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sexta-feira, 26 de agosto de 2011

La personnalité humaine-F. W. H. Myers

 

Índice do Blog

 

F. W. H. Myers

La personnalité humaine
sa survivance
ses manifestations
supra-normales

Dédié à Henry Sidgwick et à
Edmund Gurney

1905


PREFACE

Le livre que je me décide enfin à publier n'est qu'un exposé partiel d'un sujet en plein développement et que j'avais pendant longtemps espéré pouvoir traiter d'une façon plus parfaite.  Mais à mesure que la connaissance se complète, la vie s'en va, et j'ai voulu profiter des années qui me restent pour fournir, avec ce manuel très imparfait, ma contribution à un domaine de recherches dont la nouveauté et l'étrangeté exigent absolument une systématisation provisoire, dans l'espoir qu'en suggérant de nouvelles recherches et une accumulation de nouvelles données, elle sera bientôt remplacée et surpassée. Peu de critiques de ce livre se rendront mieux compte que je ne le fais moi-même, de ses défauts et de ses lacunes ; mais peu nombreux sont aussi ceux qui aient jusqu'ici saisi toute l'importance des faits sur lesquels ce livre s'appuie.
Un grand nombre de ces faits ont déjà été publiés dans Phantasms of the Living ; un plus grand nombre encore dans les « Comptes Rendus de la Société de Recherches Psychiques » ; mais ces faits sont loin d'avoir acquis droit de cité dans la conscience scientifique moderne. Je suis convaincu qu'on s'étonnera un jour de ce que la promulgation de ces faits ait été abandonnée à un écrivain disposant de si peu de loisirs et d'un bagage scientifique aussi incomplet.
Si ce livre possède une valeur quelconque, il le doit en grande partie à des esprits autres que celui de son auteur. Son existence, en premier lieu, dépend de celle des deux amis dévoués et collaborateurs inappréciables à la mémoire desquels je le dédie.
La part qui revient à ces confrères regrettés, Henry Sidgurick et Edmond Gurney, tout en formant par sa nature et sa quantité l'élément essentiel de ce livre, ne peut être définie d'une façon exacte et complète, en présence des changements survenus depuis leur mort. Il est certes possible de mesurer jusqu'à un certain point le degré de leur collaboration, en ce qui concerne la révision de mes propres travaux préalables, les expériences faites en commun et les pensées et découvertes originales. De longues citations empruntées à dessein à Edmond Gurney ont pour but de montrer le degré d'intimité qui, jusqu'à sa mort, nous liait dans nos travaux. Mais le bénéfice que j'ai retiré de cette association présente encore un autre caractère, plus profond. Le but qui nous a guidés dans cette étude consistait à faire ressortir la nécessité, le besoin d'un soutien moral intime. Un isolé, un excentrique ou un homme qui ne vit qu'avec des individus dont l'intelligence est inférieure à la sienne trouvera peut-être qu'il est facile de travailler avec assurance à une oeuvre dont il sait d'avance que la masse de ses contemporains l'ignorera ou la méprisera. Mais le travail est plus difficile pour un homme qui se sent rattaché par de nombreux liens à ses semblables, qui désire vivre avec des esprits égaux ou supérieurs au sien. Un tel homme ne peut dédaigner la désapprobation explicite ou implicite de ce groupe important de personnes dont il avait appris à estimer les opinions concernant d'autres sujets.
Je n'ai pas besoin de dire que l'attitude du monde scientifique, du monde intellectuel tout entier, était à cette époque-là beaucoup plus caractérisée qu'actuellement. Aujourd'hui encore, j'écris ayant pleine conscience du peu de valeur qu'on attache généralement aux études que je poursuis.  Aujourd'hui encore, un livre portant sur un sujet de ce genre doit s'attendre à provoquer non seulement des critiques légitimes et justifiées, mais aussi le dédain et le ressentiment qu'excitent naturellement toute nouveauté et toute hétérodoxie. Mais je ne me propose pas d'ériger en acte de courage une entreprise dans laquelle la génération suivante verra peut-être la chose la plus naturelle du monde. « Nihil ausi nisi vana contemnere », tel sera certainement le compliment le plus flatteur qui sera adressé à ce qui nous paraît être notre indépendance hardie. Mais la reconnaissance m'oblige de dire que, tout en ayant pu penser, dans mon for intérieur, « faire preuve de courage en méprisant les choses vaines », je n'aurais jamais osé appliquer mes connaissances d'amateur à une publication de cette envergure, si mon respect pour les jugements de mes deux amis n'avait augmenté quelque peu ma confiance en moi-même. Leur faveur et leur amitié qui ont fait de la part que j'ai moi-même prise à ce travail un véritable plaisir font que je considère la publication de ce livre comme un vrai devoir.
Je dois encore des remerciements à un autre collègue disparu, à mon frère, le Dr A.-T. Myers, F.R.C.P. qui m'a aidé pendant des années dans toutes les questions médicales soulevées au cours de ce livre.
Je dois beaucoup de reconnaissance aux correspondants qui ont fourni les récits originaux et à la « Société de Recherches Psychiques » qui m'a autorisé à les utiliser. Mais je dois laisser au livre lui-même le soin d'indiquer avec plus de détails tout ce que je dois à tant d'hommes et de femmes et quelle est l'étendue du travail et de l'intérêt qui, dans ce livre, se trouvent exposés et présentés.
Ce livre est en effet un exposé plutôt qu'une démonstration. Mes humbles forces ne m'auraient pas permis de résumer la masse de données déjà réunies dans les seize volumes des « Comptes rendus », dans les neuf volumes du Journal, dans « Phantasms of the Living », et dans d'autres livres et collections manuscrites. Cette branche de la connaissance demande, comme toutes les autres, à être étudiée avec soin par ceux qui désirent la comprendre et la faire avancer.
Ce que je me suis proposé de faire ici, c'était de rendre cette connaissance plus assimilable en la coordonnant sous une forme aussi claire et intelligible que le permettaient et mes ressources personnelles limitées et la nature des faits eux-mêmes.

F.-W.-H. Myers

NOTE DES ÉDITEURS

La préface inachevée est formée de plusieurs passages qui, à différentes reprises, ont été écrits par l'auteur, mort le 17 janvier 1901. En 1896, il s'arrangea de façon que l'achèvement du livre soit confié au Dr Hodgson, s'il venait lui-même à mourir avant sa publication. En même temps, il confia la révision générale des épreuves, en la chargeant encore de quelques autres détails, à Miss Alice Johnson, du Newnham Collège, à Cambridge, qui s'était trouvée ainsi associée au Dr Hodgson dans les travaux que nécessitait l'achèvement du livre. C'est à elle que revient la plus grande part du travail accompli. Au moment de la mort de l'auteur, les chapitres I à IV, une partie du chapitre VII et tout le chapitre VIII se trouvaient en première épreuve, le reste du chapitre VII et le chapitre X étaient prêts pour l'impression. La substance du chapitre IX a été presque entièrement écrite, et n'avait plus besoin que d'être mise au point. Nous indiquons dans le  texte l'endroit où s'arrête la partie de ce chapitre continue aux chapitres précédents (le reste en ayant été écrit par fragments).

Richard Hodgson. Alice Johnson.
AVANT-PROPOS DU TRADUCTEUR

Le nom de M. Myers est déjà connu, en partie, en France, grâce à la traduction faite par M. Marillier d'un livre qu'il a écrit en collaboration avec Edmond Gurney et Podmore, sous le titre de Phantasms of the Licing . Il a été de son vivant, un des membres les plus actifs et les plus dévoués de cette Société de Recherches Psychiques » qui, fondée en 1882 sur l'initiative de F.-M. Barrett (de Dublin) et de J. Romanes, prit bientôt une extension et une importance tellement grandes, qu'elle vit figurer, parmi ses membres, un grand nombre d'illustrations scientifiques, littéraires et politiques d'Angleterre et des États-Unis. MM. Henry Sidgwick, Balfour Stewart, William Crookes, William James, A.-J. Balfour, etc., ont été tour à tour présidents de cette société, dont le but a été défini par son premier président, dans son discours d'inauguration : il s'agissait de porter un peu de lumière, en le soumettant à l'examen objectif et scientifique, à tout ce groupe de faits connu sous le nom de mesmérisme, spiritisme, télépathie, transmission des pensées, etc. « Tout le monde, disait M. Sidgwick, s'accorde à reconnaître que l'état actuel des choses, en ce qui concerne les faits en question, constitue un véritable scandale dans notre siècle éclairé. Les discussions relatives à la réalité de ces phénomènes, dont on ne saurait exagérer l'importance scientifique, si le dixième seulement de ce qui a été affirmé par des témoins crédules pouvait être reconnu comme vrai, ces discussions sont éminemment regrettables et n'aboutiront à aucun résultat, tant que le public cultivé gardera à l'égard de ces phénomènes, une attitude d'incrédulité, alors que, beaucoup de témoins compétents se déclarent convaincus de leur réalité et que tant d'autres sont profondément intéressés à ce que la question soit enfin résolue... Nous devons accumuler faits sur faits, ajouter des expériences à des expériences, ne pas nous quereller avec des incrédules à propos de la véracité de tel ou tel fait isolé mais, baser notre conviction sur l'évidence totale qui semble découler de l'ensemble des faits... Nous devons placer les incrédules devant le dilemme suivant : ou admettre que les phénomènes sont inexplicables, pour eux tout au moins, ou accuser les investigateurs de mensonge ou de friponnerie, de cécité ou d'oubli, c'est-à-dire de défauts intellectuels et moraux qui ne sont compatibles qu'avec l'idiotie absolue .» 
Pour ne laisser aucun doute sur la façon dont la Société entendait examiner et étudier les phénomènes dont il s'agit, il a été stipulé que : « le fait d'appartenir à cette Société n'impliquait aucune façon particulière et fixée d'avance d'expliquer ces phénomènes, ni la croyance à l'action, dans le monde physique, de forces autres que celles reconnues par les  sciences physiques ».
Le travail accompli par la Société dans l'espace de quelques années a été énorme : accumulation de faits et documents, leur examen et analyse, leur confrontation et comparaison, interrogation de témoins, investigations concernant leur bonne foi, leur véracité, leur état physique, intellectuel et moral et, consécutivement, élimination de faits mensongers ou même douteux, maintient de ceux qui paraissaient incontestables, vérification de ces derniers par le recours à l'expérimentation, à leur évocation artificielle chez des sujets appropriés. Les documents se rapportant à ce travail et les résultats qui en découlent se trouvent consignés dans les seize volumes des « Proceedings of Society for Psychical Research », dans les neuf volumes du « Journal of Society for Psychical Research » et dans « Phantasms of the Living ». Les matériaux accumulés dans ces recueils étaient de nature à tenter un esprit généralisateur et synthétique qui, placé devant tous ces phénomènes dûment constatés d'altérations de la personnalité, d'apparitions, de hantises, de possession, d'extase, d'hallucinations, etc., ne pouvait ne pas se poser la question de savoir si tous ces phénomènes n'avaient pas une cause commune, ne découlaient pas d'une loi générale ou d'un principe supérieur, sinon mystérieux et caché, tout au moins difficile à constater, plus ou moins probables.
C'est cette question que se posa M. Myers et, soumettant les faits qu'il avait à sa disposition à un nouveau travail de révision et d'analyse, il se proposa d'en tirer toutes les conclusions qu'il lui semblait comporter. L'ouvrage dont nous offrons aujourd'hui aux lecteurs français une adaptation française, constitue le fruit de ce travail de nombreuses années que l'auteur avait à peine eu le temps d'achever.
Cet ouvrage constitue bien, malgré l'affirmation contraire de M. Myers, une démonstration plutôt qu'un simple exposé. C'est un essai de synthèse philosophique basée sur un ensemble de faits dont les philosophies antérieures n'ont le plus souvent tenu compte que dans une mesure tout à fait insignifiante ; et c'est exclusivement à ce titre que nous l'offrons aux lecteurs français. A eux de juger ce qu'il y a de définitif ou de prématuré dans cette synthèse ; si, comme l'a dit M. Oliver Lodge, elle constitue vraiment « un des schémas de l'existence les plus vastes, les plus compréhensifs et les mieux fondés qu'on ait jamais vus » ou si, comme le dit M. William James, la notion du moi subliminal qui forme la base du système, « a besoin, pour être acceptée par la prochaine génération de psychologues, d'un nombre de faits plus grand que celui qui a suffi à son auteur ».

S. J.

CHAPITRE I -  INTRODUCTION

Dans la longue histoire des efforts faits par l'homme en vue de comprendre son milieu et de se rendre maître de ses propres destinées, il existe une lacune ou une omission tellement singulière que, quoique nous fassions plus tard pour expliquer ce fait, sa simple constatation aura toujours l'air d'un paradoxe, tant il est vrai que l'homme n'a jamais songé à appliquer aux problèmes qui l'intéressent de la façon la plus intime, les mêmes méthodes de recherche qu'il a trouvées si efficaces en les appliquant à tous les autres problèmes.
La question qui importe le plus à l'homme, est celle de savoir s'il possède ou non une âme immortelle, ou, pour éviter le mot immortelle, qui appartient au domaine de l'infini ; si sa personnalité implique un élément quelconque susceptible de survivre à la mort corporelle. Les terreurs les plus graves, les espoirs les plus hardis qui aient jamais été capables d'opprimer et de stimuler les esprits mortels, ont toujours été liés à cette question. D'un autre côté, la méthode que notre race a trouvé la plus efficace au point de vue de l'acquisition des connaissances est, de nos jours, familière à tout le monde. C'est la méthode de la science moderne, le procédé qui consiste à interroger la nature sans passion ni parti pris, d'une façon patiente et systématique, par une expérimentation minutieuse et un enregistrement de résultats, qui permettent de deviner les vérités les plus profondes, d'après les indications souvent les plus légères. Cette méthode est aujourd'hui suivie dans tout le monde civilisé et, quoique dans certaines directions, les expériences se montrent difficiles ou douteuses, les faits rares et incomplets, la science poursuit lentement son oeuvre et attend son moment, se refusant à retomber dans la tradition ou à se lancer dans la spéculation, parce que les petits chemins sont les seuls qui conduisent à des découvertes mémorables, à des vérités indiscutables.
Cette méthode, disons-nous, n'a jamais été appliquée au problème capital concernant l'existence, les facultés et la destinée de l'âme humaine, et pourtant, une pareille omission n'est nullement basée sur la conviction générale de l'insolubilité du problème en question. Sans doute la formule agnostique, je dirais presque la superstition scientifique, qui se résume dans les mots ignoramus et ignorabimus, compte aujourd'hui des adhérents parmi quelques savants ; mais elle n'a jamais constitué, pas plus aujourd'hui qu'autrefois, la croyance générale du genre humain. Il existe depuis deux mille ans, dans la plupart des pays civilisés, une croyance d'après laquelle, la survivance après la mort corporelle, aurait été indiscutablement prouvée par certains phénomènes qui, à un moment donné, ont été observés en Palestine ; et en dehors même de la croyance chrétienne, les hommes, guidés soit par la raison, soit par l'instinct, soit par la superstition, ont toujours cru qu'il existait certains phénomènes spirituels témoignant d'une vie dont les limites dépassaient la vie que  nous connaissons.
Mais aucun de ceux qui, pour des raisons vagues ou définies, croient que la question peut être résolue ou qu'elle a déjà reçu sa solution, grâce à l'observation humaine et à des faits objectifs, n'a fait jusqu'ici de tentative sérieuse pour établir un accord entre cette croyance et les données scientifiques. Ils ne se sont pas suffisamment occupés à lui fournir de confirmations, d’explications, d’analogies ; ils ont plutôt confiné leurs convictions relatives à ces questions capitales dans un compartiment isolé de leur cerveau, compartiment consacré à la religion et à la superstition, non à l'observation et à l'expérimentation.
Le but de ce livre, comme l'a été dès le début, celui de la Société de Recherches Psychiques, grâce à laquelle j'ai pu réunir la plupart des documents rassemblés ici, est de montrer ce qui peut être fait pour supprimer cette cloison artificielle de séparation, qui excluait jusqu'ici du domaine scientifique, les problèmes dont la solution a précisément le plus grand besoin des procédés et méthodes scientifiques.
Je dois dire auparavant que le mot scientifique signifie pour moi, une autorité à laquelle je me soumets moi-même, non un modèle que j'aurais la prétention de réaliser. La science dont je parle ne peut être qu'une science naissante, non pas un de ces vastes systèmes de connaissances réunies, à l'achèvement desquels, des milliers de spécialistes travaillent aujourd'hui dans leurs laboratoires, mais quelque chose comme un de ces systèmes à ses humbles débuts ; lorsque quelques moines cherchaient les propriétés des « métaux nobles » ou, que quelques bergers chaldéens étudiaient la situation des étoiles fixes.
Je ne me propose de donner ici que le simple rudiment socratique de ces organismes de la pensée exacte, les premiers préliminaires axiomatiques de tout progrès durable. Je voudrais voir introduire dans la discussion des problèmes les plus profonds concernant la nature et la destinée humaines, la même largeur d'esprit, la même recherche de l'évidence objective, la même analyse critique des résultats, qu'on apporte généralement dans la discussion relative à la nature et à la destinée de la planète sur laquelle se meuvent les hommes.
On m'accordera peut-être que, malgré le truisme apparent de cette proposition, ceux qui y adhèrent abordent un domaine de recherches plus vaste et plus bizarre que celui auquel ils sont habitués et dépassent les limites étroites dans lesquelles, en vertu d'une ancienne convention, les partisans des différentes solutions de ces questions avaient jusqu'ici l'habitude de se confiner.
Un bref exposé de certains faits historiques connus rendra mon opinion plus claire.
Recherchons d'abord, comment il se fait que, tandis que les uns considèrent le problème de la survivance de l'homme soluble à l'aide de preuves suffisantes et, que d'autres trouvent les preuves traditionnelles ordinairement alléguées insuffisantes, aucun effort sérieux n'ait été fait ni d'un côté, ni de l'autre, pour rechercher s'il ne serait pas possible d'envisager d'autres preuves plus récentes.
Pour nous, la cause en est bien simple : pour une race dont toutes les pensées sont attachées aux besoins immédiats de la vie, l'importance capitale de ce problème central avait, de tout temps, barré le chemin à son examen méthodique et scientifique. Il existe certaines croyances, dont l'humanité n'a pas le temps d'attendre la vérification. «Que dois-je faire pour être sauvé ? » Voilà une question autrement urgente que celle de la cause des marées ou celle des tâches du soleil.
L'homme a besoin d'une conviction ferme concernant ce qu'il doit craindre ou espérer de la part du monde invisible. Les croyances surgissent en raison directe de ce besoin de croyance et, pour pouvoir se maintenir, elles réclament une sanction unique ; et avec ces croyances spécifiques, naît aussi l'habitude générale de considérer tout ce qui concerne le monde invisible comme tabou, comme échappant à l'observation et à l'examen ordinaires. Passons des généralités à l'histoire réelle de la civilisation de l'Occident. A une époque où des croyances rituelles, locales, disséminées, solutions partielles de problèmes cosmiques, se détruisaient mutuellement par simple contact et fusion, un événement se produisit qui, dans les brèves annales de la civilisation humaine à ses débuts, peut être considéré comme unique. Une vie a été vécue au cours de laquelle la réponse la plus sublime que le besoin de direction morale éprouvé par l'homme ait jamais reçue, a été corroborée par des phénomènes que tout le monde considère comme miraculeux, et dont la résurrection a été l'expression culminante. Il serait illégitime de ma part d'avoir recours, en faveur de mon opinion, aux arguments fournis par ces phénomènes et cette résurrection. J'ai fait appel à la science et, dois procéder selon la science, en ce sens qu'il serait inconséquent de ma part d'invoquer ce que la science, au sens strict du mot, considère comme une tradition de l’âge pré-scientifique. Mais, nous savons que cette grande tradition, en tant que fait, a gagné l'adhésion et la foi de la plupart des esprits européens. Les résultats complexes qui ont suivi ce triomphe du christianisme ont été discutés par un grand nombre d'historiens. Mais un résultat qui nous apparaît ici sous une nouvelle lumière, a été que l'Église chrétienne, la religion chrétienne, sont devenues pour l'Europe, les représentants et les gardiens accrédités de tous les phénomènes se rapportant au monde invisible. Tant que le christianisme a été dominant, tous les phénomènes qui semblaient dépasser l'expérience se trouvaient absorbés dans son domaine et, étaient considérés comme les indications secondaires de l'activité de ses anges et de ses ennemis. Et lorsque le christianisme commençait à être sérieusement attaqué, ces manifestations secondaires ont été perdues de vue. Les prêtres trouvaient plus prudent de défendre leurs propres traditions et intuitions, au lieu de s'aventurer dans la recherche des preuves indépendantes en faveur de l'existence d'un monde spirituel. Leurs assaillants s'efforçaient de renverser les remparts de l'orthodoxie, ignorant l'existence de certaines places fortes isolées, qui ne faisaient pas partie de la ligne de défense principale.
Entre temps, les lois de la nature suivaient leur voie accoutumée. Comme toujours, elles révélaient des choses qui ont déjà été révélées une fois et, même de temps à autres, quelque merveille, plus semblable aux histoires d'autrefois qu'on n'avait soin de l'avouer, se glissait entre la superstition d'un côté et l'indifférence méprisante de l'autre. Sorcellerie, mesmérisme, swedenborgianisme, spiritisme, apparurent successivement, entre tant d'autres phénomènes de moindre importance, comme pour témoigner de la nécessité d'une enquête plus vaste. Quelques mots à propos de chacun de ces quatre mouvements suffiront ici, pour montrer leur connexion avec le sujet qui nous occupe.
La sorcellerie. — L'enseignement qui découle de la sorcellerie en ce qui concerne la valeur du témoignage humain est d'autant plus remarquable, qu'il a été plus longtemps et plus complètement méconnu. La croyance aux sorciers a passé, pendant longtemps, comme l'exemple le plus frappant de l'ignorance et de la folie humaines ; et dans un livre relativement aussi récent que l’Histoire du rationalisme, de Lecky, le déclin soudain de cette croyance populaire est cité comme un signe de disparition irrésistible de l'erreur et de l'ignorance sous l'influence de l' « atmosphère intellectuelle » d'une époque plus éclairée. Mais depuis que des expériences, pratiquées en France à partir de 1880, ont montré à quoi une femme hystérique est capable de croire sous l'influence de la suggestion extérieure ou de l'autosuggestion, on commença à comprendre que les phénomènes de la sorcellerie étaient ce que les phénomènes observés à la Salpetrière auraient semblé être aux malades, si elles étaient restées seules à l'hôpital, en dehors de toute intervention médicale. Et Edmond Gurney, après avoir dans Phantasms of the Living, soumis toute la littérature sur la sorcellerie à une analyse plus minutieuse que celle dont on l'avait jugée digne jusqu'alors, fut à même de montrer que, au point de vue pratique, toutes les dépositions de première main, faites spontanément, c'est-à-dire n'ayant pas été provoquées par la torture, peuvent avoir été vraies ou, considérées comme telles par les déposants, représentant la conviction de personnes saines (quoique souvent hystériques), qui étaient seulement coupables d'avoir confondu des hallucinations produites par l'autosuggestion avec des faits de la vie réelle.  Et même les régions insensibles des sorcières étaient sans doute, réellement anesthésiques, représentant ainsi un symptôme aujourd'hui bien connu, les zones analgésiques des malades de Pitres et de Charcot. La sorcellerie a été, en réalité, une expérience psychopathologique gigantesque et cruelle, pratiquée par les inquisiteurs, sur l'hystérie, mais pratiquée à l'aveugle, sans qu'il fût possible d'en utiliser les résultats.
Mesmer. — De nouveau, les possibilités latentes de la « suggestion », quoique sous un autre nom et associées à beaucoup d'éléments étrangers, revirent le jour avec le mouvement inauguré par Mesmer, à la fois inventeur et charlatan. Cette fois encore, l'époque n'était pas suffisamment mûre, et l'opposition scientifique, quoique moins formidable que l'opposition religieuse qui envoyait les sorcières au bûcher, fut encore assez puissante pour arrêter de nouveau la science naissante. C'est à peine si un troisième effort a reçu meilleur accueil dans notre génération et, de nos jours, l'hypnotisme et la psychothérapie, dans lesquels tout fait bien attesté de sorcellerie et de mesmérisme trouve, sinon son explication, tout au moins son analogie, sont en train de s'imposer comme une méthode assez parfaite de soulagement de misères humaines.
Cette brève esquisse du développement, on dirait par des impulsions successives, dans une atmosphère de méfiance et de découragement, d'un groupe de tendances et de facultés mentales et de sensibilités, reconnues aujourd'hui comme existant réellement et souvent salutaires, est parallèle à l'histoire du développement, au milieu de difficultés analogues, d'un autre groupe de facultés ou de sensibilités, dont l'existence toujours contestée, si elle était établie fermement, aurait pour l'humanité, une importance encore plus grande. A aucune des époques que nous connaissons, ni avant ni après l’ère chrétienne, les séries de manifestations d'extase ou de possession, de communication présumée avec un monde supérieur, n'ont cessé d'exister entièrement. Parfois, comme à l'époque de sainte Thérèse, les extases de ce genre constituaient, pour ainsi dire, le fait central ou culminant du monde chrétien. Je ne m'occuperai pas ici de ces expériences. Les preuves qui existent en leur faveur sont d'un caractère éminemment subjectif, et elles seront plus à leur place dans une discussion ultérieure, relative au degré de confiance qu'on peut accorder à l'interprétation donnée, par les personnes intéressées de leurs propres phénomènes. Mais au milieu de ces longues séries, se trouve l'histoire, pour ainsi dire exceptionnelle, d'Emmanuel Swedenborg. On sait que, dans ce cas, paraissent avoir existé des preuves objectives excellentes, aussi bien de clairvoyance et de télesthésie, que de communication avec des personnes décédées ; et nous ne pouvons que regretter que le philosophe Kant, qui était convaincu, en partie, du don supra-normal de Swedenborg , n'ait pas poussé plus loin une analyse qui valait au moins toutes les autres auxquelles, il avait appliqué son esprit supérieur. Mais, indépendamment de ces preuves objectives, le fait en lui-même était assez intéressant, pour arrêter plus longtemps l'attention. Il m'est impossible de discuter ici, le mélange bizarre que présentent les révélations de Swedenborg, de littéralisme servile et de spéculation exaltée, d'orthodoxie pédantesque et de hardiesse, qui lui permettait de regarder et de voir bien au-delà de ce qui était accessible à son époque. Il suffit de dire ici que, si Socrate a fait descendre la philosophie du ciel sur la terre, Swedenborg, dans un sens un peu différent, l'a de nouveau fait remonter au ciel, en créant la notion de la science du monde spirituel, aussi sérieusement, quoique d'une façon moins persuasive, que Socrate a créé l'idée de la science du monde tel que nous le connaissons. Swedenborg fut le premier à qui le monde invisible apparut, avant tout, comme un empire de lois, comme une région où règnent, non seulement l'émotion vague et l'adoration immobile, mais encore un progrès défini, résultant de relations définies entre causes et effets, de lois fondamentales, présidant à l'existence et aux rapports spirituels, que nous serons à même de saisir et de formuler un jour. Pour ma part, je ne considère Swedenborg ni comme un prophète inspiré, ni comme un commentateur digne de confiance de ses propres expériences, mais comme un précurseur illustre de cette grande science, à laquelle nous nous proposons d'apporter notre contribution.
Le pionnier suivant, heureusement encore vivant parmi nous, que je dois mentionner dans cette brève notice, est le célèbre physicien et chimiste, sir W. Crookes .
De même que Swedenborg a été le premier homme de science illustre qui ait nettement conçu le monde spirituel comme un monde de lois, de même sir W. Crookes a été le premier homme de science qui ait sérieusement, essayé de prouver par des expériences d'une précision scientifique, les influences réciproques qui existent entre le monde spirituel et le nôtre, et leur interpénétration continue. Mais, alors que Crookes se contenta d'établir certains faits supra-normaux, sans consentir à aller au-delà, il s'est trouvé un groupe de personnes qui ont fondé sur ces faits et d'autres analogues, un schéma de croyance connu sous le nom de spiritualisme moderne, ou spiritisme. Les chapitres qui suivent montreront tout ce que je dois aux observations faites par les membres de ce groupe, et on y verra en même temps que plus d'une fois, mes conclusions coïncident avec celles auxquelles ils sont arrivés antérieurement. Et pourtant, cet ouvrage constitue, dans une grande mesure, une réfutation critique du principal dogme spiritiste dont M. A.-R. Wallace est en ce moment, le partisan le plus illustre et, d'après lequel tous ou, presque tous les phénomènes supra-normaux, seraient dus à l'action d'esprits de personnes décédées. Je crois au contraire qu'ils sont dus, pour la plupart, à l'action d'esprits incarnés ; soit de celui du sujet lui-même, soit d'un agent quelconque. Mais, malgré les différences spéculatives qui nous séparent, je suis d'accord avec lui pour ne pas désirer que ce que je considère comme une branche de la recherche scientifique, découlant naturellement de nos connaissances actuelles, dégénère en une croyance sectaire. C'est, je crois, en grande partie à l'adhésion irraisonnée, dégénérant souvent en une crédulité aveugle, que nous devons le peu de progrès fait par la littérature spirite et les encouragements que les esprits scientifiques ont tiré d'un grand nombre de cas manifestement frauduleux, pour se déclarer hostiles à l'étude de phénomènes enregistrés et défendus par des moyens et procédés si contraires à la science. Je ne sais quel degré d'originalité et d'importance attribueront ceux qui viendront après nous à la contribution que nous avons apportée à la solution des problèmes dont il s'agit. Aux environs de 1873, alors que le matérialisme qui avait fini par envahir jusqu'à nos côtes était, pour ainsi dire, à son apogée, un petit groupe d'amis, réunis à Cambridge, ont acquis la conviction que les profondes questions en litige méritaient une attention et un effort plus sérieux que ceux qui leur ont été consacrés jusqu'ici. Je trouvais pour ma part qu'aucune tentative digne de ce nom n'a encore été faite pour déterminer si nous sommes capables ou non d'apprendre quelque chose concernant le monde invisible ; et j'ai acquis la conviction que, si quelque chose de ce monde pouvait être connu de façon que la science puisse adopter et maintenir cette connaissance, ce n'était ni à la suite de l'examen de la tradition, ni à l'aide de spéculations métaphysiques, mais tout simplement, par l'expérience et l'observation, par l'application aux phénomènes qui se passent en nous et autour de nous, des mêmes méthodes de recherche exacte, impartiale, réfléchie, auxquelles nous devons notre connaissance du monde visible et palpable. Quelques-uns de mes lecteurs d'aujourd'hui verront peut-être là un truisme, d'autres un paradoxe. Mais, truisme ou paradoxe, cette pensée rendait nécessaire un effort qui, à notre connaissance, n'a pas été fait avant nous. Les recherches qui s'imposaient ne pouvaient se borner à la simple analyse de documents historiques, ou des origines de telle ou telle révélation du passé. Ces recherches devaient porter avant tout, comme toute recherche scientifique au sens strict du mot, sur des faits objectifs réellement observables et, reposer sur des expériences que nous puissions répéter aujourd'hui, avec l'espoir de les dépasser demain. Il ne pouvait s'agir que de recherches basées, pour employer un terme ancien, sur l'hypothèse uniformiste, c'est-à-dire sur la proposition que, si un monde spirituel existe, et si ce monde a été, à une époque quelconque, susceptible de se manifester et d'être découvert, il doit en être de même de nos jours. C'est par ce côté et en partant de ces considérations générales que le groupe dont je faisais partie avait abordé le sujet. Nos méthodes, nos principes, tout était à faire. Faisant de notre mieux pour découvrir des preuves, réunissant autour de nous un petit groupe de personnes désireuses de nous aider dans la recherche des phénomènes obscurs concernant la nature et l'expérience de l'homme, nous avons été, à la fin, assez heureux pour découvrir sur un point défini et important, un accord entre les données expérimentales et les données spontanées. Nous avons été amenés à croire qu'elle n'était pas exempte de vérité, cette thèse qui depuis Swedenborg et les premiers mesméristes, a été formulée souvent, mais d'une façon superficielle et inefficace, et d'après laquelle des communications peuvent s'établir d'esprit à esprit, sans l'intermédiaire des organes des sens connus. Nous avons trouvé que le facteur, par l'intermédiaire duquel se produisaient les communications de ce genre, déjà susceptible d'être discerné à l'aide d'expériences appropriées dans des occasions ordinaires, semblait s'associer à un facteur plus actif et en tous cas, plus reconnaissable, se manifestant dans des moments critiques ou à l'heure de la mort.
Edmond Gurney, le collaborateur et ami inappréciable, dont la perte, en 1888, a été pour nous une source de découragement profond, avait exposé ces données dans un grand ouvrage, Phantasms ofthe Living, dans la préparation duquel, Podmore et moi n'avons joué qu'un rôle secondaire.  Les quinze années qui se sont écoulées depuis la publication de ce livre ont accru les données dont disposait Gurney et montré (j'ose l'affirmer), la valeur générale de l'ensemble de preuves et d'arguments qui ont servi de matériaux à son ouvrage. Elle est, en effet, d'une importance capitale, cette doctrine de la télépathie qu'on peut considérer comme la première loi qui s'offre à la curiosité humaine et qui, tout en opérant dans le monde matériel est, à mon avis tout au moins, une loi du monde spirituel ou méta-éthéré.  Je tâcherai de montrer au cours de cet ouvrage, sur des exemples nombreux, combien sont importantes les conséquences qui découlent de la doctrine des communications inter-spirituelles directes et supra-sensorielles. Parmi ces conséquences, la plus importante est le jour que jette cette découverte sur la nature intime de l'homme et, sur la possibilité de sa survivance après la mort.
Nous avons découvert graduellement que, les récits ayant trait aux apparitions au moment de la mort, et témoignant d'une communication supra-sensorielle entre le mourant et l'ami qui le voit, nous conduisent directement, sans aucune solution de continuité apparente, aux apparitions survenant après la mort de la personne vue, sans que le sujet ait eu connaissance de cette mort ; ces apparitions étant ainsi dues, non à l'émergence d'un souvenir latent, mais à l'action persistante de l'esprit de la personne décédée. La tâche qui nous incombait immédiatement après, était de collectionner et d'analyser les données de cette catégorie et de beaucoup d'autres, en vue de prouver la survivance spirituelle de l'homme. Mais, après avoir poursuivi cette tâche pendant quelques années, je me suis rendu compte que le passage de l'action de l'esprit incarné à celle de l'esprit désincarné était de nature à paraître trop brusque. Au fur et à mesure que s'accumulaient les preuves en faveur des apparitions, on se rendait compte que les apparitions de vivants formaient, avec les apparitions de morts, une série continue. Mais toute la masse de preuves qui, à première vue, tendaient à montrer la survivance de l'homme était d'un genre beaucoup plus complexe. Ces preuves consistaient par exemple, en grande partie, en manifestations parlées et écrites se traduisant par l'intermédiaire de la main et de la voix de la personne vivante, mais tendant à faire croire qu'elles tiraient leur origine d'un esprit désincarné. A ces manifestations prises dans leur ensemble, aucun critère satisfaisant n'a été appliqué jusqu'ici.
C'est en considérant les cas de ce genre que je vis clairement, qu'avant de pouvoir affirmer avec certitude que tel groupe de manifestations implique une influence d'outre-tombe, il était nécessaire de soumettre les facultés de la personnalité incarnée de l'homme, à une analyse plus profonde que celle dont les psychologues peu au courant des données nouvelles, les ont jugées dignes.
Ce ne fut que lentement et, comme poussé par la nécessité, que j'ai abordé une tâche qui, pour être remplie complètement, demandait des connaissances et des capacités au-delà de ce à quoi je pouvais prétendre. L'esquisse vraiment sommaire qui constitue le fruit de mes efforts n'est à mes yeux, qu'un essai préparatoire, précédant un traitement plus complet et plus profond du même sujet, que le nouveau siècle recevra, j'en suis convaincu, de mains plus compétentes. Ce livre aura déjà eu un grand succès s'il peut rapidement être dépassé par un meilleur ; car ce sera là une preuve que, je ne me trompais pas en affirmant que le traitement sérieux de ces questions n'est que le complément et la conclusion inévitables du processus lent par lequel, l'homme a successivement ramené dans le domaine de la science, tous les groupes de phénomènes accessibles, tous, sauf celui-ci.
J'aborde, sans autre préambule, l'examen des facultés humaines, telles qu'elles se manifestent dans les différentes phases de la personnalité, dans l'espoir d'en retirer des éléments qui nous permettront de mieux comprendre ces phénomènes peu connus. J'éviterai autant que possible dans cette discussion, tout ce qui est du domaine de la métaphysique ou de la théologie. J'éviterai la théologie parce que, ainsi que je l'ai déjà dit, je considère que, dans des arguments fondés sur l'expérience et l'observation, je n'ai pas le droit de faire appel à des considérations traditionnelles ou subjectives, quelle que soit leur importance. Pour des raisons à peu près analogues, je ne veux ni commencer l'exposé de l'idée de la personnalité par un résumé historique des opinions philosophiques que, différents penseurs ont professées relativement à ce sujet, ni spéculer moi-même sur des matières qui ne sont pas susceptibles d'une preuve objective. Je ne ferai que résumer aussi brièvement que possible, deux opinions sur la personnalité humaine, qui ne doivent pas être séparées, à savoir l'ancien point de vue du bon sens, qui est encore celui de la masse du genre humain, et le point de vue plus récent de la psychologie expérimentale, qui considère la personnalité humaine ou animale comme un ensemble composé ou « colonial ».
Le passage suivant, emprunté à un ouvrage autrefois très en faveur : « Essai sur les facultés intellectuelles de l'homme », par Reid, exprime le premier de ces points de vue : « La conviction que tout homme possède de son identité, aussi loin que remontent ses souvenirs, n'a pas besoin, pour être renforcé, du secours de la philosophie, et aucune philosophie n'est capable de l'affaiblir sans avoir déterminé au préalable, un certain degré de folie... Mon identité personnelle implique, par conséquent, l'existence continue de cette chose indivisible que j'appelle moi. Quel que soit ce moi, il est quelque chose qui pense, réfléchit, résout, agit et souffre. Je ne suis ni pensée, ni action, ni sentiment ; je suis quelque chose qui pense, agit et souffre. Mes pensées, actions et sentiments changent à tout moment ; ils ont une existence successive, non continue ; mais le moi auquel ils appartiennent est permanent et conserve une position invariable, à l'égard de toutes les pensées, de toutes les actions et de tous les sentiments qui se succèdent et que j'appelle miens...  L'identité d'une personne est une identité parfaite ; là où elle est réelle, elle n'admet pas de degrés et, il est impossible qu'une personne soit en partie la même, en partie différente, parce qu'une personne est une monade, c'est-à-dire indivisible. L'identité appliquée aux personnes ne souffre aucune ambiguïté, n'admet pas de degrés de plus ou de moins. Elle est la base de tous les droits et de toutes les obligations et, de toutes les responsabilités, et sa notion est fixe et précise.
Par opposition avec ce passage, nous citerons celui qui forme la conclusion de l'essai de M. Ribot sur « les maladies de la personnalité ».
C'est l'organisme et le cerveau, sa représentation suprême, qui est la personnalité réelle, contenant en lui les restes de tout ce que nous avons été et les possibilités de tout ce que nous serons. Le caractère individuel tout entier est inscrit là, avec ses aptitudes actives et passives, ses sympathies et antipathies, son génie, son talent ou sa sottise, ses vertus et ses vices, sa torpeur ou son activité. Ce qui en émerge jusqu'à la conscience est peu, au prix de ce qui reste enseveli, quoique agissant. La personnalité consciente n'est jamais qu'une faible partie de la personnalité physique.
L'unité du moi n'est donc pas, celle de l'entité une des spiritualistes, qui s'éparpille en phénomènes multiples, mais la coordination d'un certain nombre d'états, sans cesse renaissants, ayant pour seul point d'appui, le sentiment vague de notre corps. Cette unité ne va pas de haut en bas mais, de bas en haut, elle n'est pas un point initial, mais un point terminal.
Cette unité parfaite existe-t-elle ? Au sens rigoureux, mathématique, évidemment non. Au sens relatif, elle se rencontre rarement et en passant. Chez un bon tireur qui vise ou, un habile chirurgien qui opère, tout converge physiquement et mentalement. Mais notons le résultat ; dans ces conditions, le sentiment de la personnalité réelle disparaît, l'individu conscient étant réduit à une idée, en sorte que, la parfaite unité de conscience et le sentiment de la personnalité s'excluent.  Nous revenons, par une autre voie, à la même conclusion : le moi est une coordination. Il oscille entre ces deux points extrêmes où il cesse d'être : l'unité pure, l'incoordination absolue.
Le dernier mot de tout ceci, c'est que le consensus de la conscience, étant subordonné au consensus de l'organisme, le problème de l'unité du moi est, sous sa forme intime, un problème biologique.  A la biologie d'expliquer, si elle le peut, la genèse des organismes et la solidarité de leurs parties. L'interprétation psychologique ne peut que la suivre . »                                              
Voici deux manières de voir, dont une suggérée par notre conscience interne, l'autre par l'observation, qui n'admet pas de réplique et, paraissant incompatibles. Les partisans de la notion: « le moi est une coordination », c'est-à-dire de la psychologie expérimentale, ont franchement abandonné toute notion d'unité, de vie indépendante de l'organisme, d'âme humaine en un mot.  Les partisans de l'unité du moi, d'un autre côté, s'ils n'ont pas toujours été suffisamment explicites dans leur négation de l'opinion opposée, se sont contentés de l'ignorer. Aucun effort, que je sache, n'a été fait pour réconcilier les deux opinions opposées, par une synthèse plus profonde. Et si je crois avoir fait dans le présent ouvrage, un effort dans cette direction-là, ce n'est pas en rapiéçant les vieux arguments métaphysiques usés. C'est là une besogne dont je n'aurais pas été capable mais, j'ai tout simplement pensé que nous étions en possession de nouvelles données, qui permettent de considérer la question sous un jour nouveau et même, de clore la controverse immédiate par un jugement en faveur des deux parties, plus décisif que celui qu'on pouvait espérer. D'un côté et, en faveur des partisans de la coordination, on peut dire que toute leur décomposition du moi, en ses éléments constitutifs, tout ce qu'ils invoquent d'observation positive et d'expérience objective, doit être maintenu sans réserves. Laissons-les pousser leur analyse aussi loin qu'ils voudront, laissons-les descendre, s'ils le peuvent, jusqu'à ces derniers et infinitésimaux éléments psychiques dont est faite la structure complexe, composite, «coloniale » de l'homme. Ils auront fait là un travail qui aura de la valeur et de l'importance. Seules les conclusions négatives de cette école se trouveront fortement entamées. Une recherche plus profonde, plus hardie dans la direction même qu'ils préconisent, montre qu'ils se sont trompés en affirmant que, l'analyse ne prouvait l'existence d'aucune faculté au-delà de celles que la vie terrestre, telle qu'ils la conçoivent, est capable de produire et le milieu terrestre d'utiliser. Car, en réalité, l'analyse révèle les traces d'une faculté que la vie  matérielle ou planétaire n'aurait jamais pu engendrer et dont, les manifestations impliquent et font nécessairement supposer l'existence d'un monde spirituel.
D'un autre côté, et en faveur des partisans de l'unité du moi, on peut dire que les données nouvelles sont de nature à fournir, à leurs prétentions, une base beaucoup plus solide et, une preuve présomptive dépassant en force, toutes celles qu'ils auraient jamais pu imaginer ; la preuve notamment que le moi peut survivre et survit réellement, non seulement aux désintégrations secondaires qui l'affectent au cours de sa vie terrestre, mais encore, à la désintégration ultime qui résulte de la mort corporelle. En présence de cette confirmation inespérée de leur rêve le plus cher, ils peuvent bien se résigner à sacrifier la conception intenable et plus étroite du moi unitaire, qui a été tout ce que la « philosophie du sens commun ait osé affirmer ». Le « moi conscient » de chacun de nous ou, comme je l'appellerais plus volontiers, le moi empirique ou supra-liminal, est loin de comprendre la totalité de notre conscience et de nos facultés. Il existe une conscience plus vaste, des facultés plus profondes, dont la plupart restent virtuelles en ce qui concerne la vie terrestre, dont la conscience et les facultés de la vie terrestre ne se sont dégagées, qu'à la suite d'une sélection et qui s'affirment de nouveau dans toute leur plénitude après la mort.
J'ai été amené à cette conclusion, qui a revêtu pour moi sa forme actuelle, il y a 14 ans environ, lentement, à la suite d'une longue série de réflexions basées sur des preuves, dont le nombre allait en augmentant progressivement. C'est là une conception qui, jusqu'ici, a été considérée comme purement mystique et, si je m'applique à lui donner une base scientifique, je n'aurai certainement pas la chance de pouvoir la formuler en termes définitifs, ni de l'appuyer, à l'aide des meilleurs arguments qu'une expérience plus longue est seule capable de fournir. Mais la valeur de cette conception ressortira aux yeux du lecteur, grâce à la succession des différentes preuves exposées dans ce livre.
Les critiques qui ont été formulées jusqu'ici contre ma conception, ne me paraissent pas assez décisives, pour m'inspirer le moindre doute quant a son bien fondé. « Normalement tout au moins, dit un critique, résumant en quelques mots l'opinion courante, toute la conscience que nous avons, à un moment donné, correspond à toute l'activité qui, au même moment, s'accomplit dans le cerveau. Il existe un état conscient unitaire qui accompagne toutes les excitations cérébrales simultanées et, chaque portion du processus cérébral contribue à la constitution de cet état. Aucun des processus cérébraux n'est capable de se séparer du reste et d'avoir sa propre conscience. » Ceci est sans doute la donnée apparente de la conscience, mais rien de plus. Et nous avons déjà montré que les données de la conscience ont besoin de plus de rectifications que ne le croit l'observateur ordinaire et, nous n'avons sûrement pas le droit de considérer la conscience comme renfermant plus que ce que nous sentons, d'admettre, par exemple, qu'il puisse être prouvé, qu'une conscience séparée au sein de notre organisme n'existe pas, pour cette simple raison que nous n'en savons rien.
Mais, à mesure qu'elle revêt une expression plus scientifique, cette conception de la conscience unitaire tend à devenir moins forcée. Elle repose sur cette principale conviction de l'homme, qu'il est un ; et cette conviction, la psychologie expérimentale tend à l'affaiblir et la rétrécir, en admettant la coexistence de degrés de conscience localisés dans le cerveau, qui ne sont pas, en tous cas, réductibles à un état unique. Ceux-là mêmes qui voudraient s'arrêter en deçà de la position que j'occupe, éprouvent le besoin de recourir à des métaphores, pour exprimer les différents courants de perceptions que nous sentons coexister en nous. Ils parlent de « marges » de la conscience ordinaire, d'associations «marginales », de perception occasionnelle de «courants de faible intensité ». Toutes ces métaphores peuvent avoir leur utilité, dans un domaine où la métaphore constitue notre seul mode d'expression mais, aucune d'elles ne couvre les faits réunis jusqu'à ce jour. Et d'un autre côté, je n'ai pas besoin de le dire, il existe une foule de phrases qui posent les questions de l'âme et du corps, de l'esprit propre de l'homme et des esprits extérieurs, en des termes qui ne sont rien moins que scientifiques. Nous avons besoin d'un terme d'une application plus vaste et reposant sur le moins de suppositions possible. Et un pareil terme n'est pas difficile à trouver.
L'idée du seuil  de la conscience d'un niveau, qu'une pensée ou une sensation doit dépasser pour entrer dans la vie consciente, est aussi simple que familière. Le mot subliminal qui signifie « ce qui est au-dessous du seuil », a été déjà employé pour désigner les sensations trop faibles pour être discernées individuellement. Je propose d'étendre le sens de ce terme, de façon à l'employer pour désigner tout ce qui se trouve au-dessous du seuil ordinaire ou, si l'on préfère, en dehors de la limite ordinaire de la conscience ; non seulement ces stimulations faibles, dont la faiblesse même fait qu'elles restent, pour ainsi dire, submergées, mais beaucoup d'autres choses encore que la psychologie actuelle reconnaît à peine ; des sensations, des pensées, des émotions, qui peuvent être fortes, définies et indépendantes, mais qui, en vertu de la constitution même de notre être, émergent rarement dans ce courant supra-liminal de notre conscience que nous identifions avec nous-mêmes. Comme j'admets (et j'essaierai de justifier mon opinion au cours de cet ouvrage), que ces émotions et pensées submergées possèdent les mêmes caractères que ceux que nous associons avec la vie consciente, je me croirai autorisé à parler de conscience subliminale ou ultra-marginale qui, ainsi que nous le verrons, se manifeste par exemple par des phrases parlées ou écrites, aussi complexes et aussi cohérentes qu'on les dirait dictées par la conscience supra-liminale. Comme je considère, en outre, que cette conscience subliminale ou ultra-marginale est loin d'être discontinue ou intermittente, que non seulement il existe des processus subliminaux isolés comparables aux processus supra-liminaux isolés (comme lorsqu'un problème est résolu pendant le rêve d'après un procédé inconnu), mais qu'il existe, en outre, une chaîne continue de souvenirs subliminaux (ou peut-être plus d'une chaîne), impliquant le même genre de reviviscence individuelle et persistante d'impressions anciennes et de réponses à des impressions nouvelles, que celui qui caractérise ce que nous appelons ordinairement le moi, je me croirai autorisé à parler de moi subliminaux ou plus brièvement d'un moi subliminal. En employant ces termes, je ne prétends nullement affirmer qu'il existe toujours en nous, deux moi corrélatifs et parallèles. Je désigne plutôt, par le moi subliminal, cette partie du moi qui reste ordinairement subliminale et, j'admets qu'il peut y avoir, non seulement coopération entre ces deux courants de pensée quasi indépendants, mais aussi, des changements de niveau et des alternances de la personnalité, de sorte que ce qui se trouvait au-dessous de la surface, peut arriver à la surface et s'y maintenir, d'une façon provisoire ou permanente. Et je considère, enfin, que tout moi dont nous pouvons avoir connaissance, n'est en réalité autre chose qu'un fragment d'un moi plus vaste, révélé d'une façon à la fois modifiée et limitée, par un organisme qui n'en permet pas la manifestation pleine et complète.
Or, cette hypothèse se trouve manifestement exposée à deux principales objections qui se neutralisent, jusqu'à un certain degré. D'un côté, elle a été attaquée, ainsi que nous l'avons déjà dit, comme dépassant, outre mesure, les faits sur lesquels elle prétend s'appuyer, comme attribuant à des moments transitoires de l'intelligence subconsciente, une continuité et une indépendance plus grandes qu'ils ne possèdent en réalité. Ces rides qui se produisent à la surface peuvent s'expliquer, dira-t-on, sans qu'on soit obligé d'admettre l'existence de sources et de courants dans les couches profondes de la personnalité. Mais, nous rencontrerons bientôt, un groupe de phénomènes qui nous montrera que ces émergences subliminales, les impulsions et les communications qui arrivent des couches profondes de la personnalité à ses couches superficielles, diffèrent souvent par leur qualité, de tout élément connu de notre vie supra-liminale ordinaire. Elles en diffèrent en ce qu'elles impliquent une faculté dont nous n'avons eu aucune connaissance précédemment et, se produisent dans un milieu dont nous n'avons eu jusqu'ici aucune idée. Tout mon ouvrage a pour but de justifier cette vaste affirmation. En admettant ici l'exactitude pour les besoins de la cause, nous verrons tout de suite que, le problème du moi latent change entièrement d'aspect. La télépathie et la télesthésie, la perception de pensées et de scènes éloignées, sans l'intermédiaire des organes des sens connus, suggèrent soit une extension incalculable de nos facultés mentales, soit une influence exercée sur nous par des esprits plus libres et, moins entravés que le nôtre. Et cette deuxième hypothèse, qui voudrait expliquer tous ces phénomènes supra-normaux par l'action d'esprits désincarnés, semble à première vue simplifier le problème et, a été développée par M A. R. Wallace et autres, au point d'éliminer l'hypothèse gratuite et encombrante, d'après lui, d'un moi subliminal.
Il apparaîtra clairement, je l'espère, au cours de cet ouvrage, que l'hypothèse d'une intervention et d'une direction spirituelles presque continues, devient en effet nécessaire, dès qu'on refuse à l'homme, les facultés subliminales dont j'affirme l'existence. Et ma conception d'un moi subliminal apparaîtra, en même temps, non extravagante et inutile, mais, comme une hypothèse limitante et rationaliste, si on l'applique aux phénomènes qui, au premier abord suggèrent, en effet, l'opinion plus extrême de M. Wallace mais, que j'explique par l'action de l'esprit propre de l'homme, sans invoquer l'intervention d'esprits étrangers au sien. Je ne veux pas dire que l'explication que je propose soit applicable à tous les cas, ni qu'elle implique l'exclusion complète de l'hypothèse des esprits. Ces deux opinions, au contraire, s'appuient et se corroborent mutuellement car, ce pouvoir de communication à distance existe, lors même que nous l'attribuerions à notre propre moi subliminal. Nous pouvons, dans ce cas, nous affecter mutuellement à distance, télépathiquement ; et si nos esprits incarnés peuvent agir ainsi d'une façon indépendante, en apparence tout au moins, de l'organisme charnel, nous avons là une présomption en faveur de l'existence d'autres esprits indépendants des corps et, susceptibles de nous affecter de la même manière.
Bref, l'hypothèse très débattue de l'intervention spirituelle, apparaît toujours derrière celle du moi subliminal mais, cette hypothèse intermédiaire doit paraître utile aux partisans de chacune des deux autres hypothèses, ne serait-ce qu'au début d'une étude qui promet d'être très longue. Ceux qui se refusent à admettre l'action de facteurs autres que les esprits des personnes vivantes, seront obligés de se former une opinion aussi haute que possible, des facultés tenues en réserve par ces esprits, alors qu'ils sont encore en vie. Quant à ceux qui croient à l'influence d'esprits désincarnés, notre hypothèse leur fournit un point de transition et donne à la leur, une intelligibilité provisoire.
Les spéculations de ce genre rendent l'étude que nous abordons particulièrement intéressante.  Mais, indépendamment de son importance en ce qui concerne les preuves de la vie future, l'étude ultérieure de notre mentation submergée, de ces processus qui s'accomplissent en nous et dont nous ne saisissons que des lueurs indirectes, pour ainsi dire réfractées, paraît à l'époque actuelle, spécialement exigée par l'esprit de la science moderne. Les recherches de ces dernières années nous ont montré sur quelle base changeante et complexe, faite d'expériences ancestrales, repose la vie individuelle de chacun de nous. En récapitulation, en résumé, en symbole nous retraversons, de l'embryon à l'organisme achevé, toute l'histoire de la vie sur la terre depuis des millions d'années. Au cours de nos adaptations à des milieux de plus en plus vastes, il a dû se produire un déplacement continu du seuil de la conscience, consistant dans la submergence de ce qui se trouvait autrefois à la surface même de notre être. A chaque phase donnée de notre évolution, notre conscience n'est qu'une ride phosphorescente d'une mer insondable. Et, comme une ride, elle n'est pas seulement superficielle, mais encore, diverse et changeante. Notre unité physique est fédérative et instable ; elle est née d'accumulations irrégulières datant d'un passé fort lointain, - aujourd'hui encore, elle est faite d'une collaboration limitée de groupes multiples. Les anciens psychologues trouvaient le moyen d'ignorer ces discontinuités et incohérences du moi. Mais l'enfance, l'idiotie, le sommeil, la folie, la décadence, ces arrêts et stagnations dans le courant de la conscience, étaient toujours là pour nous montrer, avec plus de force que n'auraient pu le faire les analyses les plus délicates, que la première conception de la personnalité humaine continue et unitaire, était complètement erronée et que, s'il y avait réellement une âme inspirant le corps, cette âme devait être cherchée bien au-dessous de ces conditions corporelles qui en entravent et obscurcissent les manifestations.
La différence entre l'ancienne et la nouvelle conception, relative au principe unifiant ou à l'âme (à supposer que l'âme existe), considérée comme se manifestant à travers les limitations corporelles, ressemble à la différence qui existe entre l'ancienne et la nouvelle conception, relativement à la façon dont le soleil se manifeste à nos sens. La nuit, les nuages orageux et les éclipses ont été connus depuis les temps les plus primitifs ; mais aujourd'hui, l'homme sait que même à midi, le rayon solaire qui l'éclaire, décomposé par un prisme, présente des bandes et des raies plus ou moins obscures et, il a appris en même temps que, tandis que le spectre semble s'effacer, chacun de ses bouts pour dégénérer en ce qui nous paraît être l'obscurité complète ; il s'étend en réalité plus loin et renferme des rayons en nombre illimité que nous n'avons pas encore découverts.
Il ne me paraît pas sans intérêt de développer un peu cette analogie. Je comparerai les progrès successifs réalisés par l'homme dans la connaissance de lui-même, à son déchiffrement graduel des mystères de la nature et de la signification de la lumière solaire, qui lui arrive sous forme d'un mélange indivisible de lumière et de chaleur. C'est ainsi que, la vie et la conscience, la sensation d'un monde en dedans de lui et d'un monde en dehors de lui, parviennent à l'enfant dans un mélange indivisible, d'un éclat pénétrant. L'analyse optique décompose le rayon blanc en une multitude de rayons colorés qui le composent. De même, l'analyse philosophique décompose la conscience vague de l'enfant en plusieurs facultés, en plusieurs sens externes, en plusieurs modes de pensée internes. C'est à la psychologie descriptive et introspective que nous devons ce résultat.  La psychologie expérimentale pousse l'analyse plus loin. Dans le spectre solaire et dans les spectres stellaires existent de nombreuses lignes ou bandes noires, dues à l'absorption de certains rayons par certaines vapeurs répandues dans l'atmosphère du soleil, de la terre ou des étoiles. De même, le spectre de nos sensations et facultés présente des inégalités, permanentes ou temporaires, de clarté et de netteté. Notre atmosphère mentale est obscurcie par des vapeurs et illuminée par des flammes, le degré d'obscurcissement et d'illumination variant selon les époques.  Le psychologue qui observe par exemple les modifications produites par l'alcool dans la durée des réactions ressemble au physicien qui recherche les lignes qu'obscurcit l'interposition de vapeurs spéciales. Notre connaissance du spectre de notre conscience devient ainsi, de plus en plus exacte et détaillée. Mais, pour reprendre une fois de plus le côté physique de notre analogie, nous observons que notre connaissance du spectre solaire visible, quelque détaillée qu'elle soit, n'est qu'une introduction à une connaissance plus parfaite, que nous espérons acquérir un jour, en ce qui concerne les rayons solaires. Les limites de notre spectre ne tiennent pas au soleil qui brille mais, à l'oeil qui en perçoit l'éclat.
Au-delà de chacun des bouts du ruban prismatique existent des ondulations de l'éther dont notre rétine n'a aucune perception. Au-delà de la partie rouge se trouvent des ondes que nous percevons encore, mais en tant que chaleur, non en tant que lumière. Les ondes situées au-delà de la partie violette sont plus mystérieuses encore ; elles sont restées insoupçonnées pendant des siècles et leurs propriétés intimes ne sont encore connues que d'une façon très obscure. De même, au-delà de chacun des bouts du spectre de notre conscience, s'étend un groupe de perceptions et de facultés qui dépassent celles que nous connaissons et, qu'on ne devine encore, que d'une façon très indistincte. Les artifices de la physique moderne ont agrandi, dans chaque direction, le spectre visible, tel qu'il était connu à Newton. La tâche de la psychologie moderne consiste à découvrir des artifices permettant d'agrandir, dans chaque direction, le spectre de la conscience tel qu'il était connu à Platon ou à Kant. Les phénomènes cités dans cet ouvrage sont aux phénomènes déjà connus, ce que la fluorescence est à la partie violette du spectre. Les «rayons X » du spectre psychique sont encore à découvrir.
Notre analogie, disons-le tout de suite, est très imparfaite. L'ensemble des facultés humaines ne peut être exprimé dans une forme linéaire. Même un schéma à trois dimensions, un rayonnement de facultés d'un centre de la vie, ne rendra qu'imparfaitement sa complexité. Cependant, cette image mentale rudimentaire est déjà de nature à nous apporter quelque clarté, en représentant les facultés humaines conscientes, sous forme d'un spectre linéaire dont le contrôle des mouvements musculaires volontaires et des sensations organiques, correspond à la partie rouge du spectre solaire, tandis que le point où l'effort suprême de la pensée et de l'imagination se dissipe en rêverie et en extase, correspond au point du spectre solaire où commence à se dissiper le violet. Tout nous porte à croire que, chacun des bouts de ce spectre présente un prolongement important. Au-delà du bout rouge, nous le savons déjà, s'étendent certaines facultés vitales.
Nous savons que des processus organiques s'accomplissent constamment en nous, qui échappent à notre contrôle mais, qui forment la base de notre existence physique. Nous savons que les limites habituelles de notre activité volontaire, peuvent être dépassées sous l'influence d'une excitation forte. Nous ne devons donc pas trouver étonnant que des artifices appropriés, hypnotisme ou autosuggestion, augmentent encore davantage le pouvoir que possède notre volonté sur notre organisme.
Les facultés situées au-delà du bout violet de notre spectre psychologique demandent un examen plus délicat et sont moins évidentes. L'énergie actinique qui se manifeste au-delà de la portion violette du spectre solaire, exerce sur notre monde matériel, une influence moins évidente que la chaleur obscure qui se dégage au-delà de la portion rouge. On peut dire de même que l'influence des facultés ultra-intellectuelles ou supra-normales sur notre bien-être, en tant qu'organismes terrestres, est moins marquée dans la vie ordinaire que l'influence des facultés organiques ou sub-normales. Mais, c'est ce dernier prolongement de notre spectre qui mérite, de notre part, la plus grande attention. C'est ici que notre étude nous fera découvrir des horizons cosmiques et, ouvrira devant nous, un chemin infini.
Les premières phases de ce progrès sont elles-mêmes longues et compliquées et, il ne serait pas inutile de conclure ce chapitre introductif par une brève indication des principales étapes qui forment notre route tortueuse. Je m'attacherai à conduire mes lecteurs, par des transitions aussi variées et aussi graduelles que possible, des phénomènes considérés comme normaux, à ceux qui passent pour être supra-normaux, mais qui, tout comme les autres, sont purement et simplement des effets et des manifestations nécessaires de la loi universelle.
Notre étude commencera naturellement, par la discussion de la structure subliminale, à l'état de santé et à l'état de maladie, de ces deux phases connues de la personnalité humaine: la veille et le sommeil. Je considérerai ensuite, la façon dont à la désintégration de la personnalité par la maladie, correspond sa réintégration et sa modification intentionnelle par l'hypnotisme et l'autosuggestion. Entre temps, nous en aurons suffisamment dit des phénomènes subliminaux en général, pour pouvoir traiter séparément leurs différents groupes. Je m'occuperai ensuite de leur mode de manifestation automatique et, avant tout , de l’automatisme sensoriel qui est à la base des hallucinations. Nous trouverons ici des phénomènes qui semblent tirer leur origine d'un esprit extérieur à celui de l'automate. Et nous montrerons que cette origine doit souvent être cherchée dans les esprits d'autres personnes vivantes, ce qui nous amènera à passer en revue les différentes formes de télépathie. Mais la conception de la télépathie n'est pas telle  qu'elle doive de par sa nature, être limitée aux esprits incarnés et, nous aurons des preuves en faveur de l'existence de communications directes entre des esprits incarnés d'un côté et des esprits désincarnés de l'autre . Le reste du livre sera consacré à la discussion des moyens et des résultats de ces communications supra-normaux.
CHAPITRE II - LES DÉSINTÉGRATIONS DE LA PERSONNALITÉ

