Sir William BARRETT
Professeur à l’Université de Dublin
Membre de la Société Royale
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AU SEUIL DE L’INVISIBLE
Dédicace
A la chère mémoire de celle dont la foi radieuse obtint « l’assurance des choses espérées », sans avoir besoin de la preuve de l’invisible que ce livre donnera peut être à quelques âmes affligées, à tous les chercheurs de la vérité.
Avertissement
Sir William Fletcher Barrett est un des physiciens les plus distingués de l’Angleterre. Ancien assistant du célèbre professeur Tyndall, il fut nommé maître de conférences à l’Ecole d’architecture navale, puis professeur de physique au Collège royal de science, à Dublin, où il enseigna pendant trente sept ans, de 1873 à 1910. Il fut fait chevalier en 1912 et appartient à la Société royale de Londres, qui est comme notre Institut de France. Ses travaux portent principalement sur les flammes sensibles, la recalescence, les propriétés magnétiques du nickel et des alliages de fer. Il a en outre écrit quelques livres didactiques.
Mais de bonne heure, le jeune physicien avait été attiré par les phénomènes de l’hypnotisme. Les expériences de la Société Dialectique, auxquelles fut invité Tyndall, l’exemple prestigieux de Wallace et de Crookes passionnaient alors les savants. En 1876, William Barrett fit une communication à l’Association britannique sur « Les conditions anormales de l’esprit ». En 1882, il contribua à fonder la Société des recherches psychiques, dont il prit la présidence, après Olivier Lodge, quelques années plus tard. Il participa aux grandes expériences qui furent faites, dès le début, sur la transmission de pensée. En 1897, il se livra à des investigations sur la baguette des sourciers. Elles furent l’objet d’une importante monographie qui est encore peut être l’ouvrage le plus complet sur la question.
Il y joignit en 1905-07 des recherches sur la vision entoptique. Les nombreuses expériences de toute nature qu’il avait faites avec les médiums physiques ou intellectuels l’amenèrent à résumer ses impressions dans un libre qu’il appela : Au seuil d’un nouveau monde de pensée. Puis il publia successivement des études sur la Pensée créatrice, sur Swedenborg, sur la Recherche psychique. Enfin, vers la fin de la guerre, il refondit son premier travail qui devint le présent ouvrage. Un demi-siècle d’expérience y est enfermé.
A ce titre, sur place était marquée dans notre collection. Barrett est un homme qui connaît admirablement son sujet parce qu’il n’a cessé de l’étudier dans toutes ses manifestations et d’y réfléchir. Il l’a fait avec la même indépendance d’esprit qu’un Charles Richet en France, avec plus de facilité toutefois, parce que l’Angleterre ne connaît pas le « hideux sourire » du vieil Arouet. Il s’est donc parfaitement rendu compte que la nouvelle science devait constituer à son usage des méthodes particulières et non les emprunter aux autres sciences, notamment aux sciences physiques. Il y avait d’autant plus de mérite à faire cette distinction que Barrett était physicien, par conséquent habitué à vivre dans un monde de pensée où règnent des lois inexorables et simples. Or la science psychique relève de l’esprit et, quoiqu’en pensent certains psychologues, l’esprit n’a jamais connu de loi inflexible. Mais il n’empêche qu’elle présente des faits, comme la chimie, et que les règles d’observation des faits sont à peu près communes à toutes les sciences. Un homme habitué à mesurer les longueurs d’onde au spectroscope ou à comparer des précipités dans des tubes à essai, sera encore mieux préparé qu’un psychologue à constater un mouvement à distance ou une matérialisation. En tout cas, il se trouve placé dans les conditions réclamées par Auguste Comte qui ne voulait pas qu’on s’occupât de prime abord des phénomènes compliqués avant d’avoir appris à connaître par l’étude des phénomènes les plus simples, « ce que c’est qu’observer ».
Sir William Barrett, comme Crookes, comme Lodge, nous donne donc par sa formation scientifique, toutes les garanties que les sceptiques sont en droit de réclamer en une matière si étrange et qui bouleverse notre conception moderne de la nature. Nous insistons sur ce point pour répondre à l’objection, si naïve et inconsistante, de ceux qui parlent de « préjugés affectifs » comme étant susceptibles de vicier l’observation. La foi de Pasteur n’a pas porté atteinte à ses admirables découvertes. De même la foi religieuse de Barrett, dont on trouvera tant d’attestations le long de ces pages, n’enlève rien à la rigueur de ses recherches physiques ou psychiques. Nous ne sommes pas habitués, il est vrai, à voir la théologie biblique et la haute poésie entrer dans un ouvrage de science. Mais il ne faut pas oublier que les faits incontestables de la science psychique, en posant le problème de la survivance, rejoignent à la limite, les affirmations des religions et des philosophies spiritualistes. C’est le droit de tout psychiste croyant de trouver dans la révélation, par exemple, la confirmation d’une hypothèse qu’il induit des faits.
De plus, il faut que le lecteur français, façonné par deux siècles d’agnosticisme, sache que les esprits continuent à subir en Angleterre, une discipline religieuse d’ailleurs extrêmement libérale mais qui imprime, à leur pensée comme à leur conduite, une marque caractéristique. « L’Anglais éprouve naturellement le sentiment de l’au delà, dit Taine. Pour lui, au delà de l’expérience humaine, si indéfiniment prolongée qu’on la suppose, il y a un abîme ; un grand je ne sais quoi, ténèbres et lumières ; là dessus les sectateurs les plus décidés de la pure expérience sont d’accord avec les croyants.. » En lisant ce livre d’une inspiration si élevée, le lecteur français devra rester convaincu que les sentiments de l’auteur touchant la vie future et les traditions chrétiennes en laissent intacte toute la vérité expérimentales. Ce n’est pas une œuvre d’apologétique mais une œuvre de science positive que nous avons fait entrer dans la Bibliothèque internationale.
René SUDRE
PREFACE DE L’AUTEUR
Pour l’édition Française
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C’est avec un grand plaisir que j’accepte d’écrire quelques mots de préface pour l’édition française de ce livre. Voilà plusieurs années qu’il a été composé et on a obtenu depuis nombre de preuves supplémentaires de la plupart des phénomènes remarquables dont je rends compte. La science psychique doit beaucoup aux importantes séries d’expériences faites à l’Institut métapsychique et à l’infatigable activité du Dr Geley et de ses collaborateurs.
Je considère que la production mystérieuse et merveilleuse de ce qu’on nomme « l’ectoplasme » a été établie et qu’il n’est raisonnablement plus permis d’en douter. Il est à prévoir que les conséquences étonnantes de ce fait entraîneront une révolution dans la biologie de l’avenir. Mais mon opinion sur ce sujet est sans importance auprès de celle du professeur Richet qui, après de laborieuses investigations, faites dans des conditions rigoureuses, a mis sous l’autorité de son grand nom l’authenticité de ces phénomènes stupéfiants. Quant à l’origine et à la nature de cette extraordinaire exsudation plastique et vivante présentée par certains médiums, l’explication en doit être ajourée à plus tard. Nous devons être patients et ne pas nous irriter des lentes et prudentes méthodes de la recherche psychique sérieuse. Il a fallu des siècles pour bâtir le solide monument de la science physique. Estimons-nous heureux qu’on puisse caresser l’espoir de résoudre, en quelques générations, les problèmes les plus troublants que nous pose la science psychique.
Mais tous ces phénomènes télékinétiques n’apportent qu’une présomption très mince, si même c’en est une de la survivance humaine. Les preuves touchant cette question, qui est d’une importance si capitale pour nous tous, doivent être cherchées dans d’autres directions. Pour ma part, je suis absolument convaincu que la science psychique a expérimentalement prouvé l’existence d'une entité transcendante et immatérielle, d’une âme, chez l’homme. Elle a également établi l’existence d’un monde spirituel et invisible d’êtres vivants et intelligents qui peuvent communiquer avec nous quand l’occasion favorable se présente. J’ajoute qu’en dépit de beaucoup d’illusions, de simulations et autres mécomptes, il y a une foule croissante de preuves qui convergent en faveur de la survivance de l’homme après la mort et la dissolution du corps et du cerveau. De cela, je n’ai plus le moindre doute, bien qu’il reste à produire encore beaucoup de preuves pour être sûr que la personnalité de ceux qui ont vécu sur terre ne s’altère pas après la désincarnation.
Il y a plusieurs explications plausibles de la personnalité humaine tronquée qui semblent apparaître dans les messages des disparus. Elle peut être due aux difficultés de communication, ou à l’impossibilité pour les désincarnés de nous faire savoir le nouvel état dans lequel ils sont. On peut supposer, avec beaucoup de théologiens, que les désincarnés vivent dans un monde de rêve en attendant de recouvrer leur pleine personnalité à la résurrection, quand, selon l’ancien testament, ils seront revêtus d’un corps spirituel. Quoi qu’il en soit, et tout en respectant la haute intelligence et le courage du professeur Richet, je ne puis accepter sa théorie terrestre et matérialiste, parce qu’à mon avis elle n’apporte aucune explication adéquate des différentes catégories de preuves de la survivance. Je me rappelle que, dans son récent discours présidentiel à la Société américaine des recherches psychiques, le professeur W. Mc Dougall, membre de la Société royale, a dit qu’il considérait la science psychique comme le grand obstacle à un matérialisme qui menace de détruire la civilisation et la moralité.
Les phénomènes de « photographies spirites » ne justifient plus maintenant la réserve que j’avais exprimée à leur endroit dans ce livre et il y a une masse croissante de preuves en leur faveur. Néanmoins j’estime que la preuve définitive n’a pas encore été donnée. J’espère qu’elle le sera bientôt.
Je ne saurai terminer sans dire toute la joie que j’éprouve de l’élection comme président de la Société Anglaise des recherches psychiques, pour cette année, du vétéran français de l’astronomie, M. Camille Flammarion. Ces nombreux écrits attestent la longue et patiente étude qu’il a faite du spiritisme. Dans les trois volumes de son œuvre récente la mort et son mystère, il a donné au monde une quantité de preuves nouvelles et frappantes de sa foi dans la survivance.
W. F. BARRETT
Février 1923
Pour l’édition Anglaise
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Sur un esprit qui ne veut pas croire ou même qui ne désire d’être instruit, nos témoignages les plus convaincants n’auront jamais de prise. Il s’obstinera à les disséquer et les rejettera lambeau par lambeau. Celui qui est décidé à attendre la révélation d’un fait unique et absolument décisif est pour toujours fermé à la conviction et s’il est logicien, il doit le savoir. Car la logique moderne a établi clairement que les faits uniques ne peuvent jamais être « prouvés », sauf s’ils sont groupés en système. Mais comme tous les faits se produisent isolément, celui qui les fait défiler un par un détruit la possibilité pour son esprit de se convaincre d’une vérité nouvelle.
Dr F. C. S. SCHILLER
Pendant la plus grande partie du XVIIIe et XIXe siècle, le monde savant traita avec mépris tous les obscurs phénomènes psychiques compris entre le territoire déjà conquis par la science et les régions ténébreuses de l’ignorance et de la superstition. Diverses causes ont contribué à diminuer ce dédain. Il tend non seulement à disparaître mais à faire place au désir ardent de savoir quelles sont les preuves qui existent en faveur des phénomènes sur normaux, appelés souvent à tort, surnaturels.
Bien que beaucoup d’hommes de science éminents, hier et aujourd’hui, en Angleterre et à l’étranger, aient attesté l’importance et l’objectivité de ces phénomènes, la science officielle reste encore à l’écart. Cela tient sans doute à la différence essentielle entre les phénomènes physiques et les phénomènes psychiques, différence qui n’est pas nettement reconnue et qu’on ne saurait contester. L’objet principal des sciences physiques est de mesurer et de prévoir, en éliminant le libre arbitre. Les états psychiques, au contraire, ne peuvent être ni mesurés ni prévus, et il est impossible, avec eux, d’éliminer ou de prédire l’influence perturbatrice de la vie et de la volonté.
L’association des idées et les méthodes d’investigation différente extrêmement, on le voit, dans les recherches psychiques et dans les recherches physiques. Les esprits voués à ces dernières deviennent donc plus ou moins imperméables aux faits d’ordre psychique, malgré la valeur des témoignages. La nouvelle association d’idées qu’ils exigent leur paraît étrange, incompatible et sans relation harmonieuse avec les vérités scientifiques reçues. Néanmoins comme j’ai essayé de le marquer dans les premiers chapitres, quand ces différences sont comprises et que la masse croissante des témoignages en faveur des phénomènes jusqu’alors contestés est soumise à un examen loyal, l’adhésion de la science officielle ne peut être qu’une question de temps.
On s’en persuadera si l’on considère que notre connaissance de l’univers s’accroît de la même façon. Les acquisitions durables sont le fruit de longues et patientes enquêtes, de l’étude et de la discussion d’un certain nombre de faits dont chacun peut sembler insignifiant en lui même, mais qui, envisagés dans leur ensemble, mènent à une large généralisation. Ces témoignages, concluants pour un observateur averti, ne font aucune impression sur l’esprit de la masse ; elle n’a ni le temps ni l’envie d’approfondir les détails ; il faut une seule preuve, un bon coup de massue pour forcer son attention et enlever son assentiment. C’est justement là ce que nous ne pouvons donner, comme le Dr Schiller, ce penseur pénétrant, le fait ressortir en tête de cette Préface. Il n’y a pas d’autre parti à prendre que d’étudier, dans leur fastidieux détail, des témoignages dont l’abondance fait la valeur.
J’ai essayé, dans les pages qui vont suivre, d’exposer quelques uns d’entre eux, sous la forme la moins aride. J’ai touché, avec trop de hardiesse peut être, à maint sujet qu’il faudrait creuser plus qu’il n’est possible dans ce petit volume, dont voici l’histoire.
Je fis, il y a plus de vingt ans, une conférence sur les phénomènes du spiritisme . Elle fut publiée en une brochure intitulée : Au seuil d’un monde nouveau de la pensée et qui constitue le noyau du présent livre. Bien que cet ouvrage ait été imprimé en 1895, sa publication fut retardée d’une douzaine d’années. Voici pourquoi :
Eusapia Paldino, le médium italien, excitait considérablement en ce temps là l’intérêt du public. D’éminents savants du continent et quelques membres distingués de la S.P.R. , après une investigation prolongée, avaient attesté en 1894 l’authenticité des remarquables phénomènes produits par ce médium. Je citais leur rapport, mais au moment où mon livre allait être édité, d’autres savants, tout aussi compétents que les premiers, aboutirent, en 1895, à des conclusions totalement opposées, à la suite d’une nouvelle enquête. Je crus donc sage de retarder la publication et d’attendre des témoignages plus concluants, soit d’un coté, soit de l’autre. Si Eusapia n’était qu’un habile et systématique imposteur, capable de tromper nombre d’expérimentateurs habiles. Anglais et étrangers, cela compromettait la valeur des autres témoignages scientifiques relative au surnormal et enlèverait toute solidité à beaucoup de nos conclusions.
On le verra, (page 66-68 et appendice C), les expériences répétées et rigoureuses des dernières années ont montré que ce médium célèbre possédait réellement un pouvoir surnormal, ce qui ne l’empêchait pas, comme beaucoup de professionnels d’une moralité inférieure, de se livrer à des pratiques frauduleuses, d’ailleurs aussitôt dévoilées par des observateur exercés.
Au seuil d’un monde nouveau de la pensée fut donc publié en 1908. L’édition fut rapidement épuisée. La remarquable série d’expériences entreprises par la S.P.R. pour étudier la survivance, n’était par alors terminée et j’attendis, pour faire paraître une deuxième édition, que des témoignages nouveaux et dignes de foi fussent réunis. J’estime que cela a été fait ; j’ai donc refondu mon livre, j’y ai ajouté quelques aperçus sur la survivance et voilà comment le présent travail a vu le jour. Diverses circonstances m’ont empêché de le compléter plus tôt, entre autre la publication du volume intitulé : Psychical Reserach que j’écrivis à la requête des éditeurs de la « Homme University Library ».
On se rendra compte que les conclusions auxquelles j’arrive ne sont pas le fruit d’un examen rapide et superficiel. Voilà plus de quarante ans que j’étudie les phénomènes soi disant sur normaux en toute liberté d’esprit et en tout désintéressement. Comme il devenait nécessaire de fonder un groupement qui assurerait la continuité des enquêtes et qui instituerait une méthode parfaite d’expérimentation, je créai, en 1882, la S.P.R. avec l’aide d’un ou deux amis. Elle a déjà publié 46 volumes de ses comptes rendus et de son journal. La Société Sœur américaine, dont je fus, en 1884, le promoteur, avec quelques amis de Boston et de Harvard, a aussi rempli une grande bibliothèque de ses comptes rendus et de son journal. Ainsi s’accumule une vaste collection de témoignages triés avec soin, qui auront pour nos études une immense valeur documentaire.
En ce qui touche les « phénomènes physiques » du spiritisme décrits dans la seconde partie, si bizarres, si choquants parfois, si incompréhensibles, sauf comme manifestations de quelque intelligence ou puissance inconnue, les témoignages cités me paraissent indiscutables. Néanmoins, certains de mes lecteurs hésiteront peut être à les accepter. Un scepticisme salutaire est certes désirable ; mais traiter d’imbéciles ou d’hallucinés des expérimentateurs scientifiques éminents et plein de prudence, traiter d’imposteurs des hommes aussi intelligents et aussi probes que le Rév. Stainton Moses (M. A. Oxon), c’est tout simplement enfantin. Cependant, dans le British Weekly, l’auteur d’un long article sur Raymond, de Sir Olivier Lodge, exprime son étonnement de voir Sir Olivier « invoquer sans faire la moindre réserve, les écrits de Stainton Moses » et cite à l’appui de sa critique ceux de feu M. Podmore. M. Podmore, il est vrai, a fait œuvre utile dans les recherches psychiques, mais il était surtout connu pour la façon ingénieuse dont il discréditait ou attribuait à la télépathie tout phénomène qui dépassait sa vision bornée. Ceux qui, comme moi, ont connu les deux hommes, estiment que les seules « réserves » à faire concernaient les opinions de M. Podmore, qui toutefois n’a jamais attaqué le caractère honorable de M. Stainton Moses. Il fallait mettre les choses au point, autrement les phénomènes relatés par M. Stainton Moses paraîtraient suspects à ceux qui ignorent les faits.
En choisissant quelques exemples parmi la masse toujours croissante des témoignages en faveur de la survivance (voir la 4° partie), on remarquera que je n’en cite aucun fourni par un médium professionnel, ces personnages inspirant plus ou moins la confiance au public. On n’accusera pas non plus ceux qui présentent ces preuves, d’aimer la réclame ou de chercher à tromper.
Une question bien naturelle est souvent posée, est celle ci :
Pourquoi, si la communication avec ceux qui ont passé dans l’invisible est possible, faut-il avoir pour intermédiaire un soit disant médium qui vous est parfaitement étranger, en général, et n’a pas la même mentalité ? Nos chers disparus devraient chercher à communiquer directement avec ceux qu’ils aimaient le plus. Un père ou une mère seraient plus sensibles à la présence spirituelle de leur enfant chéri qu’a celle d’un inconnu peu sympathique. J’ai traité la question au chapitre X et je prie mes lecteurs de se reporter aux conseils et avertissements donnés au chapitre XX.
Ceux qui, comme saint Thomas, ne peuvent croire à la survivance sans démonstration matérielle, trouveront sans doute la réponse à leurs objections en organisant des séances avec un ou deux amis, selon les avis de l’appendice D1. Je ne leur conseille pas, leur conviction faite, d’aller plus loin : qu’ils apprennent plutôt des mystiques chrétiens de tous les pays ce que sont la communion et le monde spirituels. Je recommande surtout l’ouvrage de feu M. Spalding, où l’enseignement de Swedenborg, ce voyant remarquable, est lumineusement exposé, sans parti pris aucun .
Nul ne trouvera dans l’écriture automatique ou tout autre phénomène spirite, le moyen d’entrer en « communion avec les saints » ; ceci est indépendant d’un agent matériel, on n’y parvient que dans le silence et la sérénité de l’âme. L’ordre psychique n’est pas l’ordre spirituel ; il ne traite, répétons-le, que de ce qui est extérieur, - alors même que cela appartient au monde invisible, - et sa, valeur consiste à nous révéler l’impuissance des choses extérieures à suffire à la vie de l’âme ici bas, ou dans l’au delà.
L’importance capitale des recherches psychiques consiste à redresser la pensée occidentale, celle des individus moyens, en ce qu’elle affirme que le plan physique est toute la Nature ou du moins le seul aspect de l’Univers qui nous importe réellement. Cette fausse et mortelle assertion rapetisse toutes les vues, stérilise toutes les conceptions de l’esprit. Cette guerre longue et dévastatrice a cependant donné à des multitudes d’être humains des besoins spirituels, et beaucoup sont arrivés à la conviction exprimée par Lowell :
Nous ne voyons que la moitié de la cause de nos actes,
Les cherchant dans notre seule vie extérieure,
Insoucieux du monde spirituel qui nous environne
Et que nous sentons, bien invisible, et qui dépose en nous
La semence des pensées pures, aussi larges que le monde.
Je remercie cordialement mon ami le Rév. M.A. Bayfield M.A. qui a bien voulu lire les épreuves et me donner de précieux conseils.
NOTE POUR LA SECONDE EDITION
Quelques légères corrections ont été faites et je tiens à remercier mes amis, Sir Olivier Lodge, M. W.W. Asquith, M.F.A. Hill, Mlle H.A. Dallas, d’avoir bien voulu me donner leur avis. Je remercie de même ma sœur, Mlle Rosa Barrett.
Le lecteur doit savoir que je ne regarde pas les recherches psychiques entreprises sans le concours d’un médium rémunéré comme à l’abri de la fraude et de l’erreur. Je pense, avec la critique de la Westminster Gazette, que « la passion merveilleux a des effets subtils et lointains ». On doit se garder avec soin de l’auto suggestion même chez ceux dont le caractère est à l’abri de tout soupçon. Il faut don, comme je l’ai dit page 164, soumettre toute preuve d’un fait surnormal à l’examen le plus rigoureux avant de se prononcer sur son origine.
PREMIERE PARTIE
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Chapitre premier
INTRODUCTION
Si quelqu’un avance une nouveauté qui contredit ou menace de renverse le credo récité et transmis depuis des années, les passions se dressent contre lui et tout le monde s’unit pour l’écraser. Les hommes résistent tant qu’ils peuvent ; ils font comme s’ils étaient sourds ou incapables de comprendre ; ils parlent de la nouvelle conception avec mépris, comme si elle ne méritait pas le moindre examen et n’était même pas digne d’un regard ; voilà comment les vérités nouvelles attendent longtemps avant de pouvoir se frayer un chemin.
Goethe (Entretiens).
Un nombre toujours croissant de personnes estime, a dit feu le professeur Henry Sidgwick, qu’il « il y est scandaleux de voir encore mettre en discussion la réalité des phénomènes merveilleux du spiritisme, il serait cependant impossible d’exagérer leur importance scientifique si l’on pouvait seulement démontrer le dixième des attestations digne de foi ». A ces personnes sans parti pris qui désirent vivement savoir la part de vérité dissimulée sous les faits, ce petit livre pourra être utile.
D’autres, sans nier qu’il y ait là matière à investigation préfèrent passer outre, prétendant que c’est un feu follet perfide qui entraîne ses victimes aux abîmes, sous couleur de science ou que cela a été formellement interdit par les Ecritures et condamné par l’Eglise. Toute pratique et même toute étude sont, par conséquent, défendues.
D’autre part, l’opinion populaire, et même scientifique, juge que cela ne vaut pas l’examen, que cela ne fait pas trébucher dans un puits sans fond mais dans une fosse à fumier ; la superstition, la fraude, le charlatanisme, expliquent parfaitement tous les prétendus « phénomènes ». On s’amuse de ces songes ceux qui, en quête perpétuelle de nouveauté, trouvent, dans des histoires de « revenants » de quatrième main, abondante matière à distraire leurs amis. Cet état d’esprit est très naturel dans un monde d’affaires où la lutte âpre pour la vie, la poursuite de la richesse et de la position, dominent tout. Mais pas un de ceux qui ridiculisent le spiritisme ne lui a accordé, que je sache, une attention réfléchie et patiente. J’affirme de plus que toute personne de sens qui consacrera, à son étude prudente et impartiale autant de jours ou même d’heures que certains d’entre nous y ont consacré d’années, sera contrainte de changer d’avis. Hésiter à admettre que des intelligences invisibles peuvent être la cause de ces phénomènes vient non pas tant d’une incapacité à expliquer leur modus operandi, que de la croyance préconçue en leur impossibilité et peut être aussi de la crainte d’être traité de superstitieux ou d’anti-scientifique.
Cependant, des penseurs éminents refusent d’étudier ces phénomènes sous prétexte qu’avec nos facultés limitées, les résultats obtenus seraient interprétés à faux et toute conclusion touchant le caractère surnormal des phénomènes ne pourrait être que douteuse, sans valeur. Pour ceux mêmes qui ne vont pas jusque là, les recherches psychiques, qu’il s’agisse de télépathie ou de spiritisme, sont indignes d’attention parce que les phénomènes sont impossibles ou d’une trivialité absolue ; ce serait donc perdre son temps que de s’en occuper.
J’admets qu’il serait pure folie de chercher à résoudre « la quadrature du cercle », « le mouvement perpétuel », etc. Ces choses sont aujourd’hui en dehors du rayon d’une connaissance rationnelle en raison de l’étendue de notre savoir dans cette direction spéciale. Mais d’autres nous paraissent impossibles en raison seulement de l’étendue de notre ignorance. Prenons par exemple le serpent de mer, la transmission de la pensée ou les phénomènes du spiritisme ; nous y aurions ajouté, il y a quelques années, le téléphone et la télégraphie sans fil. La différence essentielle entre ces deux catégories de faits improbables, c’est que la première implique la contradiction d’une expérience ou de lois bien établies, la seconde une extension imprévue de l’expérience et du savoir acquis qui n’entraîne aucune contradiction.
Affirmer que l’esprit agit sur l’esprit indépendamment du canal des sens ou qu’il existe associer à une forme non perceptible de la matière, est une extension considérable de notre savoir (si cela est vrai, comme je le crois), mais cela n’implique pas le rejet ou la contradiction d’autres connaissances également vraies. D’un autre coté, affirme que 2 et 2 font 5 et aussi 4, entraînerait une confusion intellectuelle, aussi bien que de croire et au matérialisme tels qu’on le comprend aujourd’hui et aux phénomènes psychiques : il faut choisir. « L’impossibilité » qu’on met en avant ne se rapporte donc pas aux phénomènes eux mêmes, mais seulement à certaines théories ou conceptions populaires faites à leur sujet.
On nous dit encore que le caractère trivial de ces phénomènes les rend indignes d’une investigation suivie : « Même si c’est vrai, nous dit-on fréquemment, les résultats que vous obtenez nous sont indifférents ». C’était sans doute le sentiment qui dissuadait l’illustre Faraday de poursuivre une enquête, quand il écrivait à Sir Emerson Tennant qu’il n’y avait trouvé « rien qui fût digne d’attention » ou susceptible de donner « une force quelconque, une connaissance de la moindre utilité ou valeur à l’humanité ». Avec toute la déférence que m’inspire un homme que j’ai connu et tant révéré, c’était sûrement là un point de vue faux. Il y a longtemps que Benjamin Franklin, homme pratique par excellence, a fait justice de cet argument. Faraday a aimé la vérité pour elle-même toute sa vie, avec un parfait désintéressement, et ce sera la meilleure réponse que nous pourrons lui opposer. Nous n’en voyons pas moins encore des sommités scientifiques penser de même. Témoin ces paroles du professeur Huxley à M.A.R. Wallace (O.M) qui avait décrit quelques phénomènes spirites dont il avait été témoin : « Tout cela peut être vrai, mais la question est sans intérêt pour moi ».
En 1894, Sir Olivier Lodge, le distingué physicien et si courageux expérimentateur, répondait en ces termes à de telles objections dans Nature, revue de la science officielle :
Ne pas se soucier du résultat d’une investigation scientifique portant sur un sujet impopulaire, même si ce résultat est vrai, est une attitude très connue de ceux d’entre nous qui se sont engagés dans des études que les deux chefs d’opinion adverse (Lord Kelvin et le professeur Huxley) s’entendent à honnir. Elle convient à une société d’actionnaires, c’est le sentiment habituel, général, de la noble armée des « hommes pratiques », mais c’est une attitude surprenante chez un homme de science digne de ce nom, dont la vocation est de découvrir et d’assimiler des vérités nouvelles. Certains faits obscurs cherchent à se faire accepter par l’intelligence humaine depuis des siècles, ils cherchent toujours, à une des époques les plus scientifiques que le monde ait connues. Il se peut qu’ils soient condamnés encore à attendre pendant des siècles ; il se peut qu’ils réussissent à obtenir à obtenir un droit d’entrée limité et précaire. Ceci paraît dépendre des hommes de science, aujourd’hui et dans un avenir prochain, et des hommes de science seulement.
Il y a cinquante ans déjà le professeur de Morgan a fait ressortir, avec une ironie inimitable, la position illogique et peu philosophique adoptée par des maîtres honorés de la science tels que Lord Kelvin et le professeur Huxley. Rien de plus amusant et de plus brillant que cette préface au livre de sa femme : de la Matière à l’Esprit. J’en recommande tout particulièrement la lecture aux hommes de science modernes. Pour ceux qui préfèrent être guidés par l’évêque Butler, je citerai ce passage de l’Analogie : « Après tout, il faut admettre ce qui est vrai, bien que cela nous démontre la pauvreté de nos facultés et nous prouve que nous ne jugeons pas sainement une foule de choses que nous croyons apprécier avec compétence ».
On dit quelquefois que si ces phénomènes psychiques sont véritables, ils peuvent être reproduits et démontrés à volonté. Cet argument me fut opposé par le grand physiologiste Carpenter après la lecture que je fis à l’Association britannique en 1876 ; pour la première fois, des preuves de la transmission de pensée et autres phénomènes psychiques étaient apportées devant une société savante. Un distingué publiciste, M. Hutton, montra, dans le Spectator, l’absurdité de nos arguments, en remarquant que, s’il en était ainsi, il faudrait rejeter comme imaginaires beaucoup de faits psychologiques et pathologiques présentés par le Dr Carpenter et d’autres auteurs . Et comme feu le professeur Henry Sidgwick le disait : « Je n’ai jamais vu justifier loyalement le refus d’accepter la preuve de phénomènes rares et irréguliers, en invoquant les principes généraux de la méthode scientifique ». Nous ne connaissons pas actuellement toutes les conditions du succès et il faut nous attendre à les voir nous manquer parfois. De plus, nous ne pouvons, en aucun cas, contrôler l’exercice de la volonté, que les phénomènes aient leur source dans l’inconscient du médium ou dans l’action d’une intelligence invisible.
Avant d’aller plus loin nous définirons le sens exact du mot « spiritualisme ». On le remplace souvent sur le continent par le terme « spiritisme » pour le distinguer du sens que lui donnent les auteurs philosophiques en désignant une métaphysique opposée au matérialisme. Mais le sens généralement accepté aujourd’hui est ainsi défini : 1° par Mme H. Sidgwick dans l’article « Spiritualisme » de la dernière édition de l’Encyclopédie Britannique : Croyance que le monde spirituel se manifeste en produisant dans le monde physique des effets inexplicables par les lois connus de la nature : 2° par le Dr A.R. Wallace dans l’Encyclopédie de Chambers : Nom donné à une grande variété de phénomènes anormaux ou preternormaux, supposés, pour la plupart, causés par des être spirituels ; 3° par un rédacteur du Magasin Spirituel dont j’abrège la définition : « Croyance uniquement basée sur des faits révélés au monde par un vaste système de médiumnité ; sa vérité capitale, établie par l’expérience, étant qu’il existe un monde d’esprits et une continuité d’existence pour l’esprit individuel après l’éclipse momentanée de la mort ».
Ces définitions, on le voit, sont de plus en plus resserrées. La dernière donne, sans aucun doute, le sens habituel qu’attachent à ce mot les spirites. Pour moi, je ne vois rien à y retrancher et j’affirme, sans hésiter, que l’examen soigneux et impartial de mes propres expériences, qui embrassent une période de quarante années, joint à celui des preuves fournies par des témoins compétents, m’obligent à croire au spiritualisme, tel qu’il est ainsi défini.
La mauvaise humeur témoignée par la science officielle à l’endroit du spiritisme et des recherches psychiques en général, vient certainement de la difficulté que nous éprouvons à rattacher ces phénomènes à la connaissance scientifique existante. Voilà pourquoi, Goethe l’a dit : « Une nouvelle vérité attendra longtemps avant de pouvoir se frayer un chemin ».
Feu M.C.C. Massey, mon ami, le fait très bien ressortir :
Quand nous voyons comment une chose a pu se produire, nous sommes beaucoup plus portés à accueillir les preuves qui nous démontrent qu’elle est arrivée, que lorsqu’on offre à notre examen une matière inassimilable pour notre intelligence. Et ainsi une hypothèse explicative est à peine moins nécessaire pour l’acceptation des faits d’un certain ordre que les faits eux-mêmes pour étayer une hypothèse .
Plus récemment encore le professeur W. James disait : « Un fait est souvent nié énergiquement tant qu’une heureuse interprétation n’est pas venue l’appuyer ; il s’admet alors sans peine ».
La volonté obstine d’expliquer les phénomènes qui naissent en nous n’est qu’un cas particulier de cette « pression continue de l’instinct de causalité » qui caractérise notre raison ; et c’est parce qu’il est difficile de les expliquer par les causes connues que la science les met en doute. La raison trouve inadéquates les causes connues et satisfait à son inquiétude en repoussant les faits comme improbables ou indémontrables. A vrai dire, il n’y a aucune interprétation scientifique des phénomènes élevés du spiritisme. Les causes secondes, dont s’occupe la science, ne sont que les antécédents, ou états premiers d’un phénomène, et ont elles-mêmes des antécédents plus éloignés qui, à leur tour, demandent une explication, et ainsi de suite interminablement. Dieu, pour le matérialisme scientifique devient un et cætera sans fin.
La science ne peut se mesurer avec les causes réelles, moins encore avec la cause ultime des choses . Nous trouvons en nous-mêmes, dans notre personnalité, une cause réelle bien que limitée, et nous constatons une cause semblable, peut être plus vaste, dans l’intelligence cachée derrière nombre de phénomènes discutés ici. Mais l’action d’intelligences invisibles qui, d’une façon inconnue, nous affectent, nous et les objets matériels autour de nous, exactement comme notre personnalité affecte la matière grise de notre cerveau et par elle les objets qui nous sont extérieurs, cette action, en admettant qu’elle soit une cause réelle, relève aussi peu de l’explication scientifique que le phénomène de la conscience lui même. Tant que la science n’aura pas expliqué de quelle façon la conscience est en rapport avec le cerveau, fait d’expérience journalière, et totalement incompréhensible, nous ne pouvons attendre d’elle qu’elle nous démontre comment des intelligences désincarnées peuvent agir sur la matière, ni d’où vient cette énergie .
Mais un changement d’opinion à ce sujet est en train de se faire dans l’élite. Quelques uns des esprits les plus cultivés, des investigateurs les plus subtils, se sont convaincus ces dernières années de la vérité des phénomènes du spiritisme ou du moins des sérieuses raisons qu’il y a de les étudier. Ils sont profondément impressionnés par l’ouverture d’horizon et le vaste mouvement de pensée qu’entraîneraient l’acceptation générale de ces phénomènes. Certains, il est vrai, suspendent leur jugement quant à l’interprétation des faits, alors qu’un nombre extraordinaire de gens les acceptent sans réserve, comme l’assurance de ce qu’ils espèrent, la preuve de ce qu’ils ne voient pas. « La dernière fois que nous nous sommes rencontrés, dit Holman Hunt à Ruskin, vous m’avez déclaré que vous aviez abandonné toute croyance en l’immortalité, - Je m’en souviens bien, répondit Ruskin ; ce qui a surtout changé ma manière de voir, ce sont les preuves indiscutables fournies par le spiritisme. Je sais que beaucoup de fraudes et de niaiseries s’y rattachent, mais sous tout cela il y a, j’en suis sûr, de quoi nous convaincre qu’il existe une vie personnelle, indépendante du corps. Ceci démontré, le spiritisme ne m’offre plus aucun intérêt ».
Beaucoup d’hommes et de femmes, frappés par cette guerre gigantesque et dévastatrice, ont trouvé la même consolation, aux heures sombres de leur deuil. Elles y ont vu un rayon de lumière céleste tombant.
Sur les marches d’autel du grand Univers
Qui, à travers les ténèbres, montent vers Dieu.
Chapitre II
LES RECHERCHES PSYCHIQUES ET L’OPINION PUBLIQUE
Partout où l’esprit humain a
la moindre possibilité de connaître,
il y a problème légitime pour la science.
Karl Pharron
On accordera, je pense, que l’opinion publique s’est sensiblement modifiée au sujet des importants et intéressants phénomènes qui sont aux frontières du monde invisible. Nous sommes que le seuil d’un nouveau monde de pensée. L’existence même de la Société des recherches psychiques, les hommes distingués qui en font partie ou lui ont donné un cordial appui, sont une preuve du profond changement qui s’est fait dans les esprits en ces dernières années. Un des présidents de la Société, un ancien Premier ministre, le très honorable A.J. Balfour, s’exprimait ainsi en 1894, dans son discours présidentiel .
Le temps est venu où les maîtres de la science devront, dans leur propre intérêt et le nôtre, reconnaître qu’il est des faits bien attestés qui, tout en n’entrant pas dans le cadre actuel de la science ou de l’expérience organisée telle qu’ils la conçoivent, exigent une investigation et une explication. La science a le devoir, à défaut d’enquêter elle même, de nous aider dans notre enquête. Toute limitation arbitraire de notre activité est à repousser. Notre tâche consiste à enregistrer, à étudier, à classifier, et si possible, à expliquer des faits beaucoup plus surprenants que de simples cas de télépathie. Ne la négligeons pas… Que beaucoup soient animés du désir de s’assurer par l’observation directe et non par de laborieuses déductions, de l’existence d’intelligences qui n’ont pas notre organisation physique, je n’y vois rien à critiquer, moins encore à condamner… Si j’interprète bien les résultats imposés par de longues années de labeur aux membres de la Société et à ceux qui nous sont unis en esprit, il y a tout lieu de croire qu’en dehors de notre monde (tel que la science le conçoit), il est une région moins accessible, il est vrai, à l’observation que celles qui nous sont familières, mais où l’on peut glaner quelques connaissances au moyen d’un travail expérimental difficile. Même si nous ne pouvons espérer découvrir à quelles lois ces phénomènes entrevus obéissent, ce sera toujours un gain d’avoir écarté les conjectures et d’avoir démontré positivement qu’il est des choses dans le ciel et sur la terre qui dépassent tout ce que notre philosophie scientifique a pu imaginer…
C’est un homme d’Etat qui parle, non pas un rêveur ou un fanatique ; un esprit singulièrement fin et philosophique, accoutumé à tirer et à peser les témoignages, ayant enfin une grande expérience des hommes, de leurs erreurs et de leurs illusions.
Un autre Premier célèbre, l’Honorable W.E. Gladstone, a donné aussi son appui à la Société ; il en a été membre honoraire longtemps. Le poète lauréat Alfred Tennyson, les grands peintres G.F.Watts et Lord Leighton, les écrivains connus J.Ruskin et R.L. Stevenson, l’ont été de même. Les savants les plus éminents de tous pays ont témoigné leur approbation en devenant membres de la Société ou de son Comité. On y remarque les derniers présidents de la Société Royale, qui tous reçurent l’Ordre du Mérite : Lord Rayleigh, Sir Archie, Geikie, Sir William Crookes et Sir J.J. Thomson. Un autre de leurs confrères, Sir William Huggins, décoré comme eux, me promit son appui en 1882 au moment où je lançais les invitations pour la conférence qui décida la fondation de la Société.
Sir William, cependant (comme l’évêque Benson dont la sympathie nous était acquise) ne voulut pas, pour diverses raisons, faire partie de notre Société, bien qu’il fût convaincu de la réalité des phénomènes sur normaux dont il avait été témoin.
Tout le monde sait ce qu’a été Sir Olivier Lodge pour la Société, qu’il a présidée. Maint savant étranger de marque nous a donné sa précieuse adhésion : le professeur Richet, de Paris, et le professeur W. James de Harvard, ont été tous deux nos présidents. Nous relevons encore les noms du professeur Janet, de Berheim, Lombroso, Schiaparelli, Flammarion et celui de ce grand travailleur, le Dr Hyslop. Enfin il ne faut pas oublier celui de feu le professeur Hertz : « le lustre de son nom, a dit Mr Balfour, ajoutait à la dignité de nos travaux ». Le clergé lui-même ne s’est pas tenu à l’écart. Feu l’évêque de Carlisle, le Révérend R.J. Campbell, se sont joints à nous, l’évêque Boyd Carpentier a été récemment notre président et ses successeurs ont été le professeur H. Bergson, le Dr Schiller d’Oxford, le professeur Murray, D.L., et le Dr L.P. Jacks, aujourd’hui (1917) président en exercice.
Le succès de la Société est dû en grande partie à la sage direction et au labeur infatigable de son premier président, le professeur H. Sidgwick, labeur continué par sa veuve avec autant de zèle que de compétence. Il est presque oiseux de rappeler les services rendus à nos travaux par ces hommes si brillamment doués, MM. E. Gurney et F.W.H. Myers (tous deux de Trinity, college, Cambridge), nos premiers secrétaires honoraires. Nous sommes quelques-uns à savoir quel courage, quelle équité, quel dévouement Sidgwick, Myers et Gurney apportèrent à l’étude de ces difficiles problèmes, et on ne peut douter que, dans une génération ou deux, les noms de ces pionniers admirables ne soient honorés dans le monde entier.
D’aucuns pensent que la Société est d’une prudence exagérée et n’a pas eu l’esprit assez large en ce qui regarde les phénomènes physiques du spiritisme. Cette critique est justifiée jusqu’à un certain point. Souvenons-nous cependant que la prudence avec laquelle procède la Société est caractéristique de toute investigation scientifique : elle est doublement nécessaire là où tant de pièges sont tendus aux imprudents. Si elle bâtit lentement, elle bâtit solidement, et elle accueille avec autant de cordialité celui qui lui apporte des connaissances nouvelles que celui qui lui démontre qu’elle a abouti à d’inexactes conclusions. Elle n’accepte pas d’honoraires pour parler de télépathie ou de revenants, elle ne place aucun fonds dans le surnormal. Les théories, mêmes plausibles, qui ne couvrent pas tous les faits observés, doivent être rejetées ; la superstition agit en sens inverse, mais la science ne peut avoir ni préjugés, ni parti pris. Comme Sir J.Herschel l’a si bien exprimé : « L’observateur parfait devra garder les yeux ouverts, de façon à distinguer aussitôt tout fait qui, suivant les théories reçues, ne doit pas se produire ; car se sont précisément ces faits qui mettent sur la voie de découvertes nouvelles ».
C’est cette ouverture d’esprit qui a permis aux hardis pionniers du spiritisme de risquer leur réputation, de braver le ridicule et le blâme soulevés par leurs enquêtes. Quand ils eurent obtenu ce qui, à leurs yeux, était la preuve de l’objectivité des phénomènes, ils publièrent leurs opinions avec un rare courage. Au premier rang, se place notre grand dénonciateur de sophismes et de paradoxes, l’éminent mathématicien, professeur A. de Morgan. Il écrivait en 1863 : « Je suis absolument convaincu que j’ai vu et entendu, dans des conditions qui rendent l’incrédulité impossible, des choses dites spirites qu’aucun être raisonnables ne pourra expliquer par l’imposture, la coïncidence ou l’erreur . » Des témoignages semblables ont été donnés par le Dr A.R. Wallace et d’autres personnalités marquantes. Les expériences fameuses de Sir William Crookes enfin sont connues de tous.
Non seulement ces hommes éminents se sont convaincus de la réalité des faits ; mais une foule d’hommes et de femmes dans le monde entier, sont arrivés à la même croyance. Le Dr Wallace le constatait il y a longtemps déjà dans un article de la Chamber’s Encyclopédia :
« Le spiritisme s’est développé de telle sorte qu’il est arrivé, malgré les moqueries, les travestissements, la persécution, à convertir des gens dans toutes les classes de la société et dans toutes les parties du monde civilisé ». Ils ont constaté eux mêmes l’existence de phénomènes absolument inconnus de la science moderne et qui s’expliquent le plus simplement par l’hypothèse d’un monde spirituel, peuplé d’êtres intelligents, capables, à de certains moments, par certains moyens, de communiquer avec nous. Rien n’a pu ébranler une foi qui remonte très haut dans le passé , ni l’éclatante lumière de l’opinion publique, ni les fourbes qui ont trop souvent abusé de la crédulité des naïfs. Elle a crû en puissance avec l’accumulation des témoignages qui se produisent de temps à autres, çà et là.
Fichte a dit : « Tout ce qu’il y a de grand et de bon dans notre existence présente vient uniquement de ce que des hommes nobles et sages ont renoncé aux jouissances de la vie pour l’amour des idées. » Ce qu’un homme affirme, c’est l’idée qu’il a faite sienne, chose toujours intéressante et qui vaut d’être entendue. Et qu’un certain nombre d’hommes affirme et continue d’affirmer sans se laisser entamer par la persécution ou l’opposition, voilà un sujet qui mérite bien l’attention du chercher sincère.
Ce que les hommes nient, d’autre part, est, ou bien sans valeur, ou bien la preuve de la rareté ou de la nouveauté de ce qu’ils nient, à moins que ce ne soit une manière d’affirmer une autre vérité, comme par exemple la négation du mouvement perpétuel. Nier la possibilité du téléphone électrique, comme des savants l’ont fait devant moi en 1877 n’a pas la moindre importance, devant le témoignage compétent de ceux qui ont vu et entendu le téléphone.
Comment donc se fait-il que les négations des ignorants ou des sectaires aient eu plus de poids pour la science et la foule que les affirmations de tous les témoins que nous avons énumérés ? Voilà ce que nous allons examiner au chapitre suivant.
Chapitre III
OBJECTIONS CONTRADICTOIRES DE LA SCIENCE ET DE LA RELIGION
Est-il aucune des créations divines qui puisse être à la merci d’une enquête ?
Le télescope de Galilée a-t-il fait trembler le système du monde ou les moines ?
La circulation des astres s’est-elle arrêtée de terreur
quant le doigt hardi de Newton a compté les pulsation du firmament.
Lowell
Pourquoi dans un temps qui se distingue par sa curiosité téméraire et son avance dans les régions où l’ignorance régna seule pendant des siècles, pourquoi n’a-t-on pas été plus loin dans une voie qui paraissait si importante ? L’ultime problème pour la science est celui-ci : la vie telle que nous la connaissons peut elle exister sans protoplasme, ou ne sommes-nous que des éphémères ? La vie actuelle est-elle le seuil d’un monde invisible, infini, ou l’Univers n’est-il qu’une interaction d’atomes sans âme et la vie une misère qui prend fin à la tombe ? La religion étant le domaine de la foi, les preuves fournies par le spiritisme devraient être pour elle les bienvenues. Chose étrange, ce sont ces deux grandes autorités, la Science et la Religion, qui ont surtout barré la route, et si nous demandons à leurs représentants pourquoi, nous voyons leurs raisons se détruire mutuellement.
Les maîtres scientifiques de la dernière génération, largement influencés par le matérialisme allemand, niaient, comme beaucoup d’autres aujourd’hui, la possibilité de l’esprit sans le cerveau matériel, ou l’acquisition d’une connaissance quelconque sans l’intermédiaire des sens. Nos dirigeants religieux repoussent énergiquement cette théorie ; ils affirment qu’un monde spirituel existe et que les Saintes Ecritures renferment un ensemble de connaissances qui a été donné à l’homme par une voie suprasensible. Ces deux manières de voir s’excluent, et cependant s’entendent pour combattre le spiritisme. Leur terrain commun est que toute extension de notre savoir ne peut nous arriver que par le canal assigné par elles ; dans un cas, c’est la voie des sens, et les propriétés connues de la matière ; dans l’autre c’est la voie sanctionnée par l’Autorité. Tout ce qui est en dehors de ces deux dogmes est hérésie et doit être répudié. Je parle, cela va de soi, en général, car nous connaissons tous des hommes de science ou des théologiens éminents qui voient les choses de plus haut.
