La Voyante de Prévorst
Par
LE Dr JUSTINUS KERNER
Traduction par le Dr DUSART
Notice biographique sur le Dr Kerner
Justinus Kerner naquit à Ludwigsburg, en Wurtemberg, le 18 septembre 1786. Il était le plus jeune des cinq fils du bailli supérieur de la ville. Son père étant mort en 1799 sans laisser de fortune, sa mère le plaça d’abord chez un menuisier, puis voulut en faire un confiseur. Heureusement qu’un ami de sa famille, le pasteur Konz qui était poète et à qui le jeune Justinus montra ses premiers vers obtint qu’on l’envoyât étudier à l’université de Tubingue où il choisirait lui-même sa voie.
Kerner avait alors dix-huit ans ; il partit à pied, le sac sur le dos, et arriva de nuit, par un beau clair de lune, aux portes de la ville, où, fatigué, il s’endormit sur un banc. « Quand il s’éveilla, dit Karl du Prel , les peupliers étaient agités par un violent ouragan et le courant d’air apporta une feuille de papier que le vent avait enlevée par une fenêtre de l’hôpital des pauvres ; c’était une ordonnance signée par le Dr Uhland, un médecin supérieur du baillage. Le jeune homme prit cela pour un avertissement de la Providence et c’est avec la résolution de devenir médecin qu’il entra à Tubingue en 1804. »
Il s’y lia intimement avec le fils du Dr Uhland , et avec d’autres étudiants, Schwab , Varnhagen, von Ense, qui tous devinrent des poètes plus ou moins célèbres.
Quatre ans après, reçu docteur, il quittait Tubingue pour compléter ses études en séjournant quelque temps à Vienne et en parcourant une partie de l’Allemagne. Les lettres qu’il écrivit pendant ce voyage à ses amis devinrent le sujet de sa première production littéraire, imprimée en 1811, à Heidelberg sous le titre : Reiseschatten von dem Schattenspieler Lux .
Kerner venait de s’établir comme médecin dans la petite ville de Welheim. « Il y fut de plus en plus connu, dit Karl du Prel, non pas seulement comme poète mais comme médecin consciencieux. Très recherché, il avait un seul défaut, grave chez un docteur, celui de ressentir la maladie de chacun de ses clients comme la sienne propre. Ses insuccès dans sa pratique médicale lui ôtaient le sommeil. »
En 1813, il se maria avec une jeune fille de Tubingue, Frédérique Ehman, avec qui il était fiancé depuis son séjour à l’Université.
Certes, les débuts du jeune ménage furent modestes. On n’avait trouvé à Welheim qu’un seul logement à louer, et c’était une auberge : deux chambres avec une petite cuisine ; mais la grande chambre, la chambre à coucher, devait être cédée, pour servir de salle de danse ou de festin, les jours de marché, de noces et toutes les fois que l’aubergiste en aurait besoin dans des circonstances analogues.
En 1816, Kerner fut nommé médecin supérieur du district à Gaildorff ; puis, en 1819, à Weinsgerg, charmante petite ville, célèbre par le siège qu’en avait fait l’empereur Conrad, en 1525, pendant les guerres des Guelfes et des Gibelins. La tradition rapporte que quand la place fut obligée de se rendre, la capitulation donna aux femmes qui s’y trouvaient le droit d’emporter sur elles ce qu’elles avaient de plus précieux et qu’elles sortirent en portant leur mari sur leur dos. Le vainqueur ne voulut pas chicaner sur cette interprétation inattendue et la colline qui supportait le bourg reçut le nom de Weibertreue (Fidélité des femmes).
Quand le docteur arriva à Weinsberg, cette colline était à l’état sauvage. Il acheta le terrain, le transforma en parc et bâtit au pied une maison dont sa jeune femme et lui faisaient les honneurs avec une telle bonhomie que plusieurs fois des soldats ou des colporteurs de passage y entrèrent naïvement en la prenant pour une auberge. On y voyait accueillis, et quelquefois en même temps, avec la même bonne grâce, les admirateurs du poète, les clients du médecin et les amis de l’homme privé. C’est ainsi qu’un jour, un marchand de gants du Tyrol, qui s’arrêtait tous les ans chez Kerner, s’y rencontra avec Adalbert de Bavière. Le bon docteur le présenta au prince comme un vieil ami et lui demanda l’autorisation de le retenir avec lui à sa table.
Son premier recueil de poésies fut publié en 1817, à Carlsruhe, sous le titre : Romantische Dichtungen (Poésies romantiques). On y remarque le ferme bon sens et la netteté, dans la pensée aussi bien que dans l’expression, qui distinguent des autres écoles poétiques plus ou moins nuageuses du reste de l’Allemagne, l’école de Souabe dont il a été, avec son ami Uhland, un des plus illustres représentants.
Il eut, à cette époque, l’occasion de s’initier aux études psychiques, et en 1824, il publia, à Stuttgart un livre intitulé : Histoire de deux Somnambules, que je n’ai pu me procurer.
Il ne parait pas toutefois avoir eu alors une grande foi dans l’efficacité du magnétisme, car il nous dit lui-même que quand, en 1826, on l’appela en consultation auprès d’une jeune femme, Frédérique Hauffe, sur qui les phénomènes extraordinaires de sa maladie avaient fait courir beaucoup de bruits malveillants, il voulut d’abord la traiter exclusivement par les moyens médicaux ordinaires.
Cependant, l’état de cette malade empirant toujours, on obtint de lui qu’elle viendrait à Weinsberg loger dans sa propre maison. Là, pendant trois ans, du 25 novembre 1826 au 2 mai 1829 il put l’étudier à loisir et réunir les éléments d’un livre qui produisit en Allemagne une très grande sensation, puisqu’il eut cinq éditions en quelques années. C’est ce livre qui fut traduit en anglais par Mistress Crowe, dont le docteur Dusart publie aujourd’hui la première traduction française.
Les phénomènes qu’il relate furent naturellement l’objet de polémiques violentes. On prétendit que Kerner avait été le dupe d’une simulatrice : c’est une explication qu’on ne manque jamais de donner quand on ne peut douter de la bonne foi de l’observateur, mais qui ne saurait avoir de valeur quand on trouve, comme ici, les témoignages concordants d’hommes considérables pour leur science et leur prudence.
Voici comment Strauss, le célèbre auteur de la Vie de Jésus, raconte une visite qu’il fit à Kerner.
« Kerner me reçut, selon son habitude, avec une bonté paternelle et ne tarda pas à me présenter à la visionnaire qui reposait dans une chambre, au rez-de-chaussée de la maison. Peu après, la visionnaire tomba dans un sommeil magnétique. J’eus ainsi pour la première fois le spectacle de cet état merveilleux, et, je puis le dire, dans sa plus pure et sa plus belle manifestation. C’était un visage d’une expression souffrante, mais élevée et tendre, et comme inondée d’un rayonnement céleste ; une langue pure, mesurée, solennelle, musicale, une sorte de récitatif ; une abondance de sentiments qui débordaient, et qu’on aurait pu comparer à des bandes de nuées, tantôt lumineuses, tantôt sombres, glissant au dessus de l’âme, ou bien encore à des brises mélancoliques et sereines, s’engouffrant dans les cordes d’une merveilleuse harpe éolienne. A cet apparence surnaturelle, aussi bien qu’à ses longs entretiens avec des esprits invisibles, bienheureux où réprouvés, il n’y avait point à en douter, nous étions en présence d’une véritable voyante ; nous avions devant nous un être ayant commerce avec un monde supérieur. Cependant Kerner me proposa de me mettre en rapport magnétique avec elle ; je ne me souviens pas d’avoir jamais senti une impression semblable depuis que j’existe. Persuadé, comme je l’étais, qu’aussitôt que ma main se poserait dans la sienne, toute ma pensée, tout mon être lui seraient ouverts, et cela sans retour, lors même qu’il y aurait en moi quelque chose qu’il m’importerait de dérober, il me sembla, lorsque je lui tendis la main, qu’on retirait une planche de dessous mes pieds et que j’allais m’abaisser dans le vide. »
Nous donnons ci-contre le portrait de la voyante, que nous a envoyé M. Théobald Kerner, fils du Dr Kerner, nous en faisant remarquer la ressemblance frappante qu’il présente avec le portrait du Dante par Raphaël.
Eschenmayer docteur en médecine et philosophie à l’université de Tubingue étudia, lui aussi, avec les plus grands soins les facultés de la voyante et publia sur ce sujet, en collaboration avec Kerner, de 1831 à 1834, cinq volumes intitulés Blatter aus Prevorst (Journal de Prévorst).
Mme Marie Nicthammer, fille de Kerner, a écrit une biographie de son père dans laquelle elle combat l’opinion de ceux qui, ne l’ayant jamais vu, voulaient en faire, dans l’intérêt de leurs théories matérialistes, un visionnaire, un mélancolique se perdant dans les nuages du mysticisme, tandis qu’il était au contraire d’un naturel jovial, très bon mais très positif et fort éloigné, aussi bien par ses dispositions naturelles que par ses études médicales, de la croyance aux esprits .
« Ceux qui croient, dit-elle, que mon père a procédé à des expériences sur ce terrain d’une manière fantaisiste et s’est emballé ou a emballé les autres dans ce sens, sont gravement dans l’erreur. Ce sont des faits nets qu’il a décrits, et qui furent observés d’un œil clair, non seulement par lui, mais par des hommes de tout âge et de tout état. Combien de personnes, éloignées de toute croyance en général, vinrent avec la ferme décision de ne rien croire et d’aller au fond des choses, et se retirèrent ébranlées par cette faible femme, après avoir été obligées de constater des faits indiscutables que, malgré leurs investigations froides et réfléchies, elles n’avaient pas réussi à expliquer. Et pourtant la plupart des contemporains de Kerner ont considéré son côté mystique comme quelque chose de mal ; ce sera probablement longtemps encore l’opinion dominante, suivant le pronostique qu’en a porté Kerner lui-même dans ces vers :
Mon nom s’oubliera comme poète :
On m’oubliera aussi comme médecin.
Mais quand on parlera d’esprits,
On pensera longtemps à moi… et pour crier très fort. »
Malgré ces polémiques, Kerner vécut longtemps heureux à Weinsberg, où il s’était bâti une demeure charmante, sur les flancs de la colline du vieux burg, partageant son temps entre les devoirs professionnels et la poésie .
Par un contraste qu’on a souvent observé, c’est la note mélancolique qui domine dans les œuvres de cet écrivain dont le caractère était d’ordinaire gai et enjoué.
Voici comme exemple, la traduction de deux de ses petits poèmes si populaires dans toute l’Allemagne :
Les deux cercueils
Deux cercueils sont là-haut, dans la vieille cathédrale. Dans l’un est couché le roi Othar ; dans le second repose le chanteur.
Naguère le roi était assis, puissant, sur un trône élevé, l’épée est encore à son côté ; la couronne sur sa tête.
Auprès du roi si fier est aujourd’hui étendu le doux chanteur ; dans sa main est encore la pieuse harpe.
Voilà que, tout à l’entour, s’écroulent les forteresses ; à travers le pays retentit l’appel aux armes. Mais, plus jamais les mains du roi ne brandiront l’épée.
Quand le parfum des fleurs et les doux zéphyrs se répandent dans la vallée, la harpe du poète résonne harmonieusement dans un chant éternel.
Le voyageur dans la scierie
Là-bas, dans la scierie, j’étais assis dans un doux repos. Je contemplais le mouvement des eaux, le jeu des roues.
Je regardais la scie brillante, traçant de longs sillons dans un sapin. Peu à peu, j’entrai comme dans un rêve.
Le sapin sembla s’animer sous l’action d’une mélodie funèbre, et, tremblant dans toutes ses fibres, il chanta ces mots ;
« Tu arrives à propos, ô voyageur ; c’est pour toi que la blessure pénètre jusqu’à mon cœur.
« C’est pour toi que bientôt ce bois deviendra, au sein de la terre, un cercueil pour un long repos après un court voyage. »
Je vis tomber quatre planches. Mon cœur se serra. Je voulus parler ; mais déjà la roue ne tournait plus.
En 1851, une grave maladie d’yeux le força de se démettre de ses fonctions de médecin du gouvernement. Le roi de Wurtemberg lui accorda une pension de 300 florins, à laquelle vint bientôt s’adjoindre une pension de 400 florins, servie par le roi de Bavière.
Trois ans plus tard, le 16 avril 1854, il perdait, après une courte maladie, sa femme Frédérique, qui avait été pendant quarante ans la compagne intelligente et dévouée de sa vie.
A partir de ce moment, Kerner désira aussi la mort. Sa vue s’affaiblissant de plus en plus, il se cloîtra dans sa chambre, où il continua à recevoir ses amis avec la même cordialité, son esprit restant tout aussi vif, malgré que son corps fût devenu débile. Le 22 février 1862, il fut enlevé par une grippe. On l’inhuma dans le cimetière de Weinsberg, à côté de sa femme, sous une dalle portant selon son désir ces simples mots :
Frédérique Kerner et son Justinus.
Plus tard, les admirateurs de Kerner lui ont érigé à Weinsberg, un monument sur lequel a été sculpté le médaillon que nous reproduisons ici.
Albert de Rochas
Préface du traducteur anglais
Comme, en présentant ce curieux travail au public, j’avais pour but de faire un livre accessible au plus grand nombre, je ne pouvais songer à une traduction littérale. L’original, en effet, outre des détails trop prolixes, renfermait un grand nombre de répétitions. Certains passages auraient paru trop arides à beaucoup de lecteurs, tandis que d’autres auraient été trouvés trop mystiques. Il m’a donc semblé qu’il était plus rationnel de faire une traduction libre, donnant bien réellement tout le contenu du livre, mais sous une forme aussi condensée que possible. Je ne me suis écartée de ce plan que dans les cas où il était indispensable de s’en tenir strictement au texte même de l’auteur.
Je crains que bien des phénomènes extraordinaires rapportés par Kerner ne trouvent que peu de créance en Angleterre. Mais ce livre présentera un profond intérêt à ceux qui admettent la clairvoyance, tandis que ceux, bien plus nombreux, qui ne sont pas encore disposés à ajouter foi à ses merveilles voudront bien, j’espère, considérer les faits comme dignes d’attention, aussi bien au point de vue physiologique, qu’à celui de la psychologie.
Je dis : les faits, car je ne puis admettre qu’après la lecture de ce livre, aucun esprit loyal doute de la plupart d’entre eux, ou persiste à soupçonner d’imposture soit le médecin, soit la malade. Le caractère bien connu de Kerner tendrait à éloigner tout soupçon de ce genre. Pour ma part, je repousse avec indignation l’idée que, dans cette créature souffrante, qui était sans cesse à deux doigts de la tombe, toutes les marques de l’innocence et de la piété n’étaient que le masque dont se serait couverte une fourberie aussi exceptionnelle que tenace.
Rien n’est plus facile que de crier à l’imposture. C’est une façon commode d’éviter les ennuis d’une enquête et de supprimer les faits qui gênent les théories préconçues. Mais c’est un expédient aussi vulgaire que peu courageux, quoique, je le dis à regret, il y ait peu de pays où une telle pratique soit aussi en faveur que dans celui-ci.
Le ridicule est encore une arme d’un usage facile ; mais tant d’hommes instruits, sensés et honorables dans les nations qui nous entourent croient être suffisamment assurés de la véracité de ces faits, que le recours à ce moyen devient tout à fait hors de saison. Si nous ne pouvons ajouter foi à ceux là non plus, au moins devons-nous accorder une certaine attention à ce qu’ils ont à nous dire. Les hommes sincèrement désireux d’apprendre accueilleront ces renseignements avec considération, s’ils ne peuvent aller jusqu’à la conviction.
La sincérité et la bonne foi du Dr Kerner dans cette affaire, n’a jamais été, croyons-nous, mise en doute, même par les septiques et les plus déterminés. Il est bien connu en Allemagne pour un homme très sensé, aimable et religieux, en même temps que comme poète lyrique distingué. Le seul point que l’on pourrait mettre en doute serait la sûreté de son sens critique ; mais tant que les septiques n’auront pas eu les mêmes occasions que lui d’observer et d’expérimenter, on ne pourra accueillir qu’avec la plus grande réserve les imputations toutes gratuites de crédulité. D’autre part, tout en déclarant que je serai désolée de me voir compter parmi ceux, bien nombreux, je le sais, qui n’accordent que le mépris et la dérision à l’attestation de ces faits, je n’hésite pas à reconnaître que la question de savoir si l’on doit considérer les phénomènes comme objectifs ou simplement subjectifs, projections du système nerveux ou apparitions externes réelles, est une de celles qui ne peuvent être définitivement résolues, si elle l’est jamais, que par la constatation maintes fois répétée de phénomènes de même ordre.
Quoiqu’il ait fini par être pleinement convaincu, Kerner lui-même a longtemps douté. Il reconnaît sans hésiter l’impossibilité d’arriver à une conviction absolue pour ceux qui n’ont pas encore eu l’occasion de s’assurer par le témoignage de leurs sens, que de telles apparitions peuvent se produire.
Quoiqu’il en soit, bien peu de lecteurs, j’en suis convaincue, parcourront ce livre avec indifférence ; l’esprit aimable, sincère et pieux dans lequel il est écrit sera la meilleure défense de l’auteur contre le ridicule et la mauvaise foi. Ce même caractère sera accepté comme la justification du traducteur qui a voulu présenter cet ouvrage au public anglais sous une forme accessible.
Mme Crowe
Préface de l’édition française
On vient de lire que Mme Crowe a cru devoir, dans l’édition anglaise, éliminer de nombreuses répétitions et un certain nombre de dissertations métaphysiques, aussi arides que nuageuses, contenues dans l’édition allemande. Elle aurait conservé cependant encore bien des pages qui n’étaient que des exhortations pieuses, avec force citations bibliques, que les lecteurs Français n’auraient pas manqué de considérer comme de véritables hors-d’œuvres dans un ouvrage de ce genre. Nous croyons qu’on ne nous saura pas mauvais gré de les avoir laissées de côté et d’avoir, en outre, résumé en quelques lignes la longue et obscure description des sphères, qui ne contient que les idées de la voyante et n’est susceptible d’aucun contrôle. Nous n’avons pas cru non plus qu’il y eût lieu de reproduire l’exposition de ses théories sur la vertu des nombres et le rôle important qu’ils joueraient dans notre destiné et celle de notre planète.
En lisant les pages qui vont suivre on sera frappé de voir que presque tous les phénomènes physiques signalés dans le Rapport de la commission de la Société Dialectique de Londres et dans les nombreux ouvrages parus depuis cinquante ans sur le spiritisme, ainsi que les enseignements moraux les plus importants reçus de toutes parts dans les groupes spirites, avaient fait l’objet des manifestations produites, devant la Voyante de Prévorst et quelques autres personnes, que l’on nommerait aujourd’hui des médiums, plus de vingt ans avant les manifestations de Rochester. Elles sont cependant passées inaperçues du grand public, tandis que les secondes ont été le point de départ de ce mouvement universel, dont nous suivons aujourd’hui le développement avec des phases diverses.
Presque à chaque page on signale la production de bruits, aussi variés dans leur caractère que dans leur intensité, éclatant dans toutes les parties d’un appartement ou, d’une maison entière. Entendus par un très grand nombre de personnes, on ne pouvait leur reconnaître aucune cause visible.
Des objets de toutes dimensions étaient déplacés, flottaient en l’air ou disparaissaient subitement. La Voyante elle-même et plusieurs autres personnes étaient enlevées, en dehors de toute intervention humaine. Quelquefois son corps restait flottant au-dessus de l’eau et résistait aux efforts faits pour l’immerger.
Des pierres, des graviers, du sable, des fragments de chaux sont lancés sans causes visibles ;
Des lueurs, boules, flammes, nuages lumineux sont vus par elle et aussi par plusieurs témoins ;
La Voyante donne des preuves nombreuses de clairvoyance. Elle voit des scènes se développer dans un verre d’eau à la surface d’une bulle de savon, etc… ;
Elle a des rêves prophétiques ; annonce la mort ou la guérison de certaines personnes ;
Elle indique la nature et le traitement des maladies.
Dès l’enfance elle découvre des sources au moyen de la baguette de coudrier et elle reste, toute sa vie, sensible aux effluves des diverses substances minérales ;
A plusieurs reprises elle voit les fantômes des mourants ;
Très rapidement elle entre en relations presque ininterrompues avec les esprits des décédés. Les uns, heureux et d’un ordre élevé, la guident et la protègent ; les autres souffrants, viennent réclamer son secours. Elle n’est pas la seule à les apercevoir : ces apparitions, en effet, présentent tous les degrés de matérialisation. Les unes sont vues par elle seule, , mais produisent des impressions étranges sur son entourage ; quelques une sont vues et entendues par quelques personnes qui veillaient près d’elle ; d’autres, enfin, sont vues par tous et même par des animaux.
Plusieurs cas d’apparitions d’animaux sont signalés dans ce récit.
Cependant, la Voyante de Prévorst n’a pas eu à sa disposition les deux moyens de communiquer si répandus aujourd’hui, la typtologie et l’écriture.
Voyons maintenant le côté moral et dogmatique de ces pages si curieuses. Nous avons signalé plus haut la solidarité entre les deux mondes, le visible et l’invisible ; le secours réciproque qu’ils se prêtent, leur immixtion de tous les instants dans la vie l’un de l’autre :
Nous pouvons résumer en quelques lignes les enseignements recueillis dans ces rapports intimes.
L’homme est composé d’un corps matériel, d’un esprit immatériel et d’une âme semi-fluidique, servant d’intermédiaire entre les deux premiers et destinée à fournir à l’esprit une enveloppe éthérée, lorsqu’il se dégage du corps, soit momentanément, soit définitivement, à l’heure de la mort. Selon la voyante, cette enveloppe, constituée par une épaisse et lourde substance chez les êtres peu développés, deviendrait de plus en plus légère, lumineuse et fluide à mesure que l’esprit se purifie et finirait par disparaître tout à fait, lorsque celui-ci atteint un certain degré de perfection. Ce serait cette âme ou enveloppe qui permettrait à l’esprit de produire des phénomènes physiques.
Il existerait, en outre, un fluide nerveux ou force vitale, dont l’âme se sert pour agir sur le corps pendant la vie et qui, ne disparaissant pas aussitôt après la mort, permet à l’esprit de condenser certains éléments de l’atmosphère pour se rendre visible.
L’esprit ne se transforme pas par la mort. Il conserve ses passions bonnes ou mauvaises, ses affections, ses haines ou ses opinions justes ou erronées ; de telle sorte que le monde invisible est l’exacte reproduction du monde visible. Les peines ne sont pas éternelles ; toutes les fautes peuvent se racheter par l’expiation. Les païens et ceux qui n’ont pas cru, pendant leur vie terrestre, au salut par le Rédempteur, mais se sont bien conduits, ne souffrent pas, mais ils ne sont admis dans les sphères supérieures, qu’après avoir reçu les enseignements que des anges sont spécialement chargés de leur donner.
Le coupable reste sans cesse en présence de son crime ; par exemple, la mère qui a tué son enfant porte sans trêve le cadavre dans ses bras, jusqu’à l’expiation complète, etc.…
La Voyante croit au péché originel, à la Rédemption par le Christ. Elle admet l’influence des nombres, la vertu des amulettes, l’efficacité contre les maladies et contre certains esprits d’un grand nombre de substances. Elle se sert d’une langue spéciale qu’elle appelle le langage intérieur et développe longuement la Théorie des sphères ou séjours des esprits selon leur degré de développement.
On voit que ces opinions constituent un curieux amalgame de Christianisme, d’occultisme et surtout de spiritisme et nous sommes convaincus que le lecteur suivra avec intérêt l’exposition de ces idées et le récit des faits qui les ont suggérées à la Voyante de Prévorst.
Dr O. Dusart
Introduction
Extraits de la préface de Kerner, relatifs aux révélations sur la vie intérieure de l’homme
La Voyante a scellé par sa mort la sincérité de ses révélations. Son histoire ne doit pas être confondue avec celles des personnes qui ne se sont trouvées que dans des états magnétiques faibles et imparfaits et encore bien moins avec celles des imposteurs, dont plusieurs ont été récemment démasqués, quoique les adversaires de la Voyante ne se soient fait aucun scrupule de retourner contre elle les révélations de ce genre. L’existence d’une seule perle authentique ne peut être mise en doute par la découverte d’un million de fausses.
On a souvent affirmé que les facultés magnétiques de la Voyante devaient être attribuées à l’influence de son entourage. Comment pourrons-nous réfuter une objection aussi absurde ? Pour ceux qui voudront suivre et observer tout le développement de ces phénomènes, une telle assertion est non seulement fausse mais ridicule.
Il ne faut pas juger ces révélations comme si elles faisaient partie d’un système de philosophie imaginé par un esprit illuminé. Elles prennent leur source dans la contemplation intime de la nature elle-même et on les retrouvera fréquemment en stricte concordance non seulement avec les croyances populaires, mais aussi avec les opinions de Platon, qui, toutes deux, coulent de la même source. Il est certainement dur, et nous ne pouvons nous étonner des répugnances provoquées, de constater qu’une faible et simple femme bouleverse les systèmes admis par les savants et fasse revivre les convictions que depuis longtemps les sages parmi les hommes s’efforcent de déraciner.
Dans un tel embarras, une seule chose m’apporte des consolations, ce sont les paroles de Paul, dans sa première épître aux Corinthiens : « Dieu a choisi les choses folles aux yeux des hommes, pour confondre les sages et les faibles de ce monde, pour confondre les forts. »
***
Si l’on parvient à s’isoler du bruit et du tumulte de la vie extérieure, comme devrait le faire chacun de nous, pour observer sa vie intérieure, on trouvera que notre vie intérieure et notre conscience extérieure ne sont pas seulement différentes, mais en contradiction absolue. Ce que l’être extérieur trouve convenable, l’être intérieur le condamne souvent et dans le tumulte du monde, nous sommes souvent inquiétés par une toute petite voix qui murmure dans notre être intérieur.
On sent que, par la vertu de cette vie intérieure, l’homme est maintenu en rapport continu avec la nature, que son imparfaite existence extérieure ne peut lui révéler qu’en apparence. Il est bien vrai que cette vie intérieure est voilée et obscure pour le monde que gouverne le cerveau ; elle se maintient cependant indomptée et immuable, comme un gardien caché mais vigilent de la conduite et de la direction de la vie extérieure.
C’est cette connexion invisible et secrète avec la nature, qui unit l’homme à l’autre monde et le guide dans le chemin qui y conduit.
Je me suis, un jour, trouvé au chevet d’un de ces hommes qui n’avait consacré leurs meilleures facultés qu’au développement de leurs biens matériels, et tandis que le râle de la mort envahissait sa poitrine, je lui ai entendu dire : « Je sens que ma vie abandonne mon cerveau et se concentre dans la région épigastrique ; je n’ai plus conscience de mon cerveau ; je ne sens plus ni mes mains ni mes pieds, mais je vois des choses que je ne puis dépeindre, des choses auxquelles je n’ai jamais cru ; c’est un autre monde. » En disant ces mots, il expira.
L’histoire de certains hommes montre comment, lorsque, dans les moments d’affliction, les préoccupations mondaines s’effacent, ils descendent dans les régions les plus intimes de leur conscience et y trouvent la révélation de merveilles aussi grandes que celles que nous ont jamais fait connaître les somnambules.
Qu’il nous suffise d’en donner quelques exemples . Dans l’année 1461, lorsque les hussites étaient sous le coup d’une cruelle persécution, un homme pieux, de Prague, nommé Georginus, subissant le supplice de la roue et étant étendu sur l’instrument de torture, devint, d’une façon extraordinaire, insensible à la douleur et à toutes les sensations extérieures ; il parut si complètement inanimé, que les bourreaux le détachèrent de la roue et l’étendirent à terre comme mort.
Au bout de quelques heures, cependant, il reprit ses sens, étonné de souffrir si violemment de son côté, de ses pieds et de ses mains. Mais en voyant les plaies et les traces de coups, les divers endroits brûlés et sanglants de son corps et les instruments des bourreaux, le souvenir de ce qui venait de se passer revint à son esprit et il raconta un songe qu’il avait eu pendant sa torture : « Je croyais être, ditil, dans une verdoyante et magnifique prairie, au milieu de laquelle s’élevait un arbre, sur lequel poussait une grande quantité de beaux fruits ; beaucoup d’oiseaux perchés sur les branches mangeaient les fruits en chantant mélodieusement.
Parmi ces oiseaux j’en vis un jeune qui, avec une petite baguette, semblait régler leurs mouvements, de telle sorte qu’aucun d’eux ne songeait à s’éloigner trop de sa place, et je vis trois hommes qui veillaient autour de l’arbre. » Il décrivit les formes et les traits de ces trois hommes et ce qui est remarquable, c’est que, six ans plus tard, le même nombre d’hommes, répondant exactement à sa description, furent chargés de diriger l’Eglise.
En 1639, une pauvre veuve, nommée Lücken, fut accusée de sorcellerie, condamnée au supplice de la roue, à Helmstadt. Ayant été cruellement torturée, elle fut saisie de convulsions terribles, parla en haut Allemand et dans une langue étrangère, puis perdant connaissance sur la roue, parut morte. Le fait ayant été rapporté au jurisconsulte de Helmstadt, celui-ci ordonna de la soumettre de nouveau à la torture. Elle protesta qu’elle était une bonne chrétienne, tandis que le bourreau l’étendait sur la roue, la frappait de verges, l’arrosait de soufre brûlant. Elle tomba alors de nouveau sans connaissance et rien ne put la faire sortir de cet état.
Dans le premier de ces faits nous voyons comment l’âme, affligée par le monde extérieur, le quitte, ne laissant que le corps en son pouvoir, tandis qu’elle va s’unir à l’esprit au plus profond de sa vie intérieure. Alors, comme dans un état de somnambulisme, l’avenir lui est révélé et elle jouit des dons merveilleux de prophétie.
Par le second fait nous pouvons observer comment l’âme, tandis qu’elle abandonne le corps aux tortures du monde extérieur, trouve un refuge en elle-même et alors peut-être (comme nous le voyons chez nos somnambules) parle le langage de cet être intérieur.
Il peut arriver, dit une clairvoyante, qu’un homme parfaitement habitué à vivre de la vie intérieure s’y réfugie avec d’autant plus d’empressement, qu’il est plus troublé par ce qui l’entoure et que les sensations du corps sont alors fort diminuées et même tout à fait annihilées.
L’histoire des martyrs nous montre que, dans les moments des plus terribles souffrances extérieures, ils acquièrent un calme intérieur qui leur fait endurer avec patience les plus cruelles tortures, leur permet de rire de leurs oppresseurs et de marcher à la roue ou au bûcher comme vers le lit nuptial. Ainsi firent Jean Huss et Jérôme de Prague qui, pendant que leurs corps étaient la proie des flammes, chantèrent, jusqu'à leur dernier souffle, des chants de prière et d’actions de grâces. Ainsi Dorothée marcha vers le bûcher comme à une fête. Les martyrs allaient joyeux comme des conquérants et comme si leur corps n’eût été fait de chaire. Où était donc leur âme, à ce moment ? Ils étaient dans la lumière et dans la paix.
La vie magnétique nous offre de semblables phénomènes, et nous les retrouvons dans beaucoup de récits de l’ancien et du nouveau testament, et dans l’histoire des êtres supérieurs, comme la Pucelle d’Orléans, par exemple. C’est ainsi qu’elle raconta qu’à l’âge de treize ans, elle entendit une voix dans le jardin de son père, à Domrémy. Cette voix venait du côté où se trouve l’église et était accompagnée d’une brillante lueur. Elle fut d’abord effrayée, mais elle reconnut bientôt que c’était la voix d’un Ange, qui avait toujours été son guide et son instructeur. C’était saint Michel. Elle vit aussi sainte Catherine et sainte Marguerite, qui l’avertissaient et dirigeaient toutes ses démarches. Elle distinguait très facilement à la voix si c’était un ange ou un saint qui lui parlait. Ils étaient généralement accompagnés d’une brillante lumière. Leurs voix étaient douces et agréables. Les anges lui apparaissaient avec des têtes naturelles. « Je les ai vus, dit-elle dans son procès, et je les vois de mes yeux. »
Cinq ans plus tard, comme elle gardait son troupeau, une voix lui dit que Dieu prenait pitié du peuple de France et qu’elle devait aller le sauver. Comme elle se prenait à pleurer en entendant cela, la voix lui commanda d’aller à Vaucouleurs, où elle trouverait un capitaine qui, sans difficulté, la conduirait au roi.
« Depuis lors, dit-elle, je n’ai rien fait qu’obéir à ces ordres révélés… Oui, mes voix étaient de Dieu ? Tout ce que j’ai fait, je l’ai fait par ordre de Dieu… Non, mes voix ne m’ont pas déçue… Mes révélations étaient de Dieu. »
Au siège d’Orléans, elle prédit la prise de la ville, et dit que son sang coulerait. En effet, le jour suivant elle fut blessée par un trait qui pénétra de six pouces dans son épaule.
Sainte Thérèse fut également une somnambule naturelle ; née au commencement du XVIème siècle, elle eut des visions comme celles de la pucelle d’Orléans.
Si nous lisons l’histoire des Saints, nous trouvons des faits innombrables, témoignant du pouvoir de la vie intérieure ? Ces légendes ont été et sont encore considérées comme une collection d’actes de folie et de fanatisme, ce qui est la conséquence de la tyrannique prédominance du cerveau sur le cœur.
Mais ces merveilles de la vie intérieure sont aussi connues par d’autres, qui depuis leur jeune âge ont mené une vie calme, simple, selon Dieu, sans oublier leurs devoirs de chaque jour et qui s’attachent énergiquement à les remplir.
Nous sommes quelquefois instruits par certains songes significatifs, par des pressentiments et des communications qui nous viennent du monde des esprits, ainsi que par ce que les révélations de la vie magnétique peuvent seules nous enseigner .
Nous trouvons, dans ce qu’éprouva le grand-père de la personne dont ces pages relatent l’histoire, des preuves d’une profonde vie intérieure. Etant doué d’un corps vigoureux et d’un cerveau bien constitué, il atteignit un âge avancé. Il s’éleva de la condition de pâtre à celle d’un riche marchand ; mais toujours il eut une vie simple et active.
« J’étais malade, dit le vieux marchand Schmidgall, de Lowenstein, et me croyant à la veille de la mort, je me sentit plein de joie, en pensant au sort heureux qui m’était échu. Je m’éveillai comme d’un profond sommeil et me trouvai dans une prairie dont je ne pouvais apercevoir les limites, dans laquelle se trouvaient beaucoup de formes vaporeuses, qui, toutes se dirigeaient vers l’est. Je me sentais si léger et si heureux et j’étais si rempli d’impatience et d’excitation, que je me hâtais dans la même direction. Comme je m’étais approché, je vis une femme tenant un vase de cristal, plein d’un liquide rouge. Autour d’elle se pressait la multitude des âmes des trépassés et je m’aperçus que, prenant un peu de ce liquide coloré dans une cuiller d’argent, elle le distribuait à certaines ombres, qui aussitôt se précipitaient vers l’Est. Plusieurs ne furent pas acceptées et furent repoussées par la main gauche de la femme et celles-là aussitôt disparaissaient au loin. A la fin mon tour arriva et je m’approchais d’elle plein de joie ; mais, oh ! Terreur, je fus repoussé.
« Ce que je ressentis je n’essaierais pas de le décrire. Par bonheur je m’éveillais aussitôt et je rendis grâces à Dieu de me retrouver encore sur cette terre. »
Ce Jean Schmidgall avait pendant quelque temps géré les affaires d’une veuve, qui à la mort du mari, paraissaient avoir été laissées en assez mauvais état. Après l’avoir remise dans une situation assez prospère, grâce à ses soins et conseils désintéressés, il commença à trouver qu’il était temps de songer à faire ses propres affaires. Il pourvu cette dame d’un bon employé et trouva pour lui même une avantageuse position à Esslingen. Il fit donc son paquet, pris son bâton à la main et quitta la maison. Tandis qu’il gravissait lentement la montagne, il éprouva une grande inquiétude et se sentit oppressé par une anxiété dont il ne se rendait pas compte. A chaque pas fait en avant, cette anxiété augmentait. Il continua malgré tout, pas à pas, et s’arrêtant à chaque instant. Mais enfin, son malaise prit de telles proportions, qu’il se décida à retourner à Lowenstein. Aussitôt toute oppression disparut. « Mais, pensa t-il, il serait vraiment trop étrange de retourner, puisqu’il est évident qu’il n’y a aucune raison pour en agir ainsi. » Il résolut de ne pas s’écouter davantage et de gagner Esslingen, coûte que coûte. Il reprit sa marche et aussitôt l’oppression recommença. Il continua néanmoins et parvins ainsi à une forêt nommée le Gaishol. Là son malaise avait atteint son plus haut degré et, au lieu de la forêt et de la route qu’il connaissait si bien, il trouva devant lui une étrange contrée et un champ immense, grand et désert au milieu duquel se tenait un homme qui lui faisait signe de retourner. Il ne lui restait plus aucun espoir et il comprit qu’il fallait rebrousser chemin. Il n’eut pas plus tôt tourné la face vers Lowenstein, que son anxiété et l’étrange vision disparurent tout ensemble. Il rentra tout pensif chez la veuve, posa son bâton derrière la porte, et imaginant une excuse pour expliquer son retour abandonna toute idée de la quitter. Quoique étonnée la dame ne dit mot ; il en fut de même des autres personnes habitant la maison et les choses reprirent leur cours, comme si rien ne s’était passé. Il reprit son ancien emploi et écrivit au nouvel employé qu’il était inutile de venir. Tel fut l’origine de la fortune de Schmidgall. Il rendit très florissante la situation de sa patronne, dont il épousa la fille. Par son exemple, ses conseils, sa direction, aussi bien que par son trafic qui devint très important, il fut comme la providence de cet établissement et continua ainsi jusqu’à un âge très avancé.
Dans ses aventures de la vie intérieure de Schmidgall on voit intervenir le Protecteur, qui nous est constamment révélé dans l’état somnambulique. Dans la première, c’est par un rêve symbolique d’avertissement ; dans la seconde, c’est par l’apparition d’un homme, qui au milieu d’une contrée inconnue, lui donne l’ordre de retourner, au moment même où probablement le chemin que la nature le portait à suivre allait le conduire vers le malheur. Ces circonstances survinrent chez Schmidgall, qui dans sa vie n’avaient jamais connu un moment d’exaltation et n’avait jamais éprouvé aucun trouble du système nerveux. Il mena une existence calme mais active, de telle sorte que ses perceptions intérieures ne furent jamais obscurcies par celles du dehors.
Dans sa quatre-vingtième année, après avoir vu croître autour de lui quarante petits-enfants, il avait conservé un aspect calme, plein de bonne humeur, des couleurs fraîches et une brillante chevelure blanche ; sans le secours d’aucun bâton, ayant à ses côtés sa petite fille encore toute jeune « celle qui fait le sujet de cette histoire » il gravissait les plus hautes montagnes du pays qu’il habitait. Schmidgall ne négligeait aucun de ses devoirs journaliers ; il ne se préoccupait d’aucune question spirituelle et n’y songeait jamais. Tout ce qu’il recherchait, c’était de conserver toute la simplicité et la pureté de sa nature originelle, contre les attaques du monde qui l’entourait. Il conserva ainsi dans sa vie intérieure son guide toujours fidèle.
Un matin, comme il se levait de son lit plus gai que jamais, il raconta à ses enfants que, dans la nuit précédente, sa femme bien aimée lui était apparue en rêve, plus distinctement qu’aucune autre chose de même genre qu’il put se rappeler. Elle lui dit quelque chose, mais il lui fut impossible de s’en souvenir. Quand cela lui arriva, il était en parfaite santé, mais, sept jours après, il expirait.
Dans la nuit où Schmidgall eut ce songe, sa petite fille qui se trouvait très loin de lui, fut en proie pendant douze heures à un état de malaise et de souffrance, plongée jusqu’au plus profond de sa vie intérieure, dans cet état de veille intérieure qu’on a appelé le sommeil magnétique.
Alors un esprit (que nous reverrons dans cette histoire) lui parla ainsi : « je ne sais pourquoi ton esprit protecteur (qui était celui de sa grand-mère, la femme de Schmidgall) vient de te laisser pour sept jours et se trouve engagé dans une affaire de haute importance, qui survient dans ta famille. Sans son appui, tu ne peux tolérer ma présence. »
Cette anecdote montre que ce qui arrive dans un cas ou le corps est malade, peut aussi bien se présenter lorsque le corps est en parfaite santé. Il faut donc arriver à cette conclusion : que les apparitions de ce genre ne sont pas seulement vues par des malades, comme des visions d’un cerveau surexcité par la fièvre, mais sont bien le plus souvent des apparitions réelles ; mais nous ne sommes que trop portés à les attribuer à la maladie.
« La vie sociale, dit un clairvoyant, est un tumulte au milieu duquel les hommes sont emportés. Si l’un d’eux peut trouver un point stable et refuse de se laisser entraîner, il lui est possible d’observer le cours des choses, de les juger et de les peser. Un homme dans de telles conditions vit en liberté et apprend ce qu’aucun enseignement n’est capable de lui faire connaître. L’esprit intérieur explique et interprète tout ce qui se passe à l’extérieur. Mais, aussi longtemps que l’homme n’a des yeux et des oreilles que pour les choses extérieures les facultés intérieures ne peuvent se développer. »
Si l’on se reporte aux premiers âges, où les hommes ne connaissaient que les lois de la nature, avant que la vie intérieure ne fut étouffée par ce que l’on appelle la civilisation, on trouve dans les récits de l’ancien testament par exemple, de même qu’aujourd’hui encore, dans l’Orient, berceau de l’espèce humaine, les traces de cette vie intérieure, se manifestant dans des populations tout entières avec des caractères tels que, lorsqu’on les rencontre ici chez des particuliers, on a prit l’habitude de les considérer comme des maladies.
Je dois dire un mot ici de ce langage intérieur sur lequel j’aurai à revenir dans le cours de récit. Il fut révélé par la voyante, pendant son sommeil somnambulique et elle affirmait qu’il existait encore dans tous les hommes. Qu’il soit parlé ou écrit, il présente une étroite ressemblance avec les langues de l’Orient. De même, dans la langue parlée par les enfants de la famille humaine, on retrouve le langage intérieur naturel de l’homme.
De même, c’est surtout chez les hommes vivant le plus près de la nature, comme les pasteurs et les montagnards, que l’on rencontre cette faculté de percevoir les effluves émanant des pierres et des métaux et de ressentir les influences magnétiques.
Sous le coup des chagrins ou de la maladie, ou encore par suite de prédisposition héréditaire, comme dans le cas actuel, le corps peut devenir pour ainsi dire inanimé ; les nerfs et leur fluide qui paraît être l’élément intermédiaire entre l’intelligence, l’âme et le corps, semblent mis en liberté et c’est alors que les choses étonnantes de la vie intérieure nous sont révélées.
Dans l’état magnétique le plus évident et le plus profond, il n’existe pas de sens de la vue, de l’ouie, du toucher ; ils sont remplacés par quelque chose de plus parfait que tous les trois réunis, par une faculté de perception infaillible, qui nous permet de pénétrer le plus sûrement au fond de notre propre vie et de la nature. Plus l’homme reste simple et près de la nature dans son état normal, plus son esprit se trouve dégagé de l’âme et du corps ; plus aussi il peut pénétrer profondément dans la connaissance de lui-même.
Mais comme on le verra plus loin, c’est dans l’état le plus développé de la vie intérieure que l’erreur devient impossible, surtout lorsque l’esprit se trouvant dégagé de l’âme, le centre même de notre être intérieur est illuminé comme par un éclair. « A ce moment, dit un voyant, tout se fond dans une mer de lumière sans limites. Je comprends toutes choses plus facilement et plus clairement ; les secrets de la nature me sont révélés ; la vue du passé et de l’avenir, tant au point de vue du temps que de l’espace, est aussi nette pour moi que celle du présent. Combien d’heures d’émotions sans bornes cet état n’a-t-il pas procuré à des âmes heureuses et croyantes, en écartant pour elles le voile de l’avenir ! » De tels moments sont rares, mais lorsqu’ils surviennent, aucune parole n’en peut donner une idée.
Cependant, qu’il me soit permis d’adresser ici un avertissement a tous les parents et aux médecins ; c’est de ne pas provoquer l’état somnambulique chez les malades que dans le cas d’absolue nécessité et comme ressource extrême, surtout lorsque le somnambulisme n’a pas de tendance à se produire de lui-même. Même dans ce cas, il faut agir avec la plus extrême prudence et avoir toujours soin de soustraire le malade soumis à cette mystérieuse action, aux yeux des curieux et des médisants.
L’état somnambulique étant connu de l’Antiquité. On apportait le plus grand soin à son application au traitement des maladies. On le provoquait aussi au moyen du laurier et des vapeurs de l’encens, dans un but religieux ou politique. Mais alors, on le cachait comme un mystère à l’intérieur des temples des Dieux, en écartant le public et en ne le laissant pas aux mains des incrédules, des persifleurs ni des simulateurs.
Le dormeur était reçu dans une chambre du temple, au sein d’un calme solennel et généralement la nuit. A son réveil, les prêtres lui disaient quels moyens il avait indiqué dans son sommeil et quelles conséquences il avait annoncées.
PREMIERE PARTIE
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LA VIE ET LES FACULTES DE LA VOYANTE
CHAPITRE I
Lieu de naissance et premières années de la voyante
Près de la ville de Lowenstein, dans le Wurtemberg, au milieu de ses montagnes dont le point le plus élevé atteint la hauteur de 1879 pieds au dessus du niveau de la mer, entouré de toutes parts de collines et de vallées, dans une retraite pittoresque, s’étend le petit village de Prévorst. Il compte un peu plus de 400 habitants, dont la plupart vivent de l’exploitation de la forêt, par la fabrication du charbon et la récolte des produits forestiers.
Comme tous les montagnards, ils constituent une race vigoureuse et la plupart arrivent à un âge avancé, sans connaître les atteintes de la maladie. Les affections ordinaires des habitants des plaines, telles que la fièvre intermittente, y sont inconnues ; mais des troubles nerveux éclatent souvent pendant la jeunesse, ce à quoi on ne se serait pas attendu dans une population aussi robuste. C’est ainsi qu’on a constaté dans une localité appelée Neuhütte, située comme Prévorst dans les montagnes, qu’une sorte de danse de Saint-Guy éclate épidémiquement, surtout parmi les jeunes enfants, de telle sorte que tous sont atteints en même temps. Comme toutes les personnes soumises aux influences magnétiques, ils connaissent les moments précis où une attaque va éclater et s’ils sont au milieu des champs lorsque la crise approche, ils se hâtent de rentrer chez eux et tombent aussitôt dans des convulsions, pendant lesquelles ils se meuvent, durant une heure et plus avec la plus étonnante régularité, gardant la mesure avec autant de précision que le danseur le plus habile. Après cela ils sortent fréquemment comme d’un sommeil magnétique, sans garder aucun souvenir de ce qui c’est passé. Il est certain que ces montagnards sont particulièrement sensibles aux influences magnétiques, et nous citerons, parmi les preuves que l’on peut en donner, leur sensibilité aux remèdes sympathiques et leur faculté de découvrir les sources au moyen de la baguette divinatoire.
C’est en l’année 1801 que dans ces hautes montagnes, dans le village même de Prévorst, naquit une femme, qui, dans sa plus tendre enfance, donna des preuves de cette extraordinaire vie intérieure, dont les phénomènes fourniront le sujet de ce livre.
Frédérica Hauffe, communément appelée la voyante de Prévorst, dont le père remplissait les fonctions de garde-chasse du district forestier, avait été enlevée, par une conséquence naturelle de l’isolement de la localité, dans le plus grand état de simplicité et d’ingénuité. Dans l’air vif de la montagne, endurcie par les longs hivers qui y règnent souvent ; n’étant amollie ni par les chauds vêtements, ni par les lits moelleux, elle devint une joyeuse enfant aux vives couleurs. Tandis que ses sœurs, dont l’éducation fut la même, étaient dès leur première enfance, atteintes de la goutte, rien de semblable ne fut observé chez elle. Mais comme contrepartie à cette immunité, on lui découvrit à un âge encore très peu avancé une faculté, qui n’était que trop incontestable, d’anticipation supranaturelle ou de pressentiment, qui se manifestait surtout sous forme de songes prophétiques. Si elle avait subi des reproches, éprouvé des ennuis, ou si d’une façon quelconque son esprit était irrité ou ses sentiments blessés, elle était constamment, pendant le repos de la nuit, conduite dans ces profondes retraites dans lesquelles elle était visitée par des visions instructives, prémonitoires ou prophétiques.
Ainsi, dans une occasion où son père avait perdu un objet de valeur et avait voulu lui en faire porter la responsabilité, quoiqu’elle fût innocente, ses sentiments en furent si vivement troublés, que dans la nuit elle vit en songe l’endroit où se trouvait cet objet. Même dans l’âge le plus tendre, la baguette de coudrier indiquait entre ses mains l’eau et les métaux. A un âge plus avancé, comme cette localité si reculée possédait trop peu d’éléments de culture intellectuelle ses parents furent heureux de pouvoir la confier aux soins de son grand-père Jean Schmidgall, habitant Lowenstein, situé à une faible distance.
Quoique la simplicité, la pureté et le calme de ces excellents grands-parents aient aidé à l’éducation d’ailleurs facile de cette enfant, elle ne tarda pas, à leur grand regret et sans qu’ils y eussent aucunement contribué, à présenter fréquemment des phénomènes spirituels et supranaturels. Il y avait en effet dans la nature même de cette jeune fille quelque chose qu’on ne pouvait pas plus refouler, qu’on n’eût pu empêcher la croissance de son corps.
Le vieux Schmidgall ne tarda pas à remarquer que lorsqu’elle l’accompagnait dans ses promenades dans les endroits solitaires, quoiqu’elle sautât toujours gaiement à ses côtés, une sorte de gravité et de crainte semblait la saisir dans certains lieux, sans qu’il fût possible pendant longtemps d’y rien comprendre. Il observa également qu’elle éprouvait les mêmes émotions dans les cimetières ou dans les églises, dans lesquelles il y avait des sépultures. Dans ces dernières, elle ne pouvait rester en bas et se trouvait obligée de monter dans les galeries.
Mais ce qui attirait l’attention de son grand-père bien plus encore que cette sensibilité au voisinage des corps morts, des métaux, etc…, c’était ce fait qu’elle avait conscience de la présence des esprits.
Ainsi, il y avait dans le château de Lowenstein une pièce, ancienne cuisine, dans laquelle elle ne pouvait jamais ni regarder ni entrer sans être profondément troublée. A la même place, quelques années plus tard, une dame, à sa grande terreur, vit le spectre d’une femme et cependant elle n’avait jamais entendu parler des émotions éprouvées par la fillette.
Au grand chagrin de sa famille, cette sensibilité à des influences spirituelles qui restaient imperceptibles aux autres, se manifesta bientôt d’une façon éclatante. Ce fut chez son grand-père qu’un spectre apparut pour la première fois à la pauvre fille. Là, à minuit, elle vit dans un couloir une grande forme sombre, qui passant près d’elle en soupirant, s’arrêta à l’extrémité du vestibule et tourna vers elle une figure qu’elle se rappela toute sa vie. Cette première apparition ne lui causa pas plus d’appréhension que toutes celles qu’elle vit dans le cours de sa vie. Elle la regarda avec calme, puis allant vers son grand-père, elle lui dit : « Il y a dans le couloir un homme bien étrange ; venez donc le voir. » Mais le vieillard effrayé de cette circonstance, (car lui aussi avait vu à la même place une apparition semblable, sans en avoir jamais parlé), fit tout ce qu’il put pour lui persuader qu’elle se trompait et depuis ce moment il ne lui permit plus de quitter la chambre le soir.
Ces facultés si importantes mais si regrettables n’apportaient cependant aucune modification dans la façon d’être de la jeune fille. Elle restait la plus gaie de toutes ses compagnes, quoiqu’elle ait été confinée pendant longtemps dans sa chambre par une extraordinaire sensibilité de la vue (sans aucune trace d’inflammation, du reste) qui dura toute une année et qui était peut-être une préparation à voir avec des yeux normaux des choses invisibles pour les autres ; explosion en quelque sorte d’une faculté de vision spirituelle au moyen d’organes charnels.
Un peu plus tard une terrible maladie de ses parents la rappela dans le village isolé de Prévorst, où, sous le coup du chagrin et des veillées passées au lit des malades, ses sentiments furent maintenus toute une année dans un grand état d’exaltation. Aussi, comme conséquence, les songes prophétiques et la perception des choses complètement cachées aux personnes en état normal continuèrent pendant toute cette période.
A un âge plus avancé encore nous la retrouvons chez ses parents à Oberstenfeld, qui fut pendant quelque temps la demeure officielle de son père. De dix-sept à dix-neuf ans, intervalle pendant lequel elle fut surtout sujette à des influences agréables et pleines de mouvements, elle sembla avoir perdu dans une certaine limite ses facultés de perceptions internes, et ne plus se faire remarquer que par un caractère plus spirituel que chez le commun et qui éclatait dans ses regards, ainsi que par un plus grand enjouement, sans cependant s’écarter des manières habituelles et des façons d’être des jeunes filles de son milieu. En dépit de tous les faux bruits que l’on a répandus à ce sujet, il est absolument certain, que même à cet âge, qui est plus susceptible de tels sentiments elle ne contracta aucune liaison et n’éprouva jamais de déception dans ses affections.
Pour se conformer aux désirs de ses parents et amis, dans sa neuvième année elle contracta avec Mr Hauffe, allié à la famille de son oncle, un engagement qui ne pouvait que lui être très agréable, tant à cause de la droiture de l’homme, que par la perspective d’une protection assurée. Mais, soit qu’elle eût été avertie par un pressentiment de ses futures années de souffrances et de maladie, soit pour tout autre cause qu’elle maintint secrète, ce qui est certain c’est que ce ne fut pas par suite de désappointement dans ses affections, qu’elle tomba à cette époque dans un état de dépression dont ses amis ne pouvaient se rendre compte, pleurant pendant tout le jour dans le grenier de la maison paternelle où elle s’était réfugiée et restant pendant cinq semaines sans sommeil. Aussi, elle retomba sous le joug de l’exaltation de sensibilité de son enfance.
Il se trouva que les funérailles du très honorable ministre d’Oberstenfeld furent célébrées le jour même de son mariage. Ce ministre par ses sermons, ses enseignements et ses rapports personnels (car c’était un modèle de rectitude) avait eu sur sa vie une influence considérable. Le jour de l’enterrement elle suivit au cimetière ses restes chéris. Quelque abattu que son cœur eût été jusque là, arrivée sur la tombe elle se sentit légère et gaie. Une merveilleuse vie intérieure s’éveilla en elle tout à coup ; elle devint absolument calme et on eut peine à l’éloigner de la sépulture. Peu à peu toutes ses larmes tarirent ; elle retrouva sa sérénité et depuis ce moment devint indifférente à toutes les choses de ce monde. Après quelques troubles, elle commença à vivre de sa propre vie intérieure.
Plus tard, plongée dans le somnambulisme, elle fit allusion à cet événement, à une époque où le décédé avait l’habitude de lui paraître sous une forme lumineuse, la bénissant et la protégeant contre l’influence d’un esprit mauvais.
CHAPITRE II
Retraite au sein de la vie intérieure
Sur les confins du Wurtemberg et du duché de Bade, on trouve une petite localité, nommée Kürnbach, qui dépend des deux pays. Dans une plaine basse et peu éclairée, entourée de montagnes de toutes parts, elle représente au point de vue atmosphérique et géologique, exactement le contraire de Prévorst et d’Oberstenfeld.
Il arrive souvent que les personnes très sensibles aux influences électriques sont guéries de leurs maladies par un changement de résidence. D’autres, au contraire, dans le même cas et soumises à l’action des mêmes influences, tombent dans un état de débilité dont les médecins ne peuvent se rendre compte. Papponi, dont parle Amoretti, était extrêmement sensible aux influences électriques et tombait dans les convulsions ; il fut tout à fait guéri par le seul changement de résidence. Pennet, qui se trouvait dans le même cas, ne put trouver le calme, dans une localité retirée de la Calabre, qu’en s’enveloppant tout entier dans un vêtement isolateur en toile cirée.
On pourrait difficilement se rendre compte de l’influence funeste exercée sur son être si susceptible par sa translation dans une localité si absolument différente de celle où elle était née, car après son mariage elle vécut à Kürnbach ; mais plus tard on observa constamment que plus l’endroit qu’elle habitait était bas, plus elle souffrait de ses spasmes. Dans les montagnes, au contraire, sa puissance magnétique augmentait.
Il est impossible, cependant, qu’à cette époque les agents physiques eurent sur elle une influence pernicieuse. Quoiqu’elle eût déjà cessé d’exister pour le monde extérieur, ses devoirs de femme d’homme voué aux affaires la rappelaient continuellement vers ce monde et se posaient en contradiction avec sa vie intérieure, son asile, qu’elle voyait ainsi obligée de cacher ; mais cette dissimulation lui devenait chaque jour plus difficile. Car il est certain que depuis le jour où elle se rendit au tombeau de son vieil ami, elle devint de plus en plus absorbée dans sa vie intérieure et se plongea de plus en plus avant dans cet état auquel nous devons arriver, lorsque ayant franchi le seuil de la mort, le monde extérieur disparaît pour nous et dans lequel toute dissimulation devient désormais impossible.
Pendant sept mois cependant Mme Hauffe continua à se conformer aux us et coutumes de l’existence ordinaire, mais même alors, chaque fois que les circonstances le permettaient, elle recherchait la solitude, pour se replier en dedans d’elle même. Elle ne se sentit pas capable de cacher au delà de ce terme sa vie intérieure, et de lui substituer les apparences de sa vie extérieure qui n’existait déjà réellement plus pour elle. Son corps succomba sous la contrainte et son esprit s’échappa vers la sphère de la vie intérieure.
CHAPITRE III
Conséquences de son état magnétique ; esquisse d’une nouvelle période de souffrances
Ce fut le 15 Février 1822 que Mme Hauffe, étant alors chez elle, eut un songe extraordinaire. Elle rêva qu’étant sur le point de se mettre au lit, elle voyait le corps de cet ami qui lui était si cher, et dont le tombeau avait été le témoin de son entrée dans la vie intérieure. Le corps était étendu dans un linceul sur son lit. En outre, elle entendait, dans une autre chambre, dans laquelle elle n’était pas entrée, la voix de son père et de deux médecins, dont l’un était inconnu pour elle, et qui tenaient une consultation pour une grave maladie dont elle souffrait. Elle s’écria : « Laissez-moi seule près de cet homme mort ; lui seul peut me guérir ! Les médecins sont impuissants ! » Il lui sembla alors qu’ils songeaient à l’obliger à s’éloigner de ce corps, mais que le froid du cadavre paraissait lui faire du bien et que de lui seul elle éprouvait du soulagement. Elle cria tout haut dans son rêve : « Comme je me sens bien près de ce corps ! Me voilà tout à fait guérie ! » A ce moment cependant elle n’était pas malade. Son mari, l’entendant ainsi parler pendant son sommeil, la réveilla. Dans la matinée elle fut atteinte d’une fièvre qui dura quatorze jours avec la plus grande violence, et qui, pendant sept ans, fut remplacée par un état magnétique qui ne se suspendait guère que pendant des intervalles très courts et à peine appréciables. Comme je ne fus appelé à l’observer que pendant les deux dernières années de cette période, je ne puis donner sur les précédents que les descriptions superficielles, telles que je les reçues de la bouche de Mme Hauffe elle même, de son mari et de ses proche.