Nous savons, de façon certaine, que l'humanité a traversé des âges et subi des transformations innombrables. Nous savons aussi que ces transformations se continuent toujours et se continueront même avec une rapidité croissante, pendant une période en comparaison avec laquelle, toute notre histoire connue semble se réduire à un moment de durée.
Il est impossible de prévoir quels seront ces changements à venir. La plupart d'entre eux sont pour nous, aussi inconcevables que devait l'être la vue pour nos ancêtres aveugles. Tout ce que nous pouvons faire, c'est de noter, dans la mesure du possible, les lois fondamentales des changements accomplis jusqu'ici et, de prévoir que pendant un temps donné, les changements ultérieurs se produiront dans un sens analogue.
Tout homme est à la fois profondément unitaire et infiniment complexe ; il hérite de ses ancêtres terrestres, un organisme multiple et, pour ainsi dire « colonial », polyzoïque et peut-être aussi, poly-psychique au plus haut degré mais, en même temps, une âme ou un esprit absolument inaccessible à nos moyens actuels d'analyse et, qui dirige et unifie cet organisme ; âme qui a pris naissance dans un milieu spirituel ou méta-éthéré, et qui, lors même qu'elle est incarnée dans un corps, reste en communication avec ce milieu et y retourne après la mort corporelle.
Il nous est impossible de nous représenter la façon dont la vie individuelle de chaque cellule de notre corps est rattachée à l'unité de la vie centrale qui contrôle le corps dans son ensemble. Mais, cette difficulté ne tient en aucune façon à l'hypothèse d'une âme séparée et persistante. Il n'existe pas d'hypothèse capable de nous expliquer la collaboration et la subordination des vies cellulaires d'un animal multicellulaire. Ce phénomène reste aussi mystérieux chez l'étoile de mer que chez Platon ; et les « huit cerveaux d'Aurélia», avec leur vie individuelle et commune, sont aussi inconcevables que la vie des phagocytes qui habitent les veines du philosophe, dans leurs rapports avec la pensée centrale.
Je considère, pour ma part, que l'ancienne hypothèse d'une âme incluse dans l'organisme, le possédant et s'en servant mais, présentant un rapport réel, quoique obscur, avec les différents groupements conscients, disparates d'une façon plus ou moins apparente et, manifestant leur existence en connexité avec l'organisme et avec des groupements plus ou moins localisés de la matière nerveuse, que cette hypothèse donc, n'est ni plus obscure, ni plus embarrassante que n'importe quelle autre de toutes celles proposées jusqu'à ce jour. Je prétends même qu'elle peut être prouvée — et pour moi cette preuve est déjà faite — par l'observation directe. Il est prouvé pour moi, que certaines manifestations d'individualités centrales, associées actuellement ou intérieurement à des organismes définis, ont été observées indépendamment de ces organismes, soit durant la vie de ces derniers, soit après leur mort. Mais, que ce fait soit ou non suffisamment prouvé, il ne se trouve en désaccord avec aucun principe scientifique, ni aucun fait établi ; il paraît plutôt probable qu'une observation continue finira par en fournir une preuve suffisante. La thèse négative, au contraire, est une thèse dont l'équilibre est instable ; elle ne peut être prouvée d'une façon absolue par des arguments négatifs, quel qu'en soit le nombre et, peut au contraire, être absolument réfutée par un seul argument positif. Elle jouit peut-être à présent d'une plus grande faveur scientifique mais, ne possède aucune autorité vraiment scientifique à l'égard de l'opinion que nous défendons.
Laissant pour le moment ces questions de côté, nous pouvons admettre que l'organisme, tel que nous l'observons dans la vie commune, loin de présenter une unité complète et invariable, constitue plutôt une hiérarchie complexe de groupes cellulaires exerçant des fonctions vaguement délimitées et, fonctionnant simultanément avec une précision inégale, une harmonie modérée, un succès favorable. Rien ne nous prouve que ces puissances fonctionnent simultanément d'une façon parfaite. Notre sentiment de santé n'est qu'une synthèse grossière de ce qui se passe en nous. Il est, en effet, impossible d'imaginer un état idéalement permanent d'un organisme en équilibre instable, toujours en mouvement, dont la vie est constituée par l'explosion de composés instables et, qui cherche toujours à atteindre de nouvelles fins aux dépens des anciennes.
Nous abordons la description des troubles et des désintégrations de la personnalité. Mais, le lecteur qui veut bien me suivre, doit avoir présent à l'esprit, le point de vue auquel je me place en écrivant ce livre. Le but de mon analyse n'est pas de détruire mais de compléter ou plutôt, de montrer que l'observation de la façon dont la personnalité tend à se désintégrer, est de nature à suggérer des méthodes susceptibles de favoriser son intégration plus complète.
Ces améliorations des conditions naturelles de l'organisme ne sont pas chose inconnue. De même que l'étude de l'hystérie se rapporte simplement aux instabilités du seuil de la conscience, de même l'étude des maladies zymotiques se rapporte principalement aux instabilités dans la constitution du sang. Le but ordinaire du médecin est d'arrêter ces instabilités, de remplacer le sang vicié par du sang normal. Mais, le but du biologiste expérimentateur va plus loin : il se propose de fournir à l'homme, un sang meilleur que celui qui lui a été donné par la nature, d'extraire du virus un élément dont l'infusion dans les veines soit susceptible de prémunir contre les invasions microbiennes. De même que l'adulte, grâce à son développement plus avancé, est plus préservé contre ces invasions que l'enfant, de même l'adulte immunisé est plus préservé que l'homme ordinaire. Les changements qui se sont produits dans son sang, avec sa maturité, le préservent contre la coqueluche. Les changements qui se produisent dans son sang, à la suite d'une injection d'antitoxine, le préservent temporairement contre la diphtérie. Nous avons donc amélioré la nature et notre procédé a été prophylactique ayant, en quelque sorte, anticipé sur l'évolution.
Pourquoi la psychologie expérimentale n'aboutirait-elle pas à des résultats analogues ? Mais avant d'aborder la discussion du phénomène de désintégration de la personnalité, nous devons nous entendre sur le sens que nous donnerons au mot conscience. Lorsque, notamment, nous considérons comme conscients, des actes autres que les nôtres, nous le faisons, soit parce que ces actes nous paraissent complexes, c’est-à-dire accomplis dans un certain but, soit parce que nous savons qu'ils sont susceptibles de passer à l'état de souvenir. C'est ainsi que le tireur ou le joueur d'échecs nous paraissent pleinement conscients ; c'est ainsi encore que nous disons d'un homme qui paraissait avoir perdu connaissance à la suite d'un coup reçu sur la tête qu'il était, en réalité, resté tout le temps conscient, car il se rappelait ensuite les moindres incidents. La mémorabilité d'un acte constitue, en effet, une meilleure preuve de son caractère conscient que sa complexité. On a refusé la conscience aux sujets hypnotisés et aux chiens ; mais il est plus facile de prouver l'état conscient d'un sujet hypnotisé que celui d'un chien, car le premier, tout en étant capable d'oublier à son réveil les incidents qui se sont déroulés pendant qu'il était en état d'hypnose, peut s'en souvenir pendant l'état suivant et, être exercé de façon à pouvoir s'en souvenir à l'état de veille, tandis qu'il nous est difficile de conclure de la complexité des actes du chien, dans quelle mesure il a conscience de ces actes. Dans le cas du chien, le souvenir des actes passés constituerait la meilleure preuve, et cependant, alors que tout le monde admet que notre propre mémoire, largement parlant, est une preuve de notre conscience passée, peu de personnes admettront qu'il puisse en être de même de la mémoire du chien. Sans doute, disent-ils, l'organisme du chien répond d'une manière différente à chaque répétition du même stimulus, mais ce fait s'observe plus ou moins chez tous les organismes vivants et même, dans des portions d'organisme et, pour des actes que tout le monde s'accorde à reconnaître comme totalement dépourvus de conscience.
La conception de la conscience a donc besoin d'être élargie. Les premières réflexions que les hommes ont faites au sujet de la conscience ont eu un caractère purement moral ou légal et, avaient pour but de déterminer si, à un moment donné, tel homme était ou non responsable de ses actes devant le tribunal humain ou divin. Le sens commun paraissait encourager cette méthode de démarcation définie ; nous jugeons facilement, au point de vue pratique, si tel homme est conscient ou non, sans tenir compte des états intermédiaires. Mais du moment que le problème est considéré comme étant d'essence psychologique, justiciable de l'observation et de l'expérience, cette ligne de démarcation s'efface au point de disparaître et, nous en arrivons à considérer la conscience comme un attribut général, caractérisant à un degré plus ou moins prononcé, tous les états de la vie animale et végétale, comme la contre-partie psychique de la vie et de toute existence phénoménale. Tout acte ou état peut donc être considéré comme conscient lorsqu'il est virtuellement mémorable, lorsque le sujet est capable de s'en souvenir dans des circonstances déterminées. Que ces circonstances se présentent pendant que le sujet est incarné sur cette planète ou non, peu importe : nous sommes incapables de nous rappeler, ici-bas, la plus grande partie de nos songes et, il est à présumer que ces songes disparus de notre mémoire ne sont pas moins conscients que ceux qui l'envahissent lorsque nous nous réveillons brusquement. Certains sujets hypnotisés, chez lesquels la suggestion réveille la mémoire de leurs songes, se rappellent apparemment des songes restés latents jusqu'alors, avec la même facilité que ceux dont ils ont toujours gardé le souvenir. Et nous pourrions citer de nombreux autres exemples de souvenirs apparus d'une façon inattendue et, se rapportant à des expériences et à des actes qu'on croyait disparus complètement de la mémoire. Nous sommes, je crois, autorisés à tirer cette conclusion négative : rien ne prouve que ce que nous appelons notre conscience centrale diffère totalement de nature de la conscience plus petite dont elle semble issue, en quelque sorte.  Je crois, pour ma part, que la différence qui existe entre ces deux variétés de conscience n'est pas négligeable mais, cette différence ne repose nullement sur nos sensations subjectives. Nous devons aborder l'étude de la multiplication ou du dédoublement de la personnalité, sans aucune idée  préconçue, contre la possibilité d'un certain arrangement ou d'une certaine division de la somme totale de notre conscience.
Mais, avant de nous représenter la façon dont se produit la désintégration de la somme totale de conscience, il serait bon de se faire une idée sur la façon dont s'est produite son intégration. Mais ici, nous nous trouvons en face d'une difficulté dont l'origine remonte au moment même où l'être uni-cellulaire s'est transformé en un organisme pluricellulaire. Si la façon dont une simple cellule est capable de se maintenir et conserver son unité constitue pour nous un mystère, le fait de la réunion de plusieurs cellules, en vue d'une vie commune et indépendante, est un mystère plus grand encore. Dans l'unité collective de certaines « colonies animales » nous avons une sorte d'esquisse ou de parodie de notre propre existence complexe. Des intelligences supérieures peuvent nous considérer tout comme nous considérons les hydrozoaires, c'est-à-dire comme des créatures composées de différentes « personnes » : une « personne hydriforme » qui se nourrit, une « personne médusiforme » chargée de la propagation de l'espèce et ainsi de suite ; autant d'éléments de l'animal, différenciés en vue de fins différentes se trouvant, d'un côté dans un rapport de dépendance mutuelle, comme notre cerveau et notre estomac, capables d'un autre côté de  mener chacun une existence séparée et, susceptibles d'une régénération indépendante. A mesure que nous montons dans l'échelle animale, les organismes deviennent, quoique d'une façon moins apparente, de plus en plus compliqués et, nous trouvons chez l'homme, l'expression la plus parfaite à la fois, de la complexité coloniale et du contrôle centralisé.
J'ai à peine besoin de dire que, en ce qui concerne la nature intime de cette étroite coordination, de ce gouvernement central, la science se trouve pour le moment, très insuffisamment renseignée. Il est possible, dans une certaine mesure, de suivre l'évolution et la complication progressive du mécanisme nerveux ; mais, quant à savoir comment ce mécanisme est gouverné, en vertu de quelle tendance se trouve réalisée son unité, où réside cette dernière et, quel rapport existe entre elle et les différentes parties de l'organisme pluricellulaire : ce sont là des problèmes concernant la nature de la vie, problèmes dont la solution n'est pas encore connue.
Je considère que la clef de cette solution ne pourra être fournie, que par la découverte des lois primitives qui régissent cette partie invisible et spirituelle de l'existence dans laquelle, je vois l'origine même de la vie. Si nous pouvions voir dans la télépathie, la première indication d'une loi de ce genre et, la considérer comme jouant dans le monde spirituel, un rôle analogue à celui de la gravitation dans le monde matériel, nous serions autorisés à concevoir une force analogue à la force de la cohésion et réalisant la synthèse psychique de la personnalité humaine. La loi du passage des organismes inférieurs aux organismes supérieurs montre, en effet, que la personnalité humaine constitue un agrégat d'innombrables entités psychiques inférieures dont chacune conserve ses caractères propres, avec cette restriction toutefois, qu'une entité psychique plus vaste, préexistante ou non, réalise l'ensemble unifié dont les entités inférieures ne sont que les fragments sur lesquels elle exerce un contrôle continu, quoique incomplet.
Ceci étant admis, rien ne permet d'affirmer que toutes nos opérations psychiques pénétreront en même temps ou, à un moment quelconque, dans le même courant central de perceptions ou, qu'ils surnageront au-dessus de ce que nous avons appelé le seuil ordinaire de la conscience. Nous sommes certains que tel ne sera pas le cas pour quelques-unes d'entre elles ; mais pouvons-nous connaître d'avance celles dont ce sera le cas ?
Nous pouvons répondre seulement que, la perception des sensations par la conscience supra-liminale s'accomplit, en vertu d'une sorte d'exercice fonctionnel et que, de même que dans d'autres cas où une fonction est exercée, une partie de cette faculté comprend les opérations que l'organisme accomplit en vertu de sa structure élémentaire et, l'autre partie (après que la structure a été achevée) des opérations qui lui sont imposées par la sélection naturelle, et qui, par cela même, présentent un avantage pratique. C'est ainsi que, le fait que la conscience accompagne des combinaisons cérébrales peu familières peut être considéré comme un résultat nécessaire de la structure nerveuse, de même le fait de « frayer de nouvelles voies » doit être accompagné d'une sensation perceptible de nouveauté. Comme, d'un autre côté, il est possible que la conscience nette de nouvelles combinaisons cérébrales constitue une acquisition ultérieure et, soit due simplement à ce qu'il y ait avantage évident à empêcher ces nouvelles combinaisons de se consolider avant que leur utilité ait été confirmée. C'est ainsi qu'un musicien exécute une nouvelle pièce avec l'attention la plus concentrée, afin d'empêcher cette exécution de devenir automatique avant qu'il ait appris à rendre la pièce comme il le désire. Il semble que, dans une certaine mesure, la plus grande partie du contenu de notre conscience supra-liminale soit née ainsi, en vertu de la sélection naturelle, opérant de façon à avoir toujours sous la main, celles de nos perceptions dont nous avons le plus grand besoin dans la conduite de la vie.
Ces notions élémentaires sur la constitution de la personnalité nous indiquent déjà, la voie dans laquelle peut s'opérer sa dissolution.
Il est possible que, s'il nous était donné de discerner de la façon la plus minutieuse, la psychologie de toute cette série de changements allant des modifications trop minimes pour être considérées comme anormales, jusqu'à des transformations complètes et radicales du caractère et de l'intelligence, elle nous apparaîtrait comme ininterrompue et, nous verrions les éléments psychiques se séparer lentement et d'une façon continue, l'un après l'autre, de la synthèse primitive. Il est possible, d'un autre côté, qu'il existe réellement une rupture, au point où elle se présente à notre observation externe, lorsque notamment, la personnalité entre dans sa nouvelle phase, en passant par le sommeil ou la possession. Et, je vois qu'il existe une autre solution de continuité en un point beaucoup plus avancé, lorsque quelque intelligence extérieure s'empare, d'une façon quelconque, de l'organisme et, remplace pour quelque temps l'activité intellectuelle ordinaire par son activité propre.
Nous laisserons, pour le moment, les cas de ce genre de côté et, ne considérerons que ceux où la solution de continuité est opérée par le sommeil ou, par l'état d'extase. Nous commencerons par les hypertrophies et les excroissances psychiques localisées pour passer ensuite, aux instabilités de nature hystérique (avec ou sans périodes intermédiaires d'extase) et, terminerons par les états beaucoup plus avancés de demi-veille et de dimorphisme, qui paraissent toujours séparés du courant ordinaire de la vie consciente par la barrière de l'extase. Tous ces changements sont, d'une façon générale, nuisibles à l'organisme psychique et, il sera beaucoup plus simple de commencer par insister sur leur nature nocive et de les considérer comme des phases successives de la dissolution mentale.
Le processus débute par quelque chose qui est à l'organisme psychique, ce qu'un furoncle ou un cor est à l'organisme physique. A la suite de quelque suggestion venue de l'extérieur ou de quelque tendance ancestrale, un petit groupe d'unités psychiques subit une croissance exagérée qui s'oppose, bientôt, aux communications et aux échanges libres et normaux, entre ce groupe et le reste de la personnalité.
C'est ainsi que l’idée fixe constitue le premier symptôme de la désagrégation qui consiste dans la persistance d'un groupe d'idées et d'émotions, échappant au contrôle et non susceptibles de modifications et qui, grâce à leur isolement, à l'absence de toute communication entre elles et le courant général de la pensée, deviennent étrangères et intruses, de sorte que, quelque image ou idée spéciale envahit la conscience avec une fréquence inusitée et pénible. Nous pouvons supposer que l'idée fixe représente ici, l'aspect psychologique de quelque lésion cérébrale définie, ultra-microscopique. On peut encore penser, par analogie, soit à un furoncle, soit à un cor, soit à une tumeur enkystée, soit à un cancer. L'idée fixe peut être quelque chose comme un abcès induré qui crève quand on presse dessus. Ou encore, elle peut être considérée comme un centre d'inflammation hypertrophié, donnant naissance à des douleurs qui se répandent dans tout l'organisme.
Certaines idées fixes de nature hystérique peuvent être comparées aux tumeurs qui résultent de la croissance isolée et exagérée d'un fragment de tissu embryonnaire qui se trouve exclu, accidentellement, du développement régulier de l'embryon. Ces tumeurs peuvent être enkystées ou encapsulées, de façon à léser par pression, les tissus environnants alors que, leur propre contenu ne peut être découvert que par l'incision.
Telles ces frayeurs oubliées, qui ont été décrites par M. Janet, comme donnant naissance à des attaques d'hystérie. Ces tumeurs de l'esprit sont parfois susceptibles d'être opérées psychologiquement et d’être éliminées par la discussion. Les cas les plus graves sont les cas cancriformes où la dégénérescence, partie d'un point quelconque, envahit rapidement tout le domaine de l'esprit et y produit les troubles les plus profonds.
L'idée fixe, produite par des causes probablement très différentes, peut se développer dans plusieurs directions. Elle peut, notamment, devenir un centre d'explosion ou un noyau de séparation ou, être encore, le commencement de la mort. Elle peut déterminer un accès de convulsions hystériques, agissant ainsi à la façon d'un corps étranger comprimant une région sensitive de l'organisme. Ou bien encore, elle peut attirer dans son centre parasitaire tant d’éléments psychiques, qu'elle finit par former une sorte de personnalité secondaire, existant à côté de la personnalité primitive, quelquefois à l'état latent mais, capable aussi, de s’en emparer parfois, par un véritable coup de main. Dans d'autres cas, les nouveaux centres quasi-indépendants présentent des tendances anarchiques ; chaque cellule étant en révolte, en guerre permanente contre l'organisme qui ne tarde pas alors à se dissoudre et à succomber.
Les idées fixes constituent une simple expression de quelque chose qui, à un degré très faible, ne nous est pas totalement inconnu. Peu d'esprits, je suppose, sont complètement libres de la tendance à certaines formes de la pensée et de l'émotion sur lesquelles, nous ne possédons pas de pouvoir de contrôle suffisant ; retours permanents et inutiles vers le passé, anxiétés au sujet de l'avenir : autant de traces, peut-être de notre expérience infantile, qui sont trop solidement fixées pour disparaître complètement. Quelques-unes de ces hantises doivent remonter encore plus loin que notre enfance. Les tendances héritées aux terreurs semblent, tout particulièrement, remonter au passé préhistorique. La peur de l'obscurité, de la solitude, du tonnerre, de la perte de l’orientation sont autant de témoignages de l'impuissance de l'homme primitif, de même que la peur des animaux ou des étrangers témoigne de sa vie sauvage et livrée aux hasards. Tous ces sentiments instinctifs peuvent, très facilement, subir un développement morbide et, la meilleure preuve de ce que ce développement morbide n'est pas toujours lié à une lésion cérébrale nous est
fournie par les cas où, des idées fixes ont pu être supprimées par un traitement purement psychologique et nous savons, d'un autre côté, que les cas où le traitement psychologique a échoué se sont montrés, également rebelles à tout autre moyen de traitement. On peut donc dire que, les troubles cérébraux qui ont été guéris de cette façon étaient de nature fonctionnelle, tandis que, ceux qui ont abouti à la démence étaient organiques quoique, la distinction entre le fonctionnel et l'organique ne soit pas toujours facile à saisir dans ce domaine ultra-microscopique.
Quoi qu'il en soit, nous connaissons un grand nombre de cas d'idées fixes, plus ou moins intenses, guidées par la suggestion, c'est-à-dire par la mise en action à l'aide de procédés subliminaux, de mouvements nerveux à peine perceptibles, échappant au contrôle et à la direction de notre conscience supra-liminale. Mais, si la conscience subliminale est capable d'exercer une fonction de contrôle sur ces éléments, c'est à elle aussi que les désordres en question sont dus le plus souvent. Lorsqu'une idée fixe, soit l'agoraphobie, surgit dans mon esprit, c'est que probablement, le pouvoir de contrôle et de coordination de ma pensée, que je devrais être capable d'exercer à volonté, est tombé à un niveau où, elle échappe à l'action de la volonté. Je ne suis, pour ainsi dire, plus capable de me convaincre moi-même par le raisonnement, qu'il n'y a pour moi aucun danger à traverser ce square ouvert. Et la faute en est à mon moi subliminal, chargé de tenir toujours à ma portée, les idées dont j'ai besoin dans la vie courante et qui, à la suite de l'affaiblissement de son action sur l'organisme, faillit à sa tâche.
Il n'est pas difficile, d'après ce qui vient d'être dit, d'établir un rapport entre les idées fixes et les manifestations les plus avancées de l'hystérie. Nous avons vu que les premières résultent, avant tout, d'un déplacement du niveau ordinaire de la conscience. On dirait que, des fragments du contenu supra-liminal se sont échappés à travers les fentes qui se sont formées dans l'esprit conscient et, sont tombées à un niveau d'où, seule la suggestion hypnotique est capable de les tirer. Dans d'autres cas, nous pouvons faire un pas de plus et dire que ces idées fixes ne nous montrent pas seulement un instinct supra-liminal fonctionnant sans contrôle mais, qu'il s'agit plutôt, d'un instinct primitivement caché, surgissant d'une façon inconsciente, atteignant bientôt des proportions exagérées et, fonctionnant d'une façon déréglée. Nous nous trouvons, en un mot, en présence d'une instabilité du seuil de la conscience qui souvent, implique ou constitue la manifestation d'un trouble ou d'une affection de la couche hypnotique, c'est-à-dire de la région de notre personnalité que nous ne connaissons bien, que parce que nous pouvons l'atteindre par la suggestion hypnotique.
En ce qui concerne l'hystérie, nous pouvons dire, tout d'abord, que ses symptômes forment, d'une façon générale, des copies fantomatiques de maladies réelles du système nerveux ;  une série de fantaisies jouées sur le système nerveux, de maladies irréelles telles, qu'aucun mécanisme physiologique ne nous paraît susceptible de produire. Ainsi que nous le verrons plus tard, ces maladies sont dues en effet, le plus souvent, à des causes intellectuelles, plutôt que purement physiologiques et, constituent autant de formes d'autosuggestion.
Passons rapidement en revue, quelques-uns des types les plus fréquents de l'incapacité hystérique, en prenant pour guide, l'admirable ouvrage du Dr Pierre Janet, L'état mental des hystériques .
Quelle est, avant tout, la conception générale de cet auteur concernant les états psychologiques de l'hystérie avancée ? « Dans l'expression : je sens, dit-il , nous avons deux éléments : un petit fait psychologique nouveau : sentir et, une masse énorme de pensées formant un système, le « moi ».  Ces deux éléments se trouvent mélangés et combinés et, dire je sens, équivaut à dire que la personnalité, déjà énorme, a saisi et absorbé cette nouvelle petite sensation..., comme si le moi était un être amiboïde, envoyant des prolongements qui s'emparent de cette petite sensation née en-dehors de lui. Or, ce qui caractérise l'hystérie avancée, c'est précisément le défaut d'assimilation de ces sensations élémentaires ou, états affectifs, par ce que M. Janet appelle : la perception personnelle. Le champ de la conscience de l'hystérique est tellement rétréci, qu'il ne peut contenir que le minimum de sensations nécessaires dans la vie. « Tel, qui a surtout besoin de ses sensations visuelles et auditives, néglige ses sensations tactiles et musculaires dont il croit pouvoir se passer. Au début, il est encore capable de fixer son attention sur ces dernières et de les faire entrer, tout au moins pour quelque temps, dans le champ de sa perception personnelle. Mais, l'occasion peut ne pas se présenter souvent et, la mauvaise habitude psychologique est prise. Un jour, le patient — car c'est maintenant un vrai patient — est examiné par le médecin. On pince son bras gauche et on lui demande s'il a senti quelque chose. A sa grande surprise, le patient s'aperçoit qu'il n'éprouve plus de sensations conscientes ; qu'il n'est plus capable d'introduire dans sa perception personnelle, des sensations qu'il avait trop longtemps négligées.  Il est devenu anesthésique... L'anesthésie hystérique constitue donc, une distraction fixe et continue, rendant les sujets qui en sont atteints, incapables de rattacher à leur personnalité, certaines sensations ; elle résulte d'un rétrécissement du champ de la conscience »...
La preuve de ces assertions repose sur un grand nombre d’observations qui toutes, concordent entre elles et montrent que, l'anesthésie hystérique atteint moins profondément la personnalité que la véritable anesthésie consécutive à un trouble nerveux ou à la section d'un nerf.
C'est ainsi que l'hystérique est, le plus souvent, inconscient de son anesthésie qui n'est découverte que par le médecin et, ne ressemble en rien à la vraie anesthésie ; au « masque tabétique » par exemple, c'est-à-dire à l'insensibilité d'une moitié de la face, qu'on observe souvent dans le tabes dorsalis. Un incident relaté par le Dr Jules Janet est, de nature à illustrer cette particularité.  Une jeune femme se coupa assez gravement la main droite avec des débris de verre et, se plaignait d'insensibilité palmaire. Le médecin qui l'examina, trouva que la sensibilité de la paume de la main droite était diminuée à la suite de la section de certains nerfs. Mais, il découvrit en même temps, une insensibilité hystérique de toute la moitié gauche du corps. Elle ne s'était jamais aperçue de cette particularité et, le médecin était tout étonné de la voir se plaindre de l'insensibilité d'une étendue aussi petite que la paume de la main alors que, celle de la moitié gauche du corps ne paraissait la préoccuper en aucune façon. Mais, ainsi que le fait observer M. Pierre Janet, elle aurait pu répondre que : tels étaient les faits et que c'était au médecin de trouver à quoi tenait cette différence.
Autre particularité : les zones et les plaques anesthésiques de l'hystérie ne sont pas toujours, ni généralement, en rapport avec des zones anatomiques définies, comme cela arrive dans les cas de lésions nerveuses. Elles sont, le plus souvent, disposées d'une façon arbitraire, capricieuse et, les indications fournies par les patients pourraient, facilement, être considérées comme fantaisistes et imaginaires, si l'on ne tardait pas à s'apercevoir qu'on se trouve en présence d'effets objectifs, mesurables, susceptibles de produire, souvent, des troubles très profonds, sérieux et durables. Ceci s'accorde d'ailleurs avec mon opinion relative ; à ce que j'ai appelé : la couche hypnotique de la personnalité. Je considère, en effet, que la région accessible à la suggestion hypnotique présente un mélange bizarre de force et de faiblesse, qu'elle possède des facultés, à la fois plus puissantes et moins cohérentes que celles de notre état de veille. Je crois que, dans ces cas, le moi subliminal se comporte à peu près de la même façon que le moi supra-liminal, lorsque les «centres du niveau supérieur» restent inactifs pendant quelque temps (dans le rêve par exemple) et que, les « centres du niveau moyen » opèrent sans inhibition, ni coordination. Je vois là, l'explication des contrastes étranges que nous observons pendant l'hypnose ; celui de la puissance profonde sur l'organisme et de la facilité étonnante avec laquelle, le sujet obéit passivement aux moindres injonctions de l'hypnotiseur. L'intelligence qui réagit de cette façon, n'est pour moi, qu'une intelligence fragmentaire ; c'est une portion du moi subliminal fonctionnant comme dans l'état de rêve, en-dehors du contrôle du moi central et profond. De même que le sujet hypnotisé obéit aux caprices de l'hypnotiseur, le sujet hystérique obéit à ceux de la couche hypnotique elle-même. Quelque centre du niveau moyen du moi subliminal (pour exprimer une idée difficile par la première phrase qui me vient sous la plume) suggère la notion qu'il existe, par exemple, un «bracelet anesthésique » autour du poignet gauche ; et voilà que la chose semble réalisée et, le sujet perd la conscience de toutes les sensations se produisant au niveau de cette zone fantaisiste. Ces faits sont d'autant plus intéressants, qu'ils établissent une division du corps humain, basée non sur l'innervation locale mais, sur l'idéation qui n'est d'ailleurs, pas toujours cohérente.
L'anesthésie hystérique est donc, avant tout, caractérisée par ce fait que, la portion de la faculté de perception sur laquelle le sujet a perdu tout pouvoir de contrôle ne disparaît pas en réalité mais, se trouve déplacée, immédiatement au-dessous du seuil de la conscience, sous la garde, pour ainsi dire, d'une couche hypnotique du moi subliminal, qui s'est approprié telle catégorie de perceptions, soit pour des raisons faciles à discerner, en vertu par exemple, de suggestions passées, soit pour des raisons qui nous restent inconnues. S'il en est ainsi, nous pouvons nous attendre à ce que les mêmes suggestions qui ont commencé par détacher tel groupe de perceptions de la masse totale, soient de nature à en favoriser l'apparition, soit au-dessus, soit au-dessous du seuil de la conscience.
L'étude de l'état du champ visuel des hystériques montre, en effet, que les perceptions submergées ne cessent de manifester leur activité. Il arrive souvent que le champ visuel soit rétréci, au point que le sujet ne soit capable de distinguer, que les objets placés directement devant les yeux. Mais, lorsqu'un objet susceptible d'exciter particulièrement la couche hypnotique, tel le doigt de l'hypnotiseur, qui sert souvent de signal à l'apparition de l'hypnose, est placé dans la partie du champ visuel qui paraît avoir échappé au contrôle de la conscience, il se produit immédiatement une perception subliminale, prouvée par ce fait que, le sujet ne tarde pas à tomber dans le sommeil hypnotique. C'est encore par la persistance de l'action des perceptions submergées que s'explique ce fait que, malgré l'anesthésie souvent très prononcée, sinon complète de leurs membres, les sujets hystériques sont rarement exposés à des accidents tels que brûlures, etc., qui sont, au contraire, très fréquents chez les syringomyéliques. Il suffit, d'un autre côté, d'attirer par un procédé quelconque, l'attention de l'hystérique sur son membre anesthésié, pour que les sensations submergées remontent de nouveau dans la conscience supra-liminale.  Telle la malade de M. Pitres qui était atteinte de cécité hystérique de l'oeil gauche : sur un écran placé devant elle, on inscrivait un mot ou une phrase mais, de façon que son oeil droit, c'est-à- dire sain, ne pût en lire que la moitié ; en forçant son attention, elle parvenait à s'aider de son œil gauche aveugle et, à lire l'inscription tout entière.
Ce qui vient d'être dit des troubles sensitifs des hystériques peut être appliqué, également, à leurs troubles moteurs. Ici encore, les facultés sur lesquelles le moi supra-liminal a perdu tout pouvoir de contrôle, continuent d'obéir aux ordres de la conscience subliminale. Le cas suivant du Dr Janet montre de la façon la plus nette, la différence qui existe entre les facultés, encore aux ordres de la personnalité supra-liminale et, celles qui ne sont plus transmissibles qu'à l'aide d'impulsions automatiques du moi subliminal. « Lorsque nous disons à un hémiplégique ou à un amyotrophique de serrer le dynamomètre, nous obtenons le chiffre 5 ou le chiffre 10, ce qui ne doit pas nous étonner puisque, nous sommes en présence de sujets atteints de paralysie vraie, c'est-à-dire impotents, dont la mollesse et la faiblesse se manifestent dans chacun de leurs actes. Cependant, les hystériques qui ne sont nullement impotents, qui sont capables de coudre, de travailler, de transporter des poids sans aucun trouble apparent, fournissent au dynamomètre les mêmes chiffres. Célestine, par exemple, est une robuste fille de campagne, habituée aux durs travaux et, qui demande comme une faveur, la permission de cirer et de frotter les parquets. Elle est très vive et lorsque quelque chose n'est pas à son idée, elle secoue les lits, les change de place et transporte, d'un seul bras, des chaises en bois. Elle a des accès de colère terribles et, dans quelques-uns des asiles où elle est passée, il lui est arrivé de soutenir vigoureusement une lutte contre des hommes robustes. Eh bien, je prends cette jeune femme au milieu de son travail et, je mets entre ses mains le dynamomètre. Je dois dire d'abord qu'elle a une anesthésie complète des deux moitiés du corps et, qu'elle est obligée de fixer le dynamomètre avec les yeux pour être à même de le serrer. J'ai refait, plusieurs fois cette expérience et, chaque fois, le dynamomètre marquait 9 pour la main droite et 5 pour la main gauche. Cependant, je le répète, cette indication d'une faiblesse musculaire est en complète contradiction avec ce que je la vois faire à chaque instant. J'ai fait l'expérience sur moi-même et, quoique je sois capable de serrer le dynamomètre jusqu'à la division 5o, je ne puis ni soulever, ni déplacer les lits et les chaises que Célestine manie si facilement... Il est évident que l'hystérique présente ici une modification spéciale de la force musculaire lorsqu'on en fait un sujet d'expérience et, qu'on lui recommande de faire attention et de serrer l'instrument avec toute sa volonté, de façon à faire voir sa force personnelle. Elle est alors incapable d'employer sa force de la façon qu'on lui indique, quoique la force existe toujours et soit dépensée largement, dans tous les actes de la vie commune, à la condition qu'elle n'y pense pas. Nous nous trouvons donc ici, en présence d'un défaut, non de force musculaire mais, de volonté . » 
Ce serait cependant une erreur de croire que les phénomènes que nous étudions constituent toujours et, dans tous les cas, une expression de décadence et, que tous les troubles psychiques soient dus à la colère, à la vanité, à la terreur ou à la passion sexuelle. Il arrive très souvent, au contraire, que des sentiments que nous considérons comme supérieurs et honorables, atteignent un degré de vivacité et de délicatesse et, qu'ils exposent les sujets qui en sont porteurs, à des troubles que les individus égoïstes ne connaîtront jamais. Les instincts de propreté personnelle et de modestie féminine, l'amour du prochain et de Dieu sont responsables de plus d'un trouble chez des sujets dont l'organisation présente, plutôt un excès de sensibilité qu'une diminution de résistance. C'est que, pour beaucoup d'hommes et de femmes, il existe des motifs de penser et d'agir plus puissants que l'amour égoïste et l'instinct de conservation et, la vie humaine tend de plus en plus à reposer sur des idées et des émotions, dont le rapport à la conservation de la race et de l'individu est plutôt indirect et obscur. Les sentiments, autrefois utilitaires, se sont développés hors de toute proportion avec les avantages qu'ils peuvent procurer à leurs possesseurs, dans la lutte pour l'existence.
Les Studien über Hystérie des Drs Breuer et Freund  apportent une contribution importante à ce côté de la question. Prenant leurs malades, non seulement dans les salles d'hôpital mais encore, dans la clientèle privée, ils ont eu la bonne fortune de rencontrer et, la pénétration de comprendre, plusieurs cas remarquables où des passions non égoïstes mais très puissantes, ont produit des troubles d'équilibre dans des esprits jusqu'alors bien organisés, ayant reçu des principes solides et une éducation soignée.
Nous avons vite fait d'appliquer aux hystériques la qualification de dégénérés. « Ce terme, dit le Dr Milne-Bramwell, est appliqué avec tant de liberté et de fréquence par quelques auteurs modernes, qu'on est tenté de croire qu'ils rangent parmi les dégénérés, tous ceux qui ne sont pas conformes à quelque type sauvage, primitif, possédant un système nerveux imparfaitement développé. » Nos « dégénérés » sont, en effet, souvent des progénérés et, leur perturbation peut seulement masquer une évolution que nous et nos enfants serons obligés de traverser, après qu'ils nous auront montré la voie.
Nous voilà arrivés à la catégorie des hystériques qui mènent le monde. Nous sommes partis, pour ainsi dire, de la région des idées fixes d'un type morbide et inférieur, pour arriver à celle des idées fixes, en elles-mêmes raisonnables et honorables mais, devenant morbides à force d'intensité. C'est ici le terrain où l'hystérie se rencontre avec le génie, non pas le génie à forme intellectuelle mais plutôt : « le génie moral », « le génie de la sainteté» ou, cette « possession » par quelque idée altruiste qui forme la base des vies héroïques. Toutes les religions nous offrent des exemples sans nombre de ce type. L'homme dont la conduite apparaît comme raisonnable à la masse de l'humanité, passera difficilement pour un grand saint. A tort ou à raison, on assigne à celui-ci une place à part et on le traite, soit avec vénération, soit comme un être ridicule. Il est considéré, tantôt comme un inspiré, tantôt comme un malade alors que, sa vie ne présente qu'un certain nombre d'idées fixes, non sans valeur en elles-mêmes mais, ayant atteint une puissance telle que, selon les accidents, leur action impulsive le pousse, tantôt au sublime, tantôt au ridicule.
Martyrs, missionnaires, croisés, nihilistes, enthousiastes de tous genres guidés par des impulsions qui naissent loin, au-dessous du seuil de la conscience ordinaire ; tous ces hommes apportent dans les affaires humaines, une force plus concentrée et plus tendue que celle dont la raison froide et raisonnante est capable. Ils réalisent des autosuggestions ayant acquis la permanence d'idées fixes. Ces dernières ne sont pas, cependant, aussi isolées, aussi enkystées chez eux, que chez les vrais hystériques. Quoique plus profondes et plus immuables que leurs idées sur d'autres matières, leurs convictions subliminales ne peuvent agir sur d'autres esprits, qu'en appelant à leur aide, les produits de la raison supra-liminale de leurs auteurs. L'horreur profonde subliminale née à la vue des cruautés odieuses, ne doit pas seulement favoriser des hallucinations, ainsi que cela arrive chez l'hystérique, assez souvent aussi, chez le réformateur. Elle doit aussi, si elle veut accomplir sa mission de réforme, apparaître avec netteté devant la raison supra-liminale et, pouvoir s'exprimer par écrit ou verbalement, d'une façon adaptée, à la possibilité de son action sur d'autres esprits.
Nous n'avons eu affaire, jusqu'ici, qu'à des cas d'isolement de certains éléments de la personnalité ; ces éléments assumant une existence quasi-indépendante et la forme, soit d'idées fixes, soit de représentations physiques ou d'équivalents somatiques d'idées fixes obscures, tels les hallucinations et les troubles persistants du goût ou de l'odorat. Nous arrivons maintenant à la seconde variété de désintégration de la personnalité, caractérisée par la formation d'une personnalité secondaire. Il existe, entre ces deux variétés, une différence analogue à celle qui existe entre les lésions isolées du corps d'une part et, ces altérations diathésiques plus profondes et plus subtiles, qui résultent d'un changement de climat ou de la nutrition. Il se produit quelque chose qui fait que, l'organisme répond désormais à toutes les réactions d'une façon nouvelle. Les phénomènes du rêve constituent le meilleur point de départ pour l'étude de ces états secondaires. Nous discuterons, dans un chapitre ultérieur, certains caractères rares des rêves.  Ici nous ne considérerons que les rêves ordinaires, en tant qu'ils sont à même de nous fournir des indications sur la structure de notre personnalité et, sur les influences qui tendent à la modifier.
Je dois dire, tout d'abord, que l'état de rêve constitue, sinon la forme normale de notre mentalité, tout au moins, la forme qu'elle assume le plus volontiers et le plus fréquemment. Des rêves de tous genres traversent probablement notre esprit le jour et la nuit, sans être arrêtés par la tension de nos idées, qui constituent notre état de veille. Chacun a, plus d'une fois, eu l'occasion de s'en assurer pendant l'état d'assoupissement momentané de l’ouïe ; arrêt momentané de l'attention : on a alors, la sensation que des fragments d'images et idées, qui présentent une continuité apparente mais, dont on n'avait pas toujours conscience, traversent l'esprit ; c'est un état analogue à celui où, l'on s'efforce de suivre une conversation ou de lire à haute voix, entre le sommeil et la veille.
C'est de cet état mental qu'ont dû se développer nos états plus cohérents. L'état de veille implique, la fixation de l'attention sur un seul fil de l'écheveau embrouillé de notre pensée. Chez certains sujets, cette fixation est impossible, tandis qu'elle est involontaire chez d'autres ou, suit un fil qu'elle ne devrait pas suivre.
Les rêves présentent une autre particularité qui n'a pas suffisamment attiré l'attention des psychologues mais, qui joue un rôle important au point de vue du fractionnement de la personnalité. Je veux parler de leur caractère dramatique. En premier lieu, nos rêves évoluent dans un milieu ou, sur une scène que nous n'avons pas inventée mais, que nous trouvons toute prête, attendant pour ainsi dire notre entrée ; et, dans d'autres cas, nos rêves comprennent une conversation au cours de laquelle, nous attendons avec impatience et écoutons avec surprise, les répliques de notre interlocuteur qui, en l'occasion, ne peut représenter qu'un autre segment ou, une autre couche de nous-mêmes. Ce dédoublement peut être pénible ou agréable. Un rêve fébrile peut simuler les confusions qui caractérisent l'insanité, où le malade croît constituer à lui tout seul, deux personnes. On peut aller jusqu'à dire, qu'avec les premiers moments de sommeil, l'unité superficielle de la conscience disparaît et que, le monde des rêves nous fournit une représentation plus exacte du fractionnement ou de la multiplicité réelle qui existe, sous la simplicité apparente que la clarté de la conscience éveillée impose à notre vue mentale.
Pour peu qu'on accepte ces idées, on n'aura aucune difficulté à admettre que, le passage du rêve ordinaire au somnambulisme, loin de constituer une bizarrerie isolée, est plutôt l'expression de la formation d'un état secondaire dans lequel, les idées fixes ont atteint un certain degré d'intensité. Les états de demi-veille qui naissent du sommeil présentent, en effet, tous les caractères qui doivent découler de leur origine franchement subliminale. Ils sont moins cohérents que les états secondaires qu'on observe pendant la veille mais, plus riches en facultés supra-normales. Ils ont été le plus souvent observés, en connexion avec le déploiement de ces facultés, telles que l'hyperesthésie et la télesthésie. L'étude de ces facultés fera l'objet d'un chapitre distinct.
Nous ne nous sommes encore occupés que des personnalités secondaires, constituées par des éléments qui se sont détachés de la personnalité totale ou primitive par sélection émotionnelle.  Nous avons vu des groupes spéciaux de sentiments, atteindre une intensité morbide, au point de dominer toute la vie mentale du sujet, soit par accès, soit d'une façon continue et, de le faire paraître comme « une personne changée » qui, sans être précisément atteinte d'insanité, est totalement différente de ce qu'elle est dans la vie mentale normale. Dans les cas de ce genre, l'émotion morbide communique, pour ainsi dire, à la nouvelle personnalité, une coloration particulière, caractéristique, à l'exemple des personnifications dramatiques de la jalousie, de la terreur, etc. Sous les autres rapports, la division entre la nouvelle personnalité et l'ancien moi n'est pas bien profonde. Les dissociations de la mémoire, par exemple, sont rarement inaccessibles à la suggestion hypnotique. La scission n'a pas atteint les profondeurs de l'être psychique.
Mais, il existe des cas où. la cause de la scission paraît tout à fait arbitraire et où, la scission elle-même est, pour cette raison, très profonde. Il n'est plus question ici d'une exagération morbide d'une émotion mais, de toute une portion de la personnalité prise au hasard, qui a subi un développement indépendant du reste de l'être psychique. Pour reprendre notre analogie physique, il ne s'agit plus d'un cor ou d'un abcès ou d'un cancer mais, d'une tumeur formée aux dépens d'un fragment de tissu embryonnaire, qui s'est trouvé exclu du processus de développement général de l'organisme.
Les personnalités secondaires de cette dernière catégorie naissent, le plus souvent, d'un accès de somnambulisme qui, au lieu de se retransformer en sommeil, se répète et se consolide, jusqu'à acquérir une chaîne de souvenirs qui lui sont propres, alternant avec la chaîne primitive.
Ces personnalités secondaires constituent, manifestement, une dégénérescence de l'état primitif, lors même que, certaines traces de facultés supra-normales peuvent être discernées dans le champ psychique rétréci.
Les états post-épileptiques sont des états secondaires purement dégénératifs. Ils présentent des analogies avec tous les états secondaires que nous avons décrits. Ils ressemblent, d'abord, à l'état normal, avec cette seule différence que, les actes qui les caractérisent manquent de but rationnel et, qu'on y constate peut-être, un retour aux habitudes et aux idées d'une phase antérieure de l'histoire du sujet. Ils ressemblent, encore, à certains états hypnotiques et, rappellent ces personnalités factices qu'on produit par l'écriture automatique. Ils ressemblent, enfin, à ces états où, une idée fixe apparue subitement et triomphant de tout le reste, pourrait pousser le sujet aux crimes les plus sérieux, qui lui feraient horreur à l'état normal. Il ne peut y avoir de meilleur exemple de fonctionnement non réprimé, échappant au contrôle secret des centres supérieurs qui, actifs encore pendant le sommeil hypnotique, sont ici dans un état, non seulement de fatigue psychologique mais encore, d'épuisement physiologique.
Il existe cependant, des cas où l'état secondaire, loin d'être une expression de dégénérescence, apparaît plutôt comme supérieur à l'état primitif, de sorte qu'on se demande avec stupéfaction, comment le même homme a pu être autrefois ce qu'il était ou, devenir subitement si différent de ce qu'il avait été jadis. C'est un véritable changement kaléidoscopique et, personne ne saurait dire pourquoi tel, et non tel autre arrangement des pièces, devait avoir la priorité. Tel est le cas de Félida X..., observé par le Dr Azam , celui de Mary Reynolds, observé par le Dr Weir Mitchell . On assistait, dans ce dernier cas, à une transformation complète et remarquable du caractère ; l'insouciance infantile de l'état secondaire, remplaçant complètement les préoccupations tristes et sombres de l'état primitif. Nous avons là un exemple très instructif de la différence qui existe entre les changements allotropiques ou, reconstructions du caractère et, la simple prédominance d'un facteur morbide caractéristique des sujets hystériques ou atteints d'une idée fixe. Ces deux états présentaient, en outre, chez Mary Reynolds, une tendance apparente à se fusionner et à produire un troisième supérieur aux deux précédents.
Dans le cas de Louis Vivé, nous avons un exemple remarquable de dissociations dépendant de relations dans le temps, des époques spéciales de sa vie auxquelles, on ordonnait au malade de se transposer. Et, cette transposition s'opère d'une façon très profonde. Parmi les conditions variées de son organisme, toutes (ou à peu près) morbides, à la suite d'une grave lésion centrale, chacune peut être revécue en un moment et, toute la gamme de ces changements parcourt son système nerveux avec la rapidité et, la facilité d'images cinématographiques. Louis Vivé reproduisait ainsi, un nombre et une variété extraordinaires de phases de sa personnalité, soit spontanément, soit à la suite de différentes expériences, à l'aide de la « métallothérapie », exécutées par les médecins qui l'ont soigné. Ces expériences produisaient des variations curieuses de ses paralysies hystériques et, en même temps, de réversions aux différentes périodes de sa vie, probablement en rapport avec les formes particulières des paralysies. Et, non seulement les états mentaux passés et oubliés revenaient à la mémoire en même temps que les impressions physiques de ces variations mais, lorsqu'un état mental passé et oublié était suggéré au patient comme étant son état actuel et présent, il y ajoutait foi et, éprouvait aussitôt les impressions physiques correspondantes. Il est à noter que, lors de premières expériences de métallothérapie, les expérimentateurs ne connaissaient pas encore toute l'histoire de leur patient. Ils ne l'ont apprise que peu à peu et, c'est après avoir soigneusement comparé ses souvenirs passés avec ses souvenirs présents qu'ils ont conclu, que les différentes phases qu'il incarnait étaient empruntées à l'histoire de sa propre vie .
Je citerai in-extensole, le cas suivant, publié par le Dr Osgood Mason  :
Aima Z... était une jeune fille très saine et très intelligente, d'un caractère solide et attirant, d'un esprit d'initiative dans tout ce qu'elle entreprenait, étude, sport, relations sociales. A la suite de surmenage intellectuel et d'une indisposition négligée, sa santé se trouva fortement compromise et, après deux années de grandes souffrances, une seconde personnalité fit brusquement son apparition. Dans un langage mi-enfantin, mi-indien, cette personnalité s'annonçait comme étant le n° 2, venue pour soulager les souffrances du n° 1. Or, l'état du n° 1 était, en ce moment-là, des plus déplorables : douleurs, débilité, syncopes fréquentes, insomnie, stomatite mercurielle d'origine médicamenteuse qui rendait l'alimentation impossible. Le n° 2 était gai et tendre, d'une conversation fine et spirituelle, gardant toute sa connaissance, se nourrissant bien et abondamment, pour le plus grand profit, disait-elle, du n° 1. La conversation, toute raffinée et intéressante qu'elle fût, ne faisait rien soupçonner des connaissances acquises par la première personnalité. Elle manifestait une intelligence supra-normale, relativement aux événements qui se passaient dans le voisinage. C'est à cette époque-là que l'auteur a commencé à observer ce cas et, je ne l'ai pas perdu de vue pendant six années consécutives. Quatre ans après l'apparition de la seconde personnalité, il en apparut une troisième qui s'annonça sous le nom de « gamin». Elle était complètement distincte et différente des deux autres et, avait pris la place du n° 2 qu'elle garda pendant 4 ans.
Toutes ces personnalités, quoique absolument distinctes et caractéristiques, étaient délicieuses, chacune dans son genre et, le n° 2 en particulier a été et est encore, la joie de ses amis, toutes les fois qu'elle apparaît et qu'il leur est donné de l'approcher ; et, elle apparaît toujours aux moments de fatigue excessive, d'excitation mentale, de prostration ; elle survient alors et persiste parfois pendant quelques jours. Le moi original affirme toujours sa supériorité, les autres n'étant là que dans son intérêt et pour son avantage. Le n° 1 n'a aucune connaissance personnelle des deux autres personnalités, elle les connaît cependant bien, le n° 2 surtout, par les récits des autres et, par les lettres qu'elle reçoit souvent d'elle ; et, le n° 1 admire les messages fins, spirituels et souvent instructifs que lui apportent ces lettres ou, les récits des amis.
Et le Dr Mason ajoute : « Il existe trois cas (celui qui vient d'être cité, un autre concernant également une de ses malades et celui de Félida X...) dans lesquels, une seconde personnalité, parfaitement saine, équilibrée, en harmonie complète avec le milieu, surnage à la surface et, assume le contrôle absolu sur l'organisation physique pendant un temps souvent fort long.  Pendant le fonctionnement de cette seconde personnalité, le moi primitif ou original est effacé entièrement et, il se produit une lacune dans le temps. Dans aucun des cas décrits, le moi primitif n'avait conscience de la seconde personnalité, si ce n'est par des récits faits par d'autres ou par les lettres du second moi, laissées là où, le moi primitif pouvait les trouver après le retour de la conscience. La seconde personnalité avait, dans tous les cas, connu le moi primitif, qu'elle considérait d'ailleurs comme une personne étrangère. Dans les cas de Félida X... et d'Alma Z..., l'apparition de la seconde personnalité était suivie d'une amélioration immédiate et très marquée de l'état physique ».
Il résulte, de tout ce que nous venons d'exposer dans ce chapitre, que la personnalité humaine constitue un complexus beaucoup plus modifiable qu'on ne l'admet généralement, un complexus qui a été, en outre, traité jusqu'ici d'une façon grossière et empirique. Toute phase, tout procédé de désintégration suggère une phase et un procédé correspondants d'intégration. Deux points se dégagent particulièrement de ce chapitre : d'abord, l'apparition d'un rudiment de faculté supra-normale, de quelque chose qui est probablement sans utilité pour nous mais, qui indique l'existence, au-dessous du niveau de notre conscience, d'une réserve de facultés latentes, insoupçonnées ; il apparaît, en second lieu, que toutes les fois qu'il a été possible de faire appel, à l’aide de la suggestion hypnotique, aux couches profondes de notre personnalité, cet appel est rarement resté sans réponse. Et chacun des cas observés fournissait un enseignement nouveau, nous permettant de perfectionner les procédés employés, en vue des rétablissements de la personnalité. Ces troubles de la personnalité ne sont plus, pour nous, ce qu'ils ont été encore pour la génération précédente, c'est-à-dire de simples miracles auxquels les sceptiques, selon l'ancienne mode, ont le droit de se refuser à croire. On commence, au contraire, à les considérer comme des problèmes de psychopathologie du plus haut intérêt dont chacun nous fournit un aperçu de la structure intime de l'homme.
CHAPITRE III - LE GÉNIE

Le dogme de la « perfectibilité humaine » a engendré beaucoup d'enthousiasme et suggéré plus d'un projet de société utopique qui postulaient, chez les hommes et les femmes de l'avenir, un accroissement indéfini de santé et de vigueur physiques et morales. Il est certain que, d'une façon générale, la sélection naturelle, la sélection sexuelle et, les progrès de la science ont beaucoup contribué aux perfectionnements de ce genre. Mais il est tout aussi certain que ces tendances, comparées à nos désirs et aspirations, sont lents et incertains et, il est permis de supposer que le progrès apparent de notre race résulte, plutôt de l'amélioration de notre milieu matériel, dû lui-même à nos conquêtes scientifiques, qu'à un perfectionnement réel du caractère et des facultés de l'homme, au cours de la période historique. Or, comme nous n'avons aucun moyen de savoir jusqu'à quel point s'étend, pour une espèce donnée, la virtualité interne de perfectionnement, le pessimiste peut affirmer, avec quelque apparence de raison, que l'espèce humaine a déjà atteint la limite de son évolution. C'est ainsi qu'on ne peut domestiquer certaines espèces d'animaux sauvages (et peut-être aussi certaines tribus d'hommes sauvages), sans arrêter leur puissance de reproduction; et, même chez les animaux qui se prêtent le plus à la domestication ou au mélange avec des variétés déjà domestiquées, chez le pigeon par exemple, il est impossible de pousser le développement de certains organes au-delà de certaines limites, sans déterminer une fragilité de la constitution, bientôt suivie d'une extinction de l'espèce. C'est à des appréhensions de ce genre que nous devons certaines diatribes connues. M. Max Nordau, par exemple, a écrit un ouvrage pour protester contre le surmenage et l'épuisement nerveux de notre époque. En réduisant cette vague discussion à des exemples concrets, M. Lombroso et d'autres anthropologistes ont soumis à l'analyse « l' homme de génie » et, sont arrivés à ce résultat que le génie, au lieu d'être le produit culminant de la race, n'en est au contraire qu'une manifestation anormale, une aberration analogue à celle du criminel et du lunatique ; que les hommes de génie souffrent d'un manque d'équilibre et présentent une organisation incomplète, avec développement exagéré d'un côté de leur  nature qui, selon les occasions, peut être utile ou nuisible aux autres.
A mes yeux, le génie apparaît au contraire, plutôt comme une puissance permettant à ceux qui en sont doués, d'utiliser dans une plus large mesure que le commun des mortels, leurs facultés en quelque sorte innées et, de soumettre les résultats de la mention subliminale au courant supra-liminal de la pensée, de sorte que, « l'inspiration de génie » n'est pour moi, qu'une émergence dans le domaine des idées conscientes, d'autres idées à l'élaboration desquelles la conscience n'a pas pris part mais, qui se sont formées toute seules, pour ainsi dire, indépendamment de la volonté, dans les régions profondes de notre être. Il n'y a là aucune déviation de l'état normal ou tout au moins, aucune anomalie, aucune expression de dégénérescence mais plutôt, un achèvement de l'état normal, un état supra-normal, une phase nouvelle, supérieure, se manifestant au cours de l'évolution. Qu'on ne croie pas que j'affirme la supériorité intrinsèque du subliminal sur le supra-liminal : tout ce que je veux dire c'est que, l'homme de génie constitue le type accompli de  l'homme normal, en vertu du pouvoir qu'il possède, d'utiliser un plus grand nombre d'éléments de sa personnalité que ne le fait l'homme moyen. La distinction entre le subliminal et le supra-liminal est, en effet, purement psychologique, sans portée pratique : elle a pour but de découvrir les rapports qui existent entre deux chaînes de notre mémoire, entre deux catégories de perceptions et de facultés humaines. Nous croyons seulement que, ce qui s'étend au-dessous du seuil et en dehors des limites de la portion de notre champ de conscience, adaptée aux besoins de la vie ordinaire, est à la fois plus étendue et plus complexe que, ce qui est renfermé dans ces limites. Nous trouvons à l'un des bouts de l'échelle subliminale : les rêves, un produit subliminal normal mais, moins utile que n'importe quelle production supra-liminale ; à l'autre bout de l'échelle, nous trouvons : les connaissances les plus rares et les plus précieuses qui nous sont fournies par la télépathie, la télesthésie, l'extase. Entre ces deux points extrêmes se placent, une foule de productions intermédiaires dont l'origine est la même mais, l'importance éminemment variable.
On distingue aujourd'hui, dans la région supra-liminale, les centres supérieurs qui président à nos pensées les plus complexes et à notre volonté, les centres moyens, dont l'activité détermine le mouvement des muscles volontaires et enfin, les centres inférieurs (qui d'après moi seraient purement subliminaux) dont dépendent nos fonctions automatiques, telles que la respiration et la circulation, s'accomplissant en dehors de la conscience mais, indispensables à la vie. Il est relativement facile de juger, d'après une action donnée, si elle est déterminée par les centres supérieurs ou, si elle s'accomplit en dehors du contrôle de ces derniers, en vertu de la seule activité des centres moyens. C'est ainsi que, la parole et l'écriture ordinaires dépendent des centres supérieurs. Mais, lorsque ces derniers sont épuisés à la suite d'une décharge épileptique d'énergie nerveuse, les centres moyens se mettent à opérer sans contrôle et, déterminent les mouvements convulsifs des bras et des jambes, caractéristiques de l'attaque. Lorsque les centres moyens sont épuisés à leur tour, les centres inférieurs fonctionnent seuls, le malade tombe dans un état comateux, tout en continuant de respirer d'une façon régulière.
Dans le domaine subliminal, nous assistons à une subdivision analogue. Il nous semble, en effet, voir parfois nos perceptions et facultés subliminales converger vers un but unique, former un véritable moi, coordonné dans quelque harmonieuse « inspiration de génie » ou, dans quelque transformation profonde et raisonnable, comme dans le sommeil hypnotique ou, dans un accomplissement supra-normal de quelque vision clairvoyante ou enfin, dans une projection de toute la personnalité dans un monde spirituel. Les éléments subliminaux qui entrent en jeu, dans les cas de ce genre, correspondent aux centres supérieurs de la vie supra-liminale.
Mais, ce degré de clarté et de cohésion ne peut pas persister longtemps. Les facultés et perceptions subliminales agissent, le plus souvent, d'une façon moins cohérente et moins coordonnée. Nous nous trouvons, le plus souvent, en présence de productions qui, tout en présentant des traces d'une faculté hors de notre portée, ne paraissent pas moins accidentelles et irrationnelles que, les convulsions des bras et des jambes dans l'accès d'épilepsie. Il s'agit de cette série de phénomènes que, nous ne pouvons mieux désigner que sous le nom de rêves et, qu'on peut considérer comme dépendant des centres moyens du moi subliminal. Lorsque ces centres moyens subliminaux, échappant au contrôle des centres supérieurs, manifestent leur activité chez l'homme de génie, il en résulte, non plus un chef-d'oeuvre mais, une oeuvre bizarre, tourmentée ; non plus la Madone Sixtine mais, la vision de la tête guillotinée, par Wiertz. Faisons un pas de plus et nous arrivons à ces états hypnotiques où, les sujets aspirent avec délices, l'odeur de l'ammoniaque et mangent avec plaisir des chandelles de suif ou, à ces mouvements automatiques, confus et incohérents, que les sujets attribuent à l'inspiration du diable et, ainsi de suite, jusqu'à ce que les centres moyens se trouvent épuisés à leur tour et, qu'on ne soit plus en présence que des seules manifestations psychiques, qui sont encore compatibles avec la circulation cérébrale, tout comme dans l'attaque d'épilepsie, l'incoordination des mouvements des jambes aboutit, avec l'épuisement des centres moyens, à la respiration stertoreuse de l'état comateux. Tel est le parallélisme apparent qui existe entre notre région supra-liminale et la région subliminale. Nous autres hommes, clausi tenebris et carcere caeco, nous pouvons tantôt élargir, tantôt rétrécir notre vue de la réalité des choses. Dans la manie et dans l'épilepsie, nous sommes privés du contrôle des centres supra-liminaux supérieurs dont dépend, notre vie rationnelle terrestre. Mais, par l'automatisme, dans l’extase et dans les états alliés, nous faisons dévier dans notre vie supra-liminale, une partie du courant subliminal. Lorsque ces centres subliminaux, qui influencent ainsi notre état de veille, appartiennent au niveau moyen, ils ne feront naître en nous qu'erreur et confusion ; lorsqu'ils font, au contraire, partie du niveau supérieur, ils seront capables de nous révéler des vérités insoupçonnées. L'œuvre, à l'élaboration de laquelle prennent part ces éléments subliminaux, constitue précisément ce qu'on appelle « l'oeuvre de génie ». Cette dernière doit remplir deux conditions : elle doit impliquer quelque chose d'original, de spontané, de non appris, d'inattendu et, elle doit en outre, provoquer d'une façon quelconque, l'admiration de l'humanité. Or, psychologiquement parlant, tandis que la première de ces conditions implique un fait réel, la deuxième est purement accidentelle. Ce que le poète ressent en écrivant un poème, constitue un fait psychologique de son histoire à lui ; ce que ses amis ressentent en lisant le même poème, peut bien constituer un fait psychologique de leur histoire à eux mais, n'altère en rien l'effort créateur du poète, qui reste ce qu'il a été, lors même que personne, excepté lui-même, n'a jamais lu son poème.
Je le répète : en tant que psychologues, nous devons baser notre définition du génie sur un critérium strictement psychologique plutôt que, sur des signes externes qui nous guident en tant qu'artistes ou hommes de lettres et, qui expriment seulement le degré de plaisir que nous procure telle ou telle autre oeuvre. L'artiste parlera du génie artistique de Raphaël, non de celui de  Haydon, du génie dramatique de Corneille, non de celui de Voltaire. Mais, l'autobiographie de Haydon, d'une intensité tragique aboutissant au suicide, montre que les figures contorsionnées de sa «Résurrection de Lazare » lui ont apparu avec le sentiment intense d'une inspiration directe. Voltaire, de son côté, écrivait au président Hénault, à propos de son illisible tragédie Catilina : «Cinq actes, dans l'espace d'une semaine ! Je reconnais que cela paraît ridicule ; mais, si les hommes pouvaient savoir ce dont l'enthousiasme est capable ; comment le poète, faisant malgré lui-même de son sujet, une idole, dévoré par son génie, est capable d'accomplir en quelques jours une tâche qui, sans le secours du génie, demanderait une année, eu un mot, si scirent donum Dei, s'ils connaissaient le don de Dieu, leur étonnement s'en trouverait amoindri. » II serait certainement absurde de classer « la Résurrection de Lazare » dans la même catégorie artistique que la Madone Sixtine. Mais, ces deux oeuvres appartiennent incontestablement à la même catégorie psychologique. En dépit de la différence de genre, les deux peintres ont éprouvé le même processus intérieur, la même sensation d'envahissement de leur être par un courant subliminal, cette concentration mentale qui attire dans la conscience immédiate, des productions et des éléments cachés, jusqu'alors, au fond du moi.
Nous avons parlé, jusqu'ici, de facultés supra-normales. Avant d'en entreprendre l'analyse, il ne serait pas inutile d'établir le sens exact des mots : norme et normale  appliqués à l'homme.
Dans le langage courant, le mot normal signifie deux choses, souvent très différentes : conformité à un modèle ; position moyenne entre les extrêmes. Souvent, cette position moyenne constitue précisément, la conformité à son modèle, lorsqu'on dit, par exemple, d'un gaz qu'il présente une densité normale. Mais, lorsqu'il s'agit d'organismes vivants, un nouveau facteur entre en jeu. Vie signifie changement, tout organisme vivant change ; chaque génération donnée diffère de celle qui  l'a précédée. Assigner une norme fixe à une espèce en état de changement continu, c'est viser un oiseau pendant qu'il vole. A aucun moment, l'état moyen ne correspond au modèle idéal ; la dernière phase de l'évolution actuellement réalisée tend plutôt, le milieu restant stable, à devenir l'état moyen de l'avenir. L'évolution humaine n'est, ni aussi simple ni aussi apparente que l'évolution de telle espèce de pigeons. Mais, il serait téméraire d'affirmer, qu'elle n'est même pas plus  rapide que les variations que subissent les animaux domestiques. Cent générations à peine  nous séparent des débuts de l'histoire ; cent générations environ séparent aussi le gagnant moderne du Derby du cheval guerrier de Gustave-Adolphe et, telle espèce de microbes traverse, dans l'espace d'un seul mois, le même nombre de générations. Au point de vue physique, les changements subis par l'homme sont moins prononcés que ceux subis par le cheval, probablement parce que, l'homme n'a pas été élevé dans le même but, ni avec les mêmes intentions ; mais, en tenant compte du pouvoir d'adaptation au milieu, l'homme a décrit dans ces 3o siècles, une courbe d'évolution infiniment plus vaste que n'importe quelle espèce chevaline depuis l'éohippos. Si nous remontons plus loin, jusqu'au germe primitif, nous nous apercevrons que, les ancêtres de l'homme ont dû varier plus rapidement que ceux des animaux, parce qu'ils ont fourni dans le même laps de temps, un trajet beaucoup plus long. Ils ont encore varié dans des directions plus nombreuses et, évoqué en plus grand nombre, les innombrables facultés qui se trouvaient latentes, dans un paquet de vases. De toutes les créatures, l'homme a fait les plus grands progrès, aussi bien au point de vue de la différenciation, qu'à celui de l'intégration ; après avoir appelé à l'activité le plus grand nombre de facultés que renfermait virtuellement le germe primitif, il a établi sur elles un contrôle central des plus sévères. Le processus continue toujours. Cette évolution ne peut se poursuivre que dans le sens, à la fois d'une plus grande extension et d'une plus grande intensité. Et j'affirme que, c'est l'homme de génie qui s'approche le plus de cet idéal. Nous savons que le spectre solaire ne présente nullement une bande continue de lumière colorée. Il renferme quelques lignes obscures, plus nombreuses que dans les spectres des autres étoiles. Il en est de même du spectre de la conscience humaine, dont la clarté est interrompue par endroits, par des lignes d'obscurité et d'opacité, au point que, chez les meilleurs d'entre nous, sa clarté soit terne et inégale.
Ce qui caractérise le génie, c'est que chez lui, les éléments subliminaux viennent augmenter l'intensité du spectre de la conscience et, projeter un peu de lumière sur ses parties obscures. Mais on peut, d'un autre côté, ranger dans la même catégorie que le génie, certains automatismes moteurs et sensoriels qui, à première vue, semblent n'avoir aucun rapport avec lui. Le génie représente une sélection étroite, parmi une foule d'autres phénomènes analogues, parmi de nombreux éléments subliminaux émergeant, soit dans les limites du spectre de la conscience, soit en dehors de ces limites.
Nous étudierons à part, les cas d'automatisme moteur et sensoriel et, nous verrons qu'il n'existe pas de perception qui ne soit susceptible d'émerger des couches inférieures de la conscience, sous une forme très intensifiée, avec la même rapidité d'impression et d'action que les inspirations les plus hautes du génie. Nous verrons, par exemple, que l'homme peut avoir une inspiration aussi soudaine et exacte de l'heure qu’il est, que l'a été probablement l'inspiration que Virgile aura eue de la seconde moitié d'un hexamètre difficile.
Depuis quelque temps, le public des grandes villes a eu souvent l'occasion de se divertir et, d'être surpris par ce qu'on appelle les « calculating boys », les «prodiges arithmétiques » ; jeunes généralement et capables de résoudre mentalement et, presque instantanément, des problèmes que la plupart d'entre nous ne pourraient résoudre que la plume à la main et, pendant un temps beaucoup plus long, sans être toujours certains de réussir.
L'avantage spécial que présente l'étude de ces prodiges, c'est que chez eux, l'impression subjective coïncide, presque exactement avec le résultat objectif. Le calculateur subliminal sent que le résultat est juste et, il l'est, en effet ; ce qui n'arrive pas toujours dans les véritables inspirations de génie.
Un psychologue américain et un psychologue français  ont réuni quelques explications, fournies par ces prodiges, sur leur méthode de travail. Mais, le résultat a été bien maigre quoique, les données que nous possédons suffisent à montrer qu'en réalité, le travail avait commencé par être subliminal, l'effort conscient ou supra-liminal était, soit totalement et absolument absent, soit n'entrant en jeu, qu'après que la faculté en question eût subi un exercice prolongé ; au point de faciliter les communications entre les deux couches. Le prodige arrivé à l'âge adulte et, qui reconnaît les artifices arithmétiques auxquels il avait eu recours étant garçon, ressemble à ces sujets hypnotisables, exercés par la suggestion, à se souvenir, pendant la veille, des événements qui se sont passés pendant le sommeil hypnotique.
Sur tous les points, en effet, la comparaison est possible : nous trouverons que ce don du calcul ressemble aux autres manifestations de la faculté subliminale, plutôt qu'aux résultats d'un effort franchement supra-liminal, tels que la faculté d'analyse logique. En premier lieu, cette faculté, malgré sa parenté apparente avec l'aptitude générale pour les mathématiques, s'observe indifféremment, aussi bien chez les personnes nullement douées pour les mathématiques et même, inintelligentes que, chez les véritables mathématiciens. En second lieu, elle se manifeste le plus souvent pendant l'enfance et s'atténue avec l'âge, jusqu'à disparaître complètement, ressemblant en cela, à la faculté visionnaire en général, à celle d'évoquer des visions hallucinatoires en particulier, lesquelles facultés, ainsi qu'il résulte des recherches de M. Galton et des nôtres, sont plus fréquentes pendant l'enfance et la jeunesse qu'à l'âge adulte. Il est à remarquer encore que, lorsque le don du calcul disparaît de bonne heure, il est capable de ne laisser aucune trace dans la mémoire du sujet. Et même lorsque, après avoir persisté longtemps dans un esprit capable de réflexion, il a fini, pour ainsi dire, par être adopté par la conscience supra-liminale, il est encore susceptible de se manifester par de véritables étincelles d'inspiration ; la réponse se présentant à l'esprit sans aucune perception des états intermédiaires.
Nous donnons, à l'appui des propositions que nous venons de formuler, le tableau suivant emprunté à M. Scripture :

Noms        Âge auquel le don    Sa durée        Intelligence
        s'est manifesté pour               
        la première fois               
Ampère        4 ans        ?        Éminente   
Bidder        10 ans        Toute la vie        Bonne   
Buxton        ?        ?        Médiocre   
Colburn        6 ans        Quelques années        Moyenne   
Dase (ou) Daghse    Enfance        Toute la vie?        Très médiocre
Fuller        ?        ?        Médiocre   
Gauss        3 ans        ?        Éminente   
Mangiamele        10 ans        Quelques années        Moyenne?   
Mondeux        10 ans        ?        Médiocre   
Prolongeau        6 ans        ?        Médiocre   
Safford        6 ans        ?        Bonne   
M. Van R.,d'Utica    3 ans        ?        Moyenne   
Whately        3 ans        ?        Moyenne   

C'est ainsi que, sur treize noms, nous avons deux hommes d'une intelligence transcendante et, trois autres doués d'aptitudes supérieures.
Sur le don de Gauss et d'Ampère, nous ne possédons que quelques anecdotes charmantes. Après s'être manifesté à un âge où, il ne peut encore être question d'effort mental supra-liminal, il semble avoir bientôt disparu dans le courant général de leur génie. Chez Bidder, le don a persisté toute la vie, s'affaiblissant toutefois avec l'âge. Dans un travail publié dans le volume XV des Proceedings of the lnstitute of Civil Engineers, il donne au calculateur, certains conseils pratiques et, montre que les opérations de calcul mental ne sont possibles que grâce à une facilité singulière avec laquelle, les différentes couches mentales communiquent entre elles. « Toutes les fois, dit-il, que j'ai été invité à faire appel aux réserves de mon esprit, elles semblaient se présenter avec la rapidité d'un éclair. » Et dans le volume CIII du même recueil, M. W. Pole, en décrivant la façon dont M. Bidder pouvait déterminer le logarithme d'un nombre composé de 7 à 8 chiffres, dit : « Il possédait une faculté presque miraculeuse de trouver, pour ainsi dire, intuitivement, les facteurs dont la multiplication donnait tel grand nombre. C'est ainsi que, étant donné le nombre 17861, il trouvait instantanément qu'il résultait de la multiplication de 337 par 53... Il n'aurait su, disait-il, expliquer comment il le faisait ; c'était chez lui presque un instinct naturel. »
En ce qui concerne l'archevêque Whately, j'emprunte à M. Scripture les renseignements  suivants : « Ma faculté de calcul présentait certainement quelque chose de particulier. Elle se manifesta à l'âge de 5 à 6 ans et a duré trois années. Je faisais mentalement les additions les plus compliquées et, cela beaucoup plus rapidement que ceux qui les faisaient sur papier et, jamais on n'a pu constater dans mes opérations, la moindre erreur. A L'âge où j'ai commencé à fréquenter l'école, ma faculté de calcul avait disparu et, j'ai été depuis lors, très faible en mathématiques. »
Le cas du professeur Safford est encore plus remarquable. Ayant des aptitudes marquées pour les mathématiques, actuellement professeur d'astronomie, il n'est, ni plus ni moins capable de calcul mental que, n'importe quel de ses voisins, alors qu'à l'âge de 10 ans, il faisait de tête et sans jamais se tromper, des multiplications dont le résultat se composait de 36 chiffres.
« M. van R..., d'Utica, » dit M. Scripture, d'après les renseignements fournis par Gall, «présentait à l'âge de 6 ans, une remarquable faculté de calcul mental, qui avait complètement disparu deux ans plus tard. Il n'avait pas la moindre notion concernant la façon dont il exécutait ses opérations mentales. »
Parmi les prodiges intelligents ou, n'ayant reçu aucune instruction, Dase seul, semble avoir conservé sa faculté toute la vie. Colburn et Mondeux et, peut-être aussi, Prolongeau et Mangiamele l'ont perdue, une fois sortis de l'enfance.
Quoique nous ne possédions aucune donnée relative à la façon dont les prodiges de cette dernière catégorie exécutaient leurs opérations mentales, nous avons des raisons de supposer que la séparation entre le courant supra-liminal et la couche subliminale de la pensée devait être complète. Buxton résolvait ses problèmes tout en causant librement de choses quelconques, complètement étrangères à la question qui l'occupait. La fixité et la clarté de la vision interne semblent constituer, en effet, les seules conditions nécessaires au fonctionnement de cette faculté, le contrôle supra-liminal n'étant qu'une condition tout à fait accessoire.
Dans certains cas, l'activité subliminale se montre très intense et des plus ingénieuses. C'est ainsi que Mangiamele, fils d'un berger de Sicile, n'ayant jamais reçu aucune instruction fut, à l'âge de 10 ans et 4 mois, présenté par Arago à l'Académie des Sciences où, il trouva en moins d'une minute, la racine cubique du nombre 3 796 416 et, ne mit pas plus de temps à déterminer, à résoudre les deux équations : x2 + 5x2 — 42x— 40 = 0 et x5 — 4x—16799 = 0.
En ce qui concerne la constitution physique et l'état psychique des prodiges en question, nous savons seulement que Colburne avait des doigts surnuméraires et que Mondeux a été hystérique. Quant aux autres, ils paraissent avoir été indemnes de toute tare physique ou nerveuse. Rien ne nous autorise à considérer l'existence de cette faculté subliminale comme un signe de dissociation des éléments psychiques. Cette existence d'une faculté subliminale superposée à l'activité supra-liminale ne constituerait-elle pas plutôt, un signe d'intégration, caractéristique d'une individualité plus complète et, ne serait-elle pas due au fonctionnement inusité de l'hémisphère cérébral droit, généralement peu ou pas actif ? Dans ces cas, les sujets doués de la faculté du calcul mental devraient présenter une ambidextérité. Or, des renseignements recueillis par nous à ce sujet, il résulte que deux seulement d'entre eux présentaient une capacité dextro-cérébrale un peu plus prononcée que chez la moyenne des hommes.
Avant d'étudier le rôle qui revient à l'activité subliminale dans le fonctionnement de nos sens hautement différenciés de l'ouïe et de la vue, voyons jusqu'à quel point les perceptions moins différenciées, fournies par le flux du temps, par la sensation du poids ou par la résistance musculaire, sont susceptibles de subir une intensification du fait de l'activité subliminale. Les sensations de cette catégorie constituent les éléments les plus profonds de notre existence organique et, le sens du temps en particulier se présente par beaucoup de côtés, comme une faculté éminemment subliminale. Nous possédons beaucoup de témoignages qui montrent que ce sens est plus précis pendant le sommeil qu'à l'état de veille, chez les sujets hypnotisés que pendant le sommeil normal. Les observations de somnambulisme spontané sont pleines de faits où, des ordres donnés par le sujet à lui-même, ont été exécutés, probablement en vertu de l'autosuggestion, à l'heure précise préalablement fixée, sans le secours d'une montre. Cette connaissance cachée peut encore affecter la forme d'une image de rêve, comme dans le cas publié par le Pr Roger, de Harvard, où le sujet avait vu en songe, une énorme horloge flamboyante, dont les aiguilles marquaient 2 heures 20 et qui, aussitôt réveillé, constata sur sa montre qu'il était en effet 2  heures 20.
Passant aux productions subliminales du type visuel, je suis très heureux de pouvoir citer le passage suivant où, je trouve une confirmation de ma théorie, émanant d'un des penseurs les plus lucides de la génération précédente. Ce passage est emprunté à un article sur la « Vision Sensorielle » publié par Sir John Herschel dans ses Familiar Lectures on scientific Subjects (1816). Sir John décrit quelques expériences personnelles qui consistaient dans la production involontaire d'impressions visuelles, dont la régularité géométrique constituait le caractère principal et ceci, dans des circonstances qui rendaient absolument inutile toute explication tirée de la régularité possible dans la structure de la rétine et des nerfs optiques ». Deux fois, ces figures ont apparu à l'état de veille, en plein jour, sans que leur apparition ait été précédée, ou suivie, de la moindre indisposition. Le plus souvent, elles se présentaient dans l'obscurité mais, toujours à l'état de veille. Elles se sont également présentées deux fois, lorsqu'il se trouvait sous le chloroforme « mais, dit-il, j'avais la conscience de me trouver éveillé et en pleine possession de mon esprit, quoique totalement insensible à ce qui se passait. Quelle était la nature de ces spectres
géométriques, comment et dans quelle partie de l'organisme corporel ou mental avaient-elles pris naissance ?  Il ne s'agissait évidemment pas de rêves. L'esprit, loin d'être endormi, était actif et conscient de la direction de ses pensées ; mais, les figures en question s'imposaient à l'attention et, entraînaient le courant des idées dans une direction qu'il n'aurait pas prise tout seul. S'il est vrai que la conception d'une figure géométrique régulière implique l'exercice de la pensée et de l'intelligence, il paraîtrait presque, dans le cas dont je parle, qu'on se trouve en présence d'une pensée, d'une intelligence fonctionnant en nous mais, distincte de notre personnalité. » Et sir John exprime l'avis que ces figures complexes, entrant dans l'esprit de cette façon arbitraire en apparence, jettent une certaine lumière sur « le principe suggestif » qui « agit d'une façon déterminante et décisive sur notre volonté, lorsqu'elle passe dans l'action ». « II est, à mon avis, du plus grand intérêt de considérer les cas où, sur un fait aussi abstrait, aussi dépourvu de tout élément moral ou émotionnel, comme la production de figures géométriques, nous pouvons saisir ce principe  sur le vif, en plein fonctionnement ».
A mon point de vue personnel, je ne puis qu'admirer la sagacité dont fait preuve le grand penseur, malgré le petit nombre d'observations dont il disposait. Il ne semble pas avoir saisi les rapports qui existent entre ces « hallucinations schématiques », pour me servir de l'expression de M. le Pr Ladd et, les figures illusoires d'hommes ou d'animaux qu'on voit, soit en pleine santé, soit pendant la maladie. Mais, sa conclusion me paraît irréfutable : « Nous nous trouvons en présence d'une pensée, d'une intelligence fonctionnant en nous mais, distincte de notre personnalité. » Je le considère volontiers comme le premier partisan de la théorie à laquelle je me suis arrêté moi-même et, d'une façon indépendante, me basant sur des faits et des observations infiniment plus nombreux. Un jeune médecin français a consigné dans un livre, les résultats d'une enquête directe
faite auprès de quelques-uns de ses compatriotes illustres, relativement à leurs méthodes de travail mental . Je citerai quelques-unes des réponses qu'il avait reçues, en commençant par celle de M. Sully-Prudhomme, à la fois psychologue et poète, qui parle de la clarification subconsciente d'une chaîne de raisonnements abstraits. « Il m'était arrivé quelquefois de saisir subitement, une démonstration géométrique qui m'avait été faite un an auparavant et cela, sans faire le moindre effort d'attention à cet effet. On dirait que les conceptions que mes lectures ont implantées dans mon esprit ont mûri, d'une façon toute spontanée et, fait naître tout aussi spontanément, des preuves en leur faveur. »
On peut rapprocher de cette réponse, l'aphorisme suivant d'Arago : « Au lieu de m'obstiner à comprendre séance tenante une proposition, j'admets provisoirement qu'elle est vraie ; et, le lendemain, je suis tout étonné de comprendre parfaitement ce qui m'avait paru tout à fait obscur la veille. »
Condillac raconte également, avoir souvent trouvé achevée dans son esprit, une œuvre encore incomplète la veille.
M. Retté, un poète, raconte à son tour au Dr Chabaneix, qu'il s'endort souvent sur une strophe inachevée qu'il trouve complète le lendemain, lorsqu'il y pense et, M. Vincent d'Indy, compositeur de musique, dit qu'il aperçoit souvent, à l'état de veille, la lueur rapide d'un effet musical lequel, tel le souvenir d'un rêve, ne peut être retenu que par une concentration forte et immédiate de l'esprit.
A. de Musset écrit : « On ne travaille pas, on écoute, c'est comme un inconnu qui vous parle à l'oreille. »
Rémy de Gourmont : « Mes conceptions envahissent le champ de ma conscience avec la rapidité d'un éclair ou du vol d'un oiseau. »
Lamartine dit : « Ce n'est pas moi qui pense, ce sont mes idées qui pensent pour moi. »
M. S. écrit : « En écrivant ces drames, il me semblait assister en spectateur à leur représentation ; je regardais ce qui se passait sur la scène, dans l'attente impatiente et étonnée de ce qui allait suivre. Et, je sentais en même temps que, tout ceci venait des profondeurs de mon être. »
Saint-Saëns n'a qu'à écouter, comme Socrate écoutait son démon et M. Ribot, en résumant un certain nombre de cas analogues, dit : « C'est l'inconscient qui produit ce qu'on appelle vulgairement l'inspiration. Cet état est un fait positif, présentant des caractères physiques et psychiques qui lui sont propres. Avant tout, il est impersonnel et involontaire, agit à la façon d'un instinct, quand et comme il veut ; il peut être sollicité mais, ne supporte pas de contrainte. Ni la réflexion, ni la volonté ne peuvent le remplacer dans la création originale... Les habitudes bizarres que les artistes adoptent au moment où ils composent, ne tendent qu'à créer un état physiologique spécial, à augmenter la circulation cérébrale, de façon à provoquer ou à maintenir l'activité inconsciente. »
Nous ne savons rien sur les modifications qui se produisent dans la circulation cérébrale. Mais quelques conclusions d'ordre psychologique semblent découler des faits que nous venons de citer. Il est à noter, en premier lieu, qu'une submergence peu profonde et de courte durée au-dessous du seuil de la conscience, suffit à communiquer une nouvelle vigueur au courant supra-liminal de la pensée. Des idées qu'on laisse mûrir, sans s'en occuper, pendant quelques jours ou pendant une nuit seulement, ne descendent pas bien au-dessous de la conscience. Elles représentent, pour ainsi dire, la première phase du processus qui, quoique souvent invisible, n'en est pas moins, fort probablement continu, à savoir le maintien de la vie supra-liminale par des impulsions ou, une direction venant d'en bas. En second lieu, nous avons dans quelques-uns de ces cas d'abstraction profonde et fertile, un commencement de dédoublement de la personnalité John-Stuart Mill, composant des chapitres entiers de sa logique, pendant qu'il était bousculé par les cohues de Leadenhall Street, fait penser à certains cas morbides de distraction hystérique, à cette différence près que chez Mill, le processus, au lieu d'être dissolutif, était intégratif, se résumant non par une diminution mais, par une augmentation de sa puissance sur son propre  organisme.
Nous voyons enfin, dans quelques-uns des cas qui nous occupent, l'homme de génie aboutir spontanément et inconsciemment, à des résultats analogues à ceux auxquels, le sujet hypnotisé n'arrive que grâce à des artifices appropriés. C'est qu'il coordonne, en effet, dans son existence, les états de veille et de sommeil. Il emporte dans son sommeil ses connaissances et ses intentions des heures de veille et, il réintroduit dans son état de veille, le bénéfice de ces assimilations profondes qui s'accomplissent pendant le sommeil. La suggestion hypnotique vise précisément à cette coopération entre l'état de veille, pendant lequel la suggestion fournit, par exemple, le projet de quelque modification fonctionnelle et, l'état de sommeil pendant lequel cette transformation s'opère ; le bénéfice de cette dernière se prolongeant pendant l'état de veille suivant. L'état hypnotique, qui est un sommeil développé, accomplit ainsi pour l'homme ordinaire, ce que le sommeil ordinaire accomplit pour l'homme de génie.
Quelques imparfaites et incomplètes que soient les statistiques et les observations que nous venons de citer, elles me semblent nous engager dans une direction plus rationnelle que celle que nous indiquent les faits réunis par ce groupe d'anthropologistes modernes qui considèrent le génie, comme une sorte de maladie nerveuse, comme un trouble de l'équilibre mental, analogue à celui qu'on observe chez les criminels et les fous. Il n'est pas vrai que la race humaine tende d'une façon générale à la dégénérescence nerveuse ni que, cette dégénérescence nerveuse atteigne son maximum chez ses représentants les plus éminents. On peut cependant admettre, avec quelque apparence de raison, que la proportion des troubles nerveux, par rapport à d'autres, tend à augmenter mais, cette augmentation, loin de constituer le symptôme d'une dégénérescence nerveuse est dû, plutôt, à ce que les modifications nerveuses et le développement nerveux s'accomplissent actuellement, parmi les peuples civilisés, beaucoup plus rapidement qu'autrefois : nous assistons, en effet, à une adaptation à des milieux de plus en plus vastes, laquelle adaptation doit inévitablement s'accompagner, dans les cas les plus marqués, d'un certain état d'instabilité nerveuse. A un certain point de vue, ces modifications peuvent paraître regrettables mais, on ne doit pas oublier que l'augmentation et l'aggravation des troubles nerveux n'est que relative ; d'autres causes de maladies : la faim, la malpropreté, etc., tendant à diminuer, au contraire, parmi les peuples civilisés. Il est probable que les sauvages et les populations primitives souffrent aussi souvent que nous d'instabilité nerveuse mais, ils n'ont pas assez d'intelligence pour s'en apercevoir et s'en soucier. Quant à mon autre proposition, d'après laquelle l'évolution nerveuse s'accomplirait de nos jours plus rapidement qu'autrefois, j'en vois la preuve dans tous les actes qui demandent une adaptation rapide et précise du système nerveux. Les « records » athlétiques de nos jours sont une affaire de nerfs plus que de muscles et, le niveau de l'aptitude moderne pour toute  sorte de travaux intellectuels et manuels monte aussi rapidement que le degré de perfection
de la machinerie, appelée à suppléer à nos forces physiques.
Je le répète : le développement rapide de notre côté nerveux ne va pas, sans amener à sa suite, un certain degré d'instabilité nerveuse. Mais, il ne faut pas oublier que cette instabilité n'est qu'une forme, qu'une expression particulière de l'évolution et, que toutes les manies, toutes les bizarreries, les goûts fantasques, la sensibilité exagérée et aberrante que Lombroso a notées chez un grand nombre de grands hommes, ne sont que des troubles passagers, accompagnant le développement de l'organisme humain jusqu'à son épanouissement complet ou, précédant les derniers efforts destinés à amener au monde, un  organisme nouveau.
Tel est mon point de vue. Pour le rendre acceptable, je devrais pouvoir montrer qu'il découle logiquement de considérations plus éloignées et purement spéculatives, portant sur la nature et sur la valeur de toute l'existence et de toute l'évolution humaines. Nous possédons déjà plusieurs synthèses de ce genre parmi lesquelles, la synthèse matérialiste apparaît comme la plus superficielle. Dans notre profonde ignorance des sources et des origines de la vie, nous n'avons pas le droit de la considérer, avec les matérialistes, comme un produit purement planétaire, destiné à des fins également planétaires. Le biologiste qui affirmerait que la vie sur la terre ne sert qu'à produire de la nouvelle vie sur la terre, ressemblerait au géologue qui, avant l'apparition de la vie, aurait affirmé que les forces  géologiques constituent la seule source d'activité de notre planète.
Depuis que le premier germe de vie a apparu sur la terre, son histoire a été, non seulement celle d'une adaptation progressive à un milieu connu mais encore, celle d'une découverte progressive d'un milieu inconnu, quoique toujours présent. Ce que nous appelons l'irritabilité primitive simple était, en réalité, une vague panesthésie, une faculté virtuelle mais, encore inconsciente de toutes les actions auxquelles elle avait à répondre. Avec le développement de ces facultés de sensation et de réaction, des milieux dont ils n'avaient jusqu'alors aucune conception, se sont graduellement révélés aux organismes vivants. Pour ne prendre qu'un exemple : est-ce que l'énergie électrique n'a pas existé de tout temps et n'a pas toujours manifesté son action, avant que les organismes vivants aient découvert qu'ils possédaient l'aptitude de réagir à ces actions ? Pourquoi ne pas supposer qu'il existe autour de nous d'autres milieux, d'autres énergies que nous ne soupçonnons pas, que nous arriverons à découvrir un jour mais qui, néanmoins, agissent sur nous et sur les autres êtres vivants, provoquent même des réactions de notre part, dont nous ne nous rendons pas compte, parce qu'elles n'ont pas encore franchi le seuil du moi supra-liminal ? Qu'est-ce qui nous empêche d'admettre que les actions télépathiques ou les influences que des esprits exercent à distance sur d'autres esprits font encore partie de ces énergies non découvertes, existantes néanmoins et toujours actives ? Que nous vivons dans un milieu inconcevable et sans limites, monde de pensée ou, univers spirituel chargé de vie infinie, pénétrant et dépassant tous les esprits humains, ce que les uns appellent l'Ame du monde, les autres Dieu ?
Je ne m'occupe pas, pour le moment, de ces facultés supra-normales. Tout ce que je voulais montrer, c'est que le génie, loin de pouvoir être rangé dans la même catégorie que la folie et considéré comme une aberration de l'esprit humain ou un signe de dégénérescence, constitue plutôt une des phases les plus avancées de l'évolution humaine et que les productions de génie, j'entends la philosophie, les arts plastiques, la poésie, la musique, les mathématiques pures que tant d'autres considèrent comme des productions accessoires, sans utilité aucune dans la lutte pour l'existence matérielle, sont autant d'intuitions de vérités nouvelles et de forces nouvelles, inaccessibles à l'homme moyen qui, au lieu de l'inspiration, ne possède que ce consensus de facultés différenciées que la nature a élevées au-dessus du seuil de la conscience, en vue des fins de la vie quotidienne. Encore une fois : l'explication purement matérialiste de l'évolution est impossible. Elle est impossible sans la supposition tacite que la nature tend, en quelque sorte, à produire l'intelligence ; que le lapin coureur et le microbe de l'influenza ne peuvent constituer ses derniers aboutissants. Mais, en ce qui concerne la qualité et la quantité de l'intelligence qu'elle tend à produire, ce n'est pas à l’homme sensuel moyen de se prononcer là-dessus mais, aux meilleurs échantillons de notre race. C'est à eux que nous devons demander quel est le but de la vie ; si c'est pour la nourriture du jour qu'ils travaillent, ou bien, en vue de l'amour et de la sagesse.
L'inspiration de génie et la pensée logique consciente forment deux quantités, parfois incommensurables. De même que le jeune calculateur résout ses problèmes à l'aide de méthodes qui diffèrent de celles du mathématicien exercé, de même dans les productions artistiques, ce «quelque chose d'étrange » que renferme « toute beauté excellente », peut être l'expression d'une différence réelle, entre le mode de perception subliminale et l'activité supra-liminale. Il me semble que cette différence est particulièrement sensible en ce qui concerne les rapports du moi subliminal à la fonction du langage. En traitant le langage comme une branche de l'art ou de la poésie, le moi subliminal dépasse souvent l'effort conscient et, il reste d'autres fois au-dessous de cet effort, lorsqu'il est obligé de se servir des mots comme d'un moyen inévitable d'exprimer des idées pour l'expression desquelles, le langage commun n'a pas été créé.
C'est ainsi qu'en présence d'une des grandes productions verbales de l'humanité, l'Agamemnon d'Eschyle par exemple, nous ne pouvons résister à la vague impression qu'une intelligence, autre que la raison supra-liminale ou la sélection consciente, s'était trouvée à l'oeuvre lors de l'élaboration de cette tragédie. Le résultat ressemble moins à la perfection d'un choix rationnel parmi des données connues, qu'à une présentation imparfaite de quelque schéma basé sur des perceptions à nous inconnues.
Mais, d'un autre côté, quoique le génie soit à même de se servir des mots d'une façon qui rappelle un peu l'éloignement mystérieux de la musique, il me semble cependant que, notre éducation subliminale est moins liée à la faculté du langage que la supra-liminale. Il existe, dans le langage courant, une phase dont la portée psychologique est plus grande qu'on n'a l'air de s'en douter. De tout ce que nous appelons génie et de tout ce que nous rapportons au génie, art, amour, émotion religieuse, nous disons couramment que cela dépasse la portée du langage.
Quoique le langage parlé et écrit fût devenu notre principal moyen d'expression et de communication de nos pensées et émotions, nous n'avons aucune raison d'admettre a priori, qu'il soit capable d'exprimer toutes nos pensées et nos émotions. On a dit que « tout langage débute comme une poésie et finit comme une algèbre ». Ce qui revient à dire qu'il débute comme une émergence subliminale pour finir comme un artifice supra-liminal. Les instincts organiques déterminent l'émission des premiers sons, les lois inconscientes de l'esprit fournissent la première ébauche de grammaire. Mais, de nos jours, la naïveté du langage commence à disparaître. Les besoins de la science et du commerce sont devenus  dominants ; la première ayant créé délibérément, pour son usage, un système de signes, arrangements de lettres et de nombres ou, vocabulaires techniques construits sur un plan arrêté d'avance. Le second s'efforçant d'atteindre le même caractère algébrique, avec la  comptabilité, les codes télégraphiques, le volapük, etc.
Certes, les progrès du langage ne dépendent pas uniquement de ce qui se fait dans les comptoirs et les laboratoires. On favorise ailleurs la spiritualisation du langage humain, de façon à rendre notre vocabulaire, malgré qu'il soit basé sur des objets directs et des sensations directes, propre à exprimer des idées philosophiques. Mais, malgré tous les efforts, nos manipulations supra-liminales nous laissent un outil, de moins en moins capable d'exprimer la complexité croissante de notre être psychique.
C'est par le recours au symbolisme, dans le sens le plus large du mot, tel qu'il s'exprime dans l'art, que l'homme de génie supplée à l'insuffisance du langage. Je parle du symbolisme, dans le sens d'une concordance préexistante mais, cachée entre les choses visibles et invisibles, entre la matière et la pensée, la pensée et l'émotion que, les arts plastiques, la musique et la poésie, chacun à sa façon et dans le domaine qui lui est propre, découvrent et rendent évidente, pour la plus grande joie et édification humaines. En me servant du mot symbolisme, je suis loin, je le répète, d'adhérer aux formules d'une école quelconque. Le symbolisme dont je parle, n'a rien de commun avec le mysticisme. Il ne peut y avoir, à mon avis, d'abîme réel ou de division profonde entre les écoles réalistes et idéalistes. Tout ce qui existe est continu et, l'art ne peut symboliser un aspect quelconque de l'univers, sans symboliser en même temps, d'une façon implicite, d'autres aspects moins  visibles et apparents.
L'art exprime le symbolisme à tous les degrés de transparence et d'obscurité, depuis le symbolisme qui ne fait que résumer le langage, jusqu'à celui qui le dépasse. Quelquefois, et c'est le cas de la musique, il est plus qu'inutile de chercher une interprétation trop précise. La musique marche et marchera toujours à travers son monde idéal et inimaginable. Sa mélodie peut être d'un symbolisme puissant mais, dont les hommes ont perdu la clef. La poésie, au contraire, se sert des mots dont elle aspire à dépasser le sens. Si elle veut rester de la poésie, elle doit partir d'une source plus profonde que le langage réfléchi ; elle doit, selon l'expression de Tennyson, «exprimer par les mots, un charme que les mots ne peuvent rendre ».
Considérée, soit au point de vue de son développement dans la race, soit à celui de sa manifestation chez les individus, la musique apparaît, moins comme un produit de nos besoins terrestres et de la sélection naturelle que, comme une aptitude subliminale, se manifestant d'une façon accidentelle, indépendante des influences externes et du moi supra-liminal. Nous savons à quel point il est difficile d'en expliquer les origines d'après l'une quelconque des théories concernant l'évolution des facultés humaines. Nous savons qu'elle est quelque chose qui se découvre, plutôt qu'un produit qui se fabrique et, les sensations subjectives des musiciens eux-mêmes, s'accordent parfaitement avec cette conception de la nature essentiellement subliminale de l'aptitude en question. Il n'existe pas d'autre branche où le « génie » ou, l' « inspiration » constitue une condition aussi essentielle du succès. Ce n'est pas de la réflexion sur les relations réciproques des notes musicales que sont nés les chefs-d'oeuvre musicaux. Ils sont nés, comme chez Mozart dont je n'ai pas besoin de citer les paroles bien connues, d'une explosion inattendue de sons, d'une joie non préméditée et se révélant spontanément. Ils sont nés, comme chez l'abbé Vogler, de Browning, des profondeurs de l'âme et des hauteurs du ciel. Transposant ces phrases poétiques dans les termes dont nous nous servons, nous pouvons dire que nous avons atteint là, un point où les émergences subliminales sont reconnues par la personnalité supra-liminale, comme étant plus profondes, plus vraies, plus permanentes que les produits de la pensée volontaire.
Nous savons que ce qui distingue le génie des états, tels que l'hypnotisme et l'automatisme, c'est la collaboration, la coopération qui se manifeste chez lui, entre le subliminal et le supra-liminal qui se complètent, sans produire aucune altération de la personnalité proprement dite. Dans l'hypnotisme, au contraire, les opérations subliminales impriment à la personnalité une transformation, en substituant l'état de sommeil à celui de veille et, dans l'automatisme, l'idéation subliminale fait irruption dans le domaine supra-liminal, sans se confondre avec lui comme dans la clairvoyance ou dans l'écriture automatique. En pratique, la séparation entre ces trois états est moins nette, moins tranchée qu'elle n'apparaît et, en ce qui concerne le génie en particulier, il existe de nombreux liens, peu apparents souvent, qui le rattachent à l'automatisme d'un côté, à l'hypnotisme de l'autre.
On peut dire en effet que, de même que la colère est un bref accès de folie, l'éclair de génie est une manifestation instantanée d'automatisme.
Les moments d'inspiration de Wordsworth, lorsque, comme il dit : Some lovely image in the song rose up, full formed, like Venus rising from the sea, (quelque gentille image surgissait toute formée dans le chant, à l'instar de Venus surgissant des flots) étaient, en effet, des moments de manifestation automatique, malgré la coopération immédiate et simultanée du moi supra-liminal. Cette brusque création poétique ressemble singulièrement à l'annonce faite par le calculateur du produit de deux nombres ; à la précipitation brusque pour saisir le papier, le crayon et, inscrire le mot longtemps désiré et cherché et, qui s'est présenté d'une façon soudaine.
Mais, cet automatisme instantané s'étend un peu plus loin. Nous arrivons à ce qu'on appelle la faculté d'improvisation. Que signifie ce terme ? S'agit-il là d'une activité subliminale ou d'un exercice rapide d'une faculté ordinaire ?
Il est évident, en premier lieu, que beaucoup de ce qu'on appelle improvisation est, avant tout, une affaire de mémoire. L'automatisme dit secondaire, en vertu duquel le pianiste est capable de jouer une pièce connue sans attention consciente, amène facilement des improvisations que le pianiste lui-même peut, de bonne foi, considérer comme originales mais qui consistent en réalité, en fragments remémorés réunis par des liens artificiels. C'est ainsi que l'orateur « pensant debout», se fie tout d'abord à la répétition automatique de quelques phrases banales mais, s'aperçoit peu à peu que de longues périodes imprévues et inédites sortent de sa bouche.
Il ne s'agit plus ici d'une synergie stéréotypée, d'une accoutumance d'un groupe particulier de centres nerveux à l'action commune. Il y a aussi un certain degré d'adaptabilité et d'invention ; de nouveaux trajets sont traversés, des combinaisons sont créées qui s'expliquent difficilement par le simple retour d'anciens précédents. Ce problème fait penser à la difficulté bien connue que rencontre l'explication de ce qui se passe pendant le rétablissement ou la «substitution» d'une fonction, après une lésion cérébrale. Dans ce dernier cas, des éléments indemnes assument progressivement une fonction qu'ils n'ont jamais exercée auparavant et établissent de nouvelles communications, de façon à priver la portion lésée du cerveau de toute efficacité. Ce rétablissement, loin d'être rapide, s'accomplit graduellement, comme une guérison ou une repousse, ce que suggère l'idée d'un processus physiologique plutôt que d'un contrôle intelligent, comme dans le cas de rebourgeonnement, d'après un modèle préétabli d'une patte d'écrevisse séparée du corps. Ce rétablissement des fonctions cérébrales est, pour le moment, inexplicable, comme toute croissance. Nous pouvons l'appeler avec quelque raison, « la manifestation supérieure de la croissance humaine ». Considéré de cette façon, il occupe le milieu entre la croissance ordinaire d'un os ou d'un muscle, toujours d'après un plan prédéterminé et, cette création subite de nouvelles connexions cérébrales ou trajets cérébraux, qui caractérise l'inspiration de génie. Cette comparaison n'infirme en rien mon opinion d'après laquelle, l'inspiration de génie résulterait de la collaboration d'un courant d'idées subliminal, aussi bien développé dans son genre, que notre idéation supra-liminale dont nous avons conscience. La nature et le degré de la faculté subliminale doivent être jugées d'après leurs manifestations les plus élevées. Et, l'analogie entre les opérations inconscientes du génie et la croissance me fournirait plutôt un nouvel argument, en me faisant considérer la croissance organique comme subissant le contrôle de quelque chose qui ressemble à une intelligence ou à une mémoire et qui, dans certaines conditions, dans le sommeil hypnotique par exemple, est susceptible d'apporter sa collaboration à la volonté consciente.
Le talent de l'improvisation, qui nous a suggéré ces analogies, peut parfois agir d'une façon plus permanente que dans les cas de l'orateur et du musicien. Il y a des raisons de supposer qu'il joue un grand rôle dans les oeuvres d'imagination, même les plus communes. Et, en premier lieu, la diathèse improvisatrice, s'il est permis de se servir de cette expression, a donné naissance à une littérature qui, pendant toute une génération, a été une des sources les plus abondantes d'émotion pour la pensée européenne. Il faut bien connaître la vie et les écrits de George Sand pour pouvoir discerner dans ses confessions, le mensonge inconscient de la vérité naïve et transparente. Mon opinion personnelle est que, à l'exception de certains cas où le mensonge lui a été dicté par l'intérêt de sa défense personnelle, elle apparaît toujours comme un psychologue, aussi véridique et introspectif que Wordsworth lui-même. Différents passages de son autobiographie, dont un ou deux  représentent je crois, des faits réels, sont confirmés ou, tout au moins, ne sont pas contredits par les témoignages de personnes au courant de ses méthodes de travail. Considérés comme exacts, ils révèlent une vigueur et une fertilité extraordinaires de productivité littéraire, s'accomplissant dans un état qui se rapproche presque de celui du rêve.
La vie de George Sand n'a pas été exempte de fautes morales. Mais, ces fautes étaient celles d'une organisation supérieure non morbide et, appartenaient en outre, presque entièrement à sa vie antérieure. Pendant de longues années de maturité et de vieillesse saines, elle a fourni l'exemple frappant d'une énorme productivité imaginative, associée à la tranquillité intérieure et au calme méditatif. Ce que George Sand sentait dans l'acte de composition était, un courant d'idées continu et qui ne lui demandait aucun effort, avec ou sans extériorisation apparente des caractères qu'elle faisait figurer dans ses romans. Chez un autre auteur, aussi sain et presque aussi puissant que George Sand, nous trouvons un phénomène qui, chez un esprit moins robuste et moins actif, serait plutôt un indice de folie. Si on lit les allusions disséminées dans ses lettres et relatives à l'indépendance apparente des héros de Dickens, à la lumière des faits que nous connaissons déjà, on ne sera nullement tenté de les considérer comme des mystifications. Mrs Gamp, sa plus grande création lui parlait, disait-il, (généralement à l'église), d'une voix qui lui paraissait comme un avertissement intérieur.
M. de Curel, un distingué dramaturge français, racontait à M. Binet que ses personnages, après une période d'incubation pénible, assumaient une existence indépendante et tenaient des conversations, indépendamment de sa volonté et de son attention. Le processus de l'invention se poursuit ainsi chez lui, sans fatigue consciente. Ceci nous fait penser à certains actes accomplis sous la suggestion hypnotique sans la moindre sensation d'effort.
M. de Curel est un dramaturge ingénieux et raffiné, sinon largement populaire. Son oeuvre est d'un genre suffisamment élevé, pour donner un réel intérêt à l'analyse minutieuse et sérieuse qu'il fait de ses procédés ou plutôt, de ses expériences pendant le travail. Il commence par aborder son sujet de la façon ordinaire et même, avec un peu plus de difficulté et d'appréhension qu'on n'observe chez d'autres écrivains. Il commence ensuite à sentir qu'un certain nombre de quasi-personnalités surgissent en lui et lui parlent, tout comme Mrs Gamp parlait à Dickens à l'église. Ces personnages ne sont pas nettement visibles mais, ils se meuvent autour de lui sur une scène, maison ou jardin, qu'il perçoit également d'une façon très vague, comme nous percevons une scène qui nous apparaît en rêve. A partir de ce moment, il ne compose plus ni ne crée, il ne fait que de la révision littéraire ; les personnages parlent et agissent tout seuls et, lors même qu'il est interrompu pendant son travail, ou la nuit pendant qu'il dort, la pièce se développe toute seule dans  son cerveau. Lorsqu'il est distrait et ne pense plus a la pièce, il entend parfois les sentences faisant partie de scènes dont il ne s'est pas encore occupé ; c'est que l'élaboration subliminale de la pièce a dépassé ou devancé le point auquel, s'est arrêté le travail supraliminal. M. de Curel voit, dans ces petits dédoublements de la personnalité, une sorte de bourgeonnement, d'excroissance de la personnalité primitive, que cette dernière absorbe de nouveau graduellement, quoique non sans une certaine lutte pénible, une fois la pièce  terminée.
Il s'agit là de quelque chose d'analogue aux idées fixes résultant de l'autosuggestion. La même puissance de cristallisation autour d'un noyau donné qui, chez l'hystérique, aboutit à la formation de l'idée obsédante, aboutit, lorsqu'elle est soumise au contrôle supra-liminal bien dirigé, à la création des personnages vivants d'une pièce.
Nous avons essayé de montrer que le génie représente, non seulement une cristallisation d'idées déjà existant, quoique sous une forme flottante dans l'intelligence supra-liminale, mais encore, un courant d'idéation indépendant, quoique concomitant, ayant trait à des choses dont la connaissance est accessible à l'intelligence normale mais, les saisissant avec plus de rapidité et de facilité.
Poussons notre recherche plus loin et demandons-nous si, dans ce que nous appelons le génie, entre la connaissance de choses inaccessibles à l'intelligence normale ; une connaissance pour ainsi dire supra-normale, qui ne s'acquiert pas par les procédés ordinaires ?
Il semblerait, qu'en ce qui concerne l'appréciation de ce que j'appellerai le contenu vague et supra-normal des moments d'inspiration, nous n'ayons qu'un petit groupe d'hommes de génie à examiner. S'il y a des génies capables de s'élancer dans un monde spirituel inaccessible au commun des mortels, personne ne devrait en être plus capable que le philosophe et le poète. Mais, même dans les limites de ce groupe si restreint, notre choix n'est que très limité. Peu de philosophes ont été des hommes de génie, au sens que nous donnons à ce mot dans le présent ouvrage ; et, peu de poètes ont parlé avec assez de gravité et de sincérité pour que leurs témoignages puissent être cités comme des arguments  sérieux.
Ces témoignages, s'ils existent, doivent être cherchés, plutôt que dans la poésie épique ou dramatique, dans les oeuvres de poètes du type subjectif le plus prononcé. Nous n'allons pas composer une anthologie de passages se rapportant au sujet qui nous intéresse. L'analyse d'un seul poète, voire d'un seul poème, suffit au but que nous nous proposons. Quelque rang qu'on assigne à Wordsworth dans l'art du langage, il est impossible de lui refuser la vivacité consciencieuse de psychologue introspectif. « Le Prélude ou la Croissance de l'Esprit d'un Poète» a été considéré par quelques critiques, comme un poème ennuyeux et égoïste. Mais quelle que soit la qualité de plaisir poétique qu'il procure, sa valeur en tant que « document humain » est unique, au point de vue qui nous occupe. Nous trouverons, en effet, des passages introspectifs du plus grand intérêt et de toute beauté chez Goethe, chez Browning et avant tout, chez Tennyson. Mais personne, pas même Goethe, n'a examiné ses propres facultés avec autant de sérieux et de profondeur que l'a fait Wordsworth. Le Prélude constitue une tentative délibérée, persistante de raconter la vérité, toute la vérité et rien que la vérité sur les émotions et les intuitions qui différencient le poète de l'homme commun. Et il faut ajouter, et ceci est un jugement établi au-dessus et en dehors des fluctuations de la critique populaire, que Wordsworth avait parfaitement le droit de se considérer comme une sorte de poète-type. Froid ou enthousiaste, il occupe une position qu'il est impossible de lui contester.
Wordsworth ne se sentait pas seulement forcé de raconter la vérité sur lui-même, il était encore, particulièrement capable de le faire. Son respect de lui-même faisait, qu'il ne pouvait vouloir paraître différent de ce qu'il était.
Voyons donc la façon dont il décrit le contenu apparent des moments d'inspiration profonde. Nous voyons Wordsworth insister avant tout sur le caractère distinctif de ces émergences subliminales.
Il parle de la « brume intérieure » qui devient « une tempête, une énergie surabondante, ballottant en tous sens sa propre création ».
L'imagination est pour « ce pouvoir terrible surgi des abîmes de l'esprit, comme une vapeur impénétrable qui enveloppe subitement le voyageur solitaire. J'étais perdu, arrêté, sans pouvoir faire un effort pour me dégager ; mais je puis dire maintenant à mon âme consciente : je reconnais ta gloire. Dans cette force d'usurpation, lorsque la lumière des sens est éteinte et qu'il n'existe qu'une étincelle révélant le monde invisible, on sent une véritable grandeur ».
Ce passage exprime, dans un langage poétique, les vrais rapports entre le subliminal et le supra-liminal que nous avons fait ressortir dans ce chapitre.
L'influence surgit d'une source inaccessible ; elle surprend et trouble pendant un moment l'esprit conscient mais, elle est reconnue bientôt comme étant une source de connaissances, que découvre la vision interne tandis que, l'action des sens se trouve suspendue dans une sorte d'extase  momentanée. Mais, la connaissance ainsi acquise est, tout simplement une perception du «monde invisible », sans qu'on puisse la considérer comme une révélation définie.
De ses heures d'enfance le poète dit : « Déjà alors, j'apercevais des lueurs semblables à celles d'un bouclier reluisant dans l'obscurité; la terre et la nature dans son aspect ordinaire, me disaient des choses qui me semblaient des souvenirs. »
Et, puisque ces souvenirs ne sont en réalité, discernés que par la vision interne, il se produit une confusion croissante entre le subjectif et l'objectif ; entre ce qui naît dans le voyant lui-même et ce dont l'univers visible fournit des indices, qui sont plutôt des allusions : « une lumière auxiliaire me venait de mon esprit, qui communiquait une nouvelle splendeur au soleil couchant. » Yeux corporels étaient complètement oubliés et, ce que je voyais m'apparaissait comme quelque chose en moi-même, comme un rêve, une vue de l'esprit. »
Il en est ainsi, répète Wordsworth dans un autre passage, des esprits soutenus par la connaissance d'un pouvoir transcendant : « Ils vivent dans un monde de vie, dégagés des impressions sensibles mais subissant des impulsions vivifiantes qui les rendent aptes à s'entretenir avec le monde spirituel. »
Quelques vagues que soient ces passages (et d'autres du même genre que nous pourrions citer), ils n'en sont pas moins plus probants que les visions de saints et d'illuminés de différentes religions. La saine simplicité de Wordsworth rend peu vraisemblable le moindre soupçon de prévention; selon le conseil de Bacon, il a rendu son esprit concentrique de l'univers et, il n'existe rien dans ses révélations que d'autres révélations soient de nature à infirmer ou à contredire.
Une conscience vague mais véritable du milieu spirituel, tel est le degré de révélation accessible au génie de l'artiste ou du philosophe. En d'autres termes, les émergences subliminales, en tant qu'elles restent intellectuelles, tendent à devenir télesthésiques. Elles apportent des indices vagues de ce que je considère comme une grande vérité, à savoir que l'esprit humain est essentiellement capable d'éprouver des perceptions plus profondes que les perceptions sensorielles, d'acquérir une connaissance directe de faits dépassant la portée de nos organes différenciés et de nos vues terrestres.

