DES PHENOMENES PREMONITOIRES
Pressentiments – rêves prophétiques clairvoyance dans le futur, etc.
ERNEST BOZZANO
INTRODUCTION
Dans le langage technique adopté par la Société Anglaise de Recherches Psychiques, le phénomène « prémonitoire » a reçu cette simple définition « Préannonce supernormale d'un événement futur quelconque » ; et cette définition semble heureuse et adéquate, si l'on considère que grâce à l’addition opportune de la parole « supernormale », tous les cas pseudo-prémoni¬toires dont la réalisation est probablement due à un fait de suggestion et d'auto-suggestion, ou à des inférences consécutives à des états anormaux d'hyperesthésie sensorio-psychique, se trouvent définitivement éliminés.
Il en dérive que le terme de « prémonition » se trouve synonyme de cet autre : « clairvoyance dans le futur » employé par les anciens magné¬tologues, et que tous deux comprennent tous les cas qui, selon leurs modalités particulières de manifestation, prennent dans le langage commun les noms de « pressentiment », « avertissement », « prédiction », « divination », « prophétie ».
Au sujet de la valeur intrinsèque des phéno¬mènes en question, je me trouve d'accord avec le Dr Samona, dont l'avis est que « parmi les phé¬nomènes métapsychiques, ceux prémonitoires, qui pourtant défient toutes nos conceptions les plus hardies pour atteindre à leur explication, sont parmi ceux de l'existence desquels il est moins permis de douter, car il y a des cas véri¬tablement authentiques devant lesquels nous sommes forcés de nous incliner malgré leur inin¬telligibilité absolue ». (Psiche misteriosa, p. 184) Telle était justement l'opinion du Dr Karl du Prel.
Pour se rendre compte de la fréquence avec laquelle ils se réalisent, il suffit de consulter l'histoire des peuples ; on y glanera de nombreux exemples, et dans tous les temps. Et si l'on veut recourir au critère pratique du témoignage humain, on constatera qu'en interrogeant un groupe de personnes prises au hasard, il est bien difficile qu'aucune d'entre elles n'ait à raconter un incident personnel du genre ; ce qu'on ne peut pas affirmer pour la télépathie. En sorte qu'on est entraîné à conclure que les phénomènes prémonitoires prennent rang parmi les plus com¬muns de la casuistique métapsychique.
Ils se déterminent, en très grande majorité, durant le sommeil naturel ou provoqué ; plus rarement en conditions de veille ; et même lorsque ceci advient, il est aisé d'y rencontrer toujours des indices qui permettent de reconnaître un état plus ou moins déguisé d'auto-hypnose légère, ou d' « absence psychique », chez le sensitif.
Le plus souvent, les faits qui nous occupent se rapportent à la personne même du percipient, moins fréquemment à des tiers, et beaucoup plus rarement à des événements politiques, sociaux, météorologiques.
Leurs modes d'extrinsécation sont des plus variés, et comprennent à peu près toute la gamme de la casuistique. métapsychique. Dans leur forme la plus simple, ils consistent en un vague sentiment d'anxiété profonde ou de som¬bre présage, sentiment non motivé et insurmontable, qui porte inconsciemment le sujet à orien¬ter sa propre pensée vers celle de telle personne, ou cet ordre spécial d'événements qui constitue¬ront l'objet de la prémonition. Plus communé¬ment, ils assument une forme de visualisation hallucinatoire, aussi bien spontanée que provo¬quée, dans laquelle des tableaux d'événements futurs se manifestent au percipient dans une succession extrêmement fugace,tantôt en groupe¬ments plastiques, tantôt avec action cinémato¬graphique, parfois avec l'apparence d'événements réels, d'autres fois d'une manière idéographique et symbolique ; dans lequel cas la véritable signi¬fication du symbole n'apparaîtra totalement dévoilée qu'après réalisation de l'événement. Non moins fréquemment, ils se présentent sous forme d'audition hallucinatoire, où une voix, reconnue parfois pour intérieure ou subjective, ou bien revêtant un timbre objectif, et souvent familier, préannonce dans un langage plus ou moins énig¬matique des événements futurs. En d'autres cir¬constances, ils se traduisent en un phénomène phonique à empreinte décidément objective, comme par exemple lorsque des coups, des gé¬missements, des bruits de toute sorte (fidèles dans chacun des cas, à leur modalité d'extrin¬sécation) se reproduisent traditionnellement dans une famille pour annoncer la mort d'un de ses membres. En d'autres cas analogues, les préannonces de la mort d'une personne à son entourage se produisent au contraire par l'apparition d'un fantôme de défunt, toujours identique. A noter encore un genre de prémonitions trans¬mises sous forme d'impulsion motrice irréfré¬nable, qui pousse le sensitif à des actes parais¬sant absurdes parce que non motivés, comme par exemple à retourner sûr ses pas, à prendre la course, à changer de place ou de route, échap¬pant de cette manière à un grave danger qui le menaçait à son insu. On comptera enfin un dernier genre, plutôt rare, de prémonitions qui assument une forme divinatoire, de façon que le sensitif est amené malgré lui à exprimer des prophéties dont il ne se sent point responsable ; dans ce cas, la forme oraculaire qu'assument d'habitude ses paroles, fait penser aux réponses des oracles gréco-romains.
L'un des caractères spéciaux des phénomènes que nous étudions, est de se rapporter ordinairement à des événements douloureux, rarement à des incidents joyeux. Ce caractère est bien connu, quoique certains le mettent en doute, en se basant sur le fait de la réalisation fréquente de prémonitions insignifiantes et banales, avec pronostic ni triste ni gai. Cependant si l'exis¬tence de telles manifestations met en évidence la complexité troublante du problème à résoudre, elle ne suffit pas, à mon avis, à infirmer le carac¬tère évident dont je parle, d'autant plus que ces manifestations insignifiantes et banales sembleraient susceptibles d'une explication par¬ticulière. Nous commenterons en temps voulu ces aspects si embrouillés et si suggestifs des phénomènes prémonitoires.
Un autre de leur caractère digne de remarque consisterait dans le fait qu'un grand nombre de songes prémonitoires visitent à différentes re¬prises, et toujours d'une manière identique, le percipient, soit dans la même nuit, soit en d'autres successives, comme si on voulait en réitérer l'impression sur le dormeur dans le but de la rendre plus durable, ce qui ne manque jamais de se réaliser en telles circonstances. Cependant, alors qu'on voit ceci s'effectuer en de nombreux cas ; on pourrait en même temps avancer que le caractère de ces mêmes rêves consiste en une tendance opposée, celle de montrer une labilité sui generis ; labilité qui diffère néanmoins grandement de celle des rêves ordinaires, puisque d'une part, le songe prémonitoire est d'abord beaucoup plus vivace que le songe ordinaire, si bien que le percipient en conserve un souvenir très clair au réveil, joint à un intérêt inhabituel pour ce rêve (ce qui pousse le percipient à le raconter, ou à en prendre note ) mais que, d'autre part, ce même songe, bien que rappelé, répété, commenté, écrit (toutes circonstances qui de¬vraient le fixer dans les centres mnémoniques), est presque toujours sujet à une rapide et totale oblitération ; celle-ci, à son tour, sera éphémère et transitoire, car au moment où se réaliseront les incidents vus en rêve, le. souvenir du songe apparaîtra comme un éclair à l'esprit du percipient avec toute sa vivacité première. Il serait facile, dans ces processus, de relever des analo¬gies avec les cas de suggestion post-hypnotique ; cependant la suggestion post-hypnotique pré-suppose un « agent suggestionneur », qu'on serait induit par là à supposer aussi dans les songes prémonitoires, auquel cas il serait inutile de le rechercher en se fiant à des analogies de cette nature, qui pourront un jour faciliter les recher¬ches pour établir par quelles voies cérébrales les prémonitions s'extrinsèquent, mais jamais ne se prêteront à résoudre la question ardue de leur genèse.
Les traits caractéristiques cités, bien que remarquables spécialement dans les rêves pré-monitoires, s'observent plus ou moins dans toute la phénoménologie que nous examinons, surtout dans celle qui revêt une forme hallucinatoire auditive, et dans laquelle on retrouve fréquemment des cas se répétant, et d'autres qui présentent les phases habituelles de «labilité» combinée à la « réviviscence ». Font exception dans chaque catégorie les cas où le percipient, au lieu de jouer un rôle prépondérant, ou secon¬daire dans l'événement prévu, sert d'instrument consultable, comme dans le cas des « somnam¬bules clairvoyantes », et de tous autres genres de pythonisses anciennes et modernes. Cette forme indirecte et provoquée de prémonitions est extrêmement intéressante, car elle concourt à renforcer une théorie qui se présente comme fondamentale en cette sorte de manifestations, selon laquelle il serait vain de rechercher en une formule unitaire l'explication de la phénoménolo¬gie prémonitoire, qui tirerait au contraire son origine de causes multiples, tantôt subconscientes tantôt extrinsèques, toujours supernormales.
Un troisième caractère des phénomènes prémonitoires concerne la « notion du temps » ; cette notion semblerait un élément impossible à traduire en nos termes humains, du « plan supernormal » au plan « mental » ; par consé¬quent, les dates des phénomènes prémonitoires demeurent presque toujours imprécisées ; et le voyant en somnambulisme, ou un autre à sa place, juge approximativement du temps de différentes manières, mais le plus souvent d'après la distance à laquelle se présente dans sa vision intérieure le cadre des événements futurs ; s'il est très proche, il en concluera que l'événe¬ment doit se produire à brève échéance, et dans ce cas, l'habitude pourra lui permettre d'en pré¬ciser jusqu'au jour et à l'heure ; si au contraire la vision est plus ou moins lointaine, il ne parviendra qu'à désigner la semaine, le mois, l'année où devra s'accomplir la prophétie. Cette règle, néanmoins, comporte de nombreuses exceptions, par exemple lorsque le percipient visualise une date, et pas autre chose, qui se trouvera être la date exacte de sa propre mort, ou de la mort d'un familier ou d'un autre événement mémorable qui le regarde, ou regarde le consultant. D'autres fois, le voyant se surprendra à confondre les choses du passé avec celles de l'avenir ; c'est-à-dire que parmi les événements qu'il attribue à l'existence de son consultant, il s'en trouvera quelqu'un que ce dernier désignera comme ne lui étant jamais arrivé, et qui cepen¬dant se réalisera dans tous ses plus petits détails à une époque plus ou moins reculée. Comme on le voit, les modes d'extrinsécation des phé¬nomènes prémonitoires sont si embrouillés et si complexes, qu'ils en semblent contradictoires ; et pourtant tout concourt à prouver que cet embarras dépend du fait désigné plus haut, que ces phénomènes, bien qu'ayant l'apparence d'une origine commune, sont dus en réalité à des causes multiples.
Je noterai encore une quatrième particularité commune à un grand nombre de manifestations prémonitoires, consistant en ceci : que le sensitif perçoit ou enregistre, entièrement ou en partie les données secondaires qui se rapportent à un événement futur, et n'en perçoit pas, on n'en enregistre pas, les données essentielles, de sorte qu'il demeure sur l'événement qui l'attend, juste assez instruit pour l'entrevoir, mais non pour le pénétrer, raison pour laquelle il ne parvient pas à l'éviter. Cette particularité revêt une impor¬tance théorique très grande, comme nous le démontrerons en son temps.
Sur la base de ce qui a été exposé jusqu'ici, je vois s'élever une considération à laquelle je donnerai une forme interrogative : « En tenant compte de certains des traits caractéristiques énumérés plus haut, ne serait-il point licite d'avancer qu'au moins pour une partie des phénomènes prémonitoires, un élément intention¬nel se manifeste avec évidence ? Et cela sans préjuger de la question si ardue de la genèse, subconsciente ou extrinsèque, de cette inten¬tionnalité ? » Mrs. Sidgwick et d'autres psy¬chistes, ne considèrent pas cette hypothèse comme suffisament fondée, parce qu'on discerne en cet ordre de phénomènes de nombreux épisodes qui, bien que formant des exemples typiques de clairvoyance dans le futur, consistent néanmoins dans la réalisation (parfois merveilleusement complexe) de petits faits insignifiants et inutiles au point qu'on ne peut comprendre la raison de leur effectuation ; ces circonstances tendraient plutôt à étayer l'hypothèse que les phénomènes prémonitoires émergent et deviennent conscients par la force d'un aveugle auto¬matisme subconscient dénué d'un but quelconque.
C'est en partant de ce raisonnement que Mrs. Sidgwick conclut en ces termes :
« Nous n'avons pas de raisons suffisantes pour supposer que les prémonitions, si elles existent, con¬sistent en une sorte de minuscule miracle privé, ayant pour but de nous aider dans les incidents de notre vie, spirituels ou temporels. Nous devons les considérer au contraire comme des manifestations spéciales d'une loi jusqu'à présent ignorée, ou bien imparfaitement connue ». (Proceedings of the S. P. R., Vol. V, p. 344).
Prudentes et sages réserves. Mais depuis l'é¬poque où Mrs. Sidgwick les formulait (1888) le matériel brut des faits continua de s'accumuler, et les recherches sur ce dernier se multiplièrent ; il semble donc qu'il soit permis aujourd'hui de s'aventurer dans quelque affirmation plus expli¬cite.
J'observerai d'ailleurs que l'existence d'épi¬sodes insignifiants et apparemment dénués de but, ne peut et ne doit pas faire oublier une multitude d'autres cas où l'intentionnalité, et souvent l'utilité, ressortent avec évidence et certitude ; et comme les faits sont les faits et que rien ne peut les anéantir, il faut bien en conclure que l'intentionnalité et l'utilité sont manifestes et prouvées dans un certain nombre d'entre eux ; enfin, comme ces derniers ne représentent pas la minorité, mais bien la majorité des phé¬nomènes prémonitoires, il s'ensuit que les cas dénués de but devraient plutôt être considérés comme des exceptions à la règle (et il reste à voir s'ils constituent des exceptions effectives ou apparente), dont il faudrait étudier les causes, afin d'établir possiblement les rapports qui les relieraient aux autres, et tâcher de les concilier entre eux.
Une dernière observation : l'analyse qui précède ne serait pas complète, si elle ne se termi¬nait par une allusion à la fausseté de beaucoup de manifestations prémonitoires, pouvant revêtir indifféremment une forme directe et spontanée, ou indirecte et provoquée. Surtout chez les som¬nambules clairvoyantes, ou les pythonisses pro¬phétisantes (en supposant, bien entendu, que les unes et les autres soient en possession de pouvoirs supernormaux authentiques) il arrivera souvent qu'un même sujet, dans la même séance, ait la vision subjective d'événements futurs qui se réaliseront dans leurs moindres détails avec une merveilleuse exactitude, et peu à peu décrive avec une efficacité identique de langage, des visions dont le caractère complètement fantastique apparaîtra plus tard ; et tout cela sans qu'il soit possible, d'après leurs modes d'extrin¬sécation, de discerner les hallucinations véri¬diques de celles erronées.
Le célèbre somnambule Alexis Didier, inter¬rogé à ce propos par le Dr Marcillet tandis qu'il se trouvait en conditions de lucidité somnam¬bulique, en expliquait les causes par les mots suivants :
« Quoique mort aux préoccupations de la veille, le système nerveux du somnambule conserve en soi pour ainsi dire les tonalités vibratoires et fébriles de toutes les émotions qui l'ont agité ; et les déboires de sa vie s'avancent, comme des oiseaux de mauvais augure, pour étendre l'ombre noire de leurs ailes dans ses visions, et l'empêcher de manifester dans toute son exactitude sa propre lucidité. En outre, si l'état de semi-infirmité qui le distingue, affaiblis¬sant les organes de son corps, le prédispose à la voyance, d'autre part il engendre des conditions qui, au lieu d'ouvrir la vision intérieure de l'âme sur le domaine invisible du temps et de l'espace, réveillent au contraire la cohorte illusoire des songes... Les consultants se comportent parfois à mon égard avec une moquerie irritante pour mes nerfs à tel point, que tout danse et vacille devant mes yeux, et qu'il m'est impossible de rien saisir distinctement. D'autres, au contraire, font preuve de la meilleure volonté jointe à une confiance enthousiaste, mais leurs désirs sont assez ardents pour troubler ma vi¬sion, devant laquelle passent avec une rapidité fou¬droyante des apparitions de formes insaisissables.
Bien souvent, le désir d'obtenir des réponses conformes à leurs aspirations est à tel point excessive, qu'elles m'influencent, m'impressionnent, et ce que je vois alors n'est plus qu'une transmission de sen¬sations et de pensées. Enfin, bien des fois le somnam¬bule est mal disposé parce qu'il est en rapport avec des natures peu sympathiques, ou parce qu'il se trouve dans un milieu de sceptiques préoccupés de ne pas se laisser convaincre ; dans ce cas les phénomènes de lucidité ne peuvent pas se réaliser... J'ai très souvent observé que la seule adjonction d'un spectateur bienveillant suffisait à raviver en mon âme une activité extraordinaire, lui conférant la force de surmonter les obstacles qui la faisaient demeurer inerte. Le bon succès de mes séances était dû fré¬quemment à la présence d'une femme ou d'un homme dont le fluide me pénétrait en irradiant une luminosité très suave, qui m'illuminait subi¬tement comme par miracle, dotant ma lucidité d'une extension surhumaine... (Le sommeil magnétique expliqué par le somnambule Alexis Didier en état de lucidité. P. 27, Paris, Dentu éd., 1856).
C'est ainsi qu'Alexis Didier expliquait les erreurs fréquentes de son extraordinaire lucidité et il est plus que probable que les défaillances des somnambules clairvoyants proviennent effec¬tivement d'interférences de cette nature ; ainsi pour les erreurs de nombreuses manifestations prémonitoires de forme directe et spontanée. Émotions et préoccupations de la veille, condi¬tions de santé et d'ambiance, désirs mal réprimés, aspirations secrètes, espoirs, anxiétés, et ainsi de suite : voilà les causes qui, chez les sensitifs, ouvriraient la porte toute grande aux invasions psychosensorielles provenant de la « couche onirique » de la subconscience.
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Restent à considérer les principales hypo¬thèses avancées jusqu'à présent pour pénétrer le mystère des manifestations prémonitoires ; ce que je ferai sommairement, de manière à permettre au lecteur de mieux s'orienter à travers la classification des cas, et de se prononcer sur la plus ou moins grande validité de certains des commentaires dont je fais suivre ces cas, tantôt en faveur de l'une, tantôt en faveur de l'autre de ces hypothèses, avec l'intention de préparer le terrain pour la synthèse finale.
Pour commencer, je parlerai de l'ancienne, et bien souvent citée, conception philosophique de l'Univers, pour laquelle le passé et le futur cons¬titueraient un éternel présent, qui se segmen¬terait pour nous en vertu d'un état spécial de notre conscience, donnant lieu à la création illu¬soire du temps. Cette conception métaphysique, bien que de prime abord attirant et séduisant le penseur, ne résiste pas à une analyse pondérée, si l'on tient compte de son inconceptibilité abso¬lue combinée à l'amas d'éléments antithétiques qui la composent.
Je me bornerai donc à l'exposer à l'aide des efficaces paroles de Myers, en ajoutant que, dans une autre partie de son oeuvre, il n'hésite pas à la déclarer inconcevable. Voici ses mots :
Les prémonitions dont il a été question dépassent de peu la durée de la vie individuelle des percipients ; tenons-nous en donc à cette courte mesure, et figu¬rons-nous pour un moment que la totalité d'une existence terrestre ne se montre en réalité qu'un phénomène absolument instantané, bien qu'infiniment complexe. Imaginons encore que le Moi trans¬cendental discerne avec une égale facilité et instan¬tanéité chaque élément de ce phénomène, alors que le Moi empirique en reçoit chaque élément par un moyen déterminant des phases de retard variées, de la même façon que je perçois d'abord la lueur de l'éclair, puis le roulement du tonnerre. Dans ce cas, les soixante-dix ans de vie placés entre la perception de ma naissance et celle de ma mort, ne pourraient-ils m'être dévoilés avec la rapidité des sept secondes placées entre la vision de l'éclair et l'audition du tonnerre ? Et ne pourrait-il exister dans la conscience des conditions d'intercommunication en vertu desquelles le Moi plus vaste serait mis à même de parti¬ciper au Moi plus réduit, ou bien le Moi intérieur au Moi extérieur, un avertissement comme celui-ci : « J'ai perçu la lueur d'un événement qui t'attend pour telle heure : prépare-toi au roulement du tonnerre ». (Myers, Human Personality, etc., Vol. II, p. 273).
Telle est l'exposition heureuse et pittoresque de Myers ; mais on ne peut s'empêcher d'observer que si « en réalité la vie consistait en un phénomène absolument instantané », on arriverait à ceci : que la coexistence dans le monde physique de la totalité des actes de chaque individu parti¬culier, ne pouvant être scindée de l'existence correspondante de tous les états de conscience se rapportant à chacun de ces actes, il s'ensuivrait que le Moi transcendental de tout enfant dans ses langes se trouverait passer instantanément à travers tous les états de conscience correspondant à toutes les phases de sa vie ! Dans ce cas, comment concevoir la lutte pour l'existence ? Le progrès humain ? La responsabilité morale et le perfectionnement spirituel de l'individu, fruits péniblement recueillis à l'arbre de l'expérience humaine, conquise, elle aussi, au prix de tant de peines ? Et puis, comment concevoir un groupe d'événements absolument instantanés, qui, en même temps, retardent ? La première donnée contredit la seconde : l'une abolit le Temps, l'autre le sous-entend est-il sérieux, est-il utile de se baser sur des spéculations de ce genre ? Mieux vaut ne pas exorbiter des limites de l'induction fondée sur des faits, renonçant aux envols vertigineux de la métaphysique pure, à l'aide de laquelle nulle oeuvre de science ne s'édifiera jamais, parce que l'impensable ne peut fournir l'explication de rien, mais seulement quelque vague illusion d'explication. Dans notre cas, ni Temps ni Espace ne peuvent être supprimés, et si un Au-delà existe, nous devons concevoir l'autre vie comme un état où cesseront d'exister, non point le Temps, mais seulement la notion du Temps ; non point l'Espace, mais seulement le sens de l'Espace. On verra pas la suite qu'il existe des faits capables d'exclure inexorablement cette hypothèse du nombre de celles applicables aux phénomènes prémonitoires. (Voir commentaires au cas CX.)
Cette même hypothèse ne peut devenir conce¬vable qu'à la condition de la corriger radicalement, comme la présente le prof. Oliver Lodge en ce paragraphe :
« Je me bornerai à observer d'une manière géné¬rale, que la vague hypothèse d'une Anima mundi ; d'une Intelligence immanente, dont l'humanité tout entière ne serait qu'un microscopique fragment, de même que notre Moi conscient est considéré par certains comme un pur fragment d'un Moi plus vaste ; d'une Intelligence Infinie, pour laquelle l'Espace et le Temps ne constitueraient pas les insurmontables barrières qu'ils nous paraissent ; d'une Intelligence pour laquelle le passé, le présent, le futur, ne seraient pas, en réalité, tout un, mais seraient per¬ceptibles à volonté, soit comme simultanéité, soit comme consécutibilité, et à laquelle nulle translation ne serait, nécessaire pour passer d'un lieu à l'autre, je dois convenir qu'une vague hypothèse de cette nature, qui est d'ailleurs une notion familière aux philosophes, s'impose souvent à ma vision mentale lorsque je'm'arrête sur les problèmes de ce grand et merveilleux univers. » (Proceedings of the S. P. R., Vol. XVII, p. 54-55).
Comme on le voit dans ce beau paragraphe de Lodge, l'hypothèse en question se présente radicalement modifiée, car il ne s'y agit plus de coexistence du passé et du futur dans le présent, mais bien d'une Intelligence Infinie capable de les concevoir indifféremment comme coexistence ou comme consécutivité et ceci peut être con¬cevable tout aussi philosophiquement que scien¬tifiquement.
En effet, le grand Laplace avait déjà exprimé en ces termes un concept analogue :
« Une intelligence qui connaîtrait toutes les forces dont la Nature est animée et lasituation res¬pective des êtres qui la composent, si d'ailleurs elle était assez vaste pour soumettre ces données à l'analyse, embrasserait dans la même formule les mouvements des plus grands corps de l'Univers et ceux du plus léger atome : rien ne serait incertain pour elle, et l'avenir comme le passé serait présent à ses yeux... » (Laplace. Essai analytique sur les probabilités, 1814, p. 3).
Malgré tout, les considérations de Lodge et de Laplace ne se prêtent pas à expliquer les phé¬nomènes prémonitoires, car enfin, leurs auteurs doivent conférer les pouvoirs infinis dont ils parlent à une intelligence également infinie, ce qui veut dire à Dieu.
Il en découle que, pour adopter ces considéra¬tions au sujet qui nous occupe, il faudrait attri¬buer à la « conscience subliminale » les pouvoirs conférés à l'Omniscience divine, et ceci dans un sens littéral, semblerait anti-philosophique et ab¬surde. On pourrait néanmoins l'accorder dans certaines limites, dans le cas où l'on considérerait l'âme comme une émanation divine, et en tenant compte de tant d'autres facultés supernormales dont la subconscience, se montre effectivement douée ; on pourrait donc légitimement attribuer à celle-ci une capacité très grande d'extension supernormale des facultés d'inférence normalement possédées par l'intelligence humaine ; pas assez grande, toutefois, pour pouvoir expliquer toute la phénoménologie prémonitoire, si on ne veut pas attribuer aux facultés subsconscientes l'Omniscience divine. Il faut néanmoins tenir compte de cette troisième hypothèse.
Si l'on voulait en expliquer la majeure partie sans mettre de côté les pouvoirs de la subcons¬cience, il serait nécessaire de recourir à deux autres hypothèses complémentaires, dont l'une, que nous appellerons la quatrième, vieille comme l'humanité, et qui se présente irrésistiblement à la pensée lorsqu'on se prend à étudier la significa¬tion de certaines prophéties : je veux parler de l'hypothèse d'une fatalité surmontant les des¬tinées humaines, pour laquelle les événements cardinaux de toute existence singulière seraient préordonnés, et existeraient d'une certaine ma¬nière enregistrés dans un ambiant « métaéthé¬rique » accessible aux facultés subconscientes (« l'Inconscient Universel » d'Hartmann, « plan astral » des Théosophes) ; dans ce cas le perci¬pient les discernerait par un phénomène de « mise en rapport » combiné à de la clairvoyance télé¬pathique ; ce qui deviendrait intelligible, sans qu'on soit obligé de conférer l'Omniscience divine à la subconscience humaine.
Cependant l'existence d'une fatalité impliquerait la négation du libre arbitre, ravalant l'homme aux proportions d'un automate irresponsable. Ce n'est pas le moment d'examiner jusqu'à quel point les faits autorisent à conclure en faveur de la fatalité, et jusqu'à quel point le fatalisme soit inconciliable avec la liberté humaine. Je me contenterai ici, pour ne pas dévier de mon thème, de dire que pour remédier à cette objection contre le fatalisme, on a eu recours à l'autre hypothèse, la cinquième, elle aussi vieille comme l'humanité, selon laquelle l'existence terrestre ne représenterait qu'un anneau d'un enchaînement indéfini de « vies successives » ; dans ce cas, 1'«esprit », au moment de se réincarner, établirait lui-même d'avance dans un but d'expiation, d'épreuve, de perfectionnement spirituel, les événements cardinaux auxquels il devrait être soumis dans la nouvelle existence incarnée ; événements qui s'effaceraient de sa mémoire physiologique avec son entrée dans la vie, mais qui demeureraient enregistrés dans sa subconscience, d'où ils émer¬geraient en leur temps et se réaliseraient par la force d'un procédé analogue à celui par lequel s'extrinsèquent les suggestions post-hypnotiques.
Ceci admis, on comprendrait que le voyant ait parfois la possibilité de les retrouver télépathi¬quement dans les replis de sa propre subconscience ou en celle d'autrui ; en même temps, les mêmes événements qui apparaissaient auparavant comme l'ouvrage d'une aveugle fatalité, se changeraient en actes librement voulus.
Et si l'on ne voulait pas arriver jusqu'à la théorie réincarnationniste, il conviendrait au moins de supposer une « existence spirituelle prénatale », donnant lieu à une sixième hypothèse, à laquelle Myers pensait peut-être en dictant les considérations suivantes :
« Dans le cas rapporté, le cours de notre vie serait comparable à l'expérience d'un sujet hypnotique qui accomplit involontairement dans la période de la veille l'acte qu'on lui a suggéré dans l'hypnose. Nous devrons donc nous demander si d'aventure il n'y a pas eu, dans notre propre histoire, une époque où s'est effectuée en nous une auto-suggestion ca¬pable de dominer d'une manière analogue notre carrière terrestre. Or, si l'on peut affirmer que notre organisme complexe, étant le couronnement final d'une longue évolution historique, restreint dans des limites réduites nos soi-disant actions volontaires, on pourrait croire avec une égale vraisemblance que s'il existait une âme indépendante du corps, celle-ci, en sa qualité de résultat d'une longue évolution historique (car une entité aussi hautement spécia¬lisée que l'âme humaine doit avoir eu une précé¬dente évolution historique) ne pourrait qu'exercer à son tour une influence déterminante plus profonde encore que celle organique, sur les pensées et les actions de l'existence incarnée. Il pourrait se faire, en somme, qu'il y ait une sorte de « personnalité alternante », qui se manifesterait d'abord en condi¬tions d'incorporéité, et puis de corporéité ; de ma¬nière que la première serait la plus profonde et per¬manente, et que les suggestions originées en elle influenceraient la seconde, bien que la conscience empirique qui gouverne l'existence incarnée n'en vînt pas à connaissance. Cette condition n'est pas nouvelle aux religions et aux philosophies orientales et occidentales ; depuis longtemps l'idée a été lancée que notre existence terrestre doive être la résultante inévitable de notre éternité passée ; une sorte de pélerinage prédestiné que l'âme réelle contemplerait avec un inaltérable calme, parce qu'aucune des éphémères douleurs terrestres ne pourrait la trouver récalcitrante, ou la surprendre sans préparation. L'âme préexistante et presciente une fois rivée à un corps prédéterminé, d'une certaine façon, par une longue évolution historique ; tous deux procéderaient avec autant d'accord qu'ils le pourraient ; mais en même temps, le problème de la Liberté et de la Nécessité cesserait de se montrer résolvable d'après l'expérience terrestre, et appartiendrait aux sublimes régions pré-natales où seraient renfermés les secrets du monde transcendental ». (Myers, Human Personality, etc., Vol. II, p. 271-272).
Ainsi parle Myers ; et non seulement le problème de la Liberté et de la Nécessité ne semble pas élucidable d'après l'expérience ter¬restre, mais encore les hypothèses supernormales des « vies successives » ou de 1'« existence prénatale » ne parviendraient pas non plus à éliminer entièrement l'idée fataliste telle qu'elle émerge de l'analyse des phénomènes prémonitoires, si l'on tient compte de l'existence de certaines prophéties qui dépasseraient de belle mesure les limites de chaque existence singulière, et s'étendraient jusqu'aux destinées des peuples. Mais nous aborderons cette question en son temps.
Pour revenir aux difficultés qui surgissent sur le thème des prémonitions, je dois toucher à cette autre : ni l'hypothèse réincarnationniste ou pré-natale, ni celle fataliste, ne parviendraient à expliquer les cas d'un ordre insignifiant ou banal, car il ne semble pas que ceux-ci puissent avoir été préordonnés dans un but de perfectionnement moral de l'esprit sur le point de s'incarner ou de se réincarner ; et d'autant moins être considérés comme l'effet d'une fatalité inexorable, du mo¬ment qu'ils résultent d'une futilité et d'une inutilité complète, moralement comme matériel¬lement. Pour obvier à cette nouvelle difficulté, on voit apparaître une septième hypothèse, qui semble aussi la seule fondée sur des données indiscutables, et consisterait en ceci : que les prémonitions de l'ordre indiqué devraient être considérées comme des manifestations particu¬lières, dont la responsabilité incomberait aux personnalités subconscientes ou extrinsèques (je ne me prononce pas, qu'on le remarque bien, sur la véritable essence de ces personnalités), qui, d'abord, transmettraient télépathiquement au sensitif, sous forme de vision onirique ou autrement, une situation future donnée dans laquelle lui ou d'autres devraient se trouver, et s'emploieraient ensuite à en provoquer la réalisation en vertu d'une suggestion exercée télépathiquement sur le sensitif ou les autres intéressés ; et cela aux fins (c'est ce qu'affirment les personnalités en question) d'impressionner les âmes, de secouer le scepticisme des hommes, d'infuser en eux l'idée d'un mystère dans la vie, en les ramenant à méditer sur la possibilité de l'existence d'une âme survivant à la mort du corps. En même temps, leur action serait à peu près limitée aux faits insignifiants, car il ne leur serait pas pos¬sible, sauf des circonstances spéciales, de sug¬gestionner télépathiquement, ou déterminer d'une autre manière quelconque, les hommes à exécuter des actions de quelque importance.
Quelque hardi que puisse sembler le fait de recourir à une pareille hypothèse, et quelque rares que soient les cas prémonitoires d'où peut en surgir la preuve d'une manière évidente, d'un autre côté, il existe des faits prouvant que les personnalités médiumniques (subconscientes ou extrinsèques, peu importe) parviennent, en certaines circonstances, à influer effectivement sur le cours des actions humaines ; bien entendu, non pas d'une manière normale et générale, mais dans les cas seulement où ils peuvent disposer de sensitifs susceptibles d'être soumis aux influences télépathiques ou médiumniques ; et certains épisodes faisant partie des séances avec Mme Piper et d'autres médiums, font foi aussi de ce que j'avance, comme nous le démontrerons le moment venu.
Le Professeur Oliver Lodge lui-même, à propos d'un épisode des expériences de Mrs Verrall, est conduit par l'analyse des faits à supposer que dans les cas d'une nature semblable, l'intelli¬gence subconsciente ou extrinsèque qui transmet le message prémonitoire, doit être l'agent qui en provoque la réalisation moyennant une sugges¬tion télépathique exercée sur les personnes inté¬ressées. (Lodge : The Survival of Man, p. 160).
De l'hypothèse exposée en découle une autre, que nous désignerons comme la huitième et dernière, et qui se rapporte, elle, aux épisodes assumant un but et une importance réels. Elle consiste à supposer que les événements futurs, dûs à des causes accidentelles imprévisibles, ne seraient ni préordonnés, ni susceptibles d'être perçus par les facultés subconscientes, mais se rendraient uniquement accessibles à des entités spirituelles élevées, auquel il serait donné de les déduire du présent, et qu'elles transmettraient parfois télépathiquement aux vivants, en se servant pour cela d'« esprits » récemment désincarnés et rattachés affectivement aux sensitifs ou aux consultants. Cette hypothèse, suggérée par les modes d'extrinsécation de certains parmi les meilleurs épisodes, ne se prêterait pas à expliquer d'autres incidents ; mais ceci n'est pas une raison suffisante pour l'exclure du nombre des hypothèses légitimes ; de sorte qu'elle pourrait être accueillie à condition de la compléter par la précédente, qui suppose l'intervention directe d'entités subconscientes du extrinsèques dans la réalisation de messages prémonitoires d'ordre insignifiant, mais imprévisibles ; sans oublier celle qui attribue aux facultés inconscientes la capacité d'inférer ou de percevoir à leur tour un groupe limité d'événements futurs. Myers syn¬thétise en ces termes ses propres idées sur l'argument :
S'il existe un monde transcendental, il doit exister aussi une visualisation du passé et du futur de beaucoup plus étendue que celle empirique ; et nous-mêmes devrons participer de cette forme de visualisation dans certaines limites, soit directement, en notre qualité de résidents, dès maintenant, dans le monde transcendatal, ou indirectement, en rece¬vant des intuitions ou des messages d'entités spiri¬tuelles libérées d'un organisme amoindrissant l'activité de l'esprit... Néanmoins, il est bien ardu d'établir de quelle manière nous y participons, et les diffi¬cultés qui se présentent sont les mêmes qui surgissent toutes les fois que nous nous essayons à distinguer l'activité de l'esprit de l'automate, de celle qu'on peut supposer en d'autres esprits « incarnés ou désin¬carnés », ou peut être aussi d'une Anima mundi, ou d'autres Intelligences Finies mais exemptes de toute personnification anthropomorphique... Je crois que la Continuité de l'Univers est complète, et que par là la hiérarchie des intelligences qui s'interposent entre notre esprit et une Anima mundi, est infinie. » (Human Personality, etc , Vol. II, p. 263-265).
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Telles sont les principales hypothèses jusqu'à ce jour proposées pour l'explication des faits prémonitoires ; leur analyse fait ressortir de façon péremptoire la justesse de l'observation de Dale Owen : qu'en métapsychie, l'expérience enseigne comment les phénomènes en apparence identique tirent souvent leur origine de causes multiples. En effet, pour les modalités avec lesquelles ils s'extrinsèquent, tout concourt à prouver que les phénomènes prémonitoires ont pour origine des causes diverses, et qu’il y a également parmi eux des groupes de cas non prémonitoires dans le sens véritable du mot, bien que les uns et les autres constituent un ensemble homogène de faits que l'on ne pourrait, à un certain point de vue, séparer les uns des autres, car ils semblent s'enchaîner entre eux et se compléter mutuellement ; circonstance qui confère de l'unité à la phénoménologie. On constaterait donc que les hypothèses émunérées plus haut (en excluant la première parce qu'impensable et contredite par les faits, et comptant les hypothèses « réincarna¬tionniste » et « prénatale » comme une seule) forment un tout solidaire et harmonique, que l'on dirait destiné à triompher ou à tomber intégralement, vu qu'aucune des hypothèses en question ne pourrait, à elle seule, expliquer com¬plexivement les faits ; que l'exclusion d'une. quelconque d'entre elles compromettrait la stabilité de la série entière ; et qu'on ne parvien¬drait à résoudre d'une manière satisfaisante toutes les plus ardues perplexités théoriques, qu'à la condition de les garder toutes présentes, et de les utiliser toutes tour à tour.
Ce n'est pas le cas ici d'insister encore à ce sujet puisque je me réserve d'y revenir une fois ma classification achevée. J'exhorte cependant ceux d'entre mes lecteurs auxquels certaines de mes considérations peuvent paraître gratuites ou trop hardies, à suspendre jusqu'alors leur jugement.
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Et maintenant, quelques mots d'éclaircisse¬ment au sujet des critères qui m'ont guidé dans le présent ouvrage.
Il n'existe, que je sache, d'autres classifications de ce genre que celle de Mrs. Sidgwick (Procee¬dings, Vol. V), et de Myers (Proceedings, Vol. XI), la première constituée par une quarantaine de cas, la seconde par soixante-dix environ. Et comme elles renferment les cas les mieux étudiés et les plus authentiques que l'on connaisse, j'ai dû forcément recourir à elles avec fréquence, pour raffermir les bases scientifiques de ma classification, qui contiendra néanmoins en grande majorité des cas nouveaux et également bien établis.
Afin de présenter théoriquement les faits sous un nouvel aspect, j'adoptais une méthode de classification qui m'est propre et radicalement opposées à celles choisies par Mrs. Sidgwick et par Myers ; la première ayant classifié les faits selon leur modalité subjective d'extrinsécation ; le second, en suivant l'enchaînement ascensionnel des faits selon leur importance théorique ; et le soussigné, les classifiant au point de vue de leur signification objective comme faits de cette façon, les chercheurs auront la possibilité d'étu¬dier les phénomènes prémonitoires en les consi¬dérant sous trois aspects divers ; et ceci les aidera énormément dans la découverte des causes pré¬sumables des phénomènes qui nous occupent.
L'amas de matériel recueilli fut tel, que je fus contraint à y faire des sélections répétées dans l'unique but de réduire mon ouvrage à des proportions publiables. Les cas amassés atteignaient le chiffre d'un millier, et je les réduisis de force à 160, bien que ce nombre soit encore trop élevé pour une monographie.
J'eus soin, dans ma classification, d'exclure un grand nombre d'épisodes qui sous une appa¬rence d'ordre prémonitoire, et se trouvant consi¬dérés comme tels par d'autres, étaient au contraire avec plus de vraisemblance élucidables par le secours d'autres hypothèses ; c'est ce qui arriva pour beaucoup de cas d'auto-prémoni¬tions de maladie ou de mort (auto-suggestion présumable) ; ou lorsqu'un sensitif a la percep¬tion anticipée de l'arrivée d'une personne (télépathie), ou de l'arrivée d'une lettre (télépathie ou téléthésie) ; ou lorsqu'il a en songe la per¬ception exacte de l'endroit où il trouvera un objet égaré, ou une plante rare, ou un insecte, vainement recherchés (hypermnésie, télesthésie, cryptomnésie) ; ou lorsqu'il a en songe la visua¬lisation d'une localité inconnue qu'il visitera effectivement le lendemain (lucidité, param
nésie).
Il va sans dire que chacune des catégories susdites peuvent renfermer des épisodes signalés par des particularités qui les rendent authentiquement prémonitoires, et il m'arrivera d'en signaler un bon nombre dans la catégorie com¬plexe et importante des auto-prémonitions de maladie ou de mort ; mais je n'aurai rien, ou pres¬que rien, à remarquer pour les autres. Il est donc entendu que, sauf circonstances spéciales, ces catégories particulières de phénomènes ne doi¬vent pas être considérées comme d'ordre prémo¬nitoire.
Je termine enfin en reproduisant, pour plus de clarté, le schéma de classification choisi.
CLASSIFICATIONS
Ire Catégorie
AUTO-PRÉMONITIONS DE MALADIE OU DE MORT
SOUS-GROUPE (A) Auto-prémonitions de maladie.
SOUS-GROUPE (B) Auto-prémonitions de mort à brève échéance, et où la mort est due à des causes naturelles.
SOUS-GROUPE (C) Auto-prémonitions de mort à longue échéance et où la mort est due à des causes naturelles.
SOUS-GROUPE (D) Auto-prémonitions de mort, et où la mort est due à des causes accidentelles.
IIe Catégorie
PRÉMONITIONS DE MALADIES OU DE MORTS REGARDANT DE TIERCES PERSONNES
SOUS-GROUPE (E) Prémonitions de maladies de tiers.
SOUS-GROUPE (F) Prémonitions de la mort de tiers à brève échéance, et où la mort est due à des causes naturelles.
SOUS-GROUPE (G) Prémonitions de la mort de tiers à longue échéance, et où la mort est due à des causes naturelles.
SOUS-GROUPE (H) Prémonitions de la mort de tiers à brève échéance, et où la mort est due à des causes accidentelles.
SOUS-GROUPE (I) Prémonitions de la mort de tiers à longue échéance, et où la mort est due à des causes accidentelles.
SOUS-GROUPE (J) Prémonitions de morts se produisant traditionnellement en une même famille.
IIIe Catégorie
SOUS-GROUPE (K) Prémonitions d'événements impor¬tants n'impliquant pas la mort.
SOUS-GROUPE (L) Prémonitions d'incidents insignifiants et pratiquement inutiles.
SOUS-GROUPE (M) Prémonitions météorologiques.
SOUS-GROUPE (N) Prémonitions qui sauvent.
SOUS-GROUPE (O) Prémonitions qui déterminent l'accident possible.
PREMIERE CATEGORIE
AUTO-PRÉMONITIONS DE MALADIE OU DE MORT
Sous-groupe A
Auto-prémonitions de maladie
1er Cas. Il serait difficile, dans cette pre¬mière subdivision, de trouver un seul cas dont les détails ne pourraient être expliqués par un phénomène d'auto-suggestion ; je me bornerai donc à en rapporter un exemple unique, qui, bien que choisi parmi les plus caractéristiques, n'échappe pas à ce défaut commun.
Je l'extrais en le résumant en partie de l'ouvrage du Dr Alphonse Teste : Manuel pra¬tique du magnétisme animal (p. 140).
Le vendredi 8 mai, le Dr Teste plongea dans un état de somnambulisme Mme Hortense M., en présence du mari de cette dernière. Aussitôt endormie, elle annonça :
« Je suis enceinte de quinze jours, mais je n'ac¬coucherai pas à terme, et j'en ressens déjà un cha¬grin cuisant. Mardi prochain (12 mai), j'aurai peur de quelque chose, je ferai une chute, et il en résultera une fausse couche.
- De quoi donc aurez-vous peur, madame, lui demandai-je avec une expression d'intérêt qui était loin d'être simulée.
- Je n'en sais rien, monsieur.
- Mais où cela vous arrivera-t-il ? où ferez-vous votre chute ?
- Je ne puis le dire ; je n'en sais rien.
- Et il n'y a aucun moyen d'éviter tout cela ?
- Aucun.
- Si pourtant nous ne vous quittions pas ?
- Cela n'y ferait rien.
- Dieu seul pourrait donc prévenir l'accident que vous redoutez ?
- Dieu seul ; mais il ne le fera pas, et j'en suis profondément affligée.
- Et vous serez bien malade ?
- Oui, pendant trois jours.
- Savez-vous au juste ce que vous éprouverez ?
- Sans doute, et je vais vous le dire : Mardi, à trois heures et demie, aussitôt après avoir été effrayée, j'aurai une faiblesse qui durera huit minutes ; après cette faiblesse, je serai prise de maux de reins très violents qui dureront le reste du jour et se prolon¬geront toute la nuit. Le mercredi matin, je commen¬cerai à perdre du sang ; cette perte augmentera avec rapidité et deviendra très abondante. Cependant il n'y aura pas à s'en inquiéter, car elle ne me fera pas mourir. Le jeudi matin, je serai beaucoup mieux, je pourrai même quitter mon lit presque toute la journée ; mais le soir, à cinq heures et demie, j'aurai une nouvelle perte qui sera suivie de délire. La nuit du jeudi au vendredi sera bonne, mais le vendredi soir j'aurai perdu la raison. »
Mme Hortense ne parlait plus ; et sans croire expli¬citement à ce qu'elle nous disait, nous en étions tellement frappés, que nous ne songions plus à l'interroger. Cependant M., vivement ému du récit de sa femme, et surtout de ses dernières paroles, lui demanda avec une indescriptible anxiété si elle serait longtemps en démence.
« Trois jours, répondit-elle avec un calme parfait. Puis elle ajouta avec une douceur pleine de grâce : « Va, ne t'inquiète pas, Alfred, je ne resterai pas folle et je ne mourrai pas ; je souffrirai, voilà tout.»
Au réveil, comme toujours Mme Hortense avait tout oublié, et le Dr Teste, dans l'intérêt de la patiente et de la science, recommanda au mari de garder le secret le plus absolu sur l'inci¬dent. En même temps, il prit note de tout, et soumit ses annotations au Dr Amédée Latour. Le mardi arrivé, il se rendit chez les époux M., qu'il trouva à table, et observa que Mme Hor¬tense était en parfaite santé et d'excellente humeur. Le repas terminé, ayant obtenu la permission de plonger Mme Hortense en somnam¬bulisme, il demanda :
- Comment allez-vous, madame ?
- Très bien, monsieur ; mais ce n'est pas pour longtemps.
- Comment cela ?
Mme Hortense répéta alors sa phrase sacra¬mentelle du vendredi, à savoir : Entre trois et quatre heures, j’aurai peur de quelque chose, je ferai une chute ; il en résultera une perte abondante, etc.
- Mais enfin, quel est donc l'objet qui vous fera peur ?
- Je n'en sais rien.
- Mais où est-il ?
- Je n'en sais rien.
- Alors, madame, si ce que vous dites se réalise, il faut admettre une fatalité dans les événements qui vous arrivent ?
- Oui, monsieur ; comme dans la plupart de ceux qui arrivent à tous les hommes.
- Et il n'est aucun moyen de se soustraire à cette fatalité ?
- Aucun.
- Ce soir, madame, je serai en mesure de vous contredire.
- Ce soir, monsieur, vous serez fort inquiet sur ma santé, car je serai bien malade.
Ici, le Dr Teste réveilla Mme Hortense, qui ne se souvenait de rien. D'accord avec son mari, ils prirent toutes les précautions imaginables pour se prémunir contre le moindre incident fortuit ; et lorsque l'heure désignée approcha, ils fermèrent hermétiquement les volets, dans la crainte qu'un accident dans la rue, ou dans la maison d'en face, ne déterminât la réalisation de la prophétie. Trois heures et demie avaient sonné depuis peu lorsque Mme Hortense, qui observait avec un non léger étonnement ce qui se passait autour d'elle, se leva soudain du divan sur lequel on l'avait priée de s'asseoir, et dit :
- Me permettrez-vous, messieurs, de me dérober une minute à votre inconcevable sollicitude ?
- Où prétendez-vous aller, madame ? m'écriai-je avec un air d'inquiétude que je n'aurais pu dissi¬muler.
- Eh ! mon Dieu ! monsieur, qu'avez-vous donc ? Pensez-vous que j'aie des projets de suicide ?
- Non, madame, mais.
- Mais quoi ?
- Je sens que je suis indiscret, mais c'est que votre santé m'intéresse.
- Alors, monsieur, reprend-elle en riant, raison de plus pour me laisser sortir.
Le motif, comme l'on voit, était plausible, et il n'y avait guère moyen d'insister. Cependant M., qui voulut pousser la chose jusqu'à son comble, dit à sa femme :
- Eh bien ! ma bonne amie, me permettras-tu de t'accompagner jusque là ?
- Comment ! mais c'est donc une gageure ?
- Précisément, madame, une gageure entre vous et moi, et que bien certainement je gagnerai, quoique vous ayez juré de me la faire perdre...
Mme Hortense nous regarde tour à tour, et reste bien loin de deviner.
- Une gageure entre nous deux ? répète-t-elle... Allons, je n'y suis pas du tout ; mais n'importe.. Nous verrons.
Elle accepte le bras que lui présente son mari, et sort en éclatant de rire.
Moi aussi je riais, et pourtant j'éprouvais je ne sais quel pressentiment que le moment décisif était venu. Il est tellement vrai que cette idée me préoc¬cupait, que je ne songeai pas à rentrer dans l'appartement de monsieur et de madame pendant leur absence, et que je restai comme un suisse à la porte de leur antichambre où je n'avais que faire.
Tout à coup, un cri perçant se fait entendre, et le bruit d'un corps qui tombe retentit sur le perron. Je monte en courant ; à la porte des lieux d'aisance, M. a sa femme éperdue, mourante, entre ses bras. C'est bien elle qui a crié ; le bruit qui a frappé mon oreille est bien celui de sa chute. A l'instant où elle venait de quitter le bras de son mari pour entrer au cabinet, un rat (Mme Hortense a de ces animaux une horreur incroyable), un rat, là où depuis vingt ans on assure n'en avoir pas vu un seul, s'était pré¬senté à sa vue et lui avait causé une terreur si vive et si soudaine qu'elle en était tombée à la renverse, sans qu'il y eût eu possibilité de la retenir. Voilà le fait tel qu'il s'est passé, je le jure sur mon honneur.
Le premier point de la prédiction s'était réalisé ; le reste s'accomplit avec la même exactitude. Mme Hortense eut sa faiblesse, ses douleurs, sa perte, son délire, sa journée de calme et ses trois jours d'a¬liénation. Rien n'y manqua ; ni la nature des phéno¬mènes annoncés, ni l'ordre dans lequel ils se succé¬dèrent. Le Dr Amédée Latour et plusieurs amis de M., suivirent avec intérêt les différentes phases de cette miraculeuse maladie, dont, grâce à Dieu, il ne reste plus de trace aujourd'hui.
Qui oserait, après de semblables faits, poser en¬core les limites dû possible, et définir la vie humaine ?
Lorsqu'en 1901, je reproduisis ce cas dans la Revue d'Etudes Psychiques, Myers objecta avec raison que, malgré le caractère remarquable de l'épisode sous d'autres aspects, il n'offrait aucune précise évidence prémonitoire ; il conti¬nuait ainsi : « La somnambule n'a pas su désigner précédemment la cause de sa frayeur... En l'ab¬sence du rat, le Moi subliminal de Mme Hortense aurait su probablement découvrir quelque autre cause, réelle ou imaginaire, de sa peur, et ses effets se seraient suivis dans l'ordre établi d'avance ».
Il est indéniable que les recherches modernes sur les phénomènes hypnotiques prouvent le bien fondé des observations de Myers ; il faudra donc bien convenir que même le curieux incident du rat ne suffit pas à conférer une valeur précognitive au cas en question ; cela n'exclut pas naturellement la possibilité qu'il soit réellement prémonitoire en partie ; mais en matière scientifique, les pro¬babilités ne comptent pas.
J'observerai néanmoins qu'en fait de sugges¬tion et d'auto-suggestion, il faut distinguer entre les états superficiels de l'hypnose, dans lesquels la mentalité du sujet se trouve grandement dimi¬nuée, les facultés de discernement abolies, les conditions de crédulité — en vertu desquelles sont déterminées les suggestions — augmentées en proportion, et les états profonds de l'hypnose, où la mentalité du sujet devient au contraire mer¬veilleusement augmentée, où les facultés de di¬scernement sont aiguisées, et les conditions de cré¬dulité inexistantes, ce qui rend par conséquent impossible toute forme de suggestion et d'auto-suggestion, comme le savent fort bien les hyp¬nologues modernes.
Or, le sujet du Dr Teste s'étant évidemment trouvé en conditions de « somnambulisme lu¬cide », ce qui équivaut à l'un des états profonds de l'hypnose, il serait difficile de concilier ce fait avec l'explication auto-suggestive ; inconci¬liables sembleraient aussi les circonstances d'une personnalité somnambulique qui, d'un côté, s'exprime avec assez de bons sens pour manifes¬ter ses parfaites conditions d'intégrité mentale, et de l'autre, se montre privée de raison au point de sévir aveuglément contre la partie consciente d'elle-même. Les cas de luttes intestines eux-mêmes, désignés par l'expression de « personnali¬tés par contraste », ne pourraient être avancées pour contredire mon assertion, car ces derniers sont fondamentalement différentes ; et, se réalisant en conditions de désagrégation spontanée ou provoquée de la personnalité consciente, ils ne peuvent créer et ne créent que des « per¬sonnalités subconscientes » douées de mentalité plus ou moins rudimentaire, anormales et amo¬rales, c'est-à-dire en parfaite harmonie avec les actions qu'elles accomplissent : ce qui ne se produit justement pas dans le cas exposé.
En matière d'hypnose et de suggestion, mon opinion est qu'il reste beaucoup à scruter, et beaucoup à modifier dans les théories en vogue, qui pêchent par leur amour débordant de la géné¬ralisation. Les états profonds de l'hypnose atten¬dent encore l'homme de science qui entreprendra des les éclairer comme il convient.
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Sous-groupe B
Auto-prémonitions de mort à brève échéance et où la mort est due à des causes naturelles
IIe Cas. Je commence par un épisode de som¬nambulisme magnétique, tiré de l'oeuvre citée du DrTeste, et qui s'expose aux mêmes critiques, quoique la somnambule s'exprime en termes tels à laisser une issue à l'hypothèse précognitive. Voici le récit :
Mlle Clary avait été magnétisée plusieurs fois ; on la consultait inutilement pour elle-même, parce qu'elle n'eut jamais l'instinct des remèdes ; mais à part cela, elle fut pendant quelque temps admira¬blement lucide, et si malheureusement elle ne put pas se tracer un traitement, elle nous fit jour par jour, et cela longtemps à l'avance, tout le pronostic de sa maladie. Voici le résumé de la dernière séance où elle fut endormie (15 mai 1840).
- Comment vous trouvez-vous, mademoiselle ?
- Très mal.
- Où souffrez-vous ?
- Partout.
- Mais où souffrez-vous le plus ?
- Dans le ventre.
- Dans quelle partie du ventre ?
- Plus bas que l'estomac.
- Vous voyez vos intestins ?
- Oui, monsieur.
- Et qu'y voyez-vous ?
- Des taches rouges de sang et d'autres noirâtres ; puis, dans une place longue comme la main, une multitude de petits boutons rouges.
- Est-ce tout ?
- Oui, monsieur.
- Comment voyez-vous vos poumons ?
- Comme desséchés.
- Ne vous semblent-ils pas, dans leur partie supérieure, parsemés de grains blancs ?
- Je ne vois pas assez bien pour le dire. (Réponse négative, qui dénoterait une absence de suggestion-nubilité chez la somnambule).
- Et vous ne savez pas ce qu'il faudrait faire prendre pour vous guérir ?
- Non, monsieur.
- Comment irez-vous demain ?
- Un peu mieux qu'aujourd'hui. Après-demain ?
- J'aurai beaucoup de fièvre.
- Comment irez-vous le 25 de ce mois ? Très mal.
- Le premier juin ?
- Plus mal encore ; j'aurai tout le corps enflé. Et ensuite ?
- Le deux et trois !... oh ! que je serai malade ! mon Dieu ! mon Dieu !
- Et ensuite ?
- Attendez...
M11e Clary, réfléchit longtemps ; enfin elle nous dit : « Le quatre... je ne vois plus rien. »
On l'éveilla ; elle ne garda aucun souvenir de tout ce qu'elle avait dit et je recommandai expressément qu'on ne lui en parlât pas. Cependant tout se passa à peu près comme elle l'avait prédit, jusqu'au quatre juin, jour où Mlle Clary D. mourut ! » (A. Teste ouvr. cité, p. 137.)
Dans ses commentaires, M. Teste polémise avec le Dr Bertrand, et se demande : « Est-ce parce qu'elle a dit qu'au 4 juin elle cessait d'y voir, que Mlle Clary meurt justement au 4 juin ? » Il me semble que le Dr Teste n'a pas tous les torts d'en douter, si l'on considère que par la phrase « je ne vois plus rien », la somnambule se rapportait évidemment au fait des visualisations subjectives brusquement interrompues, ce qui ferait croire vraisemblablement que la somnam¬bule, avec ces mots, ne voulait pas faire allusion à sa mort, et ne pensait donc nullement devoir mourir ; en ce cas la supposition que la mort ait été causée par auto-suggestion cesserait d'exister.
Il serait plutôt permis de supposer, d'après les épisodes de cette nature, que le Moi subliminal a réellement la perception exacte des maladies rongeant le corps à lui rattaché, de façon à en déduire les phases qui devront avoir lieu jusqu'à la guérison ou à la mort, et qu'en certaines con¬ditions psychiques, soit spontanées, soit provo¬quées, il parvient à renseigner sur elles plus ou moins clairement le Moi superliminal, au moyen de visualisations hallucinatoires ou d'au¬tres formes subjectives qui s'y rapprochent. Cela correspondrait à la troisième des hypothèses proposées pour l'explication des phénomènes prémonitoires dans l'introduction du présent travail, et nous aurions là une première forme de prémonition propre et véritable.
IIIe Cas. Dans cet autre cas, la présomption en faveur de l'hypothèse prémonitoire est fondée sur des détails d'ordre symbolique et imprévi¬sibles où se dessine une prophétie de mort.
Je tire le cas des Annales des Sciences Psy¬chiques (1903, p. 321) ; relateur, le Dr Barbillon.
Mlle A. C. appartenait à ma famille par des liens assez éloignés. C'était une vieille demoiselle remar¬quablement intelligente, fine, spirituelle et douée d'une grande énergie morale. Les dernières années de sa vie furent cruellement éprouvées par la maladie. Atteinte d'un cancer du sein elle dut subir une opé¬ration chirurgicale qui la délivra de son mal pendant trois années, au bout desquelles la récidive apparut. En même temps évoluait chez elle une tuberculose pulmonaire qui devait l'emporter.
Mlle C. était douée d'une piété fervente ; elle supporta son mal avec beaucoup de courage et de résignation ; dans les premiers jours de l'année 1901, elle était arrivée à sa dernière période de sa maladie ; elle succomba le 7 janvier 1901, à l'âge de soixante-trois ans.
Quatre ou cinq jours avant sa mort, à la visite que je lui fis le matin, je la trouvai, contre son ha¬bitude, en proie à une impression profonde de tris¬tesse et de découragement. Jusque-là j'avais pu croire qu'elle se faisait quelques illusions, et qu'elle n'avait pas perdu tout espoir de guérir. La cause de ce changement brusque dans son état normal provenait d'un cauchemar dont elle avait été oppressée pen¬dant la nuit, et qu'elle voulut bien me raconter avec une émotion que le réveil n'avait pas calmée. Tous les détails de son rêve se présentaient à elle avec une précision parfaite, et elle ressentait encore, au récit qu'elle m'en fit, le vif sentiment d'épouvante qu'elle avait éprouvé pendant la nuit. Dans son rêve, elle se voyait marchant, au milieu d'une demi-obscu¬rité, dans un cimetière immense et inconnu. Elle était accompagnée de sa bonne, jeune fille qu'elle affectionnait beaucoup et qui la soigna jusqu'à la fin avec le plus grand dévouement, et seules toutes les deux, dans le silence et dans les ténèbres crois¬santes, elles allaient suivant les allées, enjambant les tombes, s'efforçant de s'enfuir de ce lieu de déso¬lation et d'en découvrir l'issue. Il lui semblait qu'il y avait des heures qu'elle marchait ainsi ; qu'elle était perdue au milieu de toutes ces tombes, de ces allées solitaires, de ces arbres sinistres. Une grande lassitude lui venait en même temps qu'une terreur affolée l'emportait dans une course de plus en plus précipitée. Jamais plus elle ne retrouverait son che¬min, jamais plus elle ne sortirait de ce lieu lugubre. Oppressée, hors d'haleine, elle se sentait mourir de fatigue et d'épouvante, quand soudain elle aperçut une fenêtré éclairée et la noire silhouette d'une maison surgir au milieu des arbres. La bonne lui dit alors : « Mademoiselle, nous sommes arrivées, voici la maison du gardien ». Alors elle se réveilla, et tout le reste de la nuit, elle ne put dormir, tant elle conser¬vait de son rêve une impression d.angoisse, et tant aussi elle redoutait de retomber dans son cauchemar si elle cédait au sommeil.
Quelques jours, après Mlle C. mourait. Si pendant les longues et mélancoliques méditations de la maladie Mlle C. songea parfois au lieu où elle reposerait après sa mort, sa pensée dut assurément se porter vers le cimetière Montparnasse, voisin de son domi¬cile, où plusieurs de ses proches parents étaient enterrés, et où l'un de ses cousins possédait une sépulture de famille. Il fut question d'ailleurs du choix de ce cimetière : mais certaines difficultés empêchèrent de donner suite à ce projet, lorsque la famille prit les dispositions nécessaires en vue des obsèques. Mlle C était sans fortune : elle fut inhumée au cimetière de Bagneux. Peu de cimetières donnent autant que celui-là l'impression de l'immensité. En arrivant à l'endroit déterminé par l'ordre administratif des concessions, je fus surpris de constater que la fosse était creusée à l'extrémité du cimetière, tout près de la porte Ouest, où s'élève la maison du gar¬dien-concierge. La tombe de Mlle C. est l'avant-dernière de la rangée : un massif peu épais borne la division et la sépare d'une large avenue où est située la maison du garde. Celle-ci n'est pas distante de plus de 25 mètres de la tombe de ma parente, et s'aperçoit très bien à travers les arbres.
Peut-être s'est-il produit dans ce rêve une sorte de prémonition qui a permis à Mlle C. d'entrevoir, quelques jours avant sa mort, le lieu exact de sa sépulture, dont rien cependant ne pouvait lui donner l'idée. »(Signé : Doct. Barbillon).
Le Dr Dariex commente :
Il y a, en effet, dans ce rêve deux détails assez précis pour ne pas faire éliminer la possibilité de prémonition par le rêve ; ce sont d'abord ces paroles entendues par la malade, lorsque dans son rêve, elle arrive près de la maison du gardien, là où elle a été enterrée : « Mademoiselle, nous sommes arrivées, voici la maison du gardien. » C'est aussi l'immensité du cimetière qui, bien qu'à un moindre degré, con¬tribue à préciser l'endroit vu en rêve...
IVe Cas. Je le prends dans la Revue d'Etudes Psychiques (1900, p. 73) ; il se rapporte à la mort du grand peintre Giovanni Segantini.
Le Directeur de la Revue, M. C. De Vesme, fait précéder le récit des éclaircissements qui suivent :
Beaucoup parmi nos lecteurs se rappelleront comment s'est produite la mort soudaine de Giovanni Segantini. Le « solitaire du Maloja » travaillait à son tryptique de la Nature, destiné à l'Exposition de Paris. Les deux premiers tableaux du tryptique, sur lesquels nous n'avons pas de raison de nous arrêter, avaient pour titre : La Nature et La Vie ; ils repré¬sentaient des scènes lumineuses de la haute mon¬tagne, traitées comme aucun artiste n'était jamais parvenu à le faire. Le troisième tableau était celui de la Mort. Il se trouve, avec ses deux compagnons, ici à l'Exposition de Paris, quoiqu'inachevé ; j'ai, donc tout loisir de l'examiner en ces jours-ci. Lui aussi représente une scène de la haute montagne d'Engadine, et précisément du Schalberg. Au fond, la chaîne des monts couverts de neige. Tout auprès, un plateau également blanc de neige, où se tient, immobile, un cheval attelé à un traîneau ; à droite, un châlet alpestre, d'où quelques personnes ont tiré un cercueil. La mort, mystérieuse, solennelle, dans la silencieuse solitude de ce dernier faîte de la terre ; telle est la scène qui avait inspiré le peintre. On sait comment il travaillait.
Tous les jours, écrit M. De la Sizeranne dans la Revue des Deux-Mondes, il sortait et allait travailler, tantôt à une toile, tantôt à une autre, ayant toujours cinq ou six toiles commencées et répandues par la montagne à la distance de kilomètres l'une de l'autre. Pour reproduire les effets du soleil sur les glaciers, durant les terribles hivers de ces pays, on l'a vu rester debout, immobile, sur la neige, enseveli sous les fourrures, le corps recouvert de plaques de métal garnies de charbon, travaillant avec une espèce de transport sauvage.
C'est ainsi qu'il travaillait au tryptique, sur le Schalberg, lorsqu'un mal soudain le saisit ; transporté dans ce même châlet qui est représenté dans le tableau de la Mort, il expira quelques jours après. Il ne revint donc à sa chère Maloja que dans son cercueil ; c'est là qu'il a été enterré. Depuis quelques semaines déjà, j'avais reçu d'un des fils de Segantini le récit d'une vision, ou d'un rêve, que son père avait eu peu de jours avant de mourir, et qui est signée aussi par d'au¬tres membres de la famille. Peu de temps après la veuve du grand artiste me fit parvenir la lettre suivante :
Maloja, 7 mar. 1900
Cher Monsieur De Vesme,
A présent que tout est tranquille et que je me sens un peu plus calme, je vous raconte un fait survenu à mon mari peu de jours avant sa mort.
Segantini était un grand enthousiaste de vos doc¬trines et un fervent défenseur de vos idées. Il croyait, en somme, que les doctrines spirites devaient être la vérité de l'avenir. Oh ! si vous l'aviez entendu parler du spiritisme ! Pour moi, hélas, je combattais ses croyances ; il m'est douloureux à présent de ne pas l'avoir écouté, et de n'avoir point partagé ses idées ; mais que voulez-vous ? Je ne croyais pas devoir vivre si peu avec cet homme sublime, qui s'intéres¬sait à tout.
Le dernier dimanche qu'il passa à Maloja, il s'étendit dans son atelier sur plusieurs sièges pour se reposer. J'étais dehors, jouant avec nos enfants. En entrant, je crus qu'il dormait, et je dis : « Oh ! je regrette de t'avoir éveillé ; tu avais tant besoin de sommeil ! » Et lui aussitôt : « Non, chère, tu as très bien fait d'entrer ; figure-toi que je rêvais (et crois-moi, je rêvais les yeux ouverts, j'en suis sûr) que j'étais dans le cercueil qu'on transporte hors de ce châlet (et il montrait du doigt le tableau de la Mort) ; l'une d'entre les femmes qui l'entourent, c'était toi, et je te voyais pleurer ».
Je lui dis naturellement, qu'il dormait, et qu'il avait rêvé. Mais il insistait, persuadé qu'il avait été éveillé, et avait tout vu les yeux ouverts. Il répéta ensuite à notre « Baba » les mêmes choses exactement qu'il m'avait dites d'abord.
Or, ce qu'il avait vu se vérifiait treize jours plus tard. Son tableau de la Mort représente réellement sa fin ; son cercueil fut sorti de ce châlet ; le paysage était tel qu'il l'avait dépeint dans son tableau ; la femme qui, dans la peinture, pleure auprès de la bière, c'était moi.
Remarquez qu'à l'heure où il eut sa vision sa santé était excellente ; ainsi, ce jour-là, il continua d'écrire ; le lendemain, il travailla de 4 heures du matin à 9 heures, transportant ensuite le tableau, renfermé dans une caisse, du lieu où il peignait jusqu'à la maison ; le soir même, il put faire encore trois heures de route fatigante, de Pontresina au sommet du Schalberg. Il était si croyant au spiritisme qu'après sa vision, il n'aurait certainement pas quitté le Maloja, s'il ne s'était senti en parfaite santé... »
Signé : Bile, veuve Segantini
Ce récit suggère quelques remarques. On apprend par la lettre de la veuve que treize jours se passèrent du jour de la vision .à celui de la mort. Celle-ci survint à la suite d'une péritonite surai¬guë. Or, les manifestations de la péritonite très aiguë, en supposant qu'elle soit primitive, c'est-à-dire redevable à des germes pathogènes qui demeurent latents, et par conséquent inaperçus dans l'organisme jusqu'à ce qu'une cause occasionnelle ne vienne en exalter la virulence, n'existaient certainement pas treize jours aupa¬ravant. Dans l'hypothèse qu'elle serait due à une infection du sang, ou à une appendicite à action lente, ou à une inflammation, ou à une perforation d'organes abdominaux, ou à une grave plaie à l'abdomen même, certainement des phénomènes symptômatiques de la forme déterminante l'auraient précédé, symptômes ressentis et dénoncés par Segantini ; celui-ci se trouvait au contraire en des conditions de ré¬sistance physique telles à lui permettre d'affron¬ter les fatigues qu'il ne s'épargnait jamais dans l'accomplissement de son oeuvre. Il découle de tout cela qu'on pourrait bien difficilement soutenir l'hypothèse de l'existence latente du mal au moment de la vision de Segantini ; mais, quand même l'on voudrait admettre cette possibilité, cette circonstance ôterait bien peu d'importance au récit, car celle-ci consiste, d'une part, dans le fait que Segantini a peint dans un tableau qu'il désigna par ce titre : la Mort, les circonstances de ses propres funérailles : et de l'autre, en ce qu'il en a eu la visualisation tout aussi précise treize jours auparavant. Ceci une fois établi, la supposition que le Moi subliminal de Segantini fût à connaissance de la maladie latente lorsque se produisit la vision, ne suffit pas à réduire le cas à un phénomène d'inférence subconsciente, car on n'expliquerait ainsi que le pressentiment de mort, mais non point la pré-cognition des circonstances dans lesquelles de¬vaient se réaliser la mort et l'enterrement, cir¬constances qui, de plus, avaient déjà été fixées par Segantini lui-même dans une peinture. Le phénomène prémonitoire, donc, ne paraît pas douteux.
Ve Cas. Dans cet autre cas, l'auto-prémo¬nition de mort a lieu quinze jours auparavant, et la mort est due à une attaque apoplectique ; on pourra donc tout aussi difficilement appliquer à cet épisode la thèse d'une inférence subcons¬ciente provoquant la préannonce symbolique.
Dans la Vie de la Comtesse de Huntington, fondatrice de la « Lady Huntington Society », écrite par le Rév. Alfred New, on lit ce qui suit :
Son mari, le comte de Huntington, doué du fait caractéristique de n'avoir presque jamais conscience de rêver, rêva une nuit que la Mort, sous les appa¬rences d'un squelette, apparut aux pieds de son lit où elle se mit à le regarder quelque temps, puis souleva les couvertures, se glissa au-dessous, et se coucha entre lui et sa femme. Le matin venu, le comte raconta le rêve à sa femme, qui parut l'ac¬cueillir en plaisantant. Quinze jours après, le comte mourut subitement d'une attaque apoplectique, dans sa cinquantième année ». (Ouvr. cité, vol II, p. 74).
VIe Cas. Je l'extrais des Proceedings of the S. P. R., Vol. XIV, p. 259 ; il a été étudié par le Dr Hodgson, et est amplement documenté. Le récit a été signé par cinq membres de la famille de la percipiente.
Chicago, 18 septembre 1896. Au mois de mars de cette année, ma soeur, Mrs X., attendait un accou¬chement, et était inquiète sur ses conséquences, à tel point qu'elle se disait convaincue de devoir en mourir. Dans la nuit du 5 mars, elle rêva qu'elle se trouvait à la cuisine, et en même temps elle aperce¬vait dans la chambre au-dessus son père (mort depuis onze ans) qui conversait avec sa mère. Elle n'enten¬dait pas la conversation, mais elle vit son père prendre un grand calendrier et poser le doigt sur la date du 22 mars. Le matin suivant, elle raconta le songe à ses parents, ajoutant qu'elle était convaincue d'avoir su ainsi la date où elle serait devenue mère. Cependant, l'événement tant attendu eut lieu au contraire le 12 mars ; ce qui provoqua des plaisan¬teries et des mots à l'adresse de la jeune femme, assez ingénue, disait-on, pour croire à un rêve. Nous igno¬rons si, après l'accouchement, elle a pensé à d'autres interprétations du rêve ; en ce dernier cas, cependant, elle n'y fit aucune allusion. Le médecin qui s'occu¬pait d'elle continua journellement à la visiter, trou¬vant toujours ses conditions normales, jusqu'au jour du 21 mars, où elle perdit subitement connais¬sance, et ne la recouvra plus jusqu'à sa mort qui eut lieu le 22, des suites d'une maladie soudaine de la gorge, indépendante de son état.
Mon mari, mes soeurs et ma mère ont appris le rêve et toutes les circonstances qui l'accompagnent, avant sa mort ; tous signent donc avec moi la rela¬tion présente, en confirmation du contenu. En cas de publication, nous désirons que les noms soient supprimés.
(La relation est accompagnée du certificat de mort, ainsi que du témoignage d'un ami et du mé¬decin ; ce dernier affirme avoir appris également le rêve avant la mort de Mrs. S., qui, jusqu'au 21 mars, s'était maintenue dans des conditions absolument normales. La cause de la mort fut un foyer tuberculeux aux amygdales, avec propagation purulente aux méninges).
L'épisode cité semble devoir exclure l'inter¬prétation auto-suggestive ; en premier lieu, parce que les effets létifères de celles-ci auraient dû se produire dans la crise de l'accouchement, mo¬ment que la percipiente craignait beaucoup, et non dix jours après des couches régulières ; en second lieu, parce que la percipiente n'est pas morte de ses couches, mais bien d'une méningite purulente.
Quant à l'hypothèse d'une « coïncidence for¬tuite » hypothèse vers laquelle penche plutôt la commentatrice du cas, Miss Alice Johnson, on pourrait légitimement l'accueillir s'il y avait eu un pressentiment générique de mort, et rien de plus ; mais il y eut au contraire dans le cas qui nous occupe, la désignation prééise de la date de la mort ; ce qui ne pourrait être attribué raisonnablement à une coïncidence fortuite.
On arriverait ici à l'hypothèse d'une inférence supernormale subconsciente extrinséquée sous forme symbolique, hypothèse licite en ce cas, si l'on tient compte de l'existence d'un foyer tuberculeux latent, et de l'absence de particu¬larités auxiliaires imprévisibles dans le rêve.
VIIe Cas. Il a été communiqué par Mr B. Kingsburg au Religio Philosophical Journal, et ensuite étudié par le Dr Hodgson. Je l’extrais des Proceedings of the S. P. R. (vol.XI, p. 428) ; il se rapporte à une auto-prémonition de mort en personne d'un enfant de deux ans et sept mois, dont la mère rend compte en ces termes :
Existe-t-il une vie d'outre-tombe ? Si j'en avais douté (ce qui ne fut jamais), mes doutes se seraient dissipés devant les « visions » dont je fus témoin.
En 1883, j'étais la mère heureuse de deux enfants beaux et vigoureux. L'aîné avait deux ans et sept mois ; l'autre était un petit ange de huit mois. Le 6 août 1883, je perdis mon dernier-né. Je restai avec le petit Ray, qui jouissait alors d'une parfaite santé néanmoins, du jour où s'éteignit son petit frère, il avait pris l'habitude de me dire plusieurs fois par jour : « Maman, le petit frère appelle Ray ». Souvent, il interrompait ses jeux pour courir à ma rencontre, en criant sa phrase habituelle : « Maman, le petit frère appelle toujours Ray ». Et dans la nuit, il m'éveillait pour répéter encore la même phrase : « Maman, le petit frère appelle vraiment Ray ; il veut l'avoir avec lui ; tu ne dois pas pleurer quand Ray s'en ira avec le petit frère ; tu ne dois pas pleurer, parce que le petit frère le désire »
Un jour que je veillais au nettoyage du salon, il vint à moi en courant de la salle à manger, où se trouvait la petite chaise ayant appartenu au petit frère mort, et je ne l'avais jamais vu aussi excité ; il saisit un pan de mon tablier, et me tira vers la salle en criant : « Maman, maman, viens vite voir le petit frère assis sur sa chaise » Au moment où il ouvrait la porte pour me le montrer, il s'écria : « Oh ! maman, il fallait venir plus vite... Il n'y est plus ! Si tu avais vu comme il a souri à Ray, quand Ray est passé près de lui ! Ray va s'en aller avec lui ; mais tu ne dois pas pleurer, maman ».
Peu de temps après notre petit enfant tomba gravement malade ; nos soins et nos larmes n’eurent aucun effet : le 13 octobre 1883, deux mois et sept jours après la mort de son frère, lui aussi mourrait. Il avait une intelligence de beaucoup supérieure à son âge…
Le Dr Hodgson écrivit à la relatrice, obtenant ainsi la confirmation suivante :
En réponse à votre lettre du 27 novembre (1894), je n'ai qu'à confirmer dans tous les détails ce qu'a publié M. Kingsbury dans le Religio-Philosophical Journal. Lorsque l'enfant arriva en courant pour m'annoncer que son petit frère était assis sur la chaise qui avait été sienne, il n'y avait à la maison que la domestique, à laquelle je ne dis rien, mais lorsque mon mari rentra pour le déjeuner, je le mis au cou¬rant ; ce même jour, je racontai l'épisode à des personnes amies. Le petit Ray ne pouvait pas savoir ce qu'était la mort, et personne ne le lui avait ex¬pliqué ! La dernière fois que je fus visiter en sa com¬pagnie la tombe de mon petit enfant, c'est-à-dire peu de temps avant qu'il tombât malade, nous nous assîmes tous deux à côté d'elle, et je pensais : « Oh ! si je pouvais prendre mon bébé dans mes bras et le voir une seule minute ! Que je serais heureuse ! » Simultanément, Ray s'écria : « Oh ! maman, prenons le petit frère dans les bras pour une seule minute ; alors, nous serons contents ». Comme nous-nous apprêtions à partir, il arrangea de sa petite main plusieurs mottes de terre sur la tombe, obser¬vant : «Bientôt Ray dormira ici près de son petit frère ; mais tu ne dois pas pleurer, maman ». Et il dort à présent au point qu'il avait désigné
Signé F. H
Je tire ce passage d'une lettre écrite au Dr Hodgson par le père de l'enfant :
Je confirme que ma femme me raconta l'épisode de la vision sur la chaise le jour même où il se pro¬duisit, lorsque je rentrai pour le déjeuner. J'ai été moi-même présent bien des fois lorsque l'enfant an¬nonçait à sa maman que le « petit frère l'appelait à lui avec insistance ». Signé : W. H. H.
Mrs. J. H. Shulsters, amie des époux W. H., reconfirme ce qui a été exposé.
Cet épisode se revêt d'un intérêt particulier, comme toutes manifestations supernormales ayant des enfants pour percipients, car la menta¬lité vierge de ces derniers peut être considérée comme exempte de toute influence d'ambiance capable de prédisposer leurs esprits aux formes variées d'hallucinations sensorielles. Et chaque fois qu'à la visualisation d'un défunt de la part d'un enfant, se rattache une prémonition de mort réalisée, cette dernière circonstance peut servir d'induction légitime en faveur de la véri¬dicité de la vision. Je n'insiste cependant pas sur cela, sachant bien que pour conférer la solidité nécessaire à des inductions de telle sorte, il faudrait établir des rapprochements avec un grand nombre d'épisodes analogues, qui pour le moment nous font défaut. J'aurai l'occasion d'en citer plusieurs autres, dans la présente classification, que pour commodité de recherche j'insérerai en dernier dans chacun des sous-groupes.
Au sujet de la valeur intrinsèque de la prémo¬nition dans le cas étudié, je fais remarquer qu'il faut exclure avant tout l'auto-suggestion du nombre des causes qui en provoquèrent la réa¬lisation, à cause de l'âge extrêmement tendre du percipient. On pourrait jeter sur le chantier l'hypothèse d'une inférence subconsciente pro¬vocatrice du phénomène prémonitoire, inférence due à l'existence latente de la maladie dont mourut l'enfant ; je ne peux m'empêcher pourtant d'observer combien il semble invraisemblable que la subconscience d'un bambin de deux ans et sept mois puisse démontrer une maturité de jugement telle, à donner naissance à une forme. aussi complexe de symbolisme prémonitoire. En tenant compte de cela, et si l'on voulait exclure l'hypothèse en question, il ne resterait qu'à chercher l'agent transmetteur de la prémonition dans une entité extrinsèque au petit per¬cipient.
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Sous-groupe C
Auto-prémonitions de mort à longue échéance et où la mort est due à des causes naturelles
Au point de vue théorique, la définition de quelle doit être la limite de temps nécessaire à ce qu'un épisode prémonitoire puisse être considéré à « brève » ou à « longue échéance », ne peut être que facultative. Je préviens donc que le terme de six mois, marqué ici comme un minimum de temps pour les épisodes à longue échéance, ne représente rien de concret, mais n'est qu'un terme relatif adopté parce qu'il répond mieux à des critères personnels de classi¬fications. Il est évident néanmoins qu'une dis¬tinction de cette nature était à conseiller, étant donné qu'en règle générale le temps est un fac¬teur important dans les phénomènes étudiés.
Malgré cela, ce n'est pas précisément dans ce sous-groupe des auto-prémonitions qu'apparaît l'importance du facteur en question. Dans celui-ci comme dans le précédent, rares sont les cas auxquels on ne puisse appliquer l'objection auto-suggestive. En effet, sauf circonstances auxiliaires, le fait en lui-même de l'échéance plus ou moins lointaine d'une auto-prémonition de mort, n'est pas une garantie suffisante pour supposer que la personne intéressée, et d'autant moins la sub conscience de cette dernière, aient pu l'oublier ; c'est bien souvent le contraire qui se produit, comme dans l'exemple qui suit.
VIIe Cas. Je le prends dans l'ouvrage : A memoir of Mario, de MM. Godfrey Pearse et Frank Hird ; il regarde la mort de la célèbre cantatrice Giulia Grisi.
Au printemps de l'année 1869, Giulia Grisi eut une étrange vision : elle vit apparaître à son chevet le fantôme de sa fillette Bella, morte à Brighton en 1861, qui annonça qu'elles seraient bientôt réunies pour toujours. Le ténor Mario ne négligea rien pour dégager l'esprit de la Grisi de l'état d'abattement où elle était tombée, mais toute tentative fut inu¬tile ; elle se montrait convaincue de la réalité de sa vision, et par conséquent sûre de sa fin imminente...
La grande cantatrice Giulia Grisi mourait, le 5 novembre 1869. Son dernier mot prononcé fut le nom de son enfant défunte... Elle s'était subitement soulevée et assise sur son lit, avait ouvert les bras comme pour y recevoir une personne invisible, avait murmuré : « Bella ! » et était retombée sur ses oreillers en exhalant le dernier soupir. (Ouvr. cité, p. 270-274).
La narration qu'on a pu lire n'indique pas s'il s'agissait d'une vision en rêve, ou d'une halluci¬nation à l'état de veille, de même qu'on ne spé¬cifie pas la nature de la maladie qui causa la mort de la Grisi ; il est donc impossible de s'aventurer dans des considérations sur les hypothèses éven¬tuelles pouvant correspondre à ce cas.