A la suite de cette fièvre, elle fut prise dans la nuit du 27 Février, à une heure, de spasmes dans la poitrine. On la frotta et on la frictionna jusqu’à ce que son dos fût en sang et, comme elle était étendue sans connaissance, les chirurgiens de la localité résolurent de pratiquer une saignée. Les spasmes continuèrent pendant trois jours et la saignée fut répétée.
Le second jour, la femme d’un paysan vint du village, sans être appelée et, s’asseyant près d’elle, dit : « Elle n’a pas besoin de médecins ; ils ne peuvent rien pour elle. » Puis elle posa la main sur son front. Aussitôt elle fut saisie des spasmes les plus violents et son front devint aussi froid que si elle avait été morte. Pendant toute la nuit elle fut en proie au délire, criant que cette femme avait exercé sur elle une influence diabolique et chaque fois que cette femme revenait, les spasmes revenaient aussitôt. Le troisième jour, on fit appeler un médecin de Bretten et comme elle était en somnambulisme, elle lui dit dès son entrée, quoiqu’elle ne l’eût jamais vu : « Si vous êtes médecin, vous devez me soulager ! » Celui-ci ayant aussitôt reconnu la maladie, posa les mains sur la tête de la malade et on remarqua que tant qu’il restait dans la chambre, elle ne voyait et n’entendait que lui, tandis qu’elle demeurait insensible à la présence de toutes les autres personnes.
Dès qu’il eut posé la main sur elle, elle devint calme et dormit quelques heures. On lui prescrivit un bain et quelques remèdes internes, mais les spasmes reprirent la nuit suivante et pendant dix-huit semaines, se reproduisaient de deux à cinq ou six fois par jour.
Pendant qu’elle souffrait de ses spasmes, sa grand-mère, qui habitait Lowenstein, lui apparut une nuit, se tenant près de son lit et la regardant en silence. Trois jours après on apprit la mort de cette personne, qui avait expiré la nuit même. Depuis cette époque elle signala fréquemment pendant son sommeil la présence de sa grand-mère et la considéra constamment depuis comme son esprit protecteur. Ce fut aussi à cette époque que, dans un songe, elle décrivit avec tous les détails de sa construction, une machine qui devait être l’instrument de sa guérison. Elle en dessina la figure sur une feuille de papier, mais personne ne prit garde à cette indication.
Tous les remèdes essayés restant inefficaces, le médecin eut recours aux passes magnétiques, qui pendant un certain temps, suspendirent les spasmes. Des bruits calomnieux circulèrent alors dans le peuple, qui se laissa gagner par des préventions contre elle, car on avait rapporté que pendant sa crise elle appelait fréquemment à haute voix cet homme qui, seul, pouvait lui apporter du soulagement. Elle eut connaissance de ce fait, mais, forte de son innocence, elle en écouta le récit avec indifférence, comme elle le fit désormais pour tous les bavardages malheureusement naturels à son sexe et pour tout le scandale dont le monde chercha à la rendre victime.
Un jour, comme elle souffrait de spasmes violents, sa servante la soulagea en soufflant pendant une heure sur le creux épigastrique.
Comme elle était définitivement dans un état magnétique, il sembla probable qu’un traitement magnétique soutenu avec régularité serait de nature à la soulager et son médecin le lui proposa en effet. Mais il demeurait trop loin pour mettre lui même ce projet à exécution et son mari ne pouvait se décider à lui laisser quitter son domicile. Pendant quelque temps un traitement homéopathique fut appliqué avec succès et peu après elle se trouva enceinte, circonstance qui fit naître de grandes espérances d’amélioration de sa santé.
Pendant la durée de sa grossesse le songe qu’elle avait eu quelque temps auparavant se réalisa. Tandis qu’elle était en proie aux spasmes, elle entendit son père causer dans la pièce voisine avec deux médecins, dont la voix d’un seul lui était connue. Vers ce temps elle rendit visite à ses parents et prit beaucoup de bains à Lowenstein, ce qui sembla lui rendre des forces. Au mois de Février 1823, après de longues souffrances, elle donna le jour à un enfant. Son accouchement fut suivi d’une longue et cruelle maladie. La femme qui dans une précédente occasion lui avait causé tant de mal, donna un peu de lait à son enfant, insistant pour qu’elle en donnât elle même. L’enfant fut pris de spasmes et depuis ce moment eut des convulsions périodiques des membres, jusqu’à l’époque de sa mort, qui eut lieu au mois d’Août. La mère se rendit de nouveau aux bains de Lowenstein et retourna chez elle assez peu soulagée et dans un état de dépression profonde.
En Février 1824, elle reçut la visite de quelques amis, et la maison fut pleine de joie et de danses. Elle, cependant, restait triste et à un moment où tout était calme, une de ses compagne la trouva en prière et se moqua d’elle. Elle en fut péniblement affectée, qu’elle devint froide et rigide comme un cadavre. Pendant longtemps sa respiration resta imperceptible ; enfin on entendit un râle dans sa poitrine. On eut recours aux bains et à d’autres remèdes et elle revint à elle, mais pour continuer à souffrir. Elle semblait vivre comme dans un rêve.
Une fois, elle ne parla qu’en vers pendant trois jours. Une autre fois et pendant une même période, elle ne voyait qu’une boule de feu qui traversait tout son corps, de longs et rapides traits brillants. Ensuite, pendant trois jours il lui semblait que de l’eau tombait constamment goutte à goutte sur sa tête, et ce fut alors que, pour la première fois, elle vit sa propre image Elle la voyait vêtue de blanc assise sur un escabeau, tandis qu’elle même était étendue sur son lit. Elle contempla quelque temps cette vision et voulut crier, mais elle ne le put. Enfin elle put se faire entendre, et dès que son mari entra, tout disparut.
A cette époque sa faculté de perception devint si exquise, qu’elle entendait et sentait tout ce qui arrivait à distance, et elle était d’une telle sensibilité aux influences magnétiques, que la présence de clous dans les murs l’indisposait et que l’on fut obligé de les enlever. Elle ne pouvait souffrir aucune lumière.
Comme rien ne semblait lui réussir, ses amies lui conseillèrent d’essayer un remède recommandé par un enfant à l’état de trance. Le résultat fut de la rendre encore plus sensible au magnétisme, mais plus calme. Il lui devint tellement impossible de supporter la lumière du jour, qu’on la transporta à Oberstenfeld dans une voiture complètement close et, comme on était arrivé trois heures avant la nuit, elle fut obligée d’attendre qu’il fît tout à fait sombre pour entrer chez elle.
Elle eut recours aux soins du Dr B… et lui demanda le soulagement de ses spasmes et de ses anxiétés. Elle n’existait que grâce aux fluides nerveux des autres et il lui était nécessaire que quelqu’un lui donnât constamment la main et lorsque cette personne n’était pas d’une bonne santé, cela augmentait la faiblesse de la malade. Le médecin prescrivit des passes magnétiques et des médicaments ; mais elle tomba bientôt dans le sommeil magnétique et fit elle-même ses prescriptions. Ce qui la faisait souffrir le plus vivement, était la sensation d’un poids énorme sur la tête ; il lui semblait que le cerveau était comprimé, et chaque mouvement respiratoire lui devenait douloureux. Ces sensations troublaient son sommeil, qui ne durait qu’autant que quelqu’un lui tenait une main sur le front. C’est à ce moment qu’on essaya de lui poser un aimant sur le front. Aussitôt sa tête se tourna, les traits changèrent et sa bouche se tordit comme sous le coup d’une attaque de paralysie. Ces symptômes persistèrent pendant deux jours et se dissipèrent d’eux-mêmes.
Vers cette époque, pendant sept jours et à sept heures du soir, elle se sentait magnétisée par un esprit, visible pour elle seule. Dans cet esprit elle reconnut sa grand-mère, qui la magnétisait avec trois doigts écartés comme des rayons et en dirigeant ses passes vers la région épigastrique. Ce qui semble incompréhensible, quoique attesté par plusieurs personnes dignes de foi, c’est que pendant toute cette période tous les objets dont le voisinage devait lui être nuisible étaient écartés par une main invisible. Ainsi des objets telle qu’une cuillère d’argent, par exemple, étaient aux yeux de tous enlevés de ses mains et placés à distance convenable sur une assiette. Ils n’étaient pas lancés violemment, mais transportés doucement en l’air, comme enlevés par une force invisible. Etant plongée dans un profond sommeil, elle déclara que le magnétisme seul pouvait la sauver.
Ce fut encore vers cette époque qu’elle commença à voir d’autres personnes derrière celles sur lesquelles elle fixait les yeux. Ainsi, elle vit son frère Henri, décédé, derrière sa plus jeune sœur. Derrière une dame de ses amies elle vit la forme fantomale d’une vieille femme qu’elle avait connue dans son enfance à Lowenstein.
Après cela, son oncle lui prescrivit un traitement magnétique régulier, qui fut appliqué par le Dr B… mais ne donna pas d’abord de résultat. Elle paraissait absolument incapable de souffrir la présence de son magnétiseur, qui était souvent obligé de sortir de la chambre. A la longue, cette antipathie diminua, les forces revinrent, elle put faire de longues promenades et reprendre les occupations ordinaires de son sexe. Elle restait néanmoins encore sous une influence magnétique et s’endormait tous les sept jours. Plus tard le sommeil magnétique ne la prenait que toutes les sept semaines. Il lui arrivait de rester pendant de longs intervalles dans un état de demi somnambulisme. Elle sortait même au milieu de la neige et sous la pluie et se trouvait mieux du froid. Elle était extrêmement sujette aux manifestations spirituelles de toutes espèces. Songes prophétiques, prédictions, visions prophétiques dans les verres ou les miroirs prouvaient l’intensité de sa vie intérieure. C’est ainsi qu’elle vit dans un verre d’eau placé devant elle sur la table, une personne qui entrait dans la chambre une demi-heure plus tard. Elle vit de la même façon une voiture, qui se dirigeait vers B… et que l’on ne pouvait apercevoir du point où elle était. Elle décrivit la voiture, les personnes qu’elle contenait, les chevaux, etc., et une demi-heure après, l’équipage arrivait chez elle.
A cette époque, elle parut aussi jouir de la seconde vue.
Un matin, quittant la pièce pendant une visite du médecin, elle vit dans le hall un cercueil qui lui barrait le chemin et contenait le corps de son grand-père paternel. Elle rentra dans la chambre et pria le médecin et ses parents de venir le voir ; mais ils ne purent rien voir et elle-même ne l’aperçut plus. Le lendemain matin, le cercueil, avec le même corps dedans, était à côté de son lit. Six semaines plus tard son grand-père mourut, après avoir joui d’une parfaite santé jusqu’aux quelques jours qui précédèrent sa mort.
La faculté de voir les esprits, que Mme Hauffe possédait depuis l’enfance, ne fit que se développer constamment. Deux faits les plus remarquables, survenus pendant la période dont nous nous occupons, seront rapportés dans la seconde partie du travail.
CHAPITRE IV
Les souffrances augmentent et le somnambulisme devient plus complet
Un second accouchement, qui eut lieu le 28 Décembre, fut suivi d’une fièvre avec délire, pendant lequel Mme Hauffe se croyait couchée dans une église immense ; il en résultat une série de spasmes et une aggravation de son état somnambulique. Les remèdes ordinaires restant inefficaces, on essaya de nouveau les passes magnétiques et ce fut son frère qui les pratiqua ordinairement. En son absence, les parents, dans leur détresse, firent appel à plusieurs autres personnes pour remplir cet office, ce qui malheureusement ne nuisit pas seulement à sa réputation, mais aussi à sa santé, à cause de la différence des dispositions nerveuses de ces personnes. Elle fut ainsi plongée dans un état magnétique plus grave et devint étroitement plus dépendante qu’auparavant de l’énergie nerveuse des autres. Un traitement plus judicieux eût évité à cette femme infortunée bien des souffrances et bien des attaques calomnieuses.
Un fait remarquable, c’est que son enfant, spécialement pendant la première semaine de sa vie, dormait toujours dans l’attitude qu’elle prenait pendant son sommeil magnétique, c’est à dire avec les bras et les pieds croisés. On verra plus tard que lui aussi resta doué de la malheureuse faculté de voir les esprits.
Une amie, qui était souvent près d’elle pendant cette période, m’écrivit : « Chaque fois que je place mon doigt sur son front entre les sourcils, elle me dit quelque chose qui me concerne ; elle lit dans ma pensée et me dit des phrases comme celles-ci :
« Lorsque tu pénètres au milieu du tumulte du monde, porte fermement le Seigneur dans ton cœur. »
« Si quelqu’un veut t’entraîner à agir contre ta conscience, réfugie-toi au sein du Seigneur. »
« Ne laisse pas éteindre la lumière qui brille en toi. » etc.…
Les spasmes et les accès de somnambulisme continuant toujours, ceux qui l’entouraient, incapables d’apprécier sa situation, commencèrent à se fatiguer et à la prendre en aversion. Elle alla de mal en pire, fut atteinte de diarrhées et de sueurs nocturnes et on lui reprochait de continuer à vivre malgré tous ces maux. On employa, vainement, la force pour la maintenir levée ; on l’obligeait à quitter son lit, mais elle tombait sans connaissance sur le sol. On commença alors à soupçonner sa maladie d’être l’œuvre du diable et on eut recours à un homme qui passait pour opérer des guérisons par les moyens sympathiques. Sur cela, le public accusa la famille de Mme Hauffe d’être ignorante ou incrédule, parce qu’elle recourait à des moyens de ce genre. Mais les personnes les plus cultivées et les plus instruites ne font-elles pas de même ? N’a-t-on pas soigné bien des maladies par les moyens sympathiques ? N’a-t-on pas vu de célèbres praticiens envoyer à Mme Hauffe les malades qu’ils ne pouvaient guérir ? Cet homme lui composa une poudre verte qu’elle refusa de prendre, mais il l’y obligea. Dès la seconde dose qu’elle prit, elle put aussitôt se tenir debout ; mais elle tomba bientôt absolument rigide, puis fit quelques pas et tourna en rond, comme prise de la danse de Saint-Guy.
Elle n’était jamais complètement éveillée ; sa voix était aiguë ; elle parlait le haut allemand et une langue étrangère qu’elle écrivait également et qu’elle appelait son langage intérieur et dont nous aurons maintes occasions de reparler. Quand elle parlait cette langue, elle était dans un état de demi-sommeil et lorsqu’elle voulait parler le langage ordinaire, elle faisait sur elle-même des passes magnétiques. En même temps que la poudre, l’homme lui donna une amulette noire en plomb, suspendue à un triple fil. Chaque vendredi on adressait à cet homme un message, conformément à sa demande et quoiqu’il mit sept heures pour lui arriver. Elle dit pendant son sommeil : « Il veut que je lui demande de venir, et si je ne le fait pas, il enfoncera des aiguilles dans certaines plantes, dans sa cave, afin de me soumettre plus complètement à lui et de me faire supporter plus de souffrances et d’anxiétés. Il faut que je lui écrive moi-même. ! » Elle le fit pendant son sommeil ; la lettre lui fut envoyée et l’homme vint. Il avait un aspect sombre, grossier, repoussant, avec de gros yeux brillants. Lorsqu’il arriva, elle était plongée dans le sommeil magnétique et elle déclara qu’il ne devait pas entrer dans la chambre avant d’avoir dit : « Je crois que Jésus-Christ était le vrai fils de Dieu, engendré par le Père de toute éternité. » Il le fit et elle lui permit d’entrer mais ne lui adressa pas la parole. Elle demanda que lorsqu’elle serait éveillée, on prit bien garde qu’il ne lui touchât pas la main, ce qu’il voulait faire ; mais elle recommanda de ne pas lui parler de cette défense, afin de ne pas l’offenser. On fit ce que l’on put pour se conformer à ses désirs, mais sans succès. Il lui prit la main et aussitôt celle-ci se replia, se contractant d’une façon effrayante et il ne fut pas possible de la ramener à son état normal, ni en l’insufflant, ni en la magnétisant. Elle tomba en somnambulisme et dit de plonger sa main dans de l’eau courante, puis de la baigner dans du vin chaud. On le fit et la contracture disparut.
Quoique la poudre la rendit plus sensible au magnétisme, elle continua à en prendre, mais à de très petites doses, de peur, comme elle le disait, que cet homme ne lui causât quelques méchancetés. Chose étrange à dire, l’amulette qui lui avait été donnée, n’ayant été, avec son consentement, touchée par qui que ce fût, parcourut sa tête, sa poitrine, les couvertures de son lit, comme une chose vivante, de telle sorte qu’on dut la ramasser à terre et la rendre à la malade. Ce fait incroyable se produisit sous les yeux de plusieurs témoins dignes de foi, qui l’ont attesté. Elle porta cette amulette dans son dos pendant trois mois. Lorsqu’elle fut confiée à mes soins, je l’examinai et trouvai qu’elle contenait un peu d’assa foetida, de sabine, de cyanure, deux fragments de stramonium, un petit aimant et un morceau de papier sur lequel était écrit ces mots : « Le fils de Dieu est venu pour détruire les œuvres du démon. »
Ayant entendu parler de sa longue maladie, ses parents écrivirent pour demander à son mari de la ramener à Kürnbach. Elle était opposée à ce voyage, mais elle y consentit dans le but de diminuer les fatigues de ses parents. Ceci eut pour conséquence une cruelle maladie et ils furent à la fin obligés de la reconduire. Dans cette circonstance quelques petites doses d’opium lui furent utiles.
Elle était alors affligée d’une irritabilité excessive des nerfs de l’estomac et elle tombait dans un état de faiblesse alarmant, dès qu’on ne lui donnait pas de nourriture à chaque minute. La médecine ne lui procurait que bien peu de soulagement et vu l’éloignement du domicile du médecin, on fut obligé de l’envoyer à son oncle à Lowenstein. Là, elle dormit chaque soir et fit elle-même ses prescriptions. Mais comme on n’avait aucune confiance dans ses ordonnances, celles-ci ne furent pas suivies.
C’est à ce moment que je fus appelé près d’elle . Je ne l’avais jamais vue, mais on m’avait fait sur son compte beaucoup de récits faux et malveillants. Je dois avouer que j’avais ajouté foi aux opinions du monde et que j’avais cru ces mensonges. Je voulus d’abord ne faire aucun cas de son état magnétique ni des conseils qu’elle donnait de la traiter par le magnétisme je la mis en relation avec des personnes d’un puissant tempérament nerveux. Bref, je voulus que tout fût fait pour l’arracher à son état magnétique et qu’elle fût traitée avec la plus grande sollicitude, mais par les moyens médicaux ordinaires.
Mon ami, le Docteur Off de Lowenstein, partagea mon opinion et nous commençâmes un traitement régulier. Mais nous fûmes désappointés. La dysenterie, les spasmes, les sueurs nocturnes reprirent leur cours. Les gencives devinrent scorbutiques, saignant constamment et elle perdit toutes ses dents. Lorsqu’on lui donnait des toniques, elle éprouvait la même sensation que si on l’eût enlevée en l ‘air. Tout l’effrayait et, la nuit, elle tombait dans des faiblesses qui la laissaient inanimée.
Ses amies espérèrent la débarrasser par la prière de l’influence du démon. A cette époque, tout lui était indifférent ; elle devint comme insensible. La mort eût été pour elle un bienfait ; elle souffrit le martyre mais ne mourut pas. Ses amies étaient plongées dans la tristesse et l’inquiétude. Heureusement, malgré mon avis, on l’emmena à Weinsberg, pour voir si rien ne pouvait être fait pour elle.
CHAPITRE V
Arrivée de la voyante à Weinsberg
A son arrivée à Weinsberg, le 25 Novembre 1826, Mme Hauffe était comme une image de la mort, décharnée comme un squelette, et parfaitement incapable de se tenir debout ou de se coucher sans aide. Il fallait lui donner toutes les trois ou quatre minutes une cuillérée de bouillon, qu’elle ne pouvait pas toujours avaler et qu’elle rejetait souvent. Si on ne le faisait pas, elle s’évanouissait ou avait des spasmes. Elle présentait un certain nombre de symptômes inquiétants et chaque soir, à sept heures, elle tombait en somnambulisme. Cela débutait ordinairement par le croisement des bras et la prière. Puis elle les étendait, les laissant reposer sur le lit et commençait à parler, en tenant les yeux fermés et les traits animés.
Le soir de son arrivée, dès qu’elle fut endormie, elle me réclama, mais je ne lui fis dire que je ne la verrais que lorsqu’elle serait éveillée. Elle s’éveilla alors et je me rendis près d’elle lui déclarant d’un ton bref et sérieux, que j’étais bien décidé à ne tenir aucun compte de ce qu’elle dirait pendant son sommeil et ne voulais même pas qu’on me le fit connaître. J’ajoutai que cet état somnambulique qui avait tant donné d’inquiétudes à ses amis, devait prendre fin. J’appuyai cette déclaration d’expressions très énergiques, car j’avais la ferme volonté de ne traiter son cas que par les moyens ordinaires de la médecine. Je défendis que l’on s’occupât d’elle lorsqu’elle était en somnambulisme et commençai un traitement homéopathique régulier. Mais les doses, même les plus petites de médicaments produisaient sur elle les effets opposés à ceux que j’attendais. Elle présentait plusieurs symptômes alarmants et il devenait très probable que sa fin approchait ; tous ses amis s’attendaient nettement à ce résultat. Bref, il était trop tard pour que le plan que j’avais proposé eût aucune chance de succès. Sous l’action d’influences magnétiques de diverses sortes, son système nerveux avait été amené à un état si exceptionnel et si anormal, qu’il ne lui était pas possible de vivre plus longtemps par sa propre puissance nerveuse, mais seulement par celle que lui communiquaient les autres personnes. J’en fus convaincu au bout de bien peu de temps. On était frappé de voir avec quelle confiance elle indiquait pendant son sommeil les moyens qui devaient la guérir ; et le médecin était obligé de constater, à sa honte, combien les moyens qu’elle se prescrivait l’emportaient en efficacité sur tout ce que lui et sa pharmacopée pouvaient fournir.
Ainsi, après avoir pendant plusieurs semaines maintenu mon traitement médical, je lui demandai, pendant qu’elle était à l’état de veille, si un traitement magnétique régulièrement suivi lui serait utile. Elle me dit qu’elle ne pourrait me donner la réponse que le soir, à sept heures, lorsqu’on lui ferait faire sept passes magnétiques. Comme j’étais bien déterminé à éviter d’avoir affaire avec ses procédés magnétiques, je chargeai un ami de faire les passes, ce qui eut pour résultat de lui faire dire qu’un traitement magnétique, soigneusement continué pendant sept jours, contribuerait beaucoup à lui rendre des forces.
Ces sept passes eurent pour conséquence, à son profond étonnement, car elle ne savait pas ce qu’on lui avait fait, de lui permettre de s’assoire dans son lit le lendemain matin et de se sentir plus forte qu’elle ne l’avait jamais été depuis le début de mon traitement. On poursuivit donc pendant vingt-sept jours un traitement magnétique régulier, observant strictement toutes les instructions qu’elle donnait pendant son sommeil, et on laissa de côté tous les autres moyens. Quoique le rétablissement complet de sa santé fût impossible et qu’il restât toujours des symptômes pénibles, cette malheureuse femme fut aussi profondément soulagée par ces moyens qu’il était permis de l’espérer dans un cas de cette nature. Mais la secousse qu’elle éprouva à la mort de son père neutralisa cette influence bienfaisante et désormais sa vie ne parut plus tenir qu’à un fil.
Les évènements de cette vie intérieure, les nombreuses déclarations sur la vie intérieure de l’homme, sur l’existence d’un monde d’esprits au milieu de nous, ainsi que sur ce que nous pouvons nous rappeler du temps où notre âme, délivrée de la matière qui pesait sur elle, développa ses ailes pour voler sans entraves à travers le temps et l’espace, formeront la matière de ce volume. Je veux me borner à citer des faits, laissant à d’autres le soin de les interpréter.
On a proposé assez de théories pour rendre compte de ces phénomènes. Je les connais, mais qu’il me soit permis de n’en adopter aucune. Je veux seulement chercher à montrer, en rappelant divers exemples d’apparitions de même genre, que les révélations de cette malheureuse somnambule n’ont rien découvert qui ne soit naturel et qui n’ait été déjà souvent observé. Mais les visions de cette nature percent rarement l’épaisse enveloppe de la vie ordinaire et ne sont que les traits de lumière d’une région supérieure.
CHAPITRE VI
Portrait de la Voyante
Longtemps avant le commencement de mon traitement magnétique, Mme Hauffe était si complètement somnambule, que nous restâmes plus tard convaincus que la période de veille n’était qu’apparente chez elle. Il n’est pas douteux qu’elle était alors bien plus réellement éveillée que ceux qui l’entouraient, car cet état, quoiqu’on ne le considère pas ainsi, était bien celui de la veille la plus parfaite.
Dans cet état elle ne possédait aucune force organique, et dépendait complètement de celle des autres, qu’elle recevait d’eux surtout par le canal des yeux et l’extrémité des doigts. Elle disait qu’elle puisait sa vie dans l’air et dans les émanations nerveuses des autres, sans que ceux-ci perdissent rien. Mais il n’était pas inutile de faire remarquer qu’un certain nombre de personnes affirmaient qu’elles se trouvaient affaiblies lorsqu’elles restaient longtemps dans son voisinage. Qu’elles éprouvaient des contractions dans les membres, un tremblement, etc. Beaucoup aussi, en restant près d’elle, accusaient une sensation de faiblesse dans les yeux et au creux épigastrique, pouvant aller même jusqu’à l’évanouissement. Elle déclarait, du reste, que c’était dans les yeux des hommes vigoureux qu’elle puisait le plus de force.
Elle recevait plus de force de ses parents que des étrangers et lorsqu’elle fut tout à fait affaiblie, ce n’est que chez eux qu’elle put obtenir du soulagement. Le voisinage des personnes faibles ou malades l’affaiblissait, comme les fleurs perdent leur beauté et périssent dans les mêmes circonstances. Elle se soutenait aussi aux dépens de l’air et même par les plus grands froids, elle ne pouvait vivre sans une fenêtre ouverte.
Elle était sensible aux émanations fluidiques de toute sorte, dont nous n’avons aucun soupçon, spécialement à celles qui proviennent des métaux, des plantes, des hommes et des animaux.. Toutes les substances impondérables, de même que les différentes couleurs du prisme, produisaient sur elle des effets sensibles. Elle ressentait des influences électriques dont nous n’avons nulle conscience ; et, ce qui est presque incroyable, elle avait la notion surnaturelle ou la connaissance par inspiration de ce qu’un homme avait écrit.
Ses yeux brillaient réellement d’une lueur spirituelle qui frappait immédiatement tous ceux qui la voyaient et, quand elle était dans cet état, elle était plutôt un esprit qu’un habitant de ce monde mortel. Si nous voulions la comparer à un être humain, nous dirions qu’elle semblait être plutôt dans les conditions, de celui qui, flottant entre la vie et la mort, appartient plus au monde qu’il va visiter qu’à celui qu’il est sur le point de quitter.
Ceci n’est pas seulement une figure de poésie, mais l’expression d’un fait réel. Nous savons qu’au moment de la mort les hommes ont souvent des reflets de l’autre monde et prouvent la connaissance qu’ils en ont. Nous voyons qu’un esprit quitte incomplètement le corps, avant d’être définitivement détaché de son enveloppe terrestre. Si nous pouvions ainsi maintenir pendant des années une personne dans un état de mort imminente, nous obtiendrions l’image fidèle de l’état de Mme Hauffe. Ce n’est pas une simple supposition, mais l’exacte vérité. Elle se trouvait souvent dans cet état où les personnes qui, comme elle, ont la faculté de voir les esprits, aperçoivent leur propre esprit hors de leur corps et paraissant entouré comme celui-ci d’une gaze légère .Elle se voyait souvent hors de son corps et en quelque sorte dédoublée. Elle disait ; « Il me semble souvent que je sors de mon corps et que je plane au-dessus de lui et je fais des réflexions sur lui. Cela ne fournit pas de pensées agréables, parce que je reconnais mon corps. Mais si mon âme était plus étroitement liée à ma force vitale, celle-ci serait en union plus intime avec mes nerfs ; mais les liens qui retiennent ma force vitale se relâchent de jour en jour. »
Il semblait en vérité que la force vitale était retenue si faiblement par son système nerveux, que le plus faible mouvement suffirait pour la mettre en liberté. C’est alors qu’elle se voyait hors de son corps ou dédoublée et son corps perdait alors toute notion de pesanteur.
Mme Hauffe n’avait reçu ni instruction ni talents d’agrément. Elle n’avait appris aucune langue, et ne connaissait rien, ni en histoire ni en géographie, ni en histoire naturelle, Elle ne possédait aucune des notions communes à son sexe. Pendant ses longues années de souffrances, la Bible et le livre des Psaumes avaient fait toutes ses études. Sa moralité était incontestable. Elle était pieuse sans hypocrisie ; elle considérait ses longues souffrances et leur étrange caractère comme l’effet des desseins de Dieu à son égard et exprimait ses sentiments sous forme de poésies.
Comme il m’est aussi arrivé d’écrire en vers, on s’est empressé de dire que c’est moi qui avait communiqué cette faculté à la malade par mon pouvoir magnétique ; mais elle parlait en vers avant que je la connusse ; et ce n’est pas sans une grande raison qu’on a appelé Apollon le Dieu des médecins des poètes et des prophètes. Le somnambulisme donne la faculté de prophétiser, de guérir et de composer des poésies. Combien les anciens s’étaient fait une juste idée du somnambulisme ! Comme nous le trouvons clairement mêlé à tous leurs mystères ! Galien, le grand médecin, a dû bien plus de succès aux songes nocturnes qu’à toute sa science médicale. Je connais une paysanne qui ne sait pas écrire et qui, cependant, dans l’état somnambulique, ne s’exprime qu’en vers.
Les erreurs que le monde à répandues au sujet de Mme Hauffe sont inconcevables : jamais je ne lui ai vu donner une plus éclatante preuve de son penchant à la calomnie que dans cette circonstance. Elle aimait à dire : « Ils ont tout pouvoir sur mon corps, mais aucun sur mon esprit. » Cependant le grand nombre des personnes qui, poussées uniquement par la curiosité, entouraient son lit, m’a causé bien des ennuis.. Pour elle, elle recevait gracieusement tout le monde, quoique la fatigue qu’elle en éprouvait lui ait causé beaucoup de souffrances et elle prenait constamment la défense de ceux qui l’avaient le plus calomniée. Les bons comme les méchants étaient bien reçus par elle. Elle savait distinguer les mauvaises intentions chaque fois qu’il en existait, mais elle ne s’en faisait pas juge. Beaucoup de pécheurs incrédules, qui étaient venus la voir, s’amendèrent et furent amenés à croire à la vie future.
Plusieurs années déjà avant que Mme Hauffe fût confiée à mes soins, la terre, l’air et tout ce qui y respire, sans en excepter l’espèce humaine, avaient cessé de compter à ses yeux. Elle aspirait beaucoup plus à ce que les mortels ne pouvaient lui procurer. Ce qu’elle voulait c’était d’autres cieux, d’autres aliments, une autre atmosphère que ceux que notre planète pouvait lui offrir. Elle était presque à l’état d’esprit et appartenait déjà au monde des esprits. Elle faisait partie du monde d’au delà de la tombe et était plus qu’à moitié morte. Qu’il était possible, dans les premières années de sa maladie, de la mettre, par un traitement bien adapté, dans un état plus capable de lui permettre de vivre dans les conditions ordinaires de notre monde, cela est extrêmement probable ; mais dans la dernière période, cela était devenu tout à fait impossible. Cependant, grâce à des soins plus attentifs, nous sommes parvenus à lui procurer une telle amélioration, qu’en dépit de tous les efforts faits pour empoisonner son existence, elle a considéré les années passées à Weinsberg comme les moins pénibles de sa vie somnambulique.
Comme nous l’avons dit, son corps fragile enveloppait son esprit comme un voile de gaze. Elle était petite, ses traits rappelaient l’orient, ses yeux étaient perçants et prophétiques et leur expression était encore augmentée par de longs cils noirs. C’était une fleur délicate, vivant des rayons du soleil.
Eschenmayer dit à son sujet, dans ses Mystères : « Ses dispositions naturelles étaient douces, aimables et sérieuses. Elle se sentait toujours portée vers la contemplation et la prière. Ses yeux avaient quelque chose de spirituel dans leur expression et ils restaient toujours clairs et brillants, malgré ses grandes souffrances. Ses regards étaient très pénétrants et d’une grande mobilité pendant la conversation, parfois ils devenaient subitement fixes et semblaient jeter des étincelles et l’on reconnaissait à ce signe qu’elle était en présence de quelqu’une de ses étranges apparitions.
Quand il en était ainsi, elle éclatait brusquement en paroles pressées. Lorsque je la vis pour la première fois, sa vie corporelle ne promettait plus une longue durée, et elle avait abandonné tout espoir de la voir remettre dans un état qui pût la rendre apte à se maintenir dans ce monde. Quoi que aucune fonction ne soit profondément altérée, sa vie était comme une torche qui s’éteint. Elle était, selon l’expression de Kerner, une proie entre les griffes de la mort et son âme ne tenait plus au corps que par la puissance magnétique. Chez elle, l’âme et l’esprit semblaient toujours en opposition, de telle sorte que la première restait encore attachée au corps, tandis que le second déployait ses ailes et volait vers d’autres régions. »
CHAPITRE VII
Fonctions nerveuses externes de la voyante et leurs rapports avec le monde physique
Dans les pierres et les métaux, aussi bien que dans les plantes et le corps des animaux, il existe beaucoup d’éléments et de facultés dont nous n’avons conscience que lorsque nous sortons de cet isolement dans lequel nous maintient la vie de chaque jour. Ce n’est pas seulement dans l’état somnambulique qu’on les perçoit, mais aussi dans une certaine mesure lorsque l’on possède un tempérament nerveux.
C’est ainsi que les faits de divination par la baguette sont considérés incontestables par un grand nombre de personnes. Ils sont plus ou moins manifestes, selon que le fluide nerveux est plus ou moins capable de se dégager. Del Rio raconte qu’en Espagne il existe une race d’hommes, appelés Zahuris, qui peuvent voir les choses cachées sous terre, telles que l’eau, les filons métalliques et les corps morts. Gamasche, un portugais vivant au commencement du XVIIIe siècle, avait la faculté de reconnaître l’eau et les métaux à une considérable profondeur sous terre. Zschokke signale une jeune fille qui pratiquait la divination par la baguette, avec une sûreté extraordinaire. On connaît les expériences de Ritter avec le paysan Campetti et les exemples de la sensibilité des somnambules aux influences des pierres et des métaux se trouvent partout rapportés. De même les anciens, et spécialement Orphée, attribuaient aux pierres, aux métaux et aux plantes des facultés secrètes extraordinaires.
Le grand prêtre chez les Juifs portait un pectoral garni de pierres précieuses, qui reposait sur le creux de l’estomac et dont il se servait pour émettre les divines prophéties. Aristote, Dioscoride, Galien, Pline et beaucoup d’autres parlent des pouvoirs magiques des pierres dont on se servait comme de talismans et de charmes. Théophraste dit qu’il a évité bien des fièvres en portant sur lui certaines pierres et que les Mages préparaient des pierres qui guérissaient ou prévenaient diverses maladies. Il ajoute cependant que ces pierres ne conservaient pas longtemps leurs propriétés, les positions des astres ne restant pas immuables.
Mais quand même, ce qui n’est pas, la position des astres serait toujours la même, les hommes changent et c’est ce qui les porte à considérer comme de pures fictions ces connaissances des anciens. Lorsque l’homme était plus près de la nature et moins empêtré de cette gangue qui l’enveloppe depuis qu’il est arrivé à l’état de civilisation, il était plus sensible aux influences spirituelles et même aux propriétés cachées des minéraux. Mais maintenant, avec la triple cuirasse matérielle qui l’entoure, il ne ressent plus que les influences chimiques ou mécaniques. Pour pénétrer la masse ainsi défendue, il lui faut les poisons extraits des trois règnes de la nature, comme en témoigne notre pratique médicale actuelle. Mais la vie magnétique nous révèle bien des phénomènes qui prouvent que la réalité va plus loin que tout ce que nous avons coutume de considérer comme de simples rêves de poètes. Dans l’orient on rencontre encore cette croyance à la vertu des pierres et l’on porte des joyaux non seulement comme ornements, mais aussi comme talismans.
Dans son Histoire Naturelle, Schubert fait remarquer qu’il ressort de maintes observations que le règne minéral a de profonds et magiques rapports avec la nature de l’homme et de ses relations spirituelles. La clairvoyance magnétique a prouvé que, non seulement le contact mais même le simple voisinage des métaux produisaient des effets qui n’ont certainement rien de chimique ni de mécanique .
De tels résultats semblent plutôt produits par l’existence d’un fluide spécial, magnétique ou électrique, auquel nous restons insensibles dans l’état ordinaire. Il est digne de remarque que les pierres colorées produisaient sur Mme Hauffe plus d’effets que les pierres incolores.
Ennemoser cite l’exemple d’une femme très susceptible, qui était toujours excitée par la vue du rubis et qui se calmait en regardant un cristal.
Toutefois Mme Hauffe ne regardait jamais les minéraux. Les expériences furent faites en les plaçant dans ses mains, sans lui dire ce que c’était.
Elle était fort sensible à l’action du verre ou du cristal, qui la faisaient sortir de l’état somnambulique et provoquaient la catalepsie, si on les maintenait un certain temps au creux de l’estomac. Elle éprouvait les mêmes effets au contact du sable ou en se tenant devant les vitres d’une fenêtre. L’odeur du sable ou du verre était perceptible à ses sens et lui provoquait des impressions fort agréables. Mais si, par hasard, elle venait à s’asseoir sur un banc de grès, elle pouvait tomber en catalepsie. Une fois, ayant été perdue de vue pendant quelques temps, elle fut retrouvée enfin, assise sur un tas de sable, dans un tel état de rigidité, qu’elle était incapable de le quitter.
Les expériences que nous avons faites sur Mme Hauffe pour rechercher l’action des minéraux furent confirmées de diverses façons, spécialement en plaçant une baguette divinatoire ou un pendule en coudrier dans sa main gauche, qu’elle tenait au-dessus de différentes substances. On put ainsi constater que celles de ces dernières qui n’avaient pas d’action sur Mme Hauffe, n’en avaient pas davantage sur la baguette et vice versa. On aurait pu pousser ces expériences beaucoup plus loin ; par exemple en plaçant ces diverses substances sur le creux de son estomac, si je n’avais pas craint d’agir trop vivement sur sa constitution si excitable.
CHAPITRE VIII
Effets de l’eau Modification de la pesanteur
Mme Hauffe se sentait devenir faible dès qu’elle tenait de l’eau à la main. Pendant le jour, elle ne pouvait prendre aucun liquide sans éprouver des vertiges, mais elle n’éprouvait plus cet inconvénient dès que le soleil était couché. Pendant le jour, elle n’avait jamais soif, quelqu’intense que fût la chaleur. Quand elle était en somnambulisme, elle reconnaissait si j’avais fait des passes sur un verre d’eau, celle-ci lui paraissant plus noire qu’à l’état normal. Quand elle était dans l’état de clairvoyance, elle avait la faculté de me dire, sans jamais se tromper, combien de passes j’avais faites.
Dans cet état, si on la mettait au bain, on constatait des phénomènes extraordinaires. Ainsi on voyait ses membres, sa poitrine et la partie inférieure de son corps, émerger involontairement de l’eau, en vertu d’une élasticité étrange. Les personnes qui la soignaient, faisaient tous les efforts pour maintenir son corps sous l’eau et ne pouvaient y parvenir.
Si, à ce moment, elle était tombée dans une rivière, elle n’aurait pas pu s’y enfoncer plus qu’un morceau de liège.
Cette particularité nous remet en mémoire l’épreuve appliquée aux sorciers, qui, sans aucun doute, étaient le plus souvent des personnes en état magnétique et pouvaient ainsi flotter sur l’eau, contrairement aux lois ordinaires. André Mollers cite une femme qui vivait en 1620 et qui se trouvant en état magnétique, s’éleva soudain de son lit dans l’air, en présence de nombreux témoins et plana dans l’espace à une hauteur de plusieurs mètres, comme si elle allait s’envoler par la fenêtre. Horst, conseiller privé, parle d’un homme dans les mêmes conditions, en présence de plusieurs témoins respectables, s’éleva en l’air, plana au dessus des têtes des personnes présentes, de telle sorte qu’elles coururent derrière lui, afin d’éviter qu’il se blessât lorsqu’il retomberait. On observe un phénomène de même nature chez les somnambules naturels, qui peuvent se maintenir dans les positions les plus périlleuses et se blessent rarement en tombant. Les jongleurs indiens et les malades atteints de la danse de Saint Guy font aussi beaucoup de choses tout à fait contraires aux lois de la pesanteur.
Mme Hauffe, lorsqu’elle sortait de son état de trance, redevenait sensible au poids des corps, et une personne légère, en apparence, pouvait souvent lui sembler plus lourde qu’une autre de dimensions supérieures. Elle avait la notion de poids, indépendamment de la matière et disait qu’il existait une sorte de poids moral. Lorsque je plaçais mes doigts en face des siens, ils étaient attirés comme par un aimant et je pouvais alors la soulever de terre.
On a déjà observé beaucoup de phénomènes analogues, spécialement ceux qui se sont produits sur la tombe du diâcre Pâris en 1724, à laquelle les malades se rendaient en foule, se laissant frappés par des hommes vigoureux, armés de toutes sortes d’instruments, s’étendant sous une planche sur laquelle montait plus de vingt personnes et cela sans douleurs ni blessures, mais même avec profit. On signale encore les mêmes phénomènes dans les épreuves des sorciers au Moyen-Âge, pendant lesquelles des poids énormes étaient employés comme des instruments de torture et dans certains cas n’étaient pas sentis par les victimes. On a aussi rencontré cette suspension des lois de la pesanteur chez des personnes qui avaient mené une vie ascétique rigoureuse et avaient pénétré dans les profondeurs de la vie intérieure .
D’après le témoignage de Sainte Thérèse, Pierre d’Alcantara ne s’accorda qu’une demi-heure de sommeil quotidien pendant quatorze ans, en se tenant assis, la tête appuyée sur une barre. Il ne vivait que de pain et d’eau, qu’il ne prenait que tous les trois et quelquefois huit jours, jusqu’à ce que son corps fût affaibli, au point de devenir transparent et qu’il vît à travers lui comme à travers un voile. Son esprit était en communion constante avec Dieu ; il était fréquemment enveloppé comme d’un nuage lumineux et s’enlevait en l’air. Sainte Thérèse sentit également son âme, puis sa tête et finalement tout son corps enlevé à la terre, et à la vue de toute la communauté, elle flotta au dessus du seuil de la porte.
La vie des Saints contient beaucoup de faits semblables, phénomènes que nous rangeons parmi les fables, parce que nous ne pouvons les comprendre.
Le laurier avait aussi une remarquable action sur Mme Hauffe et cela nous explique son emploi dans les temples de Delphes, d’Esculape… Elle trouvait aussi que le coudrier, dont on s’est tant servi dans le peuple comme moyen de divination, avait un grand pouvoir conducteur de fluide magnétique. J’ai vu moi-même les bras et les mains d’une femme en bonne santé devenir rigides, lorsqu’elle tenait une baguette de coudrier. Il est probable que la modification de nos conditions d’existence et l’usage de violents stimulants de toutes espèces nous rend incapables de ressentir ces délicates influences.
La défense d’éléphant produisait sur Mme Hauffe une sorte de crise épileptique ; ce qui est remarquable, c’est que, chez les anciens, la défense d’éléphant est considérée comme efficace contre cette maladie et que cet animal passe chez les naturalistes comme sujet à l’épilepsie. Cette opinion des anciens concorde donc avec les théories de l’homéopathie. La corne de chamois était aussi considérée comme utile contre la crampe et les Tyroliens de notre temps portent fréquemment des bagues faites avec cette corne et les appellent bagues contre les crampes.
Les verrues de cheval, les dents de mammouth, le bézoard, les toiles d’araignées, les vers luisants, etc.… produisaient tous des effets spéciaux lorsqu’on les plaçait dans sa main. Quelques gouttes d’acide produites par un animal en putréfaction développaient les symptômes qui suivent l’alimentation par des viandes avariées. « Ces effets singuliers, dit Schubert, apportent une vive lumière sur les relations qui existent entre nous et les objets extérieurs. Lorsque la force vitale, encore dans toute son activité, gouverne notre corps, ces influences sont à peine sensibles pour nous. Mais lorsqu’il laisse aller les rênes et que, comme dans le cas de la voyante de Prévorst, cette force se replie au fond de l’organisme, le corps abandonné et susceptible redevient sensible à leurs propriétés cachées. Il est à remarquer que les crampes et les rigidités produites par les minerais, qui étaient très douloureuses à supporter, finissaient souvent par procurer des effets salutaires.
Quelques petits diamants placés dans la main de Mme Hauffe provoquaient une dilatation extraordinaire des pupilles, avec leur immobilité, en même temps que la raideur dans la main gauche et le pied droit. Les effets de toutes les substances étaient beaucoup plus intenses, lorsqu’on les plaçait dans sa main, que quand on les lui faisait prendre soit comme médecine, soit comme nourriture.
Il est certain que notre habitude de prendre des aliments solides et liquides excitants augmentent singulièrement notre sensibilité aux influences extérieures. Lorsque les anciens voulaient soumettre un malade à ces pouvoirs cachés, ils préparaient leur action en le condamnant à une diète sévère. Le système moderne de médecine appelé homéopathique agit de deux façons ; d’abord en écartant tous les excitants, et en suite en donnant à doses répétées des médicaments, dont l’extrême division nous rappelle les expériences dans lesquelles Robert Brown, ayant réduit à l’état le plus impalpable les parties d’un corps, percevait chez elles ce qui lui paraissait être les mouvements spontanés et indépendants d’un être vivant. Il semblerait que ces substances délayées dans l’eau, ont une action électrique sur l’épiderme, comme c’était le cas pour la voyante de Prévorst, au lieu d’agir, comme le font ordinairement les médicaments, par assimilation par les voies intestinales. Aussi longtemps que les atomes seront agglomérés en une masse, ils n’obéissent guère qu’aux lois de la cohésion ; leur extrême division, en les exposant aux influences électriques, leur donne un mouvement qu’un microscope délicat permet de découvrir.
Est-ce que la pensée que nos corps, ainsi que des instruments à cordes délicats, vibrent au moindre souffle qui les effleure, n’est pas faite pour nous attrister ? Nos joies et nos peines, souvent aussi notre volonté, sont soumises à l’influence de causes tout à fait imperceptibles pour nous et dont nous sommes incapables d’éviter les subtiles effets. Mais il semble bien évident, quand on réfléchit sérieusement, que les relations entre notre âme et notre corps sont toutes différentes de celles qu’elle entretient avec le monde extérieur. De même que l’oiseau dans sa cage est excité à donner toute sa voix par les bruits et le tapage qui l’entourent, ainsi se comporte l’homme entretenu et fortifié par la variété des influences qui l’assaillent de toutes parts. Les vents tumultueux refroidissent ses organes respiratoires ; aliments solides et liquides lui donnent de la vigueur ; mais c’est la faculté directrice de l ‘âme qui diminue en proportion de l’intensité d’action des agents précédents.
Lorsque dans le palais du roi, le jeune prisonnier prie le maître d’hôtel de lui donner des racines et de l’eau, au lieu de la nourriture choisie et des vins de la table du roi ; le maître d’hôtel, craignant la colère de son maître, borne sa condescendance à très peu de jours, de crainte que sous l’influence de ce maigre régime les traits de l’enfant ne semblent plus émaciés que ceux de ses compagnons. Mais, hélas ! Les jours se sont écoulés, l’enfant semble plus beau et mieux portant que tous les autres : aussi Melzar rejette les mets et les boissons recherchés et leur donne à tous de l’eau et des végétaux . Ainsi la source de toute abondance et de toute nourriture de l’homme intérieur, aussi bien que de l’homme extérieur, ne se trouve pas où nous la cherchons ; elle gît au fond de notre nature spirituelle, là où les mauvaises influences externes ne peuvent l’atteindre pour la troubler ou la tarir.
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CHAPITRE IX
Effets des substances impondérables
La lumière du soleil produisait sur Mme Hauffe des effets physiques variés. Elle lui donnait entre autres, des douleurs de tête ; et pendant son sommeil elle demandait que l’on plaçât une glace au creux de son estomac, lorsqu’elle se trouvait exposée à cette lumière, qu’elle pouvait alors supporter, car l’on augmentait ainsi son isolement. Les diverses couleurs du prisme avaient aussi chacune son effet particulier. La lumière de la lune ne l’affectait pas lorsqu’elle ne la regardait pas ; sinon elle éprouvait de la mélancolie et un frisson de froid. Elle était extrêmement sensible à l’orage, percevait les éclairs qui nous restaient tout à fait invisibles et voyait les autres avant nous. Lorsque l’atmosphère était chargée d’électricité, si on la touchait du doigt elle voyait de petits éclairs qui montaient vers le plafond ; ces éclairs, chez les hommes, étaient incolores, tandis qu’ils étaient bleus chez les femmes. Elle percevait aussi des effluves de même nature et offrant autant de variétés, sortant des yeux des diverses personnes. Elle ne pouvait boire l’eau provenant d’une pluie d’orage, à cause de la chaleur que cela provoquait en elle. Mais en autre temps cela lui était agréable. Comme on doit bien le penser, l’électricité sous toutes ses formes l’affectait profondément.
Mme Hauffe ne pouvait vivre sans laisser la fenêtre ouverte ; elle disait qu’elle tirait de l’air des principes vivifiants. Elle était d’avis que ce n’était pas simplement un acte de superstition d’ouvrir la fenêtre au moment du départ de l’âme, mais que cela facilitait son dégagement. Elle croyait aussi qu’il se trouvait dans l’air certains principes dont les esprits se servaient pour se rendre visibles et se faire entendre des mortels. Elle croyait que ces substances pouvaient être nuisibles aux autres, mais que leurs effets n’étaient perçus que par elle seule. Jamblique croit que l’âme au moment de son départ est entourée d’une enveloppe d’air, qui garde toutes les formes de la personne. Paracelse affirme que l’homme ne se nourrit pas seulement par l’estomac, mais aussi par tous ses membres, qui extraient leur nourriture des quatre éléments dont l’air est formé.
Mme Hauffe est extrêmement sensible à toutes les maladies contagieuses ou épidémiques. Plus elle s’élevait dans l’espace, plus son état devenait anormal et magnétique ; ceci se remarquait même pour les divers étages d’une maison. Dans une vallée elle se sentait oppressée, appesantie et sujette aux convulsions. Elle était très affectée par le vent, surtout lorsqu’il soufflait en bourrasque et, quoique renfermée dans une chambre, elle pouvait dire de quel point il soufflait.
La musique plongeait souvent Mme Hauffe dans l’état somnambulique ; elle devenait clairvoyante et parlait en vers. Elle me demandait de magnétiser aux sons de la harpe juive, l’eau qu’elle buvait et même lorsqu’elle buvait de l’eau ainsi magnétisée sans qu’elle en eût connaissance, elle commençait aussitôt à chanter. Le prophète Elisée nous fournit un exemple de l’excitation de la vie intérieure par la musique : « Lorsqu’il fut amené devant le roi d’Israël, il lui demanda de faire venir un musicien et dès que celui-ci fit vibrer les cordes, la main du Seigneur descendit sur Elisée et il prophétisa. »
CHAPITRE X
Ce que la voyante apercevait dans les yeux humains
Lorsque Mme Hauffe regardait dans l’œil droit d’une personne, derrière sa propre image réfléchie, elle en voyait une autre, qui n’était évidemment ni la sienne ni celle de la personne dans l’œil de laquelle elle regardait. Elle croyait que c’était le portrait de la personnalité spirituelle de cette personne. Chez beaucoup cette image interne se produisait plus nette que l’externe ; d’autre fois c’était le contraire. Ceci annonçait le caractère de la personne ; et chez un grand nombre cette image était beaucoup plus belle et plus pure que l’autre. Si elle regardait dans l’œil gauche, elle voyait aussitôt de quelle maladie interne souffrait cette personne, soit de l’estomac, des poumons, ou de tout autre organe et elle faisait les descriptions en conséquence. Dans mon œil gauche elle lut les prescriptions qui étaient indiquées pour elle-même. Dans celui d’un homme qui n’avait que cet œil gauche, elle vit tout à la fois sa maladie interne et l’image de sa personnalité intérieure. Dans l’œil droit d’un animal, chien, oiseau, elle vit une flamme bleue, sans doute sa partie spirituelle ou âme. A ce sujet, Schubert fait cette observation : « Nous voyons souvent, dans les yeux d’un animal, des reflets d’un monde caché et secret, qui comme à travers une porte, met en communication l’autre monde avec le nôtre. Fréquemment dans les yeux d’un animal expirant, inutilement mis à mort ou torturé par la main de l’homme, nous voyons une expression de sa conscience intime qui se prépare à porter témoignage contre nous dans un autre monde. »
Elle disait que ce n’était pas avec son œil charnel, mais avec cet œil spirituel qu’elle portait en dedans d’elle-même, qu’elle voyait la seconde image dans les yeux des autres et qu’elle voyait les esprits. C’était par cet œil intérieur que Jacob Boehm regardait toute la création et reconnaissait les essences usages et propriétés des plantes, etc.… Les regards de certaines personnes plongeaient immédiatement Mme Hauffe dans l’état somnambulique. Les bulles de savon, les verres, les miroirs provoquaient sa vue spirituelle. Un enfant ayant gonflé une bulle de savon, elle s’écria : « Ah, Mon Dieu ! J’ai vu dans la bulle de savon tout ce à quoi j’ai pensé, quelque lointain que ce soit, et non dans un court moment, mais dans toute ma vie et cela m’effraye ! » Je fis alors une bulle de savon et lui demandai de chercher à voir son enfant, qui était alors fort loin d’elle. Elle me dit qu’elle le voyait dans un lit et cela lui fit un vif plaisir. Une autre fois elle vit ma femme, qui était dans une autre maison et décrivit avec précision l’endroit où elle était à cet instant, ce dont je m’assurai aussitôt avec soin. Ce n’était cependant qu’avec difficulté qu’on la décidait à regarder dans les bulles de savon. Elle paraissait tremblante et craignait de voir quelque chose qui aurait pu l’effrayer. Dans une de ces bulles elle vit une fois un petit cercueil placé devant une maison voisine. A ce moment il n’y avait aucun enfant malade, mais peu après la femme qui habitait là vint à accoucher. L’enfant ne vécu que quelques mois et Mme Hauffe le vit emporter dans un cercueil. Si nous voulions qu’elle se rappelât les songes qu’elle avait oubliés, il suffisait de la faire regarder dans une bulle de savon et ils se représentaient à sa mémoire. Elle voyait souvent dans un verre d’eau les personnes qui allaient arriver chez elle. Mais lorsque invitée à essayer cet ordre de divination, elle le faisait à contrecœur, elle se trompait quelquefois.
CHAPITRE XI
Vision par le creux épigastrique
Les phénomènes suivants rappellent la faculté qu’ont les somnambules de lire ce qu’on leur pose sur l’estomac, ou d’en prendre encore connaissance par le simple toucher. Je donnai à Mme Hauffe deux morceaux de papier soigneusement pliés. Sur l’un j’avais écrit secrètement : « Il y a un Dieu. » sur l’autre : « Il n’y a pas de Dieu. » Je les plaçai dans sa main gauche, lorsqu’elle était manifestement éveillée et je demandai si elle ne sentait aucune différence entre eux. Après un instant elle me rendit le premier en disant.» Celui-ci me produit une certaine sensation ; l’autre ne me laisse que du vide. » Je répétai quatre fois l’expérience et chaque fois avec le même résultat. J’écrivis alors sur un fragment de papier : « Il y a des spectres. » et sur l’autre : « Il n’y a pas de spectres. » Elle posa le premier sur le creux épigastrique ; elle tint l’autre dans la main et les lut tous deux. J’écrivis alors : « Vous avez vu B… » Lorsqu’elle le posa sur le creux de l’épigastre, elle dit que cela lui causait de l’ennui. Cependant, lorsque plus tard, elle lut le contenu, elle ne put se rendre compte de cet effet, quoique l’expérience renouvelée ait encore amené le même résultat. Quelques années plus tard, lorsque je plaçai dans sa main une lettre fermée de cette même personne, le résultat fut encore le même, quoiqu’elle eut aucune idée de ce que cela pouvait être. La présence de cette personne produisit des effets identiques. Un certain nombre d’expériences intéressantes, faites dans le même sens, m’ont donné la conviction que les écrits et les dessins placés sur le creux de son estomac produisaient des effets appréciables, variant avec leur nature.
De bonnes nouvelles de son enfant la faisaient rire, les mauvaises la rendaient triste. Le nom d’une personne ennemie excitait sa colère, celui de Napoléon éveillait des idées martiales et elle chantait une marche.
Quelque étrange que soient ces résultats, les expériences répétées n’ont fait que les confirmer, et quoique ce soit difficile à croire, ce sont cependant des faits positifs. Comme cela arrive ordinairement avec des somnambules, Mme Hauffe avec la faculté de distinguer nettement les organes internes du corps, surtout lorsqu’ils étaient malades. Elle voyait parfaitement le trajet des nerfs et pouvait les décrire anatomiquement.
Une baguette magnétique avec une pointe en fer, placée devant son œil droit et dirigée vers un objet éloigné, développait son pouvoir d’une façon extraordinaire : ainsi les plus petites étoiles lui semblaient aussi grosses que la lune et la lune paraissait si grande, qu’elle pouvait voir clairement ses diverses taches. Mais elle ne put jamais en voir que le côté droit, le gauche lui restait invisible. Elle disait que les habitants du côté gauche de la lune étaient tout absorbés par leurs constructions et n’étaient pas aussi heureux que ceux du côté droit. Je lui dis que je pensais que ce n’était qu’un rêve ; mais elle protesta, ajoutant que son état somnambulique était un état de veille parfaite. Il est vraiment bien regrettable que ces expériences aient été faites à une époque où la voyante était incapable de sortir de son lit et ne pouvait plus se livrer à une observation prolongée des corps célestes.
