « état somnambulique » ? M. Hartmann ne nous l'explique pas. Peut-on du moins savoir comment il se produit ? C'est très simple : le médium se retire derrière le rideau, passe à l'état de sommeil somnambulique apparent, magnétise par la force de sa volonté tous les assistants, puis développe en eux l'état de somnambulisme latent (pp. 55, 56, 91). Mais la preuve ? La voici, nous dit-on, et elle est claire : les assistants voient une « figure matérialisée » qui ne peut être qu'une hallucination ; donc ils sont hallucinés, quoiqu'ils ne dorment pas ; donc ils sont en état de somnambulisme latent ! N’est-ce pas là une preuve ?...
Non, ce n'en est pas une. Comparons ces procédés avec ceux employés dans la pratique magnétique ou hypnotique pour provoquer une hallucination.
Avant tout, le sujet doit être endormi ; or il est admis que la moitié au moins des individus est réfractaire à l'influence magnétique et que, pour l'autre moitié, le degré de soumission à cette influence varie pour chaque individu. Le sujet étant endormi, un certain rapport s'établit entre lui et l'opérateur : ce dernier peut lui suggérer une hallucination au moyen de la parole ou par un antre moyen extérieur pour faire cesser l'hallucination, il doit réveiller le sujet, et à son réveil, ce dernier ne se souvient de rien. Comme nous le savons, rien de pareil ne se produit aux séances de matérialisation. Il est vrai que M. Hartmann nous parle aussi d'un « rapport étroit qui doit préalablement s'établir entre le médium et les assistants pour que les transfigurations et matérialisations puissent réussir » (p. 91), et, selon lui, ce rapport s'établit par la fréquence des séances du médium dans le même groupe de personnes.
En admettant qu'un rapport puisse s'établir dans ces conditions, il est certain aussi que dans nombre de cas un semblable rapport n'a pas existé. Une dizaine de personnes se réunissent qui n'ont jamais été hypnotisées, dont plusieurs n'ont jamais assisté aux séances du médium, d'autres n'ont jamais assisté à aucune séance, d'autres enfin y sont venues avec la ferme conviction que rien ne se produirait - cela m'empêche pas le médium de subjuguer, sans le moindre procédé magnétique, tous les membres de cette assemblée hétérogène, sans les endormir, et de leur imposer à tous une seule et même hallucination, dont ils se souviendront très exactement ! Ainsi, moi-même, j'ai vu pour la première fois de ma vie la matérialisation d'une figure (Katie King) à la première séance que m'a donnée Miss Cook. Selon M. Hartmann, j'ai été le jouet d'une hallucination (et non d'une transfiguration du médium), car j'ai soulevé le rideau immédiatement après la disparition de la figure, et j'ai constaté le statu quo du médium (Psychische Studien, 1887, p. 448). J'ajouterai que je ne suis pas sensitif et que jamais je n'ai subi aucune influence magnétique ou hypnotique. Il faut noter aussi que, contrairement aux affirmations de M. Hartmann, les cercles spirites privés, constants, homogènes, sont l'exception, et que les plus nombreux sont des cercles publics, changeants, hétérogènes.
Je dois mentionner encore une particularité qui démontrera la différence qui existe entre les procédés médiumniques et une magnétisation quelconque. Tout le monde sait que, pour magnétiser ou hypnotiser avec succès, il faut que le sujet y consente, c'est-à-dire qu'il ne s'oppose pas à l'expérience, enfin qu'il se place dans les conditions voulues pour être magnétisé, c'est-à-dire qu'il s'impose quelques minutes de silence et de recueillement. Dans une séance médiumnique, on voit le contraire. On dit généralement - et M. Hartmann le répète - que les phénomènes médiumniques se produisent à la suite d'une excitation psychique provoquée par une « attente longue et soutenue ». Ceux qui le supposent et l'affirment n'ont aucune connaissance pratique de la question. Tous ceux, par contre, qui ont acquis quelque expérience en ces matières, savent très bien que c'est dans des conditions opposées que s'obtient la manifestation des phénomènes, que c'est précisément la concentration des pensées qui doit être évitée quand on assiste à
une séance, surtout quand les manifestations n'ont pas encore commencé. Que ce soit à une séance avec ou sans lumière, pour effets physiques ou pour matérialisations, la même condition est toujours imposée par le médium ou les forces invisibles : pas de recueillement, de la musique, du chant, ou une conversation facile. Ce qui nuit à ceux qui assistent pour la première fois à une séance, c'est justement l'excitation, le désir et l'attente de quelque chose d'extraordinaire.
Les personnes qui ont l'habitude de prendre part à ces séances savent que c'est au cours d'un entretien familier, sans aucun rapport avec le spiritisme, que se produisent les plus remarquables phénomènes. Et, selon M. Hartmann, c'est dans un cercle où l'on fait de la musique, où l'on chante, où l'on cause de la façon la plus indifférente, que viendront s'imposer à tous les hallucinations qu'il plaira au médium endormi de créer !
A quoi se réduit donc la théorie de M. Hartmann sur les phénomènes de matérialisation ? Malgré toutes les complications qu'il a péniblement échafaudées sur les principes généraux que je viens d'énumérer, elle se résume dans la formule suivante : le médium dort et rêve,et les assitants partagent ses rêves, mais sans dormir. Et c'est là ce que M. Hartmann appelle le « point de vue de la science psychologique ».
Voyons maintenant comment se comporte la théorie de M. Hartmann à l'égard des origines historiques du spiritisme.
Dans son chapitre consacré aux matérialisations, il a établi sa théorie en examinant ces phénomènes dans les conditions où ils se présentent généralement de nos jours et ces conditions sont :
1° l'apparition de toute une figure ;
2° une faible lumière ou une demi-obscurité ;
3° le médium invisible, placé derrière le rideau ;
4° le médium dans un état de sommeil plus ou moins anormal.
Placés dans ces conditions, les phénomènes se prêtent dans une certaine mesure à l'hypothèse de M. Hartmann, à savoir que le médium est un auto somnambule, etc.
Mais, si nous remontons aux origines du spiritisme, c'est-à-dire aux années 1848-50, nous constatons qu'à cette époque les expériences se faisaient à la lumière, que le médium faisait partie de l'assistance, qu'il ne tombait ni en transe ni dans un état de sommeil quelconque, qu'il était lui-même spectateur et que cependant tous les phénomènes médiumniques qui se produisent actuellement se produisaient déjà alors dans toute leur force. Il n'y avait pas encore de matérialisations de figures entières, mais des attouchements, des apparitions de mains, avec ou sans déplacement d'objets. Ajoutons que les premiers médiums furent des enfants, des jeunes filles de dix à douze ans. Comment accordera-t-on cet état de choses avec les paroles suivantes de M. Hartmann :
« C'est justement cette faculté de se mettre soi-même en somnambulisme à tout instant, qui demande à être longuement exercée avant que l'on puisse la mettre en action sûrement, sur le désir de tierces personnes » (pp. 31, 36) et, plus loin : « A une séance médiumnique, chacun doit garder en vue qu'il est sous l'influence d'un très puissant magnétiseur, qui, sans s'en rendre compte, a tout intérêt à le plonger dans un somnambulisme latent, afin de lui imposer ses propres hallucinations » (p. 56). Plus loin nous lisons encore : « Dans la règle, les médiums tombent dans l'état de somnambulisme apparent aux occasions suivantes : d'abord, pendant le parler involontaire, ensuite, quand il s'agit de produire des phénomènes physiques, qui exigent un effort considérable de la force nerveuse, et, en troisième lieu, pour la suggestion d'hallucinations aux personnes présentes, ce qui paraît impliquer une intensité particulière des hallucinations du médium lui-même » (p. 31). « Il paraît que la suggestion d'hallucinations aux assistants ne peut s'effectuer qu'à une lumière adoucie » (p. 10).
Où trouverons-nous « l'exercice prolongé », « le magnétiseur puissant », « le somnambulisme apparent », et « la lumière adoucie » chez les jeunes filles médiums de 1849, sur lesquelles les phénomènes médiumniques s'abattirent, peut-on dire, comme par surprise, comme une avalanche. Malgré tous les efforts qu'elles firent pour s'en défaire, ces phénomènes les poursuivirent sans relâche, les exposant à de nombreux désagréments. Rien ne put les arrêter. « Annoncez ces vérités au monde ! » Tel était l'ordre que les forces invisibles intimèrent par le premier message obtenu par l'alphabet, et les jeunes médiums, malgré toute leur résistance, furent contraintes enfin de se rendre et de livrer ces phénomènes à l'investigation publique. Je suis porté à croire que, si les phénomènes de matérialisation avaient continué à se produire dans les mêmes conditions que dans cette phase primordiale, M. Hartmann n'aurait pas trouvé d'éléments suffisants pour édifier sa théorie de l'hallucination. Et cependant le phénomène était le même !
L'élude des phénomènes de matérialisation nous révèle cette loi générale, qui, par elle-même, réfute complètement la théorie de l'hallucination :
Aux premières manifestations de la matérialisation chez un médium, les formes matérialisées offrent une ressemblance frappante avec certaines parties du corps ou toute la personne du médium.
Plus tard, - si le médium poursuit le développement de ce genre d'expériences, - cette ressemblance peut, sans disparaître, faire place, souvent, à des matérialisations de figures extrêmement variées ; d'autres médiums ne peuvent pas sortir de la limite des premières expériences, et toutes leurs matérialisations présentent avec leur personne une telle ressemblance qu'on est amené tout naturellement à supposer que c'est le médium transfiguré - jusqu'au jour où on peut se convaincre par des preuves suffisantes qu'on est en présence d'un dédoublement du médium.
C'est ainsi que dans les phénomènes de matérialisation classiques de Katie King et de John King, - qui se sont produits en Angleterre et qui ont été soumis aux expériences les plus variées, on a constaté chaque fois une ressemblance plus ou moins marquée, et quelquefois complète, entre les formes matérialisées et le médium. John King apparaissait à la lumière du jour, et son portrait a été dessiné pendant que le médium, placé derrière le rideau, était tenu par les mains[109] ou bien il apparaissait dans l'obscurité, éclairé de sa propre lumière, pendant que le médium était tenu par les mains dans le groupe ou hors du groupe des assistants. - Katie King apparaissait pendant qu'une partie du corps du médium était visible ; d'autres fois elle disparaissait momentanément, lorsqu'elle était suivie d'une personne qui voulait voir le médium dans le cabinet. Ces cas, selon M. Hartmann, sont des preuves évidentes de l'hallucination et non de la transfiguration.
Mais, s'il en était ainsi, pourquoi cette ressemblance avec les médiums ? Cette ressemblance faisait leur désespoir ! Certainement, s'ils avaient pu provoquer des hallucinations à leur gré, ils se seraient bien gardés de représenter dans ces hallucinations leur propre image, ce qui faisait seulement naître le soupçon et fournissait des prétextes à toute sorte de mesures de contrôle ayant pour but de démasquer l'imposture.
Il en est de même pour les matérialisations qui se produisent sous les yeux des assistants. Comme hallucination, ce genre de phénomène plaît à M. Hartmann mais, au point de vue du phénomène objectif, le procédé lui déplaît, et, pour prouver que le médium n'est pas « le producteur inconscient du fantôme », M. Hartmann exige une autre démonstration ; il dit : « Dans les cas où il y avait séparation absolue, où le fantôme était observé pendant sa formation et sa disparition, on a constaté qu'il émanait complètement du médium et qu'il se fondait de nouveau avec lui, et cela, non comme une image toute faite, s'emplissant graduellement de matière et se désemplissant ensuite, mais comme une masse nébuleuse informe qui ne prend figure que graduellement et se désagrège ensuite de la même façon » (p. 110).
Si vraiment ce fantôme n'était qu'une hallucination, la fantaisie du médium aurait dépassé toutes les exigences du Dr Hartmann : des « images toutes faites », répondant à l'imagination la plus hardie, seraient apparues et disparues subitement.
Mais je présenterai ici encore une autre observation : si les matérialisations ne sont que des hallucinations produites par le médium et qu'il a la faculté de voir toutes les images emmagasinées dans les profondeurs de la conscience somnambulique latente des assistants, et de lire toutes les idées et toutes les impressions, - qui se trouvent à l'état latent dans leur souvenir, - il lui serait bien aisé de contenter tous ceux qui assistent à la séance, en faisant toujours apparaître à leurs yeux les images de personnes défuntes qui leur étaient chères. Quel triomphe, quelle gloire, quelle source de fortune pour un médium qui parviendrait à ce but ! Mais, au grand regret des médiums, les choses ne se passent pas ainsi : pour le plus grand nombre d'entre eux, ce sont des figures étrangères qui se présentent, des figures que personne ne reconnaît, et les cas où la ressemblance avec un défunt était bien constatée, non seulement quant à la forme, mais aussi quant à la personnalité morale, sont extrêmement rares ; les premiers sont la règle, les autres sont l'exception.
Ces résultats négatifs, qui sont loin de satisfaire toutes les espérances et tous les désirs, sont pour moi la preuve que nous nous trouvons, réellement, en présence de phénomènes naturels, soumis à certaines lois et à certaines conditions pour pouvoir se manifester, et dont le véritable sens nous est encore inconnu.
Si nous suivons de plus près l'histoire de la matérialisation de certaines figures qui apparurent régulièrement pendant un temps plus ou moins long, nous rencontrerons quelques cas qui ont une importance spéciale pour la théorie de ces phénomènes et prouvent à leur manière que ce ne sont pas de simples hallucinations.
C'est à la série des apparitions de Katie King que j'emprunterai le premier exemple d'un phénomène de cette espèce, et je m'y arrêterai parce qu'il est attesté par les témoins les plus sérieux. Dès ses premières apparitions, Katie King avait annoncé qu'elle ne pourrait se matérialiser que pendant trois ans et qu'à l'expiration de ce terme, son œuvre serait terminée ; quelle ne pourrait plus se manifester physiquement, visiblement et tangiblement, que, passant à un état plus élevé, elle ne pourrait communiquer avec son médium que d'une manière moins matérielle[110].
Le délai annoncé expirait en mai 1874 ; la dernière séance fut fixée par Katie King au 21 mai ; elle eut lieu chez M. W. Crookes. Voici, comment, d'après les paroles de ce dernier, s'opéra la disparition de Katie :
« A l'approche du moment où Katie devait nous quitter, je la priai de se faire voir à moi, au dernier moment. Elle invita les unes après les autres toutes les personnes présentes à s'approcher d'elle et dit à chacune quelques paroles ; puis elle donna quelques indications générales sur la protection et les soins dont nous devions à l'avenir entourer Miss Cook. Ces recommandations terminées, Katie m'engagea à la suivre dans le cabinet et m'autorisa à rester jusqu'à la fin. Elle tira le rideau et me parla encore quelque temps, puis elle traversa la chambre jusqu'à l'endroit où Miss Cook était couchée sans connaissance sur le plancher. Se penchant sur elle, Katie lui dit : « Réveille-toi, Florrie, réveille-toi. Je dois te quitter à présent. » Miss Cook se réveilla et implora Katie, en pleurant, de rester encore un peu. « Je ne le puis, ma chère, ma mission est accomplie. Que Dieu te bénisse », répondit Katie, et elle continua encore à parler avec Miss Cook. Cette conversation dura plusieurs minutes ; les larmes étouffaient Miss Cook. Alors, me conformant aux recommandations de Katie, je m'approchai de Miss Cook pour la soutenir, car elle tombait à terre dans un accès de sanglots hystériques. Quand je regardai autour de moi, Katie avait disparu. »
M. Harrison, l'éditeur du Spiritualist, qui a pris part à cette séance, ajoute les renseignements suivants :
« Katie nous dit qu'elle ne pourrait plus jamais parler ni montrer son visage, que les trois années pendant lesquelles elle avait produit ces manifestations physiques avaient été pour elle un temps pénible, une triste expiation de ses péchés, et qu'à présent elle allait passer à un état d'existence spirituelle plus élevé. Elle déclara qu'elle ne pourrait désormais communiquer avec le médium qu'à de longs intervalles, et ce par l'écriture, mais que le médium pourrait l'apercevoir à toute heure, dès qu'il se laisserait magnétiser. »
Je ne puis assez insister sur la signification morale de ce fait. Comment expliquer, d'une façon rationnelle, au point de vue des théories de la transfiguration, de l'hallucination et même par l'imposture cette cessation volontaire de l'apparition et de la matérialisation de Katie King ? Si la production de ces phénomènes ne dépendait que du médium, pour quelles raisons eût-il mis fin à leurs manifestations ? Miss Cook, le médium, était à cette époque au summum de sa renommée ; l'amour-propre des médiums, - surtout lorsqu'ils sont entrés dans cette voie spéciale, - se développe tout naturellement à un degré très élevé, car leur extraordinaire faculté leur ouvre les portes de la plus haute société, et ils deviennent l'objet de l'attention générale, ce qui ne peut que flatter leur ambition. Miss Cook était alors le seul médium avec lequel se produisait la matérialisation de figures entières. Pourquoi donc alors serait-elle volontairement descendue du piédestal sur lequel on l'élevait, pour retomber dans l'oubli ? Elle ne pouvait connaître le sort réservé à ses facultés médiumniques, prévoir si elle atteindrait les mêmes résultats, et pourquoi d'ailleurs aurait-elle changé le certain contre l'incertain ?
