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sexta-feira, 26 de agosto de 2011

LE SPIRITISME DEVANT LA SCIENCE-GABRIEL DELANNE

 

Índice do Blog

GABRIEL DELANNE

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LE SPIRITISME
DEVANT
LA SCIENCE
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NOUVELLE EDITION

CONFORME A LA SECONDE EDITION ORIGINALE DE 1923

UNION SPIRITE FRANÇAISE ET FRANCOPHONE

Je dédie ce livre à mes parents,
dont la tendresse et la sollicitude m'ont rendu si douces
les premières années de ma vie.

    GABRIEL DELANNE
LE SPIRITISME
devant la Science
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PREMIERE PARTIE
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CHAPITRE PREMIER
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AVONS-NOUS UNE AME ?

Avons-nous une âme ? Telle est la question que nous nous proposons d'étudier dans ce chapitre. Au premier abord, il semble que ce problème peut être résolu facilement, car, dès la plus haute antiquité, les recherches des philosophes ont eu pour objet l'homme, sa nature physique et intellectuelle ; on pourrait croire qu'ils sont arrivés à un résultat ? Eh bien, suivant certains savants modernes, il n'en est rien.
Les anciens, qui avaient pris pour devise la maxime célèbre : «Connais-toi toi-même», ne se connaissaient pas ; ils se figuraient que l'homme était composé de deux éléments distincts : l'âme et le corps ; ils avaient basé sur cette dualité toutes les déductions de la philosophie, et voilà qu'à notre époque, une école nouvelle prétend qu'ils se sont trompés, qu'en nous tout est matière, que l'ancienne entité qualifiée du nom d'âme n'existe pas et qu'il faut abjurer cette vieille erreur, fille de l'ignorance et de la superstition.
Avant de nous incliner passivement devant cet arrêt, nous désirons examiner si réellement les arguments fournis par les matérialistes ont toute la valeur qu'ils veulent leur attribuer. Nous essaierons de les suivre sur leur terrain, et nous tenterons de démêler ce qu'il y a de vrai et de faux dans leurs théories. Nous mettrons en regard de leurs travaux les conclusions impartiales de la science et de la spéculation modernes. De cette comparaison naîtra, nous l'espérons, la certitude qu'il existe bien en nous un principe indépendant de la matière, qui dirige le corps et que nous appelons l'âme.
A ceux qui douteraient de l'utilité pour l'homme du principe spirituel, nous répondrons : Il n'est pas de sujet plus digne d'attirer notre attention, car rien ne nous intéresse plus que de savoir qui nous sommes, où nous allons, d'où nous venons ?
Ces questions s'imposent à l'esprit à la suite des événements douloureux dont nul n'est exempt ici-bas. L'âme déçue et mutilée se replie sur elle-même, après les combats de l'existence, et se demande pourquoi l'homme est sur la terre, si sa destinée est de souffrir toujours ? Lorsque nous voyons le vice triomphant étaler sa splendeur, qui de nous n'a pensé que les sentiments de justice et d'honnêteté sont de vains mots, si, après tout, la satisfaction des sens n'est pas le but suprême auquel aspirent tous les êtres ?
Qui de nous, ayant ardemment poursuivi la réalisation d'un rêve, ne s'est senti le coeur vidé et l'âme désabusée après l'avoir atteint ? Qui de nous ne s'est dit, alors que le tourbillon de l'existence lui laissait un instant de repos : Pourquoi sommes-nous sur la terre et quel sera notre avenir ?
Le sentiment qui nous pousse à cette recherche est déterminé par la raison, qui veut impérieusement connaître le pourquoi et le comment des événements qui s'accomplissent autour de nous. C'est elle qui nous met au coeur le désir d'approfondir le mystère de notre existence. Si au milieu du fracas des villes ce besoin s'impose quelquefois à notre esprit, avec quelle force plus grande encore il nous saisit lorsque, quittant les cités populeuses, nous nous trouvons face à face avec la nature immuable, éternelle. Lorsque nous contemplons les vastes horizons d'un paysage immense, le ciel profond parsemé d'étoiles, il nous semble que nous sommes bien petits dans l'ensemble de la création. - Lorsque nous songeons que ces lieux où nous sommes ont été foulés par d'innombrables légions d'hommes qui n'ont laissé d'autres traces que la poussière de leurs ossements, nous nous demandons avec angoisse pourquoi ces hommes ont vécu, aimé et souffert ?
Quelles que soient nos occupations, quelles que puissent être nos études, nous sommes invinciblement ramenés à nous occuper de notre destination, nous sentons la nécessité de nous connaître et de savoir en vertu de quelles lois nous existons.
Sommes-nous le jouet des forces aveugles de la nature ? Notre race, apparaissant sur la terre après tant d'autres, n'est-elle qu'un anneau de cette immense chaîne des êtres qui doivent se succéder à sa surface ? ou bien, est-elle l'épanouissement de la force vitale immanente de notre globe ? La mort, enfin, doit-elle dissoudre les éléments constitutifs de notre corps pour les replonger dans le creuset universel ou conservons-nous après ce changement une individualité pour aimer et nous souvenir ?
Tous ces points d'interrogation se dressent devant nous aux heures de doute et de réflexion, ils enserrent l'esprit dans le réseau d'idées qu'ils suscitent et obligent l'homme le plus indifférent à se demander : L'âme existe-t-elle ?

Coup d'oeil sur l'histoire de la philosophie
Les philosophes les plus anciens dont l'histoire nous ait conservé le souvenir croyaient que nous étions doubles, qu'en nous résidait un principe intelligent directeur de la machine humaine, mais ils n'avaient pas approfondi les conditions de son fonctionnement. Leurs vues générales étaient assez vagues, car ils voulaient découvrir la cause première des phénomènes de l'Univers. Dans leurs recherches, ils ne s'appuyaient que sur l'hypothèse ; aussi la théorie des quatre éléments qui résulte de leurs travaux fut-elle abandonnée. Mais un fait bien digne d'attention, c'est que Leucippe admettait, pour expliquer le monde sensible, trois choses : le vide, les atomes et le mouvement, et il se trouve aujourd'hui que ses déductions sont en grande partie adoptées par la science contemporaine.
Avec Socrate apparut l'étude méthodique de l'homme : ce grand esprit établit l'existence de l'âme par des raisonnements d'une extrême logique. Son disciple Platon poussa plus loin encore cette croyance. Le philosophe de l'Académie admettait, à l'exemple de Pythagore, un monde distinct des êtres matériels : «le monde des idées». Selon Platon, l'âme connaît les idées par la raison, elle les a contemplées dans une vie antérieure à l'existence actuelle. Voilà une nouveauté ; jusque-là on s'était borné à croire que l'âme était faite en même temps que le corps ; la théorie platonicienne enseignait qu'elle vit antérieurement : nous verrons par la suite combien ses déductions sont justes.
Aristote, surnommé le prince des philosophes, est aussi spiritualiste que ses prédécesseurs, et il faut reconnaître que l'antiquité tout entière a cru à l'existence de l'âme, sinon à son immortalité. Les luttes entre les différentes écoles portaient plutôt sur des divergences dans l'explication des phénomènes de l'entendement que sur l'âme elle-même.
C'est ainsi que se créa la secte sensualiste dont les représentants les plus illustres furent Leucippe et Epicure. Ce dernier plaçait le point de départ de toutes les connaissances dans la sensation. Il admettait bien l'âme, mais la croyait formée d'atomes et, par conséquent, incapable de survivre à la mort du corps. C'était donc, en réalité, un matérialiste, et il se trouvait en opposition formelle avec les idéalistes représentés par Socrate, Platon et Aristote.
Zénon peut être rattaché à cette école, mais, à la différence d'Epicure, il séparait la sensation des idées générales et les sens de la raison. Sans aller aussi loin que les cyniques, les stoïciens considéraient indifféremment les plaisirs et les peines. Ils croyaient immorales toutes les actions s'écartant de la loi et du devoir. Cette sévérité de principes fut pendant plusieurs siècles la force de l'humanité et la seule digue opposée aux passions déchaînées de l'antiquité païenne.
L'école néoplatonicienne d'Alexandrie fournit de lumineux génies, tels qu'Origène, Porphyre, Jamblique, qui surent s'élever jusqu'aux plus sublimes conceptions de la philosophie. Ils admirent la préexistence de l'âme et la nécessité du retour sur la terre. Ils croyaient que l'homme est incapable d'acquérir en une seule fois la somme des connaissances nécessaires pour s'élever vers une condition supérieure, et ils ont défendu ces nobles doctrines avec un courage et une audace sans pareils contre les sectaires du christianisme naissant.
Proclus fut le dernier reflet de ce foyer intellectuel, et l'humanité est restée de longs siècles ensevelie sous les épaisses ténèbres du moyen âge.
Cette époque croyante ne doutait pas de l'âme et de son immortalité, mais les dogmes de l'Eglise, qui s'adaptaient merveilleusement à l'esprit barbare de ces nations arriérées, étaient devenus impuissants en face du réveil des consciences.
L'ancienne philosophie s'appuyait sur la raison ; la théologie de saint Thomas d'Aquin ne reposait que sur la foi, et les tentatives d'affranchissement qui étaient le résultat du divorce entre la foi et la raison étaient cruellement punies.
Le progrès étant une loi de notre globe, un moment devait arriver où le réveil des intelligences s'effectuerait : c'est ce qui eut lieu avec Bacon. Ce savant, fatigué des querelles des scolastiques qui s'épuisaient en des discussions stériles, ramena l'attention sur l'étude de la nature ; avec lui fut créée la science inductive. Il recommanda avant tout l'ordre et la classification dans les recherches : il voulut que la philosophie sortît de ses anciennes limites ; il ouvrit un champ nouveau à ses investigations et la dota de l'observation comme du plus sûr moyen de parvenir à la vérité.
A sa mort se révéla, en France, Descartes. Ce profond penseur rejette toutes les données anciennes pour acquérir des connaissances nouvelles au moyen d'une méthode qu'il a découverte. Partant du principe : je pense, donc je suis, Descartes établissait l'existence et la spiritualité de l'âme, car, disait-il, si l'on peut supposer que le corps n'existe pas, il est impossible de nier la pensée qui s'affirme d'elle-même, dont on sent l'existence à mesure qu'elle s'exerce ; en un mot, nous sommes chacun une chose qui entend, qui conçoit, qui affirme, qui nie, qui veut ou ne veut pas. Dans ces conditions, la faculté de penser appartient à l'individu, abstraction faite des organes du corps.
La méthode préconisée par ce puissant rénovateur inspira toute une pléiade de grands hommes, parmi lesquels nous pouvons citer : Bossuet, Fénelon, Malebranche et Spinosa. En même temps, l'impulsion baconienne formait : Hobbes, Gassendi et Locke. Suivant Hobbes, il n'existe d'autre réalité que les corps, d'autre origine de nos idées que la sensation, d'autre fin de la nature que la satisfaction des sens ; aussi sa manière de voir conduit-elle tout droit à l'apologie du despotisme comme forme sociale.
Gassendi fut un disciple d'Epicure dont il renouvela les doctrines, mais le plus célèbre philosophe de cette période est Locke, qui peut être regardé à bon droit comme le fondateur de la psychologie. Il combattit le système cartésien des idées innées, et imprima, en Angleterre et en France, un grand élan aux études philosophiques.
A peu près à la même époque vivaient Bossuet et Fénelon, qui ont écrit d'admirables livres sur Dieu et l'âme. Dans ces ouvrages empreints de la plus saine logique, on peut se persuader de l'existence de ces grandes vérités si bien mises en relief par ces esprits éminents. La profondeur des pensées est encore rehaussée par une langue admirable, et jamais l'esprit français n'a acquis plus de clarté, d'élégance et de force que dans ces livres immortels.
Leibniz, la plus vaste intelligence produite par les temps modernes, se plaça entre les deux écoles qui se disputaient l'empire des esprits, entre Locke et Descartes. Il réfuta ce que l'un et l'autre avaient eu de trop absolu, mais à sa mort son système ne tarda pas à être abandonné, même en Allemagne où il avait été d'abord accueilli avec faveur.
En France, les Encyclopédistes firent triompher les idées de Locke ; elles conduisirent avec Condillac, Helvétius et d'Holbach à un matérialisme absolu, qui est la conséquence inévitable de ces théories qui, réduisant l'homme à la sensation pure, ne peuvent lui assigner d'autre fin que le bonheur matériel.
On ne tarda pas à voir combien cette méthode, appelée l'empirisme, amenait de tristes résultats. Le besoin d'une réforme se fit vivement sentir, et elle fut accomplie par Thomas Reid, en Ecosse, et Emmanuel Kant, en Allemagne.
Dans notre patrie, l'école éclectique admit le rationalisme de Descartes et brilla d'un vif éclat en soutenant la thèse spiritualiste. Les voix éloquentes de Jouffroy, Cousin, Villemain démontrèrent l'existence et l'immatérialité de l'âme avec une telle évidence que la victoire leur est restée sur le terrain philosophique. Mains l'école matérialiste a opéré un changement de front ; quittant le domaine de la spéculation, elle est descendue à l'étude du corps humain et a prétendu démontrer qu'en nous, ce qui pense, ce qui sent, ce qui aime, n'est pas une entité appelée âme, mais l'organisme humain, la matière, qui seule peut sentir et percevoir.
Nous devons avouer que, pour la masse des lecteurs, il est difficile de se reconnaître au milieu des contradictions, des systèmes et des utopies prêchées par les plus grands esprits. On est las de toutes les recherches métaphysiques qui s'agitent dans le vide ; on demande à revenir à l'étude méticuleuse des faits : de là le succès des positivistes.
Il faut cependant poser nettement la question. Afin que l'équivoque ne soit plus possible, nous allons le faire le plus clairement que nous pourrons.
Il ne peut, exister que deux suppositions sur la nature du principe pensant : matière ou esprit, l'une sujette à la destruction, l'autre impérissable. Tous les moyens termes, quelque subtils qu'ils soient, épicurisme, spinosisme, panthéisme, sensualisme, idéalisme, spiritualisme, viennent se confondre dans ces deux opinions.
«Qu'importe, dit Foissac, que les épicuriens admettent une âme raisonnable formée des atomes les plus polis et les plus parfaits, si cette âme meurt avec les organes, ou si, du moins, les atomes qui la forment se désagrègent et retournent à l'état élémentaire ? Qu'importe que Spinosa et les panthéistes reconnaissent qu'un Dieu vit en moi, que mon âme est une parcelle du grand tout ? Je ne conçois d'âme qu'avec le caractère d'unité indivisible, et la conservation de l'individualité du moi. Si mon âme, après avoir senti, souffert, pensé, aimé, espéré, va se perdre dans cet océan fabuleux appelé l'âme du monde, le moi se dissout et s'évanouit : c'est l'effacement et la mort de mes affections, de mes souvenirs, de mes espérances, c'est l'abîme des consolations de cette vie et le vrai néant de l'âme.»
Ainsi l'alternative est celle-ci : ou bien à la mort terrestre, tout l'être disparaît et se désagrège, ou bien il reste de lui une émanation, une individualité qui conserve ce qui faisait la personnalité, c'est-à-dire le souvenir, et comme conséquence la responsabilité.
Eh bien, en nous cantonnant sur le terrain des faits, nous allons passer en revue les objections qu'on nous oppose et démontrer que l'âme est une réalité qui s'affirme par l'étude des phénomènes de la pensée ; qu'on ne saurait jamais la confondre avec le corps qu'elle domine ; et que plus on pénètre dans les profondeurs de la physiologie, plus l'existence d'un principe pensant se révèle lumineuse et claire aux yeux du chercheur impartial .

Les théories matérialistes
Les représentants les plus illustres des théories matérialistes sont, en Allemagne, Moleschott et Buchner. Ils ont réuni dans leurs ouvrages la plupart des arguments qui militent en leur faveur. Ce sont donc les systèmes qu'ils préconisent que nous allons examiner en premier lieu. Dans un autre chapitre, nous nous occuperons d'une seconde catégorie d'adversaires : les positivistes.
C'est en compulsant les annales de la physiologie, c'est-à-dire des phénomènes de la vie, que les savants cités plus haut, espèrent prouver qu'ils sont dans le vrai. Ils scrutent minutieusement tous les éléments qui entrent dans la composition des corps organisés, ils établissent avec autorité la grande loi de l'équivalence des forces qui se traduit dans les actions vitales, ils mesurent, pèsent, analysent avec un talent hors ligne toutes les actions physiques et chimiques qui s'accomplissent dans le corps de l'homme. Mais si, quittant les sciences exactes, ils se hasardent dans le domaine philosophique, leur témoignage peut être à bon droit récusé.
C'est qu'ils tentent, en effet, une entreprise impossible. Ils veulent bannir des connaissances humaines tous les faits qui ne tombent pas directement sous les sens. Dans leur empressement à repousser les idées anciennes, ils ne réfléchissent pas qu'ils admettent des causes aussi étranges, des entités scientifiques, aussi bizarres que celles des spiritualistes.
Ne voyons-nous pas en premier lieu ces savants qui rejettent l'âme, parce qu'elle est immatérielle, admettre l'existence d'un agent impondérable, invisible et intangible que l'on appelle la vie ? Qu'est-ce, en effet, que la vie ? C'est, répond M. Longet, l'ensemble des fonctions qui distinguent les corps organisés des corps inorganiques. En acceptant cette définition nous n'en sommes pas plus avancés, car nous ignorons toujours quelle est la cause de ces fonctions. Elles ne s'accomplissent qu'en vertu d'une force qui agit constamment, que l'on connaît par ses effets, mais dont la nature intime reste toujours un mystère.
Quelle est cette force qui anime la matière, qui dirige les opérations si nombreuses et si multipliées qui se passent à l'intérieur du corps ?
Nos machines encore si rudimentaires, quand on les compare au plus simple végétal, exigent un entretien constant pour le bon fonctionnement de chacune de leurs parties, une surveillance continuelle pour remédier aux accidents qui peuvent se produire. Dans la nature, au contraire, tout s'accomplit merveilleusement. Les actions les plus diverses, les plus dissemblables s'accordent entre elles pour maintenir cette harmonie qui constitue l'être bien portant.
Qui assigne à chaque substance la place qu'elle doit occuper dans l'organisme ? Qui sépare cette machine lorsqu'elle vient à être endommagée ? En un mot, quelle est cette puissance de laquelle résulte la vie ?
Pour répondre à ces questions, les physiologistes ont imaginé une force qu'ils appellent le principe vital. Nous ne demandons pas mieux que d'y croire, mais nous leur ferons observer que ce principe est invisible, intangible, impondérable, qu'il n'accuse sa présence que par les effets qu'il manifeste, et que les spiritualistes sont dans les mêmes conditions lorsqu'ils parlent de l'âme. Si les matérialistes admettent la vie, et aucun d'eux ne peut la nier, ils n'ont aucune raison pour repousser l'existence du principe pensant de l'homme.
Moleschott a publié un ouvrage intitulé : La circulation de la vie, dans lequel il expose la forme nouvelle des croyances matérialistes. Nous allons le résumer rapidement pour faire voir combien ses allégations sont dépourvues de justesse et par quels sophismes il arrive à donner une apparence de logique à ses déductions.
Il pose en principe que nous ne pouvons saisir en nous et autour de nous que la matière ; que rien n'existe sans elle, que le pouvoir créateur réside dans son sein, et que c'est par son étude que le philosophe peut tout expliquer.
Il s'étend avec complaisance sur les preuves que la science a données de cette grande parole de Lavoisier : rien ne se crée, rien ne se perd. La balance démontre que dans leurs transformations les corps se décomposent, mais que les atomes qui les constituent peuvent se retrouver intégralement dans d'autres combinaisons. Autrement dit, il ne se crée pas de matière. Le corps de l'homme rejette ce qui nourrit la plante ; la plante transforme l'air qui nourrit l'animal ; l'animal nourrit l'homme, et ses débris, emportés par l'air sur la surface de la terre végétale, renouvellent et entretiennent la vie des plantes. Tous les mondes : végétaux, minéraux, animaux, s'unissent, se pénètrent, se confondent et transmettent la vie par un mouvement qu'il est donné à l'homme de saisir et de comprendre. C'est pourquoi, dit-il, «la circulation de la matière est l'âme du monde.»
Cette matière qui nous apparaît sous des aspects si différents, qui se transforme en des avatars si multiples, est cependant toujours la même. Comme essence, elle est immuable, éternelle. Moleschott fait remarquer qu'elle est inséparable d'une de ses propriétés : la force. Il ne conçoit pas l'une sans l'autre. Il ne peut se figurer que la force existe indépendante de la matière ou réciproquement. De là il conclut que les forces désignées sous les noms de : Dieu, âme, volonté, pensée, etc., sont des propriétés de la matière. Suivant lui, croire qu'elles peuvent avoir une existence réelle, c'est tomber dans une erreur ridicule. Ecoutons :
«Une force qui planerait au-dessus de la matière et pourrait à volonté se marier avec elle serait une idée absolument vide. Les propriétés de l'azote, du carbone, de l'hydrogène et de l'oxygène, du soufre et du phosphore résident en eux de toute éternité.»
Il en résulte que la force vitale, l'idée directrice, l'âme, etc., ne sont réellement que des modifications de la matière, quelques-uns de ses aspects particuliers. La matière n'est elle-même, partout et toujours, sous une infinie variété de formes, que la combinaison physico-chimique des éléments. Telles sont, dans leurs grandes lignes, les premières affirmations de Moleschott. Sont-elles exactes ? C'est ce qu'il s'agit de rechercher. Résumons.
1° Il nie absolument tout plan, toute volonté dirigeante dans la marche des événements de l'Univers.
2° Il certifie que la force est un attribut de la matière. Voyons si les faits lui donnent raison :

L'idée directrice
En premier lieu, nous remarquons qu'il existe, dans l'infini, des terres comme la nôtre qui obéissent à des règles invariables, dont l'enchaînement est si grandiose que l'esprit étonné et confondu devant ces merveilles ne peut douter qu'une profonde sagesse ait présidé à leur arrangement. Ce n'est pas à un savant comme Moleschott qu'il est nécessaire de rappeler cette complication extrême de la machine céleste. Ce n'est pas à lui qu'il faut montrer ces milliards de mondes roulant dans l'éther et enchevêtrant leurs orbites dans une harmonie si puissamment combinée que l'imagination la plus fertile peut à peine en approfondir les lois les plus simples.
Qui ne s'arrête émerveillé devant la splendeur d'une belle nuit d'été ? Qui n'a tressailli d'une émotion indescriptible en voyant cette poussière de soleils suspendus dans le vide ? Qui n'a senti une terreur involontaire en songeant que l'astre qui nous porte chemine dans l'éther, sans autre soutien que l'attraction d'une planète lointaine ? Et qui n'a songé, un jour, que les mouvements si précis de cette vaste horloge dévoilaient l'intelligence d'un sublime ouvrier ? Qui n'a compris que l'harmonie ne peut naître du chaos et que le hasard, cette force aveugle, ne saurait engendrer l'ordre et la régularité ?
Oui, dans l'espace sans bornes ont lieu les transmutations éternelles de la matière ; oui, elle change d'aspect, de propriétés, de formes, mais nous constatons que c'est en vertu de lois immuables, guidées par la plus inflexible logique, c'est pourquoi nous croyons à une intelligence suprême, régulatrice de l'Univers.
Si, détournant nos yeux de la voûte azurée, nous les portons autour de nous, nous remarquons encore la même influence directrice. Nous savons, comme Moleschott, que rien ne se crée, que rien ne se perd sur notre petit monde. L'astronomie nous montre la terre tourbillonnant autour du soleil à travers les champs de l'étendue et nous savons que la gravitation retient à sa surface tous les corps qui la composent. Nous pouvons donc très bien comprendre qu'elle n'acquière et ne perde rien dans sa course incessante. Les découvertes nouvelles nous prouvent que toutes les substances se transforment les unes dans les autres, que les corps étudiés par la chimie diffèrent par le nombre et les proportions des éléments simples qui entrent dans leur composition. Rien n'est plus exact et personne ne songe à contester ces vérités démontrées.
Si nous envisageons la multiplicité énorme des échanges qui s'accomplissent entre tous les corps, ce qui nous surprend le plus, ce ne sont pas ces combinaisons elles-mêmes, c'est la merveilleuse entente des besoins de chaque être qu'elles témoignent. Rien n'est perdu dans l'immense laboratoire de la nature. Tous les êtres, si infimes qu'ils nous paraissent, ont leur utilité pour le bon fonctionnement de l'ensemble de la création, chaque substance est utilisée de manière à produire son maximum d'effet, et la «circulation de la matière» entretient la vie à la surface de notre globe. Oui, ce mouvement perpétuel est l'âme du monde, et plus il est compliqué, plus il est diversifié, plus il témoigne en faveur d'une action directrice.
La science contemporaine a découvert nos origines ; nous savons que depuis le moment où la terre n'était qu'un amas de matière cosmique, il s'est produit des métamorphoses qui l'ont amenée lentement, graduellement, jusqu'à l'époque actuelle. C'est en raison de cette progression évolutive que nous reconnaissons la nécessité d'une influence s'exerçant d'une manière constante pour conduire les êtres et les choses de la phase rudimentaire à des états de plus en plus perfectionnés.
On ne peut nier, lorsqu'on examine le développement de la vie à travers les périodes géologiques, qu'une intelligence n'ait dirigé la marche ascendante de tout ce qui existe vers un but que nous ignorons mais dont l'existence est évidente.
Il est facile de constater que les êtres se sont modifiés d'une manière continue en vertu d'un plan grandiose, à mesure que les conditions de la vie se transformaient à la surface du globe. C'est pourquoi nous retrouvons dans les entrailles de la terre les ébauches de la plus grande partie des races, végétales et animales, qui composent aujourd'hui la faune et la flore terrestres.
A quel agent attribuer cette marche progressive ? Est-ce le hasard qui combine avec tant de soin l'action de tous les éléments ? Il serait absurde de le supposer, le hasard étant un mot qui signifie absence de tout calcul, de toute prévision.
Si cette hypothèse est écartée, il nous reste les lois physico-chimiques dont parle Moleschott. Ici encore nous ferons observer que ces lois ne sont pas intelligentes. On n'a jamais admis que l'oxygène se combinât par plaisir avec l'hydrogène ; l'azote, le phosphore le carbone, etc., ont des propriétés qu'ils possèdent de toute éternité, c'est évident. Mais il n'est pas moins vrai que ce sont des forces aveugles, qu'elles ne se dirigent pas en vertu d'une impulsion qui leur est propre, et si ces énergies passives en s'alliant produisent des résultats harmoniques, bien coordonnés, c'est qu'elles sont mises en oeuvre par une puissance qui les domine. La chimie, la physique, l'astronomie, en expliquant les faits qui appartiennent à leurs domaines respectifs, n'ont nullement atteint la cause première. La biologie moderne ne touche pas davantage à cette cause, elle ne supprime pas Dieu, elle le voit plus loin et surtout plus haut.

La force est indépendante de la matière
Examinons maintenant la seconde proposition de Moleschott qui prétend que la force est un attribut de la matière, c'est-à-dire qu'il est impossible de concevoir l'une sans l'autre. Suivant lui, étudier séparément la force et la matière est un non-sens, d'où il résulte que, l'énergie étant contenue dans la matière, les forces, comme l'âme, la pensée, Dieu, etc., ne sont que des propriétés de cette matière. Si nous démontrons que son assertion est fausse, nous établirons implicitement la réalité de l'âme. Pour répondre à un savant, il n'est pas de meilleure méthode que d'opposer d'autres savants.
D'Alembert dit, d'après Newton, «qu'un corps abandonné à lui-même doit persister éternellement dans son état de mouvement ou de repos uniforme». Autrement dit, si un corps est en repos, il ne saurait de lui-même se déplacer.
Laplace exprime ainsi la même pensée : «Un point en repos ne peut se donner le mouvement, puisqu'il ne renferme pas en soi de raison pour se mouvoir dans un lieu plutôt que dans un autre. Lorsqu'il est sollicité par une force quelconque et ensuite abandonné à lui-même, il se meut constamment d'une manière uniforme dans la direction de cette force : il n'éprouve aucune résistance, c'est-à-dire qu'à chaque instant sa force et sa direction de mouvement sont les mêmes. Cette tendance de la matière à persévérer dans son état de mouvement et de repos est ce que l'on nomme l'INERTIE. C'est la première loi du mouvement des corps.»
Ainsi Newton, d'Alembert et Laplace reconnaissent que la matière est indifférente au mouvement et au repos, qu'elle ne se meut que lorsqu'une force agit sur elle, parce que, naturellement, elle est inerte. C'est donc par une affirmation gratuite et sans fondement scientifique qu'on tente d'attribuer la force à la matière.
Nous croyons que le témoignage et la compétence des trois grands hommes cités plus haut peuvent être difficilement récusés ; néanmoins, pour donner plus de poids à notre assertion, nous dirons que le cardinal Gerdil et Euler établissent, par des calculs mathématiques, la certitude de l'inertie des corps ; nous ne pouvons les reproduire ici, mais nous allons faire valoir un argument décisif à l'appui de notre conviction.
Nous avons une excellente preuve du principe de l'inertie dans les applications que l'on a faites des théories de la mécanique aux phénomènes astronomiques.
En effet, si cette science, qui a pour base l'inertie, ne s'appuyait pas sur un fait réel, ses déductions seraient fausses et invérifiables par l'expérience. Si la loi de l'inertie n'était qu'une conception de l'esprit sans aucune valeur positive, il eût été impossible à Leverrier de trouver et de calculer l'orbite d'une planète inconnue jusqu'à son époque, et surtout jamais ses prévisions n'eussent été réalisées, alors qu'elles se sont accomplies de point en point.
Cette découverte affirme que les lois trouvées par le raisonnement sont exactes, car elles se vérifient par l'observation d'un phénomène dont on ne supposait pas la possibilité, lorsque les principes de la mécanique céleste ont été établis. N'est-il pas évident que l'on connaissait les propriétés des corps et plus tard des courbes qu'ils décrivent, longtemps avant d'avoir observé dans le ciel le mouvement des astres ? Or, la mécanique n'étant que l'étude des forces en action, il est certain que ses lois sont rigoureuses, puisqu'elles se contrôlent dans la nature.
Les mathématiciens n'ont pas seuls traité la question : M. H. Martin, dans son livre : Les sciences et la philosophie, démontre, d'après M. Dupré, qu'en vertu des lois de la thermodynamique, il est nécessaire de concevoir une action initiale extérieure et indépendante de la matière.
Il est d'ailleurs facile de se convaincre, en raisonnant d'après la méthode positive, que le témoignage des sens ne peut nous faire voir la force comme un attribut de la matière ; au contraire, nous constatons par l'expérience journalière qu'un corps demeure inerte et sera éternellement dans la même position, si rien ne vient lui donner le mouvement. Une pierre que nous lançons reste, après sa chute, dans l'état où elle est, lorsque la force qui l'animait a cessé d'agir. Une bille ne roulera pas sans une impulsion première qui en détermine le déplacement. Or, l'univers n'étant que l'ensemble des corps, on peut dire de l'ensemble de la création ce qu'on dit de chaque corps en particulier, et si l'univers est en mouvement, il est impossible de constater qu'il en possède lui-même la cause.
Jusqu'ici, on le voit, Moleschott n'est pas heureux dans le choix de ses affirmations. Il érige en vérité les points les plus contestables ; il n'est donc pas surprenant que, partant de données aussi fausses, il arrive à des conclusions absolument erronées. L'étude impartiale des faits nous conduit à envisager le monde comme formé de deux principes indépendants l'un de l'autre : la force et la matière.
Il faut, en outre, observer que la force est la cause effective, à laquelle obéissent tous les êtres organiques ou non. Donc les forces désignées sous les noms : Dieu, âme, volonté, etc., ont une existence réelle en dehors de la matière, qui n'est que l'instrument passif sur lequel elles s'exercent.
Continuons l'analyse du livre de Moleschott, et nous verrons qu'il n'a pas plus de perspicacité dans ses appréciations sur l'homme que dans son étude de la nature. Le grand argument qu'il offre comme preuve de conviction est le même que celui des matérialistes en général ; il consiste à dire : le cerveau est l'organe par lequel se manifeste la pensée, donc c'est le cerveau qui sécrète la pensée. Ce raisonnement est à peu près aussi logique que le suivant : Le piano est l'instrument qui sert à faire entendre une mélodie, donc le piano sécrète la mélodie. Si on s'exprimait ainsi devant un incrédule, il est plus que probable qu'il hausserait les épaules, et, chose bizarre, lorsqu'il s'agit de l'âme, il accepte tout de suite cette manière de discuter. C'est que les matérialistes ne veulent sous aucun prétexte croire à un principe pensant ; ils nient l'existence du musicien ; de là les singulières théories qu'ils nous exposent.
Les matérialistes se trouvent en face de ce problème : L'homme pense, la pensée n'a aucune des qualités de la matière ; elle est invisible, elle n'a ni forme, ni poids, ni couleur ; cependant elle existe, et il faut, pour être rationnels, qu'ils la fassent provenir de la matière. Certes, la difficulté est grande d'expliquer comment une chose matérielle, le cerveau, peut engendrer une action immatérielle, la pensée. Aussi nous allons voir défiler les sophismes à l'aide desquels nos adversaires donnent des apparences de raisonnements.
Le cerveau est nécessaire à la manifestation de la pensée ; les philosophes grecs le savaient déjà, et ils ne tombaient pas pour cela dans l'erreur des sceptiques d'aujourd'hui ; ils faisaient une distinction entre la cause et l'instrument qui sert à produire l'effet. Certains physiologistes, comme Cabanis, n'y regardent pas de si près. Celui-ci dit, en effet :
«Nous voyons les impressions arriver au cerveau par l'entremise des nerfs, elles sont alors isolées et sans cohérence. Le viscère entre en action ; il agit sur elles, et bientôt il les renvoie métamorphosées en idées que le langage de la physionomie ou du geste, ou les signes de la parole et de l'écriture manifestent au-dehors. Nous concluons avec la même certitude ( ?) que le cerveau digère en quelque sorte ses impressions, qu'il fait organiquement la sécrétion de la pensée.»
Cette doctrine est si bien implantée dans l'esprit des matérialistes que, suivant Carl Vogt, les pensées ont avec le cerveau à peu près «le même rapport que la bile avec le foie ou l'urine avec les reins».
Broussais avait déjà dit dans son testament :
«Dès que je sus, par la chirurgie, que du pus accumulé à la surface du cerveau détruisait nos facultés et que l'évacuation de ce pus leur permettait de reparaître, je ne fus plus maître de les considérer autrement que comme des actes du cerveau vivant, quoique je ne susse ni ce que c'était que le cerveau, ni ce que c'était que la vie.»
Moleschott, s'élançant sur de si nobles traces, s'écrie à son tour en variant un peu l'argumentation :
«La pensée n'est pas plus un fluide que la chaleur ou le son, c'est un mouvement, une transformation de la matière cérébrale ; l'activité du cerveau est une propriété du cerveau tout aussi nécessaire que la force, partout inhérente à la matière comme son caractère essentiel et inaliénable. Il est aussi impossible que le cerveau intact ne pense pas, qu'il est impossible que la pensée soit liée à une autre matière que le cerveau.»
Suivant le savant chimiste, toute altération de la pensée modifie le cerveau et toute atteinte à cet organe supprime tout ou partie de la pensée.
«Nous savons, dit-il, par expérience, que l'abondance excessive du liquide encéphalo-rachidien produit la stupeur ; l'apoplexie est suivie de l'anéantissement de la conscience ; l'inflammation du cerveau amène le délire ; la syncope qui diminue le mouvement du sang vers le cerveau provoque la perte de connaissance ; l'affluence du sang veineux au cerveau produit l'hallucination et le vertige ; une complète idiotie est l'effet nécessaire, inévitable de la dégénérescence des deux hémisphères cérébraux ; enfin toute excitation nerveuse à la périphérie du corps, n'éveille une sensation consciente qu'au moment où elle retentit au cerveau.»
Il conclut donc que dans les phénomènes psychologiques, on ne peut constater autre chose que l'éternelle dualité de la création : une force, la pensée qui modifie ; une matière, le cerveau.
Toute l'argumentation de Moleschott consiste à dire qu'avec des organes sains, les actes intellectuels s'exercent facilement ; que si, au contraire, le cerveau devient malade, l'âme ne peut plus s'en servir, et que les facultés reparaissent quand la cause qui altérait le cerveau a cessé d'agir.
C'est toujours l'histoire du piano. Si une des cordes vient à se rompre, il sera impossible de faire vibrer la note qui y correspond ; remplace-t-on cette corde absente, immédiatement il redevient aisé de produire le son. Donc, quand bien même il serait démontré que la pensée est toujours la résultante de l'état du cerveau, cela ne suffirait pas pour pouvoir affirmer que l'encéphale produit la pensée. Tout au plus pourrait-on en induire qu'il existe entre eux des corrélations intimes ; il n'est pas même prouvé que l'intégrité du cerveau soit indispensable pour la production des phénomènes spirituels. Voici ce que dit M. Longet, dont la compétence en physiologie est unanimement reconnue :
«On n'a jamais nié la solidarité des organes sains et d'une intelligence saine, mens sana in corpore sano ; mais cette dépendance si naturelle n'est pas tellement absolue que l'on ne trouve de nombreux exemples du contraire ; on voit de frêles enfants étonner par la précocité de leur intelligence et l'étendue de leur esprit, des vieillards caducs et voisins de la tombe conserver intacts le jugement, la mémoire, le feu du génie, l'ardeur du courage. Il y a peu d'années, le professeur Lordat a écrit un traité remarquable sur l'insénescence du sens intime chez les vieillards. La folie s'accompagne souvent d'une lésion appréciable des centres nerveux ; mais que dirons-nous des cas où Esquirol et les auteurs les plus consciencieux affirment n'avoir trouvé aucun vestige d'altération dans le cerveau ? Les annales de la science nous fournissent un assez grand nombre de faits parfaitement observés d'altération profonde de la substance cérébrale, sans que, pendant la vie, on ait remarqué le plus léger trouble de l'intelligence.
«On a vu des portions de cerveau enlevées, des balles traverser de part en part cet organe, sans le moindre dérangement de l'esprit ; tandis qu'il suffit quelquefois de minces filets de sang dans un point rétréci pour allumer la fièvre, exciter un délire furieux et amener rapidement la mort. Hâtons-nous de reconnaître que l'intégrité des organes, leur bonne conformation, un volume suffisant sont des conditions favorables au libre exercice, à la vigueur des facultés intellectuelles. Mais gardons-nous de confondre l'organe avec la fonction ; et c'est surtout en parlant du cerveau et de la pensée que cette distinction est importante, car plusieurs organes de l'économie concourent à ce grand phénomène de la vie intellectuelle : la privation de l'air la fait cesser immédiatement ; une balle qui traverse le coeur la détruit avec rapidité, etc. - Et cependant, qui oserait donner pour cause première à la pensée l'air que nous respirons, le sang vermeil qui circule dans les canaux artériels ?»
Voilà ce que dit la science et il nous semble que ses conclusions ne sont pas tout à fait en faveur de Moleschott ; il n'est pas possible d'affirmer que la pensée soit toujours en harmonie avec l'intégrité du cerveau, donc elle n'est pas produite par le cerveau.
Nous avons vu aussi, plus haut, le savant hollandais attribuer la pensée à une vibration de la matière cérébrale. Cette théorie serait-elle plus juste que les précédentes ? Nous allons le voir immédiatement.
Une difficulté nous arrête tout d'abord : il est difficile de comprendre comment une sensation engendre une idée. La sensation est une impression produite sur les nerfs sensitifs par un ébranlement extérieur déterminant un mouvement ondulatoire qui se propage par les fibres nerveuses jusqu'au cerveau. Arrivé là, ce mouvement fait vibrer les cellules du sensorium. En quoi en mouvement mécanique des cellules peut-il déterminer une idée ? Comment comprendre que cet ébranlement soit perçu par l'être pensant ?
La cellule nerveuse qui est formée de cholestérine, d'eau, de phosphore, d'acide humique, etc., associés en certaines proportions, n'est pas elle-même intelligente ; le mouvement vibratoire est une simple action matérielle. Comment se fait-il que la pensée naisse cependant de cet ébranlement de la cellule nerveuse ? C'est ce qu'on oublie de nous apprendre.
Les spiritualistes interprètent les faits en disant que nous avons en nous une individualité intellectuelle qui est avertie, par cette vibration, qu'une action a été exercée sur le corps, et c'est lorsque l'âme a conscience de ce mouvement vibratoire que nous éprouvons la perception. Ce qui établit jusqu'à l'évidence que les choses se passent ainsi, c'est le phénomène si ordinaire de la distraction.
Lorsque nous travaillons dans une chambre, n'arrive-t-il pas souvent que nous sommes insensibles au tic-tac d'une pendule ? Et même il se peut que nous ne fassions pas attention aux heures qui sont frappées sur le timbre. Pourquoi ne les entendons-nous pas ? Les vibrations produites par le son ont impressionné notre oreille, elles se sont propagées à travers l'organisme jusqu'au cerveau, mais l'âme étant occupée par d'autres pensées n'a pu transformer la sensation en perception, de sorte que nous n'avons pas eu conscience des bruits produits par la pendule. Ce simple fait démontre d'une manière frappante l'existence de l'âme.

Autres objections
Nous sommes certains maintenant que la pensée n'est produite, ni par l'ensemble du cerveau, ni par un mouvement vibratoire de ses molécules. Assurons-nous qu'elle n'est pas davantage le produit de la matière cérébrale. Reprenons pour les examiner les théories de Cabanis et de Carl Vogt sur la pensée : est-il possible qu'elle soit une sécrétion du cerveau ? Cette idée est tellement fausse, si peu en harmonie avec la réalité des faits, qu'un matérialiste décidé, tel que Buchner, se refuse à l'admettre ; il dit, en effet :
«Malgré le plus scrupuleux examen, nous ne pouvons trouver une analogie entre la sécrétion de la bile, ou celle de l'urine, et le procédé par lequel se forme la pensée au cerveau. L'urine et la bile sont des matières palpables, pondérables et visibles ; de plus, des matières excrémentielles que le corps a usées et qu'il rejette. La pensée, l'esprit, l'âme, au contraire, n'a rien de matériel, n'est pas substance elle-même, mais l'enchaînement des forces diverses formant unité, l'effet du concours de beaucoup de substances douées de forces et de qualités. Si une machine faite par la main de l'homme produit un effet, met en mouvement son mécanisme ou d'autres corps, frappe un coup, indique l'heure ou quelque chose de semblable, cet effet, considéré en lui-même, est pourtant quelque chose d'essentiellement différent de certaines matières excrémentielles, qu'elle produit peut-être durant cette activité.
«C'est ainsi que le cerveau est le principe et la source, ou pour mieux dire, l'unique cause de l'esprit, de la pensée ; mais il n'en est pas pour cela l'organe sécréteur. Il produit quelque chose qui n'est pas rejeté, qui ne dure pas matériellement, mais qui se consume soi-même au moment de la production. La sécrétion du foie, des reins a lieu à notre insu, d'une manière indépendante de l'activité supérieure des nerfs ; elle produit une matière palpable. L'activité du cerveau ne peut avoir lieu sans la conscience entière ; elle ne sécrète pas des substances mais des forces. Toutes les fonctions végétales, la respiration, la pulsation du coeur, la digestion, la sécrétion des organes excréteurs, ont lieu tout autant dans le sommeil qu'à l'état de veille ; mais les manifestations de la vie sont suspendues au moment où le cerveau, sous l'influence d'une circulation plus lente, est enseveli dans le sommeil.»
Pour Buchner, la pensée n'est pas une sécrétion, elle provient d'un ensemble de forces diverses formant unité ; c'est une résultante, mais une résultante de quoi ? Est-ce de l'ensemble du cerveau ou seulement de certaines parties ? Comment quelque chose d'invisible, d'insécable comme la pensée peut-il être produit par différents organes se réunissant dans un effet commun ? l'auteur ne nous en dit rien ; d'ailleurs nous n'avons pas besoin d'explication pour comprendre que cette manière d'envisager la pensée est encore erronée. Buchner reconnaît que la pensée est immatérielle ; nous demandons comment elle pourrait être produite par le cerveau, qui n'est composé que de matière.
Serrons de plus près le sujet et nous verrons que, de quelque manière que l'on s'y prenne, il est impossible de supposer que le cerveau sécrète la pensée, ni qu'elle s'en dégage comme l'électricité des corps qui la renferment.
Il est évident, avéré, incontesté, que le travail cérébral détermine une élévation de température dans le cerveau. Il se produit une oxydation des cellules qui peut se mesurer, comme l'a fait Schiff, en opérant sur des chiens ou sur l'homme, ainsi que l'attestent les expériences de Broca sur des étudiants en médecine, ou enfin en pesant, comme Bayson, les sulfates et les phosphates qui entraient dans son corps par l'alimentation, et en montrant que la quantité de ses sels, rejetée par les excrétions, augmentait d'une manière sensible après un travail cérébral.
En quoi ces expériences, dont les matérialistes ont prétendu faire un argument, peuvent-elles infirmer l'existence de l'âme ? Elles démontrent simplement que lorsque le cerveau travaille, le sang y afflue et détermine un mouvement moléculaire qui se traduit matériellement par des actions chimiques. Croit-on que la pensée soit le produit de ces réactions ? Ce serait une grave erreur, car si le cerveau sécrète la pensée, il faut expliquer la nature et le résultat de cette sécrétion ; est-ce un liquide, un solide, un corps simple, ou un corps composé ? Dès qu'on écarte résolument toute hypothèse spirituelle, on doit établir que l'on obtient par l'élévation de température un objet matériel. Or, qui prétendra jamais que la pensée, cette chose fugitive, est dans ce cas ?
Si l'on admet que la pensée est une force, comme l'électricité ou la chaleur, émanant du cerveau à certains moments, toute force étant un mouvement vibratoire de l'éther, nous retombons dans la théorie de Moleschott que nous avons démontrée fausse.
On voit donc que, quel que soit le procédé d'analyse que l'on emploie, il est impossible de supposer que la pensée soit due à une émanation du cerveau, pas plus qu'à des sécrétions ou vibrations de la matière cérébrale, on ne peut admettre les systèmes matérialistes sans se trouver en opposition formelle avec les faits et avec la raison, et si nous constatons dans le cerveau une série d'actes qui précèdent, accompagnent ou suivent la pensée, il est absolument illogique de leur en attribuer la production.
Une des facultés de l'âme qui a le plus frappé l'attention des philosophes est sans contredit la mémoire. Faculté mystérieuse qui réfléchit et conserve les accidents, les formes et les modifications de la pensée, de l'espace et du temps ; en l'absence des sens et loin de l'impression des agents extérieurs, elle représente cette succession d'idées, d'images et d'événements, déjà envolés, déjà tombés dans le néant ; elle les ressuscite spirituellement, et tels que le cerveau les sentit et que la conscience les perçut et les forma.
Pour en expliquer le mécanisme, Aristote admet que les impressions extérieures se gravent dans l'esprit, à peu près comme on reproduit une lettre en posant un cachet sur la cire. Descartes croit aussi que cette faculté provient de vestiges que laissent en nous les impressions des sens ou les modifications de la pensée. Adoptons la manière de voir de ces grands hommes et demandons-nous comment nous pourrons la concilier avec les données que Moleschott nous fournit sur la nature du principe pensant.
Le savant chimiste établit dans un magnifique chapitre le mouvement incessant de la matière, les transformations merveilleuses et multiples qui s'accomplissent à l'intérieur de notre corps, et, en s'appuyant sur les travaux de Thompson, de Vierodt et, de Lehumann, qui avaient eux-mêmes pour base ceux de Cuvier et de Flourens, il annonce que «les faits justifient pleinement la supposition que le corps renouvelle la plus grande partie de sa substance, dans un laps de vingt à trente jours.» Et ailleurs il dit encore : «L'air que nous respirons change à chaque instant la composition du cerveau et des nerfs.»
Si cela est vrai, si nous sommes tous les trente jours un être nouveau, si toutes les molécules qui composent notre être sont rentrées dans le tourbillon vital, comment se fait-il que nous ayons encore dans l'âge mûr le souvenir d'actes qui se sont passés pendant notre jeunesse ? Comment Moleschott nous expliquera-t-il que, malgré ces mutations continuelles, nous soyons toujours les mêmes individus ? Il est incontestable que nous avons l'invincible certitude d'être identiques ; alors même que nous vieillissons, nous savons que notre moi ne change pas. Au milieu des vicissitudes de l'existence, nos facultés peuvent grandir ou s'oblitérer, nos goûts varier à l'infini et notre conduite présenter les contradictions les plus singulières, mais nous sommes certains d'être toujours le même être, nous avons conscience qu'un autre n'a pas pris notre place, et cependant tous les éléments de notre corps ont été renouvelés plusieurs fois, pas un atome de ce qui le formait il y a dix ans ne subsiste en lui présentement, comment se fait-il alors que nous conservions la mémoire des choses passées ?
C'est, nous répondent les spiritualistes, qu'il existe en nous un principe qui ne change pas et dont la nature indivisible n'est pas soumise comme la matière à la destruction. C'est l'âme qui conserve le souvenir des événements accomplis, les conquêtes de l'intelligence et les vertus lentement acquises par une lutte incessante contre les passions.
Nous ne pouvons admettre les théories matérialistes, car elles tendent tout simplement à supprimer la responsabilité des actes. Si nous ne sommes, en effet, qu'un assemblage de molécules sans cesse renouvelées si les facultés sont la traduction exacte du développement que le hasard donnerait à certaines parties du cerveau, de quel droit l'homme pourrait-il se prévaloir de ses qualités, et pourquoi condamnerait-on un malfaiteur, puisque son penchant au crime dépendrait d'une disposition organique qu'il n'est pas maître de modifier ?
Les combats que nous soutenons contre les aspirations qui nous entraînent vers le mal indiquent qu'il est en nous une force consciente dirigée par les lois de la morale. Ces luttes intérieures révèlent l'action de la volonté en dépit de tous les sophismes que l'on a entassés pour établir qu'elle est chimérique. Nous ne sommes pas toujours maîtres, il est vrai, de dominer nos sensations, elles s'imposent souvent à nous avec énergie : un spectacle touchant nous pénètre d'une douce émotion, la vue d'une injustice excite notre indignation, une harmonie suave nous enchante, mais ces impressions si diverses sont bien différentes du vouloir, qui est le plus intime caractère du moi et de la personnalité humaine. Lorsque nous sommes en face d'un acte à accomplir, nous pesons les motifs qui peuvent nous déterminer, la voix de l'intérêt se fait entendre en opposition souvent avec celle du devoir, et ce qui constitue le mérite, c'est le pouvoir que nous avons de choisir entre ces deux mobiles. C'est parce que nous sommes libres que nous sommes responsables ; cette grande vérité est si ancrée dans la conscience universelle qu'on n'a jamais vu un fou être puni pour avoir commis un crime.
Le libre arbitre n'est pas une illusion, c'est lui qui donne à l'honnête homme la force de mourir plutôt que d'enfreindre les lois, c'est lui qui pousse les grands coeurs aux dévouements héroïques ; et, si l'homme n'était que l'aveugle jouet des forces physico-chimiques, il faudrait dire adieu à tous les nobles sentiments, à toutes les aspirations généreuses !
On a tenté de prouver, en comparant le poids d'un grand nombre de cerveaux humains, que l'intelligence la plus développée correspondait toujours à l'encéphale le plus lourd. Des statistiques nombreuses ont été établies ; mais jusqu'ici les résultats n'ont pas été assez précis pour permettre de formuler une loi. On constate, il est vrai, qu'à mesure que l'on se rapproche des races inférieures la capacité crânienne diminue. Dans ces derniers temps, MM. Bischof, Nicolucci, Hervé, Broca, etc., ont fait des recherches très curieuses à cet égard, mais, pas plus que leurs prédécesseurs, ils n'ont pu déduire une règle des cas nombreux qu'ils ont observés, et l'on a vu des idiots dont le volume du cerveau était aussi considérable que celui de personnes jouissant de toutes leurs facultés intellectuelles.
C'est dans ces sortes de recherches qu'il ne faut pas confondre l'organe et la fonction. Si on remarque que certaines parties du corps s'accroissent plus que d'autres, c'est qu'elles travaillent davantage. Il est reconnu que les forgerons ont le bras droit beaucoup plus fort que l'autre, parce que c'est avec celui-là qu'ils manient le marteau. On a également observé que les tourneurs ont la jambe gauche plus volumineuse que la droite, car c'est celle dont ils se servent constamment. En induira-t-on que ces hommes sont forgerons ou tourneurs parce que leurs membres sont plus développés ?
Le raisonnement est le même pour le cerveau. Si dans certains cas on observe une corrélation entre son volume et une grande activité intellectuelle, cela prouve simplement que l'esprit agit avec intensité sur lui. M. Hervé dit excellemment : «L'encéphale s'accroît, toutes choses égales, en proportion de l'activité fonctionnelle dont il est le siège.» C'est une loi qui s'applique à tous les organes dans toute la série animale ; or, quelle est l'activité fonctionnelle du cerveau ? L'activité intellectuelle et morale.
Donc le poids et le volume du cerveau n'ont rien de commun avec l'existence de l'âme, et ne peuvent l'infirmer.
Conclusion
En résumé, nous dirons qu'il ressort de l'étude des faits la certitude que nous possédons un principe pensant, indépendant de la matière, qui n'est pas soumis comme elle aux transformations de la vie, et dans lequel réside le souvenir. Pour combattre cette vérité si simple, des savants ont fouillé les profondeurs les plus intimes de l'être, afin d'en extraire des arguments.
On est surpris de voir combien ils s'égarent, lorsque, quittant le solide terrain de l'expérience, ils se hasardent, guidés par des hypothèses, dans le domaine philosophique. C'est qu'ils ne veulent admettre que ce qui est visible, tangible, que l'on peut mesurer. Nous n'aurions rien à dire contre cette méthode, si on s'en servait toujours ; mais ce qui n'est pas juste, c'est qu'on ne l'applique qu'aux phénomènes psychiques. Broussais disait : «J'ai disséqué bien des cadavres, je n'ai jamais trouvé l'âme.» Et cependant, il admettait la vie et les sciences naturelles qui ne reposent que sur des entités.
Ecoutons M. Laugel :
«La chimie se contente de mots toutes les fois qu'il est impossible de pénétrer l'essence même des phénomènes. De quoi parle-t-elle sans cesse ? D'affinité ; n'est-ce pas là une force hypothétique, une entité aussi peu tangible que la vie et que l'âme. La chimie renvoie à la physiologie l'idée de la vie et refuse de s'en occuper. Mais l'idée autour de laquelle la chimie se déroule a-t-elle quelque chose de plus réel ? Cette idée est souvent insaisissable, non seulement dans son essence, mais encore dans ses effets. Peut-on méditer, par exemple, un instant sur les lois de Berthollet sans comprendre qu'on est en face d'un mystère impénétrable ? Dans les expériences qui ont servi à les fonder, les réactions chimiques sont ramenées à des conditions purement statiques et indépendantes des affinités proprement dites ; mais dans le phénomène d'une combinaison, dans cet entraînement qui précipite l'un vers l'autre des atomes qui se cherchent, se joignent en échappant aux composés qui les emprisonnaient, n'y a-t-il pas de quoi confondre l'esprit ?
«Pour moi, je pense que plus on étudie les sciences dans leur métaphysique, plus on peut se convaincre que celle-ci n'a rien d'inconciliable avec la philosophie la plus idéaliste. Les sciences analysent les rapports, elles prennent des mesures, elles découvrent les lois qui règlent le monde phénoménal ; mais il n'y a aucun problème, si humble qu'il soit, qui ne les place en face de deux idées sur lesquelles la méthode expérimentale n'a aucune prise : en premier lieu, l'ESSENCE de la substance modifiée par les phénomènes ; en second lieu, la FORCE qui provoque ces modifications. Nous ne connaissons, nous ne voyons que des dehors, des apparences : la vraie réalité, la réalité substantielle et la cause nous échappent.»
Nous ne pouvons mieux terminer cette revue qu'en citant les paroles suivantes de l'illustre physiologiste Claude Bernard :
«La matière, quelle qu'elle soit, est toujours dénuée de spontanéité et n'engendre rien ; elle ne fait qu'exprimer par ses propriétés l'idée de celui qui a créé la machine qui fonctionne. De sorte que la matière organisée du cerveau qui manifeste des phénomènes de sensibilité et d'intelligence propres à l'être vivant n'a pas plus conscience de la pensée et des phénomènes qu'elle manifeste, que la matière brute d'une machine inerte, d'une horloge par exemple, n'a conscience des mouvements qu'elle manifeste ou de l'heure qu'elle indique ; pas plus que les caractères d'imprimerie et le papier n'ont la conscience des idées qu'ils retracent. Dire que le cerveau sécrète la pensée, cela reviendrait à dire que l'horloge sécrète l'heure ou l'idée du temps...
«Il ne faut pas croire que c'est la matière qui a engendré la loi d'ordre et de succession, ce serait tomber dans l'erreur grossière des matérialistes.»
CHAPITRE II
-
LE MATERIALISME POSITIVISTE
Dans notre courte revue des différents systèmes philosophiques, nous avons omis de parler de deux écoles importantes : les phalanstériens et les fouriéristes qui ne nous importaient pas directement, leurs théories étant plutôt sociales que purement philosophiques. Il faut cependant noter que Saint Simon rendit un véritable service à l'esprit humain, en montrant avec sagacité que l'on doit faire à l'âme une place plus large que celle que lui avaient accordée les philosophes du XVIII° siècle.
Fourier, lui aussi, au milieu du sensualisme de son époque, croyait à l'âme et à son immortalité ; ses continuateurs se distinguent dans le mouvement moderne par l'allure de leurs écrits qui tranchent sur les travaux plus matérialistes de la fin de notre siècle.
A part ces deux grands hommes, nous signalerons une pléiade de penseurs d'élite, tels que : Pierre Leroux, Jean Reynaud, Lamennais, etc., qui relevèrent brillamment le drapeau spiritualiste ; et l'on aurait pu penser que la victoire était définitivement acquise à ces derniers, quand se révéla parmi les disciples de Saint-Simon un philosophe de premier ordre : Auguste Comte.
Il fonda un système nommé le positivisme, qui eut pour mérite d'opposer à l'imagination par trop vagabonde de ses prédécesseurs les froides et rigides doctrines de la tradition baconienne. Comte essaya de ranimer le sensualisme en lui appliquant l'idée du progrès, mais il échoua dans sa tentative et fut forcé, après avoir voulu tout expliquer par l'expérience et l'observation, de reconnaître qu'il existe en nous une faculté : le sentiment, qui ne peut être impunément méconnu. Il finit par inventer une sorte de religion qui se perdait dans les nuages d'un mysticisme incompréhensible. C'était, suivant Huxley, «un catholicisme avec le christianisme en moins».
Ses disciples ne le suivirent pas dans cette voie ; ceux qui firent dissidence donnèrent dans l'excès contraire et sont actuellement de vrais matérialistes, bien qu'ils veuillent s'en défendre.
Un des plus illustres représentants du positivisme est Littré. Toute sa vie, ce travailleur infatigable défendit la nouvelle conception, en retranchant ce que son esprit rigoureux y trouvait d'inutile ou de superflu. Ce sont ces suppressions qui le déterminèrent à se séparer d'Auguste Comte vieillissant et à réduire les doctrines de son maître à leur véritable utilité ; mais il accentue encore la tendance matérialiste que renferme en germe le positivisme, et nous mettrons cette grande intelligence en contradiction avec elle-même, quand elle prétend rester neutre entre les deux systèmes qui se partagent les esprits : le spiritualisme et le matérialisme.
Exposons d'abord ce que l'on appelle la conception positive du monde, c'est-à-dire «la philosophie qui résulte de la coordination du savoir humain». C'est plutôt une négation qu'un dogme. Les positivistes ont pour objectif l'étude de la nature par les sens, l'observation et l'analyse. Tout ce qui sort de cet ordre de choses est pour eux l'inconnu, le POURQUOI qu'ils renoncent délibérément à chercher.
Les réalités des métaphysiciens peuvent exister, on ne les nie pas, mais comme elles n'entrent pas dans le domaine des faits sensibles, il est inutile et dangereux de vouloir les définir ; en un mot, elles sont INCONNAISSABLES, c'est-à-dire tout à fait hors de la portée de l'entendement.
«Aussi le fond même de l'état positif de l'esprit humain, le caractère essentiel de la mentalité positive, c'est d'écarter toute imagination dans l'explication des choses et de n'y procéder que par constatation réelle, par observation ; c'est d'éliminer toutes les suppositions indémontrables et invérifiables, et de se borner à observer des rapports naturels, afin de les prévoir pour les modifier à notre avantage lorsque cela devient possible, ou à les subir convenablement lorsqu'ils ne sont pas accessibles à notre action .»
Au-delà de la sphère des phénomènes constatés, démontrés, il existe un inconnu que l'esprit cherche vainement à pénétrer ; aussi Littré, en traçant le programme de l'école, recommanda-t-il une absolue neutralité sur toutes les questions dogmatiques relatives à l'essence des choses. Il affirme nettement cette marche dans la page suivante :
«Ne connaissant ni l'origine, ni la fin des choses, il n'y a pas lieu pour nous de nier qu'il y ait quelque chose au-delà de cette origine et de cette fin (ceci est contre les matérialistes et les athées), pas plus qu'il n'y a lieu d'affirmer (ceci est contre les spiritualistes, les métaphysiciens et les théologiens...). La doctrine positive réserve la question suprême d'une intelligence divine, en ce sens qu'elle reconnaît être d'une ignorance absolue, comme, du reste, les sciences particulières qui sont ses affluents, de l'origine et de la fin des choses, ce qui implique nécessairement que, si elle ne nie pas une intelligence divine, elle ne l'affirme pas, demeurant parfaitement neutre entre la négation et l'affirmation, qui, au point où nous en sommes, se valent.
«Il va sans dire qu'elle exclut le matérialisme qui est une explication de ce que nul ne peut expliquer. Elle ne cherche pas non plus ce que le naturalisme a d'exorbitant ; car elle dit comme M. de Maistre, en parlant de la nature : «Quelle est cette femme ? »
On le voit, c'est bien net, bien tranché, le vrai positiviste ne doit incliner dans aucun sens ; il lui est absolument interdit de méditer sur les problèmes qui ne peuvent se résoudre par la méthode directe de l'analyse et de l'observation.
Cet équilibre dont parle Littré peut-il être maintenu ? Est-il possible, lorsque les lois de la nature décèlent un enchaînement admirable de phénomènes, de se l'enfermer dans l'étroite limite des faits connus sans tenter de s'élever juqu'à une cause première, quelle qu'elle soit d'ailleurs ?
Non, il n'est pas naturel de s'arrêter en route et de se dire : nous n'irons pas plus loin. L'invincible curiosité humaine nous pousse à franchir les bornes que l'on veut lui imposer, et, volontairement ou non, les hommes de science sont appelés à se prononcer, soit dans un sens, soit dans l'autre. Hâtons-nous d'ajouter que l'état suspensif, recommandé comme l'expression de la sagesse, est violé par Littré et ses partisans ; ils se déclarent franchement matérialistes, ainsi que le prouve le passage suivant que le maître a écrit dans la préface du livre de M. Leblais sur le matérialisme :
«Le physicien reconnaît que la matière pèse ; le physiologiste que la substance nerveuse pense, sans que ni l'un ni l'autre aient la prétention d'expliquer pourquoi l'une pèse et pourquoi l'autre pense.»
Nous ne nous arrêterons pas à signaler l'impropriété de la comparaison entre la pesanteur, phénomène physique, et la pensée, action spirituelle, laquelle ne peut être assimilée à aucune propriété de la matière. Ce qu'il importe de remarquer, c'est cette affirmation : la substance nerveuse pense, que nous avons vue reproduite par tous les matérialistes.
Un philosophe du l'école de Comte devrait cependant être d'une ignorance absolue quant aux faits psychiques ; pour lui les phénomènes de la pensée ne doivent pas être le produit de la substance cérébrale, puisqu'il n'a jamais pu constater expérimentalement qu'une certaine quantité de phosphore, par exemple, ajoutée à la masse du cerveau, rendait la pensée plus active, ou que la même quantité enlevée à cet organe annihilait la pensée. Il sort de la neutralité qu'exige son programme pour se prononcer négativement. Donc nous avions raison de dire que les positivistes n'étaient que des matérialistes déguisés.
En veut-on encore une preuve ? Nous la trouvons facilement lorsque Littré examine l'univers et cherche les lois qui le dirigent. Voici ce que nous lisons dans les Paroles de philosophie positive.
«L'univers nous apparaît présentement comme ayant ses causes en lui-même, causes que nous nommons des lois. - L'immanence est la science expliquant l'univers par les causes qui sont en lui... L'immanence est directement infinie ; car, laissant les types et les figures, elle nous met sans intermédiaire en rapport avec les éternels moteurs d'un univers illimité, et découvre à la pensée stupéfaite et ravie les mondes portés sur l'abîme de l'espace, et la vie portée sur l'abîme du temps.»
On ne peut nier dans ce passage l'établissement d'une doctrine très nettement formulée. On oppose à l'idée d'un créateur celle de l'immanence, c'est-à-dire la propriété qu'aurait l'univers de se mouvoir en vertu des lois qu'il possède en lui-même. Comme le fait remarquer M. Caro, c'est une affirmation qui dépasse singulièrement «la sphère des faits vérifiables et des vérités démontrées», dont Littré prétendait ne pas s'écarter.
En somme, le plus illustre représentant de la science positive est matérialiste, sinon en principe, du moins effectivement. Contrairement à son programme et à la réalité, il affirme que la matière pense, et il croit que la nature se gouverne seule. C'est contre ces conclusions que nous nous inscrivons en faux, eu vertu des raisons que nous avons exposées dans le chapitre précédent.
La méthode positive rejette tout instrument d'étude autre que les sens ; mais il existe en nous cette propriété de nous connaître que l'on nomme sens intime, qui a bien sa valeur, puisque c'est par lui que nous sommes informés de l'existence de la pensée. Sans doute, on ne peut préciser en quoi il consiste, il est impossible de trouver d'organe qui lui corresponde, et cependant personne ne révoquera son témoignage qui s'affirme par un exercice journalier. Citons une belle page du père Elie Méric, tirée du livre : La vie dans l'esprit et dans la matière.
«MM. Littré et Robin n'ont pas exposé le positivisme plus clairement que Broussais. Les uns et les autres nous accusent d'expliquer un comment mystérieux : la pensée, par un arrangement mystérieux, insaisissable : l'âme.
«Il faut donc prouver que nous avons la perception claire de l'âme, de la pensée, du jugement, de la volonté et d'un rapport nécessaire entre l'âme et ses facultés. Il faut démontrer que nous avons une perception aussi réelle de ces choses que de l'existence des phénomènes matériels.
«Par une propension invincible et une conviction raisonnée, je sais et je sens que je pense, que j'imagine, que j'aime, que je raisonne. Je sais que des pensées se succèdent et se révèlent en moi, que des idées se présentent à moi sous forme d'images, que certains objets, certaines créatures éveillent en moi un sentiment d'amour, d'autres un sentiment de haine. Je sais et je sens que, par un retour de ma pensée, par un retour de ma volonté, je peux réfléchir sur ces idées, ces images, ces désirs, ces sentiments, les observer, les décrire, les analyser, que je raisonne enfin.
«Et je peux renouveler ce phénomène, rappeler un souvenir par la mémoire, réveiller l'amour et la haine, évoquer une image disparue au gré de ma volonté. Voilà une expérience que je peux renouveler aussi souvent que le chimiste et le physicien renouvelleront une expérience de physique et de chimie. Voilà un fait aussi certain que la circulation du sang et la transformation des éléments en ma propre substance.
«Sous peine de faire violence au sens intime, de désavouer le témoignage de la conscience universelle ou de céder à des préjugés fâcheux et coupables, voilà des réalités que le positiviste doit reconnaître, affirmer ; et cependant ces réalités, ces phénomènes ne sont pas matériels ; on ne les connaît pas par le témoignage des sens.»
La pente sur laquelle glissent les positivistes doit les amener fatalement au matérialisme, dont théoriquement ils ont la prétention de s'écarter. Le dédain qu'ils montrent pour tout ce qui n'est pas directement mesurable dénote la négation anticipée de toutes les réalités spirituelles. Malgré toute leur science, ils ne peuvent expliquer la pensée, elle se produit dans des conditions déterminées qui ont sans doute un certain rapport avec des états spéciaux du cerveau, mais, pas plus que Moleschott, il ne leur est possible d'affirmer qu'elle en est le produit.
Le cerveau, sa composition, son mode de fonctionnement, tel est le champ de bataille actuel où se concentrent les efforts des partis opposés. C'est en pénétrant dans les profondeurs de sa constitution intime, en scrutant avec ténacité les replis les plus secrets de cet organe, qu'un savant physiologiste, M. Luys, espère donner gain de cause aux positivistes. Il veut montrer que l'activité intellectuelle est produite simplement par le jeu des forces naturelles des cellules de l'écorce cérébrale, stimulées par les excitations du dehors, amenées par les nerfs centripètes.
Il est conséquent avec ses doctrines, car aujourd'hui la plus grande partie des disciples de Littré professent une horreur injustifiable pour l'ancienne philosophie ; ils repoussent en bloc tous les faits certains auxquels on était arrivé par l'étude attentive des états de conscience pour adopter une psychologie nouvelle qui ne fait point partie d'une philosophie quelconque, plutôt que d'une autre science.
Cette psychologie ne s'occupe point de l'âme et de ses facultés considérées en elles-mêmes, mais des phénomènes par lesquels se manifeste l'intelligence, et des conditions invariables des lois de leur production. Elle ne demande pas à la conscience seule de lui faire connaître l'esprit, elle ne se borne pas à l'action interne, qu'elle prétend trop souvent illusoire, mais elle fait appel à la méthode des sciences naturelles, disposant parfois, malgré la délicatesse de son sujet et la crainte respectueuse qui la maîtrise, de l'expérimentation elle-même, grâce à la pathologie.
Son premier principe, son point de départ est ce fait, admis depuis peu par la science officielle, que le cerveau est l'organe de la pensée, de l'esprit, ou plus exactement que l'intelligence, l'âme, si l'on veut comprendre sous ce mot l'ensemble des idées et des sentiments, est une fonction du cerveau.
D'autres, exagérant encore ce système, espèrent arriver un jour à déterminer à quelles vibrations de la masse phosphorée correspond, par exemple, la notion de l'infini !
Reprenons encore une fois l'étude du cerveau, non plus en l'envisageant avec Moleschott au point de vue de sa composition chimique, mais dans sa structure anatomique et dans sa vie physiologique. Nous suivrons pas à pas le livre de M. Luys : Le Cerveau et ses fonctions, et là encore nous mettrons en évidence tous les artifices employés pour fausser les conclusions naturelles de ces investigations, qui sont toutes en faveur des spiritualistes.

II. Le cerveau et ses fonctions
Pour bien comprendre la discussion, il est indispensable de s'engager à la suite de l'auteur dans l'analyse détaillée qu'il fait des différentes parties du cerveau, en résumant d'une manière succincte ce qui est en rapport avec notre sujet.
M. Luys est un expérimentateur de premier ordre ; il a perfectionné les méthodes d'investigation de la substance cérébrale en employant une série de coupes méthodiquement espacées de millimètre en millimètre, soit dans le sens horizontal, soit dans le sens vertical, soit dans le sens antéro-postérieur ; et ces coupes, ayant été pratiquées suivant les trois directions de la masse solide qu'il s'agit d'étudier, ont été reproduites par la photographie.
Les opérations ainsi régulièrement conduites ont permis d'avoir des représentations aussi exactes que possible de la réalité et de conserver les dispositions mutuelles des parties les plus délicates des centres nerveux. On a pu, en comparant les sections soit horizontales, soit verticales, suivre tel ordre de fibres nerveuses dans sa progression vers son point de départ ou son point d'arrivée. On a étudié millimètre par millimètre la marche naturelle et les intrications successives des différentes catégories de fibrilles nerveuses, sans rien changer, sans rien lacérer, en laissant en quelque sorte les choses dans leur état normal. De plus, les portions qu'on avait observées au microscope ont été agrandies au moyen de la photographie, ce qui a permis de voir certains détails anatomiques qu'on n'avait pas encore remarqués.
Le système nerveux de l'homme présente trois grandes divisions :
1° Le cerveau et le cervelet ;
2° La moelle épinière ;
3° Les nerfs.
Figure 1.

A    Couche corticale grise du cerveau.
B    Fibres blanches qui font communiquer deux parties semblables de chaque hémisphère.

Nous n'avons pas à considérer la moelle épinière, non plus que les nerfs ; ce qui nous intéresse c'est le cerveau. Il est constitué par deux hémisphères A et C réunis au moyen d'une série de fibres blanches transversales B qui font communiquer les parties semblables de chaque lobe, de façon que les deux moitiés ne fassent qu'un corps dont toutes les molécules sont en rapport les unes avec les autres.
Chaque lobe pris séparément présente à son tour :
1° Des amas de substance grise ;
2° Des agglomérations de fibres blanches.
1° Les amas de substance grise, composés de millions de cellules qui sont les éléments essentiellement actifs du système, sont disposés :
D'abord à la périphérie du lobe, sous forme d'une couche mince, onduleuse et continue ; c'est l'écorce cérébrale A, figure 1.
D'autre part, dans les régions centrales sous forme de deux noyaux gris accolés et qui ne sont autre chose que la substance grise des couches optiques et des corps striés «C, figure 2».

Figure 2.

Même figure que la précédente, mais avec les couches optiques.
A    Couche corticale grise.
B    Fibres blanches commissurantes.
C    Couches optiques.
D    Fibres blanches faisant communiquer les couches optiques avec chaque hémisphère, et entre elles.

2° La substance blanche, entièrement composée de tubes nerveux juxtaposés, occupe les espaces compris entre l'écorce des lobes et les noyaux du centre. Les fibres qui la constituent ne représentent que des traits d'union entre telle ou telle région de l'écorce cérébrale, et telle ou telle région des noyaux centraux. Ils peuvent être considérés comme une série de fils électriques tendus entre deux stations et dans deux directions différentes. Ceux qui réunissent les divers points de la surface des hémisphères aux noyaux centraux sont comparables à une roue dont les rayons relient la circonférence au centre, les autres ont une direction transversale et joignent deux parties semblables de chaque hémisphère.

SUBSTANCE CORTICALE DES HEMISPHERES. - Tout le monde connaît l'apparence extérieure des lobes du cerveau. Il suffit de se rappeler les cervelles de mouton que l'on sert habituellement sur nos tables pour voir, au premier abord, que la substance grise corticale se présente sous l'apparence d'une lame grise, onduleuse, repliée un grand nombre de fois sur elle-même et formant une série de sinuosités multiples qui n'ont d'autre but que d'agrandir sa surface. On a cru remarquer dans ces plis certaines dispositions générales ; mais le plus grand nombre affectent les formes les plus variées suivant les individus. Les hémisphères ne sont pas rigoureusement homologues, c'est-à-dire n'ont pas absolument la même conformation, mais les modifications entre les deux lobes sont de très minime importance.
L'épaisseur de la couche cérébrale est en moyenne de deux à trois millimètres ; en général, elle est plus abondamment répartie dans les régions antérieures que dans les postérieures. La masse varie suivant les âges et suivant les races : Gratiolet a remarqué que dans les espèces de petite taille la masse de la substance corticale était peu abondante.
Lorsque l'on prend une tranche mince de cette matière grise de l'écorce du cerveau, qu'on la comprime entre deux lames de verre, on remarque qu'elle se partage en zones d'inégale transparence et que ces zones se disposent en une striation régulière et fixe. Nous verrons tout à l'heure que ces apparences ne sont que le résultat de la structure intime de la substance corticale. Tels sont les caractères que présente l'écorce cérébrale envisagée à l'oeil nu et que tout le monde peut constater sur des cerveaux frais.
Pénétrons maintenant, à l'aide de verres grossissants, dans l'intérieur de cette substance mollasse, amorphe en apparence, et dont l'aspect homogène est loin de nous révéler les merveilleux détails.
Que trouve-t-on dans la substance cérébrale comme élément anatomique fixe, comme unité première ? La cellule nerveuse, avec ses attributs variés, ses configurations définies ; on voit aussi des fibres nerveuses et un tissu qui joint tous ces éléments, lequel est traversé par des vaisseaux sanguins très petits nommés capillaires.
C'est de l'étude de la cellule que dépend la science des propriétés du cerveau, puisqu'elle est l'unité primordiale du tissu cérébral, et lorsque nous connaîtrons les propriétés intimes de cet élément, nous aurons une idée exacte du rôle de la matière cervicale.
A la partie inférieure de cette couche des hémisphères, nous voyons le commencement de ces fibres qui joignent la surface au centre. Elles sont d'abord ramifiées à l'infini, de manière à entrer en contact avec un grand nombre de cellules de la couche corticale, puis vont en se condensant jusqu'à leur sortie de l'écorce des hémisphères, où elles ont la forme de fibres compactes.
Figure 3.
Coupe et grossissement de l'écorce du cerveau.
A. Petites cellules.
B. Grosses cellules.
C. Commencement des fibres blanches qui retient la couche corticale aux lobes optiques.
D. Capillaire amenant le sang.
Si nous examinons les cellules nerveuses, nous voyons qu'elles ont, comme toute cellule, une forme déterminée par une membrane enveloppe, le plus souvent irrégulière, dont les contours simulent des sortes de bras s'allongeant dans divers sens ; puis à l'intérieur, un noyau portant un point brillant qu'on appelle nucléole. Dans l'écorce du cerveau, les cellules les plus petites occupent les régions supérieures A et les plus grosses les régions profondes B ; ces dernières ont environ un volume double des premières, et le passage des petites ou grosses se fait par transitions insensibles. Il résulte des ramifications de toutes ces cellules qu'elles forment un véritable tissu dont toutes les molécules sont aptes, en quelque sorte, à vibrer à l'unisson.
Pour se rendre compte du nombre immense de ces cellules nerveuses, il suffit de savoir que sur un espace égal à un millimètre carré de substance corticale, ayant pour épaisseur un dixième de millimètre, on compte à peu près cent à cent vingts cellules nerveuses de volume varié. Que l'on suppute maintenant par l'imagination le nombre de fois que cette petite quantité est contenue dans l'ensemble, on arrivera à une évaluation de plusieurs millions.
L'imagination reste confondue quand on pénètre dans le monde de ces infiniment petits où l'on retrouve ces mêmes divisions infinies de la matière, qui frappent si vivement l'esprit dans l'étude du monde sidéral.
Lorsqu'on examine la structure d'un élément anatomique, laquelle n'est visible qu'avec un grossissement de sept à huit cents diamètres, si l'on vient à penser que ce même élément se répète par millions dans l'épaisseur de la couche cérébrale, on ne peut s'empêcher d'être saisi d'admiration. Si l'on songe que chacun de ces petits appareils a son autonomie, son individualité, sa sensibilité organique intime, qu'il est relié à ses congénères, qu'il participe à la vie commune et qu'en définitive il est l'ouvrier silencieux et infatigable qui élabore discrètement ces forces nerveuses nécessaires à l'activité psychique, qui se dépense incessamment dans toutes les directions, on reconnaît la merveilleuse organisation qui préside au monde des infiniment petits.
De ce qui précède, nous concluons que la substance corticale représente un immense appareil, formé par des éléments nerveux doués d'une sensibilité propre, il est vrai, et cependant solidarisés entre eux, car les séries de cellules disposées en étages, les rapports de ces différentes couches les unes avec les autres, impliquent l'idée que les activités nerveuses de chaque zone peuvent être isolément éveillées, qu'elles ont la faculté de s'associer ensemble, d'être modifiées d'une région à une autre, suivant la nature des cellules intermédiaires mises en émoi ; qu'en un mot, les actions nerveuses, comme des ondulations vibratoires, doivent se propager de proche en proche suivant la direction des cellules organiques, soit dans le sens horizontal, soit dans le sens vertical, ou des zones profondes aux zones superficielles et réciproquement.
Jusqu'ici, nous sommes sur le ferme terrain de l'observation ; mais il faut le quitter pour entrer dans les déductions physiologiques qui sont toujours plus ou moins sujettes à discussion.
Au point de vue de la signification physiologique de certaines zones, et du mode de répartition de la sensibilité et de la motilité (faculté de donner le mouvement), il est permis, en s'appuyant sur les lois de l'analogie, de supposer que les régions supérieures, occupées principalement par les petites cellules, doivent être surtout en rapport avec les manifestations de la sensibilité, tandis que les régions profondes, peuplées par les groupes de grosses cellules, peuvent être principalement considérées comme centres d'émission du phénomène de la motricité, c'est-à-dire des incitations qui déterminent le mouvement.
Ces déductions s'appuient sur ce fait d'observation que, dans la moelle épinière, les nerfs sensitifs sont en rapport avec les petites cellules de la moelle, et les nerfs moteurs avec les grosses cellules dans lesquelles s'accomplissent les diverses actions de la motricité. Par analogie, on serait donc en droit d'envisager les cellules supérieures de la couche corticale comme la sphère de diffusion de la sensibilité générale et spéciale, et par cela même le grand réservoir commun, sensorium commune, de toutes les sensibilités de l'organisme ; d'un autre côté, on pourrait regarder les couches profondes comme le lieu d'émission des phénomènes du mouvement.

SUBSTANCE BLANCHE. - La substance blanche est composée en grande partie par des fibres nerveuses blanches B (fig. 1 et 2) formées essentiellement d'un filament central nommé cylinder axis, puis d'une gaine entourant cet axe. Entre le cylinder axis et cette gaine se trouve une substance oléo-phosphorée, transparente pendant la vie, que l'on nomme la myéline. Elle a pour but d'isoler le cylinder, absolument comme on entoure de caoutchouc les fils destinés à conduire l'électricité. La comparaison est d'autant plus juste que les fibres blanches ne servent qu'à transmettre du centre à la périphérie, ou réciproquement, les excitations nerveuses.
L'examen des centres opto-striés terminera la revue des principales parties du cerveau, sans laquelle nous n'aurions pu comprendre la théorie de M. Luys.

COUCHES OPTIQUES. - (Voir fig. 4.) Les couches optiques et les corps striés sont en quelque sorte les pivots naturels autour desquels gravitent tous les éléments du système ; elles se présentent sous la forme d'une masse de substance grise dont la structure anatomique, les rapports généraux, étaient à peine connus jusque dans ces derniers temps. Elles représentent un ovoïde, sorte d'oeuf, de couleur rougeâtre, occupant, ainsi qu'on peut le vérifier le compas à la main, le milieu même du cerveau ; elles sont pour ainsi dire le centre d'attraction de toutes ces fibres dont elles commandent le groupement et la direction.
Une série de petits noyaux placés les uns à côté des autres, dans une direction allant de l'arrière à l'avant du cerveau, sont les parties principales de la couche optique. Ces excroissances implantées dans la masse sont au nombre de quatre ; la plupart ont été décrites par les anatomistes, par Arnold en particulier, sauf le noyau médian qui a été signalé par M. Luys ; ils forment à la surface de la couche des tubérosités qui donnent à ce corps un aspect mamelonné.
Sur une série de coupes horizontales et verticales, on peut s'assurer que ces noyaux forment de véritables petits centres, constitués par des cellules enchevêtrées, et communiquant isolément avec des groupes spéciaux de fibres nerveuses afférentes. Voyons maintenant au point de vue physiologique l'importance de ces centres.
Jusque dans ces dernières années, les couches optiques étaient pour les auteurs un problème insoluble, une terre inconnue dont l'anatomie avait à peine précisé la situation ; aussi comprend-on facilement que la fonction de chacun des noyaux était loin de pouvoir être fixée.
C'est en étudiant lui-même et en examinant les ramifications de chacun de ces centres avec la périphérie que M. Luys est arrivé à considérer ces noyaux comme autant de petits foyers de concentration, isolés et indépendants, pour les différentes catégories d'impressions sensorielles qui arrivent dans leur substance.
Ainsi le centre antérieur qui communique avec le nerf olfactif est celui qui doit transmettre les impressions venant des régions périphériques affectées à cet organe, c'est-à-dire du nez. Ce qui le prouve, c'est que, dans les espèces animales dont le flair est très développé, ce noyau est proportionnellement très gros. Il est donc bien le point où convergent toutes les sensations olfactives avant d'être irradiées vers la périphérie corticale.
C'est ainsi qu'on a déterminé pour les autres sens les fonctions suivantes :
1° Le noyau moyen est destiné à la condensation des sensations visuelles ;
2° Le noyau médian est le point de concentration de la sensibilité générale ;
3° Le noyau postérieur sert à condenser les sensations auditives.
Ces données, quoique nouvelles, sont, suivant M. Luys, confirmées par des expériences physiologiques et, d'autre part, par l'examen des symptômes cliniques qui sont, dans ces matières, le critérium irréfragable de toute doctrine vraiment scientifique.
Si l'on admet les déductions précédemment exposées, on comprendra qu'on puisse envisager les couches optiques comme des régions intermédiaires entre les incitations purement spinales, c'est-à-dire venues de la moelle épinière, et les activités plus épurées de la vie psychique.
Par leurs noyaux isolés et indépendants, elles servent de points de concentration à chaque ordre d'impressions sensorielles qui trouvent dans leurs réseaux de cellules un lieu de passage et un champ de transformation. C'est là que celles-ci sont d'abord condensées, mises en dépôt et travaillées par l'action spéciale des éléments qu'elles ébranlent sur leur parcours. C'est de là, ainsi que d'une dernière étape, après avoir émergé de ganglion en ganglion à travers les conducteurs centripètes qui les transportent, qu'elles sont dardées dans les régions de la périphérie corticale, sous une forme nouvelle et SPIRITUALISEES en quelque sorte, pour servir de matériaux incitateurs à l'activité des cellules de la substance corticale.
Ce sont les seules portes ouvertes par lesquelles passent toutes les incitations extérieures destinées à être mises en oeuvre par les cellules corticales, et les uniques conduits qui permettent à l'activité psychique de se manifester au-dehors.
L'examen du cerveau nous montre que chacun des centres dont nous avons parlé est plus particulièrement en rapport avec certaines parties de la substance corticale.
On peut donc admettre aujourd'hui cette vérité autrefois si controversée des localisations cérébrales. Il est aisé de comprendre maintenant comment le développement périphérique de tel ou tel appareil sensoriel détermine dans les régions centrales un appareil récepteur, en quelque sorte proportionnel ; comment la richesse en éléments nerveux de la substance corticale elle-même, le degré de sensibilité propre, l'énergie spécifique de chacun d'eux, pourra, à un moment donné, jouer un rôle prépondérant dans l'ensemble des facultés mentales et déterminer le tempérament et l'activité spécifique de telle ou telle organisation.
Enfin les expériences de Schiff établissent que les incitations de la vie organique pénètrent aussi jusqu'aux lobes optiques. C'est donc à un double point de vue que l'on peut considérer les lobes optiques comme le noeud de tout l'ensemble du système cérébral.
Le corps strié est à présent le dernier organe que nous devions étudier.

CORPS STRIE. - L'amas de substance grise désigné sous le nom de corps strié est, avec la couche optique, la portion complémentaire de ces deux noyaux gris qui occupent la place centrale de chaque hémisphère et qui sont, ainsi que nous l'avons déjà plusieurs fois signalé, les pôles naturels autour desquels gravitent tous les éléments nerveux.
Les couches optiques semblent être le prolongement des cellules sensitives de la moelle, tandis que le corps strié serait la continuation des cellules motrices de l'axe spinal.
La masse des corps striés se compose de grosses cellules semblables à celles de la région inférieure de l'écorce corticale, et reliées entre elles de la même manière. Ainsi que dans les couches optiques, il existe des fibres qui joignent le corps strié à la substance corticale.
Ces fibres représentent donc, à proprement parler, les traits d'union naturels entre les régions corticales d'où émergent les incitations volontaires et les différents points du corps strié où elles se renforcent. Ce sont les expériences de Fristch et de Hitzig, et plus tard de Fournier, qui ont démontré qu'il existe un ordre spécial de fibres nerveuses, irradiées des différents départements de la substance corticale et allant se distribuer dans des territoires isolés de la substance grise des corps striés, laquelle se trouve ainsi associée d'une manière directe et instantanée à tous les ébranlements des régions de la substance cérébrale des hémisphères.
Il faut noter dans les corps striés la présence de petites particules jaunes qui sont mises en relation avec le cervelet par des fibres spéciales. Selon M. Luys, ces noyaux jaunes seraient les récepteurs de la force nerveuse dégagée par le cervelet sous le nom d'influx cérébelleux. Cette innervation, véritable force surnuméraire, sert à augmenter l'action du corps strié. C'est elle qui, semblable à un courant continu, déverse incessamment la force nerveuse qui charge les cellules du corps strié. C'est elle qui donne à nos mouvements leur force, leur régularité, leur continuité.
Dans l'intérieur des tissus du corps strié, les incitations parties des centres moteurs de l'écorce cérébrale font une première halte dans leur course descendante ; elles entrent en relation plus intime avec des éléments nouveaux qui renforcissent, MATERIALISENT en quelque sorte les excitations si faibles, à leur début, des cellules motrices de l'écorce cérébrale. L'influx de la volonté sort du corps strié, augmenté pour ainsi dire, et se rend dans les diverses parties des pédoncules cérébraux où il actionne à son tour différents groupes de cellules, dont il excite les propriétés dynamiques. Connaissant maintenant les éléments généraux du cerveau, examinons quelle est la marche de la sensation à travers tous ces organes. Nous ne pouvons entrer dans tous les développements que l'auteur a donnés à cette étude. Nous nous bornerons à nous rendre compte de la manière dont une excitation extérieure arrive au cerveau, et comment elle revient à la périphérie sous forme d'incitation motrice.

MECANISME DE LA SENSATION. - Les nerfs qui s'épanouissent à la surface du corps ne vibrent pas indifféremment sous toutes les impulsions ; il faut que les fibrilles qui les composent puissent entrer en mouvement sous des incitations déterminées : par exemple, les sensations lumineuses sont de nul effet sur le nerf auditif et réciproquement.
Supposons, pour plus de clarté, que nous n'ayons affaire qu'à des vibrations lumineuses. Lorsque la rétine est affectée par le mouvement ondulatoire de l'éther, il faut un certain temps pour que cet ébranlement matériel détermine des vibrations dans le nerf optique, mais une fois produites elles se propagent de proche en proche jusqu'aux couches optiques. Là, ces vibrations sont concentrées dans le premier noyau dont nous avons constaté l'existence ; elles subissent de la part de ce petit centre une action qui a pour but de les spiritualiser, ayant déjà été animalisées dans le trajet des nerfs.
Après un temps d'arrêt nécessaire à cette opération, elles sont lancées vers le sensorium, c'est-à-dire vers la partie périphérique du cerveau, où elles se répandent dans la couche des petites cellules et mettent en action toute une série d'éléments nerveux relatifs aux impressions visuelles.
Figure 4.
A    Ecorce du cerveau.    D    Corps strié.
B    Fibre commissurante qui joint     E    Noyaux médians.
    l'écorce aux couches optiques.    F    Oreille.
C    Couches optiques.    G    Oeil.

MECANISME DE LA SENSATION
Une sensation lumineuse arrive en I ; là elle ébranle la rétine qui communique son mouvement au centre J, par l'intermédiaire du nerf optique. De ce noyau J, la sensation est renvoyée dans la couche corticale en R. Arrivée là, elle ébranle les cellules voisines, telles que L, qui propagent le mouvement dans les zones profondes. L'action ondulatoire retourne transformée dans le noyau M du corps strié, et ensuite se distribue dans le corps au moyen du nerf N.

