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sexta-feira, 26 de agosto de 2011

L’OBSESSION-ALLAN KARDEC

 

Índice do Blog 

ALLAN KARDEC

L’OBSESSION

Extraits des revues spirites
de 1858 à 1868
Revue 1858

Le revenant de mademoiselle Clairon

Cette histoire fit beaucoup de bruit dans le temps, et par la position de l'héroïne, et par le grand nombre de personnes qui en furent témoins. Malgré sa singularité, elle serait probablement oubliée, si mademoiselle Clairon ne l'eût consignée dans ses Mémoires, d'où nous extrayons le récit que nous allons en faire. L'analogie qu'elle présente avec quelques-uns des faits qui se passent de nos jours lui donne une place naturelle dans ce Recueil.
Mademoiselle Clairon, comme on le sait, était aussi remarquable par sa beauté que par son talent comme cantatrice et tragédienne ; elle avait inspiré à un jeune Breton, M. de S..., une de ces passions qui décident souvent de la vie, lorsqu'on n'a pas assez de force de caractère pour en triompher. Mademoiselle Clairon n'y répondit que par de l'amitié ; toutefois les assiduités de M. de S... lui devinrent tellement importunes qu'elle résolut de rompre tout rapport avec lui. Le chagrin qu'il en ressentit lui causa une longue maladie dont il mourut. La chose se passait en 1743. Laissons parler mademoiselle Clairon.
« Deux ans et demi s'étaient écoulés entre notre connaissance et sa mort. Il me fit prier d'accorder, à ses derniers moments, la douceur de me voir encore ; mes entours m'empêchèrent de faire cette démarche. Il mourut, n'ayant auprès de lui que ses domestiques et une vieille dame, seule société qu'il eût depuis longtemps. Il logeait alors sur le Rempart, près la Chaussée d'Antin, où l'on commençait à bâtir ; moi, rue de Bussy, près la rue de Seine et l'abbaye Saint-Germain. J'avais ma mère, et plusieurs amis venaient souper avec moi... Je venais de chanter de fort jolies moutonnades, dont mes amis étaient dans le ravissement, lorsque au coup de onze heures succéda le cri le plus aigu. Sa sombre modulation et sa longueur étonnèrent tout le monde ; je me sentis défaillir, et je fus près d'un quart d'heure sans connaissance...
« Tous mes gens, mes amis, mes voisins, la police même, ont entendu ce même cri, toujours à la même heure, toujours partant sous mes fenêtres, et ne paraissant sortir que du vague de l'air... Je soupais rarement en ville, mais les jours où j'y soupais, l'on n'entendait rien, et plusieurs fois, demandant de ses nouvelles à ma mère, à mes gens, lorsque je rentrais dans ma chambre, il partait au milieu de nous. Une fois, le président de B..., chez lequel j'avais soupé, voulut me reconduire pour s'assurer qu'il ne m'était rien arrivé en chemin. Comme il me souhaitait le bonsoir à ma porte, le cri partit entre lui et moi. Ainsi que tout Paris, il savait cette histoire : cependant on le remit dans son carrosse plus mort que vivant.
« Une autre fois je priai mon camarade Rosely de m'accompagner rue Saint-Honoré pour choisir des étoffes. L'unique sujet de notre entretien fut mon revenant (c'est ainsi qu'on l'appelait). Ce jeune homme, plein d'esprit, ne croyant à rien, était cependant frappé de mon aventure ; il me pressait d'évoquer le fantôme, en me promettant d'y croire s'il me répondait. Soit par faiblesse, soit par audace, je fis ce qu'il me demandait : le cri partit à trois reprises, terribles par leur éclat et leur rapidité. A notre retour, il fallut le secours de toute la maison pour nous tirer du carrosse où nous étions sans connaissance l'un et l'autre. Après cette scène je restai quelques mois sans rien entendre. Je me croyais à jamais quitte, je me trompais.
« Tous les spectacles avaient été mandés à Versailles pour le mariage du Dauphin. On m'avait arrangé, dans l'avenue de Saint-Cloud, une chambre que j'occupais avec madame Grandval. A trois heures du matin, je lui dis : Nous sommes au bout du monde ; le cri serait bien embarrassé d'avoir à nous chercher ici... Il partit ! Madame Grandval crut que l'enfer entier était dans la chambre ; elle courut en chemise du haut en bas de la maison, où personne ne put fermer l'oeil de la nuit ; mais ce fut au moins la dernière fois qu'il se fit entendre.
« Sept ou huit jours après, causant avec ma société ordinaire, la cloche de onze heures fut suivie d'un coup de fusil tiré dans une de mes fenêtres. Tous nous entendîmes le coup ; tous nous vîmes le feu ; la fenêtre n'avait aucune espèce de dommage. Nous conclûmes tous qu'on en voulait à ma vie, qu'on m'avait manquée, et qu'il fallait prendre des précautions pour l'avenir. M. de Marville, alors lieutenant de police, fit visiter les maisons vis-à-vis la mienne ; la rue fut remplie de tous les espions possibles ; mais, quelques soins que l'on prit, ce coup, pendant trois mois entiers, fut entendu, vu, frappant toujours à la même heure, dans le même carreau de vitre, sans que personne ait jamais pu voir de quel endroit il partait. Ce fait a été constaté sur les registres de la police.
« Accoutumée à mon revenant, que je trouvais assez bon diable, puisqu'il s'en tenait à des tours de passe-passe, ne prenant pas garde à l'heure qu'il était, ayant fort chaud, j'ouvris la fenêtre consacrée, et l'intendant et moi nous appuyâmes sur le balcon. Onze heures sonnent, le coup part, et nous jette tous les deux au milieu de la chambre, où nous tombons comme morts. Revenus à nous-mêmes, sentant que nous n'avions rien, nous regardant, nous avouant que nous avions reçu, lui sur la joue gauche, moi sur la joue droite, le plus terrible soufflet qui se soit jamais appliqué, nous nous mîmes à rire comme deux fous.
« Le surlendemain, priée par mademoiselle Dumesnil d'être d'une petite fête nocturne qu'elle donnait à sa maison de la barrière Blanche, je montai en fiacre à onze heures avec ma femme de chambre. Il faisait le plus beau clair de lune, et l'on nous conduisit par les boulevards qui commençaient à se garnir de maisons. Ma femme de chambre me dit : N'est-ce pas ici qu'est mort M. de S...? - D'après les renseignements qu'on m'a donnés, ce doit être, lui dis-je, en les désignant avec mon doigt, dans l'une des deux maisons que voilà devant nous. D'une des deux partit ce même coup de fusil qui me poursuivait : il traversa notre voiture ; le cocher doubla son train, se croyant attaqué par des voleurs. Nous, nous arrivâmes au rendez-vous, ayant à peine repris nos sens, et, pour ma part, pénétrée d'une terreur que j'ai gardée longtemps, je l'avoue ; mais cet exploit fut le dernier des armes à feu.
« A leur explosion succéda un claquement de mains, ayant une certaine mesure et des redoublements. Ce bruit, auquel les bontés du public m'avaient accoutumée, ne me laissa faire aucune remarque pendant longtemps ; mes amis en firent pour moi. Nous avons guetté, me dirent-ils ; c'est à onze heures, presque sous votre porte, qu'il se fait ; nous l'entendons, nous ne voyons personne ; ce ne peut être qu'une suite de ce que vous avez éprouvé. Comme ce bruit n'avait rien de terrible, je ne conservai point la date de sa durée. Je ne fis pas plus d'attention aux sons mélodieux qui se firent entendre après ; il semblait qu'une voix céleste donnait le canevas de l'air noble et touchant qu'elle allait chanter ; cette voix commençait au carrefour de Bussy et finissait à ma porte ; et, comme il en avait été de tous les sons précédents, on entendait et l'on ne voyait rien. Enfin, tout cessa après un peu plus de deux ans et demi. »
A quelque temps de là, mademoiselle Clairon apprit de la dame âgée qui était restée l'amie dévouée de M. de S..., le récit de ses derniers moments.
« Il comptait, lui dit-elle, toutes les minutes, lorsqu'à dix heures et demie son laquais vint lui dire que, décidément, vous ne viendriez pas. Après un moment de silence, il me prit la main avec un redoublement de désespoir qui m'effraya. La barbare !... elle n'y gagnera rien ; je la poursuivrai autant après ma mort que je l'ai poursuivie pendant ma vie !... Je voulus tâcher de le calmer ; il n'était plus. »
Dans l'édition que nous avons sous les yeux, ce récit est précédé de la note suivante sans signature :
« Voici une anecdote bien singulière dont on a porté et dont on portera sans doute bien des jugements différents. On aime le merveilleux, même sans y croire : mademoiselle Clairon paraît convaincue de la réalité des faits qu'elle raconte. Nous nous contenterons de remarquer que dans le temps où elle fut, ou se crut tourmentée par son revenant, elle avait de vingt-deux ans et demi à vingt-cinq ans ; que c'est l'âge de l'imagination, et que cette faculté était continuellement exercée et exaltée en elle par le genre de vie qu'elle menait au théâtre et hors du théâtre. On peut se rappeler encore qu'elle a dit, au commencement de ses Mémoires, que, dans son enfance, on ne l'entretenait que d'aventures de revenants et de sorciers, qu'on lui disait être des histoires véritables. »
Ne connaissant le fait que par le récit de mademoiselle Clairon, nous ne pouvons en juger que par induction ; or, voici notre raisonnement. Cet événement décrit dans ses plus minutieux détails par mademoiselle Clairon elle-même, a plus d'authenticité que s'il eût été rapporté par un tiers. Ajoutons que lorsqu'elle a écrit la lettre dans laquelle il se trouve relaté, elle avait environ soixante ans et passé l'âge de la crédulité dont parle l'auteur de la note. Cet auteur ne révoque pas en doute la bonne foi de mademoiselle Clairon sur son aventure, seulement il pense qu'elle a pu être le jouet d'une illusion. Qu'elle l'ait été une fois, cela n'aurait rien d'étonnant, mais qu'elle l'ait été pendant deux ans et demi, cela nous paraît plus difficile ; il nous paraît plus difficile encore de supposer que cette illusion ait été partagée par tant de personnes, témoins oculaires et auriculaires des faits, et par la police elle-même. Pour nous, qui connaissons ce qui peut se passer dans les manifestations spirites, l'aventure n'a rien qui puisse nous surprendre, et nous la tenons pour probable. Dans cette hypothèse, nous n'hésitons pas à penser que l'auteur de tous ces mauvais tours n'était autre que l'âme ou l'esprit de M. de S..., si nous remarquons surtout la coïncidence de ses dernières paroles avec la durée des phénomènes. Il avait dit : Je la poursuivrai autant après ma mort que pendant ma vie. Or, ses rapports avec mademoiselle Clairon avaient duré deux ans et demi, juste autant de temps que les manifestations qui suivirent sa mort.
Quelques mots encore sur la nature de cet Esprit. Il n'était pas méchant, et c'est avec raison que mademoiselle Clairon le qualifie d'assez bon diable ; mais on ne peut pas dire non plus qu'il fût la bonté même. La passion violente à laquelle il a succombé, comme homme, prouve que chez lui les idées terrestres étaient dominantes. Les traces profondes de cette passion, qui survit à la destruction du corps, prouvent que, comme Esprit, il était encore sous l'influence de la matière. Sa vengeance, tout inoffensive qu'elle était, dénote des sentiments peu élevés. Si donc on veut bien se reporter à notre tableau de la classification des Esprits, il ne sera pas difficile de lui assigner son rang ; l'absence de méchanceté réelle l'écarte naturellement de la dernière classe, celle des Esprits impurs ; mais il tenait évidemment des autres classes du même ordre ; rien chez lui ne pourrait justifier un rang supérieur.
Une chose digne de remarque, c'est la succession des différents modes par lesquels il a manifesté sa présence. C'est le jour même et au moment de sa mort qu'il se fait entendre pour la première fois, et cela au milieu d'un joyeux souper. De son vivant, il voyait mademoiselle Clairon par la pensée, entourée de l'auréole que prête l'imagination à l'objet d'une passion ardente ; mais une fois l'âme débarrassée de son voile matériel, l'illusion fait place à la réalité. Il est là, à ses côtés, il la voit entourée d'amis, tout devait exciter sa jalousie ; elle semble, par sa gaîté et par ses chants, insulter à son désespoir, et son désespoir se traduit par un cri de rage qu'il répète chaque jour à la même heure, comme pour lui reprocher son refus d'avoir été le consoler à ses derniers moments. Aux cris succèdent des coups de fusil, inoffensifs, il est vrai, mais qui n'en dénotent pas moins une rage impuissante et l'envie de troubler son repos. Plus tard, son désespoir prend un caractère plus calme ; revenu sans doute à des idées plus saines, il semble avoir pris son parti ; il lui reste le souvenir des applaudissements dont elle était l'objet, et il les répète. Plus tard enfin, il lui dit adieu en faisant entendre des sons qui semblaient comme l'écho de cette voix mélodieuse qui l'avait tant charmé de son vivant.
Revue spirite 1858

L'Esprit frappeur de Bergzabern (introduction)

Nous avions déjà entendu parler de certains phénomènes spirites qui firent beaucoup de bruit en 1852 dans la Bavière rhénane, aux environs de Spire, et nous savions qu'une relation authentique en avait été publiée dans une brochure allemande. Après des recherches longtemps infructueuses, une dame, parmi nos abonnés d'Alsace, et qui a déployé en cette circonstance un zèle et une persévérance dont nous lui savons un gré infini, est enfin parvenue à se procurer cette brochure, qu'elle a bien voulu nous adresser. Nous en donnons la traduction in extenso ; on la lira sans doute avec d'autant plus d'intérêt que c'est, parmi tant d'autres, une preuve de plus que les faits de ce genre sont de tous les temps et de tous les pays, puisque ceux dont il s'agit se passaient à une époque où l'on commençait à peine à parler des Esprits.
AVANT-PROPOS

Un événement étrange est depuis plusieurs mois le sujet de toutes les conversations de notre ville et des environs. Nous voulons parler du Frappeur, comme on l'appelle, de la maison du maître tailleur Pierre Sanger.
Jusqu'alors nous nous sommes abstenus de toute relation dans notre feuille (Journal de Bergzabern) sur les manifestations qui se sont produites dans cette maison depuis le 1° janvier 1852 ; mais comme elles ont excité l'attention générale à un tel point que les autorités crurent devoir demander au docteur Beutner une explication à ce sujet, et que le docteur Dupping, de Spire, se rendit même sur les lieux pour observer les faits, nous ne pouvons différer plus longtemps de les livrer au public.
Nos lecteurs n'attendent pas de nous un jugement sur la question, nous en serions très embarrassés ; nous laissons ce soin à ceux qui, par la nature de leurs études et leur position, sont plus aptes à se prononcer, ce que d'ailleurs ils feront sans difficulté s'ils parviennent à découvrir la cause de ces effets. Quant à nous, nous nous bornerons au simple récit des faits, principalement de ceux dont nous avons été témoin ou que nous tenons de personnes dignes de foi, laissant au lecteur se former une opinion.
F.-A. BLANCK,
Rédacteur du Journal de Bergzabern.
Mai 1852

L'Esprit frappeur de Bergzabern (première article)

Le 1er janvier de cette année (1852), la famille Pierre Sanger, à Bergzabern, entendit dans la maison qu'elle habitait et dans une chambre voisine de celle où l'on se tenait ordinairement, comme un martèlement qui commença d'abord par des coups sourds paraissant venir de loin, puis qui devint successivement plus fort et plus marqué. Ces coups semblaient être frappés contre le mur près duquel était placé le lit où dormait leur enfant, âgé de onze ans. Habituellement c'était entre neuf heures et demie et dix heures et demie que le bruit se faisait entendre. Les époux Sanger n'y firent point attention d'abord, mais comme cette singularité se renouvelait chaque soir, ils pensèrent que cela pouvait venir de la maison voisine où un malade se serait amusé, en guise de passe-temps, à battre le tambour contre le mur. On se convainquit bientôt que ce malade n'était pas et ne pouvait être la cause de ce bruit. On remua le sol de la chambre, on abattit le mur, mais sans résultat. Le lit fut transporté au côté opposé de la chambre ; alors, chose étonnante, c'est de ce côté que le bruit eut lieu, et aussitôt que l'enfant était endormi. Il était clair que l'enfant était pour quelque chose dans la manifestation du bruit, et on supposa, après que toutes les recherches de la police n'eurent rien fait découvrir, que ce fait devait être attribué à une maladie de l'enfant ou à une particularité de conformation. Cependant rien jusqu'alors n'est venu confirmer cette supposition. C'est encore une énigme pour les médecins.
En attendant, la chose ne fit que se développer ; le bruit se prolongea au-delà d'une heure et les coups frappés avaient plus de force. L'enfant fut changé de chambre et de lit, le frappeur se manifesta dans cette nouvelle chambre, sous le lit, dans le lit et dans le mur. Les coups frappés n'étaient pas identiques ; ils étaient tantôt forts, tantôt faibles et isolés, tantôt enfin ils se succédaient rapidement, et suivant le rythme des marches militaires et des danses.
L'enfant occupait depuis quelques jours la susdite chambre, lorsqu'on remarqua que, pendant son sommeil, il émettait des paroles brèves, incohérentes. Les mots devinrent bientôt plus distincts et plus intelligibles ; et il semblait que l'enfant s'entretenait avec un autre être sur lequel il avait de l'autorité. Parmi les faits qui se produisaient chaque jour, l'auteur de cette brochure en rapportera un dont il fut témoin : L'enfant était dans son lit, couché sur le côté gauche. A peine fut-il endormi, que les coups commencèrent et qu'il se mit à parler de la sorte : « Toi, toi, bats une marche. » Et le frappeur battit une marche qui ressemblait assez à une marche bavaroise. Au commandement de « Halte ! » de l'enfant, le frappeur cessa. L'enfant dit alors : « Frappe trois, six, neuf fois, » et le frappeur exécuta l'ordre. Sur un nouvel ordre de frapper 19 coups, 20 coups s'étant fait entendre, l'enfant, tout endormi, dit : « Pas bien, ce sont 20 coups, » et aussitôt 19 coups furent comptés. Ensuite l'enfant demanda 30 coups ; on entendit 30 coups. « 100 coups. » On ne put compter que jusqu'à 40, tant les coups se succédaient rapidement. Au dernier coup, l'enfant dit : « Très bien ; maintenant 110. » Ici l'on ne put compter que jusqu'à 50 environ. Au dernier coup, le dormeur dit : « Ce n'est pas cela, il n'y en a que 106, » et aussitôt 4 autres coups se firent entendre pour compléter le nombre de 110. L'enfant demanda ensuite : « Mille ! » Il ne fut frappé que 15 coups. « Eh bien, allons ! » Il y eut encore 5 coups et le frappeur s'arrêta. Il vint alors à l'idée des assistants de commander eux-mêmes au frappeur, et il exécuta les ordres qu'ils lui donnèrent. Il se taisait au commandement de : « Halte ! silence ! paix ! » Puis, de lui-même et sans ordre, il recommença à frapper. L'un des assistants dit, tout bas, dans un coin de la chambre, qu'il voulait commander, seulement par la pensée, de frapper 6 fois. L'expérimentateur se plaça alors devant le lit et ne dit pas un seul mot : on entendit 6 coups. On commanda encore par la pensée 4 coups : 4 coups furent frappés. La même expérience a été tentée par d'autres personnes, mais elle n'a pas toujours réussi. Aussitôt l'enfant étendit les membres, rejeta la couverture et se leva.
Lorsqu'on lui demanda ce qui lui était arrivé, il répondit avoir vu un homme grand et de mauvaise mine qui se tenait devant son lit et lui serrait les genoux. Il ajouta qu'il ressentait aux genoux une douleur quand cet homme frappait. L'enfant s'endormit de nouveau et les mêmes manifestations se reproduisirent jusqu'au moment où la pendule de la chambre sonna onze heures. Tout à coup le frappeur se tut, l'enfant rentra dans un sommeil tranquille, ce que l'on reconnut à la régularité de la respiration, et ce soir-là il ne se fit plus rien entendre. Nous avons remarqué que le frappeur battait, sur l'ordre qu'il en recevait, des marches militaires. Plusieurs personnes affirment que lorsqu'on demandait une marche russe, autrichienne ou française, elle était battue très exactement.
Le 25 février, l'enfant étant endormi dit : « Tu ne veux plus frapper maintenant, tu veux gratter, eh bien ! je veux voir comment tu feras. » Et, en effet, le lendemain 26, au lieu de coups frappés, on entendit un grattement qui paraissait venir du lit et qui s'est manifesté jusqu'à ce jour. Les coups se mêlèrent au grattement, tantôt en alternant, tantôt simultanément, de telle sorte que dans les airs de marche ou de danse, le grattement fait la première partie, et les coups la seconde. Selon la demande, l'heure du jour, l'âge des personnes présentes sont indiqués par des grattements ou des coups secs. A l'égard de l'âge des personnes, il y a quelquefois erreur ; mais elle est rectifiée à la 2° ou 3° fois, quand on a dit que le nombre de coups frappés n'est pas exact. Maintes fois, au lieu de répondre à l'âge demandé, le frappeur exécute une marche.
Le langage de l'enfant, pendant son sommeil, devint de jour en jour plus parfait. Ce qui n'était d'abord que de simples mots ou des ordres très brefs au frappeur se changea, par la suite, en une conversation suivie avec ses parents. Ainsi un jour il s'entretint avec sa sœur aînée de sujets religieux et dans un ton d'exhortation et d'instruction, en lui disant qu'elle devrait aller à la messe, dire ses prières tous les jours, et montrer de la soumission et de l'obéissance à ses père et mère. Le soir, il reprit les mêmes sujets d'entretien ; dans ses enseignements, il n'y avait rien de théologique, mais seulement quelques notions que l'on apprend à l'école.
Avant ses entretiens, on entendait, au moins durant une heure, des coups et des grattements, non seulement pendant le sommeil de l'enfant, mais même quand celui-ci était à l'état de veille. Nous l'avons vu boire et manger pendant que les coups et les grattements se manifestaient, et nous l'avons vu aussi, à l'état de veille, donner au frappeur des ordres qui tous furent exécutés.
Samedi soir, 6 mars, l'enfant ayant dans la journée, et tout éveillé, prédit à son père que le frappeur apparaîtrait à neuf heures, plusieurs personnes se réunirent dans la maison de Sanger. A neuf heures sonnantes, quatre coups si violents furent frappés contre le mur que les assistants en furent effrayés. Aussitôt, et pour la première fois, les coups furent frappés sur le bois de lit et extérieurement ; tout le lit en fut ébranlé. Ces coups se manifestèrent de tous les côtés du lit, tantôt à un endroit, tantôt à un autre. Les coups et le grattement alternèrent sur le lit. Sur l'ordre de l'enfant et des personnes présentes, les coups se faisaient entendre soit à l'intérieur du lit, soit à l'extérieur. Tout à coup le lit se souleva en sens différents, pendant que les coups étaient frappés avec force. Plus de cinq personnes essayèrent, mais en vain, de faire retomber le lit soulevé ; l'ayant alors abandonné, il se balança encore quelques instants, puis reprit sa position naturelle. Ce fait avait eu lieu déjà une fois antérieurement à cette manifestation publique.
Chaque soir aussi l'enfant faisait une sorte de discours. Nous allons en parler très succinctement.
Avant toutes choses il faut remarquer que l'enfant, aussitôt qu'il laissait tomber sa tête, était endormi, et que les coups et le grattement commençaient. Aux coups, l'enfant gémissait, agitait ses jambes et paraissait mal à son aise. Il n'en était pas de même au grattement. Lorsque le moment de parler était venu, l'enfant se couchait sur le dos, sa figure devenait pâle, ainsi que ses mains et ses bras. Il faisait signe de la main droite et disait : « Allons ! viens devant mon lit et joins les mains, je vais te parler du Sauveur du monde. » Alors les coups et le grattement cessaient, et tous les assistants écoutaient avec une attention respectueuse le discours du dormeur.
Il parlait lentement, très intelligiblement et en pur allemand, ce qui surprenait d'autant plus que l'enfant était moins avancé que ses camarades dans ses classes, ce qui provenait surtout d'un mal d'yeux qui l'empêchait d'étudier. Ses entretiens roulaient sur la vie et les actions de Jésus depuis sa douzième année, de sa présence dans le temple avec les scribes, de ses bienfaits envers l'humanité et de ses miracles ; ensuite il s'étendait sur le récit de ses souffrances, et blâmait sévèrement les Juifs d'avoir crucifié Jésus malgré ses bontés nombreuses et ses bénédictions. En terminant, l'enfant adressait à Dieu une fervente prière « de lui accorder la grâce de supporter avec résignation les souffrances qu'il lui avait envoyées, puisqu'il l'avait choisi pour entrer en communication avec l'Esprit. » Il demandait à Dieu de ne pas le laisser encore mourir, qu'il n'était qu'un jeune enfant et qu'il ne voulait pas descendre dans la tombe noire. Ses discours terminés, il récitait d'une voix solennelle le Pater noster, après quoi il disait : « Maintenant tu peux revenir, » et aussitôt les coups et le grattement recommençaient. Il parla encore deux fois à l'Esprit, et, à chaque fois, l'Esprit frappeur s'arrêtait. Il disait encore quelques mots et puis : « Maintenant tu peux t'en aller, au nom de Dieu. » Et il se réveillait.
Pendant ces discours les yeux de l'enfant étaient bien fermés ; mais ses lèvres remuaient ; les personnes qui étaient le plus rapprochées du lit purent remarquer ce mouvement. La voix était pure et harmonieuse.
A son réveil, on lui demandait ce qu'il avait vu et ce qui s'était passé. Il répondait : « L'homme qui vient me voir. - Où se tient-il ? - Près de mon lit, avec les autres personnes. - As-tu vu les autres personnes ? - J'ai vu toutes celles qui étaient près de mon lit. »
On comprendra facilement que de pareilles manifestations trouvèrent beaucoup d'incrédules, et qu'on supposa que toute cette histoire n'était qu'une mystification ; mais le père n'était pas capable de jonglerie, surtout d'une jonglerie qui aurait exigé toute l'habileté d'un prestidigitateur de profession ; il jouit de la réputation d'un brave et honnête homme.
Pour répondre à ces soupçons et les faire cesser, on transporta l'enfant dans une maison étrangère. A peine y fut-il que les coups et les grattements s'y firent entendre. De plus, quelques jours avant, l'enfant était allé avec sa mère dans un petit village nommé Capelle, à une demi-lieue de là, chez la veuve Klein ; il se dit fatigué ; on le coucha sur un canapé et aussitôt le même phénomène eut lieu. Plusieurs témoins peuvent affirmer le fait. Bien que l'enfant parût bien portant, il devait néanmoins être affecté d'une maladie, qui serait prouvée sinon par les manifestations relatées ci-dessus, du moins par les mouvements involontaires des muscles et des soubresauts nerveux.
Nous ferons remarquer, en terminant, que l'enfant a été conduit, il y a quelques semaines, chez le docteur Beutner, où il devait rester, pour que ce savant pût étudier de plus près les phénomènes en question. Depuis lors, tout bruit a cessé dans la maison de Sanger et il se produit dans celle du docteur Beutner.
Tels sont, dans toute leur authenticité, les faits qui se sont passés. Nous les livrons au public sans émettre de jugement. Puissent les hommes de l'art en donner bientôt une explication satisfaisante.
BLANCK.

Considérations sur l'Esprit frappeur de Bergzabern

L'explication sollicitée par le narrateur que nous venons de citer est facile à donner ; il n'y en a qu'une, et la doctrine spirite seule peut la fournir. Ces phénomènes n'ont rien d'extraordinaire pour quiconque est familiarisé avec ceux auxquels nous ont habitués les Esprits. On sait quel rôle certaines personnes font jouer à l'imagination ; sans doute si l'enfant n'avait eu que des visions, les partisans de l'hallucination auraient beau jeu ; mais ici il y avait des effets matériels d'une nature non équivoque qui ont eu un grand nombre de témoins, et il faudrait supposer que tous étaient hallucinés au point de croire qu'ils entendaient ce qu'ils n'entendaient pas, et voyaient remuer des meubles immobiles ; or il y aurait là un phénomène plus extraordinaire encore. Il ne reste aux incrédules qu'une ressource, celle de nier ; c'est plus facile, et cela dispense de raisonner.
En examinant la chose au point de vue spirite, il demeure évident que l'Esprit qui s'est manifesté était inférieur à celui de l'enfant, puisqu'il lui obéissait ; il était même subordonné aux assistants, puisque eux aussi pouvaient lui commander. Si nous ne savions par la doctrine que les Esprits dits frappeurs sont au bas de l'échelle, ce qui s'est passé en serait une preuve. On ne concevrait pas, en effet, qu'un Esprit élevé, pas plus que nos savants et nos philosophes, vînt s'amuser à battre des marches et des valses, à jouer, en un mot, le rôle de jongleur, ni se soumettre aux caprices d'êtres humains. Il se présente sous les traits d'un homme de mauvaise mine, circonstance qui ne peut que corroborer cette opinion ; le moral se reflète en général sur l'enveloppe. Il est donc avéré pour nous que le frappeur de Bergzabern est un Esprit inférieur, de la classe des Esprits légers, qui s'est manifesté comme tant d'autres l'ont fait et le font tous les jours.
Maintenant, dans quel but est-il venu ? La notice ne dit pas qu'on le lui ait demandé ; aujourd'hui, qu'on est plus expérimenté sur ces sortes de choses, on ne laisserait pas venir un visiteur si étrange sans s'informer de ce qu'il veut. Nous ne pouvons donc qu'établir une conjecture. Il est certain qu'il n'a rien fait qui dévoilât de la méchanceté ou une mauvaise intention ; l'enfant n'en a éprouvé aucun trouble ni physique ni moral ; les hommes seuls auraient pu troubler son moral en frappant son imagination par des contes ridicules, et il est heureux qu'ils ne l'aient point fait. Cet Esprit, tout inférieur qu'il était, n'était donc ni mauvais ni malveillant ; c'était simplement un de ces Esprits si nombreux dont nous sommes sans cesse entourés à notre insu. Il a pu agir en cette circonstance par un simple effet de son caprice, comme aussi il a pu le faire à l'instigation d'Esprits élevés en vue d'éveiller l'attention des hommes et de les convaincre de la réalité d'une puissance supérieure en dehors du monde corporel.
Quant à l'enfant, il est certain que c'était un de ces médiums à influence physique, doués à leur insu de cette faculté, et qui sont aux autres médiums ce que les somnambules naturels sont aux somnambules magnétiques. Cette faculté dirigée avec prudence par un homme expérimenté dans la nouvelle science eût pu produire des choses plus extraordinaires encore et de nature à jeter un nouveau jour sur ces phénomènes, qui ne sont merveilleux que parce qu'on ne les comprend pas.

Revue 1858

L'Esprit frappeur de Bergzabern (deuxième article)

Nous extrayons les passages suivants d'une nouvelle brochure allemande, publiée en 1853, par M. Blanck, rédacteur du journal de Bergzabern, sur l'Esprit frappeur dont nous avons parlé dans notre numéro du mois de mai. Les phénomènes extraordinaires qui y sont relatés, et dont l'authenticité ne saurait être révoquée en doute, prouvent que nous n'avons rien à envier, sous ce rapport, à l'Amérique. On remarquera dans ce récit le soin minutieux avec lequel les faits ont été observés. Il serait à désirer qu'on apportât toujours, en pareil cas, la même attention et la même prudence. On sait aujourd'hui que les phénomènes de ce genre ne sont point le résultat d'un état pathologique, mais ils dénotent toujours chez ceux en qui ils se manifestent une excessive sensibilité facile à surexciter. L'état pathologique n'est point la cause efficiente, mais il peut être consécutif. La manie de l'expérimentation, dans les cas analogues, a plus d'une fois causé des accidents graves qui n'auraient point eu lieu si l'on eût laissé la nature à elle-même. On trouvera dans notre Instruction pratique sur les manifestations spirites, les conseils nécessaires à cet effet. Nous suivons M. Blanck dans son compte rendu.
« Les lecteurs de notre brochure intitulée les Esprits frappeurs ont vu que les manifestations de Philippine Senger ont un caractère énigmatique et extraordinaire. Nous avons raconté ces faits merveilleux depuis leur début jusqu'au moment où l'enfant fut conduite au médecin royal du canton. Maintenant nous allons examiner ce qui s'est passé depuis jusqu'à ce jour.
Lorsque l'enfant quitta la demeure du docteur Bentner pour entrer à la maison paternelle, le frappement et le grattement recommencèrent chez le père Senger ; jusqu'à cette heure, et même depuis la guérison complète de la jeune fille, les manifestations ont été plus marquées, et ont changé de nature . Dans ce mois de novembre (1852), l'Esprit commença à siffler ; ensuite on entendit un bruit comparable à celui de la roue d'une brouette tournant sur son axe sec et rouillé ; mais le plus extraordinaire de tout, c'est sans contredit le bouleversement des meubles dans la chambre de Philippine, désordre qui dura pendant quinze jours. Une courte description des lieux me paraît nécessaire. Cette chambre a environ 18 pieds de long sur 8 de large ; on y arrive par la chambre commune. La porte qui fait communiquer ces deux pièces s'ouvre à droite. Le lit de l'enfant était placé à droite ; au milieu une armoire, et dans le coin de gauche la table de travail de Senger, dans laquelle sont pratiquées deux cavités circulaires, fermées par des couvercles.
Le soir où commença le remue-ménage, madame Senger et sa fille aînée Francisque étaient assises dans la première chambre, près d'une table, et occupées à écosser des haricots ; tout à coup un petit rouet lancé de la chambre à coucher tomba près d'elles. Elles en furent d'autant plus effrayées qu'elles savaient que personne autre que Philippine, alors plongée dans le sommeil, ne se trouvait dans la chambre ; de plus, le rouet avait été lancé du côté gauche, tandis qu'il se trouvait sur le rayon d'un petit meuble placé à droite. S'il fût parti du lit, il aurait dû rencontrer la porte et s'y arrêter ; il demeurait donc évident que l'enfant n'était pour rien dans ce fait. Pendant que la famille Senger exprimait sa surprise sur cet événement, quelque chose tomba de la table sur le sol : c'était un morceau de drap qui, auparavant, trempait dans une cuvette pleine d'eau. A côté du rouet gisait aussi une tête de pipe, l'autre moitié était restée sur la table. Ce qui rendait la chose encore plus incompréhensible, c'est que la porte de l'armoire où était le rouet avant d'être lancé se trouvait fermée, que l'eau de la cuvette n'était point agitée, et qu'aucune goutte n'avait été répandue sur la table. Tout à coup l'enfant, toujours endormie, crie de son lit : Père, va-t'en, il jette ! Sortez ! il vous jetterait aussi. Ils obéirent à cette injonction ; à peine furent-ils dans la première chambre que la tête de pipe y fut lancée avec une grande force, sans pourtant qu'elle se brisât. Une règle dont Philippine se servait à l'école prit le même chemin. Le père, la mère et leur fille aînée se regardaient avec effroi, et, comme ils réfléchissaient au parti à prendre, un long rabot de Senger et un très gros morceau de bois furent lancés de son établi dans l'autre chambre. Sur la table de travail, les couvercles étaient à leur place, et malgré cela les objets qu'ils recouvraient avaient pareillement été jetés au loin. Le même soir, les oreillers du lit furent lancés sur une armoire et la couverture contre la porte.
Un autre jour, on avait mis aux pieds de l'enfant, sous la couverture, un fer à repasser du poids de six livres environ ; bientôt il fut jeté dans la première pièce ; la poignée en était enlevée, et on la retrouva sur une chaise de la chambre à coucher.
Nous fûmes témoins que des chaises placées à trois pieds du lit environ furent renversées, et des fenêtres ouvertes, bien qu'elles fussent fermées auparavant, et cela à peine nous avions tourné le dos pour rentrer dans la première pièce. Une autre fois, deux chaises furent transportées sur le lit, sans déranger la couverture. Le 7 octobre, on avait solidement fermé la fenêtre et tendu devant un drap blanc. Dès que nous eûmes quitté la chambre, on frappa à coups redoublés et avec tant de violence, que tout en fut ébranlé, et que des gens qui passaient dans la rue s'enfuirent épouvantés. On accourut dans la chambre : la fenêtre était ouverte, le drap jeté sur la petite armoire à côté, la couverture du lit et les oreillers par terre, les chaises culbutées, et l'enfant dans le lit, protégée par sa seule chemise. Pendant quatorze jours la femme Senger ne fut occupée qu'à réparer le lit.
Une fois on avait laissé un harmonica sur un siège : des sons se firent entendre ; étant entré précipitamment dans la chambre, on trouva, comme toujours, l'enfant tranquille dans son lit ; l'instrument était sur la chaise, mais ne vibrait plus. Un soir, le père Senger sortait de la chambre de sa fille quand il reçut dans le dos le coussin d'un siège. Une autre fois, c'est une paire de vieilles pantoufles, des souliers qui étaient sous le lit, des sabots, qui viennent à sa rencontre. Maintes fois aussi la chandelle allumée, placée sur la table de travail, fut soufflée. Les coups et le grattement alternaient avec cette démonstration du mobilier. Le lit semblait être mis en mouvement par une main invisible. Au commandement de : « Balancez le lit », ou « Bercez l'enfant », le lit allait et venait, en long et en large, avec bruit ; au commandement de : « Halte ! » il s'arrêtait. Nous pouvons affirmer, nous qui avons vu, que quatre hommes s'assirent sur le lit, et même s'y suspendirent, sans pouvoir arrêter le mouvement ; ils étaient soulevés avec le meuble. Au bout de quatorze jours le bouleversement du mobilier cessa, et à ces manifestations en succédèrent d'autres.
Le 26 octobre au soir, se trouvaient entre autres personnes, dans la chambre, MM. Louis Soëhnée, licencié en droit, le capitaine Simon, tous deux de Wissembourg, ainsi que M. Sievert, de Bergzabern. Philippine Senger était à ce moment plongée dans le sommeil magnétique . M. Sievert présenta à celle-ci un papier renfermant des cheveux, pour voir ce qu'elle en ferait. Elle ouvrit le papier, sans cependant mettre les cheveux à découvert, les appliqua sur ses paupières closes, puis les éloigna, comme pour les examiner à distance et dit : « Je voudrais bien savoir ce que contient ce papier... Ce sont des cheveux d'une dame que je ne connais pas... Si elle veut venir, qu'elle vienne... Je ne puis pas l'inviter, je ne la connais pas. » Aux questions que lui adressa M. Sievert, elle ne répondit pas ; mais ayant placé le papier dans le creux de sa main, qu'elle étendait et retournait, il y resta suspendu. Elle le plaça ensuite au bout de l'index et fit décrire à sa main pendant assez longtemps un demi-cercle, en disant : « Ne tombe pas », et le papier resta au bout du doigt ; puis, au commandement de : « Maintenant tombe », il se détacha sans qu'elle fît le moindre mouvement pour déterminer la chute. Soudain, se tournant du côté du mur, elle dit : « A présent, je veux t'attacher au mur » ; elle y appliqua le papier, qui y resta fixé environ 5 à 6 minutes, après quoi elle l'enleva. Un examen minutieux du papier et du mur n'y fit découvrir aucune cause d'adhérence. Nous croyons devoir faire remarquer que la chambre était parfaitement éclairée, ce qui nous permit de nous rendre un compte exact de toutes ces particularités.
Le lendemain soir on lui donna d'autres objets : des clefs, des pièces de monnaie, des porte-cigares, des montres, des anneaux d'or et d'argent ; et tous, sans exception, restaient suspendus à sa main. On a remarqué que l'argent y adhérait plus que les autres matières, car on eut de la peine à en enlever les pièces de monnaie, et cette opération lui causait de la douleur. Un des faits les plus curieux en ce genre est le suivant : Le samedi 11 novembre, un officier qui était présent lui donna son sabre avec le ceinturon, et le tout, qui pesait 4 livres, d'après constatation, resta suspendu au doigt médium en se balançant assez longtemps. Ce qui n'est pas moins singulier, c'est que tous les objets, quelle qu'en fût la matière, restaient également suspendus. Cette propriété magnétique se communiquait par le simple contact des mains aux personnes susceptibles de la transmission du fluide ; nous en avons eu plusieurs exemples.
Un capitaine, M. le chevalier de Zentner, en garnison à cette époque à Bergzabern, témoin de ces phénomènes, eut l'idée de mettre une boussole près de l'enfant, pour en observer les variations. Au premier essai, l'aiguille dévia de 15 degrés, mais aux suivants elle resta immobile, quoique l'enfant eût la boîte dans une main et la caressât de l'autre. Cette expérience nous a prouvé que ces phénomènes ne sauraient s'expliquer par l'action du fluide minéral, d'autant moins que l'attraction magnétique ne s'exerce pas sur tous les corps indifféremment.
D'habitude, lorsque la petite somnambule se disposait à commencer ses séances, elle appelait dans la chambre toutes les personnes qui se trouvaient là. Elle disait simplement : « Venez ! venez ! » ou bien « Donnez ! donnez ! » Souvent elle n'était tranquille que lorsque tout le monde, sans exception, était près de son lit. Elle demandait alors avec empressement et impatience un objet quelconque ; à peine le lui avait-on donné, qu'il s'attachait à ses doigts. Il arrivait fréquemment que dix, douze personnes et plus étaient présentes, et que chacune d'elles lui remettait plusieurs objets. Pendant la séance elle ne souffrait pas qu'on lui en reprît aucun ; elle paraissait surtout tenir aux montres ; elle les ouvrait avec une grande adresse, examinait le mouvement, les refermait, puis les plaçait près d'elle pour examiner autre chose. A là fin, elle rendait à chacun ce qu'on lui avait confié ; elle examinait les objets les yeux fermés, et jamais ne se trompait de propriétaire. Si quelqu'un tendait la main pour prendre ce qui ne lui appartenait pas, elle le repoussait. Comment expliquer cette distribution multiple à un si grand nombre de personnes sans erreur ? On essayerait en vain de le faire soi-même les yeux ouverts. La séance terminée et les étrangers partis, les coups et le grattement, momentanément interrompus, recommençaient. Il faut ajouter que l'enfant ne voulait pas que personne se tînt au pied de son lit près de l'armoire, ce qui laissait entre les deux meubles un espace d'environ un pied. Si quelqu'un s'y mettait, elle le renvoyait du geste. S'y refusait-on, elle montrait une grande inquiétude et ordonnait par des gestes impérieux de quitter la place. Une fois elle engagea les assistants à ne jamais se tenir à l'endroit défendu, parce qu'elle ne voulait pas, dit-elle, qu'il arrivât malheur à quelqu'un. Cet avertissement était si positif, que nul à l'avenir ne l'oublia.
A quelque temps de là, au frappement et au grattement se joignit un bourdonnement que l'on peut comparer au son produit par une grosse corde de basse ; un certain sifflement se mêlait à ce bourdonnement. Quelqu'un demandait-il une marche ou une danse, son désir était satisfait : le musicien invisible se montrait fort complaisant. A l'aide du grattement, il appelle nominativement les gens de la maison ou les étrangers présents ; ceux-ci comprennent facilement à qui il s'adresse. A l'appel par le grattement, la personne désignée répond oui, pour donner à entendre qu'elle sait qu'il s'agit d'elle : alors il exécute à son intention un morceau de musique qui donne parfois lieu à des scènes plaisantes. Si une autre personne que celle appelée répondait oui, le gratteur faisait comprendre par un non exprimé à sa manière qu'il n'avait rien à lui dire pour le moment. C'est le soir du 10 novembre que ces faits se sont produits pour la première fois, et ils ont continué à se manifester jusqu'à ce jour.
Voici maintenant comment l'Esprit frappeur s'y prenait pour désigner les personnes. Depuis plusieurs nuits, on avait remarqué qu'aux diverses invitations de faire telle ou telle chose il répondait par un coup sec ou par un grattement prolongé. Aussitôt que le coup sec était donné, le frappeur commençait à exécuter ce qu'on désirait de lui ; quand, au contraire, il grattait, il ne satisfaisait pas à la demande. Un médecin eut alors l'idée de prendre pour un oui le premier bruit, et le second pour un non, et depuis lors cette interprétation a toujours été confirmée. On remarqua aussi que par une série de grattements plus ou moins forts l'Esprit exigeait certaines choses des personnes présentes. A force d'attention, et en remarquant la manière dont le bruit se produisait, on put comprendre l'intention du frappeur. Ainsi, par exemple, le père Senger a raconté que le matin, au point du jour, il entendait des bruits modulés d'une certaine façon ; sans y attacher d'abord aucun sens, il remarqua qu'ils ne cessaient que lorsqu'il était hors du lit, d'où il comprit qu'ils signifiaient : « Lève-toi. » C'est ainsi que peu à peu on se familiarisa avec ce langage, et qu'à certains signes les personnes désignées purent se reconnaître.
Arriva l'anniversaire du jour où l'Esprit frappeur s'était manifesté pour la première fois ; des changements nombreux s'opérèrent dans l'état de Philippine Senger. Les coups, le grattement et le bourdonnement continuèrent, mais à toutes ces manifestations se joignit un cri particulier, qui ressemblait tantôt à celui d'une oie, tantôt à celui d'un perroquet ou de tout autre gros oiseau ; en même temps on entendit une sorte de picotement contre le mur, semblable au bruit que ferait un oiseau en becquetant. A cette époque, Philippine Senger parlait beaucoup pendant son sommeil, et paraissait surtout préoccupée d'un certain animal, qui ressemblait à un perroquet, se tenant au pied du lit, criant et donnant des coups de bec contre le mur. Sur le désir d'entendre crier le perroquet, celui-ci jetait des cris perçants. On posa diverses questions auxquelles il fut répondu par des cris du même genre ; plusieurs personnes lui commandèrent de dire : Kakatoès, et l'on entendit très distinctement le mot Kakatoès comme s'il eût été prononcé par l'oiseau lui-même. Nous passerons sous silence les faits les moins intéressants, et nous nous bornerons à rapporter ce qu'il y eut de plus remarquable sous le rapport des changements survenus dans l'état corporel de la jeune fille.
Quelque temps avant Noël, les manifestations se renouvelèrent avec plus d'énergie ; les coups et le grattement devinrent plus violents et durèrent plus longtemps. Philippine, plus agitée que de coutume, demandait souvent à ne plus coucher dans son lit, mais dans celui de ses parents ; elle se roulait dans le sien en criant : « Je ne peux plus rester ici ; je vais étouffer : ils vont me loger dans le mur ; au secours ! » Et son calme ne revenait que lorsqu'on l'avait transportée dans l'autre lit. A peine s'y trouvait-elle, que des coups très forts se faisaient entendre d'en haut ; ils semblaient partir du grenier, comme si un charpentier eût frappé sur les poutres ; ils étaient même quelquefois si vigoureux, que la maison en était ébranlée, que les fenêtres vibraient, et que les personnes présentes sentaient le sol trembler sous leurs pieds ; des coups semblables étaient également frappés contre le mur, près du lit. Aux questions posées, les mêmes coups répondaient comme d'habitude, alternant toujours avec le grattement. Les faits suivants, non moins curieux, se sont maintes fois reproduits.
Lorsque tout bruit avait cessé et que la jeune fille reposait tranquillement dans son petit lit, on la vit souvent se prosterner tout à coup et joindre les mains tout en ayant les yeux fermés ; puis elle tournait la tête de tous côtés, tantôt à droite, tantôt à gauche, comme si quelque chose d'extraordinaire eût attiré son attention. Un sourire aimable courait alors sur ses lèvres ; on eût dit qu'elle s'adressait à quelqu'un ; elle tendait les mains, et à ce geste on comprenait qu'elle serrait celles de quelques amis ou connaissances. On la vit aussi, après de semblables scènes, reprendre sa première attitude suppliante, joindre de nouveau les mains, courber la tête jusqu'à toucher la couverture, puis se redresser et verser des larmes. Elle soupirait alors et paraissait prier avec une grande ferveur. Dans ces moments, sa figure était transformée ; elle était pâle et avait l'expression d'une femme de 24 à 25 ans. Cet état durait souvent plus d'une demi-heure, état pendant lequel elle ne prononça que des ah ! ah ! Les coups, le grattement, le bourdonnement et les cris cessaient jusqu'au moment du réveil ; alors le frappeur se faisait entendre de nouveau, cherchant l'exécution d'airs gais propres à dissiper l'impression pénible produite sur l'assistance. Au réveil, l'enfant était très abattue ; elle pouvait à peine lever les bras, et les objets qu'on lui présentait ne restaient plus suspendus à ses doigts.
Curieux de connaître ce qu'elle avait éprouvé, on l'interrogea plusieurs fois. Ce n'est que sur des instances réitérées quelle se décida à dire qu'elle avait vu conduire et crucifier le Christ sur le Golgotha ; que la douleur des saintes femmes prosternées au pied de la croix et le crucifiement avaient produit sur elle une impression qu'elle ne pouvait rendre. Elle avait vu aussi une foule de femmes et de jeunes vierges en robes noires, et des jeunes gens en longues robes blanches parcourir processionnellement les rues d'une belle ville, et enfin elle s'était trouvée transportée dans une vaste église, où elle avait assisté à un service funèbre.
En peu de temps l'état de Philippine Senger changea de façon à donner des inquiétudes sur sa santé, car à l'état de veille elle divaguait et rêvait tout haut ; elle ne reconnaissait ni son père, ni sa mère, ni sa soeur, ni aucune autre personne, et cet état vint encore s'aggraver d'une surdité complète qui persista pendant quinze jours. Nous ne pouvons passer sous silence ce qui eut lieu durant ce laps de temps.
La surdité de Philippine se manifesta de midi à trois heures, et elle-même déclara quelle resterait sourde pendant un certain temps et qu'elle tomberait malade. Ce qu'il y a de singulier, c'est que parfois elle recouvrait l'ouïe pendant une demi-heure, ce dont elle se montrait heureuse. Elle prédisait elle-même le moment où la surdité devait la prendre et la quitter. Une fois, entre autres, elle annonça que le soir, à huit heures et demie, elle entendrait clairement pendant une demi-heure ; en effet, à l'heure dite, l'ouïe était revenue, et cela dura jusqu'à neuf heures.
Pendant sa surdité ses traits étaient changés ; son visage prenait une expression de stupidité qu'il perdait aussitôt qu'elle était rentrée dans son état normal. Rien alors ne faisait impression sur elle ; elle se tenait assise, regardant les personnes présentes d'un oeil fixe et sans les reconnaître. On ne pouvait se faire comprendre que par des signes auxquels le plus souvent elle ne répondait pas, se bornant à fixer les yeux sur celui qui lui adressait la parole. Une fois elle saisit tout à coup par le bras une des personnes présentes et lui dit en la poussant : Qui es-tu donc ? Dans cette situation, elle restait quelquefois plus d'une heure et demie immobile sur son lit. Ses yeux étaient à demi ouverts et arrêtés sur un point quelconque ; de temps à autre on les voyait se tourner à droite et à gauche, puis revenir au même endroit. Toute sensibilité paraissait alors émoussée en elle ; son pouls battait à peine, et lorsqu'on lui plaçait une lumière devant les yeux, elle ne faisait aucun mouvement : on l'eût dit morte.
Il arriva pendant sa surdité qu'un soir, étant couchée, elle demanda une ardoise et de la craie, puis elle écrivit : « A onze heures je dirai quelque chose, mais j'exige qu'on se tienne tranquille et silencieux. » Après ces mots elle ajouta cinq signes qui ressemblaient à de l'écriture latine, mais qu'aucun des assistants ne put déchiffrer. On écrivit sur l'ardoise qu'on ne comprenait pas ces signes. En réponse à cette observation, elle écrivit : « N'est-ce pas que vous ne pouvez pas lire ! » Et plus bas : « Ce n'est pas de l'allemand, c'est une langue étrangère. » Ensuite ayant retourné l'ardoise, elle écrivit sur l'autre côté : « Francisque (sa sœur aînée) s'assiéra à cette table et écrira ce que je lui dicterai. » Elle accompagna ces mots de cinq signes semblables aux premiers, et rendit l'ardoise. Remarquant que ces signes n'étaient pas encore compris, elle redemanda l'ardoise et ajouta : « Ce sont des ordres particuliers. »
Un peu avant onze heures, elle dit : « Tenez-vous tranquilles, que tout le monde s'assoie et prête attention ! » et au coup de onze heures, elle se renversa sur son lit et tomba dans son sommeil magnétique ordinaire. Quelques instants après elle se mit à parler, ce qui dura sans discontinuer pendant une demi-heure. Entre autres choses, elle déclara que dans le courant de l'année il se produirait des faits que personne ne pourrait comprendre, et que toutes les tentatives faites pour les expliquer resteraient infructueuses.
Pendant la surdité de la jeune Senger, le bouleversement du mobilier, l'ouverture inexpliquée des fenêtres, l'extinction des lumières placées sur la table de travail, se renouvelèrent plusieurs fois. Il arriva un soir que deux bonnets accrochés à un portemanteau de la chambre à coucher furent lancés sur la table de l'autre chambre, et renversèrent une tasse pleine de lait, qui se répandit à terre. Les coups frappés contre le lit étaient si violents, que ce meuble en était déplacé ; quelquefois même il était dérangé avec fracas sans que les coups se fissent entendre.
Comme il y avait encore des gens incrédules, ou qui attribuaient ces singularités à un jeu de l'enfant, qui, selon eux, frappait ou grattait avec ses pieds ou ses mains, bien que les faits eussent été constatés par plus de cent témoins, et qu'il fût avéré que la jeune fille avait les bras étendus sur la couverture pendant que les bruits se produisaient, le capitaine Zentner imagina un moyen de les convaincre. Il fit apporter de la caserne deux couvertures très épaisses qu'on mit l'une sur l'autre, et dont on enveloppa les matelas et les draps de lit ; elles étaient à longs poils, de telle sorte qu'il était impossible d'y produire le moindre bruit par le frottement. Philippine, vêtue d'une simple chemise et d'une camisole de nuit, fut mise sur ces couvertures ; à peine placée, le grattement et les coups eurent lieu comme auparavant, tantôt contre le bois du lit, tantôt contre l'armoire voisine, selon le désir qui était exprimé.
Il arrive souvent que, lorsque quelqu'un fredonne ou siffle un air quelconque, le frappeur l'accompagne, et les sons que l'on perçoit semblent provenir de deux, trois ou quatre instruments : on entend gratter, frapper, siffler et gronder en même temps, suivant le rythme de l'air chanté. Souvent aussi le frappeur demande à l'un des assistants de chanter une chanson ; il le désigne par le procédé que nous connaissons, et, quand celui-ci a compris que c'est à lui que l'Esprit s'adresse, il lui demande à son tour s'il doit chanter tel ou tel air ; il lui est répondu par oui ou par non. L'air indiqué étant chanté, un accompagnement de bourdonnements et de sifflements se fait entendre parfaitement en mesure. Après un air joyeux, l'Esprit demandait souvent l'air : Grand Dieu, nous te louons, ou la chanson de Napoléon I°. Si on lui disait de jouer tout seul cette dernière chanson ou toute autre, il la faisait entendre depuis le commencement jusqu'à la fin.
Les choses allèrent ainsi dans la maison de Senger, soit le jour, soit la nuit, pendant le sommeil ou dans l'état de veille de l'enfant, jusqu'au 4 mars 1853, époque à laquelle les manifestations entrèrent dans une autre phase. Ce jour fut marqué par un fait plus extraordinaire encore que les précédents. »
(La suite au prochain numéro.)
Remarque. - Nos lecteurs ne nous sauront pas mauvais gré sans doute de l'étendue que nous avons donnée à ces curieux détails, et nous pensons qu'ils en liront la suite avec non moins d'intérêt. Nous ferons remarquer que ces faits ne nous viennent pas des contrées transatlantiques, dont la distance est un grand argument pour certains sceptiques quand même ; ils ne viennent même pas d'outre-Rhin, car c'est sur nos frontières qu'ils se sont passés, et presque sous nos yeux, puisqu'ils ont à peine six ans de date.
Philippine Senger était, comme on le voit, un médium naturel très complexe ; outre l'influence qu'elle exerçait sur les phénomènes bien connus des bruits et des mouvements, elle était somnambule extatique. Elle conversait avec des êtres incorporels qu'elle voyait ; elle voyait en même temps les assistants, et leur adressait la parole, mais ne leur répondait pas toujours, ce qui prouve qu'à certains moments elle était isolée. Pour ceux qui connaissent les effets de l'émancipation de l'âme, les visions que nous avons rapportées n'ont rien qui ne puisse aisément s'expliquer ; il est probable que, dans ces moments d'extase, l'Esprit de l'enfant se trouvait transporté dans quelque contrée lointaine, où il assistait, peut-être en souvenir, à une cérémonie religieuse. On peut s'étonner de la mémoire qu'il en gardait au réveil, mais ce fait n'est point insolite ; du reste, on peut remarquer que le souvenir était confus, et qu'il fallait insister beaucoup pour le provoquer.
Si l'on observe attentivement ce qui se passait pendant la surdité, on y reconnaîtra sans peine un état cataleptique. Puisque cette surdité n'était que temporaire, il est évident qu'elle ne tenait point à l'altération des organes de l'ouïe. Il en est de même de l'oblitération momentanée des facultés mentales, oblitération qui n'avait rien de pathologique, puisque, à un instant donné, tout rentrait dans l'état normal. Cette sorte de stupidité apparente tenait à un dégagement plus complet de l'âme, dont les excursions se faisaient avec plus de liberté, et ne laissaient aux sens que la vie organique. Qu'on juge donc de l'effet désastreux qu'eût pu produire un traitement thérapeutique en pareille circonstance ! Des phénomènes du même genre peuvent se produire à chaque instant ; nous ne saurions, dans ce cas, recommander trop de circonspection ; une imprudence peut compromettre la santé et même la vie.

Revue spirite 1858

L'Esprit frappeur de Bergzabern (troisième article)

Nous continuons à citer la brochure de M. Blanck, rédacteur du Journal de Bergzabern .
« Les faits que nous allons relater eurent lieu du vendredi 4 au mercredi 9 mars 1853 ; depuis, rien de semblable ne s'est produit. Philippine à cette époque ne couchait plus dans la chambre que l'on connaît : son lit avait été transféré dans la pièce voisine où il se trouve encore maintenant. Les manifestations ont pris un tel caractère d'étrangeté, qu'il est impossible d'admettre l'explication de ces phénomènes par l'intervention des hommes. Ils sont d'ailleurs si différents de ceux qui furent observés antérieurement, que toutes les suppositions premières ont été renversées.
On sait que dans la chambre où couchait la jeune fille, les chaises et les autres meubles avaient souvent été bouleversés, que les fenêtres s'étaient ouvertes avec fracas sous des coups redoublés. Depuis cinq semaines elle se tient dans la chambre commune, où, une fois la nuit venue et jusqu'au lendemain, il y a toujours de la lumière ; on peut donc parfaitement voir ce qui s'y passe. Voici le fait qui fut observé le vendredi 4 mars.
Philippine n'était pas encore couchée ; elle était au milieu d'un certain nombre de personnes qui s'entretenaient de l'Esprit frappeur, lorsque tout à coup le tiroir d'une table très grande et très lourde, placée dans la chambre, fut tiré et repoussé avec un grand bruit et une promptitude extraordinaire. Les assistants furent fort surpris de cette nouvelle manifestation ; dans le même moment la table elle-même se mit en mouvement dans tous les sens, et s'avança vers la cheminée près de laquelle Philippine était assise. Poursuivie pour ainsi dire par ce meuble, elle dut quitter sa place et s'enfuir dans le milieu de la chambre ; mais la table revint dans cette direction et s'arrêta à un demi-pied du mur. On la remit à sa place ordinaire, d'où elle ne bougea plus ; mais des bottes qui se trouvaient dessous, et que tout le monde put voir, furent lancées au milieu de la chambre, au grand effroi des personnes présentes. L'un des tiroirs recommença à glisser dans ses coulisses, s'ouvrant et se refermant par deux fois, d'abord très vivement, puis de plus en plus lentement ; lorsqu'il était entièrement ouvert, il lui arrivait d'être secoué avec fracas. Un paquet de tabac laissé sur la table changeait de place à chaque instant. Le frappement et le grattement se firent entendre dans la table. Philippine, qui jouissait alors d'une très bonne santé, se tenait au milieu de la réunion et ne paraissait nullement inquiète de toutes ces étrangetés, qui se renouvelaient chaque soir depuis le vendredi ; mais le dimanche elles furent encore plus remarquables.
Le tiroir fut plusieurs fois violemment tiré et refermé. Philippine, après avoir été dans son ancienne chambre à coucher, revint subitement prise du sommeil magnétique, se laissa tomber sur un siège, où le grattement se fit plusieurs fois entendre. Les mains de l'enfant étaient sur ses genoux et la chaise se mouvait tantôt à droite, tantôt à gauche, en avant ou en arrière. On voyait les pieds de devant du siège se lever, tandis que la chaise se balançait dans un équilibre étonnant sur les pieds de derrière. Philippine ayant été transportée au milieu de la chambre, il fut plus facile d'observer ce nouveau phénomène. Alors, au commandement, la chaise tournait, avançait ou reculait plus ou moins vite, tantôt dans un sens, tantôt dans l'autre. Pendant cette danse singulière, les pieds de l'enfant, comme paralysés, traînaient à terre ; celle-ci se plaignit de maux de tête par des gémissements et en portant à diverses reprises la main à son front ; puis, s'étant réveillée tout à coup, elle se mit à regarder de tous côtés, ne pouvant comprendre sa situation : son malaise l'avait quittée. Elle se coucha ; alors les coups et le grattement qui s'étaient produits dans la table se firent entendre dans le lit avec force et d'une façon joyeuse.
Quelque temps auparavant, une sonnette ayant fait entendre des sons spontanés, on eut l'idée d'en attacher une au lit, aussitôt elle se mit à tinter et à s'agiter. Ce qu'il y eut de plus curieux dans cette circonstance, c'est que, le lit étant soulevé et déplacé, la sonnette resta immobile et muette. Vers minuit environ tout bruit cessa, et l'assemblée se retira.
Le lundi soir, 15 mai, on fixa au lit une grosse sonnette ; aussitôt elle fit entendre un bruit assourdissant et désagréable. Le même jour, dans l'après-midi, les fenêtres et la porte de la chambre à coucher s'étaient ouvertes, mais silencieusement.
Nous devons rapporter aussi que la chaise sur laquelle Philippine s'était assise le vendredi et le samedi, ayant été portée par le père Senger au milieu de la chambre, paraissait beaucoup plus légère que de coutume : on eût dit qu'une force invisible la soutenait. Un des assistants, voulant la pousser, n'éprouva aucune résistance : la chaise paraissait glisser d'elle-même sur le sol.
L'Esprit frappeur resta silencieux pendant les trois jours : jeudi, vendredi et samedi saints. Ce ne fût que le jour de Pâques que ses coups recommencèrent avec le son des cloches, coups rythmés qui composaient un air. Le 1° avril les troupes, changeant de garnison, quittèrent la ville musique en tête. Lorsqu'elles passèrent devant la maison Senger, l'Esprit frappeur exécuta à sa manière, contre le lit, le même morceau qu'on jouait dans la rue. Quelque temps avant on avait entendu dans la chambre comme les pas d'une personne, et comme si l'on eût jeté du sable sur les planches.
Le gouvernement du Palatinat s'est préoccupé des faits que nous venons de rapporter, et proposa au père Senger de placer son enfant dans une maison de santé à Frankenthal, proposition qui fut acceptée. Nous apprenons que dans sa nouvelle résidence, la présence de Philippine a donné lieu aux prodiges de Bergzabern, et que les médecins de Frankenthal, pas plus que ceux de notre ville, n'en peuvent déterminer la cause. Nous sommes informés en outre que les médecins ont seuls accès auprès de la jeune fille. Pourquoi a-t-on pris cette mesure ? Nous l'ignorons, et nous ne nous permettrons pas de la blâmer ; mais si ce qui y a donné lieu n'est pas le résultat de quelque circonstance particulière, nous croyons qu'on aurait pu laisser pénétrer près de l'intéressante enfant, sinon tout le monde, au moins les personnes recommandables. »
Remarque. - Nous n'avons eu connaissance des différents faits que nous avons rapportés que par la relation qu'en a publiée M. Blanck ; mais une circonstance vient de nous mettre en rapport avec une des personnes qui ont le plus figuré dans toute cette affaire, et qui a bien voulu nous fournir à ce sujet des documents circonstanciés du plus haut intérêt. Nous avons également eu, par l'évocation, des explications fort curieuses et fort instructives sur cet Esprit frappeur lui-même qui s'est manifesté à nous. Ces documents nous étant parvenus trop tard, nous en ajournons la publication au prochain numéro.