Lorsqu’elle rencontrait une personne qui avait perdu un membre, elle continuait encore à voir le membre attaché au corps. C’est-à-dire qu’elle voyait la forme du membre produite par la projection du fluide nerveux, de la même façon qu’elle voyait les formes fluidiques des personnes décédées. Cet intéressant phénomène nous permet peut-être d’expliquer les sensations éprouvées par les personnes qui sentent encore le membre qui a été amputé. L’invisible forme fluidique du membre est encore en rapport de continuité avec le corps physique et ceci nous prouve suffisamment qu’après la destruction de l’enveloppe visible, la forme est conservée par le fluide nerveux. Le vieux Théosophiste Oettinger dit : « L’enveloppe terrestre reste dans la cornue, tandis que la partie essentielle et volatile monte comme un esprit de forme parfaite, mais privé de matière. »
CHAPITRE XII
L’esprit protecteur
Mme Hauffe avait un guide spirituel invisible, comme tous les somnambules et beaucoup d’autres personnes qui ont cultivé leur être intérieur. Socrate et beaucoup d’autres se sont crus sous la direction d’un esprit. Ce génie ou démon les avertissait non seulement des dangers qui les menaçaient eux-mêmes, mais aussi de ceux qui menaçaient les autres : il leur révélait l’avenir et leur dictait leur ligne de conduite.
La femme décédée d’un respectable citoyen d’Heilbronn avait constamment près d’elle un esprit, qui non seulement la prévint de plusieurs dangers menaçants, mais la prévenait des visites qu’elle allait recevoir de ses amis, aussi bien des décès qui allaient se produire dans sa famille et finalement du sien propre. Il se rendit une fois visible pour elle et ce fut sous l’apparence d’un vieillard. Sa présence était sentie non seulement d’elle-même, mais aussi des autres ; et lorsqu’elle causait avec lui, ils sentaient l’air agité comme par la respiration. Beaucoup de témoins encore vivants et parfaitement dignes de foi peuvent attester un grand nombre de faits concernant ce dernier phénomène.
Une jeune fille, nommée Ludwiger avait tout à fait perdu l’usage de la parole et était paralysée de tous ses membres, dans sa première enfance. Sa mère, à son lit de mort, confia à ses autres sœurs le soin d’élever cette enfant sans appui et elles remplirent ponctuellement leur devoir, jusqu’au jour du mariage de l’une d’elles, où elles oublièrent leur protégée. Mais, au milieu des fêtes nuptiales, les trois jeunes femmes se rappelèrent subitement leur abandonnée et se rendirent en hâte près d’elle. Elles l’a trouvèrent debout, à leur profonde surprise, et apprirent de sa bouche que sa mère était venue et lui avait donné à manger. Ce fut la seule fois qu’on l’entendit parler pendant toute sa maladie et peu après elle mourut.
« Parfois, dit Jamblique, un esprit invisible erre autour des personnes endormies, pour éloigner d’elles les souffrances de l’âme et du corps et quelquefois, lorsque nous sommeillons ou pendant des songes que nous envoie le ciel, nous entendons une voix faible qui nous indique ce que nous devons faire. »
J’ai connu un campagnard qui, pendant de longues années, guérissait les maladies par les passes ou le massage. Voici, d’après son propre récit, comment il y fut amené. Dans sa trente-neuvième année, il fut atteint d’une douleur atroce au dessus de l’œil droit, qui lui rendit tout travail impossible et contre laquelle échouèrent tous les remèdes. Dans une occasion, la douleur ayant persisté pendant trois jours, il pria Dieu avec ferveur de le soulager : c’est alors qu’un fantôme lui apparut, fit avec le pouce sept passes et fut bientôt entièrement guéri.
Dans la collection des essais de Horst sur la sorcellerie, nous lisons qu’une jeune fille était depuis longtemps affectée de claudication, par suite d’une déformation d’un os. On n’avait rien trouvé d’efficace, lorsqu’une nuit, l’os se redressa de lui-même. L’enfant éveilla sa mère et son frère, leurs demandant s’ils n’avaient pas vu ou entendu l’ange qui s’était trouvé avec elle. Il lui avait semblé que quelque chose avait heurté son os. Après quoi il s’était redressé et depuis ce temps-là toute claudication avait disparu.
Elle ne put jamais parler sans une profonde émotion de l’apparition de son esprit protecteur, sa grand-mère Schmigall, qui était son guide constant et visible. Elle ne parlait cependant qu’avec beaucoup de répugnance de toutes les apparitions et communications du monde des esprits et ne le faisait jamais sans en être sollicitée. Sauf les cas où cela se produisait par hasard, ou lorsqu’on la pressait de faire des révélations, nous n’entendions jamais parler de ces choses, d’un si grand intérêt cependant. Les communications troublaient sa santé et ses pensées ; mais pour toutes les personnes dignes de foi qui ont appris à la connaître, sa loyauté et son absolue conviction sont incontestables.
A l’époque où la faculté de voir les esprits était dans toute son activité chez elle, elle se croyait à l’état de veille. Mais en réalité elle était dans cet état particulier que nous avons nommé sa vie intérieure. Sa grand-mère lui apparaissait toujours sous la forme qu’elle avait pendant sa vie, mais avec des attributs différents. Elle semblait porter une robe avec une ceinture et, sur sa tête, on voyait quelque chose comme un voile qui couvrait les cheveux et retombait sur les oreilles. Tous les esprits du sexe féminin, sans exception, portaient cette coiffure.
Nous avons dit plus haut comment lui était paru, une fois, qu’elle était magnétisée par son esprit protecteur et comment avait été écartés les objets dont le voisinage lui était nuisible. Ceci arriva encore ici, à Weinsberg, à trois heures du matin. Après l’avoir magnétisée, l’esprit lui demanda de se lever et d’écrire, ce qu’elle fit, et lui dit que cet écrit devait rester comme une instruction pour son médecin, pour la façon de la magnétiser. Mme Hauffe pria l’esprit de la magnétiser toujours, mais l’esprit lui répondit : « Si j’avais le pouvoir d’agir ainsi, vous auriez bientôt la possibilité de quitter votre lit et de marcher ! »
Comme cela c’était déjà présenté à une période précédente, elle voyait souvent une forme spectrale derrière la personne à laquelle elle parlait. Souvent c’était l’esprit protecteur de cette personne ou encore l’image de son être intérieur. Ainsi, derrière une femme qu’elle n’avait jamais vue auparavant, elle vit une fois une forme vaporeuse, avec des membres minces et des mouvements agités. Il fut reconnu que cette femme était d’un naturel extrêmement inquiet.
Une autre fois, elle regardait par la fenêtre, une personne inconnue vint à passer et la salua, mais elle recula brusquement et lorsque je lui en demandai la raison, elle me dit que derrière cette femme qui venait de passer, elle avait vu une forme d’homme d’un aspect désagréable et vêtu de noir. Je regardai dehors et je reconnus une femme d’un caractère très mauvais et querelleur, qui venait cependant de loin et était absolument étrangère à Mme Hauffe.
Derrière une jeune servante qui vivait chez moi, elle vit souvent la forme d’un jeune garçon d’environ onze ans. Je demandai à cette servante si elle avait un parent de cet âge et elle me dit que non. Cependant, plus tard, elle me dit qu’en réfléchissant à la question, elle s’était rappelée que son frère, mort à l’âge de trois ans, en aurait eu exactement onze. Cette apparente augmentation d’âge de l’esprit reparaîtra de temps à autre. « Il sera un jour démontré, dit Kant dans le songe d’une voyante, que même dans cette vie, l’âme humaine est en communication constante avec le monde spirituel, et qu’ils sont susceptibles de s’impressionner réciproquement ; mais pendant tout le temps que tout va bien, ces impressions passent inaperçues. »
CHAPITRE XIII
Songes prophétiques
Un jour, Mme Hauffe, qui se trouvait alors très mal, dit à une femme fort sensible, qui était sur le point de la quitter : « Si vous rêvez cette nuit ce qu’il vaut mieux que je fasse, je le ferai. » Cette dame rêva que, passant de sa chambre dans une plus grande, elle avait vu plusieurs flacons d’eau ferrugineuse et que Mme Hauffe lui avait fait signe de lui en donner un, sur lequel était écrit : « Eau Fachinger ». Ce qui est plus extraordinaire, dans la même nuit, Mme Hauffe avait fait le même rêve. Elle suivit l’indication et le résultat fut tel qu’elle l’avait désiré.
Une nuit, elle rêva qu’elle voyait la fille aînée de son oncle sortir de la maison, avec un petit cercueil sur la tête ; sept jours plus tard, son propre enfant, âgé d’un an, dont personne à ce moment ne soupçonnait aucunement la maladie, mourut. En s’éveillant elle avait raconté ce songe à moi et à d’autres. Une nuit, elle rêva qu’elle traversait l’eau, tenant dans la main un morceau de viande altérée et que, rencontrant Mme N…, cette dernière lui avait demandé avec inquiétude ce qu’elle allait faire de cela. Lorsqu’elle nous fit connaître ce songe, nous fûmes incapables de l’interpréter. Sept jours après, Mme N… accouchait d’un enfant mort, dont le corps était déjà en état de décomposition. Une autre nuit, elle rêva que Mme L…, qu’elle n’avait jamais vue ni connue, venait à elle en pleurant et portant un enfant mort dans ses bras, en lui demandant secours. Six semaines plus tard, cette dame accouchait, après beaucoup de souffrances et de dangers et elle perdait son enfant.
Une nuit, comme elle dormait chez moi, à l’étage inférieur, elle rêva que dans le réservoir d’eau situé à l’étage supérieur, où elle n’avait jamais été, il y avait quelque chose qui ne devait pas s’y trouver. Elle me raconta ce rêve et le lendemain soir, je vidai ce réservoir et y trouvai une vieille aiguille à tricoter toute rouillée. Mme Hauffe avait bu de l’eau de ce réservoir immédiatement avant de se coucher et il est probable que son extrême sensibilité à l’action des métaux avait provoqué ce songe.
Dans la nuit du 28 janvier 1828, Mme Hauffe rêva que se trouvant dans une île déserte, elle avait vu son fils décédé, entouré d’une lumière céleste, avec une couronne de fleurs sur la tête et tenant à la main une baguette couverte de bourgeons. Il disparut et me vit aussitôt soignant un homme qui saignait ; et ceci fut suivi par une troisième vision d’elle-même, atteinte de spasmes violents, tandis qu’une voix lui disait que j’allais arriver. Elle me raconta ce rêve dans la matinée du 29. Le trente j’étais appelé près d’un homme blessé dans la poitrine et la même nuit j’étais appelé chez elle et la troisième vision se confirmait ainsi. Nous ne savons si un événement permit d’interpréter l’apparition de son fils.
Je vais donner un exemple de sa connaissance de l’avenir, en dehors des songes et lorsqu’elle était en somnambulisme. Le 6 juillet 1827, après être restée quelques temps inerte, elle dit : « Je vois N… dans la lune, quoiqu’il habite encore sur terre, mais je l’y vois comme s’il y avait été précédemment. Dans trois mois il mourra et mon père sera le premier à apprendre sa mort. » Cette personne qui était alors en parfaite santé, mourut à l’époque indiquée et le père de la voyante fut le premier à le savoir.
Voici un remarquable songe prophétique de W. Reiniger de Stuttgard, qui se noya dans le Neckar et qui, comme il ressort de son journal, avait beaucoup développé sa vie intérieure. Il écrivit dans son journal, tombé après sa mort entre les mains de ses parents, qu’il se rappelait avec épouvante un songe que son père lui avait raconté. Le père rêva qu’il traversait une rivière, tenant son fils par la main, lorsqu’il vit tout à coup celui-ci s’enfoncer sans secours possible. Le jeune homme ajoute : « Si je ne me trompe pas, j’ai eu un rêve analogue et la scène est encore présente à ma mémoire, avec tous ses détails. Mon père l’aura sans doute oublié. » On voit par son journal, que peu après sa mort, il souffrit pendant plusieurs nuits d’une angoisse étrange et inexplicable, et qu’il eut, en outre, un songe inquiétant, dont il n’a malheureusement pas noté les détails. Il avait probablement trait à sa fin prochaine. Il se noya en prenant un bain dans le Neckar, où il était allé à contre cœur.
CHAPITRE XIV
Seconde vue
Il est bien connu que le don de seconde vue est très répandu dans certaines localités, comme quelques parties de l’Ecosse et du Danemark, par exemple. On a remarqué que ceux qui ont le don de seconde vue, ont un regard perçant comme on l’a constaté chez Mme Hauffe, lorsqu’elle voyait des esprits ou son propre double. Au moment où le phénomène se produit, le corps du voyant devient rigide ; les paupières sont largement ouvertes et il est aveugle et sourd pour tout ce qui l’entoure, comme l’était aussi Mme Hauffe. Si le voyant, au moment de la seconde vue, touche une autre personne ou un animal, cette personne ou cet animal peuvent être également sujet au même phénomène. Un cheval se couvre de sueur et refuse d’avancer au moment où son cavalier a une vision ; parfois même, il arrive parfois que les chevaux perçoivent des choses qui échappent à leur cavalier. Souvent aussi, des chevaux ont éprouvé un trouble profond, au moment où ils passaient à un endroit où un corps est enterré. En 1823, on construisit une nouvelle écurie au château de Schmiedelfeld et le cheval qu’on y plaça donna les signes de la plus grande détresse : plus tard on y découvrit un squelette à cet endroit. En Ecosse, beaucoup pensent que le don est héréditaire, mais il n’en est pas toujours ainsi.
On cite le remarquable exemple du don de seconde vue de la femme d’un ministre à Niemberg, qui avait reçu de son père ce don malheureux.
Le 13 janvier 1827, Mme Hauffe avait été prise de spasmes à une heure tout à fait inaccoutumée, je m’efforçai de lui faire révéler la cause de cet incident. Dès qu’elle fut en somnambulisme elle me dit qu’elle avait vu une bière dans laquelle était étendue une personne qui lui était très chère ; c’était son frère, qu’un grand danger menaçait. Il devait être frappé le 18 de ce même mois ; elle indiqua le moyen d’éviter le danger et décrivit l’assassin. Il en arriva comme elle l’avait prévu ; mais le coup de feu ne l’atteignit pas. Quelques temps après ; elle eut un autre rêve à propos de son frère : à plusieurs reprises elle vit un renard pendant son sommeil magnétique et elle acquit la notion qu’en chassant cet animal, il serait mis en grand danger par la charge de son fusil. Son frère fut averti, inspecta son arme et trouva qu’une main ennemie l’avait chargée jusqu’à la gueule, il put ainsi éviter le danger. On peut admettre qu’elle était en étroit rapport avec son frère, qui l’avait souvent magnétisée.
Le 8 mai, à sept heures du matin, elle demanda à sa sœur de ne pas approcher de son lit, car elle sentait l’approche de quelque chose d’invisible. Il y avait une heure qu’elle était sous cette impression, lorsqu’en déjeunant elle vit l’enfant qu’elle avait perdu se tenir près de son lit et, à côté de lui, son enfant encore vivant, qui demeurait alors loin d’elle. Le mort regardait le vivant avec persistance et le montrait du doigt. Ce dernier avait à la main une épingle qu’il portait à sa bouche. Les enfants paraissaient si nettement et si réels, qu’elle avança la main pour retirer l’épingle. Elle s’écria ; « Au nom de Dieu ! Qu’est-ce que cela ? » Et aussitôt, la vision disparut. L’enfant qui était mort à l’âge de neuf mois, paraissait maintenant âgé de trois ans, âge qu’il eût eu à ce moment s’il avait vécu, mais il semblait brillant et transparent. L’aspect des deux était étrange ; c’était quelque chose impossible à décrire. Cette vue l’affecta profondément et elle se mit à pleurer. Elle dit ensuite qu’à sept jours de là l’enfant devait avaler une épingle et en mourir, mais que les parents chez lesquels il se trouvait devaient le garantir contre ce danger. C’est ce qui arriva : ils écrivirent qu’en examinant l’enfant, ils avaient trouvé une épingle sur sa manche et l’avaient enlevée.
Pendant les trois journées successives qui précédèrent la mort de son père, à un moment où on n’avait encore reçu aucune nouvelle de sa maladie, étant à l’état de veille, elle vit près de son lit un cercueil recouvert d’un drap mortuaire sur lequel était tracé une croix blanche. Elle en fut vivement alarmée et dit qu’elle craignait que son père fût mort ou malade. Je cherchai à la rassurer en lui suggérant que cela pouvait désigner quelqu’autre personne. Elle ne savait comment interpréter la production de ce cercueil fermé, car, jusque là, elle avait vu les cercueils avec l’apparence de la personne qui devait mourir couchée dedans, ou avec l’apparence de la personne qui devait être malade regardant l’intérieur. Le 2 mai, dans la matinée, arriva la nouvelle de la maladie de son père, qui mourut dans la soirée du même jour. Pendant son sommeil elle était très anxieuse et nous fit comprendre qu’elle voyait quelque chose de pénible, mais elle ne voulut pas nous le dire, afin qu’on ne lui rappelât pas à son réveil. Le lendemain arriva la nouvelle de la mort. Trois fois étant éveillée, elle vit sa belle-mère regarder dans un cercueil. Sept jours après cette dame tomba malade, mais se rétablit. Lorsque Mme Hauffe voit le fantôme d’une personne étendue morte dans un cercueil, cela annonce une mort prochaine ; si le fantôme semble vivant, c’est une grave maladie qui est prédite.
CHAPITRE XV
Extériorisation du corps fluidique
Dans cette même journée du 2 mai dont nous parlons ci-dessus, vers neuf heures du soir, Mme Hauffe, pendant son sommeil, s’écria : « Ah ! Dieu ! » Puis s’éveilla comme secouée par sa propre exclamation. Elle dit alors qu’elle venait d’entendre deux voix sortir d’elle-même. A l’heure même où ce fait se produisait, le Dr Fohr, de Bottwar, le médecin qui avait donné ses soins au décédé, se trouvant avec un oncle de Mme Hauffe dans une chambre voisine de celle où gisait le corps entendit les mots : « Ah, Dieu ! » si distinctement, qu’il alla voir qui était là, mais ne trouva que le corps. Le Dr Fohr m’écrivit à ce propos : « Après mon arrivée à Oberstenfeld où je trouvai M. W.. mort, j’entendis distinctement, de la chambre voisine, où se trouvait le cadavre, les mots : « Ah ! Dieu ! » Je pensai qu’ils sortaient de la bière et que M. W… était seulement en état de mort apparente. Je le veillai pendant une heure, jusqu’à ce que je fusse convaincu qu’il était bien réellement décédé. L’oncle n’entendit rien. Il est certain qu’il n’y avait personne dans la partie de la maison d’où venait la voix.
Elle expliquait ceci en disant que son désir intense de savoir comment allait son père avait permis à son âme d’accompagner son fluide nerveux jusqu’à l’endroit où il gisait et que son sentiment et ses pensées étant énergiquement fixés sur le médecin et ses capacités, il en était résulté que celui-ci avait pu entendre l’exclamation poussée par l’âme sur la bière, qu’elle répéta en reprenant son corps, lorsque je l’entendis moi-même.
Comme ses parents m’avaient dit, une année avant la mort de son père, qu’au début de son état magnétique, elle pouvait se faire entendre de ses amis, la nuit, lorsqu’ils étaient couchés dans le même village, mais dans des habitations différentes, par des coups frappés comme on le rapporte du décédé ; je lui demandai pendant son sommeil si elle pouvait encore le faire et à quelle distance ? Elle me répondit qu’elle le pourrait encore quelquefois et que la distance n’existait pas pour l’esprit. Peu après cela, nos enfants et les domestiques étant déjà endormis, nous entendîmes, au moment de nous coucher, un coup paraissant frappé dans l’air au dessus de nos têtes. Six coups furent ainsi frappés à une demi-minute d’intervalle. C’était un son creux mais net, doux et bien distinct. Notre maison est tout à fait isolée et nous étions bien certains que les bruits ne pouvaient provenir d’aucune personne près de nous ou au-dessus de nous. Le lendemain soir, lorsqu’elle fut endormie, quoique je n’eusse parlé de ce fait à qui que ce fût, elle me demanda si je voulais qu’elle frappât de nouveau pour nous ? Comme elle ajouta que cela l’épuisait, je refusai. Elle me dit ensuite que ces coups étaient produits dans l’air par l’esprit et non par l’âme ; mais que la voix entendue près de la bière de son père s’était produite lorsque son âme avait quitté son corps, en même temps que l’esprit, sous l’influence des sentiments intenses qui l’animaient.
Ces phénomènes ne nous surprendront pas, si nous voulons nous rappeler que les mourants, lorsque l’esprit est déjà sorti, mais que l’âme est encore attachée au corps, ont la faculté d’apparaître, avec leurs traits caractéristiques, à des amis éloignés. C’est ainsi qu’un parent de mon ami, le Dr Seyffer, lui apparut, au moment de sa mort et que le prince Hohenlohe apparut au Dr Oesterler, son collègue à l’académie. Je tiens de personnes absolument dignes de foi le fait remarquable suivant. M. Hübschmann, de Stuttgard, avait son père en Bothnie et un frère à Strasbourg. Or, il arriva qu’un matin, au lever du jour, les enfants de M. Hübschmann l’éveillèrent en criant : « Grand-père, grand-père, grand-père est arrivé ! » M. Hübschmann regarda partout et ne vit rien. Il interrogea ses enfants, qui lui affirmèrent de façon absolue que leur grand-père était bien là, mais qu’ils ne savaient pas où il était allé. Quelques jours plus tard, M. Hübschmann, reçut une lettre de son frère, lui demandant avec inquiétude s’il n’avait pas quelque nouvelle de leur père, car une circonstance récente l’avait très vivement alarmé. En effet, tel jour et à telle heure, qui correspondait avec le moment où les enfants avaient poussé l’exclamation signalée plus haut, il avait rencontré leur père au moment où, le matin, il entrait dans son atelier. Huit jours après, arriva la nouvelle de la mort du vieillard. Il était mort au moment précis où il était apparu à sa famille à Stuttgard et à Strasbourg.
Le Dr Bardili, jeune homme plein de talent, qui s ‘était rendu en Amérique, s’était voué à l’étude des langues et des mathématiques et, au témoignage de ses amis, n’était nullement disposé à ajouter foi aux choses spirituelles, dit dans la dernière lettre qu’il leur écrivit et qui est encore en leur possession : « Il vient de m’arriver la chose la plus extraordinaire : mon ami Elwert, qui mourut en Wurtemberg, il y a neuf ans, m’est apparu et m’a dit : Tu mourras bientôt ! et ce qui est plus étrange, c’est que le jour de son apparition était précisément le jour anniversaire de sa propre mort. » Peu après avoir écrit cette lettre, le Dr Bardili mourut d’une façon tout à fait inattendue.
Mme Hauffe me raconta que peu de temps auparavant, elle s’était vue assise sur un tabouret, en costume blanc, tandis qu’elle était étendue dans son lit. Elle fixa les yeux sur cette apparition et voulut crier, mais elle ne le put ; pendant qu’elle faisait ces efforts, tout s’évanouit graduellement. Elle dit à cette occasion que son âme quittait son corps, prenait une forme aérienne, tandis que l’esprit restait en elle. Le 28 mai 1827, à minuit, tandis que j’étais près d’elle, elle se vit de nouveau, comme précédemment, assise sur un tabouret, couverte de vêtements blancs qu’elle possédait bien mais qu’elle ne portait pas alors.. Elle essaya de crier, mais il lui fut impossible de parler ni de se mouvoir et ne voyait rien autre chose que ce qui venait de fixer ses regards. Pendant qu’elle regardait ainsi, son intelligence n’était absorbée que par une idée, qu’elle n’avait jamais eue jusque là et qu’elle exprimait de la façon suivante : Un jour passé dans le ciel vaut des milliers passés ici sur terre. Le fantôme se leva et vint vers elle ; au moment où il arrivait à elle, un choc électrique parcourut tout son corps, comme je le constatai. Elle poussa un cri de frayeur et me racontait ce qu’elle venait de voir. Elle se vit encore dans d’autres occasions. Une fois entre autres, comme je m’en étais aperçu, je passai entre elle et le fantôme et elle me dit ensuite qu’en agissant ainsi, je lui avais causé une forte sensation, comme s’il lui eût semblé que je la séparais violemment de son âme.
Je ne dirai rien ici au sujet de cette vue d’elle-même ni des cas où le fantôme fut visible pour les autres. Tous ces phénomènes ne sont que des exemples de double vue.
CHAPITRE XVI
Les formules magiques de la voyante
Mme Hauffe considérait le nombre sept comme lui étant spécial et elle le faisait entrer dans toutes ses prescriptions de remèdes, etc.. Pour elle encore, la septième heure du jour était particulièrement critique. Le nombre, disait-elle, fait partie de mon être, comme un langage (nous parlerons plus loin de ce dernier). Si j’avais eu le nombre trois, j’aurais été beaucoup plus vite soulagée.
De même que Paracelse, elle attribuait une vertu spéciale à l’herbe de St Jean, l’hypericum perforatum, plante dont elle se servait, tant à l’intérieur, que comme amulette. Un jeune homme, atteint d’une profonde mélancolie, auquel Mme Hauffe avait prescrit de porter cette plante en guise d’amulette, fut entièrement guéri, à la suite d’une grave éruption, qui suivit chez lui cette application.
Ainsi que tous les somnambules, Mme Hauffe ne tirait pas ses remèdes seulement de l’officine du pharmacien, mais aussi de toute la nature ; témoin cette prescription d’un onguent à la base de verrues de cheval, pour fortifier l’épine dorsale. Ses prescriptions concordaient souvent avec le système homéopathique. Elle prescrivait, à faibles doses, des substances qui, à doses élevées, auraient provoqué les symptômes qu’il fallait combattre. Dans certains cas, ses ordonnances étaient purement magiques. Ainsi, une fois, elle me demanda de réciter matin et soir à sept heures l’Oraison Dominicale, pourvu que je le fisse avec une foi entière, et que, au moment de prononcer les mots « Délivrez-nous du mal » j’eusse la main posée sur son front.
A propos d’amulettes, il faut remarquer qu’elle en usait moins pour elle-même que pour les autres. Parfois, elle les constituait de substances végétales ; mais le plus souvent de sentences écrites, empruntées à son langage intérieur.
« La parole, dit Poiret, n’a pas seulement été donnée à l’homme comme moyen de communication, mais comme le moyen de diriger tout le monde visible par sa puissance secrète, car le mot et la chose sont une seule et même chose. Lorsque les saints personnages de l’antiquité, faisaient de si grandes choses ; lorsque Adam donnait à tous les animaux des noms en accord avec leur nature ; lorsque Noé les réunissait dans l’Arche et que Moïse commandait à la mer rouge de se diviser, ce n’était qu’un retour à la nature originaire de l’homme. » Ne peut-on admettre qu’il existait à cette époque un langage comme celui que reproduisait la voyante, qui exprimait par ses mots et ses nuances les pouvoirs et les gradations de la nature physique. De telle sorte qu’en lisant ou en entendant ces mots, les choses avec leurs propriétés, se présentaient aussitôt à l’esprit ?
Un langage capable de peindre ou de représenter les choses, doit nécessairement exprimer tout un système en peu de mots. Il est possible qu’il existe ainsi des paroles magiques qui contiennent tout à la fois l’esprit et les facultés des choses simples. Une amulette peut n’avoir aucune valeur ou jouir de grandes propriétés, en contenant le nom et les vertus de la vraie foi. La vertu ne réside pas dans le mot, en tant que mot, pas plus que dans les substances des herbes ou des métaux. Vous pouvez faire des amulettes aussi grandes que celles des pharisiens ; mais vous n’obtiendrez rien sans la foi, aussi longtemps que le nom de Jésus n’est que sur vos lèvres.
Les formules magiques de Mme Hauffe paraissent constituées par des mots et des chiffres d’un sens encore plus profond que ceux de son langage intérieur ordinaire et semble bien plutôt de même nature que ces chiffres mystérieux qui lui ont permis de calculer le jour de sa mort.
Des signes et des nombres de ce genre étaient usités par les anciens et venaient sans doute de la vue intérieure. Quand on composait des amulettes, on les formait de façons différentes, selon qu’elles devaient être portées dans le dos ou sur l’estomac. Si le siège principal de la maladie était dans le cerveau, on les appliquait dans le dos et lorsque c’était le système ganglionnaire qui était atteint, on les posait sur l’estomac. Ceci nous autorise à penser que l’on était autrefois plus sensible au magnétisme que de nos jours. Les amulettes sont originaires de l’Orient, berceau de l’espèce humaine. Chez nous ces remèdes ne sont plus guère en faveur que dans le peuple. On considère que les questions indispensables à leur efficacité résident dans les mains qui les ont préparées, les planètes sous lesquelles les plantes ont été récoltées et la foi enfantine du malade.
Mme Hauffe disait que pour développer la puissance magique, la foi la plus absolue dans le monde invisible était requise. « C’est une faculté spéciale de l’âme, qui est soutenue par l’esprit. Il y a une autre espèce de magie, dont je ne veux pas parler et qui n’est pas soutenue par l’esprit. »
Eschenmayer, dans ses Mystères, s’explique ainsi à ce sujet : « Amulette ! Mot étrange pour notre siècle, où la raison a si complètement triomphé des superstitions du moyen âge ! Cette renaissance des amulettes et des absurdités de même genre est bien faite pour montrer la folie de cette histoire, ou tout au moins, l’insanité de la voyante. Comment des hommes sensés être instruits peuvent-ils se laisser ainsi entraîner en dehors des notions acquises ? » Telles sont ses paroles ; mais nous les considérons comme ironiques, car il est certain pour nous qu’il avait une foi absolue dans les phénomènes produits par la voyante, car il les a étudiés personnellement avec le plus grand soin.
Il y a trois espèces de pouvoirs guérisseurs : celui de la nature, celui de la nature combiné avec le pouvoir spirituel ; le pouvoir purement spirituel. Lorsque le corps est malade, le médecin à recours au premier, avec ses terres, ses plantes, ses métaux, ses sels, etc., le second est ce magnétisme inopportun et si gênant, que nous voyons paraître dans tant d’histoires ; que nous ne pouvons désormais supprimer et qui arrive, sans qu’on puisse en douter, à guérir souvent, lorsque tous les autres moyens ont échoué. Pour l’employer, la science médicale n’est pas nécessaire, il suffit d’un homme honnête et énergique. Ce qui guérit alors, ce n’est pas seulement le pouvoir organique qui procède de la main de l’homme, c’est l’influence physique de l’homme tout entier. Mais il y a un remède supérieur encore, c’est le pouvoir purement magique. Les formules avec le nom de Jésus Christ sont le remède que dans les Actes des Apôtres, chapitre III, 2 18, Pierre nous enseigne clairement. « Vous ne voulez pas le reconnaître et pourtant vous avez perdu tout pouvoir qui est accordé aux pauvres en esprit, qui, à l’avenir, vont l’exercer dans toute l’étendue de la foi. »
La magie que Mme Hauffe dit ne pas être soutenue par l’esprit, est d’une nature mauvaise et n’est pratiquée que par ceux qui sont voués aux esprits du mal. C’est à elle que l’évangile fait souvent allusion, mais la raison se rit de telles superstitions. Quoiqu’il en soit, les résultats obtenus plaident en faveur de l’efficacité des amulettes. Que ceux qui doutent se rendent sur les lieux et fassent leur enquête ; les témoins sont nommés et on peut encore les trouver. Si vous ne les croyez pas, vous ne croirez pas davantage celui qui viendrait du royaume des morts pour confirmer la vérité des faits que nous vous rapportons.
Au début de sa maladie, l’esprit protecteur de Mme Hauffe lui avait montré, pendant un songe, le dessin d’une machine, qui employée convenablement, devait lui rendre la santé. Mme Hauffe la dessina sur le papier, mais on ne tint pas compte de son indication. Après un long intervalle, la communication fut renouvelée et on lui dit que si elle avait suivi en temps utile le conseil donné, elle serait maintenant complètement guérie. On la construisit peu de temps avant sa mort. L’effet produit fut de nature galvanique. Elle dit : « Cela charge mes nerfs. » Elle l’appelait son accordeur de nerfs.
CHAPITRE XVII
Manipulation magnétique et prescriptions contre les maladies
Un fait digne de remarque, c’est que ma femme a sur Mme Hauffe la même influence magnétique que moi-même et qu’en approchant l’extrémité de ses doigts de ceux de la malade, elle peut la faire lever de son lit, comme je le fais moi-même, tandis que d’elle-même elle est absolument incapable de s’y asseoir. Elle perd souvent le sentiment ou la conscience de l’existence, sauf au creux de l’épigastre. Il lui semble qu’elle n’a ni tête, ni bras, ni jambes. Dans ces cas, elle a les yeux fermés, la notion de toutes choses, mais elle ne peut dire si elle les voit ou si elle les sent. Si, au moyen de passes, je lui fais écarter les paupières, elle ne voit que moi. Ses pupilles sont immobiles et elle ne peut dire si elle me voit ou si elle me sent. Lorsqu’elle s’éveille, elle est profondément peinée si on lui raconte ce qu’elle a dit pendant son sommeil et elle nous supplie de ne jamais le faire.
Mme Hauffe, en s’approchant des malades, même sans les toucher, mais plus sûrement encore en les touchant, prend conscience de leur maladie, éprouve toutes leurs sensations, avant qu’ils les aient décrites et toujours à leur grande stupéfaction. Elle ne ressent pas seulement leur état physique, mais aussi les diverses émotions de leur âme ; les premières s’impriment sur son corps, les secondes sur son âme.
« Ces faits, dit Eschenmayer dans ses Mystères, peuvent tous être prouvés par des témoins. Moi-même, je leur apporte mon témoignage, car elle a, avec la plus grande exactitude, deviné l’état de tous mes organes, de même que de ceux d’un de mes amis, et cela par le simple contact de la main. Quelque fréquemment que l’on puisse observer ces phénomènes avec les somnambules, ils n’en restent pas moins remarquables. De même que nous ne pouvons nier que toute la susceptibilité d’un organisme peut se concentrer dans la main ou tout autre partie du corps, expliquant ainsi la disproportion de sensibilité entre les divers organes ; de même il devient de plus en plus probable qu’il existe un sens caché qui peut atteindre jusqu’au centre même du système nerveux. Il s’y développe, par un rapprochement réciproque, une sorte de polarité entre les systèmes nerveux de deux personnes. Dans cette relation de polarité entre les deux systèmes, les organes spéciaux de l’un recherchent pour ainsi dire et finissent par s’accorder spécialement en polarité avec les organes correspondants de l’autre ; de telle sorte que les organes altérés du malade (pôle négatif) se réfléchissent dans les organes correspondants de la clairvoyante (pôle positif). De là vient que l’état du malade est toujours deviné. Dans cet exemple de sympathie, la sensation est le conducteur neutre entre les pôles homonymes qui communiquent.
Une preuve frappante de ceci fut offerte par le cas d’une dame qui nous était tout à fait inconnue et vint me prier de permettre à Mme Hauffe, quand elle serait éveillée de la toucher pour une violente douleur au foie. Mme Hauffe décrivit exactement ses douleurs, puis devenant subitement rouge, elle ajouta qu’elle pouvait à peine voir de l’œil droit. Cette dame étrangère, profondément surprise, dit que depuis un certain nombre d’années, elle avait presque complètement perdu l’œil droit, mais que, sachant ce mal incurable, elle ne m’en avait pas parlé. Mme Hauffe ne recouvra la vue que peu après, la pupille restant incontractile, comme dans le cas d’amaurose. Elle ne put être guérie que par des personnes ayant les yeux sains et dirigeant avec énergie pendant plusieurs minutes leurs regards sur l’œil malade.
Le 5 septembre 1827, pendant la soirée, je plaçai dans la main de Mme Hauffe un ruban sur lequel était inscrit le nom d’une dame malade, dont l’affection m’était aussi inconnue que la personne qui en était atteinte et qui avait certainement porté ou touché ce ruban. Mme Hauffe le tenait à peine depuis quelques minutes dans la main, lorsqu’elle fut prise de vertiges, d’étouffements, de violents vomissements, en même temps que de douleurs, spécialement au cou-de-pied gauche, d’anxiétés avec irritation de la luette. On lava la main et on essaya par divers moyens de faire cesser ces symptômes, mais la situation alla en empirant et elle tomba dans un état cataleptique, ressemblant à la mort, avec le corps tout à fait froid. Un vésicatoire que j’appliquai fut sans effet, et elle ne sortit de cet état, que peu à peu et au bout de plusieurs jours. Le 6 de ce mois, j’appris par les journaux la mort de cette dame. Il devenait ainsi évident que cette dame était déjà morte et enterrée lorsque je donnai le ruban à Mme Hauffe, ce qui explique les effets observés. Il n’est pas douteux que si elle eût été en somnambulisme, elle aurait vu le corps de cette dame dans son tombeau. Van Helmont parle d’une dame paralytique, qui était toujours atteinte de crises de paralysie lorsqu’elle s’asseyait sur un siège sur lequel son frère, mort depuis cinq ans, avait l’habitude de s’asseoir. Une somnambule me disait un jour : « Si les hommes connaissaient seulement les nombres et les périodes, ils guériraient les plus graves maladies par les moyens les plus simples. »
CHAPITRE XVIII
Guérison de la comtesse Von Maldeghem par l’intervention de la voyante
Comme dans ce volume on ne donne que des faits, nous nous y tiendrons strictement dans le suivant récit :
Le 28 mars 1828, le comte Von Maldeghem vint me voir avec une lettre de son médecin, le Dr Endres, d’Ulm. La lettre me disait quel était le porteur et que le comte ayant entendu parler de la Voyante, désirait la consulter au sujet de sa femme. Il donnait de la maladie la description suivante :
Peu de temps avant la naissance de la comtesse, son père avait été tué devant son château par un détachement de soldats autrichiens. Un tel malheur faisait redouter un avortement de sa mère, mais, au contraire, l’accouchement survint en temps normal et fut heureux. Cependant l’enfant, qui était la malade en question, rappelait exactement tous les traits de son père et pendant longtemps resta maigre comme un squelette. Cependant, cela disparut avec le temps et la seule trace maladive qui persista comme suite de cet accident, fut un tempérament nerveux d’une extrême excitabilité. La jeune femme fut élevée dans un couvent et mariée à vingt-trois ans au présent comte Von Maldeghem. C’est une personne d’un esprit cultivé et d’un caractère aimant et religieux. Sa maladie débuta à l’époque de sa seconde couche : elle est caractérisée par une sorte d’état somnambulique dans lequel elle vit et pendant lequel elle est possédée de trois idées fixes qui se succèdent et entre lesquelles se meut toute son imagination :
1° Elle doute de l’identité de son mari et de ses enfants ;
2° Elle attend, ou plutôt elle désire vivement le changement de son être ;
3° Elle attend quelque phénomène surnaturel qui produira ce changement.
Telles sont les idées principales qui la possèdent d’une façon constante, mais avec maintes variations.
Il arriva que dans sa sixième année, la comtesse, négligée par ses surveillantes, dormit une demi-journée dans un champ de pavots. Lorsqu’elle s’éveilla enfin, on s’aperçut que sa mémoire avait été affectée à un tel point, qu’elle ne reconnaissait ni ses sœurs, ni les personnes de son entourage et que pendant longtemps elle n’était plus sûre de la réalité des personnes et des choses qu’elle connaissait le mieux auparavant. Ces phénomènes disparurent en grande partie, mais un séjour qu’elle fit ensuite au couvent eut manifestement pour conséquence de les faire renaître et on observa qu’elle avait peine à distinguer ses rêves des réalités de l’état de veille. Après ses fiançailles avec le comte, il lui arriva souvent d’avoir des doutes sur son identité, quoique devant le monde, elle s’efforçât toujours de cacher de telles impressions. Enfin, le 31 octobre 1827, après son accouchement, elle tomba dans une sorte de vie somnambulique, que les médecins d’abord attribuèrent à une inflammation du cerveau et qu’ils finirent par qualifier de folie, son idée principale en cet état, était qu’elle était morte et condamnée irrévocablement à errer à travers de sombres défilés, des cavernes souterraines, où elle subissait toute espèce de supplices. Les personnes qui lui étaient plus chères prenaient à ses yeux des formes d’animaux, tels que ours, etc., et on ne pouvait lui faire admettre que le lieu de sa résidence, qu’elle aimait cependant beaucoup, était réel. Pour elle, ce n’était qu’un dessin, une image. Elle qui en réalité était si profondément aimée, se croyait en butte à la haine de tous les hommes. Dans cette conviction elle fuyait leur présence.
Après avoir essayé sans succès de nombreux remèdes, le comte envoya sa malheureuse femme en Allemagne, où, là encore, elle transforma de nouveau tout ce qui l’entourait en instruments de torture. Il est à noter que, depuis le début de sa maladie, la comtesse ne cessa de déclarer que sa guérison ne viendrait pas par des médecins, mais seulement de son mari. C’est dans ces entrefaites qu’il vint me voir.
Je lui déclarait sans hésiter que, dans les cas ordinaires, je n’avait aucune confiance dans les prescriptions des somnambules, mais que dans le cas de la comtesse, qui paraissait bien n’appartenir en rien à la folie, mais se rapprocher bien plutôt du rêve somnambulique, l’essai méritait d’être fait.
Mme Hauffe étant consultée, prit le plus vif intérêt à ce cas ; elle dit que le chiffre trois était celui de la comtesse et que son traitement devait être dirigé en conséquence. Trois fois par jour, pendant neuf jours, elle devait porter une amulette composée de trois feuilles de laurier, mais elle ne devait pas dire la nature de l’amulette. Le comte devait aussi la magnétiser trois fois par jour dans une direction déterminée, et pendant ce temps, elle devait mener la vie la plus simple, ne prenant ni drogues ni aliments excitants. Trois fois par jour, elle devait prendre une cuillérée de jus d’herbe de Saint –Jean étendue d’eau. Mme Hauffe ajouta qu’elle devait se coucher et dormir chaque matin à neuf heures et que si à cette heure elle-même était endormie, il fallait que personne ne lui parlât, car elle serait alors en prières pour la comtesse.
Le 31, le comte retourna à Ulm et commença le traitement de sa femme, dans ce sens, dès le 3 avril, dans la matinée. Ce même matin, et à cette même heure, Mme Hauffe, tout à fait contre son ordinaire, s’endormit, restant silencieuse et les mains croisées comme pour la prière. A partir de cette époque, elle eut conscience d’être en rapport avec la comtesse et cette conviction alla chaque jour en augmentant, jusqu’au mercredi 9, où, à dix heures du soir, elle s’écria : « Remettez-vous en à Dieu de tous ces soins, car c’est lui qui se chargera de veiller sur vous ! » Elle ajouta qu’elle avait eu une vision par laquelle elle avait appris qu’un changement s’était opéré chez la comtesse. Le 14, je reçus du comte la lettre suivante :
Ulm, le 11 avril 1828
Je vous prie de bien vouloir m’écrire aussitôt que possible et de me dire si le 9, à six heures du soir, vous avez remarqué quelque chose de spécial chez Mme Hauffe et ce qui a pu lui arriver ayant trait à ma femme. Ce n’est pas sans motif que je vous demande ceci, et, avec le Dr Endres, j’attends anxieusement votre réponse. »
« C. Von Maldeghem. »
La seule réponse que je pouvais faire au comte était de lui rapporter ce que j’avais notée dans mon journal, comme je viens de le raconter. Outre moi-même, deux témoins en attestaient l’exactitude. Le 18, dans la matinée, la Voyante nous dit que la comtesse allait arriver le jour même, ce qui se produisit en effet, le comte et la comtesse étant arrivés le soir. Le premier raconta que pendant six jours il avait suivi les instructions de Mme Hauffe, sans leur voir produire aucun effet quelconque ; mais que le mercredi 9, à six heures du soir, la comtesse l’avait prié de quitter la compagnie dans laquelle il se trouvait et lui avait dit qu’au moment où six heures sonnaient, elle s’était sentie en rapport étroit avec Mme Hauffe et avait éprouvé la nécessité invincible de communiquer à son mari une chose qu’elle n’avait dite à aucun être humain. Après cette révélation, les hallucinations qui lui avaient causé tant de trouble disparurent. Elle reconnut son mari, ses enfants, se rendit compte de son état et sentit le plus grand désir de voir Mme Hauffe dont le comte lui avait parlé. Le médecin du comte m’écrivit : « que la maladie avait semblé avoir disparu comme par magie et que tout ce qui lui en était resté était un scrupule religieux, qui la portait à croire qu’elle n’avait pas une foi suffisante dans les saints mystères de la religion. »
La comtesse parlait de son existence précédente comme d’un labyrinthe dans lequel elle s’était engagée ; elle rappelait fréquemment les songes pleins d’anxiété qui l’avaient troublée et dit qu’elle se sentait maintenant parfaitement éveillée. Mais elle ajoutait de temps à autre : « Je ne suis pas encore bien certaine que celui-ci est mon Charles et je ne m’en sens tout à fait sûre qu’en touchant son bras et la cicatrice qui s’y trouve. » Le comte portait au bras une cicatrice laissée par un coup de sabre. Souvent aussi, elle se figurait entendre des voix qui se moquaient d’elle et quoiqu’elle fût fort pieuse, elle ne pouvait ni prier ni entrer dans une église. Mme Hauffe, que la comtesse venait voir fréquemment dans son état de somnambulisme, faisait tous ses efforts pour calmer ses souffrances et raffermir sa foi. Elle lui disait : « Lorsque je prie avec vous, voulez-vous prier avec moi ? Soyez certaine que je ne dirai pas un mot qui puisse blesser votre foi. » Mme Hauffe était une luthérienne convaincue et la comtesse était catholique. La comtesse lui demandait comment elle arrivait à se délivrer de ses pénibles pensées ? Mme Hauffe lui répondit : « Vous ne pouvez les chasser, mais vous les verrez sous un jour différent. » Pendant sept jours, à sept heures du soir, Mme Hauffe pria avec la comtesse et l’esprit de celle-ci devint plus calme. Enfin, dans la matinée du 28, elle réveilla sa famille et se déclara tout à fait guérie ? La brusquerie de cette déclaration m’inquiéta et je ne pouvais m’empêcher de douter de la réalité du fait. Elle m’assura que je n’avais rien à craindre et l’événement vint confirmer son dire, car dix ans se sont écoulés depuis et aucune rechute n’est survenue. (En 1845, la comtesse était toujours vivante)
Le lecteur reconnaîtra ici le pouvoir de la communion spirituelle, de la prière et de la foi aveugle.
« On trouverait difficilement, dit Eschenmayer, dans les annales du Magnétisme, un cas dans lequel les phénomènes se produisent aussi clairement, et dans lequel se montre à nos yeux un pouvoir aussi extraordinairement magnétique et nous pourrions dire religieusement magique, j’en ai entendu le récit de la bouche même de la comtesse, et j’affirme qu’elle reste entièrement convaincue d’avoir été guérie par la Voyante. Cette histoire nous donne sur le domaine des sympathies spirituelles une lumière qui dissipe, comme des bulles de savon, toutes les objections tirées des lois de la nature. Mon ami Kerner invite les hommes à reconnaître la puissance de la foi et de la prière ; mais hélas, ils ne veulent rien savoir. Ils pensent qu’ils découvriront les lois de l’univers avec les seules forces de leur raison si vantée et ils ne trouvent plus qu’une coquille vide. »
CHAPITRE XIX
Sur les divers degrés du magnétisme. Opinion de la Voyante sur chacun d’eux
L’état magnétique de Mme Hauffe peut être divisé en quatre degrés :
1° Celui dans lequel elle était ordinairement et pendant lequel elle paraissait éveillée, quoiqu’elle ne le fût pas, mais que, au contraire, elle se trouvât dans la même période de sa vie intérieure. Elle disait que beaucoup de personnes se trouvaient dans cet état, sans qu’on le soupçonnât et sans qu’elles en eussent conscience elles-mêmes.
2° Le rêve magnétique. Elle croyait que beaucoup de personnes considérées comme folles, étaient simplement dans cet état.
3° L’état de demi-sommeil, qui se manifestait spécialement par la faculté d’écrire et de parler le langage intérieur et que l’on rencontrait de temps à autre. Elle disait qu’elle parlait cette langue, lorsque l’esprit était dans une union intime avec son âme.
4° Le somnambulisme complet, pendant lequel elle était clairvoyante et faisait ses prescriptions.
Mais entre le troisième et le quatrième degrés, il me semble évident qu’il y en a encore un intermédiaire, le cataleptique, pendant lequel elle reste rigide et froide. Elle disait que dans son état de somnambulisme elle ne pensait qu’avec le cervelet ; elle ne sentait pas son cerveau qui était endormi. Dans cet état, elle pensait plutôt avec son esprit. Ses pensées étaient plus claires et son esprit avait sur elle plus de puissance que dans son état de veille.
Dans le somnambulisme complet, l’esprit dominait. Lorsqu’elle était parfaitement clairvoyante, elle disait que les pensées venaient exclusivement de l’esprit et de la région épigastrique.
« Dans notre état de veille naturel, nous sentons peu ou point notre esprit. Mais l’homme appelé à vivre dans ce monde doit être gouverné par l’âme. Si l’esprit avait libre carrière, que deviendrait ce monde ? Il peut pénétrer dans les régions supérieures et l’homme ne doit pas connaître l’avenir. »
C’est ainsi qu’elle parlait dans son état somnambulique.
Elle dit un jour : « Je sens l’âme dans les nerfs et je la sens bien clairement. Mais il faudrait que je sache avec certitude si l’âme plane simplement sur les nerfs et ce qui arrive aux nerfs après la mort. » Après avoir réfléchit plus profondément en elle-même, elle dit : « L’âme continue à vivre avec l’esprit et crée autour de lui une forme éthérée. »
Elle disait que le rêve magnétique avait quelque ressemblance avec l’état de somnambulisme et avait un peu de sa nature, mais venait surtout du cerveau. Lorsqu’elle sortait de cet état, elle se rappelait ce qu’elle avait rêvé ; il n’en était pas de même de l’état du demi somnambulisme ou de clairvoyance. Elle en parlait alors et racontait son rêve, tel qu’il s’était produit dans son cerveau, le traduisant parfois en vers et quelquefois d’une façon dramatique. Elle distinguait ces rêves de ceux du sommeil naturel, à ce qu’ils étaient plus réguliers et plus nets. On ne pouvait pas l’en réveiller ; mais, s’ils venaient à être interrompus naturellement, le songe reprenait la nuit suivante au point exacte où il s’était arrêté.
Mme Hauffe disait que l’état magnétique était la vie et l’acte de l’homme intérieur et contenait en lui-même la preuve de la vie future et de la nouvelle union après la mort. C’est l’activité interne de l’homme, qui sommeille chez les sujets à l’état normal et qui est pleinement éveillé chez ceux dont la vie est tout entière confinée dans le cerveau qui, étant inconscient de leur existence sympathique, n’entend jamais cette voix. Cependant, si l’homme réfléchissait bien, il trouverait que c’est là son vrai guide. Le somnambulisme provoqué par les passes magnétiques est un sûr remède car dans la clairvoyance l’homme intérieur sort et examine tout ce qui l’entoure ; phénomène qui ne se produit ni dans le sommeil normal ni dans le rêve. La clairvoyance est l’état de veille le plus parfait, car alors l’être spirituel interne se trouve dégagé et libre des liens du corps. J’appellerai donc volontiers le somnambulisme, l’extériorisation de l’homme intérieur ou le développement spirituel de l’homme. Dans de tels moments l’esprit est tout à fait libre et capable de se dégager de l’âme et du corps et d’aller où il veut avec la rapidité de l’éclair. Le somnambule est incapable de toute mauvaise action ; même lorsque son âme est impure, il ne peut ni mentir ni tromper. C’est ce que j’appellerai le troisième degré de clairvoyance. Dans le second degré qui est inférieur, l’âme et l’esprit son encore unis et l’esprit n’est pas seul, comme le précédent. Il y a encore un degré inférieur, dans lequel l’âme reste uni à l’esprit ; et comme l’âme n’est pas tout à fait pure, la vue reste imparfaite. Le degré le plus faible de tous doit être considéré comme un état d’excitation du système nerveux et on le rencontre plus ou moins dans le cours de la vie ordinaire. Il rappelle ces facultés prophétiques dont quelques hommes sont certainement doués ; mais dans le cas du somnambulisme ces facultés sont plus développées et plus régulières.
Dans l’état normal, l’âme habite surtout le cerveau et l’esprit la région épigastrique. Dans l’état magnétique, l’âme se rapproche plus où moins du siège de l’esprit. Chez ceux qui ne vivent que de la vie extérieure, l’âme domine ; et l’on atteint le plus haut degré de perfection spirituelle, que lorsque l’esprit est arrivé à se libérer complètement de l’âme.
Il ne faut pas perdre de vue qu’il y a une énorme différence entre cet état de dégagement de l’esprit dans le somnambulisme et son départ à la mort.
CHAPITRE XX
La sphère solaire et la vie de la sphère
Etat de la Voyante lorsque ces sphères se développèrent en elle
Le 18 octobre 1827, Mme Hauffe, se trouvant en somnambulisme causé par vingt-et-une baies de laurier, nous dit que le lendemain soir, à sept heures, elle se trouverait pour la dernière fois dans un état de clairvoyance ; qu’elle serait ensuite plus éveillée à la vie extérieure et que nous deviendrions des étrangers à ses yeux. L’aspect de ses yeux deviendrait plus naturel et le passé lui ferait l’effet d’un rêve. Je lui demandai si les fantômes cesseraient de lui apparaître et elle répondit que cela ne dépendait pas de son état de somnambulisme. Ils apparaîtraient comme autrefois, mais lui sembleraient étonnants et lui causeraient de la frayeur. Dans la nuit elle fut extrêmement malade et dit qu’il lui semblait qu’une lutte se produisait en elle, comme entre deux combattants dont l’un affirmait qu’elle était à Weinsberg, tandis que l’autre soutenait qu’elle était à Lowenstein. Dans un cas les objets qui l’entouraient lui semblaient familiers, dans l’autre, ils lui paraissaient étrangers. Dans la matinée du 19, il lui sembla qu’elle avait beaucoup de peine à parler son langage ordinaire, se trouvant poussée à parler le pur Allemand et à tutoyer tout le monde. Elle dit qu’elle se sentait sur le point de perdre son âme et comme si quelque chose allait mourir en elle.
Le 19, à 7 heures du soir, étant en somnambulisme, elle dit, après une prière faite en silence : « Je sens que je m’éveille aujourd’hui d’un long sommeil qui dure depuis le moment où je suis venue ici, lorsque vous m’avez grondée, et je sens qu’il n’y avait plus en moi que bien peu de chose d’humain. J’ai compté jusqu’ici sur le secours des hommes mais maintenant je me sens abandonnée et entièrement retirée en moi-même. Depuis ce moment, je n’ai vécu une seule heure sur la terre, même lorsque je paraissais le mieux éveillée. Comme je serai effrayée en m’éveillant ! Je m’écrierai aussitôt que j’ai rêvé de beaucoup de personnes. Lorsque les esprits que j’ai l’habitude de voir viendront à moi, je ne les reconnaîtrai pas et leur poserai des questions que je leur ai déjà posées et leur vue m’effrayera beaucoup lorsque je serai éveillée. Mais je sais par l’état de mes nerfs optiques, que je les reverrai. Les nerfs des personnes bien portantes peuvent aussi les voir, mais je vois plus que je ne le dis ; je pénètre tout à fait dans le monde des esprits. Que personne ne me dise quoi que ce soit de mon long sommeil ; mais qu’on me prépare à l’arrivée des fantômes, sans quoi je serai fort effrayée lorsque je les verrai. Il me semble être encore à la nuit de mon arrivée ici. Lorsque je m’éveillerai, je réclamerai ma sœur Amélie, qui était alors avec moi. »
Après avoir prié, elle nous engagea à l’éveiller, ce que nous fîmes en la touchant avec un morceau de cristal. Sa première demande fut pour sa sœur, à laquelle elle voulait raconter ce long rêve. Quoique nous eussions été constamment près d’elle, nous paraissions tous étrangers pour elle et elle ne reconnut que ceux qui lui étaient déjà connus avant le 26 octobre 1826. Elle se montrait extrêmement surprise de l’amélioration de sa santé et spécialement de constater qu’elle n’avait plus la fièvre militaire. On lui dit que le médecin lui avait administré une poudre qui lui avait procuré le sommeil pendant le printemps et l’été. Cela la fit pleurer, exprimant le regret d’avoir passé en rêve un aussi long temps. Elle éprouvait un ennui extrême de se trouver dans une chambre étrangère, entourée de toutes choses qu’elle ne connaissait pas. Elle raconta que, pendant la nuit, elle fut fort alarmée. Vers une heure, une forme était entrée dans sa chambre et s’était placée près d’elle en disant : « Donnez moi des consolations. » Elle avait été très effrayée et lui avait demandé ce qu ‘elle voulait. Le fantôme lui avait répondu qu’il était souvent venu la voir et lui raconta alors ce que l’on trouvera dans la seconde partie de ce volume.
Le jour suivant, elle éprouva encore un grand malaise et se laissa aller au désespoir, parce qu’elle ne pouvait se refaire à son nouvel état. Ce fut une grande erreur de la part de certaines personnes officieuses de permettre de lui parler beaucoup trop de diverses particularités de sa vie magnétique. Elle se déplut profondément ici et se montra extrêmement désireuse de retourner chez elle. Il lui sembla se rappeler quelques personnes, en les regardant bien fixement dans les yeux. Mais elle avait perdu tout souvenir de ce qu’elle avait entendu, senti, flairé, touché pendant les derniers mois. Elle disait que la vue était une fonction plus spirituelle que l’ouïe et que bien souvent la première lui révélait ce qui n’avait fait aucune impression sur la seconde. La seule fleur dont elle gardât l’impression était la primevère et il semblait que ce fût par les yeux qu’elle eût pris notion de son odeur.
De tous les poèmes qu’elle avait lus dans sa vie, le seul dont elle se souvînt était un poème de Goethe. En réalité elle était bien restée telle qu’elle était auparavant, mais sa voix était plus faible et elle se trouvait moins capable qu’auparavant de quitter son lit. Les minéraux et les plantes continuaient à produire sur elle les mêmes effets, mais mon pouvoir magnétique sur elle avait bien diminué. Cependant, il ne nous paraissait pas qu’elle fut encore complètement sortie de la sphère magnétique et il semblait probable qu’elle devait présenter encore un nouveau réveil.
Les sphères
Le Dr Kerner consacre de nombreuses pages à une description, assez obscure des sphères d’après la Voyante. Comme ce ne sont que des vues personnelles, qui ne sont susceptibles d’aucun contrôle et que le lecteur demande avant tout, et avec raison, des faits, nous croyons devoir nous borner à résumer ici cette description, en disant que l’esprit dégagé du corps habite une sphère d’autant plus élevé et jouit d’une félicité d’autant plus grande, qu’il est arrivé à un plus haut degré de pureté et que la sphère moyenne est surtout destinée aux esprits peu développés, sauf dans sa région supérieure. On y trouve surtout ceux qui n’ont pas reçu le baptême ou ne croient pas au salut par la vertu du Rédempteur. Elle admet cependant que les esprits des chrétiens peuvent la quitter pour les sphères supérieures, en se purifiant par leurs prières et par celles des incarnés. Elle dit aussi que les infidèles sont instruits par des Anges et peuvent alors être admis dans les sphères supérieures, ce qu’elle traduit constamment par : être admis en la présence du Rédempteur.
