LEON DENIS
_________
DANS L’INVISIBLE
Spiritisme
et Médiumnité
_________
TRAITE DE SPIRITUALISME EXPERIMENTAL
LES FAITS ET LES LOIS
PHENOMENES SPONTANES – TYPTOLOGIE ET PSYCHOGRAPHIE
Les fantômes des vivants et les Esprits des morts
INCORPORATION ET MATERIALISATION DES DEFUNTS
METHODES D’EXPERIMENTATION – FORMATION ET DIRECTION DES GROUPES
IDENTITE DES ESPRITS
LA MEDIUMNITE A TRAVERS LES AGES
Absentes adsunt. Experto Crede.
_________
NOUVELLE EDITION CONSIDERABLEMENT AUGMENTEE
_________
QUATORZIEME MILLE
_________
1911
INTRODUCTION
Depuis cinquante ans, une communication intime et fréquente s’est établie entre le monde des hommes et celui des Esprits. Les voiles de la mort se sont entr’ouverts ; au lieu d’une face lugubre, c’est un visage souriant et bon qui nous est apparu. Les âmes ont parlé ; leur langage a consolé bien des tristesses, apaisé bien des douleurs, relevé bien des courages défaillants. La destinée humaine s’est révélée, non plus dure, impitoyable, comme le voulaient d’antiques croyances, mais attirante, équitable, éclairée pour tous des rayons de la divine miséricorde.
Le spiritisme s’est répandu. Il a envahi le monde. D’abord méprisé, honni, il a fini par attirer l’attention, par éveiller l’intérêt. Tous ceux que ne retenaient pas les lisières du préjugé et de la routine et qui l’ont abordé avec franchise, ont été conquis par lui. Maintenant, il pénètre partout, s’assied à toutes les tables, prend place à tous les foyers. A ses appels, les vieilles forteresses séculaires, la science et l’Eglise , elles-mêmes, hermétiquement fermées jusqu’ici, abaissent leurs murailles, entre-bâillent leurs issues. Bientôt il s’imposera comme un maître.
Qu’apporte-t-il avec lui ? Est-ce toujours et partout l’espérance, la lumière, la vérité? A côté des consolations qui tombent sur l’âme comme la goutte de rosée sur la fleur, à calé du rayon qui dissipe les angoisses du chercheur et éclaire le chemin, n’y a-t-il pas aussi une part d’erreurs et de déceptions ?
Le spiritisme sera ce que le feront les hommes. Similia similibus ! Au contact de l’humanité, les vérités les plus hautes se dénaturent parfois et se voilent. Elles peuvent devenir une source d’abus. La goutte de pluie, suivant le point où elle tombe, reste perle ou devient boue.
Une cause d’inquiétude pour nous, c’est la tendance de certains adeptes à négliger le côté, élevé du spiritisme, la source des purs enseignements et des hautes inspirations, pour se confiner dans l’expérimentation terre à terre, dans la recherche exclusive du phénomène physique.
On voudrait coucher le spiritisme dans le lit étroit de la science officielle ; mais celle-ci, tout imprégnée des théories matérialistes, répugne à cette alliance. L’étude de l’âme, déjà difficile et profonde, est restée lettre close pour elle. Ses méthodes, dans leur indigence, ne se prêtent pas davantage à l’étude, plus vaste, du monde des Esprits. La science de l’invisible débordera toujours les méthodes humaines. Il y a, dans le spiritisme, un côté, non le moindre, qui échappe au contrôle, à l’analyse : c’est l’action de l’Esprit libre dans l’espace ; c’est la nature des forces dont il dispose.
Lentement, une science nouvelle se dégage des études spirites ; mais à l’esprit de recherche scientifique, il faut joindre l’élévation de la pensée, le sentiment, les élans du cœur. Sans quoi, la communion avec les Etres supérieurs devient irréalisable ; toute aide de leur part, toute protection efficace fait défaut. Or, tout est là, dans l’expérimentation. Il n’est pas de succès possible, pas de résultat assuré sans l’assistance et la protection d’en haut. On ne l’obtient que par l’entraînement mental, par une vie pure et digne.
Tout adepte doit savoir que la règle par excellence des rapports avec l’invisible, c’est la loi des affinités et des attractions. Dans ce domaine, celui qui cherche les choses basses les trouve et s’abaisse avec elles ; celui qui aspire aux hautes cimes, les atteint tôt ou tard et en fait un nouveau moyen d’ascension. Si vous voulez des manifestations d’un ordre élevé, faites, effort pour vous élever vous-même. L’expérimentation, en ce qu’elle a de beau et de grand, la communion avec le monde supérieur ne réussit pas au plus savant, mais au plus digne, au meilleur, à celui qui a le plus de patience, de conscience, de moralité !
En rapetissant le spiritisme, en lui imprimant un caractère exclusivement expérimental, on croit donner satisfaction à l’esprit positif du siècle, on espère attirer les savants vers ce qu’on a nommé le psychisme. Par là, on réussit surtout à se mettre en rapport avec les éléments inférieurs de l’au-delà, avec cette foule d’Esprits arriérés, dont l’influence funeste enveloppe, opprime les médiums, les pousse à la fraude, répand sur les expérimentateurs des effluves malfaisants et, souvent, avec eux, l’erreur et la mystification.
Dans une ardeur de prosélytisme louable, sans doute, quant au sentiment qui l’inspire, mais excessive et dangereuse dans ses conséquences, on veut des faits à tout prix. Dans l’agitation nerveuse avec laquelle on poursuit le phénomène, on en vient à proclamer vrais des faits fictifs ou douteux. Par les dispositions mentales qu’on apporte dans les expériences, on attire à soi les Esprits légers, qui pullulent autour de nous. Les manifestations de mauvais goût, les obsessions se multiplient. Nombre d’expérimentateurs deviennent victimes des énergies qu’ils croient maîtriser. Nombre de spirites, de médiums, faute de méthode et d’élévation morale, deviennent les instruments des forces inconscientes ou des Esprits mauvais.
Les abus sont nombreux, et les adversaires du spiritisme trouvent là les éléments d’une critique perfide et d’un facile dénigrement.
L’intérêt et la dignité de la cause commandent de réagir contre cette expérimentation banale, contre cette marée montante de phénomènes vulgaires, qui menace de submerger les sommets de l’idée.
Le spiritisme représente une phase nouvelle de l’évolution humaine. La loi qui, à travers les temps, a porté les différentes fractions de l’humanité, longtemps séparées, à se rapprocher graduellement, cette loi commence à faire sentir ses effets dans l’au-delà. Les modes de correspondance qui relient les hommes vivants sur la terre s’étendent peu à peu aux habitants du monde invisible, en attendant qu’ils atteignent, par des procédés nouveaux, les familles humaines qui peuplent les terres de l’espace.
Toutefois, dans les agrandissements successifs de son champ d’action, l’humanité se heurte à de nombreuses difficultés. Les rapports, en se multipliant, n’amènent pas toujours des résultats favorables ; ils présentent aussi des dangers, surtout en ce qui touche le monde occulte, plus difficile à pénétrer, à analyser, que le nôtre. Là, comme ici, le savoir et l’ignorance, la vérité et l’erreur, la vertu et le vice se mêlent, avec cette aggravation que, tout en faisant sentir leur influence, ils restent masqués à nos yeux. De là, la nécessité d’aborder le terrain de l’expérimentation avec une extrême prudence, après de longues et patientes études.
Il faut unir les connaissances théoriques à l’esprit de contrôle et à l’élévation morale pour être apte à discerner, dans le spiritisme, le bien du mal, le vrai du faux, la réalité de l’illusion. Il faut se rendre compte du véritable caractère de la médiumnité, des responsabilités qu’elle entraîne, des fins en vue desquelles elle nous est accordée.
Le spiritisme n’est pas seulement la démonstration, par les faits, de la survivance ; c’est aussi la voie par où les inspirations du monde supérieur descendent sur l’humanité. A ce titre, il est plus qu’une science ; c’est l’enseignement du ciel à la terre, la reconstitution agrandie et vulgarisée des traditions secrètes du passé, le réveil de cette école prophétique qui fût la plus célèbre école de médiums, de l’Orient. Avec le spiritisme, les facultés qui furent autrefois le privilège de quelques-uns, se répandent sur un grand nombre. La médiumnité se propage, mais, à côté des avantages qu’elle procure, il ne faut pas se dissimuler ses écueils et ses dangers.
En réalité, il y a deux spiritismes. L’un nous met en communication avec les Esprits supérieurs et, aussi, avec les âmes chères que nous avons connues sur la terre et qui firent la joie de notre existence. Par lui s’effectue la révélation permanente, l’initiation de l’homme aux lois suprêmes. C’est la source puissante de l’inspiration, la descente de l’Esprit dans l’enveloppe humaine, dans l’organisme du médium qui, sous l’influence sacrée, peut faire entendre des paroles de vie et de lumière, sur la nature, desquelles on ne saurait se méprendre, car elles pénètrent et réchauffent l’âme ; elles éclairent les obscurs problèmes de la destinée. L’impression de grandeur qui se dégage de ces manifestations laisse toujours une empreinte profonde dans les intelligences et dans les cœurs. Ceux qui ne l’ont jamais ressentie ne peuvent comprendre ce qu’est le véritable spiritisme.
Puis, il y a un autre genre d’expérimentation, frivole, mondain, qui nous met en contact avec les éléments inférieurs du monde invisible et tend à amoindrir le respect dû à l’au-delà. C’est une sorte de profanation de la religion de la mort, de la manifestation solennelle de ceux qui ont quitté l’enveloppe de chair.
Cependant, il faut le reconnaître, ce spiritisme de bas étage a encore son utilité. Il nous familiarise avec tout un côté du monde occulte. Les phénomènes vulgaires, les manifestations triviales fournissent parfois des preuves éclatantes d’identité ; des traits caractéristiques s’en dégagent et forcent la conviction des chercheurs. Mais on ne doit s’y attacher que dans la mesure où cette étude nous est profitable, où notre action peut s’exercer d’une manière efficace sur les Esprits arriérés qui les produisent. Leur influence est malsaine et déprimante pour les médiums. Il faut aspirer plus haut, monter par la pensée vers des régions plus pures, vers les hautes demeures de l’esprit. Là seulement l’homme trouve les véritables consolations, les secours, les forces spirituelles.
On ne saurait trop le rappeler. Dans ce domaine, nous n’obtenons guère que les effets de notre ordre. Tout homme qui, par ses désirs, par ses appels, entre en relations avec le monde invisible, attire fatalement à lui des êtres en affinité avec son propre état mental et moral. Le vaste empire des âmes est peuplé d’entités bienfaisantes et malfaisantes ; elles s’étagent à tous les degrés de l’échelle infinie, depuis les âmes les plus basses et les plus grossières, celles qui confinent à l’animalité, jusqu’aux nobles et purs Esprits, messagers de lumière, qui vont porter à tous les rivages du temps et de l’espace les radiations de la pensée divine. Si nous ne savons ou ne voulons pas orienter nos aspirations, nos vibrations fluidiques, vers les êtres supérieurs et obtenir leur assistance, nous restons à la merci des influences mauvaises qui nous entourent ; dans bien des cas, elles ont mené l’expérimentateur imprudent aux pires déceptions.
Si, au contraire, nous dégageant par la volonté des suggestions inférieures, éloignant de nous les préoccupations puériles, égoïstes, matérielles, nous cherchons dans le spiritisme un moyen d’élévation et de perfectionnement moral, alors nous pourrons entrer en communion avec les grandes âmes, messagères de vérité ; des fluides vivifiants, régénérateurs, descendront en nous ; des souffles puissants nous porteront jusqu’aux régions sereines d’où l’esprit contemple le spectacle de la vie universelle, la majestueuse harmonie des lois et des mondes.