Mais, la télesthésie n'est pas seulement une loi spirituelle, ni l'activité subliminale, une activité purement intellectuelle. Au-dessus et en dehors de la faculté innée de perception des phénomènes de l'univers, il existe entre les esprits mêmes, un lien universel qui, dans ses manifestations terrestres et inférieures, s'appelle télépathie. Notre faculté cachée, l'activité subliminale du génie, peut s'étendre aussi bien dans cette direction que dans celle de la télesthésie. Le contenu émotionnel de cette activité est même plus important et plus profond que leur contenu intellectuel, tout comme l'amour et la religion sont plus profonds et plus importants que la science et l'art.
Cette passion primitive, je le répète, qui lie la vie à la vie, qui nous lie aussi bien à la vie rapprochée et visible qu'à la vie imaginée et invisible, cette passion ne constitue pas une impulsion purement organique et terrestre mais, forme l'aspect intérieur de la loi télépathique. Il existe donc, entre l'amour et la religion, un lien de continuité ; ce sont des phases différentes d'une gravitation universelle et mutuelle des âmes. La chair sépare au lieu d'unir, quoique dans cette séparation même, elle suggère l'idée d'une union qu'elle est incapable de réaliser. Il ne s'agit pas là d'une émotion corporelle, ni purement humaine. L'amour est la force d'intégration qui fait un cosmos d'une multitude de choses. C'est là, la conception platonique de l'amour qui se confond presque avec la religion, tant que celle-ci exprime notre attitude émotionnelle et morale par rapport à la vie invisible. Pour l'amant platonique, l'image de l'être aimé, indépendante de la conscience et de l'imagination, est devenue une impulsion permanente et instinctive, aux pensées et aux actes nobles. Telle est, pour un saint François et une sainte Thérèse, l'image de la divinité qu'ils adorent ; et s'ils prétendent sentir parfois, dans des moments de crise, une domination, une direction, une communicatio idiomatum avec le Divin, nous pouvons ajouter foi à des témoignages plus humbles mais, plus tangibles et plus évidents, dont il résulte qu'une intercommunication télépathique et des influences impalpables, s'effectuant à distance, existent entre des âmes encore incarnées et d'autres ayant déjà quitté l'enveloppe charnelle.
Le type psychique, auquel nous avons donné le nom de génie, peut ainsi être reconnu dans toutes les régions de la pensée et de l'émotion. Dans chaque direction, notre moi quotidien peut être, plus ou moins, perméable pour les impulsions subliminales. Celui qui ne présente cette perméabilité qu'à un degré léger, qui agit conformément à des considérations supra-liminales, d'après des raisonnements, dirait-il, non d'après des impulsions, celui-là vit en sécurité dans sa prudente médiocrité. Il n'utilise que la partie de la nature humaine qui a été exercée et préparée de longue date, en vue des oeuvres de ce monde. Celui au contraire, dont la perméabilité pour les impulsions subliminales est plus grande, est capable d'embrasser un plus grand nombre de possibilités et, suit dans la vie, une voie moins sûre.
Quelles sont les conditions qui favorisent la production du génie, qui rendent tel d'entre nous plus perméable pour les impulsions subliminales que tel autre ? Des trois hypothèses qui se proposent d'expliquer le mystère des variations individuelles, de l'apparition de qualités et propriétés nouvelles ; les hypothèses lamarckienne, darwinienne et la théorie des réminiscences de Platon, cette dernière me paraît la plus vraisemblable, à la condition de la fonder sur les données scientifiques établies de nos jours. Je crois notamment, qu'il a dû y avoir dans le protoplasma, base primitive de toute vie organique, une puissance virtuelle d'adaptation à la manifestation de toutes les facultés qui se sont déroulées dans la vie organique. Je considère encore qu'il se produit, à chaque instant, des variations qu'il n'est pas toujours possible de prévoir et qui se manifestent par l'apparition accidentelle chez les descendants, de facultés qui ne se trouvaient pas chez les ascendants. Mais, je m'écarte de l'opinion communément admise, en ce que je ne considère pas ces facultés comme s'étant manifestées pour la première fois, grâce à une combinaison heureuse des éléments héréditaires. Je considère ces facultés, non comme apparues pour la première fois mais, comme révélées et, que la sélection, au lieu de faire naître une nouvelle faculté, n'a fait que tirer de la région subliminale, une faculté qui y avait toujours existé.
Cette opinion, poussée à ses dernières conséquences, semble en opposition avec la conception courante de l'évolution et cela, parce qu'elle nie que toutes les facultés humaines résultent de l'expérience terrestre. Elle admet un moi subliminal avec des facultés inconnues, nées d'une façon inconnue et, non simplement du contact avec les besoins éprouvés par l'organisme terrestre. Elle semble ainsi introduire un nouveau mystère, ce qui d'ailleurs n'est pas le cas, parce que toutes les facultés humaines, en parlant d'une façon générale, doivent être replacées dans le protoplasma et tirées du protoplasma. Il faut d'abord expliquer comment elles se sont trouvées impliquées dans les organismes primitifs et inférieurs et ensuite, comment elles se sont développées et déployées dans les organismes ultérieurs et supérieurs. Or, je le répète, toutes les facultés des organismes supérieurs existaient virtuellement dans les organismes inférieurs et, toute la différence entre ma conception et l'opinion courante se réduit à la différence, quant au sens que nous donnons au mot virtuel.
La différence réelle entre les deux opinions apparaît lorsqu'on considère les facultés mêmes que j'ai appelées inconnues. Si ces facultés existent réellement, mon opinion en fournit la meilleure explication. Or, je considère que la télépathie et la télesthésie existent réellement : la télépathie, en tant que communication entre les esprits incarnés, ou peut-être entre les esprits incarnés d'une part et des esprits dépourvus de l'enveloppe charnelle d'autre part ; la télesthésie, en tant que connaissance de choses dépassant les limites de notre perception ordinaire et qui fournit peut-être, l'aperçu d'un monde autre que notre monde terrestre. Et ces facultés, dis-je, ne peuvent avoir été acquises par la sélection naturelle, en vue de la conservation de l'espèce ; elles sont plutôt le produit d'une évolution extra-terrestre. Et, s'il en est ainsi de ces facultés spéciales, il pourrait en être de même de toutes les autres facultés humaines. Les formes spécialisées de la perception ne constituent donc pas des nouveautés réelles dans l'univers mais plutôt, des adaptations imparfaites du protoplasma à la manifestation de facultés perceptives générales qui y étaient incluses. Nous possédons des facultés qui sont devenues supra-liminales sous l'influence de la lutte pour l'existence. Mais nous en possédons d'autres, que la lutte pour l'existence a laissées intactes et qui sont restées subliminales. Le moi supra-liminal n'a pas accès à ces dernières facultés. Mais, à la suite d'un hasard de l'évolution ou d'un exercice quelconque, il se produit en un point, une communication entre les différentes couches de notre être et, une faculté subliminale apparaît au grand jour de la conscience supra-liminale.
J'affirme donc l'existence chez l'homme, d'une âme qui tire sa force et sa grâce d'un univers spirituel et, j'affirme aussi l'existence dans l'univers, d'un Esprit accessible à l'âme humaine et en communication avec celle-ci. Ces deux postulats manquent encore de base scientifique mais, ont été plus d'une fois formulés dans l'histoire de l'humanité. Ils ont été cités et reconnus par toutes les religions, quoique chacune d'elles en ait restreint l'application, au point de rendre leur vérité moins évidente et manifeste. Mais, ce que les religions ont réclamé pour leurs fondateurs et leurs saints — et qu'est ce que la sainteté, sinon le génie dans l'ordre moral ? — la psychologie le réclame pour chaque manifestation de notre vie spirituelle ; le rêve, le songe, le rajeunissement hypnotique, l'automatisme sensoriel et moteur, la possession, l'extase. Le philosophe qui s'est écrié avec Marc Aurèle : « Ou la providence ou les atomes ! », qui a déclaré que, sans cette base posée dans l'Invisible, « le cosmos moral serait réduit à un chaos », n'aurait-il pas salué la plus humble tentative de tirer de chacun des problèmes encore irrésolus, quelque allusion à la loi inconnue qui, un jour, nous fournira la solution de tout ?
CHAPITRE IV - LE SOMMEIL

Les chapitres précédents nous ont fait avancer de deux pas sur notre chemin. Dans le chapitre II, nous nous sommes fait une certaine idée, relativement à la composition de la personnalité humaine, en analysant quelques-uns des accidents auxquels celle-ci est sujette : les idées obsédantes, les instabilités hystériques, les désagrégations et alternances qui semblent détruire l'unité interne, à la sensation de laquelle, nous sommes instinctivement attachés. Dans le troisième chapitre, nous avons vu cette même personnalité dans son état normal de veille, la façon dont cette norme doit être définie et, par quelles voies, certaines personnes privilégiées ont réussi à étendre leur pouvoir de concentration intérieure et, à intégrer davantage leur personnalité, en utilisant les émergences de leur faculté subliminale pour compléter ou cristalliser, les produits de leur pensée supra-liminale.
La revue de ces deux chapitres indique, assez clairement, quelle doit être notre prochaine étape. Il est évident que, dans ma revue des phases ou, alternances de la personnalité, j'ai laissé de côté l'alternance la plus constante, la plus importante de toutes. Je n'ai, notamment, rien dit du sommeil ; mais, sans doute tous mes lecteurs y auront pensé ; non comme à une curiosité morbide mais, comme à une fonction essentielle de la vie.
Nous allons maintenant étudier le sommeil à deux points de vue.
Le considérant comme une phase alternante de la personnalité, nous devons rechercher quels sont ses caractères et facultés. Le considérant comme un facteur intégrant de notre existence terrestre, au même titre que l'état de veille, nous devons rechercher comment la faculté du sommeil et celle de la veille peuvent être améliorées et concentrées, au cours de l'évolution psychique et physique de l'homme. Une telle amélioration ou concentration suppose une connaissance de la vraie nature du sommeil que nous sommes loin de  posséder.
Considérons d'abord les caractères spécifiques du sommeil. La définition de ce dernier constitue un des points les plus difficiles de la physiologie. Et, je pense que les expériences avec le sommeil hypnotique qui se sont accumulées pendant ces dernières années, sont de nature à rendre cette difficulté encore plus grande. L'explication physiologique tend à montrer qu'un certain état corporel, tel par exemple que l'encombrement du cerveau par des produits de désassimilation, constitue, tout au moins, l'antécédent ordinaire du sommeil normal. Mais, il est certain d'autre part que, chez un grand nombre de personnes, on peut obtenir un sommeil profond et prolongé par la simple suggestion, quel que soit l'état corporel. L'hypnose peut, ainsi que l'ont montré Wetterstrand et d'autres, être prolongée avec un avantage réel pour le dormeur, bien au-delà du point que le sommeil spontané des sujets normaux est capable d'atteindre. Un bon sujet peut être réveillé et ré-hypnotisé presque à volonté, indépendamment de tout état de nutrition et de fatigue. Un sommeil de ce genre appartient aux phénomènes que nous pouvons, si nous le voulons, qualifier de nerveux mais, que nous ne pouvons observer et influencer, que par l'élément psychologique.
On ne peut, en se basant exclusivement sur les données connues, espérer arriver à une définition du sommeil plus satisfaisante que celles que nous possédons déjà. Nous devons donc ajourner cet essai jusqu'au moment où, nous aurons recueilli des données autres que celle déjà connues et, relatives à ce qui se produit ou ne se produit pas pendant le sommeil. Un seul point cependant paraît d'ores et déjà établi : c'est qu'il ne faut pas traiter le sommeil, comme cela se fait ordinairement, par son aspect négatif seulement. Nous ne devons pas nous contenter d'insister, avec les manuels en usage, sur la simple absence des facultés qui constituent l'état de veille, sur la diminution de la perception extérieure, sur l'absence de l'intelligence directrice. Nous devons, au contraire, traiter le sommeil comme un phénomène positif autant que possible, comme une phase déterminée de notre personnalité, présentant certaines relations avec l'état de veille. Chacune de ces phases s'était différenciée, à mon avis, à partir d'un état d'indifférence primitive propre à des
organismes inférieurs dont il aurait été impossible de dire, s'ils étaient éveillés ou endormis. Et, même s'il fallait se prononcer sur la question de savoir lequel, de l'état de veille ou de celui de sommeil est primitif et lequel secondaire, on pourrait, je crois, affirmer que c'est l'état de sommeil qui, selon toutes les apparences, aura été le primitif car, c'est lui qui domine la vie pré-natale et infantile et, même pour nous autres adultes, à quelque degré que nous nous associions nous-mêmes par la pensée à l'état de veille seul, cet état paraît secondaire et accessoire, en ce qu'il ne peut être maintenu que pendant une courte durée qu'il nous est impossible de prolonger artificiellement, sans avoir fréquemment recours à cet afflux de vitalité que le sommeil apporte.
C'est du sommeil que procèdent tout nouvel essor et toute nouvelle initiative des activités éveillées. Quant aux activités qui naissent et se manifestent pendant le sommeil même, nous aurons encore à en parler au cours de ce chapitre. Jusqu'à un certain degré, l'effacement de la vie supra-liminale signifie, la mise en liberté de la vie subliminale. Jusqu'à un certain degré, l'obscurcissement du soleil méridien de notre conscience éveillée doit rendre visible, la couronne faible et étendue de sa puissance insoupçonnée et impalpable.
Abordant l'examen de la faculté caractéristique du sommeil, nous devons commencer par la partie rouge du spectre de notre conscience qui représente, le pouvoir le plus profond qu'un effort éveillé soit capable d'exercer sur notre organisme physique.
Notre examen de l'efficacité du sommeil doit commencer au-delà de cette limite car, le sommeil renferme sûrement un élément dont l'efficacité dépasse tout ce que nous observons sous ce rapport, à l'état de veille. Il est admis, quoique le fait ne soit pas expliqué d'une façon absolue, que la propriété régénératrice du sommeil normal est quelque chose, sui generis que le repos même le plus complet à l'état de veille ne peut égaler. Quelques moments de sommeil, une simple lacune dans le champ de la conscience apportent parfois, une véritable régénération qu'il est impossible d’obtenir, même en restant couché pendant des heures dans le silence et l'obscurité. Une simple inclinaison de la tête sur la poitrine, si la conscience s'arrête pour une seconde ou deux, est capable de changer notre façon d'envisager le monde. A des moments pareils et, plus d'une personne peuvent comme moi témoigner en faveur de leur réalité, on sent que ce qui s'accomplit dans l'organisme, modification de la pression sanguine, etc., a été en quelque sorte discontinu ; qu'il y a eu rupture du mécanisme intérieur, due à une autre cause que la simple ignorance momentanée des stimulations extérieures. La rupture de la conscience est associée, jusqu'à un certain degré, à une modification physiologique puissante, c'est-à-dire que, même dans les cas de sommeil ordinaire momentané, nous observons déjà l'apparition de cette énergie réparatrice spéciale qui caractérise le sommeil prolongé et qui, ainsi que nous le verrons, atteint un degré plus élevé encore dans le sommeil hypnotique.
C'est cette énergie réparatrice qui se trouve au-delà de la raie rouge du spectre de notre conscience éveillée. Dans cette région obscure, nous notons seulement un accroissement de puissance et de contrôle sur les fonctions fondamentales de la vie corporelle. Mais, si nous passons en deçà des limites du spectre de la conscience éveillée, lorsque nous arrivons au contrôle sur les muscles volontaires ou à la capacité sensorielle, nous nous apercevrons que notre comparaison entre le sommeil et l'état de veille devient beaucoup moins simple. D'un côté, nous constatons une lacune générale et une absence de tout contrôle sur le domaine des énergies éveillées ou bien, comme dans le sommeil partiel, une simple parodie fantastique de ces énergies dans un rêve incohérent. D'un autre côté, nous trouvons que le sommeil est capable de développements bizarres et, que la nuit peut quelquefois, dépasser subitement les opérations les plus complexes du jour.
Prenons d'abord le degré de contrôle sur les muscles volontaires. Dans le sommeil ordinaire, ce contrôle n'existe ni n'est désiré ; dans le cauchemar, la perte de ce contrôle est exagérée d'une façon quasi-hystérique et, aboutit à une frayeur immense tandis que dans le somnambulisme, sorte de nouvelle personnalité développée ad hoc, le dormeur, comme nous verrons plus tard, traverse les chemins les plus périlleux d'une démarche assurée. D'une façon générale, le somnambulisme morbide est au sommeil normal à peu près, ce que l'hystérie est à la vie normale. Mais, entre le somnambule sain et la victime d'un cauchemar nous trouvons, à un autre point de vue, une différence qui rappelle celle qui existe entre l'homme de génie et l'hystérique. Comme l'homme de génie, le somnambule met en jeu des ressources inaccessibles à l'homme ordinaire et à l'état normal. D'un autre côté, de même que chez quelques hystériques certains mouvements ordinaires sont tombés au-dessous du contrôle de la volonté, de même le rêveur qui désire vaguement remuer une jambe engourdie est souvent incapable d'y diriger un courant d'énergie motrice suffisant pour effectuer le changement de position désiré. Cette incapacité angoissante de remuer que nous ressentons dans le rêve, « quand celui qui fuit est incapable de fuir et celui qui poursuit, incapable de poursuivre », cette sensation que Virgile et Homère ont pris comme type de l'égarement paralysant, constitue précisément l’aboulie des hystériques ; cet état où un homme met une demi-heure pour poser son chapeau sur la tête, tandis que telle femme reste une matinée entière à contempler sa broderie sans être capable de faire un seul point. Mais, le terme «somnambulisme » est trop vague et indéfini pour notre discussion présente. Ce n'est que par comparaison avec l'hypnotisme, dans le chapitre suivant, que nous arriverons à une notion un peu plus claire concernant les états de « demi-veille ». Considérons la faculté sensorielle entencéphalique, la faculté de la « vue spirituelle » telle qu'elle se manifeste dans le sommeil ou dans le rêve. Ici, nous retrouvons la même règle que celle qui préside à la faculté motrice, c'est-à-dire que d'une façon générale, la faculté sensorielle est obscurcie et inhibée par le sommeil mais, qu'il n'en existe pas moins des indications d'un pouvoir subsistant avec la même vivacité qu'avant et, quelquefois même, avec une acuité plus prononcée.
Il semble, à première vue, paradoxal de parler d'hyperesthésie pendant l'état de somnolence; de sensation vive dans un état décrit généralement, comme étant caractérisé par un obscurcissement ou une extinction progressive des sens. Et, c'est naturellement dans la production d'images intérieures, plutôt que dans les perceptions d'images extérieures, que se manifestera l'activité pendant le sommeil.
Il existe un phénomène qui, malgré sa fréquence relative et son évidence, a passé jusqu'ici inaperçu de la science, semblable en cela à beaucoup d'autres phénomènes humains présentant un intérêt plus scientifique que thérapeutique. Baillarger en France et Griesinger en Allemagne ont été les premiers (vers 1895), à appeler l'attention sur ces images vives qui surgissent devant la vision interne de certaines personnes, entre le sommeil et la veille. M. Alfred Maury, l'helléniste bien connu donna, quelques années plus tard à ces images, le nom d'illusions hypnagogiques et, publia une série remarquable d'observations faites sur lui-même. M. Galton en parle dans son ouvrage Inquiry into Human Faculty et, on trouvera plusieurs cas de ce genre dans Proceedings S. P. R., I, p. 390, 473, etc.  Les initiales S. P. R. employées au cours de cet ouvrage signifient : Society for Psychical Research 
Les visions peuvent être hypnopompiques ou hypnagogiques, c'est-à-dire qu'elles peuvent se présenter, soit au moment où le sommeil se dissipe, soit au moment où il commence ; dans les deux cas, les visions sont entièrement liées aux rêves ; les « illusions hypnagogiques » se renouvelant quelquefois dans les rêves, les images hypnopompiques consistant principalement dans la persistance d'une image de rêve pendant les premiers moments de veille. Dans les deux cas, ces images témoignent d'une intensification de la vision interne à un moment très significatif ; à un moment qui, réellement et virtuellement, est celui du sommeil mais, se confond presque avec les moments contigus de la veille. Nous pouvons qualifier cet état d'hyperesthésie de la vision cérébrale ou spirituelle, le considérer comme l'effet d'une sensibilité exagérée de centres cérébraux spéciaux, déterminés par ces stimulations internes inconnues qui, même aux heures de veille, donnent toujours naissance à des visions internes analogues, quoique plus faibles. Pour ceux qui sont déjà de bons visionnaires, des phénomènes comme ceux-ci, quoique suffisamment frappants, ne constituent pas une expérience extraordinaire. Pour les mauvais visionnaires au contraire, la vivacité de ces images hypnagogiques peut apparaître comme une véritable révélation. Je puis dire pour ma part que, sans ces lueurs occasionnelles survenant entre le sommeil et la veille, je serais incapable de concevoir ce qu'est réellement un bon visionnarisme. Les images vagues, obscures, instables qui constituent tout ce que ma volonté soit capable d'évoquer sont, de temps à autres, remplacées dans un moment de somnolence, par une peinture qui apparaît, à mes yeux ahuris, aussi parfaitement claire et brillante que l'objet même. La différence ressemble à celle qui existe entre une photographie instantanée (et en couleurs naturelles !) et, une vue vague, diffuse, projetée par une lanterne magique sur le point de s'éteindre. Beaucoup de personnes doivent avoir fait cette expérience et être frappées par la puissance insoupçonnée d'une faculté se révélant à ces moments-là.
Les images que j'ai appelées hypnopompiques, c'est-à-dire celles qui se produisent au moment où le sommeil se dissipe, ne sont pas moins remarquables. Il arrive souvent qu'une figure qui faisait partie d'un rêve, continue d'être vue sous forme d'une hallucination pendant les premiers instants qui suivent le réveil ; ce qui prouve bien la force de cette faculté visionnaire qui engendre les rêves. La production d'une figure hallucinatoire constitue probablement, indépendamment de l'utilité ou de l'inutilité de cette production, le point le plus élevé que la faculté visionnaire de l'homme soit capable d'atteindre et, il est remarquable que chez la plupart des personnes, ce point ne se trouve atteint que pendant le sommeil. Quelquefois, cette persistance de l'hallucination peut être considérée comme une post-image ; quelquefois, comme le résultat d'une « suggestion » inspirée par le rêve. Dans ces cas hypnopompiques, le visionnarisme semble naître pendant le sommeil ; dans les cas hypnagogiques, il appartient à une phase intermédiaire.
Le degré d'acuité de tous les sens dans le rêve, forme un objet d'observation directe et même, pour les personnes capables de contrôler leurs rêves, d'expérience directe. J'ai décrit ailleurs quelques-uns des efforts que j'ai faits moi-même, en vue de me rendre compte de ma puissance de visualisation dans le rêve et, je dois dire que le résultat a été que, cette puissance n'était pas supérieure à celle dont j'étais capable dans l'état de veille le plus ordinaire. Quelques correspondants accusent pourtant un considérable accroissement de la puissance sensorielle dans le rêve. Un rêve frappant rêvé par Mme A.-W. Verrall, de Cambridge et, noté minutieusement dès le début, présente une intensification de tous les sens. Mme Verrall n'a que des perceptions musicales rudimentaires et quand on lui a dit, dans son rêve, que ces perceptions allaient se trouver exaltées, elle n'en éprouvait d'avance qu'un plaisir médiocre. La sensation apparut pourtant, comme quelque chose d'entièrement neuf ; comme une « véritable harmonie que je n'avais entendue jusqu'alors que sous forme d'échos dans le rythme d'un vers ou, dans les soupirs du vent dans les pins. Mon ouïe s'est trouvée comme purifiée, moins grâce à l'accomplissement d'un désir que grâce à la création d'un désir qui, à peine né, a atteint la plénitude de la jouissance». D'autres parlent de l'accroissement de la vivacité des conceptions dramatiques ou, de ce qui chez les sujets hypnotiques a été appelé 1' « objectivation des types ». « Dans chacun de ces rêves, écrit une dame, j'étais un homme ; dans l'un d'eux, j'étais un être brutal et un lâche, dans un autre, un dypsomaniaque. Jamais avant ces expériences je n'avais eu la moindre notion quant à la façon de penser et de sentir des gens de cette espèce. » Un autre correspondant parle des deux rêves, sans rapports l'un avec l'autre, qu'il a eus simultanément ; un rêve émotionnel et l'autre géométrique et, de la sensation de confusion et de fatigue qu'il éprouva à leur suite.
Le « Chapitre des Rêves » du roman de R.-L. Stevenson : « Accross the Plains », renferme la description d'expériences sur les rêves, qui appartiennent aux plus réussies de toutes celles que nous connaissons. À l'aide de l'autosuggestion avant le sommeil, Stevenson était capable de produire, pendant le sommeil, des représentations dont la vivacité et l'intensité étaient suffisantes pour pouvoir lui fournir les sujets des meilleurs de ses romans. Son récit écrit avec une finesse psychologique admirable doit être lu par tous ceux qui s'occupent de la question. Je mentionne ces phénomènes bien connus dans un but quelque peu nouveau ; pour montrer notamment que, les perceptions sensorielles internes ou la faculté imaginative du sommeil peuvent dépasser ce qu'on observe, sous ce rapport, à l'état de veille ; de la même façon dont la force réparatrice du sommeil dépasse la vis medicatrix de nos heures de veille.
Je passe à des phénomènes moins fréquents qui nous montrent à la fois, et l'intensité de l'imagination pendant le sommeil, et l'empreinte durable que les produits de cette imagination impriment à l'organisme éveillé : une autosuggestion involontaire que nous pouvons comparer à l'autosuggestion volontaire de Stevenson.
Le résultat permanent d'un rêve est souvent tel, qu'il nous montre clairement que le rêve n'est pas l'effet d'une simple confusion avec des expériences éveillées de la vie passée mais, possède une puissance inexplicable qui lui est propre et, qu'il nous tire, semblable en cela à la suggestion hypnotique, des profondeurs de notre existence que la vie éveillée est incapable d'atteindre. Deux groupes de cas de ce genre sont suffisamment manifestes pour pouvoir être reconnus facilement : celui notamment où, le rêve a abouti à la conversion ou à une transformation religieuse marquée et celui où, le rêve a été le point de départ d'une idée obsédante ou d'un accès de folie réelle. Les rêves qui convertissent, réforment, changent le caractère et la foi ont, à première vue, la prétention d'être considérés comme quelque chose de plus que des rêves ordinaires ; et, leur discussion peut être remise à plus tard. Ceux, d'un autre côté, qui dégénèrent subitement en idées fixes irrationnelles, sont intimement et manifestement analogues aux suggestions post-hypnotiques, auxquelles le moi qui les a inspirées, est impuissant à s'opposer. Tel est le rêve relaté par Taine où, un gendarme impressionné par la vue d'une exécution capitale, rêve qu'il sera lui-même guillotiné et finit par être tellement influencé par son rêve, qu'il se suicide. Plusieurs cas de ce genre ont été réunis par M. Faure et, M. Tissié, dans son livre intéressant Les Rêves, a publié quelques observations personnelles remarquables.
Le cas suivant, relaté par M. Krafft-Ebbing, est encore plus remarquable : « 6 mai 1888. La malade (Ilma S...) est aujourd'hui agitée. Elle se plaint à la soeur de douleurs intenses au-dessous du sein gauche, croit que le professeur l'a brûlée pendant la nuit et prie la soeur d'obtenir sa retraite dans un couvent où elle soit à l'abri d'interventions pareilles. Le refus de la soeur détermine une crise d'hystéro épilepsie. Finalement, dans le sommeil hypnotique, la malade explique de la façon suivante l'origine de sa douleur : « la nuit dernière, j'ai reçu la visite d'un vieillard qui ressemblait à un prêtre et qu'accompagnait une soeur de charité dont le collet portait une grande lettre B en or. La soeur m'avait effrayée mais le vieillard était aimable et amical. Il trempa une plume dans la poche de la soeur et écrivit sous mon sein gauche les lettres W et B. Une fois, il trempa mal la plume et fit une tâche au milieu de la figure. Cet endroit et le B me font mal mais le W ne me cause aucune douleur. L'homme expliqua que le W signifiait que je devais aller à l'église de M et me confesser au confessionnal W. »
Ce récit à peine terminé, la malade s'écria en disant : « Le voilà de nouveau le vieillard, il a des chaînes autour de ses mains. »
« Lorsque la malade se réveilla à la vie ordinaire, elle souffrait de douleurs dans la région indiquée où il existait des pertes superficielles de substance pénétrant dans le chorion et, qui ressemblaient à un W renversé et à un B avec, entre les deux, une petite surface hyperémiée ». Cette altération trophique singulière de la peau, qui était identique à celles qu'on avait déjà produites expérimentalement sur la même malade, ne présentait aucune trace d'inflammation. La douleur et le souvenir du rêve ont été supprimés par la suggestion mais, l'autosuggestion d'aller se confesser à l'église de M persiste et la malade, sans savoir pourquoi, va se confesser au prêtre de sa vision. »
Dans ce cas nous nous trouvons en présence d'un rêve jouant le rôle d'une suggestion post-hypnotique puissante. Nous discuterons, dans le chapitre suivant, le sens de ce terme vague : «suggestion ». Il suffit de noter ici, la grande puissance d'une suggestion subliminale qui peut laisser une impression qui dépasse en force, non seulement un rêve fugace ordinaire mais encore, l'impression résultant des expériences réelles de la vie éveillée.
Mais, le même cas nous suggère en outre, des réflexions relatives aux rapports qui existent entre la mémoire telle qu'elle fonctionne dans les rêves et la mémoire hypnotique ; rapports qui, ainsi que nous allons le voir, indiquent l'existence d'une mémoire subliminale continue, située plus profondément que la mémoire de la vie ordinaire ; cette provision de souvenirs conscients où nous pouvons puiser à volonté.
Au point de vue de la mémoire, comme au point de vue des sensations, nous semblons, dans la vie éveillée, faire une sélection en vue des buts de notre existence terrestre. Dans la mémoire confuse préconsciente qui dépend de l'organisation même de la matière vivante, la conscience, telle qu'elle surgit dans les organismes supérieurs, a pour mission d'opérer une sélection appropriée et de rendre distinctes certaines séries de souvenirs utiles. La question de la préservation individuelle : que dois-je savoir pour pouvoir échapper à mes ennemis ? implique la question : de quoi dois-je me souvenir pour pouvoir agir sur les faits que je connais ? Les courants des souvenirs suivent les courants des sensations: si je suis incapable, faute d'exercice, de noter à temps un fait quelconque, je suis également incapable de m'en souvenir plus tard.
Cette règle suffit peut-être, tant qu'on ne considère que les organismes simples. Mais, l'homme a besoin d'une formule plus complexe car, il peut arriver, comme nous l'avons déjà vu, que dans le même homme, deux personnalités et plus s'approprient chacune, en les tirant de la masse commune des souvenirs latents, un groupe spécial de souvenirs pour son usage exclusif. Ces groupes spéciaux peuvent d'ailleurs présenter entre eux les rapports les plus variés, soit que l’un implique les autres, soit qu'ils s'excluent mutuellement et n'apparaissent que par alternance.
Ces dissociations et alternances des souvenirs sont riches en enseignements. Celui qui se présente ici n'est pas le moins important. Quel rapport existe-t-il entre l'état de sommeil et ces souvenirs dissociés, parallèles ou concentriques ? Lorsqu'un souvenir en implique un autre, est-ce le souvenir conscient qui, en raison de sa netteté en apparence plus grande, est le plus profond, le plus puissant ? Est-ce le contraire qui est vrai ?
La réponse fournie par l'expérience à ces questions est étonnamment claire et directe. Dans chacune des observations publiées où, autant que je me rappelle, il y a eu un certain degré d'unification entre les états alternants, de façon à rendre la comparaison possible, c'est la mémoire la plus éloignée de la vie éveillée qui a la portée la plus vaste ; dont le pouvoir sur les impressions emmagasinées dans l'organisme est le plus profond. Quelque inexplicable que ce phénomène ait pu paraître aux observateurs qui se sont trouvés en sa  présence sans posséder le mot de l'énigme, les observations indépendantes de centaines de médecins et d'hypnotiseurs n'en attestent pas moins sa réalité. L'exemple le plus commun est fourni par le sommeil hypnotique ordinaire. Le degré d'intelligence qui se manifeste dans le sommeil varie selon les sujets et selon les époques. Mais, toutes les fois que ce degré est suffisant pour autoriser un jugement, nous trouvons qu'il existe pendant le sommeil hypnotique, une mémoire considérable qui n'est pas nécessairement une mémoire complète ou raisonnée de l'état de veille ; tandis que, chez la plupart des sujets éveillés, à moins d'une injonction spéciale adressée au moi hypnotique, il n'existe aucun souvenir se rapportant à l'état hypnotique. Dans beaucoup de cas d'hystérie, on retrouve la même règle générale, à savoir que, plus nous nous éloignons de la surface, plus l'expansion de la mémoire que nous rencontrons est vaste.
Si tout ceci est vrai, nous avons là plusieurs points qui méritent un examen attentif. Le sommeil ordinaire peut être considéré comme occupant une position intermédiaire entre la vie éveillée et le sommeil hypnotique profond ; et, il paraît probable a priori, que la mémoire qui appartient au sommeil ordinaire se rattache, d'un côté à celle qui appartient à la vie éveillée et de l'autre, à celle qui existe dans le sommeil hypnotique. Et, il en est réellement ainsi ; les fragments de la mémoire du sommeil ordinaire étant intercalés entre les deux chaînes. C'est ainsi, par exemple, que sans aucune suggestion spéciale préalable, des actes accomplis pendant le sommeil hypnotique, sont susceptibles d'être remémorés en rêve et, remémorés avec l'illusion dont les a entourés l'hypnotiseur. Tel le sujet hypnotisé auquel M. Auguste Voisin suggéra de poignarder un malade — un mannequin — couché dans le lit voisin . C'est ce que le sujet fit sans se souvenir de rien une fois réveillé. Mais, trois jours plus tard, il retourne à l'hôpital se plaignant d'être hanté par la figure d'une femme qui l'accusait de l'avoir poignardée et tuée. Et il a fallu une autre suggestion pour le débarrasser de ce fantôme de poupée.
Inversement, des rêves oubliés à l'état de veille peuvent être remémorés pendant le sommeil hypnotique. C'est ainsi que le patient du Dr Tissié, Albert, rêva qu'il était sur le point d'accomplir une de ses fugues somnambuliques ou voyages sans but ; une fois hypnotisé, il avoua au médecin son rêve qu'il avait oublié à l'état de veille . La vérité de cet aveu fut prouvée par ce fait qu'il préparait réellement ce voyage qu'il rêva et, que ses autres voyages étaient précédés ou stimulés par des rêves remémorés.
Je n'ai pas besoin d'insister sur l'existence, très incomplète en tous cas, du souvenir de la vie ordinaire dans les rêves ; pas plus que sur la formation occasionnelle de chaînes de souvenirs séparées, composées de rêves successifs et cohérents. Je dois ajouter que nous ne savons pas exactement quelle est l'étendue du souvenir que nous avons de la vie éveillée dans les rêves, puisqu’il nous est impossible de nous former une idée sur ce sujet d'après le souvenir notoirement imparfait que nous avons, dans la vie éveillée, de nos  rêves passés.
Il existe des exemples où, des souvenirs disparus de la mémoire éveillée, indépendamment de la suggestion hypnotique, ont réapparu pendant le sommeil ordinaire comme dans ces cas ecmnésiques consécutifs à un choc nouveau violent et, où la perte de la mémoire s'étend même à une certaine période antérieure au choc. Tel est le cas de cette malade de Charcot qui, à la suite d'une émotion morale très violente, présente une longue attaque d'hystérie et perd complètement la mémoire, non seulement des faits consécutifs à l'accident mais encore, de ceux qui se sont passés pendant les 6 dernières semaines qui l'ont précédé. Se rendant compte de son état, elle notait bien par écrit tous les événements auxquels elle prenait part et tout ce qui lui arrivait mais, en relisant ses notes, elle ne se souvenait de rien ; comme si les faits consignés ne la concernaient point. Depuis son accident, elle a été mordue par un chien enragé et soignée à l'Institut Pasteur sans se souvenir de quoi que ce soit. Cependant, des voisins se sont aperçus qu'elle avait l'habitude de parler en dormant et que, dans les fragments des rêves qu'elle faisait ainsi tout haut, elle révélait beaucoup de faits se rapportant à sa période ecmnésique. M. Charcot, supposant qu'il s'agissait d'une crise prolongée d'hystéro épilepsie, hypnotisa la malade et trouva que dans le sommeil hypnotique, sa mémoire était intacte. A l'aide de la suggestion posthypnotique, il a été possible de remettre la malade en possession des faits oubliés de sa vie passée . Mais, la mémoire qui appartient au sommeil présente des propriétés encore plus curieuses :
    a) Elle peut notamment porter sur des événements que le moi éveillé avait connus autrefois mais, oubliés ensuite ;
    b) elle peut embrasser des faits qui sont arrivés dans le champ sensoriel mais, dont le sujet n'a jamais eu de conception ou de connaissance supra-liminale. Ce sont peut-être ces souvenirs qui fournissent les éléments des rêves, lesquels peuvent être rétrospectifs, prospectifs ou, pour employer le terme de Pope en lui donnant une signification nouvelle, circumspectifs, c'est-à-dire portant, non sur des faits passés ou futurs mais, sur l'état actuel de choses qui se trouvent au-delà des limites ordinaires de la perception. On comprend que des manifestations de ce genre peuvent être prises, par erreur, pour de la rétro-cognition, de la prémonition, de la clairvoyance directes alors qu'en réalité, elles ne constituent que des perceptions subliminales.
Ces rêves hypermnésiques nous fournissent un moyen d'interpréter plus exactement certains phénomènes réputés miraculeux et, de voir d'une façon plus claire ce que les théories ordinaires sont incapables d'expliquer dans la plupart des cas les plus avancés. C'est, en effet, un fait familier ou dont l'étrangeté n'est pas faite pour nous surprendre outre mesure, qu'il nous arrive quelquefois de recouvrer dans le sommeil ; un souvenir ayant complètement disparu de la conscience éveillée. Nous citerons à titre d'exemple le rêve de M. Delboeuf relaté dans son livre intéressant sur « Le Sommeil et les Rêves ». Dans ce rêve, le nom de Asplenium Ruta Muralis figurait comme une phrase familière. Une fois réveillé, il se demandait en vain où il aurait pu entendre ce terme botanique. Quelque temps plus tard, il trouva le nom en question écrit de sa propre main, dans une petite collection de fleurs et de plantes dont il avait écrit les désignations sous la dictée d'un botaniste de ses amis.
Dans ce cas et dans d'autres analogues, l'objet primitif de la connaissance avait fait partie, à un moment donné, de la conscience supra-liminale. Mais, je crois qu'il existe des cas où des faits et des images n'ayant jamais fait partie de la conscience supra-liminale, sont retenus par la mémoire subliminale et se présentent quelquefois dans les rêves avec un but qui paraît défini.
C'est, comme nous le verrons plus tard, la cristalloscopie qui nous fournit les phénomènes les plus curieux sous ce rapport. Mlle Goodrich Freer  par exemple, voit dans un cristal l'annonce de la mort d'une de ses amies ; fait totalement étranger à son moi conscient ordinaire. En se reportant au Times, elle trouve dans une feuille dont elle s'était servie pour protéger sa face contre la chaleur de la cheminée, l'annonce de la mort d'une personne portant le même nom que son amie,  de sorte que, les mots ont pénétré dans le champ de sa vision sans atteindre son esprit éveillé. Il existe des cas où la mémoire subliminale se manifestant dans le rêve supplée à l'insuffisance d'un sens quelconque.
Tel est le cas de M. Herbert Lewis, atteint de myopie très prononcée et qui, après avoir cherché sans succès un document très important dans une salle où il croyait l'avoir perdu, eut, pendant le sommeil, l'indication exacte et précise de l'endroit où se trouvait le document en question et, où il le découvrit effectivement .
S'est-il produit, dans ce cas, un spasme momentané et ayant passé inaperçu du muscle ciliaire ayant eu pour résultat, l'extension du champ visuel ? Afin que ma supposition ne paraisse pas trop fantastique, je citerai ici quelques lignes d'une observation personnelle d'une somnambule de M. Dufay: « Il est huit heures ; plusieurs ouvrières travaillent autour d'une table sur laquelle est posée une lampe. Mlle R. L... prend part au travail, causant gaiement de temps à autre. Tout à coup, on entend un bruit : c'est sa tête qui retombe violemment sur le bord de la table. C'est le commencement de l'accès. Elle se relève au bout de plusieurs secondes, enlève avec dégoût son lorgnon et continue l'ouvrage qu'elle avait commencé, n'ayant plus besoin des verres concaves dont sa myopie prononcée l'obligeait de se servir dans la vie ordinaire et, se place même de façon à être aussi loin que possible de la lampe . Mlle Goodrich Freer eut à son tour une expérience au cours de laquelle le titre d'un livre qu'elle ne connaissait pas et, qu'elle s'efforçait en vain de déchiffrer, alors que le livre était à une certaine distance d'elle, lui apparut à l'aide de la cristalloscopie. Dans ce dernier cas, une altération spasmodique de l'état de la vision, analogue à celle qui se produit dans l'hypnose, est à peine admissible.
Dans les cas cités jusqu'ici, nous avons vu le moi rêvant présenter des scènes, pour ainsi dire significatives, choisir dans sa galerie de photographies, l'image spéciale désirée par l'esprit éveillé, sans avoir besoin de tirer de conclusion plus ou moins complexe des faits dont il était censé disposer. Je vais m'occuper à présent d'un petit groupe de rêves où le moi subliminal raisonne, en même temps qu'il remémore ; où il s'agit même parfois, de quelque chose de plus qu'un simple raisonnement à propos de faits acquis d'une façon quelconque, de quelque chose qui dépasse le sujet de ce chapitre.
En premier lieu, il paraît certain que des faits connus sont susceptibles d'être traités dans le somnambulisme ou, dans le sommeil ordinaire, avec une intelligence qui dépasse l'intelligence éveillée. Tels sont les cas de problèmes mathématiques résolus dans le somnambulisme ou, de l'arrangement squelettique d'ossements disparates, découvert par Agassiz pendant le sommeil, après qu'il eut tenté à plusieurs reprises et sans succès de le découvrir à l'état de veille. Dans certains cas de ce genre, la faculté qui se manifeste ainsi pendant le sommeil atteint le degré d'intensité le plus élevé dans les limites de notre spectre ordinaire ; et dans presque chaque région de ce spectre nous avons vu la faculté en question présenter, dans ses limites plus ou moins étroites, des signes épars permettant de conclure à une égalité tout au moins potentielle avec l'état de veille.
Nous avons déjà fait la même constatation en ce qui concerne les mouvements musculaires, la vision et, l'audition intérieures et la mémoire ; les derniers exemples nous montrent la possibilité de l'accomplissement, pendant le sommeil, d'opérations intellectuelles de l'ordre le plus élevé.
Kubla Khan, de Colridge, a montré depuis longtemps ce qu'un grand poète est capable d'accomplir, grâce à l'obscurcissement des sens éveillés. Et, l'imperfection même de Kubla Khan : la mémoire tronquée par une interruption, nous rappelle à son tour la connaissance partielle que nous avons à l'état de veille des opérations accomplies pendant le sommeil. Comment ne serait-on pas, après cela, autorisé à voir une certaine analogie entre les opérations qui s'accomplissent pendant le sommeil et celles dont le génie est capable ? Dans les deux cas, nous observons la même spontanéité triomphante, la même résolution de ne plus s'enfermer dans les limites du fonctionnement neuro-cérébral mais, de puiser à des sources inconnues, exemptes de ces limitations. Jusqu'ici, le rôle que nous avions attribué au sommeil, au point de vue de l'acquisition de connaissances, ne présente rien d'anormal, rien dont le fonctionnement de nos sens à l'état de veille ne soit capable à  l'occasion. Il nous reste à rechercher maintenant, s'il ne serait pas possible de découvrir dans le sommeil, la manifestation d'une faculté supra-normale ; une expérience autorisant à  admettre que l'homme constitue, en même temps qu'un organisme terrestre, un esprit cosmique faisant partie d'un monde spirituel en même temps que d'un monde terrestre. Si une telle supposition était vraie, il semblerait naturel que cette participation à un milieu spirituel se manifestât dans le sommeil, plus souvent et d'une façon plus perceptible qu'à l'état de veille. Le dogme que mon point de vue rend ainsi probable constitue peut-être, en ne considérant que son côté historique, la base de tous les dogmes qui ont, de tous temps, joui de l'adhésion la plus universelle de l'humanité. « Quod semper, quod ubique, quod ab omnibus » : quelle est la proposition théologique, même la plus étroite, qui n'ait pas eu la prétention d'avoir été reconnue et crue partout, toujours et par chacun ? Mais quel est le dogme dont l'antiquité, l'ubiquité et l'unanimité, au point de vue de la croyance humaine, égalent la croyance aux apparitions d'esprits pendant le sommeil ? A l'âge de pierre, le sceptique qui aurait osé y contredire devait posséder une forte dose de courage. Et, tout en reconnaissant que cette «psychologie paléolithique » a passé de mode depuis quelques siècles, je ne pense pas, en me reportant aux preuves en faveur de la télesthésie réunies jusqu'à ce jour, qu'il soit possible de considérer plus longtemps comme une bizarrerie, le retour constant de l'idée se rapportant à des visites faites, pendant le sommeil, dans un endroit éloigné, avec acquisition consécutive de faits nouveaux qu'il aurait été impossible de connaître autrement.
Partant donc, non de l'autorité primitive mais, de l'examen de faits et de preuves modernes, nous trouverons, je pense, qu'il existe entre le sommeil et la vérité, des coïncidences que ni le hasard seul, ni l'hypothèse d'une mention subconsciente ordinaire ne sont capables d'expliquer. Nous trouvons qu'il existe des cas de perception d'objets matériels cachés ou de scènes éloignées et aussi, de perception de pensées et de sentiments appartenant à d'autres esprits et de communion avec ces pensées et perceptions. Tous ces phénomènes ont été observés pratiquement à des époques et dans des contrées différentes et, avec une attention toute particulière par les premiers mesméristes français. Les phénomènes du premier de ces groupes ont reçu la désignation de phénomènes de clairvoyance ou de lucidité, ceux du second groupe constituant les phénomènes de communication ou de transmission de pensées. Ces termes ne sont pas assez explicites pour suffire à une étude plus systématique. Les perceptions à distance ne sont pas des perceptions optiques et ne sont pas limitées au sens apparent de la vue. Elles s'étendent à tous les sens et comprennent même des impressions qu'il est impossible d'attribuer à un sens spécial quelconque. De même, la communication entre des personnes éloignées consiste dans la transmission, non seulement de pensées mais aussi d'émotions, d'impulsions motrices et de certaines impressions difficiles à définir. J'ai proposé, en 1882, les termes plus larges de télesthésie ou sensation à distance et de télépathie ou sympathie à distance, et j'emploierai ces deux termes au cours du présent ouvrage, sans que leur emploi implique de ma part, la prétention qu'ils correspondent à des groupes de phénomènes définis et nettement séparés, ni qu'ils embrassent toutes les manifestations supra-normales. Il me paraît, au contraire probable, que les faits du monde méta-éthéré sont beaucoup plus complexes que ceux du monde matériel et que les voies par lesquelles les esprits communiquent et perçoivent, en dehors de l'organisme charnel, sont beaucoup plus subtiles et plus variées que celles par lesquelles s'opèrent les communications et perceptions ordinaires. De même que tout organisme est en réalité un système de forces agissant sur d'autres systèmes de forces et, influencé par eux par des voies connues et inconnues, de même nous devons considérer les esprits humains comme des systèmes de forces agissant les uns sur les autres et, beaucoup plus complexes et dépassant notre compréhension. Ceci est tout particulièrement évident dans les prémonitions dont nous donnons quelques exemples dans ce chapitre et qui semblent encore plus éloignées de nos procédés de perception ordinaires que la télépathie et la télesthésie.
Il résulte de ce qui vient d'être dit, qu'il est impossible de ranger les phénomènes supra-normaux dans un ordre logique. Ils ne découlent pas les uns des autres mais, constituent plutôt des manifestations émergentes et fragmentaires d'une loi plus profonde et plus générale. La distinction faite plus haut entre la télépathie et la télesthésie, entre la connaissance supra-normale qui semble acquise par l'intermédiaire d'un autre esprit et, la connaissance supra-normale qui semble acquise directement, sans l'intervention d'un autre esprit ; cette distinction elle-même ne peut être considérée comme fondamentale. Nous ne pouvons dire, en réalité, dans quels cas et dans quelle mesure des esprits extérieurs ont contribué à la perception d'une scène éloignée. Nous ne savons même pas si l'activité d'un  esprit unique suffit à une perception supra-normale.
J'ai fait plus haut allusion à une autre ligne de démarcation suggérée par les sensations personnelles du rêveur ; à la distinction entre l'excursion psychique active et la réception passive d'une invasion psychique extérieure. Mais ici encore, nous l'avons dit, une division tranchée est difficile à établir  car, que nous ayons affaire à des perceptions pendant le sommeil, de scènes matérielles éloignées ou de personnes vivantes éloignées ou, d'esprits désincarnés, le rêveur est souvent dans l'impossibilité de dire duquel point de vue il s'observe lui-même et, où se trouve située la scène qu'il voit. Où se trouve-t-il lorsqu'il prend part à une scène située dans l'avenir et, en quoi la participation apparente à cette scène future diffère-t-elle de la participation apparente à une scène actuelle, quoique éloignée, au milieu de laquelle sa présence fantomatique peut être discernée par un des acteurs ? Nos réponses à ces questions, tout imparfaites qu'elles soient, doivent être ajournées jusqu'à ce que nous ayons devant nous, non plus des rêves seulement mais toute cette série de manifestations automatiques sensorielles qui semblent défier nos notions courantes du temps et de l'espace.
Je me bornerai, pour le moment, à esquisser brièvement quelques-uns des principaux types de rêves supra-normaux, dans leur ordre ascendant.
Je citerai d'abord quelques cas où le dormeur discerne par vision clairvoyante, une scène intéressant directement un esprit autre que le sien ; par exemple, la mort imminente d'un ami. Quelquefois, il existe comme une vision fugitive qui semble représenter exactement la scène critique; d'autres fois, la vision paraît moins rapide et est accompagnée d'une sensation de communion avec la personne intéressée. Et, dans quelques autres cas peu nombreux mais, les plus intéressants de tous : les circonstances de la mort paraissent comme avoir été montrées symboliquement au dormeur par la personne décédée elle-même ou par un esprit en rapport avec cette personne.
Un des meilleurs exemples de vision fugitive est celui de Canon Warburton qui, étant venu voir son frère, trouva sur la table de ce dernier un petit mot par lequel il s'excusait de ne pas se trouver chez lui pour recevoir son hôte, obligé qu'il avait été de se rendre à un bal. En attendant que son frère soit rentré, C. Warburton s'assit dans un fauteuil et s'endormit, lorsqu'il fut brusquement réveillé, ayant eu la vision de son frère tombant d'un escalier. Quelques instants après, celui-ci rentra et raconta à son frère qu'il venait d'échapper à un grand danger, ayant failli se casser le cou en tombant d'un escalier .
L'impression produite ici ressemblait à une secousse communiquée au lien délicat qui unissait les deux frères. Celui qui se trouvait en danger aura vivement pensé à l'autre, regrettant de ne s'être pas trouvé chez lui pour le recevoir et, on peut expliquer cet incident, comme nous l'avons fait lors de sa première publication, en admettant la projection de la scène dans l'esprit de son frère par l'homme en danger. Le frère passivement assoupi s'est senti, de son côté, comme transporté subitement au milieu de cette scène, peut-être en réponse à un appel soudain de son frère en danger et, je tiens à mettre en relief ce dernier aspect de l'incident, à cause des analogies qu'il présente avec d'autres cas que nous allons citer. Il n'en est pas moins évident qu'il est difficile de se prononcer résolument en faveur de l'une ou de l'autre de ces explications.
Je citerai ensuite un cas analysé par Gurney, peu de temps avant sa mort et imprimé in Proceedings S. P. R, III, p. 265-266 :
« M. Vicary Boyle, lors de son séjour à Simla (Inde anglaise), vit une nuit, en rêve, son beau-père qui habitait Brighton (Angleterre), étendu pâle dans son lit tandis que sa belle-mère traversait silencieusement la chambre et prodiguait des soins à son mari. La vision se dissipa bientôt et M. Boyle continua de dormir mais en se réveillant, il avait la conviction ferme que son beau-père, qu'il ne savait nullement malade et auquel il n'avait même pas pensé depuis quelques jours, était mort. La chose fut confirmée par une dépêche arrivée quelques jours plus tard et de laquelle il résultait que, M. Boyle avait eu la vision de la mort de son beau-père, neuf heures après l'événement. »
La vision (qui s'était produite dans ce cas à deux reprises) était simple et, peut être interprétée comme une impression transmise par la femme du défunt et ressentie par le gendre neuf heures après la mort. En tant que la pensée consciente de la veuve était à même de se reporter vers d'autres personnes à ce moment-là, il est probable qu'elle aura pensé à sa fille plutôt qu'à son gendre. Mais, M. Boyle possédait une sensibilité psychique très délicate qui peut avoir détourné le message adressé à Mme Boyle ; mais même en cette occurrence, la présence de Mme Boyle était un facteur nécessaire pour la perception éprouvée par son mari.
Un rêve unique, qu'un homme ait jamais eu dans sa vie, présente une valeur presque aussi grande qu'une hallucination éveillée unique. Tel est le rêve de M. Hamilton qui rêva que son frère, établi depuis 12 ans en Australie, était rentré en Angleterre ; qu'il paraissait peu changé mais, qu'une de ses mains était malade ; le poignet étant tuméfié et rouge. Le lendemain matin, il reçut, sans s'y attendre le moins du monde, une lettre de son frère datée de Naples et lui annonçant qu'il était en route pour l'Angleterre ; il disait dans cette lettre que, sauf un accès de goutte au niveau du poignet gauche, il allait parfaitement bien. Il fut obligé toutefois de débarquer, non à Londres où il était attendu mais à Plymouth ; les médecins ayant diagnostiqué chez lui un empoisonnement du sang ayant abouti à la formation d'un abcès charbonneux au niveau de l'articulation du poignet. Il résulte des renseignements fournis par son frère, que le rêve de-M. Hamilton avait coïncidé à peu près avec le moment où le premier écrivait sa lettre. Si ce dernier fait était vrai, il s'agirait d'une projection de lui-même faite par le frère souffrant .
J'aborde maintenant un groupe de rêves plus intéressants et plus complexes, et dont je ne tenterai même pas l'explication. Ce sont des rêves précognitifs, c'est-à-dire des images et des visions par lesquelles sont prédits et représentés d'avance des phénomènes futurs, d'une façon plus ou moins symbolique et tellement éloignée des prévisions dictées par notre sagacité terrestre que nous serons tentés, dans une discussion ultérieure, de parler en termes vagues d'une sorte de galerie de tableaux cosmiques s'entre ouvrant brusquement à nos yeux ou, de représentations scéniques composées et offertes à nous par des intelligences supérieures à toutes celles que nous connaissons. Le cas de la duchesse de Hamilton est très caractéristique sous ce rapport, aussi bien par sa précision que par son inintelligibilité isolée et son absence de but. Cette dame eut un rêve dans lequel elle vit le comte de L., malade à ce moment-là, assis dans un fauteuil, comme frappé d'une attaque; à côté de lui se tenait un homme à barbe rouge et, il y avait là une baignoire au-dessus de laquelle se trouvait une lampe rouge. Le comte de L. est mort quinze jours plus tard et une personne ayant assisté à ses derniers moments ne put que confirmer l'exactitude et la précision de la vision de la duchesse de Hamilton .
Nous avons ensuite des cas, comme ceux du Dr Bruce  et de Mme Storie  où le sujet voit en rêve et, dans tous ses détails, la scène et toutes les circonstances de la mort d'un parent . Dans le premier cas, la scène de l'assassinat a été vue non seulement par M. Bruce mais encore, par une soeur de la victime qui se trouvait également assez loin de la scène ; et, Mme Storie vit, non seulement la façon dont son frère a été écrasé par le train mais put distinguer dans une des voitures, la présence de deux personnes de sa connaissance qui s'y trouvaient réellement.
Dans le cas de Mme Storie, toute la scène s'était présentée comme un rêve mais, comme un rêve peu ordinaire ; le sujet se rendant compte qu'elle était couchée dans son lit. Dans d'autres cas, l’invasion psychique par l'esprit d'une personne vivante ou décédée engendre une grande variété d'états de demi-sommeil, aussi bien chez le sujet que chez l'agent. Dans un récit bizarre , un homme qui rêve qu'il est rentré chez lui, est entendu chez lui demandant de l'eau chaude et, éprouve une sensation bizarre de bilocation entre le compartiment de chemin de fer et sa chambre à coucher. Le cas de Mme Manning  est presque identique au précédent, si ce n'est que Mme Manning, au lieu d'entrevoir en rêve l'avenir immédiat, revit avec une spontanéité singulière son enfance. Dans chacun de ces cas, le rêve avait replacé le rêveur à un autre point du temps et de l'espace mais, avec une vivacité telle que d'autres personnes semblent l'apercevoir dans cette situation imaginaire.
M. Newnham , non seulement se voit transporté dans le voisinage immédiat de sa fiancée mais, la touche réellement en même temps qu'elle se sent touchée par lui, à un moment précis qui était celui où elle allait se mettre au lit et, qu'il lui aurait été impossible de choisir volontairement. Ce cas témoigne nettement en faveur de l' « invasion psychique », conception que nous examinerons plus en détail dans un chapitre ultérieur.
Il nous serait facile de multiplier les cas et les exemples mais, ceux que nous avons déjà cités suffisent pour nous faire considérer le sommeil d'un point de vue différent du point de vue ordinaire. Nous n'avons pas porté notre principale attention sur le caractère négatif du sommeil ou sur la mesure dans laquelle il manque de ce qui caractérise nos heures de veille. Nous l'avons, au contraire, considéré comme une phase autonome de la personnalité, au même titre que l'état de veille et, doté de facultés qui lui sont propres, lors même qu'elles ne se manifestent pas toujours d'une façon parfaite. Dans l'examen de ces facultés, nous ne nous sommes jamais laissés arrêter par l'inutilité apparente de quelques-unes d'entre elles au point de vue des besoins et des fins de notre vie éveillée. Inutile est un terme pré-scientifique, anti-scientifique même, et qui n'a été que trop longtemps la pierre d'achoppement des recherches psychologiques. Pour la science, le but des phénomènes est de révéler des lois et plus le phénomène est bizarre et trivial, plus il y a de chances pour qu'il nous révèle une loi qui a été méconnue jusqu'ici. En passant en revue les phénomènes du sommeil, nous avons vu, en premier lieu que, celui-ci possède une puissance réparatrice que les données connues de la psychologie et de la physiologie n'expliquent pas d'une façon satisfaisante. Nous avons vu qu'il pouvait y avoir dans le sommeil, une augmentation du degré de coordination et de centralisation du contrôle musculaire et, une netteté et une vivacité plus grande des perceptions entencéphaliques indiquant une appréciation plus exacte que dans la vie éveillée, des modifications intra-périphériques. En conformité avec ce point de vue, nous avons trouvé encore, que le moi endormi peut éprouver des expériences sensorielles et émotionnelles plus intenses qu'à l'état de veille et capables de produire des effets durables sur le corps et l'esprit. Et nous avons vu enfin, que les impressions corporelles et spirituelles spécifiques dont l'ensemble constitue ce que nous appelons mémoire peuvent, dans le sommeil, être plus profondes et avoir un contenu plus riche que la mémoire éveillée. Et non seulement la mémoire se trouve ainsi intensifiée mais encore, la force de raisonnement, de calcul, d'argumentation ; puisque nous avons vu des cas où, des problèmes ont été résolus pendant le sommeil alors que leur solution a été vainement cherchée à l'état de veille.
Ce sont là des indications fragmentaires, d'une inutilité pratique, si l'on veut, de l'existence pendant le sommeil, de facultés s'exerçant sur les mêmes sujets que celles de l'état de veille et souvent avec une force supérieure. Mais, nous avons été amenés à pousser notre examen plus loin et à nous demander si, pendant le sommeil, le moi ne manifeste pas de facultés d'un ordre différent de celles à l'aide desquelles notre conscience éveillée maintient notre activité. Et nous avons trouvé que tel était en effet le cas ; que l'esprit du moi endormi était capable de relations défiant les limitations spatiales de perception télesthésique de scènes éloignées, de communication télépathique avec des personnes éloignées et même, avec des esprits dont on ne peut dire, ni qu'ils sont proches, ni qu'ils sont éloignés, vu qu'ils sont délivrés de leur prison charnelle.
Les conclusions qui découlent de toutes ces observations sont en parfait accord avec l'hypothèse sur laquelle est basée tout mon ouvrage.
J'avais prétendu que l'homme représentait un organisme informé et possédé par une âme. Cette opinion implique l'hypothèse d'après laquelle, nous vivrions dans deux mondes à la fois ; menant une vie planétaire dans ce monde matériel auquel notre organisme est destiné à réagir et, une vie cosmique dans ce monde spirituel ou méta-éthéré qui constitue le milieu naturel de l'âme. C'est ce monde invisible qui fournit l'énergie destinée à renouveler constamment l'organisme. Nous ne pouvons comprendre ce renouvellement : nous pouvons nous le figurer comme un processus protoplasmique ou comme un rapport entre le protoplasma, l'éther et quelque chose qui se trouve au-delà de l'éther et au sujet de quoi, il serait à présent inutile de discuter.
En admettant, pour les besoins de la cause, ces affirmations hardies, il faut admettre aussi qu'il est nécessaire que l'attention de l'âme s'abstraie souvent des choses de la vie terrestre afin de poursuivre avec une intensité d'autant plus grande, ce que nous pouvons appeler sa tâche protoplasmique ; le maintien des rapports fondamentaux, intimes, entre l'organisme et le monde spirituel. Cet état plus profond, par cela même qu'il correspond à des besoins plus primitifs et plus fondamentaux doit être lui-même, plus primitif que l'état de veille. Et, il en est réellement ainsi : le sommeil est l'état qui prédomine chez l'enfant ; l'état prénatal ressemble au sommeil plutôt qu'à la veille et, tel est aussi le cas de nos ancêtres inférieurs. Plus primitif, l'état de sommeil est par-là même plus général et plus plastique.
Nous avons ainsi deux phases de la personnalité se développant dans des directions différentes et en vue de buts différents mais, ayant un tronc commun. La personnalité éveillée développera les organes des sens extérieurs et s'adaptera progressivement à une vie dominée par les rapports avec le monde extérieur. Elle s'efforcera de soumettre les ressources de la personnalité à un contrôle de plus en plus complet et atteindra son degré culminant dans ce que nous appelons le génie lorsque, dans sa poursuite de fins délibérées, elle aura réussi à unir, autant que possible, le subliminal avec le supra-liminal.
La personnalité, telle qu'elle se manifeste dans le sommeil, se développera dans des directions moins faciles à prévoir. A quoi tendra-t-elle en dehors de l'intensification ordinaire de la force réparatrice ? D'après ma théorie, nous ne pouvons que présumer qu'elle montrera dans son développement, une tendance croissante à rendre l'âme moins exclusivement liée à l'activité de l'organisme. L'âme s'abstraira de plus en plus de la surface spécialisée des choses matérielles (qu'on nous pardonne cette pauvre métaphore) pour entrer dans un royaume où les rapports qui existent entre la matière et l'esprit, qu'ils soient établis par l'intermédiaire de l'éther ou autrement, sont discernés plus profondément. Cette même abstraction de la surface, tout en diminuant le pouvoir sur les processus musculaires complexes, augmente celui que nous possédons sur les processus organiques profonds et, augmente en même temps, la puissance d'action que l'âme est capable de déployer dans ce monde spirituel dont le sommeil nous rapproche.
D'après cette conception du sommeil, nous ne devons pas être surpris par la possibilité qu'il y a d'augmenter la proportion de l'état de sommeil par rapport à l'état de veille, à l'aide de la suggestion hypnotique. Tout ce que nous pouvons dire c'est que, tout en reconnaissant à l'âme le droit de prétendre à une quantité minima de sommeil nécessaire pour maintenir le corps en vie, nous ne pouvons attribuer aucune limite supérieure à la quantité de sommeil à laquelle elle est susceptible de prétendre, c'est-à-dire à la quantité d'attention qu'elle peut réclamer en faveur des opérations spéciales du sommeil, en comparaison avec celles de la vie éveillée.
Ici finit notre étude du sommeil. Si l'hypothèse que nous avons suggérée explique les faits que nous avons cités au cours de ce chapitre, elle ne le fait qu'à la faveur d'affirmations trop hardies pour être acceptées sans confirmation ultérieure. Il est de notre devoir de tracer dans les chapitres suivants, le développement de la personnalité se manifestant dans le sommeil, dans les deux directions que nous avons indiquées plus haut ; celle de la réparation organique par l'intermédiaire du sommeil hypnotique et celle de l'activité indépendante de l'âme dans la possession et dans l'extase.
CHAPITRE V - L'HYPNOTISME

Au cours de cette étude de la personnalité et de l'évolution humaines, nous avons essayé de dégager deux ou trois points qui sont, à notre avis, de nature à modifier les conceptions courantes à ce sujet.
Notre discussion concernant la désintégration de la personnalité nous a permis, dans le chapitre suivant, de proposer une conception du génie dans le sens d'une intégration de la personnalité subliminale, avec la personnalité supra-liminale ; d'une utilisation, dans une plus large mesure de l'être psychique de l'homme, en vue des fins posées par le moi supra-liminal. Le génie semble bien, jusqu'à présent, résulter plutôt d'une combinaison heureuse et fortuite de facteurs élémentaires que d'un exercice systématique ; mais, il n'en était pas moins important de montrer, qu'un niveau à ce point supérieur au nôtre a déjà été atteint dans le cours de l'évolution normale de l'espèce.
Nous avons ensuite soumis à la discussion le phénomène du sommeil. Les songes nous ont ouvert, quoique d'une façon incohérente et obscure, des horizons particulièrement vastes sur le milieu et la destinée de l'homme. Ils nous l'ont montré en relation avec un monde beaucoup plus profond que celui qui est familier au génie et, en possession de facultés dont le génie n'a jamais atteint le même degré de puissance.
Nous avons ainsi été amenés à une conception du sommeil qui, indépendamment de la confirmation qu'elle pourra recevoir un jour de la part de la science, s'accorde parfaitement avec les idées développées dans cet ouvrage. D'après cette conception, notre vie humaine existe et manifeste son énergie, à la fois dans un monde matériel et dans un monde spirituel. La personnalité humaine, en se développant des ancêtres inférieurs, s'est différenciée en deux phases dont, une adaptée aux besoins matériels et planétaires, l'autre à l'existence spirituelle et cosmique. Le moi subliminal, par la simple direction qu'il donne à l'état de sommeil, est capable soit de rajeunir l'organisme en lui infusant de l'énergie empruntée au monde spirituel, soit d'affaiblir temporairement et partiellement le lien qui l'attache à l'organisme et s'épancher dans l'exercice de fonctions supra-normales : télépathie, télesthésie, extase.
En étudiant dans le chapitre II les différentes formes de désintégration de la personnalité, nous avons eu l'occasion d’entrevoir souvent, des effets heureux et bienfaisants produits par l'action de facultés subliminales. Nous avons vu les couches les plus profondes du moi intervenir de temps à autre dans un but thérapeutique ou, mettre en œuvre, même sans but et d'une façon sporadique, des facultés échappant au contrôle du moi supra-liminal. Et nous avons vu, en outre, que c'est à l'aide de l'hypnose qu'on provoquait souvent l'action de ces facultés subliminales. Je n'ai rien dit alors quant à la nature de l'état hypnotique ; il était seulement évident qu'il s'agissait de quelque chose  d'analogue au somnambulisme, induit ou artificiel, qui semblait systématiser ce contrôle bienfaisant sur l'organisme que les états de demi-sommeil spontané n'exerçaient que d'une façon irrégulière. Nous devons maintenant nous attacher à comprendre ab initio ces phénomènes hypnotiques ; à poursuivre aussi loin que possible, l'étude de ce qu'on peut appeler l'évolution expérimentale de l'état de sommeil.
Supposons un moment que sur ce point, nous ne possédions pas plus de connaissances que celles qui existaient à l'époque de la jeunesse de Mesmer. Nous saurons parfaitement, en tant que psychologues expérimentaux, ce que nous désirons faire mais, nous n'aurons aucune notion quant aux moyens d'atteindre notre but. Nous désirons soumettre à notre  volonté, approprier à notre usage, ces facultés de demi-sommeil d'une apparition si rare. Au point de vue physique, nous désirons renforcer leur action d'inhibition sur la douleur et, leur pouvoir régénérateur sur l'organisme. Au point de vue émotionnel, rendre plus intense la sensation de liberté, d'expansion et de joie que nous procure leur action. Mais, avant tout, nous désirons nous rendre compte de ces facultés supra-normales : télépathie et télesthésie, dont nous avons entrevu des manifestations isolées et irrégulières dans le somnambulisme et dans le rêve.
A ces espérances, l'expérience soi-disant « historique » (une induction bien courte et fragmentaire) semble refuser toute réalisation pratique. Nous trouvons bien dans l'histoire des exemples, d'ailleurs très vagues, de suggestion et d'influence curative exercées d'homme à homme mais, ces faits semblent être considérés comme autant de mystères qu'il serait impossible de reproduire à volonté.
Mais, que le lecteur songe seulement à toutes les possibilités inépuisables de l'organisme humain et, de la vie humaine. Qu'il visite un des centres modernes de la pratique hypnologique tels que le service du Pr Bernheim ou la clinique du Dr van Rentorghem ; qu'il regarde ces centaines de patients plongés journellement, dans l'espace de quelques minutes, dans le sommeil hypnotique et, qu'il se rappelle que ce procédé qui semble aujourd'hui, aussi facile et aussi simple que l'administration d'une pilule, a été absolument inconnue, non seulement à Galien et à Celse mais même à Hunter et à Harvey et, dénoncé comme une fiction frauduleuse une fois découvert. Celui qui, tout jeune, a eu la chance d'être témoin des cures opérées à l'hôpital Mesmérien du Dr Elliotson, avant que la négligence et la calomnie aient arrêté cet effort vers le bien de l'humanité et, qui a vu  l'indifférence populaire et le préjugé professionnel priver toute une génération de ce procédé thérapeutique, celui-là ne peut que rester sceptique à l'égard de toutes les négations concernant les facultés humaines, de tous les obiter dicta d'hommes éminents dont le seul tort consiste à n'avoir aucune connaissance sur la question en litige. Ne serait-on pas plutôt tenté de préférer « les expériences d'insensés » (comme le pensait Darwin) à toute cette ignorance immémoriale figée dans une sorte d'incrédulité irraisonnée ? Les expériences de Mesmer étaient presque des « expériences d'insensé » et Mesmer lui-même, presque un charlatan. Mais, Mesmer et ses successeurs, abordant souvent des points de vue différents et suivant des théories différentes, ont ouvert une voie qui va s'élargissant de plus en plus et nous ont amenés à un point où nous pouvons espérer, à l'aide d'expériences faites non plus au hasard mais d'une façon systématique, pouvoir reproduire et systématiser la plupart de ces phénomènes de somnambulisme spontané qui,  autrefois, semblaient dépasser notre portée.
Cette promesse est grande en effet ; mais, il serait bon de se rendre tout d'abord un compte exact de sa véritable étendue. Nous ne devons pas supposer que nous parviendrons du premier coup à soumettre à notre expérience un moi central, raisonnable, intégral. Il est au contraire caractéristique de l'hystérie et, généralement aussi du somnambulisme, que les modifications spontanées qui se produisent dans ces états, tout en étant subliminales, ne sont que partielles ; que ces modifications (pour employer la terminologie connue de Hughlings-Jackson) portent sur les centres du niveau moyen, non sur ceux du niveau supérieur, non sur les centres qui président aux perceptions et à l'idéation supérieures mais, sur ceux qui sont chargés du contrôle des mouvements coordonnés complexes, tels que les synergies nécessaires à la marche ou à la vue ou, à la parole inintelligente, incohérente, comme dans le rêve.
Cette métaphore de niveaux supérieur et inférieur, tout en pouvant paraître inappropriée, n'en est pas moins utile quand on a affaire à une succession de facultés qui se trouvent par hypothèse, au-dessous du seuil de la conscience. Ce que nous savons déjà des processus subliminaux nous a obligés d'admettre dans cette région submergée, une gradation analogue. Nous pouvons atteindre artificiellement quelque faculté subliminale, sans pouvoir atteindre un jugement central ou un jugement de contrôle. Nous pouvons atteindre des centres qui n'exercent sur ces facultés sublimales qu'un pouvoir fragmentaire et, il n'y aura alors rien d'étonnant si les manifestations provoquées par notre expérience présentent un caractère bizarre, incohérent. Nous devons nous contenter, au début tout au moins, de pouvoir affecter la personnalité, ne serait-ce que dans les limites où le font l'hystérie et le somnambulisme, tout en agissant d'une façon délibérée et utile là où ces deux affections exercent une action plutôt nuisible et irrégulière. C'est déjà un grand espoir que celui de pouvoir inhiber la douleur comme elle l'est chez l'hystérique ou concentrer l'attention comme le fait le somnambulisme ou, découvrir et fixer quelque chose de cette faculté supra-normale dont nous avons vu des lueurs fugitives dans la vision et dans le rêve. C'est dans la nature intrinsèque de la faculté mise au jour et non dans la connaissance de sa direction naturelle, qui dépend souvent d'un ordre émané de la région supra-liminale, que nous devons chercher une preuve en faveur de sa provenance des couches profondes de notre être.
Le nom de Mesmer est le premier qui doit être mentionné dans l'histoire de l'hypnotisme. Il croyait primitivement à des effluves curatifs et, sa méthode semble avoir été une combinaison de passes, de suggestion et d'une présumée « métallo » ou « magnéto-thérapie » : le célèbre baquet qui n'était sans doute qu'une forme de suggestion. Ses résultats, quoique décrits d'une façon imparfaite, semblent lui avoir été particuliers. La crise que subissaient quelques-uns de ses patients ressemble à une crise d'hystérie ; mais il est probable qu'elle était souvent suivie d'une amélioration rapide, sans quoi il n'aurait pas exercé une si grande impression aussi bien sur les savants que sur le monde fashionable de Paris. Nous devons aussi à Mesmer la première conception des pouvoirs thérapeutiques d'une brusque et profonde modification nerveuse. C'est à lui encore que nous devons, dans une mesure plus grande, la doctrine de l'influence nerveuse ou des effluves nerveux passant d'un homme à un autre ; doctrine qui, même dépouillée de l'importance exclusive qu'il lui attribuait ne peut pas, d'après moi, être ignorée ou niée.
Le plus important de ses successeurs immédiats, le marquis de Puységur, semble, à en juger par ses écrits , un des hommes les plus habiles et les plus candides parmi ceux qui pratiquaient le mesmérisme ; il a été encore un de ceux qui ont fait des expériences sur une vaste échelle et dans un but qui n'était pas purement thérapeutique. On peut presque dire que l'état somnambulique a été sa découverte et, il a obtenu la clairvoyance et la télesthésie chez tant de sujets et a décrit ses cas avec tant de détails, qu'il est difficile de voir dans tout cela le résultat d'une observation défectueuse ou de la télépathie émanant de personnes présentes. D'autres observateurs, tels que Bertrand, un médecin de grande valeur, ont suivi la même voie et, cette brève période est peut-être de toutes celles qu'a connues notre sujet, la plus fertile en  expériences désintéressées.
Vient ensuite l'ère inaugurée par Elliotson en Angleterre et par Esdaile dans son hôpital de Calcutta. Leur procédé consistait en passes mesmériennes ; le but principal d'Elliotson était la cure directe de maladies tandis que Esdaile se proposait surtout d'obtenir une anesthésie assez profonde pour exécuter des opérations chirurgicales. Le succès de ce dernier était absolument unique et, les phénomènes supra-normaux mis à part, les résultats qu'il a obtenus constituent le fait le plus extraordinaire dans l'histoire du mesmérisme. Si ces résultats n'avaient pas été consignés dans des procès-verbaux officiels, l'impossibilité apparente de les reproduire aurait, à cette époque-là, suffi pour discréditer complètement le procédé en question.
Le grand pas suivant fait par l'hypnotisme a été considéré par Elliotson et son groupe comme une démonstration hostile. Lorsque Braid eut découvert que l'hypnose pouvait être produite sans passes, les mesmériens crurent leur théorie des effluves curateurs sérieusement menacée. Et c'était vrai ! Car, cette théorie a été en réalité rejetée dans l'ombre, d'une façon trop absolue à mon avis, par le recours de plus en plus vaste et exclusif à la simple suggestion. Les expériences de Braid diffèrent considérablement de celles qui ont été pratiquées avant et après lui. Sa première méthode de la vision convergente a produit des résultats que personne après lui n'a pu reproduire et, l'état qu'il obtenait lui paraissait susceptible d'arrêter et de dissiper des maladies que ni l'hypnotiseur, ni le patient ne croyaient susceptibles de guérison. Mais, il abandonna plus tard ce procédé en faveur de la simple suggestion verbale car il s'assura que la seule chose dont il fallût se préoccuper, c'était d'influencer les idées du patient. Il montra ensuite que tous les phénomènes dits phrénologiques et les effets présumés des aimants, des métaux, etc., pouvaient tout aussi bien être produits par la suggestion. Il attribuait aussi une grande importance au pouvoir du patient ; aussi bien de résister aux ordres de l'opérateur que de produire sur lui-même, les effets de l'hypnotisme sans l'aide de l'opérateur. La plus importante innovation introduite par Braid a été, à mon avis, la possibilité de l'autohypnotisation par concentration de la volonté. Cette nouvelle expérience sur les facultés humaines, en quelque sorte la plus importante de toutes, n'a trouvé que de rares imitateurs. En parlant des idées professées par le groupe de Braid, nous devons mentionner un expérimentateur très habile, quoique certainement inférieur à Braid dont il ne semble d'ailleurs, pas avoir connu les ouvrages. Nous voulons parler du Dr Fahnestok dont l'ouvrage « Statavolism, or Artificial Somnambulism » (Chicago, 1871) n'a pas attiré l'attention qu'il méritait ; soit à cause de son titre bizarre, soit à cause de son obscurité, soit à cause de sa publication dans une ville qui, à cette époque-là, se trouvait tout à fait aux confins de la civilisation. Fahnestock semble avoir obtenu par l'autosuggestion sur des personnes saines, des résultats qui, sous beaucoup de rapports, dépassent tout ce qui a été  connu depuis lors.
Nous n'avons aucune raison de douter de ces résultats, si ce n'est qu'ils n'ont pas été reproduits avec le même succès. Et, mon but est précisément de montrer que dans l'histoire de l'hypnotisme, l'impossibilité de reproduire avec succès des expériences qui ont réussi à d'autres n'a aucune importance.
Une nouvelle impulsion a été donnée à l'hypnotisme, en France, par M. Charles Richet dont l'oeuvre est dégagée de toute étroitesse d'esprit et de toute fausse conception ; mais, le mouvement inauguré par lui a été engagé dans une direction singulière et peu heureuse par Charcot et son école. Chose bizarre : Charcot qui a été, peut-être, le seul homme éminent qui devait sa réputation professionnelle principalement à ses travaux sur l'hypnotisme, est en même temps celui dont les idées sont considérées naturellement comme erronées et, qui paraît à tout le monde, avoir suivi une fausse voie dont ses disciples s'efforcent maintenant de se dégager. Les principaux résultats obtenus par Charcot (comme ceux de ses prédécesseurs cités plus haut) sont de ceux qui ont été rarement reproduits depuis. Les fameuses « trois phases » du grand hypnotisme, personne n'y croit plus guère de nos jours. Mais ceci tient, non pas à ce que d'autres hypnotiseurs ne pourraient pas obtenir les mêmes résultats s'ils le voulaient mais, à ce que l'expérience leur a montré que les résultats et les symptômes auxquels Charcot attribuait une si grande importance, ne sont que le produit superficiel de suggestions prolongées et pour ainsi dire endémiques, telles qu'on les observait à la Salpetrière.
Nous arrivons au mouvement qui est aujourd'hui, de beaucoup le plus important et, qui compte à son actif, le plus grand nombre de cures. L'école de Nancy inaugurée par Liébeault rejeta peu à peu et avec une conviction croissante les présumés « signes somatiques » de Charcot ; l'irritabilité neuromusculaire, etc., qu'il considérait comme la condition essentielle de l'hypnotisme, jusqu'à ce que Bernheim déclarât courageusement que, l'état hypnotique ne constitue rien de plus que le sommeil ordinaire et, que la suggestion hypnotique était la cause unique de la réaction hypnotique, tout en n'étant pas autre chose qu'un simple conseil ou un ordre verbal. C'était malheureusement trop simple pour être vrai. Pas un sommeil sur un million ne constitue réellement l'état hypnotique et, pas une suggestion sur un million n'atteint et n'influence réellement le moi subliminal. Si les théories de Bernheim, considérées dans leur expression extrême étaient vraies, il ne resterait plus à l'heure qu'il est, un seul malade à guérir.
Ce que Bernheim a fait, c'est d'avoir guéri beaucoup de personnes sans passes mesmériennes, sans aucun parti pris de croyance en une force dépassant celle de l'opérateur ou celle du sujet à hypnotiser. Et, c'est là le côté le plus précieux de ses expériences qui montrent ainsi l'hypnotisme réduit à ses éléments les plus simples. « Le sommeil hypnotique, dit en effet Bernheim, est le sommeil ordinaire ; la suggestion hypnotique : un ordre ordinaire. Vous dites au patient de s'endormir et il s'endort, vous lui dites de se porter bien et il se porte bien immédiatement ». C'est ainsi que nous entendons le prestidigitateur nous expliquer « comment le tour de force a été exécuté » sans espérer pouvoir le reproduire avec un résultat aussi brillant. Un ordre ordinaire ne rend nullement un homme ordinaire capable de se débarrasser de ses rhumatismes ou, de détester l'odeur de l'eau-de-vie qu'il aimait jusqu'alors. Bref, la suggestion est quelque chose de plus qu'un simple mot ; elle implique certainement un profond changement nerveux, provoqué par une action nerveuse venue du dehors ou du dedans. Avant de pouvoir nous contenter de la formule de Bernheim, nous devons considérer de nouveau les changements que nous nous proposons de produire et, de voir si les procédés employés jusqu'ici par les hypnotiseurs, étaient bien de nature à les provoquer.
Selon Bernheim, nous serions tous suggestibles et, ce que nous nous proposons d'obtenir par la suggestion, ce serait une augmentation de notre suggestibilité. Mais, dégageons-nous pour un moment du charme de mots d'oracle. Il s'agit d'ici de rendre l'organisme plus obéissant au but que nous lui posons. Le sommeil avec lequel l'hypnotisme se trouve généralement identifié, ne constitue pas une condition essentielle dans ce cas car, des modifications subliminales sont souvent obtenues sans aucune trace de somnolence. Voyons maintenant si certaines actions nerveuses, soit diffuses, soit spécialisées, tendent à faire naître, non plus le sommeil ou la catalepsie mais, cette sorte de modifiabilité facile de réaction, aussi bien à l'aide de gestes visibles que par des processus nutritifs invisibles qui constituent l'hypnose telle qu'on l'entend dans la pratique sérieuse. Parmi les agents externes susceptibles d'influencer le système nerveux tout entier, les médicaments narcotiques tiennent la première place. L'opium, l'alcool, le chloroforme, le cannabis indica, etc. affectent le système nerveux d'une façon tellement spéciale que, l'idée de les employer à titre d'agents hypnotiques paraissait tout à fait naturelle. Et quelques observateurs ont trouvé, en effet, qu'une légère chloroformisation rendait les sujets plus suggestibles. Janet a cité un cas de suggestibilité qui s'était produite durant la convalescence du delirium tremens. D'autres hypnotiseurs (Bramwell) ont trouvé que le chloroforme rendait les sujets moins hypnotisables et, l'alcool est considéré généralement comme diminuant la susceptibilité hypnotique. En attendant d'autres expériences avec les divers narcotiques, nous pouvons dire que les résultats connus jusqu'ici, rendent plutôt peu probable, l'opinion qui considère l'hypnose comme le résultat d'une action physiologique directe, exercée par des agents externes.
La ressemblance apparente entre la narcose et l'hypnose diminue, en effet, lorsqu'on la soumet à une analyse plus approfondie. Il se produit, aussi bien dans l'une comme dans l'autre, une phase caractérisée par une idéation incohérente, délirante. Seulement, chez le sujet narcotisé, cette phase précède l'état d'inhibition de tout le système nerveux ; les centres supérieurs étant paralysés les premiers tandis que dans l'hypnose, l'inhibition des facultés supra-liminales semble, dans beaucoup de cas, n'être qu'une condition préliminaire nécessaire à l'entrée en jeu de facultés nouvelles, plongées dans les régions profondes du moi.

Il faut encore citer, au nombre des facteurs externes capables de produire des effets diffus sur tout le système nerveux, les chocs subits dont l'action peut aussi bien occasionner la mort par arrêt du coeur ou provoquer des paralysies ou, le stupor attonitus (une forme consacrée d'insanité) qui détermine cette immobilité cataleptique dans laquelle un simple coup de gong est susceptible de plonger telle malade de la Salpetrière. Des phénomènes analogues ont été observés chez certains animaux, la grenouille, le scarabée, etc. Mais, le caractère hypnotique de ces états est plus que douteux. Il n'a pas été démontré qu'il existe dans les cas de ce genre, une véritable faculté de réaction d'obéissance à la suggestion ; à moins qu'il s'agisse (comme dans certains cas de la Salpetrière) d’une forme de suggestion tellement évidente et habituelle que, l'obéissance à cette suggestion puisse être considérée comme faisant partie de l'état cataplexique lui-même. C'est ainsi que la « malléabilité » du cataleptique, dont les bras restent dans la position que vous lui avez donnée, doit être considérée plutôt comme un état caractérisé par une puissance de réaction moins forte et moins rapide aux stimulations externes ou internes.
Il existe un procédé de production de l'hypnose chez certaines personnes hystériques et, qui tient le milieu entre les stimulations massives, diffuses et les actions localisées. C'est à proprement parler une stimulation locale ; mais, on ne voit pas pour quelle raison, si ce n'est en vertu d'un caprice profond de l'organisme, le trajet spécial qui est dans ces cas un trajet sensitif, s'était développé dans telle direction plutôt que dans telle autre. Je parle de la production de l'état hypnotique à la suite de la pression exercée sur ce qu'on appelle les zones hypnogènes dont, le point de départ est constitué par ces plaques d'anesthésie qu'on trouve chez les sujets hystériques, les « stigmates de sorciers » de nos ancêtres.
D'après ce que nous en savons actuellement, la disposition de ces « stigmates » est tout à fait capricieuse, c'est-à-dire, qu'elle ne semble pas dépendre de quelque lésion centrale, comme les «douleurs irradiées » qui se produisent au cours de lésions organiques profondes ; ces dernières se manifestant par des plaques de sensibilité superficielle qui suivent la distribution des troncs nerveux. Les plaques anesthésiques sont un exemple de ce que j'ai appelé l'autosuggestion irrationnelle de la couche hypnotique et, sont déterminées plutôt par des caprices incohérents que par des antécédents purement physiologiques. Quant à ces points qu'on appelle zones hystérogènes, zones hypnogènes, zones hypnofrénatrices, etc., et que leur constance chez le même sujet pourrait faire considérer comme la cause immédiate physiologique de l'action qui suit la pression exercée à leur niveau, ils me paraissent, malgré leur constance, comme des localisations purement arbitraires, capricieuses, créées en vertu d'une décision inconsciente du moi subliminal dont ils constituent l'aboutissant extérieur. La pression locale exercée au niveau de ces points ne serait, à mon avis, qu'un simple signal ; un appel aux facultés préexistantes des centres de la couche hypnotique dont le fonctionnement n'est soumis à aucune loi. Là où d'autres voient une action physiologique, je ne vois, quant à moi, que l'effet de l'autosuggestion.
Certains praticiens ont eu recours, pour pratiquer la suggestion, à ce que l'on appelle la stimulation monotone. C'est ainsi que M. Auguste Voisin, ayant affaire à des personnes incapables de fixer leur attention, avait recours au procédé suivant : après leur avoir écarté les paupières à l'aide d'un blépharostate, il leur faisait fixer, quelquefois pendant des heures, un point ou un objet quelconque, par exemple, une lampe électrique allumée. Les sujets finissaient par tomber dans un état presque comateux qui les rendait très suggestibles. S'agit-il là d'un antécédent vraiment physiologique du sommeil hypnotique ? Je ne le pense pas. L'excitabilité morbide des sujets constituait tout simplement, un obstacle à l'hypnose et, s'ils avaient été capables de prêter une attention suffisante à la suggestion verbale (qui a été nécessaire dans tous les cas), le sommeil hypnotique aurait été obtenu sans la stimulation monotone.