L’auteur développe aussi les opinions de Mme Hauffe sur la valeur des nombres, leur influence sur toute notre existence, etc.…Nous n’avons pas cru devoir nous arrêter davantage sur toutes ces vues purement spéculatives.
Nous avons déjà rapporté ce que l’auteur dit de l’action des amulettes et de l’efficacité de certaines paroles. Les expériences d’extériorisation de la sensibilité, les observations nombreuses des magnétiseurs, montrent que des substances peuvent s’imprégner des effluves émanant du corps humain. Peut-être peuvent-elles alors porter certaines influences à une distance et pendant un temps plus ou moins considérables. Peut-être aussi leur possession suggère-t-elle au sujet qui les porte une sécurité plus grande et un peu de cette foi qui guérit. Nous sommes ici sur un terrain si peu exploré, qu’il convient de ne s’y aventurer qu’avec une extrême circonspection.
O. D.
CHAPITRE XXI
Le langage intérieur
A l’état de somnambulisme Mme Hauffe parlait fréquemment une langue qui nous était inconnue et qui semblait présenter quelque ressemblance avec les langues de l’Orient.
Elle disait que cette langue était celle que parlait Jacob et qu’elle était naturelle pour elle et pour tous les autres hommes. Elle était très sonore et comme elle s’en servait avec prédilection et suite, ceux qui étaient le plus souvent autour d’elle étaient peu à peu devenus capables de la comprendre. Elle disait que ce n’était que par son moyen qu’elle pouvait exprimer complètement ses pensées de la vie intérieure. Quand elle voulait les exprimer en allemand, elle était d’abord obligée de les traduire de cette langue. Elle ne venait pas de sa tête, mais de sa région épigastrique. Lorsqu’elle était éveillée, elle n’en savait plus un mot. Les noms de choses qu’elle nous citait dans cette langue exprimaient leurs propriétés et leurs qualités. Les Philologues y ont trouvé quelque ressemblance avec le copte, l’arabe et l’hébreu. Ainsi le mot : Elschaddai dont elle se sert pour Dieu, signifie en hébreu soupirer ou soupirs.
Voici encore quelques mots de son langage intérieur, avec leur traduction : handacadi, médecin ; alentana, madame ; chlann, verre ; schmado, lune ; nohin, non ; nochiane, rossignol ; bianna fina, beaucoup de fleurs colorées ; moy, comment ; toï, quoi ; optini poga, vous devez dormir ; moli arato, je reste ; etc.…
Les caractères écrits de cette langue étaient toujours en rapport avec les nombres. Elle disait que les mots avec les nombres avaient un sens plus profond et significatif que sans eux. Souvent elle disait, dans son état de somnambulisme, que les esprits parlaient cette langue, car quoique les esprits fussent capables de lire les pensées, l’âme que ce langage concernait le prenait avec elle, lorsqu’elle s’élevait, car l’âme forme un corps éthéré pour l’esprit.
La Voyante disait que la séparation de l’esprit d’avec l’âme et le corps pendant le sommeil somnambulique, avait une grande ressemblance avec la mort, mais que ce n’était pas la même chose. Lorsque l’esprit quitte le corps, dans ses derniers moments, il devient faible et sans forces, il ne peut entraîner l’âme après lui, il doit attendre. Les mourants sont inconscients de tout ce qui arrive, l’avenir leur est caché et ils cessent de pouvoir s’exprimer davantage. Lorsque, avant ce moment, un mourant déclare qu’il est bien certain de l’existence d’un état futur, c’est que l’âme ne restant pas plus longtemps sous la dépendance du cerveau, recouvre sa faculté naturelle de clairvoyance et aspire à l’avenir resté obscur jusque là. Lorsque l’esprit a quitté le corps, l’âme comprend qu’elle ne peut rester plus longtemps et lutte aussi pour se délivrer. C’est le moment de la dernière agonie, et à ce moment, pour suppléer à la faiblesse de l’esprit, les esprits des saints viennent à l’aide de l’âme. La lutte est plus ou moins longue, dans le cas de mort naturelle, selon le degré de difficulté ou d’aisance qu’éprouve l’âme à abandonner les choses terrestres.
Quant au fluide nerveux, elle disait qu’il était le lien qui unissait l’âme au corps et le corps au monde. La facilité avec laquelle, dans son cas, ce fluide se dégageait était la cause de son état anormal. Le fluide nerveux est immortel et accompagne l’âme après la mort, à moins que l ‘âme soit parfaitement pure et n’entre d’emblée parmi les saints. C’est grâce à lui que l’âme constitue une forme fluidique autour de l’esprit. Il est capable d’augmenter et de croître après la mort, et par son action, les âmes qui sont encore dans la région moyenne, sont mises en rapport dans l’atmosphère avec une substance qui leur permet de se faire entendre et sentir par les hommes, ainsi que de suspendre les lois de la gravité et de faire mouvoir les corps pesants. Lorsqu’une personne meurt dans l’état de pureté parfaite, ce qui arrive rarement, elle n’entraîne pas le fluide nerveux avec elle. Celui-ci, quoique indestructible, reste avec le corps. A la résurrection générale il s’unit à l’âme et lui constitue une forme aérienne. Les esprits bienheureux, auxquels le fluide nerveux ne continue pas à adhérer, ne peuvent plus apparaître. Plus l’esprit est pur, plus il occupe un point élevé dans la région moyenne, ou état intermédiaire, plus complètement il se sépare de son fluide nerveux.
A propos du langage intérieur, la Voyante disait qu’un de ses mots exprimait fréquemment plus que des lignes entières du langage ordinaire et qu’après la mort, dans un seul de ses symboles ou caractères, un homme pourrait lire toute sa vie. On a constamment observé que les personnes en état de somnambulisme et celles qui vivent d’une vie intérieure profonde, trouvent impossible d’exprimer en langage ordinaire ce qu’elles ressentent.
Un autre somnambule me disait souvent lorsqu’il ne parvenait pas à exprimer sa pensée : « Ne pourrait-on me parler le langage de la nature ? »
La Voyante observée par Mayers disait qu’aux yeux de l’homme dans l’état magnétique, toute la nature se révélait, aussi bien spirituelle que matérielle, mais qu’il y avait certaines choses que les mots ne pouvaient rendre et que c’est ainsi que se produisaient des incohérences et des erreurs. On trouve dans les archives du magnétisme animal un exemple de ce langage spécial. Sa ressemblance avec les langues de l’Orient est manifeste et vient de ce qu’il est un reste des anciennes langues de l’espèce humaine. Ainsi, les somnambules ne peuvent facilement se rappeler les noms des personnes et des choses et rejettent bien loin toutes les façons conventionnelles de s’exprimer.
La Voyante de Mayers disait que, de même que les yeux et les oreilles de l’homme ont été altérés par la chute, de même il a perdu à un haut degré le langage de ses sensations. Mais celui-ci existe encore en nous et se retrouve plus ou moins quand nous y pensons. Chaque sensation comme chaque pensée a son signe propre et nous ne pouvons pas davantage l’exprimer.
Pour exprimer les notions qu’elle avait acquises, Mme Hauffe construisait des figures qu’elle appelait sa sphère solaire, sa sphère de la vie, et ainsi de suite…
Beaucoup d’exemples montrent à quel point était développé sa mémoire des mots de ce langage intérieur. En lui donnant une lithographie de ce qu’elle avait écrit un an auparavant, elle faisait remarquer qu’il y avait un point de trop sur l’un des signes et en comparant la copie avec l’original en ma possession, je constatai que c’était exact.
Elle-même n’en avait aucune copie.
CHAPITRE XXII
La septième sphère solaire
Le 1er mai 1828, Mme Hauffe dit qu’elle sentait que quelque chose de remarquable allait lui arriver ; elle ne savait pas ce que c’était, mais elle espérait que ce serait pour le mieux. Après l’annonce de la mort de son père, qu’elle reçut le 2 mai et qu’elle avait vue d’avance, comme nous l’avons déjà dit, les convulsions cessèrent. Mais malgré cela son état magnétique augmenta et elle tombait en somnambulisme plusieurs fois par jour. Elle nous disait que désormais elle ne pouvait plus aller et venir dans sa sphère solaire, comme autrefois ; que la direction dans son cercle de vie, qui n’avait pas atteint le centre jusqu’en décembre, venait tout à coup de bondir en avant ; que n’ayant plus la force de la porter en avant ou en arrière de nouveau, beaucoup de temps pourrait être perdu et elle craignait que cela n’entraînât sa mort. Toute la journée du 7 fut alternativement occupée par des songes et de la catalepsie.
Dans un cas, son esprit protecteur lui apparut, lui montrant du geste un cercueil demi-ouvert, ce qu’elle interpréta comme l’annonce d’un grand péril, qui menacerait sa vie. Le 8, à sept heures du soir, selon les instructions données par elle-même dans son état somnambulique, comme elle se trouvait dans un état de catalepsie qui ressemblait à la mort, je l’appelai, m’adressant au creux épigastrique : « N’oubliez pas cette dernière année dans la soirée actuelle. » En dehors de cela, elle me dit qu’elle allait perdre tout souvenir des années écoulées depuis le début de sa maladie, chose dont elle ne pouvait supporter la pensée. A ma voix elle sortit, en poussant un cri de terreur, de cet état semblable à la mort ; elle prit toute l’apparence du désespoir et retomba aussitôt dans son insensibilité première. Elle s’éveilla ensuite ne paressant pas capable de comprendre son état ou de reconnaître tout ce qui l’entourait. Elle disait que toute sa septième sphère solaire s’était évanouie. Elle ne pouvait dire si elle allait entrer dans une nouvelle, ne voyait rien au delà du jour présent et devait rester telle qu’elle était, afin d’éviter tout souvenir. Sa prompte fin semblait devoir être la première chose qu’elle prédirait.
Le 15, elle recouvra en partie le souvenir de cette période qui semblait se voiler dans son esprit. En même temps elle perdit le sentiment de sa sphère et même le temps où elle l’avait vue semblait tout à fait éloigné et effacé, tandis que l’époque précédente se révélait alors comme plus récente.
Le souvenir de cette dernière fut d’abord vague, mais peu à peu il s’éclaira jusqu’à ce qu’enfin elle pût se rappeler tous les détails avec la plus grande netteté. On observait souvent des phénomènes semblables chez les peuples anciens.
Le 27 janvier 1829, Mme Hauffe étant en somnambulisme dit qu’elle sentait que sa septième sphère solaire s’était évanouie, et que si elle n’avait pas été enlevée comme elle le fut, elle aurait, avec cette dernière crise, recouvré toute sa santé.
Les mois de sphère solaire, dans lesquels elle était alors, ne dureraient que jusqu’au 2 mai, au lieu de continuer jusqu’au 27 décembre, comme ils auraient dû le faire. Par cette perte, elle était privée de ces mois et elle croyait qu’elle était sur le point de mourir, puisque ces quatre mois étaient tout ce qui lui restait.
Le 2 mai, elle eut un songe magnétique, pendant lequel elle parla haut comme à l’ordinaire et dit à peu près cela : « Je suis une montagne Oh ! je devrais aller vers ma droite au-dessus de ces nuages dorés, où je vois cette vallée pleine de fleurs ! A ma gauche, je ne vois que tombes et pourriture : derrière moi, je vois l’espèce humaine luttant et combattant comme des lions et des tigres. A ma droite, les fleurs me sourient, mais je vais vers la mort et la tombe. Faut-il que je tombe sous cette affliction ? Conduisez-moi où vous voudrez. Oh ! Quel songe terrible ! Oh ! Guidez-moi ! Faut-il que je tombe dans cet abîme ? Vous êtes puissants et forts Vous ai-je bien compris ? Faut-il que je reste sur cette montagne ? Oui, je dois y rester jusqu’à ce que l’heure soit venue : mais vous êtes jour et nuit avec moi ; si vous m’abandonnez, je tombe. Oh ! Permettez-moi de sortir de ce terrible rêve ! etc.… »
Elle entra alors dans une nouvelle sphère et une nouvelle vie magnétique, dans lesquelles elle décrivit ses facultés intérieures de voyante comme plus puissantes que jamais, quoiqu’elle ne parlât pas comme auparavant de ce qu’elle voyait. Elle disait que son corps était mort, quoique encore vivant, mais que son âme était plus libre et plus calme que jamais. « Que l’on ne s’occupe pas davantage de mon corps ; qu’on cesse d’en prendre soin ; c’est un vêtement déchiré, qui n’a plus aucune valeur. Dans votre main, Ô Seigneur ! je confie mon esprit. » C’était le pressentiment de sa mort prochaine et depuis ce moment, elle resta elle-même plongée dans l’indifférence qu’elle recommandait.
Quoique excessivement magnétique et dans un état d’extrême débilité, ses souffrances avaient certainement été soulagées pendant son séjour à Weinsberg. Elle avait plus de lucidité et de calme intérieur. Elle avait été encouragée et consolée par ses relations et sa communion d’idées avec des hommes distingués. Mais il n’était pas au pouvoir de ses amis de la protéger contre les conditions défavorables qui, précisément à cette époque, eurent une si funeste action sur sa santé. Nous voulons parler surtout de la mort de son père et de la maladie de son enfant.
Le 2 mai 1829, elle retourna à Lowenstein pour y accomplir sa destinée.
SECONDE PARTIE
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CHAPITRE I
Sur l’homme magnétique, dans ses rapports avec le monde des Esprits
Si nous observons, même superficiellement, le cours de la nature, nous ne pouvons nous empêcher de remarquer qu’elle progresse à chaque minute ; que ses progrès forment une chaîne à laquelle ne manque aucune maille et qu’elle ne va pas par brusques secousses. Ainsi dans la pierre nous voyons déjà la plante ; dans la plante, l’animal ; dans l’animal, l’homme ; dans l’homme, l’esprit immortel. De même que les ailes du papillon sont cachées dans la chrysalide, de même chez l’homme, dans certaines conditions spéciales, les ailes de la Psyché la plus élevée se révèlent, toutes prêtes à se déployer, après une courte existence terrestre. Par l’homme magnétique, devant lequel le temps et l’espace se dévoilent, nous apprenons qu’il existe un monde supraterrestre. L’homme magnétique est un esprit encore imparfait. Dans le polype, qui forme l’anneau entre la plante et la brute, nous voyons tout à la fois un animal imparfait et une plante imparfaite. Tandis qu’il est fixé comme une plante à la terre, il allonge ses bras dans le monde animal, dont il est ainsi le premier échantillon. De la même manière, nous voyons l’homme magnétique, tandis qu’il est encore dans le corps, enchaîné à la matière, pénétrer par ses sentiments dans le monde des esprits et lui porter ainsi témoignage. Chez tous les sujets magnétiques, nous voyons un effort pour atteindre le monde des esprits et pour s’envoler dans ces régions supérieures, mais nulle part nous ne le constatons à un degré aussi élevé, que dans le cas dont nous nous occupons. Nous avons vu, dans la première partie de ce volume, comment le fluide nerveux, arrêté pour ainsi dire au seuil de la mort, devient sensible aux propriétés spirituelles de toutes choses, propriétés tout à fait imperceptibles pour notre fluide nerveux trop étroitement emprisonné.
Nous avons vu comment cet être, presque un esprit déjà, se débarrassant de son enveloppe terrestre, franchissait le temps et l’espace. Existe-t-il rien de plus étrange qu’au moyen des mêmes facultés qui lui permettent de percevoir les propriétés des choses terrestres, qui nous restent absolument inconnues, il soit également sensible aux apparitions supranaturelles, qui sont imperceptibles pour nous ? L’homme est évidemment le lien entre les esprits bienheureux et malheureux, ou en autres termes, entre les anges et les démons. Quoique indépendant et ayant son existence propre, il est néanmoins soumis aux influences des uns et des autres. Sans doute les lois de la nature, autant que nous pouvons les connaître, sont plus particulièrement adaptées à la sphère moyenne où nous pensons, sentons et voulons ; elles ont des relations moins étroites avec ces puissances, tant supérieures qu’inférieures, dont l’existence est niée par ces esprits indépendants, qui n’en ont pas le sentiment inné.
Nous ne voulons pas présenter ici une théorie des apparitions, soit que nos lecteurs veuillent les considérer comme de simples illusions du cerveau ou qu’ils consentent à accepter les faits comme des preuves péremptoires ; nous nous bornerons à examiner si, dans les révélations de la Voyante, il est possible de trouver une raison sérieuse de croire.
Selon elle, le fluide nerveux persiste après le corps et, après la mort, enveloppe l’âme d’une forme aérienne. Etant la plus haute puissance organique, elle ne peut être détruite par aucune autre, physique ou chimique. Lorsque le corps est dissocié, il suit l’âme. Comme pendant la vie, il constitue le seul lien entre l’âme, le corps et le monde, de même il reste le seul moyen par lequel l’âme, tandis qu’elle se trouve dans la région moyenne, peut se manifester à l’homme, qui n’a que l’atmosphère pour instrument de son pouvoir. Dans l’état ordinaire, nos sens sont incapables de discerner ces phénomènes, comme nous sommes incapables de saisir en vertu de quel principe nous voyons et entendons ; le subjectif ne peut devenir en même temps objectif.
Mais, dans l’état magnétique anormal, de telles conditions deviennent possibles. Le fluide nerveux, qui pendant notre veille agit au moyen des sens sur le monde objectif, devient dans la vie magnétique, plus concentré, se réfléchit sur lui-même, ce qui procure au sensorium une énergie inaccoutumée. Il développe les sens internes par lui-même, en dehors des plexus nerveux, tandis que les sens externes sont de plus en plus affaiblis. Ainsi la vie sensitive de l’âme est augmentée et fortifiée par le renforcement des puissances de pensée et de volonté qui s’unissent à elle.
De la même façon que l’âme prend sa direction vers son centre originaire et la connaissance devient de la clairvoyance. Dans ces conditions, l’esprit peut devenir apte non seulement à se placer au centre de son orbite, mais encore les choses qui sont cachées aux yeux ordinaires, comme les habitants des régions moyennes, peuvent devenir visibles aux sens surexcités d’un sujet magnétique.
A moins de considérer ces apparitions surnaturelles comme de simples chimères, nous devons admettre que l’éclat supranaturel qui brille dans les yeux de la Voyante, lorsqu’elle les voit, donne au moins une certaine confirmation de ce qu’elle nous dit au sujet de leurs fréquentes visites et de la façon dont des formes, d’abord vagues, deviennent de plus en plus manifestes, à mesure qu’elle prie. Ses yeux brillaient comme une flamme dans laquelle les esprits obscurs pensaient s’éclairer eux-mêmes. Il est probable qu’ils y trouvaient un reflet de soleil de grâce, complètement caché pour eux. Il est remarquable que la Voyante plaçait le domaine des bienheureux et le soleil de grâce, au centre de l’orbite du soleil et l’apparition des esprits malheureux dans la région moyenne. La première appartient au surnaturel, la seconde au sous naturel. Entre ces deux ce trouve la nature de l’homme, qui dans l’état magnétique élevé, atteint par la Voyante, est placé en contact avec les deux.
CHAPITRE II
Quelques remarques de la Voyante au sujet de la Vision des Esprits
Les personnes dont la vie est dans le cerveau, mais plus particulièrement celles chez lesquelles elle est plutôt au centre épigastrique, sont parfois capables de voir les esprits, mais l’apparition est toujours vue par les yeux spirituels, à travers les yeux charnels. Les pressentiments et la sensibilité aux choses spirituelles peuvent avoir lieu par l’âme, mais jamais la clairvoyance. Lorsque l’esprit est excité à un certain point par l’âme, les pressentiments et la vision des esprits peuvent se produire ; mais cela n’est que momentané chez ceux dont la vie est surtout intellectuelle. Le cerveau peut lutter et résister ; mais ce n’est que ceux dont la vie est dans le centre épigastrique qui les voient comme je le fais ; dans ces cas il n’existe aucune force de résistance. Ces formes ne sont certainement pas le produit de mon imagination, car je n’aime pas à les voir ; elles me causent au contraire de la peine et je n’y pense que lorsque je les vois ou que l’on me questionne à leur sujet. Malheureusement, aujourd’hui ma vie est ainsi faite, que mon âme aussi bien que mon esprit voient dans le monde spirituel ceux qui néanmoins sont sur terre et je les vois non seulement isolés mais souvent par multitudes et de différentes natures, ainsi que beaucoup d’âmes de décédés.
J’en vois beaucoup qui restent à distance et d’autres qui viennent avec moi, avec lesquels je cause et qui restent près de moi pendant des mois. Je les vois à des moments différents, tantôt le jour, tantôt la nuit, que je sois seule ou en société. Je suis alors parfaitement éveillée et ne suis dans aucune condition qui puisse les appeler près de moi. Je les vois aussi bien que lorsque je suis malade, que lorsque je suis bien portante, forte ou faible, gaie ou triste, distraite ou sérieuse et je ne puis les éloigner. Ils ne sont pas toujours avec moi, mais se dirigent où bon leur semble, comme des visiteurs mortels et aussi bien lorsque je suis dans un état spirituel que corporel. Lorsque je suis plongée dans le sommeil le plus calme et le plus normal, ils m’éveillent, je ne sais comment, mais je sens que je suis éveillée par eux et que j’aurais continué à dormir s’ils n’étaient pas venus auprès de mon lit. J’ai souvent observé que lorsqu’un esprit me visite la nuit, ceux qui dorment dans la même pièce que moi sont avertis de leur présence dans leurs rêves ; ils parlent ensuite de l’apparition qu’ils ont vu en songe, quoique je n’ais pas prononcé un mot à ce sujet. Tandis que les esprits sont avec moi, je continue à voir et à entendre comme à l’ordinaire tout ce qui se passe autour de moi et je puis penser à autre chose. Je pourrais en détourner ma vue, mais cela est difficile ; je sens une sorte de rapport magnétique entre eux et moi. Ils m’apparaissent comme un nuage épais, à travers lequel il semble qu’on pourrait voir, quoi que je ne puisse le faire. Je n’ai jamais observé qu’ils produisissent aucune ombre. Je les vois mieux à la lumière du soleil ou de la lune, que dans les ténèbres : mais je ne sais cependant s’il me serait tout à fait impossible de les voir dans l’obscurité : si un objet quelconque se place entre eux et moi, je ne les vois plus. Je ne puis les voir les yeux fermés, ni lorsque je détourne la tête de l’autre côté ; mais je suis si sensible à leur présence que je puis désigner exactement l’endroit où ils se tiennent ; je les entends parler, même quand je me bouche les oreilles. Je ne puis supporter qu’ils s’approchent trop près de moi ; ils me causent une sensation de faiblesse. D’autres personnes, lorsqu’elles sont près de moi, sont fréquemment affectées par leur voisinage, même quand elles ne les voient pas : elles accusent une tendance à l’évanouissement et se plaignent de constriction et d’oppression nerveuses : les animaux eux-mêmes subissent ces effets. L’aspect des esprits est le même que celui qu’ils avaient pendant la vie, mais ils ne sont pas colorés et semblent plutôt grisâtres ; il en est de même de leurs vêtements, qui semblent vaporeux. Les esprits les plus brillants et les plus heureux portent divers vêtements. Ils ont une longue robe flottante et brillante, avec une ceinture autour de la taille. Les traits des spectres sont comme de leur vivant, mais plus vagues et plus obscurs. Leurs yeux brillent souvent comme une flamme. Je n’ai jamais vu de cheveux chez aucun d’eux. Tous les esprits féminins ont la même coiffure, même lorsque, en outre, comme on l’observe parfois, ils ont ce qu’ils portaient pendant la vie. Cela consiste en une espèce de voile, qui couvre le front et masque les cheveux. Les fantômes des bons esprits paraissent brillants, ceux des mauvais sont obscurs.
Je ne puis l’affirmer, mais je pense que mes sens ne peuvent les percevoir autrement et qu’à d’autres personnes plus spiritualisées, ils peuvent apparaître comme de purs esprits. Leur marche est comme celle des vivants ; seuls les esprits plus évolués semblent flotter, tandis que les mauvais se traînent lourdement ; de telle sorte que leurs pas ont pu être entendus non seulement par moi, mais aussi par ceux qui m’accompagnaient. Ils ont divers moyens d’attirer l’attention par d’autres sons que la parole et ils emploient souvent cette faculté pour ceux qui ne peuvent ni les voir, ni entendre leur voix. Ces bruits consistent en soupirs, chocs, bruits semblables à un jet de sable ou de gravier, froissement de papier, roulement d’une boule, sifflements, etc.… Ils sont aussi capables de déplacer de lourds objets, d’ouvrir et de fermer les portes, quoiqu’ils puissent traverser celles qui sont fermées ou passer à travers les murailles. Je remarque que plus un fantôme est obscur, plus sa voix est forte, et plus il semble posséder de puissance pour produire toute espèce de bruits et autres phénomènes physiques. Les sons qu’ils produisent se font au moyen de l’air et du fluide nerveux qu’ils ont conservé avec eux. Je n’ai jamais vu un esprit pendant qu’il produisait aucun son autre que la parole, de telle sorte que j’en conclus qu’ils ne peuvent pas le faire de façon visible. Je ne les ai jamais vus lorsqu’ils ouvraient ou fermaient une porte, mais immédiatement après. Ils remuent les lèvres en parlant, et leurs voix sont aussi variées que celles des vivants. Ils ne peuvent répondre à toutes mes questions. Les esprits pervers y répondent plus volontiers, mais j’évite d’entrer en conversation avec eux. Je puis chasser ces derniers au moyen d’une parole écrite, employée comme amulette et je débarrasse ainsi les autres aussi bien que moi-même.
J’ai vu les esprits et surtout les plus obscurs, recueillir mes paroles, lorsque je leur parlais avec piété et devenir ensuite plus brillants, mais cela m’affaiblissait. Les esprits heureux me fortifiaient et me procuraient des sensations tout à fait différentes des autres. J’ai remarqué que les esprits heureux présentaient autant de difficulté à répondre aux questions relatives aux intérêts terrestres, que les mauvais en ont pour traiter des questions spirituelles. Les premiers n’appartiennent plus à la terre, les seconds ne connaissent pas encore le ciel. Je ne suis pas en état de converser avec les esprits élevés et les saints, je puis à peine me hasarder à poser quelques questions. On m’a dit que lorsque je dormais, je parlais souvent avec mon esprit protecteur, qui est parmi les saints. Je ne sais pas s’il en est ainsi, si cela est, le fait a dû avoir lieu lorsque mon esprit était séparé de mon âme. Lorsqu’ils sont unis, je ne puis converser avec les esprits.
Les esprits qui viennent à moi sont surtout ceux des degrés inférieurs de la région moyenne, qui appartient à notre atmosphère ; mais le terme de la région moyenne est impropre, il faudrait plutôt dire de séjour forcé. Ce sont surtout les esprits de ceux qui sont restés en bas par attraction du monde externe ou par attachement pour lui, ou encore de ceux qui n’ont pas cru à la rédemption par le Christ, ou encore ceux qui, au moment de la mort, ont été troublés par des préoccupations terrestres, qui les ont fixées et ne leur ont pas permis de s’envoler vers les régions supérieures. On trouve aussi aux divers degrés de cette région moyenne beaucoup d’esprits qui ne sont pas condamnés mais ne sont pas encore placés parmi les saints. Quelques-uns dont les esprits ont été purifiés, occupent les plus hauts degrés. Ceux des degrés les plus bas sont encore exposés à la tentation du mal ; mais il n’en est pas de même aux degrés supérieurs ; ils jouissent pour toujours du bonheur céleste et de la pureté des saints.
Mais il ne faut pas penser que l’amélioration se fasse plus facilement là qu’ici ; il faut la tirer de soi-même ; on n’y trouve pas les distractions ni les dissipations du monde ; toute la vie de péché se présente devant l’esprit sous l’apparence d’un seul signe en caractères ; c’est à lui de choisir entre le ciel et l’enfer. Ceux des degrés inférieurs qui sont les plus lourds, sont dans un perpétuel crépuscule ; rien n’y vient y réjouir leurs yeux. Cette obscurité ne vient pas du lieu où ils sont ; il est le résultat de l’état de leurs âmes. L’orbite du soleil n’est plus visible pour eux et quoiqu’il se trouve dans notre atmosphère, ils n’ont point d’yeux pour les objets terrestres. Ce n’est qu’à la suite de leurs progrès intérieurs qu’ils obtiennent la lumière et la faculté de voir. Aussitôt que la lumière luit dans leurs âmes, ils peuvent quitter notre atmosphère et contempler la lumière. Ce sont là ceux qui viennent surtout à moi, car je suis malheureusement ainsi faite, que je puis les voir et en être vue. Ils viennent à moi, afin que je les aide par mes prières et que je leur adresse des consolations. D’autres viennent avec la conviction erronée que l’aveu de quelque crime, qui pèse sur leur esprit, pourra leur procurer le repos. Poussés par cette erreur, ils sont souvent plus préoccupés d’un seul de leurs méfaits que de tout le reste de leur conduite coupable. D’autres viennent encore à moi, parce qu’ils ne peuvent se débarrasser de quelque sentiment ou de quelque pensée terrestre qui les ont suivis dans la mort. Ils eussent mieux fait de s’adresser aux esprits des saints, mais leur poids les entraîne plutôt vers les hommes que vers les esprits. Ils viennent à moi et je les vois indépendamment de ma volonté.
Ces révélations paraîtront à beaucoup incroyables et absurdes, surtout à ceux qui pensent que les esprits doivent en savoir plus que les êtres humains. Mais je leur répondrai que tel n’est pas le cas pour les esprits dont je parle. Ils sont d’une condition très inférieure ; sont surtout engagés dans l’erreur et peuvent plus facilement se mettre en relation avec les hommes, avec lesquels ils sont dans une sorte de relation nerveuse, qu’avec les esprits célestes. Un esprit qui a vécu dans les ténèbres ici sur terre, reste obscur après sa mort. Un esprit faible devient encore plus faible après la mort, lorsqu’il est privé du soutient de l’âme, qui ne lui sert plus que de linceul ; ou plutôt, la profondeur de sa faiblesse est mise en évidence, lorsqu’il devient isolé et sans soutien. Un homme coupable et uniquement préoccupé du monde, peut briller sur terre par la force de son intelligence, mais son esprit n’en est que plus faible et plus obscur et il perd complètement sa vie intérieure. Il arrive également ainsi, que dans le monde des esprits, un tel individu est plus bas que son âme arrogante et trompeuse ne le ferait croire dans le monde intellectuel. Si un homme a hautement cultivé à la fois son âme et son esprit, il ne peut, après la mort, tomber dans cet état de lourdeur et d’impuissance ; et par culture nous entendons quelque chose de beaucoup plus élevé que ne le comprend le commun des hommes. Même dans ces esprits faibles, excepté lorsqu’ils se sont tout à fait abandonnés au mal, l’étincelle céleste n’est pas totalement éteinte. Ils cherchent toujours à entraîner l’âme avec eux, jusqu’à ce qu’enfin elle soit purifiée et qu’ils deviennent tout à fait de purs esprits. De tels esprits, avant d’être complètement purifiés, jouissent d’un certain degré de bonheur dans la région moyenne, dont ils peuvent atteindre la partie supérieure, sans parvenir au delà. Les fantômes de ces esprits, ainsi que leurs vêtements m’apparaissent plus lumineux : en un mot, ils sont spiritualisés.
Nous pouvons ajouter quelques particularités recueillies de la bouche de la voyante ou prises dans ses lettres à Eschenmayer sur ce sujet.
Il lui demanda : « Tous les hommes peuvent-ils voir les esprits, ou bien ceux là seulement chez lesquels les yeux spirituels brillent dans les yeux charnels ?
Réponse : « La faculté de voir les esprits se rencontre chez tous les hommes ; mais elle est rarement active et seulement momentanée, quoiqu’elle puisse être développée par quelque chose qui évoque l’homme intérieur ; et ceci est généralement dispersé et dissipé par la raison. »
Au sujet de la croissance des enfants dans l’autre monde, Mme Hauffe dit : « J’ai un jour demandé à un fantôme si les êtres humains croissent encore après la mort, parce que j’en avait vu qui, étant morts dans leur première enfance, me semblaient être devenus plus grands. Il me répondit : « Oui, lorsqu’ils sont enlevés de terre avant d’avoir atteint toute leur croissance. L’âme forme une enveloppe plus grande jusqu’à ce qu’elle atteigne la taille voulue. Avec les enfants, elle est aussi brillante que chez les bienheureux. »
Comme on lui demandait si les facultés des enfants restées incomplètes se développaient après la mort, elle répondit, qu’elles se développaient au moyen du fluide nerveux resté adhérent à l’âme, mais que nous ne pouvions nous figurer la puissance et la pureté des enfants, qui avaient conservé tout ce que leur Père céleste leur avait accordé et n’avaient détérioré, ni leur âme ni leur fluide nerveux par des paroles ou des actes. Cependant les hommes ne doivent pas désirer mourir dans leur enfance, car une vie employée selon la volonté de Dieu assure un état encore plus heureux. Quelle pureté et quelle élévation ne pourrions-nous atteindre, même sur cette terre, si nous n’affaiblissions pas ainsi la puissance de notre âme par nos paroles, nos actes et nos pensées. Notre chair serait alors purifiée et toutes nos facultés exaltées.
A propos de l’état des païens après la mort, la Voyante dit : « Il y a quelques jours, j’ai demandé à un esprit, qui était assez brillant, où il était, avec qui, et ce que faisaient les esprits qui l’entouraient. » Il répondit : « Je ne suis pas dans la région moyenne. Je jouis d’un certain degré de bonheur, celui qui est accordé aux païens et à tous ceux qui, sans qu’il y ait de leur faute, sont restés ignorants de leur Seigneur et du Sauveur. Nous sommes ici instruits par les Anges, jusqu’à ce que nous puissions atteindre un plus haut degré de sainteté. »
Interrogée si l’espèce humaine peut délivrer les esprits, elle répondit : « Non, il faut qu’ils se délivrent eux-mêmes des liens qui les retiennent. Ils demandent secours aux vivants et se figurent que nous pouvons les soulager, parce qu’ils ne connaissent pas le grand Rédempteur. Tout ce que nous pouvons, c’est agir en médiateurs, comme je le fais. Je cherche toujours à leur montrer leur erreur au sujet du secours que moi ou d’autres peuvent lui apporter. Je prie ardemment avec eux et je les sèvre de plus en plus du monde : mais il faut beaucoup d’efforts pour amener de tels esprits vers Dieu. Lorsqu’ils n’ont pas de bons penchants, nous ne pouvons que les comprendre dans la prière générale que nous faisons pour notre prochain. Dans beaucoup de cas, ceux qui sont à demi spiritualisés et qui se tiennent dans les degrés moyens, peuvent par eux-mêmes s’élever plus haut, car il dépend d’eux de fréquenter de bons esprits et de profiter de leurs enseignements. Alors, leurs progrès sont beaucoup plus rapides que par le seul secours des vivants. »
Nous apprenons ainsi par les révélations de la Voyante que les païens vertueux et tous les hommes droits doivent arriver plus tard au bonheur, mais que la croyance à la religion chrétienne est absolument nécessaire pour atteindre au bonheur parfait ; qu’ils doivent être instruits par des Anges, même après la mort, avant de pouvoir entrer dans le royaume de Dieu. Quand le Christ dit qu’il attirera tout à lui et qu’il n’y aura qu’un seul troupeau et un seul berger, il y comprend les païens et fait allusion au royaume céleste, aussi bien qu’au royaume terrestre. Lorsqu’il a envoyé la bonne nouvelle aux païens et les a amenés dans son sein, nous pouvons être certains qu’un état de béatitude très différent de celui auquel ils aspirent leur est destiné.
J’appuie cette histoire sur deux éléments :
1° Les témoignages que j’ai reçus de la bouche de personnes dignes d’une foi absolue, témoignages que ne pourrait produire aucun autre récit de ce genre ;
2° Sur le problème que chaque personne peut se poser devant elle-même, et qui consiste à trouver pour les réprouvés, après la mort, un état aussi rationnel que celui que décrit la Voyante.
CHAPITRE III
Dernières explications sur la faculté de voir les esprits, présentées par la Voyante
Cette faculté de voir les esprits qui s’est trouvée développée à un si haut degré chez Mme Hauffe, a été constatée plus ou moins chez plusieurs autres membres de sa famille, spécialement chez son frère. Il avait vu autrefois des apparitions, lorsqu’il était éloigné de sa sœur ; plus tard, lorsqu’il vivait avec elle, il vit souvent ceux qui se tenaient près d’elle ou qui traversaient la chambre. Il me dit une fois doucement : « Voici un esprit qui traverse la pièce pour se rendre dans la chambre de ma sœur. » A peine avait-il parlé que nous entendions Mme Hauffe causer avec un esprit, qu’elle voyait debout devant elle. Mais il n’avait pas cette faculté en tout temps comme elle ; car un soir, comme elle m’appelait avec lui pour venir voir ce même esprit, qui était alors dans sa chambre, il ne put le voir, comme elle le faisait d’elle-même, sauf à un moment, où sans y prendre garde, je me plaçai dans une position qui le masquait pour elle.
Son enfant, âgé seulement de trois ans, donna également plusieurs preuves incontestables qu’il possédait cette faculté.
Une sœur de Mme Hauffe, jeune fille très simple et très naïve, sentait d’une façon si vive la présence de ces êtres immatériels, que, sans les voir réellement de ses yeux, elle pouvait donner une description de leurs apparitions, qui s’accordait avec la réalité décrite par Mme Hauffe. Elle disait : « Je ne les vois pas avec ma vue ordinaire ; je les vois en dedans. » Cette jeune fille ne présenta cependant jamais de somnambulisme et jouissait d’une santé parfaite.
Novalis croit que lorsque nous voyons un esprit, nous devenons momentanément magnétiques. C’était certainement le cas de Mme Hauffe. Un verre posé sur le creux de son estomac la réveillait plus complètement. Ayant remarqué cela, je dis à sa sœur que la première fois qu’un esprit serait présent, elle devait appliquer un verre de cette façon. Elle le fit et l’effet produit fut que l’esprit parut plus sombre et plus grand et que Mme Hauffe éprouva une profonde terreur, ce qui lui était absolument inaccoutumé. Il semblerait donc évident qu’aux yeux spirituels intérieurs, un esprit paraît plus lumineux qu’à des yeux matériels. C’est l’opinion de Mme Hauffe, qu’elle ne voyait probablement pas les esprits comme ils étaient réellement.
Une très honnête et sincère jeune fille de Lowenstein, qui pendant quelque temps donna ses soins à Mme Hauffe, fut obligée de cesser parce qu’elle voyait tous les fantômes qui entraient dans la chambre de Mme Hauffe, même dès qu’ils traversaient l’antichambre. Elle pouvait les décrire très exactement tels que Mme Hauffe les décrivait, sauf qu’ils lui paraissaient plus effrayants. C’est, à ma connaissance, la seule personne qui les entendit causer avec Mme Hauffe. Beaucoup d’autres personnes étaient averties de leur présence, par une sensation de faiblesse et d’anxiété. Ceux qui couchaient dans la chambre de Mme Hauffe furent fréquemment impressionnés pendant leur sommeil, par ces visiteurs spirituels et racontaient leurs songes en s’éveillant. Ainsi, vie spirituelle, songes, sommeil, mort, tout semblait entremêlé.
L’opinion de Mme Hauffe était qu’une personne qui n’était pas ordinairement douée de la faculté de voir les esprits, était plus disposée à présenter ce phénomène pendant l’hiver que l’été. Sans doute pendant cette saison, la vie de la terre est plus intense, ainsi que depuis l’ouverture de la sainte période de l’Avant et celle qui sépare la Noël de l’Epiphanie. Ce qui supposerait que ce temps est tout particulièrement propre aux apparitions des fantômes.
Ces esprits pouvaient être entendus par beaucoup de personnes de diverses conditions, mais seulement de façon accidentelle, jamais lorsqu’elles s’y attendaient. Les sons produits ressemblaient surtout à des chocs légers, sur les murs, la table, le lit, et parfois dans l’air, c’étaient encore des froissements de papier, le roulement de boules, le bruit de pas. Fréquemment, surtout lorsqu’un esprit obscur était sur le point de paraître, cette histoire en donnera des exemples, on entendait des bruits de projection de gravier ou de sable, combinés avec la chute réelle de substances, telles que des morceaux de citron dans un cas. Ces bruits étaient non seulement entendus dans l’appartement de Mme Hauffe, mais dans d’autres parties de la maison, même dans ma chambre à coucher, pendant tout le temps qu’elle habita l’étage inférieur. Le cas se présenta aussi dans deux autres maisons qu’elle habita. Ces tapages étaient également entendus par d’autres personnes qui habitaient sous le même toit ; elles éprouvaient parfois d’étranges sensations de pression, etc.… Bien plus, ces bruits se firent quelquefois entendre dans les maisons des personnes chez lesquelles elle n’avait jamais mis les pieds, puisqu’elle resta pendant bien des mois confinée dans son lit. Toutefois, c’étaient des personnes qui lui avaient rendu visite et que tracassait l’esprit obscur.
C’est ainsi que M. Zenneck, un marchand de Stuttgard, me raconta qu’après avoir passé une soirée avec Mme Hauffe, il s’était produit pendant la nuit, dans sa maison, d’étranges bruits de portes s’ouvrant et se fermant, ainsi que de graviers et de sable projetés dans sa chambre à coucher. Il ne demeurait pas bien loin de Mme Hauffe, mais il n’avait jamais entendu parler de l’esprit obscur. Le même fait arriva à M. Wagner, artiste à Heilbronn. Je devinai bien la cause de ces bruits, mais je me gardai de faire part de mes soupçons.
Moi-même je vis une fois un spectre, au moment où les yeux de Mme Hauffe étaient fixés sur lui. Pour moi, ses contours n’étaient pas bien distincts : il me fit l’effet d’une colonne de vapeur, ou d’un nuage ayant la taille d’un homme. Il se tenait au pied de son lit et elle lui parlait d’une voix basse. Elle me dit ensuite que c’était le fantôme d’un grand vieillard, qui était déjà venu deux fois la visiter. Chose remarquable, à la première apparition, sa sœur l’avait vu et une personne l’avait observé aussi distinctement que Mme Hauffe elle-même.
Les esprits paraissaient sous des couleurs plus sombres à la jeune servante citée plus haut qu’à Mme Hauffe. Une autre personne en vit une fois un, comme un nuage grisâtre, mais avec des contours mieux définis que je les avais vus moi-même.
Dans beaucoup de récits d’apparitions on cite les bruits dont nous avons parlé ; peutêtre estce là le seul moyen que ces êtres possèdent de faire connaître leur présence aux mortels. Plus un esprit était sombre, plus la production de ces bruits lui paraissait facile, ce que Mme Hauffe expliquait en disant que, chez eux, le fluide nerveux, au moyen duquel se produisaient les bruits, était plus étroitement adhérent, moins facile à dégager.
Ce fluide nerveux, invisible pour nous, fait partie des puissances de la nature, sinon physique, au moins organique. Sans lui, nos muscles ne seraient que de la chair morte, de lui vient toute notre énergie, car nous ne pourrions produire la plus simple contraction musculaire. C’est l’impulsion du fluide nerveux, circulant à travers nos fibres, qui produit la contraction. Aussi longtemps que nous sommes attachés à nos corps, le fluide nerveux ne peut se manifester par leur moyen ; mais dès que nous en sommes affranchis, il peut produire les effets sensibles sur le monde de l’intelligence et de la matière, au moyen d’une substance qu’il emprunte à l’atmosphère. C’est ainsi que peut être résolue cette question posée par les incrédules : « Comment un esprit peut-il produire des sons ? » Mais tous continuent à dire de Mme Hauffe, qu’elle est trompeuse, et que tout cela n’est qu’illusion.
J’ai visité Mme Hauffe au moins trois milles fois, passant des heures et des heures avec elle ; je connaissais mieux qu’elle son entourage et les conditions dans lesquelles elle se trouvait. Je me suis donné plus de peine que je ne puis le dire, pour contrôler tous les récits, mais jamais je n’ai pu découvrir de fourberie. D’autres, au contraire, qui ne l’ont jamais ni vue ni connue et qui parlent d’elle comme les aveugles parlent des couleurs, ont découvert la fourberie sans aucune difficulté.
Mme Hauffe ne parlait jamais volontairement de ces apparitions, car le sujet lui était pénible ; lorsqu’elle le faisait sur sa demande ou sur celle d’autres personnes, c’était toujours avec une simplicité et une conviction qui impressionnaient même les incrédules. Elle considérait ce don de voir les esprits comme un si grand malheur, surtout à cause des bavardages que cela provoquait, qu’elle priait toujours Dieu avec ardeur de le lui enlever. Elle écrivit un jour à ce sujet à une amie dans les termes suivants : « Si je pouvais empêcher ces spectres de me connaître et de me rendre visite, je les éliminerais tout à fait, ou je ferais que d’autres personnes pussent les voir, mais ceci, je ne peux leur souhaiter, et ma position serait grandement améliorée. Car je me sens fréquemment isolée, abandonnée et méconnue par une grande partie du monde. Mais telle est la volonté de Dieu et je me tais. »
« Lorsque les avantages et les désavantages de ceux qui sont organisés de telle sorte, qu’ils ont des yeux pour le monde invisible aussi bien que pour le visible, se balancent, dit Kant, ce don ressemble évidemment à celui que fit Junon, à Tirésias, auquel elle accorde le don de prophétie, en le rendant aveugle. »
Quiconque a pris la peine d’observer et de mettre à l’épreuve Mme Hauffe, a été convaincu de sa sincérité, de la droiture de son esprit et de sa piété. Elle ne s’attendait pas à voir les autres ajouter foi à la réalité de ces apparitions et Dieu, dit-elle, ne leur demandait pas. « Malheureusement pour moi, ajoutait-elle, ma vie est ainsi faite, que ces êtres spirituels me voient et que je les vois aussi ; mais les autres n’ont aucune part à ces phénomènes supranaturels et ils peuvent aussi bien croire à ces visions que les considérer comme des illusions si cela leur plait. Personne ne devrait désirer les voir : je sais trop bien par ma propre expérience les effets nuisibles de cette faculté pour le cerveau. »
Je demandai longtemps à Mme Hauffe de me fournir l’occasion d’entendre un spectre et comme cela se produisit souvent au début, je lui demandai ensuite d’obtenir que je pusse en voir un ; mais elle me répondit que cela ne dépendait pas de sa volonté. Quelques personnes considèrent ce désir comme un péché ; mais Eschenmayer dit dans ses Mystères que, comme ces faits ne sont pas de simples phénomènes magnétiques, mais qu’ils touchent à des sujets du plus haut intérêt pour l’humanité, tels que communication avec les morts, etc., il considère que cela rentre dans les devoirs du médecin. Il fit la même demande, mais elle fit la même réponse, ajoutant que cela ne pouvait se produire que dans des conditions données. Il est probable que ceux qui, dans la vie ordinaire peuvent les voir, se trouvent dans un certain état magnétique ; mais le cerveau reprend bientôt son empire et ils se figurent qu’ils ont été victimes d’une illusion.
Beaucoup de personnes ont cru que cette vision des esprits, de la part de Mme Hauffe, venait de moi, et de ceux qui l’entouraient. Mais Mme Hauffe n’était pas comme certains somnambules, chez lesquels les phénomènes étaient provoqués, comme j’en ai vu ; elle était bien seule. Elle était manifestement, aux yeux de ceux qui l’ont connue et comprise, une femme extrêmement sensible et dans un état anormal.
La première fois qu’elle dit avoir vu un esprit, je la blâmai et la contredis, me figurant que cela n’était qu’une illusion, et quoique le temps et les circonstances aient modifié mon opinion, je m’efforçai toujours de lui persuader que les spectres qu’elle voyait n’étaient que le produit d’hallucinations de la vue, comme dans le cas de Nicolaï et d’autres. Mais, en dépit de cela, ils continuaient à se présenter ; ils étaient souvent entendus et sentis par d’autres et un fait extraordinaire était souvent suivi d’un autre.
A propos de mon influence sur la vue des esprits, je dirai que Mme Hauffe les vit avant de me connaître et lorsqu’elle était soignée par un magnétiseur, qui n’y croyait pas. Sa conviction n’était nullement ébranlée par mes doutes, ni par les déclarations que je lui faisais, qu’on ne pourrait y croire complètement, que quand d’autres les auraient vus aussi.
Chez moi même, je puis m’en porter garant, non seulement des bruits de jets de graviers, de coups frappés, etc., se produisirent, mais une petite table parcourut une chambre, sans aucun contact visible ; des plats d’étain furent jetés avec force dans la cuisine, ce que toute la maison entendit.
Ces circonstances peuvent prêter à rire à d’autres, comme je l’aurais fait moi-même, si je n’en avais pas été témoin en parfait sang-froid. Mais cela prend une signification plus grande encore, lorsque je les compare à de nombreux récits de faits de même nature, dans lesquels le somnambulisme n’intervenait en rien.
Sur ma demande, le prélat de Marklin vint parler à la Voyante et s’efforça de combattre sa croyance à la réalité des apparitions, lui-même étant absolument incrédule sur ce chapitre. Elle l’écouta avec satisfaction, mais les fantômes n’en vinrent pas moins et leurs visites n’en furent pas moins fréquentes, même lorsqu’elle était entourée d’amis qui, non seulement étaient incrédules, mais tournaient les faits en dérision.
Une amie de Mme Hauffe, qui venait la voir quelquefois, nous annonça un jour qu’un de leurs amis était mort. Cette personne lui avait promis de lui apparaître après sa mort et nous nous attendions à chaque instant qu’elle nous annoncerait avoir vu l’esprit. Mais les jours, les semaines et les mois passèrent sans rien nous amener. Cette amie nous avoua alors que, ne croyant pas à la réalité de ces apparitions, elle avait ainsi parlé pour faire une expérience : la personne en question n’était pas morte.
Une autre expérience fut faite dans les conditions suivantes : Mme Hauffe était fréquemment visitée par le spectre d’une personne décédée, qu’elle n’avait jamais vue auparavant et dont elle n’avait jamais entendu parler. Un ami lui dit de demander à l’esprit l’époque de sa naissance, inconnue de la voyante aussi bien que de moi. Elle le fit et lorsque l’ami fit une enquête auprès des parents, pour savoir si la date indiquée était correcte, on lui dit : « Non ». Notre ami nous l’écrivit et je lus sa lettre à Mme Hauffe, présentant ceci comme un puissant argument contre la réalité des apparitions. Elle répondit sans s’émouvoir qu’elle renouvellerait sa question. Elle le fit et obtint la même réponse. J’écrivis de nouveau à mon ami, lui disant le fait et lui demandant de s’assurer d’une façon plus précise de l’époque de la naissance en question. En le faisant, il apprit que les parents s’étaient trompés : la date avait été correctement donnée.
Je pourrais rapporter beaucoup d’autres faits également remarquables, mais il faudrait empiéter beaucoup trop sur la vie privée des personnes en cause. Je sais que bien des personnes resteront incrédules quand même ; mais quelque profonde que soit notre conviction, nous n’éprouvons pas le désir de l’imposer à qui que ce soit. Mme Hauffe avait cette faculté depuis l’enfance et elle l’a conservée en dépit de tous nos efforts. Bien des personnes la possèdent également, quoi qu’elles jouissent d’une robuste santé et ne sont pas dans un état magnétique. Mais on attribue toujours ces phénomènes à la folie et c’est pour cela qu’on ne les a pas étudiés. Cette faculté était naturelle chez Mme Hauffe et a certainement été développée par son état magnétique.
Quoique les personnes bien portantes la possèdent rarement à un si haut degré que Mme Hauffe, beaucoup l’ont cependant plus ou moins. Un exemple remarquable nous en est fourni par le conseiller S…L, de Neustadt. Quoique de 20 à 65 ans, il ait toujours été bien portant et ait mené une existence active, il avait néanmoins une faculté de clairvoyance allant presque jusqu’au somnambulisme. Il pouvait, comme notre Voyante, discerner l’homme intérieur à travers son enveloppe externe et possédait le don du pressentiment.
Une fois, dit-il, comme j’étais encore étendu sur mon lit, projetant le mariage de certaine jeune personne avec un de mes parents, les rideaux de mon lit s’écartèrent et un bras s’avança. Il y avait dans la main une tablette sur laquelle était écrit en caractères tout à fait inconnus de moi : « Frédérika se mariera dans trois ans, quatre mois et deux jours. » Très surpris de comprendre cette communication, je pris note des paroles et de la date. La jeune fille n’épousa pas mon parent, mais je sus plus tard qu’elle avait épousé une autre personne exactement à la date indiquée. Ceci nous fait penser ici au langage intérieur, déjà fréquemment signalé.
Ce Monsieur avait l’habitude de dire que les spectres qu’il voyait semblaient d’un gris bleuâtre et habillés comme pendant la vie. Dans les endroits fréquentés par les esprits, il était prévenu de leur présence par un sentiment étrange, mais non par la peur, car jamais ils ne lui en avaient causé. « J’ai souvent remarqué, disait-il, que les animaux étaient sensibles à leur présence, tandis que les personnes qui m’entouraient ne l’étaient pas. Du reste, quoi qu’il me fût possible de causer et d’entrer avec eux en communication plus intime, je ne le fis jamais et je cherchais à éviter leur voisinage. » La parfaite santé de ce Monsieur et sa vie active rendent son cas des plus remarquables.
La faculté de Swedenborg est bien connue, Claudius dit : « Ou Swedenborg était fou, ou il a vu des fantômes ; ceci reste encore a résoudre. Mais nous ne pouvons guère douter qu’il existe des spectres, et Swendenborg, a deux fois dans le cours de sa vie et encore à son lit de mort, à Londres, en 1771, affirmé solennellement qu’il les avait vus. » Notre Voyante porta le même témoignage à ses derniers moments.
« On cherche, dit Frédérich Von Meyer, à rendre compte des apparitions vues par la Voyante de Prévorst, en les comparant à celles de Nicolaï. Blake, le peintre anglais, les évoquait à volonté ; beaucoup d’autres, des mélancoliques, des nerveux, des hystériques les ont vues également, et nous sommes bien loin de supposer que ces fantômes soient toujours objectifs ; souvent ils sont subjectifs. Mais dans ces cas, il faut tenir compte de toutes les circonstances qui s’y rapportent. Nous ne pouvons être certains que les formes vues par Nicolaï et Blake ne fussent pas de simples créations de leur imagination. Il doit y avoir là un mélange de vérité et d’erreur. »
« Enfin, dit Eschenmayer, on peut expliquer ces phénomènes comme on voudra, nous nous rapporterons à la parole du prophète : « Et il arrivera dans les derniers jours que je répandrai mon esprit sur toute chair et vos fils et vos filles prophétiseront et vos vieillards auront des songes. Et dans ces jours je répandrai mon esprit sur mes serviteurs et sur mes servantes et ils prophétiseront aussi. »
« A tout moment, dit Kerner, un rayon traverse le mystère de la création et pénètre le nuage de notre vie factice. Celui qui regarde vers le ciel voit cette lumière, comme un éclair dans la nuit, qui, pour un instant, illumine une région inconnue. Mais celui dont les yeux sont fixés sur la terre ne peut voir cette lumière, et pour celui-là, tout est nuit. Mais le souvenir de cette région inconnue habite pour toujours dans l’esprit de celui qui l’a vue une fois et toutes ses énergies se dirigent vers elle ; mais celui qui ne l’a pas vue, qui ne la cherche pas, resté enveloppé dans les bras glacés de la terre d’où il est sorti. La larve cachée dans la terre ne peut devenir un papillon qu’après une longue, bien longue série de métamorphoses. »
CHAPITRE IV
La croyance aux esprits est basée sur la nature
La croyance dans le voisinage des esprits et des âmes des décédés se rencontre chez tous les peuples. Elle est innée dans le cœur de l’homme et ne disparaît que devant l’éducation et la culture. Les sages de l’antiquité parlent avec assurance d’une région spirituelle, d’une condition moyenne après la mort et du poids ou de la grossièreté qui, après la mort, ramène l’âme impure vers la terre. Platon nous dit que lorsque une âme pure quitte le corps, elle va d’emblée vers Dieu et l’immortalité, mais que l’âme impure, qui n’a aimé que son corps et ne s’est appliquée qu’a satisfaire ses désirs et à favoriser ses passions ; qui n’a pas aimé la sagesse et dont les yeux sont restés fermés, celle-là ne peut se dégager de la chair. Celle-ci l’accompagne et la fait retomber sur la terre. Les spectres qui flottent autour de leurs tombes et apparaissent aux mortels, viennent de ceux qui n’ont pu se séparer de leurs corps et qui ont conservé les moyens de se rendre visibles. Selon la Voyante, ce moyen serait le fluide nerveux. Ce ne sont pas les âmes pieuses, mais celles des méchants qui reviennent visiter la terre. »
Le témoignage de beaucoup de personnes sensées et dignes de foi de nos jours doit être pris en considération. J’en connais beaucoup dont l’expérience tend à confirmer ces vues. Je connais beaucoup de maisons qui ont depuis longtemps la réputation d’être visitées par des apparitions. Je pourrais citer beaucoup de faits authentiques de cette nature, mais comme on me les a communiqués dans des lettres ou dans des familles, je ne puis invoquer mes autorités, sans juger trop sévèrement cette faiblesse humaine qui recule devant les moqueries du monde à ce sujet.
Mayer nous fait remarquer combien nous serions plus avancés dans la connaissance de ces questions spirituelles, si nous ne nous laissions arrêter dans nos recherches et l’aveu de nos croyances par une crainte enfantine du monde ; il cite à l’appui le cas de Lichtenburg, homme très sensé et d’un esprit réfléchi, qui raconte que, étant une nuit dans son lit, il se sentit tout à coup saisi d’une crainte inaccoutumée de l’incendie, sans pouvoir s’en débarrasser. En même temps il se figurait qu’il sentait aux pieds une grande chaleur, comme s’ils eussent été près du feu. Presque aussitôt après le tocsin sonna et il se trouva que l’incendie n’avait pas envahi sa chambre, mais une maison très voisine. Lichtenburg ajoute : « Autant que je puis me le rappeler, je n’ai jamais raconté ce fait, parce que je ne voulais pas prendre la peine de le défendre contre les suppositions ridicules, qu’il ne pouvait manquer de provoquer, ni contre le dédain des philosophes opposants. »
Kant, ce profond penseur, dit qu’il ne connaît pas plus la situation de l’homme après la mort, que la manière dont il est venu sur terre ; ni comment un esprit immatériel peut être renfermé dans un corps matériel et en faire l’instrument de ses volontés. Il ne se sent pas, dit-il, autorisé à répéter les histoires de fantômes ; car si un fait isolé peut être déclaré improbable, les nombreux témoignages forment un ensemble qui impose la croyance.
Notre Voyante avait la faculté de reconnaître les formes indépendamment de la substance et le vêtement à sa couleur sans le tissu. Puisque nous pouvons logiquement séparer la forme de la substance, nous devons admettre que la première peut exister sans la seconde et peut encore persister lorsque la substance a disparu, spécialement dans un monde où la substance n’existe pas. Il y a des verres dioramiques qui reflètent une peinture avec toutes ses formes et ses couleurs, comme si elles étaient réelles ; et cependant, où est la substance ? Il en est de même pour les âmes des décédés.