PREFACE DE LA NOUVELLE EDITION
Depuis l’apparition de cet ouvrage, dix années se sont écoulées, au cours desquelles le spiritisme a poursuivi sa marche ascendante et s’est enrichi d’expériences et de témoignages de grande valeur. Ceux de Lodge, Myers, Lombroso, notamment, sont venus rehausser son prestige, lui donner, avec l’autorité scientifique qui lui manquait encore, une sorte de consécration définitive. D’autre part, les abus et les fraudes, que nous signalions précédemment, se sont multipliés. Est-ce donc une loi de l’histoire ? Ce qu’une idée gagne en étendue, doit-elle le perdre en qualité, en force, en pénétration ?
Au point de vue des témoignages recueillis et des progrès réalisés, la situation du spiritisme n’est pas la même en France qu’en certains pays étrangers. Tandis qu’en Angleterre et en Italie, il a conquis, dans les milieux académiques, de retentissantes adhésions, la plupart des savants français ont pris, vis-à-vis de lui, une attitude dédaigneuse, méprisante même . Ils ont montré, en cela, peu de clairvoyance, car l’idée spirite, si elle présente parfois des exagérations, repose sur des faits incontestables et répond aux nécessités impérieuses de notre temps.
Tout esprit impartial doit reconnaître que ni la science officielle ni la religion n’ont donné satisfaction aux besoins intellectuels et aux aspirations de la plus grande partie de l’humanité. Il ne faut donc pas s’étonner si tant d’hommes ont cherché en des domaines peu explorés, quoique très riches en ressources psychologiques, des solutions, des lumières que les vieilles institutions sont impuissantes à leur fournir. Ce genre d’études peut déplaire à certains esprits timorés ; il peut être, par eux, critiqué, condamné. Vains propos qu’emporte le vent ! En dépit des exigences, des objurgations et des anathèmes, les intelligences iront toujours vers ce qui leur paraît plus juste, plus clair et meilleur. Les mépris des uns, les condamnations des autres n’y feront rien. Donnez plus et mieux, leur répondra-t-on. Clercs et savants, vous qui pouvez vous consacrer aux loisirs de la pensée, au lieu de railler ou de fulminer dans le vide, sachez consoler, relever ceux qui sont courbés sous le poids d’une lourde tâche matérielle, sachez expliquer le pourquoi de leurs maux et leur fournir les preuves des compensations à venir. Ce sera l’unique moyen de conserver votre suprématie !
On peut se demander, d’ailleurs, lequel est le plus apte à juger les faits et à discerner la vérité, d’un cerveau bourré de préjugés et de théories préconçues, ou bien d’un esprit libre, affranchi de toute routine scientifique et religieuse ? L’histoire répond pour nous.
Certes, les savants officiels ont rendu des services éminents à la pensée ; ils lui ont évité bien des égarements ; mais quelle obstruction n’ont-ils pas opposée, en bien des cas, à l’extension, de la connaissance, véritable et intégrale !
Le professeur Ch. Richet, qui est un juge compétent, a fait ressortir avec vigueur, dans les Annales des Sciences psychiques de janvier 1905, les erreurs et les faiblesses de la science officielle.
Encore aujourd’hui, la routine exerce son empire dans les milieux académiques ; tout savant qui se refuse à suivre l’ornière tracée est considéré comme un hérétique et écarté des grasses prébendes. L’exemple du docteur Paul Gibier, obligé de s’expatrier pour se créer une situation, en est la pénible démonstration.
Sur ce point, la démocratie ne s’est pas montrée moins absolutiste, moins tyrannique que les régimes déchus. Elle aspire au nivellement des intelligences et proscrit ceux qui cherchent à l’arracher aux vulgaires matérialités. L’abaissement des études a appauvri la pensée universitaire, affaibli les caractères, paralysé les initiatives.
C’est en vain qu’on chercherait en France, parmi nos savants, un exemple de courage moral comparable à ceux qu’ont donnés, en Angleterre, W. Crookes, Russell Wallace, Lodge, etc., Lombroso et d’autres, en Italie. L’unique souci des hommes en situation semble être de modeler leurs opinions sur celles des « maîtres de l’heure », afin de bénéficier des profits dont ces derniers sont les dispensateurs.
En matière de psychisme, le bon sens vulgaire semble faire défaut à la plupart des savants. Le professeur Flournoy en fait l’aveu : « Pour toute l’humanité des anciens âges, actuellement encore pour sa grande masse, c’est l’hypothèse spirite qui est la seule vraiment conforme au bon sens le plus élémentaire ; tandis que pour nous, nourrissons de la science gavés de mécanisme naturaliste depuis les bancs du collège, cette même hypothèse révolte jusqu’en son tréfonds notre bon sens, également le plus élémentaire .
A l’appui de ses dires, il cite les deux exemples suivants , s’appliquant à un fait universellement reconnu exact :
« Le grand Helmholtz - raconte M. Barrett - me disait une fois que ni le témoignage de tous les membres de la Société royale, ni l’évidence de ses propres sens ne pourraient lui faire croire même à la transmission de pensée, ce phénomène étant impossible. »
« Un biologiste illustre - rapporte aussi M. W. James me disait un jour que, même si les preuves de la télépathie étaient vraies, les savants devraient se liguer entre eux, pour les supprimer ou les tenir cachées, parce que de tels faits renverseraient l’uniformité de la nature et toutes sortes d’autres choses dont les savants ne peuvent se passer pour continuer leurs recherches. »
Pourtant les faits spirites se sont multipliés, imposés avec tant de force que les savants ont dû tenter de les expliquer. Mais ce ne sont pas les élucubrations psycho-physiologiques de Pierre Janet, les théories polygonales du docteur Grasset, ni la cryptomnésie de Th. Flournoy qui peuvent satisfaire les chercheurs indépendants. Lorsqu’on a quelque expérience des phénomènes psychiques, on est confondu de la pauvreté des raisonnements des critiques scientifiques du spiritisme. Ils choisissent toujours, dans la multitude des faits, quelques cas se rapprochant de leurs théories, et ils passent soigneusement sous silence tous ceux, innombrables, qui les contredisent. Le procédé est-il vraiment digne de véritables savants ?
Les études impartiales et persistantes aboutissent à d’autres conclusions. Parlant du spiritisme, Oliver Lodge, recteur de l’Université de Birmingham et membre de l’Académie royale, a pu dire : « J’ai été amené personnellement à la certitude de l’existence future par des preuves reposant sur une base purement scientifique. » (Annales des Sciences psychiques, 1897, p. 158.)
J. Hyslop, professeur à l’Université de Columbia, écrivait : « La prudence et la réserve ne sont pas contraires à l’opinion que l’explication spirite est, jusqu’à présent, la plus rationnelle. »
On le voit, si les railleries n’ont pas manqué aux spirites, dans les milieux scientifiques, il est pourtant des savants qui ont su leur rendre justice. Le professeur Barrett, de l’Université de Dublin, s’exprimait ainsi, lors de son installation à la présidence de la Society for Psychical Research, le 29 janvier 1904 :
« Bon nombre de mes auditeurs se souviennent sans doute de la croisade qui eut lieu jadis contre l’hypnotisme, que l’on appelait alors mesmérisme. Les premières personnes qui se sont occupées de ces études ont été en butte à des attaques incessantes de la part du monde médical et scientifique, d’un côté, du monde religieux, de l’autre. Elles ont été dénoncées comme des imposteurs, repoussées comme des parias, mises sans façon à la porte des synagogues de la science et de la religion. Cela se passait à une époque assez rapprochée de nous, pour que je puisse moi-même m’en souvenir. La science physiologique et médicale ne peut s’empêcher de baisser la tête avec embarras en songeant à ce temps-là, et en voyant à présent l’hypnotisme et sa valeur thérapeutique reconnus, devenus partie intégrante de l’enseignement scientifique dans plusieurs écoles médicales, surtout sur le continent !… Ne devons-nous pas révérer actuellement la mémoire de ces chercheurs hardis, qui ont été les pionniers de cette branche des études psychiques ?
« De la même manière, nous ne devons point oublier ce petit nombre de chercheurs qui, avant notre temps, ont eu le courage, après de patientes recherches, de proclamer leur croyance à ces phénomènes, qu’ils appelèrent spiritiques… Sans doute, leurs méthodes d’investigation ne furent pas à l’abri de toute critique ; néanmoins, ils ont été des chercheurs de la vérité tout aussi honnêtes et dévoués que nous prétendons l’être, et ils méritent d’autant plus notre estime, qu’ils ont rencontré plus d’opposition et de dérisions. Les esprits forts souriaient alors, comme à présent, de ceux qui se montraient mieux informés qu’eux. Je suppose que nous sommes tous portés à considérer notre propre discernement comme supérieur à celui de notre prochain. Mais, enfin, n’est-ce pas le bon sens, les soins, la patience, l’étude continue des phénomènes psychiques qui donnent le plus, de valeur à l’opinion à laquelle, on est parvenu, et non pas l’esprit dé pénétration, ou le scepticisme de l’observateur ?
« Nous ne devons pas perdre de vue que ce qui est affirmé, même par le plus humble des hommes, par suite de son expérience personnelle, est toujours digne d’arrêter notre attention, tandis que ce qui est nié, même par les hommes les plus réputés, alors qu’ils ignorent la chose, ne mérite jamais que nous y prêtions attention.
« Cet esprit puissant et pénétrant qu’était le professeur De Morgan, le grand dénonciateur du charlatanisme scientifique, a eu le courage de publier, il y a longtemps déjà, qu’on a beau tâcher de ridiculiser les spirites, ils ne sont pas moins sur le chemin qui mène à tout avancement des connaissances humaines, parce qu’ils ont l’esprit et la méthode des premiers temps, lorsque les routes devaient être ouvertes à travers les forêts vierges, dans lesquelles nous pouvons maintenant avancer avec toute facilité. »
Tout en rendant hommage aux spirites, le professeur Barrett, en juge impartial, reconnaissait que leur zèle n’était pas exempt de critiques. Aujourd’hui comme alors, cette opinion pourrait se vérifier. L’exaltation de certains adeptes, leur ardeur à proclamer des faits imaginaires ou douteux, l’insuffisance de contrôle dans les expériences, ont souvent nui à la cause qu’ils croyaient servir. C’est peut-être là ce qui justifie, dans une certaine mesure, l’attitude défiante, parfois hostile, de certains savants à l’égard du spiritisme.
Le professeur Ch. Richet écrivait dans les Annales des Sciences psychiques de janvier 1905, p. 211 : « Si les spirites ont été très audacieux, ils ont été, hélas, bien peu rigoureux, et c’est une lamentable histoire que celle de leurs aberrations... C’est assez, quant à présent, d’avoir établi qu’ils avaient le droit d’être très audacieux et que nous ne pouvons pas, de par notre science faillible, incomplète, embryonnaire encore, leur reprocher cette audace. Il faudrait les remercier, au contraire, d’avoir été si audacieux. »
Les réserves de M. Richet ne sont pas moins fondées que ses éloges. Beaucoup d’expérimentateurs n’apportent pas dans leurs études la pondération, la prudence nécessaires. Ils recherchent de préférence les manifestations tapageuses, les matérialisations nombreuses et répétées, les phénomènes bruyants, sans se rendre compte que la médiumnité ne peut produire des faits de cette nature qu’exceptionnellement et de loin en loin. Quand on possède un médium professionnel de cet ordre, on l’obsède, on le surmène, on le pousse à donner des séances fréquentes. Fatalement, on le fait glisser sur la pente de la simulation. De là les fraudes, les mystifications signalées par tant de feuilles publiques.
Bien préférables, à mon sens, sont les faits médianimiques d’ordre modeste et plus intime, les séances où règnent l’ordre, l’harmonie, l’unité des pensées, par où les choses célestes découlent comme une rosée sur l’âme altérée, l’éclairent, la consolent, la rendent meilleure. Les séances à faits physiques, même lorsqu’elles étaient sincères, m’ont toujours laissé une impression de vide, de gêne, de malaise, par suite des influences qui y dominaient.
