GABRIEL DELANNE
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LA REINCARNATION
Naître, mourir, renaître encore et progresser sans cesse, telle est la loi.
Allan Kardec
Introduction
« L’immortalité est une chose qui nous importe si fort, a dit Pascal, qui nous touche si profondé¬ment, qu'il faut avoir perdu tout sentiment pour être dans l'indifférence de savoir ce qu'il en est. » Ce besoin de connaître notre destinée a été le souci d'innombrables générations, puisque toutes les grandes révolutions qui ont transformé les socié¬tés furent accomplies par des réformateurs reli¬gieux. Cependant, de nos jours, l'incertitude règne dans l'esprit de la majorité de nos contemporains sur ce sujet si important, car la religion ayant perdu une grande partie de son autorité morale a vu diminuer sa puissance suggestive. Avec les phi¬losophes spiritualistes, l'âme, avide de vérité, erre éperdue dans les obscurs dédales d'une métaphy¬sique abstraite, souvent contradictoire et parfois incompréhensible.
Le siècle dernier a été remarquable par l'ex¬traordinaire développement des recherches positives dans toutes les branches de la science. Les connaissances nouvelles que nous avons acquises ont révolutionné nos conditions d'existence et amélioré notre vie matérielle dans des proportions qui eussent paru invraisemblables à nos arrières grands-pères ; et cependant on a pu accuser la science de faire faillite à toutes nos espérances, car, si elle triomphe dans le domaine de la matière, elle est restée volontairement étrangère à ce qu'il nous importe le plus de savoir, c'est-à-dire si nous avons une âme immortelle et, dans l'affirmative, ce qu'elle devient après la mort, et, à plus forte raison, si elle existe avant la naissance. Mais si elle a été incapable d'édifier, elle fut un puissant ins¬trument de destruction.
Les découvertes de l'astronomie, de la géologie, de l'anthropologie ont soulevé le voile de nos ori¬gines et, à la lumière de ces grandioses révélations naturelles, les fictions religieuses sur l'origine de la terre et celle de l'homme se sont évanouies comme le font les légendes devant l'histoire. D'autre part, la critique intensive des exégètes a enlevé à la Bible son caractère de révélation divine, de sorte que beaucoup d'esprits sincères refusent mainte¬nant de se soumettre à son autorité. Cette dé¬chéance de la foi résulte aussi de l'antagonisme qui existe entre l'enseignement religieux et la raison. Les antiques conceptions du Ciel et de l'Enfer sont surannées, car on ne comprend pas plus une éternité de souffrance comme punition d'une exis¬tence qui est moins d'une seconde vis-à-vis de l'immensité du temps, que l'on ne conçoit une félicité oisive et béate dont l'éternelle monotonie serait un véritable supplice.
Pour apporter des lumières nouvelles sur un sujet aussi anciennement controversé que celui de l'exis¬tence de l'âme, il faut résolument abandonner le terrain des stériles discussions, philosophiques, qui n'aboutissent dans la plupart des cas qu'à des solutions contradictoires, et aborder cette question par l'observation et l'expérience.
L'âme existe substantiellement ; si elle est réelle¬ment différente du corps, il doit être possible de trouver, dans ses manifestations, des preuves de son indépendance de l'organisme. Or, ces preuves existent, et il est facile de s'en convaincre lorsque l'on étudie impartialement les faits classés aujour¬d'hui sous les noms de clairvoyance, de télépathie, de prémonition, d'extériorisation de la sensibi¬lité ou de la motricité et du dédoublement de l'être humain. Pendant longtemps, la science est restée sceptique en face de ces phénomènes auxquels elle ne croyait pas, et il a fallu les efforts persévé¬rants des spirites depuis soixante-dix ans pour orienter les chercheurs indépendants dans des voies si nouvelles. L'heure de la justice a enfin sonné, puisque M. le professeur Charles Richet a déposé sur le bureau de l'Académie des Sciences, au mois de mars 1922, son Traité de métapsychique, qui est une reconnaissance formelle de la réalité indiscutable des phénomènes dont nous parlons plus haut. Si le célèbre physiologiste reste encore opposé à l'interprétation spirite des faits, ce n'est que timidement qu'il combat cette explication ; beaucoup d'illustres savants n'ont pas eu ses scru¬pules, puisque Crookes, Alfred Russel Wallace, Myers, Sir Oliver Lodge, Lombroso et bien d'au¬tres, pour expliquer les mêmes faits, acceptent pleinement la théorie spirite, qui est la seule ca¬pable de s'adapter à tous les cas. La Société anglaise des Recherches psychiques, composée d'hommes de science de premier ordre et de psychologues émi¬nents, a, depuis 1882, contrôlé des milliers d'obser¬vations, institué des expériences irréprochables et, grâce à la vulgarisation des procédés hypnotiques, le public lettré commence à se familiariser avec ces faits qui révèlent en nous la présence de l'âme humaine.
Mais il ne suffit pas d'établir que l'être pensant est une réalité ; il est nécessaire de prouver, aussi, que son individualité survit à la mort, et cela avec le même luxe de démonstrations positives que celles qui rendent certaine son existence pendant la vie. Les spirites ont répondu à cette attente en montrant que les rapports entre les vivants et les morts s'établissent sous les formes très variées de l'écriture, de la typtologie, de la voyance, de l'audition, etc. Ils ont employé la photographie, la balance, les empreintes et les moulages pour établir l'objectivité des fantômes qui apparaissent dans les séances de matérialisation et la corporéité temporaire de ces apparitions est irrécusable quand tous ces documents subsistent après que les fan¬tômes se sont évanouis.
Toutes les objections de fraudes, d'hallucina¬tions, etc., ont été réfutées par les enquêtes réitérées entreprises dans le monde entier par les sa¬vants les plus qualifiés et, en face de la masse de documents accumulés, l'on peut affirmer mainte¬nant que la matérialité des faits n'est plus contes¬table. Sans doute, la lutte contre le parti pris sera longue encore, car nous voyons unis, dans une coalition hétéroclite, les prêtres et les matérialistes, qui se sentent également menacés par cette science nouvelle ; mais la force démonstrative du spiri¬tisme est si grande qu'il a conquis des millions d'adhérents dans toutes les classes de la société et qu'il pousse, haut et ferme, sur les ruines du passé.
Ne pouvant nous étendre sur ces démonstrations si variées, nous renvoyons le lecteur désireux de s'instruire aux ouvrages déjà publiés.
Il reste acquis pour nous que l'âme humaine a une existence certaine pendant la vie, qu'elle survit à la désagrégation du corps et qu'elle emporte dans l'Au-delà toutes les facultés et tous les pou¬voirs qu'elle possédait ici-bas. Maintenant, la ques¬tion se pose de savoir si elle existait avant la nais¬sance et quelles sont les preuves que l'on peut réu¬nir pour appuyer la théorie de la préexistence. Elles sont de deux sortes :
10 Des arguments philosophiques ;
20 Des observations scientifiques.
Examinons rapidement ces deux aspects de la question.
La croyance à la pluralité des existences a été admise par les esprits les plus éminents de l'anti¬quité sous des formes d'abord un peu obscures, mais qui se sont, à la longue, précisées d'une ma¬nière compréhensible. Le Christianisme ayant re¬poussé cette théorie, les hommes de nos jours sont peu familiarisés avec cette idée si éminemment ra¬tionnelle. Nous verrons qu'il existe des arguments irrésistibles en sa faveur, si l'on veut concilier les inégalités intellectuelles et morales qui existent sur la terre entre les hommes avec une justice immanente.
Si l'on admet que l'âme d'un homme ne vient pas pour la première fois sur la terre, que son appa¬rition n'est pas subite, on est conduit à supposer, en remontant jusqu'à l'origine de l'humanité, qu'elle a passé antérieurement par le règne animal qu'elle aurait parcouru tout entier, depuis l'origine de la vie sur le globe. Nous verrons que les décou¬vertes de la science appuient fortement cette ma¬nière de voir, car il est possible de constater, par la filiation des êtres vivants, une corrélation pro¬gressivement croissante entre les organismes ma¬tériels et les formes de plus en plus développées des facultés psychiques.
C'est à ce moment que nous faisons intervenir les expériences du spiritisme, afin d'essayer de don¬ner à cette théorie philosophique une base expéri¬mentale, autrement dit de la faire entrer dans la science. Voici, brièvement résumés, les points les plus saillants de cette démonstration.
L'expérience nous prouve que l'âme est insépa¬rable d'un corps fluidique appelé périsprit. Cette enveloppe contient en elle toutes les lois qui prési¬dent à l'organisation et à l'entretien du corps ma¬tériel en même temps que celles qui régissent le fonctionnement psychologique de l'esprit. Les ma¬térialisations d'esprits nous montrent à l’œuvre cette puissance formatrice et plastique et nous font supposer que ce qui a lieu, momentanément et anormalement, dans une séance spirite, se pro¬duit, lentement et naturellement, au moment de la naissance. Dès lors, chaque être apporte avec lui se puissance de développement et seule la forme, c'est-à-dire le type structural interne et externe, est modifiée par les lois de l'hérédité qui peuvent en troubler plus ou moins le fonctionnement. J'ai tenté une esquisse de cette démonstration, il y a plus de trente ans, dans mon livre L'Evolution animique et dans un mémoire présenté 1898 au Congrès spiritualiste de Londres.
Si les faits précédents sont exacts, nous devons retrouver dans la série animale les mêmes phéno¬mènes que dans l'être humain et pouvoir les con¬trôler expérimentalement. J'exposerai les preuves physiologiques et psychologiques que nous possé¬dons sur ce point et l'on verra que si les documents sont encore trop peu nombreux pour imposer une conviction absolue, ils ont cependant assez de valeur pour nous obliger à en tenir le plus grand compte.
Une autre série d'arguments peut être tirée du témoignage des Esprits, et j'aurai grand soin de ne pas négliger cette source de renseignements, tout en faisant les réserves nécessaires sur la valeur que nous devons attribuer aux affirmations de cette nature. Il existe, en effet, une divergence assez grande sur cette question entre les Esprits qui se manifestent dans les différentes parties du monde. Les êtres désincarnés des pays latins enseignent presque unanimement les vies successives, puisque c'est grâce à eux qu'Allan Kardec adopta cette théorie, à laquelle il était opposé auparavant. Au contraire, dans les pays anglo-saxons, la plupart des Esprits rejettent cette hypothèse. Il ne faut pas trop nous effrayer de ce désaccord, car dans l'espace, de même que sur la terre, les avis sont partagés sur les grandes lois de la nature et, chez eux comme chez nous, ce ne sont que les plus instruits, les plus évolués, qui finissent par démontrer le bien fondé de leurs opinions. Depuis vingt ans on constate que la réincarnation est admise mainte¬nant par un grand nombre d'Esprits d'Angleterre et des Etats-Unis , et nous concluons de ce fait que cette théorie avait été jusqu'alors laissée de côté par les guides spirituels pour ne pas heurter trop rudement les croyances anciennes et compro¬mettre par là le développement du spiritisme. Au¬jourd'hui que cette doctrine compte des millions d'adeptes dans le Nouveau Monde, ce danger n'existe plus et la théorie des vies successives gagne chaque jour du terrain.
On peut trouver dans les communications spi¬rites deux sortes de preuves de la réincarnation :
1° celles qui proviennent d'Esprits qui affirment se souvenir de leurs vies antérieures ;
2° celles dans lesquelles les Esprits annoncent à l'avance quelles seront leurs réincarnations ici-bas, en spé¬cifiant leur sexe et les caractères particuliers aux¬quels on pourra les reconnaître. Nous discuterons soigneusement ces documents et l'on verra que beaucoup d'entre eux résistent à toutes les cri¬tiques.
Il est encore deux séries de preuves concernant les vies successives ; ce sont d'abord celles qui nous sont fournies par les êtres humains qui se souviennent avoir vécu déjà sur la terre. En cette matière, une comparaison de ces phénomènes avec ceux de la paramnésie nous permettra de ne con¬server que des documents inattaquables. Ce sont ensuite celles qui se déduisent de l'existence des enfants prodiges. Car l'hérédité psychique est inadmissible, puisque nous savons que l'âme n'est pas engendrée par les parents, de sorte que la réincarnation est la seule explication logique de ces anomalies apparentes.
Ces faits, si négligés jusqu'alors par les philoso¬phes, ont une importance considérable : si l'on veut bien les examiner attentivement et en déduire les conséquences, il en résultera une presque certitude de la théorie des vies successives et l'on comprendra la grandiose évolution de l'âme humaine, depuis les formes les plus inférieures jusqu'aux degrés les plus élevés de la vie supranormale et morale. Cette doctrine a une portée philosophique et so¬ciale d'une importance considérable pour l'avenir de l'humanité, car elle pose les bases d'une psycho¬logie intégrale qui s'adapte merveilleusement avec toutes les sciences contemporaines dans leurs con¬ceptions les plus hautes.
Etudions-la donc impartialement et nous verrons qu'elle est plus qu'une simple théorie scientifique, mais une grandiose et irrécusable vérité.
Chapitre I - Coup d’œil historique sur la théorie des vies successives
Antiquité de la croyance aux vies successives. – L’Inde. – La Perse. – L’Egypte. – La Grèce. – La Judée – L’Ecole néo-platonicienne d’Alexandrie. – Les Romains. – Les Druides. – Le moyen âge. – Dans les temps modernes : Penseurs et philosophes qui ont admis cette doctrine. – Une enquête sur ce sujet du Dr Calderone.
L’Inde
La doctrine des vies successives ou réincarnation est appelée aussi Palingénésie, de deux mots grecs Palin, de nouveau, génésis, naissance . Ce qui est très remarquable, c'est que, dès l'aurore de la civilisation, elle a été formulée dans l'Inde avec une précision que l'état intellectuel de cette époque lointaine ne faisait guère présager. En effet, dès la plus haute antiquité, les peuples de l'Asie et de la Grèce ont cru à l'immortalité de l'âme et, mieux encore, certains se sont préoccupés de savoir si cette âme était créée au moment de la naissance ou si elle existait antérieurement.
Je vais rappeler brièvement les opinions des au¬teurs qui ont étudié cette question.
L'Inde est très probablement le berceau intellec¬tuel de l'humanité, et il est tout à fait remarquable que l'on trouve dans les Vedas et dans la Bhagavad Gita des passages comme celui-ci :
L'âme ne naît ni ne meurt jamais ; elle n'est pas née jadis, elle ne doit pas renaître ; sans naissance, sans fin, éternelle, antique, elle n'est pas tuée quand on tue le corps.
Comment celui qui la sait impérissable, éternelle, sans naissance et sans fin, pourrait-il tuer quelqu'un ou le faire tuer ?
Comme l'on quitte des vêtements usés pour en prendre des nouveaux, ainsi l'âme quitte les corps usés pour revêtir de nouveaux corps...
J'ai eu bien des naissances et toi-même aussi, Arjuna ; je les sais toutes, mais toi, tu ne les connais pas...
Ici s'affirment, dans la doctrine védique, l'éter¬nité de l'âme et son évolution progressive par des réincarnations multiples qui ont pour objet la des¬truction de tout désir et de toute pensée de récom¬pense personnelle. En effet, poursuit encore l'ins¬tructeur (c'est toujours la voix céleste) :
Parvenues jusqu'à moi, ces grandes âmes, qui ont atteint la perfection suprême, ne rentrent plus dans cette vie péris¬sable, séjour des maux.
Les mondes retourneront à Brahma, ô Arjuna, mais celui qui m'a atteint ne doit plus renaître...
La Perse et la Grèce
On trouve dans le Mazdéisme, religion de la Perse, une conception très haute, celle de la rédemption finale accordée à toutes les créatures, après avoir, toutefois, subi des épreuves expia¬toires qui doivent mériter à l'âme humaine son bonheur final. C'est la condamnation d'un enfer éternel qui serait en contradiction absolue avec la bonté de l'Auteur de tous les êtres.
Pythagore fut le premier qui introduisit en Grèce la doctrine des renaissances de l'âme qu'il avait connue dans ses voyages en Egypte et en Perse. Il avait deux doctrines, l'une réservée aux initiés qui fréquentaient les Mystères, et une autre destinée au peuple ; cette dernière a donné naissance à l'er¬reur de la métempsycose. Pour les initiés, l'ascen¬sion était graduelle et progressive, sans régression dans des formes inférieures, tandis que pour le peuple, peu évolué, on enseignait que les âmes mau¬vaises devaient renaître dans le corps des animaux, comme l'expose nettement son disciple Timée de Locres dans le passage suivant :
C'est par la même raison qu'il faut établir des peines passagères (fondées sur la croyance) de la transformation des âmes (ou de la métempsycose), en sorte que les âmes (des hommes) timides passent (après la mort) dans le corps des femmes, exposées au mépris et aux injures ; les âmes des meurtriers dans le corps des bêtes féroces pour (y recevoir) leur punition ; celles des impudiques dans les porcs et les sangliers ; celle des inconstants et des évapo¬rés dans les oiseaux, qui volent dans les airs : celles des paresseux, des fainéants, des ignorants et des fous, dans les formes des animaux aquatiques.
Chez les Grecs, il est tout à fait remarquable qu'Hérodote, en parlant de la doctrine des Egyptiens, ait pressenti la nécessité du passage de l'âme à travers la filière animale, mais en lui attribuant un caractère de pénalité qui a confirmé l'erreur de la métempsycose.
Cependant le « Père de l'Histoire » croyait que les âmes pures pouvaient évoluer dans les autres astres du ciel. Il dit que les hiérophantes de Mithra, chez les Perses, représentaient les transmigrations des âmes dans les corps célestes sous le symbole mystérieux d'une échelle ou d'un escalier avec sept pointes, chacune d'un différent métal, qui figuraient les sept astres auxquels les jours de la semaine étaient dédiés, mais disposés dans un ordre inverse, selon que Celse le rapporte, et comme il suit : Saturne, Vénus, Jupiter, Mercure, Mars, la Lune et le Soleil.
Il y avait donc, dans l'antiquité grecque, deux enseignements, l'un pour la foule, l'autre pour les hommes sages auxquels on révélait la vérité après qu'ils avaient subi l'initiation à de que l'on appe¬lait « les Mystères ». Aristophane et Sophocle dési¬gnent les Mystères les espérances de la mort. Por¬phyre disait aussi :
Notre âme doit être au moment de la mort telle qu'elle était durant les mystères, c'est-à-dire exempte de passion, d'envie, de haine et de colère.
On voit quelle était l'importance morale et civi¬lisatrice des Mystères. En effet, on y enseignait secrètement :
1° L'Unité de Dieu ;
2° La pluralité des mondes et la rotation de la terre, telle qu'elle fut affirmée plus tard par Copernic et Galilée ;
3°La multiplicité des existences successives de l'âme.
Platon adopte l'idée pythagoricienne de la Pa¬lingénésie. Il l'a fondée sur deux raisons principales exposées dans le Phédon. La première est que dans la nature, la mort succédant à la vie, il est logique d'admettre que la vie succède à la mort, car, rien ne pouvant naître de rien, si les êtres que nous voyons mourir ne devaient jamais revenir à la vie, tout finirait par s'absorber dans la mort. En second lieu, le grand philosophe se base sur la réminis¬cence, car, selon lui, apprendre c'est se ressouvenir. Or, dit-il, si notre âme se souvient d'avoir déjà vécu avant de descendre dans le corps, pourquoi ne croirions-nous pas qu'en le quittant elle en pourra animer successivement plusieurs autres ?
S'élevant plus haut encore, Platon affirme que l'âme, débarrassée de ses imperfections, qui s'est attachée à la divine vertu, devient en quelque sorte sainte et ne retourne plus sur la terre.
Mais, avant d'arriver à ce degré d'élévation, les âmes retournent pendant mille ans dans le « Hadès » et, lorsqu'elles doivent revenir ici-bas, elles boivent les eaux du Léthé, qui leur enlèvent le sou¬venir de leurs existences passées.
L'école néo-platonicienne
L'Ecole néo-platonicienne d'Alexandrie enseigna la réincarnation en précisant davantage les con¬ditions pour l'âme de cette évolution progressive. Plotin, le premier de tous, y revient maintes fois dans le cours de ses Ennéades. C'est un dogme, dit-il, de toute antiquité et universellement ensei¬gné que, si l'âme commet des fautes, elle est con¬damnée à les expier en subissant des punitions dans les enfers ténébreux, puis elle est admise à passer dans un nouveau corps pour recommencer ses épreuves. Dans le livre IX de la deuxième «Ennéade », il précise encore davantage sa pensée dans la phrase suivante : «La providence des Dieux assure, à chacun de nous le sort qui lui convient et qui est harmonique avec ses antécédents selon ses existences successives. » C'est déjà toute la doctrine moderne sur l'évolution du principe intelligent s'élevant, par degrés jusqu'au sommet de la spiritua¬lité. Porphyre ne croit plus à la métempsycose, même comme punition des âmes perverses et, suivant lui, la réincarnation ne s'opère que dans le règne humain. Il n'y avait donc pas pour les adeptes de Pythagore et de Platon de peines éternelles. Toutes les âmes devaient arriver à une rédemption finale par leurs propres efforts. C'est là une doc¬trine éminemment morale, puisqu'elle incite l'homme à s'affranchir volontairement des vices et des pas¬sions mauvaises pour se rapprocher progressive¬ment de la source de toutes les vertus.
Jamblique synthétise ainsi la doctrine des vies successives :
La justice de Dieu, dit-il, n'est point la justice des hommes. L'homme définit la justice sur des rapports tirés de sa vie actuelle et de son état présent. Dieu la définit relativement à nos existences successives et à l'universalité de nos vies. Ainsi les peines qui nous affligent sont souvent les châtiments d'un péché dont l'âme s'est rendue coupable dans une vie antérieure. Quelquefois, Dieu nous en cache la raison, mais nous ne devons pas moins l'attri¬buer à sa justice.
Ainsi donc, suivant lui, ni hasard ni fatalité, mais une inflexible justice règle l'existence de tous les êtres et, si quelques-uns sont accablés d'afflic¬tion, ce n'est pas en vertu d'une décision arbitraire de la divinité, mais par une conséquence inéluc¬table des fautes qu'ils ont commises antérieure¬ment. On verra plus tard que l'Esprit qui revient sur la terre accepte parfois librement de pénibles épreuves, non plus comme châtiment, mais pour arriver plus vite à un degré supérieur de son évo¬lution.
La Judée
Chez les Hébreux, l'idée des vies antérieures était admise généralement.
Elie, dit l'apôtre saint Jacques, n'était pas différent de ce que nous sommes ; il n'a pas eu un décret de prédes¬tination autre que celui que nous avons nous-mêmes seulement, son âme, quand Dieu l'a envoyée sur la terre, était déjà parvenue à un degré très éminent de perfection, qui lui a attiré, dans sa vie nouvelle, des grâces plus effi¬caces et plus hautes.
La croyance aux renaissances de l'âme se trouve indiquée d'une manière voilée dans la Bible , mais beaucoup plus explicitement dans les Évan¬giles, comme il est facile de s'en assurer par les passages suivants.
En effet, les Juifs croyaient que le retour d'Elie sur la terre devait précéder celui du Messie. C'est pourquoi, dans l'Evangile, lorsque ses disciples demandent à Jésus si Elie est revenu, il leur répond affirmativement en disant :
Elie est déjà venu et ils ne l'ont point reconnu, mais ils lui ont fait tout ce qui leur a plu.
Et ses disciples comprirent, dit l'évangéliste, que c'était de Jean qu'il leur parlait.
Une autre fois, ayant rencontré sur leur chemin un homme aveugle de naissance qui mendiait, ses disciples l'interrogèrent sur cet homme : « si c'étaient les péchés qu'il avait commis, ou ceux de ses pa¬rents, qui étaient cause qu'il était né aveugle » ; ils croyaient donc qu'il avait pu pécher avant que d'être né ? Et pourtant Jésus ne relève point une demande si étrange ; et, sans les détromper, comme il semble qu'il n'eût pas manqué de le faire s'ils avaient été dans l'erreur, il se contente de leur répondre :
Ce n'est point que cet homme ait péché, ni ceux qui lui ont donné le jour, mais c'est afin que les oeuvres de la puis¬sance de Dieu éclatent en lui.
Dans l'évangile de saint Jean, un sénateur juif, un Pharisien, Nicodème, demande à Jésus des expli¬cations sur le dogme de la vie future. Jésus répond :
En vérité, en vérité, je vous le dis, personne ne peut voir le royaume de Dieu s'il ne naît de nouveau.
Nicodème est bouleversé par cette réponse, parce qu'il la prend dans son sens grossier.
« Comment, dit-il, peut renaître un homme qui est déjà vieux ? Peut-il rentrer dans le sein de sa mère pour renaî¬tre une seconde fois? » Jésus reprend : « En vérité, en vé¬rité, je vous le dis, si un homme ne renaît pas de l'eau et de l'Esprit, il ne peut entrer dans le royaume de Dieu ; ne vous étonnez pas de ce que je vous ai dit qu'il faut que vous naissiez de nouveau ; l'esprit souffle où il veut, et vous entendez sa voix, mais vous ne savez d'où il vient, ni où il va. »
« Comment cela peut-il se faire ? »
Jésus lui dit
« Quoi, vous êtes maître en Israël et vous ignorez cela. »
Cette dernière observation du Christ montre bien qu'il est surpris qu'un maître en Israël ne connaisse pas la réincarnation, car celle-ci était en¬seignée comme doctrine secrète aux intellectuels de cette époque. Une des preuves que l'on en peut donner, c'est qu'il existait des enseignements cachés aux vulgaires, qui ont été recueillis dans les diffé¬rents ouvrages qui constituent la Kabbale.
Dans l'enseignement secret réservé aux initiés, on proclamait l'immortalité de l'âme, les vies suc¬cessives et la pluralité des mondes habités. On trouve ces doctrines dans le Zohar , rédigé par Siméon Ben Jochaï, vraisemblablement vers l'an 121 de notre ère, mais connu seulement en Europe vers la fin du IIIème siècle. D'autre part, la transmi¬gration des âmes, si nous en croyons saint Jérôme, a été longtemps enseignée comme une vérité éso¬térique et traditionnelle qui ne devait être confiée qu'à un petit nombre d'élus. Origène admettait comme une nécessité logique la préexistence de l'âme pour expliquer certains passages de la Bible, sans quoi, dit-il, on pourrait accuser Dieu d'iniquité. Ces conceptions, bien que repoussées par les con¬ciles, furent conservées, même dans le clergé, par des esprits indépendants comme le cardinal Nicolas de Cusa, et parmi les philosophes, par les adeptes des sciences secrètes, qui se transmettaient ces tra¬ditions sous le sceau du secret.
Les Romains
Parmi les Romains qui puisèrent la plupart de leurs connaissances en Grèce, Virgile exprime clai¬rement l'idée de la Palingénésie en ces termes :
Toutes ces âmes, lorsque pendant mille ans elles ont tourné la roue de cette existence (dans l'Elysée ou le Tartare) Dieu les appelle en nombreux essaims au fleuve Léthé, afin que, privées du souvenir, elles revoient les lieux supérieurs et convexes et commencent à vouloir retourner dans le corps.
Ovide dit aussi que son âme, lorsqu'elle sera purifiée, habitera les astres qui peuplent le firmament, ce qui étend la palingénésie jusqu'aux autres mondes semés dans l'espace.
Druidisme
Les Gaulois, nos ancêtres, pratiquaient la reli¬gion des druides et croyaient à l'unité de Dieu et aux vies successives. César dit :
Une croyance qu'ils cherchent toujours à établir, c'est que les âmes ne périssent point et qu'après la mort elles passent d'un corps dans un autre.
Ammien Marcellin rapporte qu'en conformité avec l'opinion de Pythagore, ils affirmaient que les âmes sont immortelles et qu'elles doivent animer d'autres corps. C'est pourquoi, lorsqu'ils brûlaient leurs morts, ils jetaient dans le bûcher des lettres qu'ils adressaient à leurs parents ou à leurs amis défunts, comme si ceux-ci devaient les recevoir et les lire. Les Druides enseignaient qu'il y a trois cycles : 10 celui de Ceugant, qui n'appartenait qu'à Dieu ; 2° celui de Gwynfid ou séjour de bonheur, et 30 celui d'Abri ou cycle des voyages, auquel appartenaient notre terre et les autres planètes. La terre était un lieu de passage pour s'élever vers des mondes supérieurs. L'idée de préexistence, et non de métempsycose, est nettement formulée par le barde Taliésin, lorsqu'il dit : « J'ai été vipère dans le lac, j'ai été couleuvre tachetée sur la mon¬tagne ; j'ai été étoile, j'ai été prêtre. Depuis que j'ai été pasteur, un long temps s'est écoulé ; j'ai dormi dans cent mondes, je me suis agité dans cent cercles.
Moyen âge
Pendant toute la durée du moyen âge, la doc¬trine palingénésique resta voilée, car elle était sévèrement proscrite par l'Eglise, alors toute-puis¬sante ; cet enseignement fut confiné dans les so¬ciétés secrètes ou se transmit oralement entre ini¬tiés qui s'occupaient des sciences occultes.
Temps modernes
Il faut arriver aux temps modernes et à la liberté de penser et de discuter publiquement pour que cette vérité des vies successives renaisse à la grande lumière de la publicité.
Un des plus éminents philosophes du XVIIe siè¬cle, Leibniz, en étudiant le problème de l'origine de l'âme, admet que le principe intelligent, sous forme de monade, a pu se développer dans la filière animale.
Dupont de Nemours, un profond penseur du XVIIIe siècle, par la seule force du raisonnement, admet, comme Charles Bonnet, que l'âme dégagée du corps est toujours unie à une forme spirituelle qui lui permet de conserver son individualité, et qu'après un séjour dans l'espace, elle revient sur la terre pour s'y perfectionner en acquérant une mo¬ralité de plus en plus haute.
Dupont de Nemours, comme Leibniz, suppose que le principe intelligent a passé par tous les or¬ganismes vivants avant d'arriver à l'humanité.
Le philosophe Lessing écrit :
« Qui empêche que chaque homme ait existé plusieurs fois dans le monde ? Cette hypothèse est-elle si ridicule pour être la plus ancienne ?... Pourquoi n'aurai-je pas fait dans le monde tous les pas successifs dans mon perfec¬tionnement qui, seuls, peuvent constituer pour l'homme des punitions et des récompenses temporelles ? »
A citer Ballanche, Schlegel, Saint-Martin qui expriment, chacun à sa façon, des idées se rapprochant de celles de Dupont de Nemours au sujet de la Palingénésie.
Constant Savy, qui vivait au commencement du XIXème siècle, n'admet pas l'enfer éternel, car ce châtiment serait une vengeance aveugle et im¬placable, puisqu'elle punirait, par une éternité de supplices, les fautes d'une vie qui, si longue soit-¬elle, n'est que quelques instants vis-à-vis de l'é¬ternité. Il. admet la théorie des vies successives, car, dit-il, l'immortalité de l'homme consiste en une marche progressive ; il prépare la vie dans laquelle il entre par celle qu'il laisse ; enfin, puisqu'il y a deux mondes, nécessairement l'un matériel et l'autre intellectuel, ces deux mondes, qui composent la vie à venir, doivent avoir des rapports harmoniques avec le nôtre. En progressant lui-même, il fera pro¬gresser le monde.
Les philosophes de l'école spiritualiste, tels que Pierre Leroux et Fourier, ont admis la pluralité des existences de l'âme.
Mais Fourier, avec son esprit systématique et aventureux, imagine des périodes de vies humaines et extra-terrestres entremêlées. C'est ainsi qu'il y aurait exactement huit cent dix existences, par¬tagées en cinq périodes d'inégales étendues, et embrassa et une durée de quatre-vingt mille ans !
Esquiros nous affirme que chacun de nous est l'auteur et pour ainsi dire l'ouvrier de ses destinées futures. Les êtres ignorants ou dégradés qui n'ont pas su faire éclore leur âme rentrent dans le sein d'une femme pour y revêtir un nouveau corps et accomplir une nouvelle existence terrestre. Cette réincarnation se fait en vertu d'une grande loi d'é¬quilibre qui ramène tous les êtres au châtiment ou à la rémunération exacts de leurs oeuvres. Ces renaissances sur la terre sont limitées et l'âme épurée va habiter des mondes supérieurs.
Dans son beau livre : Terre et Ciel, Jean Reynaud expose magnifiquement la nécessité des vies successi¬ves se développant sur la terre d'abord et ensuite sur les autres mondes qui parsèment l'infini.
Malgré l'absence de la mémoire de nos existences passées, toujours nous nous succédons à nous-même, toujours nous portons en nous-mêmes le principe de ce que nous serons plus tard, toujours nous montons. Il suppose que dans la vie parfaite nous recouvrerons la mémoire intégrale de tout notre passé, et ce sera pour nous un spectacle gran¬diose, puisqu'il embrassera tout le cours de nos connaissances terrestres. Donc naître, ce n'est pas commencé, c'est seulement changer de figure.
Il a eu pour disciple Pelletan et Henri Martin.
Si l'on admet, comme le croyaient déjà les Drui¬des, que l'évolution ascendante de l'âme a lieu dans l'infini du Cosmos, la pluralité des mondes habités devient un corollaire logique de la pluralité des existences. C'est ce qu'a bien mis en lumière mon éminent ami Camille Flammarion au milieu du siècle dernier.
Résumant sa pensée, voilà ce qu'il écrit :
Si le monde intellectuel et le monde physique forment une unité absolue, et l'ensemble des humanités sidérales forme une série progressive d'êtres pensants, depuis les intelligences d'en-bas, à peine sorties des langes de la ma¬tière, jusqu'aux divines puissances qui peuvent contempler Dieu dans sa gloire et comprendre ses oeuvres les plus su¬blimes, tout s'explique et tout s'harmonise ; l'humanité terrestre trouve sa place dans les degrés inférieurs de cette vaste hiérarchie et l'unité du plan divin est établie.
C'est en 1857 qu'Allan Kardec publia son Livre des Esprits dans lequel il expose toutes les raisons philosophiques qui l'ont conduit à l'admission de la théorie des vies successives, et c'est à lui, princi¬palement, qu'est due la propagation de cette grande vérité dans les pays de langue latine. Je reviendrai plus tard sur les arguments si puissants qu'il a groupés et qui imposent la conviction à tout esprit impartial.
Il est bon de noter que la doctrine des vies suc¬cessives a été vulgarisée au siècle dernier, dans le grand public, par des romanciers tel que Balzac, Théophile Gautier, George Sand, ainsi que par le grand poète Victor Hugo.
L'enquête de M. Calderone
Une enquête, instituée par M. Calderone , directeur de la revue Filoso fia della Scienza, en 1915, a prouvé que beaucoup de penseurs et de philosophes ont adopté cette magnifique théorie palingénésique.
Le Dr Maxwell, l'auteur du livre Le Phéno¬mène psychique, déclare :
Quant à moi, l'hypothèse de la Réincarnation me parait très acceptable... Elle explique l'Evolution et l'Hérédité. Elle est moralisatrice. C'est une source d'énergie et en même temps elle aide au développement des sociétés par le sentiment qu'elle impose d'une hiérarchie nécessaire.
Mais M. Maxwell ne croit pas qu'elle puisse se démontrer scientifiquement. J'essaierai de prouver le contraire dans le cours de ce volume.
Le Dr Moutin admet la possibilité des vies successives, mais il les conçoit comme s'accomplis¬sant sur les autres terres du ciel au lieu de rester confinées à la terre.
M. de Rochas croit à l'évolution de l'être humain et il reconnaît, loyalement, que ses expériences avec des sujets magnétiques pour provoquer la ré¬gression de la mémoire jusqu'aux vies antérieures, n'ont pas donné de résultats positifs. Néanmoins il croit au principe des vies successives comme il admet l'existence de Dieu, par le raisonnement.
Le Dr Geley est nettement affirmatif ; il écrit :
Vous savez, mon cher ami, que je suis réincarnation¬niste et je le suis pour trois raisons : parce que la doctrine palingénésique me semble, au point de vue moral, parfai¬tement satisfaisante ; au point de vue philosophique, ab¬solument rationnelle ; au point de vue scientifique, vraisemblable, ou mieux encore probablement vraie.
M. Lancelin, dans sa réponse à l'enquête, affirme sa croyance à la réincarnation, car il considère que la subconscience est la résultante de toutes nos consciences antérieures.
M. Léon Denis répond, bien entendu, affirmative¬ment, d'autant plus qu'il a obtenu, dit-il, par des médiums inconnus les uns des autres, des détails concordants sur ses vies antérieures. Par l'intro¬spection, il croit à la réalité de ces révélations, car elles sont conformes à l'étude analytique de son caractère et de sa nature psychique.
En Italie, le professeur Tummolo est un ardent défenseur de l'idée réincarnationniste.
M. Carreras admet qu'un commencement de preuves scientifiques a déjà été obtenu.
M. de Vesme, directeur des Annales des sciences psychiques, reste indécis, mais il a une tendance à supposer qu'un jour nous arriverons à instituer des expériences qui nous permettront de pénétrer le mystère de nos existences.
C'est à l'établissement de ce commencement de démonstration scientifique que ce livre est consacré, et j'ai l'espoir qu'il ne sera pas inutile à la consti¬tution de la future science concernant l'âme hu¬maine.
Depuis quelques années nous assistons à la vul¬garisation au moyen du roman de la croyance aux vies successives.
C'est ainsi que nous avons vu paraître, presque coup sur coup, La Villa du silence, de M. Paul Bo¬dier ; Réincarné, du Dr Lucien Graux ; Le fils de Marousia, de M. Gobron ; Un mort vivait parmi nous, de Jean Galmot, et d'autres encore qui présentent cette doctrine au moyen de fictions plus ou moins vraisemblables.
La Palingénésie a parfois inspiré des poètes tels que Théophile Gautier, Gérard de Nerval et Jean Lahore, dont voici une pièce qui caractérise nette¬ment son beau talent et ses croyances :
Comme au fond des forêts et des chastes fontaines
Tremble un pâle rayon de lune enseveli,
Ami, le souvenir d'existences lointaines
Frissonne dans mon cœur sous les flots de l'oubli.
Je sens un monde en moi de confuses pensées,
Je sens obscurément que j'ai vécu toujours,
Que j'ai longtemps erré dans les forêts passées
Et que la bête encore garde en moi des amours.
Je sens confusément, l'hiver, quand le soir tombe,
Que jadis, animal ou plante, j'ai souffert,
Lorsque Adonis saignant dormait pâle en sa tombe,
Et mon cœur reverdit quand tout redevient vert.
Quand mon esprit aspire à la pure lumière,
Je sens tout un passé qui le tient enchaîné ;
Je sens couler en moi l'obscurité première,
La terre était si sombre aux temps où je suis né.
Mon âme a trop dormi dans la nuit maternelle ;
Pour monter vers le jour, qu'il me fallut d'efforts !
Je voudrais être pur : la honte originelle,
Le vieux sang de la bête est resté dans mon corps !
Si intéressants et si démonstratifs que soient les raisonnements philosophiques que nous venons d'exposer, il faut nécessairement leur donner la consécration scientifique de l'observation et de l'expérience pour faire passer la grande loi des vies successives dans le domaine scientifique.
Je vais donc, en premier lieu, exposer les faits qui appuient irréfutablement l'existence de l'âme, sa véritable nature si différente de ce que les reli¬gions et les philosophies nous avaient enseigné à cet égard.
Chapitre II - Les bases scientifiques de la réincarnation. Les propriétés du périsprit.
Le Spiritisme démontre scientifiquement l’existence de l’âme et du périsprit. – Celui-ci est inséparable du principe pensant. – Démonstration de cette grande vérité par l’étude des manifestations de l’âme pendant la vie et après la mort. Le périsprit est l’idée directrice d’après laquelle le corps humain est construit. – Il entretient et répare l’organisme. – Il ne peut pas être un produit de la matière. – Il emporte avec lui dans l’espace cette faculté organisatrice qui lui serait inutile s’il ne devait pas revenir sur la terre. – Où a-t-il pu acquérir ces propriétés ? – Sur la terre évidemment. – Il est logique d’admettre qu’il a passé par la filière animale.
Le grand mérite des magnétiseurs spiritualistes et des spirites est d'avoir essayé de faire passer l'étude de l'âme humaine du domaine de la psycho¬logie proprement dite dans celui de l'observation scientifique, en étudiant les manifestations objec¬tives de l'être pensant. Pendant tout le XIXème siècle, la philosophie officielle s'est cantonnée dans le domaine de l'introspection, en négligeant systé¬matiquement les faits si nombreux et si intéres¬sants des actions extra-sensorielles de l'être humain.
Mais, grâce à la Société anglaise des Recherches psy¬chiques, il est établi maintenant que la télépa¬thie est une réalité indiscutable, que la clairvoyance, soit pendant le sommeil, soit à l'état de veille, est bien réelle, et qu'enfin la prévision de l'avenir a été maintes fois constatée. Ces facultés nouvelle¬ment connues appartiennent en propre à l'âme et ne peuvent s'expliquer par aucune propriété physiologique du corps. Ces constatations sont d'une importance considérable, mais ces décou¬vertes sont encore surpassées par celle du corps fluidique de l'âme que les spirites appellent périsprit. Ce corps spirituel a été soupçonné de tout temps, car les Hindous l'appelaient déjà le Linga Sharira ; les Hébreux, Néphesph ; les Égyptiens, Ka ou Bai ; les Grecs, Ochéma ; Pythagore, le Char subtil de l'âme ou Eidolon; le philosophe Cudworth, le médiateur plastique ; et les occul¬tistes, le corps astral.
Ce double de l'organisme a été signalé par les somnambules qui le voyaient sortir du corps ma¬tériel au moment de la mort, ou se dégager d'eux-mêmes quand ils s'extériorisaient. C'est ce prin¬cipe intermédiaire entre l'esprit et la matière qui individualise l'âme, qui lui permet de conserver sa conscience et ses souvenirs après la mort, de même que pendant la vie, il maintient le type cor¬porel, l'entretient et le répare pendant toute la durée de l'existence. Je vais donc rappeler sommai¬rement les différents genres de preuves que nous possédons pour établir la réalité de cet organisme suprasensible, encore si inconnu de la science actuelle.
Apparitions de vivants
J'ai résumé, dans le premier volume de l'ouvrage : Les apparitions matérialisées des Vivants et des Morts, un certain nombre d'exemples authenti¬ques qui démontrent que, pendant la vie, l'âme peut sortir de son corps physique pour se mon¬trer au loin avec un second corps identique au pre¬mier, et, dans certains cas, jouissant temporaire¬ment des mêmes propriétés. Il ne s'agit plus ici de théories plus ou moins contestables : c'est la nature elle-même qui parle. Entre cent autres preu¬ves, citons celle rapportée par l'illustre journaliste anglais W. Stead ; il a vu, durant plus d'une heure, le double matérialisé d'une de ses amies qui, pendant ce temps, était couchée dans sa chambre.
Le sosie avait assez de force pour pousser une porte, tenir un livre et marcher. Le double était à ce point identique au corps charnel que les assis¬tants ne se sont pas doutés qu'ils étaient en pré¬sence de l'apparition matérialisée d'une vivante.
Il existe bien d'autres cas semblables, et l'on ne saurait trop appeler l'attention des chercheurs sur ces manifestations spontanées. Ici aucun mé¬dium n'est nécessaire. C'est dans son propre orga¬nisme que l'esprit trouve les forces suffisantes pour donner à son corps spirituel les apparences de la matière. Or, pour marcher, pour tenir un livre, il faut que le fantôme soit organisé. Il est indis¬pensable qu'il ait des appareils extra-physiologiques qui jouent le même rôle que des membres char¬nels. La dame de Stead tenait, avec sa main fantômale, le livre qu'on lui offrit, exactement comme elle eût agi avec sa main ordinaire ; c'est là un fait, et non une hypothèse.
De même , quand le fantôme d'un passager écrivait sur une ardoise l'indication qui devait sauver le navire en détresse sur lequel son corps physique se trouvait endormi, il agissait encore comme il l'eût fait pour écrire dans la vie normale ; il possédait un organe de préhension qui lui per¬mettait de tenir la craie. Il dirigeait les mouve¬ments du crayon en lui imprimant les change¬ments de direction nécessaires pour produire le graphisme. En un mot, il y avait une véritable duplication du corps physique et elle devait s'éten¬dre jusqu'aux plus petits détails de la constitution anatomique, puisque les actes exécutés sont les mêmes. Je rappellerai également que le double de Mme Fay , dans la célèbre expérience de Crookes et Varley, apparut entre les rideaux du cabinet, tenant elle aussi un livre à la main qu'elle donna à un assistant, alors que son corps de chair et d'os, en léthargie, était parcouru par un courant élec¬trique qui assurait qu'il n'avait pas bougé.
La déduction qui s'impose immédiatement à l'esprit, c'est qu'il existe en chacun de nous un second corps, identiquement semblable au pre¬mier, qui peut s'en séparer, et, momentanément ; le remplacer, afin de permettre à l'âme extériorisée d'entrer en rapport avec le monde extérieur. Par¬lant de la bilocation d'Alphonse de Liguori, lequel assista le pape Clément XIV à ses derniers mo¬ments, à Rome, pendant que ses serviteurs cons¬tataient, le même jour, que le vénérable prélat dormait dans sa cellule d'Arienzo, province de Naples, Durand (de Gros), un médecin de haute envergure philosophique, est amené à écrire :
Si le fait en cause et les faits ou prétendus faits sem¬blables qui nous sont décrits journellement dans les publi¬cations de la télépathie scientifique sont avérés, sont prou¬vés ; si, en un mot, force nous est de les admettre, quoi qu'il nous en coûte, eh bien, une conséquence me parait découler de là avec la plus limpide et la plus irrésistible évidence : c'est qu'à la nature physique apparente est associée une nature physique occulte qui est fonctionnelle¬ment son équivalente, quoique de constitution tout autre.
C'est que l'organisme vivant que nous voyons, et que l'anatomie dissèque, a également pour doublure (si ce n'est plutôt lui-même qui est la doublure) un organisme occulte sur lequel n'a prise ni le scalpel, ni le microscope, et qui, pour cela, n'en est pas moins pourvu - mieux que l'au¬tre peut-être - de tous les organes nécessaires au double effet qui est toute la raison d'être de l'organisation vitale recueillir et transmettre à la conscience les impressions du dehors et mettre l'activité psychique à même de s'exer¬cer sur le monde environnant et de la modifier à son tour !!
C'est, sous une forme lapidaire, la conclusion à laquelle on ne pourra plus échapper désormais.
En effet, dans son dernier livre de l'Inconscient au Conscient, le Dr Geley est amené lui aussi aux conclusions suivantes, après avoir signalé toutes les obscurités de l'enseignement physiologique officiel :
Il faut et il suffit, en effet, dit-il, pour tout comprendre, le mystère de la forme spécifique, le développement em¬bryonnaire et post-embryonnaire, la constitution et le maintien de la personnalité, les réparations organiques et tous les autres problèmes généraux de la biologie, d'admettre une notion non pas nouvelle, certes, mais en¬visagée d'une façon nouvelle, celle d'un dynamisme su¬périeur à l'organisme et le conditionnant .
Il ne s'agit pas seulement de l'idée directrice de Claude Bernard, sorte d'abstraction, d'entité métaphysico-biolo¬gique incompréhensible ; il s'agit d'une notion concrète, celle d'un dynamisme directeur et centralisateur, domi¬nant les contingences intrinsèques, les réactions chimi¬ques du milieu organique comme les influences ambiantes du milieu extérieur.
Allan Kardec, voici plus de soixante-dix ans, enseignait déjà cette duplication de l'orga¬nisme, que nous vérifions aujourd'hui avec tout le luxe de précautions qu'exige la méthode scientifique. Si, en effet, le scalpel et le microscope sont impuissants à révéler l'existence du périsprit, la photographie, d'une part, peut déceler la présence du fantôme extériorisé d'un vivant, même invisible pour l’œil, car nous en avons des exemples parfai¬tement authentiques, de même que les expériences du colonel de Rochas nous font assister à l'exode de la sensibilité et de la motricité du sujet en expé¬rience. Ces phénomènes objectifs font heureusement intervenir l'expérience dans un domaine qui sem¬blait réservé exclusivement à l'observation ; en même temps, ils enlèvent jusqu'à l'ombre d'une incertitude sur la véritable cause. Dans tous les cas, c'est l'âme humaine, et elle seule, qui intervient, car, lorsque l'on veut obtenir des dédoublements expérimentaux, on choisit le lieu, le temps, les conditions, et celui qui agit peut même parfois se souvenir de ce qui s'est pro¬duit pendant qu'on le voyait à distance. Il a la sensation d'être transporté à l'endroit même où il a été visible, et il ne se trompe pas, car il peut décrire avec exactitude les choses inconnues qui se trou¬vaient dans les lieux qu'il a visités anormalement.
Mieux encore, dans les séances avec Eusapia, par exemple, on assiste au synchronisme des mouvements physiques du corps charnel et de ceux du corps fluidique : l'effort physique, physiolo¬gique, s'est transporté à distance, et il reste des traces objectives de cette action extra-corporelle. Ce sont des meubles déplacés, des pressions exer¬cées sur des appareils enregistreurs et surtout, résultat précieux, des empreintes et des moula¬ges qui permettent de se rendre compte, de visu, de la nature de la cause agissante .
En présence de pareilles constatations apparaît l'inanité des théories catholiques, occultistes, théosophiques qui font intervenir des êtres étran¬gers pour l'explication des phénomènes. Lorsque M. Siemiradsky constate que les empreintes lais¬sées sur du noir de fumée par la main fluidique, que l'on a sentie ou que l'on a vue opérer, sont identiques aux dessins de l'épiderme de la main d'Eusapia, il faut avoir une robuste imagination et une absence totale d'esprit scientifique, pour s'imaginer que c'est un démon qui s'est amusé à ce petit jeu. De même, quand on obtient une em¬preinte en creux de son visage dans du mastic, comme je l'ai constaté moi-même , point n'est besoin des cohortes infernales pour l'explication. Il n'y a là aucun miracle, nulle intervention étran¬gère, mais seulement l'action du corps fluidique, dont ces phénomènes démontrent l'existence avec une force irrésistible.
Si réellement on cherche la vérité, en dehors de toute idée préconçue, il est nécessaire de suivre les faits pas à pas et de ne pas multiplier les cau¬ses sans nécessité. Lorsqu'on trouve dans l'être humain la raison suffisante d'un phénomène, il est anti-scientifique de les interpréter par des cau¬ses étrangères - surtout lorsque celles-ci sont hypothétiques - comme c'est le cas pour les dé¬mons, les anges, les loques, les coques astrales, les élémentaires, etc.., ou toutes autres entités jus¬qu'alors imaginaires.
Il ressort directement de l'observation et de l'ex¬périence que l'individu humain est capable, dans des circonstances spéciales, de se séparer en deux parties : d'une part, on voit le corps physique, généralement inerte, plongé dans un sommeil pro¬fond, et, de l'autre, un second corps, duplicata absolu du premier, qui agit au loin intelligemment, d'où il faut inférer que l'intelligence accompagne le sosie et que celui-ci n'est pas une simple image virtuelle, une effigie sans conscience.
Apparitions de défunts
Ce qu'il y a de plus remarquable, c'est que le dédoublement s'observe aussi bien chez les personnes parfaitement vivantes qu'avec celles qui sont sur le point de mourir, ou enfin qui ont dis¬paru depuis plus ou moins longtemps de notre monde objectif. Les fantômes des morts sont aussi nombreux, aussi bien observés que ceux des vi¬vants. Ils ont exactement les mêmes apparences extérieures et souvent la même objectivité que les doubles de vivants matérialisés, ce qui nous contraint logiquement à leur attribuer la même cause : l'âme humaine ; d'où il résulte péremptoi¬rement ce fait si important que la mort ne l'a pas anéantie. C'est la preuve de la survivance qui se révèle à nous par l'observation des phénomènes naturels, et chaque jour qui s'écoule voit s'aug¬menter le formidable dossier que nous possédons déjà.
Il existe dans les Proceedings de la Société de Re¬cherches psychiques deux mémoires sur les apparitions des morts, celui de M. Gurney complété par F.-W.-H. Myers, et un autre de Mme Sidgwick, dans lesquels il est possible d'observer tous les genres d'apparitions.
On y remarque des hallucinations télépathiques proprement dites, celles que le voyant construit lui-même ; puis des visions clairvoyantes ; enfin des apparitions collectives, comme cela a lieu pour les fantômes des vivants. Nous savons que l'on peut obtenir, expérimentalement, la même série de phénomènes entre deux opérateurs vivants dont l'un, sans prévenir l'autre, agit sur lui pour apparaître à ce dernier . Ici, la cause du phéno¬mène n'est pas douteuse, c'est l'agent , et lui seul, qui est l'auteur de l'apparition dont il a fixé à son gré le jour et l'heure ; parfois il a conservé le souvenir de son déplacement et a pu noter les détails de ce qu'il a observé pendant que le percipient le voyait.
Après la mort, je le répète avec insistance, des faits absolument semblables se produisent . Les apparitions de défunts ont des caractères iden¬tiques à celles des fantômes de vivants, et, si c'est bien l'âme humaine qui produit ces derniers, l'in¬duction la plus légitime permet d'attribuer les fantômes des morts à la même cause, c'est-à-dire à l'âme que la mort corporelle n'a pas anéantie. Celle-ci continue donc sa vie et possède encore une substantialité qui perpétue son type terrestre. L'hallucination doit être exclue pour l'explica¬tion lorsque la vision d'un décédé possède un des caractères suivants :
1° Le fantôme, s'il est connu du percipient, mon¬tre par des signes particuliers, ignorés du voyant, qu'il était ainsi de son vivant (blessures, cicatrices, vêtement spécial, etc..). Il est manifeste que si la vision est seulement clairvoyante, il faut néanmoins que celui qui la produit soit là, sans quoi elle n'au¬rait pas lieu.
2° L'apparition est celle d'une personne que le sujet n'avait jamais vue auparavant ; cependant, la description qu'il en fait est suffisamment pré¬cise pour en établir l'identité. Il serait absurde d'attri¬buer au hasard la reconstitution assez fidèle d'un individu pour qu'elle permette de le reconnaître ; il faut donc que celui-ci soit présent, ce n'est pas une simple image, une sorte de cliché coloré, car ces manifestations montrent un caractère inten¬tionnel qui décèle une intelligence.
3° L'apparition donne un renseignement dont l'exactitude est reconnue ultérieurement, ou elle relate un fait réel totalement inconnu du percipient.
4° On a pu obtenir, accidentellement ou volon¬tairement, des photographies de ces fantômes.
5° Plusieurs témoins ont été successivement ou simultanément affectés par la manifestation de l'être matérialisé.
6° Enfin des animaux et des hommes ont perçu collectivement l'apparition.
Tous ces faits sont inexplicables autrement que par l'action directe de l'être désincarné. La télé¬pathie entre vivants, ou la télépathie retardée ne s'appliquent pas à ces phénomènes, qui sont des démonstrations directes de l'immortalité du moi.
Il en résulte que les rapports entre les vivants et les morts sont des faits naturels se produisant spontanément lorsque les circonstances physiques et intellectuelles le permettent. Il n'existe là ni surnaturel, ni merveilleux, ni intervention mira¬culeuse ; c'est seulement une action animique, du même genre que celle qui a lieu entre les vi¬vants. Si l'extériorisation du sujet prouve l'exis¬tence du périsprit pendant la vie - et les photo¬graphies et les empreintes du double ne permet¬tent pas d'en douter - les mêmes faits obtenus après la mort de l'opérateur établissent avec la même force la persistance du périsprit.
Voilà ce que l'observation nous fait toucher du doigt. N'oublions pas qu'elle est faite par des savants difficiles sur le choix des témoignages, qui discu¬tent les plus petits incidents et qui n'admettent dans leur collection que les récits qui leur parais¬sent absolument irréprochables. On conçoit alors que Durand (de Gros) ait pu écrire encore à ce sujet :
« Si l'existence distincte et indépendante d'une physi¬que et d'une physiologie occultes, à côté de la physique et de la physiologie que nous connaissons, peut s'inférer logiquement des scènes de la télépathie active où les ac¬teurs sont des vivants, c'est une démonstration matérielle péremptoire qui nous en est fournie par les actes télépa¬thiques que, en dépit de toutes les horripilations de la science et de toutes les révoltes du préjugé philosophique, notre raison se voit contrainte et forcée d'attribuer aux morts. Car si en l'autre cas on peut encore, en désespoir de cause, imaginer, pour se rendre compte du miracle télépathique, je ne sais quelle propriété nouvelle de la cellule cérébrale de produire toutes les fantasmagories de la télépathie sans l'aide d'aucun organe ou d'aucun véhicule apparents, c'est là une branche de salut à laquelle notre rationalisme à l'eau cesse de pouvoir s'accrocher, quand ce cerveau, qui pouvait à la rigueur sauver les apparences, n'est plus qu'une pulpe désorganisée et putréfiée, ou même un peu de poussière dans un crâne vide de squelette. »
Je prends les dieux à témoin que les spirites ne disent pas autre chose depuis un demi-siècle et ce n'est pas un mince avantage que de se ren¬contrer avec un esprit aussi scientifique que celui de Durand (de Gros), un des pères de l'hypnotisme et un savant physiologiste de premier ordre. Je continue ma citation :
« Et justement il se rencontre que la Société de Recherches Psychiques de Londres, et la rédaction des Annales Psy¬chiques de Paris, avec le Professeur Ch. Richet en tête, ayant organisé une vaste enquête sur les fantômes de per¬sonnes vivantes (Phantasms of the livings), les fantômes de cette classe, les seuls scientifiquement admis tout d'a¬bord, se sont montrés d'une rareté désolante , tandis que, en revanche, c'est par légion que les fantômes des morts sortaient de l'enquête. Et ce n'est pas tout, ces fantômes de l'autre monde, qui sont sans cerveau, et, par conséquent, sans cellules cérébrales, se montrent par une bizarrerie singulièrement paradoxale, en quelque sorte les plus vivants de tous, car ils sont au moins les plus bruyants et les plus remuants et il en est pas mal qui ont à leur charge des faits comme ceux-ci : bousculer des meubles, enfoncer des portes, briser de la vaisselle, casser des carreaux, frapper et blesser les gens, au grand et bien naturel dé¬sespoir des locataires et des propriétaires . »
On ne peut pas y échapper ; les faits, quand on les analyse minutieusement, nous mettent en pré¬sence d'êtres posthumes qui ont un corps psychi¬que, puisque celui-ci agit sur la matière ; mais il fallait pouvoir examiner de plus près ces fantô¬mes pour en connaître la nature, car les apparitions naturelles sont trop fugitives, ou se produisent dans des circonstances si émotionnantes pour les témoins qu'il est difficile à ces derniers de conserver un sang-froid suffisant pour en noter avec soin toutes les particularités.
Apparitions provoquées
Les spirites ont été les premiers à organiser des séances expérimentales dans des endroits déter¬minés, à des jours choisis et en s'entourant des précautions nécessaires pour observer avec fruit les apparitions. Du jour où l'on sut que les mé¬diums pouvaient servir aux matérialisations, une vaste enquête s'organisa, et elle fut fructueuse à plus d’un titre.
Il ne faudrait pas s'imaginer que les apparitions provoquées furent acceptées d'emblée par les expé¬rimentateurs. Même parmi les spirites, de furieuses polémiques s'engagèrent entre les convaincus et les incrédules. Toutes les suppositions que l'on nous oppose encore aujourd'hui furent émises était-il croyable qu'un esprit, c'est-à-dire un être d'essence immatérielle, allait revêtir un grossier corps charnel ? Où l'aurait-il pris ? Pourquoi se montrait-il avec des draperies et parfois, horreur ! Avec une redingote ou un chapeau à haute forme ? N'était-ce pas la preuve que les assistants étaient ou hallucinés ou honteusement trompés par des imposteurs ? Ces objections, et bien d'autres, n'arrê¬tèrent pas les chercheurs. Les précautions prises contre la fraude furent innombrables. Tantôt le médium était ficelé sur sa chaise, celle-ci fixée au parquet et les bouts de la corde étaient tenus en dehors du cabinet par un des assistants. Une autre fois, on mettait le sujet dans un sac fermé soigneu¬sement autour du cou par une tresse, à laquelle on faisait des nœuds, et ceux-ci étaient cachetés. Ou bien on enfermait le médium dans une cage et, malgré tout, les apparitions se jouaient des entraves dans lesquelles on croyait les retenir. On alla même, avec Florence Cook, jusqu'à clouer ses cheveux sur le parquet. A la fin, on s'aperçut qu'avec de vrais médiums, toutes ces mesures étaient parfaitement inutiles ; les êtres qui se mon¬traient et disparaissaient devant les assistants, ou fondaient sous leurs yeux, ont assez de pouvoir pour se jouer de nos précautions, car, bien sou¬vent, ils sortirent le médium de ses liens, sans qu'au¬cun nœud fût défait , sans qu'il fût possible de se rendre compte de leur manière d'opérer.
Ceux qui voudront prendre la peine de compul¬ser les riches Annales du Spiritisme pourront se convaincre que, sous d'autres noms, toutes les hypothèses et théories actuelles ont été discutées par les premiers chercheurs. On eut d'abord re¬cours à l'imagination somnambulique du médium, en lui attribuant les créations temporaires qui se montraient aux assistants. C'était une sugges¬tion que le sujet faisait subir à ceux qu'une longue attente et l'obscurité prédisposaient à ces halluci¬nations. Hartmann n'a pas eu la primeur de cette invention. Il fallut modifier cette hypothèse quand il fut certain que les fantômes étaient objectifs. Alors, on prétendit que tout se comprenait parfai¬tement par une extériorisation du double et par ses transfigurations. Le médium puisait dans la subconscience des assistants les types sur lesquels il modelait son corps fluidique, pour lui donner les apparences d'un ou de plusieurs décédés connus de quelqu'un du cercle. C'est là qu'en sont encore les savants modernes qui n'ont pas suffisamment étudié ; témoin M. le Professeur Richet, qui dans son dernier livre : Traité de métapsychique, baptise le fantôme du nom d'ectoplasme, lequel ne serait qu'un phénomène d'idéoplastie de la matière exté¬riorisée par le médium.
L'Esopsychisme,1'Idéoplastie, le Psycho-dynamisme, le Panpsychisme, etc.., ne sont que des expressions diverses pour signifier la même chose. Malgré l'in¬géniosité de cette acrobatie intellectuelle, ces théo¬ries sont fort loin de suffire à l'explication de tous les cas. Il arrive que l'apparition s'exprime ou écrit dans une langue inconnue du médium et des assis¬tants, et voilà l'ésopsychisme à l'eau. Dans d'au¬tres circonstances, ce sont deux, trois, quatre fan¬tômes qui parlent et s'agitent en même temps, ou font un concert dans lequel chacun tient sa partie, et l'on doit dire adieu à l'idéoplastie, à moins de la douer d'un pouvoir miraculeux. Enfin, des identités certaines sont venues établir irrésisti¬blement l'indépendance de l'apparition, comme cela a eu lieu dans les cas d'apparitions sponta¬nées.
Que la science officielle n'avance qu'avec la plus extrême circonspection dans ces régions encore si peu explorées, rien de plus juste ; il est de son devoir de ne rien aventurer et d'épuiser les possi¬bilités naturelles ou prétendues telles, avant d'ad¬mettre une cause si imprévue. Mais ses représen¬tants ont mauvaise grâce à se prononcer trop caté¬goriquement avant d'avoir une expérience suffi¬sante. Nous, spirites, qui les avons devancés de beaucoup, nous avons le droit, en nous appuyant sur notre passé, de nous étonner de leur morgue, de leur reprocher leur ignorance des résultats acquis antérieurement, de leur dire que leurs interpré¬tations sont erronées et qu'ils finiront par le recon¬naître lorsqu'ils auront expérimenté davantage. Je sais bien que le progrès ne se fait que par étapes, qu'il faut beaucoup de temps pour que l'opinion publique s'accoutume aux nouveautés, aussi est-ce sans impatience que j'attends la venue de nou¬veaux médiums, avec lesquels on pourra continuer ces passionnantes découvertes. Puisque les phéno¬mènes sont réels et qu'ils se sont produits déjà un peu partout, il est certain qu'on les reverra, et ce jour-là nous triompherons, car la vérité finit toujours par s'imposer.
C'est ce qui se produit actuellement, comme nous allons le voir dans un instant.
Pour en revenir à l'objet de la présente étude, on a pu constater par la photographie des fantômes (celles de Crookes, Aksakof, Boutlerow, etc..), que ceux-ci ont des formes réelles ; que pendant la matérialisation, ils possèdent tous les caractères des êtres vivants comme taille, volume du corps, etc.. ; leurs membres, bras ou jambes, sont identiques aux nôtres. Ils marchent, ils parlent, ils écrivent. Quand on leur prend la main, celle-ci produit l'im¬pression d'une main humaine ordinaire. Mais cela n'était pas encore suffisant pour étudier les diffé¬rences qui existent entre le médium et l'appari¬tion. Il fallait qu'on pût voir celle-ci assez souvent et dans d'assez bonnes conditions, pour no¬ter les particularités qui en font une individua¬lité distincte de celle du médium. Les expériences de Crookes - pour ne prendre qu'un exemple authentique - répondent à ces exigences.
Je rappelle les propres paroles du célèbre savant, qui opérait, chez lui, toutes portes closes .
Avant de terminer cet article, je désire faire connaître quelques-unes des différences que j'ai observées entre Mlle Cook et Katie. La taille de Katie est variable : chez moi, je l'ai vue plus grande de six pouces que Mlle Cook. Hier soir, ayant les pieds nus et ne se tenant pas sur la pointe des pieds, elle avait quatre pouces et demi de plus que Mlle Cook. Hier soir, Katie avait le cou découvert, la peau était parfaitement douce au toucher et à la vue, tandis que Mlle Cook a au cou une cicatrice qui, dans des circonstances semblables, se voit distinctement et est rude au toucher. Les oreilles de Katie ne sont pas percées, tandis que Mlle Cook porte ordinairement des boucles d'oreilles. Le teint de Katie est très blanc, tandis que celui de Mlle Cook est très brun. Les doigts de Katie sont beau¬coup plus longs que ceux de Mlle Cook, et son visage est aussi plus grand. Dans les façons et manières de s'expri¬mer, il y a aussi bien des différences marquées.
Pour apprécier la valeur de ces différences, il est bon de se souvenir que dans les centaines de cas de dédoublements de vivants qui ont été véri¬fiés, toujours et partout, on a observé que l'être extériorisé est la reproduction absolue du corps physique de l'agent. C'est une règle qui, à ma connaissance du moins, ne souffre pas d'exception. Lorsque l'on obtient des empreintes ou des mou¬lages d'un double de vivant, soit avec Eglinton, soit avec Eusapia, c'est une copie anatomique du corps réel que montre le moulage. Les moindres détails du membre fluidique sont visibles. Les sail¬lies produites par les muscles, les veines ou les os, les dessins épidermiques, tout vient comme si on avait opéré in anima vili. Dès lors, scientifique¬ment, en raison des divergences signalées, on n'est pas autorisé à voir dans le fantôme de Katie le double de Mlle Cook et, jusqu'à preuve du con¬traire, je croirai que ce sont deux personnes distinctes.
Voici encore d'autres divergences. Pour la taille, Crookes a pu s'assurer, par un procédé ingénieux, que ses appréciations antérieures étaient exactes, en opérant de la manière suivante :
Une des photographies les plus intéressantes est celle où je suis debout à côté de Katie ; elle a son pied nu sur un point particulier du plancher. J'habillai ensuite Mlle Cook comme Katie ; elle et moi nous nous plaçâmes exactement dans la même position, et nous fûmes photo¬graphiés par les mêmes objectifs placés absolument comme dans l'autre expérience et éclairés par la même lumière. Lorsque ces deux dessins sont placés l'un sur l'autre, les deux photographies de moi-même coïncident parfai¬tement quant à la taille, etc. ! Mais Katie est plus grande d'une demi-tête que Mlle Cook, et auprès d'elle elle semble une grosse femme. Dans beaucoup d'épreuves, la largeur de son visage et la grosseur de son corps diffèrent essen¬tiellement de son médium, et les photographies font voir plusieurs autres points de dissemblance.
Mais la photographie est aussi impuissante à dépeindre la beauté parfaite du visage de Katie que les mots le sont eux-mêmes à décrire le charme de ses manières. La photographie peut, il est vrai, donner un dessin de sa pose ; mais comment pourrait-elle reproduire la pureté brillante de son teint, ou l'expression sans cesse changeante de ses traits si mobiles, tantôt voilés de tristesse, quand elle racontait quelque amer événement de sa vie passée, tantôt souriant avec toute l'innocence d'une jeune fille, lors¬qu'elle avait réuni mes enfants autour d'elle et les amusait en leur racontant des épisodes de ses aventures dans l'Inde.
L'apparition affirme donc qu'elle a vécu autre¬fois, puisqu'elle est morte, en un mot, qu'elle est un esprit. Pourquoi douter de sa parole ?
Bah ! Répondent certains sceptiques, tel que M. Flournoy, ne nous laissons pas prendre aux apparences. Katie peut parfaitement n'être qu'un personnage subconscient de Mlle Cook, un clivage de sa personnalité, un type idéal qu'elle crée et qu'elle extériorise en transfigurant son double. Vraiment, en parlant des manifestations spi¬rites, il semble que les meilleurs critiques, révé¬rence gardée, perdent la tramontane. Il faudrait d'abord établir que la transfiguration est un phé¬nomène résultant de la volonté du médium, chose qui n'a jamais été prouvée. De ce que l'esprit est capable d'agir sur la force psychique pour lui donner les apparences de la réalité, il n'en résulte pas du tout qu'il soit à même de se modifier lui-même. Un sculpteur peut manier à sa guise la terre glaise pour façonner des hommes ou des animaux, mais on ne pensera pas, j'espère, que cette faculté lui permette de changer la forme de son propre nez. C'est donc une objection injustifiable que celle qui voit dans le médium l'auteur, conscient ou non, de l'apparition. Cette interprétation révèle son caractère fantaisiste lorsque l'on examine la question plus à fond. Il faudrait doter le médium d'un pouvoir créateur sans égal, d'une puissance de génération spontanée vraiment miraculeuse, pour produire instantanément un individu qui diffère si profondément de lui-même au point de vue physiologique. En voici des preuves, tou¬jours empruntées à Crookes .
J'ai si bien vu Katie récemment, lorsqu'elle était éclairée par la lumière électrique, qu'il m'est possible d'ajouter quelques traits aux différences que dans un précédent article j'ai établies entre elle et son médium. J'ai la certi¬tude la plus absolue que Mlle Cook et Katie sont deux in¬dividualités distinctes, du moins en ce qui concerne leurs corps. Plusieurs petites marques qui se trouvent sur le visage de Mlle Cook font défaut sur celui de Katie. La chevelure de Mlle Cook est d'un brun si foncé qu'elle parait presque noire ; une boucle de celle de Katie, qui est là sous mes yeux, et qu'elle m'avait permis de couper au milieu de ses tresses luxuriantes, après l'avoir suivie de mes propres doigts jusque sur le haut de sa tête et m'être assuré qu'elle y avait bien poussé, est d'un riche châtain doré .
C'est déjà bien complet ; mais voici mieux encore :
Un soir, je comptais les pulsations de Katie ; son pouls battait régulièrement 75, tandis que celui de Mlle Cook, peu d'instants après, atteignait 90, son chiffre habituel. En appuyant mon oreille sur la poitrine de Katie, je pouvais entendre un cœur battre à l'intérieur et ses pulsations étaient encore plus régulières que celles du cœur de Mlle Cook, lorsque, après la séance, elle me permettait la même expérience. Eprouvés de la même manière, les poumons de Katie se montrèrent plus sains que ceux de son médium, car au moment où je fis mon expérience, Mlle Cook suivait un traitement médical pour un gros rhume.
Si invraisemblables que puissent paraître ces phénomènes, ils sont cependant réels, car malgré sa répugnance instinctive, le professeur Richet, après avoir lui-même constaté des phénomènes identiques, est contraint d'écrire cinquante ans après William Crookes :
Les spirites m'ont durement reproché ce mot d'absurde, et ils n'ont pas pu comprendre que je ne me résignais pas sans douleur à admettre la réalité de ces phénomènes. Mais, pour faire à un physiologiste, un physicien, un chi¬miste, admettre qu'il sort du corps humain une forme qui a une circulation, une chaleur propre et des muscles, qui exhale de l'acide carbonique, qui pèse, qui parle, qui pense, il faut lui demander un effort intellectuel qui est vraiment très douloureux.
Oui, c'est absurde ; mais peu importe : c'est vrai.
Ainsi, pour en revenir à William Crookes, l'appa¬rition possède un cœur et des poumons ! Ceux-ci ont un mécanisme physiologique qui diffère de celui de Mlle Cook et, sans faire aucune suppo¬sition, on doit en déduire ce qui en découle natu¬rellement : c'est que ce sont deux organismes diffé¬rents, puisque, au même moment, l'un est sain et l'autre malade.
Je le demande en toute sincérité, où se trouve le véritable esprit scientifique ? Est-il avec ceux qui forgent les hypothèses les plus fantastiques, ou avec ceux qui ne dépassent jamais ce que l'obser¬vation la plus rigoureuse leur permet de consta¬ter ? Il me semble que la réponse n'est pas dou¬teuse. Il est mille fois plus invraisemblable d'ima¬giner que Katie est une création de Mlle Cook que de croire qu'elle est ce qu'elle dit elle-même, c'est¬-à-dire un esprit. J'ai constaté moi-même, en pré¬sence du professeur Ch. Richet, que le fantôme de Bien-Boa exhalait de l'acide carbonique, puisque, en soufflant dans un ballon contenant une solution de baryte, il s'est produit sous nos yeux un pré¬cipité de carbonate de baryte.
S'il fallait encore d'autres preuves de l'indé¬pendance du fantôme, on les trouverait dans les conversations que Florence Cook entretenait avec Katie pendant les derniers temps de sa médium¬nité, et le jour de la dernière séance. A moins de soutenir des absurdités évidentes : par exemple que l'on peut être en même temps conscient et inconscient et simultanément dans son propre corps et dans un autre, avec des idées tout à fait différentes et un caractère opposé au sien, la fin du rapport de Crookes démontre avec, la plus puissante évidence que Katie était bien une indi¬vidualité distincte du médium et des assistants. Ecoutons le récit émouvant de la dernière entre¬vue de l'esprit et du médium .
Ayant terminé ses instructions, dit Crookes, Katie m'en¬gagea à entrer dans le cabinet avec elle et me permit d'y demeurer jusqu'à la fin. Après avoir fermé le rideau, elle causa avec moi pendant quelque temps, puis elle traversa la chambre pour aller à Mlle Cook qui gisait inanimée sur le plancher. Se penchant sur elle, Katie la toucha et lui dit : « Eveillez-vous, Flo¬rence, éveillez-vous ? Il faut que je vous quitte mainte¬nant. » Mlle Cook s'éveilla, et, tout en larmes, elle supplia Ka¬tie de rester quelque temps encore. « Ma chère, je ne le puis pas ; ma mission est accomplie : que Dieu vous bénisse ! » répondit Katie, et elle continua à parler à Mlle Cook. Pendant quelques minutes elles causèrent ensemble jusqu'à ce qu'enfin les larmes de Mlle Cook l'empêchèrent de par¬ler. Suivant les instructions de Katie, je m'élançai pour soutenir Mlle Cook qui allait tomber sur le plancher et qui sanglotait convulsivement. Je regardai autour de moi, mais Katie et sa robe blanche avaient disparu. Dès que Mlle Cook fut assez calmée, on apporta une lumière et je la conduisis hors du cabinet.
N'oublions pas que c'est un membre de la So¬ciété Royale, un des plus grands savants de notre époque, qui affirme ces choses. Si je l'ai cité tout de suite, c'est pour n'avoir pas à batailler au préa¬lable pour établir l'authenticité du témoignage. Mais on en possède bien d'autres qui sont, à leur manière, aussi démonstratifs. Le défaut d'espace m'interdit de donner à cette étude tous les déve¬loppements qu'elle comporte, mais je renvoie le lecteur au tome II des Apparitions matérialisées des vivants et des morts, où sont exposées et com¬mentées les expériences si nombreuses qui ont eu lieu dans tous les pays. Là, on pourra constater que les apparitions matérialisées d'esprits de dé¬funts sont des êtres autonomes qui ont un cœur, un cerveau, des poumons, des muscles, des nerfs, une intelligence différente de ceux du médium et qui, bien qu'étant désincarnés, possèdent encore un mécanisme physiologique terrestre.
C'est en cela que l'expérimentation spirite est si précieuse. Les apparitions spontanées, comme je l'ai déjà dit, sont généralement fugitives et se produisent dans des conditions trop émotionnantes pour que le témoin soit capable d'une observation détaillée. Au contraire, dans les séances de maté¬rialisation organisées avec un groupe homogène et un bon médium, il est possible de bien voir l'appari¬tion. On peut, comme Crookes et Aksakoff, M. Ch. Richet et moi-même l'avons fait, photographier le même fantôme avec lequel on vient de causer, qui vous a donné des preuves indiscutables de sa présence réelle. Mieux encore, il se peut que l'on obtienne des moulages de mains, de pieds, de visages tels que ceux obtenus par MM. Reimers, Oxley, Ashead, Ashton, le professeur Denton, Epes Sargent et plus récemment, en 1921, à l'Institut Métapsychique International, en observant les plus sévères mesures de contrôle.
Ces moulages établissent indiscutablement l'ob¬jectivité absolue, bien que temporaire, du fantôme. Ce sont des preuves absolues, et il est intéressant de signaler que tout récemment on a pu en obtenir à Paris.
Voici d'ailleurs quelques détails sur ces récentes expériences.
Expériences à l’institut métapsychiques international
En 1920, eurent lieu à l'Institut Métapsychique International, avec M. Franek Kluski, médium non professionnel et complètement désintéressé, une série d'expériences tout à fait concluantes.
Parmi les différentes manifestations, il se pro¬duisit entre autres une matérialisation parfaitement reconnue de la sœur défunte du comte J. Po¬tocki.
Mais l'intérêt grandit encore lorsque l'on obtint des moulages de membres matérialisés dans des conditions de contrôle qui excluent toute idée de fraude ou de supercherie.
Les expériences avaient lieu sous le contrôle de MM. les professeurs Ch. Richet ; de Grammont, membre de l'Académie des Sciences, et du Dr Geley.
Il y eut constamment de la lumière pendant toute la durée des séances et les mains du médium étaient tenues sans discontinuité, à droite et à gau¬che, par des contrôleurs qui s'assuraient continuel¬lement de la position des jambes et des pieds.
Les moulages furent de nature variée. On obtint en outre : un moulage de pied d'enfant admirable de netteté dans ses contours, allant jusqu'au som¬met du torse ; un autre de la région inférieure d'une face d'adulte dans laquelle on distingue la lèvre su¬périeure, la lèvre inférieure, la fossette sous-jacente et le menton barbu ; il y a comme une verrue sur la lèvre inférieure à gauche .
Pour s'assurer que c'était bien avec sa propre paraffine que les moulages étaient produits, à l'insu de tout le monde, le Dr Geley y avait fait dissou¬dre de la cholestérine ; en prenant un peu de cette paraffine préparée ainsi, empruntée à un moule, et en la faisant dissoudre dans du chloroforme, si l'on y ajoute de l'acide sulfurique, il se produit un précipité rouge que la paraffine ordinaire ne donne pas. Par surcroît de précaution, le Docteur avait encore coloré en bleu cette paraffine ; or voici ce qui se produisit :
La teinture bleue, ayant été mise en excès et n'étant pas entièrement dissoute, formait dans le récipient, au-dessus de la paraffine, des grumeaux disséminés çà et là. Or, dans le moule du pied, au niveau du troisième orteil, on constate la présence d'un de ces grumeaux, incorporé dans la paraffine qui s'est solidifiée par-dessus. Il a la di¬mension d'une grosse tête d'épingle en verre et est bleu foncé. Le grumeau est identique à ceux qui restent dans le récipient. Il a donc été entraîné par l'ectoplasme brassant la paraffine et incorporé dans le moule.
Cette preuve, imprévue et non cherchée, est convain¬cante. Enfin, immédiatement après la séance, je prélève de menus fragments sur les bords du moule du pied. Je les place dans un tube à essai et les fais dissoudre dans le chloroforme. J'ajoute de l'acide sulfurique : la teinture rouge, caractéristique de la présence de la cholestérine, se développe, augmente et se fonce peu à peu.
Une épreuve de comparaison faite avec de la paraffine pure est négative. Le liquide reste blanc ; la teinte légèrement jaunâtre de l'acide sulfurique (jaunâtre par oxy¬dation du liège fermant le flacon) n'est en rien modifiée.
La preuve est donc absolue : les moules ont été faits avec notre paraffine et pendant la séance.
Nous pouvons l'affirmer catégoriquement en nous ap¬puyant non seulement sur les modalités expérimentales, les précautions prises et les témoignages de nos sens, mais aussi sur la présence de la coloration bleue, identique dans les moules et le récipient, sur l'incorporation acci¬dentelle d'un grumeau de couleur bleue dans le moule du pied et enfin sur la réaction décelant la présence de la cholestérine. La pesée est concordante.
On obtint encore deux moulages de mains dans la séance du 8 novembre 1920 (1re séance), deux autres dans celle du 11 novembre (2e séance), un seul à celle du 15 novembre (5e séance), deux à celle du 27 décembre (10e séance), deux à celle du 31 décembre (11e et dernière séance).
Les moulages n'auraient pas pu être produits frauduleusement, soit en employant :
1° un gant de caoutchouc souple rempli d'air à cause des dé¬formations qu'il présenterait ;
2° Si le caoutchouc était dur, il ne pourrait pas sortir du gant de paraffine sans le briser ou le dé¬former, ce qui n'a pas eu lieu.
3° Une main artificielle faite sur un membre humain avec une matière fusible tel que du sucre, par exemple, aurait pu en fondant dans l'eau laisser un gant de paraffine ; mais alors le poids total de l'eau de la paraffine aurait été supérieur au poids originel et la supercherie eût été découverte.
Il est donc bien établi que la matérialisation a été obligée de se volatiliser pour laisser intact le moule d'une partie d'elle-même.
D'ailleurs, voici le rapport d'experts, MM. Ga¬brielli (père et fils), qui prouve jusqu'à évidence l'incontestable authenticité des moulages obtenus à l'Institut métapsychique.
Rapport de Mr. Gabrielli
Je soussigné, Charles Gabrielli, mouleur expert, 6, rue de Cheroy, certifie avoir expertisé des moules de paraf¬fine remplis de plâtre qui m'avaient été confiés à cet effet par le Dr Geley, directeur de l'Institut Métapsychi¬que international.
(Ici description des moules.)
Après un examen rapide dans le laboratoire du Docteur Geley, nous avons emporté ces pièces dans notre atelier pour une étude approfondie.
Nous avons été immédiatement frappés par les trois remarques suivantes :
1° L'opération de coulage du plâtre dans les moules de paraffine révèle des fautes de technique qui prouvent objectivement, en dehors de toute autre considération, le manque de compétence de l'opérateur, en même temps que sa bonne foi. Par exemple, dans le document n°1, les extrémités des doigts sont restées pleines d'air, ce que l'on voit nettement par transparence. Le plâtre n'a donc pas pu atteindre ces extrémités. Cette défectuosité qu'un mouleur expérimenté eût très facilement évitée, est la preuve formelle que le plâtre a bien été coulé dans les moules et que la pièce n'est pas un moule de plâtre qui a été plongé dans de la paraffine fondue. Du reste, le plâtre n'a pas rempli entièrement les moules de paraffine. Sur les parcelles des gants de paraffine qui débordent des plâ¬tres, on trouve l'impression des détails anatomiques dont nous parlerons plus loin.
Donc aucun doute possible sur la manière dont les do¬cuments soumis à notre examen ont été obtenus ; ce sont bien des moules de paraffine qui ont été remplis de plâtre.
2° La seconde remarque que nous avons faite est celle de la minceur extrême de la couche de paraffine consti¬tuant les moules. Les parois n'atteignent nulle part un millimètre. Elles ont la minceur d'une feuille de pa¬pier. Cette minceur est telle qu'on voit à travers la couche de paraffine, sur le plâtre sous-jacent, tous les détails anatomiques, plis de la peau, sillons, lignes, ongles.
3° La troisième remarque est celle de la finesse et de la vérité des détails anatomiques. On sent positivement la vie en dessous de ces moules étranges et décevants. Ce sont, de toute évidence, des mains vivantes qui ont servi à ces moulages.
Nous retrouvons non seulement les détails anatomiques, mais aussi des traces de contractions musculaires explica¬bles seulement par des mouvements volontaires. Il y a des froissements de la peau qui ne laissent aucun doute à ce sujet.
Après ce premier examen, nous avons procédé au démou¬lage en nous servant d'un jet de vapeur qui nous permit d'enlever la paraffine, écaille par écaille, sans altérer le plâtre sous-jacent. Nous retrouvâmes sur les plâtres les détails perçus à travers la couche de paraffine.
De notre examen minutieux et prolongé, nous sommes à même de conclure :
Des moulages aussi parfaits, avec une telle finesse de détails, avec des indices de contractions musculaires actives et les plis de la peau, n'ont pu être obtenus que sur une main vivante.
Ce sont des moulages de première opération, des ori¬ginaux et non des surmoulages.
Nous avons alors recherché comment il serait possible d'obtenir, par les procédés les plus divers, des moulages analogues à ceux que nous venions d'examiner.
Nous avons étudié spécialement les deux procédés indiqués par le Dr Geley, dans la Revue Méta¬psychique, n° 5.
1° Le procédé du démoulage par section d'une partie des moules de paraffine et raccord, après sortie de la main opérante, n'a sûrement pas été employé dans les pièces que nous avons expertisées.
a) En effet, nous n'avons constaté ni traces de soudures, ni grattages, ni aucune des déformations inévitables avec ce procédé. Il n'y a pas de raccords dans les gants que nous a soumis le docteur Geley. Il y a çà et là des cas¬sures ou des affaissements, par places, des gants, cassures et affaissements explicables par la fragilité extrême de ces gants, mais il n'y a rien qui ressemble à un raccord, qui puisse être confondu avec un raccord.
b) En tout état de cause, l'opération du démoulage d'une main vivante n'eût pas été réalisable avec des gants aussi minces. Ces gants se seraient infailliblement brisés à la moindre tendance de retrait.
C'est ce dont chacun peut s'assurer facilement.
La sortie d'une main vivante d'un moule de paraffine n'ayant qu'une épaisseur moindre d'un millimètre est une impossibilité.
c) Même avec des moules épais, le démoulage d'une main vivante de certaines des pièces que nous avons examinées, même après section à la base, eût été impossi¬ble ; c'était le cas des pièces n° 1, 4, 5, 6.
2° L'autre procédé indiqué par le Dr Geley, dans la revue, consiste dans l'usage d'une main fusible et solu¬ble (sucre, gélatine ou autre).
Cette main serait plongée dans un bain de paraffine, puis dissoute dans un baquet d'eau froide, ce qui per¬mettrait d'obtenir un moule de paraffine complet, sans raccord, et aussi mince qu'on le voudrait. Le procédé est fort ingénieux, mais, à notre avis, il n'a pas servi aux do¬cuments qui nous ont été soumis par le motif déjà exposé plus haut :
Un surmoulage ne saurait offrir la même finesse de détails qu'un moulage de première opération. Des traces délicates disparaissent inévitablement dans les surmoulages. Un artiste spécialiste ne confondra jamais un moulage de première opération avec un surmoulage. A notre avis, formel et sans réserve, les pièces que nous avons étudiées sont, nous le répétons, des moulages de mains vivantes.
Nous nous sommes demandés si l'usage de mains de cadavres eût pu, à la rigueur, être employé. Nous avons conclu par la négative. Les traces de contractions muscu¬laires prouvent qu'il s'agissait de mains vivantes. Du reste, il y aurait eu impossibilité à sortir des mains de cadavres de moules tels que ceux-là, quel que fût l'artifice employé.
Nous avons fait de nombreuses tentatives pour produire artificiellement, par les moyens les plus divers, des gants analogues à ceux qui nous avaient été soumis. Elles ont complètement échoué.
Nous concluons qu'il nous est impossible de comprendre comment les moules de paraffine du Dr Geley ont été obtenus. C'est pour nous un mystère.
Signé : GABRIELLI (père),
GABRIELLI Victor (fils).
Voici donc des expériences récentes qui, après quarante-sept ans, confirment celle de MM. Rei¬mers, Oxley et Ashton.