M. Crookes, de son côté, prenait grand intérêt à ces expériences et ne souhaitait que de compléter ses observations.
Je le demande encore, quel pouvait être le motif assez puissant pour déterminer le médium à prendre cette décision ? Si les manifestations n'étaient soumises qu'a sa volonté, il n'avait qu'à les continuer pour recueillir de nouveaux lauriers.
On pourrait attribuer cette décision à un affaiblissement des facultés médiumniques de Miss Cook et ne voir dans les adieux de Katie King - encore qu'ils aient été prévus trois ans auparavant - qu'un moyen d'éviter un échec pénible pour son amour-propre. Mais nous savons qu'au contraire les phénomènes n'ont fait que progresser et qu'ils étaient plus parfaits, plus décisifs encore dans les derniers temps : nous savons aussi qu'après la disparition de Katie King les facultés médiumniques de miss Cook ne faiblirent point et que, bientôt après, une nouvelle figure apparut « avec tout autant de perfection » - ainsi que nous l'apprend la lettre de M. Crookes publiée dans le Spiritualist de 1875, t.I, p. 312.
Du reste, ce fait de la cessation d'une matérialisation de figure apparue pendant un certain laps de temps n'est pas unique dans les annales du spiritisme. J'en pourrais citer encore plusieurs[111].
A mon avis, tout ceci démontre péremptoirement que, dans ces divers cas, du moins, nous avions affaire à une volonté autre que celle du médium et que le phénomène avait, par lui-même, une réalité objective.
Pour en finir avec le côté théorique de cette question, je dois renouveler une objection que j'ai déjà émise dans la première partie de ce chapitre, lorsqu'il s'agissait des empreintes produites par des parties du corps matérialisées. Cette objection aurait dû prendre place ici, - dans la partie théorique de mon argumentation, - mais je me suis laissé entraîner par « l'inconséquence logique » qui ressortait de la théorie de M. Hartmann, lorsque j'eus à traiter spécialement de ce genre de phénomènes (pp. 115 et suivantes).
Je rappellerai en quelques mots ce dont il s'agit, car cette inconséquence qui jaillit de la thèse de M. Hartmann ne se limite pas évidemment à l'explication par l'hallucination de l'apparition d'une partie du corps humain, mais se rapporte également à l'apparition d'une forme humaine entière matérialisée.
M. Hartmann a été obligé de nous faire une concession par rapport à l'apparition des mains : elles peuvent ne pas être une simple hallucination de la vue, mais avoir un substratum objectif réel dans la force nerveuse, dont la concentration peut être telle que la main peut être sentie au toucher, et ce sera alors une perception réelle, et non une hallucination, ce qui est prouvé par l'empreinte que produit cette main sur du papier noirci. Mais la vue de cette main sera, pour la même personne qui l'a touchée, une hallucination. Voilà où réside « l'inconséquence logique » qui s'étend à l'ensemble de la théorie de l'hallucination émise par M. Hartmann pour expliquer les matérialisations.
Quand une figure entière apparaît, produit divers effets physiques, se laisse toucher et palper, M. Hartmann veut bien admettre que cela peut être un effet réel, non hallucinatoire, un effet produit par la force nerveuse médiumnique qui « représente l’analogon de la surface d'une main produisant une pression, sans qu'il y ait, derrière cette surface, un corps matériel » (p. 99).
Pourquoi donc n'admet-il pas que ce même « analogon d'une surface qui exerce une pression », puisse produire un effet visuel ?
Ainsi, pour une série d'effets produits par le même phénomène, M. Hartmann admet qu'ils sont provoqués par « une chose matérielle (en soi), existant dans l'espace objectif réel et qui affecte les organes sensoriels des assistants », et pour une autre série d'effets - sentis et accusés par le même sujet - il déclare que cette cause « n'est plus une chose matérielle, mais une hallucination subjective du médium » (p. 96.)
Il est impossible de ne pas voir la contradiction évidente de ces deux explications. L'inconséquence est d'autant plus marquée que M. Hartmann affirme lui-même que la force nerveuse peut prendre des formes visibles qui ne sont pas des hallucinations. Ainsi, elle pourrait « se transformer en effets de lumière » (p. 47), et alors « revêtir des formes déterminées, mais principalement des formes de cristaux ou bien des formes d'objets inorganiques, tels que croix, étoiles, un champ clair parsemé de points lumineux » (p. 50).
Dans ce cas, la force nerveuse devient visible et n'est pas une hallucination. Pourquoi donc cette même force devenant visible sous la forme organique d'une matérialisation (qui est quelquefois aussi lumineuse), devient-elle une hallucination ? Comment M. Hartmann pourra-t-il répondre à cette question ? La théorie de l'hallucination est détruite par l'analyse logique de ses propres hypothèses.
CHAPITRE II - LES PHÉNOMÈNES PHYSIQUES
Ayant déjà traité de la question des matérialisations et l'ayant résolue dans le sens d'un phénomène réel objectif, ma réponse à M. Hartmann, en ce qui concerne les phénomènes physiques, se comprend aisément. Il est clair que, si ma thèse est admise pour le phénomène de la matérialisation, la plupart des phénomènes physiques complexes s'expliquent par la simple supposition qu'ils sont produits par des organes matérialisés invisibles.
Mais cela ne veut pas dire que tous les phénomènes physiques doivent s'expliquer de cette manière et qu'aucune force physique inconnue n'y joue un rôle ; je crois, au contraire, qu'il est raisonnable d'admettre que les phénomènes physiques simples ne sont très souvent que le produit d'une force physique inconnue, émanée de notre organisme.
Je nomme phénomènes simples les phénomènes physiques obtenus avec ou sans imposition des mains, lorsqu'ils se produisent en ligne droite, horizontale ou verticale, et qu'ils ont le simple caractère de répulsion ou d'attraction ; tel est par exemple, le phénomène de soulèvement d'une table avec des mains simplement placées dessus, que j'ai observé maintes fois, et qui m'a toujours frappé par le mouvement parfaitement vertical de tout le meuble, les quatre pieds quittant en même temps le sol, et la table retombant d'un coup, comme sur un seul pied.
J'ai même vu la table, après s'être soulevée à un angle de 45° reprendre la position horizontale pendant qu'elle était suspendue dans l'espace et retomber verticalement sur ses quatre pieds.
Quant aux phénomènes physiques complexes, l'objet décrivant par exemple une ligne courbe, ils paraissent être produits par un organe physique invisible dirigé par une volonté et une raison qui lui sont propres mais cette idée n'a même, pour ainsi dire, pas eu le temps de rester à l'état d'hypothèse, car dès que les phénomènes physiques extraordinaires se produisirent - au début du mouvement spirite - les mains qui les effectuaient furent souvent vues et senties.
J'ai démontré, dans le premier chapitre de ce livre, que l'objectivité réelle de ces mains a été constatée par tous les moyens imaginables. Le moyen le plus simple de constater l'action directe de ces mains est d'enduire les objets qu'on veut faire déplacer de baume lumineux de Balmain. C'est ainsi que, lorsque je tenais par les mains le médium Kate Fox, au cours d'une séance dans l'obscurité, je vis nettement sur une clochette que j'avais posée sur la table, près de moi, - et qui était parfaitement visible grâce à la substance lumineuse dont je l'avais enduite, - se détacher la silhouette de plusieurs doigts qui saisirent cette clochette et la firent tinter dans l'espace. Les deux mains du médium et les miennes étaient posées sur une planche également lumineuse, de sorte que les mains du médium, tenues entre les miennes, pouvaient être surveillées constamment.
Que les mains déplaçant des objets, à la lumière, soient quelquefois invisibles, cela ne dépend évidemment que du degré de matérialisation ; que la matérialisation invisible existe, nous en avons la preuve par la photographie transcendantale. Sur l'une des photographies de Mumler, on constate même un effet physique produit par une forme invisible : le soulèvement visible du vêtement avait été produit par une main invisible à l'œil, mais reproduite par la photographie.
Selon M. Hartmann, tous les phénomènes physiques du médiumnisme - simples ou complexes - sont produits par la force nerveuse du médium, qui n'est elle-même « qu'une force physique émanée du système nerveux du médium » M. Hartmann insiste beaucoup sur cette définition, et il déclare ne pas comprendre « pourquoi Cox la désigne sous le nom de force psychique et non sous celui de force nerveuse, cette définition pouvant donner lieu à des malentendus » (p. 37).
Mais, chaque fois que M. Hartmann essaie d'expliquer par cette force un phénomène physique complexe, que voyons-nous ? C'est toujours la volonté du médium qui « dirige » cette force (p. 42), qui « la domine » (p. 49) c'est la « fantaisie du médium qui coordonne les lignes de tension » (p. 51).
A la fin de son article sur les phénomènes physiques, M. Hartmann juge nécessaire de nous expliquer que « ce n'est pas la seule volonté du magnétiseur, comme telle, qui produit ces manifestations dans d'autres individus, par son action purement psychique, et ce n'est pas non plus la seule volonté du médium, qui, par son action purement psychique, produit, dans des corps inanimés, les phénomènes physiques dont il vient d'être question dans l'un et l'autre cas, l'effet immédiat de la volonté se borne à dégager la force nerveuse, magnétique ou médiumnique, du système nerveux et de la projeter d'une manière déterminée sur des objets animés ou inanimés ». Comme cette « projection d'une manière déterminée » doit à chaque instant changer de direction pour produire une ligne courbe ou un système de « lignes de tension » (par exemple dans l'écriture directe), il est évident que la volonté du médium est inséparable de cette force. Nous pouvons donc, à notre tour, nous étonner de ce que M. Hartmann veut y voir uniquement une force physique ? Je crois, d'ailleurs, que les partisans de la force psychique n'ont jamais eu l'intention de prétendre que cette force agisse physiquement sans aucun substratum de force physique.
Tout en affirmant que la force nerveuse médiumnique est une force physique, ayant de l'analogie avec l'électricité et le magnétisme, M. Hartmann trouve « tout simplement incroyable et d'un très mauvais augure pour les intérêts du spiritisme au point de vue scientifique, que personne n'ait encore fait de tentative pour résoudre cette question ».
C'est encore là une allégation sans fondement. Le professeur Hare et le physicien Varley ont fait beaucoup de recherches dans ce sens, mais ils n'ont jamais pu découvrir aucune trace d'une affinité quelconque entre la force médiumnique et l'électricité ou le magnétisme terrestre[112].
Il faut citer aussi une brochure qui parut en 1833 à Gotha sous ce titre : Les Tables tournantes ; soixante-quatre nouvelles expériences physiques, avec indication des résultats obtenus, dans laquelle l'auteur, M. Chr. Elisa Hering, professeur agrégé de mathématiques et de physique au Séminaire de Gotha, arrive à cette conclusion : « Il s'ensuit que la force nouvellement découverte est l'opposé du magnétisme, donc un anti-magnétisme ; elle paraît même être la véritable force neutralisante ». (p. 57).
En traitant, dans le chapitre 1er, des empreintes produites - selon M. Hartmann - par la force nerveuse, j'ai démontré suffisamment la contradiction qui existe entre ces effets et les notions que nous avons de ce que peut être une force physique. Voyons, à présent, ce que vaut cette théorie de la force nerveuse employée à l'explication des phénomènes médiumniques complexes, tels que le mouvement d'objets dans l'espace, le jeu d'instruments de musique, l'écriture directe, etc.
La physique nous apprend que toute force d'attraction ou de répulsion s'exerce en ligne droite et qu'un corps, mis en mouvement par l'une de ces forces, ne peut décrire une courbe que par l'intervention d'autres forces qui, à chaque instant, s'ajoutent à la première. Ainsi un objet placé à distance du médium, saturé de force nerveuse, ne peut être attiré ou repoussé par le médium qu'en ligne droite ; il pourrait encore - en supposant que cette force « modifie les relations dynamiques qui existent entre la terre et les objets » - s'élever verticalement et être attiré en ligne droite par le médium. Mais jamais, à moins de nier toutes les lois connues de la physique, cet objet ne pourra être dirigé à droite et à gauche, décrire les courbes les plus fantaisistes, les mouvements les plus compliqués, et ce dans un but raisonnable. Il faudrait pour cela que cet objet subît l'action de forces émanant d'autres centres que le médium.
De quelle manière se produisent donc les phénomènes dont nous parlons ? C'est très simple. Selon M. Hartmann, le médium est un centre de force nerveuse rayonnant dans toutes les directions ; il charge de cette force tous les points d'une chambre et tout ce qu'elle contient de façon à ce que chaque objet devienne à son tour un centre de force agissant selon la volonté du médium. Appliquons ce procédé de M. Hartmann à l'une des séances que nous connaissons. Prenons, par exemple, l'une de celles de Home, auxquelles j'ai assisté souvent.
Plusieurs personnes prennent place autour d'une table, avec le médium ; deux bougies sont placées sur le sable ; toutes les mains sont posées sur la table, mais sans se joindre, contrairement à ce qu'affirme M. Hartmann, page 47 ; pas de trace de somnambulisme apparent, contrairement à ce que dit M. Hartmann, page 31, chez le médium, qui prend part à la conversation générale.
Au bout de dix ou quinze minutes, il faut supposer que l'assemblée est suffisamment chargée de force nerveuse et plongée dans un état de somnambulisme latent. Les phénomènes commencent. Je me sens toucher aux genoux, je pose la main sous la table et je sens des doigts se promener autour de ma bague comme pour me l'enlever : ce sont des courants de force nerveuse avec suggestion de l'hallucination d'un toucher produit par des doigts. Mon voisin se baisse pour regarder sous la table ; le médium, voyant ce mouvement, lui suggère immédiatement une hallucination de la vue, et mon voisin s'écrie qu'il a vu une main.
J'annonce que ma bague est enlevée ; cependant elle ne tombe pas, elle flotte dans l'air. Le médium, toujours attentif, s'empresse de charger de force attractive les genoux de la personne qui se trouve en face de moi, et la bague attirée par ce centre d'attraction va la toucher ; cette personne descend la main sous la table, et l'anneau lui est remis.
Mon voisin prend une sonnette et la tient un instant sous la table ; il déclare qu'il sent l'attouchement de doigts qui lui enlèvent l'objet ; la sonnette flotte un instant et elle tinte plusieurs fois. Pour atteindre ce résultat, le médium a tout simplement chargé de force nerveuse les pieds de mon voisin et ceux de son vis-à-vis ; la sonnette, chargée également de force nerveuse, se trouve donc entre deux centres d'attraction, et le médium n’a qu'à régler ses mouvements pour la faire tinter.
Mon vis-à-vis prend un mouchoir ; il le tient sous la table ; il sent les mêmes attouchements et dit qu'on lui arrache le mouchoir, - ceci n'est qu'une bagatelle : un petit centre d'attraction créé à point dans le plancher, au-dessous du mouchoir - mais voilà que le mouchoir est enlevé et immédiatement remis, par dessous la table, à mon voisin, qui constate qu'on y a fait deux ou trois nœuds. Cela n'est pas bien difficile à expliquer non plus : le mouchoir étant bien chargé de force nerveuse, le médium charge également le plancher, la table et les pieds des assistants ; il en fait des centres d'attraction d'intensité différente, si bien que, le mouchoir étant attiré de toutes parts, le médium n'a qu'à régler ses mouvements, et les nœuds sont faits.
Enfin le médium prend un accordéon d'une main, l'autre restant sur la table ; il tient l'instrument suspendu sous la table, le clavier libre, entre lui et son voisin ; on entend une mélodie parfaitement exécutée. Le procédé est tout ce qu'il y a de simple : un centre d'attraction dans le plancher tire l'accordéon et détend le soufflet. Mais cela ne ferait rendre qu'un son, et, pour jouer une mélodie, il faut presser les touches par une action transversale. Pour obtenir cet effet, le médium distribue une douzaine de centres d'attraction ou de répulsion aux pieds de sa chaise, ou dans son propre pied, et il fait agir ces centres de force uniquement sur les touches, - il « règle » ces forces, - et voilà la mélodie.
Il faut en conclure que, si tous ces objets avaient été livrés à eux-mêmes, après avoir été chargés de force nerveuse, sans que leurs mouvements fussent « réglés » par le médium, ils se seraient eux-mêmes mis en mouvement et nous auraient offert le spectacle d'une sarabande fort amusante. Il faut croire, aussi, qu'un médium pourrait charger de force nerveuse une balle d'enfant et, en la jetant en l'air, la faire voltiger de la façon la plus fantaisiste ou bien encore faire mouvoir un pantin, faire jouer ses pieds et ses jambes sans tirer aucun fil. Ce seraient là des phénomènes extrêmement simples, mais que les médiums spirites n'ont pas encore pu produire.