Revue spirite 1858

Entretiens familiers d’outre-tombe

Le Tambour de la Bérésina

Quelques personnes étant réunies chez nous à l'effet de constater certaines manifestations, les faits suivants se produisirent pendant plusieurs séances et donnèrent lieu à l'entretien que nous allons rapporter, et qui présente un haut intérêt au point de vue de l'étude.
L'Esprit se manifesta par des coups frappés, non avec le pied de la table, mais dans le tissu même du bois. L'échange de pensées qui eut lieu en cette circonstance entre les assistants et l'être invisible ne permettait pas de douter de l'intervention d'une intelligence occulte. Outre les réponses faites à diverses questions, soit par oui et par non, soit au moyen de la typtologie alphabétique, les coups battaient à volonté une marche quelconque, le rythme d'un air, imitaient la fusillade et la canonnade d'une bataille, le bruit du tonnelier, du cordonnier, faisaient l'écho avec une admirable précision, etc. Puis eut lieu le mouvement d'une table et sa translation sans aucun contact des mains, les assistants se tenant écartés ; un saladier ayant été placé sur la table, au lieu de tourner, se mit à glisser en ligne droite, également sans le contact des mains. Les coups se faisaient entendre pareillement dans divers meubles de la chambre, quelquefois simultanément, d'autres fois comme s'ils se fussent répondus.
L'Esprit paraissait avoir une prédilection marquée pour les batteries de tambour, car il y revenait à chaque instant sans qu'on les lui demandât ; souvent à certaines questions, au lieu de répondre, il battait la générale ou le rappel. Interrogé sur plusieurs particularités de sa vie, il dit s'appeler Célima, être né à Paris, mort depuis quarante-cinq ans, et avoir été tambour.
Parmi les assistants, outre le médium spécial à influences physiques qui servait aux manifestations, il y avait un excellent médium écrivain qui put servir d'interprète à l'Esprit, ce qui permit d'obtenir des réponses plus explicites. Ayant confirmé, par la psychographie, ce qu'il avait dit au moyen de la typtologie sur son nom, le lieu de sa naissance et l'époque de sa mort, on lui adressa la série des questions suivantes, dont les réponses offrent plusieurs traits caractéristiques et qui corroborent certaines parties essentielles de la théorie.
1. Ecris-nous quelque chose, ce que tu voudras ? - R. Ran plan plan, ran plan plan.
2. Pourquoi écris-tu cela ? - R. J'étais tambour.
3. Avais-tu reçu quelque instruction ? - R. Oui.
4. Où as-tu fait tes études ? - R. Aux Ignorantins.
5. Tu nous parais être jovial ? - R. Je le suis beaucoup.
6. Tu nous as dit une fois que, de ton vivant, tu aimais un peu trop à boire ; est-ce vrai ? - R. J'aimais tout ce qui était bon.
7. Etais-tu militaire ? - R. Mais oui, puisque j'étais tambour.
8. Sous quel gouvernement as-tu servi ? - R. Sous Napoléon le Grand.
9. Peux-tu nous citer une des batailles auxquelles tu as assisté ? - R. La Bérésina.
10. Est-ce là que tu es mort ? - R. Non.
11. Etais-tu à Moscou ? - R. Non.
12. Où es-tu mort ? - R. Dans les neiges.
13. Dans quel corps servais-tu ? - R. Dans les fusiliers de la garde.
14. Aimais-tu bien Napoléon le Grand ? - R. Comme nous l'aimions tous, sans savoir pourquoi.
15. Sais-tu ce qu'il est devenu depuis sa mort ? - R. Je ne me suis plus occupé que de moi depuis ma mort.
16. Es-tu réincarné ? - R. Non, puisque je viens causer avec vous.
17. Pourquoi te manifestes-tu par des coups sans qu'on t'ait appelé ? - R. Il faut faire du bruit pour ceux dont le cœur ne croit pas. Si vous n'en avez pas assez, je vais vous en donner encore.
18. Est-ce de ta propre volonté que tu es venu frapper, ou bien un autre Esprit t'a-t-il forcé de le faire ? - R. C'est de ma bonne volonté que je viens ; il y en a bien un que vous appelez Vérité qui peut m'y forcer aussi ; mais il y a longtemps que j'avais voulu venir.
19. Dans quel but voulais-tu venir ? - R. Pour m'entretenir avec vous ; c'est ce que je voulais ; mais il y avait quelque chose qui m'en empêchait. J'y ai été forcé par un Esprit familier de la maison qui m'a engagé à me rendre utile aux personnes qui me demanderaient de faire des réponses. - Cet Esprit a donc beaucoup de pouvoir, puisqu'il commande ainsi aux autres Esprits ? - R. Plus que vous ne croyez, et il n'en use que pour le bien.
Remarque. L'Esprit familier de la maison se fait connaître sous le nom allégorique de la Vérité, circonstance ignorée du médium.
20. Qu'est-ce qui t'en empêchait ? - R. Je ne sais pas ; quelque chose que je ne comprends pas.
21. Regrettes-tu la vie ? - R. Non, je ne regrette rien.
22. Laquelle préfères-tu de ton existence actuelle ou de ton existence terrestre ? - R. Je préfère l'existence des Esprits à l'existence du corps.
23. Pourquoi cela ? - R. Parce qu'on est bien mieux que sur la terre ; c'est le purgatoire sur la terre, et tout le temps que j'y ai vécu, je désirais toujours la mort.
24. Souffres-tu dans ta nouvelle situation ? - R. Non ; mais je ne suis pas encore heureux.
25. Serais-tu satisfait d'avoir une nouvelle existence corporelle ? - R. Oui, parce que je sais que je dois monter.
26. Qui te l'a dit ? - R. Je le sens bien.
27. Seras-tu bientôt réincarné ? - R. Je ne sais pas.
28. Vois-tu d'autres Esprits autour de toi ? - R. Oui, beaucoup.
29. Comment sais-tu que ce sont des Esprits ? - R. Entre nous, nous nous voyons tels que nous sommes.
30. Sous quelle apparence les vois-tu ? - R. Comme on peut voir des Esprits, mais non par les yeux.
31. Et toi, sous quelle forme es-tu ici ? - R. Sous celle que j'avais de mon vivant ; c'est-à-dire en tambour.
32. Et les autres Esprits, les vois-tu sous la forme qu'ils avaient de leur vivant ? - R. Non, nous ne prenons une apparence que lorsque nous sommes évoqués, autrement nous nous voyons sans forme.
33. Nous vois-tu aussi nettement que si tu étais vivant ? - R. Oui, parfaitement.
34. Est-ce par les yeux que tu nous vois ? - R. Non ; nous avons une forme, mais nous n'avons pas de sens ; notre forme n'est qu'apparente.
Remarque. - Les Esprits ont assurément des sensations, puisqu'ils perçoivent, autrement ils seraient inertes ; mais leurs sensations ne sont point localisées comme lorsqu'ils ont un corps : elles sont inhérentes à tout leur être.
35. Dis-nous positivement à quelle place tu es ici ? - R. Je suis près de la table, entre le médium et vous.
36. Quand tu frappes, es-tu sous la table, ou dessus, ou dans l'épaisseur du bois ? - R. Je suis à côté ; je ne me mets pas dans le bois : il suffit que je touche la table.
37. Comment produis-tu les bruits que tu fais entendre ? - R. Je crois que c'est par une sorte de concentration de notre force.
38. Pourrais-tu nous expliquer la manière dont se produisent les différents bruits que tu imites, les grattements, par exemple ? - R. Je ne saurais trop préciser la nature des bruits ; c'est difficile à expliquer. Je sais que je gratte, mais je ne puis expliquer comment je produis ce bruit que vous appelez grattement.
39. Pourrais-tu produire les mêmes bruits avec tout médium quelconque ? - R. Non, il y a des spécialités dans tous les médiums ; tous ne peuvent pas agir de la même façon.
40. Vois-tu parmi nous quelqu'un, autre que le jeune S... (le médium à l'influence physique par lequel cet Esprit se manifeste), qui pourrait t'aider à produire les mêmes effets ? - R. Je n'en vois pas pour le moment ; avec lui je suis très disposé à le faire.
41. Pourquoi avec lui plutôt qu'avec un autre ? - R. Parce que je le connais davantage, et qu'ensuite il est plus apte qu'un autre à ce genre de manifestations.
42. Le connaissais-tu d'ancienne date ; avant son existence actuelle ? - R. Non ; je ne le connais que depuis peu de temps ; j'ai été en quelque sorte attiré vers lui pour en faire mon instrument.
43. Quand une table se soulève en l'air sans point d'appui, qu'est-ce qui la soutient ? - R. Notre volonté qui lui a ordonné d'obéir, et aussi le fluide que nous lui transmettons.
Remarque. - Cette réponse vient à l'appui de la théorie qui nous a été donnée, et que nous avons rapportée dans les n° 5 et 6 de cette Revue, sur la cause des manifestations physiques.
44. Pourrais-tu le faire ? - R. je le pense ; j'essayerai lorsque le médium sera venu. (Il était absent en ce moment.)
45. De qui cela dépend-il ? - R. Cela dépend de moi, puisque je me sers du médium comme instrument.
46. Mais la qualité de l'instrument n'est-elle pas pour quelque chose ? - R. Oui, elle m'aide beaucoup, puisque j'ai dit que je ne pouvais le faire avec d'autres aujourd'hui.
Remarque. - Dans le courant de la séance on essaya l'enlèvement de la table, mais on ne réussit pas, probablement parce qu'on n'y mit pas assez de persévérance ; il y eut des efforts évidents et des mouvements de translation sans contact ni imposition des mains. Au nombre des expériences qui furent faites, fut celle de l'ouverture de la table à l'endroit des rallonges ; cette table offrant beaucoup de résistance par sa mauvaise construction, on la tenait d'un côté, tandis que l'Esprit tirait de l'autre et la faisait ouvrir.
47. Pourquoi, l'autre jour, les mouvements de la table s'arrêtaient-ils chaque fois que l'un de nous prenait la lumière pour regarder dessous ? - R. Parce que je voulais punir votre curiosité.
48. De quoi t'occupes-tu dans ton existence d'Esprit, car enfin tu ne passes pas ton temps à frapper ? - R. J'ai souvent des missions à remplir ; nous devons obéir à des ordres supérieurs, et surtout lorsque nous avons du bien à faire par notre influence sur les humains.
49. Ta vie terrestre n'a sans doute pas été exempte de fautes ; les reconnais-tu maintenant ? - R. Oui, je les expie justement en restant stationnaire parmi les Esprits inférieurs ; je ne pourrai me purifier davantage que lorsque je prendrai un autre corps.
50. Quand tu faisais entendre des coups dans un autre meuble en même temps que dans la table, est-ce toi qui les produisais ou un autre Esprit ? - R. C'était moi.
51. Tu étais donc seul ? - R. Non, mais je remplissais seul la mission de frapper.
52. Les autres Esprits qui étaient là t'aidaient-ils à quelque chose ? - R. Non pour frapper, mais pour parler.
53. Alors ce n'étaient pas des Esprits frappeurs ? - R. Non, la Vérité n'avait permis qu'à moi de frapper.
54. Les Esprits frappeurs ne se réunissent-ils pas quelquefois en nombre afin d'avoir plus de puissance pour produire certains phénomènes ? - R. Oui, mais pour ce que je voulais faire je pouvais suffire seul.
55. Dans ton existence spirite, es-tu toujours sur la terre ? - R. Le plus souvent dans l'espace.
56. Vas-tu quelquefois dans d'autres mondes, c'est-à-dire dans d'autres globes ? - R. Non dans de plus parfaits, mais dans des mondes inférieurs.
57. T'amuses-tu quelquefois à voir et à entendre ce que font les hommes ? - Non ; quelquefois pourtant j'en ai pitié.
58. Quels sont ceux vers lesquels tu vas de préférence ? - R. Ceux qui veulent croire de bonne foi.
59. Pourrais-tu lire dans nos pensées ? - R. Non, je ne lis pas dans les âmes ; je ne suis pas assez parfait pour cela.
60. Cependant tu dois connaître nos pensées, puisque tu viens parmi nous ; autrement comment pourrais-tu savoir si nous croyons de bonne foi ? - R. je ne lis pas, mais j'entends.
Remarque. - La question 58 avait pour but de lui demander quels sont ceux vers lesquels il va de préférence spontanément, dans sa vie d'Esprit, sans être évoqué ; par l'évocation il peut, comme Esprit d'un ordre peu élevé, être contraint de venir même dans un milieu qui lui déplairait. D'un autre côté, sans lire à proprement parler dans nos pensées, il pouvait certainement voir que les personnes n'étaient réunies que dans un but sérieux, et, par la nature des questions et des conversations qu'il entendait, juger que l'assemblée était composée de personnes sincèrement désireuses de s'éclairer.
61. As-tu retrouvé dans le monde des Esprits quelques-uns de tes anciens camarades de l'armée ? - R. Oui, mais leurs positions étaient si différentes que je ne les ai pas tous reconnus.
62. En quoi consistait cette différence ? - R. Dans l'ordre heureux ou malheureux de chacun.
62. Que vous êtes-vous dit en vous retrouvant ? - R. Je leur disais : Nous allons monter vers Dieu qui le permet.
63. Comment entendais-tu monter vers Dieu ? - R. Un degré de plus de franchi, c'est un degré de plus vers lui.
64. Tu nous as dit que tu es mort dans les neiges, par conséquent tu es mort de froid ? - R. De froid et de besoin.
65. As-tu eu immédiatement la conscience de ta nouvelle existence ? - R. Non, mais je n'avais plus froid.
66. Es-tu quelquefois retourné vers l'endroit où tu as laissé ton corps ? - R. Non, il m'avait trop fait souffrir.
67. Nous te remercions des explications que tu as bien voulu nous donner ; elles nous ont fourni d'utiles sujets d'observation pour nous perfectionner dans la science spirite ? - R. Je suis tout à vous.
Remarque. - Cet Esprit, comme on le voit, est peu avancé dans la hiérarchie spirite : il reconnaît lui-même son infériorité. Ses connaissances sont bornées ; mais il y a chez lui du bon sens, des sentiments honorables et de la bienveillance. Sa mission, comme Esprit, est assez infime, puisqu'il remplit le rôle d'Esprit frappeur pour appeler les incrédules à la foi ; mais, au théâtre même, l'humble costume de comparse ne peut-il couvrir un cœur honnête ? Ses réponses ont la simplicité de l'ignorance ; mais, pour n'avoir pas l'élévation du langage philosophique des Esprits supérieurs, elles n'en sont pas moins instructives comme étude de mœurs spirites, si nous pouvons nous exprimer ainsi. C'est seulement en étudiant toutes les classes de ce monde qui nous attend, qu'on peut arriver à le connaître, et y marquer en quelque sorte d'avance la place que chacun de nous peut y occuper. En voyant la situation que s'y sont faite par leurs vices et leurs vertus les hommes qui ont été nos égaux ici-bas, c'est un encouragement pour nous élever le plus possible dès celui-ci : c'est l'exemple à côté du précepte. Nous ne saurions trop le répéter, pour bien connaître une chose et s'en faille une idée exempte d'illusions, il faut la voir sous toutes ses faces, de même que le botaniste ne peut connaître le règne végétal qu'en l'observant depuis l'humble cryptogame caché sous la mousse jusqu'au chêne qui s'élève dans les airs.
Revue spirite 1858

Esprits imposteurs

Le faux P. Ambroise

Un des écueils que présentent les communications spirites est celui des Esprits imposteurs qui peuvent induire en erreur sur leur identité, et qui, à l'abri d'un nom respectable, cherchent à faire passer les plus grossières absurdités. Nous nous sommes, en maintes occasions, expliqués sur ce danger, qui cesse d'en être un pour quiconque scrute à la fois la forme et le fond du langage des êtres invisibles avec lesquels il est en communication. Nous ne pouvons répéter ici ce que nous avons dit à ce sujet ; qu'on veuille bien le lire attentivement dans cette Revue, dans le Livre des Esprits et dans notre Instruction pratique , et l'on verra que rien n'est plus facile que de se prémunir contre de pareilles fraudes, pour peu qu'on y mette de bonne volonté. Nous reproduisons seulement la comparaison suivante que nous avons citée quelque part : « Supposez que dans une chambre voisine de celle où vous êtes soient plusieurs individus que vous ne connaissez pas, que vous ne pouvez voir, mais que vous entendez parfaitement ; ne serait-il pas facile de reconnaître à leur conversation si ce sont des ignorants ou des savants, d'honnêtes gens ou des malfaiteurs, des hommes sérieux ou des étourdis ; des gens de bonne compagnie ou des rustres ?
Prenons une autre comparaison sans sortir de notre humanité matérielle : supposons qu'un homme se présente à vous sous le nom d'un littérateur distingué ; à ce nom, vous le recevez d'abord avec tous les égards dus à son mérite supposé ; mais, s'il s'exprime comme un crocheteur, vous reconnaîtrez tout de suite le bout de l'oreille, et le mettrez à la porte comme un imposteur.
Il en est de même des Esprits : on les reconnaît à leur langage ; celui des Esprits supérieurs est toujours digne et en harmonie avec la sublimité des pensées ; jamais la trivialité n'en souille la pureté. La grossièreté et la bassesse des expressions n'appartiennent qu'aux Esprits inférieurs. Toutes les qualités et toutes les imperfections des Esprits se révèlent par leur langage, et on peut, avec raison, leur appliquer cet adage d'un écrivain célèbre : Le style, c'est l'homme.
Ces réflexions nous sont suggérées par un article que nous trouvons dans le Spiritualiste de la Nouvelle-Orléans du mois de décembre 1857. C'est une conversation qui s'est établie par l'entremise d'un médium, entre deux Esprits, l'un se donnant le nom de père Ambroise, l'autre celui de Clément XIV. Le père Ambroise était un respectable ecclésiastique, mort à la Louisiane dans le siècle dernier ; c'était un homme de bien, d'une haute intelligence, et qui a laissé une mémoire vénérée.
Dans ce dialogue, où le ridicule le dispute à l'ignoble, il est impossible de se méprendre sur la qualité des interlocuteurs, et il faut convenir que les Esprits qui l'ont tenu ont pris bien peu de précautions pour se déguiser ; car, quel est l'homme de bon sens qui pourrait un seul instant supposer que le P. Ambroise et Clément XIV aient pu s'abaisser à de telles trivialités, qui ressemblent à une parade de tréteaux ? Des comédiens du plus bas étage, qui parodieraient ces deux personnages, ne s'exprimeraient pas autrement.
Nous sommes persuadés que le cercle de la Nouvelle-Orléans, où le fait s'est passé, l'a compris comme nous ; en douter serait lui faire injure ; nous regrettons seulement qu'en le publiant on ne l'ait pas fait suivre de quelques observations correctives, qui eussent empêché les gens superficiels de le prendre pour un échantillon du style sérieux d'outre-tombe. Mais hâtons-nous de dire que ce cercle n'a pas que des communications de ce genre : il en a d'un tout autre ordre, où l'on retrouve toute la sublimité de la pensée et de l'expression des Esprits supérieurs.
Nous avons pensé que l'évocation du véritable et du faux P. Ambroise pourrait offrir un utile sujet d'observation sur les Esprits imposteurs ; c'est en effet ce qui a eu lieu, ainsi qu'on en peut juger par l'entretien suivant :
1. Je prie Dieu tout-puissant de permettre à l'Esprit du véritable P. Ambroise mort à la Louisiane le siècle dernier, et qui y a laissé une mémoire vénérée, de se communiquer à nous. - R. Je suis là.
2. Veuillez nous dire si c'est vous réellement qui avez eu, avec Clément XIV, l'entretien rapporté dans le Spiritualiste de la Nouvelle-Orléans, et dont nous avons donné lecture dans notre dernière séance ? - R. Je plains les hommes qui étaient dupes des Esprits, que je plains également.
3. Quel est l'Esprit qui a pris votre nom ? - R. Un Esprit bateleur.
4. Et l'interlocuteur, était-il réellement Clément XIV ? - R. C'était un Esprit sympathique à celui qui avait pris mon nom.
5. Comment avez-vous pu laisser débiter de pareilles choses sous votre nom, et pourquoi n'êtes-vous pas venu démasquer les imposteurs ? - R. Parce que je ne puis pas toujours empêcher les hommes et les Esprits de se divertir.
6. Nous concevons cela pour les Esprits ; mais quant aux personnes qui ont recueilli ces paroles, ce sont des personnes graves et qui ne cherchaient point à se divertir ? - R. Raison de plus : elles devaient bien penser que de telles paroles ne pouvaient être que le langage d'Esprits moqueurs.
7. Pourquoi les Esprits n'enseignent-ils pas à la Nouvelle-Orléans des principes de tout point identiques à ceux qu'ils enseignent ici ? - R. La doctrine qui vous est dictée leur servira bientôt ; il n'y en aura qu'une.
8. Puisque cette doctrine doit y être enseignée plus tard, il nous semble que, si elle l'eût été immédiatement, cela aurait hâté le progrès et évité, dans la pensée de quelques-uns, une incertitude fâcheuse ? - R. Les voies de Dieu sont souvent impénétrables ; n'y a-t-il pas d'autres choses qui vous paraissent incompréhensibles dans les moyens qu'il emploie pour arriver à ses fins ? Il faut que l'homme s'exerce à distinguer le vrai du faux, mais tous ne pourraient recevoir la lumière subitement sans en être éblouis.
9. Veuillez, je vous prie, nous dire votre opinion personnelle sur la réincarnation. - R. Les Esprits sont créés ignorants et imparfaits : une seule incarnation ne peut leur suffire pour tout apprendre ; il faut bien qu'ils se réincarnent, pour profiter des bontés que Dieu leur destine.
10. La réincarnation peut-elle avoir lieu sur la terre, ou seulement dans d'autres globes ? - R. La réincarnation se fait selon le progrès de l'Esprit, dans des mondes plus ou moins parfaits.
11. Cela ne nous dit pas clairement si elle peut avoir lieu sur la terre. - R. Oui, elle peut avoir lieu sur la terre ; et si l'Esprit le demande comme mission, cela doit être plus méritoire pour lui que de demander d'avancer plus vite dans des mondes plus parfaits.
12. Nous prions Dieu tout-puissant de permettre à l'Esprit qui a pris le nom du P. Ambroise de se communiquer à nous. - R. Je suis là ; mais vous ne voulez pas me confondre.
13. Es-tu véritablement le P. Ambroise ? Au nom de Dieu, je te somme de dire la vérité. - R. Non.
14. Que penses-tu de ce que tu as dit sous son nom ? - R. Je pense comme pensaient ceux qui m'écoutaient.
15. Pourquoi t'es-tu servi d'un nom respectable pour dire de pareilles sottises ? - R. Les noms, à nos yeux, ne sont rien : les oeuvres sont tout ; comme on pouvait voir ce que j'étais à ce que je disais, je n'ai pas attaché de conséquence à l'emprunt de ce nom.
16. Pourquoi, en notre présence, ne soutiens-tu pas ton imposture ? - R. Parce que mon langage est une pierre de touche à laquelle vous ne pouvez vous tromper.
Remarque. - Il nous a été dit plusieurs fois que l'imposture de certains Esprits est une épreuve pour notre jugement ; c'est une sorte de tentation que Dieu permet, afin que, comme l'a dit le P. Ambroise, l'homme puisse s'exercer à distinguer le vrai du faux.
17. Et ton camarade Clément XIV, qu'en penses-tu ? - R. Il ne vaut pas mieux que moi ; nous avons tous les deux besoin d'indulgence.
18. Au nom de Dieu tout-puissant, je le prie de venir. - R. J'y suis depuis que le faux P. Ambroise y est.
19. Pourquoi as-tu abusé de la crédulité de personnes respectables pour donner une fausse idée de la doctrine spirite ? - R. Pourquoi est-on enclin aux fautes ? c'est parce qu'on n'est pas parfait.
20. Ne pensiez-vous pas tous les deux qu'un jour votre fourberie serait reconnue, et que les véritables P. Ambroise et Clément XIV ne pouvaient s'exprimer comme vous l'avez fait ? - R. Les fourberies étaient déjà reconnues et châtiées par celui qui nous a créés.
21. Etes-vous de la même classe que les Esprits que nous appelons frappeurs ? - R. Non, car il faut encore du raisonnement pour faire ce que nous avons fait à la Nouvelle-Orléans.
22. (Au véritable P. Ambroise.) Ces Esprits imposteurs vous voient-ils ici ? - R. Oui, et ils souffrent de ma vue.
23. Ces Esprits sont-ils errants ou réincarnés ? - R. Errants ; ils ne sont pas assez parfaits pour se dégager s'ils étaient incarnés.
24. Et vous, P. Ambroise, dans quel état êtes-vous ? - R. Incarné dans un monde heureux et innommé par vous.
25. Nous vous remercions des éclaircissements que vous avez bien voulu nous donner ; serez-vous assez bon pour venir d'autres fois parmi nous, nous dire quelques bonnes paroles et nous donner une dictée qui puisse montrer la différence de votre style avec celui qui avait pris votre nom ? - R. Je suis avec ceux qui veulent le bien dans la vérité.
Revue spirite 1858

L'Esprit frappeur de Dibbelsdorf (Basse-saxe)

L'histoire de l'Esprit frappeur de Dibbelsdorf renferme à côté de sa partie comique une partie instructive, ainsi que cela ressort des extraits de vieux documents publiés en 1811 par le prédicateur Capelle.
Dans le dernier mois de l'année 1761, le 2 décembre, à six heures du soir, une sorte de martèlement paraissant venir d'en bas se fit entendre dans une chambre habitée par Antoine Kettelhut. Celui-ci l'attribuant à son domestique qui voulait s'égayer aux dépens de la servante, alors dans la chambre des fileuses, sortit pour jeter un seau d'eau sur la tête du plaisant ; mais il ne trouva personne dehors. Une heure après, le même bruit recommence et l'on pense qu'un rat peut bien en être la cause. Le lendemain donc on sonde les murs, le plafond, le parquet, et pas la moindre trace de rats.
Le soir, même bruit ; on juge alors la maison dangereuse à habiter, et les servantes ne veulent plus rester dans la chambre aux veillées. Bientôt après le bruit cesse, mais pour se reproduire à cent pas de là, dans la maison de Louis Kettelhut, frère d'Antoine, et avec une force inusitée. C'était dans un coin de la chambre que la chose frappante se manifestait.
A la fin cela devint suspect aux paysans, et le bourgmestre en fit part à la justice qui d'abord ne voulut pas s'occuper d'une affaire qu'elle regardait comme ridicule ; mais, sur les pressantes instances des habitants, elle se transporta, le 6 janvier 1762, à Dibbelsdorf pour examiner le fait avec attention. Les murs et les plafonds démolis n'amenèrent aucun résultat, et la famille Kettelhut jura qu'elle était tout à fait étrangère à la chose.
Jusqu'alors on ne s'était pas encore entretenu avec le frappeur. Un individu de Naggam s'armant de courage demande : Esprit frappeur, es-tu encore là ? Et un coup se fit entendre. - Peux-tu me dire comment je m'appelle ? Parmi plusieurs noms qu'on lui désigna l'Esprit frappa à celui de l'interrogateur. - Combien y a-t-il de boutons à mon vêtement ? 36 coups furent frappés. On compte les boutons, il en a juste 36.
A partir de ce moment, l'histoire de l'Esprit frappeur se répandit dans les environs, et tous les soirs des centaines de Brunswickois se rendaient à Dibbelsdorf, ainsi que des Anglais et une foule de curieux étrangers ; la foule devint telle que la milice locale ne pouvait la contenir ; les paysans durent renforcer la garde de nuit et l'on fut obligé de ne laisser pénétrer les visiteurs que les uns après les autres.
Ce concours de monde parut exciter l'Esprit à des manifestations plus extraordinaires, et il s'éleva à des marques de communication qui prouvaient son intelligence. Jamais il ne fut embarrassé dans ses réponses : désirait-on savoir le nombre et la couleur des chevaux qui stationnaient devant la maison ? il l'indiquait très exactement ; ouvrait-on un livre de chant en posant à tout hasard le doigt sur une page et en demandant le numéro du morceau de chant inconnu même de l'interrogateur, aussitôt une série de coups indiquait parfaitement le numéro désigné. L'Esprit ne faisait pas attendre sa réponse, car elle suivait immédiatement la question. Il annonçait aussi combien il y avait de personnes dans la chambre, combien il y en avait dehors, désignait la couleur des cheveux, des vêtements, la position et la profession des individus.
Parmi les curieux se trouvait un jour un homme de Hettin, tout à fait inconnu à Dibbelsdorf et habitant depuis peu Brunswick. Il demanda à l'Esprit le lieu de sa naissance, et, afin de l'induire en erreur, lui cita un grand nombre de villes ; quand il arriva au nom de Hettin un coup se fit entendre. Un bourgeois rusé, croyant mettre l'Esprit en défaut, lui demanda combien il avait de pfennigs dans sa poche ; il lui fut répondu 681, nombre exact. Il dit à un pâtissier combien il avait fait de biscuits le matin, à un marchand combien il avait vendu d'aunes de rubans la veille ; à un autre la somme d'argent qu'il avait reçue l'avant-veille par la poste. Il était d'humeur assez gaie, battait la mesure quand on le désirait, et quelquefois si fort que le bruit en était assourdissant. Le soir, au moment du repas, après le bénédicité, il frappa à Amen. Cette marque de dévotion n'empêcha pas qu'un sacristain, revêtu du grand costume d'exerciseur, n'essayât de déloger l'Esprit de son coin : la conjuration échoua.
L'Esprit ne redoutait rien, et il se montra aussi sincère dans ses réponses au duc régnant Charles et à son frère Ferdinand qu'à toute autre personne de moindre condition. L'histoire prend alors une tournure plus sérieuse. Le duc charge un médecin et des docteurs en droit de l'examen du fait. Les savants expliquèrent le frappement par la présence d'une source souterraine. Ils firent creuser à huit pieds de profondeur, et naturellement trouvèrent l'eau, attendu que Dibbelsdorf est situé dans un fond ; l'eau jaillissante inonda la chambre, mais l'Esprit continua à frapper dans son coin habituel. Les hommes de science crurent alors être dupes d'une mystification, et ils firent au domestique l'honneur de le prendre pour l'Esprit si bien instruit. Son intention, disaient-ils, est d'ensorceler la servante. Tous les habitants du village furent invités à rester chez eux à un jour fixe ; le domestique fut gardé à vue, car, d'après l'opinion des savants, il devait être le coupable ; mais l'Esprit répondit de nouveau à toutes les questions. Le domestique, reconnu innocent, fut rendu à la liberté. Mais la justice voulait un auteur du méfait ; elle accusa les époux Kettelhut du bruit dont ils se plaignaient, bien que ce fussent des personnes très bienveillantes, honnêtes et irréprochables en toutes choses, et que les premiers ils se fussent adressés à l'autorité dès l'origine des manifestations. On força, par des promesses et des menaces, une jeune personne à témoigner contre ses maîtres. En conséquence ceux-ci furent mis en prison, malgré les rétractations ultérieures de la jeune fille, et l'aveu formel que ses premières déclarations étaient fausses et lui avaient été arrachées par les juges. L'Esprit continuant à frapper, les époux Kettelhut n'en furent pas moins tenus en prison pendant trois mois, au bout desquels on les renvoya sans indemnité, bien que les membres de la commission eussent résumé ainsi leur rapport : « Tous les moyens possibles pour découvrir la cause du bruit ont été infructueux ; l'avenir peut-être nous éclairera à ce sujet. » - L'avenir n'a encore rien appris.
L'Esprit frappeur se manifesta depuis le commencement de décembre jusqu'en mars, époque à laquelle il cessa de se faire entendre. On revint à l'opinion que le domestique, déjà incriminé, devait être l'auteur de tous ces tours ; mais comment aurait-il pu éviter les pièges que lui tendaient des ducs, des médecins, des juges et tant d'autres personnes qui l'interrogeaient ?
Remarque. - Si l'on veut bien se reporter à la date où se passaient les choses que nous venons de rapporter, et les comparer à celles qui ont lieu de nos jours, on y trouvera une identité parfaite, dans le mode des manifestations et jusque dans la nature des questions et des réponses. L'Amérique et notre époque n'ont donc pas découvert les Esprits frappeurs, non plus que les autres, ainsi que nous le démontrerons par d'innombrables faits authentiques plus ou moins anciens. Il y a pourtant entre les phénomènes actuels et ceux d'autrefois une différence capitale : c'est que ces derniers étaient presque tous spontanés, tandis que les nôtres se produisent presque à la volonté de certains médiums spéciaux. Cette circonstance a permis de les mieux étudier et d'en approfondir la cause. A cette conclusion des juges : « L'avenir peut-être nous éclairera à ce sujet, » l'auteur ne répondrait pas aujourd'hui : L'avenir n'a rien appris. Si cet auteur vivait, il saurait que l'avenir, au contraire, a tout appris, et la justice de nos jours, plus éclairée qu'il y a un siècle, ne commettrait pas, à propos des manifestations spirites, des bévues qui rappellent celles du moyen âge. Nos savants eux-mêmes ont pénétré trop avant dans les mystères de la nature pour ne pas savoir faire la part des causes inconnues ; ils ont trop de sagacité pour s'exposer, comme ont fait leurs devanciers, à recevoir les démentis de la postérité au détriment de leur réputation. Si une chose vient à poindre à l'horizon, ils ne se hâtent pas de dire : « Ce n'est rien, » de peur que ce rien ne soit un navire ; s'ils ne le voient pas, ils se taisent et attendent : c'est la vraie sagesse.

Revue spirite 1858

Des Obsédés et des Subjugués

On a souvent parlé des dangers du Spiritisme, et il est à remarquer que ceux qui se sont le plus récriés à cet égard sont précisément ceux qui ne le connaissent guère que de nom. Nous avons déjà réfuté les principaux arguments qu'on lui oppose, nous n'y reviendrons pas ; nous ajouterons seulement que si l'on voulait proscrire de la société tout ce qui peut offrir des dangers et donner lieu à des abus, nous ne savons trop ce qui resterait, même des choses de première nécessité, à commencer par le feu, cause de tant de malheurs, puis les chemins de fer, etc., etc. Si l'on croit que les avantages compensent les inconvénients, il doit en être de même de tout ; l'expérience indique au fur et à mesure les précautions à prendre pour se garantir du danger des choses qu'on ne peut éviter.
Le Spiritisme présente en effet un danger réel, mais ce n'est point celui que l'on croit, et il faut être initié aux principes de la science pour le bien comprendre. Ce n'est point à ceux qui y sont étrangers que nous nous adressons ; c'est aux adeptes mêmes, à ceux qui pratiquent, parce que le danger est pour eux. Il importe qu'ils le connaissent, afin de se tenir sur leurs gardes : danger prévu, on le sait, est à moitié évité. Nous dirons plus : ici, pour quiconque est bien pénétré de la science, il n'existe pas ; il n'est que pour ceux qui croient savoir et ne savent pas ; c'est-à-dire, comme en toutes choses, pour ceux qui manquent de l'expérience nécessaire.
Un désir bien naturel chez tous ceux qui commencent à s'occuper du Spiritisme, c'est d'être médium, mais surtout médium écrivain. C'est en effet le genre qui offre le plus d'attrait par la facilité des communications, et qui peut le mieux se développer par l'exercice. On comprend la satisfaction que doit éprouver celui qui, pour la première fois, voit se former sous sa main des lettres, puis des mots, puis des phrases qui répondent à sa pensée. Ces réponses qu'il trace machinalement sans savoir ce qu'il fait, qui sont le plus souvent en dehors de toutes ses idées personnelles, ne peuvent lui laisser aucun doute sur l'intervention d'une intelligence occulte ; aussi sa joie est grande de pouvoir s'entretenir avec les êtres d'outre-tombe, avec ces êtres mystérieux et invisibles qui peuplent les espaces ; ses parents et ses amis ne sont plus absents ; s'il ne les voit pas par les yeux, ils n'en sont pas moins là ; ils causent avec lui, il les voit par la pensée ; il peut savoir s'ils sont heureux, ce qu'ils font, ce qu'ils désirent, échanger avec eux de bonnes paroles ; il comprend que sa séparation d'avec eux n'est point éternelle, et il hâte de ses vœux l'instant où il pourra les rejoindre dans un monde meilleur. Ce n'est pas tout ; que ne va-t-il pas savoir par le moyen des Esprits qui se communiquent à lui ! Ne vont-ils pas lever le voile de toutes choses ? Dès lors plus de mystères ; il n'a qu'à interroger, il va tout connaître. Il voit déjà l'antiquité secouer devant lui la poussière des temps, fouiller les ruines, interpréter les écritures symboliques et faire revivre à ses yeux les siècles passés. Celui-ci, plus prosaïque, et peu soucieux de sonder l'infini où sa pensée se perd, songe tout simplement à exploiter les Esprits pour faire fortune. Les Esprits qui doivent tout voir, tout savoir, ne peuvent refuser de lui faire découvrir quelque trésor caché ou quelque secret merveilleux. Quiconque s'est donné la peine d'étudier la science spirite ne se laissera jamais séduire par ces beaux rêves ; il sait à quoi s'en tenir sur le pouvoir des Esprits, sur leur nature et sur le but des relations que l'homme peut établir avec eux. Rappelons d'abord, en peu de mots, les points principaux qu'il ne faut jamais perdre de vue, parce qu'ils sont comme la clef de voûte de l'édifice.
1° Les Esprits ne sont égaux ni en puissance, ni en savoir, ni en sagesse. N'étant autre chose que les âmes humaines débarrassées de leur enveloppe corporelle, ils présentent encore plus de variété que nous n'en trouvons parmi les hommes sur la terre, parce qu'ils viennent de tous les mondes ; et que parmi les mondes, la terre n'est ni le plus arriéré, ni le plus avancé. Il y a donc des Esprits très supérieurs, et d'autres très inférieurs ; de très bons et de très mauvais, de très savants et de très ignorants ; il y en a de légers, de malins, de menteurs, de rusés, d'hypocrites, de facétieux, de spirituels, de moqueurs, etc.
2° Nous sommes sans cesse entourés d'un essaim d'Esprits qui, pour être invisibles à nos yeux matériels, n'en sont pas moins dans l'espace, autour de nous, à nos côtés, épiant nos actions, lisant dans nos pensées, les uns pour nous faire du bien, les autres pour nous faire du mal, selon qu'ils sont plus ou moins bons.
3° Par l'infériorité physique et morale de notre globe dans la hiérarchie des mondes, les Esprits inférieurs y sont plus nombreux que les Esprits supérieurs.
4° Parmi les Esprits qui nous entourent, il en est qui s'attachent à nous, qui agissent plus particulièrement sur notre pensée, nous conseillent, et dont nous suivons l'impulsion à notre insu ; heureux si nous n'écoutons que la voix de ceux qui sont bons.
5° Les Esprits inférieurs ne s'attachent qu'à ceux qui les écoutent, auprès desquels ils ont accès, et sur lesquels ils trouvent prise. S'ils parviennent à prendre de l'empire sur quelqu'un, ils s'identifient avec son propre Esprit, le fascinent, l'obsèdent, le subjuguent et le conduisent comme un véritable enfant.
6° L'obsession n'a jamais lieu que par les Esprits inférieurs. Les bons Esprits ne font éprouver aucune contrainte ; ils conseillent, combattent l'influence des mauvais, et si on ne les écoute pas, ils s'éloignent.
7° Le degré de la contrainte et la nature des effets qu'elle produit marquent la différence entre l'obsession, la subjugation et la fascination.
L'obsession est l'action presque permanente d'un Esprit étranger, qui fait qu'on est sollicité par un besoin incessant d'agir dans tel ou tel sens, de faire telle ou telle chose.
La subjugation est une étreinte morale qui paralyse la volonté de celui qui la subit, et le pousse aux actes les plus déraisonnables et souvent les plus contraires à ses intérêts.
La fascination est une sorte d'illusion produite, soit par l'action directe d'un Esprit étranger, soit par ses raisonnements captieux, illusion qui donne le change sur les choses morales, fausse le jugement et fait prendre le mal pour le bien.
8° L'homme peut toujours, par sa volonté, secouer le joug des Esprits imparfaits, parce qu'en vertu de son libre arbitre, il a le choix entre le bien et le mal. Si la contrainte est arrivée au point de paralyser sa volonté, et si la fascination est assez grande pour oblitérer son jugement, la volonté d'une autre personne peut y suppléer.
On donnait jadis le nom de possession à l'empire exercé par de mauvais Esprits, lorsque leur influence allait jusqu'à l'aberration des facultés ; mais l'ignorance et les préjugés ont souvent fait prendre pour une possession ce qui n'était que le résultat d'un état pathologique. La possession serait, pour nous, synonyme de la subjugation. Si nous n'adoptons pas ce terme, c'est pour deux motifs : le premier, qu'il implique la croyance à des êtres créés pour le mal et perpétuellement voués au mal, tandis qu'il n'y a que des êtres plus ou moins imparfaits qui tous peuvent s'améliorer ; le second, qu'il implique également l'idée d'une prise de possession du corps par un Esprit étranger, une sorte de cohabitation, tandis qu'il n'y a que contrainte. Le mot subjugation rend parfaitement la pensée. Ainsi, pour nous, il n'y a pas de possédés dans le sens vulgaire du mot, il n'y a que des obsédés, des subjugués et des fascinés.
C'est par un motif semblable que nous n'adoptons pas le mot démon pour désigner les Esprits imparfaits, quoique ces Esprits ne valent souvent pas mieux que ceux qu'on appelle démons ; c'est uniquement à cause de l'idée de spécialité et de perpétuité qui est attachée à ce mot. Ainsi, quand nous disons qu'il n'y a pas de démons, nous ne prétendons pas dire qu'il n'y a que de bons Esprits ; loin de là ; nous savons pertinemment qu'il y en a de mauvais et de très mauvais, qui nous sollicitent au mal, nous tendent des pièges, et cela n'a rien d'étonnant puisqu'ils ont été des hommes ; nous voulons dire qu'ils ne forment pas une classe à part dans l'ordre de la création, et que Dieu laisse à toutes ses créatures le pouvoir de s'améliorer.
Ceci étant bien entendu, revenons aux médiums. Chez quelques-uns les progrès sont lents, très lents même, et mettent souvent la patience à une rude épreuve. Chez d'autres ils sont rapides, et en peu de temps le médium arrive à écrire avec autant de facilité et quelquefois plus de promptitude qu'il ne le fait dans l'état ordinaire. C'est alors qu'il peut se prendre d'enthousiasme, et là est le danger, car l'enthousiasme rend faible, et avec les Esprits il faut être fort. Dire que l'enthousiasme rend faible, semble un paradoxe ; et pourtant rien de plus vrai. L'enthousiaste, dira-t-on, marche avec une conviction et une confiance qui lui font surmonter tous les obstacles, donc il a plus de force. Sans doute ; mais on s'enthousiasme pour le faux aussi bien que pour le vrai ; abondez dans les idées les plus absurdes de l'enthousiaste et vous en ferez tout ce que vous voudrez ; l'objet de son enthousiasme est donc son côté faible, et par là vous pourrez toujours le dominer. L'homme froid et impassible, au contraire, voit les choses sans miroitage ; il les combine, les pèse, les mûrit et n'est séduit par aucun subterfuge : c'est ce qui lui donne de la force. Les Esprits malins qui savent cela aussi bien et mieux que nous, savent aussi le mettre à profit pour subjuguer ceux qu'ils veulent tenir sous leur dépendance, et la faculté d'écrire comme médium les sert merveilleusement, car c'est un moyen puissant de capter la confiance, aussi ne s'en font-ils pas faute si l'on ne sait se mettre en garde contre eux ; heureusement, comme nous le verrons plus tard, le mal porte en soi son remède.
Soit enthousiasme, soit fascination des Esprits, soit amour-propre, le médium écrivain est généralement porté à croire que les Esprits qui se communiquent à lui sont des Esprits supérieurs, et cela d'autant mieux que ces Esprits, voyant sa propension, ne manquent pas de se parer de titres pompeux, prennent au besoin et selon les circonstances des noms de saints, de savants, d'anges, de la Vierge Marie même, et jouent leur rôle, comme des comédiens affublés du costume des personnages qu'ils représentent ; arrachez-leur le masque, et ils deviennent Gros-Jean comme devant ; c'est là ce qu'il faut savoir faire avec les Esprits comme avec les hommes.
De la croyance aveugle et irréfléchie en la supériorité des Esprits qui se communiquent, à la confiance en leurs paroles, il n'y a qu'un pas, toujours comme parmi les hommes. S'ils parviennent à inspirer cette confiance, ils l'entretiennent par les sophismes et les raisonnements les plus captieux, dans lesquels on donne souvent tête baissée. Les Esprits grossiers sont moins dangereux : on les reconnaît tout de suite, et ils n'inspirent que de la répugnance ; ceux qui sont le plus à craindre, dans leur monde, comme dans le nôtre, sont les Esprits hypocrites ; ils ne parlent jamais qu'avec douceur, flattent les penchants ; ils sont câlins, patelins, prodigues de termes de tendresse, de protestations de dévouement. Il faut être vraiment fort pour résister à de pareilles séductions. Mais où est le danger, dira-t-on, avec des Esprits impalpables ? Le danger est dans les conseils pernicieux qu'ils donnent sous l'apparence de la bienveillance, dans les démarches ridicules, intempestives ou funestes qu'ils font entreprendre. Nous en avons vu faire courir certains individus de pays en pays à la poursuite des choses les plus fantastiques, au risque de compromettre leur santé, leur fortune et même leur vie. Nous en avons vu dicter, avec toutes les apparences de la gravité, les choses les plus burlesques, les maximes les plus étranges. Comme il est bon de mettre l'exemple à côté de la théorie, nous allons rapporter l'histoire d'une personne de notre connaissance qui s'est trouvée sous l'empire d'une fascination semblable.
M. F..., jeune homme instruit, d'une éducation soignée, d'un caractère doux et bienveillant, mais un peu faible et sans résolution prononcée, était devenu promptement très habile médium écrivain. Obsédé par l'Esprit qui s'était emparé de lui et ne lui laissait aucun repos, il écrivait sans cesse ; dès qu'une plume, un crayon lui tombaient sous la main, il les saisissait par un mouvement convulsif et se mettait à remplir des pages entières en quelques minutes. A défaut d'instrument, il faisait le simulacre d'écrire avec son doigt, partout où il se trouvait, dans les rues, sur les murs, sur les portes, etc. Entre autres choses qu'on lui dictait, était celle-ci : « L'homme est composé de trois choses : l'homme, le mauvais Esprit et le bon Esprit. Vous avez tous votre mauvais Esprit qui est attaché au corps par des liens matériels. Pour chasser le mauvais Esprit, il faut briser ces liens, et pour cela il faut affaiblir le corps. Quand le corps est suffisamment affaibli, le lien se rompt, le mauvais Esprit s'en va, et il ne reste que le bon. » En conséquence de cette belle théorie, ils l'ont fait jeûner pendant cinq jours consécutifs et veiller la nuit. Lorsqu'il fut exténué, ils lui dirent : « Maintenant l'affaire est faite, le lien est rompu ; ton mauvais Esprit est parti, il ne reste plus que nous, qu'il faut croire sans réserve. » Et lui, persuadé que son mauvais Esprit avait pris la fuite, ajoutait une foi aveugle à toutes leurs paroles. La subjugation était arrivée à ce point, que s'ils lui eussent dit de se jeter à l'eau ou de partir pour les antipodes, il l'aurait fait. Lorsqu'ils voulaient lui faire faire quelque chose à quoi il répugnait, il se sentait poussé par une force invisible. Nous donnons un échantillon de leur morale ; par là on jugera du reste.
« Pour avoir les meilleures communications, il faut : 1° Prier et jeûner pendant plusieurs jours, les uns plus, les autres moins ; ce jeûne relâche les liens qui existent entre le moi et un démon particulier attaché à chaque moi humain. Ce démon est lié à chaque personne par l'enveloppe qui unit le corps et l'âme. Cette enveloppe, affaiblie par le manque de nourriture, permet aux Esprits d'arracher ce démon. Jésus descend alors dans le cœur de la personne possédée à la place du mauvais Esprit. Cet état de posséder Jésus en soi est le seul moyen d'atteindre toute la vérité, et bien d'autres choses.
« Quand la personne a réussi à remplacer le démon par Jésus, elle n'a pas encore la vérité. Pour avoir la vérité, il faut croire ; Dieu ne donne jamais la vérité à ceux qui doutent : ce serait faire quelque chose d'inutile, et Dieu ne fait rien en vain. Comme la plupart des nouveaux médiums doutent de ce qu'ils disent ou écrivent, les bons Esprits sont forcés, à leur regret, par l'ordre formel de Dieu, de mentir, et ne peuvent que mentir tant que le médium n'est pas convaincu ; mais vient-il à croire fermement un de ces mensonges, aussitôt les Esprits élevés s'empressent de lui dévoiler les secrets du ciel : la vérité tout entière dissipe en un instant ce nuage d'erreurs dont ils avaient été forcés de couvrir leur protégé.
« Le médium arrivé à ce point n'a plus rien à craindre ; les bons Esprits ne le quitteront jamais. Qu'il ne croie point cependant avoir toujours la vérité et rien que la vérité. De bons Esprits, soit pour l'éprouver, soit pour le punir de ses fautes passées, soit pour le châtier des questions égoïstes ou curieuses, lui infligent des corrections physiques et morales, viennent le tourmenter de la part de Dieu. Ces Esprits élevés se plaignent souvent de la triste mission qu'ils accomplissent : un père persécute son fils des semaines entières, un ami son ami, le tout pour le plus grand bonheur du médium. Les nobles Esprits disent alors des folies, des blasphèmes, des turpitudes même. Il faut que le médium se raidisse et dise : Vous me tentez ; je sais que je suis entre les mains charitables d'Esprits doux et affectueux ; que les mauvais ne peuvent plus m'approcher. Bonnes âmes qui me tourmentez, vous ne m'empêcherez pas de croire ce que vous m'aurez dit et ce que vous me direz encore.
« Les catholiques chassent plus facilement le démon (ce jeune homme est protestant), parce qu'il s'est éloigné un instant le jour du baptême. Les catholiques sont jugés par Christ, et les autres par Dieu ; il vaut mieux être jugé par Christ. Les protestants ont tort de ne pas admettre cela : aussi faut-il te faire catholique le plus tôt possible ; en attendant, va prendre de l'eau bénite : ce sera ton baptême. »
Le jeune homme en question étant guéri plus tard de l'obsession dont il était l'objet, par les moyens que nous relaterons, nous lui avions demandé de nous en écrire l'histoire et de nous donner le texte même des préceptes qui lui avaient été dictés. En les transcrivant, il ajouta sur la copie qu'il nous a remise : Je me demande si je n'offense pas Dieu et les bons Esprits en transcrivant de pareilles sottises. A cela nous lui répondîmes : Non, vous n'offensez pas Dieu ; loin de là, puisque vous reconnaissez maintenant le piège dans lequel vous étiez tombé. Si je vous ai demandé la copie de ces maximes perverses, c'est pour les flétrir comme elles le méritent, démasquer les Esprits hypocrites, et mettre sur ses gardes quiconque en recevrait de pareilles.
Un jour ils lui font écrire : Tu mourras ce soir ; à quoi il répond : Je suis fort ennuyé de ce monde ; mourons s'il le faut, je ne demande pas mieux ; que je ne souffre pas, c'est tout ce que je désire. - Le soir il s'endort croyant fermement ne plus se réveiller sur la terre. Le lendemain il est tout surpris et même désappointé de se trouver dans son lit ordinaire. Dans la journée il écrit : « Maintenant que tu as passé par l'épreuve de la mort, que tu as cru fermement mourir, tu es comme mort pour nous ; nous pouvons te dire toute la vérité ; tu sauras tout ; il n'y a rien de caché pour nous ; il n'y aura non plus rien de caché pour toi. Tu es Shakespeare réincarné. Shakespeare n'est-il pas ta bible à toi ? (M. F... sait parfaitement l'anglais, et se complaît dans la lecture des chefs-d’œuvre de cette langue.)
Le jour suivant il écrit : Tu es Satan. - Ceci devient par trop fort, répond M. F... - N'as-tu pas fait... n'as-tu pas dévoré le Paradis perdu ? Tu as appris la Fille du diable de Béranger ; tu savais que Satan se convertirait : ne l'as-tu pas toujours cru, toujours dit, toujours écrit ? Pour se convertir, il se réincarne. - Je veux bien avoir été un ange rebelle quelconque ; mais le roi des anges... ! - Oui, tu étais l'ange de la fierté ; tu n'es pas mauvais, tu es fier en ton cœur ; c'est cette fierté qu'il faut abattre ; tu es l'ange de l'orgueil, et les hommes l'appellent Satan, qu'importe le nom ! Tu fus le mauvais génie de la terre. Te voilà abaissé... Les hommes vont prendre leur essor... Tu verras des merveilles. Tu as trompé les hommes ; tu as trompé la femme dans la personnification d'Eve, la femme pécheresse. Il est dit que Marie, la personnification de la femme sans tache, t'écrasera la tête ; Marie va venir. - Un instant après il écrit lentement et comme avec douceur : « Marie vient te voir ; Marie, qui a été te chercher au fond de ton royaume de ténèbres, ne t'abandonnera pas. Elève-toi, Satan, et Dieu est prêt à te tendre les bras. Lis l'Enfant prodigue. Adieu. »
Une autre fois il écrit : « Le serpent dit à Eve : Vos yeux seront ouverts et vous serez comme des dieux. Le démon dit à Jésus : Je te donnerai toute puissance. Toi, je te le dis, puisque tu crois à nos paroles : nous t'aimons ; tu sauras tout... Tu seras roi de Pologne.
« Persévère dans les bonnes dispositions où nous t'avons mis. Cette leçon fera faire un grand pas à la science spirite. On verra que les bons Esprits peuvent dire des futilités et des mensonges pour se jouer des sages. Allan Kardec a dit que c'était un mauvais moyen de reconnaître les Esprits, que de leur faire confesser Jésus en chair. Moi je dis que les bons Esprits confessent seuls Jésus en chair et je le confesse. Dis ceci à Kardec. »
L'Esprit a pourtant eu la pudeur de ne pas conseiller à M. F... de faire imprimer ces belles maximes ; s'il le lui eût dit, il l'eût fait sans aucun doute, et c'eût été une mauvaise action, parce qu'il les eût données comme une chose sérieuse.
Nous remplirions un volume de toutes les sottises qui lui furent dictées et de toutes les circonstances qui s'ensuivirent. On lui fit, entre autres choses, dessiner un édifice dont les dimensions étaient telles que les feuilles de papier nécessaires, collées ensemble, occupaient la hauteur de deux étages.
On remarquera que dans tout ceci il n'y a rien de grossier, rien de trivial ; c'est une suite de raisonnements sophistiques qui s'enchaînent avec une apparence de logique. Il y a, dans les moyens employés pour circonvenir, un art vraiment infernal, et si nous avions pu rapporter tous ces entretiens, on aurait vu jusqu'à quel point était poussée l'astuce, et avec quelle adresse les paroles mielleuses étaient prodiguées à propos.
L'Esprit qui jouait le principal rôle dans cette affaire prenait le nom de François Dillois, quand il ne se couvrait pas du masque d'un nom respectable. Nous sûmes plus tard ce que ce Dillois avait été de son vivant, et alors rien ne nous étonna plus dans son langage. Mais au milieu de toutes ces extravagances il était aisé de reconnaître un bon Esprit qui luttait en faisant entendre de temps à autre quelques bonnes paroles pour démentir les absurdités de l'autre ; il y avait combat évident, mais la lutte était inégale ; le jeune homme était tellement subjugué, que la voix de la raison était impuissante sur lui. L'Esprit de son père lui fit notamment écrire ceci : « Oui, mon fils, courage ! Tu subis une rude épreuve qui est pour ton bien à venir ; je ne puis malheureusement rien en ce moment pour t'en affranchir, et cela me coûte beaucoup. Va voir Allan Kardec ; écoute-le, et il te sauvera. »
M. F... vint en effet me trouver ; il me raconta son histoire ; je le fis écrire devant moi, et, dès l'abord, je reconnus sans peine l'influence pernicieuse sous laquelle il se trouvait, soit aux paroles, soit à certains signes matériels que l'expérience fait connaître et qui ne peuvent tromper. Il revint plusieurs fois ; j'employai toute la force de ma volonté pour appeler de bons Esprits par son intermédiaire, toute ma rhétorique, pour lui prouver qu'il était le jouet d'Esprits détestables ; que ce qu'il écrivait n'avait pas le sens commun, et de plus était profondément immoral ; je m'adjoignis pour cette oeuvre charitable un de mes collègues les plus dévoués, M. T..., et, à nous deux, nous parvînmes petit à petit à lui faire écrire des choses sensées. Il prit son mauvais génie en aversion, le repoussa, par sa volonté, chaque fois qu'il tentait de se manifester, et peu à peu les bons Esprits seuls prirent le dessus. Pour détourner ses idées, il se livra du matin au soir, d'après le conseil des Esprits, à un rude travail qui ne lui laissait pas le temps d'écouter les mauvaises suggestions. Dillois lui-même finit par s'avouer vaincu et par exprimer le désir de s'améliorer dans une nouvelle existence ; il confessa le mal qu'il avait voulu faire, et en témoigna du regret. La lutte fut longue, pénible, et offrit des particularités vraiment curieuses pour l'observateur. Aujourd'hui que M. F... se sent délivré, il est heureux ; il lui semble être soulagé d'un fardeau ; il a repris sa gaieté, et nous remercie du service que nous lui avons rendu.
Certaines personnes déplorent qu'il y ait de mauvais Esprits. Ce n'est pas en effet sans un certain désenchantement qu'on trouve la perversité dans ce monde où l'on aimerait à ne rencontrer que des êtres parfaits. Puisque les choses sont ainsi, nous n'y pouvons rien : il faut les prendre telles qu'elles sont. C'est notre propre infériorité qui fait que les Esprits imparfaits pullulent autour de nous ; les choses changeront quand nous serons meilleurs, ainsi que cela a lieu dans les mondes plus avancés. En attendant, et tandis que nous sommes encore dans les bas-fonds de l'univers moral, nous sommes avertis : c'est à nous de nous tenir sur nos gardes et de ne pas accepter, sans contrôle, tout ce que l'on nous dit. L'expérience, en nous éclairant, doit nous rendre circonspects. Voir et comprendre le mal est un moyen de s'en préserver. N'y aurait-il pas cent fois plus de danger à se faire illusion sur la nature des êtres invisibles qui nous entourent ? Il en est de même ici-bas, où nous sommes chaque jour exposés à la malveillance et aux suggestions perfides : ce sont autant d'épreuves auxquelles notre raison, notre conscience et notre jugement nous donnent les moyens de résister. Plus la lutte aura été difficile, plus le mérite du succès sera grand : « A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire. »
Cette histoire, qui malheureusement n'est pas la seule à notre connaissance, soulève une question très grave. N'est-ce pas pour ce jeune homme, dira-t-on, une chose fâcheuse d'avoir été médium ? N'est-ce pas cette faculté qui est cause de l'obsession dont il était l'objet ? En un mot, n'est-ce pas une preuve du danger des communications spirites ?
Notre réponse est facile, et nous prions de la méditer avec soin.
Ce ne sont pas les médiums qui ont créé les Esprits, ceux-ci existent de tout temps, et de tout temps ils ont exercé leur influence salutaire ou pernicieuse sur les hommes. Il n'est donc pas besoin d'être médium pour cela. La faculté médianimique n'est pour eux qu'un moyen de se manifester ; à défaut de cette faculté ils le font de mille autres manières. Si ce jeune homme n'eût pas été médium, il n'en aurait pas moins été sous l'influence de ce mauvais Esprit qui lui aurait sans doute fait commettre des extravagances que l'on eût attribuées à toute autre cause. Heureusement pour lui, sa faculté de médium permettant à l'Esprit de se communiquer par des paroles, c'est par ses paroles que l'Esprit s'est trahi ; elles ont permis de connaître la cause d'un mal qui eût pu avoir pour lui des conséquences funestes, et que nous avons détruit, comme on l'a vu, par des moyens bien simples, bien rationnels, et sans exorcisme. La faculté médianimique a permis de voir l'ennemi, si on peut s'exprimer ainsi, face à face et de le combattre avec ses propres armes. On peut donc dire avec une entière certitude, que c'est elle qui l'a sauvé ; quant à nous, nous n'avons été que les médecins, qui, ayant jugé la cause du mal, avons appliqué le remède. Ce serait une grave erreur de croire que les Esprits n'exercent leur influence que par des communications écrites ou verbales ; cette influence est de tous les instants, et ceux qui ne croient pas aux Esprits y sont exposés comme les autres, y sont même plus exposés que d'autres, parce qu'ils n'ont pas de contre-poids. A combien d'actes n'est-on pas poussé pour son malheur, et que l'on eût évités si l'on avait eu un moyen de s'éclairer ! Les plus incrédules ne croient pas être si vrais quand ils disent d'un homme qui se fourvoie avec obstination : C'est son mauvais génie qui le pousse à sa perte.
Règle générale. Quiconque a de mauvaises communications spirites écrites ou verbales est sous une mauvaise influence ; cette influence s'exerce sur lui qu'il écrive ou n'écrive pas, c'est-à-dire qu'il soit ou non médium. L'écriture donne un moyen de s'assurer de la nature des Esprits qui agissent sur lui, et de les combattre, ce que l'on fait encore avec plus de succès quand on parvient à connaître le motif qui les fait agir. S'il est assez aveuglé pour ne pas le comprendre, d'autres peuvent lui ouvrir les yeux. Est-il besoin d'ailleurs d'être médium pour écrire des absurdités ? Et qui dit que parmi toutes les élucubrations ridicules ou dangereuses, il n'en est pas auxquelles les auteurs sont poussés par quelque Esprit malveillant ? Les trois quarts de nos mauvaises actions et de nos mauvaises pensées sont le fruit de cette suggestion occulte.
Si M. F... n'avait pas été médium, demandera-t-on, auriez-vous pu de même faire cesser l'obsession ? Assurément ; seulement les moyens eussent différé selon les circonstances ; mais alors les Esprits n'eussent pas pu nous l'adresser comme ils l'ont fait, et il est probable qu'on se serait mépris sur la cause, s'il n'y avait pas eu de manifestation spirite ostensible. Tout homme qui en a la volonté, et qui est sympathique aux bons Esprits, peut toujours, avec l'aide de ceux-ci, paralyser l'influence des mauvais. Nous disons qu'il doit être sympathique aux bons Esprits, car s'il en attire lui-même d'inférieurs, il est évident que c'est vouloir chasser des loups avec des loups.
En résumé, le danger n'est pas dans le spiritisme en lui-même, puisqu'il peut, au contraire, servir de contrôle, et préserver de celui que nous courons sans cesse à notre insu ; il est dans la propension de certains médiums à se croire trop légèrement les instruments exclusifs d'Esprits supérieurs, et dans l'espèce de fascination qui ne leur permet pas de comprendre les sottises dont ils sont les interprètes. Ceux mêmes qui ne sont pas médiums peuvent s'y laisser prendre. Nous terminerons ce chapitre par les considérations suivantes :
1° Tout médium doit se défier de l'entraînement irrésistible qui le porte à écrire sans cesse et dans les moments inopportuns ; il doit être maître de lui-même et n'écrire que quand il le veut ;
2° On ne maîtrise pas les Esprits supérieurs, ni même ceux qui, sans être supérieurs, sont bons et bienveillants, mais on peut maîtriser et dompter les Esprits inférieurs. Quiconque n'est pas maître de soi-même ne peut l'être des Esprits ;
3° Il n'y a pas d'autre critérium pour discerner la valeur des Esprits que le bon sens. Toute formule donnée à cet effet par les Esprits eux-mêmes est absurde, et ne peut émaner d'Esprits supérieurs ;
4° On juge les Esprits comme les hommes, à leur langage. Toute expression, toute pensée, toute maxime, toute théorie morale ou scientifique qui choque le bon sens, ou ne répond pas à l'idée qu'on se fait d'un Esprit pur et élevé, émane d'un Esprit plus ou moins inférieur ;
5° Les Esprits supérieurs tiennent toujours le même langage avec la même personne et ne se contredisent jamais ;
6° Les Esprits supérieurs sont toujours bons et bienveillants ; il n'y a jamais, dans leur langage, ni acrimonie, ni arrogance, ni aigreur, ni orgueil, ni forfanterie, ni sotte présomption. Ils parlent simplement, conseillent, et se retirent si on ne les écoute pas ;
7° Il ne faut pas juger les Esprits sur la forme matérielle et la correction de leur langage, mais en sonder le sens intime, scruter leurs paroles, les peser froidement, mûrement et sans prévention. Tout écart de bon sens, de raison et de sagesse, ne peut laisser de doute sur leur origine, quel que soit le nom dont s'affuble l'Esprit ;
8° Les Esprits inférieurs redoutent ceux qui scrutent leurs paroles, démasquent leurs turpitudes, et ne se laissent pas prendre à leurs sophismes. Ils peuvent quelquefois essayer de tenir tête, mais ils finissent toujours par lâcher prise quand ils se voient les plus faibles ;
9° Quiconque agit en toutes choses en vue du bien, s'élève par la pensée au-dessus des vanités humaines, chasse de son cœur l'égoïsme, l'orgueil, l'envie, la jalousie, la haine, pardonne à ses ennemis et met en pratique cette maxime du Christ : « Faire aux autres ce qu'on voudrait qui fût fait à soi-même, » sympathise avec les bons Esprits ; les mauvais le craignent et s'écartent de lui.
En suivant ces préceptes on se garantira des mauvaises communications, de la domination des Esprits impurs, et, profitant de tout ce que nous enseignent les Esprits vraiment supérieurs, on contribuera, chacun pour sa part, au progrès moral de l'humanité.
Revue spirite 1858