En ligne générale, je ferai seulement remarquer que si, comme je l'ai dit plus haut, les cas de prémonitions avec visualisation de défunts, sont rares chez les enfants, ces formes sont au contraire très fréquentes chez les percipients adultes ; bien que dans ces derniers, ce caractère ne présente pas en soi une valeur appréciable, il ne manque cependant pas de revêtir collectivement un intérêt suggestif auquel on peut diffi¬cilement se soustraire, considérant surtout qu'en grand nombre de cas, la spontanéité de l'appa¬rition se montre telle à ne pouvoir être attribuée à des dispositions d'esprit particulières du per¬cipient.
Les cas analogues au précédent où le fantôme apparu au moment de la prémonition se représente au moment de la mort, sont en outre assez fréquents. Voici un second exemple du genre :
VIIIe Cas. M. Thomas James Norris écrit à la Society f. P. R. :
II y a soixante ans, Mme Carleton mourait dans le comté de Leitrim. Ma mère et elle étaient amies intimes. Quelques jours après sa mort, elle apparut en rêve à ma mère, et lui dit : « Tu ne me reverras plus, pas même en rêve, sauf une seule fois, c'est-à-dire vingt-quatre heures avant ta mort ». En mars 1864, ma mère vivait à Dalkey avec ma fille et son gendre, le Dr Lyon. Le soir du 2 mars, au moment de se retirer dans sa chambre, elle se montrait d'excellente humeur, riant et plaisantant avec Mrs Lyon. La nuit même, ou plutôt vers le matin, le Dr Lyon entendit du bruit dans sa chambre ; il réveilla aussitôt sa femme et l'envoya voir ce qui se passait. Celle-ci trouva ma mère à demi hors du lit, le visage figé dans une expression de grande terreur. Elle la remit au lit en la rassurant. Le matin venu, ma mère paraissait entièrement remise : elle prit son déjeuner au lit comme d'habitude et mangea de bon appétit. Comme ma femme s'apprêtait à la quitter, elle demanda qu'on lui préparât un bain ; dès qu'elle l'eut pris, elle fit rappeler sa fille, et lui dit : « Mon amie, Mme Carleton, est enfin venue après 56 ans. Elle m'a dit que ma fin est imminente, et que je mourrai demain matin à l'heure où tu m'as trouvée à demi hors du lit. J'ai pris le bain pour que vous n'ayez pas à ablutionner mon corps ». A partir de ce moment, elle commença à décliner rapidement, et s'éteignit le 4 mars, à l'heure pré-annoncée.
Le Dr Richard St. John Lyon, confirme le récit ci-dessus. Proceedings of the S.P. R., vol. VIII, p. 376.
Myers, qui rapporte le cas, le commente ainsi : « L'épisode exposé semble accessible à trois diffé¬rentes explications. En commençant par celle qui m'est personnelle, et que les lecteurs de ces Proceedings connaissent, je dirai que je suis par¬faitement disposé à admettre dans le cas étudié, que la défunte Mme Carleton fût réellement à connaissance de la mort imminente de son amie, et que par conséquent le premier comme le deuxième songe aient été transmis télépathiquement par un esprit désincarné, à un autre incarné.
Cependant, nous pouvons aussi supposer que le premier rêve, bien que casuel, ait produit une telle impression dans la percipiente, que lorsqu'il vint par hasard à se répéter, il donna lieu à une auto-suggestion de mort qui se réalisa. Ou bien, nous pouvons encore présumer que le premier songe aurait été casuel et le second symbolique, c'est-à-dire, causé par des sensations organiques subconscientes qui préludaient à l'approche de la mort, sensations perçues dans le sommeil avant de l'être dans la veille ». (Ivi, p. 377).
IXe Cas. Il regarde le célèbre poète anglais Browning, et se lit dans le volume : Life and letters of Robert Browning, par Mrs. Sutherland (p. 277). En lui, comme dans les précédents, la prémonition se manifeste sous forme d'une appa¬rition de défunt.
En juin 1863, Miss Arabel Barrett (soeur de Mrs Barrett Browning) mourait d'un mal cardiaque, et s'éteignait dans les bras de Browning, comme il était arrivé sept ans auparavant pour la femme de ce dernier. Le jour même, Browning communiquait la triste nouvelle à Miss Blodgen, touchant en ces termes à une étrange circonstance se rattachant à cette mort :
« 19 juin 1868. Vous savez que je ne suis pas superstitieux : pourtant, voici une note inscrite par moi sur mon carnet à la date du « 21 juillet 1863 » Hier, Arabel m'a dit avoir l'esprit fortement agité par l'effet d'un rêve qu'elle a eu la nuit précédente (Dimanche 19 juillet). Sa soeur lui était apparue (la femme décédée de Browning), à laquelle elle avait demandé : « Quand viendra le jour où nous nous réunirons ? » Et la défunte : « Ma chérie, dans cinq ans ) ; après quoi, Arabel s'était réveillée. Dans son rêve, elle avait pleine conscience de parler à une personne défunte ».
Au bout de cinq ans moins un mois, l'événement s'accomplissait, et Browning écrivit : « J'avais oublié la date du rêve ; je supposais que plus de trois ne s'étaient pas passés, et que deux ans manquaient encore par conséquent à l'accomplissement de la prophétie. »
Si l'on veut se maintenir dans l'enceinte de la « moins large hypothèse » chaque fois que le conseillent les circonstances, on devra admettre que dans ce cas, l'auto-suggestion créée par le songe fatidique, majorée par la connaissance éventuelle de la maladie qui rongeait l'existence de la percipiente, ont pu de quelque manière déterminer la mort.
Xe Cas. Le relateur en est le Rév. E. D. Banister, de Whitechapel Vicarage, Preston (Lancashire).
12 novembre 1885. Mon père, lorsqu'il était écolier (probablement entre 1808 et 1815) eut un rêve en connexion avec son propre avenir, que bien souvent, ma soeur et moi, nous lui avons entendu raconter. Dans le rêve, il vit une pierre funéraire murée dans l'église de son pays natal, sur laquelle était gravé son nom en entier, la date de sa naissance, et le jour et le mois de sa mort : mais non l'année.
Il lui semblait qu'il y eût, au sujet du mois marqué comme celui de sa mort, quelque chose d'imprécis, bien qu'il eût dans la tête que la date inscrite sur la pierre était « Jun.9 » ; mais comme le mot « June » n'eut jamais abrégé par « Jun. » (Juin), il se deman¬dait si la date réelle n'était pas « Jan. 9» (January-Janvier).
De nombreuses années se passèrent sans que rien ne vînt se rapporter aux circonstances du rêve, jusqu'au 9 juin 1835, date à laquelle mourut son fils aîné, ce qui causa l'immense douleur de mon père. Cette coïncidence dans les dates rappela à l'esprit de mon père, l'inscription du rêve, et, bien qu'il eût lu clairement sur elle son propre nom, il se persuada dès ce moment que la date gravée devait être «Jun. 9 » (9 juin). Or, mon père est mort en 1883, à la date du « Jan. 9 » (.9 janvier).
La soeur du Rév. Banister écrit : « J'ai lu la lettre de mon frère se rapportant au rêve tant de fois raconté par mon père, et ne puis que confirmer dans tous ses détails ce qu'en a écrit mon frère ».
Signé : Agnès Banister
Phantasm of the Living, cas 79
Dans le cas, l'hypothèse auto-suggestive est éliminée par le fait que le percipient s'était der¬nièrement convaincu que la date visualisée en rêve ne se rapportait pas à lui, mais à la mort de son fils aîné.
Le fait que dans la visualisation l'année de la mort avait été supprimée, dénoterait une. inten¬tionnalité dans l'agent transmetteur de la prémonition. Cette intentionnalité pourrait se retrouver aussi dans l'état d'incertitude où le percipient demeura sur le mois précis devant être celui de sa propre mort : de sorte qu'avec un « u » ce mois devait marquer la date de la mort de son fils aîné, et avec un « a», la date de sa propre mort.
Il est bien difficile de se prononcer sur l'hypo¬thèse la plus idoine à expliquer comment le per¬cipient ait pu avoir la révélation de la date de sa propre mort soixante-dix ans auparavant ; l'hy¬pothèse « fataliste », celle « réincarnationniste », et celle « spiritualiste », parviendraient plus ou moins parfaitement à s'adapter au cas en ques¬tion ; aux lecteurs de se prononcer, selon leurs tendances et convictions personnelles.
XIe Cas. Dans le cas suivant, recueilli par le Dr Hodgson et cité par Myers dans sa monographie The Subliminal Self (Proceedings of the S. P. R., Vol. XI, p. 437) la prémonition de mort n'est qu'un pressentiment, mais cet épisode doit son importance au fait que la percipiente en laissait un souvenir écrit dans une enveloppe cachetée.
1er septembre, 1893. Au Dr Richard Hodgson. J'accomplis le douloureux devoir de vous annoncer la mort de ma mère, Mrs Enoch Chase. Le 28 juillet, elle tomba malade d'une fièvre biliaire, qui lui dura dix jours ; après quoi elle se remit assez rapidement, et les 16 et 17 du mois courant elle fut à même de se tenir assise dans son lit. Cependant le lendemain, vendredi, nous remarquâmes que sa faiblesse avait repris ; le jour même elle eût du délire, et elle perdit graduellement connaissance. Nous parvînmes après de grands efforts à la faire revenir à elle, mais à partir de ce moment elle commença à décliner rapidement, et elle s'éteignit le soir du dimanche. J'at¬tire votre attention sur les jours de vendredi, samedi, dimanche, signalés dans la prémonition écrite, qui correspondent aux trois derniers jours de maladie, commencée justement par la rechute de vendredi.
Après sa mort, nous retrouvâmes l'enveloppe cachetée dans un secrétaire réservé à ses papiers per¬sonnels. Du jour de la mort de notre père, le 24 avril 1888, elle n'avait jamais cessé de nous rap¬peler qu'elle aurait survécu cinq ans à son mari ; et nous déplorons maintenant de n'avoir pas attribué à ses paroles l'importance qu'elles méritaient ».
Signé : Mrs. S. J. Crawford
L'enveloppe cachetée dont il s'agit, portait à l'extérieur cette légende : « A ouvrir après ma mort, si je meurs cinq ans environ après la mort de mon mari, survenue en avril 1888. Votre mère ».
Contenu de l'enveloppe cachetée. « Topeka, 28 décembre 1891. J'ai pensé ce matin que je ferais bien de laisser un souvenir écrit de ma prémo¬nition.
« A partir du jour où mourut mon mari, le 24 avril 1888, j'ai eu le sentiment que cinq ans marqueraient les limites de ma vie. Il n'y a pas eu de com¬munications explicites en ce sens, mais la conviction de ce fait parut égaler en moi la connaissance d'un autre fait quelconque ; par exemple, si aujourd'hui un vendredi, je pense que je devrai faire telle chose dans deux jours, je serai amenée à penser que c'est demain samedi, après-demain dimanche, et qu'il ne me sera par conséquent pas possible de l'exécuter. En somme, j'ai toujours à l'esprit cette pensée simple et naturelle : Cinq ans. Donc, si je devais vivre six ans, je détruirai cet écrit : mais si ma prémoni¬tion se réalise, je désire que cet écrit soit envoyé au Dr Richard Hodgson, 5, Boilston Place, Boston. Mass, avec les explications relatives.
Signé : Mrs. E. Chase
Mrs. Chase mourait à la date du 20 août 1893 ; c'est-à-dire cinq ans et quatre mois après la mort de son mari. Elle avait soixante-neuf ans, et eut la prémonition le jour même de la mort de ce dernier.
Il n'est pas possible pour ce cas non plus d'exclure l'explication auto-suggestive, bien que personnellement je ne la crois pas fondée ; d'autant plus que ce cas, outre la prémonition de mort, comporte la désignation précise des trois derniers jours de vie ; on remarquera qu'il s'agit là d'une désignation inconsciente, car la percipiente cite les jours de vendredi, samedi, dimanche, non dans le sens qu'ils doivent être les derniers de sa vie, mais bien comme termes d'une comparaison du reste assez ingénue et boiteuse, ce qui pourtant ajouterait presque un intérêt à l'incident : on dirait, enfin, que seul l'agent subconscient ou extrinsèque transmet¬teur de la prémonition, connaissait la significa¬tion réelle du symbole-comparaison télépathisé.
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Sous-Groupe D
Auto-prémonitions de mort où est la mort est due à des causes naturelles
Avec ce sous-groupe, nous entrons dans une première catégorie de faits excluant complètement, ou presque, les hypothèses de l'« auto-suggestion » et des « inférences subconscientes ». Le nombre des hypothèses qui restent à la disposition du chercheur se restreint donc dans un cercle où domine avec une évidence plus grande le supernormal.
XIIIe Cas. Le Dr Macnish, dans son ouvrage à juste titre célèbre : Philosophy of Sleep, raconte l'épisode suivant :
Certains prétendent que quelques personnes ont eu en rêve l'indication précise du jour de leur mort ; et, pour appuyer cette croyance, on m'a plusieurs fois rappelé le cas curieux de M. M., né à D, mainte¬nant décédé. Il s'agit d'un cas digne d'être rappelé, non pas qu'il assume des caractères supernormaux, mais simplement pour l'extraordinaire coïncidence entre le rêve et l'événement.
M. D. rêva une nuit qu'il se trouvait à cheval dans la campagne, et qu'il descendait pour se ra¬fraîchir dans une auberge placée sur son che¬min ; là, il trouva réunies diverses personnes de sa connaissance, mais toutes décédées. Elles l'accueil¬lirent très joyeusement, l'invitèrent à s'asseoir et à boire en leur compagnie, ce à quoi il consentit de bon coeur. Lorsqu'il voulut quitter cette étrange réunion, les amis exigèrent de lui la promesse qu'il reviendrait les voir le jour même où il était venu, six semaines précises plus tard ; il promit d'exécuter fidèlement ce projet, monta à cheval et rentra chez lui. Telle est la substance du rêve, qu'il raconta en plaisantant à ses amis, sans méditer sur lui un seul instant, étant un homme supérieur à toute forme de superstition.
Cependant la suite des événements devait se trouver assez curieuse, et surtout douloureuse ; car, six semaines précises s'étant écoulées depuis le songe, et le jour où tombait l'engagement pris de rendre visite aux amis défunts dans l'auberge en voulant faire sauter à son cheval une barrière interposée entre lui et son chemin, il tomba et se tua ».
Le Dr Macnish considère l'épisode comme « une extraordinaire coïncidence », et rien de plus. Accordons-le donc ; mais tous les lecteurs ne partageront pas son opinion, qui pourrait être légitimement accueillie dans le cas où il n'y aurait eu que coïncidence de mort pure et simple, c'est-à-dire si la mort pour cause accidentelle s'était produite un jour qui n'était pas le jour désigné d'avance ; mais la mort s'étant vérifiée dans le fatidique quarante-troisième jour, ce qui porte les calculs des probabilités contraires à l'hypo¬thèse des « coïncidences fortuites » à des chiffres absolument exorbitants, cette hypothèse devient théoriquement insoutenable. Mais enfin, seulement par excès de rigorisme dans l'application des méthodes scientifiques, on peut tout de même aller jusqu'à l'accueillir ; on observera pourtant que si l'hypothèse en question peut sembler légitime devant un cas dont la réalisa¬tion se repose sur un seul facteur, elle devra être considérée comme inadmissible dans les épisodes dont la réalisation implique une convergence inextricable de circonstances imprévisibles et accidentelles, comme on le verra à mesure que je citerai de nouveaux faits.
XIVe Cas. Louis Blanc, dans son Histoire des dix ans (vol. II, p. 222), à propos de la tra¬gique mort en duel de son ami le journaliste Armand Carrel, raconte ce qui suit :
Un matin, Armand Carrel raconta à ses amis qu'il avait fait un rêve dont le souvenir le troublait ; et il s'exprima en ces termes : « J'ai vu en rêve ma mère, qui venait vers moi vêtue de deuil, les yeux gonflés de larmes. Je lui demandai avec la plus grande inquiétude : « Pour qui donc pleures-tu ? Peut-être pour mon père ? » — « Non ». — « Peut-être pour mon frère ? » — « Non ». « Et alors pour qui pleures-tu ? » « Pour toi, mon enfant ! »
Le jour qui suivit le rêve prophétique, Armand Carrel écrivit dans le National l'article provocateur de la réponse de M. de Girardin, source du duel qui causa sa mort.
En voulant conserver la plus sévère rigueur dans l'application des méthodes scientifiques, j'observerai qu'ici bien qu'il s'agisse d'une mort pour cause accidentelle, l'hypothèse d'une inférence subconsciente combinée à une « coïncidence fortuite » est digne de considération. On peut bien supposer en effet qu'Armand Carrel, dès la veille, avait dans la tête la subs¬tance de l'article qu'il entendait publier dans le National ; de sorte que pressentant les haines de partis qu'il aurait déchaînées,et ne pouvant qu'en être préoccupé, il aurait déterminé le rêve en question, où les préoccupations auxquelles il était en proie auraient pris une forme sym¬bolico-prémonitoire.
XVe Cas. Le Dr Carl Du Prel, à l'occasion de la mort tragique du Roi Louis de Bavière et du Dr von Gudden au fond de l'étang du parc, raconte dans le Monistischen Seelenlehre ces dé¬tails :
Quelques jours avant le départ du Dr von Gudden pour Hochenschwangau, auprès du roi Louis II dont le déplacement pour le château de Berg n'était pas encore décidé, le Dr von Gudden vint déjeuner de mauvaise humeur et raconta à sa femme que toute la nuit il avait été persécuté par le rêve qu'il avait fait, où il se battait avec un homme dans l'eau. La veuve du Dr von Gudden a raconté plus tard ce rêve à la députation de la Société anthropologique de Munich à l'occasion des compliments de condoléances qu'elle recevait des membres de la Société. Le pro¬fesseur W., qui était membre de la députation, en fit part à la Société et, comme je tiens le récit d'un des témoins, on peut y croire en toute confiance. »
Voici les observations du Dr Du Prel, à ce sujet :
Il est assez clair que le Dr von Gudden a eu en rêvant une vision très nette, dont la forte impression sur les sens lui en a rendu le souvenir possible après le réveil. Malheureusement, la personne du roi s'est affaiblie en un homme quelconque. Si cet affaiblissement avait été plus effacé et que le souvenir de la vision se fût tout à fait perdu, l'impression sur le sentiment à l'état de veille se serait manifesté comme une frayeur indécise d'un événement incertain dans l'avenir ; mais c'est là justement la caractéristique de la plupart des pressentiments.(Annales des Sciences Psychiques, 1897, p. 125).
Je n'ajouterai aux intéressants commentaires de Karl du Prel qu'une simple remarque ; c'est que, malgré l'affaiblissement des souvenirs, et la faute de désignation de la personnalité du Roi, la situation perçue en rêve de se trouver au fond de l'eau se débattant contre un homme, est si spé¬ciale à l'événement survenu, qu'elle exclut d'une manière absolue l'hypothèse des « coïncidences fortuites ».
XVIe Cas. Mme Dudlay, de la Comédie-Française, a bien voulu nous donner ces détails sur la triste fin de la jeune actrice Mlle Irène Muza, morte brûlée au cours de l'hiver 1909 ; ils contiennent quelques rectifications au récit paru dans le Light, 1909, p. 122.
C'était une spirite convaincue et un médium rare. Elle écrivait dans un état particulier, semblant dormir et étrangère à tout. A la fin d'une séance, le 30 janvier 1908, on demanda : « Voyez vous quelque chose pour le médium ? » Elle écrivit : « Elle quittera les siens, mais n'aura pas en 1908 la réali¬sation de ses projets ». — « Et après ? » — « Revien¬dra en France ». — Et après ? — « Je ne veux pas en dire davantage ». Elle jette le crayon et de grosses larmes coulent de ses yeux. On lui redonne le crayon et on répète : « Et après ?» Toujours pleu¬rant, elle écrit : « C'est trop horrible, je préfère m'arrêter. »
Réalisations : Au printemps, elle partait pour l'Argentine. Ses projets ne se réalisèrent pas. Elle rentrait à Paris en janvier 1909 et le 23 février elle était victime d'un horrible accident. Pendant une lotion antiseptique, ses cheveux s'enflammèrent, elle fut en un instant une torche vivante et, quel¬ques heures après, elle mourait dans d'atroces souffrances héroïquement supportées.
Ce sont ces formes de prémonition qui, re¬cueillies et coordinées en bon nombre, porteraient à inférer l'existence de quelque chose de semblable à une « fatalité » régnant d'une me¬nière mystérieuse sur les destinées humaines.
A moins qu'on ne veuille, à l'occasion de cet épisode, recourir à l'hypothèse «réincarnation¬niste », selon laquelle l'esprit lui-même aurait librement préétabli, dans un but d'expiation ou d'épreuve, cette triste fin de sa propre exis¬tence incarnée ; dans ce cas, le Moi subconscient aurait déterminé l'accident en exerçant une action suggestive sur ta coiffeuse.
XVIIe Cas. Le baron Josephe Kronhelm, de Podolie (Russie), fournit ces détails sur la mort d'un haut fonctionnaire du Ministère de la Marine russe ; cette mort survint au mois de juin 1895, à la suite d'une collision entre deux navires sur la Mer Noire :
« Au commencement de l'année 1895, Mme Lu¬kawski fut réveillée une nuit par des gémissements de son mari, qui, dans son sommeil, jetait ce cri : « Au secours ! Sauvez-moi ! » et se débattait avec les mouvements d'une personne en train de se noyer. Il rêvait d'une terrible catastrophe en mer, et, une fois complètement réveillé, il raconta qu'il se trouvait à bord d'un grand navire, qui coula soudain à la suite d'une collision avec un autre navire ; et il s'était vu lancé en mer et englouti par les flots. Le récit achevé il ajouta : « Je suis maintenant convaincu que la mer causera ma fin. » Et si ferme était sa conviction, qu'il commença à mettre ses affaires en ordre, comme un homme conscient d'avoir ses jours comptés. Deux mois se passèrent sans que rien se produisît, et l'impression du rêve s'affaiblissait déjà dans la mémoire de M. Lukawski, lorsque tout à coup un ordre lui parvint du Ministère, de se préparer à partir avec tous ses subordonnés pour un port de la Mer Noire.
Au moment de prendre congé de sa femme, à la gare de Pétersbourg, Lukawski lui dit : « Te souviens-tu de mon rêve ? » — « Mon Dieu ! Pourquoi me le demandes-tu ? » — « Parce que je suis sûr que je ne reviendrai plus ; que nous ne nous reverrons plus ». — Mme Lukawski s'efforçait de le tranquilliser, mais lui, avec un accent de profonde tristesse : « Tu peux dire ce que tu veux, mes convictions ne se change¬ront pas, je sens que ma fin est proche, et que rien ne pourrait l'empêcher... Oui, oui, je revois le port, le navire, le moment de la collision, la panique à bord, ma fin... tout revit devant mes yeux ». — Et après une courte pause, il ajouta : « Quand le télégramme annonçant ma mort te parviendra, et que tu pren¬dras les vêtements de deuil, tu devrais omettre le long voile sur le visage que je déteste ». — Incapable de répondre, Mme Lukawski éclata en sanglots. Le sifflet du train cria le signal du départ ; M. Lu¬kawski embrassa tendrement sa femme, et le train disparut.
Après deux semaines d'inquiétude extrême, Mme Lukawski apprit par les journaux qu'une ca¬tastrophe entre deux navires, le Wladimir et le Sineus, s'était produite dans la Mer Noire. En proie au désespoir, elle télégraphia pour obtenir des informations à l'amiral Zelenoi à Odessa ; après plusieurs jours d'anxieuse attente, elle reçut cette réponse : « Aucune nouvelle jusqu'à présent de votre mari, mais il est sûr qu'il se trouvait à bord du Wla¬dimir ». L'annonce officielle de la mort de son mari lui parvint une semaine après.
Il faut ajouter que, dans son rêve, M. Lukawski s'était vu lutter pour la vie avec un passager, incident qui se réalisa avec une merveilleuse exactitude. Dans la catastrophe, un passager du Wladimir, M. Henicke s'était lancé en mer avec une bouée de sauvetage. M. Lukawski, déjà dans l'eau, se di¬rigea vers la bouée dès qu'il l'aperçut, et l'autre lui cria : « Ne vous y accrochez pas ; elle ne soutient pas deux personnes nous nous noierions ensemble », « Mais Lukawski s'en saisit malgré cela, disant ne pas savoir nager. » « Alors, prenez-la, dit Henicke, je suis bon nageur, et je m'en tirerai tout de même ». A ce moment, une grande ondée les sépara ; M. Henicke put se sauver, mais Lukawski alla au-devant de sa destinée ». (Light, 1899, p. 45).
Voici un premier cas de l'ordre auquel je faisais tout à l'heure allusion, dans lequel la convergence de circonstances imprévisibles est telle à éliminer totalement l'hypothèse des coïn¬cidences fortuites. Une fois cette hypothèse éli¬minée, il n'en reste que trois à la disposition du chercheur : la «réincarnationniste », la «fataliste», la « spiritualiste ». Comme l'hypothèse réincar¬nationniste semble exclusivement applicable à des cas dépendant de la libre volonté de « l'esprit » qui s'incarne (et un cas de mort par collision de navires, ne peut pas dépendre d'un acte volitif), il s'ensuit que celle-ci non plus ne répond pas aux exigences du moment ; nous devrons donc recourir à la seconde hypothèse, celle «fataliste ». Mais elle n'est pas davantage applicable au cas présent ; ou du moins notre esprit s'égare, si nous songeons à l'inextricable enchevêtrement de faits qui auraient dû se coordonner et conver¬ger de toutes parts pour l'accomplissement des destins imperscrutables d'un fonctionnaire russe : destins qui, bien que très tristes, ne semblent pas moralement proportionnés à la tragique gran¬diosité des moyens qui concoururent à les déter¬miner.
Et alors, pour soulager notre pensée de tant de perplexités troublantes, il ne resterait qu'à se réfugier dans l'hypothèse « spiritualiste » : en partant du postulat de Laplace et de Lodr, selon lequel, philosophiquement parlant, il serait donné à un Esprit Infini de contempler indifféremment le passé et le futur en termes de coexistence ou de séquence ; en adaptant, avec Myers, ce postulat aux minuscules affaires hu¬maines, par la supposition d'une innombrable hiérarchie d'Intelligences finies interposées entre notre esprit et une Anima-mundi, lesquelle, à mesure qu'elles s'élèveraient hiérarchiquement, jouiraient d'une vision toujours plus étendue dans le passé et le futur ; enfin, en attribuant à cette hiérarchie spirituelle la genèse des prémonitions d'ordre complexe et merveilleux, prémonitions qui, par action hiérarchique descendante, parviendraient télépathiquement aux subcons¬ciences humaines.
Certains trouveront ces conclusions hardies ou gratuites, mais il est très certain qu'une fois la réalité des faits admise, elles apparaissent comme étant les seules philosophiquement pen¬sables ; à moins qu'on ne veuille attribuer à la subconscience humaine des facultés d'inférence si merveilleuses, qu'elles prévoieraient, comme dans le cas en question, à trois mois d'inter¬valle, qu'une collision entre deux navires désignés doit survenir dans la Mer Noire, que sur l'un deux doit se trouver le percipient, lequel périra dans la catastrophe, et y périra d'une manière donnée.
Supposer tout cela, ce serait conférer en partie l'attribut divin de l'omniscience à la subcons¬cience humaine ; mais comme omniscience est cor¬rélatif d'omnipotence, on ne pourrait attribuer à la subconscience une fraction de la première, sans lui attribuer implicitement une fraction de la seconde ; mais alors, le percipient aurait dû se montrer au moins assez puissant pour se sauver lui-même.
XVIIIe Cas. Je termine ce sous-groupe par deux cas ayant des enfants pour percipients.
M. Domenico Fleres, Conseiller de Cour d'Appel à Palerme, écrit au Dr Innocenzo Cal¬derone, Directeur de la Revue Filosofia della Scienza, la lettre suivante :
Palerme, 14 juin 1910. En relisant, comme je le fais souvent, votre docte périodique, je me suis trouvé devant un article signé de mon jeune et esti¬mable ami, l'avocat Guido Russo Perez, qui rap¬portait un cas de prévision du futur à propos du désastre de Messine, cause de si néfastes événements pour ma famille et pour mon patrimoine.
Je veux, moi aussi, vous raconter non pas un cas, mais plusieurs traits de la vie de mon adorée petite-fille, enfant d'une de mes filles, qui vint illu¬miner ma maison et mon coeur comme un rayon de lumière et que ce cruel désastre engloutit, obscur¬cissant ma vie entière.
Ce sera pour moi un épanchement, puisqu'il ne me reste d' elle que le passé, que je me remémore tout le jour, arrosant de larmes chacun de mes actes, chacun de mes moments, parce que tout me parle d'elle.
Ma fille, vous la connaissez, avait épousé à Naso, celui de Messine, un de mes neveux, qui y habitait. Cependant, surtout après la naissance du bijou qu'était ma petite-fille, je souffrais à la pensée qu'elle et ma fille dussent végéter en ce pays de montagne ; je fis donc de tout, et cette oeuvre me fut maudite par la Nature, pour les tirer de là. Après beaucoup de travail, je parvins à procurer à mon gendre la possibilité de s'établir à Messine.
Pour moi, c'était un bonheur ; Messine était ma terre natale. Là se trouvaient les familles de mes trois frères et soeurs, et d'autres chers parents. A Messine et dans sa province étaient mes propriétés ; là m'aurait appelé ma dernière station en prenant ma retraite.
J'écrivis tout de suite à ma fille qu'elle et les siens se tînssent prêts pour le prochain déplacement de leur famille ; mais je dus taire pour le moment, à cause de certaines circonstances, l'endroit où je les aurais appelés. Je leur écrivais cette lettre avec joie, ce qui leur fit supposer qu'ils devaient venir me rejoindre à Palerme. Ma petite fille, qui vivait ordinairement avec moi, se trouvait alors avec ses pa¬rents, à Naso. Sa mère lui dit : « Sais-tu que nous allons quitter Naso ? » — « Oui, maman ». — « Nous irons chez les grands-parents à Palerme ». — « Non, pas à Palerme ». — « Mais si, nous irons à Palerme ». — « Non, maman — répéta avec chagrin l'enfant — pas à Palerme ; à Messine ! » — Comment l'avait-elle pressenti ?
Et ils allèrent à Messine. Et par son travail, par mes relations de famille, par nos propriétés, mon gendre était parvenu, en moins d'un an, à ouvrir en mai 1907 l'une des plus belles pharmacies, des plus centrales, des plus accréditées, des plus fructueuses.
En octobre suivant, ma famille et moi, nous nous trouvions en villégiature dans mes terres, à Bauso, à quelques kilomètres de Messine. Vers la fin du mois, nous descendîmes à la ville, ma femme et moi, pour saluer ma fille et toute sa famille, car mes vacances prenaient fin avec le mois.
Quand ma femme, quelques instants avant le départ, prit notre joie, notre adorée petite-fille dans ses bras, et la serrait, l'embrassait, l'enfant regar¬dait sa grand-mère d'un oeil de tendresse attristée.
- « Mon adorée, tu ne peux comprendre encore quel chagrin éprouve grand'mère à te quitter.
- « Oui, grand'mère, nous ne nous reverrons plus ! »
- « Nous ne nous reverrons plus ? Non, tu vien¬dras pour le carnaval nous rejoindre à Palerme !.
- « Non, grand'mère, nous ne nous reverrons plus ! »
Deux mois plus tard, le désastre l'avait engloutie dans les décombres avec toute sa famille, dont, vous le savez, il ne me resta que ma malheureuse fille, veuve, et privée de ses enfants !
Le soir du dimanche 27 décembre, il y avait eu une fête de famille chez mon gendre. Vers minuit la mère avait mis au lit son petit garçon, et procédait ensuite à la toilette de nuit de ma petite-fille. Au mo¬ment où elle changeait les petites chaussettes de l'enfant, celle-ci, souriante, lui dit : « Maman, tu me mets les chaussettes de la mort. ! » — « De la mort, non... de la nuit, dois-tu dire ». — « Et la fillette alla au lit toujours en souriant, mais répétant toujours la même chose. »
Le soir du dimanche 27 décembre, il y avait eu une fête de famille chez mon gendre. Vers minuit la mère avait mis au lit son petit garçon, et procédait ensuite à la toilette de nuit de ma petite-fille. Au mo¬ment où elle changeait les petites chaussettes de l'enfant, celle-ci, souriante, lui dit : « Maman, tu me mets les chaussettes de la mort. ! » — « De la mort, non... de la nuit, dois-tu dire ». — « Et la fillette alla au lit toujours en souriant, mais répétant toujours : « Les chaussettes de la mort. » — Ce qui attrista la pauvre mère.
Environ six heures plus tard... la mort abattait Messine et tous ses habitants !
Je vous remercie, si vous avez eu la patience de me lire jusqu'ici ; amicale patience ! J'ai pu épancher ma douleur de chaque jour, de chaque heure, après dix-huit mois ».
Signé : Domenico Fleres. Revue citée, 1910, p. 108
Ce cas, où il s'agit d'un pressentiment de mort perçu par une enfant presque ignorante de la signification du mot, et dans lequel la mort est due à un cataclysme terrible et imprévisible, suggère les mêmes considérations que le précédent.
XIXe Cas. César de Vesme, dans le vol. II, p. 297, de son Histoire du Spiritisme, rapporte ce fait raconté par Foissac :
I1 y a un an, me trouvant à Edimbourg j'allai dans une villa rendre visite à un de mes vieux amis, M. Holmes. J'y trouvai tous les visages obscurcis par la tristesse. M. Holmes avait, le jour même, as¬sisté à un enterrement dans un château des environs ; il me raconta que le petit garçon des maîtres du château avait souvent épouvanté sa famille en mani¬festant de ces phénomènes que l'on attribue à la seconde vue. On l'entendait parfois, gai ou triste sans cause apparente. le regard profond et mélan¬colique, prononcer des paroles sans suite, ou décrire d'étranges visions. On essaya, mais en vain, de com¬battre cette disposition par de violents exercices physiques et un système d'études variées, avec l'appui d'un médecin éminent. Huit jours aupara¬vant, la famille se trouvait réunie. On vit tout à coup le petit William, à peine âgé de douze ans, pâlir et rester immobile ; tous prêtent l'oreille, et l'entendent prononcer ces paroles : « Je vois un enfant endormi, couché dans une caisse de velours, avec une couverture de soie blanche ; tout autour, des couronnes et des fleurs. Pourquoi mes parents pleurent-ils ?... cet enfant, c'est moi ».
Frappés de terreur, le père et la mère saisissent William, le couvrent de baisers et de larmes. Il revient à lui, et s'adonne avec une vive ardeur aux jeux de son âge. Une semaine ne s'était pas écoulée lorsque la famille, assise à l'ombre après le repas, chercha l'enfant qui se trouvait là, un instant plus tôt. On ne le voit pas,on l'appelle, aucune voix ne répond. Cent cris de douleur s'entrecroisent, on parcourt le jardin dans tous les sens : William a disparu. Après un heure de recherches et d'angoisses, on trouve l'enfant au fond d'une vasque dans laquelle il s'était noyé, en se penchant sur elle, pour ressaisir un petit bateau que le vent avait poussé loin du rivage... »
Cas intéressant, lui aussi, et que les hypothèses « fataliste », «réincarnationniste », « spiritualiste», se prêteraient également bien à expliquer. Je ne me prononcerai pour aucune, abandonnant cette tâche aux lecteurs.
DEUXIÈME CATÉGORIE
PRÉMONITIONS DE MALADIES OU DE MORTS REGARDANT DE TIERCES PERSONNES
Sous–groupe E
Prémonitions de maladies de tiers
Bien que les cas susceptibles, d'entrer dans cette catégorie soient plutôt nombreux, je n'en rapporterai qu'un seul, car l'intervalle de temps interposé entre la prémonition perçue et la dé¬claration de la maladie y étant très courte, ils semblent plutôt soumis aux hypothèses des « inférences subconscientes » et « télépathique ».
XXe Cas. Je le tire du récit bien connu du Dr Stevens sur le cas de Miss Lurancy Ven¬num, qui, après être entrée spontanément en conditions de « possession médiumnique », y persévéra durant quatre mois, assumant le nom de son amie décédée Marie Roff, et allant vivre auprès de la famille de cette dernière, qu'elle considérait comme sienne, ne reconnaissant pas ses propres parents durant toute cette période.
Parmi les manifestations supernormales va¬riées auxquelles donna lieu l'état spécial de Miss Lurancy ; on en rencontre quelques-unes d'ordre prémonitoire, et celle-ci entre autres :
Maria Lurancy-Roff semblait remarquablement douée pour l'intuition d'événements non encore réalisés. Une après-midi, elle annonça avec une expression de grande anxiété qu'il aurait fallu, la nuit suivante, surveiller attentivement son frère Frank, lequel aurait été saisi d'un mal très grave, avec danger de mort s'il n'était pas immédiatement secouru. Au moment de la préannonce, Frank se portait très bien, et était en promenade par la ville dans le corps de la bande musicale... Cependant à 2 heures du matin, il fut subitement saisi de convul¬sions, avec symptômes congestifs et inconscience presque complète. Marie dit que le moment critique était arrivé, et ajouta : « Envoyez tout de suite pour le Dr Stevens : il est chez Mme Marsh ». — « Non, lui répondit-on, le Dr Stevens est allé à « Old Town ». — « Non, répliqua Marie, il est avec Mme Marsh ; envoyez-le tout de suite appeler ». M. Roff y alla et trouva réellement le Dr Stevens où le médium avait dit. Quand le docteur arriva auprès du malade, il constata que Marie avait fait de sa propre initiative ce qu'exigeait le cas, et la laissa continuer la besogne, se contentant de seconder ses efforts ; c'est elle qui sauva son frère. (Cité par Myers dans Human Personality, Vol. II, p. 364).
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Sous-groupe F
Prémonitions de la mort de tiers à brève échéance et où la mort est due à des causes naturelles
Cas de XXI à XXIV. Grâce à la médiumnité de Mrs. Piper, et plus précisément dans la période où se manifestait le « Dr Phinuit », on obtint un bon nombre d'épisodes prémonitoires en forme de « diagnostics prophétiques », parfois compliqués d'incidents auxiliaires absolument imprévisibles. Quelque connus que soient ces épisodes, je ne peux m'exempter d'en citer quel¬ques-uns, et je les tire des relations publiées par le Dr Hodgson dans les Vol. VIII et XIII des Proceedings of the S. P. R. »
Premier cas. Le Dr Hodgson rapporte ce qui suit : « Une autre prophétie regardant la mort d'un frère du Dr Thaw, qui n'assista jamais aux séances, se réalisa. Il était atteint d'un asthme chronique. A la séance du 10 mai 1892, Phinuit dit que ses reins étaient malades. Or, à la suite d'une visite médicale minutieuse exécutée deux semaines plus tard, on vint à connaître pour la première fois qu'une maladie de reins s'était développée en lui. Durant la même séance, et en réponse à la demande correspondante, il avait ajouté : « Il s'en ira dormir, et quand il se réveillera, c'est pour se trouver dans le monde des esprits : son cœur s'arrêtera ». Or, il mourut effectivement durant son sommeil, et par un arrêt subit du coeur, le 3 septembre ». (Proceedings, vol. XIII, p. 352).
Second cas. Miss. W. raconte ce qui suit : « Au printemps de 1888, une personne de notre connais¬sance, M. S. était atteinte d'une maladie très douloureuse. Il n'y avait aucune probabilité de guérison, et l'on ne nourrissait d'espérance que pour un soulagement prochain de ses tortures. Une con¬sultation de médecins avait diagnostiqué la continua¬tion de ses souffrances pour une série d'années encore, avec dépérissement mental probable. La fille de M. S., consumée par l'anxiété et par les veilles, était sur le point de tomber malade à son tour. Je demandai à Phinuit : « Que dois-je faire pour réussir à l'emmener et à lui procurer un peu de repos ? » — Il me fut répondu : « Elle n'abandonnera pas le chevet de son père, mais les souffrances de ce dernier ne se poursuivront pas longtemps. Les médecins sont dans l'erreur à son sujet. Il y aura un changement sous peu : il se désincarnera avant que l'été s'achève ». C'est ce qui arriva ; il s'éteignit en juin 1888. (Proceedings, Vol. VIII, p. 34).
Troisième cas. M. M. N. rapporte le cas suivant, que confirme sa femme : « 5 avril 1889. J'allai voir Mrs. Piper vers la fin de mars de l'année passée (depuis les premiers jours de février, j'avais pris l'habitude de me rendre chez elle une fois tous les quinze jours). Elle me prédit la mort d'un proche parent à moi, qui se serait produite dans six semaines environ et m'aurait procuré quelque avantage pécu¬niaire. Je pensai naturellement à mon père, très avancé en âge, de la personnalité duquel Mrs Piper avait parlé avec une admirable évidence plusieurs semaines auparavant, bien qu'elle se fût comportée de façon à faire croire qu'elle parlait, non pas de mon père, mais d'une autre personne à laquelle me liait une étroite parenté. Je demandai cependant si la personne qui devait mourir était la même qu'elle avait décrite en telle occasion ; mais elle se défendit de manière que je ne parvins à rien savoir. Quelques jours après, il arriva à ma fiancée de rendre visite à Mrs. Piper, et celle-ci lui prédit alors sans réticences que mon père serait mort dans une période de quel¬ques semaines.
Vers la moitié de mai, mon père, qui se remettait d'une légère attaque de bronchite, mourut subitement à Londres des suites d'une paralysie cardiaque ; ceci se produisait le jour même où les médecins l'a¬vaient déclaré hors de danger. Antérieurement, Phinuit, au moyen de Mrs. Piper, m'avait annoncé qu'il se serait rendu auprès de mon père pour exercer sur lui sa propre influence à l'égard de certaines dispositions testamentaires prises par lui. Deux jours après que j'eus reçu l'annonce télégraphique de la mort, j'allai chez Mrs. Piper avec ma femme ; Phinuit annonça que mon père se trouvait avec lui, et que son arrivée dans le monde des esprits avait été subite. Après quoi, il m'assura s'être employé auprès de mon père pour le persuader au sujet des disposi¬tions testamentaires en question. Puis il me renseigna sur le contenu du testament, décrivit la personne du principal exécuteur testamentaire, et dit que ce dernier, dès mon arrivée à Londres, aurait avancé certaine proposition en ma faveur, à soumettre au consentement des deux autres exécuteurs.
Trois semaines après, je me trouvais à Londres. Le principal exécuteur testamentaire se trouva cor¬respondre à la description de Phinuit ; le testament était rédigé dans les termes qu'il avait prédits ; la proposition en ma faveur fut effectivement avancée, et ma soeur, qui dans les trois derniers jours ne s'était presque jamais détachée du chevet de mon père, raconta qu'il s'était plaint à reprises répétées de la présence d'un vieillard au pied de son lit, qui l'importunait à vouloir discuter de ses intérêts privés. (Signés : M. N. et Mrs. M. N. Dans les Proceedings, Vol. VIII, p. 121).
Quatrième cas. En 1888, Mme Pittman, qui était membre de la Société Américaine pour les Recherches Psychiques, avait eu deux séances avec Mme Piper. Phinuit lui dit entre autres : « Vous allez être bien malade ; vous irez à Paris ; vous serez tout à fait malade ; vous aurez une grande faiblesse dans l'estomac ; de la faiblesse dans la tête. Un monsieur d'un blond pâle vous soignera pendant que vous serez malade outre-mer. »
A la suite de cette déclaration, Mme Pittman demanda à Phinuit quelle serait l'issue de la maladie. Phinuit chercha à se dérober par des réponses éva¬sives. Sur la prière de Mme Pittman, le Dr Hodgson insista à son tour, et Phinuit alors s'en tira en disant : « Une fois qu'elle ne sera plus malade, tout ira par¬faitement pour elle. »
Mme Pittman répondit que son estomac allait très bien ; elle contredit Phinuit sur tous les points, et Phinuit s'en montra très ennuyé. Mais, bientôt, Mme Pittman tomba malade. Elle fut soignée par le Dr Herbert, qui est très blond ; il diagnostiqua une inflammation de l'estomac. Alors Mme Pittman commença à croire à la prédiction de Phinuit ; mais, interprétant à faux les dernières paroles de celui-ci, elle crut qu'elle se rétablirait. Elle fut soignée à Paris par le Dr Charcot pour une maladie nerveuse. Elle eut de la faiblesse dans la tête, et ses facultés mentales furent atteintes. Bref elle mourut : mainte¬nant elle n'est plus malade, et tout doit bien aller pour elle, comme l'avait prédit Phinuit. (M. Sage : Madame Piper, p. 108-9. Cité d'une manière plus étendue dans les Proceedings, Vol. XIII pp. 496-497).
XXVe Cas. Je groupe en un seul récit les incidents de prémonitions symboliques de morts produites par la célèbre « Voyante de Prévorst ( Mme Hauffe). Ce sont des incidents très connus, mais je ne crus pas devoir les exclure, étant donnée leur indiscutable authenticité. Ils con¬sistent en de courts passages répandus ça et là dans le livre du Dr Kernee : La Voyante de Prévorst. A la page 15, il en décrit un premier cas en ces termes :
...Songes prophétiques, prédictions, visions pro¬phétiques dans les verres ou les miroirs prouvaient l'intensité de sa vie intérieure... Un matin, quittant la pièce pendant une visite du médecin, elle vit dans le hall un cercueil qui lui barrait le chemin et conte¬nait le corps de son grand-père paternel. Elle rentra dans la chambre et pria le médecin et ses pa¬rents de venir le voir ; mais ils ne purent rien voir et elle-même ne l'aperçut plus. Le lendemain matin, le cercueil, avec le même corps dedans, était à côté de son lit. Six semaines plus tard son grand-père mourut, après avoir joui d'une parfaite santé jusqu'aux quelques derniers jours qui précédèrent sa mort.
Les bulles de savon, les verres, les miroirs provo¬quaient sa vue spirituelle... Ce n'était cependant qu'avec difficulté qu'on la décidait à regarder dans les bulles de savon. Elle paraissait tremblante et craignait de voir quelque chose qui aurait pu l'effrayer. Dans une de ces bulles elle vit une fois un petit cercueil placé devant une maison voisine. A ce mo¬ment il n'y avait aucun enfant malade, mais peu après la femme qui habitait là vint à accoucher. L'enfant ne vécut que quelques mois, et Mme Hauffe le vit emporter dans un cercueil. » (p. 44).
Une nuit, elle rêva qu'elle voyait la fille aînée de son oncle sortir de la maison avec un petit cercueil sur la tête ; sept jours plus tard, son enfant, âgé d'un an, dont personne à ce moment ne soup¬çonnait aucunement la maladie, mourut. En s'éveil¬lant elle avait raconté ce songe à moi et à d'autres (p. 33).
Une autre nuit, elle rêva qu'elle traversait l'eau, tenant dans la main un morceau de viande altérée, et que, rencontrant Mme N., cette dernière lui avait demandé avec inquiétude ce qu'elle allait faire de cela. Lorsqu'elle nous fit connaître ce songe, nous fûmes incapables de l'interpréter. Sept jours après, Mme N. accouchait d'un enfant mort, dont le corps était déjà en état de décomposition. (Page 53).
Une autre nuit, elle rêva que Mme L., qu'elle n'avait jamais vue ni connue, venait à elle en pleu¬rant et portant un enfant mort dans ses bras, en lui demandant secours. Six semaines plus tard, cette dame accouchait, après beaucoup de souffrances et de dangers, et elle perdait son enfant (Page 54).
Pendant les trois journées successives qui précé¬dèrent la mort de son père, à un moment où on n'a¬vait encore reçu aucune nouvelle de sa maladie, étant à l'état de veille, elle vit près de son lit un cercueil recouvert d'un drap mortuaire sur lequel était tracée une croix blanche. Elle en fut vivement alarmée et dit qu'elle craignait que son père fût mort ou malade. Je cherchai à la rassurer en lui suggérant que cela pouvait désigner quelqu'autre personne. Elle ne savait comment interpréter la production de ce cercueil fermé, car, jusque-là, elle avait vu les cercueils avec l'apparence de la personne qui devait mourir couchée dedans, ou avec l'apparence de la personne qui devait être malade regardant l'intérieur. Le 2 mai, dans la matinée, arriva la nouvelle de la maladie de son père, qui mourut dans la soirée du même jour. (Page 58).
Trois fois étant éveillée, elle vit sa belle-mère regarder dans un cercueil. Sept jours après cette dame tomba malade, mais se rétablit. Lorsque Mme Hauffe voit le fantôme d'une personne étendue morte dans un cercueil, cela annonce une mort prochaine ; si le fantôme semble vivant, c'est une grave maladie qui est prédite. (Page 58).
Voilà les principales prémonitions de mort citées dans l'ouvrage du Dr Kerner. Le fait que, d'une manière exceptionnelle, le médium a perçu un cercueil fermé pour son propre père, au lieu des visions habituelles de bières ouvertes contenant la personne qui devait mourir, se prêterait à prouver l'existence d'une intentionna¬lité dans l'agent transmetteur des messages prémonitoires, intentionnalité qui consisterait à estomper la vérité à la voyante pour la préparer au triste événement au moyen d'une vague appré¬hension de la mort imminente d'une personne aimée, et rien de plus ; si, au contraire, elle avait vu apparaître l'habituel cercueil ouvert conte¬nant le cadavre de son père, non seulement le but de l'y disposer n'aurait pas été atteint, mais on aurait aggravé sa douleur par l'agonie de trois jours d'attente.
XXVIe Cas. Le Dr Samas communique l'épisode suivant :
Le phénomène psychique que je vais relater n'est pas très récent : il remonte à cinq ans déjà. Mais bien qu'il ait frappé à cette époque l'entourage, restreint il est vrai, du sujet, il n'est pas encore parvenu à la connaissance du monde savant ; et d'autre part, les circonstances qui l'ont accompagné sont tellement curieuses et précises à la fois, qu'il m'a paru intéressant de le rapporter ici.
Voici brièvement l'exposé des faits : Dans la nuit du 24 au 25 mai 1900, M. R., âgé alors de vingt-huit ans, habitant une grande ville du Nord de la France, rêve qu'étant chez son coiffeur, la femme de ce dernier lui tire les cartes (disons en passant que la dame en question n'a jamais fait preuve de ce talent de société), et lui annonce : « Votre père mourra le 2 juin. »
Le 25 mai au matin, M. R. raconte ce rêve à sa famille (il habitait alors chez ses parents), et tous ces braves gens, assez sceptiques surce genre d'avertissements, en rient sans y attacher aucune impor¬tance.
Notons que M. R. père avait eu, à de longs inter¬valles, quelques accès d'asthme ; mais à ce moment il était très bien portant.
Le premier juin, assistant aux funérailles d'une personne de sa connaissance, M. R. père raconte le rêve à l'un de ses amis, et conclut gaiement : « Si je dois mourir demain, je n'ai tout de même plus beaucoup de temps à perdre. » La journée entière s'é¬coule sans que M. R. soit indisposé.
Fait incident et bizarre aussi : Dans la soirée, l'un de ses fils, soldat à Verdun, revient ; il n'était pas attendu. N'ayant que quelques jours de permission, il avait d'abord décidé qu'il ne retournerait pas chez lui ; puis il était revenu sur sa première décision, et sans avoir eu le temps de prévenir sa famille, il s'était mis en route.
Toute la famille réunie cause gaiement, bien avant dans la soirée. A 11 heures et demie, M. R. père se couche, nullement indisposé. A minuit, il est pris brusquement d'une crise d'oppression : dyspnée in¬tense, toux violente, expectoration mousseuse et sanguinolente ; on court chercher un médecin, il est trop tard, tout est inutile... A minuit et 20 minutes le 2 juin par conséquent, M. R. père meurt.
Le Dr Samas ajoute ces commentaires :
Examinons succinctement les faits, et voyons si nous pourrons en trouver l'explication. Certes, les sceptiques se tireront aisément d'affaire en disant qu'il y eut là une simple coïncidence. Sans doute,le hasard peut faire bien des choses, mais il n'explique rien.
On pourrait prétendre, peut-être, qu'il y a dans ce cas un rapport de cause à effet. M. R. père, car¬diaque, par conséquent frappé par ce rêve ; de plus, le retour de son second fils, deuxième émotion ; peut-être même son imagination déjà surexcitée aurait vu dans ce concours de circonstances quelque funeste pressentiment, susceptible de déterminer par action réflexe, par action du moral sur le phy¬sique, la crise ultime qui devait le terrasser.
Mais nous avons vu tout à l'heure que ni M. R. père, ni aucun membre de sa famille n'avait accordé la moindre importance à ce rêve étrange. N'est-il pas plus logique de considérer ce rêve comme un rêve prémonitoire ? ». (Doct. Samas, dans les Annales des sciences psychiques, 1905, page 371).
XXVIIe Cas. Il fut recueilli par le Dr Mattiesen, qui l'envoya à la Society S. P. R. C'est un exemple caractéristique d'impression prémonitoire qui se renouvelle sous de multiples formes de répercussion sympathique physique et morale, jusqu'au moment de réalisation. On n'y dévoile pas les noms des protagonistes.
Miss L. B. décrit comme il suit ses propres sen¬sations :
Le 6 juin 1908, mon père mourait d'une apo¬plexie foudroyante, sans aucun symptôme précur¬seur, moins une sensation douloureuse à la poitrine ressentie le 31 mai, et pour laquelle nous le priâmes de consulter un docteur, qui le déclara en parfaite santé. Or, moi, sa fille, j'avais éprouvé dès le 26 mai une sensation douloureuse identique, que mon père jugea provenir d'un refroidissement. Mais quand, le 31 mai, je dis que ma sensation s'augmentait de symptômes de suffocation, avec inquiétude et grandes angoisses, mon père me regarda surpris, et m'avoua éprouver les mêmes ennuis. Tout cela s'accrût en moi jusqu'à un point insupportable, et je cherchai inutilement à les combattre par l'usage du bromure. Le 30 mai, comme je dînais au restau¬rant avec mon fiancé et un ami, pour la première fois se révéla à moi la signification de mon état d'âme c'était la préannonce de la mort de mon père. Je communiquai cette impression à mes compagnons, qui l'accueillirent en plaisantant ; mais je n'eus pas de répit jusqu'à ce que, rentrée chez moi, je vis mon père venir à ma rencontre dans le jardin, avec un aspect florissant et vigoureux.
Le jour suivant, j'allai avec les mêmes amis dans un village voisin, où je m'étais rendu d'autres fois avec mon père ; mais il me fut impossible d'y rester, car la même forme d'angoisse croissante et intolé¬rable me ressaisit. J'en reparlai à mes compagnons, qui, cette fois, se montrèrent contrariés, car je gâtais la bonne humeur de la réunion avec mes pronostics, et la contraignais au retour. Arrivée à la maison, je trouvai mon père occupé à cultiver les fleurs dans le jardin ; mais, même à sa vue, je ne pus retrouver la tranquillité.
La consultation médicale dont je parlai eut lieu le 2 juin, et malgré le consolant pronostic, mon sombre pressentiment ne s'atténua point. Le jour précédent, mon père m'avait confié une somme à déposer à la Banque, commission dont il me chargeait souvent, mais qu'il me fut cette fois impossible d'accomplir, car j'avais en moi cette triste idée : « Mon père pense à moi pour la dernière fois », et je priai ma soeur d'aller à ma place.
Le 4 juin, mon père était délivré de toute douleur à la poitrine, ce qui fait qu'il ne s'appliqua point le cataplasme ordonné par le docteur. Dans la nuit, je fus éveillée par les aboiements du chien, qui couchait dans le couloir. Ma soeur entendit comme moi quelqu'un qui, à voix basse, tâchait de le calmer ; et, bien que je supposasse qu'il s'agissait de mon frère, je fu, bientôt en proie à une anxiété et à des frissons mortels. Je descendis de mon lit et me rendis auprès du chien, que je trouvai seul et épouvanté (mon frère avait entendu aboyer, mais n'avait pas bougé). Au comble de l'angoisse, je courus dans la chambre de mes parents réveiller mon père ; ce n'est qu'en entendant sa voix que je me calmai suffisamment pour retourner dans ma chambre, sans parvenir à retrouver le sommeil ; et, veillant ainsi, j'eus un instant la vision terriblement claire de mon père mort, étendu devant moi.
Le 5, dans l'après-midi, nous allâmes sur un petit bateau à vapeur en excursion à L., où l'on fêtait le jour de naissance d'un ami, Herr von L. ; mais il me fut impossible de participer à la joie des invités, ce qui fut remarqué, d'autant plus que ma pâleur attirait les regards, et tous m'interrogeaient. On proposa une excursion dans la forêt, à laquelle mes parents ne participèrent pas. Poussée par mon inexplicable état d'âme, à moitié chemin je me séparai du groupe pour courir revoir mon père.
Le 6, dans la journée, je dus aller à la gare pour une lettre urgente ; là, mon angoisse habituelle me saisit avec une véhémence indicible. Je revins à la maison en courant, et j'y trouvai mon père plongé dans la lecture ; en me voyant, il se mit à lire les conclusions d'un roman commencé par moi. Puis, on servit le dîner ; après quoi, ma mère et ma soeur descendirent à la cuisine, et je demeurai seule avec mon père, qui, assis devant la table, parcourait un journal, tandis qu'à peu de distance je jouais avec le chien. Je vis soudain la tête de mon père tomber d'un côté et frapper pesamment contre la table. Je fus prompte à accourir, et tout de suite, je me rendis compte de ce qui s'était produit. A partir de ce moment, je devins absolument calme !
(Suivent les témoignages des familiers, du mari, des amis, du médecin, et la reproduction d'une page du journal personnel de Miss L. B., où elle notait, jour pour jour, ses propres sensations anormales). Journal of the S. P. R., pp. 358-363.
XXVIIIe Cas. Je l'extrais de l'oeuvre de M. De Mixvim.E, et c'est un épisode de somnam¬bulisme magnétique raconté par le Dr Rostan. Il s'exprime ainsi :
En fait de prévision somnambulique, j'ai vu des faits bien singuliers, et c'est à peine si j'ose en croire mes observations nombreuses. A l'hôpital de la Salpêtrière, je fis entrer une femme en somnambu¬lisme devant plusieurs médecins. Assise sur son lit, elle était dans le calme le plus profond ; tout à coup elle s'agite violemment comme une personne en proie à la souffrance. Nous lui demandons la cause de ce changement subit ; elle ne veut pas répondre d'abord, puis enfin elle nous dit : « Je sens Félicité qui approche. » En effet, au bout d'un instant, la porte s'ouvre et nous voyons entrer la malade qu'elle venait de désigner, la somnambule paraissant souffrir de plus en plus, nous insistons pour en connaître la cause, mais elle s'excuse en disant qu'elle craint de chagriner son amie. Nous la faisons sortir, ne sachant pas trop à quelle révélation nous devions nous attendre, et nous pressons de nouveau les questions afin de dissiper notre incertitude ; elle répond : «Les médecins croient qu'elle est attaquée de la poitrine ; mais il n'en est rien, c'est le coeur qui est malade. » Elle continue : « Dans quatre jours, dit-elle, samedi à cinq heures elle aura une violente hémorragie ; vous la ferez saigner, mais vous ne l'empêcherez pas de mourir six jours après. » L'hémorragie eut lieu le samedi à l'heure indiquée ; on saigna suivant l'indication de la science (d'alors) et six jours après, la prévision eut son entier accom¬plissement. L'autopsie vérifia le diagnostic de la somnambule. (Doct. Rostan, cité par de Mirville dans l'ouvrage : Des Esprits et de leurs Manifesta¬tions ; page 48).
Les lecteurs se rappelleront qu'au commencement de la classification présente, j'ai cité deux cas auto-prémonitoires de maladie et de mort dus au somnambulisme magnétique, à propos desquels j'exprimai le doute que non pas tous les incidents qu'ils renferment pussent légitimement être attribués à l'auto-suggestion ; j'ajoutais qu'à mon avis, et en matière d'hypnose, il reste encore beaucoup à scruter et beaucoup à modifier dans les théories en vogue, qui pêchent par leur amour débordant de la généralisation. Nous voici maintenant en face d'un cas de som¬nambulisme magnétique qui vient appuyer mes assertions, car la somnambule, au lieu de prédire l'heure de sa propre crise et de sa propre mort, prédit l'heure de la crise et de la mort d'une tierce personne ignorante de la prophétie. Ce qui est bien différent, et ne s'explique certes ni par l'auto-suggestion, ni par la suggestion ; nous serons donc bien obligés de conclure que les théories sugges¬tives ne suffisent pas à expliquer complexive¬ment la phénoménologie hypnotique ; une fois ceci admis, il n'y aurait plus d'obstacle à conve¬nir qu'aussi dans les cas où les phases de la ma¬ladie personnelle sont préannoncées, l'hypo¬thèse auto-suggestive ne doit pas toujours l'em¬porter sur les autres.
Dans cet état de choses, il faudra donc néces¬sairement, pour résoudre le problème, parcourir une première étape de la route vers les régions du supernormal, et convenir que tout concourt à faire présumer que le Moi subliminal a parfois la perception merveilleusement exacte des mala¬dies latentes qui travaillent l'organisme auquel il est rattaché, et, télépathiquement, l'orga¬nisme d'autrui ; et cela jusqu'au point d'en inférer, d'une manière à nos yeux prodigieuse, les phases qu'ils devront parcourir, et l'heure précise à laquelle se déroule chaque crise particulière, jusqu'à la guérison ou à la mort. Ceci révèle un processus déjà beaucoup plus mysté¬rieux que n'est la réalisation d'une auto-sugges¬tion, et représente déjà un premier degré de prémonition propre et véritable.
XXIXe Cas. Encore un exemple de som¬nambulisme magnétique, analogue au précédent, et qui comporte les mêmes considérations. Le Dr Liebault, en appendice au livre : Théra¬peutique suggestive, cite le cas suivant :
Dans une famille des environs de Nancy, l'on endormait souvent une fille de dix-huit ans, nommée Julie. Cette fille, une fois mise en état de somnam¬bulisme, était portée d'elle-même, comme si elle en recevait l'inspiration, à répéter à chaque nouvelle séance qu'une proche parente de cette famille, qu'elle nommait, mourrait bientôt et n'atteindrait pas le 1er janvier. On était alors en novembre 1883. Une telle persistance dans les affirmations de la dormeuse conduisit le chef de cette famille, qui flairait là une bonne affaire, à contracter une assu¬rance à vie de 10.000 francs sur la tête de la dame en question, laquelle, n'étant nullement malade, obtiendrait facilement un certificat de médecin. Pour trouver cette somme, il s'adressa à M. L., lui écrivit plusieurs lettres, dans l'une desquelles il racontait le motif qui lui portait à emprunter. Et ces lettres, que M. L. m'a montrées, il les garde comme des preuves irréfragables de l'événement futur an¬noncé. Bref, on finit par ne pas s'entendre sur la question des intérêts, et l'affaire entamée en resta là. Mais quelque temps après, grande fut la décep¬tion de l'emprunteur. La dame X., qui devait mourir avant le 1er janvier, succomba en effet, et tout d'un coup, le 31 décembre, ce dont fait foi une dernière lettre du 2 janvier, adressée à M. L., lettre que ce monsieur garde aussi avec celles qu'il avait reçues précédemment à propos de la même personne.
XXXe Cas. Il est tiré du Journal of the American S. P. R., 1909, p. 423 ; c'est un exem¬ple de prémonition symbolique qui se renouvelle plusieurs fois jusqu'au moment de la mort de la personne impliquée. Il a en outre le mérite d'as¬sumer la forme d'une déposition sous serment devant notaire, et d'être appuyé de même ma¬nière par la personne à laquelle le percipient avait participé le récit de la manifestation.
Le notaire Prescott F. Hall, commence ainsi :
M. I. E. F. B. est comparu devant moi, notaire ; après avoir dûment fait serment, il dépose ce qui suit : « J'ai quarante-et-un ans, j'habite Boston, rue N... En février et en mars 1907, j'habitais rue C... Ma mère était la cousine de Mme M. F. H. dont il est parlé dans ce récit.
A partir du 7 février 1907, et durant quatre nuits de suite, me trouvant éveillé dans mon lit, et chaque fois sur le coup de minuit, m'apparut un cercueil vide à côté de mon lit. Les volets étaient clos, la chambre absolument obscure, et le cercueil incolore. La première fois je regardai l'apparition, puis je déplaçai mon regard : enfin je regardai de nouveau. Après un intervalle de temps que j'estimai à qua¬rante secondes, une forme de femme vêtue de sombre, d'un aspect vivant, dont les traits étaient ceux de Mme M. F. H., apparut dans le cercueil. Le fantôme y demeura environ soixante secondes ; puis il s'effaça complètement ainsi que le cercueil. Comme je l'ai dit, l'apparition se répéta durant 4 nuits successives ; après quoi, je ne vis plus rien jusqu'à la nuit du 9 mars, où elle se renouvela d'une manière identique, à la même heure. Le lendemain, à 8 h. 15 du matin. Mme M. F. H. mourait. Au moment de la manifes¬tation, j'en parlai à mon frère, et à Miss L. C., amie de ma mère, alors ma gouvernante. (Miss L. C. témoigne, moyennant serment devant le notaire Prescott F. Hall, que le récit ci-dessus est conforme à la vérité).
XXXIe Cas. Ici, la prédiction de mort a lieu sous forme d'hallucination auditive et collec¬tive, forme assez commune dans les phénomènes prémonitoires. M. Salvatore Balsamo écrit en ces termes au Directeur de Luce e Ombra :
Je me permets d'attirer votre attention sur deux faits de quelque importance survenus dans ma famille durant le court espace de quelques jours.
Le 5 de ce mois d'octobre mourait mon beau-frère, Gregorio Trentacapilli, âgé de 54 ans, qui était atteint de diabète tuberculeux. Dès l'année der¬nière, son état soulevait de sérieuses préocupations dans sa famille ; personne, cependant, ne prévoyait une fin aussi proche pour lui dont la nature était des plus résistantes. Eh bien, deux jours avant le décès, vers 9 heures du soir, nous étions au chevet du ma¬lade, ma femme, celle du défunt, et leurs deux filles, Angiolina, âgée de vingt-cinq ans, et Franceschina, âgée de dix-huit. J'ajoute que les facultés mentales de mon beau-frère se maintinrent toujours parfaitement lucides.
Tout à coup, nous fûmes surpris, presque épou¬vantés par un bruit assourdissant, comme provenant de la chute et du brisement de nombreuse vaisselle dans la chambre contiguë, dans laquelle nous accourûmes sans rien trouver, car il n'y avait pas de vaisselle dans cette chambre ; et nous fîmes le tour de toute la maison sans rien constater d'anormal. Ce n'est pas tout : après une heure environ, nous prîmes congé du malade, et, accompagnés de ma belle-soeur et de nos neveux, nous nous trouvions sur l'escalier, lorsque notre attention fut attirée par d'autres bruits très forts ressemblant à celui d'un bâton frappé sur la terrasse qui surmontait la maison, où cepen¬dant personne ne se trouvait. Après deux jours, comme je l'ai dit, mon beau-frère mourait.
Le 20, cet autre phénomène se produisit chez moi. Quelques minutes manquaient à 1 heure de 1'après-midi ; je prenais place avec ma femme pour déjeuner, quand nous entendîmes dans la chambre contiguë trois coups très forts, comme de bâton, sur un meuble de bois. Nous tressaillîmes, et ma femme, encore sous l'impression des premiers avis, dit que quelque autre malheur nous attendait ; mes assertions pour la calmer furent inutiles, et le déjeuner alla mal. Eh bien, le soir, je reçus un télégramme de Catanzaro, m'annonçant la mort de mon neveu Gabriel Balsamo, âgé de vingt-six, causée par une fièvre typhoïde précisément à 1 heure de l'après-midi. (Luce e Ombra, 1911, p. 265).
XXXIIe Cas. Le Prof. James Hyslop l'a étudié, et je le tire du Journal of the American S. P. R. (1911) p. 372). A remarquer le fait que le fantôme du défunt apparu à la mère dans le rêve symbolique, réapparut à la fille à son lit de mort.
Une nuit, j'eus en songe une vision aussi claire que si j'avais été en plein jour et qu'on eût levé un rideau de théâtre devant moi. Je voyais deux jolis plants : un de « fleurs-de-neige » et un d'hortensias, tous deux plus hauts et plus fournis qu'ils ne le sont généralement, surchargés de fleurs blanches, et recouverts d'une légère couche de neige. Mon mari défunt, vêtu de noir, apparut à leur côté, me regar¬dant et souriant. Il cueillit trois fleurs du premier plant, me fit observer que les fleurs étaient couvertes de neige, et disparut. Je me retrouvai assise dans mon lit, et pleinement éveillée. Je pensais : « Ce ne peut être un simple rêve ; mon mari est venu m'annoncer ma fin qui s'approche ». J'avais perdu mon mari et une fille ; j'en conclus que la troisième fleur retran¬chée devait me représenter moi-même. J'eus cette vision dans le coeur de l'hiver, et je me préparai à mourir. J'avais dans les Etats Occidentaux une fille mariée, à laquelle j'appris mon rêve ; et elle me sembla convaincue à son tour qu'il s'agissait de la prédiction de ma mort. Elle était jeune, belle, et jouissait en apparence d'une parfaite santé ; et pourtant c'est elle qui, le 13 mars, succombait à la suite d'une paralysie cardiaque. La maladie fut brève, et au moment suprême elle s' écria : « Comment donc ! Il y a ici papa, je vois mon papa ! » Et elle s'éteignit aussitôt.
On voit déjà émerger, dans le symbolisme de ce cas, ce que nous avons remarqué précédemment : que d'habitude, dans les prémonitions de mort se rapportant à de stricts parents, ou autres personnes chères au percipient, le symbolisme prend une forme vague, comme si on voulait créer en lui un état propice de vigilante appré¬hension, capable de préparer les intéressés à l'accomplissement d'un événement douloureux, sans les affliger par la révélation prématurée de la vérité. Et dans les rares cas où cet ordre d'idées ne se remarque point, on constate alors l'existence de circonstances qui peuvent expliquer ces exceptions ; ainsi, dans le XXVIe cas, où l'on voit un fils recevoir en songe la prédiction explicite de la mort de son père, on remarque que ses familiers étaient sceptiques en matière de songes, et qu'ils en rirent.
Donc, certaines distinctions intelligentes dans la production du symbolisme prémonitoire ne devraient pas se réaliser si la genèse de ce dernier était exclusivement associative ; c'est-à-dire, si la transmission figurée d'un message indiquait uniquement la voie de moindre résistance parcourue par le message subliminal pour émerger dans la conscience. On en devrait donc conclure qu'en une partie au moins des phénomènes de symbolisme prémonitoire, l'existence d'une in¬tentionnalité ne paraît faire aucun doute .
XXXIIIe Cas. Dans cet autre épisode, auquel on peut appliquer les mêmes considérations, la visualisation d'un cercueil a lieu à l'état de veille, avec la particularité qu'au point précis où apparut le cercueil hallucinatoire, le cercueil réel fut ensuite réellement déposé. Je le trouve dans les Proceedings of S. P. R., Vol. XI, p. 521.
Mrs. Baker, femme du colonel F. Baker Pasha, écrit à la date du 22 juin 1891 :
Un incident plutôt étrange se produisit dans ma famille voici plusieurs années, et plus précisément en 1887. Un jour, ma soeur H. et moi étions assises dans notre chambre, causant, lorsqu'elle se leva pour descendre au salon. Immédiatement, je l'entendis appeler avec un accent de terreur ; j'accourus promptement, et je la trouvai fortement agitée par l'apparition qu'elle avait vue d'un cercueil devant le piano. Trois semaines après, une autre de mes soeurs mourut ; dans l'attente de la cérémonie, son cercueil fut porté en bas et déposé en face du piano, à l'endroit précis où ma sœur l'avait vu par un phé¬nomène de prévision.
(La percipiente, Miss H., ne se sent pas le courage d'envoyer son propre récit, ce souvenir lui étant trop pénible).
XXXIVe Cas. Autre rêve symbolique avec cercueils, beaucoup plus complexe que les pré¬cédents, et auquel on pourra appliquer aussi les considérations énoncées plus haut. Je l'extrais des Proceedings of the S. P. R., Vol. XI, p. 493. Le Rév. B. Dulley, résidant à. Saint-Peter's Clergy House (London Docks) le recueillit, et, après l'avoir transcrit, le soumit à la percipiente, qui le reconnut correct dans tous ses détails.
Mrs. Annette Jones, femme d'un marchand de tabac de « Old Gravel Lane » (East London) avait dans les premiers jours de septembre un enfant, nommé Pierre, qui était malade. Une nuit, elle rêva qu'elle voyait passer un char, que le conducteur arrêta devant elle, en retirant le drap noir qui le recouvrait, et lui montrant trois petits cercueils, deux blancs et l'autre bleu pâle ; le bleu était le plus grand des trois. Le conducteur retira le plus grand des cercueils blanc, le déposa auprès d'elle, et poursuivit sa route avec les deux autres. Au matin, Mrs. Jones raconta le rêve à son mari et à une autre femme, insistant spécialement avec son mari sur le fait curieux du cercueil bleu pâle.
Le 10 septembre, une amie des époux Jones, Mrs. Devonshire donna le jour à un enfant que l'on appela Eric. Il semblait sain et robuste, mais une maladie pulmonaire l'atteignit, et il suc¬comba le 29 septembre. Le lundi suivant, 2 octobre, le fils des époux Jones succombait, âgé de seize mois. Les parents, ayant été informé que l'enterrement du petit Eric devait se faire le mercredi suivant, choi¬sirent aussi ce même jour, un peu par amitié, un peu par économie, pour leur propre enfant. Le matin du mercredi, le prêtre informa les époux Jones qu'un autre enfant était mort, fils de certains Jupp que ceux-ci ne connaissaient pas, et qu'on l'aurait porté à l'église en même temps que les deux autres. A ces mots. Mrs. Jones s'adressa à son mari obser¬vant : « Les cercueils de nos enfants sont blancs ; si celui-ci est bleu pâle, mon rêve aura son plein accomplissement ». Et elle attendit anxieusement le passage du troisième enterrement ; lorsque le cercueil apparut, et qu'elle le vit bleu pâle, elle se cramponna convulsivement à sa soeur, s'écriant : « Voici mon rêve ! » Il reste à remarquer que les dimensions respectives des trois cercueils; corres¬pondaient pleinement : celui du petit Eric, n'ayant vécu que quelques jours, était le plus petit ; celui de l'enfant Jupp, âgé de six ans, le plus grand, celui de Pierre Jones, plus petit que celui-ci et plus grand que le premier ». (M. Jones confirme le récit de sa femme).
Si la vision de Mrs. Jones s'était bornée au fait de la déposition d'un cercueil à son côté, il serait logique de conclure que le songe en ques¬tion tirait sa source unique de son anxiété ma¬ternelle pour l'enfant malade, auquel la coïnci¬dence de la mort du petit garçon aurait attribué une apparence prémonitoire. Mais le rêve en question se complique de la vision de deux autres cercueils, correspondants à deux autres morts d'enfants, dont les cercueils devaient se réunir dans un même enterrement avec celui du fils de la percipiente ; plus l'épisode absolument im¬prévisible du cercueil bleu pâle. Et alors l'hypo¬thèse psychologique tombe, et le caractère supernormal du rêve émerge indiscutablement ; en outre le cas est suffisamment extraordinaire pour nous rendre perplexes sur l'hypothèse prémo¬nitoire la plus apte à expliquer l'ensemble des faits. Je me propose de développer plus loin ma pensée, à l'occasion d'autres citations d'épisodes analogues (cas XXXIX).
XXXVe Cas. On pourra appliquer à cet autre cas les considérations exposées tout à l'heure sur l'existence d'une intentionnalité dans les prémonitions. Je l'extrais du Vol. V, p. 305, des Proceedings of the S. P. R. ; c'est un exemple de symbolisme auditif en conditions de veille. La percipiente est Mrs. Morrison, avec laquelle Gurney discuta longuement le cas, survenu en mai 1878, dans l'Inde Orientale, province de Wellesley.
Après avoir fait allusion aux malheurs mul¬tiples dont sa famille avait été victime à cette époque, Mrs. Morrison dit au sujet de la mort d'une petite fille à elle :
Plusieurs jours avant que ma fille tombât malade, je me trouvais au lit un matin, complètement éveillée, lorsque j'entendis une voix parfaitement claire qui disait : « Quand les ténèbres s'amasseront à onze heures, la mort passera ». Epouvanté, je me dressai d'un trait, et la même voix répéta lentement, délibérement, les mêmes paroles.
Lorsque, une semaine après environ, ma petite fille tomba gravement malade, je surveillais avec une terreur et une anxiété indescriptible l'aspect du ciel, le jour comme la nuit ; c'était un moment de pleine lune. Plusieurs jours se passèrent ; l'enfant oscillait entre la vie et la mort ; en haut le soleil resplendissait toujours, net et flamboyant ; aucun indice de nuages ou de prochains changements at¬mosphériques. Deux fois dans le cours de vingt-quatre heures arrivait l'heure tant redoutée. Une semaine se passa ainsi ; et voici enfin qu'éclata avec une rapidité foudroyante un ouragan ; quelques minutes seulement manquaient à 11 heures. Les domestiques s'élancèrent partout, fermant les volets à la hâte, et la maison devint extrêmement sombre. Au dehors, les nuages s'amassaient et mon coeur se brisa. Ce même jour, un peu après une heure de l'après-midi, ma fille rendait son âme à Dieu...
Ce cas, où dans la prémonition de mort se trouve révélée l'heure précise de ce qui devait arriver, et qui contient la prédiction d'un trouble atmosphérique imprévisible, s'adaptera aussi aux considérations apposées au XXXIXe cas.
XXXVIe Cas. Pour faire contraste avec les deux épisodes cités, où la personne qui doit mourir n'est pas désignée, je rapporterai deux exemples où celle-ci est désignée, mais où il trans¬paraît que les personnes en question n'étaient pas rattachés par de forts liens affectifs aux perci¬pients.
Le cas fut rigoureusement étudié par les soins de deux ministres de l'Eglise anglicane, les Rév. J. G. et A. T. Fryer, et parut dans le Journal of the S. P. R., Vol. XI, pp. 223-227 ; on y rapporta au complet les témoignages et les procès-verbaux de l'enquête, qui ne laisse rien à désirer.
Le Rév. J. G. écrit au Rév. A. T. Fryer :
10 décembre 1903. Je pense que le cas sui¬vant vous intéressera. Nous avons avec nous une jeune dame, maîtresse dans les Asiles enfantins, et amie intime de la Directrice de ces mêmes Asiles. Cette dernière était fiancée, et devait se marier après Noël. La dame dont je parle accompagnait souvent le couple dans ses promenades, étant également amie du fiancé. Celui-ci était professeur d'arts et métiers à l'école de « Pupil Teacher's Centre ». Voici trois semaines, la dame, descendant pour le déjeuner, se montra moralement abattue, et raconta qu'elle avait eu un rêve horrible, d'une vivacité extraordi¬naire. Elle avait rêvé que le fiancé de la Directrice était subitement tombé malade, que la Directrice était accourue à son chevet pour le soigner, mais que ses soins affectueux n'avaient pu le sauver de la mort. Après avoir écouté le récit, je lui dis d'un ton de plaisanterie : « Ignorez-vous que les songes doivent être interprétés en sens inverse ? Votre rêve est donc un bon pronostic pour le mariage imminent». — Elle observa : « J'en ai été trop tristement im¬pressionnée ; il était si réel ! » Le même jour, elle demanda à son amie des nouvelles de son fiancé, et apprit qu'il se portait parfaitement. « Je te pose cette question — ajouta-t-elle — parce que la nuit dernière j'ai rêvé qu'il était tombé gravement ma¬lade. » — « C'est tout le contraire, heureusement hier soir, il s'est montré fort comme un lion ».
Le même jour, la Directrice, rencontrant son amie, lui dit : « Je suis impatiente de revoir mon fiancé, parce que ton rêve m'a rendue plutôt inquiète ». Elle alla le voir, et le trouva légèrement enrhumé. Cependant le rhume, après avoir persisté une quin¬zaine de jours, dégénéra en pneumonie. Sa fiancée se rendit auprès de lui pour le soigner, mais ses tendres soins ne l'arrachèrent pas à la mort... Nous l'avons porté hier au cimetière voisin...
(L'enquête nous montre que le rêve eut lieu dans la nuit du mercredi 18 novembre 1903 ; que la percipiente en informa le Rév. J. G., et puis la Directrice, le lendemain, jeudi, et que le fiancé contracta le refroidissement fatal, le soir du samedi 21 novembre. De là la certitude que le rêve prémo¬nitoire date d'un moment où nul indice de l'accident n'apparaissait, ou mieux, où la maladie qui entraîna le fiancé à la mort n'existait pas encore).
XXXVIIe Cas. Dans l'épisode suivant, la préannonce de mort se produit quand la personne désignée était déjà malade ; par contre, on y voit indiqués le jour et l'heure où la mort devait survenir, deux particularités qui, com¬binées, ne pourraient certainement pas être expliquées par l'hypothèse des « coïncidences fortuites ».
Le Prof. Andrew Lang, l'historien et mytho¬logue bien connu, recueillit et étudia ce cas, survenu dans une famille de ses amis. Le procès-verbal contient trois relations concordantes de l'épisode ; je ne citerai ici que le passage essentiel de la seconde. Le Journal of the S. P. R., l'a publie dans son Vol. XII, pp. 340-342.
Mr. L., écrit au Prof. Lang :
30 avril 1906. Le fait au sujet duquel vous m'interrogez est le suivant : Un grand ami à nous tomba malade le dimanche (date omise) de cette année. La maladie dégénéra en pneumonie, et natu¬rellement nous étions préoccupés ; mais comme l'inflammation n'avait envahi qu'un seul poumon, nous avions de bons espoirs de guérison.
A l'aube du mardi... (neuf jours après) je fus éveillé par les gémissements de ma femme, qui me causèrent une grande émotion, car j'avais eu peur pour elle. Au contraire, elle dormait, et répétait plaintivement, mais très clairement : « Donc ce sera pour jeudi, à quatre heures ! jeudi à 4 heures ! » Dès qu'elle se réveilla, je lui demandai : « Qu'avais-tu donc ce matin ? — Tu as certainement rêvé des choses hor¬ribles, car tu gémissais, et tu as crié à maintes reprises : « Ce sera pour jeudi, à quatre heures ! »
Alors elle me raconta avoir rêvé que le médecin de la famille était venu à elle pour l'informer que notre ami M. C., serait mort jeudi, à 4 heures...
Il en fut ainsi : M. C. mourut le jeudi suivant, quelques minutes après 4 heures.
XXXVIIIe Cas. Le même Prof. Lang raconte cet autre épisode, étrange et intéressant, que j'emprunte au Light, 1899, p. 270.
Le 15 juin 1898, une dame de ma connaissance, dont le nom est méritoirement connu dans plusieurs branches de la littérature, me conta que le jour précédent, elle avait été rendre visite à une amie ; en causant avec elle, elle avait vu ap¬paraître un homme inconnu, lequel avait plongé un couteau dans le côté gauche de celle-ci. A ce récit, je me déclarai prêt à parier 100 livres ster¬lings que sa vision n'aurait jamais été réalisée.
A l'automne, la même dame alla faire une nouvelle visite à son amie ; et, à son immense stupeur, elle rencontra dans l'escalier l'homme de sa vision. Pé¬nétrant dans l'appartement, elle trouva son amie mourante ; alors elle apprit que la délicate cons¬titution de cette derniêre ne lui avait pas permis de supporter les conséquences d'une opération du coté gauche pratiquée par l'homme de sa vision, qui était un chirurgien.
XXXIXe Cas. L'épisode suivant, quoique moins sensationnel que le précédent, semble thé¬oriquement encore plus inconcevable, car une scène de mort y apparaît à la voyante dans toutes ses particularités absolument imprévoyables.