Dans cette application de la théorie, je crois être resté strictement fidèle à la définition de la force nerveuse telle que M. Hartmann nous la présente pour expliquer les phénomènes qui se produisent aux séances spirites. Je puis me passer de commentaires et me réserve seulement, en vue de compléter l'analyse de cette hypothèse et de l'apprécier à sa juste valeur, de préciser la définition de cette force merveilleuse en lui donnant tout son développement, car M. Hartmann s'en est prudemment abstenu.
Qu'est-ce donc, selon M. Hartmann, que cette force nerveuse médiumnique ?
C'est une force physique qui produit tous les effets physiques que peut produire un corps humain, y compris les effets plastiques.
Attendu que fréquemment ces effets physiques coïncident avec les phénomènes de matérialisation, il est nécessaire d'adjoindre à la définition qui précède celle de ce dernier phénomène. Qu'est-ce donc qu'une matérialisation, suivant M. Hartmann ?
La matérialisation est l'hallucination d'une forme humaine concordant exactement avec les effets physiques produits par la force nerveuse médiumnique et ayante par conséquent, toutes les apparences et attributions d'une forme humaine réelle.
Pour avoir recours à une pareille tautologie, en la donnant comme une théorie scientifique, il faut vraiment que l'on éprouve de l'horreur à la seule idée de l'existence d'une forme humaine transcendantale car, en vérité, il est difficile d'établir une différence quelconque entre une semblable « hallucination » et ce que les spirites appellent une forme humaine matérialisée Ce n'est qu'un jeu de mots : retranchons l'expression « hallucination », et le sens restera le même. En effet, par la désignation de matérialisation, les spirites entendenl-ils rien de mieux déterminé que M. Hartmann avec son hallucination doublée de force nerveuse ? Mais théoriquement la différence est énorme, car l'hypothèse que j'ai émise au commencement de ce chapitre est, relativement parlant, d'une grande simplicité et ne représente rien que de fort rationnel, du moment qu'elle découle tout naturellement des données que nous offrent les expériences et l'observation directe des faits, tandis que les deux hypothèses de M. Hartmann sont fantastiques, compliquées à l'extrême, et font violence à la raison et à la science.
Ici je me vois obligé de porter contre M. Hartmann une accusation formelle, d'une gravité bien plus grande que les critiques que j'ai émises contre ses théories. Il est permis à tout le monde de défendre ses théories de son mieux. Mais le reproche que je lui fais concerne la méthode même qu'il a suivie dans son argumentation ; or les principes de toute méthode d'investigation, dans n'importe quel domaine de la nature, sont immuables. En ce qui regarde le spiritisme, M. Hartmann a admirablement formulé « les principes méthodologiques généraux » sur lesquels il voulait baser son investigation scientifique, et qui sont les suivants :
« Il y a des principes méthodologiques généraux qu'on ne peut impunément transgresser. Premièrement, il ne faut pas sans nécessité multiplier les principes, c'est-à-dire en chercher un deuxième tant que l'on peut se contenter du premier. En second lieu, il faut s'en tenir aussi longtemps que possible aux causes dont l'existence est justifiée par l'expérience ou basée sur des déductions certaines, et ne pas rechercher des causes dont l'existence est douteuse et sans preuves, et dont la valeur ne consiste qu'à servir d'hypothèse pour expliquer les phénomènes en question. Troisièmement, il faut se restreindre, autant que possible, aux causes naturelles et ne se décider a dépasser ces limites qu'à la dernière extrémité. Le spiritisme pèche contre ces trois principes. Tout en reconnaissant une catégorie de causes naturelles, fournies par l'expérience et qui se présentent à nous en la personne des médiums, le spiritisme admet d'autres causes, qui ne ressortent pas des données de l'expérience, sont d'un ordre supranaturel, et dont l'existence demande à être prouvée précisément parles phénomènes appartenant à ce domaine problématique. » (S., pp. 117, 118.)
Si les spirites veulent que l'on place cette deuxième catégorie de causes sur le même rang que les premières, ils doivent faire tous leurs efforts pour tracer la ligne de démarcation exacte au delà de laquelle les causes naturelles cessent de suffire à l'explication des faits, en ayant soin de soumettre à une critique des plus sévères ces preuves de l'insuffisance de ces causes, passé ces limites. Tant que cette ligne de démarcation ne sera pas nettement établie, et que la démonstration en question ne sera pas faite, rien de positif ne pourra être affirmé, quant à la réalité de l'intervention de ce deuxième ordre de causes.
Le spiritisme n'a pas encore fait la moindre tentative pour résoudre ce problème. »(S., 118.)
Il n'y a rien à objecter à ces principes ; ils sont en effet, « absolument inattaquables », ainsi que M. Hartmann le dit lui-même dans sa lettre à M. Massey (Voy. Light, 1883, p. 432). Mais il y a encore un quatrième principe méthodologique, que M. Hartmann a omis de signaler dans son énumération, c'est celui-ci : « Toute hypothèse ou théorie conçue dans le but d'expliquer des phénomènes d'un ordre déterminé doit embrasser l'ensemble des faits s'y rapportant. » J'aime à croire que M. Hartmann trouvera ce principe méthodologique tout aussi inattaquable que les autres.
Examinons si M. Hartmann a observé ce principe au cours de ses investigations dans le domaine du spiritisme. M. Hartmann lui-même est persuadé, paraît-il, de s'y être conformé, car il affirme de la manière la plus formelle : « D'un autre côté, nous avons vu qu'en soumettant à un jugement critique impartial l'ordre de phénomènes que nous avons étudiés, nous n'avons rien trouvé, à l'exception de la clairvoyance proprement dite, qui fournisse le moindre motif pour aller au-delà des explications naturelles ; l'apparence du contraire repose sur une erreur compréhensible au point de vue psychologique, mais insoutenable en matière de science. » (S. p. 106.)
Ce raisonnement est-il juste ? Tout d'abord, M. Hartmann admet lui-même « une exception » ; nous y reviendrons plus loin. Mais est-ce vraiment la seule exception ? Peut-on affirmer que « le contraire » n'est qu'une « apparence », engendrée par une « erreur »? Pour ma part, je soutiens de la manière la plus catégorique que le « motif pour aller au-delà des explications naturelles » existe. Dans le nombre des phénomènes spirites, il y en a que l'on désigne communément sous le nom de « pénétration de la matière ». M. Hartmann en parle dans son traité et cite quelques phénomènes de cet ordre, tels que : passage d'un anneau de fer à travers le bras du médium ; pénétration de monnaies, de morceaux d'ardoise, etc., dans des boîtes hermétiquement closes ; anneau enfilé sur un pied de table ; formation de nœuds sur des cordes et des courroies dont les bouts étaient cachetés ; apport dans la pièce où se tenaient des séances d'objets venant d'autres chambres ou d'autres maisons, et de fleurs fraîches qui croissent en pleine campagne, etc.
« En conséquence, dit M. Hartmann, les spirites acceptent, d'une manière générale, qu'un médium en somnambulisme possède la faculté de se dégager de tous liens et d'y rentrer de nouveau, et ce au moyen de la pénétration de la matière » (p. 45).
Du moment que M. Hartmann mentionne ces faits ; il est inutile que j'énumère les autres expériences qui ont été instituées pour en établir la réalité.
Que pense donc M. Hartmann de ces phénomènes ? Le voici : « Les communications relatives à la pénétration de la matière nous transportent dans un domaine de faits particulièrement invraisemblables » (p. 44). Vous croyez qu'il les renie, comme « invraisemblables » ? Pas le moins du monde. Il les accepte « conditionnellement »,comme tous les autres phénomènes ; il s'en sert même largement pour appuyer ses théories de la transfiguration du médium et de l'hallucination en traitant des matérialisations, comme d'une chose très naturelle. A-t-il alors expliqué, ou du moins tenté d'expliquer le phénomène de la pénétration de la matière au moyen d'une théorie naturelle, ainsi qu'il l'a fait pour les autres phénomènes ? Point. Il n'a fait aucun essai de ce genre. Et cependant il mentionne ces phénomènes et les met à profit, comme s'il nous en avait donné l'explication.
C'est là que j'accuse M. Hartmann d'avoir péché contre la méthode. De deux choses l'une : ou il nie les phénomènes de la pénétration de la matière, ou il ne les nie pas. Les nier, ce serait méconnaître le quatrième principe, et, dans ce cas, il aurait dû les laisser de côté dans ses explications. Si, au contraire, il les accepte, il doit les considérer comme des phénomènes naturels et en donner une explication en harmonie avec sa théorie, conformément aux deuxième et troisième principes méthodologiques. C'est ce qu'il n'a pas fait. Il n'y a, d'ailleurs, rien que de très compréhensible en ceci, car les phénomènes de la pénétration de la matière sont de ceux que nous ne pouvons pas expliquer par les lois naturelles connues ; au point de vue de notre science, ce sont des faits d'un ordre transcendantal, ou, s'il plaît à M. Hartmann, supranaturel. Donc, on ne commet aucune « erreur » en acceptant que le « motif pour franchir les limites des causes naturelles » existe. Il s'ensuit qu'en acceptant en principe un fait tel que la pénétration de la matière, lorsqu'il s'agit d'expliquer les phénomènes de la matérialisation (en acceptant par exemple qu'un médium puisse passer à travers ses liens, ou à travers une cage, pour se présenter en esprit, ou que les vêtements des apparitions puissent être « apportés » en traversant les murs), M. Hartmann porte atteinte aux «principes méthodoliques » qu'il a établis lui-même.
M. Hartmann nous répondra, bien entendu, qu'il n'admet que « conditionnellement » la pénétration de la matière, pour se placer au point de vue des spirites, et afin de leur enseigner comment il faut raisonner. Mais ce serait à côté de la question. Ce raisonnement, il y a longtemps que les spirites eux-mêmes l'ont fait. Il s'agit ici du propre argument de M. Hartmann, qui dit : « Ce qui est certain, c'est que, si l'on accorde au médium la faculté de pénétrer la matière, on est obligé de recourir à de tout autres moyens que la séquestration matérielle pour démontrer sa non-identité avec le fantôme » (pp. 78-80).
Je répondrai à cela : Ce qui est certain, c'est que, si l'on accorde aux médiums la faculté de pénétrer la matière, M. Hartmann n'a plus le droit de dire que dans le spiritisme « il n'existe pas le moindre motif pour aller au-delà des explications naturelles ». Il n'a pas le droit de reprocher aux spirites de « recourir sans nécessité à un deuxième ordre de causes, à des causes supra-naturelles, que l'expérience ne justifie pas, et dont l'existence demande à être prouvée précisément par les faits appartenant au domaine en question » (p. 269).
Par conséquent, M. Hartmann n'a pas le droit d'accuser les spirites de « n'avoir pas fait la moindre tentative de tracer la ligne de démarcation au-delà de laquelle les explications naturelles ne suffisent plus » (p. 118).
Cette lacune dans les théories de M. Hartmann sur les phénomènes de la pénétration de la matière, c'est-à-dire le silence qu'il garde quant à leur explication, est une preuve fournie par lui-même que cette ligne de démarcation existe ; car, malgré toute la puissance de sa dialectique, en dépit de toutes les vertus magiques de sa « force nerveuse », il ne s'est pas décidé à la franchir. C'est le Rubicon devant lequel il a mis bas les armes, et je tiens à le constater.
Cela bien établi, il faut reconnaître qu'une méthode d'investigation qui n'embrasse pas tous les faits qu'elle prétend expliquer, ou qui les admet sans les expliquer, se condamne elle-même.
CHAPITRE III - DE LA NATURE DE L’AGENT INTELLIGENT QUI SE MANIFESTE DANS LES PHÉNOMÈNES DU SPIRITISME
Examen du principe fondamental du spiritisme ; présente-t-il des phénomènes dont il faut chercher la cause en dehors du médium ?
Je m'engage à présent sur un terrain ou les divergences d'opinion entre M. Hartmann et moi - et je crois représenter à cet égard la majorité des spiritualistes raisonnables - sont beaucoup moins fréquentes que lorsqu'il s'agissait du sujet que j'ai traité dans le chapitre précédent ; c'est parce que les théories émises par M. Hartmann pour expliquer la nature de l'agent intelligent qui se manifeste dans les phénomènes spirites sont tout à fait admissibles dans un grand nombre de cas. Les observations que je présenterai auront pour but uniquement d'approfondir si cette théorie peut réellement rendre compte de tous les faits spiritiques, sans exception, ainsi que l'affirme M. Hartmann.
La théorie de M. Hartmann repose sur cette thèse générale :
« La conscience somnambulique est la source unique qui s'offre à nos investigations sur la nature des manifestations spiritiques intellectuelles » (p. 59).
Les éléments qui composent la conscience somnambulique sont :
« 1° L'activité simultanée de la conscience à l'état de veille ;
2° La mémoire hyperesthésique des parties du cerveau qui sont le siège de la conscience à l'état de veille ;
3° La transmission mentale des idées des assistants au médium ;
4° Enfin la clairvoyance proprement dite.
Si vous ajoutez, en plus, à ces quatre éléments, le concours de la perception sensorielle, vous trouverez que toutes les manifestations intellectuelles du spiritisme y puisent leur origine » (S., pp. 116, 117).
Dans un autre endroit, M. Hartmann dit : « Celui qui conçoit toute la portée de ces diverses sources intellectuelles de la conscience somnambulique ne sera guère tenté de chercher ailleurs l'explication de la nature des manifestations médiumniques » (p. 60).
Quant à moi, je me laisse résolument aller à cette « tentation » et veux me rendre compte s'il n'y a vraiment pas de place pour une autre explication.
Seulement, je veux donner plus d'étendue à ma thèse. Le point essentiel du spiritisme, celui par lequel il faut commencer, si l'on veut soulever la question théorique, peut être résumé ainsi :
Peut-on expliquer tout l'ensemble des phénomènes médiumniques par des actes conscients ou inconscients, émanant de la nature du médium même, c'est-à-dire par des causes résidant dans le médium : des causes intra-médiumniques ; ou bien, y a-t-il des manifestations qui laissent supposer l'action d'une force extérieure ou extra-médiumnique ? Si la réponse est affirmative, le problème suivant sera d'étudier la nature probable de l'agent extra-médiumnique.
La première de ces questions ne concerne évidemment pas seulement les manifestations intellectuelles, mais aussi les matérialisations et les phénomènes physiques en général.
Nous devons, bien entendu, chercher avant tout à expliquer les faits médiumniques par tous les moyens « naturels » que nous pourrons imaginer, sans sortir des limites du raisonnable, car, tant qu’il est possible de leur attribuer une cause « naturelle », il serait irrationnel d'en vouloir trouver la solution dans le domaine du « surnaturel ».
Il va de soi que ces causes « naturelles » sont celles que M. Hartmann nous donne, et je conviens qu'une grande partie des phénomènes médiumniques peut être expliquée par elles, ainsi que je l'ai exposé dans ma critique de l'ouvrage de M. D'Assier, parue un an avant la publication du livre de M. Hartmann sur le spiritisme. Je dois pourtant faire observer que je ne suis pas d'accord avec M. Hartmann sur l'emploi du mot « surnaturel » par lequel il désigne une cause « spiritique » dans le sens étymologique de ce mot.
Le spiritisme refuse d'une façon absolue l'épilhète « surnaturel » qu'on veut lui imposer si les phénomènes en question sont vraiment produits par des « esprits », pourquoi donc prétendre qu'un effet attribué à l'action d'un homme vivant serait dû à une cause plus « naturelle » que celui produit par un homme mort ou par un être intelligent invisible ?
D'un autre côté, je comprends que l'on ne saurait admettre un fait d'une importance aussi énorme que l'existence des « esprits » et le considérer comme démontré par l'expérimentation et par l'observation directe, avant d'avoir tenté tous les efforts pour lui trouver une explication « naturelle ».
D'ailleurs, les représentants mêmes du spiritisme les plus en évidence - médiums et clairvoyants eux-mêmes - ont été les premiers à affirmer qu'une moitié des phénomènes médiumniques devait être attribuée à des causes résidant dans le médium même. Je leur dois l'hommage de citer leurs paroles.
Ainsi, Davis, dès le début du mouvement spirite en Amérique, écrivait déjà dans son livre The Present Age and Inner Life, 1853 (le Siècle présent et la vie intérieure) : « Dans les pages suivantes, on trouvera une table explicative formant un aperçu systématique des « causes des phénomènes médiumniques » et qui démontrera que nombre d'entre eux, considérés comme ayant une origine supra-naturelle, sont simplement le résultat des lois naturelles qui régissent l'existence humaine et ont pour cause, notamment, la combinaison d'éléments physico-psycho-dynamiques invisibles - la transmission et l'action réciproque des forces conscientes et inconscientes de notre esprit, causes qui doivent forcément entrer en ligne de compte, ainsi que je l'ai formellement reconnu plus haut, et doivent nécessairement, aux yeux d'un analyste sincère, jouer un rôle, fût-il inférieur, dans le vaste champ des manifestations de la vie spirituelle » (pp. 160 et 161).