Avouons néanmoins que l’orthodoxie a sa valeur. L’inertie de l’esprit conservateur est utile, nécessaire même ; elle empêche toute déviation irréfléchie de l’ordre établi, et les aberrations de l’intelligence rencontrent ainsi une solide résistance. Mais une vérité, toute nouvelle qu’elle soit, rebondit d’autant plus qu’elle trouve plus d’opposition et finit par prendre rang parmi nos possessions les plus chères.
La science et la religion pourraient invoquer de puissantes raisons pour justifier une résistance qui n’a pas eu de conséquences aussi mauvaises. M.A.J. Balfour, dans le discours cité plus haut, s’exprime ainsi : « Les savants ont montré une intolérance bigote, une indifférence à l’évidence strictement scientifique qui est peu à leur honneur. Je crois néanmoins que si leur conduite ne peut être défendue logiquement, elle atteste beaucoup plus de sagesse pratique qu’il n’y paraît d’abord ». En effet, il n’est pas de nation ou de siècle qui puisse accomplir plus que l’œuvre immédiate qui lui est dévolue. Il a fallu un temps relativement court pour élever l’édifice entier de la science expérimentale, reconstruit de fond en comble au cours du siècle précédent. « Si la science avait voulu embrasser en même temps les phénomènes physiques et les phénomènes psychiques, elle aurait pu s’égarer pendant des années sans nombre dans des régions obscures et difficiles et son œuvre moderne eut été moins complète. »
Je suis entièrement de cet avis. Non seulement il fallait d’abord apprendre à connaître la nature, mais poser les bases de notre foi scientifique en son ordre invariable par l’étude des lois qui régissent la matière et le mouvement, et la découverte de l’évolution réglée de la vie. La science a maintenant établi, et tient pour une vérité éternelle, que l’univers est, non pas un chaos, mais un cosmos ; que, dans la transformation des choses visibles, il n’y a ni caprice ni désordre ; que dans l’interprétation de la nature, tout complexes ou obscurs que soient les phénomènes, nous n’arriverons jamais à la confusion intellectuelle.
Le magnifique déroulement des phénomènes au sein duquel nous vivons ; au-dessus de nos têtes, les univers et les immensités impossibles à concevoir ; autour de nous, les molécules et les mouvements, trop minuscules et trop rapides pour que l’œil les voie ou que l’esprit se les représente, tout cela se meut au rythme d’un ordre éternel et divin. Notre foi en un Etre suprême est fondée sur ce gouvernement ordonné du monde et les progrès de la science moderne ont fait de cette foi partie intégrante de notre vie quotidienne, que nous regardions l’Etre suprême comme une puissance impersonnelle ou comme un Père bienfaisant. Au lieu d’étudier les phénomènes naturels (au sens ordinaire du mot, car strictement parlant, ils le sont tous, la Divinité seule étant surnaturelle ), si la science s’était d’abord attaquée au surnormal, je doute fort qu’elle eût pu sortir du néant ; elle ne serait certainement pas arrivée à sa foi actuelle dans le règne de la loi. Les phénomènes psychiques sont si fugitifs, leurs causes si obscures, que nous avons besoin des habitudes de pensée engendrées par la science pour nous permettre de suivre notre route avec patience et espoir.
L’argument sera le même pour la Religion. Les voyants et les prophètes de l’Ancien Testament étaient des hommes d’Etat et les savants de leur époque ; ils étaient en avance sur la masse parce que leur pensée reposait sur une philosophie illuminée par l’idée divine ; c’est qu’au travers des luttes entre l’homme et la nature un seul but éternel se poursuit. Ils s’unissent tous, depuis Moise jusqu’à Isaïe, pour mettre le peuple en garde contre toute tentative de pénétrer l’avenir et de s’intéresser aux phénomènes psychiques, à des fin plus ou moins basses. La divination, la magie, les enchantements, la sorcellerie, l’astrologie, étaient des méthodes variées de prédire l’avenir ou de nuire à ses ennemis, toujours voilées de mystère pour impressionner les assistants ; la nécromancie ou tentative de communiquer avec les morts, semble avoir été pratiquée surtout pour atteindre ce but.
Ces pratiques furent condamnées en termes énergiques par les prophètes hébreux en dehors de toute opinion sur la réalité des phénomènes. Elles furent défendues, comme l’étude le démontre, non pas seulement ou surtout parce qu’elles étaient en honneur chez les nations païennes d’alentour et faisaient partie de leurs rites religieux, mais parce qu’elles tendaient à obscurcir l’idée divine, à affaiblir la loi et le culte de l’Etre unique, omnipotent, que les juifs avaient pour mission de proclamer. La raison en était évidente. Sans aucune connaissance de cet ordre de l’univers que nous possédons aujourd’hui, le sens moral et l’intelligence du peuple n’auraient pu être que troublés par ces phénomènes.
Chose plus grave encore, une confusion spirituelle en serait résultée. Non seulement la pensée, l’activité, la politique de la nation eussent été entravée ou paralysées si elle eut obéi à un oracle plutôt qu’aux principes de la raison, mais la foi profonde en un maître infiniment sage et juste aurait pu être ébranlée. Au lieu du « bras du Seigneur » étendu sur elle une foule bigarrée d’esprits, pieux, menteurs, vains ou incohérents, aurait peuplé l’invisible ; la lassitude, la perplexité, le désespoir enfin, l’auraient énervée et détruite. Un savant théologien l’a dit : « Les augures et la divination fatiguaient l’intelligence, empêchaient les entreprises, déformaient la conscience, Isaïe le vit et avertit son peuple : « Les sorts et les enchantements dont tu as abusé t’ont détourné de la voie droite » Juvénal, plus tard, exprimait « de même la fatigue et la perte de temps qu’engendrent ces pratiques ».
Beaucoup ont éprouvé ce sentiment, nous-mêmes l’avons ressenti au cours de nos études. Cette lassitude mise à part, inévitable suite de la recherche de la vérité, les périls qui menaçaient le monde antique dans la poursuite des connaissances psychiques ne s’appliquent pas à l’investigation scientifique moderne, fondée sur l’ordre invariable de la nature.
L’aversion qu’inspire sans aucun doute à beaucoup de chrétiens ces travaux, vient en partie, je crois, des avertissements donnés par l’Ecriture et de ce que nos investigations sont un coup de force pour entrer indûment dans le royaume spirituel, un effort présomptueux pour soulever un voile que l’Ecriture et nos sentiments les plus sacrés ont tendu devant les portes de la mort.
Que répondrons-nous à cela ? Cette répugnance me paraît due surtout à une façon erronée d’envisager la question. J’ai parlé des raisons qui poussaient si impérieusement ces magnifiques prophètes juifs à interdire toute recherche psychique, raisons logiques alors, extrêmement sages, mais inapplicables aujourd’hui. Dans le Nouveau Testament, les conditions ne sont déjà plus les mêmes ; les premiers chrétiens y reçoivent des avertissements contre le danger et la dissipation d’esprit qu’ils encourraient s’ils laissaient leur religion se dégrader par la thaumaturgie spirituelle encore pratiquée parmi les nations voisines.
Le monde civilisé de ce temps là croyait l’air peuplé d’esprits. La profonde intuition des apôtres voyait (et nous verrons aussi tout cela plus clairement à mesure que notre savoir grandira) que l’invisible était habité par une foule de créatures spirituelles dont l’influence était bonne ou mauvaise. De là l’injonction apostolique « d’éprouver les esprits », c’est-à-dire que nous devons user de notre jugement et ne pas nous laisser égarer par la notion commune et niaise que tout ce qui vient de l’invisible est véridique. Il est certain que les messages reçus viennent souvent de la subconscience du médium et sont invariablement influencés par elle.
L’apôtre, de plus, comprenait avec tout chrétien, que la base de la vie religieuse, c’est à dire la foi en la résurrection du Seigneur, est sérieusement compromise quand le non vu se substitue au vu, les fantômes des séances spirites aux réalités du royaume des cieux, qui ne relèvent pas de l’observation.
Le même danger existe encore ; il existera toujours. Tout esprit réfléchi et respectueux en conviendra et c’est un avertissement très net contre la tendance à faire du spiritisme une religion. Mais ce n’est pas un argument contre l’analyse des phénomènes en tant que branche d’étude psychique ou psychologique. Quelle que soit la puissance ou l’intelligence cachée dernière ces phénomènes, le fait qu’ils se manifestent à nous, que directement ou indirectement ils impressionnent nos sens, ou laissent des traces permanentes de leur présence, ce fait non seulement assujettit le spiritisme à l’enquête expérimentale, mais réclame l’examen scientifique.
Il se peut que ces phénomènes soient si fugitifs, dépendent tant de conditions soustraites à notre contrôle, telles que l’action du subliminal ou la volonté d’agents désincarnés, que nous ne parvenions jamais à déterminer leurs lois. Cela ne doit pas nous empêcher d’observer, d’enregistrer et de classer les phénomènes, de noter quelles sont les conditions les plus propres à les produire et les variations amenées par le changement de ces conditions. C’est par là seulement que nous enchaînerons l’inconnu au connu et relierons ces phénomènes obscurs à l’ensemble général des connaissances acquises. Tant que nous ne l’aurons pas fait, ils resteront à l’état d’énigme, et le monde instruit continuera à les repousser.
DEUXIEME PARTIE
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Chapitre IV
LES PHENOMENES PHYSIQUES DU SPIRITISME
La loi éternelle de l’honneur force la science
à regarder bravement en face
tout problème qui se présente à elle.
Lord Kelvin.
Il est temps de sortir de ces discussions quelque peu fastidieuses et d’exposer les témoignages personnels qui m’ont convaincu de l’objectivité de ces phénomènes. Il est presque impossible de donner à ceux qui n’ont pas fait ces expériences une idée de la puissance et de l’accumulation des preuves qui nous ont imposé notre conviction.
La fausse monnaie, malheureusement, se mêle ici à la bonne ; des imitations frauduleuses ont abus de la crédulité des ignorants ou des esprits dépourvus de sens critique et le spiritisme en a souffert. Dans un article publié par les Proceedings, en 1886 , je disais en faisant la revue des séances nombreuses, avec des médiums privés ou professionnels, auxquelles j’ai assisté depuis quinze ans : « je constate que la plupart des résultats obtenus n’ont pour nous aucune valeur. L’obscurité totale ne permettant aucune conclusion sérieuse, la plus vulgaire supercherie pourrait tout expliquer. Quelques cas, cependant, doivent être considérés comme des exceptions. » Je citais ces cas que je vais résumer ici, car ils offrent à mon avis la preuve irréfutable de ce qu’on a appelé les phénomènes physiques du spiritualisme : mouvements d’objets sans contact, coups frappés ou autres dénotant une intelligence invisible et pour lesquels il n’y a pas d’autres explication normale.
M. Myers a proposé le mot de télékinésie pour désigner ces phénomènes. Les appeler spirites ne signifie rien en soi, car ils ne présentent par eux-mêmes aucune preuve de la survivance après la mort. Ils n’ont aucun sens et sont en général grotesques. On a la preuve, parfois douteuse, qu’il s’agit d’une personnalité autre que le médium quant on examine le contenu d’un des messages transmis télékinétiquement. La question capitale est donc la réalité de la télékinésie elle-même.
Il importe de faire ressortir que non seulement les phénomènes dont je vais rendre compte se sont produits en plein jour, ou avec un éclairage suffisant pour permettre de découvrir toute fraude, mais qu’aucun médium payé ou professionnel n’était présent et que les séances eurent lieu où je le voulus et dans ma propre maison. Des notes furent prises pendant les séances ou tout de suite après.
Le premier cas se produisit au moment où j’écrivais un article résumant l’opinion exprimée dans une lecture faite à l’Association Britannique, en 1876. Je disais que là où les observateurs étaient des hommes de compétences et d’une intégrité absolues, comme Sir William Crookes et le professeur de Morgan, il ne pouvait être question de fraude, mais les témoins croyaient voir ce qu’ils décrivaient, par suite d’une mauvaise observation ou de l’hallucination qui se produit au début de l’hypnose.
Je commençai donc mes investigations, convaincu que c’était là tout le mystère, et ce n’est qu’après avoir étendu l’hypothèse en tous sens, que je constatai que les faits détruisaient complètement ma théorie.
Un avoué Anglais très honorablement connu, M. C., avait loué pour l’été l’habitation d’un de mes amis, très proche de ma propre maison à Kingstown, dans le comté de Dublin. Ayant fait sa connaissance, je fus surpris de constater que des phénomènes paraissaient se produire chez lui. M.C. et les siens n’étaient pas spirites. Ils demeuraient perplexes et assez ennuyés quand des coups et autres bruits inexplicables se produisaient, chose fréquente, en présence de leur fille Florrie, enfant d’une dizaine d’années, intelligente et franche. Ils crurent tout naturellement d’abord qu’elle leur jouait quelque tour de sa façon, mais se convainquirent bientôt que c’était impossible. L’institutrice se plaignait d’entrendre des coups frappés dans la salle d’études chaque fois que Florrie était inoccupée et la maîtresse de piano affirma que de forts coups retentissaient dans le piano quand Florrie faisait mollement ses gammes.
M. et Mme C. me permirent volontiers de faire une enquête personnelle et je me rendis chez eux le lendemain après le déjeuner. Il était 10 heures du matin, il faisait grand soleil. M.C., Mme C., Florrie et moi nous nous assîmes autour d’une grande table de salle à manger sans nappe. Les portes fenêtres qui donnaient sur la pelouse laissaient entre la lumière à flots, en sorte que les pieds et les mains des assistants se voyaient à merveille. Nous entendîmes bientôt comme un frottement puis des coups sur la table et sur le dos de nos chaises. Les pieds et les mains de Florrie étaient surveillés de près, ils étaient parfaitement immobiles au moment où les bruits se firent entendre. C’était comme si on enfonçait à coups de marteau de petits clous dans le parquet et ma première pensée fut qu’il y avait des charpentiers à l’étage supérieur ou dans la pièce au-dessous, mais nous constatâmes qu’il n’y avait personne. Les coups devenaient plus forts quand on entamait une joyeuse chanson ou qu’on faisait de la musique ; ils marquaient alors la mesure de la façon la plus amusante et se transformaient en un grincement rythmique comme si l’archet d’un violoncelle frottait sur un morceau de bois. Je plaçai mon oreille à maintes reprises à la place même où ces sons, paraissaient se produire et je perçus distinctement la vibration rythmique de la table sans en découvrir la cause visible et tangible, soit au dessus, soit au dessous.
On a dit qu’il était difficile de localiser les bruits, c’est vrai ; mais j’ai fait quelquefois des expériences démontrant que les personnes à qui l’on bande les yeux, peuvent, en général, indiquer exactement l’endroit où se produisent des sons pareils à ceux que j’entendais. Les coups se déplaçaient parfois et se faisaient entendre dans des parties éloignées de la chambre. Je demandai un jour qu’ils vinssent frapper un guéridon près de moi, auquel Florrie ne touchait pas. Je fus obéi. Je plaçai alors mes mains l’une dessus l’autre dessous la table et sentis très bien la légère vibration produite par les coups sur la partie que j’enserrais ainsi. Que Florrie et moi fussions seuls ou non, cela n’y changeait rien. Je faisais quelquefois entrer d’autres personnes pendant que les coups résonnaient, pour voir si ma théorie de l’hallucination avait quelque fondement, mais tous perçurent les bruits.
Nous répétions lentement l’alphabet et l’intelligence invisible frappait un coup à chaque lettre nécessaire pour former la réponse aux questions posées. Nous apprîmes de la sorte que le communicant était un garçonnet nommé Walter Hussey. Mme C. me dit plus tard que quand elle allait dire bonsoir à sa fille, elle entendait souvent frapper des coups et trouvait Florrie causant avec animation avec son invisible camarade au moyen de ce système. Je notai quelques-unes des réponses obtenues, elles étaient telles que Florrie, elle même aurait pu les faire, gaies et insignifiantes ; l’intelligence invisible correspondait à celle de l’enfant et à ma grande surprise, l’orthographe aussi ! Je priai Florrie d’écrire quelques-uns des mots employés dans les communications et j’y relevai les mêmes fautes enfantines.
Le septique ne manquera pas de dire que tout ceci avait été inventé par un enfant malicieux pour berner un professeur. Comme il lui plaira. Je me borne à faire observer qu’après des semaines d’investigation rigoureuse, toutes mes théories et celles d’amis qui se joignirent à moi pour enquêter, nous firent rejeter d’un commun accord toute hypothèse de fraude, d’illusion ; ou de mauvaise observation. Les phénomènes étaient inexplicables, à moins de supposer une intelligence invisible ou celle de l’enfant elle-même. Mais la force déployée dépassait de beaucoup celle de Florrie. Il arriva que les meubles furent déplacés. Un jour, en plein soleil, Florrie, ses parents et moi, nous étions assis à la table d’acajou de la salle à manger. Douze personnes pouvaient facilement y prendre place. Nos mains étaient posées sur la table ; bien en vue, quand tout à coup trois pieds du meuble se soulevèrent assez haut pour laisser passer le mien sous les roulettes. Si quelqu’un veut essayer de le faire, en y mettant toute sa force, il verra que même en empoignant la table, ce qu’aucun de nous n’a tenté, le soulèvement ne pouvait être accompli qu’à grand peine par un homme adroit et vigoureux.
Certains disant que c’est le médium qui imite le bruit des coups en faisant craquer habilement ses jointures, je voulus m’en assurer. Je priai Florrie de mettre comme moi les mains à plat sur le mur et d’en éloigner ses pieds à la même distance que moi, prétendant que c’était un nouveau jeu que j’avais inventé. Quand nous fûmes tous deux ainsi postés, tout mouvement des muscles étant impossible, je demandai à « Walter » si ce jeu là l’amusait. Une rapide succession de coups me répondit. Les pieds et les mains de Florrie restèrent immobiles. Nous étions seuls dans la pièce, une supercherie des domestiques était hors de question. D’ailleurs M.C. me dit que quand il sortait avec sa fille, des coups étaient frappés sur son parapluie.
Les C. rentrèrent en Angleterre et les phénomènes cessèrent complètement. Ils en furent heureux, car ils craignaient que la santé de l’enfant n’en souffrit ; mais elle ne fut nullement éprouvée tant qu’ils durèrent. « Je n’ai jamais douté, écrivait Mme C., hier comme aujourd’hui de la réalité des phénomènes. » Les manifestations étaient souvent plus puissantes qu’aucune de celles auxquelles j’avais assistées et toujours d’un caractère insignifiant ou frivole.
Voici un second cas où, cette fois, le médium est adulte. Il s’agit d’une dame qui vivait en famille chez son cousin, photographe connu à Dublin. Je la nommerai Mlle L. Elle n’avait rien du médium professionnel rétribué et je suis très reconnaissant à Mr et Mlle L. de m’avoir permis des investigations souvent gênantes pour eux. Aucune de nos séances n’eut lieu dans l’obscurité. La lumière était suffisante, je pouvais lire un imprimé très fin et je voyais tous les gestes des personnes présentes. M.L., Melle L. et moi étant un jour seul, des coups violents, qui me firent tressauter, retentirent sur la table à laquelle nous étions assis, et quand je demandai à l’invisible visiteur d’indiquer par coups frappés combien de doigts j’avais ouverts, ma main étant cachée de tous, la réponse correcte fut frappée. Cela, deux fois de suite. Nous obtînmes aussi des coups après que nous eûmes retiré nos mains posées sur la table, et que nous nous fûmes éloignés du meuble.
Les mains et les pieds de tous parfaitement visibles et personne ne touchant la table, elle se mit à marcher de côté inégalement. Elle était lourde, à quatre pieds, et avait environ 1 mètre 20 carré. A ma demande, les deux pieds les plus rapprochés de moi se soulevèrent, puis le deux autres, à 20 ou 25 centimètres au dessus du sol, et la table resta ainsi quelques instants : personne n’y avait touché. Je reculai mon siège, elle avança vers moi (M. et Mlle L. n’y touchant toujours pas) et finit par arriver tout contre mon fauteuil ; m’empêchant de le quitter. Quand elle fut sous mon nez, elle me souleva plusieurs fois et je pus me convaincre par le toucher et la vue qu’elle ne reposait pas sur le sol et qu’aucun être humain n’avait pu diriger ses mouvements. Libre aux septiques de supposer que la table était mue par des fils invisibles, maniés par un complice imaginaire qui aurait dû alors flotter en l’air sans être vue.
A ma prière, M. et Mlle L. vinrent ensuite à ma maison de Kingstown, où ils n’étaient jamais allés. Nous eûmes une séance l’après-midi, à la lumière du jour. Tous les objets étaient visibles. Nous entendîmes bientôt des coups, variant d’intensité. Ils n’étaient pas étouffés comme ceux que les pieds auraient pu donner en frappant sur le tapis, mais très distincts et on ne voyait remuer ni les mains ni les pieds des assistants. Tout à coup, la lourde table à jeu sur laquelle reposait la pointe seule de nos doigts, commença à exécuter des sauts et ses pieds à griffes frappèrent si violemment le plancher que je dus faire arrêter la manifestation, craignant pour le lustre de la pièce au-dessous. J’essayai ensuite d’imiter ces mouvements et je constatai qu’une personne très vigoureuse, se servant des deux mains, pourrait seule y arriver.
Comme dans le premier cas, les communications épelées étaient telles que le médium, un méthodiste, aurait pu les donner : elles étaient d’une pieuse et plate nullité.
Ce furent là mes premières expériences des phénomènes physiques. Comparées aux dernières et aux autres témoignages dont je parlerai plus loin, elles ne laissèrent aucun doute dans mon esprit quant au caractère surnormal des manifestations. Je vais maintenant narrer succinctement ce que je vis il y a peu de mois (Noël 1915).
Le cas me fut signalé par M. Crawford qui est docteur en science, professeur de mécanique à l’université de la Reine et au collège technique de Belfast. Il étudiait depuis quelques mois les remarquables phénomènes qui se produisaient dans une famille d’ouvriers des plus honorables et intelligents de Belfast. Le médium était la fille aînée, Kathleen, âgée de dix sept ans. Ces gens s’étant intéressés au spiritisme, se réunissent le soir une ou deux fois par semaine pour voir s’ils pourraient obtenir quelque preuve de la survivance. Leurs séances ont tout le caractère d’une cérémonie religieuse, elles débutent toujours par la prière et les cantiques ; et lorsque enfin les phénomènes se produisent, les visiteurs invisibles sont accueillis avec joie et respect. Ce sont évidemment d’excellentes gens, simples, honnêtes, dépourvus de sens critique. Le Dr Crawford, après s’être assuré qu’ils ne recherchaient ni argent, ni publicité, fut autorisé et même invité à faire toutes les investigations qu’il voudrait. Il n’y manqua pas, inventant des dispositifs ingénieux pour vérifier les phénomènes qu’il décrit dans un ouvrage récemment paru . Il établit, entre autres choses, que le poids du médium augmentait à mesure que diminuait le poids de la table ou d’un objet lévité.
J’assistai un soir à une de ces séances, en compagnie du Dr Crawford. Nous restâmes assis en dehors du cercle ; la pièce était éclairée au gaz, par une lanterne à vitres rouges, posée sur la cheminée. Cette pièce était petite, nous voyions nettement tous les assistants. Ils étaient assis autour d’une petite table en se tenant les mains, mais sans la toucher. Bientôt, des coups se firent entendre et des communications furent épelées, l’un de nous répétant tout haut l’alphabet. Les coups devinrent soudain plus violents. L’un deux fut si fort qu’il ébranla la chambre ; il ressemblait au coup du marteau de forge sur l’enclume. Une trompette de fer blanc qui avait été mise par terre sous la table sortit par le petit bout sous le plateau du meuble, près de l’endroit où j’étais assis. On me permit de la saisir, mais elle échappa à ma prise de la manière la plus amusante. Le médium, en face de moi, était immobile, et à ma demande, tous levèrent les mains en gardant la chaîne de sorte que personne ne pouvait toucher à la trompette pendant qu’elle jouait à cache-cache avec moi. On entendait scier du bois, rebondir une balle et d’autres bruits inexplicables.
La table se souleva alors à une hauteur d’environ 45 centimètres et resta suspendue, parfaitement de niveau. Ayant été autorisé à l’examiner, je vis clairement que personne ne la touchait ; un espace vide la séparait des assistants. J’essayai de la repousser par terre et je déployai toute ma force sans y réussir. Alors je m’assis dessus, les pieds ballants. Je fus secoué de côté et d’autre et finalement je glissai par terre. La table se retourna d’elle-même sans être touchée et parut se visser au sol. Je tentai en vain de la soulever. Les mains des assistants étaient restées levées au dessus de leurs têtes. Des bruits dénotant une intelligence qui s’amuse se firent entendre et la séance se termina après que chacun eût été salué de quelques raps.
Il est difficile de supposer qu’un habile escamoteur, aidé du dispositif le plus ingénieux, ait pu produire ce que j’ai décrit. Nous étions dans un cercle de famille formant un petit groupe de chercheurs convaincus qui avait été extrêmement incommodé par le Dr Crawford pendant six mois ou davantage, sans rémunération aucune. Mais la conviction vient de la force accumulée des témoignages émanant de sources et de lieux divers. J’en donnerai quelques-uns plus loin, et je discuterai les objections que soulèvent le caractère insignifiant et niais des phénomènes. Pour l’instant, je me borne à demander à mes lecteurs d’imaginer comment un visiteur invisible et muet, arrivant de nuit dans ma maison, chercherait à attirer l’attention de ses habitants. Ses efforts pour communiquer avec eux ne différeraient pas beaucoup des coups et bruits invisibles. Tout ce que nous pouvons dire, c’est qu’il y a, derrière ces manifestations, une intelligence cachée, affirmation extraordinaire, qui détruit tous les fondements du matérialisme.
Je ne suis pas assez naïf pour croire que tout ce que je puis avancer impressionnera d’une façon quelconque l’opinion publique ou que mon témoignage a plus de poids que celui d’autres observateurs ; mais j’espère qu’il encouragera d’autres témoins à venir nous faire part des preuves qu’ils possèdent, jusqu’à ce que « nous ayons contraint nos opposants à reconnaître, soit que les phénomènes sont inexplicables, du moins pour eux, soit que les expérimentateurs mentent, trichent, ou sont d’un aveuglement et d’une étourderie incompatibles avec tout état intellectuel autre qu’une parfaite idiotie ».
Certains spirites, il est vrai, donnent parfois des preuves qui n’en sont pas et cela montre combien il est difficile de garder un jugement sain et une attention soutenue pendant toute la durée de ces obscurs phénomènes. Il n’y a d’ailleurs là rien qui doive surprendre. Quant l’un de nous obtient la preuve, décisive à ses yeux, de quelque manifestation stupéfiante et qu’il est par conséquent convaincu, nous sommes enclins à être moins rigoureux dans nos observations et à accepter comme une confirmation, ce qui, pour le septique, prêterait à une explication toute différente et très ordinaire. Nous partons presque tous du même point. Quelques-uns sans doute observent mal, d’autres se hâtent trop dans leurs conclusions, et leur jugement a moins de valeur ; mais l’uniformité des lois naturelles fait partie de l’expérience commune à tous les hommes, et celui qui nous dit que son groseillier porte des concombres, ne s’attend pas à être cru avant d’avoir donné la preuve d’une assertion aussi révoltante.
Chapitre V
LES PHENOMENES PHYSIQUES DU SPIRITISME
(suite)
Dire qu’une merveille est une chose contraire à l’expérience, revient à dire qu’elle diffère de l’expérience acquise ou plutôt qu’elle diffère de cette partie de notre expérience qui a été recueillie, transmise, et systématisée par les gens compétents. Mais cela signifie simplement que cette chose est nouvelle, étrange. Plus la merveille est grande, plus les témoignages en sa faveur doivent être probants.
H Sidgwick.
Examinons quelques preuves indéniables de ces mêmes phénomènes sur normaux, contrôlés par divers témoins. Mme H. Sidgwick s’exprime ainsi dans un article qui a paru dans les Proceedings en 1886 . C’est un des meilleurs exposés qui ait été fait : « Bien que nous n’ayons pas la preuve cruciale que ces phénomènes existent hors du cadre des lois connues de la nature, il y a cependant des témoignages qu’on ne peut écarter et qui servent de point de départ à une investigation plus étendue ». Mme Sidgwick cite alors les expériences faites par le comte Gasparin sur le mouvement des tables sans contact, dont il publia le compte rendu à Paris en 1854 ; puis les témoignages relatifs à ces phénomènes obtenus par le Comité de la Société dialectique, en 1870 ; les expériences de Sir William Crookes avec le médium Home, publiées dans la Quarterly Journal of Science à Londres, en 1874, et le récit du Révérend Stainton Moses qui, à la même époque, obtint les phénomènes grâce à sa propre médiumnité.
Bien que Mme Sidgwick n’ait pas eu de bonheur dans ces expériences prolongées avec divers médiums professionnels, elle dit néanmoins : « Ce n’est pas que je nie les phénomènes physiques du spiritisme ; je crois qu’ils se produisent de temps à autre et je cherche à étudier les témoignages recueillis ». Il n’y a pas de sceptique au monde qui ait consacré autant d’heures à cette enquête que Mme Sidgwick y a consacré d’années, et je doute fort qu’il existe un investigateur aussi prudent et d’un esprit critique aussi sûr que cette femme distinguée. Si elle avait eu l’heureuse fortune de voir ce que j’ai décrit au chapitre précédent ou si elle avait eu des séances avec Home, son opinion, j’ose le dire, n’aurait pas été très différente de la mienne.
La société dialectique de Londres qui groupait quelques professionnels connus, publia, en 1870, le compte rendu d’une commission nommée pour examiner ces soi disant phénomènes physiques. Aucun médium rémunéré ne fut employé ; les sujets étaient des personnes honorables et de situation aisée, que la question d’argent ne touchait pas. La commission perçut des coups fréquents indiquant une intelligence invisible et le déplacement d’objets solides sans cause apparente. Les commissaires s’agenouillèrent un jour sur des chaises placées à environ 30 centimètres d’une grande table de salle à manger en acajou, les mains derrière le dos. Dans ces conditions et en pleine lumière, la table eut divers mouvements et balancements sans contact ou possibilité de contact avec les assistants. Il y eut sur demande, des coups frappés par terre et sur la table.
Ce compte rendu parle de beaucoup d’autres phénomènes remarquables ; mais il est inutile d’aller plus loin, car ces résultats et ceux dont j’ai été moi-même témoin sont très inférieurs à ceux qu’obtint Sir William Crookes en son laboratoire et dans des conditions de rigueur scientifique telles qu’un savant de sa valeur pouvait seul imaginer.
Sir William Crookes affirme que ces expériences démontrent l’existence des phénomènes suivants et sans qu’on puisse les expliquer par aucune cause connue :
1. Coups et bruits de percussion d’intensité variable, paraissant produits par un opérateur invisible et intelligent.
2. Déplacement de corps petits et légers, ou grands et lourds, sans raison visible et sans contact d’êtres humains.
3. Altération de poids des corps
4. Lévitation d’un corps lourd sans contact. Il vit trois fois, en pleine lumière, le médium Home soulevé au dessus du sol sans que personne ne le touchât.
5. Instrument de musique sur lesquels on joue sans intervention humaine et dans des conditions qui excluent toute explication normale.
6. Apparitions lumineuses. Il affirme avoir vu plus d’une fois dans des conditions excluant toute fraude, apparaître un nuage lumineux, qui, s’évanouissait au bout d’un moment.
7. Messages intelligents écrits par des mains invisibles. (Ecriture directe.)
8. Maniement de charbons ardents. Introduction de la main dans le feu ardent sans la moindre brûlure.
9. Faits le plus surprenant : apparition de formes et de figures fantomatiques. Dans des conditions de contrôle absolument rigoureuses, une belle forme féminine apparut plusieurs fois, vêtue de draperies blanches. Elle était si objective que, non seulement on put compter son pouls mais la photographier à divers reprises à la lumière à la lumière électrique. Elle fut même photographiée en même temps que le médium entransé. Ce dernier était moins beau, beaucoup plus petit et plus brun que l’apparition, qui sortait d’une pièce de la maison fermée à clef et visitée par Mr Crookes, elle y rentrait pour disparaître.
Depuis que ces incroyables phénomènes se sont produits (beaucoup d’entre eux ayant été constatés non seulement par la famille de Sir William Crookes, mais par d’autres personnes), Sir William m’a affirmé qu’aucune critique postérieure n’a pu ébranler sa conviction quant à leur caractère surnormal. Les précautions minutieuses qu’il prenait excluaient toute possibilité de fraude. Sir William, de plus, a eu le courage d’affirmer dans son discours présidentiel de 1868, à l’Association Britannique, qu’il n’avait rien à rétracter et qu’il maintenait tout ce qu’il avait publié.
Que penser de ces miracles ? Ils sont si étrangers à l’expérience ordinaire qu’on s’imagine aisément que l’observateur a été le jouet d’une hallucination ou d’un habile truquage. Dans un article publié conjointement avec Myers en 1889, nous avons dit qu’en thèse générale le témoignage d’un unique savant, tout éminent fut il, ne saurait faire admettre de tels phénomènes s’ils ne pouvaient être attestés par d’autres investigateurs dignes de foi. Ce témoignage indispensable, en ce qui regarde la plupart des phénomènes décrits par Sir William Crookes, nous a été fourni.
Par exemple, le professeur Alexandre, de Rio de Janeiro, a publié dans les P.S.P.R. de juillet 1891 tout le détail d’expériences, très soigneusement faites, qu’il entreprit pour vérifier quelques-unes des assertions de Sir William Crookes. Le médium était l’une ou l’autre des deux petites filles d’un de ses amis. Non seulement les déplacements de corps lourds opérés par d’invisibles intelligences se produisirent, mais on obtint de l’écriture directe, dûment contrôlée sous la lumière de la lampe. Une main invisible écrivit sur une ardoise, touchée seulement par les doigts de l’enfant et l’écriture en était très supérieure à celle du médium. Puis on vit des lumières, d’abord fugitives et capricieuses, qui se précisèrent ensuite pour devenir visibles aux petits médiums, non aux assistants. Leur clairvoyance sembla être partagée par un chien, qui regardait du côté de la forme en aboyant. Une autre fois un bébé, les yeux étonnés, montra du doigt quelqu’un d’invisible et s’écria : « Hommes, hommes », puis : « Tout parti ! » Les assistants sentaient des mains invisibles les caresser. Enfin on obtint l’emprunte d’un pied d’enfant, sensiblement plus petit qu’aucun de ceux des jeunes assistants, sur une ardoise d’écolier recouverte de farine. Ce bref récit ne donne qu’une idée imparfaite des phénomènes obtenus et des précautions prises par le professeur Alexandre, mais c’en est assez pour montrer que des chercheurs indépendants ont obtenu dans diverses parties du monde et avec des sujets différents les mêmes extraordinaires résultats .
Un des médiums les plus remarquables qui ait été étudié est sans contredit M.D.D. Home avec lequel Sir William Crookes a fait beaucoup d’expérience. M. Myers et moi nous avons longuement examiné les témoignages en faveur de ses dons sur normaux et aussi les accusations de fraude portées contre lui. Nous constatâmes qu’on parlait beaucoup de trucage, sans aucune preuve à l’appui. Le poème de Browning : Sludge le médium, qu’on a supposé devoir exprimer son opinion sur Home, paraît avoir été écrit pour rabattre l’enthousiasme de sa femme qui s’était convertie au spiritisme. M. Myers connaissait personnellement Browning, il lui demanda sur quoi se fondait sa mauvaise opinion de Home. Browning répondit qu’il avait entendu dire à une dame (morte depuis) qu’une autre dame, également morte, lui avait dit qu’on avait surpris Home en train d’expérimenter avec du phosphore pour produire des « lumières spirites ». Nous n’avons pu trouver nulle part la confirmation de ce racontar de troisième main. C’était déjà une vieille histoire quand Browning l’entendit ; elle venait sans doute (comme d’autres commérages dont nous avons retrouvé la source) de ce que quelqu’un avait dit : « Home doit avoir obtenu ces lumières en frottant ses mains avec de l’huile phosphorescente. ».
Assertion dont nous n’avons pu trouver nulle part la preuve .
Home se prêtait à toutes les enquêtes et acceptait tous les contrôles, souvent pénibles, qui lui étaient imposés. Je suis tout à fait d’accord avec ce qu’a dit Sir William Crookes, bien que je n’aie jamais rencontré Home.
Il est cruel à mon avis qu’un homme comme Home, doué de pouvoirs si extraordinaires, toujours prêt à se mettre à la disposition des savants et même désireux d’être examiné par eux, ait vécu si longtemps à Londres sans que personne dans le monde scientifique, à deux ou trois exceptions près, ait jugé utile de vérifier la vérité ou la fausseté de ce qu’on racontait de toutes parts. Pour ceux qui le connaissaient, Home était un homme des plus sympathiques et sa droiture parfaite le mettait au dessus de tout soupçon.
Dans le rapport fait avec M. Myers, publié par le Journal de la S.P.R. de juillet 1889, nous avons donné plusieurs comptes rendus de la première main au sujet des phénomènes merveilleux constatés avec Home.
Je citerai d’abord l’attestation de mes amis le général et Mme Boldero qui n’étaient spirites ni l’un ni l’autre. Ils avaient pris des notes et me donnèrent aussi leur témoignage verbal indépendamment l’un de l’autre. Home venait de chez Lord Dunraven (qui a publié le récit des phénomènes merveilleux observés en présence de Home) et n’avait jamais mis les pieds dans la maison habitée par le général Boldero (alors colonel) en Ecosse, où il avait un commandement. Voici le récit du général :
Home fut invité chez moi à la fin février 1870, à Coupar, Fife.
Il arriva juste avant dîner et aussitôt après, Mme Boldero, Home et moi, nous réunîmes dans le salon pour y attendre les manifestations qui pourraient se produire. La pièce était bien éclairée au gaz et il y avait un bon feu. Home était assis le dos au feu devant une petite table recouverte d’un tapis. J’étais en face de lui, Mme Boldero à sa droite. Un piano et la harpe de ma femme étaient dans un coin du salon à environ 3 mètres ou 3 mètres 50 de là.
De remarquables manifestations ne tardèrent pas à se produire. La table avança vers le piano. Je vis paraître une main sous la table ; elle entraîna le tapis et se mit à frapper les touches du piano. Je vis ensuite la main jusqu’au poignet, sans le tapis, frapper les touches et plaquer quelques accords. Home était alors à une certaine distance de l’instrument, qu’il lui était physiquement impossible de toucher. Il lui était également impossible de se servir de son pied. Je suis convaincu, hier comme aujourd’hui, qu’une supercherie de la part de Home était hors de question. De faibles accords se firent ensuite entendre sur la harpe placée derrière moi. Nous demandâmes aux invisibles de jouer plus fort. Il nous fut répondu par coups frappés ; « Nous manquons de force ». Nous entendîmes deux voix se parler, deux personnes différentes, à en juger par les intonations. Nous ne pouvions en percevoir les paroles, Home s’obstinant à causer tout le temps avec nous. Nous le lui reprochâmes, à quoi il répliqua : « J’ai parlé exprès pour vous convaincre que je ne suis pas ventriloque et que les voix ne viennent pas de moi ». C’est en effet, une chose impossible à simuler pendant qu’on parle naturellement. La voix de Home différait complètement de celles qui parlaient au dessus de nos têtes.
Les différences et similitudes du compte rendu du mari et de la femme sont instructives Lisant au général ce qui va suivre, il me dit que là où il y avait quelque discordance, le compte rendu de sa femme était probablement plus exact. Le voici :
Le 28 février 1870, Home nous arriva peu avant le dîner. Nous décidâmes, en sortant de table, de nous asseoir au salon près du feu devant une table à peu près carrée. Au bout de quelques minutes, nous sentîmes un courant d’air froid sur les mains, puis des coups se firent entendre. Des communications sans importance nous furent faites par questions et réponses. Je fus exhortée à prier d’avantage. Nous entendîmes comme le bruissement d’une robe de soie. (Le général s’en souvient aussi). Mon bracelet d’or fut détaché pendant que j’avais les mains sur la table et tomba à terre. (Le général en convient). Ma robe fut tirée plusieurs fois. J’ai demandé, je crois, si on pouvait jouer du piano ; il était à environ 3m 60 ou 4 m20. Presque aussitôt, une douce musique se fit entendre. J’allai à l’instrument et l’ouvris. Je vis les touches abaissées, mais personne ne jouait. Je restai là, à regarder, puis j’entendis de ravissants accords et les touches semblèrent frappées par d’invisibles mains. Home était pendant ce temps très loin du piano. Ma harpe fit alors entendre un faible son comme si le vent soufflait sur ses cordes. Je demandai si on ne pourrait pas jouer plus fort ; on nous répondit qu’il n’y avait pas assez de force.
Un peu plus tard, nous entendîmes distinctement deux voix se parler. Elles semblaient venir de coins opposés, près du plafond, et être celles d’un homme et d’un enfant, mais nous ne pouvions distinguer les paroles. Elles paraissaient très lointaines. Home parla tout le temps que ces voix se firent entendre et donna pour raison que c’était pour ne pas être accusé de ventriloquie. La chambre entière, pendant toute cette séance, semblait vivante et je me souviens d’avoir pensé qu’aucune manifestation ne me surprendrait, convaincue que la force qui se faisait sentir pouvait produire n’importe quoi. Home dit lui même qu’il avait rarement eu une aussi bonne séance. Il semblait vivement et sincèrement intéressé par ce qui se passait. Je suis tout à fait sûre que Home n’aurait pas pu jouer lui même du piano, c’est hors de question. Le général a vu une main frapper les touches ; moi, non.
Le général Boldero me dit encore qu’à une autre séance, il vit la table, grande et ronde, monter sous les mains des assistants aussi haut que la tension de leurs bras le permit, puis redescendre doucement. Une autre fois, la table, sur laquelle étaient une lampe et des verres, s’inclina à un angle tel, que normalement ; ils seraient tombés, et cependant tout resta en place. Ce même fait fut observé ailleurs par d’autres. Feu le Rév. Douglas, recteur d’Edmondthorpe (Rutland), homme érudit et d’une grande intelligence, écrit qu’à une séance avec Home à Londres, chez Lady Poulett, tous virent la table du souper, garnie d’une foule de mets fins, de porcelaines et de cristaux, se soulever et s’incliner à un angle de 45 degrés sans que rien ne glissât, puis reprendre sa position normale. Mes amis Lord et Lady Mount Temple étaient présents, non seulement ils me confirmèrent ce récit, mais me rendirent compte de beaucoup d’autres phénomènes étranges dont ils avaient été témoins.
Feu le général major Drayson eu plus de 50 séances avec Home, et d’abord fort incrédule, ne tarda pas à être convaincu de la réalité des surprenants phénomènes qu’il voyait. Home lui donnait toute facilité pour les contrôler à fond. Le général m’a fait par écrit ce récit :
« J’ai vu, dit il, des tables, des chaises, des boîtes, etc.. s’élever soudain en l’air ou se déplacer pour venir à mes côtés. J’ai entendu chez moi un piano fermé jouer un morceau de musique. J’ai vu, chez feu Sir W. Gomm, un accordéon faire le tour de la chambre tout en jouant un air, sans que rien de visible ne le soutint. » Le général Drayson relate beaucoup d’autres faits dont il a été témoin et ajoute ; « Il est impossible de narrer en détail les circonstances qui m’ont convaincu de l’absence de toute fraude ou illusion (les séances ont presque toutes eu lieu chez moi) et m’ont finalement amené à abandonner mes croyances matérialistes. »
Il serait fastidieux d’énumérer tous les témoignages qui attestent les pouvoirs de Home. Deux ou trois phénomènes extraordinaires méritent cependant qu’on s’y arrête ; ils seront décrits au chapitre suivant.
Ce petit livre outrepasserait les bornes prescrites si je citais une partie seulement de ce qui a été obtenu par de nombreux observateurs à l’esprit critique, avec les médiums dignes de créance ; en Angleterre ou à l’étranger. Je renvoie tout particulièrement ici au bel ouvrage de M. Maxwell. Avant de clore ce chapitre, nous examinerons un aspect moins satisfaisant de la question, à propos d’Eusapia Paladino, médium professionnel d’un type très différent de D.D. Home et très inférieur.
En 1894, Sir Olivier Lodge donna lui même lecture, à la S.P.R. d’un rapport où il décrivait les phénomènes dont il avait été témoin à l’île Roubaud, chez le professeur Richet. Après de longues et rigoureuses expériences, ces deux savants en reconnurent l’objectivité et voici le compte rendu abrégé qu’en a publié Sir Olivier :
Les faits dont je veux surtout me porter garant sont les plus faciles à observer et suffisent largement à établir une vérité non reconnue par la science. Ils furent obtenus dans des conditions telles que toute action normale du médium se trouve exclue.
1. Déplacement d’une chaise en plein clair de lune, et cela dans des conditions telles qu’il ne pouvait y avoir de contact mécanique direct.
2. Gonflement persistant, distinct, d’un rideau de fenêtre, agité sans qu’il y eut un souffle de vent, bref, dans cause ostensible.
3. Mise en marche et déplacement sans contact d’une boite à musique en forme de chalet.
4. Jeu de piano et de l’accordéon sans être touchés.
5. Transport sur la table d’une clef fermant intérieurement la serrure de la porte puis voyage en sens inverse.
6. Mouvement sans contact et renversement d’une lourde table placée derrière le médium et en dehors du cercle.
7. Soulèvement visible d’une lourde table dans des conditions où cela eût été normalement impossible.
8. Apparition de marques bleues sur une surface blanche, sans moyen apparent.
9. Attouchements, serrements, tiraillement de ma tête, de mes bras et de mon dos, la tête les mains et les pieds du médium étant rigoureusement contrôlés et hors de portée .
Inutile de dire que les observateurs s’assurèrent qu’il n’y avait pas de compère. On fit une série d’expériences avec Eusapia à Cambridge en 1894. Le Dr Hodgson, le professeur H. Sidgwick, M. Myers (tous morts, hélas !) d’autres encore, y assistèrent et les expérimentateurs conclurent que le médium trichait. Mais d’autres expériences faites plus tard avec le professeur Richet et M. Myers, toutes précautions prise contre la fraude, les convainquirent qu’Eusapia avait incontestablement des pouvoir sur normaux. Elle fut en outre examinée indépendamment par divers savants italiens, par le criminologiste célèbre Lombroso et le neurologiste Morselli, de Gênes. D’autres chercheurs compétents se convainquirent avec eux de la réalité des extraordinaires phénomènes observés. Enfin trois des membres de la S.P.R., spécialement qualifiés pour découvrir les supercheries, furent chargés par la Société d’examiner ce médium fameux. Ils furent unanimes à déclarer que les phénomènes étudiés étaient réels.
Néanmoins, quoique Eusapia paraisse douée de pouvoirs sur normaux, c’est le médium d’un type moral inférieur, convaincu d’imposture en Angleterre et en Amérique. Pour ma part, je ne tiendrais pas à me servir d’elle. J’en parle à cause de sa notoriété et des considérations morales et psychologiques instructives qu’inspire sa carrière .
Pour être tout à fait juste, et corroborer le compte rendu de Sir Olivier Lodge, j’ai donné à l’appendice C un récit plus circonstancié des bons résultats obtenus par les observateurs italiens. J’y aie joint quelques remarques sur ce cas, malheureusement trop fréquent dès qu’il s’agit de médiums professionnels rétribués.