Chaque ordre d'incitation sensorielle est ainsi dispersé et cantonné dans un endroit spécial de l'écorce du cerveau. L'anatomie montre d'ailleurs qu'il y a des localisations définies, des régions limitées, organiquement destinées à recevoir, à condenser, à transformer telle ou telle catégorie d'impression venant des sens.
La physiologie expérimentale a prouvé de son côté que sur les animaux vivants, ainsi que les belles expériences de Flourens l'ont depuis longtemps montré, on pouvait, en enlevant méthodiquement des tranches de la substance cérébrale, faire perdre parallèlement, à ces mêmes animaux, soit la faculté de percevoir les impressions visuelles, soit celle de percevoir les impressions auditives. Bien plus, Schiff a mis en évidence ce fait, que le cerveau d'un chien s'échauffait partiellement suivant la nature des excitations qui l'affectaient. Donc les impressions sensorielles parviennent toutes, en dernier lieu, dans les réseaux de la substance corticale ; elles y arrivent transformées par l'action des milieux intermédiaires qu'elles ont rencontrés sur leurs parcours ; enfin, c'est là qu'elles s'amortissent, qu'elles s'éteignent pour revivre sous une forme nouvelle, en mettant en jeu les régions de l'activité psychique où elles sont définitivement reçues.
Ici se trouve le point délicat de la démonstration ; on peut se rendre compte jusqu'à présent de la marche évolutive des mouvements vibratoires, en faisant toutefois des réserves sur l'animalisation et la spiritualisation de ces vibrations matérielles, mais comment comprendre qu'elles se transforment en IDEES ?
Suivons l'auteur dans ses raisonnements.
Une fois que l'incitation sensorielle s'est distribuée au milieu du réseau de l'écorce cérébrale, quels sont les phénomènes nouveaux qui se déroulent ?
D'après M. Luys, l'analogie seule nous permet de penser que les cellules sensitives cérébrales se comportent comme celles de la moelle épinière, et qu'en présence des incitations physiologiques qui leur sont propres, elles réagissent d'une façon similaire.
(On sait que dans l'action réflexe, les excitations des nerfs sensitifs transmettent aux petites cellules de la moelle épinière une irritation qui, se communiquant et se réfléchissant sur les grosses cellules de la moelle, ébranle les nerfs moteurs qui y correspondent, de sorte que l'excitation revient à son point de départ sous forme d'incitation motrice. C'est de cette manière qu'une grenouille à laquelle on a coupé la tête contracte encore la patte que l'on irrite avec un acide.)
M. Luys admet donc qu'au moment où la cellule corticale reçoit l'imprégnation de l'ébranlement extérieur, elle s'érige en quelque sorte, développe sa sensibilité propre et dégage les énergies intimes qu'elle renferme. C'est ainsi que le mouvement se propage de proche en proche, éveillant les activités latentes de nouveaux groupes de cellules qui, à leur tour, deviennent des foyers d'activité pour leurs voisines.
Ce que nous venons de décrire s'opérant dans toutes les directions, ces excitations parties des cellules de la substance corticale se propagent dans sa profondeur et agissent sur les grosses cellules qui, à leur tour, transmettent ces ébranlements au corps strié, lequel les renforce et les lance dans l'organisme sous forme d'incitations motrices.
Telles sont, suivant M. Luys, la genèse et la marche d'un ordre de sensations quelconques, mais il ajoute qu'il ne faut pas confondre l'évolution des phénomènes de la sensibilité avec de simples actions réflexes comme celles de l'axe spinal ; et si l'on peut dire que la motricité volontaire n'est qu'un acte de sensibilité transformée, c'est toutefois la sensibilité doublée, triplée, multipliée par toutes les activités cérébrales mises en émoi, la personnalité sentante et vibrante qui entre en jeu sous une forme somatique et qui se révèle au-dehors par une série de manifestations réfléchies et coordonnées.
Arrêtons-nous un instant et cherchons quelle est la pensée qui se dégage de toutes ces hypothèses. Nous avons bien compris comment l'ébranlement nerveux arrivait jusqu'à la couche superficielle du cerveau, mais, une fois là, M. Luys nous parle de cellules qui «s'érigent». Nous avouons ne pas comprendre ce que cela veut dire. Est-ce pour exprimer que les cellules développent toutes les énergies qu'elles contiennent ? Nous y consentons, mais quel rapport peut-il y avoir entre une action nerveuse, si érigée qu'elle soit, et la pensée ? L'auteur sait que son argumentation n'est pas suffisante, il ajoute que la cellule dégage sa sensibilité propre, et, par ce mot, il laisse entendre que la cellule elle-même est capable de sentir, nous verrons plus loin si son opinion est fondée. Enfin il indique le mouvement de retour de ces excitations, mais il oublie de noter qu'entre l'arrivée et le départ de ces sensations, il s'est produit un fait très important : celui de la PERCEPTION, c'est-à-dire la connaissance par le MOI, par la personnalité humaine, des actions qui se sont accomplies.
C'est ici qu'il est utile d'insister, car toutes les évolutions si savamment décrites des vibrations nerveuses ne sont que les préliminaires de l'acte de la perception et il faut de toute nécessité que ces vibrations éveillent quelque chose, une force latente qui en prenne connaissance ; sans quoi, elles restent lettre morte pour l'entendement, comme le démontre le phénomène de la distraction dont nous avons parlé au chapitre précédent.
Ce qui prouve dans ce cas la nécessité de l'intervention d'un agent nouveau, c'est que M. Luys dit qu'il ne faut pas confondre ces actes du cerveau avec de simples actions réflexes ; il sent lui-même qu'il y a une différence, mais elle ne consiste, à son point de vue, que dans la multiplicité et l'intensité des forces qui se manifestent. Dans la moelle, les opérations sont simples ; dans le cerveau, elles sont compliquées. Si cela est juste, pourquoi ces actions qui sont inconscientes dans l'axe spinal deviennent-elles des faits de conscience au cerveau ? Le savant physiologiste a été obligé d'admettre, pour appuyer sa théorie, qu'il existe une analogie complète entre les différents ordres de cellules du cerveau et les différents ordres de cellules de la moelle épinière ; il doit donc encore l'admettre lorsqu'il s'agit de la sensibilité, et cependant rien dans les cellules de l'écorce corticale ne dénote que la conscience y réside.
On a beau analyser toutes les forces «qui entrent en jeu sous une forme somatique», elles sont impuissantes à faire comprendre la nature ou la génération d'une idée tant que l'on s'obstine à nier l'âme.

III. Conséquences des théories précédentes
Le chapitre précédent a fait dérouler sous nos yeux le panorama des opérations mystérieuses qui s'accomplissent dans le sein de la masse cérébrale. Nous avons suivi le fonctionnement de chacun des organes du cerveau ; nous avons pu admettre, théoriquement, que les choses se passent ainsi que l'enseigne M. Luys.
Mais dans la réalité, les actes multiples de la vie n'ont pas la simplicité initiale que nous avions supposée.
Un exemple nous le fera comprendre.
Lorsque nous assistons à une représentation théâtrale, les yeux et les oreilles sont affectés en même temps, et il surgit un monde d'idées déterminées par les milliers de sensations qui arrivent instantanément au cerveau. Si l'on joint à ces deux causes les impressions produites par la décoration de la salle, la chaleur, le débit des acteurs, la musique, etc., on arrivera à un total énorme d'actions sensitives perçues par le cerveau.
Comment toutes ces vibrations si diverses arrivent-elles à s'harmoniser ? Comment les mouvements vibratoires se concertent-ils pour produire chez le spectateur le sentiment de plaisir ou de malaise qui en résulte ? On a beau nous montrer que chacun des sens a une place réservée dans l'écorce cérébrale, que les excitations extérieures qui y correspondent se rendent directement dans les parties qui leur sont affectées, nous avons peine à comprendre comment les ébranlements de ces différents territoires de cellules vont se chercher les uns les autres, se fondre entre eux, pour produire une idée.
Pour arriver à saisir ce qui a lieu, il faudrait supposer que les cellules nerveuses sont capables de sentir, et encore il ne serait pas aisé de se figurer quelle serait la résultante des sensations de chacune d'elles.
Si nous admettons au contraire l'existence de l'âme, alors tout devient compréhensible. Nous avons un centre où se réunissent toutes les sensations, et par suite toutes les idées à comparer. C'est lui qui, emmagasinant les multiples impressions qu'il reçoit, les analyse, les pèse, les compare à celles qu'il possédait antérieurement et le résultat de toutes ces opérations est le jugement.
M. Luys prétend qu'il n'est pas nécessaire de recourir à l'intervention de l'âme pour expliquer toutes les actions de l'esprit, qu'on peut en rendre compte au moyen des trois propriétés fondamentales suivantes qu'il attribue au système nerveux :
1° La sensibilité ;
2° La phosphorescence organique ;
3° L'automatisme.
Ce sont ces propriétés générales que M. Luys étudie dans la seconde partie de son travail. Une fois qu'il les a connues et définies, il aborde l'étude des diverses combinaisons auxquelles elles se prêtent et veut établir que toutes les opérations de l'esprit ne sont que des sensations transformées au moyen d'actions réflexes multiples.
S'il en est du cerveau comme des centres de la moelle épinière, à cette différence près que les processus sont plus compliqués, nous ne sommes, au point de vue physiologique, que des automates dont les excitations extérieures font mouvoir les ressorts, soit directement, en suscitant des réactions immédiates, soit indirectement après une traversée plus ou moins longue dans les centres nerveux.
Telles sont les opinions d'un certain nombre de savants qui représentent à notre époque l'école positive. Il est facile de constater que leur philosophie n'est que la forme scientifique des théories de Hume, et qu'elles n'ont pas gagné en valeur, en passant sur ce terrain nouveau.
Malgré les déclarations et le ton doctoral qu'ils affectent, ils ne peuvent nous en imposer ; ainsi par rapport à la volonté, M. Luys écrit ce qui suit :
«Les controverses des philosophes et des métaphysiciens se sont exercées de longue date pour n'arriver qu'à une chose : à exprimer en phraséologie sonore leur ignorance plus ou moins absolue des conditions de la vie psychique.»
Nous ne savons jusqu'à quel point ces paroles sont fondées, mais ce que nous allons démontrer, c'est que le savant professeur ne fait que des hypothèses très contestables pour expliquer les phénomènes de l'esprit et pour un positiviste, pour un homme qui le prend de si haut avec la philosophie, il eût été prudent de ne pas s'exposer à se faire démentir par les faits.

De la sensibilité des éléments nerveux
Toute l'argumentation de M. Luys porte sur une équivoque de mots ; pour lui, la sensibilité, c'est-à-dire la faculté de sentir, appartient à la cellule nerveuse ; c'est un fait qu'il énonce sans d'ailleurs en donner la moindre preuve ; il la définit ainsi :
«La sensibilité est cette propriété fondamentale qui caractérise la vie des cellules ; c'est grâce à elle que les cellules vivantes entrent en conflit avec le milieu qui les environne, qu'elles réagissent motu proprio en vertu de leurs affinités intimes mises en émoi et témoignent de l'appétence pour les incitations qui les flattent et de la répulsion pour celles qui les contrarient. L'attraction pour les choses qui sont agréables, la répulsion pour les choses désagréables sont donc les corollaires indispensables de toute organisation apte à vivre, et la manifestation apparente de toute sensibilité.»
C'est en admettant que les cellules sont capables d'éprouver de l'attraction et de la répulsion, c'est-à-dire en les supposant douées de la faculté de discerner, que M. Luys montre qu'à mesure que l'on s'élève sur l'échelle des êtres, cette propriété se spécialise dans certaines cellules seulement ; il fait voir le développement de la sensibilité marchant de pair avec l'extension de plus en plus grande du système nerveux pour arriver, dans l'homme, à son maximum de pouvoir.
Raisonner ainsi n'est pas difficile et n'exige pas de grands frais d'imagination, puisque l'on suppose démontrée la question en litige. Admettre que la cellule choisit entre les divers éléments avec lesquels elle se trouve en rapport est aussi rationnel que supposer que, dans une combinaison chimique, l'oxygène choisit le corps avec lequel il s'allie.
Mais, dira-t-on, les cellules sont vivantes, elles ont un degré de capacité et de propriété plus grand que les corps inorganiques, elles peuvent donc ne pas être soumises seulement aux lois qui régissent les corps simples et posséder un rudiment de conscience. Voici ce que répond Claude Bernard, l'illustre physiologiste, dans ses : Leçons sur les tissus vivants, page 63 :
«Puisqu'il n'y a que les éléments anatomiques qui soient vivants, ce sont eux seuls qui pourront nous donner les caractères de la vie. Or, chaque tissu présente des propriétés différentes, et l'on serait ainsi tenté de dire qu'il n'y a pas de caractère vital essentiel. Cependant les physiologistes ont essayé de déterminer ce caractère vital essentiel au milieu des variations de propriétés des tissus, et ils l'ont appelé l'irritabilité, c'est-à-dire l'aptitude à réagir physiologiquement contre l'influence des circonstances extérieures, comme l'indique le mot lui-même. Cette propriété n'appartient ni aux matières minérales, ni aux matières organiques, c'est le privilège exclusif de la matière organisée et vivante ; c'est-à-dire des éléments anatomiques vivants qui sont, par conséquent, les seules parties irritables de l'organisme. Tous les êtres vivants sont donc irritables par les éléments histologiques qu'ils comprennent, et ils perdent cette propriété au moment de la mort. La propriété d'être irritable distingue donc la matière organisée de celle qui ne l'est pas ; et, de plus, parmi les matières organisées, elle fait reconnaître celle qui est vivante de celle qui ne l'est plus, en un mot l'irritabilité caractérise la vie.
«LA MATIERE PAR ELLE-MEME EST INERTE, MEME LA MATIERE VIVANTE, en ce sens qu'elle doit être considérée comme dépourvue de SPONTANEITE. Mais cette même matière est irritable et elle peut ainsi entrer en activité pour manifester ses propriétés particulières, ce qui serait impossible si elle était à la fois dépourvue de spontanéité et d'irritabilité. L'irritabilité est donc la propriété fondamentale de la vie.»
Ce passage est très explicite : la matière, même vivante, est inerte ; il lui faut un excitant pour la faire agir, et lorsqu'elle manifeste les caractères de la vie, c'est simplement à la manière des corps inorganiques, sans aucune participation volontaire ; elle ne peut donc réagir, ainsi que le veut M. Luys, motu proprio. Une cellule nerveuse ne peut montrer de la répulsion, car il lui est impossible de choisir entre les différents corps avec lesquels elle est en contact.
Claude Bernard enseigne qu'il y a trois catégories d'irritants : les irritants physiques, les irritants chimiques et les irritants vitaux. Si la cellule est mise en présence d'un de ces irritants, elle ne peut choisir ou manifester de la répulsion ; elle réagit, parce qu'elle y est obligée. Si on la met en contact avec un corps qui ne rentre pas dans une des classes indiquées plus haut, elle reste inerte, absolument comme deux gaz qui n'ont pas d'affinités l'un pour l'autre ne se combinent pas.
La physiologie est donc en opposition formelle avec M. Luys ; elle n'admet pas que dans les phénomènes manifestés par la vie des cellules il puisse y avoir intervention d'une volonté quelconque, si infime qu'on puisse la supposer. Nous pouvons légitimement nier que la sensibilité, c'est-à-dire cette faculté de ressentir ce qui se passe en nous, soit une propriété des cellules nerveuses du corps, il faut donc l'attribuer à l'âme.
Voici encore l'avis d'un autre savant, Rosenthal, exposé dans : Les muscles et les nerfs.
«Pour que la perception des sensations se produise, il paraît absolument indispensable que l'excitation arrive juqu'au cerveau. Il est très douteux, et encore moins prouvé, qu'une autre partie de l'encéphale, et surtout la moelle, puisse produire des sensations. Lorsque les irritations parviennent au cerveau, il ne s'y produit pas seulement des sensations, mais encore des perceptions précises sur l'espèce d'irritation, sur sa cause, sur le point où elle a été pratiquée. Quelquefois, cependant, ces phénomènes n'ont pas lieu, et l'excitation passe inaperçue. C'est ce qui arrive, par exemple, lorsque notre attention est fortement appelée autre part...
«Mais on ne peut donner la moindre explication sur la manière dont se forme cette perception.
«Il est possible qu'il y ait production de phénomènes moléculaires dans l'intérieur des cellules nerveuses ; mais ces phénomènes ne peuvent être que des mouvements. Or nous pouvons bien comprendre comment des mouvements engendrent d'autres mouvements, mais nous ne savons pas du tout comment ces mouvements pourraient produire une perception.»
Il est donc bien établi que c'est faire une hypothèse non justifiée que d'admettre la perception, autrement dit la connaissance des phénomènes de la sensibilité, comme appartenant à la cellule nerveuse. La science positive de M. Luys est prise en flagrant délit de conceptions nullement démontrées, imaginées en vue du but à atteindre ; absolument comme les vibrations qui s'animalisent et ensuite se spiritualisent n'ont été ainsi présentées que pour écarter l'âme de l'explication de la pensée.
Il est au moins singulier de voir traiter de rêveurs et de gens peu scientifiques les spiritualistes qui croient à l'esprit, alors que les représentants de la science officielle veulent nous persuader qu'il existe des vibrations spirituelles, en contestant l'existence d'un principe immatériel.
Deuxième hypothèse de l'auteur, hasardée pour expliquer la mémoire.

Phosphorescence organique des éléments nerveux
M. Luys est le premier qui ait proposé d'assimiler la faculté de la mémoire à une action physique. En supposant que les cellules nerveuses soient comme certains corps capables d'emmagasiner, en quelque sorte, les vibrations qui leur parviennent, comme les substances phosphorescentes qui continuent de briller lorsque la source lumineuse a disparu, de même les cellules nerveuses pourraient vibrer encore après que la cause excitante a cessé d'agir.
Grâce aux travaux des physiciens modernes, il est certain que les vibrations de l'éther, sous forme d'ondulations lumineuses, sont susceptibles pour les corps phosphorescents, de se prolonger un temps plus ou moins long et de survivre à la cause qui les a produites.
Niepce de Saint-Victor, dans ses recherches sur les propriétés dynamiques de la lumière, est arrivé à montrer que les vibrations lumineuses pouvaient s'emmagasiner sur une feuille de papier, à l'état de vibrations silencieuses, pendant un temps plus ou moins long, prêtes à reparaître à l'appel d'une substance révélatrice. C'est ainsi qu'ayant conservé dans l'obscurité des gravures exposées précédemment aux rayons solaires, il a pu, plusieurs mois après l'insolation, à l'aide de réactifs spéciaux, révéler les traces persistantes de l'action photogénique du soleil sur leur surface.
Que fait-on, en effet, lorsqu'un expose au soleil une plaque de collodion sec et que plusieurs semaines après on développe l'image latente qu'elle contient ?
On fait surgir des ébranlements persistants, on recueille un souvenir du soleil absent, et cela est si vrai, il s'agit si bien de la persistance d'un mouvement vibratoire qui n'a qu'une durée limitée, que si l'on dépasse les limites voulues, si l'on attend trop longtemps, le mouvement va en s'affaiblissant, comme une source de chaleur qui se refroidit et cesse de manifester son existence.
Cette curieuse propriété de certains corps inorganiques se trouve sous des formes nouvelles, avec des apparences appropriées, il est vrai, mais calquées et similaires, dans l'étude de la vie des éléments nerveux. A l'appui de sa théorie, M. Luys cite des exemples de phosphorescence organique empruntés au fonctionnement des organes des sens.
Qui ne sait, dit-il, que les cellules de la rétine continuent à être ébranlées lorsque les incitations ont déjà disparu ? On a calculé que cette persistance des impressions pouvait être évaluée de trente-deux à trente-cinq secondes, d'après Plateau. C'est grâce à elle que deux impressions successives et rapides se confondent et arrivent à donner une impression continue ; qu'un charbon incandescent qu'on fait tourner au bout d'une corde produit l'illusion d'un cercle de feu ; qu'un disque en rotation, sur lequel sont peintes les couleurs du spectre, ne nous procure que la sensation de lumière blanche, parce que toutes ses couleurs se confondent et forment une résultante unique qui est la notion du blanc.
Tous ceux qui s'occupent d'études microscopiques savent qu'après un travail prolongé, les images vues au foyer de l'instrument sont en quelque sorte photographiées au fond de l'oeil et qu'il suffit parfois, après quelques heures d'études, de fermer les yeux pour les voir apparaître avec une grande netteté. Il en est de même pour les impressions auditives, les nerfs conservent pendant un temps prolongé la trace des vibrations qui les ont excités. Lorsqu'on voyage en chemin de fer, on entend encore, plusieurs heures après l'arrivée, le bruit des trépidations du wagon ; un air de musique, certains refrains favoris résonnent involontairement dans les oreilles, et cela quelquefois d'une façon désagréable, très longtemps après qu'on les a entendus. Le docteur Moos, de Heidelberg, rapporte le cas d'un sujet chez lequel les sensations musicales persistaient pendant quinze jours.
Les deux appareils sensoriels de la vue et de l'ouïe sont les seuls où les sensations paraissent laisser une impression de quelque durée. Les réseaux gustatifs ne semblent pas dépourvus de cette qualité, mais ne la présentent pas avec une intensité suffisante.
Poursuivant son étude, l'auteur attribue à la phosphorescence organique les actions qui dérivent de l'habitude, tels que les exercices du corps, la danse, l'escrime, le jeu des instruments de musique, etc. Ensuite il rattache à cette phosphorescence tous les phénomènes de la mémoire.
Cette explication ne peut nous satisfaire pour plusieurs raisons : c'est que la phosphorescence des éléments nerveux n'est démontrée que pour un temps très court ; de plus, aucune expérience n'a établi qu'elle existait dans le cerveau.
On a vu, par les exemples cités plus haut, que la durée des impressions persistant quand la cause a cessé d'agir, est très limitée ; leur plus longue influence s'est bornée à une réminiscence de quelques semaines. C'est donc déjà se hasarder sur un terrain inconnu de supposer aux cellules centrales une semblable propriété et même à un degré plus fort.
Ce qui contredit cette manière de voir, c'est que, dans les substances inorganiques, il ne faut pas dépasser une certaine limite, si l'on veut obtenir les faits relatifs à la phosphorescence. Dans l'organisme humain, soumis à tant d'excitations diverses, dans un appareil aussi compliqué que le cerveau, il est certain que les vibrations si différentes des cellules nerveuses ne peuvent avoir qu'une durée très limitée.
La seconde raison que nous avons à faire valoir, détruit radicalement la supposition d'un emmagasinement de la vibration.
M. Luys dit textuellement :
«Cette aptitude merveilleuse (phosphorescence organique) de la cellule cérébrale, incessamment entretenue par les conditions favorables du milieu où elle vit, se maintient incessamment à l'état de verdeur, tant que les conditions physiques de son agrégat matériel sont respectées, tant qu'elle est associée aux phénomènes vitaux de l'organisme.»
Nous avons vu que Moleschott prétend que le corps se renouvelle tous les trente jours ; sans aller aussi loin que ce savant, on peut admettre que toutes les molécules du corps sont remplacées par d'autres au bout de sept ans, comme le veut Flourens . Ce naturaliste, en opérant sur des lapins, a montré que dans un laps de temps déterminé, les os avaient été entièrement changés, qu'à la place des anciens, de nouveaux s'étaient formés.
Or, ce qui se produit pour les os se produit pour tous les autres tissus, et pour les cellules nerveuses en particulier. Si la phosphorescence organique est une propriété de l'élément nerveux, elle affecte ou l'ensemble de la cellule, ou les molécules qui la composent. Quand la cellule entière se renouvelle, c'est-à-dire lorsque les éléments qui la constituent sont absorbés par l'organisme, les molécules qui viennent prendre la place de celles qui ont disparu ne possèdent plus le mouvement vibratoire qui avait impressionné leurs devancières, de sorte que, lorsque toutes les cellules ont été changées, aucun des mouvements vibratoires anciens n'existe, autrement dit, la phosphorescence organique a disparu aussi bien de chacune des molécules que de l'ensemble de la cellule.
Si la mémoire ne résidait que dans cette propriété, elle devrait être anéantie complètement au bout d'un temps plus où moins long, mais qui ne pourrait excéder sept ans. Tous les sept ans nous aurions à réapprendre tout ce que nous avions fixé en nous, avant cette époque. Bien mieux, comme l'évolution des particules du corps se fait constamment, nos souvenirs disparaîtraient à mesure que les molécules se renouvelleraient, de sorte que nous serions, en réalité, incapables d'apprendre quoi que ce soit.
Nous savons tous qu'il n'en est pas ainsi et que notre personnalité et notre mémoire persistent malgré le torrent de matière qui traverse notre corps. En dépit des molécules diverses qui viennent s'incorporer en nous, nous avons le souvenir et la conscience d'être toujours nous-mêmes, et ceci ne peut s'expliquer qu'en admettant l'existence d'une force qui ne varie pas comme la matière et dans laquelle s'enregistrent les connaissances que nous avons acquises par le travail. Cette force, essence immatérielle, c'est l'âme qui, malgré les dénégations matérialistes, révèle sa présence, pour peu que l'on étudie impartialement les phénomènes qui se passent en nous.

Automatisme
M. Luys définit l'automatisme : Cette propriété que présentent les cellules nerveuses vivantes d'entrer spontanément en mouvement et de traduire d'une façon inconsciente, les états divers de la cellule mise en émoi. Autrement dit : L'activité automatique de toute cellule vivante n'est que la réaction spontanée de la sensibilité intime de la cellule, sollicitée d'une manière ou d'une autre.
C'est toujours la théorie de l'élément nerveux qui agit directement en vertu de ses forces intimes «motu proprio», et c'est aussi en équivoquant que l'auteur peut interpréter ce fait en sa faveur.
Il est incontestable qu'il se passe en nous des actions dont nous n'avons pas conscience. Les expériences de Charles Robin, faites sur le cadavre d'un supplicié, ont montré que les fonctions de la moelle se perpétuaient tant que la vie des éléments n'avait pas disparu, et cela avec autant de régularité que si le cerveau les avait dirigés.
Doit-on les attribuer aux propriétés intimes des cellules nerveuses ? Pour le savoir, recourons encore à Claude Bernard, qui s'exprime ainsi :
«Chez l'homme, il y a deux espèces de mouvements : 1° les mouvements conscients ou volontaires ; 2° les mouvements inconscients, involontaires ou réflexes (ou automatiques), car sous des noms divers c'est toujours la même chose.
«Le mouvement réflexe est un mouvement à l'exécution duquel concourent toujours trois ordres distincts d'éléments du système nerveux : l'élément sensitif, l'élément moteur et la cellule.
«Si l'on produisait un mouvement sans l'une de ces conditions, sans la participation de l'un de ces éléments, ce ne serait plus un mouvement réflexe. En effet, tout mouvement réflexe suppose trois choses bien distinctes : 1° une excitation du nerf sensitif dans un endroit quelconque de sa longueur ; 2° une excitation du nerf moteur qui se traduit par la contraction d'un muscle ; 3° un centre qui sert de transition et pour ainsi dire de trait d'union de ces deux éléments, de manière à produire l'irritation du second, sous l'influence du premier.»
Nous savons déjà que la matière vivante est inerte, que d'elle-même elle ne peut entrer en mouvement, les actions automatiques sont donc toujours dues à une irritation du nerf sensitif, qui transmet l'excitation à un nerf moteur au moyen de la cellule. C'est de cette manière que s'opèrent les actes de la respiration, de la contraction du coeur, de la digestion, etc., dans lesquels la volonté n'intervient pas habituellement ; néanmoins on a constaté qu'il existe un point placé dans le cerveau qui modère les actions réflexes.
L'âme manifeste donc toujours sa présence, soit d'une manière directe par les mouvements volontaires, soit d'une manière indirecte, dans les actions réflexes, par l'intervention des centres modérateurs.
L'argumentation de M. Luys se borne à des affirmations démenties par la science, de sorte que ses raisonnements, s'appuyant sur une base fausse, arrivent à des déductions en opposition formelle avec la vérité. Ni la sensation, ni la phosphorescence, ni l'automatisme, n'ont le sens et la portée que l'on veut leur prêter, et c'est au moyen de ces interprétations tronquées que la théorie matérialiste semble avoir une force qu'elle ne possède pas effectivement.