D'autre part, M. Noguerra de Faria a fait paraître un livre intitulé : Otrabalho Dos Mortos, dans lequel il rapporte les très nombreuses expériences de matérialisation qui eurent lieu chez M. Euripèdes Prado, pharmacien à Belem do Para, Brésil. Le mé¬dium était sa femme.
Ces séances eurent lieu sous le contrôle le plus minutieux ; souvent Mme Prado était enfermée dans une cage et les esprits se matérialisaient au dehors.
Certaines expériences eurent lieu dans d'autres locaux avec le même succès chez les membres du cercle, entre autres chez le compositeur Ettore Bosio les phénomènes s'y produisaient avec la même intensité que chez M. Prado.
Le contrôle était exercé par des médecins, parmi lesquels on peut citer les noms des Dr Lauro Sodré et Joao Ceelho, ex-gouverneurs de Para ; de MM. José Teixéira de Matta Bacellar (Médecin homéopathe), Antonio Porto de Oliveira (spécialiste des maladies nerveuses, aliéniste), D Ferreira de Lemos (oculiste), J. Aben-Athar (directeur de l'institut Pasteur), R. Chaves (médecin légiste, direc¬teur du service anthropométrique), J. Pinheiro Sozinho, V. de Mendonça (spécialiste dans les études de l'hypno¬tisme et du magnétisme, sénateur de l'Etat de Belem G. Gurjao, G. Vieira, Auzier, Bentes, Pereira de Barros, Pontès de Carvalho, tous médecins ; Manoèl Coimbra, Directeur de l'Ecole de Pharmacie. En outre, trois membres du « Tribunal supérieur de justice » de l'Etat ; deux magistrats, plusieurs avocats, M. Kouma Rourigoutchy, ministre du Japon ; des ingénieurs, journalistes ; le réputé poète Eustachio de Azevedo, le compositeur illustre Ettore Bosio.
Ne pouvant m'étendre ici sur les détails des séances, je suis obligé de renvoyer le lecteur aux comptes rendus qui en ont été publiés dans la Revue Métapsychique.
Il me suffit de signaler que l'on obtint, à plusieurs reprises, des moulages dans la paraffine de mains et de pieds provenant de l'esprit matérialisé de Joao et d'une jeune fille, Rachel Figner.
Dans la séance du 28 septembre 1919, en présence de plusieurs personnes, dont deux médecins, formation flui¬dique - dans l'obscurité ; l'entité Joao, par le moyen de la paraffine et de l'eau, donne un moule de main aux doigts courbés et un rameau de roses de l'espèce dite angélique . Le 17 avril 1920, 30 assistants. Vérification du ca¬binet et de la cage. Demi-lumière. Nuée blanche d'où se dégage une face claire, puis tout le corps d'une jeune fille, « entité Annita », dit le médium. Annita s'approche de M. Prado et lui baise la main. Elle salue les autres personnes. Vêtue de blanc. Longs cheveux. Elle travaille aussitôt à la paraffine et tend le bras, parfois, pour montrer la suite des opérations. Le moule sera parfait. Elle y aura ajouté des fleurs modelées.
Elle s'agenouille enfin, chante un cantique...
Le 30 avril 1920, c'est une main d'enfant qui est moulée.
Le 14 juin 1920, en présence de M. Kouma Hourigoutchy, ministre du Japon au Brésil ; du Dr V. de Mendoça ; et de quinze autres témoins. Demi-obscurité. Emploi du ventilateur pour aider au refroidissement rapide des moules. Messages typtologiques invitant le Dr Mendoça à s'approcher de la cage pour un sévère contrôle, en com¬pagnie du ministre japonais. Apparition de l'Esprit Joao qui serre la main du docteur médecin et celle de M. Kouma. A la vue de tous, il travaille à la paraffine, fait toucher à trois personnes sa main peu à peu « gantée ». Le moule terminé, il le remet à un assistant, qui le donne à Kouma. Un autre moule est produit. Départ de Joao que remplace Annita. Prière à genoux. Séjour d'un quart d'heure. Pres¬sions de mains. Retraite. Joao revient. Oraison. Puis l'entité remonte vers le médium et le réconforte.
L'Institut Métapsychique International ayant ouvert une enquête au sujet de ces séances, sept docteurs ont répondu en affirmant la réalité des phénomènes obtenus dans le groupe Prado et chez le compositeur Bosio, où Mme Prado donna aussi quelques séances.
Ces attestations sont accompagnées d'une lettre de M. Fried Figner qui eut la joie de voir à plu¬sieurs reprises sa fille Rachel parfaitement matérialisée et d'obtenir un excellent moulage de son pied dans la paraffine.
Maintenant, il n'est plus possible de nier que le corps fluidique objectivé ne soit semblable de tous points, et même anatomiquement identique, au nôtre. C'est positivement un être à trois dimensions dont la morphologie est terrestre. Ce n'est pas un dédou¬blement du médium, parce qu'il en diffère physi¬quement et intellectuellement. L'esprit qui est là, qui se forme sous les yeux des assistants, à la Villa Carmen ou dans le laboratoire du Dr Gibier, quand il reparaît dans notre monde objectif, reprend instantanément tous ses attributs terrestres. Ceux-ci ne se créent pas à ce moment, ils préexistaient, mais à l'état latent, parce que les conditions de vie dans l'au-delà ne sont pas les nôtres et qu'il n'existe pas pour l'âme des nécessités physiques analogues à celles du milieu terrestre.
William Crookes n'a pas été seul à avoir le privilège d'ausculter des fantômes matérialisés. Le Dr Hitchman, président de la Société d'An¬thropologie de Liverpool, a été aussi favorisé. Dans un cercle particulier, avec un médium non pro¬fessionnel qui ne voulait même pas que son nom fût prononcé, il put photographier les apparitions et les soumettre à un examen médical approfondi. Dans une lettre adressée au savant Aksakoff, il dit, après avoir décrit ses opérations photographiques :
Il m'arrivait souvent d'entrer dans le cabinet à la suite d'une forme matérialisée, et alors je la voyais en même temps que le médium (M. B.). Par le fait, je crois avoir obtenu la certitude la plus scientifique qu'il soit possible d'obtenir, que chacune de ces formes apparues était une individualité distincte de l'enveloppe matérielle du mé¬dium, car je les ai examinées à l'aide de divers instruments ; j'ai constaté chez elles l'existence de la respiration et de la circulation ; j'ai mesuré leur taille, la circonférence du corps, pris leur poids, etc..
Ces apparitions avaient l'air noble et gracieux au mo¬ral et au physique ; elles semblaient s'organiser graduelle¬ment aux dépens d'une masse nébuleuse, alors qu'elles dis¬paraissaient instantanément et d'une manière absolue... Ayant eu souvent l'occasion (en présence de témoins com¬pétents) de me tenir entre le médium et « l'esprit matéria¬lisé », de serrer la main à ce dernier et de lui causer pendant près d'une heure, je ne me sens plus disposé à accepter des hypothèses fantaisistes, telles que les illusions de la vue et de foule, la célébration inconsciente, la force psychique ou nerveuse et tout le reste ; la vérité, en ce qui touche les questions de la matière et de l'esprit, ne pourra être acquise qu'à force de recherches.
Oui, sans aucun doute, mais d'ores et déjà nous possédons des documents en assez grand nombre émanant d'hommes qualifiés, pour connaître, un peu mieux que les philosophes ou les physiologistes, le principe intelligent de l'homme. Nous sommes scientifiquement certains, maintenant, qu'il sur¬vit à la dissolution du corps matériel et qu'il emporte dans l'au-delà un corps spirituel approprié au nouveau milieu dans lequel il poursuit son évolu¬tion ininterrompue.
Ce ne sont pas toujours des Esprits inconnus qui se montrent dans les séances. Parfois le fantôme est un être cher que l'un des assistants re¬connaît avec une joie indicible, et alors s'évanouis¬sent tous les sophismes de la critique. C'est M. Li¬vermore, un banquier américain, à l'esprit calcu¬lateur et froid, qui revoit sa chère compagne Estelle et qui en obtient de l'écriture identique à celle qu'elle possédait de son vivant ; c'est le Dr Nichols, qui embrasse sa fille et peut conserver un moulage de sa main, ainsi que des dessins et des messages écrits par elle ; c'est une nièce, nommée Blanche, qui cause en français à sa tante chez le Dr Gibier, alors que le médium ne connaît pas notre langue, etc..
Avec Eusapia, que l'on s'est trop habitué à con¬sidérer comme un simple médium à effets physi¬ques, l'illustre Lombroso a vu sa mère ; le grand publiciste italien Vassalo, son fils Naldino ; le pro¬fesseur Porro, sa fille Elsa ; le Dr Venzano, son père et une de ses parentes, sans compter les appari¬tions reconnues par M. Bozzano, le prince Ruspoli, etc.., etc.. Ces derniers témoins n'étaient guère dis¬posés à se payer de vagues apparences, à prendre leurs désirs pour des réalités. S'ils ont été con¬vaincus, ce n'est qu'après avoir scruté minutieuse¬ment toutes les circonstances et reconnu qu'aucune autre hypothèse n'était capable d'expliquer ces splendides manifestations.
Le spiritisme n'a rien inventé. Tous ses ensei¬gnements reposent sur les connaissances qu'il a acquises en communiquant avec les Esprits, et c'est pour ses adeptes une joie sans égale de voir com¬bien chacun des points de la doctrine se confirme à mesure que l'enquête, commencée il y a un demi-¬siècle, s'étend davantage. Chaque pas en avant fait par l'investigation indépendante conduit fata¬lement vers nous. Jadis, négation totale, obstinée, absolue, des manifestations spirites sous toutes leurs formes : depuis les simples mouvements de table et l'écriture automatique jusqu'aux apports et aux matérialisations. De nos jours, il n'existe plus guère que des tardigrades, des ignorants, pour contester encore la réalité des faits. L'immense majorité de ceux qui se sont occupés de cette ques¬tion les admet sans réserve quitte à discuter leur origine et leur nature. Puis une seconde évolution a lieu ; parmi les savants, des hommes tels que Lodge, Myers, Hodgson, Hyslop, etc.., arrivent, par les preuves intellectuelles obtenues au moyen de la transe ou de l'écriture, à se convaincre qu'ils ont été indiscutablement en rapport avec quelques-¬uns de leurs amis ou parents disparus, sans que la télépathie ou la clairvoyance puisse rendre compte de tous les faits. Ce sont donc bien les pratiques du spiritisme ordinaire, banal même, qui triomphent. Ensuite, les manifestations transcendantales ont lieu : des apparitions tangibles se produisent, et alors nous voyons se produire des contrefaçons de la théorie du périsprit sous les vocables les plus variés. Pour expliquer ces mains qui agissent à distance, M. Ochorowicz parlera d'une main dyna¬mique ou M. Ch. Richet d'un ectoplasme, M. Morselli d'un psycho-dynamisme, etc.. Mais qui ne voit que ce ne sont que des mots, puisque le dé¬doublement de l'être humain nous fait assister naturellement à l'extériorisation complète du corps fluidique.
Que l'on pèse bien la valeur de tous ces témoi¬gnages, que l'on s'attache rigoureusement aux faits eux-mêmes, et alors apparaîtra l'inanité de toutes les théories imaginées pour se passer des Esprits dans l'explication. Les hypothèses psycho-¬dynamiques, bio-psychiques, les créations ou trans¬figurations de personnalités secondes, sont si for¬cées, si artificielles, si arbitraires, elles accumulent de telles impossibilités rationnelles, qu'elles paraî¬tront absolument invraisemblables avant dix ans d'ici, comme la théorie de l'hallucination collec¬tive de Hartmann, qui charmait la majorité des critiques superficiels, a sombré devant les photographies, les empreintes et les moulages.
Nécessité logique de l’existence du périsprit
Sans doute, la vérité spirite causera une véritable révolution chez les spiritualistes purs qui croyaient l'âme complètement immatérielle, aussi bien que chez les physiologistes qui s'étaient habitués à compter sans elle. Mais le FAIT a une puissance invincible pour cette seule raison qu'il existe, et tôt ou tard, malgré toutes les dénégations, il finit par s'im¬poser souverainement ; c'est alors que s'ouvrent, devant les chercheurs, de nouveaux horizons.
Puisque l'esprit est capable, dans certaines conditions, de reconstituer son ancien corps matériel, c'est qu'il possède indiscutablement en lui le sta¬tut dynamique qui préside à l'organisation, à l'entretien et à la réparation du corps terrestre. De même, il faut admettre que, puisque le périsprit persiste après la mort, c'est une démonstration qu'il préexistait à la naissance, de sorte que celle-ci nous apparaît alors comme une matérialisation de longue durée, tandis que les apparitions tangi¬bles n'ont qu’une existence éphémère, parce qu'elles ont été produites en dehors des procédés de la gé¬nération. Cette interprétation des faits semble expliquer logiquement comment l'ordre et l'har¬monie se maintiennent dans le formidable enchevê¬trement de phénomènes qui constitue un être vivant. Si réellement il existe dans l'homme un second corps qui est le modèle indéfectible suivant lequel la matière charnelle s'ordonne, on comprend que, malgré le tourbillon de matière qui passe en nous, le type individuel se maintienne au milieu des inces¬santes mutations résultant de la désagrégation et de la reconstitution de toutes les parties du corps, qui est semblable à une maison dont, à chaque se¬conde, on changerait les pierres dans toutes ses parties. Le périsprit est le régulateur des fonctions, l'architecte qui veille au maintien de l'édifice, car cette tâche ne peut guère dépendre des activités aveugles de la matière.
Si l'on songe à la diversité des organes dont est fait le corps humain, à celle des tissus qui servent à construire les organes, au chiffre prodigieux de cellules (plusieurs trillions) agrégées qui forment tous les tissus, au nombre colossal des molécules du protoplasma, et enfin à celui presque infini des atomes qui constituent chaque molécule organique, alors on se trouve en présence d'un véritable uni¬vers et si diversifié qu'il dépasse en complexité tout ce que l'imagination peut concevoir. La merveille, c'est l'ordre qui règne dans ces milliards d'actions enchevêtrées.
Les groupements successifs de phénomènes s'har¬monisent dans des séries qui aboutissent à l'unité totale.
Sans que nous en ayons aucunement conscience, a dit M. Bourdeau qui a été ici bien inspiré, en nous s'opère un travail permanent de synthèse qui a pour effet de lier, dans le phénomène individuel de la vie, une immense multitude d'éléments par des actions à la fois mécaniques, physiques, chimiques, plastiques et fonctionnelles. La puissance accumulée dont chaque groupe est dépositaire, et les résultantes de plus en plus complexes que leur union détermine donnent le vertige à l'esprit qui plane un instant sur ces abîmes.
Chacune des cellules travaille pour son compte, aveuglément ; les forces du monde extérieur sont elles-mêmes inconscientes ; qui donc alors disci¬pline tous ces éléments pour les conduire au but final, qui est l'entretien de la vie ? Il existe mani¬festement un plan qui se maintient et il exige une force plastique directrice qui ne peut avoir pour cause une suite d'accidents fortuits. Comment sup¬poser une continuité d'efforts toujours suivant la même direction, dans un ensemble dont les parties changent perpétuellement ? Si, au milieu de ce tour¬billon, quelque chose reste stable, il est logique de voir en lui l'organisateur auquel la matière obéit ; or ce quelque chose, c'est le périsprit, puisque l'on constate objectivement son existence pendant la vie et qu'il résiste à la mort ; lorsqu'on le connaî¬tra mieux, des connaissances nouvelles, très pré¬cieuses, en résulteront pour la physiologie et la médecine.
Ce que les anciens appelaient la vis medicatrix naturœ, c'est le mécanisme stable, incorruptible, toujours en éveil, qui défend l'organisme contre les actions mécaniques, physiques, chimiques, micro¬biennes qui l'assaillent sans relâche, et qui recon¬stitue incessamment l'intégrité de l'être vivant quand elle est détruite. En un mot, le corps n'est pas seulement un amas de cellules simplement juxtaposées ou accolées, c'est un tout dont chaque partie a un rôle bien défini, mais subordonné à la place qu'elle occupe dans le plan général. Le périsprit est la réalisation physique de cette « idée direc¬trice » que Claude Bernard signale comme la vraie caractéristique de la vie ; c'est aussi le «dessin vital » que chacun de nous réalise et conserve pen¬dant toute la durée de son existence. Voici com¬ment s'exprime, le grand physiologiste dans son Introduction à l'étude de la médecine expérimentale et dans La science expérimentale : Définition de la Vie :
S'il fallait définir la vie, conclut Claude Bernard, je dirais : la vie, c'est la création... Ce qui caractérise la ma¬chine vivante, ce n'est pas la nature de ses propriétés physico-chimiques, c'est la création de cette machine d'après une idée définie...
Ce groupement se fait par suite des lois qui régissent les propriétés physico-chimiques de la matière ; mais ce qui est essentiellement du domaine de la vie, ce qui n'ap¬partient ni à la physique, ni à la chimie, c'est l'idée di¬rectrice de cette évolution vitale.
Il y a, dit-il encore, comme un dessin vital qui trace le plan de chaque être, de chaque organe, en sorte que, considéré isolément, chaque phénomène de l'organisme est tributaire des forces générales de la nature ; pris dans leur succession et dans leur ensemble, ils paraissent ré¬véler un lien spécial, ils semblent dirigés par quelque condition invisible, dans la route qu'ils suivent, dans l'or¬dre qui les enchaîne.
Enfin, en termes encore plus exprès :
La vie est une idée ; c'est l'idée du résultat commun dans lequel sont associés et disciplinés tous les éléments anato¬miques, l'idée de l'harmonie qui résulte de leur concert, de l'ordre qui règne dans leur action.
Les milliards de vies individuelles des cellules sont régies par un organisme supérieur qui les hiérar¬chise et leur impose leurs conditions d'existence ; c'est le périsprit qui agit automatiquement pour produire ces effets, bien que nous n'ayons aucunement conscience de son action incessante. A pro¬prement parler, il constitue l'inconscient physio¬logique, de même qu'il est la base physique de cette subconscience qui existe en chacun de nous, pour la conservation des souvenirs, et qui est encore plus complexe que ne l'imaginent les psychologues qui ne connaissent que la matière, car il renferme en soi les résidus de nos vies passées, dont la résultante est ce phénomène absolument indi¬viduel que l'on nomme le caractère.
On voit, par ce qui précède, que si l'âme emporte avec elle dans l'espace un organisme aussi com¬plexe que le périsprit, qui ne lui sert pas dans l'au-delà pour entretenir sa vie, c'est qu'il est infiniment probable qu'elle doit revenir ici-bas, sans quoi le mécanisme qui sert à l'entretien de la vie terrestre ne persisterait pas dans l'espace, car c'est une loi de la nature que le défaut d'exercice atrophie les organes inutiles et les fait disparaître à la longue.
Où et comment le périsprit a-t-il pu acquérir ses propriétés fonctionnelles ?
Mais où et comment ce merveilleux mécanisme a-t-il pu prendre naissance et se fixer d'une ma¬nière indélébile dans l'enveloppe fluidique ? Ayant étudié ailleurs cette question très complexe , je ne puis donner ici que quelques indications som¬maires et nécessairement incomplètes. Voici les points principaux qui ressortent de l'observation des faits et qui paraissent légitimer l'hypothèse du passage de l'âme humaine dans la série des règnes inférieurs à l'humanité.
Une des plus magnifiques découvertes du XIXème siè¬cle a été la démonstration de l'unité de composi¬tion de tous les êtres vivants. Les plantes, comme les animaux ou les hommes, sont formées par des cellules qui, par la diversité de leurs formes, de leurs assemblages et de leurs propriétés, ont donné naissance, en se diversifiant, à l'innombrable multi¬tude des êtres qui peuplent l'air, l'eau et la terre. Les créatures les plus simples peuvent vivre sous la forme de cellules isolées comme celles du sang, ou comme les microbes ; mais chez toutes il existe une substance fondamentale : le protoplasma, qui est la partie vraiment vivante. Tous les êtres, quels qu'ils soient, sont organisés, se reproduisent, fabri¬quent avec des matériaux hétérogènes de la sub¬stance analogue à la leur, en un mot se nourrissent et évoluent, c'est-à-dire naissent, croissent et meurent. Il leur faut à tous de l'eau, de la chaleur, de l'air et un milieu nutritif. Tous sont irritables, c'est-à-¬dire réagissent par un mouvement à une excita¬tion extérieure. On peut affirmer qu'à tous les degrés de l'échelle vitale, les opérations de la respi¬ration et de la digestion sont au fond les mêmes ; ce qui varie, ce sont les instruments destinés à pro¬duire ces résultats. La reproduction est également identique, tout être provenant d'un autre être par un germe. Le sommeil est une nécessité qui s'impose à tous. On reconnaît sous ces effets une unité générale d'action qui montre comment la variété a pu surgir de l'uniformité originelle.
Il existe donc une indéniable identité dans les procédés vitaux de tous les organismes, et alors l'idée d'une parenté universelle entre tous les êtres en résulte naturellement. Puisqu'il n'y a pas de génération spontanée, tous les êtres, végétaux ou animaux, qui existent aujourd'hui proviennent directement d'ancêtres qui les ont précédés, et cela depuis les millions d'années qui se sont écoulées pendant les périodes géologiques. Les recherches opérées dans les terrains anciens ont fait découvrir que les animaux et les plantes sont de plus en plus simples à mesure que l'on remonte dans le passé. Comment s'est produite cette évolution ? C'est ce que nous verrons plus loin.
Il est plus que probable que toutes les théories imaginées pour expliquer l'évolution renferment chacune une part de vérité ; mais nous n'avons pas besoin de nous inféoder à l'une plutôt qu'à l'au¬tre. Il suffit de remarquer que tout être qui naît reproduit, pendant la vie fœtale, toutes les for¬mes, plus simples, qui l'ont précédé chez ses ascen¬dants. L'homme lui-même, dans le sein maternel, n'est d'abord qu'une simple cellule qui, fécondée, se diversifie et présente en raccourci un tableau de tous les organismes qui devaient, au bout de millions d'années, aboutir au sien. L'embryon est un témoin irrécusable de nos origines :
Nous voyons dans l'évolution de l'embryon, dit encore Claude Bernard, apparaître une simple ébauche de l'être avant toute organisation. Les contours du corps et des organes d'abord sont simplement arrêtés, en commen¬çant par les échafaudages organiques provisoires qui ser¬viront d'appareils fonctionnels et temporaires du fœtus. Aucun tissu n'est alors distinct. Toute la masse n'est alors constituée que par des cellules plasmatiques et embryonnaires. Mais dans ce canevas vital est tracé le dessin idéal d'un organisme encore invisible pour nous qui a assigné à chaque partie et à chaque élément sa place, sa structure et ses propriétés. Là où doivent être des vaisseaux sanguins, des nerfs, des muscles, des os, etc., les cellules embryonnaires se changent en globules de sang, en tissus artériel, veineux, musculaire, nerveux et osseux.
Puisque c'est le périsprit qui organise la ma¬tière, comme celle-ci ressuscite des formes disparues, il semble logique d'en conclure qu'il ren¬ferme en lui des traces de ce passé, car l'hérédité, nous le verrons plus loin, est impuissante à nous faire comprendre ce qui a lieu ; il paraît donc légi¬time de supposer que le périsprit a lui-même évolué à travers ces stades inférieurs avant d'arriver au point le plus élevé de l'évolution.
Le principe intelligent aurait donc gravi lente¬ment tous les échelons de l'immense série des êtres avant de s'épanouir dans l'humanité. Les animaux présentent une gradation indéniable dans les mani¬festations intellectuelles, depuis les plus rudimen¬taires jusqu'à l'homme, de sorte que l'hypothèse de la réincarnation du même être s'élevant, par ses propres efforts, à un degré toujours plus élevé, lui permettrait d'arriver jusqu'à nous sans discon¬tinuité.
Mais ce que nous voyons réalisé sous nos yeux, c'est-à-dire la continuité des formes qui se relient les unes aux autres comme les anneaux d'une chaîne gigantesque, a eu lieu aussi dans le passé ; dès lors, on peut concevoir que le progrès est dû, non plus à des causes exclusivement extérieures, mais, en même temps, à la psyché intelligente cher¬chant à briser la gangue de la matière et faisant des efforts ininterrompus pour l'assouplir, en per¬mettant à ses facultés d'entrer en rapport de plus en plus intime avec la nature extérieure. La créa¬tion des sens, puis d'organes de plus en plus perfec¬tionnés, serait donc les résultats d'un effort intentionnel et non les produits d'heureux hasards, comme le veulent les matérialistes.
La réincarnation animale n'est pas une simple hypothèse ; elle peut déjà s'appuyer sur quelques faits que l'avenir multipliera considérablement. Alors on comprendra le rôle des animaux ici-bas et à la théorie purement matérialiste d'une évolu¬tion physique se substituera celle du principe intel¬ligent passant par la filière des règnes inférieurs pour arriver à l'homme et s'élever plus tard vers d'autres destinées, lorsqu'il sera libéré de toutes les entraves terrestres.
Sans doute, il reste encore pas mal d'obscurités en ce qui concerne le comment de cette évolution ; il faudra des études persévérantes pour justifier chacun des points de cette théorie, mais telle quelle, elle offre à l'esprit un tableau rationnel de nos ori¬gines, et elle se concilie aussi bien avec les décou¬vertes scientifiques qu'avec ce que l'expérimen¬tation spirite, encore si peu développée, nous a déjà permis de constater d'une manière certaine.
On comprend maintenant la grandiose portée théorique et pratique des séances de matérialisation, car elles prouvent d'abord l'immortalité de l'âme et ensuite par la connaissance du périsprit, elles ouvrent devant nous des perspectives dont aujourd'hui nous ne pouvons encore que soup¬çonner l'immensité.
Chapitre III - L’âme animale, exposé de l’unité des lois de la vie dans toute l’échelle organique
L’hypothèse du passage de l’âme dans la série animale est admise par Allan Kardec. – Les théories de l’évolution. Kamarck-Darwin. – Quinton et de Vries. – Formation et développement graduel de l’esprit. – Passage du principe intelligent dans la filière animale. – Il n’y a pas de différences absolues entre l’âme animale et la nôtre.
Nécessité de l’incarnation terrestre
En admettant que le principe spirituel de l'homme a pu passer par la filière animale pour arriver pro¬gressivement jusqu'à l'humanité, je ne m'éloigne pas de la tradition spirite, car Allan Kardec, dans son livre la Genèse, admet parfaitement cette possi¬bilité et il la justifie en démontrant que c'est une explication logique de l'existence des animaux et du rôle qu'ils jouent ici-bas. Voici, en effet, comment il s'exprime :
En prenant l'humanité à son degré le plus infime de l'é¬chelle intellectuelle, chez les sauvages les plus arriérés, on se demande si c'est là le point de départ de l'âme humaine.
Selon l'opinion de quelques philosophes spiritualistes, le principe intelligent, distinct du principe matériel, s'in¬dividualise, s'élabore, en passant par les divers degrés de l'animalité ; c'est là que l'âme s'essaie à la vie et dé¬veloppe ses premières facultés par l'exercice ; ce serait, pour ainsi dire, son temps d'incubation. Arrivée au degré de développement que comporte cet état, elle reçoit les fa¬cultés spéciales qui constituent l'âme humaine. Il y aurait ainsi filiation spirituelle de l'animal à l'homme, comme il y a filiation corporelle. Ce système, fondé sur la grande loi d'unité qui préside à la création, répond, il faut en convenir, à la justice et à la bonté du créateur ; il donne une issue, un but, une destinée aux animaux qui ne sont plus des êtres déshérités, mais qui trouvent dans l'avenir qui leur est réservé, une compensation à leurs souffrances. Ce qui cons¬titue l'homme spirituel, ce n'est pas son origine, mais les attributs spéciaux dont il est doué à son entrée dans l'hu¬manité, attributs qui le transforment et en font un être distinct, comme le fruit savoureux est distinct de la racine amère d'où il est sorti. Pour avoir passé par la filière de l'animalité, l'homme n'en serait pas moins l'homme ; il ne serait pas plus animal que le fruit n'est racine, que le savant n'est l'informe fœtus par lequel il a débuté dans le monde .
Certains philosophes spiritualistes, et même quel¬ques spirites, ont supposé que l'âme ne s'incarnait qu'une seule fois dans chacun des mondes qui par¬sèment l'infini. Cette manière de concevoir l'évolu¬tion me paraît d'autant plus inexacte que les pro¬priétés du périsprit ne peuvent avoir été acquises que par une longue série d'incarnations terrestres, puisque le périsprit organise son corps physique suivant les lois qui sont particulières à notre pla¬nète. Les autres mondes habités de notre système solaire, par le seul fait qu'ils sont à des distances différentes de l'astre central, ont nécessairement des conditions d'habitabilité qui sont dissemblables des nôtres. Il est infiniment probable ; en effet, que les premières formes organisées étant dépendantes des lois biologiques et physico-chimiques en action sur chacun de ces mondes, ont été fatalement différentes sur ces planètes, puisque la pesanteur, la chaleur, la lumière, le potentiel électrique, les gaz composant l'atmosphère, leur pression et les autres facteurs qui concourent à l'entretien et à l'orga¬nisation de la vie ont été tout autres sur chacun de ces mondes.
A ces raisons, en quelque sorte d'ordre physico-¬physiologique, Allan Kardec ajoute les suivantes, qui ne manquent pas non plus d'importance. Voici comment il s'exprime :
Quelques personnes pensent que les différentes existences de l'âme s'accomplissent de monde en monde et non sur un même globe où chaque esprit ne paraîtrait qu'une seule fois.
Cette doctrine serait admissible, si tous les habitants de la terre étaient exactement au même niveau intellectuel et moral ; ils ne pourraient alors progresser qu'en allant dans un autre monde et leur réincarnation sur la terre serait sans utilité ; or, Dieu ne fait rien d'inutile. Dès l'instant qu'on y trouve tous les degrés d'intelligence et de moralité, depuis la sauvagerie, qui côtoie l'animal, jusqu'à la civilisation la plus avancée, elle offre un vaste champ au pro¬grès ; on se demanderait pourquoi le sauvage serait obligé d'aller chercher ailleurs le degré au-dessus de lui, quand il le trouve à côté de lui et ainsi, de proche en proche, pourquoi l'homme avancé n'aurait pu faire ses premières étapes que, dans ces mondes inférieurs, alors que les analogues de ces mondes sont autour de lui, qu'il y a différents degrés d'avancement, non seulement de peuple à peuple, mais dans le même peuple et dans la même fa¬mille. S'il en était ainsi, Dieu aurait fait quelque chose d'inutile en plaçant côte à côte l'ignorance et le savoir, la barbarie et la civilisation, le bien et le mal, tandis que c'est précisément ce contact qui fait avancer les retar¬dataires.
Il n'y a donc pas plus de nécessité à ce que les hommes changent de monde à chaque étape, qu'il n'y en a pour qu’un écolier change de collège à chaque classe ; loin que cela fût un avantage pour le progrès, ce serait une en¬trave, car l'Esprit serait privé de l'exemple que lui offre la vue des degrés supérieurs et de la possibilité de répa¬rer ses torts dans le même milieu et à l'égard de ceux qu'il a offensés, possibilité qui est pour lui le plus puis¬sant moyen d'avancement moral. Après une courte cohabitation, les Esprits se dispersent et, devenant étrangers les uns aux autres, les liens de famille et d'a¬mitié, n'ayant pas eu le temps de se consolider, seraient rompus.
A l'inconvénient moral se joindrait un inconvénient matériel. La nature des éléments, les lois organiques, les conditions d'existence, varient selon les mondes ; sous ce rapport, il n'y en a pas deux qui soient parfaitement identiques. Nos traités de physique, de chimie, d'anatomie, de médecine, de botanique, etc..., ne serviraient à rien dans les autres mondes, et cependant ce que l'on y ap¬prend n'est pas perdu ; non seulement cela développe l'intelligence, mais les idées que l'on y puise aident à en acquérir de nouvelles. Si l'esprit ne faisait qu'une seule apparition, souvent de courte durée, dans le même monde, à chaque migration, il se trouverait dans des con¬ditions toutes différentes ; il opérerait chaque fois sur des éléments nouveaux avec des forces et selon des lois inconnues pour lui, avant d'avoir eu le temps d'élaborer les éléments connus, de les étudier, de s'y exercer. Ce serait chaque fois un nouvel apprentissage à faire, et ces change¬ments incessants seraient un obstacle au progrès. L'esprit doit donc rester sur le même monde, jusqu'à ce qu'il y ait acquis la somme de connaissances et le degré de perfection que comporte ce monde.
Que les esprits quittent pour un monde plus avancé celui sur lequel ils ne peuvent plus rien acquérir, cela doit être et cela est. S'il en est qui le quittent auparavant, c'est sans doute pour des causes individuelles que Dieu pèse dans sa sagesse .
Etudions donc à la lumière des découvertes scientifiques contemporaines la filiation qui relie entre eux, non seulement les êtres vivants, mais tous ceux qui les ont précédés sur la terre. On verra se développer alors le panorama grandiose de la vie depuis ses origines jusqu'à l'époque actuelle.
L'évolution animale
La science nous démontre d'une manière cer¬taine que l'évolution a fait sortir la multiplicité de l'unité originelle. Les nébuleuses ont donné naissance aux soleils, ceux-ci aux planètes. Les aspects de la matière se sont multipliés et la vie apparut sous des formes rudimentaires avant de s'épanouir dans la merveilleuse complexité des êtres animaux et végétaux qui peuplent aujourd'hui non seulement la surface du globe, mais les eaux, les airs et l'intérieur de la terre. On constate que les manifestations de l'intelligence sont, d'une manière générale, corrélatives à la complexité des organismes. Si curieuses que soient les habitations des fourmis, des abeilles ou des castors ; si ingénieuses que se révèlent les dispositions de certains nids, toutes ces constructions ne peuvent se comparer aux nôtres et la différence mesure précisément le degré d'évolution qui nous en sépare.
L'animal ne connaît pas les outils ; ses membres lui servent uniquement pour exécuter tous ses travaux ; la grande conquête de l'homme sera de fabriquer ceux qui lui font défaut et d'augmenter artificiellement la portée de ses sens.
Dans cette immense et prodigieuse multiplicité des êtres vivants, on observe tous les degrés ; les manifestations de l'intelligence se confondent pres¬que dans les règnes inférieurs avec des réactions purement physico-chimiques déterminant ces mou¬vements mécaniques auxquels les physiologistes ont donné le nom de tropismes. Quand on s'élève sur l'échelle des êtres, toute indécision disparaît. Un véritable psychisme se manifeste ; non seule¬ment les instincts se compliquent, mais l'intelli¬gence se traduit par des actes comparables aux nôtres, car l'éléphant, le chien ou le singe mon¬trent qu'il n'existe pas une différence de nature entre certaines de leurs actions et celles que nous accomplissons à la suite d'une délibération raisonnée.
L'hypothèse de Descartes, que les animaux ne seraient que des automates réagissant mécanique¬ment aux excitations du milieu extérieur ou inté¬rieur, me paraît insoutenable, à quelque point de vue que l'on se place. Si l'on admet, avec les maté¬rialistes, que l'intelligence est fonction du cerveau, comme il existe chez les vertébrés supérieurs un système nerveux très compliqué, qu'il présente avec le nôtre une analogie de composition, de dis¬position et de réaction, ce qui a lieu chez nous doit se produire chez eux. Le cerveau d'un singe ou même d'un chien ne diffère du cerveau humain que par une simplicité plus grande, mais la topographie est à peu près la même, les neurones sem¬blables ; dès lors, il faut logiquement admettre que les manifestations extérieures que nous quali¬fions d'intelligentes, chez nous, doivent porter le même nom si on les observe chez les animaux.
Ce n'est pas seulement l'anatomie et la physio¬logie qui nous démontrent l'identité de composition et de fonctionnement vital des tissus ani¬maux et humains. C'est maintenant l'expérience.
En parlant comme l'aurait fait M. Le Dantec, on peut dire que de « la substance chien » peut vivre dans « la substance homme » et s'y adapter parfai¬tement. Mieux encore, et nous voici revenus à la notion de périsprit, c'est l'emplacement dans le corps de l'animal qui donne aux tissus vivants leur spécificité. Une artère peut être greffée dans un autre corps et y jouer le rôle d'une veine, ou réci¬proquement quand elle remplace une partie malade de celle-ci. Il existe donc un plan organique, et la matière vivante y obéit à ce point qu'elle change sa fonction si on lui impose de vivre à un autre endroit que celui pour lequel elle a été organisée. Je n'in¬vente rien. Les expériences du chirurgien Carrel l'établissent péremptoirement. Voici ce qui a été constaté :
Grâce à sa technique, le Dr Carrel, chose inouïe, arrive à rapiécer plusieurs centimètres détruits d'aorte abdomi¬nale avec un morceau de péritoine. Et cela tient ! Et le morceau de péritoine se transforme bientôt en une paroi vasculaire ! Quel avenir pour la cure radicale des ané¬vrismes !
Au lieu du péritoine, on peut employer une veine, mettre par exemple un morceau de veine fémorale à la place d'un fragment de carotide. Et la circulation se fait aussi bien ! Et la veine se transforme en artère !
Une chienne de laboratoire du Dr Carrel porte, depuis deux ans, à la place d'une artère abdominale, un morceau d'artère poplitée prise à un jeune homme dont on venait de couper la jambe, et cette artère humaine fonctionne admirablement chez l'animal.
Chose inattendue, le Dr Carrel peut conserver plus de dix mois, dans des tubes spécialement disposés, des frag¬ments de vaisseaux, veines ou artères, et même d'autres tis¬sus sans que la vitalité de ces derniers s'en trouve atteinte. On les greffe et ils se soudent. Le cours du sang se rétablit dans leurs vaisseaux demeurés vides si longtemps. Ainsi revivifiés, ils s'adaptent aussitôt aux fonctions nouvelles qu’on leur impose...
Enfin, fait qui dépasse tout ce qu'on attendait et qu'on ne croirait pas si le professeur Pozzi ne l'avait constaté lui-même, le Dr Carrel échange des membres. Il y a, dans son laboratoire, un chien blanc et un chien noir de même taille, chacun d'eux porte la jambe droite de derrière de l'autre. Aucun d'eux n'a l'air de s'en douter et la jambe noire du chien blanc et la jambe blanche du chien noir sont aussi solides, aussi vigoureuses, aussi exemptes d'infériorités fonctionnelles que lorsqu'elles appartenaient encore à leurs anciens propriétaires ...
On voit donc que mon assertion sur l'identité des tissus vivants humains et animaux est sérieuse¬ment fondée, et que, puisque les vertébrés supé¬rieurs ont un système nerveux semblable comme composition et d'une disposition analogue au nôtre, il est peu philosophique de leur refuser la faculté de penser, quand on admet que celle-ci est atta¬chée au fonctionnement de la cellule cervicale.
Nous, spirites, qui avons la preuve de l'existence indépendante du principe animique, nous ne pou¬vons guère nous refuser à croire qu'il existe chez les animaux, car nous avons, en dehors des raisons logiques qui nous portent à l'admettre, un certain nombre de faits qui sont démonstratifs. Il a été possible de constater parfois, comme nous le ver¬rons plus loin, dans les séances de matérialisations, que des animaux défunts ont reparu avec leur ancien corps physique, de même que le dédoublement de certains autres a été observé quelquefois. Si ces faits sont réels, il en résulterait qu'il existe au point de vue spirituel la même unité générale que celle que la science nous a fait connaître pour les êtres vivants. Ceux-ci sont formés de cellules ; ils pro¬viennent toujours d'un être semblable à eux, ils se développent et meurent par les mêmes procédés ; ils ont des exigences identiques pour entretenir leur vie. Depuis l'origine des temps, les incalculables myriades d'êtres qui ont passé sur notre globe en s'engendrant d'une façon ininterrompue ont changé d'une manière si prodigieuse, que lorsqu'on en découvre des restes, ils semblent des créations apo¬calyptiques, bien que les organes et les fonctions aient été partout les mêmes ; cependant, c'est leur succession qui nous a amenés au point où nous en sommes, puisque la génération spontanée n'existe pas.
La science a formulé un certain nombre d'hypo¬thèses pour expliquer la transformation des êtres. Lamarck et Darwin ont imaginé des théories sédui¬santes, que celles de MM. Quinton et De Vriès com¬plètent jusqu'à un certain point. Mais la véritable cause de l'évolution doit être cherchée, suivant moi, dans les efforts que le principe intelligent a faits pour se dégager de plus en plus des langes de la matière. Lamarck a très bien montré la force de l'influence des milieux pour modifier les orga¬nismes ; Darwin nous a fait comprendre comment la lutte pour la vie amenait la survivance des plus aptes, de ceux qui savaient le mieux s'adapter. Les variations spontanées ne font que mettre en relief le travail latent accompli au sein des organismes, et la loi de constance du milieu organique, découverte par M. Quinton, indique l'effort que les êtres vivants exécutent pour maintenir les conditions essentielles du fonctionnement vital, malgré les chan¬gements du monde extérieur. Toutes ces causes ont été adjuvantes pour dégrossir l'être spirituel, pour l'amener à faire jaillir les virtualités qui dormaient en lui, afin qu'il devînt de plus en plus capable de prendre connaissance de lui-même et de la nature.
De nos jours, il existe encore des représentants de toutes les mentalités possibles. Depuis les plan¬tes jusqu'à l'homme, en passant par tout le règne animal, c'est une série graduelle et continue qui part de l'inconscience presque totale, jusqu'à la pleine lumière de la raison qui éclaire les hommes supérieurs. Au lieu de ne voir dans cette gran¬diose hiérarchie que des unités séparées dont cha¬cune serait une étincelle éphémère, la théorie des vies successives nous oblige à penser que tout être arrivé au sommet a passé par les phases inférieures et que son développement n'est pas dû au caprice d'un créateur qui l'aurait privilégié, mais qu'il le doit à son propre effort. Du coup, l'ordre, la jus¬tice, l'harmonie s'introduisent dans l'explication de la nature ; l'évolution n'est plus une succession de hasards heureux, mais le développement d'un plan logique pour amener le triomphe de l'esprit sur la matière.
Formation et développement graduel de l’esprit
Bien que la nature intime du principe pensant nous soit encore inconnue, nous sommes obligés d'en rechercher les origines chez tous les êtres vi¬vants, si infimes qu'ils puissent nous paraître. Sans doute l'individualité de ce principe n'est pas apparente dans les formes inférieures, mais c'est une nécessité logique de voir dans toutes les manifestations vitales une action de ce principe spiri¬tuel, même s'il est encore indifférencié chez les êtres qui sont au bas de l'échelle organique, comme je le disais dans le mémoire présenté au Congrès spirite de 1898.
Nous sommes donc contraints logiquement de chercher dans le règne végétal les débuts de l'évolution animique, car la forme que les plantes pren¬nent et conservent pendant la durée de leur vie, implique la présence d'un double périsprital prési¬dant aux échanges et maintenait la fixité du type.
La nature, dit M. Vulpian , n'a pas établi de ligne de démarcation bien nette entre le règne végétal et le règne animal. Les animaux et les végétaux se continuent par une progression insensible, et c'est avec raison qu'on les a réunis sous le nom commun de règne organique.
L'assimilation du rôle joué par le périsprit à un électro-aimant à pôles multiples , dont les lignes de force dessineraient non seulement la forme exté¬rieure de l'individu, mais aussi l'ensemble de tous les systèmes organiques, semble passer du domaine de l'hypothèse dans celui de l'observation scien¬tifique. D'après une communication faite à l'Aca¬démie des sciences, le 12 mai 1898, M. Stanoie¬witch a présenté à cette assemblée des dessins pris, sur nature, qui montrent que les tissus sont formés suivant des lignes de force nettement visibles.
L'un d'eux reproduit l'aspect d'une branche de sapin avec deux nœuds qui jouent le même rôle et produisent les mêmes perturbations dans les parties où ils se trouvent qu'un pôle électrique ou magnétique introduit dans un champ de même nature ; l'autre démontre que la différenciation s'est produite suivant les lignes de force ; un troi¬sième représente la section d'une branche de chêne quelques centimètres au-dessus d'une ramification. On y voit, jusqu'aux moindres détails, l'aspect d'un champ électro-magnétique formé par deux courants rectilignes, croisés, de même sens, et sensi¬blement de même intensité.
Ces observations semblent établir l'existence d'un double fluidique végétal, analogue à celui que l'on observe chez l'homme.
Il est, en effet, quelque chose chez les êtres vi¬vants qui n'est pas explicable par les lois physiques, chimiques ou mécaniques ; ce quelque chose, c'est la forme qu'ils affectent. Et non seulement les lois naturelles n'expliquent pas les formes des individus, mais toutes les observations nous incitent à penser que la force plastique qui édifie le plan structural et le type fonctionnel de ces êtres ne peut résider dans cet ensemble mobile, fluctuant, en perpétuelle instabilité, qu'est le corps physique.
Quoi qu'il en soit de la valeur de ces observations sur le début de l'être pensant, la série animale va nous montrer le progrès continu de toutes les mani¬festations anémiques.
Passage du principe intelligent dans la filière animale
Parmi la multitude innombrable des organismes inférieurs, le principe animique n'existe qu'à l'état impersonnel, diffus, car le système nerveux ne s'est pas encore différencié ; les êtres sont sourds, aveugles, muets, ce sont les zoophytes ; « mais dès qu'il fait son apparition chez les annelés, il commence à spécifier les propriétés communes, et nous voyons les différenciations se produire par la for¬mation des organes sensoriels.
A mesure que le système nerveux acquiert plus d'importance, les manifestations instinctives, qui étaient bornées à la recherche de la nourriture, se diversifient et présentent une complexité toujours plus grande. Voici, d'après Leuret, comment se fait cette progression :
1° On remarque chez les animaux qui semblent établir une transition avec la classe inférieure, des instincts exclusivement bornés à la re¬cherche de la nourriture (annélides : sangsues) ;
2° Des sensations plus étendues et plus nom¬breuses, ardeur extrême pour la génération, voracité, cruauté aveugle (crustacés : écrevisses) ;
3° Puis, sensations encore plus étendues, construction d'un domicile, voracité, ruse, astuce (arachnides : araignées).
4° Enfin sensations très étendues, construction d'un domicile, vie de relation, sociabilité (insectes fourmis, abeilles).
Chez les vertébrés, si nous prenons toujours, comme base le développement du système nerveux et plus particulièrement du cerveau comme critérium de l'intelligence, on voit, d'après Leuret, que l'encéphale, pris comme unité est au poids du corps :
1. Chez les poissons comme 1 est à. . . . 5668
2. Chez les reptiles comme 1 est à. . . . 1321
3. Chez les oiseaux comme 1 est à. . . . 212
4. Chez les mammifères comme 1 est à. . . . 186
Il y a donc progression continue de l'encéphale, en passant d’un embranchement à celui qui lui est immédiatement supérieur ; mais à la condition que les pesées embrassent chaque groupe pris en bloc, et non pas telle ou telle espèce prise séparément.
Car il est un fait aujourd'hui bien démontré, c'est que le progrès dans la série animale a lieu, non pas en ligne droite et sur une seule ligne, mais en lignes inégales et parallèles.
On a dit que le cerveau de l'homme était à ce point développé, que nul être, pour les dimensions et le poids de l'encéphale, ne peut être comparé à nous, même de loin. Cela est vrai assurément ; mais cette différence n'est pas telle qu'elle suffise pour constituer un nouveau règne. Le cerveau d'un singe ou d'un chien, ou d'un chat, représente, dans son ensemble, à peu près la disposition générale du cerveau humain. L'anatomie comparée a parfaite¬ment démontré l'analogie des différentes parties. Sans entrer dans les détails, il suffit de signaler que l'anatomiste qui a bien étudié le cerveau d'un singe connaît d'une manière passablement exacte l'anatomie du cerveau de l'homme.
Les circonvolutions constituent dans l'appareil cérébral de l'être humain, dit M. Richet, l'élément qui a pris le plus d'importance ; et c'est surtout par les circonvolutions que le cerveau de l'homme diffère du cerveau des autres vertébrés. Cependant, sur l'encéphale du chien, on distingue le plan primitif et comme l'ébauche des circonvolutions si profondes et si compliquées de l'homme adulte. En passant de l'animal à l'homme, l'organe s'est perfectionné, s'est agrandi, s'est diversifié, mais il est resté le même organe.
Nous ne serons donc pas étonnés de découvrir dans les vertébrés l'esquisse de ce qui sera plus tard l'âme humaine. On ne doit pas s'attendre à cons¬tater chez les animaux une intelligence ou des senti¬ments comparables en intensité à ce que l'on observe chez l'homme, mais ce qu'on doit y trouver, si l'évo¬lution animique est vraie, c'est le germe de toutes ces facultés. C'est précisément ce que l'expérience confirme. Les recueils nombreux consacrés à l'étude des facultés animales établissent que l'on remar¬que chez eux, au point de vue intellectuel : l'atten¬tion, le jugement, la mémoire, l'imagination, l'abstraction, le raisonnement ; un langage d'action et un langage de voix.
Les sentiments passionnels s'affirment par l'amour conjugal, l'amour maternel, parfois l'amour du pro¬chain, la sympathie, la haine, le désir de la ven¬geance, la sensibilité à la moquerie. Les sentiments moraux, très peu développés, peuvent parfois s'obser¬ver dans des manifestations du sentiment du juste et de l'injuste et par le remords. Enfin les sentiments sociaux se constatent chez ceux qui vivent en troupe par des faits de services mutuels, de solidarité et même de véritable fraternité.
Quand les animaux se battent, dit le religieux Agassiz, quand ils s'associent dans un but commun, quand ils s'a¬vertissent l'un l'autre du danger ; quand ils viennent au secours l'un de l'autre ; quand ils montrent de la tristesse et de la joie, ils manifestent des mouvements de même na¬ture que ceux que l'on met au nombre des attributs mo¬raux de l'homme. La gradation des facultés morales dans les animaux supérieurs et dans l'homme est tellement imperceptible que, pour dénier aux animaux un certain sens de responsabilité et de conscience, il faut exagérer outre mesure la différence qu'il y a entre eux et l'homme .
Le chapitre suivant nous montrera l'exactitude des appréciations du savant américain.
Chapitre IV - L’intelligence animale
Observations qui semblent favorables à l’hypothèse de l’évolution animique. – Les chevaux d’Elberfeld. – Le chien Rolf. – La chienne Lola. – Zou.
Pour appuyer les assertions des naturalistes qui ont admis l'intelligence animale, des expériences du plus haut intérêt ont été poursuivies depuis plu¬sieurs années, principalement en Allemagne, sur des chevaux et sur des chiens ; elles tendent à dé¬montrer que nos frères inférieurs ne sont pas aussi éloignés de nous intellectuellement qu'on se l'imagine communément. Je vais résumer rapide¬ment les observations publiées au sujet des che¬vaux d'Elberfeld, des chiens Rolf et Lola.
Les chevaux calculateurs
En 1912, la presse parisienne mena grand tapage au sujet de la publication des expériences faites par M. Krall, riche négociant d'Elberfeld, avec ses chevaux Muhamed et Zarif. Ces intelligents qua¬drupèdes, au moyen d'un alphabet conventionnel, pouvaient s'entretenir avec leur maître, faire des calculs compliqués, allant même jusqu'à l'extrac¬tion des racines carrées et cubiques. On conçoit que de pareilles affirmations furent accueillies par une incrédulité générale. Cependant plusieurs psycho¬logues de grand renom ayant étudié le cas de ces animaux remarquables, on s'aperçut qu'il y avait là réellement un nouveau champ d'observation pour la psychologie animale, et de nombreux rap¬ports furent publiés dans les Annales des sciences psychiques des années 1912 et 1913, dans les Archives de Psychologie de la Suisse romande et dans la Revue italienne Psyché. Je vais citer librement des passa¬ges empruntés à ces différentes sources. Ils établi¬ront la certitude des remarquables facultés de ces animaux.
M. Krall ne fut pas le premier qui s'occupa d'étu¬dier l'intelligence des chevaux ; l'honneur en re¬vient à un précurseur nommé Wilhelm Von Osten, qui dès 1890 crut remarquer chez le cheval Hans, un étalon russe, des signes d'une intelligence qu'il résolut de cultiver. Avec une patience inlassable, il s'attacha à se faire comprendre de Hans, qui devint capable, non seulement de compter, c'est-à-dire de frapper sur un tremplin placé devant lui avec son pied droit le chiffre des unités et avec son pied gau¬che celui des dizaines, mais encore d'effectuer de véritables calculs, de résoudre de petits problèmes. Il apprit à lire et indiquait la date de chaque jour de, la semaine courante, etc.
Le bruit fait autour de ces sensationnels résul¬tats suscita de violentes polémiques. Une commis¬sion fut nommée en 1904, composée de MM. Stumpf et Nagel, professeurs de psychologie et de phy¬siologie à l'Université de Berlin ; du directeur du jardin zoologique ; d'un directeur de cirque ; de vété¬rinaires ; d'officiers de cavalerie. Le résultat de cette enquête fut qu'il n'y avait ni trucs, ni supercheries, puisque le cheval calculait exactement, même en l'absence de son propriétaire. C'est alors que M. Oskar Pfungst, élève du laboratoire de psychologie de Berlin, après une étude attentive de Hans, crut pou¬voir affirmer que le cheval était amené à faire des réponses exactes par l'observation de mouvements inconscients de la tête ou des yeux de l'expérimen¬tateur. Dès lors, la question de l'intelligence animale parut enterrée et, en 1909, le précurseur Von Osten mourut désespéré.
Mais voici qu'un de ses admirateurs et élève, M. Krall, peu convaincu de la réalité des explica¬tions de M. Pfungst et très versé dans l'étude de la psychologie animale, ayant hérité de Hans, l'étudia méthodiquement et fit connaître les résul¬tats de ses travaux dans un gros volume qui attira de nouveau l'attention sur cette passionnante ques¬tion. M. Krall affirmait, en effet, que Hans est ca¬pable de travailler dans une obscurité complète et aussi lorsqu'on lui met des oeillères qui l'empê¬chent de voir les assistants. Enfin, il répondait exactement, contrairement à ce que disait M. Pfungst, lorsque les questions étaient posées au cheval à plus de 4 m. 1/2 de distance derrière lui.
Il n'y avait donc plus de doute : Hans n'obéissait pas à des signaux visibles et les réponses exactes étaient le produit de son psychisme propre.
M. Krall découvrit dans une série d'expériences que l'acuité visuelle du cheval est très fine et très grande et qu'il n'est pas sujet aux illusions optiques que l'on essaye de provoquer en lui. Finalement Hans comprit parfaitement la langue allemande et devint capable d'exprimer des idées au moyen d'un alphabet conventionnel frappé avec son sabot .
A la suite de ces recherches, Hans, vieux et fatigué, ne donnait plus que des résultats incertains, ce qui décida M. Krall à se procurer deux étalons arabes, Muhamed et Zarif, dont il entreprit l'éducation, laquelle ne tarda pas à donner les plus brillants résultats. Treize jours, après la première leçon, Muhamed exécutait de petites additions et sous¬tractions. Chose remarquable M. Krall n'appre¬nait pas à ses chevaux comment nous faisons ces opérations, mais seulement en quoi elles consistent.
Au mois de mai suivant, Muhamed comprenait le français et l'allemand et pouvait extraire des racines carrées et cubiques, exécuter de petits cal¬culs du genre de celui-ci.
(3 x 4) + √36 √36 x √64
3 4
D'autre part, Zarif apprit à épeler de son propre chef des mots qu'on prononçait devant lui et qu'il n'avait jamais encore vus écrits. On conçoit que de pareils résultats suscitèrent un étonnement général, car, ainsi que l'écrivait M. Claparède, c'était le plus grand événement qui se fût jamais produit dans la psychologie générale. De toutes parts affluèrent des savants, qui, d'abord incrédules, s'en retournèrent convaincus de la réalité des récits de M. Krall. Parmi les hommes de science renommés qui ont émis leur jugement sur les che¬vaux d'Elberfeld, je citerai d'abord Ernest Hoeckel, l'illustre Hoeckel, qui écrivit à M. Krall : « Vos recherches soigneuses et critiques montrent d'une façon convaincante l'existence de la raison de l'animal qui, pour moi, n'a jamais fait de doute. »
Le célèbre naturaliste voyait évidemment dans cette similitude entre l'animal et l'homme une confirmation de ses théories matérialistes. C'est ensuite le Dr Edinger, l'éminent neurologiste de Francfort ; ce sont les professeurs Dr H. Kraemer et Dr H. E. Ziégler, tous deux de Stuttgart ; le Dr Paul Sarazin, de Bâle ; le professeur Ostwald, de Berlin ; le professeur Dr A. Beredka, de l'Institut Pasteur de Paris ; le Dr Claparède, de l'Université de Genève ; le professeur Scheeller ; le physicien professeur Gehrke, de Berlin ; le professeur Goldstein, de Darmstadt ; le professeur Dr Von Buttel Reopen, d'Oldemburg ; le professeur Dr William Mackenzie, de Gênes ; le professeur Dr R. Assagioli, rédacteur en chef de la revue Psyché, de Florence ; le Dr Hart¬kopf, de Cologne ; le Dr Freudenberg, de Bruxelles, qui vinrent à Elberfeld vérifier les facultés inatten¬dues qui se révélaient chez les pensionnaires de M. Krall. C'est enfin le Dr Ferrari, professeur de neurologie à l'Université de Bologne, qui, après avoir publié dans la Revisla de Psychologia et les Annales des Sciences Psychiques un article contraire à la thèse de M. Krall, se déclara ensuite convaincu de la réalité de l'intelligence des chevaux après un examen plus mûr de la question.
Il ne faut pas moins que toutes ces affirmations pour nous faire accepter la réalité de l'intelligence des chevaux, puisque toujours nous sommes portés à ne voir dans nos animaux domestiques que de pures machines.
Cependant, comme le dit Alfred Russel Wallace, « les faits sont des choses opiniâtres», et il faut bien nous incliner devant eux quand ils sont irréfuta¬blement établis, ce qui est ici le cas. Comment expli¬quer autrement, en effet, que par un travail propre de l'animal des résultats comme ceux-ci ? Un jour M. Mackensie et les autres assistants posèrent sur le tableau le problème suivant : 4√(1874161) : la ré¬ponse exacte 37 a été donnée par Muhamed pen¬dant que les assistants étaient tous dans la cour et regardaient dans l'écurie à travers une petite ouverture. Une autre fois, le problème fut posé par téléphone et sa solution, bien qu'ignorée de la per¬sonne qui l'inscrivit au tableau, fut donnée exacte¬ment par l'intelligent quadrupède.
Mieux encore, des questions renfermées dans des enveloppes cachetées, dont tous les assistants ignoraient les solutions, furent envoyées par le Dr Hartkopf de Cologne. Muhamed répondit avec exactitude. D'autre part, M. Maeterlinck, dans son livre L'Hôte inconnu, raconte que, s'étant rendu à Elberfeld, il posa à Muhamed et à Zarif de petits problèmes dont il ignorait la solution, n'ayant pas regardé les chiffres qu'il s'agissait d'additionner ; cependant, les réponses furent toujours exactes.
Il semble donc bien qu'il ne s'agit pas ici d'une transmission de pensée ou même d'une action télé¬pathique de qui que ce soit. Comme la question est de la plus haute importance, je citerai encore le rapport du professeur G. Grabow contre l'hypo¬thèse de la transmission de pensée, comme expli¬cation de tous les cas. Il expérimentait avec le che¬val Hans. Le voici :
Je collais sur des cartes à jouer du papier blanc et mettais sur chacune des chiffres pour de petites opérations, par exemple : 2+3 ; 4+2 ; 7-2 ; 12-5 ; 5 x 2, etc...
Comme nous avions convenu, M. Von Osten devait se placer dans le coin gauche de la cour, tandis que je me pla¬çais dans le coin droit ; ensuite il devait m'envoyer Hans. Cela fut fait. Hans vint devant moi et je lui dis : « Hans, je te montrerai une carte sur laquelle il y a un calcul à exé¬cuter : va auprès du monsieur en face, et, si tu donnes la réponse juste, tu auras du sucre. Veux-tu ? » Hans ré¬pondit affirmativement en baissant la tête.
Je sortis les cartes de ma poche, je les mêlai de telle sorte que j'ignorais quelle était la carte du dessous et la mon¬trai à Hans. Je lui demandai : « As-tu compris ? » Il ré¬pondit encore « oui » de la tête. « Alors, va auprès du monsieur en face et donne-lui la réponse. Hans alla devant M. Von Osten, qui lui demanda : « Alors, quelle est la solution ? » Hans frappa du pied cinq fois. Quel est le premier chiffre ? Réponse 2. Quel est le second chiffre ? Réponse 3.
C'est seulement alors que je regardai la carte du dessous du paquet. En effet, sur cette carte il y avait 2+3, que Hans avait lu, compris, calculés correctement. Tout cela sans que personne eût pu l'aider et même sans être aidé par une suggestion inconsciente qui, dans le cas, était im¬possible.
Quant à moi j'ignorais les chiffres et Von Osten n'au¬rait pas pu en prendre connaissance de l'autre côté de la cour.
Cette expérience fut répétée de la même façon et Hans répondit à son maître 7.
Quel nombre est placé le premier ? Réponse : 12.
Hans avait donc compris le signe moins et avait résolu le problème 12 - 5 tout à fait correctement sans aucune aide.
Docteur GRABOW,
Membre du Conseil supérieur
de l'Instruction publique de Prusse.
En voici encore deux autres exemples d'autant plus intéressants qu'ils témoignent d'une véritable initiative intelligente :
M. Krall, parlant de son poney, raconte à Maeterlinck les deux anecdotes suivantes qui démontrent la spontanéité de l'intelligence de ces remarquables soli¬pèdes.
Un matin, par exemple, j'arrive à l'écurie et me dispose à lui donner sa leçon d'arithmétique ; à peine devant le tremplin, il se met à frapper du pied. Je le laisse faire et je suis stupéfait d'entendre une phrase tout entière, une phrase absolument humaine sortir, lettre par lettre, du sabot de la bête. « Albert a battu Haenschen », me dit¬-il, ce jour-là. Une autre fois, j'écris sous sa dictée : «Haenschen a mordu Kama ». Comme un enfant qui revoit son père, il éprouvait le besoin de me mettre au courant des petits événements de l'écurie ; il faisait l'humble et naïve chronique d'une humble vie sans aventures...
Voilà bien réellement un travail spontané de l'animal.
Dans une autre circonstance, Zarif épela de lui-même « moi fatigué » et au lieu de résoudre un pro¬blème qu'on lui proposait, il donna le nom de M. Claparède en omettant les voyelles suivant une habi¬tude qui est familière à ces chevaux.
M. Krall acheta un beau cheval aveugle nommé Berto et lui enseigna le calcul par le toucher, en dési¬gnant les chiffres avec un doigt posé sur la peau de l'animal. La tentative réussit pleinement, dit M. Assagioli, car en très peu de temps Berto apprit à frapper le nombre de coups correspondant aux chiffres dessinés sur sa peau. Il put donner le résul¬tat exact de plusieurs additions simples posées à haute voix comme 65 + 11 ; 65 + 12, etc.. ; et quel¬ques jours auparavant, il avait répondu correcte¬ment aux questions 9 - 4 ; 8-2 ; 3 x 3, et ainsi de suite.
Enfin un petit poney nommé Haenschen apprit aussi le calcul. Voici donc des chevaux différents, comme race et comme âge, qui nous témoignent de leur intelligence en répondant avec exactitude aux petits problèmes qui leur sont posés. Sans doute, comme les humains d'ailleurs, ils ne sont pas tous les jours bien disposés ; il leur arrive de commettre des erreurs et, chose bizarre, il semble que parfois la personnalité de celui qui les examine influe sur leur mentalité ; autant avec certaines personnes ils répondent vite et bien, autant ils montrent de répugnance et de mauvaise volonté vis-à-vis de ceux qui ne leur plaisent pas.
Tous ces faits semblent donc bien établir que, contrairement à l'opinion généralement adoptée, le cheval est réellement intelligent, qu'il raisonne et que par là il est plus proche de l'humanité que l'on n'était tenté de le supposer en ne regardant que sa place sur l'échelle zoologique.
Voici maintenant les cas d'un autre de nos ani¬maux familiers qui se révèle encore plus extraordinaire que les pensionnaires de M. Krall.
Le chien rolf
Les faits que nous allons relater sont empruntés en partie à une conférence donnée par M. Duchâtel, membre de la Sociélé psychique de Paris et à un travail de M. le Dr Mackensie paru dans les Annales des Sciences psychiques .
C'est par un article du Malin que M. Duchâtel fut informé des faits et gestes du chien Rolf et il résolut de constater par lui-même la réalité de ces étranges récits. Il se rendit donc chez Mme Moekel, femme d'un avocat qui habite Mannheim, et voici quelques-unes des expériences qu'il institua. Disons tout de suite que Rolf, âgé de 3 ans, était un terrier écossais Ayrdale, au poil roux, de soixante centimètres environ de hauteur.
Pour débuter, M. Duchâtel posa au petit animal le problème suivant (96-10)/9.
Peu d'enfants de l'école primaire seraient capables de faire de tête ce petit calcul ; cependant Rolf répondit immédiatement 9. Lui ayant demandé s'il y avait un reste, il donna le nombre 5.
Il solutionna encore exactement ces deux ques¬tions : 10 + 3 = 13 ; 6 - 2 = 4.
Ici se présente une observation importante : le chien, intrigué par la présence d'un étranger, demanda à Mme Moekel, au moyen de son alphabet conventionnel : « Qui est ce Monsieur ? »
Mme Moekel lui ayant montré la signature de la lettre de M. Duchâtel, le chien frappa « Duhadl », résultat vraiment extraordinaire.
Il y a là une intervention spontanée de la part du chien, car on ne lui avait jamais appris à poser cette question.
Voici les détails fournis par M. Duchâtel sur la manière dont s'exprime le petit favori de Mme Moe¬kel :
L'alphabet de Rolf se compose :
1° De 24 signes frappés correspondant à 24 lettres (c'est la partie proprement alphabétique) ;
2° De 5 signes conventionnels correspondant à 5 mots qui sont : Ia (oui) 2 coups, Nein (non) 3 coups ; Mude (fa¬tigué) 4 coups, Gasse (rue, aller à la rue) 5 coups ; Bett (lit, aller au lit), 7 coups.
On remarquera que les 24 lettres sont empruntées aux 25 premiers chiffres et non pas aux 24 premiers chiffres.
Est-ce parce que le chiffre 4 aurait fait double emploi avec le Oui répété deux fois ou avec le signe du mot fa¬tigué ?
Ou ne faut-il pas plutôt attribuer cette lacune dans le choix des signes à la manière tellement originale que vous la trouverez peut-être invraisemblable, dont les lettres furent choisies, d'après le travail que Mme Moekel a bien voulu me faire l'honneur de me confier sur la vie de Rolf.
Dans ce même travail réservé à la Tierseele (l'âme animale), une revue qui va prochainement paraître à Bonn, nous lisons, en outre, que Rolf ne se sert jamais des lettres QX et V dur allemand qui se prononce à peu près comme un F. .
Mais on peut ajouter que les simplifications de Messer Rolf ne s'arrêtent pas là. Partisan résolu, semble-t-il, de l'orthographe phonétique, il supprime le plus de lettres possible ; le plus souvent les voyelles disparaissent, surtout si elles sont faiblement prononcées ; et bien que la langue allemande possède déjà une orthographe d'une grande simplicité, Rolf trouve le moyen de réduire de moitié la longueur des mots.
Par exemple, le nom de sa patrie Mannheim, qui compte ordinairement 8 lettres, il l'écrit en 4 lettres : Mann. Rolf est capable de distinguer et de nommer parfaitement tous les objets qui l'environnent, aussi de se rendre compte de ce que représente un dessin. M. Duchâtel lui ayant montré la couverture d'une revue illustrée apportée à l'instant par un fils de Mme Moekel, couverture représen¬tant un vase avec des fleurs, le chien répondit immédia¬tement : « Verre avec petites fleurs ».
Roll témoigna une grande affection à Mme Moekel parce qu'elle l'avait soigné à la suite d'un grave accident qui lui était survenu. Aussi fait-il tous ses efforts pour la satisfaire. Ne la quittant presque jamais, il assistait aux leçons données par Mme Moekel à sa plus jeune fille. C'est alors que se révéla la chose la plus étonnante qu'on puisse imaginer celle d'avoir compris les leçons de calcul sans que celui-ci lui eût jamais été enseigné directement.
L'histoire est si remarquable que je crois de¬voir citer intégralement le témoignage de Mme Moekel.
Un jour, à midi, j'étais assise auprès des enfants et je remplissais la fonction ingrate de les aider dans leurs devoirs. Notre petite Frieda, si aimable et si vive, mais un peu étourdie, résistait opiniâtrement à la solution du problème 122 x 2, lorsque, dans un moment de mauvaise humeur, je lui administrai une légère correction. En ce moment le chien, couché sous la table de travail, nous re¬gardait avec de si grands yeux que je dis :
Frieda, regarde donc, il fait des yeux comme s'il savait cela. Rolf s'approcha, s'assit à côté de moi et me regarda avec de grands yeux ; je lui dis :
Rolf, que veux-tu donc ? Sais-tu ce que font 2 x 2 ?
Là-dessus à mon grand étonnement, il frappe 4 coups de patte sur mon bras. Notre aînée me proposa aussitôt de demander au chien combien font 5 et 5. La réponse suivit promptement par 10 coups de patte. Le même soir, conti¬nuant nos épreuves, nous vîmes que l'animal résolvait sans faute les problèmes simples d'addition, de soustraction, de multiplication.
Remarquons que pour apprendre l'alphabet de coups frappés, c'est encore ce prodigieux animal qui indiqua le nombre de coups qui correspondait à chacune des lettres. Voici comment Mme Moekel raconte cette éducation.
Que me donnes-tu pour A ? Aussitôt il répondit 4. Ensuite pour B, réponse 7, et ainsi de suite.
Je notai avec soin les nombres donnés par Rolf, et, le lendemain, je pus établir à mon grand étonnement, que l'animal avait fixé ces nombres dans sa tête. Nous prîmes chaque jour environ 5 lettres, mais je crois que Rolf n'aurait pas eu besoin de ce ménagement et qu'il aurait en une seule fois aussi bien retenu toutes les lettres. J'avais inséré les lettres X et V, mais Rolf ne les a jamais encore employées.
Alors je fis réussir à Rolf des mots faciles, je lui dictai des lettres de l'alphabet que j'écrivais et lui présentais quand le mot était complet.
Il comprenait très facilement et paraissait éprouver une grande joie de s'instruire.
Ici il est indéniable que nous sommes bien en présence de manifestations intellectuelles du chien et, chose remarquable, il a choisi lui-même les nom¬bres correspondant aux lettres de l'alphabet, de même que, spontanément, il a su frapper avec sa patte le nombre de coups nécessaires pour résoudre le problème 2 x 2. Il a donc eu l'initiative de ce mode de réponse, et c'est là un fait qui dénote de sa part plus de réflexion que l'on n'aurait pu en attendre d'un animal qui n'avait jamais été ins¬truit à se servir de sa patte pour exprimer ses idées.
Parfois Rolf fait preuve d'espièglerie. Comme on parlait devant lui de personnes qui lui sont hos¬tiles, il frappa immédiatement : « Ce sont des ânes ». On le réprimanda, en lui disant que lui aussi est parfois un âne. Il répondit « non ». Alors, qu'es-tu donc? « Lol à sa mère. » (Lol est le diminutif de Rolf.)
La mentalité de Rolf se manifeste par des asso¬ciations d'idées qui lui sont bien particulières. C'est ainsi qu'au cours d'une lecture le mot « au¬tomne » s'étant présenté, on lui demanda ce que c'est que l'automne. Au lieu du mot « saison », que l'on attendait, Rolf répondit : « Le temps où il y a des pommes ». C'est tout simplement parce qu'à cette époque on a l'habitude de lui en faire manger de cuites au four.
Autre remarque de Maître Roll : M. et Mme Moekel ont reçu l'annonce des fiançailles d'un de leurs amis avec Miss Daisy Falham Chester. On cause en famille de cet événement et Rolf intervenant frappe : « Docteur avoir demoiselle s'appeler comme notre chatte ». Daisy est le nom de la chatte de la maison, et cette homonymie paraît avoir égayé l'âme espiègle de M. Rolf.
A propos de cette chatte, il est utile de faire remarquer qu'elle aussi sait faire de petits calculs. C'est pourquoi un jour que Rolf se sentait fatigué, au lieu de répondre à la question posée, il frappa « Que Barbara prenne Lol et fasse venir Daisy ».
Après tous ces exemples, on peut donc dire avec le Dr Bérillon :
Les animaux dont le système nerveux présente avec celui de l'homme tant d'analogie, de structure et de mor¬phologie ne sont pas des automates, dénués de conscience, d'intelligence et de raisonnement, tels que de bons esprits se plaisent à les représenter. Des efforts d'éducation et de dressage identiques à ceux que l'on applique pour l'édu¬cation de l'enfant amèneraient assurément à la longue des résultats inattendus.
C'est précisément ce qu'ont vérifié toutes les personnes qui ont l'amour des animaux et la patience qui est nécessaire pour les éduquer ; c'est ce que nous constaterons encore un peu plus loin.
Dans le rapport du Dr Mackensie on trouve le récit d'une petite scène touchante. « Mme Moekel s'étant séparée de sa petite fille Frieda pour la mettre en pension, pleurait, lorsque Rolf, sans y être invité, frappa : « Maman, ne pleure pas, cela fait mal à Lol ».
Rolf a une compagne, la chienne Jela, qui elle aussi connaît l'arithmétique, mais est moins habile que son mari.
Nous avons vu que la chatte Daisy est capable de faire aussi quelques petites opérations ; c'est ainsi que devant les Drs Mackensie et Wilser qui lui posaient les problèmes suivants :
17 + 4 divisé par 7 - 1, elle répond : il reste 2.
3 x 3-5, elle répond : il reste 4.
C'est décidément la meilleure démonstration de la faculté éducatrice de Mme Moekel.
Il ne faudrait pas croire cependant que ces ani¬maux n'éprouvent aucune difficulté pour exécuter ce travail mental ; la solution des problèmes les fatigue parfois énormément. On est frappé, dit le Dr Mackensie, de l'effort mental très visible du chien, lequel se traduit par des soupirs, des halète¬ments ou des bâillements, et peut même produire des hémorragies nasales après des séances lon¬gues et fatigantes.
C'est donc indiscutablement l'animal qui fait ces efforts intellectuels sans aucune intervention étrangère.
Si intelligent que soit Rolf, il n'en reste pas moins un animal pour lequel les satisfactions physiques priment toutes les autres, car à la question que lui pose le Dr Mackensie : «Dis-moi ce que tu aimes plus que tout ? » il répond sans hésitation : « Manger saumon fumé ».
Pour exclure absolument les hypothèses de signes inconscients que percevrait l'animal ou d'une per¬ception de pensée, le Dr Mackensie reprit en la va¬riant un peu l'expérience du Dr Grabow avec le cheval Hans. En raison de son importance, je cite textuellement le rapport du Dr Mackensie :
Je décide donc la préparation de quatre petits cartons que j'ai apportés avec moi. Je prie Mme Moekel de me dessiner à la plume un serin, ou un autre oiseau sur l'un des cartons, et d'écrire sur l'autre de son écriture habi¬tuelle, pour le chien, le nom de la fillette Karla qu'il aime beaucoup.
En attendant, je dessine sur l'un des deux petits car¬tons qui restent une grande étoile et je la remplis de cou¬leur avec le crayon bleu, et, sur l'autre, 2 carrés contigus, l'un bleu, l'autre rouge, eux aussi remplis de couleur.
Tant que dure cette préparation, Rolf demeure absent ; quand il revient, les cartons sont déjà enfermés dans des enveloppes également apportées par moi. Alors je prie la petite Karla d'aller dans une autre chambre mélanger de son mieux les enveloppes, de façon que je ne puisse plus en connaître le contenu et de me les rapporter. C'est ce qui est fait.
Tous les assistants, moi compris, se retirent derrière Mme Moekel. J'exclus aussi après un examen soigneux la possibilité de tout jeu de glaces.
Les cartons se trouvent tous avec leur partie dessinée du même côté, c'est-à-dire vers la face de leur enveloppe respective. Je peux donc facilement en extraire un avec la certitude de ne pas voir le dessin. J'exécute la manœuvre derrière la tête de Mme Moekel ; puis je lève le carton, ignoré de moi, au-dessus de sa tête et je lui tends du haut en bas, toujours avec le côté dessiné dirigé vers le chien seulement.
Elle prend le carton comme je le lui tends ; elle le mon¬tre un moment au chien, l'incitant à dire ce qu'il a vu, alors je le reprends toujours de la même manière et je le remets dans l'enveloppe, puis celle-ci dans ma poche. Je conteste absolument que d'autres que le chien aient pu voir le dessin.
Celui-ci ne veut pas entendre parler de répondre. Il frappe avec instance 4 (fatigué), s'étend à terre et veut s'en aller.
Mme Moekel, très inquiète sur l'issue de l'expérience, prie, supplie, puis menace Rolf.
A mon tour je l'incite et l'encourage autant que je le puis et je lui promets que s'il répond bien je lui ferai voir plusieurs images que j'ai apportées pour lui. Ceci semble le décider, et enfin il frappe sans la moindre hé¬sitation : rot blau eck (carré rouge et bleu).
Le bonheur a donc voulu que ce fût une figure faite par moi qui sortît. Ainsi disparaît tout soupçon possible sur la valeur de l'expérience, que l'on peut dire pleinement réussie.
Rolf sait parfaitement discerner ce qui le diffé¬rencie de ses congénères de la race canine. Le Dr Mackensie lui ayant montré une gravure repré¬sentant un chien basset, Rolf répond chien. Alors le docteur lui dit : « En quoi diffère-t-il de toi ? » Immédiatement Rolf répond : « Autres pattes ». Il était impossible de mieux préciser la différence.
Il est donc tout à fait évident que c'est bien Rolf lui-même qui, sans aucune intervention étran¬gère, a su reconnaître et décrire le dessin du Dr Macken¬sie, en même temps qu'il a trouvé les mots exacts pour exprimer sa pensée. Voilà des phénomènes vraiment intelligents qui montrent que la psyché animale est plus près de la nôtre que l'on n'aurait pu le supposer.
Une question intéressante est celle de savoir comment les animaux arrivent à se comprendre entre eux sans posséder de langage articulé. Dans la correspondance échangée entre Mme Moekel et le Dr Mackensie, voici ce que nous trouvons à ce sujet
Mme Moekel interrogeant Rolf lui dit :
« Comment t'entends-tu avec les autres chiens ? C'est¬-à-dire, comment te fais-tu comprendre d'eux et comment te comprennent-ils ? » Rolf se tait.
« As-tu compris ma question ? R. Oui - Alors ? R. Bin We din aug sn glabn mid mund bellen welden, auch sehen kla pen, mi mund », aboyer, remuer la queue, aussi voir les mouvements avec la bouche.
Le mot Aug pourrait signifier (oeil). La réponse se¬rait dans ce cas beaucoup plus précise et complète.
Le jour où la science officielle voudra s'engager dans la voie ouverte par MM. Von Osten, Krall et Mme Moekel, le voile qui couvre encore le processus du développement de l'intelligence à travers la série animale se déchirera et nous finirons par compren¬dre comment s'est opérée cette progression mentale, qui, des plus bas degrés de l'échelle zoologique, est arrivée au magnifique développement que l'on observe chez les représentants les plus illustres de la race humaine.
Lola
Il semble bien que l'étude des facultés intellec¬tuelles de nos animaux domestiques va se poursuivre désormais un peu partout, et tout particulière¬ment au delà du Rhin, car Mlle Kindermann a fait paraître en 1919 un livre dans lequel elle ra¬conte comment elle apprit à lire et à écrire à sa chienne Lola . Celle-ci est une fille de Rolf et paraît aussi développée intellectuellement que son père. Elle apprit, en effet, très rapidement à faire les quatre opérations et à résoudre de petits pro¬blèmes. Elle est également capable d'énoncer ses pensées au moyen d'un alphabet conventionnel par coups frappés. Il me paraît intéressant de signaler certaines particularités de Lola qui établissent que, si parfois elle peut prendre connaissance télépa¬thiquement (ce qui rapproche encore l'animal de l'homme) des pensées de sa maîtresse, dans d'au¬tres circonstances elle fait preuve d'une volonté personnelle qui démontre l'autonomie de son intel¬ligence. Chose curieuse et qui serait vraiment inat¬tendue, Lola prétend pouvoir découvrir par l'odo¬rat l'état d'âme de ses interlocuteurs. De fait, elle signale aisément chez ces derniers l'anxiété, la tris¬tesse, la fatigue. Bien plus, interrogée un jour par Mlle Kindermann sur ses impressions du moment, elle ne donne que des réponses sans signification et paraît visiblement embarrassée. Pressée de ques¬tions, elle répond assez indistinctement « mentir ». Son interlocutrice la rassure :
Je ne me fâcherai point, lui dit-elle, ainsi donc je sens le mensonge ? - Oui. - A propos de quoi ? - Munich. Je me rappelai tout à coup qu'une heure auparavant, j'avais raconté à la chienne que je me rendais à Munich et qu'elle m'accompagnerait peut-être. Mais je pensais à part moi qu'il n'en serait rien, par suite de l'incommodité de la chose, et je voulais, en réalité, laisser Lola à Stuttgart .
Ce dernier trait pourrait faire supposer qu'il s'agit non pas d'un exercice de l'odorat, mais bien d'une lecture de pensée. Et naturellement cette interprétation, que la plupart des critiques s'em¬pressent un peu hâtivement d'appliquer à toutes les manifestations d'intelligence animale, a fait l'objet des recherches avisées de Mlle Kindermann. Je ne saurais mieux faire que de reproduire ici ses conclusions à ce sujet.
Un jour que la chienne, interrogée sur le nom d'une personne que l'on entendait arriver mais que l'on n'avait pas encore aperçue, avait désigné non pas la véritable arri¬vante, mais bien une autre dame dont Mlle Kindermann attendait la visite à ce moment, celle-ci lui demanda «Pourquoi m'as-tu répondu inexactement ? Réponse : Tu penses. - Quoi, m'écriai-je, sens-tu ce que j'ai pensé ? - Oui. - Le sens-tu toujours ? - Non. - Penses¬-tu toi-même ? - Oui ».
Ceci, continue l'auteur du livre présentement analysé, était tout à fait nouveau. Mais la chose me parut certaine et mon point de vue confirmé par toutes les épreuves ultérieures peut s'exprimer ainsi : Le chien est sensible à la transmission de pensée ; il est capable de subir son in¬fluence lorsqu'il est fatigué ou paresseux ; il en est également susceptible, lorsqu'on lui demande quelque chose qu'il ne sait pas et lorsqu'il peut puiser dans ma conscience quelque renseignement portant sur un élément déjà antérieurement connu de lui. Mais, et c'est là le point capital, on ne peut rien transmettre au chien de ce qui est tota¬lement étranger à sa connaissance.
Ainsi il est arrivé souvent que le chien, interrogé sur une opération arithmétique, donnait une solution contraire à la mienne, alors que j'étais moi-même dans l'erreur ; donc l'idée que je pouvais avoir dans ma conscience ne s'imposait pas à lui. Plus tard, au contraire, lorsqu'il était fatigué, il adoptait une solution fausse, parce qu'il ne voulait pas penser par lui-même. Je voyais très distinctement dans ses yeux lorsqu'il était inactif et attendait de devi¬ner ma pensée. J'ai souvent essayé de lui faire entrer dans la tête de cette manière quelque notion nouvelle ; ce fut tou¬jours impossible.
Ces remarques sont très importantes ; la lec¬ture de pensée, moyen commode d'expliquer certains phénomènes embarrassants, ne saurait jouer un rôle constant et universel, et il est intéressant de tâcher d'en préciser les limites. Il est d'ailleurs manifeste, tant par l'exemple de la chienne Lola que par les renseignements en notre possession à l'heure actuelle sur la psychologie animale, que les sujets observés donnent des preuves non douteuses de spontanéité et d'autonomie, puisqu'ils se trou¬vent même parfois en complète contradiction avec leurs interrogateurs.
Voici sur ce point quelques exemples cités par Mlle Kindermann :
Le 27 juillet 1916, elle demande à la chienne : Veux-tu dire quelque chose ? - Oui, moi manger. - Lola, pourquoi toujours parler de manger ? J'entends continuellement cette même chose des valets et des servantes et aussi de toi. N'y a-t-il donc rien d'autre à faire ? Parle-moi d'autre chose. - Moi à manger, répète Lola ; puis ensuite elle ajoute : Trop peu de nourriture ».
Le 18 mai 1916 on essaie d'apprendre à la chienne le contenu d'un message à envoyer au père de Mme Kindermann. Celle-ci explique que la lettre doit commencer par le mot cher, qu'elle doit contenir des remerciements pour le gâteau que Lola vient de recevoir et se terminer par ces mots : Salut à toi, de Lola. Mais au lieu de se confor¬mer à ses instructions, l'animal, sans hésitation aucune, et tout au contraire frappant avec beaucoup d'entrain et de rapidité, s'exprime ainsi : « Cher, viens vers nous, moi désobéissante à l'instant, souvent mal, j'embrasse ».
Ce qu'il y a de remarquable, c'est que cette dictée a été interrompue par une observation intempestive, parce qu'à la place des trois lettres una (commencement du mot allemand Unartig, désobéissant), Mlle Kindermann s'attendait à voir dicter le mot und (et). Mais c'est en vain qu'elle voulut faire remplacer l'a par un d. Le chien s'y refusa par un « non » bien frappé et continua sa dictée .
De ces exemples on peut conclure sans témérité que l'animal est capable de penser par lui-même et n'a nullement besoin de puiser chez autrui les éléments de ses idées. L'homme n'est plus le seul roseau pensant de la nature, et il ne diffère en réalité de certains êtres qui l'entourent que par l'étendue plus considérable, mais non par la nature même de ses facultés de raisonnement.
Zou
Mme Borderieux, l'active directrice de la Re¬vue Psychica, connue depuis longtemps pour sa sollicitude envers les animaux, a entrepris récem¬ment l'éducation de son chien Zou et a obtenu déjà des résultats intéressants en ce qui concerne le calcul. On peut prévoir que cet animal parisien suivra les traces de ses devanciers allemands. Les lecteurs désireux de se tenir au courant de ses pro¬grès pourront le faire dans la revue précitée qui publie de temps à autre d'intéressants récits con¬cernant l'éducation et les progrès de Zou.
Chapitre V - Les facultés supra-normales chez les animaux et leur principe individuel
Analogies existant entre les facultés animales et humaines. – La télépathie. – Cas auditifs collectifs semblant montrer l’existence d’un fantôme animal. – Pressentiment d’un chien. – Vision d’une forme invisible par un chien. – Fantôme d’un chien vu par un chat. – Fantômes perçus collectivement par des humains et des animaux. – Précédence de la vision animale sur celle de l’homme. – Fantôme visible pour deux personnes et un chien. – Lieux hantés par des animaux. – le cas de Mme d’Espérance. – Plusieurs exemples de visions d’animaux défunts. – Le cas de Mme Humphries. – Le chien rieur. – Le cas de M. Tweedale, le fantôme du chien, est visible en plein jour pour plusieurs personnes. – Les cas cités par Dassier. – Fantômes d’animaux dans les séances de matérialisations. – Le Pithécanthrope dans les séances avec le médium Kluski. – Les Noevi. – Résumé.
L'analogie certaine qui existe entre les manifes¬tations intellectuelles des animaux supérieurs et celles de l'homme nous amène à nous demander si les facultés supra-normales que l'on constate chez nous ne pourraient pas exister à un degré quelconque chez ceux que l'on a nommés à si juste titre nos frères inférieurs.