D'après la classification de cette table, on voit que, selon l'auteur, 40 % seulement des phénomènes sont « réellement d'origine spirituelle », les autres devant être mis sur le compte « de la clairvoyance, de la cérébro-sympathie, de la neuro-psychologie, de l'électricité vitale, de la neurologie et de l'erreur volontaire (volontary déception) » (p. 197).
Plus loin, il dit : « La raison principale des contradictions provient de la perception simultanée d'impressions émanant des deux sphères de l'existence, c'est-à-dire des intelligences appartenant à l'humanité terrestre et de celles qui font partie du monde suprasensible. Les médiums, les clairvoyants, les sensitifs, etc., doivent posséder une grande somme d'expériences et de connaissances psychologiques pour être en état de distinguer, jusqu'à un certain point, entre les impressions qu'ils reçoivent des intelligences de ce monde et celles qui sont produites par les esprits d'une sphère plus élevée. Je vais mieux faire saisir ma pensée par un exemple : un médium peut puiser des idées dans l'esprit d'une personne qui se trouve dans un endroit éloigné du globe, tout en se trompant complètement sur leur provenance. Car pour tout ce qui concerne les sensations originelles internes et les preuves subjectives, ces impressions sont, pour la perception du médium, identiquement les mêmes que celles produites par un esprit libéré de l'enveloppe terrestre.
Il en est ainsi parce que les lois de la sympathie des âmes sont les mêmes sur cette terre que dans le monde des esprits. C'est pour cette raison que certains médiums et clairvoyants, ainsi que des esprits absorbés dans la prière, reçoivent souvent, à leurs pensées et à leurs prières, des réponses de source terrestre, émanant d'esprits incarnés, bien qu'ils aient la conviction que cette réponse émane d'une intelligence supra-naturelle, d'un être invisible (p. 202).
En raison des considérations et « possibilités » qui précèdent, nous pouvons être certains que les contradictions attribuées par beaucoup de croyants à l'instigation « d'esprits malveillants », vivant en dehors de notre sphère, sont imputables, dans tous ces cas, à des influences terrestres et à l'intervention d'agents vivants sur la terre. L'esprit humain est si merveilleusement doué et dispose de moyens si variés d'activité et de manifestation, qu'un homme peut inconsciemment laisser réagir sur lui-même et en lui-même ses forces organiques et ses facultés cérébro-dynamiques.
Dans certaines dispositions d'esprit, les forces conscientes concentrées dans le cerveau entrent en action involontairement et continuent à fonctionner sans la moindre impulsion de la part de la volonté et sans être soutenues par elle. L'hypocondrie et l'hystérie sont des exemples de cet état intellectuel, de même la danse de Saint-Guy, la catalepsie et l'aliénation mentale.
Il ressort de ma table que 16 % des manifestations modernes doivent être ramenées à cette cause. Rien que sur cette base, beaucoup de personnes croient être les médiums à effets physiques et à manifestations gesticulatoires et mimiques de divers esprits célèbres qui ont quitté la terre depuis longtemps » (p. 205).
M. Hudson Tuttle, célèbre médium américain et écrivain philosophique par intuition, avait déjà parlé de la communication spirituelle entre êtres vivants, dans son Arcana of Nature (Mystères de la Nature), paru en 1862. Plus tard, dans son Arcana of spiritualism. (1871) il s'exprime en ces termes sur le même sujet :
« Quand un esprit tient sous sa puissance un médium, il obéit aux mêmes lois qu'un magnétiseur mortel. C'est pourquoi les phénomènes résultant de cette intervention sont de nature mixte et qu'avec des médiums incomplètement développés il est difficile de faire la part du magnétisme émanant des assistants et de celui de l'esprit qui guide le médium la plus grande prudence est nécessaire pour éviter de se tromper soi-même. Quand le médium se trouve dans l'état d'extrême susceptibilité qui caractérise les premières phases de son développement, il reflète simplement les pensées des assistants ce qui, dans ce cas, est pris pour une communication spiritique, ne sera qu'un écho de leurs propres intelligences.
Le même état qui rend un médium apte à subir l'influence d'un esprit le soumet, au même degré, à celle d'un être humain, et, en raison de la similitude de toutes les influences magnétiques, il est difficile de distinguer un agent occulte d'un magnétiseur. Les groupes spirites sont ainsi fréquemment le jouet d'une illusion, trompés par leurs propres forces positives. Ils éloignent les messagers spiritiques en leur substituant l'écho de leurs propres pensées, et alors ils constatent des contradictions et des confusions qu'ils attribuent complaisamment à l'intervention « d'esprits malveillants ».
La cause de la vérité ne peut rien gagner à la constatation erronée d'un fait, ou à l'exagération de son importance au détriment d'un autre fait. Ceux mêmes qui abordent sans parti pris le problème du spiritisme sans avoir étudié le magnétisme animal, sont portés à expliquer tous les phénomènes qui se présentent au cours de leurs recherches par une action spiritique, alors que, suivant toute probabilité, la moitié au moins dès faits qu'ils observent est due à des causes purement terrestres (pp. 194-195).
Pour être bien compris, nous ferons observer que notre objet est de tracer une ligne de démarcation bien définie entre les phénomènes d'origine réellement spiritique et ceux qui doivent être imputés à des actions d'ordre terrestre. Nous pouvons rejeter en toute confiance la moitié ou même les trois quarts de toutes les manifestations qui passent pour être des phénomènes spirites. Mais le restant n'en sera que plus précieux. Ce n'est pas avec des amas de faits inutiles qu'on défend efficacement une cause, on la discréditera plutôt trop souvent la réfutation de quelques-uns de ces faits sert de prétexte pour en renverser l'ensemble (p. 196).
C'est une règle prudente que de ne rien attribuer aux esprits qui puisse être expliqué par des causes terrestres. Les faits qui restent après ce triage ont une valeur réelle pour le sceptique comme pour le chercheur.
L'homme dans son enveloppe terrestre est un esprit tout autant que lorsqu'il en est libéré, et, comme tel, il est soumis aux mêmes lois. L'état magnétique peut être amené par le sujet lui-même ou par un magnétiseur, homme ou esprit, que ce soit l'état de somnambulisme, de transe ou de clairvoyance.
Lorsqu'on se rend bien compte de cet état de choses, on se fait aisément une idée de la tendance extrême de l'observateur à confondre ces influences.
Si, après la formation d'un groupe, l'un des membres qui le composent est affecté par des spasmes nerveux, il ne s'ensuit pas nécessairement qu'il est sous l'influence d'un esprit ; on pourra l'affirmer d'une manière positive alors seulement que l'esprit aura prouvé que seul il est actif. Ou ne peut acquérir une connaissance précise des lois du spiritisme qu'en soumettant ainsi les phénomènes à une critique rigoureuse. Les amateurs du merveilleux sont libres d'attribuer à une source unique toutes les manifestations sans exception, depuis la contraction involontaire d'un muscle, réicignement d'un mal par application des mains, les discours incohérents d'un sensitif en état de transe sous l'influence des personnes présentes, jusqu'aux manifestations authentiques d'êtres appartenant à un autre monde mais cela ne peut satisfaire aux exigences de la science qui voudra chercher à coordonner tous les faits et tous les phénomènes » (p. 197).
M. Tuttle a encore traité du même sujet dans un article sur « le fonctionnement du cerveau » publié dans le Religio-Philosophical Journal du 1er décembre 1883.
Nous allons donc aborder la question principale et examiner si ce restant existe réellement, et si les spirites sont en droit de prétendre qu'il existe des phénomènes ayant des causes extra-médiumniques.
D'après M. Hartmann, la conscience somnambulique a pour siège les parties moyennes du cerveau, et elle se trouve par conséquent sous la dépendance de l'écorce du cerveau où réside la conscience à l'état de veille.
« Le fonctionnement de ces parties moyennes n'a de valeur dans la règle qu'en tant qu'acte préparatoire, ou bien exécutif » (p. 26), et c'est la conscience à l'état de veille et sa volonté consciente « qui déterminent d'une manière générale le genre des manifestations désirées et attendues » (p. 33).
Comme la conscience somnambulique - ce grand facteur de tous les phénomènes médiumniques - donne non seulement des preuves d'activité intellectuelle, mais aussi d'activité volontaire (« intelligence et désir », p. 26), il faut en conclure que ces deux activités ne font qu'un et qu'elles concordent non seulement entre elles, mais aussi avec les mêmes activités de la conscience à l'état de veille, - c'est-à-dire que l'intelligence et la volonté de la conscience somnambulique se trouvent en parfait accord avec l'intelligence et la volonté de la conscience à l'état de veille.
C'est évidemment dans le même sens qu'il faut comprendre ces paroles de M. Hartmann : « C'est cela même qui est cause que la conscience somnambulique écrit des mots et des phrases, qu'elle répond à des questions et accomplit des désirs qui sont dictés ou imposés à la conscience à l'état de veille, soit avant ou après le commencement de l'état de somnambulisme lalent » (p. 59) et plus loin : « Le niveau intellectuel des communications est généralement au-dessous de celui du médium et des assistants ; il s'élève très rarement à la même hauteur, et jamais ne la dépasse » (p. 116).
Dans tout ce qui précède, nous avons vu, en effet, que les manifestations obéissent à la volonté de la conscience somnambulique qui est d'accord avec la volonté et les représentations de la conscience à l'état de veille du médium. Mais, avant de nous occuper de « la nature intellectuelle des manifestations » - à laquelle M. Hartmann a consacré un chapitre spécial - et avant d'examiner si ces « manifestations » sont, par leur nature, au-dessus ou au-dessous du niveau intellectuel du médium, nous devons nous rendre compte du rôle de la volonté dans ces manifestations, car ici nous nous trouvons face à face avec cette question : Est-il vrai que la conscience somnambulique « se conforme toujours aux désirs qui sont suggérés ou imposés à la conscience à l'état de veille » ? N'arrive-t-il pas, quelquefois, que les manifestations n'obéissent pas aux désirs et aux idées qui naissent dans la conscience à l'état de veille, qu'elles leur soient même diamétralement opposées ? En supposant qu'un pareil désaccord puisse se produire, qu'adviendra-t-il alors de la théorie de la conscience somnambulique ?
Or des faits de ce genre existent réellement, et je vais passer en revue tout d'abord ceux qui sont contraires à la volonté pour examiner ensuite ceux qui sont contraires aux convictions et au caractère du médium.
1 - Des manifestations qui sont contraires à la volonté du médium.
Nous remarquons les gradations suivantes :
a) Tous les spirites savent que les manifestations ne dépendent pas de la volonté du médium, qu'il s'agisse de manifestations intellectuelles ou de manifestations physiques ; le médium ne peut pas les provoquer à son gré. Je ne parle pas des manifestations qui se produisent à des séances occasionnelles, dans un cercle de néophytes ou de composition hétérogène j'entends parler de manifestations qui se produisent pendant une série de séances tenues par le même cercle et couronnées du meilleur succès. Toutes les conditions étant absolument les mêmes, il arrive souvent qu'à une séance donnée, alors qu'on ne souhaite que d'assister aux phénomènes obtenus dans la séance précédente, on n'obtient aucun résultat, pas le moindre mouvement de la table ou du crayon que tient le médium. Il est notoire que souvent un désir intense ne fait que nuire aux manifestations.
b) Les manifestations, s'il s'en produit, ne peuvent se continuer au gré des assistants. Ainsi, lorsque l'esprit qui se manifeste par une communication écrite annonce qu'il a fini, le crayon s'arrête, - ou il tombe de la main du médium si celui-ci est en transe, - et vous renouvellerez vainement vos questions - la main ne remue plus. De même, dans une séance à effets physiques, dès que la fin est annoncée (par exemple par les mots c'est fini, comme c'était l'usage dans la famille Fox, - Missing Link, p. 53), la table redevient immobile, et c'est en vain que vous y resterez, que vous tenterez de la faire mouvoir : plus un son, plus un mouvement ne se produit.
c) Les manifestations ne peuvent non plus être interrompues ou arrêtées au gré des assistants, moins encore par la violence. Si, pour certaines raisons - l'état de souffrance du médium, par exemple, - vous désiriez mettre fin à la séance, essayez d'arracher le crayon de la main du médium en transe, vous n'y réussirez pas : sa main se crispera, ne cédera pas le crayon ou le réclamera avec tant d'insistance que vous serez obligé de le lui remettre dans la main ou bien des mouvements de la table et des coups frappés réclameront avec opiniâtreté l'alphabet, alors que vous croirez la conversation terminée.
d) De même, le caractère des communications ne dépend pas de la volonté du médium. M. Hartmann a raison de dire que dans la plupart des séances on se préoccupe surtout « d'intérêts du cœur ». Ce qu'on désire le plus, c'est d'entrer en communication avec les défunts qui nous sont chers, et c'est précisément ce qui arrive le plus rarement - si l'on ne veut s'arrêter à des manifestations des plus superficielles.
La question de l'identité des esprits est, on le sait, la pierre d'achoppement du spiritisme. Et, cependant, s'il fallait s'en rapporter à la théorie de M. Hartmann, rien ne serait plus facile à établir avec des facteurs aussi puissants que l'hyperesthésie de la mémoire et la transmission de la pensée.
C'est ainsi que j'ai connu un cercle fondé par un homme veuf dans le seul but d'obtenir des communications avec sa femme défunte, et ce cercle ne se composait que de cet homme, de la sœur et du fils de sa femme en tout, de trois personnes qui connaissaient intimement la personnalité désirée. Néanmoins ce cercle, - tout en recevant des communications plus ou moins remarquables, dont plusieurs émanaient de personnes connues ou parentes des trois expérimentateurs, - ne reçut jamais aucune communication au nom de la femme du veuf, ce qui pourtant devrait être si facile.
e) Et vice versa, des communications faites au nom de certaines personnalités, une ou plusieurs fois, ne peuvent être reçues ou continuées à volonté par exemple, vous voudriez recevoir une communication de A. comme à une séance précédente, mais c'est B. qui vient, et A. ne reparaît plus.
C'est ainsi que, dans un cercle que j'avais fondé, au cours d'une série de communications banales, survint un interlocuteur qui fit preuve de tant d'esprit, de sens critique et de philosophie, que ses réponses nous procuraient un véritable plaisir mais il apparut rarement, et, comme nous avions manifesté le désir de l'en tendre plus souvent, il nous répondit que nous ne savions pas nous entretenir avec lui, qu'il perdait son temps en notre compagnie, et il ne revint plus.
f) Le choix des noms qui, souvent, caractérise une communication, ne dépend également pas du médium. Les communications les plus banales sont signées des noms les plus illustres, ce qui prouve que ces communications ne peuvent être attribuées à ceux auxquels on en prête la paternité. Mais, souvent, lorsque la communication touche un sujet plus élevé, l'interlocuteur refuse de donner son nom et de prouver son indentité ; celui dont j'ai parlé dans le paragraphe précédent n'a jamais voulu nous éclairer sur sa personnalité. De même les communications remarquables reçues par M. A. Oxon[113] et publiées sous le litre de Spirit Teachings, sont restées anonymes, malgré toutes les instances du médium pour pénétrer ce mystère. Il faut noter aussi que parfois des noms sont donnés alors que le médium ne veut à aucun prix qu'ils soient prononcés.
J'ai été témoin de l'incident suivant : dans un cercle où ma femme faisait office de médium, les coups réclamèrent l'alphabet, et un nom commençait à s'épeler dès que les premières lettres furent prononcées, ma femme devina le nom tout entier, qui était la révélation d'un secret de famille ; elle s'opposa de toutes ses forces à la révélation des dernières lettres de ce nom, néanmoins, à son grand désespoir, le nom entier, composé de dix lettres, fut épelé.
g) Même le mode de communication ne dépend pas de la volonté du médium. Quelques exemples : Vous tenez la planchette, et c'est la table qui répond ou bien, vous tenez la table et c'est la planchette qui est réclamée. Vous dites l'alphabet russe et on réclame l'alphabet français, et, quand il y a malentendu, il arrive que par l'alphabet russe on reçoive des mots français ou anglais ; ou bien encore, au lieu de lettres, vous recevrez des chiffres auxquels vous ne comprenez rien, si la même intelligence qui vous guide ne vous donne la clef des chiffres correspondant aux lettres ; tantôt ce sont des anagrammes, des mots écrits à l'envers, ou avec des transpositions et des complications qui vous ennuient, mais la communication va jusqu'au bout l'orthographe est abrégée et simplifiée de la façon la plus curieuse et cela avec une telle rapidité que, même en transcrivant littéralement le message, il vous est difficile de conserver cette étrange orthographe, et vous reprenez votre manière d'écrire ordinaire.
Je citerai le cas d'une jeune femme ayant la faculté d'écrire médiumniquement, qui recevait des communications de sa mère ; elle assistait souvent aux séances d'un cercle où les communications se faisaient par la typtologie, et elle s'efforçait d'obtenir des réponses de sa mère par ce moyen mais jamais sa mère ne voulut correspondre de cette manière, et, chaque fois qu'elle se manifestait, elle disait à sa fille : « Écris ».
h) Il arrive souvent que l'esprit qui communique entre en opposition directe avec la volonté du médium.