Conclusion
De toutes les théories examinées jusqu'à présent, aucune ne conduit à la certitude que l'âme soit une entité. Il se dégage, au contraire, d'un examen attentif, la conviction que l'esprit ou l'âme existe bien réellement, qu'elle manifeste sa présence dans toutes les actions de la vie.
Ni les profondes connaissances chimiques de Moleschott, ni le talent hors ligne des savants comme Broussais, Buchner, Carl Vogt, Luys, etc., ne peuvent suffire, non seulement à infirmer la croyance à l'âme, mais simplement à faire douter de sa réalité.
Depuis un siècle, nous avons à notre portée un instrument puissant d'investigation qui nous décèle de la manière la plus formelle l'existence de l'âme, nous voulons parler de la science magnétique.
Dans les discussions précédentes, des doutes peuvent encore subsister dans l'esprit de certains lecteurs. L'autorité des noms de nos contradicteurs peut faire penser qu'ils sont incapables de se tromper aussi grossièrement ; bref, on peut suspecter nos conclusions qui sont cependant celles de la science officielle. Mais avec les faits fournis par le magnétisme, on sépare l'âme du corps, elle se dégage de ce dernier et manifeste sa réalité par des phénomènes saisissants, elle s'affirme nettement séparée de son enveloppe charnelle et vivant d'une existence spéciale. C'est pourquoi nous nous occuperons, dans la seconde partie, des faits qui mettent hors de conteste l'existence du moi pensant, de l'âme.
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DEUXIEME PARTIE
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CHAPITRE PREMIER
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LE MAGNETISME, SON HISTOIRE
En sortant des graves discussions des chapitres précédents, il semblera peut-être bizarre à certaines personnes de nous voir aborder un sujet tel que le magnétisme, science qui, jusqu'alors, n'a pu trouver droit de cité dans les académies.
Longtemps méconnu, bafoué et même pourchassé, le magnétisme, comme toutes les grandes vérités, a la vie dure ; loin de dépérir sous le vent des persécutions, il a pris un développement considérable et se présente à nous avec son cortège d'hommes illustres et érudits, avec ses millions d'expériences probantes, comme pour montrer à l'humanité de quelles aberrations les corps savants sont capables.
De nos jours, il s'opère une réaction en sa faveur. De tous côtés, les journaux, les revues médicales s'occupent des faits merveilleux produits par l'hypnotisme : nom nouveau dont le magnétisme s'est revêtu. A l'abri de ce pseudonyme, il s'est glissé dans le sanctuaire des princes de la science qui, ne le reconnaissant pas tout d'abord, lui ont fait bon accueil ; mais aujourd'hui, voyant à qui ils ont affaire, ils voudraient dénier sa parenté étroite avec le magnétisme qu'ils continuent à proscrire.
Avant d'étudier ce nouveau venu dans un chapitre particulier, il faut nous occuper du magnétisme proprement dit.
La première partie de cet ouvrage a établi que la science n'autorisait personne à parler en son nom, lorsqu'il s'agit de combattre l'existence de l'âme. Les physiologistes les plus éminents reconnaissent leur impuissance à expliquer la vie intellectuelle sans l'intervention d'une force intelligente. La philosophie conclut à la nécessité du principe pensant ; l'expérience, à son tour, par les procédés du magnétisme, prouve jusqu'à l'évidence la présence de l'âme comme puissance directrice de la machine humaine.
Depuis un siècle, des recherches minutieuses se poursuivent sur ce domaine. Des hommes sérieux, convaincus et dévoués, ont démontré que le charlatanisme n'a aucune part dans les véritables actions magnétiques, et que l'on se trouvait en face d'une modification nerveuse qu'il était bon d'étudier.
Puységur, Deleuze, Du Potet, Charpignon, Lafontaine, etc., tous gens de science et d'une honnêteté incontestée, ont décrit dans leurs nombreuses publications des milliers d'expériences véridiques constatées par des procès-verbaux signés des noms les plus honorables et les plus connus. Nier aujourd'hui les faits serait de l'enfantillage ou de la mauvaise foi.
Afin de montrer notre impartialité, nous ne prendrons pour notre démonstration de l'existence de l'âme que des expériences bien avérées ; nous les puiserons en grande partie dans le rapport sur le magnétisme fait à l'Académie de médecine, et lu dans les séances des 21 et 28 juin 1831, à Paris, par M. Husson, rapporteur.
Les autres témoignages seront empruntés, tantôt à des adversaires des doctrines spiritualistes, qu'on ne pourra accuser de complaisance ; tantôt à des écrivains spéciaux qui ont traité ces questions, mais, dans ce cas, leur récit est appuyé de l'autorité de médecins qui en ont suivi toutes les phases. De cette manière nous pouvons raisonner sur des observations authentiques et en tirer des conclusions aussi nettes que celles qui se dégagent de l'étude de la nature et qui ont été formulées sous le nom de lois physiques et chimiques.
Historique
La science magnétique comprend un certain nombre de divisions, suivant qu'on l'applique à différentes catégories de phénomènes. Nous nous contenterons de signaler ici les faits qui ont rapport au dégagement de l'âme, laissant de côté l'aspect thérapeutique de cette science cultivée par nos ancêtres. Sans faire l'histoire détaillée du magnétisme, nous pouvons rappeler qu'il fut connu de tout temps. Les annales des peuples de l'antiquité fourmillent de récits circonstanciés qui relatent la profonde connaissance qu'avaient du magnétisme les prêtres anciens.
Les mages de Chaldée, les brahmes de l'Inde guérissaient par le regard au moyen duquel ils procuraient le sommeil. Aujourd'hui encore, en Asie, les prêtres sont en possession des secrets de leurs prédécesseurs, et particulièrement dans l'Indoustan, les fakirs cultivent avec succès les pratiques magnétiques, ainsi que le racontent tous les voyageurs qui ont parcouru ces contrées.
Les Egyptiens ont puisé leur religion et leurs mystères à la grande source de l'Inde ; ils employaient pour le soulagement des souffrances les passes et attouchements tels que nous les exécutons encore de nos jours. Hérodote cite dans plusieurs passages les sanctuaires où se rendaient les pèlerins désireux de se guérir au moyen des remèdes que les hiérophantes découvraient en songe. Diodore de Sicile dit positivement que les malades arrivaient en foule dans le temple d'Isis pour y être endormis par les prêtres. La plupart des patients tombaient en crise et indiquaient eux-mêmes le traitement qui devait les ramener à la santé.
Le temple de Sérapis d'Alexandrie était renommé pour rendre le sommeil à ceux qui en étaient privés. Strabon rapporte qu'à Memphis, les prêtres s'endormaient et, dans cet état, donnaient des consultations médicales. L'histoire est remplie de récits de cures obtenues de cette manière. Arnobe, Celse et Jamblique enseignent dans leurs écrits que, chez les Egyptiens, il existait de tout temps des personnes douées de la faculté de guérir, au moyen d'attouchements et d'insufflations, et qu'elles réussissaient souvent à faire disparaître certaines affections réputées incurables.
Les Grecs, à leur tour, empruntèrent un grand nombre de connaissances aux peuples de l'Egypte, et ne tardèrent pas à égaler, sinon à surpasser leurs maîtres. Les hiérophantes qui desservaient l'autel de Trophonius s'étaient acquis une grande célébrité dans ces matières. Ce qui prouve que le magnétisme était fort répandu à cette époque, c'est qu'au dire d'Hérodote, des prêtres firent périr par jalousie une magicienne qui opérait des guérisons au moyen de frictions magnétiques.
Apollonius de Thiane, l'illustre thaumaturge, n'ignorait pas ces pratiques ; il guérissait l'épilepsie au moyen d'objets magnétisés, prédisait l'avenir et annonçait les événements qui se passaient au loin. On a conservé le souvenir de l'anecdote suivante :
Dans sa vieillesse, le philosophe s'était réfugié à Ephèse. Un jour qu'il enseignait sur la place publique, ses disciples le virent s'arrêter tout à coup et s'écrier d'une voix vibrante : «Courage, frappe le tyran !» Il s'interrompit encore quelques instants, dans l'attitude d'un homme qui attend avec anxiété, et reprit : «Soyez sans crainte, Ephésiens ! le tyran n'est plus, il vient d'être assassiné.» Quelques jours après, on apprit qu'au moment où Apollonius parlait ainsi, Domitien tombait sous le poignard d'un affranchi.
Les Romains eurent aussi des temples où l'on reconstituait la santé par des opérations magnétiques. Celse rapporte qu'Asclépiade de Pruse endormait magnétiquement les personnes atteintes de frénésie. Gallien, un des pères de la médecine moderne, supprimait certaines maladies par les applications de ces mêmes remèdes qui le firent passer pour sorcier et l'obligèrent de quitter Rome. Ce célèbre savant avouait qu'il devait une grande partie de son expérience aux lumières qui lui étaient venues en songe. A ce propos, Hippocrate disait que la meilleure médecine était celle qu'on lui indiquait pendant le sommeil. Mais l'homme qui obtint la plus grande renommée dans ces matières fut Simon, dit «le magicien », qui, en soufflant sur les épileptiques, détruisait le mal dont ils étaient atteints.
En Gaule, les druides et les druidesses possédaient à un très haut degré la faculté de guérir, comme l'attestent un grand nombre d'historiens ; leur médecine magnétique était devenue si célèbre qu'on venait les consulter de toutes les parties du monde. Il est facile de s'assurer combien leur renommée était universelle en consultant Tacite, Pline et Celse. Pendant le moyen âge, le magnétisme fut surtout pratiqué par les savants. Le clergé, ignorant et superstitieux, craignait l'intervention du diable dans ces opérations, un peu étranges, de sorte que cette science resta l'apanage des hommes instruits.
Avicenne, fameux docteur qui vécut de 980 à 1036, écrivait que l'âme agit non seulement sur son corps, mais aussi sur les corps étrangers qu'elle peut influencer à distance.
Ficin, en 1460 ; Cornélius Agrippa, Pomponace, en 1500, et, surtout, Paracelse, leur contemporain, posèrent les bases du magnétisme moderne tel qu'il devait être enseigné plus tard par Mesmer.
Arnaud de Villeneuve puisa chez les auteurs arabes la connaissance des effets magnétiques, et ses succès devinrent bientôt si grands qu'il s'attira la haine de ses confrères et fut condamné par la Sorbonne.
Dès 1608, Glocénius, professeur de médecine à Marbourg, fit paraître un ouvrage traitant des cures magnétiques. Dès cette époque il essaie de donner une explication rationnelle de ces phénomènes.
Van Helmont disait, en réhabilitant la mémoire de Paracelse, dont il fut le continuateur : Le magnétisme n'a de nouveau que le nom, il n'est un paradoxe que pour ceux qui rient de tout et qui attribuent à Satan ce qu'ils ne peuvent expliquer... Il y a dans l'homme, dit-il plus loin, une telle énergie qu'il peut agir en dehors de lui et influencer d'une manière durable un être ou un objet dont il est éloigné... Cette force est infinie dans le Créateur, mais limitée chez la créature par les obstacles naturels. Ces conceptions nouvelles, ces vues hardies furent attaquées par l'Eglise, que l'on trouve toujours sur la route des novateurs, acharnée à leur barrer le passage, et le célèbre médecin fut obligé de se réfugier en Hollande, où était déjà le grand Descartes.
Van Helmont fut secouru dans sa lutte par un Ecossais nommé Robert Fludd ; plus tard, Maxwell, en 1679, soutint les mêmes idées. Le Père Kircher, parlant de Robert Fludd, disait que ses écrits avaient été inspirés par le diable ; cependant il cite de nombreux exemples de sympathies et d'antipathies, et donne même des indications pour bien magnétiser.
A la date de 1682, nous avons à signaler Greatrakes, en Angleterre, qui fit des miracles en opérant simplement par des attouchements, sans chercher d'ailleurs à se rendre compte de la manière dont l'action s'opérait.
En France, Borel et Vallée, au commencement du XVII° siècle, employèrent le magnétisme par insufflations pour combattre les maladies nerveuses rebelles à tout autre traitement. Gassner remplit l'Allemagne du bruit de ses succès obtenus par le magnétisme tel qu'il se pratique de nos jours. Il fixait énergiquement son regard sur les yeux du malade et le frictionnait du haut en bas en secouant les doigts lorsqu'il arrivait à l'extrémité, comme pour en chasser les principes mauvais qui y étaient contenus.
Nous ne raconterons pas l'odyssée de Mesmer ; elle est trop connue pour que nous croyions nécessaire de la reproduire : il suffit de signaler que la vulgarisation de la science magnétique lui est due.
Le magnétisme est étudié méthodiquement de nos jours, et une remarquable propriété découverte par le marquis de Puységur lui fit faire des pas de géant : nous voulons parler du somnambulisme provoqué, qui fera l'objet de notre prochaine étude. Notre but n'étant pas de nous étendre sur l'histoire du magnétisme, nous terminons ici cet aperçu. Nous avions simplement l'intention de montrer que cette science, raillée par les ignorants ou les gens à parti pris, a une glorieuse généalogie et que son origine remonte aux époques les plus reculées.
Il y a encore peu de temps, on attribuait à la crédulité et à la superstition tous les récits des anciens relatifs aux guérisons magnétiques. Actuellement, les recherches sur ce point ayant fait voir que l'on pouvait obtenir les mêmes résultats, on est plein d'admiration pour ces prêtres qui possédaient une science si complète de la vie, et qui l'exerçaient avec tant d'habileté.
CHAPITRE II
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LE SOMNAMBULISME NATUREL
Après une journée fatigante, lorsque nous reposons nos membres lassés, peu à peu nous sentons un bien-être nous envahir ; il se produit un apaisement général, un calme dans le cerveau : nos yeux se ferment, nous dormons. Quels actes s'accomplissent pendant cette suspension de la vie active ?
Le sommeil a pour caractère essentiel le pouvoir de rompre la solidarité qui existe habituellement entre les différentes parties du corps, entre les diverses fonctions de l'organisme, entre les multiples facultés de l'homme. Pendant ce temps, chacune de ces unités qui composent l'ensemble concentre en elle-même la force qui lui est propre, s'isole de toutes les autres, ainsi que le corps se sépare du monde extérieur par le repos des sens.
Jusqu'ici on a émis les théories les plus contradictoires pour expliquer cet état, mais il est tout aussi difficile de comprendre la situation dans laquelle on se trouve lorsqu'on ne dort pas, car la vie est partagée par des périodes d'activité et de repos qui sont non moins naturelles, non moins normales l'une que l'autre. Ce n'est donc pas, comme quelques-uns l'ont prétendu, l'image de la mort.
Etudiant avec M. Longet les symptômes qui se manifestent chez les êtres qui vont s'endormir, nous constatons que le sommeil ne s'empare pas brusquement de nous : nos organes s'assoupissent successivement à des degrés variables, plusieurs veillent encore que d'autres sont déjà plongés dans un engourdissement complet. En général, ce sont les muscles des membres qui les premiers se relâchent et s'affaissent. Les bras, les jambes, devenus immobiles, restent dans la position qu'ils ont choisie et qui est en rapport avec la forme des articulations et des principales masses musculaires.
Après les membres, ce sont les muscles volontaires du tronc qui se détendent : dans le calme de la nuit, nos sens inactifs ne reçoivent aucune impression du dehors, et cette inaction qui favorise la somnolence est bientôt suivie d'une atonie complète. Presque toujours la vue est le sens qui s'affaiblit le premier : l'oeil fatigué se ternit, il perd de son éclat et reste fixé sur les objets qu'il ne voit plus, en même temps la paupière se ferme ; plus tard que la vue, l'ouïe s'endort et termine la succession des phénomènes qui ont signalé l'invasion du sommeil.
Il est à remarquer que l'ouïe, si rebelle à la fatigue, résiste aussi la dernière aux attaques de la mort ; on entend encore après que tous les autres sens ont cessé de vivre, de même que l'on perçoit des sons, alors que les différents organes sont déjà endormis. Une autre circonstance singulière est la suivante : c'est par l'oreille que pénètrent le plus souvent les influences soporifiques, et l'ouïe veille encore quand, par son action, le corps n'est plus qu'une masse inerte. On sait, en effet, avec quelle facilité la monotonie d'un son annihile la connaissance : le bruit d'une chute d'eau, le murmure du vent à travers les grands arbres, les mélopées plaintives, les naïves et touchantes complaintes que chantent les mères en berçant leurs enfants sont autant de preuves de ce que nous avançons.
Le goût, l'odorat, le toucher cessent généralement de manifester des propriétés actives dès les premières atteintes du sommeil, que nous pouvons regarder comme le repos du corps. C'est pendant cet état que les organes et les sens récupèrent la force nerveuse qu'ils ont dépensée pendant la veille, et lorsque la machine humaine est redevenue apte aux fonctions de la vie de relation, l'homme s'éveille.
La série d'actes que nous venons de décrire est celle qui s'exerce normalement. Nous n'avons pas indiqué les cas particuliers qui peuvent se présenter et qui varient suivant les individus, mais il existe un point sur lequel il est bon de s'appesantir, car il nous mettra sur la voie des explications relatives aux rêves, c'est la marche décroissante des facultés au moment du sommeil.
Il peut très bien arriver que la perception, autrement dit le pouvoir de connaître, s'éteigne en nous avant que les sens soient endormis. En effet, combien de fois, après de laborieuses veillées, il nous est arrivé de laisser tomber un livre sur lequel nous ne distinguions plus que de petits points noirs. Un peu avant, nous voyions les lettres, nous les assemblions, nous les lisions, mais nous ne concevions plus ; plus tard nous voyions, mais nous ne lisions plus, nous perdions conscience de notre état. Dans ce dernier cas, il est incontestable que la perception s'affaiblit avant le sens qui transmet l'impression.
D'autres fois, au contraire, l'organe sensoriel s'endort avant la conception, de sorte que la dernière image perçue sert de point de départ à une série d'idées qui prennent naissance en raison du genre de travail de l'individu. Que l'idée de lumière soit, par exemple, la dernière que l'on ait reçue par les sens : chez le physicien elle portera l'esprit vers l'étude de la lumière, il reverra les expériences multiples de la réfraction, de la polarisation, etc., dont les innombrables problèmes pourront se dérouler devant lui ; au physiologiste elle rappellera les mystères de la vision ; au peintre, des tableaux magiques, de splendides couchers de soleil ou des aurores immaculées ; à l'homme du monde, des fêtes, des soirées, etc.
Or, comme toutes ces visions intérieures peuvent être déterminées par une ou plusieurs sensations dernières produites sur les organes des sens et qu'elles sont capables d'agir simultanément, il en résulte que les facultés de l'esprit se mêlant les unes aux autres produisent les associations d'idées les plus fantaisistes et les plus extraordinaires. C'est précisément ce qui arrive dans le rêve habituel, qui est amené souvent aussi par des causes purement matérielles, agissant sur le corps endormi.
Donc le sommeil, au moment où il arrive, détruit tout d'abord la solidarité qui existe entre les diverses facultés de l'esprit, de sorte qu'elles s'endorment successivement ; lorsque l'une d'elles reste en activité, elle acquiert une force d'autant plus grande, que nulle sensation venue du dehors ne contre-balance son action. Il existe des preuves remarquables de ce fait. Si nous sommes préoccupés par la solution d'un problème ou par une idée qui nous domine, toutes nos forces sont concentrées sur ce point unique, et si le souvenir nous en restait, nous verrions de quels chefs-d'oeuvre l'esprit humain est capable.
Ceci nous amène au cas particulier du sommeil que l'on a appelé somnambulisme. Dans cet état, le sujet marche en dormant et remplit habituellement les mêmes fonctions que lorsqu'il est éveillé. Les traités de physiologie sont remplis d'observations, sur cette curieuse anomalie. Nous pouvons citer des exemples historiques de somnambulisme.
C'est pendant le sommeil que Cardan a composé un de ses ouvrages, que Condillac, le fameux philosophe sensualiste, a terminé son cours d'études. Voltaire refit en rêve complètement et mieux qu'il ne l'avait composé, étant éveillé, l'un des chants de la Henriade. Massillon écrivait, en dormant, beaucoup de ses élégants sermons ; enfin Burdach le physiologiste, qui s'est beaucoup intéressé à cette question, rapporte le fait suivant :
«Le 17 juin 1882, en faisant la méridienne, je rêvais que le sommeil comme l'allongement des muscles, est un retour sur soi-même qui consiste dans une suppression de l'antagonisme. Tout joyeux de la vive lumière que cette pensée me paraissait répandre sur les phénomènes vitaux, je m'éveillai ; mais aussitôt tout rentra dans l'ombre, parce que cette vue était trop en dehors de mes idées du moment ; mais elle est devenue le germe des vues qui se sont développées depuis dans mon cerveau.»
Ce dernier fait est simplement un rêve, mais ceux que nous avons cités plus haut présentent un caractère spécial. Ainsi, pour composer un ouvrage ou écrire des sermons, lorsque son corps est endormi, il faut que l'auteur se déplace, que ses membres accomplissent certains mouvements en rapport avec le but à remplir : cet état particulier est le somnambulisme naturel. Il se distingue donc du rêve par deux caractères : 1° la marche pendant le sommeil ; 2° la perte de souvenir, au réveil, de ce qui s'est passé.
Pendant le somnambulisme, les membres obéissent à la volonté, et elle agit sur le corps tout en n'y étant sollicitée par aucun stimulant extérieur.
Cela se produit fréquemment chez les jeunes sujets. Les enfants, surtout ceux qui sont irritables, se lèvent souvent la nuit ou exécutent dans leur lit des mouvements variés, sans que, d'ailleurs, leur sommeil en soit interrompu. Si les organes de la voix sont éveillés, ils traduiront les pensées de leurs songes ; c'est ainsi que des milliers d'êtres ont l'habitude de rêver tout haut. Il peut arriver à ces individus de soutenir pendant quelque temps la conversation avec des personnes éveillées ; mais il faut que l'on devine l'objet de leur préoccupation, car les réponses qu'ils font sont adressées, non pas à leur interlocuteur réel, mais au personnage idéal de leur rêve.
Tels sont dans leur ensemble les renseignements donnés par la physiologie pour expliquer le somnambulisme. Il est facile de constater qu'ils sont insuffisants dans la grande majorité des cas observés.
Voici en première ligne l'Encyclopédie, qu'on n'accusera pas de tendresse à l'endroit des théories spiritualistes. Il est rapporté, à l'article «somnambulisme», l'histoire d'un jeune abbé qui se levait chaque nuit, allait à son bureau, composait des sermons et se recouchait. Quelques-uns de ses amis, désireux de savoir si véritablement il dormait, l'épièrent, et une nuit qu'il écrivait comme de coutume, ils interposèrent un large carton entre ses yeux et le papier. Il ne s'interrompit point, continua sa rédaction, et une fois qu'il l'eut terminée se coucha, comme il avait l'habitude de le faire, sans se douter de l'épreuve à laquelle il venait d'être soumis. L'auteur de l'article ajoute : «Lorsqu'il avait fini une page, il la lisait tout haut, d'un bout à l'autre (si on peut appeler lire cette action faite sans le concours des yeux). Si quelque chose alors lui déplaisait, il le retouchait et écrivait au-dessus les corrections avec beaucoup de justesse. J'ai vu le commencement d'un de ces sermons qu'il avait écrit en dormant ; il m'a paru assez bien fait et correctement écrit. Mais il y avait une correction surprenante : ayant mis dans un endroit ce divin enfant, il crut, en le relisant, devoir substituer le mot adorable à divin ; pour cela, il vit que le ce, bien placé devant divin, ne pouvait aller avec adorable ; il ajouta donc fort adroitement un t à côté des lettres précédentes, de sorte qu'on lisait cet adorable enfant.»
Ici, il n'est guère possible de se borner aux explications énoncées plus haut pour rendre compte des faits, car il y a une phase du phénomène sur laquelle on ne saurait trop insister : c'est la vision sans les organes des yeux. C'est un détail très important, car s'il nous est démontré que le somnambule peut se diriger dans un appartement, écrire les yeux exactement fermés, faire des corrections qui indiquent une vue bien nette : ceci nous prouvera qu'il y a en lui une force qui le dirige sûrement, qui agit en dehors des sens, en un mot, que l'âme veille quand le corps est endormi.
Dans l'anecdote rapportée par l'Encyclopédie, on peut prétendre qu'une forte contention de l'esprit pendant l'état de veille prédisposait le cerveau du jeune prêtre à la rédaction de ses homélies. Mais s'il est aisé d'admettre qu'il avait l'habitude de travailler à son bureau, et que, machinalement, il y revint pendant son sommeil, il est impossible d'expliquer comment il voyait à travers un carton de manière à écrire correctement, tourner les pages quand il était arrivé au bas de la feuille et rajouter des lettres à l'endroit précis où cela est utile, en un mot, faire tous les actes qui exigent le secours de l'oeil.
Les faits qui suivent, aussi étranges que le précédent et où toute contestation est impossible, sont empruntés au docteur Debay, qui fait profession de matérialisme et qui n'est pas doux pour les spiritualistes, en général, et les spirites, en particulier. Nous exposerons ensuite les lumineuses théories qu'il en donne, admises en général par les incrédules, et nous signalerons, une fois de plus, la pitoyable insuffisance de ces systèmes qui veulent se passer de l'âme dans l'explication des phénomènes de la vie.
Voici le premier cas, c'est le docteur lui-même qui l'a observé.
«Par une belle nuit d'été, j'aperçus aux clartés de la lune, marchant sur les plombs d'une maison très élevée, une forme humaine ; je la vis ramper, s'allonger, puis se cramponner aux angles aigus de la toiture et s'asseoir au sommet du pignon. Pour mieux observer cette étrange apparition, je m'armai d'une lunette et je distinguai très nettement une jeune femme tenant son nourrisson entre ses bras, fortement serré contre sa poitrine. Elle resta près d'une demi-heure dans cette dangereuse position ; ensuite elle descendit avec une agilité surprenante et disparut.
«Le lendemain à la même heure, même ascension, même attitude, même adresse à parcourir les plombs de toiture. Dans la matinée, j'allai rendre compte au propriétaire de la maison de ce que j'avais vu. Il m'écouta, effrayé, et m'apprit que sa fille était somnambule, mais qu'il ignorait complètement ses promenades nocturnes ; je l'engageai à prendre les plus minutieuses précautions, afin de prévenir un accident terrible. La nuit vint et j'aperçus encore la jeune femme exécuter les manoeuvres des jours précédents ; de nouveau je courus en avertir le père ; je le trouvai triste et pensif.
«Il m'apprit qu'après le coucher de sa fille, il avait lui-même fermé à double tour la porte de son appartement, et avait eu, en outre, la précaution de placer un cadenas en dehors.
«Hélas ! disait-il, la pauvre enfant, ne trouvant d'autre issue, a ouvert la croisée, et, comme de coutume, s'est dirigée sur l'arête du toit. A son retour, après un quart d'heure, elle a donné du poing dans un battant de la croisée que le vent avait fermée, s'est fait une légère blessure et s'est éveillée en poussant un cri aigu. Par un bonheur inouï, l'enfant, échappé à ses mains, est tombé sur le fauteuil qu'elle avait eu soin de placer au bas de la croisée pour lui servir de gradin.
«En ce moment, la somnambule entra : c'était une femme délicate et souffreteuse ; son intéressante physionomie portait l'empreinte de la tristesse et dénotait une idiosyncrasie hystérique. L'incarcération de son époux, condamné politique, l'affectait vivement et contribuait à son exaltation morale. Lorsque je lui parlai de ses promenades périlleuses, elle se mit à sourire languissamment et n'y voulut point croire. Enfin, en l'interrogeant sur la nature de ses rêves, elle crut se rappeler qu'elle avait depuis quelques jours un sommeil lourd, pénible ; tantôt rêvant que des gendarmes, des sergents de ville, toute la horde des policiers envahissait son domicile pour s'emparer du républicain ; tantôt c'était à elle et à son enfant qu'on en voulait. Une grande lassitude suivait son réveil, elle se trouvait fatiguée, triste, abattue, souffrait de la tête, et en attribuait la cause à la douloureuse séparation qui la privait de son époux.»
Tel est le récit du docteur, qu'il fait suivre des observations suivantes :
«En réfléchissant aux conditions physiques et morales de cette femme, on découvre qu'elle était prédisposée au somnambulisme par son organisation et qu'une pensée l'accompagnait toujours : l'incarcération de son époux. De cette idée, pendant le sommeil, en naissaient plusieurs autres par association ; l'organe encéphalique fortement stimulé mettait en jeu l'appareil locomoteur et le dirigeait sur le toit de la maison. Le motif de cette périlleuse ascension était le danger dont elle se croyait menacée, elle et sont enfant.»
C'est fort bien ! Mais ici on ne peut plus objecter la connaissance des lieux et l'habitude pour expliquer la marche de la somnambule sur les arêtes aiguës des toits, car il est probable que cette jeune dame n'en faisait pas le but de ses promenades ordinaires. Or, nous le demandons, quelle est la force qui la dirigeait ? où puisait-elle cette sûreté et cette clairvoyance nécessaires pour la guider sur ce chemin périlleux ? Alors même qu'elle eût pu se servir de ses yeux, l'enfant, qu'elle tenait dans ses bras, lui eût infailliblement causé des terreurs, dont elle eût été la victime.
Dans cet état, il faut bien reconnaître l'âme dirigeant le corps sans le secours des sens, et pour que le doute ne soit pas possible, empruntons encore au même auteur deux autres faits où, le corps étant endormi, l'âme jouit de toutes ses facultés intellectuelles.
Le professeur Soave, enseignant la philosophie et l'histoire naturelle à l'Université de Padoue, a donné de la publicité au cas suivant de somnambulisme.
Un pharmacien de Pavie, savant chimiste, à qui l'on doit d'importantes découvertes, se levait toutes les nuits pendant son sommeil et se rendait dans son laboratoire pour y reprendre ses travaux inachevés. Il allumait les fourneaux, plaçait les alambics, cornues, matras, etc., et poursuivait ses expériences avec une prudence, une agilité qu'il n'aurait peut-être pas eues étant éveillé ; il maniait les substances les plus dangereuses, les poisons les plus violents, sans qu'il lui arrivât jamais le moindre accident.
Lorsque le temps lui avait manqué pour préparer pendant le jour, les ordonnances que lui donnaient les médecins, il les allait prendre dans le tiroir où elles étaient renfermées, les ouvrait, les plaçait les unes contre les autres sur la table et procédait à leur préparation avec tout le soin et toutes les précautions désirables.
C'était vraiment extraordinaire de le voir prendre le trébuchet, choisir les grammes, décigrammes et centigrammes, peser avec une précision pharmaceutique les doses les plus minimes des substances dont les ordonnances étaient composées, les triturer, les mélanger, y goûter, puis les mettre dans les fioles ou en paquet, selon la nature des remèdes, coller les étiquettes, enfin les ranger en ordre sur les rayons de sa pharmacie, prêts à être livrés lorsqu'on viendrait les chercher.
Les travaux terminés, il éteignait ses fourneaux, remettait en place les objets dérangés et regagnait son lit, où il dormait tranquille jusqu'au moment du réveil.
Le professeur Soave fait remarquer que le somnambule avait constamment les yeux fermés ; il avoue que si la mémoire des lieux et l'idée d'achever ses travaux pouvaient suffire à le diriger dans son laboratoire, la lecture et la préparation des ordonnances, dont il ignorait le contenu, restent inexplicables.
Enfin, nous voici donc arrivés à une circonstance qui, de l'aveu des savants, ne peut se comprendre par leur théorie. Ils sont impuissants à rendre compte de ces phénomènes étranges, mais leur incapacité tient simplement à leur obstination. Tant qu'ils rejetteront systématiquement l'âme, la nature humaine aura toujours des mystères qu'ils ne pourront sonder !
De son côté, le docteur Esquirol rapporte qu'un pharmacien se levait toutes les nuits et préparait les potions dont il trouvait les formules sur la table. Pour éprouver si le jugement agissait chez ce somnambule, ou s'il n'y avait que mouvements automatiques, un médecin plaça sur le comptoir de la pharmacie la note suivante :
Sublimé corrosif    2 gros
Eau distillée    4 onces
A avaler en une fois.
Le pharmacien, s'étant levé pendant son sommeil, descendit comme d'habitude dans son laboratoire ; il prit l'ordonnance, la lut à plusieurs reprises, parut fort étonné et entama le monologue suivant, que l'auteur du récit, caché dans le laboratoire, écrivit mot pour mot :
«Il est impossible que le docteur ne se soit pas trompé en rédigeant sa formule ; deux grains seraient déjà beaucoup, il y a ici très lisiblement écrit 2 gros. Mais 2 gros font plus de 150 grains... C'est plus qu'il n'en faut pour empoisonner 20 personnes... Le docteur s'est indubitablement trompé... Je me refuse à préparer cette potion.»
Le somnambule prit ensuite diverses commandes qui étaient sur la table, les prépara, les étiqueta et les rangea en ordre pour être livrées le lendemain.
Suivons le docteur Debay, dans les explications qu'il donne au sujet de ce qui est raconté plus haut. Nous avons vu trois cas de somnambulisme naturel qu'il est impossible de comprendre si l'on n'admet pas l'existence d'un principe spirituel, directeur de la matière et qui n'est pas soumis, comme le corps, au sommeil. Les savants essayent de voiler leur ignorance au moyen de théories obscures qu'il est beaucoup plus difficile d'admettre que les nôtres ; ainsi, M. Debay fait remarquer que l'oeil n'est pas strictement le seul organe par lequel s'opère la vision et qui puisse transmettre au cerveau la perfection des objets. Nous sommes de cet avis, mais où nous différons, c'est dans l'interprétation du mécanisme de la vue somnambulique qui, selon notre docteur, peut se faire par le bout du nez, l'épigastre, ou l'extrémité des doigts !
Lecteur, ne riez pas ! L'auteur prétend que la vision par l'épigastre ou le bout du nez n'est pas aussi dépourvue de fondement qu'on pourrait (à juste titre) le croire ; qu'il existe peut-être des ramifications du nerf optique aboutissant à ces extrémités, et que c'est par elles que le somnambule peut se diriger. Si nous nous laissions gagner par cette conception doucement fantaisiste, il deviendrait possible de justifier la croyance que l'homme parfait serait celui qui posséderait un oeil fixé à l'extrémité d'une longue queue mobile. D'après l'hypothèse des ramifications, dit toujours M. Debay, «le stimulus extérieur agirait sur ces anastomoses inconnus et les vibrations qu'elles détermineraient au cerveau suffiraient pour produire la perception». L'auteur ajoute gravement : «Il ne faut donc pas nier ; plus sage est de douter en attendant de nouvelles démonstrations.»
Que dire devant de pareilles suppositions ! Pour revenir à une discussion sérieuse, il faut examiner le premier des cas de somnambulisme signalés.
M. Debay veut expliquer ces phénomènes par une comparaison. Ainsi qu'un commandant dirige son navire sur l'inspection d'une carte, de même, dans le somnambulisme, la mémoire dirige le corps au moyen des impressions qu'elle lui fournit. Nous sommes étonnés de voir un médecin, un physiologiste émettre une pareille assertion ; nous ne savions pas que la mémoire dirigeait le corps. Jusqu'ici on avait admis que c'était la volonté, guidée par diverses influences, dont l'une d'elles pouvait être la mémoire. Malgré la difficulté d'admettre une semblable théorie, lorsque les mouvements du sujet se produisent dans une résidence qui lui est habituelle, que dire des circonstances où le somnambule se conduit merveilleusement, et avec une sûreté qu'il n'aurait même pas étant éveillé, dans des milieux qui lui sont totalement inconnus ?
Ainsi, prenons l'exemple de cette jeune dame dont le mari avait été arrêté. Est-il possible de dire que la mémoire la conduisait lorsqu'elle marchait sur les plombs de la maison, rampait, s'allongeait le long des arêtes vives de la toiture, et enfin s'asseyait sur le pignon. Il est invraisemblable de supposer qu'elle ne se fût jamais livrée à ces exercices dans son état normal. Mais alors, quelle puissance la protégeait, lui faisait éviter les chutes ? Par quel organe voyait-elle, puisque dans cet état les yeux sont complètement fermés ?
On ne peut imaginer que des ramifications du nerf optique aboutissant à l'épigastre, ou ailleurs, soient capables de transmettre des vibrations lumineuses au cerveau, car nous savons pertinemment et depuis fort longtemps que les sensations lumineuses et auditives sont localisées dans les organes de ces sens et qu'il est aussi difficile d'expliquer que l'on voie par les oreilles que d'entendre par les yeux.
Et quand même le nerf optique se ramifierait, comme le veut M. Debay, les extrémités ne portant pas d'appareil récepteur, c'est-à-dire la chambre noire qui constitue la partie essentielle de l'oeil, ne pourraient d'aucune façon transmettre des vibrations lumineuses au cerveau.
Cependant le fait est là, il se présente indéniable, il faut l'expliquer exclusivement par le mécanisme de la machine humaine ou admettre l'âme comme cause efficiente.
Dira-t-on, avec le docteur, que lorsque la vision ne s'opère point, le cerveau supplée à cette fonction par une vue intérieure des objets qu'il cherche ? Qu'est-ce que cela veut dire ? et comment cette perception intime pourrait-elle exister pour des objets qui n'ont pas été vus par les yeux du corps ? Cette hypothèse est absolument inadmissible, aussi l'auteur en présente-t-il tout de suite une autre.
Les organes des sens, dit-il, développés à l'excès chez le somnambule, éprouvent à distance l'action des corps et lui font éviter les dangers qui le menacent.
Nous rentrons dans le domaine de la fantaisie avec cette supposition, qui ne peut même faire comprendre toutes les particularités observées. En effet, dans l'anecdote rapportée par Esquirol, le pharmacien endormi qui préparait ses potions ne put être averti du danger que courait son client, s'il se conformait à l'ordonnance, par une émanation du papier. Il agissait ainsi qu'il l'eût fait à l'état ordinaire et discutait méthodiquement l'impossibilité d'un pareil remède. Or, nous le demandons, ici encore, qui discutait, qui voyait ?
On pourrait, à la rigueur, admettre qu'un sujet fît, durant le sommeil, des actes purement mécaniques, tels que ceux qu'il accomplit pendant la veille et qui ne demandent aucune application de l'esprit ; ainsi qu'un cocher soigne ses chevaux, qu'un artiste joue du piano, qu'une cuisinière lave sa vaisselle, etc. Dans ce cas, il est naturel de concevoir certaines actions réflexes du système nerveux surexcité par une idée fixe. Mais lorsque le raisonnement est en jeu, lorsque toutes les facultés fonctionnent comme à l'ordinaire et qu'il est notoire que le sujet est endormi, autrement dit, que les fonctions de la vie de relation ont cessé, nous disons qu'il faut de toute nécessité accepter l'existence d'un agent, qui, lui, ne dort pas, qui pense, qui raisonne, qui veut, et cette force qui veille sur le corps et le conduit, nous l'appelons l'âme.
Tout compte fait, le docteur Debay, qui traite la croyance aux esprits de billevesées, n'est pas très positiviste et son scepticisme ne repose sur aucune preuve de l'insanité de nos croyances.
En résumé, nous dirons, afin de ne pas surcharger la discussion : il reste établi que le somnambulisme naturel offre des caractères remarquables qui sont incompréhensibles, si l'on nie que l'âme soit une réalité. Nous pourrions citer mille autres cas de somnambulisme, les traités de physiologie étant remplis de ces récits, mais ils ne nous offriraient rien d'aussi typique que ceux que nous avons étudiés. Le chapitre suivant est consacré à l'examen du somnambulisme magnétique, et là encore, nous constaterons que l'affirmation spiritualiste est bien fondée. Une dernière remarque. Pendant le fameux débat qui eut lieu à l'Académie de médecine, à l'occasion de la lecture du rapport de M. Husson, ce furent surtout les faits de vision sans le secours des yeux que l'on combattit. Mais si les doctes incrédules avaient songé que les somnambules naturels se meuvent très adroitement avec les yeux fermés, ils se seraient évité le ridicule de rejeter un fait reconnu par eux-mêmes.
CHAPITRE III
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LE SOMNAMBULISME MAGNETIQUE
Le Cours de Magnétisme du baron du Potet contient des documents en assez grand nombre, pour nous persuader que le somnambulisme artificiel, c'est-à-dire provoqué par le magnétisme, est une vérité. Nous y avons joint d'autres récits empruntés aux autorités de la science magnétique, Charpignon et Lafontaine, mais toujours avec l'appui de procès-verbaux signés par les médecins les plus connus ; les faits qui suivent ont donc tous les caractères de l'authenticité.
Le somnambulisme magnétique est caractérisé, le plus souvent, par une insensibilité entière de la peau ; on peut impunément piquer le dormeur, le pincer, lui faire des brûlures : il ne se réveille pas et ne donne aucun signe de souffrance.
L'ammoniaque concentré, porté par la respiration dans les voies aériennes, ne détermine pas le moindre changement, et ce qui, dans l'état habituel, pourrait donner la mort, reste sans effet dans cette espèce de somnambulisme. Si la sensibilité est éteinte, l'ouïe ne semble pas moins dépourvue d'action. Nul bruit ne peut se faire entendre, la voix, la chute ou l'agitation des corps sonores ne communiquent aucun son aux nerfs acoustiques ; ils semblent être complètement paralysés ; des coups de pistolet tirés à l'orifice du conduit auditif, tout en meurtrissant les chairs, laissent croire encore à la privation de ce sens.
Mais cet état n'existe que pour tout ce qui n'est pas le magnétiseur, car ce dernier peut faire entendre jusqu'aux plus faibles modulations de sa voix, sa parole se fait comprendre à des distances où toute autre n'entendrait rien et ne pourrait même voir le mouvement des lèvres.
De nombreuses expériences furent faites par du Potet en 1820, à l'hôtel-Dieu de Paris. Il en rend compte de la manière suivante :
«Vous savez (il parle à ses élèves) que le somnambulisme s'offrit à notre observation et qu'un grand nombre de médecins incrédules, attirés par la nouveauté du spectacle, en furent témoins, et demandèrent à s'assurer par eux-mêmes de la vérité de ce que je leur avançais. Je les laissai faire tant qu'ils voulurent, car pour des phénomènes extraordinaires on ne doit croire que le témoignage de ses sens. La présence de beaucoup de monde n'empêcha pas la production du somnambulisme, et, une fois cet état produit, les assistants mirent tout en usage pour constater la non-sensibilité des magnétisés. On commença par leur passer des barbes de plume très légères sur les lèvres et sur les ailes du nez ; puis on leur pinça la peau, de telle manière que des ecchymoses en étaient les suites ; puis on introduisit de la fumée dans les fosses nasales ; on mit les pieds d'une somnambule dans un bain de moutarde fortement sinapisé et dont l'eau était à un très haut degré de chaleur.
«Aucun de ces moyens ne détermina le plus léger changement, pas la plus légère marque de souffrance ; le pouls interrogé n'offrait aucune altération. Mais au moment du réveil, toutes les douleurs qui devaient être la suite de ces expériences furent vivement senties et les malades s'indignèrent du traitement qu'on leur avait fait subir.»
Il ne faut pas oublier que toutes ces expériences furent exécutées, non par du Potet, mais par des incrédules, il en produit les témoignages écrits. Voici entre beaucoup d'autres un procès-verbal signé du docteur Roboam :
«Je soussigné, certifie que, le 8 janvier 1821, à la prière de M. Récamier, j'ai mis dans le sommeil magnétique la nommée Le Roy (Lise), couchée au n° 22 de la salle Sainte-Agnès ; il l'avait auparavant menacée de l'application d'un moxa, si elle se laissait endormir.
«Contre la volonté du malade, moi, Roboam, je l'ai fait passer dans le sommeil magnétique, pendant lequel M. Gilbert a brûlé de l'agaric à l'ouverture des fosses nasales et cette fumée désagréable n'a rien produit de remarquable ; qu'ensuite M. Récamier a appliqué lui-même, sur la région épigastrique, un moxa, qui a produit une escarre de 15 lignes de longueur sur 9 lignes de largeur, que pendant son application la malade n'a pas témoigné la plus légère douleur, soit par cris, mouvements, ou variations du pouls ; qu'elle est restée dans un état d'insensibilité parfaite ; que, sortie du sommeil, elle a témoigné beaucoup de douleur.»
Etaient présents à cette séance, MM. GILBERT, CREQUI, etc.
Signé : ROBOAM, docteur médecin .
Si nous nous sommes étendu sur ce témoignage, c'est pour bien faire voir que le magnétisme est une force et le somnambulisme une vérité, en dépit de tous les corps savants qui ont voulu étouffer cette découverte.
Voici encore une dernière preuve de l'insensibilité des somnambules.
Quelques chirurgiens de l'hôtel-Dieu ayant changé d'hôpital, un d'entre eux, M. Margue, fut placé dans le vaste hospice de la Salpêtrière. Dans sa nouvelle résidence, il s'occupa de magnétisme, et bientôt encore le somnambulisme se manifesta, non sur un seul malade, mais sur plusieurs. Esquirol, dont nous avons déjà parlé, ne s'opposa pas à ces études, il souffrit même qu'elles devinssent publiques ; la foule des curieux était grande et les incrédules nombreux.
On renouvela sur ces pauvres femmes les expériences de l'Hôtel-Dieu ; ensuite, croyant sans doute que, jusqu'à un certain point, on pouvait supporter la douleur sans la manifester, que la brûlure la plus forte pouvait être endurée sans aucun signe extérieur de souffrance, on ne crut mieux faire que de leur présenter de l'ammoniaque concentré à respirer. A cet effet, on se procure à la pharmacie de l'hôpital un vase qui en contenait quatre onces, et on le plaça plusieurs minutes de suite sous le nez de chaque somnambule, en s'assurant toutefois que l'inspiration portait bien dans la poitrine le gaz délétère qui s'échappait du bocal. On répéta plusieurs fois cette opération, et jamais les observateurs ne purent surprendre l'ombre d'une manifestation de gêne ou de malaise. Détail piquant : un docteur, sans doute plus incrédule que les autres, voulut s'assurer par lui-même que le vase contenait bien de l'ammoniaque, et, s'étant approché pour le sentir, faillit payer de sa vie cette imprudente curiosité.
Ces phénomènes prouvent donc que le somnambulisme est un état particulier du système nerveux, qui présente de grandes analogies avec la paralysie sensitive produite par les anesthésiques, tels que le chloroforme ou l'éther. Nous verrons plus loin combien cette assimilation est complète.
Les faits que nous venons de décrire ont été examinés avec une scrupuleuse attention et affirmés par des témoins honorables, tels que : MM. Husson, Bricheteau, Delens, et une foule d'autres médecins. Les procès-verbaux rédigés sur place ont été déposés chez M. Dubois, notaire à Paris, le double en a été inséré dans une brochure qui a reçu une immense publicité, et jamais un démenti n'est venu en contester la véracité.
Déterminons maintenant d'autres caractères du somnambulisme magnétique. Le somnambule sent avec plus de précision qu'à l'état normal quelle est la partie de son corps qui est affectée ; il la voit et souvent indique le remède convenable pour sa guérison.
A un degré plus élevé, il embrasse d'un coup d'oeil toute son anatomie, et son pouvoir s'étend jusqu'à lire dans la pensée de ceux que l'on met en rapport avec lui. Un des signes caractéristiques du sommeil somnambulique, c'est l'oubli, au réveil, de tout ce qui vient de se passer.
Arrivons enfin à ce que l'on a appelé la transposition des sens, c'est-à-dire la faculté que possèdent certains somnambules de voir sans l'intervention des yeux, de sentir sans l'organe de l'olfaction et d'entendre sans que l'oreille y soit pour rien. Si nous insistons pareillement sur ces étranges facultés, c'est qu'il n'est pas possible d'en donner une explication rationnelle si l'on s'obstine à ne pas reconnaître l'existence de l'âme, d'une puissance qui se manifeste en dehors des conditions de la vie habituelle. Les exemples qui suivent établissent péremptoirement la double vue.
Deleuze, bibliothécaire et professeur d'histoire naturelle au Jardin des Plantes, dans un mémoire sur la clairvoyance des somnambules, rapporte cette anecdote :
La jeune malade m'avait lu fort couramment sept ou huit lignes, quoique ses yeux fussent masqués de manière à ne pouvoir s'en servir. Ensuite elle avait été obligée de s'arrêter, étant, disait-elle, trop fatiguée. Quelques jours après, voulant convaincre des incrédules, Deleuze présenta à la jeune fille une boîte en carton, fermée, dans laquelle étaient écrits ces mots : amitié, santé, bonheur. Elle tint longtemps la boîte dans sa main, éprouva beaucoup de fatigue, et dit que le premier mot était amitié, mais qu'elle ne pouvait lire les autres ; pressée de faire de nouveaux efforts, elle y consentit et dit en rendant la boîte : Je ne vois pas assez clair, je crois cependant que ces deux mots sont : bonté, douceur. Elle se trompait sur ces deux derniers termes ; mais, comme on le voit, ils avaient la plus grande ressemblance avec ceux qui étaient inscrits, et une pareille coïncidence ne peut être attribuée au hasard.
Nous choisissons ce fait parmi bien d'autres, pour montrer que la faculté somnambulique peut, chez la même personne, présenter des degrés divers allant depuis la vue incomplète jusqu'à la vue parfaite. Dans le récit suivant la lucidité est entière ; laissons la parole à M. Rostan qui a écrit l'article : magnétisme, dans le dictionnaire des sciences médicales.
«Mais si la vue est abolie dans son sens naturel, il est tout à fait démontré pour moi qu'elle existe dans plusieurs parties du corps. Voici une expérience que j'ai fréquemment répétée ; cette expérience a été faite en présence de M. Ferrus. Je pris ma montre que je plaçai à trois ou quatre pouces derrière l'occiput, je demandai à la somnambule si elle voyait quelque chose ; certainement je vois quelque chose qui brille, ça me fait mal. Sa physionomie exprimait la douleur, la nôtre devait exprimer l'étonnement, nous nous regardâmes et M. Ferrus, rompant le silence, me dit que puisqu'elle voyait quelque chose briller, elle dirait sans doute ce que c'était.
- Qu'est-ce que vous voyez ? - Oh ! je ne sais, je ne puis vous le dire. - Regardez bien. - Attendez... ça me fatigue... attendez : c'est une montre.
Nouveau sujet de surprise. Mais si elle sait que c'est une montre, dit encore M. Ferrus, elle verra sans doute l'heure qu'il est ?
- Oh ! non, c'est trop difficile.
- Faites attention, cherchez bien.
- Attendez... je vais tâcher, je dirai peut-être bien l'heure, mais je ne pourrai voir les minutes.
«Il est huit heures moins dix minutes. Ce qui était exact. M. Ferrus voulut répéter l'expérience lui-même et elle se reproduisit avec le même succès. Il me fit tourner plusieurs fois les aiguilles de sa montre, nous la lui présentâmes, sans l'avoir regardée, elle ne se trompa point.»
Voici une épreuve concluante et qui, de plus, présente une circonstance particulière que l'on doit étudier. Tout d'abord le phénomène de vision sans les yeux est bien établi. Or, nous avons démontré que la théorie du docteur Debay - c'est-à-dire celle des ramifications nerveuses, reçue par tous les incrédules - est inadmissible ; il ne reste, pour comprendre ce qui se passe, qu'à reconnaître que c'est l'âme qui, momentanément, se dégage et perçoit d'une autre manière que dans la vie courante.
Nous avons déjà deux preuves de clairvoyance, mais à une petite distance, car, d'après Deleuze, la jeune fille tenait la boîte dans ses mains et M. Rostan dit qu'il plaça la montre à trois ou quatre pouces derrière l'occiput ; on peut constater la vue au loin dans d'autres conditions.
C'est encore à un docteur que nous emprunterons ce fait qui s'est passé en Savoie. La somnambule, fille d'un riche négociant de Grenoble, ne pouvant être suspectée de jouer la comédie, ce récit a une grande valeur.
Parmi les différentes phases que présenta cette maladie que le docteur Despines, médecin en chef de l'établissement d'Aix, a décrites avec beaucoup de détails, il insiste particulièrement sur celle du somnambulisme.
Nous transcrivons littéralement :
«Non seulement notre malade entendait par la paume de la main, mais nous l'avons vu lire sans le secours des yeux, avec la seule extrémité des doigts, qu'elle agitait avec rapidité au-dessus de la page qu'elle voulait lire et, sans la toucher, comme pour multiplier les surfaces sentantes, lire, dis-je, une page entière d'un roman à la mode.
«Nous l'avons vue d'autres fois choisir sur un paquet de plus de trente lettres une d'entre elles qu'on lui avait indiquée ; lire sur le cadran, et de l'autre côté du verre, l'heure qu'indiquait une montre, écrire plusieurs lettres, corriger en la relisant les fautes qui lui étaient échappées, recopier une lettre mot par mot. Pendant toutes les opérations un écran de carton épais interceptait de la manière la plus étroite tout rayon visuel qui aurait pu se rendre aux yeux.
Les mêmes phénomènes avaient lieu à la plante des pieds et sur l'épigastre.»
Ici la vision présente la plus grande intensité, lecture de pages entières, rédaction de lettres, etc., et cela sous la plus minutieuse surveillance, les yeux fermés et un carton interposé entre le papier et la somnambule.
Le double vue va maintenant s'affirmer dans toute sa splendeur.
Le docteur Charpignon, d'Orléans, raconte ce qui suit :
«Un soir, nous avions chez nous deux somnambules et dans une maison voisine se donnait un bal. A peine l'orchestre eut-il préludé que l'un des deux s'agita, puis entendit le son des instruments. Nous avons déjà dit que certains somnambules isolés étaient sensibles à la musique. Bientôt la seconde somnambule entendit aussi et elles comprirent que c'était le bal.
«Voulez-vous le voir ? leur dis-je.
«Certainement...
«Et sur-le-champ, voilà les deux jeunes filles riant et causant sur les poses des danseurs et les costumes des danseuses.
«Voyez donc ces demoiselles avec leurs robes bleues, comme elles dansent drôlement, et leur père qui balance avec la mariée... Ah ! que cette dame est sans gêne ; elle se plaint que son verre d'eau n'est pas assez sucré et elle demande du sucre... Oh ! Et ce petit bonhomme, quel singulier habit rouge... De notre vie nous n'avions vu spectacle plus agréable et plus curieux.
«Deux personnes présentes, doutant qu'il y eût vision réelle, se rendirent à la salle du bal et furent stupéfaites en voyant les demoiselles à robes bleues, le petit homme à l'habit rouge et le danseur de la mariée que les jeunes filles avaient nommé.»
«Une autre fois, continue M. Charpignon, un de nos sujets désira, dans un de ses somnambulismes, aller voir sa soeur qui était à Blois. Elle connaissait la route et la suivit mentalement.
- Tiens ! s'écria-t-elle, où va donc M. Jouanneau ?
- Où êtes-vous donc ?
- Je suis à Meung, vers les mauves, et je rencontre M. Jouanneau tout endimanché, qui va sans doute dîner dans quelque château.
«Puis elle continua son voyage. Or celui qui s'était offert spontanément à la vue de la somnambule était un habitant de Meung, connu des personnes présentes, et on lui écrivit tout de suite pour savoir s'il était vraiment en promenade dans l'endroit désigné, à l'heure indiquée. La réponse confirma minutieusement ce qu'avait dit Mlle Céline.»
Que de réflexions ! que d'études psychologiques dans ce fait si fortuitement produit ! La vision de cette somnambule n'avait pas bondi, comme cela s'observe si souvent, à l'endroit désiré ; elle avait parcouru tout le chemin d'Orléans à Blois, elle avait remarqué dans ce rapide voyage tout ce qui pouvait solliciter son attention.
Ce n'est plus seulement la clairvoyance à courte distance, c'est la vue réelle avec les yeux fermés s'exerçant pendant la durée d'un voyage. Il faut dire adieu à toutes les ramifications possibles, car le corps de la jeune fille étant resté à Orléans, il faut qu'une partie d'elle-même se soit déplacée pour voir ce qui se passait sur la route de Mauve. N'en déplaise aux matérialistes, ce ne peut être que l'âme.
Il reste, il est vrai, la ressource de nier les faits, c'est plus commode que de raisonner ; mais à qui fera-t-on croire que des docteurs comme Rostan, Deleuze, Despines et Charpignon, opérant loin les uns des autres, sur des sujets différents, en prenant toutes les précautions possibles, ont pu être bafoués par des petites filles ! La bonne foi de ces messieurs est au-dessus de tout soupçon, car ils n'avaient d'autre but en publiant leurs recherches que d'affirmer la vérité. A cette époque surtout, alors que tout ce qui touchait au magnétisme était conspué par la foule ignorante et les académies sceptiques, c'était un grand acte de courage que de s'affirmer hautement.
Pour les spiritualistes, les faits que nous avons rapportés peuvent sembler anormaux, mais non inexplicables, étant donné que l'âme, cette partie immatérielle de l'homme, peut, dans certaines circonstances, se détacher du corps et se transporter à distance. Mais pour les matérialistes qui ne se contentent pas de hausser les épaules à ces récits, il est indispensable de trouver une explication, bonne ou mauvaise, afin de ne pas rester cois. Nous connaissons déjà la théorie des plexus nerveux et de leurs ramifications ; en voici une autre que l'on trouve communément dans les livres qui traitent du mesmérisme, au point de vue matériel.
Les magnétiseurs prétendent que le fluide nerveux qui parcourt les nerfs ne s'arrête pas toujours à la périphérie de la peau, qu'il s'élance quelquefois au-dehors, sous l'influence de la volonté, et forme ainsi une véritable atmosphère nerveuse autour du sujet, une sphère d'activité semblable à celle des corps électrisés.
Jusqu'alors rien que de rationnel, car cette doctrine a été admise par le célèbre physiologiste de Humboldt ; elle peut expliquer les faits de magnétisme pur, tel que l'action du magnétiseur sur son sujet, et rendre compte de l'effet curatif de l'agent magnétique. On peut supposer, en effet, que l'opérateur émet assez de fluide nerveux pour en saturer son patient, de manière à faire récupérer à ce dernier les forces qu'il a perdues. Mais pour le somnambulisme, et particulièrement pour la double vue, l'explication est insuffisante. Voici ce que l'on a alors imaginé. Citons textuellement, car cela en vaut la peine.
«On sait que le monde ne finit pas où s'arrêtent nos yeux ; une immensité de choses échappent à nos sens, parce que nos sens ne sont pas assez développés, assez subtils, pour les saisir. Il résulte de notre imperfection sensorielle et intellectuelle que l'impossibilité n'est pas où nous croyons la voir et qu'elle se trouve, au contraire, bien au-delà du point où nous la plaçons.
«Voici, par exemple, une carapace de tortue ; je l'interpose entre vos yeux et un livre ouvert : aussitôt vous cessez de pouvoir lire ; parce que les rayons lumineux partant du livre pour aller se refléter sur votre rétine sont interceptés par un obstacle.
«Maintenant admettons, d'une part, que la lumière pénètre tous les corps à des degrés divers ; supposons, d'autre part, que cette épaisse écaille soit divisée en cent lamelles extrêmement minces, chaque lamelle isolée sera nécessairement diaphane, et l'on pourra voir à travers. C'est précisément ce qui se passe chez le somnambule ; les nerfs optiques ont acquis un si haut degré de force visuelle que les corps les plus épais, les plus opaques, passent à l'état de transparence, de diaphanéité complète. Dès lors, il est facile aux rayons objectifs de traverser ces corps et, pénétrant les paupières fermées de la somnambule, d'aller se peindre sur la rétine qu'ils représentent.»
Voilà pourquoi votre fille est muette !
Nous ferons, en premier lieu, observer que la lumière ne traverse pas tous les corps. C'est donc une hypothèse fausse ; ensuite si on suppose que l'écaille de la tortue est divisée en cent lamelles et que, séparément, chacune d'elles peut être traversée par la lumière, il n'en est pas moins vrai que, réunies, elles offrent une barrière infranchissable aux regards ordinaires et, à plus forte raison, à ceux d'une somnambule endormie.
Les nerfs optiques ont beau acquérir une force aussi puissante que l'on voudra le supposer, cette énergie visuelle ne s'exerce toujours que lorsque les rayons réfléchis par les objets peuvent se peindre sur la rétine ; or le somnambule a les yeux fermés, donc il ne peut rien voir par leur secours.
Herschell raconte qu'il a connu un homme qui distinguait à l'oeil nu les satellites de Jupiter ; certes, cet individu avait une faculté visuelle peu ordinaire, mais nous sommes bien certain que lorsqu'il fermait les yeux, il n'apercevait plus rien. Or, si actifs que puissent être rendus les nerfs optiques, ils ne peuvent servir d'explication au phénomène quand les paupières sont closes.
Et, dans la citation précédente, que signifie la dernière phrase ? Comment des rayons peuvent-ils se peindre sur la rétine qu'ils représentent ? Cela ne veut absolument rien dire.
De tout ceci il faut conclure que, plus on étudie les états particuliers du corps humain, plus l'existence de l'âme apparaît comme une vérité éclatante, car lorsqu'on veut la nier, on est réduit aux conceptions les plus ridicules pour expliquer les phénomènes de la pensée et du magnétisme, aussi bien naturel que provoqué, Il ne faut pas se dissimuler que des faits aussi caractérisés que ceux que nous avons racontés soient peu communs dans la vie ordinaire ; mais tous ceux qui se sont occupés de magnétisme, d'une manière un peu suivie, ont été à même de les constater. Les livres, les journaux, les revues qui traitent de la question abondent en observations semblables, et il faut être ignorant ou de mauvaise foi pour les récuser aujourd'hui.
Arrivons maintenant au rapport de M. Husson sur les expériences magnétiques faites par la commission de l'Académie de médecine pendant TROIS ANNEES et lu dans les séances des 21 et 28 juin 1831. Nous y découvrirons un troisième caractère du somnambulisme : la prévision de l'avenir.
«La commission se réunit dans le cabinet de M. Bourdois, le 6 octobre, à midi, heure à laquelle M. Cazot y arriva. M Foissac, le magnétiseur, avait été invité à s'y rendre à midi 1/2 ; il resta dans le salon à l'insu de Cazot, sans aucune communication avec nous. On alla cependant lui dire, par une porte dérobée, que Cazot était assis sur un canapé éloigné de dix pieds d'une porte fermée et que la commission désirait qu'il l'endormît et l'éveillât à cette distance, lui restant dans le salon et Cazot dans le cabinet.
«A midi 37 minutes, pendant que Cazot est occupé de la conversation à laquelle nous nous livrons, ou qu'il examine les tableaux qui ornent le cabinet, M. Foissac, placé dans la pièce voisine, commence à le magnétiser ; nous remarquons qu'au bout de quatre minutes Cazot clignote légèrement des yeux, qu'il a un air inquiet, enfin qu'il s'endort en neuf minutes. M. Guersent, qui lui avait donné des soins à l'hôpital des enfants pour ses attaque d'épilepsie, lui demande s'il le reconnaît. Réponse affirmative. M. Itard lui demande quand il aura un accès ; il répond que ce sera d'aujourd'hui en quatre semaines le 3 novembre, 4 h. 5 minutes du soir.
«On lui demande ensuite quand il en aura un autre. Il répond, après s'être recueilli et avoir hésité un instant, que ce sera cinq semaines après celui qu'il vient d'indiquer, le 9 décembre, à 9 h. 1/2 du matin. Le procès-verbal de cette séance ayant été lu en présence de M. Foissac, pour qu'il le signât avec nous, nous avions voulu l'induire en erreur et en lui lisant avant de le faire signer aux membres de la commission, le rapporteur lut que le premier accès de Cazot aurait lieu le dimanche 4 novembre, tandis que le malade avait fixé le samedi 3. Il le trompa également sur le second, et M. Foissac prit note de ces fausses indications comme si elles étaient exactes. Mais ayant quelques jours après mis Cazot en somnambulisme, ainsi qu'il avait coutume de le faire pour dissiper ses maux de tête, il apprit, de lui, que c'était le 3 et non le 4 que devait avoir lieu son accès. Il en avertit M. Itard le 1° novembre, croyant qu'il y avait eu erreur dans le procès-verbal, dont cependant M. Itard soutint la prétendue véracité.
«La commission prit de nouveau toutes les précautions convenables pour observer l'accès du 3 novembre ; elle se rendit à 4 heures du soir chez M. Georges  ; elle apprit de lui, de sa femme et de l'un de ses ouvriers que Cazot avait travaillé toute la matinée jusqu'à 2 heures et qu'en dînant il avait ressenti du mal de tête ; que cependant il était redescendu pour reprendre son travail, mais que le mal de tête augmentant, et qu'ayant eu un étourdissement, il était monté chez lui, et s'était couché et endormi.
«MM. Bourdois, Fouquier et le rapporteur montèrent, précédés de M. Georges, vers la chambre de Cazot. M. Georges y entra seul et le trouva profondément endormi, ce qu'il nous fit remarquer par la porte qui était entrouverte sur l'escalier. M. Georges lui parla haut, le remua, le secoua par les bras, sans pouvoir le réveiller, et à 4 h. 6 minutes, au milieu des tentatives faites par M. Georges pour le réveiller, Cazot fut saisi des principaux symptômes qui caractérisent un accès d'épilepsie et semblables en tout à ceux que nous avions observés précédemment sur lui.
«Le second accès, annoncé pour le 9 décembre, c'est-à-dire deux mois d'avance, eut lieu à 9 h. 1/2 et fut caractérisé par les mêmes phénomènes précurseurs et par les mêmes symptômes que ceux des 7 septembre, 1° octobre et 3 novembre.
«Enfin, le 11 février, Cazot fixa l'époque d'un nouvel accès au 22 avril suivant à midi cinq minutes, et cette annonce se vérifia comme les précédentes à cinq minutes près. Cet accès, remarquable par la violence, par l'espèce de fureur avec laquelle Cazot se mordit la main et l'avant-bras, par les secousses brusques qui le soulevaient, durait depuis trente-cinq minutes lorsque M. Foissac, qui était présent, le magnétisa. Bientôt l'état convulsif cessa pour faire place à l'état de somnambulisme magnétique, pendant lequel Cazot se leva, se mit sur une chaise et dit qu'il était très fatigué ; qu'il aurait encore deux accès, l'un du lendemain en neuf semaines, à 6 h. 3 minutes (25 juin). Il ne veut pas penser au deuxième accès, parce qu'il faut songer à ce qui arrivera auparavant, et il ajoute qu'environ trois semaines après l'accès du 25 juin il deviendra fou, que sa folie durera trois jours, durant lesquels il sera si méchant qu'il se battra avec tout le monde, qu'il maltraitera même sa femme et son enfant ; qu'on ne devra jamais le laisser avec eux, et qu'il ne sait pas s'il ne tuera pas une personne qu'il ne désigne pas. Il faudra alors le saigner de suite des deux pieds. Enfin, ajoute-t-il, je serai guéri pour le mois d'août, et une fois guéri, la maladie ne me reprendra plus, quelles que soient les circonstances qui arrivent.
«C'est le 22 avril que toutes ces précautions nous sont annoncées, et deux jours après, le 24, Cazot voulant arrêter un cheval fougueux qui avait pris le mors aux dents, fut précipité contre la roue du cabriolet qui lui fracassa l'arcade orbitaire gauche et le meurtrit horriblement. Transporté à l'hôpital, il y mourut le 15 mai.
«Nous voyons dans cette observation un homme sujet depuis dix ans à des attaques d'épilepsie. Le magnétisme agit sur lui, quoiqu'il ignore absolument ce qu'on lui fait. Il devient somnambule, les symptômes de sa maladie s'améliorent, les accès diminuent de fréquence ; les maux de tête et son oppression disparaissent sous l'influence du magnétisme ; il se prescrit un traitement approprié à la nature de son mal dont il se promet la guérison. Magnétisé à son insu et de loin, il tombe en somnambulisme et en est retiré avec la même promptitude que lorsqu'il est magnétisé de près. Enfin il indique avec une rare précision, un mois ou deux d'avance, le jour et l'heure où il doit avoir un accès d'épilepsie. Cependant doué de prévision pour des accès éloignés, bien plus, pour des accès qui ne doivent jamais avoir lieu, il ne prévoit pas que deux jours plus tard il sera frappé d'un accident mortel.
«Sans chercher à concilier ce qu'une pareille observation peut avoir de contradictoire au premier coup d'oeil, la commission vous fera remarquer que les prévisions de Cazot ne sont relatives qu'à ses accès, qu'elles se réduisent à la conscience des modifications organiques qui se préparent, et arrivent en lui, comme le résultat nécessaire des fonctions intérieures ; que ces prévisions, quoique plus étendues, sont tout à fait semblable à celles de certains épileptiques, qui reconnaissent à certains symptômes précurseurs qu'ils auront bientôt un accès. Serait-il étonnant que les somnambules dont, comme vous l'avez vu, les sensations sont entièrement vives, pussent prévoir leurs accès longtemps d'avance, d'après quelques symptômes ou impressions intérieurs qui échappent à l'homme éveillé ? C'est de cette manière que l'on pourrait entendre la prévision attestée par Arétée, dans deux endroits de ses immortels ouvrages, par Sauvage, qui en rapporte un exemple, et par Cabanis.
«Ajoutons que la prévision de Cazot n'est pas rigoureuse, absolue, qu'elle est conditionnelle, puisqu'en prédisant un accès il annonce qu'il n'aura pas lieu si on le magnétise, et qu'effectivement il n'a pas lieu ; elle est tout organique, tout intérieure. Aussi nous concevons pourquoi il n'a pas prédit un accident tout extérieur : savoir que le hasard lui ferait rencontrer un cheval fougueux, qu'il aurait l'imprudence de vouloir l'arrêter, et qu'il recevrait une blessure mortelle.
«Il a donc pu prévoir un accès qui ne devait jamais arriver, c'est l'aiguille d'une montre qui doit parcourir dans un temps donné une certaine portion du cercle d'un cadran, et qui ne le décrit pas parce que la montre vient à être brisée.»
Le docteur Husson définit parfaitement le rôle du somnambule dans la prévision. C'est celui d'un spectateur qui examine le jeu des organes d'une machine et qui s'aperçoit qu'à un moment donné, il se produira un accident. Dans cet exemple l'âme s'affirme indépendante du corps, puisqu'elle juge, calcule, raisonne et indique exactement les crises qui ne doivent se produire que dans un temps très éloigné.
Il faut convenir que le préjugé est profondément ancré dans le coeur humain, puisque depuis un siècle que ces faits se produisent au grand jour, non pas isolément, mais dans l'Europe entière, il se trouve des savants assez peu soucieux de leur dignité pour ridiculiser ces pratiques et les traiter de simples impostures charlatanesques. Les témoignages que nous avons relatés ont cependant autant de positivité que n'importe quel phénomène physique ou chimique. Des savants de premier ordre, une commission de l'Académie, ont proclamé la vérité et le caractère scientifique de ces études ; c'est pourquoi nous sommes en droit d'affirmer que nous avons en main la preuve expérimentale de l'existence de l'âme.
Lorsque l'on voit un homme et une femme en somnambulisme, c'est-à-dire dans un état tel que les plus violentes actions physiques sont impuissantes à lui produire la moindre impression, que l'on constate que cet être, que l'on croirait mort, voit, entend le magnétiseur, désigne les objets placés derrière lui, indique ce qui se passe, non seulement dans la maison, mais à une grande distance, comment douter qu'il réside en lui un agent qui n'obéit pas aux lois de la matière, comment se refuser à l'évidence ?
Cet individu chez lequel les organes sensoriels sont inactifs, a une perception plus vive, plus nette qu'à l'état ordinaire, il prévoit les accidents qui surviendront au cours de sa maladie, enfin il donne tous les signes d'une activité intellectuelle plus intense, plus pénétrante que celle des assistants. En toute franchise, devant cet ensemble si écrasant de preuves, nous disons qu'il est impossible de nier l'âme.
Le magnétisme n'a pas seulement à lutter contre les matérialistes, il a parfois maille à partir avec les incrédules, même spiritualistes.
M. Bersot, qui a écrit un très intéressant volume sur le magnétisme, passe en revue les phénomènes naturels qui présentent des analogies avec le mesmérisme et le spiritisme ; nous les retrouverons dans un autre chapitre pour ce qui a trait à ce dernier ordre d'idées ; ne nous occupons actuellement que du somnambulisme. Il prétend expliquer tous les faits merveilleux que nous avons constatés. Voici comment il s'y prend.
Tout d'abord, il ne nie pas le sommeil somnambulique :
«Dans le magnétisme animal, ce qui paraît incontestable, dit-il, c'est le sommeil, l'insensibilité et l'obéissance au magnétiseur. Ne parlons pas de l'insensibilité qui est un fait commun, le sommeil est artificiel, il n'en est pas moins réel ; il n'y a à discuter que l'artifice.»
Fort bien ! mais si l'insensibilité est si bien constatée, si commune, pourquoi dites-vous un peu plus loin à propos des gestes que le somnambule reproduit :
«Est-il certain que les sens dans cet état extraordinaire, ne sont pas assez excités pour percevoir ce qui autrement leur serait insensible, que l'ouïe ne saisit pas le mouvement indiqué et sa direction, que le tact ne juge pas par l'impression de la chaleur émanant d'un corps qui s'approche ou s'éloigne ? En expliquant les choses ainsi, on se passerait, il est vrai, de mystère ; mais je suis, je le confesse, un de ceux qui se contentent des mystères qui sont déjà dans le monde et qui n'y en mettent pas d'autres à plaisir.»
En supprimant par des explications aussi logiques les cas embarrassants, il est difficile que M. Bersot trouve des mystères. Il admet comme chose si banale qu'il ne veut pas s'en occuper l'insensibilité, et deux pages plus loin il risque une petite théorie qui se base, au contraire, sur une sensibilité beaucoup plus grande qu'à l'état ordinaire. Pour un critique, ce n'est pas fort.
M. Bersot prétend aussi qu'il lui en coûte beaucoup pour refuser aux somnambules la prévision de l'avenir ; nous l'engageons vivement à relire le rapport de M. Husson, cela le soulagera d'un grand poids.
Enfin il écrit qu'il ne croit pas à la vue au travers des corps ; c'est un malheur, mais nous n'y pouvons rien, et entre son incrédulité et l'affirmation des hommes de science cités déjà, nous ne balançons pas : nous les croyons plus aptes à décider que M. Bersot.
L'auteur avoue qu'il n'a aucune répugnance à admettre la communication d'esprit à esprit, mais qu'il ne peut croire qu'elle se produise entre somnambule et magnétiseur, car, dit-il, lorsque l'âme est dans le corps, elle ne peut se communiquer qu'à de certaines conditions physiques qu'on ne rejette pas à volonté.
Cela est certain. Si nous voulions, à l'état normal, lire la pensée d'autrui, cette opération offrirait quelque difficulté, malgré que M. Cumberland ait donné cette année des preuves que cela n'était pas impraticable ; mais, dans l'espèce, le somnambule est dans un état spécial, son âme est dégagée, autrement dit elle est moins attachée à son corps, ce qui lui permet de rayonner à distance, d'être clairvoyante.
Voilà donc à quoi se réduisent les objections ; c'est tout ce que les critiques les plus accrédités trouvent comme EXPLICATION des faits du somnambulisme. Il faut avouer que leurs lecteurs ne sont pas difficiles à satisfaire, si on les contente avec d'aussi maigres raisonnements. Cependant le fait est ou il n'est pas. S'il existe, donnez-vous la peine de le vérifier soigneusement et apportez-nous des arguments plausibles, au lieu de vos dénégations qui ne reposent sur rien ; s'il n'est pas, c'est inutile alors de discuter.
Veut-on avoir un autre exemple de la désinvolture avec laquelle M. Bersot explique les faits merveilleux, écoutez :
«Le don de parler des langues inconnues, qui se rencontre si souvent chez les trembleurs des Cévennes et que nous avons retrouvé dans certaines maladies convulsives, suggère une réflexion. Si ce sont des langues qui existent quelque part, mais que le malade n'avait auparavant jamais lues ou entendues prononcer, on nous permettra de nier tout simplement le fait et même de ne pas donner de raison.»
C'est plus aisé que de faire comprendre comment le phénomène peut se produire, et nous doutons fort que M. Bersot convainque beaucoup de monde par l'éloquence persuasive qu'il déploie, c'est un aveu d'impuissance qu'il est bon d'enregistrer. Mais si la négation pure a son charme, elle n'égale pas en gaieté l'explication relative au cas où le malade parle une langue dont il a entendu quelques mots par hasard, comme le latin, qui a plus ou moins passé sous les yeux de tout le monde. Ce prodige est dû tout bonnement à une excitation de la mémoire et de l'intelligence.
Par exemple, si un quidam, pendant sa crise, parle purement le latin, c'est tout simplement parce qu'il aura entendu le curé de son village ou le médecin de son pays prononcer quelques mots dans cette langue. Il emploiera dans son discours les règles grammaticales qu'il n'aura jamais apprises, des mots qui n'auront jamais frappé son oreille, mais c'est égal, tout cela est déterminé par une surexcitation de la mémoire et de l'intelligence.
Franchement il est difficile de se moquer du monde avec plus d'aplomb. On croit rêver en lisant de semblables choses, et les spirites, que l'on a traités de fous et d'imposteurs, n'ont jamais prêché de théories aussi absurdes et aussi contradictoires au bon sens.
En dépit de tous les critiques, nous dirons, avec Charles Richet : «Depuis 1875, les nombreux auteurs qui se sont adonnés à l'étude du magnétisme ont tous, je dis tous, sans aucune exception, tiré cette conclusion, que le somnambulisme est un fait indiscutable.»
CHAPITRE IV
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L'HYPNOTISME
Depuis quelques années, on parle beaucoup dans les hôpitaux et dans le monde médical d'un nouvel état nerveux appelé l'hypnotisme. Définissons d'abord ce que l'on entend par ce mot.
Si un sujet fixe pendant quelque temps un objet brillant, en verre ou en métal, placé au-dessus du front, la fatigue nerveuse qui résulte de cette tension du regard amène insensiblement un sommeil particulier, caractérisé par l'insensibilité totale ou partielle qui se manifeste dans tout le corps, par la tendance à garder une position que l'on donne aux membres, et par une double vue analogue à celle que détermine le magnétisme.
Le premier qui s'occupa de cette doctrine fut l'abbé Faria ; il eut pour continuateurs le général Noizet et le docteur Bertrand. En 1841, Jenner Braid, chirurgien à Manchester, d'abord fort sceptique, finit par découvrir dans la fixité prolongée du regard la cause des phénomènes qu'il avait vu produire sous ses yeux par un magnétiseur français, M. Lafontaine.
Il tenta de démontrer qu'il n'y avait ni fluide, ni volonté se communiquant de l'opérateur au sujet, et que tout se passait dans le cerveau de celui-ci. Il publia, en 1843, un volume intitulé : la Neurypnologie ou hypnotisme, dans lequel il exposait ses vues sur l'état produit par l'épuisement nerveux. Ces recherches eurent peu de retentissement ; le travail de Braid est néanmoins signalé pour la première fois par Carpenter, en 1849, dans l'Encyclopédie de Tood. En France, c'est seulement en 1855 que le dictionnaire de Robin et Littré en fait mention, et l'ouvrage du médecin anglais ne fut traduit dans notre langue qu'en 1883 par M. le docteur Jules Simon.
M. Azam, professeur à l'Ecole de médecine de Bordeaux, avait cependant, vers 1859, reproduit avec succès quelques-unes des expériences décrites par Braid, et le docteur Broca en communiqua le résultat à l'Académie de Médecine en 1859. Dès lors, la nouvelle science fut lancée, et on commença à s'en occuper. Mais à combien d'obstacles devait encore se heurter la récente découverte avant d'être généralement admise !
Comme on ne recherchait à cette époque dans l'hypnotisme qu'un moyen de provoquer l'anesthésie, on reconnut promptement qu'il était difficile de plonger les malades dans le sommeil nerveux, à cause de l'émotion que cause toujours l'attente d'une opération grave.
C'est en vain qu'en 1866 le docteur Durand de Gros publiait, sous le pseudonyme de Philips, un cours théorique et pratique du Braidisme. Cet ouvrage, les conférences publiques et les expériences intéressantes faites par l'auteur à Paris et dans quelques grandes villes, laissèrent le monde médical hostile ou indifférent.
Il faut arriver à l'année 1875 pour rencontrer de nouvelles recherches sur la question ; elles furent entreprises par MM. Charcot, Bourneville, Regnard et Paul Richer, ses élèves. Ces messieurs ont opéré à la Salpêtrière sur des hystériques. Voici, brièvement, le compte rendu des résultats auxquels ils sont arrivés.
1° La malade est place devant le foyer d'une lampe de Drummond, ou en face d'un arc voltaïque ; on la prie de fixer les yeux sur cette vive lumière, et au bout d'un temps plus ou moins long, qui peut varier de quelques secondes à quelques minutes, elle entre dans l'état cataleptique, caractérisé par les symptômes suivants : l'oeil est fixe, grand ouvert, le corps dans une insensibilité complète, et les membres conservent l'attitude qu'on veut leur donner. Toute communication avec le monde extérieur est interceptée, elle ne voit et n'entend plus rien.
Une circonstance remarquable à signaler, c'est que la physionomie reproduit fidèlement l'expression du geste. Si l'on donne au corps une attitude tragique, tout de suite la figure a une expression dure ; si, au contraire, on rapproche les deux mains de la bouche, ainsi qu'on le fait pour envoyer un baiser, le sujet prend aussitôt un air souriant. On peut varier à l'infini les causes qui constituent ce que l'on appelle des suggestions. Cet état cataleptique dure aussi longtemps que la rétine est influencée par les rayons lumineux.
2° Si on vient brusquement à supprimer le foyer de lumière, soit en l'éteignant, soit en interposant un écran entre le sujet et la lampe, soit enfin en fermant les paupières de la malade, on constate instantanément un changement dans l'état de l'hypnotisée. La catalepsie cesse, et, si elle est debout, la malade tombe à la renverse, le cou saillant en avant. Le sujet est alors dans une sorte de somnolence particulière que M. Charcot appelle léthargie, et qui n'est autre chose qu'un véritable somnambulisme. La raideur des membres a disparu, les yeux sont clos. Sauf l'anesthésie qui continue à être entière, aucun des caractères anciens ne subsiste.
Si on l'appelle, le sujet se dirige vers l'observateur, bien qu'il ait les yeux fermés ; on peut le faire lire, écrire, coudre..., etc. Dans cet état, il répond avec plus de précision qu'à l'ordinaire aux questions qui lui sont posées, l'intelligence semble plus développée que dans la vie habituelle.
Ici nous croyons utile de rappeler que Braid a expérimenté cet état particulier et qu'en 1860, il a fait une addition à son livre, relatant les curieuses études auxquelles il s'est livré.
Le médecin anglais ne croit pas au fluide des magnétiseurs ; aussi attribue-t-il tout ce qu'il décrit à la vive sensibilité des sens. Il raconte que les hypnotisés non malades, nullement hystériques, peuvent écrire, dessiner, ayant les yeux fermés, découvrir des objets cachés, désigner l'individu auquel ils appartiennent, entendre une conversation qui a lieu, à voix basse, dans une pièce voisine ; enfin, qu'ils prédisent l'avenir.
Ces faits ressemblent d'autant plus à ceux du Somnambulisme magnétique que le patient ne conserve nul souvenir de ce qu'il a dit ou fait pendant le sommeil hypnotique.
Revenons aux travaux de M. Charcot.
L'état léthargique ou de somniation que nous avons vu succéder à l'état cataleptique cesse immédiatement lorsque l'on souffle sur le front du sujet. Il se présente encore une particularité remarquable : c'est qu'on peut, à volonté, faire passer la malade de l'état léthargique à l'état cataleptique ; il suffit, pour cela, de lui ouvrir les paupières, de sorte que la lumière puisse impressionner la rétine. Il faut, pour obtenir ces changements, que la clarté ou l'obscurité soit produite brusquement, sans quoi le sujet reste dans la phase où il se trouvait en dernier lieu. L'influence lumineuse n'est pas le seul agent qui provoque l'hypnotisme.
Si l'on fait asseoir une malade sur la boîte de renforcement d'un fort diapason, et qu'au moyen d'une tige on en écarte violemment les branches, le diapason vibre et le sujet entre en catalepsie ; si l'on supprime instantanément le son, la léthargie se déclare, caractérisée par les mêmes symptômes que dans le cas précédent.
Enfin on est arrivé aussi à produire les mêmes effets au moyen du regard. Dans ce cas, l'oeil de l'expérimentateur remplace les actions physiques indiquées plus haut, et c'est de cette manière que Donato et Carl Hensen obtiennent de si magnifiques résultats.
Un passage du livre que M. Bernheim, professeur à la faculté de Nancy, a publié dernièrement sur l'hypnotisme, nous fera voir qu'il s'est occupé beaucoup de la question.
«Voici comment je procède pour obtenir l'hypnotisme.
«Je commence par dire au malade qu'il est possible de le guérir ou de le soulager par le sommeil ; qu'il ne s'agit d'aucune pratique nuisible ou extraordinaire, que c'est un simple sommeil qu'on peut provoquer chez tout le monde, sommeil calme, bienfaisant, etc. Au besoin je fais dormir devant lui un ou deux sujets pour lui montrer que ce sommeil n'a rien de pénible, ne s'accompagne d'aucune expérience, et quand j'ai éloigné de son esprit la préoccupation que fait naître l'idée du magnétisme et la crainte un peu mystique qui est attachée à cet inconnu, il est confiant et se livre.
«Alors je lui dis : «Regardez-moi bien et ne songez qu'à dormir. Vous allez sentir une lourdeur dans les paupières, une fatigue dans vos yeux ; vos yeux clignotent, ils vont se mouiller ; la vue devient confuse ; les yeux se ferment.» Quelques sujets ferment les yeux et dorment immédiatement. Chez d'autres, je répète, j'accentue davantage, j'ajoute le geste (peu importe la nature du geste). Je place deux doigts de la main droite devant les yeux de la personne et je l'invite à les fixer, ou avec les deux mains je passe plusieurs fois du haut en bas devant ses yeux ; ou bien encore je l'engage à fixer mes yeux et je tâche en même temps de concentrer toute son attention sur l'idée du sommeil. Je dis : «Vos paupières se ferment, vous ne pouvez plus les ouvrir. Vous éprouvez une lourdeur dans les bras, dans les jambes ; vous ne sentez plus rien, vos mains restent immobiles, vous ne voyez plus rien ; le sommeil vient», et j'ajoute d'un ton impérieux : «Dormez.» Souvent ce mot emporte la balance : les yeux se ferment ; le malade dort.»
Arrêtons-nous un instant pour signaler les rapprochements les plus curieux entre la manière d'opérer du professeur Bernheim pour hypnotiser, et celle qu'emploie Deleuze pour magnétiser.
Le professeur fait des gestes, il promène ses mains du haut en bas du malade, et termine en prononçant d'une voix impérieuse le mot : dormez. Les magnétiseurs ne font pas autre chose, et puisque les résultats obtenus par M. Bernheim sont les mêmes que ceux que nous avons racontés à l'article du somnambulisme, nous sommes en droit de conclure que magnétisme et hypnotisme sont deux dénominations différentes du même phénomène. Les procédés décrits dans le mémoire du docteur, pour déterminer le somnambulisme, peuvent être considérés comme un perfectionnement de la méthode magnétique relative à la production du sommeil ; la suite va le prouver évidemment. M. Bernheim poursuit :
«Si le sujet ne ferme pas les yeux ou ne les garde pas fermés, je ne fais pas longtemps prolonger la fixation de ses regards sur les miens ou sur mes doigts : car il en est qui maintiennent les yeux indéfiniment écarquillés et qui, au lieu de concevoir ainsi l'idée du sommeil, n'ont que celle de fixer avec rigidité : l'occlusion des yeux réussit alors mieux.
«Au bout de deux ou trois minutes, tout au plus, je maintiens les paupières closes, ou bien j'abaisse les paupières lentement et doucement sur les globes oculaires, les fermant de plus en plus progressivement, imitant ce qui se produit quand le sommeil vient naturellement ; je finis par les maintenir closes, tout en continuant la suggestion : «Vos paupières sont collées, vous ne pouvez plus les ouvrir : le besoin de dormir devient de plus en plus profond ; vous ne pouvez plus résister.» Je baisse graduellement la voix, je répète l'injonction : «Dormez», et il est rare que plus de quatre ou cinq minutes se passent sans que le sommeil soit obtenu.
«Chez quelques-uns on réussit mieux en procédant avec douceur ; chez d'autres, rebelles à la suggestion douce, il vaut mieux brusquer, parler d'un ton d'autorité pour réprimer la tendance au rire ou la velléité de résistance involontaire que cette manoeuvre peut provoquer.
«Souvent, chez les personnes en apparence réfractaires, j'ai réussi en maintenant longtemps l'occlusion des yeux, imposant le silence et l'immobilité, parlant continuellement et répétant les mêmes formules : «Vous sentez de l'engourdissement, de la torpeur ; les bras et les jambes sont immobiles ; voici de la chaleur dans les paupières ; le système nerveux se calme ; vous n'avez plus de volonté, vos yeux restent fermés ; le sommeil vient, etc.» Au bout de huit à dix minutes de cette suggestion auditive prolongée, je retire mes doigts, les yeux restent clos ; je lève les bras, ils restent en l'air : c'est le sommeil cataleptique.
«Beaucoup de sujets déjà à la première séance sont impressionnés ; d'autres seulement à la seconde ou à la troisième. Après une ou deux hypnotisations, l'influence devient rapide. Il suffit presque de les regarder, d'étendre les doigts devant leurs yeux, de dire : «Dormez», pour que, en quelques secondes, instantanément même, les yeux se ferment, et tous les phénomènes du sommeil sont là. D'autres n'acquièrent qu'au bout d'un certain nombre de séances, en général peu nombreuses, l'aptitude à dormir vite.»
On a tenté de faire, au sujet de ces expériences, les mêmes observations que pour le magnétisme, on a voulu les attribuer à des effets de l'imagination. Pendant longtemps cet argument a été le cheval de bataille de nos adversaires, mais on a démontré que l'hypnotisme s'exerçait aussi sur les animaux : dès lors, adieu l'explication des incrédules. Un poulet que l'on attache à une planche sur laquelle on trace une raie est bientôt plongé dans l'état hypnotique, si on l'oblige à regarder cette raie pendant un certain temps.
Nous aurions dû mentionner plus tôt les travaux du docteur Liébault, de Nancy, qui ont servi de point de départ à M. Bernheim pour publier sa brochure. M. Liébault, sans connaître les recherches de Braid, a, depuis nombre d'années, étudié, particulièrement au point de vue thérapeutique, les questions qui se rattachent à l'hypnotisme.
En 1866, il publia un livre important sur le Sommeil et les états analogues, qui passa presque inaperçu. Poussant plus loin que le médecin anglais la méthode suggestive, il l'appliqua avec succès à la guérison de quelques maladies. Tout dernièrement, la curiosité publique fut vivement surexcitée par deux conférences faites au cercle Saint Simon par M. Brémaud, docteur de l'infanterie de marine. L'intérêt qu'elles présentaient venait de l'esprit scientifique de l'auteur et du caractère spécial de l'auditoire, composé en grande partie de membres de l'Institut.
Il s'agissait de démontrer, non seulement que l'hypnotisme est une vérité, chose non contestable après les savants travaux de MM. Charcot et Dumontpallier, mais encore que cet état peut être produit sur des individus quelconques, et non spécialement sur des hystéro-épileptiques, comme le prétendaient les retardataires de la science, qui avaient fait de cette condition le dernier refuge de la résistance aux nouvelles doctrines.
Divers journaux, le Temps, les Débats, la France, etc., que nous citons librement, nous fournissent d'intéressantes observations.
Le docteur Brémaud, après avoir été témoin d'un cas d'hypnotisme partiel à l'île Bourbon, ne pensait plus guère à ces étranges manifestations, quand, il y a deux ans, le fameux Donato vint donner à Brest des représentations de magnétisme. Les mêmes expériences qui, un moment, firent courir tout Paris, produisirent à Brest une émotion extraordinaire. Des amis engagèrent M. Brémaud, dont ils connaissaient la conscience scientifique, à rechercher la part de vérité et la part de charlatanisme qui pouvaient exister dans ces exhibitions. Ce qui avait intrigué le docteur, qui avait connaissance des travaux de la Salpêtrière, c'était de voir Donato opérer sur nombre de jeunes gens de Brest qui ne paraissaient point malades, et sur lesquels il avait promptement obtenu des résultats analogues.
Il se mit à rechercher la plupart de ceux qui s'étaient prêtés à l'influence de Donato, les fit venir chez lui, les étudia de près, et, sans trop de peine, réussit à produire sur eux les mêmes effets que le magnétiseur. Avec leur concours, il donna quelques séances à l'Ecole de médecine navale, Où il reproduisit exactement tous les exercices qui avaient si fort étonné le public. Il poursuivit les mêmes recherches sur un grand nombre de matelots mis à sa disposition et arriva à la conviction que, parmi les hommes réputés sains de corps et d'esprit, il s'en trouvait un assez grand nombre susceptibles d'être mis dans les états d'hypnotisme, de léthargie, de catalepsie et de somnambulisme, constatés déjà sur les sujets atteints d'hystérie ou d'épilepsie. Il a cru même pouvoir établir pour la race bretonne, que sur dix individus de seize à vingt-sept ans, il y en a deux ou trois, c'est-à-dire un quart environ, sur qui les expériences instituées doivent réussir. Cette proportion, dit le docteur Brémaud, peut varier avec la race, le milieu, le genre de vie. C'est à des recherches semblables à celles qu'il a commencées qu'il appartient de les déterminer exactement.
Un second résultat a été de remarquer, dans le développement de ces états morbides qui forment une série progressive, un état initial qui, d'après lui, ne se produirait pas chez les hystéro-épileptiques observés jusqu'ici et qu'il nomme la fascination.
Le sujet est d'abord fasciné, c'est-à-dire qu'avant d'arriver à la léthargie ou à la catalepsie, il tombe dans un état d'aboulie complète, autrement dit, il perd sa volonté, il devient l'esclave de l'opérateur, un pur automate obéissant insoucieusement à toute impulsion. Le second degré, que l'on provoque par les plus simples moyens, c'est la léthargie, puis la catalepsie par la contracture des muscles. On obtient celle-ci partielle ou entière à volonté ; un coup la produit sur un membre ; une légère friction la fait cesser.
De la léthargie on passe au somnambulisme. Dans ce dernier état, certains sens ou certaines facultés, suivant les individus, acquièrent une acuité ou une puissance véritablement étonnante. M. le docteur Brémaud en a cité des exemples très remarquables, qu'il est loin de rapprocher de ceux qui ont été signalés par Braid.
Un de ses sujets, qu'il avait dans son cabinet au coin du feu, lui a répété la conversation que deux personnes tenaient à voix basse dans la rue, à une cinquantaine de mètres. Un de ses jeunes parents, mis en somnambulisme, a résolu sans peine un difficile problème de trigonométrie, qu'il ne comprenait pas à l'état de veille et qu'il n'a pas compris davantage, revenu à son état normal, etc.
Faisons remarquer encore ici que, suivant l'habitude des hommes de science, M. Brémaud attribue aux sens un rôle qu'ils ne peuvent jouer. Il n'est guère croyable que l'ouïe, qui est une faculté toute particulière à l'organisme, puisse se projeter au-dehors, franchir des murs et rayonner à cinquante mètres, de manière à suivre une conversation à voix basse. On ne voit pas non plus comment un jeune homme ferait mieux un problème de trigonométrie quand il est plongé dans le sommeil, qu'à l'état normal. Si l'on admet l'âme, tout s'explique, devient simple et compréhensible.
Les récits ne valant jamais les faits, M. le docteur Brémaud avait amené avec lui deux jeunes gens de vingt-trois à vingt-six ans, hommes connus, ayant une situation officielle à l'abri de tout soupçon et en parfait état de santé. A mesure qu'il décrivait les phénomènes, il les produisait et les faisait constater par l'auditoire. La catalepsie était bien réelle ; la contracture des jambes, des bras, du corps, bien positive, l'état somnambulique parfait. Chacun a dû se rendre à l'évidence, et des expériences très curieuses ont été faites successivement. Ainsi on a vu un de ces jeunes gens mis dans l'état de fascination, obéir instantanément à toute injonction ; on l'a entendu répéter, comme le ferait un phonographe parfait, des mots chinois, russes, avec une intonation des plus exactes, comme s'il était habitué à parler ces langues et en état de les comprendre. A un autre, on a fait boire un verre d'eau ; on lui a persuadé qu'il avait bu quatorze verres de bière, et il s'est trouvé du coup réellement ivre, ou bien il voyait effectivement toutes les figures qu'on lui représentait dans l'espace, et il en riait si elles étaient drôles ; il en avait peur si elles étaient terrifiantes.
Observation très importante. Si pendant qu'il est dans cette contemplation, on interpose devant son oeil un verre prismatique, il voit alors deux figures, ce qui prouve, dit le docteur Brémaud, qu'il n'y a pas, à proprement parler, hallucination, c'est-à-dire extériorisation d'une idée subjective, mais bien illusion sensible produite par l'action du rayon lumineux sur les nerfs oculaires.
Nous verrons, dans le dernier chapitre, qu'il y a véritablement une figure qui se forme fluidiquement.
L'expérience peut se présenter sous une forme peut-être plus saisissante encore si, dans cet état, on sépare les deux yeux du patient par un écran. Alors on peut montrer au sujet une figure grotesque du côté droit, et cette moitié du visage devient hilarante ; puis décrire à gauche une image horrible, et l'autre moitié du visage se contracte de terreur, en sorte que le sujet est comme partagé en deux êtres dont chacun éprouve des sensations contraires, obéit à des impulsions opposées et vit d'une vie différente, ce qui peut s'expliquer probablement par la dissociation des deux hémisphères cérébraux.
Le docteur Brémaud a fait assister les auditeurs aux phénomènes les plus inattendus, à l'annihilation de la volonté et même du moi, à la disjonction des fonctions dont l'unité constitue la vie psychique normale, à des états d'insensibilité, de rigidité, de léthargie, où la vie elle-même semble disparaître, et puis à une surexcitation nerveuse dans laquelle muscles, sens et certaines facultés intellectuelles acquièrent une puissance vraiment renversante.
Tous ces phénomènes ne sont pas nouveaux, ils ne sont curieux que parce qu'ils sont produits sur des jeunes gens parfaitement sains de corps et d'esprit, et que le docteur Brémaud ne peut être accusé de charlatanisme.
On entrevoit, sans qu'il soit nécessaire d'insister, l'intérêt multiple qui s'attache à la solution de semblables problèmes ; il est impossible qu'on ne soit pas frappé des perspectives qu'elles offrent à l'esprit. Au point de vue pratique, l'importance en est peut-être plus grande encore pour la médecine légale, et sans doute aussi pour le traitement des aliénés.
Le système nerveux peut être influencé par des causes extérieures encore mal définies, au point de modifier complètement l'individu au moral et au physique, de le transformer en automate et de substituer par diverses suggestions à sa volonté une volonté étrangère. Les expériences tentées en Allemagne et en France dans ces dernières années ne laissent plus aucun doute à cet égard.
M. Liégeois, professeur en droit de la faculté de Nancy, vient de nouveau d'attirer l'attention sur ces faits, dans un mémoire intéressant lu à l'Académie des sciences morales et politiques, le 5 avril 1884.
M. Liégeois a voulu d'abord se rendre compte par lui-même de la réalité des phénomènes hypnotiques, et bien voir jusqu'à quelles limites extrêmes on peut pousser l'influence de l'homme sur son semblable. Avec le concours de son collègue, M. le professeur Bernheim, dont nous avons expliqué la manière d'opérer, il a hypnotisé un certain nombre de personnes absolument saines de corps et d'esprit. Il est arrivé aux mêmes conclusions que ses devanciers.
L'hypnotisé devient un automate inconscient ; mais ce qui est bien plus singulier, c'est qu'il conserve pendant des jours, des semaines, des traces de cet automatisme, à tel point que les suggestions antérieures persistent longtemps et peuvent l'exciter à accomplir des actes indépendants de sa volonté. L'opérateur peut inspirer à son sujet l'idée d'actions criminelles qui, au réveil, seront accomplies fatalement de point en point, à plusieurs jours, à plusieurs mois d'intervalle même, affirme M. Liégeois.
Ainsi certains sujets sont allés, au jour et à l'heure fixés par M. Liégeois, s'accuser au bureau de police ou chez le procureur de la République de crimes imaginaires, avec tous les détails et dans les termes mêmes qu'il leur avait dictés la veille ou l'avant-veille.
Quelques hypnotiques ont exécuté ou cru commettre des actes effroyables. Une jeune fille, entre autres, a tiré sur sa mère un coup de pistolet avec le plus grand sang-froid : inutile de dire que l'arme n'était pas chargée. D'autres ont reconnu des engagements qu'ils n'avaient nullement contractés. D'autres enfin, chez lesquels on avait suggéré certaines phrases, certains récits, ont affirmé sur l'honneur qu'ils avaient parfaitement vu et entendu tout ce qui leur avait été indiqué pendant le sommeil hypnotique.
Il y a donc incontestablement un champ nouveau ouvert à la médecine légale.
On se souvient de l'histoire de Didier condamné une première fois par la police correctionnelle, sans savoir de quoi il s'agissait, étant en somnambulisme, puis acquitté par la Chambre des appels correctionnels, grâce au docteur Motet, commis à l'expertise médico-légale, qui, le magnétisant, lui fit répéter la scène qui avait motivé l'arrestation. On reconnut sa non-culpabilité ou, en tout cas, son irresponsabilité et le jugement frappé d'appel fut infirmé.
Nous ne pouvons terminer cet aperçu sans parler, avec M. de Parville, du livre rempli de faits étranges, mais constatés, que vient de publier M. Richet : L'homme et l'intelligence.
Nous n'insisterons pas sur les phénomènes les plus connus, mais examinons quelques cas où la personnalité disparaît complètement.
«Vous voilà vieille», dit-on à une jeune femme hypnotisée, et aussitôt la démarche, les sentiments exprimés sont ceux d'une vieille femme. «Mais vous êtes une petite fille», et aussitôt le sujet prend le langage, les jeux, les goûts d'un enfant. On peut transformer l'hypnotisée en paysanne, en actrice, en général ou en prêtre. Rien de si curieux, d'un mot on la fait général.
«Passez-moi une longue vue, dit-elle. - C'est bien. - Où est le commandant du 2° zouaves ? Il y a là des Kroumirs ; je les vois qui montent le ravin. Commandant, prenez une compagnie et chargez-moi ces gens-là. Qu'on prenne aussi une batterie de campagne ! Ils sont bons, ces zouaves ! Comme ils grimpent bien.
«Qu'est-ce que vous me voulez, vous ? Comment ! pas d'ordres ? (A part.) C'est un mauvais officier celui-là, il ne sait rien faire... Voyons, mon cheval, mon épée... (Elle fait le geste de boucler son épée à la ceinture.) Avançons... ah !... je suis blessé !»
Et tout cela est prononcé à voix basse en remuant à peine les lèvres. Le sujet s'imagine si bien être le personnage qu'un lui dit être, qu'il se met en colère si on l'accuse de tromper l'assistance. On peut même métamorphoser par la suggestion un homme en animal, en chien, en singe, en perroquet.
M. Richet raconte qu'un jour, ayant hypnotisé un de ses amis, il lui dit : «Te voilà changé en perroquet, mon pauvre garçon.» Après un moment d'hésitation, celui-ci répondit : «Faut-il que je mange le chènevis qui est dans ma cage ?»
Un autre jour, c'est une dame à qui l'on persuade qu'elle est une chèvre, qui grimpe avec agilité sur le canapé et fait tous ses efforts pour se hisser sur la bibliothèque.
Nous avons constaté que l'hypnotisé VOIT réellement ce qu'on veut lui montrer, mais ce qu'il y a de plus remarquable, c'est la suggestion par ordre, devant s'accomplir dans un temps déterminé. La plus simple à produire est celle du sommeil. «Demain à trois heures vous dormirez.» Et le lendemain le sujet s'endort quand trois heures sonnent et cela n'importe où il se trouve. Ne croirait-on pas lire un conte de fées, dans lequel un méchant enchanteur plonge tout un palais dans le sommeil ?
Dans l'espèce, c'est bien une réalité ; on lui a dit dans l'état somnambulique : «vous dormirez», il a oublié au réveil la recommandation, et malgré tout, quand le moment arrive, il dort. L'opérateur ne songe plus lui-même probablement à la recommandation, mais elle est gravée, burinée dans le cerveau de l'hypnotisé, et l'automate obéit comme un appareil enregistreur indiquerait un phénomène au moment où il se produit, mû par un mouvement d'horlogerie.
Voici des preuves plus démonstratives encore de cette sorte d'obsession impérative. A... est endormie, M. Richet lui dit : «Quand vous serez réveillée, vous prendrez ce livre qui est sur la table, vous lirez le titre et vous le remettrez dans ma bibliothèque.» A... est réveillée, elle se frotte les yeux, regarde autour d'elle d'un air étonné, met son chapeau pour sortir, puis jette un coup d'oeil sur la table ; elle voit le livre, le prend, lit le titre.
«Tiens, dit-elle, vous lisez Montaigne, je vais le remettre à sa place.» Et elle le range dans la bibliothèque.
On lui demande pourquoi elle a fait cela. La question l'étonne : «Est-ce que je ne pouvais pas regarder ce livre ? répond-elle tranquillement.» Voilà bien un acte exécuté sans motif connu et résultat direct d'une suggestion.
B... est endormie. «Quand vous serez réveillée vous enlèverez l'abat-jour de la lampe.» On la réveille. «On ne voit pas clair ici», dit-elle, et elle enlève l'abat-jour. Une autre fois : «Quand vous serez réveillée, vous mettrez beaucoup de sucre dans votre thé.» On sert le thé, le sujet bien réveillé depuis un quart d'heure bourre de sucre sa tasse.
«Mais que faites-vous donc ? lui dit-on.
- Je mets du sucre.
- Vous en mettez trop.
- Ma foi tant pis, et elle sucre encore plus. Trouvant son thé détestable :
- Que voulez-vous, c'est une bêtise ? Est-ce que vous n'avez jamais fait de bêtises.»
Parmi les expériences de M. Richet, il faut citer la suivante, qui est la plus caractéristique.
Le sujet est endormi. «Vous reviendrez tel jour, à telle heure.» Réveillé il a tout oublié puisqu'il demande : «Quand voulez-vous que je revienne ?
- Quand vous pourrez, un jour de la semaine prochaine.
- A quelle heure ?
- Quand vous voudrez.»
Et régulièrement, avec une ponctualité surprenante, il arrive au jour dit, à l'heure indiquée.
Un jour A. arrive à l'heure exacte, par un temps horrible : «Je ne sais réellement pas pourquoi je viens, dit-elle, j'avais du monde chez moi ; j'ai couru pour venir ici et je n'ai pas le temps de rester. C'est absurde, je ne comprends pas pourquoi je suis venue. Est-ce encore un phénomène de magnétisme ?»
Dans un autre cas, cette dame arrive aussi à l'heure prescrite et avoue qu'elle ne savait pas elle-même, avant de se mettre en route, qu'elle irait. Evidemment le sujet obéit ici comme à un ordre impératif. Il ne se rappelle rien ; il ignore absolument ce qui lui a été ordonné pendant le sommeil, et cependant il obéit. Le souvenir inconscient, ignoré, persiste à l'état latent et détermine l'acte. Il faudra bien, comme le dit M. Liégeois, se défier de l'inconscience, il y a là tout un domaine absolument ignoré qui réclame une étude approfondie et bien curieuse.
Nous dirons en terminant avec M. de Parville :
Magnétisme, hypnotisme, illusions hier, réalités aujourd'hui. Certes, il a fallu du temps, beaucoup de temps, avant que l'on se décide à étudier de près ces faits étranges, mais on peut affirmer que maintenant les physiologistes les plus éminents considèrent comme HORS DE CONTESTE les phénomènes principaux de l'hypnotisme et du magnétisme animal. C'est donc avec une certitude absolue que nous concluons à l'existence de l'âme qui s'affirme dans toutes ces expériences.
CHAPITRE V
-
ESSAI DE THEORIE GENERALE
A côté des phénomènes que nous avons étudiés, on peut ranger les états produits par les anesthésiques, tels que le chloroforme, l'éther, le protoxyde d'azote, etc. Les patients qui sont soumis à l'action de ces agents sont d'une insensibilité complète aux impressions extérieures. C'est cette propriété que l'on utilise dans la chirurgie pour enlever au malade la sensation de la douleur.
Nous ne pouvons, vu le cadre restreint de cet ouvrage, étudier en détail tous les effets provoqués par ces produits chimiques ; nous nous contenterons de rapporter le fait suivant :
Le docteur Velpeau, dans un rapport qu'il fit à l'Académie des sciences en 1842, conclut à l'adoption du traitement par le chloroforme, pour toutes les opérations chirurgicales par trop douloureuses. Il cite un grand nombre de circonstances où les anesthésiques ont parfaitement réussi, et il signale, comme un caractère distinctif du sommeil produit, la perte du souvenir, au réveil, de ce qui s'est passé.
Il relate ensuite l'expérience suivante, faite par lui sur une dame qu'il opérait d'un cancer au sein. Après l'avoir endormie par les procédés ordinaires, il effectuait son opération, lorsqu'il fut fort étonné d'entendre la malade lui dire qu'elle voyait ce qui se passait chez une de ses amies, demeurant non loin de là. Il n'attacha pas grande importance à cette communication, la prenant pour un jeu de l'imagination du sujet. Mais quelle ne fut pas sa surprise lorsque la dame en question, étant venue s'enquérir de la santé de son amie, affirma qu'elle faisait exactement ce que la malade avait vu pendant son sommeil. Ici encore nous ne nous arrêterons pas à mettre en évidence le dégagement de l'âme que nous considérons comme parfaitement démontré.
Ce que nous tenons à signaler, ce sont les analogies remarquables qui existent entre le somnambulisme magnétique, l'hypnotisme et l'anesthésie provoquée par des substances chimiques.
Dans ces trois catégories de phénomènes, il est aisé de relever des caractères communs que nous allons signaler : 1° l'insensibilité ; 2° la perte du souvenir au réveil ; 3° la double vue.
Une telle identité dans les résultats implique une identité de cause. Nous devons la rechercher, et nous pouvons, dans les trois cas, attribuer à une modification du système nerveux les phénomènes constatés.
Cette modification apportée à l'ensemble nerveux détermine le dégagement de l'âme, et c'est lorsque cette partie immatérielle de nous-mêmes devient plus libre qu'à l'état normal, qu'elle est moins attachée au corps, qu'elle peut rayonner à distance et présenter tous les caractères que l'on a attribués, faute de pouvoir en trouver l'explication, à une surexcitation des organes des sens.
Nous allons prouver ce que nous avançons.
Il n'est pas contestable que le système nerveux ne soit profondément modifié dans ces phénomènes ; étudions donc, avec Claude Bernard, quels sont les irritants qui peuvent l'influencer.
Il y a trois sortes d'irritants du système nerveux. Les irritants physiques, les irritants chimiques et les irritants vitaux.
Portons plus spécialement notre attention sur les irritants chimiques, et parmi ceux-ci étudions l'action des anesthésiques sur l'organisme. D'après Claude Bernard, «les anesthésiques diminuent l'irritabilité, mais non pas d'une manière générale ni dans tous les tissus : ainsi le chloroforme n'agit que sur les nerfs de sensibilité ; de même l'éther, l'alcool, le protoxyde d'azote, etc. Quand ils sont sous l'influence des anesthésiques, les nerfs sensitifs ne sont plus attaqués par leurs irritants normaux, ni même par des irritants anormaux qui, dans l'état ordinaire, augmenteraient l'intensité des phénomènes au point de produire la mort. C'est qu'en effet la vie des nerfs est devenue alors presque latente, ou du moins qu'ils se trouvent placés dans un état d'engourdissement qui les protège.»
Lorsque l'on applique à l'homme les anesthésiques, nous avons pu remarquer, dans l'anecdote rapportée par M. Vulpian, que l'état nerveux dans lequel se trouvait le sujet - état caractérisé par l'insensibilité, la perte du souvenir au réveil et la double vue - coïncide avec l'insensibilité des nerfs, de sentiment, avec une vie latente des nerfs sensitifs. Nous croyons donc que toutes les fois que nous trouverons réunies ces conditions, c'est que le système nerveux sensitif sera paralysé.
C'est ce qui arrive lorsqu'on examine les phénomènes de l'hypnotisme. Tous les agents physiques employés, tels que la lumière, le son, l'oeil, sont des irritants du système nerveux qui plongent le patient dans un état spécial, qu'on a appelé le sommeil hypnotique, faute de pouvoir mieux définir ce genre de vie particulier. Sommeil qui résulte de la paralysie des nerfs sensitifs sous l'influence d'irritants physiques agissant dans certaines conditions déterminées.
La méthode opératoire du professeur Bernheim de Nancy, qui joint aux procédés hypnotiques les pratiques des magnétiseurs, nous conduisent à nous demander si les irritants physiques ne pourraient parfois se substituer aux excitants vitaux.
Claude Bernard répond :
«Quelquefois les irritants physiques peuvent produire les effets qui résultent également de l'action des irritants vitaux. Ainsi certains acides amènent la contraction du muscle ; l'électricité produit le même effet. Mais à l'état physiologique ce phénomène se manifeste sous l'influence du nerf. M. du Bois-Reymond avait cru pouvoir ramener cette influence à une cause physique, en considérant le nerf comme un organe qui sécréterait en quelque sorte l'électricité. Malheureusement les faits ne sont pas encore venus démontrer cette hypothèse, à laquelle M. du Bois-Reymond paraît avoir lui-même renoncé. Nous sommes donc forcés d'appeler cette force nerveuse, jusqu'à nouvel ordre, un irritant vital, c'est-à-dire une force que l'on «n'a pu faire rentrer encore dans les forces physico-chimiques, car cette expression vitale n'a pas d'autre sens».
Ce que les magnétiseurs appellent : le fluide, n'en déplaise à M. Bersot, a donc une existence réelle dans le corps humain. Ce fluide nerveux est un irritant vital, il peut agir à distance, être lancé, par la volonté, dans une direction déterminée, ainsi que cela résulte des expériences de l'Académie, rapportées par M. Husson. Nous avons vu, en effet, que le sujet Cazot s'endormait sous l'influx envoyé par le magnétiseur Foissac, placé dans une autre chambre.
Nous ferons remarquer, de plus, que la volonté est une force, qu'elle n'est pas du tout, comme on l'a prétendu, un simple état de conscience. Ceci résulte du passage suivant que nous empruntons toujours à Claude Bernard : «L'action de la volonté constitue un excitant vital par excellence qu'il serait impossible de remplacer, et qui agirait d'une manière particulière sur la moelle épinière. Ces faits ont été bien mis en évidence par Van Deen.»
D'autre part, Rosenthal, dans le livre : Les muscles et les nerfs, décrit une expérience d'après laquelle on peut mesurer l'influence de la volonté par les courants électriques qu'elle détermine dans les muscles.
Nous pouvons donc admettre que les faits du somnambulisme provoqué par les pratiques magnétiques sont dus à l'action du fluide nerveux du magnétiseur, dirigé par sa volonté, allant irriter le système nerveux sensitif du sujet pour le plonger dans un état spécial, pendant lequel les nerfs sensitifs sont annihilés, engourdis.
C'est la volonté, cet irritant vital par excellence, qui se propage par le fluide nerveux servant de conducteur, du magnétiseur à son sujet. Dans le cas du somnambulisme naturel, c'est la propre volonté du sujet qui le plonge dans cet état. La vive préoccupation de faire quelque chose suffit pour expliquer que l'esprit surexcité fasse mouvoir son corps placé dans cette situation spéciale.
Les différents irritants dont nous avons parlé n'agissent que sur le système nerveux sensitif. Mais ils n'ont pas tous, et toujours, la même intensité ; de là les différentes phases des phénomènes observés. C'est encore en parfait accord avec la physiologie :
«Tous les irritants, quelle que soit leur nature, qu'ils soient physiques, chimiques ou vitaux, doivent être regardés comme des irritants spéciaux de certains tissus, de certains organes.
«Mais la spécialité n'est pas tout, il faut encore tenir compte de la quantité de l'irritant. L'importance de cette considération est déjà indiquée par Brown, qui appelait incitation normale celle que produisait l'irritant employé à sa dose ordinaire ; quand cette dose était dépassée, l'incitation devenait l'irritation et amenait des phénomènes morbides. C'est cette donnée qu'a poursuivie Broussais et dont il a fait la base de sa pathologie générale. La quantité de l'irritant est donc un point important.
«Ainsi, qu'on fasse passer dans un organe un courant électrique très faible, les tissus ne seront pas irrités et ne réagiront point. Mais augmentez la force de ce courant, et vous obtiendrez des phénomènes dont l'intensité ira en croissant, avec certaines qualités du courant, jusqu'à prendre un véritable caractère morbide.
«Il y a donc une certaine mesure à atteindre dans l'application d'un irritant, et cette mesure dépend à la fois de la quantité plus ou moins grande de l'irritant, et de la susceptibilité plus ou moins délicate de l'organe lui-même.»
De là le pouvoir plus ou moins puissant des magnétiseurs suivant l'énergie de leur volonté et la force de leur fluide nerveux. De même on comprend que les sujets soient plus ou moins sensibles suivant la grossièreté ou la finesse de leur organisme.
Braid avait prétendu établir par ses expériences que le somnambulisme magnétique n'était pas déterminé par l'action fluidique de l'opérateur sur le sujet. Il employait des irritants physiques pour produire le sommeil, mais il n'avait vu qu'un côté de la question. On aurait pu, en agissant par les anesthésique, lui répondre que seuls ces agents peuvent produire le somnambulisme.
En somme, de toutes ces remarques, il résulte que lorsque le système nerveux sensitif est paralysé, l'âme se dégage.
Nous croyons donc qu'il est bien établi que les différents états du corps humain connus sous les noms de somnambulisme naturel, de somnambulisme magnétique, d'hypnotisme et d'état anesthésique, sont dus simplement à l'action d'irritants de diverses natures du système nerveux sensitif.
La fascination est le premier degré de l'action modificatrice, la léthargie est un état plus marqué du phénomène, le somnambulisme est l'action intégrale de l'irritant sur le système nerveux et enfin la catalepsie est l'exagération de l'action irritante , le commencement des états morbides.
Ceci est le côté purement matériel de ces phénomènes. L'aspect psychique qu'on a voulu attribuer à une surexcitation des sens, est, nous l'avons maintes fois établi, dû au dégagement de l'âme. Tant que l'on ne nous aura pas démontré que nous sommes dans l'erreur par d'autres arguments que ceux que l'on a présentés jusqu'alors, nous avons le droit d'affirmer que l'existence de l'âme est prouvée expérimentalement par les faits du magnétisme, de l'hypnotisme et de l'anesthésie.
Nous aurons occasion, dans la quatrième partie qui traite du périsprit, de revenir sur la série des actes qui s'accomplissent au moment où l'âme se dégage des entraves du corps.
TROISIEME PARTIE
____
CHAPITRE PREMIER
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PREUVES DE L'IMMORTALITE DE L'AME PAR L'EXPERIENCE
A cette question : l'âme existe-t-elle ? la science dit peut-être ; les phénomènes du magnétisme, de l'hypnotisme, de l'anesthésie répondent oui et, en cela, confirment toutes les déductions de la philosophie et les affirmations de la conscience.
Contraints par l'évidence des faits à admettre une force directrice dans l'homme, un grand nombre de matérialistes se réfugient dans une négation dernière en prétendant que cette énergie s'éteint avec le corps, dont elle n'était qu'une émanation. Comme toutes les forces physiques et chimiques, disent-ils, l'âme, cette résultante vitale, cesse avec la cause qui l'avait produite ; l'homme étant mort, l'âme est anéantie.
Cela est-il possible ? ne sommes-nous qu'un vulgaire amas de molécules sans solidarité les unes avec les autres ? Notre individualité aimante doit-elle disparaître à tout jamais et de ce qui a été un homme ne reste-t-il vraiment qu'un cadavre, destiné à se désagréger lentement dans la froide nuit du tombeau ?
Devant cette question grandiose de l'immortalité de l'être pensant, devant ce redoutable problème qui a passionné les plus vastes intelligences, en face de cet inconnu plein de mystère, nous n'hésitons pas à répondre d'une manière affirmative.
Nous avons des preuves certaines de l'existence de l'âme après la mort, nous pouvons irréfutablement établir que nous sommes dans le vrai, et cela au moyen d'expériences simples, pratiques, à la portée de tout le monde et pour l'explication desquelles il n'est pas besoin d'un génie transcendant. L'ignorant peut, à l'égal du savant, se créer une conviction, et ce résultat est dû à une science nouvelle : le spiritisme.
Lorsque l'on songe à la gravité qui s'attache à la solution de ce problème de la survivance du moi et aux conséquences qui en résultent, on ne saurait trop insister sur les phénomènes qui nous révèlent d'une manière probante l'existence de l'âme après la mort. La vie sociale, les lois qui la dirigent sont basées sur un idéal moral qui ne peut s'appuyer que sur la croyance en Dieu et à une vie future.
Depuis de longs siècles, en effet, les nations, se reposant sur les principes de leurs religions, qui leur semblaient inébranlables, ont accepté les lois édictées par leurs législateurs. Mais avec les temps modernes, avec la libre discussion, des doutes se sont élevés sur la légitimité de ces lois, le droit divin qui faisait un homme possesseur d'un peuple a sombré dans la tourmente de 93, et ce résultat est dû, autant en politique qu'en philosophie, au discrédit dans lequel les idées religieuses sont tombées. Il y avait eu alliance intime entre la royauté et le clergé ; lorsque les encyclopédistes ont sapé les dogmes, du même coup le trône a été déraciné.
La foi aveugle, imposée par les prêtres, a produit des erreurs et des crimes sans nombre contre lesquels s'est révolté l'esprit humain, affranchi de ses préjugés. Personne n'envisage sans horreur les massacres des Vaudois, des Albigeois, des Camisards. Les cris des victimes de la Saint-Barthélemy, des Savonarole et des Jean Huss retentissent douloureusement au fond des coeurs, et les supplices de l'Inquisition, ses autodafés monstrueux, font une tache sanglante sur l'histoire du catholicisme. Les fanatiques qui condamnèrent Galilée n'ont rien connu des merveilles de l'univers ; leur foi étroite et intolérante ne pouvait engendrer que l'ignorance et la crédulité.
Les chrétiens du moyen âge se faisaient une idée mesquine de notre monde, qu'ils ne connaissaient qu'en partie. Ils le considéraient comme la base de l'Univers ; ils ne voyaient dans le ciel que le séjour de Dieu, et dans les étoiles que des points lumineux. Ils avaient ainsi établi une hiérarchie grossière, en plaçant l'enfer au centre de la terre et le paradis au-dessus du soleil, de sorte que nous étions le pivot de toute la création et qu'en dehors de notre mondicule rien n'existait.
Mais l'astronomie est venue renverser cette fabuleuse conception. Nos connaissances se sont agrandies, l'infini a découvert ses espaces à nos yeux ravis. Les étoiles ne sont plus des clous brillants placés par la main du créateur pour éclairer nos nuits, ce sont des mondes immenses roulant dans le vide, des soleils radieux entraînant dans leur course à travers l'infini un cortège de planètes. L'immensité nous est apparue avec ses profondeurs insondables ; nous savons que notre terre n'est qu'une infime partie de cette poussière de mondes qui tourbillonnent dans l'éther, de sorte que les croyances basées sur notre orgueil se sont évanouies au souffle de la réalité.
L'Univers tout entier a étalé devant nous les splendeurs de son harmonie éternelle, l'inaltérable symétrie de ses changements, son immuabilité, son immensité ! Devant des spectacles si nouveaux, les hommes ont reconnu l'inanité de leurs premières croyances, brûlant ce qu'ils avaient adoré, et poussant le dédain du passé jusqu'à ses dernières limites, ils ont repoussé les notions de Dieu et d'âme, comme des entités surannées sans aucune valeur objective. C'est ainsi que s'est établi le courant matérialiste né, au dix-huitième siècle, de la lutte contre les abus.
L'homme de notre époque ne veut plus croire, il se défie même de la raison, il se réfugie dans l'expérience sensible, comme étant seule capable de lui donner la vérité ; c'est pourquoi il exige des preuves positives, des phénomènes qui étaient jusqu'alors le domaine propre de la philosophie. Ces considérations nous expliquent le peu de succès qu'obtinrent des écrivains éminents tels que Ballanche, Constant Savy, Esquiros, Charles Bonnet, Jean Reynaud, qui ont prêché l'immortalité de l'âme.
De nos jours, un philosophe doublé d'un savant, M. Camille Flammarion, suit la glorieuse trace de ces grands hommes. Ce vulgarisateur de génie sème à pleines mains les idées de la palingénésie humaine, et le succès répond à ses nobles efforts, mais il doit sa vogue plus encore à un style splendide qu'aux idées qu'il émet. L'esprit humain, ballotté depuis des siècles entre les systèmes les plus divers, est las des spéculations métaphysiques et se cramponne à l'observation matérielle comme à une planche de salut. De là le grand crédit des hommes de science à l'heure actuelle. Ils forment à leur tour un corps sacro-saint, dont les jugements sont sans appel. Ils ont toute la morgue des anciens collèges sacerdotaux, sans en avoir les rares vertus, et de part et d'autre l'intolérance est égale.
Le gros de la nation, qui ne saisit que l'extérieur des choses, voyant ses connaissances anciennes détruites par les découvertes modernes, croit aveuglément ses nouveaux conducteurs et se jette, à leur suite, dans le matérialisme le plus absolu. On ne raisonne plus, on va tête baissée jusqu'aux dernières conséquences, et parce qu'il est prouvé que le cerveau est le siège de la pensée, l'âme n'existe pas, parce que l'on ne croit plus à Jéhovah planant sur un nuage. Dieu n'est qu'un mythe fabuleux.
C'est contre ces tendances que le spiritisme vient réagir. Notre siècle étant celui de la démonstration matérielle, il apporte à l'observateur impartial des faits bien constatés. Laissant de côté les théories nuageuses, le spiritisme se dégage des dogmes et des superstitions, il s'appuie sur la base inébranlable de l'observation scientifique, et les positivistes eux-mêmes peuvent se déclarer satisfaits des preuves que nous fournissons à la discussion, car elles nous sont fournies par les plus grands noms dont s'honore la science contemporaine.
Depuis une cinquantaine d'années que cette doctrine a fait sa réapparition dans le monde, elle a été soumise à des critiques passionnées, à des attaques souvent déloyales. Ses adeptes ont été bafoués, ridiculisés, anathématisés, on a voulu en faire les derniers représentants de la sorcellerie, et cependant, malgré ces persécutions, ils sont à l'heure actuelle plus nombreux et plus puissants que jamais ; ils se recrutent non pas dans la masse ignorante, mais parmi les hommes éclairés : écrivains, artistes, savants, etc.
Le spiritisme se répand dans le monde avec une rapidité inouïe : aucune philosophie, aucune religion n'a pris un développement aussi considérable dans un temps si court.
Aujourd'hui, plus de quarante publications, mensuelles ou hebdomadaires, portent au loin le résultat des recherches entreprises dans toutes les parties du monde, et ses partisans, groupés en société, comptent plusieurs millions d'adhérents sur la surface entière du globe.
A quoi est due cette progression formidable ? Tout bonnement à la simplicité des enseignements spirites basés sur la justice de Dieu, et surtout aux moyens pratiques de se convaincre de l'immortalité de l'âme, qui sont donnés à tous par la nouvelle science.
Il y a deux phases distinctes dans l'histoire du spiritisme, qu'il est utile de signaler. La première comprend la période qui s'est écoulée depuis l'année 1846, moment de son apparition, jusqu'à l'année 1869, marquée par la mort d'un écrivain célèbre, Allan Kardec. Pendant ce laps de temps, le phénomène spirite fut étudié de toutes parts, les expériences se multiplièrent et les observateurs sérieux découvrirent que les faits nouveaux étaient produits par des intelligences vivant d'une existence différente de la nôtre. De cette certitude naquit le désir d'étudier ces manifestations si curieuses, et, avec les documents recueillis de tous côtés, Allan Kardec composa le Livre des Esprits et plus tard celui des Médiums, qui sont le vade-mecum indispensable de toute personne désireuse de s'initier à ces pratiques nouvelles. Le grand philosophe qui les écrivit imprima un élan formidable à ces recherches, et l'on peut dire que c'est grâce à son dévouement infatigable que l'on doit la propagation si rapide de ces consolantes vérités.
La seconde période, qui s'étend de l'année 1869 jusqu'à nos jours, est caractérisée par le mouvement scientifique qui s'est tourné vers les manifestations des Esprits. L'Angleterre, l'Allemagne, l'Amérique semblent marcher de concert dans ces investigations. Déjà les savants les plus autorisés de ces pays proclament hautement la validité des phénomènes spirites, et avant peu le monde entier s'associera à ces nobles travaux qui ont pour but de nous arracher aux dégradantes croyances du matérialisme. Nous exposerons tout à l'heure les documents sur lesquels nous basons notre affirmation.
Le temps est passé où l'on pouvait, a priori, repousser nos idées sans leur faire l'honneur de les discuter ; aujourd'hui le Spiritisme s'impose à l'attention publique. Il faut que les absurdes préjugés qui l'ont accueilli à sa naissance disparaissent devant la réalité. Il est nécessaire qu'on sache que, loin d'être des visionnaires, des cerveaux creux, les spirites sont des observateurs froids et méthodiques ne relatant que les faits bien constatés.
Il faut que l'on soit convaincu que plusieurs millions d'hommes ne sont pas les victimes d'une folie contagieuse, que s'ils croient, c'est que leur doctrine offre les plus nobles enseignements, qu'elle ouvre à l'esprit les plus vastes horizons. Il faut enfin qu'on laisse de côté ces faciles plaisanteries employées depuis vingt-cinq ans dans les petits journaux et qui ne font même plus rire ceux qui les éditent. La science nouvelle que nous enseignons ne consiste pas seulement dans le mouvement d'une table, car il y a aussi loin de ces modestes essais à leurs conséquences que de la pomme de Newton à la gravitation universelle.
Nous convions les hommes de bonne foi à faire des recherches sérieuses, nous les engageons à méditer les enseignements de notre philosophie et ils seront convaincus que le surnaturel n'intervient jamais dans nos explications.
Le spiritisme repousse de toutes ses forces le miracle. Il fait de Dieu l'idéal de la justice et de la science ; il dit que le créateur du monde, ayant établi des lois qui sont l'expression de sa pensée, ne peut y déroger, car elles sont l'oeuvre de la suprême raison, et toute infraction à ces lois est impossible. Les faits spirites peuvent tous, sinon s'expliquer, du moins se comprendre avec les données de la science actuelle, c'est ce que nous démontrerons à la fin de cet ouvrage. La partie spirituelle de l'homme a été négligée par les savants, leurs travaux n'ont porté que sur le corps et voilà qu'aujourd'hui les Esprits font invasion dans la science qui les avait dédaignés.
HISTORIQUE
Racontons brièvement comment les faits se sont produits.
Des coups, dont personne ne put deviner la cause, se firent entendre pour la première fois en 1846 chez un nommé Veckmann, habitant la maison d'un petit village appelé Hydesville, non loin d'Arcadia, dans l'Etat de New-York.
Rien ne fut négligé pour découvrir l'auteur de ces bruits mystérieux, mais on n'y put parvenir. Une fois aussi, pendant la nuit, la famille fut éveillée par les cris de la plus jeune des filles, âgée de huit ans, qui assura avoir senti quelque chose comme une main qui avait parcouru le lit et avait enfin passé sur sa figure, chose qui eut lieu dans plusieurs autres endroits où ces coups se firent entendre.
Dès ce moment, rien de plus ne se manifesta pendant six mois, époque à laquelle cette famille quitta la maison, qui fut alors habitée par un méthodiste, M. John Fox, et sa famille, composée de sa femme et de ses deux filles. Pendant trois mois il y fut tranquille, puis les coups recommencèrent de plus belle.
D'abord c'étaient des bruits très légers, comme si quelqu'un frappait sur le parquet d'une des chambres à coucher, et à chaque fois une vibration se faisait sentir sur le parquet ; on la percevait même étant couché, et des personnes qui l'ont éprouvée la comparent à l'action produite par la décharge d'une batterie électrique. Les coups se faisaient entendre sans discontinuer, il n'y avait plus moyen de dormir dans la maison ; toute la nuit ces bruits légers, vibrants frappaient doucement, mais sans relâche. Fatiguée, inquiète, toujours aux aguets, la famille se décida enfin à appeler les voisins pour l'aider à trouver le mot de l'énigme ; dès ce moment les coups mystérieux appelèrent l'attention de tout le pays.
On mit des groupes de six ou huit individus dans la maison, ou bien on en sortit, tout le monde écoutant dehors, mais l'agent invisible frappait toujours. Le 31 mars 1845, Mme Fox et ses filles, n'ayant pu dormir pendant la nuit précédente, et harassées de fatigue, se couchèrent de bonne heure, dans la même chambre, espérant ainsi échapper aux manifestations qui se produisaient ordinairement au milieu de la nuit. M. Fox était absent. Mais bientôt les coups recommencèrent, et les deux jeunes filles, réveillées par ce vacarme, se mirent à les imiter, en faisant claquer leurs doigts. A leur grand étonnement les coups répondirent à chaque claquement ; alors la plus jeune des filles, miss Kate, voulut vérifier ce fait surprenant ; elle fit un claquement, on entendit un coup, deux, trois, etc., et toujours l'être ou l'agent invisible rendait le même nombre de coups. Sa soeur dit en badinant : «Maintenant, faites comme moi, comptez un, deux, trois, quatre, etc.», en frappant chaque fois dans sa main le nombre indiqué. Les coups se suivirent avec la même précision, mais ce signe d'intelligence alarmant la jeune fille, elle cessa bientôt l'expérience.
Mme Fox dit alors : «Comptez dix» et sur-le-champ dix coups se firent entendre ; elle ajouta : «Voulez-vous me dire l'âge de ma fille Catherine ?» Et les coups indiquèrent précisément le nombre d'années qu'avait cet enfant. Mme Fox demanda ensuite si c'était un être humain qui était l'auteur de ces coups : point de réponse. Puis elle dit : «Si vous êtes un esprit, je vous prie de frapper deux coups.» Immédiatement ils se firent entendre. Elle ajouta : «Si vous êtes un esprit auquel on a fait du mal, répondez-moi de la même façon.» Et, les coups furent encore entendus.
Telle fut la première conversation qui eut lieu dans les temps modernes et que l'on ait constatée, entre les êtres de l'autre monde et celui-ci. De cette manière Mme Fox parvint à savoir que l'esprit qui lui répondait était celui d'un homme qui avait été assassiné dans la maison qu'elle habitait, plusieurs années auparavant, qu'il se nommait Charles Ryan, qu'il était colporteur et âgé de trente-et-un ans, lorsque la personne chez laquelle il logeait le tua pour avoir son argent.
Mme Fox dit alors à son interlocuteur invisible : «Si nous faisions venir les voisins, les coups continueraient-ils à répondre ?» Un coup se fit entendre en signe d'affirmation. Les voisins appelés ne tardèrent pas à venir, comptant rire aux dépens de la famille Fox ; mais l'exactitude d'une foule de détails ainsi donnés par coups, en réponse aux questions adressées à l'être invisible, sur les affaires particulières de chacun, convainquirent les plus incrédules. Le bruit de ces choses se répandit au loin, et bientôt arrivèrent de tous côtés des prêtres, des juges, des médecins, et une foule de citoyens.
Peu à peu la famille Fox, que les auteurs de ces coups poursuivaient de maison en maison, alla s'établir à Rochester, ville importante de l'Etat de New-York, où des milliers de personnes vinrent la visiter et cherchèrent, vainement, à découvrir s'il n'y avait pas quelque imposture en cette affaire.
Le fanatisme religieux s'émut de ces manifestations d'outre-tombe et la famille Fox fut tourmentée. Mistress Hardinge, qui s'est faite le défenseur du spiritisme en Amérique, raconte que dans les séances publiques données par les jeunes filles de Mme Fox, elles coururent les plus grands dangers. Trois fois des commissions furent nommées pour examiner le phénomène, et trois fois elles affirmèrent que la cause de ces bruits leur était inconnue. La dernière séance publique fut surtout orageuse, et sans le dévouement d'un quaker, les pauvres enfants auraient péri victimes de leur foi, déchirés par un peuple en délire.
Il est triste de songer qu'au dix-neuvième siècle on peut trouver des hommes assez arriérés pour renouveler les scènes barbares des persécutions du moyen âge. Ceci est d'autant plus regrettable, que cet exemple d'intolérance a été donné par cette Amérique qui se dit cependant la terre de toutes les libertés.
La nouvelle de cette découverte se répandit rapidement, et de toutes parts eurent lieu des manifestations spirituelles. Un nommé Isaac Post eut l'idée de réciter à haute voix l'alphabet, en invitant l'esprit à indiquer par des coups frappés, au moment où on les prononcerait, celles des lettres qui devaient composer les mots qu'il voudrait dicter. De ce jour la télégraphie spirituelle était inventée.
On se lassa bientôt d'un procédé aussi incommode, et les frappeurs indiquèrent eux-mêmes un mode nouveau de communication. Il fallait simplement se réunir autour d'une table, poser dessus les mains, et en se soulevant, la table frapperait un coup, pendant qu'on réciterait l'alphabet, sur chacune des lettres que l'Esprit voudrait donner. Ce procédé, bien que très lent, produisit d'excellents résultats, et l'on eut ainsi les tables tournantes et parlantes.
Il faut dire que la table ne se bornait pas à se lever sur un pied pour répondre aux questions qu'on lui posait ; elle s'agitait en tous sens, tournait sous les doigts des expérimentateurs, quelquefois s'élevait dans les airs, sans que l'on pût voir de force la tenant ainsi suspendue. D'autres fois les réponses étaient faites au moyen de petits coups, qu'on entendait dans l'intérieur du bois. Ces faits étranges attirèrent l'attention générale et bientôt la mode des tables tournantes envahit l'Amérique entière.
A côté des personnes légères qui passaient leur temps à interroger les Esprits sur la personne la plus amoureuse de la société, ou sur un objet perdu, de graves esprits, des savants, des penseurs, attirés par le bruit qui se faisait autour de ces phénomènes, résolurent de les étudier scientifiquement, pour mettre leurs concitoyens en garde contre ce qu'ils appelaient une folie contagieuse.
En 1856, le juge Edmonds, jurisconsulte éminent, qui jouit d'une autorité incontestée dans le Nouveau Monde, fit paraître un livre où il affirmait la réalité de ces surprenantes manifestations. Le professeur Mapes, qui enseignait la chimie à l'Académie nationale des Etats-Unis, se livra à une investigation rigoureuse qui aboutit, comme la précédente, à une constatation motivée, d'après laquelle les phénomènes étaient bien dus à l'intervention des Esprits.
Mais ce qui produisit le plus grand effet, ce fut la conversion aux idées nouvelles du célèbre Robert Hare, professeur à l'Université de Pennsylvanie, qui expérimenta scientifiquement le mouvement des tables et consigna ses recherches, en 1856, dans un volume intitulé : Experimental investigations of the spirit manifestation.
Dès lors, la bataille entre les incrédules et les croyants s'engagea à fond. Des écrivains, des savants, des orateurs, des hommes d'église se jetèrent dans la mêlée, et pour donner une idée du développement pris par la polémique, il suffit de rappeler que déjà, en 1854, une pétition signée de 15.000 noms de citoyens avait été présentée au congrès pour le prier de nommer une commission chargée d'étudier le nouveau spiritualisme (c'est le nom que l'on donne en Amérique au spiritisme).
Cette demande fut repoussée par l'assemblée, mais l'élan était donné et l'on vit surgir des sociétés qui fondèrent des journaux où se continua la guerre contre les incrédules.
Pendant que ces événements se produisaient dans le nouveau monde, la vieille Europe ne restait pas inactive. Les tables tournantes devinrent une actualité pleine d'intérêt et pendant les années 1852 et 1853 on s'occupa beaucoup en France à les faire tourner. Il n'était question dans toutes les classes de la société que de cette nouveauté ; on ne s'abordait guère sans la question sacramentelle : «Eh bien ! faites-vous tourner les tables ?» Puis, comme tout ce qui est de mode, après un moment de faveur, les tables cessèrent d'occuper l'attention qui se porta sur d'autres objets.
Cette manie de faire tourner les tables eut néanmoins un résultat important : ce fut de faire réfléchir beaucoup de personnes sur la possibilité des rapports entre morts et vivants. En lisant, on découvrit que ce que l'on appelle la croyance au surnaturel, était aussi ancienne que le monde.
L'histoire d'Urbain Grandier et des religieuses de Loudun, des trembleurs des Cévennes, des convulsionnaires jansénistes, prouvèrent que bien des faits historiques méritaient d'être éclaircis, et pour ne citer que les plus célèbres, le génie de Socrate et les voix de Jeanne d'Arc, qui l'ont conduite à sauver la France, restent encore des mystères pour les savants. En vain M. Lélut a-t-il voulu assimiler l'héroïque Lorraine à une hallucinée : pour toute réponse nous lui souhaitons une maladie semblable afin de lui éclaircir le jugement.
Le récit de la possession de Louviers, l'histoire des illuminés martinistes, des Swedenborgiens des stigmatisées du Tyrol, et, il y avait à peine 50 ans, du prêtre Gassner et de la voyante de Prévorst, conduisirent les hommes sérieux à examiner les phénomènes nouveaux. On compara l'esprit d'Hydesville à celui qui mit en révolution le presbytère de Cideville, une théorie générale sortit de l'examen de tous ces faits : elle a été exposée dans les ouvrages d'Allan Kardec.
Les mêmes colères qui avaient accompagné les manifestations spirituelles, en Amérique, se renouvelèrent en France. Les journaux, les revues scientifiques, les Académies n'eurent pas assez de sarcasmes pour la jeune doctrine. On traitait gracieusement ses partisans de fous, d'idiots, d'imposteurs. On les accusait de vouloir ramener le monde aux plus mauvais jours de la superstition du moyen âge ; on priait même les tribunaux d'empêcher cette exploitation honteuse de la crédulité publique. Les prêtres tonnèrent du haut de la chaire contre les phénomènes spirites, qu'ils prétendirent être l'oeuvre du diable ! Enfin, pour couronnement, l'archevêque de Barcelone fit brûler en place publique les oeuvres d'Allan Kardec, comme entachées de sorcellerie !
On croit rêver quand on lit de pareilles choses ; malheureusement elles ne sont que trop véridiques et témoignent combien les hommes sont encore routiniers, malgré le magnifique élan vers le progrès qu'a déterminé le mouvement scientifique moderne. Il faut une doctrine comme la nôtre, qui brille par sa simplicité et sa logique, pour ramener les esprits à ces grandes vérités qui se nomment : Dieu et l'âme. Notre philosophie sous sa forme primitive synthétise les croyances les plus élevées des penseurs, mais elle a, de plus, pour elle le FAIT qui est le roi du jour.
Il faut donc nous donner pour devoir d'écarter de nos expériences toute suspicion. Il est indispensable de nous attacher à détruire les préventions et à montrer combien les explications qu'on a données pour rendre compte des phénomènes spirites sont fausses, mesquines et incomplètes, quand on les compare aux nôtres. C'est ce qui sera facile dans les pages suivantes en examinant les objections diverses qu'on nous a opposées ; mais, auparavant, décrivons le mouvement spiritualiste qui s'est produit en Angleterre et en Allemagne, afin de faire connaître combien d'hommes de science sont des spirites convaincus.
En France, l'opinion publique est habituée à se reposer entièrement sur quelques sommités littéraires ou scientifiques, pour les jugements qu'elle porte sur les hommes et les choses, de sorte que, si ces individualités remarquables ont un intérêt quelconque à enterrer une question, la plus grande partie du public suit l'impulsion donnée et fait le silence, le vide, sur les matières en litige. C'est pour protester contre cet ostracisme que nous reproduisons les affirmations de savants de la Grande-Bretagne ; on verra combien ces hommes intègres ont peu souci du qu'en dira-t-on, et avec quelle énergique honnêteté ils proclament leurs croyances, lorsqu'elles sont solidement basées sur les faits.
Nous devons ouvrir cette revue en citant les paroles remarquables prononcées par Sir William Thompson, dans le discours d'ouverture, lu en 1871, devant l'association britannique à Edimbourg : «La science est tenue, par l'éternelle loi de l'honneur, à regarder en face et sans crainte tout problème qui peut franchement se présenter à elle.»
Ce sont là de nobles sentiments que partagent un grand nombre d'hommes de science. En tête marche William Crookes, chimiste éminent auquel on doit la découverte du thallium et qui a marqué sa place à Westminster par la démonstration d'un quatrième état de la matière qu'il nomme, d'après Faraday, matière radiante.
Pour faire comprendre la grandeur de cette découverte, écoutons le concert d'éloges qui a salué son apparition :
«Dès maintenant, les expériences du savant anglais, désormais illustre, posent des problèmes qui touchent à la nature la plus intime des choses et ouvrent à l'imagination scientifique des horizons dont elle a peine à envisager les splendeurs.»
Edmond PERRIER.
M. de Parville, dans son feuilleton scientifique, qualifie cette découverte de grandiose et annonce qu'elle va révolutionner les théories actuelles ; enfin M. Wurtz, le chimiste bien connu, se prononce ainsi dans la Revue des Deux Mondes :
«L'illustre inventeur du radiomètre pénètre dans un domaine complètement inconnu avant lui, et qui, marquant la limite des choses que l'on sait, touche à celles qu'on ignore et que l'on ne saura peut-être jamais.»
Ce chimiste illustre, ce physicien de génie, M. Crookes a soumis à l'étude les manifestations spirites, non pas avec des idées préconçues, mais avec le ferme désir de s'instruire et de n'appuyer son jugement que sur l'évidence ; il dit :
«En présence de pareils phénomènes, les pas de l'observateur doivent être guidés par une intelligence aussi froide et aussi peu passionnée que les instruments dont il fait usage. Ayant une fois la satisfaction de comprendre qu'il est sur la trace d'une vérité nouvelle, ce seul objectif doit l'animer à la poursuivre, sans considérer si les faits qui se présentent à ses yeux sont naturellement possibles ou ne le sont pas.»
C'est avec de pareilles idées qu'il commença ses études sur le spiritisme ; elles durèrent près de dix années et furent publiées sous le titre de : «Recherches sur les phénomènes du spiritualisme», traduit de l'anglais par J. Alidel.
Dans ce livre il avoue loyalement les résultats de son enquête, tels qu'ils se sont présentés à lui ; non content du témoignage de ses sens, il a construit des instruments délicats qui mesurent mathématiquement les actions spirituelles. Loin de craindre le ridicule, M. Crookes répond ainsi à ceux qui l'engageaient à dissimuler sa foi, de crainte de se compromettre :
«M'étant assuré de la réalité de ces faits, ce serait une lâcheté morale de leur refuser mon témoignage, parce que mes publications précédentes ont été ridiculisées par des critiques et autres gens qui ne connaissent rien de ce sujet et qui avaient trop de préjugés pour voir et pour juger par eux-mêmes. Je dirai tout simplement ce que j'ai vu et ce qui m'a été prouvé par des expériences répétées et contrôlées, et j'ai encore besoin qu'on m'apprenne qu'il n'est pas raisonnable de s'efforcer de découvrir les causes des phénomènes inexpliqués.»
Voilà le langage de la vraie science et de l'honnêteté ; puissent nos savants français en profiter.
On pourrait croire que M. Crookes n'est qu'une brillante exception ; ce serait une grosse erreur de le supposer, et si l'affirmation d'un tel homme est inestimable pour notre cause, elle est encore augmentée, consolidée par celle d'autres savants qui ont pris la peine d'étudier le spiritisme.
En premier lieu nous pouvons nommer Cromwell Varley, ingénieur en chef des compagnies de télégraphie internationales et transatlantiques, inventeur du condensateur électrique. Voici encore un physicien dont l'affirmation n'est pas moins nette que celle de M. Crookes. Il a expérimenté chez lui, en observant toutes les conditions du contrôle le plus rigoureux et sa conviction est absolue ; il termine une lettre que nous reproduirons tout à l'heure en disant : «Nous ne faisons qu'étudier ce qui a été l'objet des recherches des philosophes, il y a deux mille ans ; et si une personne bien versée dans la connaissance du grec et du latin, et qui serait en même temps au courant des phénomènes qui se produisent en si grand nombre depuis l'année 1848, si un tel homme, dis-je, voulait traduire soigneusement les écrits de ces grands hommes, le monde apprendrait bientôt que tout ce qui a lieu maintenant n'est que la nouvelle édition d'un vieux côté dé l'histoire, étudié par des esprits hardis, à un degré qui porterait bien haut le crédit de ces vieux sages si clairvoyants, parce qu'ils se sont élevés au-dessus des préjugés étroits de leur siècle, et semblent avoir étudié le sujet en question dans des proportions qui, sous plusieurs rapports, dépassent de beaucoup nos connaissances actuelles.»
On le voit, chimistes et physiciens ne refusent pas leur adhésion au spiritisme. Voici un autre savant, un naturaliste célèbre qui a découvert en même temps que Darwin la loi de la sélection, M. Alfred Wallace, qui, lui aussi, fait une profession de fois spirite dans une lettre adressée au Times, que nous relaterons en exposant les faits sur lesquels se base notre conviction. Racontons seulement dans quelles conditions il fut amené à s'occuper des manifestations des esprits.
Il existe à Londres, indépendamment de la Société Royale, qui est l'Académie de l'Angleterre, une réunion de savants qui a pris le titre de : Société Dialectique ; elle compte dans son sein des hommes remarquables tels que Thomas H. Huxley, sir John Lubbock, Henry Lewès, etc.
Cette Société résolut, en 1869, d'étudier les prétendus phénomènes du spiritisme, afin d'en rendre compte au public. Une commission de 30 membres fut nommée, et dix-huit mois après, elle présenta son rapport qui fut tout en faveur des manifestations spirites. Suivant l'habitude, la Société, voyant, ses idées démenties par les faits, refusa de faire imprimer les conclusions de ses commissaires. Absolument comme l'Académie de médecine repoussa le travail de M. Husson sur le magnétisme animal, ce qui prouve que les corps savants sont les mêmes dans tous les pays ; ils se composent d'illustres médiocrités, qui se cabrent avec terreur devant toutes les nouveautés.
Lorsqu'une vérité, comme le spiritisme, se manifeste d'une manière anormale, qu'elle force l'attention publique par l'étrangeté de ses procédés, immédiatement s'élève une clameur de réprobation, et l'on cherche à étouffer officiellement ces théories qui ont l'irrévérence de se produire en dehors des laboratoires patentés de ces messieurs.
Heureusement pour l'honneur du genre humain, il se trouve encore des hommes qui ne reculent pas devant la vérité, M. Alfred Wallace fut de ce nombre. Etant membre du comité d'investigation, il fut à même de voir une multitude de faits qui le convainquirent et il publia un livre intitulé : Miracle and modern spiritualism, où ses expériences sont racontées tout au long. Il fait précisément remarquer qu'au sein de la commission, le degré de conviction produit dans l'esprit des divers membres fut, en tenant compte de la différence des caractères, à peu près proportionnel à la somme de temps et de soin apportée à l'investigation. Ceci nous conduit à dire que toute personne qui voudra expérimenter SERIEUSEMENT et consacrer quelques mois à l'étude du spiritisme, arrivera certainement à la conviction.
Mais en France on veut paraître tout savoir et tout connaître sans avoir jamais étudié. En veut-on une preuve ? Nous pouvons la donner tout de suite.
Un député, M. Naquet, annonça, il y a quelques années, qu'il ferait une conférence sur le spiritisme et ses adeptes. On s'attendait, de la part de l'éloquent orateur, à une réfutation en règle, avec de bons arguments à l'appui. Hélas ! il n'en fut rien, il se borna à rééditer les lieux communs les plus démodés et poussa l'audace jusqu'à prétendre qu'aucun homme un peu marquant ne s'était occupé de la question. Une dame se leva alors et lui fit passer la liste des savants étrangers qui ont publié des ouvrages sur le spiritisme. M. Naquet avoua naïvement son ignorance !
Devant de tels faits, n'est-ce pas le moment de réagir ? Comment ! des savants, des conférenciers prétendent détruire ce qu'ils appellent nos superstitions, et ils ne sont pas même au courant des travaux publiés sur le spiritisme ! Vraiment il est triste de constater une telle outrecuidance alliée à tant d'incurie !
Nous pouvons encore citer en Angleterre, parmi les adeptes du nouveau spiritualisme, trois hommes éminents : M. Auguste de Morgan, président de la Société mathématique de Londres ; M. Oxon, professeur à la faculté d'Oxford ; M. P. Barkas, membre de l'Institut géologique de Newcastle, et le professeur Tyndall, auteur de remarquables études physiques, qui tous sont devenus spirites après avoir constaté de visu des manifestations des esprits.
On remarquera que nous négligeons, à dessein, de parler des magistrats, des publicistes, des médecins qui ont traité la question, non que leur témoignage soit dénué de valeur, mais pour laisser à nos citations leur caractère éminemment scientifique. Nous croyons qu'après avoir énuméré tant de noms illustres de nos adeptes, on peut sourire de la plaisante prétention de ceux qui, sans études préalables, veulent repousser le spiritisme, en le traitant comme une vulgaire superstition, mieux que cela, comme «une ânerie du monde naissant», opinion gracieuse de M. Dupont White, reproduite par M. Jules Soury.
Si ânerie il y a, nous devons convenir que nous sommes en bonne compagnie ; car la studieuse Allemagne nous offre aussi un respectable contingent d'hommes de science pour soutenir notre bêtise. A leur tête était l'illustre astronome Zoellner qui, dans ses mémoires scientifiques, raconte les expériences qu'il fit en compagnie de MM. Ulrici, professeur de philosophie de la plus grande valeur ; Weber, le célèbre physiologiste ; Fechner, professeur à l'Université de Leipzig, et de M. Slade, le médium américain.
Il ressort d'études et d'expériences consciencieuses instituées par ces savants non seulement que les manifestations spirites sont réelles, mais encore qu'elles sont, au plus haut point, dignes d'attirer l'attention des hommes de science.
En France, pour les raisons énoncées plus haut, nous n'avons pas autant de notabilités officielles à compter dans nos rangs, mais les noms de Flammarion, Victor Hugo, Sardou. Mme de Girardin, Vacquerie, Louis Jourdan, Maurice Lachâtre, etc., ont bien quelque valeur et forment un joli bataillon d'ânes dans lequel MM. Dupont White et Jules Soury ne pourront jamais trouver place.
CHAPITRE II
-
LES THEORIES DES INCREDULES ET LE TEMOIGNAGE DES FAITS
Il a été énoncé, à propos des tables tournantes et du spiritisme, les jugements les plus contradictoires. Parmi les luges les plus sévères est M. Bersot, que nous avons vu si bien renseigné sur le magnétisme. S'il admet encore certaines parties du mesmérisme, pour le spiritisme il n'en veut pas entendre parler.
Ecoutons : «Enfin le spiritisme, il faut bien le dire nettement, s'explique par des causes très naturelles : illusion, supercherie, crédulité. Comme si ce n'était pas assez de la faiblesse de la raison, on a mis contre elle le coeur humain, et ici nous sommes partagé entre l'indignation contre ceux qui se jouent de ces sentiments sacrés et la sympathie pour ceux qui se laissent tromper ainsi.»
Comme on le voit, notre critique n'est pas tendre ; nous ne sommes plus seulement des ânes, nous devenons des fripons. C'est pour donner un formel démenti à ces imputations calomnieuses que nous allons examiner soigneusement les faits, non pas que nous avons observés, ceci ne serait pas assez convaincant, mais ceux rapportés par les savants dont nous avons parlé. Nous citerons souvent MM. Wallace et Crookes, car ce sont des hommes dont la bonne foi, l'honorabilité et la valeur intellectuelle répondent victorieusement aux accusations de crédulité, supercherie ou illusion, que nous prodiguent si généreusement les émules de M. Jules Soury.
Suivant certaines légendes, il faut, lorsqu'on veut faire tourner la table, que les personnes qui se livrent à cet exercice se touchent mutuellement les doigts et fixent avec une attention continue le même point de la table. Ceci est tout à fait inutile.
Lorsqu'on veut faire cette expérience, il suffit de poser légèrement les mains sur le plateau de la table et d'attendre qu'il s'y manifeste des mouvements. Au bout d'un temps plus ou moins long, on constate certains craquements du meuble qui annoncent que le phénomène va se produire. A un moment donné la table se soulève sur un des pieds et frappe un ou plusieurs coups, c'est alors qu'on peut l'interroger à la manière ordinaire.
Les déplacements du meuble sont parfois très violents. M. Eugène Nus rapporte, dans le livre charmant intitulé : Choses de l'autre Monde, comment il fut amené, en compagnie de plusieurs amis, à faire tourner la table.
«- Nous roulons au milieu de la chambre une table à manger lourde et massive ; nous nous asseyons autour ; nous appliquons nos mains ; nous attendons suivant la formule, et, au bout de quelques minutes, la table oscille sous nos doigts.
«Quel est le mauvais plaisant ?...
«Tous protestent de leur innocence, mais chacun suspecte son voisin, quand tout à coup la table se lève sur deux pieds. Cette fois, pas de doute possible.
Elle est trop lourde pour qu'un effort, même apparent, puisse la renverser ainsi. D'ailleurs comme pour nous narguer, elle reste immobile, en équilibre, sur ses deux jambes de derrière, formant avec le parquet un angle presque droit, et se roidit sous les bras qui veulent lui faire reprendre sa position naturelle, ce à quoi ils parvinrent enfin après une énergique pesée.»
Nous nous regardions ébahis, ajoute l'auteur : nous devons faire observer que son étonnement bien naturel fut partagé par M. Babinet à l'aspect de l'ascension d'une table qui s'éleva dans l'air sans que personne y touchât.
Nous lisons, en effet, dans la Revue spiritualiste de 1868 :
«Un fait remarquable et d'une grande importance pour les idées que nous représentons vient de se produire à Paris. L'illustre savant M. Babinet, introduit auprès du médium Montet, fut témoin de l'ascension d'une table isolée de tout contact. L'académicien en fut tellement surpris qu'il ne put s'empêcher de dire ces paroles : «c'est renversant !» Nous tenons le fait de plusieurs témoins oculaires, entre autres de l'honorable général baron de Brévern, qui nous a autorisé à donner de ce fait et de cette parole la garantie de son nom. Il est prêt à renouveler son témoignage à qui le voudra et devant n'importe qui.»
Les tables manifestent des signes d'intelligence tantôt en frappant avec un pied un certain nombre de coups, tantôt en faisant entendre dans le bois de petites détonations au moment où l'on prononce la lettre que l'esprit veut désigner. On peut ainsi échanger une conversation. Mais il ne faudrait pas croire que la table soit un meuble indispensable, et que l'esprit vienne se loger dans le bois, comme on l'a répété à satiété. Un objet quelconque peut aussi bien servir à ce genre de phénomène, mais on a choisi la table parce que c'est un instrument plus commode que tout autre, lorsque l'on est plusieurs à expérimenter.
Dans cette étude, nous suivrons William Crookes qui a catalogué les phénomènes, en passant des plus simples aux plus complexes. Sauf quelques rares exceptions qu'il indique, les faits se sont produits chez lui, à la lumière, et en présence du médium et de quelques amis.