Je le prends dans les Proceedings of the S. P. R., Vol. XI, p. 505. Le relateur du cas est le Dr Alfred Cooper ; la narration est étayée par la signature de la percipiente, qui est la Duchesse de Hamilton, et par les témoignages du duc de Manchester et d'un autre gentilhomme auquel la duchesse avait communiqué le cas avant l'accomplissement des faits.
Le Dr Cooper raconte donc :
Quinze jours avant la mort du comte de L., survenue en 1882, j'avais été, pour des raisons pro¬fessionnelles, voir le duc de Hamilton. La consulta¬tion achevée, nous revînmes ensemble au salon, où se tenait la duchesse. Le duc me demanda : « Comment se porte le comte ? » — La duchesse, interve¬nant : « Quel comte ? » — Je répondis : « Lord L. » — « Alors elle observa : « C'est étrange ! J'ai eu hier soir une vision impressionnante. Je me trouvais au lit depuis peu, et je n'étais pas encore endormie, lorsque je vis se dérouler devant moi une scène en tous points analogues à une situation dramatique sur une scène. Les acteurs étaient : Lord L.. renversé sur un fauteuil, comme inanimé ; et un homme à barbe rousse, penché sur lui. Lord L. se trouvait auprès de la baignoire et en haut brûlait une lampe rouge, que je vis distinctement ». — Je répondis : « Lord H. se trouve actuellement soumis à mes soins pour une légère indisposition ; mais il n'y a aucun danger de mort. En quelques jours il se rétablira ».
En effet son état s'améliora de plus en plus, de façon à atteindre au rétablissement presque complet ; mais une semaine s'étant passée, je fus rappelé d'ur¬gence. Je constatai qu'une inflammation avait envahi les deux poumons. J'appelai en consultation le Dr William Jenner, mais tous les soins furent inutiles, et le malade mourait après six autres jours.
J'avais appelé pour l'assister deux infirmiers, mais l'un d'eux manquait à la fin, étant souffrant. Quand, au moment de la mort, mon regard tomba sur l'autre, ma pensée se reporta au rêve de la du¬chesse que je voyais représenté devant moi. L'in¬firmier était penché sur le comte, qui gisait inanimé près de la baignoire ; et c'est étrange à dire ! mais sa barbe était rousse, et une lampe rouge brûlait au-dessus de la baignoire. Il est rare de trouver une salle de bains éclairée par une lampe rouge, et c'est cette circonstance qui me rappela à l'esprit la vision de la duchesse, vision qui se produisit quinze jours avant la mort de Lord L. Cas extraordinaire, en vérité !
Signés : Mary duchess of Hamilton et Dr Alfred Cooper
(Cette relation fut lue et approuvée par le duc de Manchester, père de la duchesse de Hamilton, auquel cette dernière avait raconté sa vision, le jour suivant. La duchesse ne connaissait que de vue Lord L., et ignorait qu'il fùt malade. Elle est certaine d'avoir été éveillée au moment de sa vision ; car, pour la faire s'évanouir, elle ouvrit les yeux et les referma, sans d'ailleurs atteindre son but).
Comment s'expliquer les deux derniers cas joints aux autres cas analogues qui les précèdent, où se groupent, autour des prémonitions de mort, des visualisations d'incidents auxiliaires absolument accidentels et imprévisibles, et qui, au point de vue théorique, semblent plus inconcevables encore que les prémonitions elles-mêmes ? Je me limiterai pour le moment à quelques considérations d'ordre général, car toute discussion serait prématurée jusqu'à ce que l'exposition des faits qui suivront n'en soit venue faciliter la compréhension.
D'abord, je suis d'avis qu'il faut exclure l'hy¬pothèse des « coïncidences fortuites », ainsi que celle des « inférences subconscientes » entendue dans le sens strictement psychologique. Quant à la version supernormale de cette dernière hypo¬thèse, selon laquelle les sensitifs auraient déduit l'avenir sur la base de causes existant dans le présent (y compris la visualisation de situations d'ambiance insignifiantes et imprévisibles), j'ai déjà eu l'occasion de manifester ma pensée que, en dehors de certaines limites, il ne soit pas pos¬sible de l'admettre sans accorder une fraction trop importante d'omniscience divine aux facultés en question, avec toutes les conséquences antitéthiques qui en dérivent. J'ajoute mainte¬nant que je démontrerai en temps voulu comment elle résulte inconciliable avec les faits (cas XLIX-LXVII-CX) ; et aussi, que le pro¬blème de la précognition d'incidents insigni¬fiants et banals comporte une solution diffé¬rente et meilleure (Sous-groupe L.) ; enfin, qu'en ligne générale tout concourt à prouver que les phénomènes prémonitoires d'ordre élevé et complexe sont en grande partie d'origine ex¬trinsèque.
Ceci posé, je me hâte de déclarer que je n'entends point, par cette affirmation, contester la possibilité qu'à côté des prémonitions complexes d'origine extrinsèque, il s'en réalise d'autres, également complexes, pourvues d'une origine sub¬consciente ; j'entends uniquement exclure l'hy¬pothèse par laquelle les sensitifs parviendraient à ces résultats en inférant l'avenir du présent ; tandis que j'admettrais qu'ils y parvinssent médiatement, c'est-à-dire, en lisant, ou en inférant les faits sur la base de «traces » sui generis qui existeraient, soit dans leur propre subconscience, soit en celle d'autrui, soit dans un « ambiant psychique » ou «métaéthérique », ou « astral » ; en ce cas, la genèse des traces transcendentales en question resterait à expliquer ; et ceci, selon les cas, nous conduirait à admettre les hypothèses «réincarnationniste », « prénatale », « fataliste », « spiritualiste », dans le sens indiqué dans l'Introduction.
A l'appui de ce que j'affirme, je remarque que les modalités d'extrinsécation de la clairvoyance dans le futur correspondent exactement aux modalités par lesquelles s'extrinsèque la clairvoyance dans le passé, ou psychométrie ; dans un cas comme dans l'autre, en somme, ces moda¬lités consistent en visualisations représentatives à tel point identiques, qu'elles donnent naissance à des erreurs d'inversion dans le temps ; visuali¬sations qui, pour la clairvoyance dans le passé, tirent probablement leur origine de traces ou vibrations latentes, ou influences psychiques ou physiques que les événements laissèrent ou déter¬minèrent soit dans les subconsciences des vivants, soit dans les objets inanimés, soit dans l'ambiant où ils se déroulèrent. Ici, cette question surgit spontanément : « Vu que, dans les deux ordres de phénomènes, on rencontre une identité d'effets, n'y aurait-il pas, d'aventure, une identité de causes ? En d'autres termes : si la clairvoyance dans le passé se détermine sur une base de traces, vibrations, influences existant dans un « milieu » quelconque, pourquoi donc, malgré les appa¬rences, quelque chose de semblable ne pourrait-il se réaliser pour les événements futurs ? Dans ce cas, au lieu de traces, ou influences déter¬minées par les événements déroulés dans le monde physique, nous aurions affaire à des traces ou influences prédéterminées par les événements en voie d'extrinsécation dans ce même monde, ou préordonnées de quelque autre manière ; et les hypothèses « réincarnationniste », « préna¬tale », « fataliste », « spiritualiste » toutes vieilles comme l'humanité, se prêteraient par¬faitement à cet ordre d'idées.
Ajoutons que l'analyse des autres facultés supernormales existant dans la subconscience viendrait confirmer ensuite ce point de vue, car les caractères de ces facultés démontrent qu'elles sont des facultés de sens élevées au degré su¬pernormal spirituel, et non des attributs de l'in¬tellect, ou plus précisément, des facultés d'abstrac¬tion, comme devrait être considérée la clairvoyance dans le futur si elle était due à des inférences de causes existant dans le présent.
En d'autres termes : la télépathie peut se comparer à une extension supernormale des sens par lesquels l'homme communique à distance, c'est-à-dire : la parole et l'ouïe ; la clairvoyance dans le présent, à une extension super¬normale du sens de la vue ; la clairvoyance dans le passé, ou psychométrie, à un sens supernormal spécifique apte à la perception et interprétation des « traces » déterminées par les événements dans un « milieu » quelconque. Ceci posé, il s'ensuit que si telle est la règle pour les facultés supernormales subconscientes, très vraisembla¬blement aussi la clairvoyance dans le futur de¬vrait s'y conformer, pouvant être réduite à une faculté de sens. Et comme aux inductions a priori correspondent les déductions a posteriori, c'est-à-dire que de l'analyse comparée des faits émergent des circonstances qui tendraient à le prouver, il est conforme aux méthodes de recherche scientifique de nous en tenir, jusqu'à preuve contraire, à cette hypothèse.
D'ailleurs, en voulant considérer la clairvoyance dans le futur comme une faculté supérieure d'abstraction psychique, par laquelle le Moi subconscient inférerait l'avenir sur la base de causes existant dans le présent, de même façon que l'astronome, à de nombreux mois d'inter¬valle, infère le jour, l'heure, la minute où une comète devra atteindre son périhélie — en vou¬lant soutenir cette opinion, dis-je, on viendrait à conférer au Moi subconscient une puissance d'abstraction tellement prodigieuse, qu'elle sem¬ble inconcevable et inconciliable avec la nature humaine ; et comme étant d'élévation dans une des facultés de l'intellect ne pourrait que répondre à un degré comparable l'élévation de toutes les autres facultés qui constituent la synthèse psychique, le Moi subconscient pourrait être considéré comme un demi-Dieu. Et alors, à tant d'omniscience ne pourrait que répondre une partie aussi importante d'om¬nipotence, puisque le postulat philosophique de l'équivalence absolue entre les deux attributs de la Divinité semblent si bien fondé, que, dans une mesure infinitésimale, on en perçoit les effets dans notre monde, où les facultés normales d'in¬férence confèrent une suprématie à quiconque les possède à un degré très élevé, en commençant par l'homme d'affaires qui, inférant du présent la situation future du marché, triomphe sur ses compétiteurs, jusqu'au général d'une armée, qui, inférant les actes stratégiques de l'ennemi, le surprend et le met en déroute. Donc, si l'excel¬lence des facultés normales d'inférence dans la prévision du prévisible, confère une suprématie sur terre, la possession de facultés d'inférence illimitées jusqu'à prévoir l'imprévisible, devrait assurer aux sensitifs un pouvoir surhumain, quand ce ne serait qu'aux périodes de lucidité. Or, non seulement ceci est bien loin de se réaliser, mais le fait que les sensitifs en conditions de lucidité se maintiennent au contraire dans une attitude passive, qui est un indice certain de condition réceptive, démontre qu'il perçoivent médiatement, et non directement. Convenons en donc : « Si, d'une part, il est prouvé que les sen¬sitifs révèlent des événements futurs imprévi¬sibles, de l'autre, il est prouvé que ceci ne peut se produire en vertu d'inférences subconscientes.»
Il est à noter que ces considérations puissamment suggestives correspondent aux affirmations des somnambules, des voyants et des médiums, qui s'accordent pour parler de « signes précurseurs des événements » interprétés par eux ; ou d'am¬biants spirituels » dans lesquels les causes mûriraient avant que les effets s'accomplissent dans le monde physique ; ou « d'événements futurs qui projetteraient en avant leurs ombres » ; ou d' « entités spirituelles » qui leur révéleraient ce qu'ils communiquent ; par contre, jamais ils n'assurent inférer les événements futurs imprévisibles à l'aide des causes existant dans le présent et lorsqu'on les interroge explicitement à ce sujet, ils répondent que la clairvoyance dans le futur entendue ainsi serait une impossibilité. Ces affirmations sont grandement symptôma¬tiques, surtout si l'on considère qu'il s'agit de sensitifs en conditions de lucidité, et l'on ne peut se passer de réfléchir que si, en vertu de ces mêmes conditions où ils se trouvent, ils parviennent à scruter l'avenir, rien ne s’oppose à ce qu'ils parviennent à compénétrer aussi les causes qui leur permettent de ce faire : et la concordance de leurs assertions positives ou négatives est déjà une bonne preuve confirmative.
Je m'arrête ici pour le moment, car je crois en avoir dit assez pour justifier mon opinion, d'après laquelle l'hypothèse des « inférences subcons¬cientes » doit être exclue de celles qu'on peut appliquer aux phénomènes prémonitoires d'ordre accidentel et imprévisible, ce qui n'empêche pas que ces phénomènes peuvent avoir indifféremment une origine subconsciente ou extrinsèque.
XLe Cas. Dans les deux cas suivants, la particularité théoriquement intéressante consiste dans l'erreur où tombent les sensitives au sujet du temps, de sorte que croyant décrire des évé¬nements réalisés depuis peu, elles révèlent au contraire des événements qui se réaliseront plus tard.
M. W. J. Colville, bien connu dans les milieux psychiques, raconte dans le Light (1909, p. 304) ce fait, dont il fut témoin et partie :
...Je compte parmi mes plus chers amis Madame Saint-Léonard, qui est douée de facultés psy¬chiques peu communes... Il y a quelque temps, le Dr Louis Cohen, de Saint-Louis (Etats-Unis), s'inté¬ressant aux phénomènes psychiques, fut conduit par moi chez la dame en question, à laquelle il demanda si elle ne voyait rien d'important qui se rapportât à sa famille. A sa vive stupeur, et à la mienne, la sensitive décrivit d'une manière précise son père, et lui en annonça la mort. Or, les dernières nouvelles reçues par le Dr Cohen annonçaient au contraire que son père jouissait d'une parfaite santé... En même temps, Mrs. Saint-Léonard insista sur le fait que le Dr Cohen se verrait contraint de retourner immé¬diatement en Amérique, appelé par un télégramme urgent.
La séance se déroula chez Mrs. Saint-Léonard, 72, Lansdowne Road, Notting Hill, le mardi 20 avril. Le vendredi suivant, 23 avril, je me trouvais à Brighton, et je fus surpris de voir arriver le Dr Cohen, accouru pour m'annoncer qu'il venait de recevoir un télégramme de chez lui, lui apprenant la mort subite de son père, et demandant son retour immédiat pour assister sa mère dans l'administration de l'héritage.
M. W. J. Colville écrit alors :
Curieuse est, dans cette vision, la circonstance que la sensitive considéra cette mort comme un événe¬ment déjà réalisé, deux jours avant qu'elle se produi¬sît. L'explication qu'on m'en a donnée est celle-ci :
« Dans le « plan psychique », ou «ambiant spirituel» toute cause qui doit produire inévitablement un effet physique donné, est déjà en partie mûre avant que l'effet s'accomplisse ; il peut donc arriver que l'effet soit perçu par le sensitif comme advenu, même lorsqu'une brève période du temps terrestre s'inter¬pose pour que l'événement visualisé devienne sur terre un fait accompli.
XLIe Cas. M. A. Roland Shaw raconte dans le Light (1900, p. 518) cet autre fait person¬nel analogue au précédent :
J'allai chez une sensitive très connue à Londres, et dis simplement : « Je désire une séance ». Elle prit ma main, et presque aussitôt entra en somnambu¬lisme. Je ne la connaissais pas, et je suis certain qu'elle n'avait jamais entendu parler de moi. A un moment donné, elle leva les mains, s'écriant avec une expression de douleur : « Vous ne savez pas que votre mère est morte ? » — Je répondis : « Je ne le crois pas ; ou du moins, elle se portait bien il y a trois semaines ». — Après une courte pause, une Intelligence extrinsèque communicante se mit à décrire avec toute exactitude ma mère, mon père, mes frères, tous demeurant dans ma patrie lointaine, puis ma maison, le jardin, la grille, les arbres groupés autour ; enfin, elle observa : « Les événements ac¬complis, ceux qui s'accomplissent, et ceux qui de¬vront s'accomplir sous peu, se confondent souvent pour nous, car il nous est difficile, à nous qui n'exis¬tons pas dans le temps, de séparer ce qui est advenu de ce qui va advenir. Or, je vois que votre mère n'est pas encore morte, qu'elle jouit en apparence d'une bonne santé, mais qu'elle doit mourir au cours d'une période de trois mois. Votre frère vous avait conseillé d'aller lui dire adieu avant de partir pour l'Europe, et vous vous reprocherez de ne pas l'avoir fait ; car sa maladie ne durera pas vingt-quatre heures, et sa mort sera subite, car elle a le coeur malade. Je vois que le travail la fatigue facilement, ce qui lui donne le besoin de se coucher et de dormir même durant la journée ». Cette der¬nière affirmation était absolument contraire aux habi¬tudes de ma mère ; surprenant donc en erreur la sensitive sur ce point, je doutai de la véridicité de la prophétie. Cependant, j'écrivis à ma mère, lui demandant des nouvelles de sa santé ; naturellement, j'en taisais le motif. Dans sa réponse, elle me disait jouir d'une excellente santé, n'avoir pas un seul jour été souffrante depuis quatre ans ; mais elle s'aperce¬vait de vieillir, car, en vaquant aux soins domesti¬ques, elle se sentait facilement fatiguée, et souvent elle était obligée de se coucher et de prendre une heure de sommeil même durant le jour. Cette confirma¬tion inattendue des renseignements obtenus média¬niquement me rendit anxieux relativement à la prédiction de sa mort dans le terme de trois mois...
Un dimanche matin, deux mois déjà s'étant écoulés, je fus pris d'un abattement moral profond et inso¬lite, tandis que ma pensée se reportait avec insis¬tance vers ma mère, et ma tendresse pour elle assu¬mait une forme presque morbide, à tel point que je ne pouvais ni manger, ni dormir, ni lire, ni m'occuper d'une chose quelconque ; et je me promenais en long et en large dans la maison avec une agitation ex¬trême... Le jour suivant, je reçus un télégramme par lequel on m'annonçait la mort subite de ma mère, survenue le soir du dimanche. Par une lettre succes¬sive, j'appris qu'elle avait été saisie de fortes dou¬leurs au côté gauche dans l'après-midi du samedi ; que le lendemain elle était suffisamment remise pour quitter le lit ; qu'à 2 heures elle se recoucha, et tandis qu'elle prenait une tasse de thé, elle tomba à la renverse sur l'oreiller, expirant immédiatement.
XLIIe Cas. Ce cas fut premièrement publié par le Prof. Flournoy sur les Archives de Psychologie (Genève) 1904, et reproduit ensuite par le même dans son ouvrage : Esprits et médiums (p. 348).
Le cas mérite avant tout d'attirer l'attention au point de vue de la psychologie du témoignage humain. La relatrice, Mme Buscarlet, n'avait pas conservé de relation écrite de son rêve, qui remontait à l'année 1883, et l'avait exposé ver¬balement d'une manière très détaillée au Prof. Flournoy en 1901. Cependant, la relatrice ayant appris au Professeur qu'elle l'avait raconté par lettre à une dame russe, que 1e rêve pouvait intéresser, celui-ci, sachant combien il faut se méfier des souvenirs lointains, l'invita à rede¬mander à ses amis de Russie la lettre en question. Par bonheur, ils l'avaient conservée, et la lui retournèrent. Il résulta de la comparaison que les dix-huit années écoulées avaient bien apporté des altérations mnésiques dans les détails de second ordre, mais qu'elles avaient scrupuleu¬sement respecté le contenu essentiel du rêve.
Je me contenterai de rapporter le cas tel qu'il a été décrit dans la lettre en question, et commenté par la lettre qui lui répondait. Dans celle de Mme Buscarlet à Mme Moratief, après les souhaits de Noël, on lit le paragraphe suivant :
Cette nuit, j'ai fait un drôle de rêve, que je veux vous raconter, non que j'y attache une importance quelconque, mais seulement parce que c'est drôle. Vous et moi étions sur un chemin, dans la cam¬pagne, lorsque passa devant nous une voiture d'où sortit une voix qui vous appela. Arrivées près de la voiture, nous vîmes Mlle Olga Popai couchée en travers, vêtue de blanc avec un bonnet garni de rubans jaunes. Elle vous dit : je vous ai appelée pour vous dire que Mme Nitchinof quitte l'Institut le 17. Puis la voiture continua de rouler. Que les rêves sont parfois burlesques !
Deux semaines plus tard, Mme Buscarlet re¬cevait de M. Moratief une lettre qui commençait ainsi :
Nous venons de recevoir vos lettres, bien chère Madame, et c'est au lit que ma femme les a lues... Non, chère Madame, il n'est pas drôle, il n'est pas burlesque, hélas, il est étrange, il est frappant, stupéfiant, votre rêve du 10-22 décembre. Mme Nit¬chinof, la chère, la pauvre Mme Nitchinof, a quitté l'Institut, en effet, le 17, mais pour ne plus jamais y rentrer. La fièvre scarlatine, accompagnée de diph¬térie, nous l'a enlevée en trois fois vingt-quatre heures. Elle est morte le 16, à 11 heures 3/4 du soir et à 2 heures du matin, le 17 (n'est-ce pas étrange) on a emporté son corps dans la chapelle avoisinante.
On a craint la contagion pour l'Institut, voilà pourquoi on s'est tant dépêché...
Le Prof. Flournoy soumet ce cas à une analyse serrée et détaillée, et, ne sachant le résoudre par l'interprétation prémonitoire, suppose un phénomène de « télépathie trinitaire », c'est-à-dire que Mme Moratief, liée par une grande amitié aux deux dames qui sont les protagonistes du fait, lesquelles se connaissaient à peine entre elles, ait perçu subconscieminent, le 10 du mois, les premiers symptômes de la maladie latente dans Mme Nitchinoff, perception qu'elle aurait transmise télépathiquement, de Kasan à Genève, à Mme Buscarlet. Mais comme cette hypothèse, déjà suffisamment hardie, ne suffit pas à expliquer le facteur principal du rêve, qui consiste dans la précognition de la date à laquelle le corps de Mme Nitchinoff devait quitter l'Institut, Flour¬noy nous soumet cette autre hypothèse :
... Si l'on songe combien la conscience sublimi¬nale l'emporte sur la conscience ordinaire par la connaissance et la prévision, à échéance souvent fort lointaine, des processus intimes de l'organisme, on concédera, je pense, qu'il n'y a rien de bien ha¬sardé à supposer que Mme Nitchinof ait pu, pendant la nuit du 9 au 10 décembre, se rendre compte de son état latent et se tenir en quelque sorte le discours subliminal suivant : « Bon ! me voilà pincée ! C'est même excessivement grave : je sens bien que je n'en ai plus que pour huit jours. Dans une semaine juste, entre le 16 et le 17, viendra ma fin ; il est difficile de dire si je mourrai avant ou après minuit, mais ce qu'il y a de certain, c'est que ce sera pour cette nuit-là, et que dans le courant du 17 on sortira mon cadavre de l'Institut pour le transporter à la cha¬pelle... Telle est, formulée dans notre langage discursif, l'idée ou l'émotion subconsciente qui, de Kasan, aurait servi d'inducteur télépathique au rêve que Mme Buscarlet fit à Genève la même nuit.
Ainsi raisonne le Prof. Flournoy. Les lecteurs sont libres de se prononcer sur l'admissibilité des suppositions qu'on a lues ; j’observe seulement pour mon compte qu'elles me semblent si faibles et si minces, que j'en suis réduit à me réfu¬gier dans l'hypothèse prémonitoire comme dans celle que la comparaison me montre être de beaucoup la plus simple.
XLIIIe Cas. Je termine ce sous-groupe par l'exposition de trois cas ayant des enfants pour percipients.
Je tire ce premier cas de la Revue Luce e Ombra (1907, p. 601). La relatrice Mme Antoinette veuve Salvi (Via Cedronio, 31, Naples) écrit ce qui suit au Directeur de la Revue. M. A. Marzorati, à.la date du 25 septembre 1907:
Le phénomène que j'ai l'honneur de vous raconter s'est produit dans ma maison, en mai dernier. Mon unique fille Dora, âgée de neuf ans, rêva durant la nuit du 13 au 14 mai que son père était mort, et le matin suivant, au réveil, elle pleurait et racontait l'avoir vu dans son rêve étendu sur le lit mortuaire, s'étendant sur d'autres terribles détails. Nous, son père y compris, cherchâmes à la distraire de cette douloureuse impression, et nous l'envoyâmes tout de suite en classe. Mais l'enfant, toujours sous l'influence de ce rêve, le raconta à la Directrice, à sa tante et à la maîtresse, aux heures habituelles de récréation.
A 2 heures, l'école achevée, la petite Dora revint à la maison avec l'espoir de revoir son père, mais celui-ci venait de sortir pour ses affaires profession¬nelles. A 4 heures, nous étions tous réunis pour broder, lorsqu'on frappa à la porte de ma maison, qui se remplit de monde : avocats, notaires, amis, parents, qui me firent comprendre avec de belles manières que mon mari, l'avocat César Salvi, se trouvant dans un état très grave parce que frappé d'un mal sérieux, serait revenu dans un moment ; en effet arriva la civière de la Croix Verte portant le cadavre de cet homme adoré.
Si vous le croyez utile, vous pouvez publier dans votre scientifique Revue, le récit de ce phénomène, qui, même dans ses plus menus détails, que je n'ai pas racontés, répond exactement à la réalité.
Signé : Antoinette veuve Salvi
La relatrice observe que l'enfant s'était éten¬due sur d'autres terribles détails, qui répondirent exactement à la vérité. Il est déplorable qu'elle les ait supprimés par brièveté, sans songer à leur importance théorique.
XLIVe Cas. Je le trouve dans les Annales des Sciences Psychiques (1899, p. 195498).
Mme Alexandre Bourges raconte cet épisode dont elle-même fut l'héroïne :
J'avais neuf ou dix ans et j'étais à Trieste avec ma famille, lorsqu'un jour, me préparant à sortir pour la promenade avec mon jeune frère, je regardai l'heure à la pendule. Tout à coup, en détournant les yeux, je vis un catafalque noir, entouré de cierges, et, sur ce catafalque, allongé et rigide, un cadavre ; de plus, tout dans la pièce : meubles, tentures, même ceux de couleur vive, étaient devenus noirs comme de l'encre.
Pénétrée d'horreur, je me couvre les yeux un ins¬tant, mais en les découvrant le même spectacle se représente à ma vue. Affolée et hors de moi, je me précipite en poussant des cris dans la pièce voisine où se trouvait ma mère, qui ne comprit rien à ma terreur : « Maman ! Maman ! quelqu'un est mort ! » lui criai-je au milieu de mes sanglots. Ne s'expliquant pas du tout cette crise, elle m'obligea à faire ma pro¬menade quand même, pensant que cela serait une diversion ; mais en rentrant je me mis au lit avec une fièvre causée par l'émotion ressentie. Le fait parut inexplicable, car tout le monde dans la famille était en bonne santé. Mais, trois jours après, mon père se réveillait dans la nuit, se disant en proie à un malaise causé, disait-il, par la digestion. Ma mère se leva, ainsi que moi, et passa dans la pièce voisine pour préparer une infusion. Tout à coup, mon père me regarde d'un oeil étrange ; le souvenir de la vision me revient et j'ai le pressentiment d'une mort pro¬chaine. Je me précipite à la cuisiné et dis à ma mère vivement : « Maman, quand on doit mourir, comment regarde-t-on ? » Ma mère, ne comprenant rien à cette question d'enfant, me dit : « Pouquoi me demandes-tu cela?» Mais, inquiète et peu rassurée, elle s'empressa de retourner à la chambre, où elle trouva mon père râlant et agonisant. Il mourait peu d'ins¬tants après. J'ai été surprise de retrouver dans le catafalque érigé pour mon père, comme c'est l'usage dans ces pays, les détails entrevus rapidement dans la vision, et surtout le linceul d'une couleur marron clair, qui couvrait le bas du corps.
Mes parents de Trieste ont été alors vivement frappés, et doivent se rappeler encore maintenant l'impression profonde que fit sur eux cet événement.
(En effet, la mère écrit de Marseille, racontant l'épisode indépendamment de sa fille, et les deux récits concordent en tous points, sauf que la mère affirme que la percipient avait vu sur le catafalque le cadavre de son père, tandis que la fille ne parlait pas de l'avoir reconnue. Mme Bour¬ges fut donc interrogée à ce sujet, et elle confirma la première version. Nous ferons noter que cette version est aussi conforme à ce que nous avons vu précédemment, c'est-à-dire que lorsqu'il s'agit de personnes strictement liées au percipient, le symbolisme de la prémonition prend d'habitude une forme vague, de façon à le laisser dans une incertitude propice au sujet de la personne désignée).
XLVe Cas. Il est tiré aussi des Annales des Sciences Psychiques (1893, p. 259), et a pour rap¬porteur l'ingénieur A. Goupil, dont le nom est bien connu des culteurs des recherches métapsychiques.
A Tunis, entre la Poste et le Café de France, est un coiffeur français dont je ne sais plus le nom. Un matin de l'été de 1891, je faisais une partie de billard avec lui ; cette partie terminée, je lui en proposai une seconde. « Non, me dit-il, j'attends le médecin et je désire savoir ce qu'il dit. » — « Est-ce que vous avez quelqu'un de malade ? » — « Non, mais j'ai mon petit neveu âgé de... (11 ans je crois), qui a eu hier soir une hallucination ; il s'est levé tout à coup en criant : « Voilà une femme qui veut prendre ma petite cousine (ma fillette de quelques-mois), je ne veux pas qu'elle l'emporte. » Cela dura un bon moment et nous ne pûmes lui faire croire qu'il avait rêvé. — « Est-ce qu'il a déjà eu des hallu¬cinations ? » — « Non ». — « Il se porte bien ? » - « Oui, mais je crains que cela ne soit l'indice d'une fièvre. »—« Votre petite fille se porte bien ? » — « Oui, très bien. » — Je posais cette dernière question parce qu'il venait de me passer par la tête que cette vision voulait dire que la petite allait mourir avant peu. Je ne dis rien de ma pensée à mon interlocuteur qui me quitta.
Le lendemain je lui demandai des nouvelles. Tout son petit monde allait bien. Le surlendemain, même question et même réponse ; le troisième jour, même question et encore même réponse. Il avait l'air de s'étonner de l'intérêt que je semblais porter à ces enfants que je ne connaissais pas. Trois jours se passèrent sans que je le visse de nouveau. L'ayant rencontré le jour après dans la rue, je lui demandai si les enfants allaient toujours bien. — « Vous savez, me dit-il, que nous avons perdu ma petite fille ; elle a été emportée en un rien de temps. (Je crois qu'il m'a dit que c'était du croup). — « Non, dis-je, je ne le savais pas, mais j'attendais cela. » — « Comment cela ? » — « Oui, c'est la femme qui l'a emportée. » — « Quelle femme ? » — « Eh bien, celle qu'a vue votre neveu ; elle représentait la mort, la maladie, ou tout ce que vous voudrez ; ça devait être une hallucination prophétique. »
Je laissai là mon homme très étonné e til pourra affirmer ce récit au moins dans ses lignes principales, car il a été très frappé par mes réflexions et il a dû s'en souvenir. C'est le seul fait de ce genre que j'aie eu.
Ing. A. Goupil.
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Sous–groupe G
Prémonitions de la mort de tiers à longue échéance et où la mort est due à des causes naturelles
Dans ce sous-groupe, comme dans celui qui correspond à la catégorie des auto-prémonitions, j'adopterai le terme de six mois comme minimum de temps pour les épisodes à « longue échéance » ; mais je fais remarquer que ce terme ne repré¬sente rien de concret ; ce n'est qu'une limite facultative adoptée par commodité. Le fait con¬cret consisterait dans l'opportunité d'établir une subdivision de cette nature dans l'ordre des faits étudiés, parce qu'en ligne générale, le temps est un facteur théoriquement important dans les prémonitions.
XLVIe Cas. Dans ce premier épisode, l'intervalle entre la prémonition et son accomplissement est de huit mois. Je l'extrais du Light (1901, p. 393).
Mrs. Alice Bell Campbell parle d'un séjour qu'elle a fait à Londres en 1900, durant lequel elle eut un rêve symbolique plus tard réalisé, et qu'elle décrit ainsi :
Je rêvais que je me trouvais à un enterrement, dont le souvenir très clair me resta : une rafale de neige sévissait. Je discernais distinctement le visage des «porteurs» (qui m'étaient tous inconnus) ; je voyais les fleurs sur le cercueil et l'intérieur d'une église (Episcopale) où la cérémonie se poursuivait. Dans mon rêve, je m'étais avancée pour lire le nom gravé sur le cercueil, mais une grande abondance de fleurs m'en avait empêché ; et, juste au centre, posé sur le nom, je voyais un grand bouquet de roses aux couleurs vives, liées par un ruban.
Le lendemain à déjeuner, je racontai aux convives ma vision, et l'un d'eux m'observa : « C'est que vous devez recevoir bientôt de mauvaises nouvelles de chez vous, et ce seront probablement des nouvelles de mort ». Vingt minutes ne s'étaient pas écoulées, que je reçus un télégramme de ma soeur, résidant à Victoria (Columbia anglaise) ainsi conçu : « Sérieu¬sement malade ; viens tout de suite ».
Chose étrange : à la lecture du télégramme, tout souvenir de la vision s'évanouit de ma mémoire. Je télégraphiai immédiatement, et retins une cabine sur un paquebot de l'Allan Line, en partance pour Montréal.
Lorsque j'arrivai à Victoria, je trouvai que ma soeur était devenue une adepte fervente de la « Christian Science », et qu'elle se soignait selon les règles de la secte. Je m'intéressai également à ces règles, et, pour seconder les idées de la malade, je tins constamment ma pensée fixée sur l'idée de « gué¬rison et de santé » : ceci contribua peut-être à éloi¬gner de moi le souvenir de la vision. Plusieurs mois se passèrent, pendant lesquels la malade resta dans un état stationnaire : mais elle commença un jour à empirer rapidement, et, le mardi 19 novembre, elle s'éteignit.
Ce jour-là, le temps était beau et doux, surtout relativement à la saison, mais, dans la nuit du ven¬dredi, veille des funérailles, la température devint subitement rigoureuse, et le matin, la campagne apparut couverte d'une épaisse couche de neige.
Parmi les nombreuses fleurs envoyées, les regards étaient attirés par un grand bouquet de fleurs aux couleurs vives, auquel était joint un billet expli¬quant que ces roses avaient été cueillies pour la défunte quand elle était en vie, et qu'on priait de les déposer sur son cercueil.
Lorsque nous arrivâmes à l'église, dans le déchaî¬nement d'une rafale de neige aveuglante ; que je vis à l'entrée le cercueil entouré des « porteurs » qui m'étaient tous inconnus avant mon arrivée à Vic¬toria, et au centre le bouquet de roses aux couleurs vives ; alors, alors seulement, me revint comme un éclair le souvenir de la vision perçue, dans ses plus petits détails, vision qu'à mon immense stupeur je voyais se réaliser devant moi.
Quelques-uns assurent que «les événements, quand ils vont s'accomplir, projettent leur ombre en avant ». Or, tel fut le cas pour moi ; et la projection de l'ombre me parvint huit mois avant l'accomplissement.
On remarquera dans ce cas, d'abord, la cir¬constance habituelle d'un symbolisme qui se manifeste de manière à laisser la percipiente dans l'incertitude à l'égard de la personne désignée. Ensuite, le fait de l'évanouissement subit de tout souvenir jusqu'à l'accomplissement de la prémonition, malgré que la percipiente en eût parlé un moment auparavant à ses amis ; forme d'amnésie théoriquement intéressante, parce qu'elle est contraire aux lois de remémoration physiologique, et qu'on la dirait intentionnellement produite. Que si l'on voulait trouver des termes de comparaison avec les « amnésies sys¬tématisées» des sujets hypnotiques, on tomberait dans une pétition de principe, car les « amnésies systématisées » présupposent un agent sugges¬tionneur, qu'il faudrait supposer aussi dans le cas étudié.
Cependant, cette brusque interruption de souvenirs se prête à une objection qui, en partie, infirme l'authenticité du cas exposé, vu qu'après huit mois d'intervalle, on peut raisonnablement supposer une intrusion d'illusions mnémoniques par adaptation inconsciente de la situation présente à celle passée ; pour obvier à ce doute légi¬time, il faudrait donc comparer la relation de la percipiente avec celle indépendante des amis qui en avaient entendu le récit. Faute de cela, et sans léser en rien l'honorabilité de la relatrice, la prudence exige de ne tenir compte que des détails qui, par leur importance et la place qu'ils tiennent dans le thème prémonitoire, résistent vic¬torieusement à l'hypothèse énoncée. Et ceux-ci sont au nombre de deux : le déchaînement de la rafale de neige, et le bouquet de roses aux couleurs vives ; ce dernier ayant empêché la per¬cipiente de lire le nom sur la bière, est indis¬solublement une partie intégrale du symbolisme de la vision.
Malgré ces restrictions, le phénomène prémo¬nitoire demeure encore des plus remarquables.
XLVIIe Cas. Dans le Vol. IX, p. 15, du Journal of the S. P. R. on peut lire l'épisode suivant rapporté d'un ouvrage de Paul Aguez intitulé : Spiritualisme : Faits curieux (Dentu, Paris,1857). La lettre qui le raconte fut expédiée avant l'accomplissement de la prémonition, et le cas est appuyé des témoignages de noms très connus dans le champ du mesmérisme.
L'auteur écrit :
Le 10 décembre 1857, nous adressâmes la lettre suivante à M. Morin, Vice-Président de la Société du Mesmerisme, en le priant de la garder cachetée jusqu'à complète exécution du triste présage qu'elle contenait... Nous conservâmes une copie de la lettre envoyée ; l'original, dont la date est certifiée par le cachet postal, nous fut restitué après la vérification de la date et du contenu Voici la lettre :
« Monsieur, il y a un an environ, après une ex¬périence manquée de clairvoyance dans le « verre d'eau », la jeune dame qui s'y était prêtée vit subi¬tement une scène étrange se refléter sur la surface polie du verre dans lequel elle avait regardé. Elle vit apparaître une chambre contenant deux lits ; un malade était couché sur l'un d'eux, et ses traits con¬vulsés indiquaient l'approche de la mort. Plusieurs personnes entouraient le mourant, parmi lesquelles elle distingua clairement une jeune femme avec deux enfants, tous trois vêtus de deuil.
Cette description ne manqua pas de nous étonner, et, ne sachant à quoi elle se rapportait, nous interro¬geâmes la voyante ; celle-ci nous répondit que le mourant lui semblait être notre ami X., employé du Gouvernement, et les trois personnes vêtues de deuil, sa femme et ses fils.
Quelque étrange que le fait nous parût, nous n'y attachâmes pas une importance exagérée, d'autant plus que M. X. jouissait d'une parfaite santé et était un homme très robuste.
Néanmoins, il y a trois mois, c'est-à-dire neuf mois après la vision décrite, M. X. tomba malade d'une broncho-pneumonie... Notre pensée se reporta tout de suite sur la vision, et nous devînmes anxieux au sujet de notre ami, dont l'état empirait lentement. Dans les dernières semaines, la maladie prit un carac¬tère sérieux, et comme la disposition de l'apparte¬ment faisait qu'il était difficile de donner au malade les soins nécessaires, il décida lui-même de se valoir du privilège accordé aux officiers ministériels, et de se faire transporter à l'hôpital du Val-de-Grâce... Au moment où nous écrivons, la maladie de notre ami se maintient, mais ses conditions sont toujours graves. Tel est l'état des choses à la date du 10 dé¬cembre 1857... »
Post-scriptum. M. X. mourait un mois après l'envoi de la lettre qui précède, laquelle fut lue en présence de MM. le baron du Potet, Petit d'Ormay et Morin, qui, après en avoir pris connaissance, et avoir vérifié le cachet de la poste, portant la date du 11 décembre, certifient que les détails de la lettre sont conformes à la vérité.
L'auteur commente : «Qui aurait dit qu'une personne aisée comme notre ami aurait été obligée, par la force des circonstances, à se faire transporter dans un hôpital ? Qui pouvait croire que sa famille, vue par la percipiente en vêtements de deuil, devait réellement se trouver au chevet du moribond vêtue ainsi, par suite de la mort récente d'un proche parent ?
XLVIIIe Cas. M. Henri Buisson écrit en ces termes au Directeur des Annales des Sciences Psychiques (1907, p. 608) :
« C'est avec plaisir que je vous envoie le récit du rêve dont je vous ai parlé..., qui a été contrôlé par ma mère (décédée), mes frères et soeurs, ma femme, et une vieille bonne...
Le 8 juin 1887, je vis ma grand-mère morte, éten¬due dans son lit, ayant une figure souriante comme si elle dormait. A la tête de son lit et au-dessus, un soleil resplendissait. Au milieu de ce soleil, je lus distinctement 8 juin 1888, la date du jour et du mois placée au-dessus de celle de l'année. Je ne m'éveillai pas (comme il aurait pu se faire) sous l'impression produite par ce cauchemar ; mais le lendemain, obsédé par ce rêve, j'en fis part à ma mère. Celle-ci calma mes appréhensions du mieux qu'elle put, me disant que les rêves ne signifiaient rien, etc., etc.
Bref, on n'en parla plus, mais ma mère le nota cependant ; mes frères et soeurs ont vu cette annota¬tion et, plus tard, ma mère le racontait bien souvent.
Un an après, le 8 juin 1888, ma grand-mère mourrait en un quart d'heure. Ce qui me frappa, ce fut le calme de son visage, calme que j'avais constaté, un an avant, dans mon rêve. Henri Buisson
Attestation. Nous, soussignés, certifions avoir eu connaissance de la mort de notre grand'mère un an avant sa mort à la suite d'un rêve fait par notre frère Henri et consigné par notre mère sur une note. En foi de quoi, nous signons pour confirmer l'authen¬ticité de ces faits. (Mme Henri Buisson. — Mme René Pépin-Buisson - R. Buisson. - P. Buisson. — M. Guitoux (bonne).
XLIXe Cas. C'est un épisode très remarqua¬ble, d'un aspect complètement spirite, et raconté par William Stead. Il parut dans la Review of Reviews, et je l'extrais des Annales des Sciences Psychiques, 1909, p. 120. William Stead écrit donc :
« Il y a quelques années, j'avais comme employée une dame d'un talent vraiment remarquable, mais d'un caractère inégal et d'une santé moins que robuste. Elle devint si impossible qu'en janvier, je songeais sérieusement à me séparer d'elle, quand « Julia » écrivit par ma main :
- Soyez patient avec E. M. Elle viendra nous rejoindre ici avant la fin de l'année.
Je fus stupéfait, car rien ne m'autorisait à sup¬poser qu'elle allait mourir. Je reçus l'avis sans rien dire du message, et continuai d'employer cette dame. C'était, si j'ai bonne mémoire, le 15 ou le 16 janvier, que cet avertissement m'avait été donné.
Il me fut répété en février, mars, avril, mai et juin, et chaque fois le message était comme une espèce de conclusion d'une communication plus étendue :
- Rappelez-vous que E. M. aura cessé de vivre avant la fin de l'année.
En juillet, E. M. avala par mégarde un petit clou ; il se logea dans l'intestin et elle devint gravement malade. Les deux médecins qui la soignaient n'a¬vaient pas d'espoir de la sauver. Dans l'intervalle, « Julia » m'écrivait avec ma main.
- C'est sans doute, lui demandai-je, ce que vous prévoyiez quand vous me prédisiez que E. M. mourrait ?
A mon extrême surprise, la réponse fut :
- Non, elle guérira de ceci, mais quand même, elle succombera avant la fin de l'année.
E. M. se rétablit tout à coup, au grand étonnement des médecins, et elle put reprendre bientôt ses tra¬vaux accoutumés. En août, septembre, octobre, novembre, l'avis de sa fin prochaine me fut commu¬niqué de nouveau à l'aide de ma main. En décembre, E. M. fut atteinte de l'influenza.
- C'est cela ? demandai-je à « Julia ».
- Non, elle ne viendra pas ici de façon naturelle, mais quoi qu'il en soit, elle viendra avant l'expira¬tion de l'année.
J'étais alarmé, mais je savais que je ne pouvais pas empêcher l'événement. Vint la Noël. E. M. était très malade. Mais l'année s'écoula et elle vivait encore. « Julia » repartit :
- Je puis m'être trompée de quelques jours, mais ce que j'ai dit est vrai.
Vers le 10 janvier, « Julia » m'écrivit :
- Vous verrez E. M. demain ; faites-lui vos adieux. Prenez tous les arrangements nécessaires. Vous ne la reverrez plus sur la terre.
J'allai la trouver. Elle avait la fièvre avec une mau¬vaise toux. On allait la transporter à un hôpital où elle aurait été mieux soignée. Elle me parla tout le temps de ce qu'elle allait faire pour terminer ses travaux. En lui disant adieu, je me demandai si « Julia » ne faisait pas erreur.
Deux jours après, je reçus un télégramme m'infor¬mant que E. M. s'était jetée par une fenêtre du qua¬trième étage dans un accès de délire et qu'on l'avait ramassée morte. La date n'avait dépassé que de quelques jours les douze mois dont avait parlé le premier message.
Je puis prouver l'authenticité de ce récit par le manuscrit même des messages originaux et par l'at¬testation contresignée de mes deux secrétaires, à qui, sous le sceau du secret, j'avais communiqué les avertissements de « Julia ».
Ce cas est théoriquement très remarquable, et le nom de son rapporteur est une garantie absolue de son authenticité.
J'attirerai l'attention en passant sur le fait que les deux fois où la personne désignée tomba malade avant l'accomplissement de la prophétie, Stead crut le moment fatidique arrivé, et que, malgré cela, il obtint une réponse négative ; ceci est contraire à la genèse subconsciente du message prémonitoire, et favorable à l'indépen¬dance spirituelle de la personnalité de « Julia », car, dans le cas contraire, l'action auto-sugges¬tive n'aurait pas manqué de s'exercer sur le Moi subsconcient de Stead, l'entraînant à confirmer ce que pensait le Moi normal.
J'observerai aussi que la réponse de «Julia» : « E. M. ne viendra pas ici de façon naturelle » révèle que celle-ci, non seulement connaissait la fin très proche de la dame en question, mais encore était pleinement instruite du genre tra¬gique de mort qui l'attendait ; ceci offre matière à de sérieuses réflexions, car il en ressort que si « Julia » avait confié le fait à Stead, ce dernier aurait sûrement sauvé la malade de la mort en la faisant surveiller. On se pose donc spontanément la question « Pourquoi « Julia » ne le fit-elle point ? Pourquoi, le pouvant, ne voulut-elle pas proférer une parole qui aurait arraché une personne à la mort ? » C'est un troublant mystère, et une explication seule pourrait y répondre : « Cela n'était point permis à « Julia », car les esprits n'ont pas le pouvoir de mettre obstacle aux cours des destinées humaines ». Et nous voilà retombés en pleine hypothèse fata¬liste ; si l'on ne veut pas y arriver, il ne reste d'autres voies de sortie que les hypothèses réin¬carnationniste, ou prénatale.
Les mêmes réflexions peuvent fournir un bon argument contre l'hypothèse de l'origine sub¬consciente de toutes les prémonitions. Si cela était, en effet, on n'expliquerait pas les réticences analogues à cette dernière, vu qu'il ne peut exis¬ter, pour un Moi subconscient, des prohibitions Supérieures qui empêchent de sauver de la mort une personne en lui révélant ce qu'il sait. Dans ces conditions, quelle autre raison invoquer pour expliquer les nombreux épisodes renfer¬mant des réticences analogues? On en cherche¬rait en vain, car il n'en peut pas exister.
Le Cas. C'est un autre épisode à empreinte franchement spirite, que j'extrais du livre de Florence Marryat : « There is no death » (pp. 194-198) Elle écrit :
Après que j'eus fais la connaissance de Lottie Fowler, je puis assurer qu'il n'y eut pas d'événement dans ma vie qui ne m'eût été préalablement annoncé ; toutefois, ces événements ne pourraient pas intéresser le lecteur, exception faite d'un seul, le plus triste de ma vie, et qui me fut prophétisé d'une manière merveilleuse.
En février 1886, Lottie (ou plutôt « Annie », son « esprit guide ») me dit : « Une grande douleur t'est réservée ; je te vois dans un nuage sombre, et sur ta tête est une bière, qui devra sortir de ta porte ».
Je vivais alors seule avec mon mari ; je demandai donc : « Il s'agit peut-être de ma propre bière ? »
- « Non ; c'est celle d'une personne beaucoup plus jeune ». Je tâchai d'en apprendre davantage, mais inutilement.
Malgré tous mes efforts pour distraire ma pensée du triste présage, il me revenait avec insistance, car je savais par expérience à quel point les prophéties d' « Annie » étaient véridiques. Un moment arriva où je sentis ne pouvoir supporter davantage les tortures de l'incertitude, et, retournant chez Lottie Fowler, je demandai à « Annie » : « J'ai besoin de m'entendre dire que le cercueil dont tu as parlé ne regarde aucun de mes enfants ; car si tu ne me délivres pas de cette intolérable angoisse, je crains de devenir folle ». — « Annie » parut réfléchir un moment, puis elle dit lentement : « Non, il ne regarde aucun de tes enfants ».— « S'il en est ainsi — répondis-je — alors je peux faire face à toute autre épreuve ».
Du temps se passa ; en avril je perdis un oncle. Je revins chez Lottie Fowler et demandai à « Annie » : — « Est-ce cette mort-ci que tu m'annonces ? » — « Non, répondit-elle, le cercueil devra sortir de ta porte. Mais le parent qui est mort devra bientôt être suivi d'un second. » (ce qui se produisit dans la semaine).
En février mourut le fils unique de mes voisins. Je les connaissais depuis de longues années et les plaignis profondément. Je regardai les funérailles par la fenêtre, et lorsque je vis sortir le cercueil de la porte de la maison, qui n'était séparée de la mienne que par une petite grille, la pensée me vint que les voyants discernent souvent le futur sous forme d'une succession de tableaux, et qu'il pouvait se faire qu' « Annie » eût vu le cercueil sortir de la porte du voisin et l'eût confondue avec la mienne.
Je revins chez Lottie Fowler (cette insistance prouve à quel point la prophétie m'avait impressionnée) et je demandai à « Annie » : « La personne à laquelle tu faisais allusion n'est donc pas morte ? » — « Non — répondit-elle — ce devra être le cercueil d'un parent à toi ; et désormais l'événement est très proche ». — Je me sentais plus anxieuse que jamais ; néanmoins le tourment de l'attente n'arriva pas jusqu'à me rendre malheureuse, puisqu' « Annie» avait exclu qu'il pût s'agir de quelqu'un de mes en¬fants ; et, tant qu'on épargnait mes enfants, je me sentais forte contre l'adversité.
En juillet, ma fille aînée revint chez moi. Elle était en proie au découragement par suite de la mort d'un ami très cher auquel elle était rattachée par des liens professionnels. Ma fille avait toujours été contraire au mouvement « Spiritualiste » qui lui paraissait inutile et dangereux, et elle trouvait que je m'en occupais trop. Je l'avais souvent priée de m'accompagner aux séances, mais elle me répondait qu'il n'y avait personne dans l'autre monde avec qui elle désirât causer. A présent pourtant qu'elle avait perdu son jeune ami, elle me demanda de la conduire chez un médium, dans l'espoir de commu¬niquer avec son cher défunt ; et je la conduisis chez Lottie Fowler. « Annie » n'attendit pas d'être inter¬rogée, mais s'adressa tout de suite à elle en disant : « Vous êtes venue dans l'espoir de communiquer avec un ami décédé depuis peu. Il est ici avec moi, et affirme que bientôt vous le reverrez ». — Ma fille demanda : « Chez quel médium devrai-je me rendre pour le revoir ? » — « Pour vous aucun médium n'est nécessaire : attendez quelque temps, et vous pourrez le revoir avec vos yeux ». — Comme ma fille était douée de médiumnité (que je n'avais pas cultivée en elle pour raisons de santé), j'interprétai que le défunt se serait manifesté à elle directement. Ma fille interpréta également la réponse dans ce sens, et, s'adressant à moi, dit : « Maman, s'il m'apparaissait pendant la nuit, j'en serais terriblement effrayée ». — Ce à quoi « Annie » répliqua : « Non, vous ne serez nullement effrayée quand vous le reverrez ; vous en serez au contraire infiniment heu¬reuse, et votre rencontre sera une source réciproque de joie ».
A ce moment, ma fille avait signé un contrat très rémunératif pour une tournée artistique en province ; ce qui lui fit demander : « Dis-moi ce que tu vois pour moi dans l'avenir ? » — « Annie » répondit « Venez une autre fois, car aujourd'hui tout est noir autour de vous. Je ne parviens pas à voir clair dans votre avenir quand je m'efforce de le pénétrer, derrière votre tête surgit un voile qui m'en empêche». — Alors « Annie » m'adressa ces mots : « Florrie, le cercueil est tout proche de toi : il est suspendu sur ta tête ! » — Je répondis inconsidérément : « Je me souhaite qu'il vienne une bonne fois et qu'on n'en parle plus. Voilà dix-huit mois que tu m'as fait part de cette funèbre prophétie. » En parlant ainsi, certes, je ne m'attendais pas à le voir se réaliser si tôt et si terriblement. Trois semaines plus tard, ma fille aînée, alors hôte de ma maison, passait le seuil de ma porte immobile dans son cercueil, dirigée vers la dernière demeure de Kensal Green.
Anéantie par le coup effroyable, quelque temps se passa avant que je pusse me rappeler la prophétie d' « Annie » ; et, lorsque je m'en souvins, j'allai lui demander pourquoi elle m'avait torturé l'âme, la tenant durant dix-huit mois dans cette attente douloureuse ; elle me répondit qu'elle l'avait fait sur le conseil de mon « esprit-guide » et dans le but d'éviter que le coup moral trop subit me dérangeât l'esprit. Lorsque je lui demandai pourquoi elle m'avait trompée en m'assurant qu'il ne s'agissait pas de la mort d'un de mes enfants, elle répéta qu'elle avait obéi à des ordres supérieurs, puisque la révé¬lation anticipée et intempestive de toute la vérité m’aurait presque tuée ; ce dont je ne doute pas... »
LIe Cas. Je l'extrais des Proceedings of the S. P. R., Vol. XI, p. 527. La percipiente est une dame très distinguée adonnée à des oeuvres philantropiques et présentée à Myers par le Dr Liébeault. Elle éprouva plusieurs manifesta¬tions psychiques spontanées très intéressantes, dont elle garda le souvenir, et qu'elle réunit ensuite dans un opuscule ; c'est de là que Myers tire ce récit :
En novembre 1877, j'attendais mon troisième enfant ; et, la nuit qui précéda la naissance, je fis un rêve horrible. J'avais la sensation que ma cham¬bre était envahie par une multitude d'influences mystérieuses et malheureuses ; et je vis un petit être se détacher de cette masse confuse et douloureuse au fond de la chambre, et m'approcher en disant : « Je viens à toi pour obtenir le réconfort de ton amour.»
C'était un petit être de l'âge de trois ou quatre ans, humain seulement par son visage, où brillaient deux grands yeux noirs. Je remarquai aussi le mouvement de sa lèvre, exprimant une grande souffrance. Quant. à son petit corps, il était si pénible à la vue, et si différent, que je m'éveillai profondément angoissée, le coeur me battant violemment.
Le matin venu, je racontai le songe à ma mère, qui le jugea un incube provoqué par les conditions dans lesquelles je me trouvais. Ce même jour, sans crainte d'aucune sorte, on souhaita la bienvenue à une troisième enfant, belle, brune, bien conformée et pleine de santé.
Après plusieurs semaines, il m'arriva d'observer pour la première fois que la physionomie de l'enfant, surtout lorsqu'elle était sur le point de pleurer, ressemblait d'une manière impressionnante à l'en¬fant de mon rêve et que dans son visage luisaient les mêmes grands yeux noirs expressifs, très doux. Mais, à mesure qu'elle croissait en âge, on lisait au fond de ses grands yeux une indéfinissable tristesse toujours grandissante. Je communiquai mes appré¬hensions à ma soeur, qui les partagea ; et toutes deux, nous surveillâmes le développement de la fillette avec une angoisse que seules les mères pourront com¬prendre. On l'éleva facilement, l'enfant n'ayant aucun défaut de tempérament ; elle était incroyablement précoce en tout : dans le développement des sens, de la mémoire, de l'intelligence, de l'affection.
Tout alla bien jusqu'à l'âge de deux ans et demi ; mais alors une terrible maladie me l'emporta. Elle fut atteinte de la rougeole, qui provoqua la granulation des reins, et celle-ci détermina une méningite. L'infortunée petite fille resta gravement malade pendant trois mois et demi. Dans la dernière semaine de sa pauvre existence, elle était réduite à des conditions d'amaigrissement extrême ; et, un jour, la montrant à ma soeur, j'observai tristement : « Voici l'enfant de mon rêve, telle qu'elle m'apparut dans des conditions identiques la veille de sa naissance ! »
(La soeur de la percipiente, dans une lettre écrite à Myers le 13 avril 1894, confirme le récit en ces termes : « J'affirme la scrupuleuse exactitude de la relation. Ma soeur me raconta le rêve lorsqu'elle l'eut : je fus témoin de ses appréhensions durant la brève existence de sa troisième enfant, et lorsque celle-ci était à ses derniers moments, elle m'adressa textuellement les paroles rapportées par elle »).
Ce cas justifierait de préférence l'explication « réincarnationniste ». Myers y fait aussi allusion par ces paroles : « Dans les cas exposés ici (il parle de la série entière) on ne remarque aucun indice de messagers spirituels. Ils ressembleraient plutôt à des éclairs très fugaces de remémoration, qui devraient se constater chez des personnes ayant eu la vision anticipée du cours de leur vie, et se trouveraient par là devoir le retraverser à l'instar des sujets hypnotiques accomplissant les sugges¬tions post-hypnotiques qu'on leur a inculquées ».
LIIe Cas. Je le tire du Vol. V, p. 318, des Proceedings of the S. P. R. Le percipient, M. J. R. Edisburg, écrit à la date du 4 février 1884 :
Dans l'année 1859, j'étais étudiant en médecine à Belgrave House (Wrexham). Dans la nuit du 9 juin, je fis un rêve dont aucun souvenir ne m'était resté à mon réveil, sauf la date « 9 juin 1864 », vivement empreinte dans ma mémoire.
M'étant rendu à la clinique le matin suivant, je parlai du rêve au chirurgien assistant, et lui dis : « Soyez témoin que sous ce porte-manteau, j'écris la date : « 9 juin 1864 » J. F. E. » ; et si, à cette époque, vous aurez encore la charge actuelle, vous constaterez que ceci sera la date de ma mort, ou d'un grand malheur pour moi ». Et j'écrivis le « memento ».
Plusieurs années se passèrent ; j'abandonnai la carrière pour me consacrer aux affaires ; et à la date du 19 juin 1863 », je me mariai. L'année suivante à la date du 9 juin 1864 ma femme mourait. Le soir seu¬lement de ce jour, je me rappelai le songe fait cinq années auparavant.
A la fin du mois, en compagnie de deux amis, j'allai à la clinique médicale, et leur indiquai mon « memento » : « 9 juin 1864. J. E. F. » Etrange cas, en vérité ! (Signé : J. F. Enisbuan).
(Dans une autre lettre, le relateur apporte une légère modification de temps relativement au mo¬ment où il se ressouvint du rêve. Il écrit : « L'impres¬sion du rêve resta vivante en moi pendant de nom¬breuses semaines ; puis elle s'évanouit graduellement, pour resurgir subitement comme un éclair au mo¬ment où le docteur, descendant l'escalier de ma maison, dit : « Il n'y a plus d'espoir pour votre femme. »)
Etrange cas, en vérité, si l'on songe que la prémonition impliquait l'antécédent imprévisible du mariage du percipient avec la personne désignée pour mourir ; de sorte que l'hypothèse fataliste semblerait ici la plus satisfaisante.
LIIIe Cas. Tiré du Light (1893, p. 33). Mr David Van Etter, procureur-avocat à Omaha (États-Unis) attaché à la Cour de Cassation de l'État de Nebraska, rapportait le fait suivant dans une lettre privée au Directeur de la Revue Arena, qui, après consentement de l'auteur, la livrait à la publication :
« Je déclare que tous les détails du récit suivant correspondent rigoureusement à la vérité, et je suis prêt à l'attester sous la foi du serment... En 1867, j'abandonnai Kingston, mon pays natal, pour n'y plus revenir. En 1869, je m'établissais dans l'Etat de Nebraska, pour passer en 1870 dans la « Répu¬blican Walley », où je restai jusqu'en 1875, époque où je vins m'installer définitivement à Omaha.
Du jour où j'avais quitté mon pays natal, jusqu'à l'année 1884, je n'avais plus entendu parler, ni direc¬tement ni indirectement de la personne à laquelle se rapporte ce récit. C'était une cousine à moi, plus âgée que moi de quelques années, bonne, honnête et affectueuse. Elle avait épousé un fermier, et s'était entièrement consacrée aux soins du commerce et de sa petite famille, composée de son mari et de deux fillettes, l'une de six ans, l'autre de dix. Je ne l'avais vue qu'à de rares reprises dans ma vie, et toujours fort peu de temps, sauf en été 1861, où j'avais passé plusieurs jours chez elle, qui furent entièrement consacrés aux plaisirs de la chasse et de la pêche. Même dans cette période, je n'ai jamais eu de con¬versations avec elle qui aient duré plus de quelques minutes, et toujours en présence de sa famille. Je m'étends sur ces détails pour faire remarquer qu'au¬cune affinité psychologique quelconque n'existait entre nous ; on peut affirmer enfin que nous demeu¬râmes toujours presque étrangers l'un à l'autre.
Voilà donc les précédents. Une nuit de l'année 1873, dans ma résidence de « Republican Valley » (éloignée de 1.500 milles de celle de ma cousine, à laquelle je n'avais plus aucunement pensé depuis des années) je rêvai à elle d'une manière très vive, ou, mieux encore, je me trouvait en sa présence. Il me semblait qu'un appel m'était venu d'elle, et que je l'avais trouvée malade dans son lit, soutenue par une montagne d'oreillers, le visage portant la marque d'une souffrance extrême, et les yeux implorant secours, presque comme si j'avais eu le pouvoir de soulager sa terrible agonie de douleur. Je contem¬plais, horrifié, le sein gauche de la malade complè¬tement rongé, décharné, sanglant. A présent encore, quand je rappelle cette scène à mon esprit, je me sens presque défaillir d'effroi. Et pourtant, cet épou¬vantable spectacle réaliste n'était pas réel ; ma cousine était éloignée de 1.500 milles et le fait n'existait pas encore. Il ne me fut pas possible de me rendormir cette nuit-là, malgré ma certitude d'avoir fait un rêve sans signification : mais l'im¬pression ressentie fut telle, que je suis encore à même de me le représenter avec la vivacité primitive.
En 1884 seulement, je vins à savoir que ma cousine était morte ; et je n'appris que le 3 août 1892, que la mort s'était produite le 19 juillet 1878, des suites d'un cancer qui lui avait complètement rongé et décharné le sein gauche, causant à la malade de longues souffrances et une terrible agonie de douleur. Et tout cela s'était produit cinq années après mon rêve, dans une situation ambiante iden¬tique ; mais, je le répète, s'agissait-il bien d'un rêve ?
Signé : David Van Etten
Dans ce cas, la circonstance théoriquement intéressante consiste dans l'affirmation du perci¬pient qu'il avait oublié depuis de longues années la personne visualisée en rêve, à laquelle il n'avait jamais été rattaché par des affinités psycholo¬giques d'aucune espèce, de manière qu'on peut affirmer qu'ils avaient tous deux vécu presque étrangers l'un à l'autre.
Cette circonstance est embarrassante, car, en l'absence de rapports affectifs, on ne saurait expli¬quer la possibilité et la raison du rêve prémoni¬toire. L'unique hypothèse capable de diminuer quelque peu le mystère, serait encore celle « Spiritualiste », laquelle permettrait de supposer qu'une entité de défunt, désireuse de faire parvenir directement ou indirectement la préannonce de mort à la dame impliquée, n'ayant trouvé ni en elle, ni dans aucun de ses familiers ou connais¬sances les conditions psychiques nécessaires pour récepter des impressions télépathiques, se soit adressée au parent lointain comme à l'unique sensitif capable de répondre à ses intentions.
Ou bien, on peut croire que la prémonition avait eu pour but unique de secouer le scepti¬cisme du percipient, qui, dans une autre partie de la lettre, se déclare contraire aux idées spiritualistes.
LIVe Cas. Le fait parut d'abord dans le Light, puis dans le Journal of the S. P. R. (Vol.X, pp. 39-43), appuyé de nombreux témoignages recueillis par les soins de J. G. Piddington.
Mrs. M. R. V. écrit à Piddington en ces termes :
Je n'ai pas de difficulté à vous communiquer mon nom ainsi que ceux de mes amis auxquels je parlai presque tout de suite de ma séance avec Mrs. Zuleika, et de ce qui m'y fut prédit.
En février 1900, après déjeuner, et à un moment où l'idée de me rendre à Londres était bien éloignée de mon esprit, (ma résidence est X., à douze milles de distance) je fus comme envahie par un désir im¬pulsif impérieux d'aller voir Mrs. Zuleika. Comme il était pour moi absurde de quitter la maison à ce moment, je résistai à l'impulsion ; mais elle devint bientôt si irrésistible que je fus contrainte de partir précipitamment, sans presque prendre le temps de m'habiller.
Je n'avais jamais vu Mme Zuleika, et comme je vis très retirée et n'ai jamais pris part à des réunions spiritualistes, je crois inadmissible de supposer que Mme Zuleika me connaissait. Or, à peine m'eût-elle vue, qu'elle dit : « Vous êtes venue par impression ; vous avez été envoyée afin que des choses impor¬tantes vous soient communiquées au moyen de moi». Alors, elle m'annonça voir (je sus ensuite qu'elle avait eu une vision clairvoyante) que mon mari serait subitement parti pour l'Afrique du Sud que pour le revoir avant le départ, j'aurais dû faire un effort de volonté, parce qu'il ne serait pas retourné à la maison, et que j'aurais dû aller à sa rencontre. Elle me conseilla d'entrer en possession de tous les papiers inhérents aux affaires, et aussi d'induire mon mari à faire son testament, parce qu'elle voyait qu'il n'au¬rait pas dépassé l'année en cours. Je répliquai : « Je ne m'étonne pas de votre jugement ; quiconque part pour l'Afrique est destiné à mourir ; mais sachez que mon mari n'est pas officier combattant, et que c'est un homme très robuste ». — Elle répliqua : « Je suis sûre de sa mort : la navette de sa vie n'a plus de fil. Je vois qu'il n'arrivera pas à la fin de l'année ». Tandis qu'elle parlait ainsi, j'eus la visualisa¬tion d'un calendrier, où la parole Novembre émer¬geait au-dessus des autres ; j'en conclus que ce devait être la date fatale...
Puis la voyante reprit le thème de la mort de mon mari, et dit : « La raison pour laquelle vous avez été envoyée est celle-ci, que vous devez tout de suite vous faire remettre par votre mari les papiers se rap¬portant aux affaires, son testament, l'assurance sur la vie, et aussi ses papiers privés ; en cas contraire, vous irez au-devant de multiples ennuis et de graves dépenses. Faites-le tout de suite, parce que son départ est imminent.
Je ne savais rien de sûr relativement au départ de mon mari, que cependant je considérais comme probable... Je lui écrivis immédiatement, et six jours après sa réponse me parvint, où il annonçait qu'il serait parti pour l'Afrique au bout de six autres jours, et qu'avant de partir il serait venu nous dire adieu. Le jour même je tombai malade, et le lendemain, contrainte de garder le lit, je reçus à 11 heures du soir un télégramme de mon mari ainsi conçu : « Je pars demain ; viens infailliblement à ma rencontre», Ainsi s'accomplissait ce qu'avait prédit Mrs. Zuleika, car j'eus besoin de faire un grand effort de volonté pour quitter mon lit, malade, et partir le matin avec mon fils. Arrivés au rendez-vous, dans l' émotion des adieux et 1'agitation du départ, le temps me manqua pour dis¬cuter calmement des affaires ; mais de toute façon, mon mari n'était pas disposé à écouter mes propositions, et répondit qu'il n'en voyait pas la nécessité, parce qu'il ne courait nullement le risque d'être tué !
Mais ce qu'avait dit Mrs. Zuleika vint à s'accom¬plir entièrement mon mari, après avoir joui d'une santé parfaite jusqu'au mois de novembre, tomba malade dans les premiers jours de ce mois, pour mourir quelques jours après ; et les conséquences de sa mort furent pécuniairement désastreuses pour moi, et me causent en ce moment de multiples ennuis et de très graves dépenses.
Signé : M. R. V.
(Suivent les témoignages de sept personnes, qui déclarent que la relatrice leur avait fait part de la prédiction de Mrs. Zuleika au moment où elle la reçut. Il résulte aussi que la relatrice avait, en son temps, pris note de toute chose dans son calepin).
Cet épisode appartient à l'ordre des prémoni¬tions indirectes ou provoquées, dans lesquelles le voyant, au lieu d'être protagoniste ou partie dans l'événement prédit, sert d'instrument consultable. A remarquer l'affirmation de la voyante, qu'elle parlait par mandat d'entités spirituelles intéressées au bien-être de la consultante ; affir¬mation dont la valeur s'augmente de la circonstance, autrement inexplicable, du désir impulsif irrésistible qui poussa la consultante à se rendre chez elle.
Nous avons déjà rapporté d'autres cas de cette nature impliquant des réflexions identiques (XXIe à XXVe — XLe — XLIe — Le —) ; ceci mérite d'être remarqué, car des indices d'interventions extrinsèques au percipient manquent d'habitude aux cas de prémonitions indirectes ou provoquées, ce qui semble une raison suffisante à certains investigateurs pour attribuer la genèse des manifestations prémonitoires, quelles qu'elles soient, aux facultés de la subconscience humaine. Or, les cas comme les précédents où l'on rencontre des indices d'intervention spiri¬tuelle, démontreraient que cette thèse est pour le moins hâtive, même en reconnaissant que les indices ne sont pas des preuves ; en même temps, elles indiquent qu'il est irrationnel de conclure à l'absence d'intervention extrinsèque, même de¬vant un manque de tout indice qui pourrait en faire légitimement supposer l'existence.
LVe Cas. Dans l'épisode suivant, analogue au dernier cité, toute allusion à une intervention extrinsèque fait défaut ; et malgré qu'il soit extrêmement connu, son importance m'oblige à le rapporter. Il s'agit du cas rapporté par le Dr Liébeault dans l'ouvrage : Thérapeutique sug¬gestive (p. 282) ; le nom de l'illustre savant con¬fère au récit une immense valeur. Voici ce qu'il écrit .
7 janvier 1886. Est venu me consulter aujour¬d'hui, à quatre heures après-midi, M. S. de Ch... pour un état nerveux sans gravité. M. de Ch... a des préoc¬cupations d'esprit à propos d'un procès pendant et des choses qui suivent :
En 1879, le 26 décembre, se promenant dans une rue de Paris, il vit écrit sur une porte : « Mme Lenor¬mand, nécromancienne. » Piqué par une curio¬sité irréfléchie, il entra.
Mme Lenormand regardant la face palmaire de l'une de ses mains, lui dit : « Vous perdrez votre père dans un an, jour pour jour. Bientôt, vous serez soldat (il avait alors dix-neuf ans) mais vous n'y resterez pas longtemps. Vous vous marierez jeune ; il vous naîtra deux enfants, et vous mourrez à vingt-six ans.
Cette stupéfiante prophétie, que M. de Ch... confia à des amis et à quelques-uns des siens, il ne la prit pas d'abord au sérieux ; mais son père étant mort le 27 décembre 1880, après une courte maladie et juste un an après l'entrevue avec la nécromancienne, ce malheur refroidit quelque peu son incrédulité. Et lorsqu'il devint soldat, seulement sept mois : lorsque marié peu après il fut devenu père de deux enfants et qu'il fut sur le point d'atteindre vingt-six ans, ébranlé définitivement par la peur, il crut qu'il n'avait plus que quelques jours à vivre. Ce fut alors qu'il vint me demander s'il ne me serait pas possible de conjurer le sort. Car, pensait-il, les quatre pre¬miers événements de la prédiction s'étant accomplis, le cinquième devait fatalement se réaliser.
Le jour même et les jours suivants, je tentai de mettre M. de Ch... dans le sommeil profond, afin de dissiper la noire obsession gravée dans son esprit : celle de sa mort prochaine, mort qu'il s'imaginait devoir arriver le 4 février, jour anniversaire de sa naissance, bien que Mme Lenormand ne lui eût rien précisé sous ce rapport. Je ne pus produire sur ce jeune homme même le sommeil le plus léger, tant il était fortement agité. Cependant, comme il était urgent de lui enlever la conviction qu'il devait bientôt succomber, conviction dangereuse, car on a souvent vu des prévisions de ce genre s'accomplir à la lettre par auto-suggestion, je changeai de manière d'agir, et je lui proposai de consulter l'un de mes somnambules, un vieillard, appelé le prophète, parce qu'il avait annoncé l'époque précise de sa guérison pour des rhumatismes articulaires remontant à quatre années, et l'époque même de la guérison de sa fille.
M. de Ch.... accepta ma proposition avec avidité et ne manqua pas de se rendre exactement au rendez-vous, Entré en rapport avec ce somnambule, ses premières paroles furent : « Quand mourrai-je ? » Le dormeur expérimenté soupçonnant le trouble de ce jeune homme, lui répondit, après l'avoir fait at¬tendre « Vous mourrez... vous mourrez... dans qua¬rante et un ans. » L'effet causé par ces paroles fut merveilleux. Immédiatement le consultant rede¬vint gai, expansif et plein d'espoir ; et quand il eut franchi le 4 février, ce jour tant redouté par lui, il se crut sauvé.
Ce fut alors que quelques-uns de ceux qui avaient entendu parler de cette poignante histoire s'accor¬dèrent pour conclure qu'il n'y avait eu rien là de vrai ; que c'était par une suggestion post-hypnotique que ce jeune homme avait conçu ce récit imaginaire. Paroles en l'air ! Le sort en était jeté, il devait mourir.
Je ne pensais plus à rien de cela lorsque, au commencement d'octobre, je reçus une lettre de faire-part, par laquelle j'appris que mon malheureux client venait de succomber le 30 septembre 1886, dans sa vingt-septième année ; c'est-à-dire à l'âge de vingt-six ans, ainsi que Mme Lenormand l'avait prédit. Et pour qu'il ne soit pas supposé qu'il y eut là quelque erreur de ma part, je conserve cette lettre comme mon registre : ce sont là deux témoignages écrits indéniables ».
Ici s’achève le très remarquable récit du Dr Liébeault. Comme je l’ai dit tout à l’heure, certains psychistes se fondent sur des exemples de cette nature, où nul indice ne transparaît d’interventions extrinsèques au sensitif pour soutenir que la genèse des phénomènes prémonitoires ne doit être cherchée que dans la subconscience des sensitifs eux-mêmes.
Je ne me lasserai jamais de répéter que les causes d’une phénomènologie quelconque ne peuvent émerger que de l’ensemble des faits ; et, tel n’étant pas le cas pour la thèse en question, celle-ci doit tomber irrémissiblement si elle n’offre pas la possibilité d’être examinée sous différents aspects, dont quelques-uns soient acceptables.
Dans notre cas, l’aspect acceptable de l’hypothèse subconsciente réside dans le fait que la sensitive, Mme Lenormand, aurait pu inférer l’avenir du consultant sur la base des causes existant dans le présent ; hypothèse tout aussi insoutenable au point de vu philosophique qu’au point de vue expérimental dès qu’il s’agit d’événements accidentels ou imprévisibles ; ceci pour les raisons exprimées précédemment, qui seront plus tard appliquées aux résultats de fait.
Il nous reste à examiner les autres aspects de l’hypothèse en chantier. Par exemple, on pourrait soutenir que si Lenormand peut prévoir les évènements futurs de la vie du consultant, c’est parce que les conditions extatiques ou hypnotiques dans lesquelles elle se trouvait l’avaient mise à même d'entrer en rapport, soit avec la subconscience du consultant, soit avec quelque-chose de semblable au plan astral des théosophes, ou à l'ambiant métaéthérique de Myers, ou à l'Inconscient Universel d'Hartmann, dans lequel elle lut, ou d'où elle put déduire, tout ce qu'elle révéla ; toutes ces hypothèses nous permettraient d'exclure la thèse insoutenable de l'om¬niscience subconsciente, puisque la sensitive aurait acquis, dans ce cas, par une voie indirecte, ou médiate, ou réceptive, et non directement par inférences de causes existant dans le présent, les connaissances révélées.
Au point de vue théorique, tout ceci ne peut être qu'admis ; mais, une fois ces raisonnements accueillis, on s'apercevrait bientôt qu'ils con¬duisent tout droit à ce transcendantal qu'on voulait écarter. En effet, l'induction d'une sup¬posée lecture dans les subconsciences d'autrui nous entraînerait à admettre implicitement que les événements futurs préconisés existaient de quelque façon enregistrés dans la subconscience du consultant, reconnaissant par là la validité de l'idée réincarnationniste ; et les autres inductions, selon lesquelles la sensitive serait entrée en rapport avec des plans astraux ; ou ambiants métaéthériques, nous feraient inévitablement tomber dans l'hypothèse fataliste. Dans le premier cas, on postulerait une existence prénatale de la personnalité humaine ; dans le second, l'exis¬tence d'un Esprit Suprême, ou de multiple Intelligences Souveraines régulatrices des destinées humaines, et les deux hypothèses combinées, impliqueraient celle Spiritualiste. En conclusion on en arriverait implicitement à reconnaître la validité des hypothèses réincarnationniste, prénatale, fataliste, spiritualiste.
Tout ceci nous apprend qu'il serait vain de s'obstiner à restreindre dans le même cercle de la psychologie universitaire, normale et anor¬male, les manifestations prémonitoires d'ordre complexe et imprévisible, qui échappent et échapperont toujours à ces attaches, étant incontestablement de nature transcendentale. C'est pourquoi je me suis abstenu d'appliquer aux cas de la classification présente cette conception superficielle de l'hypothèse subconsciente, qui m'aurait condamné à subtiliser inutilement à l'infini, et à dévider dans le vide, ce à quoi je préférai d'affronter directement les hypothèses supernormales renfermées dans la première.
A titre complémentaire, j'observerai sans in¬sister que l'hypothèse spiritualiste proprement dite pourrait aussi bien s'appliquer au dernier cas cité ; alors la sensitive aurait acquis les connaissances révélées au moyen d' « esprits désin¬carnés » affectivement rattachés au consultant.
LVIe et LVIIe Cas. Dans les deux cas suivants, aussi extraordinaires que le précédent, les prémonitions de mort assument le caractère de communications spirites. Je les tire du vol. XI., p. 580, des Proceedings of the S. P. R : La relation du premier cas, publiée par Mrs. Louise Chandler Moulton, provoqua la lettre dit Dr Anthony, qui renferme le second. Les deux cas furent renforcés plus tard par les études du Dr Hodgson. Mrs. Chandler Moulton s'exprime en ces termes :
Dans le n° de novembre 1891 du Cosmopolitan Magazine, je publiai un article intitulé : « Comment s'éteignit une famille », où je décrivais les tristes dernières années de la vie du Dr Westland Marston (poète et dramaturge américain) et de ses enfants... J'y parlais de l'étrange prophétie spirite obtenue par la fille aînée du Dr Marston, prophétie dictée à cette dernière par une personnalité médiumnique s'affir¬mant sa mère, et ainsi conçue « Tu mourras la première : puis, Nelly ; puis, Philip ; enfin, votre père ». Ce qui se réalisa exactement dans la succes¬sion prédite.
Cette prophétie m’était connue lorsque les mem¬bres de la famille Marston étaient tous en vie, et forma bien souvent le sujet de nos entretiens.
On y constate les caractères d'une véritable prescience spirite, et sa publication produisit partout une vive impression, ce que me prouve le grand nombre de lettres qui me parvinrent de toutes parts des Etats-Unis et de l'Angleterre. Parmi celles-ci, j'en remarquai une dont l'intérêt était si grand, que j'écrivis à 1'auteur en lui demandant la permission de la publier ; c'est celle que je rapporte ici :
« Providence, 64, John Street. 5 décembre 1891. Madame, J'ai lu votre intéressant article où vous rapportiez une prophétie de mort se rappor¬tant aux membres de la famille Marston ce qui m'entraîne à vous communiquer une prophétie ana¬logue que j'ai pu moi-même constater.
Je suis docteur en médecine et, parmi mes clients habituels, je comptais la famille de M. Hiram Max-field, directeur d'hôtel, et très connue dans toute la Nouvelle Angleterre. Les membres de la famille étaient sains et robustes ; rarement il y en eut de malades, et, lorsque cela arriva, il ne s'agit jamais que de simples indispositions. Un jour je fus appelé pour une légère indisposition de Mme Maxfield, dont la demeure était située au-delà de la baie, à quelques milles de distance. La consultation achevée, j'atten¬dais le bateau qui devait me reconduire quand la fille aînée de Maxfield alors âgée d'un peu plus de 20 ans me rejoignit sur le banc pour me dire qu'elle avait quelque chose à me communiquer ; mais qu'il s'agissait d'une chose si absurde, que je devais lui promettre de ne rien apprendre aux siens. Elle me confia alors qu'elle avait, quelque temps au¬paravant, entendu clairement une voix lui murmurer à l'oreille : « Tu mourras la première ; après toi Harry ; puis, ton père » A ce moment elle était seule ; mais, dans le doute que la voix pût provenir de la chambre contiguë, elle y entra, sans trouver personne ; en même temps, elle entendit la voix lui répéter à l'oreille les mêmes paroles, avec ce surplus : « Et le Dr Anthony se trouvera présent à chaque occasions. »
Les trois personnes désignées dans la prophétie jouissaient alors d'une parfaite santé. Deux ans après environ je fus appelé à donner mes soins à la fille en question, qui, dans l'intervalle, s'était mariée. Je la trouvai frappée d'une attaque apoplectique, et arrivai à peine à temps pour la voir mourir.
Après plusieurs mois, le fils Harry, se mit à dépérir rapidement ; des symptômes de consomption se manifestèrent en lui, et, au bout de quelques mois, il mourut. Pour améliorer sa santé, il avait été habiter une station climatérique en compagnie d'un médecin ; mais là il continua d'empirer et l'on dut le reconduire chez lui. Je fus appelé à son chevet, et, cette fois aussi, j'arrivai juste pour le voir mourir.
Une année plus tard, le père contracta un refroi¬dissement au cours d'une partie de pêche à New Hampshire, et, rentré chez lui, vit son indisposition s'aggraver de telle sorte qu'elle. le conduisit rapidement au tombeau. Je fus encore appelé pour le soi¬gner ; et si, cette fois, je ne puis dire l'avoir littéra¬lement vu mourir, c'est parce qu'il expira dans le très court intervalle de temps où j'avais quitté sa cham¬bre pour répondre à une communication téléphonique.
Donc, la triste prophétie s'était réalisée complètement.
(Il résulte de la consultation du registre profession¬nel du Dr Anthony, que la prophétie eut lieu à la date du 22 avril 1877 ; que la fille mourait le 9 no¬vembre 1879 ; Harry, le 22 juin 1884, et M. Maxfi ld, le 2 juillet 1844. La femme du Dr Anthony confirme pleinement le récit de son mari).
Pour ce qui regarde le cas Marston, j'ajouterai que Mrs. Chandler Moulton, publiant ensuite une lettre sur ce sujet adressée au Dr Marston par la cé¬lèbre poétesse anglaise Elisabeth Barrett Brow¬ning, la fît suivre de commentaires dont j'extrais le paragraphe suivant :
« Lorsque tous ses aimés eurent disparu dans l'ordre prophétisé, le Dr Marston était assis un soir à la table familière, devenue déserte, lorsqu'il vit, ou il lui sembla voir, surgir une main du « monde du mystère » et venir serrer la sienne, tandis qu' une voix lui murmurait à l'oreille de très douces paroles d'encouragement et d'espérance, paroles qui, seules, pouvaient lui rendre la vie tolérable. L'imagina¬tion du poète l'illusionna-t-il, ou est-ce au contraire sa fibre sensitive qui lui révéla des mystères que ne rêva jamais notre obscure philosophie ? Qui le sait ? »
Mme Barrett Browning écrivit au Dr Marston ce qui suit : « Moi qui n'ai aucun droit à vos confidences, je vous suis profondément reconnaissante de l'in¬téressant et émouvant récit de vos expériences per¬sonnelles... Mon mari, qui se proclame sceptique, fut beaucoup plus impressionné par votre lettre, que par toute autre narration de faits analogues... » (Light, 1892, p. 402).