Chapitre VI
LEVITATION ET INVULNERABILITE AU FEU
Il n’est rien qui doive empêcher la science
d’intervenir heureusement dans un monde
où les forces personnelles sont le point de départ d’effets nouveaux…
Nier systématiquement, comme la science le fait,
que la personnalité puisse conditionner les évènements …
sera peut être, dans notre science si vantée,
le défaut qui surprendra le plus nos successeurs ;
W. James.
Un des phénomènes les plus étonnants attestés par de nombreux et éminents témoins, c’est celui de la lévitation de Home : il flotta en l’air comme sainte Thérèse et d’autres dans des temps plus reculés encore. Lord Elcho disant en 1760 avoir entendu affirmer sous serment à Rome la lévitation d’un saint homme qui allait être canonisé. Des faits semblables sont rapportés, nous dit M. Lang, dans les écrits bouddhistes et néoplatoniciens, chez les Peaux Rouges, et un Jésuite a décrit, en 1730, ce phénomène auquel il avait assisté au Tonkin.
En 1871, le Maitre de Lindsay (feu Lord Crawford et Balcarres) donna le témoignage suivant, corroboré par deux autres spectateurs, feu le compte Dunraven (alors Lord Adare) et le capitaine Wynne.
Le 16 décembre 1868, j’étais chez Lord Adare à Londres, Ashley Place, avec lui, un de ses cousins et M. Home. M. Home entra en transe pendant la séance et en cet état, fut transporté par la fenêtre dans la chambre voisine d’où il revint, par le même chemin, dans la pièce où nous étions. La distance entre elles était d’environ 2m30 ; il n’y avait pas où poser le pied de l’une à l’autre et chaque fenêtre ne présentait qu’une saillie de 30 centimètres, sur laquelle on plaçait des pots de fleurs. Nous entendîmes soulever le châssis dans la pièce voisine et presque aussitôt nous vîmes Home flotter en l’air devant notre fenêtre. La lune éclairait la chambre en plein, j’étais à contre-jour et je vis l’ombre portée sur le mur au bord de la fenêtre et les pieds de Home, à 20 centimètres au dessus de ce bord. Il resta ainsi quelques secondes, puis leva le châssis, glissa dans la chambre les pieds en avant et s’assit.
Lord Adare se rendit alors dans la pièce voisine pour examiner la fenêtre par où Home était passé. Le châssis n’étant levé qu’à 45 centimètres, il exprima son étonnement de ce que Home ait pu sortir par une ouverture aussi étroite. Home dit, toujours en transe : « je vais vous le montrer ». Il se renversa en arrière, le dos à la fenêtre, et fut projeté à travers l’ouverture, le corps absolument rigide, puis revint tout doucement. La fenêtre est à environ 21 mètres du sol. L’hypothèse d’un mécanisme extérieur de cordes et de poulies a été émise, mais ne peut expliquer les faits tels que le les rapporte.
Sans un article de la Contemporary Review (janvier 1876), le Dr Carpenter, physiologiste connu, commente ces faits qu’il cite en exemple comme manières différentes de voir du sceptique et du croyant. « Tout un groupe de croyants affirmera qu’il a vu M. Home sortir en flottant d’une fenêtre et rentrer de même par l’autre, cependant qu’un seul sceptique honnête déclare que M. Home n’a pas bougé de sa chaise. »
Comme un seul témoignage n’avait pas été publié, celui du capitaine Wynne, on lui écrivit en lui demandant s’il contredisait la déclaration de Lord Crawford et voici sa réponse : « Je puis jurer que M. Home est sorti par une fenêtre pour rentrer par l’autre. Ceux qui me connaissent ne supposeront pas un instant que j’ai été la victime d’une hallucination ou toute autre sottise de ce genre ». Le Dr Carpenter fit comme beaucoup de raisonneurs, il appela son imagination au secours de sa thèse.
On peut légitimement supposer néanmoins que les témoins ont pu se tromper ou ont été le jouet d’une hallucination. Mais il est difficile d’admettre que trois hommes cultivés qui ne savaient pas ce qu’ils allaient voir, aient pu être tous trois hallucinés de même ; car leurs comptes rendus sont semblables. On se saurait non plus soutenir que les témoins nombreux de lévitations de saints ou autres personnages, aux siècles passés et dans différents pays, ont été tous hallucinés. On ne peut croire, comme le dit M. Lang, que « la croyance à la lévitation, pour laquelle les preuves collectives sont si nombreuses, si générales, peut être attribuée à ce que toute une série de saints, de sorciers, etc., aient tout simplement sorti la tête et les épaules d’une fenêtre cachée aux observateurs, ainsi que l’a avancé un sceptique ».
Un autre phénomène singulier rapporté au sujet de Home, aussi bizarre qu’inexplicable, c’est l’allongement considérable de son corps survenu parfois à l’état de transe. Les témoins très nombreux, qui l’ont observé, prirent toutes les précautions possibles pour ne pas être trompés ; ils sont unanimes à affirmer la réalité de cet extraordinaire phénomène. Mon ami, feu le général Boldero, le constata plusieurs fois pendant le séjour que fit Home chez lui en Ecosse. Il prit des mesures et m’assura qu’aucune tromperie ou hallucination n’était possible. Les néoplatoniciens rapportent que ce fait se produisait de leur temps chez certains « possédés ».
Les phénomènes incroyables associés à la médiumnité de Home ne se sont pas cependant des cas isolés. Le Révérend Stainton Moses, dont j’ai parlé souvent déjà, fut lévité au moins dix fois. « Son honorabilité, sa droiture, son parfait bon sens, n’ont jamais été mis en doute, ni par moi, ni par aucun de ceux qui l’ont connu », a dit M. Myers. J’ai connu moi-même M. Moses pendant des années et, comme tous ses autres amis, je le crois incapable d’une supercherie quelconque. M. Serjeant Cox, qui n’est pas spirite, a vu en plein jour, M. Moses étant chez lui, une très grande et lourde table de salle à manger en acajou (que deux hommes vigoureux seuls pouvaient manier) se balancer ou s’incliner à quelques centimètres au dessus du sol, tantôt à droite, tantôt à gauche.
Des coups forts et fréquents furent frappés sur la table. Elle était sans nappe et si bien éclairée en dessous qu’on pouvait facilement se convaincre que personne ne s’y cachait. M. Cox et M. Moses étaient seuls dans la pièce, tous deux debout à environ 60 centimètres de la table, l’un en face de l’autre, les mains à environ 20 centimètres au dessus du meuble. Tout ceci a été publié par M. Cox qui en a aussi fait la description à M. Myers. Nous devons à ce dernier un compte rendu détaillé de la médiumnité merveilleuse de M. Moses. Il est à lire .
M. Moses étant un jour chez un ami, l’accordéon d’un enfant, qui se trouvait sur la table, fut soulevé et se mit à flotter autour de la chambre, une main invisible le faisant jouer. La chaise sur laquelle M. Moses était assis fut tirer jusqu’au mur puis retournée, personne n’y touchant, et M. Moses lui même fut doucement soulevé en l’air jusqu’à ce que sa tête fut proche du plafond. Etant près du mur, il y fit une marque au crayon, de niveau avec sa poitrine, et fut redescendu dans sa chaise. La marque faite à plus de 1m80 au dessus du sol. Tous ces faits furent notés, y compris d’autres plus surprenants encore. M. Moses ne cherchait pas à provoquer ces manifestations qui, cependant, se continuèrent quelques temps.
Revenons à Home. A l’état de transe, il était comme les jeunes hommes dans la fournaise babylonienne, invulnérable au feu. Je citerai ici M. Lang, qui a beaucoup étudié « la marche dans le feu ».
Beaucoup de personnes passent, dans tous les temps, pour avoir manié le feu ou avoir marché dans les flammes non seulement sans aucune douleur, mais sans aucune lésion de la peau. Les « possédés » de Jamblique en sont un exemple. J’ai rassemblé dans ma Mythologie Moderne (1897) des témoignages directs. L’Antiquité, les Indes, les îles Fidji, la Bulgarie, la Trinité, les Etablissements des Détroits, beaucoup d’autres lieux encore, le les ont fournis. Fonctionnaires, missionnaires en ont donné des preuves appuyées par la photographie (si tant est que le témoignage photographique ait une valeur). Tenir des charbons ardents dans les mains sans en souffrir et communiquer ce don aux autres faisait partie du « répertoire » de Home. Lord Crawford en fut témoin huit fois et reçut lui-même des mains de Home un charbon ardent qui ne le brûla pas. Cependant un de mes amis garde encore la marque de la brûlure que l’opération lui infligea. Sir William Crookes rapporte ce qui suit :
A la demande de M. Home, j’allai avec lui, pendant sa transe, à la cheminée du deuxième salon. Il (le « contrôle » de Home) me dit : Nous voulons que vous observiez attentivement ce que fait Dan (Home). Je m’approchai donc très près du feu et me penchai en voyant Home y plonger les mains… M. Home agita alors le mouchoir deux ou trois fois, le tint au dessus de sa tête, le replia et le posa sur sa main en guise de coussin. Mettant son autre main dans le feu ; il en retira un charbon rouge vif à la partie inférieure et posa cette partie sur le mouchoir qui, en toute autre circonstance, aurait brûlé. Home l’ôta avec la main au bout d’une demi-minute disant : Le pouvoir est faible. Si nous laissons le charbon plus longtemps, il mettra le feu. ». Il le garda sur la main et l’apporta dans la pièce voisine, où tous, sauf moi, étaient restés assis.
Nous n’avons pas seulement le témoignage de Sir William Crookes, nous avons aussi celui d’un ancien président de la Société Royale, feu Sir William Huggins, qui fut témoin de même fait et m’en fit le récit détaillé. M.S.C. Hall me raconta aussi qu’on lui mit sur la tête un charbon incandescent, ramenant ses cheveux par dessus sans qu’il en éprouvât la moindre chaleur et sans qu’il en souffrît.
Maint autre témoin oculaire m’a affirmé avoir vu M. Home manier impunément des charbons ardents. Parmi eux un avocat distingué, M. Wilkinson m’écrivait de Londres (hiver de 1869) :
Je vis M. Home prendre dans le feu du salon un charbon ardent un peu moins gros qu’une balle de cricket et le porter par la chambre. Il dit à Lord Adare (aujourd’hui le comte Dunraven) : « Voulez vous me le prendre ? Il ne vous fera aucun mal » Lord Adare le prit et le tint environ une demi-minute. J’en approchai la main avant qu’il ne le jetât dans le feu et en sentis toute la chaleur.
Il est impossible d’expliquer le fait en disant que la peau de Home était recouverte de quelque enduit protecteur. Sir William Crookes, en effet, me dit qu’il ne connaissait aucune préparation chimique immunisant ainsi contre l’action du feu. Il ajouta qu’il avait soigneusement visité les mains de Home après que celui eût transporté un charbon ardent de côté et d’autre et qu’il n’y avait relevé aucune trace de brûlures ou d’enduit. « Sa peau, remarqua-t-il, était fine et délicate comme celle d’une femme ».
Ces phénomènes sont trop grossiers et palpables pour qu’on puisse admettre un manque d’observation de la part des expérimentateurs ou une description inexacte. Il faut nécessairement qu’ils aient pensé avoir vu ce qui s’était passé ; hallucination collective, ou alors manifestation miraculeuse. Tous les efforts pour expliquer les faits par un truc habile n’ont pu aboutir. Les prestidigitateurs experts auxquels on s’est adressé, tout en ne croyant guère à ce que prétend Home, préfèrent rejeter les témoignages en bloc, plutôt que de chercher à expliquer ces étonnants comptes-rendus.
Rejetterons-nous ces témoignages, non pas parce que les témoins ont menti consciemment, chose impossible à admettre, mais parce qu’ils étaient hallucinés ? A Nancy et ailleurs, là où la suggestion sert à la thérapeutique médicale, on constate invariablement que les sujets même les plus entraînés offrent des degrés divers de suggestibilité, l’un voyant l’objet suggéré plus nettement et d’une autre manière que l’autre. Mais dans le cas de Home, les témoins n’étaient pas des sujets hypnotisés, ils virent tous la même chose et ils surent très rarement à l’avance ce qui allait se produire. Les manifestations, disent les assistants, étaient soudaines, impressionnantes et inattendues en général.
Remarquons, si l’on veut expliquer les faits par la suggestion, qu’elle était purement mentale de la part de Home ; il est difficile d’imaginer que tous les assistants sont également accessibles à la suggestion verbale et la difficulté augmente quand nous admettons une suggestion mentale muette agissant de même sur tous les spectateurs . N’oublions pas en outre que les assistants étaient souvent étrangers à Home et qu’ils étaient sur leurs gardes, sachant très bien ce qu’est une hallucination .
Les cas sporadiques de lévitation rapportés par l’histoire ne peuvent non plus s’expliquer tous. Sainte Thérèse n’est pas un cas unique. Les Acta Sanctorum signalent plus de 40 saints ou autres personnes sujets à ce phénomène, attestés par une foule de contemporains. L’Evêque de Valence passait pour avoir été miraculeusement suspendu en l’air pendant quelques heures, ce que son clergé et une multitude d’autres personnes virent. Les explications sont aussi difficiles à accepter que les miracles eux-mêmes, si nous nions tous les comptes rendus passés et présents touchant ces phénomènes.
Les temps anciens et modernes nous offrent des preuves directes de la production spontanée de beaucoup de phénomènes décrits au dernier chapitre. Sans avertissement préalable, meubles et porcelaines sont renversés, des sonnettes se font continuellement entendre, des perturbations de toutes sortes se produisent sans cause apparente et toutes les tentatives pour mettre la main sur les farceurs supposés échouent.
De nombreux témoins, questionnés par moi, m’ont assuré avoir vu ces choses en plein jour ou sous une éclatante lumière artificielle, personne n’ayant touché ou approché les objets jetés par la chambre ou déplacés. J’ai publié au sujet de ces phénomènes de « Poltergeist », comme on les appelle, un long article, et n’ai, pour ma part, aucun doute sur leur réalité et leur caractère sur normal. Ils n’offrent d’ailleurs, aucun sens .
Notre rôle, aujourd’hui, consiste à recueillir toutes les preuves possibles sans nous livrer à des spéculations quant au but de ces manifestations futiles et ridicules qui ne semblent avoir aucune importance morale ou religieuse. Elles ont néanmoins, une valeur scientifique et philosophique, tout lecteur attentif en conviendra.
Chapitre VII
LES ECTOPLASMES. ECRITURE ET VOIX DIRECTE
LES MATERIALISATIONS
LA SOIT DISANT PHOTOGRAPHIE DES ESPRITS
L’AURA
C’est en cultivant, comme un principe de vie,
un amour sans limites de la recherche et un ardent espoir,
que la raison libère l’esprit des préjugés de toute sorte,
en se gardant seulement de l’enthousiasme et des illusions,
grâce à des habitudes d’investigation rigoureuse.
Le vrai philosophe espère que toutes choses sont possibles
et croit à tout ce qui n’est pas contraire à la raison.
Sir John Herschel.
Il est d’autres aspects du spiritisme que j’ai négligés parce que les preuves sont moins concluantes. Certains n’admettent par leur réalité ou du moins leur caractère surnormal. Je veux parler de la soi disant « voix directe » et de « l’écriture directe », c’est à dire de la parole et de l’écriture du soi disant esprit, sans l’intermédiaire du médium. On peut y ajouter le transport d’objets matériels sans action humaine, ou « apport ». Il y a encore la « photographie d’esprits ». On dit obtenir sur une plaque l’image de personnes mortes ou vivantes ou des tâches lumineuses sans cause objective apparente. Ces phénomènes, comme ceux de la soi disant matérialisation d’une partie ou de tout l’esprit (voir au chapitre V) sont comparativement rares et par conséquent moins accessibles à l’examen critique.
J’ai été témoin, à différentes reprises, de tous ces phénomènes, mais presque toujours avec un médium professionnel et dans des conditions telles que des preuves concluantes ne pouvait guère être obtenues. Cependant je suis sans parti pris aucun en la matière et je dirai même que, dans certaines enquêtes que je fis, il était très difficile de douter du caractère surnormal des phénomènes.
Quant à la voix directe et à l’écriture directe, j’en ai eu, il y a quelques années, des exemples chez un camarade à moi, feu M. Dawson Rogers, dans des séances avec une femme médium de ses amies. Nous eûmes des résultats remarquables, obtenus dans des conditions qui auraient été tout à fait satisfaisantes et qui auraient permis de former un jugement s’il y avait eu une lumière suffisante (ce qui n’était pas le cas). Il est fait allusion page 61 à l’écriture directe obtenue par le professeur Alexandre, que connaissait très bien M. Myers. La séance, ici, eut lieu en pleine lumière et le médium était la petite fille d’un ami personnel du professeur, qui assura que personne n’aurait pu écrire sans être immédiatement découvert. Cependant une main invisible écrivit à plusieurs reprises sur une ardoise sur laquelle on avait placé un petit bout de crayon .
Il est très difficile d’expliquer d’autres cas d’écriture directe tels que ceux que rapporte le Dr W. Leaf et ceux, nombreux, qui eurent lieu avec le Révérend Stainton Moses, et que Myers a cités dans son compte rendu des expériences de ce médium exceptionnel .
Sir William Crookes a rapporté une très curieuse tentative d’écriture directe qui eut lieu chez lui avec le médium Home. La séance se passait en pleine lumière, en présence de quelques amis intimes. Sir William avait demande un message écrit.
Un crayon et quelques feuilles de papier étaient sur la table, au milieu. Le cayon se dressa sur sa pointe, et s’avançant par saccades vers le papier, retomba. Il se redressa et retomba encore. Une troisième tentative ne fut pas plus heureuse. Alors un morceau de latte qui était sur la table glissa vers le crayon et se souleva de quelques centimètres. Le crayon se dressa à son tour, s’appuya sur la latte et ces deux objets semblèrent essayer ensemble d’écrire sur le papier. Le crayon étant tombé, l’effort combiné fut renouvelé ; mais après le troisième essai, la latte y renonça et reprit la place qu’elle avait occupée. Le crayon resta là ou il était, et on nous dit par coups frappés ; « Nous avons cherché à faire ce que vous demandiez, mais notre pouvoir est épuisé »
Ceci ayant eu lieu en pleine lumière, sous la surveillance de Sir William, dans son propre appartement, on ne peut raisonnablement expliquer le fait par l’hallucination ou la fraude.
Avec Slade, le médium professionnel très connu, j’ai eu beaucoup de séances, il y a quarante ans et j’ai obtenu sur ma propre ardoise, en plein jour, et dans des conditions qui semblaient exclure toute fraude ou mauvaise observation, ce qui passait pour l’écriture directe d’un esprit. Slade, je crois, avait des pouvoirs sur normaux, on ne peut guère en douter en lisant les comptes rendus donnés par M.A. Oxon dans Psychography ou par Zöllner dans Physique transcendantale. Il n’en est pas moins vrai que, comme beaucoup de médiums professionnels, il eut recours à la supercherie et fut convaincu de fraude dans un procès célèbre à Londres.
Bien que les preuves invoquées ici contre Slade soient insuffisantes, il est évident que nous ne pouvons accepter qu’avec réserve tout phénomène obtenu par l’intermédiaire d’un médium dont la réputation soit douteuse. Il est très facile à un habile prestidigitateur de simuler quelques-uns des phénomènes sur normaux de Slade, Eglinton et autres médiums professionnels. Le Dr Hodgson et M. Davey l’ont parfaitement démontré dans les Proceedings, vol. IV. Ce même volume contient le récit et l’analyse critique par elle-même des expériences spirites de Mme Sidgwick ; il est à lire par tous les chercheurs.
En ce qui concerne la « voix directe », c’est la forme sous laquelle j’ai obtenu des communications avec un médium américain bien connu qui me donna plusieurs séances. Elles avaient lieu le plus souvent dans l’obscurité, mais pas toujours. De remarquables témoignages furent donnés par la ou les voix de soi disant amis défunts ; complètement inconnus de médium et parfois dans une langue ignorée de lui. Le médium, là aussi, n’était pas à l’abri de tout soupçon et ces témoignages ne peuvent avoir pour le critique toute la valeur que les assistants y ont attachée.
Les luminosités qui se produisaient avec Home, le Rév. Stainton Moses et d’autres, sont plus intéressantes et ont été observées dans des conditions telles qu’on ne peut les considérer comme frauduleuses. J’ai vu souvent des points lumineux ou des tâches se mouvoir très vite par la chambre, et une fois, dans l’atelier de M. de Morgan, j’ai vu un buste « matérialisé » ; mais l’obscurité inévitable de la pièce ne me permet pas de classer ce fait parmi les témoignages concluants. Je citerai ici ce qu’a enregistré Sir William Crookes. Inutile de dire qu’il prenait toutes ses précautions pour n’être pas trompé par l’emploi d’huile phosphorescente ou d’autres trucs. Il ne put imiter l’apparition par aucun moyen chimique de lui connu.
J’ai vu, dit il, dans les conditions du contrôle le plus rigoureux, un corps solide lumineux, de la grosseur à peu près d’un œuf de dinde, flotter sans bruit par la chambre plus haut qu’aucun de nous, même dressé sur la pointe des pieds, puis redescendre doucement sur le sol. Nous le vîmes pendant plus de dix minutes, et, avant de s’évanouir, il frappa trois fois la table. Le son perçu était celui que donnerait un corps dur. Le médium, pendant ce temps, était étendu dans un fauteuil ; il était inconscient, selon toute apparence.
Les résultats plus surprenants encore rapportés par Sir William Crookes sur la matérialisation des mains ou du corps entier d’un esprit demeurent inexplicables jusqu’à ce jour.
Ces derniers phénomènes ont été dénommés ectoplasmes par M. Myers, mot proposé par le professeur Ochorowicz, de Varsovie, qui a fait des recherches d’une importance capitale dans le spiritisme, mais la place me manque pour en parler . Ectoplasie signifie le pouvoir de concentrer l’énergie vitale ou la matière vitalisé à l’extérieur du médium ; cette matière agit temporairement comme le corps dont elle émane, en sorte que des phénomènes affectant la vue, l’ouïe et le toucher, des phénomènes d’ordre humain, se produisent. Cela rappelle beaucoup l’hypothèse de la force psychique sous un nouveau nom (voir page 95).
Quant aux « apports », ceux auxquels j’ai assisté en présence de médiums professionnels, n’étaient pas convaincants. L’un de ces médiums, mort depuis et très connu, fut surpris par moi en flagrant délit de fraude. Cependant, un de mes amis me fit le récit d’un apport qui lui parvint de sa maison de Londres à la campagne, au cours d’une séance où n’assistaient que des amis, apport si frappant et si inexplicable que j’en fis un compte rendu dans le Light. Cet article fit partie d’une série écrite pour ce journal en 1881, intitulé : « Pièces justificatives » en faveur de la création d’une société de recherches psychiques.
Examinons maintenant le sujet très discutable de la « photographie des esprits ». Mme Sidgwick qui a fait une étude approfondie de la question, conclut que les soi-disant images de personnes défuntes sur la plaque étaient ou délibérément frauduleuses ou susceptibles d’une explication normale .
Depuis l’enquête faite par Mme Sidgwick, il s’est produit d’autres cas qui semblent à la première vue impossibles à interpréter. Le Dr Hyslop, par exemple, a publié un long article dans les Proceedings de la Société américaine des recherches psychiques en reproduisant de nombreuses photographies qui semblent bien avoir une origine sur normale. Il n’en admettra pas moins avec moi, je crois, que ces témoignages ne sont pas concluants.
Tout en professant pour ma part que la question reste ouverte, je rapporterai ici un cas de la soi disant photographie d’un esprit, que j’ai soumis à un examen critique très approfondi il y a quelques années. Lady C., parente d’un de mes amis, avait loué pour l’été la maison de campagne de feu Lord Combermere Abbey C. dans le Cheshire. La bibliothèque, belle pièce boisée, inspira à Lady C., alors Mlle C., l’envie de la photographier. Elle mit donc en place son appareil, et le braqua sur un fauteuil de chêne sculpté vide où s’asseyait habituellement Lord Combermere. Elle ouvrit un paquet neuf de plaques dans la chambre noire, en mit une dans la boîte qu’elle emporta et, après la mise au point, la plaça dans le châssis. Elle fut stupéfaite, en développant, de voir paraître l’image d’un vieillard sans jambe assis dans le fauteuil.
On apprit peu après que Lord Combermere était mort à Londres des suites d’un accident. On l’avait enterré dans le caveau de famille à quelques milles de sa demeure au moment même où la photographie était prise. Cette coïncidence curieuse fut notée après le développement et on se demanda si la photographie ressemblait au défunt. On me communiqua les faits à ce moment avec une épreuve de la photographie. J’écrivis aux parents de Lord C. et la leur envoyai. La figure n’était pas très nette et les opinions furent partagées quant à la ressemblance, mais l’ensemble le rappelait tout à fait ; l’attitude surtout était caractéristique et bien celle qu’il prenait quant il s’asseyait dans ce fauteuil.
En réponse à mon enquête, mlle C. m’apprit que la pose avait été longue, un quart d’heure environ, et qu’elle était sortie dans l’intervalle. Je pensai qu’un des domestiques avait pu entrer et s’asseoir dans ce fauteuil jusqu’au moment où il entendit revenir Mlle C. Je fis dont une expérience chez un de mes amis, feu M. Titus Salt, dans sa bibliothèque boisée. Je braquai un appareil sur un fauteuil de chêne, et priai son fils aîné, un jeune homme, d’entrer dans la pièce, de s’asseoir un moment dans ce fauteuil, de croiser et de décroiser les jambes, de remuer un peu la tête, puis de sortir. Ceci fait, nous développâmes ensemble la photographie. O surprise ! Nous vîmes paraître la contre partie de la photographie de Combermere : un homme assez âgé et sans jambes, assis, et aucune trace de l’entrée ou de la sortie d’une personne quelconque. J’écrivis à ce sujet un article que je publiai avec la reproduction des deux photographies dans le Journal de la S.P.R. (décembre 1895).
Je crus alors l’incident vidé et qu’un jeune valet de pied était le soit disant Lord Combermere, mais je constatai que Melle C. et d’autres membres de la famille étaient en complet désaccord avec moi. Ils avaient longuement interrogé leurs domestiques et avaient toutes raisons de croire que les dénégations du valet de pied et des autres étaient sincères, que nul n’était entré dans la pièce au moment où la photographie avait été prise.
Un article que je publiai un peu plus tard dans la Westminster Gazette me valut la lettre suivante, écrite par une parente de Lord Combermere. Elle m’apprit un fait que j’ignorais.
Cher Monsieur,
J’ai lu votre intéressant article dans le Westminster Gazette du 19 courant et ne puis me retenir d’ajouter un détail à ce que vous rapportez au sujet de la photographie supposée de l’esprit de Lord Combermere.
Vous dites qu’il n’avait pas perdu les jambes, mais il est mort d’un accident où elles furent tellement endommagées qu’il n’aurait jamais pu s’en servir s’il avait vécu. Il a été écrasé par une charrette, à Knightsbridge, en traversant la rue, et n’a survécu que de quelques semaines. Lord Combermere était mon beau père. J’ai habité l’Abbaye de son vivant et la manière dont la photographie a été prise m’a beaucoup intéressée. Mlle C. me l’a donnée et m’a fait son récit par écrit. La figure a toujours été trop indistincte pour me convaincre, mais quelques-uns des enfants de mon beau père ne doutent nullement de son identité. J’ajouterai qu’aucun des serviteurs de la maison ne ressemble à cette figure ; tous étaient jeunes. Les autres étaient à l’enterrement qui eut lieu à quatre milles de là, au moment même où la photographie était prise. Je vous donne le pour et le contre sans parti pris, n’ayant moi même aucune conviction arrêtée.
Sincèrement vôtre.
Jane S.C…
Je partage la manière de voir de Mme C. et n’en dirai pas davantage, M. Wallace, M. Stead, d’autres encore en Angleterre et à l’étranger, étaient convaincus de la réalité des photographies d’esprits. Il est si facile néanmoins de truquer une photographie par double exposition ou autrement, tant de causes accidentelles donnent de la vraisemblance à des images fantomatiques, qu’il nous faut des témoignages plus concluants que ceux qui ont été obtenus jusqu’ici. Nous espérons les avoir dans un avenir rapproché.
Je citerai pour finir, les « lumières odiques » du baron de Reichenbach et « l’aura » qui entoure le corps humain. Ces phénomènes ne présentent rien d’inconcevable. J’ai fait des expériences qui m’inclinent à croire que Reichenbach ne s’est pas trompé. Mais je fus plus intéressé par la luminosité que ses sensitifs affirmaient avoir observée autour des pôles d’un aimant et je me décidai à l’étudier en 1883.
Il fallut pour cela aménager une chambre noire et faire des essais avec un certain nombre de personnes, chacune d’elles devant rester dans la pièce une demi heure au moins pour habituer ses yeux à une aussi faible lumière. Ceci fait, deux ou trois sensitifs virent distinctement la lumière émaner d’un aimant que j’avais caché dans la pièce à leur insu ; ils en déterminèrent ainsi le lieu. Nous essayâmes alors l’effet d’un puissant électro-aimant en prenant les plus grandes précautions pour éviter une suggestion inconsciente, une influence télépathique ou toute localisation au moyen du faible bruit qui accompagne la magnétisation, le son ayant été supprimé par un dispositif convenable.
Aussitôt revenus à la lumière les sensitifs dessinèrent ce qu’ils avaient vu. Leurs dessins, faits indépendamment, s’accordaient. Je publiai ces résultats dans le Philosophical Magazine d’avril 1883 et dans le P.S.P.R. de la même année. Bien que je sois personnellement convaincu de l’existence de cette luminosité, il nous faut d’autres témoignages pour la faire reconnaître par le monde scientifique . La photographie ne nous en donna aucune trace, même avec une pose prolongée et des plaques très sensibles, par même après que nous eûmes suivi les indications de Sir William Huggins qui s’intéressait extrêmement à la question.
La difficulté pour toutes ces manifestations psychiques si curieuses et si discutables, c’est de trouver un sensitif dont l’organisme possède les qualités spéciales qui lui permettent de devenir en certains cas (comme les rhabdomanciens ou sourciers) clairvoyant, médium à matérialisation ou à écriture automatique. Ceci nous ramène à l’intéressant problème de la médiumnité, qui sera discuté plus loin et qui fournira un vaste sujet à la psychologie expérimentale de la prochaine génération.
TROISIEME PARTIE
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Chapitre VIII
LA PREUVE DANS LES RECHERCHES PSYCHIQUES
Rien ne peut détruire la preuve donnée par un témoignage,
sauf l’évidence ou la probabilité
que ceux qui le fournissent sont inaptes à juger les faits
dont ils se portent garants ou qu’ils obéissent à une influence indirecte.
Tant que ceci n’aura pas été démontré,
leur témoignage reste valable.
Butler.
Ceux qui n’ont jamais vu aucun des phénomènes dont nous avons parlés n’y croiront sans doute pas tout à fait ou même n’y croiront pas du tout. L’esprit fait très naturellement ses réserves devant des affirmations en opposition avec l’expérience générale de l’humanité. Sir William Crookes lui même déclarait qu’en se remémorant les détails de ce qu’il avait vu, sa raison ne pouvait admettre le témoignage de ses sens, bien que confirmé par celui d’autres témoins. Cependant, comme Reid le dit dans son essai sur l’Esprit, et comme les juristes le savent, pas un avocat n’oserait avancer que nous ne pouvons croire au témoignage prêté sous serment par des témoins oculaires dignes de foi, parce que ce qu’ils affirment est incroyable. Peu de juges accepteraient un tel argument.
Nous sommes obligés d’admettre, en dépit de toute logique, que :
La probabilité du mensonge croît à mesure que le fait devient plus extraordinaire …
Nous n’ajouterions point foi au témoignage d’un homme qui nous attesterait qu’en projetant cent dés en l’air ils sont tous retombés sur la même face. Si nous avions été nous-mêmes spectateur de cet événement, nous n’en croirions nos propres yeux qu’après en avoir rendu d’autres yeux témoins, pour être bien sûrs qu’il n’y a eu ni hallucination ni prestige. Mais après cet examen, nous ne balancerions point à l’admettre, malgré son extrême invraisemblance et personne ne serait tenté, pour l’expliquer, de recourir à un reversement de la vision. Nous devons en conclure que la probabilité de la constance des lois de la nature est, pour nous, supérieure à celle de l’événement dont il s’agit. On peut juger par là du poids immense de témoignages nécessaires pour admettre une suspension des lois naturelles et combien il serait abusif d’appliquer à ce cas les règles ordinaires de la critique .
C’est pourquoi Bertrand, dans son Traité du Somnambulisme, dit que bien que nous puissions conclure après examen qu’il y a des raisons suffisantes de croire à ces phénomènes surprenants : « On ne les admet réellement qu’après les avoir vus ». Nous pouvons garder une croyance limitée, tempérée de scepticisme, mais croire sans réserve aux miracles passés ou présents demande ou l’expérience de merveilles semblables, ou une foi absolue en la sagesse, la véracité et la valeur morale de la personne qui les atteste, l’assentiment enfin de notre nature spirituelle. L’attitude adoptée par saint Thomas, dans les Ecritures, ne justifie pas celle, si dédaigneuse, de beaucoup de sceptiques. Il est anti-philosophique au dernier point de ridiculiser ou de nier des phénomènes dûment attestés parce qu’ils sont inexplicables. On pourrait citer à ce sujet Laplace, Abercrombie, Herschell et beaucoup d’autres. Etudions ces faits avec une attention d’autant plus scrupuleuse qu’ils paraissent plus difficiles à admettre.
Cela m’amène à la position parfaitement légitime que beaucoup de gens prennent et qu’impose la prudence caractéristique de tout progrès dans la connaissance. L’improbabilité de ces phénomènes est si grande, ils sont tellement en dehors de l’expérience commune aux hommes et impliquent en outre les idées si peu en rapport avec notre savoir, qu’avant de les accepter, il nous faut non seulement des preuves, mais des preuves indiscutables .
C’est là le bon sens et il est nécessaire. J’ai cherché à mettre sous les yeux de mes lecteurs des preuves indéniables, bien qu’elles ne soient pas suffisantes peut être pour les convaincre de la réalité d’extraordinaires phénomènes comme la matérialisation d’un esprit. Ici, d’ailleurs, je fais mes réserves. Mais les témoignages en faveur de l’existence objective de la plupart des phénomènes sur normaux me paraissent probants.
C’est à la science à englober dans son domaine ces champs de recherches si fertiles. C’est uniquement parce que, jusqu’à ces temps derniers, elle ignorait volontairement ces phénomènes, que les pauvres spirites ont dû se risquer à faire son œuvre dans une région si difficile à explorer.
L’ayant faite au mieux de leur capacité, ils sont honnis par le monde cultivé qui les accuse de « prostitution intellectuelle » et leur efforts pour grossir la somme des connaissances humaines sont flétris comme une « recrudescence de la superstition » par les maîtres de la pensée scientifique, qui devraient accueillir avec bienveillance les plus humbles chercheurs de vérité. Je suis entièrement d’accord avec de Morgan, notre grand logicien, quand il dit :
Les spirites sont certainement dans la voie qui a conduit à tout avancement des sciences physiques ; leurs adversaires sont les types de ceux qui font obstacle au progrès… Je dis que les « esprits frappeurs », si décevants, sont la vérité. Ils attestent l’esprit et la méthode du bon vieux temps quant on défrichait les forêts pour y tracer les routes sur lesquelles nous marchons aujourd’hui. Cet esprit était celui de libre examen ; il n’avait cure qu’on l’accusât de s’occuper de choses absurdes. Quand la Société Royale fut fondée, ses membres se mirent à étudier tout afin d’établir solidement ce qui le méritait. Ils allèrent jusqu’à examiner la question de savoir si les « sprats » étaient de jeunes harengs. Ils tracèrent un cercle avec de la poudre de licorne et placèrent au milieu une araignée, « mais elle s’évada aussitôt ». Ils renouvelèrent cet essai et l’araignée, un jour, resta quelque temps dans la poudre. Ils essayèrent ensuite la poudre sympathique de Kenelm Digby et ceux des membres de la Société qui en possédaient furent invités à l’apporter à la prochaine réunion.
Ces recherches si puériles à nos yeux, prouvent que les enquêteurs enquêtaient réellement. De Morgan nous montre que les spirites ont pris la méthode du temps passé, qu’ils avancent une théorie et cherchent à voir ce qu’elle donne, car sans théorie, les faits sont une foule et non une armée. C’était la méthode de Newton. Il lança une des idées les plus extravagantes qui ne fut jamais conçue et chercha à en tirer les conséquences. La théorie de Newton, en effet, était celle ci : « Il n’y a pas une particule de sel dans les salière de l’étoile la plus lointaine de la Voie Lactée qui continuellement n’attire toutes les particules de sel des salières terrestres – et aussi le poivre des poivrières – notre sel et notre poivre usant, bien entendu, de représailles … » Et la grande loi de la gravitation entra dans notre patrimoine ; l’examen rigoureux de cette idée invraisemblable et les preuves accablantes en sa faveur l’ont établie comme vérité universelle.
C’est une hérésie scientifique aujourd’hui de ne pas croire à une substance qui échappe à toute perception, impondérable, infiniment raréfiée, mains infiniment élastique, pénétrant toutes choses, l’éther lumineux, à la fois interstellaire et inter atomique, milieu matériel d’un ordre de matière complètement différent de tout ce que nos sens connaissent et dont l’existence ne nous est révélée que par induction. Car il est à noter que cette idée stupéfiante mais féconde, est basée non sur une preuve directe, mais sur une preuve indirecte et cela en dépit de son improbabilité a priori. De plus, la science moderne nous apprend qu’il y a des myriades d’ondes trop courtes ou trop longues pour affecter nos sens. Elles auraient pu nous arriver indéfiniment, apportant du soleil à la terre un courant constant d’énergie et nous n’aurions jamais été conscients de leur existence ou du milieu qui les porte, si nous nous étions fiés seulement au témoignage immédiat de nos sens.
Une de nos grandes autorités a dit dans un livre qui fait loi : « Parler autrefois de ce milieu aurait été regardé comme une preuve de folie. Aujourd’hui même, malgré les preuves que nous avons d’un éther qui remplit l’espace, il y a encore des gens qui aiment mieux en douter que de croire à une chose qu’on ne peut ni goûter ni sentir ou dont ne peut rien percevoir directement. Néanmoins, même considérant ce milieu comme hypothétique, le fait seul qu’il pourrait exister et remplir d’importantes fonctions dans la vie de l’univers sans être jamais connu ou pressenti, est une raison suffisante pour que notre postulat ne soit ni irrationnel ni anti philosophique . »
Nous sommes conduits à nous demander s’il n’y a pas de théorie, « ni irrationnelle, ni anti philosophique », qui puisse expliquer les phénomènes bizarres et surprenants décrits en ces chapitres. C’est de ce côté que nous allons maintenant tourner notre attention.
Chapitre IX
THEORIES
Les hypothèses sont souvent d’une grande utilité.
La facilité de les édifier, si elle est accompagnée d’une même facilité
de les mettre de coté quand elles ont cessé de remplir leur rôle,
est une des qualités les plus précieuses
que puisse posséder un philosophe.
Sir John Herschel.
L’opinion populaire que tous les médiums sont des imposteurs et que toutes les manifestations qu’ils produisent sont frauduleuses est une explication commode pour ceux qui ne veulent pas se donner la peine d’étudier. Mais je n’ai encore rencontré personne qui, après avoir sérieusement examiné les témoignages obtenus ou s’être livré à une investigation prolongée du sujet conserve cette manière de voir, même si elle était auparavant l’expression de sa pensée . Outre les investigations de la S.P.R. groupe d’enquêteurs qui, sans parti pris aucun pour ou contre le spiritisme, a prouvé, il y a quarante ans, que ces phénomènes ne pouvaient être attribués à l’imposture, nous avons celles du Comité de la Société dialectique, dont j’ai déjà parlé. Il y a des médiums rémunérés malhonnêtes, tout comme il y a de la fausse monnaie, et cela parce qu’il y a de vrais médiums à imiter. Sir William Crookes, dont la haute position scientifique atteste qu’il est un des plus minutieux et des plus parfaits investigateurs, dit lui-même qu’il avait commencé son enquête sur les phénomènes spirites, persuadé que le tout n’était que truquage et superstition. Il la termina en affirmant sur son honneur de savant que les idées préconçues étaient fausses ; et qu’une catégorie de phénomènes complètement inconnus de la science existait réellement.
Toutes idées d’imposture écartée, quelle sera l’hypothèse raisonnable que nous adopterons ? Celle de l’hallucination s’impose tout d’abord. J’ai ai parlé plus haut et j’inclinais quelque temps à croire que c’était là l’explication des faits. Dans une communication à l’Association britannique sur les états anormaux de l’esprit , j’ai rapporté quelques-unes de mes expériences, démontrant qu’il est facile de faire croire à un sujet en état d’hypnose superficielle des choses les plus extravagantes : qu’il a flotté autour de la chambre, etc., et cela quelques jours après son réveil. Mais l’hallucination ne peut expliquer les résultats permanents obtenus par Sir William Crookes, même si elle est étendue à tous les témoins qui assistèrent à ses expériences. Par conséquent, tout en admettant l’importance capitale qu’il y a à se garder d’une mauvaise observation, d’une hallucination aussi bien que de la fraude, je suis fermement convaincu que ces causes sont impuissantes à expliquer les phénomènes étudiés.
Quelles autres hypothèses pourrions-nous former ? Une théorie provisoire que les physiologistes accepteraient s’ils admettaient la réalité des phénomènes physiques simples du spiritisme, serait celle d’une action exo-neurique du cerveau. Mais ce serait alors une action subconsciente, l’effet du moi subliminal dont nous parlerons plus loin. De plus, il faut y ajouter une réserve invisible d’énergie utilisable pouvant non seulement être dirigée et libérée par le moi subliminal mais agissant directement sur la matière inerte, d’une façon inconnue.
C’est, je crois, le Dr Mayo qui a, le premier, parlé de cette action exo-neurique de l’esprit dans son admirable petit livre : Vérités contenues dans les superstitions populaires, publié en 1851. Il dit, pour expliquer la clairvoyance ou lucidité : « Je crois que l’esprit d’une personne vivante, à l’état normal ; agit toujours jusqu’à un certain point de façon exo-neurique, c’est à dire hors des limites corporelles, et à l’état de lucidité, cette intelligence exo-neurique semble embrasser jusqu’aux objets et personnes éloignés ». La haute situation de Dr Mayo, professeur en physiologie au « King‘s College » et au « Royal College of Surgeons » de Londres, aurait dû attirer plus l’attention sur ces vues.
Le comte Gasparin avança, en 1854, une théorie de ce genre, à la suite des expériences prolongées auxquelles il se livra. Le professeur Thury, de Genève, la soutint aussi un peu plus tard et enfin le bâtonnier Cox. On peut l’appeler la théorie ecténique ou de la force psychique. Elle attribue les phénomènes à l’extension dans l’espace de la force nerveuse du médium, analogue à celle d’un aimant ou d’un courant électrique qui rayonnent autour d’eux, influençant et faisant mouvoir des corps éloignés situés dans le champ magnétique ou électrique.
Remarquons, en passant, que cette théorie, souvent adoptée d’abord par les expérimentateurs, fut très vite abandonnée, car elle ne peut expliquer les phénomènes où une intelligence distincte de celle des témoins se manifeste ; c’est pourquoi beaucoup de chercheurs trouvent plus simple l’interprétation spirite. Le professeur Lombroso, par exemple, dans un article publié dans les Annales des Sciences psychiques (1908) a dit qu’il crut à la force psychique jusqu’au moment où il lui fut impossible d’expliquer au moyen de cette hypothèse la plupart des faits qu’il examina en détail. Néanmoins la théorie de l’action exo-neurique sera sans doute formulée par les physiologistes qui veulent échapper aux conséquences qu’entraîne l’intervention d’une intelligence désincarnée. Elle expliquerait les phénomènes physiques les plus simples du spiritisme.
Une autre hypothèse, quelque peu parente, mérite d’être prise en considération. Peut être l’intelligence qui agit dans une séance est elle une projection de notre pensée, chacun de nous possédant son double dans l’invisible. Peut être une image fantomatique de nous mêmes croît dans le monde invisible. Rien d’inconcevable en cela. De même, la pensée, la volonté et l’émotion affectent et modèlent jusqu’à un certain point la matière grossière de notre corps.
Car de l’âme le corps prend la forme.
Car l’âme est forme et fait le corps .
On peut de même concevoir une impression plus parfaite sur la matière plus subtile de l’univers invisible. La télépathie montre que la pensée peut affecter puissamment un milieu matériel invisible, qu’elle projette des particules de même nature à travers l’espace ; la télépathie est l’action directe de notre moi transcendantal ou intuitif, comme le dit M. Constable dans son très suggestif ouvrage : Personnalité et Télépathie. La physique nous enseigne que la lumière, la chaleur, l’électricité, le magnétisme affectent la matière du monde invisible, l’universel éther plus complètement que celle du monde invisible. Les soleils, les étoiles, une grande partie du monde où nous vivons, n’existeraient pas pour nous s’ils agissaient sur un éther qui échappe à nos sens.
La pensée ne pourrait-elle agir de même ? Deux savants des plus distingués, les professeurs Balfour Stewart et le P.G. Tait, l’on déjà supposé : « La pensée conçue comme agissant sur la matière d’un autre univers en même temps que sur le nôtre expliquerait un état futur »
L’antique doctrine bouddhiste du Karma enseigne aussi que notre avenir sera le résultat de nos pensées et de nos actions, la somme de nos mérites ou démérites :
Tout ce total d’une âme
Les actions qu’elle fit, les pensées qu’elle eut.
Le karma serait donc l’action inexorable, l’incarnation spirituelle de la loi de causalité à laquelle nul d’entre nous ne saurait échapper. Nous retrouvons cette idée développée dans la théosophie moderne, parallèlement avec la doctrine de la réincarnation. Toute vie individuelle engendre par ses pensées un corps dans l’invisible, demeure de notre âme à son retour sur la terre. C’est pourquoi les dispositions innées d’un enfant sont le résultat de son passé inconscient, le caractère qu’il s’est fait pendant une existence antérieure. Si nos pensées, nos caractères sont fidèlement inscrits dans l’invisible de façon indélébile et plus concrète que Longfellow ne le pensa :
Nulle action belle ou vile
Ne s’accomplit sans laisser quelque part
Un récit tracé par des doigts fantomatiques.
Nous créons en fait, involontairement et inexorablement, non seulement dans notre propre âme mais dans le monde invisible, une image de nous-mêmes, une forme pensée qui embrasse notre vie extérieure et intérieure. Et il se peut qu’une quasi vitalité soit donnée à ces formes mentales qui disparaissent à la fin de la séance réussie, un certain épuisement, nous le savons tous, se produit alors chez le médium. Quelques explications que nous adoptions, il paraît y avoir une réponse sympathique, quelque chose comme une résonance dans l’invisible, quand ces phénomènes se produisent. Voilà pourquoi, sans doute, l’intelligence qui se manifeste semble être souvent une simple réflexion de l’esprit du médium, d’où le danger, bien connu des expérimentateurs d’admettre toute communication comme véridique.
Nous pouvons renverser cette hypothèse et dire comme Platon que le monde sensible n’est que l’image des idées qui existent dans un monde suprasensible et que les objets des sens n’ont qu’une existence empruntée aux réalités éternelles, c’est à dire aux idées contenues dans l’invisible. Et cela ressemble beaucoup à ce que disait Swedenborg : les objets de notre monde ne sont que des effets, des contreparties éphémères du monde spirituel plus réel où nous entrons après la mort. Nous serions ainsi le fantôme incarné de notre être véritable, des images matérielles fugitives de notre véritable et durable personnalité.
Mais revenons à notre sujet. Quelle autre théorie proposer pour expliquer les manifestations physiques paraissant émaner d’intelligences actives et invisibles ? La théorie commune des spirites est que les phénomènes sont dus à l’action d’êtres humains désincarnés qui cherchent à nous faire connaître ainsi la continuité de leur existence. Mais si ces manifestations semblent être celles d’une intelligence invisible, elles ne nous donnent pas la preuve de la survivance humaine. Nous examinerons plus tard les preuves de cette survivance tirées d’autres phénomènes psychiques. En attendant, la théorie spirite paraît être l’interprétation la plus simple, bien que certains faits merveilleux observés en présence de Home restent énigmatiques.