Sans doute, des savants, comme Crookes, Hyslop, Lombroso, etc., ont dû à des professionnels les beaux résultats qu’ils obtenaient ; mais ils s’entouraient, dans leurs expériences, de précautions dont les spirites ne sont pas coutumiers. Au cours de séances de matérialisations données à Paris par un médium américain, en 1906 et 1907, et qui eurent un fâcheux retentissement, les spirites avaient établi un règlement, que les assistants s’engageaient d’honneur à observer et dont les stipulations avaient pour conséquence imprévue de libérer le médium de tout contrôle efficace. L’obscurité était presque entière au moment des apparitions. Les assistants devaient causer à haute voix, chanter, se tenir les mains en formant la chaîne magnétique et se garder, par-dessus tout, de toucher aux formes matérialisées. De cette façon, la vue, l’ouïe, le tact se trouvaient à peu près annihilés. Ces conditions, il est vrai, étaient dictées par une intention louable, car, en thèse générale, comme on le verra au cours de cet ouvrage, elles favorisent la production des faits ; mais, en la circonstance, elles aidaient aussi à masquer les supercheries. Les facultés du médium étaient réelles, cependant, et, dans les premières séances, il se produisit des phénomènes authentiques, que nous relatons plus loin. Puis, ce fut un mélange de faits réels et simulés. Enfin, la supercherie devint évidente et continue. Après avoir signalé, dans une revue spéciale, les phénomènes présentant des garanties de sincérité, je me trouvai, par la suite, contraint moralement de dénoncer des fraudes avérées et compromettantes.
Après une longue enquête et de mûres réflexions, Je n’ai rien à retirer de mes appréciations antérieures. J’ai rendu justice à ce médium en faisant la part de ce qu’il y avait de réel dans ses séances, mais je n’ai pas hésité à dénoncer ses simulations, le jour où des témoignages nombreux et autorisés les ont rendues certaines. Parmi ces témoignages, on rencontre celui d’un magistrat de Cour d’appel, qui est, en même temps, un éminent psychiste.
En faisant le silence sur ces fraudes, en les couvrant d’une sorte d’approbation tacite, nous ouvrions la porte à tout un cortège d’abus, qui ont discrédité le spiritisme en certains milieux et arrêté son développement. Déjà, à la suite de l’habile simulateur, on voyait accourir chez nous des fraudeurs condamnés par les tribunaux des pays voisins. Plus récemment, le médium Abendt fut démasqué à Berlin en des circonstances identiques. Puis ce fut Carancini à Londres et Bailey à Grenoble. Sans le cri d’alarme jeté par nous, on risquait de glisser sur une pente fatale et d’aboutir à quelque effondrement.
Les spirites sont des hommes de foi et de conviction. Mais si la foi éclairée attire à nous, sur les plans spirituel et matériel, des âmes nobles et élevées, la crédulité, sur le plan terrestre, attire les charlatans, les exploiteurs de tous ordres, la nuée des chevaliers d’industrie qui ne cherchent qu’à nous tromper. Là est le péril du spiritisme. Il appartient à tous ceux qui ont au cœur le souci de la dignité et de la vérité de cette cause, de le conjurer. On a répété à satiété : Le spiritisme sera scientifique ou ne sera pas ! Nous ajouterons : Le spiritisme doit être honnête, avant tout !
Quelques mots encore au sujet de la doctrine du spiritisme, synthèse des révélations médianimiques concordantes, obtenues sur toute la surface du monde, sous l’inspiration des grands Esprits. Elle s’affirme de plus en plus, cette doctrine, et se vulgarise. Il n’est pas jusqu’à nos contradicteurs, eux-mêmes, qui ne se voient dans l’obligation morale de lui rendre justice, en constatant tous ses bienfaits et les consolations ineffables qu’elle a répandues sur les âmes souffrantes.
Le professeur Th. Flournoy, de l’Université de Genève, en parle en ces termes dans son livre : Esprits et Médiums : « Exempte de toutes les complications et subtilités de la théorie de la connaissance et des problèmes de haute métaphysique, cette philosophie simpliste se trouve par là même assez bien adaptée aux besoins de la masse. »
De son côté, J. Maxwell, avocat général à la Cour d’appel de Paris, s’exprimait ainsi dans son ouvrage : Phénomènes psychiques : « L’extension que prend la doctrine spirite, est un des plus curieux phénomènes de l’époque actuelle. J’ai l’impression d’assister à la naissance d’un mouvement religieux appelé à de grandes destinées. »
En outre, Th. Flournoy, à la suite d’une enquête dont il consigne, les résultats dans l’ouvrage précité, se livre aux commentaires suivants :
« Ici c’est un concert général d’éloges sur la beauté et l’excellence de la philosophie spirite, un témoignage à peu près unanime rendu à son influence salutaire sur la vie intellectuelle, morale et religieuse de ses adeptes. Même les personnes qui en sont venues à se méfier complètement des phénomènes et leur en veulent, pour ainsi dire, des déceptions et des doutes qu’ils laissent après eux, reconnaissent les bienfaits qu’elles ont retirés des doctrines. »
Et plus loin :
« On rencontre des spirites qui n’ont encore jamais assisté à une expérience et n’en éprouvent pas même le désir, mais qui affirment avoir été conquis par la simplicité, la beauté, l’évidence morale et religieuse des enseignements spirites (existences successives, progrès indéfini de l’âme, etc.). Il ne faut donc point dénigrer la valeur de ces croyances, valeur indéniable, puisque de nombreuses âmes déclarent en vivre et y avoir trouvé un échappatoire de salut entre l’orthodoxie, d’une part, dont elles ne pouvaient plus accepter certains dogmes répugnants (comme celui des peines éternelles), et, d’autre part, les négations désespérantes du matérialisme athée . »
Pourtant, même au sein du camp spirite, quoi qu’en dise M. Flournoy, les objections n’ont pas manqué. Parmi ceux que le côté scientifique du spiritisme attire, il en est qui font peu de cas de la philosophie. C’est que, pour apprécier toute la grandeur de la doctrine des Esprits, il faut avoir souffert. Les gens heureux sont toujours plus ou moins égoïstes et ne peuvent comprendre quelle source de consolations elle renferme. Les phénomènes peuvent les intéresser, mais, pour attiser en eux la flamme intérieure, il faut les souffles froids de l’adversité. Les vérités profondes n’apparaissent dans leur plénitude qu’aux esprits mûris par l’épreuve et la douleur.
En ces matières, tout dépend des prédispositions antérieures. Les uns, captivés par les faits, s’attachent de préférence à l’expérimentation. D’autres, éclairés par l’expérience des siècles parcourus ou par les leçons de la vie présente, mettent l’enseignement au-dessus de tout. La sagesse consiste à réunir les deux côtés du spiritisme dans un ensemble harmonieux.
Comme on le verra au cours de cet ouvrage, l’expérimentation exige des qualités rares. Beaucoup, manquant de persévérance s’éloignent après quelques tentatives infructueuses et retombent dans l’indifférence pour n’avoir pas obtenu, aussi rapidement qu’ils l’eussent voulu, les preuves recherchées.
Ceux qui savent persister rencontrent, tôt ou tard, les éléments solides et probants sur lesquels s’édifiera une conviction inébranlable. Ce fut mon cas. De bonne heure, la doctrine des Esprits m’a séduit ; mais les preuves expérimentales ont été lentes à venir. Ce n’est qu’après dix ou quinze années de recherches qu’elles se sont produites, abondantes, irrésistibles. Je m’explique maintenant cette longue attente, ces nombreuses expériences aboutissant à des résultats incohérents et souvent contradictoires. Je n’étais pas encore mûr pour une divulgation complète des hautes vérités. Mais, à mesure que j’avançais dans la voie tracée, la communion avec mes protecteurs invisibles devenait plus étroite, plus profonde. Je me sentais guidé à travers les embûches et les difficultés de ma tâche. Aux heures d’épreuves, de tendres consolations descendaient sur moi. Aujourd’hui, j’en suis arrivé à ressentir la présence fréquente des Esprits, à distinguer, à l’aide d’un sens intime et très sûr, la nature et la personnalité de ceux qui m’influencent et m’inspirent. Je ne puis, évidemment, procurer à autrui les sensations intenses que je perçois. Elles expliquent ma certitude de l’Au-delà, ma conviction absolue de l’existence du monde invisible. C’est pourquoi toutes les tentatives faites pour me détourner de ma route sont restées et resteront vaines. Ma confiance et ma foi sont entretenues par des manifestations quotidiennes ; mon existence est devenue une vie en partie double, partagée entre les hommes et les Esprits. Aussi est-ce pour moi un devoir sacré de travailler à répandre, à mettre à la portée de tous, la connaissance des lois qui relient l’humanité de la terre à celle de l’espace et tracent à toutes les âmes la voie de l’évolution sans fin.
Septembre 1911.
PREMIERE PARTIE
__________
Le Spiritisme expérimental : les lois
__________
I. LA SCIENCE SPIRITE
A mesure que l’homme avance à pas lents dans le chemin de la connaissance, l’horizon s’élargit et des perspectives nouvelles s’ouvrent devant lui. Sa science est bornée, mais la nature est sans limites.
La science n’est que l’ensemble des conceptions d’un siècle, que la science du siècle suivant dépasse et submerge. Tout en elle est provisoire et incomplet. Elle étudie les lois du mouvement, les manifestations de la force et de la vie ; cependant, elle ne sait rien encore des causes agissantes, rien de la force et du mouvement en leur principe. Le problème de la vie lui échappe et l’essence des choses reste pour elle un mystère impénétrable.
Malgré les négations obstinées et l’aveuglement de certains savants, chaque jour leurs vues se trouvent démenties sur quelque point. C’est ce qui arrive aux représentants des écoles matérialistes et positivistes. L’étude et l’observation des phénomènes psychiques viennent bouleverser leurs théories sur la nature et la destinée des êtres.
L’âme humaine n’est pas, comme elles l’affirmaient, une résultante de l’organisme, s’évanouissant avec lui ; c’est une cause qui préexiste et survit au corps.
L’expérience nous démontre chaque jour que l’âme est pourvue d’une forme fluidique, d’un organisme intime et subtil, dont elle est inséparable. Cet organisme impondérable, qui a ses sens propres, distincts des sens corporels, est seul en jeu quand elle exerce ses pouvoirs supérieurs. Grâce à lui, l’âme peut, pendant la vie et durant le sommeil, se dégager de l’enveloppe physique, pénétrer la matière, franchir l’espace, percevoir les réalités du monde invisible. De cette forme fluidique se dégagent des radiations, des effluves, qui peuvent s’extérioriser en couches concentriques au corps humain , et même, en certains cas, se condenser à des degrés divers et se matérialiser au point d’impressionner des plaques photographiques et des appareils enregistreurs .
L’action d’une âme sur une autre à distance est établie par les phénomènes télépathiques et magnétiques, la transmission de la pensée, l’extériorisation des sens et des facultés. Les vibrations de la pensée peuvent se propager dans l’espace, comme la lumière et le son, et impressionner un autre organisme fluidique en affinité avec celui du manifestant. Les ondes psychiques se propagent au loin et vont éveiller dans l’enveloppe du sensitif des impressions de nature variée, suivant son état dynamique : visions, auditions ou mouvements.
Parfois, l’âme elle-même, pendant le sommeil, quitte son enveloppe matérielle et, sous sa forme fluidique, se rend visible à distance. Certaines apparitions ont été vues par plusieurs personnes à la fois ; d’autres ont exercé une action sur la matière, ouvert des portes, déplacé des objets, laissé des traces de leur passage. Quelques-unes ont impressionné des animaux .
Les apparitions de mourants ont été constatées des milliers de fois. Les procès-verbaux de la Société des recherches psychiques, de Londres, les Annales des Sciences psychiques, de Paris, en signalent un grand nombre. M. Flammarion, dans son beau livre l’Inconnu et les problèmes psychiques, en relate une centaine de cas, avec coïncidence de mort, ce qui ne permet pas de voir en eux de simples hallucinations, mais des faits réels, avec relation de cause à effet.