Quant aux stimulations monotones telles que, le tic-tac d'une montre, le bruit produit par l'hélice d'un navire loin d'être capables de provoquer toujours l'hypnose, elles finissent dans la plupart des cas, ou par échapper à notre attention ou par nous agacer. Il en est de même du bercement qui, s'il est efficace pour endormir certains enfants, agit d'une façon irritante sur d'autres. En tout cas, le bercement agit sur les centres spinaux et sur les canaux semi-circulaires et son action soporifique tient moins à sa répétition monotone qu'aux mouvements massifs de l'organisme. Les « passes » elles-mêmes agissent moins en tant que stimulation monotone que comme simple suggestion et cela, d'après l'expérience de praticiens tels que Milne Bramwell qui les emploient toujours avec succès. La conclusion qui se dégage de notre analyse des procédés qui sont censés exercer une action physiologique aboutissant au sommeil hypnotique c'est que, tous ces procédés ne  constituent qu'autant de façons de pratiquer la suggestion et, nous voilà amenés à considérer avec l'école de Nancy, la suggestion comme le seul moyen de provoquer  l'hypnose.
Mais, comment la suggestion agit-elle et dans quelles conditions ? Il est évident que l'obéissance à la suggestion ne peut dépendre de la volonté du sujet, pour cette simple raison qu'elle s'adresse à une région située bien au-delà de celle où la volonté se manifeste. Tel sujet a beau désiré guérir de telle maladie, il a beau vouloir vous obéir, une simple expression verbale de son désir faite par vous, même sous forme d'un ordre ou d'un commandement, ne suffit pas à amener sa guérison. Pour que le résultat désiré se produise, il faut l'intervention d'un autre facteur dont il n'a pas suffisamment été tenu compte jusqu'ici : il faut que la suggestion du dehors se trouve transformée en une suggestion venue du dedans, c'est-à-dire en autosuggestion et, la suggestion devient ainsi « un appel efficace au moi subliminal», non pas nécessairement au moi dans son aspect le plus central, le plus unitaire mais, tout au moins, à une de ces couches de facultés subliminales que j'ai décrites précédemment.
En formulant cette définition de la suggestion, je n'entends nullement en tirer une explication quelconque concernant son efficacité dans certains cas, son inefficacité dans certains autres. Tout ce que je puis dire, c'est que la plus ou moins grande efficacité de la suggestion ne dépend pas, comme on le croyait jusqu'ici, de telle ou telle différence entre les divers procédés de suggestion en usage. L'action de la suggestion est capricieuse et ne se laisse pas réduire à des lois quelconques mais, nous retrouvons la même apparence d'arbitraire et fortuite dans les phénomènes de la désintégration de la personnalité, du génie, du sommeil, de l'automatisme moteur et sensoriel. Nous nous trouvons là, en face d'un mystère faisant partie de celui qui concerne les rapports existant entre le moi subliminal et le moi supra-liminal.
Nous tenterons plus tard d'éclaircir un peu ce mystère. Voyons en attendant, si la conception du moi subliminal n'est pas de nature à nous fournir de nouvelles données susceptibles de jeter un peu de lumière sur les phénomènes de l'hypnotisme. Nous pouvons dire en premier lieu que, puisque nous avons trouvé que les facultés subliminales trouvent leur épanouissement le plus complet pendant la phase du sommeil, nous devons nous attendre à ce que l'évocation artificielle de ces facultés soit, à son tour, suivie de sommeil. Or, c'est précisément un état particulier analogue à celui du sommeil qui caractérise principalement l'hypnose ; et, quoique les soi-disant suggestions hypnotiques manifestent parfois leurs effets à l'état de veille, les plus grands succès thérapeutiques obtenus par l'hypnotisme se sont produits pendant un état de sommeil plus ou moins profond ; un sommeil qui est compatible avec des activités plus ou moins étranges mais, qui est certainement plus profond que le sommeil normal. Pour ma part, je me garderai bien de suivre Bernheim qui assimile le sommeil hypnotique au sommeil normal. Je dirai plutôt que dans l'hypnotisme, de même que dans l'extase, la léthargie, le somnambulisme, le moi subliminal surnage à la surface d'une façon que nous connaissons  et se substitue au moi supra-liminal dans la mesure nécessaire à l'accomplissement de son  oeuvre. Le caractère de cette oeuvre nous est déjà connu ; seulement, ce que nous avons vu s'accomplir autrefois spontanément, se produit maintenant en réponse à notre appel.
Cette conception simplifiée de l'hypnotisme nous permettra de comprendre beaucoup de phénomènes dont l'interprétation et l'explication sont encore très discutées. C'est ainsi que, les différentes phases de l'état hypnotique décrites par Charcot, Liébeault, Gurney ; chaque phase présentant, ainsi que l'a montré Gurney, sa mémoire propre, sans rapport ni confusion avec la mémoire des états qui la précèdent ou la suivent, ces phases, disons-nous, présentent une analogie frappante avec ces désintégrations morbides de la personnalité ; avec ces multiplications de la personnalité que nous avons décrites dans le chapitre II où, nous avons vu chaque nouvelle personnalité présenter des lacunes, des solutions de continuité dans la chaîne mnémonique. Les phases hypnotiques présentent des personnalités secondaires ou alternantes d'un type superficiel et, par cela même, éminemment propres à nous montrer à quel genre de désintégration subliminale sont dues les désagrégations plus profondes de la personnalité.
La phase la plus profonde du sommeil hypnotique pourrait être définie comme un arrangement scientifique fait en vue d'un but défini des éléments du sommeil ; arrangement dans lequel ce qui peut être utile est intensifié, tandis que, tout ce qui peut constituer un obstacle est écarté. Notre sommeil normal est à la fois instable et incapable de réaction ; on peut nous réveiller avec une piqûre d'épingle mais lorsqu'on nous parle, nous n'entendons ni ne répondons rien, à moins que nous soyons réveillés par le bruit même des paroles ; c’est le sommeil, tel que l'ont créé les besoins de nos ancêtres timorés. Le sommeil hypnotique est, au contraire, à la fois stable et capable de réaction ; résistant aux excitations qu'il veut ignorer, facilement accessible aux appels auxquels il est décidé à répondre. Piquez ou pincez un sujet hypnotisé, et quoique certaines couches de sa personnalité puissent être en quelque sorte conscientes de votre acte, le sommeil ne sera  pas interrompu pour cela. Mais, lorsque vous lui adressez la parole ou que vous parlez tout simplement devant lui, il vous entendra, quelque profonde que soit sa léthargie apparente. Ceci est vrai de la phase initiale du sommeil. À une phase plus profonde, le moi supra-liminal se trouve enfin complètement affranchi et est capable, non seulement de recevoir mais aussi de répondre. L'état hypnotique a ainsi pour but de faciliter, de rendre possible la direction supra-liminale du moi subliminal.
Cette direction s'exerce dans deux voies différentes et agit, soit par l'inhibition, soit par la dynamogénie, c'est-à-dire : soit en réprimant certains actes, certaines émotions et certains états affectifs, soit en en provoquant en en favorisant d'autres. Et en ceci, la suggestion hypnotique se rapproche de l'éducation qui a également pour but d'empêcher chez les enfants, l'éclosion de certains instincts et habitudes réputés mauvais et, de favoriser le développement d'instincts et habitudes reconnus bons.
Cependant, le travail de dynamogénie dans l'éducation présente beaucoup plus de difficultés que celui d'inhibition. Nous savons très bien ce que nous voulons empêcher l'enfant de faire. Il est beaucoup plus difficile de déterminer ce qu'une éducation judicieuse doit lui apprendre à faire. La toute première leçon que nous lui inculquons : l’attention, est en réalité d'une portée dont nous ne nous rendons pas compte. Nous nous contentons généralement du côté négatif de la leçon qui consiste dans l’inhibition de la pensée distraite. L'intensité de l'attention ainsi obtenue forme un problème à part. L'éducation intellectuelle, que l'attention rend possible, comprend l'exercice des facultés de perception, de mémoire et d’imagination. Or, toutes ces facultés ont souvent acquis un degré d'intensité considérable du fait de la suggestion hypnotique.
L'éducation morale, de son côté, suppose un exercice de l'attention, principalement dans la direction émotionnelle et, par des procédés aussi bien d'inhibition que de dynamo-génie. Nous éliminons les peurs morbides en inculquant les notions de courage et de respect de soi-même ; nous nous servons du pouvoir expulsif de nouvelles affections pour chasser des désirs indignes. Les exemples sont nombreux qui montrent la puissance de la suggestion dans des cas où la vie semblait irrémédiablement ruinée par quelque préoccupation obsédante ou quelque frayeur irrésistible.
Les vertus personnelles dépendent, avant tout, de la puissance d'inhibition, tandis que la dynamogénie est nécessaire lorsque ces vertus ont besoin d'être stimulées plutôt que contenues ; la stimulation étant appliquée à des instincts déjà existants. Chacun de nous désire plus ou moins la santé, la richesse, la considération, le succès. Mais, lorsque des vertus personnelles nous passons aux vertus altruistes, nous ne sommes pas sûrs du tout de trouver une impulsion prête à se développer.
Lorsqu'on a atteint un certain degré de générosité et d'affabilité, on se trouve devant les qualités supérieures d'abnégation, d'enthousiasme impersonnel, etc., qui dépassent la portée de l'éducation ordinaire et de la suggestion hypnotique ordinaire. Certains dipsomanes et morphinomanes guéris mènent une vie digne d'estime ; ils ont atteint, pour ainsi dire, un certain degré de stabilité morale mais, il est peu probable qu'ils soient capables de manifester des vertus supérieures.
En fait, personne ne peut demander au médecin de lui suggérer la sainteté, de même qu'on ne peut s'attendre à ce qu'un homme égoïste et heureux se trouve transformé en homme généreux et détaché des biens de ce monde ; cet homme s'est adapté, à sa façon, à son milieu et il ne demande pas à être changé profondément. Ce n'est donc pas des salles d'hôpital, ni des cabinets de consultations que nous parviendront des nouvelles de grands changements de caractère en vue de fins spirituelles. Ces changements ne peuvent faire l'objet d'expériences exécutées à sang-froid ; ils ne s'en produisent pas moins. Chez chaque peuple et à toutes époques, il y a eu des conversions, des changements et des élévations du caractère attribués à la grâce divine et, nous verrons plus tard que sur ce point, notre revue des effets de l'hypnotisme se confond avec des considérations plus vastes sur la puissance spirituelle de l'homme.
Mais, avant d'en arriver à ce point de vue plus vaste, nous devons passer successivement en revue les différentes formes, aussi bien d'inhibition que de dynamogénie, qui constituent l'éducation ordinaire, depuis le berceau.
La forme la plus ordinaire de restriction ou d'inhibition consiste, comme nous l'avons déjà dit, dans les efforts que nous faisons pour préserver l'enfant de l'acquisition de  « mauvaises habitudes ». Ces associations morbides des centres moteurs, amusantes au début, finissent parfois par devenir incurables, au point de résister à tout traitement ou régime ; au point que l'acte, si insignifiant en apparence que celui de sucer le pouce, peut causer des désordres très graves.
Sous aucun rapport pourtant, les résultats de la suggestion ne paraissent plus inexplicables que dans les cas de ce genre. Nulle part nous n'assistons à un affranchissement aussi complet, presque au moment même, d'une habitude que des années d'efforts pénibles n'ont pas réussi à supprimer.
Ces cas occupent le milieu entre la thérapeutique ordinaire et la persuasion morale. L'importance de trouver ici le moyen de traitement le plus court et le plus rapide saute aux yeux et, nous n'avons aucune raison de croire que les cures ainsi obtenues soient moins complètes et moins permanentes que celles dues à un effort moral lent et graduel. Ces faits ne doivent pas être perdus de vue lorsqu'on parcourt toute la série des effets hypnotiques supérieurs car, ils sont de nature à nous ôter toute inquiétude relative à l'exclusion possible de tout exercice ou effort moral dans les cas de guérisons aussi rapides, miraculeuses presque. Nous devons supposer que chacun de ces effets consiste dans une modification de certains groupes de centres nerveux et, c'est là précisément le résultat que l'entraînement moral obtient dans la région de la conscience, d'une façon plus lente et plus pénible. Il existe entre ces deux façons de procéder, la même différence que celle qui sépare les résultats réalisés par l'application intellectuelle, de ceux que réalise l'homme de génie. L'homme auquel on a suggéré « la sobriété » peut, sans douter, se dispenser de tout effort de patience et de résolution, de même que l'écolier Gauss inscrivait les solutions des problèmes aussitôt que ceux-ci étaient énoncés, au lieu d'y dépenser une heure d'application et de réflexion. Mais, le progrès moral est, dans son essence, aussi illimité que celui des sciences mathématiques et l'homme dont le caractère a ainsi, sur un point quelconque, subi une transformation sans qu'il lui en coûtât la moindre lutte, n'en peut pas moins trouver dans la vie plus d'une occasion de réaliser un effort moral, d'entraîner son caractère et de prendre des décisions. Parmi les mauvaises habitudes dont il s'agit, la kleptomanie présente un intérêt particulier, parce qu'on est souvent tenté de se demander si cette soi-disant habitude morbide ne sert pas d'excuse à un simple penchant criminel. Or, les résultats obtenus par le traitement sont la meilleure preuve de l'existence de cette maladie ; et, certaines cures montrent que l'impulsion dont il s'agit, tient réellement à une excitabilité morbide des centres moteurs actionnés par un stimulus spécial ; une idée fixe tendant à se transformer immédiatement en acte.
Certains mots et actes violents tombent sous la même catégorie dans des cas où, l'impulsion à jurer ou à frapper a acquis la promptitude irraisonnée et automatique d'un tic ; ils n'en peuvent pas moins être inhibés par la suggestion, de même que certaines aberrations sexuelles.
Les substances stimulantes et narcotiques forment une menace perpétuelle à la moralité humaine. Par un accident bizarre de notre développement, la tendance de notre organisme à l'emploi de certaines drogues : l'alcool, l'opium, etc., est assez puissante pour l'emporter chez un grand nombre de personnes, non seulement sur les impulsions altruistes qui sont d'acquisition récente mais encore, sur les tendances primitives de défense et de conservation personnelles. Nous nous trouvons, pour ainsi dire, ramenés à la « chimiotaxie » des organismes inférieurs et, nous créons un conflit bizarre entre notre responsabilité morale et nos affinités moléculaires ; notre volonté centrale étant débordée par les innombrables éléments inertes de notre être. Dans ces états, la suggestion hypnotique opère d'une façon assez curieuse, moins dans le sens d'une fortification de notre volonté centrale que dans celui d'un nouvel arrangement moléculaire ; elle laisse, notamment, le patient indifférent au stimulant. Elle lui en fait même éprouver le dégoût. L'homme pour lequel l'alcool réalisait autrefois la joie et la terreur extrêmes, se comporte maintenant comme s'il vivait dans un monde où l'alcool n'existerait pas.
L'esclave de la morphine recouvre parfois la même liberté. On croyait autrefois que la cure des morphinomanes équivalait à leur mort puisque, de nombreux suicides ont été enregistrés, accomplis par des morphinomanes privés de leur stimulant. Mais, dans certains cas guéris par la suggestion, la privation subite n'a laissé après elle aucun désir, aucun regret. Il s'agit ici de quelque chose de plus profond qu'une réforme morale ; on dirait un esprit restant intact au milieu des dégradations que subit le corps.
Nous arrivons aux idées connues sous le nom de phobies telles que, l'agoraphobie, la claustrophobie, la mysophobie (la crainte des souillures), qui expriment une sorte de déplacement ou de contracture de l'attention et dans lesquelles, la suggestion se montre parfois très efficace ; soit en suscitant l'activité de centres antagonistes, soit en ouvrant des canaux fermés jusque-là en déterminant, en un mot, une disparition rapide de l'idée obsédante. Je viens de parler, à propos des cas de ce genre, d'une modification intellectuelle consistant dans la remise à point de l'attention déplacée. Mais, les effets moraux ne sont pas ici moins importants que dans les cas d'inhibition de la dypsomanie, etc., déjà mentionnés. Ces peurs morbides, que la suggestion fait disparaître, agissent en ruinant, en dégradant le caractère. Les éléments d'antipathie, de jalousie qu'elles renferment souvent, rendent les sujets qui en sont atteints aussi dangereux pour les autres qu'odieux à eux-mêmes.

La suppression de ces idées fixes par la suggestion rappelle quelque peu l'extirpation chirurgicale des tumeurs de l'organisme. Mais, l'extirpation de tumeurs ne constitue pas la seule façon de purger l'organisme et, l'organisme psychique, pour poursuivre notre métaphore, est également sujet aux destructions et aux constipations qu'il est souvent nécessaire de dissiper. Le trésor de la mémoire peut être mélangé de résidus ; les enseignements fournis par l'expérience se trouvant souvent retenus trop bien, le calme philosophique peut dégénérer en apathie. « L'expérience accumulée, a-t-on dit avec beaucoup de raison , paralyse l'action, trouble la réaction logique de l'individu au milieu. Le manque de contrôle qui marque souvent la décadence des facultés mentales n'est (quelquefois) qu'un contrôle défectueux par suite de la prépondérance des influences secondaires sur les primitives. »
C'est ainsi que, la suppression de la fausse honte par la suggestion hypnotique constitue, en réalité, une purgation de la mémoire ; une inhibition du souvenir des fautes passées et une mise en oeuvre d'aptitudes nécessaires à un moment donné. C'est ainsi que, chez un garçon appelé à faire une récitation en public, l'hypnotisation réveille l'instinct primitif de loquacité, dégagé de la peur paralysante du ridicule. Chez le musicien, au contraire, une suggestion analogue fera apparaître l'instinct secondaire acquis par les doigts, en le débarrassant des idées indécises et embarrassantes de l'écolier. .
Je dois remarquer ici (après Gurney et Bramwell) que le terme monoïdéisme appliqué aux états hypnotiques me paraît tout à fait inadéquat. Il se produit, certes chez le sujet hypnotisé, une sélection des idées et une concentration de l'attention sur telle ou telle autre idée choisie ; mais, ces idées elles-mêmes peuvent être à la fois complexes et changeantes et, c'est là une des différences qui séparent l'état hypnotique du somnambulisme dans lequel on voit très souvent, un groupe très restreint de centres cérébraux appelés à l'activité et suffisant à celle-ci. La servante somnambule, par exemple, persiste à ranger la table à thé quoi que vous lui disiez est, en effet, du monoïdéisme. Mais, le sujet hypnotisé est capable d'obéir simultanément à des ordres plus nombreux et variés qu'il ne le ferait à l'état de veille.
De ces inhibitions de la mémoire ou de l'attention dirigée vers les expériences du passé, nous passons à l'attention dirigée vers l'expérience actuelle. Et ici, nous atteignons un point central ; la tache jaune du champ mental et nous verrons que parmi les effets les plus importants de l'hypnotisme, certains peuvent être considérés comme des modifications de l’attention.
Toute modification de l'attention peut s'accomplir, soit dans le sens de l'arrêt, soit dans celui de la stimulation ou, dans les deux sens à la fois. J'étonnerai certainement plus d'un lecteur en disant que, la suppression hypnotique de la douleur est due à une inhibition de l'attention. Dans les anesthésies de cause organique (empoisonnement, traumatisme, etc.) il se produit des modifications dans la structure intime des nerfs qui ont pour conséquence, non seulement la suppression de leur communication avec le système nerveux central mais encore, une diminution, voire l'abolition de l'activité fonctionnelle du nerf en général. Dans l'anesthésie hypnotique, au contraire, le système nerveux reste aussi vigoureux et actif que jamais, presque aussi capable de transmettre la douleur que de l'inhiber tout à la fois ; en un mot, le sujet hypnotisé est au-dessus de la douleur au lieu d'être au-dessous d'elle. L'hypnotisme a pour effet, non de supprimer la cause organique, physique de la douleur mais, d'affaiblir la faculté de représentation grâce à laquelle, notre système nerveux central transforme tel ou tel trouble organique en douleur. Cet affaiblissement ne va pas toujours jusqu'à la suppression complète ; souvent, la douleur qui a pu être supprimée au cours d'une opération pratiquée, le malade étant hypnotisé ou même chloroformisé, se réveille à un moment donné, dans le sommeil par exemple, ce qui prouve qu'elle avait été  simplement reléguée dans une des couches de notre conscience, inaccessibles à notre examen et à nos regards.
Ce pouvoir d'inhibition que possède l'hypnotisme procure à chacun de nous, pour peu qu'il s'agisse d'un individu suggestible, un pouvoir de concentration de l'attention, de choix dans l'exercice de nos facultés et ceci, en nous permettant d'écarter, de reléguer dans une couche éloignée de notre conscience, toutes celles qui ne sont pas strictement nécessaires pour atteindre tel but qu'on s'était posé. Ceci suppose une dissociation des éléments qui, jusqu'ici, paraissaient indissolublement liés et, le choix entre ceux qui nous sont immédiatement indispensables et ceux qui, sans être d'aucune utilité pour le moment, ne font que distraire notre attention. Nous arrivons ainsi à une concentration de cette dernière qui, souvent, peut atteindre un degré comparable à celui que nous supposons avoir existé chez des Newton ou des Archimède.
L'inhibition, ainsi comprise, se rapproche de ce que nous pouvons appeler l'action dynamogénique de la suggestion hypnotique. Mais, dans le cas dont il s'agit, la dynamogénie présente, pour ainsi dire, un caractère purement négatif ; nous élevons le degré d'une faculté, l'attention, en la détournant des objets qui ne peuvent pas être considérés comme des moyens permettant d'atteindre une fin définie, nous lui restituons en intensité ce que nous lui faisons perdre en extension.
Mais, la suggestion hypnotique a encore une action dynamogénique positive, c'est-à-dire qu'elle est capable d'augmenter la vitalité, de fortifier la volonté, de rendre plus intense l'énergie et le fonctionnement de toutes nos facultés, sans avoir recours à l'inhibition. En procédant ainsi, elle semble tirer de l'organisme plus que ne le permettent ses conditions physiologiques. Il est vrai que l'énergie physique de l'organisme dépend de conditions physiologiques telles que la chaleur et la nutrition mais, même dans ces limites très larges, d'ailleurs, du métabolisme physiologique, l'énergie produite par la chaleur et la nutrition est susceptible de variations indéfinies, aussi bien quant à son caractère qu'à son intensité. Il en est de même de l'énergie psychique qui est loin d'être enfermée dans un  circuit clos et de présenter un degré constant.
Déjà par l'éducation nous nous proposons :
1° De faire acquérir à nos enfants, par leurs organes sensoriels externes, tous les plaisirs sains et toutes les connaissances que ces organes sont capables de fournir ;
2° De donner à leurs organes sensoriels centraux ou, au monde interne de l'imagination, une fertilité saine et utile ;
3° De rendre les enfants capables de maîtriser leur énergie intellectuelle en retenant par la mémoire, tous les actes qui, précédemment, avaient sollicité leur attention ;
4° De convertir leurs connaissances et leur imagination en sagesse et en vertu par l'exercice de la volonté éclairée.
C'est là une voie longue et difficile mais, nous verrons qu'à chaque point, la suggestion hypnotique nous fournit un commencement d'aide et de contribution. L'action de la suggestion sur nos facultés de perception (organes des sens externes) se manifeste principalement de trois manières :
a) Par la restitution à l'état normal des sens ordinaires atteints d'une anomalie de fonctionnement ;
b) Par l'intensification des sens ordinaires : hyperesthésie ;
c) Par le développement des sens nouveaux : héteresthésie.
En ce qui concerne les faits de la première de ces catégories, il s'agit le plus souvent, soit d'une habitude contractée par le moi subliminal pour parer à un défaut organique réel : (spasme involontaire du muscle ciliaire ayant pour but de corriger une insuffisance du cristallin), soit d'une insuffisance de l'attention. Il suffit donc, soit de supprimer l'habitude, soit de réveiller l'attention ; l'un et l'autre de ces effets ne pouvant guère être obtenus qu'à l'aide de la suggestion hypnotique, pour rendre à l'organe son fonctionnement normal. Les cas d'hyperesthésie sont trop nombreux et suffisamment prouvés pour qu'il soit besoin d'y insister ici. Disons seulement qu'ils prouvent que le fonctionnement de nos sens ne présente qu'un minimum adapté à nos besoins journaliers mais, qu'ils possèdent des potentialités latentes que la suggestion hypnotique est susceptible de mettre en lumière.
Les cas d'héteresthésie se présentent d'une façon un peu différente. Il est possible que l'héteresthésie ne constitue qu'une manifestation de certains sens que nous avons hérités du protoplasma primitif, lequel était probablement doué de panesthésie, c'est-à-dire possédait à l'état latent, tous les sens propres aux êtres vivants. De ces sens, nous n'avons développé au cours de l'évolution, que ceux adaptés à nos fins et besoins humains, terrestres ; ils se sont donc trouvés pourvus d'organes terminaux. Mais, ceci n'exclue pas la possibilité de l'existence d'autres sens qui n'ont pas trouvé l'occasion de s'extérioriser, mais qui, à l'instar des trajets olfactifs et optiques, n'en persistent pas moins dans le système nerveux central. Il n'est donc pas impossible qu'une impulsion externe ou interne suffisante, soit capable de les rendre évidentes à l'intelligence éveillée ou, tout au moins, perceptibles dans l'état de concentration rétrécie (extase). Mais d'un autre côté, je suis enclin à penser que les perceptions nouvelles en apparence de l'héteresthésie, représentent seulement un mélange de formes ordinaires de perception poussées à un degré nouveau et, interprétées par le système nerveux central avec une acuité également nouvelle.
J'aborde maintenant l'étude des effets dynamogéniques de la suggestion sur les processus vitaux centraux, c'est-à-dire affectant soit le système vasomoteur, soit le système neuromusculaire, soit enfin les trajets sensoriels centraux. En ce qui concerne les effets de la suggestion sur le système vasomoteur, ils sont connus de tout le monde et, les expériences qui s'y rapportent sont d'une simplicité enfantine : on met sous le nez du sujet un flacon contenant de l'ammoniaque en lui disant que c'est de l'eau de rose ; le sujet aspire l'odeur avec plaisir et ses yeux ne larmoient pas. On fait l'expérience contraire, c'est-à-dire qu'on présente de l'eau de rose qu'on donne pour de l'ammoniaque ; le sujet se met à éternuer et ses yeux pleurent. Ces expériences montrent l'influence que la suggestion hypnotique est capable d'exercer sur l'activité sécrétoire des glandes. La « stigmatisation » qui a été pendant longtemps considérée comme une supercherie par les uns, comme un miracle par d'autres, ne constitue, à notre avis, qu'un effet de l'autosuggestion sur le système vasomoteur qui possède une plasticité extrême et une puissance de réaction merveilleuse.
La stigmatisation n'est, en effet, qu'une vésication suggérée à lui-même par l'individu en état d'extase, de contemplation permanente devant les plaies du Christ.
Les effets de la suggestion sur nos facultés sensorielles centrales, sur notre faculté de représentation interne de visions, de sons, etc., sont de beaucoup les plus importants et n'ont été traités jusqu'ici, que d'une façon toute superficielle. Ces effets sont connus sous le nom d'hallucinations. Nous aurons à nous occuper des hallucinations dans notre chapitre sur l’automatisme sensoriel. Ici, nous dirons seulement que, loin de considérer les hallucinations hypnotiques comme l'effet d'une inhibition, comme l'expression d'un monoïdéisme nous y voyons, au contraire, une manifestation dynamogénique, une intensification de l'imagination portant souvent sur des sujets futiles mais, représentant quand même une faculté d'ordre supérieur, indispensable d'une façon ou d'une autre, à la production de ces oeuvres que nous admirons le plus. Cette puissance intensifiée d'imagination n'est pas seulement l'effet de la suggestion ; elle possède encore un autre trait : celui de se confondre avec notre moi subliminal et d'y demeurer à l'état latent. La preuve nous en est fournie par l'exactitude et la précision avec lesquelles sont exécutées les suggestions post-hypnotiques, c'est-à-dire des ordres suggérés pendant le sommeil hypnotique mais, devant être exécutés plus tard, à date et à heure fixes, sur un signe  convenu. Au moment d'exécuter cet ordre, le sujet retombe momentanément dans le sommeil hypnotique et ne se rappelle plus l'avoir exécuté. Tout ceci prouve bien que l'ordre suggéré faisait partie d'une chaîne de souvenirs, existant simultanément avec la chaîne de l'état de veille mais, sans rapports avec cette dernière.
La faculté subliminale qui préside aux hallucinations s'exerce dans des limites très larges, aussi larges que celles dans lesquelles se manifestent les effets thérapeutiques de la suggestion. En effet, les hallucinations post-hypnotiques n'affectent pas seulement la vue et l'ouïe (auxquelles les hallucinations spontanées sont limitées le plus souvent) mais, toutes les réactions vasomotrices et toutes les sensations organiques, cardiaques, gastriques, etc. et, produisent des effets qu'aucun artifice ne saurait produire chez des personnes à l'état de veille.
La suggestion agit donc, en intensifiant notre puissance et nos facultés sensorielles ordinaires, en élevant à un degré inaccessible à l'état normal notre perceptivité périphérique ou centrale. On peut se demander jusqu'à quel point les organes terminaux spécialisés participent à cette activité perceptive exagérée et, la réponse à cette question nous permettrait d'élucider le phénomène bizarre connu sous le nom de la transposition des sens et, qui tient le milieu entre l'hyperesthésie et la télesthésie ou clairvoyance. On sait en quoi consiste ce phénomène ; c'est, pour ainsi dire, la substitution d'un organe de sens à un autre telle par exemple, la vision à l'aide des bouts des doigts, etc. S'agit-il là d'une véritable substitution et, un organe est-il vraiment capable d'assumer une fonction qui ne lui appartient pas et qui est du ressort d'un autre organe défini, spécialisé en vue de cette fonction ? Je ne le pense pas. A mon avis, les bouts des doigts ne constituent pas plus, dans les cas en question, un organe de la vision que, les zones dites hypnogènes ne constituent des organes destinés à transmettre la suggestion hypnotique. Il s’agit là, plutôt, d'un état de télesthésie qui n'implique pas nécessairement la perception par l'organisme corporel ; seul l'esprit qui perçoit de cette façon supra-normale se trouve sous l'impression qu'il perçoit à travers tel ou tel organe corporel.
J'arrive maintenant au troisième ordre d'effets dynamo-géniques de la suggestion ; à son influence, notamment, sur l’attention, la volonté et le caractère ; ce dernier étant une résultante de la direction et de la persistance de l'attention volontaire.
Nous avons vu, dans les phénomènes hypnotiques dont nous nous sommes occupés jusqu'ici, l'intelligence intervenir pour une certaine part et à un certain degré. Nous passons maintenant d'une phase de la conscience et de l'action intelligente à une autre plus élevée. On peut en effet reconnaître à la conscience dont il s'agit, trois degrés :
a) j’ignore  absolument la façon dont je fais affluer le sang dans mon bras ; c'est là un processus organique qui s'accomplit entièrement au-dessous du niveau de ma conscience ;
b) je sais,  jusqu'à un certain point, comment je fais mouvoir mon bras ; c'est là un processus organique associé à certaines sensations conscientes de choix et de volonté;
c) du moment que je fais mouvoir mon bras, je puis comprendre d'une façon plus complète que dans les  phases précédentes, comment j'écris des lettres sur le papier ; cette action renfermant un élément beaucoup plus considérable de capacité acquise et de choix conscient.
Or, ce que nous nous proposons de montrer cette fois, c'est la façon dont la suggestion hypnotique fait accomplir le passage de la phase b) à la phase c), c'est-à-dire de celle où l'élément conscient joue un rôle minime à celle où son rôle devient important et complexe.
Considérons un moment, le degré d'intelligence qui intervient dans les modifications de  l'organisme produites par la suggestion hypnotique, telles que la formation d'ampoules cruciformes. Cette formation suppose, en effet, une combinaison assez rare de capacités : la capacité d'imprimer aux modifications physiologiques une nouvelle voie et, celle de se représenter et d'imiter une idée abstraite, arbitraire, non physiologique ; l'idée de la cruciformité.
Tout ceci est, à mon avis, l'expression d'un contrôle subliminal sur tout l'organisme ; contrôle plus efficace et plus profond que le contrôle supra-liminal. Et, pour donner une apparence plus concrète à cette expression abstraite je décrirai, cette augmentation de la modifiabilité de l'organisme comme un retour à la plasticité primitive ; cette plasticité, demeurant latente tant que dure l'état normal mais, susceptible d'être réveillée par la suggestion. Ce réveil ne se fait, ni d'une façon aveugle, ni d'une façon consciente mais, ressemble plutôt à un caprice intelligent. C'est ainsi, par exemple, que la vésication cruciforme se localise selon un plan prédéterminé ; ce qui prouve que le processus n'est pas tout à fait aveugle et, d'un autre côté, beaucoup d'individus qui en sont atteints seraient très heureux d'en être débarrassés. Preuve que le processus n'est ni conscient ni voulu. Tout ce que l'on peut dire c'est que, l'ordre en vertu duquel se forment les ampoules cruciformes est un ordre capricieux mais, il est exécuté d'une façon intelligente. Nous sommes là en présence d'une activité des centres du niveau moyen mettant en oeuvre les facultés subliminales.
Nous arrivons maintenant aux suggestions affectant plus directement les facultés centrales et s'adressant davantage aux centres du niveau supérieur. Citons d'abord les faits où les facultés supérieures obéissent à des suggestions faites en vue de fins purement capricieuses. J'ai parlé plus haut des calculs accomplis subliminalement en vertu de suggestions post-hypnotiques. Ces suggestions à échéance, c'est-à-dire des ordres donnés pendant le sommeil et devant être exécutés dans des circonstances déterminées, après un laps de temps défini, nous montrent le degré d'intelligence pouvant être mis en jeu, en dehors de toute intervention de la conscience supra-liminale. C'est ainsi, par exemple, que M. Milne Bramwell ordonne à un sujet hypnotisé de tracer une croix lorsque 20180 minutes se seront écoulées, à partir du moment où l'ordre est donné. Le fait que cet ordre a pu être exécuté montre qu'il existe une mémoire subliminale ou hypnotique qui se maintient pendant le cours de notre vie ordinaire et, se réveille lorsque les circonstances au milieu desquelles tel ordre doit être exécuté se trouvent réalisées. Il résulte des expériences de ce genre, ainsi que des faits déjà cités de solutions de problèmes arithmétiques dans l'état de somnambulisme que, grâce à l'éducation, cette acuité de la mémoire subliminale est susceptible de rendre de grands services à notre activité supra-liminale.
Tout le monde sait que, ce que M. Richet a appelé l’objectivation de types se produit, pendant l'hypnose, avec une vivacité beaucoup plus grande qu'à l'état normal et, l'on sait aussi que le «trac» (des auteurs ou des orateurs) est une émotion que la suggestion peut très bien abolir. Certaines personnes peuvent, sur la scène ou sur la tribune, se procurer à bon compte les apparences du génie et cela, en évoquant par la suggestion ou l'autosuggestion, un courant subliminal d'idées ou de paroles, de gestes dramatiques ou d'intonation qui, tout en n'étant pas d'une qualité bien rare, n'en épargne pas moins à l'artiste placé dans ces conditions, les embarras et les gaffes qu'il commettrait sans cela. Ici encore, l'hypnotisation constitue une sorte d'extension de « l'automatisme secondaire», c'est-à-dire une élimination de la conscience ordinaire des mouvements (la marche, les mouvements des doigts sur le piano, etc.) souvent exécutés. Et, ces faits nous font entrevoir la possibilité de l'association, chez l'homme, de la stabilité de l'instinct à la plasticité de la raison. L'insecte, par exemple, accomplit avec beaucoup de facilité et de perfection certains actes difficiles qui lui sont dictés par un instinct, lequel n'est souvent peut-être qu'une « intelligence déchue » ; qu'un effort vaguement conscient au début et qui, à force de répétitions innombrables, s'est comme transformé en un automatisme inintelligent mais précis. L'homme est souvent guidé par un automatisme secondaire de ce genre mais à un degré infime, si l'on compare la fréquence avec laquelle il se manifeste, à la quantité de travail qu'il accomplit en vertu d'un effort conscient. Cet automatisme est susceptible de s'étendre dans deux directions ; l'homme parvenant à accomplir avec indifférence des besognes désagréables et, avec facilité des besognes difficiles.
L'hypnotisme peut encore avoir une grande valeur pratique au point de vue du développement de l'attention en général qui constitue un des buts que se propose l'éducation. L'incapacité, l'indolence et l'inattention se partagent la responsabilité de la plupart des fautes et des erreurs que nous commettons journellement. L'inattention est, sans doute souvent, une forme spéciale de l'indolence mais dans d'autres cas, elle peut être « constitutionnelle », au point de ne pouvoir être vaincue par un effort énergique de la volonté. S'il nous était possible d'arrêter cette précipitation du foyer mental vers des centres d'idéation non désirés, tout comme nous pouvons arrêter les mouvements désordonnés de la chorée, il en résulterait, presque, un relèvement du niveau actuel de l'intelligence humaine ; non pas au point de vue qualitatif mais, au point de vue quantitatif, en prévenant des pertes. Les cas bien connus des garde-malades du Dr Forel qui pouvaient, grâce à la suggestion, dormir profondément à côté des malades qu'elles avaient à surveiller et ne se réveiller que lorsque ceux-ci avaient besoin d'être contenus montrent que, l'attention peut être concentrée sur des impressions choisies et déterminées et, des pertes d'énergie évitées par des moyens bien plus efficaces que les exercices ordinaires de la volonté.
En ce qui concerne l'influence de la suggestion sur la volonté, je me bornerai ici, à rappeler l'attention sur l'énergie et la résolution avec lesquelles sont réalisées les suggestions hypnotiques ; sur la férocité même avec laquelle, le sujet hypnotisé écarte les résistances les plus vigoureuses. Je ne crois pas que le sujet hypnotisé s'expose ainsi à des risques bien graves car, je suis convaincu (avec Bramwell et autres) que le sujet hypnotisé se rend vaguement compte qu'il ne s'agit, somme toute, que d'une expérience. Il n'en court pas moins un certain risque ; il se conduit comme doit se conduire un homme résolu et confiant en lui-même, quelque timide et peu agressif que soit son caractère habituel. Et, je crois qu'on peut tirer beaucoup d'avantages de cette confiance temporaire en lui-même que la suggestion fait naître chez le sujet. Nous avons là un moyen d'inhibition contre la timidité acquise et contre la méfiance de l'individu envers lui-même, telles qu'elles se manifestent à l'état supra-liminal et, la possibilité de concentrer le moi subliminal sur un but donné, quelque difficile que ce but soit à atteindre. Nous sommes, en un mot, en possession d'un moyen qui permet de tirer le plus grand parti possible des facultés innées de l'individu et, nous espérons arriver à lui faire exécuter, non seulement des excursions clairvoyantes mais encore, une action à distance sur la matière : la télékinésie.
On tend généralement à admettre que l'hypnose affaiblit la volonté ; que les personnes hypnotisées subissent de plus en plus l'influence de l'hypnotiseur qui peut suggérer à son sujet des actions criminelles. Et cependant, rien n'est plus facile, aussi bien pour le sujet que pour l'hypnotiseur, que de prévenir, d'écarter les influences qui ne sont pas désirables. Un ami fidèle n'a qu'à suggérer au sujet hypnotisé qu'aucune autre personne ne sera capable de lui suggérer quoi que ce soit et, le résultat voulu est obtenu. En ce qui concerne les crimes qu'on suppose avoir été commis par des personnes hypnotisées sous l'influence de la suggestion, leur réalité n'est nullement démontrée jusqu'à ce jour, malgré tous les  efforts qui ont été faits dans ce but.
Et ce fait s'accorde parfaitement avec les idées formulées dans ce chapitre, en ce qu'il montre que, les centres supérieurs subliminaux (pour les appeler ainsi) n'abdiquent en réalité jamais leur rôle ; qu'ils peuvent rester passifs pendant que les centres moyens obéissent aux caprices de l'expérimentateur mais, qu'ils sont prêts à assumer de nouveau leur pouvoir de contrôle, aussitôt que telle expérience menace de devenir dangereuse pour l'individu. C'est d'ailleurs ce que nous observons dans le somnambulisme spontané où les accidents, à moins d'un réveil brusque, sont si rares malgré les exploits les plus extraordinaires accomplis par le sujet.

Il ne nous reste plus qu'à parler de l'influence de la suggestion sur le caractère ; cette fonction qui résulte de la combinaison de la volonté et de l'attention et, qui est en dernière analyse, la fonction de toutes les possibilités que renferme à l'état latent le germe individuel.
Déjà, dans la cure de la morphinomanie nous observons souvent un essor moral tellement surprenant ! Une élévation tellement brusque de la chute extrême à la vie normale !  Comme il s'en produit rarement dans d'autres occasions.  On sait, en effet, qu'il n'existe pas un seul trait de caractère qui échappe à l'action néfaste de l'empoisonnement morphinique. La lâcheté, le mensonge, l'égoïsme le plus endurci : voilà ce qui caractérise le morphinomane, lors même que l'épuisement physique a rendu l'individu incapable de manifester activement sa violence et ses convoitises. Cette disparition complète du respect de soi-même ne donne aucune prise à l'action morale que serait tenté d'exercer le sage ou l'évangéliste. Et cependant, la suggestion hypnotique produit ici des modifications magiques et rend au paria rejeté de la société, une position honorable parmi ses concitoyens.
De quel genre sont ces transformations ? Les succès obtenus sont-ils dus à ce qu'il s'agit, dans ces cas, d'une dégradation fonctionnelle non organique ? Nous savons, en effet, qu'il est possible de guérir un état morbide des tissus, alors que nous ne pouvons rien contre une difformité ou une malformation congénitale. L'état du morphinomane ne serait-il qu'une sorte de vice chimique, un empoisonnement des cellules qui, jadis, ont fonctionné normalement et sont capables de recouvrer leur fonctionnement normal si on arrive à faire éliminer le poison ?
Et, n'est-ce pas une tâche beaucoup plus rude que, de créer de l'honnêteté, de la chasteté, de l'abnégation dans un cerveau dont, la conformation doit maintenir l'esprit qui pense par lui, au niveau d'une brute ? Cette question présente un intérêt psychologique énorme et la réponse, toute rudimentaire qu'elle soit encore, est des plus encourageantes. Nous connaissons des exemples qui montrent que des sujets hypnotisables et, chez lesquels, la suggestion est appliquée avec une persévérance et une habileté suffisante, peuvent s'élever de la déchéance la plus complète et, malgré nos qualifications d'insanité morale ou de criminel-né, à un état où ils deviennent capables de rendre des services à la communauté. Il est évident que nous ne pouvons pas dépasser les limites des capacités naturelles ; plus que nous ne pouvons improviser un génie, nous ne pouvons faire d'un homme ordinaire, un saint. Mais, l'expérience nous apprend qu'il est possible de faire une sélection parmi les sentiments et les facultés les plus inférieures et les plus pauvres et, de tirer au jour assez de sentiments sains et de facultés efficaces qui soient susceptibles d'assurer à l'homme supposé déchu, une stabilité morale et une collaboration utile au point de vue de  l'espèce.
Mais, de ce que la suggestion hypnotique s'était montrée efficace contre certaines mauvaises habitudes, s'ensuit-il qu'elle soit capable de guérir tous les cas de déchéance  morale ?
Toutes les fautes et tous les vices peuvent être rangés dans les quatre catégories suivantes :
1° Vices charnels dépendant de tentations spécifiques comme, par exemple, l'ivrognerie ; Ces vices sont facilement accessibles à la suggestion.
2° Vices associés à des malformations congénitales de l'organisme ; ils peuvent également être supprimés par la suggestion.
3° Vices dépendant d'une idée fixe ; la jalousie en est un exemple classique. Or, la jalousie est toujours un sentiment morbide. Ma haine pour B, parce que A préfère B à moi, est un résultat irrationnel d'une association d'idées obsédantes que la suggestion détruit souvent, d'une façon surprenante.
4° Vices maintenus intentionnellement en vue des avantages présumés de celui qui en est affecté.

En ce qui concerne cette dernière catégorie de vices, nous ne possédons pas de preuve expérimentale de leur curabilité par la suggestion et, ceci s'explique par le fait que, les individus affectés de vices de ce genre sont rarement empressés de s'en débarrasser et lors même qu'ils le sont, ils cherchent le remède dans une direction morale ou religieuse plutôt que médicale.
Pour ne prendre qu'un exemple, l'état mental d'un faux témoin diffère profondément de celui d'un dipsomane. Ce dernier se rend compte qu'il n'existe pas d'équilibre entre lui et son milieu et, la voix de l'instinct de préservation vient souvent contrecarrer chez lui, celle de ses inclinations morbides. Le faux témoin, au contraire, se trouve, par des artifices spéciaux, adapté à son milieu provisoire, c'est-à-dire à son milieu terrestre. Nous ne pouvons donc pas compter sur l'instinct de préservation pour lui faire changer de caractère mais, nous pouvons présumer qu'il existe chez tout homme, quelque conscience subliminale de sa connexion avec un autre monde.
Arrêtons-nous un instant, afin de nous rendre compte du point que nous avons atteint. Nous avons commencé par définir l'hypnotisme, comme le développement empirique du sommeil. L'élément le plus important de cette dernière phase et qui est, en même temps, la fonction la plus évidente du moi subliminal, consiste dans la réparation des tissus usés ; dans le rajeunissement physique et moral de l'organisme fatigué. Nous avons montré de quelle façon cette fonction s'accomplit pendant l'hypnose, à la suite de la suggestion ou de l'autosuggestion. Et, nous nous sommes convaincus que l'hypnotisme constitue une véritable évolution de ces énergies récupératrices qui donnent au sommeil sa valeur pratique. A ce point de vue là, qui est d'ailleurs le seul auquel on se place généralement pour considérer le sommeil, notre analyse de l'hypnotisme est complète et, nous pourrions terminer ici ce chapitre.
Mais, le but que nous nous sommes posés dès le début ne serait pas rempli car, notre définition du sommeil est beaucoup plus large que celle qui a cours généralement, persuadés que nous sommes que, pendant le sommeil, le moi subliminal remplit d'autres fonctions que celle du simple rétablissement de l'organisme. Ces autres fonctions présentent des rapports, qui nous sont encore inconnus, avec le monde spirituel et, l'indication de leur exercice nous est fournie par l'apparition sporadique, pendant le sommeil, de phénomènes supra-normaux. La question qui se pose maintenant est celle de savoir, si ces phénomènes supra-normaux se manifestent également dans l'hypnose ? Celle-ci peut-elle être induite par des procédés supra-normaux ? Peut-elle se produire à la suite d'une influence ou d'une action télépathique ? Bref, peut-elle être due à des influences inexplicables scientifiquement et qui s'établissent d'un homme à un autre?
Nous savons maintenant, grâce aux expériences de l'école de Nancy, expériences dont les résultats ont été depuis vérifiés et confirmés d'une façon définitive, que la suggestion pure et simple constitue la seule et unique cause du sommeil hypnotique. Nous voilà donc débarrassés, aussi bien des affirmations des mesméristes que de celles de l'école dite physiologique qui, chacune à leur façon, attribuaient à l'hypnose une cause matérielle. Or, la suggestion étant considérée comme la seule cause efficace du sommeil hypnotique, nous ne voyons pas de quelle façon cette cause pourrait manifester ses effets, si ce n'est par une opération subliminale qui s'accomplit nous ne savons comment et, nous avons tout lieu de supposer que, le succès ou l'insuccès de la suggestion dépend d'une influence télépathique ayant son point de départ dans l'esprit de l'hypnotiseur. Nous savons, certes, que la pratique de l'hypnotisme, telle qu'elle se fait par exemple dans le service de M. Bernheim, semble exclure toute idée de rapport intime entre la volonté et l'organisme de l'hypnotiseur et ceux du sujet qui tombe, souvent, en sommeil instantanément ; avant même que l'hypnotiseur ait eu le temps de prononcer le mot : « dormez ! » Mais, ce n'est pas là la seule façon de procéder et, il existe beaucoup de cas où le succès de la suggestion dépend de quelque chose de plus qu'un simple commandement. Et dans les cas de suggestion opérés à distance  ne s'agit-il pas d'une véritable action télépathique ; d'une véritable communication à distance entre l'esprit de l'opérateur et celui du sujet ? En présence de faits de ce genre, nous en arrivons à ne plus considérer les procédés des anciens hypnotiseurs, tels que les attouchements, les passes, etc., comme de simples artifices inutiles et, les sensations que les sujets prétendaient éprouver à la suite de ces attouchements et de ces passes, comme des sensations imaginaires suggérées. Il ne nous paraît, au contraire, nullement improbable que des effluves que la science ne connaît pas encore mais, que des personnes sensitives sont susceptibles de percevoir, tout comme elles perçoivent les impulsions télépathiques, émanent par irradiation des organismes vivants et peuvent influencer d'autres organismes, aussi bien par l'intermédiaire des mains qu'à travers l'espace.
C'est ainsi que la région subliminale du sujet à hypnotiser peut être atteinte par des procédés beaucoup plus subtils que la simple suggestion verbale. Il nous reste à considérer les éléments supra-normaux qui font partie de la réponse hypnotique. Ces éléments sont-ils évoqués par un appel subliminal direct ou dépendent-ils de facultés spéciales innées à l'individu qu'il s'agit d'hypnotiser ? Il est, pour le moment, impossible de se prononcer là-dessus. Nous savons seulement que, ce n'est que rarement qu'ils sont évoqués en réponse à une suggestion hypnotique rapide et, pour ainsi dire, superficielle. Ils apparaissent rarement dans la pratique hospitalière et, exigent une éducation et un développement qu'on n'obtient que chez un sujet sur cent. La première phase de cette réponse est constituée par la relation subliminale qui s'établit entre le sujet et son hypnotiseur et, qui se manifeste dans ce qu'on appelle : le rapport ou là communauté des sensations. Les premières phases de ce rapport résultent, probablement, d'une simple autosuggestion ou, de suggestions par lesquelles l'opérateur concentre exclusivement sur sa personne, l'attention consciente du sujet et, nous trouvons une preuve qu'un lien beaucoup plus étroit peut s'établir entre les deux personnes ; dans le cas où le sujet hypnotisé touche ou sent ce que l'hypnotiseur (qui lui est d'ailleurs inconnu) touche ou sent au même moment précis.
A partir de ce moment, sa faculté de perception supra-normale est susceptible de gagner aussi bien en étendue qu'en profondeur. Le sujet peut devenir capable de communiquer avec le passé et avec l'avenir, de participer à des événements qui s'accomplissent loin de lui et cela, par des moyens qu'on ne peut qualifier autrement que de supra-normaux car, aucun de nos moyens normaux ordinaires reconnus par la science n'est à même de nous fournir les renseignements et les connaissances qui parviennent au sujet dont les facultés subliminales ont acquis ce degré de tension et d'acuité.
Et, voici la conclusion métaphysique de ce chapitre. Lorsque nous disons qu'un organisme existe dans un certain milieu, nous entendons par-là que son énergie ou, une partie de son énergie, entre comme élément dans un certain système de forces cosmiques qui représente quelque modification spéciale de l'Energie Première. La vie de l'organisme consiste dans des échanges d'énergie entre lui et son milieu ; dans l'appropriation qu'il opère, à son profit, d'un fragment de cette force préexistante et illimitée. Les êtres humains vivent, avant tout, dans un monde de matière d'où ils tirent la subsistance nécessaire à l'exercice des fonctions corporelles.
Mais, nous existons aussi dans un monde éthéré, c'est-à-dire nous sommes constitués de façon à répondre à un système de lois qui, en dernière analyse, sont sans doute continues avec celles de la matière mais, qui suggèrent une conception nouvelle, plus générale et plus profonde du Cosmos. Ce nouvel aspect des choses est, en effet, tellement différent de l'ancien, qu'on parle généralement de l'éther comme d'un milieu nouveau. De ce milieu, notre existence organique dépend d'une façon aussi absolue, quoique moins évidente que du milieu matériel. L'éther se trouve à la base de notre existence physique. En percevant la chaleur, la lumière, l'électricité, nous reconnaissons seulement d'une façon visible, comme dans la perception des rayons X, nous le reconnaissons d'une façon moins visible, l'influence permanente qu'exercent sur nous les vibrations de l'éther dont la puissance et la variété dépassent de beaucoup notre puissance de réaction.
Je crois qu'au delà du monde de l'éther et, donnant au Cosmos un aspect plus général et plus profond, se trouve le monde de la vie spirituelle continu, jusqu'à un certain degré, avec le monde de l'éther mais, absolument indépendant du monde matériel et formant le monde méta-éthéré. Voyons quelle est la portée de cette dernière hypothèse au point de vue de l'explication des phénomènes de l'hypnotisme. Quel est, en effet, le but ultime de tous les procédés hypnogènes ? C'est d'énergiser la vie ; c'est d'atteindre plus rapidement et plus complètement des résultats que la vie abandonnée à elle-même ne réalise que lentement et d'une façon incomplète. Ce qui caractérise la vie, c'est sa faculté d'adaptation, sa faculté de répondre à des besoins nouveaux, de redresser l'organisme toutes les fois qu'il se trouve lésé ; cette vie medicatrix Naturae qui constitue le mystère le plus profond de l'organisme vivant. L'hypnotisme nous présente cette vis medicatrix sous un aspect défini et accessible au contrôle. Il nous montre dans cette Nature qui, dans le cas particulier est le moi subliminal de l'autosuggestionné ;  une intelligence qui, loin d'être vague et impersonnelle, présentant, au contraire, certaines analogies,  se trouve dans certains rapports directs avec celle que nous reconnaissons comme étant la nôtre.
Bref, nous avons ici une représentation frappante de l'intelligence et de la puissance subliminales. Il a été suffisamment dit de notre intelligence subliminale pour montrer que ces ordres thérapeutiques complexes ne sauraient être compris d'une autre façon. Mais, d'où vient l'énergie que nécessite une réponse efficace ?
Le mot énergie se prête, il est vrai, à une objection immédiate. On peut dire, notamment, qu'il ne s'agit pas d'un véritable accroissement d'énergie mais, d'une simple transformation en un nouveau mode d'action, d'une énergie produite par la simple nutrition matérielle. C'est ainsi que, la prière n'impliquerait pas plus d'énergie que le blasphème,  une théorie philosophique qu'un caprice de maniaque. Il est évident, en effet, que la rapidité du métabolisme organique ne varie pas en proportion avec la valeur des résultats obtenus. En fait, la pensée anarchique et désordonnée du maniaque entraîne, probablement, une plus grande destruction de tissus que la pensée calme du philosophe. Mais, ces simples modifications chimiques sont loin de constituer ce que nous appelons énergie. Ce que je désire, c'est une intégration de la personnalité ; une concentration intellectuelle, morale, spirituelle. Cette concentration, je ne puis la maintenir que difficilement. Je sens que, même à ses degrés inférieurs, j'ai besoin pour cela, d'un effort spécial que nous appelons attention et, j'ai des raisons pour croire qu'il existe des degrés infiniment supérieurs, qu'aucun effort volontaire n'est capable d'atteindre. Personne n'est en mesure de nous dire à quelle catégorie de forces appartient l'énergie de cet effort vital et, tant que cette énergie ne sera pas réduite à des forces plus connues, je me crois autorisé à formuler une hypothèse qui la considère comme une énergie sui generis et, à chercher les traces de son origine et, à me faire idée quant à son extension possible.
C'est ainsi que, pour moi, tout homme est essentiellement un esprit chargé du contrôle d'un organisme qui, lui-même, est composé de vies inférieures et plus étroites. Le contrôle exercé par l'esprit n'est pas uniforme dans tout l'organisme ni dans toutes les phases de la vie organique. A l'état de veille, il ne contrôle que le centre des idées et des sentiments supra-liminaux, s'occupant peu des centres peu profonds qui ont été éduqués en vue d'un fonctionnement continu suffisant pour répondre aux besoins communs. Mais, dans les états subliminaux où les processus supra-liminaux se trouvent inhibés, les centres organiques inférieurs sont soumis, plus directement, au contrôle de l'esprit. A mesure qu'on approche les parties plus profondes de l'être humain, on s'approche également de plus en plus des sources de la vitalité humaine. On atteint, ainsi, une région dont l'obéissance aux appels spirituels est beaucoup plus grande que celle manifestée par les couches superficielles, que les besoins extérieurs ont façonnées et fixées en vue d'une adaptation déterminée au milieu terrestre.
La leçon ultime de la suggestion hypnotique, surtout dans l'état de somnambulisme, consiste à nous montrer que nous pouvons atteindre, par des artifices empiriques, ces couches de plasticité plus grande, — plasticité par rapport aux forces internes, non externes, — où l'esprit exerce sur l'organisme un contrôle plus immédiat et agit sur lui avec plus de liberté.
Cette conception semble jeter quelque lumière sur un fait fréquemment observé mais, qui attend encore son explication. L'état somnambulique paraît, en effet, impliquer deux facultés complètement différentes : la faculté auto-curative et la faculté télesthésique, c'est-à-dire un rétablissement corporel plus complet et une activité spirituelle plus indépendante. L'esprit devient, ainsi, plus capable soit d'attirer de l'énergie méta-éthérée vers l'organisme, soit d'agir indépendamment de l'organisme. Les cas de « clairvoyance migratrice » se sont produits, en effet, pendant l'état de somnambulisme provoqué dans un but curatif. Je suis porté à croire que l'esprit peut, dans ces états, ou modifier plus facilement le corps ou, le quitter en partie pour y retourner ensuite. En d'autres termes, il peut, pendant un certain temps, ou manifester une plus grande attention à l'égard du corps, qui en retire un certain profit ou, distraire son attention du corps sans que celui-ci en souffre. Je me sers du mot attention car, vu l'impossibilité de concevoir la façon dont un esprit peut exercer un contrôle sur l'organisme, le terme le plus approprié m'a paru celui par lequel nous désignons nos propres tentatives de concentrer notre personnalité. Nous pouvons dire que l'âme maintient le corps en vie, grâce aux soins qu'elle lui prodigue et, qu'elle surveille les opérations centrales plus directement que les superficielles, les activités qui se manifestent pendant le sommeil plus directement que celles qui caractérisent l'état de veille. Dans les états profonds, elle peut, en partie, distraire son attention de l'organisme pour la porter ailleurs, tout en étant capable de reprendre instantanément son attitude ordinaire envers l'organisme. La mort corporelle se produit lorsque l'attention de l'âme est complètement et irrévocablement détournée de l'organisme qui, pour des causes physiques, est devenu incapable de se conformer à la direction de l'esprit. La vie signifie le maintien de cette attention et, ce maintien résulte de l'absorption par l'âme, de l'énergie que renferme le monde spirituel ou méta-éthéré. Car, si nos esprits individuels vivent grâce à cette énergie spirituelle qui forme la base de l'énergie chimique, grâce à laquelle s'accomplissent les échanges organiques, il est vraisemblable que nous devons renouveler l'énergie spirituelle d'une façon aussi continue que l'énergie chimique. Pour maintenir le niveau de l'énergie chimique, nous avons besoin de chaleur et de nourriture. De même, pour maintenir le niveau de l'énergie spirituelle, nous sommes obligés de vivre dans un milieu spirituel et, d’absorber de temps à autres, des émanations qui nous arrivent de la vie spirituelle.
S'il en est ainsi, beaucoup d'expériences subjectives de poètes, de philosophes, de mystiques et de saints renferment, certainement, une vérité plus profonde qu'on ne le suppose généralement. Si le sentiment qu'ils ont d'une vie qui leur vient d'une source inconnue est vrai, si les éclairs subliminaux qui les illuminent et les renouvellent viennent, en réalité, de quelque milieu situé au-delà de l'éther, la même influence doit se manifester, par analogie, dans toute la gamme des phénomènes psychophysiques ; non seulement dans le domaine des émotions spirituelles supérieures mais, toutes les fois que nous nous élevons au-dessus de la vie organique rudimentaire. La vie naissante de chacun de nous est, peut-être, un fragment qui vient de se détacher de l'énergie cosmique et, la vie continue est représentée par ce fragment en état de variation continue. Dans cette énergie environnante (qu'on l'appelle du nom que l'on voudra), nous vivons, nous nous mouvons et nous existons et, il est possible que certaines dispositions de l'esprit, certaines phases de la personnalité soient capables de tirer pendant un certain temps de cette énergie, un courant vivifiant, plus plein.
Cette hypothèse serait de nature à concilier toutes les opinions, spiritualistes aussi bien que matérialistes, qui attribuent à certaines directions de l'attention et de la volonté, certains effets pratiques sur l'organisme humain. « La prière, inspirée par la foi, sauve les malades » dit saint Jean. « Rien n'existe dans l'hypnotisme que la suggestion » dit M. Bernheim. Dans mon langage plus grossier, ces deux propositions (abstraction faite de l'élément télépathique que peuvent renfermer les mots de saint Jean) peuvent être exprimées en des termes identiques : « il y aura autosuggestion thérapeutique ou morale toutes les fois que, par un artifice quelconque, l'attention subliminale dirigée sur une fonction corporelle ou sur un but moral, aura atteint un degré d'intensité suffisant pour pouvoir emprunter de l'énergie au monde méta-éthéré. »
Je ne prétends pas avoir éclairci, complètement, le mystère de ces phénomènes dont l'ensemble constitue la suggestion. Pas plus que mes prédécesseurs, je ne suis en mesure d'expliquer pourquoi certains organismes deviennent, à certains moments, ainsi supérieurs à eux-mêmes et capables d'une réaction aussi vigoureuse, d'une soumission à un contrôle aussi profond. Mais, j'ai formulé un point de vue qui permet de faire rentrer ce mystère dans un mystère plus vaste ; celui de la fin universelle et, je crois avoir établi une relation plus vraie que celle que nous devons à l'école de Nancy, entre la suggestion d'un côté et, la persuasion externe et la volonté interne d'un autre. L'école de Nancy parle de la suggestion comme si elle était comparable à la persuasion supra-liminale, à un effort supra-liminal. J'ai essayé de montrer que son efficacité réelle tient à des processus subliminaux ; qu'elle n'est qu'un moyen empirique destiné à faciliter l'absorption d'énergie spirituelle et l'acquisition de forces directrices empruntées à un milieu situé au-delà de l'éther.
CHAPITRE VI - AUTOMATISME SENSORIEL