Le débauché peut apparaître sous la forme d’un animal auquel il ressemble par son mode de vie et le crime d’infanticide est représenté par l’apparition d’une femme portant un enfant assassiné dans ses bras. Dans ce monde, les hommes ont besoin d’un corps solide ; dans l’autre cette nécessité n’existe pas. Lorsque la matière rencontre la matière, il se produit une opposition ; mais les formes in substantielles des âmes des décédés passent aussi facilement à travers les murs que par une porte ouverte. Le fluide nerveux ne doit pas être confondu avec les substances impondérables et bien moins encore avec les pondérables. C’est un agent plus élevé que toutes les forces chimiques et physiques et lorsqu’il est libre, celles-ci ne peuvent nullement lui résister et il peut au contraire en faire ses instruments.
Notre Voyante avait raison de représenter les esprits de la région moyenne comme devenus plus ignorants qu’ils ne l’étaient pendant la vie. Arrachés aux attaches et aux dépendances du monde, qui formaient toute leur science, ils ne conservent que leurs dernières aspirations, sans les moyens de les réaliser et avec le souvenir de leurs fautes. Platon dit : « Celui qui a vécu dans le vice est devenu plus brute qu’il ne l’était auparavant. » Il est naturel aussi de supposer que les semblables s’attirent ; aussi lorsque l’ignorance des choses spirituelles est générale, il n’y a pas moyen de s’instruire. Le mauvais séparé du bon doit se sauver lui-même et racheter le temps perdu sur terre par un travail dix fois plus grand. La loi morale des peines et des récompenses dans le monde futur est aussi précise que les lois physiques de celui-ci. Chaque esprit doit reconnaître le lot qui lui échoit alors, comme la conséquence de sa conduite ici-bas. Ainsi, abandonné à lui-même, sans le soutien terrestre auquel il est accoutumé ; privé de la lumière du soleil et de l’aspect verdoyant de la végétation, comme dans un pays d’ombres et de mort, le papillon déploie ses ailes les plus brillantes et les plus éclatantes malgré les ténèbres et la solitude, dans lesquelles la transformation s’est opérée.
Toutes les considérations ci-dessus présentées étant bien pesées, on peut en tirer les indiscutables circonstances suivantes :
1° Le poids moral (le péché) de même que la pesanteur physique, nous entraîne en bas et s’oppose à notre séparation d’avec le monde.
2° Lorsque la substance (la chair) disparaît, la forme reste.
3° La forme, dégagée de la substance, ne peut se représenter que comme une apparence plastique ou une image éthérée.
CHAPITRE V
Quelques mots à propos des faits ci-annexés
A propos des faits que je vais rapporter, je veux me borner à dire que j’ai été moi-même témoin du plus grand nombre et que pour ce que je cite sur la foi des autres j’ai recherché avec la plus grande attention et les réflexions les plus anxieuses, mais toujours en vain, s’il n’était pas possible de les expliquer par les lois connues. Je puis positivement affirmer que les bruits inexplicables dont il sera question n’ont pu être produits par la Voyante, ni pendant la veille, ni pendant l’état de somnambulisme, dans le but de tromper et de convaincre le monde de la réalité de sa faculté de voir les esprits, comme on l’a souvent suggéré, car ce n’était pas certes ce qu’elle désirait. Beaucoup d’autres témoins dignes de foi ont constaté que les bruits n’étaient pas produits par Mme Hauffe, ni par aucune autre personne quelconque. Bien loin de se prévaloir de sa faculté de voir les esprits, elle la considérait presque comme un grand malheur pour elle et si elle avait aimé davantage à en parler, nous pourrions aujourd’hui citer beaucoup plus d’exemples et de particularités. Elle ne désirait convaincre personne, car elle pensait qu’au point de vue religieux, la croyance à la réalité de ces faits n’est pas nécessaire. Elle ne voyait pas d’un mauvais œil ceux qui refusaient d’y croire ; mais son intime conviction à leur égard était si profonde, que je lui ai entendu dire qu’il fallait qu’elle fût folle, pour garder aucun doute sur la réalité des apparitions, car il faudrait alors mettre en doute tout ce qui peut tomber sous les yeux. En même temps, comme elle voyait les esprits au moyen de ses organes corporels, elle pensait qu’il était possible que sa vie spirituelle fut altérée par sa vue physique et que les esprits ne fussent pas en réalité tels qu’elle les percevait, ou que, d’autre part, ils ne se rendissent pas visibles à elle que dans certaines conditions. Jamais elle n’a un seul instant admis la possibilité qu’ils ne fussent que de simples visions ou des illusions oculaires.
« Les influences du monde spirituel, dit Kant, dans ses songes d’une voyante, peuvent être d’un tel poids sur la conscience de l’homme, que, selon la loi de l’association des idées, il peut se former des images en relation avec ce monde et que des conceptions de cette nature peuvent s’éveiller dans l’esprit, qui ne sont pas les idées spirituelles elles-mêmes mais leurs symboles. Notre pure raison, qui se rapproche du spirituel, revêt ordinairement des formes matérielles pour se faire mieux comprendre. La sensation de la présence d’un esprit peut, sous l’influence de l’imagination, s’envelopper d’une forme humaine telle que nous aimerions à la voir dans la vie, etc.. »
J’ai souvent présenté à la voyante la théorie qui porte à considérer ces apparitions comme de simples phénomènes de l’état somnambulique et de l’imagination, qui, par l’action du magnétisme physique du somnambule peuvent être imposés à une seconde et à une troisième personne, comme par l’action du magnétisme organique, le somnambulisme du somnambule peut être transmis. Mais elle soutenait que même si ce genre de transmission pouvait être prouvé cela impliquerait tout simplement que d’autres personnes peuvent être mises en rapport, comme elle l’était simplement avec les esprits et que cela ne prouverait en aucune façon qu’ils n’étaient que des produits de l’imagination. Elle citait en outre l’exemple de personnes qui n’étaient nullement en rapport avec elle et qui, n’ayant jamais entendu parler de sa faculté de voir les esprits, les avait vus dans les mêmes endroits qu’elle-même.
Bref, je n’ai jamais manqué d’insister près d’elle sur la possibilité d’une illusion et de lui exposer les diverses théories proposées pour rendre compte de ces faits d’après les lois admises ; mais sa conviction n’a jamais été ébranlée.
Nous devons nous rappeler combien ces phénomènes étaient souvent accompagnés de signes sensibles à l’oreille et à l’œil, combien de fois des objets furent visiblement déplacés ou enlevés, sans l’intervention d’aucun agent visible, et combien fréquemment, comme elle le rappelait, d’autres personnes virent les apparitions aux places mêmes ou elle les voyait, quoique l’une ignorât ce qui arrivait à l’autre. Il ne faut pas non plus perdre de vue les nombreuses histoires semblables et corroborantes, recueillies partout et dont nous n’avons cité plus haut que quelques exemples. Les plus remarquables parmi elles confirment incontestablement les assertions de la Voyante à propos de l’existence au milieu de nous d’un monde d’esprits. Mais c’est un sujet que notre orgueil et notre crainte du ridicule ne nous permettent pas d’étudier, même lorsque nous nous sentons secrètement porté à croire. Je me rends bien compte que ce n’est pas de notre génération présente, mais de celles qui nous suivront qu’il faut attendre l’étude sérieuse et la croyance. Ces révélations qui viennent frapper des esprits sensuels et mondains, sont trop mal notées pour avoir quelque chance d’être acceptées et j’ai bien conscience du dédain auquel je m’expose en les relatant. Mais je ne crains rien et je conclus en priant les humains de voir leur futur destin fidèlement reproduit par la pitoyable situation de ces esprits malheureux, qui, chargés du lourd fardeau de crimes pesant sur leurs épaules, s’introduisent dans notre monde et essayent de nous prévenir avant qu’il soit trop tard.
CHAPITRE VI
Les faits
Faits survenus à Oberstenfeld
Premier fait
La maison habitée par le père de Mme Hauffe faisait partie de la vieille cathédrale. Depuis longtemps les divers locataires qui l’avaient occupée avaient observé qu’on y entendait divers bruits forts étranges, tels que coups dans les murs et sur les tonneaux de la cave, jets de graviers, roulements de boules et même, dans certains cas, des sons rythmés comme frappés sur un triangle, sans que personne pût s’en rendre compte. Enfin, Mme Hauffe et plusieurs membres de sa famille aperçurent de temps à autre un spectre d’apparence féminine. Dans la pièce où son père travaillait, on entendait fréquemment les pas d’une personne qui allait et venait. Il fut même obligé de changer d’appartement, parce que souvent il sentait un animal inconnu se poser sur ses épaules ou ses pieds. Souvent même il entendait comme des tintements de verres, sans pouvoir en trouver la cause.
Le soir du jour de l’an 1825, tandis que Mme Hauffe chantait un hymne en s’accompagnant, on entendit dans le hall un bruit comme celui de la chute d’un corps pesant. On en rechercha aussitôt la cause, mais sans succès, et l’incident était oublié, lorsque Mme Hauffe se rendit avec sa sœur et sa servante dans sa chambre à coucher. Il y avait à peine un quart d’heure qu’elles étaient couchées, ne dormant pas encore, lorsqu’elles virent que la veilleuse, qui brûlait sur une table au milieu de la chambre, commençait à se mouvoir ; non seulement on voyait se déplacement, mais on l’entendait, tandis que la table et tous les autres objets contenus dans la pièce restaient immobiles. Tandis qu’elle observait ce phénomène, Mme Hauffe vit paraître près de son lit une forme sombre, en costume de chevalier et si vaporeuse, qu’elle crut qu’on pouvait voir au travers. L’apparition lui dit : « Viens avec moi et délivre moi de mes chaînes. » Dans ce cas, comme dans tous les autres, la voix de l’esprit ne rappelait pas la voix humaine, mais les mots semblaient comme soupirés. Elle répondit : « Je ne veux pas aller avec toi. » Frappée de terreur, elle se précipita dans le lit où se trouvaient sa sœur et sa servante, en criant : « Ne voyez-vous rien ? » Elles dirent que non et elle ne leur donna aucune explication, pour ne pas les effrayer. Elle envoya la bonne coucher dans son lit, qui était en face de celui de sa sœur et la bonne, prenant avec elle quelques couvertures du lit, celles-ci furent violemment enlevées par une main invisible. Après quoi elles dormirent tranquillement le reste de la nuit.
La nuit suivante, sur la demande de ses parents, son frère, homme très brave, s’étendit sur un couple de chaises, dans leur chambre, en prévision du retour de l’apparition. A onze heures précises, après que la lumière eût encore été déplacée de façon à être vue et entendue, le spectre reparut. Elle s’écria : « Le voici encore ! » Mais les autres ne l’aperçurent pas, quoiqu’ils eussent vu les mouvements de la veilleuse. Le spectre se tint néanmoins près du lit de la Voyante, qui reconnut très nettement la forme d’un chevalier. Il semblait âgé de cinquante ans environ et avait une contenance triste.
Alors le lit de la Voyante et celui de sa sœur commencèrent à être secoués d’une façon visible, même aux yeux de leur frère et l’esprit lui soupira : « Si vous ne venez pas avec moi, je vous ferai passer par la fenêtre. » Elle lui dit : « Au non de Jésus, faites-le. » La forme disparut alors, puis revint bientôt en disant : « Je vous précipiterai au fond de la cave. » Elle lui fit la même réponse : il s’évanouit de nouveau et reparut une deuxième fois, menaçant de la poignarder, mais dès qu’elle lui eût répondu : « Vous n’avez pas le pouvoir de le faire », il disparut et resta trois nuits sans revenir.
La troisième nuit, il se présenta de nouveau près de son lit et lui dit : « Il faut que vous veniez avec moi. J’ai caché quelque chose sous le sablier. Il y a là un écrit et plusieurs pièces de monnaie. Il faut que je vous les donne et ensuite je garderai le repos. » Elle lui dit : « Je n’irai pas avec vous : cela ne vous rendrait pas heureux ». Le fantôme disparut alors. Cet événement la frappa beaucoup et elle devint si malade, qu’elle ne pouvait plus quitter son lit. Sur ces entrefaites ses parents la firent monter à l’étage supérieur, où ils couchaient eux-mêmes, espérant qu’elle n’y serait plus troublée. Loin de là, le spectre lui apparut pendant sept jours, à toute heure du jour et de la nuit, aussi bien lorsqu’elle était en somnambulisme, que lorsqu’elle était éveillée. Il lui dit qu’il appartenait à la famille des Weilers, de Litchenberg : qu’il avait assassiné son frère et que c’était la cause de sa malheureuse situation. Il lui répéta souvent qu’il se trouvait quelque chose d’important dans un certain souterrain sous l’église, mais elle lui opposa toujours le nom de Dieu et des prières. Lorsqu’elle le vit s’agenouiller, elle pria ardemment avec lui et elle lui enleva peu à peu l’idée qu’en écrivant il pourrait obtenir quelque soulagement. Les trois premières nuits qu’il vint à l’étage supérieur, les parents de la Voyante entendirent du bruit à la fenêtre et une vitre fut enlevée juste avant l’apparition. La septième nuit, il vint exactement à minuit, lorsqu’elle était parfaitement éveillée, et la remercia de l’avoir réconcilié avec son Rédempteur ; il ajouta que l’heure de sa délivrance approchait. Il s’agenouilla près de son lit et pria avec elle pour la dernière fois : le fantôme à ce moment était devenu beaucoup plus brillant et d’aspect plus gai. Soudain parurent sept enfants blancs, brillants, joyeux ; c’était ses enfants et ils formaient un cercle autour de lui, en chantant mélodieusement. L’esprit chanta avec eux, ainsi que Mme Hauffe, qui s’endormit aussitôt en continuant à chanter. Peu de temps après elle s’éveilla et causa avec le spectre. Il voulait lui faire une marque sur la main, mais elle s’y refusa. Il ne la quitta que lorsque l’esprit protecteur de la Voyante, sa grand-mère, vint se placer entre eux : il prit alors deux de ses enfants par la main et tous disparurent. Elle se rappela longtemps ce fantôme, avec un double sentiment de joie et de mélancolie.
A cette époque, Mme Hauffe, lorsqu’elle était en somnambulisme, avait l’habitude de dire ses prières, seule dans la cuisine déserte. S’étant agenouillée un matin, vers neuf heures elle vit paraître devant elle un petit fantôme, avec un capuchon sombre et une face toute ridée. Il pencha la tête en avant et la regarda fixement pendant quelques instants, comme elle le faisait elle-même. Mais étant prise de peur, elle se précipita vers l’étage supérieur, où étaient ses amis ; mais elle ne leur dit rien de ce qu’elle avait vu. Un jour il reparut cependant devant elle, tandis qu’elle priait et lui dit : « Je viens à toi pour apprendre à connaître mon Rédempteur. » Pendant toute une année, à partir de cette époque, le fantôme avait l’habitude de lui apparaître à divers moments de la journée, qu’elle fut endormie où éveillée : cependant, il se présentait invariablement à sept heures du soir, lui demandant de prier avec lui. Il disait : « Il faut me traiter comme un enfant et m’instruire dans la religion depuis les premières notions. » Il ajoutait que le poids d’un meurtre et d’autres crimes pesait sur lui et que pendant des années il avait erré ça et là, sans être capable de formuler une prière. Elle l’instruisit, comme elle l’eût fait d’un enfant et peu à peu son apparence devenait plus brillante et plus gaie. Son apparition était toujours précédée de coups frappés dans les murs, de bruits dans l’air et de sons qui étaient entendus par beaucoup de personnes, comme peuvent l’attester plus de vingt témoins digne de foi.
Nuit et jour on entendait de lourds pas montant et descendant les escaliers, ainsi que des coups dans les murs et les caves, mais on ne voyait personne. Cependant à chaque instant des personnes se précipitaient vers le siège des bruits afin d’en découvrir la source, mais toujours sans succès. S’ils sortaient, les coups retentissaient au dedans ; s’ils rentraient, le contraire se produisait. Cependant, on avait fermé avec soin la porte de la cuisine, on l’avait même fixée avec des cordes et le matin on la trouvait ouverte. Quoiqu’on se fût fréquemment précipité en l’entendant ouvrir ou fermer, jamais on n’avait pu trouver qui que ce fût. Le bruit de bois que l’on casse ou de plats d’étain entrechoqués, de crépitement dans le four étaient aussi fréquemment entendus, sans que la cause ne pût jamais en être découverte. Souvent encore on entendait le son rendu par un triangle frappé. Non seulement Mme Hauffe, mais les autres membres de la famille voyaient fréquemment un fantôme d’apparence féminine.
Le tapage dans cette maison devenait si intense, que le père de la Voyante finit par déclarer qu’il ne voulait pas y rester plus longtemps. Ce n’étaient pas seulement les habitants de la maison qui les entendaient, mais même les personnes passant dans la rue qui s’arrêtaient pour les écouter. Mme Hauffe disait dans son sommeil que les esprits mauvais voulaient empêcher celui qui priait avec elle, afin qu’il lui fût impossible de les abandonner. Une nuit, après un tapage plus grand que de coutume, le fantôme lui apparut avec un aspect sombre et désolé. Elle s’enfuit et tomba sur le seuil de la porte, sans pouvoir se relever. Elle sentit alors une main se poser sur son bras droit et vit un fantôme féminin qui la redressait. Le lendemain, comme elle était de nouveau tombée dans l’escalier, à la suite d’un faux pas, le même fantôme vint la relever. Elle était alors parfaitement éveillée. Le soir le spectre se montra et la remercia d’avoir prié avec lui. Une fois il apparut en compagnie d’un fantôme féminin grand et fort, pourtant un nouveau-né dans ses bras. Ce spectre que Mme Hauffe reconnut comme ayant été vu souvent par sa famille, s’agenouilla et pria avec l’autre fantôme.
Celui-ci lui apparaissait même au milieu de la campagne.
Ainsi, comme elle revenait un jour de Bottwar avec ses parents, et une autre fois sur la route de Gronau, il vint vers elle à sept heures sonnant et flotta devant elle. Elle glissait plutôt qu’elle ne courrait ; de telle sorte que ceux qui étaient avec elle ne pouvaient la suivre et ne voyaient plus ses pieds toucher la terre. Le spectre la précéda pendant tout le chemin, jusqu’à ce qu’on fût arrivé à la cuisine, où elle s’agenouilla et pria avec lui. Après quoi il causa avec elle, lui disant à peu près ceci : « Maintenant un soleil se lève en moi ou brille en moi. »
Elle lui demanda un jour s’il entendait parler les autres personnes aussi nettement qu’elle. Il répondit : « Je les entend par votre intermédiaire. Lorsque vous entendez les autres, leurs pensées se fixent en vous et je lis vos pensées. » Comme elle lui demandait pourquoi il faisait tout ce tapage, il répondit que c’était pour forcer les hommes à penser à lui, ce qui lui apportait des consolations et des adoucissements. Lorsqu’elle chantait en s’accompagnant au piano, l’esprit commençait aussitôt à frapper dans la muraille, surtout lorsqu’elle chantait : « Combien grande est ta bonté… »
De tous les habitants de la maison, aucun, sauf son père, son frère et sa plus jeune sœur, ne le voyait ; mais ceux-ci l’apercevaient souvent. Il apparaissait parfois sous la forme d’un serpent d’argent. La mère de Mme Hauffe ne vit jamais le spectre, mais elle sentait son souffle sur elle, ainsi que la sœur aînée de la Voyante. Il accompagnait Mme Hauffe à la communion et lui disait : « Vous l’avez prise pour moi ». Un forestier nommé Boheim qui ne voulait pas croire à la réalité de l’apparition, se plaça au chevet du lit de Mme Hauffe, à l’heure où elle se produisait ordinairement. Il s’y trouvait à peine depuis quelques minutes, lorsque les bruits commencèrent et spécialement celui de la chute d’un corps pesant ; Bohein s’évanouit. Lorsqu’il revint à lui, il raconta qu’aussitôt après le coup il avait vu un nuage sombre, se tenant au coin du mur, puis s’approchant graduellement du lit, où il prenait la forme et les traits d’un homme, qui se plaçant sur le chemin de la porte, ne lui permettait pas de sortir. Lorsque les assistants vinrent le secourir, il s’étonna qu’ils eussent marché contre le spectre sans le voir. Un terrier noir qui était dans la maison, avait souvent la notion de la présence du spectre et se traînait en hurlant vers ses maîtres : et ne voulut plus rester seul pendant la nuit. Des objets étaient souvent déplacés par une main invisible, des verres et des bouteilles étaient enlevés de la table et placés sur le parquet ainsi que les papiers qui se trouvaient sur le bureau du père de la Voyante : parfois on les voyait voler vers lui.
Lorsque Mme Hauffe vint à Kürnbach, en novembre 1825, le spectre y vint avec elle. Il disait : « Où vous êtes, je dois y être aussi : mais je vais bientôt être plus tranquille. Il m’est pénible de vous accompagner. » Chaque nuit, entre onze et douze heures, elle lui enseignait la religion, comme à un enfant. Une fois il lui dit : « Je vais être sept jours sans venir, car votre esprit protecteur est absent pour une affaire urgente, qui survient dans votre famille, dont vous entendrez parler mercredi. Sans elle vous ne pourriez me supporter. » Elle raconta le matin ce que le spectre lui avait dit et, le mercredi, on reçut une lettre annonçant que son grand-père, le mari de son esprit protecteur, dont personne ne soupçonnait la maladie, était mort. Lorsque les sept jours furent écoulés, le spectre reparut et comme elle lui demandait pourquoi sa protectrice l’avait abandonnée, il répondit : « Elle s’occupait de son mari mourrant. » Ceci rappelle à la mémoire le songe que le grand-père avait eu sept jours avant sa mort. Le spectre dit : « Je suis maintenant si avancé, que j’ai pu voir le mort traverser une magnifique vallée. Bientôt je serai moi-même admis dans une admirable vallée. » Tandis qu’elle était à Kürnbach, on entendait encore le spectre à Oberstenfeld, mais de bonne heure, à une, deux ou trois heures du matin. Ensuite il restait avec elle à Kürnbach.
Lorsqu’elle se rendit de Kürnbach à Lowenstein, il l’accompagna encore, flottant près de la voiture et là les bruits qu’il produisit furent entendus par beaucoup de personnes.
Mais le spectre devenant plus lumineux, ces bruits étaient moins prononcés ; le 6 janvier 1826, il lui apparut pour la dernière fois.
Le soir précédent il lui avait dit : « Je vous ferai bientôt ma dernière visite. » Le 6 était le jour du baptême du fils de la Voyante. Après l’avoir remerciée de l’intérêt qu’elle lui avait accordé, il lui demanda que pendant le baptême, on chantât un certain hymne, pour l’aider à trouver le repos. Ceci fut retardé à cause de la présence des étrangers et tandis que toute la société assistait au lunch, Mme Hauffe étant dans sa chambre avec une servante, la porte s’ouvrit puis se referma. La servante fut frappée de surprise, mais Mme Hauffe ne lui dit pas quelle était la cause de ce phénomène. Le spectre entra cependant et lui renouvela sa prière : elle appela alors sa mère et lui fit connaître ce qui venait d’arriver : mais sa mère désirait attendre encore que tout le monde fût parti. Cependant, au bout de deux heures la porte s’ouvrit et se ferma de nouveau, de façon à être vue et entendue. Le spectre se plaçant devant elle dit d’une voix plaintive : « Il est temps maintenant de chanter l’hymne. » Mme Hauffe en parla de nouveau à sa mère, qui, en conséquence, informa la société de ce qui venait d’arriver et on se disposa aussitôt à chanter l’hymne. Un assistant prit place au piano et tandis que l’on chantait, le père de Mme Hauffe vit le spectre auprès du pianiste, avec une physionomie brillante et joyeuse. Il fut impressionné par cette vue et se rendit dans la pièce voisine. Là il trouva le grand fantôme féminin paraissant fort triste et tenant un enfant dans ses bras. Pendant le chant de l’hymne, Mme Hauffe fondait en larmes.
D’après ses indications, on fit une fouille dans un certain endroit de la cour, près de la cuisine, et on y trouva les os d’un petit enfant.
Pendant son séjour chez son oncle, à Lôwenstein, en même temps que ce second fantôme lui apparut, elle voyait chaque nuit un vieillard, vêtu d’un long gilet et d’un chapeau pointu en tenant à la main une liasse de papiers, passer de la pièce intérieure vers celle où elle se trouvait. Il retournait les feuilles de papier de la première à la dernière, puis rentrait d’où il était venu. Elle le vit très souvent, mais ils ne se parlèrent jamais. Dans une période suivante, ce fantôme fut tantôt vu, tantôt entendu par d’autres personnes et la réalité de ses apparitions fut constatée.
Faits survenus à Weinsberg
Premier cas
Mme Hauffe vint à Weinsberg, le 25 novembre 1826. Elle n’y connaissait personne, pas même moi, et logeait dans une petite pièce au rez-de-chaussée, près de la maison et au dessus des caves de M. Fezer, sur lequel elle ne savait rien. M. F… lui était tout à fait étranger et ne savait pas qu’elle habitait là : il ne connut que par moi les faits qui suivirent. Il est possible que Mme Hauffe ait entendu dire qu’un certain K… avait conduit les affaires d’un certain M. F… d’une façon tout à fait déplorable ; mais si cela fut, elle ne se le rappelait nullement. Cet homme était mort depuis quelques années ; elle ne l’avait jamais vu ; elle n’avait aucun rapport avec qui que ce fût, s’occupant des affaires de cet homme ou de celles de M. F…, dont on ne parlait plus dans le public.
Dès le premier soir, étant tombée naturellement dans une trance magnétique, avant que je l’eusse magnétisée, elle dit qu’il y avait là près d’elle un homme, dans une contenance vraiment pitoyable, qui semblait attendre quelque chose d’elle sans qu’elle pût comprendre ce que c’était. Le 24 décembre, étant plongée dans le sommeil magnétique, elle dit : « Voici encore cet homme : il sort des caves situées ici au dessous, à l’heure où je m’endors. Oh ! Comme il devrait s’en aller ! Car il trouble mon sommeil et je ne puis rien pour lui. Je puis montrer où il se tient dans la cave : c’est derrière le quatrième tonneau et il sort à l’heure où je m’endors. Oh ! Comme il louche de l’œil droit ! Il s’avance. Oh ! Non, arrêtez ; je ne puis rien pour vous. Personne autre que moi ne l’aperçoit-il pas ? Il persiste à me faire des signes et désire me dire quelque chose.
Le 25, jour où M. F… fut présenté pour la première fois, car je pensais que le fantôme pouvait être celui de quelqu’un de ses parents, elle dit : « Le voici encore, il trouble mon sommeil. Que veut-il donc me montrer ? un paquet de dessins, moins grands qu’un in-folio. Le coin droit supérieur est tourné en bas : dans le gauche il y a un numéro. Sous le premier rang de dessins, je vois un 8 et un 0. Je n’en puis lire davantage. Cela commence par un J. Cette feuille se trouve sous beaucoup d’autres et il n’y fait pas attention. Il désire que j’en parle à mon médecin et que je porte le fait à sa connaissance. Pourquoi me tourmente-t-il ainsi ? Ne pourrait-il le dire à sa femme ? Il se proposait de le dire avant sa mort, mais il ne s’attendait pas à mourir si vite. Etant mort ainsi, cela adhère à son âme, comme une partie de son corps. » Il est réellement exacte que cette personne mourut inopinément. Elle décrivit ses traits avec une telle exactitude, spécialement l’œil louche, que je reconnus que c’était le défunt K… Elle ajouta : « Il faut que je m’éloigne de lui : je ne puis le supporter un jour de plus. »
Le 26, étant dans un profond sommeil magnétique, elle chercha à découvrir où était le papier. Elle dit : « Il se trouve dans une construction à soixante pas de mon lit. (Il faut remarquer ici que Mme Hauffe n’avait jamais vu cette construction). Là je vois une grande et une petite chambre. Dans cette dernière, un personnage très grand travaille derrière une table. Voilà qu’il sort, puis il revient. Derrière ces chambres il s’en trouve une plus grande, où sont plusieurs caisse et une longue table. Il y a là une longue caisse ; quelqu’un se tient à l’entrée, dont la porte reste ouverte. Mais ces caisses n’appartiennent pas à cet homme. Sur la table il y a trois tas de papiers ; dans celui du milieu, un peu au dessous de sa partie moyenne, se trouve la feuille qui le tourmente si vivement.
Je reconnus l’édifice pour être le bureau du Haut-Bailli et croyant que la description de Mme Hauffe n’était qu’une simple vision, j’allai le trouver et le priai de nous permettre de rechercher les papiers, afin de la désabuser.
Le Haut-Bailli, qui considérait tout cela comme un rêve, nous dit qu’elle était cependant dans le vrai, en affirmant qu’il travaillait en ce moment : qu’il était également exact qu’il s’était rendu dans la pièce voisine et qu’il avait observé le couvercle de la caisse ouverte. Quoique frappés de ces coïncidences, nous fûmes confirmés dans notre opinion que tout cela n’était qu’un rêve, lorsqu’en recherchant les papiers, trop hâtivement peut-être, qui se trouvaient, il est vrai, comme Mme Hauffe les avait décrits, il nous fut impossible de trouver celui auquel nous pensions. Je priai néanmoins le Haut-Bailli de venir et d’assister en témoin à la chose, la première fois que Mme Hauffe s’endormirait. Après avoir prescrit mon traitement, elle parla de nouveau de cet homme qu’elle appelait : « L’homme qui se tient derrière le quatrième tonneau », où, disait-elle, elle le voyait chaque nuit. Elle me reprocha de n’avoir pas recherché le papier avec plus de soin et me pria de le faire. Elle décrivit avec plus de précision où il se trouvait et elle ajouta qu’il était enveloppé dans un grossier papier brun. Je déclarai qu’il n’y avait rien de semblable et que tout cela était un rêve. Mais elle me répondit avec calme qu’il fallait trouver le papier et qu’il le serait.
Dans le but de la tranquilliser lorsqu’elle reviendrait sur ce sujet dans son sommeil du soir, moi, qui à cette époque ne connaissais nullement le caractère de Mme Hauffe et considérais tout cela comme des songes, je lui donnai une feuille de papier sur laquelle étaient différents numéros et en bas le chiffre 80, en lui disant que c’était ce qu’elle avait demandé. Mais elle me dit : « Non, le papier est toujours à sa place et les dessins qui y sont imprimés sont beaucoup plus réguliers que ceux-ci. »
Le 31, elle dit : « L’homme de derrière le tonneau menace de me priver du ciel si je ne trouve pas le papier, mais lui ne peut le faire. Il est mort en y pensant : cela l’attache à la terre et ne lui laisse aucune paix. Si le papier était retrouvé, il pourrait, en priant, obtenir son salut. Pour l’amour de Dieu ! Cherchez-le ! Si je pouvais marcher, il serait bientôt retrouvé. » Elle était encore plus agitée à son réveil et il était évident que cette perturbation de son sommeil affectait sa santé et l’abattait. En conséquence, je retournai chez le Haut-Bailli et lui demandai de nous laisser chercher de nouveau et alors nous trouvâmes réellement enfermée comme, Mme Hauffe l’avait décrit, une feuille de papier correspondant absolument avec ses indications, jusqu’au coin replié en dessous. Ceci je l’avoue, me donna une vive émotion, lorsque je le vis, car il était évident que c’était fait depuis longtemps. Ce papier contenait la seule preuve montrant que M. K… avait tenu un livre de comptes particulier, qui ne fut pas retrouvé après sa mort et dont, disait-on, sa femme affirmait n’avoir aucune connaissance.
Entre le Bailli et moi, il fut convenu de ne rien dire de la découverte de ce papier et il me promit d’assister, le soir, au sommeil. Quoique je ne le lui eusse pas demandé, je prévis qu’il apporterait le papier pour le lui montrer. Il vint et, comme d’habitude, elle revint sur ce sujet en disant : « Il est encore là, mais il paraît plus calme, le papier doit avoir été trouvé ; apportez-le. » Je dis, croyant qu’il était dans la poche du Bailli ; « S’il est trouvé, où est-il ? » Aussitôt elle tomba dans une sorte de coma cataleptique, ressemblant tout à fait à la mort, mais avec les traits éclairés par l’extase. Elle dit immédiatement : « Les papiers ne sont pas loin d’ici ; mais, Ah ! quelle surprise ! celui que l’homme avait toujours dans la main est ici ouvert : je puis maintenant le lire mieux : « Pour être transféré sur mon livre particulier. » Ah ! telle est la ligne qu’il m’avait montrée ; il voulait attirer l’attention sur ce livre. Que faut-il faire maintenant de ce papier ? Ah ! je tremble à la pensée de ce que fera cette pauvre femme ! Avertissez-la. Il trouvera alors quelque repos et pourra se rapprocher de son Rédempteur. » Ces mots étonnèrent le Bailli, comme il me l’avoua plus tard ; car à titre d’expérience, il avait mis le papier dans la position exacte qu’elle décrivit.
Le 1er janvier, elle dit que l’homme désirait que sa femme fut avisée de faire quelque chose, sinon qu’elle serait encore plus malheureuse qu’il ne l’était lui-même et elle parla de lui écrire elle-même.
Lorsque je vins la voir, le 2, elle était tout à fait éveillée, état dans lequel elle ne savait absolument rien de l’affaire, et elle me dit : « La dernière nuit, j’ai eu une grande peur. A neuf heures, je demandai un peu de nourriture ; ma servante me la donna et vint pour se coucher et dormir. Pour moi, je demeurai éveillée, lorsque tout à coup, j’entendis auprès de mon lit quelqu’un qui écrirait. Je regardai et vis, assis à la table, un homme écrivant dans un livre. J’en fus effrayée et fermai les yeux, sans oser les ouvrir jusqu’à ce que vint le sommeil. »
Dans le sommeil magnétique qui suivit, je lui demandai si cela n’avait pas été un rêve, mais elle me répondit : « Non, c’était cet homme mort : il désirait, au moyen de ce livre attirer l’attention sur son carnet particulier. Il portait un costume de laine blanche et des pantoufles semblables à ceux qu’il avait l’habitude de porter lorsqu’il écrivait dans son carnet. Il désire que j’avertisse sa femme : mais il me coûtera beaucoup d’ennuis pour retrouver ce livre et ma santé en souffrira sept jours. » Par égard pour la famille de cet homme et la santé de Mme Hauffe, cette affaire me répugnait ; aussi je la plongeai dans un sommeil plus profond et lui demandai d’abandonner la question et de ne penser qu’à se guérir. Mais elle me dit que cet avertissement lui avait été imposé par le mort comme un devoir. Aussi qu’arriverait-il si elle ne l’envoyait pas ?
Le 3 janvier, elle me dit, étant bien éveillée : « Aujourd’hui, à trois heures, cet homme est revenu. Il a ouvert la porte d’une façon à être vu : est entré et s’est assis de nouveau à la table pour écrire. Il avait un costume blanc flottant, un chapeau blanc et des pantoufles. » Une femme qui couchait dans la chambre de Mme Hauffe déclara que le bruit de la porte se refermant l’avait réveillée. Elle avait donc regardé et avait vu une forme, comme un nuage grisâtre, se diriger vers la table. Elle appela Mme Hauffe qui ne répondit pas. Aussi, dans son effroi, elle cacha sa tête sous les couvertures.
Dans cette même journée, Mme Hauffe étant endormie, dicta la lettre suivante à sa sœur :
Il faut que j’écrive à cette malheureuse et innocente femme et que je lui dise : « Votre défunt mari m’apparaît chaque soir et me montre un papier qui est dans le bureau du Haut-Bailli et il indique ces mots : transcrivez sur le carnet particulier. » De l’autre monde, son âme trépassée me demande de vous avertir de ne pas vous parjurer. Au non du Rédempteur et de votre mari, ne cachez rien dans votre cœur, qui puisse vous tourmenter plus tard. Ne vous fâchez pas contre moi : je ne suis pas responsable de ceci et j’ai tout oublié lorsque je m’éveille. Je n’ai jamais vu ni vous ni votre mari et je n’avais jamais entendu parler de cette affaire, jusqu’au jour où il est venu à moi, me demandant de chercher le papier, car cette pensée lui enlève tout repos, faites maintenant ce que vous commande votre conscience. Que Dieu vous soit en aide, ainsi que votre famille et vous sauve du péché. »
Mme Hauffe n’aurait pas eu de repos avant que cette lettre ne fût envoyée ; nous le fîmes donc en disant que nous considérions tout cela comme l’illusion d’un défunt, mais en conseillant à cette femme de parler à Mme Hauffe, lorsque celle-ci serait éveillée, comme elle le désire vivement, et cette femme y consentit.
Le soir, avant qu’elle s’endormît, je lui écrivis quelques vers sur le sujet suivant :
Si, lorsque cette femme viendra, vous trouvez qu’elle est innocente en actes et en pensées et qu’elle pleure sous le soupçon qui l’atteint, ne serez-vous pas désolée d’avoir dit que sont mari ne peut être sauvé après la mort ?
En les lisant elle me dit : « Une femme dans le chagrin doit donc venir ? » Puis s’étant endormie, elle écrivit les yeux fermés :
« Que cela chagrine mon cœur où non, mon esprit doit hardiment passer outre et avertir l’affligée, avant qu’il ne soit trop tard de l’avenir qui l’attend. »
En conséquence, Mme K… vint le soir avec le magistrat P… et lorsque j’eus magnétisé Mme Hauffe, celle-ci me demanda, dès qu’elle fut endormie, à quoi je pensais tandis que je faisais des passes, car elle avait senti en moi une puissance exceptionnelle. Je répondis : « Je songe à la veuve de ce trépassé, qui est ici pour vous parler. » Elle dit qu’elle en était bien aise et ensuite, après avoir, selon son habitude, fait quelques recommandations qui la concernaient, elle se tourna vers cette dame et lui dit avec calme : « Que vous dirai-je ? Mon cerveau ne sait rien, c’est mon esprit qui parle et si, étant éveillée, je savais ce qu’il dit, cela me tuerait. Ecoutez, je ne connais ni vous ni votre mari ; je suis une étrangère ici. Mais constamment, depuis que je couche au-dessus de ces caves, votre mari m’apparaît chaque nuit, me demandant de chercher un papier et aussi de vous avertir de ne pas vous laisser entraîner à ce sujet par une pensée terrestre, sinon cela vous rendrait encore plus malheureuse qu’il ne l’est lui-même. Le papier est trouvé, on vous l’a fait savoir, et depuis il est plus calme. »
Mme K… nous affirma qu’elle n’avait aucune idée de cela : que son mari ne lui communiquait pas ses affaires ; qu’elle ne savait rien d’un carnet particulier et qu’on ne lui avait demandé aucun serment à ce sujet. Mme Hauffe lui dit que cela pourrait encore arriver et lui demanda si elle ne consentirait pas à rechercher ce carnet. Après cela, elle resta, pendant un temps exceptionnel, froide et comme en état de mort, d’où je ne la tirai qu’avec difficulté par des passes. Elle pria ensuite avec ferveur avec Mme K… et celle-ci la laissa profondément affectée.
Ceux-là seuls peuvent se faire une idée de l’étrangeté et de la vérité de cette histoire, qui ont observé, depuis le début, le développement de cette affaire ou qui sont en relation avec l’un des intéressés, spécialement avec Mme Hauffe, et l’on pourrait accuser de mauvaise foi ceux qui, ayant eu de telles facilités pour s’édifier, parleraient cependant encore de fraude.
On a essayé, comme toujours, d’expliquer les faits ci-dessus par des causes naturelles ; quant à moi, qui ai eu les meilleurs moyens de me renseigner, je dois non seulement maintenir ma conviction, mais je puis l’appuyer du témoignage que le Haut-Bailli a apporté, pour répondre à la demande de ses amis.
« Mme Hauffe vint ici, où elle était étrangère, pour réclamer les soins du Dr Kerner. Elle loua un logement près de la porte des magasins de M. F… dont les affaires avaient été quelques temps auparavant, conduites d’une si déplorable façon par M. K…, que M. F… perdit 1000 florins. Pour recouvrer cette somme, diverses mesures furent prises contre la veuve et les enfants de K…, spécialement pour leur faire livrer un carnet particulier, auquel il était fait allusion dans un certain document. Ces faits étaient absolument inconnus de Mme Hauffe. (Vient ici le récit de toute l’affaire, qu’il est inutile de reproduire. Le Bailli assure nettement que personne autre que lui ne savait qu’il avait ouvert et déplié le papier avant de se rendre chez Mme Hauffe et il ajoute :) A ceux qui seraient disposés à croire que tout ceci n’était qu’un simple stratagème de M. F… pour effrayer la veuve de K… je demanderai comment ils expliquent que Mme Hauffe a pu me décrire, en train de travailler dans mes bureaux, à un moment absolument inaccoutumé ; comment elle a signalé le coffre ouvert, etc.., dans une pièce où je suis certain que personne, sauf moi et les miens, n’avait pénétré depuis une semaine. Enfin, comment elle a pu avoir connaissance de ce coin du papier replié en dessous, puisque personne ne l’avait vu depuis plusieurs années ? »
« Le Haut-Bailli Heyd »
Je dois répéter ici que M. F… ne connaissait nullement M. Hauffe et ne vint la voir que sur ma demande, à propos de cette affaire, dont il apprit les détails avec la plus grande surprise. Il ne la revit que deux fois dans la suite et il ne vint alors que pour assister à quelques expériences et constater les effets du raisin.
A propos du fait ci-dessus Eschenmayer s’exprime ainsi : « Mme Hauffe qui venait d’arriver à Weinsberg et qui ne connaissait ni cette localité, ni ses habitants, pas même son médecin, vit une personne morte tenant à la main un papier qu’elle décrivit : le fantôme lui dit où était le papier et qu’il n’aurait pas de repos avant qu’il fût retrouvé. Elle raconta le fait et décrivit l’homme avec tant d’exactitude, qu’on le reconnut aussitôt. Pour procurer le repos à cet esprit, elle engagea son médecin à rechercher ce papier, indiquant exactement où il se trouvait, donnant en même temps tous les détails sur la chambre qui le refermait : toutes choses qui furent reconnues correctes. Le médecin qui croyait que tout cela n’était qu’hallucination, chercha le papier au lieu indiqué et ne le trouva pas. Cependant le propriétaire de la maison constatait que tous les autres détails étaient corrects. Il lui déclara qu’il n’avait rien trouvé : mais elle se plaignit de sa négligence et insista sur la nécessité de chercher de nouveau, en ajoutant de nouvelles indications. Il le fit et il le trouva exactement où elle dit qu’il était et où il se trouvait depuis six ans. On ne lui dit pas que le papier était retrouvé. Cependant, aussitôt après, elle revit l’homme qui paraissait plus content et en conclut qu’il était retrouvé. Elle se força donc de le voir et le décrivit exactement comme le Bailli l’avait disposé. La solution de ce fait se trouve dans les paroles suivantes : « Ah ! maintenant, que faut-il faire de ce papier ? Ah ! je tremble à la pensée de ce que fera cette pauvre femme, si on ne l’avertit pas ! Il faut l’avertir ! Alors seulement il goûtera le repos et pourra, par la prière, se réconcilier avec le Rédempteur. »
Le papier révélait l’existence d’un carnet secret que l’on avait perdu de vue. La veuve était sur le point d’être sommée de le produire sous serment. Le fait avait pour résultat de l’avertir, afin qu’elle évita de commettre un acte capable de la rendre encore plus malheureuse que son mari. Telle était la conséquence morale de l’apparition du spectre.
Mme Hauffe n’avait aucune relation à Weinsberg : encore moins y connaissait-elle une personne intéressée à la découverte du papier. Du reste, M. F… était seul dans ce cas, et elle ne l’avait encore jamais vu, lorsque le Dr Kerner le lui présenta, après qu’elle eût parlé de l’apparition. Quelle justice y aurait-il de la part des incrédules à calomnier le caractère de la voyante ? Car puisque les faits ne peuvent plus être expliqués par une illusion, les nier ce serait mettre en doute sa moralité et sa sincérité. Un fait remarquable c’est que toutes les choses révélées par les clairvoyants arrivés au troisième ou plus haut degré, tendent éminemment à développer la moralité et les sentiments religieux. Comment faire accorder tout ce qu’elle dit à ce propos avec une fraude caractérisée ? Ceux qui la calomnie oublient qu’un calomniateur est aussi mauvais qu’un trompeur. Comment peuvent-ils croire qu’une personne dont la vie a été une longue série de souffrances et d’épreuves, qui a annoncé elle-même sa mort prochaine et qui a montré si clairement le châtiment qui attend les trompeurs au-delà de la tombe, consacrerait toute sa vie à pratiquer un tel système de fraude ? Ceux qui sont éloignés ne peuvent être bons juges dans un cas semblable : tout ce que nous pouvons faire est d’en tracer une esquisse légère. Il faut l’avoir vue dans ses divers états pour ressentir l’intime conviction dans sa sincérité, qu’elle inspirait à tous ceux qui l’entouraient. L’éclat et la pureté que des amis ont toujours constaté chez elle, était au-dessus de toute feinte humaine. Si le diable, comme dit Saint-Paul, peut prendre l’apparence d’un ange, cela n’est pas possible à l’homme. Il y a longtemps que je suis convaincu que les apparitions de cette sorte sont permises pour montrer aux mondains leur impuissance et l’insuffisance de ces lois naturelles, auxquelles ils s’attachent comme un ver à sa motte de terre.
Certainement la nature n’est pour l’esprit qu’une base qui lui permet d’atteindre les régions de la liberté éternelle si élevée au-dessus de toutes les lois naturelles. Ce royaume de liberté s’étend à toute la spiritualité de l’univers et l’homme n’est qu’un anneau ajouté à cette chaîne et comme cette vérité est dédaignée, oubliée et rejetée par les intelligences mondaines, ces instruments méprisés sont envoyés pour les confondre.
M. Fezer dit : « Quoique je ne croyais pas aux apparitions et que je fusse fort défiant à l’égard des somnambules, mes yeux et mes oreilles m’ont convaincu que dans ce cas il n’y a pas eu de tromperie. M. Hauffe était absolument étrangère ici ; elle m’était inconnue lorsqu’elle loua le logement à mon représentant, et ceux qui l’entouraient ne connaissaient rien de l’affaire de K… et n’y avaient aucun intérêt quelconque. Ce fait survenu sept ans auparavant, n’occupait plus les conversations depuis longtemps et cette question m’était devenue si indifférente que, lorsqu’on me parla du document, j’eus d’abord quelque difficulté à rappeler mes souvenirs. Je n’en avais jamais dit un mot à qui que ce fût, et personne autre que le magistrat ne l’avait connue et n’avait été amené à s’en occuper. Je suis absolument certain que la Voyante n’avait pas la moindre notion à ce sujet, d’autant plus qu’elle n’intéressait personne autre que moi. Quelques incompréhensibles que soient ces faits, je suis convaincu qu’ils ne peuvent être mis en doute.
« Ce que j’affirme ici est la simple vérité que l’on peut contrôler sur des documents officiels et je laisse à chacun le droit de faire de ma déclaration l’usage qu’il voudra. »
FEZER.
Deuxième cas
On a déjà dit que M. Hauffe et sa famille entendaient fréquemment un bruit paraissant produit par un triangle et que, vers la même période elle vit une forme féminine, qui en dernier lieu lui apparut, tenant un enfant dans ses bras et paraissant fort triste. L’apparition suivante semble avoir quelque rapport avec ces faits : Le 6 octobre 1827, comme j’étais avec d’autres personnes dans la chambre de M. Hauffe, la porte s’ouvrit puis se ferma. Mais, quoique nous nous fussions aussitôt mis à chercher, on ne vit personne qui eût pu produire ce phénomène. Il est superflu de faire remarquer que si une porte peut s’ouvrir d’elle-même, elle ne peut se refermer que si une traction où une impulsion lui a été appliquée. Aussitôt après on entendit un son métallique doux dans l’air de la chambre où nous étions : il dura quelques minutes, mais on ne vit rien.
Le lendemain matin, Mme Hauffe se trouvant dans sa chambre avec une seule personne, le même son se reproduisit et, aussitôt après elle vit une forme féminine sur le seuil de la porte qui donnait sur l’antichambre. Le fantôme était grand, mince, peu âgé, vêtu d’une robe sombre, qui formait beaucoup de plis. Sur la tête elle portait ce voile qu’on observe constamment chez les spectres féminins. Le 11, la même forme se représenta après que l’on eût entendu le son du triangle où du moins un son qui lui ressemblait. Mme Hauffe entendit le fantôme dire d’une façon distincte : « Celui qui est comme moi dans les ténèbres souffre cruellement. » Le jour suivant, elle revint encore et s’avança davantage dans la chambre mais ne dit rien.
Dans la nuit du 15 au 16, Mme Hauffe fut éveillée par ce fantôme, qui se tenait près de son lit et dit : « Je voudrais être heureuse et je sais que je ne puis le devenir que par mon Rédempteur. Comment pourrai-je m’en approcher ? » Mme Hauffe lui répondit : « En priant ardemment et de façon constante qu’il vous accorde sa grâce et votre pardon. » Après quoi le fantôme disparut.
Dans la nuit du 31, il revint de nouveau à une heure et dit : « Voulez-vous prier avec moi ? » Mme Hauffe reconnut alors en lui le spectre qu’elle avait vu à Oberstenfeld, avec un enfant dans ses bras et qui était quelquefois accompagné par un homme. Elle prit peur et dit : « Priez vous-même ; je ne puis prier avec vous. » Après cela le spectre devint triste et disparut.
Dans la nuit du premier novembre il revint encore et posa quelques questions au sujet du spectre avec lequel il était apparu à Oberstenfeld ; mais, le lendemain matin, Mme Hauffe les avait oubliés. Pendant la nuit du 27, le spectre revint et demanda à nouveau de prier avec lui, ce que Mme Hauffe refusa. Lorsque je lui en demandai la raison, elle me dit qu’elle ne pensait pas que cet esprit fût dans un état qui pût rendre ses prières efficaces ; qu’elle en avait peur et que cela la rendrait malade.
Le 30 novembre, à sept heures, comme sa famille était à Oberstenfeld, son frère vit le même spectre qu’il avait déjà vu auparavant, passer par la porte de la chambre.
Dans la nuit du 4, il revint avec les bras croisés sur sa poitrine et regardant Mme Hauffe en silence et avec tristesse. Lorsqu’il reparut, plusieurs nuits plus tard, le fils de Mme Hauffe le vit et rit d’abord, comme à l’aspect d’une personne de connaissance, mais aussitôt après il se pencha sur l’épaule de la personne qui le portait, comme s’il avait peur. Il est évident qu’il se rappelait l’avoir vu à Oberstenfeld.
Dans la nuit du 13, l’esprit revint, mais vêtu d’une robe blanche et dit : « Le moment est venu pour moi de reconnaître que Jésus-Christ était réellement le fils de Dieu, etc.. » Mme Hauffe lui dit : « Quel est ce temps ? » Il répondit : « C’est le temps où nous voyons les esprits heureux tenir leur réunion. Je sais que l’homme ne peut être sauvé que par la grâce divine. Priez pour l’affermissement de ma foi. » Mme Hauffe pria avec ardeur avec lui et après cela, il ne réapparut plus jamais.
Quatre ans après cet événement et deux ans après la mort de Mme Hauffe , il survint à Oberstenfeld des circonstances qui peuvent servir à prouver la réalité des fantômes vus par Mme Hauffe, à montrer qu’ils n’étaient pas subjectifs, mais bien objectifs, au moins pour ceux qui n’ont pas le parti pris de rejeter quand même les faits, parce qu’ils ne concordent pas avec l’idée qu’ils se font de Dieu et avec le monde. Quelques années après le départ de Mme Hauffe D’Oberstenfeld, le magistrat Pfafflen y vint, acheta une des maisons de la vieille cathédrale et la rebâtit. Sous la cathédrale se trouvait un caveau dont on lui accorda la jouissance.
Avant d’aller plus loin, nous devons signaler que M. Pfafflen n’avait jamais vu Mme Hauffe pendant sa vie ; qu’il n’avait pas lu son histoire et ne savait pas qu’elle était voyante. Avant qu’il n’arrivât, toute la famille de Mme Hauffe avait quitté Oberstenfeld. Il ignorait donc l’affaire dont il n’avait aucun soupçon. C’était un homme d’une bonne santé, intelligent et instruit, ne croyant pas aux fantômes. L’histoire suivante, qui témoigne en son honneur, devrait au moins faire réfléchir les septiques. Il est facile de se prononcer en ces matières, au coin du feu et une plume à la main ; mais combien peu, par amour pour la vérité, prendraient la peine de faire quelques milles pour voir ce qui y a trait et d’étudier les faits. Lorsque la Voyante vivait et que l’on parlait de ces choses, aucun de ceux qui aujourd’hui écrivent des volumes de réfutation ne prirent la peine de venir la voir, de l’écouter et de l’examiner par lui-même. Non, ils se bornent à s’asseoir devant leurs bureaux et se considèrent beaucoup plus capables de se prononcé sur ces faits, que le calme, sincère, profond psychologue Eschenmayer, qui étudia chaque chose sur place et en personne et considéra comme peu de chose de faire un voyage dans ce but, au cœur de l’hiver.
Ce n’est que de cette façon que, dans de tels sujets, la vérité peut être dégagée. L’étude et les théories ne peuvent remplacer les recherches personnelles. Je reviens à mon histoire.
« Un jour, dit M. Pfafflen, comme j’étais descendu dans le caveau sous la cathédrale, j’entendis derrière un des tonneaux un coup si fort et si distinct, que je crus que c’était le tonnelier qui travaillait : je l’appelai et n’obtins pas de réponse. Alors je tournai autour du tonneau, mais je n’y vis rien, ni dans le reste de la cave. Je quittai donc la place sans trouver la clef du mystère, mais je ne songeais à aucune cause surnaturelle et à un spectre moins qu’à toute autre chose. Je descendis plus tard très souvent dans cette cave, mais je n’entendis plus rien et j’avais tout à fait oublié cet incident, lorsque l’an dernier (1830), le jour de la Pentecôte, j’eus l’occasion d’y retourner pendant que dans la cathédrale, au-dessus de moi, on célébrait les offices religieux. Mes pensées étaient bien loin des esprits : au contraire, je songeais à la cérémonie religieuse et aux paroles du prêtre que j’entendais distinctement, lorsque, passant d’un tonneau à l’autre, comme le demandaient mes affaires, j’aperçus avec étonnement une forme féminine couverte de vêtements blancs de forme antique, tachés de sang, avec un voile sur la tête et un enfant dans ses bras. Elle venait vers moi, passa à côté, monta l’escalier de la cave et lorsqu’elle fut à moitié de la hauteur, s’arrêta comme pour m’attendre. J’étais absolument maître de mes sens et la suivis sans hésiter, espérant avoir le courage de lui parler. Mais je ne le pus et elle s’évanouit à travers le mur en pierre de la cave. Ce que je ressentis n’était pas tant de la terreur que de la stupéfaction, surtout devant l’étonnante beauté de l’enfant. Je fermai la porte du caveau et revint aussitôt après avec mon personnel, faire des recherches dans toutes les parties de la cave, mais sans rien découvrir. Pendant les trois jours suivants je ne découvris rien en venant dans la cave ; mais, le quatrième, je vis le spectre comme précédemment, mais cette fois la robe et le voile étaient noirs. Mais alors, au lieu de la surprise comme la dernière fois, ce fut de l’horreur que j’éprouvai ; je me hâtai de remonter et je fus bien longtemps avant de pouvoir surmonter les effets d’une terreur, telle que je n’en avais jamais éprouvée jusque là. Quoique j’eusse l’habitude de descendre dans cette cave presque tous les jours de l’année qui suivit, je n’ai plus revu le spectre. »
Un parent de m. Pfafflen, qui allait souvent dans cette cave, dit qu’il ne vit jamais rien, mais qu’il entendit souvent des bruits de pas marchant à ses côtés ou le précédant.
Tel est le récit d’un homme honnête, impartial, nullement somnambule et qui n’avait jamais connu la Voyante. Lorsqu’une seconde personne voit les spectres qui apparaissaient à Mme Hauffe, les incrédules disent que son imagination s’est laissé influencer par elle. Mais que peuvent-ils dire lorsqu’un homme qui ne l’a jamais vue et ignore son histoire, rencontre, des années plus tard, le même fantôme et à la même place ? Ils diront sans doute que, comme les germes d’une affection contagieuse peuvent persister dans le même lieu pendant des années, de même peut se produire la contagion de cette étrange aberration, surtout dans des caves bien closes. D’autres plus instruits comprendront que le spectre était un fantôme produit par la projection nerveuse, grâce à l’atmosphère et aux conditions particulières dans lesquelles se trouvaient à se moment Mme Pfafflen ou encore que les images projetées par le système nerveux de la Voyante, quelques années auparavant, avaient pu passer de son lit dans la cave, où elles restaient encore visibles pour un œil exercé et que l’on peut expliquer de la même façon les coups frappés. Une troisième catégorie attribuera le tout au cerveau surexcité de M. Pfafflen, qui avait sans doute entendu dire que la cave était hantée par des spectres de ce genre et qui les a vus sous l’influence du vin nouveau qu’il était venu goûter. Mais il faut se rappeler que la première fois, M. Pfafflen ne croyait pas que ce fût un spectre qu’il avait vu et qu’il n’éprouva de la crainte et de l’horreur que la seconde fois. Mais tout cela ce sont des théories dans lesquelles se réfugient les sages et les intellectuels, qui aiment mieux croire à tout plutôt qu’aux spectres dont l’existence ne cadre pas avec le système de la nature qu’ils ont établi à leur usage.
Troisième cas
Dans la nuit du 20 juillet 1827, comme Mme Hauffe était couchée dans son lit, après avoir bu seulement un peu d’eau, la porte s’ouvrit et se referma et il entra une forme d’homme, environ âgé de trente ans, vêtu d’un long habit ouvert, avec de larges boutons, des guêtres, des bas enroulés, des souliers à boucles et une cravate retenue par un bouton et dont les deux bouts, très longs, pendaient. C’était le costume des paysans d’autrefois. Il dit : « Il faut que vous descendiez avec moi dans mon étable. » Elle demanda : « Ou se trouve-t-elle ? » Il lui répondit : « Près de la grande vieille maison de l’inspecteur. » Il sortit ensuite en ouvrant de façon bien visible la porte et en la refermant. Son teint était foncé et il y avait en lui une lourdeur provenant de la vie des champs et qui, paraît-il, persiste après la mort, grâce aux fluides nerveux. Le 21 au soir, vers neuf heures, les couvertures du lit de Mme Hauffe étaient continuellement tirées d’une façon visible pour tous ; on entendait également un bruit de pas et il semblait qu’il y eût un chien sous la table. A dix heures, on entendit nettement la porte s’ouvrir et se fermer ; le paysan reparut, regardant silencieusement Mme Hauffe, puis, ouvrant la porte, se retira.
Dans la soirée du 22, le paysan fantôme entra par la porte ouverte, accompagné par le fantôme d’une jeune paysanne. Comme ils s’approchaient du lit, elle se retourna de l’autre côté, pour ne pas les voir, et tomba dans de violentes convulsions. Lorsqu’elle eut repris ses sens, elle me décrivit ce qu’elle avait vu, ajoutant qu’elle avait, sans savoir pourquoi, une profonde pitié pour ce spectre féminin. Elle était cependant si effrayée, qu’elle ne voulait plus jamais rester seule.