Nous voici devant deux autres cas de l'authen¬ticité desquels il ne nous est pas permis de douter, et qui ne semblent pas pouvoir s'adapter à d'autre hypothèse qu'à celle spiritualiste proprement dite, si on les analyse à fond.
En voulant les expliquer sans s'éloigner des pouvoirs de la subconscience, il faudrait présu¬mer que les sensitives ont lu, ou déduit de « tra¬ces » existant dans leurs propres subconsciences et dans celles des autres co-intéressés, les dates de mort respectives ; si donc nous avons à expli¬quer la genèse desdites « traces », il nous faudra recourir aux hypothèses « réincarnationnistes », ou « prénatales », selon lesquelles les dates en question auraient été prédéterminées par le Moi Intégral, ou subconscient de chacun d'eux à l'instant de leur respective entrée dans la vie.
Ou bien, il nous faudra présumer que les évènements cardinaux de toute existence singulière étant préordonnes, et d'une certaine façon enre¬gistrés dans un ambiant « astral » ou « métaé¬thérique » accessible aux facultés subconscientes, les sensitifs ont pu ainsi pénétrer le mystère de leurs destinées respectives ; ce serait, dans ce cas, à l'hypothèse « fataliste » que nous nous arrêterions.
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Sous–groupe H
Prémonitions de la mort de tiers à brève échéance où la mort est due à des causes accidentelles
Dans tout travail de classification, la subdi¬vision en catégories ne peut revêtir qu'une valeur relative, les faits ne relevant presque jamais d'éléments assez simples ou harmoniques pour se conformer d'une manière complète à une seule subdivision. Il ne reste donc d'autre parti à prendre, que de les classifier en se basant sur l'élément cardinal qu'ils renferment, et en né¬gligeant les éléments auxiliaires et complémen¬taires.
Ce critère nous amènera donc, dans ce sous-groupe et dans le suivant, à recueillir les faits où l'élément cardinal est représenté par l'acci¬dentalité, par conséquent l'imprévisibilité, des morts préannoncées.
Je fais observer que bon nombre des cas déjà rapportés contenaient des éléments de nature accidentelle et imprévisible ; mais ils consis¬taient en incidents complémentaires groupés autour d'un événement cardinal d'ordre différent, et ne pouvaient par conséquent être compris dans le sous-groupe présent. Cela n'empêche pas que les éléments imprévisibles contenus dans les cas en question leur confèrent une valeur théorique identique. Et c'est une valeur très importante, puisque rarement ces mêmes élé¬ments se montrent explicables par des hypothèses psychologiques, ou peuvent être réduits à des exemples d'inférences subconscientes ou de coïn¬cidences fortuites. Au contraire, les hypothèses spiritualiste, fataliste, réincarnationniste, dominent le terrain.
LVIIIe Cas. Je l'extrais des Annales des Sciences Psychiques (1897, p. 124), qui le tirent à leur tour de l'autobiographie du baron Lazare Hellembach. Celui-ci écrit :
J'avais l'intention de demander la collaboration du Directeur de la section de chimie de l'établissement géologique de Vienne, M. Hauer, conseiller de mines, au sujet de quelques recherches que j'avais faites sur les cristaux, ou plutôt sur la cristallisation. Je lui en avais parlé incidemment, le laboratoire étant près de chez moi et Hauer étant connu dans le monde scientifique, on peut dire de l'Europe entière, comme spécialiste sur ce sujet. J'avais toujours re¬mis ma visite, mais enfin je me décidai à la faire le lendemain matin. Cette nuit-là même, j'ai rêvé que je voyais un homme pâle et défaillant, soutenu sous les bras par deux hommes. Je ne tins aucun compte de ce rêve et je me rendis à l'établissement géologique ; mais comme le laboratoire se trouvait dans un autre endroit de la maison les années précédentes, je me suis trompé de porte, et trouvant la vraie porte barrée, j'ai vu en regardant par une fenêtre à ma portée l'image exacte de mon rêve. On soutenait Hauer qui venait de s'empoisonner avec du cyanure de potassium, et on le transportait dans le vestibule tout à fait comme je l'avais rêvé. »
Le baron Hellembach ajoute ici les observa¬tions suivantes :
Comment, moi qui n'ai jamais eu un rêve ou seulement un pressentiment juste, dont la santé est normale et l'impassibilité légendaire parmi mes amis, me suis-je laissé surprendre par un rêve ? Je ne puis l'expliquer que de la manière suivante : si j'étais venu quelques minutes avant, j'aurais pu empêcher sûrement le fait de s'accomplir quant au présent, et, qui sait ? peut-être pour l'avenir, le suicide étant causé par des soucis de famille et de fortune, et ma proposition aurait pu donner à Hauer un nouveau sujet de travail et probablement aussi quelque soulagement matériel. Cette circonstance m'émotionna profondément ; je le fus d'autant plus à mesure que je compris toute la perte que j'avais faite, au point de vue de mes idées et de mes projets, et en pensant que mes essais étaient à jamais perdus, ou au moins pour ma vie.
Il est bien naturel que cette mort entraînant mes projets m'ait beaucoup impressionné ; et c'est peut-être pour cette raison qu'à mon réveil, ma conscience a gardé comme un reste de la clairvoyance ou de l'omniscience inconsciente qu'on rencontre dans toutes les personnes très impressionnables.
Dans ce cas, la mort du Professeur Hauer, bien que non naturelle (donc accidentelle), ne pourrait être considérée comme imprévisible, le suicidé ayant très probablement prémé¬dité son acte de désespoir dans la nuit qui le précéda, provoquant ainsi par télépathie le rêve du baron Hellembach. Mais ceci n'expliquerait pas l'élément cardinal du songe, la visualisation d'un « homme au visage livide, agonisant, soutenu aux aisselles par deux autres hommes » ; cir¬constance non télépathisable, puisqu'imprévisible.
LIXe Cas. Du chapitre que Camille Flammarion consacrait aux phénomènes prémonitoires dans son ouvrage : L'Inconnu, j'extrais les deux cas suivants (pp. 522-523). Le relateur du premier, M. Emile Boisnard écrit :
L'année dernière, au mois de septembre, j'eus, pendant une nuit, la vision très distincte d'un enter¬rement d'enfant sortant d'une maison dont je connais les habitants ; seulement j'ignorais dans mon rêve celui des enfants qui était mort.
Ce rêve me revint à la mémoire toute la journée et j'essayai en vain de le chasser de mon esprit. Le soir, un des enfants de cette maison, âgé de quatre ans, tomba accidentellement dans une douve et s'y noya.
Emile Boisnard à Seiches (Maine-et-Loire)
LXe Cas. Voici le second épisode tiré de l'ouvrage cité (pp. 522-523).
Mon frère ainé, Emile Zipelius, artiste peintre, mourut le 16 septembre 1865, à l'âge de vingt-cinq ans, en se baignant dans la Moselle. Il habitait Paris, mais se trouvait à ce moment-là en visite chez ses parents à Pompey, près Nancy. Ma mère avait rêvé deux fois, à des intervalles assez éloignés, que son fils se noyait.
Lorsque la personne chargée d'annoncer la terrible nouvelle à mes parents se présenta chez eux, ma mère devinant, qu'il était arrivé un malheur, s'informa d'abord d'une de ses filles absentes dont elle n'avait pas eu de nouvelles depuis quelques jours. Lorqu'on lui répondit qu'il ne s'agissait pas d'elle, elle dit : « Ne continuez pas, je sais ce que c'est : mon fils s'est noyé. » Nous avions eu une lettre de lui dans la journée, de sorte que rien ne faisait prévoir cette catas¬trophe.
Mon frère lui-même avait dit à sa concierge peu de temps auparavant : « Si je ne rentre pas un soir, allez à la Morgue le lendemain ; j'ai le pressentiment que je mourrai dans l'eau. J'ai rêvé que j'étais au fond de l'eau, mort et les yeux ouverts »
C'est en effet ainsi qu'on l'a trouvé ; il était mort sur l'eau de la rupture d'un anévrisme. Ma mère et mon frère étaient si persuadés que cela arriverait, que le jour de sa mort, il avait refusé de se baigner dans la Moselle. Mais, vers le soir, il se laissa séduire par la fraîcheur de l'eau, et fut enlevé ainsi à notre affection.
J. Vogelsang-Zipelius, à Mulhouse
LXIe Cas. Lord Bute le communiqua à la Society f. P. R., et la relation en fut rédigée par soeur Catherine, de l'asile enfantin de « Tre¬forest », à Pontypridd.
Le dimanche 14 août 1898, tandis que je conduisais les enfants à Rocking Stone pour une promenade, je vis venir vers moi la vieille Madame Thomas (qui habite une maisonnette du Dr Price, sur la route communale), et celle-ci me demanda si quelque enfant de l'asile était mort dans la semaine. Je répondis que non, et lui demandai à mon tour pourquoi elle me posait cette question. « Parce que, dit-elle, j'ai vu l'enterrement d'un enfant qui descendait la colline, venant de l'asile ; non point cepen¬dant le long de la route que vous suivez avec les enfants, mais sur le versant gauche, et je crus qu'il s'agissait d'un enfant de l'asile, parce que c'étaient des enfants de l'asile qui portaient le cercueil et l'accompagnaient ».
Je m'informai pour savoir si quelqu'un parmi les habitants de l'avenue de la Tour, située au-dessous de l'asile, avait perdu un enfant, et j'appris que personne n'était mort, et qu'aucun enterrement n'avait passé par là. Ce qui n'était pas arrivé alors se produisit le mercredi de la semaine suivante, où une enfant de trois ans, fille d'un voisin habitant l'avenue de la Tour, mourait en se noyant. La mère de la pauvre petite alla trouver soeur Illtyd, lui demandant de permettre que nos enfants accompagnassent le petit corps au cimetière, car, à cause de la grève, et à défaut des vêtements nécessaires, elle ne trouvait personne qui voulût assumer la triste tâche. Soeur Illtyd y consentit exceptionnellement, car le règlement défendait aux enfants de l'asile d'assister à un enterrement qui ne fût pas d'un des leurs. De sorte que l'enterrement descendit la colline du versant de gauche, juste comme Mme Thomas l'avait vu deux semaines auparavant. L'habitation de cette dernière se trouve en face de ce versant de la vallée.
Dès que soeur Illtyd eut accordé aux enfants de transporter la fillette au cimetière, je lui rapportai ce qu'avait vu Mme Thomas. (Journal of the S. P. R., Vol. IX, p. 80).
Si, dans ce cas, la vision véridique s'était produite en rêve, le phénomène prémonitoire aurait pu être rabaissé jusqu'à un certain point au niveau d'une « coïncidence fortuite » ; mais comme il s'agit de vision véridique en conditions de veille, ce qui suppose un élément supernormal dans l'origine du phénomène, et l'élément super-normal impliquant l'existence d'une intention¬nalité quelconque (ou subconsciente ou extrinsè¬que, peu importe) on voit s'établir des rapports indissolubles entre le précédent du fait et le fait lui-même, et par là l'hypothèse des « coïncidences fortuites » devient inacceptable.
Ajoutons à cela qu'une autre circonstance véridique, celle du parcours insolite du cortège funèbre le long du versant gauche de la colline, achève d'écarter l'hypothèse discutée.
J'observe que les visions de funérailles prémonitoires en conditions de veille sont assez fréquentes ; et, le fait étant intéressant, je crois utile d'en citer deux autres exemples.
LXIIe Cas. Le Rév. P. A. Wood, recteur de Newent, Gloucestershire, membre de la So¬ciety f. R. P., le recueillit. La relatrice, Miss H., ne désire pas que son nom soit publié :
Ma mère et moi nous nous promenions un jour en voiture sur une route de Somersetshire en compagnie d'une vieille dame de quatre-vingt ans. Tout à coup celle-ci s'adressa au cocher en lui demandant de quitter la route et d'arrêter la voiture ; ce qui fut exécuté, à notre grand étonnement, parce que nous ne devi¬nions pas le motif de cet ordre. Quelque temps après elle dit au cocher : « Maintenant, vous pouvez aller.» ; puis, se retournant vers ma mère, elle ajouta : « Par un sentiment de respect, je fais toujours arrêter quand passe un enterrement. » La route était longue et droite, et se montrait absolument libre, même de piétons ; nous plaisantâmes donc de la chose, faisant observer à la vieille dame qu'elle avait été victime d'une curieuse illusion. Elle répondit : « En effet, la chose est très étrange, j'ai bien vu un cortège funèbre ; qui sait ce qu'aura pensé de moi le cocher ? »
Le jour suivant, un de ses vieux amis, son voisin, qui avait l'habitude de venir lui faire chaque jour quelques heures de lecture, mourut subitement ». (Proceedings of the S. P. R., Vol. V, p. 303).
LXIIIe Cas. Le Dr Alastair Mac-Grégor rapporte l'épisode suivant, trouvé dans le journal particulier de son propre père, ministre évan¬gélique dans l'île de Skye.
L'employé communal de Dull, petit village du Pertshire, était souffrant ; et mon grand'père, mi¬nistre évangélique de l'endroit, l'avait remplacé. Par une belle soirée d'été, vers 7 heures, un jeune couple se présenta pour demander les papiers néces¬saires à leur mariage. Tandis que mon grand-père se disposait à les chercher, tous les trois virent tout-à¬-coup par la croisée apparaître un cortège funèbre.
Des habits qu'endossaient ceux qui composaient le cortège, on pouvait voir qu'ils étaient en grande partie des paysans, et la jeune fille en reconnut plusieurs, natifs de Dull, mais occupés en ce moment à Dunkeld. Naturellement, mon grand-père et les jeunes gens s'étonnèrent de l'heure intempestive à laquelle arrivait le cortège ; et mon grand-père ne comprenait pas qu'on ne l'eût pas prévenu. Il consigna les papiers, et courut à la recherche de la clef qui ouvrait la grille du cimetière, pour ne pas faire attendre le cortège. Il monta au presbytère à la hâte, s'acheminant vers la grille, où il s'attendait à trouver le cortège arrêté, mais, en y arrivant, il ne trouva rien, en dehors des jeunes fiancés, qui, plus stupéfaits encore que lui, ne pouvaient pas s'expli¬quer le fait.
Or, la semaine suivante, au même jour et à la même heure, survint à l'improviste le même enterrement, et cette fois en réalité. Le défunt était un enfant de Dull, qu'un taureau furieux avait assailli à Dun¬keld, le réduisant littéralement en morceaux. Les malheureux restes furent recueillis, déposés dans un cercueil, et transportés sans délai au cimetière de Dull. Le pauvre enfant n'avait pas de parents, et fut enterré sans autre cérémonie. La jeune couple et mon grand-père reconnurent parmi les membres du cortège, certains de ceux qu'ils avaient vus une se¬maine auparavant dans le cortège fantômatique. La jeune femme en connaissait personnellement quel¬ques-uns, auxquels elle rapporta ce qu'elle avait vu ; mais, comme il est naturel, ceux-ci se trouvaient alors à Dunkeld, et ne surent rien dire qui pût éclair¬cir le fait ». (Cité par Andrew Lang dans l'ouvrage : The making of Religion, p. 79).
LXIVe Cas. La Norwalk Gazette le publia d'abord le 10 juin 1873 ; il fut ensuite étudié et authentiqué par M. Epes Sargent, qui le reproduisait dans son ouvrage : The Scientific basis of Spiritualism (pp. 240-241).
Le 7 juin 1873, dans le port de Norwalk (Connec¬ticut) une petite embarcation portant neuf jeunes col¬légiens de l'Institut Selleck, accompagnés de leur maître Farnham, était heurtée par le timon d'un bateau à vapeur, et chavirait. Trois d'entre les jeunes gens, Eddie Morris, Willie Crane et Charley Bos¬twick, se noyèrent.
Le jour précédent, un rêve étrange s'était produit ; et malgré que les protagonistes craignent d'être pris pour des superstitieux, le cas me parut si singulier, que je me décidai à en recueillir les détails auprès d'eux-mêmes.
Vendredi dernier (veille de la catastrophe) le Dr Hays, maître suppléant et médecin distingué, dit à un de ses collègues : « J'ai rêvé deux nuits de suite que trois de nos enfants s'étaient noyés. Je sais qu'il est ridicule de parler sérieusement d'un rêve, mais c'est devenu pour moi presque une obsession, et je ne puis m'empêcher de vous exhorter à surveiller attentivement les enfants quand vous les conduirez en bateau ».
Le samedi matin, il observa à M. Farnham, qui devait les accompagner à l'île de Peach : « Farnham, attention aux enfants ; je ne puis me délivrer du pressentiment dont je vous ai parlé ». Lorsqu'enfin, le samedi soir, il vit arriver avec des vêtements complètement trempés Charley White, qui fut le premier enfant rentré au collège, il s'écria : « La catastrophe a-t-elle été grave ? Combien de noyés ? » Et il s'évanouit dans les bras de White. »
(Le Directeur de la Norwalk Gazette, M. A. H. Byington, écrit pour confirmer le récit ci-dessus).
LXVe Cas. M. Henri Carreras commu¬nique le fait suivant à la Revue Scientifique et Morale du Spiritisme (1908, p. 274) :
Mme Caroline Mastropietro, âgée de 34 ans, femme du typographe Théophile De Carolis, était occupée le matin du 9 octobre courant, à préparer le café pour son mari, lorsque par un maudit hasard, elle approcha une allumette de la bouteille contenant l'alcool. Celui-ci s'enflamma en faisant éclater la bouteille, de façon que la malheureuse Caroline fut entourée par les flammes.
Les voisins accoururent à ses appels désespérés, essayèrent tout ce qui était possible pour la sauver, mais la pauvre femme avait subi de telles brûlures que cinq heures après elle mourut à l'hôpital du Saint-Esprit.
A peine était-elle morte, que sa mère arriva à l'hô¬pital. Cette pauvre vieille est une campagnarde qui habite Castel di Guido, une ferme à plusieurs kilomètres de Rome, perdue dans l'immense plaine déserte qui environne la ville.
Depuis quelques jours la vieille mère était obsédée, sans aucune raison plausible, par le pressentiment de quelque malheur qui devait arriver à sa Caroline bien-aimée. Elle faisait des songes effrayants, où elle entendait des plaintes et les cris de sa propre fille, qui appelait désespérément au secours.
Dans la dernière nuit, peu d'heures avant la catas¬trophe, les songes avaient été si terrifiants, l'angoisse si aiguë, qu'elle s'était décidée à partir pour aller trouver sa fille : mais hélas ! il était trop tard.
La pauvre vieille, accablée par l'horrible malheur, se reprochait de ne pas être partie le jour précédent.
« Si j'étais venue, cela ne serait pas arrivé ! » s'écriait la malheureuse. Eh bien ! non, pauvre vieille mère. Je pense, au contraire, que ton arrivée n'aurait rien changé au destin, qui t'avait déjà signalé dans l'astral la fin de ta bonne et chère fille. Nous sommes, hélas ! des brins de paille que le vent emporte de ci de là, comme la feuille morte, mais qui toutefois peut-être exécutons tous ces mouve¬ment, apparemment libres et sans but, selon un plan obscur et tout puissant, contre lequel la lutte est inutile ! Je crois au Destin ! »
Signé : Eneico Carreras, Rome
LXVIe Cas. Recueilli par le Dr Hodgson ; le relateur est Mr. Krebs, de la Society f. P. R., et l'épisode est rigoureusement authentique. Le rêve prémonitoire fut communiqué à la mère et à la grand-mère de l'enfant à laquelle il se rap¬portait, le matin même où il eut lieu, et se réalisa environ douze jours après. M. Krebs rapporte ce qui suit :
24 novembre 1902. M. Charles Nolte, demeurant à Baltimore, Bank street, n° 1503, âgé de 25 ans, mé¬canicien dans la fabrique « Thiemeyer and C. », eut dans les premiers jours de novembre un rêve très marqué et très douloureux. Il lui semblait re¬tourner chez lui après son travail, vers 5 h. 1/2 de l'après-midi, et voir la petite Hélène, fille de sa soeur, enfant très vive, traverser la rue pour se rendre chez sa grand-mère, qui habitait en face. En même temps, il voyait avec horreur s'approcher rapidement un tramway électrique, dont l'enfant paraissait n'avoir pas conscience. Dans son rêve, il aurait voulu la sauver du péril, mais il se sentait paralysé à sa place, et se mit à crier pour l'avertir, mais inutilement ; et il assistait impuissant à cette scène horrible, que, pour pouvoir conjurer il aurait volontiers risqué sa vie. L'angoisse fut telle, qu'il s'éveilla en sursaut, en poussant un grand soupir de soulagement.
Le matin même, il raconta le rêve à sa mère ; celle-ci en fut à tel point impressionnée, qu'elle se rendit immédiatement chez sa fille, Mme John Liebig, pour le lui raconter, et l'exhorter à redoubler sa surveil¬lance sur l'enfant, afin qu'aucun mal ne lui arrivât.
Dans l'après-midi du mardi, 13 novembre, vers 5 h. 30 de l'après-midi, la petite Hélène eut la fan¬taisie de traverser la rue, probablement pour aller trouver sa grand-mère, et elle fut renversée et tuée par un tramway électrique. Une femme qui passait par là entendit l'enfant crier : « Grand-mère ! Grand-mère ! », et la vit renversée .(Journal of the S. P. R , vol. XIII, pp. 142-143).
Suivent les témoignages de : M. Chas Nolte, Mrs. Dina Nolte, Mrs. J. Liebig
LXVIIe Cas. Je le tire du travail de Mrs. Sidgwick : On the evidences for Premonitions (Proceedings of the S.. P. R., Vol. V. p. 311) ; c'est un cas d'ordre médiumnique. Mrs. Sidgwick écrit :
La dame qui m'a communiqué l'épisode désire que son nom soit gardé secret. Elle dit que lorsqu'elle se trouvait en Amérique, une de ses amies « Spirites », la conduisit à une séance médiumnique, à propos de laquelle elle me donne ces détails :
« Bien que je fusse arrivée à Boston la veille, 1' «es¬prit-guide » du médium déclara immédiatement que j'étais arrivée à travers l'océan ; et non seulement elle évoqua une grande partie de mon passé, mais elle s'étendit en révélations sur mon avenir. A un mo¬ment donné, elle affirma que je portais sur moi une photographie représentant ma famille entière en groupe. L'affirmation était exacte, et je sortis la photographie pour la montrer au médium (en trance), qui m'observa que deux de mes enfants n'étaient plus de ce monde, et, m'indiquant dans le groupe un troisième fils, dit : « Celui-ci aussi sera bientôt des nôtres, et sa mort sera brusque ; mais vous ne devez pas pleurer, parce que cette mort prématurée le sauvera du mal qui l'attendrait autrement. Il n'est presque jamais permis de confier de tels secrets aux vivants, mais cette fois nous voyons que nous devons le faire pour votre avantage, parce que cela vous convaincra que vous n'avez pas perdu votre fils par pur accident ».
« Et ce qui avait été prédit arriva. Je me trouvais de retour chez moi depuis quelques semaines, lorsqu'on me participa un matin l'horrible nouvelle que mon fils, âgé de 17 ans, avait été tué au cours d'une partie de football ! »
Ce fait comporte les mêmes commentaires que le cas de William Stead (XLIX), c'est-à-dire que la signification des phrases : « votre fils sera bientôt des nôtres ; sa mort sera brusque... et vous devrez vous convaincre que ce n'est pas par pur accident que vous l'avez perdu » démontrent d'une manière évidente que la personnalité mé¬diumnique était non seulement informée de sa fin imminente, mais aussi du genre de mort qui l'at¬tendait. De là ce raisonnement que si la même personnalité en avait prévenu la mère, celle-ci aurait pu sauver la vie de son fils en l'empêchant de se rendre à la partie de football fatale. Dans le cas de Stead, nous demandions : « Pourquoi l'esprit-guide » ne l'a-t-il pas fait ? Pourquoi, le pouvant, ne voulut-il pas dire une parole pour sauver de la mort une personne ? » La réponse que nous donnâmes à cette formidable question est conforme à ce que révèle spontanément la personnalité médiumnique en ce dernier épisode.
Trois hypothèses seules pourraient servir à l'éclaircissement du cas : la « Spiritualiste », la « Réincarnationniste», la « fataliste ». Ceux qui pensent différemment, par suite de leur propen¬sion à tout attribuer aux facultés d'inférences subconscientes, auront à expliquer dans quel but les personnalités subconscientes s'abstiennent en des circonstances semblables de révéler tout ce qu'elles savent. Qui les empêche de sauver une personne de la mort ? L'existence de cette forme de réticences dans les phénomènes prémonitoires (et elles y sont très fréquentes) équi¬vaut à la démonstration incontestable de l'exis¬tence d'un monde spirituel.
On ne peut objecter davantage que, bien qu'il apparaisse clairement, dans les cas indiqués, que les personnalités médiumniques connais¬saient la nature des morts préannoncées, cette dernière affirmation est illicite en 1’absence de déclarations détaillées à ce sujet. Cette objection ne peut se soutenir qu'à condition d'analyser les faits singulièrement ; car, collectivement, ils fournissent la preuve du contraire sous la forme d'une question à résoudre : c'est qu'en de semblables contingences, les personnalités mé¬diumniques se comportent constamment de la manière indiquée, sauf des circonstances spé¬ciales ; c'est-à-dire qu'elles s'abstiennent de révé¬ler les seuls détails dont l'intéressé pourrait profiter pour éluder la destinée qui l'attend ; et, si on leur adresse d'explicites demandes d'éclair¬cissement, elles ne répondent pas, ou le font éva¬sivement, ou s'expriment symboliquement, de façon à ne rien laisser transparaître de la véri¬table signification de leurs paroles jusqu'à l'ac¬complissement de l'événement. Impossible de désirer une meilleure preuve pour démontrer que les personnalités médiumniques sont pour la plupart à connaissance des événements qu'elles cachent aux sensitifs.
Il s'ensuit que la question à résoudre consiste dans le fait que les personnalités médiumniques ne veulent pas révéler certains détails ; et s'il en est ainsi, avec quelle logique pourrait-on objecter qu'elles ne les révèlent pas ? Il est évident qu'exiger des déclarations plus explicites de la matière, correspondrait à prétendre qu'elles révèlent ce qu'elles ne veulent pas révéler.
Si l'on voulait alléguer, pour renforcer la thèse que les personnalités médiumniques ne cachent rien pour la simple raison qu'elles ne connaissent rien au-delà de ce qu'elles révèlent le fait que les réticences rencontrées dans les cas à extrinsécation médiumnique, correspondent aux défauts des cas à extrinsécation sub¬consciente (où le sensitif perçoit ou récepte les détails secondaires d'un événement futur, et n'en perçoit ou récepte pas les essentiels), on n'arriverait qu'à déplacer le problème sans le résoudre, car ceci ne fait que découvrir d'une façon évidente l'existence d'une intentionnalité sélectionnatrice des détails transmis, dans de nombreux épisodes à extrinsécation subcons¬ciente, comme dans le premier genre de phéno¬mènes ; car si les prémonitions tiraient exclusi¬vement leur origine d'inférences subconscientes, on ne comprendrait pas comment la subcons¬cience parvienne à inférer de causes existantes dans le présent les détails insignifiants et impré¬visibles d'une situation future, et n'en infère pas l'incident fondamental, déterminateur de la situation.
Une fois admis qu'une partie des phénomènes prémonitoires obéit à une intentionnalité qui en discipline la manifestation, nous sommes logi¬quement amenés à conclure que cette intentionnalité doit avoir une origine extrinsèque, ou, du moins, implique l'existence d'entités spiri¬tuelles qui disciplinent les pouvoirs des subcons¬ciences humaines, car, pour une subconscience autonome, aucune raison ne pourrait l'empêcher de transmettre des détails qui, révélés à temps, arracheraient souvent à la mort la propre per¬sonnalité consciente, c'est-à-dire elle-même !
La valeur théorique des considérations ci-dessus suffit à exclure d'elle-même, et sans appel, l'hypothèse des inférences subconscientes du nom¬bre de celles appplicables aux prémonitions d'ordre accidentel et imprévisible ; et à démontrer en même temps l'origine extrinsèque d'un grand nombre de ces prémonitions.
Je reviendrai sur l'argument à l'occasion d'é¬pisodes où le contraste entre les détails secon¬daires et le principal événement caché ressort d'une manière marquée (CXe Cas).
LXVIIIe Cas. Le Prof. Hyslop le publia en origine dans le numéro de juillet 1898 de la Psychological Review ; je l'extrais du Vol. XIV des Proceedings of the S. P. R. (pp. 266-270). La percipiente, femme d'un ministre évangé¬lique, douée de facultés médiumniques, est une ancienne connaissance du Professeur Hyslop, qui eut ainsi tout loisir d'étudier rigoureusement l'épisode ; c'est un exemple intéressant de pres¬sentiment à développement graduel. La relation étant longue, je devrai me borner à en transcrire les passages principaux. Le Professeur Hyslop écrit :
En juillet 1897, Mrs. D. commença à ressentir une impression subjective étrange et puissante : celle qu'une « épreuve particulièrement douloureuse » était suspendue sur sa famille. A ce moment, elle jouissait d'une parfaite santé, et se conserva saine et normale durant toute la période comprise dans ce récit... Au mois d'août, cette forme de pressentiment se renouvela fréquemment, et s'intensifia au point de déterminer Mrs D. à en parler à son mari (qui confirme pleinement le récit de sa femme).
Pour éclaircir l'exposition analytique des faits, nous révélerons dès à présent le point final du pres¬sentiment : c'est qu'une fillette de la percipiente, nommée Bettie, mourait à la date du 2 décembre 1897, le berceau où elle dormait ayant pris feu.
D'août à décembre, chaque fois que Mme D. son¬geait à ses projets se rapportant à l'avenir de l'en¬fant, elle entendait une voix lui murmurer à l'oreille « Elle n'en aura pas besoin ». Ainsi, par exemple, un jour qu'elle pensait à l'agencement d'une petite chambre destinée à l'enfant qui grandissait, elle entendit la voix coutumière lui murmurer à l'oreille : « Elle n'en aura pas besoin ». Une autre fois, et préci¬sément quinze jours avant le malheur, elle eut l'idée d'écrire un « journal » qu'elle aurait fait lire à l'en¬fant plus tard, quand elle serait suffisamment avan¬cée en âge, et elle commença à noter plusieurs inci¬dents qui auraient pu l'intéresser ; mais aussitôt, la voix venait lui murmurer : « Elle n'en aura pas besoin ». Et la voix se fit entendre le matin même de la catastrophe ; l'enfant courait, vive, dans la maison, et sa mère, observant que ses petits souliers commen¬çaient à s'user, pensa qu'elle en aurait acheté tout de suite une autre paire ; mais la pensée n'était pas encore formulée, que la voix avertit : « Elle n'en aura pas besoin ».
Une semaine auparavant, Mme D. crut sentir durant la nuit une forte odeur de brûlé, comme du feu flambant, et descendit de son lit inquiète, allant à la cave, parcourant la maison, pour s'assurer qu'il n'y avait pas d'allumettes dispersées. Tout se trouvant en ordre, elle ne put pas s'expliquer son impression olfactive ; mais, à partir de ce moment, ses inquiétudes se concentrèrent sur le danger pré¬senté par les allumettes et elle veillait continuellement à ce qu'elles fussent déposées en lieu sûr et hors de portée. Ce sentiment l'angoissait à tel point, qu'elle visitait soigneusement tous les coins de la maison pour s'assurer qu'il n'en traînait nulle part, éprouvant l'impulsion de détruire les allumettes de chambre, trop facilement inflammables. Une fois, tandis qu'elle subissait cette impulsion, elle entendit une voix qui l'engageait à le faire et l'avertissait du danger d'un incendie. Toutefois, la voix n'ayant rien spécifié qui pût la guider dans ses appréhensions, Mme D. dut se fier à son propre conseil, et songea à protéger par une lame en tôle la grille de la cuisine, dans l'intention d'obvier à ce que les charbons ar¬dents, la nuit, roulassent sur le sol ; précaution qu'elle n'avait jamais prise, ni pensé à prendre de sa vie.
Un autre phénomène d'une haute importance s'était produit en elle durant ses trois années de résidence dans cette maison, et consistait en sa visua¬lisation hallucinatoire du berceau de son bébé en flammes ; mais comme ces formes d'automatisme visuel étaient fréquentes en elle, elle n'attacha aucune importance prémonitoire à cette vision.
Une heure environ avant la catastrophe, son im¬pulsion de détruire les allumettes de la chambre devînt irrésistible, Mme D. alla à leur recherche et se disposait à suivre l'impulsion, lorsqu'elle en fut détournée par la pensée que son fils aîné, en ce mo¬ment hors de la maison, en aurait eu besoin au retour pour allumer le poêle à gaz ; elle se dit alors à elle-même, à haute voix : « Je les détruirai quand il sera rentré » ; puis elle descendit à la cuisine veiller aux soins domestiques.
Vers 10 heures, comme d'habitude, elle mit l'en¬fant dans son berceau pour son heure de repos ma¬tinal, et, pendant ce temps, la voix habituelle murmura à son oreille : « Retourne le matelas », opération qu'elle accomplissait toujours (quoiqu'elle n'eût jamais entendu la voix la conseiller en ce sens), mais que cette fois elle n'eut pas le temps d'exécuter, étant extrêmement pressée ; de sorte que s'adressant à la petite fille, elle lui dit en plaisantant : « Je retournerai ton matelas quand tu auras fait dodo ». Et elle descendit s'occuper de besognes urgentes. Aussitôt, les cris de l'enfant lui parvinrent ; elle accourut promptement, trouva le berceau et les couvertures en flammes, et sa fille si terriblement brûlée qu'elle mourut trois heures après.
La seule supposition possible est que l'enfant ait trouvé une allumette égarée, probablement dans le berceau même, ou sur le porte-manteau voisin, qu'elle l'ait frottée et fait flamber, communiquant le feu aux draps. Aucun feu n'existait à cet étage de la maison, et la cuisine et la salle à manger se trouvaient au rez-de-chaussée ».
Voilà la partie essentielle du récit du Prof. Hyslop. On y remarquera surtout le développement progressif du pressentiment, qui commence par une vague impression «d'épreuve douloureuse» atteignant la famille entière, laquelle se renou¬velle et s'intensifie au point de déterminer la percipiente à en faire part à son mari ; puis survient une voix subjective qui fait allusion d'une manière voilée à la nature de l' «épreuve » ; c'est-à-dire, à la mort de l'enfant, qui «n'aura plus besoin » de vêtements, d'arrangement de cham¬bre, de souliers, etc. Ensuite arrive une première intimation obscure sui la cause de la mort, sous forme d'impression olfactive, par laquelle la percipiente ressent une odeur de brûlé sans cause apparente ; impression qui se précise par la visualisation complémentaire d'un berceau en flammes. Après quoi, les anxiétés de la perci¬piente convergent de façon obsédante sur l'idée du danger rattaché aux allumettes, et une im¬pulsion irrésistible la pousse à détruire les plus dangereuses ; ce qu'elle ne fait cependant pas, étant détournée de cette idée par une malheureuse réflexion. Enfin, au moment de la catas¬trophe, elle entend une voix lui conseiller de « retourner le matelas » (sur lequel, probablement, traînait une allumette égarée) ; opération qu'elle ne manquait jamais d'exécuter, mais qu'elle négligea cette fois ; irrésolution et négli¬gence qui suggèrent irrésistiblement la pensée de quelque chose de fatal dans l'événement.
On observera de plus que si la percipiente eut la représentation subjective de tous les éléments intégrants du cadre de la catastrophe, ce fut d'une manière assez décousue et assez confuse pour que celle-ci ne pût les concréter en une perception synthétique révélatrice de leur signi¬fication prémonitoire ; car, si la signification avait été comprise, on aurait pu conjurer la catastrophe... mais peut-être cette représenta¬tion si confuse avait-elle sa raison d'être. Qui sait ?
Mais voici donc encore un cas démontrant de manière évidente que la personnalité médium-nique ou subconsciente était pleinement ins¬truite du genre de mort accidentelle qui attendait l'enfant ; et nous nous trouvons de nouveau en face de cette question : « Pourquoi la personnalité médiumnique, au lieu de faire vaguement allu¬sion au « danger d'incendie », ou conseiller tout aussi vaguement de « retourner le matelas », n'apprit-elle pas que sur ce matelas se trouvait une allumette, sauvant ainsi la vie de la petite victime ? Prétendrait-on peut-être que les premières phrases étaient télépathiquement transmissibles du subconscient au conscient, et que les voies télépathiques demeuraient inacces¬sibles à l'autre, la principale ? Comme personne ne voudra défendre une thèse aussi ab¬surde, nous serons forcés de conclure qu'il ne s'agit probablement pas, en des cas pareils, de personnalités subconscientes (celles-ci n'ayant aucun motif de cacher ce qu'elles savent, quand, dans les cas dont nous pàrlons,elles pourraient arra¬cher à la mort une personne) mais bien d'entités spirituelles, auxquelles, pour des raisons impers¬crutables, mais parfaitement concevables, il ne serait pas permis de mettre obstacle à l'accom¬plissement des destinées humaines.
LXIXe Cas. Je l'extrais du Vol. XI, pp. 509-513 des Proceedings of the S. P. R. ; Myers le cite dans son travail intitulé : The subliminal Self. C'est un cas collectif, intéressant et com¬plexe, qui fut recueilli et étudié par le Prof. William James et le Dr Hodgson. M. T. F. Ivey écrit en ces termes au professeur William James :
Forney, Texas. 1er février 1894. J'éprouve une grande difficulté à vous exprimer en paroles l'indéfinissable impression prémonitoire éprouvée par moi.
Et d'abord, je déclare que je suis et que j'ai toujours été très bien portant, que je ne suis absolument pas enclin à la superstition, que je n'ai jamais été sujet à des hallucinations, et que je ne me suis jamais intéressé à des manifestations analogues à la mienne.
Il y a trois ans, mon fils, âgé de dix-huit ans, quitta la famille et s'établit dans une province limitrophe pour des exigences d'emploi. Ceci eut lieu avec mon plein consentement, et le temps indi¬qué passa sans que je me préoccupasse pour lui de la moindre façon. Toutefois, au cours de l'été dernier je commençai à me sentir inquiet à son égard, et ceci d’une manière absolument indéfinissable ; on n'aurait pas pu dire que j'étais anxieux : j'étais uniquement préoccupé pour lui, sans raison aucune ; et l'im¬pression était si profonde qu'elle me poussa à lui écrire maintes fois, de sorte que je lui écrivis plus de lettres en deux mois que je ne l'avais fait en trois ans. Vers les premiers jours de novembre, il vint nous trouver ; lorsqu'il repartit, ce sentiment inexprimable de préoccupation s'accrut considérablement. Il me semblait que toute lumière s'était à jamais éclipsée de ma vie, que pour moi l'existence n'avait plus aucun but, et je le déclarais à mes amis.
Je me rappelle avoir éprouvé dans mon enfance un sentiment analogue, à la mort de mon père. Dans la première quinzaine de décembre, mes injustifiables préoccupations s'intensifièrent rapidement, toujours convergeant vers un centre unique qui était mon fils. Souvent, je m'éveillais la nuit et le sen¬timent de vide que j'éprouvais m'empêchait de me rendormir. Elles atteignirent leur point critique le matin du 19 décembre, où, ne parvenant pas à me reposer, j'abandonnai mon lit, fis du feu dans la cheminée et m'assis tout près, réfléchissant. Je me sentais oppressé par un sentiment horrible, que je ne savais pas m'expliquer, et dans lequel je ne discernais aucun indice de présage fatal pour mon fils.
Vers 7 heures, ma femme s'éveilla, disant se sentir fortement impressionnée par un rêve qu'elle avait fait. « Il me semblait, dit-elle, que je te voyais dans un milieu étranger, entouré de personnes à moi complètement inconnues. C'étaient les membres d'une famille nombreuse, parmi lesquels je remar¬quais une jeune fille adulte, et plusieurs enfants se préparant au départ pour l'école. J'étais arrivé à cet endroit en voiture, et je t'y avais trouvé. Tu paraissais être en rapports intimes avec cette famille ; d'autant plus que la jeune fille que j'avais remarquée était assise sur tes genoux, t'entourant de ses bras, t'embrassant avec tendresse. Je m'étonnais, et m'efforçais de me rappeler où tu pouvais les avoir connus ; lorsque je te vis subitement pâlir, incliner la tête et mourir. C'est alors que je m'éveillai. »
A ce récit, je répondis que je me souhaitais la réali¬sation de ce songe, tant je me sentais malheureux de mon obsédante préoccupation au sujet de Walter. Le déjeuner achevé, je dis à ma fille de lui écrire en l'appelant immédiatement auprès de nous ; et je lui recommandai de mettre aussitôt la lettre à la poste, pour qu'elle pût partir par le premier courrier.
A midi, je reçus un télégramme m'annonçant un chute grave de mon fils, à la suite de laquelle il était resté sans connaissance. Pour arriver plus tôt, je partis avec un train de marchandises, laissant ma femme et ma fille me rejoindre par le train ordinaire. Et je ferai noter ici une coïncidence remarquable dans ce douloureux ensemble d'événements : c'est que, par suite d'un malentendu, elles manquèrent le train, et conformément au rêve durent louer une voiture. En changeant de chevaux à chaque relais, elles me rejoignirent vers 11 heures du soir.
L'accident de mon fils s'était produit le dimanche précédent, 17 décembre, vers 11 h. 30. Il rentrait en voiture de l'église en compagnie de deux amis, quand le cheval se cabra et commença une course effrénée à travers les champs ; ceci fut cause qu'une branche d'arbre frappa mon fils à la tête, détermi¬nant une commotion cérébrale, à la suite de laquelle il resta presque toujours privé de connaissance jusqu'à la mort, qui survint à 1 heure du matin, le mardi 19 décembre.
La catastrophe s'était produite dans le voisinage de la demeure d'un fermier, dont la fille aînée était l'objet de fréquentes visites de Walter ; on le trans¬porta donc dans cette maison, demeure de ses meil¬leurs amis. Le brave fermier était père d'une nom¬breuse famille, et tous étaient profondément affec¬tionnés à mon fils, au point qu'on peut dire que nous ne souffrîmes pas plus qu'eux de l'irréparable perte.
Quand ma femme entra dans la chambre où gisait notre fils, la jeune fille dont j'ai parlé était assise à son chevet et pleurait désespérément. Ma femme jeta les yeux autour d'elle, et, s'approchant de moi, dit tout bas : « Voici mon rêve, ce sont bien la chambre que j'ai vue et la famille qui l'entourait ! »
En effet, ces braves personnes étaient telles qu'elle me les avait décrites : « Très simples, mais une excel¬lente famille de provinciaux ». Qu'on ajoute à cela que la course en voiture à travers le pays fut conforme au rêve jusque dans le paysage, et que les alentours de la ferme étaient identiques !
Je dois noter enfin que le sentiment d'inquiétude qui m'opprimait depuis si longtemps, s'évanouit complètement après le malheur. Naturellement, ce coup terrible me laissa profondément abattu, mais ce sentiment est tout autre chose ».
Signé : T. F. Ivey
La femme du signataire écrit à son tour à la date du 14 février 1894 :
Dès que j'eus mis le pied dans cette maison, le rêve me revint à l'esprit, car tout était conforme à ce que j'avais vu, y compris l'aspect de la ferme et de ses alentours. De même, pour l'attitude des person¬nes, leurs costumes particuliers, la pauvreté intérieure et jusqu'à la négligence avec laquelle la maison était tenue. De même pour les enfants se préparant au départ pour l'école, et la jeune fille pleurant au chevet de notre fils, qui étaient la reproduction exacte de ce que j'avais vu le matin.
Leur désespoir était tel, qu'on eût dit qu'il s'agissait de leur propre enfant. Nous sûmes ensuite qu'il était intime dans la maison, qu'il passait avec eux la plupart de son temps, que tous les enfants l'ai¬maient comme un frère, et que la fille aînée l'aimait plus qu'un frère. Tout dans mon rêve se trouva véridique, exception faite pour la substitution cu¬rieuse de mon mari à mon fils ».
Myers commente :
Cette dernière inexactitude, c'est-à-dire la substitution en rêve du père au fils, ôte bien peu de chose, à mon avis, au fait de la relation indubi¬table entre la scène réelle et celle rêvée.
Ce cas paraît contredire l'hypothèse selon laquelle le père aurait aperçu à l'avance l'accident dont son fils devait être victime ; par effet de vision trans¬cendentale. Il fait penser plutôt à l'intervention d'une Intelligence qui, pleinement instruite sur l'ap¬proche de la catastrophe, et désireuse d'en informer le père, ne parvint pas à l'impressionner d'une ma¬nière efficace jusqu'au moment où l'événement allait s'accomplir, et qui serait arrivée en même temps à informer la mère d'une manière différente, malgré que des interférences subconscientes aient engendré un certain confusionisme symbolique.
LXXe Cas. Il fut communiqué aux Annales des Sciences Psychiques (1911, p. 48) par Frédéric Passy et tiré du journal du Quaker Etienne de Grellet (1812) qui raconte ce qui qui suit :
La comtesse Toutschkoff nous a raconté l'intéres¬sante circonstance qui l'avait amenée à la convic¬tion que l'esprit de Dieu exerce une influence mysté¬rieuse sur le coeur de l'homme. L'impression qu'elle en a reçue est telle qu'elle ne peut douter que ce soit l'oeuvre de Dieu.
Environ trois mois avant l'entrée des Français en Russie, le général, son mari, était avec elle dans leurs propriétés près de Toulg. Elle rêva qu'étant à l'hôtel, dans une ville inconnue, son père était entré, tenant son fils unique par la main, et lui avait dit tristement :
- Ton bonheur est fini ; ton mari est tombé ; il est tombé à Borodino.
Elle s'éveilla dans un grand trouble, mais voyant son mari auprès d'elle, elle reconnut que c'était un rêve, et elle tâcha de se rendormir.
Le même rêve se renouvela et fut suivi de tant de tristesse qu'elle fut longtemps sans pouvoir s'en remettre.
Le rêve revint une troisième fois. Elle éprouva alors une si grande angoisse qu'elle réveilla son mari et lui demanda : « Où est Borodino ? »
Il ne le savait pas. Tous deux cherchèrent ensuite, avec leur père, ce nom sur la carte du pays sans pouvoir le trouver. C'était alors un lieu très obscur, mais il est devenu fameux par la sanglante bataille qui s'est livrée tout près. Cependant l'impression que la comtesse avait reçue était profonde et son inquié¬tude bien grande... Alors le théâtre de la guerre était éloigné, mais bientôt il se rapprocha.
Avant que les armées françaises fussent à Moscou, le général Toutschkoff fut mis à la tête de l'armée de réserve. Un matin, le père de la comtesse, tenant son jeune fils par la main, entra dans la chambre de l'hôtel qu'elle habitait. Il était triste, comme elle l'avait vu dans son rêve, et il dit : « Il est tombé ; il est tombé à Borodino ! »
Elle se vit dans la même chambre avec les mêmes objets dont elle était entourée dans son rêve. Son mari était, en effet, une des nombreuses victimes de la sanglante bataille livrée près de la rivière de Borodine qui donne son nom à un petit village. (Pour copie conforme : Frédéric Passy).
Camille Flammarion ajoute :
Ce rêve prémonitoire si remarquable m'était, en effet, resté inconnu, et je remercie M. Frédéric Passy de l'avoir tiré de l'oubli. Il présente tous les carac¬tères de l'authenticité. Il s'ajoute à ceux que j'ai publiés, et qui restent autant de points d'interroga¬tion pour notre philosophie, car si l'avenir peut être vu d'avance et il n'y a plus guère moyen d'en douter, que devient le libre arbitre ? La bataille de Borodino devait-elle inévitablement arriver ? Napoléon a-t-il été forcé à faire la campagne de Russie et n'en est-il pas responsable ? La liberté et la responsabilité humaines ne sont-elles qu'illusions ? le fatalisme paraît cependant en désaccord avec tous les progrès de l'humanité.
Après de longues recherches comparées sur les faits, je me sens de moins en moins enclin à accepter cette formule trop absolue de fatalisme, quoiqu'elle soit la formule classique par excel¬lence telle que la conçurent les peuples de l'an¬tiquité, et de nos jours les peuples orientaux. Selon moi, certaines manifestations prémoni¬toires pourraient bien conduire à la supposition de l'existence d'une fatalité, mais ceci d'une ma¬nière relative et circonscrite, comme si seuls, les grands événements directeurs dans l'évolution des peuples et des individus devraient dépendre d'elle. En ce cas, elle ne serait pas en désaccord avec le progrès humain, ni la liberté humaine, qui cependant pourrait être plus exactement définie : liberté conditionnée.
Ceci pour la catégorie la plus mystérieuse de la casuistique prémonitoire. Quant aux autres groupes de cas, nous avons déjà dit qu'il y avait moyen de les concilier avec la liberté humaine, en considérant certains incidents d'apparence fatalistes comme conséquences d'événements vo¬lontairement établis à l'avance par l'esprit pré-existant, au moment de sa propre entrée dans la vie (pour fins d'épreuves, d'expiations, de per¬fectionnements moral) et survenant d'une ma¬dère mathématique à l'heure fixée par effet d'auto-suggestion prénatale, analogue dans ses modalités à ce qui a lieu expérimentalement avec la suggestion post-hypnotique.
Il resterait néanmoins un doute à résoudre dans le cas dernièrement examiné, où il n'est as seulement question d'événements directeurs ou culminants dans la vie des peuples ou des indi¬vidus, comme la mort du général, la campagne de Russie et la bataille de Borodino mais aussi de la réalisation simultanée de situations insi¬gnifiantes et imprévisibles, comme l'épisode du père avec l'enfant, vérifié dans les conditions visualisées en rêve, ou de la comtesse se retrou¬vant dans la chambre vue en songe, épisodes qui, d'une part, sembleraient trop insignifiants pour qu'on puisse les attribuer à une cause tra¬giquement grandiose comme celle fataliste, et de l'autre ne pourraient lui être asservis sans entraîner la supposition d'un fatalisme régulateur inexorable de tout incident minuscule, infime, de la vie, ce qui ravalerait l'homme aux propor¬tions d'un automate ; conception moralement répugnante, et inadmissible, et en contradiction avec d'autres circonstances à noter dans les phé¬nomènes prémonitoires. Tout cela fait qu'on serait entraîné plutôt à identifier ces incidents auxiliaires, formant un fond aux plus importants, avec les autres analogues, dont les prémonitions à empreinte insignifiante et pratiquement inutile sont totalement constituées, et qui comportent une explication qui leur est propre, fondée sûr des données expérimentales, dont j'ai parlé dans l'Introduction, et sur laquelle je m'appesantirai longuement en temps voulu (Sous-groupe L.).
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Sous-groupe I
Prémonitions de la mort de tiers à longue échéance et où la mort est due à des causes accidentelles
LXXIe Cas. Je me suis abstenu jusqu'ici de citer des épisodes prémonitoires se rattachant aux peuples sauvages, quoique les récits des voya¬geurs anciens et modernes en contiennent un grand nombre ; et je m'en suis abstenu parce que ces épisodes étaient presque toujours exposés d'une manière trop incidentelle et résumée, pour revêtir une importance scientifiquement acceptable. Cependant, l'existence parmi les sau¬vages de la clairvoyance dans le futur ayant une importance théorique remarquable, je me décide à en rapporter un exemple plus détaillé, et qui mérite une pleine confiance, puisqu'il nous est transmis par le célèbre explorateur et missionnaire Dr David Livingstone. Dans son ouvrage Missionary Travels (p. 86), il raconte :
L'aventurier Sebituan étant poussé par la tribu des Matabels à chercher à son choix de nouvelles contrées où il aurait pu résider avec cette même tribu, il songeait à descendre le fleuve Zambèze jusqu'à prendre contact avec les blancs. Cependant Tlapan, le sorcier, qui « avait des rapports avec les divinités tutélaires de la tribu », indiqua au contraire l'Occi¬dent en tournant son visage de ce côté.
Tlapan, lorsqu'il voulait « prophétiser », s'y préparait en se soustrayant à la vue de tous jusqu'à la pleine lune. Il se cachait probablement en quelque caverne, où il tombait sans doute dans un sommeil mesmérique ou hypnotique, et d'où il sortait mûr pour la prophétie. Dans ces conditions, frap¬pant des pieds, sautant, criant d'une façon spéciale et violente, et battant la terre de sa massue (pour évoquer des esprits souterrains), il déterminait en lui-même une sorte de crise ou extase, durant laquelle il prétendait ignorer complètement ce que sa lèvre proférait ; et quand ces conditions étaient sincères, probablement il disait vrai.
Tlapan, donc, détermina en soi-même l'état de « possession », puis il se tourna vers l'Orient, et dit « De ce côté, ô Sebituan, je vois un grand feu flam¬boyant, que tu dois éviter pour ne pas être brûlé. Les Dieux conseillent : « Ne va pas par là ». Puis il se tourna vers l'Occident, et dit « Je vois une ville et une nation d'hommes noirs. Ce sont les hommes des eaux ; leurs troupeaux sont rouges... Je vois périr ta tribu, garde-toi d'exterminer les hommes noirs épargne tes futures tribus, car tu les gouverneras ».
Jusqu'ici, de bons conseils, et pas outre chose. Mais voici qu'il s'adresse à l'un des chefs, et s'écrie « Toi, ô, Ramosini, tu périras avec ton village entier ; et si Mokari part le premier, il périra le premier. Toi, Ramosini, tu seras le dernier à mourir ». Puis, prédisant sa propre infortune : « Les Dieux ac¬corderont aux autres de se désaltérer avec des eaux limpides et bonnes, et me feront désaltérer avec des eaux amères. Ils me rappelleront, et j'irai avec eux ».
Or, il arriva que quelque temps après, leurs vil¬lages étaient détruits ; que Mokari mourait, que Ramosini mourait, que Tlapan, le sorcier, mourait et que Sebituan, obéissant à la prophétie, rama vers l'Occident, où il fut attaqué par les tribus Boleïana, qu'il vainquit, épargna et gouverna. (Cité par Andrew Lang dans l'ouvrage The Making of Religion, p. 135).
Le fait que les phénomènes de « clairvoyance dans le futur » se réalisent identiquement parmi les peuples sauvages et parmi ceux civilisés, fournit un autre argument contre l'hypothèse des « inférences subconscientes » à latitudes illi¬mitées, qui impliquerait l'existence de « facultés d'abstraction » à peu près divines dans la sub¬conscience.
En effet, si l'on pense que la « génialité hu¬maine » consiste, en dernière analyse, en une potentialité exceptionnelle des facultés normales d'inférence, ou, en d'autres termes, dans l'excel¬lence des facultés psychiques d'association par contiguité et par similarité, qui mettent en mesure d'inférer par des causes existant dans le présent (non perçues par le commun des hommes) de nouveaux rapports entre les phénomènes, ou de nouveaux aspects du vrai et du beau ; celui qui les possède parvenant ainsi à l'intuition de nouvelles vérités scientifiques et philosophi¬ques, ou à inventer mécanismes et instruments pour le service de l'humanité, ou à créer les chefs¬ d'oeuvre de l'art, ou à prévoir et prévenir les événements politiques, sociaux et économiques ; si l'on considère tout cela, il semble inadmissible que la personnalité médiumnique d'un sauvage se montre fournie de facultés d'inférence de beaucoup supérieures à celles même du plus supérieur des génies humains.
Et qui pourrait évaluer dans une juste mesure les prodigieuses facultés d'association par contiguité et par similarité qu'il faudrait pour inférer à un an de distance la mort accidentelle d'un individu, en remontant jusqu'à l'événement à travers l'enchaînement infini des causes et des effets, c'est-à-dire, de toutes les situations d'am¬biance intermédiaires où devra se trouver cet individu, et de tous les actes importants et insi¬gnifiants qu'il devra exécuter durant la période entière, et qui, enfin, devront le conduire à l'heure préétablie, au point précis où devra se produire la catastrophe ? Un Moi subcon¬scient de sauvage qui serait capable de cela ne se montrerait pas seulement génial, mais divin ; et l'antithèse énorme qu'il faudrait constater entre les parties conscientes et subconscientes d'une même personnalité serait philosophiquement inadmissible, et moralement inconcevable.
Par contre, et sans abandonner les pouvoirs de la subconscience, le mystère imperscrutable s'évanouirait si l'on considérait la clairvoyance dans le futur comme une faculté de sens d'ordre supernormal, analogue aux autres facultés du Moi intégral subconscient ; c'est-à-dire, identique en tout aux autres facultés supernormales de sens dont la subconscience est fournie, comme la « clairvoyance dans le passé », la « clairvoyance dans le présent », et la « télépathie », facultés qui dans leur ensemble constituent les sens spirituels du Moi intégral désincarné ; dans ce cas, on comprendrait que tous les hommes, soient-ils grands comme Socrate, humbles comme un sauvage, doivent les posséder dans une mesure identique, de même qu'ils possèdent dans une mesure identique les sens nécessaires à la vie terrestre.
Dans ces conditions, si l'on considère la clairvoyance dans le futur comme une faculté de sens, il faut implicitement admette qu'elle doit s'exer¬cer par une voie médiate ou réceptive, conforme à la nature de toute faculté de sens ; on aurait donc nécessairement à supposer l'existence d'un « stimulant causal extérieur» apte à en déterminer les fonctions spécifiques, et la recherche de ce stimulant nous conduirait à reconnaître la vali¬dité des hypothèses « réincarnationniste », « pré-natale », « fataliste », « spiritualiste », dans le sens exposé à l'Introduction.
LXXIIe Cas. Le comte De Tromelin communique au Directeur des Annales des Sciences Psychiques (1910, p. 215), le fait suivant rigoureusement étudié par lui-même :
5 avril 1910. Monsieur le Directeur, Permet¬tez-moi de vous communiquer un cas de prédiction très nette de mort, dont je détiens tous les documents principaux.
Il s'agit d'une dame Brot, habitant Alais (8, place de la République) et avec laquelle je suis en rapports depuis trois années environ : je m'en suis même occu¬pé dans mon ouvrage sur le Fluide humain.
Il y a un peu plus d'une année, cette dame, dont le mari était employé à la gare d'Alais, m'écrivit qu'elle voyait son mari blessé et rapporté mourant à la suite d'un grave accident de chemin de fer.
Jamais auparavant (ainsi que d'autres femmes d'employés de chemin de fer), elle n'avait songé à la mort de son mari.
Je lui écrivis pour essayer de la rassurer ; mais par trois fois dans ses lettres, elle me confirmait cette prédiction : « Je vous remercie, disait-elle, de me rassurer ; mais j'ai beau faire, c'est inutile, et je reste convaincue que je serai veuve à la fin de l'année ».
Ses lettres étaient absolument formelles, et, comme je n'y pouvais rien, je n'en parlai plus à, Mme Brot. Or, au début de cette année, je reçus d'elle une lettre de faire-part de la mort de son mari, décédé le 10 décembre 1909.
Aussitôt je lui écrivis pour lui adresser mes condo¬léances ; et dans cette lettre je terminais ainsi :
« Votre mari est mort effectivement comme vous me l'aviez annoncé, à la fin de l'année (10 décembre 1909). Je n'ai pas oublié votre prédiction renouvelée par trois fois, que vous seriez veuve à la fin de l'année, mais par suite d'un grave accident de chemin de fer causant la mort de votre mari. Quoi qu'il en soit, c'était donc fatal, puisque votre mari est mort quand même, mais y aurait-il de ma part indiscrétion à vous demander de quelle maladie votre mari est mort ? »
Notez que si Mme Brot était devenue veuve, même par suite d'une maladie quelconque de son mari, t'eût été déjà intéressant, car M. Brot était dans la force de l'âge, et prédire : « Dans une année je serai veuve », c'était déjà fort ; mais ajoutez-y les détails de sa mort par « accident de chemin de fer », cela devient stupéfiant !
Je reçus peu après une découpure du Journal, re¬latant tous les détails de l'accident grave arrivé à son mari, dont la tête fut prise entre un wagonnet qu'il maniait, chargé de rails, avec deux de ses camarades, et un autre wagon chargé de sable, qui suivant la pente, était venu les heurter. Tous furent blessés, mais M. Brot mourut dans l'après-midi de l'accident, après avoir été emporté mourant sur une civière.
Bref, tout s'était donc passé exactement comme l'avait prédit sa femme et à la fin de l'année.
Je vous adresse les documents dont je vous ai parlé : lettres de Mme Brot, lettre de faire-part, et la coupure du Journal.
Je pense que ces documents suffiront avec mon article pour établir la netteté de cette prédiction dont Mme Brot paraissait accablé et absolument certaine, malgré tous mes raisonnements... »
Signé : Comte de Tromelin ; Villa « My Home », Marseille
LXXIIIe Cas. Il fut communiqué par le Prof. Richet au Dr Maxwell, qui le publia dans l'édition anglaise de son ouvrage : Les Phénomènes Psychiques (p. 231-234). Le cas n'est qu'un incident faisant partie d'un ensemble de manifestations supernormales, corroborées de nombreuses preuves d'identification spirite, obtenues par l'intermédiaire d'une dame amie du Prof. Richet, et provenant d'une personnalité médiumnique affirmant être un ami de ce dernier nommé Antoine B., mort depuis longtemps et inconnu de la sensitive.
Entre autres phénomènes, la sensitive (que le Prof. Richet désigne sous le nom de Mme X.) prédisait la mort imminente de Mme B. (veuve d'Antoine B., l'ami défunt du Prof. Richet), qu'elle ne connaissait pas et à une époque où nul indice pouvant la faire prévoir n'existait encore.
La mort ayant eu lieu dans la période annoncée visualisée par elle sous forme du chiffre 7 (sept semaines), elle prédit une seconde mort dans la même famille ; prédiction que le Prof. Richet rapporte en ces termes :
Le 8 juillet 1903, je reçus une lettre de Mme X., prophétisant que la mort de Mme B. (advenue en ces jours-là) devait être suivie d'une autre dans sa famille. Puis elle ajoutait : « Quelqu'un me dit que l'un de ses fils devra mourir avant que deux ans soient passés. Je suppose qu'il doit s'agir de Jacques B., mais ceci ne m'a pas été dit ».
Or, il advint que dans la nuit du 23-24 décembre 1904, vers 11 heures, Louis B. et Olivier L. (tous deux fils de Mme B., qui, s'étant remariée, était devenue Mme L.) furent victimes d'une grave catastrophe de chemin de fer ; le premier se sauva par miracle, le second fut tué sur le coup.
Ainsi se réalisait, après dix-huit mois, cette seconde prophétie. Dans le premier cas, la mort était survenue pour cause naturelle, dans le second pour cause accidentelle.
A noter la circonstance que la sensitive, vou¬lant compléter avec ses propres inductions le contenu de la prémonition, tomba en erreur ; tandis que la voix prémonitoire, dans les limites de ce qu'elle avait annoncé, fut entièrement correcte.
LXXIVe Cas. Le Dr Breton. Président de la Société Psychique de Nice, communique à la Revue Scientifique et Morale du Spiritisme (1909, p. 42) le fait suivant, recueilli de la bouche de la protagoniste.
Mle Lolla, jeune fille russe, étant dans une habi¬tation de campagne de sa famille en Russie, rêve qu'elle voit entrer dans sa chambre sa mère qui lui crie : « Lolla, n'aie pas peur, le feu est à la grange ». La nuit suivante, Mle Lolla est brusquement réveillée par sa mère, qui pénétrant dans sa chambre, lui crie : « Lolla, n'aie pas peur, le feu est à la grange », exactement les mêmes paroles entendues en rêve. En effet le feu dévorait une grange située à une faible distance.
Mle Lolla se marie, elle épouse M. de R., officier russe. Son beau-père meurt. Quelque temps après, la jeune Mme de R. accompagne sa belle-mère pour aller au cimetière, dans une chapelle de famille, prier sur la tombe du défunt. Agenouillée et priant, elle entend distinctement une voix qui lui dit : « Toi aussi tu seras veuve, mais tu n'auras pas la consolation de venir prier sur la tombe de mon fils. » La jeune femme, en entendant cette voix, s'évanouit ; sa belle-mère vient à son secours, et bientôt revenant à elle, elle raconte la cause de son émotion ; les deux femmes, très émues, quittent le cimetière, cherchant en vain à comprendre la signification exacte de cette prophétie, qui est un phénomène de communication auditive.
Mme de R. a un premier enfant, et était enceinte du second, lorsque son mari, colonel, reçut l'ordre de partir pour la guerre Russo-Japonaise.
Quelques mois après, un télégramme annonçait à la famille la mort du colonel, qui, cruellement blessé par des éclats d'obus, venait de succomber.
D'après les renseignements recueillis plus tard, le corps du colonel et celui de plusieurs autres officiers supérieurs mis en bière furent transportés à Moukden pour de là être expédiés en Russie, mais le détachement qui transportait leurs restes mortels dut les abandonner pendant la retraite générale de l'armée russe. Malgré de nombreuses recherches on ne put jamais savoir ce que ces corps étaient devenus.
La prophétie de l'esprit, père du colonel R., s'était accomplie : la jeune veuve ne pourra jamais prier sur la tombe de son mari.
Mme de R. devenue veuve vint à Nice pour la santé de ses enfants ; des relations intimes et affectueuses s'établirent entre elle et ma femme ; nous nous voyions journellement et elle a pu nous confirmer avec détails tous les faits que je viens de rapporter ; j'ai même connu son père et sa mère. »
Signé : Dr. Breton, Président de la Société Psychique de Nice
Cet épisode contient une prophétie politique analogue à celle du cas Toutschkoff cité par Flammarion (LXXe Cas), avec ceci de remar¬quable, que la sensitive eut la prémonition auditive deux ans environ avant les événements, et quand la guerre russo-japonaise n'avait pas encore éclaté ; ce qui rend plus extraordinaire encore la prophétie sur la bataille de Moukden et la défaite de l'armée russe, dont la retraite précipitée de¬vait être cause que le corps du colonel fût aban¬donné et perdu, choses parfaitement conformes à la prédiction de l'entité soi-disant père du colonel.
Pour cet épisode comme pour celui de Flam¬marion, l'hypothèse fataliste l'emporterait, soit qu'on l'explique par les facultés subconscientes (c'est-à-dire en envisageant la clairvoyance dans le futur comme une faculté de sens d'ordre spiri¬tuelle), ou par l'admission de l'identité spirite de la personnalité communicante.
LXXVe Cas. Miss Géraldine de Robeck, de la Society f. P. R., Section irlandaise siégeant à Dublin, et dont le Président est le Prof. W. F. Barrett, communiquait l'épisode personnel sui¬vant à cette Société, en date du 9 février 1911.
Il y a dix ans, du temps de la guerre Sud-Afri¬caine, je résolus tout-à-coup de partir pour Bloemfontein, où résidait ma soeur mariée. Personne ne comprit jamais les raisons qui m'induisirent à ce départ ; et je sentais que j'agissais comme d'après une autre moi-même qui aurait voulu le contraire de ce que voulait ma personnalité ordinaire. J'étais poussée à partir, et je ne pouvais me soustraire à 1'impulsion.
J'avais rêvé une nuit, d'une manière assez vivace pour que mon rêve pût être appelé « vision » que je me trouvais suivre un sentier solitaire, traversant un bois touffu, semblable à la forêt décrite par Dante dans le premier chant de l'Enfer :
« Nel mezzo del cammin di nostra vita
Mi ritrovai per una selva oscura
Che la diritta via era smarrita. »
J'arrivai dans mon rêve à un carrefour et je m'ar¬rêtai, ne connaissant pas le sentier à prendre ; lorsque survint par bonheur un homme, qui, comme moi, paraissait être un voyageur. Il était jeune, avait le visage glabre, sympathique ; il me prit la main, et dit : « Je suis seul au monde, et je suis perdu dans ce lointain pays. Serez-vous assez bonne pour me tenir compagnie le long du chemin que nous devons parcourir ensemble ? » Son serrement de main était si réaliste, que j'en ressentais encore l'impression en me réveillant.
Nous fîmes ensemble une courte partie de la route, qui nous conduisit à une large clairière, où se trou¬vaient un grand nombre de véhicules, et de nombreu¬ses personnes. Il s'arrêta, et dit : « C'est ici que nous devons nous séparer ». Tout près de nous se trou¬vait un grand omnibus, et il monta y prendre place. Je regardai à l'intérieur, et je m'aperçus qu'il était plein de mes parents et amis défunts. Ceux d'entre eux récemment décédés étaient assis près de la porte.
Arrivée à Bloemfontein, je fis la connaissance d'un jeune homme, dans lequel je reconnus tout de suite celui de mon rêve, et avec lequel, dans la suite, je me fiançai. Comme je devais continuer mon voyage jusqu'à Johannesburg, il me dit : « Je suis seul au monde, et me trouve perdu dans ce lointain pays. Serez-vous assez bonne pour m'écrire quelquefois ? » Lorsqu'il me serra la main, je reconnus l'étreinte de mon rêve.
Un an après, il tombait à la guerre.
Dans la nuit de la dernière séparation, je sentais que nous ne devions plus nous revoir, et, po¬sant le doigt au-dessus de son coeur, je dis, je ne sais pourquoi : « C'est ici qu'ils vous frapperont ». Etrange fatalité ! Il fut frappé d'une balle qui lui traversa le poumon, juste au-dessus du coeur », (Light, 1911, p. 429).
LXXVIe Cas. C'est un cas extraordinaire de prophétie obtenu dix huit ans avant l'événe¬ment, au moyen d'une somnambule clairvoyante ; il se rapporte à un crime passionnel parisien, qui fit du bruit en son temps. Au point de vue de l'authenticité du cas, on remarquera que la feuille sur laquelle la somnambule avait dicta la prophétie fut produite au Tribunal.
Lorsque Marie Thiérault, née en 1887, était en¬fant, une somnambule clairvoyante, nommée Picqui¬not, prophétisa par écrit ce qui suit :
« L'enfant est née pour mener une vie de jouis¬sance, qui s'achèvera d'une manière épouvantable. Je ne vois aucun moyen de conjurer l'événement ; cependant, j'exhorte ses parents à la surveiller et à l'enfermer à la maison durant les trois lunes qui suivront celle du 14 janvier 1907. Il ne m'est pas donné de voir la date terrible ; mais celle du 14 janvier surgit continuellement devant moi, et constamment je vois resplendir la pleine lune. »
Enfant, Marie Thiérault avait une apparence quelconque ; mais ses traits s'affinèrent après sa douzième année, et elle devint bientôt d'une rare beauté. Ses parents la mirent au couvent pour que son éducation fût mieux surveillée. Elle en sortît à dix-sept ans ; et un an après, elle se trouvait à Paris, posant comme mannequin pour un grand magasin de modes. Dès les premiers jours, sa beauté merveil¬leuse avait fait sensation dans le milieu qu'elle fré¬quentait ; et les artistes accouraient la prier de poser pour eux. Elle se conserva sage et innocente, et se prit d'une grande amitié pour une autre mannequin, nommée Lucette Yoquelet. Marie Thiérault était brune, l'autre blonde. Elles vivaient ensemble, dor¬maient dans la même chambre et semblaient heu¬reuses toutes les deux.
La mère de Marie Thiérault se montra tout de suite inquiète de l'amitié contractée par sa fille, et mit en oeuvre tous les moyens pour séparer les jeunes filles, mais inutilement. Alors elle écrivit à sa fille en l'exhortant à rentrer chez elle, toujours en vain. Marie répondit en expliquant que son amie était la plus agréable et la plus aimable jeune fille du monde, et, à ce qu'il semble, jamais il n'y eut entre elles de luttes ou de disputes d'aucun genre.
Le soir du 18 janvier 1907, les deux jeunes filles acceptèrent de prendre part à un dîner d'étudiants, avec d'autres femmes. Durant le banquet, les étu¬diants eurent tout-à-coup l'idée d'élire la « reine des belles », et proclamèrent Marie Thiérault « Dame d'épées ». Lucette Yoquelet avait recueilli une seule voix ; néanmoins, elle déposa gaiement la couronne de roses sur la tête de son amie, et prit part au toast avec emphase et entrain.
Les jeunes filles rentrèrent ensemble. Le lende¬main matin, on trouva le cadavre de Marie Thiérault gisant sur le lit, avec un couteau plongé dans le coeur, qui piquait sur sa poitrine une carte à jouer re¬présentant la fatale « Dame d'épées ». Dans un coin de la chambre, accroupie, gémissant, se tenait Lucette Yoquelet, les mains lourdes de sang, horri¬fiée du crime qu'elle avait commis.
Les deux jeunes filles n'avaient jamais entendu parler de la prophétie.
La mère de la victime présenta à la Cour de justice la feuille sur laquelle la somnambule, alors décédée, avait écrit de sa main la prophétie. Les avocats dé¬fenseurs s'en valurent pour prouver que Lucette Yoquelet, poussée par un pouvoir mystérieux à commettre le crime, devait être considérée comme irresponsable ». (Light, 1907, p. 219).
Il paraît que la somnambule, outre la pro¬phétie écrite, avait exprimé en paroles d'autres détails sur le destin tragique de l'enfant ; entre autres, elle avait fait allusion à une « carte à jouer fatale représentant la Dame d'Épées ». J'ai omis ce paragraphe, parce qu'au point de vue probatif, il n'a aucune importance, si l'on pense aux dix-huit années parcourues, et aux confusions conséquentes et inévitables dans les souvenirs, avec intrusion probable d'illusions mnémoniques par adaptation inconsciente des souvenirs lointains à la situation présente.
Dans l'épisode exposé, nous observerons l'affirmation de la somnambule qu’ « elle ne voyait aucun moyen de conjurer l'événement », affirma¬tion parfaitement concordante avec d'autres émises sur le même sujet par d'autres somnam¬bules clairvoyantes.
Ainsi, par exemple, dans le premier cas cité de cette classification, le dialogue suivant se déroule entre le Dr Teste et sa somnambule : « Alors, madame, si ce que vous dites se réalise, il faut admettre une fatalité dans les événements qui vous arrivent ? » — « Oui, monsieur ; comme dans la plupart de ceux qui arrivent à tous les hommes. » — « Et il n'est aucun moyen de se soustraire à cette fatalité ? » — « Aucun. »
Et dans le LXVIIe Cas, un médium en trance, prédisant à une mère la mort accidentelle de son propre fils, ajoute : «Vous ne devez pas pleurer ; parce que sa mort le sauvera du mal qui l'atten¬drait autrement. Il n'est presque jamais accordé de confier de tels secrets aux vivants, mais cette fois nous voyons que nous devons le faire pour votre avantage, car cela vous convaincra que vous n'avez pas perdu votre fils par simple accident ».
Sans attribuer une valeur exagérée à ces affir¬mations concordantes des somnambules, il faut malgré tout en tenir un juste compte, en son¬geant que ces affirmations furent obtenues au sujet de prédictions d'événements qui se réali¬sèrent ; ce qui nous permet de présumer logiquement que si les somnambules se trouvent en conditions psychiques telles à voir clair dans l'avenir, rien ne s'oppose à ce qu'elles entrevoient aussi les causes pour lesquelles cet avenir leur devient accessible.
LXXVIIe Cas. Je trouve dans les Annales des Sciences Psychiques (1896, p. 205-211) cet extraordinaire exemple de clairvoyance dans le passé, le présent et le futur. Il est rapporté par M. L. d'Ervieux, ami de la principale protago¬niste, et protagoniste lui-même. M. le Dr Dariex, fondateur de la Revue citée, appuie le cas de son témoignage.
Il regarde une dame anglaise très distinguée et très fortunée, Lady A. qui, en automne 1883, séjournait à Paris dans un splendide appartement, entourée d'un nombreux personnel. Un soir, elle découvrit qu'une somme de 3.600 francs environ avait été soustraite de la pochette interne d'une valise où elle avait déposé l'argent et les bijoux. La serrure ne semblait pas forcée, et seuls les bords de la valise donnaient l'impres¬sion de bailler légèrement. Elle en informa la Police, qui ne vint à bout de rien. Le commissaire de police demanda alors à Lady A. si elle avait des soupçons au sujet de son personnel. Lady A. répondit affirmativement, en n'excluant que le second valet de chambre, jeune homme de dix-neuf ans environ, sympathique et respectueux, très actif et intelligent, qui, dans la maison, était surnommé le « Petit », non à cause de sa taille, plutôt élevée, mais par un sentiment aimable de familiarité protectrice, que lui avait conquis ses excellentes qualités.
Voilà le résumé des précédents. M. d'Ervieux continue ainsi :
« La matinée s'était presque écoulée dans ces for¬malités, toutes sans résultat, lorsque, vers onze heures, Lady A. dépêcha à mon domicile l'institu¬trice de sa plus jeune fille, pour me raconter ce qui lui arrivait et pour me prier d'accompagner cette dame chez une clairvoyante dont j'avais, quelques jours auparavant, vanté la lucidité.
Je ne connaissais pas moi-même cette clairvoyante ; mais une dame de mes relations m'avait raconté une de ses consultations où elle s'était montré étonnante comme prédiction de l'avenir.
J'ignorais alors où demeurait ce phénix, aussi j'allai d'abord avec Mlle Deslions chercher l'adresse désirée pour nous y rendre aussitôt.
L'habitation de Mme E... se trouve derrière Notre-Dame-de-Lorette. Son escalier est dans la cour, et une petite pancarte révèle son étage afin que ses nombreux clients n'attirent pas trop l'attention de sa concierge.
Intérieur plus que modeste... C'est elle qui vient ouvrir sa porte. Elle nous introduit dans un salon vert : celui de n'importe quel petit dentiste ; sauf une magnifique gravure d'après Raphaël : Dieu débrouillant le chaos, et une peinture ayant trait, certainement, à quelque légende de la cabale.
Nous voyant deux, elle veut nous séparer. Nous lui faisons comprendre que, venant pour le même but, nous ne voulons qu'une seule consultation.
Elle aurait pu nous prendre pour de la même famille ; elle ne s'y méprit pas ; elle nous demanda seulement si « la chose pour laquelle nous venions regardait plus spécialement l'une de nos personnes ». Je désignai Mlle Deslions. C'était elle, en effet, qui, en habitant l'appartement de Lady A., s'était trou¬vée plus près du vol.
Mme E., notre clairvoyante, apporta un bol rempli de marc de café, pria Mlle Deslions de souffler dessus par trois fois ; après quoi, ce marc fut versé dans un autre bol, le premier s'abouchant sur le second afin que son contenu passât en partie dans le nou¬veau récipient, ne retenant sur la surface de ses côtes intérieures que quelque parcelles plus solides de la poudre de café qui devait, en laissant échapper sa partie liquide, former d'étranges dessins qui n'avaient aucune signification pour nous, mais dans lesquels la pythonisse semblait lire.
Pendant cette préparation occulte, il fallait nous occuper. Mme E. avait étalé ses cartes et commençait :
- Ah!... mais... c'est un vol, et un vol commis par une des personnes de la maison et non par, quelqu'un s'introduisant subrepticement »...
Ceci promettait bien... Nous reconnûmes que ce qu'elle avançait était vrai.. Quant au voleur, il nous était malheureusement inconnu.
- Attendez, nous dit Mme E., je vais mainte¬nant voir les détails dans le marc qui doit avoir formé son dépôt.. »
Elle saisit le bol renversé, y fit encore souffler par trois fois Mle Deslions, prit son lorgnon...
Alors, comme si elle avait assisté à la scène, elle nous dépeignit pièce par pièce la topographie de l'ap¬partement de Lady A., sans jamais se tromper d'une chambre ou d'un salon. Elle vit défiler devant ses yeux, comme dans une lanterne magique, sept domestiques dont elle nous dit exactement le sexe et les attributions. Puis, pénétrant de nouveau dans la chambre de Lady A., elle aperçut une armoire qui lui parut bien étrange :
- Elle a, nous répétait-elle, avec étonnement, un placard au centre dont la porte est recouverte d'une glace ; et, de chaque côté de cette armoire principale, il y en a encore deux autres sans glace, et tout cela se tient ! » (C'était une armoire anglaise, comme elle n'en avait sans doute jamais vu).
- Oh ! mon Dieu !... pourquoi cette armoire n'est-elle jamais fermée ? Pourtant elle contient toujours l'argent qui est... dans... Quel objet bizarre !... Il s'ouvre comme un porte-monnaie, forme pochette... pas comme un coffret... Ah ! j'y suis !... C'est un sac de voyage... Quelle idée de mettre son argent là ! et surtout, quelle imprudence de laisser ce placard ouvert !... »
Les voleurs connaissaient bien le sac... Ils n'ont point forcé la serrure. Ils ont introduit un objet assez large, pour en écarter les deux côtés ; puis, à l'aide d'un ciseau ou d'une pince, ils ont attiré l'argent qui était en billets de banque... Ils se sont contentés de cela, car ils ignoraient qu'au fond, se trouvaient de très beaux bijoux et une somme en or... Du reste, comme ils ont été habiles !...
Nous l'avions laissé parler. Tout ce que nous avait dit cette femme nous confondait, dans la vérité des détails, mêmes les plus infimes.
Sauf cette dernière révélation concernant les bi¬joux et la somme en or, dont nous ignorions l'existence, mais qui pouvaient se trouver à la place in¬diquée par la clairvoyante, tout était exact.
Elle s'arrêta fatiguée. Nous, nous désirions en savoir davantage. Nous la priâmes, nous la suppliâ¬mes de nous dire lequel ou lesquels des domestiques avaient commis le larcin, puisqu'elle nous assurait que c'était quelqu'un du personnel.
Elle avoua qu'il lui était impossible de le faire sans encourir les rigueurs de la loi française qui ne peut et ne doit admettre qu'un coupable soit reconnu comme tel, sans preuves, simplement par le secours de moyens occultes.
A force d'être pressée, elle nous assura pourtant que l'argent de Lady A. ne serait jamais trouvé ; ce qui était très probable, puisque le coupable ne serait point pris pour ce vol, et enfin, ce qui était plus étonnant, que deux ans plus tard, il subirait la peine capitale.
Il fallait nous en aller ; il était clair, après beaucoup d'instances qui avaient été inutiles, que nous ne pourrions plus rien tirer de Mme E. Nous partîmes donc, regrettant que dans cet ensemble si parfait, il se fût glissé une légère erreur.
Toutes les fois que son regard parcourant les des¬sins du marc, s'était porté sur « le Petit », elle l'avait vu près des chevaux. Nous lui avions certifié que jamais il n'avait servi de valet de pied, étant consacré exclusivement au service de la maison, et les valets de pied demeurant avec les cochers ; Mme E. s'était entêtée dans son dire. Plus nous l'avions contredite, plus elle avait affirmé.
Nous avions fini par abandonner ce petit rien qui nous choquait cependant comme une tache dans un ensemble parfait, car cette consultation avait été surprenante d'exactitude.
Arrivés chez Lady A., nous nous fîmes ouvrir le fameux sac ; et là, au fond, comme nous l'avait dit Mme E., se trouvaient intacts et les bijoux et l'or. C'était à ne pas en croire ses yeux !... Quand je fis à Lady A. le récit de notre consultation, j'étais heu¬reux que Mlle Deslions m'eût accompagné. Je n'au¬rais jamais osé citer tous les détails si précis, donnés par la clairvoyante de la rue Notre-Dame-de-Lo¬rette. Je ne les ai répétés plus tard que parce que nous avions été quatre oreilles pour les entendre.
Lady A. au bout de quinze jours, renvoya son maî¬tre d'hôtel et sa femme de chambre. « Le Petit », sans qu'on en sût alors la raison quitta Lady A. trois ou quatre semaines plus tard. L'argent ne fut pas retrouvé ; et, un an plus tard, Lady A. partait pour l' Egypte.
Deux ans après cet événement, Lady A. recevait, venant du Tribunal de la Seine, l'avis de se rendre, comme témoin, à Paris.