Une personne que je connais, M. J.-J. Moussine-Pouchkine, après s'être assuré à une séance privée de la réalité de ces manifestations, voulut essayer s'il n'avait pas des facultés médiumniques. Aussitôt des coups se font entendre, et il reçoit une communication de sa mère qui, après lui avoir parlé sur un ton de reproche de ses rapports avec sa famille et de ses convictions religieuses, termine en lui disant : « Tu ne dois pas t'occuper de spiritisme, cela t'est nuisible. » Et, depuis, chaque fois qu'il a essayé d'obtenir des manifestations, elles se reproduisaient, mais il ne pouvait obtenir que ces mots : « Ne t'occupe pas de spiritisme ! »
i) Les facultés médiumniques une fois constatées, la force agissante prend à tâche de faire l'éducation morale et physique du médium. Elle lutte contre ses mauvais penchants.
Je citerai le cas d'une jeune fille écrivant, à l'état somnambulique, devant des amis et qui dénonçait de sa propre main, et à sa grande mortification, des actions qu'elle n'aurait jamais voulu avouer à l'état de veille. Cette même force peut faire observer au médium le régime nécessaire pour la conservation et le développement de ses facultés, et, lorsque le médium est réfractaire, la force agissante manifeste son opposition directement et use même de violence pour obtenir l'obéissance du médium.
Citons le témoignage du Dr Nichols :
« Les médiums reçoivent de leurs guides des instructions quant au régime qu'ils doivent suivre elle conseil de s'abstenir de boissons alcooliques et de narcotiques ; ce genre de vie est indispensable pour obtenir des manifestations d'un ordre élevé.
Le meilleur médium que je connaisse n'a pas mangé de viande pendant quarante ans ; durant cette période, il ne prenait que rarement du vin et jamais de café ni de thé. En Amérique, je connais un excellent médium à phénomènes physiques ; l'esprit guide de ce médium avait pris à tâche de le guérir de sa passion pour le tabac. A ce sujet, il y eut une lutte sérieuse entre eux. Un jour, le médium dit à son guide : « Si tu m'enlèves le cigare, je cesserai de fumer. » Le cigare qu'il tenait dans sa bouche lui fut immédiatement arraché et disparut. Mais on n'abandonne pas facilement une habitude enracinée ; le médium continua à fumer et finit par perdre ses facultés médiumniques.
Un des médiums les plus puissants pour phénomènes de divers genres fut obligé de passer par une école sévère, sous la direction de ses protecteurs spirituels, qui voulurent lui faire abandonner ses mauvaises habitudes, purifier sa vie et le préparer à sa nouvelle vocation. Il était jeune et d'une incontinence telle, en matière de table, que sa santé en souffrait. Il reçut la défense de faire usage de viande, de thé, de café et de tabac en raison d'une maladie de foie, des reins et de la peau, il lui fut ordonné de réduire au minimum l'absorption du lait, du beurre et du sel. Dès que le médium se disposait à trangresser ce régime, il recevait un avertissement par coups frappés dans la table à laquelle il mangeait. S'il lui arrivait de persister dans ses velléités pantagruéliques, la table se mettait en opposition directe avec lui, et il arrivait même que la voix de son guide se faisait entendre pour l'exhorter à suivre les prescriptions hygiéniques.
La santé du médium se rétablit complètement, et il produisit des phénomènes remarquables.
Le tabac exerçait sur lui une fascination toute particulière, comme c'est le cas de beaucoup de personnes. Il lui arriva une fois, en mer, de se laisser tenter à fumer un cigare. En prenant terre, il en fut sévèrement châtié : pendant une transe, il fut jeté sur le plancher, et le bout d'un gros cigare fut introduit de force dans sa bouche. Il en eut une profonde aversion pour le tabac[114]. »
j) Lorque le médium abuse de ses facultés et se livre à des excès qui peuvent avoir de funestes conséquences, les esprits qui se servent de lui ont recours quelquefois à d'autres moyens pour le ramener à la raison, comme on le verra par l'exemple suivant, que nous cite M. Brackett[115] :
« Une dame qui avait passé quelque temps dans une maison de santé à Somerville, Massachusetts, raconte le fait suivant, dont elle a été témoin : C'était une veuve riche, qui avait reçu une éducation excellente, et faisait partie de la meilleure société de Boston et des environs. Au début même du mouvement spirite, elle devint médium écrivain. Pleine d'enthousiasme pour le nouveau mode de communiquer avec les défunts, elle ouvrit ses portes toutes grandes à tous ceux qui désiraient faire usage de ses facultés médiumniques, sans exiger de prix d'entrée ni aucune autre rémunération. Il lui arrivait de passer des journées entières du matin au soir, à donner des consolations, des conseils et des enseignements à tous ceux qui venaient la trouver. L'état de surexcitation dans lequel elle se trouvait commençait à miner sa santé, et ses amis invisibles lui enjoignirent de modérer son zèle et de ne pas surmener ses facultés. Elle faisait fi de ces conseils, estimant que l'œuvre à laquelle elle s'était vouée était trop glorieuse pour qu'elle la négligeât.
Elle avait un frère, médecin expert, qui demeurait à côté d'elle. D'accord avec la plupart de ses collègues, il envisageait le spiritisme d'un œil sceptique ; suivant de près les agissements de sa sœur, il arriva à la conclusion qu'elle s'était abandonnée à une dangereuse illusion et lui donna à entendre qu'elle finirait par entrer dans un asile d'aliénés si elle continuait le même genre de vie. Or les amis invisibles de cette personne l'invitèrent à descendre dans les sous-sols. « Pourquoi donc ? » demanda-t-elle. Ils lui répondirent qu'elle recevrait une réponse quand elle se serait rendue à l'endroit indiqué. Elle s'exécuta à contre-cœur et aperçut une grande cuve. Les voix mystérieuses lui ordonnèrent de poser la cuve sur son fond. « Mais pourquoi ? » demanda-t-elle encore. - «Tu verras, lui fut-il répondu. - Maintenant entre dedans. » Elle refusa d'abord d'obéir à cette étrange proposition, mais se laissa persuader par les instances et les promesses de ses interlocuteurs occultes. A peine était-elle installée dans ce bizarre logement que son frère entra... Il l'avait inutilement cherchée dans sa chambre, en venant, comme d'habitude, s'enquérir de sa santé, et, s'apercevant que la porte qui conduisait à la cave était ouverte, il descendit et trouva sa sœur dans une situation décidément risible.
Il la regarda fixement, exprima son étonnement et s'éloigna. A ce moment même, elle éprouva comme une délivrance de l'influence mystérieuse qu'elle subissait et eut le pressentiment d'une crise dans sa vie aussi ne manifesta-t-elle aucun étonnement lorsque, quelques minutes plus tard, son frère revint et insista auprès d'elle pour une promenade en voiture avec lui. Elle avait bien deviné son intention, mais elle se rendit néanmoins à ses instances, convaincue que toute opposition serait inutile. Bientôt ils descendaient à la porte de la maison de santé Mc Lean, à Somerville, où son frère la plaça en qualité de malade atteinte d'aliénation mentale.
Quand elle fut seule dans la chambre qui lui avait été désignée, elle reprocha à ses amis spirituels de l'avoir exposée à pareille mésaventure. Leur réponse fut : « Nous avons fait cela dans une intention déterminée et pour ton bien. Tu n'as pas voulu suivre nos conseils et nos avertissements : nous t'avons donc attirée dans cet endroit pour t'arracher à la ruine certaine, tant morale que physique, vers laquelle tu marchais obstinément. » Elle comprit la justesse de ce raisonnement et, résignée, elle accepta sa situation. Heureusement l'asile Mc Lean se trouvait alors sous la direction de notre vieil ami, le Dr Luther Bell, qui s'occupait lui-même de recherches spiritiques, il y croyait dans une certaine mesure et connaissait très bien les diverses manifestations de la médiumnité. Il comprit bientôt la situation de sa cliente, s'aperçut qu'elle n'était aucunement atteinte de maladie mentale, qu'elle était tout simplement médium, et il eut avec elle quelques séances intéressantes. Après plusieurs semaines d'un repos et d'une tranquillité nécessaires à sa santé, elle reçut son exeat. Rentrée dans sa maison, elle montra désormais beaucoup plus de réserve dans ses idées. »
k) Il arrive aussi que l'esprit qui produit ces manifestations s'attache à une personne, malgré sa résistance, et l'oblige à céder à son influence. Nous trouverons dans l'expérience faite par M. Dexter un exemple des plus remarquables de ce phénomène. C'est par M. Dexter que furent reçues les communications publiées par le juge Edmonds dans son livre Spiritualism, et le témoignage de M. Dexter a d'autant plus de valeur qu'il émane d'un docteur en médecine, c'est-à-dire d'une personne particulièrement compétente pour l'observation et l'analyse de ces phénomènes. Voilà comment, dans sa préface au premier volume de l'ouvrage cité, il raconte sa lutte contre les forces qui firent de lui un médium :
« Deux ans environ se sont écoulés depuis que les manifestations spirites ont attiré mon attention. J'étais incrédule à un tel point que je dénonçai le mouvement spiritique dans son ensemble comme le plus vaste « humbug » du monde. Si, malgré cela, j'ai accepté la proposition que me fit un ami d'assister aux séances d'un cercle spirite, c'est que j'obéissais à deux motifs différents : en premier lieu, c'est ma curiosité personnelle que je tenais à satisfaire ; ensuite j'avais conçu l'idée que les phénomènes en question, s'ils n'étaient le produit d'une supercherie ou d'une illusion, pouvaient très bien relever d'une cause naturelle, et que, par conséquent, je pourrais peut-être arriver à découvrir la source de cette illusion ou le principe en vertu duquel ces phénomènes se produisaient (p. 82).
Après avoir satisfait ma curiosité par des observations quotidiennes de ces manifestations, et quand je fus absolument convaincu que dans ces manifestations, tant physiques que morales il' n'y avait ni tours de passe-passe ni mystification, je fus obligé de convenir qu'aucune des lois naturelles ou psychiques connues jusqu'à ce jour ne pouvait fournir l'explication de ces phénomènes. Et cependant, malgré les preuves fréquentes et irrécusables qui s'offraient à moi - cela paraîtra étrange - je persistai dans mon incrédulité. Même après avoir minutieusement étudié ce problème des mois durant, sans pouvoir le résoudre, après avoir maintes fois été sur le point de me déclarer un spiritualiste convaincu, je restai sceptique quand même. Je ne pouvais pas admettre l'idée qu'un esprit, c'est-à-dire un être intangible, insubstantiel, éthéré, comme je me l'étais toujours imaginé, pût entrer en rapport avec l'homme ; il me semblait surtout incroyable qu'un esprit, qui, d'après l'idée que ce mot évoque communément, ne doit être qu'une espèce de rien atténué, physiquement insaisissable, eût la faculté de déplacer des tables, de frapper des coups dans le mur, de soulever des hommes, en un mot de se manifester matériellement sur cette même terre qu'il avait quittée à tout jamais. En classant les faits, l'un après l'autre, en rendant justice à toutes les preuves accumulées, je devais, honnêtement, me rendre à cette conviction que, pour toute autre question douteuse, la moitié des preuves qui m'étaient fournies dans cette occasion aurait amplement suffi pour me convaincre. Mais je savais que cela ne pouvait être, et, par conséquent, je n'y croyais pas (p. 88).
Ni ma volonté ni mes désirs ne me poussaient au développement de mes facultés médiumniques ; ils s'y opposaient au contraire, et lorsque, pour la première fois, je sentis en moi une puissance semblable à celle que j'avais vue se révéler dans d'autres médiums, je tentai d'y résister de toutes mes forces physiques et morales (p. 89).
C'était fort tard dans la nuit ; j'étais dans mon cabinet de travail, assis dans mon fauteuil, ma main droite reposant sur le bras du meuble. Mes idées étaient loin du spiritisme ; je pensais à une lecture que je venais de faire. Toup à coup, je ressentis au bras une impression étrange, comme si deux mains l'avaient saisi prés de l'épaule ; j'essayai de lever mon bras, mais en vain : à chacun de mes efforts, mes doigts se crispaient autour du bras de la chaise et le saisissaient fortement. Ensuite, ma main commença à trembler, et je remarquai qu'elle était violemment secouée.
En ce moment, j'entendis frapper deux coups très distincts à la partie supérieure du mur, et j'eus l'impression que cette force invisible dont j'avais fréquemment observé l'action sur d'autres personnes voulait m'assujettir. - « Ces coups sont-ils produits par des esprits ? » demandai-je tout haut. J'entendis frapper encore trois coups. Je demandai encore : « Les esprits ont-ils l'intention d'exercer sur moi leur influence ? » Les trois coups furent répétés. Là-dessus je me levai, rangeai mes livres et me couchai.
Pendant que j'étais occupé à mettre de l'ordre sur ma table, la sensation désagréable dans mon bras avait cessé, mais, dès que je fus au lit, j'entendis de nouveau frapper des coups, cette fois dans le bois de lit, et ma main recommença à trembler, mais je résistai de toute la puissance de ma volonté et parvins à secouer la force mystérieuse qui m'obsédait. Je voulais me rendre compte, à quelle loi naturelle il fallait attribuer cet étrange phénomène. Personnellement, je n'avais certes rien fait pour le provoquer.
Les idées qui m'absorbaient n'avaient rien de commun avec le spiritisme encore moins pouvais-je croire que je pusse à mon tour être l'objet de pareilles manifestations. Pourquoi les coups se sont-ils fait entendre précisément alors, et pourquoi se sont-ils ensuite transportés dans ma chambre à coucher ? Je dois avouer que cette action tout à fait particulière exercée sur mon organisme m'inquiétait quelque peu. Jusqu'alors, je croyais que les phénomènes appelés spiriliques étaient l'effet d'une force quelconque émanant du corps matériel ou de l'esprit des assistants et exerçant une action physique sur le médium mais je ne pouvais m'empêcher de reconnaître que, pour les impressions que je venais d'éprouver en ma propre personne, mon esprit à moi n'avait exercé aucune action, et, comme il n'y avait personne d'autre dans la pièce, je ne pouvais naturellement pas attribuer les manifestations à l'influence morale d'une tierce personne.
Convaincu que j'étais d'une manière absolue d'avoir combattu ces influences et de m'être armé de toute ma volonté contre les sensations que j'éprouvais dans mon bras, je ne les pouvais attribuer à aucune autre cause qu'à l'intervention d'une force intelligente provenant d'une source invisible dont l'objet était de m'assujettir à son contrôle et qui y avait parfaitement réussi (p. 89-90.)
En présence de cette intention clairement manifestée des « esprits » d'adapter mon organisme aux conditions requises pour entrer en rapport avec notre monde, la question suivante s'imposait : s'il est indispensable que le sujet reste complètement passif pour que l'influence d'une volonté sur une autre puisse s'établir, et si une affinité électrique ou psychique entre un certain nombre d'individus faisant partie du cercle des expérimentateurs est nécessaire également pour que cet agent d'un genre particulier puisse entrer en activité, comment alors a-t-il pu arriver que mon bras, malgré mon incrédulité et ma résistance à accepter la possibilité de manifestations semblables, ait pu tomber sous la puissance de cet agent ? Je n'étais assurément pas passif, et du moment que mon esprit était hostile à cette force, électrique ou psychique, j'aurais dû, semble-t-il, être réfractaire à son influence et moralement et physiquement. Je propose la solution de ce problème à ceux qui cherchent à attribuer les soi-disant manifestations des esprits à l'action de forces matérielles (p. 91).
A la suite de ces tentatives, je cessai de fréquenter les séances spirites, croyant ainsi me mettre à l'abri de toutes poursuites. Le contraire arriva : mon bras fut secoué pendant que je dormais, et je me réveillai en sursaut. Durant la période ou je m'abstins de prendre part aux expériences des cercles spirites, je fus soulevé deux fois de mon lit et tenu dans l'espace. La première fois, ce fut le jour où je changeai de chambre à coucher je ne dormais pas encore et avais pleine conscience de ce qui se passait autour de moi j'étais couché en attendant le sommeil quand, soudain, je fus pris d'un frissonnement dans tout le corps. J'essayai de lever un bras, mais ne pus le bouger, mes yeux se fermèrent, et je ne pus les rouvrir mon intelligence était néanmoins en pleine activité, et je me rendais compte de tout ce qui se passait avec plus de netteté que jamais. Ma sensibilité physique avait aussi augmenté en acuité. Comme je restais ainsi couché, impuissant à faire le moindre mouvement, mon corps fut soulevé et porté doucement vers le bord du lit avec le drap qui me recouvrait, j'y fus laissé quelques, instants et ensuite complètement enlevé et suspendu dans le vide pendant plusieurs secondes. A ce moment même j'entendis le tintement du tocsin, et je me sentis immédiatement transporté dans mon lit et remis dans la même position que j'occupais avant, avec une légère secousse, comme un corps lâché par les mains qui le tenaient. Je repris alors l'usage de mes membres, sortis du lit et examinai les draps et la couverture : ils avaient été entraînés vers le même bord du lit d'où j'avais été enlevé et traînaient par terre (pp. 91 et 92).