Le mal de la peur

Problème physiologique adressé à l'Esprit de saint Louis, dans la séance de la Société parisienne des études spirites du 14 septembre 1858.
On lit dans le Moniteur du 26 novembre 1857 :
« On nous communique le fait suivant, qui vient confirmer les observations déjà faites sur l'influence de la peur.
« M. le docteur F..., rentrait hier chez lui après avoir fait quelques visites à ses clients. Dans ses courses on lui avait remis, comme échantillon, une bouteille d'excellent rhum venant authentiquement de la Jamaïque. Le docteur oublia dans la voiture la précieuse bouteille. Mais quelques heures plus tard il se rappelle cet oubli et se rend à la remise, où il déclare au chef de la station qu'il a laissé dans un de ses coupés une bouteille d'un poison très violent, et l'engage à prévenir les cochers de faire la plus grande attention à ne pas faire usage de ce liquide mortel.
« Le docteur F..., était à peine rentré dans son appartement, qu'on vint le prévenir en toute hâte que trois cochers de la station voisine souffraient d'horribles douleurs d'entrailles. Il eut le plus grand mal à les rassurer et à leur persuader qu'ils avaient bu d'excellent rhum, et que leur indélicatesse ne pouvait avoir de suites plus graves qu'une sévère mise à pied, infligée à l'instant même aux coupables. »
1. - Saint Louis pourrait-il nous donner une explication physiologique de cette transformation des propriétés d'une substance inoffensive ? Nous savons que, par l'action magnétique, cette transformation peut avoir lieu ; mais dans le fait rapporté ci-dessus, il n'y a pas eu émission de fluide magnétique ; l'imagination a seule agi et non la volonté.
R. - Votre raisonnement est très juste sous le rapport de l'imagination. Mais les Esprits malins qui ont engagé ces hommes à commettre cet acte d'indélicatesse, font passer dans le sang, dans la matière, un frisson de crainte que vous pourriez appeler frisson magnétique, lequel tend les nerfs, et amène un froid dans certaines régions du corps. Or, vous savez que tout froid dans les régions abdominales peut produire des coliques. C'est donc un moyen de punition qui amuse en même temps les Esprits qui ont fait commettre le larcin, et les fait rire aux dépens de celui qu'ils ont fait pécher. Mais, dans tous les, cas, la mort ne s'ensuivrait pas : il n'y a que leçon pour les coupables et plaisir pour les Esprits légers. Aussi se hâtent-ils de recommencer toutes les fois que l'occasion s'en présente ; ils la cherchent même pour leur satisfaction. Nous pouvons éviter cela (je parle pour vous), en nous élevant vers Dieu par des pensées moins matérielles que celles qui occupaient l'esprit de ces hommes. Les Esprits malins aiment à rire ; prenez-y garde : tel qui croit dire en face une saillie agréable aux personnes qui l'environnent, tel qui amuse une société par ses plaisanteries ou ses actes, se trompe souvent, et même très souvent, lorsqu'il croit que tout cela vient de lui. Les Esprits légers qui l'entourent s'identifient avec lui-même, et souvent tour à tour le trompent sur ses propres pensées, ainsi que ceux qui l'écoutent. Vous croyez dans ce cas avoir affaire à un homme d'esprit, tandis que ce n'est qu'un ignorant. Descendez en vous-même, et vous jugerez mes paroles. Les Esprits supérieurs ne sont pas, pour cela, ennemis de la gaieté ; ils aiment quelquefois à rire aussi pour vous être agréables ; mais chaque chose a son temps.
Remarque. En disant que dans le fait rapporté il n'y avait pas d'émission de fluide magnétique, nous n'étions peut-être pas tout à fait dans le vrai. Nous hasardons ici une supposition. On sait, comme nous l'avons dit, quelle transformation des propriétés de la matière peut s'opérer par l'action du fluide magnétique dirigé par la pensée. Or, ne pourrait-on pas admettre que, par la pensée du médecin qui voulait faire croire à l'existence d'un toxique, et donner aux voleurs les angoisses de l'empoisonnement, il y a eu, quoique à distance, une sorte de magnétisation du liquide qui aurait acquis ainsi de nouvelles propriétés, dont l'action se serait trouvée corroborée par l'état moral des individus, rendus plus impressionnables par la crainte. Cette théorie ne détruirait pas celle de saint Louis sur l'intervention des Esprits légers en pareille circonstance ; nous savons que les Esprits agissent physiquement par des moyens physiques ; ils peuvent donc se servir, pour accomplir leurs desseins, de ceux qu'ils provoquent, ou que nous leur fournissons nous-mêmes à notre insu.
Théorie du mobile de nos actions

M. R..., correspondant de l'Institut de France, et l'un des membres les plus éminents de la Société parisienne des Etudes Spirites, a développé les consi¬dérations suivantes, dans la séance du 14 septembre, comme corollaire de la théorie qui venait d'être donnée à propos du mal de la peur, et que nous avons rap¬portée plus haut :
« Il résulte de toutes les communications qui nous sont faites par les Esprits, qu'ils exercent une influen¬ce directe sur nos actions, en nous sollicitant, les uns au bien, les autres au mal. Saint Louis vient de nous dire : « Les Esprits malins aiment à rire ; prenez-y garde ; tel qui croit dire en face une saillie agréable aux personnes qui l'environnent, tel qui amuse une société par ses plaisanteries ou ses actes, se trompe souvent, et même très souvent lorsqu'il croit que tout cela vient de lui. Les Esprits légers qui l'entourent s'identifient avec lui-même, et souvent tour à tour le trompent sur ses propres pensées, ainsi que ceux qui l'écoutent ». Il s'ensuit que ce que nous disons ne vient pas toujours de nous ; que souvent nous ne sommes, comme les médiums parlants, que les inter¬prètes de la pensée d'un Esprit étranger qui s'est identifié avec le nôtre. Les faits viennent à l'appui de cette pensée qui nous est suggérée. L'homme qui fait mal cède donc à une suggestion, quand il est assez faible pour ne pas résister, quand il ferme l'oreille à la voix de la conscience qui peut être la sienne propre, ou celle d'un bon Esprit qui combat en lui, par ses avertissements, l'influence d'un mauvais Esprit.
« Selon la doctrine vulgaire, l'homme puiserait tous ses instincts en lui-même ; ils proviendraient soit de son organisation physique dont il ne saurait être responsable, soit de sa propre nature, dans laquelle il peut chercher une excuse à ses propres yeux, en disant que ce n'est pas sa faute s'il est créé ainsi. La doctrine spirite est évidemment plus morale ; elle admet chez l'homme le libre arbitre dans toute sa plénitude ; et en lui disant que s'il fait mal, il cède à une mauvaise suggestion étrangère, elle lui en laisse toute la respon¬sabilité, puisqu'elle lui reconnaît le pouvoir de résister, chose évidemment plus facile que s'il avait à lutter contre sa propre nature. Ainsi, selon la doctrine spirite, il n'y a pas d'entraînement irrésistible. L'homme peut toujours fermer l'oreille à la voix occulte qui le sollicite au mal dans son for intérieur, comme il peut la fermer à la voix matérielle de celui qui lui parle ; il le peut par sa volonté, en demandant à Dieu la force nécessaire, et en réclamant à cet effet l'assistance des bons Esprits. C'est ce que Jésus nous apprend dans la sublime prière du Pater, quand il nous fait dire : « Ne nous laissez pas succomber à la tentation, mais délivrez-nous du mal ».
Lorsque nous avons pris pour texte d'une de nos questions la petite anecdote que nous avons rapportée, nous ne nous attendions pas aux développements qui allaient en découler. Nous en sommes doublement heureux, par les belles paroles qu'elle nous a values de saint Louis et de notre honorable collègue. Si nous n'étions édifiés depuis longtemps sur la haute capacité de ce dernier, et sur ses profondes connais¬sances en matière de Spiritisme, nous serions tentés de croire qu'il a été lui-même l'application de sa théorie, et que saint Louis s'est servi de lui pour compléter son enseignement. Nous allons y joindre nos propres réflexions :
Cette théorie de la cause excitante de nos actes ressort évidemment de tout l'enseignement donné par les Esprits ; non seulement elle est sublime de mora¬lité, mais nous ajouterons qu'elle relève l'homme à ses propres yeux ; elle le montre libre de secouer un joug obsesseur, comme il est libre de fermer sa maison aux importuns ; ce n'est plus une machine agissant par une impulsion indépendante de sa volonté, c'est un être de raison, qui écoute, qui juge et qui choisit librement entre deux conseils.
Ajoutons que, malgré cela, l'homme n'est point privé de son initiative ; il n'en agit pas moins de son propre mouvement, puisqu'en définitive il n'est qu'un Esprit incarné qui conserve, sous l'enveloppe corpo¬relle, les qualités et les défauts qu'il avait comme Esprit. Les fautes que nous commettons ont donc leur source première dans l'imperfection de notre propre Esprit qui n'a pas encore atteint la supériorité morale qu'il aura un jour, mais qui n'en a pas moins son libre arbitre ; la vie corporelle lui est donnée pour se purger de ses imperfections par les épreuves qu'il y subit, et ce sont précisément ces imperfections qui le rendent plus faible et plus accessible aux suggestions des autres Esprits imparfaits, qui en profitent pour tâcher de le faire succomber dans la lutte qu'il a entreprise. S'il sort vainqueur de cette lutte, il s'élève ; s'il échoue, il reste ce qu'il était, ni plus mauvais, ni meilleur : c'est une épreuve à recommencer, et cela peut durer longtemps ainsi. Plus il s'épure, plus ses côtés faibles diminuent, et moins il donne de prise à ceux qui le sollicitent au mal ; sa force morale croît en raison de son élévation, et les mauvais Esprits s'éloignent de lui.
Quels sont donc ces mauvais Esprits ? Sont-ce ce qu'on appelle les démons ? Ce ne sont pas des démons dans l'acception vulgaire du mot, parce qu'on entend par là une classe d'êtres créés pour le mal, et perpétuellement voués au mal. Or, les Esprits nous disent que tous s'améliorent dans un temps plus ou moins long, selon leur volonté ; mais tant qu'ils sont imparfaits, ils peuvent faire le mal, comme l'eau qui n'est pas épurée peut répandre des miasmes putrides et morbides.
Dans l'état d'incarnation, ils s'épurent s'ils font ce qu'il faut pour cela ; à l'état d'Esprits, ils subissent les conséquences de ce qu'ils ont fait ou n'ont pas fait pour s'améliorer, conséquences qu'ils subissent aussi sur terre, puisque les vicissitudes de la vie sont à la fois des expiations et des épreuves. Tous ces Esprits, plus ou moins bons, alors qu'ils sont incarnés, constituent l'espèce humaine, et, comme notre terre est un des mondes les moins avancés, il s'y trouve plus de mauvais Esprits que de bons, voilà pourquoi nous y voyons tant de perversité. Faisons donc tous nos efforts pour n'y pas revenir après cette station et pour mériter d'aller nous reposer dans un monde meilleur, dans un de ces mondes privilégiés où le bien règne sans partage, et où nous ne nous souviendrons de notre passage ici-bas que comme d'un mauvais rêve.

Revue spirite 1858

Entretiens familiers d’outre-tombe

Une veuve du Malabar

Nous avions le désir d'interroger une de ces femmes de l'Inde qui sont dans l'usage de se brûler sur le corps de leur mari. N'en connaissant pas, nous avions demandé à saint Louis s'il voudrait nous en envoyer une qui fût en état de répondre à nos questions d'une manière un peu satisfaisante. Il nous répondit qu'il le ferait volontiers dans quelque temps. Dans la séance de la Société du 2 novembre 1858, M. Adrien, médium voyant, en vit une toute disposée à parler et dont il fit le portrait suivant :
Yeux grands, noirs, teinte jaune dans le blanc ; figure arrondie ; joues rebondies et grasses ; peau jaune safran bruni ; cils longs, sourcils arqués, noirs, nez un peu fort et légèrement aplati ; bouche grande et sensuelle ; belles dents, larges et plates ; cheveux plats, abondants, noirs et épais de graisse. Corps assez gros, trapu et gras. Des foulards l'enveloppent en laissant la moitié de la poitrine nue. Bracelets aux bras et aux jambes.
1. Vous rappelez-vous à peu près à quelle époque vous viviez dans l'Inde, et où vous vous êtes brûlée sur le corps de votre mari ? - R. Elle fait signe qu'elle ne se le rappelle pas. - Saint Louis répond qu'il y a environ cent ans.
2. Vous rappelez-vous le nom que vous portiez ? - R. Fatime.
3. Quelle religion professiez-vous ? - R. Le mahométisme.
4. Mais le mahométisme ne commande pas de tels sacrifices ? - R. Je suis née musulmane, mais mon mari était de la religion de Brahma. J'ai dû me conformer à l'usage du pays que j'habitais. Les femmes ne s'appartiennent pas.
5. Quel âge aviez-vous quand vous êtes morte ? - R. J'avais, je crois environ vingt ans.
Remarque. - M. Adrien fait observer qu'elle en paraît avoir au moins vingt-huit à trente ; mais que dans ce pays les femmes vieillissent plus vite.
6. Vous êtes-vous sacrifiée volontairement ? - R. J'aurais préféré me marier à un autre. Réfléchissez bien, et vous concevrez que nous pensons toutes de même. J'ai suivi la coutume ; mais au fond j'aurais préféré ne pas le faire. J'ai attendu plusieurs jours un autre mari, et personne n'est venu ; alors j'ai obéi à la loi.
7. Quel sentiment a pu dicter cette loi ? - R. Idée superstitieuse. On se figure qu'en se brûlant on est agréable à la Divinité ; que nous rachetons les fautes de celui que nous perdons, et que nous allons l'aider à vivre heureux dans l'autre monde.
8. Votre mari vous a-t-il su gré de votre sacrifice ? - R. Je n'ai jamais cherché à revoir mon mari.
9. Y a-t-il des femmes qui se sacrifient ainsi de gaîté de cœur ? - R Il y en a peu ; une sur mille, et encore, au fond, elles ne voudraient pas le faire.
10. Que s'est-il passé en vous au moment où la vie corporelle s'est éteinte ? - R. Le trouble ; j'ai eu un brouillard, et puis je ne sais ce qui s'est passé. Mes idées n'ont été débrouillées que bien longtemps après. J'allais partout, et cependant je ne voyais pas bien ; et encore maintenant, je ne suis pas entièrement éclairée ; j'ai encore bien des incarnations à subir pour m'élever ; mais je ne brûlerai plus... Je ne vois pas la nécessité de se brûler, de se jeter au milieu des flammes pour s'élever..., surtout pour des fautes que l'on n'a pas commises ; et puis on ne m'en a pas su plus de gré... Du reste je n'ai pas cherché à le savoir. Vous me ferez plaisir en priant un peu pour moi ; car je comprends qu'il n'y a que la prière pour supporter avec courage les épreuves qui nous sont envoyées... Ah ! si j'avais la foi !
11. Vous nous demandez de prier pour vous ; mais nous sommes chrétiens, et nos prières pourraient-elles vous être agréables ? - R. Il n'y a qu'un Dieu pour tous les hommes.
Remarque. - Dans plusieurs des séances suivantes, la même femme a été vue parmi les Esprits qui y assistaient. Elle a dit qu'elle venait pour s'instruire. Il paraît qu'elle a été sensible à l'intérêt qu'on lui a témoigné, car elle nous a suivis plusieurs fois dans d'autres réunions et même dans la rue.
Revue spirite 1859

Écueils des médiums

La médiumnité est une faculté très multiple, et qui présente une variété de nuances dans ses moyens et dans ses effets. Quiconque est apte à recevoir ou à transmettre les communications des Esprits est, par cela même, médium, quel que soit le mode employé ou le degré de développement de la faculté, depuis la simple influence occulte jusqu'à la production des phénomènes les plus insolites. Toutefois, dans l'usage ordinaire, ce mot a une acception plus restreinte et se dit généralement des personnes douées d'une puissance médiatrice assez grande, soit pour produire des effets physiques, soit pour transmettre la pensée des Esprits par l'écriture ou par la parole.
Quoique cette faculté ne soit pas un privilège exclusif, il est certain qu'elle trouve des réfractaires, du moins dans le sens qu'on y attache ; il est certain aussi qu'elle n'est pas sans écueils pour ceux qui la possèdent ; qu'elle peut s'altérer, se perdre même, et souvent être une source de graves mécomptes. C'est sur ce point que nous croyons utile d'appeler l'attention de tous ceux qui s'occupent de communications spirites, soit directement, soit par intermédiaire. Nous disons par intermédiaire, parce qu'il importe aussi à ceux qui se servent de médiums de pouvoir apprécier leur valeur et la confiance que méritent leurs communications.
Le don de médiumnité tient à des causes qui ne sont pas encore parfaitement connues et auxquelles le physique paraît avoir une grande part. Au premier abord il semblerait qu'un don si précieux ne doit être le partage que des âmes d'élite ; or, l'expérience prouve le contraire, car on trouve de puissants médiums chez des personnes dont le moral laisse beaucoup à désirer, tandis que d'autres, estimables à tous égards, en sont privés. Celui qui échoue malgré son désir, ses efforts et sa persévérance, n'en doit rien conclure de défavorable pour lui, et ne pas se croire indigne de la bienveillance des bons Esprits ; si cette faveur ne lui est pas accordée, il en a d'autres sans doute qui peuvent lui offrir une ample compensation. Par la même raison, celui qui en jouit ne saurait s'en prévaloir, car elle n'est chez lui le signe d'aucun mérite personnel. Le mérite n'est donc pas dans la possession de la faculté médiatrice qui peut être donnée à tout le monde, mais dans l'usage que l'on en peut faire ; là est une distinction capitale qu'il ne faut jamais perdre de vue : la bonté du médium n'est pas dans la facilité des communications, mais uniquement dans son aptitude à n'en recevoir que de bonnes ; or, c'est là que les conditions morales dans lesquelles il se trouve sont toutes puissantes ; là aussi se rencontrent pour lui les plus grands écueils.
Pour se rendre compte de cet état de choses et comprendre ce que nous allons dire, il faut se reporter à ce principe fondamental, que parmi les Esprits il y en a de tous les degrés en bien et en mal, en science et en ignorance ; que les Esprits pullulent autour de nous, et que lorsque nous croyons être seuls, nous sommes sans cesse environnés d'êtres qui nous coudoient, les uns avec indifférence comme des étrangers, les autres qui nous observent avec des intentions plus ou moins bienveillantes selon leur nature.
Le proverbe : Qui se ressemble s'assemble, a son application parmi les Esprits comme parmi nous, et plus encore parmi eux, si c'est possible, parce qu'ils ne sont pas comme nous sous l'influence des considérations sociales. Toutefois si, parmi nous, ces considérations confondent quelquefois les hommes de mœurs et de goût très différents, cette confusion n'est, en quelque sorte, que matérielle et transitoire ; la similitude ou la divergence des pensées sera toujours la cause des attractions et des répulsions.
Notre âme qui n'est, en définitive, qu'un Esprit incarné, n'en est pas moins Esprit ; s'il est momentanément revêtu d'une enveloppe matérielle, ses relations avec le monde incorporel, quoique moins faciles qu'à l'état de liberté, n'en sont pas interrompues pour cela d'une manière absolue ; la pensée est le lien qui nous unit aux Esprits, et par cette pensée nous attirons ceux qui sympathisent avec nos idées et nos penchants. Représentons-nous donc la masse des Esprits qui nous environnent comme la foule que nous rencontrons dans le monde ; partout où nous allons de préférence, nous trouvons des hommes attirés par les mêmes goûts et les mêmes désirs ; dans les réunions qui ont un but sérieux, vont les hommes sérieux ; dans celles qui ont un but frivole, vont les hommes frivoles ; partout aussi se trouvent des Esprits attirés par la pensée dominante. Si nous jetons un coup d'œil sur l'état moral de l'humanité en général, nous concevrons sans peine que, dans cette foule occulte, les Esprits élevés ne doivent pas être en majorité ; c'est une des conséquences de l'état d'infériorité de notre globe.
Les Esprits qui nous entourent ne sont point passifs ; c'est un peuple essentiellement remuant, qui pense et agit sans cesse, qui nous influence à notre insu, qui nous excite ou nous dissuade, qui nous pousse au bien ou au mal, ce qui ne nous ôte pas plus notre libre arbitre que les conseils bons ou mauvais que nous recevons de nos semblables. Mais quand les Esprits imparfaits sollicitent quelqu'un à faire une chose mauvaise, ils savent très bien à qui ils s'adressent et ne vont pas perdre leur temps où ils voient qu'ils seront mal reçus ; ils nous excitent selon nos penchants ou selon les germes qu'ils voient en nous et nos dispositions à les écouter : voilà pourquoi l'homme ferme dans les principes du bien ne leur donne pas prise.
Ces considérations nous ramènent naturellement à la question des médiums. Ces derniers sont, comme tout le monde, soumis à l'influence occulte des Esprits bons ou mauvais ; ils les attirent ou les repoussent selon les sympathies de leur esprit personnel, et les Esprits mauvais profitent de tout travers, comme d'un défaut de cuirasse, pour s'introduire auprès d'eux et s'immiscer à leur insu dans tous les actes de leur vie privée. Ces Esprits trouvant en outre dans le médium un moyen d'exprimer leur pensée d'une manière intelligible et d'attester leur présence, se mêlent aux communications, les provoquent, parce qu'ils espèrent avoir plus d'influence par ce moyen, et finissent par y dominer en maîtres. Ils se regardent comme chez eux, en écartent les Esprits qui pourraient les contrecarrer, et au besoin prennent leurs noms et même leur langage pour donner le change ; mais ils ne peuvent longtemps soutenir leur rôle, et pour peu qu'ils aient affaire à un observateur expérimenté et non prévenu, ils sont bien vite démasqués. Si le médium se laisse aller à cette influence, les bons Esprits s'éloignent de lui, ou ils ne viennent pas du tout quand on les appelle, ou ils ne viennent qu'avec répugnance, parce qu'ils voient que l'Esprit qui s'est identifié avec le médium, qui a en quelque sorte élu domicile chez lui, peut altérer leurs instructions. Si nous avons à choisir un interprète, un secrétaire, un mandataire quelconque, il est évident que nous choisirons non seulement un homme capable, mais en outre digne de notre estime, et que nous ne confierons pas une mission délicate et nos intérêts à un homme taré ou fréquentant une société suspecte. Il en est de même des Esprits ; les Esprits supérieurs ne choisiront pas pour transmettre des instructions sérieuses un médium qui a des accointances avec les Esprits légers, A MOINS QU'IL N'Y AIT NECESSITE ET QU'ILS N'EN AIENT PAS D'AUTRES A LEUR DISPOSITION POUR LE MOMENT, à moins encore qu'ils ne veuillent donner une leçon au médium lui-même, ce qui arrive quelquefois ; mais alors ils ne s'en servent qu'accidentellement, et le quittent dès qu'ils trouvent mieux, le laissant à ses sympathies s'il y tient. Le médium parfait serait donc celui qui ne donnerait aucun accès aux mauvais Esprits par un travers quelconque. Cette condition est bien difficile à remplir ; mais si la perfection absolue n'est pas donnée à l'homme, il lui est toujours donné d'en approcher par ses efforts, et les Esprits tiennent surtout compte des efforts, de la volonté et de la persévérance.
Le médium parfait n'aurait ainsi que des communications parfaites de vérité et de moralité ; la perfection n'étant pas possible, le meilleur sera celui qui aura les meilleures communications : c'est à l'œuvre qu'on peut le juger. Des communications constamment bonnes et élevées, et où ne percerait aucun indice d'infériorité, seraient incontestablement une preuve de la supériorité morale du médium, parce qu'elles attesteraient d'heureuses sympathies. Par cela même que le médium ne saurait être parfait, des Esprits légers, fourbes et menteurs, peuvent se mêler à ses communications, en altérer la pureté et l'induire en erreur, lui et ceux qui s'adressent à lui. C'est là le plus grand écueil du spiritisme et nous ne nous en dissimulons pas la gravité. Peut-on l'éviter ? Nous disons hautement : oui, on le peut ; le moyen n'est pas difficile, il ne demande que du jugement.
Les bonnes intentions, la moralité même du médium ne suffisent pas toujours pour le préserver de l'immixtion des Esprits légers, menteurs ou faux savants dans ses communications ; outre les défauts de son propre Esprit, il peut leur donner prise par d'autres causes dont la principale est la faiblesse de son caractère et une trop grande confiance dans l'invariable supériorité des Esprits qui se communiquent à lui ; cette confiance aveugle tient à une cause que nous expliquerons tout à l'heure. Si l'on ne veut pas être dupe de ces Esprits légers, il faut les juger, et pour cela nous avons un critérium infaillible : le bon sens et la raison. Nous savons les qualités du langage qui caractérisent parmi nous les hommes vraiment bons et supérieurs, ces qualités sont les mêmes pour les Esprits ; nous devons les juger à leur langage. Nous ne saurions trop répéter ce qui caractérise celui des Esprits élevés : il est constamment digne, noble, sans forfanterie ni contradiction, pur de toute trivialité, empreint d'une inaltérable bienveillance. Les bons Esprits conseillent ; ils ne commandent pas ; ils ne s'imposent pas ; sur ce qu'ils ignorent, ils se taisent. Les Esprits légers parlent avec la même assurance de ce qu'ils savent et de ce qu'ils ne savent pas, ils répondent à tout sans se soucier de la vérité. Nous en avons vu, dans une dictée soi-disant sérieuse, placer avec un imperturbable aplomb César au temps d'Alexandre ; d'autres affirmer que ce n'est pas la terre qui tourne autour du soleil. En résumé toute expression grossière ou simplement inconvenante, toute marque d'orgueil et d'outrecuidance, toute maxime contraire à la saine morale, toute hérésie scientifique notoire, est, chez les Esprits, comme chez les hommes, un signe incontestable de mauvaise nature, d'ignorance ou tout au moins de légèreté. D'où il suit qu'il faut peser tout ce qu'ils disent et le faire passer au creuset de la logique et du bon sens ; c'est une recommandation que nous font sans cesse les bons Esprits. « Dieu, nous disent-ils, ne vous a pas donné le jugement pour rien ; servez-vous-en donc pour savoir à qui vous avez affaire. » Les mauvais Esprits redoutent l'examen ; ils disent : « Acceptez nos paroles et ne les jugez pas. » S'ils avaient la conscience d'être dans le vrai, ils ne craindraient pas la lumière.
L'habitude de scruter les moindres paroles des Esprits, d'en peser la valeur, (au point de vue de la pensée, et non de la forme grammaticale, dont ils ont peu de souci,) éloigne forcément les Esprits malintentionnés qui ne viennent point alors perdre inutilement leur temps, puisqu'on rejette tout ce qui est mauvais ou d'une origine suspecte. Mais lorsqu'on accepte aveuglément tout ce qu'ils disent, qu'on se met pour ainsi dire à genoux devient leur prétendue sagesse, ils font ce que feraient les hommes, ils en abusent.
Si le médium est maître de lui, s'il ne se laisse pas dominer par un enthousiasme irréfléchi, il peut faire ce que nous conseillons ; mais il arrive souvent que l'Esprit le subjugue au point de le fasciner et de lui faire trouver admirables les choses les plus ridicules, et il s'abandonne d'autant plus à cette pernicieuse confiance que, fort de ses bonnes intentions et de ses bons sentiments, il croit que cela suffit pour écarter les mauvais Esprits ; non, cela ne suffit pas, car ces Esprits sont enchantés de le faire tomber dans le piège en profitant de sa faiblesse et de sa crédulité. Que faire alors ? En référer à un tiers désintéressé qui, jugeant avec sang-froid et sans prévention, pourra voir une paille là où il ne voyait pas une poutre.
La science spirite exige une grande expérience qui ne s'acquiert, comme dans toutes les sciences philosophiques et autres, que par une étude longue, assidue et persévérante, et par de nombreuses observations. Elle ne comprend pas seulement l'étude des phénomènes proprement dits, mais aussi et surtout celle des mœurs, si nous pouvons nous exprimer ainsi, du monde occulte, depuis le plus bas jusqu'au plus haut degré de l'échelle. Il serait trop présomptueux de se croire suffisamment éclairé et passé maître après quelques essais. Une telle prétention ne serait pas d'un homme sérieux ; car quiconque jette un coup d'œil scrutateur sur ces mystères étranges, voit se dérouler devant lui un horizon si vaste que des années suffisent à peine pour l'atteindre ; et il y en a qui prétendent le faire en quelques jours !
De toutes les dispositions morales, celle qui donne le plus de prise aux Esprits imparfaits, c'est l'orgueil. L'orgueil est pour les médiums un écueil d'autant plus dangereux qu'ils ne se l'avouent pas. C'est l'orgueil qui leur donne cette croyance aveugle dans la supériorité des Esprits qui s'attachent à eux, parce qu'ils sont flattés de certains noms qui leur imposent ; dès qu'un Esprit leur dit : Je suis un tel, ils s'inclinent et se gardent bien d'en douter, car leur amour-propre souffrirait de trouver sous ce masque un Esprit de bas étage ou de mauvais aloi. L'Esprit qui voit le côté faible en profite ; il flatte son prétendu protégé, lui parle d'origines illustres qui le gonflent encore davantage, lui promet un avenir brillant, les honneurs, la fortune, dont il semble être le dispensateur ; au besoin il affecte avec lui une tendresse hypocrite ; comment résister à tant de générosité ? En un mot, il le berne et le mène, comme on dit vulgairement, par le bout du nez ; son bonheur est d'avoir un être sous sa dépendance. Nous en avons interrogé plus d'un sur les motifs de leur obsession ; l'un d'eux nous répondit ceci : Je veux avoir un homme qui fasse ma volonté ; c'est mon plaisir. Lorsque, nous lui dîmes que nous allions mettre tout en œuvre pour déjouer ses artifices et dessiller les yeux de son opprimé, il dit : Je lutterai contre vous, et vous ne réussirez pas, car je ferai tant qu'il ne vous croira pas. C'est en effet une des tactiques de ces Esprits malfaisants ; ils inspirent de la défiance et de l'éloignement pour les personnes qui peuvent les démasquer et donner de bons conseils. Jamais pareille chose n'arrive de la part des bons Esprits. Tout Esprit qui souffle la discorde, qui excite l'animosité, entretient les dissentiments, révèle par cela même sa mauvaise nature ; il faudrait être aveugle pour ne pas le comprendre et pour croire qu'un bon Esprit puisse pousser à la mésintelligence.
L'orgueil se développe souvent chez le médium à mesure que grandit si faculté ; elle lui donne de l'importance ; on le recherche, et il finit par se croire indispensable ; de là quelquefois chez lui un ton de jactance et de prétention, ou des airs de suffisance et de dédain incompatibles avec l'influence d'un bon Esprit. Celui qui tombe dans ce travers est perdu, car Dieu lui a donné sa faculté pour le bien et non pour satisfaire sa vanité ou en faire le marchepied de son ambition. Il oublie que ce pouvoir dont il est fier peut lui être retiré et que souvent il ne lui a été donné que comme épreuve, de même que la fortune pour certaines gens. S'il en abuse, les bons Esprits l'abandonnent peu à peu, et il devient le jouet des Esprits légers qui le bercent de leurs illusions, satisfaits d'avoir vaincu celui qui se croyait fort. C'est ainsi que nous avons vu s'annihiler et se perdre les facultés les plus précieuses qui, sans cela, eussent pu devenir les plus puissants et les plus utiles auxiliaires. Ceci s'applique à tous les genres de médiums, qu'ils soient pour les manifestations physiques ou pour les communications intelligentes. Malheureusement l'orgueil est un des défauts qu'on est le moins disposé à s'avouer à soi-même et qu'on peut le moins avouer aux autres, parce qu'ils ne le croient pas. Allez donc dire à un de ces médiums qu'il se laisse mener comme un enfant, il vous tournera le dos en disant qu'il sait se conduire et que vous ne voyez pas clair. Vous pouvez dire à un homme qu'il est ivrogne, débauché, paresseux, maladroit, imbécile, il en rira ou en conviendra ; dites-lui qu'il est orgueilleux, il se fâchera : preuve évidente que vous aurez dit vrai. Les conseils, dans ce cas, sont d'autant plus difficiles que le médium évite les personnes qui pourraient les lui donner, fuit une intimité qu'il redoute. Les Esprits, qui sentent que les conseils sont des coups portés à leur pouvoir, le poussent au contraire vers celles qui l'entretiennent dans ses illusions. Il se prépare bien des déceptions, dont son amour-propre aura plus d'une fois à souffrir ; heureux encore s'il n'en résulte rien de plus grave pour lui.
Si nous avons longuement insisté sur ce point, c'est que l'expérience nous a démontré en maintes occasions que là est une des grandes pierres d'achoppement pour la pureté et la sincérité des communications des médiums. Il est presque inutile, après cela, de parler des autres imperfections morales, telles que l'égoïsme, l'envie, la jalousie, l'ambition, la cupidité, la dureté de cœur, l'ingratitude, la sensualité, etc. Chacun comprend qu'elles sont autant de portes ouvertes aux Esprits imparfaits, ou tout au moins des causes de faiblesse. Pour repousser ces derniers, il ne suffit pas de leur dire de s'en aller ; il ne suffit même pas de le vouloir et encore moins de les conjurer : il faut leur fermer sa porte et ses oreilles, leur prouver qu'on est plus fort qu'eux, et on l'est incontestablement par l'amour du bien, la charité, la douceur, la simplicité, la modestie et le désintéressement, qualités qui nous concilient la bienveillance des bons Esprits ; c'est leur appui qui fait notre force, et s'ils nous laissent quelquefois aux prises avec les mauvais, c'est une épreuve pour notre foi et notre caractère.
Que les médiums ne s'effraient pas trop cependant de la sévérité des conditions dont nous venons de parler ; elles sont logiques, on en conviendra, mais on aurait tort de se rebuter. Les communications mauvaises que l'on peut avoir sont bien, il est vrai, l'indice de quelque faiblesse, mais non toujours un signe d'indignité ; on peut être faible et bon. C'est dans tous les cas un moyen de reconnaître ses propres imperfections. Nous l'avons dit dans un autre article, on n'a pas besoin d'être médium pour être sous l'influence de mauvais Esprits qui agissent dans l'ombre ; avec la faculté médiatrice, l'ennemi se montre et se trahit ; on sait à qui l'on a affaire et on peut le combattre ; c'est ainsi qu'une mauvaise communication peut devenir une utile leçon si l'on sait en profiter.
Il serait injuste, du reste, de mettre toutes les mauvaises communications sur le compte du médium ; nous avons parlé de celles qu'il obtient par lui-même en dehors de toute autre influence, et non de celles qui se produisent dans un milieu quelconque ; or, tout le monde sait que les Esprits attirés par ce milieu peuvent nuire aux manifestations, soit par la diversité des caractères, soit par le défaut de recueillement. C'est une règle générale que les meilleures communications ont lieu dans l'intimité et dans un cercle recueilli et homogène. Dans toute communication plusieurs influences sont en jeu : celle du médium, celle du milieu et celle de la personne qui interroge. Ces influences peuvent réagir sur les autres, se neutraliser ou se corroborer : cela dépend du but que l'on se propose, et de la pensée dominante. Nous avons vu d'excellentes communications obtenues dans des cercles et avec des médiums qui ne réunissaient pas toutes les conditions désirables ; dans ce cas les bons Esprits venaient pour une personne en particulier, parce que cela était utile ; nous en avons vu de mauvaises obtenues par de bons médiums, uniquement parce que l'interrogateur n'avait pas des intentions sérieuses et attirait des Esprits légers qui se moquaient de lui. Tout cela demande du tact et de l'observation, et l'on conçoit aisément la prépondérance que doivent avoir toutes les conditions réunies.
Revue spirite 1859

Les Esprits tapageurs ; moyen de s'en débarrasser

On nous écrit de Gramat (Lot) :
« Dans une maison du hameau de Coujet, commune de Bastat (Lot), des bruits extraordinaires se font entendre depuis environ deux mois. C'étaient d'abord des coups secs et assez semblables au choc d'une massue sur des planches qu'on entendait de tous côtés : sous les pieds, sur la tête, dans les portes, à travers les meubles ; puis bientôt les pas d'un homme qui marche pieds nus, le tapotement des doigts sur les vitres. Les habitants de la maison s'effrayèrent et firent dire des messes ; la population inquiète se porta dans le hameau et entendit ; la police intervint, fit plusieurs perquisitions, et le bruit augmenta. Bientôt ce furent des portes ouvertes, des objets renversés, chaises projetées dans l'escalier, des meubles transportés du rez-de-chaussée au galetas. Tout ce que je vous raconte, attesté par un grand nombre de personnes, se passe en plein jour. La maison n'est pas une antique masure sombre et noire dont l'aspect seul fait rêver fantômes ; c'est une maison nouvellement bâtie, qui est riante ; les propriétaires sont de bonnes gens incapables de vouloir tromper personne, et malades de peur. Cependant bien des personnes ne pensent pas qu'il y ait rien de surnaturel, et tâchent d'expliquer, soit par la physique, soit par de mauvaises intentions qu'ils prêtent aux habitants de la maison, tout ce qui s'y passe d'extraordinaire. Pour moi, qui ai vu et qui crois, j'ai résolu de m'adresser à vous pour savoir quels sont les Esprits qui font ce tapage, et connaître le moyen, si toutefois il y en a un, de les faire taire. C'est un service que vous rendrez à ces bonnes gens, etc.. »
Les faits de cette nature ne sont pas rares ; ils se ressemblent tous à peu de chose près et ne diffèrent en général que par leur intensité et leur plus ou moins de ténacité. On s'en inquiète peu quand ils se bornent à quelques bruits sans conséquence, mais ils deviennent une véritable calamité quand ils acquièrent certaines proportions. Notre honorable correspondant nous demande quels sont les Esprits qui font ce tapage. La réponse n'est pas douteuse : on sait que des Esprits d'un ordre très inférieur en sont seuls capables.
Les Esprits supérieurs, pas plus que parmi nous les hommes graves et sérieux, ne s'amusent à donner des charivaris. Nous en avons souvent fait venir pour leur demander le motif qui les porte à troubler ainsi le repos. La plupart n'ont d'autre but que de s'amuser ; ce sont des Esprits plutôt légers que méchants, qui se rient des frayeurs qu'ils occasionnent, et des recherches inutiles que l'on fait pour découvrir la cause du tumulte. Souvent ils s'acharnent après un individu qu'ils se plaisent à vexer et qu'ils poursuivent de demeure en demeure ; d'autres fois ils s'attachent à un local sans autre motif que leur caprice. C'est quelquefois aussi une vengeance qu'ils exercent comme nous aurons occasion de le voir. Dans certains cas, leur intention est plus louable ; ils veulent appeler l'attention et se mettre en rapport, soit pour donner un avertissement utile à la personne à laquelle ils s'adressent, soit pour demander quelque chose pour eux-mêmes. Nous en avons souvent vu demander des prières, d'autres solliciter l'accomplissement en leur nom d'un vœu qu'ils n'avaient pu remplir, d'autres enfin vouloir, dans l'intérêt de leur propre repos, réparer une mauvaise action commise par eux de leur vivant. En général, on a tort de s'en effrayer ; leur présence peut être importune, mais non dangereuse. On conçoit du reste le désir qu'on a de s'en débarrasser et l'on fait généralement pour cela tout le contraire de ce qu'il faudrait. Si ce sont des Esprits qui s'amusent, plus on prend la chose au sérieux, plus ils persistent, comme des enfants espiègles qui harcèlent d'autant plus ceux qu'ils voient s'impatienter, et qui font peur aux poltrons. Si l'on prenait le sage parti de rire soi-même de leurs mauvais tours, ils finiraient par se lasser et par rester tranquilles. Nous connaissons quelqu'un qui, loin de s'irriter, les excitait, les mettait au défi de faire telle ou telle chose, si bien qu'au bout de quelques jours ils ne revinrent plus. Mais, comme nous l'avons dit, il y en a dont le motif est moins frivole. C'est pourquoi il est toujours utile de savoir ce qu'ils veulent. S'ils demandent quelque chose, on peut être certain qu'ils cesseront leurs visites dès que leur désir sera satisfait. Le meilleur moyen d'être renseigné à cet égard c'est d'évoquer l'Esprit par l'intermédiaire d'un bon médium écrivain ; à ses réponses on verra tout de suite à qui l'on a affaire, et l'on agira en conséquence ; si c'est un Esprit malheureux, la charité veut qu'on le traite avec les égards qu'il mérite. Si c'est un mauvais plaisant, on peut agir envers lui sans façon ; s'il est malveillant, il faut prier Dieu de le rendre meilleur. En tout état de cause, la prière ne peut toujours avoir qu'un bon résultat. Mais la gravité des formules d'exorcisme les fait rire et ils n'en tiennent aucun compte. Si l'on peut entrer en communication avec eux, il faut se défier des qualifications burlesques ou effrayantes qu'ils se donnent quelquefois pour s'amuser de la crédulité.
La difficulté, dans beaucoup de cas, est d'avoir un médium à sa disposition. Il faut alors chercher à le devenir soi-même, ou interroger directement l'Esprit en se conformant aux préceptes que nous donnons à ce sujet dans notre Instruction pratique sur les manifestations.
Ces phénomènes, quoique exécutés par des Esprits inférieurs, sont souvent provoqués par des Esprits d'un ordre plus élevé, dans le but de convaincre de l'existence des êtres incorporels et d'une puissance supérieure à l'homme. Le retentissement qui en résulte, l'effroi même que cela cause, appellent l'attention, et finiront par faire ouvrir les yeux des plus incrédules. Ceux-ci trouvent plus simple de mettre ces phénomènes sur le compte de l'imagination, explication très commode et qui dispense d'en donner d'autres ; pourtant quand des objets sont bousculés ou vous sont jetés à la tête, il faudrait une imagination bien complaisante pour se figurer que pareilles choses sont quand elles ne sont pas. On remarque un effet quelconque, cet effet a nécessairement une cause ; si une froide et calme observation nous démontre que cet effet est indépendant de toute volonté humaine et de toute cause matérielle, si de plus il nous donne des signes évidents d'intelligence et de libre volonté, ce qui est le signe le plus caractéristique, on est bien forcé de l'attribuer à une intelligence occulte. Quels sont ces êtres mystérieux ? c'est ce que les études spirites nous apprennent de la manière la moins contestable, par les moyens qu'elle nous donne de communiquer avec eux. Ces études nous apprennent en outre à faire la part de ce qu'il y a de réel, de faux ou d'exagéré dans les phénomènes dont nous ne nous rendons pas compte. Si un effet insolite se produit : bruit, mouvement, apparition même, la première pensée que l'on doit avoir, c'est qu'il est dû à une cause toute naturelle, parce que c'est la plus probable ; il faut alors rechercher cette cause avec le plus grand soin, et n'admettre l'intervention des Esprits qu'à bon escient ; c'est le moyen de ne pas se faire illusion.
Revue spirite 1859

Etude sur les médiums

Les différentes variétés de médiums reposent sur des aptitudes spéciales, et jusqu'à présent on ne sait trop quel en est le principe. Au premier abord, et pour les personnes qui n'ont pas fait de cette science une étude suivie, il ne semble pas plus difficile à un médium d'écrire des vers que de la prose ; s'il est mécanique surtout, l'Esprit, dira-t-on, peut tout aussi bien le faire écrire dans une langue étrangère, le faire dessiner ou lui dicter de la musique. Il n'en est rien pourtant. Bien que l'on voie à chaque instant des dessins, des vers, de la musique faits par des médiums qui, dans leur état normal, ne sont ni dessinateurs, ni poètes, ni musiciens, tous ne sont pas aptes à produire ces choses. Malgré leur ignorance, il y a en eux une faculté intuitive, une flexibilité qui en fait des instruments plus dociles. C'est ce qu'a très bien exprimé Bernard Palissy quand on lui a demandé pourquoi il avait choisi, pour faire ses admirables dessins, M. Victorien Sardou, qui ne sait pas dessiner ; c'est parce que, a-t-il dit, je le trouve plus souple. Il en est de même des autres aptitudes ; et chose bizarre, nous avons vu des Esprits se refuser à dicter des vers à des médiums qui connaissaient la poésie, et en donner de charmants à des personnes qui n'en savaient pas les premières règles ; ce qui prouve une fois de plus que les Esprits ont leur libre arbitre, et que c'est en vain que nous voudrions les soumettre à nos caprices.
Il résulte des observations précédentes qu'un médium doit suivre l'impulsion qui lui est donnée selon son aptitude ; qu'il doit tâcher de perfectionner cette aptitude par l'exercice, mais qu'il chercherait inutilement à acquérir celle qui lui manque, ou tout au moins que ce serait au préjudice de celle qu'il possède. Ne forçons point notre talent, nous ne ferions rien avec grâce, a dit La Fontaine ; nous pouvons ajouter : nous ne ferions rien de bon. Lorsqu'un médium possède une faculté précieuse avec laquelle il peut se rendre vraiment utile, qu'il s'en contente, et ne cherche pas une vaine satisfaction d'amour-propre dans une variété qui serait l'affaiblissement de la faculté primordiale ; si celle-ci doit être transformée, ce qui arrive souvent, ou s'il doit en acquérir une nouvelle, cela aura lieu spontanément et non par un effet de sa volonté.
La faculté de produire des effets physiques forme une catégorie bien tranchée qui s'allie rarement avec les communications intelligentes, surtout avec celles d'une haute portée. On sait que les effets physiques sont dévolus aux Esprits de bas étage, comme chez nous les tours de force aux saltimbanques ; or, les Esprits frappeurs appartiennent à cette classe inférieure ; ils agissent le plus souvent pour leur propre compte, pour s'amuser ou vexer, mais quelquefois aussi par l'ordre d'Esprits élevés qui s'en servent, comme nous nous servons de manœuvres ; il serait absurde de croire que des Esprits supérieurs vinssent s'amuser à faire tourner ou frapper des tables. Ils se servent de ces moyens, disons-nous, par des intermédiaires, soit dans le but de convaincre, soit pour communiquer avec nous quand nous n'en avons pas d'autres ; mais ils les abandonnent du moment qu'ils peuvent agir par un moyen plus rapide, plus commode et plus direct, comme nous avons abandonné le télégraphe aérien, dès que nous avons eu le télégraphe électrique. Les effets physiques ne sont point à dédaigner, parce que, pour beaucoup de gens, c'est un moyen de conviction ; ils offrent d'ailleurs un précieux sujet d'étude sur les forces occultes ; mais il est remarquable que les Esprits les refusent en général à ceux qui n'en ont pas besoin, ou que tout au moins ils leur conseillent de ne pas s'en occuper d'une manière spéciale. Voilà ce qu'écrivait à ce sujet l'Esprit de saint Louis à la Société parisienne des Etudes spirites :
« On s'est moqué des tables tournantes, on ne se moquera jamais de la philosophie, de la sagesse et de la charité qui brillent dans les communications sérieuses. Ce fut le vestibule de la science ; c'est là qu'en entrant on doit laisser ses préjugés, comme on laisse son manteau. Je ne puis trop vous engager à faire de vos réunions un centre sérieux : qu'ailleurs on fasse des démonstrations physiques, qu'ailleurs on voie, qu'ailleurs on entende, que chez vous on comprenne et qu'on aime. Que pensez-vous être aux yeux des Esprits supérieurs quand vous avez fait tourner une table ? Des ignorants. Le savant passe-t-il son temps à repasser l'a b c de la science ? Tandis qu'en vous voyant rechercher les communications intelligentes et instructives, on vous considère comme des hommes sérieux en quête de la vérité. »
Il est impossible de résumer d'une manière plus logique et plus précise le caractère des deux genres de manifestations. Celui qui a des communications élevées le doit à l'assistance des bons Esprits : c'est une marque de leur sympathie pour lui ; y renoncer pour rechercher les effets matériels, c'est quitter une société choisie pour une plus infime ; vouloir allier les deux choses, c'est appeler autour de soi des êtres antipathiques, et dans ce conflit il est probable que les bons s'en iront et que les mauvais resteront. Loin de nous de mépriser les médiums à influences physiques ; ils ont leur raison d'être, leur but providentiel ; ils rendent d'incontestables services à la science spirite ; mais lorsqu'un médium possède une faculté qui peut le mettre en rapport avec des êtres supérieurs, nous ne comprenons pas qu'il l'abdique, ou même qu'il en désire d'autres, autrement que par ignorance ; car souvent l'ambition de vouloir être tout, fait que l'on finit par n'être rien.

Revue spirite 1859

Médiums intéressés

Dans notre article sur les écueils des médiums, nous avons placé la cupidité au nombre des travers qui peuvent donner prise sur eux aux Esprits imparfaits. Quelques développements sur ce sujet ne seront pas inutiles. Il faut placer au premier rang des médiums intéressés ceux qui pourraient faire un métier de leur faculté, en donnant ce qu'on appelle des consultations ou séances rétribuées. Nous n'en connaissons pas, en France du moins, mais comme tout peut devenir un sujet d'exploitation, il n'y aurait rien d'étonnant à ce qu'on voulût un jour exploiter les Esprits ; reste à savoir comment ils prendraient la chose, si jamais une telle spéculation tentait de s'introduire. Sans être complètement initié au spiritisme, on comprend ce qu'elle aurait d'avilissant ; mais quiconque connaît tant soit peu les conditions difficiles dans lesquelles les bons Esprits se communiquent à nous, combien il faut peu de chose pour les éloigner, leur répulsion pour tout ce qui est d'intérêt égoïste, ne pourra jamais admettre que des Esprits supérieurs soient au caprice du premier venu qui les ferait venir à tant par heure ; le simple bon sens repousse une pareille supposition. Ne serait-ce pas aussi une profanation d'évoquer son père, sa mère, son enfant ou son ami par un pareil moyen ? Sans doute on peut avoir ainsi des communications, mais Dieu sait de quelle source ! Les Esprits légers, menteurs, espiègles, moqueurs et toute la cohue des Esprits inférieurs viennent toujours ; ils sont toujours prêts à répondre à tout ; Saint-Louis nous disait l'autre jour à la société : Evoquez un rocher, il vous répondra. Celui qui veut des communications sérieuses, doit s'édifier avant tout sur la nature des sympathies du médium avec les êtres d'outre-tombe ; or, celles que peut donner l'appât du gain ne peuvent inspirer qu'une fort médiocre confiance.
Les médiums intéressés ne sont pas uniquement ceux qui pourraient exiger une rétribution fixe ; l'intérêt ne se traduit pas toujours par l'espoir d'un gain matériel, mais aussi par les vues ambitieuses de toute nature sur lesquelles on peut fonder des espérances personnelles ; c'est encore là un travers que savent très bien saisir les Esprits moqueurs et dont ils profitent avec une adresse, une rouerie vraiment remarquable, en berçant de trompeuses illusions ceux qui se mettent ainsi sous leur dépendances. En résumé, la médiumnité est une faculté donnée pour le bien, et les bons Esprits s'éloignent de quiconque prétendrait s'en faire un marchepied pour arriver à quoi que ce soit qui ne répondrait pas aux vues de la Providence. L'égoïsme est la plaie de la société ; les bons Esprits le combattent, on ne peut supposer qu'ils viennent le servir. Cela est si rationnel qu'il serait inutile d'insister davantage sur ce point.
Les médiums à effets physiques ne sont pas dans la même catégorie ; ces effets étant produits par des Esprits inférieurs peu scrupuleux sur les sentiments moraux, un médium de cette catégorie qui voudrait exploiter sa faculté, pourrait donc en avoir qui l'assisteraient sans trop de répugnance ; mais là encore se présente un autre inconvénient. Le médium à effets physiques, pas plus que celui à communications intelligentes, n'a reçu sa faculté pour son plaisir : elle lui a été donnée à la condition d'en faire un bon usage, et s'il en abuse, elle peut lui être retirée, ou bien tourner à son détriment, parce qu'en définitive les Esprits inférieurs sont aux ordres des Esprits supérieurs. Les Esprits inférieurs aiment bien à mystifier, mais ils n'aiment pas être mystifiés ; s'ils se prêtent volontiers à la plaisanterie, aux choses de curiosité, ils n'aiment pas plus que les autres à être exploités, et ils prouvent à chaque instant qu'ils ont leur volonté, qu'ils agissent quand et comme bon leur semble, ce qui fait que le médium à effets physiques est encore moins sûr de la régularité des manifestations que le médium écrivain. Prétendre les produire à jours et heures fixes, serait faire preuve de la plus profonde ignorance. Que faire alors pour gagner son argent ? Simuler les phénomènes ; c'est ce qui peut arriver non seulement à ceux qui en feraient un métier avoué, mais même à des gens simples en apparence, et qui se bornent à recevoir une rétribution quelconque des visiteurs. Si l'Esprit ne donne pas, on y supplée : l'imagination est si féconde quand il s'agit de gagner de l'argent ; c'est une thèse que nous développerons dans un article spécial afin de mettre en garde contre la fraude.
De tout ce qui précède, nous concluons que le désintéressement le plus absolu est la meilleure garantie contre le charlatanisme, car il n'y a pas de charlatans désintéressés ; s'il n'assure pas toujours la bonté des communications intelligentes, il enlève aux mauvais Esprits un puissant moyen d'action et ferme la bouche à certains détracteurs.
Revue spirite 1859