On avait trouvé l'auteur du vol commis chez elle. Il venait de se faire prendre : « Le Petit », doué de tant de qualités, n'était autre que Marchandon, l'as¬sassin de Mme Cornet.
Comme on le sait, il subit la peine capitale ainsi que l'avait annoncé la clairvoyante de la rue Notre-Dame-de-Lorette, et, dans le procès, il fut constaté que « Le Petit » avait, aux Champs-Elysées, tout près de la résidence qu'avait Mors Lady A., un frère qui était cocher dans une grande maison.
« Le Petit » ou Marchandon puisqu'ils ne font qu'un, profitait alors de tous ses moments de li¬berté pour aller voir son frère, car il était grand ama¬teur de chevaux. C'est donc là la raison pour laquelle M. E. nous avait affirmé, malgré nos contradictions, qu'elle voyait sans cesse le « Petit » domestique près des chevaux.
Elle avait encore vu vrai, dans ce petit détail que les péripéties du procès nous ont livré, »
Signés : L. D'Ervieux, et Mlle C. Deslions, ayant assisté à la consultation
Le Dr Dariex fait suivre le récit de la note suivante :
Ce cas de clairvoyance est absolument extraordi¬naire. Nous avons vu Lady A., qui nous a confirmé l'exactitude du récit qui précède.
Il ne faut évidemment voir dans l'emploi des cartes et du marc de café qu'un moyen employé, sans doute inconsciemment par le sujet, pour se mettre en auto-somnambulisme, c'est-à-dire dans un état second où la conscience normale devient inactive au profit de l'insconcient. Dans cet état second, les facultés inconscientes peuvent prendre tout leur essor et il est possible d'admettre que la faculté de clairvoyance, que nous possédons peut-être tous à un état plus ou moins rudimentaire, puisse s'exercer plus librement et acquérir, chez des sujets très prédisposés, un certain degré de précision.
Telles sont les pensées du Dr Dariex ; mais à vrai dire, il s'agit ici de bien autre chose que d'un « certain degré de précision » dans le déroulement de l'action clairvoyante ; et si la clairvoyance proprement dite, suffit à expliquer la description minutieuse de l'appartement de Lady A., et la désignation précise de l'auteur du vol, elle n'est certainement pas suffisante pour expliquer comment la somnambule soit parvenue à pro¬phétiser qu'au bout de deux ans, l'auteur du délit deviendrait assassin, et subirait la peine capitale.
Si nous voulions aussi expliquer cet épisode à l'aide des facultés de la subconscience, nous nous trouverions d'abord contraints d'exclure l'hypothèse des inférences subconscientes par la valeur. des considérations tant de fois exprimées ici : c'est-à-dire qu'elle serait philosophiquement invraisemblable, parce qu'elle accorderait à la subconscience humaine un attribut divin incon¬ciliable avec la nature humaine ; psychologiquement absurde, par ce que ce même attribut impliquerait l'existence dans le subconscient de « facultés d'abstraction » très proches de l'om¬niscience, et en opposition avec l'impotence de qui les possède ; théoriquement inadmissible, parce qu'elle serait en contraste avec les lois qui gouvernent l'ensemble des facultés subcons¬cientes, qui sont des facultés de sens, et non des attributs de l'intellect ; et enfin pratiquement insoutenable, parce qu'elle serait contredite par les faits.
Les deux habituelles hypothèses demeurent donc seules à notre disposition : l'une, selon laquelle les événements futurs révélés par la sensitive existeraient de quelque manière enre¬gistrés dans la subconscience de Marchandon, d'où la sensitive les auraient extraits (auquel cas l'on admettrait implicitement l'idée réincarna¬tionniste, des enregistrements de cette nature ne pouvant s'expliquer que sous forme d'auto-suggestions prénatales, qui se réaliseraient en leur temps grâce à un processus analogue à celui par lequel se dégagent les suggestions post-hyp¬notiques) ; l'autre, selon laquelle ces mêmes évé¬nements existeraient enregistrés en un « plan astral », ou dans un « ambiant métaéthérique » accessible aux facultés subconscientes, ou, si l'on veut, dans l'intelligence d'entités spirituelles régulatrices des destinées humaines (dans ce cas, nous admettrions implicitement l'hypothèse fa¬taliste).
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Sous-groupe J
Prémonitions de mort se produisant traditionnellement en une même famille
Une branche historico-légendaire existe dans cet ordre de manifestations, constituée par les nommées « Dames Blanches », ayant pour habi¬tude de se manifester en quelque famille, presque toujours illustre, à l'occasion de graves événe¬ments concernant l'un de ses membres, et pres¬que toujours à l'occasion de sa mort.
La « Dame Blanche » la plus fameuse est certai¬nement une Berthe de Rosemberg, qui vécut au xve siècle et se montra d'abord longuement au château de Neuhaus, où elle avait vécu ; puis dans les résidences d'autres illustres familles appa¬rentées aux Rosemberg, et particulièrement en celles des Hohenzollern, où elle se présenta pour la première fois à Berlin en 1598, huit jours avant la mort du prince électeur Jean-Georges ; puis en 1619, vingt-trois jours avant celle du prince électeur Jean-Sigismond ; puis en 1667, peu de temps avant la mort de la princesse Louise-Henriette, enfin en 1688, à la veille de celle du grand prince électeur. La dernière apparition à Berlin touche à notre époque, puisqu'elle advint à la date du 22 mai 1850, comme annonce de l'at¬tentat contre Frédéric-Guillaume IV, roi de Prusse.
Tout ceci pour le point de vue historique des manifestations qui nous intéressent ; car, au point de vue scientifique, ces récits plus ou moins légendaires ne revêtent aucune importance, vu l'impossibilité de les soumettre à des recherches satisfaisantes. Tout ce qu'on peut affirmer en leur faveur, c'est que, de même qu'il n'y a pas de « fumée sans feu», ces légendes n'existeraient pas sans un fond de vérité.
Je passe tout de suite à l'exposition de cas contemporains de manifestations prémonitoires à type répété.
LXXVIIIe Cas. Je l'extrais des Proceedings of the S. P. R., Vol. V, p. 302. Mas. Welman écrit :
Il existe dans la branche maternelle de ma famille une tradition selon laquelle, quelque temps avant la mort d'un de ses membres, un gros chien noir apparaissait habituellement à quelqu'un de ses parents. Un jour de l'hiver 1877, vers l'heure du dîner, je me disposais à descendre ; la maison était éclairée, et tandis que je me dirigeais à un passage qui conduisait à l'escalier, j'aperçus tout-à-coup un gros chien noir, qui marchait devant moi sans faire de bruit. Dans cette pénombre, je le pris pour un de nos chiens de berger ; j'appelai donc : « Laddie ! » mais le chien ne se retourna pas, et ne montra par aucun signe d'avoir entendu. Je le suivis, éprou¬vant un vague sentiment de malaise, sentiment qui s'effaça devant une profonde stupeur lorsque, parvenue au bout de l'escalier, je vis disparaître devant moi toute trace du chien, quoique toutes les portes fussent fermées. Je n'en parlai à personne, mais je ne cessais de songer à ce qui m'était arrivé. Deux ou trois jours après, nous parvint d' Irlande la nouvelle de la mort inattendue d'une de mes tantes, soeur de ma mère, survenue à la suite d'un accident.
Signé : Mrs. Wetman
LXXIXe Cas. Je le tire du Vol. XI, p. 537-542, des Proceedings of the S. P. R. Etant donnée la longueur du récit, et la nature plutôt aride des documents qui le composent, je me borne à en présenter un résumé.
Le cas se rapporte à la famille des Woods, dans laquelle la préannonce de mort se manifes¬tait sous forme auditive, au moyen d'une succession de coups. L'importance du cas consiste en ceci, que Myers parvint à retrouver des té¬moignages écrits au sujet des manifestations en question, dont il fut prouvé qu'elles remontaient à trois siècles en arrière, et qu'elles persistaient encore de nos jours.
Les documents recueillis par lui furent publiés dans son travail sur la « Conscience Subliminale », qui fait partie du volume indiqué des Proceedings.
Il résulte de ces documents que le premier qui parla de ces manifestations dans la famille des Woods est l'historien Dr Robert Plot ; celui-ci, dans son ouvrage Natural History of Oxfordshire, publié en 1677, en rapporte de nombreux exem¬ples, dans l'un desquels on n'entendit que trois coups formidables, auxquels, six mois plus tard, correspondirent les morts de trois membres de la famille.
On arrive alors à l'année 1784 ; durant celle-ci des membres de la famille rédigèrent sur les marges de l'histoire du Dr Plot, des annotations regardant d'autres cas de coups prémonitoires.
Ensuite, on passe aux témoignages de membres vivants de la famille, en commençant par l'année 1872, jusqu'à l'année 1895.
Cette longue persistance des manifestations à travers les siècles, confère à cet exemple une im¬portance non négligeable ; et Myers le commente en ces termes :
Faudrait-il déduire de cela que chaque fois qu'un groupe d'entités désincarnées parvient à établir des communications avec les vivants, une continuité d'efforts se dégage pour continuer la tâche ? Ou bien, que chaque défunt, par la suite, trouve dans la pré-existence des faits, le stimulant suggestif néces¬saire pour qu'il tente à son tour de les perpétuer ? Ou enfin, devrions-nous peut-être expliquer le fait avec une prédisposition héréditaire dans la famille pour un mode identique de perception supernor¬male ?
Cette dernière hypothèse de Myers est peut-être la plus fondée.
LXXXe Cas. Je l'extrais de la Revue d'Etudes Psychiques, année 1901, p. 21. Le Prof. Pirro-Bessi, écrit :
Jusqu'à l'événement que je vais décrire, l'idée spirite était pour moi l'une des plus extravagantes et des plus grotesques. Non seulement je traitais de fous et de naïfs ceux qui la prônaient ; mais j'en arrivai à former cet âpre dilemme : que les spirites étaient tous ou des mystificateurs ou des mystifiés.
Ma femme et moi, en décembre dernier, nous nous trouvions auprès de la famille de celle-ci. Un soir, tandis que nous étions assis, causant gaiement autour d'un grand feu allumé dans la cheminée de la cuisine, nous fûmes tous secoués tout-à-coup par un coup très fort semblant provenir d'un fusil déchargé dans la chambre même. Après le premier étonnement, nous tâchâmes de nous expliquer ce fait, en commençant par voir s'il s'agissait de quelque mauvaise plaisanterie, ou pis encore. Mais la porte de la maison était fermée, et personne ne se trouvait dans les chambres. Quelqu'un de nous monta jusqu'aux greniers, je descendis visiter les sous-sols et la cave : rien. Nous observâmes alors les fusils : ils étaient chargés...
Regagnant la cuisine, nous sentons une odeur très forte de poudre brûlée, au point que nous éprouvons le besoin d'ouvrir la fenêtre.
Je demeurai stupéfait et confus, mais je fus en¬core plus surpris de remarquer chez mes parents une expression, plus que d'étonnement : d'abattement douloureux. Un profond silence régna pour un ins¬tant dans la chambre, silence que je rompis disant :
- Mais qu'est-ce que vous avez ?
Mon beau-père soupira :
- Tu croiras donc, enfin...
Je ne répondis pas, j'étais impressionné.
- Eh bien, continua-t-il, ce bruit est de mauvais augure !
- Allons donc m'écriai-je, superstition, tout cela !
Il leva les épaules, presque impatienté. Mais, après un instant, il reprit :
- Superstition ? Je parle par expérience, par douloureuse expérience. Tu sauras que ce n'est pas la première fois... et toujours quelque malheur est arrivé dans notre maison... Huit jours avant que mourût ma pauvre soeur, nous avons entendu ce même coup. Vous rappelez-vous ? fit-il, en s'adres¬sant à sa femme et à une vieille servante.
Les deux femmes approuvèrent d'un geste de douloureuse tristesse.
- Et la mort de mon fils aîné, aussi, fut précédée de quinze jours par la même annonce.
Je ne pouvais encore prêter une foi absolue à ces paroles, et cependant je me sentais troublé.
Le même silence qu'auparavant se refit dans la chambre, mais cette fois, un coup de cloche vint l'in¬terrompre brusquement. J'allai moi-même ouvrir la porte. C'était un cousin germain de mon beau-père, riche propriétaire qui habite dans la partie opposée du pays. Il entra, sans même souhaiter le bonsoir. Il avait l'air sombre et effrayé ; et ses premières paroles furent les suivantes :
- Est-ce que vous n'avez rien entendu, vous ?
Tous, et moi y compris, répondirent ensemble, lui donnant à peine le temps d'achever sa demande :
- Tu as donc entendu aussi ?
- Oui, un grand coup de fusil. Nous étions à table.
Le court récit qu'il nous fit entendre accrut au plus haut point mon trouble. Cette étrange coïnci¬dence de deux faits aussi égaux et simultanés me fit éprouver presque une vague terreur... Et pourtant, je ne voulais pas encore admettre qu'il s'agît d' « esprits ».
Dans les jours suivants, nous ne parlâmes plus de la chose. Mais ce qui était arrivé avait répandu dans toute la famille une inquiétude muette, que chacun tâchait en vain de dissimuler.
Deux semaines se passèrent ; un matin, nous trou¬vâmes notre tante morte dans son fauteuil...
La Revue d'Etudes Psychiques (année 1901, p. 98) publia la lettre de confirmation suivante adressée au Directeur, M. C. De Vesme.
Panicale, 17 avril 1901.
Les soussignés, respectivement femme, beau-père, belle-mère, beau-frère du Prof. Pirro Bessi, de Cortone, et cousin de son beau-père, jugent qu'il est de leur devoir de déclarer à M. C. de Vesme, Direc¬teur de la Revue d'Etudes Psychiques, de Paris, que le récit fait par leur parents, dans la même Revue sous le titre : J'ai vu et j'ai entendu, est parfaitement exact, malgré son caractère merveilleux, pour ce qui a trait au coup de fusil entendu, en même temps, dans l'habitation des quatre premières personnes sous-signées, et dans l'habitation de la cinquième quoique les deux maisons se trouvent aux deux extré¬mités opposées du pays.
Ils jugent utile d'ajouter qu'ils entendirent d'au¬tres fois encore, toujours en même temps dans les deux maisons, de tels bruits semblables à des coups de fusil, et que ce fut toujours un signe avant-cou¬reur de la mort de quelque parent ; qui ne tardait pas à se réaliser... »
Signés : Louise Bessi, née Landi. — Ange Landi. — Adélaïde Landi. — César Landi — François Bastianelli
LXXXIe Cas. Il fut publié par Mrs. Sidgwick dans son ouvrage sur les prémonitions (Proceedings of the S. P. R. ; Vol. V, p. 307308) et recueilli et étudié par Myers en Avril 1888. Mrs Cowpland-trelaor raconte :
Durant une nuit du mois de juin 1863, dans notre résidence du vicariat de Weeford (Staffordshire) ma soeur et moi fûmes réveillées tout-à-coup par un hurlement plaintif. Nous visitâmes tous les recoins de la maison, qui s'élevait, isolée au milieu de la campagne, sans rien découvrir. Dans cette première circonstance, ni notre mère, ni les serviteurs ne furent éveillés par ce hurlement ; mais, par contre, nous trouvâmes notre sauvage chien « bulldog » le museau enfoui dans un monceau de fagots et tremblant de peur. Le 28 du même mois de juin, notre mère mourait.
Le second cas du phénomène fut de beaucoup le plus impressionnant, et se produisit dans le même vicariat, en août 1879. Depuis quelque temps notre père était malade, mais ses conditions de santé demeuraient stationnaires, et le dimanche du 31 août, il officia encore à l'église, bien que devant mou¬rir neuf jours après. La famille était alors composée de notre père, de ma soeur et de moi, de notre frère, deux serviteurs et une femme de chambre. Nous couchions tous dans des chambres séparéés distribuées en différentes parties de la maison, qui, pour un presbytère, était très vaste.
C'était une nuit calme et sereine des derniers jours d'août ; aucune voie ferrée n'existait aux alentours ; il n'y avait pas de maisons voisines, ni de rues pou¬vant être parcourues par des passants attardés ; le silence était absolu, et la famille était plongée dans le sommeil, quand, entre minuit et minuit un quart, nous fûmes tous réveillés, sauf notre père, par de subits hurlements, désespérés et terribles, possédant une tonalité différente de celle de toute voix humaine, et analogue à celle précédemment entendue à la mort de notre mère, mais infiniment plus intenses. Ils venaient du corridor conduisant à la chambre de notre père. Ma soeur et moi descendîmes du lit (personne n'aurait dormi avec ces hurlements) ; nous allu¬mâmes une bougie, nous rendîmes dans le couloir sans penser même à nous vêtir ; là, nous rencon¬trâmes mon frère et les trois domestiques, tous terrifiés comme nous. Bien que la nuit fût très calme, ces hurlements désespérés étaient accompagnés de coups de vent, qui semblaient les transmettre, et l'on eût dit qu'ils sortaient du plafond. Ils se prolongèrent durant plus d'une minute, pour s'évanouir ensuite à travers une fenêtre.
Une étrange circonstance se rattache à l'événe¬ment : nos trois chiens, qui dormaient avec ma soeur et moi, avaient couru tout de suite se tapir dans des coins, leur poil hérissé sur le dos. Le « bulldog », s'était caché sous le lit, et, comme je ne parvenais pas à l'en faire sortir en l'appelant, je dûs le traîner de force, constatant qu'il était en proie à un tremblement convulsif.
Nous courûmes dans la chambre de notre père où nous pûmes voir qu'il dormait tranquillement. Le lendemain, avec les précautions voulues, nous fîmes allusion en sa présence à l'événement de la nuit, et cela nous permit de constater qu'il n'avait rien entendu. Or, comme il était impossible de dor¬mir d'un sommeil ordinaire tandis que résonnaient ces hurlements atroces, il faut supposer qu'ils ne résonnaient pas pour lui. Quinze jours après environ, et plus précisément le 9 septembre, notre père expirait.
Voici un troisième cas. En 1885, je me mariai, et j'allais habiter Firs (Bromyard) où je vivais avec ma soeur, Mrs. Gardiner. Mon frère demeurait à cinq milles de distance, et jouissait alors d'une parfaite santé. Une nuit de la moitié de mai, ma soeur et moi, la domestique Emilie Corbett et les autres domestiques (mon mari était absent) nous enten¬dîmes de nouveau les hurlements désespérés habi¬tuels, quoique moins terribles que la dernière fois.
Nous descendîmes de nos lits, visitant la maison, sans rien trouver. Le 26 mai 1885, mon frère mourait.
Le quatrième cas eut lieu à la fin du mois d'août 1885. Moi, Emilie Corbett et les autres domes¬tiques, nous réentendîmes les hurlements. Cependant, comme notre demeure n'était pas isolée ainsi que le presbytère de Weesford, et que les hurlements n'é¬taient pas aussi puissants qu'en cette occasion, je me berçais de l'idée qu'ils pouvaient provenir de quelque passant, bien que ne pouvant me soustraire à une certaine inquiétude au sujet de ma soeur. Mrs. Gardiner, qui, à ce moment, se portait mal. Au contraire, rien ne survint à Mrs. Gardiner, qui vit toujours ; mais une autre de nos soeurs, Miss Annie Cowpland, qui était en parfaite santé au moment où les hurlements se firent entendre, mourait une semaine plus tard d'une diphtérie. »
(Signées : Mrs Cowpland Trélaor, Mrs Cowpland-Gardiner, Emily Corbett
Analysons brièvement ce cas intéressant étudié par Myers.
Le fait en soi de la préannonce de mort trans¬mise ici sous forme de hurlements désespérés ne présente pas d'importance, car son explication réside dans les idiosyncrasies personnelles pro¬pres aux sensitifs auxquels le message est trans¬mis ; c'est-à-dire qu'ordinairement, la forme d'extrinsécation des phénomènes prémonitoires, ainsi que tout autre phénomène supernormal, ne représente que la voie de moindre résistance parcourue par le message supernormal pour arriver, ou de l'Au-Delà, ou des tréfonds de la subconscience, jusqu'à la conscience des sensi¬tifs.
L'autre fait (très commun) des animaux qui perçurent en même temps que les membres de la famille l'écho des hurlements prémonitoires, fe¬rait supposer qu'il ne s'agissait pas de simples sons subjectifs ; en ce cas, la circonstance du père qui n'avait rien entendu (parce qu'il ne devait pas entendre) s'expliquerait en supposant qu'il se trouvait à ce moment plongé dans le sommeil somnambulique. Du reste la ques¬tion de l'objectivité ou de la subjectivité des sons de cette nature ne diminue nullement l'autre question qui regarde la signification théorique de ces mêmes sons.
Toujours à propos des animaux, il est à ob¬server que, dans ces circonstances, ils manifes¬tent constamment des signes non douteux de terreur extraordinaire ; ceci prouverait qu'ils ont instinctivement conscience de se trouver en face de manifestations supernormales ou éxtrin¬sèques ; car, dans des circonstances analogues d'origine humaine, les chiens, loin d'être épouvantés, s'irriteraient, aboieraient .
Cette dernière considération nous ramène à la question essentielle à résoudre : c’est-à-dire si l'élément intentionnel qui existe indubitablement dans les manifestations étudiées, est de nature subconsciente ou extrinsèque. En effet, dans le cas où le maintien caractéristique des animaux prouverait l'existence d'un élément supernormal extrinsèque dans ces manifestations, ce dernier, à son tour, prouverait l'origine extrinsèque de l'élément intentionnel ; et admettre ceci signifierait admettre la validité de l'hypo¬thèse spirite.
TROISIEME CATÉGORIE
PRÉMONITIONS D'ÉVÉNEMENTS DIVERS
Sous-groupe K
Prémonitions d’évènements importants n’impliquant pas la mort
Extraction de numéros, mariages, évènements politiques et faits divers
Pour donner un éclaircissement au titre de ce sous-groupe, j'ajoute qu'il est réservé aux cas de prémonition n'impliquant pas des morts de personnes, et d'un caractère plus ou moins im¬portant (dans le sens heureux comme dans le sens triste) afin de les distinguer des événements ayant une empreinte insignifiante ou banale, qui seront englobés dans le sous-groupe suivant.
J'inaugure cette énumération avec un rapide coup d'oeil sur les nombreux cas prémonitoires de numéros gagnants dans les loteries, les jeux de hasard, ou devant sortir dans la conscription militaire, etc. Le thème est intéressant, mais vaste, et ne regarde pas toujours le phénomène prémonitoire, étant en partie susceptible d'ex¬plications non transcendantales. Je me bornerai à en citer quelques exemples typiques, en résu¬mant les plus longs.
LXXXIIe et LXXXIIIe Cas. Ce sont deux exemples bien connus et caractéristiques de numéros sortis à la roulette de Monte-Carlo, rapportés par Mme A. Guillou et M. E. Desbeaux
(Annales des Sciences Psychiques, 1909, pp. 133 et 215).
Les récits étant fort longs, je les résume, et m'attarderai un peu sur l'une des hypothèses proposées pour leur explication.
M. E. Desbeaux transcrit de son carnet de voyage plusieurs cas de prémonition dont il fut lui-même le héros, à trois reprises différentes, durant les 23 fois où il se rendit à Monte-Carlo.
Le principal caractère des prémonitions con¬siste dans le fait qu'elles se présentaient à lui sous forme d'intuitions rapides, à l'occasion d'incidents casuels et insignifiants qui lui arrivaient pendant la journée.
En obéissant aux cinq intuitions obtenues, il devina cinq fois le numéro « en plein ». La com¬binaison des numéros, et la manière dont se succédèrent les gains, se présentent telles à exclure l'hypothèse des « coïncidences fortuites ».
Les intuitions de Mme Guillou sont plus inté¬ressantes encore, parce qu'elles ont une empreinte nettement subconsciente ou médianique.
Elle commence en racontant un épisode dont elle fut témoin, et qui fut la cause déterminante de sa propre phase de lucidité. Elle le décrit ainsi :
«...Me trouvant, par hasard, assise près d'une dame, dont l'air absorbé me frappa, je la vis se lever brus¬quement, s'approcher de la table voisine, mettre sa pièce sur un numéro qui sortit. Surprise, je l'interro¬geai. Elle me répondit textuellement : « Je suis la première étonnée de ce qui m'arrive ; je pensais aux fluctuations du jeu, mais sans avoir l'idée de jouer, car j'avais déjà beaucoup perdu. Quand le croupier lança sa bille, je vis parfaitement le numéro qui vient de sortir ; il semblait me regarder (sic), à tel point que je n'ai pu résister au désir de le jouer. »
Mme Guillou se proposa de tenter quelque chose de semblable. Elle alla s'asseoir auprès d'une ta¬ble de « roulette », concentra sa pensée sur les fluctuations du jeu, et attendit ; mais pour ce jour-là l'attente fut vaine. Cependant, après avoir persévéré durant plusieurs jours, il lui arriva enfin de voir surgir brusquement devant elle le numéro 11.
Ici, la relatrice continue comme il suit :
« Quand sortira-t-il ? » fis-je mentalement. « A une heure », me fut-il répondu de la même façon. Question et réponse furent très rapides, presque inconscientes. Je regardai le cadran, il était midi 46. Dès que l'aiguille fut sur l'heure indiquée, j'envoyai ma pièce sur le numéro 41, que je gagnai.
Après un aussi heureux début, elle joua pen¬dant cinq jours de suite, en raison d'un seul coup par jour, et, à la suite d'autant d'intuitions prémonitoires, elle gagna toujours.
La percipiente décrit en ces termes l'une de ses prémonitions :
Un soir, avant de m'endormir, l'idée me vint de demander à mon « guide » (pour parler le langage spirite) de me faire voir, durant mon sommeil, deux numéros accolés, devant sortir le lendemain, à ma table habituelle. Je m'éveillai, dans le courant de la nuit, avec les numéros 10-14 nettement dessinés devant mes yeux. Je me rendis de bonne heure au Casino pour guetter la sortie du numéro 10, qui ne tarda guère. Je misai de suite en plein, sur le 14, que je gagnai. »
M. A. Guillou, confirme par ces paroles le récit de sa femme : « Ayant été témoin des faits relatés ci-dessus, j'en garantis la parfaite authenticité. »
A propos des cas rapportés par M. E. Desbeaux, M. Marcel Mangin proposa comme « hypothèse de travail » la suivante :
Nous savons que la force psychique de Home, celle d'Eusapia et de bien d'autres personnes, met en mouvement des objets d'un poids parfois consi¬dérable : pourquoi n'émanerait-il pas de M. Desbeaux une force capable d'agir sur la petite boule du jeu de roulette ? » (Annales des Sciences Psychi¬ques, 1899, p. 188).
Cette hypothèse n'est pas aussi étrange ou gratuite qu'elle le paraît au premier abord ; et, dans ces derniers temps, les expériences ma¬gistrales du Professeur Ochorowicz avec le mé¬dium à effets physiques, Mlle Tomczyk, intervin¬rent en sa faveur. Ce médium, entre autres
choses, prédit un grand nombre de fois les numéros qu'aurait dû marquer la bille d'une «roulette »
A ce sujet le Professeur Ochorowicz observe :
Somme toute, il ne s'agit pas là d'une influence générale de nos désirs sur le hasard, mais bien d'un cas particulier : le médium possède la faculté ex¬traordinaire, d'une action mécanique à distance. Par son « courant », ou par les mains fluidiques de son corps astral, plus ou moins matérialisées, il peut déplacer un objet qui se trouve au repos ; pourquoi ne pourrait-il pas modifier la direction de celui qui se trouve en mouvement ? Le premier fait est mille fois vérifié. Le second l'est moins ; mais l'expérience de la pendule arrêtée dans ses oscillations, est là pour prouver au moins la possibilité d'un arrêt. » (Annales des Sciences Psychiques, 1909, p. 105).
Le Professeur Ochorowicz voulut aussi inter¬roger. à ce propos la personnalité médiumnique soi-disant présente et agissante, et cette dernière répondit :
« Lorsque le mouvement est rapide, je ne peux absolument rien faire, d'abord parce que je ne peux pas arrêter la bille, et ensuite parce que je ne vois pas les numéros. Je réussis de temps en temps lorsque le mouvement est ralenti. »
Les limites de ces déclarations suffiraient à maintenir l'hypothèse de M. Mangin à sa juste place aussi ; à condition cependant de ne pas se laisser emporter par l'envie de généraliser.
M. Desbeaux, se rapportant à l'hypothèse en question, objecta qu'il était dénué de toute forme de médiumnité ; mais cette objection n'a pas grand poids, l'expérience enseignant qu'en certaines conditions psycho-physiologiques, toute personne peut momentanément se révéler douée de facultés supernormales ou médiumniques.
LXXXIVe, LXXXVe, LXXXVIe et LXXXVIIe Cas. Si pour les épisodes précé¬dents l'hypothèse télékinésique pourrait jusqu'à un certain point se montrer suffisante, l'hypothèse télesthésique, au contraire, pourrait être avancée pour ceux de prémonition de numéros dans les tirages au sort exécutés personnellement (comme pour la conscription militaire) ; c'est-à-dire, il pourrait arriver que l'extraction du numéro, au lieu de s'accomplir aveuglément, fût d'une cer¬taine manière guidée par une perception super-normale qui permettrait au sujet de choisir automatiquement le numéro pensé et voulu.
Voici plusieurs cas du genre, que j'emprunte aux Proceedings of the S. P. R. (Vol. XI, p. 545), et qui font partie de l'étude de Myers sur la « Conscience Subliminale ».
Le Professeur G. Hulin, de l'Université de Ghent (Belgique), écrit à la date du 13 avril 1894, au Professeur Sidgwick :
Au commencement de l'hiver 1890-1891, un jeune homme nommé Charles Cassel, natif du village de Looten-Hulle (Flandres Orientales), où réside sa famille, annonça deux mois auparavant qu'au tirage au sort pour la conscription militaire, il aurait extrait le numéro 90. Plusieurs personnes entendirent la prédiction, exprimée par lui avec une certitude ab¬solue et répétée devant le Commissaire qui présidait à l'extraction. A la grande stupeur générale, le numéro préannoncé sortit.
J'allai chez le commissaire,dont j'obtins l'attestation suivante :
«...Cette année, le conscrit Charles Cassel, de Loo¬ten-Hulle, avant d'extraire son numéro, demanda si le 90 était encore dans l'urne ; comme je lui répondais affirmativement, il s'écria : « C'est là le numéro que je dois tirer ». Invité à s'exécuter, il tira effectivement le numéro 90 ».
Signé : Le commis¬saire d'arrondissement Jules Van Dooren
Le Prof. Hulin alla trouver le conscrit, et dit à ce propos ces mots : « Il y a deux mois environ, venant de se coucher, il vit apparaître en l'air, dans un coin de la chambre, quelque chose de volumineux et d'indéfinissable, au milieu duquel se détachait clai¬rement le chiffre 90 en caractères grands comme une main. Il se mit sur son séant, ferma et rouvrit les yeux pour se convaincre qu'il ne rêvait pas, mais l'apparition persista au même endroit, distincte et incontestable. Saisi de frayeur, il se mit à prier.
Simultanément à l'apparition du numéro, il eut l'intuition qu'il l'aurait extrait le jour de tirage au sort, et que ç'aurait été un bon numéro.... Il croit à une intervention surnaturelle...
Je m'adressai de nouveau au commissaire pour lui demander s'il se rappelait d'autres cas de cons¬crits ayant prédit le numéro qu'ils auraient tiré. A cette époque (1891) il ne se rappelait que le suivant :
« En 1886, à Eeclo, le conscrit Ferdinand Masco, natif de ladite ville, déclara avant le tirage qu'il aurait extrait le numéro 112, qu'il tira effectivement ».
L'hiver suivant, il me signala cet autre cas :
« Un incident bizarre et digne de remarque se produisit mercredi dernier au tirage de la milice à Maldeghen. Un conscrit du nom d'Edouard Pamwels, de la commune de Adeghem, s'approchant de l'urne, déclara à haute voix qu'il aurait extrait le numéro 216, qu'il retira en effet. Il y avait dans l'urne 150 nu¬méros environ ; le moins élevé était 45, le plus élevé 223 ».
En février 1894, il me communiqua ce troisième cas :
« Le conscrit Camille Pyfferoen, s'étant approché de l'urne, déclara au commissaire d'avoir rêvé la nuit précédente qu'il tirait le n° 111, et qu'il était convaincu que le sort l'aurait favorisé avec ce nu¬méro. C'est ce qui arriva ! Le commissaire, stupéfait, lui demanda s'il l'avait réellement rêvé, et le conscrit. appela son propre père en témoignage ».
Voilà donc les curieux épisodes recueillis par le Professeur Hulin. Myers, en les commentant, se rapproche de l'hypothèse télesthésique rap¬portée plus haut. Il écrit : « Le parallèle le plus voisin que je puisse trouver pour ces incidents est le cas de Stainton Moses guidé supernorma¬lement à ouvrir un livre à une page donnée. A mon avis, il serait moins incroyable de supposer qu'une sorte de suggestion ait guidé à ce moment l'heureux percipient à tirer un bon numéro (auquel cas il faudrait admettre que ses compa¬gnons moins fortunés étaient guidés de manière à lui réserver le numéro) que de vouloir soutenir qu'une intelligence « finie » ait su prévoir deux mois auparavant la disposition exacte des numéros dans l'urne... (Proceedings, vol. XI, p. 547).
LXXXVIIIe Cas. Ni l'une ni l'autre de ces hypothèses, cependant, ne pourrait être appliquée à tous les incidents du genre ; ainsi, par exemple, elles ne pourraient guère élucider les prémoni¬tions de numéros gagnants dans les tirages de loteries auxquels l'intéressé n'assiste pas, puisqu'en de pareilles conditions, il ne pourrait exercer aucune action télékénisique ou télesthé¬sique. On pourrait cependant supposer que ces mêmes facultés sont parfois exercées par des entités extrinsèques ou désincarnées ; cette sup¬position ne doit pas être exclue, étant fondée sur des données et des inductions légitimes, comme nous le démontrerons amplement dans le sous-groupe qui suivra celui-ci.
Les exemples de cet ordre sont très nombreux, et se rapportent surtout à la Loterie ; un cas survenu à Turin fit récemment beaucoup de bruit en Italie ; il s'agit d'une domestique qui gagna l'importante somme de 300.000 francs. Le Professeur Lombroso investiga personnellement le cas, et, dans son ouvrage sur les Phénomènes hypnotiques et spirites (p. 26), il le rappelle en ces termes :
Rose Tirone est une servante hystérique, de trente-cinq ans, qui avait aimé un jeune homme de son pays, mais n'avait pas pu l'épouser à cause de ses conditions de santé précaires. Le jeune homme mourut en effet à vingt-cinq ans.
Une nuit de novembre 1908, Rose rêva que son jeune concitoyen lui dit : « Je ne veux plus te savoir domestique, joue ces quatre numéros : 4-53-25-30, et les lui répéta pour qu'elle pût bien se les graver dans la mémoire. Puis il ajouta : « J'ai si soif, tire du puits un seau d'eau et donne-moi à boire ». Près de là se trouvait effectivement un puits, et la femme, ayant tiré le seau, désaltéra le jeune homme. Le jour suivant, Rose Tirone joua une somme assez forte sur les quatre numéros, qui sortirent tous le samedi suivant... Un an et demi avant le songe prophétique, elle en eut un prémonitoire dans lequel cet amoureux lui avait prédit qu'elle serait devenue riche...
Nous ajouterons pour compléter l'épisode que Lombroso a fait une petite omission : le peuple découvrit à ce propos que, si Rose Tirone avait pensé à jouer le numéro qui, dans la « cabale », correspond au fait de « donner à boire aux alté¬rés », elle aurait gagné aussi le cinquième numéro du tirage !
LXXXIXe Cas. Cet autre épisode est ana¬logue au précédent. Le comte Giuseppe Valentinis envoyait à la Revue d'Etudes Psychiques (1902, p. 200) le cas suivant :
Le 8 décembre 1894, à la tombée de la nuit, un tailleur de mon pays (Monfalcone), qui s'appelle Jean Pian, se tenait près du feu, tout rêveur, préoc¬cupé surtout par certaine petite dette, qu'il devait payer dix jours après et pour laquelle il ne savait où donner de la tête. Tout absorbé qu'il était par des pensées aussi peu agréables, il finit pourtant par s'endormir. II ne sait au juste combien de temps dura son sommeil ; pas bien longtemps, en tous cas, puisque soudain il fut secoué par un souffle d'air assez fort, tandis qu'une voix lui disait : « Joue 3, 15, 18.»
Notre tailleur reconnut parfaitement cette voix, ce qui le fit tressaillir de peur. C'était la voix de sa belle-fille, Elise Pian, née Macorin, morte huit jours auparavant.
Le tailleur joua les trois numéros, qui sortirent au prochain tirage de la Loterie, dans l'ordre même dans lequel ils avaient été énoncés par la voix mystérieuse : le 3 était le premier de la quine ; le 15 le troisième et le 18 le cinquième... (Suivent les attestations de Nina Pian, Pietro Pian, Giuseppé Pian).
XCe Cas. Pour compléter le cycle des prémonitions de gains de ce genre, il nous reste à parler des cas se rapportant aux courses de che¬vaux, eux aussi très nombreux. Cependant, ici, sauf circonstances spéciales, les probabilités contraires au prophétiseur sont réduites à si peu de choses, qu'elles ne peuvent pas exclure l'hypothèse des « coïncidences fortuites ». Je ne citerai donc qu'un seul cas de cette nature, où l'hypothèse en question semble peu vraisemblable à cause de ses modes d'extrinsécation symbolico-médium¬nique. C'est Mrs. Marryat qui le rapporte dans son ouvrage : There is no death (p. 188) en ces termes :
L'une des objections les plus vulgaires qui sortent de la bouche des imbéciles consiste à observer : « S'il est vrai que les esprits savent quelque chose, qu'ils essayent de me dire le nom du prochain vain¬queur des courses, et alors je le croirai, etc. » Je parlai de cela un jour avec « Dewdrop » (personnalité médiumnique communiquant avec Mrs. Russel-Davis), et elle me répondit : « Nous pourrions le ré¬véler, si cela nous plaisait, ou si cela nous était permis. Si le spiritualisme était employé dans ce but, tout le monde accourrait à nous avec l'unique fin de se précéder les uns les autres. Mais, pour te prouver que je dis vrai, je me propose de te consigner sous enveloppe cachetée le nom du gagnant, à con¬dition qu'on me promette de ne pas ouvrir l'enve¬loppe jusqu'à la fin des courses ». Nous prîmes et procurâmes le nécessaire à « Dewdrop », qui traça rapi¬dement des signes au crayon sur le papier et cacheta le tout dans l'enveloppe. C'était l'année où les courses furent gagnées par «Shotover ». Le jour suivant, on ouvrit l'enveloppe, et nous y trouvâmes le dessin d'un homme armé d'un fusil en face d'un buisson, au-delà duquel on voyait s'enfuir un oiseau ; tout cela ébauché, mais parfaitement intelligible pour quiconque sait lire entre les lignes ». (Pour ceux des lec¬teurs qui ignorera, la langue anglaise, je fais observer que le nom : Shotover » se prête à être séparé en deux mots : « Shot over » — ce qui signifie : « tirer au-dessus »).
XCIe Cas. Une autre catégorie d'événe¬ments assez fréquents dans la phénoménologie prémonitoire est celle des prédictions de mariages. Il me suffira d'en rapporter quatre exemples représentant leurs modes d'extrinsécation les plus communs.
Paul Adam, le romancier bien connu, raconte dans une lettre à Jules Bois qu'un jour, il s'aper¬çut de posséder le don de l'écriture automatique, et qu'il s'y adonna fébrilement durant quelque temps ; une personnalité médiumnique se mani¬festait alors qu'il désignait sous le nom de «Étrangère ». Parmi les autres intéressantes com¬munications obtenues, on compte des prédictions réalisées ensuite ; celle-ci, entre autres :
« L'étrangère prédit, quatre années auparavant, le mariage improbable d'un de mes familiers, céli¬bataire endurci. Elle le fit d'une façon très bizarre. Par ma main très docile, pour répondre à l'interro¬gatoire du visiteur, elle écrivit : « Ta fiancée habite tel numéro, avenue Marceau. »
Une lettre de l'ami, le surlendemain, m'apprit que, sur l'impériale du tramway « Place de l'Etoile-Gare Montparnasse », il avait vu au lieu du numéro indi¬qué les démolitions de l'Hippodrome. Nous plai¬santâmes. Quatre ans plus tard, dans un immeuble neuf , construit sur l'emplacement de ce grand cirque, mon ami assistait aux réceptions nuptiales d'un collègue ; puis il se fiança avec la soeur de la jeune épouse qui demeurait là. » (Jules Bois : « L'Au-delà et les Forces Inconnues », p. 90).
XCIIe Cas. Camille Flammarion, dans son ouvrage : L'Inconnu (p. 509), rapporte cet autre cas, cité auparavant par le Dr Macario dans son livre Du Sommeil, des Rêves, et du Somnambu¬lisme (pp. 80-81) :
Dans une petite ville du centre de la France, à La Charité-sur-Loire, département de la Nièvre, il y avait une jeune fille ravissante de grâce et de beauté. Elle était, comme la Fornarina de Raphael, fille d'un boulanger. Plusieurs prétendants aspiraient à sa main, et l'un d'eux avait une grande fortune. Les parents le préféraient. Mais Mlle Angèle Robin ne l'aimait pas et le refusait.
Un jour, poussée à bout par les instances de sa famille, elle alla à l'église et pria la Sainte Vierge de lui venir en aide. La nuit suivante, elle vit en rêve un jeune homme en costume de voyageur, portant un grand chapeau de paille et des lunettes. A son réveil, elle déclara à ses parents qu'elle refu¬sait absolument le prétendant et qu'elle attendrait ; ce qui leur mit en tête mille conjectures.
L'été suivant, le jeune Emile de la Bédolière est entraîné par un de ses amis, Eugène Lafaure, étu¬diant en droit, à faire un voyage dans le centre de la France. Ils passent à La Charité et vont à un bal de souscription. A leur arrivée, le coeur de la jeune fille bat tumultueusement dans sa poitrine, ses joues se colorent d'un rouge incarnat, le voyageur la remarque, l'admire, l'aime, et, quelques mois après, ils étaient mariés. C'était la première fois de sa vie qu'il passait dans cette ville.
Le même Émile de la Bédolière, dans une lettre adressée au Dr Macario, s'étend sur des dé¬tails plus précis. Il informe que le bal en question eut lieu au mois d'août 1833, chez un certain M. Jacquemart, et qu'il apprit de Mme Forcerat, directrice d'un pensionnat où se trouvait alors la jeune Mlle Robin, que cette dernière avait confié depuis longtemps à son professeur le songe en question, décrivant de la manière la plus exacte les traits de M. de la Bédolière et son costume de voyage.
XCIIIe Cas. Mrs. Florence Marryat, dans son livre : There is no death (pp. 189-192) raconte cet épisode, qui se rapporte à son second mariage, et qu'elle expose d'après des notes prises sur le moment même.
En 1874, j'exerçais activement la profession de journaliste à Londres, et, en cette qualité, j'étais envoyé partout où il se passait quelque fait intéres¬sant à rapporter. Un jour, la Direction d'un des plus grands journaux de Londres me chargea d'aller chez une clairvoyante américaine, dé¬barquée depuis peu en Angleterre, nommée Lottie Fowler, et de lui demander une séance. Je n'avais jamais entendu prononcer son nom, et j'étais alors peu au courant des choses de clairvoyance.
Miss Lottie Fowler me reçut très cordialement, me fit entrer dans un salon, s'assit, prit mes mains, et commença à me parler de ce qu'elle avait l'intention de faire à Londres. Tout à coup ses yeux se fermè¬rent, la tête se renversa en arrière, et la respiration devint pénible. Après quelques minutes, elle se rassit et, les yeux toujours fermés, commença à parler d'une voix aiguë, dans un anglais hésitant. C'est ainsi que se manifestait «l'esprit guide » Annie, qui faisait preuve indubitablement d'une clairvoyance merveilleuse...
Annie commença avec ma naissance, à proximité de la mer, décrivant merveilleusement la personna¬lité de mon père et ses occupations, passa à ma mère, à mes frères et à mes soeurs ; puis elle parla des mala¬dies dont j'avais souffert, de mon mariage, de ma vie domestique. A ce point, elle dit : « Attendez : je vais aller chez vous, et je décrirai ce que j'y verrai ». Et elle se mit à révéler le nom de mes enfants, à analyser minutieusement le caractère de chacun d'eux, en commençant par l'aîné, jusqu'au cadet, qu'elle désigna comme une fillette qui port le nom d'une fleur (Marguerite). Lorsqu'elle eût épuisé le thème du passé et du présent elle observa « Vous croyez que j'ai lu tout ce que j'ai dit dans votre cerveau, et pour vous en dissuader, je vais vous ren¬seigner sur ce que je vois pour vous dans le futur. Voici vous vous marierez une seconde fois ».
A ce moment, je dirigeais une Revue littéraire très répandue, ce qui avait réuni autour de moi bon nombre de personnalités littéraires. Mes récep¬tions du mardi étaient fréquentées par de nombreux amis, et il n'est donc pas impossible ou improbable, mais je n'en ai pas conscience, que j'aie pu spéculer sur ma destinée si j'avais dû rester libre. Cependant, dès qu'Annie eut dit que je me serais remariée, mes pensées doivent avoir pris involontairement leur vol, car elle observa tout de suite : « Non, il ne s'agit pas de ce monsieur qui a brisé un verre chez vous l'autre soir. Vous épouserez un autre officier ». — « Non, je te remercie, m'écriai-je, je ne veux plus rien savoir en fait d'officiers ; j'en ai assez pour toute la vie ». — Annie devint sérieuse, et répéta : « Vous épouserez un autre officier ; je le vois en ce moment se promener sur une terrasse. Il est grand, robuste, corpulent ses cheveux sont noirs, il les porte très courts, et sont très. souples et très brillants. Il a un visage large, sympathique, toujours souriant ; et quand il rit, il découvre deux rangs de dents très blanches. Je le vois frapper à votre porte, et demander : « Mrs. Rosschurch est-elle chez elle ? » — On lui répond affirmativement. Il est introduit dans une chambre comble de livres, où il parle ainsi : « Florence, ma femme est morte ; voulez-vous devenir ma femme ? » Et vous lui répondez que oui ».
Annie parlait avec une telle spontanéité, et j'étais tellement étonnée de la pleine connaissance qu'elle démontrait de mes affaires, que je ne m'aperçus que plus tard qu'elle m'avait nommée par mon nom de baptême, bien que je le lui eusse soigneusement caché. Je demandai : « Maintenant peux-tu me dire quand mourra mon mari ? » Elle répondit : « Je ne vois sa mort nulle part ». — Ce à quoi je répliquai « Alors, comment puis-je me remarier, si mon mari ne meurt pas ? » — Et elle : « Je ne le sais pas non plus, mais je peux vous décrire ce que je vois. J'aperçois une maison plongée dans la plus grande confusion ; papiers, livres, objets sens dessus-dessous, et deux personnes qui partent dans une direction opposée... Que d'ennuis, que de larmes ! Mais je ne vois la mort d'aucun côté. »
Je rentrai chez moi stupéfaite de ce que Miss Fowler avait révélé au. sujet de mon passé et de mon présent, mais incrédule pour ce qui se rappor¬tait à mon avenir.
Or, trois ans après, alors qu'une grande partie de ce qui m'avait été prédit s'était déjà réalisée (le divorce) je me trouvais en voyage, de Charing-Cross à Fareham, en compagnie de M. Grossmith, pour certaines représentations de notre pièce « Entre nous », lorsque le train s'arrêta, comme toujours, à Cha¬tham. Sur la plate-forme se tenait le colonel Lean en uniforme, causant avec plusieurs amis. Je ne l'avais jamais vu, mais je me retournai aussitôt vers M. Grossmith, et lui dis : « Voyez-vous cet officier en petite tenue ? C'est l'homme que je devrais épou¬ser, selon la prédiction de Miss Lottie Fowler ». La description avait été si précise que je l'avais re¬connu tout de suite. Naturellement, mon observa¬tion fut accueillie par de grands éclats de rire, et je ne tardai guère à rire tout aussi fort.
Deux mois plus tard, je fus engagée pour plusieurs représentations à l'Institut littéraire de Chatham, où je n'avais jamais mis les pieds de ma vie. Le co¬lonel Lean se trouva parmi les spectateurs, et voulut faire ma connaissance en se présentant de lui-même. Il continua de me rendre visite à Londres (entre parenthèses, j'avais déménagé, et ma maison était pourvue d'une terrasse), et, deux ans plus tard, en juin 1879, nous étions mariés.
XCIVe Cas. Lady Burton, femme du cé¬lèbre explorateur africain, raconte dans son ouvrage : The life of Sir Richard Burton, que lorsqu'elle était jeune fille, et s'appelait encore Isabelle Arundell, elle rencontra une bohémienne nommée Hagar Burton, qui lui prédit par écrit son avenir dans les termes suivants :
« Vous traverserez la mer, et arriverez dans la ville où se mûrit votre destin ; mais vous ne le saurez pas.
Vous aurez à lutter contre toutes sortes d'obsta¬cles, et des combinaisons de circonstances qui re¬querront toute l'énergie et l'intelligence dont vous êtes capable pour les surmonter. Votre vie ressem¬blera à celle d'un nageur contraint d'affronter tou¬jours de nouvelles ondées menaçantes ; mais Dieu sera avec vous, et vous vaincrez toujours, en tenant votre regard fixé sur l'étoile polaire de votre vie, sans regarder ni à droite ni à gauche. En vous mariant vous porterez le nom de notre tribu (Burton) et vous en serez fière. Vous vivrez tous deux comme nous vivons : les voyages, les changements, les aven¬tures, composeront votre vie entière ; mais ce sera une vie beaucoup plus noble que la nôtre. Vous ne serez jamais séparés pendant longtemps. Vous deviendrez une seule âme en deux corps, pour la vie et pour la mort. Montrez cette feuille à l'homme que vous épouserez ». Hagar Burton.
Lady Burton ajoute : « Chaque parole de cette prédiction s'est complètement réalisée ».
Il faut convenir que cet épisode est remar¬quable sous tous les rapports, d'autant plus qu'il s'agit d'une prédiction écrite, ce qui exclut toute possibilité d'erreurs mnémoniques et garantit l'au¬thenticité de chaque parole renfermée dans la prophétie. Tout cela est aussi remarquable que troublant, car si l'incident le plus extraor¬dinaire de l'épisode consiste dans la révélation du nom que le mariage aurait attribué à Miss Arundell, les événements futurs de deux vies y sont aussi schématiquement résumées. De sorte que nous voilà de nouveau devant la ques¬tion péremptoire si souvent formulée : « D'où la pauvre Bohémienne tira-t-elle de telles connaissances ? Peut-être de la subconscience de Miss Arundell ? Impossible, car la genèse causale des faits prophétisés ne dépendait pas de la volonté consciente ou subconsciente de celle-ci, et ces faits, par conséquent, ne pouvaient pas être inférés sur la base de traces déjà exis¬tantes dans sa subconscience.
Si l'on voulait soutenir cette hypothèse, alors il faudrait supposer que ces traces y existaient déjà parce que les événements correspondants avaient été pré-établis par les esprits mêmes de Miss Arundell et Richard Burton en voie de s'incarner, revenant ainsi à l'hypothèse réin¬carnationiste, qui sous-entendrait celle spiritua¬liste. Peut-être la subconscience de la Bohémienne les tira-t-elle directement du plan « astral » ou « métaéthérique » ? Le nier ou l'affirmer serait également impossible, puisqu'il s'agit d'une hypothèse métaphysique ; cependant même en l'admettant, on tomberait dans l'hy¬pothèse « fataliste » qui, comme la précédente, sous-entendrait celle spiritualiste. Peut-être les connaissances en question pourraient-elles avoir été transmises télépathiquement à la Bo¬hémienne par des entités désincarnées affectivement rattachées à Miss Arundell ? Cette hy¬pothèse aussi mériterait d'être considérée, bien que, dans le cas spécial, rien se semble militer en sa faveur.
De toute façon, n'oublions jamais cette cir¬constance si troublante : que de quelque côté qu'on tente d'affronter le dur problème, on se trouve inévitablement, d'une manière directe ou indirecte, devant l'hypothèse spiritualiste : quand on essaye de l'éluder, on ne parvient qu'à la sous-entendre.
XCVe Cas. C'est un autre épisode analogue au précédent. Le célèbre botaniste Linné, dans son autobiographie, publiée à Upsala en 1823, raconte l'incident personnel suivant :
Mon frère Samuel était considéré comme plein de talent, et fut envoyé à l'école de Wexio ; moi, j'étais considéré comme peu intelligent, et je fus envoyé à Lund. Tout le monde appelait mon frère « le professeur », et prédisait qu'il le serait devenu.
Une femme pauvre et maladive, qui passait d'un village à l'autre en quête de travail, et dont on assu¬rait qu'elle était douée d'esprit prophétique, arriva un jour à la paroisse de mon père à Rashult. Elle n'avait jamais vu mon frère ni moi. Elle demanda qu'on lui apportât quelque objet nous appartenant, et déclara au sujet de Samuel : « Celui-ci sera prédi¬cateur » ; quant à moi elle prophétisa : « Celui-ci sera professeur, accomplira de lointains voyages et sera l'homme le plus célèbre du Royaume ». Et elle l'assura avec serment. Ma mère, pour la tromper, lui présenta un autre vêtement, disant qu'il apparte¬nait à mon frère. « Non, dit la prophétesse « celui-ci appartient au professeur, qui habitera loin « d'ici ».
XCVIe Cas. Encore un épisode analogue aux précédents, obtenu cette fois médiumniquement. Je l'extrais du Journal of the American S. P. R., 1908, p. 463. Dans les mémoires auto-biographiques de Charles Schurz, on peut lire ce qui suit :
Tandis que j'étais en voyage pour Washington, il m'arriva quelque chose d'étrange qui peut intéresser les psychologues. A Philadelphie je fus invité à dîner par mon ami Tiedemann, fils de l'éminent pro¬fesseur de médecine à l'Université d'Heidelberg, et frère du colonel Tiedemann, dont j'avais été aide de camp au siège du fort de Rastatt, en 1849...
Une de ses filles, âgée d'une quinzaine d'années, très belle, intelligente et cultivée, s'était révélée « médium écrivain ». Le soir dont je parle, on proposa de faire une séance... Après quelques minutes d'at¬tente, la jeune fille écrivit que l'esprit d'Abraham Lincoln se trouvait présent... Je demandai s'il avait quelque chose à me communiquer. On me répondit : « Oui : que tu seras élu sénateur des Etats-Unis. » La chose semblait à tel point fantastique, que je me retins avec peine d'éclater de rire. Je demandai encore : « Quel est l'Etat qui m'élira ? » Et l'on :écrivit promptement : « L'Etat de Missouri ».
C'était le comble de l'absurdité ; et la conversation n'eut pas de suite.
Rien ne pouvait plus être improbable que je devinsse sénateur des Etats-Unis, et d'autant moins par mandat de l'État de Missouri. Mon domicile avait toujours été dans le Wisconsin, où je comptais re¬tourner ; jamais l'idée ne m'avait traversé la cervelle de l'échanger contre le Missouri, et il n'y avait jamais eu la plus lointaine probabilité que cela se produisît.
Or, deux ans après, on me proposa de prendre part à une entreprise commerciale absolument imprévue et non cherchée, qui m'obligea de m'établir à Saint-Louis ; et, en janvier 1869, les législateurs du Missouri m'élirent sénateur des Etats-Unis.
C'est alors seulement que je me rappelai la pro¬phétie spirite obtenue chez M. Tiedemann, à laquelle je n'avais plus songé dans l'intervalle de temps parcouru ; et sa réalisation me parut si extraordi¬naire, que je ne me serais pas fié à ma mémoire, si un grand nombre d'amis n'avaient assisté au fait et ne me l’avaient rappelé.
XCVIIe Cas. Une forme prémonitoire curieuse de genre répété, est celle dont parle la doctoresse en médecine Marie de Manaceine, dans une lettre au Professeur Charles Richet (Annales des Sciences Psychiques, 1896, p. 130). Elle écrit :
Cependant, je dois dire que pendant toute ma vie consciente j'ai de temps en temps un fantôme visuel ou une apparition hallucinatoire, qui reste complètement indépendante de ma volonté, et qui m'apparaît tantôt plusieurs fois par jour, tantôt rarement, après des périodes de temps plus ou mains longues. Ce fan¬tôme visuel consiste en une étoile très brillante, ayant la grandeur de l'étoile du soir (Vénus). Elle m'appa¬raît ordinairement à une certaine distance de moi, suspendue au milieu d'une chambre ; mais quelquefois elle s'approche de moi et commence à briller tantôt sur mon épaule, tantôt sur ma poitrine. Une fois, alors que je me trouvais devant un miroir, je l'ai aperçue sur ma tête brillant au milieu de mes cheveux, et cette apparition me semblait si réelle, qu'involontairement j'ai porté mes mains vers elle, sous l'impression qu'il devait s'y trouver quelque chose de tangible. Bien souvent, je vois cette étoile brillante au-dessus de ma fille unique. A cause de cette étoile hallucinatoire, je suis devenue presque superstitieuse, puisqu'elle m'apparaît toujours avant quelque succès, quelque joie. Jamais je ne suis parvenue à évoquer l'apparition de cette étoile, malgré tous les efforts de ma volonté.
XCVIIIe Cas. C'est un épisode macabre, ayant l'échafaud pour théâtre. J'extrais ce fait, recueilli et étudié par Lord Bute, qui pour le documenter s'adressa à Lord Halifax, du Vol. XIV, p. 254, des Proceedings of the S. P. R. Le protagoniste John Lee fut condamné à mort pour avoir assassiné Miss Keise, et conduit à l'échafaud à Babbicombe, en février 1885, mais l'exécution n'eut pas lieu à cause d'un incident survenu. Le Rév. John Pitkin, chapelain des prisons, écrivit à ce sujet dans les termes suivants :
Lord Clinton :
Voici les détails du songe fait par John Lee. Après la tentative manquée de son exécution, à la date du 23 février 1885, j'allai le trouver dans sa cellule, et me mis à commenter l'extraordinaire in¬cident survenu. Il répondit que dans la nuit précé¬dente, il avait rêvé que tout cela arrivait. A ma demande, il me raconta le rêve. Il dit qu'il se voyait conduit de sa cellule au pied de l'échafaud, élevé non loin de la porte d'entrée des prisons ; il se vit placé sur l'instrument, les pieds sur la trappe, en attendant le déclanchement fatal ; mais quelques efforts que l'on fît pour le provoquer, la trappe ne s'ouvrit pas. Alors il se vit emmener, puisqu'on de¬vait monter de nouveau l'appareil.
Il ajouta qu'il avait raconté son rêve, le matin même, à deux officiers de justice délégués pour veiller dans sa cellule.
Ceux-ci étaient absents en ce moment, mais comme je m'étais rendu chez le Gouverneur des pri¬sons pour lui rapporter le rêve du condamné, je le trouvai déjà pleinement informé du fait par les deux officiers en question.
Je dois ajouter que John Lee n'attacha aucune importance au rêve, et qu'en marchant vers l'écha¬faud il était absolument certain qu'on l'aurait pendu. Il ne se rappela pas non plus le songe au moment où l'on réitérait inutilement les tentatives pour faire déclancher la trappe, moment où il semblait se trouver en conditions de semi-inconscience. Au contraire, ce souvenir lui revint brusquement lorsque les tentatives prirent fin.
Signé : Joux Pitkin, chapelain
Les officiers indiqués plus haut fournissent le suivant témoignage :
A 6 heures du matin, dès son réveil, John Lee s'éveilla, et dit : « M. Bennett, j'ai fait un rêve étrange. Il me semblait que le grand moment était arrivé ; je me voyais conduit au pied de l'échafaud, mais, quand on me posa sur la trappe, on n'arriva pas à me pendre parce que la trappe ne fonctionnait pas ; et alors on me reconduisît à ma cellule, en me faisant passer d'un autre côté.
Signés : Samuel D. Bennett, assistant gardien. James Milford,officier supérieur
Il résulta de l'enquête que la trappe avait été essayée cinq fois le jour précédent, et qu'elle avait toujours parfaitement fonctionné (deux fois en présence du bourreau, lequel s'était déclaré satisfait). Il résulta aussi qu'après la tentative manquée de pendaison, on renouvela immédiatement les essais, que la trappe s'ou¬vrit tout de suite.
Quand on lit cet étrange cas communiqué par Lord Bute, l'esprit se tourne aussitôt vers l'ex¬plication que suggéra M. Marcel Mangin à propos des gains au jeu de la roulette. Il se demande : « Pourquoi donc ne pouvait-il émaner de M. Desbeaux une force capable d'agir sur la bille du jeu de la roulette ? Et nous demanderons : « Pourquoi donc ne pouvait-il émaner du condamné John Lee une force capable d'entraver le déclanchement de la trappe ? » Le Rév. Pitkin affirme que le condamné, dans la période des tentatives infructueuses pour la faire s'ouvrir, paraissait en conditions de semi-inconscience, ce qui permettrait encore plus de supposer qu'il s'agissait au contraire d'une condition de « trance ».
XCIXe Cas. C'est un autre épisode étrange où la prémonition se rapporte à la mort acciden¬telle d'un petit chien. Je l'extrais du Light (1893, p. 34). Mme Caroline Corner-Ohlmus écrit à la date du 15 décembre 1892 :
Dans la nuit du 11 décembre, je rêvai qu'un grave accident m'était arrivé. Je ne me rendais pas compte de ce qui s'était produit, mais je me vis tout-à-coup étendue à terre, avec les bras écrasés, fracassés, presque détachés du corps, et je vis mon sang sortir à flots des vêtements déchirés. La sensation éprouvée fut si terrible, que je m'éveillai en sursaut, en proie à des frissons, et la conviction me resta que le songe était prophétique. Je le racontai tout de suite à mon mari qui, s'il n'est pas entièrement convaincu de la véridicité de mes rêves, considère pour le moins avec bienveillance ce qu'il désigne comme « les idiosyn¬crasies anormales de sa femme ».
Malgré ce rêve, il m'arriva de me sentir très bien tout le long du jour, et de conserver ma bonne hu¬meur intacte ; cependant le rêve revenait souvent à mon esprit et m'obligeait à me demander : « Qu'est-ce donc qui m'attend ? »
...Lorsque mon mari rentra, nous sortîmes pour notre promenade habituelle, suivis de notre insépa¬rable petit chien « Nello ». La nuit commençait à tomber, et, avec un soupir de soulagement, j'observai : « Le jour va finir, et par bonheur rien de mauvais n'est survenu, ce qui me surprend, cependant, car je sais par expérience que les rêves analogues à celui-là se réalisent toujours ».
Nous nous retournâmes pour rentrer, et presque aussitôt nous entendîmes le bruit du train qui s'ap¬prochait à toute vapeur. J'appelai «Nello», qui, obéis¬sant promptement, vint à moi en sautillant, mais les fanaux de la machine l'éblouirent, il resta désorienté au milieu de la voie, le train l'atteignit, roula sur lui… Tout fut fini ! Je tombai sur le sol, en jetant un cri très aigu, et j'éprouvai les effets du choc comme s'il s'était agi de moi, et comme je les avais pressentis dans le rêve ! Je me sentis les bras écrasés, fracassés, détachés, et, instinctivement, je palpai mes vête¬ments, comme si j'avais dû les trouver trempés de sang... En face de moi gisait le pauvre « Nello », écrasé, démembré, mort ».
Signé : Caroline Corner Orlmnus, Dehiwala, Ceylon
A remarquer en ce cas cette circonstance curieuse et intéressante, que la percipiente eut en rêve la prémonition des sensations précises qu'elle aurait éprouvées en assistant à la mort accidentelle de son petit chien, au lieu d'avoir la visualisation de l'accident qui devait les pro¬voquer ; en ce dernier cas, elle aurait pu arracher le pauvre animal au destin qui l'attendait.
Ce Cas. Les prémonitions de malheurs accidentels, ou d'infortunes imprévisibles, sont assez fréquentes, et j'en rapporterai un nombre d'exemples proportionnés, en commençant par une prémonition d'incendie. C'est Miss Goodrich-Freer, de la Society for P. R., qui le rapporte ; ses travaux critico-analytiques sur ses propres expériences de « vision dans le cristal » peuvent être considérés comme classiques. Elle écrit :
En janvier dernier (1888) je vis apparaître dans le cristal la figure d'un homme accroupi sur la tablette d'une petite fenêtre, qui, de l'extérieur de celle-ci, regardait à l'intérieur. Je ne pouvais pas apercevoir ses traits, parce que la tête semblait enveloppée dans quelque chose d'indéfinissable. Le tableau du cristal se montrait ténébreux d'une manière exceptionnelle, et comme la scène que j'avais devant les yeux était tout autre que plaisante, je cessai de regarder.
J'en conclus que l'origine de la vision devait se trouver dans les discussions faites en ma présence à propos de plusieurs vols accomplis récemment et dont les journaux étaient remplis. En même temps, je considérais avec une certaine satisfaction que la fenêtre visualisée par moi dans le cristal était à quatre carreaux, et que l'unique fenêtre à quatre carreaux de ma maison se trouvait dans la mansarde, donc pratiquement inaccessible.
Trois jours après, un incendie se déclara justement dans cette chambre, et, pour y pénétrer, on dut passer de l'extérieur à travers la fenêtre ; le pompier qui y monta se couvrit le visage d'un linge mouillé, pour se défendre contre la fumée, qui avait rendu impossible l'accès de la porte. (Proceedings of the S. P. R., Vol. V., p. 517).
CIe Cas. Il se rapporte à un autre incendie et l'actrice anglaise bien connue, Miss Violet Lloyd, le raconte en ces termes :
Un événement extraordinaire se produisit lors du grave accident qui m'arriva en septembre dernier au « Comedy Theatre », tandis que je jouais le rôle de « Flora » dans la pièce « Topsy Turvy Hotel », et dont je me tirai par miracle (la chute d'un candé¬labre avait provoqué un incendie).
La nuit avant l'incident, une de mes, amies avait rêvé qu'un malheur m'était survenu, et qu'elle me voyait avec le visage un peu brûlé, et portant deux blessures au-dessus des yeux. Mon amie confia son rêve à une de nos connaissances communes, qui n'eut pas le courage de me le rapporter. Cependant, l'amie en question, ne pouvant résister à la crainte qui l'avait envahie, arriva chez moi le matin qui suivit l'acci¬dent, anxieuse de savoir si rien de malheureux ne m'était arrivé ; et elle put constater que mon visage était effectivement brûlé et que j'avais deux bles¬sures au-dessus des yeux.
Comment expliquer le rêve de mon amie ? Peut-être par la théorie des rapports sympathiques, qui, en ce cas, étaient profonds ? L'événement m'a gran¬dement embarrassée, mais non effrayée, car je ne suis guère superstitieuse, comme il arrive pour beaucoup de mes collègues en art... Mais n'est-il pas étrange qu'une amie ait rêvé de me voir blessée aux deux points précis où je le fus réellement, et où des cicatrices sont restées pour l'attester ? L'observa¬tion d'Hamlet sur l'impuissance de notre philoso¬phie me paraît s'adapter curieusement au cas. (Light, 1899, p. 228).
CIIe Cas. Le Dr Maxwell, dans son ouvrage : Les Phénomènes Psychiques (p. 182) cite le fait suivant, à propos duquel il affirme :
Voici un dernier exemple encore plus signi¬ficatif que le précédent, car la vision m'a été ra¬contée huit jours avant que l'événement se réalisât et j'en ai fait moi-même le récit à diverses personnes avant cette réalisation.
Un sensitif aperçut dans un globe de cristal la scène suivante : un grand steamer, ayant un pavillon à trois bandes horizontales, noire, blanche et rouge, et portant le nom « Leutschland », naviguait en pleine mer : le bateau fut soudain entouré de fumée ; des marins, des passagers et des gens en uniforme couru¬rent en grand nombre sur le pont et il vit le bateau sombrer.
Huit jours après, les journaux annonçaient l'acci¬dent du « Deutschland », dont une chaudière éclata, obligeant ce paquebot à faire relâche, je crois. Cette vision est très curieuse, et comme les détails m'en ont été donnés avant l'accident, je l'analyserai avec quelque soin. En premier lieu une chose frappe : c'est que la prémonition ne s'est pas exactement accomplie. Le « Deutschland » a bien éprouvé un accident, il a dû être entouré de vapeur, l'équipage et les passagers ont dû courir effrayés sur le pont, mais heureusement ce magnifique paquebot n'a pas sombré. D'autre part, le sensitif a lu « Leutschland » et non Deutschland, mais ce détail n'a pas grande importance, le mot étranger ayant pu être mal lu. Enfin, une chose digne de remarque, c'est l'absence complète d'intérêt que cette vision pouvait présenter au sensitif qui n'a aucune relation avec l'Allemagne, et ignorait, au moins consciemment, l'existence de ce bateau, bien qu'il en ait certainement eu des images sous les yeux. .
Le côté véritablement remarquable de cet épisode, c'est justement le manque de tout rapport direct ou indirect entre le sensitif et l'évènement visualisé, circonstance extrêmement rare dans le casuistique prémonitoire.
Dans l'introduction au sous-groupe suivant, nous discuterons l'unique explication plausible d'un tel état de choses.
Quant à ce qui concerne l'incident falsidique de la submersion du steamer, ceci peut être facilement réduit à un phénomène de dramati¬sation subconsciente d'une inférence très natu¬relle, qui s'est présentée à l'esprit du perci¬pient.
CIIIe Cas. Le colonel Kendall Coghill, en avril 1894, rapportait à la Society f. P. R. le fait personnel suivant :
A la date du 28 mars dernier, je reçus une lettre d'une dame avec laquelle je n'étais plus en corres¬pondance depuis un an environ, et dans laquelle elle m'informait avoir eu une vision le 26, où elle me voyait précipité à terre avec mon cheval sur moi, dans une situation très critique d'où un grand nombre de personnes s'employaient à me tirer. Je répondis par retour de courrier que sa vi¬sion ne pouvait être qu'un rêve, et que les songes devaient être interprétés en sens contraire ; raison pour laquelle rien de mauvais ne pouvait m'arriver.
Au contraire, la vision se réalisa le lendemain, et le colonel Coghill écrivit à la percipiente, Mrs. Leir-Carleton, à la date du 31 mars :
Vous avez gagné : bas les mains... Hier, la joie que vous m'avez prédite est arrivée ; et c'est la chute la plus terrible que j'aie faite depuis longtemps. C'était le dernier jour de la chasse, et je désirais donner une dernière leçon à mon poulain. La partie commença mal, car je me trouvai du côté de la forêt opposé à la « levée » ; je fis donc prendre le galop au cheval pour rejoindre la chasse... et tandis que je dévalais un col, plus rapidement que je ne le désirais, se présenta devant moi une pente rapide avec un large fossé au fond et un petit précipice du côté où j'arri¬vais. Ma monture inexpérimentée ne sauta pas à temps, et tomba sur les genoux, se renversant. Il y eut six jambes en l'air, et un homme dans le fossé avec son cheval dessus. Ici votre vision faiblit, car, au lieu d'être secouru et délivré par des personnes étrangères, je le fus par une demi-douzaine d'amis, y compris le propriétaire de la chasse et une autre demi-douzaine de dames...
Dès que je fus dans le fossé, votre rêve se présenta brusquement à ma mémoire, et, avant que ma tête fut tirée de la boue, je me dis : « Si quelqu'un vient me délivrer, cela voudra dire que je ne me suis pas cassé le cou ». Et en effet c'est qui arriva ; et si je considère que ma tête était restée sous le cheval, je ne comprends pas comment j'ai pu m'en tirer avec deux dents cassées et quelques égratignures sur le nez et sur le front... (Proceedings of the S. P. R.; Vol. XI, p. 489).
CIVe Cas. Je l'extrais du Journal of the American S. R. P. (1911, p. 373). Le cas est rigoureusement documenté ; on passe sous silence les noms des intéressés, qui sont connus du Prof. Hyslop. M. C. O. J. écrit à la date du 6 août 1906 :
En août, ou en septembre de l'année dernière (on constata ensuite que la date précise est le 14 août), j'eus un rêve extrêmement vivace, et qui se rappor¬tait à l'un de mes neveux âgé de six ans. Je le voyais tirer de sous les roues d'un véhicule, dont je ne savais pas préciser la nature ; et quelqu'un qui l'avait secouru m'informait que l'enfant était en très mauvais état, quoique ses blessures ne présentassent pas un danger de mort. Le rêve (qui, d'une certaine manière, était une vision) m'impressionna tellement que je le racontais tout de suite à ma soeur, et ensuite à l'une de mes nièces (soeur aînée de l'enfant en question), en l'exhortant à surveiller attentivement son petit frère, car le passage fréquent d'automobiles consti¬tuait un danger. Deux soirs après, je me trouvais chez ma soeur aînée, qui est la mère du petit garçon, et l'impression du rêve persistant très vivement en moi, je fus poussé à le répéter, insistant pour qu'on se tînt sur ses gardes et qu'on ne permît pas à l'enfant de s'amuser dans la rue.
Deux semaines plus tard environ, ma soeur fit l'ac¬quisition d'une petite voiture, et une dizaine de jours plus tard encore, en revenant un soir avec sa famille d'une promenade dans les alentours, mon petit neveu roula de l'intérieur de la voiture sur le marchepied, et tomba devant l'une des roues d'arrière, qui lui passa sur le corps en lui fracturant la jambe tout près du fémur. Les médecins déclarèrent que si la roue était passée un pouce plus haut, l'enfant serait mort sur le coup...
Je n'ai pas de théories à proposer, et déclare que je n'avais jamais cru à l'existence de rêves prophétiques avant d'en être un héros moi-même. J'observe maintenant avec Hamlet qu' « il y a dans le ciel et sur la terre des choses que notre philosophie n'a jamais at¬teintes».
Signé : E. O. J. — Harrishonville, Missouri
Les soeurs C. S. et D. S., le frère M. J., confirment le récit ci-dessus
Encore un rêve qui suggère l'observation faite aux précédents : c'est-à-dire que dans le songe, tout est suffisamment défini et précis, exception faite pour la seule particularité qui, si elle avait été clairement perçue, aurait sauvé l'enfant du malheur à venir. Intentionnalité ? Fata¬lité ? Je renvoie le lecteur aux commentaires qui ont suivi les XLIXe, LXVIIeet LXVIIIe Cas.
CVe Cas. Autre cas étrange. C'est le Dr Kerner qui le rapporte à la page 215 de l'ouvrage (édition française) : La voyante de Prévorst. Il écrit :
Un homme, pour lequel Mme Hauffe avait fait une prescription dans un cas de delirium tremens, étant venu à mourir, lui apparut pendant tout le temps qu'il resta chez lui dans le cercueil et lui fai¬sait des révélations qu'il recommandait de trans¬mettre à sa veuve. J'assistai à sa mort et je fus frappé du désir anxieux qu'il éprouvait encore de faire quelque communication lorsque déjà il avait perdu la faculté de parler. Je laisse de côté ses révé¬lations et je me borne à signaler que Mme Hauffe nous dit qu'il exprimait les plus vives préoccupations au sujet d'une de ses filles. Quatre semaines plus tard une tuile tombait sur elle et lui fracturait le crâne. Elle subit une pénible opération avec une fermeté étonnante, et se rétablit si rapidement, que nous fûmes tous portés à admettre qu'un esprit protec¬teur l'avait aidée à supporter son épreuve.
On remarquera ici aussi le vague habituel pour ce qui se rapporte au point essentiel de la prémonition, et dont la révélation aurait pu éviter l'accident à la victime.
Notre ami Vincenzo Cavalli observe en citant ce cas : « La tuile tomba-t-elle, on la fit-on tomber ?... Et par qui, comment et pourquoi ?... Le Hasard n'est que le gérant responsable de notre ignorance... et l'exécuteur judiciaire des lois de causalité.
Le casuel n'existe pas, sinon en apparence, c'est-à-dire pour notre ignorance de la cause, qui existe et opère dans le monde occulte, dit aussi justement monde causal. Ainsi dans une séance médiumnique nous voyons un objet se mouvoir apparemment de lui-même en l'air, sans voir la main qui le porte, et qui existe pourtant dans l'Invisible.
Si les deux mondes s'interpénètrent, il doit y avoir action et réaction corrélatives entre eux. Si une tuile tombe sur la tête d'un homme, cet homme a bien pu être conduit soit par son propre « esprit », soit par un autre « esprit », à se trouver sous la tuile qui tombe pour une raison qu'on ignore, mais qui doit pourtant exister, si la vie terrestre a une fonction pour des finalités ultra-terrestres. » (Luce e Ombra, 1910, p. 219.)
J'ai cité ce texte de M. Cavalli parce qu'une partie de la vérité, dont nous reparlerons dans le prochain sous-groupe, se cache probablement sous l'apparente hardiesse de la thèse avancée.
CVIe Cas. M. J. F. Young envoyait au Light (1900, p. 7) l'incident personnel suivant :
Il y a neuf nuits, je rêvai qu'un menuisier qui tra¬vaillait à une construction peu éloignée de ma de-meure serait précipité du toit sur la route, et, dans le rêve, on me conseillait de rapporter le fait à ma femme avant de sortir, afin qu'en ayant parlé avant la réalisation de l'événement, je fisse que le songe atteignît une plus grande valeur. C'est ce que je fis ; cependant, comme c'était jour de marché, et que j'avais une quantité d'affaires à dépêcher, je ne pen¬sai nullement au rêve jusqu'à quatre heures de l'après-mid i; et dès que je m'en souvins, je pris mon chapeau, courus en hâte sur le lieu, demandai si aucun malheur n'était arrivé, et j'entendis cette réponse : « Si vous étiez arrivé deux minutes plus tôt, vous auriez vu transporter à l'hôpital un pauvre menuisier qui tomba du toit dans la rue, et qui serait resté mort sur le coup sans une table posée sur le chemin, qui atténua la force de la chute ».
Tel est le fait ; or, je me demande : «Quel était le but de mon rêve ? A quoi servit ma prémonition ?
Même si j'avais conseillé au menuisier de se tenir sur ses gardes, parce que j'avais rêvé qu'il tomberait, il m'aurait ri au nez, et mon conseil aurait été inu¬tile.
A ce qu'il semble, outre la prémonition de l'acci¬dent, j'eus aussi l'annonce télépathique de sa réali¬sation, car je ne saurais m'expliquer autrement l'im¬pulsion qui me fit sortir en grande hâte au moment précis où l'accident se produisit.
Signé : J. F.Young-Llanelly
Le percipient se demande : « Quel était le but de mon rêve ? A quoi servit la prémonition ? » Voici : cette prémonition fut certainement inutile au point de vue de l'accident survenu ; mais si nous considérons ce qu'il écrit lui-même, c'est-à-dire que, dans son rêve, « il se sentit conseillé de rapporter le fait à sa femme avant de sortir, afin qu'en ayant parlé avant la réalisation de l'événement, il fît que le songe atteignît une plus grande valeur» s'il se sentit conseillé en ce sens, alors on pourrait croire avec un certain fondement que l'intentionnalité de la prémonition consistait à offrir à lui, à sa femme et à ceux qui entendraient parler du rêve, une preuve efficace de l'existence du supernormal, et attirer ainsi quelqu'un à réfléchir sur les mystères de la vie, et conséquemment sur la possibilité d'une existence d'outre-tombe.
Dans l'introduction du présent ouvrage, j'ai déjà eu l'occasion de faire allusion à une possibi¬lité de cette nature, et ce dernier cas semble renfermer une curieuse confirmation onirico-subconsciente de mes inductions.
CVIIe Cas. Lady Z., femme de Lord Z., et connaissance personnelle de Myers, écrit à ce dernier :
Dans l'année 1866, j'habitais avec mon mari, Lord L., une maison de Charles-Street (Mayfair), dans la cour de laquelle nous avions fait construire notre chambre à coucher, qu'un étroit passage sépa¬rait de la cuisine de notre voisine, Mrs. L., cuisine à un seul étage, construite également dans la cour.
Durant une froide nuit d'hiver, je fus réveillée en sursaut par un grand bruit sourd provenant du passage indiqué. C'était comme si un corps humain avait été précipité du toit de la cuisine de Mrs L. Je me mis aux écoutes, alarmée, et l'écho de longs gémissements m'arriva du passage. Je pensai tout de suite que quelque voleur s'était précipité de ce toit sur le sol, où il gisait, blessé. J'éveillai Lord L., en le priant d'aller voir. Il écouta un instant, et, n'entendant rien, il s'en tira en déclarant que j'avais rêvé. Après quelque temps, je me rendormis, pour être réveillée de nouveau par un bruit identique provenant du même passage. Alors, j'insistai auprès de mon mari avec une telle insistance qu'il se leva, s'habilla à moitié, et alla ouvrir la porte qui donnait sur le passage. Une lune magnifique brillait, et aucune trace de rien ne se remarquait à l'endroit. Je restai très perplexe, et enfin je me rendormis.
Le matin, un instant après que j'eus quitté ma chambre, un domestique vint me demander s'il devait préparer un lit pour un ouvrier qui était tombé du toit de la cuisine de Mrs. L. sur le passage, et se trouvait en très mauvais état. Exactement la réalisation de ce que j'avais cru entendre dans la nuit : le bruit d'un corps humain tombé à cet endroit !
S'il s'agissait d'une prémonition, celle-ci fut litté¬ralement inutile. On dirait que j'ai eu la préan¬nonce d'un événement uniquement rattaché à moi pour des raisons de proximité physique ».
Signée Lady Z.
CVIIIe Cas. Ici, ce sont deux sensitifs qui prédisent le même événement.
Le Dr A. Wallace écrit dans le Light (1903, p. 152), à la date du 16 mars 1903 :
Dans la soirée du 14 janvier dernier, la clairvoyante Mrs. Paulet était mon hôte ; et, en ma présence, celle de ma femme et de deux de mes enfants, elle adressa un avertissement spécial à mon fils aîné, qui, en sa qualité d'étudiant d'un cours scientifique, s'exerce entre autres choses à la chimie appliquée. Je trans¬crivis tout de suite cet avertissement et je le copie mot pour mot sur mon carnet. Il dit : « Je vois que dans le mois de février ou mars, une explosion se produira dans le cabinet de chimie où vous vous exercez. Je vous recommande de la prudence ; quelqu'un sera blessé, mais je ne distingue pas qui ce sera ». Plus tard, Mrs. Paulet revint sur l'argu¬ment, et ajouta : « L'explosion se produira avant les vacances, faites attention ».
Le soir du 20 janvier, M. Robert King, qui ne sa¬vait rien de la prédiction de Mrs. Paulet, vint nous rendre visite ; et lui aussi, s'adressant, à mon fils aîné, dit : « Je vois une explosion auprès de vous ; je distingue un jeune homme qui manie un mélange, lequel fait explosion. Tenez-vous sur vos gardes ».
Le 28 février, j'allai voir mon fils au collège. Il me fit remarquer que l'explosion prédite n'était pas encore arrivée, et ajouta qu'après l'avertissement il avait pris de grandes précautions... A la date du 9 mars, l'explosion se produisit ; et mon fils m'écrivit :
« Aujourd'hui, dans l'après-midi, un pensionnaire provoqua une explosion formidable dans le labora¬toire. Il voulut manipuler dans un mortier certains ingrédients qu'il n'aurait jamais dû mélanger, puisqu'il s'agissait de matières explosives : phosphore et chlorate de potasse. Le mortier fut réduit en mor¬ceaux, fracassant la fenêtre ; et plusieurs fragments frappèrent l'imprudent au visage, occasionnant plusieurs blessures, et probablement il devra perdre un oeil. Le professeur est consterné, d'autant plus que c'est la première fois qu'une explosion se produit dans le laboratoire. Le bruit de l'explosion fut ter¬rible ».
Le fait que la prémonition de l'accident fut ob¬tenue indépendamment par deux sensitifs, en accroît la valeur, et rend plus mystérieuse encore la question des visions supernormales des événements futurs.