Il est évident que c'est une question qui ne peut être résolue que par l'observation. Or, sur ce sujet, il existe déjà un certain nombre de récits qui ont été réunis par M. Bozzano, le grand psychologue italien. Il les a publiés dans les Annales des Sciences psychiques d'août 1905. Malheureusement, je ne puis, à mon grand regret, en raison de l'exiguïté de mon cadre, les reproduire intégralement ; je ne ferai donc que quelques emprunts qui parais¬sent appuyer sérieusement l'hypothèse d'une trans¬mission de pensée entre l'animal et l'homme, avec initiative de la part du premier. Si ces observa¬tions se multiplient, l'identité fondamentale du principe intelligent chez tous les animaux supé¬rieurs sera donc établie de manière à ne plus laisser aucun doute. Voici un premier exemple très inté¬ressant où il semble bien qu'il y ait eu non seule¬ment une action psychique exercée par l'animal, mais aussi une sorte de possession temporaire. Le phénomène s'étant produit pendant le rêve, il y a lieu de faire quelques réserves au sujet de l'inter¬prétation des impressions ressenties par M. Rider Haggard comme étant dues à une possession véri¬table. On pourrait y voir plus exactement une auto-suggestion du rêveur lui donnant des impres¬sions semblables à celles que produirait l'étouffe¬ment par immersion. Quoi qu'il en soit, voici le récit qui a été authentiqué par la Société anglaise des Recherches psychiques :
M. Rider Haggard raconte qu'il était couché tranquil¬lement, vers une heure de la nuit du 10 juillet. Mme Hag¬gard, qui couchait dans la même chambre, entendit son mari gémir et émettre des sons inarticulés, tels qu'une bête blessée. Inquiète, elle l'appela. M. Haggard entendit la voix comme dans un rêve, mais ne parvint pas à se dé¬barrasser tout de suite du cauchemar qui l'oppressait. Quand il se réveilla complètement, il raconta à sa femme qu'il avait rêvé de Bob, le vieux chien braque de leur fille aînée, et qu'il l'avait vu se débattre dans une lutte ter¬rible comme s'il allait mourir.
Le rêve avait eu deux parties distinctes. Au sujet de la première, le romancier se souvient seulement d'avoir éprouvé une sensation d'oppression comme s'il avait été sur le point de se noyer. Entre l'instant qu'il entendit la voix de sa femme et celui qu'il reprit pleine connaissance, le rêve acquit une forme plus précise. « Je voyais, dit M. Hag¬gard, le bon vieux Bob étendu entre les roseaux d'un étang. Il me semblait que ma personnalité même sortait mysté¬rieusement du corps du chien qui soulevait sa tête contre mon visage d'une manière bizarre ; Bob s'efforçait de me parler et, ne parvenant pas à se faire comprendre par la voix, me transmettait d'une autre façon indéfinissable l'idée qu'il était en train de mourir.
M. et Mme Haggard se rendormirent et le romancier ne fut plus troublé dans son sommeil. Le matin, à déjeuner, il raconta à ses filles ce qu'il avait rêvé et rit avec elles de la peur que leur mère avait éprouvée. Il attribuait le cau¬chemar à une mauvaise digestion. Quant à Bob, personne ne s'en préoccupa, puisque le soir avant, il avait été vu avec les autres chiens de la villa et avait fait sa cour à sa maîtresse comme d'habitude. Seulement lorsque l'heure du repas quotidien fut passée sans que Bob se fît voir, Mlle Haggard commença à éprouver quelque inquiétude, et le romancier à soupçonner qu'il s'agissait d'un rêve véridi¬que. L'on procéda à des recherches actives qui durèrent quatre jours, au bout desquels M. Haggard lui-même trouva le pauvre chien flottant sur l'eau d'un étang, à deux kilomètres de la villa, le crâne fracassé et deux pattes bri¬sées.
Un premier examen fait par le vétérinaire fit supposer que la malheureuse bête avait été prise à un piège, mais l'on trouva ensuite des preuves indiscutables que le chien avait été écrasé par un train sur un pont qui traversait l'étang et qu'il avait été projeté ensuite par le choc même parmi les plantes aquatiques.
Le matin du 19 juillet, un cantonnier du chemin de fer avait trouvé sur le pont le collier ensanglanté de Bob. Il ne restait donc aucun doute que le chien était mort dans la nuit du rêve. Par hasard cette nuit-là, un peu avant minuit, était passé un train extraordinaire de plaisir qui avait dû être cause de l'accident.
Toutes ces circonstances sont prouvées par le romancier au moyen d'une série de documents testimoniaux.
Selon le vétérinaire, la mort a dû être presque instan¬tanée, elle aurait donc précédé de deux heures, ou da¬vantage, le rêve de M. Haggard .
En discutant ce fait, M. Bozzano fait remarquer que parmi les causes que l'on pourrait invoquer pour expliquer ce rêve, l'action télépathique de l'animal est la plus probable, puisque aucune per¬sonne humaine n'a vraisemblablement assisté à l'événement.
La clairvoyance pure et simple par télesthésie exige elle-même une cause extérieure, et celle de la pensée de l'animal est également la seule que l'on puisse invoquer dans ce cas. Voyons d'autres exemples où cette action paraît également être en jeu. L'on sait que parfois celui qui ressent une impression télépathique se sent poussé à se déplacer. Il paraît probable que, dans le récit suivant, quel¬que chose de semblable s'est produite. Le voici :
Je possède un chien de l'âge de cinq ans que j'ai élevé moi-même. J'ai toujours beaucoup aimé les animaux, et surtout les chiens. Celui dont il s'agit me rend tellement mon affection que je ne puis aller nulle part, même pas quitter ma chambre, sans qu'il me suive constamment. C'est un terrible chasseur de souris, et comme l'arrière-cui¬sine est parfois fréquentée par ces rongeurs, j'y avais placé une couchette bien commode pour Frido. Dans la même pièce se trouvait un fourneau dont faisait partie un four pour la cuisson du pain, ainsi qu'une chaudière pour la lessive, munie d'un tuyau qui aboutissait à la cheminée. Je ne manquais jamais, le soir, d'accompagner le chien à sa couchette, avant de me retirer. Je m'étais déshabillé et j'allais me coucher, lorsque je fus saisi tout à coup d'une sensation inexplicable de danger imminent. Je ne pouvais songer à autre chose qu'au feu et l'impression était si forte que je finis par céder. Je me rhabillai, descendis et me décidai à visiter l'appartement, pièce par pièce, pour m'assurer que tout était bien en ordre. Arrivé à l'arrière cuisine je ne vis pas Frido ; supposant qu'il avait pu sortir de là pour se rendre à l'étage supérieur, je l'appelai, mais en vain. Je me rendis aussitôt chez ma belle-sœur pour lui en demander des nouvelles, elle n'en savait rien. Je commençai à me sentir inquiet. Je rentrai tout de suite dans l'arrière-cuisine et j'appelai à plusieurs reprises le chien, mais toujours inutilement. Je ne savais à quel parti m'arrêter. Tout à coup, il me passa par la tête que, s'il y avait une chose qui pouvait faire répondre le chien, c'était bien la phrase : « Allons nous promener, Frido », phrase qui le mettait toujours en grande joie. C'est ce que je fis, et une plainte suffoquée, comme affaiblie par la dis¬tance, parvint cette fois à mon oreille. Je recommençai et j'entendis distinctement une plainte de chien en détresse. J'eus le temps de m'assurer que le bruit venait de l'inté¬rieur du tuyau qui fait communiquer la chaudière avec la cheminée. Je ne savais comment m'y prendre pour en tirer le chien. Les instants étaient précieux, sa vie en dan¬ger. Je saisis une pioche et je commençai à rompre la muraille à cet endroit. Je réussis enfin, avec bien des dif¬ficultés à tirer Frido de là, à demi suffoqué, en proie à des efforts de vomissement, la langue et le corps tout entiers noirs de suie. Si j'avais tardé quelques instants encore, mon petit favori serait mort, et comme on ne se sert que très rarement de la chaudière je n'aurais probablement jamais connu quelle fin il avait faite. Ma belle-sœur était accourue au bruit, nous découvrîmes ensemble un nid de souris placé dans le fourneau, du côté du tuyau. Frido, évidemment, avait chassé une souris jusqu'à l'intérieur du tuyau, de telle manière qu'il y avait été pris sans pou¬voir se retourner pour en sortir.
Tout cela s'est passé il y a quelques mois, et a été alors publié par la presse locale. Mais je n'aurais jamais pensé à le communiquer à cette société s'il n'était pas arrivé sur ces entrefaites le cas de M. Rider Haggard.
Signé : Y. YOUNG.
Je répète qu'il existe beaucoup d'autres exemples de cette action télépathique que le défaut d'espace ne me permet pas de reproduire, ce qui m'oblige à renvoyer le lecteur au travail de M. Bozzano.
J'arrive maintenant à un cas où l'action télé¬pathique a été ressentie par deux personnes en même temps, ce qui exclut l'hypothèse d'une hallu¬cination entre l'âme animale et l'âme humaine, puisqu'il semble qu'ici nous ayons à faire à un double d'animal produisant un bruit physique (cas auditif collectif).
Mégatherium est le nom de mon petit chien qui dort dans la chambre de ma fille. La nuit dernière, je me réveille soudain en l'entendant sauter dans la chambre. Je con¬nais fort bien sa manière de sautiller très caractéristique. Mon mari ne tarda pas à se réveiller à son tour. Je le ques¬tionne en lui disant : « entends-tu ? » il me répond : « C'est Meg ». Nous allumons aussitôt une bougie, nous regardons partout, mais nous ne trouvons rien dans la chambre ; pourtant la porte est bien fermée. Alors l'idée me vint que quelque malheur est arrivé à Meg ; j'ai le sentiment, qu'il est mort en ce moment même ; je regarde la montre pour préciser l'heure et je pense que je dois descendre et aller immédiatement m'assurer de la chose. Seulement, cela me paraît si absurde et il fait si froid ! Je demeure en instant indécise, et le sommeil me regagne. Très peu du temps s'écoule, quand quelqu'un vient frapper à la porte c'était ma fille qui, avec une grande anxiété, m'avertit « Maman, maman, Meg se meurt. » Nous descendons l'es¬calier d'un bond et nous trouvons Meg renversé d'un côté, les jambes allongées et rigides, comme s'il était mort. Mon mari le soulève de terre et s'assure que le chien est encore en vie, mais il ne parvient pas immédiatement se rendre compte de ce qui s'est passé. On constate enfin que Meg s'est enroulé on ne sait pas comment la courroie de son petit vêtement autour du cou, de telle façon qu'il en a été presque étranglé. Nous le libérons immédiatement et, aussitôt que le chien peut respirer, il ne tarde pas à se ranimer et à se rétablir. Dorénavant s'il m'arrivait d'é¬prouver des sensations précises de cette sorte à l'égard de quelqu'un, je me propose d'accourir sans retard. Je puis jurer avoir entendu le sautillement si caractéristique de Meg autour du lit, mon mari peut en dire autant. Pour d'autres renseignements à ce sujet, je renvoie au journal local For Psychical Research.
On pourrait peut-être supposer que dans ce cas c'est l'anxiété éprouvée par Mlle Beauchamps qui s'est transmise à la mère. Mais alors il est tout à fait improbable que l'hallucination suggérée se soit traduite pour les deux percipients sous la forme de bruits rappelant les sauts de Meg. Je crois qu'ici l'hypothèse d'un double animal est la plus probable.
Une observation bien curieuse rapportée par le conteur Danois Andersen semble établir qu'il peut exister des rapports sympathiques à grande distance entre l'homme et l'animal, et que cette action est capable de se traduire sous la forme de pressen¬timents, exactement comme cela a lieu entre humains. Je reproduis textuellement ce curieux récit :
Le conteur danois Andersen avait un ami, un profes¬seur nommé Linden, qui souffrait de consomption pul¬monaire. L'Administration lui accorda des subsides pour un voyage en Italie. Linden possédait un chien nommé Amour, un caniche blanc qu'il aimait beaucoup et qu'il confia à Andersen pour la durée de son absence. Andersen accepta cette charge et assura la subsistance du chien sans s'occuper autrement de lui. Il rit de bon cœur, un jour que la femme de chambre lui dit : « Amour pressent ce qui arrive à son maître. Il est gai ou triste selon que son maître va bien ou mal. - Comment cela? dit Andersen. - Eh ! mais cela, se voit bien à sa manière d'être. Pourquoi accepte-t-il ou refuse-t-il sa nourriture sans être malade ? Pourquoi laisse-t-il pendre sa tête plusieurs jours avant que vous ne receviez une mauvaise nouvelle de M. Linden ? Le chien sait très exactement tout ce que son maître fait en Italie et il le voit, car ses yeux ont quelquefois une singulière expression. »
A partir de ce moment, malgré son scepticisme, Ander¬sen observa le chien. Une nuit, il sentit quelque chose de froid à sa main et, ouvrant les yeux, il aperçut le chien devant son lit et lui léchant la main. Il eut un frisson. Il caressa l'animal pour le tranquilliser, mais alors Amour poussa un hurlement plaintif et se jeta par terre, tes quatre pattes étendues. A ce moment, raconta Andersen par la suite, je suis très exactement que mon ami était mort. J'en fus si assuré que le lendemain je remplaçai mon vêtement brun par un noir. Dans la mâtinée, je rencontrai une personne de connaissance qui ne demanda les causes de ma tristesse. Je lui répondis : « Cette nuit, à 11 h.1/2 moins trois minutes, Olof Linden est mort. » Comme je l'ai appris plus tard, c'était bien l'instant de sa mort.
Dans l'exemple ci-après, les témoins décrivent des mouvements d'objets sans contact qui se produisaient dans une maison hantée, tandis que le chien semble avoir eu connaissance du personnage intelligent, mais invisible, qui en était l'auteur.
Un cas probable de clairvoyance
A propos d’une maison hantée à Versailles.
Dans une lettre adressée au Dr Darieux, M. H. de V. s'ex¬prime ainsi : « Au bout d'environ dix minutes, comme la servante nous racontait ses déboires, un vieux fauteuil à roulettes, placé dans un coin à gauche, se mit en mouvement, et, décrivant une ligne brisée, vint passer entre M. Sherwood et moi, puis tourna sur lui-même à un mètre environ derrière nous, frappa deux ou trois fois le plan¬cher de ses pieds de derrière et revint en ligne droite à son coin.
Ceci se passait en plein jour et nous pûmes nous assurer qu'il n'y avait ni compérage ni truc d'aucun genre. Le même fauteuil reprit sa course à trois reprises différentes, en prenant soin, chose étrange, de ne heurter personne. En même temps des coups violents se faisaient entendre à l'autre coin de la pièce voisine qui était ouverte toute grande et parfaitement déserte. L'ami qui nous avait conduit lança son chien vers le coin de la salle ; l'animal revint en hurlant, évidemment en proie à une terreur profonde. Il fut obligé de le prendre dans ses bras tant que nous restâmes dans la maison.
Voici un autre exemple où la clairvoyance d'un sensitif est confirmée par celle d'un animal .
Fantôme d'un chien vu par un chat
M. Carrington rapporte le très curieux fait suivant : Un monsieur et deux dames se promenaient dans la campagne, lorsque l'une des dames, qui est clairvoyante, déclara qu'elle voyait un chien marcher devant eux. Elle le décrivit minutieusement aux deux autres personnes, qui ne voyaient rien. Comme ils en parlaient, un chat sortit d'une maison voisine et s'approcha très tranquillement jusqu'au point où la dame accusait la présence d'un chien. Arrivé là, il s'arrêta brusquement, fit le gros dos, cracha et donna des coups de griffe dans la direction de l'animal fantôme, puis se retourna subitement et regagna sa de¬meure à toute vitesse.
Fantômes perçus collectivement par des humains et des animaux
Les recueils d'observations psychiques renfer¬ment un assez grand nombre de récits dans lesquels on constate ce fait du plus haut intérêt, que des apparitions ont été vues simultanément par les personnes présentes et par des animaux. Si l'on suppose que la vision a été subjective, elle démon¬tre que l'animal possède comme l'homme une indis¬cutable faculté de clairvoyance. Dans le cas con¬traire, si l'on imagine que la vision est objective, alors il faut en déduire que le fantôme était réel, puisque le chien l'a perçu en même temps que les autres personnes.
Voici deux exemples où le fantôme a été vu en premier lieu par l'animal.
Il semble ressortir de ce récit que souvent le chien percevait par clairvoyance des êtres qui étaient invisibles pour les personnes présentes, ce qui rapproche le cas de celui que j'ai rapporté relatif à la maison hantée de Versailles.
Visions de fantômes humains en dehors de toute coïncidence télépathique et perçus collectivement par des hommes et par des animaux
8 août 1892. - Vers l'année 1874, alors que je n'avais que 18 ans, je me trouvais dans la maison de mon père, et, un matin d'été, je m'étais levée vers 5 heures, afin d'allumer le feu et préparer le thé. Un gros chien de race bull terrier, qui avait l'habitude de m'accompagner par¬tout, se trouvait à côté de moi, tandis que je m'occupais du feu. A un certain moment, je l'entendis émettre un sourd grognement, et je le vis regarder dans la direction de la porte. Je me tournai de ce côté et, à ma grande ter¬reur, j'aperçus une figure humaine haute et ténébreuse dont les yeux flamboyants se dirigeaient vers moi. Je jetai un cri d'alarme et je tombai à la renverse sur le sol. Mon père et mes frères accoururent immédiatement, croyant que des voleurs avaient pénétré dans la maison. Je leur ra¬contai ce que j'avais vu ; ils jugèrent que la vision n'avait eu d'autre source que mon imagination troublée à la suite d'une maladie récente. Mais pourquoi alors le chien aurait-¬il perçu quelque chose lui aussi ? Le chien en question voyait parfois des choses qui étaient invisibles pour moi il se lançait contre elles en faisant le geste de mordre en l'air, il me regardait ensuite d'une certaine façon, comme s'il voulait me dire: N'as-tu donc pas vu ? - Mr. H. F. S.
Visuel avec précédence de l’animal sur l’homme
C'était un soir d'hiver de l'année 18... ; je me trouvais dans ma chambre, assise au coin du feu, entièrement ab¬sorbée à caresser ma petite chatte favorite, l'illustre Mme Catherine, qui n'est plus, hélas ! de ce monde. Elle était blot¬tie sur mes genoux, dans une attitude presque rêveuse, les yeux fermés, comme accroupie.
Quoiqu'il n'y eût pas de lumière dans la chambre, les reflets du feu éclairaient parfaitement tous les objets. La pièce où nous nous trouvions avait deux portes, dont l'une donnait dans un appartement provisoirement fermé. L'autre, placée vis-à-vis de la première, ouvrait sur le cou¬loir.
Ma mère m'avait quittée depuis quelques minutes, et le fauteuil confortable et antique au dossier très haut qu'elle occupait restait vide à l'autre coin de la cheminée. Ma petite chatte, la tête appuyée sur mon bras, semblait de plus en plus somnolente, et je pensais à aller me coucher. Tout à coup, je m'aperçus que quelque chose d'inattendu avait troublé la tranquillité de ma favorite. Elle avait brusquement cessé de ronronner et donnait des signes évidents d'une inquiétude croissante. Je m'étais courbée sur elle en m'efforçant de la calmer par mes caresses, quand, tout à coup, elle se leva sur ses quatre pattes et commença à souffler fortement en faisant le gros dos et la queue grosse dans une attitude de défi et de terreur.
Cette manière d'agir me fit lever la tête à mon tour, et j'aperçus avec frayeur une figure petite, laide, ridée de vieille mégère, qui occupait le fauteuil de ma mère. Elle tenait les mains sur les genoux et son corps incliné, de façon à porter sa tête auprès de la mienne. Les yeux, pénétrants, luisants, mauvais, me fixaient immobiles ; il me semblait que c'était le diable qui me regardait par ses yeux. Les vêtements et l'ensemble de son aspect étaient ceux d'une femme de la bourgeoisie française, mais je ne me souciais pas de cela, car ses yeux aux pru¬nelles si étrangement dilatées et d'une expression si mé¬chante absorbaient complètement mes sens. J'aurais voulu crier de toute la force de mes poumons, mais ses yeux maléfiques me fascinaient et m'ôtaient la respiration. Je ne pouvais pas en détourner le regard et encore moins me lever. En attendant, je tâchai de maintenir fortement la chatte, mais celle-ci paraissait ne pas vouloir rester dans cet horrible voisinage. Après quelques efforts désespérés, elle parvint à se libérer, et en sautant sur les chaises, les tables, tout ce qu'elle trouvait devant elle, elle s'élança à plusieurs reprises et avec une violence extrême contre les châssis supérieurs de la porte qui donnait dans l'apparte¬ment fermé. Ensuite, en se tournant vers l'autre porte, elle recommença à se lancer contre elle avec une rage redoublée. Ma terreur s'était ainsi augmentée ; tantôt je regar¬dais cette mégère dont les yeux maléfiques continuaient à se fixer sur toi ; tantôt je suivais des yeux ma chatte qui devenait de plus en plus frénétique. A la fin, l'idée épouvantable que l'animal était peut-être devenu enragé eut pour effet de me rendre la respiration et je commençai à crier de toutes mes forces.
Maman accourut en toute hâte. Aussitôt qu'elle eut ouvert la porte, la chatte sauta littéralement sur sa tête et pendant une bonne demi-heure, elle continua à courir du haut en bas de l'escalier comme si quelqu'un la poursuivait. Je me retournai pour montrer à ma mère la cause de mon épouvante. Tout avait disparu.
En de pareilles circonstances, il est bien difficile d'appré¬cier la durée du temps ; toutefois, j'estime que l'appari¬tion a persisté pendant quatre ou cinq minutes.
On apprit ensuite que cette maison avait jadis appartenu à une femme qui s'était pendue dans cette chambre même.
Signé : Miss X.
Le général K frère de la percipiente, confirmé le récit ci-dessus .
L'impression produite sur la chatte a été si pro¬fonde que pendant une demi-heure elle resta affolée ; en ce cas, il est plus probable que l'apparition fût réelle.
Voyons un dernier récit : le fantôme qui se manifeste à deux personnes est visible également pour un chien .
L'apparition de Palladia
Visuel, auditif, collectif
(Palladia était une jeune fille morte à l'âge de 15 ans qui apparut à différentes reprises et à plusieurs personnes.)
En 1855, je demeurais chez mes parents, dans une cam¬pagne du gouvernement de Poltava. Une dame de notre connaissance était venue passer chez nous quelques jours avec ses deux filles. Quelque temps après leur arrivée, m'étant réveillé à l'aube, je vis Palladia. Je dormais dans une aile séparée où j'étais tout seul. Elle se tenait devant moi, à cinq pas à peu près et me regardait avec un sourire joyeux. S'étant approchée de moi, elle me dit deux mots : « J'ai été, j'ai vu », et tout en souriant disparut. Que voulaient dire ces mots, je ne pus le com¬prendre. Dans ma chambre dormait avec moi mon setter. Dès que j'aperçus Palladia, le chien n'aboya pas, tandis qu'ordinairement il ne laissait personne entrer dans la chambre sans aboyer ou grogner. Et toutes les fois que mon chien voyait Palladia il se pressait contre moi, comme cherchant un refuge. Quand Palladia disparut, je vins dans la maison et ne dis rien à personne de cet in¬cident. Le soir du même jour, la fille aînée de la dame qui se trouvait chez nous me raconta qu'une chose étrange lui était arrivée le matin : « M'étant réveillée de grand ma¬tin, me dit-elle, j'ai senti comme si quelqu'un se tenait au chevet de mon lit et j'entendis distinctement une voix me disant : « Ne me crains pas, je suis bonne et aimante ». Je tournai la tête, mais ne vis rien, ma mère et ma sœur dormaient tranquillement ; cela m'a fort étonnée, car jamais rien de pareil ne m'est arrivé. » Sur quoi je répon¬dis que bien des choses inexplicables nous arrivent, mais je ne lui dis rien de ce que j'avais vu le matin. Seule¬ment un an plus tard, quand j'étais déjà son fiancé, je lui fis part de l'apparition et des paroles de Palladia le même jour. N'était-ce pas elle qui était venue la voir aussi ? Je dois ajouter que j'avais vu alors cette demoiselle pour la première fois et que je ne pensais pas du tout que j'allais l'épouser.
Lieux hantés
Dans tous les pays il existe des récits d'après lesquels certains lieux ou certaines localités paraissent être hantés ; il s'y produit des phénomènes anormaux, tels que bruits inexplicables, déplace¬ments d'objets sans cause connue, et même des apparitions y sont parfois signalées. Voici deux cas assez curieux où les animaux ont éprouvé une véri¬table terreur.
Le premier est rapporté par les Phantasms of the Livings. Vol. II, page 197.
Vision collective, 2 mars 1884. - En 1875, ma sœur et moi (nous étions alors âgées de treize ans), nous re¬venions de chez nous en voiture un jour d'été, vers quatre heures de l'après-midi, lorsque tout à coup nous vîmes flotter, au-dessus d'une haie, une forme de femme qui glissait sans bruit en travers de la route. Cette forme était blanche, en position oblique à quelques dix pieds du sol.
Le cheval s'était soudainement arrêté et tremblait tellement de frayeur, que nous n'avions plus aucune action sur lui. Je m'exclamai, en m'adressant à ma sœur « Voyez-vous cela ? » Elle me répondit qu'elle le voyait et adressa la même question au fils Caffruy qui était dans la voiture.
Cette forme franchit la haie, traversa la route et passa par-dessus un champ, puis nous la perdîmes de vue au delà d'une plantation. Je crois que nous l'observâmes pendant deux minutes. Elle ne toucha jamais le sol, mais flotta toujours à une faible distance de terre.
En arrivant à la maison, nous le racontâmes. Je n'ai eu aucune autre vision soit avant, soit depuis. Nous étions tous trois en bonne santé, il faisait beau temps et personne n'avait suggéré en nous l'idée d'une apparition avant le passage de celle-là.
Plus tard nous apprîmes que l'on supposait cette route hantée et que plusieurs habitants de la contrée y avaient vu une apparition.
Violet Montgomery,
Lidnez Montgomery.
Le second est encore plus significatif, car plu¬sieurs animaux qui ont subi l'influence de ce lieu hanté sont morts des suites de l'épouvante qu'ils avaient ressentie.
Pendant les phénomènes du cimetière d'Arensburg, dans l'île d'Oesel, où des cercueils furent retrouvés dans des voûtes fermées et les faits constatés par une commis¬sion officielle, les chevaux des gens qui venaient visiter le cimetière furent souvent si effrayés et si excités qu'ils se couvrirent de sueur et d'écume. Quelquefois ils se je¬taient par terre et paraissaient agoniser et malgré les secours qu'on leur portait immédiatement, plusieurs mou¬rurent au bout d'un jour ou deux. Dans ce cas, comme dans tant d'autres, bien que la commission fît une investiga¬tion très sévère, elle ne découvrit aucune cause naturelle. (R. D. Owen, Footfalls on the Boundary of another World P. 188.)
Les quelques exemples que j'ai rapportés ici sont pris parmi un très grand nombre d'autres que le défaut d'espace ne me permet pas de reproduire.
Ils présentent une variété de manifestations qui les rapproche de celles que l'on constate chez les humains.
Nous avons vu, en effet, que l'action télépathique est l'explication la plus probable pour le cas de Rider Haggard et de M. Young. Ensuite nous avons constaté que le dédoublement du chien Mégathé¬rium est également l'hypothèse la plus vraisemblable pour expliquer les bruits perçus par M. et Mme Beauchamps.
Il n'est pas jusqu'aux pressentiments qui ne soient aussi l'apanage de la race canine, et enfin la clairvoyance s'accuse dans les cas de maisons han¬tées, de sorte que tout ce que l'on est convenu d'appe¬ler des facultés supranormales appartiennent donc à la psyché animale, ce qui l'apparente définitive¬ment avec l'âme humaine.
Pour répondre à l'objection que l'on ne peut pas attacher une grande importance à des anecdotes de cette nature, qui peuvent être inventées de toutes pièces ou déformées par l'imagination des narrateurs, je rappellerai que ces récits sont empruntés pour la plupart à la Société anglaise des Recher¬ches psychiques, qui a institué des enquêtes minutieuses pour chacun des cas qui lui ont été signalés et qu'elle n'a conservé que ceux qui lui ont été démontrés indiscutablement authentiques.
Je vais arriver maintenant à un autre aspect de la question, c'est celui qui consiste à établir la survivance du principe pensant chez l'animal. Je le ferai en citant des exemples de visions relatives à des animaux posthumes et à quelques faits qui semblent établir que l'individualité pensante de nos frères inférieurs est attachée elle aussi à une forme indestructible qui est son corps spirituel.
Il y aurait donc ainsi une continuité parfaite dans toutes les manifestations de l'intelligence incarnée ou désincarnée à tous les degrés de l'échelle de vie.
Commençons cette étude par la vision d'animaux défunts que des médiums ou des clairvoyants décri¬vent avec exactitude sans les avoir jamais connus ou, s'ils les connaissaient, sans être informés de leur décès.
Voici un premier exemple raconté par le célèbre médium, Mme d'Espérance.
Je tire le fait suivant d'un intéressant article de M. E. d'Espérance, paru dans le Light, à la date du 22 octobre 1904, p. 511.
Une seule fois il m'est arrivé quelque chose de pareil et une preuve personnelle de la présence en esprit d'un animal que j'avais fort bien connu en vie. Il s'agissait d'un petit terrier, grand favori de ma famille, qui, par suite du départ de son maître, avait été donné à un de ses ad¬mirateurs habitant à une centaine de milles de chez nous.
Un an après, comme j'entrais un matin dans la salle à manger, je vis, à mon grand étonnement, la petite Monna qui courait en sautillant autour de la chambre et parais¬sait être en proie à une frénésie de joie ; elle tournait, tournait, tantôt en se fourrant sous la table, tantôt en se faufilant sous les chaises ainsi qu'elle était habituée à faire dans ses moments d'excitation et de joie, après une absence plus on moins longue de la maison. J'en conclus naturellement que le nouveau maître de Monna l'avait reconduite chez nous, ou que tout au moins la petite chienne était parvenue toute seule à trouver le chemin de son an¬cienne demeure. J'allai aussitôt questionner à ce sujet les autres membres de la famille, mais personne n'en sa¬vait rien ; d'ailleurs on eut beau la chercher partout et l'appeler par son nom, Monna ne se fit plus voir. On me dit donc que je devais avoir rêvé ou, pour le moins que je devais avoir été victime d'une hallucination, après quoi l'incident fut vite oublié.
Plusieurs mois, un an peut-être se passèrent avant qu'il nous arrivât de nous rencontrer avec le nouveau maître de Monna. Nous lui en demandâmes aussitôt des nouvelles. Il nous dit que Monna était morte à la suite de blessures qu'elle avait reçues au cours d'une lutte avec un gros chien. Or, à ce que j'ai pu constater, cela s'était passé à la même date ou bien peu de temps avant le jour où je l'avais vue en esprit, courir, sautiller, tourner autour de la salle de son ancienne demeure.
Si l'apparition s'est produite au moment de la mort du petit animal, cette vision pourrait être attribuée à la télépathie ; mais si, au contraire, le phénomène a eu lieu quelque temps après la mort, alors c'est bien le fantôme de l'animal qui a été perçu par clairvoyance.
Dans l'exemple suivant, si à la rigueur les visions relatives au chat fantôme peuvent être de nature hallucinatoire, il n'en est plus de même en ce qui concerne la description du chien, que M. Peters n'avait jamais connu.
De la survie des animaux
M. Peters écrit au journal Light : « En ce qui concerne la survie des animaux, j'ai observé un fait curieux avant d'être devenu spiritualiste. J'étais malade et recevais habituellement la visite d'un chat qui appartenait à ma propriétaire. Chaque soir, un peu avant la complète obscurité, il venait dans ma chambre, en faisant le tour d'un air solennel, puis sortait de nouveau. On me dit un jour que le chat avait été tué, mais le fait sortit de mon esprit, et chaque soir le chat y vint comme d'ha¬bitude. Cependant, un soir, je me rappelai soudain que le chat était mort. Comme à cette époque je ne savais rien des faits psychiques, comme cependant je voyais le chat distinctement, je pensai que la souffrance m'avait rendu fou, mais au bout de quelque temps je cessai de recevoir la visite du chat.
Une autre fois, m'étant trouvé en séance avec une fa¬mille, j'étais en pleine conversation avec mon hôte, lors¬que je vis soudain un grand chien brun qui alla placer sa tête sur ses genoux. Le chien me paraissait si réel que je le décrivis, et mon hôte reconnut en lui un favori de la famille. »
J'emprunte à un livre récent de Mme Agullana, intitulé : La vie vécue d'un médium spirite, un cas analogue au précédent. Le voici :
J'étais à Condom, dans le bureau de M. T..., causant avec ce dernier et avec sa femme, lorsque j'eus une sin¬gulière vision dont je leur fis part. Je leur dis que je voyais un Esprit, un monsieur, personnage que je leur décrivis. Au même instant, m'apparut un chien dont je dépeignis la robe. Il parcourait le magasin de M. T..., au milieu des poteries et des porcelaines. Il était à chaque instant rappelé par le monsieur : «Viens ici, Médor ! » comme s'il eût craint qu'il ne fit des dégâts parmi la vaisselle fragile.
Ce monsieur est mort il y a déjà huit ans, me dit M. T... C'était un de nos meilleurs amis qui avait été pour moi comme un frère. Quant au chien qui s'appelait bien Médor, il est mort, il y a près d'un an.
Le cas du juge Austin est aussi intéressant que les précédents.
L'apparition d’un chien
La North Somerset Gazette rapporte l'histoire suivante racontée par M. Robert Austin qui en affirme la véracité. Son père, le juge Austin, qui était connu comme un grand amateur de chiens, avait un épagneul qui était très attaché à son maître ; c'était son compagnon inséparable. Dans le cours du temps, le chien mourut et une semaine après, le juge Austin se rendit chez un ami à Clifton avec lequel il s'entretint pendant quelques instants dans le salon. Quand il fut parti, une jeune dame écossaise, qui se trouvait alors dans la maison, demanda quel était ce monsieur avec son chien. La maîtresse de la maison répondit que c'était le juge Austin, mais, ajouta-t-elle, il n'avait pas de chien avec lui. L'autre répliqua qu'il y avait bien un chien dans le salon et elle décrivit exactement l'aspect d'un vieil épagneul et même son attitude favorite lorsqu'il se trouvait auprès de son maître...
Vous pouvez penser ce que vous voulez de cette histoire, ajoute M. Austin, mais elle est véridique.
Pour les partisans à outrance de la théorie de la transmission de pensée ou de la cryptesthésie, la description de l'animal a pu être prise dans une image de la subconscience du juge Austin ; il n'en sera plus de même lorsque la vision fantômale exerce aussi son action sur des animaux.
Vision de fantômes animaux s’étant produits en dehors de toute coïncidence télépathique et perçue collectivement par des animaux et des hommes
Mme d'Espérance, l'auteur bien connu, raconte dans le Light (octobre 1904, p. 511-513) un fait de vision d'animal fantôme que je reproduis en ne citant que les détails essentiels.
Alors qu'elle se promenait dans un petit bois voisin de son habitation, elle avait remarqué que fréquemment les chevaux prenaient peur en un cer¬tain point de la route qu'ils traversaient.
Mes chiens, dit-elle, refusaient opiniâtrement d'entrer dans le bois, ils se blottissaient à terre, ils mettaient le mu¬seau entre leurs jambes et restaient sourds à la persuasion comme aux menaces. Si je m'acheminais dans toute autre direction, ils me suivaient aussitôt joyeusement, mais si je persistais à vouloir entrer dans le bois, ils m'abandon¬naient en se dirigeant à la course vers la maison, en proie à une espèce de panique.
Ayant raconté ce fait à une amie, celle-ci m'apprit que les paysans considéraient ce lieu comme hanté, et que les animaux domestiques redoutaient d'y passer.
Un jour d'automne 1896, j'étais avec une amie pour faire une promenade... Nous arrivâmes au petit bois, dans lequel nous entrâmes du côté de l'ouest, en faisant tranquil¬lement notre chemin. Je fus la première à me retourner, et j'aperçus un veau d'une nuance rouge foncé. Surprise par l'apparition inattendue de cet animal à mon côté..., je poussais une exclamation d'étonnement et la bête s'abrita aussitôt dans le bois de l'autre côté du sentier. Au moment où il pénétrait dans le fourré, une étrange lueur rougeâtre se dégagea de ses grands yeux ; on aurait dit qu'ils jetaient des flammes. C'était l'heure du coucher du soleil qu'il dardait en ligne droite horizontale dans les yeux qui brillaient presque comme les croisées d'une fe¬nêtre, alors qu'elles sont frappées directement par les rayons du soleil.
Quoique depuis cette époque bien peu de jours se soient passés sans que j'aie traversé le bois à pied ou à cheval (hormis les périodes de temps dans lesquelles je fus ab¬sente de la maison) et presque toujours avec mon couple de chiens, jamais plus jusqu'à il y a quelques semaines il ne m'arriva de rencontrer le veau mystérieux.
C'était une journée suffocante et je m'étais dirigée vers le bois pour y trouver un abri du soleil et de la réver¬bération aveuglante de la route. J'étais accompagnée par deux collies (chiens de berger) et par un petit terrier. Par¬venue à la limite du bois, les deux collies s'accroupirent soudain sur le sol en refusant de continuer leur chemin, en même temps ils exerçaient tout leur art canin de per¬suasion pour que je me dirigeasse ailleurs. Voyant que je persistais à vouloir avancer, ils finirent par m'accompagner, mais avec une répugnance visible. Toutefois, quelques instants après, ils semblèrent oublier et je continuais tranquillement mon chemin en cueillant des mûres. A un certain moment, je les vis retourner à la course pour venir se tapir, tremblant et gémissant, à mes pieds ; en même temps le petit terrier avait sauté sur mes genoux. Je ne pouvais pas m'expliquer cela, quand tout à coup j'entendis derrière moi un piétinement furieux qui se rapprochait rapidement. Avant que j'eusse le temps de m'écarter, je vis arriver sur moi un troupeau de daims. En proie à l'é¬pouvante, dans leur course effrénée, ils faisaient si peu de cas de moi et des chiens qu'ils furent sur le point de me je¬ter à terre. Je regardai autour de moi, épouvantée, pour dé¬couvrir la cause de cette panique et j'aperçus un veau de couleur rouge foncé qui en revenant sur ses pas s'en¬gageait dans le taillis. Les daims s'étaient éloignés rapi¬dement dans une autre direction du bois. Mes chiens qui, dans des circonstances ordinaires, leur auraient donné la chasse, se tenaient accroupis et tremblants à mes pieds, pendant que le petit terrier refusait de descendre de mes genoux. Pendant plusieurs jours, ce petit chien ne voulut plus traverser le bois. Les deux collies, tout en ne s'y re¬fusant pas, y pénétraient comme contre leur gré et mon¬traient visiblement leur défiance et leur crainte.
Le résultat de toutes nos enquêtes ne fit que confirmer davantage nos impressions ou, comme on dit dans le pays, le veau aux yeux flamboyants n'était pas un animal com¬mun, vivant, terrestre.
La réalité d'un veau fantôme est confirmée, non seulement par la vision de Mme d'Espérance, mais surtout par la terreur que ressentaient les daims et les chiens que personne n'avait suggestionnés.
Voici un autre cas où la réalité de l'apparition d'un bouledogue après sa mort paraît évidente.
Un chien fantôme
J'emprunte au The Animal's Guardian, qui les reproduit, plusieurs histoires d'apparitions d'animaux écrites dans le National review parle capitaine Humphries, qui les a réu¬nies pendant ses voyages dans maints pays. Leur carac¬tère général pourra être jugé d'après l'histoire suivante qui, atteste le capitaine, lui a été racontée par un ami et sa femme, et dont la vraisemblance n'a aucune raison d'être mise en doute.
Pendant qu'ils étaient dans le sud de l'Afrique, leur ha¬bitation se trouvait tout près de la ligne du chemin de fer, dont leur jardin n'était séparé que par un tout petit mur. A ce moment ils possédaient un magnifique bouledogue auquel il était permis d'errer partout, à cause de sa con¬duite parfaite, et ayant voulu éviter une locomotive, il fut tué par une autre. Quelques mois après, les conducteurs de deux trains du soir donnèrent toujours des coups de sifflet avec leur machine. Ce fait ennuyait beaucoup le propriétaire du chien mort. De plus, sa femme était de santé délicate et se trouvait souvent alitée. Le mari arrêta un jour un des conducteurs après sa journée et lui de¬manda si les coups de sifflet étaient réellement nécessaires, puisqu'il n'y avait aucun signal en vue. Tout d'abord l'homme s'étonna d'être questionné sur ce sujet, mais le mari réitéra la question en invoquant la maladie de sa femme.
C'est alors que le mécanicien expliqua que l'ami de l'écri¬vain avait le remède en ses propres mains, puisque le coup de sifflet était donné seulement dans le but d'empêcher son chien d'être écrasé, car il traversait souvent la ligne et ne se dérangeait pas jusqu'à ce qu'il eût été ainsi averti, alors qu'il passait d'habitude par-dessus le petit mur dont nous avons parlé.
La description donnée du chien concordait en tout point avec celui qui avait été écrasé. Cette apparition continua pendant quelques mois à différents intervalles.
Ici aucune action télépathique du chien ne sau¬rait être invoquée comme explication. D'autre part, une hallucination visuelle des mécaniciens est invrai¬semblable, puisque, à différentes reprises, ils voient assez distinctement le fantôme du bouledogue pour siffler, afin de le faire partir.
Notons aussi que ces apparitions eurent lieu quel¬ques mois après la mort de l'animal, ce qui indique la conservation de sa forme et la possibilité pour elle de se matérialiser.
Le récit suivant nous met encore en présence d'une matérialisation posthume d'un chien et, chose remarquable, cette apparition a eu lieu à cent six milles de la ville où il était mort.
Le chien rieur
On lit dans le Swasteka de juillet, le curieux récit suivant dû au général Thompson Jim, le chien dont je signale ici le fantôme, était un ma¬gnifique collie, le favori de toute ma famille, résidant à Cheyenne, Wyoming. Sa nature affectueuse était la plus remarquable que l'on pût rencontrer. Il était connu de toute la ville, qui l'appelait le chien rieur. Le nom lui venait de ce qu'il marquait le plaisir qu'il éprouvait de la rencontre des parents ou amis de ses maîtres par une sorte de joyeux éclat de rire, qui ressemblait étrangement au rire d'un être humain.
Un soir des derniers jours de 1905, vers 7 h. 30, je me promenais avec un ami dans la 17e rue de Den¬ver, Colorado. Comme nous approchions de la porte de la première Banque nationale, nous vîmes un chien étendu au milieu de la chaussée, et en m'avançant vers lui, je fus étonné de la ressemblance absolue avec le Jim de Cheyenne. Son identité fut rendue plus certaine encore par les marques de satisfaction à ma vue et par ce rire particulier à Jim, par lequel il m'accueillit. Je dis à mon ami que si nous n'étions pas à une distance de cent six milles de Cheyenne, je jurerais que nous étions en présence de Jim, dont je lui signalai les particularités.
Le chien astral, ou fantôme, était évidemment blessé de façon grave, car il ne pouvait se relever. Après l'avoir caressé, je lui dis un adieu ému, nous traversâmes Stout¬-Street et je me retournai pour le voir encore une fois il avait disparu. Le lendemain matin, je reçus une lettre de ma femme m'annonçant que la veille, à 7 h. 30 du soir, Jim avait été tué accidentellement. Je croirai toute ma vie que j'ai vu le fantôme de Jim.
Ce qui tend à écarter toute idée d'hallucination, c'est que le chien fantôme a été vu par deux per¬sonnes, dont son maître, à qui il manifesta son affec¬tion par sa façon toute spéciale, et que son appari¬tion a coïncidé avec le moment exact de sa mort.
M. Charles L... Tweedale écrit au Light :
Ma tante L... mourut en 1905 et son chien favori, petit animal ardent et énergique, était mort quelques années au¬paravant. En août, la tante L... commença à se montrer chez moi en pleine lumière, aussi bien le soir que dans la journée, et fut vue par tous les habitants de la maison.
A plusieurs reprises ces apparitions furent accompa¬gnées de grognements et d'aboiements qui nous étonnaient beaucoup. Enfin ce mystère fut dévoilé par l'apparition, à côté de la tante L... de son chien favori. L'animal fut vu deux fois en même temps que sa maîtresse. Dans un certain nombre d'occasions il fut vu seul, même en plein jour, aussi bien par ma femme que par des domestiques et par mes enfants. Dans une occasion il fut vu en même temps par quatre personnes, en plein jour, et ma plus jeune fillette en fut si frappée qu'elle le cherchait sous le lit, sous lequel il avait semblé disparaître.
Aucun de ceux qui virent le fantôme n'avait connu l'a¬nimal pendant la vie. On n'avait pas davantage vu sa pho¬tographie, puisqu'il n'en existait pas. Cependant leurs descriptions du fantôme coïncidèrent absolument et furent conformes à ce que l'animal était de son vivant.
La vision collective de ce chien et l'audition de ses jappements établissent sa survivance plu¬sieurs années après sa disparition terrestre ; ici encore, il y a matérialisation du fantôme.
Voici deux autres cas que j'ai rapportés dans mon mé¬moire présenté au Congrès de Londres de 1898 ; je les ai empruntés à M. Dassier. Le texte ne me permet pas de savoir si l'on est en présence de manifestations d'animaux posthumes ou vivants, mais il paraît, si les descriptions sont exactes, que dans l'un et l'autre cas la matérialisation est certaine.
L. Dassier rapporte le témoignage d'un cultivateur qui, en rentrant chez lui à une heure assez avancée de la nuit, vit un âne qui paissait dans un champ d'avoine. Il voulut mettre ce champ à l'abri d'un hôte si incommode. L'âne s'étant laissé approcher, le cultivateur le sortit du champ et l'amena sans résistance. Il arriva ainsi jusqu'à la porte de l'écurie, mais au moment où il se disposait à ouvrir, la bête disparut de ses mains comme une ombre qui s'é¬vanouit. Il eut beau regardé autour de lui, il n'aperçut rien. Saisi de frayeur, il rentra précipitamment chez lui et réveilla son frère pour lui raconter l'aventure. Le len¬demain ils se rendirent dans le champ pour savoir si un être aussi extraordinaire avait causé de grands dégâts et retrouvèrent la moisson intacte. L'animal mystérieux broutait une avoine imaginaire. La nuit était assez claire pour que le cultivateur pût voir distinctement les arbres et buissons à plusieurs mètres de la route.
Voici un autre exemple raconté par celui auquel l'é¬vénement est arrivé. M. Dassier le tient du narrateur lui-même. « Un soir, me trouvant de garde (c'est un doua¬nier qui parlait) avec un de mes camarades, nous aperçû¬mes, non loin du village que j'habitais, un mulet qui passait devant nous et qui paraissait chargé. Supposant qu'il portait de la contrebande et que son maître s'était enfui en nous voyant, nous nous mîmes à sa poursuite. Le mulet se jeta dans une prairie et après avoir fait divers détours pour nous échapper, il rentra dans le village. Alors nous nous divisâmes. Tandis que mon camarade continuait à le suivre, je pris une route transversale, afin de lui couper le chemin. Se voyant serré de près, l'animal précipite sa course et plusieurs habitants sont réveillés par le bruit des pas qui résonnaient sur le pavé. J'arrivai avant lui au passage où le conduisait la rue qu'il suivait ; quand je le vis auprès de moi j'allongeai la main pour saisir son licol, il disparut comme une ombre, et je n'aperçus que mon ca¬marade, aussi étonné que moi. L'endroit où cette scène a eu lieu formait une impasse, de laquelle l'animal ne pou¬vait s'échapper sans passer sur le corps du douanier. »
L'objectivité de cette forme est démontrée par le bruit que faisait le mulet en s'enfuyant, car les habitants du village se questionnaient le lendemain matin au sujet du vacarme qu'ils avaient entendu au milieu de la nuit.
Apparitions d’animaux dans des séances expérimentales
Dans une séance du mois de novembre 1877 chez le com¬mandant Devoluette, le médium Amélie annonce que quel¬que chose se développe sur la table et précisément sur une grande feuille mise là pour l'écriture directe : « Tiens ! une bête, je vois des pattes ! Ah ! c'est un petit chien assis sur le papier, il est de telle couleur, nez court, gros yeux ronds, longues oreilles, queue à longs poils, pattes fines et longues. » Bientôt nous entendons tous un trépigne¬ment de pattes et des secousses sur la table, et le médium nous tient au courant des mouvements de l'animal. Il saute sur place, il prend le papier entre ses pattes, il le gratte, le tord et le déchire. « Ah ! j'ai peur, il m'a sauté sur l'épaule, il passe sur le dos de Mme X... (Cette dame sent le choc), il reprend sa première position. » Nous en¬tendons tous de petits aboiements, et ma femme sent les pattes de l'animal sur ses mains. Il lèche ensuite les mains d'Amélie et celles de Mme X... et disparaît.
En allumant nous trouvons le papier tordu, déchiré, et portant distinctement l'empreinte de petites griffes.
L'aboiement entendu par tous les assistants et les traces des ongles laissées sur le papier paraissent établir la réalité du chien fantôme.
Matérialisations visibles de formes d’animaux
Les matérialisations de formes animales ne sont pas rares avec Franck Kluski. Dans les comptes rendus des séances de la Société d'études psychiques de Varsovie, qui seront prochainement publiés, nous tenons à signa¬ler spécialement un gros oiseau de proie, apparu à plu¬sieurs séances et photographié, puis un être bizarre, sorte d'intermédiaire entre le singe et l'homme. Il est décrit comme ayant la taille d'un homme, une face simiesque, mais un front développé et droit, la figure et le corps cou¬verts de poils, des bras très longs, des mains fortes et longues, etc.... Il semble toujours ému, prend les mains des assistants et les lèche comme ferait un chien.
Or, cet être, que nous avions surnommé « Le Pithécan¬thrope », s'est manifesté plusieurs fois pendant nos séances. L'un de nous, à la séance du 20 novembre 1920, sentit sa grosse tête velue s'appuyer lourdement sur son épaule droite, contre sa joue. Cette tête était garnie de cheveux drus et rudes. Une odeur de fauve, de chien mouillé, se dégageait de lui. Un des assistants ayant alors avancé sa main, le Pithécanthrope la saisit, puis la lécha longuement à trois reprises. Sa langue était large et douce.
Voici quelques détails concernant cet être bizarre, ils sont empruntés aux comptes rendus des séances qui ont eu lieu à Varsovie en 1919 :
C'est un être de la grandeur d'un homme adulte, forte¬ment poilu, avec une grande crinière et une barbe em¬broussaillée. Il était revêtu comme d'une peau craquante ; son apparence était celle d'un être rappelant une bête ou un homme très primitif. Il ne parlait pas, mais il lançait des sons rauques avec ses lèvres, claquait de la langue et grinçait des dents, cherchant en vain à se faire comprendre. Lorsqu'on l'appelait, il s'approchait ; il laissait caresser sa peau velue, touchait les mains des assistants et leur grat¬tait la main fort doucement avec des griffes plutôt qu'avec des ongles. Il obéissait à la voix du médium et ne faisait pas de mal aux assistants en les touchant fort doucement.
C'était un progrès, car aux séances antérieures, cet être manifestait une grande violence et une grande brutalité. Il avait une tendance visible et une volonté tenace à lécher les mains et le visage des assistants, qui se défendaient de ces caresses bien désagréables. Il obéissait à chaque ordre donné par le médium, non seulement quand cet ordre était exprimé par la parole, mais même exprimé par la pensée.
D'autres fois nous avons senti, sous nos jambes, des contacts rappelant les frôlements du chien .
Dans le courant de l'année 1922, M. le Dr Geley s'étant rendu à Varsovie, je sais qu'il constata dans des séances avec le médium Kluski des matérialisa¬tions de chiens. Il doit en publier plus tard un compte rendu qui nous fera connaître le détail de ces curieuses séances.
Les noevi
L'analogie qui existe entre le principe spirituel des animaux et celui des humains peut encore se démontrer par l'influence que l'imagination exerce sur le corps.
On sait que pendant la grossesse, beaucoup de femmes sont prises de désirs obsédants, parfois bizarres, et même extravagants. C'est une très vieille croyance populaire que, si cette envie n'est pas satisfaite, l'enfant portera sur la peau, sous forme de tache ou de tumeur, l'emprunte ineffaçable de l'objet convoité par la mère: fraise, cerise, framboise, vin, café, etc.... On appelle Noevi, ou vulgairement envies, ces marques de naissance.
Dans un article que j'ai publié en 1904 , j'ai réuni un grand nombre d'exemples, desquels il résulte qu'à la suite d'émotions violentes, des femmes enceintes ont imprimé sur le corps de l'enfant les images qui les avaient vivement frappées.
Les impressions faibles, quand elles durent, pro¬duisent le même résultat que les impressions vio¬lentes et soudaines. Liébault raconte qu'un vigne¬ron ressemblait d'étonnante façon à la statue du saint patron de son village qui se trouvait à l'église. Pendant sa grossesse, sa mère avait eu l'idée fixe que son fils ressemblerait à ce saint.
D'autre part, le Dr Sermyn, dans le Journal de mars 1914, écrit : J'ai connu une dame qui, après avoir eu trois enfants dont les cheveux étaient noirs et plats, vit un jour dans une boutique une lithographie coloriée qui représentait une jolie petite fille d'environ quatorze ans ayant des che¬veux blonds et bouclés. Elle s'empressa de l'acheter, l'encadra et la plaça dans sa chambre à coucher. « Comme je serais heureuse si Dieu m'accordait la grâce d'avoir un enfant pareil à cette lithographie, me disait-elle souvent. »
Son désir s'accomplit, à ma grande surprise. Elle eut non seulement une fille, mais deux consé¬cutivement.
A l'âge de quatorze ans, ces deux filles ressem¬blaient exactement au tableau que leur mère avait acheté. On les prenait pour des jumelles, tant elles étaient pareilles l'une et l'autre. La litho¬graphie semblait être leur portrait.
Ici l'attention de la mère continuellement por¬tée vers l'image de la petite fille a fini par en imposer la ressemblance à ses deux enfants.
Voici maintenant un fait cité par la Revue Métapsy¬chique de janvier-février 1922, sous le titre : Un cas présumé d'idéoplastie.
Il s'agit d'une chatte qui avait mis bas un chaton marqué en travers de la poitrine du millésime 1921 chez M. Davico, boulanger à Nice. Le fait fut dûment constaté par M. Duquet, vétérinaire, et par une commission formée de MM. Bogdanof, Bizzet et Prozor. Les poils prélevés sur l'animal n'étaient pas teints et pourtant ils sont d'une coloration différente du reste de la robe. On prit plusieurs photographies qui montrent nettement le millésime 1921 et les chiffres sont surmontés de trois petites taches blanches.
Comment expliquer cette singulière anomalie ? Interrogée Mme Davico raconta ce qui suit :
A un moment donné, vers le milieu du temps de la gestation, la chatte poursuivait une souris qui se réfugia derrière un sac plein de farine et ne portant pas de marque. La bonne ratière allait bondir dans cette direc¬tion quand Mme Davico, craignant un accident qui s'était déjà produit, jeta sur le sac plein un sac vide qu'elle avait sous la main, afin d'empêcher que le pre¬mier ne fût déchiré par les griffes de la bête et la farine répandue. Gênée dans sa chasse, la chatte ne l'aban¬donna pas pour cela et pendant des heures resta à l'affût, tapie sur une chaise à proximité du sac, les yeux fixés sur celui qui recouvrait l'autre et se trouvait précisément marqué du millésime surmonté de trois étoiles.
Mme Davico s'en souvenait très bien, l'incident étant resté gravé dans son esprit.
Les recherches effectuées chez les fournisseurs de Mme Davico ont fait retrouver des sacs portant le même millésime avec des chiffres ressemblant à ceux qui étaient imprimés sur le pelage du chat.
De plus, le chiffre de l'année était surmonté de trois étoiles.
Il semble donc bien que l'image de ce millésime sur lequel la chatte avait les yeux fixés pendant de longues heures s'est reproduite sur le petit animal qui était en formation, ou plus exactement encore que ce soit le périsprit de l'animal qui ait reçu cette empreinte, puis¬qu'elle n'est devenue visible que lorsque les poils eurent poussé.
C'est un véritable cas de noevi constaté dans la race animale, ce qui l'apparente davantage avec nous.
M. Bozzano a fait paraître dans les Annales des Sciences psychiques une classification des faits de métapsychie animale : je la reproduis sommairement ci-après .
Connaissant l'esprit critique de l'auteur et sa grande prudence dans l'appréciation des récits qu'il reproduit, nous pouvons avoir toute confiance en qui concerne l'authenticité des faits qu'il a réunis.
Je rappelle ici l'énumération des différents cas qu'il a retenus.
1re catégorie : Hallucination télépathique dans lesquelles un animal fait fonction d'agent, 12 cas, 8 cités.
2e catégorie : Hallucinations télépathiques dans lesquelles un animal fait fonction de percipient, 1 cas.
3e catégorie : Hallucinations télépathiques perçues collectivement par l'homme et par les animaux, 17 cas, 4 cités.
4e catégorie : Visions de fantômes humains en dehors de toute coïncidence télépathique et perçus collectivement par des animaux et des hommes, 18 cas, 8 cités.
5e catégorie : Visions de fantômes animaux s'étant produites en dehors de toute coïncidence télépa¬thique et perçues collectivement par des animaux et des hommes, 5 cas cités.
6e catégorie : Animaux et localités fantasmogènes, 22 cas, 9 cités.
M. Bozzano ne retient que 69 cas parmi tous ceux qu'il a recueillis et il fait remarquer que le nom¬bre des relations qui lui sont connues déjà en 1905 pourrait s'élever facilement au double de ce chiffre. Cette constatation suffit pour montrer que les quel¬ques exemples que j'ai rapportés ne sont pour ainsi dire que des types de chacune de ces manifestations psychiques.
Il paraît donc dès maintenant extrêmement probable :
1° qu'il existe des communications télé¬pathiques entre l'homme et les animaux domestiques ;
2° Que les animaux présentent parfois des phéno¬mènes de clairvoyance, c'est-à-dire qu'ils perçoivent des êtres invisibles ;
3° Qu'ils sont capables d'éprouver des pressentiments ;
4° Qu'ils possèdent une forme fluidique qui leur permet de se dédoubler ;
5° Que ce périsprit animal persiste après la mort sous une forme invisible qui peut être décrite par des voyants ;
6° Que la matérialisation de ce principe qui individualise l'âme animale a été parfois observée dans des séances spirites.
Si l'on veut bien se souvenir des récits relatifs aux chevaux d'Elberfeld, aux chiens Rolf, Lola et Zou, il est impossible de nier qu'il existe entre ces ani¬maux et nous une véritable parenté intellectuelle. Evidemment le degré de développement de la psyché animale dans ces formes encore relative¬ment inférieures n'est guère comparable, sauf l'extra¬ordinaire faculté de calcul, qu'à celle de nos enfants ; mais l'identité du principe pensant chez eux et chez nous paraît indéniable, et l'hypothèse que nous avons dû passer antérieurement et successivement par des stades inférieurs avant d'arriver à l'huma¬nité apparaît aujourd'hui comme une hypothèse très vraisemblable et qui doit être prise en sérieuse considération par tous ceux qui poursuivent la solution du problème de nos origines.
Je me rallie donc entièrement aux conclusions formulées par M. Bozzano dans le remarquable travail auquel j'ai fait de si fréquents emprunts.
Je me bornerai donc, dit-il, à observer que le jour où l'on parviendra à acquérir scientifiquement la preuve que les phénomènes de perception psychique supernormale se manifestent d'une façon identique dans l'homme et dans l'animal, et que cette preuve sera complétée par l'autre fait que les formes supérieures de l'instinct propre aux ani¬maux se rencontrent aussi dans la subconscience de l'homme, ce jour-là on sera parvenu à prouver qu'il n'existe pas de différence de qualité entre l'âme humaine et celle de l'ani¬mal. De la même manière, on pourra alors faire mieux comprendre comment l'évolution biologique de l'espèce, illustrée par la science, a son correspondant dans une évo¬lution psychique parallèle qui, à en juger par les facultés merveilleuses cachées dans la subconscience, facultés évi¬demment indépendantes de la loi de sélection natu¬relle, bien loin de devoir être considérée comme un simple produit de synthèse fonctionnelle des centres corticaux, loin de consister en un simple épiphénomène, devra être nettement reconnue comme étant originée par un prin¬cipe souverainement actif qui se manifeste comme force organisatrice, principe en vertu duquel uniquement la loi de sélection naturelle est mise en état d'agir efficacement en vue de l'évolution biologique et morphologique de l'espèce.
C'est aux sciences psychiques qu'appartient la tâche glorieuse de le démontrer dans un futur assez rapproché.
Chapitre VI - La mémoire intégrale
Essai de démonstration expérimentale des vies successives. – Quelques notes sur la mémoire. – Conditions d’une bonne mémoire suivant M. Ribot. – L’intensité et la durée. – La mémoire ne réside pas dans le cerveau, elle est contenue dans le périsprit. – Expériences de MM. Desseoir et Dufar. – L’ecmnésie suivant M. Pitres. – Régression de la mémoire. – Association des états physiologiques et psychologiques, ils sont inséparables. – Histoire de Jeanne R… - Les exemples cités par M. Pierre Janet. – Histoire de Louis V… - Liaison indissoluble des états physiques et mentaux. – La mémoire latente se réveille par différents procédés. – Réveil des souvenirs anciens pendant l’anesthésie. – Vision au moyen de la boule de cristal. – Observation de M. Pierre Janet. – Cryptomnésie.
La mémoire intégrale
Comme je vais avoir à étudier dans la suite de cet ouvrage les phénomènes qui tendent à établir la réalité des existences antérieures dans l'huma¬nité et que cette démonstration repose en partie sur la résurrection des souvenirs du passé, il me paraît indispensable d'établir que la mémoire n'est pas une faculté simplement organique liée indissolu¬blement à la substance du cerveau, mais qu'elle réside, au contraire, dans cette partie indestructible de nous-mêmes que les spirites appellent le périsprit. Si ceci est exact, l'âme en se réincarnant apporte en soi d'une manière latente tous les souvenirs de ses vies antérieures, et dès lors, il lui sera possible, parfois et exceptionnellement, d'avoir des réminiscences relatives à son antique passé. De même que pour certains sujets on peut faire renaître la mémoire d'événements de leur vie actuelle qui ont entière¬ment disparu de la conscience normale, de même on pourra parfois pénétrer jusque dans les profondeurs de ces archives ancestrales qu'il est possible, à juste titre, de qualifier de mémoire intégrale.
Il ne saurait s'agir ici de faire une étude complète de la mémoire, car ce travail nécessiterait beau¬coup plus d'espace que celui dont je puis disposer dans cet ouvrage. Il me suffira de signaler quelques phénomènes importants qui démontreront, suivant moi, avec évidence, que tout ce qui a agi sur l'être humain se grave en lui d'une manière indélébile, que cette conservation n'a pas lieu, comme l'en¬seigne la psychologie officielle, dans les centres nerveux, mais dans cette partie impérissable de l'être qui l'individualise et de laquelle il est insépa¬rable.
Pour que cette affirmation ne semble pas trop extraordinaire, il me faut rappeler encore que les appa¬ritions matérialisées, en reconstituant temporaire¬ment l'ancien corps matériel qu'elles avaient sur la terre avec tous ses caractères anatomiques, prou¬vent ainsi qu'elles ont toujours le pouvoir organisateur qui donne à l'enveloppe charnelle sa forme et ses propriétés ; et toutes les facultés intellectuelles sont également reconstituées, lorsque l'esprit s'est rendu complètement maître du processus de la matérialisation, car souvent le fantôme parle, écrit, et son style comme son graphisme sont identiques à ceux qu'ils possédaient de son vivant. Donc, la mémoire et le mécanisme idéomoteur de l'écriture se sont conservés après la mort, prêts à se manifester de nouveau physiquement lorsque les cir¬constances le permettront.
Ce n'était donc pas seulement dans le système nerveux que s'enregistraient toutes ces acquisitions, puisque la mort l'ayant détruit, l'être qui a survécu a emporté en lui ses associations dynamiques et ses souvenirs.
Le cas de Mme Estelle Livermore , écrivant sous les yeux de son mari plus de deux cents messages, après sa mort, montre avec évidence, non seulement la conservation de sa personnalité, mais aussi que ses souvenirs n'avaient rien perdu de leur intégra¬lité, car, bien qu'Américaine, elle a gardé, après sa mort, la connaissance de la langue française, qu'elle possédait parfaitement de son vivant, et ces messa¬ges sont des autographes de tous points identiques à son écriture pendant sa vie terrestre.
Ce fait est confirmé par une quantité d'autres obtenus, soit par des médiums mécaniques, soit par l'écriture directe entre ardoises, de sorte que nous pouvons, nous spirites, affirmer que toutes les acqui¬sitions intellectuelles faites pendant la vie ne sont pas localisées dans l'encéphale, mais résident réelle¬ment dans le double fluidique qui est le véritable corps de l'âme.
S'il en est ainsi, quel est le rôle que joue le sys¬tème nerveux pendant la vie ?
Il est incontestable que l'intégrité de la mé¬moire est liée au bon fonctionnement du cerveau, car bien des maladies qui atteignent cet organe ont pour résultat d'affaiblir et même de supprimer complètement la mémoire des événements récents ou anciens, soit en totalité, soit en partie.
Donc il parait évident que pendant la vie le cer¬veau est une condition indispensable de la mémoire. Mais ici intervient une deuxième considération qui me semble, elle aussi, de la plus haute importance. C'est que l'oubli que l'on constate pendant le cours de la vie, ou après les désordres organiques, n'est pas fondamental, irréductible, qu'il n'est qu'apparent, car, au moyen de divers procédés, il est parfois pos¬sible de faire renaître ces souvenirs qui paraissaient anéantis pour toujours.
C'est ce que je vais essayer de montrer par divers exemples.
Mais auparavant, il n'est pas inutile de rappeler quelques notions très générales relatives à ce phéno¬mène mystérieux qui ressuscite le passé et nous le rend pour ainsi dire actuel.
D'après M. Ribot, dans l'acception courante du mot, la mémoire, de l'avis de tout le monde, com¬prend trois choses : la conservation de certains états, leur reproduction, leur localisation dans le passé. Ce n'est là cependant qu'une certaine sorte de mémoire, celle qu'on peut appeler parfaite. Ces trois éléments sont de valeur inégale ; les deux premiers sont nécessaires, indispensables ; le troisième, celui que dans le langage de l'école on appelle la recon¬naissance, achève la mémoire, mais ne la constitue pas.
Ceci me parait d'autant plus vrai que le souvenir pendant la vie est lié au bon fonctionnement du système nerveux. Cependant, si la mémoire parait défaillante, cela ne prouve nullement que les souve¬nirs sont anéantis, mais seulement que le pouvoir de les réveiller a été momentanément paralysé et qu'il peut reparaître lorsque les causes qui l'avaient supprimé cessent d'exister.
Je ferai observer aussi que le terme général de mémoire comprend bien des variétés, et que chez les divers individus, la puissance de rénovation des sensations anciennes est très différente. Les uns possè¬dent une mémoire visuelle très développée, comme ces peintres tels qu'Horace Vernet ou Gustave Doré, qui pouvaient faire un portrait de mémoire ; chez d'autres, c'est le sens musical qui atteint un très haut degré de perfection, comme Mozart notant le Miserere de la Chapelle Sixtine après l'avoir en¬tendu deux fois seulement. Mais sans faire état de facultés aussi exceptionnelles, il est notoire que chacun possède une aptitude à se représenter le passé d'une manière satisfaisante, car c'est à cette faculté que nous devons le sentiment de la conti¬nuité de notre être. Cependant, pour qu'une sensa¬tion s'enregistre en nous, deux conditions au moins sont nécessaires : l'intensité et la durée.
Voici, d'après Ribot , l'importance de ces deux facteurs.
L'intensité est une condition d'un caractère très varia¬ble. Nos états de conscience luttent sans cesse pour se supplanter ; mais la victoire peut également résulter de la force du vainqueur ou de la faiblesse des autres lut¬teurs. Nous savons - et c'est un point que l'école de Herbart a très bien élucidé - que l'état le plus vif peut continuellement décroître, jusqu'au moment où il tombe au-dessous du seuil de la conscience, c'est-à-dire où l'une de ses conditions d' existence fait défaut. On est bien fondé à dire que la conscience à tous les degrés possibles, si petits qu'on voudra, admet en elle des modalités infi¬nies - ces états que Maudsley appelle subconscients.
1.- Mais rien n'autorise à dire que cette décroissance n'a pas de limite, bien qu'elle nous échappe.
2.- On ne s'est guère occupé de la durée comme condition nécessaire de la conscience. Elle est pourtant capitale. Ici, nous pouvons raisonner sur des données précises.
Les travaux poursuivis depuis une trentaine d'années ont déterminé le temps nécessaire pour les diverses per¬ceptions : son = 0"16 à 0"14 ; tact = 0"21 à 0"18 ; lumière = 0"20 à 0"22 ; pour l'acte de discernement le plus simple, le plus voisin du réflexe = 0"02 à 0"04. Bien que les résultats varient suivant les expérimentateurs, suivant les personnes, suivant les circonstances et la nature des actes psychiques étudiés, il est du moins établi que chaque acte psychique requiert une durée appréciable et que la prétendue vitesse infinie de la pensée n'est qu'une métaphore.
Ceci posé, il est clair que toute action nerveuse dont la durée est inférieure à celle que requiert l'action psychique ne peut éveiller la conscience .
Ajoutons que, suivant moi, il faut encore faire in¬tervenir l'attention pour qu'une sensation qui entre nous devienne consciente. Il est notoire, en effet, que, si nous sommes absorbés par un travail intéressant, nous n'entendrons plus le son du timbre de la pen¬dule qui cependant frappe toujours notre oreille avec la même force. Mais notre esprit occupé ailleurs ne transforme pas cette sensation en perception, c'est-¬à-dire que nous n'en avons pas conscience.
Il est très curieux de faire observer que ces sensa¬tions inaperçues par le moi normal peuvent repa¬raître si l'on plonge le sujet dans le sommeil magné¬tique. En voici un exemple, emprunté à Desseoir :
M. X..., absorbé par la lecture au milieu d'amis causant, eut subitement son attention éveillée en entendant pro¬noncer son nom. Il demanda à ses amis ce que l'on avait dit de lui. On ne lui répondit pas ; on l'hypnotisa. Dans son sommeil il put répéter toute la conversation qui avait échappé à son moi éveillé. Encore plus remarquable est le fait signalé par Edmond Gurney et d'autres observa¬teurs que le sujet hypnotique peut saisir le chuchotement de son magnétiseur, même lorsque celui-ci est au milieu de personnes qui causent à haute voix.
Dans ces exemples, la durée et l'intensité ont été suffisantes pour graver dans le système nerveux et dans le périsprit les paroles prononcées ; mais, l'attention faisant défaut, la mémoire consciente de l'état de veille ne s'est pas produite, et l'individu ignore ce que l'on a dit de lui ; mais, endormi magnétiquement, cet état vibratoire général que les physio¬logistes appellent la cénesthésie, ayant été augmenté, les vibrations auditives sont devenues plus intenses et le sujet a pu alors en prendre connaissance.
Ce ne sont pas seulement les souvenirs de l'état de veille que le somnambulisme reconstitue, mais aussi ceux des états somnambuliques antérieurs, de telle sorte qu'il semble exister chez le même individu deux séries de souvenirs parfaitement coordonnés, s'ignorant complètement. L'observa¬tion suivante en est un exemple saisissant :
M. le docteur Dufay, sénateur de Loir-et-Cher, a publié l'observation d'une jeune fille qui, dans un accès de som¬nambulisme, avait serré dans un tiroir des bijoux appar¬tenant à sa maîtresse. Celle-ci ne retrouvant plus ses bi¬joux à la place où elle les avait laissés, accusa sa domes¬tique de les lui avoir volés. La pauvre fille protestait de son innocence, mais ne pouvait donner aucun renseigne¬ment sur les causes de la disparition des objets perdus.
Elle fut mise en prison à Blois. M. le docteur Dufay était alors médecin de cette prison. Il connaissait la prévenue pour avoir fait jadis sur elle quelques expériences d'hyp¬notisme. Il l'endormit et l'interrogea sur le délit dont elle était accusée. Elle lui raconta alors, avec tous les détails désirables, qu'elle n'avait jamais eu l'intention de voler sa maîtresse, mais qu'une nuit, il lui était venu à l'esprit que certains bijoux appartenant à cette dame n'étaient pas en sûreté dans le meuble où ils étaient placés et que, dès lors, elle les avait serrés dans un autre meuble. Le juge d'ins¬truction fut informé de cette révélation. Il se rendit chez la dame volée et trouva les bijoux dans le tiroir indiqué par la somnambule. L'innocence de la prévenue fut ainsi clairement démontrée et la malade fut aussitôt rendue à la liberté.
Ce qu'il y a de remarquable, c'est que l'état second, quand il est profond, en désignant par ce mot celui produit par le somnambulisme, embrasse toutes les sortes de mémoires, y compris celles du sommeil et de la vie ordinaire ; c'est véritablement la vie ancienne qui ressuscite avec toute la complexité qu'elle comporte.
M. Pitres, dans l'ouvrage déjà cité, nous en rap¬porte un exemple bien curieux.
Il l'a baptisé du nom d'ecmnésie. Voici en quoi il consiste.
Supposons un instant qu'un sujet de 30 ans perde subitement le souvenir de tout ce qu'il a connu et appris pendant les quinze dernières années de sa vie. Par le fait même de cette amnésie par¬tielle, il se produira dans l'état mental du sujet une transformation radicale.
Il parlera, agira, raisonnera, comme il l'eût fait à l'âge de 15 ans. Il aura les connaissances, les goûts, les sentiments, les mœurs qu'il avait à 15 ans, puisque tous les souvenirs des quinze dernières années auront disparu. Au point de vue mental, ce ne sera plus un adulte, mais un adolescent.
Une malade, Albertine M..., âgée de 28 ans, pendant le délire ecmnésique se trouva reportée à l’âge de 7 ans, lorsqu'elle était occupée à garder la vache de sa nourrice.
Après avoir observé toute la série des auras qui pré¬cèdent habituellement l’explosion de ses attaques de délire, la malade se remit à marcher lentement en se bais¬sant de temps en temps, comme si elle eût ramassé des fleurs sur le bord d’une route. Puis elle s’assit par terre en fredonnant une chansonnette. Quelques instants après elle fit le geste de fouiller vivement dans sa poche et commença à jouer aux osselets, non sans interrompre souvent sa partie pour parler à sa vache. Nous l’interpellâmes à ce moment, et elle, croyant avoir affaire aux gamins du village, nous offrit aussitôt de partager ses jeux. Il fut impossible de lui faire comprendre son erreur. A toutes les questions que nous lui posions relativement à sa vache, à sa grand-mère, aux habitants du village, elle répondait avec la naïveté d’une enfant, mais avec une imperturbable précision. Si, au contraire, nous lui parlions des événements dont elle a été témoin ou acteur dans le courant de son existence, après l’âge de 7 ans, elle paraissait fort étonnée et ne comprenait rien à nos propos.
Je dois vous signaler deux particularités qui ne man¬quent pas d’importance. Jusqu'à l’âge de 12 ans, Albertine est restée dans un petit hameau de la Charente, au milieu de pauvres paysans qui parlaient à peine le français. Elle-même ne parlait à ce moment que le patois de la Saintonge ; ce n’est que beaucoup plus tard qu’elle a appris le français.
Aussi, pendant toute la durée de l’attaque, elle s’ex¬primait en patois, et si nous la priions de parler français, elle répondait invariablement, et toujours en patois, qu’elle ne connaissait pas la langue des messieurs de la ville.
La seconde particularité n’est pas moins curieuse. A l’âge de 7 ans, Albertine n’avait pas encore eu d'ac¬cidents hystériques et, selon toute vraisemblance, elle n’avait pas encore d’hémianesthésie ni de zones hystérogènes. Or, pendant l’accès du délire ecmnésique dont nous nous occupons, la sensibilité cutanée était normale aussi bien du côté gauche que du côté droit, et toutes les zones spasmogènes avaient perdu leur action, sauf la zone ova¬rienne gauche dont la pression énergique eut pour effet immédiat d’arrêter le délire. Revenue à l’état normal, la malade n’avait aucun souvenir de ce qu'elle avait dit et fait pendant cet état.
Notons ici la liaison intime qui existe entre l’état psychique et l’état physiologique du sujet. Ils sont à tel point associés que le seul fait de reporter Alber¬tine à une période de sa vie passée, pendant la¬quelle elle ne présentait pas de désordres nerveux, supprime ceux dont elle était atteinte à l’époque où a été faite l’expérience.
Autres exemples d’ecmnésie
Le phénomène de résurrection des souvenirs oubliés d'une partie de la vie, que M. Pitres a baptisée du nom d’ecmnésie, a été signalé par beaucoup d’auteurs qui se sont occupés de somnambulisme.
C'est ainsi que Ch. Richet, dans son livre l’Homme et l'Intelligence , appelle notre attention sur la vivacité des sensations anciennes que l’état magné¬tique fait renaître.
Si la mémoire active, dit-il, est profondément troublée, en revanche la mémoire passive est plutôt exaltée. Les som¬nambules se représentent avec un luxe inouï de détails précis les endroits qu'ils ont vus jadis, les faits auxquels ils ont assistés. Ils ont pendant leur sommeil décrit très exactement telle ville, telle maison, qu'ils ont jadis visitées ou entrevues ; mais au réveil, c’est à peine s’ils pourraient dire qu'ils y ont été autrefois, et X..., qui chantait l’air du 2e acte de l’Africaine pendant son sommeil, ne put pas en retrouver une seule note lorsqu'elle était éveillée.
Voici une femme qui a été, il y a quinze ans, passer une heure ou deux à Versailles, et qui a presque complètement oublié cette courte promenade. Elle est même absolu¬ment incapable d'affirmer qu'elle l'a faite. Cependant, qu'on vienne à l'endormir et à lui parler de Versailles, elle saura se représenter très fidèlement les avenues, les statues, les arbres. Elle verra le parc, les allées, la grande place, et à la stupéfaction des assistants, donnera des détails extrêmement précis.
Il n'y a pas que les souvenirs visuels ou auditifs qui se conservent, ce sont aussi toutes les acqui¬sitions intellectuelles, comme en témoigne l'his¬toire de Jeanne R..., que nous devons à MM. Bourru et Burot .
Jeanne R..., âgée de 24 ans, est une jeune fille très nerveuse et profondément anémique. Elle est sujette à des crises de pleurs et de sanglots ; pas de crises convul¬sives, mais de fréquents évanouissements ; elle est faci¬lement hypnotisable, elle dort d'un sommeil profond et à son réveil elle a perdu le souvenir.
On lui dit de se réveiller à l'âge de 6 ans. Elle se trouve chez ses parents : on est au moment de la veillée, on pèle des châtaignes. Elle a envie de dormir et demande à se coucher ! Elle appelle son frère André pour qu'il l'aide à finir sa besogne, mais André s'amuse à faire de petites maisons avec des châtaignes au lieu de travailler. Il est bien fainéant, il s'amuse à en peler dix, et moi, il faut que je pèle le reste.
Dans cet état, elle parle le patois limousin, ne sait pas lire, connaît à peine l'A. B. C. Elle ne sait pas parler un mot de français. Sa petite sœur Louise ne veut pas dormir. Il faut toujours, dit-elle, dandiner ma sœur qui a 9 mois. Elle a une attitude d'enfant.
Après lui avoir mis la main sur le front, on lui dit que, dans deux minutes, elle se retrouvera à l'âge de 10 ans. Sa physionomie est toute différente ; son attitude n'est plus la même. Elle se trouve aux Frais, au château de la fa¬mille des Moustiers, près duquel elle habitait. Elle voit des tableaux et elle les admire. Elle demande où sont ses sœurs qui l'ont accompagnée, elle va voir si elles viennent sur la route. Elle parle comme un enfant qui apprend à parler ; elle va, dit-elle, en classe chez les sœurs depuis deux ans, mais elle est restée bien longtemps sans y aller ; sa mère étant souvent malade, on l'obligeait à garder ses sœurs et ses frères. Elle commence à écrire depuis six mois, elle se rappelle une dictée qu'on lui a donnée mercredi, et elle écrit une page entière très couramment et par cœur ; c'est la dictée qu'elle a faite à l'âge de 10 ans. Elle dit ne pas être très avancée : « Marie Coutureau aura moins de fautes que moi, je suis toujours après Marie Puybaudet et Marie Coutureau, mais Louise Roland est après moi. Je crois que Jeanne Beaulieu est celle qui fait le plus de fautes ».
De la même manière, on lui dit de se retrouver à l'âge de 15 ans. Elle sert à Mortemart, chez Mlle Brunerie : « Demain, nous allons à une fête, à un mariage, au mariage de Baptiste Colombeau, le maréchal. C'est Léon qui sera mon cavalier. Oh ! je n'irai pas au bal, Mlle Brunerie ne veut pas ; j'y vais bien un quart d'heure, mais elle ne le sait pas. » Sa conversation est plus suivie que tout à l'heure. Elle écrit le Petit Savoyard. La différence des deux écri¬tures est très grande. A son réveil, elle est très étonnée d'avoir écrit le Petit Savoyard, qu'elle ne sait plus. Quand on lui fait voir la dictée qu'elle a faite à 10 ans, elle dit que ce n'est pas elle qui l'a écrite.
Je ferai remarquer que le phénomène de revivis¬cence d'une période de la vie passée s'est produit chez Albertine, le sujet de M. Pitres, spontanément, comme conséquence d'une crise d'hystérie, tandis que pour Jeanne R..., c'est à une suggestion qu'est due cette régression de la mémoire.
Ces remarques montrent bien que, quel que soit le procédé employé, lorsque l'on peut arriver jus¬qu'aux couches profondes de la conscience, on y re¬trouve toujours fidèlement enregistrés tous les événe¬ments du passé, car ils y ont laissé une trace indélébile que les sensations ultérieures peuvent recouvrir jus¬qu'au point de les faire oublier complètement, mais qu'elles ne détruisent jamais. C'est une superposition d'impressions qui ne se mélangent pas entre elles, qui ont toujours une parfaite autonomie et qui embras¬sent tous les états de la personnalité. Ainsi, Jeanne R..., lorsqu'elle est reportée à l'âge de 6 ans, a les senti¬ments d'un petit enfant, ne connaît pas encore le français et ne s'exprime qu'en patois limousin ; à ce moment, toute sa vie ultérieure a complètement disparu pour elle ; cependant nous constatons, comme je le disais plus haut, que chaque couche de souvenirs se réveille avec une fraîcheur et une vivacité qui équivalent aux impressions de la vie réelle.
A la suite d'une seconde suggestion, c'est une plus vaste partie du domaine mémorial qui se trouve rénovée, toujours avec le même luxe de détails se rapportant jusqu'aux plus infimes circonstances de la vie courante.
Jeanne R..., reproduit de mémoire la dictée qu'elle a écrite mercredi chez les sœurs. L'écriture est enfan¬tine et l'orthographe défectueuse. C'est donc bien l'état précis de l'âge de 10 ans qui est rénové. Il ne s'est pas mélangé avec celui de 6 ans, pas plus qu'il ne s'amalgamera aux souvenirs des périodes sui¬vantes, quand on reporte le sujet à sa quinzième année ; cette fois l'écriture s'est modifiée, et il est tout à fait intéressant de faire remarquer que si le mécanisme idéomoteur de l'écriture occupe, chez le sujet, les mêmes parties du système nerveux, il a subi cependant des modifications successives, dont chacune a manifestement laissé des empreintes qui ne s'effacent jamais.
Nous pouvons donc imaginer que les souvenirs successifs s'accumulent par étage, que tous ceux qui sont contemporains sont reliés entre eux d'une manière intime, de telle sorte que ce ne sont pas seulement des souvenirs psychologiques qui sur¬vivent, mais aussi tous les états physiologiques concomitants ; si l'un d'eux est rénové, l'autre apparaît fatalement.
J'insisterai sur ce point en citant le témoignage de M. Pierre Janet , professeur au collège de France, qui montre bien clairement cette liaison indis¬soluble des états psychiques et physiques du corps à une période quelconque de la vie du même individu :
On peut faire jouer au sujet toutes les scènes de sa propre vie et constater, comme si on se reportait à cette époque, des détails qu'il croyait oubliés complètement et ne pou¬vait raconter. Léonie est restée deux heures métamorpho¬sée en petite fille de 10 ans et elle vivait de nouveau sa propre existence, avec une vivacité et une joie bien étrange, criant, courant, appelant sa poupée, parlant à des per¬sonnes dont elle ne se souvenait plus, comme si la pauvre femme était réellement retournée à l'âge de 10 ans. Quoi¬qu'elle soit en ce moment toujours anesthésique du côté gauche, elle reprenait sa sensibilité complète pour jouer ce rôle.
Ces modifications de la sensibilité et des phénomènes nerveux par une suggestion de ce genre donnent lieu quel¬quefois à de singuliers phénomènes. Voici une observation qui semble une plaisanterie, et qui est cependant exacte et, en réalité, assez facile à expliquer.
Je suggère à Rose que nous ne sommes plus en 1888, mais en 1886, au mois d'avril, pour constater simplement les modifications de sensibilité qui pourraient se produire. Mais voici un accident bien étrange ; elle gémit, se plaint d'être fatiguée et de ne pouvoir marcher : « Eh bien ! qu'avez-¬vous donc ? - Oh ! rien, mais dans ma situation. - Quelle situation ? » Elle me répond d'un geste, son ventre s'était subitement gonflé et tendu par un accès subit de tympanite hystérique : je l'avais, sans le savoir, ramenée à une pé¬riode de sa vie pendant laquelle elle était enceinte. Il fallut supprimer la suggestion pour faire cesser cette mau¬vaise plaisanterie. Des études plus intéressantes furent fai¬tes par ce moyen sur Marie ; j’ai pu, en la ramenant succes¬sivement à différentes périodes de son existence, consta¬ter tous les états divers de la sensibilité par lesquels elle a passé et les causes de toutes les modifications.
Ainsi elle est maintenant complètement aveugle de l’œil gauche, et prétend être ainsi depuis sa naissance. Si on la ramène à l'âge de 7 ans, on constate qu'elle est encore anesthésique de l’œil gauche ; mais si on lui suggère de n'avoir que 6 ans, on s'aperçoit qu'elle voit bien des deux yeux, et on peut déterminer l'époque et les circonstances bien curieuses dans lesquelles elle a perdu la sensibilité de l’œil gauche. La mémoire a réalisé automa¬tiquement un état de santé dont le sujet n'avait conservé aucun souvenir.
Les trois sujets de M. Pierre Janet, et particulière¬ment les deux derniers, montrent bien cette liaison indissoluble des états successifs, corporels et spirituels, dont je parlais plus haut. Il est tout à fait remarqua¬ble que l'on puisse rénover une période intellectuelle de la vie passée en reproduisant, par suggestion, ou par un procédé physique, un état pathologique que le sujet a éprouvé jadis. Par exemple, si à l'âge de 12 ans un individu était insensible du côté droit, et que cette infirmité ait disparu, si l'on pro¬duit artificiellement une anesthésie du côté droit, immédiatement ce sujet reprend le caractère, les manières, les souvenirs qu'il possédait à l'âge de 12 ans.
Histoire de Louis V…
L'histoire de Louis V..., que j'emprunte encore à MM. Bourru et Burot, confirme cette affirmation d'une manière absolue. Comme le récit de ces savants est un peu long, je crois utile de le résumer ici :
Louis V... était un hystérique qui, à la suite d'un vol, fut enfermé à la colonie de Saint-Urbain. A ce moment, il est docile et intelligent. On l'occupe à des travaux agricoles. Après l'émotion produite par la vue d'une vipère, il de¬vient paralysé des membres inférieurs.
Transporté à Bonneval, sa figure est ouverte et sympa¬thique, le caractère est doux et docile ; il regrette fort son passé et affirme qu'à l'avenir il sera plus honnête. On lui apprend le métier de tailleur.
Un jour, il est pris d'une crise qui dure cinquante heures, à la suite de laquelle il n'est plus paralysé. Il a perdu com¬plètement le souvenir de sa translation ; il se croit encore à Saint-Urbain et veut aller travailler aux champs. Ce n'est plus le même sujet moral, il est devenu querelleur, gour¬mand et voleur, il répond impoliment. En 1881, il paraît guéri et sort de l'asile.
Après un séjour chez sa mère, à Chartres, il est placé à Mâcon, chez un propriétaire agricole. Tombé malade, il est transféré à l'asile de Saint-Georges, près de Bourg (Ain). On constate qu'il est tantôt exalté, tantôt presque stu¬pide et imbécile.
En 1883, on le croit guéri et, muni d'un pécule, il sort de Saint-Georges pour rentrer dans son pays.