Des procédés pour écarter les mauvais Esprits

L'immixtion des Esprits trompeurs dans les communications écrites est une des plus grandes difficultés du Spiritisme ; on sait par expérience qu'ils ne se font aucun scrupule de prendre des noms supposés, et même des noms respectables ; y a-t-il des moyens de les écarter ? là est la question. Certaines personnes emploient à cet effet ce qu'on pourrait appeler des procédés, c'est-à-dire, soit des formules particulières d'évocation, soit des sortes d'exorcismes, comme de leur faire jurer au nom de Dieu qu'ils disent la vérité, de leur faire écrire certaines choses, etc. Nous connaissons quelqu'un qui, à chaque phrase, sommait l'Esprit de signer son nom ; s'il était le vrai, il écrivait le nom sans peine ; s'il était le faux, il s'arrêtait court au beau milieu sans pouvoir l'achever ; nous avons vu cette personne avoir les communications les plus ridicules de la part d'Esprits qui signaient un nom d'emprunt avec un aplomb parfait. D'autres personnes pensent qu'un moyen efficace c'est de faire confesser Jésus en chair, ou autres vérités de la religion. Eh bien ! nous déclarons que, si quelques Esprits, un peu plus scrupuleux, sont arrêtés par l'idée d'un parjure ou d'une profanation, il en est qui jurent tout ce qu'on veut, qui signent tous les noms, qui se rient de tout, et bravent la présence des signes les plus vénérés, d'où nous concluons que, parmi ce qu'on peut appeler des procédés, il n'est aucune formule, aucun expédient matériel qui puisse servir de préservatif efficace.
En ce cas, dira-t-on, il n'y a qu'une chose à faire, c'est de cesser d'écrire. Ce moyen ne serait pas meilleur ; loin de là, il serait pire dans beaucoup de cas. Nous l'avons dit, et nous ne saurions trop le répéter, l'action des Esprits sur nous est incessante, et elle n'en est pas moins réelle, parce qu'elle est occulte. Si elle doit être mauvaise, elle sera plus pernicieuse encore par cela même que l'ennemi sera caché ; par les communications écrites, il se révèle, se démasque, on sait à qui l'on a affaire, et on peut le combattre. - Mais s'il n'y a aucun moyen de l'évincer, que faire alors ? - Nous n'avons pas dit qu'il n'y eût aucun moyen, mais seulement que la plupart de ceux que l'on emploie sont impuissants ; c'est la thèse que nous nous proposons de développer.
Il ne faut pas perdre de vue que les Esprits constituent tout un monde, toute une population qui remplit l'espace, qui circule à nos côtés, qui se mêle à tout ce que nous faisons. Si le voile qui nous les dérobe venait à se lever, nous les verrions, autour de nous, aller, venir, nous suivre ou nous éviter selon le degré de leur sympathie ; les uns indifférents, véritables flâneurs du monde occulte, les autres très occupés, soit d'eux-mêmes, soit des hommes auxquels ils s'attachent, dans un but plus ou moins louable, selon les qualités qui les distinguent. Nous verrions en un mot la doublure du genre humain avec ses bonnes et ses mauvaises qualités, ses vertus et ses vices. Cet entourage, auquel nous ne pouvons échapper, car il n'est pas d'endroit si caché qu'il soit inaccessible aux Esprits, exerce sur nous et à notre insu une influence permanente ; les uns nous poussent au bien, les autres au mal, et nos déterminations sont bien souvent le résultat de leurs suggestions ; heureux quand on a assez de jugement pour discerner la bonne ou la mauvaise voie dans laquelle ils cherchent à nous entraîner. Puisque les Esprits ne sont autre chose que les hommes mêmes dépouillés de leur grossière enveloppe, que les âmes qui survivent au corps, il en résulte qu'il y a des Esprits depuis qu'il y a des êtres humains dans l'univers ; c'est une des puissances de la nature, et ils n'ont pas attendu qu'il y eût des médiums écrivains pour agir, et la preuve en est, c'est que, de tout temps, les hommes ont commis des inconséquences ; voilà pourquoi nous disons que leur influence est indépendante de la faculté d'écrire ; cette faculté est un moyen de connaître cette influence, de savoir quels sont ceux qui rôdent autour de nous, qui s'attachent à nous. Croire qu'on peut s'y soustraire en s'abstenant d'écrire, c'est faire comme les enfants qui croient échapper à un danger en se bouchant les yeux. L'écriture, en nous révélant ceux que nous avons pour acolytes, pour amis ou pour ennemis, nous donne par cela même une arme pour combattre ces derniers, et nous devons en remercier Dieu ; à défaut de la vue pour reconnaître les Esprits, nous avons les communications écrites ; par là, ils révèlent ce qu'ils sont ; c'est pour nous un sens qui nous permet de les juger ; le repousser, c'est se complaire à rester aveugle, et vouloir demeurer exposé à la tromperie sans contrôle.
L'immixtion des mauvais Esprits dans les communications écrites n'est donc pas un danger du Spiritisme, puisque, s'il y danger, le danger existe sans cela, et qu'il est permanent ; voilà ce dont on ne saurait trop se persuader : c'est simplement une difficulté, mais dont il est aisé de triompher si l'on s'y prend convenablement.
On peut d'abord poser en principe que les mauvais Esprits ne vont que là où quelque chose les attire ; donc, quand ils se mêlent aux communications, c'est qu'ils trouvent des sympathies dans le milieu où ils se présentent, ou tout au moins des côtés faibles dont ils espèrent profiter ; en tout état de cause, c'est qu'ils ne trouvent pas une force morale suffisante pour les repousser. Parmi les causes qui les attirent, il faut placer en première ligne les imperfections morales de toute nature, parce que le mal sympathise toujours avec le mal ; en second lieu, la trop grande confiance avec laquelle on accueille leurs paroles. Lorsqu'une communication accuse une mauvaise origine, il serait illogique d'en inférer une parité nécessaire entre l'Esprit et les évocateurs ; on voit souvent les personnes les plus honorables exposées aux fourberies des Esprits trompeurs, comme on voit dans le monde des honnêtes gens trompés par des fripons ; mais lorsqu'on se tient sur ses gardes, les fripons n'ont que faire ; c'est ce qui arrive aussi avec les Esprits. Lorsqu'une personne honnête est trompée par eux, cela peut tenir à deux causes : la première est une confiance trop absolue qui la dissuade de tout examen ; la seconde, que les meilleures qualités n'excluent pas certains côtés faibles qui donnent prise aux mauvais Esprits, ardents à saisir les moindres défauts de cuirasse. Nous ne parlons pas de l'orgueil et de l'ambition, qui sont plus que des travers, mais d'une certaine faiblesse de caractère, et surtout des préjugés que ces Esprits savent habilement exploiter en les flattant, et, à cet égard, ils prennent tous les masques pour inspirer plus de confiance.
Les communications franchement grossières sont les moins dangereuses, parce qu'elles ne peuvent tromper personne ; celles qui le sont le plus sont celles qui n'ont qu'un faux-semblant de sagesse ou de gravité, en un mot, celles des Esprits hypocrites et des faux savants ; les uns peuvent se tromper de bonne foi, par ignorance ou par fatuité, les autres n'agissent que par astuce. Voyons donc le moyen de s'en débarrasser.
La première chose est d'abord de ne pas les attirer, et d'éviter tout ce qui peut leur donner accès.
Les dispositions morales sont, comme nous l'avons vu, une cause prépondérante ; mais, abstraction faite de cette cause, le mode employé n'est pas sans influence. Il y a des personnes qui ont pour principe de ne jamais faire d'évocations et d'attendre la première communication spontanée qui se présente sous le crayon du médium ; or, si l'on veut bien se rappeler ce que nous avons dit sur la foule très mélangée des Esprits qui nous entourent, on concevra sans peine que c'est se mettre à la discrétion du premier venu, bon ou mauvais ; et comme dans cette foule il y en a plus de mauvais que de bons, il y a plus de chance d'en avoir de mauvais, absolument comme si vous ouvrez votre porte à tous les passants de la rue ; tandis que par l'évocation vous faites votre choix, et en vous entourant de bons Esprits, vous imposez silence aux mauvais, qui pourront bien, malgré cela, chercher quelquefois à se faufiler, - les bons même le permettront pour exercer votre sagacité à les reconnaître, - mais ils seront sans influence. Les communications spontanées ont une grande utilité quand on est certain de la qualité de son entourage, alors on a souvent à se féliciter de l'initiative laissée aux Esprits ; l'inconvénient n'est que dans le système absolu qui consiste à s'abstenir de l'appel direct et des questions.
Parmi les causes qui influent puissamment sur la qualité des Esprits qui fréquentent les cercles spirites, il ne faut pas omettre la nature des choses dont on s'occupe. Ceux qui se proposent un but sérieux et utile attirent par cela même les Esprits sérieux ; ceux qui n'ont en vue que de satisfaire une vaine curiosité ou leurs intérêts personnels, s'exposent tout au moins à des mystifications, s'ils n'ont pas pis. En résumé, on peut tirer des communications spirites les enseignements les plus sublimes, les plus utiles, lorsqu'on sait les diriger ; toute la question est de ne pas se laisser prendre aux ruses des Esprits moqueurs ou malveillants ; or, pour cela, l'essentiel est de savoir à qui l'on a affaire. Ecoutons d'abord à ce sujet les conseils que l'Esprit de saint Louis donnait à la Société parisienne des études Spirites par l'entremise de M. R… un de ses bons médiums. Ceci est une communication spontanée qu'il reçut un jour chez lui, avec mission de la lui transmettre.
« Quelle que soit la confiance légitime que vous inspirent les Esprits qui président à vos travaux, il est une recommandation que nous ne saurions trop répéter, et que vous devriez toujours avoir présente à la pensée quand vous vous livrez à vos études : c'est de peser et mûrir, c'est de soumettre au contrôle, de la raison la plus sévère toutes les communications que vous recevez ; de ne pas négliger, dès qu'une réponse vous paraît douteuse ou obscure, de demander les éclaircissements nécessaires pour vous fixer.
« Vous savez que la révélation a existé dès les temps les plus reculés, mais elle a toujours été appropriée au degré d'avancement de ceux qui la recevaient. Aujourd'hui, il n'est plus question de vous parler par figures et par paraboles : vous devez recevoir nos enseignements d'une manière claire, précise, et sans ambiguïté. Mais il serait trop commode de n'avoir qu'à questionner pour être éclairés ; ce serait d'ailleurs sortir des lois progressives qui président à l'avancement universel. Ne soyez donc pas étonnés si, pour vous laisser le mérite du choix et du travail, et aussi pour vous punir des infractions que vous pouvez commettre contre nos conseils, il est quelquefois permis à certains Esprits, ignorants plus que malintentionnés, de répondre dans quelques cas à vos questions. Ceci, au lieu d'être pour vous une cause de découragement, doit être un puissant excitant à rechercher le vrai avec ardeur. Soyez donc bien convaincus qu'en suivant cette route vous ne pouvez manquer d'arriver à des résultats heureux. Soyez unis de cœur et d'intention ; travaillez tous ; cherchez, cherchez toujours, et vous trouverez. »
LOUIS.
Le langage des Esprits sérieux et bons a un cachet auquel il est impossible de se méprendre pour peu qu'on ait du tact, du jugement et l'habitude de l'observation. Les mauvais Esprits, de quelque voile hypocrite qu'ils couvrent leurs turpitudes, ne peuvent jamais soutenir leur rôle indéfiniment ; ils montrent toujours le bout de l'oreille par quelque coin, autrement, si leur langage était sans tache, ils seraient de bons Esprits. Le langage des Esprits est donc le véritable critérium par lequel nous pouvons les juger ; le langage étant l'expression de la pensée, a toujours un reflet des qualités bonnes ou mauvaises de l'individu. N'est-ce pas aussi par le langage que nous jugeons les hommes que nous ne connaissons pas ? Si vous recevez vingt lettres de vingt personnes que vous n'avez jamais vues, est-ce qu'en les lisant vous ne serez pas impressionné diversement ? Est-ce que, par les qualités du style, par le choix des expressions, par la nature des pensées, par certains détails de forme même, vous ne reconnaîtrez pas, dans celui qui vous écrit, un homme bien élevé d'un rustre, un savant d'un ignorant, un orgueilleux d'un homme modeste ? Il en est absolument de même des Esprits. Supposez que ce soient des hommes qui vous écrivent, et jugez-les de la même manière ; jugez-les sévèrement, les bons Esprits ne s'offensent nullement de cette investigation scrupuleuse, puisque ce sont eux-mêmes qui nous la recommandent comme moyen de contrôle. Nous savons que nous pouvons être trompés, donc notre premier sentiment doit être celui de la défiance ; les mauvais Esprits qui cherchent à nous induire en erreur peuvent seuls redouter l'examen, car ceux-là, loin de le provoquer, veulent être crus sur parole.
De ce principe découle tout naturellement et tout logiquement le moyen le plus efficace d'écarter les mauvais Esprits, et de se prémunir contre leurs fourberies. L'homme qui n'est pas écouté cesse de parler ; celui qui voit constamment ses ruses découvertes va les porter ailleurs ; le fripon qui sait qu'on est sur le qui-vive ne fait pas de tentatives inutiles. De même les Esprits trompeurs quittent la partie là où ils voient qu'ils n'ont rien à faire, et où ils ne trouvent que des gens sur leurs gardes qui rejettent tout ce qui leur paraît suspect.
Il nous reste, pour terminer, à passer en revue les principaux caractères qui décèlent l'origine des communications spirites.
1. Les Esprits supérieurs ont, comme nous l'avons dit en maintes circonstances, un langage toujours digne, noble, élevé, sans mélange d'aucune trivialité ; ils disent tout avec simplicité et modestie, ne se vantent jamais, ne font jamais parade de leur savoir ni de leur position parmi les autres. Celui des Esprits inférieurs ou vulgaires a toujours quelque reflet des passions humaines ; toute expression qui sent la bassesse, la suffisance, l'arrogance, la forfanterie, l'acrimonie, est un indice caractéristique d'infériorité, ou de supercherie si l'Esprit se présente sous un nom respectable et vénéré.
2. Les bons Esprits ne disent que ce qu'ils savent ; ils se taisent ou confessent leur ignorance sur ce qu'ils ne savent pas. Les mauvais parlent de tout avec assurance, sans se soucier de la vérité. Toute hérésie scientifique notoire, tout principe qui choque la raison et le bon sens, montre la fraude si l'Esprit se donne pour un Esprit éclairé.
3. Le langage des Esprits élevés est toujours identique, sinon pour la forme, du moins pour le fond. Les pensées sont les mêmes, quels que soient le temps et le lieu ; elles peuvent être plus ou moins développées selon les circonstances, les besoins et les facilités de communiquer, mais elles ne seront pas contradictoires. Si deux communications portant le même nom sont en opposition l'une avec l'autre, l'une des deux est évidemment apocryphe, et la véritable sera celle où RIEN ne dément le caractère connu du personnage. Une communication porte-t-elle de tout point le caractère de la sublimité et de l'élévation, sans aucune tache, c'est qu'elle émane d'un Esprit élevé, quel que soit son nom ; renferme-t-elle un mélange de bon et de mauvais, c'est d'un Esprit ordinaire, s'il se donne pour ce qu'il est ; d'un fourbe, s'il se pare d'un nom qu'il ne sait pas justifier.
4. Les bons Esprits ne commandent jamais ; ils ne s'imposent pas : ils conseillent, et si on ne les écoute pas, ils se retirent. Les mauvais sont impérieux : ils donnent des ordres, et veulent être obéis. Tout Esprit qui s'impose trahit son origine.
5. Les bons Esprits ne flattent point ; ils approuvent quand on fait bien, mais toujours avec réserve ; les mauvais donnent des éloges exagérés, stimulent l'orgueil et la vanité tout en prêchant l'humilité, et cherchent à exalter l'importance personnelle de ceux qu'ils veulent capter.
6. Les Esprits supérieurs sont au-dessus des puérilités de la forme en toutes choses ; pour eux la pensée est tout, la forme n'est rien. Les Esprits vulgaires seuls peuvent attacher de l'importance à certains détails incompatibles avec des idées véritablement élevées. Toute prescription méticuleuse est un signe certain d'infériorité et de supercherie de la part d'un Esprit qui prend un nom imposant.
7. Il faut se défier des noms bizarres et ridicules que prennent certains Esprits qui veulent imposer à la crédulité ; il serait souverainement absurde de prendre ces noms au sérieux.
8. Il faut également se défier de ceux qui se présentent trop facilement sous des noms extrêmement vénérés, et n'accepter leurs paroles qu'avec la plus grande réserve ; c'est là surtout qu'un contrôle sévère est indispensable, car c'est souvent un masque qu'ils prennent pour faire croire à de prétendues relations intimes avec des Esprits hors ligne. Par ce moyen ils flattent la vanité, et en profitent pour induire souvent à des démarches regrettables ou ridicules.
9. Les bons Esprits sont très scrupuleux sur les démarches qu'ils peuvent conseiller ; elles n'ont jamais, dans tous les cas, qu'un but sérieux et éminemment utile. On doit donc regarder comme suspectes toutes celles qui n'auraient pas ce caractère, et mûrement réfléchir avant de les entreprendre.
10. Les bons Esprits ne prescrivent que le bien. Toute maxime, tout conseil qui n'est pas strictement conforme à la pure charité évangélique ne peut être l'œuvre de bons Esprits ; il en est de même de toute insinuation malveillante tendant à exciter ou à entretenir des sentiments de haine, de jalousie ou d'égoïsme.
11. Les bons esprits ne conseillent jamais que des choses parfaitement rationnelles ; toute recommandation qui s'écarterait de la droite ligne du bon sens ou des lois immuables de la nature accuse un Esprit borné et encore sous l'influence des préjugés terrestres, et par conséquent peu digne de confiance.
12. Les Esprits mauvais, ou simplement imparfaits, se trahissent encore par des signes matériels auxquels on ne saurait se méprendre. Leur action sur le médium est quelquefois violente, et provoque dans son écriture des mouvements brusques et saccadés, une agitation fébrile et convulsive qui tranche avec le calme et la douceur des bons Esprits.
13. Un autre signe de leur présence, est l'obsession. Les bons Esprits n'obsèdent jamais ; les mauvais s'imposent à tous les instants ; c'est pourquoi tout médium doit se défier du besoin irrésistible d'écrire qui s'empare de lui dans les moments les plus inopportuns. Ce n'est jamais le fait d'un bon Esprit, et il ne doit pas y céder.
14. Parmi les Esprits imparfaits qui se mêlent aux communications, il en est qui se glissent pour ainsi dire furtivement, comme pour faire une espièglerie, mais qui se retirent aussi facilement qu'ils sont venus, et cela à la première sommation ; d'autres, au contraire, sont tenaces, s'acharnent après un individu, et ne cèdent qu'à la contrainte et à la persistance ; ils s'emparent de lui, le subjuguent, le fascinent au point de lui faire prendre les plus grossières absurdités pour des choses admirables, heureux quand des personnes de sang froid parviennent à lui dessiller les yeux, ce qui n'est pas toujours facile, car ces Esprits ont l'art d'inspirer de la défiance et de l'éloignement pour quiconque peut les démasquer ; d'où il suit que l'on doit tenir pour suspect d'infériorité ou de mauvaise intention tout Esprit qui prescrit l'isolement, et l'éloignement de quiconque peut donner de bons conseils. L'amour-propre vient à leur aide, car il en coûte souvent d'avouer qu'on a été dupe d'une mystification, et de reconnaître un fourbe en celui sous le patronage duquel on se faisait gloire de se placer. Cette action de l'Esprit est indépendante de la faculté d'écrire ; à défaut de l'écriture, l'Esprit malveillant a cent moyens d'agir et de circonvenir ; l'écriture est pour lui un moyen de persuasion, mais ce n'est pas une cause ; pour le médium, c'est un moyen de s'éclairer.
En passant toutes les communications spirites au contrôle des considérations précédentes, on en reconnaîtra facilement l'origine, et l'on pourra déjouer la malice des Esprits trompeurs qui ne s'adressent qu'à ceux qui se laissent bénévolement tromper ; s'ils voient qu'on se met à genoux devant leurs paroles, ils en profitent, comme feraient de simples mortels ; c'est donc à nous de leur prouver qu'ils perdent leur temps. Ajoutons que, pour cela, la prière est d'un puissant secours ; par elle on appelle à soi l'assistance de Dieu et des bons Esprits, on augmente sa propre force ; mais on connaît le précepte : Aide-toi, le ciel t'aidera ; Dieu veut bien nous assister, mais à la condition que nous fassions de notre côté ce qui est nécessaire.
Au précepte ajoutons un exemple. Un monsieur, que je ne connaissais pas, vint un jour me voir, et me dit qu'il était médium ; qu'il recevait des communications d'un Esprit très élevé qui l'avait chargé de venir auprès de moi me faire une révélation au sujet d'une trame qui, selon lui, s'ourdissait contre moi, de la part d'ennemis secrets qu'il désigna. « Voulez-vous, ajouta-t-il, que j'écrive en votre présence ? Volontiers, répondis-je ; mais je dois vous dire, tout d'abord, que ces ennemis sont moins à craindre que vous ne croyez. Je sais que j'en ai ; qui est-ce qui n'en à pas ? et les plus acharnés sont souvent ceux à qui on a fait le plus de bien. J'ai pour moi la conscience de n'avoir fait volontairement de mal à personne ; ceux qui m'en feront ne pourront pas en dire autant, et Dieu sera juge entre nous. Voyons toutefois l'avis que votre Esprit veut bien me donner. » Là-dessus ce monsieur écrivit ce qui suit :
« J'ai ordonné à C… (le nom du monsieur) qui est le flambeau de la lumière des bons Esprits, et qui a reçu d'eux la mission de la répandre parmi ses frères, de se rendre chez Allan Kardec qui devra croire aveuglément ce que je lui dirai, parce que je suis au nombre des élus préposés par Dieu pour veiller au salut des hommes, et que je viens lui annoncer la vérité… »
En voilà assez, lui dis-je, ne prenez pas la peine de poursuivre. Cet exorde suffit pour me montrer à quel Esprit vous avez affaire ; je n'ajouterai qu'un mot, c'est que pour un Esprit qui veut faire le rusé, il est bien maladroit.
Ce monsieur parut assez scandalisé du peu de cas que je faisais de son Esprit, qu'il avait la bonté de prendre pour quelque archange, ou tout au moins pour quelque saint du premier ordre, venu tout exprès pour lui. « Mais, lui dis-je, cet Esprit montre le bout de l'oreille par chacun des mots qu'il vient d'écrire, et il faut convenir qu'il sait bien peu cacher son jeu. D'abord il vous ordonne : donc il veut vous tenir sous sa dépendance, ce qui est le propre des Esprits obsesseurs ; il vous appelle le flambeau de la lumière des bons esprits, langage passablement emphatique et amphigourique, bien loin de la simplicité qui caractérise celui des bons Esprits, et par là il flatte votre orgueil, exalte votre importance, ce qui seul suffirait pour le rendre suspect. Il se place sans façon au nombre des élus préposés par Dieu : jactance indigne d'un Esprit véritablement supérieur. Enfin il me dit que je dois le croire aveuglément ; ceci couronne l'œuvre. C'est bien là le style de ces Esprits menteurs qui veulent qu'on les croie sur parole, parce qu'ils savent qu'ils ont tout à perdre à un examen sérieux. Avec un peu plus de perspicacité, il aurait dû savoir que je ne me paie pas de belles paroles, et qu'il s'adressait mal en me prescrivant une confiance aveugle. D'où je conclus que vous êtes le jouet d'un Esprit qui vous mystifie et abuse de votre bonne foi. Je vous engage à y faire sérieusement attention, parce que, si vous n'y prenez garde, il pourra vous jouer quelque tour de sa façon. »
Je ne sais si ce monsieur a profité de l'avertissement, car je ne l'ai jamais revu, non plus que son Esprit. Je n'en finirais pas si je racontais toutes les communications de ce genre qu'on est venu me soumettre, quelquefois très sérieusement, comme émanant des plus grands saints, de la vierge Marie, et même du Christ, et il était vraiment curieux de voir les turpitudes qui se débitaient sous ces noms vénérés ; il faut être aveugle pour se méprendre sur leur origine, alors que souvent un seul mot équivoque, une seule pensée contradictoire, suffisent pour faire découvrir la supercherie à quiconque se donne la peine de réfléchir. Comme exemples remarquables à l'appui, nous engageons nos lecteurs à vouloir bien se reporter aux articles publiés dans les n° de la Revue spirite des mois de juillet et d'octobre 1858.
Revue spirite 1860

Manifestations physiques spontanées

Le Boulanger de Dieppe

Plusieurs journaux, et entre autres l'Opinion nationale du 14 février dernier, et le Journal de Rouen du 12 du même mois, rapportent le fait suivant, d'après la Vigie de Dieppe. Voici l'article du Journal de Rouen :
« La Vigie de Dieppe contient la lettre suivante, que lui adresse son correspondant des Grandes-Ventes. Nous avons déjà signalé, dans notre numéro de vendredi, une partie des faits relatés aujourd'hui dans ce journal ; mais l'émotion excitée dans la commune par ces événements extraordinaires nous engage à donner les nouveaux détails contenus dans cette correspondance.
« Nous nous rions aujourd'hui des histoires plus ou moins fantastiques du bon vieux temps, et, de nos jours, les prétendus sorciers ne sont pas précisément en bien grande vénération. On n'y croit pas plus aux Grandes-Ventes qu'ailleurs ; mais, cependant, nos vieux préjugés populaires ont encore quelques adeptes parmi nos bons villageois, et la scène vraiment extraordinaire dont nous venons d'être témoin est bien faite pour fortifier leur croyance superstitieuse.
« Hier matin, M. Goubert, un des boulangers de notre bourg, son père, qui lui sert d'ouvrier, et un jeune apprenti de seize à dix-sept ans, allaient commencer leur travail ordinaire, quand ils s'aperçurent que plusieurs objets quittaient spontanément la place qui leur est assignée pour s'élancer dans le pétrin. C'est ainsi qu'ils eurent à débarrasser successivement la farine qu'ils travaillaient de plusieurs morceaux de charbon, de deux poids de différente grosseur, d'une pipe et d'une chandelle. Malgré leur extrême surprise, ils continuèrent leur besogne, et ils en étaient arrivés à tourner leur pain, quand tout à coup un morceau de pâte de deux kilogrammes, s'échappant des mains du jeune mitron, s'élança à une distance de plusieurs mètres. Ce fut là le prélude et comme le signal du plus étrange désordre. Il était alors neuf heures environ, et, jusqu'à midi, il fut positivement impossible de rester dans le four et dans la cave attenante. Tout fut bouleversé, renversé et brisé ; le pain, lancé au milieu de l'atelier avec les planches qui le soutenaient, parmi les débris de toutes sortes, fut complètement perdu ; plus de trente bouteilles pleines de vin se cassèrent successivement, et, pendant que le treuil de la citerne tournait seul avec une vitesse extrême, les braisières, les pelles, les tréteaux et les poids sautaient en l'air et exécutaient des évolutions du plus diabolique effet.
« Vers midi, le vacarme cessa peu à peu, et quelques heures après, quand tout fut rentré dans l'ordre et les ustensiles replacés, le chef de la maison put reprendre ses travaux habituels.
« Ce bizarre événement a causé à M. Goubert une perte de 100 fr. au moins. »
A ce même récit, l'Opinion nationale ajoute les réflexions suivantes :
« Ce serait faire injure à nos lecteurs, en reproduisant cette singulière pièce, que de les inviter à se tenir en garde contre les faits surnaturels qu'elle relate. Voilà, nous le savons parfaitement, une histoire qui n'est pas de notre époque, et qui pourra bien scandaliser plus d'un des doctes lecteurs de la Vigie ; mais, tout invraisemblable qu'elle paraît, elle n'en est pas moins vraie, et cent personnes pourraient, au besoin, en certifier l'exactitude. »
Nous avouons ne pas trop comprendre les réflexions du journaliste qui nous semble se contredire ; d'un côté, il dit à ses lecteurs de se tenir en garde contre les faits surnaturels que cette lettre relate, et il termine en disant que « tout invraisemblable que paraisse cette histoire, elle n'en est pas moins vraie, et que cent personnes pourraient, au besoin, la certifier. » De deux choses l'une, ou elle est vraie, ou elle est fausse ; si elle est fausse, tout est dit ; mais si elle est vraie, comme l'atteste l'Opinion nationale, le fait révèle une chose assez grave pour mériter d'être traitée un peu moins légèrement. Mettons de côté la question des Esprits, et n'y voyons qu'un phénomène physique ; n'est-il pas assez extraordinaire pour mériter l'attention des observateurs sérieux ? Que les savants se mettent donc à l'œuvre, et, fouillant dans les archives de la science, nous en donnent une explication rationnelle, irréfutable, rendant raison de toutes les circonstances. S'ils ne le peuvent pas, il faut bien convenir qu'ils ne connaissent pas tous les secrets de la nature ; et si la science spirite donne seule cette solution, il faudra bien opter entre la théorie qui explique et celle qui n'explique rien.
Lorsque des faits de cette nature sont rapportés, notre premier soin est, avant même de nous enquérir de la réalité, d'examiner s'ils sont ou non possibles, d'après ce que nous connaissons de la théorie des manifestations spirites. Nous en avons cité dont nous avons démontré l'impossibilité absolue, notamment l'histoire que nous avons racontée dans notre numéro de février 1859, d'après le Journal des Débats, sous le titre de : Mon ami Hermann, et à laquelle certains points de la doctrine spirite auraient pu donner une apparence de probabilité. A ce point de vue, les phénomènes qui se sont passés chez le boulanger des environs de Dieppe n'ont rien de plus extraordinaire que beaucoup d'autres qui sont parfaitement avérés et dont la science spirite donne la solution complète. Donc, à nos yeux, si le fait n'était pas vrai, il était possible. Nous avons prié un de nos correspondants de Dieppe, en qui nous avons toute confiance, de vouloir bien s'enquérir de la réalité. Voici ce qu'il nous répond :
« Je puis aujourd'hui vous donner tous les renseignements que vous désirez, m'étant informé à bonne source. Le récit fait dans la Vigie est l'exacte vérité ; inutile d'en relater tous les faits. Il paraît que plusieurs hommes de science sont venus d'assez loin pour se rendre compte de ces faits extraordinaires qu'ils n'auront pu expliquer s'ils n'ont aucune notion de la science spirite. Quant aux gens de nos campagnes, ils sont interdits ; les uns disent : Ce sont des sorciers ; les autres : c'est parce que le cimetière a été changé de place et qu'on a bâti dessus ; et les plus malins, ceux qui passent parmi les leurs pour tout connaître, surtout s'ils ont été militaires, finissent par dire : Ma foi ! je ne sais pas trop comment cela peut arriver. Inutile de vous dire qu'on ne manque pas de faire dans tout cela une large part au diable. Pour faire comprendre aux gens du peuple tous ces phénomènes, il faudrait entreprendre de les initier à la science spirite vraie ; ce serait le seul moyen de déraciner parmi eux la croyance aux sorciers et toutes les idées superstitieuses qui seront longtemps encore le plus grand obstacle à leur moralisation. »
Nous terminerons par une dernière remarque.
Nous avons entendu des personnes dire qu'elles ne voudraient pas s'occuper de Spiritisme dans la crainte d'attirer les Esprits, et de provoquer des manifestations du genre de celle que nous venons de rapporter.
Nous ne connaissons pas le boulanger Goubert, mais nous croyons pouvoir affirmer que ni lui, ni son fils, ni son mitron ne se sont jamais occupés des Esprits. Il est même à remarquer que les manifestations spontanées se produisent de préférence chez les personnes qui n'ont aucune idée du Spiritisme, preuve évidente que les Esprits viennent sans être appelés ; nous disons plus, c'est que la connaissance éclairée de cette science est le meilleur moyen de se préserver des Esprits importuns, parce qu'elle indique la seule manière rationnelle de les écarter.
Notre correspondant est parfaitement dans le vrai en disant que le Spiritisme est un remède contre la superstition. N'est-ce pas, en effet, une idée superstitieuse de croire que ces phénomènes étranges sont dus au déplacement du cimetière ? La superstition ne consiste pas dans la croyance à un fait, quand le fait est avéré ; mais dans la cause irrationnelle attribuée à ce fait. Elle est surtout dans la croyance à de prétendus moyens de divination, à l'effet de certaines pratiques, à la vertu des talismans, aux jours et heures cabalistiques, etc., toutes choses dont le Spiritisme démontre l'absurdité et le ridicule.
Revue spirite 1860

Superstition

On lit dans le Siècle du 6 avril 1860 :
« Le sieur Félix N…, jardinier des environs d'Orléans, passait pour avoir le talent de faire exempter les conscrits du tirage, c'est-à-dire de leur faire avoir un bon numéro. Il promit au sieur Frédéric Vincent P…, jeune vigneron de St-Jean-de-Braye, de lui faire avoir le numéro qu'il voudrait, moyennant 60 fr. dont 30 payés d'avance, et 30 après le tirage. Le secret consistait à dire trois Pater et trois Ave pendant neuf jours. En outre, le sorcier affirma que, grâce à ce qu'il ferait de son côté, ça travaillerait peut-être bien le conscrit, et l'empêcherait de dormir pendant la dernière nuit, mais qu'il serait exempt. Malheureusement le charme n'opéra pas ; le conscrit dormit comme d'habitude et amena le numéro 31 qui en fait un soldat. Ces faits renouvelés deux fois encore n'ont pu être tenus secrets, et ont amené le sorcier Félix N… devant la justice. »
Les adversaires du Spiritisme l'accusent de réveiller les idées superstitieuses ; mais qu'y a-t-il de commun entre la doctrine qui enseigne l'existence du monde invisible, communiquant avec le monde visible, et des faits de la nature de celui que nous rapportons, qui sont les vrais types de la superstition ? Où a-t-on vu que le Spiritisme ait jamais enseigné de pareilles absurdités ? Si ceux qui l'attaquent sous ce rapport s'étaient donnés la peine de l'étudier avant de le juger si légèrement, ils sauraient que, non seulement il condamne toutes les pratiques divinatoires, mais qu'il en démontre la nullité. Donc, comme nous l'avons dit bien souvent, l'étude sérieuse du Spiritisme tend à détruire les croyances vraiment superstitieuses. Dans la plupart des croyances populaires, il y a presque toujours un fond de vérité, mais dénaturé, amplifié ; ce sont les accessoires, les fausses applications qui constituent, à proprement parler, la superstition. C'est ainsi que les contes de fées et de génies reposent sur l'existence d'Esprits bons ou mauvais, protecteurs ou malveillants ; que toutes les histoires de revenants ont leur source dans le phénomène très réel des manifestations Spirites, visibles et même tangibles ; ce phénomène, aujourd'hui parfaitement avéré et expliqué, rentre dans la catégorie des phénomènes naturels qui sont une conséquence des lois éternelles de la création. Mais l'homme rarement se contente du vrai qui lui paraît trop simple ; il l'affuble de toutes les chimères créées par son imagination, et c'est alors qu'il tombe dans l'absurde. Puis viennent ceux qui ont intérêt à exploiter ces mêmes croyances auxquelles ils ajoutent un prestige fantastique propre à servir leurs vues ; de là cette tourbe de devins, de sorciers, de diseurs de bonne aventure, contre lesquels la loi sévit avec justice. Le Spiritisme vrai, rationnel, n'est donc pas plus responsable de l'abus que l'on en peut faire, que la médecine ne l'est des ridicules formules et pratiques employées par des charlatans ou des ignorants. Encore une fois, avant de le juger, donnez-vous la peine de l'étudier.
On conçoit le fond de vérité de certaines croyances, mais on demandera peut-être sur quoi peut reposer celle qui a donné lieu au fait ci-dessus, croyance très répandue dans nos campagnes, comme on le sait. Elle nous paraît d'abord avoir son principe dans le sentiment intuitif des êtres invisibles auxquels on est porté à attribuer une puissance que souvent ils n'ont pas. L'existence des Esprits trompeurs qui pullulent autour de nous, par suite de l'infériorité de notre globe, comme les insectes nuisibles dans un marais, et qui s'amusent aux dépens des gens crédules en leur prédisant un avenir chimérique, toujours propre à flatter leurs goûts et leurs désirs, est un fait dont nous avons tous les jours la preuve par nos médiums actuels ; ce qui se passe sous nos yeux a eu lieu à toutes les époques par les moyens de communication en usage selon les temps et les lieux, voilà la réalité. Le charlatanisme et la cupidité aidant, la réalité est passée à l'état de croyance superstitieuse.
Revue spirite 1861

Le Livre des Médiums

Cet ouvrage annoncé depuis longtemps, mais dont la publication a été retardée par son importance même, paraîtra du 5 au 10 janvier chez MM. Didier et Cie, libraires-éditeurs, quai des Augustins, n° 35 . Il forme le complément du Livre des Esprits et renferme la partie expérimentale du Spiritisme, comme le premier en contient la partie philosophique.
Nous avons cherché, dans ce travail, fruit d'une longue expérience et de laborieuses études, à éclairer toutes les questions qui se rattachent à la pratique des manifestations ; il contient, d'après les Esprits, l'explication théorique des divers phénomènes et des conditions dans lesquelles ils peuvent se produire ; mais la partie concernant le développement et l'exercice de la médiumnité a surtout été de notre part l'objet d'une attention toute spéciale.
Le Spiritisme expérimental est entouré de beaucoup plus de difficultés qu'on ne le croit généralement, et les écueils qu'on y rencontre sont nombreux : c'est ce qui cause tant de déceptions chez ceux qui s'en occupent sans avoir l'expérience et les connaissances nécessaires. Notre but a été de prémunir contre ces écueils qui ne sont pas toujours sans inconvénients pour quiconque s'aventure avec imprudence sur ce terrain nouveau. Nous ne pouvions négliger un point si capital, et nous l'avons traité avec un soin égal à son importance.
Les inconvénients naissent presque toujours de la légèreté avec laquelle on traite une aussi grave question. Les Esprits, quels qu'ils soient, sont les âmes de ceux qui ont vécu, et au milieu desquelles nous serons infailliblement d'un instant à l'autre ; toutes les manifestations Spirites, intelligentes ou autres, ont donc pour objet de nous mettre en rapport avec ces mêmes âmes ; si nous respectons leurs restes mortels, à plus forte raison devons-nous respecter l'être intelligent qui survit et qui en est la véritable individualité ; se faire un jeu des manifestations, c'est manquer à ce respect que nous réclamerons peut-être pour nous-mêmes demain, et que l'on ne viole jamais impunément.
Le premier moment de la curiosité causée par ces phénomènes étranges est passé ; aujourd'hui qu'on en connaît la source, gardons-nous de la profaner par des plaisanteries déplacées, et efforçons-nous d'y puiser l'enseignement propre à assurer notre bonheur à venir ; le champ est assez vaste, et le but assez important, pour captiver toute notre attention. C'est à faire entrer le Spiritisme dans cette voie sérieuse que tous nos efforts ont tendu jusqu'à ce jour ; si ce nouvel ouvrage, en le faisant mieux connaître encore, peut contribuer à l'empêcher de dévier de sa destination providentielle, nous serons largement payé de nos soins et de nos veilles.
Ce travail, nous ne nous le dissimulons pas, soulèvera plus d'une critique de la part de ceux que gène la sévérité des principes, et de ceux qui, voyant la chose à un autre point de vue, nous accusent déjà de vouloir faire école dans le Spiritisme. Si c'est faire école que de chercher dans cette science un but utile et profitable pour l'humanité, nous aurions lieu d'être flatté de ce reproche ; mais une telle école n'a pas besoin d'autre chef que le bon sens des masses et la sagesse des bons Esprits, qui l'eussent créée sans nous ; c'est pourquoi nous déclinons l'honneur de l'avoir fondée, heureux nous-même de nous ranger sous sa bannière, et n'aspirant qu'au modeste titre de propagateur ; s'il lui faut un nom, nous inscrirons sur son frontispice : Ecole du Spiritisme moral et philosophique, et nous y convions tous ceux qui ont besoin d'espérances et de consolations.
ALLAN KARDEC.

Revue spirite 1861

L'Esprit frappeur de l'Aube

Un de nos abonnés nous transmet des détails fort intéressants sur des faits de manifestation qui se sont passés, et se passent encore en ce moment, dans une localité du département de l'Aube, dont nous tairons le nom, attendu que la personne chez qui ces phénomènes ont lieu ne se soucie nullement d'être assaillie par la visite des nombreux curieux qui ne manqueraient pas de se porter chez elle : ces manifestations bruyantes lui ayant déjà attiré plus d'un désagrément ; du reste, notre correspondant nous rapporte les faits comme témoin oculaire, et nous le connaissons assez pour savoir qu'il mérite toute confiance. Nous extrayons les passages les plus intéressants de sa relation :
« Il y a quatre ans (en 1856), il se passa chez M. R…, de la ville que j'habite, des faits de manifestation qui rappellent, jusqu'à un certain point, ceux de Bergzabern ; je ne connaissais pas alors ce monsieur, et ce n'est que plus tard que je fus en rapport avec lui, de sorte que c'est par ouï-dire que j'appris ce qui se passa à cette époque. Les manifestations ayant cessé depuis longtemps, M. R… s'en croyait débarrassé, mais depuis peu elles ont recommencé comme autrefois, et j'ai pu en être témoin pendant plusieurs jours de suite ; je vous raconterai donc ce que j'ai vu de mes propres yeux.
« La personne qui est l'objet de ces manifestations est le fils de M. R…, âgé de seize ans, et qui n'en avait par conséquent que douze lorsqu'elles se produisirent pour la première fois. C'est un garçon d'une intelligence excessivement bornée, qui ne sait ni lire ni écrire, et sort très rarement de la maison. Quant aux manifestations qui ont eu lieu en ma présence, à l'exception du balancement du lit et de la suspension magnétique, l'Esprit imita à peu près en tout celui de Bergzabern ; les coups, les grattements furent les mêmes ; il sifflait, imitait le bruit de la lime et de la scie, et lança à travers la chambre des morceaux de charbon qui vinrent on ne sait d'où, car il n'y en avait pas dans la pièce où nous étions. Les phénomènes se produisent généralement dès que l'enfant est couché et commence à s'endormir. Pendant son sommeil il parle à l'Esprit avec autorité, et prend le ton du commandement d'un officier supérieur à s'y méprendre, quoiqu'il n'ait jamais assisté à aucun exercice militaire ; il simule un combat, commande la manœuvre, remporte la victoire, et se croit nommé général sur le champ de bataille. Quand il ordonne à l'Esprit de frapper un certain nombre de coups, il arrive quelquefois que celui-ci en frappe plus qu'il n'en a demandé ; l'enfant lui dit alors : Comment vas-tu faire pour ôter ceux que tu as frappés de trop ? Alors l'Esprit se met à gratter, comme s'il effaçait. Quand l'enfant commande il est dans une grande agitation, et crie parfois si fort que sa voix s'éteint dans une espèce de râle. Au commandement l'Esprit bat toutes les marches françaises et étrangères, même celles des Chinois ; je n'ai pu en vérifier l'exactitude, ne les connaissant pas ; mais il est souvent arrivé à l'enfant de dire : Ce n'est pas ça, recommencez ; et l'Esprit obéissait. Je dois vous dire en passant que pendant son sommeil l'enfant est très grossier en commandant.
« Un soir que j'assistais à une de ces scènes, il y avait déjà cinq heures que le fils R… était dans une grande agitation ; j'essayai de le calmer par quelques passes magnétiques, mais aussitôt il devint furieux et bouleversa son lit. Le lendemain il se coucha à mon arrivée, et comme d'habitude s'endormit au bout de quelques minutes ; alors les coups et les grattements commencèrent ; tout à coup il dit à l'Esprit : Mets-toi là, je vais t'endormir ; et à notre grande surprise il le magnétisa, et cela malgré la résistance de l'Esprit qui paraissait s'y refuser, à ce que je crus comprendre d'après la conversation qu'ils avaient ensemble ; puis il le réveilla en le dégageant comme aurait pu le faire un magnétiseur exercé. Je m'aperçus alors qu'il semblait ramasser son fluide en un tas, puis il me le lança en m'apostrophant et en m'injuriant. Quand il se réveille, il n'a aucun souvenir de ce qui s'est passé.
« Les faits, loin de se calmer, s'aggravent chaque jour d'une manière affligeante par l'exaspération de l'Esprit, qui craint sans doute de perdre l'empire qu'il a pris sur ce jeune homme ; j'ai voulu lui demander son nom et ses antécédents, mais je n'ai obtenu que mensonges et blasphèmes. Je dois dire ici que quand il parle, c'est par la bouche du jeune homme, qui lui sert de médium parlant. J'ai vainement cherché à le ramener à de meilleurs sentiments par de bonnes paroles ; il me répond que la prière ne peut rien sur lui ; qu'il a essayé de monter vers Dieu, mais qu'il n'a trouvé que glaces et brouillards ; alors il me traite de bigot, et quand je prie mentalement, je remarque toujours qu'il devient furieux et frappe à coups redoublés. Tous les jours il apporte des objets assez volumineux, du fer, du cuivre, etc. Quand je lui demande où il va les chercher, il répond qu'il les prend à des gens qui ne sont pas honnêtes. Si je lui fais de la morale, il se met en fureur. Un soir il me dit que tant que je viendrais il casserait tout, et qu'il ne s'en irait pas avant Pâques, puis il me cracha au visage. Lui ayant demandé pourquoi il s'attachait ainsi au fils R…, il répondit : Si ce n'était pas lui, ce serait un autre. Le père lui-même n'est pas exempt des atteintes de cet Esprit malfaisant ; souvent il est arrêté dans son travail, parce qu'il est frappé, tiré par ses habits en tous sens, et même piqué jusqu'au sang.
« J'ai fait ce que j'ai pu, mais je suis à bout de ressources ; j'ajoute qu'il est d'autant plus difficile d'obtenir de bons résultats, que M. et Mme R…, malgré leur désir d'en être délivré, car il a été cause pour eux d'un véritable préjudice, étant obligés de travailler pour vivre, ne me secondent pas, leur foi en Dieu n'ayant pas une grande consistance. »
Nous avons omis une foule de détails qui ne feraient que corroborer ceux que nous avons rapportés ; toutefois nous en avons dit assez pour montrer qu'on peut dire de cet Esprit, comme de certains malfaiteurs, qu'il est de la pire espèce.
Dans la séance de la Société, du 9 novembre dernier, les questions suivantes furent adressées à saint Louis à ce sujet :
1. Auriez-vous la bonté de nous dire quelque chose sur l'Esprit qui obsède le jeune R… ? - R. L'intelligence de ce jeune homme est des plus faibles, et quand l'Esprit s'empare de lui, il est alors dans une hallucination complète, d'autant mieux que son corps est plongé dans le sommeil. La raison ne peut donc rien sur son cerveau, et alors il est livré à l'obsession de cet Esprit turbulent.
2. Un Esprit relativement supérieur peut-il exercer sur un autre Esprit une action magnétique et paralyser ses facultés ? - R. Un bon Esprit ne peut quelque chose sur un autre que moralement, mais non physiquement. Pour paralyser par le fluide magnétique, il faut agir sur la matière, et l'Esprit n'est pas une matière semblable à un corps humain.
3. Comment se fait-il alors que le jeune R… prétende magnétiser l'Esprit et l'endormir ? - R. Il le croit, et l'Esprit se prête à l'illusion.
4. Le père désire savoir s'il n'y aurait pas moyen de se débarrasser de cet hôte importun, et si son fils sera encore longtemps soumis à cette épreuve ? - R. Quand ce jeune homme est réveillé, il faudrait, avec lui, évoquer de bons Esprits, afin de le mettre en rapport avec eux, et, par ce moyen, écarter les mauvais qui l'obsèdent pendant son sommeil.
5. Pourrions-nous agir d'ici en évoquant, par exemple, cet Esprit pour le moraliser, ou peut-être l'Esprit même du jeune homme ? - R. Ce n'est guère possible à présent : ils sont tous deux trop matériels ; il faut agir directement sur le corps de l'être vivant, par la présence des bons Esprits qui viendront vers lui.
6. Nous ne comprenons pas bien cette réponse. - R. Je dis qu'il faut appeler le concours de bons Esprits qui pourront rendre le jeune homme moins accessible aux impressions du mauvais Esprit.
7. Que pouvons-nous faire pour lui ? - R. Le mauvais Esprit qui l'obsède ne s'en ira pas facilement, n'étant fortement repoussé par personne. Vos prières, vos évocations sont une arme faible contre lui ; il faudrait agir directement et matériellement sur le sujet qu'il tourmente. Vous pouvez prier, car la prière est toujours bonne ; mais vous n'arriverez pas par vous-mêmes, si vous n'êtes secondés par ceux qui y sont le plus intéressés, c'est-à-dire par le père et la mère ; malheureusement, ils n'ont pas cette foi en Dieu qui centuple les forces, et Dieu n'écoute pas ceux qui ne s'adressent pas à lui avec confiance. Ils ne peuvent donc se plaindre d'un mal qu'ils ne font rien pour éviter.
8. Comment concilier la sujétion de ce jeune homme sous l'empire de cet Esprit, avec l'autorité qu'il exerce sur lui, puisqu'il commande et que l'Esprit obéit ? - R. L'esprit de ce jeune homme est peu avancé moralement, mais il l'est plus qu'on ne le croit en intelligence. Dans d'autres existences il a abusé de son intelligence qui n'était pas dirigée vers un but moral, mais, au contraire, par des vues ambitieuses ; il est maintenant en punition dans un corps qui ne lui permet pas de donner un libre cours à son intelligence, et le mauvais Esprit profite de sa faiblesse ; il se laisse commander pour des choses sans conséquence, parce qu'il le sait incapable de lui ordonner des choses sérieuses : il l'amuse. La terre fourmille d'Esprits qui sont en punition dans des corps humains, c'est pourquoi il y a tant de maux de toutes sortes.
Remarque. L'observation vient à l'appui de cette explication. Pendant son sommeil, l'enfant montre une intelligence incontestablement supérieure à celle de l'état normal, ce qui prouve un développement antérieur, mais réduit à l'état latent sous cette enveloppe grossière ; ce n'est que dans les moments d'émancipation de l'âme, dans ceux où elle ne subit plus autant l'influence de la matière, que son intelligence se déploie, et c'est aussi le moment où il exerce une espèce d'autorité sur l'être qui le subjugue ; mais rendu à l'état de veille, ses facultés s'annihilent sous l'enveloppe matérielle qui la comprime. N'est-ce pas là un enseignement moral pratique ?
On témoigne le désir d'évoquer cet Esprit, mais aucun des médiums présents ne se soucie de lui servir d'interprète. Mlle Eugénie, qui avait aussi montré de la répugnance, saisit tout à coup le crayon par un mouvement involontaire, et écrivit :
1. Tu ne veux pas ? Eh bien ! tu écriras. Oh ! tu crois que je ne te dompterai pas ; si fait. Me voici ; mais tu ne t'effraies guère ; je te ferai voir mes forces.
Nota. Ici l'Esprit fait frapper au médium un grand coup de poing sur la table, et casse plusieurs crayons.
2. Puisque vous êtes ici, dites-nous pour quelle raison vous vous êtes attaché au fils de M. R… ? - R. Il faudrait, je crois, vous faire des confidences ! D'abord, sachez que j'ai un besoin très grand de tourmenter quelqu'un.
Un médium qui serait raisonnable me repousserait ; je m'attache à un idiot qui ne m'oppose aucune résistance.
3. Nota. Quelqu'un fait la réflexion que, malgré cet acte de lâcheté, cet Esprit ne manque pas d'intelligence. Il répond sans qu'il lui soit adressé de question directe :
Un peu ; je ne suis pas si bête que vous croyez.
4. Qu'étiez-vous de votre vivant ? - R. Pas grand chose ; un homme qui a fait plus de mal que de bien, et qui est d'autant plus puni.
5. Puisque vous êtes puni pour avoir fait du mal, vous devriez comprendre la nécessité de faire du bien. Est-ce que vous ne voulez pas chercher à vous améliorer ? - R. Si vous vouliez m'aider, je perdrais moins de temps.
6. Nous ne demandons pas mieux, mais il faut que vous en ayez la volonté ; priez avec nous, cela vous aidera. - R. (Ici l'Esprit fait une réponse blasphématoire).
7. Assez ! nous ne voulons pas en entendre davantage ; nous espérions éveiller en vous quelques bons sentiments, c'est dans ce but que nous vous avons appelé ; mais puisque vous ne répondez à notre bienveillance que par de vilaines paroles, vous pouvez vous retirer. - R. Ah ! là s'arrête votre charité ! parce j'ai pu un peu résister, je vois que cette charité s'arrête court : c'est que vous ne valez pas mieux. Oui, vous pourriez me moraliser mieux que vous ne pensez si vous saviez vous y prendre ; d'abord dans l'intérêt de l'idiot qui en souffre, du père qui ne s'en effraie que trop, puis du mien si cela vous plaît.
8. Dites-nous votre nom, afin que nous puissions désigner. - R. Oh ! mon nom vous importe peu ; appelez-moi si vous voulez l'Esprit du jeune idiot.
9. Si nous avons voulu vous faire cesser, c'est parce que vous avez dit une parole sacrilège. - R. Ah ! ah ! monsieur a été choqué ! Pour savoir ce qu'il y a dans la boue, il faut la remuer.
10. Quelqu'un dit : Cette figure est digne de l'Esprit : elle est ignoble. - R. Vous voulez du poétique, jeune homme ? en voici : Pour connaître l'odeur de la rose il faut la sentir.
11. Puisque vous avez dit que nous pouvions vous aider à vous améliorer, un de ces messieurs s'offre de vous instruire ; voulez-vous aller avec lui quand il vous évoquera ? - R. Il faut d'abord que je voie s'il me convient. (Après quelques instants de réflexion il ajoute :) Oui, j'irai.
12. Pourquoi le fils de M. R… se mettait-il en fureur quand M. L… voulait le magnétiser ? - R. Ce n'est pas lui qui était en colère, c'était moi.
13. Pourquoi cela ? - R. Je n'ai aucun pouvoir sur cet homme qui m'est supérieur, c'est pourquoi je ne puis le sentir. Il veut m'arracher celui que je tiens sous ma dépendance, et c'est ce que je ne veux pas.
14. Vous devez voir autour de vous des Esprits qui sont plus heureux que vous ; savez-vous pourquoi ? - R. Oui, je le sais ; ils sont meilleurs que moi.
15. Comprenez-vous alors que si, au lieu de faire le mal, vous faisiez le bien, vous seriez heureux comme eux ? - R. Je ne demanderais pas mieux ; mais c'est difficile de faire le bien.
16. C'est peut-être difficile pour vous, mais ce n'est pas impossible. Comprenez-vous que la prière peut avoir une grande influence pour votre amélioration ? - R. Je ne dis pas non ; j'y réfléchirai. Appelez-moi quelquefois.
Remarque. Cet Esprit, comme on le voit, n'a pas démenti son caractère ; cependant il s'est montré moins récalcitrant sur la fin, ce qui prouve qu'il n'est pas tout à fait inaccessible au raisonnement. Il y a donc chez lui de la ressource, mais il faudrait pour le dominer entièrement un concours de volontés qui n'existe pas. Ceci doit être un enseignement pour les personnes qui pourraient se trouver dans un cas analogue.
Cet Esprit est sans doute très mauvais, et appartient au bas-fond du monde Spirite ; mais on peut dire qu'il est brutalement mauvais, et chez de pareils êtres il y a plus de ressources que chez ceux qui sont hypocrites ; ils sont à coup sûr beaucoup moins dangereux que les Esprits fascinateurs qui, à l'aide d'une certaine dose d'intelligence et d'un faux semblant de vertu, savent inspirer à certaines personnes une aveugle confiance dans leurs paroles ; confiance dont tôt ou tard elles sont victimes, car ces Esprits n'agissent jamais en vue du bien : ils ont toujours une arrière-pensée. Le Livre des Médiums aura pour résultat, nous l'espérons, de mettre en garde contre leurs suggestions, ce dont, assurément, ils ne nous sauront pas bon gré ; mais, comme on le pense bien, nous nous inquiétons tout aussi peu de leur mauvais vouloir, que de celui des Esprits incarnés qu'ils exciteront contre nous. Les mauvais Esprits, pas plus que les hommes, ne voient avec plaisir ceux qui, en démasquant leurs turpitudes, leur ôtent les moyens de nuire.

Revue spirite 1862

Épidémie démoniaque en Savoie

Les journaux ont parlé, il y a quelque temps, d'une monomanie épidémique qui s'est déclarée dans une partie de la Haute-Savoie, et contre laquelle ont échoué tous les secours de la médecine et de la religion. Le seul moyen qui ait produit des résultats un peu satisfaisants, c'est la dispersion des individus dans différentes villes. Nous recevons à ce sujet la lettre suivante du capitaine B…, membre de la Société spirite de Paris, en ce moment à Annecy.
Annecy, 7 mars 1862.
« Monsieur le président,
« Pensant me rendre utile à la Société, j'ai l'honneur de vous envoyer une brochure que m'a remise un de mes amis, M. le docteur Caille, chargé par le ministre de suivre l'enquête faite par M. Constant, inspecteur des maisons d'aliénés, sur les cas très nombreux de démonomanie observés dans la commune de Morzines, arrondissement de Thonon (Haute-Savoie). Cette malheureuse population est encore aujourd'hui sous l'influence de l'obsession, malgré les exorcismes, les traitements médicaux, les mesures prises par l'autorité, l'internement dans les hôpitaux du département ; les cas ont un peu diminué, mais non cessé, et le mal existe pour ainsi dire à l'état latent. Le curé, voulant exorciser ces malheureux, pour la plupart enfants, les avait fait amener à l'église, conduits par des hommes vigoureux. A peine avait-il prononcé les premières paroles latines, qu'une scène épouvantable se produisit : cris, bonds furieux, convulsions, etc., à tel point qu'on dut envoyer quérir la gendarmerie et une compagnie d'infanterie pour mettre le bon ordre.
« Je n'ai pu me procurer tous les renseignements que je voudrais pouvoir vous donner dès aujourd'hui, mais ces faits me semblent assez graves pour mériter votre examen. M. le docteur aliéniste Arthaud, de Lyon, a lu un rapport à la Société médicale de cette ville, rapport qui est imprimé dans la Gazette médicale de Lyon, et que vous pourrez vous procurer par votre correspondant. Nous avons, dans l'hôpital de cette ville, deux femmes de Morzines qui sont en traitement. M. le docteur Caille conclut à une affection nerveuse épidémique qui échappe à toute espèce de traitement et d'exorcisme ; l'isolement seul a produit de bons résultats. Tous ces malheureux obsédés prononcent dans leurs crises des paroles ordurières ; ils font des bonds prodigieux par-dessus les tables, grimpent sur les arbres, sur les toits, et prophétisent quelquefois.
« Si ces faits se sont présentés au seizième et au dix-septième siècle, dans les couvents et dans les pays de labour, il n'en est pas moins vrai que dans notre dix-neuvième siècle ils nous offrent, à nous Spirites, un sujet d'étude au point de vue de l'obsession épidémique, se généralisant et persistant pendant des années, puisqu'il y a près de cinq ans que le premier cas a été observé.
« J'aurai l'honneur de vous envoyer tous les documents et renseignements que je pourrai me procurer.
« Agréez, etc.                             « B… »
Les deux communications suivantes nous ont été données à ce sujet, dans la Société de Paris, par nos Esprits habituels.
« Ce ne sont pas des médecins, mais des magnétiseurs, des spiritualistes ou des spirites qu'il faudrait envoyer pour dissiper la légion des mauvais Esprits égarés dans votre planète. Je dis égarés, car ils ne feront que passer. Mais longtemps la malheureuse population, souillée par leur contact impur, souffrira dans son moral et dans son corps. Où est le remède ? demandez-vous. Il surgira du mal, car les hommes, effrayés par ces manifestations, accueilleront avec transport le contact bienfaisant des bons Esprits qui leur succéderont comme l'aube succède à la nuit. Cette pauvre population, ignorante de tout travail intellectuel, aurait méconnu les communications intelligentes des Esprits, ou plutôt ne les aurait pas même perçues. L'initiation et les maux qu'entraîne cette tourbe impure ouvrent les yeux fermés, et les désordres, les actes de démence, ne sont que le prélude de l'initiation, car tous doivent participer à la grande lumière spirite. Ne vous récriez pas sur la cruelle façon de procéder : tout a un but, et les souffrances doivent féconder comme font les orages qui détruisent la moisson d'un pays, tandis qu'ils fertilisent d'autres contrées.
GEORGES (Médium, madame Costel).
« Les cas de démonomanie qui se produisent aujourd'hui en Savoie se produisent également dans beaucoup d'autres contrées, notamment en Allemagne, mais plus principalement en Orient. Ce fait anomal est plus caractéristique que vous ne le pensez. En effet, il révèle pour l'observateur attentif une situation analogue à celle qui s'est manifestée dans les dernières années du paganisme. Personne n'ignore que lorsque Christ, notre maître bien-aimé, s'incarna en Judée sous les traits du charpentier Jésus, cette contrée avait été envahie par des légions de mauvais Esprits qui s'emparaient, par la possession, comme aujourd'hui, des classes sociales les plus ignorantes, des Esprits incarnés les plus faibles et les moins avancés, en un mot, des individus qui gardaient les troupeaux ou qui vaquaient aux occupations de la vie des champs. N'apercevez-vous pas une analogie très grande entre la reproduction de ces phénomènes identiques de possession ? Ah ! il y a là un enseignement bien profond ! et vous devez en conclure que les temps prédits approchent de plus en plus, et que le Fils de l'homme reviendra bientôt chasser de nouveau cette tourbe d'Esprits impurs qui se sont abattus sur la terre, et raviver la foi chrétienne en donnant sa haute et divine sanction aux révélations consolantes et aux enseignements régénérateurs du Spiritisme. Pour en revenir aux cas actuels de démonomanie, il faut se rappeler, que les savants, que les médecins du siècle d'Auguste traitèrent, suivant les procédés hippocratiques, les malheureux possédés de la Palestine, et que toute leur science se brisa devant cette puissance inconnue. Eh bien ! aujourd'hui encore, tous vos inspecteurs d'épidémies, tous vos aliénistes les plus distingués, savants docteurs en matérialisme pur, échoueront de même devant cette maladie toute morale, devant cette épidémie toute spirituelle. Mais qu'importe ! mes amis, vous que la grâce nouvelle a touchés, vous savez combien ces maux passagers sont guérissables par ceux qui ont la foi. Espérez donc, attendez avec confiance la venue de Celui qui a déjà racheté l'humanité ; l'heure est proche ; l'Esprit précurseur est incarné déjà ; à bientôt donc l'épanouissement complet de cette doctrine qui a pris pour devise : « Hors de la charité, pas de salut ! »
ÉRASTE (Médium, M. d'Ambel).
De ce qui précède, il faudrait conclure qu'il ne s'agit point ici d'une affection organique, mais bien d'une influence occulte. Nous avons d'autant moins de peine à le croire, que nous avons eu de nombreux cas identiques isolés dus à cette même cause ; et ce qui le prouve, c'est que les moyens enseignés par le Spiritisme ont suffi pour faire cesser l'obsession. Il est démontré par l'expérience que les Esprits malveillants agissent non seulement sur la pensée, mais aussi sur le corps, avec lequel ils s'identifient, et dont ils se servent comme si c'était le leur ; qu'ils provoquent des actes ridicules, des cris, des mouvements désordonnés ayant toutes les apparences de la folie ou de la monomanie. On en trouvera l'explication dans notre Livre des Médiums, au chapitre de l'Obsession, et dans un prochain article nous citerons plusieurs faits qui le démontrent d'une manière incontestable. C'est bien, en effet, une sorte de folie, puisqu'on peut donner ce nom à tout état anomal où l'esprit n'agit pas librement ; à ce point de vue, l'ivresse est une véritable folie accidentelle.
Il faut donc distinguer la folie pathologique de la folie obsessionnelle. La première est produite par un désordre dans les organes de la manifestation de la pensée. Remarquons que, dans cet état de choses, ce n'est pas l'Esprit qui est fou ; il conserve la plénitude de ses facultés, ainsi que le démontre l'observation ; seulement, l'instrument dont il se sert pour se manifester étant désorganisé, la pensée, ou plutôt l'expression de la pensée est incohérente.
Dans la folie obsessionnelle, il n'y a pas de lésion organique ; c'est l'Esprit lui-même qui est affecté par la subjugation d'un Esprit étranger qui le domine et le maîtrise. Dans le premier cas, il faut essayer de guérir l'organe malade ; dans le second, il suffit de délivrer l'Esprit malade d'un hôte importun, afin de lui rendre sa liberté. Les cas semblables sont très fréquents, et l'on a souvent pris pour de la folie ce qui n'était en réalité qu'une obsession, pour laquelle il fallait employer des moyens moraux et non des douches. Par les traitements physiques, et surtout par le contact des véritables aliénés, on a souvent déterminé une vraie folie là où elle n'existait pas.
Le Spiritisme, qui ouvre des horizons nouveaux à toutes les sciences, vient donc aussi éclairer la question si obscure des maladies mentales, en signalant une cause dont, jusqu'à ce jour, on n'avait tenu aucun compte ; cause réelle, évidente, prouvée par l'expérience, et dont on reconnaîtra plus tard la vérité. Mais comment faire admettre cette cause par ceux qui sont tout prêts à envoyer aux Petites-Maisons quiconque a la faiblesse de croire que nous avons une âme, que cette âme joue un rôle dans les fonctions vitales, qu'elle survit au corps et peut agir sur les vivants ? Dieu merci ! et pour le bien de l'humanité, les idées spirites font plus de progrès parmi les médecins qu'on ne pouvait l'espérer, et tout fait prévoir que, dans un avenir peu éloigné, la médecine sortira enfin de l'ornière matérialiste.
Les cas isolés d'obsession physique ou de subjugation étant avérés, on comprend que, semblable à une nuée de sauterelles, une troupe de mauvais Esprits peut s'abattre sur un certain nombre d'individus, s'en emparer et produire une sorte d'épidémie morale. L'ignorance, la faiblesse des facultés, le défaut de culture intellectuelle, leur donnent naturellement plus de prise ; c'est pourquoi ils sévissent de préférence sur certaines classes, quoique les personnes intelligentes et instruites n'en soient pas toujours exemptes. C'est probablement, comme le dit Éraste, une épidémie de ce genre qui régnait du temps du Christ, et dont il est si souvent parlé dans l'Évangile. Mais pourquoi sa parole seule suffisait-elle pour chasser ce que l'on appelait alors des démons ? Cela prouve que le mal ne pouvait être guéri que par une influence morale ; or, qui peut nier l'influence morale du Christ ? Cependant, dira-t-on, on a employé l'exorcisme, qui est un remède moral, et il n'a rien produit ? S'il n'a rien produit, c'est que le remède ne vaut rien, et qu'il en faut chercher un autre ; cela est évident. Étudiez le Spiritisme, et vous en comprendrez la raison. Le Spiritisme seul, en signalant la véritable cause du mal, peut donner les moyens de combattre les fléaux de cette nature. Mais quand nous disons de l'étudier, nous entendons qu'il faut le faire sérieusement, et non dans l'espoir d'y trouver une recette banale à l'usage du premier venu.
Ce qui arrive en Savoie, en appelant l'attention, hâtera probablement le moment où l'on reconnaîtra la part d'action du monde invisible dans les phénomènes de la nature ; une fois entrée dans cette voie, la science possédera la clef de bien des mystères, et verra s'abaisser la plus formidable barrière qui arrête le progrès : le matérialisme, qui rétrécit le cercle de l'observation, au lieu de l'élargir.
Revue spirite 1862