Signé : A. Wallace, M. D.
CIXe Cas. Il a paru d'abord sur le journal Il Messaggero de Rome, et fut étudié ensuite par le professeur Francisci, sur l'invitation du Rédacteur en chef des Annales des Sciences Psychiques, M. C. De Vesme ; je le tire de cette dernière Revue (1905, p. 470).
Les deux protagonistes demeurent à peu de distance de l'habitation du professeur Francisci, à Randicello, commune située à la frontière de la République de Saint-Marin. Voici le récit du professeur Francisci :
Il s'agit d'un certain Marino Tonelli, de vingt-sept ans, qui est marchand d'oeufs, et qui visite en cette qualité les marchés des alentours ; entre autres, celui de Rimini. Le soir du 30 juin, comme il se trou¬vait dans cette dernière ville, il avait eu le tort de faire des libations trop abondantes, chose qui d'ailleurs ne lui était pas habituelle. Il rentrait chez lui dans sa modeste voiture, avec les paniers aux oeufs, heureusement vides. Il paraît que le jeune marchand s'était à peu près assoupi, car, arrivé à un endroit connu sous le nom de Coste di Borgo, où la route est tortueuse et en forte pente, le jeune homme ressentit une forte secousse et, ouvrant aussitôt les yeux, il se trouva étendu dans un champ à côté de la route, au fond d'un petit ravin le long duquel il avait roulé. Il vit alors que la voiture était à moitié renversée sur le bord de la route, tandis que le cheval, presque suspendu en l'air, se trouvait dans une position très critique. Aussitôt après s'être assuré de ne pas être blessé, le jeune homme secourut l'animal et, avec l'aide de quelques personnes qui étaient accourues, il retira du ravin aussi la voiture qui, en attendant, y était tombée.
Pendant qui se poursuivait le sauvetage, voilà apparaître aux yeux de M. Tonelli une figure de femme qui, à la clarté de la lune, lui semble être sa mère. Etonnement du jeune homme, qui ne peut plus douter de la chose lorsqu'il entend sa chère voix et qu'il se sent embrasser par la vieille femme, laquelle, pleurant de joie, lui demande s'il ne s'est pas fait du mal et ajoute :
« Je t'ai vu, tu sais ? Je ne parvenais pas à m'endormir ; ta femme et les deux petites dormaient depuis longtemps déjà, mais moi, j’éprouvais une agitation, un malaise extraordinaire, nouveau, que je ne parvenais pas à m'expliquer. Tout à coup, je vis apparaître devant moi ce chemin, exactement cet endroit, avec le ravin à côté : je vis la voiture se renverser et toi précipité dans ce champ ; tu m'ap¬pelais à ton secours, tu me priais et tu semblais agoniser !... Ce dernier détail n'est pas exact, Dieu merci ; mais tout le reste est tel que je l'avais vu. Enfin, j'éprouvais le besoin irrésistible de venir ici, et sans réveiller personne, me raidissant contre la peur de la solitude, de l'obscurité et du temps ora¬geux, me voici après avoir fait quatre kilomètres ; j'en aurais bien fait mille pour venir à ton aide.
Tel est le fait, tel est le récit exact que j'ai recueilli des lèvres encore tremblantes d'émotion de ces braves gens.
A la suite de cette publication, le Directeur des Annales envoya au professeur Francisci un questionnaire pour l'éclaircissement complet de cet épisode. Il en résulta que : « l'inquiétude de la mère précéda de quelques heures la vision de l'accident, et celui-ci se passa trois quarts d'heure avant la réalisation de l'accident, c'est-à-dire le temps nécessaire pour parcourir à pied les 5 kilomètres qui séparent la maison des Tonelli de l'endroit appelé « Coste di Borgo ».
Le Rédacteur en chef des Annales ajoute :
« Il résulte des réponses faites au questionnaire que ce fait ayant été présenté d'abord comme un cas de télépathie ne l'est assurément pas, puisque la vision de Mme Tonelli a eu lieu trois quarts d'heure avant la chute de son fils ; la vision elle-même avait été d'ailleurs précédée par ce sentiment d'inquiétude inexpliquable, bien connu par les métapsychistes, et qui est une forme de pressentiment. Le fait si utilement signalé par M. Francisci paraît donc être plutôt un cas de prémonition.
CXe Cas. C'est un exemple théoriquement très important, comme nous le ferons remarquer dans les commentaires. Je l'emprunte à la Revue Filoso fia della Scienza (1911, p. 97). Le cheva¬lier Giovanni De Figueroa, l'un des maîtres d'escrime les plus forts et les plus réputés de Palerme, écrit dans les termes suivants au Direc¬teur de cette Revue :
Une nuit du mois d'août de l'année dernière, je m'éveillai sous l'impression d'un songe, qui, bien que paraissant n'avoir aucune importance, avait été si vif et si réel, que j'éveillai ma femme, et le lui racon¬tai immédiatement dans tous ses détails étranges, curieux et précis.
Je me trouvais dans un endroit champêtre sur une route blanche de poussière, par laquelle je péné¬trai dans un vaste champ cultivé. Au centre de ce champ s'élevait une construction rustique avec rez-de-chaussée pour magasins et étables. A droite de la maison, je voyais une espèce de cabane en bois, formée de brassées de feuilles et de bois sec, et il y avait aussi un char dont les côtés étaient rabattus, et, sur lui, des harnais pour bête de somme.
Là, un paysan dont la physionomie m'était restée vive et nette, vêtu d'un pantalon sombre, la tête recouverte d'un chapeau mou, noir, m'approchait en m'invitant à le suivre, ce que je faisais. Il me con¬duisit derrière la construction, et, par une porte étroite et basse, nous entrâmes dans une petite étable de quatre ou cinq mètres carrés au plus, pleine de fange et de fumier. Dans cette petite étable se trou¬vait un court escalier de pierre qui tournait intérieurement au-dessus de la porte d'entrée. Un mulet était attaché à une mangeoire mobile, et, avec la partie postérieure de son corps, obstruait le passage pour atteindre aux premières marches de l'escalier. Le paysan m'ayant assuré que la bête était tranquille, je l'obligeai à se déplacer, et je gravis l'escalier, au bout duquel je me trouvai dans une petite chambre, ou grenier, avec parquet en bois, et j'observai pen¬dus au plafond des pastèques d''hiver, des tomates en grappes, des oignons et du maïs.
Dans cette même chambre, qui servait d'anti¬chambre, étaient réunies deux femmes et une petite fille. De ces deux femmes, l'une était vieille, l'autre jeune ; je supposai que celle-ci était la mère de l'en¬fant. Les traits de ces trois personnes restèrent aussi vivement gravés dans ma mémoire. De la porte qui donnait dans la chambre contiguë, je voyais en elle un lit pour deux personnes extrêmement haut, comme je n'en avais jamais vu.
Voilà le rêve !
- Que peut-il signifier ? me demandai-je et demandai-je aussi à ma femme cette même nuit.
- Mais que veux-tu qu'il signifie ? me répon¬dit-elle, un tableau fantastique, un paysage de lieux jamais vus et qui s'est formé dans ton imagina¬tion par association d'idées... mais il ne me semble avoir aucune signification.
- Oui, répondis-je, cela peut être ; nous nous rendormîmes, et l'on ne parla plus du songe.
Au mois d'octobre toujours de l'année dernière 1910, je dus me rendre à Naples pour assister dans un duel notre concitoyen M. Amédée Brucato.
Ce n'est pas le moment d'exposer les incidents, les ennuis et les déplaisirs qui m'y assaillirent par l'effet de cette assistance ; il est nécessaire de dire seulement, pour ce qui se rapporte au rêve, que l'incident m'amena à un duel personnel.
Ce duel eut lieu le 12 octobre, jour où, avec mes seconds : le capitaine Bruno Palamenghi du 40 Bersa¬glieri, en garnison à Naples, et Francesco Busardo, j'allai en automobile à Marano, où je n'avais jamais été de ma vie, et dont je ne connaissais pas même l'existence. A peine enfoncés de quelques centaines de mètres en rase campagne, la première chose qui m'impressionna vivement fut la route large et blan¬che de poussière que je reconnus pour l'avoir vue ; mais quand ? en quelle occasion ? Nous nous sommes arrêtés aux limites d'un champ, qui ne m'était pas inconnu parce que je l'avais déjà vu ! Nous sommes descendus de l'automobile et nous avons pénétré dans le champ par un sentier bordé de haies et de plantes, et je dis au capitaine Chevalier Bruno Palamenghi, qui était à mes côtés : « Je connais cet endroit, ce n'est pas la première fois que j'y viens ; au bout du sentier, il doit y avoir une maison : là, à droite, il doit y avoir une cabane de bois »; et il y avait en effet tout cela, et aussi un char aux côtés rabattus, contenant des harnais pour bête de trait. Un instant après, un paysan à pantalon noir, à chapeau mou et noir, exactement celui que j'avais vu deux mois auparavant en rêve, vint m'inviter à le suivre derrière la maison, et, au lieu de le suivre, je le précédai vers la porte de l'étable, que je connaissais déjà, et, en entrant je revis le mulet attaché à la man¬geoire ; alors, je regardai le paysan, presque pour l'interroger sur l'inoffensivité de l'animal, parce que sa croupe m'empêchait de gravir le petit escalier de pierre, et celui-ci m'assura, comme dans le rêve, qu'il n'y avait pas de danger. Ayant escaladé les marches, je me trouve dans le grenier où je reconnais au plafond les pastèques, les tomates en grappes, les oignons, le maïs, et dans la chambrette, toutes muettes dans un angle à droite, les trois femmes, la vieille, la jeune, l'enfant, telles que je les avais vues dans le rêve.
Dans la chambre voisine, où je dus entrer ensuite pour me dévêtir, je reconnus le lit qui m'avait tant étonné dans le rêve pour sa hauteur, et j'y plaçai mon veston et mon chapeau. Je dois, mon cher ami, confesser que l'affaire du duel, de laquelle je n'étais point préoccupé, disparut entièrement de ma conscience, qui fut absolument envahie, jusqu'au moment de l'assaut, par l'étrange coïncidence que je n'ai pu expliquer alors ni plus tard, mais qui m'a fait une énorme impression.
J'avais parlé auparavant de mon rêve à plusieurs de mes amis, à la salle d'armes, au cercle d'escrime et ailleurs ; personnes qui peuvent toutes en faire foi : Le chevalier capitaine Palamenghi, l'avocat Tommaso Forcasi, M. Amedeo Brucato, le comte Dentale Diaz et M. Roberto Giannina de Naples furent témons de ma notion précise des lieux et des personnes qui eurent leur place dans les événe¬ments de ce duel.
Ma parole de galant homme suffira, je crois, pour assurer la vérité de ces choses ; pourtant, s'il était absolument nécessaire de recourir à la preuve du témoignage, je n'ai pas de difficultés à écrire un par un aux amis susnommés, qui j'en suis sûr, ne man¬queraient pas de répondre à mon désir.
Voilà les faits ; l'interprétation regarde les stu¬dieux du genre.
Signé : Giovanni De Figueroa
L'épisode que nous venons d'exposer est avant tout digne d'attention parce que son authenticité ne saurait être mise en doute, le rapporteur étant une personne dont la profession même indique qu'elle connaît la valeur d'une parole d'honneur ; et la circonstance que le percipient a raconté le rêve avant sa réalisation exclut aussi l'hypothèse proposée au sujet des phéno¬mènes de « paramnésie », c'est-à-dire que l'im¬pression du « déjà vu » doit être réduite à un fait d'illusion mnémonique.
Ceci posé, je constate qu'on observe en lui d'une manière très marquée le caractère tant de fois observé dans les phénoménes prémonitoires : celui du contraste entre les détails de fond nettement perçus, et les particularités essentielles, qui passent inaperçues. Je saisis donc cette occa¬sion pour analyser ce caractère théoriquement très important.
Je commence cette fois aussi par observer que s'il s'était agi de perceptions directes dans le futur par l'oeuvre des facultés d'inférence sub¬consciente, on ne comprendrait pas que le sensitif ait eu la vision des détails insignifiants d'une situation où il se serait trouvé plusieurs mois plus tard, et, par contre, n'ait pas perçu la cir¬constance essentielle de cette situation, qui est ce duel. Prétendrait-on peut-être que les facultés d'inférence subconsciente possèdent la préro¬gative de pénétrer les événements futurs en remontant l'enchaînement des détails insigni¬fiants qui leur servent de fond, mais qu'elles ne parviennent pas à les pénétrer directement en suivant l'enchaînement des causes et des effets qui les déterminent ?
Je ne m'arrêterai pas à réfuter une thèse dénuée de sens commun, et que personne ne penserait à soutenir. Le fait demeure donc de cette anomalie particulière des sensitifs, laquelle dénote d'une manière certaine que les phénomè¬nes prémonitoires obéissent à une intentionnalité quelconque, qui en discipline l'extrinsécation, et dont il faudra rechercher la genèse et la finalité.
Je fais remarquer en passant que le caractère en question élimine définitivement l'autre hypo¬thèse de la «coexistence du futur dans le présent », vu qu'en ce cas, le cadre représentatif de l'évé¬nement futur ne pourrait que se présenter tout entier à la vision subjective des sensitifs ; on ne comprendrait donc pas pourquoi ils distingueraient nettement les détails inconcluants du contour, et resteraient subjectivement aveugles devant la représentation centrale de l'événement.
Je remarque enfin que le même caractère paraît au premier abord contredire les hypothèses « réincarnationniste », « prénatale », « fataliste », car s'il s'agissait de perception et interprétation de « traces » existant dans un « plan astral » ou dans un « milieu métaéthérique » ou dans les subconsciences humaines », le percipient de¬vrait recevoir et interpréter de préférence les « traces » correspondant aux événements de plus grande importance, et non celles qui répon¬dent à des incidents quelconques. Mais cette contradiction n'est qu'apparente, et s'évanouit dès que l'on considère que les hypothèses en question sous-entendent nécessairement l'exis¬tence d'un monde spirituel, et qu'elles s'adapteraient donc parfaitement à la supposition que les visualisations subjectives des événements futurs sont soumises à un pouvoir spirituel extrinsèque à la subconscience humaine, pouvoir qui en disciplinerait les actes en vue de fins ultra-mondaines.
Ces considérations portent naturellement à rappeler que, par l'hypothèse spiritualiste pro¬prement dite, ce mystérieux caractère des phé¬nomènes prémonitoires est facilement explicable, puisqu'il faudrait admettre qu'une entité désincarnée rattachée affectivement au sen¬sitif, supprime parfois les données essentielles d'un événement futur douloureux et inévitable, dans le but de le lui faire seulement entrevoir ou pressentir, de manière à créer en lui un état d'anxiété providentiel qui le prédispose à l'é¬preuve qui l'attend ; comme aussi, il faudrait admettre qu'en d'autres circonstances il est parfois interdit à une entité désincarnée de tout dévoiler afin de ne pas porter obstacle au cours plus ou moins inéluctable des destinées hu¬maines.
Par contre, au point de vue du positivisme matérialiste, ce même caractère serait incompré¬hensible, considérant que s'il n'existait ni monde spirituel ni survivance, et si les facultés prémonitoires étaient l'apanage exclusif d'une sub¬conscience autonome, conditionnée par les lois de la psychophysiologie, la personnalité sub¬consciente non seulement n'aurait aucun motif pour cacher les circonstances essentielles d'un événement futur aux personnalités conscientes, mais dans la plupart des cas aurait un intérêt suprême à les révéler, car, en le faisant, elle sauverait la personnalité consciente (par consé¬quent elle-même) d'un accident grave, ou de la mort. Comment donc concevoir une subcons¬cience omnisciente, indépendante, maîtresse ab¬solue d'elle-même et de son propre avenir, qui, tout en possédant les moyens de sauver de la mort la partie consciente d'elle-même, les lui cache soigneusement, on les lui voile de symboles incompréhensibles jusqu'à l'accomplissement de l'événement, avec l'intention précise de la laisser mourir, et de se laisser mourir ? Pour une sub¬conscience autonome destinée à s'éteindre avec la mort du corps, un pareil procédé semble fou et absurde au-delà de toute possibilité ; et si malgré tout, le phénomène se réalise, tout cela si¬gnifie que ces réticences inconciliables avec l'existence incarnée de la personnalité humaine se produisent en vue de fins ultra-mondaines et nous voici forcément reconduits à l'hypothèse «spiritualiste ». Je l'ai déjà dit : lorsqu'on veut l'écarter, on ne parvient qu'à la soin-entendre.
CXIe Cas. Je l'extrais d'un livre, rare aujourd'hui, publié par le distingué magnéto¬logue professeur Franceseo Guidi, et intitulé Les mystères du spiritisme moderne (Milan, Bet¬toni, 1867). C'est un ouvrage polémique contraire aux phénomènes spirites, niés par l'auteur ou réduits à des phénomènes de magnétisme expé¬rimental.
Dans le chapitre VIII, p. 176, il reproduit une relation du publiciste et littérateur bien connu C. A. Vecchi, se rapportant à une séance avec le célèbre somnambule Alexis Didier, à laquelle C. A. Vecchi put assister à Paris, en 1847.
De nombreuses notabilités, parmi lesquelles l'ambassadeur anglais Normanby, Lady Peel et un amiral anglais, assistaient à la séance avec Vecchi. Le rapporteur décrit en ces termes les figures du Dr Marsillet et de son fameux som¬nambule :
A dix heures, le magnétiseur et le magnétisable firent leur entrée dans la salle, où ils étaient anxieu¬sement attendus. Le docteur se présenta avec une physionomie franche et gaie, qu'on ne peut jamais oublier lorsqu'on l'a vue une fois. Et même, son ca¬ractère est tel à vous faire croire que vous le connaissez depuis longtemps, ou que vous l'avez ren¬contré des milliers de fois en différents endroits sans vous en rendre compte.
Le jeune Alexis a les cheveux noirs ; noires, les petites moustaches qui ombragent sa lèvre supé¬rieure, et noirs, les yeux pleins de feu et attentifs. Son visage est pâle et mélancolique ; sa taille ordi¬naire, ses formes minces et gracieuses ; sa tête est souvent penchée, son attitude est modeste, recueillie, souvent troublée cependant par un mouvement ner¬veux de la bouche et des bras, comme si ses nerfs, en ces parties, se contractaient du fait d'une maladie organique ; son sourire est rare, et si rare, qu'on le suppose plutôt une grimace qu'un sourire, la voix est suave et pénétrante ; ses paroles sont rares à l'état normal, comme s'il éprouvait une fatigue à les prononcer ; toute la personne est agréable, agile, sévère.
Le Dr Marcillet n'eut pas grand'peine à l'endormir, L'ayant fait asseoir sur un fauteuil à bras, il le re¬garda fixement pendant quelques instants. Foudroyé par ce regard, il s'agita de plus en plus, puis ferma les yeux, et demeura immobile comme une statue.
Suit ici la narration longue et très intéressante des phénomènes merveilleux de lucidité auxquelles donnèrent lieu les demandes posées par les assistants. Une bonne partie des réponses du somnambule, bien que merveilleuses de clarté et de précision dans les détails, pourraient s'expliquer aujourd'hui par la transmission de pen¬sée ; mais peu certaines autres. Je m'abstiens de les rapporter pour en venir au point qui nous concerne, où l'on traite des expériences per¬sonnelles de M. Vecchi. Il essaya de diriger par la pensée le somnambule à Rome, et y parvint facilement. Entre autres, il raconte l'épisode suivant :
Je voulus le conduire dans le palais de l'Assesseur des Armes, et il me dit à l'entrée qu'il y avait une grande odeur de fumée de tabac et d'écurie ; que, dans l'antichambre, il y avait des personnes qui cau¬saient, et que dans la seconde chambre, à droite, qui donnait sur la place, un homme vêtu de noir, de petite taille, un peu chauve, au front haut, à la physionomie franche et intelligente, était assis et écrivait.
- Sauriez-vous me dire son nom ?
- Non, je ne peux pas le deviner.
- Et ne pourriez-vous pas le lire sur les nombreux papiers éparpillés sur son bureau ?
- Ils sont écrits en italien. Mais j'essayerai... Sur toutes les adresses des feuilles, il y a ceci : « A S. E. Monsignor Presidente delle Armi, Roma ».
- Qu'y a-t-il dans la chambre ?
- Le portrait du Pape, une pendule sur la che¬minée en face des deux fenêtres ; dans le coin, plusieurs fusils militaires et des sabres... On frappe à la porte à droite ; un valet de chambre entre et tend une lettre à celui qui est habillé de noir... Ah ! maintenant, oui, je vois son nom, et si vous me donnez un crayon et un morceau de papier je copierai ce qui est écrit sur la feuille. Et Alexis écrivit, réfléchissant et épelant, les lettres suivantes : « Mon¬signor Giovanni Rusconi ». C'est de cette manière que je sus que mon ami, auparavant promajordome de Sa Sainteté, avait été porté à la Direction du Ministère de la Guerre.
C'est ici que la lucidité somnambulique d'Alexis Didier se convertit en une forme de clairvoyance dans le futur qui dépasse les limites de la personnalité humaine pour atteindre au grade de la prophétie politique ; cela consiste en une simple observation incise du somnambule, ob¬servation sans importance pour ceux qui l'écou¬tèrent, et que Vecchi transcrit par simple scrupule de rapporteur, par ce court paragraphe avec lequel il clôt son récit :
En passant devant le Panthéon, il me prédit que ce monument consacré par Agrippa à tous les Dieux, aurait eu par la suite une destination plus solennelle, et toute italienne. Quelles que fussent mes questions, je ne pus savoir ce qu'il avait voulu dire par là.
Personne ne se laissera échapper la suprême importance du paragraphe cité, où se dévoile, d'une manière évidente pour notre génération, un événement historique qui devait se réaliser trente et un ans plus tard, et plus précisément en l'année 1878, durant laquelle un décret du Parlement italien transformait le Panthéon d'Agrippa en un mausolée renfermant les dépouilles mortelles des monarques de la troisième Italie, en commençant par le Roi Victor-Emmanuel Ier, décédé au cours de cette même année, et ce Tem¬ple devint par là le symbole solennel de l'unité italienne établie dans Rome capitale, conformément à la prophétie d'Alexis Didier que « le Panthéon d'Agrippa aurait eu par la suite une destination plus solennelle, et tout italienne ». Ce dernier détail précise et rend évidente la pensée du somnambule : non pas Romaine, ré¬gionale ou chrétienne, mais nationale, unitaire, TOUTE italienne, devait être la destination future du Temple.
Or, si l'on réfléchit qu'au temps où le som¬nambule prophétisait, Pie IX régnait à Rome ; que le pouvoir temporel des Papes devait se prolonger encore trente années ; que l'Italie était une simple expression géographique ; que la dynastie de Savoie régnait sur le petit Pié¬mont ; que les campagnes de l'Indépendance n'étaient pas même commencées, et que l'idée d'enterrer au Panthéon les Rois de la troisième Italie ne pouvait être inférée, comme cause et effet, d'aucun des événements politiques qui suivirent ; si l'on réfléchit à tout cela, l'é¬tonnement est tel que l'esprit s'y perd ; mais les faits sont clairs en dépit de notre incapacité à comprendre.
Et, par l'observation suivante de Vecchi : « Quelles que fussent mes questions, je ne pus savoir ce qu'il avait voulu dire par là », on comprend plus encore qu'Alexis Didier savait à quel événement il faisait allusion, bien qu'il se refusât à le révéler pour des raisons faciles à comprendre. Pauvre Alexis Didier ! Lui qui avait subi des procès et des ennuis de toute sorte à propos d'autres prédictions politiques, et qui possédait à ce moment le don de clairvoyance, il devait parfaitement comprendre ce qui l’au¬rait attendu en ces temps de réactions et de gouvernements absolus s'il s'était laissé aller.
Et maintenant, voyons les dates. Le récit fut publié pour la première fois à Turin par Vecchi dans le Museo Scientifico, Letterario e Artistico de Turin, n° 24, année IX, 1847 ; l'ouvrage qui le reproduisit porte la date de 1867 ; les deux rela¬teurs, en passant sans commentaires sur le paragraphe, démontrent n'avoir accordé et ne pou¬vaient accorder aucune importance à cette prophétie ; les protagonistes, enfin, moururent tous avant que la prophétie se réalisât. Rien n'existe donc dans ce cas pour justifier des soupçons ou des insinuations de rapiècements postérieurs ; les documents qui sont devant moi parlent clair ; le fait est patent.
Nous sommes donc en face d'une prophétie politique des plus merveilleuses que l'on connaisse, puisqu'elle impliquerait la prévoyance d'un tel ensemble de faits historiques que l'esprit en reste confondu.
Comment l'expliquer à l'aide des hypothèses énumérées dans l'Introduction ? La tâche se présente d'une manière si ardue, que le meilleur parti à prendre semblerait d'y renoncer. Néan¬moins, je risquerai quelques considérations à ce propos, et je ferai remarquer d'abord qu'au¬cune trace d'intervention étrangère ne se re¬trouve dans la lucidité d'Alexis Didier ; ce qui naturellement n'est pas suffisant pour autoriser à conclure que ses prodigieuses facultés prophé¬tiques tirent exclusivement leur origine de sa propre subconscience. Je rappelle à ce propos que dans les cas de somnambulisme lucide expo¬sés jusqu'ici, nous avons vu que bien souvent émergent des indices prouvant que les visions subjectives par lesquelles les somnambules voient l'avenir, ont probablement une origine extrin¬sèque, quoique les somnambules parlent naturel¬lement à la première personne lorsqu'ils décrivent les tableaux qu'ils ont devant eux ; on pourrait déduire de là que dans le cas d'Alexis la même chose s'est réalisée même en l'absence de tout indice extérieur. On a vu en outre que, par des raisonnements se basant sur des faits, l'existence des prémonitions personnelles qui ne peuvent pas dériver de la subconscience est prouvée ; et si le fait existe pour beaucoup d'épisodes qui n'exorbitent pas le cours d'une existence indi¬viduelle, on serait poussé davantage à le présu¬mer en face d'extraordinaires prophéties politico¬sociales du genre de celle citée plus haut.
Cependant, je m'empresse de déclarer que. j'expose ce point de vue sans insister, et je rappelle encore une fois que je n'ai aucune difficulté à admettre que des prophéties de cette nature peuvent également être obtenues en vertu des facultés subconscientes, à condition cependant d'exclure l'hypothèse selon laquelle les sensitifs y parviendraient en inférant l'avenir de causes existant dans le présent, même dans le cas d'évé¬nements très éloignés du temps, ainsi que d'ordre impersonnel et accidentel ; hypothèse qui non seulement est inconciliable avec la nature hu¬maine, mais se trouve en contradiction ouverte avec les modes d'extrinsécation propres aux fa¬cultés subconscientes en général (qui sont des facultés de sens, et non pas des attributs de l'in¬tellect) et surtout, est contredite par les prémonitions qui ne sauvent pas.
Au contraire, rien ne pourrait être opposé si, pour les cas extraordinaires analogues à celui-ci, on avait recours aux deux autres versions com¬plémentaires de l'hypothèse subconsciente : la fataliste et la réincarnationiste, selon lesquelles les événements cardinaux de l'existence des indi¬vidus et des peuples étant préordonnés, ils seraient d'une certaine manière enregistrés, soit dans un « milieu métaéthérique » ou « plan astral », soit dans les subconsciences de chaque individu singulier ; de sorte que le sensitif les discernerait, non pas en inférant l'avenir du présent, mais par un phénomène de « mise en rap¬port » avec les plans « astral » ou « métaéthérique », ou avec les consciences des individus ; ce qui deviendrait intelligible sans qu'il soit néces¬saire de conférer l'omniscience divine à la sub¬conscience humaine.
Dans notre cas, l'hypothèse réincarnationiste étant hors de question, il ne resterait que la fataliste à la disposition de ceux qui n'enten¬draient pas s'éloigner des pouvoirs de la sub¬conscience ; mais comme l'hypothèse fataliste suppose nécessairement l'existence d'une Volonté-Supérieure, seule libre, ordinatrice du fatalisme même, et comme une fois ce point essentiel admis, il n'y aurait plus d'obstacle à admettre l'exis¬tence de multiples Intelligences spirituelles, préposées au gouvernement des destinées humaines, il s'ensuit que pour expliquer les cas en question on pourrait supposer avec plus de vraisemblance que les sensitifs, au lieu d'entrer en rapport avec un « plan astral » assez hypothétique, entreraient au contraire télépathiquement en rapport, et tireraient la connaissance des événements futurs, des mentalités de ces intelligences spirituelles dirigeant le cours de ces derniers ; de même manière que les sensitifs en question, entrent télé¬pathiquement en rapport avec la mentalité sub¬consciente des vivants, et conjecturent, même à grande distance ; leurs secrets personnels les plus intimes.
Ce point de vue admis (et, vu les précédents, on ne peut qu'en admettre la légitimité) l'hypo¬thèse fataliste viendrait se combiner à celle spiritualiste.
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Sous–groupe L
Prémonitions d’incidents insignifiants et pratiquement inutiles
Pour quelques éminents investigateurs du domaine métapsychique, cet ordre de prémo¬nitions constitue le plus grand obstacle pour l'admission d'une intentionnalité quelconque dans les phénomènes prémonitoires, et par suite pour la reconnaissance de la validité de l'hypo¬thèse selon laquelle une partie d'entre eux serait d'une origine extrinsèque.
En d'autres termes : se trouvant devant des épisodes qui, d'un côté, sont des exemples ty¬piques de clairvoyance dans le futur, et de l'autre consistent dans la réalisation de petits faits insignifiants, triviaux et banaux,ce qui dénoterait apparemment une absence de finalité, ils ne peuvent s'empêcher de généraliser en considérant dans leur ensemble les prémonitions comme des manifestations d'une loi psychophysiologique ignorée, ayant son siège exclusif dans la subcon¬science, de laquelle les prémonitions émergeraient en des circonstances données, par suite d'un automatisme aveugle.
Mais nous, fidèles au principe de ne pas s'aven¬turer en des déductions générales sur la base de recherches partiales, nous nous rappellerons que, si l'on rencontre des incidents prémonitoires d'or¬dre insignifiant et inutile, on en trouve d'autres dont l'intentionnalité se dégage manifeste et indubitable, d'où il s'ensuit logiquement que l'existence des premiers ne confère pas le droit de supprimer les seconds ; d'autant plus si l'on considère que les premiers ne constituent qu'une infime minorité dans la casuistique prémonitoire, et ceci nous donnerait plutôt le droit de les considérer comme des exceptions qui confirment la règle. Dans ce dernier cas, il resterait à les analyser et à les comparer entre eux pour décou¬vrir, si possible, les liens qui les rattacheraient aux autres et voir s'il ne pourraient pas, à leur tour, présenter une finalité sui generis.
Je rappelle que je m'exprimai à ce sujet comme il suit dans mon introduction au présent ouvrage :
Ni l'hypothèse réincarnationniste ou prénatale, ni celle fataliste, ne parviendraient à expliquer les cas d'un ordre insignifiant ou banal, car il ne semble pas que ceux-ci puissent avoir été préordonnés dans un but de perfectionnement moral de l'esprit sur le point de s'incarner ou de se réincarner ; et d'autant moins être considérés comme l'effet d'une fata¬lité inexorable, du moment qu'ils résultent d'une futilité et d'une inutilité complète, moralement comme matériellement. Pour obvier à cette nouvelle diffi¬culté, on voit apparaître une septième hypothèse, qui semble aussi la seule fondée sur des données indiscutables, et consisterait en ceci : que les prémonitions de l'ordre indiqué devraient être considérées comme des manifestations particulières, dont la responsabilité incomberait aux personnalités subconscientes ou extrinsèques (je ne me prononce pas, qu'on le remarque bien, sur la véritable essence de ces personnalités), qui, d'abord, transmettraient télépathiquement au sensitif, sous forme de vision onirique ou autrement, une situation future donnée dans laquelle lui ou d'autres devraient se trouver, et s'emploieraient ensuite à en provoquer la réa¬lisation en vertu d'une suggestion exercée télépa¬thiquement sur le sensitif ou les autres intéressés et cela aux fins (c'est ce qu'affirment les personnalités en question) d'impressionner les âmes, de secouer le scepticisme des hommes, d'infuser en eux l'idée d'un mystère dans la vie, en les ramenant à méditer sur la possibilité de l'existence d'une âme survivant à la mort du corps. En même temps, leur action serait à peu près limitée aux faits insignifiants, car il ne leur serait pas possible, sauf des circonstances spé¬ciales, de suggestionner télépathiquement, ou déterminer, d'une autre manière quelconque, les hommes à exécuter des actions de quelque importance.
Quelque hardi que puisse sembler le fait de recourir à une pareille hypothèse, et quelque rare que soient les cas prémonitoires d'où peut en surgir la preuve d'une manière évidente, d'un autre côté, il existe des faits prouvant que les personnalités médiumniques (subconscientes ou extrinsèques, peu importe) parviennent, en certaines criconstances, à influer effectivement sur le cours des actions humaines ; bien entendu, non pas d'une manière normale et générale, mais dans les cas seulement où ils peuvent disposer de sensitifs susceptibles d'être soumis aux influences, télépathiques ou médiumniques ; et certains épisodes faisant partie des séances avec Mme Piper et d'autres médiums, font foi aussi de ce que j'avance, comme nous le démontrerons le moment venu.
C'est ainsi que je me suis exprimé dans l'In¬troduction, et le moment d'exprimer le bien-fondé de mes dires est venu.
Je commencerai par observer que pour attein¬dre le but voulu, il faudrait avant tout fournir la preuve que dans les phénomènes de transmis¬sions télépathiques ordinaires se vérifie parfois le fait analogue d'un agent qui détermine le percipient à exécuter des actions spéciales.
Or, les exemples de cette nature ne manquent pas. Voici deux exemples typiques du cas ; je les résumerai tous deux, d'après les récits du Journal of the S. P. R., Vol. VII, p. 13.
Miss Emma Foy raconte qu'un matin où elle s'était rendue à l'église, tandis que M. F. restait seul à la maison, ce dernier eut à plusieurs re¬prises l'audition hallucinatoire de la phrase
« Monte dans la chambre des enfants ». Pour se libérer de cette impression ennuyeuse, il y monta, et constata que les canaris de Miss Foy s'étaient échappés de leur cage. La fenêtre étant ouverte, il était arrivé juste à temps pour les reprendre. Lorsque Miss Foy fut de retour et informée de l'incident, elle comprit qu'elle en avait été la cause, et expliqua qu'à l'église, elle s'était souvenue tout à coup de n'avoir pas fermé la cage, ce qui lui avait fait désirer vivement que M. F. eût l'idée de monter dans la chambre pour em¬pêcher la fuite des oiseaux. Et ce désir intense se traduisit en une impulsion télépathique dé¬terminatrice de l'action correspondante.
Dans l'épisode exposé, l'action télépathique est involontaire ; dans le suivant, produit par la même personne, elle est au contraire volontaire.
Miss Foy était employée en qualité d'institu¬trice dans la famille F., et avec elle se trouvait une femme de chambre qui recevait des atten¬tions et des gentillesses d'une vieille dame déchue et très pauvre. Elle essaya de lui suggérer mentalement de donner à la vieille dame une com¬pensation quelconque en conservant l'anonymat pour ne pas la froisser. Quelques jours après, Miss Foy dut se rendre chez la dame en question, qui lui fit part tout de suite d'une chose bizarre qui lui était arrivée : elle avait reçu une lettre anonyme renfermant une petite somme en tim¬bres-poste. Dans un but de recherche, Miss Foy se rendit chez la femme de chambre pour lui raconter le fait ; celle-ci rougit et lui dit : « N'en parlez à personne ; c'est moi qui ai pensé à lui envoyer une petite aide sous cette forme pour ne pas heurter ses sentiments, la sachant orgueilleuse. J'ai été poussée à le faire par une impulsion irrésistible ».
Les cas de cette nature démontrent clair-ment qu'il est possible de déterminer télépathiquement une personne à faire des actions pré¬cises ; celle-ci, la plupart du temps, demeure inconsciente du fait, et croit agir volontairement.
Il s'ensuit qu'à priori nulle restriction ne pourrait être avancée contre l'hypothèse accordant aux personnalités médiumniques des pou¬voirs analogues.
En outre, cette hypothèse serait confirmée a posteriori par les résultats et voici plusieurs exemples à l'appui de ce que j'avance.
Ce premier épisode parle d'une prémonition manquée. Le Dr Ermacoxa écrit :
Je rapporterai d'abord un insuccès, qui montre jusqu'à l'évidence que les personnalités médiumniques opèrent par suggestion aussi sur le sujet, afin de faire se réaliser la prémonition. La personnalité B. avait prédit une fois un petit incident, basé sur une erreur que Mme Marie aurait fait en confection¬nant des objets de lingerie. Or, le jour précédant celui fixé pour la réalisation ; la personnalité B. an¬nula la prémonition, disant qu'elle n'était pas arri¬vée à faire se tromper Marie. (Rivista di Studi Psi¬chici, 1896, p. 330).
J'extrais cet autre épisode d'une longue et intéressante relation du professeur Oliver Lodge (Proceedings of the S. P. R., Vol. XXIII) regar¬dant une série de séances expérimentales dans lesquelles se manifestait la personnalité médiumnique de Myers. Ce dernier était mort le 17 jan¬vier 1901. Le 30 janvier, le médium miss Rawson écrivait automatiquement en son nom « Je me manifesterai par l'intermédiaire de Mrs. Thomp¬son. Mon vif désir était de revenir vous apprendre que je vis, et que ma nouvelle existence est en grande partie conforme à ce que j'avais imaginé... J'ai prédisposé Mrs. Thompson, qui se prêtera à la circonstance, mais je ne me manifesterai que pour peu de temps ». Conformément à ces affirmations, et à l'insu de ce qu'avait écrit Miss Rawson, le médium Mme Thompson, qui depuis de longues années avait renoncé à faire des séances, se sentit irrésistiblement poussée à les reprendre, et se rendit dans ce but à Bir¬mingham chez le professeur Oliver Lodge, chez qui elle eut deux séances des plus intéressantes au cours desquelles la personnalité communi¬cante fut justement Myers.
Je tire ce dernier épisode de l'ouvrage du Dr Maxwell : Les Phénomènes Psychiques (p. 240). Il parle d'une jeune médium persécutée par un amoureux importun et dangereux, lequel, se voyant repoussé, avait résolu de se venger. Au cours d'une séance, la personnalité commu¬nicante écrivit : « Ne laissez pas sortir cette fille de la journée. Je vous débarrasserai bientôt de cet homme dangereux en faisant naître dans son esprit le désir d'un voyage d'où il ne reviendra pas. » Deux ou trois jours après, Marie appre¬nait que l'individu était parti pour l'Algérie.
Ces trois cas renferment des prédictions réa¬lisées, et qui, pour le chercheur, se présenteraient comme des exemples d'ordre nettement prémonitoire, sans cette circonstance que les personnalités médiumniques, au lieu de les faire passer pour tels, laissèrent comprendre, ou décla¬rèrent explicitement, qu'elle les détermineraient elles-mêmes en influençant télépathiquement les personnes désignées.
De là cette déduction que les phénomènes télépathiques et médiumniques autorisent à sup¬poser que chaque fois qu'on voit se produire des prémonitions assez insignifiantes pour qu'on n'en comprenne pas le but, on se trouve devant des manifestations analogues ; supposition qui en justifierait la genèse en leur conférant une inten¬tionnalité sui generis, et qui serait confirmée par les déclarations explicites en ce sens des person¬nalités médiumniques elles-mêmes.
Et bien souvent, les épisodes que nous allons citer suggèrent irrésistiblement cette explication. Ainsi, par exemple, le suivant :
CXIIe Cas. Je l'extrais du Vol. XX., p. 331, des Proceedings of the S. P. R. ; il fait partie de l'intéressant rapport de Mrs. Verrall sur ses propres expériences d'écriture médiumnique.
Le 11 décembre 1901, Mrs. Verrall écrivit automa¬tiquement ces phrases énigmatiques : «Il ne faut rien négliger ; les faits les plus insignifiants eux-mêmes peuvent servir ; aie confiance. Par exemple cet incident : Le froid était glacial, et une bougie ré¬pandait une pâle lumière. Il lisait Marmontel, couché sur un sopha, ou sur le lit, à la lumière d'une simple bougie. Elle s'en souviendra certainement. Le livre lui était prêté ; il ne lui appartenait point ; il parla de son contenu ».
Le message se terminait par une tentative de tra¬cer le nom « Sidgwick ».
Mrs. Verrall, supposant que tout cela regardait Mrs. Sidgwick, lui envoya le message ; celle-ci, à la date du 17 décembre, lui répondit que celui-ci n'avait pas de signification pour elle, et que dans le cas où elle aurait trouvé quelques allusions se rapportant au message dans les documents d'écriture automa¬tique confiés à ses soins, elle en aurait averti Mrs. Verrall. Le jour même, cette dernière se sentit irré¬sistiblement poussée à écrire automatiquement, bien qu'elle eût décidé de s'en abstenir durant sa propre absence de chez elle ; et ces autres phrases lui furent dictées : « C'est moi qui désirais écrire. Le nom de Marmontel est exact. C'était un livre français ; je crois que c'étaient ses mémoires. Le nom Passy peut aider à se rappeler ; Passy, ou Fleury. Le nom de Marmontel ne paraissait pas sur la couverture ; le livre était relié à l'ancienne, et il l'avait en prêt c'étaient deux volumes. Il ne faut pas chercher le noeud de tout cela dans vos écrits automatiques, c'est une tentative pour faire que quelqu'un se souvienne de cet incident ».
En janvier 1902, Mrs. Verrall écrivit à un ami de sa famille, l'invitant à venir passer quelques jours chez elle. Il répondit en acceptant ; et, le premier mars, à table, il dit incidemment avoir lu depuis peu Marmontel.
Il résulte en somme qu'il avait lu les Mémoires de cet auteur, qu'il les avait demandées en prêt à la bibliothèque de Londres, emportant avec lui le premier volume à Paris, où il l'avait lu à deux reprises, dans les soirées du 20 et du 21 février ; que dans les deux cas, il avait lu à la lumière d' une bougie, la première fois étant couché dans son lit, la seconde étendu sur deux chaises ; qu'il avait parlé longuement de son contenu avec ses amis de Paris ; que dans ces soirées la température était très rigoureuse, quoiqu'elle n'atteignît pas le zéro ; que le livre était relié à l'ancienne, mais que contrairement à ce que disait le message, le nom de Marmontel était inscrit au dos du livre (mais non sur la couverture, et l'écrit parlait de la couverture) ; que l'ouvrage était en trois volumes, dont cependant M. Marsh n'avait lu que deux ; enfin, que le soir du 21 février, il avait lu un chapitre dans lequel Marmontel racontait la décou¬verte d'une peinture faite à Passy, le tout rattaché à un incident auquel Fleury prenait une part im¬portante.
Tel est le résumé de cet étrange cas. Mrs. Verrall observe à son sujet : «Il est à remarquer que les messages de Décembre 1901 décrivent au passé un incident qui devait effectivement se produire deux mois et demi plus tard, en février 1902, et qui était sans aucun doute imprévoyable au moment de leur effectuation. J'appris de M. Marsh que l'idée de lire Marmontel lui vint peu de temps avant son voyage à Paris. Il est très probable que s'il n'avait pas eu l'occasion de me voir presque tout de suite après son retour, c'est-à-dire lorsque son esprit était encore plein de la dernière lecture, je n'aurais jamais décou¬vert la véridicité des messages du 15 et du 17 dé¬cembre.
Ces mots nous invitent logiquement et irrésis¬tiblement à conclure que la personnalité médiumnique responsable des messages prémonitoires avait été l'agent qui en détermina la réalisation en influençant télépathiquement les personna¬lités désignées. Si l'on tient compte des exemples rapportés précédemment, qui attestent qu'un processus identique se rencontre parfois dans les cas ordinaires de transmission télépathique, la supposition en question atteint presque le degré d'une certitude.
C'est aussi l'opinion du Prof. Oliver Lodge, qui observe à ce propos que la circonstance d'avoir tu le nom de la personne devant lire le livre désigné, démontre l'existence d'une intentionnalité dirigeant l'évolution des faits. Il écrit : « Cette réticence est une caractéristique du message, et bien que quelques personnes puissent superficiellement la considérer sous le rapport de la critique, néanmoins cette omission était essentielle pour là bonne réussite de la prédiction. En effet, si le nom de Marsh avait été révélé à Mrs. Verrall, celle-ci lui aurait écrit immédiatement, occasionnant ainsi une enquête prématurée qui aurait détruit l'affaire. Par contre, l'ignorance où demeura Mrs. Verrall sur ce point, permit que M. Marsh conduisît à terme, inconsciemment, la prémonition, ignorant qu'il s'agît d'une chose de ce genre, et se trouvant libre par conséquent de toute influence suggestive ». (The survival of Man, pp. 158-159).
CXIIIe-CXIVe-CXVe Cas. Les épisodes suivants furent publiés d'abord par le Grand Magazine, et dans la suite étudiés par le Prof. Hyslop, qui les reproduit avec commentaires dans le Journal of the American S. P. R. (1909, p. 492). Le percipient, M. J. K. écrit :
Je suis doué de la faculté d'apercevoir des choses invisibles pour les autres. Je n'ai jamais vu de fan¬tômes de défunts, mais par contre je vois des scènes et des personnes existantes ; et voici quelques exem¬ples du genre.
Premier cas Le 28 août 1905, M. H. m'écrivait pour me fixer un rendez-vous à New-York, à 9 h. 30, le 31 août. Conformément à cette lettre, je quittai Philadelphie à l'aube pour me rendre à l'endroit désigné. Pendant le trajet, je lus les journaux jusqu'à la gare de Trenton ; puis, me sentant fatigué, je m'étendis sur les coussins, laissant mon esprit en liberté. Tout à coup je me vis assis dans une chambre, en face d'une porte ouverte qui me permettait d'apercevoir l'antichambre. Le soleil brillait, ou plutôt j'en observais le reflet dans la chambre contiguë. Je vis entrer par cette porte un homme grand et robuste, avec une casquette jockey noire sur la tête. La vision était absolument claire et paraissait une scène véritable, quoiqu'elle n'eût aucune signification pour moi, qui ne connaissais ni le lieu ni la personne.
Arrivé à New-York, et ne sachant pas m'orienter pour trouver les bureaux de M. H., je m'adressai à un policeman ; mais ses indications n'ayant pas été suffisantes, j'entrai dans la boutique d'un marchand de tabac pour obtenir des renseignements supplé¬mentaires. Je touche à ces détails pour montrer que je ne connaissais absolument pas la localité où je me dirigeais. Je parvins sans trop de difficultés à trouver mon chemin ; j'entrai dans les bureaux, et je deman¬dai M. N. On me répondit qu'il n'était pas là, qu'il pouvait arriver d'un moment à l'autre, et on me pria de m'asseoir. Je m'assis en face de la porte par laquelle j'étais passé, et, cela fait, je reconnus immédiatement le tableau que j'avais visualisé en chemin de fer, exception faite pour le soleil qui ne brillait pas. Mais un instant après le soleil apparut d'entre les nuages, et alors, je m'aperçus qu'il illu¬minait l'autre chambre d'une manière identique à ce que j'avais visualisé. Aussitôt, j'entendis le bruit d'un pas lourd dans l'antichambre, et un monsieur grand et robuste, la tête couverte d'une casquette jockey noire, vint à moi et me serra chaleureusement la main, quoique je ne le connusse nullement : il m'avait pris pour un autre. Tout cela se passa deux heures après ma vision.
Second cas. Il se produisit dans les premiers jours de février dernier. J'avais fini de dîner, et je m'attardais à table, lorsque je me vis subitement dans mon bureau, debout, auprès de la porte, tandis qu'à la distance d'un mètre, appuyé à une haute table à écrire, le dos tourné à la porte, un monsieur d'un certain âge, grand, grisonnant, et en manches de chemise, se tenait en face de moi. A mon côté gauche se tenait un autre monsieur. La vision avait été fugace, et il ne me fut pas possible de reconnaître le monsieur en manches de chemise, bien que je fusse certain de le connaître. Je n'avais pas prêté attention à celui de gauche. Je racontai tout de suite ma vision à ma femme, et, le lendemain, à trois employés de mon bureau, ajoutant que la scène se serait réalisée ce jour-là. Vers 1 heure de l'après-midi, tandis que je causais avec un client, il m'arriva sans y songer de prendre la position visualisée, et j'aperçus à distance un monsieur que je reconnus tout de suite pour celui de ma vision ; je déclarai alors aussitôt aux personnes présentes : « Voici mon homme qui vient ». Ce monsieur n'avait pas l'intention de venir me trouver ; mais, me connaissant et m'ayant aperçu sur la porte de mon bureau, l'envie lui vint d'entrer et de me saluer. En causant, il s'appuya à la haute table à écrire, le dos tourné à la porte, avec la position exacte où je l'avais aperçu dans la vision, moins la circonstance qu'il n'était pas en manches de chemise. Mais voilà qu'il se met à se plaindre de la chaleur excessive produite par la cheminée, et, ce disant, retire son pardessus et son veston, reprenant alors, en manches de chemise, sa position d'auparavant. Et par là ma vision vint à se réaliser pleinement !
Troisième cas. Il y a quelques jours, à 6 h. 1 /4 du soir, mon dîner fini, je vis apparaître une jeune femme habillée de blanc, avec un manteau noir, sans chapeau. En même temps, j'eus l'impression que je devais la voir le soir même. Une heure et demie après, différentes personnes vinrent me trouver, parmi lesquelles la dame en question, vêtue d'une manière identique à la vision. Naturellement, je me mis à l'interroger, et je sus qu'au moment où elle m'apparut, elle n'avait aucune idée de venir me trouver, et que ce fut par pur hasard qu'elle s'y dé¬cida. Elle avait dîné avec une famille de mes voisins ; après le repas, c'est-à-dire après qu'elle m'eut appa¬ru déjà, le chef de famille dit qu'il avait à me parler, et proposa à la dame en question de s'unir au groupe pour venir me trouver. Elle me garantit que cinq minutes auparavant, elle ignorait devoir venir.
Tel est le genre de phénomènes auquel je suis fré¬quemment sujet, et je peux ajouter que lorsque des visions semblables m'arrivent à l'état de veille, comme dans les cas exposés ici, je me sens certain qu'ils doivent se réaliser, ce qui ne manque jamais d'arriver. Toutefois, je ne suis pas à même d'indiquer le jour et l'heure de leur accomplissement, et je ne réussis à le supposer que d'une manière approxima¬tive, ayant observé que d'habitude, plus la vision se montre proche de moi, plus elle se réalise vite... »
CXVIe Cas. M. Karl Mitterlmayer, instituteur à Dingolfing (Basse-Bavière), envoie au Dr Bormann, à la date du 27 octobre 1899, la relation de l'incident personnel suivant :
C'était en 1891. J'étais en ce moment instituteur au petit village de Wallerdorf... Je rêvais avec une grande intensité que M. F., de Kunzing, village pa¬roissial voisin, me faisait dire par un paysan de mon village, revenant de la première messe, qu'il fallait me tenir prêt pour une heure. M. F. viendrait alors me chercher pour faire avec moi une excursion au village Forsthart. Ce monsieur n'était que depuis peu de temps à Kunzing et nous n'avions encore fait aucune excursion ensemble.
Puis, dans mon rêve, M. F. est bien venu à 1 heure, nous avons traversé la rue du village, nous avons vu, en sortant de celui-ci, des paysans que je connaissais, et qui cultivaient la terre ; et, arrivé à Forsthart, nous y avons trouvé une petite société d'ecclésias¬tiques et d'instituteurs. Toujours dans mon rêve, j'ai remarqué, à une table à part, un monsieur ayant des tendances socialistes, et qui, d'une façon osten¬sible, laissait sortir de sa poche un exemplaire du Munchener Post probablement pour mettre en colère les cléricaux...
Ce rêve s'est accompli le lendemain jusque dans les moindres détails. A 8 h. 1/4, le paysan, revenant de la première messe, est venu me faire la commission de M. F. ; et, à 1 h., celui-ci est venu me chercher. Nous avons traversé le village, et vu les paysans qui labouraient. Je lui ai raconté mon rêve, pour lequel il ne trouvait aucune explication suffisante. A Forsthart j'ai reconnu les messieurs de mon rêve, et l'homme au Munchener Post n'y manquait pas. Un monsieur de la société demanda à celui-ci de lui faire voir le journal, et il en parcourut le contenu. Il s'y trouvait un feuilleton de Flugger dont j'ai oublié le titre. Ce feuilleton contenait un passage excessivement réaliste et qui scandalisa grandement un des ecclésiastiques.
Mon rêve s'était donc accompli du commencement à la fin.
La femme du relateur confirme le fait en ces termes :
« Je soussignée déclare par la présente, que mon mari m'a raconté le rêve avant l'accomplissement. Je m'en souviens très bien ; la réalisation du rêve fut si immédiate, que nous en étions au plus haut degré stupéfaits ».
Signées M. Mitterlmayer, dans la Revue des études psychiques, 1902, page 284
CXVIIe Cas. M. R. A. Fleury, de la Société Universelle d'Etudes Psychiques, envoyait aux Annales des Sciences Psychiques (1907, p. 194), l'épisode suivant se rapportant à la femme d'un sien ami intime.
Le 13 mai, vers deux heures de l'après-midi, Mme A. A. était au lit en proie à un accès de fièvre. Elle ouvrit tout-à-coup les yeux et vit, penchée sur elle, une femme dont elle ne découvrit que le buste. Au bas de ce buste était inscrit un prénom : Marie, et un nom dont elle ne put lire que la dernière syllabe : et.
Le 15 mai, Mme A. quittait Paris et allait chercher un logement à Montgeron et à Crosnes, en Seine-et-Oise. A Crosnes, elle trouva un logement au premier étage d'une maison dont le rez-de-chaussée était occupé par un ménage.
Avant de s'installer, elle resta quelques jours à l'hôtel. Le soir du 21 mai, jour de l'installation, la femme du locataire du rez-de-chaussée vint prendre de ses nouvelles. Mme A. reconnut en elle la femme dont le buste lui était apparu. Elle lui demanda son nom ; cette dame répondit qu'elle s'appelait Gali¬chet. Mme A. lui dit alors : « Je suis sûre que vous vous appelez Marie ». Mme Galichet attesta qu'en effet ce prénom était le sien.
M. A., qui est mon ami intime, me confirma que sa femme ignorait, jusqu'au moment où elle quitta Paris, l'existence même de Crosnes».
Signé : R. A. Fleury
CXVIIIe Cas. Le publiciste Henri Buts¬son communiquait aux Annales des Sciences Psychiques (1907, p. 610) le rêve suivant fait par lui-même :
« Dans la nuit du 9 au 10 avril dernier, ma concierge vint frapper à ma porte et me dit : « Monsieur, je vous donne congé par ordre du préfet de police, parce que vous avez de la lumière chez vous après 9 heures. » Étonné, je regarde dans la rue, et effec¬tivement j'aperçois M. Lépine, dans un costume tel que je ris aux éclats. Je ne pouvais me figurer qu'on pût voir un préfet de police vêtu de la sorte. Veston cuir, petit chapeau mou, un pied dans un soulier, l'autre dans une pantoufle. Naturellement, je ne l'avais jamais vu dans cette tenue. Au même instant (toujours dans mon rêve) un incendie formidable éclate dans une maison voisine. Je sors et je vais prêter main forte ; j'ai même accompli des actes de courage extraordinaires.
Comme toujours, au réveil, je fais part de mon rêve à ma femme. La journée se passe : rien d'anormal. Or, le soir, nous étions à table, vers les 8 h. 1/2, lorsque tout à coup nous entendîmes les pompes passer, en même temps qu'une forte rumeur, venant de la rue, montait jusqu'à nous. Nous nous précipitons à la fenêtre et nous apercevons à notre gauche, dans l'avenue de Clichy, un immense incendie. C'était le lavoir de la rue Jacquemont qui brûlait. (Voir les journaux à cette date). Quelques minutes après, je descendais et me rendais sur les lieux du sinistre. Après avoir traversé la foule et pénétré au dedans du barrage, la première personne que je vis fut M. Lépine, en veston cuir, chapeau mou, et chaussé d'un soulier et d'une pantoufle. J'ai appris par la suite que le préfet, ayant été blessé au pied, avait été obligé ce jour-là de se servir d'une pantoufle.
Signé : Henri Buisson, publiciste ; 18 bis, rue Dautancourt, Paris
(La femme et le frère de M. Henri Buisson attes¬tent que le songe leur fut raconté avant sa réali¬sation).
CXIXe Cas. MrS. Sidgwick, dans son tra¬vail On the evidences for Premonitions (Procee¬dings of the S. P. R., Vol. V., p. 345) rapporte cet autre épisode regardant une jeune dame de sa connaissance, qui ne désire pas voir son nom livré à la publicité.
Il y a un an environ, je fis un rêve très remarquable par sa vivacité. Il me semblait que je me trouvais dans le parc de Richmond (près de Londres) avec ma soeur, et que j'apercevais sur un siège une épingle-médaillon, que je pris et dont je fis cadeau à une femme de chambre. Le matin suivant, je racontai le rêve à ma soeur, ainsi qu'à la femme de chambre en question.
Au moment du rêve, je n'avais nullement l'idée qu'on pourrait aller le lendemain au parc de Rich¬mond. Néanmoins, nous y allâmes ; et tandis que je me dirigeais avec ma soeur vers un siège, nous aper¬çûmes toutes deux en même temps une grosse épin¬gle-médaillon posée sur lui. Ma soeur, étant l'aînée, la réclama pour elle ; mais quelques jours après elle me la donna, et j'en fis cadeau à ma femme de chambre.
(La soeur de la percipiente écrit : « Je certifie que le rêve fait par ma soeur se rapportant à une épingle-médaillon trouvée dans le parc de Richmond, me fut raconté par elle le matin même où elle le fit, c'est-à-dire avant qu'il se réalisât »).
CXXe Cas. Je l'extrais du Journal of the S. P. R. (Vol. XII, p. 312) ; il se rapporte à la mort d'un canari.
M. E. J. Bowning écrit à la date du 11 fé¬vrier 1906 :
Dans la nuit du 23-24 janvier 1906, j'eus un rêve très vif, durant lequel je vis un canari favori de ma femme étendu sur l'eau, les ailes ouvertes. Dans le songe, j'ouvris la porte de la cage et j'y introduisis ma main pour le sauver, mais comme j'allais le recueillir, je m'éveillai. Ce même matin je racontai le songe à ma femme. Il différait des autres en ce que l'incident ne se rattachait à aucun autre ; tout le songe consistait en cet unique épisode.
Signé : E. J. Bowring
Mme Bowring écrit à son tour :
Le matin du 24 janvier, mon mari, s'éveillant, raconta : « J'ai eu un rêve très vif qui se rappor¬tait à ton canari. Je le voyais gisant comme mort dans une cuvette d'eau, les ailes ouvertes ». A ces mots, je me levai, descendis regarder dans la cage, et lorsque je vis là cuvette de l'eau libre et le canari vivant, je me sentis soulagée. On ne peut pourtant pas dire que je fusse rassurée ; de sorte que je ne fus pas trop surprise lorsque, le matin suivant, je trouvai mon canari mort étendu dans la cuvette de l'eau avec ses ailes ouvertes. Quelques autres de mes oiseaux étaient déjà morts antérieurement mais toujours leurs ailes étaient restées fermées. Ma cage en contenait alors dix ou onze, parmi lesquels se trouvait un seul canari, qui était mon préféré. Nul incident et nulle conversation précédents n'avaient pu suggérer ou justifier un rêve semblable...
Signée : Florine Bowring
CXXIe Cas. La percipiente, Mrs. Effie Johnson, est fréquemment sujette à des visions d'ordre télépathique ou prophétique, et elle a la louable habitude d'en prendre note immédiatement dans un album spécial disposé en trois co¬lonnes : dans la première elle enregistre la vision perçue, dans la seconde sa signification probable, dans la troisième les modalités de réalisation.
A la date du 20 mars 1897, elle notait ce qui suit : Je me vis moi-même sortir d'une boutique dont les vitrines étaient complètement vides. En vertu d'une intuition spéciale qui accompagne habituellement en moi ces visions, je sus que cette boutique, bien qu'or¬ganisée à l'anglaise, se trouvait en une contrée étran¬gère, et que tout cela signifiait que je devais entreprendre un voyage. Mais la partie amusante de la vision consistait en un énorme béret rouge de bouf¬fon apparu subitement devant moi. Je n'avais jamais vu un béret semblable, et je n'arrivais pas à compren¬dre sa signification présumable.
Cependant, au commencement du printemps sui¬vant, je le compris parfaitement, car je fus conduite d'une manière inattendue, et pour la première fois, sur la Riviera de Cannes ; et là je vis venir à moi un monsieur, l'air grave et se répandant en révérences, qui avait sur la tête un énorme béret rouge de bouf¬fon, identique à celui de ma vision. Tout ceci s'ex¬plique par le fait que nous étions en carnaval !
Le lendemain, tandis que je m'acharnais en vain pour trouver des fleurs, je me vis tout à coup moi-même sortir en réalité de cette même boutique que j'avais visualisée un an auparavant, qui, étant données les demandes exceptionnelles de la saison, avait les vitrines et l'intérieur complètement vides !
..: Je ne sais pas expliquer ces faits, mais je sais de science certaine qu'ils se produisent, et je le vois attester par une longue expérience personnelle, d'où semble émerger la preuve qu'il n'y a pas, dans le chemin de notre vie, de sentiers devant lesquels nous nous trouvions par pur hasard.
Signée : Effie Johnson, dans le Light, 1901, p. 149
CXXIIe Cas. Il fut recueilli et étudié par Guyers, et Mrs. Sidgwick le publia dans son travail sur les prémonitions (Proceedings of the S. P. R., Vol. V., p. 343-4). La percipiente, Mrs. Mackenzie, écrit à la date du 14 juillet 1884 :
Un matin du printemps dernier, au cours du déjeuner, je me rappelai subitement un rêve fait la nuit précédente, que je racontai tout de suite à mes dix convives. Je dirai d'abord que ma famille et mes amis me plaisantaient souvent à propos des rêves véridiques racontés par moi, et auxquels je déclarais croire ; de sorte que lorsque j'annonçai un autre rêve de ce genre, je fus accueillie aussitôt par le choeur habituel d'apostrophes. Je dis alors : « Au moins, écoutez-moi : voici mon rêve. Je me trouvais dans le salon avec plusieurs personnes de ma connaissance, parmi lesquelles M. J., et je quittai un instant mes hôtes pour m'informer si le repas était prêt. A mon retour, je vis le tapis parsemé de taches noires ; ce qui m'irrita beaucoup, car il s'agit d'un tapis neuf, et quand M. J. observa qu'elles semblaient être des taches d'encre, je répondis : « Non, ce sont des brûlures », et j'en comptai cinq. Voilà mon rêve ».
C'était un dimanche. Le déjeuner fini, nous allâmes tous à l'église, et au retour M. J. vint goûter avec nous (ce qu'il n'avait jamais fait encore) avec quel¬ques autres personnes. Je quittai un instant mes hôtes pour aller voir si tout était en ordre dans la salle à manger, puis je rentrai au salon, et, tout de suite, je remarquai sur le tapis une tache noire près de la porte. J'étais très jalouse de mon tapis neuf, et j'observai, irritée, que quelqu'un était entré dans le salon avec des chaussures sales. Comme dans mon rêve, M. J. intervint, observant qu'on eût dit des taches d'encre, et me fit remarquer d'autres plaques répandues tout autour. Tandis qu'il parlait ainsi, je m'écriai : « Oh ! mon rêve ! Voilà un tapis perdu ! Ce sont des brûlures ! »
Il résulta de l'enquête que la femme de chambre, ayant laissé éteindre le feu de la cheminée, avait pris avec la pelle des charbons allumés dans une autre chambre ; et, rentrant dans le salon, s'était heurtée à la porte, répandant les charbons sur le tapis, qui produisirent cinq trous... »
(La fille de la percipiente, Miss Gertrude Agnès Mackenzie, confirme pleinement le récit de sa mère).
CXXIIIe Cas. Ce cas fut étudié par Myers, auquel la percipiente, Mrs. Atlay, veuve de l'évêque de Hereford,écrivait en mars 1893 :
Je rêvai que l'évêque était absent, et que par conséquent les prières familières habituelles ne pou¬vant être récitées dans la chapelle, je les lisais dans le salon du palais épiscopal, à un côté duquel s'ouvre une porte qui donne dans la salle à manger. Dans mon rêve, dès les prières finies, je me dirigeai vers la porte de la salle à manger, je l'ouvris et voulus entrer, lorsqu'à ma grande horreur et stupeur, se présenta devant moi un énorme porc interposé entre la table et le buffet. Le songe était étrangement vivace, et m'amusa fort.
L'évêque était absent ; et, à peine levée, je me rendis dans le salon épiscopal pour réciter les prières habituelles. Les serviteurs ne s'y trouvaient pas encore, mais il y avait la gouvernante et mes en¬fants, auxquels je racontai le songe, qui les fit rire à leur tour. Peu de temps après arrivèrent les servi¬teurs, et l'on récita les prières en commun ; après quoi, chacun retourna à ses affaires. Je me dirigeai vers la porte de la salle à manger, je l'ouvris et j'allais entrer, lorsqu'à ma grande horreur et stupeur, je vis devant moi le porc de mon rêve, au point iden¬tique où je l'avais vu !
Vous me demanderez, cher Monsieur Myers, si par hasard, durant mon sommeil, je n'avais pas pu entendre se promener le porc. Absolument non, parce qu'il se trouvait enfermé dans la porcherie qui se trouve de l'autre côté de la maison, au fond de la cour. Il put s'introduire dans la maison parce que le jardinier entreprit le nettoyage de la porcherie au moment où nous étions tous réunis au salon ; de sorte que manquant de surveillance, et les portes étant ouvertes, le porc eut l'occasion de s'aventurer dans son voyage d'exploration. (Pro¬ceedings of the S. P. R., Vol. XI, p. 478).
(La gouvernante, Mme Emily Nimmo, confirme ce qui précède).
CXXIVe Cas. Miss Goodrich-Freer, don’t nous avons déjà cité d'autres expériences prémo¬nitoires obtenues par la « vision dans le cristal », écrit en octobre 1893 :
Il y a une quinzaine de jours, je me trouvais à la campagne, chez une famille amie. Le matin où je devais prendre congé, je dis : « Qui sait ce que vous ferez quand je serai partie ? »
Pour toute réponse, mon amie déposa devant moi un objet en acajou verni, très brillant, et observa : « Ceci est un cristal : regarde ».
« Je vis aussitôt apparaître une scène champêtre, et m'écriai : « Ceci est indubitablement la scène du goûter à la campagne durant la promenade projetée au moulin « Pin ». Mais où est ce moulin « Pin » ? Je ne le vois d'aucun côté. Je découvre au contraire un beau pré vert, et plusieurs buissons de pruniers au fond. Mais voici que Mme K. et toi vous vous levez tout à coup et vous en allez : pourquoi ? Mmes G. et S. demeurent, et la première se comporte de ma¬nière qu'on croirait qu'elle a mal aux épaules. Vous avez emmené avec vous aussi la nourrice avec l'enfant ».
Mon amie observa : Je ne sais pas du tout en quoi consiste le moulin « Pin » ; mais, de toute façon, la nourrice avec l'enfant ne s'y rendront pas certainement ».
Deux jours après, elle m'écrivait en ces termes : « Tes affirmations au sujet du moulin « Pin » résultent conformes à la vérité. En effet, il n'y a pas de moulins en vue, et nous avons goûté dans un beau pré vert.
Mme K. fut tout à coup saisie de crampes, et je dus la prendre sous le bras pour la conduire faire quelques pas, tandis que Mmes G. et S. restaient seules à l'endroit. Il est vrai qu'aussi Mme G. avait mal aux épaules, à cause d'un effort ; il est vrai de même que l'enfant et sa nourrice étaient avec nous. Les buissons au fond du pré n'étaient pas précisément des pruniers, mais des sureaux mêlés à des mûres sauvages, qui de loin, il est vrai, ressemblaient par¬faitement à des buissons de pruniers ».
(Myers, citant le fait dans les Proceedings of the S. P. R., Vol, XI, p. 503, déclare avoir lu la lettre énoncée plus haut).
CXXVe Cas. Myers, dans son ouvrage sur la « Conscience Subliminale », cite le fait suivant (Proceedings of the S. P. R., Vol. XI, p. 491) qui advint à M. Haggar , consul anglais à Trieste, et raconté par ce dernier en ces termes, à la date du 21 septembre 1893 :
Il y a quelques mois, j'eus un rêve très vivace, que je racontai à ma femme dès mon réveil, et qui se réalisa dans ses plus petits détails environ six semaines plus tard. Il ne semble pas que ce rêve ait eu un but quelconque, ce qui fait se demander : « A quoi bon tout cela ? »
Je rêvai que j'avais été invité à dîner par le Consul général d'Allemagne, et qu'on m'introduisait dans une vaste salle dont les parois étaient ornées de trophées d'armes et de boucliers provenant de l'Afrique orientale, région que je connaisais bien pour l'avoir habitée longtemps. Après le dîner, j'allai observer de près les armes, parmi lesquelles je remarquai une belle épée à poignée dorée, que j'indiquai au vice-consul français, en lui disant que c'était probablement un don du Sultan de Zanzibar au consul allemand. Survint à ce moment le consul russe, observant que la poignée de l'épée était si petite, que l'arme ne pouvait pas servir à un escri¬meur européen ; et, ce disant, il leva le bras au-dessus de sa tête en l'agitant comme s'il avait brandi l'épée, voulant par là donner plus de force à ce qu'il assurait. C'est alors que je m'éveillai, tellement impres¬sionné de la vivacité du songe, que je me décidai à réveiller ma femme pour le lui raconter.
Six semaines plus tard, nous fûmes invités à dîner parle consul général d'Allemagne. J'observe que dans cet intervalle, nous avions complètement oublié le rêve.
On nous introduisit dans une vaste salle où nous n'avions jamais pénétré, bien que j'éprouvasse l'im¬pression que cet endroit m'était familier. Ses parois étaient ornées de trophées d'armes et de boucliers venant de l'Afrique orientale, parmi lesquels je notai une belle épée à la poignée dorée, cadeau du Sultan de Zanzibar au Consul allemand. Bref : tous les détails rêvés se réalisèrent successivement, quoique je ne me rappelasse pas le songe, jusqu'au moment où le consul russe leva le bras sur sa tête en l'agitant comme une épée ; moment où le rêve se représenta subitement à ma mémoire. Je m'approchai aussitôt de ma femme, qui causait sur le seuil, en lui demandant : « Te souviens-tu de mon rêve au sujet des trophées d'armes de Zanzibar ? » Elle répondit qu'elle se le rappelait dans tous ses détails ; de sorte qu'elle fut témoin avec moi de sa réalisation. Après quoi, je me décidai à raconter le rêve aux personnes co-intéressées qui se montrèrent grandement surprises.
Mme Haggard écrit à son tour :
Je me rappelle avoir été réveillée par mon mari qui avait un rêve curieux à me raconter. Ceci s'est produit voici plusieurs mois, et je puis avoir oublié quelque détail secondaire, mais la substance du fait est la suivante. Il rêva qu'il se trouvait avec moi à dîner chez le Consul général d'Allemagne, dont le salon était orné de trophées d'armes provenant de la côte orientale d'Afrique. Comme il avait longtemps habité ces régions, il s'intéressa à ces armes, et voulut les examiner de près. Tandis qu'il les obser¬vait, le consul russe s'approcha et fit observer que certaine épée avait une poignée si petite, qu'il était impossible qu'elle put être brandie par des mains européennes ; et il leva le bras l'agitant en l'air. Ceci est ce que je me rappelle du songe, qui se réalisa plusieurs semaines après, alors que nous l'avions déjà oublié.
Nous dinâmes en effet chez le consul général d'Allemagne, avec le consul russe et d'autres invités. Après le dîner, mon mari voulut examiner de près les trophées d'armes suspendus aux parois, et, tandis qu'il les observait, arriva le consul russe qui pro¬nonça les paroles du rêve, et finit par lever le bras et l'agiter avec la vivacité qui lui est habituelle ; ce qui rappela le songe à mon mari, qui vint aussitôt me demander si je m'en souvenais. Je me le rappelais très bien ; mais comme je causais à ce moment, la coïncidence me serait probablement échappée sans son intervention...
Signée : Agnès M. Haggard
(Le consul russe A. de Kolemine, et le vice-consul français J. Michabelle, écrivent en confirmant ce qui les concerne respectivement).
A propos de cet intéressant et curieux épi¬sode recueilli par Myers, je fais noter que l'ob¬servation du percipient de ne s'être rappelé le songe qu'au moment où le Consul russe agita le bras en l'air, suggère une réflexion analogue à celle de Lodge à propos du cas de Mrs. Verrall (CXIIe Cas), où tous les détails de cet épisode furent préannoncés, sauf le nom du protagoniste ; réticence nécessaire à la bonne réussite de la prédiction, et par là faisant croire à une inten¬tionnalité, car enfin si Mrs. Verrall avait su à qui s'adresser pour des informations, elle n'aurait pas manqué de le faire, donnant lieu par là à une enquête prématurée qui aurait tout gâté.
Dans l'épisode cité, il faut donc noter que pour la bonne réussite de la prédiction, il était nécessaire que le percipient oubliât le rêve pour ne se le rappeler qu'au moment où se manifestait l'incident final, c'est-à-dire l'action du consul russe. Si le percipient se l'était rappelé au moment où il fut introduit dans la salle, il n'aurait pas manqué de parler du rêve avec les assistants, ou de fixer sa pensée sur lui, dans l'attente de sa réalisation ultérieure, en gâtant ainsi la bonne réussite de la prémonition.
Il paraît donc évident que ces faits ne tirent pas leur origine d'un simple automatisme subconscient, mais révèlent au contraire une inten¬tionnalité, laquelle à son tour, tendrait à prouver que leur réalisation est déterminée au moyen de voies suggestives, par les personnalités médiumniques ou subconscientes qui les préannoncent. Ceci étant, il s'ensuit que ces épisodes ne peuvent qu'avoir une fin, qui resterait inexplicable s'il s'agissait de personnalités subconscientes, mais qui, d'après ce que nous avons dit au commencement, s'expliquerait au contraire d'une manière satisfaisante s'il s'agissait de personnalités extrinsèques ou spirituelles.
Et si l'on compare ces réticences dans les prémonitions d'ordre insignifiant et pratiquement inutiles, réticences manifestement voulues pour ne pas mettre obstacle à la succession prééta¬blie des événements, aux réticences analogues dans les prémonitions d'infortunes ou de morts, à leur tour manifestement voulues pour ne pas mettre obstacle au cours fatal des événements, on est plus que jamais porté à concéder aux premières la même origine extrinsèque qu'on ne peut pas refuser aux secondes.
Je termine en observant que cette catégorie est presque entièrement composée de cas où les prémonitions furent confiées à des tiers ou enregistrées avant leur réalisation, circonstance qui élimine toute hypothèse tendant à les expli¬quer en les attribuant à des illusions mnémoniques.
Je fais noter enfin que tous les percipients in¬sistent d'une manière spéciale sur l'extraordinaire vivacité de leur rêves ; on peut affirmer que cette particularité, bien que commune à la grande majorité des songes prémonitoires, n'est nulle part aussi marquée que dans cette catégorie qui envisage les cas insignifiants et pratiquement inutiles ; c'est comme si la futilité du contenu portait les personnalités médiumniques ou sub¬conscientes à leur imprimer une vivacité plus grande afin d'en fixer les détails dans la mémoire des percipients.
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Sous-groupe M
Prémonitions météorologiques et sismiques
Nous comprendrons sous ce titre les épisodes prémonitoires qui se rapportent à des catastro¬phes telluriennes, perturbations atmosphériques, accidents causés par la foudre, et ainsi de suite.
Je préviens qu'à cause des habituelles et iné¬vitables difficultés de la classification, venant de ce qu'il existe des épisodes qui contiennent des dé¬tails classifiables dans plusieurs catégories, nous avons déjà passé plusieurs cas relégués ailleurs, et plus précisément les cas XVIII-XXXV-XLVI et CLIX, qui renferment des traits d'ordre mé¬téorologique et sismique. Dans le premier d'en¬tre eux, il s'agit d'une prémonition de trem¬blement de terre ; dans le second, d'orage ; dans le troisième de neige, dans le quatrième d'un cyclône dévastateur.
Les épisodes du genre indiqué sont fort nom¬breux ; néanmoins, le sous-groupe actuel sera pauvre d'exemples et peu intéressant, par suite de la difficulté qu'il y a à découvrir des cas de cette nature rigoureusement authentiqués. Ceci est dû à la nature même des faits, qui, en général, émergent et pullulent après les grandes catastrophes sismiques ou atmosphériques, c'est-à-dire, une fois le fait accompli ; et par la con¬dition même des choses, il est rare qu'on puisse les contrôler d'une manière scientifiquement sa¬tisfaisante.
Je commencerai par quelques exemples de prémonitions telluriennes.
CXXVIe Cas. Le Dr Wolff, dans son ou¬vrage : Voyages en Orient, raconte le fait suivant, où l'on voit la catastrophe d'un tremblement de terre prédite un an auparavant, et l'époque en être désignée.
Me trouvant à Aleppe en 1822, je demandai des nouvelles de Lady Esther Stanhope. « Elle est folle, ou presque », répondit M. Barker ; et, pour le prouver ; il m'apprit qu'elle hospitalisait un gentilhomme français, nommé Lusteneau, qui avait été général de Tippoo Sahib dans les Indes, et qui avait la réputation d'être prophète. Entre autres choses, il avait prédit à Lady Esther la fuite de Napoléon de l' Ile d'Elbe, en désignant le jour et l'heure.
Après ce préambule, M. Barker, en présence de M. Lesseps, M. Derche, interprète, et M. Maseyk, con¬sul de Danemark, me lut une lettre de Lady Esther à lui adressée, en avril 1821, dans laquelle elle le priait de ne pas se rendre à Aleppe ou à Antioche, parce que Lusteneau avait prophétisé que dans un an, les deux villes auraient été détruites par un tremblement de terre. La date fatale s'approchait, et M. Derche ajouta que Lady Esther lui avait aussi conseillé récemment de ne pas rejoindre le consul à Aleppe, parce que la ville devait être détruite avant quinze jours.
Durant le repas, naturellement, les convives plai¬santèrent sur le prophète et la prophétie.
Après quelques jours, je quittai Aleppe, et, vers le soir, je campai sur la route qui conduit à Latakia dans le désert, près du village de Juseea. Tandis que je causais avec plusieurs hommes du village, les premiers frémissements du sol se firent entendre, et un instant plus tard le village de Juseea disparut dans une immense crevasse. Les secousses succédaient aux secousses, tandis que de loin nous arrivaient des rou¬lements comme de mille canons. De toute part nous rejoignaient, à bride abattue, des hordes d'arabes et de bédouins, le capuchon rabattu sur le visage, criant : « C'est Allah qui l'envoie ! C'est Allah qui le veut ! » Ces peuples orientaux s'en rapportent constamment à la cause première, c'est-à-dire à Dieu...
Immédiatement, j'envoyai à Aleppe un messager à cheval à la recherche de Barker. Il trouva la ville complètement détruite, et nous apprit qu'Antioche, Latakia, Hums et Haina avaient subi le même sort avec tous les villages environnants dans un rayon de 20 lieues, et que 60.000 personnes avaient péri.
M. Barker et tous les membres de sa famille, s'étaient sauvés miraculeusement en glissant l'un après l'autre sous les ruines de leur propre maison. (Cité par Wil¬liam Howitt dans l'ouvrage : History of the Super¬natural, Vol. II, p. 26).
CXXVIIe Cas. Quelques jours après le tremblement de terre de Messine, une courte communication du Dr Santi, spécialiste pour les maladies nerveuses, fit le tour des journaux italiens et étrangers ; il y racontait un cas inté¬ressant de prédiction de ce cataclysme. Cependant, il ne me fut pas possible de mettre la main sur le périodique qui contenait la relation origi¬nale, et je dois me résigner à en donner un résu¬mé, tel qu'il fut publié par les autres journaux, résumé que je constatai identique par sa sub¬stance en trois publications différentes.
Le Dr Santi raconte « qu'une dame de l'aristo¬cratie romaine, soumise à ses soins pour accès d'hys¬térie et de neurasthénie, l'informa à la date du 2 décembre 1909, qu'elle avait eu une vision en songe, où « elle apercevait Messine détruite par le tremblement de terre et l'invasion de la mer » ; en même temps, l'impression lui était restée que la catastrophe aurait lieu le 8, ou le 18, ou le 28 du même mois. Elle était tellement convaincue de la véridicité de sa vision, qu'elle écrivit une lettre au Roi d'Italie, le prévenant du grand cataclysme imminent ; lettre que le Dr Santi se garda bien d'envoyer à sa destina¬tion, mais qu'il conserva comme un document irré¬futable à l'appui de la prémonition.
Les jours 7, 8 et 27 du mois, sa cliente souffrit de rechutes dans ses accès hystériques et neurasthé¬niques ; le 28, la catastrophe prédite se produisait, et les accès ne se renouvelèrent plus. (Secolo X1X, 15 janvier, Daily News, 22 janvier Light, 1909, p. 51).
CXXVIIIe Cas. Toujours à propos du trem¬blement de terre de Messine, le publiciste Enrico Scalea raconte à la date du 4 janvier 1909, dans l'Ora de Palerme :
J'ai parlé, à un moment de trève à Milazzo, outre au marquis bel Carretto, maire de Naples, à la com¬tesse Cumbo, qui, aidée de ses filles, assiste les blessés appartenant pour la plupart à l'aristocratie de Messine, recueillis dans sa villa de Milazzo, où la comtesse, qui est de Messine, se trouvait en villé¬giature.
« Mon mari et mon fils, me dit la comtesse, sont vivants, ici, auprès de moi, mais par un miracle, par un hasard prodigieux. La nuit qui précéda celle du tremblement de terre, je rêvai de mon grand' père : il me semblait le voir ; il était tout bouleversé. « Ne fais pas partir ton mari, me cria-t-il, ne fais pas partir ton fils ! Vois que de ruines, que de tombes, que de morts ! » Et je vis en rêve ce que m'indiquait mon grand'père : tout Messine en ruines
Le lendemain, mon mari et mon fils devaient partir : je m'y opposai absolument. Ils ne partirent pas et furent sauvés ; ils sont sauvés ainsi par mon avertis¬sement, tandis que notre palais au bord de la mer, à ce qu'on dit, s'est entièrement écroulé ! »
CXXIXe Cas. A l'époque du tremblement de terre de San-Francisco aussi les relations de prophéties du cataclysme pullulèrent de tous côtés, mais furent presque toujours trop vagues pour pouvoir être prises en considération. J'en rapporterai une seule qui semble suffisamment documentée.
M. N. F. Stiewig communique :
Voici la prophétie faite en ma présence, à la date du 1er mars 1906 :
En compagnie du Rév. T. W. Woodrow, de Ho¬bart (Oklahoma) je fis une visite à un ami spiritua¬liste, et j'eus l'occasion d'assister à une séance, où le frère de ce dernier (je tais son nom par égard pour sa famille) servait de médium. Entre autres choses, il dit ceci : « Dans un avenir très proche, San-Fran¬cisco sera éprouvé par un cataclysme. Je vois toutes les choses s'agiter. Beaucoup de personnes périront, beaucoup de propriétés seront détruites. Ils semblent que de grands incendies se déclareront. Les éléments apparaissent comme troubles et obs¬curs, le peuple est envahi par une folle terreur ; la confusion est partout ; il n'y a plus de distinctions de nationalités ; tous s'enfuient vers l'orient. Il s'agit d'un cataclysme physique, c'est du moins ce qu'il me semble, et il s'étendra vers l'orient jusqu'à Colo¬rado. Là, il s'arrêtera, et la vallée du Mississipi ne sera pas dérangée...»