Le 27, à deux heures de l’après-midi, Mme Hauffe se tenait près de la fenêtre, elle se retourna et vit ces deux formes se tenant près d’elle. L’homme lui dit : « Maintenant venez immédiatement avec moi dans mon étable. » Elle répondit : « Dans quel but ? Qu’y a t-il là ? » Ce à quoi le spectre féminin répondit : « Nous avons tué un enfant ; nous l’avons enterré dans l’étable ; et je suis morte ensuite. C’est lui qui en a la responsabilité. » En parlant ainsi, elle montrait son compagnon. Mme Hauffe aurait voulu lui en demander davantage, mais ils disparurent. Elle me dit que la femme était d’un gris cendré ; qu’elle avait la tête couverte de la même façon que tous les spectres féminins et qu’elle portait un cordage et une jupe. L’homme avait un chapeau sur la tête avec des bords relevés. Le1er, ils revinrent vers midi et s’arrêtèrent près de son lit. Ils soupiraient profondément et tous les deux paraissaient fort tristes. Le 3 août, ils vinrent à huit heures du matin et alors, d’un ton décidé, elle leur défendit de revenir désormais. Ces apparitions l’effrayaient plus que les autres. La jeune fille qui la servait à ce moment, une personne sensée et bien élevée, qui ne possédait pas le don de voir les esprits, éprouvait toujours un étrange sentiment d’anxiété lorsque ces fantômes apparaissaient, quoique Mme Hauffe ne lui signalât jamais leur présence.
Le 4, à deux heures du matin, ces spectres reparurent ; Mme Hauffe eut le courage de les interroger sur le meurtre de l’enfant et le fantôme féminin lui répondit avec beaucoup de chagrin : « J’avais pris du poison pour tuer l’enfant dont je venais d’accoucher dans l’étable et qu’il y enterra. On me trouva morte dans la grange voisine. » Comme ils l’engageaient de nouveau à aller dans l’étable, elle leur demanda de la quitter, ce qu’ils firent. Mais ils revinrent dans la nuit du 6 et la femme lui dit : « Voyez combien nous sommes malheureux, et ayez pitié de mes souffrances. » A quoi elle répondit : « Tournez vos pensées vers le Rédempteur : lui seul peut vous soulager. » Ils s’en allèrent ensuite : mais la nuit suivante, ils revinrent et le paysan dit : « Il faut que vous descendiez à mon étable ; là vous creuserez à une distance de deux pas de l’entrée et vous trouverez les os de notre enfant, que vous ferez enterrer dans le cimetière. » Mais elle leur dit encore de s’adresser à leur Rédempteur et de prier. Elle en fit autant lorsqu’ils revinrent dans la soirée du 8.
Le 12, vers minuit, tandis que Mme Hauffe souffrait d’un violent mal de tête causé par le grand vent et que le tocsin annonçait un incendie dans le voisinage, ce qui, on le comprend, avait tout à fait tourné sa pensée vers une autre direction, les deux spectres reparurent, la femme portant dans ses bras un enfant enveloppé dans des haillons et dont la tête seule restait découverte. Ce n’était que la représentation projetée du crime, mais pas l’enfant réel, comme dans la figure vue par M. Pfafflen à Oberstenfeld. Le paysan dit : « Moi, Nicolas Pfeffer, je suis le séducteur de cette jeune fille, et le meurtrier de l’enfant ; ainsi, agenouillez-vous et priez avec nous. » Elle répondit : « Je ne puis le faire, ayant un trop gros mal de tête. » A quoi il répondit : « Bandez-vous la tête en forme de croix et faites sur elle trois signes de croix avec le doigt médian. » Elle le fit, la douleur disparut et elle ne garda qu’une impression d’étourdissement. Ils s’agenouillèrent, l’homme tenant l’enfant dans ses bras et elle pria pendant une heure avec eux. Lorsque cela fut fait, l’homme dit : « Creusez à la recherche de l’enfant » et ils disparurent. Elle me dit combien elle avait constaté, en cette occasion, que la prière les avait soulagés. Ils revinrent le 13 et elle pria avec eux. Le 14, ils revinrent en compagnie d’un vieillard très sombre, qui, lorsqu’ils furent sur le point de parler, se posa devant eux et leur plaça ses mains sur la bouche. Mme Hauffe commença à s’alarmer et fut prise de convulsions. Dans la nuit du 15 ils reparurent, le vieillard se tenait derrière eux pendant qu’ils priaient. Elle demanda qui il était et ils lui répondirent que c’était l’homme qui leur avait fourni les moyens de tuer l’enfant.
Dans la nuit du 21, sur mon conseil, Mme Hauffe demanda à l’homme s’il avait habité la maison de l’inspecteur ou une autre, et de quelle étable il voulait parler. Il répondit : « Ce n’était pas chez l’inspecteur, mais dans une autre maison voisine, avec une étable sur la droite. Nous avons enterré le corps à deux pas de l’entrée, à l’endroit où il y a un creux. »
Interrogé sur ce qu’était le vieillard, il répondit : « C’est un vieux sorcier de la localité voisine. Il me donna les herbes dont je me suis servi et par méchanceté, il veut m’empêcher de l’avouer. » Lorsqu’ils revinrent le 17, elle demanda le nom de la femme. Elle fit signe de la tête mais ne répondit pas et lorsqu’elle leur demanda quand ils reviendraient, l’homme répondit : « Dans sept jours. »
Dans la nuit du 24, outre la garde ordinaire, il y avait dans la chambre de Mme Hauffe une jeune fille très honnête, sincère et digne de foi, qui savait certainement que Mme Hauffe était souvent visitée par des spectres, mais qui ne connaissait aucun détail sur ces apparitions ; encore moins savait-elle que le spectre d’un paysan, accompagné d’une femme lui était jamais apparu. Ce fut avec une profonde surprise que, le matin, avant d’avoir parlé avec Mme Hauffe, elle me dit : « J’avais fermé la porte et nous étions toutes couchées. Je couchais avec la bonne dont le lit est à quelques pas de celui de Mme Hauffe. Vers une heure, j’entendis la porte s’ouvrir et se refermer et je vis entrer deux formes qui s’approchèrent du lit de Mme Hauffe. Elles avaient l’apparence d’êtres humains, mais on n’entendait pas le bruit de leurs pas. C’étaient les formes d’un homme et d’une femme. La femme paraissait grisâtre et l’homme plus sombre. Elle portait un enfant dans ses bras, qui, lui aussi, paraissait grisâtre. La tête et le cou de l’enfant étaient nus et le reste du corps enveloppé de haillons ; les bras de la femme entouraient son corps. L’homme était de taille moyenne, un peu plus grand que la femme ; il portait une veste et des culottes courtes. Ils parlèrent à Mme Hauffe et celle-ci leur répondit. Je les ai entendus tous deux : ils avaient une voix plus faible que les êtres ordinaires, mais parlaient distinctement. Cependant, le matin, je ne puis plus me rappeler exactement ce qu’ils ont dit. Je n’étais pas effrayée, mais je ne pouvais parler et détacher mes yeux de l’enfant. Ils restèrent là longtemps, et lorsqu’ils s’éloignèrent la porte se referma bruyamment. » Elle rappela alors l’histoire du chasseur fantôme, comme on la lui avait racontée : « Ces spectres me disait-elle, me semblaient des êtres humains, seulement la peau paraissait rude et noire, comme parsemée de grains de sable. »
Mme Hauffe confirma le récit de la jeune fille et lorsque je lui demandai si leur peau lui avait paru comme celle-ci la décrivait, elle dit : « Cela lui a peut-être paru ainsi, mais ce n’est pas la peau, c’est l’apparence vaporeuse. Un nuage ne parait pas uni et il est probable que les spectres lui ont paru plus noirs qu’à moi-même. » Elle ajouta qu’elle n’avait jamais remarqué que les spectres produisissent de l’ombre, mais ceci provenait peut-être de ce qu’ils se tenaient devant elle, dans la demi obscurité de la nuit et que cette circonstance s’y opposait.
Ces spectres vinrent encore plusieurs fois, mais leur costume se modifia ; ils portaient des vêtements lumineux et leur corps devenait aussi plus brillant. Le 14 octobre, le spectre de l’homme dit : « Je ne reviendrai plus qu’une seule fois. » Lorsqu’ils eurent dit ensemble comme s’ils ne parlaient qu’avec une seule bouche : « Nous venons pour la dernière fois prendre congé de vous : » et que Mme Hauffe leur demandant où ils allaient, ils eurent répondu : « Dans un meilleur endroit » ils s’évanouirent et ne revinrent plus jamais.
Le nom de Pfeffer donné par le spectre est assez commun parmi les paysans des environs de Weinsberg. J’aurais beaucoup désiré poursuivre des recherches pour découvrir les os de l’enfant ; mais d’abord l’indication de l’étable n’était pas fort précise ; ensuite je craignais que le propriétaire, tel qu’il fût, ne se trouvât offensé, si j’allais faire connaître que son étable était hantée et je crus devoir m’abstenir. Dans les requêtes instantes des apparitions, nous avons vu un reste des préjugés terrestres. Ils supplièrent d’enterrer l’enfant dans une terre consacrée, jusqu’à ce qu’ils fussent convaincus que cela n’était pas nécessaire à leur salut. Il y a une grande analogie entre cette histoire et celle du professeur Ehrmann de Strasbourg, rapportée par Eschenmayer et que je reproduis ici avec son consentement.
Il y a quelque temps que le conseiller Lindner de Koenigsberg mourut à Strasbourg, après avoir résidé longtemps à Riga. Parmi ses nombreux amis intimes et scientifiques se trouvait M. Herrenschneider, professeur à l’Académie Royale de Strasbourg, auquel M. Lindner rendit visite peu de temps avant sa mort. Le père de ce dernier était pasteur dans un village de Poméranie, d’où il vint ensuite à Koenigsberg. Il tenait un journal de tout ce qui lui arrivait d’intéressant. Ce carnet, qui contenait aussi des renseignements d’affaires, doit être encore dans sa famille. Selon le Conseiller, c’est dans ce carnet que son père raconte l’histoire suivante, transmise dans tous ses détails par le Conseiller à M. Herrenschneider peu de temps avant sa mort.
« Le pasteur Lindner couchait dans une chambre communiquant par une porte avec son cabinet de travail. Par cette porte, il pouvait, étant couché dans son lit, voir son bureau sur lequel était ouvert une grande Bible. S’éveillant au milieu de la nuit par un beau clair de lune, il crut voir un ministre, en vêtements sacerdotaux, se tenir devant son bureau et feuilleter la Bible. Il portait un enfant sur un bras, tandis qu’un autre, plus grand, se tenait à ses côtés. Mais cet enfant lui tournait le dos. Doutant du témoignage de ses sens, le pasteur se mit sur son séant, se frotta les yeux et se demanda s’il ne rêvait pas. Mais bien convaincu qu’il était en état de veille, il fixa ses yeux sur son bureau, qu’il voyait très nettement et cria fortement : « Que tous les bons esprits glorifient Dieu ! » Après quoi l’apparition s’approcha de lui et lui tendit une main qu’il ne prit pas. Le fantôme renouvela trois fois cette invitation, mais sans plus de succès et il disparut. Les traits du spectre se gravèrent profondément dans l’esprit du pasteur, mais peu à peu, cet incident s’affaiblit dans sa mémoire et il l’avait presque oublié, lorsqu’un jour, comme il attendait à l’église le moment de procéder à l’office, il entra dans le chœur pour se passer le temps et se mit à regarder les portraits. Grande fut sa surprise en reconnaissant dans l’un d’eux les traits du spectre, avec le même costume dans lequel il lui était apparu.
« Il s’informa et il apprit que ce portrait reproduisait les traits d’un de ses prédécesseurs, qui avait habité la maison paroissiale quarante ou cinquante ans auparavant. Dans la paroisse personne ne pouvait plus lui donner de renseignements sur ce ministre, sauf un homme très âgé, qui avait fait partie de son troupeau, en parlait comme d’un orateur très éloquent. Mais il ajoutait qu’on l’avait soupçonné d’entretenir des rapports illicites avec sa servante et d’avoir eu d’elle plusieurs enfants illégitimes, dont on n’avait jamais connu le sort.
« Quelque temps après, à la suite de quelques dégradations, on enleva la cheminée du bureau du pasteur et le maçon trouva au-dessous un creux contenant des os d’enfants. Il appela le ministre qui dut constater avec étonnement ces preuves des crimes de son prédécesseur et fit enlever les os. Depuis cette époque le fantôme n’a pas été revu. »
Ehrmann.
Professeur au séminaire protestant de Strasbourg.
Il s’est passé à Nuttelstadt une histoire analogue de presbytère, qui fut portée devant le magistrat. Là, c’était des animaux qui ne pouvaient rester dans l’étable. On entendait constamment des bruits de pas de femme et il semblait que quelqu’un sortait de la maison et se dirigeait hâtivement vers la fontaine pour se laver. Au bout de quelque temps, on trouva dans la fontaine les restes d’un enfant nouveau-né. On les enterra dans un autre endroit et à partir de ce moment le presbytère cessa d’être troublé.
Quatrième cas
Quelques années auparavant j’avais entendu dire que la famille d’un pauvre gardien de nuit était fort troublée par des fantômes, mais je ne cherchai pas à en savoir davantage. Lorsque Mme Hauffe vint ici et que l’histoire de M. K… et de son document commença à se répandre, beaucoup de personnes me prièrent de lui demander, lorsqu’elle serait endormie, par quel moyen on pouvait délivrer ces pauvres gens de leurs ennuis. Je laissai cette affaire de côté, mais enfin, les gens vinrent eux-mêmes et la femme m’ayant raconté l’histoire, je consentis à faire ce qu’elle me demandait. Elle me dit qu’aussitôt qu’ils étaient entrés dans leur nouveau logement, elle avait vu la nuit deux femmes en costumes anciens, avec des tabliers de coton et des coiffes enroulées, venir de derrière son lit. Elle les vit quelques minutes et elles disparurent. Dans la nuit de la Sainte Catherine 1823, elle se trouva en désaccord avec son mari. « Je pensais à ma mère qui était morte et j’aurais voulu être avec elle. Je pleurai et la priai de venir me chercher. Alors apparut devant moi quelque chose de grand et de blanc comme un mouchoir de poche, mais sans aucune forme bien définie. Je songeai que c’était ma mère, mais elle s’évanouit sans parler. Pendant quatre semaines je ne vis rien de plus, jusqu’à la première nuit de l’Avent, où je me désolais de ma pauvreté et de ma nombreuse famille. Cette forme blanche revint alors et disparut comme la première fois. Pendant la nuit de Noël de la même année, tandis que j’étais couchée toute éveillée, je sentis passer sur ma tête puis sur ma poitrine quelque chose comme un chien ou un chat et, quoiqu’il n’y eût pas de feu dans la cheminée, la plaque semblait rouge ; il se produisit alors un bruit violent et tout disparut. Jour et nuit j’entendais des pas dans ma chambre et comme un froissement de papier. La nuit je voyais souvent une lumière ronde comme une assiette briller contre le mur. Cela durait quelque temps puis disparaissait dans le mur. Une fois, comme j’étais parfaitement éveillée, une forme aussi grande que la blanche, mais cette fois tout à fait noire, se tint devant moi et il me sembla qu’une main se posait sur mon cou : j’éprouvai une sensation comme si un morceau de charbon allumé me touchait. Le lendemain matin, la place était rouge, s’enflamma et laissa trois marques comme celles de doigts. (Cette femme avait réellement sur le cou trois marques ou cicatrices comme de doigts brûlés). La nuit du Nouvel An, comme j’étais seule dans ma chambre, j’entendis une voix qui disait : « Chante l’hymne : Oh ! Jésus, quand serai-je libre ! et la prière : Oh ! donnez-moi un cœur pur ! » Les nuits du dimanche, j’entendais souvent chanter des voix harmonieuses. Parfois il se produisait un éclair ; d’autres fois des lueurs brillaient sur le parquet et au plafond, tandis qu’il n’y avait chez nous ni dans le voisinage rien qui pût les produire. Lorsqu’il s’élevait des discussions entre nous, ces apparitions cessaient ; mais elles revenaient lorsque nous étions d’accord et que nous priions la nuit. La nuit de vendredi dernier, comme j’étais couchée éveillée, dans mon lit, la porte s’ouvrit et je vis entrer un homme en vêtements grisâtres, formant des plis dans le dos. Il passa près de mon lit et se dirigea vers le banc, où je vis assis un autre homme en vêtements noirs, dont je ne puis donner une description exacte. Le premier parla quelque temps au second, mais mon esprit était trop faible pour comprendre ce qu’il disait ; il semblait lui faire des reproches. Cette nuit j’entendis souvent des coups et des craquements dans mon lit et dans le banc. »
Ce qui est digne de remarque, c’est qu’elle ajouta que lorsque ces apparitions survenaient, elle tenait les yeux fermés et les voyait mentalement. Lorsque les apparitions s’évanouissaient, elle rouvrait les yeux. Une fois, comme elle se trouvait dans son jardin, elle se sentit poussée vers une certaine place : elle y trouva quelques groschen, mais elle ne put en prendre que deux.
Cette femme a quarante ans, elle est petite, semble faible et ses yeux ont une étrange expression. Elle a six petits enfants. Les deux plus jeunes sont remarquables : l’aîné est noir comme la nuit, le cadet est blanc comme neige. Ce dernier a aussi la faculté de voir les esprits. Les esprits le prennent souvent dans son lit et semblent l’embrasser.
J’attendis quelque temps avant de signaler ces faits à Mme Hauffe, qui, lorsque je lui en parlai, témoigna le désir de voir cette femme. Je lui amenai donc et elle répéta ce qu’elle m’avait dit. Cette femme fut heureuse de se trouver avec la Voyante, mais celle-ci remarqua l’étrange expression de ses yeux et m’avoua plus tard qu’ils lui avaient produit une impression extraordinaire.
Le même soir, étant endormie, elle me dit : « Cette femme dit vrai ; elle voit des esprits et elle est toujours, sans s’en douter, dans un demi état de somnambulisme. Il faut qu’elle porte une amulette contenant cinq et sept baies de laurier ; il faut qu’elle les compte ainsi, et elle ne verra plus d’esprits désormais. Si elle ne porte que sept baies, elle dormira, ce qu’il faut qu’elle évite, car son mari lui en ferait des reproches. »
Le lendemain, je donnai l’amulette à la femme et lui recommandai de la porter. Elle me dit que depuis qu’elle avait vu Mme Hauffe, elle se trouvait tout à fait bien ; elle pensait qu’elle avait laissé cela chez la Voyante.
Le matin, Mme Hauffe et sa servante me dirent qu’elles avaient entendu beaucoup de coups et de roulements pendant la nuit ; la même chose se produisit encore pendant la nuit du 12 février.
Le 13, je me rendis chez la même femme pour lui demander quel avait été l’effet de l’amulette. Elle me dit que la première nuit qu’elle l’avait portée, une main invisible s’était pendant longtemps efforcée de la lui enlever ; mais qu’elle n’avait plus entendu de coups. Le matin, son mari la lui avait enlevée, parce qu’il espérait tirer profit de la rédemption des esprits et il lui avait vivement reproché de lui avoir retiré cette source de bénéfices, en employant l’amulette. Au moment où j’arrivai, le mari venait de sortir en colère de la maison. La femme m’avoua qu’elle croyait aussi qu’il y avait des trésors cachés dans la maison et comme ils vivaient depuis si longtemps avec les esprits, ils voulaient aujourd’hui profiter du trésor qu’ils se croyaient certains de découvrir. Comme il était impossible de leur enlever cette idée de la tête, et qu’elle ne voulait pas porter l’amulette, je cessai d’y aller.
Dans la nuit du 17, on entendit un coup dans la chambre de Mme Hauffe, et un homme de grande taille, de 40 ans environ, vêtu de blanc, entra en la regardant avec calme. Plus tard, lorsqu’elle fut éveillée, elle dit qu’il reviendrait le 19 ; elle ajouta qu’il fallait qu’elle eût à ce moment dans sa main un morceau de corail, qui arrêterait les palpitations de son cœur et lui permettrait de soutenir la vue du spectre.
En cette occasion, ma femme décida qu’elle prendrait la place de la garde, afin de pouvoir observer la Voyante. Vers dix heures, les coups et claquements commencèrent, dans le bois de lit, la table, les murs, tantôt ici, tantôt là. Ma femme put se convaincre qu’ils n’étaient produits ni par la sœur ni par la malade elle même, qu’elle ne quittait pas des yeux et qui était étendue absolument calme et tenant les bras étendus au-dessus des couvertures. A une heure, elle prit sur la table une branche de corail rouge, que l’on y avait mis sur sa demande et alors, se dressant sur son séant, elle parla d’une voix ferme à quelqu’un au pied de son lit. Elle disait : « Cela je ne puis le faire. » Et d’autres choses qu’il ne fut pas possible d’entendre. Lorsque ma femme lui demanda de quoi il s’agissait, elle lui demanda si elle n’avait pas vu le spectre qui se tenait au pied du lit. Ma femme répondit que non ; mais la Voyante ne voulut pas révéler ce que le spectre avait dit. Lorsque je lui demandai le lendemain matin, elle me répondit à regret, car elle n’aimait pas parler de ses fantômes. Celui-ci portait un vêtement d’un blanc jaunâtre et une ceinture de femme. Il avait dit : « Vois, je viens à toi, car je dois être complètement racheté. » Elle répondit : « Je ne le puis pas faire, seul votre Rédempteur le peut. » Il répliqua : « Oh ! Priez pour moi ! » Et il demanda d’ouvrir le livre à un certain hymne et de le lire souvent ; ce qui lui fut promis.
Lorsque je lui parlai des yeux du spectre, elle dit que ces choses étaient indescriptibles. Les yeux étaient comme deux points lumineux et la personne qui voit les esprits, ne les voit pas de la même façon qu’elle voit les êtres humains. Elle ajouta que lorsqu’il se retourna pour sortir par la porte, elle avait remarqué que ses vêtements formaient des plis dans le dos.
Elle lut fréquemment l’hymne, comme il l’avait demandé ; mais le 21 février, elle se reprocha de l’avoir oublié et dit qu’il fallait qu’elle en fît trois fois la lecture. Elle dit que cette nuit, elle causerait de nouveau avec le fantôme et que celui-ci reviendrait entre onze et douze heures. En conséquence, je fis coucher dans le lit de la sœur une personne en qui je pusse avoir confiance, afin d’observer ce qui allait arriver. Le lendemain matin, cette personne me dit : « Nous nous sommes couchées vers dix heures et nous sommes restées éveillées jusqu ‘à onze heures. A ce moment je m’endormis. Vers minuit, Mme Hauffe me demanda un peu de nourriture, et je fus réveillée par la sœur, qui sortait du lit pour lui en donner. A peine s’était-elle remise au lit, que nous entendîmes sur le parquet un bruit étrange de craquement et de frottement, puis, dans les murs et le lit de Mme Hauffe des coups comme ceux d’un marteau. A ce moment j’observais Mme Hauffe. Elle était étendue absolument calme, avec les bras au-dessus du lit ; bientôt elle commença à parler, mais sans se mettre sur son séant. Ses paroles semblaient s’adresser à quelqu’un près de son lit, mais que je ne pouvais voir. De temps à autre elle disait : « Le fantôme est parti, mais il va revenir. » Et alors on entendait de nouveau des bruits et elle parlait de nouveau. Je lui ai entendu dire : « Ouvrez-le vous-même. » Et avec une crainte que je n’avais pas encore ressentie jusque là, je vis la couverture du livre, qui était étendu sur le lit, se mouvoir et s’ouvrir comme par une main invisible. Il me fut impossible d’apercevoir le moindre mouvement de la part de Mme Hauffe ni de son lit. Elle dit alors : « Que Dieu soit loué ! Il est parti. » Nous lui demandâmes des détails sur le fantôme, mais elle dit : « Laissez-le en paix. » Et elle resta dans le silence. Nous lui demandâmes des détails sur le fantôme, mais elle dit : « Laissez-le en paix. » Et elle resta dans le silence.
Mme Hauffe me dit qu’après les bruits mentionnés ci-dessus, le spectre s’était avancé jusqu’au pied de son lit et lorsqu’elle demanda pourquoi il venait vers elle, il lui répondit que c’était pour obtenir son pardon complet. Je lui dis : « Ceci est une fable : pourquoi ne restez-vous pas près de la femme qui prie pour vous ? » Il dit : « Cette femme n’a pas autant d’intelligence que vous et ne peut causer avec moi. »
Mme H… « Pourquoi êtes-vous dans cette pauvre maison ? Qui étiez-vous. »
Le Sp… « J’avais une modeste position. Dans cette maison, il y avait deux orphelines que j’ai trompées. Je les ai dépouillées de leurs biens. »
Mme H… « Pourquoi avez-vous agi ainsi ? »
Le Sp… « Mon meilleur ami qui était très riche m’a poussé à agir ainsi. »
Mme H… « Vous n’étiez pas également riche ? »
Le Sp… « Non, mais je voulais le devenir. Je partageais avec mon ami tout ce que j’acquérais par fraude. J’affectais de rendre service aux orphelines ; mais ce n’était qu’une feinte. »
Mme H… « Quel était votre nom ? » Pas de réponse.
Mme H… « Pourquoi ne voulez-vous pas me le dire ? »
Le Sp… « Je ne dois pas vous dire mon nom en entier. La première lettre était un L. »
Mme H… « Pouvez-vous faire entendre vos coups aux autres ? »
Le Sp… « Non, mais celui qui était mon ami peut le faire. Je le ferai venir. »
Mme H… « Cela me fera du mal. Je ne veux pas le voir. Laissez-moi, je vous prie. »
Il répliqua qu’il le ferait venir, car lui aussi avait besoin de secours : et lorsque je lui demandai de s’en aller il disparut, disant qu’il reviendrait dans quelques minutes. A ce moment nous entendons du bruit de nouveau et il revint. Je lui demandai si quelqu’un de ses parents était encore vivant. Il répondit « Oui, mais bien loin d’ici. »
Mon livre d’hymnes était encore sur mon lit, dit Mme Hauffe et lorsqu’il me demanda de l’ouvrir, comme j’étais très faible, je lui demandai de le faire, mais il disparut. Je lui demandai si elle n’avait pas vu ouvrir le livre, mais elle dit qu’elle ne regardait pas de ce côté. Lorsque le spectre apparaissait, elle se sentait forcée de lui parler. Le lendemain, ayant oublié de lire l’hymne, les coups augmentèrent. Ceci lui rappela son hymne et elle prit le livre. Pendant qu’elle lisait, les coups allaient en augmentant ; en même temps d’autres bruits se produisaient, même dans les chambres des locataires de l’étage supérieur.
Le 23, nous remarquâmes qu’elle avait été fort troublée mais sans savoir par quoi : elle fut prise de convulsions. Lorsqu’elle fut éveillée elle dit : « Il m’est désagréable de le voir ainsi chaque jour, lorsque d’autres sont autour de moi. Cette femme, celle du garde de nuit, devrait être plus sensée ; elle ne demande que de l’argent. » Lorsque je lui demandai pourquoi l’homme, grâce à l’intervention duquel le document fut retrouvé, ne frappait pas de coups, elle dit que c’était parce qu’elle ne le voyait que pendant son sommeil : une seule fois elle l’avait vu, tandis qu’elle était éveillée. « Ceux qui frappent son ceux qui demandent du secours et sont encore fort loin de leur pardon, mais le trouvent lorsqu’on leur a appris comment il faut faire pour y arriver. Un mortel peut leur montrer le chemin, mais ne peut leur procurer le pardon. Les pensées des esprits de ténèbres sont fixées sur les maisons où ils ont vécu ; et ils en éloignent les bons esprits. En général, les esprits ne m’effrayent pas, mais il serait bien malheureux pour moi d’être persécutée par plusieurs d’entre eux. Cet esprit mauvais me tuera. Ses paroles ne sont pas des soupirs comme ceux des autres, ce sont des grognements. » Par cet esprit mauvais elle entendait le riche ami dont il était question plus haut.
Dans la nuit du 23, elle fut éveillée par un esprit innocent, qui lui demanda de réciter avec lui les dix commandements. Elle le fit, lui posant les questions auxquelles il répondait. Elle pleura, lorsque le lendemain matin je l’interrogeai à ce sujet, disant qu’il allait amener chaque nuit son ami avec lui. L’apparition de ce mauvais esprit le glaçait et la rendit malade. Elle se rappelait tout ce qu’un esprit de ce genre lui avait fait souffrir pendant un an à Oberstenfeld. Elle considérait que c’était une trop rude épreuve pour un mortel. Elle ajoutait que le bon esprit lui disait que son ami avait été un fonctionnaire d’un grade supérieur au sien.
Le 24, elle tomba dans un état de songe magnétique tout à fait différent de l’état ordinaire. Dans cet état, elle se rappelait parfaitement tout ce qu’elle avait rêvé et était tout à fait conscience que c’était un rêve. Elle parlait haut à l’esprit mauvais qu’elle pensait avoir devant elle. Elle me décrivit ensuite deux maisons voisines, dans lesquelles ces esprits rôdaient généralement, signalant les numéros des portes et toutes leurs particularités. Dans l’une, les habitants étaient fort troublés par des bruits, comme des gens allant et venant, s’approchant des portes, comme pour entrer dans les chambres, toussant, soupirant, etc.. Elle disait qu’il était bien heureux que les esprits ne pussent pas répondre à tout ce qu’on voulait d’eux, car ils auraient été encore plus tourmentés qu’ils ne l’étaient déjà.
Lorsqu’elle était en somnambulisme, elle disait : « Que l’esprit blanc vienne vers moi jusqu’à ce qu’il ait obtenu le repos ; mais l’autre ne devrait pas venir. Je veux bien prier pour lui, mais je ne puis supporter sa vue. Quelle stupide femme ! qui ne demande jamais que de l’argent ! Elle le fait par crainte de son mari. Lorsque je suis endormie, je suis heureuse de vivre parmi les esprits ; mais dès que je me réveille, ils me rendent triste. N’est-ce pas une chose étonnante de voir des spectres, de causer avec eux et d’y prendre plaisir ? Mais ce n’est que la partie spirituelle de mon être qui aime cela, nullement ma chair et mon sang. Ah ! Combien vivent au milieu de nous sans que nous puissions les voir ! » Elle disait encore : « Heureux ceux dont le cœur est pur ! Heureux ceux qui croient sans avoir vu ! »
Le 2 mars, l’esprit blanc lui apparut deux fois, avec un aspect désolé, il lui dit qu’il avait reculé à cause de son ami. Dans ces deux occasions, elle était tout à fait éveillée. Elle se rendit dans une autre chambre et fut immédiatement prise de convulsions. Le même soir, tandis que j’étais vers elle, il passa subitement un éclair dans la chambre et elle tomba aussitôt en état de songe magnétique. Bientôt elle se leva, les yeux clos, parla aux spectres, ouvrit son livre, chanta différents hymnes, etc.. Lorsqu’elle s’éveilla, elle dit qu’avec cet éclair lumineux l’esprit blanc lui était apparu, lui avait dit que par ses moqueries son ami l’avait fait reculer et elle lui fit sentir combien il devait s’en défier. Dans la nuit il revint tandis qu’elle était au lit et elle lui posa les questions suivantes :
« Combien de temps avez-vous vécu sur la terre ?
Soixante-dix-neuf ans.
« A quelle époque viviez-vous ?
En 1700.
« Où avez-vous vécu ?
A une faible distance de la maison des orphelines.
« Où l’autre vivait-il ?
Il habitait à une plus grande distance de cette maison.
« Etes-vous mort avant lui ?
Il est mort trois ans avant moi.
« Comment venez-vous vers moi tantôt triste, tantôt gai ?
L’esprit noir m’en impose par ses moqueries, mais maintenant, je me sens plus ferme. »
« Je vous engage à prier pour vous-même, en demandant de persister dans votre fermeté. »
Il lui demanda alors d’ouvrir le livre d’hymnes, puis il s’évanouit.
Le 3 mars, au milieu d’une conversation très gaie, elle tomba tout à coup dans de violentes convulsions, dont on eut de grandes peines à la tirer. Lorsqu’on y fut arrivé, elle dit que l’esprit blanc lui était apparu avec l’autre, regardant au-dessus de ses épaules, ce qui l’avait frappé de terreur et qu’elle ne pourrait jamais se guérir si cette persécution continuait. Je m’attachai à lui faire demander qu’ils ne revinssent plus et à lui faire chasser leur pensée de son esprit. Mais elle disait que sa parole ne s’adressait qu’à l’esprit blanc et qu’elle devait le conserver. Elle fit remarquer que les spectres ne venaient que dans la nuit du dimanche.
Le 6, l’esprit lui dit qu’il sentait bien que maintenant il s’approchait du Rédempteur et elle pria avec lui. Elle lui demanda comment il était si bien familiarisé avec des hymnes qui n’avaient été écrites que longtemps après sa mort ? Il répondit : « La vision des esprits est illimitée. »
Le 6 mai, comme elle quittait la chambre, elle s ‘éloigna tout à coup de la porte et tomba endormie. Elle dit qu’elle avait rencontré l’esprit et le répéta encore lorsqu’elle fut réveillée. Il venait de se manifester derrière elle tandis qu’elle regardait un troupeau de moutons par la fenêtre. Elle sentit que quelqu’un tirait sa robe et en regardant derrière elle, elle le vit si près, qu’elle ne pouvait se mouvoir. Il lui soupirait : « Près de toi je trouve le repos. » Elle s’évanouit et tomba sur son lit. Elle dit : « Si c’était dans cinq ans, je le supporterais mieux, car alors, il ne sera plus ce qu’il est aujourd’hui. »
Dans la nuit du 8, après que beaucoup de bruits se furent produits, il revint tandis qu’elle était au lit et elle remarqua qu’avant de s’éloigner, il avait flotté au-dessus de sa sœur et de la servante qui dormaient, en disant : « Que les yeux de Dieu veillent sur vous. »
Le 10, tandis qu’il était avec elle, elle se boucha les oreilles pour s’assurer si elle l’entendrait encore et il dit à ce propos : « Vous m’entendrez encore. » Elle ajouta que les esprits répondaient souvent à ce qu’elle pensait, avant qu’elle eût parlé.
Le 12, après la prière, elle lui demanda s’il restait encore des écrits de lui. Il répondit : « Peu des miens, mais beaucoup de ceux de mes amis. » Il dit encore qu’ils avaient vécu dans le XVIe et le XVIIe siècle.
Le 16, sur mon désir, elle lui demanda pourquoi elle ne l’entendait et le voyait jamais en même temps, car les bruits précédaient toujours les apparitions. Il dit que c’est par le moyen de l’air qu’il se faisait voir et entendre et qu’il ne pouvait faire qu’une chose à la fois. Elle lui demanda aussi pourquoi c’était elle plutôt qu’un autre qui avait la faculté de le voir. Il répondit : « Parce que vos sens sont spiritualisés. » Lorsqu’il parut le 10, elle lui demanda à notre requête, de montrer la maison où il avait vécu et de faire entendre à d’autres soit lui, soit son ami.
Le 23, à une heure du matin, je fus subitement éveillé et j’entendis sept coups se suivant à de courts intervalles et semblant venir du milieu de ma chambre. Ma femme fut aussi réveillée. Nous ne pouvions comparer ces coups à aucun autre bruit. Mme Hauffe habitait à plusieurs maisons de distance.
Le 28, elle questionna le spectre sur l’état moyen ; il dit que c’était un endroit où allaient ceux qui ne croyaient pas au salut par le Christ.
Le 30, le Rév. M. Herrmann écrivit les questions suivantes et me demanda de solliciter le spectre d’y répondre. Les voici : « Connaissez-vous la mère de Notre Seigneur ? Ses prières dans le Ciel peuvent-elles nous être utiles et ont-elles beaucoup de pouvoir ? Est-elle en union plus étroite que les autres esprits avec son fils ? » L’esprit parut la nuit, tandis qu’elle prenait un peu de nourriture et se tint derrière la garde, jusqu’à ce qu’elle eût fini de manger, ce qu’elle fit avec calme. Il s’approcha alors et elle lui tendit la papier, après quoi il répondit de la façon suivante, mais avec une telle lenteur, qu’elle pensait qu’elle n’aurait jamais la patience d’attendre qu’il eût fini : « Je connais la mère de Dieu un peu mieux que vous : elle peut prier pour moi aussi bien que tous les esprits bienheureux. Elle n’est pas en union plus intime avec notre Rédempteur ; mais… » et ici il fit une pause… et lorsque je lui demandai ce que signifiait ce mais, il répondit : « Cela a une grande valeur et est très puissant avec les saints. Je ne puis vous en dire davantage. »
Le 3 avril, elle dit pendant le sommeil : « Pourquoi vient-il à moi ? Il pourrait aller vers Dieu s’il le désir ; mais il ne le peut parce que sur terre il ne le faisait pas. Nous n’avons qu’un Médiateur ; pourquoi ces esprits pervers demandent-ils à d’autres de les aider ? Où trouverai-je ce royaume spirituel ? Pourquoi vous penchez-vous vers moi ? Personne ne devrait différer son repentir jusqu’au jour où il se trouve en présence de ce Médiateur. J’aimerais mieux être ici que dans cette région. Ils sentent le poids de leurs fautes d’une façon bien plus pénible qu’ici et les mauvais troublent les meilleurs. Le trouble mental est pire que le trouble corporel. Tous ne descendent pas dans ces régions inférieures ; quelques-uns sont dans un endroit heureux. Je ne puis le voir mais je le sens par l’intermédiaire d’un des bons esprits. Ils ont tout ce qu’ils désirent. » Quelqu’un se trouvant près d’elle dit : « Ont-ils des arbres et des fleurs ? » Elle répondit : « Ils n’en désirent guère. Leurs inspirations ne sont pas les mêmes que les nôtres ; ils portent leurs désirs plus haut. »
Le 6 avril, Mme Hauffe quitta son domicile et vint loger chez moi. Lorsque nous entrâmes dans la chambre où nous l’avions laissée seule, nous la trouvâmes en somnambulisme et elle nous dit que deux fantômes féminins lui étaient apparus et que c’était les deux orphelines. Lorsqu’elle s’éveilla, elle ne savait plus qui elles étaient. Elle les trouva plus brillantes que les autres esprits et lorsqu’elle leur demanda pourquoi elles étaient venues, elle répondirent : « Nous avons été amenées vers vous par le bonheur et la gratitude envers Dieu. » Les mots semblaient émis par les deux, quoiqu’il n’y eût pas deux voix et elles parlaient comme les autres esprits, mais avec moins de lenteur et de peine. Elle ne pouvait croire qu’elles vinssent pour autre chose que pour lui annoncer sa mort et cela la réjouissait, quoique leur apparition brusque l’eût émotionnée.
Le 9, le spectre vint à elle pour la première fois chez moi et pria avec elle. Comme il venait pour la seconde fois dans la même matinée, elle lui en demanda la raison. Il lui dit qu’il allait venir trois fois dans la journée, pour se préparer à la célébration de la fête prochaine. Il vint même quatre fois, et comme cette dernière visite était inattendue, elle en fut surprise et en tomba en sommeil magnétique, dans lequel elle vit clairement qu’il était ainsi revenu parce que le mauvais esprit, son ami, cherchait à l’éloigner de ses bonnes résolutions. Je lui demandai si les esprits marchaient comme les autres mortels. Elle dit qu’ils se meuvent aussi, mais cependant sans placer un pied devant l’autre, comme le font les mortels. Elle dit encore que le spectre lui avait dit les deux premières lettres de son nom B et R, et qu’il lui apparaissait comme ayant l’âge où il dépouilla les deux orphelines, c’est à dire environ cinquante ans.
Nous aurions dû faire remarquer auparavant que le Rev. Herrmann avait donné ces questions écrites qu’ils furent soumises au spectre, il avait été chaque nuit éveillé à la même heure et porté énergiquement à prier. Il se produisait en même temps des coups frappés dans sa chambre, tantôt dans le parquet, tantôt dans les murs, et que sa femme entendait aussi bien que lui, mais ils ne voyaient rien.
Le 10 avril, je formulai par écrit la demande, qui lui fut soumise, qu’il se rendît visible pour le Révérend. Il répondit qu’il le désirait depuis un certain temps, mais que cela ne lui avait pas été possible.
Le 13, il la quitta avant que le temps consacré ordinairement à la prière fut écoulé et elle lui en demanda la raison. Il répondit qu’il devait la quitter avant que fut arrivée l’heure à laquelle commençait la fête qui lui était maintenant permis de célébrer, et il ne reviendrait que lorsqu’elle serait terminée. C’est ce qui arriva et lorsqu’il revint au bout des huit jours, il paraissait plus brillant et son fantôme était moins épais.
Le Vendredi Saint, tandis qu’elle était couchée, en état de sommeil magnétique, la porte s’ouvrit et se referma en notre présence, sans aucune intervention humaine. Elle nous dit que c’était l’esprit sombre qui paraissait, ce jour-là, plein de trouble. Elle ajouta, étant endormie, que le spectre blanc était dans la maison de ce fluide nerveux (désignant ainsi M. Herrmann) qui avait écrit les questions, mais qu’il ne pouvait lui parler ainsi. Il y va chaque nuit et ce fluide nerveux songe à quitter la maison. Quelque temps après, M. Herrmann abandonna sa maison et vint à Heilbronn. La première fois que le spectre blanc revint, elle lui demanda où il avait célébré la fête : il répondit que c’était dans la région moyenne avec d’autres esprits. Lorsqu’elle lui demanda pourquoi il désirait qu’elle se rendît dans la maison qu’il avait habitée en dernier lieu, il dit que dans cette maison habitaient deux orphelines et qu’il fallait leur donner trois kreutzers. Elle ne pouvait comprendre ce désir, mais elle dit qu’elle s’y conformerait. Je trouvai effectivement deux orphelines dans la maison désignée ; mais pas assez pauvres pour accepter une aussi faible somme. Nous différâmes donc la remise de cette somme jusqu’à ce que nous fussions renseignés sur les motifs de sa conduite.
Le 18 avril, à neuf heures du soir, Mme Hauffe était en état de somnambulisme. Son mari, sa sœur aînée, un journalier nommé Blinder, de Stuttgard, Strauss, de Ludwigsburg, ma femme et moi, nous nous trouvions dans sa chambre. Ma femme extrêmement fatiguée, était étendue sur le lit de la sœur, les autres personnes causaient de choses différentes et je tenais mes yeux fixés sur ma femme. Tout à coup, auprès du lit où ma femme était étendue, nous entendons un long gémissement de terreur. Elle se releva brusquement, déclarant que quelqu’un venait de hurler dans son oreille et qu’elle avait perçu le souffle de sa respiration. Elle garda cette impression pendant plusieurs semaines. Au même instant, Mme Hauffe se mit sur son séant et, tenant ses yeux fermés, elle tendit le bras vers le lit où était ma femme en disant : « Il est là ! C’est son gémissement parce que l’on n’a pas donné les kreutzers. Maintenant il ne peut plus frapper de coups, qu’aurait pensé la femme si elle avait trouvé l’argent ; je ne puis sortir pour le chercher dans l’herbe. Ne me fais pas de reproches ; je ne suis pas ta servante. Oh ! Un esprit pieux ne parlerait pas ainsi ! Viens lorsque je serai éveillée et dis alors ce que tu désires. Je te prie de t’éloigner et de nous laisser en paix. » Elle dit plus tard que l’esprit insistait pour que l’argent fût donné ce jour-là même. Elle le vit se pencher vers ma femme en gémissant, parce qu’il lui avait donné cette commission et qu’elle ne s’en était pas acquittée. C’est vrai, puisque nous attendions de connaître la raison de ce don. Elle dit qu’elle demanderait au spectre sombre de se rendre visible dans une maison quelconque, aussitôt qu’il le pourrait et elle ajoutait : « Mais je dis : heureux ceux qui ne le voient pas et croient néanmoins. »
Nous nous retirâmes dans notre chambre, à l’étage supérieur ; et comme nous étions fatigués, que nos amis étaient partis et nos enfants endormis depuis longtemps, nous nous mîmes au lit sans dire un mot de ce qui venait de se passer au-dessous. A minuit, un enfant de cinq ans, qui couchait dans notre chambre, poussa un cri soudain, bondit de son lit, vint dans celui de sa mère en s’écriant : « Eveille-toi ! Eveille-toi ! Il y a ici un homme en noir qui veut m’embrasser ou me mordre. » Elle se serrait contre sa mère qui s’efforçait de la rassurer et de calmer ses cris de terreur ; mais ni ma femme ni moi n’avons rien vu. Nous avons déjà signalé que l’esprit noir prenait souvent de son lit l’enfant de cette femme et l’embrassait. L’expression de l’enfant, disant que l’esprit voulait l’embrasser ou la mordre, s’accorde parfaitement avec la description qu’en avait faite Mme Hauffe, disant que sa tête était noire et ses dents projetées en avant.
Dans la soirée du 19, Mme Hauffe était dans son lit et j’écrivais près d’elle, lorsque soudainement il se produisit un bruit, comme celui du papier froissé, sur un meuble derrière moi, sans qu’il s’y trouva aucun objet de cette nature. Je me levai instantanément pour en rechercher la cause, mais je ne pus rien trouver ; le lit de Mme Hauffe était à une grande distance du siège de ce bruit. Plus tard, quand elle fut endormie, je lui en demandai l’explication. Elle me dit : « Je n’ose pas encore vous la donner. » Le même fait se reproduisit le lendemain, tandis que j’étais avec elle, mais le bruit du froissement avait lieu sur la table et non sur la commode ; et quand je lui en demandai la cause, elle me fit la même réponse. Comme l’esprit revenait à toute heure, elle lui demanda pourquoi il agissait ainsi. Il lui dit : « C’est parce que celui que vous appelez le fantôme noir ne veut pas me laisser le repos : il veut obtenir son salut par mon entremise. »
Dans la matinée du 21, du gravier fut lancé par sa fenêtre ouverte et je le ramassai ; il ne fut cependant pas possible de voir l’auteur de ce fait. Ce gravier était le même que celui qui se trouvait devant la maison. On entendit dans la chambre d’autres bruits également inaccoutumés. Enfin, tandis qu’elle était seule, un fauteuil, placé devant le bureau, fut enlevé jusqu’au plafond, d’où il redescendit doucement. Le soir nous étions dans le jardin, et elle était restée seule dans la maison avec la servante, lorsque toutes deux entendirent un bruit de roulement au-dessus de leur tête et m’appelèrent. Je me hâtai, mais je ne pus rien trouver. J’entendis seulement des bruits de pas derrière moi, à travers toutes les chambres et dans les escaliers. Lorsque, pendant son sommeil, je lui demandai l’explication de ces choses, elle soupira et dit : « C’est toujours le spectre noir, mais je n’ai rien à lui dire. » Je lui demandai de me l’envoyer, mais elle me dit : « Cela n’est pas en mon pouvoir : j’ai demandé au spectre blanc de le faire, mais il faut que Dieu le lui permette. »
Le 11, lorsque ma femme et moi fûmes couchés, nous fûmes réveillés par de légers coups frappés aux deux fenêtres qui sont aux deux extrémités de la pièce.
Le 22, du gravier fut de nouveau lancé dans la chambre et aussi contre la servante, tandis qu’elle était hors de la maison ; mais elle ne put rien voir dans le voisinage et ma maison était parfaitement isolée. A midi, Mme Hauffe était descendue dans la cour, revint effrayée et tomba en demi somnambulisme. Elle dit qu’elle avait rencontré un étrange animal avec un museau allongé et des yeux furieux. Elle lui cria : « Va-t-en ! Que tous les bons esprits glorifient le Seigneur. » Et il s’évanouit. Dans sa chambre l’apparition se renouvela sous l’apparence d’un ours. Endormie, elle dit : « Maintenant je vois combien son âme doit être noire, puisqu’il vient sous des formes aussi effrayantes. Mais il faut que je le vois, parce qu’il ne peut plus aller vers l’autre, qui est déjà presque parmi les bienheureux ! »
Le 23 avril, nous étions réunis à l’étage supérieur autour d’une bougie, lorsqu’une forme vaporeuse blanche, vue par nous tous, passa en flottant en face de la fenêtre et on entendit aussitôt des bruits comme dans les occasions précédentes. La nuit, vers onze heures, comme nous étions tous couchés, la sœur de Mme Hauffe se précipita dans la chambre, en disant qu’elle avait entendu un bruit de chaînes à la fenêtre, et en regardant de ce côté, elle avait vu deux fois une face noire qui regardait à l’intérieur. Je cherchai, et ne voyant personne, je fermai les contrevents.
Le 25, j’étais dans la chambre avec la sœur, des cendres fines furent jetées, non plus venant de la fenêtre mais d’un coin ; la porte était close et ma femme, regardant au même moment par la fenêtre, ne vit personne.
Le septième jour, l’esprit blanc revint, comme cela avait été fixé. Il dit qu’il fallait donner les kreutzers ce jour même. Je me mis donc en mesure de les porter moi-même. Je trouvai les orphelines sur le point de quitter la maison ce même jour, quoiqu’elle fût leur propriété et que leurs parents y eussent vécu. Elles étaient fort tristes, par conséquent, et elles me dirent qu’elles et leurs parents avaient toujours vu une forme blanche, comme un nuage, de même qu’elles avaient entendu dans la maison des bruits divers de soupirs, de gémissements, de toux. Leur père croyait que la maison était hantée, mais pas par un mauvais esprit.
La première fois qu’il revint, il exprima sa satisfaction que l’argent eût été remis. Il est évident qu’il attachait une idée d’expiation à cet acte.
L’esprit revint avec un aspect plus brillant ; il dit que son nom avait été Belon et que maintenant il se nommait Jamua. « J’avais l’habitude, dit-il, de signer Bellon, mais mon nom véritable était Belon. » Il ajouta que maintenant il pouvait aller vers le Rédempteur et qu’il se dépouillait de toues les préoccupations terrestres.
Connaissant son nom, je pus me livrer à une enquête à son sujet ; mais il me fut impossible de trouver personne de ce nom. Cependant, le Maire Pfaff, après quelques recherches, trouva que dans l’année 1700, il vivait un bourgmestre et gardien d’orphelines de ce nom : il avait du mourir en 1740, car le partage de ses biens avait eu lieu cette année. Sur le registre des décès de cette année 1740, je trouvai son nom, avec l’indication d’âge de 79 ans. Nous trouvâmes également un acte constituant une plainte contre cet homme, de la part d’une famille éteinte depuis longtemps. Il refermait des faits prouvant son avarice, etc.. et montrant qu’il avait vécu dans la maison désignée par lui.
Le 27, un animal ressemblant à un scorpion monstrueux ; sortit du coin de la chambre, et elle demanda, au nom de Jésus qu’il s’éloignât et il s’évanouit. Plus tard, étant assis près d’elle pendant qu’elle dormait, j’entendis un bruit de sable ou de cendres que l’on jetterait de l’un des coins, mais je ne pus les voir. J’appelai ma famille et lorsque je revins, elle était en somnambulisme et dit : « Si vous étiez resté, au lieu d’appeler les vôtres, vous en auriez encore entendu davantage. »
Le 30, sur le désir d’un ami, elle montra au spectre blanc un papier sur lequel était écrit : « Si vous êtes un bon esprit, dites-nous comment nous devons vivre pour éviter d’aller dans la région moyenne après la mort. » Il répondit : « En vérité, par mon Médiateur et mon Rédempteur, je suis maintenant bon et heureux. Celui qui désire le suprême bonheur, doit suivre complètement l’Evangile et les enseignements de Jésus. »
Le 3 mai, à minuit, l’esprit blanc réveilla brusquement Mme Hauffe et lui recommanda de veiller sur sa sœur, car l’esprit noir reviendrait pendant quatre nuits et se tiendrait derrière son lit ; et que si elle cherchait à le voir il pourrait lui causer une frayeur mortelle. Il dit qu’il fallait que quelqu’un restât avec elle. Mme Hauffe resta donc et veilla ; aussitôt elle vit l’esprit noir se tenir comme un pilier derrière le lit de sa sœur. Lorsqu’il fut resté quelques minutes, sa sœur s’éveilla pleine de terreur. Mme Hauffe lui dit de se lever et d’appeler quelqu’un ; mais l’apparition était encore là, la jeune fille dit qu’elle n’oserait bouger sous aucun prétexte. Ensuite, lorsqu’il fut parti, elle se leva, vint vers nous et nous dit que sa sœur désirait que quelqu’un vint et restât dans la chambre. Nous envoyâmes la servante, qui coucha avec elle ; mais, pendant tout le reste de la nuit, il se produisit, dans toutes les parties de la maison des tapages entendus de nous tous. Le lendemain matin, Mme Hauffe nous dit ce qui était arrivé et sa sœur entendit pour la première fois une explication de ses propres sensations. Elle dit qu’elle s’était éveillée dans une grande terreur, et que, sans savoir pourquoi, elle s ‘était trouvée incapable de sortir de son lit ; mais qu’elle n’avait pas vu d’esprit et n’avait songé à aucun d’eux. Elle se plaignit pendant toute la journée d’une douleur dans le côté près duquel le spectre s’était tenu. A midi, il se produisit un tel tapage dans la chambre où je me trouvais, que tous ceux qui en étaient proches vinrent en demander la cause.
Nous aurions voulu que la bonne passât encore la nuit dans la chambre, mais elle ne le voulut pas : dès que sa sœur fut couchée, Mme Hauffe se leva, au milieu de son sommeil et, les yeux clos, mit sa robe de chambre, un foulard et des bas et s’étendant au pied du lit de sa sœur, chercha sa main et la prit avec hâte. Au bout de quelque temps elle s’éveilla, toute surprise de se trouver là et retourna aussitôt dans son lit. Le lendemain matin, elle dit que le spectre blanc lui avait recommandé de veiller sur sa sœur ; qu’il était à genoux près d’elle, tandis qu’elle était étendue près de sa sœur et que cela avait tenu l’esprit noir à distance. La nuit suivante, on envoya la sœur coucher chez des amis et on se procura une autre garde. Le jour suivant, tandis que ma femme était à la cave, des coups si violents furent frappés sur les tonneaux, qu’elle m’appela, mais il fut impossible de rien trouver. La nuit, dans la chambre de Mme Hauffe, quoique portes et fenêtres fussent bien fermées, il se produisit beaucoup de jets de gravier, etc.. L’esprit blanc était devenu si ténu et si vaporeux, qu’on pouvait à peine le voir. Il dit à la Voyante qu’il ne reviendrait plus que deux fois, parce qu’il lui devenait de plus en plus difficile de le faire. Il lui confia beaucoup de choses qu’elle ne voulut pas nous dire ; il lui dit entre autres qu’il y a huit béatitudes. Les bruits continuaient chaque jour.
Le 17, elle dit pendant son sommeil : « Oh ! Quel bonheur ! Quel ravissement ! Je n’ai jamais été si heureuse ! Aucun mortel ne peut se l’imaginer. Combien les âmes pieuses doivent se réjouir à l’idée de ce qui les attend ! Ici nous avons de la musique et de bien belles fleurs ; mais que sont-elles en comparaison de la musique et des fleurs célestes ! Combien doivent souffrir ceux qui restent longtemps dans l’état moyen et ne peuvent jouir de ces délices ! Lorsqu’elle s’éveilla, elle dit que nous paraissions tous si lourds et si épais, qu’elle ne pouvait concevoir comment nous arrivions encore à nous mouvoir.
A propos des questions que nous la pressions de poser aux esprits, pour nous convaincre qu’ils n’étaient pas de son imagination, elle dit qu’il lui était indifférent que le public crût en eux ou non, et que plus elle les questionnait, plus ses relations avec eux devenaient étroites, au lieu de les éloigner d’elle.
Dans la nuit du 31, ma femme s’éveilla soudain très effrayée et se mit sur son séant. Aussitôt après, nous entendons la voix de la sœur, criant de la fenêtre d’en bas, vers nous qui étions à l’étage supérieur, qu’il y avait à la porte extérieure quelqu’un s’efforçant de pénétrer dans la cour. Je sautai de mon lit et courant à la fenêtre, j’entendis que quelqu’un s’efforçait d’ouvrir la porte, mais je ne voyais rien, quoiqu’il fît clair de lune. J’appelai mais on ne répondit pas et aussitôt j’entendis ce produire sur le toit le bruit d’un jet de gravier. J’éclairai par la fenêtre, mais tout se taisait et rien ne bougeait.
Le 29, l’esprit blanc vint, accompagné par un fantôme féminin brillant. Ils chantèrent tous un hymne que Mme Hauffe ne connaissait certainement pas auparavant. Ils la remercièrent ensuite pour ses prières et sortirent par la porte. Mme Hauffe dit qu’elle aspirait ardemment à aller les retrouver. Avant de la quitter, l’esprit blanc lui avait promis que le spectre noir ne reviendrait plus jamais.
Dans le courant du mois d’août, je vis venir une femme de Lenach, du nom de L… S…, qui désirait entretenir Mme Hauffe de tracas extraordinaires qui la troublaient depuis plusieurs années. On lui avait dit que Mme Hauffe voyait des apparitions, mais c’était tout ce qu’elle en savait.
Elle disait : « Dans la maison que j’habite, on entend, la nuit, des bruits comme des roulements de boules, des gémissements, des pleurs ; parfois un poids semble tomber sur moi et d’autres fois un invisible semble s’approcher de moi tellement près que je sens son souffle. Tout cela me faisait tant de mal que j’ai abandonné la maison. » Je lui demandai dans quelle maison tout cela se passait et je fus profondément surpris, lorsqu’elle me dit que c’était dans la maison de Bellon. « Lorsque je vins demeurer à Lenach, dit-elle, je n’entendais rien ; mais étant ensuite allée en service à Neustadt, je fus de nouveau tourmentée comme auparavant. En outre, je vis souvent une apparition blanche se tenir près de mon lit. Je tombai malade et revint chez moi. Là, je fus fréquemment poursuivie par un bruit de plaintes, que ma mère entendait aussi bien que moi et qui nous tourmenta pendant deux ans. J’entendais souvent le bruit de choses qu’on lançait contre moi, mais je ne pus rien trouver ; j’entendais encore des bruits de paroles indistinctes, comme si quelqu’un voulait parler sans pouvoir y parvenir. En m’éveillant brusquement, je vis quelquefois l ‘apparition blanche, qui se tenait près de mon lit. » Cette femme était mariée et avait des enfants et sa mère confirmait tous ses dires, ajoutant que son mari avait aussi entendu ces bruits et vu quelquefois une apparition noire.
Pour essayer si elle verrait ces apparitions qui venaient chez Mme Hauffe, je fis en sorte que cette femme, la fille, passât une nuit dans la chambre de la Voyante. Elle ne les vit pas, mais elle les entendit et il en résultat pour nous que l’esprit noir, qu’on ne voyait plus depuis quelque temps, revint et nous troubla encore assez longtemps. Nous reviendrons sur ces faits.
Quelque temps après, je vis cette femme sur son lit de mort ; elle m’assura que tout ce qu’elle m’avait dit était vrai. Elle ajouta que, sept jours auparavant, l’esprit noir les avait informés, elle et son mari, de leur mort prochaine par un signe qu’elle ne pouvait m’expliquer à cause de son état d’épuisement. Elle et son mari moururent à quelques jours d’intervalle.