Etude sur les possédés de Morzines

Les causes de l'obsession et les moyens de la combattre

Les observations que nous avons faites sur l'épidémie qui a sévi et sévit encore sur la commune de Morzines, dans la Haute-Savoie, ne nous laissent aucun doute sur sa cause ; mais, pour appuyer notre opinion, il nous faut entrer dans quelques explications préliminaires qui feront mieux ressortir l'analogie de ce mal avec les cas analogues dont l'origine ne saurait être douteuse pour quiconque est familiarisé avec les phénomènes spirites et reconnaît l'action du monde invisible sur l'humanité. Il est nécessaire pour cela de remonter à la source même du phénomène et d'en suivre la gradation depuis les cas les plus simples, et d'expliquer en même temps la manière dont il s'opère ; nous en déduirons beaucoup mieux les moyens de combattre le mal. Quoique nous ayons déjà traité ce sujet dans le Livre des Médiums, au chapitre de l'obsession, et dans plusieurs articles de cette Revue, nous y ajouterons quelques considérations nouvelles qui rendront la chose plus facile à concevoir.
Le premier point dont il importe de se pénétrer, c'est de la nature des Esprits au point de vue moral. Les Esprits n'étant que les âmes des hommes, et les hommes n'étant pas tous bons, il n'est pas rationnel d'admettre que l'Esprit d'un homme pervers se transforme subitement, autrement il n'y aurait pas besoin de châtiment dans la vie future. L'expérience vient confirmer cette théorie ou, pour mieux dire, cette théorie est le fruit de l'expérience. Les rapports avec le monde invisible nous montrent, en effet, à côté des esprits sublimes de sagesse et de savoir, d'autres Esprits ignobles ayant encore tous les vices et toutes les passions de l'humanité. L'âme d'un homme de bien sera, après sa mort, un bon Esprit ; de même un bon Esprit en s'incarnant fera un homme de bien ; par la même raison un homme pervers, en mourant, donne au monde invisible un Esprit pervers, et un mauvais Esprit, en s'incarnant, ne peut faire un homme vertueux, et cela tant que l'Esprit ne se sera pas épuré ou n'aura pas éprouvé le désir de s'améliorer ; car, une fois entré dans la voie du progrès, il dépouille peu à peu ses mauvais instincts ; il s'élève graduellement dans la hiérarchie des Esprits, jusqu'à ce qu'il ait atteint la perfection accessible à tous, Dieu ne pouvant avoir créé des êtres voués au mal et au malheur pour l'éternité. Ainsi le monde visible et le monde invisible se déversent incessamment et alternativement l'un dans l'autre, si l'on peut s'exprimer ainsi, et s'alimentent mutuellement, ou, pour mieux dire, ces deux mondes n'en font en réalité qu'un seul, dans deux états différents. Cette considération est très importante pour comprendre la solidarité qui existe entre eux.
La terre étant un monde inférieur, c'est-à-dire peu avancé, il en résulte que l'immense majorité des Esprits qui le peuplent, soit à l'état errant, soit comme incarnés, doit se composer d'Esprits imparfaits qui produisent plus de mal que de bien ; de là la prédominance du mal sur la terre ; or, la Terre étant en même temps un monde d'expiation, c'est le contact du mal qui rend les hommes malheureux ; car si tous les hommes étaient bons, tous seraient heureux. C'est un état où n'est point encore arrivé notre globe, et c'est vers cet état que Dieu veut le conduire. Toutes les tribulations que les hommes de bien éprouvent ici-bas, soit de la part des hommes, soit de celle des Esprits, sont la conséquence de cet état d'infériorité. On pourrait dire que la Terre est le Botany-Bay des mondes : on y rencontre la sauvagerie primitive et la civilisation, la criminalité et l'expiation.
Il faut donc se représenter le monde invisible comme formant une population innombrable, compacte, pour ainsi dire, qui enveloppe la Terre et s'agite dans l'espace. C'est une sorte d'atmosphère morale dont les Esprits incarnés occupent les bas-fonds, et s'y agitent comme dans la vase. Or, de même que l'air des lieux bas est lourd et malsain, cet air moral est aussi malsain, car il est corrompu par les miasmes des Esprits impurs ; il faut pour y résister des tempéraments moraux doués d'une grande vigueur.
Disons, comme parenthèse, que cet état de choses est inhérent aux mondes inférieurs ; mais ces mondes suivent la loi du progrès, et quand ils ont atteint l'âge voulu, Dieu les assainit en en expulsant les Esprits imparfaits, qui ne s'y réincarnent plus et sont remplacés par des Esprits plus avancés, qui font régner entre eux le bonheur, la justice et la paix. C'est une révolution de ce genre qui se prépare en ce moment.
Examinons maintenant le mode réciproque d'action des Esprits incarnés et désincarnés.
Nous savons que les Esprits sont revêtus d'une enveloppe vaporeuse formant pour eux un véritable corps fluidique, auquel nous donnons le nom de périsprit, et dont les éléments sont puisés dans le fluide universel ou cosmique, principe de toutes choses. Lorsque l'Esprit s'unit à un corps, il y existe avec son périsprit, qui sert de lien entre l'Esprit proprement dit et la matière corporelle ; c'est l'intermédiaire des sensations perçues par l'Esprit. Mais ce périsprit n'est pas confiné dans le corps comme dans une boîte ; par sa nature fluidique, il rayonne au dehors et forme autour du corps une sorte d'atmosphère, comme la vapeur qui s'en dégage. Mais la vapeur qui se dégage d'un corps malsain est également malsaine, âcre et nauséabonde, ce qui infecte l'air des lieux où sont rassemblées beaucoup de personnes malsaines. De même que cette vapeur est imprégnée des qualités du corps, le périsprit est imprégné des qualités, c'est-à-dire de la pensée de l'Esprit, et fait rayonner ces qualités autour du corps.
Ici une autre parenthèse pour répondre immédiatement à une objection que quelques-uns opposent à la théorie que le Spiritisme donne de l'état de l'âme ; ils l'accusent de matérialiser l'âme, tandis que, selon la religion, l'âme est purement immatérielle. Cette objection, comme la plupart de celles qu'on fait, proviennent d'une étude incomplète et superficielle. Le Spiritisme n'a jamais défini la nature de l'âme, qui échappe à nos investigations ; il ne dit point que le périsprit constitue l'âme : le mot périsprit dit positivement le contraire, puisqu'il spécifie une enveloppe autour de l'Esprit. Que dit le Livre des Esprits à ce sujet ? « Il y a en l'homme trois choses : l'âme, ou Esprit, principe intelligent ; le corps, enveloppe matérielle ; le périsprit, enveloppe fluidique semi-matérielle, servant de lien entre l'Esprit et le corps. » De ce qu'à la mort du corps l'âme conserve l'enveloppe fluidique, ce n'est pas à dire que cette enveloppe et l'âme soient une seule et même chose, pas plus que le corps ne fait qu'un avec l'habit, pas plus que l'âme ne fait qu'un avec le corps. La doctrine spirite n'ôte donc rien à l'immatérialité de l'âme, seulement elle lui donne deux enveloppes au lieu d'une pendant la vie corporelle, et une après la mort du corps, ce qui est, non une hypothèse, mais un résultat d'observation, et à l'aide de cette enveloppe elle en fait mieux concevoir l'individualité et explique mieux son action sur la matière.
Revenons à notre sujet.
Le périsprit, par sa nature fluidique, est essentiellement mobile, élastique, si l'on peut s'exprimer ainsi ; comme agent direct de l'Esprit, il est mis en action et projette des rayons par la volonté de l'Esprit ; par ces rayons il sert à la transmission de la pensée, parce qu'il est en quelque sorte animé par la pensée de l'Esprit. Le périsprit étant le lien qui unit l'Esprit au corps, c'est par cet intermédiaire que l'Esprit transmet aux organes, non la vie végétative, mais les mouvements qui sont l'expression de sa volonté ; c'est aussi par cet intermédiaire que les sensations du corps sont transmises à l'Esprit. Le corps solide détruit par la mort, l'Esprit n'agit plus et ne perçoit plus que par son corps fluidique, ou périsprit, c'est pourquoi il agit plus facilement et perçoit mieux, le corps étant une entrave. Tout ceci est encore un résultat d'observation.
Supposons maintenant deux personnes près l'une de l'autre, enveloppées chacune de leur atmosphère périspritale,   qu'on nous passe encore ce néologisme.   Ces deux fluides vont se mettre en contact, se pénétrer l'un l'autre ; s'ils sont de nature antipathique, ils se repousseront, et les deux individus éprouveront une sorte de malaise à l'approche l'un de l'autre, sans s'en rendre compte ; sont-ils au contraire mus par un sentiment bon et bienveillant, ils porteront avec eux une pensée bienveillante qui attire. Telle est la cause pour laquelle deux personnes se comprennent et se devinent sans se parler. Un certain je ne sais quoi dit souvent que la personne qu'on a devant soi doit être animée de tel ou tel sentiment ; or, ce je ne sais quoi, c'est l'expansion du fluide périsprital de la personne en contact avec le nôtre, sorte de fil électrique, conducteur de la pensée. On comprend dès lors que les Esprits, dont l'enveloppe fluidique est bien plus libre qu'à l'état d'incarnation, n'ont plus besoin de sons articulés pour s'entendre.
Le fluide périsprital de l'incarné est donc mis en action par l'Esprit ; si, par sa volonté, l'Esprit darde pour ainsi dire des rayons sur un autre individu, ces rayons le pénètrent ; de là l'action magnétique plus ou moins puissante selon la volonté, plus ou moins bienfaisante selon que ces rayons sont d'une nature plus ou moins bonne, plus ou moins vivifiante ; car, par leur action, ils peuvent pénétrer les organes, et, dans certains cas, rétablir l'état normal. On sait quelle est l'influence des qualités morales chez le magnétiseur.
Ce que peut faire l'Esprit incarné en dardant son propre fluide sur un individu, un Esprit désincarné peut le faire également, puisqu'il a le même fluide, c'est-à-dire qu'il peut magnétiser, et, selon qu'il est bon ou mauvais, son action sera bienfaisante ou malfaisante.
On se rend compte facilement ainsi de la nature des impressions que l'on reçoit selon les milieux où l'on se trouve. Si une assemblée est composée de personnes animées de mauvais sentiments, elles remplissent l'air ambiant du fluide imprégné de leurs pensées ; de là, pour les âmes bonnes, un malaise moral analogue au malaise physique causé par les exhalaisons méphitiques : l'âme est asphyxiée. Les personnes, au contraire, ont-elles des intentions pures, on se trouve dans leur atmosphère comme dans un air vivifiant et salubre. L'effet sera naturellement le même dans un milieu rempli d'Esprits selon qu'ils sont bons ou mauvais.
Ceci étant bien compris, nous arrivons sans difficulté à l'action matérielle des Esprits errants sur les Esprits incarnés, et de là à l'explication de la médiumnité.
Un Esprit veut-il agir sur un individu, il s'en approche et l'enveloppe pour ainsi dire de son périsprit comme d'un manteau ; les fluides se pénétrant, les deux pensées et les deux volontés se confondent, et l'Esprit peut alors se servir de ce corps comme du sien propre, le faire agir selon sa volonté, parler, écrire, dessiner, etc. ; tels sont les médiums. Si l'Esprit est bon, son action est douce, bienfaisante, il ne fait faire que de bonnes choses ; est-il mauvais, il en fait faire de mauvaises ; est-il pervers et méchant, il l'étreint comme dans un filet, paralyse jusqu'à sa volonté, son jugement même, qu'il étouffe sous son fluide, comme on étouffe le feu sous une couche d'eau ; le fait penser, parler, agir par lui, le pousse malgré lui à des actes extravagants ou ridicules, en un mot il le magnétise, le cataleptise moralement, et l'individu devient un instrument aveugle de ses volontés. Telle est la cause de l'obsession, de la fascination et de la subjugation qui se montrent à des degrés d'intensité très divers. C'est le paroxysme de la subjugation, que l'on appelle vulgairement possession. Il est à remarquer que, dans cet état, l'individu a très souvent la conscience que ce qu'il fait est ridicule, mais il est contraint de le faire, comme si un homme plus vigoureux que lui faisait mouvoir contre son gré ses bras, ses jambes et sa langue. En voici un exemple curieux.
Dans une petite réunion de Bordeaux, au milieu d'une évocation, le médium, jeune homme d'un caractère doux et d'une parfaite urbanité, se met tout à coup à frapper sur la table, se lève, les yeux menaçants, montrant les poings aux assistants, leur disant les plus grossières injures, et voulant leur jeter l'encrier à la tête. Cette scène, d'autant plus effrayante qu'on était loin de s'y attendre, dura environ dix minutes, après lesquelles le jeune homme reprit son calme habituel, s'excusant de ce qui venait de se passer, en disant qu'il savait très bien avoir fait et dit des choses inconvenantes, mais qu'il n'avait pu s'en empêcher. Le fait nous ayant été rapporté, nous en demandâmes l'explication dans une séance de la Société de Paris, et il nous fut répondu que l'Esprit qui l'avait provoqué était plutôt farceur que mauvais, et qu'il avait voulu simplement s'amuser de la frayeur des assistants. Ce qui prouve la vérité de cette explication, c'est que le fait ne s'est pas renouvelé, et que le médium n'en continua pas moins à recevoir d'excellentes communications comme par le passé. Il est bon de dire ce qui avait probablement excité la verve de cet Esprit loustic. Un ancien chef d'orchestre du théâtre de Bordeaux, M. Beck, avait éprouvé, pendant plusieurs années avant sa mort, un singulier phénomène. Chaque soir en sortant du théâtre, il lui semblait qu'un homme lui sautait sur le dos, se mettait à califourchon sur ses épaules, et s'y cramponnait jusqu'à ce qu'il fût arrivé à la porte de chez lui ; là, le prétendu individu sautait à terre, et M. Beck se trouvait débarrassé. Dans cette réunion, on voulut évoquer M. Beck pour lui demander une explication ; c'est alors que l'Esprit farceur trouva plaisant de se substituer à lui et de faire jouer une scène diabolique au médium, en qui il trouva sans doute les dispositions fluidiques nécessaires pour le seconder.
Ce qui n'a été qu'accidentel dans cette circonstance prend quelquefois un caractère de permanence quand l'Esprit est mauvais, car l'individu devient pour lui une véritable victime à laquelle il peut donner l'apparence d'une véritable folie. Nous disons apparence, car la folie proprement dite résulte toujours d'une altération des organes cérébraux, tandis que, dans ce cas, les organes sont aussi intacts que ceux du jeune homme dont nous venons de parler ; il n'y a donc pas folie réelle, mais folie apparente contre laquelle les remèdes de la thérapeutique sont impuissants, ainsi que le prouve l'expérience ; bien plus, ils peuvent produire ce qui n'existe pas. Les maisons d'aliénés contiennent beaucoup de malades de ce genre auxquels le contact des autres aliénés ne peut être que très préjudiciable, car cet état dénote toujours une certaine faiblesse morale. A côté de toutes les variétés de folies pathologiques, il convient donc d'ajouter la folie obsessionnelle, qui requiert des moyens spéciaux ; mais comment un médecin matérialiste pourra-t-il jamais faire cette différence, ou même l'admettre ?
Bravo ! vont s'écrier nos adversaires ; on ne peut pas mieux démontrer les dangers du Spiritisme, et nous avons bien raison de le défendre.
Un instant ; ce que nous avons dit prouve précisément son utilité.
Croyez-vous que les mauvais Esprits, qui pullulent au milieu de l'humanité, ont attendu qu'on les appelât pour exercer leur influence pernicieuse ? Puisque les Esprits ont existé de tout temps, de tout temps aussi ils ont joué le même rôle, parce que ce rôle est dans la nature, et la preuve en est dans le grand nombre de personnes obsédées, ou possédées, si vous le voulez, avant qu'il ne fût question des Esprits, ou qui, de nos jours, n'ont jamais entendu parler de Spiritisme ni de médiums. L'action des Esprits, bons ou mauvais, est donc spontanée ; celle des mauvais produit une foule de perturbations dans l'économie morale et même physique que, par ignorance de la cause véritable, on attribuait à des causes erronées. Les mauvais Esprits sont des ennemis invisibles d'autant plus dangereux qu'on ne soupçonnait pas leur action. Le Spiritisme, en les mettant à découvert, vient révéler une nouvelle cause à certains maux de l'humanité ; la cause connue, on ne cherchera plus à combattre le mal par des moyens que l'on sait désormais inutiles, on en cherchera de plus efficaces. Or, qui est-ce qui a fait découvrir cette cause ? La médiumnité ; c'est par la médiumnité que ces ennemis occultes ont trahi leur présence ; elle a fait pour eux ce que le microscope a fait pour les infiniment petits : elle a révélé tout un monde. Le Spiritisme n'a point attiré les mauvais Esprits ; il les a dévoilés, et a donné les moyens de paralyser leur action, et par conséquent de les éloigner. Il n'a donc point apporté le mal, puisque le mal existait de tout temps ; il apporte au contraire le remède au mal en en montrant la cause. Une fois l'action du monde invisible reconnue, on aura la clef d'une foule de phénomènes incompris, et la science, enrichie de cette nouvelle loi, verra s'ouvrir devant elle de nouveaux horizons. Quand y arrivera-t-elle ? Quand elle ne professera plus le matérialisme, car le matérialisme l'arrête dans son essor et lui pose une barrière infranchissable.
Avant de parler du remède, expliquons un fait qui embarrasse beaucoup de Spirites, dans les cas d'obsession simple surtout, c'est-à-dire dans ceux, très fréquents, où un médium ne peut se débarrasser d'un mauvais Esprit qui se communique obstinément à lui par l'écriture ou l'audition ; celui, non moins fréquent, où, au milieu d'une bonne communication, un Esprit vient s'immiscer pour dire de mauvaises choses. On se demande alors si les mauvais Esprits sont plus puissants que les bons.
Reportons-nous à ce que nous avons dit en commençant de la manière dont agit l'Esprit, et représentons-nous un médium enveloppé, pénétré par le fluide périsprital d'un mauvais Esprit ; pour que celui d'un bon puisse agir sur le médium, il faut qu'il pénètre cette enveloppe, et l'on sait que la lumière pénètre difficilement un épais brouillard. Selon le degré de l'obsession, ce brouillard sera permanent, tenace ou intermittent, et par conséquent plus ou moins facile à dissiper.
Notre correspondant de Parme, M. Superchi, nous a envoyé deux dessins faits par un médium voyant, qui représentent parfaitement cette situation. Dans l'un on voit la main du médium écrivant environnée d'un nuage obscur, image du fluide périsprital des mauvais Esprits, traversé par un rayon lumineux allant éclairer la main ; c'est le bon fluide qui la dirige et s'oppose à l'action du mauvais. Dans l'autre, la main est dans l'ombre ; la lumière est autour du brouillard, qu'elle ne peut pénétrer. Ce que ce dessin borne à la main doit s'entendre de toute la personne.
Reste toujours la question de savoir si le bon Esprit est moins puissant que le mauvais. Ce n'est pas le bon Esprit qui est plus faible, c'est le médium qui n'est pas assez fort pour secouer le manteau qu'on a jeté sur lui, pour se dégager de l'étreinte des bras qui l'enlacent et dans lesquels, il faut bien le dire, quelquefois il se complaît. Dans ce cas, on comprend que le bon Esprit ne puisse avoir le dessus, puisqu'on lui en préfère un autre. Admettons maintenant le désir de se débarrasser de cette enveloppe fluidique dont la sienne est pénétrée, comme un vêtement est pénétré par l'humidité, le désir ne suffira pas, la volonté même ne suffit pas toujours.
Il s'agit de lutter contre un adversaire ; or, quand deux hommes luttent corps à corps, c'est celui qui a les muscles les plus forts qui terrasse l'autre. Avec un Esprit il faut lutter, non corps à corps, mais d'Esprit à Esprit, et c'est encore le plus fort qui l'emporte ; ici, la force est dans l'autorité que l'on peut prendre sur l'Esprit, et cette autorité est subordonnée à la supériorité morale. La supériorité morale est comme le soleil, qui dissipe le brouillard par la puissance de ses rayons. S'efforcer d'être bon, de devenir meilleur si l'on est déjà bon, se purifier de ses imperfections, en un mot, s'élever moralement le plus possible, tel est le moyen d'acquérir le pouvoir de commander aux Esprits inférieurs pour les écarter, autrement ils se moquent de vos injonctions. (Livre des Médiums, nos 252 et 279.)
Cependant, dira-t-on, pourquoi les Esprits protecteurs ne leur enjoignent-ils pas de se retirer ? Sans doute ils le peuvent et le font quelquefois ; mais, en permettant la lutte, ils laissent aussi le mérite de la victoire ; s'ils laissent se débattre des personnes méritantes à certains égards, c'est pour éprouver leur persévérance et leur faire acquérir plus de force dans le bien ; c'est pour elles une sorte de gymnastique morale.
Voici la réponse que nous avons faite à un colonel d'état-major autrichien, en Hongrie, M. P…, qui nous consultait sur une affection qu'il attribuait aux mauvais Esprits, s'excusant de nous donner le titre d'ami, quoiqu'il ne nous connût que de nom :
« Le Spiritisme est le lien fraternel par excellence, et vous avez raison de penser que ceux qui partagent cette croyance peuvent, sans se connaître, se traiter d'amis ; je vous remercie d'avoir eu de moi une assez bonne opinion pour me donner ce titre.
« Je suis heureux de trouver en vous un adepte sincère et dévoué de cette consolante doctrine ; mais par cela même qu'elle est consolante, elle doit donner la force morale et la résignation pour supporter les épreuves de la vie, qui, le plus souvent, sont des expiations ; la Revue spirite vous en fournit de nombreux exemples.
« En ce qui concerne la maladie dont vous êtes atteint, je n'y vois pas de preuve évidente de l'influence de mauvais Esprits qui vous obséderaient. Admettons-le pourtant, par hypothèse ; il n'y aurait qu'une force morale à opposer à une force morale, et elle ne peut venir que de vous. Contre un Esprit il faut lutter d'Esprit à Esprit, et c'est l'Esprit le plus fort qui l'emporte. En pareil cas, il faut donc s'efforcer d'acquérir la plus grande somme possible de supériorité par la volonté, l'énergie et les qualités morales pour avoir le droit de lui dire : Vade retrò. Si donc vous avez affaire à l'un d'eux, ce n'est pas avec votre sabre de colonel que vous le vaincrez, mais avec l'épée de l'ange, c'est-à-dire la vertu et la prière. L'espèce de frayeur et d'angoisse que vous éprouvez dans ces moments-là est un signe de faiblesse dont l'Esprit profite. Surmontez cette crainte, et avec la volonté vous y parviendrez. Prenez donc le dessus résolument, comme vous le faites devant l'ennemi, et croyez-moi votre tout dévoué et affectionné,
« A. K. »
Certaines personnes préféreraient sans doute une autre recette plus facile pour chasser les mauvais Esprits : quelques mots à dire ou quelques signes à faire, par exemple, ce qui serait plus commode que de se corriger de ses défauts. Nous en sommes fâchés, mais nous ne connaissons aucun procédé plus efficace pour vaincre un ennemi que d'être plus fort que lui. Quand on est malade, il faut se résigner à prendre une médecine, quelque amère qu'elle soit ; mais aussi, quand on a eu le courage de boire, comme on se porte bien, et combien l'on est fort ! Il faut donc bien se persuader qu'il n'y a, pour atteindre ce but, ni paroles sacramentelles, ni formules, ni talismans, ni signes matériels quelconques. Les mauvais Esprits s'en rient et se plaisent souvent à en indiquer qu'ils ont toujours soin de dire infaillibles, pour mieux capter la confiance de ceux qu'ils veulent abuser, parce qu'alors ceux-ci, confiants dans la vertu du procédé, se livrent sans crainte.
Avant d'espérer dompter le mauvais Esprit, il faut se dompter soi-même. De tous les moyens d'acquérir la force pour y parvenir, le plus efficace est la volonté secondée par la prière, la prière de cœur s'entend, et non des paroles auxquelles la bouche a plus de part que la pensée. Il faut prier son ange gardien et les bons Esprits de nous assister dans la lutte ; mais il ne suffit pas de leur demander de chasser le mauvais Esprit, il faut se souvenir de cette maxime : Aide-toi, le ciel t'aidera, et leur demander surtout la force qui nous manque pour vaincre nos mauvais penchants qui sont pour nous pire que les mauvais Esprits, car ce sont ces penchants qui les attirent, comme la corruption attire les oiseaux de proie. En priant aussi pour l'Esprit obsesseur, c'est lui rendre le bien pour le mal, et se montrer meilleur que lui, et c'est déjà une supériorité. Avec de la persévérance, on finit le plus souvent par le ramener à de meilleurs sentiments, et de persécuteur en faire un obligé.
En résumé, la prière fervente, et les efforts sérieux pour s'améliorer, sont les seuls moyens d'éloigner les mauvais Esprits qui reconnaissent leurs maîtres dans ceux qui pratiquent le bien, tandis que les formules les font rire ; la colère et l'impatience les excitent. Il faut les lasser en se montrant plus patient qu'eux.
Mais il arrive quelquefois que la subjugation arrive au point de paralyser la volonté de l'obsédé, et qu'on ne peut attendre de lui aucun concours sérieux. C'est alors surtout que l'intervention de tiers devient nécessaire, soit par la prière, soit par l'action magnétique ; mais la puissance de cette intervention dépend aussi de l'ascendant moral que les intervenants peuvent prendre sur les Esprits ; car s'ils ne valent pas mieux, leur action est stérile. L'action magnétique, dans ce cas, a pour effet de pénétrer le fluide de l'obsédé d'un fluide meilleur, et de dégager celui de l'Esprit mauvais ; en opérant, le magnétiseur doit avoir le double but d'opposer une force morale à une force morale, et de produire sur le sujet une sorte de réaction chimique, pour nous servir d'une comparaison matérielle, chassant un fluide par un autre fluide. Par là, non seulement il opère un dégagement salutaire, mais il donne de la force aux organes affaiblis par une longue et souvent vigoureuse étreinte. On comprend, du reste, que la puissance de l'action fluidique est en raison, non seulement de l'énergie de la volonté, mais surtout de la qualité du fluide introduit, et, d'après ce que nous avons dit, que cette qualité dépend de l'instruction et des qualités morales du magnétiseur ; d'où il suit qu'un magnétiseur ordinaire qui agirait machinalement pour magnétiser purement et simplement, produirait peu ou point d'effet ; il faut de toute nécessité un magnétiseur Spirite agissant en connaissance de cause, avec l'intention de produire, non le somnambulisme ou une guérison organique, mais les effets que nous venons de décrire. Il est en outre évident qu'une action magnétique dirigée dans ce sens ne peut être que très utile dans les cas d'obsession ordinaire, parce qu'alors, si le magnétiseur est secondé par la volonté de l'obsédé, l'Esprit est combattu par deux adversaires au lieu d'un.
Il faut dire aussi qu'on charge souvent les Esprits étrangers de méfaits dont ils sont très innocents ; certains états maladifs et certaines aberrations que l'on attribue à une cause occulte, tiennent simplement parfois à l'Esprit de l'individu lui-même. Les contrariétés, que le plus ordinairement on concentre en soi-même, les chagrins amoureux surtout, ont fait commettre bien des actes excentriques qu'on aurait tort de mettre sur le compte de l'obsession. On est souvent son propre obsesseur.
Ajoutons enfin que certaines obsessions tenaces, surtout chez les personnes méritantes, font quelquefois partie des épreuves auxquelles elles sont soumises. « Il arrive même parfois que l'obsession, quand elle est simple, est une tâche imposée à l'obsédé qui doit travailler à l'amélioration de l'obsesseur, comme un père à celle d'un enfant vicieux. »
Nous renvoyons pour plus de détails au Livre des Médiums.
Revue spirite 1863

Etude sur les possédés de Morzines

Les causes de l'obsession et les moyens de la combattre (Deuxième article)

Dans notre précédent article , nous avons exposé la manière dont s'exerce l'action des Esprits sur l'homme, action pour ainsi dire matérielle. Sa cause est tout entière dans le périsprit, principe non seulement de tous les phénomènes spirites proprement dits, mais d'une foule d'effets moraux, physiologiques et pathologiques incompris avant la connaissance de cet agent, dont la découverte, si l'on peut s'exprimer ainsi, ouvrira des horizons nouveaux à la science quand celle-ci voudra bien reconnaître l'existence du monde invisible.
Le périsprit, comme on l'a vu, joue un rôle important dans tous les phénomènes de la vie ; il est la source d'une multitude d'affections dont le scalpel cherche en vain la cause dans l'altération des organes, et contre lesquelles la thérapeutique est impuissante. Par son expansion, s'expliquent encore les réactions d'individu à individu, les attractions et les répulsions instinctives, l'action magnétique etc. Chez l'Esprit libre, c'est-à-dire désincarné, il remplace le corps matériel ; c'est l'agent sensitif, l'organe à l'aide duquel il agit. Par la nature fluidique et expansive du périsprit, l'Esprit atteint l'individu sur lequel il veut agir, l'entoure, l'enveloppe, le pénètre et le magnétise. L'homme vivant au milieu du monde invisible est incessamment soumis à ces influences comme à celles de l'atmosphère qu'il respire, et cette influence se traduit par des effets moraux et physiologiques dont il ne se rend pas compte, et qu'il attribue souvent à des causes toutes contraires. Cette influence diffère naturellement selon les qualités bonnes ou mauvaises de l'Esprit, ainsi que nous l'avons expliqué dans notre précédent article. Celui-ci est-il bon et bienveillant, l'influence, ou si l'on veut l'impression, est agréable, salutaire : c'est comme les caresses d'une tendre mère qui enlace son enfant dans ses bras ; est-il mauvais et malveillant, elle est dure, pénible, anxieuse et parfois malfaisante : elle n'embrasse pas, elle étreint. Nous vivons dans cet océan fluidique, incessamment en butte à des courants contraires, que nous attirons, que nous repoussons, ou auxquels nous nous abandonnons selon nos qualités personnelles, mais au milieu desquels l'homme conserve toujours son libre arbitre, attribut essentiel de sa nature, en vertu duquel il peut toujours choisir sa route.
Ceci, comme on le voit, est tout à fait indépendant de la faculté médianimique telle qu'on la conçoit vulgairement. L'action du monde invisible, étant dans l'ordre des choses naturelles, s'exerce sur l'homme, abstraction faite de toute connaissance spirite ; on y est soumis comme on l'est à l'influence de l'électricité atmosphérique sans savoir la physique, comme on est malade sans savoir la médecine. Or, de même que la physique nous apprend la cause de certains phénomènes, et celle de la médecine, la cause de certaines maladies, l'étude de la science spirite nous apprend la cause des phénomènes dus aux influences occultes du monde invisible, et nous explique ce qui, sans cela, nous paraissait inexplicable. La médiumnité est le moyen direct d'observation ; le médium — qu'on nous passe cette comparaison — est l'instrument de laboratoire par lequel l'action du monde invisible se traduit d'une manière patente ; et, par la facilité qu'il nous donne de répéter les expériences, il nous permet d'étudier le mode et les diverses nuances de cette action ; c'est de cette étude et de ces observations qu'est née la science spirite.
Tout individu qui subit d'une manière quelconque l'influence des Esprits est, par cela même, médium, et c'est à ce titre qu'on peut dire que tout le monde est médium ; mais c'est par la médiumnité effective, consciente et facultative qu'on est arrivé à constater l'existence du monde invisible, et par la diversité des manifestations obtenues ou provoquées qu'on a pu s'éclairer sur la qualité des êtres qui le composent, et sur le rôle qu'ils jouent dans la nature ; le médium a fait pour le monde invisible ce que le microscope a fait pour le monde des infiniment petits.
C'est donc une nouvelle force, une nouvelle puissance, une nouvelle loi, en un mot, qui nous est révélée. Il est vraiment inconcevable que l'incrédulité en repousse même l'idée, parce que cette idée suppose en nous une âme, un principe intelligent survivant au corps. S'il s'agissait de la découverte d'une substance matérielle et inintelligente, ils l'accepteraient sans difficulté ; mais une action intelligente en dehors de l'homme, c'est pour eux de la superstition. Si, de l'observation des faits qui se produisent par la médiumnité, on remonte aux faits généraux, on peut, par la similitude des effets, conclure à la similitude des causes ; or, c'est en constatant l'analogie des phénomènes de Morzines avec ceux que la médiumnité met tous les jours sous nos yeux, que la participation d'Esprits malfaisants nous paraît évidente dans cette circonstance, et elle ne le sera pas moins pour ceux qui auront médité sur les nombreux cas isolés rapportés dans la Revue Spirite. Toute la différence est dans le caractère épidémique de l'affection ; mais l'histoire rapporte plus d'un fait semblable, parmi lesquels figurent ceux des religieuses de Loudun, des convulsionnaires de Saint-Médard, des camisards des Cévennes et des possédés du temps du Christ ; ces derniers surtout ont une analogie frappante avec ceux de Morzines ; et une chose digne de remarque, c'est que partout où ces phénomènes se sont produits, l'idée qu'ils étaient dus à des Esprits a été la pensée dominante et comme intuitive chez ceux qui en étaient affectés.
Si l'on veut bien se reporter à notre premier article, à la théorie de l'obsession contenue dans le Livre des Médiums, et aux faits relatés dans la Revue, on verra que l'action des mauvais Esprits sur les individus dont ils s'emparent, présente des nuances extrêmement variées d'intensité et de durée selon le degré de malignité et de perversité de l'Esprit, et aussi selon l'état moral de la personne qui leur donne un accès plus ou moins facile. Cette action n'est souvent que temporaire et accidentelle, plus malicieuse et désagréable que dangereuse, comme dans le fait que nous avons relaté dans notre précédent article. Le fait suivant appartient à cette catégorie.
M. Indermühle, de Berne, membre de la Société Spirite de Paris, nous a raconté que, dans sa propriété de Zimmerwald, son fermier, homme d'une force herculéenne, se sentit une nuit saisir par un individu qui le secouait vigoureusement. C'était un cauchemar, dira-t-on ; non, car cet homme était si bien éveillé qu'il se leva et lutta quelque temps contre celui qui l'étreignait ; lorsqu'il se sentit libre, il prit son sabre accroché à côté de son lit, et se mit à sabrer dans l'ombre, mais sans rien atteindre. Il alluma sa chandelle, chercha partout et ne trouva personne ; la porte était parfaitement close. A peine recouché, le jardinier, qui était dans la chambre à côté, se mit à appeler au secours en se débattant et en criant qu'on l'étranglait. Le fermier court chez son voisin, mais, comme chez lui, on ne trouve personne. Une servante qui couchait dans le même bâtiment avait entendu tout ce tapage. Tous ces gens effrayés vinrent le lendemain rendre compte à M. Indermühle de ce qui s'était passé. Celui-ci, après s'être enquis de tous les détails et s'être assuré qu'aucun étranger n'avait pu s'introduire dans les chambres, fut d'autant plus porté à croire à un mauvais tour de quelque Esprit, que depuis quelque temps des manifestations physiques non équivoques et de diverse nature se produisaient dans sa propre maison. Il tranquillisa ses gens et leur dit d'observer avec soin ce qui se passerait, si pareille chose se renouvelait. Comme il est médium, ainsi que sa femme, il évoqua l'Esprit perturbateur, qui convint du fait, et s'excusa en disant : « Je voulais vous parler, parce que je suis malheureux et que j'ai besoin de vos prières ; depuis longtemps je fais tout ce que je peux pour appeler votre attention ; je frappe chez vous ; je vous ai même tiré par l'oreille (M. Indermühle se rappela la chose) : rien n'y a fait. Alors j'ai pensé qu'en faisant la scène de la nuit dernière, vous songeriez à m'appeler ; vous l'avez fait, je suis content ; mais je vous assure que je n'avais aucune mauvaise intention. Promettez-moi de m'appeler quelquefois et de prier pour moi. » M. Indermühle lui fit une verte semonce, renouvela l'entretien, lui fit de la morale qu'il écoutait avec plaisir, pria pour lui, dit à ses gens d'en faire autant, ce qu'ils firent en gens pieux qu'ils sont, et depuis lors tout est resté dans l'ordre.
Malheureusement tous ne sont pas d'aussi bonne composition ; celui-ci n'était pas mauvais ; mais il en est dont l'action est tenace, permanente, et peut même avoir des conséquences fâcheuses pour la santé de l'individu, nous dirons plus : pour ses facultés intellectuelles, si l'Esprit parvient à subjuguer sa victime au point de neutraliser son libre arbitre, et de la contraindre à dire et à faire des extravagances. Tel est le cas de la folie obsessionnelle, bien différente dans ses causes, sinon dans ses effets, de la folie pathologique.
Nous avons vu, dans notre voyage, le jeune obsédé dont il est parlé dans la Revue de janvier 1861 sous le titre de l'Esprit frappeur de l'Aube, et nous avons acquis de la bouche du père et de témoins oculaires la confirmation de tous les faits. Ce jeune homme a présentement seize ans ; il est frais, grand, parfaitement constitué, et cependant il se plaint de maux d'estomac et de faiblesse dans les membres, ce qui, dit-il, l'empêche de travailler. A le voir on peut croire aisément que la paresse est sa principale maladie, ce qui n'ôte rien à la réalité des phénomènes qui se sont produits depuis cinq ans, et qui rappellent, à beaucoup d'égards, ceux de Bergzabern (Revue : mai, juin et juillet 1858). Il n'en est pas ainsi de sa santé morale ; étant enfant il était très intelligent et apprenait à l'école avec facilité ; depuis lors ses facultés ont sensiblement faibli. Il est bon d'ajouter que ce n'est que depuis peu que lui et ses parents ont connaissance du Spiritisme, et encore par ouï-dire et très superficiellement, car ils n'ont jamais rien lu ; auparavant, jamais ils n'en avaient entendu parler ; on ne saurait donc y voir une cause provocatrice. Les phénomènes matériels ont à peu près cessé, ou du moins sont plus rares aujourd'hui, mais l'état moral est le même, ce qui est d'autant plus fâcheux pour les parents qu'ils ne vivent que de leur travail. On connaît l'influence de la prière en pareil cas ; mais comme on ne peut rien attendre de l'enfant sous ce rapport, il faudrait le concours des parents ; ils sont bien persuadés que leur fils est sous une mauvaise influence occulte, mais leur croyance ne va guère au-delà, et leur foi religieuse est des plus faibles. Nous dîmes au père qu'il faudrait prier, mais prier sérieusement et avec ferveur. « C'est ce qu'on m'a déjà dit, a-t-il répondu ; j'ai prié quelquefois, mais ça n'a rien fait. Si je savais qu'en priant une bonne fois pendant vingt-quatre heures et que ça soit fini, je le ferais bien encore. » On voit par-là de quelle manière on peut être secondé dans cette circonstance par ceux qui y sont le plus intéressés.
Voici la contre-partie de ce fait, et une preuve de l'efficacité de la prière quand elle est faite avec le cœur et non avec les lèvres.
Une jeune femme, contrariée dans ses inclinations, avait été unie à un homme avec lequel elle ne pouvait sympathiser. Le chagrin qu'elle en conçut amena un dérangement dans ses facultés mentales ; sous l'empire d'une idée fixe elle perdit la raison, et l'on fut obligé de la séquestrer. Cette dame n'avait jamais entendu parler du Spiritisme ; si elle s'en fût occupée, on n'aurait pas manqué de dire que les Esprits lui avaient tourné la tête. Le mal provenait donc d'une cause morale accidentelle toute personnelle, et, en pareil cas, on conçoit que les remèdes ordinaires ne pouvaient être d'aucun secours ; comme il n'y avait aucune obsession apparente, on pouvait douter également de l'efficacité de la prière.
Un membre de la Société Spirite de Paris, ami de la famille, crut devoir interroger à son sujet un Esprit supérieur, qui répondit : « L'idée fixe de cette dame, par sa cause même, attire autour d'elle une foule d'Esprits mauvais qui l'enveloppent de leur fluide, l'entretiennent dans ses idées, et empêchent les bonnes influences d'arriver à elle. Les Esprits de cette nature abondent toujours dans les milieux semblables à celui où elle se trouve, et sont souvent un obstacle à la guérison des malades. Cependant vous pouvez la guérir, mais il faut pour cela une puissance morale capable de vaincre la résistance, et cette puissance n'est pas donnée à un seul. Que cinq ou six spirites sincères se réunissent tous les jours, pendant quelques instants, et prient avec ferveur Dieu et les bons Esprits de l'assister ; que votre ardente prière soit en même temps une magnétisation mentale ; vous n'avez pas, pour cela, besoin d'être auprès d'elle, au contraire ; par la pensée, vous pouvez porter sur elle un courant fluidique salutaire dont la puissance sera en raison de votre intention et augmentée par le nombre ; par ce moyen, vous pourrez neutraliser le mauvais fluide qui l'environne. Faites cela ; ayez foi et confiance en Dieu, et espérez. »
Six personnes se dévouèrent à cette œuvre de charité, et ne faillirent pas un seul jour, pendant un mois, à la mission qu'elles avaient acceptée. Au bout de quelques jours la malade était sensiblement plus calme ; quinze jours après, l'amélioration était manifeste, et aujourd'hui cette femme est rentrée chez elle dans un état parfaitement normal, ignorant encore, ainsi que son mari, d'où lui est venue sa guérison.
Le mode d'action est ici clairement indiqué, et nous ne saurions rien ajouter de plus précis à l'explication donnée par l'Esprit. La prière n'a donc pas seulement l'effet d'appeler sur le patient un secours étranger, mais celui d'exercer une action magnétique. Que ne pourrait donc pas le magnétisme secondé par la prière ! Malheureusement, certains magnétiseurs font trop, à l'exemple de beaucoup de médecins, abstraction de l'élément spirituel ; ils ne voient que l'action mécanique, et se privent ainsi d'un puissant auxiliaire. Nous espérons que les vrais spirites verront dans ce fait une preuve de plus du bien qu'ils peuvent faire dans une pareille circonstance.
Une question d'une grande importance se présente naturellement ici : L'exercice de la médiumnité peut-il provoquer le dérangement de la santé et des facultés mentales ?
Il est à remarquer que cette question ainsi formulée est celle que posent la plupart des antagonistes du Spiritisme, ou, pour mieux dire, au lieu d'une question, ils formulent le principe en axiome en affirmant que la médiumnité pousse à la folie ; nous parlons de la folie réelle et non de celle, plus burlesque que sérieuse, dont on gratifie les adeptes. On concevrait cette question de la part de celui qui croirait à l'existence des Esprits et à l'action qu'ils peuvent exercer, parce que, pour eux, c'est quelque chose de réel ; mais pour ceux qui n'y croient pas, la question est un non-sens, car, s'il n'y a rien, ce rien ne peut pas produire quelque chose. Cette thèse n'étant pas soutenable, ils se retranchent sur les dangers de la surexcitation cérébrale que, selon eux, peut causer la seule croyance aux Esprits. Nous ne reviendrons pas sur ce point déjà traité, mais nous demanderons si l'on a fait le dénombrement de tous les cerveaux tournés par la peur du diable et les effrayants tableaux des tortures de l'enfer et de la damnation éternelle, et s'il est plus malsain de croire qu'on a près de soi des Esprits bons et bienveillants, ses parents, ses amis et son ange gardien, que le démon.
La question formulée de la manière suivante est plus rationnelle et plus sérieuse, dès lors qu'on admet l'existence et l'action des Esprits : L'exercice de la médiumnité peut-il provoquer chez un individu l'invasion de mauvais Esprits et ses conséquences ?
Nous n'avons jamais dissimulé les écueils que l'on rencontre dans la médiumnité, c'est pourquoi nous avons multiplié les instructions à ce sujet dans le Livre des Médiums, et nous n'avons cessé d'en recommander l'étude préalable avant de se livrer à la pratique ; aussi, depuis la publication de ce livre, le nombre des obsédés a sensiblement et notoirement diminué, parce qu'il épargne une expérience que les novices n'acquièrent souvent qu'à leurs dépens. Nous le disons encore, oui, sans expérience, la médiumnité a des inconvénients dont le moindre serait d'être mystifié par des Esprits trompeurs ou légers ; faire du Spiritisme expérimental sans étude, c'est vouloir faire des manipulations chimiques sans savoir la chimie.
Les exemples si nombreux de personnes obsédées et subjuguées de la manière la plus fâcheuse, sans avoir jamais entendu parler de Spiritisme, prouvent surabondamment que l'exercice de la médiumnité n'a pas le privilège d'attirer les mauvais Esprits ; bien plus, l'expérience prouve que c'est un moyen de les écarter, en permettant de les reconnaître. Toutefois, comme il y en a souvent qui rôdent autour de nous, il peut arriver que, trouvant une occasion de se manifester, ils en profitent, s'ils rencontrent dans le médium une prédisposition physique ou morale qui le rende accessible à leur influence ; or, cette prédisposition tient à l'individu et à des causes personnelles antérieures, et ce n'est pas la médiumnité qui la fait naître ; on peut dire que l'exercice de la faculté est une occasion et non une cause ; mais si quelques individus sont dans ce cas, on en voit d'autres qui offrent aux mauvais Esprits une résistance insurmontable, et auxquels ces derniers ne s'adressent pas. Nous parlons des Esprits réellement mauvais et malfaisants, les seuls vraiment dangereux, et non des Esprits légers et moqueurs qui se glissent partout.
La présomption de se croire invulnérable contre les mauvais Esprits a plus d'une fois été punie d'une manière cruelle, car on ne les brave jamais impunément par l'orgueil ; l'orgueil est la porte qui leur donne l'accès le plus facile, parce que nul n'offre moins de résistance que l'orgueilleux quand on le prend par son côté faible. Avant de s'adresser aux Esprits, il convient donc de se cuirasser contre l'atteinte des mauvais, comme lorsqu'on marche sur un terrain où l'on craint la morsure des serpents. On y parvient d'abord par l'étude préalable qui indique la route et les précautions à prendre, puis par la prière ; mais il faut bien se pénétrer de vérité que le seul préservatif est en soi, dans sa propre force, et jamais dans les choses extérieures, et qu'il n'y a ni talismans, ni amulettes, ni paroles sacramentelles, ni formules sacrées ou profanes qui puissent avoir la moindre efficacité si l'on ne possède pas en soi les qualités nécessaires ; c'est donc ces qualités qu'il faut s'efforcer d'acquérir.
Si l'on était bien pénétré du but essentiel et sérieux du Spiritisme, si l'on se préparait toujours à l'exercice de la médiumnité par un appel fervent à son ange gardien et à ses Esprits protecteurs, si l'on s'étudiait soi-même en s'efforçant de se purifier de ses imperfections, les cas d'obsessions médianimiques seraient encore plus rares ; malheureusement, beaucoup n'y voient que le fait des manifestations ; non contents des preuves morales qui surabondent autour d'eux, ils veulent à tout prix se donner la satisfaction de communiquer eux-mêmes avec les Esprits, en poussant au développement d'une faculté qui souvent n'existe pas en eux, guidés en cela plus souvent par la curiosité que par le désir sincère de s'améliorer. Il en résulte qu'au lieu de s'envelopper d'une atmosphère fluidique salutaire, de se couvrir des ailes protectrices de leurs anges gardiens, de chercher à dompter leurs faiblesses morales, ils ouvrent à deux battants la porte aux Esprits obsesseurs qui les eussent peut-être tourmentés d'une autre façon et dans un autre temps, mais qui profitent de l'occasion qui leur est offerte. Que dire alors de ceux qui se font un jeu des manifestations et n'y voient qu'un sujet de distraction ou de curiosité, ou qui n'y cherchent que les moyens de satisfaire leur ambition, leur cupidité ou des intérêts matériels ? C'est dans ce sens qu'on peut dire que l'exercice de la médiumnité peut provoquer l'invasion des mauvais Esprits. Oui, il est dangereux de jouer avec ces choses-là. Que de personnes lisent le Livre des Médiums uniquement pour savoir comment on s'y prend, parce que la recette ou le procédé est la chose qui les intéresse le plus ! Quant au côté moral de la question, c'est l'accessoire. Il ne faut donc pas imputer au Spiritisme ce qui est le fait de leur imprudence.

L'étude des phénomènes de Morzines n'offrira pour ainsi dire aucune difficulté quand on se sera bien pénétré des faits particuliers que nous avons cités, et des considérations qu'une étude attentive a permis d'en déduire. Il nous suffira de les relater pour que chacun en trouve soi-même l'application par analogie. Les deux faits suivants nous aideront encore à mettre le lecteur sur la voie. Le premier nous est transmis par M. le docteur Chaigneau, membre honoraire de la Société de Paris, président de la Société spirite de Saint-Jean d'Angély.
« Une famille s'occupait d'évocations avec une ardeur effrénée, poussée qu'elle était par un Esprit qui nous fut signalé comme très dangereux ; c'était un de leurs parents, décédé après une vie peu honorable, terminée par plusieurs années d'aliénation mentale. Sous un nom d'emprunt, par des épreuves mécaniques surprenantes, de belles promesses et des conseils d'une moralité sans reproches, il était parvenu à fasciner tellement ces gens trop crédules, qu'il les soumettait à ses exigences et les contraignait aux actes les plus excentriques. Ne pouvant plus satisfaire tous ses désirs, ils nous demandèrent conseil, et nous eûmes beaucoup de peine à les dissuader, et à leur prouver qu'ils avaient affaire à un Esprit de la pire espèce. Nous y parvînmes cependant, et nous pûmes obtenir d'eux que, pour quelque temps du moins, ils s'abstiendraient. De ce moment l'obsession prit un autre caractère : l'Esprit s'emparait complètement du plus jeune enfant, âgé de quatorze ans, le réduisait à l'état de catalepsie, et, par sa bouche, sollicitait encore des entretiens, donnait des ordres, proférait des menaces. Nous avons conseillé le mutisme le plus absolu ; il fut rigoureusement observé. Les parents se livraient à la prière et venaient chercher l'un de nous pour les assister ; le recueillement et la force de volonté nous en ont toujours rendus maîtres en peu de minutes.
« Aujourd'hui tout est à peu près cessé. Nous espérons que, dans la maison, l'ordre succédera au désordre. Loin de se dégoûter du Spiritisme, on y croit plus que jamais, mais on y croit plus sérieusement ; on en comprend maintenant le but et les conséquences morales. Tous comprennent qu'ils ont reçu une leçon ; quelques-uns une punition, peut-être méritée. »
Cet exemple prouve une fois de plus l'inconvénient de se livrer aux évocations sans connaissance de cause et sans but sérieux. Grâce aux conseils de l'expérience que ces personnes ont bien voulu écouter, elles ont pu se débarrasser d'un ennemi peut-être redoutable.
Il en ressort un autre enseignement non moins important. Aux yeux de gens étrangers à la science spirite, ce jeune garçon eût passé pour fou ; on n'aurait pas manqué de lui appliquer un traitement en conséquence, qui eût peut-être développé une folie réelle ; par les soins d'un médecin spirite, le mal, attaqué dans sa véritable cause, n'a eu aucune suite.
Il n'en a pas été de même dans le fait suivant. Un monsieur de notre connaissance, qui habite une ville de province assez réfractaire aux idées spirites, fut pris subitement d'une sorte de délire dans lequel il dit des choses absurdes. Comme il s'occupait de Spiritisme, tout naturellement il parla des Esprits. Son entourage effrayé, sans approfondir la chose, n'eut rien de plus pressé que d'appeler des médecins, qui le déclarèrent atteint de folie, à la grande satisfaction des ennemis du Spiritisme, et l'on parlait déjà de le mettre dans une maison de santé. Ce que nous avons appris des circonstances de cet événement prouve que ce monsieur s'est trouvé sous l'empire d'une subjugation subite momentanée, favorisée peut-être par certaines dispositions physiques. C'est la pensée qui lui vint ; il nous en écrivit, et nous lui répondîmes dans ce sens ; malheureusement notre lettre ne lui parvint pas à temps, et il n'en eut connaissance que beaucoup plus tard. « Il est très fâcheux, nous dit-il depuis, que je n'aie pas reçu votre consolante lettre ; à ce moment elle m'eût fait un bien immense en me confirmant dans la pensée que j'étais le jouet d'une obsession, ce qui m'eût tranquillisé ; tandis que j'entendais si souvent répéter autour de moi que j'étais fou, que je finis par le croire ; cette idée me torturait au point que si cela eût continué, je ne sais ce qui serait arrivé. » — Un Esprit consulté à ce sujet répondit : « Ce monsieur n'est point fou ; mais, à la manière dont on s'y prend, il pourrait le devenir ; bien plus, on pourrait le tuer. Le remède à son mal est dans le Spiritisme même, et on le prend à contre-sens. » — Dem. Pourrait-on agir sur lui d'ici ? — Rép. — Oui, sans doute ; vous pouvez lui faire du bien, mais votre action est paralysée par le mauvais vouloir de ceux qui l'entourent.
Des cas analogues se sont présentés à toutes les époques, et l'on a enfermé plus d'un fou qui ne l'était pas du tout.
Un observateur expérimenté sur ces matières peut seul les apprécier, et comme il se trouve aujourd'hui beaucoup de médecins spirites, il est utile d'avoir recours à eux en pareille circonstance. L'obsession sera un jour rangée parmi les causes pathologiques, comme l'est aujourd'hui l'action des animalcules microscopiques dont on ne soupçonnait pas l'existence avant l'invention du microscope ; mais alors on reconnaîtra que ce n'est ni par les douches ni par les saignées qu'on peut les guérir. Le médecin qui n'admet et ne cherche que les causes purement matérielles, est aussi impropre à comprendre et à traiter ces sortes d'affections qu'un aveugle l'est de discerner les couleurs.
Le second fait nous est rapporté par un de nos correspondants de Boulogne-sur-Mer.
« La femme d'un marin de cette ville, âgée de quarante-cinq ans, est depuis quinze ans sous l'empire d'une triste subjugation. Presque chaque nuit, sans même en excepter ses moments de grossesse, vers le milieu de la nuit, elle est réveillée, et aussitôt elle est prise de tremblements dans les membres, comme s'ils étaient agités par une pile galvanique, elle a l'estomac étreint comme dans un cercle de fer, et brûlé comme par un fer rouge ; le cerveau est dans un état d'exaltation furieuse, et elle se sent jetée hors de son lit, puis, quelquefois, à moitié habillée, elle est poussée hors de sa maison et forcée de courir la campagne ; elle marche sans savoir où elle va pendant deux ou trois heures, et ce n'est que quand elle peut s'arrêter qu'elle reconnaît l'endroit où elle se trouve. Elle ne peut prier Dieu, et, dès qu'elle se met à genoux pour le faire, ses idées sont de suite traversées par des choses bizarres et parfois même sales. Elle ne peut entrer dans aucune église ; elle en a bonne envie et un grand désir ; mais, lorsqu'elle arrive à la porte, elle sent comme une barrière qui l'arrête. Quatre hommes ont cherché à la faire entrer dans l'église des Rédemptoristes, et n'ont pu y parvenir ; elle criait qu'on la tuait, qu'on lui écrasait la poitrine.
« Pour se soustraire à cette terrible position, cette pauvre femme a essayé plusieurs fois de s'ôter la vie sans pouvoir y parvenir. Elle a pris du café dans lequel elle avait fait infuser des allumettes chimiques ; elle a bu de l'eau de javel, et en a été quitte pour des souffrances ; elle s'est jetée deux fois à l'eau, et chaque fois elle a surnagé à la surface jusqu'à ce qu'on soit venu la secourir. Hors les moments de crise dont j'ai parlé, cette femme a tout son bon sens, et encore, dans ces moments elle a parfaitement conscience de ce qu'elle fait, et de la force extérieure qui agit sur elle. Tout son voisinage dit qu'elle a été frappée par un maléfice ou un sort. »
Le fait de subjugation ne saurait être mieux caractérisé que dans ces phénomènes qui, bien certainement, ne peuvent être l'œuvre que d'un Esprit de la pire espèce. Dira-t-on que c'est le Spiritisme qui l'a attiré vers elle, ou qui lui a troublé le cerveau ? Mais il y a quinze ans il n'en était pas question ; et d'ailleurs, cette femme n'est point folle, et ce qu'elle éprouve n'est pas une illusion.
La médecine ordinaire ne verra dans ces symptômes qu'une de ces affections auxquelles elle donne le nom de névrose, et dont la cause est encore pour elle un mystère. Cette affection est réelle, mais à tout effet il y a une cause ; or, quelle est la cause première ? Là est le problème sur la voie duquel peut mettre le Spiritisme en démontrant un nouvel agent dans le périsprit, et l'action du monde invisible sur le monde visible. Nous ne généralisons point, et reconnaissons que, dans certains cas, la cause peut être purement matérielle, mais il en est d'autres où l'intervention d'une intelligence occulte est évidente, puisqu'en combattant cette intelligence on arrête le mal, tandis qu'en n'attaquant que la cause matérielle présumée, on ne produit rien.
Il y a un trait caractéristique chez les Esprits pervers, c'est leur aversion pour tout ce qui tient à la religion. La plupart des médiums, non obsédés, qui ont eu des communications d'Esprits mauvais, ont maintes fois vu ceux-ci blasphémer contre les choses les plus sacrées, se rire de la prière ou la repousser, s'irriter même quand on leur parle de Dieu. Chez le médium subjugué, l'Esprit, empruntant en quelque sorte le corps d'un tiers pour agir, exprime ses pensées, non plus par l'écriture, mais par les gestes et les paroles qu'il provoque chez le médium ; or, comme tout phénomène spirite ne peut se produire sans une aptitude médianimique, on peut dire que la femme dont on vient de parler est un médium spontané, inconscient et involontaire. L'impossibilité où elle s'est trouvée de prier et d'entrer à l'église vient de la répulsion de l'Esprit qui s'en est emparé, sachant que la prière est un moyen de lui faire lâcher prise. Au lieu d'une personne, supposez-en, dans une même localité, dix, vingt, trente et plus en cet état, et vous aurez la reproduction de ce qui s'est passé à Morzines.
Si ce qu'on appelle la possession de Morzines n'est que temporaire, c'est qu'elle tient à une cause accidentelle. M. Constant dit que ses observations ne lui ont révélé aucune cause surnaturelle ; mais lui, qui ne croit qu'à des causes matérielles, est-il apte à juger des effets qui résulteraient de l'action d'une puissance extra-matérielle ? a-t-il étudié les effets de cette puissance ? Sait-il en quoi ils consistent? à quels symptômes on peut les reconnaître ? Non, et dès lors il se les figure tout autres qu'ils ne sont, croyant sans doute qu'ils consistent en miracles et en apparitions fantastiques. Ces symptômes, il les a vus, il les a décrits dans son mémoire, mais n'admettant pas de cause occulte, il l'a cherchée ailleurs, dans le monde matériel, où il ne l'a pas trouvée. Les malades se disaient tourmentés par des êtres invisibles, mais comme il n'a vu ni lutins ni farfadets, il en a conclu que les malades étaient fous, et ce qui le confirmait dans cette idée, c'est que ces malades disaient parfois des choses notoirement absurdes, même aux yeux du plus ferme croyant aux Esprits ; mais pour lui tout devait être absurde. Il devrait pourtant savoir, lui médecin, qu'au milieu même des divagations de la folie, il se trouve parfois des révélations de la vérité. Ces malheureux, dit-il, et les habitants en général, sont imbus d'idées superstitieuses ; mais qu'y a-t-il là d'étonnant dans une population rurale, ignorante et isolée au milieu des montagnes ? Quoi encore de plus naturel que ces gens, terrifiés par ces phénomènes étranges, les aient amplifiés? Et parce qu'à leurs récits il s'est mêlé des faits et des appréciations ridicules, partant de son point de vue, il en a conclu que tout devait être ridicule, sans compter qu'aux yeux de quiconque n'admet pas l'action du monde invisible, tous les effets résultant de cette action sont relégués parmi les croyances superstitieuses. A l'appui de cette dernière thèse il insiste beaucoup sur un fait raconté dans le temps par les journaux, sur le récit sans doute de quelque imagination effrayée, exaltée ou malade, et selon lequel certains malades grimpaient avec l'agilité des chats sur des arbres de quarante mètres, marchaient sur les branches sans les faire plier, se posaient sur la cime flexible les pieds en l'air, et redescendaient ainsi la tête en bas sans se faire aucun mal. Il discute longuement pour prouver l'impossibilité de la chose, et démontrer que, selon la direction du rayon visuel, l'arbre signalé ne pouvait être aperçu des maisons d'où l'on disait avoir vu le fait. Tant de peine était inutile, car dans le pays on nous a dit que le fait n'était pas vrai, et se réduisait à un jeune garçon qui, en effet, avait grimpé sur un arbre d'une taille ordinaire, mais sans faire aucun tour d'équilibriste.

Nous empruntons au rapport de M. Arthaud, médecin en chef des Aliénés de Lyon, les observations suivantes :
« Ces enfants parlent la langue française pendant leurs crises avec une facilité étonnante, même celles qui, hors de là, n'en savent que quelques mots.
« Ces enfants, une fois dans leurs crises, perdent complètement toute réserve envers qui que ce soit ; elles perdent aussi complètement toute affection de famille.
« La réponse est toujours si prompte et si facile, qu'on dirait qu'elle vient au-devant de l'interrogation ; cette réponse est toujours ad rem, excepté quand le parleur répond par des bêtises, par des insultes ou un refus affecté.
« Pendant la crise, le pouls reste calme, et, dans la plus grande fureur, le personnage a l'air de se posséder, comme quelqu'un qui appellerait la colère à son commandement, sans ressembler aux personnes exaltées ou prises d'un accès de fièvre.
« Nous avons remarqué pendant les crises une insolence inouïe qui passe toute expression, dans des enfants qui, hors de là, sont douces et timides.
« Pendant la crise, il y a dans toutes ces enfants un caractère d'impiété permanent porté au delà de toutes les limites, dirigé contre tout ce qui rappelle Dieu, les mystères de la religion, Marie, les saints, les sacrements, la prière, etc. ; le caractère dominant de ces moments affreux, c'est la haine de Dieu et de tout ce qui s'y rapporte.
« Il nous est bien constaté que ces enfants révèlent des choses qui arrivent au loin, ainsi que des faits passés dont elles n'avaient aucune connaissance ; elles ont aussi révélé à plusieurs personnes leurs pensées.
« Elles annoncent quelquefois le commencement, la durée et la fin des crises, ce qu'elles feront plus tard et ce qu'elles ne feront pas.
« Nous savons qu'elles ont donné des réponses exactes à des questions adressées en langues à elles inconnues, allemand, latin, etc.
« Ces enfants ont, dans l'état de crise, une force qui n'est pas proportionnée à leur âge, puisqu'il faut trois ou quatre hommes pour tenir, pendant les exorcismes, des petites filles de dix ans.
« Il est à remarquer que, pendant la crise, les enfants ne se font aucun mal, ni par les contorsions qui semblent de nature à disloquer leurs membres, ni par les chutes qu'elles font, ni par les coups qu'elles se donnent en frappant avec violence.
« Il y a toujours invariablement dans leurs réponses, la distinction de plusieurs personnages : la fille et lui, le démon et le damné.
« Hors de la crise, ces enfants n'ont aucun souvenir de ce quelles ont dit ou de ce qu'elles ont fait ; soit que la crise ait duré même toute une journée, soit qu'elles aient fait des ouvrages prolongés ou des commissions données dans l'état de crise.
« Pour conclure nous dirons :
« Que notre impression à nous est que tout cela est surnaturel, dans la cause et dans les effets ; d'après les règles de la saine logique, et d'après tout ce que la théologie, l'histoire ecclésiastique et l'Evangile nous enseignent et nous racontent,
« Nous déclarons que, selon nous, il y a une véritable possession du démon.
« En foi de quoi,                            Signé : ***.
« Morzines, 5 octobre 1857. »
Voici comment M. Constant décrit l'état de crise des malades, d'après ses propres observations :
« Au milieu du calme le plus complet, rarement la nuit, il survient tout à coup des bâillements, des pandiculations, quelques tressaillements, de petits mouvements saccadés et d'aspect choréique dans les bras ; peu à peu, et dans un très court espace de temps, comme par l'effet de décharges successives, ces mouvements deviennent plus rapides, ensuite plus amples, et ne paraissent bientôt plus qu'une exagération des mouvements physiologiques ; la pupille se dilate et se resserre tour à tour, et les yeux participent aux mouvements généraux.
« A ce moment, les malades, dont l'aspect avait d'abord paru exprimer la frayeur, entrent dans un état de fureur qui va toujours croissant, comme si l'idée qui les domine produisait deux effets presque simultanés : de la dépression et de l'excitation tout aussitôt.
« Elles frappent sur les meubles avec force et vivacité, commencent à parler, ou plutôt à vociférer ; ce qu'elles disent toutes à peu près, quand on ne les surexcite pas par des questions, se réduit à ces mots indéfiniment répétés : « S… nom ! s… ch… gne ! s… rouge ! » (Elles appellent rouges ceux à la piété desquels elles ne croient pas.) Quelques-unes ajoutent des jurements.
« Si près d'elles ne se trouve aucun spectateur étranger ; s'il ne leur est pas fait de questions, elles répètent sans cesse la même chose sans rien ajouter ; si c'est le contraire, elles répondent à ce que dit le spectateur, et même aux pensées qu'elles lui prêtent, aux objections qu'elles prévoient, mais sans s'écarter de leur idée dominante, en y rapportant tout ce qu'elles disent. Ainsi c'est souvent : « Ah ! tu crois, b… d'incrédule, que nous sommes folles, que nous n'avons qu'un mal d'imagination ! Nous sommes des damnées, s… n… de D… ! Nous sommes des diables de l'enfer ! »
« Et comme c'est toujours un diable qui parle par leur bouche, le prétendu diable raconte quelquefois ce qu'il faisait sur la terre, ce qu'il a fait depuis en enfer, etc.
« Devant moi elles ajoutaient invariablement :
« Ce ne sont pas tes s… médecins qui nous guériront ! Nous nous f… bien de tes médecines ! Tu peux bien les faire prendre à la fille, elles la tourmenteront, elles la feront souffrir ; mais à nous, elles ne nous feront rien, car nous sommes des diables ! Ce sont de saints prêtres, des évêques qu'il nous faut, etc. »
« Ce qui ne les empêche point d'insulter les prêtres quand il s'en présente, sous prétexte qu'ils ne sont pas assez saints pour avoir action sur les démons. Devant le maire, des magistrats, c'était toujours la même idée, mais avec d'autres paroles.
« A mesure qu'elles parlent, toujours avec la même véhémence, toute leur physionomie n'a d'autre caractère que celui de la fureur. Quelquefois le cou se gonfle, la face s'injecte ; chez d'autres, elle pâlit, tout comme il arrive aux personnes ordinaires qui, selon leur constitution, rougissent ou pâlissent pendant un violent accès de colère ; les lèvres sont souvent souillées de salive, ce qui a fait dire que les malades écumaient.
« Les mouvements, bornés d'abord aux parties supérieures, gagnent successivement le tronc et les membres intérieurs ; la respiration devient haletante ; les malades redoublent de fureur, deviennent agressives, déplacent les meubles et lancent chaises, tabourets, tout ce qui leur tombe sous la main, sur les assistants ; se précipitent sur eux pour les frapper, aussi bien leurs parents que les étrangers ; se jettent à terre, toujours continuant les même cris ; se roulent, frappent les mains sur le sol, se frappent elles-mêmes sur la poitrine, le ventre, sur la partie antérieure du cou, et cherchent à arracher quelque chose qui semble les gêner en ce point. Elles se tournent et se retournent d'un bond ; j'en ai vu deux qui, se relevant comme par la détente d'un ressort, se renversaient en arrière, de telle façon que leur tête reposait sur le sol en même temps que leurs pieds.
« Cette crise dure plus ou moins, dix, vingt minutes, une demi-heure, selon la cause qui l'a provoquée. Si c'est la présence d'un étranger, d'un prêtre surtout, il est très rare qu'elle finisse avant que la personne se soit éloignée ; dans ce cas les mouvements convulsifs ne sont cependant pas continus ; après avoir été très violents, ils s'affaiblissent et s'arrêtent pour recommencer immédiatement, comme si la force nerveuse épuisée prenait un moment de repos pour se réparer.
« Pendant la crise, le pouls, les battements du cœur, ne sont nullement accélérés, c'est même le plus ordinairement le contraire : le pouls se concentre, devient petit, lent, et les extrémités se refroidissent ; malgré la violence de l'agitation, les coups furieux frappés de tous côtés, les mains restent glacées.
« Contrairement à ce qui s'est vu souvent dans des cas analogues, aucune idée érotique ne se mêle ou ne paraît s'ajouter à l'idée démoniaque ; j'ai même été frappé de cette particularité, parce qu'elle est commune à toutes les malades : aucune ne dit le moindre mot ou ne fait le moindre geste obscène : dans leurs mouvements les plus désordonnés, jamais elles ne se découvrent, et si leurs vêtements se relèvent un peu quand elles se roulent à terre, il est très rare qu'elles ne les rabattent presque aussitôt.
« Il ne paraît point qu'il y ait ici lésion de la sensibilité génitale ; aussi il n'a jamais été question d'incubes, de succubes ou de scènes du sabbat ; toutes les malades appartiennent, comme démonomanes, au second des quatre groupes indiqués par M. Macario ; quelques-unes entendent la voix des diables, beaucoup plus généralement ils parlent par leur bouche.
« Après le grand désordre, les mouvements deviennent peu à peu moins rapides ; quelques gaz s'échappent par la bouche, et la crise est finie. La malade regarde autour d'elle d'un air un peu étonné, arrange ses cheveux, ramasse et replace son bonnet, boit quelques gorgées d'eau, et reprend son ouvrage, si elle en tenait un quand la crise a commencé ; presque toutes disent n'éprouver aucune lassitude et ne pas se souvenir de ce qu'elles ont dit ou fait.
« Cette dernière assertion n'est pas toujours sincère ; j'en ai surpris quelques-unes se souvenant très bien, seulement elles ajoutaient : « Je sais bien qu'il (le diable) a dit ou fait telle chose, mais ce n'est pas moi ; si ma bouche a parlé, si mes mains ont frappé, c'était LUI qui les faisait parler et frapper ; j'aurais bien voulu rester tranquille, mais IL est plus fort que moi. »
« Cette description est celle de l'état le plus fréquent ; mais entre les extrêmes, il existe plusieurs degrés, depuis la malade qui n'a que des crises de douleurs gastralgiques, jusqu'à celle qui arrive au dernier paroxysme de la fureur. Cette réserve faite, je n'ai trouvé, sur toutes les malades que j'ai visitées, de différences dignes d'être notées que chez quelques-unes seulement.
« L'une, la nommée Jeanne Br…, quarante-huit ans, non mariée, très vieille hystérique, sent des bêtes qui ne sont autres que des diables qui lui courent sur la figure et la piquent.
« La femme Nicolas B…, âgée-de trente-huit ans, malade depuis trois ans, aboie pendant ses crises ; elle attribue sa maladie à un verre de vin qu'elle a bu en compagnie d'un de ceux qui donnent le mal.
« Jeanne G…, âgée de trente-sept ans, non mariée, est celle dont les crises diffèrent le plus. Elle n'a point de ces mouvements cloniques généraux qui se voient chez toutes les autres, et elle ne parle presque jamais. Dès qu'elle sent venir sa crise, elle va s'asseoir et se met à balancer la tête d'arrière en avant ; les mouvements, lents et peu étendus d'abord, vont toujours s'accélérant, et finissent par faire parcourir à la tête, avec une incroyable rapidité, un arc de cercle de plus en plus étendu, jusqu'à ce qu'elle vienne alternativement et régulièrement frapper le dos et la poitrine. Par intervalles le mouvement s'arrête un instant, et les muscles contractés maintiennent la tête fixée dans la position où elle se trouvait au moment du temps d'arrêt, sans qu'il soit possible, même avec des efforts, de la redresser ou de la fléchir.
« Victoire V…, âgée de vingt ans, devint malade l'une des premières, à l'âge de seize ans. Son père raconte ainsi ce qu'elle a éprouvé :
« Elle n'avait jamais rien ressenti, quand le mal la prit un jour à la messe ; pendant les deux ou trois premiers jours, elle ne faisait que sauter un peu. Un jour elle m'apportait mon dîner à la cure où je travaillais, l'Angélus sonna comme elle arrivait sur le pont ; elle se mit aussitôt à sauter, et se jeta par terre en criant et en gesticulant, jurant après le sonneur. Le curé de Montriond se trouva là par hasard, elle l'injuria, l'appela s… ch… de Montriond. M. le curé de Morzines vint aussi près d'elle au moment où la crise finissait, mais elle recommença aussitôt, parce qu'il lui fit un signe de croix sur le front. On l'avait exorcisée souvent, mais voyant que rien ne la guérissait, pas plus les exorcismes qu'autre chose, je la conduisis à Genève chez M. Lafontaine (le magnétiseur) ; elle y est restée un mois, et est revenue bien guérie : elle a été tranquille près de trois ans.
« Il y a six semaines elle a été reprise, mais elle n'avait plus de crise ; elle ne voulait voir personne et s'enfermait à la maison ; elle ne mangeait que quand j'avais quelque chose de bon à lui donner, autrement elle ne pouvait avaler. Elle ne pouvait se tenir sur ses jambes, ni à peine remuer les bras ; j'ai essayé plusieurs fois de la mettre debout, mais elle ne se sentait pas, et tombait dès que je ne la tenais plus. Je me suis décidé à la reconduire chez M. Lafontaine ; je ne savais comment l'emmener ; elle me dit : « Quand je serai sur la commune de Montriond, je marcherai bien. » Aidé d'un de mes voisins, nous l'avons portée plutôt qu'elle n'a marché jusqu'à Montriond. Mais aussitôt de l'autre côté du pont, elle a marché toute seule et ne se plaignit plus que d'un goût horrible dans la bouche. Après deux séances chez M. Lafontaine, elle était mieux, et maintenant elle est placée comme domestique. »
« Il a été généralement remarqué, dit M. Constant, que dès qu'elles sont hors de la commune, les malades n'ont que très rarement des crises.
« Un jour, le maire, qui m'accompagnait, fut surpris par une malade et violemment frappé avec une pierre au visage ; presque au même instant une autre malade se précipitait sur lui, armée d'un gros morceau de bois, pour le frapper aussi ; voyant venir celle-ci, il lui présenta le bout aigu de son bâton ferré, la menaçant de l'en percer si elle avançait ; elle s'arrêta, laissa tomber son morceau de bois et se contenta de dire des injures.
« Malgré les courses, les sauts, les mouvements violents et désordonnés des malades, malgré les coups qu'elles se donnent, leurs terreurs ou leurs divagations, on ne cite point de tentative de suicide ou d'accident grave arrivé à aucune d'entre elles ; elles ne perdent donc point toute conscience, l'instinct de conservation au moins subsiste.
« Si, au commencement d'une crise, une femme tient son enfant dans ses bras, il arrive souvent qu'un diable moins méchant que celui qui va la travailler lui dise : « Laisse cet enfant, il (l'autre diable) lui ferait du mal. » Il en est de même quelquefois quand elles tiennent un couteau ou tout autre instrument susceptible d'occasionner une blessure.
« Les hommes ont subi comme les femmes l'influence de la croyance qui les déprime tous à divers degrés, mais chez eux les effets ont été moindres et assez différents. Il en est en effet qui ressentent absolument les mêmes douleurs que les femmes ; comme elles, ils ont des suffocations, éprouvent un sentiment de strangulation et accusent la sensation de la boule hystérique, mais aucun n'est allé jusqu'aux convulsions ; et s'il y a eu quelques rares exemples d'accidents convulsifs, ils peuvent presque toujours être attribués à un état morbide antérieur et différent. L'unique représentant du sexe masculin qui paraisse avoir eu réellement des crises de la même nature que celles des filles, est le jeune T… Ce sont généralement les jeunes filles de quinze à vingt-cinq ans qui ont été atteintes ; dans l'autre sexe, au contraire, à l'exception de cet enfant T…, ce ne sont à peu près, dans la mesure que je viens de dire, que des hommes d'un âge mûr, auxquels les vicissitudes de la vie ont bien pu apporter d'autres préoccupations préexistantes, ou à ajouter à celles causées par la maladie. »
Après avoir discuté la plupart des faits extraordinaires racontés au sujet des malades de Morzines, et essayé de prouver l'état de dégénérescence physique et morale des habitants par suite d'affections héréditaires, M. Constant ajoute :
« Il faut donc se tenir pour bien assuré que tout ce qui s'est dit à Morzines, une fois ramené à la vérité, se trouve considérablement réduit ; chacun a fait son conte et a voulu surpasser les autres conteurs. Ces exagérations se retrouvent dans toutes les relations des épidémies de ce genre. Quand bien même quelques faits seraient réels de tous points et échapperaient à toute interprétation, serait-ce un motif pour leur chercher une explication au delà des lois naturelles ? Autant vaudrait dire que tous les agents dont le mode d'action reste à découvrir, tout ce qui échappe à notre analyse est nécessairement surnaturel.
« Tout ce qui s'est vu à Morzines, tout ce qui s'est raconté surtout, pourra bien, pour quelques personnes, rester le signe manifeste d'une possession, mais c'est aussi très certainement celui de cette maladie complexe qui a reçu le nom d'hystéro-démonomanie. »
Nous dirons avec M. Constant, qu'il n'est nul besoin d'aller chercher dans le surnaturel l'explication des effets inconnus ; nous sommes parfaitement d'accord avec lui sur ce point. Pour nous, les phénomènes spirites n'ont rien de surnaturel ; ils nous révèlent une des lois, une des forces de la nature que l'on ne connaissait pas et qui produit des effets jusqu'alors inexpliqués. Cette loi, qui ressort des faits et de I'observation, est-elle donc plus déraisonnable parce qu'elle a pour promoteurs des êtres intelligents plutôt que des bêtes ou la matière brute ? Est-il donc si insensé de croire à des intelligences actives au delà de la tombe, quand surtout elles se manifestent d'une manière ostensible ? La connaissance de cette loi, en ramenant certains effets à leur cause véritable, simple et naturelle, est le meilleur antidote des idées superstitieuses.