Il arrive à Paris on ne sait comment. Il est admis en premier lieu à Sainte-Anne et en dernier lieu à Bicêtre. Le 17 janvier 1884, il a une nouvelle attaque très violente, qui se reproduit les jours suivants avec accès de thoracalgie et alternatives de paralysie et de contractures du côté gauche et du côté droit. Le 17 avril, à la suite d'une crise légère, la contracture du côté droit a disparu. Il se réveille le lendemain et se croit au 26 janvier. Pendant les six derniers mois de l'année 1884, V... n'a présenté au¬cun phénomène nouveau. Son caractère est modifié. Il était doux pendant la période de contracture ; en dehors de ces périodes, il est indiscipliné, taquin et voleur.
Le 2 janvier 1885, après une scène de somnambulisme provoqué, suivie d'une attaque, il s'évade de Bicêtre en volant des effets d'habillement et de l'argent.
Après quelques semaines passées à Paris, il contracte un engagement dans l'infanterie de marine et arrive à Rochefort. A la caserne, il commet des vols, passe en conseil de guerre. Un non-lieu est prononcé et le 27 mars il entre à l'hôpital. Le 30, il présente une contracture de tout le côté droit, qui se dissipe au bout de deux jours, mais il reste paralysé et insensible de toute la moitié du corps.
Lorsque ce sujet a été placé à l'hôpital de Rochefort, il avait une paralysie avec insensibilité du côté droit et il ne connaissait de sa vie que la deuxième partie de son séjour à Bicêtre, et enfin son séjour à Rochefort, où il se trouve. On essaya sur lui l'action des métaux et de l'aimant ; on put par ces moyens ramener tous les états pathologiques antérieurs, et en même temps réveiller la mémoire de tous les états psychiques concomitants. C'est d'ailleurs de cette manière que l'histoire de Louis V... fut reconstituée en entier par ces messieurs qui en ignoraient les particula¬rités, et l'enquête à laquelle ils se livrèrent permit de con¬stater la parfaite authenticité de tous les détails fournis par le sujet dans chacun de ces états, alors qu'il en perdait le souvenir aussitôt qu'il revenait à son état du moment.
Ces changements sont obtenus, et c'est un point très important, par des agents physiques qui déter¬minent des modifications physiologiques se révélant par des transformations dans la distribution de la sensibilité et de la motilité. En même temps que ces alternances physiques, se produisent des transformations régulières de l'état de conscience, si constantes que, pour faire disparaître à son gré tel ou tel état psychologique, il suffit à l'expérimen¬tateur de provoquer par l'application convenable de l'aimant, d'un métal, de l'électricité, telle ou telle modification de la sensibilité et de la motilité.
Et cet état de conscience est complet pour l'état qu'il embrasse ; mémoire du temps, des lieux, des personnes, des connaissances acquises (lecture, écri¬ture), des mouvements automatiques appris (art du tailleur), sentiments propres et leur expression par le langage, le geste, la physionomie ; la concordance est parfaite.
Envisagés seuls, disent les auteurs, les changements subits de l'état physique sont déjà bien surprenants. Transporter et, mieux encore, faire disparaître à son gré sensibilité, mo¬tilité, anesthésie dans tout le corps ou dans une partie déterminée du corps, semble toucher au merveilleux.
Ce changement si étonnant n'approche pas encore de la transformation qui s'opère simultanément et par le même agent dans le domaine de la conscience. Tout à l'heure, le sujet ne connaissait qu'une partie limitée de son exis¬tence ; après une application de l'aimant, il se trouve transporté à une autre période de sa vie avec les goûts, les habitudes, les allures qu'il avait alors. Que le transfert soit bien conduit et on le débarrasse de toute infirmité du mouvement ou de la sensibilité ; en même temps le cerveau se dégage presque en entier, le livre de la vie est complètement ouvert et l'on peut lire aisément dans tous les feuillets.
C'est dans ce livre que nous avons dû feuilleter pour con¬naître la vie de notre malade que nous ignorions absolument. Il y avait beaucoup de pages arrachées ; il fallait les re¬constituer.
Il a suffi d'appliquer un aimant sur les cuisses pour faire apparaître tel ou tel état physique entraînant sa mémoire propre, mais dans aucune condition il n'a été possible de faire apparaître la mémoire totale, parce que, dans aucun cas, l'absence de troubles physiques n'était complète.
Il restait à faire l'épreuve complémentaire, agir directe¬ment sur l'état de conscience et constater si l'état physique se transformerait parallèlement.
Pour agir sur l'état psychique, on n'avait d'autre moyen que la suggestion, dans la forme suivante : V..., tu vas te réveiller à Bicêtre, salle Cabarnis, le 2 janvier 1884. V... obéit ; au sortir du somnambulisme provoqué, l'intelli¬gence, les facultés affectives sont exactement les mêmes que dans le deuxième état.
En même temps, il se trouve paralysé et insensible de tout le côté gauche du corps.
Dans une autre suggestion, on lui commande de se trouver à Bonneval alors qu'il était tailleur. L'état mental obtenu est semblable à celui décrit au quatrième état, et simultanément est apparue la paralysie avec contracture et insensibilité des parties inférieures du corps.
La vérification est donc complète ; il est certain que les états psychiques et physiques contemporains s'enregistrent ensemble dans l'organisme, où ils sont liés les uns aux autres d'une manière indis¬soluble.
Que l'on ne croie pas que cette rénovation inté¬grale des souvenirs soit seulement le privilège des somnambules. En réalité, chacun de nous les conserve. Je vais montrer que les personnes normales peuvent, dans certaines circonstances, revoir les événements de la vie entière jusque dans leurs plus infimes détails.
La mémoire latente
La suggestion pendant le sommeil hypnotique n'est pas le seul procédé qui permette de rénover le souvenir du passé ; normalement, dans certains cas de maladie, on a pu constater la reviviscence de périodes de la vie antérieure complètement oubliées à l'état de veille ; c'est ainsi que la résurrection se pro¬duit dans les cas de fièvre aiguë, dans l'excitation maniaque, dans l'extase et dans la période d'incu¬bation de certaines maladies du cerveau.
Ne pouvant m'étendre sur ces exemples parti¬culiers, il me paraît intéressant de signaler les réveils de souvenirs qui se produisent normalement, à la suite de certaines circonstances.
Une dame, à la dernière période d'une maladie chronique, fut conduite de Londres à la campagne. Sa petite fille, qui ne parlait pas encore, lui fut amenée, et après une courte entrevue, elle fut reconduite à la ville. La dame mourut quelques jours après, la fille grandit sans se rappeler sa mère, jusqu'à l'âge mûr. Ce fut alors qu'elle eut l'occasion de voir la chambre où sa mère était morte. Quoiqu'elle l'ignorât, en entrant dans cette chambre, elle tressaillit ; comme on lui demandait la cause de son émotion : « J'ai, dit-elle, l'impression distincte d'être venue autrefois dans cette chambre. Il y avait dans ce coin une dame couchée, paraissant très malade, qui se pencha sur moi et pleura.
Un homme doué d'un tempérament artistique très marqué (ce point est à noter) alla avec des amis faire une partie près d'un château du comté de Sussex qu'il n'avait aucun souvenir d'avoir visité. En approchant de la grande porte, il eut une impression extrêmement vive de l'avoir déjà vue, et il revoyait non seulement cette porte, mais des gens installés sur le haut, et en bas des ânes sous le porche. Cette conviction singulière s'imposant à lui, il s'adressa à sa mère pour avoir quelques éclaircissements sur ce point. Il apprit d'elle qu'étant âgé de 16 mois, il avait été conduit dans cet endroit, qu'il avait été porté dans un pa¬nier sur le dos d'un âne ; qu'il avait été laissé en bas avec les ânes et les domestiques, tandis que les plus âgés de la bande s'étaient installés pour manger au-dessus de la porte du château .
Il est intéressant de signaler que des impres¬sions qui, probablement n'ont pas été conscientes, se sont stéréotypées dans le cerveau de cet enfant de 16 mois et avec assez d'intensité pour se réveiller un grand nombre d'années plus tard avec la plus entière fidélité.
Le sommeil anesthésique, dû au chloroforme ou à l'éther, peut produire les mêmes effets que l'excita¬tion fébrile :
Un vieux forestier avait vécu pendant sa jeunesse sur les frontières polonaises et n'avait guère parlé que le po¬lonais. Dans la suite, il n'avait habité que des districts allemands. Ses enfants assurèrent que, depuis trente ou quarante ans, il n'avait entendu ni prononcé un seul mot de polonais. Pendant une anesthésie qui dura près de deux heures, cet homme parla, pria, chanta, rien qu'en polonais .
Même au cours de la vie normale, certaines émo¬tions violentes ont pour résultat de mettre tout à coup en action le mécanisme de la mémoire avec une intensité réellement extraordinaire. Les deux exemples suivants peuvent nous donner une idée de ce qui doit se passer souvent au moment de la mort, ou peu de temps après la désincarnation.
Il y a plusieurs récits de noyés, sauvés d'une mort immi¬nente, qui s'accordent sur ce point qu'au moment où com¬mençait l'asphyxie il leur a semblé voir, en un moment, leur vie entière dans ses plus petits incidents. L'un d'eux prétend qu'il lui a semblé voir toute sa vie antérieure se déroulant en succession rétrograde, non comme une simple esquisse ; mais avec des détails très précis formant comme un panorama de son existence entière, dont chaque acte était accompagné d'un sentiment de bien ou de mal.
Dans une circonstance analogue, un homme d'un esprit remarquablement net traversait une voie de chemin de fer au moment où un train arrivait à toute vitesse. Il n'eut que le temps de s'étendre entre les deux lignes de rails. Pendant que le train passait au-dessus de lui, le sentiment de son danger lui remit en mémoire tous les incidents de sa vie comme si le livre du jugement avait été ouvert devant ses yeux .
Il semble donc évident, d'après les exemples cités, que toutes les sensations que nous avons ressenties se sont enregistrées en nous et y ont laissé des traces indélébiles. Sans aucun doute, cet immense amas de connaissances de toute nature n'est pas resté présent à la conscience, car, ainsi qu'on l'a fait justement observer, l'oubli d'une quantité énorme d'événements insignifiants est une des conditions de la mémoire ; mais ce qui est tout à fait remarquable, c'est que l'oubli n'implique nulle¬ment l'anéantissement des souvenirs. L'expérience nous montre que tout ce qui a agi sur nous est fixé à tout jamais dans les profondeurs de notre être, en quelque sorte dans les dessous de la cons¬cience, et que tous ces souvenirs, alors même que nous semblons ne pouvoir les rénover, ne conti¬nuent pas moins de vivre d'une manière latente et constituent les fondements de notre personna¬lité, chaque souvenir physique ou intellectuel ayant contribué pour sa part à l'édification de notre vie mentale.
Dans son livre sur les Névroses et les idées fixes, M. Pierre Janet a illustré cette thèse par une quan¬tité d'observations cliniques des plus démons¬tratives. Sa méthode consiste à découvrir l'idée fixe, souvent ignorée du malade, qui est la cause de tous ses désordres mentaux et physiques. Voici ce qu'il dit à ce sujet :
Souvent l'existence de l'idée fixe ne peut être mise au jour que pendant les attaques, les rêves, les somnambulismes, ou par les actes subconscients et les écritures automa¬tiques. En un mot, ces idées restent au-dessous ou plutôt en dehors de la conscience normale, et cependant n'en exercent pas moins une influence prépondérante, puis¬qu'elles sont l'origine de la maladie du sujet.
A l'immense magasin de sensations visuelles auditives ou olfactives, tactiles, cénesthésiques, etc.., que nous avons consciemment ressenties, s'ajoutent encore d'autres impressions qui sont entrées en nous pour ainsi dire d'une manière furtive et s'y sont fixées à notre insu ; de sorte que, le jour où elles réapparaissent, elles nous semblent des phénomènes extra-normaux provenant de facultés supérieures.
Vision dans la boule de cristal
Un des moyens qui ont servi à extérioriser les images mentales est celui de la boule de cristal.
On sait, en effet, que certaines personnes, après l'avoir considérée quelques instants, voient d'abord un nuage, puis dans celui-ci se dessinent des étoiles, des barres, des chiffres, des lettres, des figures colo¬rées, des personnages, des animaux, des arbres, des fleurs. Parfois ces images sont mobiles ; les personnages vont et viennent et même peuvent causer entre eux.
D'où viennent ces visions ?
D'après les auteurs anglais qui les ont le mieux étudiées, ce sont des hallucinations visuelles qui extériorisent les images contenues dans le cer¬veau de l'expérimentateur.
Ce qui cause la surprise du voyant, c'est que, souvent, il ne reconnaît pas ces paysages ou ces objets, mais une minutieuse recherche permet par¬fois de retrouver la preuve que ce sont des choses qu'il a vues inconsciemment, qui sont ainsi ressusci¬tées et projetées dans la boule de verre. En voici trois exemples empruntés aux Proceedings.
Une jeune fille raconte qu'en regardant dans le miroir elle était obsédée par une image toujours la même ; une maison avec de grands murs noirs sur lesquels brillait une touffe de jasmin blanc. Elle assurait n'avoir jamais vu une maison pareille dans la ville où elle était depuis long¬temps.
Une personne mise en face de la boule de verre y voit apparaître un numéro 3.244. Pourquoi ce chiffre plutôt qu'un autre ?
Mais voici ce qui touche au mystère.
Miss X... voit apparaître dans la boule de verre un article de journal, parvient à y lire l'annonce de la mort d'une per¬sonne de ses amis. Elle raconte ce fait : les personnes pré¬sentes sont stupéfaites. Quelques heures après, la nouvelle est confirmée officiellement et on est tenté d'admettre une prévision miraculeuse.
Cependant en y regardant de plus près, chacun de ces cas reçoit une explication purement naturelle.
En effet, d'après une enquête des membres de la Société Psychique, il fut constaté qu'il y avait à Londres une maison qui avait toute l'apparence de celle décrite par le premier sujet et que celui-ci avait vue. Il avait passé à côté en pensant à autre chose.
Quant à l'histoire du numéro, il fut démontré que, dans la journée, la personne avait changé un billet de banque et que ce numéro était celui du billet. Il est bien probable que ce numéro avait été vu, mais il n'avait pas laissé de souvenirs conscients.
Arrivons enfin à cette révélation singulière de la mort d'un ami : la pauvre voyante dut perdre un peu de son illusion lorsqu'on trouva dans la maison un numéro d'un journal accroché devant la cheminée, comme paravent. Or, sur le côté visible s'étalait, en toutes lettres, l'article en question, avec les mêmes caractères, la même forme qu'il avait revêtue dans le cristal.
C'était donc bien l'extériorisation d'un cliché visuel qui avait été enregistré inconsciemment.
Ce dernier exemple nous montre avec quelle prudence il faut apprécier les faits d'apparence extra-normale. Ce qui rend l'étude du spiritisme très difficile, c'est que, presque toujours, le véritable phénomène spirite se double d'un autre qui n'en est qu'une contrefaçon. C'est ainsi que l'écriture auto¬matique simule l'écriture mécanique des médiums, que l'hallucination véridique ressemble à une appa¬rition véritable, que l'objectivation des types res¬semble aux faits d'incarnation, que l'idéoplastie se distingue parfois si difficilement d'une matéria¬lisation d'esprit, de même que la paramnésie, comme Il nous le verrons plus loin, peut être prise pour un souvenir de vie antérieure. Sans exagérer l'impor¬tance de ces phénomènes d'animisme, il faut cepen¬dant bien les connaître, si on ne veut pas s'exposer à de graves mécomptes. Voici des faits qui ressem¬blent à ceux de la clairvoyance et qui ne relèvent que de la cryptomnésie, c'est-à-dire de la mémoire latente.
Cryptomnésie
Un monsieur Brodelbank perd un couteau de poche. Six mois après, sans être préoccupé le moins du monde de cette perte, il rêve que ce couteau est dans la poche d'un pantalon qu'il avait mis à la défroque. En se réveillant l'idée lui vint de savoir si son rêve était exact, il alla cher¬cher son pantalon et retrouva le couteau dans une poche.
C'est évidemment un souvenir oublié qui sur¬gissait pendant le sommeil. On peut en dire autant du récit qui suit :
Dans son ouvrage : Le Sommeil et les Rêves, le professeur Delboeuf raconte que, dans un rêve, le nom de l'Asplenium Ruta Muralis lui parut un nom familier. En s'éveillant, il se creusa en vain la tête pour découvrir où il pouvait avoir appris cette appellation botanique. Longtemps après, il découvrit le nom Asplenium Ruta Muraria écrit par lui-même dans une collection de fleurs et de fougères à côté desquelles il avait inscrit les noms sous la dictée d'un ami.
Dans l'exemple suivant, il y a plus qu'un simple rappel de mémoire. Il semble qu'un certain nom¬bre d'impressions visuelles ont été enregistrées inconsciemment, comme nous verrons tout à l'heure que cela est possible ; puis sous l'influence de l'atten¬tion, elles ont été retrouvées par l'esprit pendant le sommeil. Voici le cas :
En arrivant à l'Hôtel Morley, à 3 heures, dit Mme Bickford Smith, mardi 29 janvier 1889, je m'aperçus que j'avais perdu ma broche, en or, et je supposai que je l'avais laissée dans une salle d’essayage, chez Swan et Edgar. J'envoyai voir et fus désappointée d'apprendre que toutes les démarches avaient été inutiles. J'étais très contrariée et la nuit je rêvai que je la trouvais dans un numéro de la Queen qui avait été sur la table, et dans mon rêve je voyais même la page où elle était. J'avais remarqué une des gravures de cette page. Aussitôt après le déjeuner, j'allai chez Swan et Edgar et demandai les journaux, racontant en même temps aux jeunes femmes mon rêve et où j'avais revu la broche. Les journaux avaient été enlevés de cette chambre ; mais on les retrouva et au grand étonnement des jeunes femmes je dis : « Voici celui qui contient ma broche », et à la page où je m'y attendais, je trouvai la broche.
J'essayerai de tirer les conclusions de l'ensemble de toutes ces observations, et nous verrons com¬bien elles confirment les enseignements du spiritisme par les esprits et les résultats expérimen¬taux obtenus par les savants depuis un demi-siècle dans le monde entier.
Chapitre VII - Les expériences de rénovations de la mémoire
Le périsprit est le conservateur de tous les acquis physiologiques et intellectuels. – Après la mort, le périsprit a conservé toutes ses sensations terrestres. – La période trouble obnubile les facultés intellectuelles. – Comme sur la terre, dans l’espace la mémoire est fragmentaire chez les êtres peu évolués. – Elle peut se réveiller comme celle d’ici-bas par l’action magnétique. – Le Dr Cailleu. – Etudes sur les séances où se produisent de prétendues révélations sur les vies antérieures du sujet ou des assistants. – Difficultés de l’expérimentation magnétique pour obtenir la régression de la mémoire des vies antérieures : 1° Simulation ; 2° Personnalité fictive ; 3° Clairvoyance. – Les cas de MM. Estevan Marata, Gastin, Cornillier, Henri Sausse, Bouvier. – La réincarnation en Angleterre. – Les vies successives de M. de Rochas. – Des Indes à la planète Mars, du professeur Flournoy. – Le cas de la princesse Simandini. – Réveil de souvenirs pendant la trance, encore en Angleterre. – Le rapport du prince de Wittgenstein. – Réveil, chez un sujet, de la mémoire d’une langue étrangère, en Allemagne. – Le cas du fou Sussiac. – Résumé.
Les quelques exemples que je viens de rappor¬ter au sujet de la mémoire ne sont que des cas parti¬culiers pris parmi un très grand nombre d'autres, ce qui nous autorise à croire que toute action exercée sur l'être humain y laisse une trace indélébile, et que, si généralement la mémoire ordinaire ne nous rappelle que les faits les plus importants de notre existence, il n'en est pas moins vrai que les événe¬ments les plus futiles sont gravés en nous et qu'ils peuvent reparaître sous l'influence de causes di¬verses, normales ou provoquées.
Où se fait cet enregistrement des sensations ? Dans quelle partie de notre être a-t-il lieu ? C'est un problème qui n'a pas encore été résolu, et il est très curieux que la science, qui nous a fait connaître le monde et ses lois, soit restée impuissante à pénétrer jusque dans les profondeurs de l'être humain. Ni les physiologistes, ni les psychologues ne sont capables de nous expliquer un fait aussi simple et aussi banal que le sommeil, car, d'après M. Cla¬parède, il existe 21 théories du sommeil, ce qui prouve manifestement qu'aucune d'elles n'est exacte, chacune n'envisageant qu'un aspect de la question. Il en est de même pour la mémoire.
Les savants matérialistes affirment qu'elle est contenue dans le système nerveux, mais il leur est impossible d'indiquer, d'une manière précise, quelles sont les modifications de ce système qui s'effec¬tuent au moment où une impression pénètre dans la masse nerveuse et comment elle peut renaître pour produire la mémoire.
Maudsley, en effet, dit qu'il y a dans les centres nerveux des résidus provenant des réactions mo¬trices. Les mouvements déterminés ou effectués par un centre nerveux particulier laissent comme les idées leurs résidus respectifs qui, répétés plu¬sieurs fois, s'organisent ou s'incarnent si bien dans sa structure que les mouvements correspondants peuvent avoir lieu automatiquement.
On saisit ici le vague et l'imprécision des termes qui masquent mal ceux de la pensée ; d'ailleurs, l'auteur anglais le sent lui-même, car il ajoute :
Quand nous disons une trace, un vestige ou un résidu, tout ce que nous voulons dire, c'est qu'il reste dans l'é¬lément organisme un certain effet, un quelque chose qu'il retient et qui le prédispose à fonctionner de nouveau de la même manière.
M. Ribot convient qu'il est impossible de dire en quoi consiste cette modification. Ni le microscope, ni les réactifs, ni l'histologie, ni l'histochimie ne peuvent nous l'apprendre . En somme, ces au¬teurs admettent que les molécules de la matière vivante qui a reçu l'action d'une force extérieure ne vibrent plus de la même manière que précé¬demment, elles sont dans un nouvel état d'équi¬libre, et si une impulsion de la même nature vient de nouveau à s'exercer sur elles, le mouvement se produira, cette fois, avec plus de facilité que la pre¬mière et s'incarnera pour ainsi dire dans la sub¬stance à laquelle il aura communiqué une pro¬priété nouvelle.
M. Ribot voit dans l'association de ces mouve¬ments de toutes les parties du système nerveux une condition essentielle de la mémoire et cite un certain nombre de faits qui semblent appuyer fortement sa manière d'interpréter ces phénomènes.
C'est ainsi que les mouvements de la marche exigent la participation d'un très grand nombre d'éléments moteurs et nerveux qui ont besoin d'être coordonnés, associés, afin de produire le déplace¬ment voulu. Il entre en jeu des cellules différant entre elles par le volume, par la forme (fusiformes, géantes, pyramidales, etc.), par leur position dans les diverses parties de l'axe cérébro-spinal, puis¬qu'elles sont répandues depuis l'extrémité infé¬rieure de la moelle jusqu'aux couches corticales.
Tous ces éléments jouent leur partie dans ce concert. M. Ribot résume ainsi ces observations :
Nous croyons donc de la plus haute importance d'atti¬rer l'attention sur ce point : que la mémoire organique ne suppose pas seulement une modification des éléments nerveux, mais la formation entre eux d'associations dé¬terminées pour chaque événement particulier, l'établisse¬ment de certaines associations dynamiques qui, par la répétition, deviennent aussi stables que les connexions ana¬tomiques primitives. A nos yeux, ce qui importe comme base de la mémoire, ce n'est pas seulement la modification imprimée à chaque élément, mais la manière dont plu¬sieurs éléments se groupent pour former un complexus.
La mémoire psychologique proprement dite sug¬gère les mêmes réflexions, car nos idées s'associent entre elles suivant des lois déterminées par la conti¬guïté, la ressemblance, la différence, etc.
Il faut noter, en outre, qu'une de ces associa¬tions secondaires peut entrer, à son tour, dans d'au¬tres groupes, afin d'y jouer un rôle différent, car les rapports dynamiques, créés, par exemple, pour la marche, peuvent servir avec d'autres modifications pour le patinage, la natation ou la danse.
Est-ce bien réellement dans la masse nerveuse que s'organisent ces associations et peut-on con¬cevoir rationnellement que ce soit le lieu de leur conservation ? Je ne le crois pas, et voici pour¬quoi : si l'on admet, avec Claude Bernard, que tous ces mouvements produits dans l'organisme exigent la destruction de la substance vivante, le cerveau qui fonctionne avec une activité ininterrompue doit se renouveler un nombre considérable de fois pendant 1a durée de l'existence, de sorte que le mouvement imprimé à une cellule nerveuse doit aller en s'affaiblissant de plus en plus à meure que s'augmente le nombre des rénovations de cette cellule ; dès lors, on conçoit mal comment se main¬tiendraient des relations dynamiques stables au milieu du perpétuel changement des molécules cons¬tituant les milliards de petits organismes qui for¬ment la trame de la substance nerveuse, de manière qu'à la fin de la vie, quand ces reconstitutions ont eu lieu des centaines de fois, le souvenir des pre¬mières années devrait avoir disparu complètement.
Or il se trouve que l'observation a démontré que chez les vieillards ce sont les souvenirs du jeune âge qui persistent les derniers. Cette anomalie est inexplicable, si réellement c'est le système nerveux qui est l'enregistreur de toutes les sensations.
C'est ici qu'intervient l'enseignement spirite, il apporte une explication nouvelle, comme je l'ai dit déjà à plusieurs reprises. Nous savons que l'âme humaine est associée à une substance infiniment subtile à laquelle Allan Kardec a donné le nom de périsprit. Ce corps spirituel existe pendant la vie et survit à la mort. C'est lui qui est le moule dans lequel la matière physique s'incorpore, ou, plus exactement, le plan idéal qui contient les lois organo-géniques de l'être humain ; le périsprit est attaché au corps par l'intermédiaire du système nerveux ; toute sensation qui ébranle la masse ner¬veuse dégage cette sorte d'énergie à laquelle on a donné les noms les plus divers : fluide nerveux, fluide magnétique, force ecténique, force psychique, force biologique, etc., etc. Cette énergie agit sur le périsprit pour lui communiquer le mouvement vibra¬toire particulier suivant le territoire nerveux qui a été excité (vibration visuelle, auditive, tactile, musculaire, etc.), de manière que l'attention de l'âme soit éveillée et que se produise le phénomène de la perception ; dès ce moment, cette vibration fait partie pour toujours de l'organisme périsprital, car, en vertu de la loi de conservation de l'énergie, elle est indestructible. Sans doute, elle pourra dis¬paraître du champ de la conscience, mais, nous l'avons vu, elle persiste inaltérée dans les profon¬deurs de cette mémoire latente que l'on appelle aujourd'hui l'inconscient ; ce sont les expériences spirites qui ont établi la certitude absolue de ce corps spirituel qui se rend visible, pendant le dédou¬blement de l'être humain, et qui témoigne de sa persistance après la mort, par les apparitions, et surtout au moyen des matérialisations. Ces der¬niers phénomènes, qui reconstituent momenta¬nément l'être humain tel qu'il existait sur la terre physiquement et intellectuellement, prouvent avec une lumineuse évidence que c'est bien lui qui orga¬nise et maintient le corps humain et qui, suivant la claire expression de Claude Bernard, en contient l'idée directrice, la structure et les fonctions ; c'est en lui que réside la raison dernière des fonctions biologiques et psychologiques de tous les êtres vivants.
C'est parce que le périsprit est indestructible que nous emportons après la mort l'intégralité de toutes nos acquisitions terrestres et que la mé¬moire se réveille entière et complète chez les êtres suffisamment évolués, de manière à nous faire em¬brasser le panorama de notre existence passée.
Nous allons voir un peu plus loin les conséquences qui en résultent pour la vie spirituelle et pourquoi le souvenir des vies antérieures n'est pas égale¬ment rénové par tous les esprits qui habitent l'espace.
Il est encore difficile à l'heure actuelle de nous représenter avec exactitude les conditions de la vie d'outre-tombe ; cependant les nombreuses com¬munications obtenues depuis un demi-siècle dans le monde entier nous permettent de nous faire une idée générale de l'état psychologique de l'âme après la mort. Nous savons que la séparation entre l'esprit et la matière produit une période de trouble pen¬dant laquelle l'âme n'a pas une conscience exacte de sa nouvelle situation ; elle est comme dans un rêve, et tantôt elle ignore tout du monde matériel qu'elle vient de quitter, tantôt elle en a de vagues perceptions qui, se mélangeant avec ses souvenirs, lui donnent une sorte d'existence anormale com¬parable au délire qui accompagne certaines mala¬dies terrestres. C'est dans cette catégorie qu'il faut classer ces esprits qui se croient encore vi¬vants et dont parfois les manifestations donnent lieu à ces phénomènes de hantise qui ont été si sou¬vent constatés. Si l'on évoque les êtres qui sont dans cette situation, on n'en obtient le plus sou¬vent que des réponses incohérentes, mais peu à peu cette sorte de maladie périspritale prend fin, soit normalement, soit sous l'influence des esprits pro¬tecteurs, et alors l'âme s'éveille dans son nouveau milieu et les souvenirs de la vie terrestre peuvent renaître dans toute leur intégralité.
Nous avons constaté que la mémoire s'inscrit dans le périsprit pour ainsi dire par couches successi¬ves, puisque dans les phénomènes de régression de la mémoire signalée par MM. Pitres, Bourru, Burot, Pierre Janet, etc., chaque âge ressuscite tous les événements contemporains, et que ceux de l'époque de 19 ans, par exemple, sont associés entre eux d'une manière indissoluble et ne se con¬fondent ni avec ceux des âges antérieurs ni avec ceux qui les ont suivis.
Mieux encore, chez certains sujets, tels que Louis V..., l'état physiologique est inséparable de l'état psycho¬logique qui lui est associé ; ceci nous permet de com¬prendre comment, pendant une matérialisation, l'es¬prit se recréant momentanément un corps physique qui est la représentation de celui qu'il possédait à une période de sa vie terrestre, peut le faire par un simple acte de sa volonté, c'est-à-dire par auto¬suggestion.
Il est possible de comparer l'action du corps spiri¬tuel à celle d'un champ de force magnétique ou élec¬trique, car l'on sait que ceux-ci peuvent agir sur la matière au moyen des lignes de force qui forment des dessins plus ou moins compliqués, suivant pour l'aimant, par exemple, la forme des pôles. Il est donc possible d'imaginer que tous les organes terrestres sont représentés dans le périsprit ; qu'au moment de la matérialisation, c'est l'énergie four¬nie par le médium qui met le mécanisme en action, et que cette matière extériorisée à laquelle on donne aujourd'hui le nom d'ectoplasme, qui émane égale¬ment du même médium, vient s'incorporer mécani¬quement dans ce même canevas fluidique auquel elle obéit passivement si l'extériorisation de cette matière n'est pas contrariée par des influences perturbatrices.
L'on conçoit aisément qu'un phénomène aussi anormal s'accompagne de troubles plus ou moins prononcés en ce qui concerne l'état psychologique, et que, pendant les apparitions tangibles, l'être qui se manifeste ainsi ait, dans les premiers temps, une grande difficulté à se servir de son cerveau périsprital qui vient d'être si profondément et si subitement modifié. Ces remarques nous aident à comprendre pourquoi les apparitions de vivants ou celles qui se produisent peu de temps après la mort sont, en général, peu loquaces et fort avares de renseignements si l'on vient à les interroger. Mais il n'en est plus de même quand on a affaire à des esprits qui peu à peu se sont habitués à ce nouvel état, car alors l'on constate que leurs facultés intellectuelles reprennent petit à petit leur fonc¬tionnement normal, tel qu'il était sur la terre. C'est ce que l'on put observer avec Katie King, qui dans les derniers temps de ses apparitions racontait aux enfants de M. Crookes des événements de sa vie passée dans l'Inde ; ou bien avec Mme Estelle Livermore qui finit au bout de 200 séances par pouvoir écrire les messages en français, langue qu'elle possédait parfaitement, alors que le médium Kate Fox l'ignorait complètement. Ces constata¬tions expérimentales ont pour moi, je ne saurais trop le répéter, une valeur de premier ordre, puis¬qu'elles montrent que c'est l'esprit qui possède le pouvoir d'organiser la matière, que c'est en lui que résident les facultés intellectuelles et non dans le corps physique qui, lui, a disparu et dont les éléments sont dispersés dans la nature. Si la mé¬moire de la dernière vie terrestre est rénovée après la mort, il n'en est pas de même dans beaucoup de cas pour celle des existences antérieures, et les ennemis du spiritisme ont essayé de se servir de cet argument pour combattre la théorie de la réincar¬nation. Mais ici encore l'observation des faits nous permet de comprendre cette anomalie apparente.
Nous avons vu qu'il existe des séries de mémoires superposées et que les couches superficielles sont accessibles à la conscience. Si l'on veut pénétrer plus profondément dans le magasin du souvenir, il est nécessaire de plonger le sujet dans l'état som¬nambulique, celui-ci ayant pour résultat de déga¬ger partiellement l'âme du corps en rendant au périsprit le mouvement vibratoire qui lui est pro¬pre. Alors, de même que dans un rayon de lumière blanche il existe des longueurs d'ondes différentes les unes des autres qui s'étendent bien au delà de la partie visible, de même dans le corps spiri¬tuel on constate des zones d'intensité vibratoire prodigieusement différentes. Les couches périspri¬tales des vies antérieures ont un minimum de mou¬vements vibratoires qui les rend inconscientes pour les esprits peu évolués, de sorte qu'ils ignorent s'ils ont vécu antérieurement et qu'ils peuvent soutenir de la meilleure foi du monde qu'il n'existe qu'une vie terrestre. Mais il est possible de réveiller chez ces esprits les souvenirs en les magnétisant, et alors se déroulent devant eux le panorama du passé. Que l'on ne croie pas cette explication in¬ventée pour les besoins de la cause ; ici encore je reste sur le terrain expérimental et il est tout à fait remarquable, que ce soient nos instructeurs spiri¬tuels qui nous aient mis sur la voie de cette dé¬couverte. A une époque où l'on ne connaissait pas les expériences sur la régression de la mémoire, Allan Kardec nous enseignait que, dans l'espace, l'esprit peut être magnétisé comme sur la terre et par ce moyen reconquérir la plénitude d'une mé¬moire intégrale ; voici, en effet, ce que nous lisons dans la Revue Spirite de 1866, pages 175 et suivantes (je cite ce passage parce qu'il semble bien confirmer l'opinion émise plus haut).
Il s'agit de l'esprit d'un médecin très estimé, le docteur Cailleu ; il raconte, par l'intermédiaire du médium Morin, que, bien qu'il fût sorti depuis assez longtemps du trouble, il se trouva un jour dans un état semblable à une espèce de sommeil lucide.
Il dit : lorsque mon esprit a subi une sorte d'engourdisse¬ment, j'étais en quelque sorte magnétisé par le fluide de mes amis spirituels ; il devait en résulter une satisfaction morale qui, disent-ils, est ma récompense et, de plus, un encouragement à marcher dans la voie que suit mon es¬prit depuis déjà bon nombre d'existences. J'étais donc en¬dormi d'un sommeil magnético-spirituel ; j'ai vu le passé se former en un présent fictif ; j'ai reconnu des individuali¬tés disparues par la suite des temps, ou plutôt qui n'avaient été qu'un seul individu. J'ai vu un être commencer un ou¬vrage médical, un autre, plus tard, continuer l'ouvrage laissé ébauché parle premier, et ainsi de suite. J'en suis arrivé à voir, en moins de temps que je n'en mets à vous le dire, d'âge en âge se former, grandir et devenir science ce qui, dans le principe, n'était que les premiers essais d'un cerveau occupé d'étude pour le soulagement de l'huma¬nité souffrante. J'ai vu tout cela, et lorsque arrivé au der¬nier de ces êtres qui successivement avaient apporté un complément à l'ouvrage, alors je me suis reconnu. Là tout s'évanouit et je redevins l'esprit encore en retard de votre pauvre docteur.
Ici l'enseignement de nos guides spirituels a de¬vancé la science, et ce récit nous prouve que les lois du magnétisme sont les mêmes dans l'espace que sur la terre. Donc, réciproquement, si nous magnétisons un sujet terrestre assez pour extério¬riser son corps fluidique et si nous continuons sur l'esprit dégagé l'action magnétique de manière à atteindre les couches profondes du périsprit, il se peut que nous rénovions la mémoire des vies antérieures de ce sujet.
C'est ce que les spirites espagnols ont fait, comme il est facile de s'en convaincre en se reportant au compte rendu du congrès spirite de 1889. Plus tard, sur les indications de Léon Denis, le colonel de Rochas s'est engagé dans la même voie et a obtenu quelques résultats intéressants, qui sont consignés dans son livre : Les Vies successives. Mal¬heureusement ces expériences ne sont pas à l'abri de certaines critiques, principalement en ce qui concerne la suggestion que le magnétiseur exerce même involontairement sur ses sujets. Je suis per¬suadé cependant que l'on arrivera à se mettre à l'abri de ces causes d'erreurs, et nous pourrons acquérir de nouvelles preuves de la grande loi de l'évolu¬tion qui régit l'univers entier. Alors, en prenant en considération ce pouvoir que possède le corps périsprital de retenir à tout jamais toutes les in¬fluences qui ont agi sur lui pendant tous ses passa¬ges sur la terre, nous aurons ainsi une explication claire et simple des problèmes de l'hérédité que la science contemporaine est impuissante à résoudre. Ce sera encore un service immense que le spiritisme aura rendu à l'humanité, et nos successeurs lui accorderont enfin l'hommage qui lui est si jus¬tement dû. En attendant nous allons passer rapi¬dement en revue les résultats obtenus dans les séances spirites avec des sujets endormis ou au moyen de médiums servant d'intermédiaires à des esprits désincarnés.
Etude sur les séances où se produisent de prétendues révélations sur les vies antérieures du sujet ou des assistants
S'il est parfaitement exact, comme nous le verrons plus loin, que l'on peut pousser la régression de la mémoire jusqu'à des vies antérieures chez certains sujets somnambuliques, il est non moins sûr, malheureusement, que l'étude de cette ques¬tion est hérissée de difficultés de toute nature.
On est obligé dans ces recherches de se tenir en garde en premier lieu contre une simulation tou¬jours possible si l'on a affaire à des sujets profes¬sionnels ; en second lieu, même avec des somnam¬bules parfaitement honnêtes, il faut se défier tou¬jours de leur imagination qui se donne souvent libre carrière en forgeant des histoires plus ou moins véridiques auxquelles le professeur Flournoy a donné si justement le nom de romans subliminaux ; ces sortes de personnifications d'individus imagi¬naires ont été fréquemment produites expérimen¬talement, entre autres par M. le professeur Richet, qui les a désignées par le terme d'objectivation des Types ; et nous savons que par auto-suggestion il est parfaitement possible à un sujet plongé dans cet état de s'imaginer qu'il est tel ou tel personnage et de le composer avec un si grand luxe d'attitudes et de détails caractéristiques qu'il semblerait que l'on se trouve réellement en face d'une individua¬lité véritable.
D'autres causes d'erreurs, suivant les cas, peuvent encore intervenir si le sujet possède une faculté de clairvoyance ou de cryptésthésie qui lui permet de prendre connaissance des pensées des assistants, ou, s'il est psychomètre, de ressusciter avec une parfaite vraisemblance des scènes qui ont eu lieu fort loin de lui et à des époques passées.
On le voit, il est absolument nécessaire de scruter tous les récits qui nous sont parvenus avec la plus sévère méthode critique, si l'on ne veut pas se lais¬ser entraîner à des conclusions hâtives que l'avenir ne tarderait pas à démentir. C'est en me soumet¬tant à cette discipline que j'analyserai les cas sui¬vants, après en avoir éliminé un certain nombre d'autres qui ne m'ont pas paru présenter des garan¬ties suffisantes d'authenticité.
Voici d'abord une catégorie dans laquelle la bonne foi du sujet et des expérimentateurs me semble certaine. Ces faits ont été, pour la plupart, observés spontanément par des spirites, et comme ils diffè¬rent des recherches systématiques de MM. Flournoy et de Rochas, je vais les relater en premier lieu, car ils ont la priorité.
Au congrès de 1900, M. Estevan Marata fit l'inté¬ressante communication suivante, qui montre com¬ment on pourrait parvenir parfois à faire renaître, pendant l'état somnambulique, des souvenirs em¬pruntés aux vies antérieures.
C'était, dit-il, en 1887 ; il y avait en Espagne un groupe spirite nommé la Paix, dont le fondateur et le président était Fernandez Colavida, surnommé, de l'autre côté des Pyrénées, le Kardec espagnol. Dans toutes ses séances, ce groupe faisait l'étude et le contrôle des problèmes spi¬rites. Ma femme et moi nous étions à cette époque membres de ce groupe.
Or, un jour, M. Fernandez Colavida a voulu essayer s'il pouvait provoquer sur un somnambule le souvenir de ses existences passées. Voici comment il agit. Le médium étant magnétisé à un haut degré, il lui commanda de dire ce qu'il avait fait la veille, l'avant-veille, une semaine, un mois, un an auparavant, et le poussant ainsi il le fit arriver jusqu'à son enfance qu'il expliqua dans tous ses détails.
En le poussant toujours, le médium raconta sa vie dans l'espace, la mort de sa dernière incarnation et, poussé continuellement, il arriva jusqu'à quatre incarnations, dont la plus ancienne était une existence tout à fait sau¬vage. Il faut remarquer qu'à chaque existence les traits du médium se modifiaient complètement. Pour le ramener à son état habituel, il le fit revenir en arrière jus¬qu'à son existence présente, puis le réveilla.
Ne voulant pas être accusé de s'être trompé, il fit ma¬gnétiser le même médium par un autre magnétiseur qui devait lui suggérer que les existences passées n'étaient pas vraies. Malgré cette suggestion, le médium exposa de nouveau les quatre existences, comme il l'avait fait quelques jours auparavant.
J'ai obtenu le même résultat sur le même fait, avec un autre médium ; j'ai magnétisé ma femme jusqu'au somnambulisme pour contrôler une poésie que lui avait offerte Mme Amalia Domingo Soler, dans laquelle un esprit lui annonçait un fait qui lui était arrivé dans une existence antérieure ; et en effet le cas a été confirmé par ma femme dans cet état de somnambulisme.
Je crois que si quelqu'un veut entreprendre ces études, il pourra obtenir les mêmes résultats, mais il faut entourer le médium de tous les soins possibles, car il peut lui arri¬ver des accidents très dangereux. Ne poussez pas trop loin vos recherches et n'essayez ces études qu'avec de par¬faits somnambules habitués à se séparer du corps et à ne rester unis que par le périsprit.
Il est clair que nous n'avons ici aucune démons¬tration effective de la réalité de ces rétrocognitions, car la seconde expérience avec suggestion que ces visions n'existent pas ne pouvait avoir de prise sur la conscience somnambulique du sujet.
De plus, aucune révélation vérifiable n'étant donnée relativement à ces vies antérieures, rien ne nous autorise à y voir une véridique résurrection du passé. Arrivons maintenant à des expériences effectuées dans d'autres milieux.
Révélation imprévue
Je dois à l'obligeance de M. Gastin, l'éminent occultiste bien connu, la relation suivante :
CHER MONSIEUR DELANNE,
Je me fais un plaisir de vous confirmer ci-dessous la très curieuse expérience que j'ai obtenue, il y a un certain nombre d'années déjà, d'une manière tout à fait impromptue.
C'était en 1906. Je demeurais encore à Avignon et je m'occupais déjà beaucoup de l'étude systématique des phénomènes psychiques, en dehors de toute doctrine ou théorie.
Je n'étais pas encore parvenu à me faire une opinion sur la valeur de l'hypothèse spiritualiste, et mes tendances positives m'inclinaient plutôt à trouver dans la suggestion et l'auto-suggestion une explication suffisante de tout le phénoménisme psychique et parapsychique.
J'allais fréquemment à Romans, dans la Drôme, où mon oncle demeurait avec une famille de spirites composée, en dehors du père et de la mère, de deux jeunes filles dont je n'eus aucune peine à faire deux sujets d'expériences.
Dans l'espoir d'obtenir un contrôle plus sérieux du phé¬nomène, j'endormais simultanément les deux jeunes filles et essayais d'obtenir avec elles des faits de voyance som¬nambulique, pendant que mon oncle, médium écrivain, recevait des communications à quelques pas de là.
Aimée, le plus jeune des deux sujets, présentait de fré¬quentes et fort intéressantes manifestations de somnam¬bulisme lucide. Je ne vous en parlerai pas ici, bien que certaines d'entre ces manifestations fussent vraiment dignes d'intérêt.
L'aînée, Juliette, ne présentait, par contre, aucun phé¬nomène intéressant : elle demeurait dans une espèce de léthargie inconsciente d'où je la tirais vainement en lui ouvrant les yeux et en la regardant. Un état cataleptoïde survenait, et elle refermait les yeux aussitôt que mon re¬gard, pour une raison ou pour une autre, les quittait. En dehors de ce fait banal, rien, absolument rien, n'était venu me faire espérer une réalisation quelconque dans l'ordre expérimental, avec ce sujet médiocre. La perte de conscience était évidente toutefois.
Un jour, renouvelant un essai vainement tenté tant d'autres fois et d'ailleurs sans but précis ou objet déter¬miné, alors que les deux sœurs étaient endormies et mon oncle à la table, devant son papier, je m'approchais de Juliette, le sujet médiocre, et lui ouvrant les yeux je la regardai comme de coutume, lorsque brusquement elle me dit, l'air surpris : « Comme c'est curieux. Je ne vous vois plus... ou plutôt je vous vois vieilli, chauve et le regard sévère. Mais non ce n'est pas vous... c'est bien votre ex¬pression, mais ce n'est pas vous ; c'est un vieillard qui vous ressemble, et derrière ce visage froid et sévère qui m'effraie, je vous vois, vous, tel que je vous connais, vivant et sou¬riant ».
Comme je demandais de plus amples détails, Juliette ajouta : « Ah ! le visage du vieillard a disparu... Mais un autre le remplace. » Et successivement, dans un ordre que je n'eus pas le temps de noter, tellement le fait avait été imprévu et rapide, le sujet décrivit une longue série de visages de tous âges, hommes et femmes, qui venaient, comme des masques vivants mais froids, se placer devant ma propre physionomie vivante, et toujours c'était la même expression du regard. Cette porte de l'âme, au dire des physionomistes, que le sujet reconnaissait être ma propre expression, est comme la caractéristique de mon individualité.
Puis, soudain toute vision disparut et Juliette ne vit plus que moi actuel et présent.
Je demandai alors au sujet ce que pouvaient représen¬ter, à son avis, les curieuses visions kaléidoscopiques. Juliette répondit nettement qu'elle n'en savait rien. Je m'approchai de sa sœur, qui dormait toujours à quelques pas, et lui demandai si elle avait vu aussi.
Oui, me répondit-elle ; il y a même eu beaucoup plus de figures que ma sœur n'en a signalé, mais elles passaient si vite que quelquefois ma sœur ne pouvait les saisir. - Que pensez-vous que puissent signifier ces visions ? - Vos précédentes existences.
A ce moment précis mon oncle écrivait médiumnique¬ment : Ce sont vos précédentes incarnations.
Evidemment il n'y avait dans cette succession de faits, pour moi qui me trouvais à ce moment en dehors de toute doctrine spiritualiste et assez disposé à voir partout le rôle de la suggestion ou de l'auto-suggestion, rien de démonstratif touchant la possibilité d'une vision d'in¬carnations passées.
Je me trouvais chez des spirites et je pensais qu'il était tout naturel de recevoir d'Aimée et de mon oncle en rela¬tion subconsciente avec Juliette une explication de l'or¬dre spirite.
Pour mieux observer le phénomène, je résolus de le pro¬voquer à nouveau, et, m'approchant de Juliette, je lui demandai d'ouvrir à nouveau les yeux, lui suggérant qu'elle allait voir les mêmes visions se dérouler à nouveau.
Malgré tous mes efforts de suggestion (j'étais alors en pleine forme comme hypnotiseur), il me fut impossible de reproduire, même embryonnairement, la même vision, et je dois ajouter, car le fait a une importance capitale, que par la suite Juliette redevint le sujet médiocre qu'elle avait été jusque-là, et que plus aucune manifestation ne vint jamais s'affirmer. Ainsi disparaissait l'argument explicatif de la suggestion et de l'auto-suggestion. Ce n'est pas avec vous, cher Monsieur Delanne, que j'ai à développer ce point de logique ; vous le ferez avec plus de précision et d'autorité que moi, si vous croyez devoir uti¬liser dans vos travaux le récit que je viens de vous faire, une expérience qui fut le point de départ d'une série d'études de ma part touchant la dualité de l'être intime et la diffé¬rence fondamentale que nous devons établir dans leur na¬ture autant que dans leurs relations entre la personnalité vivante et l'individualité spirituelle que cette personnalité reflète sans la connaître et dont elle n'est que le prolonge¬ment.
Croyez, cher Monsieur et ami, à mes sentiments bien fraternels,
Louis GASTIN.
Il paraît évident que toute suggestion de la part de M. Gastin doit être éliminée, mais comme la scène se passe dans un milieu spirite dans lequel les idées de réincarnation sont familières, on peut supposer qu'il y ait eu temporairement irruption d'idées subconscientes qui se sont extériorisées sous des formes visuelles en rapport avec cette théorie. Cependant le second sujet confirmant les descriptions du premier aurait eu une grande va¬leur si ce second sujet n'avait pas entendu sa sœur faire ces descriptions. Il en est de même pour l'écri¬ture médiumnique de l'oncle de M. Gastin.
Enfin aucune précision n'étant fournie sur ces antériorités, qui ait permis une vérification ultérieure, je suis obligé logiquement, sans nier la possi¬bilité d'une révélation exacte, de classer ce fait parmi ceux qui n'offrent pas de preuves suffisantes de leur réalité.
Il en sera de même pour le cas suivant :
Roman subliminal ou réminiscence
Dans son intéressant ouvrage : la Survivance hu¬maine, page 535-536, M. Cornillier raconte ainsi une des séances qu'il eut avec son médium Reine, un jeune modèle tout à fait ignorant des théories spirites.
Les voilà, dit-elle, maintenant en contemplation devant le lac et causant... et c'est d'une réalité si prodigieuse qu'il nous semble être en tiers dans leur causerie. La lucidité du médium se clarifie de plus en plus. La vue de ce lac bleu fait renaître les souvenirs de ses vies antérieures en Italie et en Orient. Elle en relate certains incidents à ses deux compagnons, fait des descriptions, des compa¬raisons. Elle raconte sa vie à Naples et à Capri.
Elle parle de la Sicile, décrit des aspects du Vésuve avec une précision extrême. A Capri, elle a connu une maison qu'habitera plus tard Vetellini ; elle donne sa situation exacte ; elle fait des observations sur les scènes de la na¬ture ; elle a vu la mer bouillonnante quand les laves du Vé¬suve s'y engloutissaient ; le manque absolu d'oiseaux dans ce beau ciel, etc. Puis elle apprécie l'Orient, s'étonne que Vieil ami n'ait jamais eu la curiosité d'y aller depuis qu'il est un esprit.
Ça te serait si facile ! Pourquoi n'y vas-tu pas ? Ah ! tu aimes mieux les banques et la bourse ; eh bien, une fois nous irons ensemble. Je t'y mènerai. Oh ! moi, je connais bien l’Egypte... Et elle revient au temps où elle était un guérisseur. En Egypte, docteur de l'âme et du corps. En cette vie-là, elle était avec Vetellini ; ils étaient amis, lui déjà plus avancé, au-dessus d'elle (de lui plutôt) et le protégeant. Elle remarque qu'en Orient, en raison des conditions atmosphériques, la vie de l'astral est per¬ceptible. Les incarnés un peu évolués sentent pour ainsi dire constamment le frôlement des désincarnés.
Toute cette causerie est prodigieuse ; malgré notre accou¬tumance, nous en sommes émerveillés. Mais plusieurs fois déjà Reine a remarqué qu'elle ne pourra jamais arriver à mettre M. Cornillier au courant de tout cela. Vetellini la rassure, lui dit qu'il la fait parler tout haut. Elle ne le croit qu'à moitié ; cela lui semble impossible qu'elle ait pu dire à haute voix à Paris ce qu'elle a vu et ressenti ici en Amérique. Il faut revenir, afin qu'elle puisse vérifier si c'est vrai.
Le guide Vetellini avait dit déjà dans une autre séance que Reine avait vécu en Egypte. Une pierre d'un collier de ce pays lui étant mise dans la main, elle dit : « Ça. Vient d'Egypte. Est-ce de la psychométrie ? »
Ici encore, aucune indication précise sur ces pré¬tendues vies antérieures, et les descriptions faites par Reine pourraient à la rigueur être le fruit de lectures anciennes ou de conversations entendues, ou même de l'action clairvoyante du sujet. Ce qui oblige à la plus grande réserve dans l'apprécia¬tion de ce curieux phénomène.
Il semble qu'avec les cas suivants nous fassions un petit pas en avant vers quelque chose de plus démonstratif.
J'emprunte le récit suivant à la brochure publiée par M. Henri Sausse. Connaissant personnellement l'auteur de longue date, je puis garantir son absolue bonne foi et la véracité de ses comptes rendus .
En venant à nos réunions, Mme Conte Calix se faisait accompagner par Mlle Sophie, sa demoiselle de compagnie. Celle-ci, après avoir vu la facilité avec laquelle les médiums étaient mis en somnambulisme et l'état de bien-être dans lequel ils se trouvaient au réveil, me fit demander d'essayer de l'endormir pour voir si elle avait, à l'état latent, des fa¬cultés qui pourraient nous être utiles. A la fin d'une séance, je dis à Mlle Louise avant de la réveiller : « Aidez-la à se dé¬gager, je vais endormir Mlle Sophie. » Elle me répondit nerveusement et à voix basse : « Non, je ne veux pas. Je ne veux pas, et puis faites comme vous voudrez. Je fus surpris du ton sur lequel cette observation fut faite, mais je n'insistai pas. Le lendemain, je revis Mlle Louise et sans lui dire le but de ma visite, je la mis en som¬nambulisme et lui demandai la cause de sa conduite de la veille. Elle s'obstina longtemps à vouloir garder pour elle un secret qui ne me concernait pas ; cependant, sur mon insistance, elle finit par me déclarer : « je m'y suis op¬posée parce que cette personne a été la cause de mon mal¬heur dans une autre existence ; nous nous sommes juré une haine éternelle, je la méprise, je la hais et jamais je ne lui pardonnerai, jamais, entendez-vous, tout le mal qu'elle m'a fait.
- Je crois cependant, lui dis-je, que ce n'est pas le ha¬sard seul qui vous a mises sur le même chemin, mais que ce sont nos amis pour vous donner le moyen de vous ré¬concilier. » Elle se révolta contre cette idée, mais à force de patience et de bonnes raisons, je finis par lui faire pro¬mettre qu'elle m'aiderait à l'endormir et lui pardonnerait.
A la séance suivante je n'avais rien dit à personne de cette dernière entrevue. Après avoir endormi simultané¬ment Mlle Louise, Mme Maria et M. Molaret, je fis mettre ce dernier à ma place, à droite de Mlle Louise et Mme Maria à sa gauche, et me plaçant en face de Mlle Sophie, je me mis en devoir de provoquer chez elle le somnambulisme. A ce moment Mme Maria et M. Molaret prirent Mlle Louise par la taille en lui disant :
«Allons, Louise, du courage, il faut l'aider à se dégager; il faut aussi lui pardonner, il faut oublier. Oui, pardonnez et oubliez ; ce sont nos amis qui vous le demandent ; il faut que cette haine prenne fin et qu'un pardon sincère vous réconcilie. »
Mlle Sophie venait de s'endormir à son tour ; alors Mlle Louise la prit par la main et lui dit : « Voyez et souvenez-vous. » Mlle Sophie resta un moment comme stu¬péfaite, médusée, puis elle se mit à pleurer à chaudes larmes en disant : « Non, vous ne pouvez pas me pardon¬ner, je vous ai fait trop de mal pour que vous puissiez l'oublier. Où me cacher ? J'ai honte de moi-même. » Et elle pleurait à inonder son corsage. Louise et les autres pleuraient aussi. Enfin Mlle Louise dit : « Puisque nos amis le demandent, que tout s'efface de ce passé sinistre, que tout soit oublié. » Et s'étant levés spontanément, les quatre médiums se tenaient enlacés dans une forte étreinte, pleurant maintenant de joie et de ravissement. J'eus beaucoup de mal à les ramener tous les quatre au sen¬timent de la réalité et à les faire revenir pour les réveiller. Les autres membres du groupe avaient suivi cette scène pathétique sans bien la comprendre. Je dus leur donner la clef de l'énigme. C'était la fin d'une haine posthume. J'ai observé ailleurs deux autres cas semblables.
En septembre 1887, à une séance, un des esprits qui nous aidaient dans nos travaux, l'ami Joseph, nous dit : « Je viens vous faire mes adieux, je ne reviendrai plus à vos réunions où vous m'avez si fraternellement accueilli, je vais me réincarner. - Si vous vouliez nous dire dans quelles con¬ditions nous pourrions vous rechercher pour encore nous occuper de vous. - Non, c'est inutile ; ce serait contre la loi de Dieu. Si le mystère de notre passé nous est caché, c'est qu'il y a pour cela des motifs sérieux et que nous ne pouvons enfreindre en cherchant à soulever le voile qui nous cache notre destinée. » Ce fut sa dernière visite.
Si nous ne connaissions pas d'exemples de con¬tagion psychique se produisant entre sujets à l'état somnambulique, nous pourrions classer ce fait de reconnaissance réciproque parmi les bonnes preuves de la réincarnation.
Malheureusement, ici encore, aucun renseignement précis n'est donné sur les vies antérieures des deux sujets, ce qui nous laisse dans l'indécision et ne permet pas de se prononcer d'une manière absolue sur la valeur de cette reconnaissance mutuelle.
Voici un autre cas ambigu où l'action terrestre produisant une obsession aurait été déterminée par une haine contractée dans une existence pré¬cédente. Je l'emprunte à l'étude sur la réincarnation de M. Bouvier .
Haine tenace
Vers la fin de l'année 1886 une dame de la rue Saint¬-Marcel, aujourd'hui rue Sergent-Blandan, avait été enfermée depuis quinze ans dans différentes maisons de santé comme atteinte d'aliénation mentale. Au bout d'un certain temps, son état semblant s'améliorer, elle sortait pour rentrer dans sa famille, mais de nouvelles crises d'une très grande in¬tensité obligeaient celle-ci à la faire enfermer à nouveau. Voyant que cet état se perpétuait, les intéressés eurent recours à l'action magnétique, croyant avec juste raison qu'il serait possible d'obtenir un résultat que la science officielle ne pouvait donner. Et, en effet, c'est ce qui eut lieu dans les conditions suivantes :
A la deuxième séance, voulant faire voir par mon sujet Isidore quelle était la cause du dérangement cérébral de cette dame, il me dit qu'elle était obsédée et que, si je voulais appeler et moraliser l'esprit qui était cause de son trouble, j'en aurais bien vite raison. C'est ce que je fis et peu à peu l'obsesseur fit connaître la raison qui le fai¬sait agir.
Dans une précédente existence, me dit-il, je faisais par¬tie d'une famille princière russe. Nous étions trois enfants, deux filles et un garçon. Mes sœurs, pour jouir de mon pa¬trimoine, me firent enfermer dans une maison d'où je ne pus sortir que par la mort. Là je me suis juré que, si je le pouvais, tôt ou tard, je me vengerais. Dieu dans sa bonté a permis que nous nous réincarnions dans le même mi¬lieu, de telle façon que par les liens du mariage nous sommes arrivés à être beau-frère et belle-sœur ; malgré cela, pendant ma vie, nous n'avons pu sympathiser ensemble sans en connaître les raisons. Je suis mort au monde de la matière voilà treize ans ; je pus me reconnaître assez vite pour voir que ma sœur du passé était ma belle-sœur du présent. De là notre antipathie l'un pour l'autre et de là aussi ma vengeance ; j'étais mort enfermé ; je voulus qu'à son tour elle subit le même sort. Maintenant je comprends mes torts, puisque, malgré ma vengeance, la souffrance est toujours mon lot ; aussi je veux lui demander pardon et promettre de la laisser vivre en paix. Le pardon eut lieu, c'était une scène touchante de voir le médium entrancé et Mme B... pleurer dans les bras l'un de l'autre en regrettant le passé. Il faut avoir vu pour sentir que là il ne pouvait y avoir de comédie. A partir de ce moment la cure fut radicale ; cette dame vécut encore douze années avec une lucidité parfaite et s'est éteinte bien dou¬cement à l'âge de 72 ans des suites de l'influenza. Quant à savoir s'il est vrai que ces êtres faisaient partie ou non d'une famille princière russe, ce qui serait une preuve de plus en faveur de la réincarnation, la chose est difficile à contrôler, mais ce qu'il y a de bien certain, c'est que 16 ans auparavant, un beau-frère de la malade portant le nom donné par le médium entrancé et avec lequel elle n'avait jamais sympathisé était bien mort ; de plus, qu'un an après sa mort, Mme B... était enfermée une première fois ; mieux encore, la réalisation de la promesse faite après le pardon réciproque nous montre bien qu'il y avait une cause cons¬ciente d'elle-même. Or comme toute la partie contrôla¬ble est vraie, il y a des probabilités pour que celle qui ne l'est pas le soit aussi.
La réincarnation en Angleterre
Les adversaires du spiritisme ont souvent affirmé qu'il y avait fréquemment contradiction absolue entre les enseignements des esprits désincarnés qui se manifestent en France et en Angleterre, au sujet de la réincarnation.
Sans doute, la majorité des désincarnés anglo-¬saxons n'admettent pas que l'évolution de l'âme ait lieu sur notre globe par une suite de vies terrestres. Ils enseignent que cette évolution se produit dans les différents plans de l'espace et sur d'autres pla¬nètes. Mais il existe cependant de nombreux centres dans lesquels les enseignements de l'au-delà sont conformes à ceux des pays latins, et c'est un point intéressant à signaler, car, de plus en plus, la théorie palingénésique gagne du terrain chez nos voisins et même dans l'Amérique du Nord. En voici un exemple entre beaucoup d'autres que je pourrais signaler .
La réincarnation peut-elle être prouvée ?
L'auteur commence par dire qu'en Angleterre la majorité des spirites refusent d'y croire, parce que tous les médiums parlant à l'état de trance déclarent, non pas que la réin¬carnation est certainement un mythe, mais qu'ils n'ont au¬cune notion à ce sujet. En outre, les hommes trouvent le séjour de la terre si triste qu'ils ne peuvent se faire à l'idée d'y revenir. Enfin la plupart des spirites se réservent en demandant des preuves et ne pensent pas que l'on en ait encore de suffisantes.
- J'étais du nombre de ces derniers, continue-t-il, et je rejetais ce point de doctrine avec d'autant plus d'é¬nergie que pendant longtemps les esprits qui se manifes¬taient par ma médiumnité lui étaient nettement opposés. Mais depuis trois ans un groupe d'esprits vient dans notre cercle, qui est privé, et proclame que la réincarnation n'est pas une pure théorie, mais un fait. Quand je repris mes sens la première fois et que l'on me fit connaître ce que j'avais dit, je protestai vivement d'abord contre le choix qui était fait de moi, adversaire décidé, pour dé¬fendre une telle théorie. Cependant ils y revinrent avec une telle insistance que l'on finit par leur dire : « Pouvez-¬vous nous le prouver ? » Ils nous répondirent : « Laissez¬-nous d'abord vous montrer qui nous sommes, et lorsque vous aurez suffisamment confiance en nous, nous achè¬verons notre oeuvre. »
Ils donnèrent alors de telles preuves d'identité et de leur connaissance du passé, du présent et dans certains cas de l'avenir ; ils rendirent aux membres de ce petit cercle de tels services de tous ordres qu'une pleine confiance leur fut accordée.
Ils promirent alors de nous mettre en relations avec des personnes que nous avions connues dans une précédente existence et de nous montrer des scènes de nos vies pas¬sées que nous reconnaîtrions. Un soir, on nous décrivit une dame en me disant que je la rencontrerais sous peu. Dix jours plus tard, je me rendis sur une plage de bains de mer où je n'étais jamais allé et où je retins un appartement par correspondance.
A mon arrivée, l'hôtesse me dit qu'il y avait dans la maison une dame qui attendait ma venue ; elle était étran¬gère au pays et était venue deux jours auparavant occuper un appartement. Elle avait dit qu'elle avait souvent des songes dans lesquels elle voyait des personnes qu'elle devait rencontrer dans la suite : « Ainsi, ajouta-t-elle, j'at¬tends cette semaine M. W... que je ne connais pas. Je ne sais où ni quand, mais je sais que cela aura lieu. »
Une preuve bien plus frappante fut donnée à un autre membre du cercle. Une dame fut présentée à un monsieur et aussitôt sa mémoire lui retraça une autre existence dans laquelle elle l'avait connu. La reconnaissance fut réci¬proque, car il sourit en disant :
« Vous vous souvenez donc de moi. S'il en est ainsi, que chacun de nous écrive à part les noms sous lesquels nous nous sommes déjà connus. » C'est ce qu'ils firent, puis ils échangèrent les feuilles de papier sur lesquelles ils avaient inscrit les noms. Ils étaient identiques.
Si l'on ne veut pas y voir une preuve, je demande que l'on me fournisse une autre explication. Pour moi, je m'en tiens à ce que nous en dit l'esprit guide.
Je pourrais citer encore d'autres preuves, mais je pré¬fère m'en tenir à celle-là. Pourquoi les esprits qui nous ont si bien prouvé qu'ils disaient la vérité sur tous les autres points nous tromperaient-ils sur celui-ci ?
Dans ces deux exemples, malheureusement trop peu détaillés, la certitude de la vie antérieure résulte de l'affirmation des esprits guides ; mais l'évocation simultanée des souvenirs relatifs à une existence précédente, s'ils ne résultent pas d'une sugges¬tion spirituelle, prouverait que réellement c'est une résurrection du passé qui s'est produite pour chacun des expérimentateurs, et ceci à l'état normal, ce qui augmente la valeur du cas.
Les vies successives
Tel est le titre d'un ouvrage publié en 1911 par M. le Colonel de Rochas, ancien administrateur de l'École Polytechnique. L'auteur est bien connu pour les nombreuses recherches qu'il fit sur l'extério¬risation de la sensibilité, les états superficiels et profonds de l'hypnose, et en dernier lieu pour ses expériences concernant la mémoire prénatale. Dans l'ouvrage en question, il rapporte les expé¬riences qu'il fit de 1892 à 1910 avec 19 sujets, pour essayer de réveiller chez chacun d'eux, en les plon¬geant dans des états magnétiques de plus en plus profonds, le souvenir de leurs vies antérieures.
Son procédé consistait à faire des passes longitu¬dinales, afin d'endormir de plus en plus les sujets et à leur faire des suggestions, de manière à ré¬veiller en eux tous les souvenirs de la vie actuelle jusqu'à la naissance, et, en poussant l'expérience plus loin encore, à obtenir d'eux les révélations sur les existences qui auraient précédé la vie actuelle.
Tous ces sujets lui ont fait des récits plus ou moins vraisemblables de vies antérieures. Malheureuse¬ment, dans la majorité des cas, il a été impossible de s'assurer de la réalité de ces visions rétrospec¬tives. L'auteur ne s'est pas attaché suffisamment à faire préciser les noms, les dates et les lieux où se seraient déroulées ces visions régressives. Je crois que, si M. de Rochas avait mieux connu et pratiqué les expériences du spiritisme, il aurait pu tirer un grand fruit de sa réelle puissance fluidique, en priant les esprits désincarnés de l'aider dans cette recherche, en agissant de leur côté sur l'âme du sujet lorsqu'elle est extériorisée, puisque c'est pendant cette période que se produit la rénovation de la mémoire intégrale.
M. de Rochas n'a pas été plus heureux dans une autre tentative en sens inverse, celle de faire prévoir par les sensitifs ce qui devait leur arriver plus tard.
Pour ramener le somnambule à son état normal, M. de Rochas employait des passes transversales et il les continuait après le réveil, ce qui remettait le sujet dans un autre état où soi-disant il pré¬voyait l'avenir.
Je crois que, dans ce cas, la suggestion exercée par le magnétiseur était vraiment la cause efficiente, car le rapport entre lui et ses sujets était toujours très intime, et il y a lieu de supposer que son action mentale se transmettait à ceux sur qui il opérait avec la plus grande facilité.
Quoi qu'il en soit de cette hypothèse, voici com¬ment l'auteur résume lui-même le long travail au¬quel il s'est livré :
Nous avons relaté un certain nombre d'expériences où, sous l'influence des passes magnétiques, des sensitifs, dont l'âme se trouvait plus ou moins dégagée des liens du corps paraissaient revivre des vies déjà vécues ou vivre des vies futures. Ce phénomène se présente sous des formes diverses suivant les individus. Chez les uns, les diverses transformations ont l'apparence de la réalité absolue et se répètent toujours identiques et, dans le même ordre ; à plusieurs mois d'intervalle, le sujet les vit d'une façon saisissante avec des états physiques et intellectuels qui le caractérisent. Chez les autres, elles varient quelque peu et ressemblent plutôt à des souvenirs dans lesquels on reconnaît facilement l'intervention de lectures an¬térieures ; elles n'en sont pas moins intéressantes, parce qu'elles empêchent d'avoir une confiance aveugle dans les premières et mettent sur la voie d'une explication purement physique. Une constante se reproduit cependant dans toutes ces manifestations : l'expiation, dans les vies suivantes, de fautes commises dans les vies précédentes.
Quelles sont donc les conclusions qu'on peut tirer des faits que j'ai rapportés ?
Elles sont de deux sortes, les unes certaines, les autres simplement problématiques. Il est certain qu'au moyen de procédés magnétiques, on peut, chez certains sujets doués d'une sensibilité suffisante, provoquer une série de phases de léthargie et d'états somnambuliques qui se succèdent régulièrement comme les nuits et les jours, et au cours desquelles l'âme parait se dégager de plus en plus des liens du corps et s'élancer dans les régions de l'espace et du temps généralement inaccessibles pour elle dans l'état de veille normal.
Il est certain qu'au moyen de certaines opérations ma¬gnétiques, on peut ramener progressivement la plupart des sensitifs à des époques antérieures de leur vie actuelle avec des particularités intellectuelles et physiologiques caractéristiques de ces époques et jusqu'au moment de leur naissance. Ce ne sont pas les souvenirs qu'on éveille, ce sont les états successifs de la personnalité qu'on évoque. Ces évocations se produisent toujours dans le même ordre et à travers une succession de léthargies et d'états somnambuliques. Ce phénomène se produit spontanément chez quelques malades, mais seulement pour certaines pério¬des de leur existence.
On peut l'expliquer en supposant que les souvenirs s'en¬registrent dans les couches successives du cerveau, les plus anciens se trouvant localisés dans les couches les plus profondes et que, par suite de circonstances diverses, l'ac¬tivité vitale qui, d'ordinaire se porte aux couches externes, revient dans telle ou telle partie de la masse cérébrale devenue inerte par le temps ; mais une explication plus probable, parce qu'elle est appuyée sur le témoignage des voyants, est que le phénomène est dû à la concentration du corps fluidique qui reprend les formes qu'il a eues successivement pendant le développement de la vie du sujet.
Il est certain qu'en continuant ces opérations magné¬tiques au delà de la naissance et sans avoir besoin de re¬courir à des suggestions, on fait passer le sujet par des états analogues correspondant à des incarnations précé¬dentes et aux intervalles qui séparent ces incarnations. Le processus est le même à travers des successions de lé¬thargie et d'états somnambuliques. Ces révélations, quand on a pu les contrôler, ne répondent généralement pas à la réalité, mais il est difficile de comprendre comment les mêmes pratiques physiques qui déterminent d'abord les régressions de personnalités réelles jusqu'à l'époque de la naissance, peuvent tout à coup donner lieu à des hallu¬cinations tout à fait fausses.
M. de Rochas fait remarquer assez justement que, les idées d'enfer et de purgatoire étant très répandues dans tous les milieux où il a pris ses sujets, il est étonnant qu'aucun d'eux n'en ait fait mention, lorsqu'il se trouvait entre deux prétendues incar¬nations.
Nous allons voir maintenant un autre expérimen¬tateur qui fut plus heureux que M. de Rochas, puis¬qu'une fois au moins il obtint des détails exacts relatifs à une vie antérieure de son sujet.
Le médium Hélène Smith
Dans son livre Des Indes à la planète Mars, M. Flournoy, professeur de psychologie à la Faculté des Sciences de l'Université de Genève, a fait une étude très savante et très complète des facultés d'un mé¬dium qu'il nomme Mlle Hélène Smith.
Il est tout à fait remarquable que cette jeune fille, de bonne éducation, d'une sincérité, d'une bonne foi absolues, et se livrant gratuitement pen¬dant des années à l'investigation des savants, ait présenté des personnifications imaginaires à côté d'autres faits nettement spirites.
A vrai dire, M. Flournoy s'est efforcé d'expliquer tous les phénomènes par l'auto-suggestion du mé¬dium dont la nature intime très affinée l'aurait porté subconsciemment dans ses rêveries à s'ima¬giner qu'il ne se trouvait pas dans la position sociale qu'il aurait dû occuper, de sorte qu'en fréquentant les cercles spirites, où les idées de réin¬carnations sont courantes, il aurait successive¬ment forgé subliminalement, c'est-à-dire pendant ses périodes d'inconscience, deux romans au moins relatifs à ses vies antérieures.
L'un de ses romans la représente comme la réin¬carnation de la reine Marie-Antoinette, et l'autre comme la femme d'un prince hindou qui vivait au XIVeme siècle et aurait régné sur le Kanara.
Une troisième création hypnoïde est relative à la planète Mars, dont Mlle Smith donne des descriptions pour le moins fantaisistes ; mieux encore, elle aurait fait connaître le langage des habitants de notre plus proche voisine.
M. Flournoy a très habilement montré la genèse probable de ce prétendu langage martien et prouvé par l'analyse de textes que ce n'était, en réalité, qu'une contrefaçon de la langue française et que seuls les signes représentatifs des lettres avaient une véritable originalité. Mais celle-ci ne dépasse pas ce que des écoliers peuvent produire lorsqu'ils imaginent en classe des alphabets secrets pour correspondre entre eux. Je reconnais aussi que la critique de M. Flournoy relative à la réincarnation en Mlle Smith de l'infortunée reine de France est très justifiée, car les souvenirs relatifs à ce cycle royal sont remplis d'anachronismes et l'écriture de la personnalité prétendue de Marie-Antoinette n'a rien de commun avec les textes qui nous en restent. Au surplus, pour les événements historiques, comme il est facile de les trouver partout, on ne peut faire état de ceux-ci, puisque la mémoire subliminale en a certainement enregistré un très grand nombre par la lecture, les pièces de théâtre, la conversation.
Cette remarque s'applique à tous les cas du même genre, et lorsque l'on sait avec quelle fidélité la mémoire somnambulique conserve tous les clichés visuels ou auditifs, l'on doit, en bonne méthode, attri¬buer ces connaissances aux acquisitions normales de la vie courante et non à des souvenirs d'une exis¬tence antérieure.
Une exception doit être faite cependant lorsqu'il s'agit d'événements historiques que l'on ne trouve pas relatés dans les manuels d'histoire ordinaires ni dans les dictionnaires historiques ou biographiques, mais seulement dans quelques documents ignorés du public qu'il a fallu découvrir par de laborieuses recherches et dont le sujet n'a pu prendre connais¬sance.
Si à ces renseignements précis relatifs à une civili¬sation non européenne se joignent des descriptions en rapport avec le pays et des réminiscences de la langue qui y a été employée, alors la probabilité pour que ces connaissances soient dues à des souve¬nirs d'une vie passée devient très grande. C'est pour¬quoi je vais rapporter brièvement tout ce qui a trait à ce que M. Flournoy appelle le cycle hindou de Mlle Hélène Smith.
Une remarque préalable doit être faite : c'est que cette résurrection du passé s'est produite, au cours de nombreuses séances, sans aucune suggestion préalable des assistants, et que le sommeil somnam¬bulique se produisait spontanément chez le sujet, soit au cours des séances, soit pendant la vie nor¬male, et principalement le matin au moment du réveil. Alors les visions reproduisant les scènes de la vie antérieure avaient lieu par hallucinations vi¬suelles et quelquefois auditives et on ne les con¬naît que par les lettres que Mlle Smith adressait régulièrement au savant professeur de Genève.
Je me contenterai de faire ici, faute d'espace, un trop court résumé du cycle hindou, renvoyant pour les détails le lecteur à l'ouvrage indiqué .
M. Flournoy raconte dans cet énigmatique cha¬pitre comment son médium Hélène Smith, préten¬dant être la réincarnation de la princesse hindoue Simandini, mime son personnage de la façon la plus réaliste, la plus vécue.
Elle s'assied à terre, les jambes croisées ou à demi étendues, son bras ou sa tête nonchalamment appuyé contre son époux Sivrouka. La religieuse et solennelle gravité de ses prosternements, lorsque après avoir longtemps ba¬lancé la cassolette fictive, elle croise sur sa poitrine ses mains étendues et par trois fois s'incline, le front frap¬pant le sol, ses mélopées traînantes et plaintives, la souplesse de ses mouvements, lorsqu'elle s'amuse avec son singe imaginaire, le caresse, l'excite ou le gronde en riant, toutes ces mimiques et ce parler exotique ont un tel, accent d'originalité, de naturel, qu'on se demande avec stupéfaction d'où vient à cette fille des rives du Léman une telle perfection de jeu.
S'il ne s'agissait, dit M. Flournoy, que de la pantomime hindoue, le mystère serait moindre quelques récits enten¬dus à l'école ou lus dans des feuilletons peuvent expliquer à la rigueur et les attitudes diverses, et le caractère mu¬sical des chants et les dehors sanscritoïdes. C'est un tra¬vail que les facultés subliminales peuvent exécuter d'une façon encore plus parfaite chez les sujets disposés à l'au¬tomatisme.
Mais... ajoute le savant psychologue...
Il reste deux points qui compliquent le roman hindou et semblent défier jusqu'ici du moins toute explication normale, parce qu'ils dépassent les limites d'un pur jeu d'imagination. Ce sont les renseignements historiques pré¬cis donnés par Léopold, le guide du médium, dont on a pu, en un certain sens, vérifier quelques-uns, et la langue hindoue, parlée par Simandini, qui renferme des mots plus ou moins reconnaissables dont le sens réel s'adapte à la situation où ils ont été prononcés. Or, si l'imagina¬tion d'Hélène peut avoir reconstruit d'après les informations générales, flottantes en quelque sorte, de notre atmosphère de pays civilisé, les mœurs, usages et scènes de l'Orient, on ne voit pas d'où a pu lui venir la connaissance de la langue et de certains épisodes peu marquants de l'histoire de l'Inde.
Voilà donc un fait de premier ordre qui s'explique très bien par une rénovation du souvenir et qui même ne peut s'expliquer autrement.
Mais M. Flournoy ne veut pas en convenir.
Il a consulté sur les points historiques évoqués par le médium les spécialistes les plus qualifiés de l'histoire asiatique. Aucun d'eux n'avait connais¬sance des personnages ni des localités cités. Pour¬tant, c'étaient des érudits de la science historique. De guerre lasse, il en est réduit à fouiner (c'est son expression) dans les bibliothèques, et il finit par trouver, dans un vieux bouquin poussiéreux: l'Histoire de l'Inde par Marlès, un passage qui lui prouve irréfutablement que le récit d'Hélène n'est pas un mythe. Bien entendu, les savants, les érudits qui avaient été précédemment consultés, traitèrent de haut Marlès, l'auteur du vénérable bouquin, et refusèrent de le considérer comme un confrère sé¬rieux. C'est fort heureux pour la mémoire de Marlès.
Quant à Flournoy, malgré l'invraisemblance de cette supposition, il n'hésite pas à considérer que la mémoire subliminale d'Hélène Smith a puisé les renseignements dans l'obscur et inconnu Marlès ; c'est à peine s'il s'arrête aux différences orthogra¬phiques entre le texte de ce dernier et celui du médium. La seule chose qui le gêne, et il l'avoue, c'est qu'il ne peut dire où, quand et comment Mlle Smith aurait pu prendre connaissance de ce texte.
J'avoue sans ambages, dit-il, que je n'en sais rien et je donne volontiers acte à Hélène de l'indomptable et persé¬vérante énergie avec laquelle elle n'a cessé de protester contre mon hypothèse en l'air qui a le don de l'exaspérer, et cela se comprend, car elle a beau creuser ses souvenirs, elle n'y retrouve pas la moindre trace de cet ouvrage dont il n'existe que deux exemplaires poussiéreux à Genève. Ce ne serait donc que par un concours de circonstances absolument exceptionnel et presque inimaginable que Marlès aurait pu se trouver un jour entre les mains d'Hé¬lène et comment se ferait-il alors qu'elle n'en eût conservé aucun souvenir .
En somme, et de l'aveu même de Flournoy, ce roman hindou reste une énigme psychologique non encore résolue d'une façon satisfaisante, parce qu'il révèle et implique chez Hélène, relativement aux coutumes et aux langues de l'Orient, des con¬naissances dont il a été impossible de trouver jus¬qu'ici la source certaine.
Malgré cette restriction formelle qui enlève toute autorité aux hypothèses anti-spirites ou extra¬-spirites, nos contradicteurs n'ont pas hésité à s'an¬nexer toute cette partie de l'ouvrage de Flournoy et s'en servent encore aujourd'hui comme d'un pro¬jectile meurtrier, sans s'apercevoir qu'en réalité il se retourne contre eux. Il est impossible de voir là soit de la télépathie, soit de l'hallucination, soit de l'auto¬suggestion. Il ne reste plus qu'à admettre ce que le médium ne cesse de répéter : c'est qu'il ressuscite le souvenir lointain de la princesse hindoue Simandini.
Dans les séances où celle-ci s'est manifestée, ce n'est pas une incarnation de cette princesse que faisait le médium, c'était une résurrection de souve¬nirs anciens. Hélène Smith se sent réellement la princesse Simandini revenue sous la forme d'une jeune fille moderne. L'une et l'autre semblent bien être la même individualité. Cette individualité s'est manifestée successivement au cours du temps sous la forme de Simandini, dans l'Inde et, plus tard en Suisse avec la mentalité d'Hélène. Ce genre de manifestation était utile à noter ; il n'a rien de commun avec les incorporations ou incarnations habituelles dans les médiums d'une personnalité qui leur est entièrement et complètement étrangère. C'est un phénomène distinct.
Ce qui m'autorise à faire cette affirmation, c'est que, dès sa jeunesse, Mlle Smith avait des goût, artistiques tout à fait différents de ceux qu'elle aurait pu puiser dans son ambiance genevoise. Voici, en effet, ce que note M. Flournoy :
D'après les récits de Mme Smith et des siens propres Hélène était timide, sérieuse, renfermée et n'allait pas volontiers jouer avec les fillettes de son âge. Elle préférait ne sortir qu'avec sa mère ou rester tranquille et silencieuse à la maison, s'amusant à dessiner, ce qu'elle faisait avec la plus grande facilité, ou à exécuter des ouvrages de sa composition, de style oriental, qui réussissaient comme par enchantement entre ses doigts de fée ; je n'en avais pas le mérite, dit-elle, car cela ne me donnait aucune peine j'étais poussée à faire ces ouvrages et ces dessins, je ne sais comment parfois, avec de petits morceaux d'étoffe qui s'assemblaient en quelque sorte sous ma main.
Avec un judicieux bon sens, M. Flournoy fait justement observer que la médiumnité n'est nulle¬ment incompatible avec une vie normale et régu¬lière, qu'un médium n'est pas nécessairement un névrosé, comme ont tenté de le faire croire certains médecins à courte vue. Le sujet étant important, je me permets de citer ici l'opinion autorisée du célèbre psychologue genevois .
Si l'on s'étonne de la place que cette peur de passer pour malade ou anormale tient dans la préoccupation de Mlle Smith, il faut dire à sa décharge et à celle des médiums et des savants incriminés que la faute en est aux racontars, aux propos en l'air de tous genres dont le public ignorant empoisonne à plaisir l'existence des médiums et de ceux qui les étudient. Il est clair qu'il se rencontre dans les rangs de la docte faculté ou des corps scientifiques constitués, comme en toute compagnie un peu nombreuse, certains esprits étroits et bornés, très forts peut-être dans leur spécialité, mais prêts à jeter l'anathème sur ce qui ne cadre pas avec leurs idées toutes faites, et prompts à traiter de maladie, de pathologie, de folie, tout ce qui s'écarte du type normal de la nature humaine, telle qu'ils l'ont conçue sur le modèle de leur petite personnalité. C'est naturelle¬ment le verdict défavorable, mais plein d'assurance, de ces médecins à oeillères et de ces prétendus savants, qui se colporte de préférence et qui vient rebattre les oreilles intéressées. Quant au jugement réservé et prudent de ceux qui n'aiment point à se prononcer à la légère et ne se pressent pas de trancher des questions dont la solution est encore impossible à l'heure présente, il va sans dire qu'il ne compte pour rien, car il faut à la masse des conclusions nettes et décidées.
« Vous n'osez pas affirmer que la mé¬diumnité est une chose bonne, saine, normale, enviable, qu'il faut développer et cultiver partout où on le peut, et que les médiums nous mettent en relation avec un monde invisible supérieur, mais c'est donc que vous tenez cette disposition pour funeste, malsaine, morbide, détestable, digne d'être extirpée ou anéantie partout où elle fait mine de se montrer et que vous regardez les médiums comme des détraqués. » Voilà la logique imperturbable du vulgaire, le dilemme taillé à coups de hache dans lequel le milieu ambiant spirite, et non spirite, s'amuse parfois à m'enfer¬mer et qu'il ne cesse de faire résonner aux oreilles de Mlle Smith. On conviendra que cela explique et justifie amplement qu'elle se préoccupe parfois de ce que l'on dit et pense de sa santé, et que Léopold lui-même croit devoir s'en mêler.
C'est aussi juste que bien exprimé.
Réveil du passé pendant la trance
Voici encore un cas que j'emprunte à nos voisins d'Outre-Manche .
Il y a une vingtaine d'années, je revenais de la Cité par une belle journée de printemps et j'achetai par hasard, sur mon chemin, un numéro de Saturday Review qui venait de paraître. En arrivant chez moi, je trouvai ma femme atteinte d'un violent mal de tête. Je lui conseillai de se coucher et je l'aidai à s'endormir en lui faisant quelques passes magnétiques. En cinq minutes, elle fut plongée dans un profond sommeil et, m'installant près de la fenêtre dans un confortable fauteuil, je tirai mon journal et me disposai à en déguster le contenu. Je ne tardai pas à m'absorber dans la lecture d'un article sur la situation politique en France. Je me trouvai arrêté par une phrase passablement obscure, lorsque, à ma grande surprise, ma femme commença à traiter la question et me fit un petit cours des plus intéressant et instructif sur l'état politique et les affaires de France à propos de l'article susdit, me montrant la plus grande connaissance de l'histoire de France qui lui paraissait tout à fait familière.
Tout d'abord je crus qu'un esprit la contrôlait et parlait par sa bouche, je lui demandai donc qui il était. Elle me répondit : « Ce n'est pas un esprit étranger, mais le mien. Quand vous m'avez magnétisée, mon corps s'est endormi et mon esprit s'est trouvé libre, aussitôt. Je me suis aperçue du profond intérêt que vous causait la lecture de cet article et je me mis à l'étudier à votre profit. - Mais, lui dis-je, comment se fait-il que vous soyez si bien au courant de l'histoire et de la politique française, tandis que dans votre état normal vous n'en savez absolument rien, et n'y pre¬nez aucun intérêt ? - Lorsque je reprends mon corps, ces choses et beaucoup d'autres que je connais fort bien à l'état d'esprit s'effacent à l'instant et je ne me rappelle plus rien. - Mais comment les sujets que vous venez de traiter sont-ils devenus si familiers à votre esprit ? Vous paraissez avoir les connaissances les plus stupéfiantes sur la diplomatie française. - Certainement je connais par¬faitement la France et les Français, ayant été jadis une dame française et ayant même joué un rôle historique des plus importants. » La conversation dura encore un certain temps, puis elle me dit : « Je dois maintenant reprendre mon corps ; le moment est venu. Bonsoir. »
Une minute plus tard ma femme se réveillait bien re¬posée et tout à fait guérie de sa migraine. Je dois faire re¬marquer que cette conversation de son esprit avec moi se distinguait par le choix de l'expression le plus élégant et le plus raffiné. A l'état normal, elle parle facilement, mais sa phrase est plutôt brusque et souvent hors de mesure. Au contraire, lorsque son esprit est dégagé, ses discours sont, si j'ose m'exprimer ainsi, en quelque sorte éthérés, et elle fait preuve de la plus grande délicatesse de style. J'ai toujours constaté que pendant ses périodes de trance son esprit pouvait répondre à toutes les questions que je lui posais. Les connaissances qu'il manifestait étaient mer¬veilleuses et me semblaient être la preuve la plus décisive de l'élévation que peuvent atteindre nos esprits, lorsqu'ils se dégagent de leurs corps.