Cette preuve évidente de l'existence d'une puissance occulte produisit sur moi une impression profonde. Les tentatives antérieures m'avaient laissé indifférent dès que je cessais d'en éprouver l'effet ; c'est qu'autrefois, mon bras seul servait d'objectif à ces efforis, à présent mon corps tout entier était assujetti à ces influences, malgré toute ma résistance..... Pour la première fois l'idée me vint qu'en me prêtant à cette influence, qui semblait clairement manifester la volonté de faire de moi un médium, je pourrais avoir des chances de découvrir la vérité sur les « rapports entre esprits et hommes ». Quelque chose me poussa un jour à poser cette question : « Y a-t-il quelqu'un dans la chambre ? » et j'entendis frapper distinctement trois coups afflrmatifs.
J'étais trop ému pour continuer ce dialogue et regagnai mon lit, en songeant à ces preuves irrécusables qui venaient de m'être fournies de l'ingérence des « esprits » dans la vie des hommes (p. 92).
Un fait analogue se produisit une autre fois, pendant que j'étais en villégiature ; je fus soulevé du lit où j'étais couché et maintenu dans l'espace exactement de la même manière. Cette fois, comme la première, j'étais en proie aux sensations les plus étranges, et, comme alors, l'événement arriva tout à fait à l'improviste ; on eût dit que l'agent occulte avait pris à tâche de me surprendre au moment où je m'y attendais le moins. Cette faculté des esprits d'exercer sur moi leur influence, sans que j'eusse préalablement fait des préparatifs quelconques, me démontra l'intime rapport qui existe entre les êtres de ce monde et ceux d'un autre, et fut pour moi une preuve que ces rapports peuvent être établis en toute circonstance et dans toutes les conditions. Afin de me procurer des preuves encore plus certaines de leur puissance sur moi, ces êtres m'ont fait voir qu'ils avaient le don, en se servant de mon organisme, de manifester l'intelligence dont ils étaient doués en tant qu'êtres raisonnables et sensibles. C'est ainsi qu'après avoir appris à connaître leur puissance physique, je recherchai des occasions favorables pour élargir la sphère de mes expériences. Lorsque je prenais part à des séances dans ce but spécial, la même force occulte s'emparait de ma main pour m'obliger à écrire. Au début, les phrases étaient courtes et n'exprimaient que des idées détachées, mais, à mesure que mes facultés se développèrent dans ce sens, j'obtins des pages entières d'écriture, traitant de thèses et de sujets très variés. Mais dans tout ce qui fut écrit par ma main à cette époque, rien ne laissait encore supposer une intention quelconque de produire de cette façon un ouvrage complet » (pp. 92 et 93).
Un des exemples les plus frappants de la brusque invasion des phénomènes spirites et de la manière dont s'impose la force agissante malgré toutes les oppositions et la résistance des médiums, se présente au début du mouvement spirite ; il s'agit de la médiumnité des enfants de la famille Fox, en 1848. Il est inutile que je rappelle tous les épisodes de cette série de manifestations, puisqu'on peut en trouver le récit détaillé dans les ouvrages spéciaux : Modern Spiritualism, its Facts and Fanaticisms, par M. Capron, Boston, 1855 ; The Missing Link in Modern Spiritualism, par Lea Underhill, une des sœurs Fox, New-York, 1885 ; je ne donnerai, pour mémoire, que l'exposé chronologique des principaux incidents de cette curieuse série de phénomènes.
C'est en 1848, à Hydesville, que des coups sont entendus pour la première fois ; ils se renouvellent chaque jour, ne laissant pas de repos à la famille et effrayant les enfants ; le secret de ces manifestations n'ayant pas pu être gardé, les voisins viennent y assister, et les persécutions commencent. Bientôt les Fox sont dénoncés comme des imposteurs ou comme faisant commerce avec le diable. L'église épiscopale méthodiste, dont les Fox étaient des adeptes notables, les excommunie. On découvre la nature intelligente des coups frappés, qui révèlent qu'un meurtre a été commis dans la maison et que la victime a été enfouie dans la cave, ce qui fut établi plus tard. En avril 1848, la famille Fox se transporte à Rochester, dans la maison de Mme Fish, la fille aînée de M. et Mme Fox, qui était maîtresse de musique. Mais les phénomènes se reproduisent et se développent même considérablement. Aux coups viennent se joindre le déplacement et la projection de toute sorte d'objets, sans contact, des apparitions et des attouchements de mains, etc. Des curieux envahissent la maison du matin au soir et sont témoins de ces phénomènes. « Le désordre devint si grand que Mme Fish ne put pas continuer à donner des leçons de musique et qu'il devint impossible de vaquer dans la maison aux occupations ordinaires du ménage[116]. Un ministre méthodiste proposa d'exorciser les esprits » (p. 60), mais cela ne servit à rien. Enfin le hasard fit découvrir la possibilité de communiquer avec les esprits par l'alphabet. Après avoir déclaré, au grand étonnement de la famille, « qu'ils étaient des amis et parents[117] », les esprits exigèrent que l'étude des phénomènes fût rendue publique. « Vous devez proclamer ces vérités au monde. » Telle fut la première communication[118]. Ce à quoi la famille Fox se refusa obstinément.
Pour que le lecteur puisse se rendre compte de la situation où la famille se trouvait à cette époque, je vais reproduire ici une partie du récit de Mr. Lea Underhill :
« Je voudrais mettre en évidence que les sentiments de toute notre famille, de nous tous, étaient hostiles à ces choses bizarres et incongrues ; nous les envisagions comme un malheur, une espèce de plaie qui tombait sur nous, on ne sait d'où ni pourquoi ! D'accord avec les opinions qui nous parvenaient de dehors, nos propres penchants et les idées qui nous avaient été inculquées dans l'enfance nous poussaient à attribuer ces événements à « l'esprit malin » ; ils nous rendaient perplexes et nous tourmentaient de plus, ils jetaient sur nous un certain discrédit dans la contrée. Nous avions résisté à cette obsession et lutté contre elle, en faisant des prières ferventes pour notre délivrance, et cependant nous étions comme fascinés par ces merveilleuses manifestations, que nous faisaient subir, contre notre gré, des forces et des agents invisibles, auxquels nous étions impuissants à résister, que nous ne pouvions ni maîtriser, ni comprendre. Si notre volonté, nos désirs les plus sincères et nos prières eussent pu avoir le dessus, toutes ces choses auraient pris fin alors même, et personne, au-delà de notre voisinage le plus immédiat, n'aurait jamais plus entendu parler des « esprits frappeurs » de Rochester, ni de l'infortunée famille Fox. Mais il n'était pas en notre pouvoir d'arrêter ou de dominer les événements (p. 55).
En novembre 1848, les « esprits » informèrent la famille qu'ils ne pouvaient plus lutter contre la résistance qu'on leur opposait, et qu'à la suite de l'insoumission des médiums aux demandes des esprits, ceux-ci seraient obligés de les quitter. Les médiums répondirent qu'ils n'avaient aucune objection à opposer à cela, « que rien ne leur pouvait être plus agréable, et qu'ils ne demandaient que le départ des esprits[119] » Effectivement, les manifestations s'arrêtèrent pendant douze jours on n'entendit pas frapper un seul coup. Mais sur ces entrefaites se produisit un brusque changement dans les idées des membres de la famille ; ils éprouvèrent un profond regret d'avoir sacrifié aux considérations mondaines un devoir qui leur avait été imposé au nom de la vérité, et, lorsque, sur la requête d'un ami les coups retentirent de nouveau, ils furent salués avec joie. « Il nous semblait recevoir de vieux amis, écrit Lea Underbill, des amis que nous n'avions pas su auparavant apprécier à leur juste valeur » (p. 60). Cependant, comme naguère, les coups ne cessaient de répéter impérieusement : « Vous avez un devoir à accomplir ; nous voulons que vous rendiez publiques les choses dont vous êtes témoins[120] ». Les interlocuteurs invisibles tracèrent eux-mêmes le plan d'opérations que nous devions adopter, avec les plus minutieux détails ; il fallait louer la grande salle publique « Corinthian Hall » ; les médiums devaient monter sur l'estrade en compagnie de quelques amis ; les personnes désignées pour lire la conférence étaient G. Wïllets et G.-W. Capron (l'auteur du livre cité plus haut) ; ce dernier devait faire l'historique des manifestations ; un comité composé de cinq personnes désignées par l'assistance devait faire une investigation en cette matière et rédiger un rapport qui serait lu à la réunion suivante. Les esprits promettaient de se produire de façon à être entendus dans toutes les parties de la salle. Cette proposition rencontra un refus catégorique. « Nous n'avions nullement envie, dit M. Gapron, de nous exposer à la risée publique et ne cherchions pas à nous créer une célébrité de ce genre..... Mais on nous assura que c'était le meilleur moyen d'imposer silence aux calomnies et de faire droit à la vérité, et que nous préparerions ainsi le terrain pour le développement des communications spirituelles, qui s'effectuerait dans un proche avenir (pp. 90 et 91).
Mais la crainte de l'opinion publique reprenait toujours le dessus, et personne ne se décidait à prendre l'initiative de ces séances alors les « esprits » proposèrent de tenir des audiences dans des maisons particulières ayant de grandes salles, pour qu'on pût s'assurer de leur faculté de frapper des coups devant un public très divers. Toute une année se passa avant que les instances et les exhortations des uns eussent raison des tergiversations des autres. Enfin l'essai fut fait, et M. Capron commença les expériences dans des maisons particulières « elles réussirent, et les manifestations furent toujours intéressantes et distinctes » (p. 91). C'est alors seulement, après de nombreux essais, qu'on se décida à tenter la grande épreuve, et un meeting public fut annoncé pour la soirée du 14 novembre 1849, dans le « Corinthian Hall » à Rochester. Le succès fut complet. Trois meetings consécutifs donnèrent les mêmes résultats, et le mouvement spiritique prit naissance !....
m) Dans les deux paragraphes précédents, nous avons vu que les manifestations, quoique contraires à la volonté du médium, poursuivent néanmoins un but qui tend vers le bien ou dont les causes sont compréhensibles et justifiables par le résultat. Mais ceci n'est pas toujours le cas ; c'est ainsi que dans les simples manifestations d'écriture automatique ou par effets physiques, il arrive très souvent que les communications ne se composent que de railleries, de mauvaises plaisanteries, dont les médiums sont les premières victimes ; les esprits semblent se plaire à les mystifier. Des communications qui avaient un cours régulier et satisfaisant, - provenant toujours des mêmes personnalités, soit connues de leur vivant par le médium, soit connues seulement à la suite d'une série de communications, - peuvent être subitement interrompues par l'intrusion d'un esprit qui ne dit que des banalités, fait des déclarations d'amour, ou profère des invectives ou des obscénités, ce qui ennuie et dépite le médium et il n'y a pas d'autre moyen de se débarrasser de cet esprit que de cesser les séances.
Il en est de même des manifestations physiques : souvent le médium est victime des tours les plus pendables : on lui enlève les objets dont il a besoin, on tire les draps de son lit, on lui jette de l'eau, on l'effraye par différents bruits (Light, 1883, p. 31) ; aux séances obscures, ces manifestations prennent quelquefois un caractère si violent, si agressif, si hostile, qu'il devient dangereux de les continuer, et on doit immédiatement les cesser. Parfois les manifestations font irruption dans une famille sans avoir jamais été provoquées. Nous voilà en présence du groupe de phénomènes connus sous le nom de « persécutions » ces manifestations violentes, désagréables, s'attachent à une maison, en font fuir les habitants, ou bien s'attachent à une famille et prennent le caractère d'une véritable persécution dont non seulement la famille du médium, mais le médium lui-même est victime.
Je ne citerai que deux exemples de « persécutions ». La première se produisit à Stratford, aux Etats-Unis, dans la famille du révérend Eliakim Phelps, D. D., en 1850 et 1831, et elle est complètement décrite dans le livre de M. Capron, Modern Spiritualism. Les manifestations s'annoncèrent, comme toujours, par des coups, des déplacements et projections d'objets dans la maison quoique les portes fussent fermées à clef, des objets disparaissaient. On voyait une chaise s'élever en l'air et retomber ensuite sur le plancher plusieurs fois de suite, avec une telle force qu'on sentait la maison s'ébranler et que le choc se répercutait dans les constructions voisines. Un grand flambeau à bras fut enlevé de la cheminée et battu contre le plancher à plusieurs reprises avec une violence telle qu'il se brisa. Ce fut la première fois qu'un objet se cassa (p. 141). « Il arriva quelquefois que les coups sonores dégénéraient en cris terribles (ibid.)
On voyait apparaître au milieu de la chambre des figures formées de diverses pièces de vêtements provenant de toutes les parties de la maison et gonflées de manière à ressembler à des formes humaines » (p. 143).
On ne savait pas encore à cette époque ce qu'était un médium, mais on remarqua cependant que les phénomènes s'attachaient particulièrement au fils du Dr Phelps, Harry, un enfant âgé de onze ans. Son chapeau et ses vêtements furent souvent déchirés en petits morceaux (p. 142). « Un jour il fut précipité dans un puits, une autre fois il fut lié et suspendu à une branche d'arbre. » (p. 146). Lorsqu'il fut envoyé à l'école à Pennsylvania, il fut souvent pincé ou piqué avec des épingles et ennuyé de toutes les façons ; ses vêtements et ses livres furent déchirés ; les coups frappés le poursuivaient jusque dans l'école. La famille dont il était le pensionnaire s'alarma et ne voulut plus le garder, de sorte qu'on fut obligé de le retirer (p. 170).
On entra bientôt dans la période des « persécutions » matérielles ; de la vaisselle et surtout des objets de verre et de porcelaine furent anéantis quotidiennement, pendant plusieurs semaines, des vitres furent brisées ; au total, 71 objets divers avaient été détruits. Le Dr Phelps affirme qu'il a vu une brosse, déposée sur le manteau de la cheminée, se précipiter vers la fenêtre et traverser le carreau en le brisant avec fracas ; il affirme aussi avoir vu un verre quitter la table de travail sur laquelle il était déposé, s'élancer vers la fenêtre et briser le dernier carreau resté intact cependant il déclare que Harry et lui étaient seuls dans cette chambre, et il faut s'empresser d'ajouter que Harry, pendant toute la durée de ces étranges déplacements, était resté aux côtés du Dr Phelps, dans l'embrasure d'une porte, à une distance trop grande de la cheminée et de la table de travail pour avoir mis en mouvement les deux objets en question sans être vu (p. 148).
« Vers le milieu du mois de mai, le Dr Phelps et Harry se rendirent à Huntingdon, à 7 milles de leur résidence. Ils avaient parcouru m environ lorsqu'une pierre de la grosseur d'un œuf vint tomber dans la voiture ; ce fut comme un signal, car bientôt une dizaine d'autres pierres furent encore lancées ; après cette lapidation, dont les auteurs restaient invisibles, le Dr Phelps, de retour, compta seize pierres tombées dans la voiture. » Le docteur avait enfermé dans un tiroir de sa table de travail deux carnets ; dans le plus grand des deux, il inscrivait au jour le jour le compte rendu détaillé de toutes les manifestations qui se produisaient ; il s'aperçut un jour que toutes les pages sur lesquelles il avait écrit ces notes avaient été arrachées et avaient disparu. Après de longues recherches, on retrouva quelques-uns de ces feuillets dans la cave ; quant aux feuillets sur lesquels le Dr Phelps avait pris copie de diverses écritures, ils avaient disparu sans laisser de trace. Dans le tiroir d'une table de toilette, le docteur conservait un certain nombre d'écrits exécutés par des agents mystérieux ; un jour, tous ces documents prirent feu, et l'incendie ne fut dénoncé que par la fumée s'échappant du tiroir, alors que les papiers étaient déjà à ce point consumés qu'il n'était plus possible de les utiliser (p. 163). Dans la soirée du 18 juillet, d'autres papiers encore, parmi lesquels vingt lettres, se trouvant dans le bureau du Dr Phelps furent brûlés complètement ayant qu'on eût découvert l'incendie. En même temps on constatait que le feu avait pris aux papiers conservés dans deux armoires, sous l'escalier, et ce fut encore la fumée qui dénonça la flamme (p. 165). Quand M. Phelps, à l'instigation de M. Capron, consentit enfin à s'entretenir avec les forces agissantes, on eut l'explication de ces étranges accidents, et, les mystérieux correspondants ayant atteint leur but, les manifestations cessèrent.