On peut supposer néanmoins que la vie existe sous une forme quelconque dans l’éther lumineux (ou dans quelque autre milieu matériel invisible) et que la loi de l’évolution, - la divine loi du progrès, - est à l’œuvre depuis des siècles innombrables, ayant même peut être la formation d’une terre habitable. Si notre matière grossière peut être le véhicule de la vie et répondre aux vibrations de l’esprit divin, la matière éthérique plus subtile, plus plastique, peut correspondre plus parfaitement et obéir plus facilement à la puissance inscrutable qui se cache derrière les phénomènes. Cette supposition n’a rien d’extravagant, ni de contraire à notre science actuelle.
Croire par conséquent en un monde invisible où vivent des myriades de créature, les unes avec des facultés pareilles aux nôtres, les autres avec des facultés inférieures ou transcendantes, s’accorde avec tout ce que nous savons, et il se peut que l’évolution de ce monde invisible soit parallèle à celle de notre monde . Les rivalités de la vie, l’instinct, l’intelligence, la conscience, la volonté, le bien, le mal, sont aussi probables ici que là. Et au cours des âges, nos voisins invisibles ont pu devenir conscients de notre existences et on pu trouver le moyen de communiquer avec nous mentalement ou matériellement. A mon avis, beaucoup de manifestations physiques des séances spirites pourraient être attribuées à des intelligences qui nous ressemblent, mais ne sont pas humaines. Elles seraient de bons ou de mauvais démons ou des élémentals, comme on dit, qui entourent le médium, attirés vers lui en raison de leurs affinités mentales ou morales correspondantes. Je montrerai le danger que présentent ces influences dans un chapitre ultérieur (voir page 189).
Mais si ces intelligences existent parmi nous depuis des siècles, n’ont-elles pas eu part à l’histoire de notre terre ? Nous savons comment l’homme est arrivé à modifier la nature en exerçant son intelligence et sa volonté ; si nous pouvons faire varier les plantes et les animaux par la sélection artificielle, il n’est pas déraisonnable de supposer que l’action psychique d’intelligences inconnues peut avoir influé sur l ‘évolution à travers les âges ?Maint problème que la doctrine de l’évolution n’a pas résolu pourra ainsi passer du monde des sens et de la matière grossière au monde invisible qui nous entoure, de même qu’en physique nous transférons graduellement notre explication dernière des objets perceptibles à l’éther. La grande cause première nous sera toujours inaccessible, mais la science, qui s’occupe des causes secondes, constate que le monde visible ne semble apporter aucune solution satisfaisante à nombre des questions obscures.
L’existence d’une quatrième dimension, n’explique pas l’origine des phénomènes du spiritisme, c’est une conception mathématique qui montre que ces phénomènes sont possibles à des êtres de la quatrième dimension pourvu qu’ils arrivent à produire des effets visibles pour nous, êtres de la troisième dimension. Nous prédisons théoriquement quelques-uns de ces effets, par exemple le passage de la matière à travers la matière, le nouage d’une corde sans fin, d’une boucle ou d’un anneau de cuir. Un être intelligent, capable de produire sur cette corde des courbes de quatrième dimension, pourrait y faire ou un plusieurs nœuds sans détacher les bouts scellés de la corde ou couper l’anneau de cuir. Bien que cette prouesse nous soit impossible, il a été affirmé qu’elle a été heureusement accomplie en quelques minutes et en plein jour, en décembre 1877, par l’intermédiaire d’un médium connu et devant quelques savants allemands d’un esprit critique : les professeurs Zöllner, Weber, Fechner et Schreibner. Le compte rendu détaillé en est donné dans la Physique transcendantale de Zöllner, traduite par Massey. Ce ne fut pas une expérience isolée, elle a été faite avec succès en Russie. M. Aksakoff atteste avoir vu faire un nœud dans un anneau de cuir sans couture. D’autre part, je n’ai pas entendu dire que le fait se soit répété ces dernières années. Bien qu’il paraisse impossible de l’expliquer par la fraude, une exagération grossière ou la mauvaise observation, il est plus sage de suspendre notre jugement à ce sujet et à celui d’autres phénomènes assez rares et de les considérer comme « non prouvés » tant que nous n’aurons pas de témoignages plus probants et plus abondants.
Ce long exposé de théories diverses a, je le crains, fatigué mes lecteurs, mais le psychisme se fraie un chemin au travers d’une forêt vierge et toutes les conjonctures quant à la bonne direction ont leur utilité. Pour changer de métaphore, nous creusons les fondations d’une annexe neuve et spacieuse du temple de la science ; il faut donc nous attendre à voir s’élever une forêt d’échafaudages sous la forme de théories et d’hypothèses. Ce n’est que comme cela que nous ferons monter les pierres du sol au faîte, et que nous bâtirons le temple. Alors les faits parleront d’eux mêmes avec le temps et nous donneront les explications cherchées ; aujourd’hui, il nous faut travailler et attendre.
Chapitre X
LE PROBLEME DE LA MEDIUMNITE
Toi dont l’aspect extérieur dément
L’immensité de ton âme.
Wordsworth.
On se demandera, et beaucoup d’entre nous avec dédain : Pourquoi le médium est-il nécessaire dans ces manifestation spirites ?
La production des phénomènes, nous le savons tous, paraît inséparable d’un organisme vivant appelé médium. Il se peut très bien, étant donné l’existence du monde spirituel, que ce médium y soit aussi indispensable que dans le nôtre. Il semble sortir de toutes les communications soi disant émanées de défunts, qu’un intermédiaire entre eux et le médium terrestre leur soit également nécessaire. Au point de vue scientifique il n’y a rien là de surprenant. Certaines personnes, heureusement rares, sont sujettes à des états d’esprit ou physiques anormaux : l’aliéniste et le pathologiste ne refusent pas d’étudier la folie ou l’épilepsie sous prétexte qu’on les observe chez un nombre limité d’êtres humains.
De plus, la science physique offre de nombreuses analogies de la nécessité d’un médium ou d’un intermédiaire entre le visible et l’invisible. Nous ne savons rien des énergies physiques telle que l’électricité, le magnétisme, la lumière, la gravitation, etc., sauf par leurs réactions sur des corps matériels. Elles sont invisibles, inconnaissables, tant qu’elles n’ont pas d’action sur la matière. L’éclair ne nous montre pas l’électricité, mais des particules atmosphériques rendues incandescentes par la résistance offerte à la décharge électrique. De même les ondes lumineuses exigent d’être absorbées par un milieu matériel, avant d’être perçues par nos sens. Cet intermédiaire sera la plaque photographique, les bâtonnets et les cônes de la rétine, une surface noircie ou les résonateurs de la télégraphie sans fil, suivant leur longueur d’onde respective. Mais un milieu quelconque de matière pondérable est indispensable pour que les effets chimiques, lumineux, calorifiques ou électriques de ces ondes nous soient sensibles. De plus, leur rendement plus ou moins bon dépend du synchronisme plus ou moins parfait de ces ondes éthérées et de leur récepteur terrestre.
On voit donc que ces intermédiaires physiques sont nécessaires pour nos rendre perceptibles des phénomènes qui, autrement, ne l’auraient pas été. L’énergie du monde physique invisible, qui est en dehors de nous, passe ainsi dans le visible et affecte le monde mental invisible qui est en nous. Le but ultime de cette opération nous échappe et le flux d’énergie n’agit sur nos sens que durant la phase de transition. Ce ne sont dont que des apparences, c’est à dire des phénomènes, que la science étudie.
Et cela est vrai de la vie elle-même, car la vie, à quelque degré qu’on la considère, est invisible et inconnaissable en soi ; nous ne la connaissons que par ses manifestations diverses au sein de la matière organique, c’est-à-dire par des phénomènes vivants. Ceci est également vrai de notre esprit, qui se manifeste par le moyen de notre cerveau : le médium joue le même rôle pour l’esprit désincarné. Il faut bien admettre, bien que cela choque d’abord nos instincts religieux, que tout ce qui fait partie du monde phénoménal devient par là même un sujet légitime d’investigation scientifique. Sir Olivier Lodge l’a très bien dit : « L’attitude la moins justifiable, c’est celle qui prétend qu’il y a des catégories de vérités dans l’univers qu’il n’est pas licite de soumettre à l’expérience ».
Le lien entre le visible et l’invisible peut être, nous l’avons vu, physique, physiologique, psychique, mais quel qu’il soit, c’est une substance spécialisée, un organe, ou un organisme ; dans beaucoup de cas, c’est un corps à équilibre instable, et, par conséquent, de nature délicate ; il demande à être manié avec prudence, et son comportement, ses idiosyncrasies doivent être étudiés avant tout.
C’est sans doute un état psychique particulier qui confère le pouvoir médiumnique, mais nous ne savons rien de sa nature et notre ignorance ruine souvent nos expériences ou en compromet les résultats. L’état psychologique des assistants dans une séance, réagit très probablement sur le médium. Si nos plaques photographiques étaient exposées à la lumière et simultanément à l’image lumineuse fournie par les lentilles, nous n’obtiendrions rien. Dans tous processus physique, il faut éviter les causes perturbatrices.
Si par exemple, le professeur Langley de Washington, dans les expériences très délicates auxquelles il consacra tant d’années (exploration des radiations infra rouges du soleil) avait laissé ses propres radiations thermiques ou celle de ses aides tomber eussent été confus, incompréhensibles. Cette même confusion, nous la constatons dans les recherches psychiques, chez ceux surtout qui conçoivent le rôle de l’investigateur comme celui du policier amateur ; ils ne découvrent alors que leur incompétence à traiter des problèmes dont ils ne comprennent aucun des éléments et qu’ils paraissent incapables de s’assimiler. Ceux qui, se faisant une haute idée de leur sagacité, entreprennent une enquête avec leur esprit prévenu à l’égard du possible et de l’impossible, sont certains d’échouer. Ils sont d’ailleurs à écarter, car leurs habitudes de pensée et leurs façons d’agir sont impropres, par suite vulgaires, l’essence de la vulgarité étant l’impropriété.
Ignorant tout de l’état psychique spécial qui constitue la médiumnité, il nous faut recueillir et noter les conditions qui accompagnent une séance réussie. La médiumnité semble avoir quelque analogie avec le « rapport » de la transe mesmérienne et il serait intéressant de savoir si quelqu’un de sensible au magnétisme est plus apte à être médium que le reste des humains. Ceux qui sont de bons percipients dans les expériences de télépathie sont-ils aussi bons dans la télépathie spontanée, comme dans les cas d’apparitions au moment de la mort et sont-ils sensibles à l’influence hypnotique ? Les mêmes questions se posent pour les somnambules ; en un mot, y a t il quelque chose de commun entre les états psychiques obscurs de ces différentes classes de sensitifs ? C’est très probable, car tous les phénomènes psychiques impliquent l’action plus ou moins grande d’une partie inconsciente de notre personnalité, du moi caché qui, chez le médium, surgit au moment ou disparaissent la conscience normale et le contrôle de soi. Voilà qui éclaire un peu les conditions psychologiques particulières de la médiumnité.
Remarquons ici que notre vie consciente s’exprime en mouvements volontaires des muscles tels que la parole ou le geste, alors que notre vie subconsciente s’exprime par une action involontaire des muscles telle que l’écriture ou la parole automatique, le mouvement de la planchette ou de la baguette des sourciers, etc. Ces moyens instrumentaux de déceler notre subconscient je les ai appelés autoscopes. Si la volonté ou la raison s’associe à une action automatique, le mouvement devient volontaire et passe du contrôle du subconscient à celui du conscient. C’est pourquoi les phénomènes psychiques émanés du subconscient donnent des résultats confus ou n’en donnent aucun.
Ce que je veux faire ressortir ici, c’est que la médiumnité dépend de l’action de la vie subconsciente et que, par conséquent, la conscience normale doit être plus ou moins passive. C’est que le manque de maîtrise consciente de sa pensée et de ses actions qui rend le médium si sensible à l’influence d’une suggestion hostile des assistants. Un médium, en effet, est essentiellement suggestible et peut être la victime inconsciente et non le promoteur conscient d’une fraude qui est la pensée dominante des investigateurs sceptiques, convaincus de la fourberie de tous les médiums. Le Dr Hyslop et beaucoup de psychiatres l’ont du reste démontré, un médium en transe n’est pas dans un état normal et présente des signes d’hystérie.
Souvenons nous aussi que le médium ne comprend pas plus le phénomène que l’expérimentateur, peut être moins encore, car il se rend moins compte de ce qui se passe pendant sa transe. Ses explications ou son opinion à l’état normal sont donc tout à fait sans valeur. Bref, je pense avec Lodge que le médium doit être traité « comme un appareil très délicat qui nous sert à expérimenter ». Le médium est un instrument dont ont doit connaître les habitudes et les idiosyncrasies, afin de s’y prêter jusqu’à un certain point, tout comme on s’initie et se prête aux particularités d’une machine bien moins sensible établie par un habile fabricant.
Ceci est tout à fait compatible avec les précautions à prendre contre la fraude. La méthode rigoureuse adoptée très sagement, à mon avis, par la S.P.R. a certainement éliminé beaucoup de témoignages qui passaient pour probants chez les spirites, comme elle a évincé un grand nombre de ces détestables professionnels de la fourberie qui abusent de la cupidité ou de la douleur humaine.
Le mot « médium » est certainement discutable. Dans l’opinion publique, il est associé à tous les degrés de la friponnerie et il en sera ainsi tant qu’on encouragera les médiums rémunérés et les séances dans l’obscurité, tant qu’il y aura abondance de coquins et d’imbéciles.
Mais il y a une autre objection. Le « médium » passe trop souvent pour être l’intermédiaire entre le monde des esprits et le nôtre, alors que beaucoup de prétendues communications spirites ne sont autre chose que l’inconsciente révélation des propres pensées du médium, ou de sa mémoire latente, ou de son « moi subliminal ». Je suis d’accord avec feu mon ami F. Myers quant il traite le mot médium de « terme barbare et qui préjuge la question », et propose en son lieu « automatisme ». D’autres ont suggéré et employé « psychique ». L’un ou l’autre sera préférable, mais l’habitude l’emporte. Plus de connaissances, l’intérêt croissant du sujet, nous donneront une nouvelle terminologie.
J’ai cru devoir m’en tenir à la phraséologie accoutumée tout en repoussant ce qu’elle implique, c’est à dire que le médium est toujours l’agent entre nous et le monde spirituel, ou une personnalité extérieure à lui. Cela peut être, ce n’est aussi très souvent que l’inconscient ou une personnalité ignorée du médium. Car on sait que notre personnalité intégrale ne constitue pas la personnalité normale de l’état de veille.
Il y a, pour arriver à notre personnalité, comme une entrée extérieure et une entrée intérieure. L’extérieure est notre moi conscient, l’intérieure notre moi subconscient. M. Myers a donné à ce dernier une nouvelle signification, une nouvelle importance, et le terme par lequel il l’a désigné, le moi subliminal, est aujourd’hui familier. Ceux qui n’ont pas fait de psychologie feront bien d’examiner de plus près la question de la personnalité et de la conscience ; elle jette quelque lumière sur la médiumnité et sur les phénomènes que nous étudions.
Note : il est dit que les médiums appartiennent à cette catégorie que le professeur Janet dans son remarquable ouvrage : l’Automatisme Psychologique, appelle les « individus suggestibles », personnes maîtrisées par une idée ou une suggestion venant d’elles mêmes (auto suggestion) ou venant de l’extérieur, peut être de l’invisible. Cette suggestibilité, relevée chez certains sujets et non chez d’autres d’une même catégorie, s’observe même dans les formes inférieures de la vie, où la coloration des êtres est affectée par celle du milieu, etc.
Chapitre XI
LA PERSONNALITE HUMAINE
LE MOI SUBLIMINAL
Quel chef d’œuvre que l’homme ?
Combien noble dans sa raison !
Combien infini dans ses facultés !
Comme son intelligence tient de cette d’un dieu !
Shakespeare.
Notre conscience est le fait fondamental, la chose la plus réelle, dont nous sommes le plus certains ; bien qu’elle consiste en une succession d’états d’esprit dont aucun n’est semblable, elle n’en forme pas moins une personnalité continue que nous appelons le moi. Même quant il y a suspension de conscience, comme dans le sommeil, nous retrouvons au réveil le moi qui s’est endormi la veille. Et pendant tout le cours de notre existence, nous avons conscience de la même personne, du même moi, bien que toute la matière du corps, cerveau et organes sensoriels, ait été maintes fois détruite et renouvelée.
C’est pourquoi notre personnalité n’est pas un simple assemblage de sensations éparses, aucune succession d’états d’esprit, de pensée ou de sentiments ne peuvent se fondre en une conscience résultante possédant les connaissances et la mémoire des autres états.
Tout le monde connaît aujourd’hui la rapide série d’images du cinématographe où, par exemple, celles du coureur nous donnent la sensation d’un seul personnage en mouvement. Mais les photographies n’en demeurent pas moins distinctes. Leur combinaison est effectuée par quelque chose d’extérieur qui n’est autre que notre propre perception. Il y a donc au fond de notre conscience quelque chose qui relie entre elles les séries d’impressions reçues ou des sentiments éprouvés : ce pouvoir unifiant, c’est l’Ego ou l’âme.
Si même le courant de la conscience est, comme certains le croient, un épiphénomène, une série d’ombres projetées par les mouvements du cerveau, ou si la conscience est un attribut des molécules de la matière organique, la matière précédant l’esprit, il doit y avoir un lien transcendantal et permanent, une âme qui unit les sensations et perceptions successives en une personnalité cohérente et consciente d’elle même, quelque chose qui rapproche en un même courant les idées multiples et leur donne une signification.
Fait remarquable, nous recevons constamment une foule d’impressions dont cet ego semble ne tenir aucun compte ; soit parce qu’elles ne sont pas assez intenses pour toucher notre conscience (comme la perception de la lumière des étoiles en plein jour), soit parce que l’ego fait un choix parmi les impressions qui passent le seuil. Nous portons notre attention sur certaines parce qu’elles nous intéressent ; celle-là nous en sommes conscients et nous pouvons nous en souvenir par un effort de mémoire. La volonté, mue d’abord le désir, c’est-à-dire par ce qui nous intéresse, détermine l’attention que nous donnons à des impressions distinctes ; nous devenons ainsi conscients de pensées et de sensations et laissons passer les autres sans y prendre garde. Notre choix détermine notre expérience, ce que nous comprenons dans nos possessions matérielles et mentales, notre « à moi » conscient, le « à moi » étant ce qui est connu, le « moi », ce qui connaît ; tout le reste, pour nous, est le « non moi ».
Ce processus de sélection, régulièrement opéré, devient bientôt habituel ou automatique ; un effort d’attention n’est plus nécessaire et la volonté est libre d’agir dans un autre sens. Par exemple nous marchons ou nous combinons les lettres en lisant, instinctivement, sans être conscients des divers degrés du processus . Il en est de même quant au monde que nous portons en nous ; nous ne percevons pas le battement régulier et continu de notre cœur ; les processus de la respiration, de la nutrition, de la circulation, se font inconsciemment chez l’homme bien portant. Et ceci est vrai jusqu’à un certain point de la nutrition de l’esprit, car le caractère est en partie formé par le courant des impressions inconscientes.
La conscience enfin n’est pas éveillée par une succession continue d’impressions uniformes. Nous serions tout à fait inconscients de la chaleur, quelle qu’elle fût, si tout avait la même température et nous serions également inconscients de la lumière si elle brillait partout du même éclat. Ce sont les différences d’état que nous percevons, ou les rapports d’intensité de nos sensations. Le champ de notre conscience est, par conséquent, très limité. Comme le professeur James l’a dit dans son excellent Traité de Psychologie :
Un des faits les plus extraordinaires de notre vie, c’est que, bien que nous soyons assiégés à tout moment par des impressions sensorielles extérieures, très peu d’entre elles nous frappent. La somme totale de nos impressions n’entre jamais dans notre expérience consciente, qui coule à travers elles comme un petit ruisseau à travers un large pré fleuri. Les impressions physiques insignifiantes n’en sont pas moins là avec les autres. Pourquoi n’arrivent elles pas jusqu’à l’esprit ? C’est un mystère que nous n’expliquerons pas en invoquant die Enge des Bewusstseins, l’étroitesse de la conscience.
Toutes ces impressions, conscientes ou non, laissent une trace : elles tissent un fil visible ou invisible dans la trame de notre vie ; comme le moindre de nos actes, elles laissent une marque plus ou moins perceptible sur notre personnalité. Nous savons que des impressions, non remarquées à leur origine, surgissent tout à coup, isolément, sans que nous puissions les évoquer à volonté du fond obscur où elles se conservent. C’est ce qui se passe quand notre attention se détourne des objets qui nous entourent, dans la rêverie, ou la « vision dans le cristal », la maladie, le rêve, et plus encore dans le somnambulisme ou l’hypnose, enfin dans certains cas d’écriture automatique et autres phénomènes spirites.
Notre âme ou ego n’est donc pas co-extensive avec les objets dont nous sommes ou avons été conscients ; notre personnalité doit couvrir quelque chose de plus que notre conscience normale. Il ne paraît pas y avoir seulement dans la personnalité, des couches horizontales successives, allant du moi inférieur au moi spirituel le plus élevé, mais aussi une division verticale qui le traverse. D’un côté de ce « plan de clivage » sont toutes les impressions qui ont pénétré jusqu’à notre conscience, tous ces états de pensée et de sentiments que la mémoire peut évoquer à l’état de veille ; de l’autre, le nombre infiniment moins restreint d’impressions reçues sans que nous en ayons eu conscience, ou que nous avons oubliées. Une partie de notre moi est donc éclairée par la conscience, l’autre demeure dans l’ombre épaisse de l’inconscient.
Le moi extérieur conscient n’est donc pas notre moi tout entier, pas plus que la face visible de la lune n’est la lune tout entière. M. Frédéric Myers a heureusement comparé notre conscience normale au spectre solaire visible : au delà se trouve une immense étendue, non perceptible à nos yeux et riche en radiation. Chaque pinceau du spectre solaire contient des rayons visibles et invisibles ; pareillement, toute personnalité humaine embrasse le moi conscient et inconscient. De même que la physique expérimentale a démontré l’existence de l’ultra violet et de l’infra rouge dans le spectre et a rendu visibles en partie ces rayons obscurs, de même les progrès de la psychologie expérimentale nous ont dévoilé la nature complexe de la personnalité et comment la partie subconsciente de notre ego, qui est au dessous du seuil de la conscience, parvient à émerger de son obscurité. De même que le soleil efface la faible lumière des étoiles, de même le vif courant de conscience qui existe à l’état de veille doit être arrêté ou affaibli avant que les impressions anciennes non remarquées, ou l’impact télépathique d’un esprit extérieur au nôtre, deviennent apparentes.
C’est pourquoi, nous l’avons déjà fait ressortir, l’état passif est favorable à la manifestation de la conscience subliminale et c’est une des caractéristiques de la médiumnité. Il est exact que dans l’écriture automatique obtenue par la planchette ou autrement, de longs messages cohérents aient été transmis, alors que la pensée du médium était ailleurs. L’attention, ici, s’est relâchée ; si elle se concentre ou qu’un effort conscient soit tenté, le charme est rompu, l’inconscient sombre de nouveau dans l’obscurité . De plus, chose assez étrange, le subliminal ou moi secondaire ne s’identifie jamais avec le moi normal. Un étranger semble diriger la main ou la voix du médium, intelligence distincte, avec son passé à elle, sans nulle connaissance du passé de l’autre. Ce « contrôle » suggère naturellement l’action d’une intelligence extérieure, d’un esprit ou démon qui « possède » le médium, ou encore d’une autre personnalité qui alterne avec l’âme normale.
Les faits bien connus de « double personnalité » en sont un exemple . J’ai connu et étudié personnellement un cas remarquable de ce genre. Le sujet, mort depuis, était le fils d’un pasteur de Londres, et la durée de l’état anormal se prolongeait tellement qu’il était difficile de le considérer comme tel. Peu importait le temps écoulé entre les deux états (séparés par une courte période d’insensibilité) ; revenu à son état normal, le sujet reprenait la conversation au même point où elle avait été interrompue. A l’état normal ; il était très musicien, ce qu’il n’était pas du tout à l’état premier ; sa vie, ses intérêts, sa parole, étaient absolument différents ; sa parenté et sa famille mêmes changeaient selon ses états . Ces cas de double personnalité ont beaucoup d’analogie avec certaines illusions observées chez les fous et de temps immémorial ont donné lieu à la croyance que le maître légal du corps en a été chassé, temporairement ou pour toujours ; une autre âme en ayant pris possession, tel que le coucou installé dans un nid qui n’est pas le sien.
Le problème de la dissociation de la personnalité a été étudié de très près, dans ces dernières années, par d’éminents psychologues ; le lecteur en trouvera une admirable discussion dans l’ouvrage de Myers : Human Personnality, au chapitre II.
La personnalité, chez certains sujets, est non seulement double, mais multiple. Citons les cas de Léonie, étudié par le professeur Janet ; Louis Vivé, Sally Beauchamp, étudié par le Dr Morton Prince, de Boston, d’autres encore, connus des psychologues.
Un cas très remarquable de personnalité multiple chez une jeune fille américaine nommées Doris Fischer vient d’être étudié minutieusement par le Dr Walter Prince. Son rapport est contenu dans deux forts volumes de la Société américaines des recherches psychiques auxquels le Dr Hyslop a ajouté des pages très intéressantes.
Le cas classique de Mlle Beauchamp qu’a décrit le Dr Morton Prince dans La Dissociation d’une Personnalité se résume à ceci :
Mlle Beauchamp, à la suite d’un choc mental reçu au collège, en 1893, subit une première dissociation de la conscience. Elle devint B1, comme l’appelle le Dr Prince. Cette personnalité alternait avec B2 qui avait surgi après un traitement hypnotique. Au cours du temps apparut une troisième personnalité entièrement différente, B3, qui désignait sous le nom de Sally. B1 était cultivée, calme et très pieuse. B3 était tout l’opposé et pleine de malice. Plus tard apparut B4, personnalité égoïste, digne, orgueilleuse. B1 et B4 ne savaient rien des autres. B2 ne connaissait que B1, mais B3 (Sally) les connaissait toutes ; elle était toujours consciente et toujours prête à tourmenter Mlle Beauchamp.
Le Dr Morton Prince appelle B1 la Sainte, B4 la Femme, et B3 le Diable. Car Sally faisait mentir la bonne et loyale B1, lui envoyait des choses qu’elle détestait, la mortifiait et désolait en tout. Rien d’étonnant à ce que Mlle Beauchamp écrivit au Dr Prince : « Oh, sauvez-moi de moi-même, sauvez-moi de cette chose impitoyable, quelle qu’elle soit. Je supporterai tout, mais pas ce diable moqueur. »
La suggestion hypnotique, aidée de Sally, fondit toutes ces personnalités, sauf B3, en celle de Mlle Beauchamp, la vraie. Sally, alors B3, s’en fut peu à peu, disant qu’elle retournait d’où elle venait. Où cela ? C’était, d’après le Dr Prince, le subliminal de Mlle Beauchamp qui se mua pour un temps en une personnalité indépendante, les autres n’étant que des scissions de la conscience primaire.
Cependant le Dr Mac Dougall trouve, et moi avec lui, que le Dr Prince explique Sally d’une manière peu satisfaisante. L’hypothèse du subliminal, qui n’est même pas acceptée de tous les psychologues, ne sert qu’à voiler notre ignorance. Le Dr Mac Dougall est porté à croire que Sally était un être psychique distinct qui animait le corps de Mlle Beauchamp. Le cas de Doris Fischer, semblable sous beaucoup de rapports, donne lieu de croire que le corps humain peut subir une véritable invasion de la part des esprits, c’est alors l’obsession. Si nous admettons la réalité des esprits, il n’y a là rien d’improbable. Chez Doris, le prétendu esprit envahisseur aida aussi à guérir le sujet après des années de souffrance et d’alternance de personnalité. Un des cas les plus étranges est le suivant :
« Lurancy Vennum, jeune fille américaine, parut vers l’âge de 14 ans être inspirée par l’esprit de Marie Roff, fille d’un voisin, morte à 19 ans, alors que Lurancy n’était qu’un bébé de 15 mois. Les deux familles vivaient très séparées et se connaissaient à peine. Néanmoins, Lurancy, dans sa nouvelle personnalité, appelait les Roff ses parents, connaissait les détails intimes de leur vie, reconnaissait et nommait les parents et amis des Roff, savait les incidents les plus insignifiants de la vie de Marie Roff et sembla vraiment pendant quatre mois être la réincarnation de cette jeune fille ».
Ce bref résumé ne donne qu’une faible idée de toute cette histoire , fondée sur les meilleurs témoignages. Le Dr Hodgson, qui examina personnellement le cas, était d’avis que Lurancy était réellement dirigée par l’esprit de la défunte Marie.
Il est probable que peu de psychologues, aujourd’hui admettraient cette conclusion, mais l’importance capitale de l’étude des cas de personnalité multiple tel que celui de Sally Beauchamp, est soulignée par le Dr W.Mac Dougall. Nous ne pouvons, cela va de soi, éliminer à la légère tout ce qui démontre que la mémoire (et par conséquent la personnalité) dépend en apparence de la persistance du cerveau et des changements physiques qu’y apporte notre expérience. Néanmoins, comme le dit le Dr Mac Dougall :
Si nous acceptons le récit du Dr Prince, nous ne pouvons l’expliquer qu’en supposant que la personnalité normale consiste en l’interaction du corps et de l’esprit, l’âme n’étant pas dépendante du cerveau ou de quelque autre substance physique pour la mémoire, mais possédant en propre la faculté de retenir et de se souvenir…
Cette conclusion donnerait un appui solide à l’explication spirite de cas semblables à ceux de Mme Piper et tendrait à justifier la croyance à la survivance de la personnalité humaine .
QUATRIEME PARTIE
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Chapitre XII
LES APPARITIONS
Oserai-je affirmer que l’esprit n’a jamais rompu les liens
qui le maintiennent loin de la terre natale
où, emprisonné dans l’argile,
il fit ses premiers pas ?
Tennyson.
Passons maintenant des phénomènes bizarres et troublants dont nous avons parlé à la question plus importante des preuves en faveur de la survivance que donnent les apparitions des morts et des mourants. Nous les examinerons avant d’aborder la partie expérimentale de l’enquête. Ces faits rencontrent plus de créance et sont moins discutés par les esprits religieux que ceux qui sont obtenus dans les séances médiumniques.
Feu le Dr Angus Smith, un des savants les plus prudents et les plus philosophes de la génération précédente, m’a écrit, il y a quarante ans, qu’il ne connaissait aucune loi naturelle, sauf les plus évidentes, qui ne fût confirmée par autant de preuves sérieuses que les faits d’apparitions au moment de la mort. Plus tard, dans un entretien, il m’a dit s’en être convaincu après avoir étudié longuement et patiemment tous les témoignages connus à son époque. Depuis, la Société des recherches psychiques en a obtenu une foule, qui ont été publiés dans les deux gros volumes intitulés : Fantômes des Vivants.
Dans ce travail monumental, dû en grande partie à M. Gurney, l’intervalle entre la mort et l’apparition du défunt ou du mourant était limitée à 12 heures. Cependant des témoignages de première main disent aussi que cet intervalle a été grandement dépassé, alors que la mort était ignorée du percipient au moment de l’apparition. Une sélection rigoureuse donne 134 récits où s’observe une coïncidence, à une heure près, entre le décès et une manifestation auditive ou visuelle, le percipient étant au loin et ne connaissant pas la mort. Dans 39 cas l’apparition a été vue plus d’une heure après, mais dans les 12 heures qui suivirent, et dans 38 cas, l’apparition a été vue un peu avant la mort ou pendant une grave maladie de l’agent, qui guérit . Il y eut 104 cas où il ne fut pas possible d’établir si le percipient avait vu l’apparition tout de suite avant ou après la mort, et on n’en tint pas compte.
Gurney et Myers ont publié un article très intéressant dans le volume V des Proceedings où nous trouvons d’autres témoignages de première main sur des apparitions ayant eu lieu peu de temps après la mort. Myers l’a complété par un article dans le volume VI sur des apparitions se produisant plus d’un an après la mort ; il y rapporte 14 cas d’apparitions véridiques.
L’examen critique des preuves ne permet pas de douter que ces apparitions étaient véridiques et qu’elles n’étaient dues ni à une hallucination du percipient ni à une coïncidence forfuite. Pour obtenir une preuve statistique concernant cette dernière éventualité, M. Gurney compara numériquement les apparitions véridiques et celles qui étaient purement accidentelles, c’est à dire ne coïncidaient pas avec la mort. Il fit une enquête pour savoir si des adultes avaient eu des apparitions ou eu des hallucinations de ce genre au cours des dix dernières années et il reçut environ 6.000 réponses. Une autre enquête semblable fut entreprise par le professeur et Mme Sidgwick et donna 17.000 réponses. Cette dernière enquête seule montra que le rapport des apparitions véridiques et reconnues à celles qui ne l’étaient pas, était 440 fois plus grand que si le hasard seul avait été en cause. L’analyse minutieuse de ce recensement par des experts occupe tout un volume des Proceedings. Ils arrivent à conclure avec prudence qu’ « il y a entre la mort et l’apparition d’une personne défunte un rapport qui ne relève pas du hasard seul. Ceci est pour nous démontré. La discussion de toutes les conséquences de ce fait ne peut être tentée ici et ne pourra peut être même pas avoir lieu en notre siècle. » Voilà qui réfute l’idée commune que c’est par hasard qu’une apparition coïncide avec la mort de telle ou telle personne et qu’on ne se souvient que des coïncidences.
Ces enquêtes nous apprennent que le nombre des apparitions décroît rapidement quelques jours après la mort, puis plus lentement. Après un an ou deux, elles deviennent très peu fréquentes et pour ainsi dire sporadiques. Ceci n’a rien qui doive surprendre. Il est probable, quelle que soit la théorie adoptée, que le pouvoir de communiquer entre vivants et mors s’atténue à mesure qu’on s’éloigne de la transition entre les deux existences. Nous ne devons pas en conclure que l’âme du défunt est anéantie, car nous ne pouvons pas suivre l’âme à la trace ni savoir où ses affinités la conduiront dans la vie plus vaste de l’au delà. Il y a en outre des cas où la preuve de la survivance a été donnée plus d’une génération après la mort du communicant. Nous en parlerons dans un chapitre ultérieur.
Ceux qui ont vu apparaître un ami absent dont ils ignoraient la mort ou qui ont eu le récit de première main, sont beaucoup plus impressionnés par ce seul fait que par toutes les preuves rapportées dans les livres. Ce fut mon cas quand une de mes jeunes amies me conta ce qui va suivre. L’examen minutieux que lui fit subir la S.P.R., à qui je communiquai son récit, ne put ébranler en rien son témoignage. Le compte rendu détaillé s’en trouve dans le Journal de la Société (mai 1908). Un fait important à noter, c’est que la percipiente était au couvent en Belgique, où elle ne lisait pas de journaux et n’avait aucun moyen de savoir ce qui aurait pu la préparer à l’apparition. Bref, voici la chose :
Un homme de quelque notoriété se tua à Londres au printemps de 1907. On ne peut douter qu’il n’ait eu l’esprit dérangé le matin où il reçut une lettre de sa femme qui détruisait toutes ses espérances. Avant de se tuer, il légua par écrit une rente à ma jeune amie, qui était sa filleule, et qu’il aimait beaucoup. Trois jours après (le jour des obsèques), il lui apparut dans le couvent de Belgique où elle faisait son éducation. Il lui apprit sa mort, lui dit comment et pourquoi il s’était tué, et lui demande de prier pour lui.
La mère, désireuse de cacher à sa fille les tristes circonstances de cette mort, ne lui écrivit que quelques jours après l’enterrement, et lui dit seulement que son oncle était mort subitement. La jeune fille étant arrivée quelque temps après, sa mère fut stupéfaite de lui entendre dire qu’elle avait vu son parrain et qu’il lui avait communiqué tout ce qu’on désirait lui cacher. Une enquête minutieuse établi que la jeune fille n’a rien pu savoir par les voies normales.
Mlle Charlton, membre de la S.P.R., alla s’informer au couvent, et assura que les élèves n’y voyaient jamais un journal ; toutes leurs lettres étaient lues et personne dans tout l’établissement ne connaissait le défunt. Il était par conséquent impossible de supposer un instant que la percipiente avait pu apprendre le suicide et la cause déterminante de façon normale.
La mère de la jeune fille, qui est une de mes amies, m’a affirmé que ni elle, ni aucun de ses parents, n’avait écrit au couvent à ce sujet ; ils ne l’auraient d’ailleurs pas fait s’ils avaient connu le suicide, ce qui n’était pas le cas.
On aperçoit non seulement le fantôme, mais il parle quelquefois, comme nous venons de le voir. Il annonce aussi parfois sa présence par quelque bruit. Ces cas peuvent être considérés comme des hallucinations visuelles et auditives. Des coups frappés précédèrent l’apparition dans le cas suivant qui fut étudié par le professeur Sigdwick en 1892. La maison fut visitée par Mme Sidgwick. Le percipient était le révérend Matthew Frost, de Bowers, Gifford, Essex. Il déclara ce qui suit :
Le premier jeudi d’avril 1881, prenant le thé le dos à la fenêtre en causant avec ma femme comme de coutume, j’entendis distinctement frapper à la fenêtre. Je me retournai et je dis à ma femme : « Mais, c’est ma grand mère ! » et j’allai à la porte, où je ne vis personne. Convaincu que c’était elle, la sachant très active et aimant la plaisanterie, bien qu’âgée de 83 ans, je fis le tour de la maison sans voir qui que ce fut. Ma femme n’entendit rien. Le samedi, j’appris que ma grand mère était morte dans le Yorkshire, environ une demi heure avant que j’aie entendu frapper. La dernière fois que je la vis, je lui avais promis que si je me portais bien j’irais à son enterrement ; cela remontait à plus de deux ans. Je me portais à merveille et n’avais aucun souci. J’étais dans mes vingt six ans et ne la savais pas malade.
Mme Frost certifie qu’elle se souvient parfaitement de tout ceci, mais qu’elle n’a elle-même rien vu ni rien entendu.
M. Frost dit au professeur Sidgwick que la dernière fois qu’il vit sa grand mère, trois ans auparavant, elle lui avait promis de lui apparaître à sa mort. Il n’avait aucune inquiétude à son sujet. Une lettre lui apprit l’événement et sa femme et lui furent alors impressionnés par cette coïncidence. Il faisait grand jour quand M. Frost vit l’apparition et il crut que sa grand mère était arrivée inopinément et voulait le surprendre. S’il s’était agit d’une personne vivante, Mme Frost l’aurait vue et entendue. D’autre part, elle n’aurait pu s’en aller sans qu’on la vît, car la maison était située dans un jardin, assez loin de la route, et M. Frost sortit immédiatement pour voir si sa grand mère était vraiment là.
M. Gurney a soigneusement examiné le cas suivant, dont il eut confirmation peu après l’évènement raconté par M. Husbands .
Les faits sont très simples. J’étais à Madère et dormais à l’hôtel. C’était au commencement de 1885. Il y avait un brillant clair de lune. Les fenêtres étaient ouvertes et les rideaux tirés. J’eus le sentiment que quelqu’un était dans la chambre. Ouvrant les yeux, je vis près de mon lit un jeune homme d’environ vingt cinq ans, vêtu d’un costume de flanelle. Il montrait de l’index de la main droite la place où je couchais. Je restai immobile quelques secondes pour me bien convaincre qu’il y avait réellement quelqu’un là. Puis je m’assis sur mon séant et le regardai. Je vis, ses traits si distinctement que je les reconnus sur une photographie qui me fut montrée quelques jours plus tard.
Je lui demandai ce qu’il voulait ; il garda le silence, mais ses yeux et sa main semblaient dire que j’étais à sa place. Comme il ne répondait pas, je lui lançai un coup de poing sans l’atteindre et je me disposais à sauter à bas de mon lit lorsqu’il disparut lentement à travers la porte fermée, en gardant tout le temps ses yeux fixés sur moi.
Informations prises, j’appris que ce jeune homme était mort dans la chambre que j’occupais.
John S. Husbands (15 septembre 1886)
La lettre suivante est de Mlle Falkner, à Church Terace, Wisbeek :
Le jeune homme qui apparut à M. Husbands était mort subitement quelques mois plus tôt dans la chambre que celui-ci occupait. Mr Husbands n’avait jamais entendu parler de lui ou de sa mort. Il me raconta la chose le lendemain matin et je reconnus le jeune homme d’après la description qu’in en fit. J’en fus très impressionnée, mais n’en fis part à personne. Je restai à flâner jusqu’à ce que M. Husbands eût raconté l’histoire à mon frère. Nous quittâmes alors M. Husbands et dînâmes ensemble : il a vu M. D…
Nous en parlâmes plus pendant quelques jours ; puis je montrai brusquement une photographie de M. D. et M. Husbands nous dit : « c’est le jeune homme qui m’est apparu l’autre nuit, mais il était habillé autrement ». Il nous décrivit un costume de cricket (ou de tennis), souvent porté par M.D., avec un nœud marin au cou. J’ajoute que M. Husbands est un homme très pratique et le dernier auquel on penserait pour recevoir la visite d’un « esprit ».
K. Falkner (8 octobre 1886)
On constata que le jeune homme était mort un an auparavant dans cette chambre. Elle avait été occupée depuis par des hôtes qui n’avaient rien vu. M. Husbands y avait couché le 2 ou le 3 février. La belle sœur de Mlle Falkner, aussi à l’hôtel, confirme le récit. Ce fut elle qui donna la photographie du défunt.
Même si M. Husbands avait entendu parler de la mort de M. D. et l’avait oublié, cela n’expliquerait pas comment il aurait pu le reconnaître en voyant la photographie. Comme je l’ai dit, M. Gurney fit une minutieuse enquête ; il vit M. Husbands et Mlle Falkner qui lui firent leur récit de vive voix. Il s’ajoute :
Tous deux sont extrêmement pratiques et n’ont aucun goût du merveilleux ; ils ne portaient aucun intérêt à cette catégorie de faits sur normaux ou à aucun autre. Autant que je puisse juger, M. Husbands a une opinion juste de lui même et il serait le dernier à donner une importance exagérée aux choses qui pourraient lui arriver, à les déformer par l’imagination. Il a eu cette vision avant de savoir que quelqu’un était mort dans la chambre.
Je ne grossirais pas trop ce volume si je citais un plus grand nombre des cas remarquables et bien attestés enregistrés dans les Proceedings . Ils sont à la vérité si communs et si généralement acceptés que l’objection principale se réduit à celle des « fantômes des vêtements » portés par l’apparition. Elle serait troublante si on les considérait comme des réalités objectives extérieures au percipient. Mais si nous regardons les apparitions des morts et des mourants comme des images projetées par l’esprit du percipient, la difficulté relative aux vêtements et aux fantômes d’animaux favoris est écartée.
Cette théorie subjective des apparitions n’a rien d’impossible, tous les objets que nous voyons étant des fantômes projetés par notre esprit dans le monde extérieur. Il est vrai qu’une image renversée, réelle et minuscule, est projetée sur la rétine par l’appareil optique de l’œil, mais nous ne la voyons pas comme un photographe voit une image dans la chambre noire ; elle crée une impression dans certaines cellules du cerveau et nous projetons mentalement à l’extérieur le grand fantôme a son origine dans l’image réelle sur la rétine, mais il n’est pas plus réel que l’image de nous mêmes, vue dans un miroir. Si donc l’impression, au lieu de se faire sur certaines cellules du cerveau par les fibres du nerf optique, se fait directement sur ces mêmes cellules par un impact télépathique, on peut supposer qu’il y a réaction visuelle et que l’image correspondante est projetée par notre esprit dans l’espace extérieur.
Ce n’est pas là pure hypothèse. Des expériences répétées de télépathie ont démontré que le percipient a vu l’apparition de la personne lointaine qui désirait mentalement faire connaître sa présence. Le premier essai heureux, dans des conditions qui ne permettent aucune discussion, a été fait en 1881 par un de mes amis personnels, M.S.H. Beard, un des membres les plus anciens de la S.P.R.A différentes reprises, M. Beard a pu, par un effort de sa volonté, faire apparaître à trois milles de distance son fantôme à des personnes qui ignoraient son projet. Le fantôme paraissait si réel, si solide, que le percipient crut voir M. Beard lui même entrer tout à coup dans la chambre. Le fantôme fut une fois vu simultanément par deux personnes. Des résultats pareils ont été obtenus par neuf autres au moins, indépendamment l’une de l’autre et dans des parties différentes du monde ; plus d’une expérience heureuse, soigneusement conduite, avait été faite dans chaque cas .
Ces apparitions, bien que paraissant si vivantes et substantielles, étaient sans doute des hallucinations, mais quel est le processus par lequel la pensée, en se produisant dans un esprit éloigné, projette ces fantômes ? Ou bien la pensée de A affecte la matière cérébrale de B et excite l’impression, ou bien la pensée existe indépendamment de la matière. Quelle que soit l’alternative choisie. M. Myers le dit très bien :
Nous nous trouvons ici en présence du secret même de la vie et de l’antinomie fondamentale de l’esprit et de la matière. Mais ces vérifications des problèmes métaphysiques, réduits à des formes concrètes, sont une spécialité de nos recherches. Et puisque le problème existe vraiment, puisque les cellules du cerveau sont impressionnées par la pensée ou en même temps qu’elle, nous n’avons pas le droit de tenir pour acquis ce problème, étudié davantage, restera dans ses limites anciennes et que l’esprit, dont nous commençons à comprendre l’énergie rayonnante, exercera seulement sa puissance sur la matière grise du cerveau (P.S.P.R. vol X, page 421).
Il est certain que la pensée consciente, chez l’homme, cherche toujours à s’extérioriser et à passer de la conception à l’expression. La création est la pensée extériorisée de Dieu, et cet attribut divin, nous le possédons à un certain degré, en tant que fraction de l’Esprit universel. Nos paroles, nos actes, sont une matérialisation constante, bien que partielle, de nos pensées et s’effectuent à travers le mécanisme de nos systèmes nerveux et musculaire. Mais la pensée, s’affranchissant de ce mécanisme, peut quelquefois, comme nous l’avons montré, agir non médiatement mais directement sur un autre esprit, en produisant non seulement des impressions visuelles et auditives, mais des changements physiologiques.
En effet, des expériences dont j’ai moi-même été témoin, ont démontré la possibilité de transformations physiologiques surprenantes chez un sujet hypnotisé, rien que par la suggestion mentale consciente ou subconsciente. On pourra provoquer une brûlure douloureuse ou faire apparaître une cicatrice rouge sur le corps du sujet rien qu’en lui en suggérant l’idée. En créant un trouble localisé des vaisseaux sanguins de la peau, le moi inconscient a fait ce que le moi conscient est incapable de faire. De même dans ces cas bien attestés de stigmates où le corps de l’extatique porte des marques correspondantes aux blessures du Sauveur crucifié. Ce sont des cas d’autosuggestion inconsciente dus au regard intense et plein d’adoration de l’extatique dirige sur la figure sanglante du crucifix. Le retrait du moi conscient fait surgir les pouvoirs cachés ; la transe et l’imitation des blessures offrent un parallélisme absolu avec les cas expérimentaux que je viens de citer.
En effet sur l’enfant des impressions éprouvées pendant la gestation n’auraient-ils pas la même origine ? Et le mimétisme si connu de la vie animale ne serait-il pas, tels les stigmates, une action réflexe, créée jusqu’à un certain point par une impression dominante, au dessous du seuil de la conscience ? Je crois pouvoir dire que les biologistes ne tarderont pas à reconnaître l’importance du facteur psychique dans l’évolution.
L’adaptation au milieu est en général l’œuvre lente de générations innombrables, mais là aussi les mêmes causes peuvent agir parmi beaucoup d’autres. Parfois en outre, des changements rapides ont lieu. Les belles expériences du professeur Poulton ont montré que certaines chenilles peuvent changer de couleur plus d’une fois, selon le milieu. J’ai vu une chenille d’un vert éclatant devenir noire après avoir été retirée de la verdure et avoir été placée sur des brindilles noires. On n’explique rien en disant que l’excitation nerveuse qui produit ces dépôts de pigment vient de l’action d’une lumière spéciale qui agit sur la surface de la peau.