Ces phénomènes ont été constatés si souvent, ils s’appuient sur des témoignages si nombreux et si importants, que des savants d’une prudence excessive, comme M. Ch. Richet, de l’Académie de médecine de Paris, ont pu dire : « On trouve une telle quantité de faits impossibles à expliquer autrement que par la télépathie, qu’il faut admettre une action à distance... le fait semble prouvé et absolument prouvé. »
Dans ces phénomènes, nous trouvons déjà une démonstration positive de l’indépendance de l’âme. En effet, si l’intelligence était une propriété de la matière et devait s’éteindre à la mort, on ne pourrait s’expliquer qu’au moment où le corps s’affaisse, où l’organisme cesse de fonctionner, cette intelligence se manifeste parfois avec une intensité plus vive, avec une recrudescence d’activité.
Les cas de lucidité, de clairvoyance, de prévision de l’avenir, sont fréquents chez les mourants. Dans ces cas, le dégagement de l’enveloppe ouvre à l’esprit un champ nouveau de perception. L’âme se révèle, au moment de la mort, avec des facultés, des qualités supérieures à celles qu’elle possédait dans la vie normale. Il faut voir là une preuve que notre personnalité psychique n’est pas une résultante de l’organisme, étroitement liée à lui, mais qu’elle jouit d’une vie profonde, différente de celle du corps, celui-ci étant plutôt pour elle une prison temporaire et une entrave.
Cette démonstration se fait plus évidente encore lorsque, après la mort, l’esprit désincarné peut trouver dans l’enveloppe physique des médiums les éléments nécessaires pour se matérialiser et tomber sous l’action des sens.
On peut constater alors, à l’aide de balances munies d’appareils enregistreurs, que le corps du médium perd une partie de son poids, et la différence se retrouve dans l’apparition matérialisée .
D’année en année, les faits se multiplient, les attestations s’accumulent, l’existence du monde des Esprits s’affirme avec une autorité et une puissance grandissantes. Depuis un demi-siècle, l’étude de l’âme est passée, du domaine de la métaphysique et des purs concepts, à celui de l’observation et de l’expérience.
La vie se révèle sous un double aspect : physique et supra-physique. L’homme participe à deux modes d’existence. Par son corps physique, il appartient au monde visible ; par son corps fluidique, au monde invisible. Ces deux corps coexistent en lui durant la vie. La mort en est la séparation.
Au-dessus de notre humanité matérielle s’agite une humanité invisible, composée des êtres qui ont vécu sur la terre et ont dépouillé le vêtement de chair. Au-dessus des vivants, incarnés dans un corps mortel, les survivants poursuivent, dans l’espace, la vie libre de l’esprit.
Ces deux humanités se renouvellent l’une par l’autre, au moyen de la naissance et de la mort. Elles se pénètrent, s’influencent réciproquement et peuvent entrer en rapport au moyen de certains sujets, doués de facultés spéciales, nommés médiums. De chaque âme, incarnée ou désincarnée, émane et rayonne une force, productrice de phénomènes, que l’on nomme force psychique.
L’existence de cette force est établie par de nombreuses expériences. On peut en constater les effets dans les soulèvements de tables, les déplacements d’objets sans contact, les cas de lévitation, etc.
L’action des invisibles se révèle dans les phénomènes de l’écriture directe, les cas d’incorporation, les matérialisations et apparitions temporaires, les photographies et les moulages.
Des apparitions matérialisées ont été photographiées en présence de nombreux témoins : tel l’esprit de, Katie King chez W. Crookes, les esprits de Yolande et Lélia chez Mme d’Espérance ; celui d’Abdullah, fixé sur la plaque sensible par Aksakof .
Des empreintes et moulages de mains, pieds, visages, laissés dans des substances molles ou friables par des formes matérialisées, ont été recueillis par Zoellner, astronome allemand, par les professeurs W. Denton et Wagner, les docteurs Wolff, Friese, etc. Les moules, d’une seule pièce, reproduisaient les inflexions des membres, les détails de la structure et les altérations accidentelles de la peau
Cette action se manifeste encore dans les phénomènes d’incorporation, comme ceux signalés par le docteur Hodgson dans son étude sur la faculté de Mrs. Piper . L’auteur, adversaire déclaré de la médiumnité dans toutes ses applications, avait commencé son enquête dans le but de démasquer ce qu’il considérait comme une imposture. Il déclare avoir poursuivi ses observations pendant douze années, en de nombreuses séances, au cours desquelles cent vingt personnalités invisibles se manifestèrent, entre autres George Pellew, son ami d’enfance, membre, comme lui, de la Psychical research Society, décédé depuis plusieurs années. Ces personnalités lui révélèrent des faits inconnus de tout être vivant sur la terre. Aussi dit-il : « La démonstration de la survivance m’a été faite de façon à m’ôter même la possibilité d’un doute . »
Les professeurs Ch. W. Elliot, président de l’Université d’Harward, W. James, professeur de psychologie à la même Université ; Newbold, professeur de psychologie à l’Université de Pensylvanie, et d’autres savants ont participé à ces expériences et contresigné ces déclarations.
Dans un ouvrage plus récent , le professeur Hyslop, de l’Université de Columbia, New-York, se prononce dans le même sens au sujet de Mrs. Piper, qu’il a observée pendant de nombreuses séances. Celles-ci ont été menées dans le plus grand secret. Le professeur était présenté sous le nom de Smith. Il portait un masque noir, qui eût empêché son plus intime ami de le reconnaître, et il s’est abstenu de prononcer une seule parole, de sorte que Mrs. Piper, ni aucune autre personne ne pouvait être mise sur les traces de son identité.
C’est dans ces conditions que le professeur obtint, avec ses parents morts, au moyen des organes de Mrs. Piper entrancée, des entretiens pleins de détails précis, de particularités, oubliées par lui, de leur vie intime. Aussi conclut-il en ces termes :
« Quand on considère le phénomène de Mrs. Piper, il faut éliminer et la transmission de pensée et l’action télépathique. En considérant le problème avec impartialité, il n’y a pas d’autre explication que l’intervention des morts. »
Au cours de l’année 1900, du sein des assemblées savantes, d’imposants témoignages se sont élevés en faveur du spiritisme. Une place considérable lui a été faite dans les programmes et les travaux du Congrès de psychologie de Paris, par les représentants de la science officielle.
Le 22 août, une séance plénière, toutes sections réunies, était consacrée à l’examen des phénomènes psychiques. L’un des présidents d’honneur du Congrès, Myers, professeur à Cambridge, justement célèbre, non seulement comme expérimentateur, mais encore comme philosophe et moraliste, y donnait lecture d’un travail sur la « trance ou médiumnité à incorporations ».
Après avoir énuméré « toute une série d’expériences attestées par plus de vingt témoins compétents, qui assurent que les faits à eux révélés par Mrs. Tompson, entrancée, étaient absolument inconnus d’elle et suggèrent le caractère et la mémoire de certaines personnes mortes, desquelles les messages obtenus affirment provenir », il conclut ainsi :
« J’affirme que cette substitution de personnalité ou contrôle d’esprit ou possession marque bien un progrès dans l’évolution de notre race. J’affirme qu’un esprit existe dans l’homme, et qu’il est salutaire et désirable que cet esprit soit, de par ces faits, capable de se dégager partiellement et temporairement de son organisme, ce qui le favoriserait d’une liberté et d’une vision plus étendues, en même temps que cela permettrait à l’esprit d’un décédé de pouvoir faire usage de cet organisme laissé temporairement vacant, pour entrer en communication avec les autres esprits encore incarnés sur cette terre. Je prétends que beaucoup de connaissances dans cette voie ont déjà été acquises et qu’il en reste encore beaucoup d’autres à acquérir dans l’avenir. »
Dans la cinquième section de ce Congrès, trois séances furent consacrées aux mêmes études. Les docteurs Paul Gibier, directeur de l’Institut antirabique de New-York, Dariex, directeur des Annales des Sciences psychiques, Encausse, Joire, Pascal, etc., envoyèrent ou présentèrent eux-mêmes des travaux très documentés établissant la réalité des phénomènes psychiques et la communication possible avec les décédés.
Un institut international pour l’étude des phénomènes psychiques, entre autres ceux de la médiumnité, a été fondé à l’issue du Congrès de psychologie. Parmi les membres du Comité de direction, nous trouvons, pour la France, les noms de MM. Ch. Richet, professeur à la Faculté de médecine, directeur de la Revue scientifique, le colonel de Rochas, C. Flammarion, docteur Duclaux, directeur de l’Institut Pasteur, Sully-Prudhomme, Fouillée, Bergson, Séailles, etc. ; pour l’étranger, tout ce que l’Europe compte de plus illustres parmi les représentants de la science psychique : W. Crookes, Lodge, Aksakof, Lombroso, docteur Ochorowicz, etc.
D’autres attestations importantes, en faveur du spiritisme, se produisirent au cours de l’année 1900. Le docteur Bayol, ancien gouverneur du Dahomey, communiquait au Congrès spirite et spiritualiste, réuni en septembre à Paris, toute une série d’expériences de matérialisations allant depuis l’apparition d’une forme lumineuse jusqu’au moulage dans la paraffine d’un visage d’Esprit qu’il dit être celui d’Acella, jeune fille romaine, morte à Arles, au temps des Antonins. Les docteurs Bonnet, Chazarain, Dusart, de la Faculté de Paris, apportèrent des témoignages de même nature et des preuves d’identité d’Esprits .
Le professeur Ch. Richet, de l’Académie de médecine de Paris, dans un article très étendu ayant pour titre : « Faut-il étudier le spiritisme ? » publié par les Annales des Sciences psychiques de janvier 1905, reconnaît qu’il n’existe « aucune contradiction entre la science classique et le phénomène le plus extraordinaire du spiritisme. La matérialisation, elle-même, est un phénomène étrange, inconnu, inhabituel, dit-il, mais c’est un phénomène qui ne contredit rien. Et nous savons, de par l’histoire , que notre science actuelle est constituée par des faits qui ont paru jadis étranges, inconnus, inhabituels... Autant la science est inattaquable quand elle établit des faits, autant elle est misérablement sujette à l’erreur quand elle prétend établir des négations. »
Et M. Ch. Richet conclut en ces termes :
« 1° Il n’y a aucune contradiction entre les faits et théories du spiritisme et les faits positifs établis par la science. 2° Le nombre des écrits, livres, mémoires, récits, notes, expériences est si considérable et appuyé par de telles autorités, qu’il n’est pas permis de repousser ces innombrables documents sans une étude approfondie. 3° Notre science contemporaine est tellement peu avancée encore, par rapport à ce que seront un jour les connaissances humaines, que tout est possible, même ce qui nous paraît le plus extraordinaire... Donc, au lieu de paraître ignorer le spiritisme, les savants doivent l’étudier. Physiciens, chimistes, physiologistes, philosophes, il faut qu’ils prennent la peine de se mettre au courant des faits spirites. Une longue et laborieuse étude est nécessaire. Elle sera certainement féconde. »
Peu après l’article de M. Ch. Richet, paraissait un important ouvrage, qui eut dans le monde entier un grand retentissement : Human Personnality, de F. Myers, professeur à Cambridge . C’est une étude méthodique et approfondie des phénomènes spirites, appuyée sur une riche documentation et couronnée d’une synthèse philosophique, dans laquelle les vastes conséquences de la science psychique sont magistralement exposées.