1° MOUVEMENT DE CORPS PESANTS AVEC CONTACT MAIS SANS EFFORT MECANIQUE
«C'est là une des formes les plus simples des phénomènes que j'ai observés. Elle varie en degré depuis l'ébranlement d'une chambre et de son contenu, jusqu'à élever réellement dans l'air un corps pesant lorsque la main est dessus.
«On peut objecter à cela que, quand on touche une chose qui est en mouvement, il est possible de la tirer, de la pousser ou de la soulever : J'ai prouvé par l'expérience que dans des cas nombreux ceci n'a pu avoir lieu ; mais comme preuves à donner, j'attache peu d'importance à cette classe de phénomènes, et je ne les mentionne que comme préliminaires à d'autres mouvements de même genre, mais produits sans contact.»

2° PHENOMENES DE PERCUSSION ET AUTRES SONS DE MEME NATURE
«Le nom populaire de coups frappés donne une idée très fausse de ce genre de phénomènes. A différentes reprises pendant nos expériences, j'ai entendu des coups délicats qu'on eût dit produits par la pointe d'une épingle ; une cascade de sons perçants comme ceux d'une machine d'induction en plein mouvement ; des détonations dans l'air, de légers bruits métalliques aigus ; des craquements comme ceux que l'on entend quand une machine à frottement est en action ; des sons qui ressemblaient à des grattements ; des gazouillements comme ceux d'un oiseau, etc...
«Ces bruits que j'ai constatés avec presque tous les médiums ont chacun leurs particularités spéciales. Avec M. Home, ils sont plus variés, mais pour la force et la régularité, je n'ai rencontré absolument personne qui pût approcher de Mlle Kate Fox. Pendant plusieurs mois j'ai eu le plaisir d'avoir des occasions presque innombrables de constater les phénomènes variés qui avaient lieu en présence de cette dame, et ce sont ces bruits que j'ai particulièrement étudiés. Il est généralement nécessaire avec les autres médiums pour une séance régulière de s'asseoir avant que rien ne se fasse entendre, mais avec Mlle Fox, il semble qu'il lui soit simplement nécessaire de placer sa main sur n'importe quoi, pour que des sons bruyants s'y fassent entendre, comme un triple choc ; et quelquefois avec assez de force pour être entendus à travers l'intervalle de plusieurs chambres.
«J'en ai entendu se produire dans un arbre vivant, sur un carreau de vitre, dans un fil de fer tendu, sur une membrane tirée, dans un tambourin, sur la couverture d'un cab et dans le parquet d'un théâtre. Bien plus, le contact immédiat n'est pas toujours nécessaire ; j'ai entendu ces bruits sortir du parquet, des murs, etc., quand le médium avait les pieds, les mains attachés, quand il était debout sur une chaise ; quand il se trouvait sur une balançoire suspendue au plafond, quand il était enfermé dans une cage de fer et quand il était en syncope sur un canapé. Je les ai entendus sur les verres d'un harmonica, je les ai sentis sur mes propres épaules et sur mes propres mains. Je les ai entendus sur une feuille de papier tenue entre les doigts et suspendue par un bout de fil passé dans un coin de cette feuille avec la pleine connaissance des théories qu'on a mises en avant, surtout en Amérique, pour expliquer ces sons. Je les ai éprouvés de toutes les manières que j'ai pu imaginer, jusqu'à ce qu'il ne m'ait pas été possible d'échapper à la conviction qu'ils étaient bien réels et qu'ils ne se produisaient pas par la fraude ou des moyens mécaniques.»
On remarquera avec quelle persistance, quel souci de la vérité, le savant anglais a examiné le phénomène sous toutes ses faces. Le résultat auquel il est arrivé, après de nombreuses observations, c'est qu'il se produit des coups, des bruits, des grincements, qui ne peuvent être attribués à la fraude ou à des moyens mécaniques imaginés par la supercherie. Ces bruits, ces coups bizarres ont besoin d'être étudiés, ils sont d'une nature particulière et leur étrangeté attire forcément l'attention. Aussi dès qu'ils furent constatés, ainsi que les mouvements de la table, des savants de premier ordre, tels que Faraday, Babinet, Chevreul, essayèrent d'expliquer ces anomalies par des hypothèses plus ou moins rationnelles ; cela ne leur était pas facile, car la science, qui a repoussé avec tant de dédain le fluide magnétique, ne pouvait songer à lui faire, ici, jouer un rôle.
Afin de se tirer d'embarras, Faraday fit plusieurs expériences pour démontrer que l'adhérence des doigts au plateau de la table était une condition de sa mise en mouvement, car, prétendait-il, une fois cette adhérence établie, les trépidations nerveuses et musculaires des doigts finissent par devenir assez puissantes pour imprimer un mouvement à la table. - Ceci est-il vrai ? M. Crookes répond non, et en donne la preuve.
Il imagina d'attacher l'extrémité d'une longue planche à une balance très sensible, l'autre extrémité reposant sur un bâti en maçonnerie. Les choses ainsi disposées, la balance indiquait un certain poids que l'on nota.
Le médium mit ses mains sur la partie de la planche reposant sur le bâti de manière qu'une pression quelconque de sa part aurait eu pour résultat de faire lever la planche, ce qui se serait vu immédiatement par la diminution de poids qu'aurait accusé la balance ; au lieu de cela, la planche fut abaissée avec une force de six livres 1/2. M. Home, le médium, pour bien montrer qu'il n'appuyait pas, mit sous ses doigts une fragile boîte d'allumettes, le même fait se reproduisit. Dans cette dernière circonstance toute adhérence des doigts est détruite, et, de plus, se serait-elle même produite, elle ne pouvait qu'entraver le phénomène au lieu de le favoriser.
M. Crookes fait remarquer, en outre, qu'il n'a publié ses recherches qu'après avoir vu les faits se reproduire des «demi-douzaines de fois», de manière à les bien contrôler.
Pour enlever à la théorie de l'adhérence jusqu'à l'ombre d'une probabilité, le savant chimiste construisit un second appareil, ayant le même principe que le premier, mais dans lequel le contact se produisait au moyen de l'eau, de telle manière qu'il y avait impossibilité absolue de transmettre à la planche un mouvement mécanique quelconque. D'ailleurs on remarqua que la balance accusait plusieurs fois une augmentation de poids, pendant que M. Home avait les mains à plusieurs pouces au-dessus de l'appareil. L'hypothèse de Faraday est donc absolument fausse.
M. Babinet avait trouvé une autre hypothèse, ou plutôt avait formulé la même que Faraday, mais dans des termes différents. Selon lui, les déplacements de la table étaient produits par des mouvements naissants et inconscients, c'est-à-dire qu'involontairement, les personnes réunies autour de la table lui auraient communiqué automatiquement certains mouvements. Il a établi cette théorie avant d'avoir bien observé tous les cas qui peuvent se présenter, puisque l'ascension d'un meuble sans contact est inexplicable par sa méthode. De plus, l'expérience de Crookes citée plus haut réduit à néant toutes ces pseudo-explications.
M. Chevreul, le chimiste, ne fut guère plus heureux dans ses tentatives. Il publia une brochure intitulée : La baguette divinatoire et les tables tournantes, dans laquelle il expose les principes suivants :
1° Un pendule en action suspendu sur le côté d'un mur communique son mouvement d'oscillation à un second pendule suspendu de l'autre côté du mur ;
2° Le frottement exécuté sur l'extrémité d'une barre de fer met l'autre extrémité en vibration ;
3° La résultante des forces digitales de plusieurs personnes agissant latéralement peut vaincre l'inertie de la table.
Comme on le voit, c'est toujours, sous des noms divers, la même théorie. Adhérence, mouvements naissants ou oscillations du pendule, ces hypothèses reposent toutes sur une action purement physique de la part des personnes qui expérimentent ; or dans les expériences de Crookes citées plus haut, il est impossible d'attribuer le phénomène à ces causes ; il faut donc en conclure que, jusqu'alors, la science qui n'admet pas le fluide magnétique est incapable d'indiquer la force qui produit ces faits extraordinaires .
Il faut maintenant passer en revue une seconde catégorie d'observateurs qui ne voient dans le mouvement des tables que des effets magnétiques s'exerçant d'une manière inconnue.
Parmi ces derniers, M. Thury, professeur à l'Académie de Genève, et M. de Gasparin ont publié des ouvrages remplis d'observations curieuses, et qui mettent hors de doute l'existence des phénomènes, indépendamment de toute action matérielle de la part des opérateurs. Suivant M. Thury, les faits que l'on constate sont dus à l'influence d'une force qu'il appelle Ecténique, s'exerçant à distance et pouvant produire sous l'influence de la volonté des bruits, des déplacements d'objets, et, par conséquent, manifester de l'intelligence. M. de Gasparin partage la même opinion. Laissons la parole aux faits, car ainsi que le remarqua Alfred Wallace, «ce sont des choses opiniâtres».
M. Crookes dit à la suite du résumé de ses remarques sur les coups frappés :
«Une question importante s'impose ici à notre attention : Ces mouvements et ces bruits sont-ils gouvernés par une intelligence ? Dès le début de mes recherches j'ai constaté que le pouvoir qui produisait ces phénomènes n'était pas simplement une force aveugle, et qu'une intelligence le dirigeait ou du moins lui était associée ; ainsi les bruits dont je viens de parler ont été répétés un nombre de fois déterminé ; ils sont devenus forts ou faibles, et à ma demande ils ont résonné dans divers endroits ; par un vocabulaire de signaux convenus à l'avance, il a été répondu à des questions, et des messages ont été donnés avec une exactitude plus ou moins grande.»
Jusqu'ici les partisans de la force ecténique ou psychique (c'est tout un) peuvent à la rigueur expliquer ces phénomènes. Il leur est possible de dire que, lorsque l'on veut vivement quelque chose, on envoie une sorte de décharge nerveuse qui produit les bruits demandés. Cette supposition n'est guère admissible lorsqu'on obtient des «gazouillements d'oiseau», mais passons sur cette improbabilité, et nous allons constater, toujours avec Crookes, qu'il se produit un tout autre genre d'action.
«L'intelligence qui gouverne ces phénomènes est quelquefois manifestement inférieure à celle du médium ; et elle est souvent en opposition directe avec ses désirs. Quand une détermination a été prise de faire quelque chose qui ne pouvait être considéré comme bien raisonnable, j'ai vu donner de pressants messages pour engager à réfléchir de nouveau. Cette intelligence est quelquefois d'un caractère tel, qu'on est forcé de croire qu'elle n'émane d'aucun de ceux qui sont présents.»
Cette dernière phrase détruit la théorie de M. Thury, car si cette force nerveuse n'est pas dirigée par la volonté de l'opérateur et des spectateurs, il faut admettre une intelligence étrangère, c'est-à-dire l'intervention des esprits.
Il est incontestable, évidemment, que si la table que l'on consulte donne des réponses sur des sujets inconnus des assistants, ou contraires à leurs pensées, ce n'est certainement pas de chez eux que part la réponse ; mais, comme il faut qu'elle soit faite par quelqu'un, nous l'attribuons à une intelligence occulte qui vient se manifester. Cette conception n'est pas une invention humaine, car chaque fois qu'une intelligence s'est manifestée, on lui a demandé qui elle était, et constamment elle a répondu être l'âme d'une personne ayant habité sur la terre.
Pour se bien rendre compte de la manière dont se passent les phénomènes, il est urgent de faire le récit d'une séance d'évocation. Il peut sembler ridicule de se placer devant une table et de croire qu'un de vos parents défunts va venir causer au moyen de ce meuble ; cependant c'est l'exacte vérité, et parmi les milliers de faits racontés par les hommes de science les plus honorables, nous citerons particulièrement la lettre suivante de M. Alfred Wallace, non seulement parce qu'elle est particulièrement probante, mais aussi parce que l'auteur est au-dessus de tout soupçon.