Par quelle puissance miraculeuse s’accomplit cette merveilleuse transformation ? Ce n’est pas, il va sans dire, par quelque action consciente de la chenille, car les chrysalides subissent les mêmes métamorphoses. Une chrysalide de couleur claire deviendra toute noire sur du papier noir. J’ai même vu des tâches à reflets métalliques, ressemblant à de l’or, apparaître quand elle était placée sur du papier doré. Ne semble-t-il pas que la vie animale partage avec nous, à un certain degré, des pouvoir sur normaux et que ces altérations de couleur sont dues à des causes à peu près analogues à celles qui produisent les stigmates, c’est à dire à une suggestion inconsciemment dérivée du milieu ? S’il en ait ainsi, il y a là quelque chose qui rappelle l’extériorisation de notre pensée inconsciente.
Mais arrêtons-là cette digression. Je ne saurais dire si toutes les apparitions sont immatérielles, subjectives, et dues à l’impact télépathique des vivants ou des morts. Cette hypothèse ne suffit pas à expliquer les cas où diverses personnes ont vu des manifestations successives qui semblaient démontrer l’existence objective de l’apparition. Il faut ici être prudent et ne pas pousser la théorie de la télépathie jusqu’à l’absurde, comme certains chercheurs.
Nous ne sommes, en fait, qu’au seuil de la connaissance, à l’entrée d’un monde plein de ténèbres. L’humilité d’esprit et l’espérance confiante doivent donc inspirer notre pensée. Sir Olivier Lodge a dit : « La connaissance ne progresse qu’autant qu’on a compris que cette question : « Croyez vous à ces choses ? » est puérile, si elle n’a été précédée de celle-ci : « Que savez-vous d’elle ? » C’est invariablement ceux qui ignorent tout en cette matière qui disent avec mépris : « Voyons, vous ne croyez pas à cela ! ».
On a des cas remarquables de mourants qui, avant de quitter la terre, paraissent voir et reconnaître des parents ou amis défunts. On ne peut toujours y attacher de l’importance, les hallucinations des mourants n’étant pas rares. Voici néanmoins un cas, relaté dans Light, qui impressionna beaucoup le médecin qui le raconte.
Le Dr Wilson, de New York, qui assista aux derniers moments du fameux ténor James Moore, fait le récit suivant :
Il était environ quatre heures du matin. Le jour qu’attendait le malade commençait à filtrer à travers les volets clos. Je me penchai sur le lit et je vis qu’il avait les yeux clairs et le visage très calme. Le pauvre diable me regarda bien en face en prenant ma main entre les deux siennes me dit : « Vous avez été un bon ami pour moi, Docteur. » Alors il se produisit quelque chose que je n’oublierai de ma vie, quelque chose d’indescriptible. Il paraissait aussi lucide, aussi équilibré qu’homme de ma connaissance, et je ne puis m’exprimer autrement qu’en disant qu’il était transporté dans un autre monde. Bien que je ne puisse me l’expliquer d’une manière qui me satisfasse, je suis tout à fait convaincu qu’il était entré dans « la cité d’or », car il dit d’une voix plus forte que celle que je lui connaissais depuis que je le soignais : « Voilà mère ! Comment ! Mère, vous êtes venue me voir ? … Non, non, c’est moi qui viens vous voir. Attendez un peu, je suis presque passé, attendez, mère, attendez … »
Il avait une expression de bonheur indicible et la façon dont il prononça ces paroles m’impressionna plus que je ne saurais le dire. Je suis aussi certain qu’il voyait sa mère et lui parlait que je le suis d’être assis à cette place.
Pour conserver ce que j’ai cru être sa conversation avec sa mère et avoir le compte rendu d’une des aventures les plus étranges qui me soient arrivées, je notai immédiatement tout ce qu’il avait dit. C’est une des plus belles morts que j’aie vues.
Mlle Cobb donne un autre exemple de ce genre dans Peak in Darien, mais en voici un plus remarquable encore. Mon ami, feu Hensleigh Wedgwood en envoya le compte rendu au Spectator et s’en porte garant :
Il y a 40 ou 50 ans, une jeune fille, qui m’était alliée de près, se mourait de la poitrine. Elle était restée quelques jours prostrée, indifférente à tout, quand, ouvrant enfin les yeux, elle regarda en l’ai et dit lentement : « Suzanne, Jeanne .. . Et Hélène ! » Comme si elle voyait ses trois sœurs, mortes avant elle de la même maladie.
Après une petite pause : « Edouard aussi ! » dit elle, nommant un des ses frères, alors aux Indes et qu’on croyait en parfaite santé. Elle parut surprise de le voir en compagnie des ses sœurs. Elle ne parla plus et s’éteignit peu après. Le courrier des Indes arriva, annonçant la mort accidentelle d’Edouard, survenue une semaine ou deux auparavant. Ceci me fut raconté par la sœur aînée de la morte qui la soignait et était à son chevet au moment de la vision.
Ce cas est difficile à expliquer, si la narration est fidèle.
J’en connais aussi personnellement deux de la même nature, mais ceux qui m’en ont fait part estiment qu’ils sont trop intimes pour être publiés. Les Proceedings et le Journal de la S.P.R. relatent quelques exemples frappants de ce genre. Je regrette qu’ils soient trop longs pour être cités ici. Je renvoie surtout le lecteur aux cas rapportés dans les Proceedings, vol. III, page 83, vol. V, pages 459-460, vol VI, page 294. Il semble indéniable que parfois, au moment de la mort, le voile se soulève et que les êtres aimés qui ont précédé le mourant dans l’au-delà lui apparaissent.
Chapitre XIII
L’ECRITURE AUTOMATIQUE
LES PREUVES D’IDENTITE
Y a-t-il une voix qui me réponde des espaces ?
Ma prière passionnée sera t elle vaine et sans valeur ?
Et mes espérances englouties à jamais
Au plus noir des ténèbres, aux abîmes du désespoir ?
F.W.H. Myers.
Voyons maintenant quelles sont les autres preuves expérimentales en faveur de la survivance. Nul étudiant sincère ne peut, à mon avis, après l’examen des témoignages classés avec autant de soin depuis quelques années, se défendre de conclure à l’existence d’un monde invisible d’êtres intelligents dont quelques-uns, nous le verrons plus loin, ont même cherché à prouver, avec plus ou moins de succès, qu’ils ont vécu déjà sur terre. Le mode de manifestation de ces intelligences invisibles semble varier de temps à autres. Il y a des moments où les phénomènes de hantise et de « poltergeist » paraissent plus fréquents ; à d’autres moments, ce sont les apparitions ou les phénomènes physiques sur normaux ; aujourd’hui, il semble que ce soit l’écriture automatique qui l’emporte.
Il est intéressant de constater que l’écriture automatique est une des plus anciennes formes de communications sur normale. Il y a plus de 2.000 ans, un voyant hébreu en parlait en ces termes : « Tout ceci, le Seigneur me l’a rendu intelligible en l’écrivant, sa main posée sur moi ». (Chroniques I, XXVIII, 19.) Les communications automatiques s’obtiennent au moyen d’un crayon tenu passivement sur une feuille de papier, par la planchette, ou par le oui-ja. Cette dernière méthode consiste à toucher légèrement des doigts un indicateur, planchette ou tout autre dispositif ; au bout d’un moment, il se meut plus ou moins rapidement vers les différentes lettres imprimées de l’alphabet qui se trouvent sous la table ou rangées dessus.
Ces modes de communication font naître une objection : celui qui opère, même loyalement, pourra inconsciemment guider le crayon ou l’indicateur. D’où la nécessité d’un examen critique, tant pour les témoignages obtenus de la sorte que pour le contenu des messages eux-mêmes . Tout d’abord les communications, obtenues par des médiums dignes de foi, ne peuvent-elles s’expliquer par la transmission de pensée ou la télépathie, les assistants ou des personnes vivantes connaissant les faits qui sont écrits automatiquement ?
Quelques chercheurs s’en tiennent à cette explication ; mais même en admettant la transmission de pensée, que beaucoup de messages automatiques nous confirment, cela ne nous avance pas beaucoup : la clairvoyance peut être une vision aussi bien qu’une perception à distance. Il y a souvent un curieux reflet des sentiments dominants de la communauté, « comme si, observe le professeur James, le subconscient était particulièrement sensible à une certaine couche du Zeit-Geist ».
« On peut concevoir, dit M. Myers de son côté, que la transmission de pensée et la clairvoyance peuvent aller jusqu’à une sorte d’omniscience terrestre, de façon qu’un tableau panoramique de tout ce que les hommes font ou ont fait se déroule devant notre subconscient. C’est possible, mais avant qu’une telle hypothèse fût discutée par les hommes de science, il faudrait chez eux un changement de mentalité qu’aucun argument n’est aujourd’hui capable de provoquer ».
On peut dire néanmoins que la renaissance des souvenirs et d’impressions oubliés fournit une explication plus conforme aux données scientifiques actuelles. Cette montée subite d’impressions lointaines serait comme une révélation pour le sujet ; il ne les reconnaîtrait pas comme faisant partie de son passé, elles lui seraient étrangères et il les regarderait avec curiosité et l’intérêt relatif qu’inspire le « non-moi ». Enfin les séries de décharges nerveuses qui accompagnent, dans un centre nerveux auparavant inactif, la production d’idées et de sensations nouvelles, paraîtraient à l’automatiste aussi distinctes de lui qu’une reproduction de la voix dans le phonographe ou la réflexion de la figure dans un miroir, si on les entendait ou voyait pour la première fois. La sensation d’étrangeté ainsi produite ferait naître le sentiment qu’un autre moi domine le corps, et conduirait à désigner le « contrôle » ou guide par un nom familier ou quelconque, autre que celui du sujet ou par celui qui paraîtrait en rapport avec les idées exprimées.
Cette hypothèse est-elle suffisante ? Si elle est une vraie cause, n’explique-t-elle tous les faits de conscience double et de communications par l’écriture automatique, ou en état de transe ? En ce qui concerne l’état de transe, certainement non. L’hypothèse suffit pour la majorité des messages attribués à des esprits désincarnés ou au diable, mais elle ne couvre pas tous les faits. Aksakof, le distingué savant russe – dont l’opinion, formée par une longue et laborieuse étude, mérite le plus grand respect des hommes de science comme des spirites, - démontre (et les preuves qu’il en donne sont concluantes) que le subconscient du médium ne peut expliquer tous les faits et qu’il n’est pas douteux qu’un agent extérieur invisible se manifeste parfois. Cette opinion est confirmée par d’autres chercheurs. Voici ce que disent deux autorités.
Le professeur James, dans son Précis de psychologie, écrit :
Je suis néanmoins convaincu par l’observation répétée des états de transe d’un médium que le « contrôle » peut être tout à fait différent d’une personnalité quelconque à l’état de veille. Dans le cas qui m’occupe, il s’agit d’un soi-disant médecin français défunt qui connaît les parents et amis, morts ou vivants, de nombre d’assistants, qui est au courant de leur vie. Le médium, j’en suis certain, ne les a jamais vu et n’en a jamais entendu parler … Je suis convaincu qu’une étude sérieuse du phénomène de la transe est une des nécessités les plus impérieuse de la psychologie.
Le professeur James ne s’exprime pas seulement avec l’autorité d’un psychologue éminent, mais il a eu des occasions uniques d’investigation pendant son étude du cas si connu de Mme Piper auquel il faisait allusion. Il répète dans une lettre à M. Myers qu’il est « aussi convaincu que n’importe quel fait personnel au monde qu’elle sait à l’état de transe des choses qu’elle ne peut avoir entendues à l’état de veille ».
Sir Olivier Lodge, qui a étudié longuement Mme Piper, est entièrement d’accord avec le professeur. Il dit :
« La personnalité de Mme Piper à l’état de transe est sans aucun doute (j’emploie le terme dans toute sa force) au courant de beaucoup de choses qu’elle ne peut savoir normalement et qu’elle ignore totalement à l’état de veille. Comment arrive-t-elle à cette connaissance ? ».
Telle est la question qui se pose. Pour l’étudier, il faut recueillir tous les messages véridiques et les analyser au point de vue critique, voir si leur contenu est su du seul défunt et ignoré du médium ou des assistants. Ce travail s’accomplit aujourd’hui et l’a été depuis plusieurs années, par des chercheurs aussi prudents qu’habiles, en relation avec les Sociétés américaine et anglaise des recherches psychiques. Le résultat a confirmé une opinion que j’ai depuis longtemps et que j’ai exprimée dans le passage suivant de mon livre : Un nouveau Monde de la Pensée, publié il y a plusieurs années. Je n’y trouve rien à modifier.
Il existe, à mon avis, des preuves de la communication accidentelle de ceux qui ont vécu sur terre. Elles ne sont pas aussi satisfaisantes qu’on le souhaiterait et ne nous révèlent jamais une personnalité complète, mais présentent en général la même forme triviale et fragmentaire que nos rêves. Cependant, ces messages sont plus que les murmures incohérents d’un homme endormi. Ils attestent un pouvoir qui raisonne et qui combine, pareil à celui que présente notre conscience normale ; ils attestent une personnalité invisible douée d’une intelligence et d’un caractère propres parfaitement distincts de ceux du sujet . Quelques-uns ont soutenu que cet être n’est qu’une partie de la personnalité du médium, le moi transcendantal de l’inconscient ; mais s’il en est ainsi, ce moi, dans la transe, est en contact avec ceux qui ont vécu ici bas. Nous avons indubitablement la preuve que le communicant est extra terrestre, si peu satisfaisante que soit souvent la communication. Sir Olivier Lodge l’a fait ressortir à propos de Mme Piper, quand on interroge son contrôle au sujet de la source des ses informations : « Elle même à l’état de transe, c’est-à-dire son contrôle ou cette partie d’elle-même qui se nomme le Dr Phinuit ; affirme qu’elle les obtient en causant avec les amis et parents morts des personnes présentes… mais quand la voix change et que les messages semblent venir des défunts eux-mêmes, il ne s’ensuit pas pour cela qu’ils savent ce qui se passe, et leur esprit conscient (s’ils en ont un) peut être tout à fait indépendant de ce processus ».
Sir Olivier Lodge exprimait cette opinion en 1894, mais l’expérience acquise au cours des dernières années, surtout par les « correspondances croisées » (dont je parlerai plus loin) ont convaincu les chercheurs sérieux qu’il y a effort conscient, voulu, de la part des communicants invisibles pour nous convaincre de leur survivance.
Les communications paraissent se scinder en deux groupes qui ont une ligne de démarcation peu distincte : dans l’un, la cause déterminante serait l’action des pouvoirs latents de notre personnalité, rendus manifestes par l’organisation particulière du médium ; dans l’autre, il semble que cette action soit contrôlée par des personnalités invisibles qui ont vécu ici bas ou le prétendent.
Dans ce dernier cas, les messages ne passent pas l’inconscient du médium ; dans le premier, ils en émanent. Nous n’en conclurons pas cependant que ces communications proviennent toujours d’une source extra terrestre ; elles peuvent être dues à une influence télépathique de vivants lointains, comme par exemple dans le cas bien connu du Révérend H. Newnham et de sa femme. Mme Newnham répondait automatiquement par le crayon aux questions écrites par son mari, alors que son être conscient n’en comprenait pas le sens. Voilà qui démontre la nécessité d’analyser rigoureusement les communications « spirites » avant de se prononcer sur leur origine probable.
Ces faits étaient connus de M. Myers et du Dr Hodgson avant leur mort. Ils étaient convaincus d’après leurs enquêtes que ces communications automatiques établissaient le fait de la survivance. Depuis qu’ils font partie du monde invisible, ils semblent avoir eux-mêmes surveillé les communications, pour éviter autant que possible qu’il y ait télépathie de la part des vivants ou que le médium puise dans sa mémoire subconsciente. Ils y sont parvenus en rendant évidente la présence d’une intelligence qui raisonne et qui combine en dehors et au delà de celle du médium. L’importance des plus récentes communications (dites correspondances croisées) obtenues avec Mme Piper, Mme Verrall, etc.., c’est précisément qu’elles paraissent inexplicables si on n’admet pas qu’une intelligence autre que celle du médium ou d’une personne vivante les a élaborées, coordonnées, dirigées.
La complexité de ces incidents les rend difficiles à exposer dans un ouvrage comme celui-ci. Toutefois, il est impossible de les passer entièrement sous silence et nous en donnerons un exemple plus loin. Ils révèlent non seulement la présence d’une direction intelligente, mais donnent parfois aussi une preuve frappante d’identité de cette intelligence. J’ai cité plusieurs exemples de ces « correspondances croisées » dans mon opuscule : Recherches Psychiques et j’y renvoie le lecteur. Il est néanmoins difficile de condenser en une brève narration tous les témoignages, et ce n’est qu’en lisant attentivement les importants articles de Mlle Johnson et autres dans le Proceedings qu’on en appréciera la force.
L’énorme difficulté de vérifier l’identité de l’être qui se dit un défunt s’accroît de ce qu’il est invisible, que la « simulation » est fréquente, que la télépathie est vraisemblable et que les témoignages sont coupés et fragmentaires. Même dans les cours de justice, nous avons des procès interminables, tel que celui de Tichborne, où tout dépend d’une question d’identité. Si l’identité de l’intelligence qui se communique à travers le médium peut être établie, si on peut démontrer que c’est une personne qui a vécu ici-bas, n’y aurait il qu’un seul exemple de ce fait, il suffirait à faire paraître tout le reste insignifiant. Ceux qui prennent la peine d’examiner au point de vue critique les communications obtenues par Mme Piper verront qu’il faut être très ingénieux, formuler beaucoup d’hypothèses, pour refuser d’admettre que nous sommes vraiment en contact avec des êtres qui ont vécu sur terre. Cette conclusion, il va de soi, est affaire de jugement personnel et chaque tendance individuelle s’y fera jour.
Notre connaissance des uns et des autres est en grande partie incommunicable, nous le constatons ici nettement. Ceux qui ont eu de nombreuses séances avec Mme Piper et autres vrais médiums, se sont convaincus de la survivance d’amis morts. D’autre part, ceux qui n’ont pas eu de telles occasions mais qui ont lu attentivement les comptes rendus, peuvent en sentir toute l’importance, sans arriver à conclure avec l’assurance des investigateurs eux mêmes. En effet, nous nous reconnaissons, non pas au moyen d’un témoignage verbal d’identité, mais par notre apparence et par des actions ou des paroles qui nous sont familières. Si un ami absent depuis longtemps et que nous croyons mort était au bout d’un fil téléphonique, et si ayant perdu la voix, il ne pouvait parler que par un intermédiaire, combien il lui serait difficile de prouver son identité ! Pour y arriver, il ne parlerait pas des évènements courants, mais citerait de petits incidents de sa vie passée qu’il aurait l’espoir de nous rappeler. Cette expérience du téléphone a réellement été faite.
Le Dr Hodgson et d’autres après lui ont démontré que la meilleure preuve d’identité consiste à donner des détails précis sur de menus faits inconnus du médium et des assistants. Voilà pourquoi dans les communications qui émanent soi-disant d’un ami mort, on rappelle de petites choses que personne ne sait en dehors du consultant. Ils sembleront niais et sans valeur au lecteur du compte rendu, mais ils convainquent souvent celui qui les reçoit. Nous en donnerons des exemples.
Nous arrivons à un autre point intéressant : si dans l’écriture automatique la main du médium est contrôlée et guidée, par un esprit désincarné, nous devrons y relever, ce qui arrive parfois, des mots écrits dans une langue étrangère au scripteur . Le témoignage serait encore plus frappant si de très jeunes enfants, ne sachant pas encore écrire, transmettaient par écriture automatique quelque message. Cela implique naturellement un pouvoir psychique chez ces enfants, ce qui est rare.
Nous en possédons cependant quelques témoignages dignes de foi. M. Myers cite deux exemples bien attestés d’écriture automatique par des enfants qui n’avaient pas appris à écrire . L’un avait cinq ans et ne savait pas encore une seule lettre de l’alphabet, l’autre venait d’avoir quatre ans et n’avait aucune notion d’écriture. Ce dernier cas fut étudié par le Dr Hodgson, qui examina l’écriture obtenue au moyen d’un crayon tenu par l’enfant avec les doigts du milieu. M. Myers ajoute : « J’ai vu le tracé de la dernière phrase : Votre tante Emma. L’écriture est libre, elle ressemble à celle qu’un adulte obtient avec la planchette, plutôt qu’au premier effort d’un enfant » ; La petite fille avait eu une tante de ce nom morte quelques années auparavant. Elle mourut elle-même peu après avoir transmis ce message. Les parents n’étaient pas spirites et la mère certifie que son enfant « ne savait pas l’alphabet, ni même tenir le crayon ».
Nous donnons au chapitre suivant de nouvelles preuves de la source sur normale de ces communications automatiques. Etablir ce fait est d’une importance capitale avant de chercher à discuter les messages reçus par cette voie.
Chapitre XIV
PREUVE DE COMMUNICATIONS SURNORMALES
LE OUI-JA
Des profondeurs, mon enfant, des profondeurs
De ce vrai monde au dedans du monde que nous voyons,
De ce monde dont le nôtre n’est que la rive limite.
Tennyson.
Nous avons fait allusion au chapitre précédent à ce qu’on appelle le oui-ja, avec lequel on obtient des communications. C’est une petite planchette triangulaire, munie d’un indicateur qui se meut sur trois pieds feutrés. Les doigts de l’automatiste s’appuient légèrement sur cet indicateur qui glisse sur la planchette où sont imprimées les lettres de l’alphabet et épelle les messages en désignant les lettres une par une. Bien que cette méthode soit très laborieuse, elle a ses avantages. Ceux qui ne peuvent recevoir de communication par l’écriture, s’en servent avec succès, en outre, avec de la patiente et de la pratique, on arrive à indiquer rapidement les lettres. Mais l’avantage de ce procédé est de supprimer toute action subconsciente de la part des assistants quand on leur bande les yeux.
Un petit cercle de mes amis a expérimenté pendant quelques années avec le oui-ja et a obtenu des résultats remarquables.
Un article fait en collaboration avec le Révérend Savill Hicks (M.A.), un des assistants, contient quelques-unes des communications obtenues et a été lu devant la S.P.R .
Les assistants constatèrent que, les yeux de tous étant bandés, l’indicateur se mouvait avec autant d’aisance et de précision que quand ils pouvaient voir les lettres de l’alphabet. La réponse aux questions était prompte et l’indicateur se mouvait souvent si vite que leurs mains avaient quelques difficultés à le suivre ; celui qui notait les communications devait recourir à la sténographie.
Je demandai au « contrôle » si je pouvais retourner la planchette avec son alphabet. Aussitôt fut épelé : « Oui, cela ne fait aucune différence ». Les assistants, les yeux toujours bandés, soulevèrent l’indicateur et je retournai la planche, en sorte que l’alphabet se trouvait dessous, même s’ils avaient pu voir, les assistants auraient eu quelque peine à reconnaître les lettres. Mais il n’y eut aucune hésitation, l’indicateur se mut avec la même précision. Je demandai si l’un de mes amis défunts pouvait se communiquer. Un message fut épelé d’un ami décédé que j’appellerai Si John Hartley. Le nom de baptême et le prénom correctement donnés, il transmit un message pour la grande Loge de Dublin. Or Sir John avait tenu un rang élevé dans l’ordre maçonnique, chose absolument ignorée des assistants.
Je demandai alors à l’un d’eux de me donner sa place et me fis bander les yeux. En mettant mes doigts sur l’indicateur, conjointement avec deux autres personnes, je fus surpris de l’extraordinaire vitesse, décision et vigueur avec lesquelles il se mouvait. Il paraissait incroyable qu’un message cohérent fût transmis. Mais l’enregistrement nous donna : « Les mêmes devront toujours agir ensemble afin d’obtenir des messages importants, car cela est très fatiguant si les trois mêmes personnes ne sont pas présentes. Il y en a une ici qui n’est pas présentes. Il y en a une ici qui n’est pas apte à les recevoir ». On demanda qui c’était : il s’agissait de moi . Ce n’est qu’après nous être débandé les yeux que nous sûmes le contenu du message.
On peut objecter qu’il est très difficile d’empêcher quelqu’un de ne voir rien qu’en lui bandant les yeux. Bien que les expérimentateurs, mes amis, eussent affirmé ne rien voir, il fallait pouvoir répondre à l’objection. Je fis donc faire des marques opaques, maintenus sur les yeux au moyen d’une bande élastique qui faisait le tour de la tête. Une ouverture avait été ménagée pour le nez, en sorte que le masque collait aux joues et au front. Il ressemblait à celui qui est employé après l’opération de la cataracte. J’en essayai un et constatai que c’était plus commode que d’avoir les yeux bandés et empêchait toute vision. Les communications furent aussi faciles et un nouveau contrôle se manifesta, qui déclara s’appeler Peter Rooney.
Un nouveau modèle de planchette fut alors inventé ; c’était une plaque de verre reposant sur une table de même grandeur ; l’alphabet était sous le verre ; l’indicateur, à pieds très courts garnis de feutre, se mouvait encore plus librement sur la surface polie. Les lettres de l’alphabet étaient sur des cartons séparés et nous pouvions les placer à notre gré sous le verre.
Un ecclésiastique de nos amis, sceptique, mais intéressé, fut invité à une de nos séances et pendant que l’indicateur épelait rapidement sous les doigts des assistants aux yeux bandés, il maintint silencieusement un grand écran opaque au dessus de l’indicateur en mouvement. Cela ne changea rien. La transmission du message alla son train, bien que celui qui était chargé d’enregistrer fût contraint de se courber pour regarder sous l’écran. Je demandai à mon ami, le Révérend W.P. Roberson, M.A., de m’envoyer un bref compte rendu de la séance. Le voici :
Je remarquai que l’interposition de l’écran ne faisait aucune différence quant à la vitesse avec laquelle le message était épelé ; il n’y avait pas d’interruption, encore moins d’arrêt. Les lettres de l’alphabet étaient rangées sur trois lignes, dans leur ordre, sous la plaque de verre.
Je pensai que les assistants connaissaient peut être la position de chaque lettre, de même qu’une bonne dactylographe connaît son clavier, inconsciemment. Je proposai de mélanger les lettres. Tous en furent d’accord et Sir William Barrett et moi les déplacèrent au hasard, nos compagnons restant les yeux bandés. Cette modification faite, l’indicateur se mut d’abord très lentement, il se promena à trois reprises parmi les lettres, puis épela : « Il y a une personne gênante… » (A disturbing person …). Nous nous mîmes à rire et demandâmes au contrôle lequel de nous était le coupable, du professeur ou du prêtre ?
Ici se place l’incident qui m’a le plus frappé. Nous nous attendions tous à une réponse. Le sténographe dit : « Je crois qu’on écrit des bêtises en ce moment. » A l’examen, ces « bêtises » étaient : « …alité dans la chambre ». (… ality in the room). C’est à dire que notre question fut ignorée avec calme et le contrôle acheva tranquillement ce qu’il avait à dire. Nous eûmes dans la même séance un second exemple de ce genre.
Autant que je puis en juger, l’occlusion était parfaite et la bonne foi des assistants est pour moi hors de doute. Au moment où l’écran fut maintenu au dessus de la planchette, les lettres n’étaient visibles que pour le sténographe, obligé de se pencher pour voir.
W.P. Robertson
Je donne ces détails pour établir ce fait : quelle que fût la source de l’intelligence manifestée, elle était absolument en dehors des facultés humaines normales. Voici un des messages reçus les yeux bandés. Le contrôle était Isaac David Salomon. C’était le 19 octobre 1912 ; la guerre des Balkans venait d’éclater :
Du sang, du sang partout, immédiatement à l’Est. Une grande nation tombera et une petite nation s’élèvera. Une grande religion sera en danger… Du sang partout. Des nouvelles qui étonneront le monde civilisé seront connues la semaine prochaine.
Quelle qu’ait été la source de ce message, il était véridique. Une semaine plus tard, en effet, nous apprîmes la première victoire bulgare, celle de Kirk-Kilissé. Puis la Turquie tomba, et la petite Bulgarie s’éleva. Plus récemment enfin, l’Europe fut baignée dans le sang.
Ce contrôle disparut pour faire place à l’Américain-Irlandais Peter Rooney qui se manifesta avec persistance et nous raconta sa vie et sa mort. Il avait mal vécu, avait été beaucoup en prison, et, l’existence lui devenant intolérable, il s’était suicidé en se jetant sous un tramway de Boston. Les assistants ne connurent la communication qu’après la séance, ils riaient et causaient ensemble pendant qu’elle avait lieu. Cela nous choqua, nous autres observateurs, car elle se faisait de la façon la plus vivante, marquant la douleur et la répugnance du communicant à avouer sa fin tragique.
J’écrivis le lendemain au gouverneur de la prison et au chef de la police de Boston, en Amérique, à celui de Boston dans le Lincolnshire, au Dr Morton Prince, au Dr Hyslop, leur demandant de me faire parvenir le plus tôt possible des renseignements au sujet de Peter Rooney.
On me répondit au bout de quelques semaines. Ce nom était inconnu dans le Lincolnshire et Peter Rooney n’avait pas été en prison à Boston, Massachusetts. Aucun prisonnier non plus ne s’était récemment suicidé dans cette ville. L’inspecteur en chef de la police, après enquête, ne put fournir aucun renseignement sur Peter Rooney. Le Dr Morton Prince, cependant, appris de cette même police, qu’un nommé Peter Rooney était tombé du chemin de fer aérien au mois d’août 1910. Blessé à la tête, il avait été soigné par un médecin, était resté alité un mois et vivait toujours chez lui à Boston, York Street. Pure coïncidence, ici, sans doute.
Toute cette histoire compliquée et à demi fictive est caractéristique. Des inventions dramatiques, sortes de rêves extériorisés, nous parviennent souvent par la voie automatique, trompent le novice et produisent des effets désastreux chez les crédules.
Nous eûmes néanmoins par le canal d’un autre contrôle les noms et les adresses de deux personnes qui venaient de mourir en Angleterre. L’enquête prouva que le fait était exact, bien que ni moi ni aucun des assistants ne les connussions. L’automatisme présente donc un étrange mélange de vrai et de faux. L’espace me manque pour donner le détail de ces deux cas, mais j’en citerai un remarquable et véridique qui nous fut donné, par le oui-ja, à Dublin. Les assistantes n’avaient pas les yeux bandés. L’une était Mme Travers Smith, femme d’un médecin connu d’Edimbourg et fille de feu le professeur Dowden, l’autre était son amie, Mme C., fille de médecin et douée évidemment de grands pouvoirs psychiques.
L’EPINGLE DE CRAVATE A TETE DE PERLE
Mlle C. avait un cousin, officier dans l’armée de France, qui fut tué un mois avant cette séance. Cela, elle le savait. Un jour que le nom de son cousin avait été épelé d’une manière inattendue, et qu’elle même avait été nommée après avoir demandé : « Savez-vous qui je suis ? » la communication suivante fut obtenue :
« Dites à ma mère de donner mon épingle de cravate à tête de perle à celle que je devais épouser : c’est elle qui doit l’avoir. » On demanda les nom et prénoms de la personne et son adresse. Son nom était peu ordinaire et tout à fait inconnu des assistants. L’adresse donnée à Londres était fausse ou mal prise ; car la lettre envoyée fut retournée à l’expéditeur : le message passa, par conséquent, pour fictif.
Six mois après, on découvrit que l’officier s’était fiancé peu avant de partir pour le front à cette même dame : il n’en avait parlé à personne. En Irlande, ni sa cousine, ni les siens ne le savaient ; ils n’avaient jamais vu la fiancée ni même entendu son nom. Ce fut seulement lorsque le Ministère de la Guerre retourna les effets de l’officier qu’on vit qu’il avait parlé de cette dame dans son testament. Les nom et prénoms étaient bien ceux qui avaient été donnés dans le message et, ce qui est également remarquable, une épingle de cravate à tête de perle fut trouvée dans les effets.
Les deux dames ont signé le document qu’elles m’ont adressé, affirmant la vérité de ce récit. Le message fut écrit au moment où il reçut et non pas de mémoire, après la vérification. On ne peut ici expliquer le fait par la mémoire subliminale, la télépathie ou la collusion, et on a bien la preuve qu’il s’agit d’un message télépathique émanant du défunt.
Le oui-ja m’a donné d’autres cas remarquables. L’un a trait au naufrage de la Lusitania. Voici, à ce sujet, le rapport qu’a bien voulu me communiquer Mme Travers Smith. (Voir aussi la note de la page X)
LE CAS HUGH LANE
Le soir du jour où nous apprîmes que la Lusitania coulait, M. Lennox Robinson et moi étions assis devant le oui-ja. Le Révérend Savill Hicks enregistrait. Nous n’avions pas connaissance que Sir Hugh Lane fut à bord. Nous étions tous deux ses amis personnels, nous le savions en Amérique, mais nous ne nous doutions pas qu’il était en route pour revenir.
Notre « contrôle » habituel se manifesta et nous dit : « Priez pour l’âme de Hugh Lane ! » Je demandai : « Qui parle ? » La réponse fut : « Je suis Hugh Lane ». Il nous fit le récit du naufrage et dit que c’était la fin paisible d’une vie agitée ». A ce moment, nous entendîmes crier les journaux du soir et M. Robinson courut en acheter un. Je sortis de la pièce pour aller à sa rencontre et il me montra le nom de Sir Hugh Lane sur la liste des passagers. Nous étions très troublés, mais nous continuâmes la séance. Sir Hugh me donna des messages pour des amis communs et finit en me disant : « Je n’ai pas souffert, j’ai été noyé et n’ai rien senti. ».
A d’autres séances, il parla de son testament sans jamais faire mention du codicille, actuellement contesté. Il espérait qu’on ne lui élèverait aucun monument et paraissait s’inquiéter du sort de ses tableaux. Les messages s’enchaînaient toujours à merveille et continuaient à venir par notre intermédiaire ; M. Robinson et moi.
Hester Travers Smith.
Ceci est un témoignage très probant, car la mort de Sir Hugh Lane ne fut confirmée que quelques jours plus tard.
Un autre message véridique parvint, par la même source, à un de mes amis, désespéré de la mort de son fils, tué sur le front français. Ce message, joint à quelques autres obtenus plus tard à Londres par une dame qui ne le connaissait pas, convainquit absolument mon ami de l’identité de son fils et de la survivance. Il est maintenant sereinement assuré de l’existence de son fils dans l’au delà.
Outre ce groupe, un membre très estimé de la Société des Amis de Dublin, avec qui je suis lié, a eu depuis plusieurs années, des séances avec le oui-ja. Il a obtenu de la sorte des milliers de communications, venant de parents morts, qui lui ont démontré leur survivance et lui ont procuré de grandes consolations ainsi qu’à des amis affligés. Ces communications ne feront pas foi pour ceux qui ne font pas partie de son cercle. Néanmoins elles donnent quelques remarquables aperçus sur les conditions d’existence et les occupations du monde invisible, elles s’accordent plus ou moins avec des communications semblables obtenues indépendamment par d’autres observateurs.
Un résumé des enseignements spirites, émanant d’un médium américain très estimé du Dr Hyslop, a été publié dernièrement par M. Prescott Hall dans le journal de l’Am. S.P.R. (nov. et déc. 1916). Si, comme le remarque M. Hall, nous constatons, en collationnant un certain nombre de communications provenant de médiums différemment entraînés et de pays divers, une concordance essentielle sur certains faits, sur la nature et les conditions de vie des esprits, cela ne manquera ni de valeur ni d’intérêt.
Mais il faut savoir si les descriptions données ne se trouvent pas dans la littérature spirite et si, par conséquent, elles n’ont pas influé sur les médiums. Malheureusement, on constate souvent que ces descriptions ne sont que le reflet des lectures ou des opinions du médium et par conséquent le produit de sa mémoire ou de ses impressions subconscientes. Ceci est évident quand il se libre à des dissertations scientifiques ou philosophiques ; elles ne font en général que trahir les assertions grotesques d’un esprit ignorant. Cependant M. Prescott Hall fait du bon travail en classant ces enseignements, examinant leur source et pesant leur valeur.
Les enseignements spirites les plus remarquables et les plus intéressants ont été publiés il y a quelques années par le Révérend Stainton Moses (M. A. Oxon), dont nous avons parlé. Il les a tous reçus lui-même, par la voie de sa propre médiumnité, et ils sont dignes d’être lus attentivement, ainsi que son ouvrage sur L’identité des esprits et le côté élevé du spiritisme.
Nous examinerons au chapitre suivant quelques aperçus sur l’au-delà obtenus par deux dames dont aucun n’était spirite ; l’une était une amie à moi et la véracité de toutes deux est inattaquable.
Chapitre XV
LA SURVIVANCE : PREUVES SUPPLEMENTAIRES
L’âme du juste est dans la main de Dieu.
Elle meurt aux yeux des insensés
et son départ leur paraît un malheur,
son abandon de la terre une destruction complète,
mais elle est en paix.
Proverbe, S de Salomon.
Le caractère surnormal de beaucoup de communications parvenues par l’intermédiaire du médium étant établi, voyons quelles peuvent être les autres preuves de la survivance, de l’identité des intelligences désincarnées, et de leur état après la mort.
J’étais, il y quelques années, à la campagne chez un ami, disons à Hawthorn Manor. Là j’appris que mon hôtesse, Mme E., femme d’un avocat occupant une situation officielle, pleine de bon sens, de finesse et d’activité religieuse et charitable, avait découvert par hasard que sa main était parfois maîtrisée par une force qu’elle ne pouvait dominer. Elle écrivait ainsi de longs messages dont elle ignorait le contenu au moment même.
Le curieux de l’affaire, c’est que cela lui arriva subitement. Elle faisait des comptes de maison lorsqu’elle se trouva tout à coup comme dans un état de rêve. Elle sentit des doigts qui semblaient appartenir à une personne invisible assise en face, se poser sur sa main droite qui se mit à écrire énergiquement. Mais l’écriture était à l’envers ; chaque ligne commençait à droite, et pour lire il fallait retourner la feuille. Mme E. m’assura, ce que je crus sans peine, qu’il lui était impossible d’écrire ainsi à l’état normal. On verra à l’essai combien ce mode d’écrire serait difficile, surtout avec la netteté très caractéristique dont il est ici question.
Mme E. n’était pas spirite ; elle ignorait tout du sujet et éprouvait même à son endroit une certaine répugnance. Elle n’attacha donc aucune importance à cette écriture anormale jusqu’au moment où elle reçut un message contenant des affirmations complètement en dehors de ce que son mari ou elle-même pouvaient savoir. C’était, ils le découvrirent plus tard, des incidents parfaitement exacts de la vie d’un parent mort qui affirma qu’il était là et guidait la main de Mme E. D’autres communications suivirent qu’on put vérifier. Un soir enfin il se produisit ce que j’estime être une preuve d’identité.
LE CAS CHATHAM
L’entité était inconnue de Mme E. Voici ce qui fut noté :
Un cousin de mon hôtesse, officier du génie, M.B., était en visite à Hawthorn Manor. Je ne m’y trouvais pas, mais on m’envoya le détail de tous les faits, dont quelques-uns m’étaient connus, B. avait un camarade, le commandant C., qui mourut après que B. eut quitté Chatham. Tous deux étaient musiciens et B. allait souvent jouer du piano chez lui. Mme E. m’assura qu’elle n’en savait absolument rien. Dans la séance en question, à la stupeur de B., qui ignorait tout du spiritisme, le nom et le prénom du commandant furent donnés inopinément. Cette question fut posée : « Continuez-vous à faire de la musique ? » Puis vinrent des choses intimes très frappantes, et tout à coup le visiteur invisible demanda : « Qu’a-t-on fait des livres ? ».
- « Quels livres ? » dit-on – « Ceux qu’on m’a prêtés », répliqua C. – « Qui vous les a prêtés ? » - « A. » fut la réponse immédiate. C’était le nom d’un camarade dont Mme E. n’avait jamais entendu parler. « Faut-il que j’écrive à A. pour savoir s’il les a ? » demanda B. – « Oui ».
Tous affirment sur l’honneur qu’ils ne savaient pas que ce prêt eut été fait, personne ne pensait à A. et Mme E. n’avait jamais entendu le nom de cet officier.
On écrivit à A. et on lui demanda incidemment s’il avait prêté des livres. Il répondit, laissant entièrement de côté la question. Deux mois plus tard, B. ayant rencontré A., celui-ci s’écria soudain au milieu de la conversation : « Vous m’avez demandé une drôle de chose dans votre lettre, je veux parler des livres et du commandant C. En effet, je lui en ai prêté quelques-uns, mais je ne sais pas ce qu’ils sont devenus après sa mort. ».
On peut objecter que B. avait pu voir des livres appartenant à A. chez le commandant C., l’avoir oublié, et que ce souvenir latent avait impressionné télépathiquement Mme E. à l’issu de tous. Mais il est évident que cette explication ne peut suffire dans d’autres cas que je vais citer. Il faudrait alors inventer une hypothèse compliquée et l’effort imposé à notre ingéniosité devient bien grand si nous tenons compte qu’au milieu de la masse croissante des preuves en faveur de la survivance, ces cas ne sont que des exemples isolés. On a publié beaucoup de ces témoignages, mais j’en connais certains qui demanderaient chacun une nouvelle supposition absurde pour être expliqué normalement.
Voici maintenant quelques passages de ce qu’obtint Mme E. par l’écriture automatique. Elle ne pouvait rien lire, on s’en souvient, avant de retourner la page. Je ne connais pas d’autre exemple de ce fait, bien qu’il puisse exister. « L’écriture en miroir », assez fréquente, consiste en ce que le message obtenu ne peut être lu que présenté devant un miroir, comme certaines cartes postales, chose beaucoup plus facile que l’écriture inversée.
Les communications qui suivent ne ressemblent pas au type habituel ; elles nous donnent, si elles sont véridiques, un aperçu de l’état de l’âme immédiatement après la mort. Mme E. m’a assuré qu’elles étaient bien loin de sa pensée et qu’elle aurait été incapable de les inventer. L’hiver précédent, elle avait perdu un frère tendrement aimé qui faisait ses études à une école d’ingénieurs, près de Londres. Un de ses amis, après avoir beaucoup souffert, était mort avant lui, mais Mme E. ne pensait nullement à cet ami le soir où sa main se mit à écrire :
Je veux que vous croyiez que vos amis vivent et pensent à vous… En ouvrant les yeux de mon corps spirituel, je me suis trouvé le même, je n’ai ressenti aucune terreur ; tout d’abord j’ai éprouvé seulement un sentiment étrange, puis ce fut la paix, un cœur consolé, l’amour des compagnons, des enseignements. Je suis… (ici son nom en toutes lettres) et c’est moi qui écrit votre frère (donnant son nom) est là, et veut vous parler.
Après un intervalle, Mme E. se sentit de nouveau poussée à écrire et voici ce qu’elle traça :
Je suis ici, (le nom du frère) et veux dire comment je me suis réveillé à la vie spirituelle. Je fus d’abord vaguement conscient de formes qui se mouvaient dans la chambre et autour du lit. Puis la porte se ferma et le silence se fit. Je m’aperçus seulement alors que je n’étais pas sur le lit, mais que je flottais un peu au dessus. Je vis mon corps étendu, la face couverte, et ma première idée fut que je pourrais y rentrer, mais je perdis vite ce désir : le lien était rompu. Je me mis debout sur le parquet et portai mes regards autour de cette chambre où j’avais été si malade, si impuissant, et où je pouvais maintenant me mouvoir librement. La pièce n’était pas vide ; près de moi était le père de mon père (ici le nom exact). Il est resté avec moi tout le temps. D’autres étaient là que j’aime aujourd’hui ; je les connaissais mal auparavant. Je sortis de la chambre, j’entrai dans la pièce voisine où étaient ma mère et … (des parents qui vivent encore). J’essayai de leur parler. J’entendis ma voix, elle était forte, cependant ils ne prêtaient aucune attention à ce que je disais. Je traversai toutes les pièces de l’école. Beaucoup de ténèbres et peu de lumière. Puis je sortis sous les libres cieux. J’en écrirai davantage une autre fois ; Le pouvoir est trop faible à présent. Bonsoir. (Suit la signature).
Un ou deux soirs après, le même nom fut écrit et le fil de la narration brusquement renoué.
Je vis la terre froide et noire sous les étoiles aux premières lueurs d’une aurore d’hiver. C’était le paysage bien connu et si souvent regardé. Tout à coup mes yeux se dessillèrent. Je vis le monde spirituel irradier sur le réel comme une fleur s’épanouit. Ceci est inexprimable. Rien de ce que je pourrais dire ne vous ferait comprendre cette merveilleuse révélation qui sera vôtre un jour. J’ai été attiré par mes affinités dans le monde qui est mien maintenant, mais je n’y suis pas enchaîné. Je suis très attiré vers la terre, mais non par des liens funestes. Je suis attiré vers ceux que j’aime, vers les endroits qui m’ont été chers.
Ces messages sont d’un profond intérêt ; quelques-uns furent écrits devant moi, et, comme je j’ai dit, Mme E., à l’état de veille normal, était convaincue qu’elle n’aurait pu les composer. Mais le moi subliminal, dont M. Myers aperçoit la manifestation à l’origine du génie, a des pouvoirs qui dépassent le moi normal et il est possible – bien que pour moi cela soit improbable – que ces communications soient seulement l’expression dramatisée des pouvoirs latents de Mme E. L’explication est néanmoins en défaut pour les messages véridiques transmis par son intermédiaire et donnant des informations par non plus à une foule d’autres communications obtenues par d’autres médiums et que nous avons cités ou que nous citerons plus loin.
Mais pourquoi serait-il si extravagant de nous arrêter à l’hypothèse la plus simple : que parfois le monde invisible se révèle au nôtre, et que certains qui ont pénétré dans ce monde peuvent nous faire savoir la continuation de leur existence ? Pourquoi certains seulement ? Nous l’ignorons. Et pourquoi une manifestation si mesquine ? Mais y a-t-il quelque chose de mesquin dans ce qui manifeste la vie ?
La muette agonie de l’âme quand un être aimé lui est enlevé, le terrible sentiment de séparation qui nous paralyse devant ce corps inerte, nous font désirer ardemment une voix, un signe, venant de l’au delà. Si, en réponse à notre voix implorante, nous avions l’assurance que notre foi n’est pas vaine, que l’être cher vit toujours, si nous voyions ses traits s’animer d’une sourire, ses lèvres remuer, un de ses doigts se lever, jugerions nous une chose mesquine ce qui nous affirmerait que la mort n’est pas la fin de la vie, que la mort ne termine pas tout ?
Même si ce n’est « qu’un signal fait, une voix surgie des ténèbres », ce n’est pas une chose mesquine ! Seuls, les morts en esprit ne tiennent pas aux signes qui nous assurent, à nous qui sommes « lents de cœur à croire tout ce que les prophètes ont articulé », que l’âme individuelle et la mémoire demeurent, bien que l’enveloppe charnelle et le cerveau aient disparu.
C’est précisément cette aspiration naturelle à l’homme, qui rend l’examen impartial des faits, la critique sereine des preuves si difficile, mais indispensable. Cet examen, cette critique se font aujourd’hui avec une rigueur que l’expérience accroît chaque jour et une probité hors de conteste. L’exemple suivant le démontre.
LES ECRITS DE MME HOLLAND.
Quelques-unes des communications les plus remarquables, - discutées avec sagacité par l’enquêteur de la S.P.R. - furent reçues par une femme distinguée qui occupait aux Indes un rang social élevé. Cette dame n’était pas spirite et ne connaissait alors personne de la S.P.R. Comme sa famille avait pris en aversion les questions psychiques, elle adopta le pseudonyme de « Mme Holland ». A son retour en Angleterre, elle fit la connaissance de plusieurs dirigeants de la Société qui la prirent en estime. Son attention ayant été attirée sur l’écriture automatique, elle essaya d’une main et, à sa grande surprise, s’aperçut que sa main écrivait prose et vers indépendamment de sa volonté. Les premiers messages portaient en tête cet impromptu en vers :
Crois à ce que tu ne peux voir
En attendant que la vision te vienne.