L'autre cas que je veux mentionner, et qui se rapporte également à la combustion spontanée d'objets, se produisit dans l'est de la Russie, dans une ferme du district d'Ouralsk, ancienne frontière de l'Asie. Le propriétaire de la ferme, M. Schtchapov, communiqua au Rébus, en 1886, le récit détaillé des persécutions mystérieuses auxquelles sa famille fut exposée pendant six mois, depuis le mois de novembre 1870. Ce cas, qui est tiré de la vie russe, présente tant d'intérêt, il est tellement remarquable et édifiant, au point de vue de la comparaison avec d'autres faits analogues, de source étrangère, et, de plus, le récit de M. Schtchapov est accompagné de détails si précis, que je ne puis m'abstenir d'en donner plusieurs passages in extenso :
« Aujourd'hui, quinze années se sont écoulées depuis l'époque mémorable où notre paisible vie de famille a été subitement bouleversée par un événement tellement inusité, stupéfiant, qu'il défiait toute explication naturelle ; l'on finit alors par l'attribuer à de la supercherie, et c'est nous que l'on accusa de l'avoir pratiquée, nous qui n'y étions absolument pour rien ; c'est dans ce sens que l'affaire fut portée à la connaissance publique dans le Messager de l'Oural (1871).
Bien que j'aie acquis, depuis l'époque de ces manifestations, quelques connaissances théoriques au sujet des phénomènes dits médiumniques, par la lecture de tout ce qui était publié sur cette question en langue russe, et que je sois parvenu à me rendre compte, jusqu'à un certain point, du genre de manifestations qui s'étaient produites chez nous, je dois dire que la réalité, les choses vécues, ne laissent pas de produire sur vous une impression autrement forte que celle que l'on éprouve à une lecture ou à un récit, car il n'y a pas moyen de ne pas croire ce que l'on voit.
En effet, quel parti vous reste-t-il à prendre lorsque vous avez vainement tenté de secouer la dépression morale qui s'apesantit sur votre esprit en présence d'événements extraordinaires et anormaux, quand vous avez fait des efforts opiniâtres pour trouver une solution se rapprochant tant soit peu de l'ordre naturel des choses, - et que, néanmoins, les faits que vous observez vous mettent, pour ainsi dire, au pied du mur, qu'ils font violence à votre soi-disant bon sens ?
Ajoutez à cela qu'à cette époque nous ne soupçonnions même pas l'existence d'une force médiumnique, que ces bizarres et capricieuses manifestations étaient empreintes vers la fin, d'une tendance évidemment hostile, comme si elles étaient dirigées contre notre tranquillité. Je passe sur les désagréments du discrédit, de la médisance et des calomnies que nous ont valus ces événements dans notre voisinage, dans un rayon de 130 kilomètres.
Il est vrai que j'étais moi-même la cause de cet ébruitement, car je racontais et décrivais ces incidents à tout venant en quête d'explications. On venait chez moi, on se livrait à des investigations, on écoutait et regardait les choses, qui se passaient au vu de tout le monde ; mais d'explication, toujours point. Parmi les visiteurs, il y avait des gens éclairés, quelques-uns même d'une grande érudition ; et ils cherchaient tous à donner une explication naturelle « quelconque » (sic). Nous nous laissâmes berner par ces « savanteries », suivant lesquelles les manifestations qui se produisaient étaient dues tantôt à l'action de l'électricité atmosphérique, du magnétisme, tantôt à un état morbide, - une manie moqueuse, - de ma femme qui se plaisait à nous mystifier, riant inpetto de notre naïveté.
Nous acceptions de bonne foi l'une et l'autre de ces explications, mais, au bout de quelques jours, toutes ces théories croulaient sous l'évidence des faits. Il faut avoir par soi-même fait l'expérience, il faut avoir vu et entendu, avoir passé des nuits sans sommeil et avoir éprouvé moralement et physiquement des tourments jusqu'à épuisement de ses forces, pour arriver enfin à la conviction inébranlable qu'il existe des choses que les savants ne soupçonnent même pas.
C'était le 16 novembre 1870, à la tombée de la nuit ; je rentrais chez moi après un voyage de quelques jours que j'étais allé faire dans une petite ville éloignée de 30 verstes de notre ferme, près du moulin ; nous y habitions depuis un an et demi ; ma famille se composait de deux vieilles dames - ma mère et ma belle-mère, âgées de soixante ans chacune - de ma femme qui avait alors vingt ans, et de ma fille, une enfant à la mamelle. Dès les premières paroles de bienvenue, ma femme m'informa que les deux dernières nuits on n'avait presque pas dormi dans la maison à cause d'un bruit étrange, de coups dans le grenier de la maison, dans les murs, les fenêtres, etc. Elle était arrivée à la conclusion que la maison était tout bonnement hantée par le diable. »
M Schtchapov raconte ensuite que lui-même, durant cinq nuits consécutives, entendit des coups étranges qui se produisaient presque sans interruption soit dans la fenêtre, soit dans les murs, que ces coups se renouvelèrent le 20 décembre et durèrent plusieurs jours, que les objets commencèrent à se déplacer, et, chose curieuse, que « les corps mous tombaient avec un bruit pareil à celui que produit un corps dur, alors que les objets solides ne donnaient lieu à aucun choc ». La veille de l'année 1871, les coups retentirent de nouveau ; cette fois, les phénomènes furent observés par une compagnie nombreuse. « Aux personnes qui se tenaient au dehors les coups semblaient venir de l'intérieur, ceux qui se trouvaient dans la chambre estimaient que le bruit était produit sur les murs, extérieurement. » M. Schtchapov continue :
« Le 8 janvier, après de nombreuses manifestations telles que coups frappés, déplacements d'objets, etc., ma femme aperçut un globe lumineux sortant de dessous son lit, d'abord de petite dimension et ensuite, d'après ses dires, augmentant en volume jusqu'à la grandeur d'une soupière et ayant beaucoup de ressemblance avec un ballon en caoutchouc rouge ; elle en fut tellement saisie qu'elle s'évanouit. Depuis ce temps, nous envisagions ces phénomèmes d'un œil hostile, avec crainte même, d'autant plus que le lendemain, ces malencontreux coups se firent entendre à la fenêtre de la chambre même de ma femme, en plein jour, vers trois heures, au moment où elle s'apprêtait à prendre du repos. A partir de ce jour, ces bruits l'accompagnaient partout où elle allait. C'est ainsi qu'un jour, alors qu'elle prenait son thé de cinq heures, elle entendit frapper des coups sur le bras du canapé ou elle était assise, et, lorsque je me mis à sa place, les coups furent frappés près de l'endroit où elle se plaça, sur la toile cirée du canapé, et parfois même dans les plis de sa robe de laine ; ils la suivaient jusque dans l'armoire du buffet, le garde-manger, etc. Franchement, nous commencions à avoir peur ; cette inflexible réalité des phénomènes se produisant à la clarté du jour, si exclusivement attachés aux pas de ma femme, nous affligeait tous les deux ; elle en pleurait même. Appréhendant des suites fâcheuses pour sa santé et surtout pour son état mental (elle éprouvait une faiblesse générale et le besoin de dormir toutes les fois que les manifestations devaient se produire, et si, à ce moment, elle se trouvait dans son lit, un lourd sommeil la gagnait), je décidai de changer de résidence pour un mois et me transportai avec ma famille dans la ville voisine, où nous possédions une maison. Le jour même de notre arrivée, nous rencontrâmes un de nos amis, M. Ch., médecin, qui s'y trouvait pour affaires de service. Après avoir écouté mon récit, il donna son opinion, qui écartait, bien entendu, toute idée d'une explication mystérieuse ou surnaturelle des phénomènes que je lui exposais : il mettait le tout sur le compte de l'électricité et du magnétisme, qui agissaient, disait-il, sous l'influence d'une composition particulière du sol sur lequel notre maison était bâtie, ou de facultés spéciales inhérentes à l'organisme de ma femme. Ces explications, bien qu'insuffisamment claires et peu en rapport avec les faits, nous parurent concluantes, à nous gens peu versés dans les questions scientifiques ; dans tous les cas, elles produisirent sur nous un effet tranquillisant : tout cela nous paraissait assez vague, mais nous croyions comprendre qu'il s'agissait de lois de la nature ; c'était une vraie trouvaille ; nous voulions à tout prix nous débarrasser de l’obsession diabolique (ne connaissant pas d'autre terme, c'est ainsi que nous avions d'abord qualifié la force occulte).
Mais quel ne fut pas notre étonnernent, je dirai même notre terreur, lorsque, le 1er janvier, à notre rentrée, tard dans la nuit, et quand ma femme fut couchée, les coups recommencèrent, et les objets furent de nouveau lancés à travers les chambres, et même des objets dangereux : par exemple, un couteau de table, qui se trouvait sur le poêle, fut projeté avec force contre la porte. Nous mîmes en sûreté tous les objets tranchants ou pesants, mais c'était peine perdue : il arrivait pendant la nuit que tous les couteaux et fourchettes, soigneusement serrés par nous dans l'armoire, se dispersaient dans toute la chambre ; quelques-uns venaient même s'enfoncer dans le mur, près de notre lit. J'avoue que je commençais à redouter sérieusement ces manifestations, qui devenaient menaçantes, et que j'accueillais avec un sentiment de reconnaissance les personnes qui venaient nous voir à cette époque et qui passaient la nuit chez nous, mues par la curiosité.
J'ai dit que la théorie électrique du docteur était peu en rapport avec les étranges phénomènes que nous avions jusqu'alors observés mais, pour les manifestations qui se produisirent à partir du 24 janvier, elle devait être considérée comme absolument insoutenable. Ce soir, nous avions la visite d'un de nos amis, M. L. Alekséieff. Ma femme et lui se trouvaient dans une chambre attenante à celle où je marchais en long et en large, ma petite fille sur les bras, chantant divers airs pour l'amuser. Je fus quelque peu surpris par la prière que ma femme et Alekséieff m'adressèrent de continuer une chanson que je venais d'interrompre. Je fis selon leur désir. De suite, ils me demandèrent d'entonner un autre air ; je me mis à chanter la Figurante et allai les rejoindre. J'apprends que mon chant a été accompagné de coups dans le mur, battant la mesure tout près de l'endroit où ils étaient assis. Je reprends mon chant et, effectivement, j'entends les battements produits comme par les ongles d'une main, marquant nettement chaque mesure de la chanson ; ces coups furent également entendus au dehors, ainsi que nous prîmes soin de nous en assurer. Mon ami chanta, pour essayer, quelques airs très lents en les interrompant de temps à autre, - et néanmoins le rythme des coups continuait à suivre la mesure, bien que les interruptions intentionnelles y produisissent visiblement une certaine confusion. On essaya de chanter d'une voix de plus en plus basse, terminant en un chuchottement, en un simple mouvement de lèvres, on alla même jusqu'à chanter mentalement - et alors l'accompagnement fut tout à fait juste. La force qui produisait ce phénomène était évidemment douée de sens musical et possédait le don de la divination !
Les traits d'intelligence dont la force occulte fit preuve nous impressionnèrent vivement, et nous résolûmes de continuer ces expériences le soir même. Afin d'obtenir des sons plus nets et plus clairs, nous engageâmes ma femme à se transporter du lit qu'elle occupait dans un autre, qui se trouvait près d'une porte vitrée. Notre espoir fut réalisé : aussitôt qu'elle fut installée en cet endroit, les coups se succédèrent rapidement sur les carreaux. A cette occasion, les coups ne se bornaient pas à battre la mesure de divers airs : marches, polkas, mazurkas (l'hymne national fut enlevé avec un certain entrain) - ils nous démontrèrent que la force qui les produisait pouvait frapper un nombre quelconque pensé.
Je tiens à affirmer, encore une fois, que nous prenions les mesures les plus minutieuses pour nous garantir contre toute mystification et que nous ne perdions pas de vue la personne qui jouait le rôle principal - ma femme, qui dormait tout le temps d'un profond sommeil.
Je me décidai à communiquer tout ce qui se passait au Dr Ch., le même qui avait avancé la théorie électrique pour expliquer les phénomènes en question. J'avais d'ailleurs une raison pour m'adresser à lui : la section d'Orenbourg de la Société Impériale de Géographie venait de demander au major Pogorélov, commandant des cosaques d'Iletzk de fournir des renseignements sur les phénomènes météorologiques dans ce rayon, et notamment sur le globe lumineux dont j'ai parlé plus haut. J'envoyai donc un exemplaire de ma description à la Société de Géographie, et un autre à M. Ch., en le priant, bien entendu, de me donner un éclaircissement.
Bientôt nous eûmes la satisfaction de recevoir la visite de trois personnes qui nous étaient bien connues pour leurs excellentes qualités et leur haute compétence : M. A. Akoutine, ingénieur-chimiste, attaché au gouverneur d'Orenbourg ; M. N. Savitch, homme de lettres et le médecin en question, M. Ch.
Ces messieurs nous déclarèrent d'abord être venus pour leur propre compte, en amis, curieux d'étudier les phénomènes. Dans la suite, j'appris qu'ils étaient officiellement délégués à cet effet par le gouverneur, le général Verevkine. »
M. Schtchapov se mit entièrement à la disposition des visiteurs, sa femme aussi s'imposa certaines gênes afin de faciliter à ses hôtes la tâche qu'ils étaient venus remplir ainsi : elle les autorisa à visiter sa chambre à n'importe quel moment toutes les draperies superflues furent enlevées ; le personnel de la maison fut éloigné autant que cela était possible.
« On commença par soumettre la maison à un examen minutieux. Nous n'occupions dans l'immeuble que trois pièces, y compris le vestibule ; le reste de la maison n'était habité que pendant l'été et servait de débarras l'hiver.
Comme nous n'avions pas été inquiétés depuis quelques jours, je ne pouvais affirmer que les manifestations se produiraient. Mais, dès le premier jour, nous eûmes l'occasion d'entendre des coups, de voir la projection de divers objets, etc. Le lendemain furent installés les appareils de physique apportés par nos visiteurs ; on dut enlever une partie du plancher dans la chambre de ma femme, pour poser une longue baguette métallique dont un bout fut enfoncé dans le sol, et l'autre, muni d'une pointe, aboutissait juste en face de la porte vitrée dans laquelle les coups étaient habituellement frappés sur la verrière on aménagea un condensateur avec des feuilles d'étain ; ces messieurs avaient encore une bouteille de Leyde, des boussoles, des aimants et toute sorte de bibelots scientifiques dont j'ignorais l'emploi, mais pas un de ces appareils ne servit à quoique ce soit, et rien, dans toutes leurs expériences, ne permit de supposer qu'il existât la moindre trace d'affinité entre les phénomènes qu'ils étudiaient et l'électricité ou le magnétisme. Les réactions chimiques que M. Akoutine produisit n'indiquèrent non plus aucune tension particulière de l'électricité atmosphérique à l'intérieur de la maison, ni aucun état de saturation d'ozone dans l'air ambiant. Bref, leurs efforts dans ce sens n'amenèrent à aucun résultat, et les manifestations, cependant, continuaient leur train, régulièrement tous les soirs ; nous en inscrivions le compte rendu systématiquement, par ordre chronologique, dans un registre spécial, et faisions tour à tour la veille dans la chambre de ma femme, où les coups commençaient ordinairement.
Nous cherchâmes d'abord à soumettre les phénomènes à un classement quelconque, à les répartir par catégories, mais chaque fois, comme si c'eût été un parti pris (et peut-être en était-ce un), les faits nous donnaient un démenti. Par exemple, au commencement de nos observations, nous suivions des yeux les objets qui s'envolaient de la table devant laquelle nous étions assis, prenant le thé, et nous fîmes la remarque que ces objets : cuillers, couvercles de théières, etc., se dirigeaient dans tous les sens, en s'éloignant de l'endroit où ma femme se trouvait ; nous en conclûmes qu'elle devait être douée d'une force répulsive, une espèce de courant négatif ; voilà que subitement nous eûmes à constater l'opposé : elle s'approcha de l'armoire, et à peine l'eut-elle ouverte qu'une quantité d'objets s'en échappèrent et tombèrent sur elle pour se diriger ensuite au loin. Mais, tout en nous groupant autour de ma femme, jamais nous ne réussîmes à saisir à quel instant l'objet quittait sa place - nous l'apercevions seulement au cours de son vol ou quand il tombait. Persistant dans notre but, nous engageâmes ma femme à toucher les objets qui se trouvaient dans l'armoire, l'un après l'autre. Tant que nous regardions, rien ne bougeait. Tout à coup une, pièce quelconque, un bougeoir ou un cruchon, placé dans un coin de l'armoire et que personne ne regardait, s'élance vers ma femme, passe par-dessus nos têtes et tombe par terre à une distance appréciable. Dans ces conditions, il a bien fallu attribuer à ma femme une force attractive. A chaque instant nous avions ainsi affaire à des faits contradictoires qui déconcertaient toutes nos supositions.