LETTRE DE M. ALFRED RUSSEL WALLACE A L'EDITEUR DU «TIMES»
Monsieur,
Puisque j'ai été désigné par plusieurs de vos correspondants comme un des hommes de science qui croient au spiritualisme, peut-être me permettrez-vous d'établir brièvement sur quelle quantité de preuves ma croyance est fondée.
J'ai commencé mes recherches il y a environ huit ans, et je considère comme une circonstance heureuse pour moi que les phénomènes merveilleux étaient à cette époque beaucoup moins communs, et beaucoup moins accessibles qu'ils ne le sont aujourd'hui, parce que cela m'a conduit à expérimenter sur une large échelle, dans ma propre maison et en société d'amis dans lesquels je pouvais avoir toute confiance.
J'ai eu ainsi la satisfaction de démontrer, à l'aide d'une grande variété d'épreuves rigoureuses, l'existence de bruits et de mouvements qui ne peuvent s'expliquer par aucune cause physique connue ou concevable.
Ainsi familiarisé avec ces phénomènes dont la réalité ne laisse aucun doute, j'ai été à même de les comparer avec les plus puissantes manifestations de médiums de profession, et j'ai pu reconnaître une identité de cause entre les uns et les autres, en raison de ressemblances peu nombreuses, mais très caractéristiques.
Il m'a été également possible d'obtenir, grâce à une patiente observation, des preuves certaines de la réalité de quelques-uns des phénomènes les plus curieux, preuves qui m'ont paru alors et me paraissent encore aujourd'hui des plus concluantes. Les détails de ces expériences exigeraient un volume, mais peut-être me sera-t-il permis d'en décrire brièvement une, d'après des notes prises au moment même, afin de montrer par un exemple comment on peut se mettre à l'abri des fraudes dont un observateur patient est souvent victime sans s'en douter.
Une dame qui n'avait jamais vu un de ces phénomènes nous pria, ma soeur et moi, de l'accompagner chez un médium de profession bien connu ; nous y allâmes et nous eûmes une séance particulière en pleine lumière, par une journée d'été. Après un grand nombre de mouvements et de coups frappés comme d'habitude, notre amie demanda si le nom de la personne défunte avec laquelle elle désirait entrer en communication pouvait être épelé. La réponse ayant été affirmative, cette dame pointa successivement les lettres d'un alphabet imprimé, pendant que je notais celles auxquelles correspondaient les trois coups affirmatifs.
Ni ma soeur, ni moi, ne connaissions le nom que notre amie désirait savoir, et nous ignorions également le nom de ses parents défunts ; son propre nom n'avait pas été prononcé, et elle n'avait jamais vu le médium auparavant. Ce qui va suivre est le compte rendu exact de ce qui se passa. J'ai seulement altéré le nom de famille qui n'est pas très commun, n'ayant pas l'autorisation de le publier.
Les lettres que je notai furent : Y. R. N. E. H. N. O. S. P. M. O. H. T.
Dès que les trois premières lettres Y. R. N. furent notées, mon amie dit : C'est un non-sens, il vaudrait mieux recommencer. Juste à ce moment son crayon était sur la lettre E, et des coups furent frappés. Une idée me vint alors (ayant lu un fait pareil sans en avoir jamais été témoin) et je dis : «continuez, je vous prie, je crois deviner ce que cela veut dire.» Lorsque mon amie eut fini d'épeler, je lui présentai le papier, mais elle n'y vit aucun sens ; j'opérai une division après la première lettre H, et je priai cette dame de lire chaque portion à l'envers, alors apparut, à son grand étonnement, le nom correctement écrit de Henry Thompson, son fils décédé, dont elle avait souhaité d'être informée. Justement, à cette époque, j'avais entendu parler à satiété de l'adresse merveilleuse du médium pour saisir les lettres du nom attendu par les visiteurs dupés, malgré tout le soin qu'ils prennent pour passer le crayon sur les lettres avec une régularité parfaite.
Cette expérience (dont je garantis l'exacte description faite dans le récit précédent), était et est à mon sens la réfutation complète de toutes les explications présentées jusqu'ici au sujet des moyens employés pour indiquer par des coups les noms des personnes décédées.
Sans doute, je ne m'attends pas à ce que les gens sceptiques, qu'ils s'occupent ou non de science, acceptent de tels faits dont je pourrais d'ailleurs citer un grand nombre d'après ma propre expérience, mais ils ne doivent pas plus, de leur côté, s'attendre à ce que moi ou des milliers d'hommes intelligents à qui des preuves aussi irrécusables ont été données, nous adoptions leur mode d'explication court et facile. Si je ne vous dérobe pas une trop grande partie de vos précieux instants je vous ferai encore quelques observations sur les idées fausses que se font un grand nombre d'hommes de science, quant à la nature de cette recherche, et je prendrai comme exemple les lettres de votre correspondant, M. Dircks.
En premier lieu il semble considérer comme un argument contre la réalité de ces manifestations l'impossibilité où l'on se trouve de les produire et de les montrer à volonté ; un autre argument contre la réalité de ces faits est tiré de ce qu'ils ne peuvent être expliqués par aucune loi connue. Mais ni la catalepsie, ni la chute des pierres météoriques, ni l'hydrophobie ne peuvent être produites à volonté ; cependant ce sont des faits. Le premier a été quelquefois simulé, le second a été nié autrefois, et les symptômes du troisième ont été souvent grandement exagérés ; aussi nul de ces faits n'est admis définitivement dans le domaine de la science, et cependant personne ne se servira de cet argument pour refuser de s'en occuper.
En outre, je ne me serais pas attendu à ce qu'un homme de science pût motiver son refus d'examiner le spiritualisme sur ce qu'il est en opposition avec toutes les lois naturelles connues, spécialement la loi de gravitation, et en contradiction ouverte avec la chimie, la physiologie humaine et la mécanique ; tandis que les faits (s'ils sont réels) dépendent d'une ou de plusieurs causes capables de dominer ou de contrecarrer l'effet de ces différentes forces, exactement comme ces dernières contrecarrent ou dominent d'autres forces. Et cependant ceci devrait être un fort stimulant pour engager un homme de science à examiner ce sujet.
Je ne prétends pas moi-même au titre de véritable homme de science ; cependant il y en a plusieurs qui méritent ce nom et qui n'ont point été considérés par votre correspondant comme étant en même temps spécialistes. Je considère comme tels : feu le docteur Robert Chambers, le professeur William Grégory d'Edimbourg et le professeur Hare de Philadelphie, qui sont malheureusement décédés, ainsi que le docteur Guilly de Malvern, savant médecin, et le juge Edmonds, un des meilleurs jurisconsultes de l'Amérique, qui ont fait à ce sujet les plus amples recherches. Tous ces hommes étaient non seulement convaincus de la réalité de ces faits merveilleux ; mais, de plus, ils acceptaient la théorie du spiritualisme moderne comme seule capable d'englober tous les faits et d'en rendre compte. Je connais aussi un physiologiste vivant, placé dans un rang élevé qui est en même temps un investigateur habile et un ferme croyant.
Pour conclure (avis à M. Bersot), je puis dire que quoique j'aie entendu un grand nombre d'accusations d'imposture, je n'en ai jamais découvert moi-même, et quoique la plus grande partie des phénomènes extraordinaires, si ce sont des impostures, ne puissent être produits que par des machines ou des appareils ingénieux, on n'a encore rien découvert. Je ne crois pas exagérer en disant que les principaux faits sont maintenant aussi bien établis et aussi faciles à étudier que tout autre phénomène exceptionnel de la nature dont on a pas encore découvert la loi.
Ces faits sont d'une grande importance pour l'interprétation de l'histoire qui abonde en récits de faits semblables, ainsi que pour l'étude du principe de la vie et de l'intelligence sur lequel les sciences physiques jettent une lumière si faible et si incertaine. Je crois fermement et avec conviction que chaque branche de la philosophie doit souffrir jusqu'à ce qu'elle soit honnêtement et scrupuleusement examinée, et traitée comme constituant une partie essentielle des phénomènes de la nature humaine.
Je suis, Monsieur, votre très obéissant serviteur.
ALFRED R. WALLACE.
Il est difficile de mieux préciser la question que ne l'a fait l'éminent naturaliste. Le nom de Henry Thompson, venu lettre par lettre, dans l'ordre inverse de celui où il s'écrit habituellement, démontre jusqu'à l'évidence l'intervention d'une intelligence indépendante de celle des assistants et répond victorieusement à l'objection de la transmission de pensée.
Expliquons ce que signifie cette locution.
Un certain nombre d'observateurs ne pouvant nier ni les phénomènes eux-mêmes ni les réponses intelligentes données par la table, mais refusant catégoriquement d'admettre une intervention spirituelle, ont supposé que les opérateurs émettent une certaine quantité de fluide nerveux qui, concentré dans la table, lui communique le mouvement. Il est notoire, dit l'un d'eux, que les réponses des tables ne sont que l'écho des réponses mentales des assistants, et M. Chevreul d'ajouter : «Il est facile de concevoir comment une question qu'on adresse à une table peut éveiller dans la personne qui fait cette question un mouvement cérébral, et ce mouvement, qui n'est autre que celui du fluide nerveux, peut se propager dans la table ; d'où il résulte que l'impulsion étant mesurée, intelligente, la table répétera la même impulsion.»
Nous nous permettrons de faire observer à l'éminent chimiste que le cas cité par Alfred Wallace est en opposition formelle avec son explication ; car en supposant même que la dame qui évoquait son fils eût épelé mentalement le nom de son enfant, il est impossible de comprendre pourquoi ce nom est dicté à l'envers, nettement, sans hésitation, et surtout de s'expliquer comment l'action ne cesse pas lorsque cette dame déclare à la troisième lettre qu'il est inutile de continuer, celles déjà données n'ayant, suivant elle, aucun sens. Il faut convenir que M. Chevreul n'est pas heureux avec ses explications, qui sont proches parentes de celles de M. Bersot.
La transmission de pensée est un phénomène qui s'opère de magnétiseur à sujet. Dans certains cas l'expérimentateur n'a pas besoin d'énoncer mentalement sa volonté pour se faire obéir ; il lui suffit de penser et le somnambule exécute l'ordre qu'il a reçu ou répond à la question qui lui a été posée. Ici on peut concevoir ce qui se passe. Par l'action magnétique il s'est établi un courant fluidique entre les deux systèmes nerveux, de sorte que les vibrations émanées du cerveau du magnétiseur ébranlent d'une manière semblable celui du magnétisé, et font naître dans l'esprit de ce dernier les mêmes idées que chez l'opérateur. Telle est, du moins, la théorie que l'on donne de ce fait remarquable.
Mais dans les tables tournantes les conditions ne sont pas les mêmes. Si l'on suppose plusieurs personnes assises autour du meuble, ainsi que le rapporte M. Wallace, comment se fait l'accord des fluides et des vibrations de tous ces cerveaux ? Celui de la dame qui évoquait trouvait le phénomène absurde, tandis que celui de M. Wallace le trouvait possible : en vérité, cette soi-disant explication est inacceptable.
L'objection de la transmission de la pensée étant celle que l'on trouve le plus communément répandue, nous allons citer d'autres exemples qui montreront combien elle est absurde, lorsqu'on veut l'appliquer aux manifestations spirites.
M. Crookes raconte que pendant une séance avec M. Home, une petite latte qui se trouvait sur la table, à peu de distance des mains du médium, traversa seule cette table, vint à lui en pleine lumière et donna une communication (c'est ainsi que l'on nomme les messages des esprits) en lui frappant sur la main.
«J'épelais, dit-il, l'alphabet, et la latte me frappait aux lettres qu'il fallait, l'autre bout de la latte reposant sur la table.
«Les coups étaient si nets, si précis, et la latte était si évidemment sous l'influence d'une puissance invisible qui dirigeait ses mouvements, que je dis : l'intelligence qui dirige les mouvements de cette règle peut-elle changer le caractère de ces mouvements, et me donner au moyen de coups frappés sur ma main un message télégraphique avec l'alphabet de Morse ?
«J'ai toutes les raisons pour croire que l'alphabet de Morse était tout à fait inconnu des personnes présentes, et moi-même je ne le connaissais qu'imparfaitement. J'avais à peine prononcé ces paroles, que le caractère des coups frappés changea ; et le message fut continué de la manière que j'avais demandée. Les lettres me furent données trop rapidement pour pouvoir faire autre chose que de saisir un mot par-ci par-là, et par conséquent ce message fut perdu ; mais j'en avais assez vu pour me convaincre qu'à l'autre bout de la latte, il y avait un bon opérateur de Morse, quel qu'il pût être d'ailleurs.»
Nous espérons qu'ici on ne trouvera pas l'ombre d'une transmission de pensées et nous mettons MM. Chevillard, Thury et consorts, au défi de nous expliquer ce qui se passe dans ce cas, si l'on n'admet pas l'intervention spirituelle.
Un dernier fait, tout aussi probant, est encore rapporté par M. Crookes. Le voici :
«Une dame écrivait automatiquement au moyen de la planchette. J'essayai de découvrir le moyen de prouver que ce qu'elle écrivait n'était pas dû à l'action inconsciente du cerveau. La planchette affirmait, comme elle le fait toujours, que quoiqu'elle fût mise en mouvement par la main et le bras de cette dame, l'intelligence qui la dirigeait était celle d'un être invisible, qui jouait du cerveau de la dame comme d'un instrument de musique, et faisait ainsi mouvoir ses muscles.
«Je dis alors à cette intelligence : Voyez-vous ce qu'il y a dans cette chambre ? - Oui, écrivit la planchette.- Voyez-vous ce journal et pouvez-vous le lire ? ajoutai-je en mettant mon doigt sur un numéro du Times qui était sur une table derrière moi, mais sans le regarder. - Oui, répondit la planchette. - Bien, dis-je, si vous pouvez le voir, écrivez maintenant le mot qui est couvert par mon doigt, et je vous croirai.
«La planchette commença par se mouvoir lentement et avec beaucoup de difficulté, elle écrivit le mot honneur ; je me tournai et je vis que le mot honneur était couvert par le bout de mon doigt.
«Lorsque je fis cette expérience, j'avais évité à dessein de regarder le journal, et il était impossible à la dame, l'eût-elle essayé, de voir un seul des mots imprimés, car elle était assise à une table, le journal était sur une autre table derrière moi, et mon corps lui en cachait la vue.»
Après des preuves aussi remarquables, si l'on ne croit pas à l'intervention des esprits, il faut y mettre de la mauvaise volonté. Le témoignage de savants tels que Crookes et Wallace est d'une certaine valeur, car on s'imagine difficilement ces grands hommes s'amusant à mystifier leurs contemporains, comme de vulgaires farceurs. D'un autre côté, leur savoir, leur profonde habitude de l'expérimentation, les mettent à l'abri de l'accusation de crédulité ; il faut donc en conclure qu'ils ont bien vu, que les faits sont bien réels, et que les esprits se manifestent aux hommes. Si nous ne craignions de surcharger le débat, nous citerions encore un grand nombre de faits, mais nous préférons renvoyer le lecteur désireux de s'instruire aux volumes publiés par ces savants.
Les manifestations spirites ne se bornent pas au mouvement des tables, l'expérience a révélé que les esprits agissent sur les hommes de différentes manières pour dicter les communications. Mais quel que soit leur mode d'opérer, il faut de toute nécessité qu'il se trouve parmi les assistants un individu qui puisse céder une partie de son fluide vital. Ceux qui ont cette propriété ont été nommés médiums.
De tous les phénomènes du spiritisme, le plus extraordinaire est sans contredit celui que l'on a appelé l'écriture directe.
Citons toujours M. Crookes.
«L'écriture directe est l'expression employée pour désigner l'écriture qui n'est produite par aucune des personnes présentes. J'ai obtenu maintes fois des mots et des messages, écrits sur des papiers marqués à mon chiffre particulier, et sous les conditions du contrôle le plus rigoureux. J'ai entendu dans l'obscurité le crayon se mouvoir sur le papier. Les précautions préalables prises par moi étaient si grandes que mon esprit était aussi bien convaincu que si j'avais vu les caractères se former. Mais comme l'espace ne me permet pas d'entrer dans tous les détails, je me bornerai à citer les cas où mes yeux, aussi bien que mes deux oreilles, ont été témoins de l'opération.
«Le premier fait que je citerai eut lieu, cela est vrai, dans une séance noire, mais le résultat n'en fut pas moins satisfaisant. J'étais assis près du médium Mlle Fox, il n'y avait d'autres personnes présentes que ma femme et une autre dame de nos parentes, et je tenais les deux mains du médium dans une des miennes pendant que ses pieds étaient sur les miens. Du papier était sur la table et ma main tenait librement un crayon.
«Une main lumineuse descendit du plafond de la chambre, et après avoir plané près de moi pendant quelques secondes, elle prit le crayon dans ma main, écrivit rapidement sur une feuille de papier, rejeta le crayon et ensuite s'éleva au-dessus de nos têtes et peu à peu se perdit dans l'obscurité.»
Ici plus de négation possible, plus de force ecténique ou psychique, car la main lumineuse qui écrit directement n'a besoin d'aucun intermédiaire. Ce n'est pas la première fois que ces faits se sont produits ; le baron de Guldenstubbé publia, en 1857, un livre curieux, intitulé : «La Réalité des esprits et le phénomène merveilleux de leur écriture directe.»
Dans ce volume, l'auteur raconte comment il fut tenté de faire cette expérience. Il était à la recherche d'une preuve palpable et intelligente en même temps de la réalité du monde des esprits, afin de démontrer l'existence de l'âme par des faits irréfutables. Il plaça donc un papier à lettre blanc et un crayon taillé dans une petite boîte fermant à clef et ne fit part de cet essai à personne. Pour plus de sûreté, il mit la clef dans sa poche. Il attendit douze jours en vain, ne remarquant aucun changement, mais quelle fut sa surprise lorsque, le 13 août 1856, il vit certains caractères sur le papier. Il n'en pouvait croire ses yeux, et répéta cette expérience dix fois dans la même journée, afin de se pénétrer qu'il n'était pas le jouet d'une illusion.
Il fit part à son ami, le comte d'Ourches, de la merveilleuse découverte ; ils essayèrent, et après diverses tentatives, le comte obtint une communication de sa mère morte une vingtaine d'années auparavant, l'écriture et la signature furent reconnues vraies. Ceci écarte toute interprétation somnambulique du phénomène.
On a souvent objecté que les messages reçus par ce procédé étaient pour la plupart insipides. M. Oxon, professeur à la faculté d'Oxford, répond : «Touchant l'intelligence de ces messages écrits en dehors des voies ordinaires, je ne veux pas établir si elle est ou n'est pas digne d'attention, d'après la matière de ces communications. Ce qui est écrit peut être aussi insensé qu'il plaît aux critiques de le dire. Si rien n'est plus niais, cela sert mon argument. Est-ce écrit, oui ou non ? Alors laissons de côté les absurdités de la pensée et ne tenons compte que du fait.»
C'est ce que nous faisons en remarquant toutefois que ces écrits sont loin d'être aussi ridicules qu'on a voulu le prétendre. A propos de l'écriture directe, M. Oxon, savant professeur qui l'a étudiée pendant cinq années, dit ce qui suit (je cite textuellement d'après l'auteur de Choses de l'autre Monde) :
«Il y a cinq ans que je suis familier avec le phénomène de psychographie (écriture des esprits) ; je l'ai observé dans un grand nombre de cas, soit avec des psychiques (médiums) connus du public, soit avec des dames et des gentlemen qui possédaient le pouvoir de produire ce résultat. Dans le cours de mes observations, j'ai vu des psychographies obtenues dans des boîtes fermées (écriture directe) sur un papier scrupuleusement marqué et placé dans une position spéciale d'où il n'était pas dérangé : sur un papier marqué et placé sur la table, dans l'ombre ; sur un papier placé sous mon coude, ou couvert par ma main ; sur un papier enfermé dans une enveloppe cachetée, et sur des ardoises attachées ensemble.
«J'ai vu des écritures produites aussi presque instantanément, et ces diverses expériences m'ont prouvé que ces écritures n'étaient pas toujours obtenues par le même procédé.
Tandis que l'on voit quelquefois le crayon écrire, comme s'il était conduit par une main, tantôt invisible, tantôt dirigeant ses mouvements d'une manière visible, d'autres fois l'écriture semble produite par un effort instantané, sans le secours d'un crayon.»
M. Oxon joint son témoignage à celui de Crookes, ces deux graves savants, opérant à l'insu l'un de l'autre, arrivent aux mêmes résultats. Ils affirment tous deux avoir VU des mains conduire le crayon et écrire des phrases. N'y a-t-il pas là de quoi faire réfléchir les plus incrédules ?
Produisons encore des témoignages de savants d'une autre partie de l'Europe. Plus nous montrerons le caractère universel des manifestations des esprits, plus elles auront de valeur aux yeux des hommes de bonne foi.
Voici M. Zöllner, en Allemagne, qui vient confirmer les expériences de ses confrères et qui appuie sa narration de l'autorité de noms comme ceux de Fechner, Weber et Scheibner. Nous empruntons encore cet extrait à M. Eugène Nus, qui l'a traduit directement de l'allemand.
«La soirée suivante (c'est Zöllner qui parle), vendredi 16 novembre 1876, je plaçai une table de jeu avec quatre chaises dans une chambre où Slade n'était pas encore entré. Après que Fechner, le professeur Braune, Slade et moi nous eûmes placé nos mains entrelacées sur la table, il y eut des coups frappés dans ce meuble ; j'avais acheté une ardoise que nous avions marquée ; un fragment de crayon fut déposé sur l'ardoise, que Slade plaça partiellement sous le bord de la table ; mon couteau fut subitement projeté à la hauteur d'un pied, et retomba ensuite sur la table... En répétant l'expérience on remarqua que le fragment de crayon dont la position fut assurée par une marque, restait à la même place sur l'ardoise. La double ardoise après avoir été nettoyée intérieurement et munie d'un double crayon, fut tenue par Slade sur la tête du professeur Braune ; le grattement fut entendu, et lorsque l'ardoise fut ouverte on y trouva plusieurs lignes d'écriture.
«Inopinément un lit placé dans la chambre, derrière un écran, se transporta à deux pieds du mur, poussant l'écran au-dehors. Slade était éloigné du lit auquel il tournait le dos, ses jambes étaient croisées : cela était visible pour tous.
«Une seconde séance s'organisa chez moi immédiatement avec le professeur Weber, Schreibner et moi ; un craquement violent, tel que la décharge d'une forte bouteille de Leyde, fut entendu ; en nous tournant, assez alarmés, l'écran mentionné ci-dessus se sépara en deux pièces ; les porte-vis en bois, épais d'un demi-pouce, étaient déchirés du haut en bas, sans aucun contact visible de Slade avec l'écran. Les morceaux cassés se trouvaient à cinq pieds du médium, qui tournait le dos à l'écran.
«Nous fûmes tous étonnés de cette manifestation d'une force mécanique, et je demandai à Slade ce que tout cela voulait dire. Il répondit que ce phénomène arrivait parfois en sa présence. Comme il parlait en restant debout, il plaça un morceau de touche sur la surface polie de la table, le couvrit avec une ardoise, justement achetée et nettoyée par moi, et en pressa la surface avec les cinq doigts ouverts de la main droite, pendant que sa main gauche restait au centre de la table. L'écriture commença sur la surface intérieure et, lorsque Slade la retourna, la sentence suivante était écrite en anglais : «Ce n'était pas notre intention de faire le mal ; pardonnez ce qui est arrivé.» La production de l'écriture dans ces conditions se faisait pendant que les deux mains de Slade demeuraient immobiles.»
Nous croyons que ce sont là des preuves suffisantes pour établir l'existence du fait de l'écriture directe. Or, pour écrire de cette manière, comme il est nécessaire que quelqu'un dirige le crayon et qu'aucune personne présente ne peut le faire, il faut bien que ce soient ceux que l'on a appelé les esprits. Ce qui prouve que cette induction est justifiée, c'est qu'à plusieurs reprises on a vu des mains lumineuses se servir du crayon pour tracer des messages : le doute n'est donc pas permis relativement à la cause de ces manifestations.
Mais alors, si les esprits ont pu agiter des guéridons, s'il leur a été possible d'écrire en faisant voir leurs mains, pourquoi ne se rendraient-ils pas visibles eux-mêmes ? Frappé de ces considérations, M. Crookes a été amené à constater des résultats splendides que nous analyserons dans le chapitre où nous traitons spécialement de la médiumnité.
On a dû remarquer que jusqu'ici nous nous sommes contenté de rapporter les expériences sans donner aucune explication, ne voulant pas en affaiblir la portée par des commentaires qui auraient pu donner lieu à la critique. Quelque étranges, bizarres, renversants que puissent paraître ces phénomènes, il y a une chose certaine, évidente, c'est qu'ils existent, puisqu'ils sont constatés par les sommités savantes de l'Angleterre, de l'Allemagne et de l'Amérique. De plus, dans aucun cas, on ne peut les attribuer à une intervention humaine, car toutes les précautions ont été prises pour écarter cette éventualité. Il faut nécessairement qu'ils soient produits par des individualités indépendantes des opérateurs, autrement dit par les esprits.
Dans un siècle de positivisme à outrance, comme le nôtre, de telles révélations étaient indispensables pour établir la croyance à l'immortalité de l'âme, car la foi ayant disparu avec les religions délaissées, il ne fallait pas moins que le fait brutal pour rétablir la vérité. Aujourd'hui elle s'impose à tous, et malgré les dénégations intéressées du matérialisme, elle triomphera de tous les obstacles amoncelés devant elle.
Les phénomènes spirites ont été si raillés qu'il est utile d'insister beaucoup sur les faits qui témoignent en leur faveur. Les hommes de science de notre pays, autant par tendance naturelle que par crainte du ridicule, n'osent se livrer à ces investigations. Nous n'avons pas la prétention de les convaincre en leur rapportant les travaux de leurs confrères du monde entier, mais si cette lecture pouvait leur inspirer le désir de vérifier ce qu'il y a de vrai ou de faux dans ces assertions, notre but serait atteint.
On a peint les adeptes du spiritisme sous un jour si absurde, que beaucoup de personnes se figurent que ce sont de simples malades ou des hallucinés. On a peine dans le public à se représenter un partisan d'Allan Kardec comme un bon bourgeois prosaïque ; cependant c'est ce qu'il est facile de constater en fréquentant les sociétés spirites. Au lieu de figures hâves, d'yeux brillants des lueurs de la fièvre, on voit des braves gens qui expérimentent tranquillement et discutent les résultats obtenus avec autant de sang-froid et de lucidité que dans tout autre milieu où l'on étudie. Le préjugé a un si puissant empire sur les hommes, même les plus distingués, qu'il ne faut pas s'étonner de rencontrer une vigoureuse opposition, lorsque l'on arrive les mains pleines d'idées en antagonisme avec les vues générales.
Voici une lettre d'un ami de Crookes qui décrit, parfaitement cet état psychologique.
«Je ne puis pas (répondait-il au célèbre chimiste) trouver de réponse raisonnable aux faits que vous exposez. Et c'est une chose curieuse que même moi, quelque tendance et quelque désir que j'aie de croire au spiritualisme, quelles que soient ma foi en votre puissance d'observation et votre parfaite sincérité, j'éprouve comme un besoin de voir par moi-même, et il m'est tout à fait pénible de penser que j'aie besoin de beaucoup de preuves. Je dis pénible, parce que je vois qu'il n'est pas de raisons qui puissent convaincre un homme, à moins que le fait ne se répète si souvent que l'impression semble devenir une habitude de l'esprit, une vieille connaissance, une chose connue depuis si longtemps qu'on ne peut plus en douter.
«C'est un des côtés curieux de l'esprit humain et les hommes de science le possèdent à un haut degré, plus que les autres, je crois. C'est pour cela que nous ne devons pas toujours dire qu'un homme est déloyal parce qu'il résiste longtemps à l'évidence ; le vieux mur des croyances doit être abattu à force de coups.»
C'est assez notre avis, et cette raison explique la persistance avec laquelle nous assemblons le plus grand nombre de documents possible, pour implanter la conviction chez les âmes sincères. Si l'on refuse de nous suivre dans toutes les conséquences que nous faisons découler de l'observation, au moins l'on ne pourra nier que nos croyances n'aient un sérieux point de départ.
Les spirites ne sont ni fanatiques, ni sectaires, ils ne veulent imposer à qui que ce soit les théories qu'ils ont déduites de l'impartiale appréciation des faits. Si, demain, on leur démontrait qu'ils sont dans l'erreur, immédiatement ils abandonneraient leur manière de voir actuelle pour se ranger du côté de la vérité, car leur méthode est avant tout le rationalisme. Mais jusqu'à ce moment ils considèrent leur doctrine comme la plus probable et continuent à l'enseigner.
CHAPITRE III
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LES OBJECTIONS
Dans l'expérience si remarquable, rapportée par M. Crookes, où il est prouvé que l'intelligence qui se manifeste est capable de LIRE un mot qui n'est connu ni du médium, ni de l'expérimentateur, on a pu remarquer la phrase suivante : «Une dame écrivait automatiquement au moyen de la planchette». Expliquons ce nouveau genre de médiumnité.
Ainsi que nous l'avons raconté, les premières manifestations eurent lieu à Hydesville par coups frappés dans les murs, puis on passa à l'emploi de la table, mais ce moyen de communication était long et incommode, de sorte que les Esprits en indiquèrent un autre. Un jour que l'on expérimentait, l'un des êtres invisibles qui produisait la manifestation ordonna au médium de prendre une corbeille et d'y fixer un crayon, de mettre le tout sur une feuille de papier blanc et de poser les mains sur le bord de la corbeille, mais sans appuyer. Ces recommandations furent suivies et, au grand étonnement des assistants, on obtint quelques lignes d'une écriture indécise. Le phénomène se reproduisit plusieurs fois et bientôt se répandit partout.
Les Esprits, au lieu de se servir de la table et de répondre, soit par coups frappés, soit en levant un des pieds, agissaient directement sur la corbeille au moyen du fluide fourni par l'opérateur. Ce procédé fut rapidement perfectionné, on reconnut que la corbeille n'était qu'un instrument dont la nature et la forme étaient indifférentes et l'on construisit une planchette, c'est-à-dire un petit plateau de bois porté sur trois pieds et dont une extrémité est munie d'un crayon.
L'on obtint, en pratiquant ainsi, de véritables lettres dictées par les Esprits, avec une rapidité aussi grande que si les invisibles avaient écrit eux-mêmes. Plus tard encore on constata que corbeille ou planchette n'étaient que des accessoires, des appendices inutiles, et le médium, prenant directement le crayon, écrivit mécaniquement sous l'influence des Esprits. Cette faculté d'écrire inconsciemment sur les sujets les plus divers : science, philosophie, littérature, et en employant des langues souvent inconnues du médium, fut nommée : Médiumnité mécanique.
Par cette nouvelle méthode les communications entre le monde spirituel et le nôtre furent rendues plus faciles et plus promptes, mais les personnes douées de ce pouvoir se rencontrent plus rarement que celles qui obtiennent par la table. Avec l'exercice, on trouva que tous les sens pouvaient donner lieu à des manifestations d'outre-tombe, et bientôt on compta des médiums voyants, auditifs, sensitifs, etc.
Pour un incrédule il est incontestable que la médiumnité mécanique est sujette aux plus graves objections.
En écartant toute idée de supercherie, il peut néanmoins se figurer que cette action d'écrire automatiquement est due à un mode d'action particulier du système nerveux, à une sorte d'action réflexe de l'intelligence du médium, s'exerçant sans le contrôle de la conscience. Il est vrai que ceci est bien hypothétique, mais cette théorie, déjà assez difficile à concevoir, est rendue inutile et inacceptable par l'expérience de M. Crookes déjà relatée. Le médium écrivain ne pouvait voir le mot du Times caché par le doigt de l'illustre chimiste, celui-ci ne pouvait transmettre sa pensée à cette dame, puisqu'il ignorait quel mot il avait indiqué, donc l'intervention d'une intelligence étrangère se manifestant par Mlle Fox est la seule explication plausible.
Le chevalier des Mousseaux raconte qu'un soir, se trouvant dans une famille où il avait l'habitude de passer la soirée, on fit du spiritisme en présence de plusieurs savants linguistes. A cette époque on ne connaissait encore que les communications par la table, le résultat n'en fut pas moins convaincant. On obtint par ce procédé une dictée en langue hébraïco-syriaque que personne ne connaissait, mais qui, portée à l'école des langues étrangères, fut reconnue écrite dans un dialecte phénicien qu'on employait, il y a plus de 2000 ans, dans les environs de Tyr. M. des Mousseaux, fort sceptique d'abord, se déclara convaincu de l'intervention d'une intelligence étrangère à celle des assistants, mais conclut en attribuant au Diable ces merveilleuses manifestations. Nous qui ne croyons ni à Satan, ni aux démons, nous préférons admettre qu'un esprit s'est manifesté de cette manière pour donner un témoignage éclatant de l'existence du monde occulte.
Nous avons été nous-même témoin, à Paris, de l'obtention d'une communication écrite en caractères arabes par une personne qui n'a jamais quitté la France, et dont l'instruction ne permet pas de supposer une supercherie. Le même fait s'est reproduit d'une manière différente. Cette fois la dictée des esprits était faite en patois italien, en réponse à une question posée dans cette langue ; il est utile d'ajouter que le médium ne connaît pas plus l'italien que l'arabe.
Souvent les phénomènes spirites n'atteignent pas ce degré de puissance, mais n'en sont pas pour cela moins probants. Il arrive parfois que l'Esprit qui se communique, désireux de se faire reconnaître, emploie la même écriture que de son vivant et signe ainsi qu'il avait coutume de le faire.
Si l'on n'a pas toujours des preuves aussi palpables, ce qui est assez rare d'ailleurs, on constate souvent dans les communications des Esprits un caractère de sagesse, une hauteur de vues, des pensées si sublimes, qu'elles ne sauraient émaner du médium qui est assez communément un être ordinaire, ne se distinguant de ses semblables par aucune qualité spéciale. Voici à ce propos ce que rapporte M. Sarjeant Cox, jurisconsulte distingué et écrivain philosophe d'une grande valeur, par conséquent bon juge, dit M. Wallace, en matière de style. Ce savant raconte qu'il a entendu un garçon de comptoir sans éducation soutenir, quand il était en transe, une conversation avec un parti de philosophes sur la raison et la prescience, la volonté et la fatalité, leur tenir tête. «Je lui ai posé (dit M. Sarjeant) les plus difficiles questions de la psychologie et j'ai reçu des réponses toujours sensées, toujours pleines de force, et invariablement exprimées en langage choisi et élégant. Cependant un quart d'heure après, quand il était dans son état naturel, il était incapable de répondre à la plus simple question sur un sujet philosophique et avait peine à trouver un langage suffisant pour exprimer les idées les plus communes.»
Les facultés médianimiques les moins sujettes à suspicion sont sans contredit la médiumnité voyante et la médiumnité auditive. Ainsi que son nom l'indique, la première de ces facultés consiste dans le pouvoir dont sont douées certaines personnes de voir les Esprits. Dans ce cas, nul doute n'est admissible, car si le médium dépeint la figure, le costume, les gestes habituels d'un être qu'il n'a jamais vu, si on reconnaît que cette description est en tout point celle d'un parent mort auquel on ne songeait pas, il faudra bien admettre que la vision est réelle, et que, de plus, la personnalité décrite existe d'une manière positive devant les yeux du médium.
Allan Kardec rapporte dans la Revue Spirite qu'un M. Adrien jouissait de ce pouvoir au plus haut degré. Nous connaissons aussi à Paris une sage-femme, Mme R..., qui voit les Esprits continuellement, à tel point que, parfois, elle a peine à les distinguer d'avec les vivants. Ici on ne manquera pas d'alléguer de suite le grand mot d'hallucination : c'est le refuge des incrédules, l'épée de chevet de tous ceux qui combattent le spiritisme. Mais c'est bien peu connaître ces phénomènes que de leur attribuer cette cause. L'hallucination est un fait anormal qui se produit presque toujours à la suite d'accidents pathologiques, ou dans les moments qui précèdent le sommeil ou le suivent, tandis que chez les médiums que nous avons cités, la vue des Esprits est pour ainsi dire permanente. Il ne faut pas oublier non plus que cet état morbide ne peut retracer à l'imagination malade que des tableaux qui n'ont rien de commun avec la vie réelle, que ce sont des phénomènes purement subjectifs, et qu'en aucun cas un halluciné n'a pu donner le signalement exact d'un personnage qu'il n'avait jamais vu, de manière à le faire reconnaître par ses parents ou ses amis. Nous reviendrons sur cette question dans la cinquième partie.
Nous avons jusqu'alors cité assez de savants qui partagent nos idées, assez de noms illustres et révérés, pour affirmer notre croyance en l'immortalité de l'âme sans craindre la raillerie. Nous avons tenu à mettre sous les yeux du lecteur ce majestueux ensemble de témoignages, afin de faire connaître à ceux qui l'ignorent que le spiritisme est une science dont les bases sont posées à l'heure actuelle d'une manière inébranlable. On ne peut traiter aujourd'hui nos idées de grossières superstitions, comme on le faisait jadis, car, en vérité, si une erreur pouvait se propager aussi universellement, si des hommes d'étude, des autorités scientifiques, des philosophes pouvaient, dans toutes les parties du monde et simultanément, en être les victimes, il faut convenir qu'il y aurait là un phénomène plus étrange que les faits spirites eux-mêmes.
En définitive, qu'y a-t-il de si extraordinaire à croire aux Esprits ? Toutes les philosophies spiritualistes démontrent que nous avons une âme immortelle, les religions l'enseignent sur la surface entière de la terre ; dès qu'il nous est démontré que ces âmes peuvent se manifester aux vivants, il nous semble tout naturel que notre conviction se répande avec rapidité dans l'univers entier. Au moyen des tables tournantes, des médiums mécaniques ou autres, nous pouvons acquérir la conviction que les êtres que nous avons chéris, que les morts que nous avons pleurés, sont autour de nous, veillent avec sollicitude sur notre bonheur, et nous soutiennent moralement dans la vie : nous ne voyons rien là qui puisse choquer la raison.
Le spiritisme a, il est vrai, beaucoup d'ennemis intéressés à sa perte ; d'un côté, les matérialistes ; de l'autre les prêtres de toutes les religions, de sorte que ses malheureux partisans sont en quelque sorte entre l'enclume et le marteau et reçoivent force horions de tous côtés.
Les matérialistes ont des arguments extraordinaires ; ils ne conçoivent pas la bonne foi chez leurs adversaires et prétendent que les phénomènes spirites sont dus tous à la mystification ou à la jonglerie. Pour ces esprits forts, il n'existe dans le monde que deux classes : les dupeurs et les dupés. Or, n'étant pas de leur avis, nous sommes nécessairement des dupeurs et nos médiums de vulgaires charlatans. Pour que l'on ne nous accuse pas de noircir à dessein le tableau, nous pourrions citer de nombreux extraits d'ouvrages où l'on ne réclame pas moins que la prison pour punir les pratiques spirites ; d'aucuns ayant remarqué que le siècle n'est plus à la persécution brutale, ont fait vibrer une autre corde : ils ont prétendu que tous les adeptes de la nouvelle doctrine étaient fous et qu'eux seuls possédaient la sagesse impeccable. Ils se sont arrogé le droit d'avoir seuls du bon sens ; aussi ils nous malmènent de la pire manière dans leurs écrits. Montrons un échantillon de ces aménités en citant deux articles de M. Jules Soury, parus dans la République Française du 7 octobre 1879.
La méthode du journaliste est simple : elle consiste à nier sans preuves, comme toujours, à procéder par affirmations sur les sujets en litige, et à insinuer que les spirites, même les savants les plus autorisés, sont atteints de manie raisonnante par suite de leur grand âge, qui ne leur permet plus de juger sainement ce qui se passe sous leurs yeux. Ecoutons ce chef-d'oeuvre de mauvaise foi.
«Il (Zöllner) a précisément fait suivre les expériences qu'il croit avoir instituées avec Slade, par G. Weber et Th. Fechner ; jamais il n'oublie de citer ces savants illustres, comme des témoins de ces expériences, et, de fait, le témoignage de pareils hommes ne manquerait point de poids, si l'un n'était âgé de soixante-seize ans et l'autre de soixante-dix-neuf !»
Ainsi ces hommes vénérables, dont les cheveux ont blanchi à la recherche de la vérité, sont déclarés inaptes à se prononcer sur une question scientifique, parce qu'ils ont eu le malheur de déplaire à M. Jules Soury ! Il faut croire que notre journaliste, qui n'est qu'une piètre personnalité en face de ces grands noms, a découvert le moyen de savoir à quel âge précis on raisonne et à quel autre on doit être mis à la retraite. On n'aurait jamais cru, en le lisant, qu'il fallait atteindre soixante-seize ans pour déraisonner, car, n'est-ce pas ridicule de voir recourir à de tels arguments pour combattre une idée ?
Notre critique ne se contente pas de supprimer moralement les illustrations qui le gênent ; il traite Zöllner de fou lucide, et déclare le professeur Ulrici atteint de manie raisonnante !
On se demande si l'on est éveillé en lisant de telles absurdités, et l'on est plus tenté d'examiner l'état mental de M. Jules Soury que de stigmatiser ses procédés de polémique. Si on le suivait dans cette voie, il n'y aurait plus qu'à faire placer dans des maisons d'aliénés Crookes, Wallace, Oxon, Sarjeant Cox, Barkas, Hare et le juge Edmunds. Si M. Jules Soury se bornait à dire de pareilles choses, on pourrait le laisser faire, car le bon sens public fait justice de ces insanités, mais il va plus loin et traite le médium Slade comme un exploiteur vulgaire, c'est ce qu'il ne nous est pas permis de laisser passer sans protester. Nous allons citer quelques passages d'une brochure de M. Fauvety et de Mme Cochet, très bien écrite et où les agissements de notre critique sont mis à nu :
«Vous n'hésitez pas à présenter Slade, en France, comme un escroc effronté ; cependant, voyons vos preuves. Vous croyez d'abord devoir dénoncer à la perspicacité de vos lecteurs que Henry Slade a une longue taille, de longs bras, de longues mains, de longs doigts. Vous vous étendez avec complaisance sur «sa pâleur de spectre, ses yeux brillants, son rire silencieux». De sorte que ce portrait rappelle celui du loup du petit chaperon rouge et celui de Méphisto de Faust. Tandis que les gens d'imagination iront jusqu'à mettre des griffes au bout de ces longs, longs, longs membres, les esprits positifs supposeront d'abord que c'est une grâce d'état qui doit aider singulièrement aux tours de passe-passe d'un prestidigitateur.
«Ceci s'appelle procéder par insinuation ; très habile, Monsieur, passons.
«Vous rappelez le procès qui fut intenté à Slade en Angleterre, au mois d'octobre 1876. En ceci encore, vous faites preuve d'habileté, sachant combien on est porté à voir dans un accusé un coupable.
«Cependant toutes vos recherches ne peuvent vous mettre sur la trace d'une tromperie. L'accusation est puérile et ne repose sur aucune donnée positive, tandis que la défense amène à la barre les hommes les plus considérables de l'Angleterre et notamment celui que vous nommez «l'illustre émule de Darwin», Alfred Wallace. - Encore un fou lucide !
«Je n'ai pas à insister sur ce procès qui se termina en cour d'appel par un acquittement.
«Maintenant je vous suis à Berlin.
«A Berlin, M. Slade a pour lui tous les savants, et qui contre lui ? Un prestidigitateur qui imite ce que vous appelez les «tours de Slade».
«L'affirmation est bien vague ; pour la première fois, vous touchez enfin à la question de savoir si, oui ou non, Slade use de moyens matériels pour produire les phénomènes qu'il dit être dus à une cause étrangère. C'est ici qu'il s'agissait de donner tous les détails propres à éclairer l'opinion. Ces détails eussent eu plus de poids que les huit longues colonnes au travers desquelles vous amoncelez contre Slade des insinuations et pas un seul fait. Il importe, en effet, de savoir dans quelles conditions s'est mis Hermann pour imiter les «tours», s'il les a reproduits tous ou seulement quelques-uns, s'il a opéré chez lui ou dans un local préparé, et enfin s'il s'est soumis de la part des assistants au contrôle que Slade subit lui-même. Autant de circonstances importantes dont vous ne soufflez mot.
«Vous ajoutez encore avec plus d'inconséquence : «Le médium trouva, à la vérité, un compère en Bellanchini, le prestidigitateur de la cour, qui déclara par-devant notaire que Slade n'était pas un confrère, mais un savant.» On peut vous demander sur quelles preuves vous vous appuyez pour accuser si prestement Bellanchini de compérage, c'est-à-dire de friponnerie. Si vous êtes certain de la complicité, vous devez l'appuyer sur des faits, fournir vos preuves ; mais si vous faites une supposition gratuite, le ton affirmatif est déplacé et vos lecteurs peuvent vous mettre au défi de le soutenir. Cela s'applique également à cette autre assertion que : «Les réponses écrites sont de la main de Slade.» C'est bientôt dit, seulement vous oubliez encore ici un tout petit détail : la preuve de ce que vous avancez.»
C'est ainsi qu'agissent les détracteurs du spiritisme ; ils affirment sans preuves des faits nullement démontrés, et partent de ces affirmations fausses pour tirer des conséquences contre la doctrine. Une pareille méthode de procéder témoigne, ou de beaucoup de parti pris, ou de pas mal d'ignorance du sujet que l'on traite. Nous inclinons à croire qu'il y a encore plus de passion qu'autre chose, car lorsque l'on propose à nos Aristarques de produire devant eux les phénomènes, ils se dérobent prudemment, pour ne pas être obligés de s'incliner devant l'évidence. C'est ce qui est arrivé à M. Jules Soury ; on lui offrit d'assister à une séance spirite, il s'y refusa absolument .
Parmi les objections qu'on ne manque jamais d'adresser aux spirites, se trouve la suivante : Pourquoi, si les phénomènes que vous produisez sont réels, ne pouvez-vous les obtenir à volonté devant les incrédules ? La réponse est facile. On a constaté par l'expérience que pour avoir des communications des Esprits plusieurs conditions sont nécessaires : 1° il faut un médium ; 2° il est nécessaire que sa faculté corresponde au genre de manifestation que l'on demande. Ainsi, si l'on veut évoquer par la table, le médium ne sera pas le même que pour l'écriture, comme il peut arriver qu'un médium voyant ne soit pas auditif.
Il est des personnes privilégiées qui réunissent plusieurs facultés portées à un haut degré, tels sont MM. Home et Slade, mais chez ces favorisés la médiumnité n'est pas constante, elle est soumise à des fluctuations et même à des arrêts qui leur enlèvent tout pouvoir. De sorte que pour convaincre un incrédule, il ne suffit pas toujours d'avoir un médium, il faut savoir si ce dernier est dans de bonnes conditions pour servir d'intermédiaire aux Esprits. On ignore encore quelles sont les lois qui dirigent ces sortes de flux et de reflux de la médiumnité, mais nous croyons qu'on peut les attribuer à deux causes : ou à la santé physique du sujet, ou aux Esprits qui ne peuvent ou ne veulent pas toujours se manifester.
On a pu remarquer chez de forts médiums, tels que Mlle Florence Cook, M. Home, M. Slade, après les séances spirites où des manifestations s'étaient produites, une telle déperdition de force, qu'elle produisait des malaises, des défaillances qui ne leur permettaient pas d'en donner d'autres de longtemps. Cet état de prostration peut être rapproché des intermittences que l'on remarque dans la voyance des sujets somnambuliques. Le célèbre Alexis qui s'est conquis une réputation très grande, avoue que souvent sa faculté l'a abandonné pendant quelques jours, sans qu'il pût se rendre compte des raisons qui produisaient cette atonie.
Il faut, en second lieu, considérer que les Esprits sont des êtres comme nous, qu'ils sont soumis à des lois qu'il ne leur est pas possible d'éluder à leur guise, et que, de plus, ils ont leur libre arbitre, en vertu duquel ils ne sont jamais obligés de se rendre à notre appel.
Un grief que nous avons souvent entendu formuler était précisément l'absurdité qu'il y avait à croire que des philosophes comme Socrate, des physiciens comme Newton, des poètes comme Corneille, étaient forcés de venir causer à une demi-douzaine de badauds réunis autour d'une table. Il serait ridicule, en effet, qu'il en fût ainsi. La doctrine spirite enseigne, au contraire, que les Esprits peuvent répondre à nos évocations, mais qu'ils ne le font que lorsqu'ils jugent que cela est nécessaire.
Si les expérimentateurs ne cherchent dans les pratiques spirites qu'un puéril divertissement, ils sont certains à l'avance d'être dupes d'Esprits farceurs qui viendront leur raconter toutes les saugrenuités possibles, et ce, sous le couvert des noms les plus illustres. C'est qu'en général on ignore que le monde des Esprits est composé des éléments les plus divers. De même que sur la terre nous rencontrons des intelligences à tous les degrés de développement, de même le monde spirituel, qui n'est que le nôtre avec le corps en moins, contient des individualités d'élite à côté des Esprits les plus arriérés.
Il résulte de ces considérations que l'on peut obtenir des dictées spirites variant d'élévation morale suivant l'être qui les a produites. Quel que soit le nom dont un Esprit signe, il ne faut y attacher qu'une importance secondaire ; ce qu'il importe de considérer, ce sont les idées émises. Si l'enseignement reçu est grand, s'il prêche l'amour de nos semblables ou s'il nous fait comprendre les lois de la morale, il émane d'un Esprit avancé ; si la communication renferme des idées vulgaires, énoncées en termes malséants, quelle que soit la signature, l'Esprit est peu avancé.
Toutes ces recommandations ont été faites maintes fois par Allan Kardec, dans ses livres et dans la revue qu'il dirigeait, mais nos contradicteurs ne se sont jamais donné la peine de les lire, de sorte que nous sommes obligé de les remettre à jour.
Les observateurs sérieux qui ont voulu savoir ce qu'il y a de vrai dans le spiritisme se sont soumis à toutes les conditions indispensables pour la réussite de l'expérience. Loin d'exiger dès la première séance des preuves convaincantes, c'est lentement, méthodiquement, qu'ils se sont familiarisés avec toutes les phases du phénomène. M. Barkas s'est tenu dans l'expectative pendant dix ans, M. Crookes pendant six ans, M. Oxon pendant huit ans, etc. C'est par l'étude attentive de tous les faits, lorsqu'ils furent rompus, à toutes les étrangetés apparentes des manifestations, qu'ils recherchèrent les causes capables de les produire, et quand ils eurent réuni une grande quantité d'observations prises dans différents milieux, ils en firent la synthèse, et conclurent enfin à l'existence et à l'intervention des Esprits.
Nous savons qu'une pareille étude demande beaucoup de temps et un désir ardent de connaître la vérité ; aussi n'est-elle pas à la portée de tout le monde. Les savants eux-mêmes n'ont pas toujours assez de courage pour poursuivre des recherches qui, si elles aboutissent, les mettront en contradiction avec leurs confrères et leur attireront une foule d'ennuis. C'est pourquoi, au lieu d'un rapport sérieux et circonstancié, l'Académie des sciences admit comme explication des phénomènes spirites les mouvements du long péronier.
Il paraît que ce muscle, qui est voisin de la cheville, a la propriété de craquer, ce qui fait que M. Schiff pria M. Jobert de Lamballe de communiquer à l'Académie cette lumineuse découverte. Immédiatement les docteurs Velpeau et Cloquel applaudirent et confirmèrent le fait. D'après la science officielle, il est démontré que lorsque les coups frappés répondent à une question mentale, ce ne sont pas les Esprits qui produisent ces bruits, mais le long péronier qui fait des siennes. Si vous obtenez comme M. Crookes le nom d'un mot caché par votre doigt, c'est toujours le long péronier, car il est non seulement craqueur, mais encore doué de la double vue !
Si l'on a quelque fois accusé les spirites d'être des fantaisistes, avouons que les savants réunis sont capables d'imaginer des plaisanteries plus drôles que toutes celles que nous pourrions inventer. Rien de comique comme une grave cervelle quand elle vient à déraisonner ; elle va dans cette voie beaucoup plus loin que les simples mortels ne sauraient le faire, et la trouvaille de génie de MM. Schiff et Jobert de Lamballe est bien faite pour désopiler la rate de leurs contemporains. C'est la seule fois que le spiritisme fut présenté à l'illustre assemblée qui a dû en garder un singulier souvenir.
Continuons l'examen des critiques du spiritisme. On a quelquefois posé la question suivante : En supposant que le spiritisme soit une vérité, pourquoi les Esprits, pour se manifester, ont-ils besoin d'une table et d'un médium ?
Il serait absurde de supposer qu'un Esprit soit obligé, pour nous donner ses instructions ou ses conseils, de venir se loger dans un pied de table, de chaise ou de guéridon, car celui qui serait privé de ces instruments ne pourrait recevoir de communications ; de plus, ces meubles ne sont doués d'aucune vertu spéciale qui puisse légitimer un tel pouvoir. Il faut se familiariser avec la vie des Esprits et leur mode d'opérer pour comprendre ce qui se passe dans la typtologie.
De tout temps les Esprits existent, puisque c'est eux qui en s'incarnant peuplent la terre ; de tout temps aussi, ils ont exercé leur influence sur le monde visible par des manifestations physiques et par des inspirations données aux hommes. Ces pensées, qui sont en quelque sorte soufflées dans le cerveau de l'incarné, ne laissent pas de traces, mais si les invisibles veulent témoigner leur présence d'une manière ostensible, ils se servent d'un médium pour lui emprunter le fluide qui leur est nécessaire et mettent en mouvement le premier objet venu, table ou chaise, de manière à signaler leur présence. La table n'est pas une condition indispensable du phénomène ; lorsque les Esprits s'en servent, c'est que c'est plus commode et voilà tout. Le médium, lui, est nécessaire, car sans son action rien ne peut se produire ; mais il ne joue que le rôle d'intermédiaire, souvent inconscient et n'a d'autre mérite que celui de la docilité.
Une cause d'étonnement pour ceux qui connaissent peu les principes de la doctrine spirite, c'est que les Esprits ne répondent pas toujours lorsqu'on les interroge sur l'avenir, ou lorsqu'on leur pose des questions relatives à la solution de certains problèmes scientifiques.
Les demandes que l'on entend formuler à chaque instant prouvent une ignorance complète de la mission des Esprits et du but de leurs manifestations. Toute demande faite dans un intérêt purement personnel, avec un sentiment égoïste, ne reçoit jamais de réponse, ou bien, si on en donne une, elle émane d'Esprits farceurs qui cherchent à nous tromper. Il ne faut pas se dissimuler que dans le monde spirituel, ainsi que sur la terre, les esprits sérieux, avancés, sont l'exception, car s'il en était autrement, notre monde serait plus parfait.
Il y a, dans l'espace, des êtres qui rôdent autour de nous, s'intéressent à notre vie et cherchent fréquemment à s'amuser à nos dépens lorsqu'ils voient que la cupidité ou d'autres vues sont les seuls mobiles qui dirigent un consultant. Ils peuvent se livrer à mille facéties dont l'imprudent est la victime. C'est ce qui nous fait prendre en pitié ceux qui ne voient dans le spiritisme qu'un moyen de rechercher des objets perdus, de demander des conseils sur leur position matérielle ou de découvrir des trésors cachés.
La science spirite a un but plus noble, plus grandiose ; elle a pour principal objectif de nous démontrer l'existence de l'âme après la mort, et n'eût-elle amené que ce résultat, que les conséquences qui en découlent au point de vue moral et social seraient déjà considérables. Mais là ne se bornent pas ses bienfaits ; elle nous donne des indications précises sur la vie future, nous permet de comprendre la bonté et la justice de Dieu, nous fournit l'explication de notre existence sur la terre, en un mot, c'est la science de l'âme et de ses destinées.
Ceci nous amène à parler des instructions que nous recevons des Esprits supérieurs que nous appelons nos guides. Ils ont déjà dévoilé à nos yeux une grande partie des mystères qui voilaient le lendemain de la mort, en nous initiant aux splendeurs de la vie spirituelle, et en nous faisant entrevoir les grandes lois qui dirigent l'évolution des choses et des êtres vers des destinées plus hautes. Mais ils ne peuvent tout nous dire, car si cela était, il n'y aurait nul mérite de notre part, et comme nos acquis spirituels doivent être le résultat de nos efforts individuels, il ne leur est pas permis de nous révéler tout ce qu'ils savent.
D'un autre côté, il est évident qu'il faut qu'ils proportionnent leur enseignement au degré d'avancement des hommes. Que dirait-on d'un professeur qui voudrait enseigner le calcul intégral à un enfant de dix ans ? Qu'il est fou, car, avant d'en arriver là, il faut que cet enfant apprenne les différentes parties des mathématiques qui conduisent par un enchaînement logique jusqu'à cette science qui en est le dernier terme. De même les Esprits ne peuvent nous révéler que progressivement les vérités qu'ils connaissent, à mesure que nous devenons plus aptes à les comprendre.
Ils ont néanmoins donné, par communications, les idées les plus hautes auxquelles sont arrivées les déductions modernes. Allan Kardec prêchait l'unité de la force et de la matière, à une époque où ces notions étaient loin d'être admises par la science officielle. Nos guides nous promettent pour l'avenir des révélations plus grandioses encore ; c'est pourquoi, encouragés par ce qu'ils ont déjà annoncé, nous attendons avec patience de nouvelles découvertes dans l'avenir.
On a cru trouver un argument décisif contre les spirites, dans cette constatation que les Esprits des différents pays n'ont pas la même manière de voir sur un grand nombre de points ; que les uns admettent la réincarnation, alors que d'autres la rejettent ; que les uns sont catholiques, alors que les autres soutiennent le protestantisme, etc., et on part de là pour affirmer que les communications pourraient bien n'être que le reflet de l'esprit des médiums, suivant l'équation personnelle de chacun, comme le dit M. Dassier.
Nous avons déjà combattu cette manière de voir et montré que, lorsque l'influence spirituelle s'exerce, ce sont bien véritablement des intelligences étrangères au médium qui produisent les phénomènes ; de plus, ces êtres disent avoir vécu sur la terre, non pas une fois, mais à plusieurs reprises. Nous n'avons nulle raison de douter de leur affirmation, d'autant plus qu'elle corrobore un système philosophique de la plus sévère logique. La pluralité des existences de l'âme concilie toutes les difficultés que ne peuvent résoudre les religions actuelles, c'est pourquoi nous avons adopté cette manière de voir. La réincarnation est une loi sans laquelle on ne pourrait comprendre la justice de Dieu ; elle est confirmée par des milliers d'êtres qui dénotent, par leur raisonnement et leur style, de l'avancement de leur esprit ; nous devons donc en conclure que ceux des Esprits qui ne partagent pas ces idées sont des âmes arriérées qui parviendront plus tard à la vérité.
Sur la terre, même dans un pays civilisé comme le nôtre, combien peu d'hommes connaissent les enseignements de la science ! Si nous nous placions sur une voie publique, et que nous puissions arrêter vingt personnes qui passent et nous livrer à un examen de leurs connaissances, il y a beaucoup à parier que dix-huit au moins seraient incapables de nous donner des renseignements exacts sur les différentes fonctions de la digestion. Or, est-il un phénomène plus habituel, qui se reproduise plus fréquemment que celui-là ? Si donc la masse est si peu instruite des notions qu'il lui importerait le plus de savoir, à plus forte raison ne se rendra-t-elle pas compte des problèmes compliqués desquels dépend la vie spirituelle.
Le monde spirite, ou des Esprits, étant absolument la reproduction du nôtre, nous ne devons pas nous étonner des divergences de vues, d'opinions, qui se manifestent dans les communications. Loin d'accepter toutes les idées qui nous arrivent par le canal des médiums, nous devons passer au crible de la raison les théories qu'on nous donne ainsi, et impitoyablement rejeter celles qui ne sont pas en parfait accord avec la logique. Dieu a placé en nous ce flambeau divin que rien ne doit éteindre et notre droit le plus sacré est celui de ne croire qu'aux choses que nous comprenons nettement. C'est pourquoi le spiritisme, si bien résumé dans les oeuvres d'Allan Kardec, répond aux aspirations de notre époque : de là, sa propagation rapide dans le monde.
Un écrivain positiviste, M. Dassier, a eu la prétention d'affranchir les hommes de ce qu'il appelle «les énervantes hallucinations du spiritisme». Après une promesse aussi mirifique, nous nous attendions à une réfutation en règle de tous les arguments des spirites, mais nous n'avons trouvé en face de nous qu'une réédition plus ou moins déguisée des vieux griefs : charlatanisme, superstition, etc. M. Dassier fait néanmoins un pas en avant : il consent à croire que ce que nous appelons le périsprit est bien une réalité ; seulement il le nomme double fluidique, personnalité posthume ou mesmérienne, et lui attribue les pouvoirs les plus étendus. Cet auteur a réuni des documents remarquables qui prouvent que l'homme est double et que, dans certaines circonstances, il peut se produire une séparation entre les deux principes qui le composent. Nous reviendrons plus particulièrement sur cette étude dans les chapitres suivants. Signalons seulement ici le procédé de M. Dassier qui, tout en combattant nos doctrines, reconnaît l'exactitude des faits avancés par Allan Kardec et la bonne foi des médiums. Il croit tout expliquer par l'hypothèse de la transmission de pensée et de la survivance temporaire de l'individualité. Selon lui, au moment de la mort, toute force vitale n'est pas absolument anéantie ; ce qui formait le double fluidique peut vivre encore quelque temps, mais petit à petit se divise et se désagrège à mesure que les éléments qui le constituent vont rejoindre leurs similaires dans la nature.
Pour réfuter cette doctrine, il suffit de dire que nous avons par milliers des communications qui nous affirment le contraire. D'ailleurs, l'auteur se borne à énoncer sa manière de voir sans se donner la peine d'en fournir des preuves. M. Dassier a tout simplement accaparé à son profit une partie des théories théosophiques qui prétendent, elles aussi, que tous les hommes n'ont pas à un degré égal la possibilité d'atteindre à l'immortalité. Tous ces systèmes témoignent d'un progrès sur le matérialisme pur, mais ne peuvent satisfaire les hommes sérieux qui ne se bornent pas à de vagues notions et qui exigent des données positives pour asseoir leurs convictions.
On a essayé d'assimiler le médium écrivain à un somnambule lucide ; on sait, en effet, que le magnétiseur peut, dans certains cas, faire exécuter à son sujet les mouvements auxquels il pense, sans pour cela être obligé d'énoncer oralement sa volonté. On ne peut établir aucune analogie entre ce fait et la médiumnité. Dans les expériences spirites, le médium ne dort pas et la personne qui évoque est le plus souvent fort ignorante des pratiques magnétiques ; donc la pensée du consultant ne saurait produire les effets vraiment remarquables que l'on observe.
D'ailleurs, le médium mécanique peut soutenir une conversation pendant que sa main écrit automatiquement, il est intellectuellement dans son état normal ; on ne saurait donc comparer cet état avec le somnambulisme naturel ou provoqué.
Le clergé de toutes les religions est entré en guerre contre le spiritisme, car il détruit à tout jamais la croyance à l'enfer et, par conséquent, aux peines éternelles. Il sape par la base la théorie du péché originel et fait un Dieu bon et miséricordieux de la divinité farouche et cruelle des prêtres. La philosophie spirite ne s'appuie pas sur la foi, elle puise sa force dans les lumières de la raison, et pour combattre le dogme, elle s'appuie sur l'observation scientifique. On juge, dès lors, de l'accueil qui lui a été fait. Nous avons rapporté l'histoire de l'archevêque de Barcelone, faisant brûler les livres d'Allan Kardec, sous prétexte de sorcellerie. Ce procédé renouvelé de l'inquisition montre assez ce que l'on ferait des spirites si jamais on avait le pouvoir de les détruire.
En France, les immunités du clergé ne vont pas jusque-là. Nous évitons le fagot, mais les prêtres ne se font pas faute de prêcher contre notre doctrine, qu'ils prétendent inspirée par Satan.
Ces déclamations n'ont aucune influence sur nous, car, depuis longtemps, nous ne croyons plus au dieu du mal. Ce sombre génie, inventé par la caste sacerdotale pour terrifier les peuples enfants du moyen âge, est bien démodé aujourd'hui, et ses chaudières vengeresses ont fui devant les lumières du progrès. Nous nous faisons une idée trop haute de la divinité pour croire qu'elle a pu créer des êtres éternellement voués au mal ; d'ailleurs, l'antique conception de l'enfer est démentie par le témoignage journalier des esprits ; elle ne saurait donc nous influencer en aucune manière.
Mais entrons pour un instant dans les idées catholiques, supposons que l'esprit du mal rôde autour de nous, quaerens quem devoret ; nous devrions reconnaître l'arbre à ses fruits et nous tenir soigneusement en garde contre ses suggestions. Prêche-t-il la haine, l'envie et la colère ? nous incite-t-il à satisfaire toutes nos passions ?
Non, les Esprits qui se communiquent enseignent la fraternité, le pardon des injures, la mansuétude pour les amis et les ennemis. Ils nous disent que la seule voie pour parvenir au bonheur est celle du bien, que les seuls sacrifices qui sont agréables au Seigneur sont ceux que nous remportons sur nous-mêmes. Ils nous exhortent à veiller soigneusement sur nos actes afin d'éviter l'injustice ; ils nous recommandent l'étude de la nature et l'amour de nos semblables, comme les uniques moyens de nous élever rapidement vers un avenir plus brillant. Loin de nous dire que le salut est personnel, ils nous font envisager le bonheur de nos frères comme l'objectif supérieur vers lequel doivent tendre tous nos efforts ; enfin ils placent le suprême bonheur dans la fraternité la plus sublime : celle du coeur.
Si ce sont là les moyens employés par Satan pour nous pervertir, il faut avouer qu'ils ressemblent étrangement à ceux que Jésus employait pour réformer les hommes, et l'ange des ténèbres fait bien mal ses affaires en nous ramenant à la vertu par l'austérité de la morale qu'il recommande dans les communications.
S'il nous est impossible de croire à des légions de damnés, il ne s'ensuit pas que les méchants jouissent de l'impunité. Dans le livre : Le Ciel et l'Enfer, Allan Kardec a peint d'après nature les souffrances des esprits malheureux, et si l'enfer n'existe pas, les âmes perverses n'en supportent pas moins de cruels châtiments. Mais nous savons aussi que ces peines ne seront pas éternelles. Dieu permet au pécheur de les abréger en lui donnant la faculté de se racheter par des expiations proportionnées à ses fautes. Voilà en quoi nous différons absolument de tous les dogmes, c'est que notre espoir est fondé sur la justice et la bonté infinie du Créateur. Nous ne pouvons supposer que Dieu serait plus cruel envers nous qu'un père vis-à-vis de son enfant repentant, et cette espérance chasse de nos coeurs la navrante pensée d'un désespoir éternel.
Quelle lumière nouvelle apporte le spiritisme ! Plus d'incertitudes cruelles sur notre avenir, l'au-delà mystérieux, voilé sous les actions des religions, se montre à nous dans toute sa réalité ; plus d'enfer, plus de ciel, mais la continuation de la vie se poursuivant dans le temps et l'espace et éternelle comme tout ce qui existe. L'ascension incessante de tout ce qui est vers des destinées toujours plus hautes, voilà le véritable bonheur. Loin de croire à une béatitude fainéante, nous plaçons la félicité dans une activité sans cesse agissante et le bonheur dans la connaissance de plus en plus parfaite des lois de l'Univers. Que l'on jette un coup d'oeil sur les bienfaits que l'homme a ressentis du progrès des sciences, que l'on compare le bien-être matériel dont il jouit actuellement avec les conditions misérables de sa vie d'il y a cent ans, et l'on comprendra que, si dans le domaine physique de telles révolutions sont possibles, ce ne sont que de misérables avatars à côté des splendeurs que nous promettent nos évolutions morales vers l'infini.
Plus de dogmes, plus de choses incompréhensibles, toujours une harmonie sublime se décèle dans les moindres détails de cette immense machine qui se nomme l'Univers ! Et la satisfaction profonde de comprendre quel est enfin notre but ici-bas est le résultat de l'étude attentive des manifestations spirites. Pour mieux faire comprendre le caractère et la portée scientifiques du spiritisme, nous allons résumer en quelques mots les points principaux sur lesquels il s'appuie, en renvoyant aux livres d'Allan Kardec les lecteurs désireux d'étudier plus à fond cette croyance.
Le spiritisme enseigne en première ligne l'existence de Dieu, le moteur initial et unique de l'Univers ; en lui se résument toutes les perfections poussées à l'infini, il est éternel et tout-puissant.
Nul ne peut le connaître sur la terre, mais tous subissent ses lois ; notre entendement est trop faible encore pour nous élever jusqu'à ces sublimes hauteurs, mais notre raison nous prouve qu'il existe et les Esprits, mieux placés que nous pour apprécier sa grandeur, s'inclinent avec respect devant sa majesté infinie. Nous n'avons pas acquis assez de développement intellectuel pour embrasser dans son étendue cette grandiose notion de la Divinité, mais nous tendons vers elle comme le phalène vers la lumière. Le désir de connaître et de savoir développe dans les coeurs les plus nobles aspirations, et plus tard, débarrassé de la matière, gravitant vers la perfection, l'Esprit se fera une idée de plus en plus élevée de ce Tout-Puissant qu'il pressent aujourd'hui et qu'il connaîtra un jour.
Le temps n'est plus où l'on concevait Dieu comme une puissance implacable et vengeresse condamnant éternellement l'homme pour une faute d'un moment. Non, la sombre Divinité de la Bible ne plane plus sur nous comme une menace perpétuelle, ce n'est plus le Jéhovah farouche qui ordonnait l'égorgement de ceux qui ne croyaient pas en lui, et qui faisait courber des milliers d'hommes sous le vent de sa colère comme un champ de roseaux sous l'aquilon furieux.
Le Dieu moderne nous est apparu comme l'expression parfaite de toute science et de toute vertu. Son intelligence s'est décelée dans l'admirable ensemble des forces qui dirigent l'Univers, sa bonté par la loi de réincarnation qui nous permet de racheter nos fautes par des expiations successives et de nous élever par degrés, jusqu'à sa majesté infinie.
Le Dieu que nous comprenons est l'infinie grandeur, l'infinie puissance, l'infinie bonté, l'infinie justice ! C'est l'initiative créatrice par excellence, c'est la force incalculable, l'harmonie universelle ! C'est Dieu qui plane au-dessus de la création, qui l'enveloppe de sa volonté, qui la pénètre de sa raison ; c'est par lui que les univers se forment, que les masses célestes roulent leurs splendeurs étincelantes dans les profondeurs du vide, c'est par lui que les planètes gravitent dans les espaces en formant de rayonnantes auréoles aux soleils. Dieu, c'est la vie immense, éternelle, indéfinissable, c'est le commencement et la fin, l'alpha et l'oméga.
Le spiritisme enseigne en second lieu l'existence de l'âme, c'est-à-dire du moi conscient, immortel et créé par Dieu. Nous ignorons l'origine de ce moi, mais quelle qu'elle soit, nous croyons que Dieu a fait tous les esprits égaux et les a doués d'égales facultés pour parvenir au même but : le bonheur. En même temps que la conscience, il nous a donné le libre arbitre qui nous permet de hâter plus ou moins notre évolution vers des destinées supérieures. Nous savons que l'âme de l'homme existait avant son corps, que celui-ci aurait pu ne pas être, que la nature entière pourrait ne pas exister, sans que l'âme en soit nullement atteinte ; en un mot, elle est immatérielle et indestructible.
C'est le moi conscient qui acquiert, par sa volonté, toutes les sciences et toutes les vertus qui lui sont indispensables pour s'élever sur l'échelle des êtres. La création n'est pas bornée à la faible partie que nos instruments nous permettent de découvrir, elle est infinie dans son immensité. Loin de nous considérer comme les habitants exclusifs de notre petit globe, le spiritisme démontre que nous devons être les citoyens de l'Univers.
Nous allons du simple au composé. Partis de l'état le plus rudimentaire, nous nous sommes petit à petit élevés jusqu'à la dignité d'êtres responsables ; chaque connaissance nouvelle que nous fixons en nous nous fait entrevoir des horizons plus vastes, nous fait goûter un bonheur plus parfait. Loin de placer notre idéal dans une oisiveté éternelle, nous croyons, au contraire, que la suprême félicité consiste dans l'activité incessante de l'esprit, dans sa science de plus en plus grande, et dans l'amour qui se développe au fur et à mesure que nous gravissons la route ardue du progrès. C'est l'amour le moteur divin qui nous entraîne vers ce foyer rayonnant que l'on appelle Dieu !
On comprend que ces idées nous obligent à admettre la pluralité des existences, autrement dit la loi de réincarnation. Lorsqu'on songe pour la première fois à la possibilité de vivre un grand nombre de fois sur la terre avec des corps humains différents, cette idée semble tout d'abord bizarre, mais lorsqu'on réfléchit à la somme énorme d'acquis que nous devons posséder pour habiter l'Europe, à la distance qui sépare le sauvage de l'homme civilisé, à la lenteur avec laquelle on acquiert une habitude, on voit se dessiner l'évolution des êtres et l'on conçoit les vies multiples et successives comme une nécessité absolue qui s'impose à l'esprit, aussi bien pour gagner le savoir que pour racheter les fautes que l'on a pu commettre antérieurement. La vie de l'âme, envisagée sous ce point de vue, démontre que le mal n'existe pas, ou plutôt qu'il est créé par nous, en vertu de notre libre arbitre.
Dieu établit des lois éternelles que nous ne devons pas transgresser, mais si nous ne nous y conformons pas, il nous laisse éternellement la faculté d'effacer par de nouveaux efforts les fautes ou les crimes que nous avons commis. C'est ainsi que les esprits, s'aidant les uns les autres, parviennent au bonheur qui doit être l'apanage de tous les enfants de Dieu.
Notre philosophie agrandit le coeur, elle considère les malheureux, les déshérités de ce monde, comme des frères auxquels on doit l'appui d'une main secourable. C'est pourquoi nous pensons qu'une simple question de temps sépare les sauvages les plus abrutis des hommes de génie de nos nations civilisées. Au point de vue moral, il en est de même, et les monstres tels que les Néron, les Caligula, peuvent et doivent, par la suite, arriver au même degré que les saint Vincent de Paul.
L'égoïsme est entièrement détruit par le spiritisme. Il proclame que nul ne peut être heureux s'il n'a aimé ses frères et s'il ne les a aidés à progresser moralement et matériellement. Dans la lente évolution des existences nous pouvons être à diverses reprises, et réciproquement : père, mère, époux, fils, frères, etc. C'est ainsi que se cimentent les liens si puissants de l'amour. C'est par une aide mutuelle que nous acquerrons ces vertus indispensables à notre avancement spirituel.
Aucune philosophie ne s'est élevée à une plus haute conception de la vie universelle, aucune n'a prêché une morale plus pure. C'est pourquoi, détenteurs d'une partie de la vérité, nous la présentons au monde appuyée sur les bases inébranlables de l'observation physique.
Le spiritisme est une science progressive, elle se base sur la révélation des Esprits. Or, ceux-ci, à mesure qu'ils progressent et que nous grandissons intellectuellement, découvrent des vérités nouvelles, de sorte que leur enseignement est gradué et s'élargit à mesure qu'eux-mêmes deviennent plus instruits. Nous n'avons donc ni dogmes, ni points de doctrine inébranlables ; en dehors de la communication des vivants et des morts et de la réincarnation qui sont absolument démontrées, nous admettons toutes les théories qui se rattachent à l'origine de l'âme et à son avenir. En un mot, nous sommes des positivistes spirituels, ce qui nous donne une supériorité incontestable sur les autres philosophies dont les adeptes sont renfermés dans d'étroites limites.
Telle est, dans ses grandes lignes, cette philosophie que l'on a cherché à avilir, par les mensonges et les calomnies. On conçoit que nos idées et la valeur de nos croyances nous mettent fort au-dessus de ces misérables critiques, mais il faut que le soleil de la justice se lève sur nous et permette aux penseurs d'apprécier dans toute sa grandeur cette noble doctrine.
QUATRIEME PARTIE
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CHAPITRE PREMIER
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QU'EST-CE QUE LE PERISPRIT ?
Nous avons démontré dans les chapitres précédents que l'âme est immortelle, c'est-à-dire que lorsque le corps qu'elle habitait pendant son passage sur la terre est détruit, elle n'est pas atteinte par ce changement, elle conserve son individualité et peut encore manifester sa présence par des interventions physiques. Ici se dresse une difficulté. Comment faire comprendre l'action de l'âme sur le corps ?
Suivant la philosophie et suivant les Esprits, l'âme est immatérielle, autrement dit, elle n'a aucun point de contact avec la matière que nous connaissons. On ne peut concevoir que l'âme ait des propriétés analogues à celles des corps de la nature, puisque la pensée qui en est l'image, l'émanation, échappe à toute mesure, à toute analyse physique ou chimique. Mais faut-il prendre le mot immatériel dans son sens absolu ? Non, car l'immatérialité véritable serait le néant ; mais cette âme constitue un être dont l'existence est telle que rien ici-bas ne saurait en donner une idée.
Afin de bien préciser notre pensée, nous désirons édifier nos lecteurs sur le sens de ce mot immatériel, pour qu'il ne prête pas à la confusion. Nous prétendons qu'aucun état de la matière ne peut nous faire comprendre celui de l'âme, et cependant la science est arrivée à des résultats surprenants comme division de la matière. Voici ce qui résulte des expériences de M. Crookes faites devant l'Académie des Sciences.
On sait que ce physicien a une théorie spéciale, d'après laquelle les molécules des corps gazeux peuvent se mouvoir suivant leurs forces propres, lorsqu'on diminue le nombre des molécules, en faisant le vide. Pour parvenir à ce résultat, il faut opérer avec une précision extrême et employer des manipulations nombreuses et compliquées. M. Crookes est arrivé à faire le vide de telle sorte que la pression de l'air restant dans le ballon est réduite à un millionième d'atmosphère. C'est dans ces conditions que se manifestent les caractères de l'état radiant.
Habituellement les phénomènes nouveaux, en physique ou en chimie, sont produits par addition de matière, il est curieux de constater qu'ici, au contraire, des effets d'une extrême énergie résultent d'une soustraction de matière ; c'est en la réduisant à presque rien, en la raréfiant au-delà du vraisemblable, que M. Crookes obtient ces singuliers phénomènes. Plus il enlève de matière, plus l'action devient saisissante : c'est la physique du néant au point que l'on est tenté de se demander s'il a le droit d'attribuer à la matière des effets aussi puissants, quand il a fait tant d'efforts pour s'en débarrasser. Il ne faut pas qu'il subsiste d'équivoque à cet égard et que nous jugions d'après l'impression de nos sens ce qui peut parfaitement leur échapper.
La nature s'étend bien au-delà de nos sensations, il faut donc nous mettre à l'abri contre nos erreurs. Lorsque les machines les plus perfectionnées ont enlevé d'un espace clos autant d'air, autant de gaz qu'il a été possible, il ne s'ensuit pas qu'il ne puisse en rester encore beaucoup. M. Crookes réduit le contenu de ses tubes à un millionième de l'air que nous connaissons et qui est si impalpable que nous le déplaçons à chaque instant, sans avoir conscience qu'il est autour de nous. Il semblerait que le millionième de si peu de chose reste pour nous moins que rien.
Ce jugement est fautif, comme nous allons le voir.
Le calcul montre que dans un ballon de 13 centimètres de diamètre, comme celui dont se sert M. Crookes, mais plein d'air à la pression normale, il existe au moins un septilion de molécules .
1 000 000 000 000 000 000 000 000 000
Raréfier cet air au millionième, c'est diviser par un million le nombre précédent, il contient donc encore un quintillion de molécules, un quintillion !
C'est un chiffre énorme et nous voilà bien loin du néant. Pour donner une idée de ce nombre gigantesque, M. Crookes dit :
«Je prends le ballon dans lequel j'ai fait le vide et je le perce avec l'étincelle de la bobine d'induction. Cette étincelle produit une ouverture tout à fait microscopique, mais qui est pourtant assez grande pour permettre aux molécules gazeuses de pénétrer dans le ballon et de détruire le vide. Supposons que la petitesse des molécules soit telle qu'il en entre dans le ballon cent millions par seconde. Combien de temps croit-on qu'il faudra, dans ces conditions, pour que ce petit récipient d'air se remplisse ? Sera-ce une heure, un jour, une année, un siècle ? Il faudra une éternité, un temps si énorme que l'imagination est impuissante à le concevoir. Il faudra plus de 400 millions d'années, un temps tel, que, d'après les prévisions des astronomes, le soleil aura épuisé son énergie calorifique et lumineuse et sera déjà depuis longtemps éteint !»
Le calcul est, en effet, facile à faire, M. Crookes ne se trompe pas.
D'après M. Johnston Stoney, il existe dans un centimètre cube d'air un sextilion de molécules, le ballon de M. Crookes d'un diamètre de 13 centimètres renferme donc :
1,288,252,350,000,000,000,000,000
de molécules d'air à la pression normale. Lorsqu'on diminue la pression jusqu'à un millionième d'atmosphère le ballon contient encore :
1,288,252,350,000,000,000
de molécules. Les choses ne seront remises en l'état primitif que lorsqu'il sera rentré par l'ouverture ce qui en avait été retiré, c'est-à-dire
1,288,251,061,747,650,000,000,000
de molécules. S'il en passe par hypothèse cent millions à la seconde, voici ce que durera le défilé :
    12.885.510.617.476.500    secondes,    c'est-à-dire plus de    12    quatrillions de secondes.
    214.708.510.291.275    minutes,    ou bien    214    trillions de minutes.
    3.578.475.171.521    heures,    ou bien    3    trillions d'heures.
    149.103.132.147    jours,    ou bien    149    billions de jours.
    408.501.731    années,    ou bien    400    millions d'années.
Plus de 400 millions d'années !
La réalité est que le vide d'un ballon Crookes se comble en moins d'une heure 1/2, ce qui prouve que l'exiguïté des particules est si grande, qu'il doit en passer par seconde, dans l'ouverture la plus fine, non pas cent millions, mais 300 quintillions. Quelle infinie petitesse doivent avoir ces particules !
Eh bien, si quintessenciée que soit la matière, si menue et si impalpable que l'expérience nous la montre, elle est encore grossière vis-à-vis de l'esprit qui est une essence, un être infiniment plus subtil encore. C'est dans ce sens que nous entendons le mot immatériel appliqué à l'âme, qui est tellement impondérable, qu'elle ne peut avoir aucun point de contact avec la matière que nous connaissons sur la terre.
Cependant nous constatons dans l'homme l'alliage de ces deux éléments : le corps et l'âme. Ils sont unis d'une manière intime et réagissent l'un sur l'autre, ainsi que le démontre le témoignage journalier des sens et de la conscience. D'après ce que nous avons dit de l'âme, il semble qu'il y ait contradiction, mais elle est plus apparente que réelle, car l'homme n'est pas formé seulement du corps et de l'âme, mais encore d'un troisième principe intermédiaire entre l'un et l'autre appelé périsprit, c'est-à-dire enveloppe de l'esprit.
La nécessité de ce médiateur va être comprise de suite en mettant en parallèle la spiritualité de l'âme avec la matérialité du corps.
L'âme est immatérielle parce que les phénomènes produits par elle ne peuvent se comparer à aucune propriété de la matière. La pensée, l'imagination, le souvenir n'ont ni forme, ni couleur, ni dureté, ni malléabilité ; ces productions de l'esprit ne sont astreintes à aucune loi régissant le monde physique, elles sont purement spirituelles et ne peuvent ni se mesurer, ni se peser. L'âme échappe par sa nature à la destruction, puisqu'elle se manifeste dans toute sa plénitude après la désagrégation du corps, donc l'âme est immatérielle et immortelle.
Le corps est cette enveloppe du principe pensant, que nous voyons naître, croître et mourir. Les éléments qui le composent sont tirés de la matière qui forme notre globe. Lorsqu'ils ont, pendant un certain temps, séjourné dans l'organisme, ils cèdent la place à d'autres qui viennent les remplacer. Ces opérations se renouvellent jusqu'à la mort de l'individu ; alors les atomes qui composaient en dernier lieu le corps humain sont repris par la circulation de la vie et entrent dans d'autres combinaisons, en vertu de cette grande loi que rien ne se crée et que rien ne se perd dans la nature.
Le corps et l'âme sont donc essentiellement distincts : l'un remarquable par ses transformations incessantes, l'autre par l'immuabilité de son essence. Ils présentent des qualités radicalement opposées, et cependant nous constatons qu'ils vivent dans une harmonie parfaite et exercent des influences réciproques. La haine, la colère, la pitié, l'amour se reflètent sur le visage et impriment un caractère particulier à la physionomie. Dans les émotions violentes, c'est tout l'organisme qui est troublé : une joie subite ou une douleur imprévue peuvent déterminer des ébranlements tels que la mort s'ensuive. L'imagination agit aussi sur le physique avec une grande violence : c'est ce que démontrent les ouvrages de médecine qui traitent cette question, de sorte que, d'une part, ces effets étant bien constatés, d'autre part, l'âme étant immatérielle, le problème de leur action mutuelle est resté insoluble pour les philosophes.
Les plus grands esprits se sont appliqués à se rendre compte de l'action de l'âme sur le corps, mais ni Descartes, ni Malebranche, ni Spinoza, ni Leibniz, ni Euler, ne sont parvenus à une explication satisfaisante de ces faits.
Suivant Descartes, l'âme et le corps, par un dessein très sage de la Providence, suivent dans tout le cours de la vie deux lignes parallèles, et cependant leur nature les rend étrangers l'un à l'autre. Dieu modifie l'âme à la suite des mouvements du corps et il donne le mouvement au corps, à la suite des volontés de l'âme. Chaque substance est donc, non la cause, mais l'occasion des phénomènes qui se manifestent dans l'autre. Voilà pourquoi la théorie cartésienne a été appelée par les historiens : l'hypothèse des causes occasionnelles.
Suivant Leibniz, le corps et l'âme, tout en vivant séparément, ont reçu une organisation telle que les modifications qui se produisent dans l'un sont reproduites dans l'autre, à peu près de la même manière que les aiguilles de deux horloges bien réglées marquent toujours la même heure. Cette harmonie date de plus haut que le monde, elle a son fondement dans l'intelligence divine, c'est pourquoi on la nomme, d'après Leibniz, préétablie.
Le mathématicien Euler avait une théorie beaucoup plus vulgaire, celle de l'influx physique qui admet l'action directe et réciproque du corps sur l'âme.
Tous ces systèmes soulèvent de graves objections et ne résistent pas à la critique. Comment concilier les hypothèses de Descartes et de Leibniz avec le sentiment de notre moi, de notre activité personnelle, avec l'expérience journalière de l'empire que l'homme exerce sur la nature et que celle-ci possède sur l'homme ? Qui nous persuadera quand nous étendons le bras que nous ne sommes pas la cause de ce mouvement ?
Nous savons par l'expérience que le moindre acte de notre volonté, si fugitive qu'elle soit, se traduit par un geste, et que lorsque nous ressentons une douleur, c'est qu'il s'est produit une modification organique, et non parce que Dieu serait intervenu pour infliger à l'âme la souffrance subie par le corps.
Les doctrines de Descartes et de Leibniz, absolument insuffisantes à rendre compte des faits, sont, de plus, en contradiction avec l'expérience. La doctrine de l'influx physique est moins éloignée du sens commun, mais laisse à désirer en ce qu'elle n'offre aucune preuve, et ravale l'âme en lui enlevant de son immatérialité. Ainsi qu'on le voit, le problème est épineux, puisque des hommes de cette valeur n'ont pu le résoudre. Voici d'autres philosophes qui se rapprochent de notre manière de voir.
Un Anglais nommé Cudworth avait imaginé une substance intermédiaire entre l'âme et le corps qu'il nommait médiateur plastique, et dont le rôle consistait à unir l'esprit et la matière, en participant de la nature de tous deux. Cette théorie pourrait être acceptée, mais avec quelques modifications ; car nous ne pouvons admettre que l'âme, essence indivisible, s'allie au corps en cédant une partie de sa substance. De plus, la définition de Cudworth est trop vague ; c'est pourquoi nous préférons la manière de voir suivante qui est celle de quelques physiologistes ; ils disent :
«Toute action, soit continuelle et inconsciente, soit intermittente et volontaire de l'âme sur la matière pondérable du corps, s'exerce par certaines ondulations du fluide impondérable, ondulations qui ont pour conducteur le système nerveux, tant cérébro-spinal que ganglionnaire.»
C'est absolument notre pensée et nous ne pouvons mieux définir le rôle du périsprit qu'en l'assimilant à l'action d'un fluide impondérable qui exerce son influence par les nerfs.
La meilleure preuve à donner de l'existence du périsprit, c'est de montrer que l'homme peut se dédoubler dans certaines circonstances particulières. Si d'un côté on voit le corps matériel et de l'autre la reproduction exacte de ce corps, mais fluidique, le doute ne sera plus permis.
Le périsprit, comme nous le verrons par la suite, sert non seulement à expliquer l'action réciproque de l'âme sur le corps, mais aussi à nous faire comprendre quelle est la vie de l'esprit dégagé de la matière et habitant l'espace.
Jusqu'alors on n'avait que des idées vagues sur l'avenir de l'âme. Les religions et les philosophies spiritualistes se contentaient d'affirmer son immortalité sans donner aucun renseignement sur son mode de vie au-delà de la tombe. Pour les uns, l'éternité spirituelle se passait dans un paradis mal défini où l'on trouverait les délices réservées aux élus ; pour les autres, l'enfer était un lieu terrible, où les âmes subissaient d'effroyables tortures. De plus, les observations de la science s'arrêtant à la matière tangible, il en résultait entre le monde spirituel et le monde corporel, un abîme qui semblait infranchissable. C'est cet abîme que de nouvelles découvertes et l'étude de phénomènes peu connus viennent en partie combler.
Le spiritisme nous apprend que les relations entre les deux mondes ne sont pas interrompues, que constamment il y a échange entre les vivants et ceux que l'on a appelé les morts. Par la naissance, le monde spirituel fournit des âmes au monde corporel, et par la mort celui-ci restitue à l'espace les âmes qui étaient venues temporairement habiter la terre. Il y a donc de nombreux points de contact entre l'humanité et la spiritualité, et la distance qui semblait séparer le monde visible du monde invisible est diminuée considérablement.
Si nous montrons que ce monde est comme le nôtre formé de matière, que les Esprits ont aussi un corps matériel, les différences qui semblaient si radicales se réduiront à de simples nuances allant du plus au moins, mais nous ne trouverons plus d'anomalies choquantes.
La nature de l'âme nous est inconnue, mais nous savons qu'elle est entourée, circonscrite par un corps fluidique qui en fait après la mort un être distinct et individuel. L'âme est, suivant Allan Kardec, le principe intelligent considéré isolément ; c'est la force agissante et pensante que nous ne pouvons concevoir isolée de la matière que comme une abstraction. Revêtue de son enveloppe fluidique ou périsprit, l'âme constitue l'être appelé Esprit, comme lorsqu'elle est revêtue de l'enveloppe corporelle, elle constitue l'homme. Or, bien qu'à l'état d'esprit elle jouisse de propriétés et de facultés spéciales, elle n'a pas cessé d'appartenir à l'humanité. Les Esprits sont donc des êtres semblables à nous, puisque chacun de nous devient Esprit après la mort de son corps et que chaque Esprit redevient homme par la naissance.
Cette enveloppe n'est point l'âme, car elle ne pense pas : ce n'est qu'un vêtement ; sans l'âme, le périsprit, de même que le corps, est une matière inerte privée de vie et de sensation. Nous disons matière, parce qu'en effet le périsprit, quoique d'une nature éthérée et subtile, n'en est pas moins de la matière tout aussi bien que les fluides impondérables, et, de plus, matière de même nature et de même origine que la matière tangible la plus grossière. C'est ce que nous démontrons dans le second chapitre.
L'âme ne possède pas seulement ce vêtement à l'état d'esprit, elle est inséparable de cette enveloppe qui la suit dans l'incarnation et dans l'erraticité. Pendant la vie humaine, le fluide périsprital s'identifie avec le corps et sert de véhicule aux sensations venues du dehors et aux volontés de l'Esprit ; c'est celui qui pénètre le corps dans toutes ses parties ; mais à la mort, le périsprit se dégage avec l'âme dont il partage l'immortalité.
On pourrait peut-être contester l'utilité de cet organe en disant que l'âme peut agir directement sur le corps et notre théorie serait détruite ; mais comme nous nous appuyons sur des faits, comme notre conviction est le fruit de l'étude et de l'observation, et non une conception arbitraire, il ne dépend pas de nous de changer notre manière de voir. Ceci ressort clairement des faits qui sont exposés dans le chapitre suivant.
CHAPITRE II
-
PREUVES DE L'EXISTENCE DU PERISPRIT. - SON UTILITE. - SON ROLE
Parmi les cas nombreux de bicorporéité de l'être humain, nous allons faire un choix, non seulement à cause de l'abondance des matières, mais aussi pour ne présenter au lecteur que des phénomènes bien constatés et d'une certitude incontestable. Empruntons aux adversaires du spiritisme le récit de ces manifestations. M. Dassier, dont nous avons déjà parlé dans la troisième partie de cet ouvrage, rapporte l'histoire suivante qui lui a été racontée lors de son passage à Rio de Janeiro.
«C'était en 1858 ; on s'entretenait encore, dans la colonie française de cette capitale, d'une apparition singulière qui avait eu lieu quelques années auparavant. Une famille alsacienne, composée du mari, de la fille encore en bas âge, faisait voile pour Rio de Janeiro, où elle allait rejoindre des compatriotes établis dans cette ville.
«La traversée étant longue, la femme devint malade, et faute sans doute de soins et d'une alimentation convenable, succomba avant d'arriver. Le jour de sa mort, elle tomba en syncope, resta longtemps dans cet état, et lorsqu'elle eut repris ses sens, elle dit à son mari qui veillait à ses côtés : «Je meurs contente, car maintenant je suis assurée sur le sort de notre enfant. Je viens de Rio de Janeiro, j'ai rencontré la rue et la maison de notre ami Fritz, le charpentier. Il était sur le seuil de la porte : je lui ai présenté la petite ; je suis sûre qu'à ton arrivée il la reconnaîtra et en prendra soin.» Quelques instants après, elle expirait. Le mari fut surpris de ce récit, sans toutefois y attacher d'importance.
«Le même jour et à la même heure, Fritz le charpentier, l'Alsacien dont je viens de parler, se trouvait sur le seuil de la porte qu'il habitait, à Rio de Janeiro, lorsqu'il crut voir passer dans la rue une de ses compatriotes tenant dans ses bras une petite fille. Elle le regardait d'un air suppliant et semblait lui présenter l'enfant qu'elle portait. La figure paraissant d'une grande maigreur rappelait néanmoins les traits de Lotta, la femme de son ami et compatriote Schmidt. L'expression de son visage, la singularité de sa démarche, qui tenait plus de la vision que de la réalité, impressionnèrent vivement Fritz. Voulant s'assurer qu'il n'était pas dupe d'une illusion, il appela un de ses ouvriers qui travaillait dans la boutique, et qui, lui aussi, était alsacien et de la même localité. «- Regarde, lui dit-il, ne vois-tu pas passer une femme dans la rue, tenant un enfant dans ses bras et ne dirait-on pas que c'est Lotta, la femme de notre pays Schmidt ?
«- Je ne puis vous dire, je ne distingue pas bien, reprit l'ouvrier.»
Fritz n'en dit pas davantage ; mais les diverses circonstances de cette apparition réelle ou imaginaire se gravèrent fortement dans son esprit, notamment l'heure et le jour. A quelque temps de là, il voit arriver son compatriote Schmidt, portant une petite fille dans ses bras. La visite de Lotta se retrace alors dans son esprit, et avant que Schmidt eût ouvert la bouche, il lui dit :
«- Mon pauvre ami, je sais tout ; ta femme est morte pendant la traversée, et avant de mourir elle est venue me présenter sa petite fille pour que J'en prenne soin. Voici la date et l'heure.»
C'était bien le jour et le moment consignés par Schmidt à bord du navire.
Faisons ici quelques remarques. Nous constaterons d'abord que le double fluidique reproduit identiquement les traits de l'individu chez lequel le phénomène se produit. La ressemblance est à ce point frappante, qu'elle permet à Schmidt de reconnaître la femme de son ami qu'il n'avait pas vue depuis longtemps.
Le second caractère à noter, c'est la rapidité avec laquelle se meut l'apparition, puisque le moment où elle a été remarquée par Schmidt coïncide avec la syncope de la malade à bord du navire. Troisièmement, il faut retenir cette particularité, que l'Alsacienne était plongée dans une sorte de léthargie pendant que son âme voyageait au loin.
Pour expliquer ce fait, les spirites admettent que le périsprit, ou enveloppe fluidique de l'âme, peut, dans certaines circonstances, se séparer du corps, auquel il est néanmoins retenu par un cordon fluidique. Le périsprit reproduit la forme du sujet, car, ainsi que nous le verrons plus loin, c'est à lui que nous devons de conserver notre type matériel et la constitution physique de notre corps. L'âme, dans ce cas, jouit d'une partie des facultés qu'elle possède lorsqu'elle est entièrement dégagée de la matière ; c'est ce qui nous explique la rapidité du déplacement de l'Alsacienne.
L'état maladif ou la syncope ne sont pas toujours nécessaires au dédoublement. Voici un autre fait rapporté par M. Gouguenot des Mousseaux auquel M. Dassier l'a emprunté. «Sir Robert Bruce, de l'illustre famille écossaise de ce nom, est second d'un bâtiment ; un jour, il vogue près de Terre Neuve, et, se livrant à des calculs, il croit voir son capitaine assis à son pupitre, mais il regarde avec attention, et celui qu'il aperçoit est un étranger dont le regard froidement arrêté sur lui le surprend. Le capitaine près duquel il remonte s'aperçoit de son étonnement et l'interroge.
«- Mais qui est donc à votre pupitre ? lui dit Bruce.
«- Personne.
«- Si, il y a quelqu'un, est-ce un étranger ?... et comment ?
«- Vous rêvez ou vous raillez ?
«- Nullement, veuillez descendre et venir voir. On descend et personne n'est assis devant le pupitre, le navire est fouillé en tous sens ; il ne s'y rencontre aucun étranger.
«- Cependant celui que j'ai vu écrivait sur votre ardoise ; son écriture doit y être restée, dit Robert Bruce.
«On regarde l'ardoise, elle porte ces mots : steer to the north-west, c'est-à-dire gouvernez au nord-ouest.
«- Mais cette écriture est de vous ou de quelqu'un du bord ?
«- Non.
«Chacun est prié d'écrire la même phrase et aucune écriture ne ressemble à celle de l'ardoise.
«- Eh bien ! obéissons au sens de ces mots, gouvernez le navire au nord-ouest ; le vent est bon et permet de tenter l'expérience.
«Trois heures après, la vigie signalait une montagne de glace et voyait, y attenant, un vaisseau de Québec, démantelé, couvert de monde, cinglant vers Liverpool et dont les passagers furent amenés par les chaloupes du bâtiment de Bruce.
«Au moment où l'un de ces hommes gravissait le flanc du Vaisseau libérateur, Bruce tressaillit et recula, fortement ému. C'était l'étranger qu'il avait vu traçant les mots de l'ardoise. Il raconte à son capitaine le nouvel incident.
«- Veuillez écrire steer to the north-west sur cette ardoise, dit au nouveau venu le capitaine, lui présentant le côté que ne recouvre aucune écriture.
«L'étranger trace les mots demandés.
«- Bien ; vous reconnaissez là votre main courante, dit le capitaine, frappé de l'identité des deux écritures.
«- Mais vous m'avez vu vous-même écrire, vous serait-il possible d'en douter ?
«Pour toute réponse, le capitaine retourne l'ardoise, et l'étranger reste confondu, voyant des deux côtés sa propre écriture.
«- Auriez-vous rêvé que vous écriviez sur cette ardoise ? dit à celui qui vient d'écrire le capitaine du vaisseau naufragé.
«- Non, du moins je n'en ai nul souvenir.
«- Mais que faisait à midi ce passager ? demande à son confrère le capitaine sauveur.
«- Etant très fatigué, ce passager s'endormit profondément, et autant qu'il m'en souvient, ce fut quelque temps avant midi. Une heure au plus, après, il s'éveilla et me dit : «Capitaine, nous serons sauvés aujourd'hui même !» ajoutant : «J'ai rêvé que j'étais à bord d'un vaisseau et qu'il venait à notre secours.» Il dépeignit le bâtiment et, son gréement ; et ce fut à notre grande surprise, lorsque vous cinglâtes vers nous, que nous reconnûmes l'exactitude de sa description. Enfin ce passager dit à son tour : «ce qui me semble étrange, c'est que ce que je vois ici me paraît familier, et cependant je n'y suis jamais venu !»
Le dédoublement de la personnalité est aussi manifeste. ici que dans le premier cas, les conditions sont presque les mêmes : le corps est profondément endormi. Cependant deux remarques nous conduisent un peu plus loin dans la voie des découvertes. En premier lieu, le souvenir de ce qui s'est passé pendant ce voyage de l'âme semble effacé, ou du moins ne présente à l'esprit que des réminiscences vagues ; le passager reconnaît le navire qu'il visite sans pouvoir comprendre comment cela se fait, puisqu'il n'y est jamais venu. Ce n'est plus une ardente volonté, qui a déterminé le phénomène, comme chez Lotta ; aussi le fait a-t-il moins de netteté au point de vue de la mémoire, mais il présente une autre particularité qu'il est nécessaire de signaler.
Dans l'exemple de l'Alsacienne, Schmidt voit sa compatriote, elle lui présente son enfant d'un air suppliant, mais le charpentier serait incapable de dire si c'est une apparition ou bien réellement la femme de son ami qu'il a remarquée. Dans le second cas, le personnage fluidique écrit, ce n'est donc plus seulement une vague apparence : c'est une personne tangible et qui jouit d'une certaine force pour diriger un crayon sur une ardoise. Ce point est certainement important, car il y a matérialisation de la seconde personnalité du sujet, et nous allons voir que, dans beaucoup de cas, c'est ainsi que les choses se passent.
Voici un récit emprunté au cours de magnétisme du baron du Potet.
«Le fait suivant est bien attesté et peut être rangé parmi les phénomènes les plus difficiles à expliquer dans l'ordre du spiritisme. Il a été publié dans le manuel des amis de la religion, pour 1814, par Jung Stilling, auquel il a été rapporté comme une expérience personnelle par le baron de Sulza, chambellan du roi de Suède.
«Ce baron raconte qu'ayant été rendre visite à un voisin, il revint chez lui vers minuit, heure à laquelle, en été, il fait assez clair en Suède pour qu'on puisse lire l'impression la plus fine. «Comme j'arrivai, dit-il, dans mon domaine, mon père vint à ma rencontre devant l'entrée du parc ; il était vêtu comme d'habitude et il tenait à la main une canne que mon frère avait sculptée. Je le saluai et nous conversâmes longtemps ensemble. Nous arrivâmes ainsi jusqu'à la maison et à l'entrée de sa chambre. En y entrant, je vis mon père déshabillé, couché dans son lit et profondément endormi ; au même instant l'apparition s'était évanouie. Peu de temps après, mon père s'éveilla et me regarda d'un air d'interrogation. «Mon cher Edouard, me dit-il, Dieu soit béni de ce que je te voie encore sain et sauf, car j'ai été bien tourmenté, à cause de toi, dans mon rêve ; il me semblait que tu étais tombé dans l'eau, et que tu étais en danger de te noyer.» Or, ce jour-là, ajoute le baron, j'étais allé avec un de mes amis à la rivière pour pêcher des crabes et je faillis être entraîné par le courant. Je racontai à mon père que j'avais vu son apparition à l'entrée du domaine et que nous avions eu ensemble une longue conversation. Il me répondit qu'il arrivait souvent des faits semblables.»
Cette anecdote présente une circonstance bien remarquable. Le fantôme humain parle avec son fils pendant longtemps. Nous avons vu tout à l'heure que la main périspritique du passager était réelle, qu'elle écrivait : ici c'est l'organe vocal qui fonctionne, nous pouvons donc en conclure que dans l'un comme dans l'autre cas, le périsprit était matérialisé, au moins en partie. Le double fluidique reproduit donc absolument toutes les parties du corps du sujet, il en est la copie exacte, ou plutôt, ainsi que nous le constaterons plus loin, c'est le canevas impondérable sur lequel se modèle le corps de l'incarné.
Cette manière de voir est d'autant plus exacte que nous allons remarquer dans l'histoire suivante la présence simultanée du sujet et de son double, dans des circonstances qui nous aideront à découvrir des aspects caractéristiques de ces phénomènes.
«Sir Robert Dale Owen était ambassadeur de la République des Etats-Unis à Naples. En 1845, raconte ce diplomate, existait en Livonie le pensionnat de Neuwelke, à douze lieues de Riga et une demi-lieue de Womar. Là se trouvaient quarante-deux pensionnaires, la plupart de familles nobles, et parmi les sous-maîtresses figurait Emilie Sagée, Française d'origine, âgée de trente-deux ans, de bonne santé, mais nerveuse et de conduite méritant tous les éloges. Peu de semaines après son arrivée, on remarqua que quand une pensionnaire disait l'avoir vue dans un endroit, souvent une autre affirmait qu'elle était à une place différente. Un jour les jeunes filles virent tout à coup deux Emilie Sagée exactement semblables et faisant les mêmes gestes : l'une cependant tenait à la main un crayon de craie et l'autre rien.
«Peu de temps après, Antoinette de Wrangel faisant sa toilette, Emilie lui agrafa sa robe par derrière ; la jeune fille vit dans un miroir, en se retournant, deux Emilie agrafant ses vêtements, et s'évanouit de peur. Quelquefois aux repas, la double figure paraissait debout, derrière la chaise de la sous-maîtresse et imitant les mouvements qu'elle faisait pour manger ; mais les mains ne tenaient ni couteau ni fourchette. Cependant la personne dédoublée ne semblait imiter qu'accidentellement la personne réelle, et quelquefois lorsque Emilie se levait de sa chaise, l'être dédoublé paraissait y être assis. Une fois, Emilie étant souffrante et alitée, Mlle de Wrangel lui faisait la lecture. Tout à coup la sous-maîtresse devint raide, pâle, et parut près de s'évanouir. La jeune élève lui demanda si elle se trouvait plus mal ; elle répondit négativement, mais d'une voix faible. Quelques secondes après, Mlle de Wrangel vit très distinctement la double Emilie se promener çà et là dans l'appartement.
«Mais voici le plus remarquable exemple de bicorporéité que l'on ait observé chez la merveilleuse sous-maîtresse. Un jour, les quarante-deux pensionnaires brodaient dans une même salle au rez-de-chaussée, et quatre portes vitrées de cette salle donnaient sur le jardin. Elles voyaient dans ce jardin Emilie cueillant des fleurs, lorsque tout à coup sa figure paraît dans un fauteuil devenu vacant. Les pensionnaires regardèrent immédiatement dans le jardin, et continuèrent d'y voir Emilie ; mais elles observèrent la lenteur de sa locomotion et son air de souffrance ; elle était comme assoupie et épuisée.
«Deux des plus hardies s'approchèrent du double, et essayèrent de le toucher ; elles sentirent une légère résistance, qu'elles comparèrent à celle de quelque objet en mousseline ou en crêpe. L'une d'elles passa au travers d'une partie de la figure ; et après que la pensionnaire eut passé, l'apparence resta la même quelques instants encore, puis disparut enfin, mais graduellement... Ce phénomène se reproduisit de différentes manières aussi longtemps qu'Emilie occupa son emploi, c'est-à-dire en 1845 et 1846, pendant le laps d'une année et demie ; mais il y eut des intermittences d'une à plusieurs semaines. On remarqua d'ailleurs que plus le double était distinct et d'une apparence matérielle, plus la personne réellement matérielle était gênée, souffrante et languissante ; lorsque, au contraire, l'apparence du double s'affaiblissait, on voyait la patiente reprendre ses forces. Emilie, du reste, n'avait aucune conscience de ce dédoublement, et ne l'apprenait que par ouï-dire, jamais elle n'a vu ce double, jamais elle n'a soupçonné l'état dans lequel il la jetait. Ce phénomène ayant inquiété les parents, ceux-ci rappelèrent leurs enfants et l'institution s'écroula.»
Un fait ressort évident de cette narration ; c'est la connexion intime qui existe entre l'état du corps et celui du double. Quand le périsprit devient moins vaporeux, plus solide, le corps s'affaiblit et prend un air languissant, au contraire le périsprit devient-il fluidique, l'organisme matériel reprend ses forces. Ceci indique qu'il existe un lien entre le corps et son double. M. Damier l'appelle un réseau vasculaire invisible. Allan Kardec enseigne depuis longtemps que, pendant le sommeil, l'âme se dégage du corps, mais qu'elle y est toujours retenue par un cordon fluidique, et que, s'il venait à se rompre, la mort du sujet serait instantanée.
Emilie Sagée, d'une constitution très nerveuse, était sujette au dégagement de l'âme, mais le fait est remarquable en ce sens que le dédoublement s'opérait même pendant l'état de veille, alors que ce dégagement n'a lieu d'ordinaire que lorsque le corps est plongé dans le sommeil.
Si l'on veut bien se reporter aux cas de somnambulisme lucide que rapporte le docteur Charpignon, on comprendra la série ascendante qui se manifeste dans ces différents phénomènes. Dans le somnambulisme, naturel ou provoqué, l'âme se dégage du corps, parce que celui-ci, plongé dans le sommeil, a une vie moins active, ce qui permet à l'esprit de s'échapper un moment de son enveloppe et de voir ce qui se passe à distance.
Dans le cas de dédoublement, l'âme se dégage de même pendant le sommeil, mais tantôt, elle se matérialise d'une manière imparfaite, comme nous l'avons vu pour la femme alsacienne, tantôt, au contraire, elle prend un aspect tout à fait matériel et peut écrire et parler. Si le phénomène est encore plus accentué, la bicorporéité se manifeste sans que le sujet soit endormi, ainsi que le prouve l'histoire précédente, mais alors plus le double acquiert de tangibilité et plus la sous-maîtresse est faible et languissante.
Ces remarques confirment de point en point l'enseignement d'Allan Kardec. Nous trouvons, en effet, dans le Livre des Esprits l'explication rationnelle de tous ces cas singuliers. L'âme est retenue au corps par son périsprit, qui a pour conducteur le système nerveux ; il s'ensuit que toutes les modifications apportées à ce système ayant pour but de paralyser son action favoriseront le dégagement de l'âme .
Dans les récits que nous avons reproduits, une chose surtout semble étrange : c'est la facilité avec laquelle le double fluidique passe au travers des corps matériels. Sans doute, il y a là un phénomène extraordinaire, mais qui n'est pas sans rencontrer d'analogue dans la nature. La lumière et la chaleur se propagent à travers certaines substances, l'électricité chemine le long d'un conducteur, et nous savons par les expériences de M. Cailletet et Sainte-Claire-Deville que les gaz passent facilement à travers les parois d'un tube fortement chauffé. Tous les corps sont poreux, leurs molécules ne se touchant pas peuvent livrer passage à un corps étranger. Les Académiciens de Florence avaient mis ce point en lumière en opérant une violente pression sur de l'eau enfermée dans une sphère d'or ; au bout de très peu de temps on voyait le liquide transsuder par petites gouttes sur la surface de la sphère. Nous constatons par ces différents exemples que la matière peut traverser la matière. Dans les cas que nous venons de citer, il faut employer la pression ou la chaleur pour faire dilater les substances que l'on veut faire traverser par d'autres. Ceci est nécessaire parce que les molécules du corps traversant n'ont pas acquis le degré nécessaire de dilatation, elles sont en quelque sorte trop serrées les unes contre les autres. Mais si nous supposons un état de la matière, tel que les molécules soient beaucoup moins rapprochées et que ces molécules soient éminemment ténues, cette matière pourra alors traverser toutes les substances sans avoir besoin d'aucune manipulation. C'est ce qui arrive pour le périsprit, qui étant formé de molécules moins condensées que la matière que nous connaissons, ne peut être arrêté par aucun obstacle.
Une seconde propriété du périsprit paraît inexplicable. On comprend difficilement qu'une vapeur très raréfiée, un fluide impondérable, puisse malgré sa ténuité garder une forme déterminée. Lorsque la fumée s'échappe d'un foyer, elle ne tarde pas à se répandre dans l'atmosphère en devenant peu à peu invisible. Comment se fait-il que le périsprit, qui est formé de matière infiniment plus raréfiée, se présente néanmoins sous un aspect nettement déterminé ?
Une expérience curieuse va nous mettre sur la voie de l'explication.
En admettant l'idée de la matière, M. William Thompson, pour expliquer le retour d'une substance à son état primitif, lorsqu'elle se dégage d'une combinaison, assimile les mouvements du milieu élastique, qu'il nomme matière, à celui de ces tourbillons de fumée en forme d'anneaux que l'on voit se produire dans la combustion de l'hydrogène phosphoré, ou quelquefois s'échapper de la cheminée d'une locomotive au départ.
On a imaginé un appareil qui permet d'obtenir ces couronnes à volonté et, en leur donnant de grandes dimensions, d'en étudier la forme. Une caisse en bois percée en avant d'une ouverture circulaire renferme deux vases, dont l'un contient une dissolution d'alcali volatil et l'autre de l'acide chlorhydrique du commerce. Les gaz qui s'échappent de ces solutions produisent, en se combinant, d'abondantes fumées qui remplissent la boîte. Un coup sec appliqué sur le drap formant la paroi opposée à l'ouverture chasse la fumée qui s'échappe en produisant une belle couronne qui se propage en ligne droite.
M. Helmholtz, qui a étudié les tourbillons, a montré que les particules de fumée roulent sur elles-mêmes et exécutent des mouvements de rotation, allant de l'intérieur à l'extérieur dans le sens de la propagation et s'exécutant autour d'un axe circulaire qui forme pour ainsi dire le noyau des tourbillons. De là M. Helmholtz passe au cas d'un milieu dans lequel il n'y aurait aucun frottement ; il montre que les anneaux se déplaceront et changeront de forme sans que rien vienne détruire les liaisons qui existent entre les parties constituantes.
Nous déduirons de là qu'il existe des états de la matière où, une forme étant donnée, elle se conserve indéfiniment, à la condition que cette matière soit soumise à une force constante et n'éprouve aucun frottement. C'est ce qui se présente pour le périsprit dont la matière raréfiée peut être envisagée comme n'ayant aucun frottement à subir, en raison de sa nature éthérée, de sorte que nous pouvons concevoir qu'elle conserve un type déterminé en vertu de sa constitution moléculaire. Nous pouvons pousser plus loin encore l'analogie.
Des expériences effectuées en Angleterre ont montré que si on déforme ces anneaux, ils tendent à reprendre la forme circulaire ; si on place sur leur trajet une lame, ils s'infléchissent autour d'elle, sans se laisser entamer, en offrant ainsi l'image matérielle de quelque chose d'indivisible et d'insécable. De plus, deux anneaux se mouvant suivant une même ligne peuvent se traverser sans perdre leur individualité propre ; l'anneau qui est en retard se contracte pendant que sa vitesse augmente ; il traverse celui qui le précède, puis se dilate, à son tour, et ainsi de suite.
Ainsi ces anneaux se pénètrent mutuellement, passent au travers l'un de l'autre, sans rien perdre de leur autonomie, sans être même déformés. La matière, dans cet état peu raréfié, lequel est loin d'atteindre à l'extrême ténuité du périsprit, jouit donc de propriétés qui nous révèlent les lois encore peu connues qui dirigent les évolutions du double fluidique, et nous comprendrons sans peine, par analogie, que le périsprit puisse traverser tous les corps, comme la lumière passe au travers des corps transparents .
Dans les exemples cités jusqu'ici, nous voyons l'âme et son enveloppe, mais nous ne pouvons encore déterminer toutes les propriétés de ce corps fluidique, car il est rattaché à l'organisme matériel et ne jouit pas entièrement de sa liberté d'action. Pour en connaître la composition et le fonctionnement, il faut étudier l'âme lorsque, débarrassée de son enveloppe grossière, elle se meut librement dans l'espace. C'est ce que nous nous proposons de faire dans le chapitre suivant, et là nous expliquerons comment le double fluidique peut devenir visible et matériel.
La connaissance du périsprit jette un jour nouveau sur bien des phénomènes de la physiologie. On ne peut étudier l'homme sans rencontrer un premier moteur, invisible et intangible : la vie. Cette force développe l'être suivant un plan déterminé. Geoffroy Saint-Hilaire disait : «Le type suivant lequel la vie forme le corps, dès l'origine, est aussi celui suivant lequel elle l'entretient et le répare. La vie est à la fois formatrice, conservatrice et réparatrice, toujours conformément à ce modèle idéal, règle invariable de tous ses actes.»
Ce modèle idéal est-il contenu dans l'être matériel qui change et se transforme sans cesse ? Evidemment non, il lui est extérieur, ou plutôt c'est en lui que viennent s'incorporer les molécules matérielles, il est le canevas fluidique de l'être. Si nous réfléchissons, en effet, aux transformations multiples, incessantes, auxquelles le corps est soumis, nous comprendrons la nécessité de cette force directrice qui assigne aux atomes matériels la place qu'ils doivent occuper. Comment concevoir que le cerveau, instrument si fragile, si compliqué, dont la substance se renouvelle continuellement, puisse fonctionner d'une manière constante, s'il n'existait un modèle fluidique dans lequel les molécules matérielles viennent s'incorporer ?
A la mort du corps, ce double n'existant plus, tout s'affaisse, se dégrade et se détruit, dans un laps de temps très court. C'est ce canevas fluidique qui, différent suivant les individus, conserve à chacun sa structure particulière, les formes générales du corps et de la physionomie qui le font reconnaître pendant le cours de son existence.
Nous avons vu dans la première partie que les matérialistes ne peuvent expliquer la transformation de la sensation en perception. Eh bien ! avec la notion du périsprit tout devient simple et compréhensible.
Nous savons que les nerfs sensitifs aboutissent tous dans une partie du cerveau qu'on appelle les couches optiques ; là, chaque appareil sensoriel possède un noyau de cellules ganglionnaires qui est relié à la périphérie corticale par des fibres blanches. Ceci rappelé, voyons comment les excitations extérieures pénètrent et cheminent dans l'organisme, lorsqu'il s'agit d'un phénomène auditif ou visuel qui met en activité les cellules de la rétine ou du nerf acoustique. Que se passe-t-il alors dans l'intimité des conducteurs nerveux ?
Immédiatement ces ébranlements transmis de proche en proche mettent en jeu les activités spécifiques, c'est-à-dire les propriétés spéciales des diverses cellules qui composent les ganglions des couches optiques. Les cellules du centre optique entrant en vibration les transmettent à la couche corticale par les fibres rayonnantes et, arrivées là, ces vibrations, qui sont jusqu'à ce moment de simples mouvements moléculaires, rencontrent le double fluidique et lui communiquent l'ébranlement. Dès lors, ce mouvement ondulatoire se propage jusqu'à l'âme qui en a conscience. C'est cette connaissance que l'on nomme la perception ; elle ne pourrait avoir lieu si l'intermédiaire fluidique n'existait pas.
Il ne faut pas oublier que le périsprit n'est pas un corps homogène ; il possède des parties presque matérielles, qui touchant à l'organisme, et des parties presque immatérielles qui tiennent à l'âme. Pour faire comprendre notre pensée, nous le comparerons à une vapeur contenue dans un tube. Cette vapeur, très condensée à sa base, va en se raréfiant de plus en plus à mesure qu'elle s'élève. Il existe ainsi une série d'états intermédiaires depuis la matérialité jusqu'à la spiritualité. C'est en quelque sorte une teinte fondue allant du noir, qui représenterait le corps, jusqu'au blanc qui serait l'âme.
En résumé, le périsprit est donc formé de fluides à différents degrés de condensation, depuis les fluides matériels, qui adhèrent au cerveau, jusqu'aux fluides spirituels qui se rapprochent de la nature de l'âme. De sorte que si une vibration ébranle un nerf sensitif, celui-ci la transmet aux couches optiques, qui la réfléchissent vers le sensorium ; arrivée là, cette vibration agit sur le fluide périsprital qui, de proche en proche, en avertit l'esprit.
Ainsi que le pensent les physiologistes dont nous avons parlé plus haut, ce sont les ondulations du fluide périsprital qui transmettent les sensations à l'âme, et réciproquement la volonté de l'âme se manifeste aux organes par des ondulations en sens inverse des premières, qui vont de la partie la plus épurée à la partie la plus matérielle. Arrivées à la surface des couches corticales, les ondulations impressionnent les cellules du sensorium et mettent en action l'énergie nerveuse qui y est contenue ; celle-ci, sous forme de décharge nerveuse, traverse les noyaux du corps strié où elle acquiert une force plus grande, et se distribue ensuite dans les nerfs moteurs, suivant les volontés de l'âme.
Si notre théorie est juste, c'est-à-dire si une sensation met un certain temps pour parcourir les nerfs, et un autre temps pour arriver du cerveau à l'âme, on doit pouvoir mesurer le temps nécessaire à ce voyage. C'est ce qui a été fait, ainsi que nous allons le montrer.
Voici le principe de la méthode :
Dans une chambre noire se trouve un observateur qui est chargé, au moment où il verra une lumière, de faire un certain signal. On note avec une extrême précision le moment exact de l'apparition de la lumière et celui où l'observateur fait le geste convenu.
Comme la distance de l'observateur au foyer lumineux est très courte, et que la lumière parcourt 75.000 lieues à la seconde, le temps employé par le rayon lumineux pour parvenir à l'oeil est insignifiant, de sorte que l'on peut admettre qu'aussitôt que la lumière est produite elle frappe la rétine.
Le temps qui s'écoule entre le moment où l'observateur a vu la lumière et celui où il fait le signal convenu est donc la mesure du temps que l'excitation a mise pour parvenir de la rétine à la couche corticale du cerveau, du cerveau à l'âme, et pour revenir de l'âme aux organes du corps qui font le signal.
Or, comme on sait, d'après les savants travaux de Helmholtz, que la sensation parcourt les filets nerveux avec une vitesse de 30 mètres à la seconde, il suffit de retrancher du temps total que l'on a inscrit : 1° le temps employé par la sensation pour parvenir de la rétine à la périphérie du cerveau ; 2° le temps employé par la volonté pour partir de la périphérie du cerveau et agir sur le membre qui fait le signal, pour obtenir le temps employé par la sensation pour traverser deux fois l'organe périsprital.
Ce sont ces chiffres que publie M. Hirsch, de Neufchatel. Voici les résultats qu'il a trouvés :
    Pour la vision    0"1974 à 0"2083
    pour l'audition    0"194
    pour le toucher    0"1733
En prenant la moitié de ces nombres, nous avons le temps employé pour que la sensation traverse le périsprit, c'est-à-dire soit transformée en perception. Ces mesures n'ont pas seulement un intérêt théorique, elles ont encore une grande valeur pratique pour l'astronome observateur. Lorsque celui-ci étudie, par exemple, le passage d'un astre au méridien et qu'il calcule la durée de ce passage vu à travers le télescope, au moyen des oscillations du pendule à seconde, il commet toujours une petite erreur provenant du temps nécessaire à chacune des impressions visuelles pour se faire percevoir. Cette erreur n'est pas exactement la même pour deux expérimentateurs différents ; si l'on veut rendre comparable entre elles les observations de divers astronomes, il faut connaître cette différence, c'est-à-dire l'équation personnelle de chacun d'eux.
Si le périsprit n'existait pas, ces différences n'auraient pas lieu et la perception se ferait avec une égale rapidité pour tous, mais le double fluidique étant plus ou moins épuré, c'est-à-dire plus ou moins radiant, les sensations y cheminent avec une vitesse variable. On pourrait se demander comment il se fait que l'âme agisse d'une manière assez efficace sur le périsprit pour déterminer des mouvements du corps qui décèlent parfois une grande force mécanique que l'âme serait impuissante à produire. N'est-il pas étonnant de voir que l'esprit, par sa volonté, peut faire accomplir au corps les travaux les plus rudes, qu'un hercule soulève à bras tendu des poids très lourds ? Si, comme nous l'indiquons, le point de départ de cette énergie est dans l'âme, on pourrait croire que cette dernière est trop faible pour produire de tels effets. Nous répondrons avec M. Luys que :
«Les processus de la motricité volontaire commencent par être une incitation purement psychique et deviennent insensiblement, par le jeu naturel des rouages de l'organisme, une incitation physique. En se transformant ainsi dans leur évolution successive, ils offrent le tableau saisissant que nous voyons se présenter incessamment sous nos yeux, dans la mise en action d'une machine à vapeur.
«Ne voyons-nous pas, en effet, dans ce cas, comment une force, minime au début, est susceptible de se transformer et devenir, par la série des appareils qu'elle met en jeu, l'occasion d'un développement de puissance mécanique gigantesque.
«Au moment, en effet, de mettre la machine en activité, ne suffit-il pas d'une force même faible, de la simple intervention de la main du mécanicien qui soulève un levier et lâche la vapeur sur la face supérieure du piston ? Cette force vive, en liberté, développe immédiatement sa puissance, qui est proportionnelle à la surface sur laquelle elle se répand, le piston s'abaisse, sa tige entraîne le balancier ; la mise en branle se développe avec les volants, et le mouvement initial, si faible au début, s'amplifie et grandit sans cesse, à mesure que le volume et la puissance des appareils mis à sa disposition deviennent plus considérables et plus puissants.»
L'âme c'est la main du mécanicien, la force c'est l'énergie vitale, ou fluide nerveux contenu dans les différents appareils du cerveau, de la moelle épinière et des nerfs.
Ainsi l'expérience nous a fait constater qu'il existe dans l'homme un organe fluidique, qui est le moule sur lequel se modèle le corps humain. Dans certaines circonstances le périsprit peut se dégager de l'enveloppe à laquelle il est attaché pendant la vie et se matérialiser assez pour se faire voir et agir à distance.
Ces phénomènes n'étaient pas inconnus des anciens. Voici, en effet, ce que nous lisons dans les histoires de Tacite, chapitres 81 et 82.
«Pendant les mois que Vespasien passa dans Alexandrie pour attendre le retour périodique des vents d'été et la saison où la mer devient sûre, plusieurs prodiges arrivèrent par où se manifesta la faveur du ciel et l'intérêt que les dieux semblaient prendre à ce prince.
«Ces prodiges redoublèrent dans Vespasien le désir de visiter le séjour sacré des dieux, pour les consulter au sujet de l'Empire. Il ordonne que le temple soit fermé à tout le monde. Entré lui-même et tout entier à ce qu'allait prononcer l'oracle, il aperçoit derrière lui un des principaux Egyptiens nommé Basilide, qu'il savait être retenu malade, à plusieurs journées d'Alexandrie. Il s'informe auprès des prêtres si Basilide est venu ce jour-là au temple, il s'informe auprès des passants si on l'a vu dans la ville, enfin il envoie des hommes à cheval et il s'assure que, dans ce moment-là même, il était à quatre-vingts milles de distance. Alors il ne douta plus que la vision ne fût réelle, et le nom de Basilide lui servit d'oracle.»
Les Annales catholiques relatent plusieurs faits de dédoublement qui se produisirent chez de pieux personnages. Alphonse de Liguori fut canonisé avant le temps voulu, pour s'être montré à deux endroits différents, ce qui passa pour un miracle. Il est vrai que pour le même fait de pauvres femmes qualifiées de sorcières furent brûlées par le Saint-Office.
Saint Antoine de Padoue prêchait en Espagne, au moment où son père résidant à Padoue, en Italie, était traîné au supplice, accusé d'un meurtre. A ce moment, saint Antoine paraît, démontre l'innocence de son père et fait connaître le véritable coupable qui, plus tard, subit le châtiment. Il fut constaté que saint Antoine prêchait dans le même moment en Espagne. M. Dassier cite le cas de saint François Xavier, se trouvant à la fois dans deux embarcations pendant une tempête et encourageant ses compagnons tout le temps que ceux-ci furent en danger. Voici la relation de ce prodige d'après ses biographes.
«Saint François Xavier se rendait au mois de novembre 1571, du Japon en Chine, lorsque, sept jours après le départ, le navire qui le portait fut assailli par une violente tempête. Craignant que la chaloupe ne fût emportée par les vagues, le pilote ordonna à quinze hommes de l'équipage d'amarrer cette embarcation au navire. La nuit étant venue pendant qu'on travaillait à cette besogne, les matelots furent surpris par une lame et disparurent avec la chaloupe. Le saint s'était mis en prières dès que la tempête avait commencé, et celle-ci allait toujours redoublant de fureur. Cependant, ceux qui étaient restés sur le navire se souvinrent de leurs compagnons de la chaloupe et crurent qu'ils étaient perdus.
«Quand le danger fut passé, Xavier les exhorta à prendre courage, assurant qu'avant trois jours on les retrouverait. Le lendemain il fit monter sur le mât, mais on ne découvrit rien. Le saint rentra alors dans sa cabine et se remit à prier. Après avoir passé ainsi la plus grande partie du jour, il remonta sur le pont plein de confiance et annonça que la chaloupe était sauvée. Néanmoins, comme le lendemain on n'aperçoit rien encore, l'équipage du navire, se voyant toujours en danger refusa d'attendre plus longtemps des compagnons qu'ils considéraient comme perdus. Mais Xavier ranima de nouveau leur courage, les conjurant par la mort du Christ de patienter encore. Puis rentré dans sa cabine, il se remit à prier avec un redoublement de ferveur.
«Enfin après trois longues heures d'attente, on vit apparaître la chaloupe, et bientôt les quinze matelots qu'on croyait perdus eurent rejoint le navire. D'après le témoignage de Mendès Pinto, on vit alors se produire un fait des plus singuliers. Quand les hommes de la chaloupe furent montés sur le pont du navire et que le pilote voulut la repousser, ceux-ci s'écrièrent qu'il fallait auparavant laisser sortir Xavier qui était avec eux. C'est en vain qu'on chercha à leur persuader qu'il n'avait pas quitté le bord. Ils affirmèrent qu'il était resté avec eux pendant la tempête, ranimant leur courage et que c'était lui qui avait conduit l'embarcation vers le navire. Devant un tel prodige, tous les matelots furent persuadés que c'était aux prières de Xavier qu'ils devaient d'avoir échappé à la tempête. Il est plus rationnel d'attribuer le salut du navire aux manoeuvres et aux efforts de l'équipage. Mais tout fait présumer que la chaloupe n'eût pu rejoindre le navire si elle n'avait eu pour pilote le saint lui-même, ou plutôt sa doublure.»
Nous ne reproduirons pas les nombreux exemples de bicorporéité que nous trouvons dans les livres spéciaux, ceux que nous avons cités suffisent pour établir d'une manière péremptoire l'existence du périsprit. La physiologie, comme nous l'avons vu, s'unit à l'observation et à la philosophie pour démontrer l'existence, dans l'homme, d'une doublure fluidique qui est le moule du corps, son type, et qui, ne variant pas comme la matière, conserve, tout en suivant les évolutions de l'être, la physionomie et l'individualité.
C'est dans le périsprit que se gravent les souvenirs, c'est en lui que les connaissances s'incorporent et c'est parce qu'il est immuable qu'au milieu des incessantes transformations dont le corps est l'objet, nous conservons le souvenir de ce qui s'est passé dans un temps lointain. C'est lui qui constitue l'identité de l'être, c'est avec lui que l'on vit, que l'on pense, que l'on aime, que l'on prie. C'est enfin avec lui que nous nous retrouvons au lendemain de la mort, dégagés seulement de la matière terrestre, mais conservant nos habitudes, nos goûts, notre manière de voir, enfin identiques, sauf le corps, à ce que nous étions sur la terre.
Ceci nous fait comprendre que le monde des esprits est absolument comme le nôtre, qu'il renferme des êtres à tous les degrés de l'échelle intellectuelle, depuis les sauvages ignorants, jusqu'aux hommes versés dans l'étude des sciences. Nous expliquons de même par l'immortalité de cette enveloppe comment le progrès peut s'accomplir. Il est évident que plus le périsprit est épuré, plus les sensations sont vives. L'âme agit sur son enveloppe fluidique par la volonté, que nous avons constaté, avec Claude Bernard, être une force toute-puissante. Le cerveau humain, qui n'est que la reproduction matérielle de cette partie du fluide périsprital, est en quelque sorte un instrument sur lequel l'esprit joue ; plus l'appareil est parfait, plus le résultat obtenu est beau ; absolument comme un artiste possédant un bon violon fera entendre de ravissantes mélodies.
Par l'instruction, nous développons certaines cases du cerveau, certaines parties dans lesquelles viennent s'enregistrer les acquis intellectuels ; or ces modifications sont reproduites par le périsprit. Il s'ensuit qu'à la mort nous emportons notre bagage scientifique et moral et que, lorsque nous venons nous réincarner, nous avons en germe dans le cerveau tout ce que nous y avons fixé antérieurement. C'est pourquoi nous voyons parfois de jeunes enfants nous étonner par la précocité de leur intelligence et l'aptitude qu'ils possèdent à s'assimiler toutes les sciences. Dans ce cas on peut être certain que pour cet enfant, comme le disait Platon, apprendre c'est se souvenir.
Mais de même que nous apportons sur la terre les qualités précédemment conquises, nous avons aussi des vices qui ne nous quittent pas et contre lesquels il faut lutter énergiquement pour s'en débarrasser. C'est cet ensemble de vertus et de passions qui constitue l'individualité de chaque homme, et l'on comprend la diversité des intelligences, dès la naissance, avec notre système, alors que toutes les philosophies restent muettes sur ce point. L'âme dès la conception forme son enveloppe, non pas peut-être d'une manière consciente, mais néanmoins effective. C'est pendant la gestation que l'esprit fluidifie la mère, qu'il s'incorpore petit à petit les éléments qui doivent former son corps humain et que le cerveau matériel se modèle sur le cerveau du périsprit. Les défauts physiques d'une incarnation antérieure peuvent parfois avoir affecté le double fluidique de telle manière que les modifications organiques se reproduisent encore dans l'incarnation suivante. De là ces enfants qui naissent infirmes, difformes, malgré la bonne santé et l'excellente constitution de leurs parents.
Un des phénomènes les plus curieux de la biologie, c'est l'atavisme, c'est-à-dire la reproduction dans une race de certains caractères appartenant aux ancêtres, mais ayant disparu chez leurs descendants. Darwin rapporte de remarquables et avoue ne pouvoir s'expliquer cette singularité. Si nous étendons aux animaux les mêmes théories, si nous supposons qu'ils ont un principe intelligent revêtu aussi d'une doublure fluidique qui reproduise exactement la forme du corps, nous comprendrons aisément que l'animal qui se réincarne au bout d'un certain temps, apporte les caractères physiques qu'il avait pendant son passage antérieur sur la terre ; mais comme ses congénères ont progressé, il apparaît alors comme une anomalie.
Les hommes présentent, au point de vue moral, et même physique, des cas semblables. Les esprits routiniers et arriérés que l'on trouve toujours opposés à toute idée de progrès, sont des âmes qui n'ont pas encore suffisamment progressé et qui donnent des exemples d'atavisme intellectuel.
En résumé, nous dirons, avec Allan Kardec, que l'individu qui se montre simultanément dans deux endroits différents a donc deux corps ; mais de ces deux corps un seul est permanent, l'autre n'est que temporaire ; on peut dire que le premier a la vie organique et que le second a la vie de l'âme ; au réveil, les deux corps se réunissent, et la vie de l'âme rentre dans le corps matériel. On a dû remarquer dans les histoires rapportées plus haut qu'il ne paraît pas possible que, dans l'état de séparation, les deux corps puissent jouir simultanément, et au même degré, de la vie active et intelligente. Néanmoins les exemples d'Antoine de Padoue, de Xavier paraissent contredire cette loi. Il faut probablement attribuer ces divergences aux chroniqueurs qui, frappés de ces faits étranges, ont voulu les rendre plus mystérieux encore en leur attribuant une simultanéité absolue.
Il ressort, en outre, de ces phénomènes que le corps réel ne pourrait pas mourir, tandis que le corps apparent resterait visible ; l'approche de la mort rappelant toujours l'esprit dans le corps, ne fût-ce que pour un instant. Il en résulte également que le corps apparent ne saurait être tué, puisqu'il n'est pas formé, comme le corps matériel, de chair et d'os.
Charles Bonnet, le disciple de Leibniz, avait déjà entrevu l'existence du périsprit et sa nécessité. Voici ce qu'il écrivait dans différents livres qu'il a publiés .
«En étudiant, avec quelque soin, les facultés de l'homme, en observant leur dépendance mutuelle ou cette subordination qui les assujettit les uns aux autres et à l'action de leurs objets, nous parvenons facilement à découvrir quels sont les moyens naturels par lesquels elles se développent et se perfectionnent ici-bas. Nous pouvons donc concevoir des moyens analogues et plus efficaces qui porteraient ces facultés à un plus haut degré de perfection.
«Le degré de perfection auquel l'homme peut atteindre sur la terre est en rapport direct avec les moyens qui lui sont donnés de connaître et d'agir. Ces moyens sont eux-mêmes en rapport direct avec le monde qu'il habite actuellement.
«Un état plus relevé des facultés humaines n'aurait donc pas été en rapport avec ce monde dans lequel l'homme devait passer les premiers moments de son existence. Mais ces facultés sont infiniment perfectibles et nous concevons fort bien que quelques-uns des moyens naturels qui les perfectionneront un jour peuvent exister dès à présent dans l'homme.
«Aussi puisque l'homme était appelé à habiter successivement deux mondes différents, sa constitution originelle devait renfermer des choses relatives à ces deux mondes. Le corps animal devait être en rapport direct avec le premier monde, le corps spirituel avec le second.
«Deux moyens principaux pourront perfectionner dans le monde à venir toutes les facultés de l'homme : des sens plus exquis et de nouveaux sens.
«Les sens sont la première source de nos connaissances. Nos idées les plus réflectives, les plus abstraites dérivent toujours de nos idées sensibles. L'esprit ne crée rien, mais il opère presque sans cesse sur cette multitude presque infinie de sensations diverses qu'il acquiert par le ministère des sens.
«De ces opérations de l'esprit, qui sont toujours des comparaisons, des combinaisons, des abstractions, naissent, par une génération naturelle, toutes les sciences et tous les arts.
«Les sens destinés à transmettre à l'esprit les impressions des objets sont en rapport avec les objets. L'oeil est en rapport avec la lumière, l'oreille avec le son, etc..
«Plus les rapports que les sens soutiennent avec leurs objets sont parfaits, nombreux, divers, et plus ils manifestent à l'esprit de qualité des objets, et plus encore les perceptions de ces qualités sont claires, vives, complètes, plus l'esprit s'en forme une idée distincte.
«Nous concevons fort bien que nos sens actuels sont susceptibles d'un degré de perfectionnement fort supérieur à celui que nous leur connaissons ici-bas et qui nous étonne chez certains sujets. Nous pouvons même nous faire une idée assez nette de cet accroissement de perfection par les effets prodigieux des instruments d'optique et d'acoustique.
«Qu'on se figure, comme moi, Aristote observant une mite avec un microscope ou contemplant avec nos télescopes Jupiter et ses lunes ; quels n'eussent point été sa surprise et son ravissement !
«Quels ne seront point aussi les nôtres, lorsque revêtus de notre corps spirituel, nos sens auront acquis toute la perfection qu'ils pouvaient recevoir de l'auteur bienfaisant de notre être !»
Ces déductions sont d'autant mieux justifiées que nous allons constater que l'esprit, dégagé du corps, possède des perceptions dont nous ne pouvons nous faire une idée ici-bas. Son enveloppe périspritale lui permet de percevoir des vibrations qui nous sont inconnues, ce qui détermine chez lui des connaissances autres et en plus grand nombre que chez les hommes. Il est bien entendu que nous parlons toujours des esprits assez élevés déjà pour être affranchis des entraves grossières de leur périsprit matériel. Quant aux autres, ils sont, comme nous allons le voir, ignorants de tout ce qui se passe autour d'eux et en connaissent moins sur l'univers et ses lois que beaucoup de savants de notre monde.
CHAPITRE III
-
LE PERISPRIT PENDANT LA DESINCARNATION. - SA COMPOSITION
Nous avons deux moyens de contrôler l'existence du périsprit chez les désincarnés. Nous pouvons, en premier lieu, l'observer pendant que se produisent les manifestations de l'âme, comme nous l'avons fait pour le double fluidique de l'homme ; puis nous assurer de son existence par les médiums voyants et le témoignage des esprits. Fidèle à la méthode positive, nous allons tout d'abord rapporter un certain nombre de faits qui établissent que la personnalité posthume n'est pas niable. C'est donc à la fois la démonstration de l'immortalité de l'âme et de son enveloppe, qui se dégagera de cette étude.
Allan Kardec rapporte dans la Revue d'avril 1860 l'histoire que voici :
«Le fait suivant de manifestation spontanée a été transmis à notre collègue M. Krotzoff, de Saint-Pétersbourg, par son compatriote le baron Tcherkasoff, qui habite Cannes et qui en certifie l'authenticité. Il paraît, du reste, que le fait est très connu, et fit beaucoup de sensation à l'époque où il s'est produit.
«Au commencement de ce siècle, il y avait à Saint-Pétersbourg un riche artisan qui occupait un grand nombre d'ouvriers dans ses ateliers ; son nom m'échappe, mais je crois que c'était un Anglais. Homme probe, humain et rangé, il vaquait non seulement à la bonne facture de ses produits, mais bien plus encore au bien-être physique et moral de ses ouvriers, qui offraient, par conséquent, l'exemple de la bonne conduite et d'une concorde presque fraternelle. D'après une coutume observée en Russie jusqu'à nos jours, ils étaient défrayés du logement et de la nourriture par leur patron et occupaient les étages supérieurs et les combles de la même maison que lui. Un matin, plusieurs des ouvriers, en se réveillant, ne trouvèrent plus leurs habits qu'ils avaient mis à côté d'eux en se couchant. On ne pouvait supposer un vol ; on questionna mais inutilement, et on soupçonna les plus malicieux d'avoir voulu jouer un tour à leurs camarades ; enfin à force de recherches, on trouva tous les objets disparus au grenier, dans les cheminées et jusque dans les toits. Le patron fit des remontrances générales, puisque personne ne s'avouait coupable ; chacun, au contraire protestait de son innocence.
«A quelque temps de là, la même chose se renouvela ; nouvelles remontrances, nouvelles protestations. Peu à peu cela commença à se répéter toutes les nuits et le patron en conçut de vives inquiétudes, car, outre que son travail en souffrait beaucoup, il se voyait menacé par une émigration de tous ses ouvriers, qui avaient peur de rester dans une maison où il se passait, disaient-ils, des choses surnaturelles.
«D'après les conseils du patron, il fut organisé un service nocturne, choisi par les anciens mêmes, pour surprendre le coupable ; mais rien ne réussit, tout au contraire, les choses allèrent en empirant. Les ouvriers, pour gagner leurs chambres, devaient monter des escaliers qui n'étaient point éclairés ; or, il arriva à plusieurs d'entre eux de recevoir des coups et des soufflets ; et quand ils cherchaient à se défendre, ils ne frappaient que l'espace, tandis que la force des coups leur faisait supposer qu'ils avaient affaire à un être solide. Cette fois le patron leur conseilla de se diviser en deux groupes ; l'un d'eux devait rester en haut de l'escalier, l'autre arriver d'en bas ; de cette manière, le mauvais plaisant ne pouvait manquer d'être pris et de recevoir la correction qu'il méritait. Mais la prévoyance du patron se trouva encore en défaut, les deux groupes furent battus à outrance et chacun accusa l'autre. Les récriminations étaient devenues sanglantes, et la mésintelligence entre les ouvriers étant parvenue à son comble, le pauvre patron songeait déjà à fermer ses ateliers ou à déménager.
«Un soir, il était assis, triste et pensif, entouré de sa famille ; tout le monde était plongé dans l'abattement, lorsque tout à coup un grand bruit se fait entendre dans la chambre à côté, qui lui servait de cabinet de travail. Il se lève précipitamment, et va reconnaître la cause de ce bruit. La première chose qu'il voit en ouvrant la porte, c'est son bureau ouvert et la bougie allumée ; or, il venait peu d'instants avant de fermer le bureau et d'éteindre la lumière. S'étant approché, il distingua sur le bureau un encrier de verre et une plume qui ne lui appartenaient pas, et une feuille de papier sur laquelle étaient écrits ces mots : «Fais démolir le mur à tel endroit (c'était sur l'escalier) ; tu y trouveras des ossements humains que tu feras ensevelir en terre sainte.» Le patron prit le papier et courut en avertir la police.
«Le lendemain on se mit donc à chercher d'où provenaient le papier et la plume. En les montrant aux habitants de la même maison, on arriva jusqu'à un marchand de légumes et de denrées coloniales, qui avait sa boutique au rez-de-chaussée et qui connut l'un et l'autre pour les siens. Interrogé sur la personne à laquelle il les avait donnés, il répondit : «Hier soir, ayant déjà fermé la porte de ma boutique, j'entendis un petit coup frappé au vasistas de la fenêtre ; je l'ouvris, et un homme dont il me fut impossible de distinguer les traits me dit : Donne-moi, je te prie, un encrier et une plume, je te les paierai. Lui ayant passé les deux objets, il me jeta une grosse monnaie de cuivre que j'entendis tomber sur le plancher, mais que je n'ai pu retrouver.»
«On fit démolir le mur à l'endroit indiqué et l'on y trouva des ossements humains, qui furent enterrés, et tout rentra dans l'ordre. On ne put jamais savoir à qui avaient appartenu ces ossements.»
Nous trouvons dans cette histoire tous les traits distinctifs que nous constaterons dans les suivantes. 1° L'esprit est invisible, insaisissable, mais manifeste sa présence par des effets physiques qui prouvent qu'il est matérialisé. 2° Il demande à être enseveli en terre sainte. Nous allons voir que, dans la plupart des cas, il en est ainsi. Les apparitions tangibles sont moins rares qu'on pourrait le supposer. En voici une rapportée aussi par Allan Kardec.
«Le 14 janvier dernier, le sieur Lecomte, cultivateur dans la commune de Brix, arrondissement de Valogne, a été visité par un individu qui s'est dit être un de ses anciens camarades, avec lequel il avait travaillé au port de Cherbourg et dont la mort remonte à deux ans et demi. Cette apparition avait pour but de prier Lecomte de lui faire dire une messe. Le 15, l'apparition se reproduisit. Lecomte, moins effrayé, reconnut enfin son ancien camarade ; mais troublé encore, il ne sut que répondre ; il en fut de même les 17 et 18 janvier. Ce ne fut que le 19 que Lecomte lui dit : Puisque tu désires une messe, où veux-tu qu'elle soit dite, et y assisteras-tu ? - Je désire, répond l'esprit, que la messe soit dite à la chapelle de Saint-Sauveur, dans huit jours, et je m'y trouverai. Il ajoute : Il y a longtemps que je ne t'avais vu, et il y a loin pour venir te trouver. Cela dit, il le quitte en lui serrant la main.
«Le sieur Lecomte n'a pas manqué à sa promesse ; le 27 janvier, la messe a été dite à Saint-Sauveur, et il a vu son ancien camarade agenouillé sur les marches de l'autel. Depuis ce jour, le sieur Lecomte n'a plus été visité et il a repris sa tranquillité habituelle.»
Nous avons dit qu'en mourant l'esprit emporte avec lui ses croyances et ses préjugés. Les deux anecdotes précédentes le prouvent, puisque l'esprit de Saint-Pétersbourg demande que ses ossements reposent en terre sainte, et le second qu'on dise une messe pour lui. Nous ne saurions trop le répéter, ceci est dû à ce que l'âme se retrouve après la mort dans des conditions identiques à celles qu'elle avait sur la terre. L'esprit a un corps, le périsprit, qui lui semble matériel ; il va et vient suivant ses habitudes et s'étonne de ce qu'on ne lui répond pas. Sa situation est analogue à celle dans laquelle nous nous trouvons dans le rêve. Nous avons conscience que nous vivons, nous accomplissons certains actes, nous voyons les personnes et les objets, mais tout cela d'une manière particulière. Nous ne réfléchissons jamais à notre état pendant ce temps ; les événements s'accomplissent, nous y prenons part, mais quoi qu'il en résulte quelquefois du bonheur ou de la souffrance et que nous ressentions ces sensations, elles ne font pas sur nous les mêmes impressions que celles qu'elles produiraient à l'état de veille. Il semble que le raisonnement et la sensibilité sont détournés de l'activité normale.
Dans le rêve, l'esprit veut, pense, agit. Il se trouve en contact avec d'autres personnages connus ou inconnus, mais il ne tire pas de déductions de ces rencontres, ou de ce qu'il voit, en un mot ne jouit pas de la plénitude de ses facultés.
A la mort, le même phénomène se reproduit. L'esprit entre dans le trouble, il sait bien qu'il est vivant, il est sûr qu'il existe, et cependant personne ne l'accueille, ses parents, ses amis ne lui adressent jamais la parole. Il vaque à ses occupations ordinaires comme pendant sa vie, et cette situation se prolonge jusqu'à ce qu'il ait reconnu son état. Ces faits ne se produisent pas seulement chez les hommes dépourvus d'intelligence, ils peuvent se présenter pour des esprits cultivés, mais, ou ne croyant à rien, ou ayant des idées fausses sur l'avenir de l'âme. Il est naturel que le matérialiste, même le plus instruit, ne se croie pas mort, puisque, pour lui, ce mot est synonyme de néant. D'autre part, les esprits religieux qui croient fermement au jugement de Dieu, au paradis, à l'enfer, se persuadent qu'ils ne sont pas morts, puisqu'ils ont un corps et que rien de ce qu'ils attendent n'arrive. Voici des faits qui appuient notre raisonnement.
Le premier est rapporté dans les annales de l'Académie de médecine de Leipzig ; il a été discuté publiquement par ce corps savant, il présente donc tous les caractères de la certitude.
En 1659 mourut à Crossen, en Silésie, un garçon apothicaire, nommé Christophe Monig. Quelques jours après, on aperçut un fantôme dans la pharmacie. Tout le monde reconnaît Christophe Monig. Ce fantôme s'assoit, se lève, va aux étagères, saisit pots, flacons, etc., et les change de place. Il examine et goûte les médicaments, les pèse dans la balance, pile les drogues avec fracas, sert les personnes qui lui présentent des ordonnances, reçoit l'argent et le place dans le comptoir. Cependant personne n'ose lui adresser la parole.
Ayant sans doute quelques ressentiments contre son maître, alors très sérieusement malade, il se livre contre lui à une foule de vexations. Un jour il prend un manteau qui se trouvait dans la pharmacie, ouvre la porte et sort. Il traverse les rues sans regarder personne, entre chez plusieurs de ses connaissances, les contemple un instant sans proférer une parole, et se retire. Rencontrant dans le cimetière une servante, il lui dit : «Rentre chez ton maître, et creuse dans la chambre basse : tu y trouveras un trésor inestimable.» La pauvre fille épouvantée perd connaissance et tombe à terre. Il se baisse et la relève, mais en laissant sur elle une marque longtemps visible. Rentrée chez elle et quoique encore saisie d'épouvante, elle raconte ce qui vient de lui arriver. On creuse dans l'endroit désigné et on découvre dans un vieux pot une belle hématite. On sait que les alchimistes attribuaient à cette pierre des propriétés occultes. Le bruit de ces prodiges étant arrivé aux oreilles de la princesse Elisabeth Charlotte, celle-ci ordonna qu'on exhumât le corps de Monig. On croyait avoir affaire à un vampire ; mais on ne trouve qu'un cadavre dans un état de putréfaction assez avancé. On conseilla alors à l'apothicaire de se débarrasser de tous les objets qui avaient appartenu à Monig. Le spectre ne reparut plus à partir de ce moment.
Ici l'état dont nous parlions est bien caractérisé. L'âme de l'apprenti revient et se livre à ses occupations habituelles, c'est ce qui a lieu très souvent, mais les conditions nécessaires à la matérialisation du périsprit ne se présentent pas toujours, expliquent la rareté de ces apparitions. Nous verrons tout à l'heure quelles sont ces conditions.
Empruntons à M. Dassier un autre cas où l'individualité posthume est aussi bien accentuée. L'auteur tient ce récit de l'obligeance de M. Augé, ancien instituteur à Sentenac (Ariège), paroisse de l'abbé Peytou.
Sentenac-de-Sérou, le 8 mai 1879.
MONSIEUR,
«Vous m'avez prié de vous raconter, pour être ensuite discutés scientifiquement, les faits sur les revenants, généralement admis par les personnes les mieux pensantes de Sentenac et qui sont entourés de tout ce qui peut les rendre incontestables. Je vais les citer tels qu'ils se sont produits et tels que les témoins dignes de foi les rapportent.
«PREMIER. - Quand, il y a environ quarante-cinq ans, M. Peytou, curé de Sentenac, fut mort, on entendait chaque soir, à partir de la nuit tombante, quelqu'un remuer les chaises, dans les chambres du presbytère, se promener, ouvrir et fermer une tabatière, et se produire le même bruit qu'un homme qui prend une prise. Ce fait-là, qui se répéta longtemps, fut, comme cela arrive toujours, admis immédiatement par les plus simples et les plus peureux. Ceux qui voulaient paraître, ce que vous me permettrez d'appeler les esprits forts de la commune, ne voulaient y ajouter aucune foi ; ils se contentaient de rire de tous ceux qui semblaient, ou pour mieux dire, étaient persuadés que M. Peytou, le curé mort, revenait.
«Les nommés Eycheinne (Antoine), maire de la commune, à cette époque, et décédé depuis cinq ans, et Galy (Baptiste), qui vit encore, les deux seuls de l'endroit qui fussent un peu lettrés, et partant les plus incrédules, voulurent s'assurer par eux-mêmes si tous les bruits nocturnes qu'on disait entendre au presbytère avaient quelque fondement ou n'étaient que l'effet d'imaginations faibles trop faciles à s'effrayer. Un soir, armés chacun d'un fusil et d'une hache, ils résolurent d'aller passer la nuit à la maison presbytérale, bien déterminés s'ils entendaient quelque chose, à savoir si c'étaient des vivants ou des morts qui faisaient ce bruit.
«Ils s'installent à la cuisine, près d'un bon feu, et commençaient à causer sur la simplicité des habitants, disant qu'eux n'entendaient rien et pourraient parfaitement reposer sur la paillasse qu'ils avaient eu soin d'apporter, quand, dans la chambre qui est au-dessus de leur tête, ils entendent un bruit, puis les chaises remuer, quelqu'un marcher, puis descendre l'escalier et se diriger vers la cuisine. Ils se lèvent ; le sieur Eycheinne va à la porte de la cuisine, tenant la hache d'une main prêt à frapper celui qui osera rentrer, et le sieur Galy met en joue avec son fusil.
«Celui qui semblait marcher, arrivé en face de la porte de la cuisine, prend une prise de tabac, c'est-à-dire que les hommes entendirent le même mouvement que fait un homme qui prise et au lieu d'ouvrir la porte de la cuisine le revenant passa dans le salon où il parut se promener. Les sieurs Eycheinne et Galy, toujours armés, sortent de la cuisine, passent au salon et ne voient absolument rien. Ils montent dans les chambres, parcourent la maison de haut en bas, regardant dans tous les coins, et ne trouvant ni chaises ni rien autre chose qui ne fût à sa place. Le sieur Eycheinne qui avait été le plus incrédule, dit alors à son compagnon Galy : «Mon ami ! ce ne sont pas des vivants qui font ce tapage, ce sont réellement des morts ; c'est M. le curé Peytou ; c'est son marcher et sa manière de priser que nous avons entendus ; nous pouvons dormir tranquilles.»
«DEUXIEME. - Marie Calvet servante chez M. Ferré successeur de M. Peytou, femme courageuse s'il en fût, ne se laissant impressionner par rien, n'ayant aucune foi à ce qu'on racontait, qui aurait sans crainte couché dans une église, comme on dit vulgairement pour désigner une femme qui n'a pas peur ; cette servante, dis-je, nettoyait un soir, à la nuit tombante, et dans le corridor de la grange, les ustensiles de cuisine. M. Ferré, son maître, qui avait été voir M. le curé Desplas, son voisin, ne devait pas rentrer. Pendant que la susdite Calvet était occupée à bien laver les ustensiles, un curé passe devant elle sans lui adresser la parole. «Oh ! vous ne me ferez pas peur, Monsieur le curé, dit-elle, je ne suis pas si bête de croire que M. Peytou revient.» Voyant que le curé qui était passé et qu'elle prenait pour son maître ne lui disait rien, Marie Calvet lève la tête, se tourne et n'aperçoit rien. Alors la peur commença à s'emparer d'elle, et elle descendit rapidement chez les voisins pour leur dire ce qui venait de lui arriver et prier la femme Galy de venir coucher avec elle.
«TROISIEME. - Anne Maurette, épouse Ferrau (Raymond), encore vivante, allait à la pointe du jour, à la montagne, chercher avec son âne une charge de bois. En passant devant le jardin presbytéral, elle voit un curé qui se promenait, un bréviaire à la main, le long de l'allée. Au moment où elle voulait lui dire : «Bonjour, Monsieur le curé, vous vous êtes levé bien matin, le prêtre se tourne, continuant la récitation de son bréviaire. La femme, ne voulant pas interrompre M. le curé dans ses prières, poursuit son chemin sans qu'aucune pensée de revenant se présentât à son esprit. En rentrant de la montagne avec son âne chargé de bois, elle rencontra M. le curé de Sentenac devant l'église : «Vous vous êtes levé bien matin, Monsieur le curé, dit-elle ; je croyais que vous vouliez aller en voyage, quand en passant je vous ai vu dire l'office devant le jardin.» - Non, ma bonne femme, répondit M. le curé, il n'y a pas longtemps que j'ai quitté mon lit, je viens à peine de dire la sainte messe. - Et alors, répliqua cette femme, comme saisie de frayeur, quel était ce prêtre qui récitait à la pointe du jour son bréviaire dans l'allée de votre jardin, et qui s'est retourné au moment où je voulais lui adresser la parole ? J'ai été fort heureuse de croire que c'était vous-même, Monsieur le curé ; je serais morte de peur si j'avais pu croire que c'était le curé qui n'est plus. Mon Dieu ! je n'aurai plus le courage de repasser le matin.»
«Voilà, Monsieur, trois faits qui ne sont pas le produit d'une imagination faible ou effrayée, je doute que la science puisse naturellement les expliquer. Sont-ce des revenants ? Je me garderai de l'affirmer, mais c'est toujours quelque chose qui n'est pas naturel.
«Votre dévoué
«J. Augé.»
Toutes les circonstances de ce récit montrent la personnalité posthume du curé Peytou, continuant dans l'autre monde la vie terrestre. Il va et vient dans son appartement, se promène en lisant son bréviaire ; il est donc impossible de nier la persistance de l'individualité dans ces conditions.
Pour ne pas fatiguer les lecteurs par une fastidieuse compilation, nous nous bornerons à citer l'histoire suivante racontée par le chevalier des Mousseaux qui s'exprime ainsi en parlant des apparitions des Esprits : «Ces faits sont confirmés de nos jours par des ouvrages anglo-américains modernes, que publièrent des savants tels que le grand juge Edmonds, président du Sénat ; Roger, Bavie, Grégory, professeur à l'Université d'Edimbourg. Parmi les faits innombrables de cet ordre, voici ce que racontait, à qui voulait l'entendre, l'homme le moins catholique du monde et le plus sceptique : lord Byron.
«Le capitaine Kidd me dit : Une belle nuit je m'éveillai dans mon hamac et je sentis sur moi quelque chose de pesant ; j'ouvris les yeux, c'était mon frère, en uniforme, couché en travers de mon lit. Je voulus me figurer que cette vision n'était qu'un rêve, et je fermai les yeux pour m'endormir. Mais le même poids se fit sentir, et je revis mon frère couché dans la même position. J'étendis la main et je touchai son uniforme, il était mouillé ! J'appelai : quelqu'un vint, et cette forme humaine disparut. J'appris plus tard que, cette même nuit, mon frère s'était noyé dans l'océan Indien.»
Les faits abondent pour démontrer la survivance et la manifestation des esprits qui ont quitté la terre. Nous ne continuerons pas notre énumération, et en nous référant au livre de M. Dassier, nous prendrons ses principales remarques, déduites de milliers d'observations. L'être posthume possède, comme le double fluidique de l'homme, une forme nettement définie qui reproduit la physionomie et l'ensemble physique du défunt. L'esprit dans ces conditions passe à travers les obstacles matériels qu'on voudrait lui opposer, sans en être aucunement gêné. Nous l'avons vu se livrer habituellement aux mêmes occupations que durant sa vie et cesser tout à coup ses manifestations.
M. Dassier, positiviste, niait d'abord que la survivance fût possible, puis, vaincu par l'évidence, il reconnut son erreur et proclama l'existence de l'être posthume. Mais ce qu'il y a de plus curieux, c'est qu'il ne l'admet pas indéfinie. Il croit que le fantôme n'a qu'une existence momentanée due au peu de force vitale qui reste dans le corps après la mort. Il ne songe pas que le cerveau étant détruit, le posthume ne pourrait faire acte d'intelligence, aller, venir, parler, etc. M. Dassier nous apprend que ce fantôme se dissocie lentement pour rentrer dans le grand tout. Sur quoi base-t-il son appréciation ? Sur ce que les manifestations ne se reproduisent pas toujours.
Cette raison est spécieuse, car elles cessent, en général, lorsqu'on a accompli les volontés de l'être qui se manifeste, et dès lors il n'a plus aucun motif de continuer son tapage ; d'ailleurs les milliers de communications que nous recevons chaque jour nous affirment que l'âme est bien immortelle, et que, loin de se dissoudre lentement, elle va, au contraire, en grandissant moralement et intellectuellement. Oui, mais M. Dassier ne croit pas aux communications ; il se figure qu'elles sont produites par le double fluidique de la personne qui évoque, par ce qu'il nomme l'éther mesmérien.
Il suffit pour combattre cette théorie hasardée, de faire remarquer que les médiums sont absolument dans leur état normal lorsqu'ils obtiennent des communications. Si on n'avait de relations avec le monde des esprits qu'au moyen de somnambules, nous pourrions admettre que la double personnalité intervient, mais nos médiums sont parfaitement éveillés et, de plus, l'hypothèse de M. Dassier n'expliquerait pas même tous les cas de la médiumnité.
Admettons pour un instant que la personnalité mesmérienne du médium soit en action ; cette personnalité ; en supposant qu'elle reproduise exactement le calque intellectuel et physique du médium, ne peut acquérir, par le seul fait de son changement, des qualités qu'elle n'avait pas auparavant. Dès lors, comment expliquer les communications reçues en langues étrangères, l'hébraïco-syriaque de M. Des Mousseaux, et les facultés du garçon de magasin dont parle Cox, qui traitait les plus hauts sujets de la philosophie ? Non, une doctrine comme celle de M. Dassier n'est pas acceptable, et loin de détruire, comme il en a la prétention, «les énervantes hallucinations du spiritisme», il ne fait que nous confirmer plus profondément dans notre foi par les nombreux arguments que son livre nous apporte.
Signalons encore deux caractères de l'être posthume. Il se déplace avec autant de rapidité que le fantôme vivant. Le frère du capitaine Kidd, mort dans l'océan Indien, vient le trouver dans l'Atlantique, la nuit même où s'est produite sa mort.
Deuxièmement le posthume semble redouter la lumière, il la fuit avec une promptitude extrême. Toutes les manifestations auxquelles il se livre ont lieu la nuit et bien rarement pendant le jour. Dans ce dernier cas, c'est particulièrement aux approches du crépuscule qu'elles se produisent.
M. Dassier attribue à la lumière une action désorganisatrice due à l'extrême rapidité des vibrations lumineuses ; nous sommes assez de cet avis, nous verrons tout à l'heure pourquoi et dans quelles conditions.
Jusqu'alors nous avons constaté l'existence de l'âme après la mort, nous avons remarqué qu'elle était revêtue d'une enveloppe, et ceci en nous basant sur l'observation de faits dont l'authenticité nous paraît des mieux établies. Mais nous nous attendons à ce que les incrédules mettent sur le compte de l'hallucination la plupart de ces faits. En vain leur objectera-t-on qu'une pareille concordance entre les récits puisés à des sources si différentes témoigne de la réalité du fait, ils continueront à le nier et à l'attribuer à une maladive attraction que le vulgaire ressent pour le merveilleux. Du haut de leur scepticisme ignorant, ils continueront à sourire de ces superstitions populaires. Mais peut-être cette sécurité railleuse sera-t-elle ébranlée si nous mettons sous leurs yeux, non plus des récits puisés un peu partout et qu'on peut toujours récuser, mais des expériences précises, faites par des hommes de science dans leur laboratoire.
Les faits de matérialisation des esprits qu'on a signalés dans tous les temps n'avaient pas lieu d'une manière régulière, et l'étrangeté des circonstances dans lesquelles ils se produisaient, la peur dont les témoins se sentaient saisis, étaient autant de raisons pour qu'ils fussent mal observés. Grâce au spiritisme, nous pouvons aujourd'hui expérimenter avec quelque certitude, nous connaissons théoriquement les causes de ces phénomènes et si nous ne pouvons encore expliquer scientifiquement comment ils se produisent, nous pouvons déjà trouver dans la science nos plus fermes points d'appui. Nous allons revenir à l'ouvrage de M. Crookes : Recherches sur le Spiritualisme, qui n'est, à vrai dire, que la reproduction des articles qu'il a publiés dans le Quarterly review, réunis en volume par la librairie des sciences psychologiques.
Lorsque ces remarquables travaux parurent en Angleterre, ils excitèrent une stupeur générale. Comment, un homme de cette valeur osait se prononcer affirmativement sur un sujet aussi controversé ? Il apportait des expériences scientifiques ? Vraiment la chose était incroyable, et de tous côtés les vociférations des matérialistes de se faire entendre. M. Crookes dédaigna ces attaques qui ne reposaient sur rien, mais une fois pour toutes il répondit à ceux qui l'accusaient de n'avoir pas une compétence suffisante pour se prononcer dans ces questions :
«Il semble que mon plus grand crime est d'être «un spécialiste parmi les spécialistes !» Moi, un spécialiste ! c'est vraiment nouveau pour moi, que j'aie limité mon attention à un seul sujet spécial. Mon chroniqueur serait-il assez bon pour me dire quel est ce sujet ? Est-ce la chimie générale dont j'ai fait des comptes rendus depuis la création du chimical new en 1859 ? Est-ce le thallium, au sujet duquel le public a probablement entendu dire tout ce qui pouvait l'intéresser ? Est-ce l'analyse chimique sur laquelle j'ai publié récemment un traité des méthodes choisies, qui est le résultat de douze ans de travaux ? Est-ce la désinfection, la prévention et la guérison de la peste bovine sur laquelle j'ai publié un rapport qui, on peut le dire, a popularisé l'acide carbonique ? Est-ce la photographie, sur laquelle j'ai écrit de très nombreux articles tant sur la théorie que sur la pratique ? Est-ce la métallurgie de l'or et de l'argent dans laquelle ma découverte de la valeur du sodium pour le procédé d'amalgamation est à présent largement employé en Australie, en Californie et dans l'Amérique du Sud ? Est-ce l'optique, branche pour laquelle je n'ai que la place de renvoyer à mes mémoires sur quelques phénomènes de la lumière polarisée, publiés avant que j'eusse vingt et un ans ; à ma description détaillée du spectroscope et mes travaux avec cet instrument à une époque où il était presque inconnu en Angleterre ; à mes articles sur les spectres solaires et terrestres ; à mes études sur les phénomènes optiques des opales et à la construction du microscope spectral ; à mes mémoires sur la mesure de l'intensité de la lumière et à la description de mon photomètre de polarisation ? Ou bien ma spécialité est-elle l'astronomie et la météorologie, puisque pendant un an j'ai été à l'Observatoire Radcliffe à Oxford, où, en plus de ma fonction spéciale de surveiller la météorologie, j'avais partagé mes loisirs entre Homère et les mathématiques à Magdalen Hall ; la chasse aux planètes et les prises de passage avec M. Pogson, maintenant directeur de l'observatoire de Madras, et la photographie céleste exécutée avec le magnifique héliomètre attaché à l'observatoire.
«Les photographies de la lune, prises par moi en 1855, à l'observatoire de M. Hartnup, à Liverpool, ont été pendant plusieurs années les meilleures qui existassent, et la Société Royale m'honora d'une gratification en argent pour poursuivre mes travaux sur ce sujet. Ces faits, joints à mon voyage à Oran, l'année dernière, en qualité de membre de l'expédition envoyée par le gouvernement pour y étudier l'éclipse, et l'invitation que j'ai reçue naguère de me rendre à Ceylan pour le même but sembleraient montrer que l'astronomie est ma spécialité. A vrai dire, peu d'hommes de science prêtent moins que moi à l'accusation d'être un spécialiste parmi les spécialistes.»
Ajoutons à ce magnifique ensemble de découvertes celle de la matière radiante, et nous pourrons marcher hardiment derrière un tel homme, sans craindre les sarcasmes des ignorants qui ne sauraient nous atteindre.
C'est en étudiant avec M. Home que Crookes obtint les premières manifestations visibles et tangibles. Nous avons raconté déjà qu'il vit une main lumineuse écrire rapidement, puis remonter dans l'air et disparaître. Il eut l'occasion en poursuivant ses expériences de constater des formes et figures de fantômes. «Ces phénomènes, dit-il, sont les plus rares de tous ceux dont il a été témoin.» Les conditions nécessaires pour leur apparition semblent être si délicates, et il faut si peu de chose pour contrarier leur manifestation que je n'ai eu que de très rares occasions de les voir dans des conditions de contrôle suffisantes. Je mentionnerai deux de ces cas.
«Au déclin du jour, pendant une séance de M. Home chez moi, je vis s'agiter les rideaux d'une fenêtre, qui était environ à huit pieds de distance de M. Home. Une forme sombre, obscure, demi-transparente, semblable à une forme humaine, fut aperçue par tous les assistants, debout près de la croisée, et cette forme agitait le rideau avec sa main. Pendant que nous la regardions, elle s'évanouit et les rideaux cessèrent de se mouvoir.»
Le cas qui suit est encore plus frappant. Comme dans le cas précédent, M. Home était le médium.
«Une forme de fantôme s'avança d'un coin de la chambre, alla prendre un accordéon, et ensuite glissa dans l'appartement en jouant de cet instrument. Cette forme fut visible pendant plusieurs minutes pour toutes les personnes présentes et en même temps on voyait aussi M. Home. Le fantôme s'approcha ensuite d'une dame qui était assise à une certaine distance du reste des assistants ; cette dame poussa un petit cri à la suite duquel l'ombre disparut.»
Ici le récit de l'apparition n'est plus niable, il n'est pas constaté par des paysans ignorants et superstitieux, il ne s'est pas produit à une époque reculée, ou devant des personnes incompétentes pour juger. La supercherie n'est pas possible, puisque l'apparition se montre dans le propre appartement de M. Crookes. Ce fait justifie la possibilité, et, nous dirons plus, la certitude que les autres se sont bien réellement accomplis.
Voici, d'ailleurs, d'autres preuves qui viennent s'ajouter aux précédentes et qui établissent d'une manière irrécusable l'existence et la matérialisation des Esprits dans certaines conditions. Ainsi que nous l'avons dit, il y eut des luttes passionnées, des polémiques violentes dans les journaux anglais, et c'est à ces dissensions que nous avons la bonne fortune de voir M. Crookes intervenir dans le débat, par une série de lettres dans lesquelles il expose les résultats auxquels il est arrivé en compagnie de mademoiselle Florence Cook.
Pour permettre au lecteur de suivre la discussion, il faut que nous exposions de quelle manière on procède ordinairement pour obtenir des matérialisations d'esprit. Dans une chambre quelconque, on suspend en diagonale, dans un des coins, un rideau qui peut se mouvoir sur des tringles. C'est dans ce réduit que se place le médium, après avoir été préalablement visité des pieds à la tête, puis toutes les personnes présentes s'asseyent en rond en se tenant par la main, et toutes les portes sont closes. Au bout d'un temps plus ou moins long, l'esprit apparaît, sortant du cabinet et se promène dans l'espace libre laissé par les assistants. Ceci dit, revenons à M. Crookes. Voici sa première lettre.
«Monsieur,
«Je me suis efforcé, le plus que j'ai pu, d'éviter toute controverse en parlant sur un sujet aussi inflammable que les phénomènes appelés spirites. Excepté dans un très petit nombre de cas où l'éminente position de mes adversaires aurait pu faire donner à mon silence d'autres motifs que les véritables, je n'ai jamais répliqué aux attaques et aux fausses interprétations que mes attaches à cette cause ont fait diriger contre moi.
«Le cas est autre cependant, lorsque quelques lignes de ma part pourront éloigner un injuste soupçon jeté sur quelqu'un. Et lorsque ce quelqu'un est une femme jeune, sensible et innocente, c'est tout spécialement un devoir d'apporter le poids de mon témoignage en faveur de celle que je crois injustement accusée.
«Parmi tous les arguments mis en avant de part et d'autre touchant les phénomènes obtenus par la médiumnité de mademoiselle Cook, je vois très peu de faits établis de manière à amener un lecteur à dire, pourvu qu'il puisse avoir confiance dans le jugement et la véracité du narrateur : «Enfin, voici une preuve absolue !»
«Je vois beaucoup de fausses assertions, beaucoup d'exagérations non intentionnelles, des conjectures et des suppositions sans fin, pas mal d'insinuations de fraude, un peu de bouffonnerie vulgaire, mais je ne vois personne se présenter avec l'affirmation positive, basée sur l'évidence de ses propres sens, que quand la forme qui se donne elle-même le nom de «Katie» est dans la chambre, le corps de mademoiselle Cook est au même moment dans le cabinet ou n'y est pas.
«Il me semble que toute la question se resserre entre ces étroites limites. Qu'on prouve comme un fait, l'une ou l'autre des deux alternatives précédentes, et toutes les autres questions subsidiaires seront écartées...
«La séance se tenait dans la maison de M. Luxmore, et le «cabinet» (espace réservé au médium) était un arrière-salon séparé par un rideau de la chambre du devant, dans laquelle se trouvait l'assistance.
«La formalité ordinaire d'inspecter la chambre et d'examiner les fermetures ayant été effectuée, mademoiselle Cook pénétra dans le cabinet.
«Au bout de peu de temps, la forme de Katie apparut, à côté du rideau, mais elle se retira bientôt en disant que son médium n'était pas bien et ne pouvait pas être mis dans un sommeil suffisamment profond pour qu'il fût sans danger pour elle de s'en éloigner.
«J'étais placé à quelques pieds du rideau derrière lequel mademoiselle Cook était assise, le touchant presque, et je pouvais fréquemment entendre ses plaintes et ses sanglots, comme si elle souffrait. Ce malaise continua par intervalles, presque pendant toute la durée de la séance, et une fois comme la forme de Katie était devant moi dans la chambre, j'entendis distinctement le son d'un sanglot plaintif, identique à ceux que mademoiselle Cook avait fait entendre par intervalles pendant le cours de la séance, et qui venait de derrière le rideau où elle était assise.
«J'avoue que la figure était frappante de vie et d'apparence de réalité, et autant que je pouvais voir à la lumière un peu indécise, ses traits ressemblaient à ceux de mademoiselle Cook ; mais cependant la preuve positive donnée par un de mes sens, que le soupir venait de mademoiselle Cook dans le cabinet, tandis que la figure était au-dehors, cette preuve, dis-je, est trop forte pour être renversée par une simple supposition du contraire, même bien soutenue.»
Le témoignage de M. Crookes est une garantie de l'exactitude des faits, mais nous allons constater que ces manifestations, encore un peu vagues, ont été en s'accentuant de plus en plus jusqu'à amener M. Crookes à dire dans une lettre suivante : «Je suis heureux de dire que j'ai enfin obtenu «la preuve absolue» dont je parlais dans la lettre précédente.» Laissons la parole à l'éminent chimiste.
«Pour le moment, je ne parlerai pas de la plupart des preuves que Katie m'a données dans les nombreuses occasions où mademoiselle Cook m'a favorisé de séances chez moi, et je n'en décrirai qu'une ou deux qui ont eu lieu récemment.
«Depuis quelque temps, j'expérimentais avec une lampe à phosphore, consistant en une bouteille de 6 ou 8 onces qui contenait un peu d'huile phosphorée et qui était solidement bouchée. J'avais des raisons pour espérer qu'à la lumière de cette lampe, quelques-uns des mystérieux phénomènes du cabinet pourraient se rendre visibles, et Katie espérait, elle aussi, obtenir le même résultat.
«Le 12 mars, pendant une séance chez moi, et après que Katie eut marché au milieu de nous, qu'elle nous eut parlé pendant quelque temps, elle se retira derrière le rideau qui séparait mon laboratoire, où l'assistance était assise, de ma bibliothèque, qui, temporairement, faisait l'office de cabinet. Au bout d'un moment, elle m'appela à elle en disant : «Entrez dans la chambre et soulevez la tête de mon médium : elle a glissé à terre.» Katie était alors devant moi, vêtue de sa robe blanche habituelle et coiffée de son turban. Immédiatement je me dirigeai vers la bibliothèque pour relever mademoiselle Cook, et Katie fit quelques pas de côté pour me laisser passer. En effet, mademoiselle Cook avait glissé en partie de dessus le canapé, et sa tête se penchait dans une position très pénible. Je la remis sur le canapé, et en faisant cela, j'eus, malgré l'obscurité, la vive satisfaction de constater que mademoiselle Cook n'était pas revêtue du costume de Katie, mais qu'elle portait son vêtement ordinaire de velours noir et se trouvait dans une profonde léthargie. Il ne s'était pas écoulé plus de cinq secondes entre le moment où je vis Katie en robe blanche devant moi et celui où je relevai mademoiselle Cook sur le canapé en la retirant de la position où elle se trouvait.
«En retournant à mon poste d'observation, Katie apparut de nouveau et dit qu'elle pensait qu'elle pourrait se montrer à moi, en même temps que son médium. Le gaz fut baissé et elle me demanda ma lampe à phosphore. Après s'être montrée à sa lueur pendant quelques secondes, elle me la remit dans les mains en disant : «Maintenant, entrez et venez voir mon médium.» Je la suivis de près dans ma bibliothèque et, à la lueur de ma lampe, je vis mademoiselle Cook reposant sur le sofa exactement comme je l'y avais laissée. Je regardai autour de moi pour voir Katie, mais elle avait disparu ; je l'appelai, mais je ne reçus pas de réponse.
«Je repris ma place et Katie réapparut bientôt et me dit que tout le temps elle avait été debout à côté de mademoiselle Cook. Elle me demanda alors si elle ne pourrait pas elle-même essayer une expérience, et prenant de mes mains la lampe à phosphore, elle passa derrière le rideau, me priant de ne pas regarder derrière le rideau pour le moment. Au bout de quelques minutes, elle me rendit la lampe en disant qu'elle n'avait pu réussir, qu'elle avait épuisé tout le fluide du médium, mais qu'elle essaierait une autre fois. Mon fils aîné, un garçon de 14 ans, qui était assis en face de moi, dans une position telle qu'il pouvait voir derrière le rideau, me dit qu'il avait vu distinctement la lampe à phosphore paraissant flotter dans l'espace au-dessus de mademoiselle Cook et l'éclairant pendant qu'elle était étendue sans mouvement sur le sofa, mais qu'il n'avait pu voir personne tenir la lampe.
«Je passe maintenant à la séance tenue hier soir à Hachney. Jamais Katie n'est apparue avec une aussi grande perfection ; pendant près de deux heures elle s'est promenée dans la chambre, en causant familièrement avec ceux qui étaient présents. Plusieurs fois elle prit mon bras en marchant, et l'impression ressentie par mon esprit, que c'était une femme vivante qui se trouvait à mon côté, et non pas un visiteur de l'autre monde, cette impression, dis-je, fut si forte, que la tentative de répéter une récente et curieuse expérience fut presque irrésistible.
«Pensant donc que si je n'avais pas un esprit près de moi, il y avait tout au moins une dame, je lui demandai la permission de la prendre dans mes bras, afin de me permettre de vérifier les intéressantes observations qu'un expérimentateur hardi avait récemment fait connaître d'une manière tant soit peu prolixe. Cette permission me fut gracieusement donnée et, en conséquence, j'en usai convenablement, comme tout homme bien élevé l'eût fait dans ces circonstances. M. Volckman sera charmé de savoir que je puis corroborer son assertion que le fantôme (qui, du reste, ne fit aucune résistance) était un être aussi matériel que mademoiselle Cook elle-même...
«Katie dit alors que cette fois elle se croyait capable de se montrer en même temps que mademoiselle Cook. Je baissai le gaz et ensuite avec une lampe à phosphore je pénétrai dans le cabinet. Mais préalablement, j'avais prié un de mes amis, qui est habile sténographe, de noter toute observation que je pourrais faire pendant que je serais dans ce cabinet, car je connais l'importance qui s'attache aux premières impressions et je ne voulais pas me confier à ma mémoire plus qu'il n'était nécessaire. Ces notes sont en ce moment devant moi.
«J'entrai dans la chambre avec précaution ; il y faisait noir, et ce fut à tâtons que je cherchai mademoiselle Cook ; je la trouvai accroupie sur le plancher.
«M'agenouillant, je laissai l'air entrer dans ma lampe, et à sa lueur je vis cette jeune dame vêtue de velours noir, comme elle l'était au début de la séance, et ayant tout à fait l'apparence d'être complètement insensible. Elle ne bougea pas lorsque je pris sa main et tins la lampe tout à fait près de son visage ; mais elle continua à respirer paisiblement.
Elevant la lampe, je regardai autour de moi et je vis Katie debout, tout près de mademoiselle Cook et se tenant derrière elle. Elle était vêtue d'une draperie courte et flottante, comme nous l'avions déjà vue pendant la séance. Tenant une des mains de mademoiselle Cook dans la mienne et m'agenouillant encore, j'élevai et j'abaissai la lampe, tant pour éclairer la figure entière de Katie que pour pleinement me convaincre que je voyais bien réellement la vraie Katie que j'avais pressée dans mes bras, quelques minutes auparavant, et non pas le fantôme d'un cerveau malade. Elle ne parla pas, mais elle remua la tête en signe de reconnaissance. Par trois fois différentes j'examinai soigneusement mademoiselle Cook accroupie devant moi, pour m'assurer que la main que je tenais devant moi était bien celle d'une femme vivante et, à trois reprises différentes, je tournai ma lampe vers Katie, pour l'examiner avec une attention soutenue, jusqu'à ce que je n'eusse plus le moindre doute qu'elle était là devant moi. A la fin, mademoiselle Cook fit un léger mouvement, et aussitôt Katie me fit signe de m'en aller ; je me retirai dans une autre partie du cabinet et cessai alors de voir Katie, mais je ne quittai pas la chambre jusqu'à ce que mademoiselle Cook se fût réveillée et que deux des assistants eussent pénétré avec de la lumière.»
On pourrait supposer d'après ce que nous connaissons jusqu'alors des propriétés du périsprit, qu'il s'opère simplement un dédoublement de la personnalité du médium, mais la suite des remarques de Crookes va nous montrer que le double fluidique ne joue ici aucun rôle et que l'action est due à un être spirituel momentanément matérialisé.
«Avant de terminer cet article, je désire faire connaître quelques-unes des différences que j'ai observées entre mademoiselle Cook et Katie. La taille de Katie est variable ; chez moi je l'ai vue plus grande de six pouces que mademoiselle Cook. Hier soir, ayant les pieds nus et ne se tenant pas sur la pointe des pieds, elle avait 4 pouces 1/2 de plus que mademoiselle Cook. Hier soir, Katie avait le cou découvert, la peau était parfaitement douce au toucher et à la vue, tandis que mademoiselle Cook a au cou une cicatrice qui, dans des circonstances semblables, se voit distinctement et est rude à toucher. Les oreilles de Katie ne sont pas percées, tandis que mademoiselle Cook porte ordinairement des boucles d'oreilles. Le teint de Katie est très blanc, tandis que celui de mademoiselle Cook est très brun. Les doigts de Katie sont beaucoup plus longs que ceux de mademoiselle Cook, et son visage est aussi plus grand. Dans les façons et manières de s'exprimer, il y a bien des différences marquées.»
Voilà les faits, nous espérons qu'ils sont circonstanciés et entourés des précautions les plus minutieuses. La bonne foi de l'illustre savant ne peut et remise en cause, il n'aurait donc pu qu'être le jouet d'une illusion, d'une hallucination, en prenant pour vraies des fantaisies de son imagination. Mais cette explication, qui charmerait M. Jules Soury, ne peut même pas être invoquée, car la lettre suivante va nous apprendre qu'on a pu photographier l'esprit Katie. Or si l'on peut concevoir un homme de génie halluciné, il est tout à fait ridicule de prétendre qu'on peut photographier des hallucinations.
Laissons parler les faits. Voici une troisième et dernière lettre de M. Crookes.
«Ayant pris une part très active aux dernières séances de mademoiselle Cook, et ayant très bien réussi à prendre de nombreuses photographies à la lumière électrique de Katie King, j'ai pensé que la publication de quelques détails serait intéressante pour les spiritualistes.
«Durant la semaine qui a précédé le départ de Katie, elle a donné des séances chez moi, presque tous les soirs, afin de me permettre de la photographier à la lumière artificielle. Cinq appareils complets de photographie furent donc préparés à cet effet. Ils consistaient en cinq chambres noires, une de la grandeur de plaque entière, une de demi-plaque, une de quart, et de deux chambres stéréoscopiques binoculaires, qui devaient toutes être dirigées sur Katie en même temps, chaque fois qu'elle poserait pour obtenir son portrait. Cinq bains sensibilisateurs et fixateurs furent employés, et nombre de glaces furent nettoyées à l'avance, prêtes à servir afin qu'il n'y eût ni hésitations, ni retard pendant les opérations photographiques, que j'exécutai moi-même assisté d'un aide.
«Ma bibliothèque servit de cabinet noir ; elle avait une porte à deux battants qui s'ouvrait sur le laboratoire ; un de ces battants fut enlevé de ses gonds, un rideau fut suspendu à sa place pour permettre à Katie d'entrer et de sortir facilement. Ceux de nos amis qui étaient présents étaient assis dans le laboratoire, en face le rideau, et les chambres noires étaient placées un peu derrière eux, prêtes à photographier Katie quand elle sortirait, et à prendre également l'intérieur du cabinet, chaque fois que le rideau serait enlevé dans ce but. Chaque soir, il y avait quatre ou cinq expositions de glace dans les cinq chambres noires, ce qui donnait au moins quinze épreuves par séance. Quelques-unes se gâtèrent au développement, d'autres en réglant la lumière. Malgré tout, j'ai quarante-quatre négatifs, quelques-uns médiocres, quelques-uns ni bons ni mauvais, et d'autres excellents .
«Katie donna pour instruction à tous les assistants de rester assis et d'observer cette condition ; seul, je ne fus pas compris dans cette mesure, ca depuis quelque temps elle m'avait donné la permission de faire ce que je voudrais, de la toucher, d'entrer dans le cabinet et d'en sortir, presque chaque fois qu'il me plairait. Je l'ai suivie dans le cabinet et je l'ai vue quelquefois, elle et son médium, en même temps, mais le plus généralement je ne trouvai que le médium en léthargie et reposant sur le paquet : Katie et son costume blanc avaient instantanément disparu.
«Durant ces six derniers mois, mademoiselle Cook a fait chez moi de nombreuses visites et y est restée quelquefois des semaines entières. Elle n'apportait avec elle qu'un petit sac de nuit ne fermant pas à clef, pendant le jour, elle était constamment en compagnie de madame Crookes, de moi-même, ou de quelque autre membre de ma famille, et ne dormant pas seule, il y a eu manque absolu d'occasion de rien préparer, même d'un caractère moins achevé, qui fût apte à jouer le rôle de Katie King. J'ai préparé et disposé moi-même ma bibliothèque ainsi que le cabinet noir, et d'habitude, après que mademoiselle Cook avait dîné et causé avec nous, elle se dirigeait droit au cabinet, et à sa demande je fermai à clef la seconde porte, gardant la clef sur moi pendant toute la séance : alors on baissait le gaz et on laissait mademoiselle Cook dans l'obscurité.
«En entrant dans le cabinet, mademoiselle Cook s'étendait sur le plancher, sa tête sur un coussin, et bientôt elle était en léthargie. Pendant les séances photographiques, Katie enveloppait la tête de son médium avec un châle, pour empêcher que la lumière ne tombât sur son visage. Fréquemment j'ai soulevé un coin du rideau pendant que Katie était debout tout auprès. Les sept ou huit personnes qui étaient dans le laboratoire pouvaient voir en même temps mademoiselle Cook et Katie, sous le plein éclat de la lumière électrique. Nous ne pouvions pas, alors, voir le visage du médium à cause du châle, mais nous apercevions ses mains et ses pieds, nous le voyions se remuer péniblement sous l'influence de cette lumière intense, et par moments nous entendions ses plaintes. J'ai une épreuve de Katie et de son médium photographiés ensemble ; mais Katie est placée devant la tête de mademoiselle Cook. Pendant que je prenais une part active à ces séances, la confiance qu'avait en moi Katie s'accroissait graduellement, au point qu'elle ne voulait plus donner de séance, à moins que je ne me chargeasse des dispositions à prendre, disant qu'elle voulait toujours m'avoir près d'elle et près du cabinet. Dès que cette confiance fut établie, et quand elle eut la satisfaction d'être sûre que je tiendrais les promesses que je pouvais lui faire, les phénomènes augmentèrent beaucoup en puissance, et des preuves me furent données qu'il m'eût été impossible d'obtenir, si je m'étais approché du sujet d'une manière différente.
«Elle m'interrogeait souvent au sujet des personnes présentes aux séances et sur la manière dont elles seraient placées, car dans les derniers temps elle était devenue très nerveuse à la suite de certaines suggestions malavisées qui conseillaient d'employer la force pour procéder à des modes de recherches plus scientifiques.
«Une des photographies les plus intéressantes est celle où je suis debout à côté de Katie, elle a son pied nu, sur un point particulier du plancher. J'habillai ensuite mademoiselle Cook comme Katie ; elle et moi nous nous plaçâmes absolument dans la même position, et nous fûmes photographiés par les mêmes objectifs placés absolument comme dans l'autre expérience et éclairés par la même lumière. Lorsque ces deux dessins sont placés l'un sur l'autre, les photographies de moi coïncident parfaitement quant à la taille, etc.., mais Katie est plus grande d'une demi-tête que mademoiselle Cook, et auprès d'elle, elle semble une grosse femme. Dans beaucoup d'épreuves, la largeur de son visage et la grosseur de son corps diffèrent essentiellement de son médium, et les photographies font voir plusieurs autres points de dissemblance.
«Mais la photographie est aussi impuissante à dépeindre la beauté parfaite du visage de Katie, que les mots le sont eux-mêmes à décrire le charme de ses manières. La photographie peut, il est vrai, donner un dessin de sa pose, mais comment pourrait-elle reproduire la pureté brillante de son teint, ou l'expression sans cesse changeante de ses traits si mobiles, tantôt voilés de tristesse lorsqu'elle racontait quelque événement de sa vie passée, tantôt souriant avec toute l'innocence d'une jeune fille lorsqu'elle avait réuni mes enfants autour d'elle et qu'elle les amusait en leur racontant des épisodes de ses aventures dans l'Inde.
«J'ai si bien vu Katie récemment, lorsqu'elle était éclairée par la lumière électrique, qu'il m'est facile d'ajouter quelques traits aux différences que j'ai établies, dans un précédent article entre elle et son médium. J'ai la certitude la plus absolue que mademoiselle Cook et Katie sont deux individualités distinctes, du moins en ce qui concerne leur corps. Plusieurs petites marques qui se trouvent sur le visage de mademoiselle Cook font défaut sur celui de Katie. La chevelure de mademoiselle Cook est d'un brun si foncé qu'elle paraît presque noire. Une boucle de celle de Katie, qui est là sous mes yeux, et qu'elle m'avait permis de couper au milieu de ses tresses luxuriantes, après l'avoir suivie de mes propres doigts jusque sur le haut de sa tête et m'être assuré qu'elle y avait bien poussé, est d'un riche châtain doré.
«Un soir, je comptais les pulsations de Katie : son pouls battait régulièrement 75, tandis que celui de mademoiselle Cook peu d'instants après atteignait 90, son chiffre habituel. En appuyant mon oreille sur la poitrine de Katie, je pouvais entendre un coeur battre à l'intérieur, et ses pulsations étaient encore plus régulières que celles du coeur de mademoiselle Cook, lorsque après la séance elle me permettait la même expérience. Eprouvés de la même manière, les poumons de Katie se montrèrent plus sains que ceux de son médium. Car au moment où je fis mon expérience, mademoiselle Cook suivait un traitement médical pour un gros rhume.
«Vos lecteurs trouveront sans doute intéressant qu'à vos récits et à ceux de M. Ross Church, au sujet de la dernière apparition de Katie, peuvent s'ajouter les miens, du moins ceux que je puis oublier. Lorsque le moment de nous dire adieu fut arrivé pour Katie, je lui demandai la faveur d'être le dernier à la voir. En conséquence, quand elle eut appelé à elle chaque personne de la société et qu'elle leur eut dit quelques mots en particulier, elle donna des instructions générales pour notre direction future et la protection à donner à mademoiselle Cook. De ces instructions, qui furent sténographiées, je cite la suivante : «M. Crookes a très bien agi constamment, et c'est avec la plus grande confiance que je laisse Florence entre ses mains, parfaitement sûre que je suis qu'il ne trompera pas la foi que j'ai en lui. Dans toutes les circonstances imprévues, il pourra faire mieux que moi-même, car il a plus de force.»
«Ayant terminé ses instructions, Katie m'engagea à entrer dans le cabinet avec elle, et me permit d'y demeurer jusqu'à la fin.»
«Après avoir fermé le rideau, elle causa avec moi quelque temps, puis elle traversa la chambre pour aller à mademoiselle Cook qui gisait inanimée sur le plancher. Se penchant sur elle, Katie la toucha et lui dit : «Eveillez-vous, Florence, éveillez-vous ! il faut que je vous quitte maintenant.»
«Mademoiselle Cook s'éveilla et, tout en larmes, elle supplia Katie de rester quelque temps encore. «Ma chère, je ne le puis pas, ma mission est accomplie. Que Dieu vous bénisse !» répondit Katie, et elle continua à parler à mademoiselle Cook. Pendant quelques minutes elles causèrent ensemble, jusqu'à ce qu'enfin les larmes de mademoiselle Cook l'empêchèrent de parler. Lisant les instructions de Katie, je m'élançai pour soutenir mademoiselle Cook, qui allait tomber sur le plancher et qui sanglotait convulsivement. Je regardai autour de moi, mais Katie et sa robe blanche avaient disparu. Dès que mademoiselle Cook fut assez calmée, on apporta une lumière, et je la conduisis hors du cabinet.
«Les séances presque journalières dont mademoiselle Cook m'a favorisé dernièrement ont beaucoup éprouvé ses forces, et je désire faire connaître le plus possible les obligations que je lui dois pour son empressement à m'assister dans mes expériences. Quelque épreuves que j'aie proposées, elle a accepté de s'y soumettre avec la plus grande bonne volonté ; sa parole est franche et va droit au but, et je n'ai jamais rien vu qui pût en rien ressembler à la plus légère apparence du désir de tromper. Vraiment je ne crois pas qu'elle pût mener une fraude à bonne fin ; si elle venait à l'essayer, et si elle le tentait, elle serait très promptement découverte, car une telle manière de faire est tout à fait étrangère à sa nature. Et quant à penser qu'une innocente écolière de 15 ans ait été capable de concevoir et de mener pendant trois ans, avec un plein succès, une aussi gigantesque imposture que celle-ci, et que pendant ce temps elle se soit soumise à toutes les conditions qu'on a exigées d'elle, qu'elle ait supporté les recherches les plus minutieuses, qu'elle ait voulu être inspectée à n'importe quel moment, soit avant, soit après les séances, qu'elle ait obtenu encore plus de succès dans ma propre maison que chez ses parents, sachant qu'elle y venait expressément pour se soumettre à de rigoureux essais scientifiques - quant à m'imaginer, dis-je, que la Katie King des trois dernières années est le résultat d'une imposture, cela fait plus de violence à la raison et au bon sens que de croire qu'elle est ce qu'elle affirme elle-même.»
Nous dédions ces faits à MM. Jules Soury, Bersot, de Fonvieille et autres incrédules qui n'ont vu qu'âneries ou subterfuges dans les manifestations spirites. Devant l'évidence des faits, il ne leur restera que la ressource de les nier, mais le public sera juge entre des affirmations téméraires, se basant sur une négation systématique, et les savantes études de l'homme le plus éminent de l'Angleterre à l'heure actuelle. Ceci dit, revenons à notre sujet.
L'esprit Katie King s'est matérialisé, lui aussi, non plus dans une lumière douteuse, mais sous le plein éclat de la lumière électrique ; son corps était aussi réel, aussi tangible que celui de M. Crookes lui-même, puisqu'on entendait battre son coeur. Il faut donc admettre la possibilité de la matérialisation temporaire des esprits, mais une condition se dégage déjà : c'est qu'un médium est nécessaire. Toutes les fois que nous avons observé des cas d'apparitions, nous pouvons sans crainte affirmer qu'un médium se trouvait à proximité du lieu où le phénomène se produisait. Nous allons tenter de comprendre comment les choses se passent. Nous n'avons pas la prétention d'apporter une explication positive complète, mais, simplement, de montrer de quelle manière on peut concevoir la production de ces phénomènes au moyen d'analogies tirées de la science.