Quoique ces phénomènes se soient produits il y a bien des années, ils ont fait sur moi une telle impression qu'il me semble encore que c'était hier.
Robert H. RUSSEL DAVIS,
Buckingham, place Brighton.
Cet exemple confirme le réveil des connaissances acquises antérieurement pendant la période de trance qu'amène l'état somnambulique. Ayant été observé spontanément il n'en a que plus de valeur, car l'auteur ne pouvait connaître les travaux de MM. de Rochas et Flournoy, son observation leur étant de beaucoup antérieure.
Cas complexe de réminiscences
Le prince de Sayn Wittgenstein est bien connu des spirites. Aksakoff, dans son livre Animisme et Spiritisme, cite son témoignage au sujet du testa¬ment du baron Korf dont l'esprit indiqua au Prince, à Paris, l'endroit où ce testament avait été caché en Russie.
C'était un homme sincère et loyal dont nous pou¬vons accepter le témoignage en toute confiance. Voici ce qu'il nous rapporte :
Le prince Emile de Sayn Wittgenstein raconte : Un médium écrivain français très distingué, Mme C..., était venu dans l'été 1869 passer quelques semaines dans ma maison de Nieder Walley.
Ayant fait des séances, nous demandâmes s'il était pos¬sible ou non d'évoquer pendant son sommeil l'esprit d'une personne vivante. Peu de temps après, il tomba du plafond sur la table où était Mme C... une petite médaille ovale en bronze terni, avec un peu de terre sèche adhérente, portant d'un côté l'effigie du Christ et de l'autre celle de la Vierge Marie et semblant par son exécution remonter au XVIème siè¬cle. Nous fûmes informés que cette médaille avait été ensevelie avec une personne décédée de mort violente, qui l'avait constamment portée. Cette personne était maintenant incarnée en Allemagne. On avait apporté cette médaille pour établir entre elle et nous un rapport fluidique, afin de la soulager d'une sorte d'obsession dou¬loureuse.
Nous sûmes que son nom commençait par un A et que nous devions l'appeler en mémoire de la Ville de Dreux. Nous tînmes une série de séances les jours suivants avec Mme C... que j'avais magnétisée. Le médium tenant un crayon écrivit : « Je suis ici ».
D. - Comment se fait-il que vous soyez déjà endormi. (Il n'était que 10 heures.)
R. - Je suis au lit, malade de la fièvre.
D. - Pouvez-vous nous dire votre nom actuel.
R. - Pas encore. Quand je portais la médaille, je vivais en France sous le règne de Louis XIV ; je fus tuée par un homme qui enlevait une pensionnaire du couvent où j'é¬tais nonne.
D. - Pourquoi vous a-t-il tuée ?
R. - Je revenais de Dreux, où j'avais été convoquée par notre abbesse ; je les ai surpris et comme je les mena¬çais de crier, l'homme m'a donné un coup sur la tête avec le pommeau de son épée, afin de m'étourdir, mais le coup fut si violent qu'il me tua.
D.- Comment avait-il pu entrer dans le couvent ?
R.- Avec la connivence du portier, qui faisait semblant de dormir lorsqu'on lui enleva ses clefs. Mon agresseur me voyant morte fut effrayé, et avec l'aide de son domestique ils m'enterrèrent dans le premier endroit qui leur parut commode. Cet emplacement est maintenant recouvert par une maison, mais mes restes sont toujours enfouis dans un jardin.
D. - Dans quel endroit est-ce ?
R. - Le Pré aux Clercs.
D. - L'homme qui vous a tué était-il noble ?
R. - Oui, il appartenait à la famille Lesdiguières.
D. - Qui était la pensionnaire enlevée ?
R. - Une novice de famille noble. Il l'avait fait monter dans un carrosse qui l'emporta immédiatement, car ils devaient se rencontrer plus tard. Elle ne sut jamais rien de mon meurtre, étant morte quelques années après, dans un pays étranger où tous deux s'étaient réfugiés.
D. - Que fit votre esprit après avoir quitté votre corps ?
R. - Je me rendis directement chez notre abbesse, qui fut terriblement effrayée ; elle me vit et se crut en proie à un cauchemar. Ensuite j'errai autour de la chapelle, me croyant encore vivante. Je ne m'aperçus de mon état d'es¬prit que lorsque ceux qui me mirent en terre prièrent pour moi. Un grand trouble m'accabla et je me sentis incapable de leur pardonner.
Maintenant encore, j'ai eu une grande difficulté à ré¬pondre à votre appel, parce que je me sens forcée de re¬tourner à Dreux et de hanter l'église sous mon aspect d'au¬trefois comme je le faisais déjà avant mon incarnation actuelle. C'est une suggestion terrible qui nuit à mon pro¬grès en m'empêchant pendant mon sommeil d'entrer en contact avec les bons esprits qui nous réconfortent pen¬dant la nuit.
Emile, vous devez m'aider à me libérer. (Après quelques mots d'encouragement et la promesse de l'aider, nous con¬tinuâmes.)
D. - Dans quelle rue de Paris était situé votre cou¬vent ?
R. - Rue de l'Abbaye.
D. - Sous le patronage de quel saint ?
R. - Saint Bruno : la congrégation des dames de la Passion.
D. - Le couvent existe-t-il encore ?
R. - Saccagé et détruit par la Révolution.
D. - En reste-il encore quelque chose ?
R. - Un mur.
(Après ceci, j'écrivis à un ami qui m'informa qu'après de longues recherches, il avait bien découvert, incrusté entre des maisons, un vieux mur qui autrefois avait dû appartenir au couvent.)
D. - Avez-vous dans l'incarnation actuelle le souvenir de celle qui l'a précédée.
R. - J'ai une sorte d'appréhension comme si je devais mourir d'une mort violente, une blessure à la tête ; cela me rend nerveuse quelquefois. Je vois maintenant que c'est un reflet du passé. Il m'arrive de rêver de fantômes en robe monacale et d'assassins qui se précipitent sur eux.
D. - Habitez-vous loin d'ici ?
R. - En Allemagne.
D. - Votre nom est-il allemand ?
R. - Oui, ces questions me font de la peine.
D. - Est-ce que je vous connais ?
R. - Assurément, oui.
D. - Où habitez-vous ?
Le médium commence à tracer avec difficulté F... Fu... Je crie sous une inspiration brusque, Fulda. Au même mo¬ment, Mme C... poussa un cri et eut un soubresaut vio¬lent, renversant presque sa chaise comme si elle eût res¬senti une commotion électrique. Je compris immédiate¬ment que l'esprit contrôleur était celui de ma cousine Amélie de Y., demeurant à Fulda où elle occupe un haut poste dans un chapitre protestant de la noblesse.
D. - (Après un long intervalle.) Pourquoi avez-vous donné une si forte secousse au médium ?
R. - Je ne voulais pas que vous sachiez encore.
D. - Votre corps s'est-il éveillé ?
R. - Non, mais j'étais surprise.
Tandis que nous discutions, Mme C... et moi, sur la réalité de l'intervention de ma cousine, la main du médium écrivit inconsciemment un nom qui mit fin à tous les doutes, car il se référait à un secret connu seulement de la comtesse et de moi-même.
D. - Comment puis-je m'assurer de votre identité et être certain que vous n'êtes pas un esprit farceur qui se moque de nous ?
R. - Quand vous me rencontrerez sous peu, demandez-¬moi si j'ai fait des rêves dans lesquels il me semble que j'ai été tuée. Je répondrai que non, mais que je rêve parfois d'un prêtre assassiné par des débauchés. Vous pourrez aussi me faire voir la médaille. Il me semblera déjà l'avoir vue.
Avec cette évocation prirent fin les séances consacrées aux conversations avec Amélie. Quelques mois plus tard, je rencontrai ma cousine à la maison de campagne de ma sœur. Amélie, selon son habitude, commençait à me plai¬santer au sujet de ma croyance spirite, déclarant que tout n'était qu'illusion et déception. Je répondis gaiement à ces attaques sans me fâcher, défendant cependant mes théories sur les rêves, les réminiscences, les messages des esprits.
J'en vins à lui demander en plaisantant si elle n'avait jamais rêvé avoir été assassinée. Elle répondit non. Après un instant, elle ajouta : « J'ai cependant un rêve désa¬gréable, une sorte de cauchemar qui me poursuit, me rend nerveuse, mal à l'aise pendant le jour suivant. » En insistant pour avoir le détail, elle me dit enfin avoir rêvé d'un prê¬tre catholique en robe sacerdotale fuyant une église qui brûlait et poursuivi par des hommes armés qui voulaient le tuer.
Après avoir changé de conversation je pris la médaille, laissant supposer que je l'avais achetée chez un marchand d'antiquités. Après l'avoir maniée quelques instants, elle l'examina si attentivement et si longuement que je lui de¬mandai : qu'avez-vous ? Elle me répondit qu'elle ne pouvait s'expliquer pourquoi cet objet lui paraissait si familier. Il lui semblait l'avoir possédé ou tout au moins vu autrefois, mais ne pouvait se rappeler dans quelles circonstances. Alors je lui racontai toute l'histoire de son évocation par le médium ; elle me demanda à voir l'écriture obtenue.
Cette écriture me paraissait ne pas ressembler à la sienne, car elle m'écrivait toujours en allemand à la plume, tandis que les communications étaient écrites au crayon en caractères français.
Quand elle la vit, elle s'écria que positivement c'était son écriture, lorsqu'elle se servait d'un crayon au lieu d'une plume. Sur-le-champ je la priai d'écrire au crayon quelques mots que je lui dictai et, en effet, l'écriture était semblable à celle de l'original.
Maintenant elle avait peur en songeant que son âme pou¬vait hanter une vieille église pendant son sommeil. Je la priai, afin de paralyser cette attraction, de faire appel à son ange gardien et de dire à haute voix avant de se cou¬cher : « Je n'irai pas ».
L'ayant fait, j'ai su depuis par mes guides qu'elle était débarrassée de cette obsession.
Je serais reconnaissant, ajoute le prince Wittgenstein, à toute personne qui pourrait m'expliquer ce fait par une autre théorie que celle de la réincarnation.
Signé : Prince Emile de Sayn de Wittgenstein.
Dans ce cas, il paraît certain que c'est bien l'esprit de la cousine du prince de Wittgenstein qui s'est manifesté, puisque l'écriture médiumnique est iden¬tique à celle de la personne vivante.
Aucun rapport préalable n'ayant été établi entre le médium et cette dame, il n'y a pas lieu de faire intervenir la clairvoyance.
Si cette histoire d'assassinat est fausse, il fau¬drait imaginer que cette dame pieuse et bien élevée a pris plaisir à mentir, et cela sans aucun intérêt, et, de plus, pendant son dégagement spirituel, pour accréditer la théorie des vies successives à laquelle elle se refusait de croire consciemment.
Personnellement, j'aime mieux accepter son récit comme véridique, car rien ne me permet d'en sus¬pecter la réalité.
Une rénovation du passé
J'emprunte le cas suivant à l'ouvrage de mon ami Léon Denis : Le problème de l'Etre et de la Destinée, page 289.
J'ai connu personnellement le prince Wiscznicwski qui m'a toujours paru digne de la plus entière con¬fiance. Mme Noeggerath, l'auteur du livre La Survie, a entendu le prince faire le même récit et l'a signalé à M. de Rochas.
Le voici :
Le prince Adam de Wisznicwski, 7, rue du Débarcadère à Paris, nous communique la relation suivante. Il la doit aux témoins eux-mêmes dont quelques-uns vivent encore et n'ont consenti à être désignés que par des initiales.
Le prince Galitzin, le marquis de B..., le comte de R... étaient réunis pendant l'été de 1862 aux eaux de Hom¬bourg.
Un soir, après avoir dîné très tard, ils se promenaient dans le parc du casino ; ils y aperçurent une pauvresse couchée sur un banc. L'ayant abordée et interrogée, ils l'invitèrent à venir souper à l'hôtel. Après qu'elle eut soupé avec un grand appétit, le prince Galitzin, qui était magnétiseur, eut l'idée de l'endormir. Après de nombreuses passes, il y réussit. Quel ne fut pas l'étonnement des per¬sonnes présentes lorsque, profondément endormie, celle qui, dans la veille, ne s'exprimait qu'en un mauvais dialecte allemand se mit à parler très correctement en français, racontant qu'elle s'était incarnée pauvrement par punition pour avoir commis un crime dans sa vie précédente, au XVIIIe siècle. Elle habitait alors un château en Bretagne, au bord de la mer. Ayant pris un amant, elle voulut se débarrasser de son mari et le précipita à la mer du haut d'un rocher. Elle désigna le lieu du crime avec une grande précision.
Grâce à ces indications, le prince Galitzin et le marquis de B... purent plus tard se rendre en Bretagne, dans les Côtes-du-Nord, séparément, et se livrer à deux enquêtes dont le résultat fut identique. Ayant questionné nombre de personnes, ils ne purent recueillir d'abord aucun rensei¬gnement. Ils trouvèrent enfin de vieux paysans qui se rappelèrent avoir entendu raconter par leurs parents l'his¬toire d'une jeune et belle châtelaine qui avait fait périr son époux en le précipitant à la mer. Tout ce que la pauvre femme de Hombourg avait dit dans l'état somnambuli¬que fut reconnu exact.
Le prince Galitzin à son retour en France, repassant à Hombourg, interrogea le commissaire de police au sujet de cette femme. Ce fonctionnaire lui déclara qu'elle était dépourvue de toute instruction, ne parlait qu'un vulgaire dialecte allemand et ne vivait que des mesquines res¬sources d'une femme à soldat.
Cette fois, l'amnésie en ce qui concerne le passé a si bien disparu pendant le sommeil somnambu¬lique que la malheureuse femme a non seulement ressuscité son tragique passé, mais cela en employant la langue française dont elle ignorait le premier mot à l'état normal.
Si nous possédions beaucoup d'exemples aussi caractéristiques, la certitude que nous revenons un très grand nombre de fois sur cette terre ne ferait plus de doute pour personne.
Il est à désirer que des savants impartiaux se livrent à l'étude de ces phénomènes, et j'ai la con¬viction qu'ils ne tarderaient pas à recueillir des faits aussi démonstratifs que celui-ci.
Extrait de la Conférence sur la Réincarnation faite au Congrès Spirite de Liège, le 28 août 1923, par M. le Dr Torrès :
Il y a 23 ans, un frère et un neveu de mon père demeu¬rant dans un petit village de ma province furent assassi¬nés à la suite de querelles locales.
Quelque temps après cette mort violente, mon oncle se communiquait par un médium dans ma famille. Il était très satisfait de tout ce qui lui était arrivé. Il nous expli¬quait comment, dans une existence antérieure, dans une ville très éloignée, à Daroca, province d'Aragon, dans une maison qu'il décrivait très minutieusement, et à la date qu'il précisait, d'accord avec le neveu assassiné qui se trouvait être alors l'épouse de mon père actuel, ils s'en¬tendirent pour tuer mon père afin de satisfaire des pas¬sions charnelles.
Mon oncle était satisfait de son état dans l'espace et d'a¬voir subi l'épreuve choisie dans sa dernière existence. Il remerciait Dieu de lui avoir permis de solder ce compte si douloureux.
Les enquêtes faites à Daroca, ville complètement igno¬rée de nous tous, confirmèrent en tous points les détails précis donnés par l'Esprit de mon oncle. Les noms de la rue et de la maison, la date du crime resté impuni, les noms des personnages, tout fut exactement contrôlé.
Il y a lieu de supposer que la clairvoyance du médium ne peut être invoquée comme explication, puisque c'est spontanément que ces révélations furent faites par l'Esprit de l'oncle du docteur.
Après avoir pris connaissance de ce récit, Je fis écrire au Dr Torrès pour lui demander quelques précisions relativement au médium, au cercle, et pour savoir si un procès-verbal avait été dressé. Voici les renseignements qu'il fournit :
La séance eut lieu chez moi, dans ma famille où les séances sont très fréquentes. Nous ne faisons pas de pro¬cès-verbaux, étant tous très convaincus de la vérité spirite, nous considérons le fait spirituel comme un fait naturel de notre vie. La séance eut lieu en présence de six per¬sonnes.
Le médium appartenait à ma famille et connaissait seu¬lement l'assassinat de mon oncle et du neveu de mon père. Mais il ignorait tout de la ville, du drame et des circonstances indiquées par l'Esprit de mon oncle, de même que les noms des acteurs du drame accompli à Daroca.
La médiumnité eut lieu par la trance ou incorporation complète, avec inconscience totale du médium au réveil.
Une expiation
Terminons cette trop courte revue des cas expé¬rimentaux en citant le rapport emprunté aux archi¬ves du groupe de la ville de Huesca dirigé par M. Domingo-Montréal.
Il est assez instructif comme on va pouvoir en juger.
De 1881 à 1884, on rencontrait dans les rues de Huesca un individu que l'on ne connaissait que sous le nom de fou Suciac. Il était vêtu d'une façon burlesque, parlait seul, tantôt courait sans but, tantôt marchait solennellement et ne répondait à aucune des questions qui lui étaient adres¬sées. A la fin, comme il devenait dangereux, on dut le soumettre à une étroite surveillance.
Dans la même ville se forma un groupe d'études spirites entre personnes de culture moyenne, avec Domingo Mon¬tréal comme président et Sanchez Antonio comme médium. Ce dernier présentait cette particularité qu'étant tout à fait illettré, il écrivait souvent sans ponctuation, d'autres fois avec une parfaite correction, de longues communi¬cations.
Le président résolut d'évoquer l'esprit du fou au mo¬ment où il lui semblait dormir et il en obtint plusieurs mes¬sages. Enfin le fou Suciac mourut, et, spontanément, peu après, il donna par le médium illettré Antonio un mes¬sage affirmant qu'il avait été seigneur de Sangarren ; qu'il avait eu une conduite coupable et que la vie au cours de laquelle nous l'avions connu lui avait été imposée comme expiation. Il affirma que nous trouverions la confirmation de ses paroles dans les archives existant encore dans ce qui fut son château.
Je me rendis en compagnie de M. Severo Lain et de M. Marvallo Ballestar dans l'antique demeure seigneuriale, où on nous répondit qu'il n'existait pas trace d'archives. Fortement désappointés, nous nous réunîmes en séance pour rendre compte du résultat de notre mission. Antonio écrivit alors que si on retournait au château, on retrouverait près du foyer de la cuisine, dans une cachette, tous les documents que nous désirions.
On le fit, et, retournés à Sangarren, nous obtînmes la per¬mission de sonder la muraille, et à notre grand étonnement nous trouvâmes dans un petit réduit toute une série de parchemins. On les rapporta à Huesca, où ils furent traduits par le professeur Oscariz et confirmèrent en tous points les affirmations de l'esprit.
Dans ce cas encore la loi morale s'exerce d'une manière indiscutable et les documents découverts à la suite des indications de l'esprit du fou établis¬sent la très grande probabilité de ses affirmations en ce qui concerne son existence précédente.
Résumé
Nous avons vu, au cours du chapitre précédent et de celui-ci, que la mémoire n'est pas une faculté aussi instable qu'elle pourrait le paraître au pre¬mier abord. Il est parfaitement exact que nous ne conservons pas le souvenir intégral de tous les événements qui nous sont survenus pendant le cours de notre vie, l'oubli étant une condition essentielle pour que l'esprit ne soit pas encombré par la multitude innombrable des souvenirs insi¬gnifiants. Mais contrairement à ce que l'on croit généralement, la perte des souvenirs n'est pas absolue. Toutes les sensations visuelles, auditives, tac¬tiles, cénesthésiques, etc., qui ont agi sur nous res¬tent gravées d'une manière indélébile dans la par¬tie permanente de nous-mêmes que les savants appellent la subconscience, et les spirites, le périsprit.
Ces sensations, nous l'avons constaté, peuvent renaître soit spontanément, soit pendant le sommeil somnambulique naturel ou provoqué. Chaque état antérieur de l'existence actuelle renaît avec une fraîcheur et une intensité qui équivalent à la réa¬lité. Il semble donc que chaque période de la vie laisse dans la trame fluidique du corps spirituel des empreintes successives ineffaçables, des sortes de clichés ou mieux d'inscriptions phonographiques formées par des associations dynamiques stables qui vont en se superposant sans se confondre, mais dont le mouvement vibratoire diminue à mesure que le temps s'écoule, jusqu'au moment où ces sen¬sations ou souvenirs tombent au-dessous du seuil de la conscience ordinaire. Puisque les choses sont ainsi et que le périsprit est indestructible, comme c'est en lui que s'incarnent les archives de toute vie mentale et physique, il est naturel de suppo¬ser que si l'on rend à ce corps fluidique des mou¬vements vibratoires analogues à ceux qu'il a enre¬gistrés à un moment quelconque de son existence, on fera renaître du même coup tous les souvenirs concomitants à cette période du passé.
C'est ce qui a lieu, comme nous l'avons vu, dans les expériences de MM. Charles Richet, Bourru et Burot, Pitres, etc. Dès lors, il est logique de pour¬suivre la régression de la mémoire jusqu'au delà des limites de la vie actuelle d'un sujet au moyen de l'action magnétique. C'est ce qu'ont fait les spirites et les savants dont j'ai parlé dans ce cha¬pitre. Sans doute, les résultats ne sont pas toujours satisfaisants, tous les sujets n'étant pas aptes à faire renaître le passé. Ceci tient sans doute à des causes multiples dont la principale me paraît résul¬ter de ce que l'on pourrait appeler la densité péris¬pritale, c'est-à-dire la grossièreté relative de ce corps fluidique dont les vibrations ne peuvent retrouver l'intensité nécessaire pour ressusciter le passé d'une manière suffisante, même avec la stimulation artificielle du magnétisme. Cependant il arrive parfois que pendant l'état de sommeil ordinaire, l'âme extériorisée temporairement du corps retrouve momentanément des conditions favorables pour que la renaissance du passé puisse se produire. Il se peut que cette rénovation du passé ait lieu accidentellement, comme par éclairs, à l'état normal. On assiste alors à une reviviscence d'impressions anciennes qui donnent à celui qui l'éprouve l'impression qu'il a vu déjà des villes ou des paysages, alors qu'il n'y est jamais allé. Ce sont ces cas que je vais étudier dans les chapitres sui¬vants, et l'on constatera qu'eux aussi, s'ils pré¬sentent une grande variété, peuvent cependant se comprendre et rentrent facilement dans le cadre de la mémoire intégrale, en admettant que celle-ci réside dans le corps spirituel qui accompagne l'âme pendant tout le cours de son évolution continue.
Chapitre VIII - L’hérédité et les enfants prodiges
Quelques remarques sur l’hérédité. – L’hérédité spécifique est certaine. – L’hérédité psychologique n’existe pas. – Les hypothèses des savants pour expliquer l’hérédité. – Exemples de savants qui sont issus de familles tout à fait ignorantes ; réciproquement les hommes de génie qui ont des enfants dégénérés. – Différentes catégories chez les enfants prodiges. – Les musiciens. – Les peintres. – Les savants. – Les littéraires. – Les poètes. – Les calculateurs.
Les enfants prodiges
Quelques mots au sujet de l'hérédité.
Dans mon ouvrage l'Evolution animique , j'ai traité sommairement la question de l'hérédité dans ses rapports avec la théorie de la réincarnation. Je ne puis donc qu'y renvoyer le lecteur. Il me suffira ici de rappeler brièvement que la position du problème n'a pas changé depuis ces dernières années. Nous avons vu précédemment que l'esprit après sa désincarnation peut, pendant les séances de matérialisation, reconstituer, au moyen de la matière et de l'énergie fournies par le médium, le corps physique qu'il possédait dans sa vie anté¬rieure. Il a en lui le pouvoir d'organiser la matière suivant le type particulier qui a été le sien. Il est fort probable qu'il opère de même en venant s'in¬carner sur la terre, mais alors, si aucune influence étrangère n'agissait sur lui, il devrait renaître avec un type physique semblable à celui qu'il possé¬dait antérieurement. Or, il n'en est pas ainsi, car il est d'observation courante que les enfants ressem¬blent plus ou moins à leurs parents et que les progéniteurs peuvent même transmettre à leurs des¬cendants des particularités spéciales de leur orga¬nisme. C'est ainsi que les forts muscles du forge¬ron, les mains calleuses du paysan ou de l'ouvrier, les mains plus petites dans les familles où l'on n'a jamais fait un travail physique, le développement des aptitudes les plus différentes par l'usage, le cachet qu'imprime à l'extérieur d'un homme la profession qu'il exerce, sont des faits très familiers, et, bien que ne reposant sur aucune observation précise, l'idée de leur transmission a été de tout temps observée.
M. Ribot classe ainsi les différentes formes de l'hérédité :
1. - L'hérédité directe qui consiste dans la transmission aux enfants des qualités paternelles et maternelles. Cette forme de l'hérédité offre deux aspects :
a) Ou bien l'enfant tient également du père et de la mère au physique et au moral ! Cas très rare au sens ab¬solu, car ce serait l'idéal même de la loi réalisé ;
b) Ou bien l'enfant, tout en tenant à la fois de son père et de sa mère, ressemble plus particulièrement à l'un des deux. Et ici encore il faut distinguer deux cas :
Le premier cas est celui où l'hérédité a lieu entre les sexes du même nom : du père au fils, de la mère à la fille ;
Le deuxième cas, qui paraît le plus fréquent, est celui où l'hérédité a lieu entre les sexes de noms contraires, du père à la fille, de la mère au fils.
2. - L'hérédité en retour ou atavisme consiste dans la reproduction chez les descendants des qualités physiques ou morales de leurs ancêtres. Elle est fréquente du grand-père au petit-fils et de la grand-mère à la petite-fille.
3. - L'hérédité collatérale ou indirecte, beaucoup plus rare que les précédentes, a lieu comme son nom l'indique, des enfants à leurs ascendants en ligne indirecte, du neveu à l'oncle ou grand-oncle ; de la nièce à la tante.
4. - Enfin, pour être complet, il faut citer l'hérédité d'influence télégonique, très rare au point de vue physio¬logique et dont il n'y a peut-être pas au moral un seul exemple probant. Elle consiste dans la reproduction chez les enfants issus d'un second mariage de quelque particu¬larité propre au premier époux.
Telles sont les diverses formules dans lesquelles se classent tous les faits de l'hérédité.
Pour nous spirites, il y a, en somme, deux choses à distinguer dans le phénomène de l'hérédité premièrement, le caractère spécifique de l'être qui naît et, secondement, ses facultés intellectuelles. Je vais examiner brièvement ces deux points.
Il est tout à fait certain que les progéniteurs appartenant à une espèce déterminée donnent nais¬sance à un être de même espèce. C'est une loi géné¬rale et absolue, mais, dans chaque espèce, au point de vue morphologique, on constate l'existence de races, et dans celles-ci de grandes différences entre les produits d'un même couple suivant la prépon¬dérance d'un sexe sur l'autre. En somme, on doit admettre que le type structural est fonctionnel chez les animaux et chez l'homme. Il est dû à l'ac¬tion du périsprit sur la matière ; mais les caractères secondaires, tels que la couleur des yeux et des cheveux, la forme et la dimension de certaines par¬ties du visage ou du corps et même des organes internes sont le résultat de l'hérédité physique.
On a vu parfois que le père peut transmettre à l'enfant le cerveau et la mère l'estomac, l'un le cœur, l'autre, le foie, etc.
Par quel mécanisme s'opère cette transmission, c'est un profond mystère et toutes les théories imaginées depuis un demi-siècle pour l'expliquer sont restées totalement impuissantes à solution¬ner ce problème.
On sait aujourd'hui que l'être qui va naître n'existe pas dans les organes sexuels comme une réduction microscopique qui n'aurait qu'à grossir en déve¬loppant toutes ses parties. Le point de départ est une simple cellule qui, lorsqu'elle est fécondée, passe par une série de formes successives et différentes avant d'aboutir au terme de son évolution qui a pour but de représenter l'être complet de cette espèce.
Quelles sont les causes qui nécessitent cette évolution et par quels agents peuvent-elles se pro¬duire ? Je vais citer les noms des savants les plus notoires qui se sont consacrés à cette étude.
La grande majorité des théories imaginées en vue d'une explication des phénomènes de la vie et, par conséquent, de l'hérédité reposent sur cette supposition qu'entre les molécules chimiques et les organes de la cellule visible au microscope, il exis¬terait encore une catégorie d'unités, des particules protoplasmiques initiales qui, par leur caractère et leur mode de groupement, détermineraient les diverses propriétés de la matière vivante.
C'est par la définition des propriétés et des arran¬gements de ces particules infinitésimales que cha¬que auteur s'est efforcé d'expliquer les cas si com¬plexes de l'hérédité.
Herbert Spencer, en 1864, a le premier jeté les fondements de la théorie parcellaire. Elle fut déve¬loppée en 1868, par Darwin, sous le nom de Pangenèse. Dans son système, les particules sont des gemmules. En 1884, Noegeli imagine que ces petites unités, qu'il désigne sous le nom de micelles, forment des réseaux qui composent ce qu'il appelle l’idioplasma, et celle non orientées, le plasma nutritif.
En 1902, Weismann complique encore ce sys¬tème en imaginant non seulement deux sortes de plasma, mais encore des ides déterminantes et des biophores.
Toutes ces théories, pour ingénieuses qu'elles soient, ne nous fournissent pas encore une explica¬tion réellement scientifique des phénomènes de l’hérédité. C'est ce que ne craignent pas de décla¬rer les auteurs du livre les Théories de l'Evolution. En effet, disent-ils, qu’est-ce qui, dans la compo¬sition du protoplasma, détermine son caractère de vie ? Là nous sommes entièrement réduits aux hypothèses. Elles ne sont pas directement véri¬fiables et ne peuvent être jugées par nous qu'à ce point de vue seul : telle conception donne¬-t-elle une explication vraisemblable des différents phénomènes vitaux : ontogenèse, hérédité, varia¬tion, etc. ?
Ces hypothèses sont nécessaires, car nous ne pouvons nous résigner à n'avoir aucune idée sur ces questions qui nous passionnent plus que toutes les autres .
En somme, l'hérédité morphologique est la loi, bien qu'elle présente des exceptions si nombreuses pour les caractères secondaires qu'il n'y a presque jamais identité entre les progéniteurs et leurs des¬cendants.
Au point de vue intellectuel, il en est tout à fait de même, car il existe un nombre considérable d'exemples de grands savants, qui sont sortis des milieux les plus ignorants. C'est ainsi, par exemple que Bacon (Roger), Berkeley, Berzélius, Blumen¬bach, Brewster, Comte, Copernic, Claude Bernard, Descartes, Galien, Galvani, Hegel, Hume, Kant, Kepler, Locke, Malebranche, Priestley, Réaumur, Rumford, Spinoza, Sixte-Quint, Young, etc., etc., sont issus de milieux peu cultivés, et rien ne pou¬vait faire prévoir les remarquables facultés qui les distinguèrent à des degrés si éminents. Récipro¬quement, il existe un nombre considérable de grands hommes dont les descendants furent même au¬-dessous de la moyenne. Périclès engendra deux sots, tels que Paralos et Xantippos. Le sage Aristippe donne le jour à un furieux comme Clinias ; du grand historien Thucydide, naquit un inepte Milesias.
Socrate et Thémistocle n'engendrent que des fils indignes. Chez les Romains, même remarque Cicéron et son fils, Germanicus et Galigula, Vespasien et Domitien, le grand Marc-Aurèle a pour fils un furieux tel que Commode. Dans l'histoire moderne, le fils de Henri IV, de Louis XIV, de Cromwell, de Pierre le Grand, comme ceux de La Fontaine, de Crébillon, de Goethe et de Napoléon, dispensent de tant d'autres exemples qu'on pourrait citer.
Mieux encore : les enfants prodiges nous prou¬vent, avec une irrésistible évidence, que l'intelli¬gence est indépendante de l'organisme qui sert à se manifester. Car les formes les plus hautes de l'activité intellectuelle se montrent chez eux à un âge où le cerveau n'a pas acquis son plein déve¬loppement. C'est une des meilleures objections que l'on puisse opposer à la théorie matérialiste.
Les formes les plus élevées de l'art et de la science se montrent chez les enfants dès l'âge le plus ten¬dre. Je vais en citer des exemples assez nombreux pour qu'il ne reste aucun doute à cet égard .
Les musiciens
On trouve des exemples de prodigieuse précocité à toutes les époques et dans tous les pays.
Au XVIIe siècle, Haendel à 10 ans composait des motets charités dans l'église de Halle.
Le cas de Mozart est bien connu. Il est notoire qu'à l'âge de 4 ans il exécutait une sonate, et sa faculté musicale se développa si rapidement qu'à 11 ans il composait deux petits opéras Finla simplice, et Bastien et Bastienne ; l'on sait avec quel succès il poursuivit sa brillante carrière.
Celui que l'on a appelé le Dieu de la musique, Beethoven, se distinguait déjà à 10 ans par son remarquable talent d'exécutant.
Dans un autre genre, la précocité du grand violo¬niste Paganini fut telle qu'à l'âge de 9 ans on l'applaudissait dans un concert à Gênes.
A 6 ans, Meyerbeer possédait déjà assez de ta¬lent pour donner des concerts fort appréciés.
Liszt, merveilleux virtuose dès sa plus tendre enfance, donne, à 14 ans à peine, un opéra en un acte, Don Sanche ou le Château d'amour.
Rubinstein, amené de Russie à Paris à l'âge de 11 ans, excita l'admiration universelle par la vir¬tuosité de son jeu sur le piano.
Sarasate, à 11 ans, montrait ses qualités de pureté de son et de style qui en ont fait le plus grand violoniste de notre époque.
Saint-Saëns, virtuose précoce, à 11 ans, donnait son premier concert de piano et n'en avait que 16 lorsqu'il fit exécuter sa première symphonie.
De nos jours même, certains enfants se sont révélés avec des dispositions véritablement remarquables pour la musique.
J'ai eu le plaisir de voir au congrès de Psycho¬logie de 1900 le jeune Pépito Ariola, qui à 3 ans 1/2 jouait et improvisait sur le piano des airs variés.
Le professeur Charles Richet a publié sur ce cas une étude dans laquelle il est dit : « qu'il a joué de¬vant le roi et la reine d'Espagne six compositions de son invention qui ont été notées, car lui-même ne connaît pas les notes et ne sait ni lire ni écrire.
Il a imaginé un doigté spécial : il remplace l'octave par des arpèges adroitement exécutés et très habiles. Il est souvent bien difficile, poursuit le professeur Richet, quand on entend un improvisateur, de dire de qui est l'invention et ce qui est reproduction par la mémoire d'airs et de morceaux déjà entendus. Toutefois, il est certain que, lorsque Pépito se met à improviser, il n'est presque jamais à court, et il trouve souvent des mélodies extrêmement intéres¬santes qui ont paru plus ou moins nouvelles à des assistants. Il y a une introduction, un milieu, une fin, et en même temps une variété, une richesse de sonorité qui, peut-être, étonneraient s'il s'agissait d'un musicien de profession, mais qui chez un enfant de 3 ans 1/2 deviennent absolument stupéfiantes. »
Plus récemment encore, le jeune Ferreros, dès 4 ans 1/2, a dirigé avec une sûreté et une maîtrise tout à fait remarquables l'orchestre des Folies-¬Bergères. Toute la grande presse parisienne, ordi¬nairement si sceptique, en a fait l'éloge.
Le Journal disait :
Michel-Ange n'avait pas fini d'user sa première culotte que son maître Ghirlandajo le renvoyait de l’atelier, n’ayant plus rien à lui apprendre. A 2 ans, Henri de Heinecken parlait trois langues. A 4 ans, Baptiste Raisin témoignait sur le violon une rare virtuosité. A 6 ans, Mozart composait son premier concert.
Aujourd’hui, c'est Willy Ferreros qui stupéfie Paris par la sûreté, l'attention, l'art et la fantaisie avec lesquels il dirige l'orchestre dans la Revue des Folies-Bergères.
Il n’y a plus d'enfants.
Comoedia :
C’est un tout petit homme pas plus haut que ça ; il porte déjà gaillardement l'habit noir, la culotte de satin, le gilet blanc et les souliers vernis ; le monocle à l’œil, la baguette en mains, il dirige avec une netteté, une précision incomparables un orchestre de 80 musiciens, attentif au moindre détail, soucieux des nuances, scrupuleux observateur du rythme.
L'autre jour, au hasard d’un voyage dans le Midi, M. Clément Bannel découvrit ce petit prodige, s'enthou¬siasma pour un tel instinct musical, et ramena l’enfant à Paris, qu'il conquit dès hier soir, au cours de la Revue des Folies-Bergères. Willy Ferreros conduisit avec les cadets de Souza, Sylvia, de Léo Delibes, puis notre Natio¬nale Caroline, etc., etc., etc... Ce fut un succès éblouissant.
L'Intransigeant, 22 juin 1911 :
Cinq ans, pas même. De longs cheveux bruns qui fri¬sent, la figure joufflue d’un petit amour de Boucher. Nos amis l’ont vu au Trocadéro dirigeant son orchestre avec un flegme imperturbable, une stupéfiante autorité.
Je l’ai vu chez ses parents dans la claire chambrette au papier fleuri qu’il anime de sa turbulence de gosse bien portant. Rien en lui ne subsiste de l'enfant prodige. Il n'est pas le moins du monde infatué de son mérite et il n’y songe même pas un instant.
J’ai installé sur mes genoux le plus jeune chef d’orchestre du monde : Eh ! raconte-moi une histoire, veux-tu ? - Je pars lundi, je suis content. Je vais à Turin où je verrai grand'mère et puis je vais diriger des concerts classiques, j’aime mieux ça que les valses et les chansonnettes.
- Dis-moi, que préfères-tu dans tout ce que tu connais ?
- J'aime bien la symphonie de Haydn et la Marche du Tannhauser et surtout j’aime mieux que toute la danse d’Anita de Grieg. Je l'ai entendue à Cannes, dans un con¬cert classique avec papa et j’ai dit : Il faut m'apprendre ça, papa ; je veux la conduire. Et papa me l’a apprise, je vais la diriger à l’exposition de Turin. Je suis content.
Regarde, M. Bannel m'a donné tous ces jouets aux Folies-¬Bergères et puis ceux-là... Il est gentil... Mais tout de même, quatre mois et demi dans le même music-hall, c’est la barbe. »
Et après sa confidence, le jeune musicien glisse de mes genoux et va tenir compagnie à un nègre de bois, tandis que ses parents me racontent qu'à un an déjà il retenait de longs morceaux et se précipitait sur la scène pour saluer le public après le numéro où avaient joué son papa et sa maman.
Je pourrais allonger la liste de ces enfants pro¬digieux, qui montrent dès le plus jeune âge un talent remarquable qu’ils n'ont pu acquérir dans cette vie par l’éducation et qu’ils doivent nécessaire¬ment apporter avec eux comme l'héritage d'une ou plusieurs vies antérieures consacrées au déve¬loppement de cet art.
Je vais montrer, toujours par des exemples, que les autres facultés de l'esprit s'affirment chez cer¬tains individus avec une puissance aussi évidente que chez les musiciens. Il s'agit de la peinture, car nous allons constater que les manifestations de cet art, qu'il est si long et si difficile d'acquérir par la pratique, se présentent chez certains individus véritablement prédisposés.
Les peintres
Giotto est encore un exemple des dispositions innées que l'on apporte en naissant. Tout enfant, simple pâtre, il traçait déjà d'instinct des esquisses si pleines de naturel que Cimabué, l'ayant rencontré, le prit avec lui.
Un des plus beaux génies de l'Italie, Michel¬-Ange, à l'âge de 8 ans, connaissait déjà assez la technique de son métier pour que son maître, Ghir¬landajo, lui affirmât qu'il n'avait plus rien à lui apprendre.
Dès son enfance, Rembrandt manifesta tant de passion pour le dessin que Lombroso affirme qu'il savait dessiner comme un grand maître avant d'avoir appris à lire.
Le peintre Marcel Lavallard a eu son premier tableau reçu au salon, lorsqu'il n'avait que 12 ans.
Le 12 août 1873, à 10 ans et 11 mois mourait le jeune Van de Kefkhore, de Bruges, qui laissait 350 tableaux dont quelques-uns, dit Adolphe Siret, membre de l'Académie Royale des Sciences, Lettres et Beaux-Arts de Belgique, auraient pu être signés des noms de Diaz, Salvator Rosa, Corot, etc.
Un autre critique, le peintre Richter, le puissant coloriste français, ayant eu accidentellement l'occa¬sion de voir une vingtaine de panneaux du jeune prodige, félicita le propriétaire de posséder des esquisses de Théodore Rousseau en si grande quan¬tité. On eut toutes les peines du monde à le détrom¬per, et quand il connut la vérité, il ne put retenir une larme sur tant d'avenir évanoui.
Les savants, les littérateurs et les poètes
Hermogène, dès l'âge de 15 ans, enseignait la rhétorique au sage Marc-Aurèle.
Pascal fut incontestablement le plus beau génie du XVIIe siècle. A la fois géomètre, physicien et philosophe, il est également un littérateur de grande race. Dès ses premières années, il marque un goût pour l'étude et tout particulièrement pour la géométrie. A l'âge de 13 ans, il avait trouvé les trente-deux premières propositions d'Eu¬clide et il publiait un traité des sections coniques. Son génie s'affirma plus tard par ses recherches sur la pesanteur de l'air, l'invention de la brouette et du haquet. Mais c'est surtout comme philosophe que son esprit s'est élevé jusqu'aux plus hauts sommets de la pensée.
Pierre de Lamoignon, dès le même âge, composait des vers grecs et latins que l'on trouvait fort remar¬quables, et il n'était pas moins avancé dans la culture du droit que dans la culture des lettres.
Gauss de Brunswick, astronome et mathématicien, résolvait des problèmes d'arithmétique alors qu'il n’avait que 3 ans ; l'on sait avec quel succès il poursuivit sa carrière mathématique.
Ericson, mort en 1869, montrait un tel génie pour les sciences mécaniques qu'à 12 ans il était nommé inspecteur du grand canal maritime de Suède par le gouvernement. Il dirigeait 600 ouvriers.
Victor Hugo, notre grand poète national, témoignait dès l'âge de 13 ans de sa magnifique faculté de versi¬fication par le prix qu'il obtint aux Jeux Floraux de Toulouse. On l'avait nommé l'enfant sublime.
William Sidis, de l'État de Massachussets, savait lire et écrire à 2 ans. A 4 ans, il parlait qua¬tre langues et à l'âge de 12 ans, il résolvait des problèmes de géométrie, était admis au Massachussets Institute of Technology, où l'âge d'admis¬sion est 21 ans et faisait à l'Université de Har¬ward, à la stupeur des professeurs de hautes mathématiques qui l'écoutaient, une conférence sur la quatrième dimension de l'espace.
Young, qui imagina la théorie des ondulations de la lumière, possédait dès l'âge le plus tendre un grand développement intellectuel, car il était capable à 2 ans de lire couramment et à 8 ans il connaissait six langues à fond.
Un autre enfant, William Hamilton, étudiait l'hébreu à 3 ans ; à 7 ans il possédait des con¬naissances plus étendues que la plupart des candidats à l'agrégation.
« Je le vois encore, disait un de ses parents, répon¬dre à une question de mathématiques ardue, puis s'éloigner en trottinant, traînant après lui sa brouette. A 13 ans, il connaissait douze langues. A 8 ans, il étonnait tous les gens de son entourage au point qu'un astronome Irlandais disait de lui :
« Je ne dis pas qu'il sera, mais qu'il est déjà le premier mathématicien de son temps. »
Scaliger qualifiait de génie monstrueux l'Ecossais Jacques Christon qui, âgé de 15 ans, discutait en latin, en grec, en hébreu, en arabe sur n'im¬porte quelle question.
Pic de la Mirandole fit preuve de la plus grande précocité par ses connaissances approfondies du latin et du grec, et plus tard de l'hébreu et de la langue arabe. A 20 ans, c'était l'esprit le plus cultivé de son époque.
Barattier Jean-Philippe, né en 1721 à Schwabach, dans le margraviat d'Anspach, mort en 1740, à Tans savait l'allemand, le français, le latin, l'hébreu. Deux ans après, il composa un dictionnaire des mots les plus difficiles ; à 13 ans il traduisit de l'hébreu en français l'Itinéraire de Benjamin Tudèle et l'année suivante il fut reçu magister à l'Université de Halle. Il publia vers le même temps plusieurs disserta¬tions savantes dans la Bibliothèque germanique. Il mourut épuisé de travail en 1740.
Henri de Henneke, né à Lubeck en 1721, parla presque en naissant ; à 2 ans, il savait trois langues. Il apprit à écrire en quelques jours et s'exerça bientôt à faire de petits discours. A 2 ans 1 /2, il subit un examen sur la géographie et l'his¬toire moderne. Il ne vivait que du lait de sa nourrice. On voulut le sevrer ; il dépérit et s'éteignit à Lubeck, le 17 juin 1725, dans le cours de sa cinquième année, en affirmant ses espérances en l'autre vie. La lame avait usé le fourreau.
Parmi les linguistes qui se distinguèrent de bonne heure, il faut citer un contemporain, M. Trombetti, qui surpasse de beaucoup tous ses prédécesseurs. Tout jeune il apprit à l'école le français et l'alle¬mand ; il lisait Voltaire et Goethe. Il apprit l'arabe rien qu'en lisant une vie d'Abd-el-Kader.
Un Persan de passage à Bologne lui enseigna sa langue en quelques semaines. A 12 ans, il apprit simultanément le latin, le grec et l'hébreu. Depuis il a étudié presque toutes les langues vivantes ou mortes. Ses amis assurent qu'il connaît aujourd'hui trois cents dialectes orientaux.
Les calculateurs
La faculté de calculer avec une extrême rapidité nous est apparue déjà avec une singularité surpre¬nante chez les chevaux d'Elberfeld, ainsi qu'avec Rolf et Lola. Nous allons voir qu'il en est de même pour l'humanité.
Henri Mondeux, né en 1826 près de Tours, d'un paysan dépourvu de toute instruction, se révéla de bonne heure comme une prodigieuse machine à calcul. A 14 ans, il fut présenté à l'Académie des Sciences de Paris ; il n'avait d'ailleurs pas d'autres facultés.
En 1837, un tout jeune berger, « Vita Mangiamel », presque un enfant, attirait les savants de tous les pays par son incomparable faculté de calcul.
A un mathématicien qui lui posait cette ques¬tion : quel est le nombre qui, élevé au cube et addi¬tionné de la somme de cinq fois son carré, est égal à 42 fois lui-même plus quarante ? Il répondit en moins d'une minute : « c'est le nombre cinq ».
Jacques Inaudi, simple berger, exécutait les cal¬culs les plus compliqués avec une aisance et une rapi¬dité déconcertantes. Il fut examiné à l'Académie des Sciences en 1892 et donna avec une vitesse stupé¬fiante la solution des problèmes les plus difficiles.
On peut signaler encore les facultés de calcul du jeune Franckall et de l'incroyable Diamandi.
Le nouveau monde nous offre aussi des exemples variés de précocité dans tous les genres. C'est ainsi que dans les arts mécaniques Georges Steuler obtint à 13 ans le diplôme d'ingénieur
Henri Dugan parcourut les Etats-Unis, n'ayant pas encore 10 ans et fit pour la maison qu'il repré¬sentait les meilleures affaires.
Si l'on en croit la presse américaine, assez souvent sujette à caution, un enfant de 5 ans, Willie Gewin, aurait été reçu Docteur par l'Université de la Nouvelle¬-Orléans, et un enfant de 11 ans a récemment fondé un journal qui se tirerait à 20.000 exemplaires.
L'immortel auteur de la Jérusalem délivrée versifiait remarquablement vers l'âge de 7 ans.
La petite Joan Maude (5 ans), fille de l'acteur anglais Maude, publie à Londres son premier ou¬vrage : Derrière les ténèbres de la nuit.
Ces exemples si nombreux et si variés de préco¬cité intellectuelle sont inconciliables avec la théorie qui veut que l'intelligence soit un produit de l'orga¬nisme. Même si l'hérédité jouait un rôle dans la genèse de ces prodigieuses facultés, il resterait incom¬préhensible qu'un cerveau à peine formé fût capable d'engendrer les plus hautes et les plus puissantes formes de l'intelligence, car on ne les trouve à ce degré que chez certains hommes, lorsqu'ils sont arri¬vés au plein développement de leur cerveau.
L'hypothèse spirite de la préexistence de l'homme est la seule qui donne une explication logique des enfants prodiges.
On peut se demander comment l'âme d'un Baratier a pu manifester, presque à la mamelle, des connais¬sances qui exigent non seulement une mémoire formidable, mais des dons d'assimilation et de rai¬sonnement indispensables pour la compréhension et l'usage de langues aussi difficiles à s'assimiler que le grec et l'hébreu. Il est fort probable que l'es¬prit de ces jeunes prodiges n'était pas encore complètement incarné ou que c'était pendant des pé¬riodes d'extériorisation qu'il recouvrait la mémoire du passé, et au lieu d'apprendre ne faisait que se ressouvenir.
Certains spirites voudront sans doute expliquer ces cas si étonnants en supposant que ces enfants étaient de simples médiums. Cette interprétation me paraît défectueuse, car en bonne logique il est inutile de multiplier les causes sans nécessité. Puisque nous savons, nous spirites, que l'âme a existé anté¬rieurement à la vie actuelle, il n'est aucunement nécessaire de faire intervenir la présence d'entités étrangères. D'ailleurs la médiumnité n'est pas une faculté constante ; elle n'obéit pas à la volonté du médium, tandis que les enfants dont nous avons parlé pouvaient à toute heure et en toute circons¬tance donner immédiatement les preuves de leurs surprenantes aptitudes.
Sans aucun doute, les enfants prodiges sont des exceptions, mais cependant, bien qu'à un degré moindre, on retrouve chez certains élèves de nos écoles les dispositions les plus variées pour les arts et les sciences ; alors même qu'ils sortent des mi¬lieux les moins cultivés, ils se développent avec une telle rapidité qu'ils surpassent tous leurs condis¬ciples. Ce n'est pas une intuition proprement dite qui leur donne le pouvoir de s'assimiler les notions nouvelles, mais une sorte de réminiscence qui leur permet de s'approprier les matières les plus nou¬velles qui ne font, en réalité, que se réveiller dans leur subconscience.
Je vais examiner maintenant certains phénomènes dans lesquels ces réminiscences semblent être réelle¬ment des souvenirs de vies antérieures.
Chapitre IX - Etudes sur les réminiscences
Remarques générales sur l’interprétation des phénomènes. – Difficultés de dégager les véritables causes d’un fait. – A propos des réminiscences il ne faut pas confondre avec le sentiment de déjà vu. – Exemples de clairvoyance pendant le sommeil. – Celle-ci lorsqu’elle se réveille au cours de la vie est une réminiscence des choses perçues pendant l’existence actuelle. – Les cas Berthelay et de la Dame anglaise. – Réminiscences paraissant provoquées par la vision de certains lieux. – Les récits du major Welesley, du Clergymann. – Curieuse coïncidence. – Réminiscence ou clairvoyance de Mme de Krappoff. – Souvenirs persistants pendant la jeunesse d’une vie antérieure.
Le sentiment du déjà vu
Les phénomènes du spiritisme présentent une très grande variété dans leurs manifestations. De¬puis un demi-siècle, ils ont été soumis aux contrôles les plus sévères et les plus réitérés, non seulement de la part des spirites, mais aussi par les savants qui ont pris la peine d'examiner les facultés des médiums.
On s'est aperçu alors qu'à côté de faits certains, indubitables, provoqués par les esprits, il en existait d'autres qui n'ont, avec les premiers, qu'une ressem¬blance extérieure, mais qui ne sont pas de véri¬tables communications spirites.
Déjà Allan Kardec, Rudson Tuttle, Aksakoff, Metzger, etc., avaient pris soin de nous mettre en garde contre ces causes d'erreurs, et les critiques des incrédules ont porté principalement sur ces pseudo-phénomènes pour essayer d'enlever au spiri¬tisme ce qui fait sa véritable force, c'est-à-dire la démonstration de nos rapports avec les âmes de ceux qui ont quitté la terre . C'est ainsi qu'ils ont attribué toutes les communications par l'écri¬ture à l'automatisme, et les renseignements qui y sont contenus à la cryptesthésie des sujets ou à des transmissions de pensée qui leur seraient faites télépathiquement.
De même, les phénomènes d'incarnation ne pro¬viendraient, suivant MM. P. Janet, Flournoy ou Morselli, que des auto-suggestions des médiums qui s'imaginent représenter des personnalités étran¬gères. C'est la thèse que vient de reprendre encore Charles Richet dans son retentissant ouvrage sur la Métapsychique.
Pour les savants qui admettent la réalité des matérialisations, nous serions dans tous les cas en présence du phénomène de dédoublement du mé¬dium ou d'ectoplasme modelé par idéoplastie du sujet ; de même la photographie spirite serait due à une cause identique.
Ce qui rend l'étude expérimentale si délicate, c'est qu'en effet l'automatisme, l'auto-suggestion, le dédoublement, l'idéoplastie se mélangent par¬fois d'une manière presque inextricable avec les phénomènes réels, de sorte qu'il faut déjà une grande expérience pour ne pas se laisser tromper par ces manifestations aux allures décevantes. Lorsque l'on saura bien faire le départ entre les vrais phéno¬mènes médianimiques et ceux provenant de l'ani¬misme, on pourra marcher plus hardiment dans la voie expérimentale.
On rend donc un véritable service à la science spirite en signalant aux chercheurs les écueils aux¬quels ils peuvent se heurter, en les empêchant de prendre pour des révélations de l'au-delà les élucubrations des pseudo-médiums, ou d'attribuer à certains phénomènes une valeur démonstra¬tive qu'ils ne possèdent pas en réalité.
Dans cet ordre d'idées, je crois utile d'appeler l'attention des lecteurs sur une catégorie de faits présentant des analogies avec les preuves certaines qui me servent à établir le bien fondé de la théorie des vies successives, mais qui n'en ont que l'appa¬rence : je veux parler des souvenirs relatifs aux existences antérieures.
Assez souvent on nous objecte que la réincar¬nation n'est qu'une spéculation philosophique ne reposant sur aucune preuve matérielle. A ceux-là je réponds que si le souvenir des vies antérieures ne se constate pas généralement, il se présente ce¬pendant avec assez de fréquence chez certains individus, de sorte que ces réminiscences ne peuvent s'expliquer que si l'âme a vécu antérieurement.
Pas du tout, répondent maintenant certains doc¬teurs, ce que vous prenez pour le souvenir des vies passées n'est attribuable qu'à une maladie de la mémoire, signalée il y a longtemps déjà par M. Ribot, qui l'appelle la fausse mémoire, ou constituant, sui¬vant le Dr Chauvet, le sentiment du déjà vu ou du déjà éprouvé ; ou encore la fausse reconnaissance. On lui a donné aussi le nom de paramnésie.
Voici exactement, d'après le Dr Chauvet, en quoi le phénomène consiste :
Parfois c'est un homme qui, en présence d'une femme inconnue de lui, reconnaît subitement sa silhouette, ses attitudes, sa démarche, l'expression de son visage, sa voix.
Dans d'autres cas, les plus nombreux et de beaucoup, c'est une scène d'intérieur ou bien un paysage ou encore un aspect de ville qui donne l'impression du déjà vu.
Pénétrant dans un intérieur jusqu'alors inconnu, en¬touré de personnes dont on vient de faire connaissance, sentir tout à coup qu'on a déjà assisté, il y a bien longtemps à la même scène, dans le même cadre aux objets confusé¬ment familiers, avec les mêmes personnes ayant les mêmes attitudes et les mêmes jeux de physionomie, exprimant les mêmes idées avec les mêmes mots et les mêmes in¬tonations, en les soulignant des mêmes gestes ; ou si l'on était dans les mêmes lieux entrain de parler, s'apercevoir subitement que dans ce même cadre, étant dans le même état affectif que la première fois, on vient de dire et de faire ce qu'on a déjà fait : voilà une façon assez commune de ressentir l'illusion du déjà vu.
Suivant le Dr Chauvet, ce sentiment du déjà vu aurait des caractéristiques spéciales ; il s'impose¬rais d'emblée à l'attention et porterait sur la tota¬lité des perceptions. Ensuite le sujet est intime¬ment persuadé que ce qu'il voit est la reproduction d'une scène antérieurement perçue. Ces impres¬sions suscitent les mêmes états émotionnels que ceux qu'il aurais ressentis jadis : joie, ennui, indiffé¬rence, etc. Enfin cesse sensation est extrêmement courte, mais chez certains sujets elle s'accompagne de sentiment d'angoisse, d'agacement.
Jules Lamaître a éprouvé plusieurs fois l'impression en question. A propos de vers de Verlaine qu'il citait, il écrivit en 1888 : « Le poète veut rendre ici un phénomène mental très bizarre et très pénible, celui qui consiste à reconnaître ce qu'on n'a jamais vu. Cela vous est-il arrivé quelquefois ? On croit se souvenir, on veut poursuivre et préciser une réminiscence très confuse, mais dont on est sûr pourtant que c'est une réminiscence, elle fond et se dissout à mesure, et cela devient atroce. C'est à ces moments-là que l'on se sent devenir fou. Comment s'expliquer cela ? Oh ! Que nous nous connaissons mal. C'est que notre vie intellectuelle est en grande partie inconsciente, continuel¬lement les objets font sur notre cerveau des impressions dont nous ne nous apercevons pas et qui s'y emmagasi¬nent sans que nous en soyons avertis. A certains moments, sous un choc extérieur, ces impressions ignorées de nous se réveillent à demi ; nous en prenons subitement cons¬cience avec plus ou moins de netteté, mais toujours sans être informés d'où elles nous sont venues, sans pouvoir les éclaircir, ni les ramener à leur cause, et c'est de cette im¬puissance que nous nous inquiétons. » (Les Contemporains, p. 105.)
Wigan , dans son livre bien connu sur la Dualité de l'esprit, rapporte que pendant qu'il assistait au service funèbre de la princesse Charlotte, dans la chapelle de Windsor, il eut tout à coup le sentiment d'avoir été autrefois témoin du même spectacle. L'illusion ne fut que fugitive. Lewes rapproche avec raison ce phénomène de quelques autres plus fréquents. Il arrive, en pays étranger, que le détour brusque d'un sentier ou d'une rivière nous met en face de quelque paysage qu'il nous semble avoir autrefois contemplé.
Introduit pour la première fois près d'une personne, on sent qu'on l'a déjà vue. En lisant dans un livre des pen¬sées nouvelles, on sent qu'elles ont été présentes à l'esprit antérieurement.
Quelle est l'explication que les psychologues nous offrent de ces phénomènes ?
Suivant M. Ribot, il n'y aurait là qu'un rappel de sensations antérieurement enregistrées en nous, qui suffirait à faire croire que l'état nouveau en est la répétition.
Si cette hypothèse peut être admise pour les cas simples où le sentiment du déjà vu est vague, elle n'est guère admissible dans le cas suivant, rap¬porté par M. Ribot :
Un homme instruit, raisonnant assez bien sur sa maladie, fut pris vers l'âge de 32 ans d'un état mental particulier. S'il assistait à une fête, s'il visitait quelque endroit, s'il faisait quelque rencontre, cet événement avec toutes ses circonstances lui paraissait si familier qu'il se sentait sûr d'avoir déjà éprouvé les mêmes impressions, étant en¬touré précisément des mêmes personnes ou des mêmes objets, avec le même ciel, le même temps.
Faisait-il quelque nouveau travail, il lui semblait l'avoir déjà fait dans les mêmes conditions. Ce sentiment se produisait parfois le jour même au bout de quelques minutes ou de quelques heures, parfois le jour suivant seulement, mais avec une parfaite clarté.
Il parait bien évident qu'ici il ne s'agit pas de réminis¬cence, mais d'une anomalie du mécanisme mental de la mémoire encore assez mal expliqué, bien qu'un grand nombre d'auteurs s'en soient occupés .
Ce qui nous importe, c'est de remarquer que lorsque le sentiment du déjà vu s'impose à l'obser¬vateur pour des faits contemporains, des conver¬sations ou des lectures, il résulte d'une maladie de la mémoire, et il n'y aura pas lieu d'en tenir compte lorsque nous voudrons réunir des docu¬ments pour établir la réalité des vies antérieures basée sur des souvenirs.
En effet, ce sentiment du déjà vu qui projette pour ainsi dire les mêmes sensations visuelles ou auditives sur deux plans différents, ne peut en rien renseigner celui qui l'éprouve sur des circonstances qui ne sont pas contemporaines. C'est-à-dire qu'elles ne lui permettent pas en assistant à une scène, alors même qu'il lui semble l'avoir déjà vue, de prévoir, par exemple, un accident qui surviendrait un peu plus tard ; ou bien, en présence d'un paysage qui parait déjà familier, d'indiquer des aspects de ce paysage qui sont hors de sa portée visuelle.
La paramnésie, tout en donnant le sentiment du déjà perçu, ne révèle rien de réellement nou¬veau à celui qui l'éprouve.
Il en va tout autrement pour la réminiscence. A la vue d'un paysage qu'il n'a jamais contemplé de son vivant, non seulement le sujet a la certitude qu'il l'a connu antérieurement, mais ce sentiment s'accompagne et se complète par la connaissance de choses et de détails de ce paysage, qu'il ne peut voir actuellement et qu'il décrit cependant avec une parfaite exactitude.
De même, nous devons être en garde contre une autre cause d'erreur plus difficile à découvrir qui serait produite par la faculté que nous avons de nous dégager pendant le sommeil.
Camille Flammarion, dans son livre L'Inconnu et les Problèmes psychiques cite des cas dans lesquels les dormeurs ont vu en rêve des villes qu'ils n'avaient jamais visitées, mais qu'ils reconnurent tout de suite lorsqu'ils s'y rendirent effectivement. En voici plusieurs exemples.
Visions de lieux inconnus du dormeur pendant le sommeil
Je me présente moi-même : Pierre-Jules Berthelay, né à Issoire (Puy-de-Dôme), le 23 octobre 1825, ancien élève du lycée de Clermont, prêtre du diocèse de Clermont en 1850, ancien vicaire pendant huit ans à Sainte-Eutrope (Clermont), trois fois inscrit au Ministère de la guerre comme aumônier militaire.
Premièrement : après trois ans de pénible ministère, j'étais très fatigué, d'autant plus que j'avais dû servir de contremaître surveillant, au nom de la fabrique, pour la construction de la gracieuse église de Sainte-Eutrope à Clermont. Pendant quatre ans, j'ai suivi les ouvriers depuis 10 m.50 dans l'eau des fondations jusqu'à la croix de la flèche. C'est moi qui ai posé les trois dernières ardoises. Notre professeur M. Vincent, pour me faire changer de travaux, me fit venir à Lyon où je n'étais jamais allé. Un des premiers jours, mon élève me dit en sortant de dé¬jeuner : « Monsieur l'Abbé, voulez-vous m'accompagner à notre domaine de Saint- Just-Doizieux ? »
J'accepte ; nous voilà en voiture. Après avoir dépassé Saint-Paul-en-Jarret, je pousse une exclamation.
Mais je connais le pays, dis-je, et, de fait, j'aurais pu me diriger sans guides . Au moins un an auparavant j'a¬vais vu pendant mon sommeil toutes ces petites terrasses en pierres jaunes.
Deuxièmement : je suis rentré dans mon diocèse, mais on m'a envoyé remplir dans les montagnes de l'Ouest une mission très pénible, au-dessus de mes forces ; je suis resté sept mois très malade à Clermont ; enfin je puis me tenir sur mes jambes, on m'envoie remplacer l'aumônier de l'hôpital d'Ambert, frappé par une congestion céré¬brale. Le chemin de fer d'Ambert n'était pas encore cons¬truit. J'étais dans le coupé de la voiture faisant le service de Clermont à Ambert. Après avoir dépassé Billon, je jette les yeux à droite et je reconnais le petit castel avec son avenue d'ormeaux comme si j'y avais vécu. Je l'avais vu pendant mon sommeil au moins dix-huit mois auparavant.
Nous sommes à l'année terrible 1870 ; ma mère, qui avait vu les Alliés parader dans les Champs-Elysées à Paris, est veuve ; elle me réclame comme son seul soutien. On me donne une petite paroisse proche d'Issoire. La première fois que je suis allé voir un malade, je me suis trouvé dans des ruelles étroites entre de hautes murailles noires, mais j'ai parfaitement trouvé le débouché. J'avais pendant mon sommeil, plusieurs mois auparavant, parcouru ce dédale de ruelles sombres.
Des événements indépendants de ma volonté m'ont amené à Riom, où je me prépare au grand voyage. Quelle n'est pas ma surprise de retrouver comme une vieille connaissance la chapelle que mon camarade l'abbé Faure avait bâtie pour les soldats, que je n'avais jamais vue de mes yeux et dont j'ignorais même l'existence ! J'aurais pu faire le croquis que je vous adresse comme si j'avais servi de contremaître.
BERTHELAY,
à Riom (Puy-de-Dôme).
Cette communication est accompagnée de quatre des¬sins de monuments vus en rêve.
Il est probable que ce sont les préoccupations de l'abbé Berthelay qui ont amené le dégagement de son esprit, lequel s'est rendu pendant son som¬meil dans les villes où il devait résider plus tard. Au réveil, ces souvenirs s'étaient effacés, mais ils se sont ravivés lorsqu'il les a vus réellement.
Hantise de vivants
J'emprunte au bel ouvrage de M. Ernest Boz¬zano le cas suivant accompagné de ses références.
Cas E. - Je l'extrais de la Revue des Sciences psychiques, 1902, page 151. M. G. P. H., membre de la société S. P. R., et personnellement connu de la Revue citée et par M. de Vesme, avait adressé la relation d'un cas psychique im¬portant au journal The Spectator, relation qui provoqua l'envoi d'une lettre de confirmation de la personne inté¬ressée dans le cas en question : voici la lettre au directeur du Spectator :
MONSIEUR,
La lettre qui vous a été envoyée par M. G. P. H. et que vous avez publiée dans votre livraison du 1er juin sous le titre : « La maison du rêve », se rapporte évidemment à un rêve fait par ma femme actuellement décédée. Le récit est exact dans ses grandes lignes, quoique je ne parvienne point à reconnaître l'identité de votre correspondant, mais la même histoire a été rapportée moins exactement dans les Diaries de sir Moutstuart Grant Duff, cité dans votre article du 26 mai. Il ne sera donc pas superflu que je donne à mon tour un court aperçu de cet événement.
Il y a quelques années, ma femme rêva à plusieurs re¬prises d'une maison dont elle décrivit l'arrangement in¬térieur en tous ses détails, quoiqu'elle n'eût aucune idée de la localité où cet édifice se trouvait.
Plus tard, en 1883, j'ai loué à Lady B..., pour l'automne, une maison dans les montagnes de l'Ecosse, entourée de terrains pour la chasse et d'étangs pour la pêche. Mon fils, qui se trouvait alors en Ecosse, traita l'affaire sans que ma femme et moi nous visitions la propriété en question. Lors¬que je me rendis enfin sur place sans ma femme pour la si¬gnature du contrat et pour prendre possession de la pro¬priété, Lady B... habitait encore la maison. Elle me dit que si je ne m'y opposais pas, elle m'assignerait la chambre à coucher qu'elle occupait et qui avait été pendant quelque temps hantée par une petite dame qui y faisait de continuelles apparitions.
Comme j'étais assez sceptique sur ces affaires-là, je répondis que j'aurais été enchanté de faire la connaissance de sa fantomatique visiteuse. Je me couchai donc dans cette chambre, mais je n'eus la visite d'aucun fantôme.
Plus tard, quand ma femme arriva, elle fut très étonnée de reconnaître dans cette maison celle du rêve. Elle la vi¬sita de fond en comble, tous les détails correspondaient à ceux qu'elle avait si souvent vus en songe. Mais lors¬qu'elle descendit de nouveau dans le salon elle dit : «Pour¬tant ce ne peut pas être la maison du rêve, puisque cette dernière avait encore de ce côté une série de chambres qui manquent. » On lui répondit aussitôt que les pièces en question existaient réellement, mais qu'on n'y pénétrait pas par le salon. Quand on les lui montra, elle reconnut par¬faitement chaque pièce ; elle dit pourtant qu'il lui sem¬blait qu'une de ces chambres à coucher de cet apparte¬ment n'était pas destinée à cet usage quand elle l'a visitée en rêve. On apprit, en effet, que la pièce en question avait été tout dernièrement transformée en chambre à coucher.
Deux ou trois jours après, ma femme et moi rendions visite à Lady B... ; comme elles ne se connaissaient pas encore, je présentai les deux dames l'une à l'autre. Lady B... s'écria aussitôt : « Oh ! vous êtes la dame qui hantait ma chambre à coucher. » Je n'ai pas d'explication à donner de cet événement ; ma femme n'a eu pendant le restant de sa vie aucune autre aventure de ce genre, que quelques-uns appelleront une coïncidence remarquable, et que les Ecossais appelleraient un cas de double vue. Ma chère femme était certainement la dernière femme au monde qui aurait laissé son imagination battre son train. Je puis donc garantir, ainsi que peuvent le faire d'autres membres de ma famille, qu'elle a pu donner une description exacte et détaillée d'une maison qui était arrangée d'une façon toute spéciale, et cela bien avant qu'elle et les autres mem¬bres de la famille eussent seulement appris que la maison en question existait.
Vous pouvez librement donner mon nom aux personnes qui s'intéressent aux questions psychiques et qui pour¬raient désirer obtenir d'autres observations à ce sujet. Dans ce but, voilà ma carte de visite. M. G. P. H. donne également au directeur de la revue le nom entier de Lady B..., qui appartient à la plus illustre aristocratie britannique.
Cet exemple justifie la distinction que j'ai faite entre la paramnésie et la véritable réminiscence ; ici Mme G. P. H. se souvient non seulement d'avoir visité cette maison, mais elle indique l'existence d'une série de chambres qu'il lui était impossible de connaître, mais qui existaient réellement.
Si le souvenir de ce rêve n'avait pas été conservé, on aurait pu attribuer cette reconnaissance à une paramnésie ou à un souvenir d'une vie antérieure, ce qui eût été une double erreur, ce phénomène n'étant dû qu'à la clairvoyance du sujet accom¬pagnée de dédoublement. Alors comment distinguer un véritable souvenir des vies antérieures d'une lucidité pendant le sommeil ou d'une perversion de la mémoire ? Evidemment ce sera par l'étude des circonstances qui accompagnent le rêve, des souvenirs anciens qui doivent le situer d'une ma¬nière évidente dans le passé.
Voici deux exemples qui aideront à faire com¬prendre ce que je veux dire.
Armand Sylvestre se promène dans Moscou, où il vient d'arriver ; ce qu'il voit et ce qu'il entend occasionnent en lui un sentiment étrange mêlé d'oppression. Cette am¬biance l'enveloppe de quelque chose de maternel. Il sent, dit-il, sa tête s'incliner parmi toutes les têtes, ses genoux ployer et des prières lui monter aux lèvres dont il ne com¬prend pas les mots et il se demande comment expliquer le phénomène, certain cependant, des parties mystérieu¬sement retrouvées, des terres jamais vues et cependant reconnues, des sentiments qui vous viennent au cœur comme si quelque aïeul depuis longtemps endormi dans une tombe dont on ignorait la place vous ouvrait subitement les bras délivrés du suaire.
Il ne s'agit plus ici de paramnésie ; ces prières inconnues sont si bien une réminiscence du passé que le Dr Chauvet, reprenant l'hypothèse du Dr Le¬tourneau , croit devoir les attribuer à une mémoire ancestrale. Il dit, en effet :
Supposons qu'un homme ait vu un paysage ou une ville et que, pour des raisons particulières, généralement affectives, il en ait gardé un souvenir puissamment mo¬delé, il pourrait transmettre celui-ci en puissance à certains de ses descendants qui l'apporteraient en naissant enseveli dans les profondeurs de leur inconscient. Que ceux-ci se trouvent un jour en présence de ce paysage ou de cette ville, le souvenir ancestral serait revivifié, il ressusciterait et l'illusion du déjà vu surgirait.
Cette hypothèse, que rien absolument ne justifie, est contraire à ce que nous savons concernant l'héré¬dité. Jamais on n'a constaté directement la trans¬mission physiologique d'un souvenir des parents à leurs descendants ; il est impossible de supposer qu'une impression mentale nettement définie reste latente à travers plusieurs générations, en raison du renouvellement incessant de la matière corpo¬relle ; il est donc inutile de s'arrêter plus longtemps sur cette bizarre hypothèse que rien ne vient appuyer.
Arrivons maintenant à l'étude des cas où il me semble qu'il existe de véritables réminiscences.
Nous avons vu que toute l'activité intellectuelle de nos vies passées réside à l'état latent dans le périsprit. Cette immense réserve de matériaux psychiques constitue le soubassement de notre indi¬vidualité intellectuelle et morale, elle forme cette trame primitive de l'intelligence plus ou moins riche sur laquelle chaque vie brode des arabesques nouvelles. Mais tous ces acquis ne peuvent se mani¬fester que par ces tendances primitives que chacun apporte en naissant et que l'on nomme le caractère. Dès lors, l'inconscience la plus parfaite doit être la règle, et c'est précisément ce qui se produit, mais il n'existe pas de règles sans exceptions.
De même que l'on a remarqué chez certains sujets somnambuliques la conservation du souvenir au réveil, de même il peut se rencontrer des individus qui se rappellent nettement avoir déjà vécu, tandis que chez d'autres la rénovation se présente sous une forme plus vague, plus imprécise, d'une manière fugitive, sous l'influence de certains milieux ou de certaines circonstances dans lesquels ils sont placés ; c'est là la véritable réminiscence qui se différencie de la paramnésie par la connaissance de choses réelles que le sujet désigne avec exactitude sans les avoir vues antérieurement et sans qu'il soit logique d'attribuer cette connaissance à la clairvoyance.
Voici plusieurs cas qui me paraissent rentrer dans cette catégorie.
Réminiscences probables chez les enfants
Il est assez naturel de penser que c'est pendant les premières années de leur réincarnation que cer¬tains enfants peuvent retrouver momentanément quelques souvenirs, ou au moins des réminiscences de leur vie précédente. J'ai reçu un certain nombre de lettres émanant de personnes dignes de toute confiance qui me racontent ce qu'elles ont observé avec leurs enfants.
Petite fille parlant un idiome spécial dans lequel on retrouve des mots de français
Je tiens à citer en premier lieu une observation de la Revue Spirite de 1869 .
En 1868, les journaux français nous ont entretenus, d'après un journal anglais de médecine : la Quarterly Re¬view, d'un phénomène bien étrange. C'est une petite fille dont le docteur Hun nous fait connaître l'étonnante histoire. Jusqu'à l'âge de 3 ans, elle est restée muette et n'a pu parvenir à prononcer que les mots papa et maman. Puis, tout à coup, elle s'est mise à parler avec une volubi¬lité extraordinaire, mais dans une langue inconnue n'ayant aucun rapport avec l'anglais ; et ce qu'il y a de plus sur¬prenant, c'est qu'elle se refuse à parler cette langue, la seule pourtant qu'on lui parle, et oblige ceux avec qui elle vit, par exemple son frère un peu plus âgé qu'elle, à ap¬prendre la sienne, où l'on trouve quelques mots de fran¬çais, quoique, au dire des parents, on n'en ait jamais prononcé aucun devant elle.
Comment expliquer ce fait autrement que par le sou¬venir d'une langue que cette enfant aurait parlée dans une existence antérieure. Il est vrai qu'on peut le nier. Mais la petite existe. C'est un journal sérieux, un journal de mé¬decine, qui le rapporte, et la négation est un moyen com¬mode et dont on fait peut-être un peu trop usage. Il est dans beaucoup de cas l'équivalent du diable, le Deus ex machina qui vient toujours à point pour tout expliquer et dispenser de l'étude.
Voici un passage de la lettre que Mme Panigot m'a adressée avec confirmation de sa fille.
Ma fille marchait à peine, car elle a marché très tard, à 3 ans : il est vrai qu'elle marchait au doigt et ne le lâ¬chait pas.
Nous passions donc, ma bonne, elle et moi, au cimetière de Préville ; c'était à l'époque de la Toussaint. Tout à coup l'enfant s'arrêta devant une tombe et de son petit doigt me montra des fleurs blanches. « Tu vois, maman, voilà les fleurs comme il y en avait sur la tombe de ma première mère. »
Stupéfaite, je dis à ma bonne : « Si je l'avais mise en nour¬rice, je croirais qu'on a changé cette petite. »
Rentrant à la maison, je priai ma mignonne de m'ex¬pliquer ce qu'elle avait voulu me dire. Elle précisa avec détails des faits troublants. Elle me raconta qu'elle avait perdu sa mère, qui était méchante et qu'elle avait une soeur qui était gentille.
Je lui passe la plume pour qu'elle achève ce récit. Croyez...
0. PANIGOT.
Je suis heureuse de compléter un récit qui peut-être vous intéressera. Tout ce que je vais écrire est encore très présent à ma mémoire, quoique j'aie plus de 32 ans.
Celle que j'appelle ma première mère était grande, brune et maigre ; elle était loin d'être bonne. J'allais souvent près d'une grosse tour ronde et le plus souvent deux lé¬vriers à robe beige très claire m'accompagnaient.
Ce sont tous mes souvenirs précis. Quant à ma sœur, à je n'en ai plus aucune souvenance.
J'ajouterai deux choses à mon récit :
1. Je ne me rappelle pas avoir grandi. J’ai donc dû mourir jeune.
2. J'apprends l'anglais très facilement et la prononcia¬tion par intuition.
Peut-être est-ce en Angleterre que j'ai déjà vécu. Re¬cevez...
Mme et Mlle PANIGOT,
11, rue Dupont-des-Loges ;
Nancy.
Est-ce que ce sont des souvenirs réveillés ?
A l'époque où ceci se produisit, Mme Panigot ne faisait pas de spiritisme et l'enfant n'avait pu enten¬dre parler autour d'elle des vies successives. On ne peut donc supposer qu'il y ait eu auto-suggestion de la part de Mme Panigot.
Serait-ce un rêve intense de l'enfant qui se serait extériorisé sous cette forme ? C'est possible, puis que nous n'avons pas une démonstration positive de ces remembrances du passé.
Les mêmes observations sont applicables aussi aux deux cas suivants.
Mme de Valpinçon me communique un récit qui lui fut fait par une de ses amies, femme très intelli¬gente qui désire conserver l'anonymat.
Je vais vous conter un fait qui me fut bien souvent ré¬pété par ma mère, car alors j'avais 5 ou 6 ans. J'aimais beaucoup les poupées et je prenais très au sérieux mes de¬voirs de mère de famille. Elles avaient des trousseaux com¬plets que je lavais et repassais moi-même ; une matinée, après une très grande lessive de ces minuscules objets, je vins trouver ma mère, disant que je venais me reposer près d'elle ; ne voulant pas interrompre sa lecture, je res¬tai tranquille, près d'elle, assise sur ma petite chaise, re¬gardant mes mains et surtout le bout de mes doigts avec insistance. Tout à coup, les montrant à ma mère je m'écriai comme sortant d'un rêve : « Mère, vois donc, j'ai les mains toutes ridées comme lorsque j'étais vieille.
- Mais que veux-tu dire ?
- Oh ! Il n'y a pas bien longtemps, tu sais bien, ma¬man. »
Très effrayée, ma mère me gronda de dire des bêtises. Cela fut le sujet de multiples réflexions ; le silence se fit et c'est seulement après mon mariage que ma mère osa me parler de cette divagation, disait-elle.
Voici, d'autre part, une relation qui me vient d'Italie dont la narratrice ne veut pas être nommée.
Son récit est corroboré par le témoignage de sa mère et d'une amie.
Je m'intéresse beaucoup aux études psychiques, mais quand j'étais enfant ni moi ni ceux qui m'entouraient n'a¬vaient le moindre sentiment de la réincarnation et pour¬tant je disais toujours que j'avais été autrefois un chevalier du Moyen Age, et j'en étais très convaincue, et aussi je me plaignais d'être une fillette quand j'aurais voulu être un homme pour pouvoir combattre et mourir pour la patrie. Bien des années après, j'habitais Naples au Palais du Com¬mandeur avec mon mari, officier de l'armée, quand un jour je me trouvais avec un Monsieur à une fenêtre qui donne sur la cour intérieure du Palais, où le commandant de corps d'armée avec sa suite d'officiers d'état-major se tenait à la tête du cortège pour sortir par la grande porte qui donne sur la place du Plébiscite, quand je me sentis toute secouée et malgré moi je m'exclamai : « Mais que fais-je ici, pendant que je dois monter à cheval et me mettre à la tête du cortège ! » Mais subitement je me rappelai que j'étais Madame X... et que pour moi il n'y avait autre chose à faire qu'à regarder. Mais à ce moment, j'eus le souvenir précis d'avoir été chef militaire et de m'être trou¬vée à la tête des troupes. Je crois aussi avoir été contrainte d'entrer dans un couvent, parce que je me rappelle combien je pleurais et criais étant enfant si on me coupait les che¬veux. Un jour la scène fut très tragique, je me jetai à terre en sanglotant sur mes cheveux coupés, je me les remis sur la tête. Une autre fois, j'avais environ 14 ans, je me trouvais à la fenêtre avec des parents et des amis pour voir passer les chars d'une cavalcade, et pendant que tous riaient et plaisantaient, moi, à la vue d'un char, où se trouvaient des Garibaldiens avec la chemise rouge, qui massacraient des curés, ceux qui prétendaient figurer des prêtres, j'éprouvai une telle émotion que j'éclatai en amères plaintes, au grand émoi de tous les assistants. Je dois dire que pendant cette vie actuelle, je n'ai pas eu affaire à des prêtres ou à des religieux ; néanmoins je ressens pour eux une vraie répulsion et mon cœur se serre en les voyant. Depuis que j'étais petite fille et à toute heure, à ma volonté, je peux sortir complètement de moi-¬même me demandant, comme Kim de Rudyard Kipling, qui suis-je ? J'ajouterai que je suis une femme saine et équilibrée, et même que je me refuse à parler de ces choses avec qui que ce soit pour ne pas être taxée d'originale par ceux qui ne s'intéressent pas à ces études.
A. M. L. M.
29 mai 1922, Milan.
Suivent les attestations de la mère et d'une amie de Mme A. M. L. M.
Si ces récits ne sont pas dus à l'imagination de la narratrice, ils sembleraient indiquer des réminis¬cences se rapportant à diverses vies antérieures.
Voici, pour terminer cette courte revue, une lettre qui m'est encore adressée de Nancy :
En octobre 1921, par suite de la crise des logements, nous fûmes obligés de mettre notre mobilier dans un garde-meuble jusqu'en mars 1922, et de demander l'hos¬pitalité à une de mes sœurs à Lunéville. Ma sœur avait à ce moment chez elle un de ses petits-fils, Georges, âgé de 4 ans et 9 mois, que nous aimions tous beaucoup.
Une après-midi, alors que Georges était en train de s'a¬muser, il me tint spontanément le langage suivant : « Tante Adine, tu deviendras toute vieille, toute vieille, tu mourras, tu deviendras toute petite, tu grandiras et nous jouerons ensemble. » Une autre fois, à huit jours d'in¬tervalle, il me dit
: « Tante Adine, est-ce vrai que nous re¬deviendrons tout petits, tout petits, nous grandirons et nous nous aimerons bien ? »
Adeline MULLER,
55, Avenue Félix-Faure, Nancy (Meurthe-et-Moselle).
Un de mes amis , M. C..., causant avec sa petite fille âgée de 3 à 4 ans, fut surpris de l'entendre dire qu'elle était Polonaise, les parents étant de la Suisse fran¬çaise. Etonnés de cette réponse, car la petite n'avait jamais entendu parler de Pologne et de Polonais, ils lui firent remarquer qu'elle était Française, vu qu'eux-mêmes étaient Français. La logique de ce raisonnement ne put convaincre cette enfant.
« Non, dit-elle, je suis Polonaise et je me souviens très bien quand maman est morte.
- Tu ne sais ce que tu dis, reprit la mère, tu vois bien, je ne suis pas morte puisque je te parle.
- Il n'est pas question de toi, reprit l'enfant, je parle de mon autre maman, la Polonaise. C'est ainsi qu'on la nommait toujours ; lorsqu'elle est morte, on lui mit une belle toilette, puis on la coucha entre une quantité de bou¬gies allumées au milieu d'un grand beau salon. Des prêtres venaient et chantaient toute la journée. Un jour, on la mit dans un grand coffre et on l'emporta.
Mon autre maman était riche ; nous avions un très grand appartement ; nous avions aussi des chevaux et des voi¬tures.
- Qui t'a raconté cette histoire ? - Oh ! Personne ne me l'a racontée ; je m'en souviens très bien ; j'étais grande alors. » M. et Mme C... ont plusieurs fois questionné leur fille et ont toujours obtenu la même réponse. Aujourd'hui c'est une petite fille de 10 à 12 ans et elle ne se souvient plus de rien.
Les cas que je viens de rapporter ne sont pas entièrement démonstratifs, car aucune vérification n'est possible. Si je les ai cités, c'est parce que je montrerai plus loin que chez d'autres enfants, des souvenirs de vies antérieures se sont présentés avec assez de netteté pour que l'on ait pu en contrôler la réalité. Ceux-ci peuvent donc être considérés comme une première ébauche de la reconstitution de la mémoire intégrale se traduisant fugitivement par de vagues réminiscences chez les sujets dont l'organisme se prête mal à un réveil complet.
Réminiscences paraissant provoquées par la vision de certains lieux
L'on sait qu'il existe des sujets appelés psycho¬mètres, qui ont la faculté de reconstituer des scènes du passé lorsque l'on met entre leurs mains un objet quelconque qui aurait été associé à ces événements. Par exemple, une pierre d'un sarcophage égyptien évoque l'idée de l'Egypte et des scènes funéraires qui s'y déroulaient. Il semble que, dans des condi¬tions particulières, quand des personnes reconnais¬sent tout à coup des villes ou des pays qu'elles n'ont jamais vus, ces endroits nouveaux exercent sur elles une action analogue à celle éprouvée par les psychomètres, mais avec cette différence que ce sont des souvenirs intimes qui s'évoquent en elles et que ces réminiscences leur sont absolument per¬sonnelles ; c'est là une forme particulière de la rénovation du passé qui se présente assez fréquemment pour qu'elle mérite d'attirer sérieusement l'attention.
Voici quelques exemples intéressants qui se ratta¬chent directement à notre étude.
Je cite en premier lieu le récit du major Wellesley Tudor Pole :
Visions rétrospectives
Le major Wellesley Tudor Pole raconte l'impression profonde qu'il ressentit en visitant le temple de Karnac, en Egypte. Celui-ci lui sembla saturé d'une atmosphère mystique et de fluides magnétiques.
C'était, ajoute-t-il, comme si en plongeant dans la mer on était entouré de courants différents de diverses couleurs élevant l'âme et l'imagination en dehors du courant actuel et le replaçant dans les mêmes conditions qu'il y a trois mille ans.
Il a vu se retracer devant ses yeux une procession an¬tique des grands prêtres de l'Amon-Ra.
Un en particulier, dit-il, attira mon attention ; il était blond avec les yeux bleus et différait profondément de tous ses compagnons.
Cet individu semblait familier au major. Je ne sais pour¬quoi, dit-il, je regardais passer la procession qui tour¬nait autour du pilier brisé sur lequel nous étions placés ; toujours mes yeux étaient attirés par le prêtre aux che¬veux blonds. Quand il fut en face de moi, il tendit ses bras dans ma direction et j'eus l'impression que c'était moi-¬même. J'en avais la certitude et je devins inconscient de ce qui m'environnait. Le reste de la vision n'a plus d'intérêt pour nous.
Il semblerait, d'après ce récit, que le major Wellesley a eu une sorte d'hallucination rétrospective qui lui a permis de se reconnaître en l'un des anciens prêtres du temple.