Les conclusions de Frédéric Myers sont formelles : « L’observation et l’expérimentation, dit-il, ont amené beaucoup de chercheurs dont je suis (of whom I am one) à croire à la communication, soit directe, soit télépathique, non seulement entre les esprits des vivants, mais encore entre les esprits de ceux qui demeurent sur cette terre et les esprits de ceux qui l’ont quittée . »
Le professeur Flournoy, de l’Université de Genève, dans son livre Esprits et Médiums, p. 266, apprécie en ces termes l’oeuvre de F. Myers :
« A l’heure présente, nul ne peut prévoir le sort que l’avenir réserve à la doctrine spirite de Myers. Si les découvertes futures viennent confirmer sa thèse de l’intervention empiriquement vérifiable des désincarnés dans la trame physique ou psychologique de notre monde phénoménal, alors son nom s’inscrira au livre d’or des grands initiateurs, et, joint à ceux de Copernic et de Darwin, il complétera la triade des génies ayant le plus profondément révolutionné la pensée scientifique dans l’ordre cosmologique, biologique, psychologique. »
En 1905, 1906, 1907, 1908, l’Institut général psychologique de Paris a pris l’initiative d’un grand nombre de séances expérimentales, avec le concours du médium Eusapia Paladino, sous le contrôle de MM. Curie, Richet, d’Arsonval, Dubierne, etc. Le rapport de M. Courtier, secrétaire de l’Institut, quoique plein de réticences et de réserves, constate cependant que des phénomènes de lévitation et de déplacement d’objets sans contact se produisirent au cours de ces séances. Toutes les précautions furent prises contre les possibilités d’erreur ou de fraude. Des instruments spéciaux furent construits et employés pour l’enregistrement mécanique des phénomènes. Un contrôle incessant fut exercé. L’emploi d’appareils photographiques fit écarter toute hypothèse d’hallucination collective.
M. Dubierne ayant dit, au cours d’une séance, que John, l’Esprit-guide d’Eusapia., peut briser la table, aussitôt on entend se rompre le pied de celle-ci.
Eusapia augmente et diminue à volonté son poids et celui de la table. A la distance de 45 centimètres, elle peut provoquer la rupture d’un tube de caoutchouc et celle d’un crayon. Elle brise en trois morceaux une petite table de bois, posée derrière sa chaise, annonçant à l’avance le nombre des morceaux, chose incompréhensible, étant donné qu’elle est dans l’obscurité et tourne le dos à la table .
Malgré ces faits, le 29 mai 1908, le docteur Lebon pose, dans le Matin, aux spirites et aux médiums, le défi suivant : « Bien que le professeur Morselli déclare que le soulèvement d’une table, sans contact, soit l’a b c des phénomènes spirites, je doute fort qu’elle serait jamais réalisée... J’offre 500 francs à celui qui me montrera le phénomène en plein jour. »
Quelques jours après, un journaliste bien connu, M. Montorgueil, répondait dans l’Éclair : « Nous sommes des centaines qui avons vu des phénomènes de lévitations de tables, sans contact. On vient nous dire qu’il y a suggestion, prestidigitation, un truc. A l’imitation de M. Lebon, j’offre 500 francs au prestidigitateur qui se présentera à l’Éclair et qui nous trompera avec les mêmes trucs en reproduisant, les mêmes phénomènes. »
L’astronome C. Flammarion, de son côté, répondait, dans le Matin, à M. Lebon : « On peut voir dans mon ouvrage : Forces naturelles inconnues, des photographies directes et sans retouches, à propos desquelles je suis parfaitement disposé à donner, moi aussi, un prix de 500 francs à celui qui pourra y découvrir un truc quelconque. »
Plus loin il dit : « On voit des rotations s’opérer sans contact, de la farine ayant été répandue avec un soufflet et aucun doigt ne l’ayant effleurée... Au cours de ces expériences, nous voyions un piano pesant 300 kilogrammes résonner et se soulever, tandis qu’il n’y avait auprès de lui qu’un enfant de onze ans, médium sans le savoir. »
Enfin le docteur Ochorowicz, professeur à l’Université de Varsovie, publiait, dans les Annales des Sciences psychiques de 1910 (voir toute l’année), la relation de ses expériences avec le médium Mlle Tomsick, accompagnée de reproductions photographiques de nombreux cas de lévitations d’objets sans contact. Ces faits constituent un ensemble de preuves objectives de nature à convaincre les plus sceptiques.
Le professeur César Lombroso, de l’Université de Turin, célèbre dans le monde entier par ses travaux d’anthropologie criminaliste, publiait en 1910, peu avant sa mort, un livre : Hypnotisme et Spiritisme , dans lequel il relatait toutes ses expériences, poursuivies pendant des années, et concluait dans un sens absolument affirmatif, au point de vue spirite. Cet ouvrage est un bel exemple de probité scientifique à opposer au parti pris et aux vues routinières de la plupart des savants français. Nous croyons devoir reproduire ici les considérations qui ont amené Lombroso à l’écrire : « Lorsque, dit-il, j’ai voulu faire un livre sur les phénomènes dits spirites, après une vie consacrée au développement de la psychiatrie et de l’anthropologie, mes meilleurs amis m’ont accablé d’objections, disant que j’allais gâter ma réputation. Malgré tout, je n’ai pas hésité à poursuivre, estimant qu’il était de mon devoir de couronner ma carrière de luttes pour le progrès des idées en luttant pour l’idée la plus contestée et bafouée du siècle. »
Ainsi, de jour en jour, les expériences se répètent, les témoignages deviennent plus nombreux. Dans leur ensemble, tous ces faits constituent déjà une science nouvelle, basée sur la méthode positive. Pour édifier sa doctrine, le spiritualisme moderne n’a pas eu besoin de recourir à la spéculation métaphysique ; il lui a suffi de s’appuyer sur l’observation et sur l’expérience. Les phénomènes qu’il étudie ne pouvant s’expliquer par des lois connues, il les a longuement et mûrement examinés, analysés, puis, par un enchaînement rationnel, il est remonté des effets aux causes. L’intervention des Esprits, l’existence du corps fluidique, l’extériorisation des vivants n’ont été affirmées que lorsque les faits sont venus par milliers en démontrer la réalité.
La nouvelle science spiritualiste n’est donc pas une œuvre d’imagination ; elle est le résultat de longues et patientes recherches, le fruit de nombreuses investigations. Les hommes qui en ont pris l’initiative ont connus dans tous les milieux scientifiques. Ils portent des noms célèbres et respectés.
Des enquêtes ont été poursuivies pendant des années par des commissions de savants de profession. Les plus connues sont l’enquête de la Société de dialectique, de Londres ; celle de la Société des recherches psychiques, qui dure depuis vingt ans et a donné des résultats considérables ; plus récemment, celle de M. Flammarion. Toutes ont recueilli des milliers d’observations, soumises à un examen sévère, à un contrôle des plus rigoureux.
Quelle que soit la part que l’on ait pu faire aux exagérations, aux fraudes, aux supercheries, il se dégage de l’ensemble de ces études un nombre si imposant de preuves et de faits, qu’il n’est plus permis, après cela, à un ami du vrai de rester indifférent ou silencieux. Le temps des ironies faciles est passé. La raillerie n’est pas une solution. Il faut que la science se prononce ; car le phénomène est là, revêtant tant d’aspects, se multipliant tellement, qu’il s’impose à son attention. L’âme, libre et immortelle, s’affirme, non plus comme une vague et idéale entité, mais comme un être réel, associé à une forme et producteur d’une force subtile, dont la constante manifestation sollicite l’attention des chercheurs.
Depuis les coups frappés et, les simples faits de typtologie jusqu’aux apparitions matérialisées, le phénomène spirite s’est déroulé sous des formes de plus en plus puissantes, portant la conviction chez les plus sceptiques et les plus prévenus.
C’est la fin du surnaturel et du miracle, mais de cet ensemble de faits, aussi anciens que l’humanité, mal compris, mal observés jusqu’ici, se dégagent maintenant une conception plus haute de la vie et de l’univers et la connaissance d’une loi suprême qui guide les êtres dans leur ascension à travers les splendeurs de l’infini, vers le Bien, vers le Parfait !
II. LA MARCHE ASCENDANTE ; LES MODES D’ETUDES.
La réunion du Congrès spirite et spiritualiste international de Paris, en 1900 , a permis de constater la vitalité toujours croissante du spiritisme. Des délégués venus de tous les points du monde, représentant les peuples les plus divers, y ont exposé les progrès de l’idée dans leurs pays respectifs, sa marche ascendante malgré les obstacles, les conversions retentissantes qu’elle opère, aussi bien parmi les hommes d’église que chez les savants matérialistes. Il en a été de même au Congrès de Bruxelles, en 1910. Un bureau international a été institué. Il a pour but d’établir des relations permanentes entre les groupements des diverses nations et de recueillir des informations sur le mouvement spirite dans le monde entier.
En dépit des dénégations et des railleries, la croyance spirite se fortifie et grandit. Mais, à mesure qu’elle se répand, la lutte devient plus vive entre négateurs et convaincus. Le vieux monde s’inquiète ; il se sent menacé. Le combat pour la vie n’est pas plus âpre que la lutte entre les idées. L’idée vieillie, incomplète, se cramponne en désespérée aux positions acquises et résiste aux efforts de l’idée nouvelle, qui veut prendre sa place au soleil. Les résistances s’expliquent par les intérêts de tout un ordre de choses qui se sent ébranlé. Elles sont utiles, parce qu’elles rendent plus sages les novateurs, plus mesurés les progrès de l’esprit humain.
Il est dans la destinée de celui-ci de toujours détruire et reconstruire. Sans cesse il travaille à édifier des monuments splendides, qui lui serviront de demeures, mais qui, bientôt devenus insuffisants, devront faire place à des œuvres, à des conceptions plus vastes, appropriées à son développement constant.
Tous les jours, des individualités disparaissent, des systèmes s’effondrent dans la lutte. Mais, au milieu des fluctuations terrestres, la route de la vérité se déroule, tracée par la main de Dieu, et l’humanité s’achemine vers ses destinées inéluctables. Le spiritisme, utopie d’hier, sera la vérité de demain. Familiarisés avec elle, nos successeurs oublieront les luttes, les souffrances de ceux qui auront assuré sa place dans le monde ; mais, à leur tour, ils auront à combattre et à souffrir pour le triomphe d’un idéal plus élevé. C’est la loi éternelle du progrès, la loi d’ascension qui porte l’âme humaine, d’étapes en étapes, de conquêtes en conquêtes, vers une somme toujours plus grande de science, de sagesse et de lumière. C’est la raison même de la vie, la pensée maîtresse qui dirige l’évolution des âmes et des mondes.
A mesure que le spiritisme se répand, plus impérieuse apparaît la nécessité d’établir des règles précises, des conditions sérieuses d’étude et d’expérimentation. Il faut éviter aux adeptes des déceptions fâcheuses et mettre à la portée de tous les moyens pratiques d’entrer en rapport avec le monde invisible.
Pour acquérir la science d’outre-tombe, il est deux moyens : l’étude expérimentale, d’une part ; de l’autre, l’intuition et le raisonnement, que, seules, les intelligences exercées savent mettre en action. L’expérimentation est préférée par la grande majorité de nos contemporains. Elle répond mieux aux habitudes du monde occidental, encore peu initié à la connaissance des ressources profondes de l’âme.
Les phénomènes physiques bien constatés ont, pour nos savants, une importance sans égale. Chez beaucoup d’hommes, le doute ne peut cesser, la pensée ne peut sortir de l’état de torpeur que grâce au fait. Le fait brutal, le fait probant vient bouleverser les idées préconçues ; il oblige les plus indifférents à scruter le problème de l’Au-delà.
Il est nécessaire de faciliter les recherches expérimentales et l’étude des phénomènes physiques, mais en les considérant comme un acheminement vers des manifestations moins terre à terre. Celles-ci, à la fois intellectuelles et spirituelles, constituent le côté le plus important du spiritisme. Sous leurs formes diverses, elles représentent autant de moyens d’enseignement, autant de modes d’une révélation sur laquelle s’édifie une notion de la vie future, plus large et plus haute que toutes les conceptions du passé.
L’homme qui pleure des êtres aimés, dont la mort l’a séparé, recherche, avant tout, une preuve de la survivance, dans la manifestation des âmes chères à son cœur et que l’amour attire aussi vers lui. Un mot affectueux, une preuve morale venant d’elles, feront plus pour le convaincre que tous les phénomènes matériels.