Essai de théorie
Les esprits, lorsque nous les avons interrogés sur la nature du périsprit, nous ont répondu qu'il est puisé dans le fluide universel de la planète que nous habitons. Tout d'abord, il semble que ceci ne nous apprend pas grand-chose, mais étudions plus à fond le sujet et nous allons voir qu'ils sont dans le vrai. Les esprits entendent par fluide universel, une matière primitive de laquelle proviennent tous les corps par des transformations successives. Pour que cette conception soit justifiée, il faut démontrer 1° que la matière peut exister sous des états différents, allant en se simplifiant, sans cesse jusqu'à l'état initial ; 2° que l'infinie variété des corps peut être ramenée à une matière unique.
Si ces propositions sont établies scientifiquement, l'existence du fluide universel ne sera plus contestable. La première question à se poser est la suivante :
Y a-t-il des fluides ?
Il n'est guère possible d'en douter après les expériences de Crookes et les faits rapportés plus haut, mais qu'entendra-t-on par cette locution ? En physique on appelle fluides les corps liquides et gazeux, mais ici nous devons donner à ce mot une signification spéciale qu'il est utile de bien définir.
Nous appelons fluides, des états de la matière où elle est plus raréfiée que dans l'état connu sous le nom de gaz. Cette conception est-elle justifiée ? Pour répondre à cette question, écoutons Faraday. Voici comment il s'exprimait en 1816 :
«Si nous imaginons un état de la matière aussi éloigné de l'état gazeux que celui-ci l'est de l'état liquide, en tenant compte, bien entendu, de l'accroissement de différence qui se produit à mesure que le degré du changement s'élève, nous pourrons peut-être, pourvu que notre imagination aille jusque-là, concevoir à peu près la matière radiante, et de même qu'en passant de l'état liquide à l'état gazeux la matière à perdu un grand nombre de ses qualités, de même elle doit en perdre plus encore dans cette dernière transformation.»
Cette conception hardie du grand physicien fut développée par lui dans les années suivantes, et l'on peut lire dans ses lettres recueillies par Bence Jones le passage suivant :
«Je puis signaler ici une progression remarquable dans les propriétés physiques qui accompagnent les changements d'état ; peut-être suffira-t-elle pour amener les esprits inventifs et hardis à ajouter l'état radiant aux autres états de la matière déjà connus.
«A mesure que nous nous élevons de l'état solide à l'état liquide et de celui-ci à l'état gazeux, nous voyons diminuer le nombre et la variété des propriétés physiques des corps, chaque état en présentant quelques-unes de moins que l'état précédent. Quand les solides se transforment en liquides, toutes les nuances de dureté et de mollesse cessent nécessairement d'exister ; toutes les formes cristallines ou autres disparaissent. L'opacité ou la couleur sont souvent remplacées par une transparence incolore, et les molécules des corps acquièrent une mobilité pour ainsi dire complète.
«Si nous considérons l'état gazeux, nous voyons s'anéantir un plus grand nombre de caractères évidents des corps. Les immenses différences qui existent entre leurs poids ont presque entièrement disparu. Les traces des différences de couleur qu'ils avaient conservées s'effacent. Désormais tous les corps sont transparents et élastiques. Ils ne forment plus qu'un même genre de substance et les différences de dureté, d'opacité, de couleur, d'élasticité et de forme qui rendent presque infini le nombre des solides et des liquides sont désormais remplacés par de très faibles variations de poids et quelques nuances sans importance.
«Ainsi pour ceux qui admettent l'état radiant de la matière, la simplicité des problèmes qui caractérisent cet état, loin d'être une difficulté, est bien plutôt un argument en faveur de son existence. Ils ont constaté jusqu'alors une disparition graduelle des propriétés de la matière, à mesure que celle-ci s'élève dans l'échelle des formes, et ils seraient surpris que cet effet s'arrêtât à l'état gazeux. Ils ont vu la nature faire les plus grands efforts pour se simplifier à chaque changement d'état, et pensent que dans le passage de l'état gazeux à l'état radiant cet effort doit être plus considérable.»
Ce qui était hypothèse pour Faraday est certitude pour nous. Crookes, en démontrant l'existence de la matière radiante, a mis hors de doute l'existence des fluides. Il ne faut pas oublier, en effet, que les corps ne changent pas brusquement d'état, ils ne passent pas instantanément de l'état solide à l'état liquide, la plupart occupent une position intermédiaire appelée l'état pâteux. De même les liquides ne se transforment pas en gaz sans qu'il soit possible d'apprécier les nuances qui séparent ces deux états. Les vapeurs en sont un exemple ; mais cette différence entre les liquides et gaz est encore diminuée par les expériences faites par Charles Andrew, qui a montré que, pour certains corps, il y a mélange entre l'état liquide et l'état gazeux, de manière à ne pouvoir distinguer si le corps appartient à l'un ou l'autre état.
La loi d'analogie nous conduit donc à admettre qu'entre les gaz et l'état radiant il existe de la matière à différents états de raréfaction, depuis les plus grossiers qui se rapprochent des gaz, jusqu'aux plus épurés qui sont à l'état radiant.
Si nous montrons que les propriétés chimiques suivent le même ordre de progression décroissante en remontant l'échelle des familles chimiques, autrement dit, si nous faisons voir que l'on peut supposer qu'il n'y a qu'une seule matière, de laquelle découlent tous les corps que nous connaissons par des transformations successives, nous serons bien près de toucher au fluide universel dont nous parlent les esprits. Voyons si l'unité de la matière est une idée acceptable.
M. Wurtz, le savant chimiste, écrit dans la Théorie atomique : «L'idée d'unité de matière est renouvelée de Descartes, tant il est vrai que, quand il s'agit de l'éternel et insoluble problème de la matière, l'esprit humain semble tourner dans un cercle, les mêmes idées se perpétuant à travers les âges et se présentant sous des formes rajeunies, aux intelligences d'élite qui ont cherché à sonder ce problème. Mais n'y a-t-il pas quelque différence dans la manière d'opérer de ces grands esprits ? Sans aucun doute. Les uns, plus puissants peut-être, mais plus aventureux, ont procédé par intuition ; les autres, mieux armés et plus sévères, par induction raisonnée. Là est la supériorité des méthodes modernes, et il serait injuste de prétendre que les efforts considérables dont nous avons été les témoins émus n'ont pas poussé plus avant l'esprit humain dans le problème ardu dont il s'agit que n'avaient pu le faire un Lucrèce et un Descartes.»
Beaucoup de savants modernes ont été amenés par leurs recherches à cette conclusion, que l'on doit admettre l'unité de la matière. Si l'on examine, en effet, les rapports qui lient entre elles les différentes familles chimiques des corps, on est tenté de leur appliquer, par analogie, les mêmes lois transformistes qu'aux familles naturelles des animaux. C'est que nous avons à notre époque une tendance invincible vers la synthèse et la simplification. Autant les anciens multipliaient les causes, autant nous prenons de soins pour les éliminer aujourd'hui. Mais il ne suffit pas de supposer, il faut avoir des preuves.
Une des plus fortes que l'on puisse fournir est ce qu'on appelle en chimie les états allotropiques. Certaines substances peuvent posséder des propriétés tout à fait différentes, sans changer de nature, chimiquement parlant. Ainsi le phosphore peut présenter un aspect rouge, blanc ou noir, suivant la manière dont on le prépare. Ce qu'il y a de plus remarquable, c'est que le phosphore rouge et le phosphore ordinaire présentent de telles différences qu'on serait tenté de les considérer comme distincts ; et cependant, analysés par les méthodes les plus précises, ils ne présentent aucune différence ; ce n'est toujours que du phosphore. Cette transformation s'opère en exposant dans le vide barométrique le phosphore blanc à l'action des rayons du soleil ; nous croyons qu'aucun cas ne démontre mieux que les propriétés des corps ne sont dues qu'à l'arrangement des molécules qui les composent. L'ozone est aussi une modification allotropique de l'oxygène. Le carbone présente des aspects si multiples, des propriétés particulières si différentes dans les composés qu'il forme, qu'on ne le connaît qu'à son infusibilité et à la propriété de produire de l'acide carbonique en brûlant dans l'oxygène. Il se présente d'abord cristallisé, c'est le diamant, puis sous forme de graphite, d'anthracite, de coke, de noir de fumée, de charbon de bois, etc. Tous ces corps ont donc la même composition, mais présentent des propriétés dissemblables suivant le mode d'assemblage de leurs molécules ; l'on est, dès lors tenté de croire qu'il n'existe qu'une matière, mais pouvant revêtir des aspects différents. Voici une observation qui démontre que nous sommes dans le vrai.
En parlant de l'analyse spectrale, M. Zoborowski rapporte les expériences suivantes : En vue de déterminer les températures des diverses parties du soleil, on a pris des photographies des spectres de ces différentes parties. Chaque corps en combustion marquant, comme on sait, sa présence, dans la lumière décomposée en éléments ou spectrale, par des raies particulières, il a été démontré que : «l'élargissement des raies du platine est corrélatif de l'élévation de température». On a pu ainsi prendre utilement des photographies des spectres d'un grand nombre d'étoiles. Et, en conformité avec l'hypothèse de Laplace, on a constaté que ces astres sont à des états différents de condensation. Les étoiles blanches, plus ardentes, renferment de l'hydrogène en abondance et à haute pression ; les étoiles brillantes se rapprochent de la constitution de notre soleil ; les étoiles rougeâtres sont beaucoup moins chaudes. En s'éteignant elles passent à l'état des planètes obscures. Et elles prennent naissance des nébuleuses. C'est du moins là la grande hypothèse classique depuis Laplace. Mais cette hypothèse va devenir susceptible de vérification, car la photographie, en permettant de prendre et de conserver des images des nébuleuses à différentes époques, dans l'intervalle de siècles entiers, nous donnera les moyens de suivre les transformations de ces matières cosmiques, sorte de protoplasma qui engendre les mondes.
«Dans un but un peu différent, M. Lockyer (1879), M. Huggins (1882) ont photographié les spectres d'une série de nébuleuses depuis les plus denses jusqu'aux plus raréfiées ; ils sont arrivés à reconnaître que le nombre des corps simples diminue à mesure que l'on passe des premières aux secondes. Les spectres photographiques des plus raréfiées n'indiquent plus que l'hydrogène et le phosphore.»
C'est véritablement la confirmation des vues exposées plus haut sur l'unité de la matière. La corrélation signalée par Faraday entre l'état de plus en plus raréfié de la matière et la perte connexe des principales propriétés qui la caractérisaient nous donne le droit de dire qu'il existe un état radiant de la matière qui forme le fluide universel.
C'est dans ce milieu qu'est puisé le périsprit. Ceci connu, cherchons à nous rendre compte de ce qui se passe dans une matérialisation. Pour cela il faut bien savoir ce qu'est la matière elle-même et à quel agent sont dues ses propriétés.
Tous les corps sont composés de parties infiniment petites nommées atomes ; pour se faire une idée de leur ténuité, prenons une substance colorante telle que la fuchsine ; et nous constaterons qu'elle peut teindre plusieurs millions de fois son volume d'eau, c'est-à-dire que les molécules qui composent ce corps se sont répandues dans la masse totale du liquide, en se divisant de plus en plus. D'après cela on pourrait croire que les corps sont indéfiniment divisibles ; ce serait une erreur, car la loi des proportions définies est un argument sans réplique que l'on peut invoquer en faveur d'une divisibilité limitée.
Ces atomes qui composent tous les corps ne se touchent pas ; ils sont placés les uns à côté des autres et groupés par une force nommée cohésion ; tous les corps de la nature nous apparaissent donc comme des collections d'atomes ou de molécules assemblés diversement ; c'est pourquoi les nouvelles conceptions scientifiques tendent à ramener tous les phénomènes de la nature à des mouvements moléculaires ou à des mouvements de transport dans l'espace. La matière est inerte, c'est-à-dire que d'elle-même elle est incapable d'entrer en mouvement ; si l'on constate un déplacement dans un corps, c'est qu'une force quelconque l'aura fait sortir de son état d'inertie. On peut donc dire que le mouvement est l'expression de la force, mais cette force peut agir de différentes manières, soit en déplaçant le corps dans l'espace, soit en déterminant des changements dans son état moléculaire.
Par exemple, si avec le doigt on maintient une corde de violon écartée de sa position de repos, les molécules qui forment cette corde tendent à reprendre leur position première, elles exercent une pression sur le doigt, il y a donc travail moléculaire interne ; si, au contraire, on enlève le doigt, la corde se met en mouvement, et le travail moléculaire qui produisait la pression se change en mouvements de transport qui s'exécutent de côté et d'autre de la position de repos de la corde ; le va-et-vient est amorti progressivement par la résistance de l'air et des points d'attache de la corde.
Cette théorie pose en principe que les qualités des corps sont dues aux mouvements particuliers dont les molécules ou les atomes de chaque substance sont animés. Les propriétés chimiques des corps ne seraient dues qu'à des groupements différents des atomes ; sans doute, on ne peut guère actuellement soupçonner à quelle espèce de mouvements constitutifs est due, par exemple, la différence entre l'or et l'argent, mais l'idée que c'est dans ces mouvements qu'elle réside n'en est pas moins aujourd'hui universellement admise.
Que l'on ne crie pas que cette théorie soit forgée pour les besoins de notre cause ; depuis la découverte de la transformation et la conservation de la force, c'est la seule que l'on puisse comprendre, et on la trouvera exposée dans la psychophysique du professeur Delboeuf.
Si cette conception moderne est vraie, l'Univers apparaîtrait, à notre intelligence supposée parfaite, comme étant composé de groupes différents d'atomes, groupes mobiles dans l'espace, pendant que tous les atomes oscillent autour d'un centre d'équilibre ; elle n'y verrait d'autre variété que celle provenant de groupements différents, ou du sens, de l'amplitude et de la rapidité des vibrations des atomes.
Tout n'est que mouvement. Depuis l'atome invisible jusqu'au corps céleste perdu dans l'espace, tout est soumis au mouvement, tout gravite dans une orbite immense ou infiniment petite. - Maintenues à une distance définie les unes des autres, en raison même du mouvement qui les anime, les molécules présentent des rapports constants qu'elles ne perdent que par l'apport ou la soustraction d'une certaine quantité de mouvement. Suivant que les vibrations des atomes qui composent les corps sont plus ou moins rapides, les substances sont à l'état solide, liquide, gazeux ou radiant. Pour faire passer un corps par ces différents états, nous employons le plus souvent la chaleur qui n'est qu'un mouvement vibratoire de l'éther, mais nous ignorons si d'autres agents n'ont pas le même pouvoir, c'est-à-dire ne peuvent faire passer les différentes substances par les états solides, liquides et gazeux.
Les esprits nous ont appris que la volonté est une force considérable au moyen de laquelle ils agissent sur les fluides ; c'est donc la volonté qui détermine les combinaisons des fluides ; ils peuvent, par son action, faire toutes les manipulations fluidiques qu'il leur plaît, mais pour matérialiser ces créations fluidiques, ils ont besoin d'un agent essentiel : le fluide vital. Ils ne le trouvent que dans l'organisme humain, réalisant toutes les conditions nécessaires à la matérialisation ; c'est pourquoi la présence d'un médium leur est indispensable.
Ceci connu, comment concevoir qu'un esprit puisse d'abord se montrer à nous et ensuite se matérialiser.
Pour se montrer il faut qu'il puise du fluide vital dans l'organisme de l'incarné. Au moyen de cet agent, il produit dans son enveloppe un changement moléculaire qui de translucide le rend opaque. On trouve un effet analogue, quoique inverse, quand on étudie les propriétés de certaines substances, telles que l'hydrophane, roche siliceuse opaque, qui devient transparente quand on la plonge dans l'eau. Il se produit dans ce cas le même effet que lorsqu'on enduit une feuille de papier d'un corps gras. L'opacité est due à la réflexion de la lumière sur différentes parcelles du papier ; mais l'interposition d'une substance qui empêche les réflexions de se produire permet à la lumière de traverser le corps et par suite produit la transparence. C'est un effet inverse qui se produit chez les esprits. D'ailleurs il suffit d'examiner la condensation d'une vapeur dans un tube pour comprendre comment le périsprit peut, sous l'influence de la volonté et du fluide vital, se matérialiser.
L'enveloppe fluidique qui reproduit généralement l'apparence physique que l'esprit avait dans sa dernière incarnation possède tous les organes de l'homme, de sorte qu'en diminuant le mouvement moléculaire radiant de cette enveloppe, elle apparaît d'abord sous un aspect vaporeux, comme dans le cas de la sous-maîtresse de Riga, puis le fluide vital du médium s'accumulant de plus en plus dans le corps fluidique, lui communique momentanément une vie factice, qui est d'autant plus intense que le médium peut en abandonner davantage. Ceci nous explique pourquoi les médiums à matérialisation sont, pendant l'action, plongés dans la catalepsie.
On a pu observer aussi dans les exemples de dédoublement que nous avons rapportés dans le chapitre précédent, que la présence d'un médium ne semblait pas nécessaire. Ceci était dû à ce que l'incarné lui-même fournissait le fluide vital indispensable ; il était son propre médium, et suivant que ses fluides vitaux étaient plus ou moins abondants, son double avait aussi une réalité plus ou moins tangible.
Une circonstance du phénomène semble bien étrange : c'est la disparition subite de l'esprit matérialisé. Il semblerait que le périsprit qui a été matérialisé lentement doit repasser progressivement par des phases inverses pour revenir à l'état fluidique. Mais ceci peut encore être compris lorsque l'on songe que l'eau, même à l'état solide, a une certaine tension de vapeur. C'est ce qui fait qu'il n'est pas rare de voir la glace disparaître sans avoir subi de fusion ; elle passe brusquement à l'état de vapeur, et dans ce cas nous devons admettre, ce qu'avait d'ailleurs reconnu le naturaliste Pline, qu'il y a eu vaporisation immédiate. Ce phénomène a été étudié par Gay-Lussac et par M. Regnault qui ont opéré jusqu'à 52 degrés au-dessous de zéro. Certains corps solides, comme l'iode et le camphre, passent aussi directement à l'état gazeux. Nous pouvons donc comprendre qu'il se produit quelque chose d'analogue dans la disparition subite d'un esprit matérialisé.
Pour que notre démonstration soit complète, il faudrait pouvoir faire des expériences qui établiraient l'apport du fluide vital dans l'organisme de l'esprit. Rien n'a encore été tenté dans cette voie, et il est difficile, vu le peu de temps que ces phénomènes sont étudiés scientifiquement, d'en déterminer toutes les lois. Mais telle quelle, nous croyons que notre théorie peut être acceptée pour rendre compte des faits, et nous serons très heureux si ces données peuvent servir à l'éclaircissement de ces questions encore si peu connues. Nous n'avons nullement la prétention d'imposer notre conviction à qui que ce soit ; nous nous contentons d'apporter notre pierre au grand édifice scientifique qui s'élèvera avant peu et qui aura pour base ces états fluidiques si peu étudiés de nos jours.
Cette manière d'envisager le périsprit va nous permettre de comprendre plus facilement le rôle qu'il joue pendant la vie de l'Esprit. Nous allons résumer, d'après Allan Kardec, ce que nous savons à ce sujet.

La vie de l'esprit
Prenons l'âme à sa sortie de ce monde et voyons ce qui se passe après cette transmigration. Les forces vitales s'éteignant, l'esprit se dégage du corps au moment où cesse la vie organique ; mais la séparation n'est pas brusque et instantanée. Elle commence quelquefois avant la cessation de la vie ; elle n'est pas toujours complète à l'instant de la mort. Nous avons démontré qu'entre l'esprit et le corps, il y a un lien semi-matériel qui constitue une première enveloppe ; c'est cette attache qui n'est pas rompue subitement, et tant qu'elle subsiste l'esprit est dans un état de trouble qu'on peut comparer à celui qui accompagne le réveil ; souvent même il doute de sa mort ; il sent qu'il existe, et il ne comprend pas qu'il puisse vivre sans son corps dont il se voit séparé ; les liens qui l'unissent à la matière le rendent même accessible à certaines sensations physiques ; l'un d'eux disait même qu'il sentait les vers qui rongeaient son corps.
Ce n'est que lorsqu'il est complètement libre que l'esprit se reconnaît : jusque-là il ne se rend pas parfaitement compte de sa situation. La durée de cet état de trouble est très variable, elle peut être de quelques heures jusqu'à plusieurs années ; mais il est rare qu'au bout de quelques jours, l'esprit ne se reconnaisse pas plus ou moins bien. Nous ne parlons ici que des âmes déjà parvenues à un certain degré d'avancement moral, car chez les populations sauvages, la vie spirituelle n'est pas assez active pour qu'elles s'identifient avec leur nouvelle position. On fait réincarner très rapidement ces esprits, afin de hâter le moment où, jouissant de leur entier libre arbitre, ils deviendront les seuls maîtres de leurs destinées. De même pour beaucoup d'esprits des nations civilisées, la mort produit un tel changement dans leur situation, qu'ils trouvent que tout est étrange autour d'eux, et il leur faut un certain temps pour se familiariser avec leur nouvelle manière de percevoir les choses.
L'instant où l'un d'eux voit cesser son esclavage par la rupture des liens qui le retiennent au corps est un moment solennel ; à sa rentrée dans le monde des esprits, il est accueilli par ses amis qui viennent le recevoir, comme au retour d'un pénible voyage. Il retrouve ses morts aimés, dont la perte avait été pour lui un chagrin si cuisant, et si la traversée a été heureuse, c'est-à-dire, si le temps d'exil a été employé d'une manière profitable pour lui, ils le félicitent du combat courageusement soutenu. Aux parents se joignent les amis qu'il a connus autrefois, et tous joyeux et rayonnants s'envolent dans l'éther infini. Alors commence véritablement pour lui sa nouvelle existence.
L'enveloppe fluidique de l'esprit constitue une sorte de corps d'une forme définie, limitée et analogue à la nôtre. Nous avons vu, par l'étude des tourbillons de Helmohltz comment on pouvait concevoir cet état, mais ce corps n'a point nos organes et ne peut ressentir toutes nos impressions. Sur la terre l'oeil, l'oreille, le tact dépendent d'instruments dont la grossièreté ne pas de sentir les vibrations, en nombre infini, qui s'étendent au-delà des limites de nos faibles perceptions ; mais ces vibrations existent et, pour l'être qui peut les saisir et en comprendre le langage, elles doivent avoir une voix plus pénétrante que le majestueux murmure de l'Océan, et que les plaintes mystérieuses du vent à travers les grands bois.
L'esprit ressent tout ce que nous percevons ; la lumière, les sons, les odeurs, et ces sensations, pour n'avoir rien de matériel, n'en sont pas moins réelles ; elles ont même quelque chose de plus clair, de plus précis, de plus subtil, parce qu'elles arrivent à l'âme sans intermédiaire, sans passer, comme chez nous, par la filière des sens qui les émoussent. La faculté de percevoir est inhérente à l'esprit ; c'est un attribut de tout son être ; les sensations lui arrivent de partout et non de certaines parties déterminées. L'un d'eux disait en parlant de la vue : «c'est une faculté de l'esprit et non du corps ; vous voyez par les yeux, mais en vous ce n'est pas le corps qui voit, c'est l'esprit.»
Par la conformation de nos organes nous avons besoin de certains véhicules pour nos sensations ; c'est ainsi qu'il nous faut la lumière pour refléter les objets, l'air pour nous transmettre les sons ; ces véhicules deviennent inutiles dès que nous n'avons plus les intermédiaires qui les rendaient nécessaires ; l'esprit voit donc sans le secours de notre lumière, entend sans avoir besoin des vibrations de l'air ; c'est pourquoi il n'y a point pour lui d'obscurité. Ceci nous donne la clef des remarquables propriétés des somnambules lucides qui voient et entendent bien au-delà de la portée des sons matériels. C'est que leur âme, qui est dégagée, jouit d'une partie des prérogatives qu'elle possède à l'état de désincarnation.
Mais les sensations perpétuelles et indéfinies, quelque agréables qu'elles soient, deviendraient fatigantes à la longue si l'on ne pouvait s'y soustraire ; aussi l'âme a-t-elle la faculté de les suspendre ; elle peut cesser à volonté de voir, d'entendre, de sentir telles ou telles choses, par conséquent ne voir, n'entendre, ne sentir que ce qu'elle veut. Cette faculté est en raison de sa supériorité, car il est des choses que les esprits inférieurs ne peuvent éviter, ce qui rend leur situation pénible.
C'est cette nouvelle manière de sentir que l'esprit ne s'explique pas tout d'abord, et dont il ne se rend compte que peu à peu. Ceux dont l'esprit est arriéré ne la comprennent même pas du tout et seraient fort en peine de la décrire ; absolument comme parmi nous les ignorants voient et se meuvent, sans savoir comment.
Cette impuissance à comprendre ce qui est au-dessus de leur portée, jointe à la forfanterie, compagne ordinaire de l'ignorance, est la cause des théories absurdes que donnent certains esprits, et qui nous induiraient nous-mêmes en erreur si nous les acceptions sans contrôle et sans nous assurer, par les moyens que donnent l'expérience et l'habitude de converser avec eux, du degré de confiance qu'ils méritent.
Il y a des sensations qui ont leur source dans l'état même de nos organes ; or les besoins inhérents à notre corps ne peuvent exister du moment que l'enveloppe charnelle est détruite. L'esprit n'éprouve donc ni la fatigue, ni le besoin de repos, ni celui de la nourriture, parce qu'il n'a aucune déperdition à réparer ; il n'est affligé d'aucune de nos infirmités. Si quelquefois les médiums voient des esprits bossus ou boiteux, c'est que ceux-ci prennent cette forme pour se faire mieux reconnaître des personnes avec lesquelles ils ont été en relation sur la terre. Les besoins du corps entraînent des devoirs sociaux qui n'auraient aucune raison d'être pour les esprits : ainsi pour eux les soucis des affaires, les mille tracasseries auxquelles nous exposent le besoin de gagner notre vie, la poursuite des chimères qui doivent flatter notre vanité, les tourments que l'on se crée pour se donner les superfluités de la vie, n'existent plus. Ils sourient de pitié en voyant la peine que nous prenons pour acquérir de vaines richesses ou de ridicules hochets. Mais il faut être déjà parvenu à un degré suffisant d'élévation pour contempler les choses de cette hauteur ; les esprits vulgaires s'intéressent davantage à nos luttes matérielles et y prennent part dans une certaine mesure, en nous incitant vers le bien ou le mal, suivant leur nature bonne ou perverse. Les esprits inférieurs souffrent, mais ces angoisses pour n'avoir rien de physique, n'en sont pas moins poignantes ; ils ont toutes les passions, tous les désirs qui les tenaillaient de leur vivant et leur punition est de ne pouvoir les satisfaire. C'est pour eux une véritable torture qu'ils croient perpétuelle, parce que leur infériorité même ne leur permet pas d'en voir le terme, et c'est encore un châtiment.
La parole articulée est aussi une nécessité de notre organisation ; les esprits, n'ayant pas besoin de sons vibrants pour frapper leurs oreilles, se comprennent par la seule transmission de la pensée, comme il nous arrive souvent ici-bas de nous comprendre par le regard. Les esprits peuvent cependant produire certains bruits ; nous savons qu'ils sont capables d'agir sur la matière, et celle-ci nous transmet le son, c'est ainsi qu'ils font entendre des coups frappés ou des cris, et parfois des chants dans le vague de l'air. Nous traiterons tout ce qui a rapport aux manifestations dans la cinquième partie.
Tandis que nous traînons péniblement notre corps matériel sur la terre, que nous rampons attachés au sol, les esprits vaporeux, éthérés, se transportent sans fatigue d'un lieu à un autre, franchissent d'incommensurables espaces avec la rapidité de la pensée et pénètrent partout sans rencontrer d'obstacles.
L'esprit voit tout ce que nous voyons et plus clairement que nous ne pouvons le faire ; il voit, de plus, ce que nos sens bornés ne nous permettent pas de voir ; pénétrant lui-même dans la matière, il découvre ce qu'elle cache à notre vue.
Les esprits ne sont donc pas des êtres vagues, indéfinis, tels qu'on s'est complu à se les figurer jusqu'ici ; ce sont des individualités réelles, déterminées, circonscrites, jouissant de tontes nos facultés et de beaucoup d'autres qui nous sont inconnues, parce qu'elles sont inhérentes à leur nature ; ils ont les qualités de la matière qui leur est propre et forment la population de cet univers invisible qui nous presse, nous entoure, nous coudoie sans cesse. Supposons un instant que le voile matériel qui les cache à notre vue se soulève : nous verrions une multitude d'êtres nous environner, s'agiter autour de nous et nous considérer, comme nous le ferions si, par hasard, nous nous trouvions dans une réunion d'aveugles. Pour les esprits nous sommes frappés de cécité et ils sont les voyants.
Nous avons dit qu'en entrant dans sa nouvelle vie, l'esprit est quelque temps à se reconnaître, que tout est étrange et inconnu pour lui. On se demandera sans doute comment il peut en être ainsi, s'il a déjà eu d'autres existences corporelles ; ces passages sur la terre ont été séparés par des intervalles passés dans le monde des esprits, et enfin puisque l'espace est sa véritable patrie, l'esprit ne doit pas s'y trouver dépaysé.
Plusieurs causes tendent à rendre ces perceptions nouvelles pour lui, quoiqu'il les ait déjà éprouvées. La mort, avons-nous dit, est toujours suivie d'un instant de trouble, mais qui peut être de courte durée. Dans cet état, ses idées sont toujours vagues et confuses : la vie corporelle se confond pour ainsi dire avec la vie spirite, il ne peut encore les séparer dans sa pensée. Ce premier trouble dissipé, ses idées s'élucident peu à peu et avec elles le souvenir du passé qui ne lui revient que graduellement à la mémoire, car jamais cette faculté ne fait en lui une brusque irruption. Ce n'est que lorsque l'esprit est tout à fait dématérialisé que ses vies antérieures se déroulent devant lui, comme une perspective sortant lentement du brouillard qui l'enveloppait. Alors seulement il se rappelle sa dernière existence, puis le panorama de ses passages sur la terre et de ses retours dans l'espace se développe à ses yeux. Il juge les progrès qu'il a accomplis et ceux qui lui restent à faire ; c'est ainsi que naît le désir de se réincarner, afin d'arriver plus rapidement vers ces mondes heureux qu'il entrevoit.
On conçoit donc, d'après cela, que le monde des esprits doit lui paraître nouveau, jusqu'au moment où le souvenir lui est entièrement revenu. Mais à cette cause il faut en ajouter une autre, qui n'est pas moins prépondérante.
L'état de l'esprit, comme esprit, varie extraordinairement en raison de son élévation et de sa pureté. A mesure qu'il grandit intellectuellement et s'améliore moralement, ses perceptions et ses sensations sont moins grossières, elles acquièrent plus de finesse, de subtilité, de délicatesse ; il voit, sent et comprend des choses, qu'il ne pouvait ni voir, ni sentir, ni comprendre dans une condition inférieure. Or, chaque existence corporelle étant pour lui une occasion de progrès, l'amène à chaque fois dans un milieu nouveau, parmi des esprits d'un autre ordre dont les pensées et les habitudes sont différentes. Ajoutons à cela que cette épuration lui permet de pénétrer dans des mondes inaccessibles aux esprits inférieurs, comme chez nous les salons de l'aristocratie sont interdits aux gens mal élevés. Moins il est éclairé, plus l'horizon est borné pour lui ; à mesure qu'il s'élève et s'épure, cet horizon grandit et avec lui le cercle de ses idées et de ses perceptions.
La comparaison suivante peut nous le faire comprendre. Supposons un paysan brut et ignorant venant pour la première fois à Paris ; comprendra-t-il le Paris du monde élégant et du monde savant ? Non, car il n'y fréquentera que les gens de sa classe et les quartiers qu'ils habitent. Mais que, dans l'intervalle d'un second voyage, ce paysan se soit débrouillé, qu'il ait acquis de l'instruction et des manières polies, ses habitudes et ses relations seront tout autres ; alors il verra un Paris qui ne ressemblera en rien à celui qu'il a connu autrefois. Il en est de même des esprits ; mais tous n'éprouveront pas cette incertitude au même degré. A mesure qu'ils progressent, leurs idées se développent, la mémoire est plus prompte, ils sont familiarisés d'avance avec leur nouvelle position ; leur retour parmi les autres esprits n'a plus rien qui les étonne : ils se retrouvent dans leur milieu normal, et le premier moment de trouble passé, ils se reconnaissent presque immédiatement.
Telle est la situation générale des esprits à l'état que l'on appelle errant ; mais dans cette situation, que font-ils ? à quoi passent-ils leur temps ? Cette question est pour nous d'un intérêt capital.
Il nous importe, en effet, d'être fixés sur ce point, car c'est de notre avenir spirituel dont il s'agit, et les détails les plus circonstanciés ne sont pas hors de saison. D'ailleurs ce sont les esprits eux-mêmes qui répondent à ces interrogations, car dans tout ce que nous avons exposé jusqu'alors, rien n'est dû à l'imagination. Nous avons puisé dans l'enseignement d'Allan Kardec tous les renseignements nécessaires, et lui-même a basé sa théorie sur les communications reçues de toutes les parties du globe ; elle offre donc tous les caractères de la vérité. Toute opinion à part sur le spiritisme, on conviendra que cette théorie de la vie d'outre-tombe n'a rien d'irrationnel ; elle présente une suite, un enchaînement parfaitement logique et dont plus d'un philosophe se ferait honneur.
Nous l'avons déjà dit, ce serait une grave erreur, si l'on croyait que la vie spirite est oisive ; elle est, au contraire, essentiellement active et tous les esprits nous parlent de leurs occupations ; ces occupations diffèrent nécessairement suivant que l'esprit est errant ou incarné. A l'état d'incarnation, elles sont relatives à la nature des globes qu'ils habitent, aux besoins qui dépendent de l'état physique et moral de ces globes, ainsi que de l'organisation des êtres vivants. Les données de la science, exposées avec une si lumineuse clarté dans les Terres du ciel, par Camille Flammarion, nous donnent déjà une idée de ce qu'est la vie à la surface des planètes de notre système solaire ; notre but n'est pas de recommencer ce qu'a si bien fait le célèbre astronome, nous ne parlerons que des esprits errants.
Parmi ceux qui ont atteint un certain degré d'élévation, les uns veillent à l'accomplissement des desseins de Dieu dans les grandes destinées de l'univers ; ils dirigent la marche des événements et concourent au progrès de chaque monde ; d'autres prennent les individus sous leur protection et s'en constituent les génies tutélaires, les guides spirituels, les suivent de la naissance jusqu'à la mort en cherchant à les diriger dans la voie du bien ; c'est un bonheur quand leurs efforts sont couronnés de succès. Quelques-uns s'incarnent dans des mondes inférieurs pour y accomplir des missions de progrès ; ils cherchent par leurs travaux, leurs exemples, leurs conseils, leurs renseignements à faire avancer ceux-ci dans les sciences ou les arts, ceux-là dans la morale. Ils se soumettent alors volontairement aux vicissitudes d'une vie corporelle souvent pénible, en vue de faire le bien, et cela leur est compté. Beaucoup enfin n'ont pas d'attributions spéciales ; ils vont partout où leur présence peut être utile donner des conseils, inspirer de bonnes idées, soutenir les courages défaillants, donner de la force aux faibles et châtier les présomptueux.
Si l'on considère le nombre infini des mondes qui peuplent l'univers et la quantité incalculable d'êtres qui les habitent, on concevra qu'il y a matière à occupation pour les esprits ; ces divers travaux n'ont rien de pénible pour eux, ils les font volontairement et non par contrainte, et leur bonheur est de réussir dans ce qu'ils entreprennent ; nul ne songe à une fainéantise éternelle qui serait un véritable supplice. Quand les circonstances l'exigent, ils se réunissent en conseil, délibèrent sur la marche à suivre, selon les événements, donnent des ordres aux esprits qui leur sont subordonnés, et vont ensuite où le devoir les appelle. Ces assemblées sont générales ou particulières, suivant l'importance du sujet ; aucun lieu spécial n'est affecté à ces réunions, l'espace est le domaine des esprits ; pourtant elles se tiennent, en général, sur les globes qui en font l'objet. Les esprits incarnés sur ces mondes et qui ont une mission à remplir assistent souvent à ces assemblées. Pendant que leur corps repose, ils vont puiser des conseils parmi les autres esprits, souvent recevoir des ordres sur la conduite qu'ils doivent tenir comme hommes. A leur réveil, ils n'ont point, il est vrai, un souvenir précis de ce qui s'est passé, mais ils en ont l'intuition qui les fait agir inconsciemment.
En descendant la hiérarchie, nous trouvons des esprits moins élevés, moins épurés, et, par conséquent, moins éclairés, mais qui n'en sont pas moins bons, et qui, dans une sphère d'activité plus restreinte, remplissent des fonctions analogues. Leur action, au lieu de s'étendre aux différents mondes, s'exerce plus spécialement sur un globe déterminé, en rapport avec leur degré d'avancement ; leur influence est plus individuelle et a pour objet des actions de moindre importance.
Vient ensuite la foule des esprits vulgaires, plus ou moins bons ou mauvais, qui pullulent autour de nous. Ils s'élèvent peu au-dessus de l'humanité dont ils représentent toutes les nuances et en sont comme le reflet, car ils en ont tous les vices et toutes les vertus ; chez un grand nombre on retrouve les goûts, les idées, penchants qu'ils avaient de leur vivant ; leurs facultés sont bornées, leur jugement faillible comme celui des hommes, souvent erroné et imbu de préjugés.
Chez d'autres le sens moral est plus développé ; sans avoir ni grande supériorité, ni grande profondeur, ils jugent plus sainement et condamnent ce qu'ils ont fait, dit ou pensé pendant la vie. Du reste, il y a ceci de remarquable : c'est que, même parmi les esprits les plus ordinaires, la plupart ont des sentiments plus purs à l'état erratique que pendant l'incarnation ; la vie spirite les éclaire sur leurs défauts ; et, à bien peu d'exceptions près, ils se repentent amèrement et regrettent le mal qu'ils ont fait, car ils en souffrent plus ou moins cruellement. L'endurcissement absolu est fort rare et n'est que temporaire, car tôt ou tard ils finissent par gémir de leur position, et l'on peut dire que tous aspirent à se perfectionner, car ils comprennent que c'est le seul moyen de sortir de leur position inférieure.
En résumé, nous voyons que l'âme se développe par une série d'existences successives ; que partie de l'état le plus rudimentaire, dont nous trouvons l'exemple dans les peuplades sauvages, elle doit s'élever par degrés jusqu'à la somme de qualités et de perfections qu'on peut acquérir sur la terre. Lorsqu'elle a atteint le but qui lui était assigné ici-bas, elle monte vers des mondes supérieurs où des destinées meilleures l'attendent. On serait tenté de croire que cette progression éternelle a une limite et que la perfection doit être atteinte un jour. C'est une erreur qui tient à notre nature bornée qui se fait de l'univers et de l'infini une idée étroite, mesquine, peu en harmonie avec la réalité des choses.
Lorsque nous contemplons la faible partie de l'univers que nos instruments nous en font connaître, l'esprit recule, ébloui, devant les milliards de mondes qui peuplent ces espaces sans bornes. Si par la pensée nous mesurons le temps qui nous est indispensable pour fixer en nous une qualité ; si nous jetons un regard en arrière sur les incarnations sans nombre qu'il a fallu supporter pour arriver seulement à notre état actuel ; alors nous comprendrons que notre ascension indéfinie demande un temps énorme, si considérable que les plus hardies conceptions de l'imagination ne peuvent nous le faire concevoir.
Cependant comme Dieu crée sans cesse, on peut supposer qu'il y a des esprits qui ont parcouru toutes les étapes, et qui sont arrivés enfin à la perfection absolue. C'est encore une fausse interprétation, car la perfection absolue, c'est Dieu, c'est-à-dire l'infini et l'éternité. Or ayant eu un commencement, jamais l'âme de l'homme ne sera éternelle, elle est simplement immortelle. C'est une fonction qui croît depuis zéro jusqu'à plus l'infini.
On a quelquefois prétendu que l'âme était incréée. Suivant nous, cette manière de voir est fautive, car si nous admettons l'existence de Dieu, il doit être l'auteur de tout ce qui existe ; sans cela il n'aurait aucune raison d'être. D'ailleurs, puisque nous progressons, en remontant d'incarnation en incarnation nous voyons que nous avons débuté à la vie par un état simple dans lequel nous n'avions aucune des facultés que nous possédons aujourd'hui ; nous les avons acquises insensiblement par une suite de luttes contre la matière ; or, si nous étions éternels, que signifierait la progression ? Dans l'éternité nous ne pourrions ni grandir ni diminuer, nous serions immuables de par notre nature propre. L'expérience nous démontrant, au contraire, que nous grandissons intellectuellement, nous devons en conclure que nous avons été créés. L'immensité et l'éternité sont les seules limites que nous trouvions au progrès, c'est-à-dire qu'il n'en a pas.
Nous ne devons pas être effrayés de cette perspective, car nous savons, par l'expérience, qu'à chaque découverte nouvelle, à chaque acquisition intellectuelle est attaché un bonheur qui accroît d'autant celui dont nous jouissons déjà. A mesure que nos facultés s'étendent, elles s'exercent sur un champ de plus en plus vaste, elles embrassent des horizons plus étendus, et comme l'univers est illimité, nous pouvons imaginer qu'il nous faudra l'éternité pour le comprendre et en approfondir les lois.
Confiants dans la bonté de notre père céleste, nous devons croire aux promesses des esprits supérieurs qui nous assistent, en constatant le bonheur ineffable dont ils jouissent, l'élévation et la beauté de leur enseignement ; notre seul objectif doit être de les égaler, certains que la puissance divine saura toujours récompenser nos efforts en proportionnant le bonheur à la peine que nous aurons supportée.
CHAPITRE IV
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HYPOTHESE
Jusqu'ici nous nous sommes bornés à étudier le périsprit dans l'homme et pendant la désincarnation. Les esprits nous ayant appris qu'il est formé du fluide universel, nous avons accepté leur assertion, sans nous inquiéter de savoir par quel procédé ce périsprit pouvait avoir acquis toutes les qualités dont il est doué. Nous allons, dans ce chapitre, chercher à soulever un coin du voile qui nous masque le passé. Pour expliquer le fonctionnement de l'enveloppe de l'esprit, nous ferons l'hypothèse suivante :
Le périsprit fixe en lui, pendant l'évolution de l'âme, toutes les qualités qui lui permettent de diriger la vie organique ; de sorte que l'homme posséderait : 1° la vie végétative, due au principe vital ; 2° la vie organique due au périsprit ; 3° la vie intellectuelle, qui est celle de l'âme.
Nous entreprendrons donc de démontrer que le double fluidique de l'homme est le principe directeur de la vie organique ; pour arriver à cette conclusion, nous admettrons comme absolument démontrées les lois du transformisme qui s'adaptent merveilleusement à notre sujet. Nous ferons, toutefois, observer que c'est enter une hypothèse sur une supposition, mais ayant déjà déclaré que nous étions prêts à accepter toute autre théorie qu'on nous démontrera meilleure, nous pouvons sans crainte proposer la nôtre.
Nous dirons d'ailleurs, pour nous justifier, que nous avons une habitude ou une tendance instinctive de l'esprit, qui nous porte à vouloir expliquer tout et à inventer l'explication quand elle nous manque. Or, s'il est évident que l'on peut logiquement descendre d'une cause connue à l'effet qu'elle détermine, il n'est pas moins clair que l'opération inverse est absolument dépourvue de règles et livrée à tous les hasards de l'interprétation.
Si l'on sait, dit M. Jamin, que l'eau est pressée par l'atmosphère, on prévoit aussitôt qu'elle montera dans le tuyau d'une pompe où l'on fera le vide. Mais, admettons que l'on ne connaisse pas l'existence de cette pression et que l'on voie monter l'eau, on aura le choix entre une multitude de causes que l'imagination peut suggérer ; et quand on voudra se décider entre elles, on aura toutes les chances possibles de se tromper contre une seule de deviner juste. On sait comment avaient réussi les anciens qui admettaient l'horreur de la nature pour le vide.
C'est le même besoin que l'on veut satisfaire et la même opération que l'on fait quand on dit que la matière s'attire ; tout se ressemble dans ces deux hypothèses, jusqu'à la manière dont on les exprime, et peut-être que tout se ressemble aussi dans la réalité des deux explications. Qu'il y ait une force agissante entre deux astres voisins, c'est ce que la mécanique démontre rigoureusement, mais quand on dit que cette force est une attraction de la matière, on fait une supposition aussi gratuite que celle des anciens, quand ils disaient que la force qui fait monter l'eau est une horreur du vide. Voit-on se produire les phénomènes de la chaleur, de l'électricité, du magnétisme et de la lumière, on s'empresse d'inventer quatre fluides pour les expliquer ; et que sont ces fluides ? Ce sont des êtres d'imagination parfaitement choisis d'ailleurs pour se prêter à toutes les explications, parce qu'en les créant pour le besoin qu'on en a, on peut leur donner toutes les propriétés que l'on veut.
C'est là, dans toute sa beauté, la mise au monde d'un système. Le plus souvent ces théories ne servent qu'à voiler l'ignorance où l'on se trouve des véritables causes, elles habituent l'esprit à se payer de mots. Il est rare que le progrès des sciences ne détruise pas ces brillants produits de l'imagination ; on en a fait beaucoup ; il n'en reste guère, et qui peut prévoir le sort de ceux que nous acceptons ?
Bien que les physiciens modernes prennent pour s'en garantir autant de soin qu'en mettaient les anciens à les multiplier, ils admettent cependant encore quelques systèmes, mais à une condition qui leur donne une véritable utilité, à la condition qu'ils soient renfermés dans une hypothèse générale qui puisse embrasser mathématiquement toutes les lois expérimentales d'une science tout entière, et même à en faire découvrir d'autres.
De ce nombre est la nouvelle théorie qu'on accepte en optique. Aussitôt que l'on a admis que la lumière est un mouvement vibratoire de l'éther, toutes les lois expérimentales deviennent des conséquences que l'on fait découler de l'hypothèse, et, l'optique arrive peu à peu à cet état de perfection finale où l'expérience n'est plus qu'un auxiliaire qui vérifie les prévisions de la théorie, au lieu d'être l'unique moyen de rechercher les lois : c'est à ces caractères que l'on juge aujourd'hui les systèmes, c'est à ces conditions qu'on les admet.
Le spiritisme scientifique a franchi les premiers pas de l'expérience, guidé par des savants illustres, mais l'explication de tous ses phénomènes ne peut encore être utilement tentée, car trop peu de documents existent à l'heure actuelle pour permettre de mener à bien ce travail. C'est donc un simple essai que nous donnons et qui n'a nullement la prétention de se poser comme une vérité absolue.
En philosophie, il y a, pour expliquer la vie dans l'homme, matérialisme à part, trois systèmes différents :
1° Les vitalistes ;
2° Les organiciens ;
3° Les animistes.
Passons rapidement en revue ces différentes écoles.
On sait, d'une manière générale, que le corps s'accroît comme les végétaux, qu'il sent et se meut comme l'animal, enfin qu'il a une existence supérieure qui réside dans la vie intellectuelle. Il faut donc que le système qui explique l'homme physique et moral embrasse ces trois ordres de faits. Nous allons constater qu'ils sont tous insuffisants, parce qu'ils se bornent à n'envisager chacun qu'un côté de la question, au lieu de la voir dans son ensemble.
Les VITALISTES ne veulent reconnaître dans l'homme qu'une force : le principe vital, et ils prétendent qu'il suffit à tout expliquer. Voici sur quoi s'appuie leur conviction.
Ils remarquent qu'il existe entre les phénomènes de la nature inorganique et ceux de la matière organisée une différence radicale : c'est que les corps bruts obéissent à des lois qu'il nous a été donné de connaître et de formuler, de manière que nous pouvons, à volonté, faire l'analyse et la synthèse de toutes les substances. Mais lorsque des corps bruts nous passons à la plante la plus infime, à la plus rudimentaire, il nous devient impossible d'en faire une semblable, quelles que soient les conditions dans lesquelles nous opérions. Une simple feuille d'arbre que le vent détache est un mystère impénétrable quant à sa production. La chimie peut décomposer cette feuille, savoir le poids et la nature des corps qui entrent dans sa composition, mais il lui est impossible de la reproduire, car elle ne dispose pas de la vie, qui est la seule puissance capable d'organiser cette matière.
Dans le corps humain, ce principe agit de la même manière que dans la plante ; il nourrit les cellules des tissus, les remplace sans que l'âme en ait conscience et, de plus, il agit encore, même après la mort, puisque l'on a trouvé certains cadavres sur lesquels les cheveux et les ongles avaient poussé.
Mais si l'on veut expliquer tous les phénomènes qui se passent dans l'homme par le simple jeu du principe vital, on se heurte à des difficultés insurmontables.
Il faut soigneusement distinguer les effets vitaux de ceux produits par l'âme, car entre ces deux genres d'action il existe des différences énormes. Ainsi, par exemple, les phénomènes de digestion, d'assimilation, de circulation du sang sont indépendants de la volonté, ils s'opèrent sans la participation de l'âme. Jeoffroy, le philosophe éclectique, s'écrie :
«Le moi se sent absolument étranger à la production des phénomènes de la vie ; ils arrivent non seulement sans qu'il ait conscience de les engendrer, mais sans qu'il ait la moindre connaissance et soit même averti qu'ils se produisent... Pour saisir es phénomènes de la vie, il faut que nous sortions de nous et que, par des expériences détournées et difficiles, sur le corps humain ou sur celui des animaux, que nous rendions visible à nos sens cette vie qui n'est pas la nôtre et dont notre conscience ne nous dit rien.»
M. Barthélemy Saint-Hilaire ajoute à cette proposition que nous n'intervenons pas plus dans notre nutrition, au point de vue volontaire, que dans celle de la plante.
Barthès, le célèbre médecin, accepte et développe ces arguments. Il oppose à la perpétuelle mobilité de l'âme l'inaltérable immobilité des phénomènes vitaux qui semblent produits par des lois fatales, et il conclut en disant que des effets si différents ne peuvent provenir de la même cause.
Donc il existe un principe vital, mais il ne peut rendre compte de toutes les modalités humaines ; donc les vitalistes ont une théorie incomplète.
Les ORGANICIENS prétendent expliquer la vie végétale et, la vie animale par le simple jeu des organes, autrement dit par l'activité naturelle de la matière. Ils se basent sur ce fait que l'on peut, dans certaines conditions déterminées, soumettre des insectes, tels que les rotifères et les tardigrades, à la mort et à la résurrection, du moins ils qualifient ainsi l'état de ces animaux avant et après l'opération. Il suffit, en effet, après que l'on a desséché ces animalcules à froid et qu'ils semblent morts, de les mettre dans une étuve que l'on porte graduellement à cent degrés, pour les voir revenir à la vie, si on les humecte après refroidissement. D'où les organiciens concluent que le milieu physique fait tout, l'organisme rien.
Mais ce qui prouve que ces philosophes sont dans l'erreur, c'est qu'il y a une température que l'on ne peut dépasser sans que l'animal perde la vie. Donc il y a chez lui un principe qui résiste à la mort jusqu'à un certain degré, puis cette limite dépassée, cette force est détruite, ce qui nous prouve, une fois de plus, l'existence du principe vital.
Les organiciens se basent aussi sur la transformation de la chaleur en force. M. Gavarret établit expérimentalement, par des faits rigoureux, vérifiés et contrôlés par des physiologistes éminents, que la production de la chaleur, la contraction musculaire et l'action nerveuse dérivent directement de l'action de l'oxygène de l'air sur les matériaux du sang. Cette réaction chimique est la seule source de la force indispensable à l'organisme pour exécuter les mouvements qui composent la vie. Ainsi ni âme, ni principe vital, telle est la conclusion de ce physicien.
Pour répondre à M. Gavarret, il suffit de faire remarquer que ces phénomènes se produisent dans les corps animés, c'est-à-dire qui ont déjà été organisés par la force vitale. L'explication du savant physiologiste est donc simplement un renseignement sur la manière dont fonctionne la vie chez les êtres organisés, mais ne touche en rien au principe vital lui-même.
Les partisans de l'opinion précitée se sont appuyés aussi sur les phénomènes qui se passent dans l'estomac et le poumon ; ils ont étudié avec soin les actions produites par ces deux viscères et sont arrivés à connaître les lois qui les dirigent ; ils en ont conclu qu'il n'est pas besoin d'autres forces que celles qui entrent en jeu dans ce cas, pour expliquer la vie.
Comme précédemment, nous leur observerons que la chimification ne peut se produire que si l'estomac est vivant, de même le poumon ne respire que si l'animal est en vie, ainsi que l'ont très bien fait voir MM. Cuvier et Flourens. Cette proposition est si exacte que Muller, le physiologiste, constate que «le germe est une matière sans forme, c'est-à-dire une masse non organisée qui ne présente aucune espèce d'organe ou de rudiments d'organisation, et cependant il vit ; donc la force organique existe dans le germe avant tous les organes.»
Les ANIMISTES, enfin, espèrent tout expliquer par la seule action consciente ou inconsciente de l'âme. Si nous pouvons admettre que les phénomènes intellectuels sont directement le produit de l'âme, les actions de la vie organique doivent être attribuées à une autre cause, car on ne peut comprendre l'action qu'exercerait une force immatérielle sur la matière du corps.
Chaque école se place donc à un point de vue trop exclusif et ne peut résoudre complètement le problème. Le spiritisme, avec les lumières qu'il apporte dans ces questions si controversées, peut servir de synthèse à ces conceptions diverses. Voici comment.
Le principe vital ayant une existence bien démontrée, nous l'acceptons comme une cause de la vie végétative. Il reste à faire saisir de quelle manière s'exercent les actions automatiques qui se passent dans le corps humain. La notion du périsprit va nous faire comprendre comment le double fluidique peut être considéré comme le régulateur de la vie organique, ce qui donne raison, dans une certaine mesure, aux organiciens. Enfin, les animistes peuvent se rallier à nous en voyant de quelle manière nous expliquons l'action de l'âme sur le corps.
Ce qui nous reste à dire, c'est comment le périsprit peut avoir acquis toutes les qualités nécessaires au fonctionnement d'une merveille comme le corps humain. Il faut que nous établissions par quel procédé cette organisation fluidique peut diriger les différentes catégories d'actions organiques qui composent la vie.
Suivant nous, plus l'esprit s'élève, plus son enveloppe s'épure ; donc, en regardant en arrière, nous pouvons dire que, plus cette enveloppe est grossière, moins l'esprit est avancé ; d'où cette conclusion que l'âme humaine, avant d'animer un organisme aussi parfait que le corps de l'homme, a dû passer par la filière animale.
Nous ne prétendons pas que le principe intelligent ait été obligé de traverser la phase végétale, car dans les plantes nous ne trouvons aucun signe de sensibilité bien nettement accusé. Les mouvements de certaines dyonées, comme le mimosa pudica, vulgairement appelé sensitive, ne suffisent pas à établir cette propriété dans les races végétales. Nous prendrons donc le point de départ des évolutions du principe intelligent parmi les animaux les plus rudimentaires.
Nous savons par l'étude de la géologie que le principe vital n'a pas toujours existé sur la terre. Cette science nous apprend qu'à une époque indéterminée de la durée, la terre n'était qu'une masse de matière inorganique, soumise simplement aux lois physico-chimiques qui régissent le monde minéral. C'est l'époque azoïque.
Lorsque notre globe eut subi toutes les modifications matérielles dont il était susceptible, apparut la vie, c'est-à-dire la force organisatrice, et, dès ce moment, nous assistons à une série de transformations merveilleuses. Les organismes procèdent les uns des autres en allant du simple au composé. Depuis la matière du protoplasma jusqu'aux formes les plus élevées, il y a une échelle d'êtres non interrompue, une suite d'anneaux qui relient la plus infime créature à l'homme, suprême expression des types qui se sont succédé ici-bas.
Cette longue élaboration a demandé des milliers de siècles, et à mesure que le monde vieillissait, il devenait de plus en plus apte à recevoir des êtres plus parfaits. Darwin a essayé d'expliquer cette progression continue par les lois naturelles. Hoeckel a repris et développé le système du savant Anglais, et bien que le transformisme ne soit pas encore universellement admis, nous adoptons ses théories, car elles nous paraissent, par la majestueuse lenteur qu'elles accusent, en harmonie avec le natura non facit saltum des naturalistes et conformes à l'idée que nous nous faisons de la puissance créatrice.
Nous avons vu, déjà, une première transformation s'accomplir : à la nature brute succède la nature organisée, grâce à l'apparition du principe vital ; à celui-ci succède le principe animique et la conséquence de ce deuxième agent est la formation des animaux. La plante vit, mais ne possède ni la sensibilité ni le pouvoir de se déplacer. L'animal, au contraire, non seulement vit, mais sent et se meut. C'est à partir de ce moment que nous pouvons entreprendre l'étude de l'évolution intellectuelle.
Si nous admettons que l'âme et son enveloppe aient passé par la filière animale, nous concevons immédiatement de quelle manière les choses ont dû se produire. Nous remarquons que l'animal possède l'instinct, c'est-à-dire une force qui le dirige sûrement pour lui faire éviter ce qui lui est nuisible. Comment cette force a-t-elle pris naissance ?
Dans l'animal, toute action est le résultat d'un jugement primitif qui implique volonté, conscience, raisonnement et intelligence. Ces facultés nous ne pouvons en trouver le germe dans la matière, c'est pourquoi nous les attribuons à l'esprit ; l'instinct est une propriété périspritale qui a pour cause l'âme, mais qui en diffère essentiellement. Pour faire comprendre cette différence, prenons un exemple.
Comment l'enfant apprend-il à lire ?
Il doit d'abord se pénétrer de la forme des lettres. Dans les premiers temps il confond les A et les O, les N et les U, les B et les D, les P et les Q ; il doit se livrer à beaucoup de comparaison pour reconnaître leurs caractères distinctifs. Chaque fois qu'il porte un jugement, qu'il dit d'un A que c'est un A, qu'il dit d'un O que c'est un O, il a dû se raisonner à lui-même le pourquoi de ce jugement. Mais par l'exercice, ce jugement devient de plus en plus rapide, de manière que ce premier pas fait, on peut procéder avec lui à l'étude des syllabes. Il faut qu'il apprenne maintenant à distinguer NA, de AN, OU de UO, IE de EI, nouvelles comparaisons, nouveaux raisonnements, nouveaux exercices ; puis ces difficultés sont vaincues à leur tour. On aborde alors la connaissance des mots, puis des phrases.
Que de temps, que d'efforts, que d'études sont nécessaires pour qu'il arrive à lire couramment.
Il y parvient cependant, et, à la fin, il saisit immédiatement une phrase par la seule inspection du texte, comme certains joueurs font instantanément l'addition de cinq ou six dominos étalés devant eux. Arrivé à ce point il n'a plus même connaissance des actes préliminaires par lesquels il a dû passer pour avoir l'intelligence de la phrase. Il ne s'aperçoit plus qu'il épelle, qu'il juge de la forme des lettres et de leur position respective dans les syllabes, etc., il lui semble qu'il comprend d'emblée ce qu'il lit.
Et comment apprend-il à tracer les lettres avec la plume, à les assembler pour en former des mots, à soigner l'orthographe ? Tous ces mouvements sont d'abord voulus, faits avec pleine conscience, puis, à la fin, il arrive à écrire sous la dictée, sans faire même attention aux paroles qui se prononcent, sa main obéit en quelque sorte d'elle-même aux sons qui frappent son oreille.
C'est d'une manière analogue que le périsprit acquiert insensiblement toutes ses qualités fonctionnelles. Comme il ne se détruit pas à la mort du corps, qu'il a une existence aussi réelle que l'esprit, il accumule dans son sein tous les efforts et tous les acquis de l'esprit. C'est grâce à sa perpétuité que l'esprit doit de pouvoir revenir sur la terre, mieux outillé que la fois précédente.
Les organismes des animaux primitifs sont, en effet, très simples, ils se rapprochent de la nature des plantes. Le principe animique n'a que peu de fonctions à remplir, il s'habitue à la vie active, mais il ne faudrait pas croire qu'il soit inerte, car dès ses premiers pas dans la vie animale, le germe intelligent a des sensations. Il veut, par exemple, fuir ou poursuivre un objet, mais le mouvement ne suit pas immédiatement sa volonté ; il doit pour cela déployer un effort et vaincre certaines résistances qui proviennent d'un arrangement périsprital des molécules peu favorable au mouvement. Ce mouvement finit cependant par se propager en suivant la ligne des molécules dont la vibration présente avec lui le moins de divergence.
C'est ainsi qu'est surmontée dans les premiers temps l'inertie des molécules périspritales sous l'influence de la volonté naissante. De là, il résulte que le même mouvement, quand il est voulu une seconde fois, éprouve moins de résistance, exige moins d'efforts et, à la longue, à force de répétitions, il finit par se faire avec le plus petit effort possible, avec un effort tellement faible qu'il n'est plus senti. Donc le mouvement, d'abord pénible, devient ensuite facile, puis naturel et enfin machinal.
Voilà de quelle manière on peut concevoir que, peu à peu, après des milliers de passages du principe intelligent dans la série animale, le périsprit arrive à fixer en lui ces lois qui nous apparaissent sous forme d'instinct, mais qui ont été lentement conquises par lui au moyen d'existences successives.
Ainsi donc, on peut dire d'une manière générale que le mouvement est volontaire quand on sait comment et pourquoi on le fait ; qu'il est habituel, quand on le fait sans savoir comment ; instinctif, quand on le fait sans savoir pourquoi ; réflexe ou automatique quand on le fait sans le savoir.
L'habitude s'acquiert par l'exercice, c'est-à-dire par la répétition volontaire d'une série d'actes, lesquels finissent par se succéder de plus en plus rapidement avec une dépense de force moindre. L'habitude modifie l'organisme jusque dans les ovules et les spermatozoïdes. La modification des parents se retrouve chez les enfants sous forme de besoin d'abord, d'instinct ensuite. En même temps que l'animal se perfectionne, les instincts progressent et servent à le diriger ; c'est ainsi que se forment les lois de la matière animée. A mesure que l'esprit vieillit, c'est-à-dire qu'il se réincarne, il acquiert des qualités nouvelles et devient de plus en plus apte à habiter des corps plus perfectionnés.
Arrivée à l'humanité, l'âme a fixé dans son enveloppe toutes les lois automatiques destinées à régler cette merveilleuse machine appelée le corps humain. Toutes les fonctions animales s'accomplissent avec régularité et l'âme, dégagée des plus grossières étreintes de la matière, émerge de la gangue qui l'enveloppait et doit devenir la maîtresse absolue de la matière qui la dominait jusque-là.
Un fait semblerait contredire la théorie que nous soutenons. C'est qu'on remarque entre le singe le plus perfectionné et le sauvage, même le plus abruti, des différences immenses qui semblent indiquer une démarcation nettement tranchée entre l'homme et l'animal.
Pour expliquer cette anomalie, au point de vue physique, l'anthropologie nous enseigne qu'il existe une série d'animaux nommés anthropoïdes qui sont les intermédiaires entre l'humanité et l'animalité. Il n'y a donc pas discontinuité dans la grande chaîne des êtres. Au point de vue moral, qui est le plus important, les savantes recherches de MM. Boucher de Perthes, Du Mortillet, Lartet, Gaudry et de tant d'autres, ont établi qu'à un certain moment de la période quaternaire, les caractères humains et simiens se trouvaient réunis chez les anthropoïdes de cette époque lointaine. L'apophyse dentaire, c'est-à-dire l'excroissance sur laquelle s'insèrent les muscles qui favorisent le langage, n'existait pas encore, et cependant tous les caractères du squelette prouvent que l'individu ainsi constitué était déjà un homme.
A mesure que cet être a progressé, ses organes se perfectionnant par suite des efforts qu'il fit pour communiquer avec ses semblables, l'apophyse dentaire s'est formée et cet animal humain a pu parler.
On ne saurait imaginer la longueur du temps qui s'est écoulé pour accomplir cette transformation, mais tout porte à croire qu'elle a été énorme. L'homme ne parlant pas est celui que l'on trouve à l'étage supérieur tertiaire, et malgré les vives discussions qu'a soulevées la qualification d'homme qu'on lui a attribuée, on peut en tout cas le considérer comme un précurseur, puisqu'il taillait des pierres pour son usage.
Quelle que soit l'opinion qu'on se fasse sur l'homme de l'époque pliocène, il est absolument certain et démontré que l'homme, tel qu'il existe actuellement, est apparu à l'étage quaternaire, ce qui lui assure encore une respectable antiquité, puisque des calculs basés sur l'usure des roches calcaires démontrent qu'il y aurait 450.000 années que les glaces auraient disparu, et que l'homme était contemporain, sinon antérieur, à l'époque glacière !
Si le principe intelligent des animaux est obligé de passer par des formes intermédiaires pour parvenir à l'humanité, les singes étant les représentants directs des anthropoïdes, et leur race tendant chaque jour à disparaître, on se demande, quand il n'y en aura plus, comment les âmes animales parviendront à notre degré humain.
Cette objection est très sensée et nous démontre qu'il ne faut pas borner à la terre les évolutions du principe intelligent. Nous faisons partie de l'Univers, et rien ne prouve que le principe animique soit obligé, en arrivant sur notre terre, de suivre toute la série des espèces qui existent à sa surface.
A l'époque quaternaire, il pouvait se faire que les âmes animales se transformassent, en passant, par des graduations insensibles, en âmes humaines ; mais à notre époque ceci n'est plus possible, puisque l'on ne retrouve pas trace d'intermédiaires intellectuels entre l'homme et le singe. Il faut donc admettre que l'âme animale parvenue au sommet de l'échelle des formes qu'elle avait à gravir est emmenée sur un monde où, petit à petit, elle acquiert les qualités qui différencient l'homme de l'animal, c'est-à-dire la connaissance de soi-même, la perfectibilité et le sentiment du bien et du mal.
On remarquera que nous n'avons fait aucune supposition sur la création du principe intelligent, car ces questions sont si obscures, si peu étudiées jusqu'alors, que l'on ne saurait formuler un avis sur ces matières. Le passage de l'âme dans la filière animale nous semble rationnel, mais il y a encore bien des points à éclaircir, et nous ne pouvons donner cette hypothèse que sous les réserves les plus formelles.
Pour rentrer sur le terrain solide des faits, nous pouvons affirmer que depuis plus de 300.000 années l'homme existe sur la terre ; qu'il est sorti lentement des langes de la bestialité pour s'élever jusqu'aux plus hauts sommets de la vie intellectuelle. Quel spectacle et quel enseignement que celui que nous présentent nos aïeux misérables, logeant dans les cavernes et courant nus à la recherche de leur nourriture ! A peine se distinguaient-ils des autres animaux plus forts et aussi féroces qu'eux. Mais l'homme porte au front le signe de la supériorité, il possède l'intelligence, et c'est elle qui va le tirer de cet état épouvantable pour en faire le maître de la création tout entière. C'est la loi du progrès qui se manifeste et qui nous élève des plus bas-fonds de l'être jusqu'aux sphères rayonnantes où tout est amour, justice et fraternité.
CINQUIEME PARTIE
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CHAPITRE PREMIER
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QUELQUES OBSERVATIONS PRELIMINAIRES
Les phénomènes médianimiques, dont nous avons parlé dans le chapitre consacré au spiritisme, demandent à être étudiés spécialement, car ils dénotent qu'il existe des états particuliers de l'organisme qui sont demeurés inconnus jusqu'ici aux physiologistes et aux philosophes. Un médium, avons-nous dit, est un être doué du pouvoir d'entrer en communication avec les esprits ; il doit donc posséder dans sa constitution physique quelque chose qui le distingue des autres personnes, puisque tout le monde n'est pas apte à servir ainsi d'intermédiaire aux esprits désincarnés. De plus, l'esprit agissant sur le médium emploie certains procédés qu'il serait intéressant de connaître, car si nous concevons fort bien comment un homme peut faire sentir physiquement son influence sur un autre, il n'en est plus de même lorsque nous examinons de quelle manière peut s'opérer l'action spirituelle sur un incarné.
La question est complexe, et pour la résoudre, il faudrait une profonde connaissance de l'être humain, non seulement au point de vue physiologique, mais encore et surtout au point de vue périsprital, car cet agent joue un rôle considérable dans tous les phénomènes de la médiumnité. Il serait nécessaire aussi de mieux connaître la nature des enveloppes semi-matérielles des esprits. On le comprendra facilement, nous ne pouvons, dans ces recherches, raisonner que par analogie. Nous n'avons pas encore pu faire d'expériences directes sur le fluide périsprital, qui échappe par sa nature à tous nos instruments, si parfaits qu'ils soient. Nous répéterons ici ce qui a été dit déjà, c'est que nous n'avons pas la prétention de les expliquer scientifiquement ; notre but est plus modeste : nous voulons simplement nous borner à présenter des analogies, à émettre des théories qui permettront de comprendre comment les phénomènes peuvent se produire. C'est une tentative ayant pour but de faire entrer les faits spirites dans les lois naturelles et de montrer qu'on les a considérés à tort comme des dérogations aux principes immuables qui dirigent la nature.
C'est l'interprétation mauvaise qu'on a faite des manifestations spirites qui en a écarté les penseurs ; ils ont cru qu'on voulait rénover les superstitions les plus absurdes et ils se sont élevés avec raison contre ce qu'ils taxaient de folies. Mais en leur montrant que nous pouvons expliquer logiquement les faits par des hypothèses déduites des conceptions scientifiques modernes, nous leur ouvrons les yeux sur un ordre de faits qu'ils ignoraient, et par cela même nous attirons l'attention des hommes sérieux sur un domaine inexploré et fécond en merveilleuses découvertes. C'est donc faire un pas en avant dans la propagation de nos croyances, que d'expliquer la médiumnité par une théorie qui ne choque en rien les idées reçues dans le monde savant.
Nous ne pouvons songer à donner les relations numériques qui lient les différents phénomènes de la médiumnité : nul doute cependant qu'il n'en existe et l'on arrivera plus ou moins vite à les découvrir suivant l'exactitude des méthodes qu'on emploiera. Nous avons déjà vu Crookes construire des appareils de mesure très sensibles pour apprécier l'influence de cette force, qui, ainsi que le constate le rapport de la Société dialectique, s'exerce à distance du foyer dont elle émane et sans aucun conducteur visible.
C'est en suivant un ordre d'idée parallèle à celui-ci, que MM. Helmholtz et de Donders sont parvenus à calculer le temps physiologique de la vision, c'est-à-dire la durée qui sépare le moment où une sensation lumineuse frappe l'oeil de celui où elle est perçue par le cerveau. Ces expériences très simples forment les éléments fondamentaux de toute activité intellectuelle, car on y voit en jeu la sensation, la perception, la réflexion et la volonté. Les déductions les plus compliquées d'un philosophe spéculatif sont constituées par un enchaînement de phénomènes aussi simples que ceux qui ont fait le sujet des recherches dont nous parlons. Ces mesures fournissent donc les éléments d'une nouvelle science du mécanisme dynamique de la pensée, mais qui ne sera féconde qu'autant qu'elle saura discerner les faits qui sont dus simplement à l'action du cerveau de ceux qui ont l'âme comme mobile.
Suivant son degré de complexité, chaque science s'approche plus ou moins de la précision mathématique à laquelle elle doit arriver tôt ou tard, et ceci est si vrai que l'idée d'appliquer le calcul aux phénomènes vitaux n'est pas nouvelle. On sait que, pour les sensations de lumière et de fatigue, des recherches ont été entreprises par Euler, Herbart, Bernouilli, Laplace, Buffon et certains travaux furent faits dans cette direction par Arago, Pogson et surtout Masson, pour les sensations visuelles. Mais le premier qui élargit le cercle des investigations et prépara un travail d'ensemble fut Weber qui formula une loi qui porte son nom, et de laquelle il résulte que : pour faire croître la sensation d'une quantité constante, appelée le plus petit accroissement perceptible, c'est-à-dire pour faire croître la sensation en progression arithmétique, il faut faire croître l'excitation en progression géométrique. De là, cette formule, que la sensation croît comme le logarithme de l'excitation, car les nombres qui sont en progression géométrique ont des logarithmes qui croissent en progression arithmétique .
Fechner a la gloire d'avoir coordonné les travaux contemporains et de les avoir complétés par ses propres recherches. Cette partie de la physique physiologique a pris le nom de psychophysique, et dernièrement le professeur Delboeuf, de l'Université de Liège, a publié un volume où la loi de Weber est modifiée d'après de récentes expériences.
C'est dans cet ordre d'idée que nous devons pousser le spiritisme. Il est nécessaire, maintenant que l'existence de la force psychique est incontestable, de mesurer son action sur l'homme et celle qu'elle peut exercer à distance. La philosophie grandiose des Esprits est assise sur les bases de la plus rigoureuse logique, il nous faut donc étudier les lois physiques qui rendront nos expériences irréfutables. Il existe malheureusement parmi les médiums les plus déplorables préjugés. Les uns se figurent qu'ils sont investis d'une sorte de sacerdoce qui doit les placer au-dessus de leurs contemporains, et ils considèrent comme attentatoire à leur dignité toute mesure ayant pour but de contrôler leur pouvoir. Les autres, ajoutons qu'ils sont peu nombreux, considèrent la médiumnité comme une faculté qui leur permet de gagner facilement leur vie et s'établissent médiums, comme ils se feraient charcutiers ou boulangers.
Il est à désirer que les spirites sérieux réagissent contre ces tendances qui sont contraires aux instructions des Esprits et qu'Allan Kardec réprouvait énergiquement. La Fontaine l'a dit : mieux vaut un franc ennemi qu'un maladroit ami. C'est surtout en spiritisme que ceci est vrai. Il s'est formé une classe de fanatiques qui veulent exclure toute mesure préventive ayant pour but de se mettre en garde contre une supercherie possible. Ils considèrent les investigateurs sérieux comme des faux frères, et, pour un peu, ils leur feraient un mauvais parti. Ces pauvres gens ne comprennent pas qu'il est d'intérêt capital que la moindre suspicion ne puisse se produire : sans cela, adieu les convictions que l'on veut faire naître. Avec leur zèle maladroit, ils font plus de mal à la doctrine que les détracteurs les plus acharnés. Ce n'est pas en France seulement que ceci a lieu, c'est aussi en Angleterre. Voici ce que dit à ce propos, dans le Banner of light, M. Hudson Tuttle, sous le titre : Le Sacerdoce des Médiums.
«Le Banner dans son numéro du 26 février 1876, contient un article signé T. R. H., qui tend aux conclusions les plus erronées. Le pis, c'est que ce monsieur dit tout haut ce que beaucoup pensent tout bas. Il a été cent fois répété que les phénomènes spirituels avaient pour but de convaincre les incrédules. Pour convaincre, il faut que les phénomènes puissent se produire et qu'on en ait la preuve, sans troubler les lois qui président à leur manifestation. Or, l'auteur de l'article précité, à l'encontre de toute science dit :
«Le jour n'est pas éloigné, j'espère, où les médiums auront, en général, une indépendance suffisante pour dénier à tous le droit d'exiger une preuve quelconque, quant à leurs pouvoirs divers.»
«C'est la première fois que nous voyons attribuer aux médiums un pouvoir trop sacré pour admettre la contradiction. Où cela nous mènera-t-il ? Au CULTE des médiums. Doit-on, comme chez les anciens lévites, créer une classe spéciale qui se mettra au-dessus des lois régissant la généralité des hommes, et devons-nous, les yeux fermés, accepter tout ce qu'il leur plaira d'appeler spirituel ? Mais le pape se fait pygmée à côté du colosse que l'on veut ainsi ériger au-dessus du jugement de tous. Mettre un bandeau aux yeux de la raison et faire des spectateurs des marionnettes dont le médium tirerait les fils, serait vouloir la fin du spiritisme à bref délai.
«Nous osons avancer que les épreuves strictement scientifiques, imposées par le professeur Crookes et la rectitude de ses observations ont plus fait pour impressionner le monde savant que toutes les lettres de louanges d'un nombre quelconque de chercheurs ordinaires. Il n'y a pas de spirites qui ne parlent avec un légitime orgueil des investigations du célèbre professeur.
«J'ai quelque peu étudié les phénomènes spirituels et personne ne m'accusera de chercher systématiquement de faire du tort à la cause qui m'a pris les meilleurs moments de ma vie, ni de vouloir imposer des conditions contraires au fluide spirituel. C'est parce que j'aime le spiritualisme que je voudrais le voir dépouillé de tout mensonge, affranchi de toute accusation de fausseté.
«Le professeur Crookes, comme chacun sait, a placé une cage autour des instruments de musique, qui jouèrent néanmoins des airs ; ce fait prouve suffisamment que le pouvoir spirituel peut agir à travers ces cages. Pourquoi, dès lors, ne pas placer toujours une cage pareille autour des instruments ? Pourquoi laisser un prétexte à ceux qu'il faut convaincre ? Et pourquoi, surtout, qualifier de faux frère celui qui propose des mesures de contrôle aussi sûres ?
«Lorsqu'un médium se dérobe à une épreuve que ma propre expérience, alliée à celle des autres, sait ne faire aucun tort aux manifestations, je m'empresse de mettre un terme à toute espèce d'entretien avec lui.
«J'avoue ne pas comprendre pourquoi l'honnête médium résisterait à certaines conditions d'épreuves qu'on veut lui imposer. A coup sûr, rien ne saurait lui être plus important que la complète élucidation de la cause qu'il défend ; la cause ne peut qu'y gagner et il doit tenir à honneur de placer toute observation sur un terrain absolu. Et alors même qu'on aura contrôlé une fois les manifestations d'un médium, ce n'est pas une raison pour que d'autres manifestations soient admises comme vraies, si les mêmes précautions de contrôle n'ont pas été observées.»
Voilà qui est parler d'or, et nous souhaitons que tous les spirites pensent de même. Il faut nous placer en face des préjugés de notre temps, qui n'est que trop enclin à nous prendre pour des hallucinés, et laisser aux sceptiques toute facilité de se convaincre, en ne leur faisant voir que des phénomènes absolument irréfutables. A ces conditions, nous ferons des adeptes ; si l'on ne s'y soumet pas, à quoi bon la propagande ?
Nous devons dire que la grande majorité des spirites pense comme nous, et que ces réflexions ne visent qu'un groupe restreint d'esprits arriérés, qui craindraient de porter un coup mortel à la doctrine en dévoilant une supercherie. Nous devons, au contraire, être plus rigoureux que qui que ce soit, et c'est parce que les phénomènes existent qu'il faut surveiller avec soin les charlatans qui tenteraient de les imiter.
La médiumnité s'offre à nous dans des conditions tellement probantes, que le doute n'est pas permis pour quiconque veut sérieusement étudier, mais si le chercheur a la malchance de rencontrer au début de ses investigations un imposteur, il en conclut faussement que le spiritisme n'est qu'une nouvelle méthode d'exploitation. Nous ne devons donner prise aux critiques, à aucun point de vue ; c'est pourquoi Allan Kardec a toujours prêché le contrôle le plus absolu. Ceci dit, revenons à la médiumnité et à son étude.
A propos de la tentative d'explication scientifique que nous présentons, on ne manquera pas de nous faire observer que nous n'appuyons nos démonstrations que sur des hypothèses et que, dès lors, elles ne peuvent suffire à déterminer la conviction chez les incrédules. Nous répondrons que le terrain sur lequel nous nous engageons n'a pas été encore reconnu et que force nous est d'avoir recours aux hypothèses ; mais nous aurons soin de les faire telles qu'aucune expérience ne vienne nous démentir. C'est à ces conditions seulement qu'une théorie est acceptable.
Nous nous conformons d'ailleurs à l'usage des savants qui en sont réduits aux systèmes pour expliquer les phénomènes les plus simples de la nature, ceux qui se passent sous leurs yeux et dont ils peuvent à volonté varier les conditions de production. Il ne faut pas oublier, en effet, que les recueils de physique ou de chimie ne donnent que des rapports entre les différentes substances sans faire connaître la nature intime de ces corps. On parle sans cesse de la matière sans pouvoir définir exactement quelle est sa véritable constitution. La force est un protée aux formes multiples dont l'essence intime est encore un mystère. Enfin nous constatons des corrélations ou des différences entre un certain nombre de faits, et de là nous concluons à des lois, mais sans connaître ni la vraie nature des corps sur lesquels elles s'exercent, ni ce que sont ces lois elles-mêmes.
L'étude des sciences est, en général, très longue, car il faut amonceler un grand nombre d'observations, avant de découvrir les relations qui les lient entre elles, c'est-à-dire avant de remarquer les lois qui les régissent ; mais l'étude des faits spirites est compliquée par une autre raison. Il ne faut pas oublier que nous sommes ici sur un terrain différent de celui des sciences purement matérielles. Dans ces dernières, on peut intervertir les conditions expérimentales, car les matières sur lesquelles on opère étant inertes, les résultats ne changent pas, tant que les circonstances restent les mêmes. Il n'en est pas ainsi dans l'étude du spiritisme, il faut toujours faire la part des individualités qui interviennent dans la manifestation ; cette influence est très variable et la plupart du temps indépendante de notre volonté. C'est encore une difficulté qui vient s'ajouter à celles que nous avons déjà énumérées.
Si ardue que soit notre tâche, il faut l'entreprendre, car c'est par l'étude que nous arriverons à la connaissance d'états de la matière que nous sommes loin de soupçonner à présent. Les esprits nous enseignaient, il y a trente ans, l'unité de la matière, et le monde scientifique était peu porté à adopter cette idée, aujourd'hui elle est devenue générale : ceci nous est d'un bon augure pour le périsprit qui, nous l'espérons, sera bientôt reconnu comme une des parties essentielles de l'homme.
Nous avons vu que l'état d'esprit est tout autre que celui d'incarné ; il a dans cette vie nouvelle des sensations qu'il ne ressentait pas avec son corps ; il voit la nature sous un aspect différent, et ses sens plus perfectionnés, plus délicats, sont capables d'être influencés par des vibrations plus subtiles que celles qui agissent sur nous d'ordinaire. La sensibilité est développée chez l'esprit par la nature fluidique de son enveloppe, qui possède une constitution moléculaire très raréfiée, mais néanmoins une forme déterminée. Ceci est dû à l'âme, qui est un centre de forces jouant le même rôle vis-à-vis de son corps, que l'axe des tourbillons de fumée dans l'expérience de Helmholtz. La comparaison est exacte, car nous constatons que l'esprit peut, à volonté, prendre la forme qui lui convient. Il faut donc admettre que la cause de l'agrégation périspritale réside dans l'esprit agissant sans cesse par la volonté.
Les propriétés du périsprit sont parfaitement explicables, d'après ce que nous avons étudié précédemment. L'enveloppe de l'âme est invisible parce que son mouvement vibratoire moléculaire est trop rapide pour que ses ondulations soient perceptibles pour l'oeil ; mais, si par un moyen quelconque, on diminue ce mouvement, l'être devient visible, non seulement pour un médium, mais pour tous les assistants.
A l'état normal l'esprit peut se déplacer dans notre atmosphère et à la surface du globe, sans que rien puisse entraver sa marche ; sa nature lui permet de traverser notre matière grossière, comme la lumière passe à travers les corps diaphanes ; en un mot, il peut aller partout, sans rencontrer d'obstacle matériel.
Suivant le degré d'avancement de l'esprit, les fluides qui composent son enveloppe sont plus ou moins purs, et leur action est augmentée ou diminuée, en raison de leur état plus ou moins radiant. Il est évident que les fluides grossiers, matériels, qui se rapprochent des gaz terrestres, sont moins aptes aux opérations de la vie spirituelle que ceux des esprits supérieurs, qui sont en quelque sorte quintessenciés. L'influence du moral sur le physique est plus vraie encore dans l'espace que sur la terre.
Ici-bas nous pouvons vicier notre enveloppe au point qu'elle devienne impropre aux fonctions de la vie ; de même les passions mauvaises, en fixant dans le périsprit, des fluides grossiers, nuisent à l'avancement de l'âme et, par conséquent, à son état de bien-être.
Ce que nous disons s'applique à tous les esprits indistinctement, de sorte que le monde spirituel est en tout point comparable au nôtre, mais la hiérarchie s'établit sur une seule base : celle de l'avancement moral.
Supposons maintenant qu'un esprit veuille se communiquer, et cherchons à comprendre les phénomènes successifs qui vont se dérouler. Il peut se présenter deux alternatives : ou l'esprit sait se communiquer ou il ne sait pas. S'il est dans le premier cas et que ses intentions soient bonnes, un esprit plus instruit le dirige et lui montre la manière de s'y prendre ; si, au contraire, c'est pour faire le mal, la plupart du temps il ne peut l'accomplir, car il ne rencontre aucun esprit un peu supérieur qui veuille l'aider dans cette besogne.
L'esprit sachant se communiquer est encore obligé de chercher un médium, c'est-à-dire un être humain dont la constitution soit telle, qu'il puisse céder une partie de son fluide vital. Lorsque l'esprit l'a trouvé, voici comment il opère : Par sa volonté l'esprit projette un rayon fluidique sur le périsprit du médium ; il le pénètre de son fluide, établissant ainsi une communication directe entre lui et l'incarné. C'est au moyen de ce cordon que le fluide vital de l'homme est attiré par l'esprit. Ce double courant fluidique peut être comparé aux phénomènes d'endosmose, c'est-à-dire à l'échange qui se produit entre deux liquides de densités différentes, à travers une membrane. Ici les liquides sont remplacés par des fluides et la membrane par le corps.
Une fois la communication établie, l'esprit peut agir sur le médium en produisant des effets divers qui se traduisent par la vision, l'audition, l'écriture, la typtologie, etc. Ce sont ces différentes manifestations que nous allons étudier en détail dans les chapitres suivants.
En somme, on voit qu'il faut pas mal de circonstances réunies pour obtenir une communication, c'est pourquoi l'on ne doit pas s'étonner des insuccès qui accompagnent presque toujours les premières tentatives. Voici quelles sont les conditions indispensables.
1° Il faut que l'esprit évoqué puisse ou veuille se rendre à l'appel de l'évocateur ; 2° une évocation sincère faite dans le but de s'instruire et non de s'amuser ou d'en profiter matériellement ; 3° que l'esprit appelé soit animé, lui aussi, du désir de faire le bien ; 4° qu'il sache comment s'y prendre pour se manifester ; 5° qu'il trouve un médium apte à rendre sa pensée ou à lui fournir les fluides nécessaires, qui varient suivant le genre des manifestations à obtenir ; 6° enfin qu'aucune action extérieure ne contrarie l'esprit dans ses manipulations. Ceci surtout est très important, car c'est un véritable magnétisme spirituel qui s'opère, et l'on sait combien, dans les actions magnétiques, les volontés étrangères peuvent nuire à la réussite du phénomène. Nous ne parlerons pas de l'état de santé du médium, des influences exercées par les agents physiques : lumière, chaleur, électricité, etc., car nous ignorons de quelle manière ils agissent, mais ils n'en ont pas moins une influence très grande qu'il sera utile, dans l'avenir, de déterminer avec précision.
Comme on le voit, il faut un concours de circonstances favorables pour se mettre en rapport avec le monde spirituel, et les échecs nombreux auxquels on s'expose en n'observant pas ces prescriptions montrent que le phénomène est loin d'être livré au hasard et doit être étudié avec beaucoup de méthode, si l'on veut en découvrir les lois. Ce n'est donc pas en faisant du spiritisme à la fin d'un dîner, après boire, que l'on se trouve dans les conditions requises, et il ne faut pas s'étonner si les esprits refusent de se manifester quand on veut les exhiber comme des bêtes curieuses, en guise de dessert, à ses invités.
CHAPITRE II
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LES MEDIUMS ECRIVAINS
Les médiums écrivains sont ceux qui nous transmettent par l'écriture les pensées des invisibles ; ils sont, sans contredit, les plus utiles instruments de communication avec les esprits. Cette faculté est la plus simple, la plus commode et la plus complète de toutes. C'est vers elle que doivent tendre tous les efforts des néophytes, car elle leur permet de correspondre avec les esprits d'une manière régulière et suivie. On doit s'y attacher d'autant plus que, par ce moyen, les esprits révèlent leur nature et le degré de leur perfection ou de leur infériorité. Par la facilité qui leur est offerte de s'exprimer, ils peuvent nous faire connaître leur pensée et nous mettent ainsi à même de les juger et de les apprécier à leur propre valeur. Il est indispensable d'étudier patiemment cette faculté, parce que c'est elle qui est le plus susceptible de se développer par l'exercice.
Il peut se présenter trois genres différents qu'il est indispensable de distinguer au point de vue des manifestations. Les médiums peuvent être : mécaniques, demi-mécaniques ou intuitifs.