Mme Holland dit rester parfaitement consciente pendant qu’elle écrit, mais « ma main marche si vite que je ne sais que rarement ce que je trace ». Son intérêt s’étant éveillé, elle se procura et lut l’ouvrage capital de Myers : la personnalité humaine, publié après la mort de l’auteur. Quoi qu’elle ne l’ait pas connu, on conçoit très bien que beaucoup de ses écrits automatiques se prétendaient inspirés de lui. Une étude attentive de ces messages, cependant, nous force à admettre que l’esprit de Myers a réellement dicté quelques-uns d’entre eux. Voilà, par exemple, une communication caractéristique, qui serait de lui :
Croire que le simple fait de la mort permette à l’esprit d’en comprendre tout le mystère, est aussi absurde que d’imaginer que celui de la naissance permet à un bébé de comprendre le mystère de la vie. Je tâtonne toujours, je suppose, je fais des conjectures… Les expériences de chacun sont différentes. Il y avait quelqu’un dernièrement qui ne pouvait croire qu’il était mort : il s’imaginait être à une certaine phase du traitement qu’il suivait pour sa maladie.
Viennent ensuite, pas tout à fait exactes, les deux premières lignes du poème de Myers : Saint Paul, que Mme Holland déclare n’avoir jamais lu et dont elle n’avait jamais entendu parler. Elle peut néanmoins les avoir vus citer, bien qu’elle ne s’en souvienne pas.
Oui je suis à Christ – et que ce nom vous suffise
Comme il a grandement suffi, même à moi
S’il était possible à l’âme de mourir pour retourner à la vie terrestre, je mourrais du désir d’arriver jusqu’à vous pour vous dire que tout ce que nous avons imaginé n’est pas moitié aussi merveilleux que la vérité ; que l’immortalité, loin d’être un beau rêve, est la seule, l’unique réalité, le fil d’or solide sur lequel toutes les illusions de toutes les vies sont enfilées. Si je pouvais seulement arriver à vous ! Si je pouvais vous le dire ! J’aspire à ce pouvoir et tout ce qui me vient est un désir infini, une douleur infinie. Est ce que rien de tout cela ne vous atteindra, n’atteindra quelqu’un, ou suis-je à me lamenter comme le vent, sans paroles, sans qu’on prenne souci de moi ? (P.S.P.R., vol. XXI, page 233)
Le contrôle Myers écrivit une autre fois :
Il se peut que ceux qui meurent subitement n’éprouvent aucune extinction prolongée de conscience ; l’inconscience pour moi a été de longue durée.
Et plus loin :
La réalité est infiniment plus merveilleuse que nos conjonctures les plus hardies. Aucune conjecture, à vrai dire, n’est assez hardie.
L’hypothèse que ces messages sont une création dramatique du subliminal de Mme Holland, devient plus difficile à admettre quand nous voyons des types de message absolument différents émaner soi disant de M. Gurney et de l’Hon. Roden Noël, tous deux parfaitement inconnus de Mme Holland. De leur vivant, je connaissais personnellement ces deux hommes distingués et je correspondais fréquemment avec eux ; je peux donc affirmer que les communications sont singulièrement caractéristiques de leurs tempéraments respectifs.
Mieux encore, le contrôle Roden Noël écrivit non seulement des vers libres très remarquables, mais il fait mention de lieux et de personnes fréquentés par lui et que Mme Holland ignorait. Elle ne savait vraiment pas qui dirigeait sa main quand elle écrivait :
J’ai toujours été un chercheur, il me semblait même parfois que la quête m’était plus chère que le gibier ; mais la portée de mes recherches était un peu comme l’or de l’arc en ciel, toujours au delà et lointaine…Je ne suis pas oppressé du désir qui anime certains d’entre nous, de partager avec vous avant le temps notre savoir et notre optimisme. La solution du grand problème, je ne saurais vous la donner ; j’en suis encore très loin. Vous aurez un jour la connaissance immuable de la vérité et de la beauté, en lesquelles se résout finalement toute l’inévitable laideur de l’existence.
Ces lignes étaient précédées de celles-ci :
Ceci est pour, A.W. Demandez lui ce que la date du 26 mai 1894 signifie pour lui, et pour moi, et pour F.W.H. Je ne crois pas qu’ils aient de la peine à s’en souvenir ; en ce cas, qu’ils demandent à Nora.
Notons ici que Mme Holland, qui était alors aux Indes, ne savait rien du Dr Verrall représenté par les initiales A.W., ni qu’on appelait Mme Sidgwick Nora (son prénom était Eléonore) ; mais ce texte suggéra à Mlle Johnson (l’enquêteuse de la S.P.R.), à qui les communications furent envoyées, que le message pouvait venir de Roden Noël, que connaissaient le Dr Verrall, Mme Sidgwick et M. Myers. Mlle Johnson ajoute : « Il était naturel de nous dire de demander à Nora (Mme Sidgwick) ce que nous ne pouvions trouver nous-mêmes, puisqu’il (Roden Noël) était l’ami intime du professeur Sidgwick ». La date donnée était celle de la mort de Roden Noël. Mme Holland croyait avoir lu un jour des poèmes de Noël, mais elle ignorait tout de lui, personnellement, et la date de sa mort.
Il est difficile et même absurde d’invoquer le fétiche du subliminal ou de la télépathie quand on lit une des premières communications reçues par Mme Holland aux Indes et censée provenant de M. Myers. Longue et minutieuse description d’un monsieur âgé, elle se termine ainsi :
C’est comme si on confiait un message d’une énorme importance à une personne endormie. Procurez-vous une preuve, essayez d’en avoir si vous estimez que ceci est une perte de temps. Envoyez cela à Mme Verrall, Selwyn Gardens, Cambridge.
La communication étant parvenue à Mlle Johnson, elle reconnut aussitôt qu’il s’agissait du Dr Verrall, à qui ce message fut communiqué plus tard, dit que la description était excellente, tout à fait caractéristique de son mari, qui était alors vivant. Mme Verrall, morte hélas ! Aujourd’hui, assura qu’aucun portrait ou description de son mari n’avait jamais été publié. Son adresse enfin ne figurait pas dans Human Personnality, que Mme Holland avait lu. Questionné, Mme Holland déclara n’avoir jamais vu l’adresse de Mme Verrall et n’en avoir eu aucune idée. On ne peut douter de la bonne foi de Mme Holland, curieuse elle même de savoir si un de ses messages automatiques pouvait être attribué à sa mémoire subconsciente.
D’autres exemples remarquables de connaissances surnormales sont relevés dans les écrits de Mme Holland ; ils sont rapportés dans le long mémoire de Mlle Johnson, paru dans les Proceedings. L’un d’eux mérite d’être particulièrement noté.
Mme Holland écrivait, le 17 janvier 1904, sous le contrôle Myers :
L’enveloppe cachetée ne doit pas être ouverte encore. Je ne puis faire tracer à votre main de caractère grecs, et le texte ne serait pas à ma convenance, sauf la référence, I, Corinthiens, XVI, 13 : « Surveillez-vous, soyez fermes dans votre foi, affranchissez-vous comme des hommes, soyez forts … » Oh ! Mon ardeur m’affaiblit. Comment pourrais-je le mieux me faire reconnaître ? Cela est si important, en dehors des sentiments personnels d’amour et de désir. Je suis privé en ce moment de l’aide d’Edmond (M. Gurney). J’essaie seul au milieu de difficultés indicibles…
Il faut dire que Mme Sidgwick avait demandé en guise de preuve à Mme Verrall, qui était aussi une remarquable automatiste, un des versets favoris de son mari et la réponse avait été parfaitement satisfaisante. Mme Holland n’en savait rien.
Mais le jour même (27 janvier 1904), où l’écrit de Mme Verrall, à Cambridge, faisait allusion à une lettre cachetée et à un verset, Mme Holland écrivait automatiquement le message cité plus haut. Ce verset (I, Corinthiens, XVI, 13), n’était pas celui que demandait Mme Sidgwick, c’est celui qui est inscrit en grec, au dessus de l’entrée du collège Selwyn, à Cambridge, devant laquelle M. Myers passait constamment et à propos de laquelle il avait souvent fait des remarques à Mme Verrall, à cause d’une petite erreur dans l’inscription. Mme Holland n’avait jamais été à Cambridge, n’avait aucune relation avec l’Université et ne savait rien au sujet de l’inscription grecque du portail du collège.
Cet incident est un exemple de ce qu’on a appelé les « correspondances croisées », c’est à dire que deux automatistes, très éloignés l’un de l’autres, donnent des réponses à peu près semblables, ou écrivent une phrase incompréhensible tant qu’elle n’a pas été complétée par un autre automatiste qui n’a aucune connaissance du message fragmentaire déjà obtenu. On dirait ici qu’une seule personnalité contrôle les deux médiums pour écarter toute idée de télépathie ou d’action du subliminal. Point intéressant, répétons-le, c’est seulement depuis la mort de Myers et du Dr Hodgson (familiarisés avec la méthode) que de nombreux cas de correspondance croisée se sont manifestés chez des automatistes indépendants et fort éloignés l’un de l’autre.
Chapitre XVI
PREUVES D’IDENTITE DES DESINCARNES
Le fantôme dans l’homme, le fantôme qui autrefois fut un homme
Mais ne peut s’affranchir entièrement de l’homme,
S’appellent à travers une aube.
Plus étrange qu’aucune de celles que la terre ait vues :
Le voile se déchire et les voix du jour
S’entendent parmi les voix de la nuit.
Tenntson
Ces vers bien connus de notre grand poète ont aujourd’hui un sens qu’on leur eut refusé il y a une génération. Je citerai dans le présent chapitre quelques preuves remarquables de survivance obtenues par des amis personnels.
J’ai parlé de la haute estime que méritait le Révérend Stainton Moses et de ses merveilleuses facultés médiumniques. Nul le connaissant, ne pouvait douter un instant, comme dit M. Myers, « de sa santé d’esprit et de sa franchise, de sa véracité et de son honneur ». Ceux qui l’ont approché, comme moi, peuvent comprendre l’estime et l’affection que ses collègues de l’Université et ses amis intimes lui témoignaient. Je rapporterai ici brièvement deux cas remarquables en faveur de l’identité du soi disant esprit qui se communiqua par M. Moses. Ils sont connus de ceux qui sont familiers avec la littérature spirite. Beaucoup de mes lecteurs, néanmoins, peuvent les ignorer.
LE CAS ABRAHAM FLORENTINE.
En août 1874, M. Moses était à l’Ile de Wight avec un ami médecin. Ils eurent une séance au cours de laquelle ils reçurent une communication, faite avec une impétuosité singulière, par un esprit qui se dit Abraham Florentine, avoir fait la guerre américaine de 1812 et n’être entré dans le monde spirituel que depuis peu, étant mort à Brooklyn, le 5 août 1874, à l’âge de 83 ans, un mois, et 17 jours. Personne des assistants ne le connaissait et M. Myers publia ces détails dans un journal de Londres en priant les gazettes américaines de les reproduire, afin qu’on puisse vérifier la déclaration, si possible.
Un avocat américain, chargé d’examiner les réclamations des soldats de New York, lut ce paragraphe et fit savoir qu’il avait eu ce nom sous les yeux et que tous les renseignements concernant l’individu en question pouvaient être obtenus au bureau de l’adjudant général. La réponse officielle de ce bureau fut qu’un soldat américain nommé Abraham Florentine avait servi dans l’armée américaine au commencement du siècle. Sa veuve vivait encore.
Le Dr Crowell, un médecin de Brooklyn, retrouva son adresse dans un annuaire, alla la voir et la questionna. Elle dit que son mari s’était battu en 1812, qu’il avait le caractère vif, était mort à Brooklyn le 5 août 1874 et avait eu 83 ans, le 8 juin. Il avait donc 83 ans, un mois, et 27 jours, à sa mort. La seule erreur était 17 au lieu de 27, erreur qui a pu se produire pendant l’enregistrement fait par M. Moses à l’état de transe. Tous les détails de ce cas sont dans le vol. XI des P.S.P.R.
Que dire ici ? Les collections de journaux sont là pour attester les faits : ils semblent irréfutables. La seule supposition qu’on puisse faire, c’est que M. Moses avait vu quelque notice sur cet homme dans un journal américain et l’avait oublié, ou bien qu’il avait trompé volontairement ses amis. Mais alors ce ne serait qu’un exemple entre mille d’oubli ou de supercherie et, avant de l’affirmer, il faut prouver que M. Moses a vraiment obtenu ces informations par la voie des journaux ou quelque conversation. Mme Moses est sûre du contraire. Personne n’a pu démontrer qu’il en ait été ainsi ou a pu fournir la moindre preuve en faveur d’une fourberie rebutante et sans objet, imaginée par un homme d’une probité morale sans tache. En outre il est tout à fait invraisemblable qu’une notice nécrologique sur un obscur soldat américain ait paru dans un journal et qu’un lecteur anglais l’ait alors remarquée. Bref, après un examen critique de ce cas, M. Myers conclut : « Je crois que l’esprit, d’Abraham Florentine a communiqué vraiment avec M. Moses ».
Il faut toutefois soumettre chaque cas de communication « spirite » à un examen des plus rigoureux avant de décider de son origine probable ; ce qui à un novice semblera extra terrestre sera peut être dû en réalité à une influence télépathique de vivants ou à une impression oubliée qui surgit tout à coup.
Une longue expérience dans la recherche psychique a montré les dangers que présente la cryptomnésie, ou mémoire cachée. Quelques chercheurs l’ont même invoquée pour le cas précédent (ce qui pour moi est inadmissible) ; mais elle ne saurait s’appliquer au suivant qui est une autre preuve remarquable d’identité, obtenue par l’écriture automatique de M. Moses.
LE CAS BLANCHE ABERCROMBY
M.Myers le trouvait infiniment intéressant et précieux, car ce n’est qu’après la mort de M. Moses qu’une série de hasard lui a permis de trouver de nouvelles preuves de sa vérité. L’esprit qui disait communiquer par l’intermédiaire de M. Moses était celui d’une femme, connue de M. Myers et que nous appellerons Blanche Abercromby. Cette dame mourut un dimanche après-midi, à la campagne, à environ 200 milles de Londres. M. Moses ne savait rien ni de sa maladie, ni de sa mort ; mais le même dimanche soir, il eut chez lui, à Londres, où il vivait très retiré, une communication émanant d’elle. Elle disait qu’elle venait de quitter son corps.
Quelques jours plus tard, la main de M. Moses fut de nouveau dirigée par ce même esprit. Quelques lignes furent tracées que Blanche Abercromby assura être sa propre écriture, pour prouver son identité. Nous n’avons aucune raison de penser que M. Moses connaissait son écriture, car il n’avait rencontré cette dame qu’une fois, au cours d’une séance. Les faits communiqués par la défunte étant d’ordre intime, M. Moses les garda pour lui, cacheta ces feuilles dans son cahier de notes et les marqua « personnel ».
A la mort de M. Moses, M. Myers dépouilla ses papiers et les exécuteurs testamentaires lui permirent de décacheter ces pages. Il vit à sa grande surprise que c’était une communication de Blanche Abercromby, qu’il avait connue. En comparant l’écriture du document avec celle de la dame, il en constata l’incontestable ressemblance. Il soumit les feuillets au fils de la défunte et à un expert en graphologie : ils affirmèrent que l’écriture de l’esprit et celle de Blanche Abercromby étaient la même. De nombreuses particularités semblables y furent relevées et le contenu de la communication était caractéristique de la défunte. L’écriture ordinaire de M. Moses est très différente de celle qui a coutume d’apparaître dans l’automatisme. D’ailleurs cette dernière ne ressemblait nullement à l’écriture en question.
Télépathie entre vivants, souvenirs oubliés, moi subliminal de M. Myers ne fournissent aucun explication de ce cas que je regarde comme un des anneaux les plus solides de la chaîne de preuves en faveur de la survivance. En général, l’écriture automatique ne reproduit pas celle du soi disant communicant, chose à laquelle nous devons nous attendre si la communication se fait par l’action télépathique du défunt.
Il y a cependant des cas où le soi disant esprit paraît guider la main du médium si parfaitement qu’elle reproduit exactement l’écriture du défunt. Nous en avons un exemple frappant dans le cas du professeur Sidgwick. Sa signature fut donnée à la fin de la communication, identique à celle des lettres qu’il m’envoyait de son vivant, et le médium, que je connais personnellement, n’avait jamais vu, il y a toute raison de le croire, l’écriture du professeur .
Voici maintenant, en tenant compte de l’hypothèse de la cryptomnésie, quelques remarquables messages qui nous furent envoyés par mon vénérable ami, feu M. Hensleigh Wedgwood, cousin et beau frère de Darwin ; et savant connu.
M. Wedgwood s’intéressait extrêmement aux recherches psychiques et faisait beaucoup d’écriture automatique avec la planchette en compagnie de deux amies, Mme R. et Mme V. très sensitives toutes deux. Mme R. était ici le médium. M. Myers la connaissait depuis plusieurs années et on ne peut pas plus douter de sa bonne foi que de celle de M. Wedgwood lui même, Mme R. et M. Wedgwood se faisait face, assis à une petite table ; elle avait la main gauche sur la planchette, lui la main droite. M. Wedgwood dit que l’écriture se présentait droite devant lui et à l’envers pour son vis à vis ; ils ne guidaient pas la planchette, mais éprouvait au contraire une certaine difficulté à ne pas gêner ses mouvements. Même chose pour Mme R. qui n’aurait pu écrire ni si rapidement ni à l’envers. Voici les notes de Mme R., confirmées par M. Wedgwood.
LE CAS DAVID BRAINERD.
10 octobre, Vendredi, à … M. Wedgwood et moi. La planchette s’agita au bout d’un instant, décrivit un cercle, et il nous fut dit :
« David … David… David… mort depuis 143 ans ».
Le maître d’hôtel annonça le déjeuner à ce moment et M. Wedgwood dit au soi disant esprit :
« Voulez-vous continuer plus tard ? Nous sommes obligés de nous arrêter.
J’essaierai ».
Pendant le déjeuner. M. Wedgwood, après avoir calculé la date, 1747, se demanda si le contrôle n’était pas David Hume, mort, pensait-il vers cette époque. A la reprise de la séance, voici ce que nous enregistrâmes :
« Je ne suis pas Hume. Je suis venu avec la sœur de Théodora. J’ai été attiré vers elle pendant qu’elle vivait en Amérique. J’y travaillais, et mon œuvre terrestre fut interrompue de bonne heure, comme la sienne. Je suis mort à trente ans. J’ai travaillé cinq ans à porter la lumière de Dieu aussi loin que je le pouvais. »
M. Wedgwood demanda s’il n’avait pas été missionnaire.
« Oui, à Susquehannah et autres lieux »
« Pouvez-vous nous donner un autre nom que celui de David ? »
« David Bra… David Bra… David Bra… David Bra… ».
M.W : « Votre nom est-il Braine ? »
« C’est presque cela »
M.W. : « Essayez encore. »
« David Braine. Ce n’est pas tout à fait cela, mais ce qui est inscrit est exact … Je suis né en 1717. »
M.W. : « Etes vous Américain ? »
« L’Amérique est mon pays si l’on veut. Je travaillais à .. (La phrase finit par une ligne de d.)
Après une pause M. Wedgwood dit qu’il croyait savoir qui était notre contrôle. Il se souvenait qu’un certain David Brainerd avait été missionnaire chez les Indiens de l’Amérique du Nord, au XVIIIè siècle. Nous continuâmes la séance et voici la suite :
« Je suis content que vous me connaissiez. Je n’avais pas la force de compléter mon nom ou de donner plus de détails. Je sais le secret de ce district. Il est gardé par les Indiens et a été révélé à deux cercles indépendants. Aucun n’a réussi, mais un jour viendra où l’or sera découvert. »
M.W. : « Ne s’agit-il pas de la vérité céleste ? ».
« J’ai parlé d’or terrestre ».
M. Wedgwood dit que l’écriture était si effacée qu’il pensait que le pouvoir faiblissait.
« Oui, presque disparu. J’ai écrit pendant mes cinq années de labeur. Cela garda mon cœur vivant ».
M. Wedgwood ajouta :
Je ne pouvais retrouver d’abord où j’avais entendu parler de Brainerd, mais ma fille me dit à Londres que ma belle sœur, qui vécut chez moi il y a 40 ou 50 ans, admirait beaucoup Brainerd et devait avoir l’histoire de sa vie. Je suis sûr néanmoins de n’avoir jamais ouvert ce livre. J’ignorais les dates, toutes correctes, et que Brainerd avait été missionnaire chez les Susquehannahs.
Ma fille m’a envoyé des extraits de sa vie. Brainerd serait né en 1718 et non en 1717. Mais le dictionnaire biographique nous apprend qu’il mourut en 1747, âgé de 30 ans.
Mme R. dit qu’elle n’avait jamais entendu parler de ce personnage.
Le dictionnaire biographique donne la notice suivante :
David Brainerd, célèbre missionnaire américain, se signala par d’heureuses tentatives pour convertir les Indiens du Susquehannah, Delaware, etc. Il mourut en 1747.
Il faut noter que selon les extraits du journal de Brainerd, cités par son biographe. Jonathan Edwards, il écrivait beaucoup : « 3 février 1744. Il me fallut écrire aussi bien que méditer ; etc.. – 15 février 1745. J’écrivis presque toute la journée. »
Il dit toujours qu’écrire le réconforte.
L’autre cas cité par M. Wedgwood est trop long pour être reproduit en détail ; nous en donnerons un bref résumé, parce que, comme le précédent, c’est un des rares exemples où le soi disant esprit dit qu’il a vécu sur terre longtemps auparavant.
LE CAS DU COLONEL GURWOOD.
Le médium était encore Mme R. et le mode de communication la planchette. La Séance, qui eut lieu en juin 1889, est rapportée dans le Journal de la S.P.R. de la même année. Des notes furent prises pendant la séance et l’écriture obtenue fut copiée.
Dès le début de la séance, la planchette écrivit qu’il y avait là un esprit qui voulait dessiner et aussitôt fut tracé un dessin assez grossier : un mur crénelé ou une couronne murale d’où sortait un bras armé d’une épée. Puis : « Je suis fâché de ne pas faire mieux, c’est pour donner une preuve. J.G. » A la demande : « Que représente le dessin ? » Il répondit : « Quelque chose qui me fut donné. »
D. – J.G. est-il un homme ou une femme ?
R. – Un homme, John G.
M. Wedgwood dit qu’il avait connu un certain John Giffard, et demanda si c’était cela.
R. – Pas Giffard, John Gurwood, aucune de vos relations.
D. – Comment êtes-vous mort ?
R. – Je me suis tué le jour de Noël, il y aura 44 ans au prochain Noël (C’était donc en 1845)
D. – Etiez-vous dans l’armée ?
R. – Oui, c’est la plume et non l’épée qui me perdit.
D. – Ce mot de plume est il juste ? Avez-vous été un auteur malheureux ?
R. – Oui, plume. Je n’ai pas été malheureux, la plume a été trop pour moi après la blessure.
D. – Où avez-vous été blessé ?
R. – Dans la Péninsule, en 1810, à la tête.
D. – Le dessin représente t-il des armes et a-t-il quelque chose à voir avec votre blessure ?
R. – C’est la blessure qu’il m’est venu, il m’a été donné pour cela. Le dessin est une preuve, souvenez-vous de mon nom … Le pouvoir me manque pour expliquer. Je m’arrête maintenant…
M. Wedgwood se souvint alors que le colonel Gurwood écrivait les dépêches de Wellington, mais il n’avait jamais lu de récit de la guerre d’Espagne, ne savait rien de la vie de Gurwood et ne connaissait par ses armes. Mme R. ignorait tout ce sujet. Après la séance, M. Wedgwood se documenta et constata que le colonel Gurwood avait conduit l’assaut de Ciudad Rodrigo, en 1812 et l’Annual Register dit qu’il y reçut une blessure au crâne dont il souffrit toute sa vie. On lui octroya un blason en témoignage de sa bravoure. En voici la description, d’après le Livre héraldique anglais : « Couronne murale surmontant un château masuré en abîme et un dextrochère armé d’un cimeterre ».
Le dessin donné comme preuve cherchait à représenter ce blason, bien que le château en ruines fût difficile à reproduire par la planchette. De plus, l’Annual Register de 1845 nous apprend que le colonel se suicida cette année le jour de Noël dans un accès de neurasthénie et ajoute que c’était sans doute le résultat du surmenage que lui avait imposé la publication des dépêches. Voilà ce qui explique la phrase : « La plume fut trop pour moi après ma blessure ». Tous ces faits étaient inconnus de Mme R. et de M. Wedgwood.
Le colonel Gurwood se manifesta encore plusieurs fois et donna quelques autres détails sur sa vie, l’assaut du fort, des noms de personnes, etc. Tout cela fut vérifié et reconnu exact. Nous ferons néanmoins abstraction des témoignages de ces dernières séances car M. Wedgwood avait feuilleté la Guerre d’Espagne, de Napier, et il a pu y puiser quelques unes des informations données.
Beaucoup d’autres exemples de survivance pourraient être cités mais je renvoie le lecteur aux documents originaux. Sir Olivier Lodge a eu de remarquables cas d’identité avec d’autres médiums et surtout avec Mme Pipier qui lui donna de nombreuses séances. Il les a soumis à un examen critique ; Beaucoup d’entre eux se rapportaient à sa famille et à lui même et révélaient des faits tout à fait inconnus de lui et du médium, qui furent vérifiés par la suite. De sa longue et personnelle expérience, Sir Olivier Lodge est arrivé à la conviction que la survivance est indéniable, et il l’a publiquement déclaré.
Une des preuves les plus récentes corrobore ses conclusions ; c’est celle que lui ont donnée les messages de son fils chéri Raymond, tué pendant la guerre. Ce cas a été soumis à la S.P.R. et j’en avais fait le résumé, revu par Sir Olivier, pour mon livre. Mais comme il a depuis publié Raymond, qui a lu et commenté de tous, il est inutile d’y revenir. Presque tous les témoignages que je vais ajouter viennent de médiums non rémunérés, ce qui n’a pas toujours été le cas pour les communications de Raymond.
Le très honorable Gérald Balfour vient de lire (décembre 1916) à la S.P.R. un factum qui, disent les juges compétents, fournit les preuves les plus frappantes que nous connaissions en faveur de la survie. Il semble démontrer l’activité mentale continue et vigoureuse de feu les professeurs A.W. Verrall et Butcher, deux érudits. Les témoignages renferment des connaissances si étendues, une habileté telle à construire des énigmes classiques que l’hypothèse de la télépathie ou du subliminal ne saurait les expliquer. L’écriture automatique qui nous les transmet est celle d’une dame très connue de M. Balfour, et dont il a été déjà question sous son pseudonyme de Mme Willett. M. Balfour affirme que Mme Willett est aussi peu au courant des sujets classiques que la moyenne des femmes instruites. Néanmoins ses écrits sont pleins d’allusions abstraites relatives à l’Oreille de Dionysios (titre de l’ouvrage de M. Balfour) et autres questions compliquées, le tout formant un rébus littéraire insoluble tant que l’écriture automatique n’en a pas donné la clef. M. Balfour dit qu’il est difficile de supposer que les matières servant à la composer aient pu être empruntées à l’esprit d’un vivant. Je pense qu’elles doivent être attribuées à une ou plusieurs intelligences désincarnées et il y a de fortes présomptions de croire que les auteurs étaient bien, comme ils le prétendaient, les professeurs Verrall et Butcher. Cet article a été publié dans les Proceedings, vol. XXIX.
Chapitre XVII
PREUVES DE LA SURVIVANCE
A L’ETRANGER
Il n’est pas de mort ; ce qui paraît tel, n’est qu’une transition
Cette vie à l’haleine mortelle
N’est que la préface de la vie élyséenne
Dont la porte est ce que nous appelons la mort
Longfellow
On ne doit pas perdre de vue que des chercheurs compétents, dans le monde entier, ont obtenu, après des années de labeur, ce qu’ils estiment être la preuve décisive de la survivance. Je consacrerai ce chapitre à quelques-uns des témoignages venus d’Amérique et de Russie.
Personne n’a fait une étude critique plus sérieuse des faits que le Dr Hodgson pendant son séjour aux Etats Unis. Elle a été son unique occupation dans les dernières années de sa vie. Loin d’être crédule, il démasqua mainte supercherie ; à mon avis, il était même trop sceptique à l’endroit de médiums autres que Mme Piper, avec laquelle il eut d’innombrables séances. Il chercha d’abord à interpréter les résultats obtenus sans faire intervenir l’hypothèse spirite, mais fut contraint à la longue de l’accepter : « Je me suis appuyer longtemps sur l’hypothèse de la télépathie entre vivants… je n’hésite pas à déclarer, en toute assurance, que l’hypothèse des esprits est vérifiée par les faits et que l’autre ne l’est pas ».
Il conclut en ces termes, à la fin de son long travail sur Mme Piper :
Je ne puis douter aujourd’hui que les principaux « communicants » dont j’ai parlé plus haut (dans son rapport) sont véritablement les personnalités qu’ils déclarent être, qu’ils ont survécu à ce que nous appelons la mort et ont communiqué directement avec nous, les « vivants » par l’intermédiaire de Mme Piper à l’état de transe .
Quelque improbable que les sceptiques puissent trouver cette conclusion, souvenons nous que le Dr Hodgson commença ses longues et difficiles investigations avec les mêmes doutes au sujet « des esprits » que ces critiques eux-mêmes. De plus, il n’était seulement une intelligence saine et avisée, mais il avait un flair particulier pour découvrir la fraude et l’illusion. On put le constater dans divers cas où de prétendus phénomènes spirites avaient mystifié des enquêteurs expérimentés. Ceux donc qui n’ont pas fait les études du Dr Hodgson n’ont pas le droit d’opposer à son opinion réfléchie, fruit de longues et patientes années de labeur, de simples spéculations sur le vraisemblable et l’invraisemblable, le possible et l’impossible.
Si après des investigations non moins compétentes et d’aussi longue durée, on arrivait à une conclusion contraire, les sceptiques seraient justifiés dans leur hésitation à accepter la démonstration expérimentale de la survivance. Mais c’est là précisément ce à quoi, à ma connaissance, on ne peut aboutir. Tout observateur, à quelque nationalité qu’il appartienne, arrive soit à conclure comme le Dr Hodgson et d’autres expérimentateurs éminents, soit à admettre que ces phénomènes restent complètement inexplicables.
Depuis la mort du Dr Hodgson, son œuvre a été surtout continuée en Amérique par son ami, le Dr J.H. Hyslop, ancien professeur à l’Université de Colombia. Le Dr Hyslop vit à New York, entièrement voué aux recherches psychiques et c’est le plus infatigable et le plus courageux travailleur qui soit. Parmi les innombrables documents qu’il a fournis aux Proceedings et au Journal de la S.P.R. américaine, on relève de nombreuses preuves de la survivance. D’agnostique, il est devenu partisan convaincu de l’hypothèse spirite. Psychologue de valeur, son opinion n’en a que plus de poids.
Depuis six ans, le Dr Hyslop a de nombreuses séances avec Mme Chenoweth (pseudonyme), médium très puissant. Voici le bref récit d’un des cas probants de survivance obtenus par l’intermédiaire de cette dame dont l’honorabilité et la véracité ne peuvent être mise en doute. La banalité des incidents communiqués pour établir l’identité ressort clairement ici.
LE CAS TAUSCH
Le Dr Hyslop reçut d’Allemagne la lettre d’une dame dont il n’avait jamais entendu parler. Elle lui demandait de lui indiquer un médium, car son mari était mort depuis peu et elle cherchait à obtenir la preuve de sa survie pour atténuer son désespoir. Le Dr Hyslop répondit qu’il ne connaissait pas de médium en Allemagne, mais que si elle voulait venir en Amérique, il lui ferait avoir des séances avec quelqu’un de sûr. Elle écrivit que cela lui était impossible et donna le nom (différent du sien) et l’adresse de sa sœur qui était à Boston et pouvait la remplacer. En conséquence, le Dr Hyslop, prit rendez-vous avec Mme X. et se garda de lui dire le nom et l’adresse du médium. Il ne prévint pas davantage celui-ci (Mme Chenoweth) du but poursuivi ni de l’arrivée de la consultante. Avant de faire entrer cette dame, Mme Chenoweth fut mise en état de transe ; ainsi le médium ne pouvait savoir si le visiteur était homme ou femme.
Mme Chenoweth se mit à écrire automatiquement et le communicant invisible dit qu’un monsieur était là, très désireux de faire connaître son existence à sa femme ; qu’il était philosophe, ami du professeur W. James, de Harvard ; pour prouver son identité, il montrait enfin sa bouche où manquant une dent. Ces faits étaient naturellement inconnus du Dr Hyslop. Il les communiqua à la veuve : tous étaient exacts. Son mari avait fait des conférences de philosophie, était ami du professeur James et avait perdu une dent dont la cavité n’était pas visible. Le communicant dit aussi qu’il avait avant de mourir, de grandes douleurs de tête, de la confusion mentale et aspirait à rentrer chez lui, ajoutant qu’il n’était pas hors de chez lui à sa mort, mais qu’il n’y était pas non plus. Tout ceci était vrai, il mourut dans sa vieille maison, en Allemagne, et non pas chez lui en Amérique.
Quelques preuves remarquables d’identité furent données ensuite. Le communicant dit qu’il voulait démontrer qu’il n’était pas un imbécile de croire à l’esprit et qu’il avait été très intéressé par des comptes rendus que lui avait prêtés son ami James. Interrogée par le Dr Hyslop, la veuve répondit que le professeur James avait envoyé à son mari, peut avant la mort de celui-ci, des documents qui l’avaient beaucoup frappé. Ceux qui assistaient à la séance ignoraient absolument tous ces incidents. Le communicant invisible ajouta qu’il aimait ranger ses affaires, à mettre les pendules à l’heure et qu’il avait l’habitude d’annoter ses livres ; puis il chercha à écrire son nom, traçant les lettres T, h. La veuve écrivit au Dr Hyslop, qui lui transmit ces détails, qu’en effet son mari avait la manie de toucher aux pendules, annotait ses livres, et lisait toujours le crayon à la main. Le nom du défunt était Tausch, dont la première et la dernière lettre furent écrites.
Le communicant fit plus tard de grands efforts pour écrire son nom par la main de Mme Chenoweth et sans aide aucune du Dr Hyslop (qui savait ce nom, mais rien autre). On eut Taussh, Tauch et Taush, ce qui était correct au point de vue phonétique. Le Dr Hyslop s’adressa alors à lui en allemand et eut des réponses en cette langue, entre autres qu’ils étaient « frères » (geschwister), également correct, Mme Chenoweth ne savait que quatre mots d’allemand, donc aucun ne figure dans les réponses. D’autres détails d’identité furent communiqués ; notamment que le défunt portait d’habitude un petit sac contenant ses manuscrits et ses lunettes et qu’il avait fait un long voyage en chemin de fer avant sa mort. Mme Tausch confirma tout cela par écrit.
Le Dr Hyslop dit que ces incidents lui étaient inconnus et qu’il lui fallut écrire en Allemagne pour en avoir la confirmation par Mme Tausch, la seule personne vivante qui put en affirmer la vérité. Il n’a jamais eu, dans ses séances avec Mme Chenoweth, de communications semblables. Le nom de Tausch aurait pu être dérobé télépathiquement au Dr Hyslop, mais Mme Chenoweth n’a jamais eu la moindre faculté télépathique. Si même elle eut connu le nom et l’adresse de Mme Tausch (qu’elle ignorait) elle n’aurait pu se mettre en rapport avec elle, 36 heures seulement s’étant écoulées entre la première et la dernière séance. Personne en Amérique n’aurait pu lui donner ces informations.
Je suis d’accord avec le Dr Hyslop : la télépathie, le subconscient ou une collusion avec le médium sont hors de cause, et la solution la plus raisonnable, c’est que tous ces renseignements provenaient de l’esprit du défunt.
Le cas suivant a été choisi parce qu’il nous a été fourni par des chercheurs russes indépendants et capables. Ici encore, il faut écarter les explications habituelles. Ce témoignage a le défaut d’être un peu long, mais il ajoute des phénomènes physiques aux preuves d’identité de l’intelligence communicante et forme par là même un important chaînon entre les deux ordres de phénomènes. Les médiums n’étaient pas des professionnels rémunérés et la bonne foi de tous paraît indiscutable.
LE CAS PERELEGUINE.
La séance eu lieu chez M. Nartzeff, à Tambof, Russie, le 18 novembre 1887. M. Nartzeff, grand propriétaire, appartient à la noblesse russe. Sa tante, la femme de charge et le médecin municipal étaient les seuls autres assistants.
La séance commença à 10 heures du soir, à la lumière d’une veilleuse placée sur la cheminée. La table était au milieu de la pièce. Toutes les portes étaient fermées. La main gauche de chacun était placée sur la main droite de son voici et chaque pied touchait celui de la personne assise à côté ; en sorte que les pieds et les mains de tous étaient contrôlés pendant la séance. Des coups secs se firent entendre par terre, puis dans le mur et le plafond, après quoi ils se firent entendre sur la table comme si on l’avait frappée avec le poing, ceci avec une telle violence et si fréquemment que le meuble en restait continuellement ébranlé.
M. Nartzeff. – Pouvez-vous répondre raisonnablement en frappant trois coups pour oui, et un pour non ?
R. _ Oui,
N. – Voulez-vous répondre en vous servant de l’alphabet ?
R. – oui
N. – Epelez votre nom
On répéta l’alphabet, les lettres choisies étaient indiquées par trois raps.
R – Anastasie Péréléguine
N – Je vous prie de dire maintenant pourquoi vous êtes venue et ce que vous désirez.
R – Je suis une malheureuse, priez pour moi. Je suis morte à l’hôpital, hier dans la journée. Je me suis empoisonnée le jour précédent avec des allumettes.
N – Donnez-nous quelques détails. Quel âge avez-vous ? Frappez un coup pour chaque année.
Dix sept coups.
N – Qui étiez-vous ?
R – Femme de chambre. Je me suis empoisonnée avec des allumettes.
N – Pourquoi ?
R – Je ne veux pas le dire. Je ne veux plus rien dire.
Alors une lourde table qui était près du mur et en dehors de la chaîne vint brusquement à trois reprises vers celle autour de laquelle les assistants étaient assis, et chaque fois elle fut repoussée sans qu’on put comprendre comment. Sept coups (le signal convenu pour indiquer la levée de la séance) se firent entendre dans le mur et à 11h20 la séance était terminée.
(Suivent les signatures des assistants).
Ils signèrent aussi cette attestation :
« Les soussignés certifient qu’ils ignoraient la mort d’Anastasie Péréléguine. Ils ont entendu son nom pour la première fois à la séance qui eut lieu le 18 novembre 1887, chez M.A.N. Nartzeff, à laquelle ils assistaient. »
On fit une enquête sur ce suicide inconnu. Le Dr Touloucheff, le médecin officiel qui était présent, dit qu’il ne crut pas d’abord à la vérité du message :
« En ma qualité de médecin municipal, la police m’informe aussitôt de tous les suicides. Mais Péréléguine avait dit qu’elle était morte à l’hôpital. Or, nous n’en avons qu’un à Tambof, celui des « Institutions de Bienfaisance » et il ne fait pas partie de mon inspection. Les autorités, dans ces cas-là, envoient chercher la police ou le juge. J’écrivis donc à mon collègue le Dr Sundblatt, médecin chef de cet hôpital, et sans lui donner de raisons, je le priai de me dire s’il avait eu récemment un suicide chez lui, et si oui, de me donner là dessus tous les détails. Voici la copie de sa réponse, attestée par la propre signature du Dr Sundblatt. »
N. Touloucheff.
19 Novembre 1887.
« Mon Cher Confrère,
J’étais de service le 16 ; deux malades furent admises ce jour là à l’hôtel. Elles s’étaient empoisonnées avec du phosphore. La première Vera K., âgée de 38 ans, femme d’un employé, fut admise à 8 heures du soir, la seconde, Anastasie Péréléguine, âgée de dix sept ans, à 10 heures. Cette dernière avait avalé, outre une infusion d’allumettes, un verre de pétrole et était déjà très mal. Elle est morte à une heure de l’après midi, le 17, et on a fait l’autopsie aujourd’hui. Kosovitch est morte hier, l’autopsie est pour demain K. a dit qu’elle a avalé le phosphore dans un accès de neurasthénie, mais Péléguine n’a pas dit pourquoi elle s’était empoisonnée.
Th. Sundblatt. »
On demanda à M. Nartzeff si la femme de charge, qui avait assisté à la séance, avait pu entendre parler du suicide. Il répondit :
« Cette personne n’est pas, à vrai dire, une femme de charge ; c’est plutôt une amie de la famille, qui est avec nous depuis quinze ans et possède toute notre confiance. Elle n’aurait pu savoir déjà la nouvelle du suicide, car elle n’a ni amis ni parents à Tambof et ne sort jamais.
« L’hôpital en question est situé à l’autre bout de la ville, à environ 5 verstes de ma maison. Le Dr Sundblatt m’apprend, d’après le procès verbal de l’enquête, que Péréléguine savait lire et écrire ». (Ceci répondait à la question : la défunte avait-elle réellement compris la manière de communiquer avec l’alphabet ?)
Peu de cas, à mon avis, démontrent l’identité d’une personnalité désincarnée de façon aussi frappante. Pas de médium professionnel, tous les témoins donnent leurs noms, ce sont des personnes connues et leur témoignage, après sa publication, n’a jamais été démenti.
Ceux qui doutent encore de la valeur des témoignages présentés jusqu’ici se souviendront qu’il est, et sera sans doute toujours impossible, d’obtenir une démonstration logique, décisive, de la survie, propre à satisfaire l’agnostique. Mais « l’enchaînement de la logique formelle, dit le cardinal Newman dans sa Grammaire de la Foi, ne nous donne pas la certitude du concret … La vrai et nécessaire méthode… c’est l’accumulation de probabilités indépendantes entre elles, suivant la nature et les circonstances du cas particulier en cause ». Nous jugerons de même de la vérité de l’hypothèse des esprits, de leur identité, en examinant tous les témoignages pris en masse .
Je recommanderai en terminant un ouvrage en deux volumes, intéressant et brillamment écrit, intitulé bizarrement : Des rapports cosmiques, par M. Henry Holt, l’éditeur américain si estimé. Dans cet ouvrage, M. Holt nous donne une foule de témoignages, recueillis soit par lui, soit par le Dr Hodgson ou d’autres. Ils l’ont convaincu de l’existence des phénomènes sur normaux et de notre impuissance à expliquer par la télépathie ou autrement les preuves de la survivance.
CINQUIEME PARTIE
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Chapitre XVIII
CLAIRVOYANCE
PSYCHOLOGIE DES PHENOMENES DE TRANSE
Nous vivons tous dans le mystère.
Nous ne savons pas ce qui se meut dans l’atmosphère
qui nous environne ni comment elle est en rapport avec notre esprit.
Une chose certaine, c’est qu’exceptionnellement
nous pouvons projeter les antennes de notre âme au delà des limites corporelles.
Nous avons alors un pressentiment,
ou même une véritable intuition de l’avenir immédiat.
Goethe
Nombre de difficultés et de problèmes troublants ressortent de la brève et imparfaite esquisse des phénomènes spirites que j’ai essayé de tracer dans les pages précédentes. Nous les examinerons ici et au chapitre suivant.
L’étude approfondie du sujet nous aidera à les comprendre. Ceux de mes lecteurs qui abordent ces problèmes pour la première fois, se souviendront qu’on n’a pu, dans un ouvrage restreint, donner que des fragments de tous les témoignages accumulés. De plus, j’ai dû passer sous silence certaines questions déjà longuement soumises à la critique et dont il faut tenir compte dans toute interprétation du phénomène spirite. L’une d’elles est la télépathie, fait aujourd’hui reconnu de tous et auquel je reviendrai dans le dernier chapitre ; une autre est ce qu’on appelle la clairvoyance. De celle là je dirai quelques mots .
On se sert malheureusement de ce terme pour désigner deux aspects distincts de la faculté surnormal. On l’emploie pour exprimer la perception transcendante d’actions à distance, ou d’objets matériels cachés. Il est indéniable pour moi que cette faculté existe : elle peut être provoquée dans les états profonds de l’hypnose, ou se produire à l’état normal chez certains sensitifs. Mme Sidgwick a publié une enquête détaillée sur ce qu’on a appelé la « clairvoyance à distance » et dans ma longue étude de la baguette divinatoire, j’ai établi qu’un bon sourcier possède ce genre de faculté, non reconnue jusqu’ici par la science . M. Myers a proposé de la nommer télesthésie, c’est-à-dire perception des objets ou conditions terrestres indépendamment de l’action habituelle des sens et de toute connaissance relevant de la télépathie.
On a appelé aussi clairvoyance la vision transcendantale d’êtres appartenant à un autre plan d’existence. On prétend que beaucoup de nos médiums ont cette faculté à l’état normal ou à l’état de transe ou dans un état de veille intermédiaire. Ici encore les preuves nous paraissent indiscutables, mais la difficulté d’en obtenir de concluantes est très grande par suite de l’action possible de la télépathie, cette hypothèse échafaudée péniblement et dont on abuse.
La clairvoyance sous ses deux aspects et la télépathie expliquent, je crois en grande partie, les communications qui semblent venir du monde des esprits, mais il faut admettre la télépathie chez les morts comme chez les vivants. De plus, il nous faut la preuve que le médium est un percipient, c’est à dire qu’il reçoit inconsciemment l’impression télépathique. Il est grand temps de voir les psychologues expérimentaux et les psychistes accepter l’existence des phénomènes sur normaux et vérifier, aussi bien qu’éditer, des théories qui manquent souvent de preuve.
La copieuse monographie de Mme Sidgwick, publiée dans les Proceedings de décembre 1915, nous donne une importante analyse critique de la psychologie de transe. Elle traite surtout des phénomènes produits par Mme Piper et plus ou moins d’autres vrais médiums, là où nous avons la preuve de connaissances acquises autrement, que par la voie ordinaire des sens. Ce travail a pour but de savoir si « l’intelligence qui parle ou écrit pendant la transe et qui est quelquefois en communication télépathique avec d’autres esprits (morts ou vivants) est autre chose qu’une phase ou un centre de conscience de Mme Piper elle même ».
Mme Sidgwick admet expressément que Mme Piper arrive à certaines connaissances par des moyens sur normaux, mais conclut que la transe, chez Mme Piper et d’autres médiums, « est probablement un état d’auto hypnose, dans lequel elle personnifie différents individus, soit consciemment et délibérément, soit inconsciemment, en se croyant la personne représentée, soit parfois sans doute dans un état intermédiaire… De plus, elle peut recevoir des impressions télépathiques imparfaites et pour la plupart, fragmentaires… Ces impressions ne lui arrivent pas seulement en raison de sa propre action télépathique ou celle d’autres esprits, vivants ou morts, mais se font jour, partiellement ou complètement, à travers la conscience qui agit pendant la transe et se décèle par là même .
La télépathie des vivants, parfois aussi celle des désincarnés, combinée avec la dissociation réelle ou imaginaire de la personnalité du médium à l’état de transe, voilà pour Mme Sidgwick, l’explication de ces phénomènes. C’était en substance, l’opinion du Dr Hodgson au début de ses investigations. Mais, dit Mme Sidgwick, « il paraissait avoir abandonné cette hypothèse au moment où il publia son premier rapport ». Comme on le sait et comme nous l’avons dit, page 171, le Dr Hodgson, M. Myers et tant d’autres avisés psychistes, en furent réduits à accepter l’hypothèse des esprits comme la solution la plus cohérente et la plus simple.
Les conclusions de Mme Sidgwick méritent l’attention et seront sans doute appréciées de maint psychologue et penseur traditionaliste. Si j’ose ici exprimer une opinion, elles sont en grande partie justifiées, expliquent beaucoup d’anomalies troublantes, d’assertions fausses et de personnifications absurdes dans les communications obtenues à l’état de transe.
Ainsi en 1899, dans une séance avec Mme Piper, on eut une soi disant communication de Moïse. Le législateur hébreu prédit qu’il y aurait dans un avenir prochain de longues et sanglantes guerres après lesquelles on approcherait de l’âge d’or. La Russie et la France combattraient ensemble contre l’Angleterre et l’Amérique, l’Allemagne ne prendrait aucune part sérieuse à la lutte. Moïse proféra encore beaucoup de solennelles bêtises.