Je ne puis dire très exactement combien de jours nous passâmes de cette façon, lorsque se produisit une chose plus énigmatique encore que tout ce que nous avions vu. Une nuit qu'Akoutine était de garde auprès de ma femme, il nous appela doucement d'une voix inquiète et nous raconta qu'ayant entendu se répéter à plusieurs reprises un étrange frôlement sur le coussin et la couverture de ma femme, il avait eu l'idée de gratter avec son ongle le coussin et les draps, et que, à son étonnement, ce bruit fût répété au même endroit. Il nous pria de nous en assurer, car il ne voulait plus s'en rapporter à lui-même. Nous entendîmes en effet, toutes les fois qu'il grattait avec son ongle sur la couverture, que ce bruit était immédiatement répété au même endroit. Passait-il son doigt deux fois sur la taie d'oreiller, le son se reproduisait deux fois. Il en était exactement de même quand il faisait des variations ; par exemple quand il frappait deux coups forts et le troisième faible. Quel que fût le nombre de coups, quelquefois à peine perceptibles, donnés soit sur le coussin, soit sur la couverture, soit sur le bois de lit ou sur une chaise, même à un endroit éloigné, ils étaient répétés le même nombre de fois, avec la même force et au même endroit, alors que ma femme dormait tout le temps, immobile. Akoutine eut l'idée de demander : « Qui de nous a frappé ? » et dénommait ensuite les personnes présentes. Chaque fois les sons furent répétés précisément au moment de prononcer le nom de celui qui les avait produits. Pendant tout le temps, nous surveillions de près ma femme qui dormait sans faire le moindre mouvement ; sa tête était même tournée vers le mur, de sorte qu'elle n'aurait pas pu nous voir, au cas même où elle aurait eu les yeux entrouverts, ce qui, d'ailleurs, ne nous aurait pas échappé, la chambre étant suffisamment éclairée.
Akoutine n'en revenait pas. Il se mit à arpenter la chambre en silence. Quand il se rassit, il commença à poser diverses questions se rapportant à la politique, à la littérature, etc. Entre autres, il demanda des détails sur la guerre franco-allemande, et les réponses qu'il recevait, ayant trait aux événements et aux personnes, par le moyen de coups, étaient tellement précises et exactes que seul un homme bien versé dans la politique et suivant attentivement les journaux, aurait pu les donner, ce qui certes n'était pas le cas de ma femme, car elle ne prenait jamais un journal en mains - nous n'en recevions d'ailleurs pas à cette époque. Autre détail : toutes les fois que nous insistions pour avoir une réponse à une question intentionnellement fausse, il ne se produisait pas le moindre bruit. Akoutine fit aussi des questions en langues étrangères - en français et en allemand, et la réponse arrivait invariablement juste et exacte, selon le témoignage de l'interrogateur, car les autres ne possédaient pas ces langues... J'interpellai directement Akoutine, exigeant une explication quelconque de ces choses : si tous ces grattements étaient réellement produits par ma femme (nous n'étions pas encore certains du contraire), comment se pouvait-il qu'elle, qui ne lisait jamais de journaux, connût les épisodes de la guerre, les personnages en vue et en général divers événements dont elle n'avait jamais entendu parler ? Ou bien encore, comment expliquer qu'elle pût répondre exactement aux questions en français et en allemand, alors qu'étant à l'école elle n'avait appris, de la langue française, que l'alphabet (quant à l'allemand, cette langue ne lui avait pas été enseignée du tout) ? Akoutine paraissait plus ému que nous tous ; il nous pria de le laisser seul et passa le reste de la nuit à se promener par la chambre, dans une profonde méditation. Le lendemain, en prenant le thé, ayant à dessein mis la conversation sur le terrain de la politique, il questionna ma femme sur des détails universellement connus relatifs à la guerre, et il put se rendre compte que non seulement elle était dans une ignorance complète des réponses obtenues la veille par le moyen de grattements, mais encore qu'elle savait à peine qu'une guerre avait éclaté entre les Français et les Allemands. Depuis son mariage, ma femme ne s'intéressait, en effet, qu'à ses enfants et au ménage.
[1] Une seconde édition vient de paraître, avec le portrait de l'auteur.
[2] Sommeil naturel, somnambulisme, médiumnisme.
[3] Transmission de pensée, télépathie, télécinésie, mouvements d'objets sans contact, matérialisation.
[4] Je viens de trouver dans le numéro d'octobre du Sphinx, 1889, page 227, brièvement formulés en trois points, et tels qu'ils résultent d'une correspondance entre l'éditeur et le Dr Hartmann, « les signes caractéristiques de l'intervention des défunts dans les communications faites par les voyants et les médiums. » C'est précisément le critérium que j'ai eu vain cherché chez M. Hartmann et que je me suis vu obligé d'établir moi-même, en prenant pour base l'argumentation négative de M. Hartmann. Je crois avoir exposé dans mon travail nombre de cas en conformité avec les « signes caractéristiques » en question.
[5] Le Congrès de psychologie physiologique tenu à Paris en 1889 a fini par adopter ce titre pour ses travaux futurs. Je signalerai ici, à titre de curiosité, que la première revue française consacrée à l'étude scientifique « du sommeil, du somnambulisme, de l'hypnotisme et du spiritualisme, » parut par mes soins, et aux frais d'un ami russe, feu M. Lvoff, sous le titre suivant : Revue de psychologie expérimentale, publiée par le Dr F. Puel, à Paris, en 1874-1876 (boulevard Beaumarchais, 73). Il en a paru en tout six livraisons en 1874, deux en 1875 et une en 1876 ; aujourd'hui cette revue est une rareté bibliographique.
[6] Voir MM. Myers, Ch. Richet, P. Janet.
[7] L’Automatisme psychologique. Essai de Psychologie expérimentale sur les formes inférieures de l'activité humaine, par Pierre Janet, professeur de philosophie au lycée du Havre ; Paris, 1889.
[8] Je m'explique : un médium à effets physiques ou a matérialisation doit être hypnotisé ; une fois endormi, ses mains doivent être liées, après quoi on lui ordonne de faire mouvoir quelque objet placé à la portée de ses mains, comme si elles étaient libres, et alors son organe invisible, — fluidique ou astral, — obéissant à l'ordre donné, mettrait l'objet indiqué eu mouvement (voir ma lettre au Religio-Philosophical Journal de Chicago, du 27 août 1892).
[9] Carl Du Prel, Die monistische Seelenlehre: Leipzig, 1888. — C.-G. Raue. Psychology as a natural science, applied to the solution of occult psychic phenomena, Philadelphie, 1889.
[10] Recherches expérimentales sur les manifestations des esprits.
[11] Le Daimonion, ou le médium spirituel et sa nature, illustré par l'histoire de ses manifestations uniformément mystérieuses lorsqu'il est indûment excité.
[12] Philosophie des agents mystérieux, humains et terrestres, ou les lois et les relations dynamiques de l'homme, comprenant l'explication naturelle des phénomènes désignés comme « Manifestations des esprits ».
[13] Le baron von Reichenbach désigne sous le nom de force odique Od-Kraft le fluide impondérable et pénétrant tous les corps, au moyen duquel il explique différents phénomènes mystérieux.
[14] Mary Jane, ou le spiritualisme expliqué chimiquement ; ainsi que essais et idées peut-être erronées d'une écolière.
[15] De la force, ses corrélations mentales et morales, et de ce qui est supposé être la base de tous les phénomènes ; y joint des spéculations sur le Spiritualisme et autres conditions anormales de l'esprit.
[16] États de super activité du système nerveux au point de vue de l'explication des mystères du spiritualisme moderne, des songes, du somnambulisme, de la photographie vitale, etc.
[17] Le spiritualisme et les causes et conditions congénères des troubles nerveux, par le DrVill. A. Hammond, professeur de maladies mentales et de maladies des nerfs au département de la médecine, à l'Université de la ville de New-York.
[18] La force ecténique du professeur Thury et ma force psychique sont évidemment des termes équivalents. Si j'avais connu cette expression, il y a trois mois, je l'aurais adoptée. Or, l'idée d'une semblable, hypothèse de fluide nerveux nous est depuis parvenue d'une autre source, complètement différente, exposée sous un point de vue particulier et exprimée dans le langage d'une des professions les plus importantes. Je veux parler de la théorie d’une atmosphère nerveuse mise en avant par le Dr Benjamin W. Richardson, M. D., F. R. S., dans le journal Médical Times, n° 1088, 6 mai 1871 (Rem. de W. Crookes, dans son ouvrage, Recherches sur la force psychique.
[19] Extrait de la lettre de M. Beattie au journal Photographie News du 2 août 1872, citée dans le Spiritual Magazine, 1872, p. 407.
[20] Pour les détails de ces expériences. Voir Spirit. Mag. 1872, p. 154, et la description qu'en a faite M. Wallace, qui connaissait Mme Guppy personnellement. Voir son livre Défense du spiritualisme moderne.
[21] Défense du Spirit. moderne, p. 54.
[22] Bristish journal of Photography, 22 août 1873, cité dans le Spirit. Mag., 1873, p. 374.
[23] Spiritualist, 1874, I, 238 ; Ps. Stud., 1874, p. 546 ; 1876, p. 489 ; 1879, p. 399.
[24] La Défense du Spiritualisme moderne.
[25] Socialiste bien connu, père de Robert Dale Owen, auteur du livre : Terrain disputé (Debatable Land)
[26] Spiritual Magazine, 1873, page 563 ; également Spiritualist, 1875, t. II, p. 309.
[27] Wallace, On Miracle and Modern Spiritualism, 1875, p. 185.
[28] Banner of Light, 1862, 29 novembre, reproduit dans le Spirit. Mag., 1863, pp. 35 et 36.
[29] The Spiritual Magazine, 1863, pp. 34, 35.
[30] Reproduit dans le Spiritual Magazine, 1863, pp. 125-128.
[31] Reproduit dans le Spiritual Magazine, 1869, p. 421.
[32] Voir pour tous les détails le rapport du procès dans les journaux : le Banner of Light, mai 1 et 8, et août 28, de 1866, et le Spiritual Magazine, 1869, pp. 241-260.
[33] C’est un spiritualiste de New York, bien connu, qui n'appartient pas à la catégorie des personnes croyant aveuglément à tout ce que l'on dit être des phénomènes médiumniques ; il a fait partie de plusieurs commissions qui ont démasqué les impostures de soi-disant médiums.
[34] Voy. pl. VI, fig. 3 ; sur les épreuves photographiques la ressemblance est plus frappante que sur les phototypies.
[35] Pour bien comprendre, le lecteur doit savoir que M. Flint, de même que M. Mansfield, était un médium tout spécial : on lui envoyait des lettres cachetées, adressées à des personnes défuntes. Ces lettres étaient renvoyées à leurs auteurs, avec les réponses des destinataires, bien entendu sans avoir été ouvertes.
[36] Human Nature, 1874, pp. 486-488.
[37] Médium, 1872, n° 104.
[38] Voyez Médium, 1872, p. 104.
[39] Spiritual Magazine, 1869, p. 329
[40] Spiritualist, n° 234. Londres, 16 février 1877, p. 76.
[41] Réimprimé dans le Spiritualist, n° 179, vol. VIII, n° 4. Londres, 28 janvier 1876. pp. 37 et 38.
[42] Spiritual. Magazine, 1875, p. 151.
[43] Spiritual Magazine, 1873, pp. 154, 470 ; Ferguson, Supramondane Facts, p. 109 ; voir aussi le témoignage intéressant de Cliford Smith, Spiritual Magazine, 1872, p. 489, et enfin le même journal, 1876, I, p. 189.
[44] Voir les spécimens de photographies sur les planches V et VI.
[45] The Spiritualist, 1878, I, p. 15.
[46] Spiritual Magazine, 1872, p. 488.
[47] Spiritualist, 1877, n° 246, p. 218.
[48] Spiritualist, 1877, I, 182 ; Light, 1885, p. 258
[49] Voir ses lettres dans le Spiritual Magazine, 1861, 494 et passim.
[50] Spiritual Magazine, 1864, p. 13.
[51] Médium, 1880, p. 466.
[52] Médium, 1880, p. 306.
[53] Médium, 1880, p. 466.
[54] Médium, 1880, p. 329.
[55] Spiritualist, 1879, II, p. 159.
[56] Voir aussi le Medium de 1877, p. 802.
[57] Voir Ballou, Manifestations spirites, éditées chez Stone, à Londres, en 1852, pp. 44 et 192-202.
[58] Voir pour les détails, avec le fac-similé de l'écriture, le Spirit., 1876, II, p. 162.
[59] Psychische Studien, 1874, p. 159.
[60] Banner of Light, 10 août 1867.
[61] Psychische Studien, 1878, p. 492 ; 1879, p. 249.
[62] Psych. Stud.,VII, 397, p. 100.
[63] Ein System von Druck und Zuglinien der fernwirkenden Nerven kraft, p. 150.
[64] Philos des Unbew., 1872, p. 474.
[65] La Philosophie de l'Inconscient, 1872, pp. 486 et 487.
[66] ps. St., VI, 526 ; IV, 545-548 ; Spiritism, p. 89.
[67] Le professeur Denton a succombé, eu 1883, à une atteinte de fièvre jaune contractée pendant un voyage qu'il avait entrepris pour faire des recherches géologiques dans la Nouvelle-Guinée -V. Psych. Studien, décembre 1883, p. 595
[68] Reproduit dans le Spiritualist du 9 juin 1876, p. 27.4.
[69] Voy. Banner of Light, du 1er avril 1876
[70] Spiritualist, 1876, p. 274).
[71] Spir., 1876, I, p. 146
[72] Voy. Psych. Studien, 1877, p. 401.
[73] On trouvera d'autres détails dans son article publié dans la Psych. Studien, 1877, pp. 351-401.
[74] Voy. Psych. Studien, 1877, pp. 491-493.
[75] Voy. Spiritualist du 11 février 1876.
[76] Voy. P. Studien, 1877, p. 549.
[77] Spiritualist du 24 mai et 26 juillet.
[78] Le Dr Hartmann distingue, conformément à la psychologie, entre « hallucination » et « illusion ». Le premier de ces deux termes s'applique aux cas où les créations de la fantaisie ne sont pas basées sur une perception quelconque de nos sens, le deuxième indique une transformation que subit dans notre imagination une chose réellement perçue par un de nos sens. Par exemple : si l'on croit voir un serpent enroulé sur une assiette, il y a hallucination si l'on prend une corde pour un serpent, c'est une illusion en croyant voir une figure nébuleuse émanant du médium, on est sujet à une hallucination si l'on prend le médium pour une apparition, on subit une illusion. (Exemple du Dr H.) — Le traducteur.
[79] Psychische Studien, décembre 1878, pp. 545-548 ; Medium, 1877, p. 195.
[80] Le Spiritisme, p. 89.
[81] The Médium, 5 octobre 1877, p. 626.
[82] Voir Spiritualist, 1873, p. 133.
[83] Voir The Spiritualist, 1873, n°136, p. 162.
[84] Voir Medium and Daybreak, 1875, p. 346.
[85] Psych. Stud., décembre 1884, p. 546.
[86] Médium and Daybreak, n° 289, 15 octobre 1875, pp. 657-658.
[87] Spiritualist, n° 234, 16 février 1877, p. 77.
[88] Spiritisme, p. 18.
[89] M. Varley est un distingué physicien anglais, renommé spécialiste pour la pose des câbles ; il est membre de la Société royale de Londres.
[90] Psych. Stud., 1874, p. 344.
[91] Psych. Stud., 1874, p. 342.
[92] The Spiritualist, 1877, p. 176.
[93] Psych. Stud., 1874, p. 290.
[94] Psych. Stud. , 1874, pp. 388 et 389.
[95] Psych. Stud., 1873, pp. 19-21.
[96] Psych. Stud., septembre 1874, p. 389.
[97] Psych. Stud., 1873,p. 22.
[98] Psych. Stud., 1875, pp. 21-22.
[99] Psych. Stud., II, 19-20, 22, Spiritisme, pp. 88,89.
[100] Spiritualist, n° 99, 1874.
[101] La forme d'Abdullah, qui avait apparu aux séances d'Eglinton à Saint-Pétersbourg, n'avait que la moitié du bras gauche.
[102] Hartmann, Spiritisme.
[103] Voy. Spiritualist, 1875, II, p. 297 ; 1876, I, pp. 308, 313
[104] Spiritualist, 1877, II, pp. 163, 178, 202.
[105] Psych. Slud., 1879, p. 399
[106] Psych. Stud., VIII, p. 52.
[107] Psychische Studien, 1881, pp. 52-53
[108] Voir p. 23, ch. I.
[109] Médium 1873, p. 346.
[110] Spiritualist, 1874, I, p. 258, II, p. 291.
[111] Voyez par exemple le Medium, 1876, p. 334.
[112] Voir : Hare, Recherches expérimentales, p. 98-109 ; Varley, Rapport du Comité de la Société dialectique ; Spiritualist, 1876, II, 205.
[113] Magister Artium Oxoniensis, maître ès arts de l'Université d'Oxford, pseudonyme du Rév. Staintou Moses, mort eu 1892.
[114] Light, 1881, p. 79.
[115] Light, 1886, p. 368.
[116] Capron, p. 63.
[117] Capron, p. 64.
[118] Missing Link, p. 48.
[119] Capron, p. 88.
[120] Capron, p. 90.