Médiumnité mécanique
La médiumnité mécanique est caractérisée par la passivité absolue du médium pendant la communication. L'esprit qui se manifeste agit indirectement sur la main, par les nerfs qui y correspondent ; il donne à celle-ci une impulsion complètement indépendante de la volonté du médium ; elle marche ainsi sans interruption, aussi longtemps que l'esprit a quelque chose à dire et ne s'arrête que lorsqu'il a fini.
Les mouvements de la personne qui reçoit la communication sont purement automatiques. Ce qui semble établir ce fait, c'est que nous avons vu maintes fois des médiums de cette sorte soutenir une conversation pendant que leur main écrivait machinalement. L'inconscience, dans ce cas, constitue la médiumnité mécanique ou passive, et ne peut laisser aucun doute sur l'indépendance de la pensée de celui qui écrit.
Les mouvements sont quelquefois violents et convulsifs, le plus souvent ils sont calmes et mesurés.
Les brusques soubresauts observés peuvent provenir de l'imperfection ou de l'inexpérience de l'esprit qui se manifeste. Jusqu'ici, on n'a donné que des explications assez vagues sur ce mode de communication, et celles qui ont été présentées ne peuvent faire comprendre certaines particularités du phénomène.
Nous venons de voir que la médiumnité mécanique consiste à écrire sous l'influence des esprits des communications dont on n'a pas conscience, et dont on ne peut prendre connaissance que lorsque l'influence spirituelle a cessé. Comment cette action se produit-elle, et pourquoi, si le médium est véritablement passif, certains mots, certaines phrases de la communication, sont-ils identiques à ceux qu'emploient le médium à l'état ordinaire ? Il semble qu'il y a là un point obscur qui demande à être éclairci.
Pour répondre à ces observations en restant sur le terrain des analogies scientifiques, nous croyons que l'on peut concevoir le phénomène comme une action réflexe du cerveau du médium, sous une influence spirituelle. Afin de développer cette idée, il faut rappeler quelques faits physiologiques qui viennent à l'appui de cette hypothèse. Pour cela, jetons un rapide coup d'oeil sur le système nerveux de l'homme et sur certaines de ses fonctions. Cette étude préliminaire est indispensable, car nous savons que ce système est l'organe par lequel l'esprit est attaché au corps ; il sert de conducteur aux fluides périspritaux, comme le fil télégraphique à l'électricité ; c'est lui qui transmet à l'âme par les sens toutes les impressions venant de l'extérieur, c'est donc par l'étude de son fonctionnement que nous arriverons à nous faire une idée de la manifestation des esprits, dans le cas particulier qui nous occupe.
Le système nerveux de la vie de relation, le seul qui nous intéresse, comprend deux parties distinctes ; les masses centrales, ou arbre cérébro-spinal, et les filets périphériques ou nerfs. Les masses centrales se séparent en plusieurs subdivisions ; les deux principales sont le cerveau, qui porte à sa base les couches optiques et le cervelet, et la moelle épinière qui se rattache au cerveau par la moelle allongée. Les nerfs partent de la moelle épinière et de la partie inférieure du cerveau et vont se ramifier et s'épanouir dans toutes les parties du corps. Ce sont eux qui transportent au centre les excitations reçues à la surface, avec une vitesse de 30 mètres à la seconde, et qui transmettent aux membres les volontés de l'esprit.
Dans la moelle épinière on remarque deux sortes de cellules nerveuses ; les unes, petites, sont en communication avec les racines des nerfs sensitifs ; les autres, plus grosses, avec les racines des nerfs moteurs. Expliquons maintenant ce que nous entendons par une action réflexe simple.
On appelle action réflexe une action nerveuse qui se produit sans l'intervention de la conscience ni de son organe, le cerveau. Dans l'homme nous citerons comme exemple de réflexes les battements du coeur et les opérations de la digestion. Pour comprendre le mécanisme de ces actions, faisons une expérience.
Si l'on coupe la tête d'une grenouille et que l'on irrite une des pattes avec un acide, nous observons qu'immédiatement cette patte sera contractée. Que se passe-t-il ? Lorsque nous irritons la patte, les nerfs sensitifs qui s'y trouvent transmettent aux petites cellules de la moelle l'excitation reçue ; celles-ci, à leur tour, influencent les grosses cellules des nerfs moteurs avec lesquels elles communiquent, de sorte que l'excitation revient à son point de départ sous forme d'incitation motrice et détermine la contraction.
Nous voyons donc que la moelle est un véritable centre, indépendant, nécessaire, et suffisant pour produire certains mouvements très bien coordonnés.
Le savant M. Maudsley appelle centres sensorio-moteurs les différentes agglomérations de matière grise, situées dans la moelle allongée et à la base du cerveau, c'est-à-dire que ces centres sont capables de produire des actions réflexes sur les organes des sens.
D'un autre côté, nous savons que la volonté est un irritant vital par excellence ; nous avons démontré, avec Claude Bernard, son efficacité. Ceci bien constaté, voyons ce qui se produit dans le cas de la médiumnité mécanique.
Les Esprits, par leur volonté, puisent chez les médiums le fluide vital qui leur est nécessaire pour établir l'harmonie entre leur périsprit et celui du médium. Il s'opère un mélange et un échange des deux fluides. Ils forment une espèce d'atmosphère fluidique qui enveloppe le cerveau du médium et qui aboutit à leur propre périsprit par une sorte de cordon fluidique. Il y a donc, à partir de ce moment, un intermédiaire entre eux et l'incarné, et c'est au moyen de ce conducteur qu'ils transmettent à son cerveau leurs pensées et leurs volontés ; de sorte que, pour dicter une communication, ils n'ont plus qu'à vouloir. L'atmosphère fluidique dont nous parlons peut être comparée à la couche électrique qui s'accumule lentement dans un condensateur. Le médium joue le rôle d'instrument et l'esprit celui de l'opérateur.
On pourrait s'étonner de voir un cordon fluidique servir de véhicule aux vibrations périspritales déterminées par la pensée, mais il ne faut pas oublier que ce phénomène est analogue à celui qui se produit dans le photophone imaginé par Graham Bell. Le célèbre inventeur américain a construit un appareil dans lequel la lumière sert de véhicule au son. Dans le téléphone, le mouvement de la plaque vibratoire devant laquelle on parle change le magnétisme d'un aimant. Cette modification détermine un mouvement électrique qui, réagissant sur l'aimant de l'appareil récepteur, actionne à son tour la plaque dont les vibrations reproduisent un son identique à celui qui a été émis dans l'embouchure de l'appareil transmetteur. Mais dans le photophone, plus de fil de communication ; il est remplacé par un rayon lumineux, lequel, en se déformant dans l'embouchure, transporte les vibrations de la voix à la lame vibrante du récepteur, qui reproduit un son identique à celui émis à l'autre station.
Nous pouvons donc parfaitement comprendre comment une vibration, partie de l'esprit, se propage au moyen d'un cordon fluidique jusqu'à l'appareil récepteur, qui est le périsprit de l'incarné. Arrivées là, ces vibrations agissent sur le cerveau de l'incarné à la manière ordinaire. Ceci admis, voyons ce qui se passe chez le médium. Il est, aussitôt que le phénomène commence, absolument inconscient. Momentanément son cerveau est presque en totalité à la disposition de l'esprit, et celui-ci s'en sert sans que l'incarné ait conscience des idées qui s'y agitent. C'est une véritable action réflexe déterminée par une influence spirituelle, au moyen de l'intermédiaire du fluide nerveux.
Cette théorie peut expliquer pourquoi certains esprits donnent des communications où se trouvent des fautes d'orthographe ou de style, alors que de leur vivant ils n'en eussent pas fait. C'est tout simplement parce qu'ils ne trouvent pas dans le cerveau du médium un instrument assez parfait pour rendre leurs idées. Nous savons par les expériences de Schiff que les impressions sensorielles sont localisées dans certaines parties de la couche cérébrale des hémisphères, et que plus on développe par l'étude les facultés de l'esprit, plus les cellules sont sensibles ; de sorte que plus un médium est instruit, plus son cerveau est impressionnable et, au contraire, plus sa culture intellectuelle a été négligée, moins il est apte à rendre les inspirations de ses guides.
Supposons, par exemple, que l'esprit qui se manifeste veuille exprimer cette phrase : Dieu est la cause efficiente de l'univers ; il fera vibrer les cellules nerveuses des hémisphères cérébraux du médium, de manière à lui faire écrire cette phrase ; mais si l'incarné n'a pas fixé dans son cerveau le mot efficiente, il le rendra par toute autre expression à peu près équivalente, comme celle-ci : Dieu est la cause agissante de l'univers, et si cette opération se reproduit un grand nombre de fois, l'esprit aura bien dicté une belle communication, mais elle aura été mal rendue par l'organe. De même le plus grand musicien, s'il n'a à sa disposition qu'un instrument imparfait, ne parviendra jamais, malgré tout son talent, à faire entendre une pure mélodie.
Ici nous prévoyons une objection qu'on ne manquera pas de nous faire, c'est la suivante : On a très souvent vu des médiums recevoir une communication dans une langue qui leur est inconnue, par exemple l'anglais, et même écrire des pages entières dans cet idiome. Pour répondre à cette observation, nous dirons que le médium doit avoir, dans une incarnation antérieure, habité le pays où s'emploie la langue dont l'esprit se sert, et qu'il a gardé dans son périsprit la trace de ce passage. Ce sont ces réminiscences inconscientes que l'esprit réveille pour un instant, et dont il fait usage. Ceci est conforme à ce que nous avons remarqué dans le chapitre du périsprit, relativement aux progrès rapides dont certains enfants donnent l'exemple ; nous les avons attribués aux facultés acquises, renfermées dans le périsprit à l'état latent.
Il faut aussi tenir compte, dans ce genre de manifestation, de la souplesse du médium, c'est-à-dire de l'aptitude qu'il a à rendre certaines idées. Si l'esprit trouve un cerveau bien meublé, il peut développer sa pensée, mais s'il veut parler sur un sujet absolument inconnu du médium, il trouve plus difficilement le moyen de le faire. Nous avons des exemples d'incarnés recevant des communications malgré leur ignorance de l'art d'écrire, mais ils sont rares, et les esprits préfèrent se servir de bons instruments pour manifester leurs désirs.
Afin de rentrer dans le cas le plus ordinaire, nous dirons que nous devons nous préparer par l'étude à demander des communications à nos guides. Plus nous fixerons dans notre périsprit de connaissances qui modifieront la texture de notre cerveau, plus nous serons capables d'exprimer les instructions des invisibles qui s'intéressent à nos travaux. Ce qui semble appuyer cette théorie de l'action réflexe, c'est que nous avons souvent entendu dire par les esprits : «Nous avons préparé son cerveau à recevoir nos impressions, et c'est aujourd'hui seulement que nous avons réussi à nous manifester.»
Telle est, suivant nous, l'explication de la médiumnité mécanique. Elle nous a été suggérée par cette remarque que les médiums peu instruits, tout en donnant souvent de splendides communications au point de vue moral, faisaient en écrivant des fautes grossières que l'esprit n'aurait pu commettre s'il avait eu la libre disposition de ses propres organes ; elles doivent donc provenir de l'intermédiaire. Nous avions songé un instant à expliquer la médiumnité par une action directe de l'esprit sur le bras du médium, mais nous avons dû y renoncer, par suite des raisons que nous venons d'exposer.
Passons maintenant à une autre variété du phénomène.

Médiumnité intuitive
Dans ces communications il n'y a plus aucune action réflexe, l'esprit n'exerce pas une action effective sur le cerveau du médium, il ne lui enlève pas la conscience, il se contente de lui transmettre les vibrations périspritales qui représentent sa pensée, et l'incarné les ressent sous forme d'idées ; de là, cette dénomination de médiumnité intuitive donnée à ce genre de manifestation.
L'esprit étranger n'agit pas ici sur la main du médium, par l'entremise du cerveau, pour le faire écrire ; il ne la guide pas, il se manifeste plus directement. Sous cette impulsion, l'incarné dirige sa main et écrit les pensées qui lui sont suggérées. Remarquons une chose importante, c'est que l'esprit étranger ne se substitue pas à l'âme de l'incarné, car il ne saurait la déplacer ; il la domine et lui imprime sa volonté.
Nous avons vu tout à l'heure que le photophone transmet les vibrations sonores par l'intermédiaire d'un rayon lumineux ; ici l'action est identique. L'esprit étranger, par sa volonté, imprime au cordon fluidique des mouvements ondulatoires qui se répercutent dans le périsprit du médium ; là ces vibrations arrivant au cerveau périsprital, font vibrer les parties analogues à celles par lesquelles elles ont été émises chez l'esprit, de sorte que ces vibrations semblables éveillent des idées de même nature. C'est ce qui se passe d'ailleurs dans le cas de la parole. Lorsque l'on prononce le mot homme, les vibrations sonores arrivant au cerveau le font vibrer d'une certaine manière qui évoque dans l'esprit de celui qui écoute l'idée représentée par le mot homme. Les vibrations périspritales agissent de même, mais sans passer, dans le cas qui nous occupe, par les organes matériels de l'audition. C'est ainsi, du moins, que nous concevons la transmission de pensée. Dans cette circonstance le rôle de l'âme incarnée n'est pas passif ; c'est elle qui reçoit la pensée de l'esprit et qui la transmet. Le médium, dans ce genre de communication, a donc conscience de ce qu'il écrit, quoique ce ne soit nullement sa pensée.
S'il en est ainsi, dira-t-on, rien ne prouve que ce soit plutôt un esprit étranger qui écrit que celui du médium. La distinction est quelquefois très difficile à faire, mais on peut reconnaître la pensée suggérée en ce qu'elle n'est jamais préconçue ; elle se forme, pour ainsi dire, à mesure que l'on écrit, et souvent elle est contraire à l'idée préalable qu'on s'était faite ; elle peut même être, en ce cas, en dehors des connaissances du médium.
Allan Kardec a parfaitement distingué ces deux variétés de médiumnité : il dit que le rôle du médium mécanique est celui d'une machine, tandis que le médium intuitif agit comme le ferait un truchement ou interprète. Celui-ci, en effet, pour transmettre la pensée des interlocuteurs, doit la comprendre, se l'approprier en quelque sorte, pour la traduire fidèlement ; et pourtant cette pensée n'est pas la sienne, elle ne fait que traverser son cerveau ; tel est exactement ce qui se passe chez le médium intuitif.
Remarquons que là encore le développement intellectuel de l'intermédiaire est indispensable pour qu'il puisse exprimer correctement les idées qu'il reçoit. Comme c'est lui qui écrit, qui rédige, il peut donner aux pensées suggérées une forme plus ou moins littéraire, suivant ses études ou ses capacités. C'est donc surtout au point de vue moral, et par des preuves qu'elles fournissent, qu'il faut juger les communications et ne pas trop s'attacher au style qui peut parfaitement être défiguré par l'interprète.
Nous venons d'exposer deux genres de médiumnités bien tranchés, mais en réalité elles ne se présentent pas toujours avec cette netteté. C'est plutôt les deux termes extrêmes d'une série d'états, variant du plus au moins. Quelquefois le médium est plus mécanique qu'intuitif ; d'autres fois, au contraire, il penche vers la seconde de ces facultés ; enfin il peut se rencontrer des personnes qui jouissent à la fois des deux modes de manifestations : on les appelle demi-mécaniques. Il est aisé de comprendre que la nature fluidique de chaque individu n'étant pas la même, l'action spirituelle ne s'exerce pas d'une manière identique sur tous les organismes ; elle présente une foule de nuances qui ne peuvent être définies, et que chacun reconnaît par l'exercice.
Nous sommes tous plus ou moins médiums intuitifs. Qui n'a ressenti, dans le calme profond d'une belle soirée, ces influences mystérieuses et bienfaisantes qui rafraîchissent le coeur ? D'où viennent ces pensées si douces, ces rêves enchanteurs, ces aspirations vers l'idéal que nous éprouvons à certaines époques de la vie ? Elles nous sont inspirées par ces chers aimés qui voguent autour de nous, qui nous entourent de leur sollicitude, et qui sont si heureux lorsqu'ils nous voient suivre les conseils qu'ils nous soufflent tout bas.
Ce que les artistes, les écrivains, les orateurs appellent l'inspiration est encore une preuve de l'intervention des esprits qui nous influencent en bien ou en mal, mais elle est plutôt le fait de ceux qui nous veulent du bien et dont nous avons souvent le tort de ne pas suivre les bons avis ; elle s'applique à toutes les circonstances de la vie dans les résolutions que nous devons prendre ; sous ce rapport on peut dire que tout le monde est médium. Si l'on était bien pénétré de cette vérité, on aurait plus souvent recours à l'inspiration de ses guides dans les moments difficiles de la vie. Evoquons-les donc avec ferveur, ces chers amis, et nous serons étonnés des résultats que nous obtiendrons, et soit que nous ayons une décision à prendre ou un travail difficile à mener à bien, nous ressentirons leur bienfaisante influence.
Les explications théoriques que nous avons données sont absolument confirmées par les esprits, et elles s'appuient sur les communications de nos guides et l'enseignement d'Allan Kardec. Nous trouvons, en effet, dans le livre des Médiums, au paragraphe 225, l'étude suivante dictée par un Esprit :
«Quelle que soit la nature des médiums écrivains, qu'ils soient mécaniques, demi-mécaniques ou simplement intuitifs, nos procédés de communication ne varient pas très sensiblement. En effet, nous communiquons avec les esprits incarnés eux-mêmes, comme avec les esprits proprement dits, par le seul rayonnement de notre pensée.
«Nos pensées n'ont pas besoin du vêtement de la parole pour être comprises par les esprits, et tous ils perçoivent la pensée que nous désirons leur communiquer, par cela seul que nous dirigeons cette pensée vers eux, et ce en raison de leurs facultés intellectuelles, c'est-à-dire que telle pensée peut être comprise par tels et tels, suivant leur avancement spirituel, tandis que chez tels autres, cette pensée ne réveillant aucun souvenir, aucune connaissance au fond de leur coeur ou de leur cerveau, n'est pas perceptible pour eux.
«Dans ce cas, l'esprit incarné qui nous sert de médium est plus propre à rendre notre pensée pour les autres incarnés, bien qu'il ne la comprenne pas, qu'un esprit désincarné peu avancé ne pourrait le faire, si nous étions forcés de recourir à son intermédiaire ; car l'être terrestre met son corps à notre disposition comme instrument, ce que l'esprit errant ne peut faire.
«Ainsi lorsque nous trouvons dans le médium le cerveau meublé de connaissances acquises dans sa vie actuelle, et son esprit riche de connaissances antérieures latentes, propres à faciliter nos communications, nous nous en servons de préférence parce que, avec lui, le phénomène de la communication est beaucoup plus facile qu'avec un médium dont l'intelligence serait bornée et dont les connaissances antérieures seraient insuffisantes.
«Avec un médium dont l'intelligence actuelle ou antérieure se trouve développée, notre pensée se communique instantanément d'esprit à esprit, par une faculté propre à l'esprit lui-même. Dans ce cas nous trouvons dans le cerveau du médium les éléments propres à donner à notre pensée le vêtement de la parole, et cela, que le médium soit mécanique, semi-mécanique ou intuitif pur. C'est pourquoi, quelle que soit la diversité des esprits qui se communiquent à un médium, les dictées obtenues par lui, tout en procédant d'esprits divers, portent un cachet de forme et de couleur personnel à ce médium. (C'est ce que nous expliquons par l'action réflexe de la force spirituelle.) Oui, bien que la pensée lui soit tout à fait étrangère, bien que le sujet sorte du cadre dans lequel il se meut habituellement lui-même, bien que ce que nous voulons dire ne provienne en aucune façon de lui, il n'en influence pas moins la forme, par les qualités, les propriétés qui sont adéquates à son individu.
«C'est absolument comme lorsque vous regardez différents points de vue avec des lunettes nuancées, vertes, blanches ou bleues ; bien que les points de vue ou objets soient tout à fait opposés et tout à fait indépendants les uns des autres, ils n'en offrent pas moins toujours une teinte qui provient de la couleur des lunettes. Ou mieux, comparons les médiums à ces bocaux pleins de liquides colorés et transparents que l'on voit dans la montre des officines pharmaceutiques ; eh bien, nous sommes comme des lumières qui éclairent certains points de vue moraux, philosophiques et scientifiques, à travers des médiums bleus, verts ou rouges, de telle sorte que nos rayons lumineux, obligés de passer à travers des verres plus ou moins bien taillés, plus ou moins transparents, c'est-à-dire par des médiums plus ou moins intelligents, n'arrivent sur les objets que nous voulons éclairer qu'en empruntant la teinte, ou mieux la forme propre et particulière à ces médiums.
«Enfin, pour terminer par une dernière comparaison, nous, esprits, sommes comme des compositeurs de musique qui avons composé ou voulons improviser un air et n'avons sous la main qu'un violon, qu'une flûte, qu'un basson, ou qu'un sifflet de deux sous. Il est incontestable qu'avec la flûte, le piano ou le violon, nous exécuterons notre morceau d'une manière très compréhensible pour nos auditeurs ; bien que les sons provenant du piano, du basson ou de la clarinette soient essentiellement différents les uns des autres, notre composition n'en sera pas moins identiquement la même, sauf les nuances du fond, mais si nous n'avons à notre disposition qu'un sifflet de deux sous et qu'un entonnoir de fontainier, là, pour nous, gît la difficulté.
«En effet, si nous sommes obligés de nous servir de médiums peu avancés, notre travail devient bien plus long, bien plus pénible, parce que nous sommes obligés d'avoir recours à des formes incomplètes, ce qui est une complication pour nous ; car nous sommes forcés de décomposer nos pensées et de procéder mot à mot, lettre par lettre, ce qui est un ennui et une fatigue pour nous et une entrave réelle à la promptitude et au développement de nos manifestations.
«C'est pourquoi nous sommes heureux de trouver des médiums bien appropriés, bien outillés, munis de matériaux prêts à fonctionner, bons instruments en un mot, parce qu'alors notre périsprit agissant sur celui que nous médianimisons, n'a plus qu'à donner l'impulsion à la main qui nous sert de porte-plume ou de porte-crayon ; tandis qu'avec les médiums insuffisants, nous sommes obligés de faire un travail analogue à celui que nous faisons quand nous nous communiquons par des coups frappés, c'est-à-dire en désignant lettre par lettre, mot à mot, chacune des phrases qui forment la traduction des pensées que nous voulons communiquer.
«Quand nous voulons procéder par dictées spontanées, nous agissons sur le cerveau, sur les casiers du médium et nous assemblons nos matériaux avec les éléments qu'il nous fournit, et cela tout à fait à son insu ; c'est comme si nous prenions dans sa bourse les sommes qu'il peut y avoir et que nous en arrangions les différentes monnaies suivant l'ordre qui nous paraîtrait le plus utile. Mais quand le médium veut lui-même nous interroger de telle et telle façon, il est bon qu'il y réfléchisse sérieusement, afin de nous questionner d'une façon méthodique, en nous facilitant ainsi notre travail de réponse. Car, comme il vous a été dit dans une précédente instruction, votre cerveau est souvent dans un désordre inextricable, et il nous est aussi difficile que pénible de nous mouvoir dans le dédale de vos pensées.
«Quand les questions doivent être posées par des tiers, il est bon, il est utile, que la série des questions soit communiquée, par avance, au médium  ; pour que celui-ci s'identifie à l'esprit de l'évocateur, et s'en imprègne pour ainsi dire, parce que nous-mêmes avons alors bien plus de facilité pour répondre, par l'affinité qui existe entre notre périsprit et celui du médium qui nous sert d'interprète.
«Certainement nous pouvons parler mathématiques au moyen d'un médium qui y a l'air tout à fait étranger, mais souvent l'esprit de cette personne possède ces connaissances à l'état latent, c'est-à-dire personnel à l'être fluidique et non à l'être incarné, parce que son corps actuel est un instrument rebelle ou contraire à cette connaissance. Il en est de même de l'astronomie, de la poésie, de la médecine et des langues diverses, ainsi que de toutes les autres connaissances particulières à l'espèce humaine.
«Enfin nous avons encore le moyen de l'élaboration pénible en usage avec les médiums complètement étrangers au sujet traité, en assemblant les lettres et les mots comme en télégraphie.
«Comme nous l'avons dit, les esprits n'ont pas besoin de revêtir leur pensée ; ils perçoivent et communiquent la pensée par ce fait seul qu'elle existe en eux. Les êtres corporels, au contraire, ne peuvent percevoir la pensée que revêtue. Tandis que le mot, le substantif, le verbe, la phrase en un mot, vous sont nécessaires pour penser, même mentalement, aucune forme visible ou tangible n'est nécessaire pour nous.»
Allan Kardec ajoute à cette communication la note suivante, à laquelle nous nous rallions pleinement.
Cette analyse du rôle des médiums et des procédés à l'aide desquels les esprits se communiquent est aussi claire que logique. Il en découle ce principe que l'esprit puise, non ses idées, mais les matériaux, nécessaires pour les exprimer, dans le cerveau du médium, et que plus ce cerveau est riche en matériaux, plus la communication est facile. Lorsque l'esprit s'exprime dans la langue familière au médium, il trouve en lui les mots tout formés pour revêtir l'idée ; si c'est dans une langue qui lui est étrangère, il n'y trouve pas les mots simplement mais les lettres ; c'est pourquoi l'esprit est obligé de dicter pour ainsi dire lettre à lettre, absolument comme si nous voulions faire écrire de l'allemand à quelqu'un qui n'en sait pas le premier mot. Si le médium ne sait ni lire ni écrire, et ne possède pas même les lettres, il faut donc lui conduire la main, comme à un écolier, et là est une difficulté matérielle plus grande encore .
Ces phénomènes sont donc possibles et l'on en a de nombreux exemples ; mais on comprend que cette manière de procéder s'accorde peu avec l'étendue et la rapidité des communications, et que les esprits doivent profiter des instruments les plus commodes ou, comme ils disent, des médiums les mieux outillés à leur point de vue.
Si ceux qui demandent ces phénomènes comme moyen de conviction avaient préalablement étudié la théorie, ils sauraient dans quelles conditions exceptionnelles ils se produisent.
Nous l'avons déjà dit, les variétés de médium écrivain sont très grandes et présentent des degrés infinis dans leur diversité ; il en est plusieurs qui ne présentent, à proprement parler, que des nuances, qui n'en sont pas moins le fait de propriétés spéciales. On conçoit qu'il doit être assez rare que la faculté d'un médium soit circonscrite dans un seul genre. Le même médium peut sans doute avoir plusieurs aptitudes, mais il y en a toujours une qui domine, et c'est elle qu'il doit s'attacher à cultiver si elle est utile. Un esprit évoqué nous a donné le conseil suivant :
«Lorsque le principe, le germe d'une faculté existe, elle se manifeste toujours par des signes non équivoques. En se renfermant dans sa spécialité, le médium peut exceller et obtenir de grandes et belles choses ; en s'occupant de tout, il n'obtiendra rien de bien. Remarquez, en passant, que le désir d'étendre indéfiniment le cercle de ses facultés est une prétention orgueilleuse que les esprits ne laissent jamais impunie ; les bons abandonnent toujours le présomptueux qui devient ainsi le jouet des esprits trompeurs. Il n'est malheureusement pas rare de voir les médiums ne pas se contenter des dons qu'ils ont reçus et aspirer, par amour-propre ou ambition, à posséder des facultés exceptionnelles propres à les faire remarquer. Cette prétention leur ôte la qualité la plus précieuse, celle de médiums sûrs.»
Médiums dessinateurs
Nous comprenons, d'après la théorie, que les médiums mécaniques puissent être appelés, à un moment donné, à faire toute autre chose que de l'écriture. Le pouvoir qui fait marcher leur main pour tracer des caractères sur le papier peut aussi bien leur faire exécuter des lignes, des courbes, des hachures, etc., en un mot les faire dessiner. Ce cas se présente assez fréquemment et nous connaissons un certain nombre de personnes qui obtiennent ainsi, les unes des paysages, les autres des têtes admirablement dessinées, tout en ignorant jusqu'aux premiers principes de cet art.
L'exemple le plus curieux de ce genre de médiumnité nous est offert par M. Sardou, l'éminent académicien, qui a publié, en 1858, une planche dessinée et gravée par lui, représentant une habitation dans Jupiter. Ce dessin est accompagné d'une longue notice de Victorien Sardou, dans laquelle le célèbre auteur explique comment, assisté de Bernard de Palissy et de Mozart, il a pu reproduire par le trait, les habitations de Jupiter. Voici la notice placée en tête de l'article par Allan Kardec.
«Nous donnons avec ce numéro de notre revue, ainsi que nous l'avons annoncé, un dessin d'une habitation de Jupiter, exécuté et gravé par M. Victorien Sardou, comme médium, et nous y ajoutons l'article descriptif qu'il a bien voulu nous donner à ce sujet. Quelle que puisse être, sur l'authenticité de ces descriptions, l'opinion de ceux qui pourraient nous accuser de nous occuper de ce qui se passe par-delà les mondes inconnus, tandis qu'il y a tant à faire sur la terre, nous prions nos lecteurs de ne pas perdre de vue que notre but, ainsi que l'annonce notre titre, est avant tout l'étude des phénomènes, et qu'à ce point de vue, rien ne doit être négligé. Or comme faits de manifestations, ces dessins sont incontestablement des plus remarquables, puisque l'auteur ne sait ni dessiner, ni graver, et que le dessin que nous offrons a été gravé par lui à l'eau-forte sans modèle ni essai préalable en neuf heures. En supposant même que ce dessin soit une fantaisie de l'esprit qui l'a fait tracer, le phénomène de l'exécution n'en serait pas moins digne d'attention, et, à ce titre, il mérite de figurer dans notre recueil.»
A la fin de l'article accompagnant les dessins, Allan Kardec ajoutait les lignes suivantes :
«L'auteur de cette intéressante description est un de ces adeptes fervents et éclairés qui ne craignent pas d'avouer hautement leurs croyances, et se mettent au-dessus de la critique des gens qui ne croient à rien de ce qui sort du cercle de leurs idées. Attacher son nom à une doctrine nouvelle en bravant les sarcasmes est un courage qui n'est pas donné à tout le monde, et nous félicitons M. Sardou de l'avoir...»
Quantum mutatus ab illo !
Depuis cette époque, déjà lointaine, nous avons eu des preuves nombreuses, qui nous ont démontré que cette médiumnité est assez répandue. Un forgeron du nom de Fabre a dessiné un superbe tableau représentant Constantin au moment où il met en fuite l'armée de Maxence, qui ne serait pas désavoué par un maître. Nous avons vu nous-mêmes des personnes ne connaissant pas les premiers principes du dessin crayonner des têtes, mais d'une manière tout à fait originale. La main était agitée d'un fébrile mouvement de va-et-vient et semblait ne faire que des hachures, puis lorsque l'action spirituelle avait cessé, on trouvait milieu de ce fouillis une adorable figure de jeune fille, dont les traits purs se détachaient nettement, au milieu de l'inextricable enchevêtrement des coups de crayon. D'autre fois c'étaient des têtes de vieillards ou de guerriers et, nous le répétons, jamais ces médiums n'ont appris les lois du dessin.
Il est bon d'observer que, pour cette sorte de médiumnité, il faut des aptitudes spéciales, et il ne suffit pas d'être médium mécanique pour devenir dessinateur. Les esprits connaissant nos existences antérieures peuvent nous juger aptes à ce genre de manifestation, quand bien même, cette fois, nous ne nous sentirions aucune disposition pour les arts ; c'est donc à eux de nous diriger et à nous de suivre docilement leur avis.
L'essai de théorie générale que nous avons donné des phénomènes de l'écriture peut encore s'appliquer à certaines manifestations qui se présentent avec un caractère composite. Tel est le cas rapporté par le Grand Journal, du 4 juin 1865. Le voici tel que le reproduit la revue.
«Tous les éditeurs et tous les amateurs de musique de Paris connaissaient M. N.-G. Bach, élève de Zimmermann, premier prix de piano du Conservatoire au concours de 1819, un de nos professeurs de piano des plus estimés et des plus honorés, arrière-petit-fils du grand Sébastien Bach, dont il porte dignement le nom illustre.
«Informé par notre ami commun M. Dollingen, administrateur du Grand Journal, qu'un véritable prodige s'était produit dans l'appartement de M. Bach, pendant la nuit du 5 mai dernier, j'ai prié Dollingen de me conduire chez M. Bach, et j'ai été accueilli au n° 8 de la rue Castellane avec une exquise courtoisie. Inutile, je pense, d'ajouter que c'est après avoir obtenu l'autorisation expresse du héros de cette histoire merveilleuse, que je me permets de la raconter à mes lecteurs.
«Le 4 mai dernier, M. Léon Bach, qui est un curieux doublé d'un artiste, apporta à son père une épinette admirablement sculptée. Après de longues et minutieuses recherches, M. Bach découvrit sur une planche intérieure l'état civil de l'instrument ; il date du mois d'avril 1564, et c'est à Rome qu'il a été fabriqué.
«M. Bach passa une partie de la journée dans la contemplation de sa précieuse épinette, il y pensait encore en se couchant, lorsque le sommeil vint fermer sa paupière, il y pensait encore.
«Il n'y a donc pas lieu de s'étonner qu'il ait eu le songe suivant :
«Au plus profond de son sommeil, M. Bach vit apparaître au chevet de son lit un homme qui avait une longue barbe, des souliers arrondis par le bout, avec de grosses bouffettes dessus, une culotte très large, un pourpoint à manches très larges avec des crevés dans le haut, une grande collerette autour du cou et coiffé d'un chapeau pointu à larges bords.
«Ce personnage se pencha vers M. Bach et lui tint ce discours :
«L'épinette que tu possèdes m'a appartenu. Elle m'a souvent servi à distraire mon maître, le roi Henri III.
«Lorsqu'il était très jeune, il composa un air avec paroles qu'il se plaisait à chanter et que je lui jouais bien des fois. Cet air et ces paroles, il les composa en souvenir d'une femme qu'il rencontra dans une partie de chasse et dont il devint amoureux. On l'éloigna de lui, on dit qu'elle fut empoisonnée, et le roi en eut une grande douleur. Chaque fois qu'il était triste, il fredonnait cette romance ; alors, pour le distraire, je jouais sur mon épinette une sarabande de ma composition qu'il aimait beaucoup. Aussi je confondais ces deux morceaux et je les jouais l'un après l'autre. Je vais te les faire entendre.»
«Alors l'homme du rêve s'approcha de l'épinette, fit quelques accords et chanta l'air avec tant d'expression que M. Bach se réveilla tout en larmes. Il alluma une bougie, regarda l'heure, constata qu'il était deux heures après minuit et ne tarda pas à s'endormir de nouveau.
«C'est ici que l'extraordinaire commence.
«Le lendemain matin. à son réveil, M. Bach ne fut pas médiocrement surpris de trouver sur son lit une page de musique couverte d'une écriture très fine et de notes microscopiques. C'est à peine, si, avec l'aide de son binocle, M. Bach, qui est très myope, parvint à se reconnaître au milieu de ce griffonnage.
«L'instant d'après, ce petit-fils de Sébastien s'asseyait à son piano et déchiffrait le morceau. La romance, les paroles et la sarabande étaient exactement conformes à celles que l'homme du rêve lui avait fait entendre pendant son sommeil !
«Or, M. Bach n'est pas somnambule ; or, il n'a jamais écrit un seul vers de sa vie et les règles de la prosodie lui sont absolument étrangères.
«Voici le refrain et les trois couplets tels que nous les avons copiés sur le manuscrit ; nous leur conservons leur orthographe qui, disons-le en passant, n'est nullement familière à M. Bach.

J'ay perdu celle
Pour qui j'avois tant d'amour
Elle s'y belle
Avait pour moi chaque jour
Faveur nouvelle
Et nouveau désir.
Oh ! ouy sans elle
Il me faut mourir !

Un jour pendant une chasse lointaine,
Je l'aperçus pour la première fois,
Je croyais voir un ange dans la plaine,
Lors je devins le plus heureux des rois.

Je donnerais, certes, tout mon royaume
Pour la revoir encore un seul instant ;
Près d'elle assis dessous un humble chaume
Pour sentir mon coeur battre en l'admirant.

Triste et cloistrée, oh ! ma pauvre belle
Fut loin de moy pendant ses derniers jours,
Elle ne sent plus sa peine cruelle ;
Icy bas, hélas ! je souffre toujours.

«Dans cette romance plaintive, ainsi que dans la sarabande joyeuse qui la suit, l'orthographe musicale n'est pas moins archaïque que l'orthographe littéraire. Les clefs sont faites autrement que l'on a l'habitude de les indiquer de nos jours. La base est écrite dans un temps et le chant dans un autre. M. Bach a eu l'obligeance de me faire entendre ces deux morceaux qui sont d'une harmonie simple, naïve et pénétrante...
«Le journal de l'Estoile nous apprend que le roi eut une grande passion pour Marie de Clèves, marquise d'Isle, morte à la fleur de l'âge dans une abbaye, le 15 octobre 1574. Ne serait-ce pas la «pauvre belle, triste et cloistrée» dont il est fait mention dans les couplets. Le même journal nous apprend aussi qu'un musicien italien nommé Baltazarini vint en France à cette époque et qu'il fut un des favoris du roi.
«L'épinette a-t-elle appartenu a Baltazarini ? Est-ce l'esprit de Baltazarini qui a écrit la romance et la sarabande ?
«Mystère que nous n'osons approfondir !
«ALBERIC SECOND.»
Quelques réflexions sur ce sujet ne seront pas déplacées.
«Mystère que nous n'osons approfondir, et pourquoi ne l'osez-vous pas ? Voilà un fait dont l'authenticité vous est démontrée, ainsi que vous le reconnaissez vous-même, et parce qu'il touche à la vie mystérieuse d'outre-tombe vous n'osez pas en rechercher la cause ! Vous tremblez de le regarder en face ! Avez-vous donc, malgré vous, peur des revenants ? ou craignez-vous d'obtenir la preuve que tout n'est pas fini avec la vie du corps ? Il est vrai que pour un sceptique qui ne sait rien et qui ne croit à rien au-delà du temps présent, cette cause est assez difficile à trouver. Cependant par cela même que le fait est plus étrange et paraît s'écarter des lois connues, il doit d'autant mieux faire réfléchir, éveiller tout au moins la curiosité. On dirait vraiment que certaines gens ont peur de voir trop clair, parce qu'il leur faudrait convenir qu'ils se sont trompés. Voyons cependant les déductions que tout homme sérieux peut tirer de ce fait, abstraction faite de toute idée spirite.
«M. Bach reçoit un instrument dont il constate l'antiquité, ce qui lui cause une grande satisfaction. Préoccupé de cette idée, il est naturel qu'elle provoque un rêve ; il voit un homme dans le costume du temps, touchant de cet instrument et chantant un air de l'époque ; rien assurément là qui ne puisse, à la rigueur, être attribué à l'imagination surexcitée par l'émotion et le souvenir de la veille, surtout chez un musicien.
«Mais ici le souvenir se complique, l'air et les paroles ne peuvent être une réminiscence, puisque M. Bach ne les connaissait pas. Qui donc a pu les lui révéler, si l'esprit qui lui est apparu n'est qu'un être fantastique sans réalité ? Que l'imagination surexcitée fasse revivre dans la mémoire des choses oubliées, cela se conçoit ; mais aurait-elle donc le pouvoir de nous donner des idées nouvelles ; de nous apprendre des choses que nous ne savons pas, que nous n'avons jamais sues, dont nous ne nous sommes jamais occupés ? Ce serait là un fait d'une haute gravité et qui vaudrait bien la peine d'être examiné, car ce serait la preuve que l'esprit agit, perçoit indépendamment de la matière. Passons encore là-dessus, si l'on veut ; ces considérations sont d'un ordre si élevé, si abstrait qu'il n'est pas donné à tout le monde de les scruter, ni même d'y arrêter sa pensée.
«Venons au fait le plus matériel, le plus positif, celui de cette musique écrite avec paroles. Est-ce un produit de l'imagination ? La chose est là, palpable, sous les yeux. Est-elle écrite par M. Bach à l'état de somnambulisme ? Admettons-le un instant, mais qui lui aurait dicté ces vers, écrits sans rature et d'une seule venue ? Où aurait-il puisé la connaissance de ces événements passés qu'il ignorait absolument la veille et qui se trouvent confirmés comme on va le voir un peu plus loin.»
M. Albéric Second demandait si l'épinette avait appartenu à Baltazarini et si c'était ce musicien qui avait dicté les paroles de la romance et la musique de la sarabande ?
Voici, comme réponse, ce que nous lisons dans la Revue de février 1866.
«Le fait ci-après est une suite de l'intéressante histoire : Air et paroles du roi Henry III, rapportée dans la Revue de juillet 1865. Depuis lors, M. Bach est devenu médium écrivain, mais il pratique peu, à cause de la fatigue qui en résulte pour lui. Il ne le fait que lorsqu'il y est incité par une force invisible, qui se traduit par une vive agitation et un tremblement de la main, car alors la résistance est plus pénible que l'exercice. Il est mécanique dans le sens le plus absolu du mot, n'ayant ni conscience ni souvenir de ce qu'il écrit. Une fois qu'il était dans cette disposition, il écrivit le quatrain suivant.

Le roi Henry donne cette grande épinette
A Baltazarini, très bon musicien
Si elle n'est bonne ou pas assez coquette
Pour souvenir, du moins, qu'il la conserve bien.

L'explication de ces vers qui, pour M. Bach, n'avaient pas de sens, lui fut donnée en prose.
«Le roi Henry, mon maître, qui m'a donné l'épinette que tu possèdes, avait écrit un quatrain sur un morceau de parchemin qu'il avait fait clouer sur l'étui et me l'envoya un matin. Quelques années plus tard, ayant un voyage à faire et craignant, puisque j'avais mon épinette avec moi pour faire de la musique, que le parchemin ne fût arraché et perdu, je l'ai enlevé et, pour ne pas le perdre, je l'ai mis dans une petite niche à gauche du clavier, où il est encore.»
«L'épinette est l'origine des pianos actuels dans leur plus grande simplicité, et se jouait de la même manière ; c'était un petit clavecin à quatre octaves d'environ un mètre et demi de long sur quarante centimètres de large et sans pieds. Les cordes, à l'intérieur, étaient disposées comme dans les pianos et frappées à l'aide de touches. On le transportait à volonté en le renfermant dans un étui, comme on fait pour les basses et pour les violoncelles. Pour s'en servir on le posait sur une table ou sur un X mobile.
«L'instrument, était alors à l'exposition du musée rétrospectif aux Champs-Elysées, où il n'était pas possible de faire la recherche indiquée. Lorsqu'il lui fut rapporté, M. Bach, de concert avec son fils, s'empressa d'en fureter tous les coins, mais inutilement, de sorte qu'ils crurent d'abord à une mystification.
«Néanmoins, pour n'avoir rien à se reprocher, il le démonta complètement et découvrit, à gauche du clavier, un intervalle si étroit qu'on n'y pouvait introduire la main. Il fouilla ce réduit plein de poussière et de toiles d'araignée, et en retira un morceau de parchemin plié, noirci par le temps, long de trente et un centimètres sur sept et demi de large, sur lequel était écrit le quatrain suivant en assez gros caractères de l'époque :

Moy le roi Henri trois octroys cette espinette
A Baltazarini, mon gay musicien.
Mais si dis mal sône, ou bien [ma] moult simplette
Lors pour mon souvenir dans lestuy garde bien.

«Ce parchemin est percé aux quatre coins de trous qui sont évidemment ceux des clous qui ont servi à le fixer sur la boîte. Il porte, en outre, sur les bords une multitude de trous alignés et régulièrement espacés qui paraissent avoir été faits par de très petits clous.
«Les premiers vers dictés reproduisaient, comme on le voit, la même pensée que ceux du parchemin, dont ils sont la production en langage moderne, et cela avant que ceux-ci ne fussent découverts.
«Le troisième vers est obscur et contient surtout le mot ma, qui semble n'avoir aucun sens, et ne peut point se lier à l'idée principale, et qui, dans l'original, est entouré d'un filet en carré ; nous en avions inutilement cherché l'explication, et M. Bach lui-même n'en savait pas davantage. Etant, un jour, chez ce dernier, il eut spontanément, en notre présence, une communication de Baltazarini, donnée à notre intention et ainsi conçue :
«Amico mio,
«Je suis content de toi, tu as trouvé ces vers dans mon épinette, mon voeu est accompli, je suis content de toi...
«Le roi plaisantait mon accent dans ses vers, je disais toujours ma au lieu de mais.
«Adio amico.
BALTAZARINI.

«Ainsi a été donnée sans question préalable l'explication de ce mot ma, intercalé par plaisanterie, par lequel le roi désignait Baltazarini qui, ainsi que beaucoup de sa nation, le prononçait souvent.
«Ainsi le roi en donnant cette épinette à son musicien lui dit : Si elle n'est pas bonne, si elle sonne mal, ou si ma (Baltazarini), la trouve trop simple, de trop peu de valeur, qu'il la garde dans son étui en souvenir de moi. Le mot ma est entouré d'un filet comme un mot entre parenthèses. Nous aurions, certes, longtemps cherché cette explication qui ne pouvait être le reflet de la pensée de M. Bach, puisque lui-même n'y comprenait rien...
«Une importante question restait à résoudre, c'était de savoir si l'écriture du parchemin était bien réellement de la main d'Henri III. M. Bach se rendit à la bibliothèque impériale pour le comparer à celle des manuscrits originaux. On en trouva d'abord avec lesquels il n'y avait pas une similitude parfaite, mais seulement un même caractère d'écriture. Avec d'autres pièces l'identité était absolue, tant pour le corps de l'écriture que pour la signature.
«Il ne pouvait donc rester de doutes sur l'authenticité de cette pièce, quoique certaines personnes, qui professent une incrédulité ridicule à l'endroit des choses dites surnaturelles, aient prétendu que ce n'était qu'une imitation très exacte. Or nous ferons observer qu'il ne s'agit pas ici d'une écriture médianimique, donnée par l'esprit du roi, mais d'un manuscrit original, écrit par le roi lui-même, de son vivant, et qui n'a rien de plus merveilleux que ceux que des circonstances fortuites font chaque jour découvrir. Le merveilleux, si merveilleux il y a, n'est que dans la manière dont son existence a été révélée. Il est bien certain que si M. Bach se fût contenté de dire qu'il l'avait trouvé par hasard dans son instrument, on n'eût élevé aucune objection.»
Tel est le récit exact de la communication littéraire et musicale obtenue par M. Bach. Nous pourrions rapporter un grand nombre d'anecdotes aussi certaines que celles-là et où l'intervention des esprits est non moins manifeste, mais nous préférons renvoyer le lecteur à la Revue Spirite, qui fourmille de récits semblables, portant tous le cachet de la vérité la plus indiscutable.
CHAPITRE III
-
MEDIUMNITES SENSORIELLES. - MEDIUMS VOYANTS ET MEDIUMS AUDITIFS
La médiumnité voyante est évidemment une des plus curieuses manifestations des esprits. Il n'y a pas de meilleure preuve de la survivance de l'âme que celle qui permet à un esprit de se rendre visible. Pour arriver à ce résultat, il doit faire chez l'incarné certaines modifications périspritales qu'il faut étudier.
Distinguons d'abord les deux cas suivants :
1° Le médium voit avec ses yeux ;
2° Le médium voit à l'état de dégagement.
Il existe un moyen bien simple pour un médium de savoir s'il se trouve dans l'un ou l'autre état. Lorsqu'il voit un esprit, si en détournant son regard ou en fermant les yeux, l'apparition est toujours visible, c'est qu'il est dégagé ; si au contraire il n'aperçoit plus l'esprit, c'est qu'il le voit avec les yeux du corps. Dans le cas de dégagement de l'âme, la vision s'opère en dehors des organes des sens et n'a pas à nous occuper, car nous savons que les désincarnés voient, entendent, et d'une manière plus générale perçoivent par toutes les parties de leur périsprit. La vue par l'âme, à l'état de dégagement, rentre donc dans le cas général de la vision des esprits entre eux.
Ce qu'il importe de remarquer, c'est que l'esprit est néanmoins obligé d'agir sur le médium pour obtenir son dégagement. Qu'est-ce donc que se dégager ? C'est, pour l'âme, être moins enchaînée au corps. Nous savons déjà que, pendant son passage sur la terre, l'esprit est attaché à son enveloppe matérielle par le périsprit, qui lui-même actionne le système nerveux. Plus la vie de l'incarné est active, plus la circulation nerveuse est abondante, moins l'esprit peut se dégager ; mais si, comme nous l'avons remarqué dans la théorie du magnétisme, on peut paralyser momentanément les liens retenant l'âme au corps, il se produit un rayonnement de l'esprit incarné, qui, dans cette condition, jouit de presque toutes les facultés qu'il possède dans l'erraticité. Il peut donc voir les esprits, les décrire et donner ainsi des preuves de leur existence.
Cet état particulier se présente fréquemment pour nous pendant le sommeil. Les rêves ne sont très souvent que le souvenir que nous gardons de nos voyages dans l'espace ; alors même que l'on se souvient pas au réveil des faits dont on a été témoin pendant la nuit, il ne faut pas en conclure que l'âme ne s'est pas dégagée. Nous laisserons de côté cet aspect de la question, pour nous occuper spécialement des manifestations visuelles qui ont lieu à l'état de veille et par les organes du médium.
Tout d'abord, définissons d'une manière précise ce que nous entendons par médiumnité voyante, car il est bon de ne pas prendre pour des apparitions ces figures légères que l'on aperçoit pendant le demi-sommeil, et, au moment du réveil, il faut se tenir soigneusement en garde contre les causes d'erreur qui proviennent de l'imagination surexcitée. Qui n'a cru distinguer à certains moments des figures, des paysages dans les dessins bizarres formés par les nuages ? et pourtant notre raison nous dit qu'ils n'existaient pas en réalité. On sait aussi que dans l'obscurité les objets revêtent des apparences extraordinaires, faute de pouvoir en distinguer toutes les parties, et parce que les contours n'en sont pas nettement accusés. Que de fois, la nuit, dans une chambre, un vêtement accroché, un vague reflet lumineux, n'ont-ils pas semblé avoir une forme humaine aux yeux des personnes qui ont le plus de sang-froid ? Si la peur s'y joint ou une crédulité exagérée, l'imagination fait le reste. Ceci nous fait comprendre ce que l'on appelle l'illusion, mais ne fournit aucun renseignement sur l'hallucination.
Nous voici arrivés au grand mot employé à tout propos par les matérialistes pour expliquer la médiumnité voyante. Essayons de préciser les caractères spéciaux à l'hallucination et voyons s'ils ont quelque chose de commun avec la médiumnité.
Des Hallucinations
Le mot hallucination vient du latin hallucinari, errer ; fait de ad lucem. L'hallucination pourrait être définie un rêve à l'état de veille ; c'est la perception d'une image illusoire, d'un son qui n'existe pas réellement, qui n'a pas de valeur objective. Comme l'objet représenté n'affecte point la rétine, le son entendu ne frappe point l'ouïe, la cause efficiente de l'hallucination existe dans l'appareil nerveux sensoriel et doit être rapportée à un travail particulier du cerveau. Ce phénomène n'existe pas seulement pour la vue et l'ouïe, les autres sens peuvent aussi être hallucinés : un contact, une odeur, une saveur perçues sans qu'il y ait eu d'action préalable d'un excitant extérieur sont de vraies hallucinations.
Ces prétendues sensations qu'éprouvent les personnes atteintes de cette maladie dépendent des images, des idées reproduites par la mémoire, amplifiées par l'imagination et personnifiées par l'habitude. Les hallucinations peuvent être produites par des causes physiques ou morales. Les premières sont très nombreuses : l'abaissement ou l'élévation de la température, l'abus des boissons alcooliques, les doses élevées de sulfate de quinine, la digitale, la belladone, la pomme épineuse, la jusquiame, l'aconit, l'opium, le camphre, les émanations azotées et surtout le haschich, l'ébranlement du cerveau par une chute, etc., etc.
Parmi les causes physiques les plus ordinaires sont : une subite impression sur les sens, ou la trop longue durée d'une vive sensation, la méditation, l'attention violemment fixée vers le même objet, l'isolement, le remords, la crainte, la terreur, etc.
La science s'est occupée de l'hallucination, et MM. Lélut et Brière de Boismont ont publié des livres intéressants, mais qui n'expliquent pas du tout le phénomène. Voici la théorie qu'ils mettent en avant.
Ils croient que toutes les idées, même les plus abstraites, tiennent toujours par quelque côté aux sens, mais que cette faculté de se représenter un objet ou un paysage n'est pas la même pour tous les hommes.
Un peintre voit une fois une personne et garde son image pendant longtemps dans sa mémoire. Un musicien entendra intérieurement des morceaux compliqués de musique, etc.
Cette représentation intérieure semble faire un pas en dehors dans l'illusion, et telle est celle qui nous fait lire les lignes et les mots d'un livre autrement qu'ils sont écrits, nous montrant ce qui n'est pas, ne nous faisant pas voir ce qui est, en l'altérant de mille manières. Cet état de l'esprit peut être déterminé par des causes diverses dont la solitude, le silence, l'obscurité, etc., en sont quelques-unes.
En somme, l'illusion transforme quelque chose de réel, tandis que l'hallucination peint sur le vide ; les choses que l'on voit n'existent pas, les sons que l'on entend n'ont aucune réalité. Quelquefois l'hallucination n'est pas reconnue, mais elle ne trouble pas la raison et n'est, pour ainsi dire, que la raison excitée. «On croit que ce fut le cas de Socrate, de Jeanne d'Arc, de Luther, de Pascal.»
«Suivant M. Lélut, ces grands génies seraient une catégorie de maniaques et les voix de Jeanne la Lorraine de pures hallucinations. Nous ne savons si cela est vrai, mais si M. Lélut pouvait être le jouet d'une folie qui le ferait tout à coup ressembler à Socrate, nous lui souhaiterions d'en être atteint, car cela l'empêcherait de nous rebattre les oreilles avec de pareilles sornettes.
Les savants n'ont donc pas, jusqu'ici, donné l'explication satisfaisante, au point de vue physiologique, de l'hallucination. Cependant ils paraissent avoir sondé toutes les profondeurs de l'optique et de la physiologie. Comment se fait-il alors qu'ils n'aient pas encore expliqué la source des images qui s'offrent à l'esprit dans certaines circonstances ? Que ce soit réel ou non, l'halluciné voit quelque chose ; dira-t-on qu'il croit voir, mais qu'il ne voit rien ? Cela n'est pas probable. On peut dire que c'est une image fantastique, soit, mais quelle est la source de cette image, comment se forme-t-elle, comment réfléchit-elle dans le cerveau ? Voilà ce que l'on ne nous dit pas. Assurément, quand l'halluciné croit voir le diable avec ses cornes et ses griffes, les flammes de l'enfer, des animaux fabuleux, le soleil et la lune qui se battent, il est évident qu'il n'y a là aucune réalité ; mais si c'est un jeu de son imagination, comment se fait-il qu'il décrive ces choses comme si elles étaient présentes ? Il y a donc devant lui un tableau, une fantasmagorie quelconque ; quelle est alors la glace sur laquelle se peint cette image ? quelle est la cause qui donne à cette image la forme, la couleur et le mouvement ?
Puisque les savants veulent tout expliquer par les propriétés de la matière, qu'ils donnent donc une théorie de l'hallucination, bonne ou mauvaise, ce sera toujours une explication, mais ils ne le peuvent, car, en niant l'âme, ils se privent de la cause efficiente du phénomène.
Les faits que nous observons journellement démontrent qu'il y a de véritables apparitions et le devoir de tout spirite éclairé est de faire une distinction entre les phénomènes qui sont dus à des manifestations des esprits, de ceux qui ont pour cause les organes malades du sujet.
En somme, l'hallucination ne présente aucun caractère de positivité, tandis qu'il faut, pour que l'on admette la médiumnité voyante, que l'individu qui est doué de cette faculté puisse décrire ses visions de manière à les faire reconnaître par les personnes présentes. Un médium qui ne verrait toujours que des inconnus, qui ne pourrait jamais donner de preuves qu'il décrit des êtres ayant vécu sur la terre, passerait avec raison aux yeux des spirites pour un halluciné.
Dans l'état normal de l'organisme humain, les impressions produites par les sens s'emmagasinent dans le cerveau, grâce à la propriété de localisation des cellules cérébrales. Ces acquis divers se classent suivant le genre d'idées auxquels ils appartiennent ; ce sont des matériaux dont l'esprit se sert lorsqu'il en sent le besoin. L'âme d'un homme bien portant a une action prépondérante et directrice qui s'exerce indistinctement sur tous les éléments soumis à son empire. Mais si, par suite d'une circonstance quelconque, l'harmonie entre l'âme et le corps devient moins parfaite, le désordre s'introduit dans l'organisation cérébrale et certaines idées, certaines formes, certaines odeurs, etc., ont une tendance à prédominer sur d'autres ; en général, ce sont les impressions qui ont agi le plus fortement sur l'individu, qui l'affectent en produisant ces phénomènes de l'hallucination, qui sont dans la plupart des cas le prologue de la folie.
Mais autre chose est un phénomène spirite, qui fait voir au médium un objet, une personne réels. L'esprit qui est là peut être minutieusement décrit, et ce n'est que lorsque cette vision est reconnue pour être la description exacte d'une personne morte, inconnue du médium, que nous admettons qu'il y ait une intervention spirituelle.
Les véritables apparitions ont un caractère qui, pour un observateur expérimenté, ne permet pas de les confondre avec un jeu de l'imagination. Comme elles peuvent avoir lieu en plein jour, on doit se défier de celles que l'on croit voir la nuit, dans la crainte d'être dupe d'une illusion d'optique. Il en est d'ailleurs des apparitions comme de tous les autres phénomènes spirites, le caractère intelligent est la preuve de leur véracité. Toute apparition qui ne donne aucun signe intelligent et qui n'est pas reconnue, peut être hardiment mise au rang des illusions. Comme on le voit, nous sommes très circonspects dans l'appréciation de ces phénomènes, et nous tenons avant tout à bien faire constater que les spirites, loin d'approuver les divagations des cerveaux malades, sont de minutieux observateurs des faits et des positivistes dans toute l'acception du terme.
Ainsi que nous l'avons fait remarquer, la médiumnité voyante peut s'exercer de deux manières : soit à l'état de dégagement, soit par les organes du corps. Afin de donner un exemple de chaque genre, nous allons rapporter les deux faits suivants empruntés à la Revue Spirite de 1861.
«Un de nos collègues (dit Allan Kardec) nous racontait dernièrement qu'un officier de ses amis, étant en Afrique, eut tout à coup devant lui le tableau d'un convoi funèbre. C'était celui d'un de ses oncles qui habitait en France et qu'il n'avait pas vu depuis longtemps. Il vit distinctement toute la cérémonie, depuis le départ de la maison mortuaire à l'église, et le transport au cimetière ; il remarqua même diverses particularités dont il ne pouvait avoir l'idée. A ce moment il était éveillé et cependant dans un certain état de prostration dont il ne sortit que lorsque tout eut disparu. Frappé de cette circonstance, il écrivit en France pour avoir des nouvelles de son oncle, et il apprit que celui-ci, étant mort subitement, avait été enterré le jour et à l'heure où l'apparition avait eu lieu et avec les particularités qu'il avait vues.»
Il est bien évident ici que c'est l'âme de cet officier qui s'est dégagée, car le fait s'étant exactement passé en France, au jour et à l'heure où l'officier le voyait en Afrique, il a fallu que son âme ait rayonné à distance pour voir ce qui se passait au loin.
Voici la seconde histoire.
«Un médecin de notre connaissance, M. Félix Malo, avait donné des soins à une jeune femme ; mais ayant jugé que l'air de Paris lui était contraire, il lui conseilla d'aller passer quelque temps dans sa famille, en province, ce qu'elle fit. Depuis six mois il n'en entendait plus parler et n'y pensait plus, lorsqu'un soir, vers dix heures, étant dans sa chambre à coucher, il entendit frapper à la porte de son cabinet de consultation. Croyant qu'on venait l'appeler pour un malade, il dit d'entrer, mais il fut fort surpris de voir devant lui la jeune femme en question, pâle, dans le costume qu'il lui avait connu, et qui lui dit avec un très grand sang-froid :
«Monsieur Malo, je viens vous dire que je suis morte.» Puis elle disparut. Le médecin s'étant assuré qu'il était bien éveillé et que personne n'était entré, fit prendre des informations, et sut que cette jeune femme était morte le soir même où elle lui était apparue.»
Dans ce cas c'est bien l'esprit de la femme qui est venu trouver le médecin. Les incrédules ne manqueront pas de dire que le docteur pouvait être préoccupé de la santé de son ancienne malade et qu'il n'y avait rien d'étonnant à ce qu'il prévît sa mort ; soit, mais alors, qu'ils expliquent le fait de la coïncidence de son apparition avec le moment de sa mort, alors que depuis plusieurs mois le médecin n'en entendait plus parler. En supposant même qu'il ait cru à l'impossibilité d'une guérison, pouvait-il prévoir qu'elle mourrait tel jour, à telle heure ?
Le docteur a vu avec les yeux du corps, car l'apparition était sensible, puisqu'elle a frappé à la porte du cabinet. C'est ce cas de vision que nous allons considérer maintenant.