Les phénomènes d'automatisme sensoriel et moteur, par lesquels se manifeste, avant tout, la faculté de la télépathie et de la télesthésie, nous introduisent dans un domaine où les limitations de la vie organique disparaissent. Considérant, d'un autre côté, que la portion de notre personnalité qui exerce cette faculté durant notre existence, continue de l'exercer même après la mort corporelle, nous sommes amenés à reconnaître une relation obscure mais, indiscutable, entre le moi subliminal et le moi survivant.
Je commencerai donc par définir l’automatisme comme le terme le plus vaste, applicable aux influences subliminales qui se manifestent dans la vie ordinaire. Quelques-unes de ces influences ont déjà reçu des noms spéciaux : hystérie, génie, hypnotisme. Mais, la grande masse des manifestations subliminales reste encore à décrire. C'est ainsi que nous n'avons pas encore parlé des hallucinations véridiques, ni de l'écriture automatique, ni des manifestations du somnambulisme spontané ; les produits de la vision et de l'audition internes, extériorisés de façon à revêtir le caractère de quasi-perceptions : voilà ce que j'appelle automatisme sensoriel. Les messages envoyés par l'intermédiaire des mouvements des jambes, des mains ou de la langue et, dus à des impulsions motrices internes indépendantes de la volonté consciente : voilà ce que j'appelle automatisme moteur. Examinés ensemble, tous ces phénomènes épars révèlent, malgré la diversité de forme, une analogie essentielle et, peuvent être considérés comme des messages que le moi subliminal adresse au moi supra-liminal, comme des efforts, conscients ou non, émanant des couches profondes de notre personnalité et, destinés à présenter à la pensée ordinaire de  l'état de veille, des fragments de connaissances que la pensée éveillée est impuissante à atteindre.
Tandis que la psychologie ordinaire voit dans la vie supra-liminale, la manifestation de la personnalité normale et substantive dont la vie subliminale constituerait, ou le substratum demi-conscient ou une marge à moitié éclairée ou enfin, une excroissance morbide ; je considère, moi, la vie supra-liminale comme un cas privilégié de la personnalité, comme une phase spéciale dont l'étude nous est facile, simplifiée qu'elle est par la conscience nette que nous avons de ce qui s'y passe mais, qui serait loin d'apparaître comme la phase centrale ou prédominante, s'il nous était possible d'embrasser d'un coup d'oeil d'ensemble, la totalité de notre existence. Et, de même que la personnalité supra-liminale, toute faculté humaine, tout sentiment humain constituent des cas privilégiés d'une force plus générale. D'après cette hypothèse, chacun de nos sens spéciaux peut être  conçu comme tendant vers un développement plus large que celui que l'expérience terrestre rend possible. Et, chaque sens spécial est à la fois un sens interne et un sens externe, c'est-à-dire impliquant à la fois un trajet cérébral d'une capacité inconnue et, des organes terminaux dont la capacité se prête davantage à la mensuration. Le rapport entre cette vision interne, mentale, avec la perception psychologique non-sensorielle d'un côté et avec la vision oculaire de l'autre, constitue précisément un des points dont un examen plus profond paraît nécessaire. On est obligé de parler de la perception visuelle mentale dans des termes empruntés à la perception sensorielle, si l'on ne veut pas rendre toute discussion impossible.
Mais, l'expérience ordinaire prétend que, seul l'organe terminal est capable de recueillir des informations nouvelles et que le trajet central ne sert qu'à combiner ces informations nouvelles avec des informations qui y sont déjà emmagasinées. Telle est, par exemple, le cas des connaissances acquises par la vue et par l'ouïe, c'est-à-dire des connaissances que nous apportent les ondes éthérées ou aériennes et qui sont recueillies par un appareil terminal spécial. Mais, toute vision et toute audition ne s'opèrent pas nécessairement par l'intermédiaire de l’oeil et des oreilles.
La vision de nos songes (nous ne parlons que de la vision pour simplifier le problème) est une vision non optique. Elle naît dans le cerveau sans y avoir été transmise par la rétine impressionnée. Les lois optiques ne peuvent être appliquées à cette vision, qu'en donnant aux termes un sens nouveau. Ce fait est généralement considéré comme peu important, parce que la vision des songes est considérée, elle-même, comme n'ayant aucune valeur ; comme une simple reproduction  de connaissances acquises à l'état de veille.
Il nous est impossible d'adhérer à cette manière de voir. Il nous est impossible de dire à priori, par quelles voies ou de quelles régions la connaissance parvient au moi subliminal. Ceci devrait être une simple matière d'observation et d'expérience.
Ce que nous devons faire, c'est généraliser autant que possible notre conception de la vision, en cessant de l'identifier avec des phénomènes définis de la vision rétinienne ou optique et rechercher ensuite, quel genre de messages nous parviennent par chacune des formes de la vision que renferme cette conception élargie.
Mais, avant tout, une analyse rapide des rapports qui existent entre la vision centrale et la vision périphérique ne serait pas inutile. Nous partons d'une région située au-dessous du point de spécialisation de la faculté visuelle. L'étude des modifications dermiques et nerveuses successives qui ont abouti à la naissance de cette faculté, appartient à la Biologie ; nous n'avons qu'à montrer que, le fait seul du développement de cette faculté dans un germe animé d'une vie méta-éthérée, indique qu'une certaine perceptivité, qui devait servir de point de départ à la vision, préexistait dans le monde originaire invisible. Le germe était constitué, ab initio, de façon à pouvoir se développer dans cette voie et dans d'autres et cela, indépendamment de la question de savoir si chacune des modifiabilités spécifiques existait (et pouvait être discernée par un spectateur omniscient) dès le début ou s'il n'existait, pour ainsi dire, qu'un fond sur lequel se sont formés peu à peu et successivement des éléments de détermination et de précision, empruntés au monde de la vie. Nous savons, vaguement, comment s'est accomplie la différenciation périphérique de la vision, à mesure qu'augmentait la sensibilité des taches pigmentaires à l'ombre et à la lumière. Mais, il a dû aussi se produire une différenciation cérébrale et une différenciation psychologique, c'est-à- dire la naissance d'une sensation distincte, opposée aux sensations obscures précédentes,  dont il nous est impossible de reconstituer l'histoire.
Je n'en crois pas moins qu'il persiste, toujours dans notre structure cérébrale, des vestiges de cette transition de notre sensibilité continue non différenciée et primitive, à l'état actuel qui est celui de la spécialisation des sens. Chez chacun de nous existe, probablement d'une façon plus ou moins distincte, une certaine synesthésie ou concomitance d'impressions sensorielles, indépendante de la loi d'association. Un deuxième sens vient souvent réagir, d'une façon automatique, à une excitation qui semblait s'adresser à un seul sens. Je ne veux pas seulement dire par-là que l'aboiement d'un chien fait naître, devant nous, l'aspect d'un chien parce que l'aboiement suggère cette image ; c'est là une association résultant de l'expérience acquise au cours de la vie. Mais, pour un véritable synesthésique, pour un « visionnaire de sons » (pour prendre la forme la plus commune de cette répercussion centrale des chocs sensoriels), il existe entre la vue et les sons, une connexion instinctive complexe et qui paraît à notre intelligence, tout à fait arbitraire. Nous pouvons, dans quelques cas, observer ces chromatismes, sinon dans leur origine, tout au moins dans leur développement et les attribuer alors, à quelque association bizarre et capricieuse. Mais, à côté de ce premier groupe, il en existe un second où le chromatisme est, pour ainsi dire, antérieur à la naissance de l'idéation consciente ; tels les cas où il existe une  correspondance précise inexplicable entre, telle note jouée sur le piano et telle couleur vert de pomme. A mon avis, ces synesthésies occupent le milieu entre les perceptions d'origine externe et celles d'origine interne. D'un autre côté, ces irradiations de la sensibilité, congénitales en apparence, ne peuvent être considérées comme un phénomène purement mental, ni classées parmi les phénomènes de la vision externe car, elles résultent souvent d'un processus d'association mentale. Il serait plus convenable de les appeler entencéphaliques, par analogie aux phénomènes entoptiques, puisqu'ils semblent être dus à une particularité dans la structure du cerveau, tout comme les perceptions entoptiques sont  liées à certaines particularités dans la structure de l'oeil.
De ce photisme entencéphalique nous passons, par une transition insensible, à la forme la plus caractéristique de la vision entoptique et la plus interne de la vision externe : les étincelles lumineuses que provoque l'électrisation du nerf optique. Viennent, ensuite, les phosphènes consécutifs à une pression exercée sur le nerf optique ou à une irritation de la rétine ; les figures de Purkinje ou : les ombres projetées par les vaisseaux sanguins de la couche moyenne de la rétine sur sa couche papillaire ; les mouches volantes ou ombres projetées par les particules de l'humeur vitrée sur la couche fibreuse de la rétine. Les post-images forment une transition, de la vision entoptique à la vision externe ordinaire ; ces images, quoique perceptibles avec des yeux fermés, présupposent une stimulation externe préalable de la rétine. Elles forment, en réalité, les traces entoptiques de la vision externe ordinaire.
En dernier lieu, nous avons la vision ordinaire du monde externe, que nous pouvons pousser au plus haut degré d'intensité, à l'aide de procédés artificiels. Celui qui regarde les étoiles à travers un télescope procure à ses organes terminaux, le plus grand perfectionnement mécanique qu'il soit actuellement possible d'obtenir.
Considérons, maintenant, le degré le plus avancé de la faculté de la vision interne. Cette vision est, virtuellement, indépendante de l'œil, c'est-à-dire qu'elle peut persister après la destruction de l'oeil, pourvu que celui-ci ait fonctionné un temps suffisant pour donner au cerveau une éducation visuelle. Nous ne savons quelles sont les limites précises de cette indépendance. Une étude, plus complète que celle qui a été faite jusqu'ici, d'aveugles intelligents pourrait, seul, nous renseigner là-dessus. Nous ne pouvons pas dire davantage jusqu'à quel point l'oeil est, à son tour, influencé par le cerveau chez les personnes clairvoyantes. Je m'abstiendrai de toute synthèse relative à l'existence d'un courant rétrograde du cerveau à la rétine,  de même que je me suis abstenu, pour indiquer le siège primitif de la vue, de toute expression plus spécifique que le terme cerveau. Il s'agit, ici, d'un nexus psychologique qui peut être discuté, sans qu'il soit besoin d'empiéter sur le domaine de la physiologie.
Les images-souvenirs constituent le type le plus simple de la vision interne. Il est bien entendu que ces images ne nous apportent aucune connaissance nouvelle mais, ont exclusivement pour but de maintenir les connaissances acquises par la vision externe. Dans leur forme spontanée la plus simple, elles constituent les vestiges cérébraux de la vision externe dont les post-images constituent les vestiges rétiniens. Ces deux genres d'images peuvent se trouver confondus dans certains cas. Mais, ce qui caractérise les impressions emmagasinées dans le cerveau et, ce qui les distingue de celles emmaganisées par la rétine, c'est qu'elles renferment un élément psychique qui se manifeste par un  réarrangement et une généralisation des impressions rétiniennes.
Il existe un groupe très connu d'images souvenirs dans lequel, le réarrangement subliminal est particulièrement marqué : ce sont les rêves qui se subdivisent en images imaginatives et en hallucinations. Les premières désignent cette recombinaison consciente de notre réserve d'images visuelles que nous opérons, soit pour notre plaisir ; comme lorsque nous rêvons tout éveillés, soit à titre d'artifices destinés à nous faire mieux comprendre certains phénomènes naturels : comme lorsque nous construisons des figures géométriques et, Watt concevant sa machine à vapeur, pendant qu'il était couché dans une  chambre obscure, a atteint la dernière limite de la vision interne volontaire.
La vision interne consciente ne peut pas aller plus loin. Mais, d'un autre côté, les images imaginatives, quelle que soit leur valeur, constituent un simple effort de soumettre au contrôle supra-liminal, des visions qui, à l'exemple des images-souvenirs, sont avant tout, d'origine subliminale. C'est ainsi qu'on peut admettre avec raison, que l'image de la machine à vapeur, telle qu'elle s'est présentée à Watt, a pénétré toute prête dans sa raison supra-liminale, pendant que celle-ci restait dans cette attitude expectative qui joue un si grand rôle dans toutes les inventions. Sans prétendre à l'appréciation exacte de la proportion de l'effort volontaire ou involontaire déployé par l'esprit créateur, nous avons incontestablement le droit de considérer les images visuelles, émergeant spontanément chez l'homme de génie, comme une phase plus avancée de la vision interne.
C'est ainsi que nous arrivons aux hallucinations par trois voies différentes : les rêves sont des hallucinations d'une très faible intensité ; les images imaginatives sont susceptibles d'acquérir l'intensité des hallucinations chez des sujets dont la faculté visuelle est suffisamment développée et, les inspirations de génie se présentent souvent à l'artiste étonné, avec toute la vivacité d'une hallucination.
Qu'est-ce qu'une hallucination ? On peut dire qu'elle est l'expression d'une hyperesthésie centrale. Elle peut naître, quelquefois, à la suite d'une excitation périphérique directe  mais, le plus souvent, elle est une vision purement interne qui revêt l'idée d'une forme visuelle. C'est qu'en effet, toute idée constitue, selon la prédominance des éléments moteurs ou sensoriels, ou un mouvement naissant ou une hallucination naissante. La vision mentale a, comme la vision rétinienne, ses limites habituelles déterminées, dans chaque cas, par la sélection naturelle ou, autrement dit, les limites les plus appropriées à la race et aux ressources de l'organisme. Mais, chez certains individus, ces limites peuvent être largement dépassées avec ou sans avantage. Une acuité exceptionnelle de la vision oculaire, inutile à la plupart des individus, est d'une grande utilité pour l'astronome ; une faculté exceptionnelle de visualisation interne, simple curiosité pour la plupart, est d'un grand secours lorsqu'on veut, par exemple, dessiner de mémoire des oiseaux en vol.
Il s'agit maintenant d'interpréter tous ces phénomènes connus sous le nom d’hallucinations. Jusqu'en ces dernières années, on les considérait comme un phénomène pathologique ; comme des expressions d'un trouble physique. Mais, les recherches statistiques et analytiques de Gurney ont montré que, dans un grand nombre de cas d'automatisme sensoriel, il s'agissait de personnes parfaitement saines et, que le plus souvent, il était impossible de trouver une explication quelconque de ce phénomène. Là où la cause semblait indiquée avec quelque probabilité, son mode d'action restait tout à fait obscur. Chez certaines personnes, l'anxiété, le chagrin, l'attente semblaient jouer un certain rôle ; mais d'un côté, chez la plupart d'entre elles, les hallucinations se produisaient pendant des moments de calme parfait alors qu'elles traversaient des crises d'anxiété des plus violentes, sans éprouver la moindre hallucination ; et d'un autre côté, celles dont les hallucinations semblaient réellement coïncider avec un événement externe plus ou moins émouvant, ont éprouvé leurs hallucinations, sans avoir aucune connaissance de cet  événement.
Il s'agissait donc, chez les personnes de cette dernière catégorie, d'hallucinations télépathiques, c'est-à-dire d'une faculté de se représenter des événements qui s'accomplissaient loin de l'esprit du sujet, d'éprouver des perceptions véridiques, indépendamment des objets auxquels elles se rapportaient,  en un mot, d'une véritable faculté nouvelle plutôt que d'un signe de dégénérescence.
Et ceci nous ramène à la thèse que nous avons souvent formulée : à savoir que la vision oculaire ne constitue qu'un cas spécial et privilégié de la faculté visuelle, dont la vision interne constitue une expression plus large.
La vision oculaire consiste en une perception d'objets matériels, conformément aux lois optiques, d'un point défini de l'espace. La revue que nous avons faite des hallucinations nous a déjà permis d'écarter deux de ces limitations. Lorsque je parle d'une figure hallucinatoire et, celles qui apparaissent en rêve tombent dans cette catégorie, je parle de quelque chose qui n'est pas un objet matériel et qui est indépendant des lois optiques. Une figure de rêve peut paraître conforme à ces lois mais, ce sera là l'effet d'une autosuggestion ou d'un souvenir organisé qui variera selon la faculté visionnaire du rêveur. Tandis qu'un peintre portraitiste est capable de peindre de mémoire, pendant l'état de veille, une figure qui lui est apparue en rêve. Les rêves des hommes ordinaires sont généralement vagues, fuyants et échappent facilement à la mémoire.
De même, lorsque nous voyons une figure hallucinatoire subjective présente dans la chambre, son aspect n'est pas déterminé par les lois de l'optique (elle peut, notamment, sembler se trouver derrière l'observateur ou, d'une façon quelconque, en dehors de son champ visuel) mais, y est plus ou moins conforme, en vertu d'une autosuggestion ou autrement et cette figure est, en outre, visible d'un point fixe de l'espace que forme l'oeil ou le cerveau de l'observateur.
Tout ceci paraît parfaitement clair tant que, nous supposons avoir affaire à des hallucinations nées dans l'esprit du sujet. Mais, les difficultés deviennent grandes dès qu'on arrive aux quasi perceptions dont nous reportons l'existence ou l'origine, en dehors de l'esprit de l'observateur. S'il existe une certaine origine externe pour notre vision interne (qui, de ce fait, devient véridique), il serait erroné de supposer que toute vision interne véridique a la même origine. Quand elle se fixe sur des faits (des impressions véridiques ou des peintures, non des illusions subjectives), nous ne pouvons jamais dire, a priori, si c'est elle qui va chercher les faits ou si ce sont ceux-ci qui viennent la trouver. D'un autre côté, rien ne prouve que ses perceptions n'aient pour objets, que des choses immatérielles ou fantasmagoriques. Du moment qu'elle est susceptible de percevoir des choses immatérielles, situées en dehors de l'organisme, pourquoi ne pourrait-elle percevoir également des choses matérielles ? Pourquoi ne verrait-elle pas des maisons éloignées à une grande distance, aussi bien que les images d'âmes absentes ?
Examinons maintenant les moyens qui nous permettent de comprendre, de développer et de contrôler la vision interne.
Le mot contrôle signifie aussi bien, répression que direction ; et, il existe en effet une catégorie de visions internes ayant besoin d'être réprimées. Le délire hallucinatoire de l'ivrogne et du maniaque, qui représente le degré extrême de désintégration de la vision interne, peut rarement être arrêté tant que le cerveau reste empoisonné et malade. Mais, il est un fait digne de remarque ; c'est que les hallucinations dégénératrices, en tant qu'elles sont curables, le sont plus souvent et plus facilement par la suggestion hypnotique que par tout autre moyen. Les mêmes influences, qui font naître les hallucinations anodines, peuvent détruire les hallucinations dangereuses. Cette extension du pouvoir des couches profondes de l'esprit du patient, cette possibilité d'atteindre une source profonde qui, au début, semblaient une simple curiosité scientifique, acquièrent maintenant un usage pratique, nouveau.
Dans notre discussion relative à l'hypnotisme, nous avons essayé de démontrer que la suggestion n'implique pas une simple obéissance du sujet aux ordres qui lui sont suggérés mais, qu'elle n'est efficace, qu'en tant que le sujet adopte ma suggestion, au point de la transformer en autosuggestion et d'exercer la faculté, ainsi nouvellement développée, dans le sens désiré par l'hypnotiseur. Ce n'est donc pas l'ordre de l'hypnotiseur mais plutôt, la faculté du sujet qui forme le noeud de la question.
Nous avons passé en revue, toutes les facultés susceptibles d'une intensification hypnotique : la faculté profonde organique, celle qui préside au système de la nutrition et à laquelle s'adresse la psychothérapie ; nous avons encore assisté à l'augmentation de la sensibilité aux stimulants externes : l'hyperesthésie hypnotique, c'est-à-dire à l'intensification, pouvant probablement être poussée à un degré inconnu de la vue, de l'ouïe, de l'odorat et du goût. Nous avons ensuite cité les phénomènes d'héteresthésie, c'est-à-dire de perceptions d'un nouveau genre ; celles de champs magnétiques et du contact de métaux spécifiques. Nous ne discuterons pas la question de savoir s'il s'agit là de stimulations de la sensibilité périphérique ou de celles de la réceptivité centrale, c'est-à-dire si les organes terminaux transmettaient un renseignement venu du monde extérieur dans des termes nouveaux ou, si le cerveau appliquait à un renseignement ordinaire, une nouvelle finesse d'interprétation.
Nous nous sommes enfin occupés du phénomène de l'exaltation de cette acuité centrale, qui n'est plus purement sensorielle mais, affecte davantage le sens intellectuel et moral. Mais nous avons omis de parler de « l'exaltation de l'imagination », de la possibilité qu'il y a à donner aux images ayant une origine centrale, un peu plus de cette vivacité que, seules les images provenant du monde extérieur sont susceptibles d'atteindre.
Notre étude des hallucinations nous amène à considérer les possibilités, les stimulations de cette dernière catégorie. C'est que, les hallucinations auxquelles nous allons avoir affaire, ne sont pas des extériorisations brutes de quelque commotion intérieure, comme les sensations lumineuses au moyen desquelles, les nerfs optiques réagissent à un traumatisme de la tête. Ce sont, dans la plupart des cas, des produits élaborés et à l'élaboration desquels, l'intelligence a dû certainement prendre part, quoique d'une façon obscure pour nous. Sous ce rapport, les images dont il s'agit ressemblent aux inspirations de génie dont elles présentent tous les caractères : apparition d'un produit intellectuel complexe, préformé au-dessous du seuil de la conscience et, projeté tout formé dans la conscience ordinaire. Chez le génie, ce courant subliminal trouble rarement, malgré son apparition brusque et inattendue, le courant d'idées supra-liminales sur lequel il vient, plutôt, s'adapter. Mais, dans les cas d’ hallucinations induites, l'incompatibilité entre ces deux courants de l'intelligence est plus prononcée et, le courant superficiel conscient est plus souvent et davantage troublé par les interventions intermittentes du courant subliminal, comme dans la suggestion hallucinatoire post-hypnotique.
C'est en considérant les hallucinations à ce point de vue général que nous pouvons comprendre leur indépendance de toute dégénérescence ou maladie corporelle. Souvent, en effet, elles accompagnent la maladie. Mais, ceci prouve seulement que les trajets centraux, à l'instar de toutes les autres parties de l'organisme, sont également sujettes à des stimulations morbides et à des excitations saines. Pris en lui-même, le simple fait de l'extériorisation d'une image, ayant une origine centrale, n'est que le résultat d'une forte stimulation interne et rien de plus. Il n'existe pas de loi physiologique qui puisse nous renseigner sur le degré de vivacité que doit affecter une image centrale pour être compatible avec la santé, sauf, les cas où ces images deviennent impossibles à distinguer des perceptions externes, au point de troubler la conduite rationnelle de la vie, comme dans la folie. Aucun des cas d’hallucinations véridiques n'a encore, à ma connaissance, atteint ce point-là.
J'ai parlé des hallucinations que la suggestion est susceptible de produire, soit pendant ou après le sommeil hypnotique, soit chez certains sujets éveillés. Ces cas de quasi perceptions sont maintenant familiers à tout le monde, quoique leur vraie signification n'ait pas reçu toute l'attention qu'elle mérite. Mais, cette forme d'expérience peut-elle être variée  et perfectionnée ? Pouvons-nous la débarrasser de ses éléments superflus et mettre davantage en relief sa partie vraiment intéressante ?
Nous avons étudié les images hallucinatoires nées à la suite de la suggestion faite par A, à l'esprit du sujet hypnotisé B. Or, la question de savoir si la voix ou l'ordre de A. est pour quelque chose dans la production de ces images ne nous intéresse pas. Nous désirons étudier l'esprit de B et, nous préférerions laisser l'esprit de B libre de toute suggestion verbale ordinaire, tout en étant désireux d'observer une influence télépathique, si possible. Nous serions, en outre, contents de pouvoir nous dispenser de l'hypnotisation et de faire voir et décrire à B, ses hallucinations à l'état de veille. B peut-il atteindre ces images subliminales par un simple effort de volonté ? Peut-il faire autre chose que de provoquer seulement des images-souvenirs dans des combinaisons plus ou moins fantastiques ? Voyons si, à part les cas rares et vraiment étonnants d’hallucinations actuelles, il est possible de trouver des indications quelconques, permettant de supposer l'existence d'une habitude ou d'une faculté de recevoir ou, d'évoquer des images de la réserve subliminale ? Quelque autosuggestion, consciente ou inconsciente, qui place devant l'intelligence supra-liminale, des images qui semblent s'être formées ailleurs ?
Ces indications existent réellement. Dans le chapitre sur le génie et dans celui sur le sommeil, nous avons prouvé l'existence de certaines catégories de ces images dont, chacune était prête à se manifester au moindre appel : les figures de rêve apparaissant pendant un obscurcissement momentané de la conscience ; les inspirations correspondant au désir concentré ou à l'émotion purement passagère de l'homme de génie ; les post-images se reproduisant dans des conditions inconnues, longtemps après que l'excitation originale a disparu ; les images-souvenirs surgissant dans notre esprit avec une vivacité qui n'est pas toujours désirable et enfin ; l'exactitude des illusions hypnagogiques faites pour nous surprendre, en nous révélant un état de transition de l'état de veille à celui de sommeil. Il s'agit maintenant de trouver un moyen empirique simple, permettant de relier entre elles, toutes ces variétés de visions subjacentes ; de leur trouver une base commune. Ce moyen nous est fourni, tout d'abord, par la cristalloscopie (cristal-vision). Voici en quoi consiste cette expérience : On engage le sujet à regarder attentivement, mais sans le fatiguer, dans un miroir ou, dans un fond transparent et clair, arrangé de façon à réfléchir le moins possible, aussi bien la figure de l'observateur que les objets environnants. Le meilleur moyen d'éviter la réflexion consiste à se servir d'une boule de cristal entourée d'une étoffe noire ou placée au fond d'un tiroir à moitié ouvert. Après avoir fixé la boule de cristal à deux ou trois reprises pendant une dizaine de minutes chaque fois, il est préférable que le sujet reste seul dans la pièce et qu'il se trouve dans un état de passivité mentale : il commencera peut-être à s'apercevoir que la glace ou la boule se ternit ou, il lui semblera apercevoir quelque figure ou quelque image dans la boule même. Un homme ou une femme sur vingt aura peut-être l'occasion de réaliser cette expérience et, sur ces vingt visionnaires, un seul sera peut-être capable de développer cette faculté de vision interne, au point d'être à même de recevoir des informations qu'il est impossible d'obtenir par des moyens ordinaires.
Et d'abord, comment le fait d'apercevoir des figures dans un cristal est-il en général possible ? Les expériences hypnotiques ordinaires nous suggèrent deux réponses dont chacune n'explique qu'une partie des phénomènes.
Nous savons, en premier lieu, que le sommeil hypnotique se produit souvent, quand on fixe un petit objet brillant. Ceci peut être ou non, un effet de suggestion mais, le fait se produit certainement dans certains cas et, le sujet peut être hypnotisé facilement et amené à un état qui facilite les hallucinations.
En second lieu, on peut suggérer à un sujet hypnotisé, de voir (décrire) un portrait sur une carte blanche ; et il continuera de voir ce portrait, même après que cette carte aura été mélangée avec d'autres, montrant ainsi qu'il discerne, avec une acuité peu ordinaire, des points de repère ou de petits signes indicateurs, comme ceux qui peuvent exister sur la surface d'une carte, blanche en apparence.
La première de ces expériences nous montre que la cristalloscopie peut, quelquefois, être accompagnée d'un état d'hypnotisation partielle, aboutissant peut-être à l'hallucination et, la seconde, que les points de repère semblent quelquefois provoquer la cristalloscopie. Mais il résulte, aussi bien des témoignages des sujets eux-mêmes qui ont été soumis à cette expérience que des observations du Dr Hodgson et d'autres, (y compris les miennes) qui ont eu l'occasion d'assister à leurs expériences, que le fait de fixer un ballon de verre provoque rarement un symptôme hypnotique quelconque, pas plus chez les sujets avec lesquels l'expérience réussit que chez ceux dont l'expérience ne donne aucun résultat. D'un autre côté, il n'existe aucune preuve en faveur d'une relation quelconque entre la faculté de la cristalloscopie et la sensibilité hypnotique. Tout ce qu'on peut dire, c'est que cette faculté est souvent associée à la sensibilité télépathique et, quoique cette dernière puisse souvent être exaltée par l'hypnotisme, rien ne nous prouve que ces deux formes de sensibilité marchent toujours de pair.
Autre fait : la connexion entre le cristal et la vision est des plus variables. Quelquefois, les figures semblent nettement dessinées dans le cristal et limitées par lui ; d'autres fois, toute perception de cristal et de miroir disparaît et le sujet ressemble à un clairvoyant introduit dans un groupe de figures animées de vie. Plus que cela : les sujets chez lesquels cette faculté est portée au plus haut degré peuvent se dispenser de tout miroir et, sont capables de voir des images dans la simple obscurité, ce qui les rapproche des cas d'illusions hypnagogiques.
Il paraît donc prudent, pour le moment, de ne voir dans la cristalloscopie, qu'un simple moyen empirique de développer la vision interne ; d'extérioriser des images associées à des changements qui se produisent dans les trajets sensoriels du cerveau et provoquées par des stimulations venues, soit du dedans, soit d'esprits autres que celui du sujet. Les hallucinations ainsi provoquées semblent absolument anodines. Du moins, je ne connais pas de cas où elles se soient montrées nuisibles d'une façon quelconque.
Dans un certain sens, la cristalloscopie devait logiquement trouver sa place dans cette partie de notre exposé. Nous nous occupons, en effet, du contrôle de la vision interne et, la cristalloscopie constitue, avec la suggestion hypnotique, un moyen empirique d'établir ce  contrôle. Une revue générale des résultats ainsi obtenus était nécessaire, au point de vue de la comparaison des phénomènes de la vision interne spontanée avec les hallucinations véridiques dont, nous allons nous occuper à présent. Mais, à un autre point de vue, la cristalloscopie arrive ici, d'une façon prématurée car, peu de phénomènes sont de nature à paraître au lecteur, plus fantastiques et plus incroyables. Ces visions semblent n'être soumises à aucune loi ; il dépend du simple hasard que, tel sujet aperçoive un squelette, tel autre une scène de son enfance, un troisième, une file de lettres dont l'assemblage ne présente aucun sens, un quatrième enfin, une représentation de ce que son ami éloigné est en train de faire au même moment.
Les visions cristallines dont nous ne connaissons pas les causes déterminantes peuvent être considérées comme des lueurs accidentelles, venant éclairer la vision interne comme une réflexion sous un angle bizarre, indéterminé, que subit l'Univers en traversant et en éclairant un milieu troublant, constitué par telle âme spéciale. La connaissance normale et supra-normale et les produits de l'imagination sont mélangés et, forment des rayons complexes, renfermant des souvenirs, des rêves, des connaissances télépathiques, télesthésiques, retrocognitives, précognitives, etc. Il y existe même, des indications de communications spirituelles et d'une sorte d'extase.
Il nous est impossible de poursuivre tous ces phénomènes à la fois. Pour en revenir aux cas d'automatisme sensoriel spontané, nous nous voyons obligés de dégager quelque phénomène fondamental, qui renferme le principe dont dérivent tous les autres phénomènes plus rares et plus complexes. La chose est relativement facile car, la théorie et l'expérience actuelle s'accordent à postuler ce principe que, si la vision et l'audition internes, dont nous avons montré toute l'importance, possèdent réellement cette importance et une valeur quelconque, si elles représentent vraiment autre chose que des rêves et des méditations ; elles doivent recevoir leurs connaissances et renseignements d'esprits ou d'objets éloignés et, les recevoir autrement que par l'intermédiaire des organes des sens externes. Il doit exister des communications entre les portions subliminales, comme il en existe entre les portions supra-liminales de différents individus. Bref, la télépathie doit  constituer la condition essentielle de tous ces phénomènes.
L'expérience actuelle, nous allons le voir, confirme cette opinion relative au rôle de la télépathie car, en passant des phénomènes provoqués aux phénomènes spontanés, nous verrons que ces derniers fournissent, avant tout, une preuve en faveur de la transmission d'émotions et de pensées d'un esprit à un autre.
Il faut, tout d'abord, reconnaître que la télépathie doit absolument exister quelque part dans l'Univers, si ce dernier renferme, d'une façon générale, des intelligences non incarnées. Ce n'est qu'en supposant que toute la vie du Cosmos est incarnée dans des organismes semblables aux nôtres que nous ne pouvons concevoir d'autres moyens de communication, qu'à travers les organes des sens. Mais, s'il existe une vie moins attachée à la chair, plus spirituelle (telle que l'homme conçoit la vie supérieure), deux suppositions se présentent à l'esprit : ou il n'existe pas d'échange de pensées, c'est-à-dire de vie sociale ou, cet échange ne peut se produire que par des moyens autres que la langue et le cerveau.
Cette vérité avait paru évidente depuis que l'homme a commencé à spéculer sur ces sujets. Mais, les progrès de la science ont ajouté une nouvelle présomption à ces spéculations. Je parle de la présomption fournie par l'idée de la continuité. En nous rendant compte du lien étroit qui rattache l'homme aux êtres inférieurs qui étaient considérés autrefois comme séparés de nous par un abîme infranchissable, nous sommes amenés à supposer qu'un lien, tout aussi étroit, doit le rattacher aux vies supérieures ; que le tout doit former une série ininterrompue ; que les qualités essentielles doivent être les mêmes partout. On se demande, généralement, si l'homme ressemble au singe ou à l'ange. Je réponds que le fait seul de sa parenté avec le singe est une preuve de présomption en  faveur de sa parenté avec l'ange.
Les sentiments instinctifs ont d'ailleurs anticipé sur tous ces raisonnements spéculatifs. Les hommes ont toujours cru et, croient encore, à la réalité de la prière, c'est-à-dire à la possibilité de communications télépathiques entre nos esprits humains et d'autres esprits supérieurs aux nôtres dont on suppose que, non seulement, ils comprennent nos désirs et aspirations mais, qu'ils sont encore capables d'exercer sur nous des influences et des actions internes.
Cette croyance à l'efficacité de la prière a été tellement répandue, qu’il est étonnant que les hommes n'en aient pas tiré cette déduction qui paraît naturelle, à savoir que, si nos esprits peuvent communiquer avec des esprits supérieurs par des moyens qui dépassent nos sens, ils peuvent également être capables de communiquer les uns avec les autres de la même manière. Ce fait a été soupçonné, de temps à autres, par des penseurs éminents, de saint Augustin à Bacon, de Bacon à Goethe, de Goethe à Tennyson.
Des expériences isolées en prouvaient de temps à autre la vérité pratique. Mais, ce n'est que depuis quelques années que cette notion vague et flottante a pris la forme d'une théorie définie, à la suite d'une expérimentation systématique.
C'est à Edmond Gurney que nous devons le premier essai de cette expérimentation systématique . L'explication des expériences télépathiques n'est pas aisée. Nous en signalerons une qui, si elle était vraie, serait de nature à rattacher cette science au début, aux sciences plus avancées : c'est la théorie des « ondes cérébrales » ou, selon l'expression plus exacte de sir W. Crookes : des « ondes éthérées » qui posséderaient une amplitude plus petite et une  fréquence plus grande que celles qui transmettent les rayons X. Ces ondes se propageraient d'un cerveau à un autre en produisant dans celui-ci une excitation ou, en y faisant surgir une image analogue à l'excitation ou à l'image qui leur a donné naissance. Cette hypothèse est très attrayante, parce qu'elle rattache une action qui existe certainement mais dont l'effet est inconnu, à un effet qui existe certainement mais dont la cause est inconnue. Dans le monde des vibrations, rien ne paraît plus naturel que d'invoquer une vibration de plus. Il serait, en effet, osé d'affirmer qu'un phénomène quelconque perceptible aux hommes ne puisse être exprimé, en partie tout au moins, dans les termes d'ondulations éthérées. Mais, dans le cas de télépathie, l'analogie qui suggère cette explication, c'est-à-dire la similitude apparente entre l'image émise, pour ainsi, dire par l'agent et, celle perçue par le sujet influencé, comme lorsque je fixe l'esprit sur deux des carreaux d'une carte et que le sujet voit l'image mentale de la carte entière, cette analogie est loin d'être complète. On a beau dire que l'esprit du sujet percevant modifie l'image envoyée par l'agent jusqu'à ce que la similitude entre les deux images devienne, pour ainsi dire, purement symbolique. Nous avons vu qu'il existe une transition continue de la télépathie expérimentale à la télépathie spontanée, de la transmission d'images de cartes au pressentiment de la mort d'un ami éloigné. Ces pressentiments peuvent bien être des images de l'ami mourant mais, il est peu probable que ces images soient émises par le cerveau du mourant, dans la forme dans laquelle les perçoit le cerveau du sujet percevant. Pour prendre un cas bien connu de notre collection , M. L. meurt d'une maladie du coeur, couché dans son lit et déshabillé. Au même moment, M. N. J. S. voit M. L. debout à côté de lui, l'air content, habillé pour la promenade et une canne à la main. On ne voit pas comment des ondulations auraient pu transformer à ce point des faits physiques.
Les hallucinations télépathiques collectives sont encore plus difficilement explicables par la théorie des ondulations. Il est difficile de comprendre comment A est capable d'émettre des vibrations qui, se propageant également dans toutes les directions, affectent non seulement son ami éloigné B mais encore, les étrangers C et D qui, par hasard, se trouvent à côté de B, sans toucher, autant que nous sachions, aucune autre personne au  monde.
Tous ces points ont été analysés et discutés depuis que nous avons commencé nos recherches. Mais, au fur et à mesure que nos expériences se multipliaient, notre conception de la télépathie se généralisait de plus en plus dans d'autres et nouvelles directions, de moins en moins compatibles avec la théorie des ondulations. Nous mentionnerons ici brièvement, trois de ces directions, notamment, les rapports entre la télépathie et
a)    la télesthésie ou la clairvoyance,
b)    le temps,
c)   les esprits désincarnés.
a) Il devient de plus en plus difficile d'attribuer les scènes dont le sujet percevant prend connaissance, à l'action d'un esprit donné percevant réellement ces scènes éloignées. Ceci est plus particulièrement évident dans les expériences de cristalloscopie.
b) Les visions cristallines montrent également ce que nous pouvons, au point de vue strictement télépathique, considérer comme une élasticité très grande dans leurs rapports avec le temps. Le sujet choisit lui-même le moment où il doit regarder le ballon et, quoiqu'il voie souvent des événements qui s'accomplissent au même moment, il peut également voir des événements passés et même, à ce qu'il paraît, des événements futurs. Je ne puis pour ma part nier la préconnaissance, ni tracer, au milieu de ces visions si complexes, une ligne de démarcation nette entre la préconnaissance et la télépathie.
c) La connaissance anticipée peut, si l'on veut, être considérée comme une action télépathique exercée par des esprits désincarnés et, ceci la range dans un groupe de phénomènes que tous ceux qui s'occupent de notre sujet doivent avoir admis depuis longtemps. En admettant, pour les besoins de la cause, que nous recevions de personnes mortes des communications que nous appellerions télépathiques si elles nous venaient de vivants, il nous est loisible de conjecturer que ces messages nous sont également transmis par les ondes éthérées. Mais, puisque ces ondes ne peuvent, en aucune façon, émaner de cerveaux matériels, nous nous écartons tellement de l'hypothèse primitive des ondes cérébrales qu'il devient très difficile de la défendre.
Tout ce que nous pouvons dire de la télépathie est ceci : la vie possède la faculté de se manifester à la vie. Les lois de la vie, telles que nous les connaissons, ne sont applicables qu'à la vie associée à la matière. Ainsi limités, nous savons peu de chose sur la nature vraie de la vie. Nous ne savons pas si la vie est seulement une force directrice ou si elle est, en outre, une énergie effective. Nous ne savons pas comment elle agit sur la matière. Nous ne pouvons non plus définir les rapports qui existent entre notre conscience et notre organisme. J'ose dire que les observations télépathiques nous ouvrent quelques horizons de ce côté-là. De la façon dont certains éléments d'un organisme individuel, abstraction faite de l'action matérielle, influent sur un autre organisme, nous pouvons apprendre quelque chose sur la façon dont notre propre vie influe sur notre propre organisme et maintient, interrompt ou abandonne sa courbe organique . L'hypothèse que j'ai suggérée dans les Phantasms of the Living, dans ma « Note sur un mode possible d'interaction psychique » me semble avoir été rendue plus plausible, à la suite de nombreuses observations faites depuis cette époque. Je crois toujours et plus fermement encore qu'en 1886, qu'il se produit une « invasion psychique » ; qu'il s'établit, dans le milieu qui entoure le sujet percevant, un « centre fantasmogénétique » ; qu'il s'accomplit un mouvement ayant un certain rapport avec l'espace tel que nous le connaissons et un transfert de présence pouvant ou non être discerné par les personnes envahies et, qu'il en résulte la perception d'une scène éloignée dont la personne actionnante peut ne pas se souvenir.
Mais, les termes dont je commence à me servir ici entraînent des associations d'idées qui sont de nature à rebuter plus d'un lecteur, même les moins scientifiques. Je me sers du langage d'une psychologie paléolithique et je semble partager les habitudes de pensée du sauvage qui croit que vous pouvez voyager en rêve et, que votre esprit peut hanter et harceler votre ennemi. Tout en me rendant compte de ce que ces expressions ont de choquant et du retour qu'elles semblent signifier à des conceptions aussi surannées, je ne vois pas d'autre moyen de m'en excuser que de retracer devant le lecteur, la voie dans  laquelle un accroissement graduel de preuves m'a obligé, à seule fin de pouvoir embrasser tous les phénomènes, à me servir de phrases et d'expressions différentes, à tel point, de celles que M. Ed. Gurney et moi avons employées dans nos premiers travaux sur ce sujet en 1883.
Voici brièvement les faits : Lorsque notre petit groupe commença, en 1882, à collectionner les faits relatifs aux « hallucinations véridiques » ou, aux apparitions coïncidant avec d'autres événements, de façon à suggérer l'idée d'un nexus causal, nous nous sommes vite aperçus que le sujet avait à peine, encore, été abordé. Des cas de différents genres ont été, il est vrai, vaguement relatés ; mais à peine quelques-uns d'entre eux atteignaient ce degré d'évidence dont nous voulions entourer nos récits. Notre propre collection était misérablement pauvre, en comparaison avec la riche moisson qui ne demandait qu'à être récoltée  mais, elle était suffisante pour montrer ces variétés d'apparitions coïncidentelles qui étaient à la fois, les plus communes et les plus convaincantes. C'étaient, notamment, des apparitions de personnes vivantes, coïncidant avec quelque crise que ces personnes subissaient à distance et surtout, de personnes qui étaient encore en vie mais en danger de mort. Ces cas ont été les premiers à atteindre un nombre et une valeur suffisants pour entraîner notre conviction et, dans différents articles publiés dans les Proceedings of the Society for Psychical Researches et dans les Phantasins of the Living, ils ont été exposés avec toute l'évidence qu'ils comportaient et rattachés à la télépathie expérimentale, étant considérés eux-mêmes comme des exemples spontanés, mais bien plus frappants, de ces transmissions d'impressions d'un esprit à un autre.
Mais, d'un autre côté, on a découvert parmi ces cas, certains exemples qui ne se laissaient pas réduire à la conception de la télépathie pure et simple, en admettant même, que cette conception ait reçu sa forme définitive. Parfois, l'apparition était vue par plus d'une personne à la fois ; résultat qui n'aurait pas dû se produire s'il ne s'était agi que d'une transmission d'une impression d'un esprit à un autre, lequel extériorisait cette impression en lui donnant une forme matérielle, selon les lois de sa propre structure. Il existait encore d'autres cas où, la personne actionnée paraissait être en même temps la personne actionnante, en ce sens qu'elle a eu l'impression d'avoir, d'une façon quelconque, visité et noté une scène éloignée dont l'occupant n'était pas nécessairement conscient d'une relation immédiate avec cette personne. Ou quelquefois, cette «clairvoyance télépathique » devenait de la « réciprocité », chacune des deux personnes en question étant consciente de l'autre, la scène de leur rencontre étant la même dans la vision de chacune ou, tout au moins, l'expérience étant d'une façon quelconque commune aux deux. Ces difficultés et d'autres analogues se sont présentées dès le début à mon esprit et, dans la « note » déjà mentionnée « sur un mode possible d'interaction psychique » insérée dans le deuxième volume de Phantasms of the Living, j'ai indiqué brièvement l'extension de la théorie télépathique qu'elles me semblaient nécessiter.
Entre temps, des cas de certains autres groupes définis continuaient à nous parvenir assez fréquemment, quoiqu'en nombre moins considérable que ceux d'apparitions au moment de la mort. Pour ne mentionner que les deux plus importants de ces groupes, nous nous trouvions en présence d'apparitions dites de morts et de cas de connaissance anticipée. Pour chacun de ces groupes, il paraissait raisonnable de différer toute conclusion, jusqu'à ce que le temps ait montré si les cas de ce genre et de première main étaient susceptibles de se produire d'une façon continue et, si des témoignages indépendants continuaient de se produire en faveur de ces incidents que ces hypothèses expliquaient mieux que d'autres. Avant la mort de Ed. Gurney, survenue en 1888, nos cas d'apparitions et d'autres manifestations de morts ont acquis une valeur et une consistance qui, ainsi que le prouve son dernier travail, l'ont convaincu de leur caractère véridique, lequel s'est encore accentué depuis cette époque. La possibilité de communication avec des personnes décédées me paraît aujourd'hui, aussi indiscutable que celle des communications  télépathiques entre vivants et, cette nouvelle possibilité modifie et élargit, nécessairement, notre conception relative à la télépathie entre vivants.
Les faits en faveur de la connaissance anticipée étaient beaucoup moins nombreux et, l'évidence relative à ce groupe de phénomènes était plus lente à se faire. Mais, elle n'en est pas moins devenue suffisante pour me faire croire qu'on aura à compter avec ces faits, sans que je puisse affirmer, comme je le fais pour les messages venus de personnes décédées, que tous ceux qui acceptent nos preuves relatives à la télépathie soient obligés d'accepter, en même temps, celles relatives à la connaissance anticipée. Il se passera encore quelques années avant que ces faits aient acquis une valeur indiscutable.
Mais, quel que soit le point de vue auquel tel ou tel expérimentateur se place de nos jours, j'affirme que le seul moyen rationnel de se faire une conviction consiste à décomposer, d'abord, le courant mélangé de faits en plusieurs groupes définis et à observer, ensuite, la fréquence avec laquelle ces groupes de faits se reproduisent, en leur attribuant une importance d'autant plus grande qu'ils seront plus évidents.
Cette façon de procéder exclue, évidemment, toute opinion a priori et, réduit notre conception à une simple classification, à laquelle les faits déjà connus doivent être soumis, de façon à pouvoir être embrassés dans leur ensemble.
Ma «psychologie paléolithique» n'a pas d'autre ambition. Je m'attache simplement, à l'exemple de mes précurseurs anthropophages, à trouver une formule qui couvre tous les faits observés. «Quelles raisons ai-je de croire que ceci n'est pas vrai ? » Telle est la question qu'il faut toujours se poser, lorsqu'on est parvenu à se rendre compte, autrement que par la spéculation scientifique, de la profonde ignorance où nous sommes, de ce que l'Univers est réellement.
Je reconnais, en tous cas, que ma propre ignorance est telle, que mes notions concernant ce qui est probable et ce qui est improbable dans l'Univers ne me paraissent pas suffisantes pour me faire écarter des faits qui me semblent dûment attestés et, qui ne se trouvent pas en contradiction avec d'autres faits et généralisations mieux établis. Quelque vaste que soit le domaine des faits établis scientifiquement, ils ne représentent, de l'aveu même des représentants les plus autorisés de la science, qu'un coup d'oeil rapide dans le domaine inconnu et infini des lois.
C'est ainsi que j'ai été amené à abandonner ma première manière de voir et, au lieu de prendre pour point de départ la conception d'une impulsion télépathique se transmettant simplement d'un esprit à un autre, de mettre à la base de tous ces phénomènes, la conception de la dissociabilité du moi, en admettant que différentes fractions du moi sont susceptibles d'agir indépendamment l'une de l'autre, au point que l'une ne soit pas consciente des actes de l'autre. Au fond, ces deux conceptions se contre-balancent en grande partie. Là où il s'agit d'une transmission expérimentale de pensées et même, des variétés les plus communes d'apparitions coïncidentelles, la seconde formule apparaît comme une variation inutile et non prouvée de la première. Mais, dès que nous nous  trouvons en présence de catégories difficiles, cas de réciprocité, de clairvoyance, cas collectifs et, avant tout, manifestations de morts, nous trouvons que la conception d'une impulsion télépathique qui, une fois envoyée est abandonnée à elle-même en ce qui concerne l'effet qu'elle doit produire, cette conception, disons-nous, a besoin, pour devenir évidente, d'être analysée, examinée, manipulée de différentes façons. D'un autre côté, c'est précisément dans ces régions difficiles que s'observent les analogies avec d'autres formes de désintégration de la personnalité et, que les actions apparitionnelles et automatiques nous rappellent celles par lesquelles se manifestent des segments de la personnalité détachée de la personnalité primitive mais, opérant à travers un organisme qui est le même dans les deux cas.
L'innovation, que nous prétendons faire, consiste à supposer que les segments de la personnalité sont capables d'opérer d'une façon indépendante, en apparence, de l'organisme. Une telle supposition n'aurait pu nous venir à l'esprit sans la preuve de la télépathie et, ne peut que difficilement être maintenue sans la preuve de la survivance après la mort corporelle. C'est que dans la télépathie, nous avons affaire à un élément psychique faisant partie de la personnalité mais, opérant indépendamment de l'organisme et que, dans la survivance après la mort corporelle, nous nous trouvons en présence d'un élément de la personnalité, disons de son dernier élément, opérant après la destruction de l'organisme. Il n'y a donc rien de téméraire à admettre qu'un élément de la personnalité peut opérer indépendamment de l'organisme alors que ce dernier est encore en vie.
Il s'agit, en dernier lieu, d'une dissociation de la personnalité manifestant son activité dans un milieu méta-éthéré ; telle sera, conformément à la terminologie employée dans ce livre, la formule qui résume le plus nettement tous les cas, jusqu'ici connus, d'apparitions véridiques. C'est que pour la clarté de mon exposé, je suis obligé de me servir des mots les plus simples et les plus courts, quelque vague et discutable que soit leur sens. C'est ainsi que, je me sers du mot esprit pour exprimer cette fraction inconnue de la personnalité humaine qui n'est pas sa fraction supra-liminale et, dont nous surprenons l'activité, avant ou après la mort, dans un milieu méta-éthéré. Je ne trouve pas d'autre terme pour exprimer cette conception mais, le mot esprit n'implique pour moi rien de plus. De même, le sens des termes envahisseur et envahi, tout étrangers et barbares qu'ils paraissent, dépendra de conceptions dont l'évidence se dégagera pour nous de plus en plus.
Les faits que nous possédons actuellement présentent, au point de vue du contenu et de la qualité, une variété qui ne laisse pas de nous rendre perplexes. Pour la plus grande partie de ces faits, je n'ai qu'à renvoyer les lecteurs à l'ouvrage de Gurney. Je me contenterai de relever et, de discuter ici quelques points seulement.
Je rappellerai, en premier lieu, que tous les cas véridiques de coïncidence se dégagent sous forme d'un groupe isolé d'un fonds d'hallucinations qui n'ont aucune prétention à la coïncidence, ni à la véridicité. Si les hallucinations purement subjectives des sens n'affectaient que les cerveaux malades et déséquilibrés, affirmation qui avait cours, même dans les milieux scientifiques  au début de nos recherches, notre tâche serait beaucoup plus aisée. L'état sain et normal de la plupart de nos sujets étant incontestable, ce serait pour nous une grande simplification, si nous pouvions dire, dans le cas par exemple de cet écolier qui aperçut le fantôme de son frère pendant qu'il jouait au cricket : « Cet écolier est en parfaite santé ; cette apparition est la seule qu'il ait jamais eue ; donc elle a dû nécessairement lui venir du dehors. »
C'est ainsi que raisonnent, en effet, la plupart des gens lorsqu'une apparition, unique dans leur vie, se présente à eux à un moment où ils se sentent aussi sains de corps que d'esprit. Au cours de son enquête, Edmond Gurney a eu l'occasion de se convaincre que des hallucinations isolées, uniques dans la vie, partielles, sans lien apparent avec une circonstance quelconque, s'observaient chez des personnes saines et normales, avec une fréquence qu'il était impossible de soupçonner.
Et, puisque les hallucinations occasionnelles chez des personnes normales sont si fréquentes, il semble difficile d'admettre qu'elles soient toutes véridiques. Et l'existence de toutes ces hallucinations, peut-être purement subjectives, complique grandement nos recherches concernant les hallucinations véridiques. Il en résulte que, l'existence pure et simple des hallucinations de quelque façon, souvent très bizarre qu'elles se trouvent interposées dans la vie ordinaire, ne leur confère aucune valeur objective et, c'est en dehors d'elles, dans la coïncidence, par exemple, qui existe entre telle hallucination et quelque événement se déroulant à distance, que nous devons chercher des éléments d'évidence. La sensation du sujet percevant ne nous fournit aucun critérium nous  permettant de dire si, dans tel cas donné, une hallucination est ou non provoquée par  quelque chose d'inconnu existant en dehors du sujet. Les hallucinations hypnotiques, par exemple, qui ne correspondent à aucun fait externe au-delà de l'ordre suggéré et entendu de la façon usuelle, constituent peut-être le groupe le plus distinct et le plus constant d'hallucinations normales. Je le répète, nous ne possédons aucun témoignage subjectif permettant de distinguer les fausses hallucinations des véridiques, ce qui ne veut pas dire que nous devions renoncer à prouver ce témoignage. Certains individus particulièrement sensitifs et sujets aux hallucinations des deux genres croient avoir appris à distinguer, pour eux-mêmes, entre les deux classes et même à distinguer, parmi les hallucinations véridiques, celles qui sont dues à l'action de personnes vivantes de celles provoquées par des esprits désincarnés ; et, il est à espérer qu'à mesure qu'on arrivera à mieux reconnaître cette sensibilité et à l'apprécier plus sérieusement, la faculté discriminative du sujet lui-même, deviendra un facteur de plus en plus important dans l'établissement de l'évidence des phénomènes dont il s'agit.
En attendant, nous n'avons à compter, qu'avec l'évidence qui découle de la coïncidence externe avec ce simple fait pour exprimer cette coïncidence dans sa forme la plus simple ; que je vois le fantôme de mon ami Smith au moment même où Smith se meurt à distance et, sans que je sois prévenu de son état. Une coïncidence de ce type général, lorsqu'elle se produit, n'est pas difficile à vérifier et, nous l'avons vérifié et établi, en effet, dans plusieurs centaines de cas.
La conclusion qui semble la plus logique, est celle d'un rapport causal entre la mort et l'apparition. Pour réfuter cette conclusion, il faut pouvoir, ou contester l'exactitude du témoignage du sujet ou, montrer que la coïncidence en question est un simple effet de  hasard.
Chacune de ces questions a fait l'objet d'une discussion aussi complète que fréquente. On la trouvera exposée tout au long dans le « Rapport de la Commission des hallucinations  ». Je ne puis que citer textuellement la conclusion de la Commission : « Entre la mort et l'apparition de personnes mourantes, il existe un rapport qui s'explique difficilement par le simple hasard. »
En formulant cette conclusion, on a choisi, de préférence, les apparitions au moment de la mort ; parce que la mort étant un événement unique dans l'existence humaine, les coïncidences entre la mort et les apparitions fournissent un élément très favorable au point de vue des recherches statistiques. Mais, les coïncidences entre les apparitions et des crises autres que la mort, quoique inaccessibles à la même estimation rigoureusement arithmétique, n'en sont pas moins tout aussi convaincantes. C'est ce grand groupe de cas spontanés que nous allons considérer maintenant.
La classification logique de ces cas n'est pas chose facile, parce que, chaque récit peut être considéré à plusieurs points de vue : il y a d'abord à considérer la nature de l'événement externe ; mort ou crise, auquel correspond l'apparition, ensuite, le mode même de l'apparition, selon que celle-ci se présente pendant le sommeil ou dans l'état de demi-somnolence ou, pendant l'état de veille. Il faut encore tenir compte du sens spécial qui se trouve affecté, tels que la vue ou l'ouïe et enfin, de l'effet produit : soit qu'il s'agisse d'une perception collective commune à plusieurs personnes à la fois, soit qu'on se trouve en présence d'une perception élective, particulière à une personne déterminée. Une de ces divisions, la distinction entre les cas auditifs et les cas visuels dont il a été tenu suffisamment compte dans la classification de la première collection de Phantasms of the Living, peut être laissée de côté. Les proportions statistiques des hallucinations visuelles, auditives, bi-sensorielles ou tri-sensorielles ont été suffisamment déterminées, autant que le permettaient les documents dont on disposait ; et, puisque nous supposons qu'il ne s'agit pas de vision oculaire ni d'ouïe auriculaire, la question de savoir quel sens interne se trouve le plus facilement stimulé chez chaque sujet donné perd de son importance. Cette distinction peut bien, avec quelques autres, être discutée à propos de chaque cas individuel mais, nous devons poser à la base de notre classification générale, un caractère plus fondamental.
Or, un des avantages de la conception de l'invasion ou de l'excursion psychique, à laquelle j'ai déjà fait allusion, consiste précisément en ceci que, cette conception est suffisamment fondamentale pour servir de base à la classification générale de tous les cas relatés, peut-être de tous les cas possibles d'apparitions. Et, quoiqu'il existe certains cas pour lesquels le terme métaphorique d'invasion paraît trop fort alors que, l'ancienne métaphore d'influence télépathique serait tout à fait suffisant, ces cas, tout en étant dans une certaine mesure moins complets, n'en rentrent pas moins naturellement dans les mêmes divisions.
Soit A, l' « agent » ou, l'esprit supposé envahisseur ou excursif dans un cas donné et P, le sujet percevant ; esprit jouant un rôle plus passif, recevant et quelquefois observant la visite de A. Naturellement, A est souvent, sinon toujours, à son tour, un sujet percevant qui acquiert des connaissances en même temps qu'il en communique, avec cette restriction que, son moi subliminal qui accomplit cette excursion n'est pas toujours à même de faire part de ses résultats au moi supra-liminal qui, seul est accessible à notre observation
Nous avons besoin d'un schéma embrassant, conformément à la conception de l'invasion ou de l'excursion, toutes les actions télépathiques observables, depuis les courants de faible intensité que nous pouvons nous imaginer comme passant continuellement d'un homme à un autre, jusqu'à un point, réservé pour les chapitres suivants, où une des parties de l'interaction télépathique a définitivement quitté l'enveloppe charnelle. Le premier terme de notre série sera forcément un peu vague mais, le dernier nous conduira au seuil du monde spirituel.
Commençons donc par les cas où l'action du fragment excursif de la personnalité est la plus faible, la moins capable d'affecter d'autres observateurs ou, d'être gardée dans la mémoire du sujet, même à l'état de veille.
Il est naturellement difficile de rendre ces cas évidents. Ce n'est souvent que par hasard que ces excursions psychiques faibles et sans but sont observées et cela, de façon à nous les faire considérer comme quelque chose qui dépasse à peine une illusion subjective de l'observateur.
Comment une vision fortuite, disons d'une dame assise dans sa chambre ou, d'un homme s'en retournant à la maison à 6 heures peut-elle être distinguée, d'un côté d'une image-souvenir et d'un autre côté, de ce que je pourrais appeler « images d'attente » ? L'image de la dame peut être une réminiscence légèrement modifiée et extériorisée ; celle de l'homme s'approchant de la porte, une simple projection de ce que l'observateur espère voir. J'ai supposé que ces fantômes ne coïncident avec aucun événement marqué. La dame peut avoir eu l'idée d'aller dans sa chambre ; l'homme pouvait être en train de rentrer chez lui. Ce sont là des circonstances banales qui se reproduisent tous les jours.
Mais, quelque banal qu'il soit, presque chaque concours de circonstances humaines est suffisamment complexe pour donner lieu à la coïncidence. Si celui qui est assis dans la chambre porte un vêtement que le sujet percevant n'a jamais vu avant son hallucination, si l'homme, objet de l'hallucination, apparaît portant un paquet d'un aspect peu ordinaire ; que l'homme réel se trouve réellement avoir apporté chez lui sans que personne s'y attendît, nous sommes pleinement autorisés à admettre qu'il existe un lien causal entre l'état apparent de l' « agent », à ce moment-là, et l'apparition.
Tel est le cas du colonel Bigge qui crut apercevoir un jour, à quelques pas de distance, un de ses collègues vêtu d'un costume spécial que M. Bigge ne lui avait jamais vu auparavant et, portant des ustensiles de pêche alors que, M. Bigge ignorait complètement que son collègue fût allé ce jour-là à la pêche et cela, dix minutes avant l'apparition réelle de ce collègue dans l'endroit en question. Et quel ne fut pas l'étonnement de M. Bigge lorsqu'il s'assura que son collègue portait réellement le costume et les ustensiles de pêche avec lesquels il lui apparut dix minutes auparavant . A propos des cas de ce genre, il y a tout lieu de croire que, l'esprit d'un homme peut être réellement fixé sur l'endroit où il doit retourner, de sorte que son fantôme apparaît là où, lui-même et les autres, croient voir le but le plus probable de sa course.
Mais, il existe d'autres cas où, le fantôme d'un homme apparaît dans un endroit sans qu'il existe une raison spéciale pour qu'il soit vu là, plutôt qu'ailleurs, quoique l'endroit en question semble se trouver dans les limites de son courant habituel d'idées.
Dans ces cas encore, il y a des circonstances de nature à faire penser que, l'apparition est rattachée à l’agent apparent par un lien causal. Le fantôme d'une personne donnée peut être vu à plusieurs reprises, par plusieurs sujets ou collectivement, par plusieurs personnes à la fois ; ou, il peut réunir ces deux caractères et être vu à plusieurs reprises, par plusieurs  personnes à la fois.
Or, considérant la rareté des apparitions fantomales et ce fait, qu'à peine une personne sur cinq mille est susceptible d'être vue à l'état fantomal, le fait seul que le fantôme d'une personne donnée soit vu deux fois par plusieurs sujets, (car une deuxième apparition au même sujet n'a pas la même valeur) est déjà assez remarquable ; et, lorsqu'il se reproduit trois ou quatre fois, il devient difficile de l'expliquer par un simple hasard.
Tel est le cas de Mme Hawkins, dont le fantôme fut vu par quatre personnes  (ses deux cousins, sa bonne, son fils), à des intervalles plus ou moins éloignés et la première fois, par deux personnes simultanément et, d'une façon absolument identique .
Dans d'autres cas, la perception a été collective, quoique non répétée. Tel est le cas des deux soeurs, Mlles C.-J. E... et H. E... qui, se trouvant toutes deux à l'église, l'une jouant de l'orgue, l'autre écoutant, aperçoivent toutes deux le fantôme de leur troisième soeur qui, ainsi qu'il a été constaté plus tard, se trouvait bien à proximité de l'église et avait bien eu l'intention d'y entrer mais ne l'avait pas fait, s'étant attardée dans la bibliothèque paroissiale où elle était occupée à déchiffrer les papiers de famille de son oncle le pasteur. Elle est apparue à ses deux sœurs, dans la robe même qu'elle avait portée pendant qu'elle était dans la bibliothèque et, ayant à la main un rouleau de papier . Il est possible que, dans ce cas, la troisième soeur fût occupée par quelque idée supra-liminale ou subliminale de la scène, au milieu de laquelle elle apparut en fantôme et, qu'une de ses soeurs l'ayant aperçue par un simple acte de tranquille reconnaissance, ait communiqué à l'autre un choc télépathique, de façon à lui faire apercevoir la même figure.
Dans le cas de Mme Hall , son propre fantôme lui apparut à elle, à son mari et à deux de ses parents, pendant que toutes ces personnes se trouvaient à table. Personne n'a paru étonné de cette apparition qui sembla à Mme Hall elle-même, complètement étrangère à sa personnalité, comme s'il s'était agi d'un tableau ou d'une statue.
La question de la vraie importance de la collectivité de la perception reconstitue, sous une autre forme, le problème de l’invasion auquel notre exposé nous ramène si souvent. Lorsque deux ou trois personnes voient ce qui paraît être le même fantôme, à la même place et au même moment, cela signifie-t-il que cette portion spéciale de l'espace soit modifiée d'une façon quelconque ? ou, qu'une impression mentale communiquée par un agent éloigné, celui auquel appartient le fantôme, à un des sujets percevants, se réfléchisse télépathiquement de l'esprit de ce dernier à l'esprit d'autres sujets percevants ; de sujets pour ainsi dire, secondaires ? Je préfère la première de ces deux explications et, je vois une objection contre la deuxième, qui est celle de la contagion psychique. Dans ce fait, ainsi que dans certains cas collectifs, nous ne discernons aucun lien probable entre l'esprit d'un sujet percevant quelconque et, celui de l'agent éloigné.
Il n'existe, en effet, aucune indication d'un lien nécessaire, entre l'état d'esprit de l'agent au moment de l'apparition et, le fait que telles ou telles personnes aperçoivent son fantôme. La projection de ce dernier constitue un acte aussi automatique de la part de l'agent et, aussi peu intentionnel qu'un rêve ou un songe.
Admettant donc que ces « bilocations » se produisent sans cause extérieure appréciable et, dans des moments de calme et d'indifférence apparente, nous devons nous demander : de quelle façon cela pourra-t-il modifier nos conceptions antérieures ?
Je suppose que la vie de rêve, qui évolue d'une façon continue parallèlement à notre vie éveillée, est assez puissante pour déterminer, de temps à autres, une dissociation suffisante pour qu'un élément quelconque de notre personnalité devienne capable d'être perçu à une certaine distance de l'organisme. Cette notion d'un quasi-rêve incohérent devenant perceptible aux autres, s'accorde parfaitement avec les théories exposées au cours de cet ouvrage car, je considère les opérations subliminales comme s'accomplissant d'une façon continue et, je crois que le degré de dissociation susceptible d'engendrer un fantôme perceptible, n'équivaut pas nécessairement à une modification très profonde ; cette perceptibilité dépendant de l'idiosyncrasie encore inexpliquée de l'agent et du sujet percevant.
J'appellerai cette idiosyncrasie de l'agent, du nom de psychorrhagie dont la traduction littérale signifie : échappement, dégagement de l'âme. Ce qui, d'après mon hypothèse, s'échappe ou se dégage, ce n'est pas (comme d'après le sens grec du mot) le principe total de la vie de l'organisme mais, un certain élément psychique, d'un caractère probablement variable et, qui ne peut être défini que par sa propriété de produire des fantômes perceptibles pour une ou plusieurs personnes, dans telle ou telle portion de l'espace. Ces effets fantasmogénétiques peuvent se manifester soit dans l'esprit et par conséquent, dans le cerveau d'une autre personne auquel cas, cette personne discerne le fantôme quelque part dans son voisinage, selon ses propres habitudes mentales ou sa prépossession ou bien, cet effet se manifeste directement dans une portion de l'espace auquel cas, plusieurs personnes peuvent discerner simultanément le même fantôme au même endroit.
Passons maintenant de ces cas de psychorrhagie qui n'impliquent, pour ainsi dire, aucune connaissance nouvelle pour le sujet apparaissant sous forme d'un fantôme, à ceux où il existe, en quelque sorte, une communication d'un esprit à un autre et qui impliquent une acquisition de connaissances nouvelles par l'esprit excursif.
Il est impossible de classer ces cas en groupes logiquement continus. Mais, d'une façon générale, le degré auquel cette rencontre psychique reste dans le souvenir de chacune des deux parties indique, en quelque sorte, son intensité et peut servir de guide à une classification provisoire.
Me conformant à ce schéma, je commencerai par un groupe de cas qui semble ne fournir qu'une très faible information ; ceux notamment où, l'agent A influence ou envahit, pour ainsi dire, le sujet percevant P, sans que ni A ni P ne gardent aucun souvenir supra-liminal de ce qui s'est passé.
Ces cas sont assez fréquents. Le rapprochement psychique se produit, par hypothèse, dans une région subliminale pour A et pour P, région dont quelques impressions rares et fragmentaires seulement dépassent le seuil de la conscience. C'est ainsi que, la télépathie semble opérer d'une façon beaucoup plus continue que nous ne sommes disposés à le  croire.
Mais, comment l'observateur externe peut-il savoir quelque chose de ces incidents télépathiques dont les parties intéressées, elles-mêmes, ne se souviennent pas toujours ?
Dans la vie ordinaire, nous pouvons, quelquefois, apprendre par les assistants des incidents sur lesquels, les parties intéressées ne sont pas à même de nous renseigner. Peut-il y avoir des assistants, témoins de ces invasions psychiques ?
Cette question est d'une grande importance théorique. Puisque je considère qu'il se produit un transfert réel de quelque chose de l'agent, ce transfert déterminant une certaine modification dans une certaine portion de l'espace, on peut admettre, théoriquement, la présence d'un assistant capable de discerner cette modification beaucoup plus distinctement qu, les personnes au profit desquelles, pour ainsi dire, cette modification s'était produite. Mais si, d'un autre côté, ce qui s'est produit est le simple transfert d'une impulsion d'un esprit à un autre, il devient difficile de comprendre comment un esprit, autre que l'esprit visé, a pu percevoir l'impression télépathique. Cependant, dans les cas collectifs, des personnes auxquelles l'agent ne porte aucun intérêt ou dont la présence à côté de la personne à laquelle il est censé s'adresser lui est inconnue, reçoivent réellement l'impression de la même façon que la personne visée. Ceci a été expliqué par Gurney, comme une nouvelle transmission télépathique se faisant, cette fois, de l'esprit de la personne que vise l'impression, à celui de son voisin du moment.
Une telle supposition, déjà assez problématique en elle-même, le devient davantage lorsque, ainsi que cela arrive souvent, l'impression télépathique n'a pas pénétré dans l'esprit de la personne principalement visée. Lorsque dans des cas de ce genre, un assistant perçoit la figure de l'agent, il faut supposer qu'il la perçoit en simple assistant, non comme une personne subissant l'influence télépathique du sujet visé, puisque celui-ci ne perçoit rien, en réalité.
Tel est le cas de Frances Reddell  qui, une nuit qu'elle était en train de veiller une de ses compagnes gravement malade, aperçut le fantôme de la mère de cette dernière qu'elle ne connaissait pas et qu'elle n'avait jamais vue auparavant mais, dont elle put donner la description tellement exacte que, lorsque cette femme arriva réellement plus tard à la nouvelle de la mort de sa fille, tous ceux auxquels Frances Reddell parla de sa vision furent frappés de la ressemblance entre cette dernière et la personne réelle. Elle décrivit, même, un certain costume de nuit et un certain bougeoir dont l'existence fut confirmée par les parents de la malade.
Voici ce qui a dû se passer dans ce cas : la mère inquiète de l'état de sa fille lui aura fait, pour ainsi dire, une visite psychique pendant qu'elles dormaient toutes deux ; et ce faisant, elle aura modifié une portion de l'espace, ni matériellement, ni optiquement mais, de telle façon que des personnes susceptibles se trouvant dans cette portion espace, aient été à même d'y distinguer, en quelque sorte, une image répondant approximativement à la conception qui existait dans l'esprit de la mère relativement à son propre aspect alors que, la mère elle-même ne se souvenait plus d'avoir pensé à sa fille cette nuit-là et que, celle-ci étant morte, on ne pouvait savoir si elle a, tout comme Frances Reddell, perçu l'image de sa mère.
Tel est encore le cas de ce matelot qui, veillant un de ses camarades mourant , vit autour de son hamac, des figures en habits de deuil qui lui parurent représenter la famille du mourant. La famille, sans être fixée exactement sur l'état de son chef, a été alarmée par des bruits qu'elle a pris, à tort ou à raison, pour l'indication de quelque danger qui le menaçait. Je suppose alors, que la femme a fait à son mari une visite psychique et, je vois dans les habits de deuil et dans les figures des enfants qui accompagnaient la mère, une représentation symbolique de cette idée : « Mes enfants vont devenir orphelins ». Cette interprétation me paraît plus probable que celle qui verrait dans l'apparition des enfants, un fait du même genre que l'apparition de la mère. Les figures secondaires ne sont pas rares dans les apparitions télépathiques. Quelqu'un peut se représenter soi-même, aussi bien tenant un enfant par le bras ou se promenant dans une voiture à deux chevaux, aussi vivement que s'il portait une ombrelle ou se promenait  de long en large dans une pièce et, il peut de la même façon se présenter à d'autres. Je citerai, comme exemple de cette perception défléchie, le cas de Mme Clerke  dont le frère mourant (ou mort), qui désirait probablement apparaître à sa soeur, n'a pas réussi à attirer son attention et n'a été aperçu que par une nurse noire qui ne le connaissait pas et ne l'a jamais vu en chair et en os.
Il me semble que la nurse a été une simple assistante, douée d'une sensibilité spéciale, qui s'est montrée plus efficace que la parenté de sa maîtresse.
J'aborde maintenant un nouveau groupe de cas, ceux de télesthésie où l'agent et le sujet percevant sont réunis dans la même personne qui fait une excursion clairvoyante (d'un caractère plus sérieux que les simples psychorrhagies décrites jusqu'ici) et, rapporte un certain souvenir de la scène qu'elle a visité psychiquement. Ce souvenir peut ne pas exister ou bien, la personne intéressée ne veut pas en faire-part à qui que ce soit. Dans les cas de ce genre, comme dans ceux de télépathie dont j'ai déjà parlé, il arrive que le fantôme excursif ait été observé par un assistant et cela, dans des circonstances qui excluent toute idée d'une hallucination subjective de ce dernier.
Mme Mc Alpine était assise, par une belle journée d'été, sur les bords d'un lac aux environs de Castleblaney en attendant sa soeur qui devait arriver par le train, lorsqu'elle se sentit tout d'un coup prise d'un frisson et d'une raideur dans les jambes, au point qu'elle ne put se lever de sa place et, sentit ses regards, comme fixés par une force extérieure, sur la surface du lac. Elle vit ensuite apparaître un nuage noir au milieu duquel se trouvait un homme de grande taille qui tomba dans le lac et disparut. Quelques jours plus tard, elle apprit qu'un certain M. Espy, un homme de grande taille et qui, d'après la description, portait un costume absolument identique à celui dans lequel le vit Mme Alpine, se noya dans ce lac et cela, quelques jours après que cette dame eut la vision de son suicide. Il paraît que M. Espy avait depuis longtemps conçu l'idée de se suicider en se noyant dans le lac de Castleblaney .
Il est certes possible d'expliquer cette apparition comme un simple pressentiment, comme une image de l'avenir qui se serait présentée, d'une façon que nous ne connaissons pas, devant la vision interne du sujet. Nous nous trouvons plus loin, en présence de cas qui semblent justifier cette hypothèse extrême. Mais ici, il paraît plus simple de supposer que le malheureux avait déjà prémédité sa noyade dans le lac, au moment où Mme Mc Alpine se trouvait assise sur la rive et, que son idée intense avait effectué une auto-projection, consciente ou non, d'une partie de son moi.
Les réflexions de ce genre, se rapportant à un suicide projeté, fournissent peut-être l'exemple le plus frappant de la préoccupation mentale liée à un endroit donné. Mais, vu notre ignorance de la qualité précise de pensée et d'émotion nécessaire pour favoriser une excursion psychique, il n'est pas surprenant si, dans certains cas, cette excursion nous semble identique à ce qu'on observe dans les cas dit, d'approche ; comme dans celui du colonel Bigge, cité plus haut. Ce qui rend ce cas frappant, c'est la tenue peu ordinaire dans laquelle le colonel aperçut son collègue tandis que, l'arrivée de ce dernier à l'endroit où il était apparu, était un fait tout à fait probable et possible. Je vais maintenant citer des cas où, l'arrivée d'un homme n'est pas attendue du tout, de sorte que le fait que son fantôme soit aperçu dans un endroit vers lequel il se dirige, avant qu'il y soit arrivé réellement, constitue une véritable coïncidence.
M. Carroll  aperçut un soir dans sa chambre, alors qu'il ne songeait même pas encore à se coucher, l'image de son frère qui habitait Londres alors que, lui-même habitait Sholebrook Lodge, Towcester, Northamptonshire. Il fut un peu effrayé de cette apparition et, avant qu'il eût eu le temps de se remettre de son émotion, il entendit frapper à une fenêtre de sa chambre : c'était son frère, cette fois en chair et en os, qui était arrivé exprès de Londres pour le voir, sans lui avoir annoncé, au préalable, sa visite. Il faut ajouter que le frère de M. Carroll ne connaissait pas du tout la maison qu'habitait ce dernier et, ainsi qu'il l'a dit lui-même, il trouva la maison et frappa à la fenêtre, sûr de trouver son frère dans cette maison et derrière cette fenêtre.
Voici maintenant un cas de pressentiment auditif d'une arrivée  :
M. Stevenson était assis chez lui, à côté de sa femme. Il était 7 heures du soir. Tout était tranquille dans la pièce lorsqu'il entendit nettement ces mots : « David arrive. » Croyant qu'ils ont été prononcés par sa femme, il l'interroge ; mais, elle assure n'avoir pas prononcé un seul mot. David était le frère de M. Stevenson et avait l'habitude de sortir tous les soirs entre 5 heures et 6 heures et, ne rentrait jamais avant 10 heures. Or, trois minutes ne s'étaient pas écoulées depuis que M. Stevenson eut entendu prononcer les mots cités plus haut, lorsqu'il vit la porte s'ouvrir et David entrer, sans qu'on l'ait le moins du monde attendu à cette heure-là.
Je n'ai pas besoin de dire que mon hypothèse d'une modification réelle d'une portion de l'espace qui se trouve transformée en un centre fantasmogénétique s'applique, aussi bien à la voix fantomale qu'aux figures fantomales. La voix n'est pas plus entendue acoustiquement que la figure n'est vue optiquement. Mais, une voix fantomale peut venir d'un endroit donné, au sens propre du mot. Dans les cas, cependant, comme celui de M. Stevenson, où elle n'est entendue que par une seule personne, il est plus simple de supposer que le trajet auditif du sujet percevant  a été la seule portion de l'espace affectée. Ces cas de télesthésie et d'autres analogues ont ceci de particulier que, l'excursion psychique ne comporte aucune acquisition de connaissances supra-liminales. Il existe, en revanche, des cas caractérisés par une véritable acquisition de connaissances nouvelles. De quelle façon se fait donc cette acquisition ?
Ces connaissances peuvent d'abord être acquises, grâce à l'accroissement de puissance des sens ordinaires. D'autres fois, l'acquisition s'opère au moyen d'artifices particuliers, utilisant les sens ordinaires dans une voie nouvelle ; comme dans la cristalloscopie. Un troisième moyen est constitué par la télépathie qui, souvent, prend la forme de la télesthésie pure, lorsque l'esprit excursif est attiré, non par un autre esprit éloigné mais, par une scène éloignée. Enfin, en dernier lieu, je crois utile de rappeler que, c'est principalement sous forme de rêve et de vision que les exemples les plus frappants de télesthésie que j'ai cités se sont produits. Existe-t-il un moyen de rattacher, les uns aux autres, tous ces divers modes de perception ? Pouvons-nous trouver, dans l'état même du sujet percevant, un élément qui leur soit commun à tous ?
Jusqu'à un certain degré, une telle coordination est possible. C'est ainsi que, la télesthésie est presque toujours caractérisée par une tendance à quelque chose d'analogue au rêve  et, quoique l'hyperesthésie s'observe parfois chez des personnes tout à fait éveillées, elle constitue un attribut caractéristique des états somnambuliques.
Au cours de notre discussion sur l'hypnotisme, nous avons vu qu'il était, parfois, possible d'étendre par une suggestion graduelle, la puissance perceptive du sujet, au point de transformer une hyperesthésie, qui peut encore s'expliquer par l'action des organes des sens, en une télesthésie que cette action n'explique plus. Il est à remarquer que, dans les cas de ce genre, les sujets, en décrivant leurs sensations, parlent souvent d'impressions reçues ou d'images vues, comme si elles étaient placées devant eux ; d'autres fois, ils croient voyager et visiter des scènes éloignées ; ou bien encore, la sensation oscille entre les deux genres d'impression, tout comme le sens de la relation du temps dans l'image vue oscille entre le présent, le passé et le futur.
Les phénomènes de cristalloscopie présentent des analogies assez étroites avec toutes ces sensations si complexes. J'ai déjà insisté sur ce fait curieux que, le simple artifice de regarder dans une glace a pour effet de provoquer des phénomènes appartenant à tous ces groupes si différents. Les images elles-mêmes qui, dans le cristal, présentent le même aspect, peuvent avoir des origines différentes et, certaines sensations peuvent accompagner ces images, non seulement la sensation de contemplation mais encore, celle (quoique plus rarement) de possession, de bilocation, de présence psychique parmi les scènes ébauchées dans le cristal mais, qui ne sont plus ni limitées par lui, ni contenues en lui.
Cette idée d'excursion psychique doit pourtant être conciliée avec le caractère, souvent symbolique, de ces visions. Dans la cristalloscopie, il s'agit très souvent, non d'une simple transcription de faits matériels mais, d'une sélection abrégée opérée parmi ces faits et même, d'une modification hardie de ces faits dans le but de rendre le récit de telle histoire plus complet et plus clair. Nous connaissons cette même succession de scènes symboliques dans le songe et dans la rêverie éveillée.
Un élément analogue est commun à toutes les visions télesthésiques ; une indication que l’esprit a collaboré à la construction de l'image, que la scène n'a pas été présentée, pour ainsi dire, dans son objectivité brute mais, avec un certain choix de détails et un certain symbolisme dans la façon dont ils ont été présentés.
Voyons maintenant la façon dont toutes ces particularités affectent les théories concernant le mécanisme de la clairvoyance. Supposons, d'abord, qu'il existe une certaine transition de l'hyperesthésie à la télesthésie, de sorte que, lorsque la sensation périphérique n'est plus possible, la perception centrale peut toujours opérer à travers des obstacles autrement insurmontables.
S'il en est ainsi, il est fort probable que la perception centrale s'adaptera aux formes de perception auxquelles les trajets centraux du cerveau sont accoutumés et que, la connaissance supérieure, la connaissance télesthésique, de quelque façon qu'elle ait été acquise, se présentera avant tout, soit comme clairvoyance, soit comme clair-audience ; comme une certaine forme de la vue ou de l'ouïe. Mais, cette vue et cette ouïe télesthésiques garderont certaines traces de leur origine inusitée. Elles présenteront, par exemple, une coordination imparfaite avec les sensations visuelles et acoustiques fournies par les organes externes et, comme elles constituent, pour ainsi dire, une traduction d'impressions supra-normales en termes sensoriels, elles présenteront certainement un caractère symbolique.
A chacune des étapes de nos recherches, nous nous heurtons à cette tendance au symbolisme subliminal. Comme exemple de sa forme la plus simple, je citerai ici, le cas de cet étudiant en botanique qui, passant distraitement devant l'enseigne d'un restaurant crut y lire les mots : Verbascum Thapsus. Or, le mot qui y était imprimé réellement était : Bouillon et, le mot Bouillon constitue la désignation française vulgaire de la plante Verbascum Thapsus. Il s'est produit ici, une transformation subliminale de la perception optique actuelle et, les mots Verbascum Thapsus ont été le message envoyé au moi supra-liminal distrait, par le moi subliminal plus occupé de botanique que d'un dîner.
Nous savons, en outre, que notre propre perception optique est, dans son genre, symbolique au plus haut degré. La scène que l'enfant voit instinctivement, que le peintre impressionniste cherche à voir par une sorte d'auto simplification voulue est fort différente de la façon dont l'homme mûr ordinaire interprète le monde visible et se représente la distribution des couleurs.
Or, nous autres adultes, nous adoptons à l'égard du symbolisme subliminal, la même attitude que l'enfant garde vis-à-vis notre symbolisme optique perfectionné. De même que l'enfant ne saisit pas la troisième dimension, de même, nous ne saisissons pas la quatrième dimension ou, quelle que soit la loi de cette connaissance supérieure qui apporte à l'homme, par fragments, ce que ses sens ordinaires sont incapables de discerner.
Je ne veux nullement dire par-là que toute connaissance symbolique soit une connaissance qui nous vient d'un esprit extérieur au nôtre. Le symbolisme peut être le langage inévitable à l'aide duquel, une des couches de notre personnalité communique avec une autre. Bref, le symbolisme peut être le souvenir psychique, ou le plus facile ou le seul possible, de faits objectifs actuels ; que ces faits aient été tout d'abord discernés par notre moi profond ou, qu'ils nous aient été fournis dans cette forme par d'autres esprits, prêts à être digérés par le nôtre, tout comme la nourriture anormale est élaborée en vue de notre digestion corporelle, d'un état primitif de crudité.
Mais, au point de vue idéaliste, il est permis de se demander si, dans les cas de ce genre, il existe une distinction réelle entre le symbolisme et la réalité, entre le subjectif et l'objectif, au sens commun de ces mots. La matière résistante que nous voyons et touchons, possède une réalité «solide» pour les esprits constitués de façon à avoir la sensation subjective de sa solidité. Mais à d'autres esprits, doués d'autres formes de sensibilité ; à des esprits peut-être à la fois supérieurs aux nôtres et plus nombreux que les nôtres, cette matière solide peut paraître discutable et irréelle, tandis que, la pensée et l'émotion perçues par des voies à nous inconnues, présentent pour eux, la seule réalité. Ce monde matériel constitue, en fait, un « cas privilégié », un exemple simplifié parmi tous les mondes discernables aux esprits incarnés. Pour des esprits désincarnés, il n'est plus un « cas privilégié » ; il leur est apparemment plus facile de discerner des pensées et des  émotions à l'aide de signes non matériels. Mais, ils ne sont pas plus complètement dépourvus de la faculté de percevoir les choses matérielles que les esprits incarnés ne sont dépourvus de celle de percevoir des choses immatérielles, des émotions et des idées symbolisées dans une forme fantomale.
Il semble ressortir de toutes ces réflexions, qu'il existe une transition continue de la télesthésie à la télépathie, de la perception supra-normale d'idées existant dans d'autres esprits, à la perception supra-normale de ce que nous connaissons comme étant la matière. Toute la matière peut exister sous forme d'idée dans un esprit cosmique avec lequel, tout esprit individuel peut se trouver en relation, tout comme avec d'autres esprits individuels. La différence réside, peut-être, plutôt dans ce fait que, c'est à la suite d'un appel venu d'un esprit similaire que celui de l'agent entre en action ; tandis que les excursions parmi des objets inanimés sont souvent privées de toute impulsion. Cette supposition, si elle était vraie, expliquerait le fait que ces excursions ont, le plus souvent, réussi sous l'influence de la suggestion hypnotique.
Si nous nous reportons maintenant aux cas de clairvoyance à distance, nous y trouvons une sorte de fusion de toutes les manifestations des facultés supra-normales : télépathie, télesthésie, rétro-connaissance, pré-connaissance, coexistant dans une synthèse, pour nous, incompréhensible. Ce n'est qu'artificiellement que nous pouvons classer ces cas selon la prédominance de tel ou tel phénomène.
Nous obtenons ainsi, expérimentalement, des cas où semble se manifester une faculté indépendante de visiter n'importe quel endroit dont, la position a peut-être été décrite auparavant, en suivant des points de repère déjà connus. La clairvoyante (j'emploie le genre féminin, quoique dans certains cas des hommes manifestent la même faculté) manquera souvent son chemin et décrira souvent des maisons et des scènes qui se trouvent à côté de celles qu'elle désire visiter. Mais, lorsqu'elle aura littéralement flairé la trace et trouvé la place que l'homme qu'elle est chargée de chercher a traversée à un moment donné, elle suivra cette trace avec la plus grande facilité, reconnaissant apparemment, aussi bien des événements passés que des circonstances actuelles de sa vie. Dans ces cas expérimentaux prolongés, nous disposons d'un temps suffisant pour permettre à la clairvoyante de traverser certains endroits tels que chambres vides, usines, etc. où, aucun lien apparent avec des personnes vivantes n'a pu l'attirer ; et c'est ainsi que, la possibilité de l'existence de la télesthésie, indépendamment de la télépathie, a pu être prouvée, incidemment, au cours d'expériences purement télépathiques. Ces voyages clairvoyants prolongés se rapprochent plutôt des songes que des hallucinations éveillées.
Nous citerons le cas d'un médecin qui a désiré garder l'anonymat, pour ne pas être accusé de «défendre des opinions contraires au dogme scientifique général ». Il soignait la femme d'un pasteur pour une maladie, au cours de laquelle sont survenus, des délires qui semblaient n'avoir aucun rapport avec la maladie principale. La patiente habitait une maison qui n'avait pas de sonnette extérieure et dont la porte était fermée à partir de minuit. Un soir, vers 9 heures, le médecin était revenu de chez sa malade plus perplexe que jamais ; il se coucha de bonne heure mais, vers 1 heure du matin, il se leva, disant à sa femme qu'il retournait voir sa malade. A son objection que la porte de sa maison devait être close et que, par conséquent, il ne pourrait pas y entrer, il répondit qu'il voyait le propriétaire de la maison causer dans la rue avec un autre homme. Sa femme ne fut pas peu étonnée de cette réponse, d'autant plus que le mari l'assurait qu'il était complètement éveillé. Il sortit donc et trouva effectivement devant la maison, le propriétaire qui lui ouvrit la porte. En entrant dans la chambre de la malade, il la trouva en train de boire dans un verre rempli d'une liqueur alcoolique. Il eut alors l'explication des délires qui étaient tout simplement de nature éthylique. Il en parla au mari de la malade, lequel nia énergiquement et pria le docteur de ne plus continuer ses visites. Trois semaines plus tard, le médecin apprit que sa malade se trouvait dans un asile d'alcooliques .
Il est difficile de dire si c'est la malade en train de s'enivrer ou, si c'est le propriétaire qui a joué, dans un certain sens, le rôle d'agent dans le cas en question. D'une façon ou d'une autre, le désir persistant du médecin de trouver une occasion de s'éclairer sur le cas de sa malade a amené une collaboration du moi subliminal et du moi supra-liminal, analogue à une inspiration de génie. Mais, tandis que le génie opère dans les limites sensorielles ordinaires, le moi subliminal du médecin a déployé ses forces supra-normales à un degré extrême.
Il existe d'autres cas où une scène, ainsi entrevue comme dans un éclair, présente un intérêt spécial pour le sujet percevant, quoique aucun des personnages de la scène n'ait eu le désir de la lui rendre visible. Dans d'autres cas encore, les sujets voient un événement réel s'accomplissant à distance apparaître subitement, à la façon d'images cristalloscopiques, sur le mur ou même dans l'air, quelquefois dans un cercle de lumière, sans arrière-fond apparent.
Et maintenant, peut-on voir par clairvoyance un incident, plusieurs heures après qu'il s'est produit ? Peut-on dire d'une scène, qu'elle a été visitée en clairvoyance ou qu'elle s'était montrée spirituellement, lorsque cette scène représente une chambre mortuaire où toute émotion se trouve apaisée mais, vers laquelle, l'esprit libéré désire attirer l'attention et la sympathie d'un ami ?
Nous possédons des observations de ce genre : celle, par exemple, de Mme Agnès Paquet qui eut un jour, la vision de son frère matelot se noyant par accident ; vision tellement nette qu'elle put décrire toutes les particularités de costume et jusqu'aux circonstances les plus insignifiantes, au milieu desquelles s'est produit l’accident. Une vérification ultérieure ayant montré que sa description était exacte de tous points et,  relevé ce fait que,  la vision lui est apparue quelques heures après l’accident .
Dans un autre cas, il s'agit d'une dame qui eut un jour, la vision de son médecin qu'elle n'avait pas revu depuis un an, et qu'elle avait d'ailleurs quitté en pleine santé, étendu mort dans un petit lit, dans une pièce nue, sans tapis ni tentures. Elle apprit plus tard qu'il était mort le jour même où elle avait eu cette vision et quelques heures avant celle-ci, dans un petit hôpital de village, en pays étranger où il s'était rendu à cause de son climat chaud .
Nous arrivons maintenant au groupe de cas où B envahit A et où A se rend compte de cette invasion, alors que B n'en garde aucun souvenir supra-liminal.
Nous avons déjà discuté quelques cas de ce que nous avons appelé psychorrhagie où, l'invasion se fait en dehors de la volonté ou de l'intention de l'envahisseur. Dans ceux qui nous occupent maintenant, il s'agit, probablement, d'une projection réelle de la volonté ou du désir de l'envahisseur, ayant pour effet la projection de son fantôme reconnaissable à quelque ami éloigné, sans que l’agent lui-même se souvienne ultérieurement de ce fait . Ces cas sont intermédiaires aux cas psychorrhagiques déjà décrits et, aux expérimentaux dont nous allons parler.
Je citerai, dans cette catégorie, l'observation de Mme Elgee qui eut un jour, dans une petite chambre qu'elle occupait dans un hôtel du Caire, la vision d'un de ses meilleurs amis qu'elle savait, à ce moment-là, en Angleterre ; et ce qui augmente encore l'intérêt de cette observation, une jeune fille qu'elle avait été chargée de conduire aux Indes et qui occupait avec elle la même chambre, eut au même moment, la même vision avec la même netteté et, quoiqu'elle n'ait jamais ni vu, ni connu le monsieur en question, elle en donna la première à Mme Elgee, une description tellement exacte que celle-ci ne pouvait plus douter de la réalité de la vision. Elle apprit plus tard que son ami avait, à cette époque-là, de grandes préoccupations et que, à la veille de prendre une grave décision, il regrettait beaucoup de ne pouvoir consulter son amie Mme Elgee ; et à l'heure où celle-ci vit son fantôme dans la chambre d'hôtel du Caire, il était assis chez lui, pensant à l'amie absente .
Les cas qui viennent ensuite dans l'ordre croissant d'intensité apparente sont ceux où, l'un et l'autre sujet gardent un souvenir de ce qui s'est passé, de sorte que, l'expérience est réciproque. Ces cas méritent une étude particulière car, c'est en notant les circonstances dans lesquelles se produisent ces cas réciproques que nous pourrons arriver à les reproduire expérimentalement. On verra qu'il s'agit de degrés variables de la tension d'esprit du côté de l’agent. Un autre groupe assez important, quoique peu nombreux, est celui de l'accomplissement prématuré d'unions, pour ainsi dire, posthumes. Nous verrons, dans le chapitre suivant, que la promesse que deux amis échangent entre eux, d'apparaître si possible, l'un à l'autre après la mort, est loin d'être une simple et inutile affaire de sentiment. Ces apparitions posthumes peuvent, il est vrai, être impossibles dans la plupart des cas mais, il n'en existe pas moins des raisons sérieuses de croire que la tension préalable de la volonté dans cette direction rend probable, l'accomplissement de la rencontre désirée. S'il en est ainsi, il s'agit d'une sorte d’expérience que chacun est à même de faire de son vivant.
Et, des expériences de ce genre ont été faites, en effet, et avec plein succès. Nous ne citerons que le cas de M. S. H. B. qui réussit, par un effort de volonté, à apparaître à deux reprises à des personnes de ses connaissances, un jour qu'il s'était fixé d'avance et à une heure déterminée et cela, sans prévenir les personnes en question. La première fois, son apparition a été vue par deux personnes simultanément : deux soeurs qui se trouvaient dans la même chambre. « En faisant cet effort de volonté, dit M. S. H. B., j'éprouvais une sorte d'influence mystérieuse qui imprégnait tout mon corps et, une impression bien nette que je mettais là en œuvre, une force que je ne connaissais pas auparavant mais, que je suis maintenant à même de manifester à volonté, à certains moments . » Dans ces auto-projections, nous avons devant nous la manifestation, je ne dirai pas la plus utile mais, la plus extraordinaire de la volonté humaine. Qu'y a-t-il qui dépasse davantage toutes nos facultés connues que cette puissance de produire sa propre apparition à distance ? Existe-t-il une action plus centrale, qui provienne plus manifestement de la partie la plus profonde et la plus unitaire de l'être humain ? Ici commence la justification de la conception que nous avons ébauchée au commencement de ce chapitre, à savoir que le moi subliminal, loin de former un simple enchaînement de remouds et de tourbillons isolés, en quelque sorte, du courant principal de l'existence humaine, en constitue, au contraire lui-même, le courant principal et puissant ; celui que nous pouvons, avec le plus de raison, identifier avec l'homme lui-même. D'autres manifestations ont leurs limites précises ; quelles sont les limites de celles-ci ? L'esprit s'est montré dissocié en partie de l'organisme ; jusqu'où va cette dissociation ? Il manifeste une certaine indépendance, une certaine intelligence, une certaine permanence ; quel degré d'indépendance, d'intelligence et de permanence peut-il atteindre ? De tous les phénomènes vitaux, celui-là est le plus significatif ; l'auto projection est le seul acte défini que l'homme semble capable d'accomplir, aussi bien avant qu'après la mort corporelle.
CHAPITRE VII - FANTOMES DE MORTS

Nous voilà arrivés, insensiblement, à un point d'une importance capitale. Une question profonde et centrale que nous n'avons effleurée que d'une façon irrégulière et intermittente dans les chapitres précédents, doit être maintenant abordée directement. Des actions et perceptions d'esprits encore incarnés communiquant les uns avec les autres, nous passerons à l'étude des actions d'esprits dépouillés de leur enveloppe charnelle et, des formes de perceptions à l'aide desquelles, des hommes encore en vie répondent à ces  influences insolites et mystérieuses.
Cette transition se fait, en réalité, sans solution de continuité. Le moi subliminal que nous avons déjà suivi à travers les différentes phases de sensibilité croissante, que nous avons vu acquérir une indépendance de plus en plus grande des liens organiques, sera maintenant étudié au point de vue de sa sensibilité à l'égard d'influences encore plus éloignées, comme doué d'une existence indépendante, même après la destruction de l'organisme. Notre sujet présente, tout naturellement, trois divisions principales. En premier lieu, nous discuterons brièvement la valabilité des arguments théoriques en faveur de la survivance après la mort et, leurs rapports avec les arguments exposés dans les chapitres précédents. En second lieu, et ceci constitue le point capital du chapitre présent, nous avons besoin d'une classification raisonnée des arguments en faveur de la survivance, en tant qu'il s'agit notamment de l'automatisme sensoriel : voix ou apparitions ; les faits d'automatisme moteur : écriture automatique et possessions étant réservés pour une discussion ultérieure. En troisième lieu, enfin, nous aurons à nous occuper de la signification de l'ensemble des faits en question et de leur importance au point de vue de l'avenir scientifique et moral de l'humanité. En ce qui concerne, d'abord, l'évidence relative à la survivance humaine, nous nous heurtons, dans la majorité des cas, même de la part de personnes intelligentes, à un parti pris absolu, à une résolution bien arrêtée de ne pas croire à des faits de ce genre. Ces personnes disent qu'elles ne se laisseraient convaincre, que le jour où on leur aura prouvé qu'il existe un lien de continuité entre les phénomènes en question et ceux déjà connus et prouvés et, pour le moment, elles se refusent à concevoir tout lien de continuité entre l'hypothèse de l'existence du monde spirituel et l'évidence qui découle de nos expériences se rapportant à un monde matériel. Je reconnais ce besoin de continuité et, je reconnais aussi que les arguments invoqués, jusqu'ici, en faveur de l'existence du monde spirituel avaient, trop ostensiblement, méconnu et négligé ce besoin. L'esprit populaire a toujours désiré quelque chose d'extraordinaire, dépassant les lois de la nature ; il a toujours professé, sinon le Credo quia absurdum, le Credo quia non probatum. Il en est résulté, fatalement, une grande insécurité dans la conviction ainsi acquise et, privé de l'appui du système général des sciences, l'acte de foi semble reculer et s'effacer à mesure que le système avance et grandit.
Je ne saurais trop répéter que, le but que je poursuis est d'un caractère tout à fait opposé. Croyant que, tout l'esprit connaissable est aussi continu que toute la matière connaissable, je voudrais faire, pour le domaine de l'esprit, ce que l'analyse spectrale et la loi de la gravitation ont fait pour celui de la matière et montrer que, dans les opérations du monde spirituel inconnu règne la même uniformité de substance et d'interaction que dans le monde connu de la matière. Et, pour explorer ces altitudes inaccessibles, je ne me placerai pas, avec les théologiens, sur une tour dont le sommet se perd dans les nuages mais bien, sur la terre ferme, à la base mesurée d'une figure trigonométrique.

Pour pouvoir mesurer cette base, nous devons commencer par déblayer le terrain. Occupons-nous d'abord des définitions les plus simples, de façon à nous rendre claires, à nous-mêmes, les choses que nous désirons analyser ou découvrir. Pour parler le langage populaire, nous cherchons des esprits. Quelle signification devons-nous donner à ce mot (esprit), autour duquel se sont formées tant de théories arbitraires et qui a été la cause de tant de frayeurs sans cause ? Il serait préférable, dans l'état actuel de nos connaissances, si nous pouvions nous borner à réunir, simplement des faits, sans aucun commentaire spéculatif. Mais il paraît nécessaire, d'un autre côté, d'exposer brièvement les erreurs manifestes du point de vue traditionnel, lequel, s'il n'est pas réfuté, paraîtrait comme le seul possible, même à ceux qui se sont toujours refusés à l'accepter.
Or, d'après l'opinion populaire, un esprit est une personne décédée, autorisée par la Providence, à se tenir en communication avec les survivants. Cette brève définition renferme, à mon avis, au moins trois assertions qui ne reposent sur rien.
En premier lieu, des mots tels que Providence ou autorisation s'appliquent au phénomène en question, ni plus ni moins, qu'à un autre phénomène quelconque. Nous admettons que, tous les phénomènes s'accomplissent selon les lois de l'univers et par conséquent, avec l'autorisation de la puissance suprême de l'univers. Sans doute, l'accomplissement des phénomènes dont nous nous occupons est autorisé mais, pas à un titre spécial qui ferait de cet accomplissement, une exception à la loi, alors qu'il n'en est qu'une des applications particulières. Et, d'un autre côté, ces phénomènes ne renferment pas plus de justice poétique et, ne sont pas plus adaptés aux désirs et aux prières humaines que les phénomènes qui se déroulent dans le cours ordinaire de l'histoire terrestre.
En deuxième lieu, rien ne nous autorise à affirmer que, le fantôme ou le spectre que nous voyons, lors même qu'il est occasionné par une personne décédée, soit cette personne elle-même, au sens ordinaire du mot. Il s'agit, plutôt, de ces figures hallucinatoires ou fantômes, analogues à ceux que des personnes vivantes sont susceptibles de projeter à distance, sans qu'on soit autorisé à affirmer que l'apparition que nous voyons, soit la personne vivante elle-même ; de même, ce que nous appelons un spectre ou un revenant, n'est nullement la personne décédée elle-même : il existe certainement une connexion entre le spectre et la personne décédée, connexion dont la nature est à déterminer mais, qui est loin de signifier identité complète.
En troisième lieu, pas plus que nous ne devons voir dans le fantôme, la personne décédée elle-même, nous ne devons attribuer au premier, les mobiles que nous croyons pouvoir attribuer à cette dernière. Nous devons, donc, exclure de notre définition de l'esprit, tout ce qui serait une allusion à une intention, de sa part, de communiquer avec les vivants. L'esprit peut se trouver avec la personne décédée, dans un rapport tel qu'il reflète ou, représente le désir présumé de cette dernière de se tenir en communication avec les vivants ou bien, ce rapport peut ne pas exister. Si, par exemple, il existe entre lui et sa vie post mortem un rapport analogue à celui que nous constations entre nos rêves et notre vie terrestre, il peut ne représenter que peu de chose qui lui appartienne en propre, si ce n'est quelques souvenirs et instincts vagues, dans le genre de ceux qui donnent une individualité  diffuse et obscure à nos rêves les plus ordinaires.
Essayons donc, une définition plus exacte. Au lieu de voir dans l'esprit, une personne décédée autorisée à entrer en communication avec les vivants, définissons-la comme une manifestation de l'énergie personnelle persistante ou, comme une indication qu'une certaine puissance, dont l'idée est attachée à celle d'une personne que nous avons connue autrefois, pendant sa vie terrestre, continue de se manifester après sa mort. Et, pour éliminer de notre définition jusqu'à la moindre assertion populaire, nous devons ajouter : qu'il est théoriquement possible que cette force ou influence qui, après la mort d'une personne, crée une impression fantasmagorique de cette personne soit due, non à une action actuelle de cette dernière mais, à quelque résidu de la force ou de l'énergie qu'elle a produite, pendant qu'elle était encore vivante. Il peut s'agir de ces post-images véridiques dont parle Gurney qui, commentant les apparitions répétées du fantôme d'une vieille femme, vue dans le lit dans lequel elle a été assassinée, fait observer que, ce fantôme  « suggère moins l'idée d'un intérêt local continu de la part de la personne décédée, que celle de la survivance d'une simple image imprimée, nous ne savons comment ni sur quoi, par l'organisme physique de cette personne et, perceptible de temps à autre, à d'autres personnes douées d'une sensibilité spéciale . »
Quelque étrange que paraisse cette notion, elle semble pourtant confirmée par quelques-uns des cas de hantise que nous citerons plus tard. Nous y verrons la fréquence de l'apparition des mêmes figures hallucinatoires, dans les mêmes localités et, le peu de vraisemblance qu'il y a à admettre l'idée d'une intention quelconque attachée à ces apparitions ou, un rapport quelconque entre elles et les personnes décédées ou, des tragédies dans le genre de celles qui, dans l'esprit du peuple, s'associent souvent au phénomène de l'apparition. Dans quelques-uns de ces cas d'apparition fréquente  injustifiée d'une figure donnée, dans un endroit donné, nous pouvons nous demander si  c'est la fréquentation faite, autrefois, par la personne décédée de l'endroit en question ou si c'est plutôt, quelque action récente s'étant manifestée après la mort, qui a donné naissance à ce que j'ai appelé la post-image véridique, en ce sens qu'elle communique des informations qui avaient été inconnues, jusque-là, à la personne percevante, en tant qu'ancien habitant de la localité hantée.
Telles sont, quelques-unes des questions que soulève notre sujet. Et, le seul fait que des problèmes aussi bizarres peuvent se présenter à chaque instant tend à montrer, dans une certaine mesure, que ces apparitions ne sont pas des phénomènes purement subjectifs, naissant exclusivement dans l'imagination de la personne percevante. Elles ne sont pas tout à fait telles que les hommes se les figurent. La moisson infinie de légendes et d'histoires fictives concernant les esprits montre combien est grande, la tendance de l'esprit humain à broder sur ces sujets et, fournit une preuve curieuse de la persistance de notions préconçues, ces notions reposant sur un code tout particulier et se rapportant à des phénomènes imaginaires totalement différents des phénomènes réels. Il est difficile de revêtir, pour ainsi dire, un phénomène réel, d'un caractère romantique. La plupart des « histoires de revenants » peuvent se ressembler entre elles et paraître aussi fragmentaires que dépourvues de sens. C'est qu'elles tirent leur véritable sens de leur conformité, non à un instinct mytho-poétique de l'humanité qui produit et orne les contes imaginaires mais, à quelque loi inconnue qui n'a rien à faire avec les convenances et les sentiments humains.
C'est ainsi que nous assistons souvent à ce fait assez absurde, d'entendre des gens tourner en ridicule des phénomènes se produisant actuellement, tout simplement parce que ces phénomènes ne leur paraissent pas conformes à leurs notions préconçues concernant les histoires de revenants ;  ils ne s'aperçoivent pas que, c'est précisément cette divergence de caractère d'inattendu qui constitue une sérieuse indication pour que les phénomènes en question aient leur origine en dehors de l'esprit, incapables de se représenter, par anticipation, des phénomènes de ce genre.
Je considère que c'est la première fois que nous commençons à nous former, au sujet des communications spirituelles, une conception qui soit plus ou moins en rapport avec d'autres conceptions déjà prouvées et plus établies et qui puisse, jusqu'à une certaine mesure, être présentée comme le développement de faits vérifiés par l'expérience. Nous avons besoin de deux conceptions préliminaires déjà connues, aux anciennes dont la première a trouvé place dans la science de nos jours seulement, tandis que, la seconde attend encore son brevet d'orthodoxie. La première est celle que l'hypnotisme et, les automatismes variés nous ont rendue familière la conception de la personnalité multiple, de la coexistence potentielle de plusieurs états et de plusieurs mémoires dans le même individu. La seconde conception est celle qui concerne la télépathie, c'est-à-dire l'action d'un esprit sur un autre, en dehors des organes des sens ordinaires et plus particulièrement, l'action au moyen des hallucinations, par la production de fantômes véridiques qui constituent, pour ainsi dire, des messages de la part de personnes encore en vie. Et je crois que, ce qui relie entre elles ces deux conceptions, c'est que les messages télépathiques ont,  généralement, leur point de départ dans la couche subconsciente ou submergée de l'agent, pour aboutir à la couche subconsciente ou submergée du percipient. Toutes les fois qu'il y a hallucination, fausse ou véridique, il s'agit, à mon avis, d'un message quelconque se frayant la voie d'une couche de la personnalité à une autre, que ce message affecte la forme d'un rêve incohérent ou, qu'il symbolise d'une façon quelconque un fait qui est autrement, inaccessible à la personne percevante. Le mécanisme est le même dans le cas où le message se déplace d'une couche à une autre au sein d'un même individu et, dans celui où il est transmis d'un individu à un autre ; dans le cas où le moi conscient de A est stimulé par son moi inconscient et, dans celui où B est stimulé télépathiquement par les sources profondes et cachées de perception de A. Si cette opinion est tant soit peu vraie, il paraît tout indiqué de chercher dans ce que nous savons au sujet des communications anormales ou supra-normales entre esprits encore incarnés ou, des états anormaux ou supra-normaux du même esprit non encore dépourvu de l'enveloppe charnelle, des analogies capables de jeter une certaine lumière sur les phénomènes de communication entre des esprits  incarnés et des esprits désincarnés.
Or, une communication (si toutefois elle est possible) entre une personne décédée et une personne vivante est, une communication entre un esprit à une certaine phase de l'existence, et un autre esprit à une phase de l'existence toute différente ; c'est, en outre, une communication qui s'accomplit par une voie autre que les organes des sens ordinaires puisque d'un côté, les organes matériels des sens n'existent plus. Nous nous trouvons, évidemment, en présence d'un exemple extrême, aussi bien de communications entre les divers états du même individu que de communications télépathiques ; et nous pourrons, peut-être, nous former une idée plus exacte du phénomène en question, en considérant les manifestations les moins avancées de ces deux catégories.
Dans quels cas voyons-nous, un esprit communiquer avec un autre esprit se trouvant dans des conditions différentes de celles qui entourent le premier, habitant un monde différent, considérant les mêmes choses à un point de vue également différent, toutes ces différences exprimant autre chose que des inégalités de caractère existant entre les deux  personnages ?
Ceci se produit, d'abord, dans le somnambulisme spontané, dans des colloques entre une personne endormie et une personne éveillée. Et, remarquez avec quelle facilité nous pouvons entrer en communication avec un état qui, à première vue, semble celui de l'isolement complètement fermé. Un vieux proverbe dit : « éveillés nous possédons le monde en commun mais chaque dormeur habite un monde particulier. » Et pourtant, ce dormeur si enfermé en lui-même, en apparence, peut être amené doucement à entrer spontanément en communication avec des hommes éveillés. Le somnambule, ou plutôt le somniloque, car il s'agit plutôt de conversation que de déambulation, représente ainsi, le premier type naturel du revenant.
En observant les habitudes des somnambules, on s'aperçoit que, la mesure dans laquelle ils sont susceptibles de communiquer avec d'autres esprits varie d'un cas à l'autre. Tel somnambule vaquera à ses occupations habituelles sans reconnaître la présence d'une personne quelconque ; tel autre reconnaîtra certaines personnes seulement ou, ne répondra que lorsqu'il sera questionné sur certains sujets ; son esprit ne se mettant en contact avec  d'autres esprits que sur des points peu nombreux. Le somnambule ne s'apercevra que rarement, pour ne pas dire jamais, de ce que font d'autres personnes, pour régler sa conduite en conséquence.
Passons maintenant du somnambulisme naturel, idiopathique ou spontané, au somnambulisme provoqué, au sommeil hypnotique. Ici aussi nous trouvons, à chaque phase du sommeil, une faculté de communication partielle et variable. Tantôt, le sujet hypnotisé ne manifeste rien ; tantôt, il paraît capable d'entendre une seule personne et de lui répondre, à l'exclusion de toutes les autres ; tantôt, il conversera librement avec n'importe qui mais, même dans ce dernier cas, ce n'est pas son moi éveillé qui parle et généralement, il ne se rappelle qu'imparfaitement ou point du tout, à l'état de veille, ce qu'il a dit ou fait  pendant son sommeil.
Par analogie avec ce qui se passe lors des communications entre des personnes vivantes se trouvant dans des états différents, nous pouvons nous attendre à ce que les communications entre des esprits incarnés et des esprits désincarnés, si elles sont possibles, soient très restreintes et limitées et, ne fassent pas partie du courant ordinaire de la conscience présumée désincarnée.
Ces considérations préliminaires sont applicables à tous les modes de communication avec des personnes décédées, aussi bien à sa forme motrice qu'à sa forme sensorielle. Considérons maintenant, quels modes de communication avec les morts sont de nature à paraître probables, par analogie, avec ce que nous savons des communications entre vivants. Il me semble qu'il existe un parallélisme rigoureux entre toutes les manifestations de l'automatisme expérimental d'un côté et, toutes les variétés des phénomènes spontanés d'un autre côté. Nous pouvons dire d'une façon générale que, l'expérience et l'observation nous ont permis de dégager jusqu'ici cinq catégories de phénomènes :
    1° la suggestion hypnotique ;
    2° les expériences télépathiques ;
    3° la télépathie spontanée pendant la vie ;
    4° fantômes survenant au moment de la mort ;
    5° apparitions après la mort. Nous trouvons en outre, qu'à chacune de ces phases s'observent, les mêmes modes de communication ; de sorte que, cette similitude constante des modes permet de supposer que le mécanisme qui préside aux manifestations est le même à chacune de ces phases.
Adoptant encore une division sommaire, nous pouvons attribuer à chaque phase, trois formes de manifestations :
    a) hallucinations des sens ;
    b) impulsions émotionnelles et motrices ;
    c) messages mentaux déterminés.

1° Commençons par un groupe d'expériences où la télépathie fait défaut mais, qui montrent dans sa forme la plus simple, le mécanisme de la transmission automatique de messages d'une couche de la personnalité à une autre. Je parle des suggestions post-hypnotiques. Ici, l'agent est représenté par un homme vivant, opérant par des moyens ordinaires, par la parole directe. Le trait caractéristique est formé par l'état de la personne qui perçoit, cette personne étant hypnotisée à ce moment-là et subissant ainsi, une sorte de désintégration de la personnalité, d'émergence momentanée d'une partie de son moi qui, à l'état normal, se trouve cachée profondément. Cette personnalité hypnotique atteignant momentanément la surface, reçoit la suggestion verbale de l'agent, dont le moi éveillé du sujet percevant n'a aucune idée. Plus tard, lorsque le moi éveillé a repris sa position superficielle, le moi hypnotique accomplit, au moment fixé, la suggestion donnée, un acte dont l'origine est inconnue à la couche superficielle de la conscience mais qui constitue, en réalité, un message transmis à la couche superficielle par la couche actuellement submergée ou, subconsciente qui a originairement reçu la suggestion.
Et, ce message peut revêtir une des trois principales formes mentionnées plus haut : celle d'une image hallucinatoire de l'hypnotiseur ou d'une autre personne quelconque ; celle d'une impulsion à accomplir un certain acte ; celle d'un certain mot ou d'une certaine phrase, à écrire automatiquement, par le moi éveillé qui apprend, ainsi, l'ordre qu'avait reçu le moi hypnotique pendant l'absence de la conscience éveillée.

2° Dans nos expériences concernant la transmission des pensées, l'agent est encore un homme vivant mais, qui n'opère plus par les moyens ordinaires tels que les mots parlés ou les gestes visibles. Il agit sur le moi subconscient du sujet percevant, à l'aide d'une impulsion télépathique qu'il projette intentionnellement et, que le sujet percevant peut être désireux de recevoir mais, dont le modus operandi reste inaperçu du moi éveillé ordinaire de chacun d'eux.
Les messages de cette catégorie peuvent, à leur tour, être divisés en trois groupes, les mêmes que plus haut : figures hallucinatoires représentant, toujours ou presque toujours, l'image de l'agent que celui-ci rend visible au sujet percevant ; impulsions à agir communiquées télépathiquement, comme dans le cas où l'hypnotiseur désire que le sujet vienne le trouver, à une heure qui ne lui a pas été notifiée préalablement ; écriture post-hypnotique de mots et de figures définies, à la suite d'une transmission télépathique de mots, figures, etc. de la part de l'agent, se servant de moyens de communications qui ne sont pas les moyens ordinaires au sujet percevant soit hypnotisé, soit éveillé.