Ces paroles produisirent sur moi une grande im¬pression, et lorsqu'arriva le tremblement de terre de San-Francisco, nous eûmes la preuve que ce qu'il avait prédit était la vérité ».
Signé : J. F. Stiewig, dans le Light, 1906, p. 302
(Le Rév. T. W. Woodrow témoigne : « Je déclare que le récit ci-dessus est conforme à mes souvenirs ». T. W. Woonnow).
CXXXe Cas. En changeant de thème, je rapporterai un exemple curieux de prédiction du temps moyennant l'écriture automatique.
M. R. M. Brereton publiait dans le Journal of the American S. P. R. (1908, p. 675) et en-suite dans le Light (1908, p. 500, cette relation :
Ma femme et moi, quand nous sommes assis ensemble et nous servons de la « planchette », nous obtenons généralement des communications de toutes sortes, parmi lesquelles des prédictions météorologiques sur le temps qu'il fera : ce qui, si je ne me trompe, est un thème absolument nouveau dans le champ des recherches psychiques et scientifiques. Dans ces huit dernières années, j'ai recueilli de nombreuses prédictions de ce genre, toujours beaucoup plus correctes que celles publiées journellement par l'ob¬servatoire météorologique. Je dirai même que je les constatai si correctes, que je réglai mes voyages en me basant sur elles ; et souvent, les endroits où je devais me rendre étaient à des centaines de milles de distance.
J'obtins la dernière preuve de la correction de ces prédictions le 12 du mois d'août courant. Le 24 juillet dernier, je demandai : « Quand aurons-nous la pluie ? » La réponse fut : « Vous l'aurez le jour du mariage de Claudie ». C'est mon fils, et son mariage était fixé au 12 août. Du 24 juillet au 12 août, dix-neuf jours étaient intercalés, représentant un intervalle considérable pour une prédiction de cette nature. Le temps continua d'être beau et chaud durant cette période entière, jusqu'à minuit du 11 août, et le baromètre anéroïde se maintint constaMment entre un minimum de 29.70 et un maximum de 29.80.
Vers 7 heures du matin, le 12, il commença à pleu¬voir, et il plut à verse toute la journée, avec un vent du sud-est.
Le bulletin du Bureau Météorologique pour les prévisions du temps à Portland, annonce pour la journée du mercredi 12 août, ce qui suit : « Portland et alentours : mercredi, beau temps, température modérée, vent de nord-est ». Ce bulletin fut rédigé à 5 heures de l'après-midi, le 11 août.
Telles sont mes expériences. Or, il doit exister une loi permettant les pénétrations psychiques sur le temps qu'il fera ; ce qui devrait former l'objet d'une intéressante étude dans le champ scientifique, bien que ces lignes doivent évoquer au contraire quelque sourire incrédule parmi les savants qui les lisent. Cependant, j'éprouve le devoir de publier les faits observés dans l'espoir d'être utile, quand ce ne serait qu'en induisant quelque chercheur à répéter mes expériences.
Signé : R. M. Brereton, B. Wood-stock (Oregon).
CXXXIe Cas. Dans l'épisode suivant, où il s'agit de la tombée de la foudre, la vision à distance de la foudre est probablement télépa¬thique ; mais comme elle fut précédée d'un vague pressentiment de danger tout proche, et ceci impliquant chez le percipient la précognition subconsciente du fait, je me décidai à classer cet épisode dans le sous-groupe présent.
Le Dr Hodgson le recueillit et l'étudia ; Myers le publia dans son étude sur la «Conscience sublimi¬nale » (Proceedings of the S. P. R., Vol. XI, p. 507).
Le Dr T. F. Leech, vice-président de la « Me¬dical Society » dans l'État d'Indiana, écrit à la date du 14 août 1893 :
Je commence par dire que je souffre de rhuma¬tismes chroniques, et que parfois les souffrances et les nuits d'insomnie, combinées aux préoccupations d'affaires, me rendent passagèrement nerveux. C'est durant une de ces périodes que se produisit l'expérience dont je vais vous faire le récit.
Mes deux fils, Ellerslie et Charlie, furent parmi les fondateurs de la « Société pour les campements de la Virginie » (Juin 1892) et, depuis lors, avaient l'ha¬bitude de partir le soir, à des heures avancées, en voiture, pour leurs visites nocturnes aux différents villages ; chose dont je ne m'occupais et ne me préoc¬cupais nullement. Un jour, pendant le déjeuner, Ellerslie me dit : « Papa, cette nuit je devrai me ren¬dre à Mace ». Le village de Mace se trouve à une distance de six milles, et la route qui y conduit est excel¬lente. Néanmoins, tandis que mon fils parlait, l'idée subite me vint qu'à son retour, il aurait couru un danger ; et alors, ma pensée s'exalta sur la possi¬bilité d'un malheur soudain, d'une mauvaise ren¬contre, et ainsi de suite. Sans faire allusion à mes appréhensions, je lui demandai s'il n'avait pas songé à se procurer un compagnon de voyage. Il répondit négativement, et alors je lui proposai d'y aller avec Charlie. Il objecta que Charlie devait passer des examens le lendemain, et ne pouvait pas. Alors je proposai le voisin Griffith, membre de la Société en question, mais lui aussi devait passer les examens... Je m'efforçai de chasser mes inquiétudes et me mis en route pour le bureau. A peine sorti, je rencontrai un jeune ami, nommé Wellington, auquel je deman¬dai s'il voulait accompagner Ellerslie, et il y consentit. Je retournai sur mes pas pour en avertir mon fils, qui se montra satisfait, et, à partir de ce moment, je fus calmé ; ou, du moins, je le crus.
Je restai au bureau jusqu'à 9 heures ; et, lorsque je rentrai chez moi, ma femme s'était déjà retirée. Je me couchai, je lus pendant quelque temps, puis j'éteignis la lumière et m'endormis, sans plus songer à mon fils absent. Vers 11 heures, je m'éveillai en sursaut : dans mon sommeil, j'avais aperçu Ellerslie, seul dans la voiture, qui rentrait au petit trot, et se trouvait à un mille de Crawfordsville. Je reconnus si bien la localité, que je me sentirais capable de m'y rendre d'un trait. Tandis que je regardais, je vis s'abîmer la foudre au milieu de la route, à 15 mètres du cheval. Mon premier mouvement fut d'accourir sur le lieu ; puis, me rappelant qu'Ellerslie avait été à Mace, et qu'il y avait été avec l'ami Wellington, je fis un effort sur moi-même pour calmer l'injustifiable anxiété qui m'avait saisi... N'y parvenant pas, j'é¬veillai ma femme pour lui demander si Wellington avait accompagné Ellerslie, et j'appris qu'il y avait renoncé parce qu'il ne lui convenait pas d'assister à cette séance. Mon inquiétude augmentait, mais enfin nous entendîmes le bruit de la voiture, puis le pas d'Ellerslie qui rentrait. Mes anxiétés n'ayant plus raison d'exister, je me rendormis sans rien dire à personne.
A l'heure du déjeuner, Ellerslie nous dit : « J'ai vu la nuit dernière un spectacle terrifiant. Tandis que je rentrais à la maison, la foudre tomba au milieu de la route juste devant le cheval, faisant rejaillir autour d'elle une pluie d'étincelles aveuglantes. J'en fus terrorisé ». On lui demanda : « Et le cheval, a-t-il pris peur ? » « Il s'arrêta d'un trait, mais je lui donnai un coup de fouet, l'encourageant de la voix, Abstraction faite du danger couru, le spectacle fut magnifique, et dépassait en splendeur tous les feux d'artifices du monde ». Je demandai s'il était seul, et si le cheval allait au petit trot, et il me répondit affirmativement. Je demandai à quel point l'incident s'était produit, et la localité désignée fut celle que j'avais vue en songe. Alors, je racontai mon expérience et mes pressentiments.
Quand je repense au fait, je trouve étrange que je me sois alarmé parce que mon fils avait parlé d'un de ses trajets habituels, étrange que j'ai pressenti qu'il aurait couru un danger, et précisément au retour ; étrange que je me sois endormi sans me rap¬peler mon fils absent (alors que je ne m'endors géné¬ralement pas tant que mes fils ne sont pas rentrés) ; étrange que je l'ai vu seul dans la voiture, alors que je le croyais accompagné, et que j'ai vu le cheval aller au petit trot, et que j'ai remarqué l'endroit précis où ils se trouvaient, et que j'ai distingué la foudre s'effondrer devant le cheval de la manière décrite par mon fils. J'ajouterai que tandis que mon fils racontait l'incident, j'eus l'impression de m'être trouvé sur les lieux et d'avoir assisté au fait... »
Signé : Dr T. F. Leeecn, sa femme, Mary E. Leech, et son fils Ellerslie confirment le récit.
CXXXIIe Cas. Je prends l'épisode suivant dans une relation qu'un éminent ministre anglican envoyait au Prof. Oliver Lodge, son ami. Il y expose ses propres expériences psychiques, celles de sa fille et de son père. A propos de ce dernier, il raconte :
Dans une matinée de juin, par un soleil splendide et un ciel sans nuage, il descendit demander à sa femme d'avancer de beaucoup l'heure du goûter, assurant qu'un orage formidable devait éclater, et qu'il n'aurait pas été prudent de se laisser surprendre avec tant d'objets de métal sur la table. Il raconta qu'il avait vu en songe l'orage se déchaîner, qu'à un moment donné la foudre avait pénétré dans la salle en forme de globe, et en même temps une série de tuyaux de cheminée posés sur le toit d'en face, frappés par une décharge électrique, avaient été précipités sur le sol.
Or, tout se réalisa comme il l'avait prédit, quoique l'orage survînt avec une précipitation si extraordinaire que ma mère, au commencement du goûter, indiqua en plaisantant le ciel absolument pur à mon père, en lui demandant quel compte il fallait tenir de son rêve. Vingt minutes plus tard, la foudre, sous forme de globe, nous avait tous éblouis, et les cheminées du toit d'en face étaient précipitées sur le sol, arrachées par la décharge électrique. (Journal of the S. P. R., Vol. VIII, p. 265).
CXXXIIIe Cas. La Princesse Tola Dorian-Metzcherski raconte l'étrange cas suivant dont elle-même fut l'héroïne :
Le 3 juin 1902, je rentrais chez moi à 11 h. 30 du soir, lorsqu'une impulsion soudaine et irrésistible me fit ordonner au cocher de se diriger vers la maison d'une de mes amies, qui m'avait invitée à une séance médiumnique organisée pour ce soir-là. C'était au temps où je doutais encore de la réalité des faits médiumniques, et ne prenais guère d'intérêt aux problèmes spiritualistes.
Je m'approchai du guéridon, et demandai si des entités connues de moi étaient présentes. La table, frappant vigoureusement, épela le nom de mon mari : Charles Dorian. J'avais vu le jour précédent mon mari, qui était en parfaite santé et se préparait à un voyage. Je dis : « Comment ! tu es donc séparé de ton corps ? » On répondit : « Frappé par la foudre à 9 h. 30 ce matin ». Je répliquai : « Mais tu es député, et les journaux l'auraient aussitôt annoncé ». Il répondit : « Ils en parleront ».
Quelques jours se passèrent sans que rien survînt à mon mari, que je voyais fréquemment, quoique je ne lui parlasse pas du message obtenu, sachant à quel point il détestait les pratiques spirites. Le vendredi 13 juin, dix jours après le message, je vis la voiture de mon mari entrer au grand trot dans la cour ; aussitôt le cocher frappa et me consigna un billet de mon beau-frère, où je lus : « Notre pauvre Charles a été frappé de la foudre à 9 h. 30 ce matin ». La mort avait été instantanée.
J'eus par la suite une autre séance avec le même médium et dans la même maison. L'esprit de mon mari se présenta, et je lui demandai s'il était enfin persuadé de la survivance. Il répondit : « Maintenant, je crois parce que je connais ». Lorsque je l'inter¬rogeai pour savoir comment il lui avait été possible de communiquer, vivant, avec moi, le médium écrivit « Il était onze heures et demie, et je dormais. Mon âme, prévoyant la fin imminente de son existence terrestre, voulut te la préannoncer ».
Les personnes présentes aux séances sont prêtes à témoigner de l'exactitude scrupuleuse de ce que j'ai exposé ».
Signée : Tola Dorian-Metzcherski ; Light, 1906, p. 112.
La thèse fataliste, dans ce dernier cas, semblerait avoir le dessus. Reste le mystère imperscru¬table d'un Moi subconscient qui préconnaît sa fin, même causée par un accident imprévisible, comme la chute de la foudre ! Ici, la pensée se tourne vers les considérations de Vincenzo Ca¬valli (CVe cas), que j'adapterai à la circonstance en substituant la parole foudre à celle de tuile adoptée par lui : « Si la foudre réduit un homme en cendres, cet homme a bien pu être conduit, soit par son propre esprit, soit par un autre esprit, à se trouver au point précis où tombait la foudre pour une raison qui s'ignore, mais qui doit cependant exister si la vie terrestre a une fonction pour des finalités ultra-terrestres... Le Hasard n'est que le gérant responsable de notre ignorance, et l'exécuteur judiciaire de la loi de causalité... »
Et l'on peut croire qu'il existe réellement «une raison qui s'ignore » de faits semblables, parce que si dans notre cas, le Moi subconscient du sen¬sitif avait prévu l'accident fatal qui le menaçait en inférant l'avenir du présent, très libre comme il était de pourvoir à sa propre sûreté, il aurait pu télépathiser à sa femme l'événement en termes assez clairs pour atteindre son but. Au contraire, comme il arrive d'ordinaire en des contingences semblables, il le fit en termes obscurs et oracu¬laires ; c'est-à-dire, suffisants pour laisser entrevoir à sa femme le destin qui l'attendait, mais insuffisants pour l'empêcher ; c'est comme s'iI avait eu la notion très claire de ce qui allait se produire, mais qu'il ne dût pas et ne pût pas l'empêcher parce que cela lui arrivait pour son bien, ce qui ne pourrait être compris qu'en admettant la survivance. La thèse fataliste aurait par conséquent l'avantage, et avec elle l'hypo¬thèse que le dormeur, en état de lucidité, aurait appris sa destinée par un phénomène de « mise en rapport » avec un « ambiant métaéthérique » enregistreur des événements préordonnés, ou, plus simplement encore, avec des Intelligences spirituelles préposées au gouvernement des des¬tinées humaines.
Tout ceci au sujet du dernier cas cité. Pour ce qui se rapporte à la valeur intrinsèque et à l'im¬portance théorique des cas appartenant au groupe des prémonitions météorologiques, je conviens qu'ils sont peu nombreux et faibles, et que si on veut les considérer en particulier, ils ne suf¬firaient pas à prouver l'existence de prémonitions de cette nature, mais en les considérant, au contraire, en corps avec les autres énoncés et à énoncer, où l'on en trouve un grand nombre non moins troublants et non moins merveilleux, force nous est de convenir qu'il n'y aurait pas de raison pour ne pas leur accorder une existence probable, qui, même, devrait être admise pour ne pas donner lieu à des solutions de continuité injustifiables dans la gamme ascendante et or¬ganique des faits.
Il ne me semble donc pas oiseux de discuter sur leur importance théorique même en se basant sur des preuves de faits insuffisantes, importance qui serait très considérable, bien que non supé¬rieure à celle de nombreux autres épisodes rap¬portés. En effet, s'il était possible de prévoir un mois avant le temps qu'il fera, ou un an avant un tremblement de terre, tout cela serait indu¬bitablement merveilleux, mais comme les per¬turbations atmosphériques et les commotions sismiques obéissent à des lois physiques immua¬bles, la chose semblerait moins extraordinaire que beaucoup d'autres faits prémonitoires d'or¬dre accidentel ou imprévoyable, auxquels il faudrait cependant comparer les cas où le perci¬pient visualise le point précis de la chute de la foudre, ou spécifie le dommage que la foudre doit causer, ou la personne qu'elle doit frapper ! Mystères certainement imperscrutables, mais théoriquement identiques à ceux de tout autre fait imprévisible, par conséquent susceptibles d'être comme les autres éclairci par celle d'entre les hypothèses énoncées, qui se conformera. le mieux aux circonstances.
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Sous-groupe N
Prémonitions qui sauvent
Bien que, si l'on compare le sous-groupe présent à ceux qui l'ont précédé, on puisse remarquer qu'il se trouve parmi les mieux fournis en fait de cas, on aurait tort d'en conclure que les prémonitions qui sauvent se réalisent avec une plus grande fré¬quence que les autres. Le contraire se produit plutôt, et les plus fréquentes sont de beaucoup celles qui ne sauvent pas. L'ampleur proportion¬nelle de ce sous-groupe dépend de ce que je n'ai rapporté dans les autres qu'une partie minime du matériel recueilli, tandis qu'en songeant à l'importance spéciale de celui-ci, j'y ai réuni autant d'exemples que possible, en n'excluant que ceux dont le côté probatif me semblait in-suffisant.
Leur importance spéciale consiste dans les résultats utilitaires qui en dérivent, considérés en rapport avec leurs modes d'extrinsécation qui, très souvent, feraient supposer des interventions spirituelles, et aussi, dans les complications théoriques qui s'en dégagent sous forme de con¬tradictions apparentes, dont le mystère entou¬rant la genèse de la phénoménologie qui nous occupe paraît encore s'épaissir.
En effet, les prémonitions qui sauvent sembleraient en contradiction ouverte avec celles qui ne sauvent pas, où non seulement aucun propos de conjurer les épreuves suspendues sur les inté¬ressés ne se manifeste, mais où transparaît au contraire l'intention de leur taire les particula¬rités dont ils pourraient se valoir pour les éviter ; caractère qui se prêterait à des inductions et à des déductions claires et explicites, n'étaient les cas antithétiques considérés dans ce sous-groupe, qui nous apprennent que le caractère en question ne se manifeste pas d'une manière absolue dans la phénoménologie prémonitoire, mais souffre de nombreuses exceptions. Comment expliquer ces dernières ? Comment les concilier avec la règle inflexible qui semble gouverner une si grande partie de la phénoméno¬logie ?
Comme le jour est loin où les recherches basées sur les faits permettront de trouver une solution scientifiquement satisfaisante à ce problème si ardu, nous n'avons pour le moment qu'à nous contenter de simples inductions ne pouvant revêtir d'autre valeur que celle d'aider l'intelli¬gence chancelante dans l'obscurité à discerner de quel côté quelque rayon de lumière pourrait être entrevu.
Ceci bien établi, je fais observer que pour concilier les faits avec les hypothèses « fataliste » et «réincarnationniste », il faudrait présumer que si une personne est favorisée par une prémonition l'arrachant à un danger de mort, cela signifie que cette prémonition même faisait partie, si j'ose m'exprimer ainsi, du programme préé¬tabli de son existence incarnée ; c'est-à-dire, que l'heure fatidique n'étant pas encore arrivée pour elle, cette intervention était prévue, et avait pour but de la préserver d'un accident intempestif qui aurait interrompu avant l'heure le cours de son existence terrestre.
Ou bien, voulant nous conformer à une induc¬tion précédemment exposée, selon laquelle une partie seulement des choses humaines devrait être considérée comme sujette à l'inflexible dis¬cipline fataliste, il faudrait en conclure que les prémonitions qui ne sauvent pas se rapportent à la partie préordonnée des choses humaines, et celles qui sauvent, à la partie non préordonnée ou libre, pour laquelle il n'existerait pas d'inhi¬bitions supérieures qui empêcherait des entités spirituelles d'intervenir en faveur des vivants chaque fois que l'existence de facultés médiumniques chez ces derniers le rendrait possible.
Mais si l'on voulait éliminer les hypothèses « fataliste « et « réincarnationniste » pour s'en tenir à celle « spiritualiste » proprement dite, selon laquelle les événements futurs ne seraient pas préordonnés, mais simplement accessibles (et dans leur forme plus complexe, uniquement accessibles) à des entités spirituelles hiérar¬chiquement élevées, auxquelles il serait donné de les inférer du présent ; dans ce cas, on expli¬querait également les prémonitions qui sauvent et celles qui ne sauvent pas, en observant qu'en ligne générale, le fait de discerner les événements futurs de la vie d'une personne donnée en vertu de l'enchaînement des causes et des effets, ne conférerait pas à des entités spirituelles le droit d'intervenir pour en dévier le cours, puisqu'il s'agirait d'un arbitre inconciliable avec l'exis¬tence d'un Ordonnateur suprême de l'Univers ; sauf, naturellement, en des circonstances spé¬ciales, où la mort menacerait une personne qui, en survivant, conduirait mieux à terme son cycle d'évolution terrestre, ou accomplirait une mis¬sion utile sur terre (peu importe si très humble ou très grande) ; tout cela, bien entendu, au point de vue absolu des termes évolution et mis¬sion, et non au point de vue relatif de la courte vision humaine.
Ici, je prévois une objection, c'est que plusieurs croiront plus conforme aux méthodes de recherche scientifique de conférer ces mêmes pouvoirs à la subconscience humaine. D'accord, mais de quelle façon ? Ayant exclu pour le moment les hypothèses réincarnationnistes, pré-natale, fataliste, il ne nous resterait d'autre porte de sortie qu'expliquer en masse les prémo¬nitions qui sauvent en réhabilitant pour la cir¬constance l'hypothèse des inférences subcons¬cientes à latitudes illimitées et à la justifier en ce cas par l'observation que les prémonitions qui sauvent ne soulèvent pas l'objection insur¬montable entraînée par les réticences et les sym¬bolismes qui distinguent celles qui ne sauvent pas ; réticences et symbolismes impossibles à attribuer à la subconscience, parce que mani¬festement voulus afin d'empêcher le sensitif d'éluder le destin qui l'attend.
Cependant, cette justification de la dernière hypothèse est sophistique au-delà de toute expression, car il n'est pas permis de sélectionner arbitrairement les faits pour les adapter à nos propres théories, vu qu'une hypothèse n'est valable qu'autant qu'elle se conforme à l'ensem¬ble des faits, ou du moins, qu'autant qu'elle se concilie avec ceux qu'elle n'explique pas ; mais elle n'assume jamais la moindre valeur si elle se trouve en contradiction flagrante avec les plus importants.
Ce n'est donc pas le cas de discuter davantage l'hypothèse en question, tout en accordant que parmi les prémonitions qui sauvent, on en trouve un certain nombre qui, indubitablement, ont leur origine dans des inférences subconscientes ; circonstance qui ne résout rien, puisque, je le répète, il ne s'agit pas d'expliquer quelque fait singulier parmi les plus simples, mais bien l'ensemble des prémonitions étudiées, considérées en rapport avec les autres catégories de prémo¬nitions. Pour atteindre ce but, il faut bien autre chose que l'hypothèse commode de l'omniscience subconsciente ; et si, dans cette question si mystérieuse, une chose peut être assurée avec certitude scientifique, c'est que l'ensemble des faits ne peut être expliqué qu'en admettant l'intervention d'entités spirituelles et l'existence d'une âme survivant à la mort du corps ; et cela parce qu'avec l'hypothèse d'une personnalité subconsciente autonome et omnisciente, mais sujette à s'éteindre avec la mort du corps, on n'ex¬pliquera jamais les prémonitions que je viens d'indiquer : celles qui ne sauvent pas par suite du consentement tacite ou exprès de la cause agissante, prémonitions renfermant un problème à résoudre qui constituera la clef de voûte pour l'interprétation à venir de la phénoméno¬logie tout entière.
Abandonnons donc les inductions théoriques et passons à la classification, que j'inaugure en exposant un certain nombre de faits où les prémonitions qui sauvent reflètent des circonstances qui existent déjà, ou des événements qui se déroulent déjà à la proximité des percipients au moment de la prémonition.
Comme on le comprendra facilement, ce sont les formes de prémonitions susceptibles d'être interprétées à l'aide des inférences, ou percep¬tions, ou réminiscences subconscientes ; toute-fois, il n'est pas facile de les appliquer à certains des cas rapportés ci-après.
CXXXIVe Cas. Il fut étudié par le Dr Hodgson, et publié par Myers dans son travail sur la Conscience subliminale (Proceedings of the S. P. R., Vol. XI, p. 422). M. Marshall Wait écrit au Dr Hodgson à la date du 30 octobre 1892 :
Je vous envoie le récit d'un incident où vous verrez que ma vie fut sauvée parce que j'ai obéi à une im¬pulsion qui n'a certainement pas pour origine une perception consciente.
Il y a quelques années, je débarquai à Still¬water (Minnesota) d'un bateau avec lequel j'avais descendu le fleuve Saint-Croix. C'était un petit bateau privé, ce qui fait qu'aucun véhicule n'était venu attendre à notre arrivée. Quand nous tou¬châmes Stillwater, j'étais l'unique passager à bord, et je dûs m'acheminer seul vers l'auberge. Il était neuf heures du soir, le ciel était sans étoiles, et les magasins qui surgissent le long des descentes m'em¬pêchaient de discerner la clarté de la ville ; enfin, l'heure, les nuages, et l'ombre des magasins s'unis¬saient pour envelopper la descente dans les plus profondes ténèbres.
J'avais été une première fois à Stillwater, et j'avais conservé une idée générale de la ville, bien que plusieurs années se fussent passées depuis ; toutefois, je suis absolument certain de n'être ja¬mais passé dans la localité où je me trouvais ce soir-là.
Quand je descendis du bateau, j'aperçus dans le lointain les fanaux d'un pont à ma gauche ; et me rappelant que le pont était situé en face de la rue où se trouvait mon hôtel, je m'acheminai le long des quais dans cette direction. J'avais parcouru une petite distance, lorsque tout à coup je fus saisi d'une impulsion irrésistible à revenir sur mes pas, à laquelle instantément j'obéis. Je ne voyais rien, je ne sentais rien, je n'éprouvais pas même l'impression d'un danger, mais uniquement le besoin irrésistible de revenir en arrière. Je me rappelle parfaitement que ma raison se rebellait, et je me traitais moi-même de sot pour avoir abandonné la voie directe et m'être acheminé de travers, avec la perspective de me perdre dans le dépôt de la gare si embrouillé, et de devoir me hisser en grimpant au-dessus de quelque grille de dix pieds de haut. Je riais de moi-même, et, chemin faisant, je continuais à m'apostropher : « Mais fou que tu es ! Pourquoi fais-tu cela ? Où vas-tu ? » Avec tout cela l'impulsion était plus forte que ma raison, et je poursuivais toujours, jusqu'au moment où je retrouvai le bon chemin, puis l'hôtel ; et je ne tardai pas à oublier l'incident.
Le lendemain, je tombai par hasard à l'endroit en question, et je découvris que lorsque, le soir précé¬dent, j'étais revenu brusquement en arrière, je me trouvais à quelques pas du point où se termine le plan du quai, qui aboutit ensuite à l'eau avec une descente si rapide, que personne n'aurait pu s'y maintenir, à moins qu'on ne s'y fût aventuré avec des précautions suprêmes. Si, dans l'obscurité, j'avais mis le pied en dehors du plat de la route, j'aurais immanquablement perdu l'équilibre, et j'aurais roulé dans le fleuve ; et comme je suis inexpérimenté dans la natation et que j'étais embar¬rassé par un lourd manteau et un sac passé en bandoulière, je me serais noyé sans conteste possible.
L'importance du fait consiste en ceci (et je l'affirme sur ma parole d’honneur) que mon tempérament n'est nullement impulsif, mais persévérant et raisonneur.
Donc mon acte était contraire à ma nature, et les protestations inutiles de ma raison contre un procédé qui me paraissait absurde et fou, m'ont persuadé que cet acte n'est explicable que de deux manières : ou j'ai été influencé par une intelligence extrinsèque, ou mon « subconscient » a agi d'après des perceptions que mon « Moi conscient » ne pouvait pas percevoir. Je remarque que je n'ai jamais eu de ma vie d'autre expérience supernormale que celle-ci.
Signé : Chicago, Madison Avenue Hyde Park, 5-144.
Myers, avec sa prudence habituelle, ajoute que le relateur pourrait avoir eu danger « par les exhalaisons de l'eau bourbeuse devenues une vague différence dans l'aspect des ténèbres, ou aussi dans la résistance de l'air ». Toutes suppositiones qui ne me convainquèrent guère ; on pourrait plutôt supposer un phénomène de perception supernormale subconsciente (télesthésie) avec du message au Moi conscient alors à expliquer comment cette émergence sporadique des facultés super-normales subconscientes se soit produite à si bon point chez un qui n'en avait jamais expérimenté de sa vie.
CXXXVe Cas. Dans les Souvenirs Autobiographiques du grand sculpteur Jean Dupré, édités par les successeurs de Le Monnier (p. 353), on peut lire l'épisode suivant : J'avais tu un fait que j'aurais dû raconter depuis longtemps, tout à fait domestique, intime, d'une singularité extraordinaire, et cela par un sentiment que je ne sais pas bien définir ; en me rappelant désormais ma chère femme, et mes enfants morts, je sens comme une voix intérieure qui me dit : « Raconte, écris le fait comme il est, sans rien lui ajonter ou lui enlever, et même sans le juger ». Le voici : Ma seconde petite fille, Caroline, fut envoyée en nourrice, et ce fut la seule ; les autres furent élevés par leur bonne mère, mais cette dernière ne put s'occuper de Caroline pour des raisons de santé. La nourrice de notre enfant demeurait à Londa, sur la Rufina ; l'enfant s'élevait bien ; mais tout à coup une éruption très étendue et très mauvaise la mit en danger et la nourrice nous écrivit d'aller la voir. Sans perdre un moment, je louai une calèche et partis avec ma femme. Arrivés au Pontassieve nous nous repliâmes vers la Rufina, et de là poursuivîmes notre route pour Londa ; en haut d'une montagne, en partie boisée de châtaigniers et en partie nue et pierreuse, nous atteignîmes enfin à la maisonnette de la nourrice de ma petite. La route contourne la montagne, et, à certains points, est si étroite, qu'à grand'peine une voiture peut y passer, et c’est naturel : qu’a donc à faire une voiture sur cette montagne, parrni ces chaumières ? Mais, tant bien que mal, nous arrivâmes. L'enfant était très malade, et ne donnait plus désormais aucun espoir de guérison ; nous demeurâmes un jour et une nuit, et, lorsqu'elle eût donné les ordres pour le cas, hélas certain, de la mort du petit ange, j'emmenai sa mère en pleurs, avec beaucoup d'efforts. Comme je l'ai dit, 1a route était étroite ; et dans la descente, nous avions à notre droite le sommet de la montagne, à gauche et presque à pic un torrent très profond ; j'ignore si c'est le Rincine, ou la Moscia, ou un autre. Le cheval allait d'un trot raisonnable, pour la facilité de la descente, et la sûreté qu'il ressentait du frein que j'avais mis aux roues ; ma femme, les yeux en pleurs, murmurait des paroles d'espoir à propos de la guérison de l'enfant ; le ciel était limpide et le soleil s'était levé depuis peu ; on ne voyait personne sur la montagne, et nulle part ailleurs ; tout à coup, on entendit une voix qui dit : « Arrêtez !» La voix sem¬blant venir du côté du mont, ma femme et moi nous retournâmes de ce côté, et je modérai l'allure du cheval, mais nous ne vîmes personne. Je touchai le cheval pour continuer, mais en même temps la voix se fit de nouveau entendre, et plus forte disant : « Arrêtez, arrêtez ! »
Je retins les brides et j'arrêtai ; cette fois ma femme après avoir regardé et regardé comme moi sans apercevoir âme qui vive, eut peur. « Courage, allons, dis-je, de quoi as-tu peur ? Vois, il n'y a personne, et par conséquent personne ne peut nous offenser ». Et, pour mettre un terme à cette espèce d'angoisse que je ressentais aussi, je donnai un coup de fouet au cheval ; mais dès qu'il voulut faire un pas, nous entendîmes par trois fois distinctement et plus fort la même voix crier : « Arrêtez, arrêtez, arrêtez ! » J'arrêtai, et sans savoir que faire ni que penser, je descendis et j'aidai à descendre ma femme toute tremblante ; et quel fut notre étonnement, notre peur, notre reconnaissance, de cet avis qu'on nous avait donné d'arrêter ! L'esse était sortie de la roue de gauche ; celle-ci était toute penchée et allait sortir de son pivot, presque rasant le précipice. Avec toute ma force, je relevai de ce côté la calèche et repoussai la roue à sa place, je courus en arrière pour voir si je retrouvais l'esse, mais je ne la retrouvai pas, j'appelai et rappelai la personne qui m'avait avertie pour qu'elle me secourût et que je pusse la remercier, mais je ne vis personne ! En attendant, il était impossible de continuer de cette façon ; le village de la Rufina était éloigné, et nous aurions bien pu faire cette route à pied ; mais comment la calèche aurait-elle pu poursuivre sa route sans l'esse ? Je me mis à chercher dans la montagne un morceau de bois ; l'ayant trouvé, je le pointai et l'enfonçai à l'aide d'une pierre à la place de l'esse ; mais quant à remonter en voiture, il n'y fallait pas songer. Je pris le cheval par la bride, et nous descendîmes pas à pas à la Rufina ; ma femme et moi ne parlions pas, mais de temps en temps, nous regardant, nous nous communiquions en silence le danger couru, l'avertis¬sement extraordinaire. A la Rufina, un charron nous remit un esse, et nous retournâmes sans encombre à la maison. Si celui qui rit veut rire, libre à lui ; mais moi, je ne ris pas ; même, devant la vérité et le sérieux de ce fait, advenu il y a bientôt quarante ans, à présent comme alors je me sens envahi de confu¬sion et de stupeur.
Dans le cas ci-dessus, le phénomène d'hallu¬cination auditive véridique ne pourrait être que bien difficilement attribué à un fait de perception subconsciente de la perte de l'esse ; surtout si l'on songe que la voix hallucinatoire fut entendue par les deux protagonistes.
CXXXVIe Cas. Le capitaine W. Everett, de la Société de navigation « Merthyr », qui exerce le cabotage entre Bristol et Carmarthen, envoie au Light (1910, p. 47) le fait personnel suivant :
Je me trouvais dans le canal de Bristol, à la hauteur de Barry ; le pilote, homme très âgé, se tenait au timon, j'avais accompli mon quart, et je me trouvais dans ma cabine, plongé dans le sommeil, lorsque je fus éveillé tout à coup par une voix qui m'appelait. Je restai un moment aux écoutes, puis je reposai ma tête sur l'oreiller pour me rendormir, mais l'appel se renouvela avec un timbre vocal des plus insistants.
Sans demander qui m'appelait, ou, pourquoi on m'appelait, je sautai de ma couchette, et, tel que je me trouvais, je montai en courant. Malgré les ténè¬bres, j'aperçus à très brève distance l'ombre d'un autre paquebot qui nous coupait la route. Dans un éclair, je compris notre situation réciproque, je courus au timon (à 40 pieds de distance), j'en arrachai la roue des mains du pilote, et je changeai brusquement la direction, évitant ainsi le choc par un écart de quel¬ques pouces !
La voix entendue était absolument humaine. Je dois ajouter que j'ai perdu père, mère, frère, et que parfois, assis tout seul dans ma cabine, j'éprouve l'impression de leur présence.
Signé : W. EVERETT.
A la rigueur, on ne pourrait pas exclure en ce cas la possibilité d'une action télépathique dérivant probablement de la pensée anxieuse du pilote de l'autre paquebot ; mais on pourrait objecter à cela que c'est le capitaine Everett qui changea de route, ce qui prouverait que personne, sur l'autre paquebot, n'avait eu sentiment du danger.
CXXXVIIe Cas. Il a été publié par Myers (Proceedings of the S. P. R., Vol. VIII, p. 401) et je l'ai cité une première fois dans mon travail : Symbolisme et phénomènes métapsychiques.
Le percipient, Mr. Brighten, de profession légale, est une personne connue de Podmore, qui le tient pour un homme intelligent, perspi¬cace, de tempérament pratique et équilibré.
Il raconte qu'en l'année 1861 un sien ami, James Clarckburn, ayant acheté un bateau à vapeur pour la navigation fluviale, l'invita à faire avec lui une excursion de plaisir. Ils partirent de Norwich, et après une journée de navi¬gation le long du fleuve, ils s'amarrèrent le soir à Yarmouth, peu distant de l'embouchure, assu¬rant avec des cordes le bateau, à la proue et à la poupe, à une embarcation voisine. Après quoi, vers 9 heures et demie, ils se retirèrent dans leurs cabines respectives. Il continue :
Je pouvais avoir dormi quelques heures, lorsque je commençai à rêver. J'imaginai que j'ouvrais les yeux et voyais à travers le plafond de la cabine, de manière à discerner deux ténébreux fantômes suspendus en haut près du tuyau de la cheminée. Ils paraissaient plongés dans une vive conversation, et faisaient allusion tantôt à l'embouchure du fleuve, tantôt aux câbles qui retenaient l'embarcation. Enfin, ils se séparèrent en gesticulant et en clignant de l'oeil comme s'ils s'étaient entendus sur un plan d'action établi entre eux. Toujours suspendus en l'air, ils se portèrent l'un à la proue et l'autre à la poupe, tenant tous deux l'index étendu, avec lequel ils touchèrent simultanément l'un des deux câbles d'amarre, qui flambèrent comme s'ils avaient été touchés par un fer rouge. Le bateau, désormais libre, fut entraîné à la dérive ; il passa le pont suspendu, puis celui de fer, traversa le large de Braidon, le pont de Yarmouth et la longue ligne de bâtiments qui y sont ancrés. Pendant ce temps, les deux fantômes, toujours suspendus en l'air au-dessus du ba¬teau, émettaient d'étranges sons musicaux. J'aurais voulu réveiller mon compagnon, sachant bien que si le courant nous entraînait à l'embouchure, nous naufragions inévitablement en passant le barrage ; et, dans le rêve, je tentais de me délivrer de l'incube qui m'oppressait, mais inutilement. On courait toujours ; le long du parcours mes yeux discernaient chaque objet ; nous dépassâmes Southtown, puis le village de Gorleston, et enfin on arriva au dernier tournant du fleuve où l'eau court avec précipitation surmonter le barrage et se confondre à la mer. En un instant, nous fûmes engagés dans ces tourbillons, et je m'aperçus que le bateau commençait à couler. Cependant les sons musicaux émis par les deux fan¬tômes se transformèrent en terrifiants hurlements de triomphe. L'eau m'arrivait à la gorge, je râlais, je me noyais. Avec un effort désespéré, je sautai au bas de ma couchette et je me dirigeais à la porte que j'enfonçai d'un coup. Je me retrouvai réveillé et en chemise en face d'une nuit sereine éclairée par la lune. Instinctivement, je tournai les yeux au cordage de poupe, et je constatai avec terreur qu'à ce moment précis, l'amarre s'était déchirée. Je me diri¬geai vers le croc de la proue, et je vis à mon côté mon compagnon, accouru au bruit de la porte fra¬cassée, qui, en criant, faisait allusion à l'amarre perdue. Nous nous accrochâmes tous deux désespérément aux crocs avec nos mains, sans faire attention au sang qui en sortait, et nous commençâmes d'appeler au secours. Des hommes de l'embarcation voisine ne tardèrent pas à arriver et purent nous fournir à temps de nouveaux cordages. Le danger passé, mon ami commença à me gronder pour la porte perdue, ce à quoi je répondis par le récit du fait, qui me laissait encore dans une grande agitation.
Le matin suivant, réfléchissant d'un esprit tran¬quille sur l'événement je me persuadai que si, au moment où les cordes lâchèrent les amarrres, nous avions tous deux continué de dormir, le drame rêvé se serait inexorablement réalisé ,dans tous ses détails ».
Signé : William E. Beighten.
Si l'on veut expliquer cet épisode sans s'écarter de l'hypothèse subconsciente, il faut le considérer comme télesthésique pour la perception initiale, et prémonitoire pour les conséquences. En ce cas, la personnalité subconsciente de Mr Brighten, ayant perçu dans le sommeil que les amarres se relâchaient sous la tension du courant, se serait empressée de le réveiller au moyen de visions symboliques terrifiantes choisies dans le bagage onirique.
Myers est perplexe sur la vraie signification du symbolisme de ce rêve ; et, considérant ce dernier avec un autre plus significatif dont le même percipient fut le héros, il est porté à y voir une intentionnalité d'origine extrinsèque.
CXXXVIIIe Cas. Le Rév. B. F. Austin raconte l'épisode suivant, sur lequel il fit des recherches:
Michel Quinn est un douanier de la voie de Buttzville (Oxford) qui fut remercié et récompensé par la Direction des chemins de fer pour avoir, mer¬credi dernier, conjuré une catastrophe du train direct.
La manière dont il la conjura est digne d'atten¬tion. Vingt minutes avant le passage du direct, il avait vu défiler un train de marchandises devant sa guérite de douanier, et tout de suite après avait été saisi par un sentiment étrange de danger imminent. Il ne savait pas se l'expliquer, ne comprenait pas à quoi il se rapportait, mais se sentait l'âme oppressée par une anxiété profonde ; enfin, l'anxiété devint une angoisse, et l'impression se concréta dans l'intuition qu'un grave dégât s'était produit en quelque point des alentours.
Alors il se mit à courir derrière le train de marchan¬dises, et, à un quart de mille de sa guérite, il trouva un rail brisé et déplacé par le passage du train ; et comme il s'agissait d'un rail à forte courbure, le train suivant se serait inévitablement précipité dans la plaine située au-dessous. Il improvisa comme il put un drapeau rouge avec son mouchoir, et, revenu en courant à sa guérite, il l'agita devant le direct, réusissant à le faire arrêter. En peu de temps les ouvriers du chemin de fer procurèrent un nouveau rail, et le direct put repartir ».
Signé : Rév. B. F. Austin, dans le Light, 1904, p. 416).
Le Rév. Austin ajoute :
On se demande spontanément : « Quelle est l'ori¬gine du sentiment de danger imminent dont fut envahie l'âme de Quinn ? Son « Moi subconscient » a-t-il peut-être pu percevoir à l'aide de la clairvoyance l'incident du rail ? Ou serait-ce au contraire une Intelligence spirituelle qui, trouvant chez le douanier un sensitif, l'aurait impressionné télépa¬thiquement sur le dégât et le danger imminent ? »
CXXXIXe Cas. Je l'extrais du Light (1897, p. 135). On n'indique pas le nom de la relatrice, dont on parle en ces termes :
« ...L'incident se produisit dans la maison de la relatrice à Meerat (Indes occidentales), et aucun doute ne peut exister sur son authenticité ; les soeurs en question sont connues des principales familles résidant à cet endroit, et de différents officiers de l'armée anglaise...
...L'une d'elles était un soir assise et lisait à la clarté de la lampe ; à un moment donné, jugeant que l'heure était venue de se retirer, elle leva les yeux de son livre, et vit avec un immense étonnement un homme assis devant elle, et plus précisément interposé entre sa personne et la salle de bains. Elle ne connaissait pas l'intrus, qui dirigeait son regard sur elle dans une attitude calme et sereine ; toutefois sa surprise était trop grande pour qu'elle pensât à lui demander le motif de sa présence chez elle. Elle demeura comme étourdie, le regardant, puis l'idée lui vint que l'intrus pouvait n'être pas une personne réelle, mais un visiteur de l'Au-Delà...
Ellle continua de regarder en silence, tandis qu'en silence le mystérieux visiteur fixait sans interrup¬tion son regard sur elle. Combien s'est prolongée cette situation, la percipiente ne saurait le dire, mais proba¬blement elle ne dura pas longtemps, et elle se termina par la dissolution rapide du fantôme...
C'était l'heure du bain du soir ; avant de s'apprêter à le prendre, elle voulut délivrer deux petits chiens attachés dans la chambre voisine. Elle ouvrit la porte, et les petits chiens se précipitèrent en aboyant furieusement dans la direction du bain. La dame re¬garda, et, au fond de là salle, vit un monstrueux petit serpent « cobra » dont la morsure cause une mort foudroyante. Elle fut prompte à fermer la porte, et, ce faisant, vit le reptile se retourner et s'introduire dans l'orifice où passaient les tuyaux de l'eau, orifice laissé par incurie plus large que le né¬eessaire.
Si la dame s'était directement rendue au bain, comme elle aurait fait indubitablement si le visiteur fantôme ne s'était pas interposé, sa vie aurait été sa¬crifiée.
Ici aussi, la vision prémonitoire pourrait être réduite à un phénomène de déterminisme sym¬bolique causé par une perception subconsciente du reptile « cobra ».
Ici, je mets un terme aux citations d'exemples où les prémonitions qui sauvent reflètent des circonstances de faits déjà existants, ou des événements qui se déroulent déjà à la proximité des percipients au moment de la prémonition, pour passer à ceux où les prémonitions qui sauvent reflètent des événements fortuits qui se sont réalisés après un intervalle de temps plus ou moins long.
CXLe Cas. Le Prof. Th. Flournoy, dans son ouvrage Esprits et médiums (p. 316), cite le fait suivant personnellement étudié par lui :
Le cas est celui d'un grand commerçant, que son esprit d'entreprise et ses affaires ont beaucoup fait voyager à travers, l'Amérique du Sud. D'après les récits que j'ai recueillis de sa bouche, il a entendu à diverses reprises, au cours de son existence mouve¬mentée, une mystérieuse voix blanche, toujours la même, lui donner des conseils ou des avertissements très courts et incisifs. De tempérement essentiellement pratique et positif, étranger à toute préoccupa¬tion philosophique ou religieuse, M. X. n'a aucune théorie sur cette voix, et il s'est contenté d'en enre¬gistrer avec étonnement les manifestations.
Voici deux cas où elle lui sauva la vie, ainsi qu'aux Indiens qui l'accompagnaient et lui servaient de guides dans ses expéditions aventureuses.
Une fois, comme sa troupe venait de faire halte au pied d'un arbre énorme pour y préparer le repas, M. X. entendit tout à coup la voix lui commander : Sauvez-vous ! Et il força ses gens à déguerpir ; à peine s'étaient-ils éloignés, que l'arbre s'abattit avec fracas sur la place qu'ils avaient occupée. Ils eussent tous été écrasés sans cette prémonition. L'examen du tronc rompu montra qu'il était entiè¬rement rongé, et pour ainsi dire, vidé, par des termites.
Une autre fois, descendant un fleuve en canot, ils allaient couper un contour en rasant un promon¬toire, lorsque cette même voix lui ordonna de tra¬verser immédiatement le courant pour gagner au plus vite l'autre rive. Cela paraissait si absurde qu'il dut coucher en joue, avec son fusil, ses rameurs ré¬calcitrants et les menacer de mort pour les obliger à obéir. Ils n'avaient encore traversé qu'en partie, lorsque le promontoire s'effondra, causant dans l'eau un tourbillon qui faillit les faire chavirer et qui les eût infailliblement engloutis s'ils avaient continué dans leur direction primitive.
Le Prof. Flournoy ajoute :
Dans ces deux occasions, la voix, au dire de M. X., avait un caractère tellement impératif qu'au¬cune hésitation n'était possible et qu'il fut absolument contraint de lui obéir et de faire obéir ses hommes. L'automatisme verbal, en d'autres termes, était doublé d'un automatisme cénesthésique et émotif (sentiment de danger imminent et impulsion à fuir) irrésistible dont le point de départ se trouvait sans doute, d'après tout ce que l'on sait des phéno¬mènes de ce genre, dans des perceptions visuelles (traces de termites, aspect des rives minées par l'eau, etc.), ou auditives (craquement préliminaires), restées inconscientes ou inaperçues pour la personna¬lité ordinaire.
J'observe que le Prof. Flournoy se montre trop catégorique dans l'expression de ses con¬victions ; si les hypothèses qu'il énonce semblent scientifiquement légitimes, les déclarer sans doute réelles n'est pas conforme aux règles de prudence scientifique. D'autant plus que s'il s'était agi de perceptions « de traces de termites ou de cra¬quements préliminaires, ou de l'aspect des rives minées par l'eau », les premiers à s'en apercevoir auraient été les Indiens, très familiarisés avec les dangers que présentent leurs forêts, et doués d'un instinct incomparable pour les pressentir.
En outre, on ne peut que tenir compte du fait qu'il existe un grand nombre d'épisode analogues constatés en des circonstances permettant d'exclure d'une manière absolue l'hypothèse des perceptions subconscientes ; il serait donc tout aussi légitime de supposer que si ces derniers sont probablement déterminés par des causes extrinsèques aux sensitifs, les mêmes causes peuvent parfois se mettre en oeuvre aussi dans les cas où l'évidence est moindre (et parmi lesquels il y en a certains comparables aux meilleurs pour leur efficacité impressionnante).
CXLIe Cas. Le Dr Hodgson fit à ce propos une enquête rigoureuse, et Myers le publia dans les Proceedings of the S. P. R., Vol. XI, p. 424. M. C. Hazen Brown écrit de Boston, à la date du 17 août 1894 :
... Il y a quelques semaines, il m'arriva de devoir consulter un dentiste, et à l'heure fixée je me rendis dans son cabinet ; je l'y trouvai dans un état de surex¬citation extrême à cause d'un incident étrange et dramatique qui lui était survenu un moment plus tôt. Le cabinet est situé rue Tremmont ; c'est une belle et grande chambre, à un angle de laquelle, et précisément au point le plus éloigné de la fenêtre, le dentiste a placé son laboratoire, en l'isolant avec une cloison. Là se trouvait une petite chaudière en cuivre, dont il se servait pour la fusion de la gutta-percha servant à fixer les dents postiches. Il était occupé à la répara¬tion d'un dentier, et se tenait courbé sur son banc, près de la chaudière en ébullition, lorsqu'il entendit tout à coup une voix lui crier avec un accent impérieux : « Cours à la fenêtre ! Vite ! » Et tout de suite la voix répéta, excitée, la même injonction : « Cours à la fenêtre ! Vite ! » Sans chercher d'où lui venait cet ordre, il courut à la fenêtre, se pencha, regarda dans la rue : et voici que simultanément se produisit une explosion terrible dans son laboratoire. La petite chaudière avait éclaté, et un fragment s'était enfoncé dans le plafond. Le dentiste se précipita dans le laboratoire, où la violence de l'ex¬plosion avait tout fracassé ; le banc lui-même était réduit en miettes, quoiqu'il eût une épaisseur de deux pouces. Les voisins accourus au bruit furent stupéfaits du récit que leur fit le dentiste. Il était seul dans le cabinet, et ne peut pas s'expliquer le mystérieux avertissement.
La chaudière était munie d'une soupape de sûreté ; mais il résulta de l'examen des fragments qu'elle n'avait pas fonctionné parce qu'elle était oxydée et sale.
Voilà le fait, tel que me le raconta le dentiste au milieu des ruines du laboratoire et du cabinet, lesquelles confirmaient ses dires. Comme on sait, un fragment de la chaudière, du poids de 10 livres environ, s'était enfoncé au plafond, ce qui démontre que la puissance explosive était relativement grande ; en effet, la pression, au moment de l'explo¬sion, devait être environ de 30 livres par pouce carré. Il est indubitable que si cette mystérieuse voix amie n'était intervenue, le dentiste aurait été gravement blessé ou tué. Il s'agit donc d'un épisode du plus grand intérêt.
Signé : G. Hazen Brown.
(Le Dr Hodgson alla interroger le dentiste, et obtint la pleine confirmation des faits. Le dentiste ajoute n'avoir pas reconnu la voix, et n'avoir eu dans sa vie aucune autre expérience supernormale).
Myers, en rapportant le cas, observe qu'il n'est pas facile de trouver pour lui une origine hypéresthésique ; et la chose est évidente, mais on ne manquerait pas d'hommes de science prêts à résoudre le mystère en émettant la sentence que la personnalité subconsciente du dentiste, ayant eu la perception de la soupape oxydée et du danger qui en dérivait, en avertit la person¬nalité consciente par la voie hallucinatoire. On pourrait objecter à tout cela que la soupape était oxydée depuis longtemps, et que depuis longtemps la chaudière fonctionnait ; donc, il faudrait expliquer comment la personnalité subconsciente a pénétré le danger justement le jour où l'oxydation devait causer le désastre, et comment elle a deviné justement l'instant mathématique où la chaudière devait éclater ; autant de mystères à résoudre, mais qui n'embarrasseraient nullement certains hommes de science : il existe une crédulité scientifique comparable en tout à la foi aveugle des vrais croyants. Entendons-nous : les phénomènes des personnalités sub¬conscientes existent, les automatismes existent, la cryptomnésie est fondée, les phénomènes en général de perceptions hypéresthésiques sont fondés, mais c'est une illusion inconcevable que l'obstination à vouloir tout resserrer dans les limites étroites de ces hypothèses ; et ceux qui s'y complaisent ne parlent plus au nom de la science, mais de la foi combinée à la fantaisie poétique.
CXLIIe Cas. Une dame amie de Myers écrivait à ce dernier le 3 juin 1890.
Dans la nuit du 21 mai 1890, je me trouvais à F. Angleterre) ; et comme ma petite fille dormait avec moi, je gardais dans ma chambre une veilleuse constamment allumée, qui était posée sur une console en bois, et consistait en une soucoupe remplie de substances grasses avec une mèche, ce qui n'avait jamais causé d'inconvénient d'aucun genre. Il était environ 1 h. 3 /4 du matin, lorsque je fus subitement éveillée par une voix qui m'appelait ; et il ne s'agissait pas d'une impression, mais d'une voix naturelle très distincte, qui résonnait à mon oreille quand je m'assis en sursautant sur mon lit. Et d'autant plus profond était mon étonnement, que je m'étais entendue appeler avec une abréviation de mon nom que personne n'employait en Angleterre. Quand je fus convaincue que tout était tranquille, je m'étendis de nouveau, réfléchissant sur la voix mystérieuse, et par dessus tout impressionnée par le fait de ce nom familièrement caressant avec lequel on m'avait appelée, et que je n'entendais plus depuis si longtemps
Une demi-minute plus tard, l'abat-jour de la veilleuse prenait feu, et tout de suite la matière grasse contenue dans la soucoupe s'enflammait et entamait le bois de la console ; or, la flambée se serait étendue au lambris de la paroi, si je n'étais accourue promp¬tement pour éteindre le feu lorsqu'il était encore temps ; et si j'ai pu le faire, je le dois à qui m'a éveillée. (Proceedings of the S. P. R., Vol, XI, p. 419).
Ici, il ne semble guère possible d'attribuer le phénomène prémonitoire à des perceptions sub¬conscientes, vu que lorsque la voix se fit entendre, éveillant le percipient, le péril annoncé n'existait pas encore, et que la percipiente, éveillée, ne parvint à rien trouver d'insolite, quoi qu'elle prêtât d'attention.
CXLIIIe Cas. Mme Florence Montague, dont le nom est bien connu parmi les spiritualistes anglo-saxons ; publiait dans le Philosophical Journal de Saint-Francisco (Californie) à la date du 3 février, le récit suivant :
J'étais secrétaire-correspondante de la Société féminine de secours aux marins, et, durant l'absence du chapelain, je le remplaçais. Ma tâche n'était pas bénigne durant cette période de luttes intestines, où de fréquentes crises éclataient entre nos protégés et les affiliés à l'« Union des Marins », à laquelle les nôtres n'avaient pas voulu adhérer. Des lettres anonymes étaient même parvenues à la direction, où l'on menaçait de faire sauter l'édifice...
Comme j'ai pour habitude de me lever tard le matin, et que la lumière dérangeait mon sommeil, l'avais obvié à cet inconvénient en plaçant la tête du lit dans l'arc de la fenêtre.
Une nuit de l'automne 1892, bien que tombant de sommeil, il m'arriva le fait étrange de ne pas pouvoir me coucher parce que chaque fois que je m'approchais du lit, une mystérieuse influence m'obligeait à m'en éloigner de nouveau. Je cherchai à me distraire par la musique et la lecture, mais je ne résistai pas longtemps, et je me couchai. J'allais m'endormir, lorsque tout-à-coup je fus possédée par la pensée que je devais écarter le lit de la fenêtre.
En ce temps là, je n'étais pas spiritualiste, et mes connaissances sur l'argument étaient très rudimen¬taires ; je luttai donc contre cette impression, qui me paraissait irraisonnable, aidée en cela par ma répugnance naturelle à me lever ; toutefois, je ne parvins à m'endormir qu'après de longs efforts.
Je ne saurais dire combien de temps je dormis, mais je m'éveillai au son de ma propre voix qui criait automatiquement : « Lève-toi et retourne le lit ». Même cette autre étrange circonstance ne réus¬sit pas à m'impressionner ; toutefois, je me résolus à obéir à l'ordre pour en finir avec mon extravagante obsession, et pouvoir dormir tranquille. Je me levai, et sans même allumer le gaz, je me mis à traîner le lit en l'éloignant de la fenêtre ; mais le meuble était lourd, et j'étais pleine de sommeil ; en outre un pied du lit s'embarrassa dans le tapis, de sorte que j'in¬terrompis le travail au beau milieu, et le lit resta la tête dans l'angle opposé à la fenêtre, c'est-à-dire au point le plus éloigné d'elle. Je me recouchai, et me rendormis immédiatement.
Des heures ou des minutes pouvaient s'être passées, lorsque je me réveillai en sursaut éprouvant un sentiment de secousse et de pression par tout le corps, mais surtout à la tête ; et lorsque je me rendis plei¬nement compte de ce qui arrivait, j'étais au milieu d'un vacarme épouvantable, suivi d'un ébranlement indescriptible.
Tout le monde se rappelle à San-Francisco l'at¬tentat à la dynamite contre la « Maison des Marins. Cette nuit-là, heureusement, l'inexpérience des mal¬faiteurs fit que le vieil édifice et les centaines de personnes qui l'habitaient furent sauves. La cons¬truction fut d'ailleurs secouée dès les fondements ; tous les carreaux se brisèrent en miettes, des cre¬vasses se produisirent dans les murs, et plusieurs s'écroulèrent. Un fossé d'une profondeur de 20 pieds empêcha le trafic de la rue pendant plusieurs jours ; le grondement fut entendu à dix milles à la ronde.
La fenêtre où se trouvait la tête de mon lit n'était plus qu'un amas de pierres, de chaux et de vitres brisées ; la fenêtre entière et un morceau du mur étaient complètement abattus. — Le mystérieux avertissement m'avait sauvé la vie !
Il y a dans ce cas la circonstance des lettres anonymes menaçantes, qui ne pouvaient qu'avoir impressionné la relatrice. Il existait donc une prédisposition à craindre la réalisation dans la nuit des menaces criminelles, ce qui, infirmerait en partie l'interprétation de l'incident dans un sens prémonitoire, et pourrait ainsi le faire attribuer à une «coïncidence fortuite ».
Toutefois, pour peu qu'on réfléchisse aux formes impulsives réitérées et irrésistibles qui poussèrent la sensitive à agir, on doit en conclure que l'hypothèse prémonitoire est encore celle qui se présente sous un aspect plus vraisemblable. En effet, s'il s'était agi d'impulsions subcons¬cientes causées par l'appréhension générique d'un attentat imminent destiné à faire sauter la maison, impulsions qui, par pur hasard, auraient coïncidé avec la nuit même de l'attentat, alors la sensitive aurait dû, tout au plus, se sentir poussée à fuir la maison qui devait crouler, et non à déplacer purement le lit de la fenêtre : ce dernier détail démontrerait dans la cause agente la perception exacte du point où le danger était circonscrit pour la sensitive, et la claire intention d'agir d'une manière strictement conforme à la situation.
CXLIVe Cas. Je l'extrais de l'ouvrage de Dale Owen : Footfalls on the boundary of another world (p. 332-335) ; il fut personnellement étudié par l'auteur.
Dale Owen rapporte qu'un jour le sénateur Dr Lynn fut invité à un dîner diplomatique, auquel prenaient part les plus hautes personna¬lités politiqués des États-Unis. Il était désireux d'y assister, mais à la suite d'une légère indispo¬sition, il dut y renoncer, en priant sa femme de s'y rendre à sa place. Dale Owen continue :
Dès le commencement du dîner, Mme Lynn fut prise d'un sentiment d'inquiétude très grand pour son mari, et quoiqu'elle essayât de chasser cette im¬pression en se répétant à elle-même que l'indispo¬sition dont il souffrait était sans aucune importance, elle n'y parvint pas. Elle finit par confier ses inquié¬tudes au général Macomb, qui, pour la calmer, lui rappela ce qu'elle-même avait dit un instant au¬paravant, c'est-à-dire que le général Jones était resté tenir compagnie à son mari, et que par conséquent, en cas d'aggravation subite, il n'aurait pas manqué de l'en avertir. Malgré cela l'inquiétude inexplicable qui l'avait envahie augmenta toujours, si bien qu'à la fin du repas elle prit la forme d'une angoisse et d'une impulsion insurmontable à ren¬trer immédiatement ; elle sentait ne pas pouvoir demeurer un instant de plus.
Le sénateur Wright, remarquant sa pâleur, en fut inquiet, et dit : « Madame Lynn, vous ne vous sentez pas bien ; dites-moi ce que vous avez ». « Rien, dit-elle, mais je sens que je dois rejoindre immédiatement mon mari ». Le sénateur Wright essaya à son tour de la calmer, et elle lui répondit
« Si vous voulez me rendre un service dont je vous serai reconnaissante pour la vie, excusez-nous auprès du maître de maison, et accompagnez-moi chez mon mari. » La voyant surexcitée au plus haut degré, il y consentit, quoique le dîner ne fût pas fini ; il prit congé et l'accompagna avec sa femme.
Lorsqu'ils furent arrivés devant la porte de la maison, le sénateur Wright prit congé, disant
« Demain, je viendrai prendre des nouvelles, et rire de bon coeur avec votre mari et vous-même de vos frayeurs ».
Mme Lynn gravit rapidement les escaliers, et, rencontrant la concierge, demanda anxieusement : « Comment va mon mari ? » « Très bien, répondit cette femme, il a pris un bain voici une heure, et je crois qu'il dort profondément. Le général Jones m'a dit qu'il était complètement remis ». Ce à quoi Mme Lynn répliqua « Alors, le général Jones est parti ? » « Je crois que oui, il me semble l'avoir vu passer il y a une demi-heure ».
Rassurée dans une certaine mesure, Mme Lynn se dirigea vers la chambre de son mari, et trouva la porte fermée. Dès qu'elle l'eut ouverte, des nuages de fumée très dense et suffocante la firent reculer et chanceler un instant. Elle se remit presqu'aussitôt et entra, constatant que les couvertures et les oreillers étaient en feu, et que de leurs plumes se dégageait cette terrible fumée. Elle se jeta de tout son corps sur le lit pour suffoquer le feu qui brûlait lentement, par manque d'air, mais tout-à-coup une flamme se dégagea par l'ouverture de la porte, et ses légers vêtements flambèrent. Elle fut prompte à se plonger dans le bain, dont une heure auparavant son mari s' était servi ; puis, se remettant à l'oeuvre, elle arracha les oreillers et les couvertures, les plongeant à leur tour dans l'eau, non sans se blesser gravement aux mains. Enfin, avec une force redoublée par le déses¬poir, elle porta en sûreté le corps inanimé de son mari. Alors seulement, elle songea à demander du secours.
Le Dr Sewell accourut promptement, et, mettant en oeuvre les pratiques habituelles, parvint après plus d'une demi-heure à rappeler l'axphyxié à la vie ; celui-ci fut obligé de garder le lit durant une semaine, et ne se remit complètement qu'après trois mois.
Le Dr Sewell put dire à Mme Lynn : « Quel bonheur que vous soyez arrivée à temps ! Cinq minutes de retard, trois, même, auraient suffi pour que vous ne retrouviez pas vivant votre mari... »
Ces détails m'ont été rapportés de vive voix par Mme Lynn en personne, le 4 juillet 1859, à Washington, et elle me permit de les publier.
Dale Owen ajoute ces réflexions :
Il y a un point, en ce cas, qui mérite une attention spéciale. Dans l'hypothèse selon laquelle l'impulsion insurmontable dont Mme Lynn fut envahie aurait une origine spirituelle, une question resterait à ré¬soudre : c'est si l'impulsion doit être considérée comme un avertissement d'un accident déjà exis¬tant, ou un pressentiment d'accident qui n'existait pas encore. En d'autres termes s'agissait-il d'un phénomène de clairvoyance dans le présent ou de clairvoyance dans le futur ?
Mme Lynn me dit que l'impression d'anxiété pour son mari s'empara d'elle une demi-heure avant qu'elle atteignît une intensité telle à l'obliger d'abandonner le dîner et les convives. Elle ajouta qu'en sortant avec les époux Wright, ils durent revenir à pied, car les voitures pour les invités étaient ordonnées pour onze heures. La distance était d'un mille et demi, et ils mirent plus d'une demi-heure â la franchir. Il s'ensuit que l'impression d'anxiété par laquelle Mme Lynn fut obligée de revenir, s'empara d'elle une heure avant, et peut-être davantage, qu'elle n'ouvrît la porte de la chambre conjugale. Les choses étant en ces termes, et le fait ne pouvant être attribué à une «coïncidence fortuite », il faudra conclure qu'il s'agit d'un phénomène de clairvoyance dans le futur.
CXLVe Cas. Les Docteurs Vaschide et Piéron, dans un article publié par la Revue des Revues (16 juin 1901) et intitulé : De la valeur prophétique du rêve, racontent le cas historique suivant, d'ailleurs très connu :
Une nuit, la princesse de Conti vit en songe un appartement de son palais prêt à s'écrouler et ses enfants qui y couchaient sur le point d'être ensevelis sous les ruines. L'image affreuse qui s'était pré¬sentée à son imagination remua son coeur et tout son sang ; elle frémit, et dans sa frayeur elle fut réveillée en sursaut et appela quelques femmes qui dormaient dans sa garde-robe.
Elles vinrent recevoir les ordres de leur maîtresse, elle leur dit sa vision, et qu'elle voulait absolument qu'on lui apportât ses enfants. Ses femmes lui résis¬tèrent en citant l'ancien proverbe que tout songe est mensonge. La princesse commanda qu'on allât les quérir. La gouvernante et les nourrices firent semblant d'obéir, puis revinrent sur leurs pas dire que les jeunes princes dormaient tranquillement et que ce serait un meurtre de troubler leur repos.
La princesse voyant leur obstination et peut-être leur tromperie, demanda fièrement sa robe de cham¬bre. Il n'y eut plus moyen de reculer. On alla chercher les jeunes princes, qui furent à peine dans la chambre de leur mère que leur appartement s'écroula.
M. César de Vesme, Directeur de la Revue d'Etudes Psychiques, rapportant le cas dans son numéro d'août (p. 229) ajoute les commen¬taires suivants :
On remarquera tout de suite qu'il ne s'agit pas ici de l'appartement de la personne qui rêve, c'est-à-dire de la princesse de Conti, mais de l'appartement des enfants, appartement qui devait être assez éloigné de celui de la mère, sans quoi celle-ci n'aurait pas fait tant de façons pour passer d'une chambre dans l'autre prendre ses fils. Donc, plus de bruits avant-coureurs de l'effondrement. Et il faudra se résigner à faire rire son public en supposant que la princesse de Conti avait remarqué que l'appartement des en¬fants menaçait de s'écrouler mais que cette cons¬tatation, qui décelait en elle de si remarquables talents d'architecte, était restée cachée dans sa sub¬conscience, pour ne se réveiller tout à coup ; voyez donc quel drôle de hasard ! que juste au moment où la catastrophe allait se produire. Voilà dans quel excès de crédulité il nous faut tomber, quand nous voulons être par trop incrédules.
CXLVIe Cas. Le Professeur W. F. Barrett, en recueillant les lettres et les écrits inédits de C. C. Massey pour les publier en volume, re¬trouva la note suivante, tracée de sa propre main, qui décrit un incident prémonitoire :
Vers le milieu du mois de mai dernier (1897) dans le village de Bank (New Forest, Lyndhurst) où je séjournais, une jeune domestique tenta de se sui¬cider en se jetant dans un puits qui avait 47 pieds de profondeur jusqu'à la surface de l'eau, et 25 autres pieds occupés par l'eau. Le jour se levait à peine au moment de ce fait, et une seule personne à cette heure matinale se trouvait dans le village. C'était un homme qui habitait à côté de moi, nommé Wiltshire ; et il vit la jeune femme marcher hâtivement devant lui, et gesticuler comme quelqu'un qui est en proie à une grande douleur. Il la perdit de vue un moment, mais ne cessa pas de suivre ses traces, et, s'approchant du puits, entendit des cris s'élever de l'intérieur. Il se pencha et la vit suspendue à un clou par ses vêtements. Aussitôt, il fit descendre le seau, auquel la jeune femme s'agrippa ; mais ne parvenant pas à l'attirer seul, il lui cria d'attendre un moment, lui donna des instructions sur la manière de s'accrocher pour ne pas s'exténuer, l'encouragea par de bonnes paroles, et courut dans le village pour ramener du secours.Enfin, il parvint heu¬reusement à la tirer du puits, et la jeune femme dut la vie à la promptitude et à l'énergie de M. Wiltshire..
Je fus aussitôt averti du fait par mon hôtesse. Or, voici la partie étrange de l'épisode : M. Wiltshire, contre son habitude, s'était levé à cette heure si ma¬tinale, et il se trouvait dehors avant l'aube, parce qu'il avait été appelé, et appelé par son nom à plusieurs reprises. Il n'avait pas reconnu la voix et ne s'en expliquait pas la provenance. Il réveilla son fils, qui lui répondit qu'il n'avait rien entendu ; il se mit à la fenêtre, mais la rue était déserte, et personne dans le village n'était levé à cette heure. La voix avait un accent agité, et l'impression lui était restée que quelque chose de malheureux se préparait, et qu'on aurait un urgent besoin de lui. Au commencement, comme il est naturel, il pensa que l'avertissement pouvait se rapporter à ses propres affaires ; comme il était éleveur de bétail, il dit à son fils qu'il allait inspecter les étables, et sortit. Comme on voit, la tâche qui l'attendait était bien différente. (Light, 1908, p. 161).
Ce cas est théoriquement très intéressant et très instructif. Dans l'hypothèse d'une intervention extrinsèque, il faudrait croire que l'en¬tité communiquante connaissait l'acte de déses¬poir auquel la jeune femme allait se livrer ; qu'elle désirait la sauver, et que, ne parvenant pas â l'impressionner psychiquement, et ne pouvant agir sur ses familiers, dont aucun n'était doué de sensitivité psychique, elle eut recours à l'unique sensitif du village et l'impressionna con¬formément à sa propre nature, c'est-à-dire sous forme auditive-intuitive, parvenant ainsi à son but.
CXLVIIe Cas. William Stead, dans le numéro d'octobre 1900 de la Review of Reviews, publiait l'épisode suivant dont la comtesse Schimmelmann, très connue en Norvège pour ses oeuvres philantropiques, fut l'héroïne. Elle écri¬vait :
Il y a deux ans, au cours d'une croisière que nous fîmes avec mon yacht «Duen », nous jetâmes l'ancre dans le Lymfyord. Mon fils cadet, encore enfant, descendit en barque avec un marin, et tous deux s'éloignèrent à coups de rame à un mille et demi du yacht environ. Du haut du pont, je les observais, et l'atmosphère extraordinairement pure des pays du nord me permettait de les voir distinctement. A un moment donné, je vis mon fils se lever, et aussitôt l'embarcation chavirer ; je les vis tous deux nager en s'efforçant de se maintenir à la surface ; enfin, je vis mon fils couler lentement, jusqu'au moment où je ne discernai plus que ses abondantes boucles d'or. L'horrible scène occupa plusieurs minutes, mais j'avais donné l'alarme dès que j'avais vu la barque chavirer ; immédiatement les marins avaient descendu une chaloupe de sauvetage, voguant à toutes forces vers le lieu du désastre, anxieux d'arriver à temps, mais il était impossible d'y parvenir en moins d'un quart d'heure.
Lorsqu'ils arrivèrent enfin, ils trouvèrent l'embarcation qui flottait de manière normale, et les deux jeunes gens occupés à pêcher tranquillement. Les marins ne comprenaient pas comment j'avais pu voir, du pont, ce qui ne s'était pas produit, et firent volte-face sans plus, se dirigeant à bord. Mais ils n'avaient parcouru qu'une courte distance, que l'ac¬cident perçu par moi un quart d'heure plus tôt se réalisa dans tous ses détails ! Heureusement, la barque était toute proche, et le pilote parvint à s'accrocher à temps aux cheveux de mon fils au moment où il allait disparaître. Son compagnon s'était agrippé à la quille de la chaloupe, et fut sauvé à son tour.
Je ne suis pas sujette à des hallucinations visuelles d'aucun genre ; j'expose le fait tel qu'il se produisit en présence de tout l'équipage, et je ne puis l'expli¬quer qu'en le considérant comme un avertissement supernormal ayant pour but de sauver la vie des deux jeunes gens.
Il semble difficile d'appliquer à ce récit une hypothèse différente de celle que propose la comtesse Schimmelmann, si l'on pense que le fait fut accidentel, par conséquent imprévoyable, et que la vision hallucinatoire précéda d’un quart d’heure l’accident : c’est-à-dire, elle se produisit juste au moment mathématiquement nécessaire pour permettre à la chaloupe de sauvetage d’arriver à temps pour sauver les victimes d’un naufrage non advenu encore ; tout cela révèlerait une prescience merveilleuse.
CXLVIIIe Cas. C’est Mrs de Morgan, femme du Professeur de Morgan, et auteur de l’ouvrage bien connu : From Matter to Spirit, qui en est la relatrice. Voici ce qu’elle écrit à la date du 11 octobre 1883 :
Voici cinq semaines, je me rendis dans le Dorsets¬hire avec ma famille, qui se compose de ma fille, de ma belle-soeur, des quatre enfants de cette der¬nière, et d'une domestique. Quatre jours avant de quitter Londres, je m'étais réveillée en sursaut avec cette vision très marquée dans l'esprit : Nous étions assises dans un pré, lisant, lorsque ma belle-soeur se leva d'un trait et courut vers un point du pré où pousssait un épais buisson de ronces, de roseaux, d'herbes sauvages entortillées entre elles. Je la vis retenir l'un des enfants qui courait vers le buisson, et se retourner en s'écriant qu'il y avait là un puits profond sans parapet. A cette nouvelle et à la vue de l'enfant sain et sauf, je poussai un grand soupir de soulagement.
Le rêve ou la vision me fit une impression profonde, et je la racontai sans tarder à ma belle-soeur, qui, à son tour, en fit part à d'autres.
Lorsque nous descendîmes à la station indiquée, notre hôte vint à notre rencontre avec la voiture pour nous conduire au village. Le long du chemin, je demandai s'il y avait des puits découverts dans le voisinage de la maison qui nous était destinée, en lui faisant remarquer que nous avions quatre en¬fants à surveiller. Il répondit qu'il n'existait dans la maison qu'un puits couvert, surmonté d'une pompe.
Trois ou quatre jours plus tard, ma belle-soeur et moi nous lisions dans un beau pré vert appartenant au maître de la maison, tandis que les enfants vouaient un peu écartés. Tout à coup je vis ma belle-sœur se lever et courir vers un point du pré où pous¬sait une foison de ronces, de roseaux et d'herbes sauvages. En même temps, le plus petit enfant, âgé de deux ans, courut aussi vers le buisson, mais sa mère put le retenir à temps, et, se retournant, cria : « Il y a ici un puits profond et sans parapet ! » A cette exclamation, nous nous rappelâmes toutes deux la vision, et nous reconnûmes le bien-fondé de nos propositions de prudence. Cependant, le songe fut inutile au point de vue prémonitoire, puisque chacune de nous l'avait oublié après que notre hôte nous eût rassurées. (Proceedings of the S. P. R., Vol. V., p. 339).
(La belle-soeur de Mrs. De Morgan, Mme A. M. De Morgan, confirme pleinement le récit ci-dessus).
L'observation de Mrs. De Morgan, que le récit fut inutile au point de vue prémonitoire, parce que toutes deux l'avaient oublié, ne doit pas être prise à la lettre, parce que le fait que sa belle-soeur se leva d'un trait pour courir vers l'endroit dangereux, arrivant juste à temps pour sauver le bébé, porte à croire que cet acte est né d'une impulsion plus ou moins subconsciente ; et en rapport avec l'impression demeurée en elle après la vision de Mrs. De Morgan.
CXLIXe Cas. Myers rapporte le récit suivant d'un curieux incident communiqué par une dame de sa connaissance, dont il n'est pas autorisé à publier le nom (Proceedings of the S. P. R., vol. XI, p. 497).
Nous habitions Hartford Street (Mayfair) et, un jour, je décidai d'aller avec ma voiture trouver un parent à Woolwich, en emmenant la nourrice avec l'enfant. Dans la nuit, j'eus une vision très vive et très pénible de moi-même en voiture, au moment où nous tournions pour prendre une rue de Piccadilly ; puis de moi-même qui, descendue avec l'enfant dans mes bras, voyais notre cocher tomber sans connais¬sance, renversé de son siège sur le sol, et écrasant sous lui son chapeau haut de forme. Cette vision me déconcerta au point que lorsque j'envoyai le matin pour le cocher, j'espérais m'entendre répondre qu'on ne pouvait pas partir à cause de quelque incident ; ce qui m'aurait fourni un prétexte pour aller par chemin de fer. Ce cocher était depuis longtemps à notre service, et c'était un homme de toute confiance, très affectionné. Lorsqu'il se présenta je lui dis que je devais aller à Woolwich, et qu'il voulût bien ap¬prêter la voiture pour dix heures. Sans alléguer de difficulté, il resta hésitant ; je proposai alors de partir à 11 heures, ce à quoi il parut acquiescer avec satisfaction. Il ne me donna aucune explication sur son hésitation, et dit que les chevaux étaient en excellent état. Je lui fis observer que je pouvais très bien partir par chemin de fer, mais il répéta que tout était en ordre.
Nous partîmes pour Woolwich, où l'on passa la journée, et tout alla bien jusqu'au retour, où l'on tra¬versa le quartier de Piccadilly ; là, mon attention fut attirée par le fait que les cochers que nous ren¬contrions regardaient tous le mien avec une expres¬sion étrange. Je regardai à mon tour à travers la vitre de face, et je vis qu'il était assis sur son siège le corps renversé en arrière, comme s'il avait dû refréner la fougue des chevaux emportés, ce qui n'était pas le cas. Nous tournâmes vers Downstreet, et, regardant de nouveau, je m'aperçus qu'il persis¬tait à garder cette étrange position. Alors, je me souvins tout à coup de mon rêve. Je lui ordonnai tout de suite d'arrêter, je pris l'enfant dans mes bras et sautai à terre, après quoi j'appelai un policeman au secours du cocher. Juste au moment où le policeman survenait, le cocher tombait de côté, évanoui, de son siège dans les bras de cet homme ; de sorte que si j'avais tardé une seconde, il se serait abattu sur le pavé de la manière exacte où je l'avais vu en songe.
Je sus ensuite que le pauvre vieillard souffrait d'une grave attaque de dysenterie, et que la fatigue du voyage l'avait épuisé peu à peu jusqu'à provoquer la syncope, il était abstème, et son seul tort avait été de se croire assez fort pour supporter le long voyage.
Ma vision différa sur deux points de la réalité ; l'un, c'est que dans le songe nous arrivions à Downs¬treet du côté occidental, tandis qu'en réalité nous y arrivâmes du côté opposé ; l'autre que je voyais s'abattre sur le sol mon cocher avec la particularité très précise et très vive du chapeau haut de forme écrasé par terre, alors qu'en réalité cet accident fut évité par la prompte action à laquelle me poussa le souvenir subit du songe. (Signé : Lady,Z.)
Ici, l'accident que ce songe permit d'éviter n'est pas d'une importance aussi légère qu'il le parait au premier abord, car, sans le songe, le cocher de Lady Z. se serait fracassé le crâne sur le pavé. Et il est extrêmement intéressant de voir que l'accident s'est déroulé à l'angle de la rue et de la manière identique où il fut visualisé, sauf la providentielle variante finale, détermi¬née par le souvenir subit du rêve. Cette dernière inexactitude constitue le détail théoriquement le plus intéressant ; on dirait en effet que la cause agente entendit par là présenter un tableau subjectif de l'accident tel qu'il aurait dû se réa¬liser si l'aveugle chaîne de causes et d'effets s'était librement déroulée, presque en opposition avec la manière dont il évolua par suite de l'in¬tervention prémonitoire. L'ensemble des faits ne saurait donc être expliqué qu'en ayant recours à l'une des hypothèses spiritualistes énumérées au commencement du chapitre.
CLe Cas. Ce cas fut en origine publié par la revue allemande Sphinx, et Mrs. Sidgwick l'en¬globa dans sa classification des phénomènes prémonitoires (Proceedings of the S. P. R., Vol. V, p. 335). C'est un cas authentifié par de nombreux témoignages, dont les procès-verbaux sont en la possession du Directeur de la revue citée ci-dessus. La relatrice, Frau K., décrit en ces termes son expérience :
Une nuit du commencement d'août 1886, j'assistai en rêve à un incendie énorme, dont les phases gran¬dioses provoquèrent en moi un sentiment de terreur paralysante. Quand je m'éveillai, je m'en ressentis au point que si j'avais assisté à un incendie réel, je n'aurais pu être impressionnée davantage. C'est étrange à dire, aussitôt éveillée, la pensée me tra¬versa l'esprit que les cartes-valeurs que nous possé¬dions, et conservées dans le coffre-fort à l'épreuve du feu placé dans la fabrique de bière de M. B., étaient en danger. Je ne me rappelle pas avoir rêvé cette particularité ; et, d'autre part, il n'y avait aucune raison pour la rattacher à l'incendie vu en rêve ; cependant, et en dépit de tous mes raisonne¬ments, cette impression non motivée devint intense au point de me remplir d'étonnement et me priver de toute tranquillité ; je me décidai donc à raconter à ma famille le rêve et les inquiétudes qui m'avaient saisie.
Trois jours plus tard, le même rêve se répéta avec une vivacité plus grande encore, comme si l'on avait voulu confirmer ainsi que mes craintes étaient fon¬dées. Et l'inexplicable préoccupation persistait et s'intensifiait, tandis que je percevais comme l'écho d'une voix intérieure conseillant de mettre en sûreté les valeurs. La perte de ces dernières aurait entraîné notre ruine ; je n'hésitai donc plus à suivre les con¬seils de la voix mystérieuse, en priant vivement mon mari de faire retirer ces valeurs du coffre-fort et de les placer ailleurs. Il s'y refusa, observant que mes craintes étaient absurdes, et plus absurde encore l'importance que j'attachais aux rêves. Mais l'anxiété qui me possédait était assez forte pour me rendre malheureuse, et je ne me lassais pas un moment de l'importuner pour qu'il m'écoutât ; enfin après dix jours d'insistance, il s'y résigna, non pas en consi¬dération de mon rêve, mais pour me rendre ma tran¬quillité perdue. Dès que je sus les valeurs en sûreté à la banque de Munich, je redevins calme.
Quelques jours après nous partîmes pour le Tyrol, et je n'aurais plus songé à l'incident, si, une troisième fois, je n'avais assisté en songe au même grandiose incendie, et cela dans la nuit du 14-15 septembre. Cependant, au lieu de me sentir envahie par le sen¬timent de terreur paralysante habituel, j'éprouvai en cette circonstance une impression de grand soula¬gement à la pensée que nos valeurs étaient en sûreté.
Le matin suivant, je racontai le songe à ma famille, et le lendemain nous arriva la nouvelle que la fabrique de bière en question avait été détruite par un incendie qui avait éclaté le 14 septembre. Nous apprîmes par la suite que rien n'avait été sauvé, et que le coffre-fort à l'épreuve du feu était resté durant 36 heures enveloppé de flammes, de sorte que les papiers et les valeurs qu'il renfermait avaient été réduits en cendres. Ce rêve nous préserva de la ruine.
(Suivent les attestations du mari de la relatrice, de tous les parents, des amis Herr von M., Frau¬von A., Baron von E., et du propriétaire de la fabrique incendiée).
Mrs. Sidgwick ajoute :
Ce cas renferme plusieurs particularités dignes d'attention. D'abord l'anxiété éprouvée par Frau K. à propos des valeurs en danger, unique circonstance établissant un rapport entre l'incendie rêvé et celui réalisé. Il ne semble cependant pas qu'elle fut cau¬sée par le rêve, bien qu'elle ait pu en faire partie et avoir été oubliée comme lui étant rattachée... Un autre point important, c'est le troisième rêve coïncidant avec le moment de l'incendie ; cette coïn¬cidence ajoute indubitablement du poids à la suppo¬sition que la série entière des incidents est d'ordre supernormal.