Cinquième cas
Le 6 juillet 1827, Mme Hauffe se promenait près de chez moi, dans l’avenue qui conduit à la ville ; mais, après quelques pas, elle retourna en toute hâte, disant qu’elle ne pouvait aller plus loin. Je n’en connus la raison que le 14, où elle me dit qu’elle avait vu un homme dans lequel elle avait reconnu un spectre qui, depuis, l’avait souvent visitée la nuit, lui demandant de venir avec lui dans un château où se trouvaient une grande et une petite cave, dans lesquelles elle devait aller. Comme elle refusait, il lui dit qu’il reviendrait jusqu’à ce qu’elle eût fait ce qu’il lui demandait. Elle le décrivit comme ayant une bonne et aimable apparence et comme ne lui causant aucune crainte. Il paraissait âgé de soixante-dix ans environ, portait une longue barbe, un vêtement et un chapeau d’ancienne forme, comme les Tyroliens en portent encore et des demi-bottes ; sa parole était plus facile et plus rapide que celles des autres esprits. En réponse aux questions de la Voyante, il déclara qu’il vivait en 1529, qu’il jouissait d’un certain bonheur, mais qu’une chose s’opposait à ses progrès ultérieurs et lui demandait de prendre du courage et de venir avec lui. Elle disait que la vue, d’aucun autre esprit lui avait été aussi agréable que la sienne.
Le 21, elle lui demanda qu’elles étaient les occupations des esprits dans la région qui lui était assignée. Il dit : « Je suis avec les paiëns et les hommes justes, auxquels il n’est pas encore permis de voir leur Sauveur ; des Anges nous instruisent jusqu’à ce que nous soyons dignes de monter plus haut. » Il dit qu’il y avait huit béatitudes, et jusqu’ici seulement sept, car l’ère de la huitième n’était pas encore venue ; que c’était celle que l’on désignait par le royaume de 1000 ans.
Le 20, elle lui déclara qu’elle ne pourrait se rendre dans le château avant qu’il lui eût déclaré son nom. Il répondit qu’elle ne le saurait pas avant qu’ils y fussent arrivés. Vers le même temps, un autre fantôme, moins brillant que le précédent, paraissait de temps à autre. Il portait un costume militaire, paraissait âgé de quarante ans et son apparition était accompagnée d’un bruit de tintement, comme celui des éperons. Un jour que le Rev. M. Hermann et moi faisions une lecture avec elle, il s’arrêta tout à coup, disant que quelque chose venait de lui toucher le pied. Elle me dit ensuite qu’à ce moment, le fantôme militaire se tenait près de lui. Il allait et venait dans la chambre et le regardait d’un œil calme, mais ne disait rien. M. Hermann avait fréquemment conscience du voisinage des esprits, surtout depuis qu’il avait noué des relations avec eux au moyen de ses questions écrites. Aussitôt après, comme Mme Hauffe était étendue endormie toute habillée sur son lit, avec des souliers tenus par des agrafes, j’entrai dans sa chambre et je la regardais, lorsque ses souliers lui furent enlevés des pieds par une main invisible et portés en l’air jusqu’auprès de sa sœur, debout à la fenêtre et posés à terre derrière elle. Mme Hauffe était restée parfaitement immobile pendant ce temps et ne savait rien de cela lorsque je l’éveillai. Sa sœur pleurait, déclarant que désormais elle ne toucherait plus ces souliers. Chaque fois que ce fantôme paraissait, la veilleuse s’éteignait, et une fois elle le vit l’éteindre.
Le 22, le fantôme parla pour la première fois et lui dit sur un ton de moquerie qu’il était le veneur de celui qui lui demandait de venir dans le château. Peu de temps après, tandis que la sœur et ma fille se trouvaient dans la chambre, un écran posé sur la table fut enlevé et projeté de l’autre côté de la pièce. Mme Hauffe qui était dans son lit, venait précisément de voir le veneur entrer par la porte.
Le 10, il entra précipitamment et dispersa par terre tous les papiers qui étaient sur la table. Lorsqu’elle lui demanda ce qu’il voulait, il répondit qu’il voulait empêcher l’autre esprit d’obtenir son pardon.
Dans la soirée du 24, ce spectre revint, accompagné d’une grande, lourde, vieille femme, dont l’aspect était noir et la contenance désagréable. Elle portait des vêtements d’ancien modèle, avec une coiffure élevée et au-dessous de celle-ci un voile comme en portaient toujours les fantômes féminins. Sa robe était lourde et très ample et elle portait des chaussures à pointes. Ils allaient et venaient dans la chambre et regardaient Mme Hauffe, mais sans parler. Lorsqu’elle demanda à l’autre esprit la cause de ces deux visites, il lui dit que c’était pour l’empêcher de faire ce qu’il se proposait, car pendant toute sa vie ce veneur l’avait poursuivi d’une haine qui persistait au delà de la mort. La cause de cette haine est qu’il lui avait enlevé ses fonctions etc..
Mme Hauffe m’avait souvent dit que, dans le réservoir de notre cuisine, il y avait quelque chose qui n’y avait jamais été et qui ne devrait pas y être. On le vida et on trouva au fond une ancienne, longue, lourde et grossière aiguille à tricoter. Je la portai dans la chambre de Mme Hauffe et la déposai sur sa table. Au bout de quelques jours, quoique personne ne l’eût touchée, cette aiguille fut retrouvée dans la cuisine, à l’étage supérieur. Je la descendit de nouveau à l’étage inférieur et la posai sur la table. Peu après, le veneur et sa compagne revinrent et Mme Hauffe vit l’aiguille enlevée de la table située à six pas d’elle et portée en l’air vers elle. Elle cria, réclamant que l’on vînt à son aide et l’aiguille, au lieu d’arriver jusqu’à l’endroit où elle était, fut déposée dans un verre d’eau où je la trouvai, lorsque j’entrai, attiré par les cris de la Voyante.
Dans la soirée du 29, Mme Hauffe était seule et ma servante se trouvait avec une autre personne dans la chambre voisine, près de la porte de communication ; le veneur et la femme revinrent, allant et venant comme d’habitude dans la chambre, s’arrêtant de temps à autre, pour la considérer et en ne prononçant que ces mots : « Oui, Oui, Oui ! » sur un ton sarcastique, tandis que la femme la regardait avec une expression correspondante. A la suite de cela, elle fut prise d’une crise de nerfs. En même temps, les deux personnes qui étaient dans la chambre voisine entendaient les bruits les plus étranges, des sonneries d’éperons et un tapage comme si les chaises étaient renversées à terre avec violence. Se demandant d’où cela provenait et sachant que Mme Hauffe était dans son lit, elles se précipitèrent dans la chambre. Au même moment, un fauteuil fut lancé vers elles d’un point opposé de la chambre où était le lit, sur lequel elles virent Mme Hauffe étendue sans connaissance. Lorsqu’elle s’éveilla elle dit qu’elle avait vu les fantômes, mais elle n’avait aucune connaissance du bouleversement produit pendant qu’elle était insensible. Pendant la nuit, elle dit dans son sommeil qu’elle avait entendu le tapage pendant son état d’insensibilité, parce qu’alors elle était toujours en état de somnambulisme ; mais que, une fois éveillée, elle ne savait plus rien.
Dans la nuit du 1er août le bon esprit vint à elle, mais le mauvais vint aussi et se plaça devant lui, ce qui le fit disparaître. Le veneur s’efforçait de la troubler constamment, mais elle le défiait au nom de Dieu.
Le 7, ils vinrent, amenant avec eux un esprit très noir, ayant de lourdes formes, qui causa un très grand effroi à Mme Hauffe. Ils continuèrent à apparaître fréquemment et dès lors le bon esprit, chaque fois qu’il venait tenait une feuille de papier sur laquelle elle discernait de grandes lettres entremêlées de plus petites de couleur rouge. Il disait : « Ceci est ce qui me protège. » Comme elle ne pouvait les lire pendant la nuit, elle lui demanda de les lui apporter pendant le jour.
Le 31, je lui donnai un papier soigneusement fermé et scellé, sur lequel était écrit : « Jésus emporte nos péchés Annoncez à tous cette joyeuse parole. » Et lui dit de le présenter au premier fantôme qui viendrait en lui en demandant le contenu. Elle le fit et le veneur, sans toucher le papier dit : « Jésus emporte nos péchés. Qu’est-ce que tout cela me fait ? Je ne serai jamais heureux. » Elle lui dit : « Comment pouvez-vous espérer voir jamais Dieu, si vous restez aussi méchant ? » Il répondit : « Hum… Je ne le verrai jamais ! » Elle le conjure ensuite de s’en aller. Le lendemain matin, elle me remit le papier scellé, tel que je lui avait donné.
La nuit, le veneur revint seul, et d’une façon aimable, mais à demi plaisante, il lui demanda de lui dire comment on prie.
« Parlez-vous sérieusement ? Voulez-vous prier ?
Je le voudrais.
Dans quel but ?
Pour devenir plus heureux.
Croyez-vous que vous puissiez devenir heureux par la prière ?
Oui ! Maintenant je le crois.
Et bien ! alors, confiez- au Rédempteur.
Il disparut alors. La première fois qu’il revint, elle pria de nouveau avec lui. Mais elle lui dit qu’elle ne le ferait plus jamais, s’il amenait encore avec lui cet esprit noir qui, une partie du temps, faisait un tel tapage, que la bonne l’entendait. Elle me disait qu’il était évident pour elle que les prières et les paroles pieuses dont elle usait se répandaient sur tous les esprits et les rendaient plus brillants ; mais elles l’affaiblissaient. Lorsque le veneur reparut, elle lui demanda pourquoi le bon esprit venait si rarement.
Il répondit : « C’est ma faute ; il ne peut venir autant qu’il le voudrait ; c’est beaucoup plus difficile de venir pour lui que pour moi. »
« Si je me rendais au château, comme il le désire, pourriez-vous m’indiquer la place dont il parle ?
Je le pourrais, mais cet esprit noir ne me le permettrait pas. »
Aussitôt le spectre noir vint se poser devant elle.
« Il est dit : « Vous aurez recours à votre Seigneur et Sauveur, et il éloignera de vous ce noir esprit. »
Je le ferai, mais dites-moi comment.
En demandant sans cesse à votre Rédempteur de vous pardonner vos péchés. »
Le 12, elle lui demanda pourquoi il était dans la région moyenne.
« Pour mes péchés, apprenez-moi à prier.
Comment êtes-vous lié à ce bon esprit ?
Comme par une chaîne qui a provoqué en lui un haine inextinguible. J’étais son inférieur et j’ai fait cadeau d’une chaîne à sa femme. Il ne voulait pas lui permettre de la porter ; il la prit et la jeta dans un souterrain. Il promit de me donner une meilleure situation, mais il ne le fit jamais. Moi et une servante avions conçu contre lui une haine profonde ; nous l’avons volé et lui avons fait tous le tort que nous avons pu. Je vous raconterai tout cela ; mais maintenant priez avec moi : dites l’oraison dominicale. »
Dans la nuit du 13, je plaçai dans la chambre de Mme Hauffe la femme de Lenach dont j’ai parlé plus haut. Le matin elle me dit qu’elle avait entendu du bruit et qu’alors Mme Hauffe s’était éveillée et avait parlé avec des personnes invisibles. Le premier mot qu’elle avait dit avait été : Pourquoi ? Mme Hauffe raconta la conversation suivante :
« Je ne puis dire d’autres prières que celles que vous m’enseignez.
Pourquoi ?
Parce que personne ne nous l’enseigne : nous devons trouver tout par nous mêmes.
Si quelqu’un recourt au Seigneur, celui-ci l’entendra. Il vous fortifiera si vous vous adressez à lui, etc.. »
Elle dit que le fantôme saisit ces paroles, comme fait un enfant lorsque quelque chose excite son intérêt. Il la pressait d’en dire davantage, mais elle était épuisée et ne put aller plus loin.
Le 16, à la suite de bruits divers, il vint un grand esprit noir que Mme Hauffe n’avait jamais vu.
Le 17, ma femme et moi entendîmes des bruits près de notre chambre, mais je ne pus trouver personne.
Le 21, le veneur vint avec la femme et le petit fantôme noir. Ce dernier était très agité, comme il l’était toujours, et la femme demanda en se moquant au veneur de ne pas penser à Mme Hauffe mais de l’écouter elle-même. Il supplia la Voyante de permettre à cette femme de prononcer le nom de Jésus.
Le 22, il se produisit des bruits dans notre maison et une table fut renversée sans que personne ne la touchât. En même temps j’éprouvais sur le bras gauche une sensation indescriptible.
Le 23, le grand fantôme noir reparut pour la dernière fois, mais il ne dit rien. Mme Hauffe pensa qu’il venait à propos de la femme de Lenach.
Le 24, Mme Hauffe se retira dans la maison voisine où le veneur apparut aussitôt, dans la pièce voisine de celle où se trouvait Mme Hauffe et il la salua. Il lui dit qu’il la trouverait quelque part qu’elle pût aller, mais qu’il ne devait pas lui parler, cela nuirait à sa santé. Dans la nuit de son changement, je plaçai une jeune fille excellente et honnête, pour lui tenir compagnie dans sa chambre et elle me raconta que, dans la nuit, la porte s’était ouverte et qu’elle avait vu un grand fantôme noir marcher dans la chambre. Cette jeune fille est celle dont il est parlé à propos de la troisième apparition.
Le 27, le fantôme féminin vint seul et dit en raillant qu’elle empêcherait le veneur de paraître. Il vint cependant et dit, lorsqu’elle lui demanda la raison de ce fait : « Oh ! mon Dieu ! C’est parce que pendant ma vie je lui ai été trop étroitement lié ! » Il eût voulu qu’elle aussi pût être sauvée.
Mme Hauffe lui demanda s’il pouvait se présenter sous une autre forme que celle qu’il avait étant homme. Il répondit : « Si j’avais vécu comme une brute, je devrais vous apparaître tel. Nous ne pouvons prendre les formes que nous voulons. Nous devons vous apparaître tels que nous étions. » Comme à ce moment elle entendit des sons musicaux venir de la maison voisine, elle lui demanda s’il y avait de la musique aussi où il était. Il répondit : « Non. Mais nous entendons quelquefois celle des esprits heureux et cela nous est pénible. »
« Entendez-vous la musique terrestre ?
Lorsque je suis avec vous, je l’entends par vous, mais pas autrement. Nous ne prenons aucune part à ce qui arrive sur terre. »
Comme la femme et le petit esprit noir l’accompagnaient encore, mais en se tenant à distance, elle lui demanda qui était ce dernier. Il répondit : « C’est un de ceux qui ne peuvent jamais être heureux. »
Le 1er octobre, le fantôme noir l’effraya et lui parut si terrible, qu’elle en fut extrêmement malade.
Le 2, le fantôme féminin l’invita en se moquant, à l’accompagner au château. Ces deux fantômes continuèrent à l’effrayer et à la troubler beaucoup. Le fantôme noir était si lourd que l’on entendait ses pas. Le veneur la pria de ne pas les écouter.
Le 9, Mme Hauffe me dit qu’elle avait vu paraître une forme brillante, portant des vêtements blancs et la tête entourée d’un limbe lumineux. Il ne lui était pas permis de me dire ce que c’était. Elle déclara qu’elle avait déjà été visitée par ce fantôme et il lui avait été dit : « Je suis un de ceux qui sont envoyés pour être utiles à ceux qui sont destinés au bonheur suprême. » Cet esprit ne marchait pas sur la terre comme les autres, mais il flottait ; comparés à lui, les autres paraissent lourds comme le plomb. Il était à comme un nuage lumineux à travers lequel luirait le soleil. La nuit, lorsque le veneur parut, cet esprit revint et lui donna des paroles de consolation. Elle disait que ce brillant esprit la fortifiait plus que les autres ne pouvaient l’affaiblir. Elle savait ce qu’il avait été sur terre, mais elle ne voulait pas le dire. Cet esprit lui dit aussi qu ‘il avait été dans la région moyenne, mais pendant fort peu de temps et pas à un degré aussi bas que les autres fantômes. J’appris plus tard que ce brillant fantôme était celui du défunt ministre T… d’Oberstenfeld, dont il est parlé au début de ce travail et sur la tombe duquel Mme Hauffe s’était rendue. C’était un excellent homme, de la plus grande valeur.
Le 19 octobre survint, époque à laquelle, comme nous l’avons dit, elle sembla sortir de sa situation précaire, oubliant tout ce qui s’était passé pendant une durée de plusieurs mois. Dans la matinée, elle me fit le récit de la terreur que lui avait causée pendant la nuit un spectre, portant un vêtement court et des bottes, qui lui avait demandé de lui donner des forces. Lorsqu’elle l’avait interrogé sur ce qu’il voulait d’elle, il avait dit : « Ce que je vous ai souvent dit. » Vint alors le fantôme blanc d’une personne qu’elle avait connue vivante.
Comme elle lui demandait pourquoi elle venait à elle, quoique morte depuis un long temps déjà, elle avait reçu cette réponse : « Je viens vous donner des forces, calmez-vous. »
Actuellement, lorsque les esprits la visitaient, elle en perdait le souvenir. Nous lui rappelions leur histoire, telle qu’elle nous l’avait racontée. Le petit esprit noir lui causa une grande surprise et elle nous dit que quoiqu’ils ressemblassent à du plomb, en comparaison à l’esprit blanc, ces esprits étaient encore très légers, si on les comparait à nous. « Comme nous devons être lourds ! » Lorsque le fantôme féminin l’effrayait, elle lui demandait de venir vers moi, et dans cette même nuit du 2 novembre, ma femme et moi nous fûmes fort troublés par des bruits produits dans notre chambre et quelque chose fut lancé contre moi. Le matin j’appris ce que Mme Hauffe avait dit à l’esprit.
Le 9, lorsque le veneur et l’esprit lumineux apparurent ensemble, la jeune fille de Lowenstein qui couchait dans la chambre, vit le veneur mais pas l’autre, Mme Hauffe dit que celui-ci ne pouvait être vu que par les yeux spirituels, qui sont en dedans des yeux charnels.
Le 15, l’enfant de Mme Hauffe, qui avait alors trois ans, couchait dans l’antichambre par laquelle passait le veneur, ce qui lui fit pousser des cris ; montrant la porte, il nous fit comprendre que quelque chose l’avait effrayé.
Quelque temps avant qu’elle s’éveillât, elle nous dit que le bon esprit ne reviendrait pas jusqu’à ce qu’elle fût capable d’aller au château. Le veneur lui avait dit la même chose.
Le 20, le fantôme brillant dit qu’il reviendrait le lendemain matin, ce qu’il fit. Il lui dit que si elle ne pouvait aller au château avant le 15 février, il reviendrait encore. Elle le décrivit comme elle l’avait déjà fait dans son état précédent.
Le 15, il reparut en compagnie du veneur ; il lui dit qu’il ne reviendrait que lorsqu’elle serait en état de venir avec lui. Le veneur lui dit qu’il allait aller dans un endroit meilleur et ne la troublerait plus.
Elle ne fut jamais capable de se rendre au château et ils ne revinrent plus.
Peu de temps après que cette histoire du bon esprit, qui demandait à Mme Hauffe de l’accompagner au château, eût été connue, une personne occupant ici une position officielle vint me voir, nous étions au 9 août 1827, et me rapporta les détails suivants :
« Il y a dix ans, lorsque j’habitais dans la cour la plus voisine de celle-ci, j’étais troublé nuits et jours par quelque chose d’invisible qui ouvrait et fermait les portes et portait ses pas de droite et de gauche. Mes enfants eux-mêmes s’étaient parfaitement accoutumés à ces bruits et nous y étions tout à fait familiarisés, mais on ne vit jamais rien. Comme on m’avait confié ici une fonction, je pris une petite maison sur les remparts de la ville, sur le chemin du château. Là les pas continuèrent à se faire entendre, mais au bout de peu de temps ce qui était resté invisible jusque là devint visible. Une nuit, je vis se tenant au pied de mon lit, le fantôme d’un homme paraissant avoir environ soixante ans. Il portait un chapeau rond, des vêtements grisâtres, des bottes avec des éperons et paraissait être une personne de qualité. Il me dit en s ‘exprimant avec difficulté : « Venez avec moi au château. » Je ne pus lui répondre. Depuis ce moment l’esprit revint chez moi jour et nuit et me parla souvent. J’appris qu’il était préoccupé d’une chose qu’il avait cachée dans un souterrain, dont l’entrée est au pied du mur et qu’il était en quelque sorte lié par un serment. Une fois il m’apparut dans le jour, en me disant : « Venez avec moi au château à dix heures du soir. » Je lui promis et à l’heure indiquée je sortis. Lorsque je fus arrivé à la petite porte, j’aperçus quelqu’un venir vers moi de la Tour ronde ; je le pris pour une personne vivante, et craignant d’être interrogé sur les motifs de ma sortie à une heure aussi tardive, je fis volte-face. De son côté, le personnage retourna vers sa prison et je compris alors que c’était le fantôme, et je vis qu’il était suivi par un petit spectre noir, mal formé, qu’il semblait chercher à éviter, il poussa un gémissement qui m’alla au cœur, mais je ne trouvai plus la force de poursuivre ma première intention. Depuis lors je n’ai plus jamais vu ni entendu rien de semblable chez moi. »
Je tiens ce récit d’un très honnête homme et on ne peut s’empêcher de remarquer ses rapports avec l’histoire précédente. Mme Hauffe n’entendit jamais parler de cet homme et de son aventure.
Sixième cas
Si beaucoup de choses racontées ci-dessus semblent incroyables, celles que nous allons citer la paraîtront encore bien davantage. Ceux qui trouvent impossible les faits arrivés à Mme Hauffe, rejetteront avec plus de dédain ce qui va suivre. Mais ceux qui nous ont lu avec une autre disposition d’esprit et sont disposés à croire à l’existence d’un monde d’esprits au milieu de nous, ne manqueront pas de remarquer les singulières coïncidences que présentent ces histoire, surtout en ce qui concerne les moyens employés par les esprits pour attirer l’attention des mortels et qui diffèrent entre eux non de nature, mais de degré. Les personnes auxquelles ces faits arrivèrent étaient en parfaite santé et n’avaient jamais eu de rapports quelconques ni avec des magnétiseurs ni avec des somnambules. Le conseiller Hahn d’Ingelfingen, qui avait été témoin oculaire des faits, en écrivit le récit au château de Slawensick, en Silésie, qui fut depuis, détruit par la foudre en l’année 1808, et il me le communiqua en 1828.
Après la campagne des Prussiens contre les Français, en 1806, le prince régnant de Hohenlohe donna l’ordre au conseiller Hahn, qui était à son service de se rendre à Slawensick et d’y attendre son retour. Sa seigneurie venait de Liégnitz vers sa principauté et Hahn commençait de son côté son voyage vers la haute Silésie, le 19 novembre. A la même époque Charles Kern, de Künzelsau, qui avait été fait prisonnier par les Français, fut relâché sur parole et arriva à Liégnitz dans un dénuement complet ; il obtint de rester quelque temps avec Hahn, en attendant qu’on lui envoyât de l’argent. Hahn et Kern étaient amis d’enfance et les évènements les ayant amenés tous deux dans les états Prussiens, ils avaient habité le même appartement du château, au premier étage, à l’angle postérieur de l’édifice, et donnant d’un côté au Nord et de l’autre à l’Est. A la droite de la porte de cette chambre se trouvait une porte vitrée, conduisant dans une pièce, séparée de la suivante par une cloison en planches.
La porte percée dans cette cloison, pour faire communiquer les deux chambres, était condamnée, parce qu’elle contenait toutes sortes d’ustensiles de ménage. Ni dans cette pièce, ni dans le salon qui précédait ne se trouvait aucune ouverture qui pût servir de moyen de communication avec le dehors. Il ne se trouvait non plus dans le château, outre les deux amis, que les deux cochers du prince et le serviteur de Hahn. Tous étaient braves et comme Hahn et Kern, ils ne croyaient à rien moins qu’aux esprits ou aux sorciers et rien de ce qu’ils avaient éprouvé jusque là ne pouvait diriger leurs pensées dans ce sens. Pendant ses années de collège, Hahn s’était beaucoup donné aux études de philosophie ; il avait suivi Fichte et avait étudié avec le plus grand soin les travaux de Kant. Le résultat de ses études avait été un pur matérialisme et il considérait la création de l’homme, non comme un couronnement, mais seulement comme un moyen d’arriver à une fin encore mal déterminée. Depuis ses opinions se sont transformées, comme celles de beaucoup d’autres, qui pensent tout autrement à 40 ans qu’à 20. Il était nécessaire de donner ici ces détails, pour permettre d’ajouter foi au récit extraordinaire qui va suivre, et pour établir ce fait, que les phénomènes ne furent pas naïvement acceptés par des ignorants superstitieux, mais froidement et courageusement observés par des esprits éclairés. Pendant les premiers jours de leur résidence au château, les deux amis vivant ensemble dans la solitude, consacraient leurs longues soirées à la lecture de Schiller, dont ils étaient tout deux de grands admirateurs. Ordinairement, Hahn lisait tout haut. Trois jours s’étaient paisiblement passés, lorsque, tandis qu’ils étaient assis à la table située au milieu de la pièce, leur lecture fut interrompue vers neuf heures du soir, par une petite pluie de chaux, qui tombait autour d’eux. Ils regardèrent au plafond, croyant que cela devait venir de là, mais ne purent découvrir aucun point détérioré et tandis qu’ils cherchaient à découvrir d’où venait cette chaux, il en tomba soudain plusieurs larges fragments, qui étaient tout à fait froids, comme s’ils venaient de la face externe du mur. A la fin, pensant que la chaux devait s’être détachée d’un point quelconque du mur et remettant à plus tard une enquête plus précise, ils allèrent se coucher et dormirent tranquillement jusqu’au matin, où en s’éveillant, ils furent fortement surpris de la quantité de chaux répandue sur le parquet ; d’autant plus qu’ils ne trouvaient aucun point des murs ou du plafond d’où elle eût pu tomber. Cependant ils n’y songèrent plus jusqu’au soir où la chaux, au lieu de tomber simplement comme auparavant, fut lancée de telle sorte, que plusieurs morceaux vinrent frapper Hahn. En même temps ils entendaient, tantôt au-dessous, tantôt au-dessus de leurs têtes des coups sourds, comme des coups de fusil lointains. Attribuant encore ces bruits à des causes naturelles, ils allèrent se coucher comme de coutume. Mais le vacarme éloigna le sommeil et chacun d’eux accusait l’autre de produire ces bruits, en frappant les pieds contre le bois de lit. Enfin, constatant que le tapage persistait, après qu’ils se furent tout deux levés, se tenant debout au milieu de la chambre, ils durent reconnaître que telle n’était pas la cause. Dans la soirée suivante, une troisième espèce de bruits vint s’ajouter aux autres, c’était l’imitation d’un roulement lointain de tambour. Sur cela, ils demandèrent à la gouvernante du château de leur donner les clefs des appartements du dessus et du dessous ; et elle les leur envoya par son fils. Tandis que celui-ci accompagnait Kern dans son inspection, Hahn restait dans leur chambre. Au-dessus ils trouvèrent une chambre vide, au-dessous une cuisine. Ils frappèrent, mais le bruit qu’ils produisirent était tout différent de celui que Hahn continuait à entendre autour de lui. Lorsqu’ils revinrent, Hahn leur dit en plaisantant : « La place est hantée ! ». Cette nuit, au moment où ils allèrent se coucher, avec un flambeau allumé, ils entendirent comme le bruit d’une personne qui marche dans la chambre avec des pantoufles et une canne, avec laquelle il frappe le parquet à chaque pas. Hahn continua à plaisanter et Kern à rire de la singularité de ces faits, pendant quelques instants, jusqu’au moment où le sommeil les gagna, sans se sentir troublés le moins du monde par ces circonstances et sans songer un instant à les attribuer à des causes surnaturelles. Mais dans la soirée suivante, l’affaire devint encore plus inexplicable. Divers objets contenus dans la chambre furent jetés en l’air : couteaux, fourchettes, brosses, chapeaux, pantoufles, cadenas, tubes, mouchettes, savon, tout en un mot était en mouvement, tandis que les flambeaux étaient lancés d’un coin à l’autre et que tout était dans la plus grande confusion. Pendant tout ce temps la chaux continuait à tomber et les coups à retentir. En présence de cela les deux amis firent venir les serviteurs, Knittel le gardien du château et tout ceux que l’on put réunir, pour être témoins de ces faits mystérieux. Dans la matinée tout était calme et restait ainsi généralement jusqu’à une heure après minuit. Un soir Kern se rendant dans la chambre dont nous avons parlé, pour y prendre quelque chose, entendit un bruit qui semblait le suivre vers la porte. Hahn apporta une lumière tous deux se précipitèrent dans la chambre et trouvèrent une longue pièce de bois étendue contre la cloison. Mais en supposant que telle était la cause du bruit, qui donc la mettait en mouvement ? Car Kern était bien sûr que la porte était fermée, même pendant que le bruit se produisait et il n’y avait aucune pièce de bois dans la chambre. Fréquemment, sous les yeux, les couteaux, les mouchettes s’élevaient de table et tombaient sur le sol, après quelques minutes. Les grands ciseaux de Hahn furent ainsi enlevés de la table, entre lui et le cuisinier du Prince, et vinrent, en retombant, se planter dans le parquet. Comme il se produisit plusieurs nuits parfaitement tranquilles, Hahn se détermina à ne pas abandonner son appartement ; mais lorsque pendant trois semaines le tapage eût été si continu, qu’ils ne pouvaient plus trouver le repos, ils prirent la résolution de faire transporter leurs lits dans la grande chambre de l’étage supérieur, dans l’espoir de retrouver un peu de paisible sommeil. Leur espérance fut vaine ; le tapage continua comme devant. Bien plus, ils voyaient arriver dans leur nouvelle chambre les objets qu’ils étaient certains d’avoir laissés à l’étage inférieur. « Qu’ils lancent ce qu’ils voudront, s’écria Hahn, il faut que je dorme ! » tandis que Kern commençait à se déshabiller, allant et venant dans la chambre, tout en réfléchissant à toutes ces choses.
Tout à coup, Hahn le voit s’arrêter, comme cloué sur place, devant le miroir, sur lequel il venait de jeter les yeux. Il resta ainsi quelques minutes, puis fut saisi d’un violent tremblement et se détourna du miroir, blême comme un mort. Hahn se figurant que la fraîcheur de la chambre inhabitée l’avait saisi, se hâta de lui jeter un manteau sur les épaules. Alors Kern qui était réellement courageux, reprit ses sens et raconta d’une voix tremblante encore qu’ayant par hasard jeté les yeux sur la glace, il avait vu un fantôme féminin blanc qui le regardait. Elle était devant sa propre image qu’il voyait nettement derrière elle. Tout d’abord il ne pouvait en croire ses yeux ; il se croyait victime d’une illusion et c’est pour cela qu’il était resté si longtemps immobile. Mais lorsqu’il vit que les yeux du fantôme étaient mobiles et regardaient dans les siens, un frisson l’envahit et il se détourna. Sur cela, Hahn avança d’un pas ferme vers le miroir, et demanda à l’apparition de se montrer à lui ; mais il ne vit rien, quoiqu’il restât tout un quart d’heure devant la glace et répétât souvent sa demande. Kern ajouta alors que les traits du spectre étaient très vieux mais nullement tristes ni sombres. Leur expression était plutôt celle de l’indifférence. La face était très pâle et la tête couverte d’un voile, qui ne laissait que les traits de visibles.
Comme à ce moment il était quatre heures du matin et que le sommeil avait fui leurs paupières, ils résolurent de retourner dans leur chambre au-dessous et d’y faire redescendre leurs lits. Mais les hommes envoyés pour les chercher revinrent, déclarant qu’ils ne pouvaient ouvrir la porte, quoi qu’elle n’eût certainement pas été fermée. On les y renvoya ; mais une seconde, puis une troisième fois ils revinrent avec la même réponse. Hahn y alla lui-même et l’ouvrit avec la plus grande facilité. Les quatre serviteurs déclarèrent cependant avec énergie que toutes leurs forces réunies n’avaient pu l’ébranler.
Un mois s’écoula de la sorte ; le bruit des étranges évènements survenus au château s’était répandu au dehors et parmi tout ceux qui désiraient convaincre de leur réalité se trouvaient deux officiers de dragons Bavarois, le capitaine Cornet et le lieutenant Magerle, du régiment de Minuci. Magerle offrant de rester seul dans la chambre, les autres l’y laissèrent. Mais à peine avaient-ils gagné l’appartement voisin, qu’ils entendirent Magerle s’emporter comme un homme en proie à une violente colère, frappant tables et chaises avec son sabre ; le capitaine crut convenable d’y retourner, pour sauver les meubles des effets de sa rage. Ils trouvèrent la porte fermée, mais il l’ouvrit à leur demande, et raconta avec une vive émotion qu’aussitôt qu’ils avaient été sortis de la chambre, un être maudit avait commencé à jeter contre lui de la chaux et d’autres objets. Après avoir regardé dans tous les points de la chambre sans pouvoir découvrir l’auteur de cette attaque, il était tombé en fureur et avait frappé follement autour de lui.
Tout le monde passa le reste de la nuit dans la chambre et les deux Bavarois surveillèrent attentivement Hahn et Kern, pour s’assurer qu’ils n’étaient pas les auteurs d’une mystification. Tout à coup, comme ils étaient tous tranquillement assis autour de la table, les mouchettes s’élevèrent en l’air et vinrent retomber sur Magerle ; une balle de plomb, lancée contre Hahn, le frappa à la poitrine ; aussitôt après ils entendirent du bruit à la porte vitrée, comme si quelqu’un frappait du bout des doigts et en même temps on entendit le bruit d’une chute de verre. En examinant, on retrouva la porte intacte, mais un verre à boire gisait sur le parquet. Alors les Bavarois se déclarèrent convaincus et quittèrent la chambre pour prendre du repos dans un endroit plus paisible.
Parmi toutes ces étranges aventures, la suivante, arrivée à Hahn, est surtout remarquable. Un soir, à huit heures comme il se disposait à se raser, tous les objets nécessaires à cet effet, rangés sur une étagère pyramide dans un coin de la chambre, vinrent à lui l’un après l’autre, boîte à savon, rasoir, brosses, savon, et tombèrent à ses pieds, quoiqu’il ne fut qu’à quelques pas de l’étagère. Lui et Kern, assis devant la table se mirent à rire, car ils étaient désormais si accoutumés à ces incidents, qu’ils n’y prenaient plus garde. En même temps Hahn versa dans un bassin un peu de l’eau qui chauffait sur le poêle et y plongeant le bout des doigts, fit remarquer qu’elle était d’une température tout à fait convenable pour se raser. Il s’assit devant la table et repassa son rasoir ; mais au moment où il se disposait à faire mousser son savon, il s’aperçut que l’eau avait complètement disparu du bassin. Une autre fois Hahn fut réveillé par le fantôme qui lançait contre lui une mince feuille de plomb laminé, dans laquelle du tabac avait été enveloppé et lorsqu’il se baissa pour la ramasser, la feuille s’était lancée d’elle même contre lui. A la troisième fois que cela se répéta, Hahn lança contre son assaillant invisible un coup d’une forte canne.
Le libraire Doïfel fut fréquemment témoin de ces faits étranges. Une fois il posa son chapeau sur la table, près du poêle ; lorsqu’il se disposa à partir, il le chercha et ne le trouva plus. Quatre ou cinq fois il regarda inutilement sur la table, puis subitement il le retrouva exactement à la place où il l’avait posé. Knittel avait un jour posé son chapeau sur la même table, et ayant pris lui-même un siège, vit le chapeau flotter dans l’air, quoiqu’il n’y eût personne près de la table, et venir tomber à ses pieds.
Hahn, bien déterminé à trouver l’explication du mystère s’assit dans ce but, avec deux lumières devant lui, dans une position qui lui permît de voir toute la pièce, ainsi que les fenêtres et les portes qui s’y trouvaient et la même chose se reproduisit en l’absence de Kern, tandis que les serviteurs étaient dans les écuries et qu’aucune autre personne que lui ne se trouvait dans le château. Les mouchettes volèrent encore comme d’habitude, sans que l’observation la plus attentive permît d’en découvrir la cause.
Le garde forestier Radezensky passa une nuit dans la chambre ; mais quoique les deux amis fussent endormis, il ne put goûter aucun repos. Il fut bombardé sans relâche, et le matin, son lit fut trouvé couvert de toutes sortes d’ustensiles de ménage.
Un soir, comme Hahn voulait dormir en dépit du tapage et des projectiles, les coups dans le mur près de son lit l’eurent bientôt tiré de son sommeil. Il essaya une seconde fois de s’endormir, mais fut de nouveau éveillé par une sensation semblable à celle que produirait une personne qui trempant dans l’eau le bout des doigts, s’appliquerait à l’en asperger. Il essaya de nouveau, tandis que Kern et Knittel le veillaient, assis près de la table, mais la même sensation de projection d’eau se produisit, quoiqu’il fût impossible de trouver sur sa figure aucune trace d’eau.
Vers ce temps, Hahn dut faire un voyage à Breslau et lorsqu’il revint, il apprit l’histoire la plus étrange de toutes. Pour ne pas rester seul dans cette chambre pleine de mystères, Kern avait pris pour lui tenir compagnie, le domestique de Hahn, homme de quarante ans environ et d’une grande simplicité de caractère. Une nuit, comme Kern était au lit et que cet homme debout devant la porte vitrée, causait avec lui, il vit à sa grande stupéfaction une cruche de bière posée sur la table de la chambre, à une notable distance de lui, s’élever doucement à une hauteur d’environ trois pieds, verser de son contenu dans un verre qui se trouvait également là, jusqu’à ce que celui-ci fut à demi plein. La cruche se reposa ensuite doucement, tandis que le verre s’enlevait et était vidé comme par un buveur et John, le domestique, s’écriait au comble de la surprise : « Seigneur Jésus ! il l’avale ! »Le verre fut doucement replacé et il ne fut pas possible de trouver une goutte de bière sur le parquet. Hahn songea d’abord de demander au domestique de l’affirmer par serment, mais voyant celui-ci pratiquement prêt à le faire, il s’abstint, considérant le récit comme absolument véridique.
Knetsch, inspecteur des travaux passa une nuit avec les deux amis et malgré les projectiles tombant incessamment, tous trois se mirent au lit. La chambre était éclairée et tous trois virent deux serviettes s’élever du milieu de la chambre et monter jusqu’au plafond ; elles s’y déplièrent d’elles-mêmes et continuèrent à voltiger. Le fourneau en porcelaine d’une pipe appartenant à Kern se détacha et fut brisé. Les couteaux et les fourchettes furent dispersés et enfin, une de ces dernières tomba sur la tête de Hahn, mais heureusement, le manche en bas. Après avoir supporté toutes ces tracasseries pendant deux mois, on résolut à l’unanimité d’abandonner cette chambre mystérieuse, pour cette nuit, en tout cas. John et Kern prirent un des lits et le portèrent dans la chambre opposée et ils ne furent pas sitôt partis, qu’une cruche destinée à contenir de l’eau ferrugineuse, tomba aux pieds des deux personnes qui restaient, quoique la porte ne fût pas ouverte et un chandelier de cuivre fut jeté à terre. Dans la chambre opposée la nuit se passa tranquille, quoique des bruits parvinssent encore de la chambre abandonnée. A partir de ce moment, tous ces étranges phénomènes cessèrent et il n’arriva plus de remarquable que l’incident suivant.
Quelques semaines après son retour mentionné plus haut, comme Hahn, rentrant chez lui, traversait le pont qui conduit à la porte du château, il entendit le pas d’un chien derrière lui. Il regarda partout, appela à plusieurs reprises par son nom un chien de chasse qui lui était fort attaché, pensant que c’était lui qui le suivait, mais quoique les pas se fissent toujours entendre, même pendant qu’il franchissait les marches, il ne put rien voir et en conclut que c’était une illusion. Cependant, à peine avait-il mit le pied dans la chambre, que Kern s’avança et lui prit la porte de la main, en appelant le chien par son nom, ajoutant aussitôt qu’il pensait bien l’avoir vu, mais qu’il avait subitement disparu, dès son premier appel. Hahn lui demanda s’il avait réellement vu le chien : « Certainement, je l’ai vu, dit Kern ; il était même immédiatement derrière vous, ayant à moitié passé la porte, ce qui me poussa à retirer celle-ci de votre main, de peur que ne le voyant pas, vous ne l’eussiez refermée trop vivement, au risque de le blesser. C’était un chien blanc et je l’ai pris pour Flora. » On chercha aussitôt le chien et on le trouva renfermé dans l’écurie, d’où il n’était pas sorti de la journée. Il est réellement étonnant, même en supposant que Hahn se soit trompé en croyant entendre les pas, que Kern ait cru voir derrière ce dernier un chien blanc, avant que son ami lui en eût dit mot, d’autant plus qu’il n’y avait pas dans le voisinage d’autre animal de cette espèce ; en outre, il ne faisait pas encore noir et Kern avait une excellente vue.
Hahn resta encore six mois au château, sans éprouver aucune chose exceptionnelle et les personnes qui occupèrent la chambre mystérieuse n’éprouvèrent jamais aucun tracas.
L’énigme cependant, malgré toutes les recherches et investigations qui furent poursuivies, resta sans solution ; aucune explication de ces faits étranges ne put être trouvée ; même en supposant qu’il en existât une, il n’y avait dans le voisinage aucune personne suffisamment habile pour poursuivre un tel système de persécution, qui dura si longtemps, que les habitants de la chambre avaient fini par ne plus s’en préoccuper.
Pour terminer il suffit d’ajouter que le Conseiller Hahn écrivit ce rapport pour sa propre satisfaction et en s’attachant à ne pas sortir des limites les plus strictes de la vérité.
Voici ce qu’il dit :
« J’ai décrit ces évènements exactement comme je les ai vus et entendus ; depuis le début jusqu’à la fin, je les ai observés avec la pleine possession de moi-même. Je ne suis pas peureux et n’ai aucune disposition à m’émouvoir. Cependant tout cela reste pour moi absolument inexplicable. »
Ecrit le 19 novembre 1808
Auguste HAHN, Conseiller.
Sans doute on peut attendre beaucoup d’explications naturelles de ces phénomènes, de la part de ceux qui se croient exempts de la faiblesse qui fait admettre comme vrai le récit qui en est donné. Les uns diront que Kern était un adroit jongleur, qui parvenait à jeter de la poudre aux yeux de Hahn ; d’autres affirmeront que Hahn et Kern se grisaient chaque soir. Je n’ai pas manqué de transmettre ces objections à Hahn et voici sa réponse :
« Après les évènements ci-dessus, j’habitai pendant trois mois avec Kern une autre partie du château de Slawensick (qui, depuis, a été frappé par la foudre et brûlé) sans trouver la solution de ce mystère et sans éprouver aucun nouvel ennui, qui cessèrent dès que nous eûmes quitté cet appartement. Il faut que ces personnes me supposent vraiment faible, si elles s’imaginent que n’ayant que cette seule compagnie, j’aurais pu subir ses tours pendant deux mois, sans pouvoir jamais le démasquer. Quant à Kern lui-même, il était d’abord très désireux de quitter ces chambres, mais comme je ne voulais pas renoncer à l’espoir de découvrir une cause naturelle à ces phénomènes, j’insistai pour rester. Ce qui me décida enfin de me rendre à ses désirs fut le regret que me causa la perte de ma pipe de porcelaine, qui avait été jetée sur le parquet et brisée. En outre, pour exécuter des jongleries, il faut un jongleur et j’étais absolument seul quand les incidents se produisirent. Il est non moins absurde de nous accuser d’intempérance. Le vin était trop cher là-bas et nous n’en buvions pas du tout : nous ne prenions absolument que de la bière faible. Je n’ai pas raconté tout ce qui arriva ; mais mon souvenir de tout cela est encore aussi vivace, que si les faits s’étaient passés hier. Ils eurent aussi de nombreux témoins dont j’ai nommé quelques-uns. Le conseillé Klenk vint me voir à la dernière période, avec le vif désir de pénétrer ce mystère et lorsqu’un matin il monta dans ce but sur une table et frappa le plafond de sa canne il vit tomber sur lui une boîte à poudre, qu’il venait de laisser sur la table d’une chambre voisine. A ce moment Kern était absent depuis quelques temps. Je ne manquai pas d’employer tous les moyens inimaginables pour découvrir le mot de l’énigme. J’ai même été blâmé par beaucoup, parce que je refusais absolument de croire à l’intervention de causes surnaturelles. La peur n’est pas mon faible, tous ceux qui me connaissent le savent bien ; et pour éviter toute possibilité d’erreur, j’ai souvent demandé aux autres, lorsque j’assistais aux phénomènes, de me dépeindre ce qu’ils voyaient. Leurs réponses se sont toujours trouvées d’accord avec ce que je voyais moi-même. De 1809 à 1811 j’ai habité Jacobswald, très voisin du château alors occupé par le prince. Je sais que plusieurs faits singuliers se produisirent pendant qu’il y était, mais comme je n’en ai pas été témoin moi-même, je ne puis en parler d’une façon plus précise.
« Je suis aussi incapable que jamais de me rendre compte de ces phénomènes, et je consens volontiers à les soumettre aux jugements souvent hâtifs du monde, ayant la conscience de n’avoir dit que la vérité, ce que beaucoup de témoins encore vivants aujourd’hui ont pu constater comme moi. »
Ingelfingen, le 24 Août 1828.
Le Conseiller HAHN
(Après la destruction du château par la foudre, on trouva en enlevant les décombres, le squelette d’un homme, sans cercueil. Le crâne avait été fendu et on trouva à côté de lui une épée.)
Revenons maintenant aux apparitions vues par Mme Hauffe.
Le 8 octobre 1828, elle était au lit et sa mère était dans l’antichambre, avec sa sœur et une dame Mensch, qui ne croyait pas aux fantômes. La porte de sa chambre s’ouvrit tout à coup, sans cause apparente, et le spectre d’un homme qu’elle avait vu, mais pas récemment, entra dans la pièce. Il s’approcha de son lit auprès duquel il se tint en la regardant avec calme. Les personnes qui étaient dans l’antichambre n’eurent la notion de la présence du spectre que par une sensation très prononcée de malaise. Mme Hauffe raconta ensuite qu’elle le vit tourner autour d’elle en formant un demi-cercle. Aussitôt Mme Mensch sentit frapper sous sa chaise un coup qui paraissait venir du parquet et la fit crier au secours. La sœur de Mme Hauffe ne vit pas le spectre de ses yeux, mais, comme elle le dit, le vit du dedans, d’une façon assez nette pour pouvoir le décrire. Elle ajouta que le fantôme avait des pensées qu’il lui fit connaître et qui provoquèrent en elle un sentiment de pitié. De la description de cette sincère jeune fille, j’ai compris comment les voyants perçoivent les spectres. Ce n’est pas au moyen des organes ordinaires de la vue, mais par inspiration et pour ainsi dire, par le réveil de l’esprit intérieur.
Mme Hauffe ne fit pas connaître le nom de ce spectre, qu’elle ne reconnut que parce qu’il était une fois venu lui parler de son fils à lui, qu’elle connaissait. La nuit suivante, la mère et la sœur de Mme Hauffe rêvèrent que M. N… leur était apparu et qu’il était venu leur parler de son fils. C’était le nom d’un spectre et elles eurent toutes deux le même rêve. Lorsqu’elles le racontèrent, le lendemain matin, Mme Hauffe leur dit pour la première fois qui était ce spectre. La nuit suivante, M. Mensch qui demeurait dans la même maison que Mme Hauffe, fut réveillée en éprouvant la sensation que quelqu’un la touchait et elle vit près de son lit, la forme d’un homme, tenant à la main un mouchoir de poche, avec lequel il semblait qu’il l’eût touchée. Effrayée, elle sauta de son lit dans celui de son mari, qui se trouvait tout auprès. Lorsque Mme Mensch décrivit son apparition à Mme Hauffe, celle-ci la reconnut dans le même fantôme, au mouchoir de poche avec lequel il s’était montré. Elle dit son nom à Mme Mensch et apprit ce qu’elle n’avait jamais soupçonné le moins du monde, que c’était un proche parent de cette dame.
Le 8 décembre, à 7 heures, étant moi-même dans l’antichambre d’où je pouvais voir dans la chambre à coucher de Mme Hauffe, je vis une forme vaporeuse, comme une colonne de fumée, avec une tête, mais sans contours définis. Je me hâtai de prendre une bougie, et pénétrant dans la chambre, je la trouvai tenant les yeux fixés sur le point où j’avais vu paraître le fantôme, qui avait cessé d’être visible pour moi, ce qui était la conséquence naturelle de l’introduction d’une lumière trop vive. La chambre était éclairée, mais faiblement et la forme de vapeur blanche ressortait mieux sur le parquet obscur. Lorsque je lui demandai ce qu’elle regardait ainsi, elle me dit que le spectre de N… était là et lui donnait une commission pour son fils. Elle exprima une grande surprise en apprenant que ce fantôme avait pu se rendre visible à autant de personnes. J’ai vu particulièrement cette apparition et c’est la seule fois que cela me soit arrivé.
Septième cas
Le Rév. M. H… m’a souvent signalé les bruits inexplicables qu’il entendait la nuit dans sa maison, tels que coups frappés, roulements de boules, respiration près de son lit, etc.., et particulièrement des bruits de pas d’homme se produisant en même temps que l’ouverture de la porte de sa chambre. Il a souvent suivi ces pas, mais sans découvrir jamais leur cause. Il a cependant remarqué que ces bruits se produisaient surtout immédiatement avant la mort de ses enfants, dont beaucoup sont décédés. Ayant été désigné pour une autre paroisse, il quitta cette localité sans signaler ces circonstances à M. R… désigné pour lui succéder. Mais celui-ci était à peine installé dans la maison, qu’il fut aussi troublé de la même façon, sans que les efforts qu’il fit pour en trouver la cause eussent plus de succès. Cependant une dame de la famille déclara qu’elle avait rencontré une forme noire et que la nuit elle avait été éveillée par un fantôme de la même espèce. Une circonstance très remarquable, c’est que la sœur de Mme Hauffe, dont nous avons fait connaître la faculté de voir les esprits, ayant une fois couché dans cette maison, rêva qu’une grande forme noire se tenait devant elle et qu’elle avait été poussée à crier : « R… sch, éloigne-toi de moi ! » après quoi elle s’éveilla, mais ne vit plus rien. En racontant ce fait le lendemain au Rév. M. R…, il recourut au registre et trouva qu’une personne de ce nom, avait, soixante ans auparavant, habité la maison, circonstance inconnue, aussi bien de lui que de la sœur de Mme Hauffe.
Nous avons eu souvent l’occasion dans ces pages de signaler l’influence de la présence de spectres sur des dormeurs.
Huitième cas
Mme W… von H… dame d’une éducation soignée et d’une grande présence d’esprit, avait habité pendant huit jours la maison de Mme Hauffe, sans parvenir jamais à voir où à sentir les spectres qui paraissaient, mais qu’elle entendait cependant. Néanmoins le matin du neuvième jour, elle me raconta ce qui suit : « Il était onze heures du soir et j’étais assise près du lit de Mme Hauffe, qui était parfaitement calme, quand je fus tout à coup saisie par un sentiment tout à fait extraordinaire d’anxiété et d’oppression, si bien que, sans dire un mot, je me déshabillai en toute hâte et, laissant mes vêtements sur le parquet, je me précipitai dans le lit et me cachai la tête sous les couvertures. Mais bientôt, reprenant mes sens, quoique l’oppression persistât, je me mis sur mon séant et regardai autour de moi dans la chambre. Il me fut impossible de rien apercevoir ; mais, au moment où je me couchais, une force invisible m’enleva l’oreiller de dessous ma tête et me l’appliqua sur ma face. Je le remis en place et le même fait se reproduisit ; puis les couvertures de lit furent continuellement tiraillées. Comme je voyais que Mme Hauffe reposait paisiblement pendant tout ce temps et qu’elle était évidemment endormie, je ne lui dit rien de tout cela ; cependant lorsque, le matin, je vis mes vêtements sur une chaise près de mon lit, je ne pus m’empêcher d’exprimer ma surprise, étant aussi certaine que je l’étais de les avoir laissés sur le parquet, car Mme Hauffe était incapable de mettre un pied hors du lit et aucune personne que ce soit était venue dans la chambre. Mais Mme Hauffe me répondit : « Lorsque vous avez laissé vos vêtements sur le parquet, il y avait dans la chambre un esprit noir et je l’ai vu les relever et les poser sur la chaise. Il ne prit pas garde à moi, mais s’occupa uniquement de vous ; je ne voulais rien dire, craignant de vous effrayer. »
Neuvième cas
En Août 1828, Mme Hauffe recevait les visites de deux esprits dont elle cachait les apparitions. Elle disait qu’elle avait oublié de dire leurs noms et je ne les aurais pas connus sans les circonstances suivantes : en entrant dans la chambre le 11 Août, elle vint à moi dans un grand état d’agitation ; et comme je la pressais de m’en faire connaître la cause, elle avoua que l’un d’eux, qui était mort ici, venait de lui apparaître et l’avait priée de… (Ici se trouvait une révélation qui devait être faite à une personne actuellement vivante). Le spectre lui apparut avec un grand manteau, des bottes, un chapeau, mais sans cravate. Quoiqu’elle ne l’eût jamais vu, elle le décrivit avec exactitude, ainsi que son compagnon qui avait été son ami pendant la vie. Ils reparurent ensuite en robes blanches ressemblant à un épais nuage, à travers lequel on voyait le ciel bleu.
Elle me dit que jamais fantôme ne lui avait produit autant d’émotion. Ils n’étaient chargés d’aucun crime, mais ils avaient douté et leur foi avait été faible et lorsque, à leurs derniers moments, la foi leur était venue, ils avaient désespéré de leur pardon. Je n’aurais rien appris de toutes ces choses si cela n’avait été nécessaire pour me permettre de remplir ma mission, ce que je fis.
Sur ma prière, elle posa plus tard cette question à l’un des esprits : « Dans votre état présent, poursuivez-vous vos recherches sur la nature ? » Il répondit : « Oui, mais d’une manière toute différente et infiniment plus élevée que je ne le faisais sur terre. »
Lorsque j’eus rempli ma mission, celui qui l’avait donnée apparut sous une forme plus brillante et lui dit que c’était la dernière fois. Comme elle me parlait de son compagnon, j’en conclu qu’il l’avait aussi quittée ; mais après son réveil manifeste je fus surpris de lui entendre dire, le 23 septembre, qu’un spectre, qu’à la description je reconnus pour être l’ami en question, lui était apparu, lui reprochant de n’avoir pas fait ce qu’il lui demandait et la priant de compenser cette négligence par une prière particulière. D’après ce qu’elle me dit plus tard, je reconnus que cet esprit était un de mes parents, que je n’avais vu qu’une seule fois et cela au cours de ma jeunesse et qu’elle n’avait jamais vu. La commission était pour moi ; elle s’était abstenue de me la transmettre par suite de sa timidité. Je la poussai alors à lui demander son nom et à l’interroger sur les époques de sa naissance et de sa mort. Comme je l’ai dit dans la première partie de ce volume, nos recherches confirmèrent les informations qu’elle obtint.
Dans la nuit du 15 octobre, cet esprit lui apparut pour la dernière fois. Il lui dit qu’il était maintenant dans une région heureuse et disparut en disant : « Mourrez dans la foi en votre père aimant, le Rédempteur et Médiateur (il ajouta encore quelques paroles qu’elle ne put se rappeler) et chassez tout ce qui pourrait vous empêcher. »
Dixième cas
Dans la nuit du 28 octobre 1828, la jeune fille de Lowenstein qui avait le don de voir les spectres, dormait dans l’antichambre de Mme Hauffe. Le lendemain matin elle me raconta qu’entre minuit et une heure, la porte s’était ouverte et refermée, qu’un homme vêtu de noir et à la face terreuse était entré. Il paraissait malheureux et traversa tranquillement la chambre de Mme Hauffe ; aussitôt après il en vint un autre plus petit et plus épais, puis il en parut un troisième, également vêtu de noir. Ils ne restèrent pas longtemps avec Mme Hauffe, et s’éloignèrent bientôt. Elle s’assit sur son lit pour les regarder, mais ne put dire un mot ; chaque fois qu’il en passait un, la porte s’ouvrait et se refermait.
Mme Hauffe les avait vus, mais seulement comme des formes vaporeuses et sans vêtements noirs. Ils venaient lui demander le moyen d’obtenir leur salut, mais elle leur avait conseillé de s’adresser directement à leur Rédempteur.
Pendant la nuit du 9, la jeune fille vit entrer dans la chambre de Mme Hauffe un spectre que celui-ci nous dit être un habitant de cette localité, décédé depuis peu. Ce qui fit que par considération pour ses amis, elle ne nous donna pas son nom. Par cet esprit elle apprit que dans l’état moyen, ceux qui ont les mêmes tendances s’associent entre eux ; il dit aussi qu’ils ne sont pas capables de voir toutes les personnes, mais seulement une ça et là et toujours avec des couleurs sombres, comme ils voient toutes choses.
Onzième cas
Extraits d’une lettre qui me fut adressée par M. Pfleiderer ;
« Au mois de juin 1827 : je fus prié par mon chef, M. Schmiedgal de Lowenstein, de rester quelques jours à Weinsberg, près de sa nièce qui était gravement malade, afin de surveiller l’application de ses prescriptions, ce qu’il ne lui était pas possible de faire lui-même. Je couchai sur un sofa dans le salon de Mme Hauffe dans une petite chambre voisine. Dès la première nuit même que je couchai là, je fus réveillé régulièrement entre une et deux heures par un sentiment indescriptible de peur et d’oppression, circonstance qui ne m’était jamais arrivé jusque là. Le sixième jour, je fus appelé chez moi, et là, le même phénomène se reproduisit. La première nuit de mon retour à Weinsberg, je fus réveillé non plus par de l’oppression, mais parce que je me sentais secoué. »
Je dois interrompre le récit de M. Pfleiderer pour signaler qu’à cette époque Mme Hauffe m’avait dit en secret, en me recommandant de ne pas en parler à M. Pfleiderer, que chaque nuit, entre une et deux heures, elle observait par une porte ouverte, une figure masculine qui s’approchait de M. Pfleiderer, se penchait sur lui, ce qui l’éveillait tandis que le spectre lui faisait des signes étranges avec le doigt. Comme ce réveil devenait de plus en plus pénible, et que M. Pfleiderer m’avait consulté à ce sujet, je l’adressai à Mme Hauffe, en recommandant à celle-ci de lui dire ce qu’elle avait vu.
« Comme ces réveils me causaient de plus en plus de malaise, et que je me plaignais, Mme Hauffe me dit que chaque nuit, entre une heure et deux heures, elle voyait un grand fantôme noir, avec un manteau et des bottes, qui s’approchait à quelques pas de mon lit et dirigeait vers moi le bout de ses doigts. Puis il s’approchait, se penchait au-dessus de moi et lorsque je m’éveillais, il semblait me faire signe avec les doigts. Pour contrôler la vérité de ce renseignement, je résolus de veiller une nuit et m’étant fait accompagner de quelqu’un, je demandai à Mme Hauffe de m’appeler dès qu’elle verrait le spectre.