Jusqu’ici, chez la plupart des hommes, la croyance à la vie future n’avait été qu’une vague hypothèse, une foi vacillant à tous les souffles de la critique. Les âmes, après la séparation des corps, n’étaient à leurs yeux que des entités mal définies, confinées en des lieux circonscrits, inactives, sans but, sans rapports possibles avec l’humanité.
Aujourd’hui, nous savons, de science certaine, que les esprits des morts nous entourent et se mêlent à notre vie. Ils nous apparaissent comme de véritables êtres humains, doués de corps subtils, ayant conservé tous les sentiments de la terre, mais susceptibles d’élévation, participant dans une mesure grandissante à l’œuvre et au progrès universels, en possession de forces bien supérieures à celles dont ils disposaient dans leur ancienne condition d’existence.
Nous savons que la mort n’apporte aucun changement essentiel à la nature intime de l’être, qui reste, en tous milieux, ce qu’il s’est fait, emportant au delà de la tombe ses penchants, ses affections et ses haines, ses grandeurs et ses faiblesses ; restant attaché par le cœur à ceux qu’il a aimés sur la terre : toujours anxieux de s’en rapprocher.
L’intuition profonde nous révélait bien la présence de nos amis invisibles et, dans une certaine mesure, nous permettait, en notre for intérieur, de correspondre avec eux. L’expérimentation va plus loin. Elle nous procure des moyens de communication positifs et précis ; elle établit entre les deux mondes, le visible et l’occulte, une communion qui va s’étendant à mesure que les facultés médianimiques se multiplient et s’affinent. Elle resserre les liens qui unissent les deux humanités ; elle leur permet, par des rapports constants, par un échange continuel de vues, de mettre en commun leurs forces, leurs aspirations, de les orienter vers un même but grandiose et de travailler ensemble à conquérir plus de lumière, plus d’élévation morale et, par suite, plus de bonheur pour la grande famille des âmes, dont hommes et Esprits sont membres.
Toutefois, il faut reconnaître que la pratique expérimentale du spiritisme est pleine de difficultés. Elle exige des qualités dont beaucoup d’hommes sont dépourvus : esprit de méthode, persévérance, discernement, élévation de pensée et de cœur. Quelques-uns arrivent seulement à la certitude, qui est leur but, après des échecs nombreux ; d’autres l’atteignent d’un seul élan par le cœur, par l’amour. Ceux-là saisissent la vérité sans effort, et rien ne peut plus les en détacher.
Oui, la science est belle ; le chercheur persévérant trouve en elle des satisfactions infinies. Tôt ou tard, elle lui fournira la base sur laquelle se fondent les convictions solides. Cependant, à cette science purement intellectuelle qui étudie seulement les corps, il faut, pour lui faire équilibre, en adjoindre une autre qui s’occupe de l’âme et de ses facultés affectives. C’est ce que fait le spiritisme, qui n’est pas seulement une science d’observation, mais aussi de sentiment et d’amour, puisqu’elle s’adresse à la fois à l’intelligence et au cœur.
C’est pourquoi les savants officiels, habitués aux expériences positives, opérant avec des instruments de précision et se basant sur des calculs mathématiques, réussissent moins facilement et se lassent trop vite en présence du caractère fugace des phénomènes. Les causes multiples en action dans ce domaine, l’impossibilité de reproduire les faits à volonté, les incertitudes, les déceptions, les déroutent et les rebutent.
Rares ont été pendant longtemps, en France, dans les milieux officiels, les expérimentateurs affranchis des routines classiques et doués des qualités nécessaires pour mener à bien ces observations délicates. Tous ceux qui ont procédé avec persévérance et impartialité ont pu constater la réalité des manifestations des défunts. Mais, lorsqu’ils publiaient les résultats de leurs recherches, ils ne rencontraient le plus souvent qu’incrédulité, indifférence ou persiflage. Les hommes de science, pour expliquer les faits spirites, ont entassé systèmes sur systèmes et recouru aux hypothèses les plus invraisemblables, torturant les phénomènes pour les faire entrer dans le lit de Procuste de leurs conceptions.
C’est ainsi qu’on a vu surgir tant de théories étranges, depuis le nerf craqueur de Jobert de Lamballe, les articulations claquantes, l’automatisme psychologique, les hallucinations collectives, jusqu’à celle du subliminal. Ces théories, mille fois réfutées, renaissent sans cesse. On dirait que les représentants de la science officielle ne craignent rien tant que d’être obligés de reconnaître la survivance et l’intervention des Esprits.
Sans doute, il est prudent, il est sage d’examiner toutes les explications contraires, d’épuiser toutes les hypothèses, toutes les autres possibilités, avant de recourir à la théorie spirite. Tout d’abord, la plupart des expérimentateurs ont cru pouvoir s’en passer ; mais, à mesure qu’ils examinaient le phénomène de plus près, ils s’apercevaient que les autres théories étaient insuffisantes et qu’il fallait recourir à l’explication tant dédaignée . Les autres systèmes s’écroulaient un à un sous la pression des faits.
Malgré toutes les difficultés, on a vu peu à peu s’accroître le nombre des investigateurs consciencieux, de ceux dont l’esprit était assez libre et l’âme assez haute pour placer la vérité au-dessus de toutes les considérations d’école ou d’intérêt personnel. De jour en jour on a vu des savants hardis rompre avec la méthode traditionnelle et aborder résolument l’étude des phénomènes. Ils ont déjà réussi à faire entrer la télépathie, la clairvoyance, la prémonition, l’extériorisation des forces, dans le domaine de la science d’observation.
Avec le colonel de Rochas, la France tient le premier rang dans l’étude de l’extériorisation de la sensibilité. Des sociétés d’études psychiques se fondent un peu partout. Le scepticisme d’antan s’atténue. A certaines heures, un souffle nouveau semble animer le vieil organisme scientifique.
Pourtant ne nous y fions pas. Les savants officiels n’abordent pas encore ce domaine sans restrictions. M. Duclaux, le grand disciple de Pasteur, le déclarait dans sa conférence d’ouverture de l’Institut psychique international, le 30 janvier 1901 :
« Cet institut sera une oeuvre de critique mutuelle, avec l’expérience pour base. Il n’admettra comme découverte scientifique que celle qui peut être répétée à volonté. »
Que signifient ces paroles ? Peut-on reproduire à volonté les phénomènes astronomiques et météorologiques ? Ce sont cependant là des faits scientifiques. Pourquoi ces réserves et ces entraves ?
Dans bien des cas, le phénomène spirite se produit avec une spontanéité qui déroute toutes les prévisions. On ne peut que le constater. Il s’impose et échappe à notre action. L’appelez-vous, il se dérobe ; mais si vous n’y pensez plus, il reparaît. Tels sont presque tous les cas d’apparitions à distance et les phénomènes des maisons hantées. Les fantômes vont et viennent, sans se soucier de nos exigences et de nos prétentions. Vous attendez pendant des heures et rien ne se produit. Faites-vous mine de partir, les manifestations commencent.
A propos de l’imprévu des phénomènes, rappelons ce que disait M. Varley, ingénieur en chef des postes et télégraphes de la Grande-Bretagne :
« Mme Varley voit et reconnaît les Esprits, particulièrement lorsqu’elle est entrancée (état de somnambulisme lucide) ; elle est aussi très bon médium à incarnations, mais je n’ai sur elle presque pas d’influence pour provoquer la trance, en sorte qu’il m’est impossible de me servir de sa médiumnité pour faire des expériences. »
C’est donc un point de vue erroné et gros de conséquences fâcheuses que de considérer le spiritisme comme un domaine où les faits se présentent toujours identiques, où les éléments d’expérimentation peuvent être disposés à notre gré. On s’expose par là à des recherches vaines ou à des résultats incohérents.
Tout en applaudissant au mouvement qui entraîne les hommes instruits vers l’étude des phénomènes psychiques, nous ne pouvons nous défendre d’une certaine crainte, celle de voir leurs efforts rester stériles s’ils ne parviennent pas à se dépouiller de leurs préoccupations habituelles. En voici un exemple.
M. Charles Richet, qui est un esprit sagace et ouvert, après avoir constaté tant de fois les faits produits par Eusapia Paladino et signé des procès-verbaux qui en attestaient la réalité, ne reconnaît-il pas lui-même que sa conviction, d’abord profonde, s’affaiblit et devient flottante quelque temps après, sous l’empire des habitudes d’esprit contractées dans le milieu qui lui est familier ?
Le public attend beaucoup du nouvel institut et des savants qui le composent. Il ne s’agit plus ici de psychologie élémentaire, mais de la plus haute question qui ait jamais préoccupé la pensée humaine : le problème de la destinée. L’humanité, lasse du dogmatisme religieux, tourmentée du besoin de savoir, tourne ses regards vers la science ; elle attend d’elle le verdict définitif qui lui permettra d’orienter ses actes, de fixer ses opinions, ses croyances.
Les responsabilités des savants sont lourdes. Les hommes qui occupent les chaires du haut enseignement en sentent-ils tout le poids et en mesurent-ils toute l’étendue ? Sauront-ils faire le sacrifice de leurs petits amours-propres et revenir sur des affirmations prématurées ? ou bien se prépareront-ils, au déclin de leur carrière, la douleur de constater qu’ils ont manqué le but, dédaigné les choses les plus essentielles à connaître et à enseigner ?
Nous l’avons vu plus haut : le mouvement psychique vient surtout du dehors et s’accentue de jour en jour. Si la science française refusait d’y prendre part, elle serait débordée, devancée, et son bon renom pâlirait dans le monde. Abandonnant ses préjugés et gardant ses méthodes prudentes, qu’elle apprenne donc à s’élever, à la suite des savants étrangers, vers des sphères plus vastes, plus subtiles, fécondes en découvertes. Son intérêt lui commande de les explorer plutôt que de les nier !
Qu’elle fasse du spiritisme une science nouvelle, qui complète les autres sciences en les couronnant. Celles-ci s’appliquent à des domaines particuliers de la nature ; elles conduisent parfois à de faux systèmes, et ceux qui s’y confinent perdent de vue les grands horizons, les vérités d’ordre général. La science psychique doit être la science suprême qui nous apprendra à nous connaître, à mesurer, à augmenter les puissances de l’âme, à les mettre en oeuvre et à nous élever avec leur aide vers l’âme éternelle et divine.
III. L’ESPRIT ET SA FORME.
En tout homme vit un esprit.
Par esprit, il faut entendre l’âme revêtue de son enveloppe fluidique ; celle-ci a la forme du corps physique et participe de l’immortalité de l’âme, dont elle est inséparable.
De l’essence de l’âme nous ne savons qu’une chose, c’est qu’étant indivisible, elle est impérissable. L’âme se révèle par ses pensées et aussi par ses actes, mais, pour qu’elle puisse agir et frapper nos sens physiques, il lui faut un intermédiaire semi-matériel, sans quoi son action nous paraîtrait incompréhensible. Cet intermédiaire, c’est le périsprit, nom donné à son enveloppe fluidique, invisible, impondérable. Il faut chercher dans son action le secret des phénomènes spirites.
Le corps fluidique, que chaque homme possède en lui, est le transmetteur de nos impressions, de nos sensations, de nos souvenirs. Antérieur à la vie actuelle, survivant à la mort, c’est l’instrument admirable que l’âme se construit, se façonne elle-même à travers les temps ; c’est le résultat de son long passé. En lui se conservent les instincts, s’accumulent les forces, se groupent les acquisitions de nos multiples existences, les fruits de notre lente et pénible évolution.
La substance du périsprit est extrêmement subtile ; c’est la matière à son état le plus quintessencié ; elle est plus raréfiée que l’éther ; ses vibrations, ses mouvements, dépassent en rapidité et en pénétration ceux des substances les plus actives. De là, la facilité des Esprits à traverser les corps opaques, les obstacles matériels, et à franchir des distances considérables avec la rapidité de la pensée .