CLIe Cas. Gurney le recueillit, l'étudia, et Mrs. Sidgwick le publia dans les Proceedings of the S. P. R., (Vol. V, p. 313). La percipiente et relatrice, Mrs. Ray, écrit à la date du 17 sep¬tembre 1884 :
Je devais aller passer une journée avec ma soeur résidant à Roehampton, et la nuit précédente, au moment où je m'endormais, j'eus une vision par laquelle j'assistais au versement de la voiture où je devais prendre place à la station de Mortlake, et la voyais se précipiter dans les buissons qui se trouvaient au-dessous. Je m'éveillai en sursaut, sans accorder d'importance à la vision ; cependant, au moment où j'allais me rendormir, elle se repré¬senta à moi sous une forme identique ; ceci me rendit nerveuse, mais à la fin je me rendormis et le lende¬main je ne pensais plus au rêve.
J'allai par chemin de fer à Mortlake, où je ne trou¬vai pas la voiture, qui arriva pourtant après quelques minutes. Tout alla bien pour un long trait de route, mais, lorsqu'on parvint au point où l'on monte à la villa de ma soeur, le cheval donna tout à coup des signes de nervosité. Le cocher descendit pour inspecter le harnais ; mais ayant tout trouvé en ordre, il se remit en route. L'incident se répéta une seconde fois, puis une troisième. Alors, tandis que le cocher rectifiait la disposition des rênes, je me souvins tout à coup de ma vision. Je devins nerveuse, et des¬cendis immédiatement en disant au cocher que je ferais le restant du chemin à pied. Il voulut m'en dissuader, mais voyant ses insistances inutiles, il continua seul avec les valises. Il s' était à peine éloigné de quelques mètres ; le cheval devint si furieux, que voyant le cocher en danger, je fis signe à quelques passants de courir à son secours, mais avant leur arrivée cheval et cocher se précipitaient du haut de la route dans le buisson situé au-dessous ; et cela de la manière exactement visualisée par moi la nuit pré¬cédente, bien que la localité ne fût pas précisément la même. La voiture fut mise hors d'usage, mais le cocher, lorsque je m'approchai, s'écria : «Vous êtes heureuse d'avoir tant insisté pour continuer à pied ; si vous étiez montée en voiture, vous auriez bien difficilement sauvé votre vie ».
Je fais observer que je n'ai jamais eu peur des chevaux, et que je ne serais certainement pas des¬cendue de voiture si je n'avais eu le souvenir subit de la vision qui précéda le fait. Signée : Emily Ray.
Le mari de la relatrice confirme ce qui précède.
CLIIe Cas. Le Dr Kinsolving, de l'Église Episcopale de Philadelphie, écrit au Dr Hodgson (Proceedings of the S. P. R., Vol. XI, p. 495) à la date du 14 octobre 1891, dans les termes sui¬vants :
Voici le rêve au sujet duquel je vous ai écrit : Je me trouvais dans un bois situé derrière l'Hôtel des Capon Springs, lorsque tout à coup je vis devant moi un serpent à sonnettes, que je parvins à tuer, après quoi je constatai qu'il n'avait que deux vertèbres caudales disséquées (sonnettes), que les os de la queue semblaient mal conformés et proéminents des deux côtés, et aussi que la couleur de sa peau était exceptionnellement déteinte. Au réveil, la vision du reptile resta imprimée dans mon esprit d'une façon très profonde, et j'allais raconter le rêve à ma femme, lorsque je me retins en songeant qu'il était inutile de provoquer en elle des anxiétés nuisibles, car j'avais l'habitude d'entreprendre de longues excur¬sions dans les alentours.
Après le déjeuner, mon frère et moi partîmes pour une de ces excursions le long du versant le plus im¬portant des montagnes du nord, et après nous être éloignés de plus de douze milles de l'hôtel, nous résolûmes de descendre dans la vallée pour atteindre plus vite la route qui nous ramenait chez nous. Tandis que je marchais à mi-côte de la montagne, je me ressouvins avec une grande force de mon rêve, et cela avec une si grande brusquerie, que je tres¬saillis et fus mis en alarme. Je n'avais pas encore fait trente pas, que j'aperçus devant moi un serpent à sonnettes, roulé en spirale sur lui-même, la tête levée, prêt à s'élancer pour frapper. Je restai le pied en l'air, et si j'avais achevé le pas, j'aurais foulé le reptile. Je fus prompt à me jeter de côté en tombant pesamment à terre ; lorsque je fus revenu de ma terrible surprise, je me relevai, et, avec l'aide de mon frère, je tuai le reptile. Or, en l'observant, je constatai que dans tous les détails, il correspondait au serpent à sonnettes que j'avais visualisé en songe ! Rien ne manquait : la taille, la couleur déteinte; et la conformation défectueuse et particulière des os de la queue.
Il est certain que si je n'ai pas marché sur le rep¬tile, je le dois au souvenir subit du rêve qui me mit sur mes gardes ; toutefois, je ne formulerai aucune théorie spéciale à ce sujet ; car, chaque fois que j'ar¬rête mon esprit sur de telles expériences anormales, j'en sors passablement confus et désorienté.
Signé : G. H. Kingsolving.
(Le frère du relateur, Arthur B. Kingsolving, écrit une longue lettre où il décrit indépendamment le fait ; les deux récits concordent dans tous leurs détails, sauf qu'il parle d'une vertèbre caudale dissé¬quée, au lieu de deux).
S'il s'était agi dans ce cas de la visualisation prémonitoire d'un serpent à sonnettes générique, le phénomène n'aurait pas manqué d'être très intéressant ; mais lorsqu'on pense que le sensitif eut en rêve la représentation fidèle de l'identique reptile mal conformé qu'il aurait rencontré sur son chemin en traversant un bois sans routes, le phénomène devient absolument troublant. Néanmoins les faits sont les faits, et sans aucun doute les hypothèses des « inférences subcon¬scientes » ou des « coïncidences fortuites » n'ex¬pliquent pas celui-ci.
CLIIIe Cas. Le Rév. Phillips raconte le fait personnel suivant :
J'avais quatorze ans, mon père était employé de chemins de fer, et une nuit je rêvai que je le voyais sur le point de tomber dans une large fente ouverte dans le pont sur l'Hook, à deux milles du pays de Goole. Je m'éveillai en sursaut ; et constatant que mon père était absent de la maison, je m'habillai en hâte, j'appelai le plus jeune de ses subordonnés, le priant de vouloir bien m'accompagner jusqu'au pont en question.
Lorsque nous y fûmes arrivés, nous entendîmes un pas cadencé qui venait dans notre direction ; en même temps se présenta devant mes yeux identi¬quement le spectacle que j'avais visualisé en rêve : dans le pont s'ouvrait une large fente d'où se déga¬geaient des nuages de fumée. Mon père était à vingt pas du point, et continuait son chemin en avant parmi le brouillard, avec son habituel dandinement de pas, ignorant de ce qui l'attendait.
Je n'avais jamais traversé le pont, puisque nul n'avait le droit de s'y aventurer en dehors des em¬ployés de la compagnie, qui y passaient à leurs risques et périls.
Mon père n'a jamais douté un instant que mon arrivée providentielle au bout du pont lui ait sauvé la vie, car il ne pouvait pas s'imaginer qu'on eût transporté une partie de l'armature du pont ; et, d'autre part, le brouillard et la fumée l'empêchaient absolument d'apercevoir le manque du court mor¬ceau. (Light, 1905, p. 461).
Le Rév. Phillips, en commentant le cas, voit une intentionnalité et un dessein manifestes dans ce qui lui arriva, et conclut :
Quelque influence ignorée provoqua en moi la visualisation subjective du pont interrompu, la rattachant à l'idée d'un danger imminent pour mon père, juste au moment nécessaire, c'est-à-dire quand mon père se trouvait encore à trois ou quatre milles du lieu du danger..
CLIVe Cas. C'est William Stainton Moses qui le rapporte dans le Light (1892, p. 181). Il ne donne pas le nom de la protagoniste ; mais d'une autre relation du même fait, parue bien des années plus tard dans la même Revue (1907, p. 64) il résulte qu'elle se nommait Miss Gray, et que la ville où se déroula l'incident était Chicago. Moses écrit :
Une amie personnelle me rapporte ce très remar¬quable rêve prémonitoire. Il lui sembla entendre un fort coup frappé à la porte de la maison ; elle regarda et vit un char funèbre arrêté devant la porte. Stupéfaite, elle courut ouvrir. Un homme à physio¬nomie caractéristique et au regard étrange était assis sur le siège du char funèbre, et, la voyant appa¬raître sur le seuil, il lui demanda : « Mademoiselle, n'êtes-vous pas encore prête ? » Elle répondit : « Oh ! non, certainement non ! » et elle lui ferma la porte au nez. L'écho du coup sembla la réveiller en sursaut. Elle resta très impressionnée et très per¬plexe, ne sachant que penser du rêve et de sa signi¬fication probable. Les traits de cet homme demeurè¬rent imprimés dans sa mémoire comme une obsession, et quoiqu'elle s'efforçât d'en distraire son esprit, elle ne parvenait pas à l'oublier. Elle raconta le rêve à ses parents et à ses amis, qui le discutèrent et le commentèrent avec elle.
Plusieurs semaines se passèrent ; un jour, mon amie entra dans un grand magasin situé au centre de la ville ; et, devant monter aux étages supérieurs, elle allait entrer dans l'ascenseur, lorsqu'il lui arriva de regarder l'homme préposé au fonctionnement de l'ascenseur. Aussitôt elle recula, terrifiée, ayant reconnu en lui l'homme de son rêve. Et sa conster¬nation s'accrut intensément lorsqu'elle l'entendit l'inviter à entrer avec ces exactes paroles : « Made¬moiselle, n'êtes-vous pas encore prête ? Cette extraordinaire coïncidence l'affermit plus que ja¬mais dans son propos de ne pas entrer, et l'ascenseur partit. Il n'était pas encore arrivé au second étage, que le mécanisme se dérangea, la « cage » se préci¬pita dans le vide, brisée, et l'homme fut tué sur le coup.
(Dans le récit publié avec le nom de la protagoniste en 1907, on dit que l'ascenseur, lors de sa chute, était parvenu au quatrième étage, et qu'outre l'homme de l'ascenseur, deux autres personnes furent tuées).
Voilà un autre épisode symbolique où les cir¬constances prophétisées sont extrêmement com¬plexes et troublantes. Il faut songer que la « cause agente », pour avoir la possibilité de télépathiser la vision salvatrice à la sensitive, devait connaître plusieurs semaines d'avance .qu'à un jour, une heure, une minute donnés, le mécanisme d'un ascenseur de Chicago se serait détérioré, et qu'au moment précis où il devrait s'élever pour la dernière fois, la sensitive se serait présentée pour y entrer
CLVe Cas. Je l'extrais du Journal of the S. P. R., Vol. VI11, p. 45 ; ce cas est rigoureusement authentique. C'est le Dr Lockart Roberstson, de Gunsgreen (The Drive, Wimbledon), qui le communique. La relation fut publiée d'une manière privée en 1878, et fut rédigée par la percipiente, Mme W., femme du Rév. docteur W., dont il est question dans le récit. Ce dernier ne désire pas que les noms soient publiés. Mme W. écrit :
En juillet 1860, j'allai passer quelque temps à Trinity, près Edimbourg, avec ma fille A., alors enfant, et une domestique. Le dimanche 15 du même mois, le Rév. Dr. W. vint d'Edimbourg me trouver, et arriva tard dans l'après-midi. En chemin, il avait entendu parler d'un terrible désastre de chemin de fer qui s'était produit à ce moment sur la ligne Edim¬bourg-Granton, où une machine avec tender avait déraillé, s'était précipitée du haut du parapet, et trois des cinq hommes qui la guidaient avaient été tués. Il demanda si je ne savais rien là-dessus, et je lui répondis que n'ayant vu personne dans l'après-midi, j'ignorais l'accident, mais que j'avais eu une étrange impression nerveuse dont je ne comprenais pas la raison, et qui probablement se rapportait au désastre ; et je la lui exposai en ces termes :
J'avais dit à ma fille A. que de trois à quatre heures je la laissais libre d'aller se promener ; et comme elle était seule, je lui conseillai d'aller dans le « jardin du chemin de fer » (nom qu'elle donnait à une étroite bande de terrain posée entre la mer et le chemin de fer). Quelques minutes après son départ j'entendis distinctement une voix intérieure qui, m'ordonnait : « Envoie vers elle immédiatement, ou il lui arrivera quelque chose d'épouvantable ».
Je pensai qu'il s'agissait d'une étrange auto-sug¬gestion, et je me demandai ce qui aurait bien pu lui arriver par une journée si belle, avec une mer à peine crêpée, dans un si bref trait de route où elle n'aurait rencontré personne, sauf quelque gouver¬nante, car c'était l'heure du service religieux ; et je ne l'envoyai pas chercher.
Cependant, un moment après la même voix re¬commença à me parler avec des paroles identiques, mais une emphase plus grande. Je résistai encore, et je mis à l'épreuve mon imagination pour deviner ce qui aurait pu arriver à l'enfant ; je pensai à la ren¬contre d'un chien enragé, mais la chose était si im¬probable, qu'il aurait été absurde de la rappeler sur la base de pareille fantaisie ; et bien que commençant à me sentir inquiète, je résolus de n'en rien faire, en tâchant de songer à autre chose. J'y parvins durant quelques instants, mais bientôt la voix renouvela l'insinuation avec les mêmes paroles : « Envoie vers elle immédiatement, ou il lui arrivera quelque chose d'épouvantable. » En même temps, je fus saisie d'un tremblement violent, et d'une impression d'extrême terreur. Je me levai brusquement, agitai la sonnette, et ordonnai à la domestique d'aller immédiatement chercher Mlle A., répétant automa¬tiquement les paroles de l'insinuation : « autrement il lui arrivera quelque chose d'épouvantable ». La domestique, qui avait remarqué mon agitation, es¬saya de me calmer, en observant que rien de mauvais ne pouvait arriver par une journée si belle, avec une mer calme, et à l'heure où tout le monde était à l'église ; et elle ajouta : « Mademoiselle a déjà été se promener seule à plusieurs reprises, et je n'ai jamais vu madame s'inquiéter ». « C'est vrai,repris-je, mais à présent allez tout de suite, il n'y a pas de temps à perdre ». La domestique en sor¬tant, raconta à la maîtresse de maison, Mlle O., pour quel motif injustifié elle allait à la recherche de l'enfant.
Durant son absence, la terreur inexplicable qui m'avait saisie s'accrut encore, et je craignais de ne plus revoir ma fille. Au bout d'un quart d'heure, la domestique revint avec l'enfant, qui, déçue de se voir rappelée si tôt, demanda si je voulais vraiment la garder à la maison toute la journée. « Non, répondis-je et si tu me promets de ne plus aller au « jardin du chemin de fer », tu peux aller où tu veux ; par exemple, chez ton oncle le major S., où tu pourras jouer dans le jardin avec les petits cousins » Et je pensais qu'entre ces quatre murs, elle se trouverait en sûreté ; car, bien que l'enfant me fût revenue saine et sauve, je sentais clairement qu'à l'endroit où elle se trouvait auparavant, le danger existait tou¬jours, ,et je voulais empêcher qu'elle y retournât. Dès qu'elle eut quitté la maison, toute crainte à son égard s'évanouit en moi ; ma pensée ne s'arrêta plus sur le sentiment éprouvé, qui s'était dissôus comme un rêve dans mon esprit, et si vous ne m'aviez pas informée de ce terrible désastre, je ne vous en aurais probablement jamais parlé. »
C'est ainsi que j'achevai mon récit. Quelque temps après entra ma petite A. ; le Dr W. lui demanda où elle se dirigeait lorsque la domestique la rejoignit pour la faire revenir sur ses pas, et elle répondit qu'elle traversait le jardin du chemin de fer avec l'intention d'aller s'asseoir sur les grands rocs au bord de la mer, pour entendre le passage des trains. « Dimanche dernier, ajouta-t-elle, je suis restée là avec mon frère pendant presque deux heures, pour entendre les trains courir en avant et en arrière : quel bruit lorsqu'ils passaient sur l'arc ! » Or, c'est précisément à ce point que la locomotive et le tender déraillèrent, rompant les parapets et allant se briser contre ces mêmes rocs où l'enfant avait l'habitude d'aller s'asseoir, et où trois hommes sur cinq qui se tenaient sur la machine furent tués.
Quelque temps après, l'enfant et son frère, âgé de treize ans, visitèrent la scène du désastre et se frayant un chemin parmi la foule accourue à la triste nouvelle, virent la locomotive en morceaux gisant exactement à l'endroit où la fillette se dirigeait, et où tous deux s'étaient arrêtés longtemps le dimanche précédent.
Dans la suite, recherchant toutes les circonstances du fait, je crus comprendre très clairement la raison pour laquelle je fus poussée à agir avec une hâte qui, au premier abord, ne m'avait point paru néces¬saire, vu que le désastre ne devait se produire qu'un peu plus tard ; c'est que, si j'avais opposé même un léger retard, la fillette serait passée de l'autre côté de l'avenue, et aurait rejoint sa position favo¬rite auprès de la mer, où elle aurait été complètement cachée aux regards qui la cherchaient, de sorte que sa gouvernante serait rentrée sans elle. En outre, si je n'avais pas explicitement défendu à l'enfant de retourner à cet endroit, elle y serait certainement revenue (comme elle me l'avoua), car il avait pour elle plus d'attraits qu'aucun autre ; et dans ce cas, elle se serait trouvée sur les grands rocs lorsque le train de Granton aurait passé.
(Le Dr W., Mlle A. W., protagoniste de l'épisode, le Dr C. L. Roberston et la maîtresse de la maison écrivent en confirmant ce qui précède).
Ce cas, étayé par des témoignages indiscuta¬bles, est des plus intéressants ; et les considéra¬tions dont la percipiente fait suivre son récit démontrent avec quelle exactitude mathéma¬tique la « cause agente » a calculé le moment utile de l'intervention supernormale pour le salut de l'enfant.
En même temps, ce cas se prête à l'observation déjà si souvent formulée sur les prémonitions qui ne sauvent pas par suite du consentement tacite ou exprimé de la cause agente ; et cela, parce que si l'enfant a été soustraite à une mort certaine, il n'en fut pas de même pour trois hommes du personnel qui voyageaient, et qui furent vic¬times du désastre. Et pourtant, la manière de se comporter de la « cause agente » dénote qu'elle n'était pas seulement vaguement instruite du désastre qui se préparait, mais qu'elle était tout à fait au courant de l'heure exacte et de la loca¬lité précise où il devait se produire. On ne peut s'empêcher de penser qu'elle aurait pu le conjurer en modifiant le message télépathique adressé à la sensitive ; c'est-à-dire, qu'au lieu de l'injonc¬tion vague et oraculaire : « Envoie vers ta fille immédiatement, ou il lui arrivera quelque chose de terrible », rien ne l'empêchait de transmettre cette autre phrase : « sur le pont de la mer s'est produit un dégât qui fera dérailler le train ; envoie immédiatement en avertirles dirigeants » ; à et par là, quatre vies auraient été sauvées au lieu d'une.
Comme on le voit, même dans les prémonitions qui sauvent, on remarque. les habituelles réti¬cences, mystérieuses et troublantes (bien que sous une forme moins évidente que dans les prémonitions qui ne sauvent pas) et que l'on dirait voulues pour limiter l'influence bienfaisante à une personne désignée, abandonnant à leur sort les victimes du même désastre. Ces réticences, à leur tour, dénoteraient une intentionnalité agissant sur la base d'un but préétabli et inexora¬ble, et qui serait littéralement inconciliable avec l'hypothèse de l'origine subconsciente des prémonitions étudiées.
CLVIe Cas. Mrs. Leigh Hunt Wallace, après avoir assisté à une conférence du Dr Richardson, qui expliquait tous les songes par les lois de la psycho-physiologie, écrivit au Direc¬teur du Light (1892, p. 263) la lettre suivante :
Londres, N. W. Regent's Park-Road.
Monsieur,
La conférence du Dr B. W. Richardson, tendant à réduire n'importe quel rêve à l'enceinte des lois phy¬siologiques, est indubitablement intéressante ; cependant j'ai fait dernièrement un rêve d'où dérivè¬ient des conséquences suffisantes pour me faire croire que les lumières du docteur en question ne suffiraient pas à l'expliquer. Je le rapporte aussi brièvement que possible.
Samedi dernier, je m'étais couchée fort tard, et le lendemain j'étais pleine de sommeil. Dans l'après-midi, je m'endormis un instant ; ce sommeil ne dépassa peut-être pas deux minutes, mais je m'éveillai en sursaut, tremblante et terrifiée ; car, dans ce mo¬ment fugitif, j'avais eu la vision de ma fille, âgée de huit mois, noyée dans son bain. Le rêve avait été si vif et si réalistique, qu'il provoqua en moi une crise insurmontable de pleurs et de cris désespérés ; ceci plongea dans un grand étonnement mon mari et sa secrétaire, Mlle Simpson.
Dans la matinée du lundi, une amie vint me trouver ; pour aller la recevoir, je dus confier le bébé, qu'on venait de sortir du bain, à Mlle Simpson.
Cependant, un moment plus tard cette dernière fut aussi appelée d'urgence ; elle s'en alla, mais, arrivée au bout de l'escalier, se rappelant soudain le rêve, elle remonta en courant et arriva juste à temps pour retirer du bain le bébé, qui y avait glissé acci¬dentellement.
De la chambre où je me trouvais, comme j'avais entendu crier Mlle Simpson, je quittai mon amie sans cérémonie, et montai précipitamment ; je la trouvai avec ma fille dans ses bras ; celle-ci avait le visage déjà noir, et était complètement trempée.
Après cette expérience, que penser au sujet des rêves ? Je dirai que je suis immensément reconnais¬sante à la physiologie de m'avoir concédé le rêve bienfaiteur ; car si Mlle Simpson ne s'en était pas souvenue juste au moment voulu, ma fille se serait noyée.
Mais on expliquera que si la physiologie n'a rien à voir là-dedans, il s'agit en tout cas d'une « coïn¬cidence fortuite » ; en ce cas, je me déclare profondé¬ment reconnaissante à l'inventeur des « coïncidences fortuites »; et ce d'autant plus qu'en une autre occasion, cette ingénieuse invention m'a sauvée aussi de la mort en même temps que d'autres personnes.
Signée : Mrs. C. Leigh Hunt Wallace.
CLVIIe Cas. Le Dr Abercombrie, dans l'ou¬vrage : Intellectual Power (p. 215) rapporte l'é¬pisode suivant, qui fut ensuite l'objet d'une enquête par Robert Dale Owen.
Le major Griffith et sa femme avaient pour hôte dans leur château d' Edimbourg leur neveu Joseph d'Acre, de Kirlington, dans le comté de Cumberland. Le jeune garçon était venu à Edimbourg pour ses études, et on l'avait chaleureusement recommandé à son oncle et à sa tante.
Une après-midi, il annonça que le lendemain matin, il aurait été à Inch-Keith avec plusieurs personnes pour faire une partie de pêche ; ce à quoi l'on n'eut rien à objecter.
Durant la nuit, Mme Griffith se réveilla en sursaut, en proie à une grande terreur, criant : « Le bateau coule ! Sauvez-les ! Sauvez-les » Son mari, qui s'était réveillé à ces cris, attribua l'incident à l'anxiété causée par cette promenade du neveu mais Mme Griffith déclara n'en avoir éprouvée aucune, et qu'elle n'avait même pas arrêté sa pensée sur cette excursion.
Bientôt, elle se rendormit, mais pour rêver une seconde, puis une troisième fois la même chose. A la dernière reprise, elle vit le tableau de l'embarcation engloutie par les flots avec toutes les personnes à bord : ce qui acheva d'alarmer sérieusement Mme Griffith, laquelle, sans attendre au matin, passa une robe de chambre et alla réveiller son neveu, le suppliant de renoncer à la promenade et d'envoyer un domestique à Leith, avec une excuse quelconque. Elle eut une grande peine à le convaincre, mais elle finit par y parvenir.
La matinée s'annonçait magnifique, et le groupe s'embarqua sans le jeune d'Acre. Vers trois heures de l'après-midi un ouragan éclata tout-à-coup ; l'embarcation ne put résister et disparut engloutie par les flots avec tous ceux qu'elle portait.
Dale Owen put lire un récit de ce fait tracé de la main de Mme Mary Clarke, fille de M. d'Acre, prota¬goniste de l'épisode, et l'on y apprend que les personnes prenant part à l'excursion étaient : MM. Patrick Cunning, commerçant, Colin Campbell, capitaine de marine, un neveu de ce dernier nommé Cleland, et deux matelots. Le bateau fut renversé par un coup de vent de sud-est, et tous furent noyés hormis le capitaine Campbell, qu'on recueillit épuisé cinq heures après l'accident. (R. Dale Owen : Footfalls on the boundary of another world, p. 103).
CLVIIIe Cas. Je l'extrais du Vol. 1, p. 283, du Journal of the S. P. R. ; le prof. W. F. Barrett le recueillit et fit une enquête à son sujet. Le capitaine Mac Gowan raconte le fait personnel suivant :
En janvier 1877, me trouvant à Brooklyn avec mes deux fils tout jeunes encore, et qui étaient en vacances, je leur promis de les conduire, un soir fixé, au théâtre. Dès la veille j'avais été choisir et louer les trois places ; après quoi, je m'étais amusé à visiter l'intérieur du théâtre, y compris le plateau.
Le matin du jour fixé, je commençai de percevoir une voix intérieure qui me répétait avec insistance « Ne va pas au théâtre ; reconduis tes fils au collège ». Malgré mes efforts pour me distraire, je ne pouvais empêcher cette voix de continuer à répéter les mêmes phrases avec un accent plus impératif que jamais ; si bien que vers midi, je me décidai à informer amis et enfants que nous n'aurions pas été au théâtre. Mes amis me reprochèrent cette détermination, me faisant observer qu'il était cruel de priver les en¬fants d'un plaisir si inusité pour eux, et si impatiemment attendu, après leur avoir fait une promesse for¬melle ; et cela me fit encore une fois changer d'avis.
Cependant, durant tout l'après-midi cette voix intérieure ne cessa jamais de répéter l'ordre avec une insistance si impressionnante, que, le soir arrivé, et une heure avant le commencement du spectacle, j'an¬nonçai péremptoirement à mes fils qu'au lieu de nous rendre au théâtre, nous aurions été à New-York pour passer la nuit dans un hôtel voisin de la gare, et partir avec le premier train du matin. En parlant ainsi, j'avais presque honte de moi-même, me voyant obligé de me comporter de façon cruelle à cause d'un sentiment absurde qu'il était au-dessus de mes forces de dominer. Malgré tout nous partîmes pour New-York.
Or, il advint que durant cette même nuit le théâtre fut entièrement détruit par un incendie, et que 300 personnes périrent dans les flammes.
Si j'avais été présent, j'aurais indubitablement tenté la fuite par le plateau, au fond duquel j'avais remarqué le jour précédent une sortie réservée ; or, j'y aurais ainsi trouvé la mort, comme la trouvèrent tous ceux qui choisirent cette voie de sortie, et cela par suite d'un accident qui rendit la fuite impossible de ce côté.
Et si j'avais été au théâtre, ma soeur, qui s'y trou¬vait, aurait péri, inévitablement avec les autres, car nous avions décidé de nous en revenir ensemble ; tandis qu'étant seule, elle se décida à retourner avant la fin du spectacle.
Je n'ai jamais eu de ma vie un autre pressentiment, je n'ai pas l'habitude de changer d'avis sans bonnes raisons, et, en cette occasion, je le fis avec la plus grande répugnance, tout à fait malgré moi.
Quelle fut donc la cause qui m'obligea, contre ma volonté, de ne pas aller au théâtre après uvoir payé les trois coupons et tout disposé pour passer agréablement la soirée ?
(Le capitaine Mac Gowan explique au Prof. Bar¬rett que la voix intérieure résonnait très clairement pour lui, « comme s'il s'était agi de quelqu'un qui lui aurait parlé effectivement de l'intérieur du corps », et qu'elle avait persisté de l'heure du premier dé¬jeuner jusqu'au moment où il conduisit ses enfants à New-York. La soeur du percipient conserve les trois tickets, des places louées le jour précédent par lui. La nuit de l'accident, 305 personnes trouvèrent la mort).
CLIXe Cas. Le Rév. Elder Myrick publiait dans la Revue The Progressive Thinker (Chicago, octobre 1900) un article profond et pondéré sur plusieurs cas de pressentiments dont il fut le percipient, et qui, au point de vue théorique, le troublaient, et le préoccupaient moralement. Il écrit :
J'avais pris l'engagement de faire deux services religieux dans une petite ville des environs (de Chi¬cago). Lorsque, le matin venu, je me disposai au pre¬mier service, il faisait un temps splendide, et les fidèles étaient accourus nombreux au-delà de toute attente. J'avais donc motif de me sentir flatté et satisfait ; cependant, lorsque le moment fut venu d'annoncer le sermon que je devais faire à 4 heures de l'après-midi, je fus subitement envahi par un sentiment inexplicable et impérieux qui me força malgré moi de déclarer que je renonçais à le faire. Le soleil continuait à briller dans un ciel sans nuages, ma santé était parfaite, et mes dispositions oratoires excellentes ; et cependant, je m'étais libéré arbi¬trairement d'un engagement pris, en laissant profon¬dément déçue toute une réunion de fidèles désireux de m'écouter.
Ce jour-là, j'étais invité à dîner par le sénateur de cet Etat, dont la résidence était proche de l'église ; mais par suite de la même impulsion, j'allai chez lui pour prendre congé en m'excusant, et lui avouant en toute sincérité par quel sentiment mystérieux et insurmontable, je me comportais ainsi. Il se mit à rire et à se moquer aimablement de moi, et je l'é¬coutai, résigné, sans pour cela rien changer à mon projet de rentrer chez moi.
A quatre heures de l'après-midi, moment où j'au¬rais dû commencer le sermon si attendu, auquel une foule d'auditeurs n'aurait pas manqué d'assister, un cyclone épouvantable éclatait subitement et, en quelques instants, enveloppait et démolissait l'église, qui ne fut plus qu'un amas de ruines.
Une autre fois, j'avais achevé le cycle des services religieux auquel je m'étais engagé, et, aussitôt fini le dernier sermon, je me disposais à repartir immédia¬tement, lorsque je fus pris du même sentiment non motivé et insurmontable, qui m'obligea de passer au village une nuit encore. Or, le train par lequel j'aurais dû partir alla s'abattre sur un autre, et il en résulta un désastre épouvantable.
Ici, une question surgit spontanément : Si Dieu, le bon Dieu a daigné me prévenir de manière à me sauver, pourquoi n'a-t-il pas sauvé avec moi tant d'autres pauvres malheureux qui prirent ce train, ignorants de leur sort ? J'ai de moi-même une assez modeste opinion pour croire qu'ils étaient aussi justes et bons que moi, et méritaient autant que moi la clémence divine. Pourquoi donc ne furent-ils pas avertis ? Pourquoi ? Pourquoi ?
Si un Dieu personnel existe en quelque région de l'Univers, ce n'est pas moi qui songerai à lui attri¬buer directement ces choses. Un père qui dispen¬serait arbitrairement ses « grâces particulières » serait un père inhumain, Me sauver d'un désastre, et permettre avec sérénité que cent autres périssent, ce ne peut être l'oeuvre de Dieu ; et, à la vérité, je ne sens nul besoin d'un Dieu dispensateur arbitraire de «grâces particulières ». Et pourtant, il reste un mys¬tère à résoudre, c'est que j'ai été averti et sauvé ! Mon Dieu, pourquoi, pourquoi ? C'est si étrange !
Voici un dernier fait : Je me trouvais dans un grand édifice en construction. Subitement, je fus saisi de l'habituelle impression mystérieuse et insurmontable, qui m'obligea à me déplacer avec une telle précipitation, qu'on eût dit que j'avais été arraché de l'endroit de vive force. Un instant après, une poutre énorme échappait aux ouvriers qui travaillaient sur le toit, et s'abattait en brisant tout ce qui se trouvait au point précis où je me trouvais auparavant. En¬core une fois, j'avais été sauvé grâce à l'avertissement mystérieux.
Mais j'avais un ami, un brave garçon, un homme splendide, orgueil de sa mère, nommé Georges Sharp. Un jour, il était assis dans la forêt, près d'un arbre desséché. Aucune intuition, aucune prémonition, aucune «grâce particulière» n'intervint en sa faveur, et l'arbre s'abattit soudain de son côté, en tuant sur le coup mon pauvre ami.
Mon Dieu... je ne comprends pas... Pourquoi ces préférences ? Jésus a dit : « Des deux qui sont à la meule, l'un sera accueilli et l'autre congédié ». On dirait que celle-ci est la loi : je ne me rebelle pas, mais je me sens préoccupé, et je voudrais pouvoir comprendre d'où proviennent les pressentiments qui sauvent.
A propos du mystère qui préoccupe à tel point le Rév. Eider Myrick, l'apparente injustice divine dans les pressentiments qui sauvent quelques-uns et abandonnent tous les autres à leur destin, nous observerons d'abord que dans l'hypothèse d'une intervention extrinsèque, il faudrait dire que le Rév. Myrick doit son salut à ses propres facultés de sensitif, qui permirent à des entités désincarnées affectivement ratta¬chées à sa personne, de l'influencer télépathiquement au moment critique ; et, par contre, que son ami et les voyageurs du train détruit allèrent fatalement à la rencontre de la mort parce qu'ils étaient privés de cette sensitivité psychique indispensable pour récepter les messages spirituels. Ceci résoudrait en partie le mystère.
Nous disons seulement « en partie », parce qu'il faudrait expliquer encore comment, parmi les sensitifs même, quelques-uns sont favorisés par des prémonitions qui les sauvent, et d'autres ne reçoivent que des prémonitions manifestement entendues pour les prédisposer à l'événement fatal, mais sans les sauver ; de même qu'il resterait à expliquer comment la « cause agente », qui, en certains cas, semble en pleine connaissance du désastre qui se prépare, et par conséquent très capable d'en transmettre la nouvelle au sensitif de façon à sauver avec lui les autres personnes impliquées dans le désastre, se montre malgré tout intentionnellement réticente, comme si elle entendait en réalité circonscrire le bénéfice à lui seul ; tous mystères dont on ne saurait pour le moment contribuer à la solution qu'avec les vagues inductions exposées au commencement du chapitre.
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Sous-Groupe O
Prémonitions qui déterminent l’accident prédit
Dans les cas appartenant à ce sous-groupe, on trouve cette caractéristique curieuse que si la prémonition ne s'était pas produite, le fait prédit ne serait pas arrivé, c'est-à-dire que, c'est seulement par suite de la préannonce que les sensitifs furent amenés à agir ou à se comporter de manière à en provoquer l'accomplissement.
Cependant, les cas de cette nature, dont la valeur théorique serait très grande s'il était pos¬sible d'en recueillir un nombre suffisant, sont au contraire si rares, que je n'ai pu en trouver que trois. Le sous-groupe présent demeure donc à l'état embryonnaire, et les trois cas rapportés ne devront servir qu'à indiquer la possibilité de le constituer dans l'avenir.
CLXe Cas. Je le prends dans l'étude de Myers sur la « Conscience subliminale » (Procee¬dings of the S. P. R., Vol. XI, p. 488). Mrs. C.. écrit à la date du 29 février 1888 :
J'éprouve une horreur insurmontable pour les singes, que je ne regarde jamais lorsque je peux ne pas le faire. Une nuit, je rêvai que j'étais poursuivie avec persistance par une grand singe différent de tous ceux que j'avais vus, et dont je ne pouvais pas me libérer, ce qui me causait une terreur indicible.
L'impression que je gardai au réveil était si désa¬gréable et si insistante, que, dans l'espoir de la chasser, je résolus d'en parler à ma famille. Mon mari me conseilla d'essayer de sortir pour une promenade. Contrairement à mes habitudes, je fis venir mes enfants et je sortis avec eux, sans appeler la gouver¬nante pour les accompagner ; et comme leur prome¬nade favorite était dans la direction de Nightingale¬lane, où se trouvaient les domaines entourés du Duc d'Argyll, je me dirigeai vers cet endroit. Lorsque nous arrivâmes à Argyll Lodge, je vis avec horreur sur le toit de la remise ce même grand singe que j'avais rêvé. Surprise et effrayée, je me mis à courir en criant : « Oh ! mon rêve ! Mon rêve ! » plongeant ainsi dans l'étonnement le cocher du Duc, arrêté sur le seuil de la remise.
Mes cris, probablement, attirèrent l'attention du singe, qui se mit à nous suivre du haut du mur d'enceinte, tandis que nous fuyions le long du même mur, toujours en danger de le voir sauter et tomber sur nous ! La terreur que j'éprouvai fut identique à celle éprouvée en songe. Pour comble d'infortune, l'un des enfants était trop petit pour courir assez vite, ce qui contribuait à accroître mon épouvante.
Enfin, nous réussîmes à nous mettre en sûreté.
A peine rentrés à la maison, j'envoyai la femme de chambre s'informer au sujet du singe, car je me sentais en proie à un état de nervosité extrême. Elle apprit que l'animal appartenait à la Duchesse d'Ar¬gyll, qu'il s'agissait d'une race très rare et de grande valeur, et que, le matin même, il avait échappé par hasard à la surveillance de ses gardiens. - Tout cela expliquait l'incident dont j'avais été victime, mais le rêve de la nuit précédente demeurait et demeure. inexplicable.
(Le mari de Mrs. C. et la gouvernante écrivent respectivement à Myers en confirmant ce qui pré-cède).
Myers ajoute :
Dans notre collection de faits, celui-ci est presque unique en ceci, que la prémonition est justement ce qui détermine son propre accomplissement, en suggé¬rant les modalités de conduite qui devront porter le sensitif vers l'incident redouté !
En effet, le récit du rêve détermine le mari à conseiller une promenade à sa femme ; et celle ci accepte le conseil et, contrairement à ses habitudes, prend le chemin qui devra la conduire à la réalisation du rêve.
Tout ceci appellerait plutôt l'explication que nous proposions au sujet des prémonitions insi¬gnifiantes et pratiquement inutiles : c'est-à-dire que la « cause agente » (peu importe si subcon¬sciente ou extrinsèque) provocatrice du songe, en a aussi déterminé télépathiquement l'ac¬complissement. La chose est d'autant plus vraisemblable que le cas en question appartient, par le peu d'importance de l'incident, à la même catégorie.
On peut en dire autant pour le fait qui suit.
CLXIe Cas. Je l'extrais du Vol. II, p. 495, de l'Histoire du Spiritisme de César de Vesme. Il écrit :
Un rêve prémonitoire qui a tout le caractère de ceux que les psychistes étudient de nos jours nous est rapporté par le fameux Pierre Gassendi (1592-1655). Voici ses paroles :
M. Pereisch partit un jour pour Nîmes avec un ami, un certain M. Rainier. Celui-ci, durant la nuit, s'étant aperçu que Pereisch parlait en dormant, le réveilla et lui demanda ce qu'il avait. Celui-ci lui répondit : « Je rêvais que nous étions déjà parvenus à Nîmes et qu'un de ces joailliers m'offrait une médaille de Jules César pour le prix de quatre écus : tandis que j'allais justement lui remettre l'ar¬gent, vous m'avez réveillé, à mon grand regret ».
Lorsqu'ils furent arrivés à Nîmes, et tandis qu'ils se promenaient dans la ville, M. Pereisch reconnut le magasin du joaillier vu en rêve. II y entra, demanda s'il n'avait rien de curieux à lui vendre, et obtint pour réponse que si : une médaille de Jules César. A la demande : combien il l'estimait, le marchand répliqua : Quatre écus. M. Pereisch s'empressa de les payer et fut enchanté de voir son rêve heureusement accompli.
Ici également, l'accomplissement de la prémonition fut déterminé par le souvenir de la prémonition elle-même, parce que ce Pereisch ne serait pas entré dans la boutique du joaillier s'il ne s'était pas rappelé le rêve.
CLXIIe Cas. Le Dr Charpignon, dans l'ou¬vrage : Physiologie, médecine et métaphysique du magnétisme (p. 312), raconte le fait suivant, extrait par lui des Souvenirs de Mme de Créqui :
Le prince de Radziwill avait adopté une de ses nièces orpheline. Il habitait un château en Galicie, et ce château avait une très grande salle qui séparait les appartements habités par le prince de ceux occu¬pés par les enfants ; en sorte que pour communiquer des uns aux autres, il fallait traverser cette salle, à moins de passer par la cour.
La jeune Agnès, âgée de 5 à 6 ans, jetait toujours des cris déchirants toutes les fois qu'on lui faisait traverser la grande salle. Elle indiquait, avec l'expression de la terreur, un énorme tableau suspendu au-dessus de la porte, lequel représentait la sibylle de Cumes. On tenta pendant longtemps de vaincre cette répugnance qu'on attribuait à quelque obsti¬nation d'enfance ; mais des accidents sérieux ré¬sultant de cette violence, on finit par lui permettre de ne plus entrer dans cette salle, et la jeune fille aima mieux, pendant dix ou douze ans, traverser par la neige et le froid, la vaste cour ou les jardins, plutôt que de passer sous cette porte qui lui faisait une impression si désagréable.
L'âge était venu de marier la jeune comtesse, et, déjà fiancée, il y avait un jour réception au château. La société voulut, dans la soirée, se livrer à quelque jeu bruyant, et on alla dans la grande salle où, d'ailleurs, le bal de la noce devait avoir lieu. Animée par la jeunesse qui l'entourait, Agnès n'hésita pas à suivre les conviés ; mais à peine a-t-elle franchi le seuil de la porte, qu'elle veut reculer et qu'elle avoue sa frayeur. On l'avait fait passer la première, suivant l'usage, et son fiancé, ses amis, son oncle, riant de son enfantillage, ferment la porte sur elle. Mais la pauvr 'jeune fille veut résister, et en agitant un battant de la porte, elle fait tomber le tableau qui était au-dessus. Cette énorme masse lui brise le crâne par un de ses angles et la tue sur le coup.
Cet épisode, dont la valeur suggestive, au point de vue fataliste et réincarnationniste, serait très grande, a malheureusement le défaut d'être trop ancien, puisque la relatrice Mme de Créqui, vivait au temps de Louis XV. Je renonce donc à en dégager les points théoriquement remarquables.
CONCLUSIONS
Parvenu au terme de cette longue classifica¬tion, techniquement difficile et théoriquement hérissée de formidables difficultés, je m'aper¬çois qu'un critique pourrait facilement trouver quelques légères divergences de vues entre les considérations apposées aux premiers épisodes et celles qui suivent. Bien que ces divergences puissent être aplanies sans difficulté d'un trait de plume, j'ai préféré les conserver intégralement d'un côté parce qu'une partie d'entre elles ont une certaine valeur instructive en ce qu'elles repré¬sentent les oscillations inévitables de la pensée aux prises avec le thème le plus ardu et le plus inscrutable de la casuistique métapsychique ; et d'un autre côté, parce qu'elle constituent des « ébauches théoriques » qui, bien qu'abandonnées en germe, pourraient servir à d'autres comme empreintes pour découvrir de nouveaux sentiers permettant de pénétrer dans la forêt ténébreuse qui entoure la petite éclaircie explorée jusqu'à présent, de l'immense continent de la vie.
De toutes façons je me dispose à synthétiser dans mes conclusions ma pensée précise sur l'ar¬gument.
Je ne m'attarderai pas à discuter le point de vue probatif de cas recueillis, car, si un certain nombre d'entre eux peuvent être jugés insuffi¬sants (inconvénient inévitable dans une aussi longue classification) on ne peut que reconnaître l'authenticité incontestable de la grande majo¬rité. Je fais d'ailleurs observer que plus de la moitié des prémonitions rapportées sont étayées par les témoignages des personnes auxquelles les sensitifs les ont confiées avant l'accomplissement ; et qu'en outre, bon nombre d'entre elles ne furent pas seulement racontées à l'avance, mais écrites au moment où elles se produisirent, parfois même jurées devant notaire ; pour d'au¬tres cas des hommes de science se portent garants, soit pour avoir fait une enquête personnelle à leur propos, soit pour en avoir été eux-mêmes les protagonistes. Enfin, je note que par un heureux hasard, les épisodes les plus extraordinaires, les plus merveilleux, les plus impressionnants de tout le recueil prennent justement place parmi les plus certifiés par des témoignages inattaquables et complets ; donc, même si l'on ne devait compter qu'avec ces derniers, on peut dire dès à présent en toute légitimité qu'on peut considérer comme atteinte la preuve scientifique de l'existence de la phénoménologie prémonitoire.
Ceci dit, je résume les résultats théoriques auxquels nous sommes parvenus par l'analyse des faits.
Dès l'introduction, dans le but de déblayer le terrain des hypothèses inutiles, j'indiquai comme telle celle de la coexistence du futur dans le présent, qui nous semblait philosophiquement inconcevable, psychologiquement absurde, pra¬tiquement insoutenable parce que contredite par les faits. De là la nécessité de l'exclure du nombre des hypothèses applicables aux phénomènes prémonitoires. Je ne répéterai donc pas les réflexions présentées à ce sujet ; je reproduirai plutôt, à titre complémentaire, quelques passages d'un article récemment publié sur l'argu¬ment par M. Vincenzo Cavalli, et qui parvient aux mêmes conclusions. Voici ce qu'on y lit :
Qu'il s'agisse de phénomènes objectifs ou subjec¬tifs, l'ordre chronologique y est associé nécessairement avec l'avant et 1'après, et avec la suite des divers événements, le synchronisme absolu étant abso¬lument impossible, et constituant une véritable uto¬pie métapsychique et un véritable non-sens psychologique... L'éternel présent devrait dans la vie psy¬chique être l'impossible suppression de la succession nécessaire des actes, des faits, des sensations, des souvenirs, c'est-à-dire l'anéantissement du mouvement, et par conséquent de la vie même de la cons¬cience : la paralysie du Moi au milieu d'une scène immobile et immuable. Est-ce possible ? ?... Nous sommes et demeurons des êtres spatiaux et temporels, enfermés dans la limitation et soumis à la division, et tout effort spéculatif pour rompre le cercle de notre nature psychologique et dépasser l'orbite de notre potentialité logique est vain, et tombe dans le vide... C'est ainsi que nous pourrons faire du roman idéologique ou phraséologique sur le présent éternel ; mais en substance, c'est pour nous, tenter de ration¬naliser l'absurde, et non d'éclaircir l'abstrus. On ne peut même pas donner à un semblable mythe philo¬sophique une réalité imaginaire concevable quelcon¬que, qui devrait être l'impossible synthèse synop¬tique de mille et mille synthèses biographiques !... Le supposé éternel présent, sans un passé derrière soi ni un futur devant soi, peut être une magnifique figure de lyrisme philosophique, mais demeure toujours pour nous une irréalité... donc la suppression du temps est une hyperbole poétique, et non une vérité métaphysique... (Luce e Ombra, 1912, p. 366-368).
Ainsi s'exprime Vincenzo Cavalli, dont on connaît la valeur et l'acuité d'esprit scientifique.
Il est inutile de se dépenser encore en paroles à ce sujet. Je me contenterai de rappeler que dans les commentaires du CXe Cas, j'ai démontré que l'hypothèse en question est absolument en contradiction avec les faits.
Une fois éliminée l'hypothèse de l'éternel présent, au moyen de laquelle on pouvait se faire l'illusion d'expliquer l'ensemble des faits,, un deuxième se présentait, capable de se prêter à des présomptions illusoires analogues, et c'était celle des inférences subconscientes. Celle-ci, néan¬moins, pouvait être considérée à trois points de vue différents, c'est-à-dire : à celui où les « infé¬rences subconscientes » étaient conçues dans un sens strictement psychologique ; celui où elles étaient conçues dans une signification supernor¬male avec une extension perceptive, large si on veut, mais enfin, toujours circonscrite ; celui en dernier lieu, où elles étaient conçues dans un sens métaphysique, et avec une étendue illimitée de perceptions.
Je m'empressais de déclarer que la première et seconde version de cette seconde hypothèse paraissaient légitimes, et peuvent même être considérées comme acquises à la science ; il n'en est pas de même pour la troisième, au sujet de laquelle j'annonçais mon intention d'en démontrer la fausseté, par conséquent la nécessité de l'exclure du nombre des hypothèses applicables aux phénomènes prémonitoires.
Mais pour arriver à ce but, il fallait une tout autre préparation que pour exclure l'hypothèse de l'éternel présent, pour laquelle on ne pouvait invoquer des formules d'induction capables de l'appuyer, puisqu'elle était inconcevable métaphysiquement, psychologiquement et pratiquement ; tandis que la situation était meilleure pour l'hypothèse des inférences subconscientes d'une étendue illimitée. En effet, on pouvait alléguer en sa faveur deux considérations : l'une est que cette forme de prescience semblait pour le moins légitime en rapport avec l'Omniscience divine ; l'autre, que, métaphysiquement, elle n'était pas inconcevable comme celle de l'éternel présent.
Malgré qu'un complet examen du thème nous conduisît à reconnaître que si cette hypothèse, appliquée à l'Omniscience divine, pouvait pa¬raître métaphysiquement vraie, ceci ne l'em¬pêchait pas de rester une vérité purement thé¬orique (et par conséquent, inapplicable aux phé¬nomènes prémonitoires considérés comme des manifestations de la subconscience), malgré cela, dis-je, ce raisonnement ne suffisait pas à l'exclure du nombre des hypothèses légitimes, à moins que l'on ne pût démontrer qu'elle était en contradiction avec les faits, et inconciliable avec les mo¬dalités de manifestations propres aux autres facultés supernormales subconscientes.
Je me suis attelé à la tâche en partant du principe que le fait de conférer à la personnalité subconsciente la faculté d'inférer l'avenir sur la base de causes existantes dans le présent signi¬fiait lui attribuer une puissance d'abstraction presque divine, en comparaison desquelles les facultés d'abstraction propres à la personnalité normale étaient littéralement insignifiantes, quoiqu'en ces dernières se condensent toute l'élévation psychique de la mentalité humaine, et qu'on leur doive exclusivement les découvertes, les inventions, les créations du génie. Il découlait de là qu'on ne pouvait logiquement admettre cette invraisemblable, prodigieuse, énorme su¬prématie intellectuelle de la personnalité sub¬consciente sur la consciente, sans donner lieu à des problèmes antithétiques irrationnels et absurdes. De là cette induction, que probablement la « clairvoyance dans le futur » n'était pas un attribut de l'intellect, comme on avait une tendance erronée à la croire, mais une faculté de sens ; cette induction aurait eu l'avantage d'écarter toute hésitation théorique.
Une base inductive rationnelle étant ainsi préparée pour l'étude de notre thèse, il s'agissait de commencer les recherches pour en prouver l'exactitude, en commençant par analyser les autres facultés supernormales de la subconscience : telles que la « clairvoyance dans le passé », la « clairvoyance dans le présent » et la « télépa¬thie » dans le but d'établir une comparaison, au moyen de laquelle on pourrait déduire si ces dernières facultés doivent être, à leur tour, considérées commes des facultés de sens, ou des attributs de l'intellect. Il résulte de la comparaison que, d'après leurs modes de manifestation, elles sont indubitablement des facultés de sens super-normales, correspondant à tous les points de vue aux facultés de sens normales, de sorte qu'il fallait les considérer comme homologues de celles-ci, et par conséquent leurs correspondantes dans une ambiance supernormale ou spirituelle. Delà une seconde induction qui venait confirmer la première, savoir : que la « clairvoyance dans le futur », ne pouvant faire exception à la règle, devait être réduite à une faculté de sens.
Ceci est prouvé d'abord par les modes de mani¬festation de la « clairvoyance dans le futur », qui correspondent exactement à ceux de la « clairvoyance dans le passé » ; c'est-à-dire que dans l'une comme dans l'autre, ces modes consistent généralement en visualisations représentatives tellement identiques, qu'elles engendrent des erreurs d'inversion dans le temps ; visualisations qui, pour la « clairvoyance dans le passé », ont probablement pour origine des «traces» ou «vibra¬tions latentes », ou des « influences psychiques ou physiques » que les événements laissent ou déterminent, soit dans les subconsciences des vivants, soit dans les objets inanimés, soit dans l'ambiance où ils se sont déroulés. De sorte que cette question se posait immédiatement : « Etant donné que dans les deux ordres de phénomènes on rencontre une identité d'effets, n'y aurait-il point une identité de causes ? En d'autres termes : Si la « clairvoyance dans le passé » se base sur des «traces », des «vibrations », des «in¬fluences » existant dans un milieu quelconque, pourquoi donc, malgré les apparences, quelque chose de semblable ne pourrait-il se réaliser pour la visualisation des événements futurs ? Dans ce cas, au lieu de « traces » ou d' « influences » déterminées par les événements qui se sont produits dans le monde physique, on aurait affaire à des traces » ou «influences » prédéterminées par des événements en voie d'extrinsécation, ou préordonnées de quelque autre manière ; et les hypothèses « réincarnationniste » « prénatale », «fataliste », « spiritualiste » toutes aussi vieilles que l'humanité, se prêteraient parfaitement à l'expliquer. De là une troisième induction confir¬mant encore une fois notre thèse, et en même temps féconde en nouvelles perspectives théo¬riques.
En poursuivant cette analyse, nous nous trou¬vâmes encore en face de cette considération : si la « clairvoyance dans le futur » était une faculté supérieure d'abstraction psychique par laquelle le Moi subconscient infère l'avenir du présent de même manière que l'astronome, à plusieurs mois d'intervalle, infère le jour, l'heure, la minute où une comète atteindra son périhélie, alors, à cette potentialité semi-divine d'abstraction ne pourrait que correspondre à un degré rationnel l'élévation semi-divine de toutes les autres facultés qui constituent la synthèse psychique. Il dériverait de cela que le Moi subconscient ne pourrait pas par¬ticiper dans une si large mesure à l'omniscience divine sans participer en une mesure correspon¬dante à l'omnipotence divine, puisque, philoso¬phiquement parlant, l'équivalence est parfaite entre les deux attributs de la divinité. Les sen¬sitifs en condition de lucidité devraient donc se montrer fournis d'un pouvoir surhumain, ou du moins s'en montrer suffisamment fournis pour se sauver eux-mêmes des dangers qui les menacent et qu'ils préconisent ; ce qui est bien loin de se produire. Et cette impuissance, indice certain de dépendance, se trouvant en parfait rapport avec leur attitude passive, qui à son tour est un indice de condition réceptive, fait logiquement conclure qu'ils perçoivent les événements futurs par médiation, conformément à la nature de toutes les facultés de sens, et non pas activement, ou abstraitement, conformément à la nature des facultés de l'intellect. De là une qua¬trième induction pour soutenir encore mieux le même point de vue.
Nous avons remarqué encore : le fait que la clairvoyance dans le futur se manifeste en mesure égale parmi les peuples sauvages et ceux civi¬lisés démontre, à son tour, qu'elle ne peut con¬sister en une « faculté d'abstraction », car en ce cas il faudrait attribuer au Moi subconscient d'un sauvage des attributs mentaux semi-divins analogues, ce qui ferait apparaître absolument monstrueux le contraste entre le contenu et le contenant, entre l'homme supérieur intérieur et la brute extérieure. Par contre, toute antithèse disparaîtrait si l'on considérait la « clairvoyance dans le futur » comme une faculté de sens d'ordre supernormal, dépendant comme les autres du Moi intégral subconscient ; c'est-à-dire, identique aux autres facultés supernormales de sens qui existent dans la subconscience, lesquelles facultés dans leur ensemble, constitueraient les sens spirituels du Moi intégral désincarné. Dans ce dernier cas, on comprendrait que tous les hommes, soient-ils grands comme Socrate, ou dégradés comme un sauvage, doivent les posséder en mesure identique, de même qu'ils possèdent en mesure identique les sens nécessaires à la vie terrestre de relation. De là une cinquième induction très impressionnante et très importante pour le soutien de la thèse énoncée.
Enfin, on remarquera que cette thèse corres¬pond exactement aux affirmations des somnam¬bules, des voyants et des médiums, qui, tous, parlent de signes précurseurs des événements qu'ils interprètent ; ou d'ambiants spirituels où les causes mûriraient avant que les effets s'ac¬complissent dans le monde physique ; ou d'évé¬nements futurs qui projetteraient en avant leurs ombres ; ou d'entités spirituelles qui leur révèleraient ce qu'ils communiquent ; par contre, jamais ils n'affirment inférer les événements im¬prévoyables en se basant sur les causes existant dans le présent ; et lorsqu'on les interroge expli¬citement à ce propos, ils répondent que la clairvoyance dans le futur ainsi comprise serait im¬possible. Ces affirmations sont des plus symptô¬matiques, surtout si l'on considère qu'il s'agit de sensitifs en conditions de lucidité ; ce qui fait penser que si, en vertu des conditions où ils se trouvent, ils parviennent à sonder l'avenir, rien n'empêche qu'ils parviennent à pénétrer aussi les causes qui leur permettent de le scruter et la concordance de leurs affirmations, dans le sens positif comme dans le sens négatif, apporte un tribut confirmatif non négligeable. Et voilà une sixième et dernière preuve inductive à l'appui de la même thèse, c'est-à-dire que l'hy¬pothèse des inférences subconscientes d'une éten¬due illimitée, d'après laquelle les phénomènes prémonitoires s'expliqueraient par des «facultés d'abstraction » présumées de la subconscience, est, d'une part, philosophiquement, psycholo¬giquement, moralement insoutenable ; et de l'au¬tre, inconciliable avec les modes de manifestation des facultés supernormales en général, qui, étant des facultés de sens, indiquent clairement que la clairvoyance dans le futur doit être considérée comme telle ; et ceci écarte absolument toute indécision philosophique, psychologique et mo¬rale.
Restait à prouver comment l'hypothèse des « inférences subconscientes » aussi est en contradiction avec les faits : entreprise relativement fa¬cile, et qui devait amener à établir sur des bases solides les nouvelles perspectives théoriques qui découlent spontanément des considérations ex¬posées plus haut..
Pour ne pas compliquer plus que de raison la filière de cette synthèse de conclusions, je ne toucherai pas aux faits moins importants qui sont à l'appui de ce que j'affirme, et je ne m'at¬tarderai que sur le principal, savoir : l'existence de prémonitions de malheurs ou de morts, grâce auxquelles les personnes désignées auraient pu se sauver, mais dont elles, ne se sauvent point par suite du consentement tacite ou exprimé de la cause agente.
Ces formes de prémonitions se divisent en deux catégories, l'une étant le complément de l'autre.
Dans la première d'entre elles, les personnes désignées ne se sauvaient point, parce que le sensitif discernait ou réceptait, en tout ou en partie, les détails insignifiants qui constituaient le fond ou le contour d'un événement futur, et n'en discernait pas, ou n'en réceptait pas, les données essentielles qui le caractérisaient ; de sorte qu'il était juste assez renseigné sur l'événement lui-même pour l'entrevoir sans le péné¬trer ; et, par conséquent, il lui était impossible de l'éviter. De là cette induction très certaine, qu'en de semblables, conditions il était impos¬sible d'invoquer les inférences subconscientes, étant donné qu'alors le sensitif, en remontant le cours du temps par l'enchaînement des causes et des effets, aurait dû découvrir les principaux détails de l'événement futur, ou bien la totalité de ces détails, mais non pas seulement les détails légers et inconcluants qui en formaient le contour. Il s'ensuivait que cette hypothèse était, d'une part, inadmissible à cause de la contradic¬tion flagrante entre ce qui aurait dû se réaliser et, ce qui se réalisait, et d'un autre côté, parce qu'on voit émerger des faits de cette nature une intentionnalité sélectionnant les détails transmis, intentionalité qui ne pouvait avoir son origine dans le Moi subconscient, lequel, en des circons¬tances semblables, ne se serait pas logiquement. abstenu de transmettre au Moi conscient ce qu'il percevait pour lui dans le futur, en le préservant ainsi d'un grave accident ou de la mort, et en se sauvant lui-même avec lui !
La seconde catégorie de manifestations du même genre, et complémentaire de la première, consistait dans les cas où les prémonitions qui ne sauvent pas les personnes désignées, étaient obtenues par l'intermédiaire de personnalités médiumniques affirmant être des « esprits » de défunts, lesquels, à son tour, s'abstenaient avec soin de revéler les faits dont l'intéressé pouvait se valoir pour éluder le destin qui l'at¬tendait ; et, si on leur adressait des questions explicites, ne répondaient pas, ou répondaient évasivement, ou-s'exprimaient symboliquement, de manière à ne pas laisser paraître la véritable signification de leurs paroles jusqu'à l'accomplis¬sement de l'événement, comme si elles n'a¬vaient pas voulu, ou n'avaient pas pu, révéler tout ce qu'elles connaissaient manifestement. Or, comme personne ne peut défendre à une per¬sonnalité subconsciente et autonome de sauver de la mort une personne en révélant ce qu'elle sait, et comme on ne peut avancer aucune raison pour laquelle une personnalité subconsciente serait amenée à s'en abstenir volontairement, on en conclut de façon tout aussi indubitable qu'en de pareilles contingences il ne peut s'agir, ni d'inférences subconscientes, ni de personnalités subconscientes.
Ainsi, nous voyons se dégager tout aussi clairement des manifestations prémonitoires la confirmation de cette grande vérité commune à toute la casuistique médiumnique : que l'analyse comparée des faits prouve de manière certaine que tout phénomène supernormal a indifféremment pour origine deux causes différentes : la subconsciente et l'extrinsèque, l'animique et la spiritique. Et si l'animisme et le spiritisme, en se complétant mutuellement, se démontrent tous deux indispensables à l'explication de cette casuistique, tout cela, à son tour, ne s'explique que si l'on admet, que l'homme est un « esprit » incarné dans un organisme qui amoindrit tem¬porairement l'activité spirituelle conformément aux conditions modifiées de son existence présente, et par suite, que certaines facultés spirituelles, inutiles pour une ambiance terrestre, ne peuvent que se réduire et par conséquent se retrouver à l'état latent dans les recoins de la subconscience ; ce qui, en pratique, est par¬faitement confirmé par la manifestation des fa¬cultés supernormales de la subconscience, cha¬que fois qu'un arrêt de l'activité fonctionnelle de l'organisme le permet ; c'est ce qui donne lieu à des phénomènes métapsychiques multiples, parmi lesquels un bon nombre de manifestations prémonitoires. Nous voilà donc arrivés à l'in¬duction. parfaitement logique et théoriquement très importante, que ce qu'un « esprit désin¬carné » peut accomplir peut être aussi (mais plus difficilement) accompli par un « esprit incarné ».
Ceci dit à titre de digression nécessaire, je reprends mon thème en observant qu'aussitôt admise l'intervention d'une entité extrinsèque dans les manifestations prémonitoires, on parvient à expliquer de façon satisfaisante les modes de manifestation exposés plus haut. En effet, après cela, il n'est plus difficile d'admettre qu'un « esprit désincarné » rattaché par un lien affectif à un vivant menacé d'un événement douloureux, s'emploie à l'en aviser télépathiquement au moyen d'une représentation subjective de l'événement, en se bornant néanmoins à une représen¬tation partielle ou symbolique, dans le but de le lui faire uniquement entrevoir ou pressentir, de manière à créer en lui un état pouvant l'y prédisposer. Il serait contraint à cela pour ne point porter obstacle au cours inexorable des destinées humaines, soit parce que la chose lui est interdite, soit parce qu'il est conscient que ce qui arrive est à l'avantage spirituel de la personne désignée.
Cependant, ces considérations font ressortir jusqu'à l'évidence que l'hypothèse spiritualiste proprement- dite ne suffit pas, à elle seule, à éclaircir tous les aspects du problème, en tenant compte de l'existence indubitable de quelque chose de préordonné dans le cours des choses humaines ; il faut donc la considérer en rapport avec d'autres hypothèses complémentaires comme la fataliste et la réincarnationniste susceptibles de s'harmoniser parfaitement avec elle.
D'autre part, l'hypothèse fataliste jaillit des faits avec une telle évidence, qu'on se trouve obligé, de toute manière, de la prendre en consi¬dération sérieuse, malgré les troublants problèmes philosophiques et moraux qu'implique sa con¬ception classique, conception qui, seule, s'adapte aux phénomènes prémonitoires, et selon laquelle le fatalisme ne se présente que comme une espèce de déterminisme universel absolu, établi et imposé par une puissance spirituelle supérieure, seule libre. Il faudrait donc conclure de là que la liberté et la responsabilité humaines sont illu¬soires, et que l'homme est réduit aux propor¬tions d'un automate sentant et conscient.
Ici se posait une question : Jusqu'à quel point les phénomènes prémonitoires autorisent-ils à affirmer une conception aussi désolante de la vie ? Nous y répondîmes en observant qu'au premier abord, ils semblent l'appuyer entièrement, si l'on pense aux épisodes si nom¬breux où, non seulement les événements les plus importants auxquels devait être soumis un indi¬vidu étaient prophétisés, mais aussi les plus petits détails des situations de milieu où il devait se trouver. Et si l'analyse comparée des faits n'avait suggéré aucun adoucissement à cette formule absolue de fatalisme, il ne restait qu'à nous résigner philosophiquement à l'inéluctable, et à nous retrancher à la guise des anciens Romains derrière la formule classique : Si divi natio est, Dii sunt (si la divination est, les Dieux sont). En effet, une fois qu'on a relevé cette circonstance très importante que l'existence d'une fatalité suppose nécessairement un Ordonnateur Suprême, si les actions humaines sont préor¬données dans leurs menus détails, cela ne peut être qu'en vue d'une finalité ultraterrestre ; le fatalisme prouve donc l'existence dans l'homme d'un esprit survivant à la mort du corps ; et comme un plan directif de la vie universelle, si grandiose dans sa rigueur inflexible, ne peut pas n'avoir point à son tour une finalité, qui ne peut se dérouler que conformément à l'ascension spirituelle des êtres, il s'ensuit que la Loi fataliste qui plane sur l'humanité doit avoir sa raison d'être, et par conséquent doit être considérée comme, la plus avantageuse pour elle, dans la phase d'incarnation actuelle. Ceci n'empêche pas d'admettre que l'ascension spirituelle humaine doive se manifester dans le sens de la Nécessité vers la Liberté ; donc, en dernière analyse, nous devons nous sentir rassurés et tranquilles au sujet de notre avenir spirituel, et pleinement confiants sur les décrets de l'éternelle justice.
Tout ceci est dit au sujet de la pire des hypothèses ; néanmoins, l'analyse comparée des
faits ferait plutôt présumer que nous ne devons pas nous contenter de cette formule consolatrice, car il y a des phénomènes prémonitoires qui renferment de nombreux indices tendant à prouver que l'hypothèse fataliste a besoin, à son tour, d'être considérée en rapport avec d'autres hypo¬thèses complémentaires, en vertu desquelles elle se trouve confinée dans des limites conciliables avec la liberté et la responsabilité humaines.
L'une de ces hypothèses complémentaires, c'est la « réincarnationniste ». En effet, si l'exis¬tence terrestre ne représente qu'un anneau d'une chaîne indéfinie de vies successives, et si l'esprit, à l'heure de sa réincarnation, préétablit lui-même dans un but d'expiation, d'épreuve, de perfec¬tionnement spirituel ; les événements cardinaux auxquelles il devra se soumettre dans sa nouvelle existence incarnée ; si ces événements s'effacent de sa mémoire physiologique avec son entrée dans la vie, mais demeurent enregistrés dans sa subconscience, d'où ils émergent un jour et se réalisent par un processus analogue à celui par lequel se dégagent les suggestions post-hypno¬tiques ; si tout cela se produit, une grande partie des manifestations prémonitoires, qui semblaient l'oeuvre d'une fatalité inexorable, se transfor¬ment en actes librement voulus.
En ce cas, il faut radicalement modifier la conception du « fatalisme », dont la domination n'est plus absolue, mais relative et conditionnelle, tandis que le champ d'action de la liberté et de la responsabilité humaines se présente sous un nouvel aspect.
Pourtant, même au sujet de l'hypothèse réin¬carnationniste, nous voyons surgir un obstacle qui aurait empêché d'accueillir celle-ci si on ne parvenait pas à l'éliminer ; cet obstacle consiste dans l'existence d'un groupe de prémonitions re¬gardant des incidents à tel point insignifiants et inutiles, qu'on ne peut en aucune façon les croire préordonnés dans un but de perfectionnement moral de l'esprit en voie de réincarnation.
Pour obvier à cette difficulté, se présente une autre hypothèse, qui a l'avantage d'être basée sur des données d'ordre expérimental permettant de conclure que les épisodes du genre qui font l'objet de notre examen sont des manifes¬tations en soi, préparées et exécutées par des personnalités subconscientes ou extrinsèques, qui transmettent d'abord au sensitif, sous forme de vision onirique, ou d'une autre façon, une situation future donnée où lui, ou d'autres, devront se trouver ; ensuite, elles en provoquent la réalisation au moyen d'une suggestion exercée télépathiquement sur le sensitif ou les autres intéressés ; et ceci (à ce qu'affirment les person¬nalités en question) afin d'impressionner nos esprits, d'inculquer en nous l'idée d'un mystère dans la vie, d'ébranler le scepticisme des hommes, les amenant à méditer sur la possibilité de l'existence d'une âme survivant à la mort du corps. En même temps, leur action doit être considérée comme à peu près limitée aux faits insi¬gnifiants, car il ne leur est pas possible, sauf cir¬constances spéciales, de suggestionner télépa¬thiquement, ou de déterminer par d'autres moyens, les hommes à des actions de quelque importance.
Cette hypothèse, hardie en apparence, est au contraire vigoureusement confirmée par les expé¬riences de suggestion télépathique, où l'agent parvient à déterminer le percipient à des actions spéciales, que ce dernier croit exécuter volontairement ; elle est tout aussi sérieusement étayée par les cas où une personnalité médiumnique prédit sa propre intention d'influencer un in¬dividu pour l'induire à exécuter une action quelconque, qui est accomplie le moment venu par l'individu désigné. Devant de tels résultats, il faut nécessairement conclure que, si les person¬nalités subconscientes et médiumniques parviennent à influer sur le cours des actions humai¬nes (bien entendu, d'une manière limitée aux cas de sensitifs susceptibles d'être soumis aux influences télépathiques), il n'y a plus de raison pour ne pas attribuer à la même cause les pseudo¬prémonitions rapportées plus haut, et même il semble conforme aux méthodes de recherches scientifiques de s'en tenir, jusqu'à preuve contraire, à cette hypothèse.
De cette façon, non seulement on parvient à expliquer suffisamment un groupe d'épisodes apparemment inconciliables avec l'explication réincarnationmste, mais en même temps, on voit se rétrécir les limites de l'hypothèse fata¬liste.
Reste cependant la nécessité de recourir à cette dernière en songeant que de nombreux inci¬dents prémonitoires ne s'adaptent pas facilement, ou n'entrent pas du tout dans l'orbite réincarnationniste, soit parce qu'ils sont indé¬pendants de la volonté consciente ou subconsciente de la personnalité humaine (comme dans les prémonitions de mort par la tombée de la foudre ou d'une tuile) soit parce que, non seulement elles revêtent le caractère ci-dessus, mais encore s'échappent des limites d'une existence individuelle (comme dans les prémonitions de mort par suite d'un naufrage, d'un désastre de chemin de fer, d'un cataclysme), soit, enfin, parce qu'elles atteignent une importance sociale (comme dans les prophéties de mort au cours d'une bataille, ou dans les prédictions d'événe¬ments politiques). De là cette induction inévi¬table, que, si les deux hypothèses ci-dessus pou¬vaient restreindre le fatalisme en de justes limites en restituant une liberté et une responsabilité suffisantes aux actions humaines, elles n'empê¬chent pas que l'on doit conclure à la légitimité de l'hypothèse fataliste considérée en rapport avec les grandes lignes directrices traçant les destinées des peuples et des individus.
Si l'on voulait éclaircir ces conclusions à l'aide d'une comparaison, il faudrait dire que si, d'une part, tout concourt à démontrer que le but de la vie est de nous préparer nous-mêmes notre propre destinée, de l'autre, il faut présumer que l'homme est libre dans le cercle de la fatalité qui le trans¬porte, de même que le passager d'un navire est libre dans la cabine à lui destinée, mais obligé d'accomplir l'itinéraire établi par le Maître du navire.
Ou, voulant reprendre la comparaison de Swedenborg, il faudrait dire que la vie est une école, présidée par les « messagers de Dieu » en qualité de maîtres, qui nous proposent les devoirs à accomplir ; que le fait de les accomplir bien ou mal dépend de nous, et que lorsque notre éducation est accomplie, ou lorsque nous avons appris ce que notre capacité nous permet à l'é¬cole de la vie, même si cette éducation, pour certains, ne doit être qu'un insuccès, alors nos maîtres nous font quitter l'école.
Pour concilier la comparaison de Sweden¬bourg avec l'hypothèse réincarnationniste, il faudrait la corriger en supposant que les « de¬voirs à accomplir» ne sont qu'en partie imposés par les « messagers de Dieu », et que, pour l'au¬tre partie, ils proviennent des « esprits » eux-mêmes, au moyen d'une auto-suggestion pré-natale.
En laissant de côté les comparaisons, nous concluerons en observant qu'en ligne générale, et d'après l'analyse comparée des phénomènes prémonitoires, on a des raisons pour croire que les événements des peuples et des individus sont soumis aux lois cosmiques de la nécessité et de la liberté, harmonieusement associées entre elles ; tout cela dans un but qui, bien qu'insondable, permet d'entrevoir qu'il doit se manifester dans le sens ascensionnel de la Né¬cessité vers la Liberté. Par conséquent, la meil¬leure solution de ce problème si ardu est sans aucun doute celle-ci : « Ni libre arbitre, ni déter¬minisme absolus durant l'existence incarnée de l'esprit, mais Liberté conditionnée ».
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* *
Telles sont les principales conclusions auxquel¬les nous sommes parvenus après la présente clas¬sification ; ces conclusions rendent évident ce que j'affirmais au commencement : que tout concourt à prouver que les phénomènes prémo¬nitoires ont pour origine des causes multiples, bien qu'à un certain point de vue, ils constituent un ensemble homogène de faits qu'on ne peut pas détacher, parce qu'ils s'enchaînent entre eux et se complètent mutuellement ; toutes choses qui leur confèrent une sorte d'unité dans la diversité.
Ensuite, nous avons vu aussi que les hypothèses proposées pour l'explication des phénomènes en question constituaient à leur tour un tout soli¬daire et harmonique, qui semblait destiné à triompher ou à tomber intégralement, parce que aucune des hypothèses en question ne pouvait à elle seule expliquer complexivement les faits ; que l'exclusion d'une quelconque d'entre elles compromettait la stabilité du groupe, et que c'est à condition seulement de les tenir toutes, présentes et de les utiliser toutes tour à tour, que l'on parvenait à résoudre de façon satisfaisante toutes les difficultés théoriques les plus sérieuses.
Et ces très importants résultats ont été ob¬tenus à l'aide de cinq propositions fondamentales : deux négatives, trois affirmatives.
Avec les deux propositions négatives, on avait pour but de démontrer que les hypothèses de l'éternel présent et des inférences subconcientes dans un sens illimité, étant philosophiquement, psychologiquement et pratiquement inadmis¬sibles, devaient être exclues du nombre de celles applicables aux phénomènes prémonitoires.
Avec les trois propositions affirmatives, on établissait les très importantes données suivan¬tes : avec la première, que la clairvoyance dans le futur n'était pas un attribut de l'intellect, mais une faculté de sens, conforme à la nature de toutes les facultés supernormales subconscientes, ce qui transformait radicalement le point de vue duquel on considère la genèse de la phénoménologie qui nous occupe ; avec la seconde, que les prémoni¬tions d'ordre insignifiant et pratiquement inutile comportent une explication qui leur est propre, appuyée par des preuves expérimentales incon¬testables, en harmonie évidente avec les hypothèses fondamentales ; on éliminait ainsi une difficulté théorique troublante, dont certains chercheurs se valaient pour attribuer une origine subconsciente à toutes les prémonitions ; avec la troisième, que les prémonitions d'accidents ou de morts dont les victimes ne se sauvent point, par consentement tacite ou exprimé de la cause agente, ne pouvaient être attribuées, ni à des inférences subconscientes, ni à des personnalités subcons¬cientes ; de sorte que l'explication spiritualiste d'une partie de la casuistique prémonitoire s'imposait au critère de la raison avec l'évidence d'une constatation.
Tout compte fait, les cinq propositions indi¬quées montraient avoir pratiquement une portée théorique beaucoup plus étendue qu'elles ne pouvaient le faire prévoir au commencement ; on pourrait enfin considérer qu'elles ont dès à présent tracé la voie qui devra conduire à l'avenir, au but poursuivi : la solution du problème de la clairvoyance dans le futur, en conciliant cette dernière avec la liberté et la responsabilité hu¬maines.
Nous constations ainsi ce fait très important, que notre nouveau point de vue, engendrait des hypothèses convergeant vers la démonstration spiritualiste pour centre ; c'est-à-dire, que d'une part ces hypothèses démontraient la genèse posi¬tivement spiritique de nombreuses prémonitions, et de l'autre, prouvaient l'existence d'un subs¬tratum spiritualiste en toutes les prémonitions.
En effet, une fois constatée la genèse spiritique de certaines d'entre elles, si les facultés transcen¬dantes par lesquelles une entité spirituelle parvient à compénétrer le futur se trouvent à l'état latent dans les recoins de la subconscience hu¬maine, d'où elles émergent parfois en donnant lieu à ces phénomènes, cela signifie qu'entre les personnalités humaines et les personnalités spirituelles, il existe une identité d'origine : l'animis¬me prouve le spiritisme.
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* *
Ici, pour analyser encore plus profondément notre thème, il ne reste qu'à l'envisager au point de vue du positivisme scientifique, selon lequel l'esprit survivant à la mort du corps n'existant pas, tout phénomène prémonitoire doit néces¬sairement avoir pour origine la subconscience.
Adoptant momentanément la thèse en ques¬tion, nous commencerons par nous demander à quelle hypothèse il faudrait s'adresser, pour expliquer l'ensemble, ou même uniquement la meilleure partie, de la casuistique prémonitoire.
Non pas certes à l'hypothèse de « coïncidence ; fortuites » avec laquelle on ne parviendrait à rien éclaircir en dehors de quelques rares cas parmi les plus simples et les moins intéressants.
Non certes à .l'hypothèse d'une « perception télépathique dans les subconsciences humaines », parce que ceci équivaudrait à admettre qu'il existe là des traces des événements futurs, par conséquent que ces événements étaient en quelque sorte préordonnés, revenant ainsi à l'hypothèse réincarnationniste, laquelle impli¬querait la préexistence et la survivance.
Non certes à l'hypothèse d'une « perception télépathique de traces existant dans un plan astral », puisqu'on supposerait par là l'existence d'une fatalité, qui à son tour impliquerait l'existence d'entités spirituelle préposées au gouvernement des destinées humaines, lesquel¬les, dans ce cas, ne pourraient pas ne pas avoir une fin ultraterrestre.
Non certes à une variante de l'hypothèse pré¬cédente, selon laquelle les « traces » en question consisteraient dans la pensée des Intelligences spirituelles dirigeant le cours des événements humains, pensée que les sensitifs percevraient télépathiquement ; cette variante sous-enten¬drait également l'idée spiritualiste et la survi¬vance.
Non certes à l'hypothèse des « inférences sub¬conscientes comprises dans le sens strictement psychologique », parce que littéralement im¬puissante à expliquer la grande majorité des faits.
Non certes à l'hypothèse des « inférences subconscientes à étendue illimitée », parce que, dans ce cas, il faudrait expliquer comment une personnalité subconsciente qui, quoiqu'au¬tonome et omnisciente, serait condamnée à s'éteindre avec la mort du corps, s'emploierait avec tant de soin à supprimer, ou mieux encore, à voiler par des symboles impénétrables jusqu'à événement accompli, ces détails du message prémonitoire qui, révélés à temps, auraient arraché à la mort la personnalité consciente, et elle-même.
Non certes, enfin, à l'hypothèse métaphysi¬que de l'éternel présent, car elle serait combattue également par cette dernière et insurmontable objection. On ne pourrait guère éliminer celle-ci que d'une façon : en supposant que la personna¬lité subconsciente, malgré sa connaissance des faits qui doivent causer sa propre mort, et quoiqu'elle ait la possibilité de l'éviter en télépathisant ces faits à la personnalité consciente, ne le fait cependant pas, sachant que ce qui l'attend est pour l'avantage de sa personnalité intégrale et plus précisément, que la mort est un bien pour elle. Ce point de vue pourrait être soutenu après l'obtention de quelque bonne preuve, à condition d'admettre, cependant, que si en certaines con¬tingences une mort prématurée était un bien pour la victime, ceci signifiait qu'un nouveau eyele d'existence, au-delà de la tombe, commen¬ait pour la victime. Par conséquent, même avec cette variante, on retourne à l'hypothèse spiritualiste.
Les partisans du positivisme scientifique ne disposent donc d'aucune hypothèse capable d'expliquer entièrement ou en partie la casuis¬tique prémonitoire c'est-à-dire qu'en niant l’existence d’un esprit survivant à la mort du corps, ils sont réduits à l’impossibilité absolue d’en pénétrer la génèse.
Telles sont les conclusions rigoureusement logiques auxquelles nous sommes parvenus par une analyse comparée des faits. Aux défenseurs du positivisme de me prouver que j’ai tort. Et je ne souhaite que l’un d’eux, dans l’intérêt suprême de la vérité, s’attelle à l’épreuve ; dans ce cas, je serais heureux de discuter la question en contradictoire. Je ne m’attends guère, cependant, à voir mes vœux exaucés, car la situation du positivisme matérialiste, davant la casuistique prémonitoire, peut être considérée comme franchement mauvaise.
FIN
TABLE DES MATIERES
INTRODUCTION 2
CLASSIFICATIONS 12
PREMIERE CATEGORIE 13
AUTO-PRÉMONITIONS DE MALADIE OU DE MORT 13
Sous-groupe A 13
Auto-prémonitions de maladie 13
Sous-groupe B 16
Auto-prémonitions de mort à brève échéance et où la mort est due à des causes naturelles 16
Sous-groupe C 22
Auto-prémonitions de mort à longue échéance et où la mort est due à des causes naturelles 22
Sous-Groupe D 26
Auto-prémonitions de mort où est la mort est due à des causes naturelles 26
DEUXIÈME CATÉGORIE 33
PRÉMONITIONS DE MALADIES OU DE MORTS REGARDANT DE TIERCES PERSONNES 33
Sous–groupe E 33
Prémonitions de maladies de tiers 33
Sous-groupe F 33
Prémonitions de la mort de tiers à brève échéance et où la mort est due à des causes naturelles 33
Sous–groupe G 52
Prémonitions de la mort de tiers à longue échéance et où la mort est due à des causes naturelles 52
Sous–groupe H 65
Prémonitions de la mort de tiers à brève échéance où la mort est due à des causes accidentelles 65
Sous-groupe I 77
Prémonitions de la mort de tiers à longue échéance et où la mort est due à des causes accidentelles 77
Sous-groupe J 86
Prémonitions de mort se produisant traditionnellement en une même famille 86
TROISIEME CATÉGORIE 91
PRÉMONITIONS D'ÉVÉNEMENTS DIVERS 91
Sous-groupe K 91
Prémonitions d’évènements importants n’impliquant pas la mort 91
Sous–groupe L 113
Prémonitions d’incidents insignifiants et pratiquement inutiles 113
Sous-groupe M 124
Prémonitions météorologiques et sismiques 124
Sous-groupe N 130
Prémonitions qui sauvent 130
Sous-Groupe O 154
Prémonitions qui déterminent l’accident prédit 154
CONCLUSIONS 157