3° Dans les apparitions spontanées, survenant pendant la vie, nous trouvons les mêmes trois grands groupes de messages, à cette différence près que, les apparitions actuelles qui, dans nos expériences télépathiques étaient malheureusement si rares deviennent, ici, le groupe le plus important. Je n'ai pas besoin de rappeler les cas cités dans les chapitres IV et VI où, un agent subissant quelque crise soudaine semble, en quelque sorte, produire sa propre apparition visible à un autre sujet éloigné. On peut rapprocher de ces cas ceux, non moins importants, d'apparitions doubles où un agent est vu, à plusieurs reprises, sous forme de fantôme par plusieurs personnes, à des moments où il ne subit aucune crise spéciale. Nous avons encore, parmi les impressions télépathiques produites (spontanément, non expérimentalement) par des agents vivants, des cas que je n'ai pas besoin de récapituler ici où, il existe, une sensation profonde de détresse ou une impulsion à rentrer chez soi analogue à l'impulsion qu'éprouve le sujet à s'approcher de l'hypnotiseur éloigné, au  moment précis où celui-ci le désire.

4° Nous retrouvons, encore, les mêmes trois groupes de messages dans les cas d'apparitions se produisant au moment-même de la mort. Nos lecteurs connaissent déjà les cas visuels où, l'apparition d'un homme mourant est vue par une ou plusieurs personnes et, les cas émotionnels et moteurs où l'impression, quoique assez puissante, n'a plus le caractère sensoriel. Et, plusieurs cas ont été publiés où le message avait consisté, en mots définis qui n'étaient pas toujours extériorisés sous forme d'une hallucination auditive mais quelquefois, prononcés ou écrits automatiquement, comme dans le cas communiqué par le Dr Liébeault où, une jeune fille a écrit un message annonçant la mort de son ami, au moment où cet ami mourait, réellement, dans une ville éloignée .
5° Je considère que, les cas post mortem comportent la même classification et que, les trois groupes principaux s'y observent dans la même proportion. Les plus remarquables sont les apparitions actuelles, qui feront l'objet principal des pages qui vont suivre. Il est très rare de trouver une apparition impliquant un message verbal ; le plus souvent, elles sont automatiques en apparence, semblent dépourvues de but. Nous avons aussi, un groupe de cas post mortem émotionnels et moteurs, peut-être plus nombreux que ne semble l'indiquer notre collection car, vu le caractère vague et indéterminé de l'impression, son témoignage en faveur d'une communication avec une personne décédée n'est utilisé que rarement.
Je voudrais montrer maintenant que, à côté de ces deux groupes de manifestations posthumes, il en existe un troisième, constitué par des messages verbaux qui, dans certains cas tout au moins, fournissent la preuve de leur origine posthume.
J'ajourne, pour la commodité du lecteur, ces cas moteurs au chapitre suivant de sorte que, la preuve de la survivance que nous aurons, en attendant, sera fort incomplète. Nous avons, en tous cas, devant nous, une tâche bien définie : nous avons à rappeler et à analyser dans ce chapitre, des expériences sensorielles de vivants, qui semblent pouvoir être attribuées à l'action de quelque individualité humaine persistant après la mort. Essayons de nous rendre compte car, la chose ne paraît nullement évidente à première vue, quelles conditions doit remplir un fantôme visuel ou auditif, pour pouvoir être considéré comme une indication de l'influence exercée par un esprit désincarné. Nous ne pouvons mieux faire que, de citer les paroles prononcées à la Société de Recherches  Psychiques par Gurney en 1888, lors de la discussion de cette question. Ces paroles gardent, aujourd'hui encore, toute leur valeur quoique, les années qui se sont écoulées depuis, aient multiplié considérablement les témoignages et, ajouté d'autres preuves en faveur des communications posthumes, que nous allons aborder maintenant.
« Ceux, dit Gurney, qui ont suivi les rapports et discussions publiés dans les Comptes Rendus et le Journal de cette société savent, sans qu'on soit obligé d'y insister, combien peu, les preuves qui ont souvent amené des personnes, même instruites, à croire à la réapparition réelle d'amis décédés, justifient réellement cette croyance. La raison en peut être formulée en quelques mots. Dans la plupart des cas où des personnes prétendaient avoir vu ou avoir communiqué avec des amis et parents morts, il n'existe rien qui permette de différencier le phénomène, qui s'était présenté à leurs sens, d'une simple hallucination subjective. Malgré la simplicité de cette proposition, la vérité qu'elle renferme était restée insoupçonnée pendant des siècles. Ce n'est qu'à une époque relativement récente que, les faits d'hallucinations sensorielles ont commencé à être compris et qu'on a commencé à s'apercevoir que, les objets les plus illusoires peuvent affecter, parfois, un degré de netteté extrême. Mais, ces notions n'ont pas encore eu le temps de pénétrer dans l'esprit populaire. La réplique ordinaire du sens commun moyen à tout récit d'apparition est que, le témoin ment ou exagère grossièrement ou bien, qu'il était fou ou ivre ou dans un état d'excitation émotionnelle à ce moment-là ou bien encore, qu'il est victime d'une illusion, d'une fausse interprétation d'un son ou d'une vision d'un caractère purement objectif. Mais, une étude plus consciencieuse de la question ne peut tarder à montrer que, dans la plupart des cas, toutes ces hypothèses sont à éliminer, que le témoin est en bonne santé, ne présente aucun état de nervosité ou d'excitation exceptionnelle et que, ce qu'il voit ou entend peut bien avoir une origine exclusivement subjective, être une projection de son propre cerveau. Et, l'on doit naturellement s'attendre à ce que, parmi les objets qui se présentent de cette façon, un certain nombre affectent la forme d'une figure ou d'une voix humaine que le sujet reconnaît comme étant celle d'une personne morte ; car, la mémoire de telles figures et voix fait partie de son bagage mental, les images latentes étant prêtes à fournir les matériaux des hallucinations éveillées, de même qu'elles fournissent ceux des rêves.
Il est évident, en outre, que dans les cas connus d'apparitions de morts, il manque l'élément qui permette de distinguer certaines apparitions de personnes vivantes, des hallucinations purement subjectives. Cet élément consiste dans la coïncidence entre l'apparition et, quelque état critique ou exceptionnel de la personne qui semble apparaître ; or, en ce qui concerne les personnes décédées, nous n'avons aucune connaissance de leur état ni, par conséquent, l'occasion d'observer une coïncidence de ce genre.
Il reste trois et, seulement trois conditions qui permettent d'établir une présomption en faveur du fait qu'une apparition ou, telle autre manifestation immédiate d'une personne décédée est, quelque chose de plus qu'une simple hallucination subjective :
    1° plusieurs personnes peuvent, indépendamment les unes des autres, être affectées par le même phénomène ;
    2° le fantôme peut fournir des informations, reconnues plus tard comme étant véridiques, au sujet de quelque chose dont la personne percevante n'avait, auparavant, aucune idée ;
    3° le sujet percevant peut donner une description exacte et précise d'une personne qu'il n'a jamais vue, dont l'aspect lui était totalement inconnu. Mais, quoique ces trois conditions, lorsqu'elles sont remplies, soient suffisantes pour permettre d'attribuer à une apparition une cause qui réside en dehors de l'esprit du sujet qui perçoit, les faits de ce genre possèdent un caractère de plus, beaucoup plus général et, qui fournit une nouvelle preuve en faveur de l'extériorité de la cause. C'est le nombre exceptionnellement grand de cas survenant peu de temps après la mort de la personne représentée.
Cette relation de temps, si elle se répète avec assez de fréquence, est de nature à rendre probable l'origine objective du phénomène, d'une manière analogue à celle qui nous amène à conclure que, telle apparition d'un vivant a une origine objective (télépathique). Car, conformément à la théorie des probabilités, une hallucination représentant une personne connue ne présentera, avec un événement spécial tel que la mort de cette personne, une relation de temps déterminée que, dans tant pour cent de toutes les hallucinations similaires qui se produisent ; si la proportion est, décidément, trop élevée, on est autorisé à admettre l'action d'un facteur autre que le hasard, autrement dit d'une cause objective externe.
La question de la relation de temps acquiert, ainsi, une signification particulière. L'esprit populaire s'empresse de formuler une explication d'un fait frappant avant que, le fait lui-même soit bien établi. C'est ainsi qu'on dit que, la personne décédée vient prendre congé ou consoler le coeur des parents en deuil, pendant que leur douleur est encore vive ou, que son « esprit » est  « attaché à la terre » et ne peut se libérer que graduellement. Ou encore, on nous propose une théorie, comme celle de M. d'Assier, d'après laquelle il resterait, après la mort de la conscience et de l'individualité, une certaine base de manifestation physique qui ne disparaîtrait que par degrés. Je ne discuterai aucune de ces hypothèses. Nous ne nous occupons, pour le moment, que des apparitions posthumes et, la seule question qui nous intéresse est : celle de savoir si ces faits peuvent être rattachés à une cause externe ; c'est de son rapport avec cette question fondamentale que l'enquête, relative à la fréquence avec laquelle ces phénomènes se produisent immédiatement après la mort, tire toute son importance.
C'est en collectionnant un grand nombre de témoignages, de première main, se rapportant aux hallucinations sensorielles que, j'ai été frappé, pour la première fois, par la grande proportion des cas où, le fantôme représentait un ami ou un parent récemment décédé. Sur 231 hallucinations représentant des êtres humains reconnus, 28 soit, un huitième sont survenues quelques semaines après la mort de la personne représentée. Nous avons, pourtant, deux raisons d'attribuer peu de valeur à ce fait : en premier lieu, un fantôme représentant une personne morte récemment est, particulièrement, propre à exciter l'intérêt et à être noté et retenu, ce qui est de nature à élever la proportion des cas de ce genre dans une collection comme la mienne. En second lieu, le fait de la mort était, dans chacun de nos cas, connu à la personne percevante. Il paraît, donc, naturel de conclure que, l'état émotionnel de cette personne suffit à rendre compte de l'hallucination ; et, cette  explication sera adoptée par la grande majorité des experts, psychologues et médecins. Je m'en contenterais, de mon côté, bien volontiers si, l'on pouvait me citer un cas d'apparition fantomale d'une personne, que l'ami ayant vu cette apparition croyait morte mais qui, en réalité, était vivante et en bonne santé. Or, de fausses alertes, à propos de la mort, sont trop rares pour qu'on puisse citer beaucoup de cas de ce genre. Je crois, cependant, que la douleur et le sentiment de terreur attachés à la mort peuvent être considérés comme la cause suffisante des expériences sensorielles anormales, se rapportant à des personnes dont on déplore la mort récente, jusqu'à ce que, la réalité objective des fantômes de morts, dans certains cas, soit établie sur des preuves indépendantes.
Si, maintenant, nous avions à tirer quelque conclusion probable, relativement à la nature objective des apparitions et communications posthumes (ou de quelques-unes d'entre elles), du fait de la fréquence particulière avec laquelle elles se produisent, très peu de temps après la mort, nous devrions nous limiter au cas où, le fait de la mort a été inconnu au sujet percevant, au moment-même de l'expérience. Or, à notre époque de lettres et de télégrammes, la plupart des gens apprennent la mort de leurs amis ou parents quelques jours, souvent même, quelques heures après la mort, de sorte que les apparitions, pour satisfaire aux conditions que nous posons, doivent suivre de très près la mort. Possédons-nous un nombre suffisant de cas de ce genre ?
Les lecteurs des Phantasms of the Living savent que ces cas existent. Dans certains d'entre eux qui sont cités dans ce livre, comme des exemples de transmission télépathique de la part d'une personne décédée, la personne était, réellement, morte au moment où s'était produite l'expérience et, la publication de ces cas, sous le titre commun de Phantasms of the Living (Fantômes de vivants) a, naturellement, soulevé des critiques. Il est à remarquer que, la désignation que j'ai donnée à ces cas suppose, une condition qui ne peut, en aucune façon, être considérée comme certaine. Nous devons supposer, notamment que, la transmission télépathique s'était produite, immédiatement avant la mort ou, exactement au moment de la mort mais que, l'impression était restée latente dans l'esprit du sujet pour n'émerger dans sa conscience, qu'après un certain intervalle, soit comme une vision éveillée, soit comme un rêve, soit sous une autre forme quelconque. Admettons, momentanément, que cette hypothèse soit justifiée. C'est qu'en effet, le moment de la mort constitue, au point de vue du temps, le point central autour duquel se groupent les  expériences anormales, que le sujet éprouve à distance et, dont quelques-unes précèdent la mort, tandis que d'autres la suivent ; il est donc naturel de supposer que, la même explication s'applique au groupe tout entier et que, dans chacune de ses divisions, la force déterminante est constituée par l'état de l’agent, antérieur à sa mort corporelle. Quelques faits de transmission expérimentale de pensées confirment, en outre, l'opinion d'après laquelle les  « impressions transmises » peuvent rester latentes pendant quelque temps, avant que le sujet qui les a reçues s'en aperçoive et, de récentes découvertes relatives à l'automatisme et à l’intelligence secondaire rendent très probable, le fait que la télépathie manifeste ses premiers effets sur la portion  « inconsciente » de l'esprit . A ces deux arguments, il faut ajouter que, la période de la latence supposée a été, dans bon nombre de cas, une période pendant laquelle, la personne affectée s'était trouvée occupée et son attention sollicitée par d'autres objets ; et, dans les cas de ce genre, il est tout à fait facile de supposer que, l'impression télépathique, pour pénétrer dans la conscience, a besoin d'une période de silence et de recueillement . Mais, quoique la théorie de la latence ait pour elle beaucoup de probabilité, nous ne voudrions pas avoir l'air, mes collègues et moi, d'ériger en dogme ce qui, pour le moment, ne doit être considéré que comme une hypothèse. De toutes les recherches, les recherches psychiques sont celles où il importe le plus, d'éviter les erreurs et de tenir l'esprit prêt à accepter de nouvelles interprétations de faits. Et, dans l'état actuel de la question, plusieurs objections sérieuses peuvent être opposées à l'hypothèse d'après laquelle, des impressions télépathiques venant de personnes décédées seraient susceptibles de n'émerger, qu'après être restées pendant des heures à l'état latent. Les cas expérimentaux que j'ai cités comme analogues sont trop peu nombreux et certains et, la période de latence y a, en outre, été mesurée en secondes et en minutes, non en heures. Et quoique, ainsi que je l'ai dit, le délai apparent observé dans certains cas d'apparitions de morts puisse être expliqué par la nécessité de soustraire l'esprit et les sens du sujet à d'autres occupations, afin que le phénomène puisse avoir lieu, nous avons d'autres cas où il n'en est pas de même et où, rien ne semble autoriser à rattacher le délai à l'état du sujet percevant. Quoi qu'il en soit, nous nous trouvons en présence de l'hypothèse suivante, qui est la seule dont il faille tenir compte : il s'agit d'un état (physique ou psychique) de l'agent, se manifestant à un certain intervalle après la mort et dont, le sujet est affecté au moment même et non avant, où il devient conscient de son impression.
Je n'ai parlé, jusqu'ici, que des cas où l'intervalle entre la mort et l'apparition a été suffisamment court, pour rendre la théorie de la latence probable. D'après la règle adoptée dans Phantasms of the Living, cet intervalle ne devait pas dépasser 17 heures. Mais, nous connaissons quelques cas où cet intervalle a été, grandement, dépassé et où, le fait même de la mort n'était pas connu du sujet au moment de l'expérience. La théorie de la latence ne peut, raisonnablement, pas être appliquée aux cas où, des semaines et des mois séparent l'apparition du moment de la mort, qui est le dernier pendant lequel une idée ordinaire, (par « ordinaire » je désigne les groupes reconnus et étudiés dans Phantasms of the Living ). Mais, si les personnes décédées survivent, la possibilité d'une transmission de pensées entre elles et, ceux qui restent, constitue une hypothèse soutenable. Notre théorie télépathique étant une théorie psychique, dépourvue de toute interprétation physique, elle  est parfaitement applicable (au nom près) aux états de l'existence  « désincarnée   » transmise télépathiquement et a pu trouver accès auprès du sujet. Et, l'existence de ces cas, en tant qu'elle tend à établir la réalité d'apparitions de morts dues à des causes externes, diminue la valeur des objections qu'on oppose à la conception qui considère les apparitions, etc., ayant suivi de près la mort, comme ayant des causes différentes de celles qui coïncident avec la mort et la précèdent de très près  ».
L'hypothèse de la latence que nous rencontrons ici, au début-même de notre enquête, est d'une grande importance quoique, ainsi que nous le verrons plus tard, il arrive un moment où elle n'est plus capable de couvrir tous les faits. Si nous pouvions tracer une courbe exprimant le nombre relatif des apparitions, avant et après la mort, nous verrions que ce nombre augmente rapidement pendant les quelques heures qui précèdent, pour diminuer graduellement pendant les premières heures et les premiers jours qui suivent la mort; après la première année, les apparitions deviennent tout à fait rares et exceptionnelles.
« Le moment de la mort, dit Gurney, est le centre d'un groupe d'expériences anormales dont quelques-unes précèdent, tandis que d'autres suivent la mort. » Cette phrase ne doit pas être comprise comme si Gurney avait voulu dire que, c'est la mort elle-même qui est la cause de ces expériences. Celles qui se produisent avant la mort peuvent être causées ou déterminées, non par la mort elle-même mais, par l'état anormal, coma, délire, etc., qui la précède. C'est qu'en effet, nous possédons beaucoup d'exemples de fantômes véridiques ayant coïncidé avec des crises, telles qu'accidents de voiture, etc., survenues à des agents éloignés mais, n'ayant pas été suivies de morts. Nous trouvons, en outre que, dans presque tous les cas où un fantôme, véridique en apparence, a précédé la mort de l'agent, la mort a été l'effet d'une maladie, non d'un accident. Il n'existe que très peu d'exceptions à cette règle. Dans un cas cité dans Phantasms of the Living  le fantôme semble avoir précédé d'une demi-heure la mort subite par noyade; le sujet percevant habitait une ferme à Norfolk, tandis que la victime ou, l'agent, a péri au cours d'une tempête près de l'île Tristan d'Acunha et, nous avons supposé qu'une erreur d'heure ou d'observation suffisait à expliquer cette prétendue exception, à la règle que nous avons posée plus haut. Dans un autre cas, il s'agissait d'une mort violente, d'un suicide ; mais, l'état d'excitation morbide dans lequel devait se trouver la victime, quelques heures avant la mort, c'est-à-dire au moment où l'apparition a été vue, n'était qu'un état de crise. Il existe d'autres cas encore (non cités dans Phantasms of the Living) où, un fantôme ou le double d'une personne, a été vu quelques jours avant la mort accidentelle de cette personne ; mais, les cas de ce genre sont trop peu nombreux pour rendre probable, l'existence d'une connexion causale entre la  mort et l'apparition.
Il n'est pas facile d'arriver à la certitude, en ce qui concerne les cas où l'intervalle a été mesurée en minutes ; car, si le sujet est éloigné de l'agent, nous pouvons toujours avoir des doutes, aussi bien quant à l'exactitude avec laquelle l'heure a été prise aux deux endroits, qu'en ce qui concerne l'exactitude de l'observation ; et, d'un autre côté, si le sujet et l'agent se trouvent dans le même endroit, nous pouvons toujours nous demander si, le fantôme observé n'a pas été une simple hallucination subjective. C'est ainsi que, nous avons plusieurs récits de cris perçants, entendus par des veilleurs de personnes mourantes, immédiatement après la mort apparente ou, d'une sorte de luminosité observée autour d'un mort ; mais, tout ceci s'est produit à un moment très favorable aux hallucinations subjectives et, si les phénomènes en question n'ont affecté qu'un seul sujet, il est difficile de leur attribuer une grande valeur. Là où le phénomène semble frapper plusieurs sujets, il peut très bien s'agir d'une transmission de pensée entre les esprits de ces sujets que, le phénomène lui-même soit, ou non, produit par la personne décédée.
Il existe quelques autres circonstances aussi, dans lesquelles, malgré que le fait de la mort soit déjà connu, une hallucination survenant peu de temps après, peut avoir une certaine valeur objective. C'est ainsi que, nous connaissons le cas d'une dame qui savait sa soeur morte depuis plusieurs heures et qui, sans se trouver elle-même dans un état d'excitation morbide, crut voir entrer quelqu'un dans sa salle à manger, ouvrant et fermant la porte derrière lui. Elle fut très étonnée de ne voir personne dans la pièce et, ce n'est que quelque temps après qu'elle pensa qu'il pouvait y avoir un rapport entre l'apparition et la perte qu'elle venait d'éprouver. Ceci nous rappelle le cas d'un M. Hil qui a vu pénétrer dans sa chambre, une figure de haute taille qui, après l'avoir effrayé et surpris disparut, avant qu'il ait eu le temps de la reconnaître. Or, un de ses oncles, un homme de grande taille était mourant à ce moment-là et, il est à remarquer que, quoique M. Hill sût son oncle malade, l'anxiété qu'il en éprouvait n'était pas suffisante pour donner naissance à cette apparition, non reconnue, et effrayante.
Il existe encore des cas où, le sujet ayant vu l'apparition d'un ami peu de temps après la mort de ce dernier, a eu d'autres hallucinations véridiques et jamais, aucune hallucination subjective. Les sujets de cette catégorie ont, naturellement, pu supposer que l'apparition de l'ami décédé avait le même caractère véridique que les hallucinations antérieures, quoique la chose ne fût pas évidente en elle-même, le fait de la mort ayant été connu au moment de l'apparition.
Les cas où, le fait de la mort était inconnu du sujet sont, évidemment, beaucoup plus démonstratifs et, communiquent à l'apparition, un degré de véridicité beaucoup plus grand. Un M. Farler vit, deux fois en l'espace d'une nuit, le fantôme ruisselant d'un de ses amis qui, ainsi qu'il l'a appris plus tard, s'était noyé la veille. La première apparition s'était produite quelques heures après la mort, ce qui peut s’expliquer par ce fait que, l'impression était restée latente jusqu'au moment favorable à sa manifestation, c'est-à-dire le calme et le silence de la nuit. La seconde apparition peut avoir été une recrudescence de la première ; mais, si la théorie de la latence doit être écartée, de façon à faire dépendre la première apparition (en tant qu'il ne s'agit pas d'une simple coïncidence fortuite) d'une certaine énergie déployée par la personne décédée après sa mort, on est autorisé à considérer la seconde apparition comme étant, également, véridique. La même figure a été revue 15 jours plus tard, dans son costume ordinaire, ne portant aucune trace de l'accident. On trouvera dans Phantasms of the Living beaucoup d'autres cas de ces apparitions répétées, s'étant produites alors que, le fait de la mort n'était pas connu.
Dans d'autres cas, l'apparition est unique et survient quelques heures après la mort. Voyons l'application qu'on peut faire, de l'hypothèse de la latence, aux cas de ce genre. Là où il n'y a pas d'hallucination proprement dite mais, un sentiment unique de malaise et d'angoisse survenant quelques heures après la mort d'un ami éloigné, comme dans le cas de M. Wilson , il nous est difficile de nous rendre compte de ce qui se passe. Quelque secousse communiquée au cerveau du sujet, au moment de la mort de l'agent, peut s'être manifestée lentement à la conscience. Le délai peut être dû, alors, à des causes plutôt physiologiques que psychiques.
Dans les observations où, une hallucination auditive ou visuelle nette survient au milieu de la nuit, quelques heures après la mort, nous pouvons admettre l'hypothèse d'une impression télépathique reçue pendant le jour et, restée latente jusqu'à la disparition d'autres excitations, s'étant ensuite extériorisée sous forme d'une hallucination après le premier sommeil de même que, nous sommes réveillés de notre premier sommeil par quelque fait susceptible d'exciter en nous de l'intérêt ou de l'angoisse et qui, oublié pendant le jour, envahit tout à coup notre conscience avec une force et une netteté remarquables. Dans le cas de Mme Teale, au contraire , l'hallucination survint 8 heures, environ, après la mort alors que, cette dame était assise, toute éveillée, au milieu de sa famille. Dans d'autres cas, il s'agit d'une véritable « clairvoyance télépathique », d'une image transmise par l'esprit du décédé mais, transmise après la mort car, nous assistons à une vision d'un accident et de ses conséquences, beaucoup plus complète que, celle qui a pu traverser l'esprit du mourant, au moment-même de sa mort. Les cas de ce genre nous font penser que, l'esprit du décédé continue d'être attaché aux choses terrestres et qu'il est capable de faire partager au sujet, les images qui le préoccupent lui-même. Tel le cas de ce médecin bien connu de Londres, mort à l'étranger, dans un hôpital de campagne et qui apparut à une dame, dix heures environ après sa mort, couché dans une chambre pauvre et nue.
On voit que, ces phénomènes ne sont pas suffisamment simples pour que nous puissions les considérer au point de vue du temps, seulement, qui les sépare de la mort. Ce qu'on appelle « un esprit » constitue, probablement, un des phénomènes les plus complexes dans la nature. Il constitue la fonction de deux facteurs variables et inconnus : la sensibilité de l'esprit incarné et, la faculté que possède l'esprit désincarné de se manifester lui-même. Notre essai d'étudier cette action réciproque doit donc commencer par l'un ou l'autre de ces deux facteurs, par le sujet ou par l'agent. Nous aurons à nous demander :
    a) comment l'esprit incarné reçoit-il le message ?
    b) comment l'esprit désincarné le produit-il et le transmet-il ?
C'est en approfondissant la première de ces deux questions, que nous avons les plus grandes chances d'obtenir une certaine lumière. Tant que nous considérons les esprits incarnés, nous nous trouvons jusqu'à une certaine mesure, tout au moins, sur un terrain connu et, nous pouvons espérer trouver dans d'autres opérations de l'esprit, des analogies qui nous permettent de comprendre ces opérations, peut-être, les plus complexes qui consistent dans le fait de prendre connaissance de messages venant d'esprits désincarnés et d'un monde invisible. Je crois donc que, « le moyen le plus sûr, quoique le plus détourné », comme aurait dit Bacon, de comprendre ces phénomènes subits et étonnants consiste dans l'étude de phénomènes mentaux, moins rares, pouvant être observés plus aisément, de même que, « le moyen le plus sûr, quoique le plus détourné » d'étudier les astres inaccessibles, avait consisté dans l'étude des spectres d'incandescence de substances terrestres qui se trouvent sous nos pieds. J'espère que l'étude des différentes formes de conscience subliminale, de facultés subliminales, de perception subliminale nous permettra d'obtenir, finalement, en ce qui concerne notre être et notre mode de fonctionnement, une conception qui prouvera que, la perception par des esprits incarnés de messages ayant leur origine dans des esprits désincarnés, loin de constituer une anomalie isolée, résulte plutôt, de l'exercice de facultés ordinaires et innées.
C'est par leur côté humain et terrestre que je voudrais, autant que possible, commencer l'étude de tous nos cas. S'il nous était possible, non seulement de partager mais encore, d'interpréter les sentiments subjectifs des sujets, si nous pouvions les comparer à d'autres sentiments provoqués par des visions ordinaires, par la télépathie parmi les vivants ; nous obtiendrions une connaissance beaucoup plus intime de ce qui arrive que, celle que peut nous fournir l'observation extérieure des détails d'une apparition. Mais, une pareille étude systématique n'est guère possible pour le moment, tandis qu'il est relativement facile de ranger tout l'ensemble de nos cas en plusieurs séries, selon leurs caractères et détails extérieurs, en commençant par ceux qui manifestent la connaissance la plus profonde et un but défini, pour finir par ceux où, les indices d'une intelligence quelconque deviennent de plus en plus rares et faibles, jusqu'à se résoudre en sons et visions vagues, sans signification appréciable.
Nous possédons peu de cas d'apparitions témoignant que, l'esprit possède une connaissance continue de ce qui arrive à ses amis survivants. Les témoignages de ce genre sont naturellement fournis, le plus souvent, par l'écriture ou la parole automatique. Mais, dans le cas Palladia, relaté par M. Mamtchitch et publié dans le Rapport de la Commission des Hallucinations, paru dans Proceedings , il s'agit d'un esprit à apparitions répétées, jouant le rôle d'un ange gardien et prévoyant et, s'intéressant plus  particulièrement au futur mariage du survivant.
Plus fréquents sont les cas où, une apparition unique, non répétée, indique une connaissance continue des affaires terrestres. Cette connaissance se manifeste, principalement, dans deux directions. Elle porte souvent sur quelque circonstance en rapport avec la mort-même de la personne décédée, avec l'apparence de son corps après la dissolution ou, avec le lieu de son dépôt temporaire ou de son inhumation définitive. Et, d'un autre côté, elle porte sur la mort imminente ou réelle d'un ami de la personne décédée. Je considère, notamment, qu'une certaine portion de la conscience posthume peut, pendant quelque temps, être occupée par des scènes terrestres. Et, d'un autre côté, lorsqu'un ami survivant s'approche graduellement vers le même état de dissolution, ce fait peut être perceptible dans le monde spirituel. Lorsque cet ami est réellement mort, la connaissance que son prédécesseur peut avoir eue de cette transition, est une connaissance des événements de l'autre monde, aussi bien que de celui-ci.
A côté de ces informations acquises, peut-être, à la limite entre les deux états, il y a des apparitions qui impliquent une perception d'événements terrestres plus déterminés tels que, crises morales, (mariages, querelles graves, menaces de crimes) survenant à des amis survivants.
Dans quelques-uns des cas où, l'esprit semble avoir connaissance de la mort imminente d'un ami, cette connaissance anticipée ne ressemble, en rien, à notre prévoyance mortelle. Je ne m'occuperai de ces cas que dans un chapitre ultérieur où viendra en discussion, la question-même des limites de la pré-connaissance spirituelle. Mais, dans d'autres cas, le degré de pré-connaissance ne paraît pas supérieur à celui de spectateurs ordinaires et, dans celui que je vais résumer en premier lieu, la mort, quoique n'ayant pas été prévue par la famille, aurait pu l'être par un médecin qui aurait examiné la personne dont il s'agit. M. G..., voyageur de commerce, homme très positif, eut un matin la vision d'une de ses sœurs, morte depuis 9 ans. Lorsqu'il raconta le fait à sa famille, il ne fut écouté qu'avec incrédulité et scepticisme. Mais, en décrivant la vision telle qu'elle lui était apparue, il mentionna l'existence, sur le côté droit de la face, d'une égratignure qui était rouge comme si elle venait d'être faite. Ce détail frappa tellement sa mère qu'elle tomba évanouie. Lorsqu'elle eut repris connaissance, elle raconta que c'est elle qui avait fait cette égratignure à sa fille, au moment-même de la mise en bière ; qu'elle l'avait ensuite dissimulée en la couvrant de poudre, de sorte que personne au monde n'était au courant de ce détail. Le fait  qu'il a été aperçu par son fils était donc, une preuve incontestable de la véridicité de sa vision et elle y vit, en même temps, l'annonce de sa mort prochaine qui survint, en effet, quelques semaines plus tard.
Il est impossible d'interpréter ce cas autrement, qu'en y voyant la perception par l'esprit, de la mort imminente de sa mère.
Nous avons ensuite un petit groupe de cas dont le principal intérêt consiste en ceci qu'ils servent, pour ainsi dire, de trait d'union entre les cas cités tout à l'heure et où les esprits ont une connaissance anticipée de la mort d'un ami et, ceux dont nous allons nous occuper où l'esprit paraît saluer un ami ayant déjà quitté la terre. Ce groupe forme, en même temps, une extension naturelle de la clairvoyance des morts, illustrée par quelques cas de « réciprocité  » De même que, la séparation imminente de l'esprit et du corps permet à l'esprit de projeter son fantôme parmi les esprits incarnés se trouvant à une certaine distance sur la terre, de même ici, la même séparation imminente permet à la personne mourante de voir des esprits habitant déjà l'autre monde. Il n'est pas rare d'entendre des personnes mourantes dire ou, indiquer autrement, qu'elles voient des esprits amis tout près d'elles. Mais, les visions de ce genre n'ont de valeur, qu'en tant que la personne mourante ne sait pas que l'ami dont elle voit l'esprit a déjà quitté ou, est sur le point de quitter la terre. De ce groupe, nous passons, insensiblement, à celui où les esprits désincarnés manifestent la connaissance qu'ils ont de la mort d'un de leurs amis ou parents. Cette manifestation se produit rarement dans ce monde-ci et affecte différentes formes, depuis la manifestation de sympathie jusqu'à la simple présence silencieuse.
Un soir, entre onze heures et minuit, alors qu'elle était tout à fait éveillée, Mme Lucy Dadson s'entendit appeler trois fois par son nom et vit, aussitôt, la figure de sa mère, morte depuis seize ans, portant deux enfants sur les bras qu'elle lui tendit, en disant : « Prenez soin d'eux, car ils viennent de perdre leur mère. » Le surlendemain, Mme Dadson apprend que sa belle-soeur était morte des suites de couches, trois semaines après avoir donné naissance à un enfant qui était son deuxième. Il est à remarquer que, les deux enfants que Mme Dadson avait vus sur les bras de sa mère lui parurent, en effet, avoir l'âge des deux enfants de sa belle-soeur et, qu'elle ne savait rien, ni de l'accouchement de celle-ci, ni de la naissance du dernier enfant .
J'arrive, maintenant, à un groupe considérable de cas où, l'esprit désincarné manifeste une connaissance précise de quelques faits en rapport avec sa vie terrestre, avec sa mort ou d'événements ultérieurs en rapport avec la mort ; la connaissance de ces événements ultérieurs, telle que la propagation de la nouvelle de sa mort ou, ayant trait au lieu de son inhumation, est d'un caractère plus achevé que la simple remémoration des faits qu'il avait connus pendant la vie. Mais, tous les degrés de connaissance se tiennent et leur connexion sera mieux mise en lumière, si l'on commence par le degré le plus bas, par la simple mémoire terrestre.
Dans le cas suivant, l'information communiquée par une vision s'était montrée précise, exacte et très importante pour les survivants : un homme est trouvé mort dans un endroit assez éloigné de son domicile ; ses vêtements, qui étaient couverts de boue, ont été remplacés par d'autres plus propres et jetés au fond d'une cour. Dès que la nouvelle de sa mort fut parvenue dans sa maison, une de ses filles tomba évanouie et, quand elle eut repris connaissance, elle dit qu'elle venait de voir son père portant des vêtements qui n'étaient pas les siens et dont elle donna une description exacte en ajoutant que, son père lui révéla, en même temps, qu'après avoir quitté la maison, il avait cousu dans une de ses poches une certaine somme d'argent et, que le vêtement renfermant cet argent fut jeté avec les autres. Vérification faite, on s'assura que la description qu'elle donna des nouveaux vêtements de son père était, en tous points, exacte et, une certaine somme d'argent fut, en effet, trouvée cousue dans le vêtement qu'elle avait désigné. Le fantôme lui a donc communiqué deux faits, dont un n'était connu que de quelques étrangers et l'autre, de lui seul. On voudrait être mieux renseigné sur l'état de la fille, au moment où elle a reçu ce message car, il semble s'agir, ici, d'une extase plutôt que d'un rêve.
On peut rapprocher de ce cas, celui du baron von Driesen qui, neuf jours après la mort de son beau-père avec lequel, il avait eu autrefois des discussions, vit l'apparition de celui-ci, qui était venu lui demander pardon des torts qu'il a pu avoir envers lui. La même apparition a été vue, au même moment, par le prêtre du village qu'habitaient M. von Driesen et son beau-père et, le but de cette apparition était, de solliciter le prêtre d'opérer la réconciliation entre le gendre et le beau-père.
Nous voyons, dans ces deux cas, des esprits occupés après leur mort, de devoirs et d'engagements, grands ou petits, qu'ils avaient assumés pendant la vie. Des liens de ce genre semblent favoriser ou, faciliter l'action des esprits sur les survivants. Pouvons-nous créer de ces liens, de façon à permettre aux âmes qui le désirent d'apparaître, de se manifester ? Il me semble que la chose est possible, jusqu'à certain point. Quand nous avons commencé à réunir notre collection, Edmond Gurney a été frappé du nombre très grand de cas où, le sujet nous informait qu'il s'était produit, entre lui et la personne décédée, un engagement en vertu duquel, celui qui mourrait le premier apparaîtrait à l'autre.  « Considérant, ajoute-t-il, le petit nombre de personnes qui prennent cet engagement, par rapport à celles qui ne le prennent pas, il est difficile de résister à la conclusion que, le fait d'avoir pris un engagement de ce genre possède une certaine efficacité. »
Or, sur les douze cas de cette catégorie cités dans Phantasms of the Living, nous en avons trois où, le fantôme était apparu à un moment où l'agent était encore en vie ; dans la plupart des autres, la détermination exacte du temps n'a pu être faite et, à propos de quelques-uns seulement, on sait avec certitude que, c'est bien après la mort de l'agent que son fantôme était apparu. Il en résulte que, l'existence d'une promesse ou d'un engagement peut agir efficacement, aussi bien sur le moi subliminal avant la mort que, (très probablement) sur l'esprit après la mort.
Cette conclusion est confirmée par d'autres cas dont, nous ne citerons ici, que deux. Dans le premier, il s'agit de l'accomplissement, par la personne décédée, d'un engagement immédiat. C'est le cas de M. Edwin Russel qui tenait la partie de basse dans le choeur de l'église Saint-Luc à San Francisco et, qui tomba un vendredi dans la rue, frappé d'une attaque d'apoplexie. Trois heures après sa mort, M. Reeves, le maître de chapelle, qui ne savait rien de ce qui était arrivé à sa basse et, qui était en train de choisir un Te Deum pour le dimanche suivant, vit le fantôme de M. Russel qui lui était apparu, tenant une main sur le front et lui tendant de l'autre, un rouleau de musique. L'apparition dura quelques secondes à peine, laissant M. Reeves effrayé et bouleversé. Ce n'est que plus tard, qu'il apprit la mort de M. Russel ; celui-ci devait, en effet, venir le lendemain chez son maître de chapelle, en vertu d'une promesse qu'il lui en avait faite quelques jours auparavant. Homme dévoué, sa dernière pensée aura été qu'il ne pourrait pas venir au rendez-vous e c'est probablement dans l'intention d'offrir sa démission de membre de la maîtrise,  en alléguant son mal de tête, qu'il s'était présenté chez M. Reeves .
Dans un autre cas, plus remarquable encore, un individu atteint de tuberculose avait échangé, avec une jeune fille dont il venait de faire la connaissance dans une station hivernale, la promesse que celui qui mourrait le premier apparaîtrait à l'autre « de façon à ne pas l'effrayer désagréablement ». Plus d'un an après il apparut, en effet, non pas à la jeune fille en question mais, à sa soeur et cela, au moment où celle-ci montait dans sa voiture ; la jeune fille qui se trouvait également dans la voiture n'avait rien vu. Renseignements pris, l'apparition s'était produite deux jours avant la mort du sujet, alors que celui-ci était déjà à l'agonie .
Ce cas suggère la réflexion suivante : lorsqu'on a fait la promesse d'apparaître après la mort, l'apparition ne doit pas, nécessairement, être vue par celui-là même auquel la promesse a été faite mais, par la première personne de son entourage, qui est la plus susceptible d'être impressionnée. Je passe maintenant aux cas où, la connaissance manifestée par les esprits se rapporte à l'aspect de leur corps après la mort ou, aux scènes au milieu desquelles il se trouve déposé temporairement ou, inhumé définitivement. Cette connaissance peut paraître vulgaire, indigne d'esprits transportés dans un monde supérieur. Mais il s'agit, le plus souvent, d'une confusion d'idées suivant une mort subite ou violente, rompant brusquement des affections profondes. Les cas de ce genre sont nombreux mais, je ne citerai que le suivant
M. D..., riche industriel, avait à son service un nommé Robert Mackenzie, qu'il avait littéralement tiré de misère et, qui en éprouvait pour son patron, une reconnaissance et une fidélité sans bornes. Un jour que M. D... se trouvait à Londres, il eut l'apparition de son  employé, (qui était attaché à la succursale de Glasgow) lequel était venu le supplier de ne pas croire à ce dont il allait être accusé. Et, l'apparition s'évanouit sans que M. D... eût été renseigné davantage sur le genre d'accusation qui pesait sur Robert. Il n'eut pas le temps de revenir de sa stupéfaction lorsque, Mme D... entra dans la pièce tenant une lettre à la main et, disant à son mari qu'elle venait de recevoir la nouvelle du suicide de Robert. C'était donc l'accusation qui pesait sur ce dernier et, jusqu’à nouvel ordre, M. D... était décidé à n'y pas croire. En effet, le courrier suivant lui apporta une lettre de son régisseur lui disant que, Robert s'était non pas suicidé comme on l'avait cru tout d'abord mais, empoisonné en avalant un flacon d'acide sulfurique qu'il avait pris pour de l'eau-de-vie. Après avoir, ensuite, consulté un dictionnaire de médecine, M. D... n'eut pas de peine à se rappeler que, l'aspect de l'apparition répondait exactement à celui décrit par ce dictionnaire, comme s'observant chez les individus empoisonnés par l'acide sulfurique .
Dans le cas de Mme Green, nous nous trouvons en face d'un problème intéressant. Deux femmes se noient dans des circonstances particulières. Un ami a, apparemment, une vision clairvoyante de la scène, non au moment où elle s'était passée mais, quelques heures plus tard, en même temps qu'une autre personne, portant le plus grand intérêt au sort des deux victimes, apprend l'événement. On peut donc supposer que la scène, clairvoyante en apparence, a été communiquée télépathiquement au premier sujet par un autre esprit vivant. Je pense, cependant, que la nature de la vision, aussi bien que, certaines analogies que nous ferons ressortir plus tard, au cours de notre exposé, rendent probable une conception différente, impliquant l'action simultanée des morts et des vivants. Je suppose, qu'un courant d'action peut partir d'une personne décédée mais, ne devient suffisamment puissant pour être perceptible au sujet que, lorsqu'il est renforcé par un courant d'émotion ayant pour point de départ, un esprit vivant.
Ce n'est qu'à la suite d'une accumulation progressive de faits que, j'en étais arrivé à croire que la supposition bizarre, attribuant aux esprits désincarnés la faculté de connaître le moment où la nouvelle de leur mort parvient à leurs amis, n'est pas tout à fait dépourvue de réalité. La possibilité, pour l'ami, de deviner par clairvoyance l'existence, dans sa proximité, d'une lettre annonçant cette mort, rend la preuve de cette connaissance assez difficile. Ainsi qu'il a été montré dans Phantasms of the Living, il peut s'agir d'un phénomène de clairvoyance, même dans les cas où la lettre ne présente, en elle-même, aucune importance. Existerait-il une action réciproque entre la sphère de connaissance de l'esprit vivant et celle de l'esprit désincarné de sorte que, l'intuition de l'un est, dans une certaine mesure, renforcée par celle de l'autre ?
Voici un exemple assez difficile mais typique de coïncidence, entre une apparition et l'arrivée de la nouvelle de la mort.
M. Tandy en visite chez un de ses amis, emporte chez lui un journal, encore entouré de sa bande et, pris au hasard, parmi ceux qui venaient d'arriver. Il rentre chez lui le soir, allume une bougie et se met à chercher dans sa bibliothèque, un livre dont il a besoin. Se retournant, par hasard, du côté de la fenêtre qui fait face à la bibliothèque, il aperçoit la figure d'un ancien ami qu'il n'a pas revu depuis plus de dix ans. Il s'approche de la fenêtre mais, la figure a disparu. Un peu plus tard, il ouvre son journal et, la première nouvelle qui lui tombe sous les yeux est l'annonce de la mort de l'ami en question .
Cet incident, pris isolément et, sans connexion apparente avec d'autres formes d'action manifestées par les morts, apparaît presque comme trop bizarre pour être inclus dans un groupe plus ou moins cohérent. Mais, sa compréhension nous est facilitée par certains autres cas où, le sujet éprouve une sensation de dépression inexplicable au moment de la mort de son ami survenant à distance, sensation qui persiste jusqu'à l'arrivée de la nouvelle quand, au lieu de devenir plus intense, elle s'évanouit subitement. Dans un ou deux cas de ce genre, l'apparition avait persisté jusqu'à l'arrivée de la nouvelle, pour se dissiper ensuite. Et, d'un autre côté, l'apparition semble, souvent, préparer l'esprit du sujet au choc qui l'attend. On peut en conclure que, dans les cas en question, l'attention de l'esprit est concentrée, d'une façon plus ou moins continue sur le survivant, jusqu'à ce que celui-ci reçoive la nouvelle. Ceci ne nous explique pas comment l'esprit apprend que la nouvelle est arrivée ; mais, dans cette hypothèse, la connaissance de ce genre nous apparaît comme moins bizarre et, moins isolée.
Et ici, je citerai un cas qui s'écarte tellement des types admis, qu'on serait tenté de le passer sous silence, comme incompréhensiblement absurde. Mais, on ne tardera pas à s'assurer qu'il a sa place toute marquée dans le groupe dont nous nous occupons en ce moment.
Il s'agit de deux jeunes filles, deux soeurs qui, après avoir veillé leur mère qui venait de mourir, se sont retirées dans leur chambre pour se reposer des émotions qu'elles venaient d'éprouver. Il était dix heures, environ, du soir. Tout d'un coup, elles entendent la voix de leur frère qui se trouve, à ce moment-là, dans un endroit distant de 700 kilomètres du lieu de leur résidence, chanter un duo avec une voix de soprano, avec l'accompagnement d'un harmonium. Elles ont pu distinguer nettement, non seulement la musique mais même, les paroles du chant. Elles apprirent plus tard que, ce soir-là, leur frère avait, en effet, prêté son concours à un concert de société et, qu'il avait réellement chanté avec un soprano, le morceau dont ses soeurs avaient entendu la musique et les paroles. Elles apprirent encore que, le télégramme qu'elles avaient envoyé à leur frère pour lui annoncer la mort de leur mère était arrivé, avant le commencement du concert et, ne lui avait été remis, exprès, qu'après qu'il eut fini son morceau .
Il est impossible d'expliquer ce cas autrement qu'en supposant que, c'est l'esprit de la mère qui s'était chargé de faire part à ses filles, qu'un retard était survenu dans la transmission de leur télégramme et, de leur montrer, indirectement, la cause de ce retard. Nous pourrions multiplier les cas où les apparitions présentent différents degrés de connaissance et de mémoire. Mais, nous préférons aborder un type plus commun où, l'apparition est impuissante à communiquer un message plus défini que celui qui est, d'ailleurs, le plus important de tous et qui concerne la persistance de sa vie et de son amour. Ces cas peuvent, cependant, être divisés en plusieurs catégories. Mais, chaque apparition, même momentanée, est un phénomène plus complexe que nous ne croyons. Nous devons donc, chercher quelques larges lignes de démarcation, de façon à obtenir des séries qui embrassent un grand nombre de propriétés différentes, tout en continuant, dans une certaine mesure, les séries que nous avions suivies jusqu'ici.
On peut établir une première division en apparitions personnelles et, apparitions locales ; les premières étant destinées à frapper l'esprit de certains survivants ; les secondes, attachées à des endroits déterminés, souvent, il est vrai, ayant aussi pour but, d'impressionner les survivants mais, susceptibles de dégénérer et de se résoudre en sons et visions, qui semblent exclure un but et une intelligence quelconques.
Considérons donc ces propriétés, sans nous attendre à ce que, nos séries présentent une simplicité logique car, il arrivera souvent que les caractères personnel et local seront confondus, comme dans les cas où le sujet recherché par l'apparition, habite une maison connue, familiale. Mais dans quelques cas, comme dans celui de l’égratignure rouge (voir plus haut) ou, celui de la comtesse Kapnist (voir plus haut), l'apparition se produit dans un milieu étranger et inconnu à la personne décédée. Ce sont les manifestations d'une forme supérieure et mieux développée qui s'observent dans les cas de ce genre. Parmi les apparitions plus brèves et moins développées, ces fréquentations, par les fantômes, de milieux inconnus, sont relativement rares. Dans les cas de cette catégorie ainsi que dans ceux où, l'apparition atteint le sujet en pleine mer, il n'y a que la personnalité du sujet qui soit capable de guider l'apparition dans ses recherches. Dans le cas de M. Keulemann , on voit son fils lui apparaître deux fois : au moment de la mort et après la mort ; on dirait que, la première fois, le fils avait cherché le père dans un milieu connu, la seconde fois, dans un milieu inconnu. Il existe encore des cas auditifs où, la parole fantomale se produit en des endroits que la personne décédée n'avait pas connus.
Un des caractères particulièrement, intéressants des apparitions est, leur collectivité occasionnelle, c'est-à-dire le fait que, plusieurs personnes peuvent simultanément voir une figure ou, entendre une voix fantomale. Ce n'est pas dans les cas supérieurs mais, dans ceux de simple hantise que la figure est vue, simultanément ou successivement, par plusieurs personnes. Je ne sais comment expliquer cette tendance apparente, à moins d'admettre que les esprits « familiers » sont plus « attachés à la terre » et pour ainsi dire, plus rapprochés de la matière que les autres. Mais, les exemples de collectivité abondent dans tous les groupes d'apparitions ; et, l'apparence irrégulière d'un caractère qui nous paraît aussi fondamental nous montre, précisément, à quel point peut varier le mécanisme interne, dans des cas qui nous semblent composés sur le même modèle.
J'aborde un groupe de cas, à la fois personnels et locaux quoique, avec prédominance de l'élément personnel. J'en citerai le suivant :
Il s'agit d'un M. Town dont l'apparition, sous forme d'un médaillon de grandeur naturelle, réfléchi sur la surface polie d'une armoire, a été vue un soir, six semaines après sa mort, dans une chambre éclairée au gaz et cela, simultanément par six personnes dont, ses deux filles, sa femme et trois domestiques et, de telle façon que, chacune de ces personnes avait aperçu l'apparition, indépendamment des autres, ce qui exclue toute possibilité de suggestion .
A côté de ce cas collectif où, l'apparition a été vue par la famille et les domestiques du défunt, dans sa propre maison, nous pourrions en citer beaucoup d'autres où, l'apparition n'a été vue que par une seule personne à la fois et où, l'élément personnel et l'élément local s'entremêlent dans des proportions variées. Tel est, par exemple, le cas du petit Gore Booth  qui vit, au bas d'un escalier de service qui faisait communiquer la maison avec la cuisine et, au seuil de celle-ci, c'est-à-dire dans un endroit où le défunt avait, pour ainsi dire, l'habitude de se tenir, un ancien domestique de la maison parti depuis quelque temps et, qu'il savait malade. Renseignements pris, l'apparition s'était produite deux heures après la mort du domestique en question et alors que, personne dans la maison, pas plus Gore Booth que les autres, n'était encore au courant de cet événement. Il faut ajouter que, la soeur de Gore Booth, qui avait accompagné son frère à la cuisine, n'a rien vu. Il est possible qu'il s'agisse, ici, d'une influence transmise par l'esprit du défunt à l'esprit du vivant et, qui ne s'est manifestée que, lorsque ce dernier se fut trouvé dans un endroit où le souvenir du décédé pouvait être évoqué facilement.
On peut rapprocher de ce cas, celui de Mme de Fréville , femme un peu excentrique qui aimait à fréquenter le cimetière et à rôder autour de la tombe de son mari et, qui a été aperçue, un soir, par un jardinier qui traversait le cimetière et cela, ainsi que la chose fut élucidée plus tard, 7 ou 8 heures après la mort de cette dame.
Il est de toute évidence que, cette dame ne pouvait, en aucune façon, avoir le désir d'apparaître au jardinier en question. Nous nous trouvons, plutôt, en présence d'un cas de hantise élémentaire, d'un commencement de ces réapparitions sans but et sans conscience, dans des endroits familiers, qui persistent souvent, pendant des années après la mort. Un cas, assez analogue, est celui du colonel Crealock  où, un soldat a été aperçu par son supérieur, quelques heures après sa mort, roulant et emportant son lit.
C'est en insistant sur ces cas intermédiaires aux apparitions porteuses de messages et aux hantises sans but que, nous arriverons, le plus facilement, à comprendre les hantises typiques qui, tout en constituant jusqu'à un certain point, un des phénomènes les plus populaires parmi ceux qui nous occupent, satisfont très difficilement l'observateur. C'est qu'il existe une tendance à trouver un rapport quelconque entre l'histoire de la maison hantée d'un côté et, les visions et sons vagues et souvent, variés, qui troublent et terrifient ses habitants vivants, d'un autre côté. Or nous devons, autant que possible, nous affranchir de cette idée d'après laquelle, un grand crime ou une grande catastrophe serait, dans tous les cas, la cause principale d'une hantise de ce genre. Tous les cas que nous connaissons sont de nature à infirmer cette idée. Il s'agit, presque toujours, d'une apparition vue par un étranger, quelques mois après la mort, sans raison apparente pour que l'apparition se produise à tel moment précis, plutôt qu'à un autre.
Je considère que, l'action continue de l'esprit désincarné constitue, le principal élément déterminant de ces apparitions. Mais, elle n'est pas le seul élément, en tant que les pensées et les émotions des personnes vivantes interviennent, souvent, dans une grande mesure, pour aider ou conditionner l'action indépendante des esprits. Je crois même qu'il est possible que, la fixation intense de mon esprit, par exemple, sur l'esprit d'une personne décédée, soit capable d'aider ce dernier à se manifester, à un moment donné, pas même à moi mais, à une personne plus sensible que moi.
Il existe, encore, un autre élément qui joue un certain rôle dans ces groupes d'apparitions vagues, ce rôle étant plus difficile à déterminer que, celui de l’action possible des esprits incarnés. Je parle des résultats possibles de l'activité mentale passée qui, d'après ce que nous savons, peuvent persister d'une façon, en quelque sorte perceptible, sans être renforcés de même que, persistent les résultats de l'ancienne activité corporelle. Cette question nous conduit à une autre plus vaste, celle de la connaissance posthume et des rapports entre les phénomènes psychiques et, le temps en général, que nous ne pouvons traiter dans ce chapitre. Nous tenions seulement à rappeler que, de telles possibilités existent et, qu'elles nous fournissent l'explication de certains phénomènes dans lesquels, des manifestations récentes de l'intelligence entrent, pour une part minime, comme par exemple, dans les prétendus cas de persistance, pendant des années, dans telle maison ou dans telle pièce, de sons n'ayant aucune signification.
Dans certains cas, cependant très peu nombreux il est vrai où, des sons de source inconnue sont entendus soit avant, soit après la mort d'une personne, il est permis de supposer qu'il s'agit de sons de bienvenue, analogues aux apparitions de bienvenue dont nous avons déjà parlé, autrement dit, d'une véritable manifestation de la personnalité. Les sons en question peuvent être non articulés et affecter la forme de bruits musicaux ou, imiter ceux que la personne décédée avait la coutume de produire (dans l'exercice de sa profession par exemple).
Mais, en excluant tous ces cas (assez singuliers en eux-mêmes) dont, la principale caractéristique consiste dans la production de sons non articulés, nous nous trouvons en présence de faits de hantise où, plusieurs personnes ont vu, dans la même maison, indépendamment l'une de l'autre, des figures fantomales qui, très souvent, quoique non toujours, ressemblaient les unes aux autres. Ces faits sont bien prouvés et incontestables mais, leur interprétation présente de grandes difficultés. Plusieurs hypothèses ont été formulées à ce sujet ; quant à moi, je considère que, lorsque le même fantôme est discerné par plus d'une personne à la fois, il s'agit d'une modification, dans cette portion de l'espace où le fantôme est perçu, sans que la matière, elle même qui occupe cet espace, ait subi une modification quelconque. Il ne peut donc pas être question d'une perception optique ou acoustique, de rayons de lumière réfléchis ou d'ondes sonores mis en mouvement ; mais, d'une forme inconnue de perception supra-normale qui n'agit pas, nécessairement, par les organes des sens terminaux. Je suis, en outre, porté à voir une certaine analogie entre ces récits de hantises et les fantômes de vivants que j'ai désignés sous le nom de psychorrhagiques. Il me semble qu'il se produit, dans chaque cas, un dégagement involontaire d'un élément de l'esprit, indépendamment du principal centre de la conscience. Ces  « hantises par les vivants », si l'on peut les appeler ainsi, où, par exemple, un homme est aperçu sous forme de fantôme se tenant devant sa cheminée sont, peut-être, susceptibles de se renouveler plus facilement  après que l'esprit s'est séparé du corps. Quant à la question du rôle que certaines maisons jouent dans la production d'apparitions, elle fait partie de la question  plus vaste  de la connaissance posthume ; autrement dit, nous n'avons pas affaire, ici, à des propriétés spéciales à ces maisons mais, à une branche du grand problème des rapports qui existent entre les phénomènes supra-normaux et le temps. Les manifestations qui se produisent dans les maisons hantées dépendent, pour ainsi dire,  d'un événement ancien. Quel est le genre de dépendance dans ce cas ? Ces manifestations sont-elles une conséquence ou un simple résidu ? S'agit-il d'une opération actuelle ou, seulement, d'une perception actuelle d'un événement déjà accompli ? Pouvons nous, dans les cas de ce genre, établir une distinction réelle entre une action continue et, une perception continue d'une action passée ? Il me semble qu'il existe une analogie étroite, quoique non évidente à première vue, entre ces phénomènes de hantise, ces sons et ces visions persistants et, certains phénomènes de cristalloscopie et d'écriture automatique qui, eux aussi, dépendent d'événements depuis longtemps accomplis, dont ils sont soit la conséquence, soit le résidu. Il existe des cas où, le rapport entre l'apparition de hantise et une personne depuis longtemps décédée paraît certain et d'autres où, il devient de moins en moins évident, jusqu'à ce qu'on ne se trouve plus en présence, que de scènes fantasmagoriques, qu'il est impossible d'attribuer à l'activité actuelle d'un esprit humain. Une vision, par exemple, comme celle d'une silhouette d'un animal fantasmagorique traversant un gué, si elle est vue, à la même place, par plusieurs observateurs indépendants, peut être considérée comme quelque chose de plus qu'une simple illusion subjective mais, la question de savoir ce que cette image signifie, en réalité, nous conduit à des théories concernant la permanence ou, la simultanéité de tous les phénomènes se déroulant au sein d'une âme universelle, située en dehors du temps.
Ces conceptions appartiennent aux plus élevées que notre esprit soit capable d'atteindre. Si nous pouvions les approcher de plus près, elles seraient de nature à influer très profondément sur l'idée même que nous avons de notre destinée éloignée. Il en sera peut-être ainsi un jour; pour le moment, nous devons nous contenter de jeter un simple coup d'oeil derrière le voile impénétrable qui était, jusqu'ici, tendu devant nos yeux. Il ne nous paraît ni nécessaire, ni même prudent de clore ce chapitre, sans ajouter quelques mots concernant le côté moral et esthétique du problème que nous y avons discuté. Celui qui se propose d'agir sur l'opinion et, de la pousser plus loin dans la voie de la vérité, doit commencer par se rendre compte de son état actuel. Or, ce que ce livre renferme de nouveau, est destiné à agir sur des préjugés d'un caractère moral aussi bien qu'intellectuel. Ce serait faire preuve de pédantisme que, de s'interdire de mentionner des questions d'ordre moral, lorsqu'on touche à des matières que la majorité de ceux qui pensent considèrent, plutôt, du point de vue moral que du point de vue scientifique. Lorsque des faits nouveaux, d'une importance aussi considérable, sont appelés à entrer profondément dans la conscience de notre race, ils doivent être cohérents et acceptables, aussi bien moralement qu'intellectuellement.
Nous discuterons la plupart des questions qui se rapportent à ce sujet dans notre chapitre final. Mais, un point se trouve, dès à présent, au-dessus de toute contestation et son importance est telle,  qu'il mérite qu'on y prête une certaine attention : c'est qu'il se dégage de tous les faits que nous avons cités, une conclusion qui, appliquée aux superstitions et aux terreurs humaines, constitue un dissolvant plus puissant que celui qu'aurait pu trouver un Lucrèce.
Dans toute cette longue série de récits, quelques complexes et bizarres que soient leurs détails, nous constatons que la nature de l'apparition varie, d'une certaine façon, selon son degré de netteté et son individualité. Des fantômes de revenants incohérents et inintelligents peuvent paraître inquiétants et d'un mauvais augure. Mais, à mesure qu'augmentent leur netteté, leur intelligence et leur individualité, ils deviennent des sources de joie et d'amour. Je ne me rappelle pas un seul cas authentique, de combinaison posthume d'intelligence et de méchanceté.
Lorsque nous nous occuperons de l'écriture automatique, nous aurons à nous demander d'où viennent les plaisanteries vulgaires et, les mystifications absurdes qui se trouvent associées aux phénomènes de ce genre. Nous aurons à agiter la question de savoir, s'il s'agit d'une sorte de rêve propre à l'automate lui-même. Aussi, ces mystifications et plaisanteries indiquent-elles l'existence d'intelligences désincarnées, du niveau de celle du chien ou du singe. Mais, d'un autre côté, toute cette vieille conception d'esprits méchants, de puissances malveillantes qui se trouve à la base du culte du diable et, de la plupart des terreurs surnaturelles et vagues, disparaît insensiblement de l'esprit, à mesure que nous étudions les faits que nous avons devant nous.
Nos récits nous ont été communiqués par des hommes et des femmes représentant toutes les variétés de l'opinion moyenne et pourtant, tous ces récits convergent vers un seul but, qui est celui d'établir une différence profonde, entre le point de vue scientifique et le point de vue superstitieux, appliqués aux phénomènes spirituels. La terreur qui avait formé les théologies primitives se manifeste toujours chez le peuple, toutes les fois qu'on fait allusion à la possibilité de communication avec des âmes séparées des corps. Mais, la transformation de la terreur sauvage en curiosité scientifique constitue l'essence même de la civilisation. Tous nos faits tendent, incontestablement, à hâter cette transformation. Dans ce monde de l'esprit qui s'entrouvre pour nous je crois discerner, plutôt qu'une intensification, une désintégration de l'égoïsme, de la malveillance, de l'orgueil. Et n'est-ce pas le résultat naturel de l'évolution morale du monde ? Si l'homme égoïste est, selon l'expression de Marc Antonin « un abcès et un ulcère sur l'Univers », ces impulsions égoïstes ne doivent-elles pas, dans ce monde plus vaste, subir une décadence sûre, quoique pénible, vu qu'elles ne trouvent aucun appui ni support parmi les forces permanentes qui maintiennent le cours des choses ?
CHAPITRE VIII - AUTOMATISME MOTEUR