Ainsi qu'on a pu le remarquer, M. Constant est arrivé à Morzines avec l'idée que la cause du mal était purement physique ; il pouvait avoir raison, car il serait absurde de supposer à priori une influence occulte à tout effet dont la cause est inconnue. Selon lui, cette cause est tout entière dans les conditions hygiéniques, climatériques et physiologiques des habitants. Nous sommes loin de prétendre qu'il aurait dû venir avec une opinion contraire tout arrêtée, ce qui n'eût pas été plus logique ; nous disons simplement qu'avec son idée préconçue il n'a vu que ce qui pouvait s'y rapporter, tandis que s'il eût été dans ses opinions d'admettre seulement la possibilité d'une autre cause, il aurait vu autre chose.
Quand une cause est réelle, elle doit pouvoir expliquer tous les effets qu'elle produit ; si certains effets viennent la contredire, c'est qu'elle est fausse ou qu'elle n'est pas unique, et alors il faut en chercher une autre. C'est incontestablement la marche la plus logique ; et la justice, dans ses investigations pour la recherche de la criminalité, ne procède pas autrement. S'il s'agit de constater un crime, arrive-t-elle avec l'idée qu'il a dû être commis de telle ou telle manière, par tel moyen ou telle personne ? Non ; elle observe les plus petites circonstances, et, remontant des effets aux causes, elle écarte celles qui sont inconciliables avec les effets observés, et, de déduction en déduction, il est rare qu'elle n'arrive pas à la constatation de la vérité. Il en est de même dans les sciences ; lorsqu'une difficulté reste insoluble, le plus sage est de suspendre son jugement. Toute hypothèse est permise alors pour essayer de la résoudre ; mais si celte hypothèse ne résout pas tous les cas de la difficulté, c'est qu'elle est fausse : elle n'a le caractère d'une vérité absolue que si elle donne raison à tout. C'est ainsi qu'en Spiritisme, par exemple, toute constatation matérielle à part, en remontant des effets aux causes, on arrive au principe de la pluralité des existences, comme conséquence inévitable, parce que seul il explique clairement ce qu'aucun autre n'a pu expliquer.
En appliquant cette méthode aux faits de Morzines, il est aisé de voir que la cause unique admise par M. Constant est loin de tout expliquer. Il constate, par exemple, que les crises cessent généralement dès que les malades sont hors du territoire de la commune. Si donc le mal tient à la constitution lymphatique et à la mauvaise nourriture des habitants, comment cette cause cesse-t-elle d'agir quand ils ont franchi le pont qui les sépare de la commune voisine ? Si les crises nerveuses n'étaient accompagnées d'aucun autre symptôme, nul doute qu'on pût, selon toute apparence, les attribuer à un état constitutionnel, mais il est des phénomènes que cet état seul ne saurait expliquer.
Le Spiritisme nous offre ici une comparaison frappante. Au début des manifestations, lorsqu'on vit les tables tourner, frapper, se dresser, se soulever dans l'espace sans point d'appui, la première pensée fut que ce pouvait être par l'action de l'électricité, du magnétisme, ou d'un fluide inconnu ; cette supposition n'avait rien de déraisonnable, au contraire : elle offrait toute probabilité. Mais lorsqu'on vit ces mêmes mouvements donner des signes d'intelligence, manifester une volonté propre, spontanée et indépendante, la première hypothèse ne pouvant résoudre cette phase du phénomène, dut être abandonnée, et il fallut bien reconnaître dans un effet intelligent une cause intelligente. Quelle était cette intelligence ? C'est encore par la voie de l'expérimentation qu'on y est arrivé, et non par un système préconçu.
Citons un autre exemple. Lorsque Newton, observant la chute des corps, remarqua qu'ils tombaient tous dans la même direction, il en chercha la cause et fit une hypothèse ; cette hypothèse, résolvant tous les cas du même genre, devint la loi de gravitation universelle, loi purement mécanique, parce que tous les effets étaient mécaniques. Mais supposons qu'en voyant tomber une pomme, celle-ci eût obéi à sa volonté ; qu'à son commandement, au lieu de descendre elle eût monté, fût allée à droite ou à gauche, se fût arrêtée ou mise en mouvement ; qu'elle eût, par un signe quelconque, répondu à sa pensée, il eût bien été forcé de reconnaître autre chose qu'une loi mécanique, c'est-à-dire que la pomme n'étant pas intelligente par elle-même, elle devait obéir à une intelligence. Ainsi en a-t-il été des tables tournantes ; ainsi en est-il des malades de Morzines.
Pour ne parler que des faits observés par M. Constant lui-même, nous demanderons comment une mauvaise nourriture et un tempérament lymphatique peuvent produire l'antipathie religieuse chez des gens naturellement religieux et même dévots ? Si c'était un fait isolé, ce pourrait être une exception, mais on reconnaît qu'il est général et que c'est un des caractères de la maladie là et ailleurs ; voilà un effet, cherchez-en la cause ; vous ne la connaissez pas ? soit ; avouez-le, mais ne dites pas qu'il tient à ce que les habitants mangent des pommes de terre et du pain noir, ni à leur ignorance et à l'étroitesse de leur intelligence, car on vous opposera le même effet chez des gens qui vivent dans l'abondance et ont reçu de l'instruction. S'il suffisait du confortable pour guérir de l'impiété, on s'étonnerait de trouver tant d'impies et de blasphémateurs parmi les gens qui ne se refusent rien.
Le régime hygiénique expliquera-t-il mieux cet autre fait non moins caractéristique et général du sentiment de la dualité qui se traduit d'une manière non équivoque dans le langage des malades ? Certainement non. C'est toujours un tiers qui parle ; toujours une distinction entre lui et la fille, fait constant chez les individus dans le même cas, à quelque classe de la société qu'ils appartiennent. Les remèdes sont inefficaces par une bonne raison, c'est qu'ils sont bons, comme ce tiers le dit, pour la fille, c'est-à-dire pour l'être corporel, mais non pour l'autre, celui qu'on ne voit pas, et qui pourtant la fait agir, la contraint, la subjugue, la terrasse, et se sert de ses membres pour frapper et de sa bouche pour parler. Il dit n'avoir rien vu qui justifie l'idée de la possession, mais les faits étaient devant ses yeux, il les cite lui-même. Peuvent-ils s'expliquer par la cause qu'il leur attribue ? Non ; donc cette cause n'est pas la véritable ; il voyait des effets moraux, il fallait chercher une cause morale.
Un autre médecin, le docteur Chiara, qui, lui aussi, a visité Morzines, et a publié son appréciation , constate les mêmes phénomènes et les mêmes symptômes que M. Constant ; mais pour lui, comme pour ce dernier, les Esprits malins sont dans l'imagination des malades. Nous trouvons dans sa relation le fait suivant, à propos d'une malade :
« L'accès commence par un hoquet et des mouvements de déglutition, par la flexion et le redressement alternatifs de la tête sur le tronc ; puis après plusieurs contorsions qui donnent à sa figure si douce une expression effrayante : «S… médecin, s'écrie-t-elle, je suis le diable…, tu veux me faire sortir de la fille, je ne te crains pas… viens !… il y a quatre ans que je la possède : elle est à moi, j'y resterai.   Que fais-tu dans cette fille ?   Je la tourmente.   Et pourquoi, malheureux, tourmentes-tu une personne qui ne t'a fait aucun mal ?   Parce qu'on m'y a mis pour la tourmenter ?   Tu es un scélérat. » Ici je m'arrête, abasourdi par une avalanche d'injures et d'imprécations. »
En parlant d'une autre malade, il dit :
« Après quelques instants d'une scène muette, d'une pantomime plus ou moins expressive, notre possédée se met à pousser des jurons horribles. Écumante de rage, elle nous injurie tous avec une fureur sans pareille. Mais, disons-le tout de suite, ce n'est pas la fille qui s'exprime ainsi, c'est le diable qui la possède et qui, se servant de son organe, parle en son nom propre. Quant à notre énergumène, elle n'est qu'un instrument passif chez qui la notion du moi est entièrement abolie. Si on l'interpelle directement, elle reste muette : Belzébuth seul répondra.
« Enfin, après trois minutes environ, ce drame effrayant cesse tout à coup comme par enchantement. La fille B… reprend l'air le plus calme, le plus naturel du monde, comme si rien ne se fût passé. Elle tricotait avant, la voilà qui tricote après, sans qu'elle paraisse avoir interrompu son travail. Je l'interroge ; elle me répond n'éprouver aucune fatigue, et ne se souvient de rien. Je lui parle des injures qu'elle nous a dites : elle les ignore ; mais elle paraît en être contrariée et nous fait ses excuses.
« Chez toutes ces malades, la sensibilité générale est complètement abolie. On a beau les pincer, les piquer, les brûler, elles ne ressentent rien. A l'une d'elles je fis un pli à la peau que je traversai de part en part avec une aiguille ordinaire ; le sang coula, mais elle ne sentit rien.
« A Morzines j'ai encore vu plusieurs de ces malades hors l'état de crise ; c'étaient des jeunes filles, grosses et fraîches, jouissant de la plénitude de leurs facultés physiques et morales. A les voir, il était impossible de supposer chez elle l'existence de la moindre affection. »
Ceci contraste avec l'état rachitique, malingre et souffreteux que M. Constant a cru remarquer. Quant au phénomène de l'insensibilité pendant les crises, ce n'est pas, comme on a pu le voir, le seul rapprochement que ces faits présentent avec l'état cataleptique, le somnambulisme et la double vue.
De toutes ses observations, le docteur Chiara conclut à cette définition du mal :
« C'est un ensemble morbide, formé de différents symptômes, pris un peu dans tout le cadre pathologique des maladies nerveuses et mentales ; en un mot, c'est une affection sui generis, à laquelle je conserverai, attachant peu d'importance aux dénominations, le nom d'hystéro-démonie qu'on lui a déjà donné. »
C'est le cas de dire : « Que celui qui a des oreilles entende. » C'est un mal particulier, formé de différentes parties, et qui a sa source un peu partout. Autant valait dire tout net : « C'est un mal que je ne comprends pas. » C'est un mal sui generis ; nous sommes d'accord ; mais quel est ce genre auquel vous ne savez même quel nom donner ?
Nous pourrions prouver l'insuffisance d'une cause purement matérielle pour expliquer le mal de Morzines, par bien d'autres rapprochements, mais que nos lecteurs feront eux-mêmes. Qu'ils veuillent donc se reporter à nos précédents articles sur le même sujet, à ce que nous disons de la manière dont s'opère l'action des Esprits obsesseurs, des phénomènes qui résultent de cette action, et l'analogie en ressortira avec la dernière évidence. Si, pour les Morzinois, le tiers intervenant est le diable, c'est qu'on leur a dit que c'était le diable, et qu'ils ne connaissent que cela. On sait d'ailleurs que certains Esprits de bas étage s'amusent à prendre des noms infernaux pour effrayer. A ce nom, substituez dans leur bouche le mot Esprit, ou mieux mauvais Esprits, et vous aurez la reproduction identique de toutes les scènes d'obsession et de subjugation que nous avons rapportées. Il est incontestable que, dans un pays où dominerait l'idée du Spiritisme, une épidémie pareille survenant, les malades se diraient sollicités par de mauvais Esprits, et alors ils passeraient aux yeux de certaines gens pour des fous ; ils disent que c'est le diable : c'est une affection nerveuse. C'est ce qui serait arrivé à Morzines si la connaissance du Spiritisme y eût précédé l'invasion de ces Esprits, et c'est alors que ses adversaires auraient crié haro ! sur lui ; mais la Providence n'a pas voulu leur donner cette satisfaction passagère ; elle a voulu au contraire prouver leur impuissance à combattre le mal par les moyens ordinaires.
En fin de compte, on a eu recours à l'éloignement des malades que l'on a dirigés sur les hôpitaux de Thonon, Chambéry, Lyon, Mâcon, etc. Le moyen était bon ; car, quand ils furent tous transportés, on put se flatter de dire qu'il n'y en avait plus dans le pays. Cette mesure pouvait être fondée sur un fait observé, celui de la cessation des crises hors de la commune, mais elle paraît l'avoir été sur une autre considération : l'isolement des malades. Du reste, l'opinion de M. Constant est catégorique ; il dit : « Il devrait y avoir une sorte de lazaret où l'on pourrait enfouir, aussitôt qu'ils se montrent, les désordres moraux et nerveux dont la propriété contagieuse est établie, a dit mon ancien ami le docteur Bouchut. En attendant mieux, ce lazaret est tout trouvé, c'est l'asile d'aliénés ; c'est le seul lieu vraiment convenable pour le traitement rationnel et complet des malades qui m'occupent, soit que l'on admette que leur maladie est bien une forme, une variété de l'aliénation, et quand bien même encore on ne voudrait pas qu'elles fussent, à aucun titre, prises pour des aliénées ; il faut produire sur elles un certain degré d'intimidation, occuper leur esprit de manière à laisser le moins de temps possible à leurs préoccupations par d'autres préoccupations ; les soustraire absolument à toute influence religieuse irréfléchie et non mesurée, aux conversations, avis ou observations susceptibles d'entretenir leur erreur, qu'il faut au contraire combattre tous les jours ; leur donner un régime approprié ; les obliger enfin à se soumettre aux prescriptions qu'il pourrait être utile d'associer à un traitement purement moral et avoir les moyens d'exécution. Où trouver réunies toutes ces conditions nécessaires, essentielles, ailleurs que dans un asile ? On a craint pour ces malades le contact avec de vraies aliénées ; ce contact eût été moins fâcheux qu'on ne l'a pensé, et il eût été facile, après tout, de consacrer provisoirement un quartier aux seules malades de Morzines. Si leur agglomération avait eu quelques inconvénients, on aurait pu trouver des compensations dans la réunion elle-même, et je reste convaincu que le nom d'asile, de maison de fous, eût peut-être seul amené plus d'une guérison, et qu'il se fût rencontré peu de diables qu'une douche n'eût mis en fuite. »
Nous sommes loin de partager l'optimisme de M. Constant sur l'innocuité du contact des aliénés et l'efficacité des douches en pareil cas ; nous sommes persuadés, au contraire, qu'un tel régime peut produire une folie véritable là où il n'y a qu'une folie apparente ; or, remarquez bien qu'en dehors des crises, les malades ont tout leur bon sens et sont sains de corps et d'esprit ; il n'y a donc chez eux qu'un trouble passager qui n'a aucun des caractères de la folie proprement dite. Leur cerveau, nécessairement affaibli par les secousses fréquentes qu'il éprouve, serait encore plus facilement impressionné par la vue des fous et par l'idée seule d'être avec des fous. M. Constant attribue le développement et l'entretien de la maladie à l'imitation, à l'influence des conversations que les malades ont entre eux, et il conseille de les mettre avec des fous ou de les parquer dans un quartier d'hôpital ! N'est-ce pas une contradiction évidente, et est-ce là ce qu'il entend par traitement moral ?
Selon nous, le mal est dû à une tout autre cause et doit requérir des moyens curatifs tout différents. Il a sa source dans la réaction incessante qui existe entre le monde visible et le monde invisible qui nous entoure et au milieu duquel nous vivons, c'est-à-dire entre les hommes et les Esprits, qui ne sont autres que les âmes de ceux qui ont vécu et parmi lesquels il y en a de bons et de mauvais. Cette réaction est une des forces, une des lois de la nature, et produit une foule de phénomènes psychologiques, physiologiques et moraux incompris, parce que la cause était inconnue ; le Spiritisme nous fait connaître cette loi, et dès lors que des effets sont soumis à une loi de la nature, ils n'ont rien de surnaturel. Vivant au milieu de ce monde, qui n'est point aussi immatériel qu'on se le figure, puisque ces êtres, quoique invisibles, ont des corps fluidiques semblables aux nôtres, nous en ressentons l'influence ; celle des bons Esprits est salutaire et bienfaisante, celle des mauvais est pernicieuse comme le contact des gens pervers dans la société.
Nous disons donc qu'à Morzines, une nuée de ces êtres invisibles malfaisants s'est momentanément abattue sur cette localité, comme cela a eu lieu en beaucoup d'autres, et ce n'est ni avec des douches, ni avec une nourriture succulente qu'on les chassera. Les uns les appellent diables ou démons ; nous les appelons simplement mauvais Esprits ou Esprits inférieurs, ce qui n'implique point une meilleure qualité, mais ce qui est très différent pour les conséquences, attendu que l'idée attachée aux démons est celle d'êtres à part, en dehors de l'humanité, et perpétuellement voués au mal, tandis qu'ils ne sont autres que les âmes d'hommes qui ont été mauvais sur la terre, mais qui finiront par s'améliorer un jour ; en venant dans cette localité, ils font, comme Esprits, ce qu'ils auraient fait s'ils y fussent venus de leur vivant, c'est-à-dire le mal que ferait une bande de malfaiteurs. Il faut donc les chasser comme on chasserait une troupe d'ennemis.
Il est dans la nature de ces Esprits d'être antipathiques à la religion, parce qu'ils en redoutent la puissance, comme les criminels sont antipathiques à la loi et aux juges qui les condamnent, et ils expriment ces sentiments par la bouche de leurs victimes, véritables médiums inconscients qui sont strictement dans le vrai quand ils disent n'être que des échos ; le patient est réduit à un état passif ; il est dans la situation d'un homme terrassé par un ennemi plus fort, qui le contraint à faire sa volonté ; le moi de l'Esprit étranger neutralise momentanément le moi personnel ; il y a subjugation obsessionnelle et non possession.
Quelle absurdité ! diront certains docteurs. Absurdité, tant que vous voudrez, mais qui n'en est pas moins aujourd'hui tenue pour une vérité par un grand nombre de médecins. Un temps viendra, moins éloigné qu'on ne pense, où, l'action du monde invisible étant généralement reconnue, l'influence des mauvais Esprits sera rangée parmi les causes pathologiques ; il sera tenu compte du rôle important que joue le périsprit dans la physiologie, et une nouvelle voie de guérison sera ouverte pour une foule de maladies réputées incurables.
S'il en est ainsi, dira-t-on, d'où vient l'inutilité des exorcismes ? Cela prouve une chose, c'est que les exorcismes tels qu'ils sont pratiqués ne valent pas mieux que les médecines, et cela parce que leur efficacité n'est pas dans l'acte extérieur, dans la vertu des paroles et des signes, mais dans l'ascendant moral exercé sur les mauvais Esprits. Les malades ne disaient-ils pas : « Ce ne sont pas des remèdes qu'il nous faut, mais de saints prêtres ; » et ils insultaient ceux-ci disant qu'ils n'étaient pas assez saints pour avoir action sur les démons. Etait-ce la nourriture de pommes de terre qui les faisait parler ainsi ? Non, mais bien l'intuition de la vérité. L'inefficacité de l'exorcisme en pareil cas est constatée par l'expérience ; et pourquoi cela ? parce qu'il consiste dans des cérémonies et des formules dont se rient les mauvais Esprits, tandis qu'ils cèdent à l'ascendant moral qui leur impose ; ils voient qu'on veut les maîtriser par des moyens impuissants, et ils veulent se montrer les plus forts ; ils sont comme le cheval ombrageux qui jette par terre le cavalier inhabile, tandis qu'il plie quand il a trouvé son maître.
« Dans une de ces cérémonies, dit le docteur Chiara, il y eut dans l'église où l'on avait réuni tous les malades un affreux tumulte. Toutes ces femmes tombèrent en crise simultanément, renversant, brisant les bancs de l'église et se roulant par terre, pêle-mêle avec les enfants et les hommes, qui s'efforçaient vainement de les contenir. Elles profèrent des jurements effroyables, inouïs ; interpellent le prêtre dans les termes les plus injurieux. »
Les cérémonies publiques d'exorcisme cessèrent de ce moment, mais on alla exorciser à domicile, à toute heure du jour et de la nuit, ce qui ne produisit pas de meilleurs résultats, et y fit définitivement renoncer.
Nous avons cité plusieurs exemples de la puissance morale en pareil cas, et quand nous n'en aurions pas eu maintes preuves sous les yeux, il suffirait de rappeler celle qu'exerçait le Christ qui, pour chasser les démons, n'avait qu'à leur commander de se retirer. Comparez, dans l'Evangile, les possédés de son temps avec ceux de nos jours, et vous verrez une frappante similitude. Jésus les guérissait par des miracles, direz-vous ; soit, mais voici un fait que vous appellerez d'autant moins miraculeux qu'il s'est passé chez les schismatiques.
M. A…, de Maseau, qui n'avait point lu notre relation, nous racontait, il y a peu de jours, que dans ses propriétés les habitants d'un village furent atteints d'un mal en tout semblable à celui de Morzines ; mêmes crises, mêmes convulsions, mêmes blasphèmes, mêmes injures contre les prêtres, mêmes effets de l'exorcisme, même impuissance de la science médicale. Un de ses oncles, M. R…, de Moscou, puissant magnétiseur, homme de bien par excellence, très pieux par le cœur, étant venu visiter ces malheureux, arrêtait les convulsions les plus violentes par la seule imposition des mains qu'il accompagnait toujours d'une fervente prière. En réitérant cet acte il finit par les guérir presque tous radicalement.
Cet exemple n'est pas le seul ; comment l'expliquer, si ce n'est par l'influence magnétique secondée par la prière, remède dont usent peu nos matérialistes, parce qu'il ne se trouve ni dans le codex ni dans nos pharmacies ? remède puissant cependant quand il part du cœur et non des lèvres, et qu'il s'appuie sur une foi vive et un ardent désir de faire le bien. En décrivant l'obsession dans nos premiers articles, nous avons expliqué l'action fluidique qui s'exerce en cette circonstance, et nous en concluons, par analogie, que c'eût été un puissant auxiliaire à Morzines.
Ne croyez à la vertu d'aucun talisman, d'aucune amulette, d'aucun signe, d'aucune parole pour écarter les mauvais Esprits ; la pureté du cœur et de l'intention, l'amour de Dieu et de son prochain, voilà le meilleur talisman, parce qu'il leur ôte tout empire sur nos âmes.
Voici la communication qu'a donnée sur ce sujet l'Esprit de saint Louis, guide spirituel de la Société spirite de Paris :
« Les possédés de Morzines sont réellement sous l'influence des mauvais Esprits attirés dans cette contrée par des causes que vous connaîtrez un jour, ou, mieux, que vous reconnaîtrez un jour vous-mêmes. La connaissance du Spiritisme y fera prédominer la bonne influence sur la mauvaise ; c'est-à-dire que les Esprits guérisseurs et consolateurs, attirés par les fluides sympathiques, remplaceront la maligne et cruelle influence qui désole cette population. Le Spiritisme est appelé à rendre de grands services ; il sera le guérisseur de ces maux dont on ne connaissait pas la cause auparavant, et devant lesquels la science demeure impuissante ; il sondera les plaies morales, et leur prodiguera le baume réparateur ; en rendant les hommes meilleurs, il écartera d'eux les mauvais Esprits attirés par les vices de l'humanité. Si tous les hommes étaient bons, les mauvais Esprits s'en éloigneraient, parce qu'ils sauraient ne pouvoir les induire au mal. La présence des hommes de bien les fait fuir, celle des hommes vicieux les attire, tandis que c'est le contraire pour les bons Esprits. Soyez donc bons si vous voulez n'avoir que de bons Esprits autour de vous. » (Médium, Madame Costel.)
revue spirite 1864

Nouveaux détails sur les possédés de Morzines

Le Magnétiseur, journal du magnétisme animal, publié à Genève par M. Lafontaine, dans son numéro du 15 mai 1864, en donne le récit détaillé ci-après :
« L'épidémie démoniaque qui règne depuis 1857 dans le bourg de Morzines et les hameaux voisins, situés au milieu des montagnes de la Haute-Savoie, n'a pas encore cessé ses ravages. Le gouvernement français, depuis que la Savoie lui appartient, s'en est ému. Il a envoyé sur les lieux des hommes spéciaux, intelligents et capables, inspecteurs des maisons d'aliénés, etc., pour étudier la nature et observer la marche de cette maladie. Ils ont pris quelques mesures, ils ont essayé du déplacement, et ont fait transporter ces filles malades à Chambéry, à Annecy, à Evian, à Thonon, etc. ; mais les résultats de ces tentatives n'ont point été satisfaisants ; malgré les traitements médicaux qu'on a jugé convenable d'y joindre, les guérisons ont été peu nombreuses ; et lorsque les malheureuses filles sont revenues au pays, elles sont retombées dans le même état de souffrance. Après avoir atteint d'abord les enfants, les jeunes filles, cette épidémie s'est étendue aux mères de famille et aux femmes âgées. Peu d'hommes en ont ressenti l'influence ; cependant, il en est un auquel elle a coûté la vie ; ce malheureux s'était glissé dans un espace étroit, entre un poêle et un mur, dont il prétendait ne pouvoir sortir ; il est resté là pendant un mois, sans vouloir prendre aucune nourriture ; il y est mort d'épuisement et d'inanition, victime de son imagination frappée.
« Les envoyés du gouvernement français ont fait des rapports, dans l'un desquels M. Constant, entre autres, déclarait que le petit nombre de guérisons accomplies chez cette population étaient dues au magnétisme employé par moi, à Genève, sur les filles et sur les femmes qu'on m'avait amenées en 1858 et 1859.
« Nos lecteurs savent que ce fléau, attribué par les bons paysans de Morzines, et, ce qui est plus fâcheux, par leurs conducteurs spirituels, à la puissance du démon, se manifeste chez ceux qu'il saisit par des convulsions violentes accompagnées de cris, de maux d'estomac et des faits de la plus étonnante gymnastique, sans parler des jurements et autres procédés scandaleux dont les malades se rendent coupables sitôt qu'on les contraint à entrer dans une église.
« Nous sommes parvenus à guérir plusieurs de ces malades, qui n'ont subi aucune autre attaque tant qu'ils ont habité loin des influences fâcheuses de la contagion et des esprits frappés de leur pays ; mais à Morzines le mal horrible n'a pas cessé de faire des ravages parmi cette malheureuse population, et le nombre de ses victimes est au contraire allé croissant ; en vain a-t-on prodigué les prières et les exorcismes, en vain a-t-on transporté les malades dans les hôpitaux de différentes villes éloignées, le fléau, qui s'attache en général aux jeunes filles dont l'imagination est plus vive, s'est acharné sur sa proie, et les seules guérisons que l'on ait pu constater sont celles que nous avons opérées et dont nous avons rendu compte dans notre journal.
« Enfin, à bout de moyens, on a voulu tenter un grand coup ; Mgr Maguin, évêque d'Annecy, fit annoncer dernièrement qu'il se rendrait à Morzines, tant pour confirmer ceux des habitants qui n'avaient pas encore reçu ce sacrement, que pour aviser aux moyens de vaincre la terrible maladie. Les bonnes gens du village espéraient merveilles de cette visite.
« Elle a eu lieu samedi 30 avril et dimanche 1er mai, et voici les circonstances qui l'ont signalée.
« Samedi, vers quatre heures, le prélat s'est approché du village. Il était à cheval, accompagné d'un grand nombre d'ecclésiastiques. On avait cherché à réunir les malades dans l'église ; on en avait contraint quelques-unes à s'y rendre. « Dès que l'évêque eut mis le pied sur les terres de Morzines, dit un témoin oculaire, les possédées, sentant qu'il s'approchait, furent saisies des convulsions les plus violentes ; et en particulier, celles qui étaient renfermées dans l'église poussèrent des cris et des hurlements qui n'avaient rien d'humain. Toutes les jeunes filles qui, à diverses époques, avaient été atteintes de la maladie, en subirent le retour, et l'on en vit plusieurs, qui depuis cinq ans n'en avaient reçu aucune atteinte, tomber en proie au paroxysme le plus effrayant de ces horribles crises. » L'évêque lui-même pâlit à l'ouïe des hurlements qui accueillirent son arrivée ; néanmoins il continua à s'avancer vers l'église, malgré les vociférations de quelques malades, qui avaient échappé aux mains de leurs gardiens pour s'élancer au-devant de lui et l'injurier. Il mit pied à terre à la porte du temple et y pénétra avec dignité. Mais à peine y fut-il entré, que le désordre redoubla ; ce fut alors une scène véritablement infernale.
« Les possédées, au nombre d'environ soixante et dix, avec un seul jeune homme, juraient, rugissaient, bondissaient en tous sens ; cela dura plusieurs heures, et lorsque le Prélat voulut procéder à la confirmation, leur fureur redoubla, s'il est possible ; on dut les traîner près de l'autel ; sept, huit hommes durent plusieurs fois réunir leurs efforts pour vaincre la résistance de quelques-unes ; les gendarmes leur prêtèrent main-forte. L'évêque devait partir à quatre heures ; à sept heures du soir il était encore dans l'église, où l'on ne pouvait venir à bout de lui amener trois malades ; on parvint à en traîner deux, haletantes, l'écume à la bouche, le blasphème aux lèvres, jusqu'aux pieds du prélat. La dernière résista à tous les efforts ; l'évêque, brisé de fatigue et d'émotion, dut renoncer à lui imposer les mains ; il sortit de l'église, tremblant, bouleversé, les jambes couvertes de contusions reçues des possédées tandis qu'elles se démenaient sous sa bénédiction.
« Il quitta le village en laissant aux habitants de bonnes paroles, mais sans leur cacher l'impression profonde de stupeur qu'il avait éprouvée en présence d'un mal qu'il ne pouvait se représenter aussi grand.   Il termina en avouant « qu'il ne s'était pas trouvé assez fort pour conjurer la plaie qu'il était venu guérir, et en promettant de revenir au plus tôt muni de pouvoirs plus étendus. »
« Nous ne faisons aujourd'hui aucune réflexion ; nous nous bornons à relater ces faits déplorables. Peut-être dirons-nous dans le prochain numéro tout ce qu'ils ont provoqué de pénible en nous. »
CH. LAFONTAINE.
On demandera peut-être pourquoi les Spirites, puisqu'ils sont convaincus de la cause du mal et des moyens de la combattre, ne se sont pas rendus à Morzines pour y opérer leurs miracles ? D'abord, les Spirites ne font point de miracles ; l'action curative qu'on peut exercer en pareil cas n'a rien de merveilleux ni de surnaturel ; elle repose sur une loi de nature : celle des rapports du monde visible et du monde invisible, loi qui, en rendant raison de certains phénomènes incompris faute de la connaître, vient reculer les bornes du merveilleux, au lieu de les étendre. En second lieu, il faudrait se demander si leur concours eût été accepté ; s'ils n'eussent pas rencontré une opposition systématique ; si, loin d'être secondés, ils n'eussent pas été entravés par ceux mêmes qui ont échoué ; s'ils n'eussent pas été livrés aux insultes et aux mauvais traitements d'une population surexcitée par le fanatisme, accusés de sorcellerie auprès des malades eux-mêmes, et d'agir au nom du diable, ainsi qu'on en a vu des échantillons dans certaines localités. Dans les cas individuels et isolés, ceux qui se dévouent au soulagement des affligés sont généralement secondés par les familles et l'entourage, souvent par les malades eux-mêmes, sur le moral desquels il faut agir par de bonnes et encourageantes paroles, qu'il faut exciter à la prière. De pareilles cures ne s'obtiennent point instantanément ; ceux qui les entreprennent ont besoin du calme et d'un profond recueillement ; dans les circonstances actuelles, ces conditions seraient-elles possibles à Morzines ? C'est plus que douteux. Lorsque le moment sera venu d'arrêter le mal, Dieu y pourvoira.
Au reste, les faits de Morzines et leur prolongation ont leur raison d'être, de même que les manifestations du genre de celles de Poitiers ; ils se multiplieront soit isolément, soit collectivement, afin de convaincre d'impuissance les moyens employés jusqu'à ce jour pour y mettre un terme, et de forcer l'incrédulité à reconnaître enfin l'existence d'une puissance extra-humaine.
Pour tous les cas d'obsession, de possession et de manifestations désagréables quelconques, nous appelons l'attention sur ce qui est dit à ce sujet dans le Livre des Médiums, chap. de l'obsession ; sur les articles de la Revue relatifs à Morzines et rappelés ci-dessus ; sur nos articles des mois de février, mars et juin 1864, relatifs à la jeune obsédée de Marmande ; enfin sur les nos 325 à 335 de l'Imitation de l'Evangile. On y trouvera les instructions nécessaires pour se guider dans les circonstances analogues.
Revue spirite 1864
Un cas de possession

Mademoiselle Julie

Nous avons dit qu'il n'y avait pas de possédés dans le sens vulgaire du mot, mais des subjugués ; nous revenons sur cette assertion trop absolue, car il nous est démontré maintenant qu'il peut y avoir possession véritable, c'est-à-dire substitution, partielle toutefois, d'un Esprit errant à l'Esprit incarné. Voici un premier fait qui en est la preuve, et qui présente le phénomène dans toute sa simplicité.
Plusieurs personnes se trouvaient un jour chez une dame somnambule-médium. Tout à coup celle-ci prend des allures toutes masculines, sa voix change, et, s'adressant à l'un des assistants, s'écrie : « Ah ! mon cher ami, que je suis content de te voir ! » Surpris, on se demande ce que cela signifie. La dame reprend : « Comment ! mon cher, tu ne me reconnais pas ? Ah ! c'est vrai ; je suis tout couvert de boue ! Je suis Charles Z… » A ce nom, les assistants se rappelèrent un monsieur mort quelques mois auparavant, frappé d'une attaque d'apoplexie au bord d'une route ; il était tombé dans un fossé d'où l'on avait retiré son corps couvert de boue. Il déclare que, voulant causer avec son ancien ami, il a profité d'un moment où l'Esprit de madame A…, la somnambule, était éloigné de son corps, pour se mettre en son lieu et place. En effet, cette scène s'étant renouvelée plusieurs jours de suite, madame A… prenait chaque fois les poses et les manières habituelles de M. Charles, se renversant sur le dos du fauteuil, croisant les jambes, se frisant la moustache, passant les doigts dans ses cheveux, de telle sorte que, sauf le costume, on aurait pu croire avoir M. Charles devant soi ; toutefois il n'y avait pas transfiguration, comme nous l'avons vu en d'autres circonstances. Voici quelques-unes de ses réponses :
D. Puisque vous avez pris possession du corps de madame A…, pourriez-vous y rester ? – R. Non, mais ce n'est pas la bonne envie qui me manque.
D. Pourquoi ne le pouvez-vous pas ? – R. Parce que son Esprit tient toujours à son corps. Ah ! si je pouvais rompre ce lien, je lui jouerais le tour.
D. Que fait pendant ce temps l'Esprit de madame A… ? – R. Il est là, à côté, qui me regarde et qui rit de me voir dans ce costume.
Ces entretiens étaient très amusants ; M. Charles avait été un joyeux vivant, il ne démentait pas son caractère ; adonné à la vie matérielle, il était peu avancé comme Esprit, mais naturellement bon et bienveillant. En s'emparant du corps de madame A…, il n'avait aucune mauvaise intention ; aussi cette dame ne souffrait-elle nullement de cette situation, à laquelle elle se prêtait volontiers. Il est bon de dire qu'elle n'avait point connu ce monsieur, et ne pouvait être au fait de ses manières. Il est encore à remarquer que les assistants ne songeant point à lui, la scène n'a point été provoquée, et qu'il est venu spontanément.
La possession est ici évidente et ressort encore mieux des détails, qu'il serait trop long de rapporter ; mais c'est une possession innocente et sans inconvénient. Il n'en est pas de même quand elle est le fait d'un Esprit mauvais et mal intentionné ; elle peut alors avoir des suites d'autant plus graves que ces Esprits sont tenaces, et qu'il devient souvent très difficile d'en délivrer le patient dont ils font leur victime. En voici un exemple récent, que nous avons pu observer nous-même, et qui a été pour la société de Paris l'objet d'une étude sérieuse.
Mademoiselle Julie, domestique, née en Savoie, âgée de vingt-trois ans, d'un caractère très doux, sans aucune espèce d'instruction, était depuis quelque temps sujette à des accès de somnambulisme naturel qui duraient des semaines entières ; dans cet état elle vaquait à son service habituel sans que les personnes étrangères se doutassent de sa situation ; son travail même était beaucoup plus soigné. Sa lucidité était remarquable ; elle décrivait les lieux et les événements à distance avec une parfaite exactitude.
Il y a six mois environ, elle devint en proie à des crises d'un caractère étrange qui avaient toujours lieu pendant l'état somnambulique, devenu en quelque sorte l'état normal. Elle se tordait, se roulait à terre comme si elle se débattait sous les étreintes de quelqu'un qui cherchait à l'étrangler, et, en effet, elle avait tous les symptômes de la strangulation ; elle finissait par terrasser cet être fantastique, le prenait par les cheveux, l'accablait ensuite de coups, d'injures et d'imprécations, l'apostrophant sans cesse du nom de Frédégonde, infâme régente, reine impudique, vile créature souillée de tous les crimes, etc. Elle trépignait comme si elle la foulait aux pieds avec rage, lui arrachait ses vêtements et ses parures. Chose bizarre, se prenant elle-même pour Frédégonde, elle se frappait à coups redoublés sur les bras, la poitrine et le visage, en disant : « Tiens ! tiens ! en as-tu assez, infâme Frédégonde ? Tu veux m'étouffer, mais tu n'en viendras pas à bout ; tu veux te mettre dans ma boîte, mais je saurai bien t'en chasser. » Ma boîte était le terme dont elle se servait pour désigner son corps. Rien ne saurait peindre l'accent frénétique avec lequel elle prononçait le nom de Frédégonde, en grinçant des dents, ni les tortures qu'elle endurait dans ces moments-là.
Un jour, pour se débarrasser de son adversaire, elle saisit un couteau et s'en frappa elle-même, mais on put l'arrêter à temps pour empêcher un accident. Chose non moins remarquable, c'est que jamais elle n'a pris aucune des personnes présentes pour Frédégonde ; la dualité était toujours en elle-même ; c'est contre elle qu'elle dirigeait sa fureur quand l'Esprit était en elle, et contre un être invisible quand elle s'en était débarrassée ; pour les autres, elle était douce et bienveillante dans les moments même de sa plus grande exaspération.
Ces crises, vraiment effrayantes, duraient souvent plusieurs heures et se renouvelaient plusieurs fois par jour. Quand elle avait fini par terrasser Frédégonde, elle tombait dans un état de prostration et d'accablement dont elle ne sortait qu'à la longue, mais qui lui laissait une grande faiblesse et un embarras dans la parole. Sa santé en était profondément altérée ; elle ne pouvait rien manger et restait parfois huit jours sans prendre de nourriture. Les meilleurs aliments avaient pour elle un goût affreux qui les lui faisait rejeter ; c'était, disait-elle, l'œuvre de Frédégonde, qui voulait l'empêcher de manger.
Nous avons dit plus haut que cette jeune fille n'a reçu aucune instruction ; dans l'état de veille, elle n'a jamais ouï parler de Frédégonde, ni de son caractère, ni du rôle que celle-ci a joué. Dans l'état de somnambulisme, au contraire, elle le sait parfaitement, et dit avoir vécu de son temps. Ce n'était point Brunehaut, comme on l'avait d'abord supposé, mais une autre personne attachée à sa cour.
Une autre remarque, non moins essentielle, c'est que, lorsque commencèrent ces crises, mademoiselle Julie ne s'était jamais occupée de Spiritisme, dont le nom même lui était inconnu. Encore aujourd'hui, dans l'état de veille, elle y est étrangère, et n'y croit pas. Elle ne le connaît que dans l'état de somnambulisme, et seulement depuis qu'on a commencé à la soigner. Tout ce qu'elle a dit a donc été spontané.
En présence d'une situation aussi étrange, les uns attribuaient l'état de cette jeune fille à une affection nerveuse ; d'autres à une folie d'un caractère spécial, et il faut convenir qu'au premier abord cette dernière opinion avait une apparence de réalité. Un médecin a déclaré que, dans l'état actuel de la science, rien ne pouvait expliquer de pareils phénomènes, et qu'il ne voyait aucun remède. Cependant des personnes expérimentées en Spiritisme reconnurent sans peine qu'elle était sous l'empire d'une subjugation des plus graves et qui pouvait lui devenir fatale. Sans doute, celui qui ne l'aurait vue que dans les moments de crise, et n'eût considéré que l'étrangeté de ses actes et de ses paroles, aurait dit qu'elle était folle, et lui aurait infligé le traitement des aliénés qui eût, sans aucun doute, déterminé une folie véritable ; mais cette opinion devait céder devant les faits. Dans l'état de veille, sa conversation est celle d'une personne de sa condition et en rapport avec son défaut d'instruction ; son intelligence même est vulgaire ; il en est tout autrement dans l'état de somnambulisme : dans les moments de calme elle raisonne avec beaucoup de sens, de justesse et une véritable profondeur ; or, ce serait une singulière folie que celle qui augmenterait la dose d'intelligence et de jugement. Le Spiritisme seul peut expliquer cette anomalie apparente. Dans l'état de veille, son âme ou Esprit est comprimé par des organes qui ne lui permettent qu'un développement incomplet ; dans l'état de somnambulisme, l'âme, émancipée, est en partie affranchie de ses liens et jouit de la plénitude de ses facultés. Dans les moments de crise, ses actes et ses paroles ne sont excentriques que pour ceux qui ne croient pas à l'action des êtres du monde invisible ; ne voyant que l'effet, et ne remontant pas à la cause, voilà pourquoi tous les obsédés, subjugués et possédés passent pour des fous. Dans les maisons d'aliénés, il y a eu dans tous les temps de prétendus fous de cette nature, et que l'on guérirait facilement si l'on ne s'obstinait à ne voir en eux qu'une maladie organique.
Sur ces entrefaites, comme mademoiselle Julie était sans ressources, une famille de vrais et sincères Spirites consentit à la prendre à son service, mais dans sa position elle devait être bien plus un embarras qu'une utilité, et il fallait un véritable dévouement pour s'en charger. Mais ces personnes en ont été bien récompensées, d'abord par le plaisir de faire une bonne action, et ensuite par la satisfaction d'avoir puissamment contribué à sa guérison, aujourd'hui complète ; double guérison, car non seulement mademoiselle Julie est délivrée, mais son ennemie est convertie à de meilleurs sentiments.
C'est là que nous avons été témoin d'une de ces luttes effrayantes qui ne dura pas moins de deux heures, et que nous avons pu observer le phénomène dans les plus minutieux détails, phénomène dans lequel nous avons immédiatement reconnu une analogie complète avec ceux des possédés de Morzines. La seule différence est qu'à Morzines les possédés se livraient à des actes contre les individus qui les contrariaient, et qu'ils parlaient du diable qu'ils avaient en eux, parce qu'on leur avait persuadé que c'était le diable. Mademoiselle Julie, à Morzines, eût appelé Frédégonde le Diable.
Dans un prochain article, nous exposerons avec détail les différentes phases de cette guérison et les moyens employés à cet effet ; nous rapporterons en outre les remarquables instructions que les Esprits ont données à ce sujet, ainsi que les importantes observations auxquelles il a donné lieu touchant le magnétisme.
Revue spirite 1864

Mademoiselle Julie (deuxième article)

Dans notre précédent article, nous avons décrit la triste situation de cette jeune fille, et les circonstances qui prouvaient chez elle une véritable possession. Nous sommes heureux de confirmer ce que nous avons dit de sa guérison aujourd'hui complète. Après avoir été délivrée de son Esprit obsesseur, les violentes secousses qu'elle avait éprouvées pendant plus de six mois avaient apporté une grave perturbation dans sa santé ; maintenant elle est tout à fait remise, mais elle n'est pas sortie de son état somnambulique, ce qui ne l'empêche pas de vaquer à ses travaux habituels. Nous allons exposer les circonstances de cette guérison.
Plusieurs personnes avaient entrepris de la magnétiser, mais sans beaucoup de succès, sauf une légère et passagère amélioration dans son état pathologique ; quant à l'Esprit, il était de plus en plus tenace, et les crises avaient atteint un degré de violence des plus inquiétants. Il aurait fallu là un magnétiseur dans les conditions que nous avons indiquées dans l'article précédent pour les médiums guérisseurs, c'est-à-dire pénétrant la malade d'un fluide assez pur pour éliminer le fluide du mauvais Esprit. S'il est un genre de médiumnité qui exige une supériorité morale, c'est sans contredit dans le cas d'obsession, parce qu'il faut avoir le droit d'imposer son autorité à l'Esprit. Les cas de possession, selon ce qui est annoncé, doivent se multiplier avec une grande énergie d'ici à quelque temps, afin que l'impuissance des moyens employés jusqu'à présent pour les combattre soit bien démontrée. Une circonstance même, dont nous ne pouvons encore parler, mais qui a une certaine analogie avec ce qui s'est passé au temps du Christ, contribuera à développer cette sorte d'épidémie démoniaque. Il n'est donc pas douteux qu'il surgira des médiums spéciaux ayant le pouvoir de chasser les mauvais Esprits, comme les apôtres avaient celui de chasser les démons, soit parce que Dieu met toujours le remède à côté du mal, soit pour donner aux incrédules une nouvelle preuve de l'existence des Esprits.
Pour mademoiselle Julie, comme dans tous les cas analogues, le magnétisme simple, quelque énergique qu'il fût, était donc insuffisant ; il fallait agir simultanément sur l'Esprit obsesseur pour le dompter, et sur le moral de la malade ébranlé par toutes ces secousses ; le mal physique n'était que consécutif ; c'était un effet et non la cause ; il fallait donc traiter la cause avant l'effet ; le mal moral détruit, le mal physique devait disparaître de lui-même. Mais pour cela il faut s'identifier avec la cause ; étudier avec le plus grand soin et dans toutes ses nuances le cours des idées, pour lui imprimer telle ou telle direction plus favorable, car les symptômes varient selon le degré d'intelligence du sujet, le caractère de l'Esprit et les motifs de l'obsession, motifs dont l'origine remonte presque toujours aux existences antérieures.
L'insuccès du magnétisme sur mademoiselle Julie a fait que plusieurs personnes ont essayé ; dans le nombre s'est trouvé un jeune homme doué d'une assez grande puissance fluidique, mais qui, malheureusement, manquait totalement de l'expérience, et, surtout, des connaissances nécessaires en pareil cas. Il s'attribuait un pouvoir absolu sur les Esprits inférieurs qui, selon lui, ne pouvaient résister à sa volonté ; cette prétention, poussée à l'excès et fondée sur sa puissance personnelle et non sur l'assistance des bons Esprits, devait lui attirer plus d'un mécompte. Cela seul aurait dû suffire pour montrer aux amis de la jeune fille qu'il manquait de la première des qualités requises pour lui être d'un secours efficace. Mais ce qui, par-dessus tout, aurait dû les éclairer, c'est qu'il professait sur les Esprits en général une opinion complètement fausse. Selon lui, les Esprits supérieurs sont d'une nature fluidique trop éthérée pour pouvoir venir sur la terre communiquer avec les hommes et les assister ; cela n'est possible qu'aux Esprits inférieurs en raison de leur nature plus grossière. Cette opinion, qui n'est autre que la doctrine de la communication exclusive des démons, il avait le tort très grave de la soutenir devant la malade, même dans les moments de crise. Avec cette manière de voir, il devait ne compter que sur lui-même, et ne pouvait invoquer la seule assistance qui aurait du le seconder, assistance dont, il est vrai, il croyait pouvoir se passer ; la conséquence la plus fâcheuse était pour la malade qu'il décourageait, en lui ôtant l'espoir de l'assistance des bons Esprits. Dans l'état d'affaiblissement où était son cerveau, une telle croyance, qui donnait toute prise à l'Esprit obsesseur, pouvait devenir fatale pour sa raison, pouvait même la tuer. Aussi répétait-elle sans cesse dans les moments de crise : « Fou… fou…, il me rendra fou… tout à fait fou… je ne le suis pas encore, mais je le deviendrai. » En parlant de son magnétiseur, elle dépeignait parfaitement son action en disant : « Il me donne la force du corps, mais il ne me donne pas la force de l'esprit. » Cette parole était profondément significative, et cependant personne n'y attachait d'importance.
Lorsque nous vîmes mademoiselle Julie, le mal était à son apogée, et la crise dont nous fûmes témoin fut une des plus violentes ; c'est au moment même où nous nous appliquions à remonter son moral, où nous cherchions à lui inculquer la pensée qu'elle pouvait dompter ce mauvais Esprit avec l'assistance des bons et de son ange gardien dont il fallait invoquer l'appui, c'est à ce moment, disons-nous, que le jeune magnétiseur, qui se trouvait présent, par une circonstance providentielle sans doute, vint, sans provocation aucune, affirmer et développer sa théorie, détruisant d'un côté ce que nous faisions de l'autre. Nous dûmes lui exposer avec énergie qu'il commettait une mauvaise action, et assumait sur lui la terrible responsabilité de la raison et de la vie de cette malheureuse jeune fille.
Un fait des plus singuliers, que tout le monde avait observé, mais dont personne n'avait déduit les conséquences, se produisait dans la magnétisation. Quand elle avait lieu pendant la lutte avec le mauvais Esprit, ce dernier seul absorbait tout le fluide qui lui donnait plus de force, tandis que la malade se trouvait affaiblie et succombait sous ses étreintes. On doit se rappeler qu'elle était toujours en état de somnambulisme ; elle voyait, par conséquent, ce qui se passait, et c'est elle-même qui a donné cette explication. On ne vit dans ce fait qu'une malice de l'Esprit, et l'on se contenta de s'abstenir de magnétiser dans ces moments-là et de rester spectateur de la lutte. Avec la connaissance de la nature des fluides, on peut aisément se rendre compte de ce phénomène. Il est évident, d'abord, qu'en absorbant le fluide pour se donner de la force au détriment de la malade, l'Esprit voulait convaincre le magnétiseur d'impuissance à l'égard de sa prétention ; s'il y avait malice de sa part, c'était contre le magnétiseur, puisqu'il se servait de l'arme même avec laquelle ce dernier prétendait le terrasser ; on peut dire qu'il lui prenait le bâton des mains. Il était non moins évident que sa facilité à s'approprier le fluide du magnétiseur dénotait une affinité entre ce fluide et le sien propre, tandis que des fluides d'une nature contraire se fussent repoussés comme l'eau et l'huile. Ce fait seul suffirait pour démontrer qu'il y avait d'autres conditions à remplir. C'est donc une erreur des plus graves, et nous pouvons dire des plus funestes, de ne voir dans l'action magnétique qu'une simple émission fluidique, sans tenir compte de la qualité intime des fluides. Dans la plupart des cas, le succès repose entièrement sur ces qualités, comme dans la thérapeutique il dépend de la qualité du médicament. Nous ne saurions trop appeler l'attention sur ce point capital, démontré à la fois par la logique et par l'expérience.
Pour combattre l'influence de la doctrine du magnétiseur qui, déjà, avait influé sur les idées de la malade, nous dîmes à celle-ci : « Mon enfant, ayez confiance en Dieu ; regardez autour de vous ; ne voyez-vous pas de bons Esprits ?   C'est vrai, dit-elle ; j'en vois de lumineux que Frédégonde n'ose pas regarder.   Eh bien ! ce sont ceux qui vous protègent, et qui ne permettront pas que le mauvais Esprit ait le dessus ; implorez leur assistance ; priez avec ferveur ; priez surtout pour Frédégonde. – Oh ! pour cela, jamais je ne le pourrai.   Prenez garde ! voyez à ce mot les bons Esprits s'éloigner. Si vous voulez leur protection, il faut la mériter par vos bons sentiments, en vous efforçant surtout d'être meilleure que votre ennemie. Comment voulez-vous qu'ils vous soutiennent, si vous ne valez pas mieux qu'elle ? Songez que dans d'autres existences vous avez eu aussi des reproches à vous faire ; ce qui vous arrive est une expiation ; si vous voulez la faire cesser, il faut vous améliorer, et pour prouver vos bonnes intentions, il faut commencer par vous montrer bonne et charitable pour vos ennemis. Frédégonde elle-même en sera touchée, et peut-être ferez-vous entrer le repentir dans son cœur. Réfléchissez.   Je le ferai. – Faites-le tout de suite, et dites avec moi : « Mon Dieu, je pardonne à Frédégonde le mal qu'elle m'a fait ; je l'accepte comme une épreuve et une expiation que j'ai méritées ; pardonnez-moi mes propres fautes, comme je lui pardonne les siennes ; et vous, bons Esprits qui m'entourez, ouvrez son cœur à de meilleurs sentiments, et donnez-moi la force qui me manque. » Promettez-vous de prier tous les jours pour elle ?   Je le promets.   C'est bien ; de mon côté je vais m'occuper de vous et d'elle ; ayez confiance. – Oh ! merci ! quelque chose me dit que cela va bientôt finir. »
Ayant rendu compte de cette scène à la Société, les instructions suivantes y furent données à ce sujet :
« Le sujet dont vous vous occupez a ému les bons Esprits eux-mêmes qui veulent, à leur tour, venir en aide à cette jeune fille par leurs conseils. Elle présente un cas d'obsession en effet fort grave, et parmi ceux que vous avez vus et que vous verrez encore, on peut mettre celui-ci au nombre des plus importants, des plus sérieux, et surtout des plus intéressants par les particularités instructives qu'il a déjà présentées et qu'il vous offrira de nouveau.
« Comme je vous l'ai déjà dit, ces cas d'obsession se renouvelleront fréquemment, et fourniront deux sujets distincts d'utilité, pour vous d'abord, et pour ceux qui les subiront ensuite.
« Pour vous d'abord, en ce que, de même que plusieurs ecclésiastiques ont contribué puissamment à répandre le Spiritisme parmi ceux qui y étaient parfaitement étrangers, de même aussi ces obsédés, dont le nombre deviendra assez important pour que l'on s'en occupe d'une manière non point superficielle, mais large et approfondie, ouvriront assez les portes de la science pour que la philosophie spirite puisse avec eux y pénétrer, et occuper, parmi les gens de science et les médecins de tout système, la place à laquelle elle a droit.
« Pour eux ensuite, en ce qu'à l'état d'Esprit, avant de s'incarner parmi vous, ils ont accepté cette lutte que leur procure la possession qu'ils subissent, en vue de leur avancement, et cette lutte, croyez-le bien, fait cruellement souffrir leur propre Esprit qui, lorsque leur corps n'est en quelque sorte plus leur, a parfaitement conscience de ce qui se passe. Selon qu'ils auront supporté cette épreuve, dont vous pouvez leur abréger puissamment la durée par vos prières, ils auront progressé plus ou moins ; car, soyez en certains, malgré cette possession, toujours momentanée, ils gardent une suffisante conscience d'eux-mêmes pour discerner la cause et la nature de leur obsession.
« Pour celle qui vous occupe, un conseil est nécessaire. Les magnétisations que lui fait endurer l'Esprit incarné dont vous avez parlé lui sont funestes sous tous les rapports. Cet Esprit est systématique ; et quel système ! Celui qui ne rapporte point toutes ses actions à la plus grande gloire de Dieu, qui tire vanité des facultés qui lui ont été accordées, sera toujours confondu ; les présomptueux seront abaissés, dans ce monde souvent, infailliblement dans l'autre. Tâchez donc, mon cher Kardec, que ces magnétisations cessent complètement, ou les inconvénients les plus graves résulteraient de leur prolongation, non seulement pour la jeune fille, mais encore pour l'imprudent qui pense avoir sous ses ordres tous les Esprits des ténèbres et leur commander en maître.
« Vous verrez, dis-je, ces cas de possession et d'obsession se développer pendant une certaine période de temps, parce qu'ils sont utiles au progrès de la science et du Spiritisme ; c'est par là que les médecins et les savants ouvriront enfin les yeux et apprendront qu'il est des maladies dont les causes ne sont pas dans la matière, et qui ne doivent pas être traitées par la matière. Ces cas de possession vont également ouvrir au magnétisme des horizons tout nouveaux et lui faire faire un grand pas en avant par l'étude, jusqu'à présent si imparfaite, des fluides ; aidé de ces nouvelles connaissances, et par son alliance intime avec le Spiritisme, il obtiendra les plus grandes choses ; malheureusement, dans le magnétisme, comme dans la médecine, il y aura longtemps encore des hommes qui croiront n'avoir plus rien à apprendre. Ces obsessions fréquentes auront aussi un fort bon côté, en ce qu'étant pénétré par la prière et la force morale on peut les faire cesser et acquérir le droit de chasser les mauvais Esprits, chacun cherchera, par l'amélioration de sa conduite, à acquérir ce droit que l'Esprit de Vérité, qui dirige ce globe, conférera lorsqu'il sera mérité. Ayez foi et confiance en Dieu, qui ne permet point que l'on souffre inutilement et sans motif. »
HAHNEMANN (Médium, M. Albert).
« Je serai bref. Il sera très facile de guérir cette malheureuse possédée ; les moyens en étaient implicitement contenus dans les réflexions qui ont été émises tout à l'heure par Allan Kardec. Il faut non seulement une action matérielle et morale, mais encore une action purement spirituelle. A l'Esprit incarné qui se trouve, comme Julie, en état de possession, il faut un magnétiseur expérimenté et parfaitement convaincu de la vérité Spirite ; il faut qu'il soit en outre d'une moralité irréprochable et sans présomption. Mais, pour agir sur l'Esprit obsesseur, il faut l'action non moins énergique d'un bon Esprit désincarné. Ainsi donc, double action : action terrestre, action extra-terrestre ; incarné sur incarné, désincarné sur désincarné ; voilà la loi. Si jusqu'à cette heure cette action n'a pas été accomplie, c'est justement pour vous amener à l'étude et à l'expérimentation de cette intéressante question ; c'est à cet effet que Julie n'a pas été plus tôt délivrée : elle devait servir à vos études.
« Ceci vous démontre ce que vous aurez à faire désormais dans les cas de possession manifeste ; il est indispensable d'appeler à votre aide le concours d'un Esprit élevé, jouissant en même temps d'une puissance morale et fluidique, comme par exemple l'excellent curé d'Ars, et vous savez que vous pouvez compter sur l'assistance de ce digne et saint Vianney. Au surplus, notre concours est acquis à tous ceux qui nous appelleront à leur aide avec pureté de cœur et foi véritable.
« Je me résume : Quand on magnétisera Julie, il faudra d'abord procéder par la fervente évocation du curé d'Ars et des autres bons Esprits qui se communiquent habituellement parmi vous, en les priant d'agir contre les mauvais Esprits qui persécutent cette jeune fille, et qui fuiront devant leurs phalanges lumineuses. Il ne faut pas oublier non plus que la prière collective a une très grande puissance, quand elle est faite par un certain nombre de personnes agissant de concert, avec une foi vive et un ardent désir de soulager. »
ERASTE (Médium, M. d'Ambel).
Ces instructions ont été suivies ; plusieurs membres de la Société se sont entendus pour agir par la prière dans les conditions voulues. Un point essentiel était d'amener l'Esprit obsesseur à s'amender, ce qui devait nécessairement faciliter la guérison. C'est ce que l'on a fait en l'évoquant et en lui donnant des conseils ; il a promis de ne plus tourmenter mademoiselle Julie, et il a tenu parole. Un de nos collègues a été spécialement chargé par son guide spirituel de son éducation morale, et il a lieu d'en être satisfait. Cet Esprit, aujourd'hui, travaille sérieusement à son amélioration et demande une nouvelle incarnation pour expier et réparer ses fautes.
L'importance de l'enseignement qui découle de ce fait et des observations auxquelles il a donné lieu, n'échappera à personne, et chacun y pourra puiser d'utiles instructions selon l'occurrence. Une remarque essentielle que ce fait a permis de constater, et que l'on comprendra sans peine, c'est l'influence du milieu. Il est bien évident que si l'entourage seconde par une communauté de vue, d'intention et d'action, le malade se trouve dans une sorte d'atmosphère homogène de fluides bienfaisants, ce qui doit nécessairement faciliter et hâter le succès ; mais s'il y a désaccord, opposition ; si chacun veut agir à sa manière, il en résulte des tiraillements, des courants contraires qui paralysent forcément, et parfois annulent, les efforts tentés pour la guérison. Les effluves fluidiques, qui constituent l'atmosphère morale, si elles sont mauvaises, sont tout aussi funestes à certains individus que les exhalaisons des pays marécageux.