Insensible aux causes de désagrégation et de destruction qui affectent le corps physique, le périsprit assure la stabilité de la vie au milieu du renouvellement continuel des cellules. C’est le modèle invisible sur lequel passent et se succèdent les particules organiques, suivant des lignes de force dont l’ensemble constitue ce dessin, ce plan immuable reconnu par Claude Bernard comme nécessaire pour maintenir la forme humaine à travers les modifications constantes et le renouvellement des atomes.
L’âme se dégage de l’enveloppe charnelle, pendant le sommeil, comme après la mort. La forme fluidique peut alors être perçue par les voyants, dans les cas d’apparition des défunts ou des vivants extériorisés. Durant la vie normale, cette forme se révèle par ses radiations, dans les phénomènes où la sensibilité et la motricité s’exercent à distance. A l’état de dégagement pendant le sommeil, l’esprit agit parfois sur la matière; il produit des bruits, des déplacements d’objets. Enfin, il se manifeste après la mort, à des degrés divers de condensation, dans les matérialisations partielles ou totales, dans les photographies et les moulages, jusqu’au point de reproduire certaines difformités .
Tous ces faits le démontrent, le périsprit est un organisme fluidique complet ; c’est lui qui, durant l’existence terrestre, par le groupement des cellules, ou bien dans l’Au-delà, avec l’aide de la force psychique empruntée aux médiums, constitue, sur un plan déterminé, les formes, passagères ou durables, de la vie. C’est lui, et non le corps matériel, qui est le type primordial et persistant de la forme humaine .
M. H. Durville, secrétaire général de l’Institut magnétique, s’est livré à des expériences très démonstratives. Elles établissent que, dans les phénomènes d’extériorisation, c’est le double, dégagé du corps matériel par l’action magnétique, qui perçoit toutes les impressions, les transforme en sensations et les transmet au corps physique à l’aide du cordon fluidique qui les relie jusqu’à la mort .
Le double extériorisé d’un sujet endormi étant séparé du corps matériel et envoyé dans une autre chambre, les expériences suivantes ont été faites sur la vue, l’ouïe, l’odorat, le tact, le goût :
Un article de journal est lu par le double et répété par le sujet endormi dans la salle voisine. De même, des objets et des personnes sont perçus à distance par le double et décrits par le sujet.
Le double entend le tic-tac d’une montre ainsi que des paroles prononcées à voix basse près de lui. Un flacon d’ammoniaque est senti par le double, après d’autres odeurs ou parfums. Le double goûte l’aloès, le sucre, le sulfate de quinine, l’orange, etc., et en transmet les sensations gustatives, au corps.
Enfin, à propos du tact, M. Durville s’exprime ainsi :
« On sait que presque tous les sujets endormis magnétiquement sont insensibles, mais on ne sait pas où la sensibilité s’est réfugiée. Lorsque le sujet est extériorisé, la sensibilité rayonne toujours autour de lui ; et si on pince, si on brûle ou pique les zones sensibles, le sujet perçoit une vive douleur, quand il ne perçoit absolument rien lorsqu’on pique le corps. Il en est de même dans le dédoublement. Le sujet ne sent ni les piqûres ni les pincements que l’on fait au corps physique ; mais il éprouve une sensation désagréable et même douloureuse dès que l’on touche le double ou le cordon qui les relie. Ce phénomène se vérifie à toutes les séances et chez tous les sujets sans exception. »
La forme humaine, nous disent les invisibles, est celle de tous les esprits incarnés ou désincarnés vivant dans l’univers. Mais cette forme, rigide, compacte dans le corps physique, est flexible, compressible, au gré de la volonté, dans le périsprit. Elle se prête, dans une certaine mesure, aux exigences de l’esprit et lui permet, dans l’espace et suivant l’étendue de ses pouvoirs, de revêtir les apparences, les costumes qui furent siens dans le passé, avec ses attributs propres qui le font reconnaître. Cela se remarque souvent dans les cas d’apparition. La volonté crée ; son action sur les fluides est considérable. L’esprit avancé peut soumettre la matière subtile à des métamorphoses sans nombre.
Le périsprit est un foyer de puissances. La force magnétique, que certains hommes projettent en abondance et qui peut, de près ou de loin, influencer, soulager, guérir, est une de ses propriétés. La force psychique, indispensable à la production des phénomènes spirites, a aussi son siège en lui.
Le corps fluidique n’est pas seulement un réceptacle de forces. C’est aussi le registre vivant où s’impriment les images et les souvenirs : sensations, impressions et faits, tout s’y fixe, tout s’y grave. Lorsque les conditions d’intensité et de durée sont trop faibles, les impressions n’arrivent pas jusqu’à notre conscience ; elles n’en sont pas moins enregistrées dans le périsprit, où elles restent latentes. Il en est de même des faits se rattachant à nos vies antérieures. L’être psychique, placé dans l’état de somnambulisme, dégagé partiellement du corps, peut en ressaisir l’enchaînement. Ainsi s’explique le phénomène de la mémoire.
Les vibrations du périsprit s’amoindrissent sous la chair ; elles retrouvent leur amplitude, dès que l’esprit se détache de la matière et reprend sa liberté. Sous l’intensité de ces vibrations, les impressions emmagasinées dans le périsprit reparaissent. Plus le dégagement est complet, plus le champ de la mémoire s’élargit. Les plus lointains souvenirs se réveillent. Le sujet peut revivre ses vies passées ; ainsi nous l’avons constaté bien des fois dans nos expériences. Des personnes, plongées, par une influence occulte, dans l’état somnambulique, reproduisaient les sentiments, les idées, les actes oubliés de leur vie actuelle, de leur prime jeunesse. Elles revivaient même des scènes de leurs vies antérieures, avec le langage, les attitudes, les opinions de l’époque et du milieu.
Il semble, dans ces cas, qu’une personnalité différente se montre, qu’une autre individualité se révèle.
Ces phénomènes, mal observés par certains expérimentateurs, ont pu donner naissance à la théorie des personnalités multiples coexistant dans une même enveloppe, chacune d’elles ayant son caractère et ses souvenirs propres. Sur cette théorie on a vu se greffer celle de la conscience subliminale ou de l’inconscient supérieur. En fait, c’est toujours la même individualité qui intervient sous les aspects, divers revêtus par elle à travers les siècles, et qu’elle reconstitue avec d’autant plus d’intensité, que l’influence magnétique subie est plus puissante et les liens corporels plus relâchés. Certaines expériences le démontrent : par exemple, celles du professeur Flournoy avec le médium Hélène Smith qui, à l’état de trance, se replace dans une de ses existences du douzième siècle, accomplie dans l’Inde ; celles d’Esteva Marata et autres expérimentateurs espagnols sur des médiums entrancés . Il convient d’y ajouter les études plus récentes et plus étendues du colonel A. de Rochas .
Le degré de pureté de sa forme fluidique atteste la richesse ou l’indigence de l’âme. Éthérée, radieuse, elle peut s’élever jusqu’aux sphères divines, participer aux harmonies les plus sublimes ; opaque, ténébreuse, elle retombe dans les régions inférieures, elle nous rive aux mondes de lutte, de souffrance.
Par son périsprit, l’homme plonge dans les bas-fonds de la nature et a ses racines dans l’animalité ; par lui il tend aussi vers les mondes de lumière, où vivent les âmes angéliques, les purs esprits.
Notre état psychique est notre œuvre ; notre degré de perception, de compréhension, est le fruit de nos longs efforts. Nous sommes ce que nous nous sommes faits en parcourant le cycle immense de nos vies. Notre enveloppe fluidique, grossière ou subtile, obscure ou radiante, représente notre exacte valeur et la somme de nos acquisitions. Nos actes, nos pensées persistantes, la tension de notre volonté vers un but, toutes les volitions de notre être mental, ont une répercussion sur le périsprit et, suivant leur nature, basse ou élevée, généreuse ou sordide, en dilatent, en affinent ou en alourdissent la substance. Il en résulte que, par l’orientation constante de nos idées, de nos aspirations, de nos goûts, par nos agissements dans un sens ou dans l’autre, nous nous construisons peu à peu une enveloppe subtile, peuplée de belles et nobles images, ouverte aux sensations les plus délicates, ou bien une sombre demeure, une prison obscure, où, après la mort, l’âme, limitée dans ses perceptions, est ensevelie comme en un tombeau. Ainsi l’homme crée lui-même son bien ou son mal, sa joie ou sa peine. Lentement, de jour en jour, il édifie sa destinée. Son oeuvre est gravée en lui, visible pour tous dans l’Au-delà. C’est par cet admirable jeu des choses, simple et grandiose à la fois, que se réalise, dans le monde et dans les êtres, la loi de causalité ou de la conséquence des actes, qui n’est autre que l’accomplissement de la justice.
Par un effet des mêmes causes, dès cette vie, l’homme attire à lui les influences d’en haut, les radiations éthérées ou les grossiers effluves des Esprits de passion, de désordre. Là est la règle des manifestations spirites ; elle n’est autre que la loi même des attractions et des affinités. Selon le degré de subtilité de notre enveloppe et l’intensité de ses radiations, nous pouvons, dans les moments de dégagement, d’extase - ou même, pour quelques-uns, dans le recueillement et la méditation - entrer en rapport avec le monde invisible, percevoir les échos, recueillir les inspirations, entrevoir les splendeurs des mondes célestes, ou bien ressentir l’influence des Esprits de ténèbres.
IV. LA MEDIUMNITE.
Toutes les manifestations de la nature et de la vie se résument en vibrations, plus ou moins rapides et étendues, suivant les causes qui les produisent. Tout vibre dans l’univers : son, lumière, chaleur, électricité, magnétisme, rayons chimiques, rayons cathodiques, ondes hertziennes, etc., ne sont que les modes divers d’ondulation, de vibration de la force et de la substance universelles, les degrés successifs qui constituent, dans leur ensemble, l’échelle ascendante des manifestations de l’énergie.
Ces degrés sont fort éloignés les uns des autres. Le son parcourt 340 mètres par seconde ; la lumière, dans le même temps, franchit 300.000 kilomètres ; l’électricité se propage avec une vitesse qui nous paraît incalculable. Mais nos sens physiques ne nous permettent pas de percevoir tous les modes de vibration. Leur impuissance à nous donner une impression complète des forces de la nature est un fait assez connu pour que nous n’ayons pas à insister sur ce point.
Dans le domaine de l’optique seulement, nous savons que les ondes lumineuses n’impressionnent notre rétine que dans les limites des sept couleurs du prisme, du rouge au violet. Au delà ou en deçà de ces couleurs, les radiations solaires échappent à notre vue ; aussi les appelle-t-on rayons obscurs.
Entre la limite des sons, dont les vibrations sont de 24 à 60.000 par seconde, et la sensation de chaleur, qui se mesure par trillions de vibrations, nous ne percevons rien. Il en est de même entre la sensation de chaleur et celle de lumière, qui correspond, en moyenne, à 500 trillions de vibrations par seconde .
Dans cette ascension prodigieuse, nos sens représentent des étages très espacés, des stations placées à des distances considérables les unes des autres sur une route sans fin. Entre ces divers étages, par exemple, entre les sons aigus et les phénomènes de la chaleur et de la lumière, puis de ceux-ci jusqu’aux zones vibratoires affectées par les rayons cathodiques, il y a pour nous comme des abîmes. Mais ces abîmes, vides et obscurs en apparence, ne seraient-ils pas comblés pour des êtres doués de sens plus subtils ou plus nombreux que les nôtres ? Entre les vibrations perçues par l’ouïe et celles qui impressionnent notre vue, n’y a-t-il que néant dans le domaine des forces et de la vie universelle ?
Il serait peu sensé de le croire, car tout dans la nature se succède, s’enchaîne et se déroule, d’anneau en anneau, par des transitions graduées. Nulle part, il n’y a de saut brusque, de vide, d’hiatus. Ce qui se dégage de ces considérations, c’est simplement l’insuffisance de notre organisme, trop pauvre pour percevoir tous les modes de l’énergie.
Ce que nous disons des forces en action dans l’univers s’applique également à l’ensemble des êtres et des choses, sous leurs formes diverses, à leurs différents degrés de condensation ou de raréfaction.