« A l’heure habituelle, étant éveillé et causant avec mon ami, je sentis l’oppression signalée ci-dessus et en même temps je ressentais comme un étrange courant d’air soufflant sur moi. Je n’en dis pas un seul mot, mais j’étais précisément sur le point de demander à Mme Hauffe si l’esprit était là, lorsqu’elle me dit qu’il s’y trouvait. Je m’adressai alors au fantôme, lui demandant au nom de Dieu de me dire qui il était et en quoi je pouvais lui être utile. Je n’avais pas achevé de prononcer ces mots que l’oppression disparut et j’entendis Mme Hauffe dire : « Je vous défends de faire un pas de plus. » Elle me dit que, tandis que je parlais, l’esprit s’était éloigné de moi et avancé vers elle et qu’elle lui avait entendu dire en disparaissant : « C’était un de mes élèves. »
« Par la description qu’en fit plus tard Mme Hauffe, j’acquis la conviction qu’il avait été un de mes anciens professeurs, dont je ne veux révéler ni le caractère ni l’histoire. Mme Hauffe n’avait jamais entendu parler de cet homme. »
« Pendant les trois mois qui suivirent, partout où j’étais, la même impression se reproduisait à la même heure et si j’étais endormi, cela me réveillait inévitablement. »
Heilbronn, 20 octobre 1838.
W.D. Pfleiderer.
Douzième cas
Un homme, pour lequel Mme Hauffe avait fait une prescription dans un cas de Delirium tremens, étant venu à mourir, lui apparut pendant tout le temps qu’il resta chez lui dans le cercueil et lui faisait des révélations qu’il recommandait de transmettre à sa veuve. J’assistai à sa mort et je fus frappé du désir anxieux qu’il éprouvait encore de faire quelque communication lorsque déjà il avait perdu la faculté de parler. Je laisse de côté ses révélations et je me borne à signaler que Mme Hauffe nous dit qu’il exprimait les plus vives préoccupations au sujet d’une de ses filles. Quatre semaines plus tard, une tuile tombait sur elle et lui fracturait le crâne. Elle subit une pénible opération, avec une fermeté étonnante et se rétablit si rapidement, que nous fûmes tous portés à admettre qu’un esprit protecteur l’avait aidée à supporter son épreuve.
Treizième cas
Pendant la nuit de Noël de 1828 quatre spectres apparurent à Mme Hauffe, trois hommes et une femme, qui lui apparurent en dansant. Elle leur dit : « Etes-vous réellement des démons, pour profaner ainsi cette nuit ? » Sur quoi ils disparurent tous. Le 5 février, ils revinrent à minuit, se comportant comme la première fois. Elle leur ordonna au nom de Jésus de cesser : sur quoi ils se tinrent immobiles, la regardant avec fixité. Alors elle leur cria : « Etes-vous si complètement hors de la bonne voie, que vous dansiez ainsi dans ce saint jour ? Est-ce ainsi que vous compter montrer votre gratitude envers votre Rédempteur ? » A ces mots ils gémirent, comme en proie au chagrin et lui demandèrent de les épargner. Elle leur demanda s’ils n’avaient aucun désir de s’élever et devenir heureux. Ils lui répondirent que leurs fautes les empêchaient ; alors elle les pria de la quitter. Ils vinrent encore le 13, se tenant vers la porte et regardant vers elle d’un air suppliant et lorsqu’elle leur dit : « Priez au nom de celui qui est mort sur la croix ! » Ils répondirent : « Oui » et s’évanouirent.
Ces spectres revinrent à elle pendant longtemps et elle pria souvent avec eux. Vers la fin ils étaient accompagnés par une forme plus brillante et eux-mêmes paraissaient dans des robes qui indiquaient une amélioration dans leur état, quoiqu’ils fussent encore sombres. A la fin, ils prirent congé d’elle, disant qu’ils étaient maintenant capables de faire des progrès, avec l’aide des esprits heureux.
Quatorzième cas
Le 10 novembre 1827, Mme Hauffe me dit que depuis le temps qu’elle était éveillée (elle ne savait si elle ne l’avait déjà vu) elle était visitée par le fantôme d’un jeune homme, qui disait être mort dans le voisinage et qu’il venait la voir pour faire parvenir quelques révélations à ses parents et à ses sœurs. Elle lui demanda de le faire lui-même, mais il répondit que cela ne se pouvait et il insistait dans sa requête. Le 21, il reparut et lui demanda de vouloir bien lui lire une certaine hymne la nuit suivante. Lorsqu’il vint dans ce but, il était accompagné par le fantôme d’une femme âgée, qui émettait une lueur vive, que quoiqu’il fît tout à fait sombre, elle y voyait assez pour lire l’hymne, ce qu’elle n’aurait pu faire sans cela. Elle dit qu’elle croyait que cette lumière émise par ces bons esprits, était contenue chez tous les hommes vertueux mais non encore développée. Je n’aurais rien su de ce fantôme, si je n’avais pas dit par hasard à Mme Hauffe que quelques années auparavant, un jeune homme était mort dans la maison qu’elle habitait actuellement. Ceci lui causa une émotion et l’amena à me parler de l’apparition. Par sa description je m’aperçus que ce n’était pas celui-là, mais un jeune homme réellement dans le voisinage, comme il l’avait déclaré. Quelles semaines plus tard il arriva dans la famille de ce dernier des évènements qui justifièrent complètement ses préoccupations et donnèrent l’explication du choix qu’il avait fait de l’hymne.
Quinzième cas
Le 20 novembre 1829, à onze heures du matin, Henri, le frère de Mme Hauffe, lui apparut et ne lui dit que : « Pense à notre mère ! » Elle fut prise de convulsions et lorsqu’elle revint à elle, elle raconta ce qui venait d’arriver et exprima des craintes au sujet de la santé de sa mère. A ce moment ni elle ni aucun de nous ne savait que sa mère était en route pour venir voir sa fille. Deux heures après elle arrivait en proie à une vive terreur, parce que les chevaux s’étaient emballés dans une descente rapide. J’appris par le cocher que l’accident était arrivé à onze heures précises.
Seizième cas
Pendant cinq semaines, Mme Hauffe fut visitée, à mon insu, par mon ami P… récemment décédé, qui s’était vivement intéressé à elle et était fréquemment venu la voir, pour obtenir des informations sur l’état moyen auquel il croyait fermement. Il ne paraissait pas triste, mais plutôt réconforté par la certitude d’atteindre au bonheur. Elle lui demanda de se rendre visible, ou de se faire entendre par moi et il fit cette dernière promesse. Dans la nuit même où elle lui fit cette prière, j’éprouvai tout à coup une étrange sensation et en même temps j’entendis dans notre chambre, si calme, certains bruits que je n’expliquai pas. Je ne connaissais pas sa demande et elle ne savait rien de ce que j’avais éprouvé, lorsque, plus tard, elle me parla des visites de P… et me dit que celui-ci l’avait chargée d’une commission pour son fils. Elle fit la remarque qu’elle n’avait jamais vu les cheveux des esprits inférieurs, mais que ceux des esprits heureux étaient visibles.
Dix-septième cas
Entre autres esprits, Mme Hauffe, en février 1828, en reçut deux jeunes, dont l’un fut reconnu par moi, sur la description qu’elle en fit, pour une personne morte récemment, mais qu’elle n’avait jamais vue. Ils lui demandaient des prières et l’un d’eux dit qu’il était toujours près de sa mère, qu’il ne pouvait quitter. Cette dernière n’avait jamais entendu parler de Mme Hauffe et de ses apparitions. Elle me disait cependant souvent qu’elle sentait que son fils était toujours près d’elle et qu’elle l’avait vu fréquemment. Un jour, elle ajouta qu’elle l’avait vu dans un songe ; qu’il était plus brillant et plus heureux et qu’il avait pris congé d’elle. Je n’en dis cependant rien à personne et Mme Hauffe n’avait certainement pas eu l’occasion d’entendre parler de ce rêve.
Je fus donc vivement surpris, le jour suivant, lorsque me trouvant près d’elle, au moment où cette dame vint à passer devant la maison, j’entendis la mère de Mme Hauffe dire : « Si cette dame savait seulement ce qui s’est passé cette nuit ! » Je demandai de quoi il était question et elle me dit que le jeune homme était apparu plus brillant qu’auparavant et avait dit qu’il ne resterait pas plus longtemps près de sa mère. Mme Hauffe lui demanda s’il ne visiterait plus jamais sa mère et il avait répondu : « Oh si, mais actuellement il faut que je la quitte. »
Dix-huitième cas
Le 23 décembre 1828, à sept heures du soir, j’étais seul avec Mme Hauffe, lorsque la porte s’ouvrit tout à coup, comme si une personne entrait. Je vins voir qui était là, mais je ne vis personne dans la chambre, ni dehors. Mme Hauffe avait cependant vu entrer une femme en costume ancien, qui était aussitôt ressortie. Lorsqu’elle revint, elle marcha en silence dans la chambre, puis s’élevant doucement, elle sortit par la fenêtre. Une autre fois la porte s’ouvrit et se referma devant moi, lorsque le fantôme entra. Enfin ce spectre lui demanda aussi des prières et des conseils : puis au bout de quatre mois, elle reparut plus brillante, cessant de disparaître par la fenêtre et finalement mit fin à ses visites.
Dix-neuvième cas
Dans la nuit du 23 décembre 1828, à deux heures, je fus réveillé par une sensation extraordinaire et indescriptible, comme si j’étais transporté dans une autre atmosphère. Cela dura peu de temps et je me rendormis. Le lendemain matin, lorsque j’allai voir Mme Hauffe, elle me demanda aussitôt si à deux heures, j’avais été visité par un esprit. Je lui dis ce que j’avais ressenti, à la suite de quoi elle me dit timidement : « Vous avez toujours demandé des preuves de la réalité de ces apparitions. La nuit dernière un esprit sombre vint à moi et je lui dis seulement : je vous ordonne d’aller immédiatement chez mon médecin. Il me répondit : je veux bien ; et il disparut. »
Vingtième cas
Le 9 décembre 1828, huit mois après la mort du père de Mme Hauffe, sa garde malade qui dormait dans l’antichambre, fut réveillée à minuit et entendit ouvrir la porte de la chambre. Elle regarda et vit le père de Mme Hauffe, comme s’il était vivant, franchir la porte avec une expression amicale et dire : « Ainsi, vous voilà ici. » Elle le vit sur la porte de la chambre de Mme Hauffe, puis il disparut. Il ne se rendit pas visible pour Mme Hauffe, qui dormait tranquillement ; mais le matin elle raconta qu’elle avait rêvé de son père. Il faut signaler ce fait, que la même nuit, il apparut à son frère et à sa sœur, qui demeuraient loin d’elle et loin l’un de l’autre. Cette dernière appela son mari qui dormait et le réveilla en lui demandant de regarder après son père.
Vingt-et-unième cas
A une certaine époque, pendant toute une semaine, Mme Hauffe vit fréquemment, aussi bien le jour que la nuit, un sombre fantôme masculin près de sa servante. Mais elle n’en parla pas, ni la jeune fille non plus. Pendant la nuit du 13 janvier 1829, ce spectre revint et se pencha au-dessus du lit de la jeune fille, qui se mit alors sur son séant, en regardant autour d’elle. Mme Hauffe l’observa, mais ne dit rien et la jeune fille se recoucha en silence.
Le matin, elle raconta qu ‘elle avait vu près de son lit un fantôme grisâtre, dont la figure était plus brillante que le reste de la personne. Mme Hauffe ne révéla jamais à aucun autre que moi qu’elle avait vu cette apparition.
Vingt-deuxième cas
Le vendredi 20 mars, à neuf heures du soir, Mme Hauffe étant éveillée, une forme féminine se montra tout à coup, en costume ancien, tenant dans sa main un cœur humain. Elle fut extrêmement effrayée et détourna la tête, jusqu’à ce qu’elle sentît que le fantôme ait disparu. Cette apparition lui laissa une si vive impression, que le matin elle en fit le dessin. Ce dessin fut lithographié sur le désir d’Eschenmayer. Quatre nuits plus tard, elle fut éveillée par un bruit, comme celui d’une cloche d’église sonnant à la volée. Elle regarda et vit le même fantôme, le cœur dans une main, tandis que de l’autre elle le lui montrait en disant : « Voici ce qui sonnait le tocsin. » Comme Mme Hauffe ne parla jamais à ce spectre, on ne sait si les circonstances suivantes ont quelque rapport avec son apparition. Le même jour, 20 mars, les personnes qui habitaient les maisons voisines de la cathédrale d’Oberstenfeld, furent mises en alarme par un bruit intense, qui semblait sortir de dessous l’église. On fit aussitôt des recherches, mais on ne put rien découvrir. On trouva qu’il était impossible d’ouvrir les souterrains, quoi que l’on eût la clef et que la serrure jouât ordinairement avec facilité. Cependant le jour suivant, on n’éprouva plus la même difficulté et l’on trouva à l’endroit qu’avait désigné le spectre chevalier à Mme Hauffe, le parchemin contenant les tables généalogiques des anciennes chanoinesses, sur l’une desquelles était le nom de cette femme de chevalier. Je rapportai ce premier fait à Oberstenfeld. Mme Hauffe disait souvent qu’un fantôme féminin malheureux lui produisait une bien plus grande terreur qu’un fantôme masculin. Il n’est pas possible, effectivement, de nier que la méchanceté d’une femme aux dispositions hostiles ne soit beaucoup plus inventive et plus dangereuse que l’hostilité franche et directe d’un homme mal disposé.
Le pouvoir des amulettes de la Voyante
Nous avons souvent mentionné que Mme Hauffe avait le pouvoir de chasser les esprits au moyen de formules écrites, dont on se servait comme d’amulettes. Si incroyable que ces assertions puissent paraître, elles sont confirmées par les faits suivants. Que ceux qui doutent se renseignent auprès de ceux auxquels ils sont arrivés ; mais on juge ces choses du coin du feu, sans vouloir se donner aucune peine.
Premier cas
Il y avait à Kleingartach une vieille femme, nommée Fritzlen, qui fut tracassée de façon extraordinaire pendant vingt-quatre ans. Elle était couchée toute éveillée, lorsqu’elle entendit pour la première fois un craquement dans sa chambre : il fut suivi par un jet de lumière bleuâtre et l’apparition d’un être semblable à un renard, qui s’approcha de son lit et s’évanouit. Une autre nuit elle sentit la main d’un enfant dans la sienne et en s’efforçant de retirer la sienne, elle fut prise d’oppression, comme sous l’influence d’un poids très lourd. Depuis lors, elle était troublée chaque nuit, généralement d’abord par des lueurs, et ensuite par l’apparition de quelque forme vivante, soit d’une chouette, soit d’un chat ou d’un cheval effrayant, etc. De telle sorte qu’elle avait été réduite presque au désespoir.
Comme cette femme me disait de me renseigner près de ses voisins, sur la réalité de ce récit, je priai un de mes amis de Kleingartach de prendre des informations. Il me répondit qu’un homme très respectable et honnête appelé Frédéric Molle, ainsi que le mari de Fritzlen lui avaient affirmé la véracité du récit.
Fritzlen, dit Molle, s’étant souvent plainte de cette persécution, il lui avait permis de passer une nuit chez lui, tandis qu’il prendrait sa place chez elle. C’est ce qui eut lieu et vers minuit, il vit une feuille de papier repliée aux quatre coins s’enlever, flotter au dessus du lit, puis descendre, prendre la forme d’un petit homme d’un quart de pied de haut, qui s’approcha du lit. Il tâcha de saisir le fantôme, mais il ne sentit rien et le mari de Fritzlen voulut lui donner des coups de sabre, mais en vain. Il persista plus de deux heures, paraissant tout le temps les provoquer, puis il s’évanouit. Molle prit la résolution d’essayer une seconde nuit et vers la même heure il vit paraître une espèce de renard, assis sur le bois du lit et dont l’apparition fut précédée par des bruits de craquements et par des lueurs bleuâtres. Il tira la couverture du lit à plusieurs reprises ; le mari de Fritzlen pria, lança des imprécations, mais il resta pendant deux heures et alla retrouver Fritzlen chez M. Molle.
Pour ce dernier détail nous nous en rapportons à Mme Molle qui dit que, vers deux heures, elle entendit divers bruits étranges et que la porte de la chambre s’ouvrit. En même temps, Fritzlen semblait en proie au malaise et respirait avec peine. Elle la secoua doucement pour l’éveiller, la croyant sous le coup d’un mauvais rêve. Mais Fritzlen dit qu’elle ne dormait pas, mais que c’était son persécuteur qui lui était apparu sous la forme d’un chasseur et la couchait en joue.
A la suite de cela la femme de Molle ne consentit pas à de nouvelles expériences, craignant de leur voir introduire chez elle ce visiteur désagréable.
Fritzlen ne savait rien de Mme Hauffe et ce ne fut que par hasard que j’entendis parler de ses ennuis. Je l’adressai à Mme Hauffe qui lui donna une amulette, contenant un mot faisant partie de son langage intérieur. Quelques semaines après, la personne que je connaissais à Kleingartach m’écrivit que la femme ne pouvait assez remercier Dieu et nous-mêmes de son soulagement. Depuis ce moment, le mauvais esprit disparut et un an plus tard la fille de Fritzlen vint me voir et me faire demander seulement de lui faire visiter la maison d’où était venu à sa mère un bienfait après lequel elle avait soupiré pendant tant d’années.
Deuxième cas
Au mois de mars de la présente année 1829, je vis venir à moi un vieillard de Diembach, accompagné d’un jeune garçon d’environ 12 ans, qui me raconta que quelques mois auparavant, se trouvant avec un autre gamin dans la forêt de Diembach, ils avaient grimpé sur un arbre d’où était aussitôt sorti un tourbillon, limité à ce seul endroit, de telle sorte qu’aucun autre arbre n’en était agité. Le vent tomba bientôt et ils virent sous l’arbre une femme vêtue de blanc, qui leur demanda de venir avec elle. Ils descendirent et la suivirent, mais à regret ; cependant à un certain endroit elle disparut tout à coup. « Nous restions immobiles, dit l’enfant, nous regardant l’un l’autre. »
Je n’aurais prêté aucune attention au récit de cet enfant très naïf, sans la circonstance suivante. Le 19 mai, je reçus la visite de la femme d’un pauvre ouvrier des champs, appelé Kummerlin, d’Ellhofen, se plaignant que depuis plusieurs années, son mari était sujet à une sorte d’étrange anxiété avec oppression, qui le prenait à plusieurs reprises chaque jour et lui causait la sensation qu’un être était près de lui. En même temps les portes de sa demeure s’ouvraient et se refermaient, sans aucune cause visible. On entendait des bruits de pas inexplicables et une main invisible lançait contre elle divers objets.
Le mari confirma tout ce que disait sa femme, ajoutant que, la nuit, il était souvent réveillé par quelque chose qui le touchait et tirait les couvertures du lit. Je l’envoyai à Mme Hauffe et tandis qu’il lui parlait, il s’écria tout à coup : « Voilà que ça me prend de nouveau ! » En même temps il voyait le spectre d’une femme couverte de vêtements anciens mais somptueux se tenir près de lui. Elle tourna la tête vers le spectre et lorsqu’elle chercha à le voir de nouveau, il avait disparu. Sur cela elle demanda à l’homme s’il n’avait jamais vu de fantômes et il répondit que non, sauf dans sa quinzième année où passant avec un vieillard à travers la forêt de Diembach : « Nous vîmes une dame se tenant auprès de quelque chose qui ressemblait à un coffre, au pied d’un jeune chêne. Nous la vîmes tous deux distinctement nous saluer, mais comme nous nous avancions en silence vers elle, elle disparut et en même temps nous entendîmes comme le bruit d’un grand coup sur le coffre. » Cet homme n’avait aucune relation avec le jeune garçon, qui, plusieurs années plus tard revit probablement le même fantôme.
Troisième cas
Dans le courant de février 1829, une femme de Grossgartach nommée Herlinger, robuste, active et pleine d’entrain, femme du maître d’hôtel de l’Aigle vint demander conseil à Mme Hauffe, disant qu’une nuit de l’année 1818 étant couchée dans son lit et n’éprouvant ni chagrin ni maladie, et ne pensant à rien moins qu’aux fantômes, elle avait subitement été éveillée par un grand sentiment d’oppression et avait vu un fantôme masculin sans tête, se pencher sur elle et avait nettement entendu ces mots : « Amie ! Amie !délivre-moi ! » Elle s’écria avec horreur : « Non ! Non ! je ne le puis ! » et sauta à bas de son lit en réveillant son mari. Mais avant qu’elle eût pu lui montrer le spectre, celui-ci avait disparu. Le matin, elle raconta cet incident à son père, qui la blâma ne pas avoir accédé à la prière du fantôme. Pour lui donner satisfaction, elle lui promit que s’il reparaissait, elle se déclarerait prête à faire ce qu’il lui demanderait. Quelques nuits plus tard il reparut et dit : « Amie ! remplis maintenant ta promesse ! » Mais prise de terreur en voyant que le spectre avait connaissance de sa promesse, elle refusa de nouveau.
Depuis ce moment le fantôme la persécute de diverses manières, ne se rendant visible qu’à elle, mais se faisant attendre des autres, de telle sorte que sa santé s’en trouvant altérée, ils ont été amenés à quitter leur domicile et à en chercher un autre. Mais ce changement ne lui a apporté aucune amélioration. Une fois, comme dans un rêve, le fantôme lui demanda de creuser en un certain endroit de son écurie, disant qu’elle y trouverait une preuve de la vérité. Elle le fit et trouva à plusieurs pieds de profondeur une boule de fer creuse, qui semblait avoir été remplie de poudre de guerre. Son père lui avait souvent conseillé de causer avec le spectre, mais en dépit des résolutions qu’elle prenait de se conformer à ces avis, elle ne s’était jamais sentie capable de le faire. Pour apprécier la candeur et la simplicité avec lesquelles cette histoire fut contée, il faudrait l’entendre de la bouche même de cette femme, ce que pourraient encore aujourd’hui ceux qui le désireraient.
Mme Hauffe lui donna une amulette écrite, avec des instructions sur la façon de s’en servir. Depuis ce moment jusqu’aujourd’hui (1830) elle n’a plus rien vu et les autres n’ont plus rien entendu de la part de ce fantôme. Il semble bien probable qu’il y avait un rapport entre cette boule de fer et l’absence de tête du fantôme. Il se peut faire que cet individu ait eu la tête enlevée par un coup de bombe ou de grenade dans les troubles ou guerre des paysans, qui englobèrent le territoire de Grossgartach et qu’il ait été subitement emporté dans le monde des esprits, tandis qu’il était complètement absorbé par des préoccupations terrestres.
Quatrième cas
Le fait suivant survint deux ans après la mort de Mme Hauffe. A Ammertsweiler, à cinq heures de Weinsberg, vit un bourgeois nommé Léonard Sammet, homme de 43 ans, d’une robuste santé, ni somnambule, ni fourbe, de nature plutôt austère qu’autrement et absolument sans relation avec moi ni avec la Voyante de Prévorst.
Il perdit sa femme le 11 octobre 1828, et quoiqu’il en eût éprouvé quelque chagrin, il est certain qu’il ne désirait pas bien vivement la revoir et que ses larmes furent assez vite taries. Le Haut Bailli, Von Wolf, de cette localité, recueillit l’histoire suivante de sa propre bouche, en présence de plusieurs témoins.
« Le premier septembre 1829, un an après la mort de ma femme, mon petit garçon, âgé de sept ans, étant sorti de son lit entre onze heures et minuit, vit une forme blanche qu’il reconnut pour sa mère. L’enfant ne dit rien, mais sauta dans le lit près de moi et se cacha la tête sous ses couvertures. Je vis le spectre au même moment, mais je ne dis rien à l’enfant et ne lui en parlai pas jusqu’au matin suivant, où je lui demandai la cause de sa frayeur et où il me dit ce qu’il avait vu. Depuis ce moment l’apparition nous visite chaque nuit et elle n’est pas seulement visible pour cet enfant, mais également pour mon plus jeune, qui ne pouvant encore parler, nous fait comprendre par des gestes ce qu’il a vu.
« Je reconnais parfaitement le fantôme pour être celui de ma femme ; sa figure émet une lumière qui éclaire tout ce qui est dans la chambre, mais le reste du corps paraît seulement comme une colonne de vapeur grisâtre. Elle marche dans la chambre, se penche au-dessus de moi et des enfants et reste quelquefois là jusqu’au matin, mais elle garde le silence et ne fait aucun signe quelconque. Une fois, sur le conseil du pasteur, je lui ai demandé ce que je pouvais faire pour lui procurer le repos, mais elle me regarda sans me faire aucune réponse. Si je n’étais pas vigoureux et sans craintes, je n’aurais jamais été capable de supporter ces six semaines de préoccupations et d’insomnies. » Les témoins s’accordent à représenter cet homme comme honnête, d’une excellente santé, actif et parfaitement sobre.
Sur le conseil du Haut Bailli, cette personne vint plus tard me voir pour me demander un conseil. Il me fut impossible de découvrir chez lui la plus petite trace d’infirmité : il me parut au contraire parfaitement sain, autant de corps que d’esprit.
Outre les détails ci-dessus, il me dit que lui et sa femme avaient vécu en assez bonne intelligence, quoiqu’elle fût extrêmement vive. Elle était fréquemment indisposée et lui disait alors : « Fais bien attention, car je mourrai bientôt. » A quoi il répondait plutôt en plaisantant que d’une façon sérieuse : « Qu’est-ce que cela fait ? Il y a tant de femmes que l’on peut avoir pour une centaine de florins. » C’était la dot qu’elle lui avait apportée.
« Cela avait le don de la fâcher tout à fait, et maintenant je suis tout à fait désolé de le lui avoir jamais dit. Parfois elle me disait que si je me remariais, à moins que ce ne fût avec l’une de ses sœurs, elle s’adresserait aux mauvais esprits, si elle ne pouvait me hanter elle-même. Mais ne croyant pas à la possibilité d’apparitions de ce genre, je n’avais jamais songé à cette menace, jusqu’au moment où elle m’apparut et je commençais à me demander ce qui pouvait ainsi l’avoir troublée lorsque je me rappelai cette circonstance. En réalité, j’avais songé dernièrement à me remarier et ce n’était pas avec une de mes belles-sœurs »
Je lui donnai une amulette dont la Voyante se servait en pareil cas, qui selon certains saints personnages « était une amulette diabolique, avec une parole impie que la coupable Voyante avait prescrite dans son délire. » Il me quitta, ne croyant pas à son efficacité et comme je n’entendis plus parler de lui pendant plusieurs semaines, j’écrivis au maire de la localité qu’il habitait, pour lui demander comment il se trouvait. J’en reçus la réponse suivante :
« Les trois premières nuits que Sammet porta l’amulette sa femme lui apparut : puis elle cessa ses visites pendant les trois jours suivants. Alors il alla se confesser. Depuis lors elle apparut encore une fois à lui et à ses enfants et depuis ce moment on ne l’a plus jamais revue. Il est extrêmement heureux et professe pour vous une grande reconnaissance. »
Oelhaf De Meinhardt, Maire.
Divers cas observés à Weinsberg
I
A Weinsberg il y a une maison qui était habitée, il y a trente ans, par un vigneron nommé Bayer et qui, dans ces derniers temps, a servi de pressoir, mais il ne reste plus trace aujourd’hui de cette destination. Pendant quarante ans ou cinquante ans, on entendait la nuit dans cette maison, entre les mois de décembre et de février, des bruits semblables à ceux que font les tonneliers ou les vendangeurs. Ils n’étaient pas entendus seulement par les habitants de la maison, mais par ceux de tout le voisinage. Ce qui est le plus étonnant, c’est que plus les bruits étaient intenses, plus la vendange était réussie. De telle sorte qu’un voisin de la maison du vigneron, le défunt conseiller Muff, basant ses spéculations sur ces indices, acquit une véritable fortune. Bayer qui avait épousé une fille du dernier propriétaire de la maison, s’efforça de découvrir la cause du tapage. Il allait souvent, une hache à la main à travers tous les points d’où ils semblaient venir, mais il ne put jamais parvenir à y rien comprendre : « Laissez cela tranquille ; il y a longtemps que cela dure. »
Souvent aussi la porte s’ouvrait, quelqu’un semblait entrer et on entendait des pas traîner dans la chambre. Tout cela cependant n’était arrivé à l’occupant actuel que lorsqu’il couchait à l’étage supérieur. Sa porte s’ouvrait, des pas traînants venaient vers lui, puis s’éloignaient, mais il ne voyait rien. Ainsi, si on s’asseyait sur le lit pour mieux observer, si des voisins se précipitaient dehors, si quelqu’un passait le seuil de la porte, le tapage cessait, mais pour recommencer un instant après. Ceci est un fait dont peuvent témoigner de nombreuses personnes.
Personne ne voudra croire que ces bruits aient pu persister pendant quarante ans, avec les diverses personnes qui ont occupé la maison, d’autant plus que c’étaient de pauvres vignerons qui ne faisaient pas le commerce du vin et n’avaient aucun intérêt à cela. Si quelqu’un pense que la chose pouvait être organisée par le conseiller Muff dans un but particulier, supposition que personne dans le pays ne voudrait admettre une minute, on peut lui faire remarquer qu’on entendait ces bruits longtemps avant qu’il vint habiter dans ce pays et qu’on les entend encore, maintenant qu’il est mort. Bien plus, tous ses voisins savent que pendant ces mois il avait l’habitude de veiller à sa fenêtre, dans le but de régler ses spéculations d’après les bruits entendus. Il n’en faisait pas un secret ; d’autres auraient pu suivre son exemple s’ils l’avaient voulu ; mais ils se moquaient de lui, jusqu’au jour où il devint riche.
Il mourut ; mais les biens qu’il avait accumulés avec l’aide des habitants de la région moyenne, ne purent l’empêcher de devenir l’un d’eux. Il fut un de ceux qui vinrent du pays des ombres, pour réclamer les prières de Mme Hauffe. Elle ne l’avait jamais connu.
Pendant l’hiver de 1830 à 1831, ces bruits furent entendus mais très faibles, comme j’en avertis plusieurs de mes amis, et, conformément au présage, la récolte du vin fut très médiocre.
II - Cas de la prison
Dans la maison commune de Weinsberg, il y a une chambre qui sert de prison et dans laquelle les hommes de caractères divers et tout à fait inconnus les uns des autres, qui ont été enfermés, assurent que l’on entend et que l’on éprouve des choses inexplicables. Quelques-uns en ont été tellement frappés, qu’ils en sont tombés malades ; d’autres, au contraire, n’ont rien constaté d’extraordinaire. La mairie est inhabitée et isolée de tout autre construction. Plusieurs prisonniers, après avoir été relâchés, ont fait connaître ces perturbations aux fonctionnaires, spécialement un commerçant d’une santé florissante, qui n’avait certainement jamais entendu un mot à ce sujet. La même chose arriva à un garde-chasse, qui avait été soldat auparavant et qui ne croyait à la possibilité de semblable chose. Voici les quelques détails qu’il donna et qui furent, quant au fond, confirmés par tous les autres.
« La première nuit que j’y couchai, je fus éveillé tout à coup comme par un coup de cloche et ce que j’entendis semblait être les pas d’un homme marchant près de mon lit. Ce n’était pas au-dessus de ma tête, mais sur le parquet même de ma chambre ; nous avons, du reste, fait remarquer qu’il n’y avait aucun habitant dans la maison. Les pieds traînaient comme si les chaussures s’étaient déliées. Quoique surpris de cette circonstance, je me couchai de nouveau et n’éprouvai plus d’autre trouble. La nuit suivante je fus éveillé à la même heure par une impression d’étouffement et de préoccupation mais je n’entendis rien et me rendormis. La troisième nuit, je fus éveillé à une heure et ce que je ne pus comprendre, quoique la nuit fut sombre, je voyais parfaitement et, étant tout à fait éveillé, je pus voir très distinctement une grande ombre se pencher au-dessus de moi de telle sorte qu’à trois reprises je sentis son souffle sur moi. En même temps la courtepointe fut à demi enlevée, de telle sorte que je me hâtai de la ressaisir. Il éclata alors un bruit, comme si le bois de lit se fendait et il se produisit au-dessous un choc qui me secoua positivement. Je sautai du lit et me mis à l’examiner ; mais il était absolument intact et je ne pus rien découvrir. »
Le défaut de logement dans les autres prisons fit qu’un gaillard d’un très grand courage, de Mergentheim, localité très éloignée de celle-ci, vint occuper cette chambre, dans le courant de juin 1829. Il ne savait très certainement rien de ce que l’on en racontait, mais après y être resté plusieurs semaines, voici comment il rendit compte de ce qui lui arriva :
« Pendant que j’occupai cette chambre, je fus fréquemment éveillé vers une heure, par un poids qui semblait tomber sur moi comme un sac, de telle sorte que je pouvais à peine respirer.
Une fois mon lit fut soulevé et secoué de telle sorte que le l’entendais et le sentais. Mais lorsque je l’examinai, le matin, il me fut impossible de constater aucune trace de déplacement. Le couvre-lit était fréquemment lancé loin du lit, et je vis quelquefois une forme d’homme marchant dans la chambre, portant sur sa poitrine une sorte d’étoile brillante, large comme la main. C’était comme une ombre. Ceci ne se produisait pas toutes les nuits : j’en passais quelquefois trois ou quatre sans aucun trouble. »
III
Georges Widemann, dans son calendrier, raconte à propos de Weinsberg, une histoire que Cousin répète dans sa chronique de la Souabe :
« Plusieurs années avant la destruction du château de Weinsberg, pendant la guerre des paysans de 1825, un gouverneur de cette localité tua son serviteur. Un dimanche soir, comme il priait dans la chapelle du château, il lui sembla qu’il voyait un animal sortir en rampant de la boiserie et se cacher à terre dans un trou. Mais à l’examen il ne put découvrir aucun trou dans lequel cet animal eût pu se réfugier. Il fut fort surpris, mais se remit à prier. Il sentit alors une haleine chaude souffler sur lui et tout troublé, il sortit de la chapelle. Mais en s’en allant il ressentit encore le même souffle et il eut le sentiment qu’il venait d’un fantôme noir : il en tomba malade. En même temps l’esprit continuait à se manifester par des coups frappés, des objets lancés, etc., répandant la terreur chez ceux qui en étaient témoins. Dans la ville on se moquait de tout cela, que l’on prenait pour des fables. Mais lorsque le gouverneur mit des hommes de garde pour veiller la nuit dans le château, ceux-ci furent troublés de la même façon par l’esprit. La persécution s’étendit même aux hommes qui gardaient les murs de la ville. Alors les habitants de Weinsberg, décidèrent de jeûner et de se rendre nu-pied à l’église de Sainte-Marie à Heillbronn, dans l’espérance d’apaiser cet esprit malheureux, mais ce fut sans succès, car ils n’obtinrent leur repos qu’après la mort du gouverneur. Après ce dernier événement on ne vit et on n’entendit plus rien. »
Extraits du journal de la Voyante
Pendant son séjour à Weinsberg, Mme Hauffe rédigea durant quelques semaines un journal qu’elle gardait soigneusement près d’elle et ne laissait voir à personne. Lorsqu’elle devint plus faible, elle se sentit incapable de le continuer, et je pris à son insu, possession de ses papiers. Pour montrer l’état de son âme et prouver que le désir de retourner chez elle, auprès de son mari était son idée prédominante, quoiqu’elle ait été calomniée à ce sujet ; pour montrer en outre son absolue conviction sur la réalité des apparitions, je vais citer les passages suivants qu’elle n’aurait jamais fait passer sous des yeux étrangers :
26 décembre 1827. Papier silencieux, c’est vers toi que je me réfugie ! Avec quel bonheur je confierais mes épreuves, les sentiments de mon âme à un ami auquel je pourrais ouvrir mon cœur et dévoiler mes plus secrètes pensées ; dont l’âme serait en harmonie avec la mienne, qui me réconforterait et me consolerait au milieu de toutes mes souffrances. Est-ce ma faute, si je n’ai pas un ami de ce genre ? Suis-je trop timide, ou bien n’ai-je pas en mes amis la confiance qu’ils méritent ? Je ne pense pas que cela soit dans ma nature, mais je suis rebutée quand je sens que je suis si rarement comprise et si généralement mal interprétée. Cependant, j’éprouve une grande satisfaction à la pensée qu’il y en a un qui me voit et me connaît. Je suis à toi et je veux toujours y rester, O mon Père céleste !
27 décembre. Aujourd’hui je me confirme de plus en plus dans la conviction que nous vivons dans un monde transitoire et imparfait et que nous devons compter sur aucun de ceux qui vivent et s’agitent ici-bas. Il ne faut mettre notre confiance que dans le Verbe, la vérité et la vie éternelle, que nous ne pouvons voir encore. En s’y tenant avec fermeté, on se sent capable de supporter l’abandon dans lequel je me trouve et la séparation d’avec tous ceux que j’aime. L’âme se trouve de plus en plus entraînée vers l’esprit. Le corps va toujours s’affaiblissant, surtout le mien qui est déjà si faible. Un tel ami est un vrai soutien ! Celui que je puis appeler l’ami de mon âme et auquel je puis confier toutes mes pensées.
Aujourd’hui j’ai reçu la visite d’une apparition vraiment troublante, et elle intéresse K… car c’est celle d’un de ses parents. Cet esprit qui était une mère, que j’avais connue lorsqu’elle vivait, me demanda d’avertir par K… ses enfants, qu’il y a une autre vie et que s’ils ne s’adressent pas à leur Rédempteur, ils éprouveront encore plus vivement qu’elle-même, toute l’amertume de la mort. Ainsi parle l’esprit. Que ferais-je ? Que Dieu me dirige dans la voie droite !
28 décembre. Cette dernière nuit le fantôme vint me rappeler ce que je devrais faire.
29 décembre. Aujourd’hui je me sentais très heureuse ; mais vers le soir je me trouvai prise d’une véritable nostalgie. Si cela continue, ma santé sera de plus en plus faible. Il faut que je trouve de la force en moi-même, car personne ne viendra à mon secours. Lorsque ceux qui m’entourent me parlent de leurs affaires, je deviens de plus en plus triste. Je voudrais pouvoir m’attacher à mon Rédempteur, mais je suis timide et sujette au péché.
Aujourd’hui l’esprit est revenu à onze heures et m’a dit d’un air menaçant : « Ne voulez-vous pas faire ce que je vous demande ? » je lui ai répondu : « Je ne le puis. Adressez-vous vous même à K… » A ces mots il disparut. Je suis indécise sur ce que je dois faire. On ne me croira pas. J’affirme cependant au nom de Dieu qu’ils le peuvent, car je suis convaincue que c’est vrai. Mais que de chagrins me cause cette faculté de voir les esprits ! (Mme Hauffe fait ici allusion à mes proches et aux raisons que je lui donnais contre la réalité des spectres.)
1 janvier 1828. J’ai passé cette journée, seule avec ma vieille garde, livrée toute entière à mes réflexions et voici les idées qui me venaient : « Homme, mets en ordre ta maison, car il faut que tu meures ! » Puis ceci me frappa, que nous devrions le faire tous les jours et tenir toujours l’image de la mort devant nous ! A onze heures et demie cet esprit vint et me dit : « Combien de temps encore me tiendrez-vous éloigné de mon repos ? » Je cherchai à l’apaiser en lui disant que je lui obéirais, mais quand, Dieu seul le sait. J’espère qu’il ne reviendra plus.
2 janvier. La nuit dernière, l’esprit revint avec sa prière ordinaire. Je lui promis de satisfaire son désir le lendemain et il me quitta plein de joie. Mais le matin, le courage me manqua : j’étais triste et j’aurais voulu être chez moi. Que celui qui seul me connaît et connaît mes souffrances, veuille me l’accorder !
5 janvier. Je n’ai pu dormir à cause de la faiblesse de mon corps et de mes chagrins. J’ai pleuré presque toute la nuit. Comment pourrai-je recouvrer la santé ? A une heure vint ce fantôme brillant, qui m’est déjà souvent apparu, comme un ange consolateur. Il me dit : « Sois calme ; demain soir les choses prendront pour toi un meilleur aspect. Le secours approche. » Il me dit encore d’autres choses que je garde précieusement au fond de mon cœur.
6 janvier. Je me suis trouvée mieux, sauf en ce qui concerne ma nostalgie. Précisément au moment où je me sentais le plus accablée mon mari arriva aussitôt, mon cœur se trouva soulagé. Je me rappelai cette promesse du fantôme brillant, que le soir m’apporterait du réconfort.
7 janvier. Ce jour a été tout à fait acceptable. Que Dieu en soit loué ! car mon mari est resté près de moi et a partagé le poids de mes peines et de mes afflictions.
8 janvier. Les spasmes m’ont empêchée de dormir toute la nuit, à la pensée du prochain départ de mon mari. A midi, il m’a quittée et me voilà seule de nouveau. Père céleste ! Vois mes larmes et donne-moi la force de supporter le poids que tu fais peser sur mes épaules, car toi seul me connais ! Les hommes ne peuvent me comprendre. »
A propos de la demande du spectre mentionnée ci-dessus et qui causa tant de trouble à Mme Hauffe, il y a un fait à signaler, c’est que peu après survint à l’un des enfants de cet esprit un événement qui montra son manque de confiance en Dieu. En même temps sa vie fut sauvée dans des conditions si incompréhensibles, qu’il serait impossible de ne pas admettre l’existence d’une Providence qui veille sur nous.
Conclusion à tirer de ces faits
J’ai donné ces faits sans additions, tels que je les ai reçus. J’ai pris par moi-même connaissance d’une grande partie d’entre eux. Je crois en avoir tiré grand profit et j’ai la conviction qu’ils pourront servir à en éveiller bien d’autres, qui sont encore plongés dans le sommeil. Chacun les considèrera à sa façon. Je ne veux discuter les idées de personne, je demande seulement que l’on ne calomnie ni moi ni ceux qui les acceptent comme moi. Seul un insensé peut nier que nous sommes immortels et qu’il existe une autre vie. Que sont donc toutes les connaissances du monde découvert jusqu’ici, en comparaison de celui-là ? « Dans la maison de mon père, il y a plusieurs demeures. » Des faits innombrables témoignent que parmi celles-ci quelques-unes sont bien près de nous et que leurs habitants se répandent parmi nous. Que l’on cherche. Mais les choses nouvelles sont toujours mal reçues et la multitude, spécialement les esprits forts, sont trop heureux de les mettre de côté, sous le prétexte d’erreurs des sens. Du reste, le monde des esprits est bien différent de tout ce que peut imaginer le monde des sages ; il se rapproche beaucoup plus de la description faite naïvement par les esprits simples. Que la raison bannisse ces idées préconçues, l’heure de minuit et le silence de la chambre mortuaire ne tarderont pas à témoigner de la vérité des faits. Oh ! si les hommes voulaient être honnêtes sous ce rapport et mettre de côté la prudence humaine et le respect humain, combien de ceux qui rejettent cette œuvre modeste se déclareraient ses soutiens et ses défenseurs !
En définitive, aucun raisonnement ne pourra supprimer ce que nous avons vu, entendu, senti et établi sur des preuves.
Quoique nous soyons assez discrets pour ne vouloir imposer nos convictions et pour nous garder de donner à ce récit une tournure médicale, nous affirmons bien haut ses tendances morales et chrétiennes. Nous croyons à la vie intérieure de l’âme et à une faculté de voir les esprits ; deux choses qui n’existent pas dans la vie ordinaire, mais qui, dans certains cas extraordinaires se révèlent pendant un temps fort court, pour disparaître ensuite de nouveau pour longtemps.
Quant aux apparitions elles-mêmes, nous prions les lecteurs de croire que nous étions d’abord aussi absolument incrédules qu’ils peuvent l’être ; mais toute opinion doit céder devant les preuves. Ce qui facilita les modifications de nos idées fut la conviction qu’il existe beaucoup d’arguments en faveur de l’existence d’un monde spirituel, particulièrement celui qui est fourni par l’extrême différence entre les lois morales et les lois physiques, différence qui ne peut bien ressortir dans toute sa force qu’après la mort. Lorsque nous avons laissé de côté nos os et notre chair, avec leurs formes sensibles et leurs propriétés physiques, les lois morales immuables persistent dans l’esprit et l’âme avec leurs formes immatérielles. Quelles conséquences découlent de ce nouvel état ? Imaginons un homme qui, au lieu d’ouvrir son esprit à la vérité et aux commandements de la religion et de la morale, livre son âme aux penchants mauvais, aux principes erronés, aux projets décevants, aux créations trompeuses de son intelligence ; qui appelant de ses vœux les honneurs, la renommée, les avantages matériels, se trouve attaché par mille racines à la terre. Que deviendra, suivant la loi morale, l’état de son âme après sa mort ? Il est bien clair qu’il sera ce qu’il se sera fait lui-même. Il restera la créature attachée au monde, étranger à la religion et à la vérité ? Celui-là, dégagé pour la première fois de son enveloppe corporelle et de ses connexions avec la nature, sentira lui-même la vanité et la nullité des pensées, des sentiments, des désirs et des actions de son existence précédente. Pour une telle créature le passage de la forme corporelle à la forme incorporelle ne constituera pas une bien grande étape, car il se sentira encore porté par toutes les forces de son âme vers les choses terrestres.
Si à tout cela nous joignons les impressions qui lui restent des leçons de la vie ou du fluide nerveux, qui règle pendant l’existence les rapports de la vie du corps avec celle de l’âme et se continue après la mort, nous trouverons extrêmement probable l’étroite connexion physique de telles créatures d’ordre inférieur avec la terre. Cependant ils n’habitent cette sphère qui n’est visible que pour les personnes vivant dans cet état du corps, de l’âme et de l’esprit que nous avons pu constater chez la Voyante. Considérons en outre la force des faits, le témoignage des oreilles et des yeux, si absolument indiscutable, qu’aucun fait historique n’en présente de comparable et alors, la protestation échappée aux prétendus champions des lumières nous semblera sans but et sans signification. Celui qui est incapable d’apprécier la différence entre les lois morales et physiques, est aussi incapable d’élargir suffisamment ses vues pour se faire une idée de ce que celles-ci lui sembleront être après la mort. Tel un homme qui pendant sa vie charnelle se tient devant un rideau qu’il ne peut écarter ; il conclura, comme tous les empiriques, que ce que l’on ne peut ni voir ni entendre ne peut exister. Et cependant, les preuves les plus irréfutables montrent que les formes qui ne tombent pas sous nos sens sont aussi réelles que celles que nous pouvons sentir.
Puissions-nous, pendant que nous sommes sur la terre, maintenir nos âmes pures, dégagées de cette enveloppe charnelle et obtenir ainsi la vue de notre état intérieur ! Nous n’en serons que mieux disposés à rire des absurdités, ou à frémir des horreurs qui se présenteront. Mais grâce à la loi la plus clémente, ces âmes inconsistantes sont cachées les unes aux autres par l’enveloppe ou manteau que la nature a étendu sur chacune d’elles. C’est pourquoi nous pouvons tous nous unir et vivre ensemble librement.
Mais il est tout autrement après la mort, lorsque ce manteau vient à être enlevé. Car alors les inconséquences morales deviennent frappantes et cela d’une façon adaptée à l’état de l’âme. C’est alors que l’on voit de quelle espèce d’esprit cette créature est l’émanation.
Le contraste devient surtout frappant entre la beauté et la lumière d’un côté, la difformité et les ténèbres de l’autre, tandis que le fluide nerveux reproduit après la mort le type plastique qui existait durant la vie.
TROISIEME PARTIE
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Derniers jours et mort de la Voyante
Pendant la dernière semaine du séjour de Mme Hauffe à Lowenstein (où elle était revenue) elle eut conscience d’une autre évolution dans sa sphère solaire, par suite de laquelle la liberté de son âme fut de nouveau perdue et détruite, et elle se sentit comme l’état d’une personne à l’agonie. Ses organes respiratoires n’étaient plus capables de supporter l’air vif des montagnes, si différent de celui auquel elle venait de s’habituer et auquel s’ajoutaient les effets néfastes des fumées et des vapeurs s’échappant des ateliers et des fabriques de vitriol répandues dans le voisinage. En vain elle eût voulu retourner dans la vallée qu’elle venait de quitter ; elle était désormais trop faible pour supporter le voyage. Elle était en proie à une fièvre qui la consumait sans aucune trêve. Sa difficulté pour avaler était telle, qu’elle ne prenait presque aucune nourriture et qu’elle était fréquemment obligée, pour rafraîchir sa gorge brûlante, d’humecter sa langue avec de l’eau. Tout cela aurait du être prévu. Je m’étais opposé en vain à tout changement, elle avait persisté malgré nos vives représentations. Elle-même avait prédit sa mort, le 2 mai, pendant un rêve, qui présenta ceci de remarquable, que contrairement à tous les cas précédents, elle n’en garda aucun souvenir, par une heureuse exception, puisque dans ce rêve elle avait appris qu’elle allait s’endormir pour ne plus se réveiller. Elle en avait cependant une sorte de pressentiment, car elle disait souvent, lorsqu’elle était éveillée : « Il est bien difficile de connaître le moment de sa propre mort. »
Trois semaines avant son décès, elle présenta trois fois le phénomène de seconde vue, qui annonçait aussi sa fin prochaine. Elle vit paraître un fantôme féminin, plus grand qu’elle et enveloppé de noir. Elle ne vit que le buste. Le reste du corps était également enveloppé de noir et se tenait debout devant un cercueil ouvert, près duquel était une croix blanche. L’apparition la salua et elle sentit son souffle glacé. Elle dit que ce n’était pas un esprit, mais l’effet d’une vue de mauvaise augure : elle comprit fort bien ce que cela signifiait. Cependant je donnais une autre interprétation à la vision, car je pensais que sa fin était encore éloignée, l’ayant si souvent vue revenir des bras de la mort.
Trois jours avant son décès, elle leva trois doigts comme pour prêter serment et jura que sa vie ne durerait pas plus de trois jours. Elle désirait mourir, mais, comme la plupart des hommes, elle redoutait les angoisses qu’elle se figurait devoir accompagner la dernière lutte. Pendant longtemps elle avait été dans cet état d’agonie mortelle et l’on ne pourra jamais dire combien souffrit cette pauvre femme, se sentant toujours au bord de la tombe et ne pouvant voir arriver sa fin.
Contrairement à mon attente, son état magnétique persista et augmenta même, tandis que la fièvre devenait plus violente. Elle me dit que peu de temps auparavant deux fantômes l’avaient visitée ; qu’à la question sur la cause de leur apparition ils avaient répondu ; « Vous êtes presque des nôtres. » Elle avait senti qu’elle était plus que jamais en relation avec le monde spirituel.
Dans l’un de ses derniers jours elle me dit que pendant sa fièvre elle avait souvent des visions. Toutes sortes de fantômes paraissaient devant ses yeux, mais il lui était impossible d’exprimer à quel point ces illusions oculaires étaient différentes de la vue nette des esprits. Elle ne désirait qu’une chose ; c’était que d’autres personnes se trouvassent dans le même état qu’elle même pour pouvoir comparer entre elle ces deux espèces de perceptions. Toutes deux, du reste, diffèrent absolument de nos perceptions ordinaires et des phénomènes de seconde vue.
Une autre circonstance qui me convainquit de la vérité de ses révélations, fut qu’à ma dernière visite, lorsqu’elle avait parfaitement conscience de la proximité de sa fin, elle me dit en confidence que son père décédé était venu récemment à elle et que, lui ayant demandé pourquoi, depuis un an qu’il était mort, elle ne l’avait pas encore vu, il lui avait répondu qu’il n’avait pas été en son pouvoir de la revoir plus tôt. Il faut rappeler que, huit mois après sa mort, il était apparu à sa sœur et à son entourage, tandis que la Voyante ne l’avait vu que dans un songe. Lorsque je manifestai ma surprise de ce qu’elle ne l’avait pas vu, elle avait paru frappée de ma préoccupation, sans doute parce que son amour filial lui avait fait penser qu’il devait être plus élevé. Son apparition actuelle ne correspondait ni à ses désirs ni à son attente.
A ses derniers moments, lorsqu’elle était devenue incapable de parler d’une façon suivie, elle désirait très vivement nous communiquer quelques révélations faites par son père sur le monde des esprits et nous parler plus complètement de sa sphère solaire et de sa conscience intérieure, mais cela lui fut impossible.
Le 5 août 1829, elle tomba dans le délire, tout en présentant encore quelques intervalles magnétiques et lucides. Elle se trouvait dans un état d’esprit plein de piété et demanda de lui chanter les hymnes. Elle me réclamait souvent avec force, quoique je fusse absent pour le moment. Même une fois, comme elle semblait morte, quelqu’un ayant prononcé mon nom, elle sembla revenir à la vie, comme si elle eût été incapable de mourir tant que les rapports magnétiques entre elle et moi n’étaient pas rompus. Elle fut en effet sensible aux influences magnétiques jusqu’à la fin, car lorsqu’elle était déjà presque froide et les joues rigides, sa mère ayant fait trois passes au-dessus de sa figure, on vit ses paupières se soulever et ses lèvres remuer. A dix heures, sa sœur vit une grande forme blanche entrer dans sa chambre et au même moment l’agonisante poussa un grand cri de joie et son esprit sembla s’être dégagé à ce moment. Au bout de peu d’instants son âme partit aussi, laissant derrière elle son enveloppe devenue tout à fait méconnaissable, car aucun de ses traits ne conserva sa forme antérieure.
Pendant toute sa vie, l’expression de sa physionomie était absolument l’image de l’esprit qui était en elle. C’est pourquoi, malgré les tentatives répétées, aucun artiste ne parvint à fixer ses traits sur la toile. Il n’est, du reste, nullement étonnant que, l’esprit parti, les traits ne soient plus du tout les mêmes.
Dans la nuit qui suivit sa mort, dont je n’avais été nullement prévenu, je la vis en songe, avec deux autres fantômes féminins et je la reconnus parfaitement et sans aucune hésitation.
Le 7, on procéda à l’autopsie dirigée par le Dr Off de Lowenstein. On trouva le corps réduit à l’état de squelette ; il y avait une induration énorme des glandes mésentériques ; le foie était altéré et il y avait une fort grosse pierre dans la vésicule biliaire, chose que Mme Hauffe avait souvent affirmé pendant sa vie. Le cœur et les vaisseaux étaient enflammés, ainsi que les organes de la respiration ; en conséquence probable de son retour au sein de l’atmosphère des montagnes que ses organes si délicats n’étaient plus en état de supporter. Le Dr Off trouva le crâne parfaitement conforme et le cerveau si absolument sain et normal dans toutes ses parties, qu’il déclara que, dans sa longue carrière, il n’en avait jamais rencontré de plus parfait. Il lui fut également impossible de trouver la plus faible trace de maladie, soit dans la moelle épinière, dont chaque partie fut examinée, soit dans les nerfs de la poitrine ou de l’abdomen.
Le 8, les restes de celle qui avait tant souffert furent déposés dans le pittoresque cimetière de Lowenstein, où reposaient aussi le corps de son grand-père, l’estimable Schmidgall et de sa femme, qu’elle avait reconnus comme ses esprits protecteurs.
Il est certain qu’après sa mort, Mme Hauffe apparut sept fois à sa sœur aînée, personne très digne de foi et honnête dans des circonstances qui justifiaient parfaitement l’intervention d’un esprit ami. Mais comme il faudrait à ce sujet faire connaître certaines affaires de famille, le moment n’est pas encore venu de les raconter dans leurs détails. FIN
TABLE DES MATIERES
Notice biographique sur le Dr Kerner 2
Préface du traducteur anglais 7
Préface de l’édition française 9
Introduction 11
PREMIERE PARTIE 17
LA VIE ET LES FACULTES DE LA VOYANTE 17
CHAPITRE I 17
Lieu de naissance et premières années de la voyante 17
CHAPITRE II 20
Retraite au sein de la vie intérieure 20
CHAPITRE III 21
Conséquences de son état magnétique ; esquisse d’une nouvelle période de souffrances 21
CHAPITRE IV 25
Les souffrances augmentent et le somnambulisme devient plus complet 25
CHAPITRE V 28
Arrivée de la voyante à Weinsberg 28
CHAPITRE VI 30
Portrait de la Voyante 30
CHAPITRE VII 33
Fonctions nerveuses externes de la voyante et leurs rapports avec le monde physique 33
CHAPITRE VIII 35
Effets de l’eau Modification de la pesanteur 35
CHAPITRE IX 38
Effets des substances impondérables 38
CHAPITRE X 39
Ce que la voyante apercevait dans les yeux humains 39
CHAPITRE XI 40
Vision par le creux épigastrique 40
CHAPITRE XII 42
L’esprit protecteur 42
CHAPITRE XIII 44
Songes prophétiques 44
CHAPITRE XIV 46
Seconde vue 46
CHAPITRE XV 48
Extériorisation du corps fluidique 48
CHAPITRE XVI 50
Les formules magiques de la voyante 50
CHAPITRE XVII 52
Manipulation magnétique et prescriptions contre les maladies 52
CHAPITRE XVIII 54
Guérison de la comtesse Von Maldeghem par l’intervention de la voyante 54
CHAPITRE XIX 57
Sur les divers degrés du magnétisme. Opinion de la Voyante sur chacun d’eux 57
CHAPITRE XX 59
La sphère solaire et la vie de la sphère 59
Etat de la Voyante lorsque ces sphères se développèrent en elle 59
Les sphères 60
CHAPITRE XXI 61
Le langage intérieur 61
CHAPITRE XXII 63
La septième sphère solaire 63
SECONDE PARTIE 65
CHAPITRE I 65
Sur l’homme magnétique, dans ses rapports avec le monde des Esprits 65
CHAPITRE II 67
Quelques remarques de la Voyante au sujet de la Vision des Esprits 67
CHAPITRE III 71
Dernières explications sur la faculté de voir les esprits, présentées par la Voyante 71
CHAPITRE IV 76
La croyance aux esprits est basée sur la nature 76
CHAPITRE V 78
Quelques mots à propos des faits ci-annexés 78
CHAPITRE VI 80
Les faits 80
Faits survenus à Oberstenfeld 80
Premier fait 80
Faits survenus à Weinsberg 83
Premier cas 83
Deuxième cas 89
Troisième cas 91
Quatrième cas 94
Cinquième cas 105
Sixième cas 110
Septième cas 116
Huitième cas 117
Neuvième cas 117
Dixième cas 118
Onzième cas 118
Douzième cas 119
Treizième cas 119
Quatorzième cas 120
Quinzième cas 120
Seizième cas 120
Dix-septième cas 120
Dix-huitième cas 121
Dix-neuvième cas 121
Vingtième cas 121
Vingt-et-unième cas 121
Vingt-deuxième cas 122
Le pouvoir des amulettes de la Voyante 122
Premier cas 122
Deuxième cas 123
Troisième cas 124
Quatrième cas 124
Divers cas observés à Weinsberg 125
I 125
II - Cas de la prison 126
III 127
Extraits du journal de la Voyante 127
Conclusion à tirer de ces faits 129
TROISIEME PARTIE 132
Derniers jours et mort de la Voyante 132