Nous donnons ci-après, les deux communications que l'Esprit de Frédégonde, faites dans la Société à un mois d'intervalle, et qui forment le complément des deux précédents articles sur la possession de Mademoiselle Julie. Cet Esprit ne s'est point mani¬festé avec des signes de violence, mais il écrivait avec une très grande difficulté et fatiguait extrêmement le médium, qui en fut même indisposé, et dont les facultés semblaient en quelque sorte paralysées.
Dans la prévision de ce résultat, nous avions eu soin de ne pas confier cette évocation à un médium trop délicat.
Dans une autre circonstance, un Esprit, interrogé sur le compte de celui-ci, avait dit que, depuis longtemps, il cherchait à se réincarner, mais que cela ne lui avait pas été permis, parce que son but n'était point encore de s'améliorer, son but étant, au contraire, d'avoir plus de facilité pour faire le mal à l'aide d'un corps matériel. De telles dispositions devaient rendre sa conversion fort difficile ; elle ne le fut cependant pas autant qu'on pouvait le craindre, grâce, sans doute, au concours bienveillant de toutes les personnes qui y ont participé, et peut-être aussi parce que le temps était venu où cet Esprit devait entrer dans la voie du repentir.
(16 octobre 1863 — Médium : M. Leymarie).
1.    Evocation. — R. Je ne suis pas Frédégonde ; que me voulez-vous ?
2.    Qui êtes-vous donc ? — R. Un Esprit qui souffre.
3.    Puisque vous souffrez, vous devez désirer ne plus souffrir ; nous vous assisterons, car nous compatissons avec tous ceux qui souffrent en ce monde et en l'autre ; mais il faut que vous nous secondiez, et, pour cela, il faut que vous priiez. — R. Je vous en remercie, mais je ne puis prier.
4.    Nous allons prier, cela vous aidera ; ayez confiance en la bonté de Dieu, qui pardonne toujours à celui qui se repent. — R. Je vous crois ; priez, priez ; peut-être je pourrai me convertir.
5.    Mais il ne suffit pas que nous priions, il faut prier de votre côté. — R. J'ai voulu prier, et je n'ai pas pu ; maintenant, je vais essayer avec votre aide.
6.    Dites avec nous : Mon Dieu, pardonnez-moi, parce que j'ai péché ; je me repens du mal que j'ai fait. -- R. Je le dis ; après.
7.    Cela ne suffit pas ; il faut l'écrire. — R. Mon... (ici l'Esprit ne peut écrire le mot Dieu ; ce n'est qu'après force encouragements qu'il parvient à terminer la phrase, d'une manière saccadée et peu lisible).
8.    Il ne faut pas dire cela pour la forme ; il faut le penser, et prendre la résolution de ne plus faire le mal, et vous verrez qu'aussitôt vous serez soulagée. — R. Je vais prier.
9.    Si vous avez prié sincèrement, n'en éprouvez-vous pas du mieux. — R. Oh ! si !
10.    Maintenant, donnez-nous quelques détails sur votre vie et sur les causes de votre acharnement contre Julie. — R. Plus tard... je dirai... mais je ne puis aujourd'hui.
11.    Promettez-vous de laisser Julie en repos ? Le mal que vous lui faites retombe sur vous et augmente vos souffrances. — Oui, mais je suis poussée par d'autres Esprits plus mauvais que moi.
12.    C'est une mauvaise excuse que vous donnez là pour vous disculper ; dans tous les cas, vous devez avoir une volonté, et avec de la volonté, on peut toujours résister aux mauvaises suggestions. — R. Si j'avais eu de la volonté, je ne souffrirais pas, je suis punie parce que je n'ai pas su résister.
13.    Vous en montriez cependant assez pour tour¬menter Julie ; mais vous venez de prendre de bonnes résolutions, nous vous engageons à y persister, et nous prierons les bons Esprits de vous seconder.
Remarque. — Pendant cette évocation, un autre médium obtenait de son guide spirituel une commu¬nication, contenant entre autres choses ce qui suit :
« Ne vous inquiétez pas des dénégations que vous remarquez dans les réponses de cet Esprit : son idée fixe de se réincarner lui fait repousser toute solidarité avec son passé, bien qu'elle n'en supporte que trop les effets. Elle est bien celle qui a été nommée, mais elle n'en veut pas convenir avec elle-même ».
13 novembre 1863.
14.    Evocation. — R. Je suis prête à répondre.
15.    Avez-vous persisté dans la bonne résolution où vous étiez la dernière fois ? — R. Oui.
16.    Comment vous en êtes-vous trouvée ? — R. Très bien, car j'ai prié et je suis plus calme, bien plus heureuse.
17.    Nous savons en effet que Julie n'a plus été tourmentée. Puisque vous pouvez vous communiquer plus facilement, voulez-vous nous dire pourquoi vous vous acharniez après elle ? — R. J'étais oubliée depuis des siècles, et je désirais que la malédiction qui couvre mon nom cessa un peu, afin qu'une prière, une seule, vint me consoler. Je prie, je crois en Dieu ; maintenant je puis prononcer son nom, et certes c'est plus que je ne pouvais attendre du bienfait que vous pouvez m'accorder.
Remarque. — Dans l'intervalle de la première à la seconde évocation, l'Esprit était appelé tous les jours par celui de nos collègues qui était chargé de l'instruire. Un fait positif, c'est qu'à partir de ce moment, Mademoiselle Julie a cessé d'être tourmentée.
18.    Il est fort douteux que le seul désir d'obtenir une prière ait été le mobile qui vous portait à tourmenter cette jeune fille ; vous voulez sans doute encore chercher à pallier vos torts ; dans tous les cas, c'était un mauvais moyen d'attirer sur vous la compassion des hommes. — R. Cependant, si je n'avais pas tourmenté fortement Julie, vous n'auriez pas songé à moi, et je ne serais pas sortie du misérable état où je languissais. Il en est résulté une instruction pour vous et un grand bien pour moi, puisque vous m'avez ouvert les yeux.
19.    (Au guide du médium). Est-ce bien Frédégonde qui fait cette réponse ? — R. Oui, c'est elle, un peu aidée, il est vrai, parce qu'elle est humiliée ; mais cet Esprit est beaucoup plus avancé en intelligence que vous ne croyez ; il lui faut le progrès moral dont vous l'aidez à faire le premier pas. Elle ne vous dit pas que Julie tirera un grand profit de ce qui s'est passé pour son avancement personnel.
20.    (A Frédégonde). Mademoiselle Julie vivait-elle de votre temps, et pourriez-vous nous dire ce qu'elle était ? R. Oui ; c'était une de mes suivantes, appe¬lée Hildegarde ; une âme souffrante et résignée qui a fait ma volonté ; elle subit la peine de ses services trop humbles et trop complaisants à mon égard.
21.    Désirez-vous une nouvelle incarnation ? — R. Oui, je la désire. O mon Dieu ! j'ai souffert mille tortures, et si j'ai mérité une peine bien juste, hélas ! il est temps que je puisse, à l'aide de vos prières, recommencer une existence meilleure, afin de me laver de mes anciennes souillures. Dieu est juste ; priez pour moi. Jusqu'à ce jour, j'avais la vue voilée et comme le vertige ; mais à présent, je vois, je com¬prends, je désire le pardon du Maître avec celui de mes victimes. Mon Dieu, que c'est doux le pardon !
22.    Dites-nous quelque chose de Brunehaut. — R. Brunehaut !... Ce nom me donne le vertige... Elle est la grande faute de ma vie, et j'ai senti ma vieille haine se réveiller à ce nom !... Mais mon Dieu me pardonnera, et je pourrai désormais écrire ce nom sans frémir. Plus heureuse que moi, elle est réincarnée pour la deuxième fois, et remplit un rôle que je désire, celui d'une soeur de charité.
23.    Nous sommes heureux de votre changement, nous vous y encouragerons, nous vous soutiendrons de nos prières. — R. Merci ! merci ! bons Esprits, Dieu vous le rendra.
Remarque. — Un fait caractéristique chez les mauvais Esprits, c'est l'impossibilité où ils sont souvent, de prononcer ou d'écrire le nom de Dieu. Cela dénote sans doute une mauvaise nature, mais en même temps un fond de crainte et de respect que n'ont pas les Esprits hypocrites, moins mauvais en apparence ; ces derniers, loin de reculer devant le nom de Dieu, s'en servent effrontément pour capter la confiance. Ils sont infiniment plus pervers et plus dangereux que les Esprits franchement méchants ; c'est dans cette classe qu'on trouve la plupart des Esprits fascinateurs, dont il est bien plus difficile de se débarrasser que des autres, parce que c’est de l'Esprit même qu'ils s'emparent à l'aide d'un faux semblant de savoir, de vertu ou de religion, tandis que les autres ne s'emparent que du corps. Un Esprit qui, comme celui de Frédégonde, recule devant le nom de Dieu, est bien plus près de sa conversion que ceux qui se couvrent du masque du bien. Il en est de même parmi les hommes, où vous retrouvez ces deux catégories d'Esprits incarnés.
Revue spirite 1864

Une tentation

Nous connaissons personnellement une dame médium douée d'une remarquable faculté typtologique : elle obtient facilement, et, ce qui est fort rare, presque constamment, des choses de précision, comme noms de lieux et de personnes en diverses langues, dates et faits particuliers, en présence desquels l'incrédulité a plus d'une fois été confondue. Cette dame, toute dévouée à la cause du Spiritisme, consacre tout le temps dont elle peut disposer à l'exercice de sa faculté dans un but de propagande, et cela avec un désintéressement d'autant plus louable que sa position de fortune touche de plus près à la médiocrité. Comme le Spiritisme est pour elle une chose sérieuse, elle procède toujours par une prière dite avec le plus grand recueillement pour appeler le concours des bons Esprits, prier Dieu d'écarter les mauvais, et termine ainsi : « Si j'étais tentée d'abuser en quoi que ce soit de la faculté qu'il a plu à Dieu de m'accorder, je le prie de me la retirer, plutôt que de permettre qu'elle soit détournée de son but providentiel. »
Un jour un riche étranger,   c'est de lui-même que nous tenons le fait,   vint trouver cette dame pour la prier de lui donner une communication. Il n'avait pas la plus petite notion du Spiritisme, et encore moins de croyance. Il lui dit, en déposant son portefeuille sur la table : « Madame, voilà dix mille francs que je vous donne si vous me dites le nom de la personne à laquelle je pense. » Cela suffit pour montrer où il en était de la connaissance de la doctrine. Cette dame lui fit à ce sujet les observations que tout vrai Spirite ferait en pareil cas. Néanmoins, elle essaya et n'obtint absolument rien. Or, aussitôt après le départ de ce monsieur, elle eut, pour d'autres personnes, des communications bien autrement difficiles et compliquées que ce qu'il lui avait demandé.
Ce fait devait être pour ce monsieur, ainsi que nous le lui avons dit, une preuve de la sincérité et de la bonne foi du médium, car les charlatans ont toujours des ressources à leur disposition quand il s'agit de gagner de l'argent. Mais il en ressort plusieurs enseignements d'une bien autre gravité. Les Esprits ont voulu lui prouver que ce n'est pas avec de l'argent qu'on les fait parler quand ils ne le veulent pas ; ils ont prouvé en outre que, s'ils n'avaient pas répondu à sa demande, ce n'était pas impuissance de leur part, puisqu'après ils ont dit des choses plus difficiles à des personnes qui n'offraient rien. La leçon était plus grande encore pour le médium ; c'était lui démontrer son impuissance absolue en dehors de leur concours, et lui enseigner l'humilité ; car, si les Esprits eussent été à ses ordres, s'il avait suffi de sa volonté pour les faire parler, c'était le cas ou jamais d'exercer son pouvoir.
C'est là une preuve manifeste à l'appui de ce que nous avons dit dans le numéro de la Revue de février dernier, à propos de M. Home, sur l'impossibilité où sont les médiums de compter sur une faculté qui peut leur faire défaut au moment où elle leur serait nécessaire. Celui qui possède un talent et qui l'exploite est toujours certain de l'avoir à sa disposition, parce qu'il est inhérent à sa personne ; mais la médianimité n'est pas un talent ; elle n'existe que par le concours de tiers ; si ces tiers refusent, il n'y a plus de médianimité. L'aptitude peut subsister, mais l'exercice en est annulé. Un médium sans l'assistance des Esprits est comme un violoniste sans violon.
Le monsieur en question s'est étonné que, venant pour se convaincre, les Esprits ne s'y fussent pas prêtés. A cela nous lui avons répondu que, s'il peut être convaincu, il le sera par d'autres moyens qui ne lui coûteront rien. Les Esprits n'ont pas voulu qu'il pût dire l'avoir été à prix d'argent, car si l'argent était nécessaire pour se convaincre, comment feraient ceux qui ne peuvent pas payer ? C'est pour que la croyance puisse pénétrer dans les plus humbles réduits que la médianimité n'est point un privilège ; elle se trouve partout, afin que tous, pauvres comme riches, puissent avoir la consolation de communiquer avec leurs parents et amis d'outre-tombe. Les Esprits n'ont pas voulu qu'il fût convaincu de cette manière, parce que l'éclat qu'il y eût donné aurait faussé sa propre opinion et celle de ses amis sur le caractère essentiellement moral et religieux du Spiritisme. Ils ne l'ont pas voulu dans l'intérêt du médium et des médiums en général, dont ce résultat aurait surexcité la cupidité, car ils se seraient dit que, si l'on avait réussi en cette circonstance, on le pouvait également dans d'autres. Ce n'est pas la première fois que des offres semblables ont été faites, que des primes ont été offertes, mais toujours sans succès, attendu que les Esprits ne se mettent pas au concours et ne se donnent pas au plus offrant.
Si cette dame eût réussi, aurait-elle accepté ou refusé ? Nous l'ignorons, car dix mille francs sont bien séduisants, surtout dans certaines positions. Dans tous les cas, la tentation eût été grande ; et qui sait si un refus n'eût pas été suivi d'un regret qui en eût atténué le mérite ? Remarquons que, dans sa prière, elle demande à Dieu de lui retirer sa faculté plutôt que de permettre qu'elle soit tentée de la détourner de son but providentiel ; eh bien ! sa prière a été exaucée ; sa médianimité lui a été retirée pour ce fait spécial, afin de lui épargner le danger de la tentation, et toutes les conséquences fâcheuses qui en auraient été la suite, pour elle-même d'abord, et aussi par le mauvais effet que cela eût produit.
Mais ce n'est pas seulement contre la cupidité que les médiums doivent se tenir en garde ; comme il y en a dans tous les rangs de la société, la plupart sont au-dessus de cette tentation ; mais il est un danger bien autrement grand, parce que tous y sont exposés, c'est l'orgueil, qui en perd un si grand nombre ; c'est contre cet écueil que les plus belles facultés viennent trop souvent se briser. Le désintéressement matériel est sans profit s'il n'est accompagné du désintéressement moral le plus complet. Humilité, dévouement, désintéressement et abnégation sont les qualités du médium aimé des bons Esprits.
Revue spirite 1864

Cure d'une obsession

M. Dombre, le président de la Société spirite de Marmande, nous mande ce qui suit :
« Avec l'aide des bons Esprits, nous avons délivré en cinq jours d'une obsession très violente et très dangereuse, une jeune fille de treize ans complètement au pouvoir d'un mauvais Esprit depuis le 8 mai dernier. Chaque jour, à cinq heures du soir, sans manquer un seul jour, elle avait des crises terribles, pitoyables à voir. Cette enfant demeure dans un quartier reculé, et les parents, qui considéraient cette maladie comme une épilepsie, n'en parlaient plus. Cependant un des nôtres, qui habite dans le voisinage, en fut informé, et une observation plus attentive des faits en fit aisément reconnaître la véritable cause. D'après le conseil de nos guides spirituels, nous nous sommes mis immédiatement à l'œuvre. Le 11 de ce mois, à huit heures du soir, nos réunions ont commencé pour évoquer l'Esprit, le moraliser, prier pour l'obsesseur et la victime, et exercer sur celle-ci une magnétisation mentale. Les réunions ont eu lieu chaque soir, et le vendredi 15, l'enfant subissait la dernière crise. Il ne lui reste plus que la faiblesse de la convalescence, suite d'aussi longues et aussi violentes secousses, et qui se manifeste par la tristesse, la langueur et les larmes, ainsi que cela nous avait été annoncé. Chaque jour nous étions informés, par les communications des bons Esprits, des différentes phases de la maladie.
« Cette cure, qu'en d'autres temps les uns eussent regardée comme un miracle, et d'autres comme un fait de sorcellerie, pour laquelle nous eussions été, selon l'opinion, sanctifiés ou brûlés, produit une certaine sensation dans la ville. »
Nous félicitons nos frères de Marmande du résultat qu'ils ont obtenu en cette circonstance, et nous sommes heureux de voir qu'ils ont mis à profit les conseils contenus dans la Revue à l'occasion des cas analogues qu'elle a rapportés dernièrement. Ils ont ainsi pu se convaincre de la puissance de l'action collective lorsqu'elle est dirigée par une foi sincère et une ardente charité.

Revue spirite 1864

La jeune obsédée de Marmande (Suite)

Nous avons rapporté, dans le précédent numéro (page 46), la remarquable guérison obtenue au moyen de la prière, par les Spirites de Marmande, d'une jeune fille obsédée de cette ville. Une lettre postérieure confirme le résultat de cette cure, aujourd'hui complète. La figure de l'enfant, altérée par huit mois de torture, a repris sa fraîcheur, son embonpoint et sa sérénité.
A quelque opinion qu'on appartienne, quelque idée que l'on ait sur le Spiritisme, toute personne animée d'un sincère amour du prochain a dû se réjouir de voir la tranquillité rentrée dans cette famille, et le contentement succéder à l'affliction. Il est regrettable que M. le curé de la paroisse n'ait pas cru devoir s'associer à ce sentiment, et que cette circonstance lui ait fourni le texte d'un discours peu évangélique dans un de ses prônes. Ses paroles, ayant été dites en public, sont du domaine de la publicité. S'il se fût borné à une critique loyale de la doctrine à son point de vue, nous n'en parlerions pas, mais nous croyons devoir relever les attaques qu'il a dirigées contre les personnes les plus respectables, en les traitant de saltimbanques, à propos du fait ci-dessus.
« Ainsi, a-t-il dit, le premier décrotteur venu pourra donc, s'il est médium, évoquer le membre d'une famille honorable, alors que nul dans cette famille ne pourra le faire ? Ne croyez pas à ces absurdités, mes frères ; c'est de la jonglerie, c'est de la bêtise. Au fait, qui voyez-vous dans ces réunions ? Des charpentiers, des menuisiers, des charrons, que sais-je encore ?… Quelques personnes m'ont demandé si j'avais contribué à la guérison de l'enfant. « Non, leur ai-je répondu ; je n'y suis pour rien ; je ne suis pas médecin. »
« Je ne vois là, disait-il aux parents, qu'une affection organique du ressort de la médecine ; » ajoutant que, s'il avait cru que des prières pussent opérer quelque soulagement, il en aurait fait depuis longtemps.
Si M. le curé ne croit pas à l'efficacité de la prière en pareil cas, il a bien fait de n'en pas dire ; d'où il faut conclure qu'en homme consciencieux, si les parents fussent venus lui demander des messes pour la guérison de leur enfant, il en aurait refusé le prix, car, s'il l'eût accepté, il aurait fait payer une chose qu'il regardait comme sans valeur. Les Spirites croient à l'efficacité des prières pour les maladies et les obsessions ; ils ont prié, ils ont guéri, et ils n'ont rien demandé ; bien plus, si les parents eussent été dans le besoin, ils auraient donné. « Ce sont, dit-il, des charlatans et des jongleurs. » Depuis quand a-t-il vu les charlatans faire leur métier pour rien ? Ont-ils fait porter à la malade des amulettes ? Ont-ils fait des signes cabalistiques ? Ont-ils prononcé des paroles sacramentelles en y attachant une vertu efficace ? Non, car le Spiritisme condamne toute pratique superstitieuse ; ils ont prié avec ferveur, en communion de pensées ; ces prières étaient-elles de la jonglerie ? Apparemment non ; puisqu'elles ont réussi, c'est qu'elles ont été écoutées.
Que M. le curé traite le Spiritisme et les évocations d'absurdités et de bêtises, il en est le maître, si telle est son opinion, et nul n'a rien à lui dire. Mais lorsque, pour dénigrer les réunions spirites, il dit qu'on n'y voit que des charpentiers, des menuisiers, des charrons, etc., n'est-ce pas présenter ces professions comme dégradantes, et ceux qui les exercent comme des gens avilis ? Vous oubliez donc, monsieur le curé, que Jésus était charpentier, et que ses apôtres étaient tous de pauvres artisans ou des pêcheurs. Est-il évangélique de jeter du haut de la chaire le dédain sur la classe des travailleurs que Jésus a voulu honorer en naissant parmi eux ? Avez-vous compris la portée de vos paroles quand vous avez dit : « Le premier décrotteur venu pourra donc évoquer le membre d'une famille honorable ? » Vous le méprisez donc bien, ce pauvre décrotteur, quand il nettoie vos souliers ? Hé quoi ! parce que sa position est humble, vous ne le trouvez pas digne d'évoquer l'âme d'un noble personnage ? Vous craignez donc que cette âme ne soit souillée quand, pour elle, s'étendront vers le ciel des mains noircies par le travail ? Croyez-vous donc que Dieu fait une différence entre l'âme du riche et celle du pauvre ? Jésus n'a-t-il pas dit : Aimez votre prochain comme vous-même ? Or, aimer son prochain comme soi-même, c'est ne faire aucune différence entre soi-même et le prochain ; c'est la consécration du principe : Tous les hommes sont frères, parce qu'ils sont enfants de Dieu. Dieu reçoit-il avec plus de distinction l'âme du grand que celle du petit ? celle de l'homme à qui vous faites un pompeux service, largement payé, que celle du malheureux à qui vous n'octroyez que les plus courtes prières ? Vous parlez au point de vue exclusivement mondain, et vous oubliez que Jésus a dit : « Mon royaume n'est pas de ce monde ; là, les distinctions de la terre n'existent plus ; là, les derniers seront les premiers, et les premiers seront les derniers ? » Quand il a dit : « Il y a plusieurs demeures dans la maison de mon père, » cela signifie-t-il qu'il y en a une pour le riche et une pour le prolétaire ? une pour le maître et une pour le serviteur ? Non ; mais qu'il y en a une pour l'humble et une autre pour l'orgueilleux, car il a dit : « Que celui qui voudra être le premier dans le ciel soit le serviteur de ses frères sur la terre. » Est-ce donc à ceux qu'il vous plaît d'appeler profanes de vous rappeler à l'Évangile ?
Monsieur le curé, en toutes circonstances de telles paroles seraient peu charitables, surtout dans le temple du Seigneur, où ne devraient être prêchées que des paroles de paix et d'union entre tous les membres de la grande famille ; dans l'état actuel de la société, c'est une maladresse, car c'est semer des ferments d'antagonisme. Que vous ayez tenu un tel langage à une époque où les serfs, habitués à plier sous le joug, se croyaient d'une race inférieure, parce qu'on le leur avait dit, on le concevrait ; mais dans la France d'aujourd'hui, où tout honnête homme a le droit de lever la tête, qu'il soit plébéien ou patricien c'est un anachronisme.
Si, comme il est probable, il y avait dans l'auditoire des charpentiers, des menuisiers, des charrons et des décrotteurs, ils ont dû être médiocrement touchés de ce discours ; quant aux Spirites, nous savons qu'ils ont prié Dieu de pardonner à l'orateur ses imprudentes paroles, qu'ils ont eux-mêmes pardonné à celui qui leur disait : Racca ; c'est le conseil que nous donnons à tous nos frères.

Revue spirite 1864

Récit complet de la guérison de la jeune obsédée de Marmande

M. Dombre, de Marmande, nous a transmis le procès-verbal circonstancié de cette guérison dont nous avons déjà entretenu nos lecteurs ; les détails qu'il renferme sont du plus haut intérêt au double point de vue des faits et de l'instruction. C'est tout à la fois, comme on le verra, un cours d'enseignement théorique et pratique, un guide pour les cas analogues, et une source féconde d'observations pour l'étude du monde invisible en général, dans ses rapports avec le monde visible.
Je fus averti, dit M. Dombre dans sa relation, par un des membres de notre société spirite, des crises violentes qu'éprouvait chaque soir, régulièrement depuis huit mois, la nommée Thérèse B... ; je me rendis, accompagné de M. L..., médium ; le 11 Jan¬vier dernier, à quatre heures et demie, dans une maison voisine de celle de la malade, pour chercher à être témoin de la crise qui, selon ce qui avait lieu chaque jour, devait arriver à cinq heures. Nous rencontrâmes là, la jeune fille et sa mère, en conversation avec des voisins. La demi-heure fut bientôt écoulée ; nous vîmes tout-à-coup la jeune fille se lever de son siège, ouvrir la porte, traverser la rue et rentrer chez elle suivie de sa mère qui la prit et la déposa toute habillée sur son lit. Les convulsions commencèrent ; son corps se doublait, la tête tendant à joindre les talons ; sa poitrine se gonflait ; en un mot, elle faisait mal à voir. Le médium et moi, rentrés dans la maison voisine, nous demandâmes à l'Esprit de Louis David, guide spirituel du médium, si c'était une obsession ou un cas pathologique. L'Esprit répondit :
« Pauvre enfant ! elle se trouve en effet sous une fatale influence, même bien dangereuse ; venez-lui en aide. Opiniâtre et méchant, cet Esprit résistera longtemps. Evitez, autant qu'il sera en votre pouvoir, de la laisser traiter par des médicaments qui nuiraient à l'organisme. La cause est toute morale ; essayez l'évocation de cet Esprit ; moralisez-le avec ména¬gement, nous vous seconderons. Que toutes les âmes sincères que vous connaissez se réunissent pour prier et combattre la trop pernicieuse influence de cet Esprit méchant. Pauvre petite victime d'une jalousie. »
(Louis DAVID).

D. -- Sous quel nom appellerons-nous cet Esprit ? R. — Jules.
Je l'évoquai immédiatement. L'Esprit se présenta d'une manière violente, en nous injuriant, déchirant le papier, et refusant de répondre à certaines interpel¬lations. Pendant que nous nous entretenions avec cet Esprit, M. B..., médecin, qui était allé examiner la crise, arrive près de nous et nous dit avec un certain étonnement : « C'est singulier ! l'enfant a cessé tout-à-coup de se tordre ; elle est maintenant étendue sans mouvement sur son lit.— Cela ne m'étonne pas lui dis-je, parce que l'Esprit obsesseur est en ce moment près de nous ». J'engageai M. B... à retourner vers la malade, et nous continuâmes à interpeller l'Esprit qui, à un moment donné, ne répondit plus. Le guide du médium nous informa qu'il était allé continuer son oeuvre, il nous recommanda de ne plus l'évoquer pendant les crises, dans l'intérêt de l'enfant, parce que retournant auprès d'elle avec plus de rage, il la torturait d'une manière plus aiguë. Au même instant, le médecin rentra et nous apprit que la crise venait de recommencer plus forte que jamais. Je lui fis lire l'avis qui venait de nous être donné, et nous demeu¬râmes tous frappés de ces coïncidences, qui ne pou¬vaient laisser aucun doute sur la cause du mal.
A partir de cette soirée, et sur la recommandation des bons Esprits qui nous assistent dans nos travaux spirites, nous nous réunîmes chaque soir, jusqu'à complète guérison.
Le même jour, 11 janvier, nous reçûmes la commu¬nication suivante de l'Esprit protecteur de notre groupe :
« Gardienne vigilante de l'enfance malheureuse, je viens m'associer à vos travaux, unir mes efforts aux vôtres pour délivrer cette jeune fille des étreintes cruelles d'un mauvais Esprit. Le remède est en vos mains ; veillez, évoquez et priez sans jamais vous lasser jusqu'à complète guérison.
(PETITE CARITA).

Cet Esprit, qui prend le nom de Petite Carita, est celui d'une jeune fille que j'ai connue, morte à la fleur de l'âge et qui, dès sa plus tendre enfance, avait donné les preuves du caractère le plus évangé¬lique et d'une bonté rare.
L'évocation de l'Esprit obsesseur ne nous valut que les injures les plus grossières et les plus ordurières qu'il est inutile de rapporter ; nos exhortations et nos prières glissèrent sur lui et furent sans effet. « Amis, ne vous découragez point ; il se croit fort parce qu'il vous voit dégoûtés de son langage grossier. Abstenez-vous de lui parler morale pour le moment. Causez avec lui familièrement et sur un ton amical ; vous gagnerez ainsi sa confiance, sauf à revenir au sérieux plus tard. Ami, de la persévérance ».
Vos guides.

Conformément à cette recommandation, nous devîn¬mes légers dans nos interpellations, auxquelles il répondit sur le même ton.
Le lendemain, 12 janvier, la crise fut aussi longue et aussi violente que celle des jours précédents ; elle dura à peu près une heure et demie. L'enfant se dressait sur son lit, elle repoussait avec force l'Esprit en lui disant : « Va-t-en ! va-t-en ». La chambre de la malade était pleine de monde. Nous étions, quel¬ques-uns de nous, auprès du lit pour observer attenti¬vement les phases de la crise.
A la réunion du soir, nous eûmes la communication suivante :
« Mes amis, je vous engage à suivre, comme vous l'avez fait, pas à pas, cette obsession qui est un fait nouveau pour vous. Vos observations vous seront d'un grand secours, car des cas semblables pourront se multiplier, et où vous aurez à intervenir. Cette obsession, toute physique d'abord, sera, je le crois, suivie de quelque obsession morale, mais sans danger. Vous verrez bientôt des moments de joie au milieu de ces tortures exercées par ce mauvais Esprit. Reconnaissez-y la présence et la main des bons Esprits. Si les tortures durent encore, vous remarquerez, après la crise, la paralysation complète du corps, et, après cette paralysation, une joie sereine et une extase qui adouciront la douleur de l'obsession.
Observez beaucoup ; d'autres symptômes se manifesteront, et vous y trouverez de nouveaux sujets d'étude.
Le Seigneur a dit à ses anges : Allez porter ma parole aux enfants des hommes. Nous avons frappé la terre de la verge, et la terre enfante des prodiges. Courbez-vous, enfants. C'est la toute-puissance de l'Eternel qui se manifeste à vous.
Amis, veillez et priez ; nous sommes près de vous et près du lit des souffrances pour sécher les  larmes ».
(PETITE CARITA).

L'Esprit de Jules évoqué a été moins intraitable que la veille ; à la vérité, nous avons répondu à ses facéties par des facéties, ce qui lui plaisait. Avant de nous quitter, nous lui avons fait promettre d'être moins dur à l'égard de sa victime. « Je tâcherai de me modérer », a-t-il dit ; et comme nous lui promettions à notre tour de faire pour lui des prières, il nous a répondu : « J'accepte, bien que je ne connaisse pas la valeur de cette marchandise ». (A l'Esprit). Puisque vous ne connaissez pas la prière, voulez-vous appren¬dre à la connaître, et en écrire une sous ma dictée ? — R. Je le veux bien.
L'Esprit écrivit sous la dictée la prière suivante : « O mon Dieu ! je promets d'ouvrir mon âme au repentir ; veuillez faire pénétrer dans mon coeur un rayon d'amour pour mes frères, qui seul, peut me purifier ; et, comme garantie de ce désir, je fais ici la promesse de... » (la fin de la phrase était : Cessez mon obsession ; mais l'Esprit n'a pas écrit ces trois derniers mots). « Halte-là ! a-t-il ajouté : vous voudriez m'engager sans m'avertir ; prenez garde ! je n'aime pas les pièges ; vous marchez trop vite »,
Et comme nous voulions savoir l'origine de sa jalousie et de la vengeance qu'il exerçait, il reprit : « Ne me parlez jamais de l'enfant ; vous ne feriez que m'éloigner de vous ».
La crise du 13 ne dura qu'une demi-heure, et la lutte avec l'Esprit fut suivie de sourires de bonheur, d'extase et de larmes de joie ; l'enfant, les yeux grand ouverts, joignant ses deux mains, se soulevait sur son lit et, regardant le ciel, présentait un tableau ravissant. Les prédictions de petite Carita se trou¬vaient en tous points réalisées.
Dans l'évocation qui eut lieu le soir, comme les jours précédents, l'Esprit de Jules se montra plus doux, plus soumis, et promit de nouveau de se modérer dans ses attaques contre l'enfant, dont il ne voulut jamais nous dire l'histoire ; il promit même de prier.
Le guide du médium nous dit : « Ne vous fiez pas trop à ses paroles ; elles peuvent être sincères, mais il pourrait aussi vous donner le change pour se débarrasser de vous ; restez sur vos gardes ; tenez lui compte de ses promesses, et si vous aviez plus tard des reproches à lui adresser, faites-le avec douceur, afin qu'il sente les bons sentiments que vous avez à son égard ».
(LOUIS DAVID).

Le 14, la crise fut aussi courte que la veille et encore moins vive ; elle fut également suivie d'extase et de manifestation de joie les larmes qui coulaient le long des joues de l'enfant, causaient chez tous les assistants, une émotion qu'ils ne pouvaient cacher.
Réunis le soir à huit heures, comme d'habitude, nous reçûmes au début la communication suivante : « Comme vous avez dû le remarquer, un mieux sensible s'est produit aujourd'hui chez l'enfant. Nous devons vous dire que notre présence influe beaucoup sur l'Esprit ; nous lui avons rappelé sa promesse d'hier. La jeune fille a puisé de nouvelles connaissances dans l'extase, et elle a essayé de repousser les attaques de son obsesseur. Dans l'évocation de Jules, ne mettez pas de détours ; évitez les détails qui fatiguent les uns et les autres ; soyez francs et bienveillants avec lui, vous l'aurez plus tôt. Il a fait un grand pas vers son avancement, ce que nous avons pu remarquer dans cette dernière »
(PETITE CARITA).

Evocation de Jules. — R. Me voilà, Messieurs.
D. Comment sont vos dispositions aujourd'hui ? — R. Elles sont bonnes.
D. Vous avez dû ressentir l'effet de nos prières ? — R. Pas trop.
D. Pardonnez à votre victime, et vous éprouverez une satisfaction que vous ne connaissez pas ; c'est ce que nous éprouvons dans le pardon des injures. --R. Moi, c'est tout le contraire ; je trouvais ma satis¬faction dans la vengeance d'une injure ; j'appelle cela payer ses dettes.
D. Mais le sentiment de haine que vous conser¬vez dans votre âme est un sentiment pénible qui est loin de vous laisser la tranquillité ? — R. Si je vous disais que c'est de l'attachement, me croiriez-vous ?
D. Nous vous croyons ; cependant, faites-nous le plaisir de nous expliquer comment vous conciliez cet attachement avec la vengeance que vous exercez. Qu'était pour vous l'Esprit de cet enfant dans une autre existence, et que vous a-t-elle fait pour mériter cette rigueur ? — R. Inutile que vous me le demandiez ; je vous l'ai déjà dit ; ne me parlez pas de cette enfant.
D. Eh bien ! il n'en sera plus question ; mais nous devons vous féliciter du changement qui s'est opéré en vous ; nous en sommes heureux. — R. J'ai fait des progrès à votre école... Que vont dire les autres ? Ils vont me siffler et me crier : Ah ! tu te fais ermite !
D. Que vous importe leur persiflage, si vous avez les louanges des bons Esprits ? — R. C'est vrai.
D. Tenez ! pour prouver aux mauvais Esprits, vos anciens compagnons, que vous rompez complètement avec eux, vous devriez pardonner tout à fait, à compter de ce jour ; vous montrer généreux et bon en délais¬sant d'une manière absolue la jeune fille à laquelle nous nous intéressons. — R. Mon cher Monsieur, c'est impossible ; cela ne peut venir d'une manière si prompte. Laissez-moi me défaire peu à peu de ce qui est un besoin pour moi. Savez-vous ce que vous risqueriez, si je cessais subitement ? De m'y voir revenir tout à coup. Cependant, je veux vous promet¬tre une chose, c'est de ménager l'enfant et de le torturer demain encore moins qu'aujourd'hui ; mais j'y mets une condition : c'est de n'être point amené ici par la force ; je veux me rendre à votre appel librement, et si je manque à ma parole, je consens à perdre cette faveur. Je dois vous dire que ce chan¬gement en moi est dû à cette figure riante qui est là, près de vous, et que je vois aussi près du lit de la jeune fille, tous les jours, au moment de la lutte. On est touché malgré soi ; sans cela, vous et vos saints, vous auriez du fil à retordre pour quelques jours (L'Esprit voulait parler de la petite Carita).
D. Elle est donc belle ? — R. Belle, bien belle, oh oui !
D. Mais elle n'est pas seule auprès de vous pen¬dant les luttes ? — R. Oh non ! Il y a les autres, les anciens du corps, les amis ; ça ne rit jamais, ça ; mais je me moque bien d'eux, maintenant.
Remarque. — L'interrogateur voulait sans doute parler des autres bons Esprits, mais Jules fait allusion aux Esprits mauvais, ses compagnons.
D. Allons ! avant de nous quitter, nous vous promettons de dire pour vous, ce soir, une prière.
R. J'en demande dix et dites de bon coeur, et vous serez contents de moi demain.
D. Eh bien ! soit, dix. Et puisque vous êtes en si bonnes dispositions, voulez-vous écrire de coeur une prière de trois mots, sous ma dictée ? — R. Volon¬tiers.
L'Esprit écrivit : « O mon Dieu, donnez-moi la force de pardonner ».
Le 15 janvier, la crise eut lieu, comme toujours, à cinq heures de l'après-midi, mais ne dura qu'un quart d'heure. La lutte fut faible, et fut suivie d'extase, de sourires et de larmes qui exprimaient la joie et le bonheur.
Dans la réunion du soir, petite Carita nous donna la communication suivante :
« Mes chers protégés, comme nous vous l'avions fait espérer, le phénomène spirite qui se passe sous vos yeux se modifie, s'améliore chaque jour en perdant son caractère de gravité. Un conseil d'abord, au point de vue des tortures physiques et d'études morales. Ne faites point aux yeux du monde de signes extérieurs ; ne dites point de paroles inutiles. Que vous importe ce que l'on dira ! Laissez la discussion aux oisifs. Que le but pratique, c'est-à dire la délivrance de cette jeune enfant et l'amélioration de l'Esprit qui l'obsède, soit l'élément de vos entretiens intimes et sérieux ; ne parlez pas de guérison à haute voix ; demandez-la à Dieu dans le recueillement de la prière. Cette obsession, je suis heureuse de vous le dire, touche à sa fin. L'Esprit de Jules s'est sensiblement amélioré. J'ai aussi, de tout mon pouvoir, agi sur l'Esprit de l'enfant, afin que ces deux natures si opposées fussent plus compatibles entre elles. La combinaison des fluides n'offrira plus aucun danger réel par rapport à l'organisme ; l'ébranlement que ressentait ce jeune corps au contact fluidique disparaît sensiblement. Votre travail n'est pas fini ; la  prière de tous doit toujours précéder et suivre l'évocation ».
(PETITE CARITA).

Après l'évocation de Jules, et la prière où il est qualifié d'Esprit mauvais, il dit : « Me voilà ! Je demande, au nom de la justice, la réforme de certains mots dans votre prière. J'ai réformé mes actes, réformez les qualifications que vous m'adressez ».
D. Vous avez raison ; nous n'y manquerons pas. Etes-vous venu sans contrainte aujourd'hui ? — R. Oui, je suis venu librement ; j'avais tenu mes promesses.
D. Maintenant que vous êtes calme et dans de bons sentiments, vous convient-il de nous confier les motifs de votre rigueur à l'égard de cet enfant ? — R. Laissez donc le passé, s'il vous plaît ; quand le mal est cautérisé, à quoi bon raviver la plaie ? Ah ! je sens que l'homme doit devenir meilleur. J'ai horreur de mon passé et regarde l'avenir avec espérance. Quand une bouche d'ange vous dit : La vengeance est une torture pour celui qui l'exerce ; l'amour est le bonheur pour celui qui le prodigue ; eh bien ! ce levain qui aigrit et flétrit le coeur s'évanouit, il faut aimer.
Vous êtes étonnés de mes paroles ? elles ne sont point de mon crû ; on me les a apprises, et j'ai du plaisir à vous les redire. Ah ! que vous seriez heureux d'apercevoir seulement une minute cet ange, rayonnant comme un soleil, bon, doux comme une rosée rafraîchissante qui tombe en gouttelettes fines sur une plante brûlée par les feux du jour ! Comme vous le voyez, je ne suis point en peine de causer, je puise à la source.
Un coup d'oeil rapide sur ma vie vagabonde.
Né au sein de la misère soudée au vice, je goûtai de bonne heure les amours grossiers de la vie. Je suçai avec le lait le breuvage empoisonné que m'offraient toutes les passions. J'errais sans foi, sans loi, sans honneur. Quand on doit vivre au hasard, tout est bon. La poule du paysan, comme le mouton du châtelain, servait à nos repas. La maraude était mon occupation, lorsque le hasard sans doute, car je ne crois pas que la Providence veille sur de pareils scélérats, me prit et m'équipa. Fier du costume râpé qui remplaçait mes haillons, la hallebarde au bras, je me rangeai dans une bande de... de mauvais compagnons, vivant aux dépens d'un seigneur peureux qui, à son tour, prélevait la taille sur les campagnards ; mais que nous importait, à nous, la source d'où coulaient dans nos mains la monnaie et les provisions ! Je n'entrerai pas dans le détail des faits qui me sont personnels ; ils sont méchants, hideux et indignes d'être racontés. Comprenez-vous qu'élevé à une pareille école on puisse de tenir un homme de bien ?
La bande, divisée par la mort, alla se reconstituer dans le monde des Esprits. Loin d'éviter les occasions de faire le mal, nous les cherchions ; dans mes promenades errantes, j'ai rencontré une prise à faire ; je l'ai faite ; vous savez le reste.
Priez aussi pour la bande, Messieurs, s'il vous plaît. Vous vous étonnez souvent qu'un pays recèle plus de malfaiteurs que d'autres pays ; c'est tout simple. Ne voulant point se séparer, ils s'abattent sur une contrée comme une nuée de sauterelles : aux loups les forêts, aux pigeons les colombiers.
J'avais vécu de cette existence terrestre sous Louis XIII. Ma dernière existence se passa sous l'empire. Je fus guerrier ; le tromblon et le chapeau cônique enrubanné me plaisaient fort. J'aimais le danger, le vol et les prises hasardeuses. Triste goût, direz-vous ; mais que faire ailleurs ? J'étais habitué à vivre dans les bandes. Vous devez être étonnés de ce changement subit : c'est l'ouvrage d'un ange.
Je ne vous promets rien pour demain ; vous me jugerez à mes actes. Une prière, s'il vous plaît ; je vais, de mon côté, en faire une :
Petit ange, ouvre tes ailes ; prends ton essor vers le trône du Seigneur ; demande-lui mon pardon en mettant à ses pieds mon repentir ».
(JULES).

D. Puisque vous êtes en si bonne voie, priez Dieu pour la pauvre enfant... — R. Je ne puis... ce serait de la dérision ou de la cruauté que le bourreau embrassât sa victime.
Le lendemain 16 janvier, l'enfant n'eut point de crise, mais seulement des langueurs d'estomac. A nos yeux, la délivrance était opérée.
Le soir, à huit heures, l'Esprit de jules, répondant à notre appel, nous donna la communication suivante :
« Mes amis, permettez-moi ce nom ; moi, l'Esprit obsesseur, l'Esprit méchant, rusé et pervers ; moi qui, il y a encore bien peu de jours, croupissais dans le mal et m'y plaisais, je vais, avec l'aide de l'ange, vous faire de la morale. Je me trouve moi-même surpris de ce changement ; je me demande si c'est bien moi qui parle.
Je croyais tout sentiment éteint dans mon âme ; une fibre vibrait encore ; l'ange l'a devinée et l'a touchée ; je commence à voir et à sentir. Le mal me fait horreur. J'ai jeté un regard sur mon passé, je n'y ai vu que crimes. Une voix douce m'a dit : Espère ; contemple la joie et le bonheur des bons Esprits ; purifie-toi ; pardonne au lieu de te venger ; aime au lieu de haïr. Je t'aimerai aussi, moi, si tu veux aimer, si tu te rends meilleur. Je me suis senti attendri. Je comprends maintenant le bonheur qu'éprouveront les hommes, lorsqu'ils sauront pratiquer la charité.
Jeune enfant, (il s'adresse à sa victime présente à la séance), toi que j'avais choisie pour ma proie, comme le vautour la douce colombe, prie pour moi, et que le nom de réprouvé s'efface de ta mémoire. J'ai reçu le baptême d'amour des mains de l'ange du Seigneur, et aujourd'hui je revêts la robe d'innocence. Pauvre enfant, je désire que tes prières adressées pour moi au Seigneur me délivrent bientôt du remords qui va me suivre comme une expiation justement méritée.
Mes amis, veuillez continuer aussi vos prières pour mes misérables compagnons qui me poursuivent de leur jalousie méchante, parce que je leur échappe. Hier encore, je me demandais ce qu'ils diraient de moi ; aujourd'hui je leur dis : J'ai vaincu ; mon passé m'est pardonné, parce que j'ai su me repentir. Faites comme moi, livrez bataille au mal qui vous retient captifs dans ce lieu de tourments et de désespoir ; sortez-en vainqueurs. Si ma main criminelle a trempé comme la vôtre dans le sang, elle vous portera l'eau sainte de la prière qui lave les stigmates du réprou¬vé. Mon Dieu, pardon !
Merci, mes amis, pour le bien que vous m'avez fait. Je vous demanderai à rester près de vous, à compter d'aujourd'hui, à assister à vos réunions. J'ai besoin de puiser à bonne source des conseils pour remplir une nouvelle existence que je deman¬derai à Dieu quand j'aurai subi l'expiation de mon passé infâme que ma conscience me reproche ».
(JULES).

Le 17 janvier, selon la promesse de Jules, la jeune fille n'éprouve absolument aucun malaise ni aucune langueur d'estomac. Petite Carita nous annonça qu'elle subirait une épreuve morale, soit à cinq heures du soir, pendant quelques jours, soit pendant son sommeil, épreuve qui n'aurait rien de pénible pour elle, et dont les seuls symptômes seraient des sourires et de douces larmes, ce qui eut lieu, en effet, pendant deux jours. Les jours suivants, il y eut absence com¬plète du plus petit indice de crise. Nous n'en conti¬nuâmes pas moins à observer l'enfant et à prier.
Le 18 février, petite Carita nous dicta l'instruction suivante :
«  Mes bons amis ; bannissez toute crainte ; l’obsession est finie et bien finie ; un ordre de choses étranges pour vous, mais qui vous paraîtront bientôt toutes naturelles, sera peut-être la conséquence de cette obsession, mais non l'ouvrage de Jules. Quelques développements sont nécessaires ici comme enseignement.
L'obsession ou la subjugation de l'être matériel se présente à vos yeux, aujourd'hui que vous connaissez la doctrine, non comme un phénomène surnaturel, mais simplement avec un caractère différent des maladies organiques.
L'Esprit qui subjugue pénètre le périsprit de l'être sur lequel il veut agir. Le périsprit de l'obsédé reçoit comme une enveloppe le corps fluidique de l'Esprit étranger et, par ce moyen, est atteint dans tout son être ; le corps matériel éprouve la pression exercée sur lui d'une manière indirecte.
Il a paru étonnant que l'âme put agir physiquement sur la matière animée ; c'est elle pourtant qui est l'auteur de tous ces faits. Elle a pour attributs l'intelligence et la volonté ; par sa volonté elle dirige, et le périsprit, d'une nature semi-matérielle est l'instrument dont elle se sert.
Le mal physique est apparent, mais la combinaison fluidique que vos sens ne peuvent saisir, recèle un nombre infini de mystères qui se révéleront avec le propre de la doctrine considérée au point de vue scientifique.
Lorsque l'Esprit abandonne sa victime, sa volonté n'agit plus sur le corps, mais l'empreinte qu'a reçue le périsprit par le fluide étranger dont il a été chargé, ne s'efface pas tout à coup, et continue encore quelque temps d’influer sur l'organisme. Dans le cas de votre jeune malade : tristesses, larmes, langueurs, insomnies, troubles vagues, tels sont les effets qui pourront se produire à la suite de cette délivrance, mais rassurez-vous, rassurez l'enfant et sa famille, car ses conséquences seront pour elle sans danger.
Mon devoir m'appelle d'une manière spéciale à mener à bonne fin le travail que j'ai commencé avec vous ; il faut maintenant agir sur l'Esprit même de l'enfant, par une douce et salutaire influence moralisatrice.
Quant à vous, mes amis, continuez de prier et d'observer attentivement tous ces phénomènes ; étudiez sans cesse ; le champ est ouvert, il est vaste. Faites connaître et comprendre toutes ces choses, et les idées spirites se glisseront peu à peu dans l'esprit de vos frères que l'apparition de la doctrine a trouvés incrédules ou indifférents ».
(PETITE CARITA).

Remarque. — Nous devons un juste tribut d'éloges à nos frères de Marmande, pour le tact, la prudence et le dévouement éclairé dont ils ont fait preuve en cette circonstance. Par cet éclatant succès, Dieu a récompensé leur foi, leur persévérance et leur désin¬téressement moral, car ils n'y ont cherché aucune satisfaction d'amour-propre ; il n'en aurait probablement point été de même si l'orgueil eut terni leur bonne action. Dieu retire ses dons à quiconque n'en use pas avec humilité, sous l'empire de l'orgueil, les plus éminentes facultés médianimiques se pervertissent, s'altèrent et s'éteignent, parce que les bons Esprits retirent leur concours ; les déceptions, les déboires, les malheurs effectifs dès cette vie, sont souvent la conséquence du détournement de la faculté de son but providentiel ; nous en pourrions citer plus d'une triste exemple parmi les médiums qui donnaient les plus belles espérances.
A ce sujet, on ne saurait trop se pénétrer des ins¬tructions contenues dans l'Evangile selon le Spiri¬tisme, N°s 285, 326 et suivants, 333, 392 et suivants.
Nous recommandons aux prières de tous les bons Spirites, l'Esprit ci-devant obsesseur de Jules, afin de le fortifier dans ses bonnes résolutions, et de lui faire comprendre ainsi qu'à ses pareils, ce que l'on gagne à faire le bien.
ALLAN KARDEC.
Revue spirite 1864

Instruction des Esprits

Les Esprits en Espagne (Barcelone, 13juin 1864)

« Je viens près de vous pour que vous ayez la bonté de me recommander à Dieu dans vos prières, parce que je souffre, et je désire que les âmes charitables incarnées aient compassion d'un pauvre Esprit qui demande à Dieu son pardon. J'ai longtemps croupi dans le mal, mais aujourd'hui je viens dire aux Esprits qui le font : Cessez, âmes impures dans vos iniquités, cessez d'être incrédules et de mener une vie errante telle que la vôtre ; cessez donc de faire le mal, parce que Dieu a dit à ses bons Esprits : « Allez, et purifiez ces âmes perverses qui n'ont jamais connu le bien ; il faut que le mal cesse, parce que les temps sont proches où la terre doit être améliorée. Pour qu'elle soit meilleure, il faut que ces âmes souillées, qui chaque jour viennent la peupler, se purifient, afin d'habiter de nouveau la terre, mais bonnes et charitables. »
C'est ce que Dieu a dit à ses bons Esprits ; et moi qui étais un des plus cruels dans les obsessions, je viens aujourd'hui dire à ceux qui font ce que je faisais : Ames égarées, suivez-moi ; demandez pardon à Dieu et à ces âmes pures qui vous tendent les bras ; implorez, et Dieu vous pardonnera ; mais pardonnez aussi, vous, et repentez-vous ; le pardon est si doux ! Ah ! si vous le connaissiez, vous ne tarderiez pas un instant à vous retirer de la fange du mal où vous croupissez ; vous voleriez aussitôt dans les bras des anges qui sont près de vous. Cessez, cessez, frères, je vous en prie ; cessez et suivez-moi ; repentez-vous.
Mes amis, permettez que je vous donne ce nom, quoique vous ne me connaissiez pas : je suis un de ces Esprits qui ont tout fait hors le bien ; mais à tout péché miséricorde, et puisque Dieu m'accorde mon pardon, et que des anges ont bien voulu me donner le nom de frère, j'espère que vous, qui pratiquez la charité, vous prierez pour moi, car j'ai des épreuves bien dures à subir ; mais elles sont méritées.
D. Y a-t-il longtemps que vous avez pris le sentier du bien ?   R. Non, mes amis, il y a peu de temps, car je suis l'Esprit obsesseur de la jeune enfant de Marmande ; je suis Jules, et je viens auprès des âmes charitables leur demander de prier pour moi, et dire aussi à mes anciens compagnons : « Arrêtez ! ne faites plus le mal, parce que Dieu pardonne aux pécheurs repentants ; repentez-vous, et vous serez absous. Je viens vous apporter les paroles de paix ; recevez de l'ange qui est ici présent le saint baptême, comme je l'ai reçu moi-même. »
Chers amis, je vous quitte en vous recommandant de ne pas m'oublier dans vos bonnes prières. Adieu.   
JULES.

Ayant demandé à l'Esprit si celui de Petite Carita, sa protectrice, l'accompagnait, il répondit affirmativement. Nous priâmes ce bon Esprit de vouloir bien nous dire quelques bonnes paroles relativement aux obsessions que nous combattons depuis si longtemps. Voici ce qu'il nous dit :
« Mes amis, les obsessions qui font le tourment de ces pauvres âmes incarnées sont bien douloureuses, surtout pour les médiums qui désirent se servir de leur faculté pour faire le bien, et ne le peuvent, parce que des Esprits malveillants se sont abattus sur eux et ne leur laissent point de tranquillité ; mais il faut espérer que ces obsessions arrivent à leur fin. Priez beaucoup, demandez à Dieu, la bonté même, qu'il veuille bien abréger vos souffrances et vos épreuves. Evoquez, chères âmes, ces Esprits égarés ; priez pour eux ; moralisez-les ; demandez des conseils aux bons Esprits. Vous êtes bien entourés ; n'avez-vous pas près de vous plusieurs de ces âmes éthérées qui veillent sur vous et vous protègent, qui cherchent à vous faire progresser, pour que vous arriviez près de Dieu ; c'est là qu'est leur tâche ; ils travaillent sans cesse pour vous préparer la vie qui ne finit jamais. Si vous n'êtes pas délivrés, mes chers amis, c'est sans doute que vous n'êtes pas assez purifiés pour la tâche que vous vous êtes imposée. Vous avez choisi votre épreuve librement, et vous devez vous efforcer de la mener à bonne fin, car les Esprits vous guident et vous soutiennent pour vous aider à terminer la vie terrestre saintement, vous épurant par l'expiation de la souffrance et par la charité.
« Adieu, chers amis ; je vous quitte en priant Dieu pour vous et pour ces pauvres obsédés, et je lui demande que vous soyez toujours protégés par les Esprits purifiés de votre groupe. (Voir la Revue de février, mars et juin 1864 : guérison de la jeune obsédée de Marmande.)
PETITE CARITA. »

Voilà deux Esprits qui ont violé la consigne et franchi les Pyrénées sans permission, sans tenir compte du mandement de Mgr Pantaleon, et, qui plus est, sans avoir été appelés ni évoqués. Il est vrai que le mandement n'avait pas encore paru ; nous verrons si maintenant ils seront moins hardis. On pourrait dire que si, dans cette réunion, on ne les a pas appelés, on avait l'habitude d'en appeler d'autres, et que, trouvant la porte ouverte, ils en ont profité pour entrer ; mais on ne tardera pas, si ce n'est déjà fait, à en voir s'introduire, là comme ailleurs, comme à Poitiers, par exemple, chez des gens qui n'auront jamais entendu parler du Spiritisme, et même chez ceux qui, scrupuleux observateurs de l'ordonnance, leur fermeront l'entrée de leurs maisons, et cela malgré les alguazils.
Puisque ceux dont il est ici question se sont permis cette incartade, nous demanderons à Monseigneur ce qu'il y a de ridicule dans ce fait, et où est le cynisme immonde qui, selon lui, est le fruit du Spiritisme : Une jeune fille de Marmande, qui ni elle ni ses parents ne pensaient point aux Esprits, qui peut-être même n'y croyaient pas, est atteinte, depuis près d'un an, d'une maladie terrible, bizarre, devant laquelle échoue la science. Quelques Spirites croient y reconnaître l'action d'un mauvais Esprit ; ils entreprennent sa guérison sans médicaments, par la prière et l'évocation de ce mauvais Esprit, et en cinq jours, non seulement ils lui rendent la santé, mais ils ramènent le mauvais Esprit au bien. Où est le mal ? où est l'absurdité ? Puis, ce même Esprit vient à Barcelone, sans qu'on le demande, réclamer des prières dont il a besoin pour achever sa purification ; il se donne pour exemple et invite ses anciens compagnons à renoncer au mal ; le bon Esprit qui l'accompagne prêche une morale évangélique ; qu'y a-t-il encore là de ridicule et d'immonde ? Ce qui est ridicule, dites-vous, c'est de croire à la manifestation des Esprits. Mais qu'est-ce que c'est que ces deux êtres qui viennent de se communiquer ? Est-ce un effet de l'imagination ? Non, puisqu'on ne songeait ni à eux, ni au fait dont ils viennent parler. Lorsque vous serez mort, Monseigneur, vous verrez les choses autrement, et nous prions Dieu qu'il vous éclaire comme il l'a fait pour votre prédécesseur, aujourd'hui l'un des protecteurs du Spiritisme à Barcelone.
Parmi les communications qu'il a données à la Société spirite de Paris, voici la première qui a déjà été publiée dans cette Revue ; nous la reproduisons néanmoins pour l'édification de ceux qui ne la connaîtraient pas. (Voir la Revue d'août 1862, page 231 : Mort de l'évêque de Barcelone, et, pour les détails de l'autodafé, les numéros de novembre et décembre 1861.)
« Aidé par votre chef spirituel (saint Louis), j'ai pu venir vous enseigner par mon exemple et vous dire : Ne repoussez aucune des idées annoncées, car un jour, un jour qui durera et pèsera comme un siècle, ces idées amoncelées crieront comme la voix de l'ange : Caïn, qu'as-tu fait de ton frère ? Qu'as-tu fait de notre puissance, qui devait consoler et élever l'humanité ? L'homme qui volontairement vit aveugle et sourd d'esprit, comme d'autres le sont de corps, souffrira, expiera et renaîtra pour recommencer le labeur intellectuel que sa paresse et son orgueil lui ont fait éviter ; et cette terrible voix m'a dit : Tu as brûlé les idées, et les idées te brûleront. Priez pour moi ; priez, car elle est agréable à Dieu la prière que lui adresse le persécuté pour le persécuteur.
« Celui qui fut évêque et n'est plus qu'un pénitent. »

Revue spirite 1865

Les Esprits en Espagne

Guérison d'une obsédée à Barcelone
Rose N…, mariée en 1850, fut atteinte peu de jours après son mariage d'attaques spasmodiques qui se répétaient assez souvent et avec violence jusqu'à ce qu'elle fût enceinte. Pendant sa grossesse elle n'éprouva rien, mais après sa délivrance les mêmes accidents se renouvelèrent ; les crises duraient souvent trois ou quatre heures, pendant lesquelles elle faisait toutes sortes d'extravagances, et trois ou quatre personnes suffisaient à peine pour la contenir. Parmi les médecins qui furent appelés, les uns disaient que c'était une maladie nerveuse, les autres de la folie. Le même phénomène se renouvela à chaque grossesse ; c'est-à-dire que les accidents cessaient pendant la gestation et recommençaient après l'accouchement.
Ceci durait depuis bien des années ; le pauvre ménage était las de consulter les uns et les autres et de faire des remèdes qui n'amenaient aucun résultat ; ces braves gens étaient à bout de patience et de ressources, la femme restant quelquefois des mois entiers sans pouvoir vaquer aux soins de son ménage. Elle éprouvait parfois un mieux qui faisait espérer une guérison, mais après quelques semaines de répit, le mal reprenait avec une recrudescence terrible.
Quelques personnes les ayant persuadés qu'un mal aussi rebelle devait être l'œuvre du démon, ils eurent recours aux exorcismes, et la patiente se rendit à un sanctuaire distant de vingt lieues, d'où elle revint tranquillisée en apparence ; mais au bout de quelques jours le mal revint avec une nouvelle intensité. Elle repartit pour un autre ermitage où elle resta quatre mois pendant lesquels elle fut assez tranquille pour qu'on la crût guérie ; elle revint donc dans sa famille, joyeuse de la voir enfin délivrée de sa cruelle maladie ; mais après quelques semaines leurs espérances furent de nouveau déçues ; les accès reparurent avec plus de force que jamais. Le mari et la femme étaient désespérés.
Ce fut en juillet dernier, 1864, qu'un de nos amis et frère en croyance nous donna connaissance de ce fait, nous proposant d'essayer de soulager, sinon de guérir cette pauvre persécutée, car il croyait y voir une obsession des plus cruelles. La malade était alors soumise à un traitement magnétique qui lui avait procuré un peu de soulagement, mais le magnétiseur, quoique Spirite, n'avait pas les moyens d'évoquer l'Esprit obsesseur, faute de médium, et ne pouvait, malgré son bon vouloir, produire l'effet désiré. Nous acceptâmes avec empressement cette occasion de faire une bonne œuvre ; nous réunîmes plusieurs adeptes sincères, et fîmes venir la malade.
Quelques minutes suffirent pour reconnaître la cause de la maladie de Rose ; c'était, en effet, une obsession des plus terribles. Nous eûmes beaucoup de peine à faire venir l'obsesseur à notre appel. Il fut très violent, nous répondit quelques mots décousus, et s'en fût aussitôt se jeter comme une furie sur sa victime, à laquelle il donna une crise violente qui fût cependant bientôt calmée par le magnétiseur.
A la seconde séance, qui eut lieu quelques jours après, nous pûmes retenir plus longtemps l'Esprit obsesseur, qui se montra cependant toujours rebelle et très cruel pour sa victime. La troisième évocation fut plus heureuse ; l'obsesseur conversa familièrement avec nous ; nous lui fîmes comprendre tout le mal qu'il faisait en persécutant cette malheureuse femme, mais il ne voulait point avouer ses torts et disait qu'il faisait payer une vieille dette. A la quatrième évocation, il pria avec nous et se plaignit d'être amené près de nous contre son gré ; il voulait bien venir, mais de sa propre volonté. C'est ce qu'il fit à la séance suivante ; peu à peu, à chaque nouvelle évocation, nous prenions plus d'ascendant sur lui, et nous avons fini par le faire renoncer au mal qui, depuis la quatrième séance, avait toujours été en diminuant, et nous eûmes la satisfaction de voir les crises cesser à la neuvième. Chaque fois une magnétisation de 12 à 15 minutes calmait totalement Rose et la laissait dans un état parfait de tranquillité.
Depuis le mois d'août, voilà de cela neuf mois, la malade n'a pas eu de crises, et ses occupations n'ont pas été interrompues. De loin en loin seulement, elle a éprouvé de légères secousses à la suite de quelques contrariétés qu'elle ne pouvait maîtriser ; mais ce n'étaient que comme des éclairs sans orage, et pour lui démontrer pratiquement qu'elle ne devait pas oublier les bonnes habitudes qu'elle avait contractées envers Dieu et ses semblables. Il faut dire aussi qu'elle a puissamment contribué à sa guérison, par sa foi, sa ferveur, sa confiance dans le Créateur, et en réprimant son caractère naturellement emporté. Tout ceci a contribué à ce que l'obsesseur prît de la force sur lui-même, car il n'en avait pas assez pour s'engager résolument dans la bonne route ; il craignait les épreuves qu'il aurait à subir pour mériter son pardon. Mais, grâce à Dieu, et avec l'aide puissante de nos bons guides, il est aujourd'hui en bonne voie et fait tout ce qu'il peut pour être pardonné. C'est lui qui, aujourd'hui, donne de forts bons conseils à celle qu'il a si longtemps persécutée, et qui est maintenant robuste et gaie comme si elle n'avait jamais rien eu. Cependant, tous les huit jours, elle vient se soumettre à une magnétisation, et de temps en temps nous évoquons son ancien persécuteur pour le fortifier dans ses bonnes résolutions. Voici sa dernière communication ; elle est du 19 avril 1865 :
Me voici. Je viens vous remercier de votre bonne persévérance à mon égard ; sans vous, sans ces bons et bienveillants Esprits qui sont présents, je n'aurais jamais connu le bonheur que je ressens maintenant ; je croupirais encore dans mal, dans la misère. Oh ! oui, misère, car on ne peut être plus malheureux que je n'étais ; toujours faire le mal, et toujours désirer le faire ! Combien de fois, hélas ! vous ai-je dit que je ne souffrais pas ! C'est maintenant que je vois combien je souffrais. Dans ce même instant je les ressens encore ces souffrances, mais non comme alors ; aujourd'hui c'est du repentir et non le besoin incessant de faire le mal. Oh non ! que le Dieu de bonté m'en préserve, et que je sois fortifié pour ne plus retomber jamais dans la peine. Oh ! plus de ces tortures, plus de ces maux cuisants qui ne laissent à l'âme aucun moment de repos. C'est bien là l'enfer ; il est avec celui qui fait le mal comme je le faisais.
J'ai fait le mal par ressentiment, par vengeance, par ambition ! Que m'en est-il revenu ? Haï, repoussé des bons Esprits, ne pouvant les comprendre lorsqu'ils s'approchaient de moi et que j'entendais leurs voix, car il ne m'était pas permis de les voir ; non ! aujourd'hui Dieu me l'a permis ; c'est pour cela que je ressens un bien-être que je n'ai jamais éprouvé ; car, quoique je souffre beaucoup, j'entrevois l'avenir, et j'endure mes souffrances avec patience et résignation, demandant pardon à Dieu, et assistance aux bons Esprits pour celle que j'ai si longtemps persécutée. Qu'elle me pardonne ; un jour viendra, bientôt peut-être, où je pourrai lui être utile.
Je termine en vous remerciant, et vous priant de vouloir bien me continuer vos prières et la bonne amitié que vous m'avez témoignée, et de me pardonner la peine que je vous ai occasionnée. Oh ! merci, merci ! Vous ne pouvez savoir combien mon Esprit est reconnaissant du bien que vous m'avez fait. Priez Dieu pour qu'il me pardonne, et les bons Esprits pour qu'ils soient avec moi afin de m'aider et de me fortifier. Adieu.
PEDRO.