L'action psychométrique du milieu parait ici très probable. Il en est peut-être de même pour les deux cas suivants :
Un clergyman
Il y a une dizaine d'années, je visitais Rome pour la première fois. A plusieurs reprises, dans la ville, j'ai été saisi par un flot de reconnaissances. Les Thermes de Caracalla, la voie Appienne, les catacombes de Saint-Cal¬lixte, le Colysée, tout me paraissait familier. La raison en parait évidente, je renouvelais ma reconnaissance avec ce que j'avais vu dans des tableaux et des photographies. Ceci peut expliquer ce qui se rapporte aux édifices, mais non pas aux labyrinthes obscurs, aux souterrains des ca¬tacombes.
Quelques jours plus tard, je me rendais à Tivoli. Là encore la localité m'était familière comme aurait pu l'être ma propre paroisse. Par un torrent de paroles qui me montaient spontanément aux lèvres, je décrivais l'endroit tel qu'il était dans les anciens temps. Je n'avais pourtant jamais rien lu au sujet de Tivoli. Je n'avais pas vu de gravures le représentant ; je ne connaissais son existence que depuis quelques jours seulement, et pourtant je me trouvais servant de guide et d'historien à un groupe d'a¬mis qui en conclurent que j'avais fait une étude spéciale de l'endroit et de ses alentours. Ensuite la vision de mon esprit commença à faiblir. Je m'arrêtai comme un collé¬gien qui a oublié son rôle et je ne pus dire autre chose. C'était comme une mosaïque qui serait tombée en morceaux.
Dans une autre occasion, je me trouvais avec un compa¬gnon aux alentours de Leatherhead, où je n'avais jamais mis les pieds jusqu'à ce jour. Le pays était complètement nouveau, aussi bien à moi qu'à mon ami. Au cours de la conversation, celui-ci observa : « On dit qu'il y a une an¬cienne route romaine quelque part dans ces alentours, mais j'ignore si elle se trouve de ce côté de Leatherhead ou de l'autre. » Je dis aussitôt : « Je sais où elle est. » Et je mon¬trai le chemin à mon ami, absolument persuadé que je l'aurais trouvé, ce qui eut lieu en effet. J'avais la sensation de m'être trouvé autrefois sur cette même route, à cheval, couvert d'une armure. Ces épisodes m'ont fait parler de temps en temps de ce sujet avec des amis et un grand nom¬bre d'entre eux m'ont dit avoir éprouvé des sensations du même genre.
A trois milles et demi à l'ouest de l'endroit où je vis, se trouve une forteresse romaine dans un état presque par¬fait de conservation.
Un clergyman qui était venu me voir un jour me demanda de l'y accompagner, désirant visiter ces ruines. Il me dit avoir un souvenir très net d'avoir vécu en cet endroit et d'avoir été investi d'une charge d'un caractère sacerdotal aux jours de l'occupation romaine. Ce qui me frappa, c'est qu'il insista pour visiter une tour qui était tombée sans perdre sa forme. Il y avait un trou à son sommet, ajouta-¬t-il, dans lequel on avait l'habitude de planter un mât, les archers se faisaient hisser dans une espèce de nacelle protégée par du cuir ; de là ils étaient à même de voir les chefs Gorlestoniens au milieu de leurs hommes et de tirer contre eux. Nous trouvâmes, en effet, le trou qui était indiqué.
Curieuse coïncidence
On lit dans le Light de 1916, page 374, le récit suivant, qui lui est fourni par le rédacteur d'une revue mensuelle : La Londonienne. Ce dernier déclare que ce récit est de première main et authentique. Voici brièvement en quoi il consiste :
A... est un artiste roumain bien connu, qui pendant la dernière guerre résidait à Londres. Il appartient à une antique famille et occupait un poste élevé à la Légation de son pays.
Il s'engagea dans un régiment de cavalerie légère.
Un jour qu'il était en manoeuvre dans le Comté de Berk¬shire, chevauchant à côté de son capitaine et gravissant une colline assez abrupte dont l'aspect le frappait comme lui étant vaguement familier, il le dit à son capitaine. Vous connaissez donc cette contrée ? Lui dit ce dernier. - Oh ! Non, Monsieur, répondit A..., je ne suis jamais venu dans le Berkshire de toute ma vie, mais je ne sais pour¬quoi il me semble que je connais cette colline et même ce qui est situé au delà. Je sais qu'il y a encore une petite montagne en forme de cône couronné par un petit bois. Ensuite le terrain descend rapidement et aboutit à un terrain nivelé.
C'est exact, dit le capitaine, qui était natif de Berk¬shire, je me demande comment vous pouvez savoir cela, puisque l'on ne peut rien voir d'ici. Puis la conversation changea et A... oublia cet incident.
L'année suivante, on fit des fouilles sur le sommet de la colline et on y découvrit un monument en pierres qui portait une inscription en mémoire de la dixième légion Dacienne. Les Daces étaient sujets des Romains lorsque ceux-ci occupaient la Grande-Bretagne. On lisait sur la pierre les noms des hommes tombés là. Parmi ceux-ci se trouvaient celui d'un ancêtre de A... L'inscription était en latin.
Est-ce une simple coïncidence qui permettait à A..., du premier coup d'oeil, de décrire le paysage qui lui était in¬connu et encore caché à ses regards, ou bien n'est-ce pas plutôt un cas de réminiscence, une sorte de regard jeté en arrière à travers les siècles ?
J'ai, dit le narrateur, cité les noms exacts aux directeurs de la Revue, mais je ne suis pas autorisé à les reproduire ici.
Réminiscence ou clairvoyance
A la suite de l'enquête que j'ai entreprise, j'ai reçu de Mme Mathilda de Krapkoff, que j'ai le plaisir de connaître personnellement, le récit suivant :
Au délicieux printemps de l'année 1898, mon mari et moi débarquions à Yalta, en Crimée, pour nous rendre à Livaldia, où la cour de Russie séjournait. Nous nous rendions chez mon beau-frère qui occupait un poste auprès de l'Empereur. J'avais, quelques jours auparavant, passé pour la première fois la frontière russe à Volodschick. Je venais d'épouser, un peu contre le gré de ma mère chagrinée de me voir partir si loin, un jeune Russe de famille noble et je me sentais attirée d'une façon inexpli¬cable vers cette lointaine Russie, si différente du coin na¬tal. J'avais lu tout ce que j'avais pu trouver pour me renseigner sur elle, et je vivais avec les héroïnes de Tolstoï, de Tourguenieff, m'extasiant sur ce qu'on les nommât de leur nom patronymique ajouté à leur prénom. Je me disais : « Là-bas je serai nommée Mathilda Iossifoura. » Quelle douceur aussi lorsque je rencontrai celui qui devait être mon mari et qu'il me nomma ainsi ! Je compris que ma destinée s'accomplissait et j'étais enivrée du bonheur d'al¬ler enfin dans le pays enchanté de mes rêves.
Comme mon coeur battait en approchant du poteau fron¬tière qui marquait le seuil de l'existence tant désirée ! Les tristes couleurs noires et blanches me semblaient irradier de plus brillants rayons, et lorsque tout le monde autour de moi parla la douce langue russe, mon oreille crut la reconnaître. Je demandais avidement la signification de chaque parole qu'il me semblait réapprendre et si facile¬ment. En arrivant à Odessa, rien ne m'étonna, je me sen¬tais chez moi, et au débarquement à Yalta j'étais non une Française avide de nouveautés, mais une Aborigène heu¬reuse d'être enfin revenue passer quelques jours sur les beaux rivages de la Crimée. Mon beau-frère, pour me faire reconnaître les immenses forêts de l'intérieur, organisa une petite cavalcade. La veille du départ, je ne tenais pas en place, tout mon être était comme projeté en dehors de moi vers cette contrée que j'allais parcourir. C'était un sentiment étrange autre que celui que j'éprouvais de¬puis mon arrivée en Russie, plus irrésistible et plus puis¬sant. Du reste, dès les premières heures, mes yeux avaient été attirés invinciblement vers la masse sombre des bois comme par un aimant magique.
La nuit me sembla interminable. Enfin l'aube se leva radieuse et notre caravane se mit en route, convoyée par deux guides tartares qui connaissaient bien le pays.
Pendant des heures nous nous promenâmes sous ces futaies majestueuses, tantôt surplombant des panoramas immenses d'océans de verdure, tantôt plongés dans des vallées assombries où les arbres se dressaient plus forts, entremêlant leurs puissantes ramures. Nous avions fait plusieurs haltes, mais vers le soir chevaux et cavaliers étaient fatigués et nous suivions docilement les guides sur le chemin du retour. Cette journée était ineffa¬ble. Mon coeur débordait de mille sentiments confus, mon esprit me semblait courir en avant vers de nouveaux chemins, vers un inconnu pressenti. Nous allions toujours, mais les guides commençaient à manifester de l'inquiétude, cherchant à droite, à gauche, inspectant les fourrés. Voici qu'ils nous arrêtent et nous déclarent qu'ils ont perdu la route. Les sentes deviennent de plus en plus confuses; ils ne savent laquelle prendre. Consternation générale, fureur de quelques-uns. Il est déjà tard ; comment circuler la nuit dans ces sombres forêts qui semblent ne pas avoir de limites ? Mon mari veut me rassurer, mais je suis bien tranquille ; je sens que je sais où nous sommes. Il me sem¬ble qu'un autre être complémentaire est entré en moi et que ce double connaît le pays et précisément cet endroit. Posément je déclare qu'il faut se rassurer, que l'on n'est pas égaré, puisqu'il n'y a qu'à prendre la sente de gauche et la suivre, qu'elle nous conduira à un chemin plus large aboutissant à une clairière et qu'au fond, derrière un rideau d'arbres, il y a un village mi-tartare, mi-russe. Je le vois, ce village, ses maisons s'élèvent autour d'une place bien carrée ; au fond il y a un portique soutenu par d'élégantes colonnettes de style byzantin. Sous ce portique une jolie fontaine de marbre, et derrière le portique le perron d'une maison ancienne avec de petites fenêtres à croisillons ; tout cela, charmant de vétusté et si harmonieux... Je m'ar¬rête, j'ai parlé d'un trait, très vite, avec assurance ; la vision est en moi si nette, si précise ! J'ai vu tout cela déjà si souvent, me semble-t-il. Tous m'entourent et me regardent avec stupéfaction ; quelle singulière plaisanterie ! Cela leur parait bien déplacé, mais ces françaises... Je dois être très pâle ; je suis glacée ; mon mari m'examine avec inquiétude, mais je répète en criant : « Oui, oui, oui, tout cela est juste, vous allez voir. » Et je tourne bride vers la sente gauche. Comme on me traite en enfant gâtée et que les guides accablés sont assis par terre, on me suit un peu machinalement, ne se rendant pas compte de ce qui se passe. Le tableau évoqué est toujours en moi, je le vois, je suis calme et assurée. Mon mari, très troublé, dit à son frère : « Après tout, ma femme peut avoir un don de seconde vue, et puisque nous sommes égarés, allons avec elle ; là ou ailleurs, qu'importe. » Forte de son approbation, je pique de l'avant à travers les taillis de plus en plus clairsemés, je coupe à travers bois, tant je suis impatiente d'arriver. Personne ne parle ; la brume s'élève et rien ne fait pressen¬tir une clairière, mais je sais qu'elle est là, droit devant nous et je poursuis ma route. Enfin j'étends le bras et de ma cravache j'indique la clairière, mot magique. On s'exclame, on s'élance, oui, c'est une clairière plus longue que large. Tous la voient dans la pénombre, le fond se perd dans la brume, mais les chevaux, eux aussi, semblent sentir que l'on arrive, ils galopent et nous arrivons à de grands arbres sous lesquels nous pénétrons. Je suis hors de moi, projetée vers ce que je veux voir. Un dernier voile se déchire. Voici une faible lumière, et en même temps une voix murmure non à mon oreille, mais à mon coeur : « Marina, ô Marina, te voici, tu reviens. Ta fontaine murmure encore. Ta mai¬son est toujours là. Sois la bienvenue, chère, chère Marina. Ah ! Quelle émotion, quelle joie surhumaine ! Tout est là devant moi, le portique, la fontaine, la maison. C'en est trop, je chancelle et tombe, mais mon mari m'a déjà saisie et me dépose doucement sur cette terre qui est la mienne, auprès de ma douce fontaine. Comment décrire mon ex¬tase ? Je suis terrassée d'émotion, j'éclate en sanglots ; des ombres sont accourues, s'empressent ; on parle russe, tartare. On m'amène vers la maison ; mes jambes chance¬lantes montent les marches. Mon coeur semble se broyer en passant le seuil. Puis, tout à coup, la fiction fait place à la réalité ; je vois une chambre inconnue, des objets étran¬ges, l'ombre de Marina s'efface ; je ne saurai jamais qui elle a été ni quand elle a vécu, mais je sais qu'elle était ici, qu'elle y est morte très jeune ; je le sens, j'en suis certaine...
Mon mari me fait boire un thé brûlant, tous mes com¬pagnons sont assis autour de moi, s'exclament, veulent savoir comment j'ai deviné, comment j'ai vu, mais je n'explique rien à personne, si ce n'est à mon compagnon. Personne ne saura le secret de Marina et je me sens si bien dans cette douce maison où je respire un air d'un autre monde. Jamais je n'ai ressenti un tel bien être ; je suis si légère, si heureuse. On s'installe tant bien que mal pour la nuit. Mais je m'assieds sur le seuil et je demande à mon mari d'interroger et de demander à qui est cette mai¬son, qui y a vécu. On ne sait pas grand'chose ; la maison a appartenu à un Polonais descendant, disait-il, d'une famille exilée. Les anciens se souviennent de lui ; il est mort très vieux et seul. Un parent est venu. La maison très délabrée a été vendue ; l'héritier est reparti. On a réparé tant bien que mal et c'est maintenant le chef du village, le staroste, qui l'habite avec sa famille et je ne saurai rien de plus, mais ce que je sais, c'est que, moi Marina, j'ai vécu ici ; mes yeux ont contemplé ce rideau de beaux arbres, le murmure de la fontaine a bercé mes rêveries ; la douce maison m'a abritée... Les parfums de la chaude nuit de printemps semblent m'envelopper toute et j'écoute in¬tensément, avec extase, cette divine élégie, le murmure de la fontaine, la voix du rossignol, la douce rumeur de la brise dans les branches. A cette harmonie céleste, mon coeur se fend d'extase et tout au fond de mon être une voix très lointaine, très douce et affaiblie, mais pénétrante, répète : Marina !
Bien des années ont passé depuis ce voyage radieux ; je les ai vécues en Russie, dans ce pays de mes rêves qui ne m'a pas déçue, car j'y ai été bien heureuse et je m'y sais toujours sentie at home. J'ai appris avec une facilité surprenante le Russe et aussi le Polonais. Chaque fois que je revenais en France, j'étais en vacances, mais lorsque je retrouvais la douane insupportable, les gendarmes soupçonneux et le doux parler slave, je rentrais chez moi, dans mon pays. Je dois ajouter que nulle part en Russie il ne m'est rien arrivé de semblable au récit que je viens de faire en toute sincérité et duquel j'ai toujours gardé le plus vivant et le plus délicieux souvenir. J'ai étudié ; je sais maintenant que je ne me trompais pas et que Marina et moi ne faisions qu'une Mathilda de Krapkoff.
Paris, le 2 juillet 1922.
Ce récit nous met en présence d'un de ces cas ambigus où l'on hésite à se prononcer d'une manière catégorique entre l'explication par la clairvoyance ou par des souvenirs d'une vie antérieure ; cepen¬dant, ici, il semble bien que cette dernière inter¬prétation est la plus vraisemblable ; c'est pour¬quoi j'ai relaté le rapport de Mme Mathilde de Krapkoff.
Voici encore un exemple de reconnaissance de lieux où il est probable que le narrateur a vécu antérieurement ; car rien ne permet de supposer que ces visions si nettes qu'il eut pendant son en¬fance aient été des réminiscences d'une vue clair¬voyante qu'aucune cause n'aurait pu déterminer .
Dans ma première enfance j'étais enclin à des rêvasseries comme le sont beaucoup d'enfants d'imagination active.
Deux scènes m'ont hanté plus de cent fois ; j'en suis sûr, bien que quand je devins homme elles s'évanouirent et furent seulement interprétées comme des rêves d'enfant. Je vais décrire chacune d'elles. Il y avait deux de ces scènes très importantes qui se présentaient à mon organe visuel intérieur pendant mon enfance.
1° Un grand village s'étendait au nord d'une plaine ondulée et des terrains boisés se trouvaient par derrière ; de¬vant il y avait de petites rivières coupées par un léger pont. Ceci se présentait ainsi comme vu du haut d'une colline. Il y avait dans ce village une église, une route allant au nord et un parc à l'est. J'ai pensé à ce village plus de cent fois et je l'ai peuplé avec des gens imaginaires pleins de bizarres aventures, comme le font les enfants. Ensuite, quand je devins élève d'Oxford, ma mère me suggéra d'aller vi¬siter Adderbury, qui a été fréquemment habité par ma famille depuis 1800 et où elle a passé une partie de son enfance, restant là avec son oncle qui y habitait. Elle avait l'intention d'y aller elle-même mais en fut empêchée. Elle me dit encore d'aller là et de voir la vieille place pleine de ses souvenirs d'enfance. Je le fis ainsi un jour d'hiver. J'arrivai à une colline basse et là, devant moi, étaient presque exactement reconstituées les scènes de mes rêves d'enfant. Le grand village, la petite rivière, les bois et l'église. Ma mère ne m'a jamais décrit Adderbury. Il est curieux que je n'y aie jamais pensé, car ayant passé mon enfance dans le comté de Devon, j'ai conçu en imagi¬nation un village typique et réel d'Oxfordshire qui ne ressemblait en aucune façon au village que j'ai vu dans mon enfance.
2° Une autre scène était plus curieuse encore et plus persistante : c'était un grand village près de la mer, orienté vers l'Est. La colline sur laquelle il est bâti est très abrupte, si abrupte que les rues descendantes sont formées par des escaliers. Les maisons sont étagées les unes au¬-dessus des autres. Au sommet se trouve le terrain boisé. Je rêvais toujours que j'y habitais une maison située au nord. J'ai rêvé pendant le jour des centaines de fois à ce village, à ces marches, à ces maisons en terrasse, à la mer bleue. Mais ma demeure était toujours au nord, un peu dans l'intérieur des terres. Jusqu'au mois de juillet dernier je n'avais jamais vu dans tous mes voyages un endroit ressemblant à celui que je voyais en rêve.
Alors on me demanda de visiter Clovely, dans le nord du comté de Devon, où longtemps ont habité mes an¬cêtres paternels (mon arrière-grand'mère était une Cary).
A mon grand étonnement je vis les terrasses, la colline abrupte, les marches descendant à la mer, se trouvant à l'est, et au nord la maison des Cary, où pendant des siècles mes ancêtres avaient habité.
Je vis dans l'église sept tombeaux de la famille Cary.
Clovelly est décrit dans Westward, que j'ai lu seulement il y a quelques années pour la première fois ; la ressemblance de cette description avec ma vision ne m'avait jamais frappé.
Dans le chapitre suivant : nous allons trouver des récits dans lesquels la réminiscence s'accompagne de circonstances qui permettent de supposer que l'on se trouve maintenant en présence de souvenirs réels de vies passées.
Chapitre X - Les souvenirs de vies antérieures
Réminiscence certaine concernant le XVIIIème siècle. – Réveils de souvenirs de Mme Katherine Bates. – Le cas de Laure Raynaud.
Le secrétaire de la Société S. P. R. nous écrit :
Ce récit nous a été envoyé par Mme Spapleton, 46, Montagu-Square, Londres (W), membre de la S. P. R. L'écrivain est, nous dit-elle, une personne de sensibilité artistique fortement développée et, en particulier, une mu¬sicienne remarquablement douée. Son nom nous a été donné en confidence. Mme Spapleton connaît intimement la narratrice depuis des années et affirme la parfaite véracité de ce rapport.
La narratrice raconte que pendant sa première jeunesse, qui s'écoula à Saint-Pétersbourg, elle voyait constamment dans sa chambre, le soir, une femme qui semblait veiller sur elle. C'est en vain que l'on essaya de lui persuader que c'était une illusion ; elle demeura convaincue de sa réa¬lité.
Elle raconte qu'à l'âge de 6 ans, elle vit un jour sa mère en toilette Louis XVI. Elle poussa un cri d'étonnement, car c'était précisément le costume que portait l'appari¬tion.
Chose remarquable, cette enfant dessinait des hommes et des femmes vêtus tous de costumes du XVIIIème siècle, bien qu'il n'existât aucune gravure ni dessin dans la mai¬son paternelle qui pût lui servir de modèle. Les hommes portaient tous des habits à longues basques, des culottes et des souliers bas ; les femmes étaient coiffées d'une mon¬tagne de cheveux, telles qu'on les voit sur les estampes anciennes. Ceci indique nettement une réminiscence du temps passé, puisque l'enfant n'avait pu avoir sous les yeux de semblables modèles. Après l'âge de 10 ans, dit-¬elle, mon apparition cessa de venir me voir régulièrement. Ses visites devinrent de moins en moins fréquentes et enfin s'arrêtèrent entièrement.
Lorsque l'on m'apprit l'histoire, j'étais surtout inté¬ressée par la vie de Marie-Antoinette. J'aimais son nom et je versais des larmes sur sa tragique destinée.
Naturellement chaque enfant, et même la plupart des grandes personnes, peuvent avoir une sympathie spéciale pour quelques figures de l'histoire, mais la mienne était plus qu'une ordinaire sympathie, c'était un culte, une ob¬session.
Je passais des heures au Muséum de South Kensington à contempler le buste de Marie-Antoinette, examinant sa table de toilette avec ses petits pots de rouge, etc. Je peux dire honnêtement que mes heures les plus sérieuses s'écou¬lèrent en contemplant ces trésors, bien que ce fût tou¬jours avec une émotion voisine des larmes que j'affrontais le buste de la reine.
Cependant la vie continua ; je devins très active et eus des occupations diverses. L'image de la reine s'évanouit un peu de ma vie occupée, bien que je me sentisse pour elle une extraordinaire affection : elle m'était plus chère qu'au¬cune autre personne au monde.
Je rêvais fréquemment d'elle, et, quoique mes rêves fussent espacés, ils avaient une suite plus logique que les autres et je me souvenais de chaque détail au réveil ; ils représentaient des épisodes les plus vulgaires de la vie courante. Ils se passaient toujours dans le même lieu que je n'avais jamais vu réellement.
Il y a environ cinq ans, je demeurais à Margate, dans la famille d'un docteur. Nous formions une joyeuse société et rien ne pouvait suggérer l'idée d'une maison hantée. Cepen¬dant, un jour, en entrant dans ma chambre à coucher, je vis la même figure, Marie-Antoinette debout près d'une petite table en bois. Il n'y en avait pas de pareille dans ma chambre. Elle s'appuyait d'une main sur la table et me regar¬dait. Ce n'était plus la même figure ; un horrible change¬ment s'était produit ; elle paraissait hagarde, agonisante, et ses beaux yeux ne brillaient plus et me fixaient avec un étrange et glacial regard. Sa chevelure presque blanche était nouée simplement sur le dessus de la tête ; elle était plate maintenant, non plus dressée comme autrefois. Alors je ne pus me retenir et m'élançai en avant avec un sanglot en tendant les bras, et criant : « Marie-Antoi¬nette ! » Comme je m'avançais, l'apparition disparut.
Un an après ceci, je vins à Paris pour la première fois et parmi divers endroits, je visitai le musée Grévin. Je reçus un réel choc en voyant l'exacte reproduction de ma vision à Margate avec chaque détail. La Reine était représentée à la Conciergerie ; seulement la figure de cire n'était pas comme celle que j'avais vue. Elle n'exprimait aucune trace de l'agonie que j'avais notée. Nos amis qui étaient avec moi rirent des fantaisies de mon imagination, et, en vérité, j'avais appris à être très réservée au sujet de mes étranges visions, car partout mes récits étaient accueillis avec scep¬ticisme ; j'eus, après cet incident, une période de rêves ré¬guliers : j'étais dans le parc, dans le même palais, en com¬pagnie de Marie-Antoinette, jouant au billard ou aux cartes avec Louis XVI, Mme Elisabeth et moi même, ou je jouais sur une épinette (vieux clavecin) dans un salon rempli de monde et Marie-Antoinette tout près de moi faisant signe à la foule de garder le silence et ainsi de suite...
La chose la plus curieuse au sujet de ces rêves, c'est que je m'y voyais toujours comme un homme, jamais comme une fille.
L'été dernier, je séjournais dans un petit village, pas très loin de Versailles ; le pays aurait dû me sembler tout nouveau, car je n'avais jamais fréquenté les environs de Paris. Mais partout où je me promenais, à Saint-Cloud, Marly, Versailles, j'étais hantée par la sensation que j'avais déjà vu tous ces paysages bien avant. La toute première fois que j'allai à Versailles, j'étais accompagnée par une servante qui devait y faire son marché. Quand elle eut fait toutes ses commissions, je lui suggérai l'idée de visiter le palais ensemble. Quand nous y arrivâmes, nous fîmes alors le tour extérieur du Palais, et bien que je n'eusse vu aucun plan de ce monument, j'indiquais à la servante où se trouvaient les appartements du Roi et de la Reine, etc. Elle me demanda si je connaissais bien le palais. Oh ! Non, répondis-je, je ne suis jamais venue ici avant ce jour et je ne comprends pas comment je connais tout ceci, mais je sais. En marchant à travers le parc, celui-ci me semblait si familier et si rempli de souvenirs que je n'arrivais pas à les préciser, car ils s'évanouissaient tout de suite, de sorte que je tremblais d'émotion, ressentant une horrible sensation de choc dans ma gorge. Le jour suivant, toute notre société vint visiter le palais. L'un de nous possédait un livre guide. Je ne leur avais jamais raconté avant mes rêves relatifs à ce palais, qu'ils connaissaient mieux que moi. La première chose que je vérifiai en rentrant fut que j'avais parfaite¬ment désigné les différentes ailes des appartements habités autrefois par Louis XVI et Marie-Antoinette. Nous traver¬sâmes une file sans fin de chambres toutes plus ou moins semblables, et comme rien n'était écrit nulle part pour in¬diquer sa chambre spéciale, il me fut impossible de décou¬vrir quelque chose à ce sujet, excepté dans le livre guide. Cependant, avant que mes amis eussent été capables de former quelques idées d'après ce livre, je les arrêtai dans une chambre particulière, saisie par la même émotion forte que les jours précédents, et j'allai droit à une petite porte qui se trouvait dans un panneau du mur. Elle était à peine remarquable pour quiconque ignorait que quelque chose était là.
« Il y a des chambres plus loin, dis-je. Je dois y aller, ajoutais-je. »
Juste alors un des guides officiels vint à nous : « Désirez-¬vous visiter les petits appartements de Marie-Antoinette ? » demanda-t-il. Sur ma réponse affirmative, il ouvrit la porte pour nous. Mes amis étaient parfaitement étonnés de ma connaissance de la place et je les dirigeai mieux que le cicérone officiel qui montre seulement au public ce qui est catalogué dans le guide. Je trouvai les portes conduisant au passage menant aux autres chambres, sans pouvoir être capable d'expliquer comment je le savais. Le guide lui-même était étonné et pensait que je devais avoir fait d'intenses recherches historiques.
Les locaux étaient justes comme je l'avais supposé intuitivement, bien que beaucoup de changements eussent été effectués. Je crois que si j'avais été laissée dans ces cham¬bres les yeux fermés, j'aurais pu reconstruire sur le papier leur disposition exacte avec leur ameublement ancien.
Trianon
Trianon me semblait encore plus familier, bien qu'il y manquât un grand nombre d'objets que je pensais devoir se trouver là. La chambre de musique était identique à celle que j'avais vue dans mon rêve, lorsque je jouais de¬vant la reine ; les chaises seulement auraient dû être placées dans des positions différentes.
Un autre fait curieux à propos de Trianon est celui-ci. J'avais souvent dessiné le monogramme M.-A. en dessous des portraits de Marie-Antoinette, et, comme chacun le sait, il y a bien des manières différentes pour tracer ces lettres, mais mon monogramme était toujours le même, et je découvris qu'il était le fac-similé de celui encore ouvragé qui se trouve sur l'escalier à Trianon.
Mais ce qui me troubla profondément en voyant Tria¬non, c'est la foule au milieu de laquelle on est conduit par le guide à travers les appartements. Je sentais avec quasi-certitude que si je pouvais passer un jour ou une nuit seule dans ces appartements je verrais des gens qui y ont habité et les scènes qui se sont déroulées là autrefois.
Naturellement bien des personnes ont la sensation en voyant un endroit pour la première fois qu'ils l'ont déjà vu autrefois. Il peut même y avoir une simple expli¬cation scientifique pour cela, mais je ne faisais pas seulement que me souvenir de ces endroits, mieux encore, avant de tourner un point, un angle, je pouvais dire ce qui se trouvait au delà dans tous ses détails exacts.
Ainsi, par exemple, pour le château de Marly, dont il ne reste que des ruines et dont aucun livre guide ne parle, en y arrivant pour la première fois, je décrivis à un ami ce que nous trouverions dans une courbure de la route et cela fut complètement exact.
Paris lui-même me semblait moins familier que je m'y attendais, excepté que je ne pouvais jamais passer dans la rue Saint-Honoré sans qu'un frisson me parcourût le dos, et rien n'aurait pu m'amener à passer sur un certain endroit de la place de la Concorde (ancienne Place de la Révolution). Je décrivais toujours un cercle autour de lui et j'avais un frisson de frayeur et d'horreur de la place entière. Une nuit, pendant que je dormais dans un hôtel situé au coin de la rue Saint-Honoré, j'eus un horrible cauchemar.
J'entendis les sauvages hurlements de la populace, et, regardant par la fenêtre, je vis Marie-Antoinette passer dans la charrette et moi-même dans la foule luttant fréné¬tiquement pour me frayer un chemin et criant sans cesse : « La Reine, laissez-moi atteindre la Reine. Je dois arriver à la Reine. » Puis je me trouvais sous l'échafaud, frappant frénétiquement les jambes du bourreau pour l'empêcher de faire sa triste besogne, pendant que la foule me rejetait en arrière. Alors je poussai un horrible cri et ce fut la fin de mon rêve.
Pendant que je demeurais près de Versailles, je vis plu¬sieurs fois Marie-Antoinette assise sur une chaise près de mon lit. Maintenant je suis en Angleterre ; j'ai revu la Reine assise dans une attitude découragée à mon bureau en pleine lumière du jour. La vision dura seulement quelques secondes. J'ai souvent essayé de trouver quelques expli¬cations de ce mystère qui m'a hantée depuis ma première, enfance. Mais il me semble qu'il n'y a pas d'autre hypo¬thèse que le souvenir d'une existence antérieure. Pendant tout le temps de mon séjour en France, je crus que je ré¬soudrais cette énigme, mais mes efforts furent vains, ce qui me fit une pénible sensation. Je n'ai pas encore perdu l'espérance qu'en retournant en France je me rapprocherais plus près encore de la solution de ce grand mystère.
C. A. B.
Ce récit présente des caractéristiques qui per¬mettent de le placer parmi ceux qui nous donnent des preuves d'une vie antérieure. Il est très remarquable que dès sa plus tendre jeunesse le témoin ait dessiné des personnages, hommes ou femmes, de la fin du XVIIIème siècle, alors qu'il n'en avait jamais eu de modèle sous les yeux. Il y a plus que le senti¬ment du déjà vu pour les descriptions du château de Versailles, puisque cette dame savait d'avance où se trouvaient les appartements de Marie¬-Antoinette, et qu'à Trianon elle a reconnu la salle où, en rêve, elle jouait du clavecin. Il est probable que ce n'est pas par lucidité qu'elle a acquis ces connaissances, car elle les possède également pour le château de Marly dont il n'existe plus que des ruines. Cette vision, presque constante dès le bas âge, de Marie-Antoinette, permet de supposer qu'il existait entre cette dame et la reine de France des rapports antérieurs. Je crois donc que ce cas est digne de la plus sérieuse attention.
Réveils de souvenirs
Mme E. Katherine Bates raconte ce qui suit :
Je dois commencer par déclarer que pendant plusieurs années j'ai eu l'impression vague, flottante, qu'un lien plus intime que celui que l'on ressent généralement me reliait à un de mes ancêtres. Pour être plus sincère, je dois ajouter que parfois j'avais l'impression de continuer sa vie. Je n'ai absolument aucune raison valable pour démontrer le bien fondé de cette intuition, sauf toutefois un sentiment d'affinité avec un homme mort un très grand nombre d'années avant ma naissance et sur lequel personne n'avait attiré mon attention. Jusqu'ici la chose peut s'expliquer par un jeu de l'imagination, mais une coïncidence cu¬rieuse s'est produite au cours d'une expérience que j'ai faite avec une clairvoyante de laquelle j'étais complète¬ment inconnue, n'ayant encore jamais fréquenté les cer¬cles spirites anglais.
Des lettres écrites par cet ancêtre ; lorsqu'il était officier de la garde, il y a plus de cent ans, avaient été découvertes dans le bureau de notre avoué ; ayant été, dès mon arrivée, voir une clairvoyante, nommée Mme Howart, je lui remis une de ces anciennes lettres et lui demandai que par psychométrie elle me donnât ses impressions.
Je m'attendais à ce qu'elle me parlât des premières années du XIXème siècle, mais rien de pareil ne se produisit ; elle me décrivit le caractère de cet ancêtre, qui pour elle évidemment était mort et ne devait plus reparaître sur la terre ; j'ignorais si ces descriptions du caractère de l'écrivain de cette lettre étaient réelles, personne ne m'ayant parlé de lui.
Je lui remis ensuite une lettre écrite par moi, en ayant soin de la tenir pliée, de manière qu'elle ne pût y voir mon écriture et la priai de me communiquer ses nouvelles impressions. Aussitôt que ses doigts eurent touché l'écriture, elle parut étonnée et elle s'écria : « Ils me font observer que je me suis trompée en ce qui concerne la dernière phrase que j'ai dite précédemment relativement à l'écrivain de la première lettre. C'est-à-dire que ce n'était pas son in¬carnation finale , car il est réincarné dans l'écrivain de cette note et que cette vie présente est meilleure pour lui que la précédente.
- Meilleure, lui dis-je, vous vous trompez ; car soit au point de vue de la situation ou à celui de la fortune, sa vie présente est bien moins favorisée. Sous le contrôle de ses guides, la voyante répondit : « Elle est bien plus favorable pour son développement spirituel, car voilà la seule chose qui compte vraiment. »
Naturellement on peut supposer que Mme Howart a lu dans ma subconscience en donnant à mes pensées une forme un peu dramatique.
D'accord, mais j'ai encore quelque chose à dire qui m'arriva quelques années plus tard et qui n'admet pas la même interprétation.
Mme Bates raconte qu'elle avait promis à une, de ses amies, Mme Bigelow, de lui rendre visite à Broadway pendant ses vacances. Elle ignorait complètement l'existence de ce village, situé dans le Worcestershire, et ajoute même qu'elle n'avait jamais entendu prononcer le nom. Cependant avec une de ses cousines, elle s'y rendit, et voici ce qu'elle éprouva. Ici, je lui rends la parole :
Aussitôt que la voiture nous eut déposées à l'entrée du village, je ressentis une forte impression de familiarité avec le village ; il me semblait que j'y étais née et que je revivais les jours de mon enfance. Plusieurs fois avant de franchir le coin d'une maison, je disais à ma cousine : « Oh ! Je sais ce qu'il y a ici, ce ne sont pas des bâtiments de ferme ou de grange ? Rebroussons chemin et prenons une autre direction ». Ce fait se reproduisit plusieurs fois, au grand étonnement de ma cousine qui, bien qu'elle n'y comprit rien, fut forcée d'admettre que j'avais raison. Tout ceci la surprit autant que moi, car il n'y avait pas l'ombre d'un doute que je n'étais jamais venue à Broadway, ni même n'en avais en¬tendu parler.
Je dois mentionner ici que dans les lettres retrouvées chez notre avoué, il a été souvent question d'un colonel Lygon, résidant à Worcester (Ville), qui invitait l'écrivain aux fêtes qu'il donnait. C'était une remarque assez fré¬quente dans les lettres ; mais il n'y avait pas mention d'une localité spéciale, et comme je savais que ce même général Lygon devint plus tard le premier lord Beauchamps, je supposais naturellement que ces visites étaient faites à Madresfield Court, leur propriété.
Une semaine après, en rendant visite à un parent de ma cousine, au cours de la conversation il m'apprit incidem¬ment que Broadway avait été la résidence de la famille Beauchamps qui n'habitait Madresfield Court que depuis les cinquante dernières années.
Mme Bates fait la supposition que l'ancêtre mort avec lequel elle sympathisait avait pu lui commu¬niquer par suggestion tous les renseignements rela¬tifs au village de Broadway, mais elle insinue qu'il lui est également permis d'admettre que ce sont des souvenirs personnels qui se sont réveillés en elle lorsqu'elle revit le village de Broadway.
Cette théorie de la réincarnation, dit-elle, n'a rien d'illogique, puisqu'elle permet de comprendre le progrès individuel à travers des existences succes¬sives.
Il semble que nous sommes en présence de deux sortes de phénomènes qui confirment la théorie de l'évolution, puisqu'un sujet psychomètre re¬trouve dans les deux écrits qui lui sont soumis le même scripteur spirituel, et qu'ensuite Mme Bates se reconnaît dans le village de Broadway où son an¬cêtre était venu si souvent chez le colonel Lygon avant qu'il habitât Madresfield-Court.
Le cas de Laure Raynaud
L'intéressant récit relatif au cas de réincarnation de Mme Laure Raynaud a été très bien observé et décrit par le Dr Durville.
Ce travail a été publié pour la première fois dans Psychic Magazine de janvier 1914 et reproduit par le Fraterniste. Je vais en faire connaître les par¬ties essentielles aux lecteurs en regrettant que le défaut d'espace ne me permette pas de le repro¬duire intégralement.
Laure Raynaud est morte à l'âge de 45 ans. Grâce à sa remarquable puissance, elle avait guéri une foule de déshé¬rités. Les malades guéris, qui sont légion, lui gardent une éternelle reconnaissance.
Voici maintenant ce que nous apprend le docteur Dur¬ville, qui a tout particulièrement connu Mme Raynaud, puisqu'elle était employée de sa clinique et ancienne élève, de l'école de magnétisme Hector Durville de Paris :
« L'histoire que je vais relater ici pourra sembler étrange à bien des gens peu familiarisés avec nos études psychiques. Aux psychistes eux-mêmes, ou du moins à certains d'entre eux, elle ne manquera pas de paraître fort délicate à interpréter. En tout cas, j'espère qu'aux uns comme aux autres elle apparaîtra comme le résultat d'une impartiale étude, et qu'elle aura au moins le tout minime mérite d'être la relation fidèle de faits vécus dans mon entourage im¬médiat.
Etrange, cette histoire l'est par l'imprévu des faits qui la construisent et, pour ce qui est de son interprétation, c'est tout un problème philosophique qu'elle pose. Comme les faits de ce genre sont exceptionnels d'abord et qu'en¬suite ceux qui ont été déjà relatés sont parfois trop hâti¬vement rapportés et insuffisamment complets, j'ai tenu à exposer ce cas curieux avec détails : je me suis efforcé de rapporter autant que possible les paroles exactes des témoins et, pour offrir aux lecteurs un maximum de garanties, j'ai cité en entier le nom et l'adresse de ces témoins. Je souhaite vivement que cette méthode se gé¬néralise, nous n'en sommes plus au temps où il fallait se cacher pour s'occuper de psychisme.
Seul, un des acteurs de l'histoire a préféré n'être désigné que par son initiale ; j'accède de bonne grâce à son désir, en regrettant toutefois sa réserve. Je l'appellerai M. G...
Je regrette d'autant plus de ne pas citer son nom que c'est une des personnalités les plus connues et des plus con¬sidérées de Gênes.
Enfin, comme ce récit n'espère nullement aboutir à la preuve scientifique de ce qu'il avance, et comme il n'est, en somme, qu'une série de coïncidences, j'ai tenu à ne pas citer non plus en entier le nom de la famille où avait vécu la personnalité de Mme Raynaud dans une vie précédente, et je nommerai par son prénom et la première lettre de son nom Jeanne S... La famille F... est, en effet, quoi qu'on dise, à Gênes. Je ne la connais pas, je n'ai aucun rapport avec elle ; elle pourrait donc se formaliser de voir son nom mêlé à une histoire de réincarnation. Je tiens à faire re¬marquer aux lecteurs que les idées qui vont suivre ne sont pas les miennes ; en relatant je me dépouillerai de ma propre personnalité et de mes conceptions scientifiques et phi¬losophiques. J'ai voulu n'être qu'un passif rouleau en¬registreur qui prend des notes et qui transcrit. J'espère être parvenu à mon but. J'ai de la même façon cherché à être impartial. Pour ce qui est de l'interprétation des faits, soutenir chacune matérialistes motifs valables, illusions ou transmissions de pensée. Pour ce qui est de l'explication matérialiste des théories de la réincarnation, de l'explication spiritualiste, j'envisagerai ces hypothèses en les discutant. D'ailleurs je n'ai nullement l'intention ni la folle prétention de vouloir trancher la question. C'est une étude que j'offre à mes collègues psychistes ; qu'ils veuillent bien l'approfondir et me dire ce qu'ils en pensent.
Alors qu'elle était encore toute petite, il paraît que Laure n'était pas comme toutes les enfants de son âge. Sa mère, une brave femme qui avait dépassé la cinquantaine, a bien voulu venir me voir à Paris et m'a affirmé ce qui suit « Ma fille Laure eut dès ses premières années des idées que nous ne comprenions pas, qu'elle s'était faites elle-même sans qu'on les lui eût apprises. Souvent elle nous embêtait (sic) avec ses histoires, et je lui dis qu'elle deviendrait folle si elle continuait à penser ainsi ; elle savait que les données enseignées par les prêtres à l'église ne sont pas la vérité et ses idées étaient si tenaces, si arrêtées, qu'elle refusait obstinément d'aller le dimanche à la messe avec les siens. Il fallait, continue sa vieille mère, la conduire à la messe avec une cachouère. Et la cachouère (lisez le fouet) n'avait pas raison des idées de l'enfant. Le curé du village s'intéressait à Laure, car elle était intelligente et il se plaisait à aller la voir pour converser avec elle. La petite Laure lui contestait le paradis, le purgatoire, l'enfer, et lui disait que l'esprit après la mort revient sur terre dans un autre corps. Alors le curé se fâchait tout rouge et murmurait entre ses dents : « Etrange enfant ! Fillette mystérieuse ! » Et puis il s'en allait rêveur sans avoir réussi à obtenir de l'enfant d'autre repentir qu'une grosse moue et un « Ah ! Bon, je ne dirai plus rien. »
Ce curé exerce son ministère à Auront, dans la Somme, pays natal de Laure Raynaud ; c'est un vieillard de 72 ans nommé Géimbard. Les idées « bizarres » de la petite Laure n'allèrent point en s'effaçant à mesure qu'elle prit de l'âge. Quand le langage lui permit de mieux les exprimer, elles se précisèrent. A l'âge de 17 ans, elle vient à Ariens. Là, elle est hantée par l'idée de toucher les malades pour les guérir, et à ses intimes, à ses voisins elle expose aux heures de confidences ses conceptions sur la survie. Je ne parle pas autrement de cette époque et j'arrive en 1904, année où elle se marie.
Il m'a été aisé de reconstituer les idées de Laure Raynaud à partir de ce moment, grâce à ceux de ses amis que j'ai pu retrouver. Laure Raynaud savait que les humains possèdent un principe spirituel immatériel qui survit à la mort. Mais cette survivance ne se fait pas en un lointain paradis ou enfer ; c'est sur terre que l'âme revient pour se réincarner, après avoir vécu pendant des années une vie céleste. Laure Raynaud savait tout cela ; elle se souvenait d'avoir déjà vécu et elle aimait à raconter sa vie pré¬cédente ; son souvenir n'était pas complet, elle connais¬sait seulement quelques passages, quelques circonstances de cette existence, mais ces passages, ces circonstances étaient pour elle d'une netteté inouïe.
La maison où elle avait vécu, ou plutôt l'extérieur de celle-ci, le parc qui l'entourait, les environs, le ciel d'un bleu d'azur, tout cela était présent à son esprit comme un cli¬ché lumineux. Elle disait qu'elle saurait reconnaître sa demeure aussi aisément qu'un amateur de tableaux re¬connaît une toile qui lui a plu. Elle se voyait elle-même dans cette existence précédente, mais elle ne savait rien des menus détails de sa vie ; elle se voyait à 25 ans et donnait d'elle-même un signalement précis. Quant à sa famille, elle ne se la rappelait pas.
Son mari, M. Pierre Raynaud, qui habite à Paris, rue Pétrarque, m'exprime ainsi ses souvenirs concernant les sentiments et les idées de sa femme :
«Vous savez combien je suis sceptique sur beaucoup de phénomènes psychiques. Eh bien, je suis tout de même obligé de reconnaître qu'il y a dans l'histoire de la réincar¬nation de ma femme des choses bien drôles. Pour ce qui me concerne personnellement je puis vous assurer que Mme Raynaud m'a fait dès le début de nos relations le récit de faits se rapportant à une vie qu'elle aurait vécue antérieurement. Je ne me rappelle pas avec précision tout ce qu'elle m'a dit ; néanmoins je sais qu'elle parlait souvent d'une sorte de cliché qu'elle avait d'elle-même. Elle se voyait jeune et malade de la poitrine, errant dans un grand parc, dans un pays qu'elle ne pouvait nommer, mais dont le ciel était pur.., un pays du Midi sans doute. Si vous saviez que Mme Raynaud, quoique née dans le Nord, a un type nettement méridional, une peau mate, des cheveux très bruns, vous diriez comme ceux qui la voient pour la première fois qu'elle est du Midi. Ma femme a l'explication de cela : son type lui vient de sa vie antérieure. Je me rappelle parfaitement qu'elle pensait retrouver un jour son pays. Or, dans ce qu'elle a découvert en son voyage à Gênes, il y a des choses qui coïncident d'une façon étrange avec ce qu'elle m'a raconté autrefois. »
Une vieille amie de Mme Raynaud, Mme Dutilleu, qui habite, 2, rue Dammartin, à Amiens, m'a rapporté sur le sujet qui nous occupe une histoire analogue à celle que m'exposa M. Raynaud. J'y trouve, en outre, quelques détails nouveaux.
« C'est pendant les longues soirées, me dit-elle, que nous passions ensemble, que mon amie me détaillait son autre vie, passée si vite sous un ciel plus hospitalier que le nôtre. Elle se plaignait du climat froid du Nord : son pays avait un autre soleil plus chaud, plus gai. Les années ont passé, Laure Raynaud réalise son rêve d'enfance ; elle touche les malades pour les guérir et elle obtient des guérisons re¬marquables. Le bruit de ses cures s'étend comme une traînée de poudre. Riches et pauvres s'entassent dans son salon de la rue Enguerrand, à Amiens, pour trouver un soulagement à leurs maux. Les gens les plus en vue de la région, juges, avocats, médecins même, viennent la con¬sulter. Mais bientôt Mme Raynaud, ne se plaisant plus à Amiens, voulut venir à Paris, et au moment même de sa plus grande vogue, à l'époque où ses adeptes la vénéraient à l'égal d'un dieu, elle quitte brusquement sa clientèle. On l'appelle à Paris... elle y va ! C'est pour parfaire son savoir de guérisseur qu'elle venait dans la capitale ; elle s'inscrivit à l'école pratique de magnétisme ; c'est là que je fis sa connaissance. Je remarquai vite sa remarquable faculté, si bien qu'en 1911, je lui offris la direction de ma maison de santé, qu'elle accepta.
Ce que Mme Raynaud a dit en 1911 à M. Durville.
Depuis 1911 j'ai vécu aux côtés de Mme Raynaud ; j'ai donc pu la suivre au jour le jour et étudier à tête re¬posée ses curieuses facultés et ses originales idées. Je puis affirmer qu'elle est au point de vue mental parfaitement équilibrée. Ce n'est pas une psychopathe ; elle n'a aucune hallucination, aucune idée morbide ; c'est une femme calme et raisonnable ; elle a une grande foi en la puissance thérapeutique de sa main. Mais les résultats que je l'ai vu obtenir chez moi l'autorisent à avoir confiance en elle. C'est enfin une merveilleuse intuitive, qui m'a prédit à l'avance nombre d'événements de ma vie que rien ne pou¬vait faire prévoir. Malgré cela j'avoue n'être pas convaincu de tout ce qu'elle dit, et en particulier de ses dires au sujet des vies successives. Il me faudrait des preuves solides et ce que j'ai recueilli ne peut être considéré, ne l'ai-¬je pas dit déjà, que comme une série d'intéressantes coïn¬cidences. Mme Raynaud parla devant moi bien des fois de sa dernière vie antérieure, mais j'attachais peu de prix à ces histoires, puisque je ne voyais pas la possibilité d'une vérification quelconque. Mme Raynaud me disait qu'elle avait déjà vécu. Elle avait habité à coup sûr un pays du Midi ; sa maison était grande, très grande, bien plus grande que les maisons ordinaires, avec sur le devant, une terrasse, une grande terrasse ; les fenêtres étaient larges, nombreuses, cintrées en haut ; il y avait deux étages et encore une ter¬rasse en haut.
C'est sur cette terrasse qu'elle aimait à se promener, jeune, brune, avec des yeux très noirs et grands ; elle était triste, car elle était très gravement malade. Elle toussait et bientôt allait mourir de la poitrine. Son caractère était fier, hautain, sévère, presque méchant ; la maladie l'avait aigrie sans doute. Elle était nonchalante et aimait à errer, oisive, dans le parc. Ce parc était planté de vieux arbres ; il allait en pente ascendante ; derrière et sur les côtés : de petites maisons habitées par un groupe d'ouvriers. La mort la surprenait bientôt, vers 25 ans peut-être, elle s'en allait épuisée, maigre, pâle. Plus d'un demi-siècle se passa pen¬dant lequel elle vécut une vie extra-terrestre. Puis elle se réincarna dans le village d'Aumont, dans la Somme. Voilà ce que je l'ai entendu raconter bien des fois.
Le témoignage de Mme la princesse Fazyl.
En juin 1912, Mme la princesse Fazyl, qui habite à Paris, 116, rue de la Faisanderie, était chez moi fatiguée. Elle s'était étendue sur un lit. Mme Raynaud lui tenait com¬pagnie. Alors la princesse commença à évoquer des sou¬venirs d'enfance, l'Egypte au ciel de feu avec ses bois de mimosas, ses tamaris, ses grenadiers, ses figuiers, ses pal¬miers, et le Nil, le Nil bienfaisant aux eaux vertes ou rouges que l'Ibis à tête noire vient visiter. Et près du fleuve, la grande maison de sa famille, blanche, avec son jardin descendant jusqu'à l'eau. « Et moi aussi, continua Mme Ray¬naud, j'ai connu le pays du Soleil, mais pas dans cette exis¬tence. » Et elle raconta à la princesse ses souvenirs sur sa vie antérieure, sur elle-même, sur sa maison, sur son pays.
« Je ne sais si c'est en Egypte que j'ai vécu. Pourtant non, je ne me rappelle pas un grand fleuve ; ce serait plu¬tôt l'Italie ; d'ailleurs j'ai toujours su que je retourne¬rais un jour dans ce pays et je sais que je le reconnaîtrai, tant les images que j'en ai sont nettes en mes yeux. » Et la princesse de sourire, non pas incrédule, mais surprise.
Comment Mme Raynaud retrouva sa maison.
Les choses en étaient là et les mois passaient ; j'en étais toujours à n'accorder aux idées de Mme Raynaud con¬cernant sa vie antérieure que la valeur toute relative qu'on accorde à un rêve, quand survint une circonstance im¬prévue.
Je reçus en mars 1913, au début, une lettre venant de Gênes, me demandant auprès d'une dame de l'aristocratie génoise. A cette époque nous étions en plein deuxième con¬grès international de Psychologie expérimentale, et j'étais très occupé à présider ma commission et à suivre le con¬cours de la baguette. Je ne pouvais quitter Paris. Heureu¬sement, la malade en question aimait beaucoup Mme Ray¬naud. Elle avait été déjà magnétisée chez moi par elle à Paris. Je priai donc Mme Raynaud de partir en Italie. Le voyage devait être fertile en curieuses surprises. En arrivant à Turin, Mme Raynaud eut la vague impression que le pays ne lui était pas inconnu. Il lui semblait qu'elle avait déjà vu des sites comme ceux qui se déroulaient sous ses yeux. Pourtant elle n'était jamais venue en Italie, elle n'avait pas non plus lu d'ouvrages sur ce pays et pas davantage elle ne croyait avoir vu d'images le représentant ; et le rapide roulait toujours. Il arriva à Gênes. Là, ce qui n'avait été jusqu'alors pour Mme Raynaud qu'une impres¬sion devint une certitude. Elle connaissait vraiment ce pays : c'est là qu'elle avait vécu dans une existence pré¬cédente. En arrivant chez ses hôtes, elle leur fit part de ses idées et de son désir d'aller à la recherche de sa maison.
Notre excellent M. C..., psychiste érudit et spiritualiste convaincu, s'offrit tout de suite d'aider Mme Raynaud dans ses recherches. Connaissant Gênes à fond, il pria Mme Ray¬naud de lui donner de sa maison tout le signalement qu'elle connaissait ; et elle de redire à M. C... ce qu'on a lu plus haut.
« Il existe, non pas à Gênes même, dit M. C..., mais aux environs, une grande maison qui me semblerait ré¬pondre à la forme, à la situation et à l'architecture que vous indiquez, allons-y. » Et Monsieur C... prie Mme Ray¬naud de venir avec lui. Ils montèrent en automobile et tra¬versèrent tout Gênes. Bientôt la voiture stoppa devant une grande maison blanche. Non, pas celle-là, dit Mme Raynaud, mais je connais très bien cet endroit et ma demeure n'est pas loin. Partons, nous allons trouver en tournant, à gauche, une route qui monte, et de cette route nous aper¬cevrons à travers les arbres ce qui nous concerne. » L'au¬tomobile avance suivant les indications de Mme Raynaud, et on trouve, en effet, la route à gauche s'étalant en pente assez forte jusqu'à une belle maison blanche qui répondait au signalement indiqué, grand quadrilatère avec sa grande terrasse en bas, sa terrasse dessus, les fenêtres nombreuses, larges, cintrées en haut, de style renaissance italienne. Le parc inculte en avant, descendant en arrière : « Ah ! dit M. C..., là c'est la maison de la famille S..., famille très connue à Gênes. - C'est là que j'ai vécu, ajouta Mme Ray¬naud ; c'est là, sur cette terrasse, que je me suis promenée faible, malade de la poitrine. J'étais bien souffrante, j'étais triste ; c'est là que je suis morte à la fleur de l'âge, il y a un siècle. »
Et l'automobile emporta M. C... et Mme Raynaud sa¬tisfaits de leur découverte.
Maintenant on allait chercher des preuves.
On retrouve à Gênes un acte de décès qui serait celui de Mme Raynaud
Rentrée chez nos amis, Mme Raynaud, au dîner, donna des détails sur sa trouvaille et évoqua avec plaisir quelques souvenirs de son existence précédente, et puis elle ajouta « Je sais que je ne suis pas enterrée comme tout le monde, au cimetière ; mon corps repose dans une église, j'en ai la conviction. » Chacun resta perplexe.
Mais le temps pressait. Mme Raynaud avait terminé sa mission à Gênes ; il fallait revenir en France. J'avais, en effet, grand besoin d'elle pour magnétiser mes malades, et elle, de son côté, désirait rentrer avant la fin du Congrès international du psychisme expérimental.
Elle rentra. J'eus alors connaissance de toutes les sur¬prises que lui avait réservées son voyage et je pris tout de suite la décision de contrôler les dires de ma collabora¬trice dans la limite du possible. Il y avait plusieurs points intéressants à rechercher.
D'abord :
- Avait-il existé dans la maison en question, à Gênes, une dame pouvant être identifiée avec l'hypothétique Mme Raynaud, femme brune, toujours malade, morte de la poitrine, il y a environ un siècle ?
- Si cette personne avait existé, où était sa sépulture ?
C'est muni de ces points d'interrogation que je fis faire, par l'intermédiaire de mes amis, de longues recherches à Gênes ; elles amenèrent de bien étranges constatations. L'église San Francisco d'Albaro garde en ses minutes les actes de décès des gens décédés en cette maison indiquée par Mme Raynaud comme étant la sienne. Dans ces mi¬nutes, mon ami découvrit un acte dont il m'adressa copie et que je reproduis intégralement, sauf pour ce qui est du nom de famille que je désigne par la lettre D. On remar¬quera :
1° Qu'il a trait à une femme qui a toujours été maladive, ce qui est conforme à ce qu'a dit Mme Raynaud ;
2° Que cette femme semble bien être morte de la poi¬trine, puisqu'il est dit qu'elle est morte d'un refroidisse¬ment ; le terme mourir de refroidissement est généralement synonyme de mourir de tuberculose pulmonaire. Ceci est également conforme aux dires de Mme Raynaud ;
3° Que le décès remonte à un siècle environ, exactement le 13 octobre 1809. Ceci est également conforme ;
4° Que le corps de la défunte est enterré dans une église (ceci est également conforme). Enfin notons que rien dans l'acte ne contredit ce qu'exprime Mme Raynaud.
Extrait du registre des décès de la paroisse de San Francisco d’Alvaro, Gênes
« 23 octobre 1809. La dame Jeanne S..., veuve de B..., habitant depuis plusieurs années dans sa maison, toujours maladive et dont l'état de santé s'est aggravé ces derniers jours par suite d'un fort refroidissement, est morte le 21 courant, munie de tous les sacrements de l'Église, et aujourd'hui, sur notre permission par écrit et avec l'au¬torisation de M. le Maire également par écrit, son corps a été transporté en forme privée dans l'église de Notre-Dame-du-Mont. »
(Suivent les signatures.)
Un sujet du docteur Durville, Mme D’Elphes, complète les preuves données par Mme Raynaud
Lorsque je reçus de Gênes l'acte de décès qui serait celui de Mme Raynaud, il était 9 heures du matin environ ; j'é¬tais à table et je prenais mon petit déjeuner ; j'étais ce jour-là particulièrement en retard pour mes occupations. Plusieurs malades m'attendaient. En avalant en hâte le contenu de ma tasse de lait, j'ouvrais également en hâte mon courrier, me contentant de jeter un coup d'oeil sur la longueur, l'écriture, la nature et la signature des cor¬respondances, plus tard je verrais le détail. L'acte de décès eut le même sort ; la lettre avec les timbres italiens et l'é¬criture de mon ami de Gênes m'indiquèrent et la prove¬nance du papier et sa nature. Je vis l'en-tête, quelques mots du texte, puis les signatures, rien de plus. Je fermai le papier et le jetai sur la table avec les autres correspon¬dances, puis je pus voir mes malades. Pendant le cours de la matinée, l'idée de l'acte me revint à l'esprit. J'en parlai à une amie qui me demanda des détails. Je lui répondis à peu près ceci : « Je n'ai pas lu le papier, je sais seulement qu'il vient de Gênes, que c'est un extrait de registre d'une paroisse, mais je ne sais laquelle, que le prénom de la dé¬funte (qui serait Mme Raynaud) est Jeanne, je crois aussi que le nom de la famille commence par D... C'est tout ce que je sais. »
L'idée me vint alors de remettre l'acte génois à un de mes sujets voyants pour voir s'il saurait me révéler quelques faits intéressants à vérifier, mais pour éviter autant que possible l'élément transmission de pensée, ce gros écueil de la voyance, je voulus faire en sorte que personne de mon entourage ne pût lire le contenu de l'acte. En con¬naissant l'acte, on eût pu, qui sait, agir télépathiquement sur le sujet endormi et fausser peut-être la nature du résul¬tat. Je pris donc le papier et, sans jeter moi-même à nou¬veau les yeux sur l'écriture, je le mis sous l'enveloppe que je cachetai. Moi seul l'avais vu à Paris et de lui je savais seulement les quelques mots qu'on a lus précédemment. J'allais tout à l'heure recevoir un de mes sujets, Mme d'El¬plies, 49, rue Falguière, à Paris, l'endormir et lui remettre le papier, sans lui dire le moindre mot relativement à ce que je désirais d'elle.
Séance du 28 mai 1913. - J'endors Mme d'Elphes et sans lui avoir dit le moindre mot ayant trait à ce que je désire savoir, je lui remets l'enveloppe cachetée qui contient l'acte de décès. Je m'installe à mon bureau, je prends ma plume et je note tout ce que dit le sujet, sans dire ni oui ni non, ni si c'est mal, ni si c'est bien. Je transcris ici mes notes telles que je les lis sur mon carnet d'expériences
« Ce papier vient de loin... Attendez que je m'oriente... Voyons, c'est par là... (Elle indique le Midi.) Oui, eh ! Mais, c'est loin ; je quitte la France, mais sans traverser la mer... Ah ! J’y suis : c'est l'Italie, il y a la mer tout près, un port c'est Gênes. (Depuis que je fais des expériences avec des sujets endormis, c'est seulement la deuxième fois qu'un sujet peut me dire le nom précis d'une ville. Dans une autre série d'expériences, ce même sujet m'indiqua qu'une lettre que je lui tendais venait de Grenoble. Et c'était vrai.)
(Un silence)... Tiens ! Me voilà dans une grande maison ; quelle belle maison ; elle est blanche, grande, sans être immense, mais qu'est-ce que c'est que ce style. Je vois de larges fenêtres et au-dessus de plus petites, qui sont cin¬trées (jusqu'alors tout est rigoureusement superposable aux déclarations qu'avait faites Mme Raynaud...) Sur la gauche, en regardant la façade, je vois une tour ronde (ceci est inexact)... On accède par plusieurs marches dans un grand vestibule dallé. La maison est sur une pente, le jardin monte derrière, tout autour de la maison ça penche (tout ceci est très exact sur la photographie que j'ai pu¬bliée de la maison, on ne voit pas la façade principale, donc pas les marches, nous n'avons pu faire autrement la photographie). Mais que dois-je trouver dans cette mai¬son, me demande Mme d'Elphes, j'y vois beaucoup de monde - Cherchez, dis-je, une dame dont il est question dans le papier que vous tenez. - Une dame... Ah ! Oui, je vois, mais elle est morte, cette dame-là. - Pourriez-vous me dire son nom ? - Un nom, c'est bien difficile. (Elle cherche, soupire, puis) je ne sais si je me trompe, je vois Jeanne. - Et le nom de Famille ? - Attendez il m'en vient plusieurs (Sic) Broglie, je trouve que ce nom a rapport avec ce qui nous intéresse ; je ne peux le chercher de mes yeux, j'en vois encore deux qui commencent par un M... serait-ce Mo¬dène ? Médicis ? (Tout ceci est mauvais) Tiens, je vois main¬tenant un S... et le nom à sept lettres, la deuxième lettre pourrait bien être un A et je vois deux F au milieu du nom. (Très exact.) - Le sujet est fatigué, je le réveille.
Séance du 4 juin 1913. - J'endors Mme d'Elphes ; lorsqu'elle est en somnambulisme, je lui remets la même en¬veloppe cachetée qui contient l'acte de décès et dis seule¬ment : « Eh bien, reprenez votre récit où vous l'avez laissé dans la précédente séance. » Alors Mme d'Elphes, après quelques instants : « Ah ! J’y suis, je vois Jeanne là-bas dans la grande maison de Gênes. Tiens, mais comme elle est souffrante... Elle tousse... Et puis elle n'est pas très douce de caractère... C'est un caractère hautain, mais je ne la vois pas vivre longtemps, je la vois morte... (Un silence)... Alors, qui dois-je voir? (Tout jusqu'ici est conforme au tableau que Mme Raynaud nous avait fait d'elle-même.) - Continuez, dis-je, à voir la dame Jeanne. - Que voulez-vous que je voie sur elle ? Ah ! Attendez, mais il me semble qu'elle n'est pas enterrée comme tout le monde dans un cimetière. - Pas dans un cimetière ! Alors, où peut-¬elle être enterrée ? - Mais, docteur, je ne sais si je me trompe, mais il me semble que je la vois dans une église. (Je crois intéressant de faire remarquer que jusqu'alors mon sujet ne m'avait dit que des choses connues de moi, et ici les véritables révélations commencent.)
- Dans une église ? - Oui, continue Mme d'Elphes, l'église est rectangulaire, presque carrée, avec des colonnes à l'entrée et des piliers plus loin, la dame Jeanne est là dans un tombeau ; le tombeau est tout près de l'autel, il est assez modeste ; la pierre n'est pas horizontale, elle est verticale, et derrière elle je vois sept cercueils. Ils con¬tiennent des gens de la famille de Jeanne et son cercueil à elle est situé tout à fait à gauche contre le mur... C'est tout ce que je vois, je suis fatiguée. Ah ! Il me vient une idée ! Cette dame Jeanne n'a-t-elle pas des descendants en France... dans le Midi... J'en vois plusieurs.
- Je n'en sais absolument rien (la séance a été longue, je réveille Mme d'Elphes).
Mme Raynaud ne m'avait jamais dit à moi qu'après sa courte existence elle avait été enterrée dans une église. Je voulus donc chercher si le sujet avait vu juste. Je dé¬cachetai l'enveloppe contenant l'acte de décès de Jeanne S... et je lus : « Son corps a été transporté en forme pri¬vée et enseveli dans l'église de Notre-Dame-du-Mont. Avais-je lu inconsciemment l'acte avant de le mettre sous enveloppe et la révélation fournie par mon sujet n'était¬-elle qu'un phénomène de lecture dans les profondeurs de mon cerveau ? Qui sait ? En tout cas, ce qui a trait à la description de l'église ne fut certes pas lu par Mme d'Elphes en mon subconscient, puisque je ne pouvais absolument pas le savoir. J'ignorais, en effet, comment était construite l'église de Notre-Dame-du-Mont de Gênes, car je ne suis jamais allé à Gênes. Pour savoir si mon sujet avait vu juste, j'écrivis à mon ami génois en lui donnant copie du récit de ma voyante et en le priant de vouloir bien se rendre compte par lui-même de ce qu'il y avait de vrai dans ces révélations. Quelques jours après je recevais une lettre dont j'extrais le passage suivant :
Mon cher Docteur,
« Je suis allé dimanche matin à l'église que vous savez ; elle est située à une certaine distance de Gênes. Les abords ne sont pas faciles. Je n'ai pu me livrer à toutes les inves¬tigations nécessaires, l'église étant occupée par le service des messes. J'ai vainement cherché la tombe en question, près du maître-autel qui se trouve dans la crypte alors pleine de monde. L'église est effectivement rectangulaire, presque carrée, avec des colonnes à l'entrée et des piliers ensuite. Je vais y retourner un jour de la semaine prochaine, je chargerai d'une enquête la même personne qui nous a assistés dans nos premières recherches. » - Ainsi le récit de mon sujet semblait contenir une inexactitude (la place du tombeau). Le reste était exact.
Quelques jours plus tard je recevais de Gênes de nou¬veaux renseignements.
Mon ami C... était retourné à l'église en dehors des heures de service religieux. Voici un passage de sa lettre.
« Je vous envoie la photographie de l'église ; je n'ai pu la faire prendre autrement par suite de la topographie des lieux. Il y a, en effet, comme votre voyante vous l'a dit, un tombeau ; c'est celui de la famille S... Seulement il n'est pas situé à côté de l'autel, il est situé au-dessous. On y accède par un escalier. » Cette lettre rectifiait en partie la précédente. Il y avait bien un tombeau dans l'é¬glise. L'emplacement seul était inexact. Je n'ai pu savoir ni le nombre de défunts ensevelis dans ce tombeau ni la place occupée par la dame Jeanne. C'est bien regrettable.
En écrivant à mon ami génois, je l'avais prié de recher¬cher si la famille S... avait des représentants dans le Midi de la France. Après plusieurs semaines, il me répondit « Il n'existe pas de membre de la famille S... dans le Midi de la France ; mais il en existe dans la principauté de Mo¬naco ; ce n'est pas loin du Midi de la France. » En effet.
Séance du 11 juin 1913. - Sujet : Mme d'Elphes. - Expérimentateur : docteur Durville. Témoins : André Durville, Mme Raynaud.
J'endors Mme d'Elphes. Comme précédemment, quand elle est en somnambulisme, je la prie de se transporter de nouveau à Gênes. Alors spontanément :
« Mais, dit-elle, Jeanne est maintenant réincarnée, je me sens attirée vers le nord de la France, dans un pays de plaines, c'est un tout petit village, une campagne, mais c'est tout près d'une grande ville. Pourquoi vois-je ce village ? Je vois comme un arc-en-ciel qui unit l'église où repose le corps de Jeanne au village.
- Mais que signifie l'arc-en-ciel ?
- Il veut dire qu'il y a un rapport étroit entre les deux pays qu'il touche. Oui, c'est dans ce village que la dame Jeanne est réincarnée.
- Mais comment voulez-vous que je connaisse un vil¬lage dans le nord de la France avec le signalement que vous me donnez de lui ?
-Attendez, dans la grande ville je vois une rivière assez importante, et puis une belle église. Ah ! Mais, elle est très belle, cette église-là. Je vois une grande cathédrale go¬thique. (Un silence.)
Mais je la connais, cette cathédrale, c'est la cathédrale d'Amiens. Alors Jeanne est réincarnée dans un petit vil¬lage près d'Amiens. Eh bien, oui.
- Pourriez-vous me décrire sa maison ?
- Attendez, je la cherche ! Ah ! La voici, comme c'est bizarre, elle n'a rien de beau cette maison-là; vous savez quelle différence avec celle de Gênes, c'est une petite maison très, très simple.
- Entrez-y et dites-moi ce que vous y voyez.
- J'entre dans une grande pièce directement après avoir monté deux ou trois marches droites, je vois une autre pièce et en face un escalier de bois qui mène au grenier. (Il y a dans cet exposé une inexactitude ; nous la con¬naîtrons tout à l'heure.) Dans la maison je vois une petite fille ; c'est elle qui m'intéresse, c'est elle qui est Jeanne réin¬carnée ; mais pourquoi s'est-elle réincarnée dans une maison si modeste ?
Je vois ses parents, ce sont de bons paysans bien simples. Tiens, mais qu'est-ce que je vois ? Je viens de voir tout à coup la petite tout en bleu. (Comme je ne comprends rien à toute cette histoire.)
- Tout en bleu, qu'est-ce que cela veut dire ? Est-ce son corps qui est bleu ?
- Mais non, je veux dire qu'elle est tout habillée de bleu ; elle a des robes bleues, des bas bleus. Mais qu'est-ce que cela signifie, c'est un symbole sans doute.
- Mais non, je ne crois pas que cela soit un symbole, cela veut dire que l'enfant est habillée en bleu.
- Vous avez déjà vu des enfants habillés en bleu ?
- Certainement, dans les campagnes on voit souvent les enfants en bleu et on les habille en bleu jusqu'à 9 ans.
(Surpris de ce que je viens d'entendre, je jette un coup d'oeil vers Mme Raynaud qui est assise derrière moi dans un fau¬teuil ; elle me fait signe sans mot dire que ce que dit la voyante est très exact et qu'il faut la laisser continuer.)
- Alors, expliquez-moi pourquoi cette fille a été vouée au bleu.
- Maintenant je vois l'enfant plus grande ; elle est habillée comme tout le monde. Je la vois quitter de bonne heure son pays natal. Elle s'en va à la ville voisine sans doute, mais elle n'y reste pas non plus ; je la vois dame maintenant... Ah ! ... (Le sujet s'étonne et continue...) Tiens, qui entre ici ?
(Personne n'entre avec nous, c'est mon frère André Dur¬ville qui a fait du bruit en remuant.)
- Non, non, quelqu'un est entré avec vous, c'est la dame.
- La dame ! Quelle dame ? Jeanne réincarnée ?
- Oui, elle-même... elle est là, je la vois, ah ! Mais (elle s'en va vers Mme Raynaud). Oh ! Mais, est-ce possible, voilà qu'elle se confond avec elle.
- Qu'est-ce que cela veut dire ? Vous vous illusionnez.
- Non, je vous assure : on me fait comprendre que Jeanne et Mme Raynaud sont la même personne.
- Comment, la même personne ?
- Parfaitement, ne le savez-vous pas ? Ah ! Je comprends maintenant. Dites-moi, est-ce que Mme Raynaud n'est pas née près d'Amiens ? Alors, c'est bien cela, c'est bien de vous qu'il s'est agi. Avez-vous été habillée en bleu quand vous étiez enfant ?
- Oui, oui, répond Mme Raynaud (le sujet est fatigué, je le réveille).
Curieuses déclarations
Les séances du 28 mai et du 4 juin avaient été très curieuses : Mme d'Elphes, sans rien connaître de l'histoire de Mme Raynaud, avait fait une description intéressante des lieux qu'elle aurait habités. Ensuite elle avait indiqué l'existence en ces lieux d'une dame Jeanne qui répondait au signalement donné par Mme Raynaud de Mme R... Elle nous révélait ensuite que cette dame Jeanne était enterrée dans une église.
Dans la séance du 11 juin, Mme d'Elphes nous apprit que Jeanne s'était réincarnée dans un village, près d'Amiens, nous fit de la maison natale une description, affirma que Jeanne réincarnée, enfant, fut habillée en bleu, et finit par conclure : Jeanne réincarnée, c'est Mme Raynaud.
Commentons maintenant cette dernière séance. Le sujet nous dit que Jeanne est réincarnée près d'Amiens en un petit village. Or, Mme Raynaud est née à Aumont, à vingt ¬cinq kilomètres d'Amiens ; le sujet ne pouvait connaître ce détail. Pour ce qui est de la description de la maison natale, le sujet a dit des choses qui correspondent à celle où naquit Mme R... J'ai pu m'en assurer par la suite en allant à Aumont. La maison a, en effet, l'aspect très modeste. On entre tout de suite dans la pièce principale et on aperçoit une autre pièce à droite, mais l'escalier signalé par la voyante n'existe pas ; il n'y a qu'une marche à la porte au lieu de deux ou trois.
Le docteur, ayant consulté la mère de Mme Ray¬naud, apprit que Laure avait été vouée au bleu à la suite d'une neuvaine qui avait coïncidé avec son rétablissement.
La critique dont le Dr Gaston Durville a fait suivre le récit du cas de Mme Laure Raynaud ne me paraît pas suffisante pour supprimer complètement l'hypothèse d'une vie antérieure du sujet. En effet, il n'est guère possible de récuser le témoignage de la mère de Laure Raynaud, lorsqu'elle affirme que sa fille parlait au curé de son existence passée. Nous avons constaté déjà que certains enfants ont l'intui¬tion d'avoir vécu antérieurement et nous verrons qu'il en est d'autres qui ont conservé d'indiscutables souvenirs de leurs vies antérieures. L'objection qu'une enfant ignorante pourrait formuler une pensée aussi compliquée n'est donc pas très valable.
Il est possible qu'en entendant dire autour d'elle qu'elle avait un type méridional, Laure Raynaud se soit imaginé qu'elle était née jadis dans un pays du Midi, sous le beau ciel bleu de l'Italie. Il se pour¬rait encore, et c'est là l'objection la plus sérieuse, que pendant son sommeil elle ait par clairvoyance visité le pays de ses rêves et qu'accidentellement elle se soit arrêtée aux environs de Gênes, devant la maison dont elle donne avant de l'avoir vue une description si exacte. Ceci serait déjà un curieux cas de lucidité, mais cette hypothèse est loin de rendre compte de toutes les circonstances. Elle n'explique pas, en effet, la connaissance qu'une dame du commencement du XIXème siècle serait morte d'une maladie de poitrine dans cette maison, ni qu'elle aurait été inhumée dans une église, et non plus la certitude qu'avait Laure Raynaud dans son enfance, d'avoir vécu antérieurement.
Il semble donc ressortir de l'examen des faits, que l'hypothèse la plus probable, parce que c'est celle qui explique le mieux tous les incidents de ce cas remarquable, est celle de la préexistence de Laure Raynaud.
M. le Dr Gaston Durville n'y est pas d'ailleurs systématiquement hostile, puisqu'il dit en termi¬nant son étude : « Alors, est-ce donc un cas de réincarnation ? » J'avoue que je n'en sais rien, mais je trouve que l'hypothèse réincarnationniste n'est pas dans ce cas plus absurde qu'une autre.
L'illusion, l'auto-suggestion, la lucidité, la voyance, n'expliquent pas tout. On leur fait peut-être expliquer trop de choses. Il y a place pour d'autres hypo¬thèses ; celle de la réincarnation est du nombre. »
Oui, mon cher docteur, ici c'est indiscutablement la meilleure de toutes.
Chapitre XI - Autres faits impliquant le souvenir de vies antérieures
Grands hommes qui se souviennent d’avoir vécu antérieurement. – Julien l’apostat. – Empédocie. - Lamartine. - Ponson du Terrail. - Le Père Gratry. – Méry. – Professeur Damiani, etc. – Le cas de Nellie Foster. – Connaissances innées d’un pays étranger. – Les cas de Rangoon de Maung Kan. – Cas extraits de l’enquête du Dr Calderone relatifs à des réincarnations dans l’Inde. – Enquête confirmative du Dr Moutin. – Le professeur Tumolo. – Les cas Tucker. – Du Messager de Liège. – Blanche Courtain. – Le cas de la Havane. – Esplugas Cabrera. – Résumé.
Je vais reproduire ici les faits que j'ai réunis dans mon mémoire sur les vies successives présenté au Congrès de Londres de 1898. Je les ferai suivre des observations recueillies depuis.
Julien l'Apostat se rappelait avoir été Alexandre de Macédoine. Empédocle aussi racontait que, quant à lui, il se souvenait même d'avoir été garçon et fille. Mais comme nous ne savons rien sur les circonstances qui purent déterminer ces affirma¬tions, nous passerons aux écrivains de nos jours qui relatent des faits du même ordre.
Parmi les modernes, le grand poète Lamartine déclare, dans son voyage en Orient, avoir eu des réminiscences très nettes. Voici son témoignage :
Je n'avais en Judée ni Bible ni voyage à la main, per¬sonne pour me donner le nom des lieux et le nom antique des vallées et des montagnes ; pourtant je reconnus tout de suite la vallée de Térébinthe et le champ de bataille de Saül. Quand nous fûmes au couvent, les Pères me confirmèrent l'exactitude de mes prévisions ; mes compagnons ne pouvaient le croire. De même à Sephora, j'avais désigné du doigt et nommé par son nom une colline surmontée d'un château ruiné comme le lieu probable de la naissance de la Vierge. Le lendemain, au pied d'une montagne aride, je reconnus le tombeau des Macchabées et je disais vrai sans le savoir. Excepté les vallées du Liban, etc..., je n'ai pres¬que jamais rencontré en Judée un lieu ou une chose qui ne fût pour moi comme un souvenir. Avons-nous donc vécu deux fois ou mille fois ? Notre mémoire n'est-elle qu'une image ternie que le souffle de Dieu ravive ?
Ces réminiscences ne peuvent être dues à des rappels de souvenirs provenant de lectures, car la Bible ne fait pas la description exacte des paysa¬ges où se passent les scènes historiques, elle relate simplement les événements. Peut-on attribuer ces intuitions si nettes et si précises à une clairvoyance pendant le sommeil ? Il n'est nullement démontré que M. de Lamartine fût somnambule, mais si l'on admet cette hypothèse, comment aurait-il fait pour connaître les noms exacts de chacun de ces endroits ? Si ce sont des esprits qui les lui ont indiqués, pourquoi se souvient-il seulement de ces paysages et nullement de ses instructeurs invisi¬bles ? Il ne faut pas faire intervenir les esprits tant que leur présence n'est pas démontrée et il me paraît que c'est ici le cas. Dans le journal La Presse du 20 septembre 1868, un romancier popu¬laire, Ponson du Terrail, ennemi cependant du spiri¬tisme, écrivait qu'il se souvenait d'avoir vécu sous Henri III et Henri IV, et dans ses souvenirs le grand roi n'était en rien semblable à celui dont lui parlaient ses parents. Je pourrais rappeler aussi que Théophile Gautier et Alexandre Dumas ont affirmé à différentes reprises leur croyance basée sur des souvenirs intimes relatifs à des vies pas¬sées , mais je préfère arriver tout de suite aux récits qui portent en eux-mêmes les preuves de leur authen¬ticité. Je tiens à l'obligeance de M. Edmond Bernus le renseignement suivant concernant le Père Gratry. Voici ce qu'il écrit dans Souvenirs de ma jeunesse .
Je venais de commencer l'étude du latin. Je n'oublierai jamais qu'une nuit, en un instant, le sens du génie latin me fut donné. En réfléchissant à une phrase latine, je compris tout à coup l'esprit de cette langue. Et de fait, mes progrès furent singuliers. J'appris le latin du dedans au dehors ; il me semble que je le tirais du fond de mon esprit où il était inoculé. Pendant plusieurs années j'ai pensé en latin. Il m'est arrivé de rêver en latin, de tenir en rêve des dis¬cours en vers latins dont je me souvenais au réveil et qui étaient corrects.
J'exprimais en cette langue plus facilement et beaucoup plus nettement qu'en français les moindres de mes pensées.
M. Bernus fait remarquer que Gratry ne connais¬sait pas les idées réincarnationnistes, ce qui donne beaucoup de valeur à ce passage de ses mémoires. Voici encore un autre cas où la réminiscence se pro¬duit par l'usage de la langue latine. Dans un ar¬ticle biographique sur Méry, paru de son vivant dans le Journal littéraire du 25 septembre 1864, l'auteur affirme que cet écrivain croyait ferme¬ment avoir déjà vécu plusieurs fois ; qu'il se rappe¬lait les moindres circonstances de ses existences précédentes et qu'il les détaillait avec une force de certitude qui imposait la conviction. Ainsi, dit le biographe, il affirme avoir fait la guerre des Gaules et avoir combattu en Germanie avec Germanicus. Il a reconnu maintes fois des sites où il a campé jadis, dans certaines vallées des champs de ba¬taille où il a combattu autrefois. Il s'appelait alors Minius. Ici se place un épisode qui semble bien établir que ces souvenirs ne sont pas simplement des mira¬ges de son imagination. Je cite textuellement.
Un jour, dans sa vie présente, il était à Rome et il visitait la bibliothèque du Vatican. Il y fut reçu par deux jeunes hommes, des novices en longues robes brunes qui se mirent à lui parler le latin le plus pur. Méry était bon latiniste en tout ce qui tient à la théorie et aux choses écrites, mais il n'avait pas encore essayé de causer familièrement dans la langue de Juvénal. En entendant ces Romains d'aujour¬d'hui, en admirant ce magnifique idiome si bien harmonisé avec les monuments, avec les moeurs de l'époque où il était en usage, il lui sembla qu'un voile tombait de ses yeux ; il lui sembla que lui-même avait conversé en d'autres temps avec des amis qui se servaient de ce langage divin. Des phrases toutes faites et irréprochables tombaient de ses lèvres ; il trouva immédiatement l'élégance et la correction ; il parla latin enfin comme il parle français. Tout cela ne pouvait se faire sans un apprentissage et s'il n'eût pas été un sujet d'Auguste, s'il n'eût pas traversé ce siècle de toutes les splendeurs, il ne se serait pas impro¬visé une science impossible à acquérir en quelques heures.
L'auteur a raison. Il faut soigneusement distin¬guer ce fait des hyperesthésies de la mémoire main¬tes fois observées dans le somnambulisme et la maladie. Dans ces états spéciaux, le sujet répète parfois des tirades entières entendues autrefois au théâtre ou lues anciennement et profondément oubliées à l'état normal. Mais une conversation soutenue dans une langue inusitée, sans hésita¬tions, sans recherches, en jouissant pleinement de toutes ses facultés, ceci suppose évidemment pour la prononciation et la traduction des idées la mise en fonction d'un mécanisme longtemps inactif, mais qui se réveille au moment propice. On n'im¬provise pas un langage, alors même que l'on en connaît les mots et les règles grammaticales. Il reste la partie la plus difficile : celle de l'énoncia¬tion des idées, celle-ci dépend des muscles du larynx et des localisations cérébrales et ne peut s'acquérir que par l'habitude. Si à cette résurrection mnémonique on joint les souvenirs précis de lieux jadis habités et reconnus, il y a de très fortes présomp¬tions pour admettre les vies multiples comme l'expli¬cation la plus logique de ces phénomènes. Ils sont d'ailleurs moins rares que l'on a voulu le prétendre. Je vais encore citer quelques exemples pris dans la collection de la Revue Spirite.
Un spirite de la première heure, le professeur Damiani, adressa, le 1er novembre 1878, à l'éditeur du Banner of Light de Boston, une lettre en ré¬ponse à certaines polémiques au sujet de la réin¬carnation ; j'en extrais le passage suivant :
Qu'il me soit permis de dire pourquoi je pense n'avoir pas été trompé dans mes visions spirituelles. Avant d'être réincarnationniste et quand j'étais aussi opposé à ces théo¬ries que peut l'être qui que ce soit, différents médiums qui ne se connaissent pas m'entretinrent de mes réincarna¬tions. J'en ai beaucoup ri, je qualifiais ces révélations d'his¬toires ! Mais quand, après avoir oublié ces circonstances, plusieurs années étant écoulées, je possédai le don de la vision spirituelle, quand je me vis moi-même au milieu des familles de mes existences passées, vêtu des costumes du temps et des peuples que m'avaient décrits d'autres voyants, oh ! Pour moi, voir dut être croire.
Cette déclaration me paraît probante, puisqu'elle émane d'un observateur incrédule qui ne fut con¬vaincu que d'après son contrôle personnel. Quelle cause pourrait produire les affirmations concor¬dantes de médiums inconnus entre eux et qui s'accor¬dent cependant pour relater les mêmes faits ?
Si les vies antérieures laissent en nous des tra¬ces, s'il est possible à certains sujets de lire ces inscriptions hiéroglyphiques, ces ruines vénérables écrites en une langue que seule la faculté psycho¬métrique permet des déchiffrer, les descriptions des voyants doivent être semblables, puisqu'elles s'appuient sur des documents positifs. De là, proba¬blement, cette unanimité que le professeur Damiani constate et qu'il vérifie lorsque ce pouvoir s'est développé en lui.
La Revue Spirite de 1860 (page 206) contient la lettre d'un officier de marine qui se souvient d'avoir vécu et d'être mort assassiné à l'époque de la Saint¬-Barthélemy. Les circonstances de cette existence sont profondément gravées dans son être et il ra¬conte des faits qui montrent que ces réminiscences ne sont pas dues à un caprice de son esprit.
Si je vous disais, écrit-il, que j'avais 7 ans lorsque j'eus ce rêve que, fuyant, je fus atteint en plein dos par trois coups de poignard ! Si je vous disais que ce salut qui se fait sous les armes avant de se battre, je l'ai fait la pre¬mière fois que j'ai eu un fleuret à la main ! Si je vous disais que chaque préliminaire plus ou moins gracieux que l'é¬ducation ou la civilisation ont mis dans l'art de se tuer m'était connu avant toute éducation dans les armes ! Cette science instinctive antérieure à toute éducation doit avoir été acquise quelque part. Où est-ce, si l'on ne vit qu'une fois ?
M. Lagrange raconte dans une lettre adressée à la Revue en 1880, qu'il connaît à la Vera-Cruz un enfant de 7 ans nommé Jules-Alphonse qui guérit par l'imposition de ses petites mains ou à l'aide de remèdes végétaux dont il donne les recettes. Quand on lui demande où il les a eues, il répond que lorsqu'il était grand il était médecin. Cette faculté extraordinaire s'est révélée à l'âge de 4 ans et bien des personnes sceptiques se sont ensuite déclarées convaincues.
On peut prétendre ici que l'enfant est simple¬ment médium ; en effet, il entend les Esprits, mais il sait parfaitement distinguer ce qu'on lui révèle et ce qu'il tire de son propre fonds, cette certitude qu'il était médecin avant. Cette idée ne lui a pas été inculquée par ses guides, elle est innée.
M. Bouvery cite d'après le Lotus Bleu le cas de M. Isaac G. Foster, dont l'enfant nommée Maria mourut à 11 ans, comté d'Effigam.
Il eut, quelques années plus tard, une seconde fille qui est née à Dakota, ville qu'il vint habiter après la mort de Maria. La nouvelle fille fut appelée Nellie, mais elle persista obstinément à se nommer Maria, disant que c'était le vrai nom par lequel on la nommait autrefois.