Une autre fois, ce fut Walter Scott ; il dit au Dr Hodgson que pour savoir ce qui se passe sur Mars, il fallait l’appeler, qu’il avait visité en effet toutes les planètes. A cette demande :
« Avez vous vu une planète qui soit plus éloigné que Saturne ? », le prétendu Walter répondit : « Mercure ! » Jules César et Mme Guyon se manifestèrent aussi de la sorte. Mais un contrôle plus fréquent fut celui de Georges Eliot, l’écrivain. Communiquant parfois directement, elle dit : « Nous parlons par la pensée, à moins de pouvoir agir par une machine, « le médium » ; en ce cas, nous exprimons nos pensées au « contrôle » qui les enregistre pour nous. »
C’est possible, mais la vraie George Eliot ne dirait pas d’une façon si incorrecte : « Je ne sais pas qu’il y aurait assez de lumière pour communiquer », ou : « Sais par que j’ai jamais vu une maison hantée », paroles qui sont données comme provenant d’elle. Les mêmes fautes grammaticales sont faites par des esprits ayant reçu de l’instruction.
Mais la preuve la plus concluante de simulation a été donnée par le contrôle qui prétendait être le Révérend Stainton Moses. Les noms des trois esprits que le vrai Stainton n’aurait pu oublier, (le groupe « Imperator »), furent donnés, et pas un n’est exact ou se rapproche de la vérité, nous dit le professeur Newbold. Le Dr Stanley Hall enfin, dans une séance avec Mme Piper, demanda si sa nièce Bessie Beals pouvait communiquer. Elle s’empressa de venir et dit plusieurs choses à différentes séances. Le malheur, c’est qu’elle n’avait jamais existé !!
On verra par là que nous ne pouvons accepter d’emblée des communications qui souvent sont manifestement fausses bien que présentées au consultant avec une clarté dramatique et un caractère de vraisemblance qui font croire à leur réalité. Elles représentent sans doute des phases de l’être hypnotique de Mme Piper, créées par une suggestion verbale ou télépathique de l’assistant. En dépit de cette simulation indéniable de personnalités défuntes, Mme Sidgwick admet qu’« on reçoit des communications véridiques, dont certaines, il y a tout lieu de croire, viennent des morts et impliquent par conséquent un communicant véritable à l’arrière plan ».
Il sera bon ici de distinguer le sens attaché aux mots « contrôle et communicant ». Le contrôle est l’intelligence qui prétend être en communication directe avec l’assistant au moyen de la voix ou de l’écriture du médium. Le communicant est l’intelligence dont le contrôle est le secrétaire et l’interprète, ou dont le contrôle transmet au consultant soit le discours, soit l’impression télépathique, par le canal du médium. Cette définition donnée par Mme Sidgwick est généralement admise.
La difficulté de la communication est nécessairement considérable, car nous ne pouvons supposer que les communicants se servent d’un procédé physique ou des organes de la parole ou de l’ouie. Ceci nous prouve, Swedenborg nous l’a dit bien avant qu’il ne fût question de télépathie, que les esprits conversent par la pensée. La perception visuelle est parfois suggérée. Un communicant invisible dit « Si vous pouviez me voir, vous verriez chacun de mes gestes copiés par Rector (le contrôle) ; il m’imite pendant que je vous parle. »
Des images mentales, selon le Dr Hyslop, flottent devant l’esprit du médium. La difficulté semble consister à choisir celle qu’il faut. Il y a aussi des difficultés d’audition ou de perception télépathique, surtout quand il s’agit d’un nom. Il y a encore les divagations de l’esprit, la confusion mentale. Un des communicants s’exprimant par la bouche de Mme Piper dit : « Je parle comme à travers un épais brouillard et cela m’étouffe souvent. » Et plus loin « je ne puis trouver le mort juste, mon esprit est si confus… les conditions me suffoquent ».
Le sceptique dira naturellement que c’est une manœuvre habile du médium pour voiler son ignorance, mais on a toute raison de croire qu’il y a de véritable difficulté à transmettre les idées du monde invisible au monde visible. Nous constatons les conditions incertaines de la télépathie ici-bas ; elles peuvent exister de même dans l’au delà quand le contrôle cherche à imprimer ses idées dans le subconscient du médium.
Voilà qui éclaire un peu la nature fragmentaire, décousue, confuse de beaucoup de messages véridiques. La nécessité primordiale d’établir son identité explique pourquoi les communications sont en grande partie des réminiscences morcelées de la vie terrestre du défunt.
Dans leur ensemble, les communications témoignent d’une intelligence tronquée, nébuleuse, comme si une zone de rêves séparait les deux mondes, mais ce n’est pas toujours le cas. Quelques communications automatiques récentes (voir l’article de M. Gerald Balfour sur l’Oreille de Dionysos) démontrent non seulement la coopération d’une ou plusieurs intelligences désincarnées, mais donnent aussi la preuve évidente d’une capacité et d’une vaste érudition classique tout à fait inconnues à l’automatisme. Les allusions cachées, il est vrai, demandent une ingéniosité, une instruction considérables, pour que leurs preuves soient accessibles à des esprits ordinaires. Ce mode abstrait de communication a pu être adopté pour montrer que le message n’est pas donné par des esprits terrestres, qu’il n’est pas attribuable à la télépathie ou à d’autres erreurs. Ceux qui n’ont ni le temps ni les connaissances voulues pour déchiffrer ces énigmes des humanités classiques devront se contenter de cette assurance : des investigateurs compétents et impartiaux se sont convaincus qu’elles apportaient la preuve concluante de l’identité des défunts dont elles disent provenir.
Chapitre XIX
DIFFICULTES ET OBJECTIONS
Mais croyez que ceux que nous appelons les morts
Respirent sous de plus vastes cieux
Pour des buts toujours plus nobles.
Tennyson
Au cours de cet exposé, nous avons vu un sombre agnosticisme, le matérialisme scientifique et le mercantilisme moderne, mis en évidence des faits indéniables de la recherche psychique. La révolution de pensée que ces faits impliquent nécessairement arrivera à s’imposer ; elle sera un gain sérieux pour la science et la religion.
Beaucoup de problèmes néanmoins restent insolubles. Pourquoi les communicants invisibles sont-ils si peu conscients de leurs autres amis terrestres, en dehors du cercle étroit d’une séance ? Leurs souvenirs de la terre se ravivent-ils seulement par des associations d’idées entre le communicant ou le contrôle et les membres du cercle ? Pourquoi ne recevons-nous pas, des hommes et des femmes les plus grands, les plus saints qui ont vécu sur terre, des messages supportant la critique ? Pourquoi n’avons-nous de description claire et cohérente de l’entourage et des occupations de ceux qui ont passé dans l’autre monde ? Ces questions et beaucoup d’autres se posent naturellement. Espérons que l’avenir jettera quelque lumière sur nos perplexités.
Le voile qui nous sépare des morts devient certes moins épais, mais nous nous demandons pourquoi un coin seulement se soulève de temps à autre sans nous donner l’entière révélation du monde spirituel. Et ce qui arrive jusqu’à nous est si incomplet, si peu satisfaisant !
Nous ne verrons sans doute jamais derrière le voile avec la claire certitude que Swedenborg affirme avoir possédée. Il est vrai qu’il nous a dissuadé de suivre ses traces. Peut-être y a-t-il de bonnes raison pour que notre vision reste trouble. De même que nous sommes certains que le jour succèdera à la nuit, si chacun était sûr, après les ténèbres passagères de la mort, d’entrer dans une vie éternelle de liberté et de lumière, telle que beaucoup de spirites la dépeignent, peu d’entre nous souhaiteraient de rester ici bas. Une multitude d’âmes fatiguées et meurtries auraient recours à quelque drogue mortelle pour entrer sans douleur dans un monde où elles espéreraient voir leurs misères à jamais terminées. Vain espoir, les épreuves de la vie terrestre nous sont nécessaires, nul ne pouvant atteindre à une vie plus haute sans passer par l’école de la douleur et de l’effort.
Le scepticisme avec lequel les esprits religieux regardent les communications automatiques vient sans doute en grande partie de la croyance que les messagers de l’au-delà s’imposeraient par leur sagesse, leur élévation, ou leur science transcendante. Une telle croyance a sa racine dans l’opinion populaire que la mort nous fait passer subitement à un état de sainteté et de sagesse sublimes ou à une détresse profonde et sans issue. Les bons sont supposés jouir immédiatement d’une béatitude infinie, les méchants, être plongés dans l’enfer éternel. Swedenborg a détruit, pour le plus grand bien de la théologie, cette grossière croyance médiévale, non seulement parmi ses disciples, mais dans un cercle plus étendu. Nous en dirons autant aujourd’hui du spiritisme qui redresse l’idée populaire du ciel et de l’enfer et nous enseigne la continuité de l’existence, ici bas et au delà. Milton écrivait déjà avec une singulière prescience :
Et si la Terre
N’était que l’ombre du Ciel, Et si les choses
S’y ressemblaient plus qu’on ne le croit sur terre ?
Sir Arthur Conan Doyle, qui a publiquement exprimé sa croyance au spiritisme, fait cette observation : « Nous nous trouvons en communication apparente avec les morts peu après qu’ils nous ont quittés et ils semblent être exactement tels qu’ils étaient avant la séparation ». Il ajoute que le spiritisme, tout en n’étant pas en opposition avec christianisme, fait justice de beaucoup de conceptions grossières et modifie certaines doctrines populaires.
A ceux qui, comme les catholiques et beaucoup d’autres, croient que tous les phénomènes spirites sont l’œuvre de mauvais esprits et sont par conséquent à redouter, nous répondrons : « Vous les connaîtrez à leurs fruits ». On nous dit : « de ne pas croire tous les esprits, mais de les éprouver pour savoir s’ils viennent de Dieu ». Un catholique très distingué, M.G. Raupert, très au courant du spiritisme, a beaucoup écrit sur les dangers qu’on peut courir et je suis d’accord avec lui sur beaucoup de points. Cependant, comme feu Mgr Benson, il met les études psychiques à l’index : « C’est goûter au fruit défendu de l’arbre de science .»
La plupart des anathèmes lancés contre le spiritisme par les ecclésiastiques protestants ou catholiques viennent d’hommes qui ne savent rien ou peu de chose du sujet. Quelques-uns, après avoir pris la peine de s’éclairer, arrivent à croire que le spiritisme révèle l’existence d’un pouvoir mystérieux plus ou moins malfaisant.
Certainement, l’apôtre Paul, dans l’épître aux Ephésiens, parle d’une race d’êtres spirituels, ni de chair, ni de sang, peuplant l’air qui nous environne et capable de nuire à l’humanité. De bons et de mauvais esprits existent sans doute dans l’invisible, et c’est également vrai si les phénomènes sont dus à ceux qui ont vécu sur terre. « Il y a d’aussi grands fous dans le monde des esprits qu’il y en eut jamais en celui-ci », a dit Henry More, il y a plus de 200 ans. L’existence d’un monde spirituel une fois admise, il faut, en tous cas, être sur nos gardes pour empêcher notre volonté d’être soumise à un ordre inférieur d’intelligence et de moralité.
Le danger pour le médium, à mon avis, c’est non seulement la perte de sa force spirituelle, mais la privation possible de ce droit de naissance précieux : notre individualité, notre véritable moi ; tout comme cela peut arriver par l’abus du plaisir sensuel, de l’opium ou de l’alcool.
Notre but principal ici-bas semble être d’une part, de former, de fortifier et de perpétuer nos personnalités distinctes, séparées, et de l’autre, d’éveiller et de développer, dans chacun de nous, la conscience d’un Unité sous jacente qui enchaîne chaque individu à une Vie personnelle plus vaste, commune à tous, « dans laquelle nous vivons, nous nous mouvons, et nous sommes » ; en un mot de comprendre que nous sommes membres et faisons partie intégrante d’un même corps. Jusqu’à quel point le spiritisme favorise ou entrave-t-il ces buts ? Nous en jugerons à ses conséquences morales. Il aidera, je crois, comme le mysticisme, à atteindre le dernier, mais il est possible qu’il nuise au premier.
Ce que j’ai dit, je le répète, n’a évidemment rien à voir avec des investigations scientifiques prudentes. Condamner sans discernement, croire sans savoir, voilà les deux dangers auxquels le public est exposé en abordant le spiritisme. L’investigateur les écarte rapidement. S’il n’est pas bien équipé et n’est pas guidé par la pure lumière de la science, il risque, dans l’ardeur de la recherche, de s’enliser dans quelque tourbière, pour ne pas parler d’un sort plus fâcheux.
La science a pour devoir suprême de poursuivre avec intrépidité la vérité, de montrer le chemin, et d’élever des poteaux indicateurs dans ce vaste territoire qui s’étend sous les brumes devant nous. C’est pourquoi je déplore profondément l’attitude de beaucoup de savants dans le passé et dans le présent. Un philosophe fameux l’a dit enfin de faits semblables : « Les phénomènes en discussion sont, du moins au point de vue philosophique, de tous ceux que nous présente l’expérience, sans comparaison les plus importants ; le devoir de tout homme instruit est donc d’en faire une étude approfondie »
Chapitre XX
PRECAUTIONS ET SUGGESTIONS
Quelle pureté de cœur, quelle solidité de tête,
Quelle force d’affections divines
Devrait avoir l’homme dont la pensée
Voudrait communier une heure avec les morts !
Tennyson
Avant de terminer ce livre, il sera bon d’examiner de quel poids peut être l’argument, invoqué par des amis scrupuleux, que les dangers de la recherche psychique l’emportent de beaucoup sur son utilité.
Je ne nie pas qu’il y ait des risques (quelle branche d’étude n’en offre-t-elle pas ?) mais ils ont été très exagérés et ceux qui sont les plus ignorants de la question sont ceux qui en grossissent les périls. Un journal hebdomadaire important a dit récemment :
Il est juste et raisonnable en tous cas d’étudier les phénomènes, ou sois disant tels, dans un esprit scientifique. Personne ne propose d’empêcher l’étude de la chimie sous prétexte que des gens imprudents peuvent s’empoisonner ou se faire sauter. De même, son danger une fois bien compris, l’investigation psychique ne doit être ni défendue ni entravée parce que certains risques moraux ou psychologiques y sont attachés .
Les expériences publiques d’hypnotisme par des bateleurs ambulants devraient être défendues par la loi, de même que les expériences sur l’effet du chloroforme par un charlatan, mais celles de transmission de pensée ne peuvent faire aucun mal et j’en parle en connaissance de cause .
Toute investigation scientifique doit être menée avec prudence et bon sens. Quand on applique ces qualités aux recherches psychiques, il n’y a pas de raison de redouter les dangers où peuvent tomber les ignorants à l’esprit mal équilibré qui, mais par une curiosité vaine, s’aventurent dans des régions où ils peuvent s’enliser.
L’investigation des phénomènes spirites impose des précautions qu’il ne sera pas inutile de signaler.
Je citerai d’abord ces paroles de M. Epes Sargent à propos des séances de matérialisation, d’écriture automatique, de transe et de clairvoyance :
Les savants s’étant, en règle générale, abstenus d’étudier ces questions, soit parce qu’ils se sentaient mal armés pour les aborder, soit que des objections a priori, des préjugés enracinés les aient retenus, elles sont restées livrées à ceux qui, dénués de sens critique, ou de culture préalable, ont supposé que tout ce qui venait du monde invisible devait être juste et faire autorité. Ainsi ont été acceptés comme émanant de grands penseurs, des messages qui violent toutes les règles du bon sens et de la logique .
Ceci date de plusieurs années, mais on ne peut plus dire aujourd’hui que les spirites manquent autant d’esprit critique. J’ai parlé devant des auditoires aussi intelligents, aussi désireux d’arriver à la vérité que n’importe quelle société d’hommes et de femmes en Angleterre. Ce qui m’a le plus frappé, c’est la camaraderie et la liberté d’opinion qu’on remarque parmi eux et le pieux esprit de leurs réunions. J’accorde que ceux qui manquent d’expérience sont souvent naïfs et trop prompts à prendre pour parole d’évangile les communications verbales ou écrites.
Quand au public non instruit, il est évident que ces phénomènes et le type de clairvoyance décrit page 180 prêtent aux abus de la part des charlatans qui exploitent la crédulité et la détresse de l’humanité. C’est un des malheurs du spiritisme, et c’est là ce qui l’a tellement discrédité. De pauvres niais écoutent ce que leur racontent des astrologues, des diseurs de bonne aventure, des voyants dans le cristal, etc… Il y a des cas véridiques de clairvoyance à la faveur de l’hypnose naissante induite par la vision dans le cristal, comme M. A. Lang et d’autres l’ont montré ; il y a des cas authentiques de prévision, comme M. Myers l’a prouvé, de même qu’il y a des rêves véridiques et prémonitoires . Mais ils sont exceptionnels, ils se rencontrent rarement chez une certaine catégorie de médiums qui, par les petites annonces, escroquent le public.
Quiconque possède une faculté psychique véritable a parfaitement le droit d’être rémunéré quand l’exercice de cette faculté lui prend de son temps. Il y a, j’en suis sûr, beaucoup de médiums professionnels honorables et bien doués qu’on ne peut comparer aux charlatans dont j’ai parlé plus haut. Le mal vient souvent de ce que le public ignorant « en veut tout de suite pour son argent ». La tendance naturelle du médium est de ne pas désappointer son visiteur, d’où la tentation de remplacer le phénomène vrai par le faux. On ne saurait trop insister là dessus, les dons sur normaux sont rares, fugaces, et exigent de la part de l’observateur, patience, science et discernement.
Pour cette raison, je dissuaderai les ignorants d’aller consulter des médiums ; même ceux qui aspirent à percer le voile, pour retrouver « le toucher d’une main disparue et le son d’une voix muette » feraient mieux, à mon avis, s’ils n’ont pas la foi chrétienne, de se contenter de lire les témoignages qui s’accumulent à la suite d’enquêtes aussi rigoureuses que compétentes.
Il est plus facile de donner ces conseils que de les suivre, et des personnes en deuil ont trouvé, après quelques séances suivies avec un ou deux amis, les assurances qu’elles cherchaient. Si cela ne leur fait pas négliger leurs devoirs, leur profession, et que leur jugement reste sain, il n’en peut résulter aucun mal.
J’ai déjà fait allusion à une des choses les plus irritantes de ces communications : la simulation assez fréquente des grands personnages de l’histoire. Son absurdité est tellement flagrante que seuls les ignorants sont trompés ; mais même avec d’honnêtes médiums, ces caprices du subliminal ajoutent souvent aux perplexités de l’expérimentateur et aux railleries du sceptique. Swedenborg nous a averti, un siècle avant le spiritisme moderne, du caractère trompeur de mainte communication des « esprits ». Il dit, dans les Arcanes célestes :
Quand les esprits commencent à parler à l’homme, ils s’associent à ses pensées et à ses affectations : c’est pourquoi il est manifeste que des esprits similaires parlent seuls à l’homme et agissent sur lui… Ils s’approprient toutes les choses de sa mémoire, ils font leur tout ce que l’homme a appris et assimilé depuis son enfance, ils jouent pour ainsi dire, le rôle d’une partie d’homme parmi les hommes . (Aujourd’hui, nous attribuons ce rôle au subconscient.) Or donc, que ceux qui parlent aux esprits veillent à ne pas être trompés quand ceux-ci disent qu’ils sont connus d’eux ou qu’ils prétendent l’être .
De même Preiswerk, en 1856, parlant du spiritisme en Suisse, dit qu’on constata que les communications obtenues par typologie n’étaient « que l’écho et le reflet de l’esprit des assistants . Nous savons que cela est fréquent ; cela indique que maint « phénomène physique » peut avoir sa source dans le subconscient du médium.
En général, nous jugeons celui-ci trop sévèrement. Souvenons-nous qu’il est dans un état anormal et ne se domine plus ; il serait aussi injuste d’accuser de fraude un médium en état de transe profonde, que d’accuser un somnambule qui se promène sur les toits de mettre sa vie en danger. C’est cet affaiblissement de la maîtrise de soi et du sentiment de la responsabilité qui constitue pour moi le péril vrai du spiritisme. C’est pourquoi le novice devra avancer avec prudence, les gens bien équilibrés eux-mêmes devront veiller sur leurs pas, et ceux d’un tempérament trop émotionnel devront s’abstenir de toucher à ce sujet, car sa fascination est celle de la lumière pour les papillons : il attire et brûle les sots, les crédules et les détraqués.
Tout spirite sait le mal qu’ont causé les séances conduites par des ignorants et beaucoup, comme moi, estiment que les médiums professionnels qui ont été convaincus de fraude doivent être évités avec soin. Les séances sans lumière sont également mauvaises et seront proscrites. Les meilleures auxquelles j’ai assistées se sont passées en pleine lumière, ainsi que les merveilleuses observations de Sir William Crookes. Du reste, je crois que Home a toujours refusé d’être dans l’obscurité et il est probable qu’on pourrait, en usant de la patience et de la persévérance, amener n’importe quel médium à supporter un accroissement graduel de lumière sans compromettre sérieusement les résultats ; les observations y gagneraient en précision.
On a quelquefois reproché au spiritisme de conduire à la folie et d’encourager l’immoralité. Les témoignages concluants font défaut. Les accusations de ce genre, par contre, abondent dans l’histoire de toute ère nouvelle et subversive de la pensée. Il y a sans doute des cas isolés, mais comme le souligne Mme Sidgwick, dans un article de l’Encyclopédie Britannique, le fait que les illusions des fous prennent souvent la forme d’une conversation avec des êtres invisibles est probablement l’origine d’une opinion si répandue et si peu justifiée.
Passant à d’autres effets éprouvés par le médium, je doute que quelque mal soit jamais résulté de séances d’écriture ou de parole automatiques, à l’état normal ou dans la transe. Mais il y a toute raison de croire que des séances continuelles pour l’obtention de phénomènes physiques drainent la vitalité du médium de façon excessive et créent, dans les cas extrêmes, une fatigue nerveuse conduisant au dérangement cérébral ou poussant à l’emploi de stimulants, ce qui aboutit au même déplorable résultat. Si cela est, gardons-nous bien, car nul gain pour la science ne justifierait des expériences qui présenteraient un risque aussi considérable ; mais il nous faut là dessus plus de certitudes. Home quelquefois souffrait beaucoup après une longue suite de séances. Sir William Crookes dit l’avoir vu anéanti : pâle, sans voix, et à moitié évanoui par terre, montrant quelle perte de pouvoir vital l’évolution de la « force psychique » avait causée.
Quant à l’impression faire sur le grand public par ces phénomènes, voici ce que m’écrivait, en 1895, M.C. Massey, dont j’ai dit la profonde compétence en toutes ces questions : « L’opposition rencontrée par les phénomènes du spiritisme vient en grande partie du dégoût causé par la grotesque incongruité des manifestations vulgaires, comparées aux mystères spirituels. »
En dehors des asiles d’aliénés, tout le monde, au moins tous les gens sérieux, se révolteront contre ce cauchemar d’un monde invisible peuplé de fantômes en goguette, comme ceux qui paraissent si souvent dans ces manifestations. Comparons ces bouffonneries à l’idéal qui nous est cher, si bien exprimé par l’archevêque Trench :
Où tu as touché, ô Mort merveilleuse,
Où tu es entrée,
A jamais ont péri
Le vulgaire et le mesquin.
Les spirites instruits disent que les médiums, dans une séance à effets physiques, court des risques sérieux de corps et d’esprit s’il est éveillé ou éclairé trop brusquement. Pour le public moqueur, la raison invoquée ici semble inventée pour permettre au médium de frauder à son aise. Mais les dédains et les railleries des ignorants n’apprennent rien ; ce que nous voulons, ce sont des preuves, soit d’un côté, soit de l’autre. Il nous faut des médecins expérimentés et sans préjugés pour en décider. Quelle que soit la conclusion, il est absurde d’imaginer que les ressources de la science sont épuisées au point que des investigations rigoureuses ne peuvent déterminer, avec la précision désirable, à quelle cause il faut rattacher certains mouvements ou apparences physiques, sans avoir recours à des mesures de police maladroites et peut être hasardeuses.
Il apparaît certain que les manifestations physiques les plus réussies, les plus concluantes, ont lieu quand l’expérimentateur traite les phénomènes comme s’ils étaient produits par un animal timide, un être vivant sensitif qui rentre dans l’obscurité et disparaît dès qu’il y a le moindre trouble, la moindre surprise, soit un choc mental, soit un choc matériel. Supposez que vous regardiez un polype d’une organisation supérieure déployer ses longs et sensibles tentacules, aux mouvements capricieux, et vous comprendrez comment un choc ou un rayon subit de lumière les lui fera rétracter instantanément, bien qu’il puisse, par l’entraînement, s’habituer à les produire en pleine lumière.
Avant de clore ce chapitre, nous examinerons brièvement les meilleures conditions propres à obtenir des témoignages avec un bon médium. Il n’est pas douteux que la suspicion est fatale au succès : la sympathie, unie au sens critique, est indispensable. Le rapport de la foi avec les recherches psychiques a été bien exprimé par feu M. Massey et M. Stainton Moses. « La foi, dit le premier, est une des conditions de la preuve, la clef de la porte qui ouvre le monde invisible. » M. Moses ajoute :
Ce que M. Massey appelle foi, c’est la prédisposition et l’attention, un état d’esprit sympathique qui établit, entre un observateur et le médium, un rapport sans lequel il n’y a pas de résultats intéressants. De sorte que quand le critique impartial se fait un mérite de son absence de préjugés, il a raison. On peut concevoir que ce côté négatif le rende incapable de nuire, cela peut même lui permettre d’avoir des résultats heureux dans des conditions exceptionnellement favorables. Mais il se peut, comme le dit M. Massey, que cette qualité négative ne suffise pas et qu’il faille une sympathie positive pour obtenir des résultats réels.
Que le sceptique ne nous dit pas que la sympathie nous est inutile quand nous vérifions les preuves de quelque nouvelle découverte en chimie ou en physique. Nous avons alors affaire au monde de la matière et nous devons conduire nos expériences de telle sorte que des effets préjudiciables ne vicient pas les résultats. Mais ici nous sommes en présence de conditions psychiques délicates, il nous faut faire la part des conditions favorables ou défavorables au succès. M. Moses poursuit :
Si quelqu’un va trouver un médium avec le plus grand désir de voir un phénomène, tout en gardant une attitude d’esprit absolument contraire à la foi, il n’obtiendra rien à moins qu’il n’ait la bonne fortune de rencontrer un médium très développé que sa froideur ne peut entièrement paralyser. « Je pense, remarque M. Massey, que l’état d’esprit le plus défavorable pour étudier un médium est l’état de soupçon, et le plus favorable l’état de confiance. Mais c’est se donner en proie aux trompeurs ? … Et oui, on est trompé ! ».
Je suis d’accord avec M. Massey, on est trompé, mais je suis encore avec lui quand il ajoute : « Je crois, à tout prendre, qu’ils auront des succès, en nombre et en qualité, qui compenseront amplement leurs déboires ».
La confiance est certainement mal placée dans une séance avec un médium douteux ou fourbe, mais en tout cas, elle ne doit pas être considérée comme synonyme de crédulité. L’investigateur le plus expérimenté est aussi le moins crédule, et il est indéniable que ce sont ces chercheurs, hérissés de soupçons, qui n’ont jamais pu obtenir la preuve décisive des phénomènes physiques du spiritisme. Ils ne sont pas plus habiles ou plus critiques que Sir William Crookes et d’autres savants qui ont obtenu des preuves accablantes, mais ils apportent une atmosphère psychique qui est aussi peu favorable au succès que l’atmosphère humide l’est à l’action d’une machine électrique de Holtz.
Il a été dit : Votre force sera dans le silence et la confiance. C’est cette attitude d’esprit, combiné avec une observation alerte et une patience inlassable, que nous recommandons au chercheur qui veut obtenir les meilleurs résultats.
SIXIEME PARTIE
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Chapitre XXI
LA LECON DE LA PHILOSOPHIE
DANS L’INTERPRETATION DE LA NATURE
Par là je vous connais, érudit seigneur !
Ce que vous ne touchez pas est à mille lieues ;
Ce que vous ne pouvez saisir est perdu à vos yeux,
Ce que vous ne pouvez compter, vous le jugez irréel,
Ce que vous ne pesez pas, hélas ! n’a point de poids.
La monnaie qui ne porte pas votre sceau, vous en êtes certain, ne passera pas.
Goethe
Nous avons discuté plus haut (chapitre III) les objections soulevés par la science et la religion et nous avons dit qu’un des principaux obstacles à l’acceptation des phénomènes spirites c’est (ou peut être c’était) que la pensée scientifique moderne est essentiellement matérialiste. « Cette école, a dit éloquemment M. Myers, proclame sur un ton plus agressif qu’il ne convient à la science pure, que toutes les enquêtes sur la nature psychique de l’homme, tout ce qui tend à faire de l’homme autre chose qu’une portion de matière organisée, est désormais écarté à jamais, en dépit des ses inspirations contraires ». Le matérialiste est emprisonné par les sens ; c’est pourquoi un monde qui n’est pas en rapport continuel avec eux est inexistant pour lui. Il affirme que la vie est impossible sans matière pondérable, et les atomes de cette matière contiennent en eux, comme le dit le Dr Tyndall dans son discours à l’Association britannique, « la promesse et la puissance de toute forme et de toute vie ».
La science ayant beaucoup fait pour la pensée humaine, l’opinion publique a naturellement accepté les affirmations de la récente école scientifique qui nie la possibilité de la vie, en général sans protoplasme, c’est à dire sans le groupement particulier de molécules qui est la base de toute vie terrestre. Beaucoup de physiciens, cependant, repoussent cette manière de voir. Déjà en 1881, l’éminent professeur Balfour Stewart, mort depuis, m’écrivait : « Il est tout à fait évident que la connaissance scientifique de l’invisible est ce qui manque à l’enseignement intellectuel de notre race et je ne doute pas que nous n’y arrivions ».
Sa confiance paraît abondamment justifiée, car la psychologie moderne est nettement favorable aux recherches psychiques. Les physiciens ne croient plus à l’atome de Lucrèce, « fort de son unité », et ont fait reculer l’ultime nature de la matière jusque dans le royaume de l’inconnaissable éther. La théorie mécanique de l’univers, si goûtée de l’esprit allemand, se disloque. Les assertions où se complaît le matérialisme ont été attaquées il y a longtemps, il est vrai, par la philosophie.
La commune supposition que l’univers matériel et les êtres vivants qui nous entourent sont connus directement, indubitablement, et constituent un monde de faits positifs sur lesquels la raison peut se prononcer avec certitude, sans faire appel à la foi… est une complète erreur, basée sur une étonnante ignorance des limitations essentielles de la connaissance humaine, dont les penseurs, à l’aube même de la philosophie, étaient parfaitement conscients. Le fait est que nous sommes obligés aussi de dépasser les phénomènes et de mettre notre foi en des évènements, pouvoirs et réalités que nous ne voyons pas, quand nous étudions le passé et les choses lointaines, l’univers matériel ou l’esprit des hommes. Il en est de même quand nous induisons l’existence de Dieu et du monde invisible .
La matière, le monde extérieur à notre conscience, voilà le mystère à résoudre ; et comme nous ne connaissons la matière qu’en termes de conscience, la matière ne nous donnera jamais une explication intelligible de l’esprit et le la volonté. La théorie mécanique de l’univers fait de la conscience un sous produit de la matière et de la volonté une illusion de l’esprit.
Et si la science répond que les prémisses desquelles elle part, sont fournies par l’expérience immédiate, sous forme d’observation et d’expérimentation :
Que dirons-nous de ces expériences en voyant que non seulement elles peuvent être fausses, mais qu’elles ne sont jamais tout à fait vraies… Les neuf dixièmes de nos perceptions sont visuelles et toute expérience visuelle, sans exception, à en croire la science, est menteuse .
C’est à dire que la forme, le brillant, la couleur que revêtent à nos yeux les objets sont, l’optique nous l’enseigne, non pas les propriétés de ces objets, mais des sensations produites en nous par les ondes de l’éther. C’est pourquoi on peut dire avec M. Balfour que, au point de vue psychologique, « nos perceptions, en tant que source d’information, ne sont pas parfois inexactes, mais habituellement mensongères ». Par exemple, toute simulation du nerf optique, soit par la lumière, la pression, l’électricité ou un réactif chimique, se traduit par un éclair lumineux et est appelée ainsi par nous. On peut en dire autant, toutes choses égales, des autres organes spécialisés des sens.
Enfin combien notre conception du monde serait différente, si nous étions privés d’une partie de nos sens, par exemple de la vue ou du toucher, et combien différente encore si nous avions d’autres organes des sens, des fenêtres plus nombreuses sur le monde extérieur. Si nous étions réduits à un seul sens comme la vue, nous en induirions que tout phénomène, tout objet matériel consiste en variations de lumière et de couleur. Nos idées sur le monde prendraient alors plus ou moins d’extension selon les moyens par lesquels il serait perçu.
C’est notre ignorance ou notre oubli de ces faits, notre peu de souci de l’immense différence entre nos perceptions et les réalités qu’elles représentent, qui a fait naître notre perplexité et certains conflits entre la science et la religion. Voilà qui mérite d’être retenu par ceux qui n’ont jamais abordé le sujet.
Un des premiers enseignements de la philosophie de l’esprit, c’est que tout ce que nous connaissons des objets et phénomènes extérieurs consiste en certaines sensations internes ; des choses en soi, nous ne savons absolument rien. Ce que nous connaissons se résout à certains états de conscience, certains symboles ou tekméria, comme feu le Dr Johnstone Stoney les nommait , signes évoqués dans notre esprit par des événements se passant dans l’univers extérieur. Nous ne percevons pas, par conséquent, le véritable monde matériel ou rien qui lui ressemble et nous n’avons pas davantage la plus petite notion de ce que nous appelons la matière en soi.
Nous voyons les mouvements de l’aiguille du télégraphe et nous apprenons à lire le message qu’elle nous apporte, mais l’aiguille en marche ne nous fait pas voir celui qui la fait se mouvoir, et n’a aucune ressemblance, même lointaine avec lui. Les signes qu’elle trace nous donnent bien un message intelligible, mais il ne l’est pour nous que parce que l’intelligence de l’opérateur est parente de la nôtre. De même les signes mentaux que donnent notre cerveau et notre système nerveux du monde matériel extérieur, ne sont pas les objets en soi, ni ne leur ressemblent. Le vrai monde, le monde de l’ontologie nous est absolument inaccessible. Enfin, si le monde matériel nous est intelligible, si nous pouvons interpréter les signes qu’il nous présente, c’est parce qu’il y a derrière l’univers une Intelligence qui est parente de la nôtre.
Pour le matérialiste pur, l’univers se soutient de lui-même et n’a pas d’autre signification que l’apparence qu’il représente à nos sens ; ces apparences sont pour lui la réalité dernière. Mais s’il construit une théorie mécanique de la nature en donnant aux atomes quelque pouvoir occulte, une conscience, il leur confère les propriétés mêmes qu’il faut expliquer. Nous sommes donc forcés de croire en une suprême Intelligence et de regarder l’Univers comme l’expression de la Pensée divine, perpétuellement soutenue par la Volonté divine. Voilà, à coup sûr, l’interprétation la plus simple et la plus vraie de la nature.
Il y a peu de noms plus honorés par la science que celui de Sir John Herschel. Je n’hésite donc pas à citer ici ce passage d’un de ses essais qui me paraît être une contribution précieuse à notre croyance en un Esprit suprême. Comme tout ce qu’écrivait Herschel, il est d’une clarté lumineuse.
L’univers nous présente une série de phénomènes physiques, vitaux, intellectuels. Le lien qui unit l’intelligence à la matière est celui de la vie organisée, l’animale et la végétale. Elle nous fait deviner des mouvements moléculaires d’un caractère tel qu’ils paraissent dépendre de facteurs non physiques, ceux-ci primant les lois ordinaires qui régissent la matière inerte, ou, en d’autres termes, donnant naissance à des mouvements que ces lois n’engendreraient pas sans l’intervention de ces facteurs et impliquant la production d’une force.
La première et grande question à résoudre pour la philosophie, dans son essai de représentation du Cosmos : réduire à un tout cohérent pour l’esprit la triple série des phénomènes de l’Univers, c’est de savoir si notre conscience, si la raison, la volonté, la finalité, peuvent nous donner quelque explication, c’est-à-dire si nous pouvons interpréter la Nature, en supposant que ces facteurs, quels qu’ils puissent être, soient intervenus ou aient pu intervenir dans l’ordre des choses.
Si nous ne pouvons interpréter la Nature en la supposant constituée comme l’esprit humain, elle n’est pas interprétable du tout, et la seule raison que nous ayons alors de chercher à la pénétrer sera, ou l’idée utilitaire d’améliorer notre sort en soumettant la Nature à notre profit, par une complète intelligence de ses lois, ou pour satisfaire à une curiosité sans but qui trouve son plaisir à tout examiner et à ne rien comprendre. Mais si ces attributs de l’esprit ne sont pas concourants, ils n’ont aucune valeur explicative. Une volonté sans motif, un pouvoir sans raison, une pensée opposée à toute logique, seraient admirables pour expliquer le chaos, mais de peu de secours pour rendre compte de quoi que ce soit d’autre .
Il y a peu de temps encore, la pensée scientifique moderne regardait tellement l’esprit et la matière comme des entités distinctes qu’il ne nous venait pas à l’idée que cette conception dualiste pût être fausse. De même que la parole est une manifestation de la pensée, indissolublement liée à elle, de même la matière n’est peut être qu’une manifestation de l’esprit. L’esprit, pour l’intelligence humaine, se manifeste toujours à travers la matière, de sorte que l’esprit et la matière, comme la force et la matière ou la pensée et la parole, nous semblent inséparables et sont même inconcevables comme objets séparés. L’unité essentielle qui se cache sous la pensée et l’expression de celle-ci par la parole nous offre une intéressante analogie des rapports entre l’esprit et la matière. Comme un écrivain ingénieux l’a dit :
Le langage est le mode d’expression de la pensée, sa manière de se faire connaître à elle même ; donc l’existence du langage dépend de la pensée, mais leur rapport est beaucoup plus intime que celui de cause à effet… Nous ne pouvons expliquer la pensée par les lois du langage parce que la pensée fait inconsciemment ces lois pour atteindre à une plus claire connaissance d’elle même. De même nous ne pouvons pas expliquer l’esprit par les lois de la matière parce que ces lois sont, en réalité, les principes qui permettent à l’intelligence humaine de concevoir l’univers matériel. En eux, l’esprit se reconnaît dans le monde extérieur. De même que la pensée est essentiellement autonome, de même la vie de l’esprit est essentiellement autonome, et c’est pourquoi, si la parole exprime l’une, la matière exprime l’autre .
La science expérimentale est encore au berceau ; elle ne s’est pas dégagée complètement de la conception cartésienne où la matière et la pensée, la nature et l’esprit, nettement opposés, n’arrivent à se concilier qu’en la volonté divine incompréhensible. A mesure que notre savoir s’accroît, que notre interprétation de la Nature devient plus adéquate, nous voyons disparaître le dualisme, l’antithèse de la nature et de l’esprit ; les miracles, les phénomènes sur normaux deviennent moins incroyables et la nature nous semble, comme dit Novalis, « la table des matières illustrée de l’esprit ».
Chapitre XXII
LE MYSTERE DE LA PERSONNALITE HUMAINE
D’abord, le ciel et la terre, et les plaines liquides,
le globe lumineux de la lune et
les astres de Titan sont pénétrés, nourris par l’esprit.
Répandu dans les veines du monde, l’esprit se mêle à ce grand corps et l’anime.
D’où la race des hommes et des bêtes, des êtres ailés et des monstres
que porte la mer dans ses flots luisants.
Une vie ardente, d’origine céleste, est dans tous ces germes…
Virgile.
Un bref aperçu des divers aspects de la personnalité humaine s’imposait au début de cet ouvrage, il ne sera pas inutile, pour conclure, d’aborder un côté plus élevé de la question. Notre personnalité, nous l’avons vu, est très complexe et très mystérieuse. Peut être chez tout le monde, certainement chez beaucoup, il y a des potentialités qui débordent les capacités de l’intelligence et de la volonté conscientes ; je dirai plus, qui dépassent les limites de nos sens, de l’espace, du temps, et même de notre pensée et de notre conscience. Si ces facultés existent (et des penseurs comme Schopenhauer et Hartmann en étaient convaincus), nous pourrions nous attendre à d’autres manifestations que celles que nous offre le spiritisme, le somnambulisme, la transe hypnotique, etc.
Le continent noir en nous est bien autre chose que l’enregistrement occulte d’impressions non remarquées ou oubliées ; il y a un ultra liminal aussi bien qu’un subliminal . Il y a une perception supérieure à notre conscience normale, quelque chose en nous qui est capable de répondre à la pensée projetée par un esprit « dans ou hors le corps », quelque chose qui relie notre vie individuelle à sa source, à l’océan de la vie universelle. Kant, ce grand philosophe qui devança notre petite science actuelle, y croyait fermement. Par la seule force de sa pénétrante intelligence, il fut conduit à affirmer ceci :
Il est donc à peu près prouvé … que l’âme humaine, même en cette vie, est en communion étroite avec tous ces êtres immatériels du monde de l’esprit, qu’elle agit sur eux et en reçoit des impressions dont, en tant qu’être humain, elle est inconsciente pendant le cours normal de la vie.
Et plus loin :
C’est donc le même et unique objet qui appartient en même temps au monde visible et invisible, mais puisque les représentations d’un de ces mondes ne s’associent pas avec les idées de l’autre, ce que je pense comme esprit ne reste pas dans mon souvenir d’homme .
Swedenborg pensait de même, il le répète fréquemment :
L’homme est ainsi constitué qu’il est en même temps dans le monde spirituel et dans le monde naturel : le monde spirituel est celui des anges, le naturel, celui des hommes.
Plotin, au IIIe siècle, avait une croyance semblable. Il parlait des hommes comme d’amphibies, qui viennent en partie dans le monde naturel, en partie dans le monde spirituel. En effet, les néo platoniciens et les mystiques en général enseignent que l’âme a une vie double, l’une inférieure et l’autre supérieure. Jamblique croyait que, dans le sommeil, l’âme échappe à la contrainte du corps et entre dans la vie divine de l’intelligence, la nuit du corps étant le jour de l’âme . « L ‘extase » de Plotin, et avant lui de Philon, c’était la libération temporelle de l’âme, et son union avec l’infini .
Nous voyons par là que beaucoup de grands penseurs du passé sont d’accord avec les témoignages récents qui enseignent que notre moi est très supérieur à ce que notre conscience nous laisse entrevoir. De même les racines d’un arbre sont enfouies sous terre, de même la racine de notre moi pénètre dans un monde en deçà de la conscience. Nous comprenons avec l’idée des néo platoniciens : l’âme n’est que partiellement connue dans ce que nous appelons sa conscience normale ou conditionnée dans le corps.
Il y certainement un monde extérieur à notre conscience, dont nous ne sommes séparés ni par le temps, ni par l’espace, mais seulement par la barrière de nos perceptions. Cette barrière constitue ce qu’on a excellemment nommé le seuil de la sensibilité, et limite l’étendu de notre conscience. A mesure que l’évolution nous fait passer des formes inférieures aux supérieures, ce seuil se déplace en même temps que la conscience augmente. L’organisme d’une huître constitue un seuil qui la sépare de la plus grande partie de notre monde sensible ; de même l’organisme physique de l’homme constitue un seuil qui le sépare du monde transcendant plus vaste dont il fait partie. Ce seuil cependant n’est pas immuable. Dans le ravissement, le rêve, la transe hypnotique, il se déplace et l’esprit se meut temporairement dans des mondes non perçus par les sens. Dans la clairvoyance des états profonds de l’hypnose, dans le somnambulisme, le seuil se déplace encore, une intelligence plus haute se manifeste, avec une limpidité et une puissance proportionnées à la plus ou moins complète cessation des fonctions et de la conscience de notre état de veille normal.
Cette intelligence, nous l’avons démontré, a des pouvoirs et des perceptions plus étendus, plus profonds que ceux de la conscience normale. Puisque l’exercice de ces facultés paraît gêné en ce monde par notre organisme humain, nous pouvons en induire qu’une fois libérée de « cette livrée boueuse », l’âme entrera dans sa vie la plus large. Le seuil de la sensibilité n’est pas supprimé tout à coup, à mesure que les sens s’éteignent pour toujours. Quand les êtres qui nous sont chers nous quittent, il est donc vraisemblable, dans la plupart des cas, que « l’aube qui est derrière toutes les aubes » se lèvera doucement, les éveillera peu à peu à la conscience plus large, plus profonde qui, bonne ou mauvaise, nous attend tous.
Paix, paix, il n’est pas mort, il ne dort pas,
Il s’est éveillé du rêve de la vie
Chapitre XXIII
LE PRINCIPE DIVIN DE L’AME
LA REINCARNATION
Toute vision extérieure s’efface devant la vision intérieure
Dont nul credo, nul canon ne nous donne la clef,
Mais nous sentons que nous avons été
Et serons éternellement
Bayard Taylor
Les phénomènes transcendants que nous venons d’étudier, loin de l’exclure, présupposent le « principe divin de l’âme », pour employer l’expression mystique. Le surnaturel, dans le vrai sens du mot, dépasse en nous le surnormal. « Derrière la conscience elle même se place certainement la Réalité ultime dont la conscience n’offre que le reflet ou la faible représentation .
L’union intime et immédiate de l’âme avec Dieu, la manifestation de l’Infini dans et par le fini, voilà l’idée fondamentale non seulement des mystiques mais du Nouveau Testament et de tous les grands penseurs chrétiens. Atteindre à cette conscience plus profonde et par conséquent à notre personnalité totale, est du domaine de la religion, dont le vrai thème n’est pas la vie future, mais la vie supérieure.
Cette connaissance de Dieu, non des modalités de son action, mais la conscience de sa présence, est ce qu’on entend par religion. Il est évident qu’à ce point de vue le spiritisme n’est pas et ne peut pas être une religion, dont la base essentielle consiste dans ces instincts élevés de l’âme que nous appelons la foi. La chanoine Scott Holland dit, dans Lux Mundi :
La foi est la force par laquelle la vie consciente s’attache à Dieu… La foi ouvre donc devant la créature une existence entièrement nouvelle dont la nouveauté s’exprime par le mot surnaturel. Le monde surnaturel s’ouvre à nous dès que la foi a atteint l’être .
Le spiritisme ne pourra pas non plus nous donner la connaissance du surnaturel, comme on l’a prétendu. La connaissance surnaturelle, au sens vrai du terme, est incommunicable du dehors, c’est la voix de l’esprit qui parle à l’esprit, ou, comme dit Plotin : « L’envol de l’unique vers l’unique », car « pour entendre la voix de Dieu l’âme doit être dans un calme absolu ». Les âmes humaines les plus humbles ont eu cette révélation divine, non moins que les grands prophètes et les poètes.
Car plus d’une fois – Etant seul et méditant – Sur le mot qui est le symbole de moi-même – Le lien mortel du Moi se relâcha – Et il passa dans l’Innommable, comme un nuage – Se fond dans le ciel. Je touchai mes membres : - Ils m’étaient étrangers et pourtant nul doute. – Une parfaite clarté, et la perte du Moi – Le gain d’une vie si grande, que comparée à la nôtre – Elle paraîtrait un soleil auprès d’une étincelle ; choses inexprimables avec des mots – Les mots n’étant que les ombres d’un monde d’ombres .
C’est le détachement de soi, ce renoncement total qui permet à la conscience de Dieu de pénétrer notre vie. Notre propre volonté s’anéantit, celle de Dieu vit en nous et c’est seulement alors que nous touchons le but de notre existence terrestre ; concevoir une conscience supérieure et découvrir notre véritable personnalité, qui est immortelle. Celle-ci ne peut persister qu’autant que ce but a été atteint ; c’est l’aboutissement de la vie. Lotze nous l’a dit : « La personnalité parfaite est en Dieu seul ». En d’autres termes, quand nous devenons conscients de la vie et de l’amour divins en nous, notre vie humaine partage consciemment la vie sans fin de Dieu ; sans cette conscience, l’existence est non seulement peu satisfaisante, mais insupportable.