Vue médianimique par les yeux
Ayant éliminé la vue de l'âme par dégagement, il nous faut étudier maintenant la vue par les organes de la vision. Lorsqu'un médium voit un esprit, on peut, a priori, se poser la question suivante : Est-ce le médium qui subit une modification ou l'esprit ? En effet, à l'état ordinaire, nous ne voyons pas les esprits, parce que nos organes sont trop grossiers pour nous faire percevoir certaines vibrations qui leur échappent. Mais quand la vision a lieu : ou nos organes ont acquis une plus grande sensibilité, ou l'esprit a fait subir à son enveloppe certaines modifications qui, en diminuant la rapidité des vibrations moléculaires périspritales, peuvent le rendre visible. Si cette dernière manière d'envisager le phénomène était exacte, l'esprit serait vu par toutes les personnes présentes, il y aurait là une apparition collective ; c'est ce qui avait lieu dans le cas des matérialisations que nous avons étudiées avec Crookes ; mais lorsque, au milieu d'une assemblée, une personne seulement voit les esprits, c'est qu'elle subit une variation organique du sens de la vue, qu'il est intéressant d'étudier.
L'oeil, comme chacun le sait, est une véritable chambre noire sur le fond de laquelle se peignent les impressions lumineuses. La rétine formée par l'épanouissement du nerf optique, transporte au cerveau les vibrations lumineuses ; là, elles sont transformées en sensations. Les physiologistes ne se sont pas contentés d'étudier la participation de la rétine à la fonction visuelle ; remontant des effets aux causes, ils ont recherché l'explication de ces faits.
Pour se rendre compte de la sensation de la couleur et de celle du clair et de l'obscur, ils ont admis des vitesses différentes dans les ondes d'un fluide (Ether) qui serait répandu dans tout l'univers. Ces ondes impressionneraient d'une manière différente la rétine, et la nature de la perception dont l'âme a conscience serait subordonnée à ces impressions variables. Dans cette théorie, on admet que les phénomènes de vision sont simplement le résultat de la perception, par le sensorium, d'un état déterminé de la rétine, et la sensation de l'obscurité est expliquée par l'absence de toute sensation, et par l'état de la rétine elle-même.
Ce qui prouve d'ailleurs l'existence d'une modification survenant dans la rétine pendant la perception des objets lumineux, c'est la possibilité de reproduire les mêmes sensations par un excitant autre que la lumière. Toute cause capable de déterminer un changement dans l'état de la membrane nerveuse de l'oeil, détermine des sensations intimes, autrement dit subjectives de la lumière. Comprimez l'oeil avec le doigt, vous apercevez des figures de formes diverses, tantôt annulaires et tantôt rayonnées.
Il arrive parfois que ces sensations subjectives se produisent spontanément : J. Muller dit avoir constaté, dans certains cas, l'apparition d'une petite tache blanche se produisant en même temps que les mouvements respiratoires ; en tournant brusquement les yeux de côté, on voit tout à coup apparaître des cercles lumineux dans le champ visuel plongé au milieu de l'obscurité.
Les sensations de lumière une fois admises comme le résultat d'un changement survenu dans la rétine, quelques physiologistes ont cru devoir se demander où cet état était perçu par l'âme. Evidemment c'est dans l'encéphale et non dans la rétine elle-même. Ce qui met hors de doute la participation de la rétine à l'acte de la vision, c'est que les animaux dont la vue est la plus perçante, sont aussi ceux qui ont la rétine la plus développée. Cette membrane n'étant que l'extrémité épanouie du nerf optique et ne présentant pas une sensibilité égale sur toute la surface, il en résulte que les fibres qui composent le nerf optique ne vibrent pas toutes à l'unisson. Les plus sensibles pourront être ébranlées par des ondes lumineuses qui laisseront les autres au repos. Ceci est la conséquence de la spécificité des organes, c'est-à-dire de la tendance que les fibres possèdent de s'accommoder à un état vibratoire déterminé.
La sensibilité d'un organe dépend du plus ou moins grand nombre de fibres qu'il contient et dont chacune est capable de prendre un mouvement vibratoire particulier, en rapport avec les causes extérieures qui peuvent influencer cet organe. Il ne faut pas oublier non plus qu'une condition est indispensable au bon fonctionnement des appareils sensoriaux, c'est que chaque organe ait une quantité déterminée de fluide nerveux à sa disposition : suivant que cette quantité augmente ou diminue, les sensations sont aiguës ou nulles. Nous avons de nombreux exemples de ce fait. Dans certains états pathologiques, l'ouïe atteint une finesse remarquable ; ce développement est dû à l'accumulation momentanée du fluide nerveux dans le nerf acoustique ; il en est de même pour tous les autres sens.
Ceci admis, voyons par l'étude de la lumière entre quelles limites de vibrations peut s'exercer, à l'état normal, le sens de la vue.
Supposons que nous fassions passer à travers un prisme un rayon de soleil ; si nous recueillons sur un écran ce rayon réfracté, nous remarquerons qu'il forme une bande lumineuse composée de sept couleurs, que l'on a appelée le spectre solaire. Les teintes extrêmes sont le rouge et le violet ; au-delà de ces deux couleurs l'oeil ne perçoit plus de sensations lumineuses. Cependant si l'on place des sels d'argent dans cette partie obscure, ils sont décomposés ; ce qui prouve qu'au-delà du violet il existe des radiations particulières que l'oeil n'est pas capable de saisir, auxquelles le thermomètre est insensible, mais dont l'activité chimique est puissante. Au-delà du rouge, il existe des ondulations calorifiques invisibles. Nous arrivons ainsi à cette conclusion nécessaire, que le spectre complet formé par les radiations solaires se prolonge au-delà du violet et au-delà du rouge, et que c'est seulement la partie moyenne du spectre total que nos yeux peuvent distinguer.
Il existe donc de la lumière que nous ne voyons pas, des vibrations lumineuses insaisissables pour l'oeil, parce que la rétine, qui est l'appareil récepteur, ne peut enregistrer ces vibrations lumineuses trop rapides pour elle. Des calculs récents ont montré que les ondulations éthérées ayant moins de quatre cents trillions par seconde, ou plus de sept cents quatre-vingt-dix, sont impuissantes à l'affecter. Il en est de même pour l'ouïe, et pour les autres sens, de sorte que l'homme est une machine animale douée d'appareils récepteurs qui ne fonctionnent qu'entre certaines limites assez faibles, si on les compare à l'infinité de la nature.
Cette idée est capitale pour la compréhension des phénomènes spirites. Nous ne percevons par la vue la matière que lorsque les vibrations de cette matière ne dépassent pas sept cents trillions par seconde ; mais, ainsi que nous l'avons vu, il y a des ondulations plus rapides qui existent réellement et qui nous échappent. Or les fluides périspritaux étant de la matière à un état de raréfaction extrême possèdent un mouvement vibratoire très rapide, de sorte qu'à l'état normal notre oeil ne peut voir les esprits. Mais si nous pouvions diminuer le nombre des vibrations périspritales, si on parvenait à les amener dans les limites que comprend la vision, nous verrions les esprits. Ce résultat peut être atteint de deux manières : 1° en diminuant le nombre des ondulations lumineuses ; 2° en augmentant la puissance visuelle de l'oeil.
Est-il possible de diminuer le mouvement vibratoire d'un rayon de lumière ? Nous n'hésitons pas à répondre oui, car des expériences remarquables faites dernièrement sont venues mettre cette vérité hors de doute.
Les rayons lumineux ultra-violets du spectre, invisibles jusqu'alors, deviennent visibles lorsqu'on les laisse tomber sur une espèce particulière de verre, contenant un silicate d'un métal appelé l'uranium. Ce verre a la propriété de rendre visibles les rayons qui, sans lui, ne frapperaient pas notre oeil. Si l'on prend un morceau de ce verre à la main, et qu'on l'éclaire successivement à l'aide de la lumière électrique, d'une bougie, d'une lampe à gaz ou qu'on le mette dans le champ d'un spectre prismatique de lumière blanche, on le voit briller suivant la couleur de la lumière qui tombe sur lui. Si on l'éclaire avec des rayons ultra-violets, on le voit s'illuminer d'une couleur mystérieuse qui révèle la présence de rayons invisibles jusqu'ici aux yeux mortels.
Examinons le cas où la puissance de l'oeil peut être augmentée ; cette opération aura encore pour but de faire voir les esprits. L'âme, avons-nous dit bien souvent, est une essence indivisible, immatérielle et intangible, qui constitue la personnalité de chaque individu ; elle est entourée de matière quintessenciée qui forme son enveloppe et par laquelle elle entre en rapport avec la nature extérieure. Ce corps fluidique, en raison de sa raréfaction, possède un mouvement moléculaire plus rapide que celui des gaz et des vapeurs qui sont déjà invisibles pour nous ; donc il n'est pas visible non plus, car l'oeil ne contient pas, à l'état normal, de fibre qui puisse vibrer harmoniquement avec lui. Mais si un esprit veut manifester sa présence, il entre en rapport fluidique avec l'incarné, ainsi que nous l'avons vu précédemment, et une fois la communication établie, il accumule par le magnétisme spirituel, dans le nerf optique, une quantité de fluide nerveux plus grande qu'à l'ordinaire, ce qui sensibilise certaines fibres qui peuvent dès lors entrer en vibrations correspondantes à celles de l'enveloppe de l'esprit. Dès que ce phénomène est produit, l'être ainsi modifié voit l'esprit et le verra tant que ce dernier continuera son action.
Petit à petit, cette opération se renouvelant un grand nombre de fois, les fibres prennent une aptitude vibratoire plus grande, les ondes lumineuses se propagent dans l'organisme suivant la ligne à laquelle Herbert Spencer a donné le nom de ligne de moindre résistance, de sorte que l'on chemine de plus en plus facilement le long de cette ligne, et qu'à la fin, cette ligne elle-même finit par prendre naturellement ce mouvement vibratoire, dès que la première molécule est en branle. Le médium a donc, en réalité, un sens nouveau, qui est dû à l'extension de l'appareil visuel.
Nous le savons, lorsque l'esprit veut se rendre visible à plusieurs personnes, il est toujours obligé de prendre du fluide nerveux à un médium, mais la modification s'opère sur lui et non plus sur les yeux des assistants. Nous avons vu qu'un simple changement dans le mouvement moléculaire d'un corps peut le faire passer de l'état transparent à l'opacité. De même une vapeur qui se condense, c'est-à-dire dont le mouvement vibratoire diminue, devient très rapidement visible sous forme de brouillard ; enfin le verre d'urane permet de voir les rayons du spectre, qui sans lui seraient invisibles. L'esprit peut donc agir d'une manière analogue. Ce phénomène nous peint très fidèlement ce qui se passe dans le cas de la photographie des esprits. Etudions ce nouveau genre de manifestations.

Photographie spirite
Nous sommes ici en face d'un phénomène qui a suscité bien des discussions et donné lieu à un procès célèbre, en 1875. Les journaux qui se posent, en général, comme adversaires déclarés des faits spirites n'ont pas manqué de saisir cette occasion pour ridiculiser notre doctrine et ses défenseurs. En dépit des allégations de plus de 140 témoins, qui affirmaient sur l'honneur avoir reconnu des personnages morts de leur famille et dont la photographie a été obtenue, on a profité de la mauvaise foi du médium Buguet pour faire croire au public qu'il n'y avait dans ces productions d'un côté que supercherie, et de l'autre qu'une crédulité stupide.
Il est incontestable que Buguet s'est joué de la bonne foi des personnes qui avaient confiance dans son honnêteté ; les mannequins saisis chez lui le prouvent surabondamment, mais il est non moins vrai que lorsqu'il a commencé, il était véritablement médium. Quand on voit des personnes aussi sérieuses que MM. Royard, chimiste ; Tremeschini, ingénieur, madame la comtesse de Caithness, le comte de Pomar, le prince de Wittgenstein, le duc de Leuchtenberg, le comte de Bullet, le colonel Devolluet, M. O. Sullivan, ministre des Etats-Unis, M. de Turcq, consul, etc., etc., jurer qu'ils ont reconnu des esprits pour être la reproduction exacte de la physionomie de leurs parents ou amis décédés, il faudrait être aveugle pour douter de la réalité des manifestations.
Cependant les juges n'ont pas craint de condamner M. Leymarie, gérant de la société spirite, à un an de prison et 500 francs d'amende, car ils espéraient atteindre en lui le spiritisme, doctrine qui touche trop profondément le clergé pour que l'on ne sente pas son action dans la pénalité infligée à celui qui représentait le spiritisme français.
Sur ce sujet nous pensons comme M. Eugène Nus, et nous dirons avec lui : «Dans ces sortes de causes, et dans certaines autres, je me défie du tribunal presque autant que de l'accusé. S'il y a en ce monde des intrigants, des charlatans, des imposteurs, des ennemis de la propriété, de la religion, de la science et de la famille, il y a aussi sur les chaises curules, en toque rouge ou en toque noire, des hommes qui, de la meilleure foi du monde, ne rendent que des services, en croyant rendre des arrêts. Je suis convaincu qu'en France d'abord, et dans quelques autres régions du monde civilisé, la justice est en progrès sur les âges antérieurs. Je suis parfaitement certain que nos juges d'instruction mettraient à la porte, et peut-être à Mazas, le drôle assez hardi pour leur proposer de rendre, à n'importe quel prix, une ordonnance de non-lieu en faveur d'un coquin. Je ne doute pas un instant que le plus pauvre et le moins payé de nos magistrats ne repoussât avec indignation les offres d'un Artaxercès plaidant pour voler la fortune d'autrui ; mais du moment qu'entrent en jeu les préventions, les passions politiques religieuses, voire scientifiques, je crois fermement qu'il n'y a plus de juges, même à Berlin.»
Si nous avons eu à souffrir de la condamnation prononcée contre nous, c'est que l'on s'est écarté de la voie tracée par le maître Allan Kardec. Ce novateur était opposé à la rétribution des médiums et il avait pour cela de bonnes raisons. A son époque, les frères Davenport avaient beaucoup fait parler d'eux, mais comme ils gagnaient pas mal d'argent à exécuter leurs tours, Allan Kardec s'était prudemment tenu à l'écart, et bien lui en prit, car après le scandale qui obligea ces industriels à sortir de France, il put continuer à enseigner le spiritisme sans être atteint par le discrédit de ces Américains fantaisistes. Voici les règles tracées par le maître dans le livre des médiums :

Recommandations d'Allan Kardec
«Comme tout peut devenir un sujet d'exploitation, il n'y aurait rien d'étonnant à ce qu'on voulût aussi exploiter les esprits ; reste à savoir comment ils prendraient la chose, si jamais une telle spéculation tentait de s'introduire. Nous dirons d'abord que rien ne prêterait plus au charlatanisme et à la jonglerie qu'un pareil métier. Si l'on voit de faux somnambules, on verrait encore bien plus de faux médiums, et cette raison seule serait un sujet fondé de défiance. LE DESINTERESSEMENT, au contraire, est la réponse le plus péremptoire que l'on puisse opposer à ceux qui ne voient dans les faits qu'une habile manoeuvre. Il n'y a pas de charlatanisme désintéressé ; quel serait donc le but des personnes qui useraient de supercherie, sans profit, à plus forte raison quand leur honorabilité notoire les met au-dessus de tout soupçon ?
«Si le gain qu'un médium retirerait de sa faculté peut être un sujet de suspicion, ce ne serait point une preuve que cette suspicion soit fondée ; il pourrait donc avoir une aptitude réelle et agir de bonne foi tout en se faisant rétribuer. Voyons si, dans ce cas, on peut en attendre un résultat satisfaisant.
«Si l'on a bien compris ce que nous avons dit des conditions requises pour servir d'interprète aux esprits, des causes nombreuses qui peuvent les éloigner, des circonstances indépendantes de leur volonté qui sont souvent un obstacle à leur venue, enfin de toutes les conditions morales qui peuvent exercer une influence sur la nature des communications, comment pourrait-on supposer qu'un esprit tant soit peu élevé fût, à chaque heure du jour, aux ordres d'un entrepreneur de séances et soumis à ces exigences pour satisfaire la curiosité du premier venu ? On sait l'aversion des esprits pour tout ce qui sent la cupidité et l'égoïsme, le peu de cas qu'ils font des choses matérielles, et l'on voudrait qu'ils aidassent à trafiquer de leur présence ! Cela répugne à la pensée et il faudrait bien peu connaître la nature du monde spirite pour qu'il en pût être ainsi. Mais comme les esprits légers sont moins scrupuleux et ne cherchent que des occasions de s'amuser à nos dépens, il en résulte que, si l'on n'est pas mystifié par un faux médium, on a toutes les chances de l'être par quelques-uns d'entre eux. Ces seules réflexions donnent la mesure du degré de confiance que l'on devrait accorder à des communications de ce genre. Du reste, à quoi serviraient aujourd'hui des médiums payés, puisque, si l'on n'a pas soi-même cette faculté, on peut la trouver dans sa famille, parmi ses amis ou ses connaissances ?
«Les médiums intéressés ne sont pas uniquement ceux qui pourraient exiger une rétribution fixe ; l'intérêt ne se traduit pas toujours par l'espoir d'un gain matériel, mais aussi par les vues ambitieuses de toute nature sur lesquelles on peut fonder des espérances personnelles ; c'est encore là un travers que savent très bien les esprits moqueurs et dont ils profitent avec une adresse, une rouerie vraiment incroyable, en berçant de trompeuses illusions ceux qui se mettent ainsi sous leur dépendance. En résumé, la médiumnité est une faculté donnée pour faire le bien, et les bons esprits s'éloignent de ceux qui prétendraient s'en faire un marchepied pour arriver à quoi que ce soit qui ne répondrait pas aux vues de la providence. L'égoïsme est la plaie de la société, les bons esprits le combattent ; on ne peut supposer qu'ils viennent le servir. Cela est si rationnel qu'il serait inutile d'insister sur ce point.
Les médiums à effets physiques ne sont pas dans la même catégorie ; ces effets sont généralement produits par des esprits inférieurs moins scrupuleux. Nous ne disons pas que ces esprits soient nécessairement mauvais pour cela : on peut être portefaix et très honnête homme ; un médium qui voudrait exploiter sa faculté pourrait donc en avoir qui l'assisteraient sans trop de répugnance, mais là encore se présente un autre inconvénient. Le médium à effets physiques, pas plus que celui à communications intelligentes, n'a reçu sa faculté pour son plaisir : elle lui a été donnée à condition d'en faire un bon usage, et, s'il en abuse, elle peut lui être retirée ou bien tourner à son détriment, car, en définitive, les esprits inférieurs sont aux ordres des esprits supérieurs.
«Les esprits inférieurs aiment bien à mystifier, mais ils n'aiment pas à être mystifiés ; s'ils se prêtent volontiers à la plaisanterie, aux choses de curiosité, parce qu'ils aiment à s'amuser, ils n'aiment pas plus que les autres à être exploités et à servir de compères pour faire aller la recette, et ils prouvent à chaque instant qu'ils ont leur volonté, qu'ils agissent quand et comme bon leur semble, ce qui fait que le médium à effets mécaniques est encore moins sûr de la régularité des manifestations que le médium écrivain. Prétendre les produire à jour et heures fixes, serait faire preuve de la plus profonde ignorance.
«Que faire alors pour gagner son argent ? Simuler les phénomènes : c'est ce qui peut arriver, non seulement à ceux qui en feraient un métier avoué, mais même à des gens simples en apparence qui trouvent ce moyen plus facile et plus commode que de travailler. Si l'esprit ne donne pas, on y supplée. L'imagination est si féconde quand il s'agit de gagner de l'argent ! L'intérêt étant un légitime motif de suspicion, il donne un droit d'examen rigoureux dont on ne saurait s'offenser sans légitimer les soupçons. Mais autant la suspicion est légitime dans ce cas, autant elle est offensante vis-à-vis des personnes honorables et désintéressées.
«La faculté médianimique, même restreinte dans la limite des manifestations physiques, n'a point été donnée pour en faire parade sur les tréteaux, et quiconque prétendrait avoir des esprits à ses ordres pour les exhiber en public peut à bon droit être suspecté de charlatanisme ou de prestidigitation plus ou moins habile. Qu'on se le tienne pour dit, toutes les fois qu'on verra des annonces de prétendues séances de spiritisme ou de spiritualisme à tant la place et qu'on se souvienne du droit qu'on achète en entrant.
«De tout ce qui précède, nous concluons que le désintéressement le plus absolu est la meilleure garantie contre le charlatanisme ; s'il n'assure pas la bonté des communications intelligentes il enlève aux mauvais esprits un puissant moyen d'action et ferme la bouche à certains détracteurs.»

Voilà le langage de la saine raison et de l'honnêteté, et tout spirite, digne de ce nom, doit répudier hautement ces promiscuités dangereuses qui ravaleraient notre doctrine à une exploitation cynique. Nous sommes, avant tout, d'honnêtes gens, et nous déclarons formellement n'avoir rien de commun avec les personnes, quelles qu'elles soient, qui font métier de leur faculté et qui déshonorent ainsi par leur conduite la doctrine qu'elles prétendent soutenir.
Nous ne savons rien d'aussi répugnant que les fraudes possibles qui auraient pour but de profaner ce qu'il y a de plus sacré au monde : la tombe des morts. C'est pourquoi nous flétrissons le sieur Buguet comme il le mérite et nous engageons tous les spirites à ne se laisser jamais amorcer par de belles promesses, chaque fois qu'un intérêt purement matériel est en jeu.
Revenons à notre étude et demandons-nous si la photographie des esprits est possible.
La réponse est certaine, puisque William Crookes l'a obtenue ; mais les conditions ordinaires dans lesquelles on se place ne sont plus les mêmes que celles de l'illustre chimiste.
Dans les expériences faites en compagnie de miss Cook, l'esprit est entièrement matérialisé ; il a autant de tangibilité qu'une personne vivante, et dès lors il n'y a rien d'étonnant à ce que l'on puisse faire son portrait. Dans la photographie dont nous parlons, on ne voit pas l'esprit, et cependant son image est reproduite. Ceci peut s'expliquer de la manière suivante.
Nous savons que le médium voyant possède un appareil visuel qui est rendu plus sensible au moyen de l'action fluidique exercée par l'esprit qui veut se manifester. L'oeil du médium est une chambre noire qui acquiert à ce moment une puissance considérable ; elle enregistre des vibrations qui ne peuvent être perçues par nous à l'état habituel ; de là sa propriété de voir les esprits. Eh bien, la plaque collodionée joue dans ce cas le même rôle, non pas qu'elle soit plus sensible qu'à l'ordinaire, mais l'esprit, empruntant des fluides au médium, se matérialise assez pour que son enveloppe réfléchisse les rayons ultraviolets que nous ne voyons pas, et c'est grâce à ces radiations que l'on peut obtenir l'image d'un être qui n'est pas perçu par nos yeux. Nous n'avons pas conscience des vibrations lumineuses qui sont au-delà du violet et du rouge, mais elles existent, elles impressionnent les sels d'argent et sont réfléchies par le périsprit de l'être qui veut se manifester. Nous pouvons supposer que le fluide nerveux emprunté au médium remplace le verre d'urane pour les rayons ultra-violets du spectre ; il diminue le mouvement périsprital, condense en quelque sorte les fluides, de manière à les rendre capables de réfléchir les radiations ecténiques.
Cette manière de voir est d'autant plus juste que des expériences ont été tentées par M. Thomas Slater, opticien, Estearn Road, 136, à Londres, qui montrent que la lumière ordinaire n'intervient pas dans ce phénomène. Voici ce que dit ce chercheur :
«J'ai moi-même obtenu des photographies spirites au moyen d'un instrument fait avec des verres d'un bleu très foncé, de façon qu'il est impossible d'impressionner la plaque, à moins qu'une forte lumière ne soit tenue devant la personne qui pose, prouvant ainsi que la lumière projetée par les esprits est complètement en dehors des rayons lumineux de notre spectre, et qu'ils sont beaucoup plus forts que ceux que la personne vivante qui pose peut projeter, bien que les esprits nous soient invisibles.»
A Bruxelles, un ingénieur chimiste des Arts et manufactures, M. Bayard, a obtenu lui aussi, dans son laboratoire, des photographies d'esprits ; il en donne un compte rendu détaillé dans la brochure : le Procès des spirites, pages 122, 123 et 124. Enfin, en Amérique, on réussit couramment des photographies spirituelles et le phénomène n'est plus contesté.
En dépit de tous les tribunaux, il faut reconnaître que le fait peut se produire, et pour étonnant qu'il soit, il n'a rien de surnaturel. Dès qu'il nous est démontré que les esprits existent, qu'ils ont un corps fluidique qui peut se condenser, dans certaines conditions, il devient facile de comprendre qu'il puisse être photographié, puisqu'il se matérialise jusqu'à la tangibilité, ainsi que cela résulte des expériences de Crookes. Nous sommes si loin de connaître les lois qui dirigent les opérations qui nous sont les plus familières, que l'on ne doit pas s'étonner qu'il se produise des incidents qui semblent au premier abord inexplicables. Voici un exemple de ce que nous avançons, pris dans la revue d'Allan Kardec de 1864 ; c'est un de ses amis qui parle :
«J'habitais, dit-il, une maison à Montrouge ; on était en été, le soleil dardait par la fenêtre ; sur la table se trouvait une carafe pleine d'eau, et, sous la carafe, un petit paillasson ; tout à coup, le paillasson prit feu. Si personne n'eût été là, un incendie pouvait avoir lieu sans qu'on en sût la cause. J'ai essayé cent fois de produire le même résultat, et jamais je n'ai réussi.»
La cause physique de l'inflammation est bien connue, la carafe a fait l'office d'une lentille, mais pourquoi n'a-t-on pas pu réitérer l'expérience ? C'est qu'indépendamment de la carafe et de l'eau, il y avait un concours de circonstances qui opéraient d'une manière exceptionnelle : la concentration des rayons solaires. Peut-être de l'atmosphère, des vapeurs, des qualités de l'eau, l'électricité, etc., et tout cela probablement dans certaines proportions : d'où la difficulté de tomber juste dans les mêmes conditions, et l'inutilité des tentatives pour produire un effet semblable.
Voilà donc un phénomène tout entier du domaine de la physique dont on se rend parfaitement compte, quant au principe ; on ne peut cependant le répéter à volonté. Viendra-t-il à la pensée du sceptique le plus endurci de nier le fait ? Assurément non. Pourquoi donc ces mêmes sceptiques nient-ils la réalité des phénomènes spirites, parce qu'ils ne peuvent les manipuler à leur gré ? Ne pas admettre qu'en dehors du connu il puisse y avoir des agents nouveaux, régis par des lois spéciales ; nier ces agents parce qu'ils n'obéissent pas aux lois que nous connaissons, c'est, en vérité, faire preuve de bien peu de logique et montrer un esprit bien étroit.
Si étonnante que soit la photographie des esprits, voici un échantillon de photographie naturelle plus extraordinaire encore, attestée, en 1858, par M. Jobar, le savant bien connu.
«M. Badet, mort le 12 novembre dernier, après une maladie de trois mois, avait coutume, dit l'Union bourguignonne de Dijon, chaque fois que ses forces le lui permettaient, de se placer à une fenêtre du premier étage, la tête constamment tournée du côté de la rue, afin de se distraire par la vue des passants. Il y a quelques jours, madame Peltret, dont la maison est en face de celle de madame veuve Badet, aperçut à la vitre de cette fenêtre M. Badet lui-même, avec son bonnet de coton, sa figure amaigrie, etc., enfin tel qu'elle l'avait vu pendant sa maladie. Grande fut son émotion, pour ne pas dire plus. Elle appela, non seulement ses voisins, dont le témoignage pouvait être suspecté, mais encore des hommes sérieux, qui aperçurent bien distinctement l'image de M. Badet sur la vitre de la fenêtre où il avait coutume de se placer. On montra aussi cette image à la famille du défunt, qui, sur-le-champ, fit disparaître la vitre.
«Il reste toutefois bien constaté que la vitre avait pris l'empreinte de la figure du malade, qui s'y est trouvée comme daguerréotypée, phénomène qu'on pourrait expliquer si, du côté opposé de la fenêtre, il y en eût une autre par où les rayons solaires eussent pu arriver à M. Badet ; mais il n'en est rien, la chambre n'avait qu'une seule croisée. Telle est la vérité toute nue sur ce fait étonnant dont il convient de laisser l'explication aux savants.»
Il n'est pas inutile de dire qu'on n'en a donné aucune, et cela n'a rien de surprenant, puisque, la vitre ayant été détruite, on n'a pu l'analyser. Ce que nous voulons retenir de cette histoire, c'est la possibilité de la photographie spontanée, et montrer que loin d'être ridicules, les spirites sont des chercheurs consciencieux qui marchent en parfait accord avec la science, et que plus nos connaissances s'étendront, plus nous expliquerons facilement les faits qui paraissaient tout d'abord surnaturels.

Médiumnité auditive
La médiumnité auditive consiste dans la faculté d'entendre certains bruits, certaines paroles prononcées par les esprits, et qui ne frappent pas l'ouïe dans les conditions ordinaires de la vie. Il faut pour cette faculté, comme pour la précédente, distinguer deux cas : 1° l'intuition et, 2°, l'audition réelle.
L'intuition a lieu d'âme à âme ; c'est une transmission de pensées s'opérant sans le secours des sens, c'est une voix intime qui retentit dans le for intérieur ; mais bien que les pensées qui sont reçues soient claires et distinctes, elles ne sont pas articulées au moyen de mots et n'ont rien de matériel. Dans l'audition, au contraire, les paroles sont prononcées de manière que le médium les entend comme si elles provenaient d'une personne placée à côté de lui.
Allan Kardec, le grand initiateur que l'on a voulu faire passer pour un imposteur, s'élève avec une grande force contre ces spirites crédules qui veulent attribuer les phénomènes les plus ordinaires de la vie à l'action des esprits. Il recommande la plus extrême circonspection dans l'analyse des faits, et ne cesse de donner des conseils pour mettre en garde ses adeptes contre les erreurs, les hallucinations et les fausses interprétations. Voici ce qu'il a écrit à propos de la médiumnité auditive.
«Il faudrait bien se garder de prendre pour des voix occultes tous les sons qui n'ont pas de cause connue, ou de simples tintements d'oreilles, et surtout de croire qu'il y a la moindre vérité dans la croyance vulgaire, que l'oreille qui tinte nous avertit que l'on parle de nous quelque part. Ces tintements, dont la cause est purement physiologique, n'ont d'ailleurs aucun sens, tandis que les sons pneumatophoniques expriment des pensées et c'est à ce seul caractère qu'on peut reconnaître qu'ils sont dus à une cause intelligente et non accidentelle. On peut poser en principe que les effets notoirement intelligents sont les seuls qui peuvent attester l'intervention des Esprits ; quant aux autres, il y a au moins cent chances contre une qu'ils soient dus à des causes fortuites.
«Il arrive assez fréquemment que, dans le demi-sommeil, on entend distinctement prononcer des mots, des noms, quelquefois même des phrases entières, et cela assez fortement pour nous réveiller en sursaut. Quoiqu'il puisse arriver que dans certains cas ce soit bien réellement une manifestation, ce phénomène n'a rien d'assez positif pour qu'on ne puisse l'attribuer à une cause quelconque, telle que l'hallucination. Ce que l'on entend ainsi n'a, du reste, aucune suite ; il n'en est pas de même quand on est tout à fait éveillé, car alors, si c'est un Esprit qui se fait entendre, on peut presque toujours faire avec lui un échange de pensées et lier une conversation régulière.»
Cherchons maintenant à comprendre comment les esprits peuvent procéder pour nous faire entendre des paroles et par quels moyens ils produisent des sons. Cette étude ne peut s'entreprendre qu'en ayant une connaissance aussi exacte que possible de la nature du son. Sir William Thomson a dernièrement fait une remarquable conférence sur ce sujet ; mettons sous les yeux du lecteur ses principales remarques.
Quelles sont nos perceptions dans le sens de l'ouïe ? Et d'abord, qu'est-ce qu'entendre ?
Entendre, c'est percevoir par l'oreille ; mais percevoir quoi ? Il y a des choses que nous pouvons entendre sans l'oreille. Beethoven atteint de surdité pendant une grande partie de sa vie, ne percevait rien par l'ouïe. Il composait ses oeuvres les plus remarquables sans pouvoir s'en rendre compte par l'audition. Il se tenait, dit-on, auprès d'un piano avec un bâton appuyé d'un côté sur l'instrument et de l'autre contre ses dents, et de cette façon il pouvait entendre les sons émis. La perception des sons n'a donc pas l'oreille pour unique organe et l'on pourrait déjà comprendre qu'un médium entendît des sons, tout en ne se servant pas de l'ouïe ; mais nous voulons déterminer quelle est la nature de la perception qui se fait habituellement chez un homme en possession de tous les organes des sens. C'est une sensation de variation de pression.
Lorsque le baromètre monte, la pression sur le tympan de l'oreille s'accroît ; lorsqu'il descend, la pression diminue. Eh bien, supposons que la pression de l'air s'accroisse ou diminue soudainement en un quart de minute, par exemple ; supposons que dans ce court espace de temps le mercure s'élève de plusieurs millimètres pour retomber ensuite aussi rapidement ; percevrons-nous ce changement ? Non, mais si la variation barométrique était de 5 à 10 centimètres en une demi-minute, un grand nombre de personnes percevraient ce déplacement. D'ailleurs, cette affirmation n'est pas théorique, l'observation la confirme. Ceux qui descendent dans une cloche à plongeur éprouvent la même sensation que si, par une cause inconnue, le baromètre s'élevait dans l'espace d'une demi-minute de 10 à 15 centimètres. Nous avons donc la sensation de la pression atmosphérique, mais notre organe n'est pas assez délicat pour nous permettre de percevoir les variations entre le maximum et le minimum du baromètre.
Lorsqu'on opère une descente dans une cloche à plongeur, la main ne ressent pas les changements de pression atmosphérique ; c'est d'une autre façon qu'elle se révèle à notre sensibilité. Derrière le tympan de notre oreille se trouve une cavité pleine d'air. Une pression plus forte d'un côté que de l'autre de cette membrane produit une sensation pénible, qui peut même, en cas d'une descente brusque, entraîner sa rupture. Donc, entendre un son, c'est percevoir les changements subits de pression sur le tympan de l'oreille, pression qui s'exerce dans un laps de temps assez court, et avec une force assez modérée pour ne pas déterminer de lésion ou de rupture, mais qui cependant est suffisante pour transmettre une sensation très nette au nerf auditif.
Si nous pouvions percevoir par l'oreille une hausse barométrique d'un millimètre en un jour, cette variation serait un son. Mais comme notre oreille n'est pas assez délicate pour cela, nous ne pouvons pas dire que ce changement est un son. Si la différente de pression survenait brusquement ; si, par exemple, le baromètre venait à varier d'un millimètre en 1/100 de seconde, nous l'entendrions, car cette variation soudaine de la pression atmosphérique produirait un son analogue à celui du choc de nos deux mains.
Quelle est la distinction à faire entre un phénomène sonore et un son musical ? Le son musical est un changement régulier et périodique de pression. C'est une augmentation et une diminution alternative de pression atmosphérique, assez rapide pour être perçue en tant que son, et se reproduisant par période avec une régularité parfaite. Quelquefois les bruits et les sons musicaux se confondent. La dureté, l'irrégularité, les périodes mal séparées ont pour effet de produire des dissonances compliquées qu'une oreille non exercée ne comprendra pas et prendra pour un bruit.
Le sens de la vue pourrait être rapproché du sens de l'ouïe ; tous deux sont causés par de rapides variations de pression. On sait avec quelle promptitude doivent se produire les alternatives entre la pression maxima et la pression minima pour produire le son d'une note de musique. Si le baromètre varie une fois en une minute, nous ne percevons pas cette variation en tant que note musicale ; mais supposons que par une action mécanique de l'air, la pression barométrique vienne à changer beaucoup plus rapidement, ce changement de pression que le mercure n'est pas assez rapide pour indiquer à nos yeux, l'oreille le percevra en tant que son ; si la période se reproduit 20, 30, 40, 50 fois par seconde, on entendra une note grave. Si la période s'accélère, la note grave, au début, s'élèvera graduellement, deviendra de plus en plus haute, de plus en plus aiguë ; si elle atteint 256 périodes par seconde, nous aurons une note, qui dans la musique ordinaire, correspond à l'ut grave du ténor.
Il résulte de ceci que la parole étant une succession de sons est produite par des variations de pression atmosphérique déterminées par les différences de volume du gosier et de la bouche pendant l'émission de la voix humaine. Mais les esprits n'ayant pas de gosier, comment font-ils pour produire ces sons ? Ici encore la science nous met sur la voie des explications.
L'illustre inventeur du téléphone, Graham Bell, dit que si l'on fait tomber un rayon lumineux intermittent sur un corps solide, on peut percevoir un son. M. Tyndall crut devoir attribuer ce son à l'action de la chaleur sur le corps et pensa qu'il résultait de changements alternatifs de volumes, dus à des variations de température. Si cela était, les gaz et les vapeurs, doués de pouvoir absorbant, devraient donner des sons très forts et l'intensité du son devrait fournir le moyen de mesurer le pouvoir absorbant. C'est ce qui fut vérifié par l'expérience. Il est donc démontré aujourd'hui que l'on peut obtenir des sons variés depuis les plus aigus jusqu'aux plus graves, en faisant agir un rayon calorifique sur certaines vapeurs. Or nous savons que les esprits, par leur volonté, agissent sur les fluides ; nous pouvons donc nous imaginer de quelle manière ils peuvent produire des bruits et quelquefois des paroles articulées. Au lieu de chasser de l'air par le gosier, ils projettent à chaque mot, sur certains fluides, des jets caloriques, et les vibrations de ces fluides produisent les sons que le médium perçoit.
Il est évident que ces paroles n'ont pas besoin d'être prononcées avec toute la force que nous y mettons dans la vie ; l'oreille dans l'état spécial déterminé par la médiumnité est un instrument extrêmement délicat qui saisit les plus légers changements de pression. Même à l'état normal, l'ouïe est susceptible d'une grande finesse. Une expérience récente nous en donne la preuve. On peut faire des transmissions téléphoniques sans récepteur. Tout dernièrement, M. Giltay, au moyen de modifications apportées dans la construction de l'appareil, est arrivé à se passer complètement de condensateur. Deux personnes saisissent chacune d'une main une poignée ; l'une d'elles applique sa main gantée sur l'oreille de la seconde et cette dernière entend sortir de cette main les paroles prononcées sur le transmetteur microphonique.
M. Giltay a expliqué ce fait en disant que la main et l'oreille constituent les armatures d'un condensateur dont le gant représente la substance isolante. L'expérience peut se faire d'une manière plus originale encore ; c'est ainsi qu'elle a été exécutée aux séances de la Société de physique. Les deux expérimentateurs saisissent les poignées comme précédemment et appliquent leur main libre sur les oreilles d'une troisième personne. Dans ces conditions, celle-ci entend parler les mains comme si elles avaient des récepteurs téléphoniques ordinaires.
L'état actuel de la science ne permet pas d'éclaircir ce mode de transmission de la parole, et c'est une nouvelle question à ajouter aux points obscurs que renferme la téléphonie. L'époque n'est peut-être pas éloignée où ces phénomènes, inexplicables aujourd'hui, paraîtront faciles à comprendre et n'étonneront plus personne. Mais pour le moment, l'expérience n'en est que plus curieuse, ainsi que le remarque M. Hospitalier. Tout ce que l'on en peut conclure jusqu'ici, c'est que l'oreille est un instrument d'une incomparable délicatesse et d'une exquise sensibilité, puisqu'elle perçoit les vibrations dans lesquelles l'énergie mise en jeu est d'une faiblesse excessive.
Ceci nous aide à comprendre comment le médium auditif entend la voix des esprits, quoique ceux-ci ne puissent prononcer les mots et faire vibrer les fluides avec la même intensité que nous autres incarnés.
Nous ne pouvons nous défendre d'un légitime sentiment d'admiration devant les découvertes merveilleuses de la science moderne ; nous sommes d'autant plus ravis de ces recherches qu'elles nous permettent de comprendre l'action des esprits sur les incarnés, et de faire rentrer dans le cadre des lois naturelles des phénomènes considérés à tort comme surnaturels. Le progrès s'affirme de plus en plus, et nous pouvons dire que la postérité sera étonnée des choses que nous avons ignorées.

Médiumnité typtologique
La médiumnité typtologique est cette faculté qui permet d'obtenir, au moyen d'un objet quelconque, table ou autre, des communications intelligentes par des effets de déplacement, ou par des coups frappés dans l'intérieur de l'objet dont on se sert.
L'explication de ces faits est bien simple dans le cas des coups frappés. Graham Bell nous l'a indiqué précédemment. Lorsque l'esprit veut produire un bruit dans la table, au moyen du fluide nerveux du médium et de son fluide périsprital, il forme une colonne fluidique qu'il lance sur le plateau de la table. Or nous savons qu'un rayon calorifique qui frappe d'une manière intermittente sur une substance solide y détermine des sons ; donc, c'est de la même manière que l'on peut comprendre l'action spirituelle des esprits dans les coups frappés.
Examinons maintenant le cas où la table se déplace sous les mains du médium pour exécuter des mouvements variés. Il est naturel de supposer, lorsque l'on sait que les esprits peuvent se matérialiser, qu'ils soulèvent le meuble et lui font accomplir des déplacements de la même manière que nous le faisons nous-mêmes. Il n'en est rien, et les esprits sont venus nous expliquer eux-mêmes de quelle manière ils opèrent. Voici ce qu'Allan Kardec dit à ce sujet :
«Lorsque la table se meut sous vos mains, l'esprit évoqué combine une partie du fluide universel avec celui que dégage le médium ; il en sature la table, qui est ainsi pénétrée d'une vie factice. La table ainsi préparée, l'esprit la tire et la meut sous l'influence de son propre fluide dégagé par sa volonté. Lorsque la masse qu'il veut mettre en mouvement est trop pesante, il appelle à son aide des esprits qui se trouvent dans les mêmes conditions que lui, et en combinant leurs fluides ils arrivent au résultat voulu.»
Pour que l'action se produise, il faut donc que la table soit en quelque sorte animalisée. Les fluides nécessaires à cette opération sont fournis par l'esprit et le médium, car celui-ci est le réservoir du fluide vital qui est Indispensable pour animer la table. Sachant déjà comment l'esprit manipule les fluides, cette question n'a plus rien d'obscur pour nous.
L'action est d'ailleurs semblable à celles que nous produisons chaque jour. Lorsque nous désirons faire mouvoir un de nos membres, le bras, par exemple, l'esprit est d'abord obligé de vouloir, la vibration de cette volonté se transmet au fluide nerveux et le bras exécute le mouvement prescrit par notre âme. Si pour une cause quelconque le fluide nerveux ne circule plus dans les nerfs qui aboutissent à cette partie du corps, l'action ne peut s'exécuter.
Dans le cas des manifestations typtologiques, l'esprit est relié à la table par un cordon fluidique qui joue le même rôle que le système nerveux dans l'homme, tous deux servent à transmettre la volonté. Il est évident que les faits obtenus sont d'autant plus accentués que l'esprit est plus fort et que les dictées intelligentes sont en rapport avec le degré d'avancement de l'âme qui se communique et avec son aptitude à se servir des fluides.
Ces remarques nous permettent de répondre aux incrédules qui s'étonnent, lorsqu'une table se meut, qu'elle ne puisse toujours répondre à leurs interrogations.
Nous pouvons comparer un esprit qui agit sur une table à un individu opérant sur un manipulateur du télégraphe Morse. Si cet opérateur n'a pas appris l'alphabet conventionnel dont on se sert pour transmettre les dépêches, il n'enverra que des signaux inintelligibles, mais si, au contraire, il est versé dans l'art de télégraphier, le récepteur enregistrera des phrases parfaitement compréhensibles. Il ne faut donc pas s'étonner qu'un esprit soit inhabile à se manifester les premières fois qu'on l'évoque, et nous avons souvent remarqué que cette inaptitude cesse assez rapidement lorsque l'on appelle plusieurs fois le même esprit. Il a fallu que ce désincarné apprenne la manière dont on s'y prend, et en cela, comme en tout, il faut un certain temps.
Ce que nous disons pour la médiumnité typtologique s'applique indistinctement à tous les genres de manifestations des esprits. On le voit, tout est simple et compréhensible dans notre façon d'interpréter les faits, et seuls les gens à parti pris continueront à nous traiter de fous et d'hallucinés.
Sans avoir été aussi loin que nous dans la théorie, Crookes a étudié les phénomènes au point de vue matériel, et dans l'espèce il est arrivé à une certitude absolue. Nous ne pouvons reproduire, in extenso, le récit de ses recherches, nous nous contenterons de donner les remarques finales que voici :
«Ces expériences mettent hors de doute les conclusions auxquelles je suis arrivé dans un précédent mémoire, savoir : l'existence d'une force associée d'une manière encore inexpliquée à l'organisme humain, force par laquelle un surcroît de poids peut être ajouté à des corps solides sans contact effectif. Dans le cas de M. Home, ce pouvoir varie énormément, non seulement de semaine en semaine, mais d'une heure à l'autre ; dans quelques occasions cette force ne peut être accusée par mes appareils, pendant une heure ou même davantage, et puis tout à coup elle reparaît avec une grande énergie. Elle est capable d'agir à une certaine distance de M. Home (il n'est pas rare que ce soit jusqu'à deux ou trois pieds) ; mais toujours elle est plus puissante auprès de lui.
«Dans la ferme conviction où j'étais qu'un genre de force ne pouvait se manifester sans la dépense correspondante d'un autre genre de force, j'ai vainement cherché pendant longtemps la nature de la force ou du pouvoir employé pour produire ces résultats.
«Mais maintenant que j'ai pu observer davantage M. Home, je crois découvrir ce que cette force physique emploie pour se développer. En me servant des termes : force vitale, énergie nerveuse, je sais que j'emploie des mots qui, pour bien des investigateurs, prêtent à des significations différentes ; mais après avoir été témoin de l'état pénible de prostration nerveuse dans laquelle quelques-unes de ces expériences ont laissé M. Home, après l'avoir vu dans un état de défaillance presque complète, étendu sur le plancher, pâle et sans voix, je puis à peine douter que l'émission de la force psychique ne soit accompagnée d'un épuisement correspondant de la force vitale.»
C'est ainsi que se justifie la première partie de l'enseignement des esprits qui révélèrent à Allan Kardec la théorie des manifestations physiques. Il est dit, en effet, dans le livre des médiums, que toute action physique produite par les esprits exige une dépense de fluide nerveux du médium.
Continuons notre citation.
«Pour être témoin des manifestations de cette force, il n'est pas nécessaire d'avoir accès auprès des psychistes (lisez médiums) en renom. Cette force est probablement possédée par tous les êtres humains, quoique les individus qui en sont doués avec une énergie extraordinaire soient très rares. Pendant l'année qui vient de s'écouler (octobre 1871), j'ai rencontré dans l'intimité de quelques familles cinq ou six personnes qui possèdent cette force d'une manière assez puissante pour m'inspirer pleinement la confiance que, par leur moyen, on aurait pu obtenir des résultats semblables à ceux qui viennent d'être décrits, pourvu que les expérimentateurs opérassent avec des instruments plus délicats et susceptibles de marquer une fraction de grain, au lieu d'indiquer seulement des livres et des onces.»
Deuxième confirmation de notre théorie qui prétend que nous possédons tous en germe la médiumnité.
En attendant l'apparition d'un grand ouvrage de l'illustre chimiste, sur la force psychique, citons quelques-unes de ses réflexions.
«Autant que mes occupations me le permettront, je me propose de continuer ces expériences de diverses manières, et, de temps en temps, j'en ferai connaître les résultats. En attendant j'ai la confiance que d'autres seront amenés à poursuivre cette investigation sous la forme scientifique. Qu'il soit bien compris cependant que, de même que toutes les autres expériences scientifiques, ces recherches doivent être conduites en parfait accord avec les conditions dans lesquelles la force se développe. De même que dans les expériences d'électricité par frottement, c'est une condition indispensable que l'atmosphère soit exempte d'un excès d'humidité et qu'aucun corps conducteur ne doit toucher l'instrument pendant que cette force s'engendre, de même on a trouvé que certaines conditions étaient indispensables à la production et à l'action de la force psychique, et si ces précautions ne sont pas observées, les expériences ne réussissent pas. Je suis formel sur ce point, parce que quelquefois on a fait des objections déraisonnables à la force psychique, par la raison qu'elle ne se développe pas dans des conditions contraires dictées par des expérimentateurs qui cependant, repousseraient les conditions qu'on leur imposerait à eux-mêmes pour la production de quelques-uns de leurs propres résultats scientifiques.
«Mais je puis ajouter que les conditions requises sont très peu nombreuses, très raisonnables et qu'en aucune manière elles ne portent obstacle à l'observation la plus parfaite et à l'application du contrôle le plus rigoureux et le plus exact.»
Il est de notoriété publique dans le monde scientifique de l'Angleterre, que la force psychique est bien une réalité. Peu de nouvelles découvertes ont suscité autant de discussions et d'expériences contradictoires. Lorsque, a priori, on entend nier des phénomènes qui sont attestés par les plus grandes illustrations de l'Angleterre, de l'Allemagne et de l'Amérique, on voit avec un étonnement profond jusqu'à quelles aberrations peuvent conduire la routine et le préjugé.
Afin que nos lecteurs soient absolument édifiés sur la valeur de nos croyances, nous publions le rapport du comité de la Société dialectique de Londres, sur le spiritualisme. Voici le texte même de ce document.

Rapport de la Société dialectique
«Depuis sa création, c'est-à-dire depuis le 11 février 1869, votre sous-comité a tenu quarante séances, dans le but de faire des expériences et des épreuves rigoureuses.
Toutes ces réunions ont eu lieu dans les demeures privées des membres du comité, afin d'exclure toute possibilité de mécanisme disposé d'avance ou d'artifice quelconque.
L'ameublement des pièces dans lesquelles on a fait l'expérience a été, dans chaque circonstance, leur ameublement ordinaire.
Les tables dont on s'est servi ont toujours été des tables à manger pesantes, qui demandaient un effort considérable pour être mises en mouvement. La plus petite avait cinq pieds neuf pouces de long sur quatre pieds de large, et la plus grande neuf pieds trois pouces de long sur quatre pieds et demi de large : la pesanteur était en proportion.
Les chambres, les tables et tous les meubles en général, ont été soigneusement examinés à plusieurs reprises, avant, pendant et après les expériences, pour obtenir la certitude qu'il n'existait aucun truc, instrument ou appareil quelconque, à l'aide duquel les mouvements ci-après mentionnés eussent pu être produits.
Les expériences ont été faites à la lumière du gaz, excepté dans un petit nombre d'expériences spécialement notées dans les minutes.
Votre comité a évité de se servir de MEDIUMS DE PROFESSION OU DE MEDIUMS PAYES, le médium (mediumship) étant l'un des membres de votre sous-comité, personne placée dans une bonne position sociale et d'une intégrité parfaite, qui n'a aucun OBJECTIF PECUNIAIRE en vue et ne pourrait tirer aucun profit d'une supercherie.
Votre comité a tenu quelques réunions sans la présence d'aucun médium (il est bien entendu que, dans ce rapport, le mot «médium» est simplement employé pour désigner un individu sans la présence duquel les phénomènes décrits, ou n'ont pas lieu, ou se produisent avec moins d'intensité et de fréquence), pour essayer d'obtenir par quelque moyen des effets semblables à ceux que l'on observe lorsqu'un médium est présent.
Aucun effort ne fut capable de produire quelque chose d'entièrement semblable aux manifestations qui ont lieu en présence d'un médium.
Chacune des épreuves que l'intelligence combinée des membres de votre comité pouvait imaginer a été faite avec patience et persévérance. Les expériences ont été dirigées avec une grande variété de conditions, et toute l'ingéniosité possible a été mise en essai pour inventer des moyens qui permissent à votre comité de vérifier ses observations et d'écarter toute possibilité d'imposture ou d'illusion.
Votre comité a restreint son rapport aux FAITS dont ses membres ont été collectivement témoins, faits qui ont été palpables aux sens et dont la réalité est susceptible d'une preuve démonstrative.
Environ les quatre cinquièmes des membres de votre sous-comité ont débuté dans la voie des investigations par le scepticisme le plus complet, touchant la réalité des phénomènes annoncés, avec la ferme croyance qu'ils étaient le résultat, soit de l'imposture, soit de l'illusion, soit d'une action involontaire des muscles. Ce fut seulement après une irrésistible évidence, dans des conditions qui excluaient l'une ou l'autre de ces hypothèses et après des expériences et des épreuves rigoureuses, souvent répétées, que les membres les plus sceptiques de votre sous-comité furent, à la longue et malgré eux, convaincus que les phénomènes qui s'étaient manifestés pendant cette enquête prolongée étaient de véritables faits.
Le résultat de leurs expériences, longtemps poursuivies et dirigées avec soin, a été, après les épreuves contrôlées sous toute forme, d'établir les conclusions suivantes :
PREMIEREMENT. - Dans certaines dispositions de corps ou d'esprit, où se trouvent une ou plusieurs personnes présentes, il se produit une force suffisante pour mettre en mouvement des objets pesants, sans l'emploi d'aucun effort musculaire, sans contact ou connexion matérielle d'aucune nature entre ces objets et le corps de quelques personnes présentes.
DEUXIEMEMENT. - Cette force peut faire rendre des sons, que chacun peut entendre distinctement, à des objets matériels qui n'ont aucun contact ni aucune connexion visible ou matérielle avec le corps de quelque personne présente ; et il est prouvé que ces sons proviennent de ces objets par des vibrations qui sont parfaitement distinctes au toucher. (Avis à MM. Bersot, Jules Soury et à l'Académie des Sciences, qui a admis comme seule cause du phénomène le muscle craqueur.)
TROISIEMEMENT. - Cette force est fréquemment dirigée avec intelligence.
Quelques-uns de ces phénomènes se sont produits dans trente-quatre séances sur quarante que votre comité a tenues. La description d'une de ces expériences et la manière dont elle a été conduite montreront mieux le soin et la circonspection avec lesquels votre comité a poursuivi ses investigations.
Tant qu'il y avait contact ou simplement possibilité de contact par les mains ou par les pieds, ou même par les vêtements de l'une des personnes qui étaient dans la chambre, avec l'objet mis en mouvement ou émettant des sons, on ne pouvait être assuré que ces mouvements ou ces sons n'étaient pas produits par la personne ainsi mise en contact. L'expérience suivante a donc été tentée :
Dans une circonstance où onze membres de votre sous-comité étaient assis depuis quarante minutes autour de l'une des tables de salle à manger, décrites précédemment, et lorsque déjà des mouvements et des sons variés s'étaient produits, ils tournèrent (dans un but d'expérimentation plus rigoureuse) les dossiers des chaises vers la table, à neuf pouces environ de celle-ci ; puis ils s'agenouillèrent sur les chaises, en plaçant leurs bras sur les dossiers.
Dans cette position leurs pieds étaient nécessairement tournés en arrière, loin de la table, et, par conséquent, ne pouvaient être placés dessous, ni toucher le parquet. Les mains de chaque personne étaient étendues au-dessus de la table à environ quatre pouces de sa surface. Aucun contact avec une partie quelconque de la table ne pouvait donc avoir lieu sans qu'on s'en aperçût.
En moins d'une minute, la table, sans avoir été touchée, se déplaça quatre fois ; la première fois d'environ cinq pouces d'un côté ; puis de douze pouces, du côté opposé ; ensuite de la même manière et respectivement de quatre et de six pouces.
Les mains de toutes les personnes présentes furent ensuite placées sur les dossiers des chaises, à un pied environ de la table qui fut mise en mouvement cinq fois, avec un déplacement variant entre quatre et six pouces.
Enfin toutes les chaises furent écartées de la table à la distance de douze pouces, et chaque personne s'agenouilla sur sa chaise comme précédemment, mais cette fois en tenant les mains derrière le dos, et, par suite, le corps placé à peu près à dix-huit pouces de la table, le dossier de la chaise se trouvant ainsi entre l'expérimentateur et la table. Celle-ci se déplaça quatre fois dans des directions variées.
Pendant cette expérience décisive, et en moins d'une demi-heure, la table se mut ainsi treize fois, sans contact ou possibilité de contact avec une personne présente, les mouvements ayant lieu dans des directions différentes et quelques-uns de ceux-ci répondant à la demande de divers membres de votre comité.
La table a été examinée avec soin, tournée sens dessus dessous et scrutée pièce par pièce, mais on n'a rien découvert qui pût rendre compte des phénomènes. L'expérimentation a été faite partout en pleine lumière du gaz placé au-dessus de la table.
En résumé, votre sous-comité a été plus de CINQUANTE fois témoin de semblables mouvements SANS CONTACT, en huit soirées différentes, dans des maisons de membres de votre sous-comité ; et chaque fois les épreuves les plus rigoureuses ont été mises en oeuvre.
Dans toutes ces expériences, l'hypothèse d'un moyen mécanique ou autre a été complètement écartée, par le fait que les mouvements ont eu lieu dans plusieurs directions, tantôt d'un côté, tantôt de l'autre, tantôt en remontant vers le haut de la chambre, tantôt en descendant ; - mouvements qui auraient exigé la coopération d'un grand nombre de mains et de pieds et qui, en raison du volume considérable et de la pesanteur des tables, n'auraient pu se produire sans l'emploi visible d'un effort musculaire.
Chaque main et chaque pied étaient parfaitement en vue et aucun d'eux n'aurait pu bouger sans qu'on s'en aperçût immédiatement.
L'illusion a été mise hors de question. Les mouvements ont eu lieu en différentes directions, toutes les personnes présentes en ont été simultanément témoins. C'est là une affaire de mesurage et non d'opinion ou d'imagination.
Ces mouvements se sont reproduits tant de fois, dans des conditions si nombreuses et si diverses, avec tant de garanties contre l'erreur ou la supercherie et avec des résultats si invariables, que les membres de votre sous-comité, qui avaient tenté ces expériences après avoir été pour la plupart antérieurement sceptiques au début de leur investigation, ont été convaincus qu'il existe une force capable de mouvoir des corps pesants sans contact matériel, force qui dépend, d'une manière inconnue, de la présence d'êtres humains.
Votre sous-comité n'a pu collectivement obtenir aucune certitude relativement à la nature et à la source de cette force, mais il a simplement acquis la preuve du fait de son existence.
Votre comité pense qu'il n'y a aucun fondement à la croyance populaire qui prétend que la présence de personnes sceptiques contrarie la production ou l'action de cette force.
En résumé, votre sous-comité exprime unanimement l'opinion que l'existence d'un fait physique important se trouve ainsi démontrée, à savoir : que les mouvements peuvent se produire dans des corps solides, sans contact matériel, par une force inconnue jusqu'à présent, agissant à une distance indéfinie de l'organisme humain, et tout à fait indépendante de l'action musculaire, force qui doit être soumise à un examen scientifique plus approfondi, dans le but de découvrir sa véritable source, sa nature et sa puissance...»
La science reconnaît donc les phénomènes spirites. Crookes, dans cette voie féconde, poussant plus loin l'investigation, démontre que la force psychique est gouvernée par une intelligence qui n'est pas celle des assistants ; de plus, une de ces intelligences revêt temporairement un corps, dit qu'elle est l'âme d'une personne ayant vécu sur la terre, et fait photographier son image. Après cela, si l'on ne croit pas, il faut renoncer à convaincre les hommes, car rien de plus positif, de plus tangible n'a été donné dans aucune branche des connaissances humaines en faveur d'une théorie.
En dépit de MM. Lélut, Luys, Moleschott, Buchner, Carl Vogt et autres matérialistes, nous n'accepterons dans nos discussions, à l'avenir, que des faits établis scientifiquement, ne voulant plus, aujourd'hui que nous possédons des certitudes, disputer contre des hypothèses sans fondement. Ce ne sont plus des visionnaires, des cerveaux creux qui proclament l'authenticité de nos manifestations ; c'est la science officielle de l'Angleterre. On nous opposait jadis Chevreul, Babinet, Faraday. Maintenant nous présentons Crookes, Warley, Oxon, de Morgan, A. Wallace et toute la société dialectique. Que nos contradicteurs démontrent que ces illustrations sont dans le faux et nous les croirons ; mais en attendant qu'ils le fassent, nous laissons le public juge de décider de quel côté est la bonne foi, la science et la vérité.

Les Apports
On appelle apport un objet quelconque que les esprits transportent d'un lieu dans un autre. Ainsi l'on peut avoir, et c'est le cas le plus général, des apports de fleurs, de fruits, d'objets matériels, tels que médailles, bagues, etc. Il est bien évident que ce phénomène n'est probant qu'à la condition d'être produit dans des circonstances telles, qu'aucune suspicion ne soit possible. On doit pour ces sortes d'expériences n'opérer qu'avec des personnes dont l'honorabilité soit absolue, et, de plus, dans les locaux qui soient parfaitement connus des expérimentateurs. Ces recommandations ont pour objet de mettre en garde les spirites contre les supercheries, qui ne manquent jamais de se produire lorsqu'il s'agit de faits extraordinaires.
Voici l'avis d'un esprit très compétent sur ce sujet :
«Il faut nécessairement, pour obtenir des phénomènes de cet ordre, avoir avec soi des médiums que j'appellerai sensitifs, c'est-à-dire doués au plus haut degré des facultés médianimiques d'expansion et de pénétrabilité ; parce que le système nerveux de ces médiums, facilement excitable, leur permet, au moyen de certaines vibrations, de projeter autour d'eux, avec profusion, leur fluide animalisé.
«Les natures impressionnables, les personnes dont les nerfs vibrent au moindre sentiment, à la plus petite sensation, que l'influence morale ou physique, interne ou externe, sensibilise, sont des sujets très aptes à devenir d'excellents médiums pour les effets physiques de tangibilité et d'apports. En effet, leur système nerveux, presque entièrement dépourvu de l'enveloppe réfractaire qui isole ce système chez la plupart des autres incarnés, les rend propres au développement de ces divers phénomènes. En conséquence, avec un sujet de cette nature, et dont les autres facultés ne sont pas hostiles à la médianimisation, on obtiendra plus facilement les phénomènes de tangibilité, les coups frappés dans les murs et dans les meubles, les mouvements intelligents, et même la suspension dans l'espace de la matière inerte la plus lourde ; a fortiori, obtiendra-t-on ces résultats si, au lieu d'un médium, on en a sous la main plusieurs également bien doués.
«Mais de la production de ces phénomènes à l'obtention de celui des apports, il y a tout un monde ; car dans ce cas, non seulement le travail de l'esprit est plus complexe, plus difficile, mais bien plus, l'esprit ne peut opérer qu'au moyen d'un seul appareil médianimique, c'est-à-dire que plusieurs médiums ne peuvent pas concourir simultanément à la production du même phénomène. Il arrive même, au contraire, que la présence de certaines personnes antipathiques à l'esprit qui opère entrave radicalement son opération. A ces motifs qui, comme vous le voyez, ne manquent pas d'importance, ajoutez que les apports nécessitent toujours une plus grande concentration et en même temps une plus grande diffusion de certains fluides, et qu'enfin ils ne peuvent être obtenus qu'avec les médiums les mieux doués, ceux en un mot dont l'appareil électro-médianimique est le mieux conditionné. En général, les faits d'apports sont et resteront excessivement rares. Je n'ai pas besoin de vous démontrer pourquoi ils sont et seront moins fréquents que les autres faits de tangibilité : de ce que je vous dis, vous le déduirez vous-mêmes. D'ailleurs, ces phénomènes sont d'une nature telle que non seulement tous les médiums n'y sont pas propres, mais que tous les esprits eux-mêmes ne peuvent pas les produire. En effet, il faut qu'entre l'esprit et le médium influencé, il existe une certaine affinité, une certaine analogie, en un mot, une certaine ressemblance qui permette à la partie expansible du fluide périspritique de l'incarné de se mêler, de s'unir, de se combiner avec celui de l'esprit qui veut faire un apport. Cette fusion doit être telle que la force résultante devienne, pour ainsi dire, une ; de même que les deux portions d'un courant électrique, en agissant sur le charbon, produisent un foyer, une clarté uniques.
«Pourquoi cette union ? pourquoi cette fusion, direz-vous ? C'est que, pour la production de ces phénomènes, il faut que les qualités essentielles de l'esprit moteur soient augmentées de quelques-unes de celles du médiumnisé ; c'est que le fluide vital, indispensable à la production de tous les faits médianimiques, est l'apanage exclusif de l'incarné, et que, par conséquent, l'esprit opérateur est obligé de s'en imprégner. Ce n'est qu'alors qu'il peut, au moyen de certaines propriétés de votre milieu ambiant, inconnues pour vous, isoler, rendre invisibles et faire mouvoir certains objets matériels, et des incarnés eux-mêmes.
«Il ne m'est pas permis pour le moment de vous dévoiler les lois particulières qui régissent les gaz et les fluides qui nous environnent, mais avant que des années se soient écoulées, avant qu'une existence d'homme soit accomplie, l'explication de ces lois et de ces phénomènes vous sera révélée, et vous verrez surgir et se reproduire une nouvelle variété de médiums, qui tomberont dans un état cataleptique particulier, dès qu'ils seront médiumnisés .
«Vous voyez de combien de difficultés la production des apports se trouve entourée ; vous pouvez conclure logiquement que des effets de cette nature sont excessivement rares, et avec d'autant plus de raison que les Esprits s'y prêtent fort peu, parce que cela motive de leur part un travail quasi matériel, ce qui est un ennui et une fatigue pour eux. D'autre part, il arrive encore ceci : c'est que très souvent, malgré leur énergie et leur volonté, l'état du médium lui-même leur oppose une barrière infranchissable.
«Il est donc évident, et votre raisonnement le sanctionne, je n'en doute pas, que les faits tangibles de coups, de mouvements et de suspension sont des phénomènes simples qui s'opèrent par la concentration et la dilatation de certains fluides, et qu'ils peuvent être obtenus par la volonté et le travail des médiums qui y sont aptes, quand ceux-ci sont secondés par des Esprits amis et bienveillants ; tandis que les faits d'apports sont multiples, complexes, exigent un concours de circonstances spéciales, ne peuvent s'opérer que par un seul Esprit, un seul médium, et nécessitent, en dehors des conditions de la tangibilité, une combinaison toute particulière pour isoler et rendre invisible l'objet ou les objets qui font le sujet de l'apport.
«Vous tous, spirites, vous comprenez mes explications, et vous vous rendez parfaitement compte de cette concentration de fluides spéciaux pour la locomotion, et la tactilité de la matière inerte ; vous y croyez, comme vous croyez aux phénomènes de l'électricité et du magnétisme, avec lesquels les faits médianimiques sont pleins d'analogie et en sont, pour ainsi dire, la consécration et le développement. Quant aux incrédules, je n'ai que faire de les convaincre, je ne m'occupe pas d'eux ; ils le seront un jour, par la force de l'évidence, car il faudra bien qu'ils s'inclinent devant le témoignage unanime des spirites, comme ils ont été forcés de le faire devant tant d'autres faits qu'ils avaient d'abord repoussés.
«Pour me résumer : Si les faits de tangibilité sont fréquents, les faits d'apports sont très rares, parce que les conditions en sont très difficiles ; par conséquent, nul médium ne peut dire : A telle heure, à tel moment, j'obtiendrai un apport ; car souvent l'Esprit lui-même se trouve empêché dans son oeuvre. Je dois ajouter que ces faits sont doublement difficiles en public, car on y rencontre presque toujours des éléments énergiquement réfractaires qui paralysent les efforts de l'Esprit et, à plus forte raison, l'action du médium. Tenez, au contraire, pour certain que ces phénomènes se produisent spontanément ; le plus souvent à l'insu des médiums et sans préméditation, presque toujours en particulier, et enfin, fort rarement quand ceux-ci en sont prévenus ; d'où vous devez conclure qu'il y a motif légitime de suspicion, toutes les fois qu'un médium se flatte de les obtenir à volonté, autrement dit de commander aux Esprits, comme à des serviteurs, ce qui est tout simplement absurde. Tenez encore pour règle générale que les phénomènes spirites ne sont point faits pour être donnés en spectacle et pour amuser les curieux. Si quelques Esprits se prêtent à ces sortes de choses, ce ne peut être que pour des phénomènes simples, et non pour ceux qui, comme les apports et autres semblables, exigent des conditions exceptionnelles.
«Rappelez-vous, spirites, que s'il est absurde de repousser systématiquement tous les phénomènes d'outre-tombe, il n'est pas sage non plus de les accepter tous aveuglément. Quand un phénomène de tangibilité, d'apparition, de visibilité ou d'apport se manifeste spontanément et d'une manière instantanée, acceptez-le ; mais, je ne saurais trop vous le répéter, n'acceptez rien aveuglément ; que chaque fait subisse un examen minutieux, approfondi et sévère ; car, croyez-le, le spiritisme si riche en phénomènes sublimes et grandioses, n'a rien à gagner à ces petites manifestations que d'habiles prestidigitateurs peuvent imiter.
«Je sais bien ce que vous allez me dire : c'est que les phénomènes sont utiles pour convaincre les incrédules ; mais sachez bien que si vous n'aviez pas eu d'autres moyens de conviction, vous n'auriez pas aujourd'hui la centième partie des spirites que vous avez. Parlez au coeur, c'est par là que vous ferez le plus de conversions sérieuses. Si vous croyez utile, pour certaines personnes, d'agir par les faits matériels, présentez-les au moins dans des circonstances telles, qu'elles ne puissent donner lieu à aucune fausse interprétation, et surtout ne sortez pas des conditions normales de ces faits ; car les faits présentés dans de mauvaises conditions fournissent des arguments aux incrédules au lieu de les convaincre.
«ERASTE.»

On a dû remarquer avec quelle sagesse cet esprit nous prémunit contre l'enthousiasme maladroit des fanatiques. Ces prescriptions sont celles adoptées par tous les spirites sérieux, et dans ce nombre nous pouvons compter M. Vincent, qui a publié sur les apports une intéressante brochure en 1882.
Disons tout d'abord que nous excluons les hypothèses de fraudes et de supercheries, les conditions prises par M. Vincent bannissant ces craintes. D'un autre côté l'honorabilité du narrateur étant parfaitement établie, nous pouvons, sans hésitation, admettre son témoignage. D'ailleurs, ce qu'il raconte a été obtenu maintes fois, et les revues spirites sont remplies d'exemples semblables, mais nous donnons la préférence à ce narrateur, tant pour la manière scientifique dont il a dirigé ses expériences, que pour la remarquable coïncidence qui existe entre les conditions qu'il a observées et celles décrites par l'Esprit d'Eraste, comme étant indispensables.
Laissons la parole à M. Vincent qui opère dans une chambre de sa maison, porte et fenêtre closes.
«J'arrive maintenant au premier apport et voici ce que je trouve dans mes notes à la date du 28 septembre 1880 :
«- Depuis quelques jours, je magnétise le médium tous les soirs. L'esprit qui veut produire l'apport m'a fait cette recommandation, afin de bien disposer le sujet, parce que celui-ci n'est pas un médium à effets physiques assez puissants pour qu'il soit possible d'obtenir spontanément avec ses fluides un tel phénomène. Je magnétise donc le médium ce soir encore. Aussitôt qu'il est endormi l'esprit arrive.
«Il se manifeste de la manière suivante :
«Je l'interroge comme si je parlais à un individu incarné qui se trouverait là. Il m'entend et sa pensée formule une réponse qui frappe les organes cérébraux du médium endormi. Celui-ci me transmet alors de vive voix, et comme si elle était émise par sa propre pensée, la phrase qu'il vient d'entendre ; puis je pose une autre question et l'entretien se continue ainsi jusqu'à ce que l'esprit, sentant le médium fatigué, me conseille de provoquer le réveil.
«- Il est probable, me dit-il, que je ferai mon apport demain.
«- Et que nous apporterez-vous ? demandai-je.
«- J'ai deux objets en vue. Ils sont l'un et l'autre en Angleterre, à Londres. L'un est une image que j'avais donnée à ma soeur, au siècle dernier. Il y a des mots anglais derrière. L'autre est un souvenir que le médium a donné autrefois à une personne de ses amies. J'apporterai, ajoute l'esprit, l'un ou l'autre de ces objets, peut-être les deux.
«Alors vous irez les chercher en Angleterre ?
«- Oui, maintenant tu peux le réveiller. A demain.»
«Je réveille le médium, la séance a duré un quart d'heure.
«Le lendemain, 29 septembre, je magnétise le médium à 9 heures du soir. L'Esprit arrive et me dit qu'il va produire le phénomène.
«Sur ses conseils, je fais coucher le sujet par terre. Un instant après, l'Esprit me dit d'éteindre la lumière. J'éteins la lampe. Placé près du médium, j'entendrais le moindre mouvement qu'il ferait. Il ne bouge pas.
«J'attends.
«Au bout de deux ou trois minutes, le médium me dit, toujours endormi :
«- Il me présente quelque chose, mais je ne puis le prendre.
«- Que vous présente-t-il ?
«- Ah ! il le met à côté de moi.»
«Je m'adresse alors à l'Esprit :
«- Vous êtes toujours là ?
«D'une voix faible le médium répond :
«- Oui, je reviendrai demain et je te donnerai des détails. Réveille-le.»
«Je rallume la lampe et je trouve, à côté du médium, une image ayant à peu près l'aspect de ces gravures que les jeunes filles ont dans leurs livres pieux ; il y a d'un côté un dessin représentant une rose coloriée, derrière se trouvent ces mots anglais :
For my dear Rika.
October 1783.

«Dans une coupure faite à cette image, au-dessous de la rose, sont passés trois petits rubans blancs, un peu fanés. Sur l'un je lis ces mots, qui ont été brodés : je suis le pain de vie ; sur l'autre, ceux-ci : God is love ; et sur le troisième : Christ est ma vie. Les rubans ont quelques plis, mais l'image est intacte, et il serait absolument impossible, entourée comme elle l'est, d'une dentelure bien fragile, que cette dentelure ne se soit pas froissée et déchirée, si le médium eût pris ces objets sur lui pour les déposer à son côté. Du reste, je le répète, il n'a pas fait un seul mouvement pendant l'expérience. Il est comme anéanti sur les coussins où je l'ai mis, et j'ai beaucoup de peine à le réveiller.
«J'ajoute que le médium a été très fatigué durant la soirée et la journée du lendemain. C'était comme une sorte d'épuisement ; pas de douleur, mais une lassitude générale.
«Le jour suivant, à neuf heures et demie du soir, je magnétise le médium ; l'Esprit arrive.
«- Le sujet a été fatigué, dit-il, par cet apport ; aussi ne faudra-t-il pas prolonger son sommeil. J'aurais été content si tu t'étais rendu compte de son état en consultant les battements du coeur ou du pouls. Tu aurais remarqué qu'ils battaient moins fort que de coutume ; que son état n'était plus l'état ordinaire.
«- Pouvez-vous me dire comment vous vous y êtes pris ?
«- Pas aussi bien que je le voudrais. C'est par une sorte d'absorption du fluide vital. Nous nous imprégnons des fluides du médium.
«- Je voudrais aussi vous demander comment vous avez pu faire traverser à ces objets la muraille, puisque la pièce où nous avons fait l'expérience n'a pas de cheminée et que la porte et la fenêtre étaient fermées ?
«- Je suis allé chercher ces objets dans la journée, avec des fluides que j'avais pris au médium. Je les ai dématérialisés dans les endroits où ils se trouvaient, car ils étaient dans deux maisons différentes ; puis lorsqu'ils ont été rendus fluidiques par cette opération première, je les ai apportés ici, en leur faisant traverser la muraille, comme je la traverse moi-même. Je les ai rendus matériels ensuite, avec d'autres fluides empruntés au médium que tu venais d'endormir. - L'image avait été donnée autrefois par moi à ma soeur, nommée Frédérika, ou Rika par abréviation, à l'époque où nous habitions Londres, après avoir quitté l'Allemagne. Quant aux trois petits rubans, c'est le médium lui-même qui les a donnés, il y a quinze ou seize ans, à une personne de ses amies morte depuis à Londres. Et maintenant, réveille le médium.»
«Je le réveille, il est dix heures et quart.
«Telle est l'histoire de ce premier apport. Pendant plusieurs jours j'interrogeai le même Esprit pour avoir quelques détails très précis sur la manière dont s'opérait ce phénomène. Il me répondit toujours qu'il ne pouvait pas me l'expliquer plus catégoriquement qu'il ne l'avait fait. Le 11 novembre 1880, un autre Esprit me fit cette réponse par l'écriture médianimique :
«Vous avez demandé à notre ami une explication du phénomène des apports. L'Esprit le plus érudit ne pourrait lui-même résoudre certains problèmes que, vivant sur la terre, il expliquerait à l'aide d'appareils spéciaux. La matière cosmique joue toujours le plus grand rôle dans toutes les opérations des esprits. Analyser comment il peut se faire qu'à l'aide de cette matière on désagrège un corps solide n'est pas chose facile, attendu que l'esprit se rend à peine un compte exact de ce qu'il fait. Il faut aussi compter avec la volonté de l'esprit qui veut faire une chose. En un mot, les termes nous échappent complètement. Peut-être finirions-nous par nous expliquer si, comme je vous le disais tout à l'heure, nous pouvions user, dans ces sortes d'épreuves, des instruments en usage sur la terre, dans les expériences scientifiques, ballons, cornues, etc. Soyez-nous indulgents et croyez-nous vos amis.»
Dans le récit de cet apport, nous remarquons l'état du médium qui est voisin de la catalepsie, et la perte du fluide vital qui s'opère. Les explications des Esprits ne semblent pas donner une grande lumière sur le sujet, mais au moyen des connaissances que nous possédons déjà, elles vont nous faire comprendre de quelle manière le phénomène peut s'accomplir.
Notons que l'esprit reconnaît qu'il agit par la VOLONTE, c'est ce que nous avons établi précédemment dans les autres genres de manifestations. La volonté est le seul agent dont il dispose pour manipuler les fluides, c'est une force que l'Esprit dirige à son gré.
L'Esprit ne peut se rendre compte de la manière dont les phénomènes s'accomplissent, il les constate mais ne peut les analyser ; comme il y a quelques siècles, les opérations de la nutrition, de la respiration s'accomplissaient sans que les hommes sussent comment elles se produisaient. De même qu'aujourd'hui la génération est encore une opération mystérieuse, malgré les nombreuses recherches faites à ce sujet. Essayons cependant de nous représenter de quelle façon un apport peut se concevoir.
Nous avons vu que les corps peuvent occuper des états différents depuis l'état solide jusqu'à la matière radiante ; nous pouvons donc comprendre que l'esprit, par sa volonté, et au moyen des fluides du médium, produira une opération semblable à celle qui a lieu quand on fait passer l'eau à l'état de vapeur, au moyen de la chaleur, le fluide vital faisant dans la dématérialisation l'office de calorique, mais comment comprendre que le corps ainsi dématérialisé conserve sa forme, et les rapports des molécules entre elles ?
Si nous n'avions affaire qu'à des corps bruts, on pourrait penser que l'esprit forme par sa volonté une sorte d'enveloppe fluidique et qu'il enferme le corps dématérialisé dans ce tissu fluidique, mais on ne concevrait pas comment, lorsqu'il lui rend l'état matériel, les molécules peuvent se replacer dans leur ordre normal ; il faut donc chercher autre chose. Voici l'hypothèse qui nous semble la plus rationnelle.
Il est démontré pour nous que l'homme a une enveloppe semi-matérielle et que les animaux en possèdent une semblable ; il y a des doubles fluidiques dans toutes les créatures qui ont la VIE, car toutes se développent suivant un type déterminé, et il est nécessaire qu'une force fluidique les conserve au milieu des continuelles mutations de la matière. M. d'Assier établit ce fait pour les animaux et les plantes, tant par la loi d'analogie, que par des expériences directes que l'on trouvera rapportées dans le chapitre III de son livre sur l'humanité posthume. Il pousse plus loin encore son système et croit que le double fluidique s'applique même aux corps bruts. Si l'on considère que les métaux cristallisent dans des types déterminés, on reconnaîtra qu'ils sont aussi dirigés par une force fluidique, et qu'ils peuvent posséder un double fluidique. Si nous admettons ce fait, tout devient parfaitement compréhensible.
L'esprit qui veut faire un apport n'a qu'à volatiliser en quelque sorte la matière de l'objet sur lequel il opère, puis il apporte ce double avec lui dans le lieu qu'il a choisi, et là il puise dans le fluide universel les éléments nécessaires à la reconstruction de l'objet matériel, au moyen du fluide vital. C'est pour les plantes la même opération. Le double fluidique reproduisant molécule par molécule toutes les parties de la plante, puisqu'il en est le canevas fluidique, n'a qu'à s'incorporer les molécules du fluide universel rendues matérielles par l'esprit, et la plante apparaît avec tous ses détails, sa fraîcheur, son coloris, etc., aux yeux des assistants. Enfin c'est toujours la même opération qui s'exécute quand un esprit veut se rendre visible et tangible, comme dans les expériences de Crookes. Nous ne savons jusqu'à quel point notre hypothèse se rapproche de la réalité, mais les phénomènes se produisant, il faut les expliquer, et c'est jusqu'alors la théorie qui nous semble le mieux en accord avec l'enseignement spirite et les découvertes modernes.

FIN
APPENDICE
____

Depuis l'époque déjà lointaine où parut la première édition de cet ouvrage (1883), l'auteur a eu la satisfaction de constater que quelques-unes des théories les plus importantes, exposées ici, ont reçu la consécration de la science.
C'est ainsi que toutes nos connaissances sur la matière ont été renouvelées par la découverte des phénomènes de la radio-activité. L'atome n'est plus la base indestructible de l'Univers. Les théories matérialistes de Buchner, Moleschott, Carl Vogt, Hoeckel, etc., ont été démontrées radicalement fausses. Ce n'est pas la matière qui engendre l'énergie telle que nous la connaissons. Les phénomènes de la radio-activité démontrent que des parties constitutives de l'atome peuvent s'en échapper, de sorte qu'au bout d'un temps plus ou moins long, cet atome retourne à l'éther d'où il était sorti.
Si l'on ouvre l'ouvrage d'Allan Kardec, intitulé «La Genèse», publié en 1867 au chapitre des fluides, on trouvera nettement exposée cette théorie donnée par les Esprits, au milieu du siècle dernier. On lit textuellement, à la page 298 :
«La matière tangible, ayant pour élément primitif le fluide cosmique éthéré, doit pouvoir, en se désagrégeant, retourner à l'état d'éthérisation, comme le diamant, le plus dur des corps, peut se volatiliser en gaz impalpable. La solidification de la matière n'est, en réalité, qu'un état transitoire du fluide universel, qui peut retourner à son état primitif quand les conditions de cohésion cessent d'exister.»
C'est là un fait qui doit nous inspirer la plus grande confiance dans la valeur intellectuelle et scientifique des guides du grand initiateur.
D'autre part, tout ce que nous avons écrit sur les fluides, c'est-à-dire sur des états de plus en plus raréfiés de la matière, est confirmé par les découvertes des rayons X et des ondes hertziennes, qui sont incontestablement des manifestations de ces formes supérieures de la matière cosmique inconnues au siècle dernier.
Il est bon de signaler également que l'étude des manifestations extra-corporelles de l'esprit, dont l'importance a été signalée par Allan Kardec et par nous-même, a été entreprise dès 1883 par la Société anglaise des Recherches psychiques (Society for psychical research) et depuis, dans le nouveau monde, par la branche américaine de cette Société. Les Savants qui la composent sont arrivés à établir expérimentalement l'extériorisation de toutes les formes de la pensée à laquelle ils ont donné le nom général de télépathie. Ils ont constaté, de plus, des cas de vision à distance sans le secours des yeux et des faits de prémonition dans des conditions qui établissent absolument l'authenticité de ces phénomènes dont j'ai signalé la réalité au cours de cet ouvrage.
Mieux encore, en lisant attentivement les comptes rendus publiés par la S. P. R., il est facile de constater que le phénomène de dédoublement de l'être humain a été établi avec un luxe de preuves qui ne laisse rien à désirer.
Dans le premier volume de notre ouvrage intitulé Les Apparitions matérialisées des vivants et des morts, nous avons démontré que les fantômes des vivants sont d'indiscutable réalité, car ils ont été photographiés, ce qui ne laisse aucun doute en ce qui concerne leur caractère objectif. On a pu produire expérimentalement cette duplication de l'être humain ; il en résulte donc que l'âme, même pendant son passage sur la terre, est toujours associée à une certaine forme de matière quintessenciée, ce qui justifie nos affirmations relativement à l'existence du périsprit.
Dans le second volume du même ouvrage, on trouvera des documents extrêmement nombreux qui établissent que les remarquables expériences de matérialisation de Crookes ont été confirmées par les recherches entreprises ultérieurement dans tous les pays. Nous signalerons tout particulièrement celles d'Aksakof avec Eglinton et Mme d'Espérance, puis les recherches du Dr Gibier, à New York, et celles poursuivies pendant vingt ans par toute une légion de savants, en compagnie d'Eusapia Paladino, tout particulièrement au Circolo Minerva de Gênes, et enfin par M. le professeur Richet et nous à la Villa Carmen d'Alger.
Nous avons vu, avec Crookes, que la réalité des manifestations résulte : 1° de la vision collective du fantôme par tous les assistants ; 2° des photographies que l'on a pu en prendre ; 3° des actions matérielles exercées par celui-ci ; 4° de la vision simultanée de l'apparition et du médium ; 5° enfin, à ces preuves est venue s'en ajouter une autre, absolue, celle qui résulte du moulage d'une partie de l'apparition, moulage insimulable qui reste comme un témoignage permanent de la réalité objective du fantôme et du caractère réellement humain de sa matérialisation. Ces derniers résultats ont été obtenus, d'abord, en Amérique par le professeur Denton, puis en Angleterre par MM. Reimers et Oxley, Ashton, etc. (voir pour le détail : Les apparitions matérialisées, tome II, chapitre III, page 247.)
Tout dernièrement des résultats semblables ont été obtenus à l'Institut Métapsychique International avec le médium Kluski .
On est arrivé, enfin, à peser simultanément ou successivement le médium et l'Esprit matérialisé, et l'on s'est aperçu que la matière qui composait le corps du fantôme était empruntée presque en totalité au corps du médium. Dans ces dernières années, Mme Bisson a étudié plus particulièrement le début de ce phénomène en provoquant la sortie de la matière extériorisée du médium, à laquelle on a donné le nom d'«ectoplasme».
L'ensemble des phénomènes de la médiumnité ont, en quelque sorte, reçu une consécration officielle par le dépôt sur le bureau de l'Académie de Médecine, en 1922, de l'ouvrage de M. le Professeur Richet intitulé Traité de Métapsychique. Si l'auteur n'a pas encore adopté les conclusions spirites que nous en avons déduites, il ne rejette pas formellement notre interprétation. Il a d'autant plus raison que, depuis le siècle dernier, un grand nombre d'hommes de science ont formellement adopté la théorie spirite comme la seule explication générale de tous les phénomènes.
En Angleterre, nous avons eu la joie de compter parmi les nouveaux adeptes des hommes tels que l'éminent psychologue Myers, le professeur Barrett, sir Oliver Lodge, l'éminent physicien, et tout dernièrement, l'ingénieur Crawford ; en Amérique, le professeur Hyslip, le Dr Hodgson ; en Italie, le célèbre criminaliste Lombroso, les docteurs Pio Foa, Visani Scozzi, Venzano, les professeurs Botazzi, Brofferio, Bozzano, Tummolo, l'astronome Porro, etc.
Depuis un quart de siècle, des enquêtes ont été entreprises dans presque tous les pays sur les phénomènes supra normaux. En France, Camille Flammarion a publié le résultat de ses recherches dans trois volumes intitulés : Avant la Mort, Autour de la Mort, Après la mort, sous le titre général : La Mort et son mystère. Il termine par une affirmation nettement spirite. Dans le même ordre d'idée, M. Warcollier nous donne, dans un ouvrage sur la télépathie, le résultat de ses recherches, et M. le Dr Osty affirme dans son livre : La Connaissance supranormale, la faculté de certaines personnes de prendre anormalement connaissance de choses qui leur sont inconnues et de prévoir l'avenir. On le voit, nos prévisions n'ont pas été trompées, puisque aujourd'hui ces études entrent enfin dans le domaine de la science. C'est une profonde satisfaction pour des spirites de constater qu'aucune de leurs affirmations n'a été contredite depuis plus d'un demi-siècle et qu'au contraire, les recherches entreprises dans le monde entier ont confirmé la valeur de leurs affirmations, tant au point de vue expérimental que philosophique.
Grâce à l'intelligente et généreuse initiative d'un philanthrope éclairé, M. Jean Meyer, il a été créé, en 1919, à Paris :
1° Un Institut Métapsychique International, reconnu d'utilité publique, dont le comité comprend d'éminentes personnalités scientifiques, telles que M. le professeur Richet, le comte de Grammont, le professeur Leclainche, tous trois membres de l'Académie des Sciences ; M. Camille Flammarion, le Dr Santo Liquido, le professeur Tessier, M. le Dr Calmette, inspecteur général du Service de Santé ; parmi les membres étrangers, sir Oliver Lodge et M. Bozzano, et comme directeur, M. le Dr Geley.
2° A la même date : l'Union Spirite Française, dont le siège est à Paris, et qui, malgré sa création récente, groupe déjà vingt-six sociétés résidant dans toutes les régions de la France et des Colonies.
Ces deux institutions sont appelées à donner des bases scientifiques à l'étude du Spiritisme et à la diffusion de sa philosophie la plus vigoureuse impulsion. C'est donc avec confiance que nous pouvons considérer l'avenir et le triomphe certain de cette grande et noble doctrine.
TABLE DES MATIERES
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PREMIERE PARTIE    1
CHAPITRE PREMIER  -  AVONS-NOUS UNE AME ?    1
Coup d'oeil sur l'histoire de la philosophie    2
Les théories matérialistes    4
L'idée directrice    6
La force est indépendante de la matière    7
Autres objections    11
Conclusion    14
CHAPITRE II  -  LE MATERIALISME POSITIVISTE    15
II. Le cerveau et ses fonctions    18
III. Conséquences des théories précédentes    26
De la sensibilité des éléments nerveux    27
Phosphorescence organique des éléments nerveux    29
Automatisme    31
Conclusion    32
DEUXIEME PARTIE    33
CHAPITRE PREMIER  -  LE MAGNETISME, SON HISTOIRE    33
Historique    34
CHAPITRE II  -  LE SOMNAMBULISME NATUREL    36
CHAPITRE III  -  LE SOMNAMBULISME MAGNETIQUE    43
CHAPITRE IV  -  L'HYPNOTISME    52
CHAPITRE V  -  ESSAI DE THEORIE GENERALE    60
TROISIEME PARTIE    63
CHAPITRE PREMIER  -  PREUVES DE L'IMMORTALITE DE L'AME PAR L'EXPERIENCE    63
HISTORIQUE    66
CHAPITRE II  -  LES THEORIES DES INCREDULES ET LE TEMOIGNAGE DES FAITS    72
1° MOUVEMENT DE CORPS PESANTS AVEC CONTACT MAIS SANS EFFORT MECANIQUE    73
2° PHENOMENES DE PERCUSSION ET AUTRES SONS DE MEME NATURE    73
LETTRE DE M. ALFRED RUSSEL WALLACE A L'EDITEUR DU «TIMES»    76
CHAPITRE III  -  LES OBJECTIONS    83
QUATRIEME PARTIE    95
CHAPITRE PREMIER  -  QU'EST-CE QUE LE PERISPRIT ?    95
CHAPITRE II  -  PREUVES DE L'EXISTENCE DU PERISPRIT. - SON UTILITE. - SON ROLE    100
CHAPITRE III  -  LE PERISPRIT PENDANT LA DESINCARNATION. - SA COMPOSITION    112
Essai de théorie    125
La vie de l'esprit    130
CHAPITRE IV  -  HYPOTHESE    136
CINQUIEME PARTIE    143
CHAPITRE PREMIER  -  QUELQUES OBSERVATIONS PRELIMINAIRES    143
CHAPITRE II  -  LES MEDIUMS ECRIVAINS    148
Médiumnité mécanique    148
Médiumnité intuitive    151
Médiums dessinateurs    155
CHAPITRE III  -  MEDIUMNITES SENSORIELLES. - MEDIUMS VOYANTS ET MEDIUMS AUDITIFS    160
Des Hallucinations    161
Vue médianimique par les yeux    163
Photographie spirite    165
Recommandations d'Allan Kardec    166
Médiumnité auditive    170
Médiumnité typtologique    172
Rapport de la Société dialectique    175
Les Apports    177
APPENDICE    I