Dans un voyage en compagnie de son père, elle reconnut l'ancienne demeure et bien des personnes qu'elle n'avait jamais vues, mais que la première fille Maria connaissait très bien.
A un mille de notre ancienne habitation, dit M. Foster, se trouve la maison d'école que Maria fréquentait ; Nellie, qui ne l'avait point vue, en fit une exacte description et m'exprima le désir de la revoir. Je l'y conduisis, et une fois là elle se dirigea directement vers le bureau que sa sœur occupait, me disant : « Voilà le mien ». On dirait un mort revenu du tombeau, ajoute le père, c'est bien l'expression exacte, car si l'on peut imaginer qu'en somnambulisme l'enfant est venue dans ce pays, nul n'a pu lui indiquer les personnes que Maria connaissait et cependant Nellie ne s'y trompe pas, elle les désigne exactement.
Si la réincarnation est une vérité, il est assez logique que les souvenirs qui se réfèrent à une vie antérieure se réveillent, comme je l'ai déjà dit plu¬sieurs fois, plus volontiers chez les enfants, puis¬que le périsprit avant la puberté possède encore un mouvement vibratoire qui, dans des circons¬tances spéciales, peut acquérir assez d'intensité pour faire renaître chacun des souvenirs de l'existence antérieure.
Nous allons en voir encore plusieurs exemples ; je dois le premier à l'obligeance de mon excellent ami, le commandant Mantin.
Ma mère avait conservé, dit-il, avec une amie de couvent, une correspondance suivie, de laquelle je tire ce que vous allez lire. Cette dame avait auprès d'elle à Bordeaux une petite nièce, fille d'une soeur mariée en Espagne, à Valladolid. Après plusieurs demandes réitérées de lui amener ou de lui envoyer son enfant, l'amie de ma mère nous écrivit qu'elle se décidait à confier la fillette, qu'elle avait conduite à Fontarabie, à d'honnêtes voyageurs espagnols qui se rendaient à Ségovie en passant par Valladolid.
En ce temps-là les chemins de fer se construisaient à peine en Espagne ; de Fontarabie à Irun, Saint-Sébastien et Valladolid, le trajet se faisait en diligence et durait plu¬sieurs jours. Après avoir embrassé sa nièce et l'avoir encore recommandée à ses compagnons de voyage, l'aimable tante vit partir la patache qu'elle ne quitta pas des yeux jusqu'à ce qu'elle eût disparu au tournant d'une route.
La fillette s'installa sur la banquette, devant l'une des vitres, afin de contempler le paysage. Elle semblait émerveillée, riant, babillant seule. Puis, comme si elle traversait un pays connu et déjà vu, elle se mit à dire les noms des villages où la voiture allait s'ar¬rêter.
L'attention des voyageurs fut tout à coup éveillée par les citations exactes de l'enfant. Ils la questionnèrent, et se sentant émerveillés par la mémoire d'une aussi petite fille, ils lui demandèrent s'il y avait longtemps qu'elle avait fait ce voyage.
Attentive seulement à tout ce qu'elle semblait con¬naître et revoir, elle répondit en riant : « Mais je ne suis jamais venue », et les Espagnols, égayés, continuèrent à la laisser babiller, de plus en plus surpris de sa mémoire.
La mignonne voyageuse annonça partout à l'avance tout ce qui devait défiler de beau et d'intéressant sous les yeux de ses compagnons de route. Elle démontra qu'évidemment elle était venue déjà à Saint-Sébastien. Avant d'atteindre Burgos, où l'on passa la nuit, l'enfant annonça qu'on allait voir la plus belle église de l'Espagne.
Et ce fut ainsi jusqu'à Valladolid, où la diligence arriva le quatrième jour : la mère attendait impatiemment sa chère fille.
Après l'avoir tendrement caressée, elle remercia les voya¬geurs avec des marques de la plus vive reconnaissance des soins qu'ils avaient eus pour son enfant.
C'est alors qu'ils lui vantèrent la mémoire qui les avait tant étonnés chez une si petite fille, et qu'ils lui racontè¬rent comment elle s'était si merveilleusement souvenue de tout ce qu'elle avait retenu de son précédent voyage. Mais ils ne lui cachèrent pas combien ils étaient surpris du motif qui portait la petite voyageuse à dénaturer la vérité en soutenant qu'elle venait en Espagne pour la première fois.
La mère, très surprise, affirma aux compagnons de sa fillette que celle-ci n'avait pas menti, car c'était bien effec¬tivement la première fois qu'elle venait de France, où elle l'avait confiée à sa sœur, jusqu'à ce que son mari et elle fussent installés à Valladolid.
L'enfant comprenant que les Espagnols semblaient douter des assertions de sa mère elle-même, se prit à san¬gloter en disant : « Je n'ai pas menti, je ne me rappelle pas avoir fait une première fois le voyage ; mais ce que je sais, c'est que j'avais déjà vu tout cela. »
Quelques jours après, un des compagnons de la petite fille vint remettre à sa mère le récit curieux qu'il avait cru devoir rédiger de ces faits, et qu'il avait intitulé : Rêves véridiques d'une petite fille éveillée.
C'est ce récit recopié par son ami qui l'avait adressé à ma mère qui me permet de vous en affirmer l'authenticité, et j'ajouterai que cette histoire date de 1848.
Commandant MANTIN.
Ici encore toute autre interprétation que celle de souvenirs d'une vie antérieure n'explique pas ces connaissances aussi nombreuses et aussi pré¬cises de la fillette.
Le phénomène du souvenir, chez les enfants, de leur vie passée, n'est pas particulier à une époque ou à une contrée ; on en trouve partout des exem¬ples. Voici deux relations qui prouvent qu'en Asie ou en Amérique, aussi bien qu'en Europe, la revi¬viscence de la mémoire se rencontre dans toutes les classes de la société.
Le Journal, 18/9/1907.
LA POPULATION ANGLAISE DE RANGOON EST EN ÉMOI A CAUSE DES RÉVÉLATIONS D'UN ENFANT.
Londres, 17 septembre (Par fil spécial)
La presse d'outre-mer relate un soi-disant fait de réin¬carnation qui se serait produit à Rangoon.
Près de cette ville, mourait en 1903 le major Welsh. Ces derniers temps, un enfant de 3 ans étonnait ses parents en leur annonçant gravement qu'il était le major en question revenu à la vie, et le bambin leur décrivit avec force détails l'habitation de l'officier défunt ; il alla même jusqu'à donner un compte rendu de ses occupations et le nombre de ses poneys. Plus fort ; il relata comment Welsh avait péri au cours d'une excursion sur le lac Mek¬telea avec deux autres personnes.
Les parents sont absolument bouleversés, leur fils n'ayant jamais rien su auparavant du major et de sa famille.
Ces cas bizarres répétés à grand fracas préoccupent les milieux scientifiques anglais et les commentaires vont leur train.
Extrait du récit de M. le Dr Henrich Hendsold de sa visite au grand lama à Lhassa .
Il y a cinquante ans, deux enfants naquirent dans un village appelé Okshitgon, un garçon et une fille. Ils vinrent au monde le même jour, dans des maisons voisines, grandi¬rent ensemble, jouèrent ensemble et s'aimèrent. Ils s'é¬pousèrent donc et fondèrent une famille, cultivant pour vivre les champs arides qui entourent Okshitgon. Ils étaient connus par leur profond attachement l'un pour l'autre et moururent comme ils avaient vécu, ensemble. La même mort les enleva le même jour, on les enterra hors du village, puis on les oublia, car les temps étaient durs. C'était l'année après la prise de Mandalay et la Birmanie entière était soulevée ; le pays était plein d'hommes armés, les routes étaient dangereuses et les nuits s'éclai¬raient des flammes qui dévoraient les hameaux. Tristes temps pour les hommes pacifiques, et beaucoup d'entre eux, fuyant leur demeure, se réfugièrent dans les lieux plus ha¬bités et plus rapprochés des centres d'administration. Okshitgon était au milieu d'un des districts les plus éprou¬vés et bon nombre de ses habitants s'enfuirent, et parmi eux un homme nommé Maung Kan et sa jeune femme. Ils s'établirent à Kabyn. La femme de Maung Kan lui avait donné deux fils jumeaux nés à Okshitgon peu avant la fuite du ménage. L'aîné se nommait Maung-Gyi, c'est¬-à-dire frère Grand Garçon. Les enfants grandirent à Kabu et se mirent bientôt à parler. Mais leurs parents remar¬quèrent avec étonnement qu'ils s'appelaient pendant leurs jeux non pas Maung-Gyi et Maung-Ngé, mais Maung-San Nyein et Ma-Giroin ; ce dernier nom est un nom de femme, et Maung Kan et sa moitié se souvinrent que ces noms étaient ceux du couple mort à Okshitgon, vers l'époque où les enfants étaient nés.
Ils pensèrent donc que les âmes de cet homme et de cette femme étaient entrées dans le corps de leurs enfants et les emmenèrent à Okshitgon pour les éprouver. Les enfants connaissaient tout à Okshitgon, routes, maisons et gens, et reconnurent même les vêtements qu'ils avaient portés dans leur vie antérieure. Il n'y avait aucun doute à avoir. L'un d'eux, le plus jeune, se rappela aussi qu'il avait emprunté deux roupies à une certaine Ma-Thet sans que son mari le sût, alors qu'il était Ma-Gyroin, et que cette dette n'avait pas été payée. Ma-Thet vivait encore ; on l'interrogea et elle se souvint qu'en effet elle avait prêté cet ar¬gent. Je n'ai pas entendu dire que le père des enfants ait rendu les deux roupies.
Je les vis peu après cette occurrence. Ils ont mainte¬nant 6 ans accomplis. L'aîné, dans le corps de qui l'âme de l'homme entra, est un petit bonhomme gras et dodu, mais le jumeau cadet est moins fort et il a une curieuse expression rêveuse, plutôt celle d'une fille. Ils me racontèrent beaucoup de choses de leur vie passée. Ils dirent qu'après leur mort ils vécurent pendant un temps sans corps du tout, errant dans l'air et se cachant dans les arbres, et cela à cause de leurs péchés, puis quelques mois après ils naquirent de nouveau comme jumeaux.
« C'était si net autrefois, me dit l'aîné. Je pouvais me souvenir de tout, mais cela devient de plus en plus effacé, et maintenant je ne peux pas me rappeler comme avant. »
Le premier des deux cas précédents a un caractère anecdotique qui peut prêter à la critique. « A beau mentir qui vient de loin», dit un vieux proverbe qui a souvent raison.
Cependant, si j'ai rapporté ce récit, c'est parce que lorsqu'une vérification a pu être faite dans d'autres circonstances, le récit des témoins a été reconnu exact. Voici, en effet, deux cas publiés par le Dr Moutin dans l'Enquête sur la réincarnation, du Dr Calderone.
Extrait de l’enquête du Dr Calderone, rapport du Dr Moutin
Vers 1906, le journal Paisa Akhabar de Lahore a raconté le fait d'une fillette de 7 ans environ, née dans un village du Pendjab et appartenant à une famille musul¬mane, qui tout à coup devint grave et sérieuse et parla comme une matrone. Elle déclara qu'elle avait eu une existence antérieure et qu'elle se souvenait maintenant de tous les détails de l'existence en question. Elle avait été la femme d'un Hindou, elle employait un langage plutôt violent et insistait pour qu'on l'emmenât aussitôt près de son ancien mari avec lequel elle avait à liquider une affaire importante. D'abord on ne lui prêta aucune attention, mais comme elle se montrait très obstinée, ses parents l'emmenèrent à l'endroit indiqué en cédant en partie aux importunités et menaces de l'enfant et en partie à leur pro¬pre curiosité.
Aussitôt qu'elle arriva sur place, elle se rendit directe¬ment à la maison dont elle avait parlé en se comportant comme si elle l'avait fort bien connue. Quand elle se trouva devant son prétendu mari, elle dit un grand nombre de choses qui surprirent cet homme, et lui demanda enfin de l'épouser.
Pour prouver qu'elle avait été son ancienne femme, elle se fit apporter une vieille malle qui lui avait appartenu et qui était restée fermée depuis le jour de sa mort. Elle indiqua exactement son contenu ; quand on ouvrit celle¬-ci, on constata qu'elle était dans le vrai. Son ancien époux et les parents de la fillette n'étaient pas disposés au nou¬veau mariage, parce qu'elle était musulmane et que le supposé mari était un Hindou brahmaniste ; par consé¬quent, l'enfant fut ramenée de force à la maison paternelle.
Pour m'assurer de la sincérité du récit, poursuit le docteur Moutin, j'écrivis au directeur du Journal de Lahore en le priant de me faire savoir si cette histoire lui était parvenue d'une source digne de foi, et je lui demandai en même temps de nouveaux détails. Le directeur me répondit ai¬mablement qu'il était absolument sûr des événements publiés par son journal et qu'il ne manquerait point de me transmettre de nouveaux détails aussitôt que cela lui serait possible.
Depuis lors, je lui ai écrit de nouveau. Il me répondit seulement qu'il avait fait des tentatives réitérées pour éclaircir cet événement, mais que les personnes impliquées dans l'histoire s'étaient retranchées dans un mutisme ab¬solu, en déclarant que la publication du fait précédent leur avait causé plusieurs ennuis, avait scandalisé leurs amis et qu'ils étaient sûrs que si l'on avait continué la publicité il aurait été difficile de trouver un époux à la fillette quand elle aurait atteint l'âge de se marier.
Un autre fait du même genre, que j'ai connu depuis 1906 dit encore le Dr Moutin, est une histoire qui a été pu¬bliée dans les principaux journaux du Bengale, il y a deux ans environ. J'en donne une traduction littérale :
Ramshadon Guin, âgé de 45 ans, de la caste Bratyks hatéria, est un habitant de Krolbéria, dans la juridiction de Thanah Bhangore, district 24e, Parganas. Sa femme Manmohini Dassi est décédée du choléra, il y a douze ans. Son père était un Dpchand Mandal du village de Baota. Après la mort de Manmohini, sa tante maternelle, qui de¬meure à Balgorh, eut une fille. Au mois d'août dernier, lorsque cette fille alla visiter Bamoumuller avec sa mère, elle passa par hasard à Krolbéria et en montrant la maison de Ramshadhon, elle déclara que cet édifice avec le jardin et le bassin qui s'y trouve appartenaient à son mari au cours de sa vie antérieure. La mère et la fillette pénétrèrent dans cette maison. L'enfant, après avoir salué une femme âgée qui s'y trouvait, dit : «Voilà celle qui était ma belle¬-mère dans mon existence précédente. Cette chambre était la mienne ; ces jeunes gens étaient mes enfants. » La fil¬lette dit ensuite à Ramshadon qu'il avait été son mari et insista pour qu'il l'épousât, sans quoi elle se donnerait la mort.
Ramshadon demanda alors à la jeune fille de lui fournir quelques preuves de ce qu'elle avançait. Elle dit alors : « Au moment de ma mort, on a cousu six roupies dans l'é¬toffe de ma robe ; vous avez retiré cet argent et vous pou¬vez vous souvenir qu'à mon lit de mort j'ai demandé un peu d'argent et quelques ornements à mon fils aîné. J'ai aussi laissé un vase rouge et quelques rubans pour les cheveux sur la muraille et deux épingles à cheveux dans une malle. Cherchez-les et vous les trouverez. »
Ramshadon découvrit, en effet, ces épingles couvertes de poussière. La fillette lui dit alors de chercher dans la malle pour voir si sa robe en soie y était bien : il la trouva réelle¬ment, mais déchirée en deux endroits. La fillette demanda des explications, la robe n'ayant qu'une unique déchirure quand elle la portait. On se renseigna et on apprit que la belle-fille de Ramshadon avait porté cette robe et l'avait déchirée à un autre endroit. Elle reconnut ensuite ses fils et les autres parents dont elle dit les noms. Une femme qui était présente lui demanda de lui dire qui elle était. La jeune fille répondit : « Un jour, comme vous alliez mourir de faim, vous êtes venue me demander un peu de nourriture ; je vous ai donné un bol de riz ; vous m'avez alors appelée votre petite mère ; pourriez-vous me reconnaître maintenant. » Ramshadon Guin dit à la jeune fille qu'il ne lui convenait pas de l'épouser de nouveau, puis¬ qu'il était désormais âgé de 45 ans, alors qu'elle avait à peine 11 ans. Mais la fillette insista, disant qu'après son départ ses enfants auraient pris son parti. Elle ne voulait pas rentrer chez ses parents, qu'elle appelait son oncle et sa tante. Ceux-ci la ramenèrent de force, mais quelque temps après, Ramshadon consentit à l'épouser.
Krolbéria se trouve à une distance de dix milles seule¬ment de Calcutta, sous la juridiction de Sealdah pour tout ce qui concerne l'état civil. Babu Taraknath Riswas, qui dirige le bureau de Séaldah et qui est très connu dans le pays, fut chargé de s'assurer de l'authenticité de cette histoire. Le 17 du mois de Baisakh dernier, Ramshadon, avec quelques autres habitants de Krolberia, alla à Séaldah pour y faire enregistrer quelques documents. Babu Ta¬raknath en profita pour lui demander des renseignements. Ramshadon déclara que tout ce que les journaux avaient publié était absolument conforme à la vérité et que les autres habitants du village étaient à même de l'attester comme lui. Il confirma que la fillette avait reconnu tous les habitants du village avec lesquels elle avait été en rapport au cours de sa vie précédente.
Depuis que Ramshadon avait déclaré ne pas pouvoir l'épouser, elle pleurait souvent. Ramshadon et les notables du village recevaient journellement des lettres de différents côtés, qui leur demandaient des éclaircissements sur le cas demandé. Comme ils ne pouvaient pas répon¬dre individuellement à toutes, ils demandèrent à Babu Taraknath de trouver lui-même un moyen quelconque pour satisfaire les auteurs de ces lettres. L'Hindou se chargea donc d'informer le public de l'authenticité du fait, qui pourra servir de sujet d'étude de la part des sa¬vants occidentaux. L'attestation publiée est signée :
AMABILA CHARON GUPTA.
Dans la même enquête, M. le professeur Tumolo écrit :
M. Romolo Panzoni, de Rome, est un de mes amis que d'autres occultistes connaissent aussi comme une personne absolument digne de foi. C'est un spirite intelligent, bien qu'il n'ait rien publié sur ces matières. Or, M. Panzoni et sa femme, morte depuis, me racontaient souvent qu'ayant adopté une fillette, celle-ci, de temps à autre, tout à coup, racontait une vie qu'elle avait passée au milieu de sauvages. Elle décrivait merveilleusement leurs moeurs en donnant la plus parfaite illusion d'avoir vécu elle aussi à l'état de sauvage.
Toujours en Italie, la Revue Ultra, en 1908, men¬tionne ce cas de réincarnation. Voici ce que repro¬duit à ce sujet la Revue Théosophique de Rome :
Un inspecteur de police du Pégu nommé Tucker, tandis qu'il poursuivait des bandits, fut tué d'un coup de feu à bout portant. Vers la même époque, dans une autre partie du district, une femme d'humble condition donnait le jour à un fils. Jusqu'ici rien de remarquable. Mais le merveil¬leux commença le jour où le bambin âgé de 4 ans se mit à dire qu'il était la nouvelle incarnation de l'inspec¬teur Tucker, dont jamais personne n'avait parlé devant lui. Bien plus, il raconta un certain nombre d'épisodes de la vie du même inspecteur avec une telle précision que les pa¬rents du décédé à ce moment dans le pays en furent stu¬péfiés et en affirmèrent la parfaite réalité. Ces faits connus ont attiré une foule de curieux qui viennent écouter les discours extraordinaires de ce bambin.
Le Messager de Liège a publié dans son numéro de 1910 l'intéressant article de M. Henrion qui renferme les curieux détails que l'on va lire sur la reviviscence de la mémoire d'une fillette de 7 ans.
Le fait que nous allons relater n'est venu à notre con¬naissance que le 16 janvier dernier. Il nous a été conté par M. P. Courtain, machiniste pensionné du chemin de fer de l'Etat.
La famille de M. Courtain ne connaissait absolument pas le spiritisme à l'époque où se sont passés les faits en ques¬tion, et ce n'est que par la suite et en conséquence du fait que nous rapportons qu'elle fut amenée à nos croyances.
Cette famille, des plus estimables, habitait Pont-à-Celles et comptait au nombre de ses enfants une jeune personne de 7 ans et une petite fille nommée Blanche, âgée, à cette époque, de 5 ans. Cette dernière, assez délicate, disait de temps à autre à ses parents qu'elle voyait des esprits ; elle fit entre autres les descriptions de ses grands-pères mater¬nel et paternel, décédés plus de quinze ans avant la naissance de leur petite-fille. Les parents, attribuant ces visions à un état maladif de Blanche, la conduisirent un jour chez le docteur Roels à Gouy-lez-Piétons et celui-ci, après ques¬tions et examen, ordonna une potion quelconque. La visite et la potion avaient coûté 7 fr. 50. Le lendemain, ayant besoin de fourrage vert pour leurs bestiaux, ils se rendirent dans leur pré ; la petite Blanche menant la brouette, courait en avant de ses parents. Arrivée à une distance assez grande de son père et de sa mère, l'enfant s'arrêta pour attendre qu'ils l'eussent rejointe. Lorsque ce fut chose faite, elle leur dit d'un ton résolu : « Je ne prendrai pas la bouteille que le docteur m'a ordonnée. - Et pourquoi cela ? Lui dit son père, tu veux donc que nous ayons jeté 7 fr. 50 ; il faut pren¬dre cette ordonnance. - Je ne la prendrai pas, répondit Blan¬che. Il y a un homme près de moi qui dit qu'il me guérira bien sans cela. Au reste, je sais bien ce qu'il me faut faire. J'ai été pharmacien aussi. - Tu as été pharmacien ? » Et les parents se regardaient ébahis, se demandant si Blanche n'était pas devenue folle. « Oui, j'ai été pharmacien à Bruxelles, dans la rue... numéro... Si vous ne me croyez pas, allez-y voir. C'est encore un pharmacien qui demeure là et la porte de son officine est toute blanche. »
Les parents ne savaient plus que dire ni que faire et pendant quelque temps on ne parla plus de la chose, mais un jour la fille aînée devant se rendre dans la capitale, on proposa à Blanche d'accompagner sa soeur. « Oui, dit¬-elle, j'irai et je conduirai ma soeur où je vous ai dit. - Mais tu ne connais pas Bruxelles. - Ça ne fait rien. Quand j'y serai, c'est moi qui conduirai ma soeur. » Le voyage se fit comme c'était convenu, mais arrivée à la gare, l'aînée dit à Blanche : « Maintenant, conduis-moi. - Oui, viens, c'est par ici », et après avoir marché quelque temps –Voilà la rue, regarde. Voilà la maison, tu vois, c'est un pharmacien. » L'aînée, stupéfaite, constata que tout était bien comme Blanche l'avait dit, rue, maison, numéro, couleur de la porte ; il n'y avait aucun détail qui ne fût exact.
Depuis lors, les parents connurent le spiritisme et la médiumnité de Blanche alla se développant. Elle fut médium à effets physiques, à incarnation, voyante et auditive jusqu'à sa mort, arrivée à la suite d'un accident et après des souffrances qui durèrent deux ans et demi. Ajoutons qu'elle avait elle-même prédit la durée des souf¬frances auxquelles elle succomba.
Voici pour terminer cette énumération le récit publié par la plupart des journaux de l'Amérique du Sud .
Souvenir d’une vie précédente
Plusieurs journaux spirites de l'Amérique latine, tels que Fiat Lux de Ponce (Porto-Rico), Constancia de Buenos¬Ayres, Reformador de Rio-de-Janeiro, etc..., relatent un fait d'autant plus intéressant qu'on ne voit pas comment on pourrait l'expliquer autrement qu'en admettant l'hy¬pothèse de la réincarnation. Ceci, bien entendu, si le cas a été bien exactement et fidèlement rapporté . Il est vraiment déplorable qu'il ne se trouve pas au monde un Institut quelconque disposant des moyens nécessaires pour faire étudier un cas comme celui-ci par des personnes sérieuses, compétentes, jouissant de l'autorité scientifique nécessaire pour faire accepter les résultats de leur enquête.
Dans la ville de la Havane (Cuba) vivaient les époux Esplugas Cabrera, qui eurent un fils, le petit Edouard, âgé aujourd'hui de 4 ans, très loquace, d'intelligence fort éveillée. La résidence de la famille Esplugas Cabrera a toujours été la maison sise au n°44 de la rue San José à la Havane, où M. Torquato Esplugas s'occupe d'une entreprise typo-lithographique dont il est co-pro¬priétaire.
C'est là que naquit le petit Edouard.
L'enfant en causant avec sa mère, Mme Cécile Cabrera, lui dit, voici déjà quelque temps : « Maman, j'avais une maison différente de celle-ci avant, je vivais dans une mai¬son jaune de la rue Campanario qui portait le n°69. Je m'en souviens parfaitement. » Mme Cabrera, sur le mo¬ment, n'attacha pas grande importance à la chose. Mais comme l'enfant insistait de temps en temps dans ses dé¬clarations, ses parents finirent par y faire attention et après l'avoir soumis à une série de questions appropriées, obtinrent du petit garçon les indications suivantes.
« Quand je vivais au Campanario, au n°69, mon père s'appelait Pierre Saco et ma mère Amparo. Je me rappelle que j'avais deux petits frères avec lesquels je jouais tou¬jours et qui s'appelaient Mercédès et Jean. La dernière fois que je sortis de la maison jaune, ce fut le dimanche 28 février 1903 et mon autre mère pleurait beaucoup tandis que je m'éloignais ce jour-là de la maison. Cette autre ma¬man était de carnation très blanche et avait les cheveux noirs ; elle travaillait à fabriquer des chapeaux. J'avais alors 13 ans et j'achetais les médecines à la pharmacie amé¬ricaine, parce qu'elles y coûtaient moins cher. Je laissais ma bicyclette dans la chambre du bas, quand je revenais de la promenade, et je ne m'appelais pas Edouard comme à présent, mais Pancho. »
Devant un récit aussi naturel et fait avec une fermeté étrange chez un enfant de 4 ans, les parents d'Edouard restèrent perplexes, d'autant plus que l'enfant n'avait jamais été au n°69 de la rue Campanario.
Mais le premier moment d'impression passé, les époux Esplugas Cabrera pensèrent à entreprendre des recherches pour savoir ce qu'il pouvait y avoir de vérité dans le récit de l'enfant. Plusieurs jours après, étant sortis avec Edouard, ils arrivèrent après un long détour devant la maison n°69 de la rue Campanario, inconnue à l'enfant, ainsi qu'aux parents. Lorsqu'ils furent arrivés, ce fut l'affaire d'un instant pour Edouard de la reconnaître.
« Voilà la maison où je vivais, s'écria-t-il. »
« Alors, entre, lui dit le père, s'il est vrai que tu la re¬connais. » L'enfant courut vers l'intérieur, se dirigea vers l'escalier, monta au premier étage, entra dans les appartements de la maison comme s'il l'avait connue, et descendit immédiatement très chagriné de ne plus y avoir trouvé ses parents, mais d'autres personnes qu'il ne connaissait pas. Il ne retrouva pas davantage les jouets avec lesquels il disait s'être tant amusé avec ses petits frères d'alors, Mercédès et Jean.
Les époux Esplugas Cabrera, vu le résultat de la pre¬mière tentative, ont continué les recherches nécessaires pour atteindre les preuves définitives et ils arrivèrent fi¬nalement aux conclusions suivantes avec le concours de données officielles : « 1° la maison n°69 de la rue Cam¬panario fut occupée jusqu'à peu de temps après le mois de février 1903 par Antonio Saco, aujourd'hui absent de la Ha¬vane ; 2° la femme de M. Saco s'appelait Amparo, et de son mariage étaient nés trois fils, nommés Mercédès, Jean et Pancho ; 3° au mois de février, ce dernier mourut, à la suite de quoi la famille de M. Saco quitta la maison ; 4° tout près de la maison en question existe la pharmacie où le petit Edouard assure qu'il se rendait alors.
En examinant avec soin les faits rapportés dans ce chapitre, il paraît impossible de les expliquer logiquement dans leur ensemble par une autre hypothèse que celle de la réincarnation. Nous avons vu, en effet, que l'hérédité physiologique n'existe pas pour les phénomènes intellectuels, non seule¬ment parce que les hommes de génie sortent le plus souvent des milieux les moins cultivés, mais aussi parce que leurs descendants n'héritent pas de leurs facultés.
Il existe bien une loi d'innéité, telle que le Dr Lucas l'a formulée au siècle dernier. C'est parce que l'esprit qui vient s'incarner apporte en soi à l'état latent le résultat de ses études antérieures, que lorsque les circonstances le permettent certains enfants montrent dès l'âge le plus tendre des aptitudes incroyables pour l'acquisition de ces connaissances qui exigent chez les autres êtres humains de longues années d'études. Toutefois les formes de l'activité humaine, artistique, littéraire, scientifique, etc., se sont montrées avec une telle précocité chez les enfants prodiges qu'il est réellement impossible d'attribuer ces stupéfiantes manifestations à autre chose qu'à des réminiscences, car le cerveau à peine formé de ces petits êtres serait incapable à lui seul d'emmagasiner, de retenir et de coordonner les notions si nombreuses et si variées qui sont indis¬pensables pour pratiquer ces arts ou ces sciences où ils se révèlent du premier coup infiniment au¬-dessus de la moyenne intellectuelle des hommes faits.
Sans aucun doute, les enfants prodiges sont des exceptions, mais j'ai montré par des exemples que j'aurais pu multiplier encore, que des souve¬nirs relatifs à une vie antérieure se montrent fré¬quemment chez des enfants avec une telle abondance de détails précis qu'on ne peut les attribuer à un jeu de leur imagination.
Dans la plupart des cas, la clairvoyance, facteur dont il ne faut pas nier l'importance, ne peut être invoquée comme explication du phénomène, car pour que la lucidité soit mise en jeu il faut généra¬lement une cause qui établisse un rapport entre le voyant et la scène décrite. Or, dans les exemples cités, ce rapport n'existe pas.
Même chez les grandes personnes, le phéno¬mène de la reviviscence de la mémoire se présente parfois avec une accumulation de circonstances indépendantes les unes des autres qui ne permettent pas d'attribuer ce souvenir à une double vue du sujet. Dans la plupart des cas rappelés, il ne s'agit plus du sentiment du déjà vu, parce que le sujet sait d'avance et décrit exactement ce qui se trouve au de la portée de son regard ; il a la notion très nette d'avoir connu jadis ces scènes qu'il voit pour la première fois.
Et lorsque l'on peut vérifier, comme ce fut le cas pour Laure Raynaud, les enfants cités par le Dr Moutin et d'autres, on ne peut plus douter que l'on se trouve réellement en présence du souvenir d'une vie passée.
Sans aucun doute, il faudra encore un nombre plus important de ces témoignages pour que ce genre particulier de phénomènes entre définitive¬ment dans le domaine de la science. D'ores et déjà les faits sont assez nombreux pour que l'on ne puisse pas les négliger et on peut les considérer comme les premières assises d'une démonstration scientifique de la réalité des vies successives.
Je vais passer maintenant à un autre ordre de faits, de nature à confirmer cette grande loi d’évolution spirituelle qui sort peu à peu des ténè¬bres où on l’avait confinée et qui bientôt deviendra éclatante pour toutes les intelligences libérées des entraves des dogmes matérialistes et religieux.
Chapitre XII - Les cas de réincarnation annoncés à l’avance
Il existe des cas où la réincarnation a été prédite avec assez d’exactitude pour qu’on puisse en vérifier la réalité. – La clairvoyance du médium ne suffit pas pour expliquer cette prémonition. – Exemples du jeune enfant qui dit à sa mère qu’il reviendra. – Une double annonce de réincarnation. – Souvenir d’une chanson apprise dans la vie précédente. – Un cas très personnel. – Un procès verbal de Lyon du groupe Nazareth. – Le cas de M. Engel. – Les deux cas rapportés par M. Bouvier. – Celui de M. de Reyles. – Le cas Jaffeux. – Histoire de la petite Alexandrie, rapportée par le Dr Samona.
Nous avons vu dans les chapitres précédents que la loi des vies successives ne se présente plus à nous comme une simple théorie philosophique, puisqu'elle peut s'appuyer sur des faits expéri¬mentaux comme ceux que l'on obtient en produi¬sant chez des sujets appropriés la régression de la mémoire poussée au delà de la naissance actuelle. Cette mémoire latente qui repose dans la subcons¬cience peut parfois remonter jusqu'à la conscience normale et produire ces éclairs de réminiscence qui découvrent un coin du panorama du passé. Chez les enfants prodiges la résurrection des con¬naissances antérieures se manifeste avec tant d'éclat qu'il est impossible de n'y pas voir le réveil de connaissances prénatales.
J'ai discuté les hypothèses logiques auxquelles on pourrait avoir recours pour expliquer ces cas sans faire intervenir la réincarnation ; j'ai montré qu'elles étaient insuffisantes. Je désire maintenant passer en revue un certain nombre de récits dans lesquels les esprits qui doivent revenir ici-bas ont fait savoir à l'avance et de différentes manières leur intention de reprendre un corps terrestre.
Parfois ces affirmations ont été accompagnées de détails précis concernant le sexe et les circons¬tances dans lesquelles se produirait le retour sur la terre de ces êtres.
J'examinerai si l'on peut attribuer tous ces récits à de simples prémonitions ou si, au contraire, il faut y voir l'intervention d'êtres indépendants des médiums.
Cette preuve résultera, dans certains cas, de la concordance qui existe entre la prédiction que fait l'esprit de son prochain retour parmi nous et, une fois que la renaissance a eu lieu, le souvenir que cet esprit conserve de sa vie antérieure.
Ce sont donc ces différents aspects du phénomène que je vais passer maintenant en revue.
Je commence cette étude en reproduisant un article paru dans la Revue Spirite de 1875, page 330.
L'évidente sincérité du narrateur m'engage seule à tenir compte de son témoignage, car il est regret¬table que la mère ne se soit pas fait connaître et que nous ignorions si elle était spirite. Quoi qu'il en soit, voici le fait :
Nouvelle preuve de la réincarnation
27 août 1875
Monsieur Leymarie,
C'est avec satisfaction que je viens porter à votre con¬naissance une nouvelle preuve, bien évidente, de la loi sublime de la réincarnation.
Le lundi 23 courant, j'étais dans l'omnibus qui conduit de la chaussée du Maine à Ménilmontant, avec Mme Fagard. Son mari, notre ami, n'avait pu trouver place que sur l'impériale.
Une dame jeune et distinguée était placée auprès de nous ; elle tenait sur ses genoux une charmante petite fille âgée de quinze mois, gaie et tout enjouée, qui me tendait ses beaux petits bras roses. J'hésitais à la prendre, car je craignais de déplaire à la jeune mère, mais, voyant son sourire approbateur, je pris la charmante fillette.
Elle était gentille et gracieuse ; à cet âge les enfants sont adorables, et celle-ci, surtout, avait un petit air si enjoué, si aimable, qu'on se sentait disposé à l'aimer. Je dis à cette dame : « Ce serait une injure de demander si vous l'adorez ; il ne peut y avoir de doute à cet égard. »
- Oui, Monsieur, je l'aime bien tendrement, elle est douce et aimable ; puis elle a un double titre à mon amour... Vous seriez bien étonné si je vous disais que c'est la deuxième fois que je suis mère du même enfant ; mes paroles étranges ne sont que l'expression de la vérité, car je ne suis ni folle, ni hallucinée, je n'avance rien sans preuves cer¬taines. Je vais m'expliquer et vous jugerez si mon dire est erroné.
J'avais une délicieuse petite fille que la mort m'a ravie à 5 ans et demi ; dans ses derniers moments, ce petit ange, voyant mes larmes, mon profond désespoir, me dit ces paroles remarquables : « Bonne petite mère, ne te désole pas ainsi, prends courage, je ne pars pas pour toujours, je reviendrai au mois d'avril, un dimanche. Eh bien, au mois d'avril et un dimanche, je mis au monde cette petite Ninie que vous avez la bonté de caresser. Tous ceux qui ont connu la première Ninie la reconnaissent dans la seconde. Elle ne dit encore que ces mots : Papa, Maman, et cependant, la semaine dernière, jugez de mon bonheur ! De ma grande surprise ! Je l'embrassais en pensant à l'au¬tre et lui disais : « Oh ! Oui, tu es bien Ninie ? » Elle me répondit : « c'est moi... » Puis-je douter, Monsieur ?
- Non, Madame, il faudrait être de parti pris pour ne pas comprendre que c'est le même esprit qui est revenu dans ce petit corps charmant. Dieu a eu la bonté de vous en instruire, voilà tout. Si les hommes étudiaient, ils comprendraient ces faits bien naturels et leur valeur incon¬testable.
Je n'ai pu donner à cette dame d'autres explications, car elle descendait au carrefour Buci ; je regrette vivement de ne pas lui avoir demandé son nom et sa demeure. Es¬pérons que ces quelques lignes lui parviendront et qu'elle voudra bien venir confirmer mon dire, que, sur mon hon¬neur, j'affirme être la vérité.
Je suis avec respect votre serviteur.
FEMME FAGARD à Plailly (Oise).
FLOUX MARY 5, rue Vauvilliers.
Il est remarquable, si ce récit est tout à fait exact, que l'enfant avant de mourir ait eu la prémonition exacte du jour où elle reviendrait de nouveau avec sa chère maman.
Voyons maintenant d'autres exemples où l'annonce de la réincarnation a été faite à deux personnes différentes.
Voici un cas qui m'a été signalé par M. Warcollier et que j'ai publié dans ma Revue scientifique et morale du spiritisme.
Une double annonce de réincarnation
Récit fait directement par Mme B..., en juillet 1919, à M. Warcollier
Mme B... a perdu pendant la guerre un fils qu'elle aimait particulièrement et son mari quelques mois après. Il lui reste encore d'autres enfants, dont une fille mariée ; il en sera question dans ce récit. Encore sous le coup de ces deuils successifs, elle m'a raconté le curieux cas de réin¬carnation suivant, avec tous les accents de la plus évi¬dente sincérité. « Mon fils, me dit Mme B..., était d'une rare intelligence et dépensait toute l'activité de sa jeunesse il avait 18 ans. Dans le monde politique, il collaborait aux journaux de son parti et en serait devenu une per¬sonnalité marquante.
Engagé volontaire au début de la guerre, il gagna ra¬pidement les galons de sous-lieutenant et se distingua pen¬dant une attaque ; il fut mortellement blessé et mourut dans un village de l'arrière où on l'avait transporté. Une huitaine de jours après, je reçus d'un de ses camarades une lettre m'annonçant que son corps avait été mis en bière et enterré dans le cimetière dudit village, où il me serait facile de le retrouver lorsqu'un permis me serait accordé pour m'y rendre. J'écrivis une lettre au curé de ce village et j'en reçus une réponse, me confirmant que mon fils était mort en chrétien, qu'il en avait recueilli le dernier soupir et qu'il viendrait sûrement me voir quand il aurait l'occasion de venir à Paris.
Quelques jours après, je rêvais (Mme B... est sujette de¬puis sa jeunesse aux rêves supranormaux) que je voyais d'une route, un talus de chemin de fer entièrement sa¬blonneux ; là, je me précipitais à terre, et, creusant le sol de mes mains, je découvrais non un cercueil, mais les jam¬bes d'un soldat.
Peu à peu, je fouillais le sable et le détachais du corps en remontant jusqu'à la tête, mais quand j'arrivais au visage, une couche épaisse et agglomérée m'empêchait de le reconnaître ; pourtant je savais que c'était mon fils. Il n'é¬tait pas enterré dans un cimetière, on m'avait menti.
Je reçus plus tard la visite du prêtre, mais elle me sembla intéressée et je suspectai sa bonne foi, car il ne put pré¬ciser aucun renseignement sur mon fils, que je ne lui don¬nais pas moi-même ; il me conta même des choses complè¬tement fausses. Je fis donc des démarches sans nombre dans les ministères pour avoir le permis d'aller dans la zone des armées. Enfin, au bout d'un an, je pus me rendre au village où je devais retrouver mon fils. Il n'était pas au cimetière, mais je reconnus bientôt le talus de chemin de fer entièrement sablonneux de mon rêve. A l'aide de deux fossoyeurs, je fis creuser à l'endroit de ma vision. Les jambes furent découvertes en premier, puis le corps fut dégagé du sable, enfin le visage méconnaissable sous son masque de sable.
Je revivais mon horrible cauchemar. L'identité fut facile à établir par les objets personnels que je trouvai sur le cadavre. Je le fis mettre en bière et enterrer dans le cime¬tière du village. Quelques mois après, je rêvais de mon fils.
Il me disait : « Maman, ne pleure pas, je vais revenir, pas chez toi, mais chez ma soeur. » Je ne compris pas tout d'abord ce que cela voulait dire. Ma fille, mariée depuis plusieurs années, n'avait jamais pu avoir d'enfant et se désolait à ce sujet. Je ne pensais pas à la réincarnation. Deux ou trois jours après ce rêve (je n'ai pu faire préciser à Mme B..., mais ce n'était pas probablement le même jour), ma fille vint un soir et me raconta un rêve extraordinaire elle avait vu son frère redevenir enfant, jouer avec des joujoux dans sa propre chambre !
Peu après elle était enceinte ! Plusieurs fois, en rêve, mon fils me parla de son retour prochain, auquel je ne pou¬vais croire. Enfin, un jour, j'en rêvais une dernière fois. Il me donna la vision d'un bébé nouveau-né ayant des che¬veux noirs, dont les traits étaient tout à fait distincts.
On attendait alors la naissance d'un jour à l'autre : mais ce fut précisément ce jour-là que l'enfant, le bébé de mon rêve, naquit entre mes mains. Je le reconnus sans doute possible. - Je n'ajouterai pas de commentaires à ce récit, car je n'ai voulu qu'enregistrer un cas vraiment curieux, afin qu'il ne soit pas perdu. »
Toutefois les impressions de Mme B... sont à noter. Elle croit que son petit-fils a pour elle des regards par¬ticuliers ; sa vive intelligence, la facilité avec laquelle il épelle les titres des journaux la poussent à croire que c'est bien son fils réincarné.
J'ai posé de nombreuses questions à cette dame pour savoir si elle était auparavant réincarnationniste. Elle affirme que non ; elle ajouta qu'elle était catholique, de naissance et « par son rang ! » mais que, tout en sympathi¬sant avec le clergé et le monde catholique, elle était absolument sceptique, voire peut-être athée. Elle me conta son cas avec l'espoir que je pourrais lui fournir des éclair¬cissements sur la réincarnation, conception troublante pour elle.
R. WARCOLLILR,
Ingénieur-Chimiste,
79, Avenue de la République, Courbevoie.
Ce récit est intéressant à plus d'un titre. D'abord parce qu'il émane d'une personne qui affirme qu'elle ne croyait pas à la réincarnation, ce qui supprime l'hypothèse d'une auto-suggestion due à cette cause.
En second lieu, il est plus que probable que le cas si net de clairvoyance qui a permis à Mme B... de retrouver le corps de son fils dans des circonstances identiques à celles de son rêve, a été produit par l'action médianimique de ce dernier ; de plus, la fille de Mme B... a vu son frère revenir sous la forme d'un petit enfant, alors qu'elle se désolait de n'être pas mère et que rien ne lui faisait présager une maternité prochaine.
Enfin, à plusieurs reprises, la mère eut la vision en rêve d'un bébé brun tel qu'il vint au monde.
Il me paraît que cet ensemble de circonstances démontre l'action de l'esprit du fils de Mme B... qui prévint sa mère et sa soeur de sa nouvelle venue ici-bas.
Voici maintenant un rapport émanant d'un officier de l'armée italienne, nullement spirite, et qui ne crut au retour de l'âme sur la terre qu'a¬près l'avoir constaté dans sa propre famille.
Je copie textuellement le récit contenu dans les Annales des Sciences psychiques, p. 60, février 1912.
Souvenir d’une chanson apprise dans une vie précédente
La revue théosophique Ultra, de Rome, publie dans son numéro de 1912 la communication suivante, du capitaine F. Battista, dont la direction dit connaître le caractère sérieux et l'honorabilité.
Ce cas se rapproche de celui du Dr Carmelo Samona.
- En août 1905, ma femme, dont nous parlerons plus loin - qui était enceinte de trois mois - fut témoin, étant au lit, MAIS BIEN ÉVEILLÉE , d'une apparition qui l'impressionna profondément. Une fillette que nous avions perdue depuis trois ans s'était subitement présentée devant elle, sous un aspect joyeux et enfantin, prononçant d'une voix suave ces paroles textuelles : « Maman, je re¬viens » ; et avant que ma femme fût revenue de sa surprise, la vision disparut. Lorsque je rentrai chez moi, et que ma femme, tout émue encore, me fit le récit de l'étrange évé¬nement, j'eus l'impression qu'il s'était agi d'une hallucina¬tion ; mais je ne voulus pas lui ôter la conviction qu'elle s'était formée d'un avis de la Providence, et j'acquiesçai immédiatement à son désir de donner à notre future fille le nom de sa petite soeur morte : Blanche. A ce moment-là, non seulement je n'avais aucune connaissance de ce que j'ai appris plus tard - très tard –de la Théosophie, mais j'aurais traité de fou celui qui m'aurait parlé de réincarnation, persuadé que j'étais de ce que, mort une bonne fois, on ne renaît plus.
Six mois plus tard, en février 1906, ma femme donne heureusement le jour à une fille ressemblant en tout et pour tout à sa petite sueur défunte, ayant de cette dernière les grands yeux très noirs et les cheveux abondants et bouclés. Cette coïncidence n'ébranla en rien ma conviction matérialiste ; mais ma femme remplie de joie par la grâce reçue, se convainquit d'autant plus que le miracle avait été accompli et qu'elle avait mis au monde par deux fois le même petit être. Cette enfant a maintenant 6 ans en¬viron, et, comme sa petite soeur défunte, elle a vu s'accom¬plir en elle un développement précoce de sa personne et de son intelligence. Toutes deux, à l'âge de 7 mois seule¬ment, ont prononcé distinctement le mot maman, tandis que mes autres enfants, intelligents aussi, n'y sont pas par¬venus avant douze mois.
Pour faire comprendre plus facilement ce que je dirai tout à l'heure, je dois ajouter que du vivant de la première petite Blanche, nous avions pour domestique une certaine Marie, suissesse qui ne parlait que le français. Elle avait importé de ses montagnes natales une cantilène, une sorte de berceuse qui devait, certes, avoir jailli du propre cer¬veau de Morphée, tant sa vertu soporifique agissait instan¬tanément sur ma petite fille lorsque Marie la lui chantait. Après sa mort, Marie retourna dans sa patrie, et la berceuse qui nous rappelait trop vivement l'enfant perdue subit dans notre maison un ostracisme plein et entier. Neuf ans se sont passés depuis lors et la fameuse berceuse so¬porifique avait complètement disparu de notre mémoire ; un fait réellement extraordinaire est venu nous la rappe¬ler. Il y a une semaine, je me trouvais dans la salle de travail contiguë à la chambre à coucher, avec ma femme, lorsque nous entendîmes tous deux, comme un écho lointain, la fameuse berceuse, et la voix partait de la chambre à cou¬cher où nous avions laissé notre fillette endormie. Au pre¬mier abord, émus et stupéfaits, nous n'avions pas distingué dans ce chant la voix de notre enfant ; mais, nous étant approchés de la chambre d'où partait la voix, nous trou¬vâmes l'enfant assise sur le lit, chantant avec un accent français très prononcé la berceuse qu'aucun de nous ne lui avait apprise. Ma femme - sans montrer en être trop émerveillée -, lui demanda ce qu'elle chantait. Avec une promptitude stupéfiante, elle répondit qu'elle chantait une chanson française, quoiqu'elle ne connût de cette langue que quelques mots appris de ses soeurs. « Qui t'a appris cette jolie chanson ? » lui demandai-je. « Personne, je la sais toute seule », répondit l'enfant, et elle poursuivit gaie¬ment le chant, de l'air de quelqu'un qui n'a jamais chanté autre chose de sa vie.
Le lecteur tirera la conclusion qu'il voudra de cette exposition très fidèle des faits que j'ai personnellement constatés ; pour mon compte, la conclusion à laquelle je m'arrête est celle-ci : Les morts reviennent.
Capitaine FLORINDO BATTISTA,
Rome, Via dello Statuto, no 32.
Le souvenir si précis de la chanson qui endor¬mait la première Blanche s'est réveillé chez la seconde avec un caractère si précis qu'il est impos¬sible d'expliquer cette réminiscence par autre chose qu'un véritable souvenir, de la part de la fillette, d'une circonstance de sa vie antérieure.
Le capitaine spécifie, en effet, que depuis neuf années cette cantilène n'avait plus été chantée dans la maison, il ne peut donc y avoir aucune sugges¬tion des parents ou des frères et soeurs, et c'est bien réellement une preuve que la jeune Blanche avait repris sa place au foyer paternel.
Réincarnations annoncées dans les séances spirites
Un cas presque personnel.
J'ai sous les yeux un vénérable cahier relatant les communications obtenues au milieu du siècle dernier par M. Page, un excellent ami de mon père, et qui fut aussi le mien.
Ce précieux recueil est un historique de séances tenues dans un groupe spirite qui s'était organisé à Tours dès 1860.
On remarque un caractère religieux qui donne à ces notes une valeur morale du plus haut intérêt.
Dès les premières séances, un esprit du nom de François se manifesta ; il était léger et encore atta¬ché aux choses matérielles.
Peu à peu, sous l'influence des bons conseils donnés par les assistants, il s'amenda, et ses commu¬nications dénotèrent progressivement une évolu¬tion morale très accentuée. François avait une véri¬table individualité indépendante de celle du mé¬dium, Mlle Marie Olivier, car souvent il s'est mani¬festé dans d'autres villes avec un caractère iden¬tique à celui qu'il avait à Tours.
M. Page épousa Mlle Marie Olivier en 1865. Je transcris maintenant, textuellement les notes de son cahier :
L'affection que l'ami François avait pour nous, princi¬palement pour ma femme, qui était son médium privilégié, fit qu'il manifesta, pour arriver plus promptement au progrès, et pour expier les fautes commises dans les existences antérieures, le désir et le besoin de se réincar¬ner ; il choisit donc pour famille celle qu'il avait adoptée à l'état d'esprit, c'est-à-dire deux spirites du groupe qu'il affectionnait.
Il nous annonça ses projets le 24 avril 1865, en présence de notre bon ami Alexandre Delanne qui était de passage en notre ville. Il nous dit qu'il avait choisi pour se réin¬carner Mlle Marie, ma fiancée à l'époque, et moi, et que, par la même occasion, il choisissait son parrain et sa mar¬raine ; il nomma donc ensuite notre bon ami Rebondin, de Tours, pour parrain et notre bonne amie Mme Delanne pour marraine. M. A. Delanne lui répondit que si réelle¬ment ses prédictions se réalisaient, Mme Delanne accep¬terait volontiers le titre de marraine ; il ne dit point s'il se réincarnerait garçon ou fille.
La conversation en resta là avec l'ami François.
Notre mariage eut lieu le 5 mai 1865. C'était donc un mois avant que François avait fait le choix de ses parents, de son parrain et de sa marraine.
Un an après, François vint nous faire ses adieux, en nous disant que le moment était arrivé de commencer une nou¬velle existence ; ensuite on l'évoqua à Tours, à Clisson, à Halut, à Paris, où il s'était déjà manifesté antérieurement, mais il ne s'est plus jamais communiqué ; aucun doute, François était réincarné.
Le 29 janvier 1867, nous eûmes l'heureuse joie d'avoir une fille, à laquelle nous donnâmes les noms d'Angèle-¬Marie-Françoise, Françoise comme souvenir de notre bon ami ; Angèle comme souvenir du nom de l'esprit protecteur de notre marraine, qui sera aussi le protecteur invisible de notre chère fille, et Marie comme souvenir du nom de sa mère.
Le baptême eut lieu le 27 février de la même année et le parrain et la marraine désignés par François la tinrent sur les fonts baptismaux.
Je reproduis maintenant les exemples que j'ai cités en 1898 dans le mémoire présenté au Congrès spiritualiste de Londres.
Voici un procès-verbal dressé à Lyon, d'après lequel un médium à incarnation a prédit la naissance d'un enfant du sexe féminin qui devait, par suite de circonstances tenant à sa vie passée, présenter une cicatrice au front. Il est effectivement né une fille avec la marque annoncée.
Nous recevons de Lyon le procès-verbal suivant que nous nous faisons un plaisir de publier, connais¬sant personnellement l'auteur :
Groupe Nazareth, 6, rue Terraille, Lyon.
Jeudi 8 octobre 1896, à 8 h. 1/2 du soir, la séance est ou¬verte.
Sont présents à la séance :
Mme Vernay, mercière, rue de Sèze, à Lyon ; M. et Mme Va¬lette, serrurier, rue Tronchet, 34, à Lyon ; Mme Guérin, rue Tronchet, 34, à Lyon ; Mme et Mlle Pisenti, rue Grillon, 62, à Lyon ; Mlle Mourlin, sage-femme, rue de Séze, 95, à Lyon ; Mme Vanel, épicière, rue Sébastien-Gryphe, 17, à Lyon ; M. et Mme Toupet, magnétiseur, rue Terraille, 6, à Lyon.
La séance ne devait pas avoir lieu, car ma femme était en proie aux douleurs de l'enfantement ; mais comme la sage-femme nous dit qu'il y en avait encore pour long¬temps, nous fîmes la séance quand même. Nous commen¬çâmes par une séance d'écriture, puis le médium, Mme Vernay est entrancée par un esprit qui cherche son frère pour le ramener à sa mère.
« O mon Dieu, ils l'ont peut-être tué aussi », dit-il.
Nous lui demandâmes s'il s'agissait d'un crime. « Non, nous dit-il, c'est pendant la bataille de Reichshoffen que mon frère a disparu. »
Nous lui fîmes reconnaître l'état dans lequel il se trou¬vait, c'est-à-dire que son âme avait quitté son corps, puis nous lui fîmes rechercher son frère ; il vit deux cadavres le sien et celui de son frère Alfred. « Les misérables, s'é¬cria-t-il, ils l'ont frappé d'une balle au milieu du front. »
A ce moment le médium se réveille.
Tout à coup le médium tombe en extase : « Mes amis, dit-il, je suis la mère de ces deux frères morts à Reichshoffen, dont l'un, Alfred va se réincarner chez vous, et je serai le guide de cet enfant qui va naître. »
Je remerciai cet esprit, et je lui dis que je ferais tout mon possible pour en faire un homme. « Non, me dit-elle, pas un homme. »
Puis le médium se réveille brusquement en nous disant : « J'ai le mot fille qui ne veut pas sortir de mon cerveau. » Le lendemain 9 octobre, à 7 heures du matin, ma femme mettait au monde un enfant du sexe féminin à laquelle nous donnons le nom d'Emilie. Elle avait au milieu du front une cicatrice en relief de la grosseur d'un grain de blé.
Voilà le fait tel qu'il est arrivé.
Voici les réminiscences observées sur l'enfant dans sa prime jeunesse
Jusqu'à 3 mois, lorsque j'imitais la trompette de cava¬lerie, elle se mettait à pleurer sans pouvoir être consolée ; en s'amusant elle prend toujours la position à cheval en imitant le mouvement du cavalier en marche.
Elle a maintenant dix-sept mois et son jouet favori est le cheval, qu'elle préfère aux poupées, mais dans la rue on ne peut pas l'approcher d'un cheval ; elle crie avec épouvante.
Suivent les signatures :
Mme Vve Vesnay ; Mme M. Pisenti ; Mlle Pisenti ; J.-M. Valette ; G. Toupet ; Mlle Mourtin ; Mme Va¬lette ; Mme Guérin ; Mme Vanel ; Mme Toupet.
Le Progrès Spirite, dans son numéro du 20 mars 1898, page 45, cite le rapport de M. Engel que je reproduis intégralement.
Lize-Seraing, le 14 mars 1898.
BIEN CHER MONSIEUR ET FRÈRE,
J'ai l'honneur de vous transmettre quelques détails sur une réincarnation, annoncée par l'esprit même, avec circonstances précédant l'incarnation et la réincarnation. En un laps de quatre années, tout cela s'est accompli, avec les moindres détails prédits, d'abord par mon fils aîné, décédé en 1874, et ensuite par ma fille, défunte en 1878, après quatre années de souffrances se graduant et se terminant par un véritable martyre. Les motifs qui ont motivé cette réincarnation, les voici : de son vivant, elle eut une haine implacable contre un frère qui l'avait offensée par son langage, et elle décéda avec cette rancune noire au coeur ; malgré ses efforts, elle ne parvint à la chasser. Voyant l'erreur profonde de ses ressentiments et voulant progresser à tout prix, elle sollicita une réincarnation dans le corps d'un enfant qui devait naître chez ce frère, père de famille. Dieu le lui permit, pour laisser atteindre à l'esprit repentant son progrès, et l'enfant eut pour père le frère haï, en 1879, vers la fin de cette année.
Etant un jour réunis, mon épouse et moi, nous causions de l'annonce à nous faite par mon fils décédé quatre années auparavant, que sa soeur Marie devait renaître sous peu et que nous connaîtrions cette réincarnation par ce fait qu'un tel jour, à telle heure (5 heures du soir), la nouvelle mère de Marie viendrait, sans saluer, chez nous, et que ses premières paroles seraient : « Marraine, voilà votre filleul (un garçon) et que l'enfant jetterait un haut cri, lorsqu'il se trouverait sur le giron de sa première mère. »
Ce qui fut dit arriva : il était prédit de même, par mon fils défunt, que son âme soeur, Marie, ne vivrait que quatre années (un peu plus) et qu'à ses derniers moments elle éprou¬verait de terribles souffrances ; que mon épouse seule pour¬rait la calmer en la magnétisant et priant. Chose extraor¬dinaire : mon épouse fut souvent chez l'enfant pour calmer ses souffrances, et dès que ma femme paraissait sur le seuil de la porte, tous cris cessaient et un sourire filial accom¬pagnait les bras étendus de l'enfant qui désirait être tenu par elle. Pendant plusieurs heures consécutives, l'enfant ne pleurait plus et, sitôt ma femme sortie de la maison ses cris recommençaient.
Le père, un bon et puissant magnétiseur spirite, et qui a fait merveille en maintes circonstances parvenait pas à calmer ses souffrances. Moi, je produisis les mêmes effets que ma femme sur ce chérubin. Nous fûmes à nouveau, prévenus de sa désincarnation par mon fils, et elle, sa soeur, deux à trois jours plus tard, vint elle-même dire Pierre Verly, celle qui fut votre fille Marie, est à nouveau libre, mais libérée d'une haine terrible contre son dernier père. La suite de sa communication nous engageait à ne nourrir aucune haine, car, disait-elle, la haine est le plus grand malheur d'une âme ; avec elle, point de pardon, etc., etc.
Mon fils Pierre et ma fille Marie étaient deux adeptes profonds et sincères du spiritisme.
D'autres faits non moins concluants, sur l'existence des vies antérieures à cette dernière incarnation, me sont connus.
Mon fils et ma fille défunts étaient tellement liés d'amitié que l'un ne pouvait se passer de l'autre. Quand mon fils étudiait, il fallait que sa soeur fût à ses côtés. Aucun fruit ni autres douceurs ne furent consommés, sans que la part de l'absent fût mise de côté. Nous sûmes par de puis¬sants médiums, après leur décès, qu'un nombre incal¬culable d'années les avait unis comme âmes sœurs, et qu'étant initiés à la doctrine nous devions comprendre la raison majeure de cette étroite amitié, etc... Enfin, comme conclusion, je puis affirmer bien des prédictions réalisées de point en point, ce qui est aussi une preuve que les esprits veillent sur nous et que Dieu ne désunit pas ce que l'amour a uni (les coeurs aimants) et que le père uni¬versel n'abandonne jamais ceux qui se confient en lui.
Veuillez agréer, etc...
Pierre ENGEL,
Président de l'Union spirite de Liège.
Ce récit démontre que les Esprits reviennent sur la terre pour s'améliorer. Ce ne sont plus ici des somnambules qui sont en jeu, mais des mé¬diums typtologues ou écrivains, de sorte que la clairvoyance n'a pas à intervenir dans l'explica¬tion, à moins qu'on ne l'attribue aux Esprits désin¬carnés. Mais alors se présente une autre difficulté il faut supposer que ces êtres invisibles nous trompent volontairement, qu'ils mentent sciemment pour soutenir une erreur ? Cette conjecture me paraît peu raisonnable lorsqu'elle s'adresse à des Esprits qui ont fait preuve, dans maintes circons¬tances, de hautes qualités morales, et je préfère admettre ce qu'ils annoncent et ce qui se vérifie, plutôt que de croire à un subterfuge universel et invraisemblable.
Je tiens les deux faits suivants de M. Bouvier, excellent magnétiseur, directeur du Journal La Paix Universelle, qui se publie à Lyon . Un sujet qu'il avait coutume d'en¬dormir et qui jouit dans cet état de la faculté de voir les Esprits, lui dit un jour, spontanément, que l'âme d'une religieuse désirait lui parler. M. Bouvier lui demanda qui elle était et ce qu'elle désirait. Elle se nomma, indiqua le couvent situé à Rouen, dans lequel elle habitait, et dit qu'elle reviendrait après sa mort qui serait prochaine. Le sujet, aussi bien que M. Bouvier, ignoraient absolument l'existence de cet établissement religieux et n'en avaient même jamais entendu parler. Quelque temps après, la même religieuse se représenta et dit qu'elle avait quitté son corps terrestre, ce qui fut reconnu exact ultérieurement, mais qu'elle reviendrait s'incarner chez la soeur du sujet, qu'elle aurait encore le sexe féminin, et qu'elle ne vivrait que trois mois. Tous ces événements se sont réalisés ponc¬tuellement.
Un second cas d'incarnation a été prédit à M. Bouvier, annonçant que l'esprit irait s'incorporer sous la forme fémi¬nine, dans une famille bien connue du directeur de La Paix universelle et qui se doutait fort peu de la venue d'un autre enfant, qu'on ne désirait nullement. L'esprit dit qu'il serait malheureux, parce qu'on ne l'aimerait pas. Tout ceci a eu malheureusement lieu dans les conditions annoncées.
La clairvoyance magnétique du sujet de M. Bouvier ne peut rendre compte de l'apparition de cette religieuse qu'il n'a jamais connue sur la terre, car l'exercice de cette faculté a toujours cette raison d'être dans un certain rapport entre les parties intéressées. Si donc on peut admettre que la soeur du sujet soit la cause indirecte de la prévision, l'intervention de la religieuse est inexplicable, sinon par son intention de reprendre un organisme terrestre. Dans le second exemple, il n'existe absolument aucun lien entre le somnambule et les parents de l'enfant ; l'esprit qui s'est réincarné est bien l'auteur du phénomène, car le sujet n'était pas spirite et ne pouvait s'autosuggestionner sur ce point, pas plus qu'il ne pouvait recevoir de suggestion de M. Bouvier qui était fort loin de s'attendre à ces ma¬nifestations.
Parmi les nombreuses réponses que j'ai reçues au sujet de ma demande de me communiquer les cas concernant la réincarnation, voici celle d'un de mes anciens collaborateurs au journal Le Spiri¬tisme. Elle est intéressante à plus d'un titre.
MON CHER DELANNE,
Vous demandez que vous soient communiqués des faits tendant à prouver la réincarnation : ces faits ne doivent pas être fréquents, c'est pourquoi je vous en communique un qui, bien que n'offrant rien de transcendant, est ce¬pendant assez caractéristique en son genre.
En août 1886, nous fîmes une séance d'évocation au cours de laquelle se présenta d'abord par la typtologie, puis, sur notre désir, par l'écriture médianimique, une en¬fant perdue en bas âge par mes parents (ou tout au moins une entité se donnant pour telle). Elle assure attendre pour se réincarner la naissance de mon premier enfant, préci¬sant ce que serait un garçon et qu'il viendrait dans en¬viron dix-huit mois.
Veuillez retenir ce chiffre qui écartait clairement l'idée de double vue ou de suggestion, puisque, à cette époque, il ne pouvait encore être question de l'enfant à venir.
Etaient présents à cette séance, ma mère, mes deux soeurs, dont l'une était médium, ma jeune femme et moi¬-même.
Cette communication fut diversement appréciée par les assistants, procès-verbal en fut conservé et l'oubli se fit sur cette manifestation.
Or, en février 1888, naissait notre fils aîné qui reçut entre autres prénoms celui d'Allan, en hommage au pion¬nier du spiritisme, à la date prévue, avec le sexe prédit, fournissant une preuve, ou tout au moins une présomption, en faveur de la réincarnation.
Vous savez que, depuis, notre premier-né est tombé glorieusement face à l'invasion. Je suis certain qu'il s'est d'un coup d'aile élevé aux plus hautes régions de la vie spirituelle, du fait de son sacrifice librement consenti ; mais je n'en sais rien de précis, car nous n'avons eu de lui que de très vagues messages, dont, nous ne saurions affir¬mer l'authenticité.
Je suis heureux de prendre ce fugitif contact avec le vieux compagnon de luttes que vous avez été aux belles heures de notre exubérante jeunesse.
Et vous adresse mon fraternel et affectueux souvenir.
E. B. HE REYLE,
2, allée du Levrier,
Le Vésinet (Seine-et-Oise).
Voici maintenant un autre exemple que j'em¬prunte encore au beau livre de Léon Denis : Le Problème de l'Etre et de la Destinée. Les circonstances dans lesquelles doit se faire la réincarnation sont assez précises pour mériter toute notre atten¬tion.
M. Th. Jaffeux, avocat à la Cour d'appel de Paris, nous communiquait le fait suivant (5 mars 1911) :
Depuis le commencement de 1908, j'avais comme es¬prit-guide une femme que j'avais connue dans mon enfance, et dont toutes les communications présentaient un carac¬tère de précision rare : noms, adresses, soins médicaux, prédictions d'ordre familial, etc. Au mois de juin 1909, je transmis à cette entité, de la part du Père Henri, di¬recteur spirituel du groupe, le conseil de ne pas prolonger indéfiniment un séjour stationnaire dans l’espace. L'Entité me répondit à cette époque : « J'ai l'intention de me réin¬carner : j'aurai successivement trois « incarnations très brèves ». Vers le mois d'octobre 1909, elle m'a annoncé spontanément qu'elle allait se réincarner dans ma famille et elle m'a désigné le lieu de cette réincarnation : un village du département d'Eure-et-Loir. J'y avais, en effet, une cousine enceinte à ce moment. Je posai alors la ques¬tion suivante : « A quel signe pourra-t-on vous reconnaître ? R. : J'aurai une cicatrice de 2 centimètres sur le côté droit de la tête. » Le 15 novembre, la même entité m'annonça qu'elle cesserait de venir au mois de janvier suivant et se¬rait remplacée par un autre Esprit. Je songeais dès ce moment à donner à cette preuve toute sa portée et rien ne m'eût été plus facile, après avoir fait constater officielle¬ment la prédiction, de faire dresser un certificat médical à la naissance de l'enfant. Malheureusement je me trouvais en présence d'une famille qui manifestait une hostilité farouche contre le spiritisme ; j'étais désarmé. Au mois de janvier 1910, l'enfant naquit avec une cicatrice de 2 cen¬timètres sur le côté droit de la tête. Il a, à l'heure actuelle, 14 mois.
Les fillettes jumelles du Dr Samona
J'arrive maintenant à un fait entièrement remar¬quable, non seulement par le nombre des témoi¬gnages qui le confirment, mais aussi par les circons¬tances qui ont précédé la réincarnation de la jeune Alexandrine et par celles qui ont suivi sa deuxième naissance terrestre.
M. le Dr Samona est connu dans les milieux scientifiques de l'Italie, et le rapport qu'il a envoyé à son ami M. Calderone parut dans l'enquête publiée par ce dernier. C'est un modèle de préci¬sion et une consciencieuse analyse de toutes les circonstances qui concernent cette véridique histoire.
Je me servirai de tous les documents publiés sur ce sujet dans le livre du colonel de Rochas ; Les Vies successives, pages 337 et suivantes, dans ma Revue scientifique et morale du Spiritisme d'octobre 1913 et 1917 et dans le livre récent de M. Lancelin La vie posthume, page 307 et suivantes, où celui-ci, avec son érudition coutumière, a soigneusement réuni tout ce qui a trait à ce sensationnel événement.
Voici d'abord l'historique que nous présente M. le Dr Samona dans une lettre adressée au direc¬teur de la Filoso fia della Scienza, le Dr Innocenzo Calderone.
MON CHER CALDERONE,
Malgré le caractère tout intime des faits qui ont précédé la naissance de mes deux fillettes, je n'hésite pas dans l'in¬térêt de la science à les livrer à la publicité par l'intermé¬diaire de ton estimable revue si répandue, sans taire le nom des diverses personnes qui en ont eu connaissance, au fur et à mesure qu'ils se sont déroulés.
Si je m'abstiens, moi, de les discuter, je trouve qu'il convient cependant de les divulguer pour que d'autres puissent le faire.
Aucune science ne progresse si elle reste dans l'ignorance des faits. Si, dans le domaine métapsychique, par crainte du ridicule, ou pour d'autres raisons de même ordre, chacun garde pour soi ces sortes de cas plus ou moins rares qui peu¬vent arriver, adieu l'espoir du progrès : - Je t'envoie un récit synthétique absolument fidèle des faits tels qu'ils se sont produits, sans la moindre discussion de ma part relative aux intéressants problèmes auxquels ils donnent lieu, c'est-à-dire rêves prémonitoires, personnalités média¬nimiques, etc...
Le cas actuel se présente favorablement, je crois, au point de vue scientifique, car les personnes qui, dès le dé¬but, furent mises au courant des diverses particularités successives, et qui les observèrent avec un grand intérêt, jouissent de la considération générale pour leur moralité et leur intelligence. Outre la narration des faits, je t'envoie les déclarations de certaines de ces personnes qui confir¬ment mes dires et je suis prêt à fournir d'autres témoignages de même nature et tous les éclaircissements qui seraient jugés utiles pour l'investigation scientifique. Crois à toute l'estime de ton affectueux ami,
Carmelo SAMONA.
Exposé synthétique des faits
Le 15 mars de l'année 1910, après une très grave maladie (méningite) mourait, âgée d'environ 5 ans, ma fillette adorée, du nom d'Alexandrine. Ma douleur et celle de ma femme, qui faillit en devenir folle, furent profondes.
Trois jours après la mort de ma fillette, ma femme rêva à elle ; il lui semblait la voir telle qu'elle était quand elle était vivante, et elle l'entendait dire : « Maman, ne pleure plus. Je ne t'ai pas quittée : je n'ai fait que m'éloigner de toi. Vois plutôt : je reviendrai , petite comme cela. » Et elle lui montrait en même temps comme un petit em¬bryon complet ; puis elle ajouta : « Tu vas donc devoir commencer à souffrir de nouveau pour moi ».
Trois jours après, le même rêve se reproduisit. Ayant appris la chose, une amie de ma femme, soit par convic¬tion, soit dans le but de la consoler, lui dit qu'un tel rêve pouvait être un avertissement de sa fillette qui, peut-être, s'apprêtait à renaître en elle, et pour mieux la persuader de la possibilité d'un pareil fait, elle lui apporta un livre de Léon Denis où il était question de la réincarnation. Mais ni les rêves, ni cette explication, ni la lecture de l'ou¬vrage de Denis ne parvinrent à adoucir sa douleur. Elle resta également incrédule sur la possibilité d'une nouvelle maternité, d'autant plus qu'ayant eu une fausse couche qui nécessita une opération (21 novembre 1909) et fut suivie d'hémorragies fréquentes, elle était presque certaine de ne pouvoir plus devenir enceinte.
Un matin de bonne heure, quelques jours après la mort de sa fillette, pleurant comme d'habitude et toujours incré¬dule, elle me disait : « Je ne vois que l'atroce réalité de la perte de mon cher petit ange ; cette perte est trop forte, trop cruelle pour que je puisse accrocher un fil d'espérance à de simples rêves comme ceux que j'ai faits et croire un événement aussi invraisemblable que la renaissance à la vie de ma fillette adorée, par mon intermédiaire, surtout quand je me représente mon état physique actuel ». Tout à coup, pendant qu'elle se lamentait d'une façon si amère et si désespérée et que je m'efforçais de mon mieux à la con¬soler, trois coups secs forts, comme frappés avec les noeuds des doigts par des gens qui veulent s'annoncer avant d'en¬trer, furent entendus à la porte de là pièce où nous nous trouvions et qui donne dans une petite salle. Ces coups furent en même temps perçus par nos trois petits garçons qui étaient avec nous dans cette pièce. Eux, croyant que c'était une de mes soeurs qui avait l'habitude de venir à pareille heure, ouvrirent aussitôt la porte en criant « Tante Catherine, entrez ! » Mais grande fut leur surprise et la nôtre quand nous ne vîmes personne et que, regardant dans la pièce contiguë plongée dans l'obscurité, nous pûmes constater qu'il n'y était entré personne.
Cet incident nous impressionna vivement, d'autant plus que les coups furent frappés à l'instant même du suprême découragement de ma femme. Auraient-ils eu, par hasard, une cause métapsychique et quelque relation avec son profond abattement ?
Le soir même de ce jour, nous résolûmes de commencer des séances médianimiques typtologiques que, métho¬diquement, nous continuâmes pendant au moins 3 mois et auxquelles prenaient part ma femme, ma belle mère, moi et quelquefois les deux plus grands de mes trois gar¬ons.
Dès la première séance se présentèrent deux Entités l'une se donnait pour ma fillette, et l'autre pour une soeur à moi, morte depuis longtemps à l'âge d'environ quinze ans, et qui, selon son dire, apparaissait à titre de guide de la petite Alexandrine.
Celle-ci s'exprimait avec le même langage enfantin dont elle se servait quand elle était encore en vie ; l'autre avait un langage élevé et correct et prenait généralement la parole, ou pour expliquer quelques phrases de la petite entité qui parfois ne se faisait pas bien comprendre, ou pour engager ma femme à croire aux affirmations de la fillette.
Dans la première séance, Alexandrine, après avoir dit que c'était elle-même en personne qui avait apparu en songe à sa mère, et que les coups entendus l'autre matin avaient été frappés pour indiquer sa présence et chercher à consoler celle-ci par des moyens plus impressionnants, ajouta : « Ma petite maman, ne pleure plus, parce que je renaîtrai par ton intermédiaire et qu'avant Noël je serai avec vous ». Elle continua : « Cher papa, je reviendrai ; petits frères, je reviendrai ; grand'mère, je reviendrai. Dites aux autres parents et à tante Catherine qu'avant Noël je serai revenue... » Et ainsi de suite pour tous les autres parents et connaissances avec lesquels la petite Alexan¬drine avait les meilleurs rapports pendant sa brève exis¬tence.
Il serait oiseux de transcrire toutes les communications obtenues pendant environ trois mois, parce que, à part la variante de quelques phrases tendres d'Alexandrine à l'adresse de personnes qui lui étaient plus chères, elles sont presque toujours une répétition constante et monotone de l'annonce de son retour avant Noël, spécifié, comme lors de la première séance, à chacun de ses parents et connais¬sances.
Maintes fois nous essayâmes d'arrêter une répétition aussi prolixe, assurant la petite Entité de notre soin à communiquer à tous son retour, ou mieux sa renaissance avant Noël sans oublier personne, mais c'était inutile ; elle s'obstinait à ne pas s'interrompre jusqu'à ce qu'elle eût épuisé les noms de toutes ses connaissances. Ce fait était assez étrange ; on aurait dit que l'annonce de ce re¬tour constituait une sorte de monoïdéisme chez la petite Entité. Les communications se terminaient presque tou¬jours par ces paroles : « Maintenant, je vous laisse, tante Jeanne veut que je dorme. » Et, dès le commencement, elle annonça qu'elle ne pourrait communiquer avec nous que pendant environ 3 mois, parce qu'ensuite elle serait de plus en plus attachée à la matière et s'y endormirait complètement.
Le 10 avril, ma femme eut les premiers soupçons d'une grossesse.
Le 4 mai, nouvel avis de sa venue de la part de la petite Entité (nous nous trouvions alors à Venetico, dans la province de Messine) : « Maman, dit-elle, en toi s'en trouve encore une autre. »
Comme nous ne comprenions pas cette phrase et que nous supposions qu'elle s'était trompée, l'autre Entité (tante Jeanne) intervint en disant : « La fillette ne se trompe pas, mais elle ne s'est pas très bien exprimée ; elle veut dire qu'un autre être voltige autour de toi, ma chère Adèle ; il veut retourner sur cette terre ».
Dès ce jour, Alexandrine, à chacune de ses communica¬tions, constamment et obstinément affirmait qu'elle re¬viendrait accompagnée d'une petite soeur et, étant donnée la façon dont elle le disait, elle semblait s'en réjouir. Cela, au lieu d'encourager et de consoler ma femme, ne faisait qu'augmenter ses doutes et ses incertitudes ; après ce nouveau et curieux message il lui apparut que tout devait se terminer par une grande déception.
Trop de faits, en vérité, devaient se réaliser après ces annonces pour que ces communications pussent être véridi¬ques ; il fallait, en effet, : 1° que ma femme devint réellement enceinte ; 2° qu'étant données ses récentes souffrances elle n'eût pas de fausse couche, comme cela lui était arrivé précédemment ; 3° qu'elle mît au monde deux êtres, ce qui paraissait encore plus difficile, ce cas n'ayant eu de précédent ni chez elle, ni chez ses ascendants, ni chez les miens ; 4° qu'elle accouchât de deux êtres qui ne seraient ni deux mâles, ni un mâle et une femelle, mais bien deux femelles. Vraiment il était encore plus difficile d'ajouter foi à la prédiction d'un ensemble de faits aussi complexes, contre lesquels se dressait une série de probabilités contraires.
Ma femme, malgré toutes ces belles prédictions, jusqu'au cinquième mois, vécut toujours larmoyante, incrédule et l'âme torturée, bien que dans ses dernières communi¬cations la petite Entité l'eût suppliée de se montrer plus contente, lui disant : « Tu verras, maman, que si tu con¬tinues à te livrer à des idées tristes, tu finiras par nous donner une constitution qui sera médiocrement bonne ».
Dans une des dernières séances, ma femme ayant ex¬primé la difficulté qu'elle aurait à croire au retour d'A¬lexandrine, parce qu'il serait difficile que le corps de l'en¬fant qui viendrait ressemblât à celui de l'enfant perdu, l'Entité Jeanne, s'empressa de répondre : « Sur ce point, Adèle, tu seras satisfaite ; elle renaîtra parfaitement sem¬blable à la première, sinon beaucoup, du moins un peu plus belle. »
Le cinquième mois, qui coïncidait avec le mois d'août, nous nous trouvions à Spadafora ; ma femme fut examinée par un savant accoucheur, le Dr Vincent Cordaro, qui après visite dit spontanément : « Je me garderais bien d'affirmer d'une façon absolue, car à cette période de grossesse il n'est pas encore possible de le constater avec certitude, mais l'ensemble de faits me conduit à diagnostiquer une grossesse de jumeaux ».
Ces paroles firent sur ma femme l'effet d'un baume : une lueur d'espoir commença à poindre dans son âme endolorie et affligée, que ne devait pas tarder à tourmenter de nou¬veau un événement qui allait se produire.
A peine entrée dans le septième mois, une nouvelle inattendue et tragique la secoua et l'impressionna d'une façon si vive qu'elle fut subitement prise de douleurs de reins ; d'autres symptômes qui se produisirent pendant près de cinq jours nous rendirent anxieux et nous firent re¬douter, d'un moment à l'autre, un accouchement avant terme au cours duquel la créature ou les créatures qui naîtraient à la lumière ne pourraient être viables, les sept mois n'étant pas accomplis. Je vous laisse à penser les souffrances physiques de ma femme, et quelle angoisse lui meurtrissait le coeur à cette seule pensée, après l'es¬poir qu'elle avait commencé à concevoir. Et cet état d'âme aggravait encore la condition des choses. En cette occa¬sion, elle fut assistée du Dr Cordaro : heureusement et contrairement à toute attente, tout péril fut conjuré.
Ma femme étant complètement remise et ayant aussi l'assurance que les sept mois étaient révolus, nous retour¬nâmes à Palerme, où elle fut examinée par le célèbre mé¬decin accoucheur Giglio, qui constata une grossesse de ju¬meaux : ainsi une partie, déjà très intéressante, des com¬munications se trouvait confirmée. Il restait encore bien d'autres faits aussi importants à être vérifiés spécialement, le sexe, la naissance de deux filles, et cette particularité qu'il devait y avoir une ressemblance physique et morale de l'une d'elles avec la morte, Alexandrine.
Le sexe se trouva confirmé dans la matinée du 22 no¬vembre, jour où ma femme donna le jour aux fillettes.
Quant à la constatation de ressemblances physique et morale possibles, elle exige assurément du temps, celle-ci ne pourra se vérifier qu'à la longue, au fur et à mesure que les fillettes grandiront.
Il semble néanmoins étrange que, déjà au point de vue physique, se manifestent certains caractères qui confir¬meraient la prédiction, encourageraient à poursuivre l'ob¬servation et autorisent à penser que, sous ce rapport même, les communications doivent se vérifier littéralement. - Les deux fillettes , à cette heure, ne se ressemblent point ; c'est ainsi qu'elles diffèrent très sensiblement l'une de l'autre par la taille, le teint et la forme ; la plus petite semble une copie fidèle de la morte, c'est-à-dire Alexandrine, au moment où elle naquit ; chose extraordinaire, elle a de commun avec elle les trois particularités suivantes : hypérémie à l'oeil gauche, légère séborrhée à l'oreille droite et une légère asymétrie de la face tout à fait identique à celle que présentait Alexandrine au moment de sa naissance.
Dr CARMELO SAMONA.
Ajoutons que la soeur jumelle d'Alexandrine est venue au monde la première, ce qui, d'après les idées généralement admises, indiquerait qu'elle a été conçue la seconde ; enfin les neuf mois normaux, qui auraient fini à Noël, n'étaient point écoulés, parce que les couches doubles sont toujours un peu avancées.
Documents relatifs à ce récit, publiés par la Filosofia della Scienza du 15 janvier 1911.
A. - Déclaration de Mme Catherine Samona Gardini, soeur du Dr Carmelo Samona.
« Par amour de la vérité, je puis attester que le récit de mon frère au sujet des deux rêves faits, à trois jours d'in¬tervalle l'un de l'autre, par ma belle-sœur, est parfaitement conforme à la réalité à la fois comme date et comme asser¬tion. Ces rêves me furent personnellement racontés par ma belle-sœur quelques instants après leur production, et dès son réveil, puisque j'avais l'habitude d'aller la voir chaque matin de bonne heure.
A l'une de ces visites matinales, toujours dans le mois de mars, les petits enfants venus à ma rencontre me ra¬contèrent que quelques instants plus tôt ils avaient entendu trois forts coups frappés à la porte et, croyant qu'ils pro¬venaient de moi, avaient ouvert, mais sans trouver per¬sonne derrière la porte. Ceci me fut confirmé par mon frère et ma belle-soeur, qui étaient encore sous l'impression d'un phénomène aussi étrange.
Je n'avais jamais pris part aux séances médiumniques que mon frère et ma belle-soeur organisaient en famille ; mais - et cela bien avant qu'ils quittassent Palerme, pour aller à Venetico, ce qui eut lieu dans les premiers jours d'avril, - ma belle-soeur me raconta que, dans ces séances, s'étaient présentées deux Entités qui se donnaient pour la petite Alexandrine et pour ma soeur Jeannette ; ces entités avaient dit que, dans les rêves, c'était réelle¬ment la fillette qui avait paru ; que c'était elle qui avait frappé les coups à la porte, et qu'enfin elles avaient an¬noncé qu'avant Noël la fillette aurait repris sa place dans la famille avec l'aide de sa mère.
Quand, en mai, mon frère revint de Venetico à Palerme, il ne me dit rien à ce sujet et ce sont ses enfants qui, ve¬nant me voir à Palerme, où ils passaient un examen en juin, me racontèrent le fait ; ils me dirent que, depuis long¬temps, leur petite soeur Alexandrine avait annoncé, au moyen de la table, qu'elle ne reviendrait pas seule, mais accompagnée d'une petite soeur.
Je puis assurer que les deux fillettes, nées depuis, n'ont aucune similitude entre elles.
L'une, de petite taille, est d'une parfaite ressemblance avec la petite Alexandrine (celle qui est morte), lorsqu'elle vint au monde. Je puis l'attester ayant assisté à sa nais¬sance et l'ayant toujours eue sous les yeux depuis son premier jour jusqu'à son décès.
Je confirme également que la fillette qui vient de naître présente les mêmes particularités physiques que la petite morte, à l'oeil, à l'oreille et à un côté de la figure, particula¬rités mentionnées par mon frère. »
Palerme, Villa Amata, premier de l'an 1911.
Catherine SAMONA, Veuve GARDINI.
Déclaration de Mlle Adèle Mercantini, fille de l'éminent professeur Mercantini.
« Vers la fin de mars de l'an dernier 1910, Mme Adèle Samona me raconta le rêve qu'elle avait fait, puis refait une seconde fois aussitôt après la mort de sa chère fillette, et c'est seulement en juin que j'appris que, dans plusieurs séances médiumniques, on lui avait annoncé la naissance de deux jumelles conformément à ce que rapporte à ce sujet le Dr Carmelo Samona.
Palerme, 2 janvier 1911. Adèle MERCANTINI.
Lettre du professeur Raphaël Wigley, pasteur évangé¬lique, au Dr Carmelo Samona.
BIEN CHER AMI,
Le 5 mai de cette année qui finit, vous reveniez à Palerme de Venetico, où vos affaires vous avaient retenu quel¬ques jours ; il n'y avait pas de voiture à la station, attendu qu'elles étaient toutes prises, à cause d'un spectacle d'aéro¬planes. Vous fîtes donc à pied tout le chemin de la gare à la villa Amata pour aller retrouver vos parents. - Nous nous rencontrâmes place Verdi et fîmes route ensemble jus¬qu'à la Villa, soit environ deux kilomètres.
Chemin faisant, vous m'avez raconté les deux rêves survenus à votre femme, l'un trois jours après le décès de la chère Alexandrine et l'autre trois jours plus tard. Vous m'avez parlé des trois coups frappés très distinctement à la porte de votre chambre pendant que votre femme se désespérait de la perte de son enfant, ne pouvant croire au rêve qui lui promettait son retour, d'autant plus que, à son avis, certaines raisons en excluaient jusqu'à la possi¬bilité matérielle. Vous m'avez enfin parlé des séances mé¬diumniques au cours desquelles la fillette avait annoncé deux fois son retour, et vous avez ajouté que, d'après la dernière séance, elle ne reviendrait pas seule, mais avec une petite soeur.
Le témoignage que je vous donne ici peut confirmer la sincérité du cas.
Veuillez agréer ma profonde estime et affection.
Votre bien dévoué, Raphaël WIGLEY.
Palerme, le 31 décembre 1910.
Lettre du Marquis Joseph Natoli, personnalité bien connue dans les milieux littéraires et artisti¬ques, adressée au Dr Carmelo Samona.
Palerme, 1er janvier 1911.
BIEN CHER AMI,
Moi aussi je déclare combien, à mon avis, est merveilleux, au point de vue métapsychique, le fait qui s'est affirmé chez toi. Dans le courant du mois d'août dernier, la prin¬cesse de Formosa, ta belle-mère, me révéla que ta femme après la perte de son adorée fillette, l'avait vue, en rêve, lui prédire son retour en ce monde, et que ce rêve avait été confirmé par plusieurs séances médiumniques au cours desquelles la fillette défunte annonça son retour en com¬pagnie d'une petite soeur.
Je t'embrasse et te salue.
Ton affectionné,
G. NATOLI.
Lettre de la princesse de Niscemi, mère de l'honorable duc de l'Arenella, député au Parlement italien, au Dr Car¬molo Samona.
Villa Niscemi, 28 décembre 1910.
TRÈS AIMABLE AMI,
J'ai participé à la consolation d'Adèle et à la vôtre par la naissance des fillettes et j'atteste qu'avant leur venue au monde, on m'avait raconté le rêve de la mère et les prophéties qui lui avaient été faites : ce sont là des cho¬ses véritablement merveilleuses.
Rappelez-moi affectueusement, je vous prie, à notre chère Adèle et croyez à mes sentiments d'estime.