Le lecteur qui m'a suivi jusqu'ici, n'aura pas manqué de s'apercevoir qu'il existe un vaste groupe de phénomènes d'une très grande importance dont je ne me suis pas encore occupé. L'automatisme moteur, quoique moins familier au grand public que les fantômes que j'ai groupés sous le nom d'automatisme sensoriel, embrasse un ensemble de phénomènes, en réalité, plus fréquents et plus importants.
Nous avons déjà rencontré plus d'un exemple d'automatisme moteur au cours de cet ouvrage, en premier lieu et sous une forme très développée, dans le chapitre II, à propos de la multiplication de la personnalité. Nous y avons cité de nombreux exemples d'effets moteurs produits par le moi secondaire sans l'intervention du moi primitif, souvent même en dépit de sa résistance. Toute action motrice du moi secondaire est une action automatique par rapport au moi primitif. Et nous pouvons, par analogie, étendre l'usage de ce mot et qualifier d'automatiques non seulement les actes post-épileptiques mais encore, les manies, en tant que ces actes sont accomplis en dehors de l'initiative de la personnalité primitive présumée normale. Ce n'est pas de ces phénomènes dégénératifs que nous nous occuperons dans le présent chapitre. L'automatisme qui en forme le sujet est un  phénomène évolutif dont je vais donner une définition plus précise en définissant, en même temps, les rapports qu'il présente avec les phénomènes moteurs dissolutifs qui occupent une si large place dans les connaissances populaires.
Mais avant d'aller plus loin, je crois devoir formuler ici, d'une façon plus distincte, une thèse qui nous a déjà été suggérée plus d'une fois pendant que nous avions affaire à des groupes spéciaux de nos phénomènes : on peut s'attendre à ce que des phénomènes vitaux supra-normaux se manifestent, autant que possible, par les mêmes voies que les phénomènes vitaux anormaux ou morbides, lorsque les mêmes centres et les mêmes  synergies se trouvent mis en oeuvre.
Pour illustrer le sens de cette thèse, je reprendrai une remarque, formulée depuis longtemps par Gurney et par moi, à propos des « fantômes des vivants » ou des hallucinations véridiques produites (ainsi que nous l'avions soutenu) non par un état particulier du cerveau du sujet mais, par une action télépathique d'un agent éloigné. Nous avons observé que, lorsqu'une hallucination ou une image subjective doit être provoquée par cette énergie éloignée, elle sera probablement provoquée avec le plus de facilité de la même manière que les hallucinations morbides consécutives à une lésion cérébrale. Nous avons montré par de nombreux arguments que tel était, en effet, le cas aussi bien en ce qui concerne le mode d'évolution du fantôme dans le cerveau du sujet que, quant à la façon dont il se présente à ses sens.
Je me propose ici de généraliser ce principe en montrant que, s'il existe en nous un moi secondaire tendant à se manifester à l'aide de moyens physiologiques, il est probable que sa voie d'extériorisation la plus courte, le chemin le plus commode au point de vue de sa manifestation en action visible, se trouvera souvent le long d'un trajet que les processus morbides de désintégration ont montré comme étant la voie de la moindre résistance, ou bien, en modifiant la métaphore, nous pouvons supposer d'avance que la séparation entre le moi primaire et secondaire se fera le long d'une surface que les dissociations morbides de nos synergies psychiques ont déjà montré une tendance à suivre. Si l'épilepsie, la folie, etc., tendent à dissocier nos facultés d'une façon déterminée, l'automatisme doit être capable de le dissocier à son tour d'une façon à peu près analogue.
Les sauvages prennent l'épilepsie pour de l'inspiration. Ils ont raison en tant que, l'épilepsie est une destruction temporaire de la personnalité à la suite de sa propre instabilité tandis que, l'inspiration est considérée comme une soumission temporaire de la  personnalité envahie par une puissance extérieure. Dans le premier cas, pour me servir d'une métaphore, il y a combustion spontanée ; dans le second, il s'agit d'un embrasement par un feu céleste. Pour parler moins métaphoriquement, l'explosion et l'épuisement des centres nerveux supérieurs doivent avoir quelque chose de commun, quelle que soit la nature du stimulus qui a rompu leur stabilité.
Mais comment distinguer ce qui est supra-normal de ce qui n'est qu'anormal ? Qu'est-ce qui nous fait dire que, dans ces états aberrants, il y a quelque chose en dehors de l'hystérie, de l'épilepsie, de la folie ?
Dans les chapitres précédents, nous avons déjà répondu en partie à cette question. Le lecteur aura dû, déjà, se familiariser avec le point de vue qui considère toutes les activités psychiques et physiologiques comme tendant nécessairement, soit à l'évolution, soit à la dissolution. Et maintenant, laissant complètement de côté toute spéculation téléologique, je le prierai de supposer hypothétiquement qu'un nisus évolutif, quelque chose que nous pouvons nous représenter comme un effort vers le développement, vers l'adaptation, vers la rénovation personnels, puisse être discerné, particulièrement, du côté psychique des formes supérieures de la vie. Notre question : supra-normal ou anormal ? reçoit alors la transformation suivante : évolutif ou dissolutif ? Et, en étudiant successivement tous les phénomènes psychiques, nous aurons à nous demander si chacun d'eux constitue l'indice d'une simple dégénérescence de forces déjà acquises ou bien « la promesse et la possibilité », sinon la possession actuelle, de puissances non reconnues encore, ou inconnues. C'est ainsi, par exemple, que la télépathie constitue sûrement un pas en avant dans la voie de l'évolution. ( Pour éviter tout malentendu, je dois dire que je ne songe nullement à nier que la télépathie (ou son corollaire la télergie) puisse, sous certains rapports, être plus fréquente ou plus puissante parmi les sauvages que parmi nous-mêmes. Les processus évolutifs ne sont pas nécessairement continus. L'acquisition par nos ancêtres d'organisation inférieure du sens de l'odorat, par exemple, a été un pas en avant dans la voie de l'évolution. Mais le sens de l'odorat a probablement atteint son degré d'énergie le plus élevé chez des races antérieures à l'homme et il a sensiblement diminué de puissance, même dans le court intervalle qui sépare l'homme civilisé des sauvages qui nous sont contemporains. Si cependant, une modification quelconque de notre milieu rendait le sens de l'odorat de nouveau utile, sa ré-acquisition n'en constituerait pas moins un processus évolutif, vu que l'évolution avait été interrompue.
Le fait de pouvoir lire les pensées nées dans d'autres esprits, sans intermédiaire des sens spéciaux, indique manifestement la possibilité d'une extension très vaste des forces psychiques. Et toute nouvelle connaissance relative aux conditions dans lesquelles l'action télépathique est susceptible de se produire nous servira de point de départ d'une grande valeur pour la détermination du caractère évolutif ou dissolutif d'états psychiques peu familiers. ( Je ne veux pas dire que tous les états psychiques peu familiers soient nécessairement évolutifs ou dissolutifs d'une façon quelconque. Je préfère supposer qu'il existe des états qui seraient mieux désignés sous le nom d'allotropiques, c'est-à-dire des modifications dans l'arrangement des éléments nerveux dont dépend notre identité consciente, sans que tel état soit plus supérieur à tel autre, que ne l'est le charbon par  rapport au graphite ou inversement. Mais il peut y avoir des états où, pour parler métaphoriquement, le charbon devient diamant, ce qui constitue un progrès dû à la substitution de la structure cristalline à la structure amorphe.)
II résulte, par exemple, de nos connaissances relatives à la télépathie que, l'aspect superficiel de certaines phases de l'évolution psychique peut, de même que l'aspect superficiel de certaines phases de l'évolution physiologique, affecter la forme soit d'une inhibition, soit d'une perturbation, dont la première implique une dynamogénie latente tandis que, la seconde masque l'évolution. Le sujet hypnotisé traverse une phase de léthargie avant d'entrer dans la phase où il se trouve en communauté de sensations avec l'opérateur et, la main de l'automate passe par une phase de mouvements in-coordonnés qui ressemblent presque à des mouvements choréiques avant d'acquérir la faculté de l'écriture facile et intelligente. De même, le développement d'une dent peut être précédé par une phase de douleur indéfinie qui serait de nature à faire croire à la formation d'un abcès, si la dent, elle-même, ne se montrait pas plus tard. Des exemples encore plus frappants de la perturbation qui masque l'évolution pourraient être tirés de l'histoire de l'organisme humain évoluant vers la maturité ou, préparant la naissance d'un nouvel organisme destiné à lui succéder.
C'est ainsi que des analogies, aussi bien physiologiques que psychiques, nous défendent de conclure au caractère dégénératif d'une psychose donnée, tant qu'un examen serré de ses résultats n'aura pas montré que cette psychose ne constitue pas, en réalité, un élargissement des facultés humaines, une nouvelle porte ouverte à la perception de la vérité objective ; autrement dit, un phénomène évolutif.
En ce qui concerne, en particulier, les mouvements, nous n'avons aucune raison de prétendre que ceux qui ne dépendent pas de la volonté consciente sont moins importants et moins significatifs que ceux qui en dépendent. Nous constatons, au contraire, que dans notre région organique, les mouvements indépendants de la volonté consciente sont les plus importants, quoique les mouvements volontaires, à l'aide desquels l'homme cherche à se procurer de la nourriture et à se défendre de ses ennemis soient, eux aussi, d'une très grande importance pratique : il faut, en effet, que l'homme vive et se multiplie avant d'étudier et d'apprendre. Mais, il faut se garder de confondre ce qui est important au point de vue de la vie pratique immédiate, avec ce qui l'est au point de vue de la science dont la vie pratique, elle-même, dépend en dernière analyse. Du moment que le problème de l'existence matérielle et de la multiplication cesse de dominer tous les autres, nous commençons à changer notre estimation relative des valeurs et à trouver que ce ne sont pas les phénomènes les plus imposants en apparence et les plus évidents mais bien, les moins perceptibles et les plus petits, qui sont susceptibles de nous révéler de nouvelles sources de connaissances. Et, je voudrais persuader  nos lecteurs que, tel est le cas, aussi bien en psychologie qu'en physique.
Je dois dire tout de suite que, quelques-uns des mouvements automatiques dont nous aurons à nous occuper, certaines manifestations et écritures obtenues pendant l'état de  « possession » appartiennent, à mon avis, aux phénomènes les plus importants que l'homme ait jamais observés. Nous allons les passer successivement en revue, montrer les liens qui les rattachent les uns aux autres et dégager, en même temps que leur signification, le degré de certitude que nous pouvons considérer comme acquis, en ce qui concerne les phénomènes en question.
Un premier caractère commun à toutes les manifestations automatiques, malgré les différences qui les séparent sous tous les autres rapports, consiste dans leur indépendance : ce sont, ce que les médecins appellent, des phénomènes idiognomoniques, c'est-à-dire qu'ils ne sont pas symptomatiques d'une autre affection et, ne constituent pas l'expression accidentelle d'une modification plus profonde. Le simple fait, par exemple, qu'un homme écrit un message dont il n'est pas l'auteur conscient ne prouve rien, pris en lui-même, quant à l'état de celui qui écrit: ce dernier peut être parfaitement sain et ne présenter, à part ce phénomène de l'écriture inconsciente, aucun autre phénomène anormal accessible à l'observation. Ce caractère, que confirment l'observation et l'expérience, différencie les automatismes de tous les autres phénomènes en apparence analogues. C'est ainsi que nous pouvons comprendre  dans notre catégorie  les émissions automatiques de mots et de phrases ; tandis que la vocifération continue et épuisante de la manie aiguë étant un phénomène purement symptomatique, se trouve en dehors de cette catégorie, de même que le cri hydrocéphalique qui, lui aussi, loin d'être un phénomène indépendant, est déterminé par une lésion définie. Nous comprendrons encore dans notre catégorie, certains mouvements simples des mains, coordonnés en vue de l'acte de l'écriture ; mais en seront exclus, par définition, les mouvements choréiques, symptomatiques d'un certain état morbide du système nerveux ou, des mouvements que nous pouvons, si nous voulons, appeler idiopathiques, en tant que constituant une maladie indépendante.
Or, les mouvements automatiques dont nous nous occupons ne sont pas idiopathiques Mais, idiognomoniques ; ils peuvent être associés à certains états de l'organisme ou favorisés par eux mais, ils ne sont pas plus un symptôme d'une autre maladie qu'ils ne constituent, à eux-mêmes, une maladie.
Un autre caractère commun à tous ces phénomènes est qu'ils constituent des mouvements automatiques, porteurs ou transmetteurs de messages et, avertisseurs ; ce qui ne veut pas dire que les messages qu'ils apportent proviennent tous de sources extérieures à l'esprit du sujet ; il en est probablement ainsi dans certains cas mais le plus souvent, les messages ont leurs sources dans la personnalité-même de l'automate et, dans ce dernier cas, ce sont des messages qu'une couche quelconque d'une personnalité transmet à une autre couche de la même personnalité et qui, créés dans la région profonde de l'être humain, se manifestent à la surface sous forme d'actes, de visions, de rêves, de mots tout prêts, sans qu'il existe la moindre perception du processus qui a présidé à leur élaboration.
Considérons, par exemple, une de ces expériences de lecture de mouvements musculaires, improprement appelée lecture de pensées, qui sont sans doute familières à plus d'un de nos lecteurs et, supposons que j'aie à cacher une épingle qu'un lecteur expérimenté de mouvements musculaires doit découvrir en me tenant la main et en notant mes mouvements musculaires. J'ai caché, d'abord, l'épingle dans le tapis ; changeant d'idée je l'ai mise ensuite sur un rayon de la bibliothèque. Je fixe mon esprit sur ce dernier endroit, tout en ayant résolu de ne faire aucun mouvement susceptible de servir d'indication. L'autre prend ma main, me conduit vers le tapis d'abord, vers le rayon de la bibliothèque ensuite et, trouve l'aiguille. Qu'est-il arrivé dans ce cas ? Quels mouvements ai-je fait ?
Je n'ai fait aucun mouvement volontaire ou involontaire conscient mais, un mouvement inconscient involontaire, se trouvant sous la dépendance directe d'une idéation consciente. J'ai pensé fixement au rayon de la bibliothèque et, lorsque dans notre voyage à travers la pièce nous avons atteint cet endroit, j'ai fait un mouvement, disons plutôt qu'il s'est produit une contraction musculaire du bras, mouvement inconscient mais, suffisant pour fournir à la sensibilité délicate de mon guide, les indications dont il avait besoin. Tout ceci est actuellement admis et jusqu'à un certain point expliqué ; nous définissons ce phénomène en disant que, mon idéation consciente renfermait un élément moteur, lequel élément, tout en étant préservé d'une manifestation consciente, ne s'en est pas moins extériorisé sous  forme d'une contraction périphérique.
Mais il s'est produit quelque chose de plus. Avant que mon guide se fût arrêté devant le rayon de la bibliothèque, il s'était arrêté devant le tapis. Je n'avais plus aucune idée consciente de ce dernier  mais, l'idée de l'épingle dans le tapis a dû se réfugier dans ma région subconsciente  et, ce souvenir inconscient s'était révélé par une contraction périphérique, aussi distincte que celle qui correspondait à l'idée consciente de l'épingle placée sur le rayon de la bibliothèque.
La contraction était donc, en un certain sens, un mouvement automatique transmetteur d'un message ; l'extériorisation d'une idée qui, autrefois consciente, était devenue inconsciente à un degré très léger, il est vrai, puisqu'il aurait suffi d'un léger effort pour la ramener dans le champ de la conscience.
Mais il existe des cas où la démarcation entre les deux zones de la personnalité est très tranchée, au point que la communication de l'une à l'autre est tout à fait impossible. C'est ainsi que dans la suggestion post-hypnotique où l'on ordonne, par exemple, au sujet d'écrire, au réveil, des mots qui lui ont été suggérés pendant le sommeil hypnotique, nous assistons à des mouvements automatiques dont le sujet réveillé n'a aucune conscience. Mais il y a plus. Nous aurons plus bas de nombreux exemples de transformations de chocs psychiques en énergie musculaire d'un genre bizarre en apparence. Ces transformations de force, pour ainsi dire psychique en force physique, s'opèrent en nous d'une façon continue. Mais leur nature est généralement rendue obscure par le problème concernant la véritable efficacité de la volonté et, il ne serait pas sans intérêt de citer un ou deux exemples de ces transformations où il s'agit d'un processus automatique et, où nous nous trouvons en présence de l'équivalent moteur d'une émotion ou d'une sensation qui semble ne renfermer aucun élément moteur.
Un moyen facile, quoique grossier, de constater les transformations de ce genre nous est fourni par le dynamomètre. Il faut, d'abord, déterminer le degré de pression que le sujet est capable d'exercer sur le dynamomètre en le comprimant de toutes les forces dont il dispose à l'état ordinaire. Après un certain exercice, le maximum de force de pression devient à peu près constant et, il est alors possible de le soumettre à différentes influences et de mesurer le degré de réaction, c'est-à-dire le degré de compression en plus ou en moins, selon l'influence qu'il subit. J'amène un enfant au cirque ; il est assis à côté de moi, me tenant par la main ; on tire des coups de fusil et son étreinte devient plus serrée ; supposons qu'au lieu de tenir ma main, il cherche à serrer de toutes ses forces un dynamomètre et, que l'excitation brusque le rende capable de le comprimer plus fortement qu'il ne l'avait fait avant cette excitation : devons-nous considérer ce surplus de contraction musculaire comme automatique ou comme volontaire ?
M. Féré ( Sensation et mouvement, Paris, 1887, F. Alcan.) et d'autres ont montré que les excitations de tous genres, brusques ou prolongées, désagréables ou agréables, tendent à augmenter la force dynamométrique du sujet. En premier lieu, et le fait est d'une grande importance, la force moyenne avec laquelle s'exerce la compression est plus élevée chez l'homme cultivé que chez l'ouvrier, ce qui montre que, ce n'est pas tant une musculature bien développée qu'un cerveau plus ou moins actif, qui rend possible la concentration brusque de la force musculaire. M. Féré a constaté, en outre sur lui-même et sur certains de ses amis, que le simple fait d'écouter une lecture intéressante ou de donner libre cours à ses pensées dans un endroit isolé, que le simple acte de parler ou d'écrire produisent une augmentation incontestable de la compression, surtout dans la main droite. On obtient des effets de dynamogénie identiques chez des sujets hypnotisés, à l'aide de sons musicaux, de la lumière colorée, de la lumière rouge en particulier et même, par la simple suggestion hallucinatoire de la lumière rouge. « Toutes nos sensations, conclut M. Féré, sont accompagnées d'un développement d'énergie potentielle qui passe à l'état kinétique et s'extériorise en manifestations motrices,  qu'un procédé, même aussi grossier que celui du dynamomètre, est susceptible d'observer et d'enregistrer. »
Quelles sont les voies suivies par les messages pour arriver d'une couche de la personnalité à une autre ? Pour répondre à cette question, nous devons considérer, d'abord,  les messages exprimés par des paroles ou par l'écriture, c'est-à-dire par des moyens assez compliqués ; ceux qui affectent une forme plus rudimentaire. Or, le geste constitue le moyen de communication le plus élémentaire commun à l'homme et aux animaux ; et le son, lui-même, ne constitue qu'une forme spécialisée du geste. Les animaux supérieurs différencient leurs cris ; l'homme développe la parole  et, les impulsions aboutissant à la transmission de messages se résolvent toutes en mouvements : mouvements du gosier, mouvements de la main. Les gestes manuels se développent à leur tour, jusqu'à pouvoir produire le tracé grossier des objets et cette impulsion graphique, en se perfectionnant, se différencie dans deux directions : d'un côté, elle devient l'art plastique et pictural transmettant les messages à l'aide d'un symbolisme direct, opposé au symbolisme arbitraire et d'un autre côté, elle s'adapte aux lois de la parole et devient idéographique pour aboutir, peu à peu, au symbolisme arbitraire s'exprimant dans l'écriture alphabétique, l'arithmétique, l'algèbre, la télégraphie.
Existe-t-il, parmi les moyens de communication dont dispose le moi subliminal, des  procédés analogues à ceux que nous venons d'énumérer ? La chose est possible et, comme le moi subliminal commence son effort, à l'exemple du télégraphiste, avec la pleine connaissance de l'alphabet, il est vrai mais, en ne disposant que d'une force d'action faible et grossière sur le mécanisme musculaire, il paraît probable, a priori, que le moyen de communication le plus facile consistera dans une répétition de mouvements simples, arrangés de façon à correspondre aux lettres de l'alphabet.
Tout le monde a entendu parler, ne serait-ce que comme d'une chose ridicule, du phénomène mystérieux des « tables tournantes », des « esprits frappants », etc.. Voyons si les considérations qui précèdent ne seraient pas de nature à fournir, de ce phénomène, une explication suffisante reposant sur une base plus ou moins solide.
Quand une ou plusieurs personnes appartenant à cette catégorie spéciale qu'on désigne par le terme peu explicite et barbare de « médiums » se tiennent tranquillement, pendant quelque temps, les mains en contact avec un objet facile à mettre en mouvement et, qu'elles désirent que le mouvement de l'objet se produise, il arrive souvent que leur désir est réalisé. Quand elles désirent, en outre, que l'objet indique par ses mouvements les lettres de l'alphabet en frappant, par exemple, un coup pour a, deux coups pour b, etc., la chose se produit assez souvent et on obtient des réponses auxquelles personnes ne s'attendait. Jusqu'ici et, quelle que soit notre interprétation, nous nous trouvons en présence de faits faciles à reproduire et que chacun peut vérifier.
Mais en dehors de ces mouvements simples des tables tournantes et des réponses intelligibles des tables parlantes ; mouvements et réponses qu'on peut, à la rigueur, expliquer par la compression inconsciente qu'exercent les mains des personnes assises autour et, sans avoir besoin de postuler l'intervention de quelque force physique inconnue, certaines personnes prétendent qu'il se produit d'autres phénomènes physiques, que les tables se meuvent notamment dans une direction et avec une force qu'aucune pression inconsciente ne suffit à expliquer et, qu'elles donnent souvent des réponses qu'aucune action inconsciente, aucune des forces que nous connaissons ne paraît capable de provoquer. Et les spirites attribuent les mouvements et les réponses de cette dernière catégorie à l'action d'intelligences désincarnées.  Mais, si une table produit des mouvements sans que personne y touche, il n'y a pas de raison d'attribuer ces mouvements à l'intervention de mon grand-père décédé plutôt qu'à la mienne propre car, si l'on ne voit pas la façon dont j'aurais pu la mettre en mouvement moi-même, on ne voit pas plus comment cet effet aurait pu être produit par l'action de mon grand-père.
L'explication bien connue de Faraday d'après laquelle, les mouvements des tables tournantes seraient le résultat d'une sommation de plusieurs mouvements inconscients, vraie pour les cas les plus simples, laisse ouverte la question plus difficile concernant l'origine de ces messages intelligents transmis par des mouvements distincts et répétés d'objets facilement mobiles. Lorsqu'on dit que les mouvements affectent la forme du mot désiré et attendu, on ne tient compte que de la minorité des cas car le plus souvent, les réponses fournies par les tables sont des plus capricieuses et, nullement en rapport avec celles qu'on désirait et auxquelles on s'attendait. L'explication la plus plausible me paraît celle qui admettrait que ces réponses sont dictées, non par le moi conscient mais, par cette région profonde et cachée où s'élaborent des rêves fragmentaires et incohérents.
Or, les mouvements des tables constituent, dans une certaine mesure, la forme la plus simple, la moins différenciée de réponse motrice. C'est tout simplement un genre de geste, quoique de geste impliquant la connaissance de l'alphabet et, comme le geste, le mouvement de réponse est susceptible de se développer dans deux directions : le dessin automatique et la parole. Nous nous sommes déjà occupés en partie du premier au chapitre III et nous nous occuperons plus spécialement de la parole automatique au chapitre IX. Ici, nous ne ferons qu'indiquer brièvement la place qu'occupe chacune de ces formes de mouvement par rapport à d'autres manifestations analogues de l'automatisme.
Quelques-uns de nos lecteurs ont vu, sans doute, de ces dessins quelquefois en couleurs, dont les auteurs affirmaient les avoir dessinés sans aucun plan, sans avoir conscience de ce que faisait leur main. Cette affirmation pouvait être parfaitement vraie et les personnes qui la formulaient parfaitement saines. Les dessins ainsi faits s'accordent de façon curieuse avec ce que l'opinion que j'ai formulée nous autorise à attendre ; car ils présentent un mélange d'arabesques et d'idéographie, c'est-à-dire qu'ils ressemblent en partie à ces formes d'ornementation que trace la main de l'artiste lorsqu'elle se promène sur le papier sans plan défini et, d'un autre côté, ils rappellent les premières tentatives d'expression symbolique que l'on observe chez les sauvages qui ne possèdent pas encore d'alphabet. Comme l'écriture du sauvage, ils présentent des transitions insensibles du symbolisme pictural direct à une idéographie abrégée.
Mais avant d'aborder l'étude de l'écriture automatique proprement dite, il ne serait pas sans intérêt d'illustrer par quelques exemples, cette influence profonde qu'exerce le moi subliminal sur l'organisme tout entier et que nous considérons comme le principal facteur des manifestations automatiques. Les exemples les plus frappants et les plus connus sont ceux de Socrate et de Jeanne d'Arc : le démon du premier agissait principalement dans le sens de l’inhibition, tandis que chez la seconde, les voix qu'elle prétendait entendre déterminaient une impulsion à agir, conformément aux ordres qu'elles formulaient. Dans un cas comme dans l'autre, il s'agissait donc bien, en dernière analyse, de manifestations motrices automatiques, quoique à première vue, l'élément sensoriel consistant en hallucinations auditives y semble jouer le principal rôle. Dans la plupart des autres cas de ce genre, l'élément moteur et l'élément sensoriel se trouvent mêlés d'une façon assez intime et leur séparation est souvent très difficile, sinon tout à fait impossible.
Quoi qu'il en soit, l'inhibition consistant dans l'arrêt brusque de l'action ou dans une incapacité soudaine d'action constitue la forme la plus simple, la plus rudimentaire de l'automatisme moteur ; elle constitue la voie naturelle par laquelle une impression forte, mais obscure, se manifeste au dehors. Telle est, par exemple, l'impression de l’alarme suggérée par quelque son ou quelque odeur vague perçus seulement par le moi subliminal ; l'automatisme moteur se présente alors comme déterminé par un souvenir subliminal, par un état d'hyperesthésie subliminale.
Une action accomplie d'une façon hésitante et incertaine, à cause de certaines objections qu'elle avait soulevées autrefois et qui ont complètement disparu de la mémoire supra-liminale ; des employés de chemin de fer arrêtant brusquement un train, parce qu'ils sont avertis par quelque chose dont ils ne se rendent pas compte et, qui n'est probablement que la perception subliminale d'un son ou d'une odeur, qu'un autre train se dirige à toute vitesse en sens inverse et qu'une catastrophe est inévitable ; des personnes évitant des obstacles et des dangers dans l'obscurité, grâce probablement à la perception subliminale d'une différence dans la pression atmosphérique, dans la résistance de l'air, perception qui, chez quelques-uns, est susceptible d'atteindre un degré d'acuité très élevé — telles sont les principales formes de l'inhibition motrice déterminée par le souvenir subliminal ou l'hyperesthésie subliminale.
A côté de ces formes, il en existe d'autres où il est impossible de relever la moindre sensation hyperesthésique et où l'avertissement reçu par le sujet est de nature plutôt  télesthésique, comme s'il s'agissait de l'intervention d'un véritable ange gardien. Tel est le cas du Dr Parsons qui, au moment d'entrer dans une pièce de son habitation, éprouva une sensation de stupeur qui l'immobilisa sur place et le força de retourner : il fit à peine quelques pas pour s'éloigner de la porte qui conduisait dans cette pièce qu'il entendit un coup de revolver et, une balle entra dans la pièce en question à travers la fenêtre qui donnait sur la rue ; comme il l'apprit plus tard, elle a été tirée par un individu qui croyait, depuis longtemps, avoir des griefs contre M. Parsons mais, que celui-ci ne croyait pascapable d'un acte pareil ( Proceedings S. P. R., XI, p, 459).
Parallèlement à ces cas d'inhibition motrice de nature, pour ainsi dire, télesthésique, nous avons un groupe de cas caractérisés par une impulsion motrice massive, entièrement indépendante d'un élément sensoriel quelconque. Nous ne mentionnerons brièvement, entre tant d'autres, que le cas de M. Thomas Garrisson qui, assistant avec sa femme à un office religieux, se lève subitement au milieu du sermon, sort du temple et, comme poussé par une impulsion irrésistible, fait dix-huit milles à pied pour aller voir sa mère qu'il trouve morte en arrivant. Or sa mère était encore relativement jeune (58 ans) et, non seulement il ne possédait aucun renseignement qui lui permît de soupçonner la mort imminente de sa mère mais, il ne la savait même pas malade (Journal S. P. R., VIII, p. 125).
Cette sensibilité spéciale à l'élément moteur d'une impulsion rappelle les susceptibilités spéciales aux différentes formes d'hallucinations ou de suggestions manifestées par différents sujets hypnotisés. Quelques-uns peuvent être rendus capables de voir, d'autres d'entendre, d'autres encore d'agir, conformément aux conceptions qu'on leur suggère. Le Dr Bérillon a même montré que certains sujets qui paraissaient, à première vue, absolument réfractaires à l'hypnotisation, n'en étaient pas moins capables d'obéir, même à l'état de veille, à une suggestion motrice. Tels étaient les cas d'un homme robuste, d'hommes et de femmes faibles et d'un sujet atteint d'ataxie locomotrice. C'est ainsi que l'abolition du contrôle supra-liminal sur certaines combinaisons musculaires n'exclut pas la suggestibilité motrice par rapport à ces combinaisons ; de même que l'abolition de la sensibilité supra-liminale dans une plaque d'anesthésie n'exclut pas la sensibilité subliminale au niveau de la même plaque. D'un autre côté, un contrôle supra-liminal spécialement bien développé favorise particulièrement la suggestibilité motrice ; par exemple les sujets sachant déjà chanter obéissent d'autant plus facilement aux suggestions se rapportant au chant. Nous devons donc attendre de nouvelles observations avant de pouvoir dire à l'avance si, chez un sujet donné, le message affectera la forme motrice ou la forme sensorielle.
Encore moins pouvons-nous expliquer la prédisposition spéciale de tel sujet à une ou plusieurs des formes communes d'automatisme moteur : parole automatique, écriture automatique, mouvements de tables, etc.. Ces formes de messages peuvent présenter les combinaisons les plus variées ; et le contenu d'un quelconque de ces messages peut-être soit fantastique et capricieux, soit véridique d'une façon quelconque.
Nous allons énumérer les différentes formes de messages moteurs subliminaux, autant que possible dans leur spécialisation croissante.
1° Nous avons, en premier lieu, les impulsions motrices massives (le cas de M. Garisson) intermédiaires aux affections coenesthésiques et aux impulsions motrices proprement dites. Dans les cas de ce genre, il n'existe pas d'impulsion à un mouvement spécial d'un membre. Mais, celle d'atteindre un certain endroit par les moyens ordinaires.
2° Viennent ensuite, dans l'ordre de spécialisation, les impulsions musculaires subliminales simples qui donnent naissance aux mouvements de tables et phénomènes analogues.
3° On peut citer, en troisième lieu, l'exécution musicale commencée subliminalement ; les cas de cette catégorie présentent une certaine difficulté, le seuil de la conscience des exécutants musicaux étant très vague et indéfini (« Dans le doute, jouez avec vos doigts, non avec votre tête»).
4° Le quatrième groupe est constitué par les cas de dessin et de peinture automatiques. Ce groupe curieux de messages n'a que rarement un contenu télépathique et se rapproche plutôt des cas de génie et d'autres formes non télépathiques de faculté subliminale.
5° L'écriture automatique à laquelle sera consacrée le reste de ce chapitre forme le cinquième groupe.
6° La parole automatique qui ne présente pas en soi une forme plus développée de message moteur que l'écriture automatique est souvent accompagnée de modifications profondes de la mémoire ou de la personnalité qui se rapprochent de l' « inspiration » et de la « possession », ces deux mots signifiant, malgré la différence de leur sens théologique, la même chose au point de vue de la psychologie expérimentale.
7° Je puis clore cette énumération par un groupe de phénomènes moteurs que je ne mentionnerai ici qu'en passant, sans en tenter une explication ; il s'agit de ces mouvements télékinésiques des objets dont l'existence réelle est encore sujette à contestation.
En comparant cette liste des manifestations automatiques motrices avec celle des manifestations automatiques sensorielles que j'ai donnée dans le chapitre VI, nous trouverons, à la base de chacune d'elles, une certaine tendance générale. Les automatismes sensoriels commencent par des sensations vagues, non spécialisées, qui deviennent ensuite plus définies et se spécialisent en suivant l'ordre des sens connus, pour dépasser finalement les formes de spécialisation ordinaires, pour embrasser dans un acte de perception, en apparence non analysable, une vérité plus complète que toutes celles que nos formes de perception spécialisées sont capables de nous fournir. Les messages moteurs les plus élémentaires présentent, à leur tour, un caractère des plus vagues ; eux aussi naissent des modifications de l'état organique général du sujet ou coenesthésiques, et les premières impulsions télépathiques vagues hésitent, apparemment, entre plusieurs modes d'expression. Ils traversent ensuite une phase de spécialisation définie pour aboutir, comme dans l'écriture automatique, à un acte de perception non analysable dont tout élément moteur a disparu.
Abordons maintenant l'étude de l'écriture automatique. Par ses expériences sur l'écriture obtenue pendant les différentes phases du sommeil hypnotique, Gurney a ouvert cette longue série de recherches qui, conduites indépendamment par le Pr Pierre Janet en France, ont bientôt acquis une haute importance psychologique et médicale. Le principal intérêt consiste dans ce fait incontestable qu'il est possible de créer artificiellement de nouvelles personnalités temporaires, écrivant des choses complètement étrangères au caractère de la personnalité primitive et que celle-ci n'a jamais connues. Il est à remarquer, en outre, que ces personnalités artificielles tiennent obstinément à leurs noms fictifs et se refusent à admettre qu'elles ne constituent que des aspects et des portions du sujet pris dans son ensemble. On doit se souvenir de ce fait lorsque la prétention persistante à quelque identité spirituelle, disons avec Napoléon, est mise en avant à titre d'argument pour attribuer une série de messages à cette source spéciale. L'étude de ces automatismes auto-suggérés est riche en enseignements intéressants et, les discussions que renferment mes précédents chapitres se rapportent à un grand nombre de points qui devraient être
familiers à tous ceux qui veulent être à même de comprendre les phénomènes moteurs plus avancés et plus difficiles.
Pour que l'étude de ces cas avancés donne des résultats plus ou moins concluants, il faut s'efforcer sans cesse d'en augmenter le nombre, d'enrichir nos collections. Encouragé par les écrits de M. Moses, j'ai recherché, depuis 27 ans, des cas de ce genre et crois me trouver à l'heure actuelle, en possession de 50 observations personnelles d'écriture automatique idiognomonique. Quoique la plupart de ces observations ne présentent pas grand intérêt et soient peu probantes, elles ne m'en paraissent pas moins suffisantes pour admettre que les effets observés sur des personnes saines se prêtent à des conclusions plus adéquates que celles tirées de l'observation de malades d'hôpital ou, que tant d'auteurs formulent par ouï dire. Dans deux cas, l'habitude de l'écriture automatique développée en dépit de mon interdiction, par des personnes sur lesquelles je n'avais aucune influence, s'est montrée jusqu'à un certain degré, en inspirant aux sujets la conviction obstinée que les bagatelles qu'ils écrivaient étaient aussi véridiques qu'importantes. Dans les autres cas, il ne s'est produit rien de pareil et, non seulement les sujets qu'ils concernent ne présentaient aucune maladie ni trouble qu'on pût considérer comme la cause de l'automatisme mais, plusieurs d'entre eux présentaient une santé physique et intellectuelle au-dessus de la moyenne.
En ce qui concerne le contenu des messages automatiques, il varie selon les sources apparentes de ces derniers. On peut, sous ce rapport, distinguer les variétés suivantes :
A. Le message peut avoir sa source dans l'esprit du sujet lui-même et, tirer son contenu soit des ressources de sa mémoire ordinaire, soit de celles de sa mémoire subliminale plus étendue ; la dramatisation du message, c'est-à-dire son attribution à un esprit autre que celui du sujet ressemble, dans ces cas, à la dramatisation des rêves et de la suggestion  hypnotique.
B. Le contenu du message peut avoir sa source dans l'esprit d'une autre personne encore vivante, cette personne étant consciente, ou non, de la suggestion qu'elle transmet.
C. Le message peut être inspiré par une intelligence désincarnée d'un type inconnu, en tous cas, autre que celle de l'agent invoqué. On peut classer sous cette rubrique, les messages attribués d'un côté aux « mauvais esprits » ; d'un autre côté, à des « guides » et des « gardiens » d'une bonté et d'une sagesse surhumaines.
D. En dernier lieu, il est possible que le message provienne, d'une façon plus ou moins directe, de l'esprit de l'agent- même (un ami décédé) qu'il semble invoquer.
Mon principal effort tend naturellement à montrer qu'il existe des messages appartenant à d'autres catégories que la catégorie A dans laquelle la plupart des psychologues voudraient les ranger tous. Quant à moi, quoique réservant un certain nombre de messages aux autres groupes, je ne suis pas moins fermement convaincu que la plupart d'entre eux représentent des effets du travail subliminal de l'esprit du sujet seul. Il ne s'ensuit pas que ces messages présentent, pour nous, moins d'intérêt ou de nouveauté. Au contraire, ils forment un passage instructif, indispensable de l'ancienne introspection psychologique aux méthodes plus hardies sur lesquelles je me propose d'insister. L'action subliminale de l'esprit qu'ils révèlent diffère de l'activité supra-liminale d'une façon qu'il est impossible de prévoir ni d'expliquer. On dirait qu'il existe des tendances subliminales se répandant dans certaines directions obscures et, qui sont aux traits individuels de la personne dont nous réussissons quelquefois à entrevoir les profondeurs, ce que les courants profonds de l'océan sont aux vagues et aux vents qui s'agitent à sa surface.
Je ne ferai que mentionner, ici, un autre point d'une importance fondamentale, en rapport avec la puissance du moi subliminal. Il est évident, notamment, que des messages dont le contenu est formé par des faits que l'automate connaît ou prétend connaître, ne peuvent avoir leur origine que dans son esprit à lui. Mais la proposition contraire n'est pas vraie au même degré, autrement dit des messages dont le contenu est formé par des faits que l'automate ne connaît pas, ne tirent pas nécessairement leur origine d'un esprit autre que le sien. Si le moi subliminal est capable d'acquérir des connaissances supra-normales, il peut arriver à ce résultat par des moyens autres que l'impression télépathique ayant sa source dans un esprit étranger au sien. Il peut assimiler sa nourriture supra-normale par un procédé plus direct, la digérer toute crue. S'il est possible que le sujet reçoive des connaissances de ce genre, grâce à l'influence exercée sur lui par d'autres esprits incarnés ou non, il n'est pas moins possible qu'il les acquière à la suite d'une perception clairvoyante ou, d'une absorption active de faits situés bien au-delà de sa portée supra-liminale.
Il arrive souvent à ceux qui poursuivent, pendant des années, des recherches peu familières au public, que des points de vue qui, au début, n'avaient provoqué que des attaques et des objections, finissent par être admis peu à peu tandis que le chercheur intéressé à de nouvelles idées s'aperçoit à peine du revirement qui s'est produit dans l'opinion concernant les anciennes. Les lecteurs des premiers volumes des « Comptes rendus de la société de Recherches Psychiques » seront souvent à même de constater ces progrès de l'opinion. Dans son livre : « Des Indes à la planète Mars ; études sur un cas de somnambulisme avec glossolalie » (Paris et Genève, 1900), M. Flournoy nous montre d'une façon remarquable les changements qui se sont produits en psychologie durant ces vingt dernières années. Ce livre qui est un modèle d'impartialité d'un bout à l'autre renferme, pour la plus grande partie, une critique destructive des phénomènes quasi supra-normaux dont il s'occupe. Mais, il ne laisse pas de montrer quelle foule de conceptions  empruntées à ce domaine, le psychologue compétent considère, aujourd'hui, comme établies et prouvées alors qu'il y a vingt ans, la science officielle aurait à peine supporté la moindre allusion à ce sujet.
Je dois relever tout d'abord un point important qui corrobore d'une façon décisive, une constatation que j'ai faite moi-même il y a longtemps et qui, à l'époque, aurait paru fantastique à plus d'un de nos lecteurs. Affirmant la continuité potentielle de la mentation subliminale (contrairement à ceux qui prétendaient qu'il n'existe que des émergences accidentelles de la pensée subliminale, analogues à des rêves détachés et incohérents), j'ai dit qu'on serait bientôt obligé de pousser cette notion du moi subliminal continu jusqu'à ses dernières conséquences, si l'on ne voulait pas admettre la possibilité d'une direction et d'une possession extérieures continues. Or, toute la discussion concernant le sujet de M. Flournoy tourne autour de ce point. Nous nous trouvons incontestablement en présence de séries continues et complexes de pensées et de sentiments évoluant au-dessous du seuil de la conscience de Mlle « Hélène Smith ». Cette mentation  sublimale est-elle due à un degré quelconque à l'activité d'esprits, autres que celui de Mlle Smith ? Telle est la question principale ; mais elle se complique d'une question secondaire, celle de savoir si des incarnations précédentes de Mlle Smith, si d'autres phases de son histoire spirituelle affectant maintenant des rapports complexes avec le passé, sont pour quelque chose dans cette multitude de personnalités qui semblent lutter les unes avec les autres pour s'exprimer à travers l'organisme sain.
Mlle Smith, il importe de le dire sans tarder, n'a jamais été un médium payé. Au moment où M. Flournoy composait son livre, elle occupait une belle situation dans une grande maison de commerce de Genève et donnait des séances à ses amis, tout simplement parce que l'exercice de ses facultés médiumistiques lui faisait plaisir et qu'elle s'intéressait beaucoup à leur explication.
Son organisme, je le répète, est réputé par elle-même et par d'autres comme parfaitement sain. Mlle Smith, dit M. Flournoy, déclare catégoriquement qu'elle est saine de corps et d'esprit, parfaitement équilibrée et répudie avec indignation l'idée que le rôle de médium tel qu'elle le remplit soit susceptible d'entraîner une anomalie nuisible ou le moindre danger.
« Je suis si peu anormale, écrit-elle, que je n'ai jamais été aussi clairvoyante, aussi lucide, aussi capable d'un jugement rapide sur n'importe quel point que depuis que je remplis le rôle de médium. » Personne ne semble discuter cette appréciation que les faits qui se sont révélés au fur et à mesure des progrès faits par MIle Smith confirment, en effet, pleinement.
« II est en effet incontestable, continue M. Flournoy (p. 41), que Mlle Smith a une tête extrêmement bien organisée et, au point de vue des affaires par exemple, elle dirige admirablement bien le rayon très important et très compliqué à la tête duquel elle se trouve dans le magasin où elle est employée ; de sorte que lui attribuer un état morbide pour la seule raison qu'elle est un médium équivaut, tout au moins, à l'énoncé d'une pétition de principe inadmissible, puisque la nature de ce qui constitue et caractérise un médium est encore obscure et sujette à discussion.
« II est clair qu'il existe, parmi les savants, des esprits étroits et bornés, forts chacun dans sa spécialité mais, prêts à jeter l'anathème sur tout ce qui ne s'accorde pas avec leurs idées préconçues et, à traiter de morbide, de pathologique, de fou tout ce qui diffère du type normal de la nature humaine, tel qu'ils le conçoivent, d'après le modèle de leur propre personnalité.
« Mais en premier lieu, le critère essentiel d'après lequel nous devons apprécier la valeur d'un être humain nous est fourni, non par son état de bonne et de mauvaise santé, ni par le degré de sa ressemblance avec d'autres individus mais, par la façon dont il accomplit sa tâche spéciale, dont il s'acquitte des fonctions qui lui incombent et par ce qu'on peut attendre et espérer de lui. Je ne sache pas que les facultés psychiques de Mlle Smith l'aient jamais empêchée d'accomplir aucun de ses devoirs ; elles l'y ont plutôt aidée, car son activité normale et consciente a souvent trouvé une assistance inattendue dans ses inspirations subliminales et dans ses manifestations automatiques.
« En deuxième lieu, il est loin d'être démontré que l'état de médium soit un phénomène pathologique ; c'est sans doute un phénomène anormal, en ce sens qu'il est rare, exceptionnel mais, rareté ne signifie pas morbidité. Le peu d'années pendant lesquelles ces phénomènes ont été étudiés sérieusement et scientifiquement ne suffisent pas pour nous permettre de nous prononcer sur leur nature. Il est intéressant à noter que, dans les pays où les études de ce genre ont été poussées le plus loin, en Amérique et en Angleterre, l'opinion qui prédomine chez les savants ayant le plus approfondi la matière n'est nullement défavorable au médiumnisme ; et que loin de considérer ce dernier comme un cas spécial d'hystérie, ils voient en lui une faculté supérieure, avantageuse, saine, dont l'hystérie est une manifestation de dégénérescence, une parodie pathologique, une caricature morbide. »
Les phénomènes que présente cette sensitive (à laquelle M. Flournoy donne le pseudonyme d'Hélène Smith) apparaissent, à première vue, comme variés et multiples mais, cette variété ne tarde pas à se montrer plus apparente que réelle et il est facile de constater qu'ils peuvent s'expliquer par l'autosuggestion.
Nous constatons d'abord les irruptions de toutes sortes d'éléments subliminaux dans la vie supra-liminale. Ainsi que le dit M. Flournoy (p. 45) : « phénomènes d'hypermnésie, divination, découverte mystérieuse d'objets perdus, inspirations heureuses, pressentiments exacts, intuitions justes bref, automatismes téléologiques de tous genres : elle possède, à un haut degré, cette petite monnaie du génie qui constitue une compensation plus que suffisante des inconvénients résultant de ces distractions et de ces absences momentanées qui accompagnent ses visions et qui, le plus souvent, passent inaperçues. »
Au cours de séances où des transformations plus profondes ne présentent aucun inconvénient, elle subit une sorte d'auto-hypnotisation qui produit des états léthargiques et somnambuliques variés. Et quand elle se trouve seule et à l'abri de toute interruption, elle a des visions spontanées pendant lesquelles elle s'approche de l'état d'extase. Elle éprouve pendant les séances des hallucinations positives et négatives ou des anesthésies systématisées de sorte que, par exemple, elle cesse de voir quelque personne présente, plus spécialement celle qui doit être le destinataire des messages qui s'élaborent au cours de la séance. « On dirait qu'une incohérence, comme celle qui caractérise les rêves et les songes, préside au travail préliminaire de désagrégation grâce à laquelle, les perceptions normales se trouvent arbitrairement divisées ou absorbées par la personnalité subconsciente en quête de matériaux pour composer les hallucinations qu'elle prépare. » Ensuite, la séance commencée, le seul acteur est le guide d'Hélène, Léopold (pseudonyme de Cagliostro) qui parle et écrit par son intermédiaire et qui, fort probablement, n'est en réalité que la forme la plus développée de sa personnalité secondaire.
Hélène, en effet, a parfois l'impression de devenir momentanément Léopold (p. 117). M. Flournoy compare cette sensation avec l'expérience de M. Hill Tout (Proceedings S. P. R., XI, p. 399) qui se sent devenir son propre père qui se manifeste à travers lui. « Léopold, dit M. Flournoy, manifeste certainement un côté très honorable et aimable du caractère de Mlle Smith et, en le prenant pour « guide », elle a suivi des inspirations qui sont incontestablement parmi les plus élevées de sa nature » ( p. 134 ).
La haute qualité morale de ces communications automatiques sur lesquelles M. Flournoy insiste tant, est un phénomène digne de considération. Je ne veux pas dire par-là qu'il paraisse spécialement étrange dans le cas de Mlle Smith. Elle apparaît (s'il est permis de s'exprimer ainsi en décrivant un médium) comme une personne ayant l'esprit remarquablement bien réglé.
On n'est pas étonné de voir son moi subliminal aussi exempt de reproche que son moi supra-liminal. Mais en réalité, la remarque que fait ici M. Flournoy est d'une application beaucoup plus large. La haute valeur morale, presque universelle, des manifestations automatiques primitives considérées soit comme des communications spirituelles, soit comme provenant du sujet lui-même, n'a pas encore été, que je sache, suffisamment mise en lumière, ni expliquée d'une façon satisfaisante. Je vais mentionner deux points qui m'ont frappé tout spécialement et qu'il me paraît intéressant de relever : en premier lieu, j'ai lu de nombreux sermons et autres attaques contre le « spiritisme », nom par lequel on désigne généralement toutes les manifestations automatiques et, je ne me rappelle pas un seul exemple où l'on ait cité à l'appui de ces attaques, quelque passage à tendance immorale, basse, cruelle ou impure ; les attaques ont toujours été de ce genre qui, aux yeux du philosophe, est plutôt élogieux pour les écrits attaqués car il semble (et ceci est le deuxième point sur lequel je veux attirer l'attention) qu'aucune des différentes églises en conflit n'ait réussi à détourner, en faveur de ses dogmes, les preuves fournies par les messages automatiques. Les différents controversistes, lorsqu'ils étaient sincères, en ont bien admis l'élévation morale mais, partant de points de vue opposés, s'accordaient à en déplorer le relâchement théologique.
La doctrine de la réincarnation, ou des vies successives traversées par chaque âme sur cette planète, inspire la plupart des communications reçues par Mlle Smith.
Le fait seul que Platon et Virgile partageaient cette doctrine montre qu'elle ne renferme rien qui soit contraire à la meilleure raison et aux instincts les plus élevés de l'homme. Il n'est certes pas facile d'établir une théorie posant la création directe d'esprits à des phases d'avancement aussi diverses que celles dans lesquelles ces esprits entrent dans la vie terrestre sous forme d'hommes mortels ; il doit exister une certaine continuité, une certaine forme de passé spirituel. Pour le moment, nous ne possédons aucune preuve en faveur de la réincarnation et, notre devoir est de montrer que son affirmation dans un cas donné, celui de Mlle Smith par exemple, constitue un argument en faveur de l'autosuggestion plutôt que de l'inspiration extérieure.
Toutes les fois que les hommes civilisés ont reçu ce qu'ils considéraient comme une Révélation, (qui dans son expression première a généralement été quelque peu fragmentaire) ils se sont naturellement appliqués à la compléter et à la systématiser dans la mesure du possible. Et ce faisant, ils visaient trois buts : a) ils voulaient comprendre le plus de mystères possible de l'univers; b) ils voulaient justifier, autant que possible, la conduite du Ciel envers les hommes et c) s'approprier, dans la mesure du possible, le bénéfice et les faveurs que les croyants devaient pouvoir retirer de la révélation. Pour toutes ces raisons, la doctrine de la réincarnation a été très en faveur dans plus d'une contrée et à plus d'une époque. Mais, dans aucun cas, elle ne paraît plus propre à remplir les buts qu'on lui assignait que dans la révélation (pour l'appeler ainsi) à travers l'écriture automatique.
Pour citer un exemple historique : Un prédicateur vigoureux de la foi nouvelle connu sous le nom d'Allan Kardec, a repris la doctrine de la réincarnation en la remplaçant (d'après ce qu'il est permis de croire) par la suggestion assez forte exercée sur l'esprit de différents écrivains automatiques et, l'a exposée dans des ouvrages dogmatiques qui ont exercé une grande influence, surtout parmi les nations latines, grâce à leur clarté, à leur symétrie, à leur bon sens intrinsèque. Mais, les données recueillies étaient absolument insuffisantes et, le Livre des Esprits doit être considéré comme un essai prématuré de formuler une nouvelle religion, de systématiser une science naissante.
Je crois, avec M. Flournoy, que l'étude de cet ouvrage a dû influencer directement ou non l'esprit de Mlle Smith et provoquer chez elle, la croyance à ces incarnations antérieures à son sort et à ses sensations actuels.
D'une façon générale, chaque incarnation, si la dernière a été bien employée, constitue un certain progrès dans l'existence générale de l'être. Si une vie terrestre a été mal employée, la vie terrestre suivante peut fournir la possibilité d'une expiation ou d'un exercice plus large d'une vertu spéciale qui n'a été acquise que d'une façon imparfaite. C'est ainsi que la vie actuelle de Mlle Smith, dans une position plutôt humble, peut-être considérée comme une expiation pour l'excès d'orgueil dont elle avait fait preuve dans sa dernière incarnation, lorsqu'elle était Marie-Antoinette. Mais, cette mention concernant Marie-Antoinette nous met sur la voie du risque que fait courir cette théorie, en favorisant les prétentions des sujets, de descendre d'une lignée illustre d'ancêtres spirituels. Pythagore prétendait que son moi passé n'était incarné que dans un héros secondaire, Euphorbe. Mais de nos jours, Anna Kinghlund et Edward Maitland prétendaient n'avoir été, rien moins que la Vierge Marie et saint Jean-Baptiste. Et Victor Hugo, qui était naturellement porté à ces auto-multiplications, s'empara de la plupart des personnages marquants de l'antiquité qu'il put rattacher les uns aux autres dans un ordre chronologique. Dans chaque cas, la personnification présente des traits frappants ; mais dans chaque cas aussi, il suffit d'une analyse plus ou moins attentive pour écarter l'idée qu'on se trouve en présence d'une personnalité ayant réellement vécu à une époque antérieure et habité une autre planète et, pour nous faire voir dans tous ces faits des effets de  « cryptomnésie », (mot par lequel M. Flournoy désigne la mémoire subliminale) et de cette faculté d'invention subliminale qui nous est déjà suffisamment connue.
M. Flournoy n'a pas été le premier à s'occuper de Mlle Smith. Avant lui, M. Lefébure de Genève a publié sur le même sujet, dans les Annales des sciences psychiques, mars-avril 1897 et mai-juin 1897, des articles dans lesquels il s'efforçait de prouver le caractère supra-normal de la faculté de Mlle Smith qu'il croyait vraiment possédée par des esprits et admettait la réalité de ses incarnations antérieures ainsi que de son langage extra-terrestre ou martien. Après avoir lu ces articles, je les ai laissés de côté comme trop peu concluants, surtout à cause des considérations sur le langage sur lequel M. Lefébure semblait insister le plus, lesquelles me parurent factices au point d'autoriser le doute sur tous les arguments formulés par un auteur qui était capable de croire que les habitants d'une autre planète parlaient une langue ressemblant en tous points à l'idiome français et comprenant des mots tels que quisa pour quel, quisè pour quelle, vétéche pour voir, véche pour ver, véritables expressions fantastiques de nursery. Comme preuve de la consistance et de la réalité du langage extra-terrestre, M. Lefébure cite le fait suivant : « l'un des premiers mots que nous ayons eus, métiche, signifiant monsieur, se retrouve plus tard avec le sens de homme ». C'est-à-dire que par une imitation naïve de l'usage français, Hélène, après avoir transformé monsieur en métiche, changea les messieurs en cèe mètichè. Et l'auteur admet que cette langue a surgi indépendamment de toutes les influences qui ont formé la grammaire terrestre en général et la langue française en particulier ! Et, même après que M. Flournoy eut réfuté cette absurdité, j'ai vu des journaux parler de cette langue martienne comme d'un phénomène étonnant ! Ils semblent croire que, si l'évolution d'une autre planète a abouti à l'apparition de la vie consciente, cette vie consciente doit être telle que nous pouvons tous y entrer sans difficulté, un livre de conversation d'Ollendorff à la main : « eni cée métiché oné qudé »  — « ici les hommes (messieurs) sont bons », etc..
A celui qui étudie l'automatisme, tout ceci suggère irrésistiblement l'idée d'un travail subliminal accompli par le sujet lui-même. C'est un cas de « glossolalie » et nous ne connaissons pas de cas moderne, depuis le cas demi-mythique des Miracles des Cévennes où, un langage de ce genre ait été autre chose qu'un baragouinage. Je m'étais trouvé en possession de plusieurs écrits hiéroglyphiques faits automatiquement, avec cette assurance qu'ils représentaient l'écriture japonaise ou celle d'un ancien dialecte du Nord de la Chine ; mais des experts non prévenus, auxquels j'ai soumis ces écrits, ont vite fait de montrer qu'il ne représentaient que des réminiscences vagues de paraphes ornant des plateaux à thé venant de l'Orient.
Il me semble tout à fait impossible qu'un cerveau puisse recevoir télépathiquement, ne serait-ce que des fragments d'une langue qu'il n'a pas apprise. On peut dire, d'une façon générale, que tout ce qui est élaboré, fini, hardi semble être de facture subliminale : tandis que tout ce qui nous vient véritablement de l'extérieur est fragmentaire, embrouillé, timide.
La particularité la plus intéressante de la langue martienne est sa formation exclusivement française ; ce qui prouverait qu'elle n'a pu être élaborée que par un esprit auquel le français seul est familier. Or, Mlle Smith qui, entre parenthèses, est loin d'être une linguiste, avait pris, étant enfant, quelques leçons d'allemand ; ce qui nous conduirait à cette curieuse supposition que, la langue martienne a été inventée par quelque élément de sa personnalité, antérieurement aux leçons d'allemand.
« Ce fait de la nature primitive des différentes élucubrations hypnoïdales de Mlle Smith, dit M. Flournoy (p. 45) et ,les différents âges de la vie auxquels elles appartiennent, me semblent constituer un des points psychologiques les plus intéressants de son médiumnisme, en ce qu'il tend à montrer que ces personnalités secondaires sont probablement, quant à leur origine et en partie tout au moins, des phénomènes de réversion par rapport à la personnalité ordinaire ; des survivances ou des retours momentanés à des phases inférieures dépassées, depuis un temps plus ou moins long et qui normalement, auraient dû être absorbées par le développement de l'individu, au lieu de se manifester extérieurement en proliférations bizarres. De même que la tératologie éclaire l'embryologie qui, à son tour, explique la tératologie et que les deux réunies éclairent à leur tour l'anatomie, de même on peut espérer que l'étude des faits de médiumnisme nous fournira, un jour, une vue exacte et féconde concernant la psychogénèse normale et qui, à son tour, nous permettra de mieux comprendre les apparences de ces phénomènes singuliers ; de sorte que, finalement, la psychologie gagnera une conception meilleure et plus exacte de la personnalité humaine. »
La faculté dont il s'agit ici : celle d'évoquer des états émotionnels depuis longtemps disparus me semble, en tous cas, éminemment caractéristique du génie poétique et artistique. L'artiste doit souvent aspirer à vivre dans le passé avec plus d'intensité que dans le présent, à sentir de nouveau ce qu'il avait senti autrefois et même, à revoir ce qu'il avait vu jadis. Des souvenirs visuels et auditifs poussés à leur vivacité absolue deviennent des hallucinations visuelles et auditives ; et ce point d'hallucination absolue, peu d'artistes sont désireux ou capables de l'atteindre. Mais la mémoire émotionnelle et affective peut, chez quelques natures privilégiées, recouvrer toute son ancienne netteté, pour le plus grand profit de l'art et même, lorsque l'homme lui-même est devenu plus capable de sentir, les émotions revécues ( semblables en cela à certains souvenirs-images optiques) peuvent dépasser les émotions originales.
Mais retournons à Mlle Smith. Une de ses incarnations précédentes a été celle d'une princesse Hindoue et cette incarnation offre un problème linguistique d'un genre un peu différent. Elle écrivait certaines lettres sanscrites, prononçait certains mots sanscrits, mélangés, il est vrai, à un baragouin quasi-sanscrit et ne dépassant pas ce qu'un bon oeil et une bonne mémoire auraient pu retenir après avoir feuilleté pendant quelques heures une grammaire sanscrite. Hélène pourtant, dont la bonne foi est attestée de tous côtés et qui elle-même croyait certainement le plus sincèrement du monde à l'hypothèse spirite, affirme n'avoir jamais consulté ni vu de grammaire sanscrite. D'un autre côté, il résulte des recherches minutieuses faites par M. Flournoy, que les incidents de l'histoire, ou pseudo-histoire hindoue, sur lesquels repose le récit de cette incarnation, font partie d'un passage du livre rare et épuisé de Marlés sur l'Inde, livre que Mlle Smith affirme n'avoir jamais vu, ce qui paraît d'ailleurs plus que probable. ( Voir cependant Nouvelles observations du même auteur (p. 212-213), d'où il résulterait qu'un monsieur, dans la maison duquel Mlle Smith, avait l'habitude de donner des séances et, possédait une grammaire sanscrite qui se trouvait dans la pièce même où les séances avaient lieu. Dans le même livre (p. 206-210), M. Flournoy montre qu'il existe d'autres sources que le livre de Marlés (lequel se trouve d'ailleurs dans les deux principales librairies de Genève) d'où Mlle Smith aurait pu tirer ses renseignements sur l'Inde ; et il relève (p. 2o3-2o6) dans le roman hindou de nombreuses contradictions internes qui le rendent incompatible avec toute hypothèse de réincarnation.) Cette connaissance se manifeste de façon à indiquer une grande familiarité avec les choses d'Orient et, les sons et les gestes quasi-hindous sont employés avec beaucoup de vraisemblance.
Je n'ai pas besoin d'entrer dans les détails de l'incarnation plus moderne et plus accessible de Marie-Antoinette.
Dans les faits déjà cités, ce problème se trouve réduit à sa forme la plus simple ; et je vais formuler ici, aussi brièvement que possible, une théorie que M. Flournoy n'a pas invoquée. Je suis d'accord avec lui pour considérer tout ce roman hindou comme fantastique. Mais, je n'en conclus pas que Mlle Smith a dû voir, sans en avoir conscience, l'Histoire de Marlés et une grammaire sanscrite et je considère comme possible, que les faits que renferme le livre de Marlés et la grammaire soient arrivés à sa connaissance par clairvoyance, à travers son moi subliminal.
Je passe de ces romans incarnationnistes à certains phénomènes moindres mais tout aussi intéressants, que M. Flournoy qualifie d'automatismes téléologiques. « Un jour, dit M. Flournoy (p. 55), que Mlle Smith se proposait de descendre un objet grand et lourd qui se trouvait sur un rayon assez élevé, elle fut empêchée de le faire, son bras élevé étant resté en l'air pendant quelques secondes comme pétrifié et incapable de mouvement. Elle considéra ce fait comme un avertissement et renonça à son projet. A une séance ultérieure, Léopold certifia que ce fut lui qui empêcha son bras de saisir l'objet car, il était trop lourd pour elle et lui aurait causé quelque accident. Une autre fois, un commis qui cherchait en vain, depuis quelque temps, certain échantillon, demande à Hélène si elle ne savait pas ce qu'il était devenu. Mécaniquement et sans réflexion, celle-ci répond qu'il a été envoyé à M. J. (un client de la maison). En même temps elle vit, à une certaine hauteur du parquet, le nombre 18 tracé en grands chiffres noirs et elle ajouta inconsciemment : « il y a 18 jours de cela ». Ceci était tout à fait improbable mais, ne s'en était pas moins montré exact. Léopold n'avait aucun souvenir de ce fait et ne semble pas avoir été l'auteur de cet automatisme cryptomnésique. »
Mlle Smith a encore vu l’apparition de Léopold lui barrant un chemin qu'elle se proposait de prendre et cela dans des circonstances telles que, si elle avait pris ce chemin, il est fort probable qu'elle aurait eu à le regretter.
La question suivante est celle de savoir si une faculté supra-normale quelconque se manifeste dans les phénomènes que nous présente le cas de Mlle Smith. Il paraît y exister un certain degré de télépathie (p. 363 et suivantes), comme dans cette séance où elle vit un village situé sur une colline couverte de vignes et un vieillard habillé en « demi-monsieur » descendant la colline, le long d'un sentier caillouté ; pressée de donner les noms du village et du monsieur, elle écrivit pour le premier « Chessenaz » et pour le second  Chaumontet syndic » ; quelques jours après, elle revit le même monsieur, accompagné d'un autre qu'elle disait être le curé du village dont elle écrivit le nom : « Burnier-salut ». Il résulte des renseignements qui furent pris plus tard que Chessenaz est un village inconnu situé dans la Haute-Savoie, à 26 kilomètres de Genève, qu'un nommé Jean Chaumontet a été syndic de ce village en 1838 et 1839 et un nommé André Burnier curé de 1824 à 1841 ; les deux noms figurent sur un grand nombre d'actes de naissance, etc. ; les signatures données par Mlle Smith ressemblent beaucoup aux signatures authentiques de ces deux personnages. Mlle Smith avait bien eu, autrefois, des connaissances dans les environs de Chessenaz. Mais, ne se rappelle pas avoir jamais vu ce village ; elle ne croit même pas en avoir entendu parler, pas plus que des deux noms du syndic et du curé. Ces deux noms sont pourtant assez répandus dans la région et, il est possible qu'au cours de ses visites, ses amis lui aient montré quelque acte portant ces deux signatures, lesquelles (nous pouvons l'affirmer, puisque sa probité est au-dessus de tout soupçon) auront complètement disparu de sa mémoire supra-liminale.
Ce cas de M. Flournoy, qu'on peut bien considérer comme un cas classique, présente un exemple frappant du libre essor et de l'activité incessante du moi subliminal indépendants de toute influence extérieure. L'élément télépathique, s'il existe, y est relativement peu important. Ce que nous observons, chez Mlle Hélène Smith, ressemble à une sorte d'exagération de la faculté constructive subliminale ; à une hypertrophie de génie sans cette originalité innée de l'esprit qui fait, même des rêves d'un R.-L. Stevenson, une source de plaisir pour des milliers de lecteurs.
Pour nous, des cas de ce genre, quelques curieux qu'ils soient, ne forment qu'une introduction à des automatismes d'un caractère plus profond. Dans notre tentative de tracer les séries évolutives des phénomènes attestant l'existence de facultés humaines de plus en plus élevées, le moindre incident télépathique, la preuve la plus banale, pourvu qu'elle soit une preuve de communications reçues sans l'intermédiaire des sens, d'un esprit incarné ou désincarné, dépassent en importance les ramifications et les productions les plus complexes de l'esprit de l'automate lui-même.
Nous possédons toute une série de cas où des expériences faites avec la planchette ont Révélé, d'une façon incontestable, l'intervention d'un élément télépathique ; d'une influence à distance exercée inconsciemment par des personnes présentes, sur l'esprit des opérateurs et, provoquant de leur part, des mouvements automatiques enregistrés par la table, soit que celle-ci donnât les noms des personnes au moment où leurs portraits étaient regardés par les assistants, soit qu'elle devinât le nombre des pièces de monnaie qui se trouvaient dans la poche d'un assistant alors que, celui-ci n'était pas suffisamment fixé lui-même sur ce nombre, soit qu'elle désignât à l'avance et la somme d'argent que telle personne devait recevoir à titre d'étrennes d'un ami et le nom de ce dernier. Même dans les cas où la personne intéressée semblait ignorer le fait annoncé par la table et la concernant, il était facile de s'assurer que cette personne avait, du fait en question, une connaissance tout à fait subliminale.
Le fait le plus frappant de ce genre est celui de M. et de Mme Newnham qui se sont livrés à des expériences qui consistaient, pour cette dernière, à écrire des réponses à des questions formulées par le premier, également par écrit, sans qu'elle ait jamais entendu ni vu une seule de ces questions.. Ces expériences ont été répétées pendant un temps suffisamment long et, si quelques-unes des réponses écrites par Mme Newnham n'ont aucun rapport avec les questions auxquelles elles étaient destinées, le nombre des réponses exactes et justes n'en reste pas moins encore très considérable et autorise à conclure qu'il s'agissait là de quelque chose de plus qu'une simple coïncidence (Voir Proceedings S. P. R., IX, p. 61-64).
Jusqu'ici, nous n'avons que des cas où l'action télépathique s'exerçait entre des personnes rapprochées, réunies dans la même pièce. Dans le cas de Mme Kirby qui habitait Santa Cruz en Californie, les mouvements automatiques de la table ont révélé des faits concernant des personnes habitant Plymouth en Angleterre, notamment la soeur d'un domestique de Mme Kirby, qui prenait part aux expériences et qui lui était connu sous un nom d'emprunt, son vrai nom ayant été également révélé par la table (Proceedings S. P. R., IX, p. 48).
À côté de ces cas de communications entre vivants, il en existe d'autres où le message semble venir d'une personne décédée alors qu'en réalité elle a, le plus souvent, sa source dans l'esprit d'une des personnes présentes. Tel est le cas souvent cité de M. Lewis, (Proceedings S. P. R., IX, p. 64) auquel un médium qui ne pouvait, en aucune façon, être au courant des affaires de famille de M. Lewis qu'il ne connaissait même pas, communiqua, par l'intermédiaire d'une table, un message provenant d'une des soeurs de ce dernier, morte à l'âge de 2 ans, avant que M. Lewis fût né. Tel est encore, le cas de M. Long, ( Proceedings S. P. R., IX, p. 65) auquel un médium communiqua un message d'un ancien domestique, le nom de ce dernier ayant été orthographié d'une façon inexacte et, le message portant que le domestique était mort depuis 14 ou 15 ans alors qu'il résultait des renseignements pris plus tard que, au moment où le message a été communiqué à M. Long, le domestique était encore vivant. On peut encore ranger dans la même catégorie le cas communiqué à M. Barrett ( Proceedings S. P. R., II, p. 236) et concernant un médium qui, ayant prié une jeune fille de sa connaissance de penser à une personne quelconque, décrivit automatiquement certains faits qui concernaient cette personne.
Au cours d'une séance de spiritisme qui a eu lieu chez le Dr Barallos de Rio De Janeiro, la table annonça qu'un vase renfermant de l'acide phénique s'était brisé à 8 heures du soir dans l'appartement de la belle-soeur du docteur, qui assistait également à la séance. Sa maison était située assez loin du domicile de son beau-frère. En rentrant chez elle, elle a pu constater que le fait était vrai, ou à peu près. Elle apprit également que ses filles qui étaient restées à la maison, en entendant du bruit dans une chambre voisine où couchait un enfant atteint de variole et, où se trouvait également le vase d'acide phénique, sont entrées précipitamment dans cette chambre en s'écriant : « Le vase d'acide phénique est brisé. » II est possible et, c'est aussi l'explication du Pr Alexander de Rio De Janeiro qui nous a communiqué ce cas, que l'impression émotionnelle qu'ont éprouvée les jeunes filles en poussant cette exclamation, ait exercé une influence télépathique sur leur mère et consécutivement sur la table, en amenant à la surface le message que la première a reçu subconsciemment ( Journal S. P. R., VI, p. 112-115).
Nous avons ensuite toute une série de cas qui offrent un champ intéressant à la discussion des deux hypothèses rivales : celle de la cryptomnésie et celle de l'influence exercée par des esprits. Ce sont, par exemple, les cas observés par M. Wedgwood ( Journal S. P. R., V, p. 174 et Proceedings S. P. R., IX, p. 99-109) et dans lesquels il a même joué un rôle actif, en ce sens que lui, qui n'a jamais présenté de manifestations d'automatisme, a participé à des séances d'écriture automatique en compagnie d'une jeune fille qui, elle, était sujette à des impulsions automatiques. L'écriture obtenue dans ces cas constituait la relation de faits concernant des personnages historiques, morts depuis plus ou moins longtemps, plus ou moins célèbres, en tous cas inconnus à M. Wedgwood et à sa partenaire, à cette dernière surtout, qui avait très peu lu et possédait sur toutes choses des connaissances plus qu'insuffisantes. La seule explication possible de ces cas est que M. Wedgwood, cousin et beau-père de Charles Darwin, savant bien connu lui-même ayant beaucoup lu et possédant des connaissances très étendues, pouvait bien ne pas avoir un souvenir supra-liminal des personnages historiques qui traçaient, par l'intermédiaire de sa main, les événements de leur vie mais, qu'il pouvait très bien s'agir d'une émergence de souvenirs subliminaux. Ces cas montrent toutes les difficultés que présente la théorie des souvenirs oubliés. On verra qu'avec un automate de bonne foi on peut, à force de patience, arriver à une solution satisfaisante de la question ; il suffit qu'il nous fournisse, avec des partenaires différents, une série de communications assez longue, dont l'examen nous permettra de constater jusqu'à quel point, les faits que ces communications relatent ont été vus ou entendus et oubliés ensuite. Des communications pareilles fournies par d'autres automates nous mettront à même de tirer une conclusion générale quant à la source de ces faits rétro-cognitifs, si le souvenir oublié ne suffit pas à les expliquer toutes. Le fait le plus important, sous ce rapport, consiste dans le récit absolument véridique, je crois, donné par M. Stainton Moses, dans « Spirit Identity, » d'une série de messages communiqués par des compositeurs de musique et relatant les principaux événements de la vie de chacun d'eux, à peu près tels qu'on peut les trouver dans n'importe quel dictionnaire biographique. Si de pareils messages nous étaient présentés par des automates d'une probité douteuse ou incapables de nous fournir la preuve d'autres messages qui ne pouvaient, en aucune façon, être préparés d'avance, nous n'aurions qu'à ne pas en tenir compte. Mais, dans le cas de M. Moses comme dans celui de la jeune fille des expériences de M. Wedgwood et, à un degré encore plus prononcé, nous avons tant de preuves incontestables de l'existence de facultés subliminales que nous pouvons considérer ces biographies musicales comme faisant partie des séries qui nous intéressent en ce moment. Leur nature particulière a excité la curiosité de M. Moses et de ses amis qui ont été informés par des « guides », qu'il s'agissait réellement de messages provenant des esprits en question mais, que ces esprits ont rafraîchi les souvenirs de leur vie terrestre en consultant des sources d'informations imprimées. Ceci équivaut à ruiner la preuve qu'on veut fournir. Si un esprit est capable de consulter sa biographie imprimée, d'autres esprits le peuvent également et l'esprit incarné de l'automate aussi bien que les autres. C'est ce dont M. Moses se rendait compte, puisqu'il me racontait que la sensation subjective qu'il éprouvait en écrivant ces biographies, était différente de celle que faisait naître en lui la communication directe et réelle avec un esprit.
De ces récits historiques portant sur des faits éloignés dans le temps, je passe aux messages provenant de personnes récemment décédées et qui renferment un élément personnel plus prononcé. Cet élément est constitué surtout par l’écriture. Or, la preuve de l'identité fournie par la ressemblance des écritures peut être assez concluante. Mais, dans l'appréciation de cette ressemblance, on doit tenir compte des considérations suivantes : d'abord, la ressemblance est souvent affirmée et admise après un examen superficiel et insuffisant. Pour qu'il n'y ait pas de doute à ce sujet, il faut, sinon recourir à l'avis d'un expert, examiner minutieusement les trois écritures : l'écriture automatique du même sujet et celle du sujet à l'état normal, celle de la personne qui est l'auteur présumé du message. Ceci se rapporte aux cas où le sujet n'a jamais vu l'écriture de la personne décédée. Dans les cas, au contraire, où il connaît cette écriture, nous devons nous rappeler, en deuxième lieu, qu'un sujet hypnotisé peut souvent imiter n'importe quelle écriture connue plus facilement qu'à l'état de veille et que nous pouvons, par conséquent, avoir souvent affaire à une faculté mimétique du sujet subliminal se manifestant dans les messages, sans intervention aucune du moi supra-liminal.
Je citerai maintenant quelques cas dont le principal intérêt consiste dans l'annonce d'une mort inconnue au médium. - Tel est le cas observé par le Dr Liébeault ( Phantasms of the Living, I, p. 293) se rapportant à une jeune fille américaine qui, lors d'un séjour à Nancy, apprend, par le moyen de l'écriture automatique, la mort d'une de ses amies restée en Amérique. Renseignements pris, le fait fut trouvé vrai, l'amie en question étant morte le Jour-même où l'annonce en a été reçue à Nancy. Dans le cas de M. Aksakoff, une jeune fille, Mlle Stramon, habitant Wilna en Russie, est informée de la mort d'un jeune homme habitant la Suisse et dont elle avait autrefois refusé la main. D'après le message qui, ainsi qu'on l'a appris plus tard, était parvenu cinq heures après la mort, celle-ci aurait été occasionnée par un « engorgement de sang ». Or, il s'agissait en réalité de suicide. Dans une lettre que la jeune fille reçut trois jours plus tard de son père qui se trouvait, à ce moment-là, en Suisse, il était également dit que la cause de la mort avait été un engorgement de sang alors que, l'auteur de la lettre ne pouvait ne pas savoir la cause exacte de la mort. M. Aksakoff suppose que la personne décédée a dû agir, d'un côté, sur Mlle Stramon en lui faisant parvenir le message automatique et d'un autre côté, sur le père de la jeune fille, en l'empêchant de donner dans sa lettre, la cause exacte de la mort ( Proceedings S. P. R., VI, p. 343-48).
Le cas de M. W... est des plus curieux. ( Proceedings S. P. R., VIII, p. 242-248) Homme sérieux, magistrat, il assiste un jour à une séance de « tables parlantes » où on lui apprend qu'il possède le don de l'écriture automatique. Aussitôt, il se met à l'oeuvre et après avoir acquis la conviction qu'il possédait réellement ce don, il l'exerce toutes les fois que l'occasion se présente et souvent, avec des résultats surprenants ; il obtient, à l'aide de l'écriture automatique, des renseignements sur un grand nombre d'affaires qui l'intéressent : état de santé de personnes absentes, mort imminente de personnes malades que les médecins ne croyaient nullement en danger, détournement de succession malgré les dénégations de la personne inculpée, description de l'extérieur et des circonstances de la vie et de la mort de personnes qu'il n'a jamais vues ni connues mais auxquelles, une autre personne présente à la séance se contentait de penser, etc., etc.. On voit que quelques-uns de ces messages peuvent s'expliquer par l'hypothèse de la télesthésie subliminale, d'autres par celle de la télépathie ayant sa source dans l'esprit de personnes vivantes, d'autres encore semblaient provenir de l'esprit de personnes décédées.
Le cas suivant, publié par M. Aksakoff, montre jusqu'à quel point les personnes décédées peuvent continuer à être au courant des choses terrestres. Une jeune fille russe, Schura, (diminutif d'Alexandrine) s'empoisonna à l'âge de 17 ans, après avoir perdu son fiancé Michel qui, arrêté comme révolutionnaire, perdit la vie en tentant de s'évader. Le frère de Michel, Nicolas, était, au moment où a été prise cette observation, étudiant à l'Institut Technologique. Un jour, une dame de Wiessler et sa fille (dont la première s'occupait beaucoup de spiritisme), qui ne connaissaient que très peu la famille de Michel et de Nicolas et, dont les relations avec Schura et sa famille remontaient déjà à une époque éloignée, sans avoir été jamais très suivies, reçoivent par l'intermédiaire d'une table, un message de Schura leur enjoignant de prévenir, sans retard, la famille de Nicolas, que leur fils court le même danger dont a péri son frère. En présence des hésitations de ces deux dames, Schura devient de plus en plus insistante, prononce des paroles de colère dont elle avait l'habitude de se servir de son vivant et, pour leur fournir une preuve de son identité, va jusqu'à apparaître à Sophie un soir, la tête et les épaules encadrées d'un cercle lumineux. Ceci ne suffit pas encore à décider Mme von Wiessler et sa fille. Enfin, un jour, Schura leur fait savoir que tout est fini, que Nicolas va être arrêté et qu'elles auront à se repentir de ne pas lui avoir obéi. Les deux dames se décident alors à porter tous ces faits à la connaissance de la famille de Nicolas qui, très satisfaite de la conduite de ce dernier, ne prête aucune attention à ce qu'on vient lui raconter. Deux années se passent sans incidents, lorsqu'on apprend un jour, que Nicolas vient d'être arrêté pour avoir pris part à des réunions révolutionnaires qui avaient eu lieu à l'époque- même des apparitions et des messages de Schura (Proceedings S. P. R,, VI, p. 349-353).
Le cas suivant est, pour ainsi dire, unique dans son genre. Il relate le succès d'une expérience directe, d'un message projeté avant et communiqué après la mort, par un homme qui considérait que l'espoir d'une existence certaine après la mort valait bien un effort résolu, quelque en soit le résultat. Le frère de Mme Finney ( Proceedings S. P. R., VIII, p. 248-251) se fit apporter, quelques mois avant sa mort, une brique qu'il marqua à l'encre d'une certaine façon et, la cassant ensuite en deux, en donna une moitié à sa soeur, lui disant qu'il lui communiquerait, après sa mort à lui, l'endroit où serait cachée l'autre moitié de la brique, ainsi que le contenu d'une lettre cachetée qui se trouverait cachée dans le même endroit. Après le décès de son frère, Mme Finney reçut, par l'intermédiaire d’une table, les communications qui lui avaient été promises concernant aussi bien, le contenu de la lettre que l'endroit où elle était cachée avec la moitié de la brique. Ces communications étaient absolument exactes.
Des expériences de ce genre peuvent être tentées par tout le monde. Et je dois ajouter que ce sont les expériences avec l'écriture automatique, la cristalloscopie, etc., plutôt que celles concernant les apparitions spontanées, qui sont capables de nous fournir une information réelle quant au degré où les esprits désincarnés gardent une connaissance des choses terrestres.
Avant de clore ce chapitre, essayons de nous rendre compte du chemin que nous avons parcouru jusqu'ici et du point où nous en sommes. Nous constaterons, ici, que les phénomènes moteurs n'ont fait que confirmer et étendre les résultats que l'étude des phénomènes sensoriels nous avait déjà fait entrevoir. Nous avons déjà attiré l'attention sur le degré variable d'extension des facultés subliminales, aussi bien dans le sommeil qu'à l'état de veille. Nous avons vu une intensification hyperesthésique d'une faculté ordinaire aboutir à la télesthésie et à la télépathie dont des personnes vivantes ou décédées constituaient le point de départ. A côté de ces facultés qui, dans l'hypothèse d'une existence indépendante de l'âme, nous paraissaient susceptibles d'une explication suffisante, nous avons noté, aussi, l'existence d'une faculté pré-cognitive d'un genre tel, qu'aucun fait scientifique connu n'est capable de nous l'expliquer.
Au cours de l'étude des automatismes moteurs, nous avons trouvé un troisième groupe de cas qui confirment, de tous points, les résultats que nous a fournis l'analyse des automatismes moteurs dans le sommeil et à l'état de veille. Des preuves, à ce point convergentes supposent, pour être mises en doute, une hardiesse de négation peu commune. Mais, les automatismes moteurs nous ont encore appris quelque chose de plus. A la fois plus énergiques et plus persistants que les automatismes sensoriels, ils nous mettent en présence de certains problèmes que la nature superficielle et fugitive des impressions sensorielles nous permettait, en quelque sorte, d'esquiver. C'est ainsi que, lors de la discussion du mécanisme des fantômes visuels et auditifs, deux conceptions rivales se sont offertes à notre choix : celle de l’influence télépathique et celle de l’invasion psychique.  Nous disions qu'il faut admettre, ou une action exercée par l'agent sur l'esprit du sujet percevant, stimulant les trajets sensoriels du cerveau de ce dernier, de telle sorte que l'impression s'extériorise sous forme d'une quasi-perception ou bien, une modification opérée par l'agent dans cette portion de l'espace où une apparition est discernée, peut-être par plusieurs sujets à la fois.
A ce moment-là, c'est l'hypothèse de l'influence télépathique qui nous a paru la plus naturelle, la moins extrême des deux, peut-être parce que, les images auxquelles nous avions affaire étaient si vagues et obscures. Mais à présent, au lieu des hallucinations flottantes, nous avons, devant nous, des impulsions fortes et durables qui semblent venir des profondeurs de l'être et qui, à l'exemple de la suggestion hypnotique, sont capables de surmonter les résistances et les répugnances du sujet qui ne connaît pas de repos tant qu'il n'a pas agi conformément à cette impulsion. Nous pouvons encore, si nous le voulons, parler d'influence télépathique mais maintenant, ce terme sera difficile à distinguer de l'invasion psychique. Cette forte, quoique bizarre en apparence, innervation motrice correspond, en réalité, aussi exactement que possible, à l'idée que nous avons de l'invasion ; invasion, non plus de l'espace seul où se trouve le sujet mais, de son corps et de ses
facultés. Cette invasion se prolongeant suffisamment, peut devenir de la possession et, elle unit et intensifie à la fois, les-deux hypothèses précédentes : celle de l'action télépathique sur l'esprit du sujet et celle de la présence fantasmogénique dans son entourage. Ce qui apparaissait d'abord comme une simple influence, tend à devenir une direction persistante ; ce qui apparaissait d'abord comme une simple incursion dans le milieu du sujet devient une incursion dans son organisme-même. Ce léger progrès, de l'état vague à une clarté relative de la conception, pose devant nous toute une série de problèmes nouveaux. Mais, comme nous devions nous y attendre, quelques-uns de nos phénomènes antérieurs peuvent servir à nous faire comprendre des phénomènes plus avancés.
Dans les cas de dédoublement de la personnalité, pour commencer par ceux-là, nous avons vu survenir les mêmes phénomènes, alors qu'aucune autre personnalité que celle du sujet n'était en jeu. Nous avons vu une partie du moi subliminal dominer partiellement ou temporairement l'organisme entier, soit en dirigeant, par exemple, les mouvements d'un seul bras, soit en dirigeant temporairement tout le système nerveux ; et, tout ceci avec des degrés variables de déplacement de la personnalité primitive.
II en est de même de la suggestion post-hypnotique. Nous avons vu le moi subliminal recevoir l'ordre d'écrire, par exemple,  « Il a cessé de pleuvoir » et écrire immédiatement ces mots, en dehors de la volonté consciente du sujet et, cette fois aussi, avec des degrés variables de déplacement du moi éveillé. De ces cas à celui de Mme Newnham, il n'y a qu'un pas à faire. Le moi subliminal de cette dernière mettant en oeuvre des facultés supra-normales et faisant un certain effort de son côté, acquiert la connaissance de certains faits provenant de l'esprit de M. Newnham et se sert de sa main pour les écrire automatiquement. Le grand problème qui se pose à ce propos, est celui de savoir comment Mme Newnham acquiert la connaissance des faits en question, plutôt que celui de la façon dont elle parvient à les écrire.
Mais à mesure que nous avançons, il devient de plus en plus difficile de limiter le problème aux activités du moi subliminal de l'automate. Nous ne pouvons pas toujours affirmer qu'une partie de la personnalité du sujet arrive à la connaissance supra-normale par un effort personnel. Les preuves en faveur de l'influence, ou de l'action télépathique du dehors, semblent s'accumuler de plus en plus. Dans le cas Kirby par exemple, (voir plus haut) on peut supposer que l'esprit de la soeur avait exercé, sur le frère, une action télépathique du dehors, qui aboutissait à des mouvements automatiques, absolument semblables à ceux qui naissent du dedans. De quel mécanisme s'agit-il donc ici ? Devons-nous supposer que le moi subliminal de l'automate exécute les mouvements, obéissant à un ordre ou à une influence extérieure ? Ou bien l'agent extérieur qui envoie le message télépathique exécute-t-il, lui-même, les mouvements télékinétiques accompagnant le message ? (point que nous n'avons pas encore discuté mais qui est d'une importance capitale) Devons-nous supposer qu'eux aussi sont effectués par le moi subliminal du
sujet, sous la direction d'un esprit extérieur, incarné ou désincarné ? ou bien sont-ils effectués directement par cet esprit extérieur ?
Il est impossible de dire laquelle de ces deux hypothèses est la plus facile. A un certain point de vue, il paraît plus simple de nous en tenir, autant que possible, à cette vera causa qu'est le moi subliminal de l'automate et, de recueillir des observations attestant l'existence, en lui, d'une Faculté capable de produire des effets physiques s'étendant au-delà de l'organisme. Nous possédons bien, à ce sujet, des observations fragmentaires et, même Mme Newnham (je le dis en passant) croyait que sa plume, en écrivant les messages qu'elle recevait télépathiquement de son mari, était mise en mouvement par autre chose que l'action musculaire des doigts qui la tenaient. D'un autre côté, il paraît inconséquent d'attribuer à l'action d'un esprit extérieur, des impulsions et
impressions qui appartiennent en propre à l'automate lui-même et, en même temps, de se refuser à attribuer à la même action extérieure des phénomènes qui se passent en dehors de l'organisme de l'automate et qui se présentent à lui comme des faits objectifs, aussi extérieurs à son être que la chute d'une pomme sur le sol.
En réfléchissant sur ces points et en admettant ce genre d'interaction entre l'esprit de l'automate et un esprit extérieur, incarné ou désincarné, nous obtenons une variété vraiment déconcertante de combinaisons possibles entre ces deux facteurs ; variété d'influences de la part de l'esprit actif ; variété d'effets se manifestant dans l'esprit et dans l'organisme du sujet passif.
Qu'est-ce qui produit ces influences et qu'est-ce qui se trouve déplacé ou remplacé par ces influences ? De quelle façon deux esprits peuvent-ils coopérer dans la possession et la direction d'un seul et même organisme ?
Ces derniers mots : « possession et direction », nous rappellent le grand nombre de traditions et de croyances relatives aux effets que les esprits des personnes décédées peuvent faire naître grâce à la possession et à la direction qu'ils exercent sur les vivants. A ces croyances anciennes et vagues, nous nous efforcerons de donner, dans le chapitre suivant, une forme aussi exacte et aussi stable que possible. Et, remarquez avec quelle disposition entièrement nouvelle de l'esprit nous abordons cette tâche. L'étude de la « possession » n'est plus pour nous, comme pour le savant civilisé ordinaire, une simple recherche archéologique ou anthropologique de formes de superstition complètement étrangères à la pensée saine et systématique. Au contraire, cette étude découle directement de notre argumentation précédente ; elle nous est absolument nécessaire, aussi bien pour la compréhension de faits déjà connus, qu'en vue de la découverte de faits encore inconnus. Nous sommes obligés d'examiner certains phénomènes définis du monde spirituel, afin de pouvoir expliquer certains phénomènes définis du monde matériel.
CHAPITRE IX - POSSESSION, RAVISSEMENT, EXTASE