Après cette communication, nous reçûmes de nos guides spirituels celle qui suit :
La guérison touche à sa fin ; remerciez Dieu qui a bien voulu exaucer vos prières et se servir de vous pour qu'un ennemi acharné soit devenu aujourd'hui un ami ; car soyez sûrs que cet Esprit fera un jour tout ce qu'il pourra pour cette pauvre famille qu'il a si longtemps tourmentée. Mais vous, chers enfants, n'abandonnez ni le persécuteur ni la persécutée ; tous les deux ont encore besoin de votre assistance : l'un pour le soutenir dans la bonne route qu'il a prise ; en l'évoquant quelquefois, vous augmenterez son courage ; l'autre, pour dissiper totalement le fluide malsain qui l'a si longtemps enveloppée ; faites-lui de temps en temps une abondante magnétisation, sans cela elle se trouverait encore exposée à l'influence d'autres Esprits malveillants, car vous savez qu'il n'en manque pas, et vous en auriez du regret. Courage donc ; achevez, complétez votre œuvre, et préparez-vous à celles qui vous sont encore réservées. Soyez fermes ; votre tâche est épineuse, il est vrai, mais aussi, si vous ne fléchissez pas, combien grande en sera pour vous la récompense !
VOS GUIDES.

Il ne suffit pas de rapporter des faits plus ou moins intéressants ; l'essentiel est d'en tirer une instruction, sans cela ils sont sans profit. C'est par les faits que le Spiritisme s'est constitué en science et en doctrine ; mais si l'on se fût borné à les constater et à les enregistrer, nous n'en serions pas plus avancés que le premier jour. En Spiritisme, comme en toute science, il y a toujours à apprendre ; or, c'est par l'étude, l'observation et la déduction des faits qu'on apprend. C'est pour cela que nous faisons, lorsqu'il y a lieu, suivre ceux que nous citons des réflexions qu'ils nous suggèrent, soit qu'ils viennent confirmer un principe connu, soit qu'ils servent d'élément à un principe nouveau. C'est, selon nous, le moyen de captiver l'attention des gens sérieux.
Une première remarque à faire sur la lettre rapportée ci-dessus, c'est qu'à l'exemple de ceux qui comprennent la doctrine dans sa pureté, ces adeptes font abnégation de tout amour-propre ; ils ne font point d'étalage et ne cherchent point l'éclat ; ils font le bien sans ostentation, et sans se vanter des guérisons qu'ils obtiennent, parce qu'ils savent qu'ils ne les doivent ni à leur talent, ni à leur mérite personnel, et que Dieu peut leur retirer cette faveur quand il lui plaira ; ce n'est ni une réputation ni une clientèle qu'ils cherchent ; ils trouvent leur récompense dans la satisfaction d'avoir soulagé un affligé, et non dans le vain suffrage des hommes. C'est le moyen de se concilier l'appui des bons Esprits qui abandonnent l'orgueil aux Esprits orgueilleux.
Les faits de guérisons comme celui-ci, comme ceux de Marmande et d'autres non moins méritants, sont sans doute un encouragement ; ce sont aussi d'excellentes leçons pratiques qui montrent à quels résultats on peut arriver par la foi, la persévérance, et une sage et intelligente direction ; mais ce qui n'est pas un moins bon enseignement, c'est l'exemple de la modestie, de l'humilité et du complet désintéressement moral et matériel. C'est dans les centres animés de tels sentiments qu'on obtient ces merveilleux résultats, parce que là on est vraiment fort contre les mauvais Esprits. Il n'est pas moins à remarquer que dès que l'orgueil y pénètre, dès que le bien n'y est plus fait exclusivement pour le bien, et qu'on y cherche la satisfaction de l'amour-propre, la puissance décline.
Notons également que c'est dans les centres vraiment sérieux qu'on fait le plus d'adeptes sincères, parce que les assistants sont touchés de la bonne impression qu'ils reçoivent, tandis que dans les centres légers et frivoles, on n'est attiré que par la curiosité, qui n'est même pas toujours satisfaite. C'est comprendre le véritable but de la doctrine que de l'employer à faire le bien aux désincarnés, comme aux incarnés ; c'est peu récréatif pour certaines gens, il faut en convenir, mais c'est plus méritoire pour ceux qui s'y dévouent. Aussi sommes-nous heureux de voir se multiplier les centres qui se livrent à ces utiles travaux ; on s'y instruit tout en rendant service, et les sujets d'études n'y manquent pas. Ce sont les plus solides soutiens de la doctrine.
N'est-ce pas un fait bien caractéristique de voir, aux deux extrémités de l'Europe, au nord de la Russie et au midi de l'Espagne, des réunions spirites animées par la même pensée de faire le bien, qui agissent sous l'impulsion des mêmes sentiments de charité envers leurs frères ? N'est-ce pas l'indice de l'irrésistible puissance morale de la doctrine qui vainc tous les obstacles et ne connaît point de barrières ?
Le fait ci-dessus présente un cas particulier, c'est celui de la suspension des crises pendant la grossesse. D'où cela vient-il ? Que la science l'explique, si elle le peut ; voici la raison qu'en donne le spiritisme. La maladie n'était ni une folie, ni une affection nerveuse ; la guérison en est la preuve : c'était bien une obsession. L'Esprit obsesseur exerçait une vengeance ; Dieu le permit pour servir d'épreuve et d'expiation à la mère et, en outre, parce que, plus tard, la guérison de celle-ci devait amener l'amélioration de l'Esprit. Mais les crises, pendant la grossesse, pouvaient nuire à l'enfant ; Dieu voulait bien que la mère fût punie du mal qu'elle avait pu faire, mais il ne voulait pas que l'être innocent qu'elle portait en souffrît ; c'est pour cela que toute liberté d'action fut ôtée, pendant ce temps, à ses persécuteurs.
Que le Spiritisme explique de choses pour celui qui veut étudier et observer ! Quels horizons il ouvrira à la science, quand celle-ci tiendra compte de l'élément spirituel ! Que ceux qui ne le voient que dans des manifestations curieuses sont loin de le comprendre !
Revue spirite 1866

Cures d'obsessions

Nous avons cité plusieurs cures de ce genre, notamment dans les mois de février 1864 et janvier 1865.
Voici un autre fait, non moins caractéristique, obtenu dans le groupe de Marmande.
Dans un village, à quelques lieues de cette ville, était un paysan atteint d'une folie tellement furieuse, qu'il poursuivait les gens à coups de fourche pour les tuer, et qu'à défaut de gens il s'attaquait aux animaux de la basse-cour. Il courait sans cesse les champs et ne rentrait plus chez lui. Sa présence était dangereuse ; aussi obtint-on sans peine l'autorisation de le faire entrer à la maison des aliénés de Cadillac. Ce n'était pas sans un vif chagrin que sa famille se vit forcée de prendre ce parti. Avant de l'emmener, un de ses parents ayant entendu parler des guérisons obtenues à Marmande, dans des cas semblables, vint trouver M. Dombre et lui dit : « Monsieur, on m'a dit que vous guérissiez les fous, c'est pourquoi je viens vous trouver ; » puis il lui raconta ce dont il s'agissait, ajoutant : « C'est que, voyez-vous, cela nous fait tant de peine de nous séparer de ce pauvre J…, que j'ai voulu voir auparavant s'il n'y avait pas moyen de l'empêcher.
  Mon brave homme, lui dit M. Dombre, je ne sais qui m'a fait cette réputation ; j'ai réussi quelquefois, il est vrai, à rendre la raison à de pauvres insensés, mais cela dépend de la cause de la folie. Quoique je ne vous connaisse pas, je vais voir néanmoins si je puis vous être utile. » S'étant immédiatement rendu avec l'individu chez son médium habituel, il obtint de son guide l'assurance qu'il s'agissait d'une obsession grave, mais qu'avec de la persévérance il en viendrait à bout. Là-dessus il dit au paysan : « Attendez encore quelques jours avant de conduire votre parent à Cadillac ; nous allons nous en occuper ; revenez tous les deux jours me dire comment il se trouve. »
Dès le jour même ils se mirent à l'œuvre. L'Esprit se montra tout d'abord, comme ses pareils, peu traitable ; petit à petit, il finit par s'humaniser, et finalement par renoncer à tourmenter ce malheureux. Un fait assez particulier, c'est qu'il déclara n'avoir aucun sujet de haine contre cet homme ; que, tourmenté du besoin de faire le mal, il s'en était pris à lui comme à tout autre ; qu'il reconnaissait maintenant avoir tort et en demandait pardon à Dieu. Le paysan revint au bout de deux jours, et dit que son parent était plus calme, mais qu'il n'était pas encore rentré chez lui, et se cachait dans les haies. A la visite suivante, il était revenu à la maison, mais il était sombre, et se tenait à l'écart ; il ne cherchait plus à frapper personne. Quelques jours après, il allait à la foire et faisait ses affaires comme d'habitude. Ainsi, huit jours avaient suffi pour le ramener à l'état normal, et cela sans aucun traitement physique. Il est plus que probable que si on l'eût enfermé avec des fous, il aurait tout à fait perdu la raison.
Les cas d'obsession sont tellement fréquents, qu'il n'y a aucune exagération à dire que dans les maisons d'aliénés il y en a plus de la moitié qui n'ont que l'apparence de la folie, et sur lesquels la médication vulgaire est par cela même impuissante.
Le Spiritisme nous montre dans l'obsession une des causes perturbatrices de l'économie, et nous donne en même temps le moyen d'y remédier : c'est là un de ses bienfaits. Mais comment cette cause a-t-elle été reconnue, si ce n'est par les évocations ? Les évocations sont donc bonnes à quelque chose, quoi qu'en disent leurs détracteurs.
Il est évident que ceux qui n'admettent ni l'âme individuelle, ni sa survivance, ou qui, s'ils l'admettent, ne se rendent pas compte de l'état de l'Esprit après la mort, doivent regarder l'intervention d'êtres invisibles, en pareille circonstance, comme une chimère ; mais le fait brutal du mal et des guérisons est là. On ne saurait mettre sur le compte de l'imagination des cures opérées à distance, sur des personnes que l'on n'a jamais vues, sans l'emploi d'aucun agent matériel quelconque. La maladie ne peut être attribuée à la pratique du Spiritisme, puisqu'elle atteint même ceux qui n'y croient pas, et des enfants qui n'en ont aucune idée. Il n'y a pourtant ici rien de merveilleux, mais des effets naturels qui ont existé de tout temps, que l'on ne comprenait pas alors, et qui s'expliquent de la manière la plus simple, maintenant que l'on connaît les lois en vertu desquelles ils se produisent.
Ne voit-on pas, parmi les vivants, des êtres méchants en tourmenter d'autres plus faibles, jusqu'à les rendre malades, à les faire mourir même, et cela sans autre motif que le désir de faire le mal ? Il y a deux moyens de rendre la paix à la victime : la soustraire d'autorité à leur brutalité, ou développer en eux le sentiment du bien. La connaissance que nous avons maintenant du monde invisible nous le montre peuplé des mêmes êtres qui ont vécu sur la terre, les uns bons, les autres mauvais. Parmi ces derniers, il en est qui se complaisent encore au mal, par suite de leur infériorité morale, et qui n'ont pas encore dépouillé leurs instincts pervers ; ils sont au milieu de nous comme de leur vivant, avec la seule différence qu'au lieu d'avoir un corps matériel visible, ils en ont un fluidique invisible ; mais ce n'en sont pas moins les mêmes hommes, au sens moral peu développé, cherchant toujours les occasions de faire le mal, s'acharnant sur ceux qui leur donnent prise et qu'ils parviennent à soumettre à leur influence ; d'obsesseurs incarnés qu'ils étaient, ils sont obsesseurs désincarnés, d'autant plus dangereux qu'ils agissent sans être vus. Les éloigner par la force n'est pas chose facile, attendu qu'on ne peut les appréhender au corps ; le seul moyen de les maîtriser, c'est l'ascendant moral à l'aide duquel, par le raisonnement et de sages conseils, on parvient à les rendre meilleurs, ce à quoi ils sont plus accessibles à l'état d'Esprit qu'à l'état corporel. Dès l'instant où on les a amenés à renoncer volontairement à tourmenter, le mal disparaît, si ce mal est le fait d'une obsession ; or, on comprend que ce ne sont ni les douches, ni les remèdes administrés au malade qui peuvent agir sur l'Esprit obsesseur. Voilà tout le secret de ces guérisons, pour lesquelles il n'y a ni paroles sacramentelles, ni formules cabalistiques : on cause avec l'Esprit désincarné, on le moralise, on fait son éducation, comme on l'eût fait de son vivant. L'habileté consiste à savoir le prendre selon son caractère, à diriger avec tact les instructions qu'on lui donne, comme le ferait un instituteur expérimenté. Toute la question se réduit à ceci : Y a-t-il, oui ou non, des Esprits obsesseurs ? A cela on répond ce que nous avons dit plus haut : Les faits matériels sont là.
On demande parfois pourquoi Dieu permet aux mauvais Esprits de tourmenter les vivants. On pourrait avec autant de raison demander pourquoi il permet aux vivants de se tourmenter entre eux. On perd trop de vue l'analogie, les rapports et la connexité qui existent entre le monde corporel et le monde spirituel, qui se composent des mêmes êtres sous deux états différents ; là est la clef de tous ces phénomènes réputés surnaturels.
Il ne faut pas plus s'étonner des obsessions que des maladies et autres maux qui affligent l'humanité ; elles font partie des épreuves et des misères qui tiennent à l'infériorité du milieu où nos imperfections nous condamnent à vivre, jusqu'à ce que nous nous soyons suffisamment améliorés pour mériter d'en sortir. Les hommes subissent ici-bas les conséquences de leurs imperfections, car s'ils étaient plus parfaits, ils n'y seraient pas.
Revue spirite 1863

Période de la lutte

La première période du Spiritisme, caractérisée par les tables tournantes, a été celle de la curiosité. La seconde fut la période philosophique, marquée par l'apparition du Livre des Esprits. Dès ce moment le Spiritisme prit un tout autre caractère ; on en entrevit le but et la portée, on y puisa la foi et la consolation, et la rapidité de ses progrès fut telle qu'aucune doctrine philosophique ou religieuse n'en offre d'exemple. Mais, comme toutes les idées nouvelles, il eut des adversaires d'autant plus acharnés que l'idée était plus grande, parce que toute grande idée ne peut s'établir sans froisser des intérêts ; il faut qu'elle se place, et les gens déplacés ne peuvent la voir d'un bon œil ; puis, à côté des gens intéressés sont ceux qui, par système, sans motifs précis, sont les adversaires-nés de tout ce qui est nouveau.
Dans les premières années, beaucoup doutèrent de sa vitalité, c'est pourquoi ils y donnèrent peu d'attention ; mais quand on le vit grandir malgré tout, se propager dans tous les rangs de la société et dans toutes les parties du monde, prendre sa place parmi les croyances et devenir une puissance par le nombre de ses adhérents, les intéressés au maintien des idées anciennes s'alarmèrent sérieusement. C'est alors qu'une véritable croisade fut dirigée contre lui, et que commença la période de la lutte, dont l'autodafé de Barcelone, du 9 octobre 1860, fut en quelque sorte le signal. Jusque-là, il avait été en butte aux sarcasmes de l'incrédulité qui rit de tout, surtout de ce qu'elle ne comprend pas, même des choses les plus saintes, et auxquels aucune idée nouvelle ne peut échapper : c'est son baptême du tropique ; mais les autres ne rirent pas : ils se mirent en colère, signe évident et caractéristique de l'importance du Spiritisme. Dès ce moment les attaques prirent un caractère de violence inouïe ; le mot d'ordre fut donné : sermons furibonds, mandements, anathèmes, excommunications, persécutions individuelles, livres, brochures, articles de journaux, rien ne fut épargné, pas même la calomnie.
Nous sommes donc en plein dans la période de la lutte, mais elle n'est pas finie. Voyant l'inutilité de l'attaque à ciel ouvert, on va essayer de la guerre souterraine, qui s'organise et commence déjà ; un calme apparent va se faire sentir, mais c'est le calme précurseur de l'orage ; mais aussi à l'orage succède un temps serein. Spirites, soyez donc sans inquiétude, car l'issue n'est pas douteuse ; la lutte est nécessaire, et le triomphe n'en sera que plus éclatant. J'ai dit, et je le répète : je vois le but, je sais quand et comment il sera atteint. Si je vous parle avec cette assurance, c'est que j'ai pour cela des raisons sur lesquelles la prudence veut que je me taise, mais vous les connaîtrez un jour. Tout ce que je puis vous dire, c'est que de puissants auxiliaires viendront qui fermeront la bouche à plus d'un détracteur. Pourtant la lutte sera vive, et si, dans le conflit, il y a quelques victimes de leur foi, qu'elles s'en réjouissent, comme le faisaient les premiers martyrs chrétiens, dont plusieurs sont parmi vous pour vous encouragez et vous donner l'exemple ; qu'elles se rappellent ces paroles du Christ :
« Bienheureux ceux qui souffrent persécution pour la justice, parce que le royaume des cieux est à eux. Vous serez heureux lorsque les hommes vous chargeront de malédictions, et qu'ils vous persécuteront, et qu'ils diront faussement toute sorte de mal contre vous à cause de moi. Réjouissez-vous alors, et tressaillez de joie, parce qu'une grande récompense vous est réservée dans les cieux ; car c'est ainsi qu'ils ont persécuté les prophètes qui ont été avant vous. » (Saint-Matthieu, ch. VI, v. 10, 11, 12.)
Ces paroles ne semblent-elles pas avoir été dites pour les Spirites d'aujourd'hui comme pour les apôtres d'alors ? C'est que les paroles du Christ ont cela de particulier, qu'elles sont de tous les temps, parce que sa mission était pour l'avenir comme pour le présent.
La lutte déterminera une nouvelle phase du Spiritisme et amènera la quatrième période, qui sera la période religieuse ; puis viendra la cinquième, période intermédiaire, conséquence naturelle de la précédente, et qui recevra plus tard sa dénomination caractéristique. La sixième et dernière période sera celle de la rénovation sociale, qui ouvrira l'ère du vingtième siècle. A cette époque, tous les obstacles au nouvel ordre de choses voulu par Dieu pour la transformation de la terre auront disparu ; la génération qui s'élève, imbue des idées nouvelles, sera dans toute sa force, et préparera la voie de celle qui inaugurera le triomphe définitif de l'union, de la paix et de la fraternité entre les hommes confondus dans une même croyance par la pratique de la loi évangélique. Ainsi seront vérifiées les paroles du Christ, qui toutes doivent recevoir leur accomplissement, et dont plusieurs s'accomplissent à cette heure, car les temps prédits sont arrivés. Mais c'est en vain que, prenant la figure pour la réalité, vous chercherez des signes dans le ciel : ces signes sont à vos côtés et surgissent de toutes parts.
Il est remarquable que les communications des Esprits ont eu un caractère spécial à chaque période : dans la première elles étaient frivoles et légères ; dans la seconde elles ont été graves et instructives ; dès la troisième ils ont pressenti la lutte et ses différentes péripéties. La plupart de celles qui s'obtiennent aujourd'hui dans les différents centres ont pour objet de prémunir les adeptes contre les menées de leurs adversaires. Partout donc des instructions sont données sur ce sujet, comme partout un résultat identique est annoncé. Cette coïncidence, sur ce point comme sur beaucoup d'autres, n'est pas un des faits les moins significatifs. La situation se trouve complètement résumée dans les deux communications suivantes, dont plus d'un Spirite a déjà pu reconnaître la vérité.

Instruction des Esprits

La guerre sourde

Paris, 14 août 1863.
« La lutte vous attend, mes chers fils ; c'est pourquoi je vous invite tous à imiter les lutteurs antiques, c'est-à-dire à vous ceindre les reins. Les années qui vont suivre sont pleines de promesses, mais aussi pleines d'anxiétés. Je ne viens point vous dire : Demain sera le jour de la bataille ! non, car l'heure du combat n'est pas encore fixée, mais je viens vous avertir, afin que vous soyez prêts à toutes les éventualités. Le Spiritisme, jusqu'à présent, n'a trouvé qu'une route facile et presque fleurie, car les injures et les railleries qu'on vous a adressées n'ont aucune portée sérieuse et sont restées sans effet, tandis que dorénavant les attaques qu'on dirigera contre vous auront un tout autre caractère : voici venir l'heure où Dieu va faire appel à tous les dévouements, où il va juger ses serviteurs fidèles pour faire à chacun la part qu'il aura méritée. On ne vous martyrisera point corporellement comme aux premiers temps de l'Église, on ne dressera point de bûchers homicides comme au moyen âge, mais on vous torturera moralement ; on dressera des embûches ; on tendra des pièges d'autant plus dangereux qu'on y emploiera des mains amies ; on agira dans l'ombre, et vous recevrez des coups sans savoir par qui ces coups seront portés, et vous serez frappés en pleine poitrine par les flèches empoisonnées de la calomnie. Rien ne manquera à vos douleurs ; on suscitera des défaillances dans vos rangs, et de soi-disant Spirites, perdus par l'orgueil et la vanité, se poseront dans leur indépendance en s'écriant : « C'est nous qui sommes dans le droit chemin ! » afin que vos adversaires-nés puissent dire : « Voyez, comme ils sont unis ! » On essayera de semer l'ivraie entre les groupes, en provoquant la formation de groupes dissidents ; on captera vos médiums pour les faire entrer dans une mauvaise voie ou pour les détourner d'aller dans les groupes sérieux ; on emploiera l'intimidation pour les uns, la captation pour les autres ; on exploitera toutes les faiblesses. Puis, n'oubliez pas que quelques-uns ont vu dans le Spiritisme un rôle à jouer, et un premier rôle, qui éprouvent aujourd'hui plus d'une déconvenue dans leur ambition. On leur promettra d'un côté ce qu'ils ne peuvent trouver de l'autre. Puis enfin, avec l'argent, si puissant dans votre siècle arriéré, ne peut-on trouver des comparses pour jouer d'indignes comédies afin de jeter le discrédit et le ridicule sur la doctrine ?
« Voilà les épreuves qui vous attendent, mes fils, mais dont vous sortirez victorieux, si vous implorez du fond du cœur le secours du Tout-Puissant ; c'est pourquoi, je vous le répète de toute mon âme : mes fils, serrez vos rangs, soyez sur le qui-vive, car c'est votre Golgotha qu'on élève ; et si vous n'y êtes pas crucifiés en chair et en os, vous le serez dans vos intérêts, dans vos affections, dans votre honneur ! L'heure est grave et solennelle ; arrière donc toutes les mesquines discussions, toutes les préoccupations puériles, toutes les questions oiseuses, et toutes les vaines prétentions de prééminence et d'amour propre ; occupez-vous des grands intérêts qui sont en vos mains et dont le Seigneur vous demandera compte. Unissez-vous pour que l'ennemi trouve vos rangs compacts et serrés ; vous avez un mot de ralliement sans équivoque, pierre de touche à l'aide de laquelle vous pouvez reconnaître vos véritables frères, car ce mot implique l'abnégation et le dévouement, et résume tous les devoirs du vrai Spirite.
« Courage donc et persévérance, mes enfants ! songez que Dieu vous regarde et vous juge ; souvenez-vous aussi que vos guides spirituels ne vous abandonneront pas tant qu'ils vous trouveront dans le droit chemin. D'ailleurs, toute cette guerre n'aura qu'un temps et tournera contre ceux qui croyaient créer des armes contre la doctrine ; le triomphe, et non plus le sanglant holocauste, rayonnera du Golgotha spirite.
« A bientôt, mes fils, salut à tous. ERASTE, disciple de saint Paul, apôtre. »
Revue spirite 1863
La communication ci-après développe une des phases de la grave question que nous venons de traiter, et ne peut manquer de prémunir les Spirites sur les difficultés qui vont s'accumuler dans cette période.

Les conflits

(Réunion particulière. 25 février 1863. – Médium, M. d'Ambel.)
Il y a dans le moment actuel une recrudescence d'obsession, résultat de la lutte que doivent inévitablement soutenir les idées nouvelles contre leurs adversaires incarnés et désincarnés. L'obsession, habilement exploitée par les ennemis du Spiritisme, est une des épreuves les plus périlleuses qu'il aura à subir avant de s'asseoir d'une manière stable dans l'esprit des populations, aussi doit-elle être combattue par tous les moyens possibles, et surtout par la prudence et l'énergie de vos guides spirituels et terrestres.
De toutes parts il surgit des médiums à prétendues missions, appelés, disent-ils, à prendre en mains la bannière du Spiritisme et à la planter sur les ruines du vieux monde, comme si nous venions détruire, nous qui ne venons que pour édifier. il n'est pas d'individualité, si médiocre soit-elle, qui n'ait trouvé, comme Macbeth, un Esprit pour lui dire : « Toi aussi, tu seras roi, » et qui ne se croie désignée à un apostolat tout particulier ; il est peu de réunions intimes, et même de groupes de famille qui n'aient compté parmi leurs médiums ou leurs simples croyants une âme assez infatuée d'elle-même pour se croire indispensable au succès de la grande cause, trop présomptueuse pour se contenter du modeste rôle d'ouvrier apportant sa pierre à l'édifice. Hélas ! mes amis, que de mouches du coche !
Presque tous les nouveaux médiums sont soumis, pour leur début, à cette tentation dangereuse ; quelques-uns y résistent, mais beaucoup y succombent, au moins pour un temps, jusqu'à ce que des échecs successifs viennent les désabuser. Pourquoi Dieu permet-il une épreuve aussi difficile, sinon pour prouver que le bien et le progrès ne s'établissent jamais chez vous sans peine et sans combat, pour rendre le triomphe de la vérité plus éclatant par les difficultés de la lutte ? Et que veulent certains Esprits de l'erraticité en fomentant parmi les médiocrités de l'incarnation cette exaltation de l'amour-propre et de l'orgueil, sinon entraver le progrès ? Sans le vouloir, ils sont les instruments de l'épreuve qui mettra en évidence les bons et les mauvais serviteurs de Dieu. A celui-ci, tel Esprit promet le secret de la transmutation des métaux, comme à un médium de R… ; à celui-là, comme à M…, un Esprit révèle de prétendus événements qui vont s'accomplir, il fixe les époques, précise les dates, nomme les acteurs qui doivent concourir au drame annoncé ; à tel autre, un Esprit mystificateur enseigne l'incubation des diamants ; à d'autres on indique des trésors cachés, on promet une fortune facile, des découvertes merveilleuses, la gloire, les honneurs, etc. ; en un mot, toutes les ambitions et toutes les convoitises des hommes sont exploitées adroitement par les Esprits pervers. C'est pourquoi de tous côtés vous voyez ces pauvres obsédés s'apprêter à monter au Capitole avec une gravité et une importance qui attristent l'observateur impartial. Quel est le résultat de toutes ces promesses fallacieuses ? Les déceptions, les déboires, le ridicule, parfois la ruine, juste punition de l'orgueil présomptueux qui se croit appelé à faire mieux que tout le monde, dédaigne les conseils et méconnaît les véritables principes du Spiritisme.
Autant la modestie est l'apanage des médiums choisis par les bons Esprits, autant l'orgueil, l'amour-propre et, disons-le, la médiocrité sont les côtés distinctifs des médiums inspirés par les Esprits inférieurs ; autant les premiers font bon marché des communications qu'ils reçoivent quand celles-ci s'écartent de la vérité, autant les seconds maintiennent contre tous la supériorité de ce qui leur est dicté, fût-ce même absurde. Il en résulte que, selon les paroles prononcées à la Société de Paris par son président spirituel, saint Louis, une véritable tour de Babel est en train de s'édifier parmi vous. Du reste, il faudrait être aveugle ou abusé pour ne pas reconnaître qu'à la croisade dirigée contre le Spiritisme par les adversaires-nés de toute doctrine progressive et émancipatrice, se joint une croisade spirituelle, dirigée par tous les Esprits faux savants, faux grands hommes, faux religieux et faux frères de l'erraticité, faisant cause commune avec les ennemis terrestres au moyen de cette multitude de médiums fanatisés par eux, et auxquels ils dictent tant d'élucubrations mensongères. Mais voyez ce qui reste de tous ces échafaudages élevés par l'ambition, l'amour-propre ou la jalousie ; combien n'en avez-vous pas vu crouler, et combien vous en verrez crouler encore ! Je vous le dis, tout édifice qui n'est pas assis sur la seule base solide : la vérité, tombera, parce que la vérité seule peut défier le temps et triompher de toutes les utopies. Spirites sincères, ne vous effrayez donc pas de ce chaos momentané ; le temps n'est pas éloigné où la vérité, débarrassée des voiles dont on veut la couvrir, en sortira plus radieuse que jamais, et où sa clarté, inondant le monde, fera rentrer dans l'ombre ses obscurs détracteurs un instant mis en évidence pour leur propre confusion.
Ainsi donc, mes amis, vous avez à vous défendre non seulement contre les attaques et les calomnies de vos adversaires vivants, mais aussi contre les manœuvres plus dangereuses encore de vos adversaires de l'erraticité. Fortifiez-vous donc par de saines études et surtout par la pratique de l'amour et de la charité, et retrempez-vous dans la prière. Dieu éclaire toujours ceux qui se consacrent à la propagation de la vérité quand ils sont de bonne foi et dépourvus de toute ambition personnelle.
Au surplus, Spirites, que vous importent les médiums qui ne sont, après tout, que des instruments ! Ce qu'il vous faut considérer, c'est la valeur et la portée des enseignements qui vous sont donnés ; c'est la pureté de la morale qui vous est enseignée ; c'est la netteté et la précision des vérités qui vous sont révélées ; c'est, enfin, de voir si les instructions qu'on vous donne répondent aux légitimes aspirations des âmes d'élite et si elles sont conformes aux lois générales et immuables de la logique et de l'harmonie universelles.
Les Esprits imparfaits qui jouent un rôle d'apôtre près de leurs obsédés ne se font, vous le savez, aucun scrupule de se parer des noms les plus vénérés ; aussi aurais-je mauvaise grâce, moi qui ne suis qu'un des derniers et des plus obscurs disciples de l'Esprit de vérité, si je me plaignais de l'abus que quelques-uns ont fait de mon modeste nom ; aussi, vous répéterai-je sans cesse ce que je disais à mon médium il y a deux ans : « Ne jugez jamais une communication médianimique en raison du nom dont elle est signée, mais seulement sur sa valeur intrinsèque. »
Il est urgent de vous tenir en garde contre toutes les publications d'origine suspecte qui paraissent ou qui vont paraître, contre toutes celles qui n'auraient pas une allure franche et nette, et tenez pour certain que plus d'une est élaborée dans les camps ennemis du monde visible ou du monde invisible en vue de jeter parmi vous des brandons de discorde. C'est à vous de ne pas vous y laisser prendre ; vous avez tous les éléments nécessaires pour les apprécier. Mais tenez également pour certain que tout Esprit qui s'annonce lui-même comme un être supérieur, et surtout comme d'une infaillibilité à toute épreuve n'est, au contraire, que l'opposé de ce qu'il annonce si pompeusement. Depuis que le pieux Esprit de François-Nicolas Madeleine a bien voulu me débarrasser d'une partie de mon fardeau spirituel, j'ai pu considérer l'ensemble de l'œuvre spirite, et faire la statistique morale des ouvriers qui travaillent à la vigne du Seigneur. Hélas ! si beaucoup d'Esprits imparfaits s'immiscent à l'œuvre que nous poursuivons, j'ai un bien plus grand regret de constater que parmi nos meilleurs aides de la terre, beaucoup ont fléchi sous le poids de leur tâche, et ont repris petit à petit le sentier de leurs anciennes faiblesses, de telle sorte qu'aux grandes âmes éthérées qui les conseillaient se sont dès lors substitués des Esprits moins purs et moins parfaits. Ah ! je sais que la vertu est difficile ; mais nous ne voulons ni ne demandons l'impossible. La bonne volonté nous suffit quand elle est accompagnée du désir de mieux faire. En tout, mes amis, le relâchement est pernicieux ; car il sera beaucoup demandé à ceux qui, après s'être élevés par un renoncement généreux à leur propre individualité, seront retombés dans le culte de la matière, et se seront encore laissé envahir par l'égoïsme et l'amour d’eux-mêmes. Néanmoins, prions pour eux et ne condamnons personne : car nous devons toujours avoir présent à la mémoire ce magnifique enseignement du Christ : « Que celui qui est sans péché lui jette la première pierre ! »
Aujourd'hui, vos phalanges grossissent à vue d'œil, et vos partisans se comptent par millions. Or, en raison du nombre des adeptes, se glissent sous de faux masques les faux frères dont votre président temporel vous a entretenus dernièrement. Ce n'est pas que je vienne vous recommander de n'ouvrir vos rangs qu'aux agneaux sans tache et aux génisses blanches ; non, parce que, plus que tous autres, les pécheurs ont droit de trouver parmi vous un refuge contre leurs propres imperfections. Mais ceux dont je vous engage à vous méfier sont ces hypocrites dangereux auxquels, à première vue, on est tenté d'accorder toute confiance. A l'aide d'une tenue rigide, sous l'œil observateur des foules, ils conservent cet air grave et digne qui fait dire d'eux : « Quelles gens respectables ! » tandis que sous cette respectabilité apparente se dissimulent parfois la perfidie et l'immoralité. Ils sont liants, obséquieux, pleins d'aménité ; ils se faufilent dans les intérieurs ; fouillent volontiers dans la vie privée ; ils écoutent derrière les portes et font les sourds pour mieux entendre ; ils pressentent les inimitiés, les attisent et les entretiennent ; ils vont dans les camps opposés questionnant et interrogeant sur chacun. Que fait celui-ci ? De quoi vit celui-là ? Quelle est cette personne ? Connaissez-vous sa famille ? Vous les voyez ensuite aller sourdement distiller dans l'ombre les petites médisances qu'ils ont pu recueillir, en ayant soin de les envenimer par d'onctueuses calomnies. « Ce sont des bruits, disent-ils, auxquels on ne croit pas ; » mais cependant, ils ajoutent : « Il n'y a pas de fumée sans feu, etc., etc. »
A ces tartufes de l'incarnation réunissez les tartufes de l'erraticité, et vous verrez, mes chers amis, combien j'ai raison de vous conseiller d'agir désormais avec une réserve extrême, et de vous garder de toute imprudence et de tout enthousiasme irréfléchi. Je vous l'ai dit, vous êtes dans un moment de crise, rendu plus difficile par la malveillance, mais dont vous sortirez plus forts avec la fermeté et la persévérance.
Le nombre des médiums est aujourd'hui incalculable, et il est fâcheux de voir que quelques-uns se croient seuls appelés à distribuer la vérité au monde et s'extasier devant des banalités qu'ils considèrent comme des monuments. Pauvres abusés qui se baissent en passant sous les arcs de triomphe ! Comme si la vérité avait attendu leur venue pour être annoncée. Ni le fort, ni le faible, ni l'instruit, ni l'ignorant, n'ont eu ce privilège exclusif ; c'est par mille voix inconnues que la vérité s'est répandue, et c'est justement par cette unanimité qu'elle a su se faire reconnaître. Comptez ces voix, comptez ceux qui les écoutent, comptez surtout ceux qu'elles frappent au cœur, si vous voulez savoir de quel côté est la vérité. Ah ! si tous les médiums avaient la foi, je serais le premier à m'incliner devant eux ; mais ils n'ont, la plupart du temps, que foi en eux-mêmes, tant l'orgueil est grand sur la terre ! Non, leur foi n'est pas celle qui transporte les montagnes et qui fait marcher sur les eaux ! C'est le cas de répéter ici cette maxime évangélique qui me servit de thème lorsque je me fis entendre à mon début parmi vous : beaucoup d'appelés et peu d'élus.
En somme, publications à droite, publications à gauche, publications partout, pour ou contre, dans tous les sens, sous toutes les formes ; critiques outrées de la part de gens qui n'en savent pas le premier mot ; sermons fougueux de gens qui le redoutent ; en somme, dis-je, le Spiritisme est à l'ordre du jour ; il remue tous les cerveaux, agite toutes les consciences, privilège exclusif des grandes choses ; chacun pressent qu'il porte en lui le principe d'une rénovation que les uns appellent de leurs vœux, et les autres redoutent. Mais, de tout cela, que restera-t-il ? De cette tour de Babel que jaillira-t-il ? Une chose immense : la vulgarisation de l'idée spirite, et comme doctrine, ce qui sera véritablement doctrinal ! Ce conflit est inévitable, parce que l'homme est entaché de trop d'orgueil et d'égoïsme pour accepter sans opposition une vérité nouvelle quelconque ; je dis même que ce conflit est nécessaire, parce que c'est le frottement qui use les idées fausses et fait ressortir la puissance de celles qui résistent. Au milieu de cette avalanche de médiocrités, d'impossibilités et d'utopies irréalisables, la vérité splendide s'épanouira dans sa grandeur et sa majesté.
ERASTE

Revue spirite 1868

Séance annuelle  commémorative des morts
Société de Paris, 1er novembre 1868

Discours d’ouverture par M. Allan Kardec

Le Spiritisme est-il une religion ?

Chers frères et sœurs spirites,

Nous sommes réunis, en ce jour consacré par l'usage à la commémoration des morts, pour donner à ceux de nos frères qui ont quitté la terre, un témoignage particulier de sympathie ; pour continuer les rapports d'affection et de fraternité qui existaient entre eux et nous de leur vivant, et pour appeler sur eux les bontés du Tout-Puissant. Mais pourquoi nous réunir ? Ne pouvons-nous faire, chacun en particulier, ce que nous nous proposons de faire en commun ? Quelle utilité peut-il y avoir à se réunir ainsi à un jour déterminé ?
Jésus nous l'indique par les paroles que nous avons rapportées ci-dessus. Cette utilité est dans le résultat produit par la communion de pensées qui s'établit entre personnes réunies dans un même but.
Mais comprend-on bien toute la portée de ce mot : Communion de pensées ? Assurément, jusqu'à ce jour, peu de personnes s'en étaient fait une idée complète. Le Spiritisme, qui nous explique tant de choses par les lois qu'il nous révèle, vient encore nous expliquer la cause, les effets et la puissance de cette situation de l'esprit.
Communion de pensée veut dire pensée commune, unité d'intention, de volonté, de désir, d'aspiration. Nul ne peut méconnaître que la pensée ne soit une force ; mais est-ce une force purement morale et abstraite ? Non ; autrement on ne s'expliquerait pas certains effets de la pensée, et encore moins de la communion de pensée. Pour le comprendre, il faut connaître les propriétés et l'action des éléments qui constituent notre essence spirituelle, et c'est le Spiritisme qui nous l'apprend.
La pensée est l'attribut caractéristique de l'être spirituel ; c'est elle qui distingue l'esprit de la matière : sans la pensée, l'esprit ne serait pas esprit. La volonté n'est pas un attribut spécial de l'esprit, c'est la pensée arrivée à un certain degré d'énergie ; c'est la pensée devenue puissance motrice. C'est par la volonté que l'esprit imprime aux membres et au corps des mouvements dans un sens déterminé. Mais si elle a la puissance d'agir sur les organes matériels, combien cette puissance ne doit-elle pas être plus grande sur les éléments fluidiques qui nous environnent ! La pensée agit sur les fluides ambiants, comme le son agit sur l'air ; ces fluides nous apportent la pensée, comme l'air nous apporte le son. On peut donc dire en toute vérité qu'il y a dans ces fluides des ondes et des rayons de pensées qui se croisent sans se confondre, comme il y a dans l'air des ondes et des rayons sonores.
Une assemblée est un foyer où rayonnent des pensées diverses ; c'est comme un orchestre, un chœur de pensées où chacun produit sa note. Il en résulte une multitude de courants et d'effluves fluidiques dont chacun reçoit l'impression par le sens spirituel, comme dans un chœur de musique, chacun reçoit l'impression des sons par le sens de l'ouïe.
Mais, de même qu'il y a des rayons sonores harmoniques ou discordants, il y a aussi des pensées harmoniques ou discordantes. Si l'ensemble est harmonique, l'impression est agréable ; s'il est discordant, l'impression est pénible. Or, pour cela, il n'est pas besoin que la pensée soit formulée en paroles ; le rayonnement fluidique n'existe pas moins, qu'elle soit exprimée ou non ; si toutes sont bienveillantes, tous les assistants en éprouvent un véritable bien-être, ils se sentent à l'aise ; mais s'il s'y mêle quelques pensées mauvaises, elles produisent l'effet d'un courant d'air glacé dans un milieu tiède.
Telle est la cause du sentiment de satisfaction que l'on éprouve dans une réunion sympathique ; il y règne comme une atmosphère morale salubre, où l'on respire à l'aise ; on en sort réconforté, parce qu'on s'y est imprégné d'effluves fluidiques salutaires. Ainsi s'expliquent aussi l'anxiété, le malaise indéfinissable que l'on ressent dans un milieu antipathique, où des pensées malveillantes provoquent, pour ainsi dire, des courants fluidiques malsains.
La communion de pensées produit donc une sorte d'effet physique qui réagit sur le moral ; c'est ce que le Spiritisme seul pouvait faire comprendre. L'homme le sent instinctivement, puisqu'il recherche les réunions où il sait trouver cette communion ; dans ces réunions homogènes et sympathiques, il puise de nouvelles forces morales ; on pourrait dire qu'il y récupère les pertes fluidiques qu'il fait chaque jour par le rayonnement de la pensée, comme il récupère par les aliments les pertes du corps matériel.
A ces effets de la communion de pensées, s'en joint un autre qui en est la conséquence naturelle, et qu'il importe de ne pas perdre de vue : c'est la puissance qu'acquiert la pensée ou la volonté, par l'ensemble des pensées ou volontés réunies. La volonté étant une force active, cette force est multipliée par le nombre des volontés identiques, comme la force musculaire est multipliée par le nombre des bras.
Ce point établi, on conçoit que dans les rapports qui s'établissent entre les hommes et les Esprits, il y a, dans une réunion où règne une parfaite communion de pensées, une puissance attractive ou répulsive que ne possède pas toujours un individu isolé. Si, jusqu'à présent, les réunions trop nombreuses sont moins favorables, c'est par la difficulté d'obtenir une homogénéité parfaite de pensées, ce qui tient à l'imperfection de la nature humaine sur la terre. Plus les réunions sont nombreuses, plus il s'y mêle d'éléments hétérogènes qui paralysent l'action des bons éléments, et qui sont comme les grains de sable dans un engrenage. Il n'en est point ainsi dans les mondes plus avancés, et cet état de choses changera sur la terre, à mesure que les hommes y deviendront meilleurs.
Pour les Spirites, la communion de pensées a un résultat plus spécial encore. Nous avons vu l'effet de cette communion d'homme à homme ; le Spiritisme nous prouve qu'il n'est pas moins grand des hommes aux Esprits, et réciproquement. En effet, si la pensée collective acquiert de la force par le nombre, un ensemble de pensées identiques, ayant le bien pour but, aura plus de puissance pour neutraliser l'action des mauvais Esprits ; aussi voyons-nous que la tactique de ces derniers est de pousser à la division et à l'isolement. Seul, un homme peut succomber, tandis que si sa volonté est corroborée par d'autres volontés, il pourra résister, selon l'axiome : L'union fait la force, axiome vrai au moral comme au physique.
D'un autre côté, si l'action des Esprits malveillants peut être paralysée par une pensée commune, il est évident que celle des bons Esprits sera secondée ; leur influence salutaire ne rencontrera point d'obstacles ; leurs effluves fluidiques, n'étant point arrêtées par des courants contraires, se répandront sur tous les assistants, précisément parce que tous les auront attirées par la pensée, non chacun à son profit personnel, mais au profit de tous, selon la loi de charité. Elles descendront sur eux en langues de feu, pour nous servir d'une admirable image de l'Évangile.
Ainsi, par la communion de pensées, les hommes s'assistent entre eux, et en même temps ils assistent les Esprits et en sont assistés. Les rapports du monde visible et du monde invisible ne sont plus individuels, ils sont collectifs, et par cela même plus puissants pour le profit des masses, comme pour celui des individus ; en un mot, elle établit la solidarité, qui est la base de la fraternité. Chacun ne travaille pas seulement pour soi, mais pour tous, et en travaillant pour tous chacun y trouve son compte ; c'est ce que ne comprend pas l'égoïsme.
Grâce au Spiritisme, nous comprenons donc la puissance et les effets de la pensée collective ; nous nous expliquons mieux le sentiment de bien-être que l'on éprouve dans un milieu homogène et sympathique ; mais nous savons également qu'il en est de même des Esprits, car eux aussi reçoivent les effluves de toutes les pensées bienveillantes qui s'élèvent vers eux comme une fumée de parfum. Ceux qui sont heureux éprouvent une plus grande joie de ce concert harmonieux ; ceux qui souffrent en ressentent un plus grand soulagement.
Toutes les réunions religieuses, à quelque culte qu'elles appartiennent, sont fondées sur la communion de pensées ; c'est là, en effet, qu'elle doit et peut exercer toute sa puissance, parce que le but doit être le dégagement de la pensée des étreintes de la matière. Malheureusement la plupart se sont écartées de ce principe, à mesure qu'elles ont fait de la religion une question de forme. Il en est résulté que chacun faisant consister son devoir dans l'accomplissement de la forme, se croit quitte envers Dieu et envers les hommes, quand il a pratiqué une formule. Il en résulte encore que chacun va dans les lieux de réunions religieuses avec une pensée personnelle, pour son propre compte, et le plus souvent sans aucun sentiment de confraternité à l'égard des autres assistants ; il est isolé au milieu de la foule, et ne pense au ciel que pour lui-même.
Ce n'est certes pas ainsi que l'entendait Jésus quand il dit : « Lorsque vous serez plusieurs réunis en mon nom, je serai au milieu de vous. » Réunis en mon nom, c'est-à-dire avec une pensée commune ; mais on ne peut être réunis au nom de Jésus sans s'assimiler ses principes, sa doctrine ; or, quel est le principe fondamental de la doctrine de Jésus ? La charité en pensées, en paroles et en actions. Les égoïstes et les orgueilleux mentent quand ils se disent réunis au nom de Jésus, car Jésus les désavoue pour ses disciples.
Frappés de ces abus et de ces déviations, il est des gens qui nient l'utilité des assemblées religieuses, et par conséquent des édifices consacrés à ces assemblées. Dans leur radicalisme, ils pensent qu'il vaudrait mieux construire des hospices que des temples, attendu que le temple de Dieu est partout, qu'il peut être adoré partout, que chacun peut prier chez soi et à toute heure, tandis que les pauvres, les malades et les infirmes ont besoin de lieux de refuge.
Mais de ce que des abus sont commis, de ce qu'on s'est écarté du droit chemin s'ensuit-il que le droit chemin n'existe pas, et que tout ce dont on abuse soit mauvais ? Parler ainsi, c'est méconnaître la source et les bienfaits de la communion de pensées qui doit être l'essence des assemblées religieuses ; c'est ignorer les causes qui la provoquent. Que des matérialistes professent de pareilles idées, on le conçoit ; car, pour eux, ils font en toutes choses abstraction de la vie spirituelle ; mais de la part de spiritualistes, et mieux encore de Spirites, ce serait un non-sens.
L'isolement religieux, comme l'isolement social, conduit à l'égoïsme. Que quelques hommes soient assez forts par eux-mêmes, assez largement doués par le cœur, pour que leur foi et leur charité n'aient pas besoin d'être réchauffées à un foyer commun, c'est possible ; mais il n'en est point ainsi des masses, à qui il faut un stimulant, sans lequel elles pourraient se laisser gagner par l'indifférence. Quel est, en outre, l'homme qui puisse se dire assez éclairé pour n'avoir rien à apprendre touchant ses intérêts futurs ? assez parfait pour se passer de conseils dans la vie présente ? Est-il toujours capable de s'instruire par lui-même ? Non ; il faut à la plupart des enseignements directs en matière de religion et de morale, comme en matière de science. Sans contredit, cet enseignement peut être donné partout, sous la voûte du ciel comme sous celle d'un temple ; mais pourquoi les hommes n'auraient-ils pas des lieux spéciaux pour les affaires du ciel, comme ils en ont pour les affaires de la terre ? Pourquoi n'auraient-ils pas des assemblées religieuses, comme ils ont des assemblées politiques, scientifiques et industrielles ? C'est là une bourse où l'on gagne toujours sans rien faire perdre à personne. Cela n'empêche pas les fondations au profit des malheureux ; mais nous disons de plus que lorsque les hommes comprendront mieux leurs intérêts du ciel, il y aura moins de monde dans les hospices.
Si les assemblées religieuses, nous parlons en général, sans faire allusion à aucun culte, se sont trop souvent écartées du but primitif principal, qui est la communion fraternelle de la pensée ; si l'enseignement qui y est donné n'a pas toujours suivi le mouvement progressif de l'humanité, c'est que les hommes n'accomplissent pas tous les progrès à la fois ; ce qu'ils ne font pas dans une période, ils le font dans une autre ; à mesure qu'ils s'éclairent, ils voient les lacunes qui existent dans leurs institutions, et ils les remplissent ; ils comprennent que ce qui était bon à une époque, eu égard au degré de la civilisation, devient insuffisant dans un état plus avancé, et ils rétablissent le niveau. Le Spiritisme, nous le savons, est le grand levier du progrès en toutes choses ; il marque une ère de rénovation. Sachons donc attendre, et ne demandons pas à une époque plus qu'elle ne peut donner. Comme les plantes, il faut que les idées mûrissent pour en récolter les fruits. Sachons, en outre, faire les concessions nécessaires aux époques de transition, car rien, dans la nature, ne s'opère d'une manière brusque et instantanée.
Nous avons dit que le véritable but des assemblées religieuses doit être la communion de pensées ; c'est qu'en effet le mot religion veut dire lien ; une religion, dans son acception large et vraie, est un lien qui relie les hommes dans une communauté de sentiments, de principes et de croyances ; consécutivement, ce nom a été donné à ces mêmes principes codifiés et formulés en dogmes ou articles de foi. C'est en ce sens que l'on dit : la religion politique ; cependant, dans cette acception même, le mot religion n'est pas synonyme d'opinion ; il implique une idée particulière : celle de foi consciencieuse ; c'est pourquoi on dit aussi : la foi politique. Or, des hommes peuvent s'enrôler, par intérêt, dans un parti, sans avoir la foi de ce parti, et la preuve en est, c'est qu'ils le quittent, sans scrupule, quand ils trouvent leur intérêt ailleurs, tandis que celui qui l'embrasse par conviction est inébranlable ; il persiste au prix des plus grands sacrifices, et c'est l'abnégation des intérêts personnels qui est la véritable pierre de touche de la foi sincère. Toutefois, si le renoncement à une opinion, motivé par l'intérêt, est un acte de lâcheté méprisable, il est respectable, au contraire, lorsqu'il est le fruit de la reconnaissance de l'erreur où l'on était ; c'est alors un acte d'abnégation et de raison. Il y a plus de courage et de grandeur à reconnaître ouvertement qu'on s'est trompé, qu'à persister, par amour-propre, dans ce que l'on sait être faux, et pour ne pas se donner un démenti à soi-même, ce qui accuse plus d'entêtement que de fermeté, plus d'orgueil que de jugement, et plus de faiblesse que de force. C'est plus encore : c'est de l'hypocrisie, parce qu'on veut paraître ce qu'on n'est pas ; c'est en outre une mauvaise action, parce que c'est encourager l'erreur par son propre exemple.
Le lien établi par une religion, quel qu'en soit l'objet, est donc un lien essentiellement moral, qui relie les cœurs, qui identifie les pensées, les aspirations, et n'est pas seulement le fait d'engagements matériels qu'on brise à volonté, ou de l'accomplissement de formules qui parlent aux yeux plus qu'à l'esprit. L'effet de ce lien moral est d'établir entre ceux qu'il unit, comme conséquence de la communauté de vues et de sentiments, la fraternité et la solidarité, l'indulgence et la bienveillance mutuelles. C'est en ce sens qu'on dit aussi : la religion de l'amitié, la religion de la famille.
S'il en est ainsi, dira-t-on, le Spiritisme est donc une religion ? Eh bien, oui ! sans doute, Messieurs ; dans le sens philosophique, le Spiritisme est une religion, et nous nous en glorifions, parce que c'est la doctrine qui fonde les liens de la fraternité et de la communion de pensées, non pas sur une simple convention, mais sur les bases les plus solides : les lois mêmes de la nature.
Pourquoi donc avons-nous déclaré que le Spiritisme n'est pas une religion ? Par la raison qu'il n'y a qu'un mot pour exprimer deux idées différentes, et que, dans l'opinion générale, le mot religion est inséparable de celle de culte ; qu'il réveille exclusivement une idée de forme, et que le Spiritisme n'en a pas. Si le Spiritisme se disait religion, le public n'y verrait qu'une nouvelle édition, une variante, si l'on veut, des principes absolus en matière de foi ; une caste sacerdotale avec son cortège de hiérarchies, de cérémonies et de privilèges ; il ne le séparerait pas des idées de mysticisme, et des abus contre lesquels l'opinion s'est souvent élevée.
Le Spiritisme, n'ayant aucun des caractères d'une religion, dans l'acception usuelle du mot, ne pouvait, ni ne devait se parer d'un titre sur la valeur duquel on se serait inévitablement mépris ; voilà pourquoi il se dit simplement : doctrine philosophique et morale.
Les réunions spirites peuvent donc être tenues religieusement, c'est-à-dire avec le recueillement et le respect que comporte la nature grave des sujets dont on s'y occupe ; on peut même y dire, à l'occasion, des prières qui, au lieu d'être dites en particulier, sont dites en commun, sans être pour cela ce qu'on entend par assemblées religieuses. Qu'on ne croie pas que ce soit là jouer sur les mots ; la nuance est parfaitement claire, et l'apparente confusion ne vient que faute d'un mot pour chaque idée.
Quel est donc le lien qui doit exister entre les Spirites ? Ils ne sont unis entre eux par aucun contrat matériel, par aucune pratique obligatoire ; quel est le sentiment dans lequel doivent se confondre toutes les pensées ? C'est un sentiment tout moral, tout spirituel, tout humanitaire : celui de la charité pour tous, autrement dit : l'amour du prochain qui comprend les vivants et les morts, puisque nous savons que les morts font toujours partie de l'humanité.
La charité est l'âme du Spiritisme : elle résume tous les devoirs de l'homme envers lui-même et envers ses semblables ; c'est pourquoi on peut dire qu'il n'y a pas de vrai Spirite sans charité.
Mais la charité, c'est encore un de ces mots à sens multiple dont il est nécessaire de bien comprendre toute la portée ; et si les Esprits ne cessent de la prêcher et de la définir, c'est que, probablement, ils reconnaissent que cela est encore nécessaire.
Le champ de la charité est très vaste ; il comprend deux grandes divisions que, faute de termes spéciaux, on peut désigner par les mots : Charité bienfaisante et charité bienveillante. On comprend facilement la première, qui est naturellement proportionnée aux ressources matérielles dont on dispose ; mais la seconde est à la portée de tout le monde, du plus pauvre comme du plus riche. Si la bienfaisance est forcément limitée, rien autre que la volonté ne saurait poser des bornes à la bienveillance.
Que faut-il donc pour pratiquer la charité bienveillante ? Aimer son prochain comme soi-même : or, si l'on aime son prochain autant que soi, on l'aimera beaucoup ; on agira envers autrui comme on voudrait que les autres agissent envers nous ; on ne voudra ni ne fera de mal à personne, parce que nous ne voudrions pas qu'on nous en fît.
Aimer son prochain, c'est donc abjurer tout sentiment de haine, d'animosité, de rancune, d'envie, de jalousie, de vengeance, en un mot, tout désir et toute pensée de nuire ; c'est pardonner à ses ennemis et rendre le bien pour le mal ; c'est être indulgent pour les imperfections de ses semblables et ne pas chercher la paille dans l'œil de son voisin, alors qu'on ne voit pas la poutre qu'on a dans le sien ; c'est voiler ou excuser les fautes d'autrui, au lieu de se complaire à les mettre en relief par esprit de dénigrement ; c'est encore de ne pas se faire valoir aux dépens des autres ; de ne chercher à écraser personne sous le poids de sa supériorité ; de ne mépriser personne par orgueil. Voilà la vraie charité bienveillante, la charité pratique, sans laquelle la charité est un vain mot ; c'est la charité du vrai Spirite comme du vrai chrétien ; celle sans laquelle celui qui dit : Hors la charité point de salut, prononce sa propre condamnation, en ce monde aussi bien qu'en l'autre.
Que de choses il y aurait à dire sur ce sujet ! Que de belles instructions nous donnent sans cesse les Esprits ! Sans la crainte d'être trop long et d'abuser de votre patience, messieurs, il serait facile de démontrer qu'en se plaçant au point de vue de l'intérêt personnel, égoïste, si l'on veut, car tous les hommes ne sont pas encore mûrs pour une abnégation complète, pour faire le bien uniquement pour l'amour du bien, il serait, dis-je, facile de démontrer qu'ils ont tout à gagner à agir de la sorte et tout à perdre en agissant autrement, même dans leurs relations sociales ; puis, le bien attire le bien et la protection des bons Esprits ; le mal attire le mal et ouvre la porte à la malveillance des mauvais. Tôt ou tard l'orgueilleux est châtié par l'humiliation, l'ambitieux par les déceptions, l'égoïste par la ruine de ses espérances, l'hypocrite par la honte d'être démasqué ; celui qui abandonne les bons Esprits en est abandonné, et, de chute en chute, se voit enfin au fond de l'abîme, tandis que les bons Esprits relèvent et soutiennent celui qui, dans ses plus grandes épreuves, ne cesse de se confier en la Providence et ne dévie jamais du droit chemin ; celui, enfin, dont les secrets sentiments ne dissimulent aucune arrière-pensée de vanité ou d'intérêt personnel. Donc, d'un côté, gain assuré ; de l'autre, perte certaine ; chacun, en vertu de son libre-arbitre, peut choisir la chance qu'il veut courir, mais ne pourra s'en prendre qu'à lui-même des conséquences de son choix.
Croire en un Dieu tout-puissant, souverainement juste et bon ; croire en l'âme et en son immortalité ; à la préexistence de l'âme comme seule justification du présent ; à la pluralité des existences comme moyen d'expiation, de réparation et d'avancement intellectuel et moral ; à la perfectibilité des êtres les plus imparfaits ; à la félicité croissante avec la perfection ; à l'équitable rémunération du bien et du mal, selon le principe : à chacun selon ses œuvres ; à l'égalité de la justice pour tous, sans exceptions, faveurs ni privilèges pour aucune créature ; à la durée de l'expiation limitée à celle de l'imperfection ; au libre-arbitre de l'homme, qui lui laisse toujours le choix entre le bien et le mal ; croire à la continuité des rapports entre le monde visible et le monde invisible ; à la solidarité qui relie tous les êtres passés, présents et futurs, incarnés et désincarnés ; considérer la vie terrestre comme transitoire et l'une des phases de la vie de l'Esprit, qui est éternelle ; accepter courageusement les épreuves en vue de l'avenir plus enviable que le présent ; pratiquer la charité en pensées, en paroles et en actions dans la plus large acception du mot ; s'efforcer chaque jour d'être meilleur que la veille, en extirpant quelque imperfection de son âme ; soumettre toutes ses croyances au contrôle du libre examen et de la raison, et ne rien accepter par la foi aveugle ; respecter toutes les croyances sincères, quelque irrationnelles qu'elles nous paraissent, et ne violenter la conscience de personne ; voir enfin dans les découvertes de la science la révélation des lois de la nature, qui sont les lois de Dieu : voilà le Credo, la religion du Spiritisme, religion qui peut se concilier avec tous les cultes, c'est-à-dire avec toutes les manières d'adorer Dieu. C'est le lien qui doit unir tous les Spirites en une sainte communion de pensées, en attendant qu'il rallie tous les hommes sous le drapeau de la fraternité universelle.
Avec la fraternité, fille de la charité, les hommes vivront en paix, et s'épargneront les maux innombrables qui naissent de la discorde, fille à son tour de l'orgueil, de l'égoïsme, de l'ambition, de la jalousie et de toutes les imperfections de l'humanité.
Le Spiritisme donne aux hommes tout ce qu'il faut pour leur bonheur ici-bas, parce qu'il leur apprend à se contenter de ce qu'ils ont ; que les Spirites soient donc les premiers à profiter des bienfaits qu'il apporte, et qu'ils inaugurent entre eux le règne de l'harmonie qui resplendira dans les générations futures.
Les Esprits qui nous entourent ici sont innombrables, attirés par le but que nous nous sommes proposé en nous réunissant, afin de donner à nos pensées la force qui naît de l'union. Donnons à ceux qui nous sont chers un bon souvenir et un gage de notre affection, des encouragements et des consolations à ceux qui en ont besoin. Faisons en sorte que chacun recueille sa part des sentiments de charité bienveillante dont nous serons animés, et que cette réunion porte les fruits que tous sont en droit d'en attendre.
ALLAN KARDEC.

TABLE DES MATIÈRES

Le revenant de mademoiselle Clairon    2
L'Esprit frappeur de Bergzabern (introduction)    5
L'Esprit frappeur de Bergzabern (première article)    7
Considérations sur l'Esprit frappeur de Bergzabern    10
L'Esprit frappeur de Bergzabern (deuxième article)    11
L'Esprit frappeur de Bergzabern (troisième article)    18
Entretiens familiers d’outre-tombe    20
Le Tambour de la Bérésina    20
Esprits imposteurs    24
Le faux P. Ambroise    24
L'Esprit frappeur de Dibbelsdorf (Basse-saxe)    27
Des Obsédés et des Subjugués    29
Le mal de la peur    37
Entretiens familiers d’outre-tombe    41
Une veuve du Malabar    41
Écueils des médiums    43
Les Esprits tapageurs ; moyen de s'en débarrasser    48
Etude sur les médiums    50
Médiums intéressés    52
Des procédés pour écarter les mauvais Esprits    54
Manifestations physiques spontanées    60
Le Boulanger de Dieppe    60
Superstition    62
Le Livre des Médiums    63
L'Esprit frappeur de l'Aube    64
Épidémie démoniaque en Savoie    68
Etude sur les possédés de Morzines    71
Les causes de l'obsession et les moyens de la combattre    71
Etude sur les possédés de Morzines    78
Les causes de l'obsession et les moyens de la combattre (Deuxième article)    78
Nouveaux détails sur les possédés de Morzines    95
Un cas de possession    98
Mademoiselle Julie    98
Revue spirite 1864    101
Mademoiselle Julie (deuxième article)    101
Revue spirite 1864    108
Une tentation    108
Revue spirite 1864    110
Cure d'une obsession    110
Revue spirite 1864    111
La jeune obsédée de Marmande (Suite)    111
Récit complet de la guérison de la jeune obsédée de Marmande    113
Instruction des Esprits    120
Les Esprits en Espagne (Barcelone, 13juin 1864)    120
Les Esprits en Espagne    122
Guérison d'une obsédée à Barcelone    122
Cures d'obsessions    126
Période de la lutte    128
Instruction des Esprits    130
La guerre sourde    130
Les conflits    131
Discours d’ouverture par M. Allan Kardec    135
Le Spiritisme est-il une religion ?    135