N. di NISCEMI.
Déclaration du comte Ferdinand Monroy de Ran¬chibile, éminente personnalité du monde politique et littéraire de notre ville à notre directeur le Dr Calderone.
Palerme, 4 janvier 1911.
TRÈS CHER AMI,
Pour te parler des faits qui te sont connus et que le Dr Carmelo Samona t'a fait connaître par écrit, je puis t'as¬surer que l'an dernier, à la fin de mai, sa femme, Adèle Monroy, fille de mon regretté frère Albert, prince de For¬mosa, pensait être enceinte et devoir donner le jour à deux enfants jumeaux du sexe féminin. La façon de me prédire la prochaine naissance des deux enfants fit naître sur mes lèvres un sourire d'incrédulité ; d'autre part, elle ne tarda pas à me déclarer qu'elle avait rêvé de sa fille bien-aimée Alexandrine, qu'un mal cruel lui avait ravie quelques jours avant, dans le courant de mars ; la fillette lui avait annoncé qu'elle reviendrait sur terre ; Adèle ajouta savoir, d'autre part, j'ignore comment, que la fillette reviendrait avec une petite soeur.
De telles assurances, maintes fois répétées par la chère femme, étaient accueillies par moi avec une incrédulité manifeste.
Grande fut donc ma surprise de voir l'heureux présage se vérifier, et, qui plus est, de remarquer qu'une des deux jumelles est la parfaite image de la fillette décédée.
Je n'entends pas discuter le phénomène, me méfiant de mes connaissances à ce propos ; mais j'affirme cependant que le fait est tout simplement merveilleux.
Tu peux faire de cette lettre l'usage que tu voudras, si tu le crois utile dans l'intérêt de tes études.
Fraternelle accolade de ton
Ferdinand MONROY DE RANCHIBILE.
Les attestations qui précèdent affirment l'authen¬ticité des faits et permettent d'observer qu'il ne saurait s'agir ici d'une série de coïncidences plus ou moins fortuites, car, depuis l'origine, les phéno¬mènes se suivent et s'enchaînent avec une suite logique qui interdit toute explication par le hasard pur et simple.
Ceci établi, peut-on supposer que, par un phénomène d'auto-suggestion, Mme Samona aurait été l'auteur du rêve dans lequel elle vit la petite Alexan¬drine lui dire qu'elle reviendrait ?
Je n'hésite pas à déclarer que cette supposition est invraisemblable, non seulement parce que la femme du docteur ne connaissait pas à cette époque la théorie de la réincarnation, mais aussi parce qu'elle était absolument persuadée que l'état de sa santé lui interdisait l'espoir d'être mère de nouveau. C'est faire jouer à la subconscience un rôle que rien ne justifie, tandis que l'intervention d'Alexan¬drine comme productrice du phénomène est l'expli¬cation la plus vraisemblable, car elle se justifie par son action physique au moyen de coups frappés à l'improviste en plein jour pour affirmer sa pré¬sence d'une manière indubitable. Dès ce moment, dans chaque séance, elle continue de prédire son retour et, mieux encore, elle annonce qu'elle revien¬dra, accompagnée d'un autre esprit qui aura le sexe féminin. Ceci paraît si invraisemblable à la pauvre mère qu'elle est replongée dans toutes ses per¬plexités, lesquelles ne prirent fin que lorsqu'il fut certain que la grossesse était gémellaire.
Ici encore l'intervention de la subconscience est tout à fait invraisemblable, et s'il y a eu clair¬voyance les phénomènes n'en restent pas moins extraordinaires, car les faits ultérieurs se sont dé¬roulés avec une exactitude mathématique, et la connaissance anticipée de ces faits ne démontre nullement que la petite Alexandrine n'en soit pas l'auteur.
Nous avons vu qu'après sa réincarnation, la nou¬velle Alexandrine a présenté le même aspect phy¬sique que pendant sa vie antérieure : asymétrie de la face, hyperémie de l'oeil gauche, légère séborrhée de l'oreille droite : c'est bien, comme le dit le père, une copie fidèle de la première Alexandrine.
Bah ! Diront les sceptiques, c'est la subconscience de la mère qui a modelé cette seconde figure à l'image de la première ; c'est là un caprice de l'hérédité. Bien que nous ne possédions pas beaucoup d'exem¬ples d'un second enfant qui serait la copie fidèle d'un premier décédé et profondément regretté, admettons pour un instant cette hypothèse idéoplastique ; nous allons voir qu'elle ne suffit pas pour rendre compte des similitudes intellectuelles qui existent entre les deux Alexandrines. Voici, en effet, une autre lettre du Dr Samona, publiée en juin 1913 dans la Filosofia della Scienza, dont j'emprunte la traduction au livre de M. Lancelin .
Le cas de mes deux jumelles, antérieurement publié dans la Philosophie de la Science, n°1, 15 janvier 1911, re¬produit par des revues diverses et dans plusieurs ouvrages, tant italiens qu'étrangers, a éveillé l'intérêt d'une grande partie du monde intellectuel, ainsi qu'il résulte de plusieurs lettres reçues, tant par la direction que par moi personnel¬lement.
De ce fait, j'assume une certaine responsabilité en con¬tinuant à en répandre la connaissance, car je n'ai pas la présomption de posséder tout l'esprit d'observation qui serait nécessaire pour approfondir l'étude d'un cas im¬portant au point de sembler d'intérêt général.
Je crains cependant de n'avoir pas noté certains détails dignes peut-être d'attention particulière et d'en avoir, au contraire, enregistré d'autres qui n'en méritaient aucune. Mais ma qualité de père me mettant à même d'avoir sans cesse mes fillettes sous les yeux et de connaître les particularités relatives à la petite morte, a fait de moi l'unique observateur et le seul témoin possible.
Toutefois, je m'empresse d'insister sur ce fait que ma qualité de père n'a troublé d'aucune façon, comme certains le pourraient supposer, la sérénité de mes observations ; aussi, et par cela même, ai-je toujours cherché à me main¬tenir dans l'objectivité, sans me laisser entraîner par des théories conçues a priori ou simplement sentimentales.
Ainsi que je l'ai dit dans le numéro précité de la Filosofia de la Scienza, il était nécessaire en un cas de ce genre de laisser écouler quelque temps pour pouvoir recueillir utilement certaines observations, si jamais l'occasion s'en présentait, et en fait, aujourd'hui que deux ans et sept mois se sont écoulés depuis la naissance des deux jumelles, j'ai eu la possibilité d'en recueillir quelques-unes qui méritent une certaine attention.
Que l'on ne s'attende pas toutefois à des faits sensa¬tionnels : il ne s'en est produit, au moins jusqu'à ce jour, aucun de ce genre ; et cependant ceux que j'ai recueillis méritent quelques réflexions.
Au point de vue physique, la dissemblance entre les deux jumelles s'est constamment maintenue, et, maintenant, cette dissemblance n'est plus seulement physique, comme on pouvait l'observer dès le principe : elle existe également au point de vue moral.
J'ai voulu souligner cette différence ; en effet, bien qu'à première vue elle semble n'avoir aucune importance en la question, elle a cependant sa valeur propre, qui est celle-ci : elle fait, d'une part, ressortir encore davantage la ressemblance de l'Alexandrine actuelle avec l'Alexandrine précédente, et tend d'un autre côté à éliminer l'idée de la possibilité d'une influence suggestive de la part de la mère dans le développement matériel et moral de l'Alexandrine actuelle.
De toute façon, ainsi que j'en avais pris la décision lorsque j'ai publié ce cas, je m'abstiendrai de toute opi¬nion ou interprétation personnelle, me limitant au sim¬ple exposé des observations faites, et laissant chacun en tirer les conclusions qu'il voudra.
L'Alexandrine actuelle continue à montrer une ressem¬blance parfaite avec l'autre qui est morte. Cela ne peut en¬core se voir parfaitement dans les photographies que je publie, soit parce qu'elles ne reproduisent pas des poses identiques, ce qu'il est difficile d'obtenir, soit peut-être et plus encore parce que les photographies de la petite morte la représentent à un âge plus avancé que celui de l'Alexan¬drine actuelle. En tout cas, je puis affirmer d'une façon absolue que, à part les cheveux et les yeux qui sont actuellement un peu plus clairs que ceux de la pre¬mière Alexandrine au même âge, la ressemblance continue d'être parfaite.
Mais, plus encore qu'au point de vue physique, l'en¬semble des manifestations psychologiques graduellement développées chez l'enfant, donne au cas en question un nouvel intérêt plus grand encore. Dès que la vie des deux petites jumelles commença à entrer en relations avec le monde extérieur, elle s'achemina bientôt dans deux di¬rections différentes, au point que déjà nous pouvons cons¬tater en elles l'existence de deux natures absolument dis¬tinctes.
J'omets de parler de façon spéciale des caractéristi¬ques de Maria-Pace, parce que la connaissance de sa psychologie et ses différences avec celle d'Alexan¬drine n'a d'intérêt que pour moi et n'en présente aucun pour le lecteur. J'aborde au plus vite ce qui fait l'intérêt de la question : l'étude de la psychologie d'Alexandrine.
J'indiquerai d'abord divers détails de sa nature qui donneront la note de son caractère affectueux et de son intellectualité.
Elle est généralement calme, contrairement à sa soeur, et cette tranquillité s'étend même aux manifestations de son affection qui n'en est ni moins tendre ni moins caressante.
Une de ses caractéristiques principales est sa façon de passer ses journées ; s'il lui arrive d'avoir à sa portée du linge ou des vêtements, elle resterait des heures en¬tières à les plier et à les lisser avec ses menottes et à les mettre bien en ordre - à son idée - sur une chaise ou un coffre. Si elle ne peut se livrer à ce plaisir, son passe-temps préféré est de demeurer appuyée à une chaise sur laquelle elle pose un objet de son choix qui lui tient lieu de jouet ; entre temps elle parle toute seule à mi-voix et peut de même rester longtemps à cette occupation sans s'en fa¬tiguer.
On comprend facilement que, se suffisant de la sorte à elle-même, elle cause peu de soucis ; c'est le contraire de sa soeur Maria-Pace qui, très vive et toujours en mou¬vement, ne peut demeurer quelques instants avec la même occupation et a besoin de la compagnie de quelqu'un pour s'amuser.
Or ce calme et ces deux occupations spéciales, qui étaient surtout caractéristiques chez la défunte Alexandrine, ont alors attiré notre attention.
Sans nul doute, la jumelle Maria-Pace aime tendre¬ment sa mère et s'approche souvent d'elle pour la caresser et la couvrir de baisers ; mais ces manifestations de ten¬dresse, faites tumultueusement, sont de peu de durée et elle éprouve le besoin de retourner à ses jeux. Au contraire, Alexandrine, qui recherche également sa mère, est, comme je l'ai dit, plus calme dans ses manifestations affectueuses, bien plus calme, mais non, pour cela, plus froide. Ses ca¬resses sont délicates, ses manières sont douces, et, quand elle est sur les genoux de sa mère, elle ne voudrait plus la quit¬ter : ce cas seul fait exception à la tendance qu'elle éprouve à se suffire à elle-même ; et quand sa mère veut se détacher d'elle pour vaquer à ses occupations, il ne lui est pas facile de le faire sans susciter cris et pleurs.
Puis c'est un gracieux spectacle que de voir combien diversement se comportent les deux fillettes devant le monde, lorsqu'on les admet au salon. Maria-Pace s'a¬vance prestement, sans hésitation, donne sa menotte à tout le monde, tandis qu'Alexandrine va tout d'abord cacher son visage et ses larmes dans le sein de sa mère. Mais en peu d'instants la scène change ; Maria-Pace fatiguée de la société, veut quitter le salon, alors qu'Alexandrine, familia¬risée avec les figures nouvelles, ne veut plus s'en aller et reste sur les genoux de sa mère, attentive comme si elle prenait intérêt à la conversation.
Encore en tout ceci (je parle de sa façon de témoigner sa tendresse et de sa contenance durant les conversations), Alexandrine est la reproduction fidèle de celle qui l'a précédée.
Je vais maintenant citer quelques détails plus spéciaux du caractère de l'enfant, qui contribueront à montrer une parfaite similitude avec les habitudes et les impressions de la première Alexandrine.
Un grand silence règne autour de la villa que nous habitons, laquelle est loin de la ville, en sorte que le bruit du passage d'une voiture dans le voisinage s'y fait forte¬ment entendre. Or, ce tapage trouble fortement l'esprit d'Alexandrine qui, chaque fois que le fait se produit sans qu'elle soit distraite, se cache dans le sein de sa mère di¬sant : « Alexandrine si spaventa (Alexandrine a peur) ». Tout cela, jusqu'aux paroles précisément les mêmes et l'emploi de la troisième personne, rappelle la façon d'agir et de parler qui étaient celles de la première Alexandrine en pareil cas.
Comme elle aussi, elle a une grande terreur du barbier chaque fois qu'elle le voit venir à la maison.
Inutile de dire que Maria Pace ne souffre pas de pareilles peurs.
Elle n'aime guère les poupées et leur préfère les enfants de son âge, préférence que l'on remarquait également chez l'autre Alexandrine. Comme elle encore, elle veut toujours que ses petites mains soient propres, et elle réclame avec insistance qu'on les lui lave, dès qu'elle les voit un peu sales. Comme l'autre enfin, elle éprouve de la répugnance pour le fromage et refuse sa soupe lorsqu'elle en contient si peu que ce soit, même mis en cachette.
La première Alexandrine est morte sans avoir pu se débarrasser complètement du défaut d'être gauchère, mal¬gré tous nos efforts constants pour essayer de la corriger ; aujourd'hui l'Alexandrine actuelle s'est déjà montrée obstinément gauchère, et naturellement nous avons re¬commencé avec elle les mêmes efforts pour la corriger. Aucun autre de mes enfants, y compris Maria-Pace, n'a jamais montré telle tendance.
Dans la chambre de ses frères, il y a une petite armoire où l'on renferme les chaussures. Quand elle peut entrer dans cette chambre et ouvrir l'armoire, c'est pour elle un grand divertissement que d'en tirer les chaussures et de jouer avec elles. Ceci était une passion de l'autre Alexandrine, mais ce qui nous a le plus impressionnés, c'est que celle-ci, comme l'autre, veut toujours chausser un de ses petits pieds d'une de ces chaussures, naturellement trop grandes pour elle, et se promène ainsi à travers la chambre.
Enfin, une autre particularité est digne d'être notée, parce qu'elle fut bien caractéristique chez l'autre Alexan¬drine et que ma soeur, à qui elle se rapporte spécialement, la gardait comme un criterium probant et en attendait la réalisation chez l'enfant dans le secret de son cœur ; sans en parler à personne, de peur que l'enfant ne fût amenée par suggestion à la répéter. La première Alexan¬drine, à l'âge d'environ 2 ans, commença, par caprice, à changer les noms ; par exemple, d'Angelina elle faisait Caterana ou Caterona, et en vint, toujours par caprice, à l'appeler constamment « tante Caterana ».
Personne de nous n'avait alors remarqué ce détail, et ce fut ma soeur elle-même qui vérifia le fait en question, au même âge de la nouvelle Alexandrine ; elle nous remit en mémoire cette particularité qui nous émerveilla tous.
Il est inutile de dire qu'aucune de ces caractéristiques ne s'est manifestée chez Maria-Pace.
Une autre chose a, de plus, attiré mon attention, mais je ne veux encore en parler, n'en ayant pas jusqu'ici la pleine confirmation.
Certainement, pour des étrangers qui n'ont pas connu les deux fillettes et n'ont pas vécu dans leur intimité, le simple exposé de ces faits ne peut montrer à quel point se correspondent parfaitement les deux petites vies. (Les deux Alexandrines). Pour nous, la ressemblance est telle¬ment parfaite, que, pour exprimer l'impression de toute la famille, je ne puis mieux faire que d'établir cette com¬paraison : - Le développement de la vie de l'Alexandrine actuelle, en tant qu'aspect, habitudes et tendances, est pour nous comme si nous revoyions se développer le même film cinématographique déjà développé du vivant de l'autre.
En tout cas, si des étrangers ne peuvent sentir et juger exactement comme nous, dans la famille, ou comme nos in¬times, la corrélation de ces faits, la façon d'être générale particulière dans un âge où le champ de la conscience est encore limité, ils pourront cependant songer combien il est difficile de chercher l'explication des faits dans les coïncidences fortuites ou dans l'hérédité, surtout s'ils se rappellent particulièrement les autres circonstances qui ont précédé la naissance des deux fillettes.
Docteur CARMELO SAMONA.
Dans le Journal du Magnétisme, septembre 1913, M. le Dr Fugairon fit paraître un article dans le¬quel il critique les rapports du Dr Samona en pré¬tendant que ce cas n'est nullement démonstratif au point de vue de la réincarnation. Premièrement, parce qu'Alexandrine aurait dit à sa mère : « Vois, je suis devenue petite comme cela en lui montrant un embryon. » Deuxièmement, parce que la con¬ception des deux jumelles serait antérieure à la mort d'Alexandrine, pour cette raison que les ju¬melles seraient nées avant terme ; et qu'enfin si celle-ci s'était réincarnée il lui était impossible de se manifester typtologiquement à ses parents.
M. le Dr Samona répondit à ces critiques dans la Filosofia della Scienza, n° 4, du 15 décembre 1913.
Il fait remarquer premièrement que c'est par suite d'une mauvaise traduction française de son article que l'on a fait dire à Alexandrine: « Vois, je suis devenue petite comme cela » alors que le texte porte : « je deviendrai petite comme cela ».
En second lieu, en ce qui concerne la conception des deux jumelles, M. le Dr Sarnona, au double titre de père et de médecin, est mieux qualifié que le Dr Fugairon pour nous renseigner exactement sur ce point.
Les naissances gémellaires se produisent très fréquemment avant que les neuf mois de la gesta¬tion soient accomplis. Or ses filles sont nées à huit mois.
Enfin l'objection que la petite Alexandrine n'au¬rait pu se manifester si la réincarnation eût été commencée, est tout à fait inexacte, car nous sa¬vons que l'esprit incarné peut parfaitement donner des communications, et à plus forte raison lorsqu'il n'est pas encore complètement attaché au corps qu'il est en train de se constituer.
On ne peut non plus attribuer les habitudes d'Alexan¬drine n° 2 à l'influence du milieu et de l'éducation, car sa soeur jumelle Maria-Pace, qui est soumise aux mêmes conditions d'existence, diffère complè¬tement d'Alexandrine ; c'est bien cette dernière qui est revenue, car physiquement et morale¬ment elle est la résurrection de la première Alexan¬drine.
Ces inductions légitimes se fortifient encore et deviennent des certitudes lorsque l'on constate qu'un souvenir de la première Alexandrine s'est réveillé dans la seconde avec un caractère si net que le doute n'est plus possible.
Voici ce dernier document, que j'emprunte encore à M. Lancelin, qui établit péremptoirement le retour en ce monde de la regrettée fille du Dr Samona.
M. Lancelin s'étant constamment tenu en rapport avec le Dr Samona, a obtenu de lui des renseigne¬ments du plus haut intérêt concernant Alexandrine n° 2.
Voici quelques passages de la lettre publiée à la page 362 et suivantes de son livre : La Vie posthume. Elle fut écrite le 20 mars 1921.
... Mes jumelles, qui ont déjà dépassé de quelques années l'âge de la première Alexandrine, se sont bien développées physiquement et moralement. Elles continuent toujours à être très différentes l'une de l'autre et, quant au physique, elles semblent même d'âge différent, puisque Maria-Pace est d'une taille beaucoup plus élevée et robuste qu'Alexan¬drine. Celle-ci continue à ressembler à l'autre Alexan¬drine d'une manière surprenante ; elle a encore les mêmes répugnances qu'avait celle-ci. Elle est toujours gauchère, au grand désespoir de sa gouvernante, qui lutte toujours pour la corriger de ce défaut.
Les deux fillettes, qui sont d'ailleurs très intelligentes, ont des inclinations tout à fait différentes. Maria-Pace est plus portée aux occupations domestiques, tandis qu'Alexandrine est passionnée pour les choses spirituelles. Maria-Pace s'occupe toujours de ses poupées, tandis que l'autre court à ses livres. Cette petite, tout en étant espiè¬gle comme la généralité des enfants, aime à se concentrer en une espèce de méditation qui souvent donne lieu à des réflexions au-dessus de son âge. Je dis ceci afin que vous puissiez vous faire une idée de son développement psy¬chique.
Je vous décrirai maintenant deux faits, les seuls que j'ai remarqués chez la petite, pouvant prouver quelque rémi¬niscence de sa vie précédente :
1° Vous savez que la première Alexandrine est morte de méningite ; cette maladie avait commencé par de grands maux de tête. Or, l'actuelle Alexandrine a une terreur extraordinaire du plus léger mal de tête. Ce fait n'a certainement qu'une importance relative. Celui qui suit me parait surprenant, et seul, je crois, prouve chez l'en¬fant la persistance d'un souvenir de sa vie précédente.
2° Il y a deux ans, nous parlâmes à nos jumelles de les emmener en excursion à Monréale. Comme vous savez, nous avons à Monréale la plus splendide église normande du monde. Aussi ma femme dit aux petites : « Vous vien¬drez à Monréale, où vous verrez des choses que vous n'avez jamais vues. »
Alexandrine répondit : « Mais, maman, je connais Mon¬réale, je l'ai déjà vu. » Ma femme fit alors remarquer à la petite qu'elle n'avait jamais été conduite à Monréale. Mais l'enfant répliqua : « Mais si ... J'y suis allée... Ne te rappelles-tu pas qu'il y avait une grande église avec un homme (statue) très grand sur le toit avec les bras ouverts ? » Et elle faisait le geste avec ses bras. « Et, continua-t-elle, te rappelles-tu que nous y allâmes avec une dame qui avait des cornes, et que nous y avons rencontré des petits prêtres rouges ? »
Nous n'avons aucunement conscience d'avoir jamais décrit Monréale ; en effet, Maria-Pace n'en avait aucune connaissance ; nous pouvons toutefois admettre que quel¬que autre personne de la famille lui ait parlé de la grande église et du Sauveur sur le portail principal du monu¬ment ; mais nous ne savions que penser de la dame aux cornes ou des prêtres rouges. Tout à coup ma femme se rappela qu'elle était allée la dernière fois à Monréale avec la petite Alexandrine, quelques mois avant sa mort, et que nous y avions conduit une dame de notre connais¬sance venue de province pour consulter des médecins de Palerme au sujet de grosses excroissances au front ; que, de plus, à l'entrée de l'église, nous avions rencontré un groupe de jeunes prêtres grecs qui portaient des vêtements bleus garnis de rouge. Nous nous sommes alors souvenus que tous ces détails avaient grandement impressionné la petite Alexandrine.
Or, si l'on peut admettre que quelqu'un ait pu parler à l'actuelle Alexandrine de l'église de Monréale, il n'est pas à supposer que qui que ce soit ait un instant pensé à la dame aux cornes et aux petits prêtres rouges, puisque, pour nous, c'étaient des circonstances très insignifiantes.
Voilà le fait dans toute sa simplicité enfantine ; mais comme la petite s'obstinait dans ces trois souvenirs pour nous prouver qu'elle était déjà allée à Monréale, nous n'avons pas voulu insister davantage, parce qu'à cet âge, il est très facile de suggestionner les enfants en leur posant des questions. Aussi, nous nous contentons d'écouter les simples récits qu'elle nous fait et nous évitons de faire au¬cune allusion à ses rapports supposés avec l'autre Alexan¬drine.
Quelques remarques
Les phénomènes concernant l'annonce d'une future réincarnation sont d'ores et déjà assez nom¬breux pour s'imposer à nous comme des réalités. J'aurais pu les multiplier davantage si j'avais tenu compte de tous ceux qui me furent envoyés ; j'ai dû en éliminer quelques-uns, non seulement par défaut d'espace, mais aussi parce que tout en pré¬sentant des caractères évidents d'authenticité, ils pouvaient s'interpréter soit par des auto-suggestions des parents, soit par des transmissions de pensée du cercle au médium.
On a pu constater que je me suis efforcé de ne citer que des exemples où ces interprétations parais¬sent dénuées de fondement ; on remarquera en effet que, dans le premier cas, c'est la petite fille qui annonce son prochain retour à sa mère ; une autre fois l'esprit qui doit revenir se manifeste à sa pre¬mière mère et à la seconde indépendamment l'une de l'autre, le sexe et l'aspect physique du nouveau-¬né correspondant parfaitement à l'image vue en rêve. Dans le cas du capitaine Batista, la réminis¬cence de la cantilène soporifique est une démons¬tration évidente du réveil d'un souvenir qui dor¬mait dans la subconscience de l'enfant. Ce récit est à rapprocher de celui de la deuxième Alexandrine Samona, il prouve la pérennité de la mémoire malgré le changement d'enveloppe corporelle de l'esprit.
Ces cas spontanés ont une grande valeur, puisque ceux qui les rapportent n'avaient aucune connais¬sance des lois de la réincarnation. Dans les séances spirites nous devons évidemment nous tenir en garde contre la cause d'erreur qui résulterait de l'auto-suggestion des médiums.
J'ai examiné dans chaque cas la valeur de cette hypothèse et je crois avoir démontré qu'elle était insuffisante pour expliquer le phénomène, particulièrement en ce qui concerne les récits de M. M. Bou¬vier, Toupet, Engel, de Reyle et Jaffeux.
Nous arrivons enfin au cas si bien documenté du Dr Samona ; ici nul doute raisonnable n'est possible ; l'identité des deux Alexandrine, physi¬quement et intellectuellement, s'affirme avec une telle évidence que je crois inutile d'insister davan¬tage. C'est bien le même être qui par deux fois est venu prendre place au même foyer familial ; si tous les autres cas avaient été étudiés avec un soin aussi minutieux et avec une documentation aussi pré¬cise que celui-là, nous pourrions affirmer hautement que la démonstration scientifique des vies succes¬sives est désormais un fait accompli.
Si nous n'en sommes pas encore là, il n'en reste pas moins certain pour tous ceux qui étudieront impartialement les exemples rapportés ici, qu'il y a là une telle probabilité en faveur de la palin¬génésie qu'elle constitue une preuve morale de pre¬mier ordre.
Il n'est pas douteux que l'avenir nous appor¬tera des confirmations nouvelles et décisives et que cette grande loi de la réincarnation prendra une place définitive dans le domaine de la science.
Chapitre XIII - Vue d’ensemble des arguments qui militent en faveur de la Réincarnation
L’âme est un être transcendantal. – Le Périsprit et ses propriétés. – Où a-t-il pu les acquérir. – En passant à travers la filière animale. – Analogie entre le principe intellectuel des animaux et celui de l’homme. – Les preuves que nous possédons. – La réincarnation humaine de la mémoire intégrale. – L’oubli des existences n’est pas synonyme d’anéantissement de la mémoire. – L’hérédité et les enfants prodiges. – Les réminiscences et les véritables souvenirs des vies antérieures. – Annonce de futures réincarnations. – La palingénésie est une loi universelle.
Parvenus au terme de ce travail, si nous jetons un regard sur le chemin parcouru, nous constaterons que la grande théorie des vies successives, qui a pris naissance à l'aurore de l'humanité, a traversé les siècles et les civilisations avec des for¬tunes diverses et que dans les temps modernes elle a repris une vie nouvelle grâce aux penseurs qui l'ont étudiée au siècle dernier, aux observations et aux expériences des spirites.
Il semble bien qu'elle doit sortir maintenant du domaine philosophique pour entrer dans celui de la science. Si les observations et les expériences sont encore relativement peu nombreuses, quelques¬-unes de celles-ci sont assez bien établies pour qu'il soit impossible de n'en pas tenir compte.
Ce sont, en quelque sorte, les premières assises de ce monument, que la science de demain cons¬truira certainement.
Pour apprécier justement la valeur des argu¬ments de différente nature que j'ai rassemblés en suivant la méthode inductive dans ce volume, il est indispensable en premier lieu de bien connaî¬tre les démonstrations scientifiques sur lesquelles repose la certitude de l'existence de l'âme comme principe indépendant du corps et de celle du sub¬stratum immatériel qui l'individualise et dont elle est inséparable.
L’âme est un être transcendantal
Il résulte indiscutablement des recherches faites depuis un demi-siècle par les savants les plus no¬toires du monde entier qu'il existe dans l'homme un principe transcendantal qui déborde entièrement les cadres de la physiologie officielle, car il se révèle à nous avec des facultés qui le rendent assez sou¬vent indépendant des conditions d'espace et de temps qui régissent le monde matériel.
C'est ce qui ressort des travaux de la Société anglaise des Recherches psychiques qui, depuis 1882, a publié plus de 30 volumes relatant les obser¬vations et les expériences que ses membres ont con¬trôlées après de minutieuses enquêtes. Les noms de Crookes, de Sidgwick, de Myers, de Gurney, de Barrett, d'Oliver Lodge et de bien d'autres, sont de sûrs garants de l'authenticité des faits qui y sont relatés. Des enquêtes similaires ont été poursuivies aux États-Unis par la branche améri¬caine des Recherches psychiques sous la direction du professeur Hyslop et de Hodgson ; en France, par nombre de psychistes et, en particulier, par Camille Flammarion dans ses trois volumes : La mort et son mystère.
Tout dernièrement encore, M. Warcollier, ingé¬nieur chimiste, a publié un volume sur la Télépathie ; et le Dr Osty, deux livres : Lucidité et Intuition, et La Connaissance supra-normale, qui se réfèrent aux facultés inconnues de l'être humain.
En Italie, la Revue Luce e Ombra a rassemblé une quantité de témoignages indiscutables, et M. Bozzano a publié une série de monographies sur ce sujet qui sont du plus haut intérêt.
Il est donc maintenant absolument certain que la pensée d'un individu peut s'extérioriser et agir sur un autre être vivant indépendamment de toute action sensorielle, malgré la distance qui les sépare. C'est à ce phénomène que l'on a donné le nom de télépathie. Il est non moins sûr que la vision à dis¬tance, malgré les obstacles interposés, s'exerce pendant la veille ou le sommeil sans avoir recours au sens oculaire, ce qui nécessite un pouvoir diffé¬rent de celui qui est purement physiologique.
Là encore nous voici en présence d'une faculté entièrement distincte de celles que les physiolo¬gistes reconnaissent à la substance nerveuse. Enfin, il est établi par des exemples nombreux et indis¬cutables qu'un phénomène aussi extraordinaire que la connaissance de l'avenir ou prémonition a été maintes fois constaté. Ce qui prouve qu'il existe dans l'homme un être indépendant de l'organisme physique, lequel est rigoureusement conditionné par les lois régissant le monde matériel.
Ceci est maintenant si incontestable qu'un philosophe de l'envergure de M. Bergson n'a pas craint dans une conférence sur l'âme et le corps faite le 28 avril 1912, de dire :
« Si, comme nous avons essayé de le démontrer, la vie mentale déborde la vie cérébrale, si le cerveau se borne à traduire en mouvements une petite partie de ce qui se passe dans la conscience, alors la survivance devient si vraisemblable que l'obligation de la preuve incombera à celui qui nie bien plutôt qu'à celui qui affirme, car l'unique raison de croire à une extinction de la conscience après la mort est qu'on voit le corps se désorganiser, et cette raison n'a plus de valeur si l'indépendance de la presque totalité de la conscience à l'égard du corps est, elle aussi, un fait que l'on constate. »
Le périsprit et ses propriétés
L'indépendance de ce principe intérieur a été établie par des preuves nombreuses et variées. L'âme est individualisée par le périsprit.
Mais il y a mieux encore ; ce principe spirituel n'est pas une vague entité métaphysique, un mot abstrait, ni une fonction de la substance nerveuse, mais un être concret ayant une individualité, car même pendant la vie, c'est cet être auquel on a donné le nom d'âme ou d'esprit qui peut se séparer du corps et manifester sa réalité objective dans les phénomènes de dédoublement.
Le dédoublement de l'être humain est mainte¬nant démontré par des observations mille fois réitérées. On a constaté, d'une part, la présence du corps matériel à un endroit déterminé et simulta¬nément l'existence du double en un autre lieu.
Ce fantôme de vivant emportait avec lui la sensi¬bilité, l'intelligence et la volonté ; on a pu repro¬duire ce phénomène expérimentalement, ce qui est une seconde démonstration de l'indépendance de l'être interne que l'on désigne habituellement sous le nom d'esprit .
Après la mort, c'est lui qui survit et qui se mani¬feste objectivement par des apparitions matéria¬lisées, lesquelles sont en tous points semblables à celles des vivants. Nous voici donc en présence d'une démonstration directe et immédiate :
1° que l'esprit n'était pas un produit du corps, puisqu'il survit à sa désagrégation, et
2° qu'il possède tou¬jours ce même organisme fluidique qui l'accom¬pagnait pendant la vie et qui l'individualise encore, après sa séparation d'avec le corps matériel.
Pendant la vie, la connaissance du périsprit nous fait comprendre :
1° la conservation du type indi¬viduel malgré le renouvellement incessant de toutes les molécules charnelles ;
2° la réparation des par¬ties lésées ;
3° la continuité des fonctions vitales dans un milieu sans cesse en voie de rénovation.
Les spirites connaissent depuis longtemps déjà ces phénomènes si intéressants et si curieux, et ils constatent avec satisfaction que peu à peu la science officielle, par la voix de quelques-uns de ses repré¬sentants, et des plus autorisés, sanctionne petit à petit tous les ordres de faits qui composent cette science nouvelle. Il est donc bien légitime que nous nous servions de ces précieuses connaissances pour essayer de résoudre le problème de l'origine de l'âme et de ses destinées.
Il est parfaitement démontré que dans les séances de matérialisations il se forme un être étran¬ger à tous les assistants, qui est objectif parce que tout le monde le décrit de la même manière ; parce qu'il est possible de le photographier ; parce qu'il laisse des empreintes ou des moulages de ses orga¬nes ; parce qu'il agit physiquement en déplaçant des objets ; parce qu'il peut parler ou écrire.
Cet être possède donc toutes les propriétés physio¬logiques d'un être humain ordinaire et des facultés psychologiques.
Ce n'est pas un dédoublement du médium, non seulement parce qu'il en diffère à tous les points de vue, mais aussi parce que souvent plusieurs esprits matérialisés apparaissent simultanément. De plus, il a été parfois constaté que le médium réveillé causait avec l'apparition. Dans d'autres occasions, l'esprit s'est matérialisé d'une manière identique avec des médiums différents, et enfin assez fréquemment son identité a été contrôlée par ceux qui l'avaient connu sur la terre.
Puisque le périsprit possède la faculté, après la mort, de se matérialiser en reconstituant intégra¬lement l'organisme physique qu'il possédait ici-bas, cela nous permet de supposer qu'au moment de la naissance, c'est lui qui forme son enveloppe cor¬porelle, qui n'est autre qu'une matérialisation stable et permanente ; tandis que dans les séances expéri¬mentales la matérialisation n'est que temporaire, parce qu'elle a été produite en dehors des voies normales de la génération.
Cette opinion que j'émettais il y a 25 ans dans l'Evolution animique est acceptée maintenant par un esprit aussi éminent que celui d'Oliver Lodge, au cours d'une conférence faite en Angleterre de¬vant un public d'élite en 1922 . Il ne craint pas de s'exprimer ainsi :
« Souvent pour ce genre de démonstrations, les forces em¬ployées ne sont pas d'une haute essence : l'ectoplasme, par exemple, est une de ces manifestations matérielles qui peuvent se soumettre à l'examen de nos sens. Ces seuls faits paraissent déjà extraordinaires : cependant, ce sont des faits et il faut les étudier, comme il faut étudier ces voix que l'on entend, ces écritures directes que l'on cons¬tate, et il convient d'y croire comme on a cru aux sen¬tences lues sur le mur par les convives du festin de Bal¬thazar. Il y a d'immenses vérités dans les « légendes » de la Bible. Les matérialisations, les fantômes ne sont pas des hallucinations. Nous-mêmes, ne sommes-nous point des matérialisations qui peuvent durer soixante-dix ans comme les autres durent soixante-dix secondes ? »
Le corps spirituel auquel l'âme est associée indisso¬lublement renferme donc le statut des lois biolo¬giques qui régissent la matière organisée.
Il contient également dans son intimité toutes les archives de la vie mentale, car la conscience ne nous fait connaître qu'une très faible partie de cet immense océan mental à la surface duquel elle émerge, et qui constitue le fond même de notre indi¬vidualité.
On peut donc dire que la connaissance du périsprit est la clef de voûte de toute l'explication des vies successives. A chaque naissance, c'est un être déjà ancien qui reparaît.
Où et comment le périsprit a-t-il pu acquérir ses propriétés ?
C'est une des plus belles conquêtes de la science du XIXème siècle d'avoir démontré l'unité fondamen¬tale de la composition de tous les êtres vivants tous naissent d'un oeuf, tous sont formés de cellules dont le protoplasme est sensiblement le même, malgré leur diversité prodigieuse. Tous les êtres naissent, évoluent et meurent. Toutes les fonctions organiques sont essentiellement semblables ; la nutrition, la digestion, la respiration, la reproduc¬tion s'opèrent d'une manière à peu près identique. C'est là une démonstration par le fait de l'unité de plan de la nature et, puisque l'intelligence, quoique différente de la matière, lui est cependant associée, il est légitime de penser que ce principe spirituel est lui aussi fondamentalement le même malgré les différences quantitatives qui existent à tous les degrés de son développement.
Nous avons constaté que les facultés transcen¬dantales, telles que la télépathie et la clairvoyance, et même l'idéoplastie, existent également chez les animaux, ce qui est une, raison de plus pour admettre l'identité du plan de la création.
S'il en est bien ainsi, si réellement l'âme a gravi les échelons de la série zoologique, il n'est plus surprenant qu'à chaque naissance elle reproduise en abrégé toute l'histoire de son passé, comme cela a lieu pendant la vie embryonnaire pour tous les êtres.
Toutes ces inductions sont légitimes, elles s'en¬chaînent mutuellement et l'on peut les considérer comme des preuves de la palingénésie universelle.
On ne comprend pas encore clairement comment le principe intelligent, qui anime d'innombrables milliards d'organismes rudimentaires et primitifs, arrive à se synthétiser en une unité d'un ordre supé¬rieur, pas plus d'ailleurs que l'on ne peut s'expli¬quer clairement comment ce passage s'opère d'une espèce à l'autre. Il n'en est pas moins réel qu'il existe une liaison permanente et continue à tous les degrés de l'échelle vitale, et que si la vie est une dans l'univers, il en est certainement de même pour le principe spirituel.
Dès lors, nous sommes obligés de nous demander où le périsprit a pu acquérir ses propriétés fonc¬tionnelles, et il paraît logique de supposer qu'il les a fixées en lui au cours de ses évolutions terrestres en passant successivement par toute la filière de la série animale, en intégrant dans sa substance indes¬tructible les lois de plus en plus compliquées qui lui permettent d'animer et de réparer automati¬quement des organismes de plus en plus complexes, depuis les formes les plus simples jusqu'à l'homme. C'est une gradation successive et une évolution continue. Si cette hypothèse est exacte, on doit retrouver dans la série animale des phénomènes analogues à ceux observés dans l'humanité ; c'est indiscutablement ce qui a lieu, puisque nous avons constaté que l'âme animale survit à la mort.
Dans un ouvrage précédent , j'ai essayé d'indi¬quer comment on pouvait concevoir le développe¬ment progressif du principe spirituel et j'ai montré qu'en plaçant la cause de l'évolution dans les efforts que fait le principe intelligent pour s'affranchir progressivement des liens de la matière, on s'explique mieux les faits que par la théorie matérialiste des seuls facteurs de l'hérédité et des milieux.
Le progrès physique et intellectuel provient d'efforts incessants réitérés, d'améliorations pres¬que imperceptibles à chaque passage, mais dont la sommation finit par aboutir à l'humanité, qui résume et synthétise cette grande ascension. L'être parvenu à un degré quelconque de l'échelle vitale ne peut plus rétrograder, tout simplement parce qu'il ne trouverait plus, en raison de son état évolutif, les conditions nécessaires pour s'incarner dans les formes inférieures qu'il a dépassées. Les croise¬ments sont, en général, inféconds entre espèces différentes car les hybrides ne se reproduisent pas, et à plus forte raison entre les familles et les em¬branchements.
Remarquons encore que les fonctions vitales, nutrition, respiration, reproduction, et même la sensibilité et la motricité, ne créent pas de diffé¬rences essentielles entre les animaux et les végé¬taux, ce qui établit la grande unité fondamentale qui existe sous le voile des apparences.
La science nous démontre que le transformisme n'est qu'un cas particulier d'une loi générale.
Tout évolue, les nations comme les individus, les mondes comme les nébuleuses. Tout part du simple pour aboutir au composé ; de l'homogénéité primitive, on arrive à la prodigieuse complexité de la nature actuelle réalisée par des lois qui ne demandent que la durée pour produire tous leurs effets.
Nous avons vu que chez les vertébrés supérieurs, et plus particulièrement chez les animaux domes¬tiques, l'intelligence a pris assez de développe¬ment pour comprendre le langage humain, pour formuler des raisonnements et résoudre certains problèmes.
Il est évident que c'est encore un degré très infé¬rieur de notre mentalité, mais telle qu'on l'observe, elle est de la même nature que la nôtre.
J'ai signalé également que les pouvoirs dits supra-normaux, tels que la télépathie, la clairvoyance et le pressentiment, s'observent assez souvent dans la race canine.
Ce qui permet encore d'assimiler le principe spi¬rituel de l'animal à celui de l'homme, c'est, je le répète à dessein, qu'il existe des fantômes d'ani¬maux tout à fait analogues dans leurs manifesta¬tions aux apparitions matérialisées des morts .
En résumé, chez tous les êtres vivants, mêmes constitutions organiques, mêmes fonctions vitales, même principe pensant et même enveloppe périspri¬tale qui l'individualise.
C'est une magnifique démonstration de la grande loi de continuité qui, ainsi que je le disais plus haut, régit l'univers entier.
La réincarnation humaine et la mémoire intégrale
Pour aborder la vérification expérimentale de la réalité des vies successives et pour s'expliquer pourquoi le souvenir des existences antérieures n'est pas conservé, il a été nécessaire d'étudier som¬mairement les différentes modalités de la mémoire.
Si vraiment l'âme est individualisée dans une substance qui l'accompagne pendant toute la durée de son évolution ; si ce corps spirituel est le gardien indéfectible de toutes les acquisitions antérieures, on est en droit de se demander pourquoi à chaque retour ici-bas nous n'avons pas connaissance de notre passé.
Pour comprendre l'oubli des vies antérieures, il était indispensable de montrer que, même dans notre existence actuelle, il se produit des lacunes profondes relativement à une multitude d'incidents qui nous sont arrivés, et même parfois que des périodes sortent entièrement de notre souvenir. Dès lors, il ne sera pas extraordinaire qu'il en soit de même pour tout ce qui précède la vie actuelle, puisque le périsprit a subi de très profondes modi¬fications intimes en reparaissant ici-bas. C'est à chaque fois un nouvel équilibre qui s'établit et qui modifie nécessairement l'état de la mémoire.
Il est donc indispensable de montrer que si la mémoire est indestructible, elle ne redevient cons¬ciente que dans des conditions particulières qu'il est nécessaire de bien connaître.
Ici encore ce n'est pas une théorie imaginée de toutes pièces, mais seulement une extension des faits qui sont actuellement connus.
Les expériences de MM. Pitres, Bourru et Burot, Pierre Janet, etc., ont prouvé que tout ce qui a pénétré en nous y a laissé une trace indélébile. Sans aucun doute, toutes ces acquisitions intellectuelles ne se présentent pas simultanément à la conscience. La règle, c'est que le plus grand nombre de celles-ci sont oubliées. Mais oubli ne veut pas dire destruction. La subconscience a enregistré pour toujours les états mentaux et, chose encore plus remarquable, elle les a associés indissolublement aux états physiologiques contemporains, de sorte qu'en ressuscitant les premiers, on fait renaître en même temps les seconds, et récipro¬quement. Comme je l'ai indiqué plus haut, cette régres¬sion de la mémoire peut se présenter spontanément, ou bien il est possible de la provoquer par différents pro¬cédés et principalement en hypnotisant certains sujets qui possèdent ce pouvoir de résurrection mnémonique.
Les spirites, en pratiquant les expériences magné¬tiques, avaient découvert ce pouvoir de rénovation des souvenirs terrestres pendant la vie, et ils ont poursuivi cette régression jusqu'aux états antérieurs à la naissance actuelle.
J'ai dit pourquoi cette méthode n'a pas donné jusqu'alors, malgré quelques succès, tous les résul¬tats qu'on aurait pu en attendre, mais je suis per¬suadé qu'elle sera féconde dans l'avenir, lorsqu'on aura éliminé les causes d'erreur dues à la suggestion de l'opérateur, à l'auto-suggestion des sujets, lorsque l'on agira sur l'esprit extériorisé en collaboration avec les guides du médium qui sauront employer les moyens les plus efficaces pour redonner à la mémoire périspritale toute son intensité. D'ailleurs la méthode n'a pas toujours été inféconde, puisque le professeur Flournoy, malgré son scepticisme bien connu, a été obligé d'avouer qu'il ne pouvait s'expliquer comment Hélène Smith aurait puisé les connaissances et le langage sanscrit de la prin¬cesse Simandini.
Si j'ai fait des réserves à propos des récits des séances spirites dans lesquelles des reconnaissances réciproques ont eu lieu, c'est parce qu'il n'était fourni aucun moyen de contrôle pour vérifier la réalité des événements relatés par les sujets, ce qui ne veut pas dire que leurs récits fussent inexacts.
Il n'en va plus de même dans quelques cas où il est possible, dans une certaine mesure, de consta¬ter l'exactitude de ces remémorations.
En effet, lorsque spontanément la dame anglaise, tout à fait ignorante à l'état normal de la politique française, fait preuve, pendant le dégagement, de connaissances approfondies sur ce même sujet et qu'elle affirme avoir vécu jadis dans notre pays, nous devons tenir le plus grand compte de cette observation provenant d'un milieu où la réincar¬nation n'est généralement pas admise dans les cen¬tres spirites.
Il en est de même de l'histoire du prince de Witt¬genstein, où l'esprit de sa cousine affirme avoir vécu à Dreux dans les circonstances dramatiques que nous avons relatées. L'écriture des commu¬nications au crayon étant de tout point semblable à celle de la chanoinesse vivante, l'identité de cette dernière semble bien établie et la réalité des sou¬venirs est confirmée en partie par les recherches qu'un ami de l'auteur a exécutées pour retrou¬ver les restes du couvent où elle aurait été reli¬gieuse.
Enfin la reconnaissance de la médaille est aussi un argument que l'on ne peut négliger.
Mais avec le cas rapporté par le prince Wisz¬niewski, cette fois la preuve est complète. Une femme tout à fait ignorante, n'utilisant qu'un dialecte de bas allemand, s'exprime en excellent français, raconte des événements de sa vie passée, que l'on vérifie et qui sont parfaitement exacts. Nous voilà en présence d'un véritable cas de réincarnation qu'aucune autre hypothèse ne pourrait logique¬ment expliquer.
L'exemple du fou Sussiac est non moins démons¬tratif, puisque après sa mort il se souvient d'avoir habité un château et qu'il indique avec exactitude l'endroit ignoré de tous dans lequel sont renfermés les documents qu'il a été possible de retrouver en suivant ses indications.
Ces faits vérifiables sont encore malheureusement trop rares, mais nous n'avons pas le droit de les négliger, car ils servent à établir expérimenta¬lement la réalité de ces vies antérieures que nous allons voir confirmer par d'autres phénomènes non moins intéressants et encore plus démons¬tratifs.
Remarquons que les personnalités si différentes et si distinctes entre elles qui s'observent à chaque réincarnation ne sont pas incompréhensibles pour nous et ne portent pas atteinte au principe d'identité, puisque déjà nous avons constaté qu'un même individu, au cours de sa vie, peut présenter des oppositions prodigieuses dans son caractère.
Louis V... par exemple, est tantôt doux, honnête, soumis, puis, sous le choc d'une émotion ou d'un désordre organique, son état nerveux change et il devient taquin, voleur, insoumis; chaque phase est séparée par la perte de connaissance de cer¬tains des états intellectuels antérieurs.
On remarque le même contraste dans les cas de Félida et surtout dans celui de Miss Beau¬champs. Il semblerait que ces diverses personnalités sont en quelque sorte des états allotropiques de l'individualité totale.
Toute réincarnation amenant fatalement un tonus vibratoire tout à fait distinct de celui de la vie de l'espace et des existences antérieures, il est naturel dans ces conditions qu'à chaque retour ici-bas l'être qui se réincarne diffère plus ou moins de ce qu'il était antérieurement, tout en conservant une individualité inaltérable.
L'hérédité et les enfants prodiges
La science matérialiste attribuant les facultés intellectuelles au fonctionnement du cerveau, la suite des études que j'ai poursuivies m'obligeait nécessairement à rechercher dans quelle mesure les phénomènes de l'hérédité pouvaient fournir une explication du cas des enfants prodiges.
Nous avons vu que par le mot « hérédité » on dé¬signe la transmission des caractères anatomiques et physiologiques entre les parents et leurs descen¬dants ; c'est un fait indiscutable.
Mais la science actuelle n'en fournit aucune expli¬cation valable. Toutes les théories imaginées par Herbert Spencer, Darwin, Neegeli, Weissmann, etc., sont absolument incapables de rendre compte de ce phénomène, car les gemmules, les micelles, l'idioplasma, les ides déterminantes, les biophores, les pangènes, etc., ne sont que des mots qui ne corres¬pondent à aucune réalité objective. Il nous sera donc permis, à nous spirites, d'utiliser les connais¬sances que nous avons acquises expérimentalement ; elles nous autorisent à formuler une explication, qui, elle, au moins, a le mérite de s'appuyer sur l'observation et l'expérience.
Puisque le périsprit possède le pouvoir d'orga¬niser la matière, c'est à lui que nous attribuons cette fonction pour expliquer la formation de l'em¬bryon et du foetus.
Si vraiment le principe spirituel a gravi lente¬ment les échelons de la série zoologique, s'il a con¬servé dans sa substance les traces indélébiles (organes atrophiés) de cette évolution, il est naturel qu'il la reproduise en abrégé pendant les premiers mois de la gestation.
Les caractères secondaires qui appartiennent aux parents peuvent être attribués à une action magnétique du père et de la mère qui modifie plus ou moins profondément le type périsprital de l'être qui s'incarne pour lui donner une ressemblance avec ses progéniteurs.
Cette hérédité physique n'est ni générale, ni absolue ; cependant elle existe parfois, et ceci n'est pas contradictoire avec l'explication que j'en donne.
Il en est tout autrement lorsqu'il s'agit de l'héré¬dité psychologique. Celle-ci n'existe pour ainsi dire jamais, et si parfois on peut découvrir des apti¬tudes intellectuelles semblables entre les parents et leurs descendants, ces similitudes ne sont jamais des transmissions directes.
Un mathématicien, par exemple, ne commu¬niquera pas à son fils la connaissance de l'algèbre, pas plus qu'un linguiste ne lui donnera celle des langues qu'il connaît parfaitement.
J'ai cité de nombreux exemples qui démontrent non seulement qu'une quantité d'hommes de génie sont sortis des milieux les plus obscurs, dans les¬quels il serait impossible de découvrir la cause de leurs facultés éminentes, mais aussi que les plus grands hommes n'ont eu souvent que des enfants dégénérés.
L'hérédité psychologique est si peu fréquente qu'un certain nombre de physiologistes ont été contraints d'imaginer une loi d'innéité. En réalité, c'est bien ce qui a lieu. Chaque être, en revenant sur la terre, apporte en soi tout le bagage de son passé et manifeste parfois dès la plus tendre enfance des connaissances si prodigieuses qu'il est matériellement impossible de les attribuer à l'héré¬dité ou au fonctionnement de la matière cérébrale qui n'a pu encore acquérir toutes ses propriétés fonctionnelles.
Toutes les formes de l'intelligence se sont mani¬festées avec un éclat incomparable chez des musi¬ciens comme Mozart ou Beethoven, avant même qu'ils aient pu connaître les notions fondamen¬tales de leur art.
Il en fut de même pour des peintres tels que Giotto et des sculpteurs comme Michel-Ange, qui à l'âge de 8 ans n'avait plus rien à apprendre de la technique de son métier.
Que dire pour expliquer le cas invraisemblable, mais cependant bien réel, d'un Hennecke qui, à 2 ans, savait trois langues, et à 2 ans 1/2, tétant encore sa nourrice, put subir un examen sur l'his¬toire et la géographie. D'un Hamilton connaissant à 3 ans l'hébreu et à 7 ans se trouvant plus avancé que la plupart des candidats à l'agrégation.
Il est bien certain que le cerveau de ces enfants ne devait servir que mécaniquement pour l'énoncia¬tion des idées, car il eût été incapable d'enregis¬trer, en raison de son développement incomplet, la multitude des connaissances des associations d'idées et des raisonnements que ces sciences nécessitent.
Comme je l'ai dit, c'était probablement par un phénomène d'extériorisation que l'esprit incarné manifestait ses prodigieuses aptitudes qu'il n'avait pu acquérir évidemment que dans ses existences passées.
Ces phénomènes sont si embarrassants pour la science matérialiste qu'elle les passe soigneuse¬ment sous silence.
Les réminiscences
J'ai indiqué déjà les raisons pour lesquelles le souvenir du passé qui se manifeste d'une manière si éclatante chez les enfants prodiges n'est pas généralement conservé. Cependant, comme il n'existe pas de règles sans exception, il se peut que par¬fois l'esprit incarné, sous l'empire de différentes circonstances, recouvre momentanément une par¬tie de ses souvenirs antérieurs en se retrouvant dans les lieux qu'il a autrefois habités.
Ces réminiscences peuvent être vagues, mais quel¬quefois elles acquièrent assez d'intensité pour impo¬ser à celui qui les ressent la certitude qu'il a déjà vu le pays où il se trouve et même qu'il y a habité.
Ni le sentiment du déjà vu, ni la clairvoyance ne suffisent dans certains cas pour expliquer com¬plètement ce phénomène. Il ne reste plus alors que la théorie des vies antérieures pour en rendre compte.
C'est ainsi que nous avons vu, comme il fallait s'y attendre, que la réminiscence, bien que géné¬ralement imprécise, est assez fréquente dans le jeune âge. Mais dans l'impossibilité de vérifier la réalité de ces impressions, je ne les ai indiquées que pour ne rien négliger, en réservant pour la suite les exemples authentiques où la réminiscence a été contrôlée.
Avec les cas du major Wellesley, du clergyman et Mme de Krapkoff, nous faisons un pas en avant.
Véritables souvenirs de vies antérieures
Ce n'est plus le simple sentiment du déjà vu ; chaque percipient a la sensation nette d'avoir vécu là autrefois et de ne pas assister simplement à une vision qui ressusciterait le passé.
Mais combien plus démonstratif est le cas de la dame russe : dès son enfance elle dessine sans modèles des personnages vêtus comme au XVIIIème siè¬cle ; et elle reconnaît le château de Versailles et les ruines de Marly sans les avoir jamais vus ; elle a la sensation très nette d'y avoir vécu autrefois.
Il en est de même pour Mme Katherine Bates, dont l'écriture antérieure est reconnue comme étant celle qu'elle possédait autrefois ; puis la vision, la connaissance si approfondie du village de Broadway, sont vraiment démonstratives puisque, dans son exis¬tence actuelle, elle n'avait jamais connu ce pays, qu'elle ignorait que son ancêtre y avait vécu, ce qui exclut l'hypothèse que la clairvoyance ait pu être la source de ces notions si précises.
L'enquête du Dr Gaston Durville, à propos de la vie antérieure de Mme Raynaud, est tout à fait intéressante en raison de la documentation exacte qui a été réunie pour en vérifier toutes les circons¬tances. C'est vraiment un exemple de souvenir d'une vie précédente, car aucune autre hypothèse ne peut en expliquer tous les incidents.
On a vu dans mon rapport au congrès de 1898 que beaucoup d'hommes célèbres affirment se souvenir avoir vécu autrefois. Il est impossible de ne pas tenir compte chez les modernes des attestations d'hommes tels que Lamartine et Méry, si démonstratives à différents égards.
Il en est de même pour le Père Gratry ; il déclare que le génie de la langue latine lui fut révélé tout d'un coup (du dedans au dehors), c'est vraiment un réveil d'une science jadis apprise.
Il en est indiscutablement de même pour Nelly Foster, qui reconnaît un pays qu'elle n'a jamais vu depuis sa naissance et désigne les personnes avec lesquelles elle avait été en rapport dans son incarna¬tion précédente, quand elle se nommait Maria.
Il ne peut s'agir ici de connaissance cryptesthé¬sique, personne n'ayant parlé à l'enfant du pays que sa famille avait précédemment habité.
Il en est de même pour le cas rapporté par le commandant Mantin, où une fillette désigne exacte¬ment les noms des localités espagnoles où elle n'avait jamais passé pendant le cours de sa vie actuelle.
Il est du plus haut intérêt de faire remarquer que les cas de souvenirs des vies antérieures peuvent s'observer dans tous les pays, chez toutes les races et à toutes les époques, et même dans les milieux où les idées de réincarnation sont complètement inconnues ; il semble donc que ces faits spontanés sont bien réellement des manifestations de la con¬tinuité de la mémoire subconsciente.
Leur rareté relative n'est pas une raison suffi¬sante pour nier ceux que nous avons recueillis.
En effet, nous avons vu que dans l'Inde les exem¬ples de souvenirs de vies antérieures sont assez communs ; les cas signalés par le Dr Moutin sont bien contrôlés et ne peuvent se comprendre que si l'on admet la réincarnation. Ceux de recons¬titution de l'individualité tout à fait inconnue des enfants qui prétendent avoir été des person¬nages ayant réellement existé sont également du plus haut intérêt.
Les exemples Tucker en Italie et du Major Welch, dans l'Inde, s'ils étaient mieux documentés, seraient entièrement et complètement démonstratifs.
Je les ai notés pour mémoire, mais les récits de M. Courtain et le cas de la Havane ont été sérieu¬sement observés et prouvent la survivance de la mémoire de la dernière incarnation de certains enfants.
Je n'ignore aucune des critiques que l'on peut élever relativement à la méthode historique, et en ce qui concerne la valeur de témoignages puisés à des sources si différentes, il eût été nécessaire que des enquêtes semblables à celles faites par MM. Moutin et Durville eussent été effec¬tuées pour leur vérification.
Mais il n'est pas permis de négliger systéma¬tiquement les exemples que j'ai recueillis. Il me parait impossible en effet, que tant de témoignages fournis par des personnes honorables, inconnues les unes des autres, appartenant à toutes les classes de la société, n'ayant aucun intérêt pour tromper, soient complètement dénués de valeur.
Ils émanent de sources si diverses et ont cepen¬dant tant de caractères communs qu'il est impos¬sible de les attribuer à la fantaisie des narrateurs ou à l'imagination des enfants, d'autant mieux que parfois ils se sont produits spontanément dans des milieux où toute idée de vie antérieure était absolument étrangère, aussi bien aux parents qu'aux enfants.
Il faudrait fermer volontairement les yeux pour ne pas comprendre l'importance de semblables constatations ; ce sont des faits et nul n'a scienti¬fiquement le droit de les négliger.
Jusqu'à preuve du contraire, ils m'apparaissent comme des démonstrations positives de l'indiscu¬table réalité des vies antérieures.
Annonces de futures réincarnations
S'il est utile de noter soigneusement les cas de reviviscence de la mémoire, il est non moins néces¬saire d'enregistrer les récits dans lesquels l'annonce a été faite d'une future réincarnation.
Tantôt c'est spontanément que cette prédiction a lieu ; d'autres fois elle s'est produite pendant le sommeil, et enfin au cours de séances spirites.
Nous avons vu ces révélations se manifester sous les formes les plus variées. C'est d'abord la petite fille qui, avant sa mort, a l'intuition si nette d'être appelée à revenir qu'elle fixe le jour de sa nou¬velle naissance.
Puis c'est le cas où l'esprit désincarné informe en rêve sa mère et celle qui fut sa sueur qu'il renaîtra chez cette dernière, et le nouveau-né a tous les caractères physiques identiques à ceux que sa première maman lui a vus en rêve.
Ce sont là des complications qu'aucun hasard ne pourrait combiner.
C'est encore par une vision que la femme du capitaine Batista apprend que sa chère petite Blanche lui reviendra, et celle-ci est si bien une réincarnation de la première Blanche qu'elle se souvient de la cantilène en langue française qui l'avait si souvent endormie dans sa vie précédente.
La reviviscence du souvenir est plus complète dans le cas de Nelly Foster où tous les détails de sa vie antérieure sont ressuscités avec une entière fidélité.
Ce sont là des faits éminemment convaincants, qui à eux seuls suffiraient, pour appuyer solidement la théorie des vies successives, car vraiment aucune autre explication logique ne pourrait inter¬venir.
J'ai montré que dans les séances spirites il a été très fréquemment annoncé par les esprits qu'ils renaîtraient dans certaine famille désignée à l'avance, avec des signes caractéristiques, et que ces prédic¬tions se sont réalisées minutieusement.
Il est utile de signaler le caractère moral qui se dégage de certaines de ces observations; d'une manière générale, les âmes qui viennent reprendre un corps le font dans le but de s'améliorer et elles l'annoncent explicitement comme une nécessité qui leur est imposée par la justice immanente.
C'est là un trait commun de l'enseignement des guides spirituels, puisque nous l'avons vu signa¬ler en Angleterre à Mme Bates et dans les groupes lyonnais.
Tels furent les cas cités par MM. Bouvier, Toupet, Jaffeux.
Ils sont en quelque sorte résumés et complétés par le récit du Dr Samona, où l'annonce de la future réapparition de la petite Alexandrine se complique de celle d'une soeur jumelle avec une telle abon¬dance de preuves que le doute est impossible.
Non seulement le caractère, les habitudes d'Alexan¬drine n°1 se retrouvent chez la nouvelle venue, mais encore des souvenirs très précis qui ne per¬mettent pas de douter que la petite disparue ne soit revenue de nouveau.
Ce serait faire injure à nos lecteurs que d'insister davantage pour signaler toute l'importance de ces cas. Est-il possible qu'un tel ensemble de phénomènes de toute nature soit le fait de simples coïncidences ?
Comment pourrait-on expliquer les propriétés du corps spirituel qui ressuscite sa forme ancienne dans les séances de matérialisation ? Si l'on n'admet pas qu'ils ont été acquis ici-bas, qui donc pourra nous donner une explication logique des souvenirs et des réminiscences dont nous avons trouvé un si grand nombre d'exemples ?
Comment se refuser à croire aux prédictions faites dans les séances spirites quand elles se réalisent avec une si parfaite exactitude ?
Tous ces phénomènes en apparence si différents les uns des autres ont une explication commune.
C'est celle de la réincarnation qui nous montre l'esprit gravissant lentement la route ardue qui doit le conduire au bonheur, prix de ses efforts incessants.
Chapitre XIV - Conclusion
L’explication logique des inégalités intellectuelles et morales. – L’oubli du passé. – Le problème de l’existence du mal. – Le progrès. – Conséquences morales de la doctrine.
Pendant tout le cours de cet ouvrage, je me suis efforcé de présenter aux lecteurs les faits de nature diverse qui paraissent prouver scientifique¬ment la démonstration des vies successives.
J'ai négligé volontairement les enseignements qui nous ont été donnés par les esprits au sujet de la grande loi de l'évolution spirituelle, je dois main¬tenant les résumer sommairement, afin qu'on puisse en apprécier l'importance et la grandeur.
Ils éclairent d'un jour inattendu le problème de la destinée humaine en nous offrant des solutions nouvelles sur la nature divine et sur la véritable destinée qui est réservée à tous les êtres humains.
En effet, les philosophes spiritualistes de nos jours se sont assez peu occupés de l'origine de l'âme ; si son avenir les a intéressés, il ne paraît pas qu'il en soit de même de son passé. Il semble pourtant que les deux problèmes se tiennent et qu'ils sont égaux en mystère. Les théologiens ont mis plus de zèle à élaborer cette question ; elle tenait de près à la base même sur laquelle repose le christianisme la transmission du péché originel. Leurs opinions s'accordent assez peu et peuvent se réduire à deux hypothèses. Les uns ont admis que toutes les âmes étaient contenues dans celle d'Adam, qu'elles se transmettaient par génération : telle était en parti¬culier l'opinion de Tertullien, saint Jérôme et Luther ; Leibniz et Malebranche se sont ralliés à cette doc¬trine. Celle-ci n'a pas été admise universellement et l'opinion commune est qu'il faut un acte de la volonté divine pour créer une âme à chaque naissance. Mais ici nous nous heurtons à des difficultés logiquement insurmontables, car cette hypothèse est inconciliable avec la bonté et la justice de Dieu.
Aux preuves classiques concernant la démons¬tration de l'existence de la cause première, le spiri¬tisme est venu en ajouter une nouvelle, en quelque sorte expérimentale, qui résulte de nos rapports avec les Esprits désincarnés. L'étude des commu¬nications spirites nous a prouvé, d'une manière irréfutable, que la situation de l'âme, après la mort, est régie par une loi de justice infaillible d'après laquelle chaque être se trouve dans des conditions d'existence qui sont rigoureusement déterminées par son degré évolutif et par les efforts qu'il a faits pour s'améliorer.
Nos rapports avec l'Au-delà nous ont encore appris qu'il n'existe ni enfer, ni paradis, mais que la loi morale impose des sanctions inéluctables à ceux qui l'ont violée, alors qu'elle réserve des félicités profondes à ceux qui se sont efforcés de pratiquer le bien sous toutes ses formes . Cette bonté et cette justice de l'Etre tout-puissant semblent se trouver en défaut lorsque nous examinons les formi¬dables inégalités physiques, morales et intellectuelles qui existent entre tous les êtres dès leur naissante.
Pourquoi, dirons-nous avec Allan Kardec, si le but que nous devons atteindre est le même pour tous, la puissance souveraine favoriserait-elle cer¬taines de ses créatures en refusant aux autres les mêmes facultés pour arriver au bonheur futur ? Il n'est que trop évident qu'il existe entre les races qui peuplent la terre des différences profondes de mentalité et même dans chaque nation, dès la nais¬sance, une formidable inégalité entre tous les indi¬vidus. Il est absolument certain que l'âme de l'en¬fant montre, dès son jeune âge, des aptitudes diverses et indépendantes de l'éducation. Pourquoi certains décèlent-ils, dès leur tendre enfance, des aptitudes pour les arts et les sciences, tandis que d'autres restent médiocres ou inférieurs toute leur vie ?
D'où viennent chez les uns les idées innées ou intuitives qui n'existent pas chez d'autres ?
Comment admettre qu'une âme neuve, venant pour la première fois ici-bas, soit déjà pétrie de vices et témoigne d'irrésistibles propensions pour le crime, tandis que d'autres, même dans des milieux infé¬rieurs, possèdent des sentiments très nets de dignité et de douceur ?
Quel sera le sort des enfants morts en bas âge et pourquoi la puissance infinie crée-t-elle des âmes qui doivent habiter des corps d'idiots et de crétins, sans utilité sociale ?
Il est de toute évidence que l'éducation est impuis¬sante pour donner aux hommes les facultés qui leur font défaut, et qu'elle développe simplement celles qu'ils apportent à la naissance.
Si vraiment notre éternité future dépend d'un seul passage ici-bas (qui n'est à peine qu'une seconde dans l'immensité des temps), Dieu étant l'être éternel, infini, omniscient, pour lequel il n'existe ni passé ni futur, sait d'avance quel sort est réservé à chaque créature à laquelle il donne l'existence ; l'on est donc en droit de se demander pourquoi il crée ces monstres, dont la vie n'est qu'une série de crimes devant être châtiés par des supplices sans fin. De même, sachant ce qui doit advenir pour chacun de nous, pourquoi favorisera-t-il les uns aux dépens des autres, ce qui est contraire à la fois à la bonté et à la justice de celui que Jésus a appelé «le Père céleste », dont l'amour doit s'étendre à tous ceux qui sortent de lui ? Lorsqu' une doctrine philosophique ou un dogme religieux conduit à de telles inconsé¬quences, logiquement on peut être assuré que ce dogme ou cette doctrine sont des erreurs manifestes, et l'on est en droit de rechercher une explication meilleure de ces apparentes anomalies. Dès lors, l'explication par les vies successives acquiert une valeur incontestable, puisqu'elle offre une solution raisonnable de tous les problèmes qui, sans elle, sont insolubles. En effet, si l'on admet que la nais¬sance actuelle est précédée par une série d'existences antérieures, tout s'éclaire d'un jour nouveau et s'explique aisément. Les hommes apportent en naissant l'intuition de ce qu'ils ont acquis, ils sont plus ou moins avancés selon le nombre d'existences qu'ils ont parcourues. La création étant continue, dans une société, il existe en même temps des êtres dont l'âge spirituel diffère considérablement. De là proviennent les inégalités morales et intellectuelles qui les différencient. Nous pouvons donc dire avec Allan Kardec :
« Dieu, dans sa justice, n'a pu créer des âmes plus ou moins parfaites ; mais, avec la pluralité des existences, l'inégalité que nous voyons n'a plus rien de contraire à l'équité la plus rigoureuse ; c'est que nous en voyons le présent et non le passé. Ce raisonnement repose-t-il sur un système, une supposition gratuite ? Non, nous partons d'un fait patent, incontestable, l'inégalité des aptitudes et du développement intellectuel et moral, et nous trouvons ce fait inexplicable par toutes les théories qui ont cours ; tandis que l'explication en est simple, naturelle, logique par une autre théorie. Est-il rationnel de préférer celle qui n'explique pas à celle qui explique ? »
Si toutes les âmes doivent passer par toutes les situations sociales et par toutes les conditions physi¬ques pour se développer moralement et intellectuel¬lement, les inégalités de toute nature qui se cons¬tatent entre les êtres, dans une société, se com¬pensent dans la série des vies successives. Chacun à tour de rôle occupe tous les degrés de l'échelle sociale, ce qui crée une parfaite égalité dans les conditions du développement des êtres ; en vertu de la loi de justice, tous se trouvent, à chaque instant, dans la condition sociale qui convient le mieux à leur progrès individuel, car toute renaissance est conditionnée par les conséquences des vies anté¬rieures.
Toute faute entraîne des effets inéluctables ; j'ai montré comment s'opère, d'une manière en quel¬que sorte automatique, cette justice distributive qui est infaillible.
L'oubli du passé
L'objection la plus communément faite à la Palin¬génésie, c'est l'oubli presque général des existences antérieures. Dès lors, il semblerait illogique, au point de vue de la justice, de nous faire expier dans une existence des fautes commises dans des vies passées dont nous aurions perdu le souvenir. Il est bon de faire observer, tout d'abord, que l'oubli d'une faute ou d'un crime n'en atténue pas les conséquences, et que la connaissance de ces fautes serait, pour beaucoup d'entre nous, un fardeau insupportable et une cause de découragement qui nous enlèverait la force de lutter pour notre relève¬ment. D'ailleurs, si la rénovation du passé était générale, elle perpétuerait les dissentiments, les haines qui ont été les causes des fautes antérieures et s'opposerait à tout progrès. C'est donc un bien que nous revenions chaque fois sur la terre avec une âme allégée du poids du passé. Mais il est bon de faire observer également que tous les incidents malheureux de notre vie ne sont pas nécessaire¬ment les expiations des fautes antérieures. En effet, ces épreuves sont des conditions indispen¬sables pour nous obliger à vaincre notre égoïsme et à développer les facultés ou les vertus qui nous font défaut. D'ailleurs cet oubli du passé n'est pas perma¬nent, ni absolu. Nous l'avons constaté, puisque déjà sur la terre nous avons signalé des cas où la mémoire des existences passées a été conservée. A un certain degré d'élévation, nous retrouvons, dans l'au-delà, entre deux incarnations, le souvenir de nos vies antérieures, et ceci nous permet de mieux connaître ce qui nous manque encore pour nous élever dans la hiérarchie des esprits, en développant toutes les virtualités intellectuelles ou morales, qui sont en germe dans notre conscience et dont l'épa¬nouissement doit nous conduire au plus haut sommet de la spiritualité. Cette vue, en quelque sorte pano¬ramique, de notre évolution spirituelle nous procure le sentiment de notre identité, et la perpétuité de notre être spirituel.
L'oubli des incidents de nos vies antérieures est nécessaire pour que nous puissions abandonner plus facilement les erreurs et les préjugés contractés au cours de ces existences. Cependant la justice exige que nous rachetions nos fautes lorsque nous les avons commises sciemment. C'est pourquoi, ainsi que le dit le Dr Geley :
« Chacun de nos actes, de nos travaux, de nos efforts, de nos peines, de nos joies et de nos souffrances, de nos erreurs et de nos fautes, a une répercussion fatale, des réactions mentales dans l'une ou l'autre de nos existences. »
Le problème de l’existence du mal
Si le spiritisme a conquis des millions d'adeptes, dans le monde entier, ce n'est pas seulement parce qu'il apporte à l'humanité la démonstration scien¬tifique de l'existence de l'âme et de son immor¬talité, c'est aussi parce qu'il propose des solutions logiques pour toutes les énigmes que les religions ou les philosophies n'ont pu résoudre jusqu'alors. Il ne se contente pas de consoler ceux que le chagrin de perdre les êtres qu'ils aimaient avait réduits au désespoir, il répond à nos interroga¬tions sur notre origine et nos destinées par des théories qui s'accordent aussi bien avec la justice et la bonté de Dieu, qu'avec les exigences de la science.
Quelle plus angoissante question que celle de l'existence du mal ? Comment un être tout-puissant le laisse-t-il subsister, s'il ne dépend que de sa volonté que ce mal disparaisse ? Pourquoi les biens naturels, santé, force, intelligence, semblent-ils distribués au hasard, aussi bien que la fortune et les honneurs, alors que le plus souvent ils sont l'apanage de ceux qui en sont le moins dignes ? Pourquoi ces calamités qui ravagent des pays tout à coup en plongeant dans la douleur des milliers d'êtres innocents ? Interrogez les religions et elles ne vous répondront qu'en invoquant la libre décision de la Divinité qui peut, à son gré, faire des vases d'élection ou d'impureté. L'arbitraire d'une telle doctrine saute aux yeux. Un père juste et bon ne peut pas, sous peine d'une monstrueuse partialité, prédestiner les uns à l'abjection, alors que d'autres n'auront qu'à se laisser vivre pour arriver à la félicité suprême.
La doctrine des vies multiples nous fait entre¬voir une partie de la solution du problème. Si l'on revient un grand nombre de fois sur la terre, le jeu des réincarnations nous placera successivement dans toutes les positions possibles, et l'inégalité réelle qui existe pour une seule vie se compense quand on embrasse la multiplicité des conditions physiques, morales, intellectuelles et sociales, que l'on a tour à tour occupées ici-bas. Ce qu'il y aurait d'arbitraire disparaît si tous les êtres intelligents subissent des épreuves semblables et le sentiment de justice que chacun porte gravé en soi en est satisfait.
Le progrès
Le mal n'est plus alors une fatalité inéluctable et méchante, de laquelle on ne pourrait pas s'affranchir ; il apparaît comme un aiguillon, comme une nécessité destinée à pousser l'homme dans la voie du progrès. Malgré tous les sophismes des rhéteurs, il est certain que le progrès n'est pas une utopie. L'existence de l'homme, à l'époque quaternaire, errant à travers les forêts ou gîtant dans les cavernes, n'est pas comparable à celle du plus misérable paysan de nos contrées modernes. A mesure que nous pénétrons davantage le mécanisme de la na¬ture, nous pouvons utiliser les sciences pour amé¬liorer notre situation physique ; c'est ce qui a eu lieu au cours des âges par la transformation gra¬duelle des plantes qui sont utiles à notre alimen¬tation, par l'assainissement des contrées insalubres, par le redressement et la régularisation des cours d'eau qui suppriment les inondations, etc. ; de même les fléaux naturels, tels que le choléra, la peste, la diphtérie, la rage diminuent chaque jour d'inten¬sité à la suite des immortelles découvertes de Pasteur et de ses élèves. Nous avons le droit d'espérer que, grâce aux progrès de l'hygiène, la tuberculose et les autres maladies épidémiques qui déciment encore l'humanité ne seront plus, d'ici quelques années, qu'un mauvais rêve que la lumière de la science aura fait disparaître.
La civilisation assure à l'homme une sécurité que ses précurseurs ne connaissaient pas, de même que l'agriculture et l'industrie lui ont procuré un bien-être que ses ancêtres n'auraient jamais osé rêver. Les communications rapides entre toutes les parties du monde ont fait disparaître ces famines périodiques qui ont été le fléau de l'antiquité et du moyen âge, comme les progrès de l'hygiène ont diminué les épidémies.
Au point de vue moral, les progrès ont été plus lents ; la lutte pour l'existence est encore cruelle, surtout dans les villes, mais qui aurait le front de comparer le prolétariat actuel à l'esclavage antique ? Si les guerres ne semblent pas sur le point de dispa¬raître, elles ont perdu une partie de leur horreur primitive. On n'arrache plus des populations entières de leurs foyers pour être vendues à l'encan et les souverains ne passent plus leur temps, comme en Assyrie ou en Egypte, à crever les yeux des prison¬niers ou à élever des pyramides avec leurs membres mutilés. Après l'horreur du carnage, les blessés sont recueillis et soignés, la fureur homicide s'éteint quand la bête humaine est repue. On soigne les blessés au lieu de les achever. Le sentiment de la solidarité s'affirme par la multiplication des hôpitaux, par les pensions aux vieillards, par l'aide apportée aux infirmes aussi bien que par les associations qui garantissent leurs membres contre les risques de la maladie et du chômage. On sent qu'un nouvel état de choses est en train de s'élaborer ; s'il est encore rudimentaire et trop défectueux sur beau¬coup de points, il n'est pas interdit de penser qu'il prendra de jour en jour un plus grand essor. L'évo¬lution vers le mieux apparaît comme la consé¬quence de l'élévation intellectuelle de la masse so¬ciale, que l'instruction, libéralement distribuée, com¬mence à faire sortir de la torpeur dans laquelle elle croupissait pendant tant de siècles pour le profit exclusif de ses exploiteurs. On n'attend plus le bonheur d'une intervention surnaturelle. On com¬prend qu'il sera le résultat de l'effort collectif de tous. Il faut laisser aux amateurs de paradoxes faciles la négation du progrès, car celui-ci apparaît comme la loi spirituelle qui régit l'univers entier.
Il en résulte donc que nous sommes créateurs d'un déterminisme ultérieur qui sera la conséquence de nos actions passées, tout en possédant la possi¬bilité de modifier nos existences futures dans le sens le plus favorable, suivant le degré de liberté morale et intellectuelle en rapport avec le point de l'évolution où nous sommes parvenus.
Conséquences morales
Les vies successives ont pour objet le développe¬ment de l'intelligence, du caractère, des facultés, des bons instincts et la suppression des mauvais.
L'évolution étant continue et la création per¬pétuelle, chacun de nous, au cours de ses existences, est à tout instant ce qu'il s'est fait lui-même. En effet, chacun de nos actes emporte avec soi une sanction inévitable qui peut ne pas s'exercer immédiate¬ment, mais qui, tôt ou tard, aura une répercussion certaine dans des vies futures.
Les inégalités morales et intellectuelles ne sont donc plus le résultat de décisions arbitraires de la divinité et la justice ne s'en trouve pas offensée.
Partant tous du même point pour aboutir au même but, qui est le perfectionnement de notre être passant par toutes les situations terrestres, il existe, en réalité, une parfaite égalité entre tous les individus, les différences se compensant au cours des vies multiples.
Cette communauté d'origine nous montre claire¬ment que la fraternité n'est pas un vain mot. A tous les degrés de développement, nous nous sentons reliés les uns aux autres, de sorte qu'il n'existe aucune différence radicale entre tous les peuples, en dépit de la couleur de leur peau ou de leur degré d'avance¬ment. L'évolution n'est pas seulement individuelle, elle est collective. Chaque nation se réincarnant par groupe, il existe une responsabilité collective comme il en existe une individuelle ; il en découle que, quelle que soit notre position dans la société, nous avons intérêt à l'améliorer, puisque en réalité, c'est notre sort futur que nous préparons ainsi.
L'égoïsme est donc à la fois un vice et un mauvais calcul, car l'amélioration générale ne peut résulter que du progrès individuel de chacun des membres qui constituent la société ; lorsque ces grandes vérités seront bien comprises, on trouvera moins de dureté parmi ceux qui possèdent et moins de haine et d'envie dans les classes inférieures.
Si ceux qui détiennent la richesse étaient per¬suadés que leur prochaine incarnation pourrait s'accomplir dans les classes indigentes, ils auraient un intérêt évident à améliorer les conditions sociales des travailleurs ; réciproquement, ceux-ci accepte¬raient avec résignation leur situation momentanée, sachant que plus tard ils pourront être à leur tour parmi les privilégiés.
La Palingénésie est donc une doctrine essentielle¬ment rénovatrice ; elle est un facteur d'énergie, puisqu'elle stimule en nous la volonté sans laquelle aucun progrès individuel ou général ne saurait se réaliser.
La solidarité s'impose donc à nous comme une condition essentielle du progrès social ; c'est une loi de nature que l'on peut distinguer déjà dans les sociétés animales qui se sont constituées pour résister à la loi brutale de la lutte pour la vie.
Le mal n'est donc pas une nécessité fatale qui serait imposée à l'humanité ; celle-ci peut et doit s'en affranchir, elle résulte purement et simplement de notre ignorance des lois physiques et morales qui régissent le monde.
En résumé, la théorie des vies successives satisfait toutes les aspirations de nos âmes qui exigent une explication logique du problème de la destinée. Elle se concilie parfaitement avec l'idée d'une pro¬vidence, à la fois juste et bonne, qui ne punit jamais nos fautes par des supplices éternels, mais qui nous laisse à chaque instant le pouvoir de réparer nos erreurs en nous élevant lentement, par nos pro¬pres efforts, en gravissant les degrés de cette échelle de Jacob dont les premiers échelons plongent dans l'animalité et dont les plus hauts s'élèvent jusqu'à la spiritualité la plus parfaite.
Nous pouvons dire avec Maeterlinck :
« Reconnaissons en passant qu'il est fort regrettable que les arguments des théosophes et des néo-spirites ne soient pas péremptoires ; car il n'y eut jamais croyance plus belle, plus juste, plus pure, plus morale, plus féconde, plus con¬solante et jusqu'à un certain point plus vraisemblable que la leur. Seule, avec sa doctrine des expiations et des purifications successives, elle rend compte de toutes les inégalités sociales, de toutes les injustices abominables du destin. Mais la qualité d'une croyance n'en atteste pas la vérité. Bien qu'elle soit la religion de six cent millions d'hommes, la plus proche des mystérieuses origines, la seule qui ne soit pas odieuse, et la moins absurde de toutes, il lui faudra faire ce que ne firent pas les autres, nous ap¬porter d'irrécusables témoignages et, ce qu'elle nous a donné jusqu'ici n'est que la première ombre d'un commen¬cement de preuve. »
Ces preuves que demande M. Maeterlinck, je crois les avoir apportées.
C'est maintenant une démonstration positive que que nous possédons et elle nous permet de comprendre non seulement la survie du principe pensant, mais aussi son immortalité, puisque pendant des millions d'années nous avons évolué sur cette terre que nous quitterons le jour où nous n'aurons plus rien à y apprendre.
TABLE DES MATIERES
Introduction 2
Chapitre I - Coup d’œil historique sur la théorie des vies successives 6
L’Inde 6
La Perse et la Grèce 6
L'école néo-platonicienne 8
La Judée 8
Les Romains 10
Druidisme 10
Moyen âge 10
Temps modernes 10
L'enquête de M. Calderone 12
Chapitre II - Les bases scientifiques de la réincarnation. Les propriétés du périsprit. 14
Apparitions de vivants 14
Apparitions de défunts 17
Apparitions provoquées 19
Expériences à l’institut métapsychiques international 24
Rapport de Mr. Gabrielli 25
Nécessité logique de l’existence du périsprit 29
Où et comment le périsprit a-t-il pu acquérir ses propriétés fonctionnelles ? 31
Chapitre III - L’âme animale, exposé de l’unité des lois de la vie dans toute l’échelle organique 34
Nécessité de l’incarnation terrestre 34
L'évolution animale 35
Formation et développement graduel de l’esprit 38
Passage du principe intelligent dans la filière animale 39
Chapitre IV - L’intelligence animale 41
Les chevaux calculateurs 41
Le chien rolf 44
Lola 48
Zou 50
Chapitre V - Les facultés supra-normales chez les animaux et leur principe individuel 51
Un cas probable de clairvoyance 54
Fantôme d'un chien vu par un chat 54
Fantômes perçus collectivement par des humains et des animaux 55
Visions de fantômes humains en dehors de toute coïncidence télépathique et perçus collectivement par des hommes et par des animaux 55
Visuel avec précédence de l’animal sur l’homme 55
L'apparition de Palladia 56
Lieux hantés 57
De la survie des animaux 59
L'apparition d’un chien 59
Vision de fantômes animaux s’étant produits en dehors de toute coïncidence télépathique et perçue collectivement par des animaux et des hommes 60
Un chien fantôme 61
Le chien rieur 61
Apparitions d’animaux dans des séances expérimentales 63
Matérialisations visibles de formes d’animaux 63
Les noevi 64
Chapitre VI - La mémoire intégrale 67
La mémoire intégrale 67
Autres exemples d’ecmnésie 71
Histoire de Louis V… 73
La mémoire latente 75
Vision dans la boule de cristal 77
Cryptomnésie 78
Chapitre VII - Les expériences de rénovations de la mémoire 79
Etude sur les séances où se produisent de prétendues révélations sur les vies antérieures du sujet ou des assistants 83
Révélation imprévue 85
Roman subliminal ou réminiscence 86
Haine tenace 88
La réincarnation en Angleterre 89
La réincarnation peut-elle être prouvée ? 89
Les vies successives 90
Le médium Hélène Smith 92
Réveil du passé pendant la trance 95
Cas complexe de réminiscences 96
Une rénovation du passé 99
Une expiation 100
Résumé 101
Chapitre VIII - L’hérédité et les enfants prodiges 102
Les enfants prodiges 102
Les musiciens 104
Les peintres 106
Les savants, les littérateurs et les poètes 106
Les calculateurs 108
Chapitre IX - Etudes sur les réminiscences 110
Le sentiment du déjà vu 110
Visions de lieux inconnus du dormeur pendant le sommeil 112
Hantise de vivants 113
Réminiscences probables chez les enfants 116
Petite fille parlant un idiome spécial dans lequel on retrouve des mots de français 116
Est-ce que ce sont des souvenirs réveillés ? 117
Réminiscences paraissant provoquées par la vision de certains lieux 119
Visions rétrospectives 119
Un clergyman 119
Curieuse coïncidence 120
Réminiscence ou clairvoyance 120
Chapitre X - Les souvenirs de vies antérieures 124
Trianon 125
Réveils de souvenirs 126
Le cas de Laure Raynaud 128
On retrouve à Gênes un acte de décès qui serait celui de Mme Raynaud 131
Extrait du registre des décès de la paroisse de San Francisco d’Alvaro, Gênes 132
Un sujet du docteur Durville, Mme D’Elphes, complète les preuves données par Mme Raynaud 132
Curieuses déclarations 135
Chapitre XI - Autres faits impliquant le souvenir de vies antérieures 137
Extrait de l’enquête du Dr Calderone, rapport du Dr Moutin 142
Souvenir d’une vie précédente 145
Chapitre XII - Les cas de réincarnation annoncés à l’avance 147
Nouvelle preuve de la réincarnation 147
Une double annonce de réincarnation 148
Souvenir d’une chanson apprise dans une vie précédente 150
Réincarnations annoncées dans les séances spirites 151
Les fillettes jumelles du Dr Samona 155
Quelques remarques 165
Chapitre XIII - Vue d’ensemble des arguments qui militent en faveur de la Réincarnation 167
L’âme est un être transcendantal 167
Le périsprit et ses propriétés 168
Où et comment le périsprit a-t-il pu acquérir ses propriétés ? 169
La réincarnation humaine et la mémoire intégrale 171
L'hérédité et les enfants prodiges 173
Les réminiscences 174
Véritables souvenirs de vies antérieures 174
Annonces de futures réincarnations 176
Chapitre XIV - Conclusion 178
L'oubli du passé 179
Le problème de l’existence du mal 180
Le progrès 181
Conséquences morales 182