Conclure, comme on le fait habituellement, que les communications spirites nous enseignent l’immortalité nécessaire, inhérente, de l’âme, est à mon avis une erreur des plus pernicieuses. Elles nous montrent, il est vrai, que la vie peut exister dans l’invisible, et, si nous acceptons les preuves d’identité, que des êtres que nous avons connus sur terre vivent toujours et sont près de nous. Mais l’existence d’une vie après la mort n’implique pas nécessairement l’immortalité, c’est-à-dire la persistance éternelle de notre personnalité ; cela ne prouve pas davantage que la survivance s’étend à tous. Evidemment, aucune preuve expérimentale ne pourra jamais nous affirmer l’une ou l’autre croyance, bien qu’elle puisse faire et qu’elle fasse justice des objections soulevées contre la possibilité de la survivance.
Beaucoup croient avec l’érudit et dévot Henry More et autres platoniciens et aussi d’éminents penseurs modernes, comme le Dr J. Ellis Mc Taggart, que la survivance implique l’existence prénatale. Dans ce cas, comme M. Massey l’a dit, « toute la conception de l’immortalité se transforme si nous regardons la conscience individuelle comme la limitation partielle et temporaire d’un moi plus grand, le fruit de plusieurs saisons, si je puis m’exprimer ainsi, de vie terrestre. »
On a opposé à l’idée de réincarnation l’oubli total de nos existences passées, mais ceci peut n’être qu’une éclipse temporaire. Il est possible que le souvenir de nos vies antérieures nous revienne peu à peu au cours de nos progrès spirituels, à mesure que nous arrivons à une vie plus large, à une conscience plus étendue. La vie subliminale est peut être le fil d’or qui rattache entre elles nos vies passées et futures.
La réincarnation est aujourd’hui à l’ordre du jour, il sera dont peut être intéressant de citer encore quelques passages de M. Massey :
La raison de la réincarnation a sa source dans l’attirance qu’exerce notre monde… Ce qui nous a amené ici-bas une fois nous ramènera sans doute encore, tant que le mobile qui nous y pousse n’aura pas changé… La régénération, c’est à dire le renouvellement de notre nature, nous exempte seule de la réincarnation. Les liens du désir une fois rompus, tout notre attachement pour la nature extérieure a cessé… L’idée chrétienne, il me semble, c’est que ces liens se rompent chez tous ceux qui le désirent pour être remplacés par l’attachement à la Puissance personnelle qui a, en principe, accompli la rupture. Le bouddhiste dit : « il faut vaincre le désir », ce qui est négatif. Christ nous apporte quelque chose de positif. Désirez-le et vous échapperez à la griffe du désir terrestre, car les deux désirs ne peuvent co-exister .
Sans doute quelques lecteurs trouveront ces remarques inopportunes ici, mais toute la question du spiritisme est si intimement liée à celle de l’eschatologie , et l’éclair tellement, que je me suis aventuré à aborder le sujet. Il est inépuisable et on le discute depuis des siècles avec le même intérêt. Matthew Arnold a défini l’immortalité « la vie dans l’ordre éternel qui ne meurt jamais ». Mais l’âme veut plus que l’existence impersonnelle d’amour et de bonté, de vérité et de beauté comprise dans l’ordre éternel et infini.
Reconnaissons cependant notre ignorance ; nous ne pouvons voir très avant : « Nous ne croyons qu’une chose, c’est que nous ne pouvons pas connaître ». Peut-être en est-il comme l’enseigne la philosophie hindoue et comme le croyait Bruno, le savant dominicain martyr : la personnalité humaine, l’individualisation de l’âme, n’est qu’un événement passager : elle n’a, dans le sein infini du temps, qu’une stabilité et une durée éphémères, bien qu’elle soit immortelle en tant que partie de la Vie divine. Tout l’Univers, pour Bruno, comme pour beaucoup de penseurs après lui, est un cosmos vivant, une transmutation éternelle de l’âme du monde, de la Parole divine éternellement présente.
Les religions admettent que Dieu est le centre de toutes existences, ses manifestations représentant la circonférence. La création toute entière est contenue dans ce vaste cercle, de même que l’innombrable vie cellulaire est contenue dans le corps. Chaque cellule a sa vie propre et toutes cependant sont reliées à une unité consciente, à une personnalité qui dépasse de beaucoup la vie de chacune. Il existe peut-être, et même nécessairement, quelque mode mystérieux d’intercommunication entres les cellules individuelles et le subconscient.
Nous pouvons donc nous représenter la race humaine comme les cellules, les membres divers d’un corps unique avec lequel tous sont en rapport et pourtant qui les dépasse comme l’Etre unique, suprême et ineffable. Nous ne pouvons douter non plus qu’il n’y ait quelque mode de communication entre le Créateur et la créature :
Tous ne sont partie que d’un seul tout prodigieux
Dont la nature est le corps et Dieu l’âme.
Inévitablement, dit Myers, à mesure que nos liens avec les autres esprits se fortifieront et que la vie organique se répandra mieux dans la cellule individuelle, nous prendrons conscience d’un amour plus ardent, d’une sagesse plus hautes et d’une joie plus pure ; nous verrons que cette unité organique de l’âme qui est le fond de la télépathie est en soi l’ordre du Cosmos, la Somme des choses .
La découverte de la télépathie a jeté quelque lumière sur la possibilité de cet influx divin. Nous en examinerons brièvement les conséquences au dernier chapitre.
Chapitre XXIV
LA TELEPATHIE ET SES CONSEQUENCES
Toute créature occupe un point isolé de l’espace,
Mais que l’homme lève un doigt, émette un soupir,
La foule des êtres environnants,
Dans les mondes sans nombre, avec le temps et l’espace
Pour condition, frémissent jusqu’aux moelles
De bonheur, vibrent et se font écho ;
Et la vie répond à la vie, à travers les vastes profondeurs
Comme un chœur antiphonique, d’une inspiration commune.
Mme Browning.
J’ai surtout traité dans ce livre des phénomènes spirites. Il n’était pas dans mon intention d’aborder d’autres questions psychiques, pour la plupart moins impressionnantes et dont certaines, comme l’hypnotisme et la télépathie, sont, à mon avis, presque aussi bien établies que beaucoup de vérités acceptées par la science. Nous avons considérablement ajouté aux poids des témoignages depuis que Schopenhauer écrivait : « Quiconque aujourd’hui met en doute les faits du mesmérisme et de la clairvoyance, n’est plus un sceptique mais un ignorant ». Cette observation pourrait s’appliquer à d’autres branches de notre enquête. Des problèmes scientifiques du plus haut intérêt se posent. Je ne puis en indiquer que quelques uns.
Est-ce, dans la transmission de pensée, l’idée ou le mot qui se transmet ? Est-ce l’émotion ou l’expression de l’émotion ? Personnellement je crois que c’est l’idée ou l’émotion, mais alors cela nous fait entrevoir la possibilité de l’échange de la pensée entre humains en dépit de la diversité des langues ? Le langage n’est que le grossier instrument de la pensée ; « il est fait de signes arbitraires, c’est le rudiment d’un système matériel » et nous pouvons le voir disparaître sous l’action des forces de l’évolution. Nous pourrions en effet transmettre beaucoup plus parfaitement des idées complexes et des émotions subtiles par l’échange simple d’esprit à esprit que par le mécanisme de la parole.
De plus, les animaux ne partageraient-ils pas avec l’homme cette faculté ? Nous avons des témoignages montrant que les animaux domestiques perçoivent souvent des apparitions et que leurs perceptions sont fréquemment plus subtiles que celles de l’homme. Il serait intéressant de rechercher si les animaux sont réellement sensibles à la télépathie ; un chien favori, par exemple répondrait-il à l’appel non articulé de son nom ? Les mœurs des abeilles et des fourmis semblent indiquer un mode de communication qui nous est inconnu. Si nos animaux domestiques sont sensibles à la transmission de pensée, ne pourrions-nous avoir avec eux des rapports plus intimes ?
Mais laissons là ces spéculations. L’acceptation générale de la transmission de pensée nous conduira fatalement à son étude et à son application. Ne joue-t-elle pas déjà un rôle dans les sentiments de sympathie et d’humanité qui augmentent en ce monde ? S’ils y étaient aussi répandus que dans le monde spirituel, que de changements ne verrions-nous pas ! Si nous partagions involontairement les joies et les peines des autres, la fraternité des races ne serait pas une pieuse aspiration, ou un effort ardu, mais la plus vivante des réalités ; le seul facteur qui dominerait notre conduite. A quoi servirait un hôtel luxueux dans le West End et des cuisiniers parisiens si la misère et la faim de nos semblables de l’East End faisaient partie télépathiquement de notre vie ? D’autre part, que de belles visions, que d’émotions joyeuses pénétreraient les vies mornes et déshéritées si cette réceptivité nous était donnée à tous … Shakespeare le dit dans un des ses sonnets :
Si la lourde substance de ma chair était la pensée
La distance injurieuse ne barrerait pas ma route.
Il se peut que la télépathie soit la survivance d’une ancienne et commune possession de la race humaine, tombée en désuétude et presque disparue en raison du développement du langage. C’est plus vraisemblablement une faculté rudimentaire ou peut être un cas particulier et primitif du grand rapport entre les hommes, qui nous éveille lentement à la conscience d’un moi plus large, nous donne
Un cœur qui bat
En toutes ses pulsations, avec le cœur commun
De l’humanité, et que les mêmes choses rendent joyeux
Les mêmes choses rendent tristes …
On entend souvent dire à propos des investigations psychiques : « De quelle utilité cela peut-il être ? » Quand tout sera dit et effectué, quand des faits si lentement accumulés seront reconnus et établis, quel sera notre gain ?… Rien, pour celui qui, comme Peter Bell, regrettera de ne pouvoir manger ou boire la primevère qui pousse au bord du ruisseau ; rien pour le cœur simple, content de peu ; rien enfin pour les saints, à qui la foi suprême a permis de s’élever au dessus des doutes humains et qui vivent tous les jours « comme s’ils voyaient Celui qui est invisible » ; mais le gain sera grand pour le reste de l’humanité, auquel beaucoup de nous appartiennent.
Le savant Dr Glanville nous le dit, dans la dédicace de son fameux Sadducéisme triomphant : « Ces choses ont trait à nos intérêts les plus vitaux, si elles peuvent être prouvées, elles regagnent quelques avant postes religieux et reprennent une partie du terrain que l’incroyance téméraire a envahi ». Mais nous voyons plus loin que Glanville, nos besoins d’esprits sont plus grands. Une philosophie matérialiste, mensongère et paralysante doit ou disparaître, ou être reconduite, lorsque les phénomènes que nous démontrons seront bien établis ; de même les attaques contre le christianisme, basées sur son invraisemblance, perdront toute leur force.
Le changement le plus radical de la pensée depuis l’ère chrétienne suivra très probablement l’acceptation par la science de l’immanence du monde spirituel. La foi cessera de chanceler en s’efforçant de concevoir la vie de l’invisible, la mort dépouillera la terreur qu’elle inspire aux cœurs chrétiens eux mêmes, les miracles ne paraîtront plus les reliques superstitieuses d’un âge barbare, la prière issue de la foi ne s’expliquera plus par la réponse subjective qu’elle évoque, ni le « verbe du Seigneur » par une simple aspiration de l’âme. Au contraire, si comme je le crois, la télépathie est indiscutable, si les êtres de la création s’impressionnent l’un l’autre sans la voix ni la parole, l’Esprit Infini dont l’ombre nous couvre se sera sans doute révélé au cours des siècles aux cœurs humains capables de lui répondre. A quelques âmes privilégiées furent données l’ouïe intérieure, la clairvoyance, la parole inspirée, mais tous nous percevons parfois une voix au dedans de nous-mêmes, faible écho de cette vie plus large que l’humanité exprime, lentement mais sûrement, à mesure que les siècles s’écoulent, Wordsworth le sentait quand il écrivait :
J’estime néanmoins, qu’il est des Puissances
Qui, par elles-mêmes, impressionnent nos esprits.
Mais pour ceux-mêmes qui étudieront ces phénomènes au seul point de vue scientifique, le gain sera immense. J’ai déjà fait allusion aux solutions qu’ils pourront apporter à beaucoup de problèmes troublants, en ce moment inabordables, aux nouveaux champs d’expériences qu’ils défricheront, à l’impulsion qu’ils donneront à une psychologie plus exacte et une philosophie plus saine. Bien mieux, ils rendront plus évidentes la solidarité humaine, l’immanence de l’invisible, la domination de la pensée et de l’esprit, en un mot, l’unité transcendante et la continuité de la vie.
Notre mémoire scientifique et politique est courte. Nous ne voyons nettement que le milieu où nous vivons. Ce qui a été avant nous nous paraît inexistant et illusoire. La science moderne oublie. Comme on l’a très bien dit :
Tous les systèmes primitifs de philosophie tendent à surnaturaliser les actions naturelles alors que la science moderne place dans le monde phénoménal les causes ultimes, qui resteront toujours au delà des phénomènes. Les vieux auteurs se plaisaient à de dessins symboliques où les forces de la nature étaient représentées chacune à l’œuvre à la place qui était la sienne ; au-dessus ils figuraient un nuage d’où sortait la main de Dieu commandant aux divers ouvriers de l’Univers .
Le symbole ne manque pas de justesse car :
C’est le sublime de l’homme,
Son éclatante majesté, de savoir
Qu’il est en partie d’un tout merveilleux…
Mais c’est Dieu
Diffusé à travers le monde, qui fait de tous un tous .
Nous ne sommes pas séparés du Cosmos ni perdus en lui : la lumière des soleils et des étoiles nous arrive, la force mystérieuse de la gravitation unit les différentes parties de l’univers matériel en un tout organique ; la plus petite molécule et la trajectoire la plus lointaine sont assujetties au même milieu. Mais au dessus et au delà de ces liens matériels est la solidarité de l’esprit. De même que la signification essentielle et l’unité d’un rayon de miel ne sont pas dans la cire des cellules mais dans la vie et le but commun de leurs constructeurs, de même le vrai sens de la nature n’est pas dans le monde matériel, mais dans l’esprit qui lui donne son interprétation qui supporte et unit, qui dépasse et crée le monde phénoménal à travers lequel chacun de nous passe un instant.
APPENDICE A
LA SUPERSTITION ET LE SURNATUREL
I
Les phénomènes décrits dans ce livre sont habituellement considérés par les sceptiques comme une « recrudescence de la superstition » et par les croyants, comme « la preuve du surnaturel ». Si l’une ou l’autre de ces assertions est vraie, elle a des conséquences capitales. Appuyées comme elles le sont toutes les deux par des autorités, elles méritent d’être examinées avec soin. Et d’abord qu’entend-on par « superstition » et par « surnaturel » ? Etre superstitieux, du latin superstitio, c’est, étymologiquement, se tenir au dessus d’une chose, avec stupeur et crainte. Ce faisant, nous empêchons toute enquête raisonnable. Où jaillit la lumière, s’évanouit la superstition. N’offusquant plus le mystère en nous tenant au dessus de lui, nous arrivons à le comprendre. La superstition est donc l’antithèse de la compréhension et de cette foi en l’intelligibilité de l’Univers qui est l’ancre de salut de la science et le guide de tout progrès intellectuel.
La définition donnée par l’érudit Sir G.W. Cox me paraît très proche de la vérité, en y ajoutant une parenthèse : « La superstition est une croyance qui ne s’accorde pas avec les faits (une cause erronée étant attribuée à un fait ou événement) ; elle se manifeste par des actes quand cette croyance est regardée comme pouvant aider ou nuire ». Si donc une première hypothèse est non seulement inexacte, mais sans corrélation avec les faits, nous avons là la source même de la superstition et des maux qu’elle entraîne, quoique les déductions tirées de cette hypothèse soient irréfutables. La sorcellerie était ainsi la plus horrible des superstitions. Des idées fausses sur le Cosmos donnent souvent naissance à d’absurdes et de révoltantes superstitions.
Nous voici en mesure d’analyser la question. Le spiritisme, au sens donné, est il une superstition ? Evidemment, s’il ne s’accorde pas avec les faits, mais ceux qui affirment cela sont les mêmes personnes qui déclarent a priori les faits impossibles ou invérifiables et n’ont jamais étudié la matière. Les témoins oculaires et les expérimentateurs affirment que certains phénomènes entièrement nouveaux pour la science existent, que les faits sont là. Bref, bien que l’on puisse différer quant à leur interprétation, personne n’a prouvé encore que la croyance en ces phénomènes manque absolument de base. Au contraire, plus d’un chercheur honnête a dû s’incliner devant l’évidence et changer de position.
Mais alors, l’hypothèse première de maint savant ou homme cultivé ne s’accorde pas avec les faits et détourne des sentiers de la vérité. N’est-ce donc pas l’homme de science moyen, n’est-ce pas l’opinion moyenne, qui sont, en la circonstance, sottement superstitieux ? Nous ne devons pas oublier les conséquences de cette croyance erronée sur ceux qui la professent. Comme le dit encore l’écrivain dont j’ai adopté la définition de la superstition :
« Il s’ensuit que toute croyance, toute pratique qui n’est pas basée sur un fait réel ou ne s’accorde pas avec lui, a un effet pernicieux sur l’état mental ou moral du penseur ou de l’homme d’action. Jusqu’où le mal peut aller et entraver le progrès de la littérature, de l’art et de la science, le lecteur pourra le voir en lisant le IX chapitre du Moyen âge de Hallam ».
Nous savons tous ce que produit la mentalité faussée du matérialiste scientifique. Partant de ce principe que le monde invisible ou spirituel est inexistant, il faut que tout cela cède devant cette affirmation, bien que son arrogance ridicule en soit évidente, étant donnée les limites étroites et de notre savoir et de nos sens.
D’après cette école, « n’importe quelle solution serait plus vraisemblable que celle qui reconnaîtrait l’éventualité du miracle. Voilà qui explique son manque apparent de franchise et pourquoi elle oppose des défaites à ce qui paraît décisif »
Telles sont les paroles de l’érudit prévôt de Trinity College à Dublin, le Dr Salmon ; elles s’appliquent aux exégètes et à beaucoup de féroces sceptiques en matière de science physique.
II
Voyons maintenant ce que vaut la seconde affirmation : le spiritisme est la preuve du surnaturel. En laissant de coté l’école qui nie tout du surnaturel, nous avons de nombreuses définitions de ce mot. Strictement parlant, Dieu étant le créateur et la source de toutes choses, il ne peut être qu’au dessus de la nature. L’archevêque Whately fait cette observation : « La Nature n’étant qu’un mot pour exprimer l’état de choses créé par Dieu, rien de ce qui arrive ne peut être appelé surnaturel. Jésus lui même parle de son œuvre non pas comme d’une violation des lois de la Nature, mais comme d’œuvres qu’aucun autre homme n’accomplit. Surhumain serait peut être un meilleur terme que surnaturel. »
Mais ce n’était pas là la pensée des auteurs de l’Ancien ou du Nouveau Testament. Elle était celle de leur temps : une action arbitraire de l’Etre Suprême intervenant dans un but spécial, pendant le cours ordinaire de la vie. Le miracle était donc la preuve visible de son existence et de sa puissance. Il est évident que tant que la science ne nous avait pas donné la preuve concluante d’un ordre immuable de la Nature, il ne pouvait y avoir d’idée nette du miracle ou du surnaturel.
Une intéressante discussion sur le sens du mot surnaturel se trouve dans le libre si connu du Dr Horace Bushnell : La Nature et le Surnaturel. L’évêque Butler conçoit très sainement les choses. Il dit dans son Analogie (1er partie, chapitre II) : « La seule signification exacte de ce mot (naturel) c’est : déclaré, établi, fixe. Ce qui est naturel, en effet, demande et présuppose un agent intelligent qui le rende tel, continuellement, ou à un moment donné ; de même pour le surnaturel ou le miraculeux. Il s’ensuit que la notion de ce qui est naturel s’élargira en proportion de la connaissance plus étendue des œuvres de la Providence. Il est raisonnable de supposer qu’il y a des êtres dans l’univers dont les capacités, le savoir, et les vues, soient si vastes que toute la dispensation chrétienne, leur apparaisse naturelle, que le cours ordinaire de la vie pour nous. »
Saint Augustin dit de même : « Les miracles ne sont pas en contradiction avec la nature, ils ne sont en contradiction qu’avec ce que nous savons d’elle. » Voilà ce que la plupart des théologiens modernes soutiennent.
Bref, comme le dit un ancien professeur de géométrie à l’Université d’Oxford, le Rév. Baden Powell, dans ses admirables essais sur l’Ordre de la Nature (pages 232 et sqq.) : « Les limitations de notre connaissance de la nature ne nous conduisent pas au surnaturel. Si la science se trouve arrêté aujourd’hui sur une point quelconque, ce qui la dépasse n’est pas pour cela hors nature, ce n’est que de la nature inconnue ; quand une loi nous échappe, nous savons qu’elle reste à découvrir. Quelques merveilles que l’investigation nous dévoile, ces phénomènes extraordinaires ne tarderont pas à être interprétés. Spinoza disait que nous ne pouvions prétendre tracer la frontière entre le naturel et le surnaturel tant que la nature entière ne nous était pas connue … Il est en effet évident que le surnaturel ne peut jamais être un objet de connaissance, car aussitôt qu’il est devenu démontrable ; il cesse d’être surnaturel. »
Nous voyons par là que le spiritisme n’est pas et ne peut pas être la preuve du surnaturel.
Le sens populaire attaché à ce mot est celui-ci : « Evènement qui donne la preuve d’un monde invisible ou spirituel en dehors du nôtre et qui n’appartient pas, par conséquent, à l’ordre présent et visible de la nature ». C’est dans ce sens seulement, et encore d’une façon impropre, que nous pouvons parler de certains phénomènes spirites bien établis comme étant « surnaturels ».
Ceux qui nient les miracles affirment qu’ils connaissent toutes les lois de l’univers. C’est peine perdue que de discuter avec eux ; il n’y a qu’à les laisser de côté s’ils ne veulent pas s’incliner devant l’évidence. L’archevêque Whately, dans un essai sur la superstition, dit fort judicieusement : « Qu’un catholique, ou tout autre, donne la preuve incontestable d’un miracle, il faut l’admettre ; mais prétendre croire, ou croire à un miracle sans preuve suffisante, est évidemment de la superstition. »
Je proposerai cette définition des phénomènes du spiritisme : Les miracles sont des manifestations sur normales de l’esprit, par conséquent rares. Ils peuvent donc être la preuve, ou de l’Esprit infini, ou d’un esprit fini dans l’invisible, ou d’une partie transcendante supérieure de l’esprit humain.
Une autre distinction capitale sera faite entre les miracles qui sont une démonstration volontaire du pouvoir surnormal pour un but divin, et les miracles, tels que certains des phénomènes étudiés par nous, qui sont les manifestations d’une intelligence et d’un pouvoir complètement en dehors du contrôle du médium, sa volonté se bornant à ne pas résister mentalement. Ces « miracles » relatifs, deviendront sans doute le fait scientifique de demain. Mais les premiers, qui sont déterminés, ne sont pas de la même catégorie, et resteront, comme le dit Kant, parmi ces évènements du monde dont nous ignorons et ignorerons toujours la cause efficiente.
La croyance protestante, on le voit, que les miracles, dans l’acceptation la plus large de ce terme, ne sont croyables que dans les Ecritures, est sans fondement. Comme le Dr Bushnell l’a fait ressortir : bien loin que l’âge des miracles soit passé, nous avons la preuve continue, depuis les temps apostoliques, de l’existence des miracles, c’est à dire qu’il y a la preuve sur normale de l’existence et de l’action d’une Intelligence invisible.
APPENDICE B
NOTE DU PROFESSEUR BALFOUR STEWART
J’ai lu avec beaucoup d’intérêt l’article du professeur Barrett sur les phénomènes dits spirites dont il a été témoin. Il conclut ainsi : « Les preuves données étant dignes de foi, je crois, pour ma part, que dans des conditions assez rares pour ne pas interrompre véritablement le cours des lois de la matière et ne pas nous réduire ainsi à la confusion intellectuelle, l’esprit peut quelquefois exercer une action directe inconsciente sur la matière première. »
Ayant beaucoup réfléchi à cette question, j’espère que la Société des recherches psychiques me permettra quelques observations, avec l’agrément de mon ami le professeur Barrett.
Bien que la conservation de l’énergie représente le type des lois physiques, je ne l’en regarde pas moins comme une affirmation scientifique, évidemment très sagace, mais une affirmation. Nous sommes non seulement dans une profonde ignorance de la constitution ultime de la matière, mais aussi de la nature des forces qui animent l’atome et la molécule. C’est dans ces conditions que nous avons formulé l’hypothèse de la conservation de l’énergie ; elle n’est pas autre chose qu’un instrument de travail et un moyen de défense entre les visionnaires. Je reconnais que cette prétendue loi nous a grandement aidé à accroître nos connaissances en physique et aucune expérience ne s’est trouvée en opposition avec elle. Quelle serait notre attitude si un visionnaire venait nous exposer une théorie du mouvement perpétuel ? L’intime conviction que nous sommes en face d’une ignorance présomptueuse est une excuse suffisante pour ne pas la discuter. Mais nous agirons d’une façon moins discutable en invitant notre homme à mettre son projet à exécution et à produire sa machine que nous examinons avec soin. Le fait qu’aucune machine semblable n’a été produite et qu’aucune expérience de physique ne contredit aux grandes lois de l’énergie, nous autorise, je crois, à les tenir pour vraies, à les accepter comme des lois régissant le marché physique du monde, si je puis m’exprimer ainsi, et réglant les transactions physiques d’homme à homme.
Mais beaucoup d’entre nous ne se contentent pas d’une application si limitée des lois physiques. En premier lieu, ils repoussent la doctrine du libre arbitre, comme incompatible avec ces lois. Deuxièmement, ils rejettent la possibilité de ce qu’on appelle les miracles. Enfin ils repoussent avec mépris les preuves en faveur de la télépathie et plus particulièrement les témoignages soumis à la S.P.R. en faveur des phénomènes spirites.
Une des conséquences de cet état d’esprit c’est que d’interminables discussions se sont élevées entre une certaine catégorie d’hommes de science et les défenseurs du christianisme, ces derniers n’ayant été rien mois que judicieux dans leur défense. Ils ont jusqu’ici considéré les miracles comme des interférences du divin et des lois physiques et par conséquent comme des évènements anormaux, incompréhensibles. D’autre part, les théologiens protestants ont imaginé que le pouvoir d’opérer des miracles a cessé avec les apôtres , doctrine sans doute employée comme arme de combat à l’époque de la grande controverse avec Rome.
Il va sans dire que cette manière de voir ne se recommande pas aux hommes de science ; et voilà comment une discussion amère et stérile s’est continuée entre deux classes d’hommes dont aucune n’a voulu comprendre l’attitude de l’autre.
Depuis quelques années, les miracles sont regardés non pas comme des infractions à la loi, mais comme des phénomènes relevant d’une loi plus haute, ce qui est un grand progrès sur le passé. La question se pose alors tout naturellement : si cette loi supérieure existe, ne peut-on en rencontrer des effets dans le monde, même à notre époque ? Il est extrêmement regrettable, je crois, que la majorité des théologiens en ait décidé négativement. Il ne leur appartient pas de le faire, mais à ceux qui étudient les faits. C’est là en réalité la question qui occupe la S.P.R. et ce que je viens de dire me paraît ajouter une importance inaccoutumée à ses recherches. Commençons par admettre que les lois de l’énergie dominent le marché et les relations scientifiques d’homme à homme. Nous sommes en droit d’aller jusque là. Pouvons-nous aller plus loin ? Pouvons-nous affirmer, par exemple, que dans les conditions très différentes envisagées par la Société il n’y a pas au moins une apparente interruption de ces lois ? Plus particulièrement, pouvons-nous fermer les yeux aux témoignages qu’on peut nous fournir en faveur de telles interruptions apparentes ? Je ne puis le croire. Nous devons tout examiner. Parce qu’une théorie scientifique s’ajuste à une série de conditions faut il nécessairement qu’elle convienne à tout le reste ? J’ai toujours pensé qu’il fallait s’assurer des faits par l’investigation non par des assertions dogmatiques. J’estime donc que notre Société a parfaitement le droit d’appliquer à tous les faits la méthode baconienne de recherche.
APPENDICE C
EUSAPIA PALADINO
Après les expériences du professeur Richet et de Sir Olivier Lodge avec Eusapia, il y eut d’autres séances à Cambridge en 1895 . Je n’y assistai pas, et n’ai jamais eu l’occasion ou le désir d’expérimenter avec elle. On fut d’avis à Cambridge, après un examen qui parut suffisant, qu’elle trichait , mais Sir Olivier maintint que les phénomènes dont il avait été témoin à l’île Roubaud étaient véritables .
Cette opinion fut corroborée par l’éminent physiologiste Charles Richet. Après les séances de Cambridge, il se tint quelque temps sur la réserve. Mais, par la suite, il dit en causant avec moi et à diverses autres occasions, qu’il était absolument convaincu du caractère surnormal de certaines manifestations provoquées par Eusapia. C’est aussi l’opinion de l’astronome Camille Flammarion, qui parle longuement de ces phénomènes dans Les Forces naturelles inconnues.
Mais les témoignages les plus remarquables en faveur d’Eusapia nous sont venus d’hommes de sciences italiens marquants, spécialisés dans l’étude de la psychologie et de la physiologie. Le plus notable d’entre eux, le professeur Lombroso, expérimenta avec Eusapia dans son laboratoire de l’Université de Turin, toutes précautions prises pour éviter la fraude. Il affirma ensuite publiquement la réalité de ces extraordinaires manifestations physiques. L’opinion d’un criminologiste aussi distingué que Lombroso, connu dans toute l’Europe, était nécessairement d’un grand poids. Dans l’article publié en 1908 dans les Annales des Sciences Physiques, Lombroso parle des diverses phases du phénomène spirite, des fantômes et des apparitions de défunts. Il fait remarquer que plusieurs phénomènes se produisaient parfois en même temps, ce qui, par conséquent, les rendait impossibles à simuler par une seule personne ; en outre, qu’on avait la preuve de l’intervention d’une volonté étrangère au médium, aux assistants, et même au contrôle « John », et en opposition avec tous. Il insiste sur l’importance de ces faits, l’opinion générale étant que ces manifestations s’expliquent par les seules forces psychiques du médium et du cercle hypothèse qu’il avait d’abord adoptée mais qu’il considère aujourd’hui comme insuffisante.
Le Dr Enrico Morselli, professeur de neurologie et de psychiatrie (thérapeutique mentale) à l’Université de Gênes, présida les séances données par Eusapia en cette ville et fournit un témoignage indépendant .
Le médium était rigoureusement contrôlé. Ses pieds et ses mains étaient maintenus par le Dr Morselli et M. Barzini, éditeur du Corrière della Sera. Celui-ci dit être venu pour démasquer toute supercherie ou truquage, mais à la fin de la séance, il était convaincu de la réalité des phénomènes. Le médium avait été visité à fond avant la séance et la pièce de même. La lumière ne fut éteinte à aucun moment.
Dans ces conditions, le Dr Morselli atteste qu’il y eut : mouvement de table, coups frappés sur le meuble, sons émis sans contact par des instruments de musique, lévitations complètes de la table, mouvements d’objets à distance vus en pleine lumière, mise en apports, voix humaines n’émanant d’aucun des assistants, empreintes de mains, de pieds et de visages sur une substance plastique ; apparition de prolongements sombres issus du corps du médium, de formes bien dessinées de visages, de têtes et de bustes. Absolument sceptique au début des expériences, il déclare être convaincu que la plupart des phénomènes attribués à Eusapia sont « véritables et authentiques ».
Le Dr Morselli est disposé à expliquer ces phénomènes par ce qu’il appelle l’hypothèse des forces psychiques ou bio dynamiques, c’est à dire qu’il les attribuait à un pouvoir spécial émanant du médium. C’est la théorie adoptée par beaucoup d’investigateurs anglais au début. Peu après les séances dirigées par le Dr Morselli, une nouvelle série d’expériences eut lieu à Turin sous la direction des docteurs Herlitza, C. Foa et Agazzotti . Le Dr Pio Foa professeur d’anatomie pathologique, assista aux plus intéressantes d’entre elles. Ces séances donnèrent des résultats positifs semblables à ceux obtenus par les professeurs Lombroso et Morselli.
Un autre témoin compétent est le Dr Giuseppe Venzano, considéré comme un « excellent observateur » par le Dr Morselli. Il a fait dans les Annales des Sciences Psychiques (août et septembre 1907) le compte rendu détaillé et l’analyse critique de ses expériences avec Eusapia dans des conditions de contrôle rigoureux et à la lumière d’une ampoule électrique de 16 bougies. La pièce éclairée de façon à lui permettre de distinguer nettement le médium et les assistants, le Dr Venzano a vu une forme féminine à ses côtés, s’est senti toucher par elle et l’a entendu parler : elle l’a entretenu avec détail de quelques affaires de famille que personne ne connaissait en dehors de lui. Cet incident est très extraordinaire et le Dr Venzano dit qu’ici, pour lui, la fraude ou l’hallucination sont impossibles.
Le professeur Philippe Bottazzi, directeur de l’Institut de physiologie de Naples, après avoir lu le compte rendu des expériences de Gênes, fit un essai de vérification des phénomènes au moyen d’un dispositif compliqué et très soigneusement établi, permettant l’enregistrement de la force psychique exercée par le médium. Cet enregistrement devrait écarter toute hypothèse d’hallucination ou de mauvaise observation. Ces importantes expériences faites en collaboration avec divers professeurs éminents de la même Université eurent un plein succès et le professeur Bottazzi conclut qu’elles avaient « détruit jusqu’au plus petit soupçon ou à l’incertitude touchant la réalité des phénomènes. Nous avons obtenu une certitude aussi exacte que celle que nous donnent les phénomènes physiques, chimiques ou physiologiques. Les sceptiques ne peuvent plus nier les faits, à moins de nous accuser de fraude et de charlatanismes ».
En 1909, trois membres de la S.P.R., l’Honorable Everard Feilding, M.W.W. Baggally et M. Hereward Carrington, furent chargés d’examiner à fond Eusapia. On les choisit en raison de leurs spécialités respectives. M. Carrington était un habile prestidigitateur amateur et faisait des enquêtes depuis dix ans aux Etats Unis. Le livre qu’il a consacré montre combien il est au fait des supercheries pratiquées par certains médiums et les précautions qu’il prend à chaque séance. M. Baggally était aussi un prestidigitateur d’expérience et il ne croyait pas à ces phénomènes. M. Feilding pensait de même ; de plus, il s’était déjà livré à de nombreuses investigations analogues.
Ces trois hommes se convainquirent de la réalité absolue des phénomènes sur normaux qu’ils obtinrent à leur hôtel, à Naples. Ils eurent depuis d’autres séances qui donnèrent des résultats différents, et où non seulement rien ne parut surnormal, mais où les phénomènes furent plus que douteux. Les séances d’Eusapia en Amérique ne furent pas meilleures.
Comment concilier les résultats aussi opposés ? Je ne défends pas Eusapia, pour laquelle j’ai plutôt de la répulsion, mais il faut être juste, même avec le diable. Comme tous les sujets, elle est extrêmement sensible à la suggestion, même inarticulée ; dans la transe, quand sa conscience et sa maîtrise de soi sont extrêmement affaiblies, elle est la facile proie d’influences extérieures. Elle triche sans pudeur partout où les conditions sont défavorables à la production du phénomène, et partout où elle ne subit pas l’influence subconsciente d’une nature élevée. Nous ne pouvons affirmer qu’elle soit tout à fait responsable, le professeur Hyslop ayant démontré que la médiumnité est souvent liée à des conditions physiques et mentales anormales. Nous ignorons presque tout de la faculté spéciale qui permet la production de ces phénomènes et du milieu qui lui est favorable.
S’ils sont dus à l’extériorisation de la force nerveuse du sujet, il est probable que le degré de l’extériorisation de la force nerveuse du sujet, il est probable que le degré de l ‘extériorisation variera avec l’état mental des assistants. On peut même concevoir que si cette force est entravée ou n’est pas extériorisée, elle provoquera chez le sujet des mouvements qui lui feront accomplir normalement (dans une demi conscience) ce qu’il ferait d’une manière sur normale dans des bonnes conditions ; nous aurions alors l’impression d’une fraude volontaire. Tout ceux qui ont l’expérience de ces études savent que la fraude grossière et sans but apparent se produit souvent après les phénomènes les plus authentiques. Voilà pourquoi ces enquêtes sont interdites à l’expérimentateur malhabile et irréfléchi.
APPENDICE D
CONSEILS AUX EXPERIMENTATEURS
Beaucoup de chercheurs ignorent comme organiser et diriger leurs investigations. Quelques conseils ne seront donc pas inutiles.
I. Transmission de pensée.
Quoique les preuves de la télépathie soient aussi nombreuses qu’importantes, des preuves supplémentaires seront toujours accueillies avec intérêt, surtout si elles nous aident à mieux connaître les conditions du succès. Un article récent du professeur Gilbert Murray est à consulter . Il y raconte comment il est arrivé personnellement à deviner tous les évènements auxquels d’autres ont pensés. Le professeur nous montre combien il importe d’éviter l’ennui et l’indifférence chez tous ceux qui prennent part à l’expérience. Ainsi faire deviner une carte ou un nombre, bien que nécessaire en vue de la statistique, fatigue vite le percipient. J’ai les mêmes observations il y a 35 ans un expérimentant avec les enfants du Révérend A.M. Creevy ; et dans le compte rendu publié par Myers, Gurney et moi même dans le 1er volume des Proceedings (1882), nous fîmes ressortir que plus les expériences étaient variées, et mieux elles réussissaient. Souvenez vous toujours que l’essentiel est de maintenir en éveil l’intérêt du percipient.
De plus, il faut éviter toute distraction, toute perturbation, enfin ne pas avoir le désir anxieux de réussir. Etablissez des conditions aussi strictes que possibles, mais conduisez en même temps l’expérience comme si c’était un jeu amusant. Les agents, c’est à dire ceux qui ont choisi ce qui est à deviner, ne doivent pas faire travailler leur cerveau comme s’ils étudiaient une question ardue. Ce n’est pas la partie consciente de notre personnalité qui agit, c’est le subconscient. La transmission de pensée est peut être universelle et s’il en est ainsi, le message télépathique ne semble arriver à la conscience du percipient que chez très peu de personnes. Cette émergence a souvent du retard ; c’est pourquoi toutes les réponses doivent être notées. Il se peut, en effet, qu’on voie surgir une impression avant ou en même temps qu’une autre plus tardive.
Le professeur Murray confirme à nouveau ce que j’ai remarqué depuis longtemps : les résultats sont très souvent meilleurs si l’agent tient la main du percipient. Voilà qui mérite d’être approfondi, en prenant soin, bien entendu, d’éviter tout ce qui ressemble à la « lecture musculaire » ou à l’hyperesthésie.
Les expériences ne devront pas occuper une trop longue séance, de crainte de fatiguer ou d’épuiser le percipient. Quelques correspondants m’ont dit que les expériences étourdissent , etc. Je n’ai rien observé de pareil, ni constaté des effets nuisibles après les expériences, de plus qu’avec la baguette divinatoire .
II. Baguette divinatoire et pendule explorateur.
Divers « autoscopes », ainsi que je les nomme, peuvent être employés pour nous montrer l’action involontaire des muscles chez les automatistes. La baguette fourchue du sourcier est le plus simple de ces dispositifs, celui qui réussit le mieux ; mais la torsion de la baguette n’est pas la preuve d’une faculté sur normale et n’implique pas davantage la découverte d’eaux souterraines ou de gîtes métalliques. Ses mouvements sont dus à une action inconsciente des muscles, causés peut être par une suggestion subconsciente surgissant dans l’esprit du sourcier. La même explication s’applique au mouvement du pendule explorateur. C’est un anneau ou tout autre petit objet suspendu au bout d’un fils tenu entre les doigts de la main ou passé sur le pouce, le coude restant appuyé sur la table. Un alphabet rangé en cercle autour du pendule permet d’épeler des mots à mesure qu’il se balance au dessus de chaque lettre . C’est un procédé ennuyeux, mais on obtient parfois des résultats amusants et curieux ; des messages inattendus ou la réponse à des questions. Si on bande les yeux à celui qui tient la pendule, puis qu’on range l’alphabet dans un autre ordre, on verra ce qu’on doit à l’action inconsciente des muscles et à la suggestion involontaire.
Néanmoins, chaque fois qu’on emploiera un « autoscope », on trouvera des personnes douées de pouvoirs sur normaux, et les résultats obtenus ne s’ expliquent par aucune des facultés humaines admises jusqu’ici par la science officielle. Dans le cas d’un don baguettisant (que ce soit un enfant, un illettré de n’importe quel sexe, ou un homme distingué comme feu M.A. Lang), la faculté de la clairvoyance se révèle non par une perception consciente, mais par une action automatique telle qu’une torsion de la baguette, que ce soit pour découvrir une pièce de monnaie cachée, une source souterraine ou une veine de minerai. Sur le continent, on se sert aussi pour cela du pendule, mais quand on lui demande des messages épelés, l’explication relève du paragraphe suivant.
III. Ecriture automatique, oui-ja, etc…
C’est la branche de recherche qui excite le plus d’intérêt. Elle doit être abordée avec prudence. Ceux à qui le sujet est nouveau feront bien de lire les conseils donnés au chapitre XX et de se reporter à la page de la préface. Les jeunes gens et ceux qui ont peu de raison de s’y intéresser et d’y consacrer leur temps et leur pensée, sont instamment invités à ne tenter aucune expérience.
Il arrive assez souvent, des amis à moi l’ont constaté, qu’après quelques réponses intéressantes et véridiques, viennent des communications malveillantes et trompeuses, entrecoupées de grossièretés ou même d’obscénités. Il est difficile de dire jusqu’à quel point le subliminal des assistants en est responsable. Dans le cas auquel je fais allusion, mes amis en furent effrayés et troublés, car les idées et les mots étaient également étrangers à leur manière de penser. Pris de dégoût, ils renoncèrent à poursuivre.
Sous cette réserve et en invitant les investigateurs à conserver leur présence d’esprit, les meilleurs résultats s’obtiennent quant deux ou trois amis se réunissent régulièrement, à une heure commode et en toute tranquillité. On peut tenir un crayon sur une feuille de papier, se servir de la planchette ou de l’oui-ja. Ce dernier « autoscope » donne en général l’automatisme le plus facile, bien que le plus laborieux. Il a cet avantage qu’on peut bander les yeux à la personne ou aux personnes qui touchent à l’indicateur, ce qui permet de déplacer les lettres de l’alphabet sans que nul ne s’en aperçoive. S’il l’on obtient des messages, on évitera ainsi la manipulation consciente ou inconsciente de l’indicateur par les assistants.
Si, après quelques essais, les résultats sont négatifs ; il faut changer la composition du cercle et expérimenter de nouveau. Si l’on obtient des communications, il sera bon de questionner l’intelligence invisible, de s’assurer des meilleures conditions requises et de celui qui est le meilleur médium. Pour avoir des résultats intéressants, il faut une patience inlassable et des séances régulières. Les expérimentateurs décideront eux mêmes si le jeu en vaut la chandelle. Je ne le crois pas personnellement, excepté pour ceux qui se livrent à des investigations purement psychologiques.
IV. Phénomènes physiques.
Ils sont moins faciles à obtenir, bien que des mouvements de table et autres objets avec lesquels les assistants ne sont pas en contact se présentent souvent et puissent alors être attribués à l’action inconsciente des muscles. Les raps et mouvements d’objets sans contact ne peuvent être expliqués de la sorte, par plus que tous les remarquables mouvements d’objets qui ont lieu avec contact . La première fois que les coups se font entendre dans une séance privée, ils sont habituellement très faibles ; leur force et leur fréquence augmentent en raison de la régularité des séances.
Les meilleurs règles à observer pour diriger un cercle et obtenir des phénomènes spirites sont peut être celles qu’a publiées, il y a longtemps, M.A. Oxon (le Révérend Stainton Moses). Après avoir expliqué que les assistants doivent placer les mains à plat sur la table autour de laquelle ils sont assis, il poursuit :
« Ne concentrez pas votre attention sur les manifestations que vous désirez. Ayez une conversation enjouée sans frivolité. Evitez les disputes ou discussions. Le scepticisme n’a pas d’action, mais un esprit d’amère opposition chez quelqu’un de forte volonté, peut arrêter complètement ou gêner les manifestations. Si la conversation fléchit, la musique y suppléera à condition de ne pas irriter les oreilles sensibles. La patience est essentielle, il faudra peut être se réunir dix ou douze fois à des intervalles rapprochés avant qu’il se passe rien. Si vous échouez après cet essai, refaites votre cercle. Une séance malheureuse ne devra pas durer plus d’une heure.
« Si la table remue, appuyer légèrement dessus pour être sûr de ne pas aider à ses mouvements. Après un moment, vous verrez probablement le mouvement continuer en laissant vos mains au dessus du plateau, sans contact aucun. Mais n’essayez pas avant que le mouvement soit bien assuré et ne vous pressez pas d’avoir des communications.
« Quand vous jugerez le moment venu, quelqu’un prendra la direction et sera le porte parole. Expliquez à l’Intelligence invisible que des signes convenus sont nécessaires. Répétez lentement l’alphabet et demandez que la table s’incline à chaque lettre faisant partie du mot que l’Intelligence désire épeler. Il est bon de convenir d’un mouvement pour non, trois pour oui et deux pour exprimer le doute ou l’incertitude.
« La communication établie, demandez si vous êtes placés comme il convient, et si non, dans quel ordre il faut vous mettre. Demandez ensuite à l’Intelligence qui elle est, lequel de vous est le médium, etc... Si vous pouvez être assuré dès le début qu’il est possible de converser avec une Intelligence distincte de celle des assistants, vous aurez beaucoup gagné.
« Les signes peuvent prendre la forme de coups frappés. Servez vous alors du même code de signaux et demandez quand les raps sont devenus nets, qu’ils soient frappés sur la table ou dans une partie de la pièce où ils ne peuvent être produits par des moyens naturels, mais évitez toutes les restrictions vexatoires qui gêneraient une libre communication. Laissez l’Intelligence user de ses propres moyens. Il dépend beaucoup des assistants que les manifestations soient élevées, frivoles, malfaisantes même.
« Si le médium menace de tomber en transe ou si les manifestations ont un caractère violent, demandez qu’on attende que vous ayez pu vous assurer de la présence d’un spirite expérimenté. Si cette requête n’est pas écoutée, levez la séance. Le processus de développement d’un médium à transe pourrait déconcerter extrêmement un chercheur novice.
« Enfin examinez les résultats à la lumière de la raison. Restez équilibrés, ayez le jugement net. Ne croyez pas tout ce qu’on vous dit, car si le monde invisible contient maint esprit sage et avisé il renferme aussi en quantité la folie, la vanité et l’erreur ; et ceci est plus proche de nous que ce qui est élevé. Méfiez vous du libre emploi des noms célèbres. Ne perdez jamais votre sens critique. Ne commencez pas une sérieuse investigation dans un esprit de curiosité désoeuvrée ou futile. Cultivez le désir respectueux de ce qui est pur, bon et vrai. Vous serez bien récompensés si vous arrivez à la conviction inébranlable qu’il y a une vie après la mort pour laquelle une existence pure ici bas est la meilleure et la plus sage préparation. »
Le lecteur comparera cette conclusion avec les diverses théories exposées au chapitre IX. Pour moi, toutes ces manifestations sont si intimement liées au subliminal du médium qu’il serait prématuré de les attribuer à une personnalité humaine désincarnée, bien que le cas russe et la propre expérience du Révérend Stainton Moses prouvent que cela puisse être.
En règle générale, plus les communications sont élevés et spirituelles, moins les manifestations sont palpables et matérielles. La silencieuse « communions des saints » ressemble bien peu à une séance spirite. Cette communion là est peut être, est même dans doute télépathique, mais comme l’enseignent les mystiques de tous les siècles, elle exige le calme physique et moral.
A ceux qui ont lutté – pour conquérir le calme, il fut donné – La joie qui confond l’homme avec les cieux.
Plotin l’avait déjà dit : « Dans le silence des cieux se répand la Grande Ame. ».