En attendant que les nouvelles données que nous verrons apparaître au cours de ce chapitre nous permettent de donner de la possession une définition plus large, nous la définirons ici en disant qu'elle n'est qu'une forme plus développée de l'automatisme moteur. La différence entre ces deux états consiste en ceci que dans la possession, la personnalité de l'automate disparaît complètement pour quelque temps et qu'il se produit une substitution plus ou moins complète de la personnalité ; la parole et l'écriture sont des manifestations d'un esprit étranger à l'organisme dont il a pris possession. Les changements qui se sont produits dans l'opinion relative à cette question depuis 1888, année où nous avons, pour la première fois, conçu l'idée de ce livre, sont des plus significatifs. Il existait bien, à cette époque-là, un certain nombre de preuves en faveur des idées que nous défendons mais, pour des raisons diverses, ces preuves pouvaient être interprétées de plus d'une façon. Même en ce qui concerne les phénomènes que présentait M.W- S. Moses, on pouvait dire que la « direction » sous laquelle il parlait et écrivait en état de possession se réduisait à une simple autosuggestion ou à des impulsions venant de sa personnalité plus profonde. Je n'ai pas eu alors l'occasion, que l'amabilité de ses exécuteurs testamentaires m'a offerte depuis, d'étudier toute la série de ces phénomènes d'après les notes originales de M. Moses et de me former la conviction que j'ai à présent, qu'un facteur spirituel jouait un rôle important dans cette longue série de communications. Bref, je ne me doutais pas alors que la théorie de la possession pourrait être présentée comme quelque chose de plus qu'une spéculation plausible, comme une nouvelle preuve en faveur de la survivance de l'homme après la mort corporelle.
L'état de choses a, comme tout lecteur des comptes rendus de la Société de Recherches Psychiques le sait, subi un changement complet dans ces dix dernières années. Les phénomènes d'extase de Mme Piper, si longtemps et si soigneusement observés par le Dr Hodgson et autres formaient, je crois, l'ensemble de preuves psychiques le plus remarquable de toutes celles qui ont jamais été produites dans aucun domaine. Et plus récemment, d'autres séries de phénomènes d'extase obtenues avec d'autres « médiums », tout en étant encore incomplètes, ont ajouté des preuves matérielles à celles qui découlent des expériences de Mme Piper. Et il résulte que les phénomènes de possession sont actuellement les mieux attestés et intrinsèquement les plus avancés de tous ceux dont nous nous occupons.
Mais le simple accroissement de preuves directes, quelle qu'en soit l'importance, est loin d'être la seule cause des changements dont nous parlons. Non seulement l'évidence directe s'est accrue mais l'évidence indirecte grandissait à son tour. La notion de la personnalité, celle de la direction exercée sur l'organisme par des esprits, se sont peu à peu modifiées à un point tel que la possession qui, jusqu'à une époque récente, passait pour une simple survivance de la pensée primitive peut maintenant être considérée comme l'achèvement, le développement ultérieur de la plupart des expériences, observations et réflexions que les chapitres précédents nous ont fait connaître.
Voyons ce que la notion de la possession signifie en réalité. Il est préférable de considérer, dès le début, cette signification dans toute son extension, attendu que les preuves obtenues à des époques différentes ne font que confirmer, en dernière analyse, la signification ancienne de ce terme. Les cas modernes les plus saillants, dont ceux de Stainton Moses et de Mme Piper, peuvent être considérés comme les plus caractéristiques ; ils présentent de l'un à l'autre des analogies assez intimes et des ressemblances qu'une analyse attentive ne tarde pas à découvrir.
On prétend donc, en premier lieu, que l'automate tombe dans l'extase pendant laquelle « son esprit quitte son corps», en partie tout au moins ; qu'il entre, en tous cas, dans un état dans lequel le monde spirituel s'ouvre plus ou moins à sa perception et dans lequel aussi, et c'est là l'élément nouveau, l'esprit quittant l'organisme favorise l'invasion de celui-ci par un autre esprit qui s'en sert à peu près de la même façon que l'esprit propre du sujet.
Le cerveau se trouvant ainsi temporairement et partiellement dépourvu de direction, un esprit désincarné réussit quelquefois, pas toujours, à s'en emparer et à assumer à un degré qui varie d'un cas à l'autre, sa direction. Dans certains cas, (Mme Piper) deux ou plusieurs  esprits peuvent diriger simultanément différentes portions d'un seul et même organisme.
Les esprits dirigeants prouvent leur identité en reproduisant par la parole ou par l'écriture, des faits qui appartiennent à leurs souvenirs à eux, non à ceux de l'automate. Ils peuvent aussi donner des preuves d'autres perceptions supra-normales.
Les manifestations de ces esprits peuvent différer considérablement de celles de la personnalité normale de l'automate. Mais jusqu'à certain point, il s'agit là d'un processus de sélection plutôt que d'addition ; l'esprit choisissant les parties du mécanisme cérébral dont il est désireux de se servir mais ne pouvant demander à ce mécanisme plus que ce qu'il est capable de fournir en vertu de son organisation fonctionnelle. L'esprit peut, il est vrai, produire des faits et des noms inconnus de l'automate  mais, ces faits et noms doivent être tels que l'automate soit capable de les répéter facilement, s'ils lui étaient connus : il ne doit pas s’agir par exemple de formules mathématiques ou de phrases chinoises, si l'automate est ignorant en mathématiques ou ne connaît pas le chinois.
Au bout d'un certain temps, l'esprit de l'automate reprend sa place et son activité. A son réveil, l'automate peut ou non se rappeler ce qui lui a été révélé du monde spirituel pendant
l'extase. Dans certains cas, (Swedenborg) il existe le souvenir du monde spirituel, sans qu'il y ait eu possession de l'organisme par un esprit extérieur. Dans d'autres, (sujet de Cahagnet) l'automate exprime, pendant l'extase, ce qu'il éprouve mais, ne s'en souvient plus une fois réveillé. Dans d'autres encore, ( Mme Piper ) ce n'est pas le plus souvent, c’est l'esprit de l'automate lui-même qui se manifeste et lorsque cela arrive, ces manifestations ont une très courte durée mais, c'est généralement un esprit dirigeant qui parle et qui écrit sans que l'automate garde le moindre souvenir de ce qui s'est passé pendant l'extase.
Une pareille doctrine semble nous ramener tout directement aux croyances de l'âge de pierre. Elle nous ramène aux pratiques primitives des shamans et des sorciers, à une doctrine de rapports spirituels qui a été autrefois oecuménique mais s'est réfugiée de nos jours dans les déserts de l'Afrique et dans les marécages de la Sibérie, dans les plaines neigeuses des Peaux-Rouges et des Esquimaux. Si, comme cela arrive parfois, nous voulions juger de la valeur des idées d'après leurs origines, il n'y a pas de conception dont les origines aient été plus humbles et qui paraisse plus indigne de l'homme civilisé.
Heureusement, nos discussions antérieures nous ont fourni un critère plus pénétrant. Au lieu de nous demander à quelle époque a pris naissance telle ou telle doctrine, avec cette opinion préconçue que la doctrine est d'autant meilleure que son origine est plus récente, nous pouvons nous demander, à présent, jusqu'à quel point elle est en accord ou en désaccord avec cette masse énorme de preuves récentes qui se rapportent plus ou moins à presque toutes les croyances que les hommes occidentaux ont professées relativement au monde invisible. Soumise à cette épreuve, la théorie de la possession donne un résultat remarquable. Elle n'est en désaccord avec aucun des faits prouvés. Nous ne connaissons absolument rien qui prouve son impossibilité.
Mais ce n'est pas tout. La théorie de la possession nous fournit, en réalité, une méthode puissante de coordination et d'explication de quelques groupes de phénomènes antérieurs, si toutefois nous consentons à les expliquer d'une façon qui nous avait paru, au début, user d'affirmations exagérées, avoir trop largement recours au merveilleux. Mais en ce qui concerne cette dernière difficulté, nous savons aussi, depuis quelque temps, qu'il n'existe pas de phénomène psychique dont l'explication soit réellement simple et que le meilleur moyen d'arriver à une explication de ce genre consiste à extraire de l'ensemble, un groupe qui n'admet qu'une interprétation univoque, pour s'en servir comme d'un point de repère dans l'appréciation de problèmes plus complexes.
Or, je crois que le groupe des phénomènes Moses-Piper ne peut être expliqué d'une façon plus ou moins plausible par aucune autre théorie que celle de la possession. Et il me paraît important de considérer par quels chemins les phénomènes antérieurs nous ont conduits à la possession et de quelle façon les faits de la possession sont, à leur tour, susceptibles de modifier nos vues concernant les phénomènes antérieurs.
En analysant nos observations de possession, nous y découvrons deux éléments principaux: l'opération centrale, c'est-à-dire la direction exercée par un esprit sur l'organisme d'un sujet sensible et, la condition indispensable qui consiste dans l'abandon temporaire et partiel de l'organisme par l'esprit du sujet lui-même.
Examinons d'abord jusqu'à quel point les données déjà acquises rendent concevable cette séparation entre l'esprit et l'organisme chez homme.
Et tout d'abord, la désagrégation de la personnalité et les substitutions de certaines de ses phases à d'autres, que notre deuxième chapitre nous a déjà fait connaître, possèdent une grande importance, également, au point de vue de la possession.
Nous y avons vu des personnalités secondaires, débutant par des manifestations sensorielles et motrices légères et isolées, acquérir peu à peu une prédominance complète et assurer la direction sans partage de toutes les manifestations supra-liminales.
La simple collection et la description de ces phénomènes ont été considérés, jusqu'ici, comme ayant une certaine saveur de hardiesse. L'idée de tracer le mécanisme possible présidant à ces transitions était à peine née.
Mais il est évident qu'il doit y avoir un ensemble complexe de lois qui conditionnent ces usages alternants des centres cérébraux et qui ne constituent probablement que le développement de ces lois physiques inconnues qui président à la mémoire ordinaire. Un cas d'ecmnésie ordinaire peut présenter des problèmes aussi insolubles que ceux que soulève la possession spirituelle. Il peut y avoir dans l'ecmnésie, des périodes de vie absolument et complètement disparues de la mémoire et, d'autres qui n'en disparaissent que temporairement.
Déjà, dans le génie, nous avons pu observer, pour certains centres cérébraux importants, une substitution temporaire d'une direction à une autre. Nous devons considérer ici le moi subliminal comme un centre partiellement distinct du moi supra-liminal et, le fait de son accaparement de ces centres cérébraux destinés à un travail supra-liminal qui est déjà un genre de possession. Le génie le plus complet serait ainsi l'expression de l’auto possession la plus complète, de l'occupation et de la direction de l'organisme tout entier par les éléments les plus profonds du moi qui agissent en vertu d'une connaissance plus parfaite et par des voies plus sûres.
Le sommeil, qui est celui de tous les états normaux qui se rapproche le plus de la possession, a depuis longtemps fait surgir la question dont la solution implique la reconnaissance de la possibilité de l'extase : que devient l'âme pendant le sommeil ? Les faits que nous avons cités ont montré que, souvent pendant le sommeil ordinaire apparent, l'âme abandonne le corps et rapporte un souvenir plus ou moins confus de ce qu'elle a vu pendant son excursion clairvoyante.
Ceci peut arriver également mais avec la rapidité d'un éclair, pendant les moments de veille. Mais le sommeil ordinaire semble favoriser ce phénomène d'une façon toute particulière, surtout pendant les états de sommeil spontané ou provoqué très profond. Dans le coma qui précède la mort ou dans cette « suspension de l'animation » qui est parfois prise pour la mort, la faculté en question paraît susceptible d'atteindre son degré le plus élevé. J'ai parlé des états de sommeil « spontané ou provoqué » très profond et à ce propos, le lecteur se rappellera naturellement beaucoup de ce qui a été dit du somnambulisme ordinaire et du sommeil hypnotique. Ce dernier crée en effet des situations qui, extérieurement, sont difficiles à être distinguées de ce que j'appellerai désormais la possession vraie. Une quasi-personnalité arbitrairement créée peut occuper l'organisme, répondant d'une certaine façon caractéristique à la parole ou à des signes, au point de faire croire parfois qu'on se trouve en présence d'une personnalité nouvelle. D'un autre côté, l'esprit du sujet prétend avoir été présent ailleurs, de même qu'il s'imagine avoir été absent dans le sommeil ordinaire mais avec plus de persistance et de lucidité.
Les sujets affirment souvent avoir revu, dans le sommeil, des scènes terrestres et y avoir constaté des changements qui s'y sont effectivement produits depuis que le sujet a, pour la dernière fois, visité la même scène à l'état de veille. Mais, quelquefois il s'y joint un élément symbolique en apparence, la scène terrestre renfermant un élément d'action humaine présentée en abrégé, comme si quelque esprit s'était proposé de tirer de l'histoire complexe un sens spécial. Souvent cet élément devient tout à fait dominant ; le sujet voit des figures fantomales ou il peut y avoir une représentation symbolique prolongée d'une entrée dans un monde spirituel.
Ces excursions psychiques fournissent, en dernier lieu, les plus fortes présomptions en faveur de l'existence d'une faculté humaine nouvelle : celle de l’extase ; d'une vision à distance qui n'est pas confinée à cette terre ou à ce monde matériel mais qui introduit le voyant dans un monde spirituel et dans des milieux supérieurs à ceux que connaît cette planète. Mais la discussion relative au transport sera mieux à sa place lorsque nous aurons cité les faits et les données en faveur de la possession.
En reprenant l'analyse de l'idée de la possession, nous retrouvons son caractère spécifique qui est l'occupation, par un élément spirituel, de l'organisme endormi et partiellement abandonné. C'est ici que nos études antérieures nous seront d'un grand secours. Au lieu d'aborder tout de suite la question de savoir ce que sont les esprits, ce qu'ils peuvent et ce qu'ils ne peuvent pas, la question de la possibilité antécédente de leur rentrée dans la matière, etc., nous ferons mieux de commencer par développer l'idée de la télépathie jusqu'à ses dernières conséquences ; par nous figurer la télépathie comme devenant aussi intense et aussi centrale que possible et, nous trouverons que des deux variétés de télépathie qui se présenteront ainsi à nous, une aboutira progressivement à la possession, l'autre à l'extase.
Quelle est, à l'heure actuelle, notre conception exacte de la télépathie ? La notion centrale, celle de communications indépendantes des organes des sens trouve dans ce mot une expression assez adéquate. Mais rien ne dit que notre compréhension réelle des processus télépathiques soit autre chose qu'une simple définition verbale. Notre conception de la télépathie, pour ne rien dire de la télesthésie, avait besoin d'être élargie à chaque nouvelle étape de notre recherche. Cette dernière nous a révélé, tout d'abord, certaines transmissions de pensées et d'images qui pouvaient s'expliquer par la transmission d'un cerveau à un autre, de vibrations éthérées. Or, s'il est impossible de dire, à un point quelconque de notre argumentation, que tels phénomènes sont déterminés par des vibrations de l'éther et, si nous ne savons pas jusqu'à quelle distance du monde matériel s'étend l'action possible de ces vibrations, il n'en est pas moins vrai que nos phénomènes
télépathiques n'ont pas tardé à revêtir une forme que l'explication, par analogie, à l'aide de vibrations de l'éther laissait en grande partie inexpliquée.
C'est que la simple transmission d'idées et d'images isolées aboutit, par une progression continue, à des impressions et impulsions beaucoup plus persistantes et complexes. Nous nous trouvons finalement en présence d'une influence qui n'est plus le simple effet des vibrations éthérées mais, suggère l'idée d'une présence intelligente et d'une analogie tirée des communications humaines entre des personnes rapprochées par leurs corps. Les visions et auditions de ce genre, intérieures ou extériorisées, inspirent souvent l'idée d'un contact spirituel plus intime que celui que permettent les communications terrestres. On ne peut en attribuer la cause aux ondulations de l'éther, à moins d'expliquer par le même mécanisme, les émotions que nous éprouvons les uns vis-à-vis les autres ou même, le pouvoir de contrôle que nous possédons sur notre propre organisme.
Ce n'est pas tout. Il existe, ainsi que j'ai essayé de le montrer, une progression plus avancée qui va de ces intercommunications télépathiques entre personnes vivantes à celles entre personnes vivantes d'un côté et des esprits désincarnés de l'autre. Et cette nouvelle thèse, sous tous les rapports d'une importance vitale, tout en résolvant pratiquement un des problèmes dont je m'occupe, ouvre également une possibilité de détermination d'un autre problème qui jusqu'ici, nous a été inaccessible. En premier lieu, nous pouvons avoir, à présent, la certitude que les communications télépathiques ne sont pas nécessairement propagées par des vibrations procédant d'un cerveau matériel ordinaire car, les esprits désincarnés ne possèdent pas de cerveau capable d'engendrer des vibrations de ce genre. Voilà pour le mode d'activité de l’agent. En ce qui concerne celui du sujet nous allons, pour plus de clarté, mettre de côté tous les cas où l'impression télépathique a pris une forme extériorisée et ne tenir compte que des impressions intellectuelles et des automatismes moteurs.
Ces impressions et ces automatismes peuvent passer par tous les degrés de centralité apparente. Lorsqu'un homme éveillé et en pleine possession de lui-même sent sa main poussée à tracer des mots sur un papier, sans avoir conscience d'un effort moteur personnel, l'impulsion ne lui paraît pas être d'origine centrale, quoiqu'une portion de son cerveau puisse participer à cet effort. D'un autre côté, une invasion moins prononcée est souvent susceptible de revêtir un caractère de centralité plus marqué comme, par exemple, dans le pressentiment d'un mal s'exprimant par un accablement intérieur indéfinissable. L'automatisme moteur peut finalement atteindre un point où il devient de la possession, c'est-à-dire où la conscience personnelle de l'homme a totalement disparu, chaque partie de son corps étant utilisée par l'esprit ou les esprits envahisseurs. Nous verrons, tout à l'heure, les conditions que cet état crée à l'esprit du sujet. Mais en ce qui concerne l'organisme, l'invasion semble complète et indique une puissance qui est certes télépathique au sens vrai du mot mais, non au sens que nous lui avons attaché jusqu'ici. Nous avons commencé par nous représenter la télépathie comme une communication entre deux esprits tandis que dans le cas présent, il s'agit plutôt d'une communication entre un esprit et un corps ; l'esprit étant extérieur et étranger au corps.
Il n'y a pas de communication apparente entre l'esprit désincarné et l'esprit de l'automate mais, bien plutôt, une sorte de contact entre le premier et le cerveau de l'automate ; l'esprit désincarné poursuivant ses propres fins et se servant, dans une certaine mesure, des capacités accumulées par le cerveau de l'automate tout en étant, d'un autre côté, gêné par ses incapacités.
Mais je le répète, l'élément le plus caractéristique de la télépathie semble disparu, en ce sens qu'il n'existe pas de communion perceptible entre l'esprit du sujet et un autre esprit. Le sujet est possédé mais inconscient et, ne recouvre jamais la mémoire de ce que ses lèvres ont prononcé pendant la crise.
Mais, avons-nous ainsi expliqué tous les phénomènes qui se rapportent à la télépathie et, ne renferment-ils pas un élément plus véritablement, plus centralement télépathique ? En remontant aux premières phases des expériences télépathiques, nous voyons que le processus expérimental implique deux facteurs différents. L'esprit du sujet doit, d'une façon ou d'une autre, recevoir l'impression télépathique et à cette perception, nous ne pouvons assigner aucun corollaire physique défini ; et les centres moteurs et sensoriels du sujet doivent recevoir une excitation, laquelle peut être provoquée, ainsi que nous le savons, soit par l'esprit propre du sujet par les procédés ordinaires, soit par l'esprit de l'agent et cela, d'une façon plus ou moins directe que j'appellerai télergique, donnant ainsi un sens plus précis au mot que j'avais depuis longtemps proposé comme corrélatif du mot télépathique.
Ceci revient à dire qu'il peut y avoir dans ces cas, simples en apparence, d'abord une transmission de l'agent au sujet dans le monde spirituel et ensuite, une action sur le cerveau physique du sujet, du même genre que la possession spirituelle. Cette action sur le cerveau physique peut être due soit à l'esprit du sujet lui-même ou à son moi subliminal, soit directement à celle de l'esprit de l'agent. Car je dois répéter que les phénomènes de possession semblent indiquer que l'esprit étranger agit sur l'organisme du sujet, exactement de la même façon que l'esprit propre du sujet. On peut donc considérer le corps comme un instrument sur lequel joue l'esprit, ancienne métaphore qui constitue actuellement la plus grande approximation de la vérité.
Le même caractère double, les mêmes traces des deux éléments mélangés dans des proportions variées se manifestent dans les apparitions télépathiques ou véridiques. Au point de vue spirituel, il peut y avoir ce que nous appelons des visions clairvoyantes, des images manifestement symboliques et non localisées par l'observateur dans l'espace ordinaire à trois dimensions. Elles semblent analogues à ces visions du monde spirituel dont le sujet jouit pendant l'extase. Vient ensuite la catégorie plus nombreuse des apparitions véridiques où l'image semble avoir été projetée en dehors de l'esprit du sujet par quelque stimulus appliqué au centre cérébral approprié. Ces cas d' « automatisme sensoriel » ressemblent aux cas expérimentaux où le sujet devine ou plutôt voit à distance, les figures de cartes à jouer, etc. Après ces cas viennent, dans l'ordre physique ou plutôt ultra-physique, ces apparitions collectives qui, à mon avis, impliquent une modification de nature inconnue d'une certaine portion de l'espace que n'occupe aucun organisme, en opposition avec les modifications ayant lieu dans des centres d'un cerveau donné. Ici s'accomplit la transition graduelle du subjectif à l'objectif, la portion de l'espace en question étant modifiée de façon à affecter un nombre de plus en plus grand de sujets. En passant de ces apparitions de vivants aux apparitions de morts, nous retrouvons à peu de chose près, les mêmes catégories. Nous trouvons des visions symboliques de personnes décédées et des circonstances au milieu desquelles elles paraissent se trouver. Nous trouvons des apparitions extériorisées et des fantômes de personnes décédées, ce qui indique qu'un point donné du cerveau du sujet a été stimulé par son propre esprit ou par un esprit autre que le sien.
Et finalement nous trouvons, ainsi qu'il a déjà été dit, que dans certains cas de possession, ces deux genres d'influence sont simultanément poussés à l'extrême. L'automate encore capable de perception, tel que nous l'avons vu pendant les premières phases, devient un automate pur et simple ne percevant plus rien, tout au moins en ce qui concerne son corps car tout son cerveau et, non plus un seul point, semble désormais stimulé et dirigé par un esprit étranger et il ne se rend aucun compte de ce que son corps écrit ou prononce. Et pendant ce temps, son esprit partiellement délivré du corps peut être accessible aux perceptions et jouir de cette autre forme spirituelle de communication plus complètement que dans aucun des genres de vision décrits jusqu'ici.
Il existe un autre état qui présente certaines analogies avec celui de la possession. Nous avons parlé notamment de personnalités secondaires, de dissociations et alternances affectant l'esprit propre du sujet et présentant des rapports très variés avec l'organisme. Or, qu'est-ce qui nous permet de conclure, dans chaque cas particulier, que l'organisme du sujet est dirigé par sa propre personnalité modifiée et non par une personnalité étrangère extérieure ? La confusion est ici facile et on peut dire, d'une façon générale, que toutes les fois que l'état d'extase n'est pas accompagné d'acquisition de connaissances nouvelles, nous pouvons exclure la possibilité d'une possession par un esprit étranger. Cette règle a une conséquence très importante et qui modifie profondément l'ancienne idée de la possession : il n'existe, à notre connaissance tout au moins, aucune preuve en faveur de la possession angélique, diabolique ou hostile.
Le diable n'est pas une créature dont l'existence indépendante soit reconnue par la science  et, tous les récits concernant la conduite de diables envahisseurs paraissent être dictés par l'autosuggestion. Nous devons insister sur cette règle que, seule la connaissance supra-normale permet d'affirmer l'intervention d'une influence extérieure. On peut nous objecter que, dans tel cas, le caractère manifesté par le diable était hostile à la personne possédée et nous demander s'il est possible que le tourmenteur fût réellement une fraction du tourmenté. A quoi nous répondrons que cette dernière supposition, loin d'être absurde est, au contraire, confirmée par les phénomènes bien connus de la folie et de l'hystérie. Au moyen âge, spécialement, dans les auto-suggestions puissantes et terribles dont le diable faisait tous les frais, ces quasi-possessions atteignaient une intensité et une violence que l'atmosphère calme et sceptique des hôpitaux modernes dissipe et affaiblit. Les diables aux noms terrifiants qui possédaient soeur Angélique de Loudun auraient, de nos jours, figurés à la Salpetrière, comme de simples manifestations de « clownisme » et comme des « attitudes passionnelles ».
Aujourd'hui encore, comme dans le cas de Léonie de M. Pierre Janet, ces désintégrations de la personnalité semblent détruire, quelquefois, jusqu'au moindre lien de sympathie entre l'individu normal et une de ses fractions d'où il semble résulter que, notre nature morale est sujette aux désintégrations, au même degré que notre nature intellectuelle et, lorsqu'un courant secondaire de notre personnalité s'engage dans une direction nouvelle, il peut arriver que les liens aussi bien moraux qu'intellectuels qui le rattachent à la personnalité principale se trouvent rompus.
A propos de possessions diaboliques observées chez les Chinois, M. Nevius nous raconte, sans citer des arguments convaincants que, les diables possesseurs manifestent parfois une connaissance supra-normale. Ceci prouverait davantage leur existence indépendante que l'argument tiré de leur caractère hostile mais, ne nous paraît pas encore suffisant pour affirmer cette existence. La connaissance en question ne semble pas appropriée spécialement à l'esprit qui est censé la fournir. Elle paraît souvent tenue à une exagération de la mémoire, accompagnée d'une certaine aptitude aux perceptions télépathiques ou télesthésiques. L'exagération de la mémoire est particulièrement caractéristique de certains états hystériques et, même des traces possibles de télépathie ont été observées dans ces états où rien ne permet d'admettre l'intervention d'un esprit envahisseur.
Direction temporaire de l'organisme par un fragment plus ou moins important détaché du reste de la personnalité dégénérant, en vertu d'une auto suggestion, en une hostilité envers la personnalité principale et peut-être plus capable que cette dernière, d'atteindre et de manipuler certaines impressions de réserve ou même certaines influences supra-normales, telle serait la formule à laquelle se réduiraient probablement la plupart des cas de soi-disant possessions par le diable.
La plupart mais pas tous, peut-être. Il serait, en effet, étonnant que des phénomènes dans le genre de ceux présentés par Mme Piper aient apparu dans le monde sans jamais avoir eu de précédents. Il paraît plus probable d'admettre que des phénomènes du même genre s'étaient toujours produits sporadiquement depuis les temps les plus reculés sans que les hommes aient été à même de les analyser.
Quoi qu'il en soit, on peut affirmer que les seuls envahisseurs de l'organisme humain qui, jusqu'ici aient fait valoir leurs titres, ont été d'essence humaine et d'un caractère amical. « Les diables de Loudun » et autres n'ont pas réussi, je le répète, à justifier leur existence indépendante. Les influences supérieures qui ont inspiré les « Martyrs des Cévennes » se confondent pour nous, à distance, avec des inspirations de génie.
Toutes ces considérations seront, je l'espère, de nature à faire disparaître ces associations farouches qui se sont accumulées autour du mot possession. Dans ce que nous allons décrire à présent, il peut y avoir souvent des motifs de perplexité mais pas de terreur. Et l'on verra, dans la suite, à quel point le sentiment final est loin de celui de la frayeur.
Admettant donc, comme je me crois maintenant autorisé à le faire, que nous nous trouvons seulement en présence d'esprits qui ont été autrefois des hommes semblables à nous et qui sont toujours animés des mêmes motifs que ceux qui nous inspirent, nous pouvons examiner brièvement, la question de savoir quels sont les esprits les plus susceptibles de nous atteindre et quelles difficultés s'opposent à leur action. Certes, l'expérience seule peut nous fournir des réponses à ces questions ; mais nos anticipations peuvent être modifiées utilement si, en réfléchissant aux changements de la personnalité que nous connaissons déjà, nous en tirons des indications quant aux limites possibles de ces substitutions plus profondes.
Or, que savons-nous concernant l'addition d'une nouvelle faculté dans les états alternants ? Dans quelle mesure les modifications de ce genre semblent-elles engendrer des facultés qui ne nous soient pas familières ?
En nous reportant aux cas déjà mentionnés, nous verrons d'abord qu'une faculté déjà existante est susceptible d'être exagérée et exaltée. Il peut y avoir exagération, aussi bien du pouvoir de perception réelle que de celui de remémoration et de reproduction de ce qui a été perçu une fois. Dans les états secondaires, il existe souvent un pouvoir de contrôle plus grand en ce qui concerne les mouvements musculaires se manifestant, par exemple, dans une sûreté de main plus grande chez le joueur de billard. Mais les phénomènes de télépathie mis à part, il n'existe aucune preuve en faveur de l'acquisition réelle d'un ensemble de connaissances nouvelles, telles qu'une langue inconnue ou un degré inconnu de connaissances mathématiques. Nous n'avons donc aucune raison de nous attendre à ce qu'un esprit extérieur ayant assumé la direction de l'organisme soit capable de modifier facilement celui-ci, au point de  faire parler au sujet, une langue qu'il n'avait jamais apprise. Le fonctionnement du cerveau tient à la fois de celui de la machine à écrire et de celui de la machine à calculer. Des mots allemands, par exemple, ne sont pas de simples assemblages de lettres mais des formules spécifiques ; ce n'est que rarement et très difficilement qu'on peut les faire produire à une machine qui n'a pas été construite en vue de leur production.
Considérons les analogies relatives à la mémoire. Dans les cas d'alternances de la personnalité, la mémoire défaille et change d'une façon qui paraît capricieuse. Les lacunes qui en résultent ressemblent, ainsi que je l'ai dit, aux amnésies ou à ces espaces noires irrémémorables qui suivent quelquefois les traumatismes de la tête ou les accès de fièvre, lorsque tous les souvenirs se rapportant à une personne donnée ou à une période donnée de la vie ont disparu, tous les autres restant intacts. Considérons maintenant le souvenir de la vie éveillée tel que nous le possédons dans le rêve. Il est d'abord absolument capricieux ; je puis ne pas me rappeler mon propre nom mais me rappeler parfaitement la forme et l'aspect des chaises de ma salle à manger ; ou bien tout en me rappelant les chaises, je puis les localiser dans une maison autre que la mienne. Il est impossible de prévoir le degré de confusion qui peut se produire de cette façon.
La conversation des somnambules nous fournit une autre analogie. En parlant à un somnambule, qu'il s'agisse de somnambulisme spontané ou provoqué, nous ne tardons pas à nous apercevoir qu'il est difficile de soutenir avec lui une conversation continue sur des sujets qui nous intéressent. Et, tout d'abord, il est incapable de tenir une conversation continue quelconque, car il ne tarde pas à tomber dans un état où il devient tout à fait incapable de s'exprimer. Quand il parle, ce n'est que sur des sujets qui l'intéressent ; il suit le cours de ses propres idées, interrompu plutôt qu'influencé, par ce que nous lui disons. Il  existe entre les deux états, celui de veille et celui de sommeil, une différence irréductible.
Nous avons ainsi trois genres d'analogies qui nous permettent de tracer les limites de nos anticipations. De l'analogie qui existe entre les possessions et les personnalités secondaires nous pouvons conclure, qu'un esprit possédant ne doit pas être capable de suggérer au cerveau du sujet des idées et des mots d'un genre qui ne lui soit pas familier. De l'analogie entre la possession et le rêve nous pouvons conclure, que la mémoire de l'esprit possédant peut être soumise à des omissions et à des confusions bizarres. De l'analogie, enfin, entre la possession et le somnambulisme il résulte, que le colloque entre l'observateur humain et l'esprit possédant n'est ni complet ni libre mais, plutôt entravé par la différence qui existe entre l'état de l'un et celui de l'autre et, abrégé par la difficulté de maintenir un contact psychique prolongé.
Les remarques qui précèdent auront, je l'espère, préparé le lecteur à considérer les problèmes qui concernent la possession avec la même largeur d'esprit que celle qu'avait nécessitée l'étude des autres problèmes abordés dans cet ouvrage. J'ai montré, en effet, que ce nouveau problème peut être considéré comme une conséquence, un effet naturel de l'ancien. J'ai montré, dans les mouvements et les expressions de l'organisme possédé, des manifestations motrices automatiques poussées à l'extrême degré et dans l'invasion de l'esprit possédant, la victoire complète de l'invasion télépathique et j'ai, dès le début, mis en garde contre certains malentendus qui avaient, dans le passé, détourné les hommes de l'étude sérieuse des messages parvenus par cette voie. Avant d'aller plus loin, nous devons attirer l'attention sur un autre aspect de la possession concernant un groupe de phénomènes qui, de différentes manières, ont fait naître une confusion et retardé notre étude mais qui, examinés à leur place et convenablement compris, semblent devoir former un élément inévitable de toute théorie ayant pour but de découvrir l'influence que des facteurs invisibles exercent sur le monde que nous connaissons.
Je n'ai considéré jusqu'ici les influences télépathiques et supra-normales que du point de vue psychologique, comme si le champ de l'action supra-normale était situé dans le monde méta-éthéré. Mais malgré la vérité profonde de ce point de vue, il ne représente pas toute la vérité « pour des êtres tels que nous sommes, dans un monde tel que le nôtre ». Pour nous, tout fait psychologique a son côté physique et les événements méta-éthérés, pour nous être perceptibles doivent, d'une façon ou d'une autre, affecter le monde de la matière. Dans les automatismes sensoriels et moteurs, nous voyons réellement des effets qui commencent à se manifester d'une façon supra-normale, atteindre le monde de la matière. En premier lieu et tout naturellement dans la vie ordinaire, nos propres esprits (leur existence une fois admise) affectent nos propres corps et nous fournissent l'exemple permanent de l'esprit agissant sur la matière. Ensuite, lorsqu'un homme reçoit une influence télépathique ayant sa source dans un autre esprit incarné et déterminant la vision de figures fantomales, nous pouvons supposer que le cerveau de cet homme a été affecté par son propre esprit plutôt que par celui de son ami éloigné. Mais il n'est pas toujours vrai, même dans les cas d'automatisme sensoriel, que l'esprit du sujet soit le simple exécuteur des suggestions venant d'un esprit éloigné. Et, dans les automatismes moteurs aboutissant à la possession, il existe des indications de nature à faire admettre que l'influence de l'esprit de l'agent est télergique plutôt que télépathique et que, certains esprits extérieurs sont susceptibles d'influencer le cerveau et l'organisme humains, c'est-à-dire de produire des mouvements de la matière, lors même qu'il s'agit de matière organisée et de mouvements moléculaires.
Ce fait une fois établi et, il n'a pas toujours été saisi par ceux qui s'attachaient à établir une différence fondamentale entre l'influence spirituelle affectant nos esprits et celle qui affecte le monde matériel, nous sommes aussitôt amenés à nous demander si la matière inorganique révèle, aussi bien que la matière organique, l'action, l'influence d'esprits extérieurs. La réponse semble, à première vue, devoir être négative. Nous avons constamment affaire à la matière inorganique et nous n'avons pas besoin de l'hypothèse de l'influence spirituelle pour expliquer nos expériences. Mais c'est là une proposition sommaire, insuffisante pour couvrir des faits aussi rares et fugitifs que quelques-uns de ceux exposés dans ce livre. Commençons, pour ainsi dire, par l'autre bout, non par l'expérience vaste de la vie mais, par les cas délicats et exceptionnels de possession dont nous aurons encore à parler.
Supposons qu'un esprit désincarné, en possession temporaire d'un organisme vivant, provoque de sa part des manifestations motrices automatiques. Pouvons-nous dire, a priori, où s'arrêteront les mouvements automatiques de l'organisme, de même que nous pouvons prévoir les limites de ses mouvements volontaires ? L'esprit extérieur ne pourrait-il faire manifester à l'organisme plus de puissance motrice que ce que peut tirer de lui-même un homme éveillé ? Nous ne serions pas surpris alors, de voir les mouvements présenter une concentration exagérée pendant l'extase et de voir le dynamomètre serré avec plus de force par l'esprit agissant à travers l'homme que par l'homme lui-même. Pouvons-nous imaginer un autre moyen permettant à un esprit qui me possède d'employer ma force vitale plus habilement que je ne le fais moi-même ?
Je ne sais pas comment ma volonté met mon bras en mouvement  mais, je sais par expérience, que ma volonté met en mouvement mon bras seulement et, les objets qu'il peut toucher ; tous les objets actuellement en contact avec le « squelette protoplasmique » qui représente la vie de mon organisme. Mais, je puis quelquefois provoquer des mouvements dans des objets avec lesquels je ne suis pas en contact actuel, comme lorsque je les fais fondre au moyen de la chaleur ou que je les allume (dans l'air sec du Colorado) à l'aide de l'électricité qui se dégage de mes doigts. Je ne connais pas toutes les formes d'énergie que mes doigts sont susceptibles de dégager à la suite d'un exercice approprié.
Et maintenant, supposons qu'un esprit possédant puisse se servir de mon organisme plus habilement que je ne le puis moi-même. Ne pourrait-il pas faire déployer à l'organisme une énergie capable de mettre en mouvement des objets pondérables qui ne sont pas en contact actuel avec ma chair ? Ce serait là un phénomène de possession qui ne différerait pas beaucoup des autres : ce serait de la télékinésie. Par ce mot ( proposé par M. Aksakoff), il convient de désigner et de décrire ce qui a été appelé « les phénomènes physiques du spiritualisme » et dont l'existence, en tant que réalité et non comme un système d'apparences mensongères, a donné lieu, pendant un demi-siècle, à des controverses ardentes qui se continuent toujours.
La simulation persistante de la télékinésie avait naturellement toujours inspiré des doutes quant à la réalité du phénomène et cela, même dans les cas où toutes les précautions avaient été prises contre la simulation et où le caractère des sujets rendait le soupçon de simulation tout à fait improbable. Malgré toute son importance, ce sujet n'est pas assez intimement lié au sujet principal de cet ouvrage pour que je me croie obligé d'en donner une revue historique détaillée. Je ne m'en occuperai que dans la mesure où il figurera comme un des éléments de la possession spirituelle, dans le cas de M. Stainton Moses par exemple. ( Le reste de ce chapitre a été composé par les éditeurs, avec les fragments trouvés dans les manuscrits de M. Myers que la mort a empêché de les réunir ensemble et de leur donner une forme définitive.)
Les analogies que nous avons pu établir entre les phénomènes de la possession et ceux qui ont été décrits dans les chapitres précédents vont nous faciliter l'intelligence des premiers et, sans nous arrêter aux cas d'importance secondaire, nous allons exposer ceux qui concernent M. Stainton Moses et Mme Piper que nous avons pu observer personnellement et dans lesquels, les phénomènes de possession revêtent la forme la plus caractéristique.
M. Stainton Moses était un clergyman dogmatique, consciencieux, laborieux, animé du désir de faire du bien et prêchant aux autres les meilleurs moyens d'atteindre ce but. Lui-même voyait l'élément essentiel de ce qu'il appelait ses « messages », dans les mots automatiquement prononcés ou écrits, non dans les phénomènes qui les accompagnaient et qui seuls donnaient à ces processus automatiques leur importance et leur intérêt, pour ainsi dire, uniques. Dans un livre intitulé Spirit Teaching, il a réuni ce qu'il considérait comme les résultats réels de ces années de séjour mystérieux dans le vestibule d'un monde inconnu.
Sa vie a été une des plus extraordinaires de notre siècle et son histoire véridique se trouve consignée dans cette série de manifestations physiques qui se sont continuées pendant 8 années, à partir de 1872 et, dans les séries de manifestations automatiques écrites ou parlées qui, ayant commencé en 1873, se sont prolongées pendant 10 années, pour ne cesser complètement que très peu de temps avant sa mort.
Les esprits dont M. Moses se prétendait possédé peuvent être divisés en trois catégories :
A.. La première catégorie et la plus importante se composait de personnes récemment décédées et qui souvent se manifestaient au cours des séances, avant que la nouvelle de leur mort fût arrivée et par une des voies ordinaires, à une des personnes prenant part à la séance. Ces esprits ont souvent fourni des preuves de leur identité en mentionnant des faits en rapport avec leur vie terrestre et qui, plus tard, ont été trouvés exacts.
B. Vient ensuite un groupe de personnages appartenant à des générations plus reculées et généralement plus ou moins célèbres de leur vivant. Grocyn, l'ami d'Erasme, peut être considéré comme le représentant typique de ce groupe. Plusieurs d'entre eux ont également fourni, pour prouver leur identité, des faits qui étaient plus exacts que l'idée ou la connaissance consciente que pouvaient en avoir les personnes présentes à la séance. Mais dans ces cas, la difficulté de prouver l'identité est augmentée de ce fait que la plupart des données exactes se trouvent consignées dans des volumes imprimés et, que M. Moses a pu les lire et les oublier ensuite ou bien, apprendre leur contenu par clairvoyance.
C. Le troisième groupe se compose d'esprits portant des noms tels que Recteur, Docteur, Théophile et surtout Empereur. De temps à autre, ils révèlent les noms qu'ils prétendent avoir porté pendant leur vie terrestre. Ces noms cachés sont, le plus souvent,  plus illustres et plus anciens que ceux du groupe B.
En ce qui concerne les rapports entre les esprits et les phénomènes télékinésiques, on ne doit pas oublier que ces phénomènes, tout étranges et grotesques qu'ils paraissent quelquefois, ne peuvent pas être considérés comme absurdes et inutiles. Les opérateurs présumés se donnent la peine de décrire ce qu'ils regardent comme une fin et ce qu'ils considèrent comme un moyen, en vue de cette fin. Leur objectif constant et avoué est de promulguer, par l'intermédiaire de M. Moses, certaines opinions religieuses et philosophiques  et, les manifestations physiques sont décrites comme étant simplement une preuve de puissance et une base pour l'autorité invoquée en faveur des enseignements sérieux.
Des considérations d'ordre moral et, le fait que les phénomènes physiques se reproduisaient toujours lorsque M. Moses était seul, nous empêchent de les considérer comme des manoeuvres frauduleuses produites par quelque personne présente à la séance. Et il me paraît, d'autre part, moralement et physiquement incroyable de les considérer comme des impostures ayant pour auteur M. Moses lui-même. Il est physiquement impossible et incompatible avec ses propres récits et avec ceux de ses amis, qu'il ait pu les préparer et les produire pendant l'extase. On doit donc les considérer comme étant survenus d'une manière réellement supra-normale.
J'examinerai brièvement la nature des preuves tendant à montrer que les esprits invoqués étaient réellement ce qu'ils paraissaient être, à en juger, tout au moins, d'après les carnets où se trouvent consignées les écritures automatiques de M. Moses. Le contenu de ces carnets est formé, en partie, de messages ayant pour but de prouver l'identité des esprits, en partie, de discussions et d'explications de phénomènes physiques, en partie enfin, de dissertations religieuses et morales.
Ces messages automatiques ont été presque entièrement écrits de la main de M. Moses, à l'état normal de veille. Les exceptions portent sur deux points : a) il existe un long passage que M. Moses prétendait avoir écrit pendant qu'il était en extase  et b), il existe de-ci de-là, quelques mots d'une écriture soi-disant « directe », c'est-à-dire écrits par des mains invisibles, en présence de M. Moses et, décrits à plusieurs reprises dans les comptes rendus des séances auxquelles avaient assisté d'autres personnes encore.
En laissant de côté ces deux exceptions, nous trouvons que les écrits présentent, le plus souvent, la forme d'un dialogue ; M. Moses posant les questions de son écriture épaisse et large et, les réponses étant écrites par M. Moses encore et de la même plume mais, d'une écriture qui varie d'un cas à l'autre et diffère plus ou moins de sa propre écriture.
Que ces messages aient été écrits par M. Moses, avec la conviction sincère qu'ils émanaient des personnes dont ils portaient la signature, personne n'osera en douter. Mais ce qui est plus douteux, c'est la question de savoir s'ils émanaient réellement des personnes invoquées. Vu les conditions dans lesquelles se sont faites ces communications, elles ne révèlent pas une intelligence directrice et n'apprennent aucune vérité réellement nouvelle, attendu que ces manifestations sont, par hypothèse, limitées non par les connaissances préalables mais, par les capacités préalables du sujet. Et si elles fournissent des données dont le sujet-médium n'a pas de connaissance consciente et qui présentent, cependant, un caractère achevé, on peut supposer que ces données ont été acquises subliminalement par le médium, à la suite d'un regard inconscient jeté sur une page imprimée ou bien même, qu'elles ont été apprises par clairvoyance, sans l'intervention d'un autre esprit que celui, quoique fonctionnant d'une façon supra-normale, du médium.
Cette hypothèse n'est ni fantastique, ni de nature à mettre en doute la probité de M. Moses car il m'a avoué lui-même que, dans ses rapports avec des esprits éloignés dans le temps, il n'éprouvait pas la même sensation que lorsqu'il conversait avec des esprits plus rapprochés. Il n'en répudiait pas moins toute idée de mémoire subconsciente et affirmait qu'il n'a jamais pu voir ou lire au préalable la plupart de ce qu'il avait écrit automatiquement. Et ceci peut être vrai. Ses connaissances, par exemple, en littérature et en histoire, ne dépassant pas celles d'un maître d'école ordinaire. Il n'en reste pas moins que parmi toutes les communications historiques qui lui auraient été faites, il n'y en a pas une seule qui ne se trouve dans des sources imprimées accessibles à tout le monde.
Les preuves d'identité fournies par M. Moses, dans les cas concernant des esprits de personnes mortes depuis moins longtemps, paraissent plus satisfaisantes. Mais ici encore, il est difficile d'établir si les faits affirmés ne font pas partie des connaissances subliminales de l'automate. On a parfois l'impression que ces faits ont pu être retenus en parcourant machinalement les notices nécrologiques des journaux ou les inscriptions sépulcrales ; ou bien, des noms et des faits connus d'une des personnes présentes à la séance mais non de M. Moses, ont pu être mentionnés en sa présence et se graver dans sa mémoire subliminale. Dans le cas d'Hélène Smith, nous avons vu le degré d'acuité que peut atteindre l'hyperesthésie et l'hypermnésie du moi subliminal  mais, en présence de l'ignorance dans laquelle se trouvait le monde scientifique d'alors, relativement à ces questions, il n'est pas étonnant que M. Moses et ses amis se soient refusés à admettre l'explication que nous proposons ici. Que les esprits invoqués aient ou non manifesté directement leur action, ce qui parfois a bien pu être le cas, nous ne pouvons nous empêcher de croire que le moi subliminal du médium a dû, tout au moins, jouer un rôle assez actif dans ces communications.
Deux fois, M. Moses avait reçu une annonce de décès alors qu'il était impossible qu'il ait appris la nouvelle par une voie normale. Je citerai un de ces cas ( d'après mon article publié in Proceedings S. P. R., XI, pp. 96 et suivantes) qui est sous beaucoup de rapports le plus remarquable. Il s'agit d'une dame que j'avais connue et que M. Moses n'avait vue, je crois, qu'une seule fois. La publication du vrai nom ayant été interdite par l'esprit lui-même, pour des raisons qui m'ont paru suffisantes lors de la lecture du récit de ce cas mais qui n'étaient point connues de M. Moses et, le fils de la dame s'y étant opposé à son tour, je l'appellerai ici Blanche Abercrombie.
Cette dame est morte un après-midi de dimanche, il y a 26 ans, dans une maison de campagne située à 200 milles environ de Londres. La nouvelle de sa mort qui était un événement d'un intérêt général, fut immédiatement télégraphiée à Londres et parut dans le Times du lendemain, lundi ; il est certain toutefois que, sauf la presse et les parents les plus rapprochés, personne n'était au courant de cette nouvelle le dimanche soir. Or ce soir-là, vers minuit, une communication prétendant venir d'elle parvint à M. Moses dans son logement isolé situé dans la partie nord de Londres. L'identité a été confirmée quelques jours plus tard par quelques lignes présumées comme venant directement d'elle et écrites de son écriture. Il n'existe aucune raison de supposer que M. Moses ait jamais vu son écriture. La seule fois où il s'était rencontré avec cette dame et son mari fut au cours d'une séance, non d'une séance à lui où il a été froissé par le scepticisme hautement exprimé par le mari à l'égard des phénomènes de cette nature.
Après avoir reçu ces messages, M. Moses semble n'en avoir parlé à personne et les colla sur les pages de son livre manuscrit en inscrivant sur l'extérieur du livre: « Matières privées ». Lorsque, autorisé par les exécuteurs testamentaires, j'ouvris ce livre, je fus surpris d'y trouver une courte lettre qui, sans relater des faits bien précis, n'en était pas moins tout à fait caractéristique de la Blanche Abercrombie que j'avais connue. Mais bien que j'aie reçu de ses lettres de son vivant, je ne me rappelais pas son écriture et comme je connaissais un de ses fils, je l'avais prié de me prêter une des lettres écrites par sa mère afin que je pusse comparer les deux écritures. Il eut l'obligeance de le faire et je n'ai pas tardé à constater une ressemblance frappante entre l'écriture automatique et l'écriture de la lettre qui m'avait été prêtée, sauf en ce qui concerne la lettre A du nom de famille. Le fils me permit alors d'étudier toute une série de lettres de sa mère qui ont été écrites à des époques différentes, jusqu'aux derniers jours de sa vie. Et j'ai pu me convaincre que, dans les dernières années, elle avait pris l'habitude (imitée de son mari) d'écrire la lettre A de la façon-même dont elle était écrite dans le message automatique. Le docteur Hodgson auquel j'ai soumis les deux écritures, a trouvé que l'écriture automatique et surtout la signature, révélait une tentative d'imiter de mémoire et non d'après un spécimen, les principaux caractères de l'écriture originale. Il ne serait pas inutile de résumer, ici, les principaux caractères qui donnent aux messages reçus par M. Mose  leur identité, c'est-à-dire fournissent la preuve qu'ils viennent réellement des sources auxquelles ils sont attribués. Nous avons sous ce rapport à distinguer plusieurs degrés :
1° Nous avons d'abord les messages les plus ordinaires, ceux dans lesquels tous les faits qu'ils renferment ont été connus de l'automate d'une façon consciente. Dans les cas de ce genre, nous pouvons supposer qu'il ne s'agit que de sa propre personnalité et que les messages ont une source subliminale non extérieure.
2° Viennent ensuite les messages composés de faits qui paraissent avoir été connus de l'esprit invoqué mais dont l'automate ne possède pas de connaissance consciente, quoiqu'ils aient pu, autrefois, être notés par lui inconsciemment et se graver dans sa mémoire subliminale.
3° En ce qui concerne les messages du groupe suivant, il peut être prouvé, avec des degrés de certitude aussi variés que l'admettent les preuves négatives de ce genre, que l'automate ne les a jamais connus, de quelque façon que ce soit mais, qu'ils n'en sont pas moins faciles à trouver dans des livres ; de sorte que l'automate a pu les apprendre par clairvoyance ou, à la suite d'une communication faite par un esprit autre que l'esprit invoqué par lui.
4° Il peut être prouvé, avec un degré de certitude variable selon les circonstances, que les faits n'ont jamais été connus de l'automate et ne sont pas imprimés mais, qu'ils ont été connus des esprits invoqués et peuvent être vérifiés par les souvenirs de personnes vivantes.
5° On pourrait citer ensuite, ce groupe de messages expérimentaux ou de lettres posthumes dans lesquelles la personne décédée avait, avant sa mort, consigné une preuve spéciale ou un fait ou une phrase qu'elle seule connaissait, pour la transmettre, après sa mort si possible, comme signe de son retour ( voir le cas de M. Finney, chap. VIII ).
6° Nous n'avions affaire, jusqu'ici, qu'à des messages verbaux qu'il nous était facile de manier et d'analyser. Mais en réalité, ce ne sont pas les conclusions tirées de ces messages écrits qui ont, le plus souvent, servi à inspirer au survivant la croyance à l'apparition de son ami décédé. Logiquement ou non, ce n'est pas tant le message écrit qu'il invoque que le fantôme d'une figure ou d'une voix qu'il avait si bien connue. C'est sur cette présence que les survivants ont toujours insisté, depuis le temps où Achille cherchait en vain à embrasser l'ombre de Patrocle.
Jusqu'à quel point un fantôme constitue-t-il une preuve d'une action réelle exercée par l'esprit ? Cette question a été discutée plus haut. ( Chap. VII. ) Mais, quoique l'apparition d'une personne décédée ne constitue pas, en elle-même, une preuve de sa présence, elle n'est pas non plus une simple forme que les fantômes purement hallucinatoires semblent revêtir si fréquemment et, lorsqu'il existe des preuves supplémentaires comme, par exemple, une écriture prétendant venir de la même personne, les chances en faveur de sa présence réelle s'en trouvent considérablement augmentées. Dans le cas de M. Moses, presque toutes les figures qu'il avait vues apportaient avec elles une confirmation de ce genre.
7° Ceci nous amène à un groupe de cas largement représentés dans les séries de M. Moses où des messages écrits, prétendant venir d'un certain esprit, étaient accompagnés de phénomènes physiques dont le même esprit prétendait être l'auteur. Qu'il soit ou non possible de donner à cette preuve un caractère rigoureusement logique, il n'en est pas moins facile d'imaginer plus d'un cas où elle paraîtra décisive à tout le monde. Mais en eux-mêmes, les phénomènes physiques ne fournissent pas de preuve en faveur d'une intelligence autre que celle du sujet et ainsi que je l'ai dit, peuvent, dans plus d'un cas, constituer une simple extension de ses forces musculaires ordinaires, au lieu d'être dus à une action extérieure quelconque.
En nous en tenant aux messages verbaux, nous trouvons que les cas le plus largement représentés dans les récits de M. Moses appartiennent aux trois premiers groupes ; quant à ceux du quatrième groupe qui embrasse des faits vérifiables dont il n'existe aucun récit imprimé et dont on est sûr que le médium ne les avait jamais connus, ils sont relativement peu nombreux. Ceci peut être attribué, en partie, au petit nombre de ceux qui assistaient aux séances de M. Moses et qui étaient tous de ses amis personnels. Les récits de Mme Piper au contraire, dont nous allons nous occuper maintenant, sont particulièrement riches en incidents appartenant au quatrième groupe et, la valeur évidentielle des messages verbaux est donc, dans son cas, supérieur à celle que nous pouvions accorder aux messages de M. Moses. Tandis que chez ce dernier, l'identité d'un grand nombre de communications reposait principalement sur ce fait qu'elle était garantie par Empereur et son groupe d'auxiliaires, dans le cas de Mme Piper, les esprits de quelques amis récemment décédés qui ont donné plus d'une preuve de leur identité, apparaissent pour maintenir la réalité indépendante et la direction qu'elles exercent sur Mme Piper des mêmes intelligences, Empereur, Recteur, Docteur et autres dont M. Moses prétendait qu'elles intervenaient dans ses propres expériences. Nous reviendrons, à propos du cas de Mme Piper, sur la question de la supra-vision de ces esprits.
Deux différences importantes séparent le cas de Mme Piper de celui de M. Moses. D'abord, ses manifestations supra-normales ne sont accompagnées d'aucun phénomène de télékinésie  et ensuite, son moi supra-liminal ne présente pas la moindre trace d'une faculté supra-normale quelconque. Elle présente un exemple d'automatisme extrême où la possession n'est pas seulement locale ou partielle mais affecte, pour ainsi dire, toute la région psychique où le moi supra-liminal se trouve momentanément supprimé d'une façon complète et où, toute la personnalité subit des modifications intermittentes. En d'autres termes, elle entre dans un état où les organes de la parole et de l'écriture sont guidés par d'autres personnalités que sa personnalité normale éveillée. Occasionnellement, le moi subliminal apparaît soit immédiatement avant, soit immédiatement après l'extase, pour assumer, pendant un court intervalle, la direction de l'organisme  mais à cette exception près : les personnalités qui écrivent ou parlent pendant l'extase prétendent être des esprits désincarnés.
Les « possessions » de Mme Piper peuvent être divisées en trois périodes :
a) La première qui s'étend de 1 884 à 1891 et pendant laquelle la principale personnalité directrice est connue sous le nom de « Dr Phinuit » qui se sert presque exclusivement des organes vocaux, se manifestant dans un état d'extase ;
b) Pendant la deuxième période qui s'étend de 1892 à 1896, les communications se font principalement par l'intermédiaire de l'écriture automatique et sous une direction portant le nom de « Georges Pelham » ou « P. G. », quoique le Dr Phinuit se fût également manifesté pendant cette période à l'aide de la voix ;
c) Pendant la troisième période qui commence en 1897, la supra-vision serait exercée par l'Empereur, le Docteur, le Recteur et autres déjà mentionnés à l'occasion des expériences de M. Moses, le plus souvent par l'intermédiaire de l'écriture, de temps à autres à l'aide de la parole. Je ne discuterai pas ici l'hypothèse de la fraude qui a déjà été discutée et réfutée par le Dr Hodgson, le Pr William James, le Pr Newbold de l'Université de Pensylvanie, le Dr Walter Leaf et sir Oliver Lodge ( Voir l'article de M. W. James, in Psychological Review, juillet 1898.) et, je n'analyserai pas davantage tout au long, le caractère de la personnalité de Phinuit. D'après mon expérience personnelle, pendant le séjour de Mme Piper en Angleterre, en 1889-90, différentes extases et différentes parties de la même extase présentaient souvent une qualité inégale. Il y a eu quelques interviews au cours desquelles Phinuit ne posait pas une seule question et ne formulait pas une seule proposition qui ne fussent vraies. Il y en avait d'autres au cours desquelles il ne manifestait pas la moindre connaissance réelle et, se bornait à des questions et à des réponses posées et formulées au hasard. L'extase ne pouvait pas toujours être provoquée à volonté. Un état d'expectation tranquille en favorisait souvent l'apparition mais parfois auss toute tentative de la provoquer échouait. L'extase, une fois provoquée, durait une heure environ et il y avait souvent une différence notable entre les quelques premières minutes et le reste de sa durée. Dans ces occasions, tout ce qui était de quelque valeur était dit pendant les premières minutes, le reste de la conversation consistant en généralités vagues ou simples répétitions de ce qui a été déjà dit. Phinuit prétendait toujours être un esprit en communication avec d'autres esprits et il avait l'habitude de dire qu'il se rappelait leurs messages pendant quelques minutes seulement après « être entré dans le médium » et qu'ensuite, ses souvenirs se brouillaient et, il n'était pourtant pas capable de s'en aller lorsque sa provision de faits était épuisée. Il paraissait se produire une décharge inutile d'énergie qui durait jusqu'au moment où l'impulsion primitive aboutissait à l'incohérence. Ma conclusion générale, à cette époque, était que les manifestations de Phinuit devaient être considérées comme un élément de cette longue série de messages automatiques de tous genres qu'on commence seulement à recueillir et à analyser. J'ai considéré comme démontré que ces phénomènes attestaient une large extension télépathique ou clairvoyante des facultés normales de l'esprit humain et il me parut possible que les connaissances de Phinuit dérivassent d'une faculté télépathique ou clairvoyante que Mme Piper possédait à l'état latent et qui se manifestait d'une façon à laquelle nos expériences précédentes ne nous avaient pas habitués. D'un autre côté, les messages automatiques que nous avons déjà étudiés comprenaient des phénomènes très variés dont quelques-uns paraissaient, à première vue, dus à l'intervention peut-être indirecte, de la personnalité survivante de la personne décédée et, je me suis dit que si ces exemples de communications venant d'esprits extra-terrestres doivent un jour être acceptés par la science, les messages de Phinuit pourront, malgré tous leurs défauts et toutes leur inconséquences, être ajoutés au nombre.
Je n'ai pas besoin de dire que c'est cette dernière hypothèse que j'ai fini par adopter et, quoiqu'il soit évident que les difficultés concernant l'identité de Phinuit ne soient pas levées, il paraît possible de le considérer comme une intelligence extérieure à Mme Piper, comme un esprit désincarné. On ne doit pas oublier, cependant, qu'il a complètement échoué dans ses tentatives d'établir son identité personnelle et qu'il ne réussit même pas à prouver sa prétention d'être un médecin français. Nous ne possédons malheureusement aucun récit contemporain relatif aux premières extases de Mme Piper, ni aucune information concernant les premières manifestations de la personnalité de Phinuit. Il paraît clair, tout au moins, que le nom de Phinuit était le résultat d'une suggestion faite pendant ces premières extases (voir Proceedings S. P. R., VIII, pp. 46-58) et, plus d'un pensera que la supposition la plus probable est que, la direction exercée par Phinuit n'était autre chose que celle d'une personnalité secondaire de Mme Piper. Mais, selon les affirmations (dont il n'existe aucune preuve) faites par Empereur, Phinuit serait un esprit inférieur « attaché à la terre » qui a été troublé et égaré lors de ses premières tentatives de communication et a perdu, pour ainsi dire, « la conscience de son identité personnelle ». Or, les cas cités au chapitre II montrent qu'une pareille éventualité n'est pas rare dans cette vie et, il n'est pas impossible que des troubles profonds de la mémoire surviennent chez un esprit désincarné inexpérimenté, lors de ses premières tentatives de communiquer avec nous à travers le monde matériel. Quoiqu'il en soit, la personnalité de Phinuit ne s'était plus manifestée, ni directement ni indirectement, depuis le mois de janvier 1897, époque à laquelle Empereur avait commencé à présider aux supra-visions de Mme Piper.
Phinuit remplissait généralement le rôle d'intermédiaire, reproduisant les communications faites par des parents et amis « décédés » des personnes présentes aux séances et dans une série de séances favorables, l'impression générale a été telle que l’a décrit sir Oliver Lodge dans le cas suivant ( Proceedings S. P. R., VI, p. 454): « Un des meilleurs assistants a été mon voisin le plus rapproché, Isaac C. Thompson, à l'adresse duquel et avant qu'il fût introduit, Phinuit envoya un message prétendant venir de son père. Trois générations de membres vivants et décédés de la famille de sa femme et de la sienne ont été mentionnés avec la plus grande exactitude au cours de deux ou trois séances, chaque membre étant caractérisé avec une précision remarquable ; le principal informateur se donnant pour son frère décédé, un jeune docteur d'Edimbourg mort depuis une vingtaine d'années. Le caractère familier et touchant de ces communications était tout
à fait remarquable et, il est impossible de s'en faire une idée d'après le compte rendu imprimé des séances. »
Les cas de ce genre ne sont pas bien fréquents et, bien qu'il semble y avoir eu pendant la première période de l'histoire de Mme Piper, des preuves abondantes de l'existence d'une faculté supra-normale qui exigeait, tout au moins, l'hypothèse de la transmission de pensées de personnes vivantes rapprochées ou éloignées et rendait probable l'hypothèse d'une faculté de télesthésie ou peut-être même de prémonition, il n'en est pas moins vrai que la principale question qui nous intéresse à présent, celle de savoir si l'organisme de Mme Piper était guidé directement ou indirectement par des esprits désincarnés susceptibles de fournir des preuves satisfaisantes de leur identité ; cette question reste en suspens.
Au point de vue de la question de l'identité personnelle, les séries de séances tenues par Mme Piper pendant la deuxième période de 1892 à 1896, sont beaucoup plus importantes. L'informateur ou intermédiaire principal, pendant cette période, a été G. P. Ce G. P. dont le nom (quoique connu de plusieurs personnes) a été transformé en vue de la publication, en « Georges Pelham », était un jeune homme très capable qui s'adonnait beaucoup à des travaux littéraires. Quoique né citoyen américain, il appartenait à une famille anglaise noble. Je ne l'ai jamais vu mais j'ai eu la bonne fortune de compter quelques-uns de ses amis au nombre des miens et, j'ai pu m'entretenir intimement avec plusieurs d'entre eux sur la nature des communications qu'ils recevaient. J'ai été, de cette façon, mis au courant de quelques-unes des manifestations les plus significatives de G. P. qui ont été jugées de nature trop intime pour être imprimées et, j'ai moi-même assisté à des séances où G. P. s'était manifesté. Pour la discussion complète des preuves tendant à montrer l'identité de G. P., je n'ai qu'a renvoyer mes lecteurs aux récits originaux publiés dans Proceedings S. P. R., XIII, pp. 284-582, et XIV, pp. 6-49.
Nous pourrions citer d'autres exemples empruntés à l'histoire de Mme Piper et qui tous, tendent à montrer que son organisme corporel était possédé et guidé par des esprits désincarnés qui essayaient de prouver leur identité en reproduisant des souvenirs de leur vie terrestre.
Nous devons essayer, maintenant, de nous former une idée définie du processus de la possession basée, non sur des théories préconçues mais sur l'observation réelle des faits, quoiqu'il soit à peine besoin de dire que l'idée la plus adéquate que nous soyons à même de nous former pour le moment, recevra nécessairement, du fait de notre propre existence matérielle, une foule de restrictions et de limitations et ne pourra être exprimée qu'à l'aide d'analogies sommaires.
Je dois dire, dès le début, que cette union de deux êtres humains aussi différents qui s'expriment dans la possession d'un organisme n'a, en elle-même, rien de fatidique ni d'alarmant. Dans le cas de Mme Piper, le commencement et la fin d'une extase qui, selon l'expression de M. James, étaient accompagnés, au début, de « troubles respiratoires et de contractions musculaires prononcés », s'accomplissent à présent, aussi tranquillement que les faits de s'endormir et de se réveiller et, son état de veille ne se ressent en aucune façon de son extase, sauf une fatigue passagère lorsque l'extase a été trop prolongée ou d'un autre côté, un état de bien-être vague et diffus semblable à celui qu'on éprouve quelquefois en se réveillant à la suite d'un rêve agréable. L'influence sur la santé, loin d'être nuisible, aurait été plutôt salutaire. En tout cas, après des troubles sérieux qu'elle avait éprouvés à la suite d'un accident de traîneau et des opérations consécutives, Mme Piper est actuellement « une femme dont la santé est en parfait état ». Au point de vue du caractère, elle présente le type de la femme américaine tranquille et s'occupant beaucoup de son ménage et de ses enfants. (Elle s'était mariée en 1881 et a deux filles dont une âgée de 17, l'autre de 18 ans). D'après le Dr Hodgson, la direction qu'elle subit de la part d'intelligences supérieures à la sienne a augmenté sa stabilité et sa sérénité. Tant que nous ne considérons, en effet, que le côté matériel et charnel de ses rapports bizarres, il nous semble assister à un processus d'évolution qui se déroule devant nous avec une facilité inattendue, de sorte qu'il est de notre devoir de rechercher soigneusement et d'exercer d'autres individus favorisés présentant la même faculté toujours latente, peut-être mais de nos jours, émergeant graduellement dans la race humaine. Die Geisterwelt ist nicht verschlossen ; les sensitifs n'ont qu'à se plonger dans un profond recueillement pour apercevoir la porte qui s'entrouvre sur ce monde des esprits. C'est plutôt de l'autre côté de ces rapports que commencent les difficultés et les perplexités les plus grandes.
En abordant les choses qui se trouvent au-delà de l'expérience humaine, notre principal but doit être d'établir leur continuité avec ce que nous savons déjà. Il nous est impossible, par exemple, de nous former, indépendamment de ce que nous savons, une conception satisfaisante du monde invisible. Et cependant, cette conception n'a jamais été considérée franchement, du point de vue de nos idées modernes de continuité, de conservation de l'énergie, d'évolution. Les principales notions se rapportant à la survivance ont été formées par les hommes primitifs d'abord, par les philosophes aprioristes ensuite. Aux yeux de l'homme de science, la question ne présentait pas une actualité suffisante pour qu'il la jugeât digne d'être abordée à l'aide des méthodes scientifiques. Il se contentait, comme le reste de l'humanité, de quelque théorie traditionnelle, d'une préférence sentimentale pour telle description qui lui paraissait la plus satisfaisante et la plus élevée. Mais il sait bien que ce principe subjectif du choix avait conduit, dans l'histoire, à l'acceptation de plus d'un dogme que nos notions d'hommes civilisés nous font considérer comme blasphématoires et cruels au plus haut degré.
La seule différence, entre les conceptions des philosophes modernes et celles de l'homme primitif, consiste en ceci que, tandis que ce dernier admettait trop peu de différence entre le monde matériel et le monde spirituel, le premier considérant cette différence comme étant trop grande, creuse entre l'un et l'autre un abîme infranchissable ; les oppose d'une façon quasi-absolue.
Toute la question tourne autour de la persistance de l'identité personnelle au-delà de la mort. Comment devons-nous concevoir cette identité ? Au cours de la vie terrestre, le corps réel de notre ami, par exemple, qui, dans l'idée que nous avons de cet ami, constitue un élément plutôt subordonné, n'en recouvre pas moins par sa continuité physique, à la façon d'un symbole, toutes les lacunes de la mémoire, toutes les modifications du caractère. Mais c'étaient la mémoire et le caractère, c'est-à-dire les impressions emmagasinées sur lesquelles il réagissait et son mode de réaction spécifique qui constituaient notre ami proprement dit. Que doit-il conserver de sa mémoire et de son caractère pour être reconnu par nous ?
Notre mémoire (ou la sienne) doit-elle persister entière ou éternelle ? Sa mémoire doit-elle prendre une extension qui confine à l'omniscience et, son caractère revêtir une qualité divine ? Et, quelles que soient les hauteurs qu'il atteigne, devons-nous demander qu'il se révèle à nous quand même ? Les limitations qui découlent de notre monde matériel ne sont-elles pas pour lui un obstacle ?
Rappelons-nous les quelques points qui semblent se dégager des considérations que nous avons formulées plus haut au sujet des communications de ce genre. L'esprit entre en rapport avec une personne vivante occupant une place donnée à un moment donné et, animée de certaines pensées et émotions. L'esprit peut, dans certains cas, trouver la personne en question et la suivre à volonté. Il possède donc dans une certaine mesure une connaissance de l'espace, tout en n'étant pas limité par l'espace, son pouvoir d'orientation dans l'espace est, jusqu'à un certain point à notre vue, ce que celle-ci est aux tâtonnements de l'aveugle. De même, l'esprit paraît avoir une connaissance partielle du temps tout en n'étant pas limité par lui. Il est capable de voir dans le présent, des choses qui apparaissent pour nous comme situées dans le passé et d'autres que nous situons dans le futur. L'esprit est de plus conscient, en partie tout au moins, des pensées et émotions de ses amis terrestres, en tant que ces pensées et émotions se rapportent à lui et ceci, non seulement lorsque l'ami se trouve en présence du médium mais aussi, (comme l'a plus d'une fois montré G. P.) lorsque l'ami est chez lui, vivant de sa vie ordinaire.
Admettant donc, pour les besoins de la cause, que tel est l'état normal de l'esprit par rapport aux choses humaines, comment peut-il et doit-il procéder pour se mettre en communication avec des vivants ? Or, s'il garde non seulement la mémoire des amours terrestres mais, une conscience actuelle de toutes les émotions amoureuses dont il est l'objet après sa mort, il paraît probable qu'il aura, tout au moins, la volonté, le désir d'entrer en communications avec les vivants.
Cherchant alors une issue, il commencera par discerner quelque chose qui correspond (selon l'expression de G. P.) à une lumière, à une lueur qui perce l'obscurité confuse du monde matériel. Cette « lumière » n'est autre chose qu'un médium, c'est-à-dire un organisme humain constitué de telle façon que l'esprit peut, pendant un certain temps, lui fournir des informations et le diriger sans interrompre, nécessairement, le courant de sa conscience ordinaire en se servant, soit de sa main seulement, soit (comme dans le cas de Mme Piper) de sa main et de sa voix à la fois et, occupant tous les canaux par lesquels le médium se manifeste. Les difficultés inhérentes à cet acte de contrôle ou de direction sont décrites par le Dr Hodgson de la façon suivante : « Si, en effet, chacun de nous est un « esprit » survivant à la mort du corps charnel, il existe certaines suppositions que nous pouvons faire, non sans raison et, concernant la possibilité pour un esprit désincarné de se mettre en communication avec des esprits incarnés. Même dans les meilleures conditions, il peut arriver que l'aptitude aux communications soit aussi rare que les dons qui font un grand artiste, un grand mathématicien, un grand philosophe. Mais il se peut aussi que, sous  l'influence des changements qu'entraîne la mort elle-même, l' « esprit » se trouve, au début, troublé et égaré et cela, pendant un temps plus ou moins long ; et, même après s'être accoutumé à son nouveau milieu, il est possible qu'en établissant avec un autre organisme vivant la même relation qu'il avait eue autrefois avec son propre organisme, il se trouve encore troublé, comme lorsqu'on se réveille dans un milieu étrange après une longue période d'inconscience. Si mon propre corps ordinaire pouvait être préservé dans son état actuel et que je puisse moi-même, l'abandonnant pour des mois et des années, mener une existence dans un autre ensemble de conditions, il est possible qu'en rejoignant après cette longue absence mon corps, je me montrerais au début troublé et incohérent dans mes manifestations par son intermédiaire. Combien mon trouble et mon incohérence seraient-ils plus prononcés si je rejoignais un autre corps humain ! Je serais troublé par différentes formes d'aphasie et d'agraphie, je serais sujet à des troubles de l'inhibition, je trouverais les nouvelles conditions opprimantes et épuisantes et, mon esprit fonctionnerait d'une façon automatique et comme dominé par un rêve. Or, les communications que recevait Mme Piper présentaient précisément ce genre de confusion et d'incohérence auquel nous pouvions nous attendre a priori, si elles étaient vraiment ce qu'elles prétendaient être. »
J'ai comparé, au commencement de ce chapitre, les phénomènes de la possession avec ceux de la désintégration de la personnalité, avec les rêves et avec le somnambulisme. Or, il paraît probable que la théorie des personnalités multiples par laquelle on affirme qu'aucun des courants connus de la personnalité humaine n'épuise toute sa conscience et, qu'aucune de ses manifestations connues n'exprime toute la potentialité de son être, puisse s'appliquer aux hommes désincarnés aussi bien qu'aux hommes incarnés et, ceci nous permet de supposer que les manifestations des premiers ressembleront à ces communications fugitives et instables qui existent entre les différentes couches de la personnalité chez l'homme vivant.
Mais cette difficulté elle-même et ce caractère fragmentaire des communications sont susceptibles, en dernière analyse, de nous fournir des renseignements précieux. Nous assistons au mystère central de la vie humaine se déroulant dans de nouvelles conditions et, plus que jamais accessible à notre observation. Nous voyons un esprit se servir d'un cerveau. Un cerveau humain est, en dernière analyse, un arrangement de matière adapté de façon à être influencé, mis en action par un esprit mais, tant qu'il reçoit des impulsions d'un esprit auquel il est accoutumé, l'action est trop faible pour nous permettre d'en saisir le mécanisme. Mais maintenant, nous avons affaire à un esprit étranger au cerveau, non habitué à l'instrument, s'installant et tâtonnant. Nous sommes ainsi à même d'apprendre des choses infiniment plus profondes et importantes que celles que nous apprennent les interruptions morbides de l'oeuvre de l'esprit ordinaire, normal. Dans l'aphasie, par exemple, nous assistons à certaines difficultés de la parole dépendant de certains troubles cérébraux. Mais dans la possession, nous voyons l'esprit dirigeant en train de lutter contre des difficultés analogues, écrivant ou prononçant un mot inexact pour le remplacer par le mot juste et même, trouvant parfois le moyen de nous expliquer quelque chose de ce mécanisme verbal minutieux dont l'arrêt ou le dérangement avait donné naissance à l'erreur.
Il est possible qu'avec les progrès que feront nos investigations, à mesure que nous-mêmes d'un côté et les esprits désincarnés de l'autre serons de plus en plus initiés aux conditions nécessaires pour le contrôle parfait du cerveau et du système nerveux des intermédiaires, il est possible disions-nous, que les communications deviennent de plus en plus complètes et cohérentes et atteignent un niveau de plus en élevé de conscience unitaire. Les difficultés peuvent être grandes et nombreuses mais, peut-il en être autrement lorsqu'il s'agit de réconcilier l'esprit avec la matière ; d'ouvrir à l'homme de la planète où il est emprisonné, une trouée sur le monde spirituel ?
Nous avons vu, au cours de ce chapitre, les phénomènes de la possession intimement liés à ceux de l'extase. Ceci s'explique si l'on songe que, du moment où un esprit extérieur est susceptible d'entrer dans un organisme pour s'en emparer, l'esprit intérieur peut, à son tour, être capable d'abandonner l'organisme auquel il est habituellement attaché, changer son centre de perception et d'action, quoique d'une façon moins complète et moins irrévocable qu'à la suite des changements qui résultent de la mort. L'extase devient ainsi, simplement, l'aspect complémentaire et corrélatif de la possession spirituelle. Un tel changement ne doit pas être forcément spatial, pas plus que celui qui consiste dans l'invasion de l'organisme déserté par un esprit extérieur. On peut aller plus loin et dire que puisque l'esprit incarné est capable de changer de cette façon son centre de perception en réponse, pour ainsi dire, à l'invasion de l'organisme par un esprit désincarné, on ne voit pas pourquoi il ne pourrait pas en faire autant en d'autres occasions. Nous connaissons déjà la « clairvoyance migratrice » qui consiste en ce que l'esprit change de centre de perception au milieu de scènes du monde matériel. Pourquoi n'y aurait-il pas une extension de la clairvoyance migratrice au monde spirituel ? une transmission spontanée du centre de perception dans cette région d'où les esprits désincarnés semblent, de leur côté, capables de communiquer avec une liberté grandissante ?
La conception de l’extase, dans son sens à la fois le plus littéral et le plus sublime, s'est ainsi dégagée toute seule, d'une façon presque insensible, de tout un ensemble de preuves modernes  et ce n'est pas avant longtemps que nous réussirons à séparer de façon adéquate, je ne dirai pas l'élément objectif de l'expérience de son élément subjectif car nous aurons dépassé la région où ces mots conservent encore leur sens mais, l'élément de l'expérience qui appartient à des esprits autres que celui de l'homme en extase, de l'élément qui appartient en propre à ce dernier.
Il n'est pas paradoxal de dire que les preuves qui existent en faveur de l'extase sont plus sérieuses que celles que nous possédons en faveur de n'importe quelle autre croyance religieuse. De toutes les expériences subjectives de la religion, l'extase est celle qui a été affirmée avec le plus de force, le plus de conviction. Elle ne constitue pas le monopôle d'une seule religion quelconque et si, au point de vue psychologique, la principale preuve de l'importance d'un phénomène subjectif faisant partie de l'expérience religieuse consiste dans le fait qu'il est commun à toutes les religions, il en existe à peine un autre qui réponde à cette condition au même degré que l'extase. Depuis le sorcier des sauvages les plus primitifs jusqu'à saint Jean, saint Pierre, saint Paul sans oublier Bouddha et Mahomet, nous possédons des données qui, tout en présentant des différences considérables au point de vue moral et intellectuel, ont une base psychologique commune.
A toutes les époques, l'esprit est conçu comme étant susceptible de quitter le corps ou s'il ne le quitte pas, d'étendre considérablement son champ de perception en faisant naître un état qui ressemble à l'extase. Toutes les formes connues d'extase s'accordent sur ce point et toutes, elles reposent sur un fait réel.
Nous établissons ainsi la continuité et la réalité de phénomènes qui, jusqu'ici, ont été considérés sans connexion aucune et d'une façon à peu près inintelligible. Guidés par notre point de vue à nous, nous pouvons établir une connexion entre les formes supérieures et les formes inférieures sans aucun préjudice pour les premières. Le shaman, le sorcier lorsqu'il n'est pas un imposteur, pénètre aussi réellement dans le monde spirituel que saint Pierre ou saint Paul  mais, il ne pénètre pas dans la même région de ce monde ; des visions confuses et obscures le terrifient au lieu de l'exalter. Mais, en ce qui nous concerne, le fait seul que nous croyons à ses visions ne fait que confirmer et corroborer notre foi relative à la vision du « septième ciel » des apôtres.

CHAPITRE X – CONCLUSION

La tâche que je m'étais proposée au commencement de cet ouvrage peut être considérée comme remplie. Abordant successivement chacun des points de mon programme, j'ai présenté, non certes toutes les preuves que je possède et que j'aurais voulu exposer mais, un nombre de données suffisant pour illustrer un exposé continu, sans faire courir à mon livre les risques de dépasser les limites au-delà desquelles, il n'aurait pas trouvé de lecteurs. J'ai indiqué aussi les principales conclusions qui se dégagent immédiatement de ces données. Les généralisations plus vastes auxquelles je puis me livrer maintenant sont dangereusement spéculatives ; elles sont de nature à détourner de ce genre de recherches plus d'un esprit scientifique dont l'adhésion m'importe avant tout. C'est là pourtant, un risque que je veux courir et cela pour deux raisons ou plutôt, pour une raison capitale susceptible d'être considérée sous deux aspects : il m'est notamment impossible de laisser cette masse d'observations obscures et peu familières sans quelques mots de généralisation
plus vaste, sans une conclusion qui établisse un rapport plus clair entre ces nouvelles découvertes et les schémas déjà existants de la pensée et des croyances des hommes civilisés.
Je considère, en premier lieu, cet essai de synthèse comme nécessaire pour le but pratique qui consiste à enrôler le plus possible d'auxiliaires dans cet ordre de recherches. Comme j'ai eu l'occasion de le dire plus d'une fois, ce n'est pas l'opposition mais, l'indifférence qui a été le véritable obstacle à leur progrès. Ou, si le mot indifférence est trop fort, l'intérêt évoqué par ces recherches n'a pas été suffisant pour susciter des collaborations aussi nombreuses et efficaces que celles qui se manifestent dans une quelconque des sciences que tout le monde a pris l'habitude de respecter. Nos recherches portent sur un ordre de faits qui ne sont ni ceux de la religion, ni ceux de la science et, elles ne peuvent demander l'appui ni du « monde religieux », ni de la Société Royale. Mais à part même l'instinct de curiosité scientifique pure, (qui certes, a rarement vu s'ouvrir devant lui un champ aussi vaste et peu exploré) les problèmes capitaux dont ces phénomènes gardent le mystère constituent un appel suffisamment, exceptionnellement puissant. Je me propose de formuler cet appe, et non seulement d'entraîner la conviction mais encore, de susciter la coopération. Et des conversations que j'ai eues avec de nombreuses personnes, je crois
pouvoir conclure que pour obtenir cette coopération, même de la part des hommes de science, il est nécessaire de donner une vue d'ensemble, quel qu'en soit le caractère spéculatif et incertain, des conséquences morales de tous ces phénomènes.
D'un autre côté, et ici la raison d'ordre pratique que nous avons donnée plus haut prend un caractère plus large et plus profond, il serait injuste envers les données, elles même que nous avons acquises, de terminer cet ouvrage sans toucher d'une façon plus directe que nous ne l'avons fait jusqu'ici, à quelques-unes des convictions les plus profondes de l'homme. Leur influence ne doit pas être limitée aux conclusions quelques importantes qu'elles soient, qui en découlent immédiatement. Ces découvertes sont plutôt de nature à contribuer, plus que toutes les autres, à l'achèvement ultime du programme de domination scientifique que l'Instauratio Magna avait formulé pour l'humanité. Bacon avait prévu la victoire progressive de l'observation et de l'expérience, le triomphe du fait réel et analysé dans tous les domaines des études humaines ; dans tous sauf un : C'est en effet à l'Autorité et à la Foi qu'il abandonna le domaine des « choses divines ». Je tiens à montrer que cette grande exception n'est plus justifiée. Je prétends qu'il existe une méthode d'arriver à la connaissance de ces choses divines avec la même certitude, la même assurance calme auxquelles nous devons les progrès dans la connaissance des choses terrestres. L'autorité des religions et des églises sera ainsi remplacée par celle de l'observation et de l'expérience. Les impulsions de la foi se transformeront en convictions raisonnées et résolues qui feront naître un idéal supérieur à tous ceux que l'humanité avait conçus jusqu'ici.
La plupart des lecteurs des pages précédentes auront sans doute été préparés à l'opinion ainsi exprimée franchement. Mais peu nombreux seront ceux auxquels cette opinion ne paraîtra pas, à première vue, bizarre et invraisemblable. La philosophie et l'orthodoxie s'accorderont à la trouver présomptueuse et, la science elle-même n'acceptera pas sans objection qu'on fasse entrer dans ses cadres, des faits dont elle avait pendant longtemps l'habitude soit de nier l'existence, soit en tous cas, de méconnaître la valeur. Je n'en suis pas moins convaincu qu'il apparaîtra, à la réflexion, que le changement de point de vue que je propose est plus que nécessaire : il est inévitable.
Je n'ai pas besoin de décrire ici, tout au long, l'inquiétude profonde de notre époque. A aucune autre, le degré de satisfaction spirituelle de l'homme n'a été à ce point au-dessous de l'intensité de ses besoins. L'ancienne nourriture, quoique administrée de la façon la plus consciencieuse, est trop peu substantielle pour nous autres modernes. Deux courants opposés traversent nos sociétés civilisées : d'un côté, la santé, l'intelligence, la moralité ; tous ces dons que les progrès rapides de l'évolution planétaire sont à même de procurer à l'homme, se sont accrues dans des proportions extraordinaires. D'un autre côté, cette même santé, cette même prospérité font ressortir davantage le Welt-Schmerz qui ronge la vie moderne, la perte de toute foi réelle dans la dignité, le sens, l'infinité de la vie.
Nombreux certes, sont ceux qui acceptent facilement cette limitation de l'horizon, qui voient sans regret tout espoir plus élevé se dissiper et s'obscurcir sous l'influence des activités et des plaisirs terrestres. Mais d'autres ne se montrent pas satisfaits à aussi bon compte ; ils ressemblent à des enfants qui sont trop grands pour les jeux avec lesquels on les amuse ; qui sont prêts à tomber dans l'indifférence et le mécontentement contre lesquels le seul remède consiste dans l'initiation aux travaux sérieux des hommes.
L'Europe avait déjà connu une crise pareille. Il y a eu une époque où la naïveté joyeuse, les impulsions irréfléchies du monde primitif avaient disparu, où la beauté avait cessé d'être le culte des Grecs et Rome, la religion des Romains. La décadence Alexandrine, la désolation byzantine ont trouvé leur expression dans plus d'un épigramme qui aurait pu être écrit de nos jours. Il se produisit alors une grande invasion du monde spirituel et avec de nouvelles races et de nouveaux idéaux, l'Europe a recouvré sa jeunesse.
L'effet unique de cette grande impulsion chrétienne commence peut-être à s'atténuer. Mais plus de grâce peut venir d'une région d'où la grâce était déjà venue une fois. L'agitation de notre époque est celle de l'adolescence, non celle de la sénilité ; elle annonce plutôt l'approche de la puberté que celle de la mort.
Ce que notre époque demande, ce n'est pas l'abandon de tout effort mais une tension de tous nos efforts ; elle est mûre pour une étude des choses invisibles, aussi sérieuse et aussi sincère que celle que la science avait appliquée aux problèmes terrestres. C'est que de nos jours, l'instinct scientifique développé depuis si peu de temps dans l'humanité, semble prendre un essor pour acquérir l'importance que l'instinct religieux avait eue aux temps passés et, s'il existe la moindre fente à travers laquelle il soit possible de regarder ce qui se passe en dehors de la cage planétaire, nos descendants ne se feront pas faute d'en profiter et de l'élargir. Le schéma de connaissances qui s'impose à ces chercheurs doit être tel, que tout en dépassant nos connaissances actuelles, il les continue ; par conséquent, un schéma non catastrophique mais évolutionniste, non promulgué et terminé en un moment mais, se développant graduellement en recherches progressives.
Ne doit-il pas y avoir également un changement continu, un avancement sans fin de l'idéal humain lui-même, de sorte que la foi abandonne son point de vue du passé limité pour se placer à celui du futur sans fin, moins pour suppléer aux lacunes de la tradition que pour rendre plus intense la conviction qu'il existe une vie supérieure pour laquelle on doit travailler, une sainteté qui peut être atteinte un jour en vertu d'une grâce et à l'aide d'efforts jusqu'ici inconnus ?
II se peut que pour quelques générations à venir, la foi la plus vraie consistera dans des efforts incessants de démêler parmi les phénomènes confus, quelque trace du monde supérieur ; de trouver ainsi « la substance des choses espérées, la preuve des choses invisibles ». J'avoue, pour ma part, avoir souvent eu l'impression que notre époque a été favorisée d'une façon exceptionnelle, qu'aucune révélation et aucune certitude futures n'égaleront la joie de ce grand effort contre le doute pour la certitude, contre le matérialisme et l'agnosticisme qui ont accompagné les premiers progrès de la science, pour une conviction scientifique plus profonde que l'homme possède une âme immortelle. Je ne connais pas d'autre crise d'un charme aussi profond ; mais ceci n'est peut-être, après tout, que l'incapacité de l'enfant affamé de se figurer quelque chose de plus agréable que la première bouchée de pain qu'il avale. Donnez-lui cela seulement et peu lui importe de savoir s'il est appelé à être un jour premier ministre ou valet de charrue.
Tout aussi transitoire et dépendant au même degré de la place que nous occupons dans l'histoire des efforts humains, est une autre nuance de sentiment que beaucoup ont connue. Ils ont senti, notamment, que l'incertitude communique à la foi une portée et un courage que la certitude scientifique est impuissante à donner. Ils ont éprouvé une joie austère dans le choix de la vertu, sans attendre aucune récompense de la vertu. Cette joie, semblable à la joie de Colomb naviguant vers l'Ouest de Hierro, ne pourra peut-être pas se reproduire sous les mêmes formes. Mais, pour descendre à une comparaison plus humble, jamais l'homme fait ne sera capable de se vouer à l'étude dans le même esprit de foi pure, sans anticipation des résultats, comme lorsqu'il apprenait l'alphabet sur les genoux de sa mère.
Notre effort intellectuel a-t-il pour cela diminué depuis ? Avons-nous senti qu'il n'était plus nécessaire de lutter contre l'oisiveté puisque nous avons appris que la connaissance apportait une récompense certaine ?
Les variétés de la joie spirituelle sont infinies. A l'époque de Thaïes, la Grèce avait éprouvé la joie de la première notion vague de l'unité et de la loi cosmiques. A l'époque du christianisme, l'Europe avait reçu le premier message authentique d'un monde situé au-delà du nôtre. A notre époque, la conviction se fait jour que les messages sont susceptibles de devenir continus et progressifs ; qu'entre le monde visible et le monde invisible, il existe un chemin de communication que les générations futures auront à coeur d'élargir et d'éclairer. Notre époque peut nous sembler la meilleure ; leurs époques leur paraîtront également meilleures et plus grandes.
Evolution spirituelle : telle est donc notre destinée dans ce monde et dans l'autre ; évolution graduelle à nombreuses étapes, à laquelle il est impossible d'assigner une limite. Et la passion de la vie n'est pas de la faiblesse égoïste mais, un facteur de l'énergie universelle. On doit maintenir sa force intacte, lors même que notre lassitude nous pousse à nous croiser les bras dans un repos sans fin ; elle doit survivre et annihiler les « douleurs qui conquièrent la vérité ». Si les Grecs considéraient comme une trahison, comme une désertion du poste assigné dans la bataille le fait de quitter par le suicide la vie terrestre, combien plus lâche est le désir de déserter le Cosmos, la résolution de ne plus rien espérer, non seulement de la planète mais de l'ensemble des choses. Or, l'homme peut maintenant se sentir chez soi dans l'Univers infini ; la plus forte peur est passée ; la vraie sécurité commence à être acquise. La plus forte peur était celle de l'extinction ou de la solitude spirituelle ; la vraie sécurité réside dans la loi de la télépathie.
Je vais expliquer ma pensée. A mesure que nous considérions les différents aspects successifs de la télépathie, nous en avons vu la conception s'élargir et s'approfondir graduellement au cours de notre étude. Elle s'est montrée à nous, au début, comme une transmission quasi-mécanique d'idées et d'images d'un cerveau à un autre. Et à la fin, nous l'avons vue revêtir une forme plus variée et plus imposante, comme si elle exprimait la véritable invasion par un esprit distant. Nous avons pu assigner à son action, une étendue plus grande que n'importe quel espace de la terre ou de l'océan, comblant l'abîme qui sépare les esprits incarnés des esprits désincarnés, le monde visible du monde invisible. On dirait qu'il n'existe pas de limite à la distance de ses opérations, pas plus qu'à l'intimité de ses invasions.
L'amour qui, selon la définition de Sophocle, pousse « les bêtes, les hommes et les dieux » avec la même force, n'est pas l'effet d'une impulsion charnelle ou d'un caprice émotionnel. On peut plutôt définir maintenant l'amour, comme nous l'avons fait pour le génie, dans des termes qui lui donnent un sens nouveau plus en rapport avec les phénomènes que nous avons décrits. Le génie, avons-nous dit, est une sorte de clairvoyance exaltée mais, non développée. L'invasion subliminale qui inspire le poète ou le musicien lui donne une perception profonde mais vague, de ce monde invisible dans lequel le voyant ou le médium jette un regard plus étroit mais plus précis. De même, l'amour est une sorte de télépathie exaltée mais non spécialisée, l'expression la plus simple et la plus universelle de cette gravitation mutuelle ou de cette royauté des esprits qui sont à la base de la loi de la télépathie.
Telle est la réponse à la peur d'autrefois ; la peur a fait de la sociabilité de l'homme une chose extérieure et de sa solitude une chose intérieure ; elle nous a fait considérer les liens qui nous unissent à nos semblables comme résultant de la lutte pour l'existence, comme engendrés par les besoins de la puissance et de la cohésion grégaires ; et on craignait que l'amour et la vertu ne disparaissent comme ils sont nés. Telle est la réponse à ceux qui craignent que des centres séparés de vie consciente ne soient condamnés à être toujours étrangers, sinon hostiles les uns aux autres ; que les unions et les sociétés ne soient toujours intéressées et illusoires et l'amour, un armistice momentané au cours d'une guerre infinie et inévitable.
Ces craintes disparaissent dès que nous reconnaissons que c'est par nos âmes que nous sommes unis à nos semblables ; que le corps sépare lors même qu'il semble unir, de sorte que « jamais l'homme ne vit ni ne meurt pour lui seul » mais en un sens plus profond que celui de la métaphore, « nous sommes tous membres les uns des autres ». Comme les atomes, comme les soleils, comme les voies lactées, nos esprits sont des systèmes de forces qui vibrent continuellement sous la dépendance mutuelle de leurs forces attractives. Tout ceci n'est encore que vaguement esquissé ; ce sont les premiers contours d'un schéma de pensée qu'il faudra des siècles pour développer. Mais, pouvons-nous supposer que lorsque la conception du lien existant entre les âmes aura pris racine, les hommes voudront retourner à l'ancien exclusivisme, à l'ancien état de controverse ? Ne verront-ils pas que cette connaissance qui élargit le monde est à la fois ancienne et nouvelle, que die Geisterwelt ist nicht verschlossen ? Que les révélations de ce genre ont toujours existé Mais, qu'elles prennent maintenant pour nous un sens plus profond grâce à la science plus profonde de ceux qui les envoient et de nous autres qui les recevons ?
Nous avons ici, sûrement une conception à la fois plus large et plus exacte qu'aucune de celles qu'on ait jamais connues ; de cette « éducation religieuse du monde » sur laquelle les théologiens aimaient tant à insister. Nous n'avons besoin ni d' « intervention surnaturelle », ni de « plan de rédemption ». Nous n'avons qu'à admettre que le même processus qui se manifeste de nos jours s'était toujours manifesté entre ce monde et l'autre.
Supposons que, pendant que les hommes incarnés ont évolué de l'état sauvage à l'état civilisé, les hommes désincarnés en aient fait autant. Supposons qu'ils soient devenus plus empressés et plus capables de se servir, pour leurs communications avec la terre, des lois qui président aux relations entre le monde matériel et le monde spirituel.
D'après cette hypothèse, des phénomènes automatiques se produiraient qui ne seraient pas modifiés intentionnellement par le pouvoir spirituel. Il a toujours dû exister des points de contact où les choses invisibles se heurtaient aux choses visibles. Il y a toujours eu des « migrations clairvoyantes » aux cours desquelles l'esprit du shaman ou du sorcier discernait des choses éloignées sur la terre par la puissance excursive de l'esprit. Il y a toujours eu des apparitions au moment de la mort, effets conscients ou inconscients du choc qui sépare l'âme du corps et toujours il y a eu des « hantises » lorsque l'esprit déjà désincarné, revoyait dans un rêve perceptible à d'autres, les scènes qu'il avait connues autrefois.
C'est sur la base de ces phénomènes que se sont développées (pour ne parler que de l'Europe civilisée) la religion divinatoire d'abord, la religion chrétienne ensuite. Les cadeaux en or, offerts par Crésus à l'oracle de Delphes nous fournissent, en faveur de la clairvoyance de Pythie, le seul témoignage que nous pouvions attendre de la part d'une tradition qui nous vient de l'aube de l'histoire.
Et puis, ne comprendrons-nous pas mieux et le caractère unique et la réalité de la révélation chrétienne, en la considérant comme le degré culminant d'une évolution plutôt que comme une exception, comme étant appelée, non à détruire la loi cosmique mais, à en achever la réalisation ? Pour la première fois dans l'histoire humaine arriva alors du monde invisible, un message tel que tous les coeurs l'avaient désiré, un message donnant satisfaction aux besoins émotionnels fondamentaux non seulement de cette époque mais, de toutes celles aussi qui allaient suivre. Intellectuellement, ce message ne pouvait pas satisfaire toutes les époques à venir vu l'évolution de la connaissance et du pouvoir qui devait s'accomplir, aussi bien du côté des esprits incarnés que de celui des esprits désincarnés.
Personne, au moment de la révélation, ne soupçonnait cette uniformité, cette continuité de l'Univers qu'une longue expérience a presque transformées pour nous en axiome. Personne ne prévoyait le jour où la demande d'un miracle se transformerait en une demande d'une loi supérieure.
Ce tempérament scientifique nouveau ne constitue pas, d'après moi, le privilège exclusif des habitants de cette terre. Le monde spirituel, je crois l'avoir montré, présente des manifestations du même tempérament. Mais ces manifestations se produisent et doivent se produire, conformément au schéma de l'évolution normale. Elle doivent reposer sur l'éducation, sur la séparation de ce qui, chez nous autres mortels, fait partie de l'invisible, participe du monde immortel. Des deux côtés, le processus doit être rapide et continu. Nous nous trouvons en présence, non plus de quelques événements isolés dans le passé (susceptibles d'être interprétés d'une façon ou d'une autre mais à jamais renouvelables) mais plutôt, d'un état de choses réel et se confondant avec le monde que nous reconnaissons avec une clarté grandissante, d'année en année et, qui change dans des directions que nous sommes à même de prévoir de mieux en mieux. Ce nouvel aspect des choses a besoin d’une nouvelle généralisation, d'un nouvel arrangement ; il nous montre la possibilité d'une synthèse provisoire de la foi religieuse qui formera la véritable conclusion de cet ouvrage. Esquisse provisoire d'une synthèse religieuse.
J'ai des raisons d'espérer que nous ne sommes pas éloignés d'une synthèse religieuse qui, malgré son caractère provisoire et rudimentaire, n'en finira pas moins par être plus en rapports avec les besoins rationnels de l'homme, qu'aucune de celles qui l'ont précédée. Cette synthèse ne peut être obtenue, ni grâce à la simple domination d'une des religions existantes, ni par des processus de syncrétisme ou d'éclectisme. La condition préalable nécessaire de son existence consiste dans l'acquisition réelle, soit à l'aide de découvertes, soit à la suite de révélations, de nouvelles connaissances utilisées de façon que toutes les principales formes de la pensée religieuse puissent, par une expansion et un développement harmonieux, former de simples éléments constitutifs d'un tout plus compréhensif. Et je crois qu'il a été acquis, jusqu'à présent, assez de ces connaissances pour qu'il me soit permis de soumettre à mes lecteurs les conséquences religieuses qui me semblent en découler.
A cet effet, notre conception de la religion doit être à la fois profonde et compréhensive, conforme à la définition que nous en avons déjà donnée et qui est celle d'une réponse normale et saine de l'esprit humain à tout ce que nous connaissons de la loi cosmique, c'est-à-dire à tous les phénomènes connus de l'univers considérés comme un tout intelligible. Cependant, la réponse subjective de la plupart des hommes à tout ce qui les environne tombe souvent au-dessous du niveau de la véritable pensée religieuse. Elle s'éparpille en désirs, elle est emprisonnée par des ressentiments ou déformée par des peurs superstitieuses. Ce n'est donc pas de ces hommes-là que je parle mais, de ceux auxquels le grand spectacle a inspiré une tendance vague, tout au moins, vers la Source de toutes choses ; chez lesquels la connaissance a fait naître la méditation et des désirs élevés. Je voudrais voir la science, épurée d'abord par la philosophie, se transformer ensuite par la religion en une flamme brûlante ; car à mon avis, nous ne saurions être trop religieux. Je désire que l'univers qui nous environne et nous pénètre ; son énergie, sa vie, son amour éclairent en nous, dans la mesure où nous nous y prêtons, ce que nous attribuons à l'âme universelle en disant: « Dieu est l'amour », « Dieu est la lumière ». L'énergie inépuisable de bienveillance omnisciente qui réside en l'âme universelle doit se transformer, en nous, en une adoration et une collaboration enthousiaste, en une obéissance ardente à ce que nos meilleurs efforts nous permettent de discerner comme étant le principe régulateur en nous et en dehors de nous.
Mais si nous nous formons de la religion un idéal aussi haut, en l'élevant au-dessus de l'obéissance aveugle et de la crainte intéressée, au point de rendre la soumission à lui entièrement voulue et de borner ses exigences à des réponses purement spirituelles, nous avons le droit de nous demander s'il est juste et raisonnable d'être religieux, de considérer avec une dévotion aussi complète un univers en apparence incomplet et irresponsable et, un principe régulateur que tant de gens ignorent ou mettent en doute.
Le pessimiste professe cette opinion que l'existence des êtres sensibles constitue une erreur déplorable dans le schéma des choses. L'égoïste agit tout au moins selon la maxime que l'univers n'a aucune signification morale et que chacun pour soi « est la seule loi indiscutable ». J'ose penser que, de la réponse au pessimiste et à l'égoïste se dégage l'idéal de nos connaissances nouvelles. Il persiste, il est vrai, une difficulté plus subtile que les âmes généreuses sentent instinctivement. « Le monde, disent ces personnes, est une résidence imparfaite et, il est de notre devoir de faire de notre mieux pour l'améliorer. Mais qu'est-ce qui nous force à ressentir et, la fraction minime de notre bonheur personnel justifie-t-elle un pareil sentiment, un enthousiasme religieux pour un univers dans lequel, même un seul être aura été, de par sa sensibilité, voué à des douleurs inévitables ? » La réponse à ces scrupules moraux ne peut, en grande partie, être dictée que par la foi. Si nous savions, en effet, qu'il n'existe rien au-delà de la vie terrestre, ou (ce qui pis est) : que cette vie a entraîné ne serait-ce que pour une seule âme des souffrances infinies, ce serait de notre part un escamotage moral que d'attribuer le pouvoir et la bonté à la cause première, personnelle ou impersonnelle, d'un pareil sort. Mais si nous croyons à l'existence d'une vie infinie avec des possibilités infinies d'amélioration humaine et de justification divine alors, il semble exact d'affirmer que l'univers est (d'une façon qui nous échappe) ou parfaitement bon ou bien, en train de le devenir, puisqu'il peut le devenir grâce, en partie, à l'ardeur même de notre foi et de notre espérance.
Je ne fais que mentionner ces difficultés de début ; je n'y insisterai pas ici. Je parle à des hommes décidés en vertu de leur instinct ou de leur raison, à être religieux, à s'approcher, dans une vénération dévouée, d'une Puissance et d'un Amour infinis. Notre désir est simplement de trouver le moyen le moins indigne de penser à des choses qui, nécessairement, dépassent notre pensée finie.
Nous pouvons diviser les meilleures émotions religieuses en trois variétés ; trois courants qui roulent parallèlement et dont chacun surgit, à mon avis, de quelque source cachée dans la réalité des choses.
Je placerai, en premier lieu, le sentiment obscur des penseurs indépendants appartenant à différentes époques et à différentes contrées et que je désignerai, pour éviter toute définition discutable, sous le nom de religion des sages anciens. Sous cette dénomination, (quoique Lao-Tseu ne soit peut-être rien de plus qu'un nom) il nous a été présenté dans un résumé sommaire par le grand sage et poète de notre propre époque  et, des mots tels que religion naturelle, panthéisme, platonisme, mysticisme ne font qu'exprimer ou intensifier les différents aspects de la conception principale qui forme la base du sentiment en question. C'est la conception de la coexistence et de l'interpénétration d'un monde réel ou spirituel et d'un monde matériel ou phénoménal ; croyance née dans beaucoup d'esprits, à la suite d'expériences à la fois plus décisives et plus concordantes que celles qu'ils aient jamais connues. Je dis : plus décisives, parce qu'elle supposent l'apparition et l'action d'un sens qui est « le dernier et le plus vaste » d'une faculté qui permet d'embrasser, je ne dirai pas Dieu (car quelle faculté finie est capable d'embrasser l'infini ?) mais tout au moins, quelques indices vagues et fragmentaires d'un véritable monde de vie et d'amour. Plus concordantes aussi, et ceci pour une raison qui, jusqu'en ces derniers temps, aurait semblé un paradoxe, car la corroboration mutuelle de ces signes et messages ne dépend pas seulement de leur concordance fondamental, jusqu'à un certain point mais aussi, de leur inévitable divergence au-delà de ce point, lorsqu'ils passent du domaine des choses senties dans celui des choses imaginées, de la région de l'expérience réelle à celle de la foi dogmatique.
La religion des Sages anciens est d'une antiquité inconnue. D'une antiquité inconnue sont également les différentes religions orientales qui, dans les temps historiques, ont atteint leur point culminant dans la religion de Bouddha. Pour le Bouddhisme, tous les univers qui se pénètrent forment autant de degrés par lesquels l'homme suit sa marche ascendante, jusqu'à ce qu'il soit délivré de toute illusion et plongé ineffablement dans le tout impersonnel. Mais la doctrine de Bouddha a perdu tout contact avec la réalité et n'est pas fondée sur des faits observés et reproduisibles.
Le christianisme, la plus jeune de toutes les grandes religions, repose incontestablement sur une base formée de faits observés. Ces faits, tels que la tradition nous les fait connaître, tendent assurément à prouver le caractère surhumain du fondateur du christianisme et son triomphe sur la mort et en même temps, l'existence et l'influence d'un monde spirituel qui est la véritable patrie de l'homme. Tout le monde reconnaît que ces idées se trouvent à l'origine de la foi. Mais depuis les premiers jours, le christianisme a été élaboré en codes moraux et rituels adaptés à la civilisation occidentale et, certains croient qu'il a gagné comme règle de vie, ce qu'il a perdu en fait de simplicité spirituelle.
Au point de vue du sage ancien, les concordances profondes de tous ces différents systèmes religieux effacent leurs oppositions formelles. Mais je le répète, ce n'est pas de la soudure de ces systèmes, ni du mélange des meilleures parties de chacune des synthèses existantes que naîtra la synthèse nouvelle que je prévois. Elle naîtra de la renaissance- même de nos connaissances et dans ces nouvelles connaissances, chacune des grandes formes de la pensée religieuse trouvera son développement indispensable, je dirai presque prédestiné. Depuis son enfance, notre race avait trébuché sur une voie défendue  et actuellement, les premières leçons de sa première enfance lui révèlent que beaucoup de ce à quoi elle avait cru instinctivement à sa source ; sa racine dans la réalité même.
Je vais donc dire ce que je crois savoir ; je vais résumer la conclusion religieuse qui découle de l'observation et de l'expérience, avant même que nos découvertes puissent être citées devant le tribunal de la science, pour en recevoir leur consécration définitive.
Je dis : la conclusion religieuse car, les observations et les expériences sur lesquelles je m'appuie, je les suppose connues ; ces observations, expériences et inductions ont amené plus d'un chercheur et je suis du nombre, à une croyance à l'intercommunication directe ou télépathique, non seulement entre des esprits incarnés mais encore, entre des esprits incarnés d'un côté et des esprits désincarnés de l'autre. Une telle découverte ouvre aussi la porte à la révélation. Grâce à la découverte et à la révélation, certaines opinions ont été provisoirement formulées concernant le sort des âmes délivrées des corps. En premier lieu et avant tout, je crois qu'on est autorisé à considérer leur état comme celui d'une évolution infinie dans la sagesse et dans l'amour. Leurs amours terrestres persistent et au-dessus de tout, ces amours supérieurs qui cherchent à se manifester dans l'adoration et le culte. Il ne semble pas qu'il soit possible de tirer de leur état des arguments quelconques en faveur d'une des théologies existantes. Là-dessus, les âmes semblent moins bien renseignées que nous autres mortels n'avions cru l'être. Mais, du haut de la position privilégiée qu'elles occupent dans l'Univers, elles voient qu'il est bon. Je ne veux pas dire par-là qu'elles sachent quoique ce soit sur la fin ou l'explication du mal. Mais le mal leur paraît une chose moins terrible qu'asservissante. Il n'est incarné dans aucune autorité puissante, il forme plutôt un état de folie isolé dont des esprits supérieurs cherchent à débarrasser les âmes dénaturées. On n'a pas besoin pour cela de la purification par le feu ; la connaissance de soi-même est la seule punition et la seule récompense de l'homme. Dans ce monde, l'amour est vraiment la condition de la préservation personnelle ; la communion avec les saints n'est pas seulement l'ornement de la vie mais, en assure l'éternité. Or, la loi de la télépathie nous montre que cette communion se produit déjà, de temps à autres, dans ce monde-ci. Dès à présent, l'amour des âmes répond à nos invocations. Dès à présent, l'amour associé à nos souvenirs, l'amour qui est lui-même une prière, appuie et réconforte ces âmes délivrées dans leur chemin ascendant. A cela rien d'étonnant puisque nous sommes, par rapport à eux, comme des compagnons de route enveloppés d'un brouillard ; « ni la mort, ni la vie, ni la hauteur, ni la profondeur, ni aucune créature » ne sont capables de nous éloigner du feu central de l'univers, ni de cacher pour plus d'un moment, l'inconcevable unité des âmes.
Quel est le système qui ait fourni une confirmation aussi profonde de l'essence-même de la révélation chrétienne ? Jésus Christ fit naître « la vie et l'immortalité ». Par son apparition après la mort corporelle, il a prouvé l'immortalité de l'esprit. Par son caractère et son enseignement, il a prouvé la paternité de Dieu. Tout ce que son message contenait de données démontrables est ici démontré ; toutes ses promesses de choses indémontrables sont ici renouvelées.
Je vais hasarder une opinion osée et prédire que, grâce aux nouvelles données que nous possédons, tous les hommes raisonnables croiront, avant un siècle, à la résurrection du Christ, tandis que sans ces données, personne n'y croirait plus avant un siècle. Les raisons qui me dictent cette prédiction sont suffisamment claires. Notre conviction toujours croissante de la continuité, de l'uniformité de la loi cosmique nous a progressivement imposé cette conclusion que l’unicité d'un incident constitue précisément, sa réfutation inévitable. Notre siècle de science se pénètre de plus en plus de cette vérité que les relations entre le monde matériel et le monde spirituel ne peuvent pas être d'un caractère uniquement moral ou émotionnel ; qu'elles doivent être l'expression d'un grand fait fondamental de l'Univers, impliquant l'action de lois aussi permanentes, aussi identiques d'une époque à l'autre que nos lois connues concernant l'énergie et le mouvement. Et en ce qui touche spécialement cette affirmation centrale : la vie de l'âme se manifestant après la mort corporelle, il est clair qu'elle peut, de moins à moins, se faire prévaloir de la tradition seule et doit, de plus en plus, chercher sa confirmation dans l'expérience et l'étude modernes. Supposons, par exemple, que nous ayons recueilli quelques-unes de ces histoires et que ces histoires n'aient pas résisté à l'analyse critique, tous les phénomènes qui y sont relatés pouvant être attribués aux hallucinations, à des défauts de descriptions et autres sources d'erreur ; pouvons-nous nous attendre à ce que des hommes raisonnables admettent que tel phénomène merveilleux qui se réduit toujours à néant lorsqu'on le soumet à une analyse, dans un milieu anglais moderne, soit digne de foi dès qu'on affirme qu'il s'était produit dans une contrée orientale, à une époque éloignée et superstitieuse ? Si les résultats des « recherches psychiques » avaient été purement négatifs, les données (je ne dis pas l’émotion) du christianisme n'auraient-elles pas reçu un coup irréparable ?
D'après mon opinion personnelle, nos recherches nous ont donné des résultats tout différents, largement positifs. Nous avons montré que sur un grand nombre de faits qu'on peut attribuer à l'erreur, au mensonge, à la fraude et à l'illusion, il existe des manifestations indiscutables qui nous parviennent d'au-delà du tombeau. L'affirmation centrale du christianisme reçoit ainsi une confirmation éclatante. Si nos propres amis; des hommes comme nous autres, peuvent parfois revenir nous parler d'amour et d'espérance, un esprit plus puissant peut bien avoir été à même de se servir des lois éternelles avec une puissance supérieure. Rien ne nous empêche d'admettre que, quoique nous soyons tous « les enfants du Tout-Puissant », le Christ ait pu se rapprocher plus que nous autres, par une voie qui nous est inconcevable, de ce qui est infiniment éloigné.
Ce n'est donc pas à moins mais à plus de vénération, que l'homme se trouve ainsi appelé. L'affirmation vague et imparfaite de la révélation et de la résurrection est, de nos jours, confirmée par de nouvelles découvertes et de nouvelles révélations ; par la découverte de la télépathie qui nous apprend que des communications directes peuvent s'établir soit entre des esprits incarnés, soit entre des esprits incarnés d'un côté et des esprits désincarnés de l'autre ; par les révélations contenues dans les messages ayant leur source dans les esprits désincarnés et qui montrent, d'une façon directe, ce que la philosophie n'a pu que soupçonner : l'existence d'un monde spirituel et l'influence qu'il exerce sur nous.
Nos nouvelles connaissances confirmant ainsi les anciens courants de pensées corroborent, d'un côté le récit de l'apparition du Christ après la mort et nous font voir, d'un autre côté, la possibilité d'une incarnation bienfaisante d'âmes qui, avant leur incarnation, étaient supérieures à celle de l'homme. Voilà pour le passé. Anticipant ensuite sur l'avenir, elles confirment la conception bouddhiste d'une évolution spirituelle infinie à laquelle est soumis le Cosmos tout entier. En même temps, revêtant un caractère de réalité de plus en plus prononcé, le fait de notre communion avec des esprits affranchis nous fournit, à la fois, un soutien immédiat et nous fait entrevoir la perspective d'un développement infini, lequel consistera en une croissance de sainteté, en une interpénétration de plus en plus intime des mondes et des âmes, en une évolution de l'énergie en vie, et de la vie en la triple conception de la sagesse, de l'amour et de la joie. Ce processus s'effectuant d'une façon différente pour chaque âme en particulier est lui-même continu et cosmique ; toute vie naissant de l'énergie primitive et se divinisant pour devenir la joie suprême.

TABLE DES MATIÈRES

PREFACE    2
NOTE DES ÉDITEURS    4
AVANT-PROPOS DU TRADUCTEUR    5
CHAPITRE I -  INTRODUCTION    7
CHAPITRE II - LES DÉSINTÉGRATIONS DE LA PERSONNALITÉ    21
CHAPITRE III - LE GÉNIE    36
CHAPITRE IV - LE SOMMEIL    56
CHAPITRE V - L'HYPNOTISME    72
CHAPITRE VI - AUTOMATISME SENSORIEL    96
CHAPITRE VII - FANTOMES DE MORTS    123
CHAPITRE VIII - AUTOMATISME MOTEUR    146
CHAPITRE IX - POSSESSION, RAVISSEMENT, EXTASE    171
CHAPITRE X – CONCLUSION    193