Notre connaissance de l’univers se restreint ou s’élargit selon le nombre et la finesse de nos sens. Notre organisme actuel ne nous permet d’embrasser qu’un cercle très limité de l’empire des choses. La plupart des formes de la vie nous échappent. Mais qu’un sens nouveau vienne s’ajouter à nos sens, et aussitôt l’invisible se révèle, le vide se peuple, la morne insensibilité s’anime.
Nous pourrions même posséder des sens différents qui changeraient totalement, par leur structure anatomique, la nature de nos sensations actuelles, de manière à nous faire entendre les couleurs et goûter les sons. Il suffirait pour cela qu’aux lieu et place de la rétine, un faisceau de nerfs pût relier le fond de l’œil à l’oreille.
Dans ce cas, nous entendrions ce que nous voyons. Au lieu de contempler le ciel étoilé, nous percevrions l’harmonie des sphères, et nos connaissances astronomiques n’en seraient pas moins exactes pour cela. Si nos sens, au lieu d’être séparés les uns des autres, étaient réunis, nous ne posséderions plus qu’un seul sens général, qui percevrait à la fois les divers genres de phénomènes.
Ces considérations, déduites des observations scientifiques les plus rigoureuses, nous démontrent l’insuffisance des théories matérialistes. Celles-ci veulent fonder l’édifice des lois de la nature sur l’expérience acquise à l’aide de notre organisme actuel, alors qu’avec une organisation plus parfaite cette expérience serait tout autre.
En effet, par la seule modification de nos organes, le monde, tel que nous le connaissons, pourrait se transformer et changer d’aspect, sans que la réalité totale des choses en fût atteinte. Des êtres constitués de manière différente pourraient vivre dans le même milieu sans se voir, sans se connaître.
Et si, par suite du développement organique de certains de ces êtres dans leurs divers milieux appropriés, leurs moyens de perception leur permettaient d’entrer en relation avec ceux dont l’organisation est différente, il n’y aurait là rien de surnaturel ni de miraculeux, mais simplement un ensemble de phénomènes naturels, soumis à des lois encore ignorées de ceux de ces êtres moins favorisés sous le rapport de la connaissance.
Or, c’est précisément ce qui se produit dans nos rapports avec les esprits des hommes décédés, dans tous les cas où un médium peut servir d’intermédiaire entre les deux humanités, la visible et l’invisible. Dans les phénomènes spirites, deux mondes, dont l’organisation et les lois reconnues sont différentes, entrent en contact, et sur cette ligne, sur cette frontière qui les séparait, mais qui s’efface, le penseur debout, anxieux, voit s’ouvrir des perspectives infinies. Il voit se dessiner les éléments d’une science de l’univers beaucoup plus vaste et plus complète que celle du passé, quoiqu’elle en soit le prolongement logique ; et cette science ne vient pas détruire la notion des lois actuellement connues, mais l’élargit dans de vastes proportions, car elle trace à l’esprit humain la voie sûre qui le conduira à la conquête des connaissances et des pouvoirs nécessaires pour assurer sa tâche présente et sa destinée à venir.
Nous venons de parler du rôle des médiums. Le médium est l’indispensable agent à l’aide duquel se produisent les manifestations du monde invisible.
Nous avons constaté l’impuissance de nos sens dès qu’on les applique à l’étude des phénomènes de la vie. Dans les sciences expérimentales, il a fallu bien vite recourir à des instruments pour suppléer à cette faiblesse de l’organisme humain et élargir, notre champ d’observation. C’est ainsi que le télescope et le microscope nous ont révélé l’existence de l’infiniment grand et de l’infiniment petit.
A partir de l’état gazeux, la matière échappait à nos sens. Les tubes de Crookes, les plaques sensibles, nous permettent de poursuivre nos études dans le domaine longtemps inexploré de la matière radiante.
Là s’arrêtent, pour le moment, les moyens d’investigation de la science. Cependant, au delà, on entrevoit des états de la matière et de la force, qu’un outillage perfectionné nous rendra familiers, un jour ou l’autre.
Où les moyens artificiels manquent encore, certains êtres humains viennent apporter, dans l’étude des phénomènes vitaux, le concours de facultés précieuses.
C’est ainsi que le sujet hypnotique a été l’instrument qui a permis de sonder les profondeurs encore mystérieuses du moi humain, de se livrer à une analyse minutieuse de tous les modes de sensibilité, de tous les aspects de la mémoire et de la volonté.
Le médium, à son tour, vient jouer un rôle essentiel dans l’étude des phénomènes spirites. Participant à la fois, par son enveloppe fluidique à la vie de l’espace, par son corps physique à là vie terrestre, il est l’intermédiaire obligé entre les deux mondes.
L’étude de la médiumnité est donc étroitement liée à tous les problèmes du spiritisme ; elle en est la clef même. L’important, dans l’examen des phénomènes, est de distinguer la part qu’il faut attribuer à l’organisme et à la personnalité du médium et celle qui provient d’une intervention étrangère, puis de préciser la nature de cette intervention.
L’esprit, séparé par la mort de la matière grossière, ne peut plus agir sur celle-ci, ni se manifester dans le milieu humain, sans le secours d’une force, d’une énergie qu’il emprunte à l’organisme d’un être vivant. Toute personne susceptible de fournir, d’extérioriser cette force, est propre à jouer un rôle dans les manifestations physiques : déplacement d’objets sans contact, apports, coups frappés, tables tournantes, lévitations, matérialisations. C’est là la forme la plus commune, la plus répandue, de la médiumnité. Elle ne nécessite aucun développement intellectuel, aucun avancement moral. Elle est une simple propriété physiologique, qu’on rencontre chez des personnes de toutes conditions. Dans toutes les formes inférieures de la médiumnité, le sujet est comparable, soit à un accumulateur de force, soit à un appareil télégraphique ou téléphonique, transmetteur de la pensée de l’opérateur.
La comparaison est d’autant plus exacte que la force psychique s’épuise comme toutes les forces non renouvelées ; l’intensité des manifestations est en raison directe de l’état physique et mental du médium. Ce serait une erreur de considérer celui-ci comme un hystérique ou un malade ; c’est simplement un être doué de pouvoirs plus étendus ou de perceptions plus affinées qu’aucun autre.
La santé du médium nous paraît être une des conditions de sa faculté. Nous connaissons un grand nombre de médiums jouissant d’une santé parfaite ; nous avons même remarqué un fait significatif, c’est que, lorsque la santé s’altère, les phénomènes s’affaiblissent et même cessent de se produire.
La médiumnité présente des variétés presque infinies, depuis les formes les plus vulgaires jusqu’aux manifestations les plus sublimes. Elle n’est jamais identique chez deux individus et se diversifie suivant les caractères et les tempéraments. A un degré, supérieur, elle est comme un rayon du ciel éclairant les tristesses humaines, dissipant les obscurités qui nous environnent.
La médiumnité à effets physiques est généralement utilisée par des Esprits d’un ordre vulgaire. Elle nécessite un contrôle attentif et soutenu. C’est par la médiumnité à effets intellectuels : écriture et inspiration, que nous parviennent habituellement les enseignements des Esprits élevés. Pour produire de bons effets, elle exige des connaissances assez étendues. Plus le médium est instruit et doué de qualités morales, plus il offre de ressources aux Esprits. Dans tous les cas, le sujet n’est qu’un instrument, mais celui-ci doit être approprié au rôle qui lui est dévolu. Un artiste, si habile soit-il, ne tirera jamais qu’un parti médiocre d’un instrument incomplet. Il en est de même de l’Esprit vis-à-vis du médium intuitif, chez qui un jugement sûr, une claire intelligence, le savoir même, sont des conditions essentielles.
Il est vrai qu’on a vu des sujets écrire en des langues inconnues ou traiter des questions scientifiques et abstraites, bien au-dessus de leur portée. Ce sont là des cas rares, qui nécessitent de grands efforts de la part des Esprits. Ceux-ci préfèrent recourir à des intermédiaires assouplis, perfectionnés par l’étude, susceptibles de les comprendre et d’interpréter fidèlement leurs pensées.
Dans cet ordre de manifestations, les invisibles agissent sur l’intellect du sujet et projettent leurs idées dans son entendement. Parfois, les pensées se mêlent ; celles des Esprits revêtent une forme, une expression où l’on trouve reproduits le langage habituel et le style du médium. Là encore, un examen scrupuleux s’impose. Toutefois, il sera facile à l’observateur de dégager, de l’insignifiance des nombreux messages et de l’apport personnel des sujets, l’œuvre des Esprits avancés dont les communications portent un caractère de grandeur, un cachet de vérité bien au-dessus des possibilités du médium.
Aux divers degrés de la trance ou du somnambulisme, on voit peu à peu les sens psychiques se substituer aux sens matériels. Les moyens de perception et d’activité s’accroissent alors dans des proportions d’autant plus considérables que le sommeil est plus profond et le dégagement périsprital plus complet.
En cet état, le corps physique ne perçoit plus ; il sert simplement de transmetteur lorsque le médium peut encore traduire ses sensations. Ce phénomène se produit déjà dans l’extériorisation partielle. A l’état de veille, sous l’influence occulte, l’enveloppe fluidique du sujet se dégage et rayonne de telle sorte que, tout en restant liée étroitement au corps, elle commence à percevoir les choses cachées à nos sens extérieurs ; c’est l’état de clairvoyance ou double, vue, la vision à distance à travers les corps opaques, l’audition, la psychométrie, etc.
A des degrés plus élevés, à l’état d’hypnose, l’extériorisation s’accentue jusqu’au dégagement complet. L’âme, détachée de sa prison charnelle, plane sur la nature ; ses modes de perception, soudain recouvrés, lui permettent d’embrasser un cercle immense et de se transporter avec la rapidité de la pensée. A cet ordre de phénomènes se rattache l’état de trance, qui rend possible l’incorporation d’esprits désincarnés dans l’enveloppe du médium, restée libre, comme un voyageur pénètre dans une demeure inhabitée.
Les sens psychiques, inactifs à l’état de veille chez la plupart des hommes, peuvent cependant être utilisés. Il suffit pour cela de s’abstraire des choses matérielles, de fermer ses sens physiques à tout bruit, à toute vision extérieure, et, par un effort de volonté, d’interroger ce sens profond, en qui se résument toutes nos facultés supérieures et que nous appelons le sixième sens, l’intuition, la perception spirituelle. C’est par lui que nous, entrons en contact direct avec le monde des Esprits, plus facilement que par tout autre moyen ; car ce sens est attribut de l’âme, le fond même de sa nature, et se trouve en dehors de la portée des sens matériels, dont il diffère absolument.
Ce sens, le plus beau de tous, la science l’a méconnu jusqu’ici, et c’est pourquoi elle est restée dans l’ignorance de tout ce qui touche au monde invisible. Les règles qu’elle applique au monde physique seront toujours insuffisantes quand on voudra les étendre au monde des Esprits. Pour pénétrer celui-ci, il faut avant tout comprendre que nous sommes esprits nous-mêmes et que nous ne pouvons entrer en rapport avec l’univers spirituel que parles sens de l’esprit.
V. EDUCATION ET ROLE DES MEDIUMS.
Rien de grand ne s’acquiert sans peine. Une lente et laborieuse initiation est imposée à ceux qui recherchent les biens supérieurs. Comme toutes choses, la formation et l’exercice de la médiumnité rencontrent des difficultés, déjà signalées bien des fois ; il nous paraît nécessaire d’y revenir et d’insister, afin de mettre les médiums en garde contre les fausses interprétations, contre les causes d’erreur et de découragement.
Dès que les facultés du sujet, assouplies par un travail préparatoire, commencent à donner des résultats, c’est presque toujours au moyen de rapports établis avec les éléments inférieurs du monde invisible.
Une foule d’Esprits nous entourent, toujours avides de se communiquer aux humains. Cette foule est surtout composée d’âmes peu avancées, d’Esprits légers, parfois mauvais, que la densité de leurs fluides retient enchaînés à notre monde. Les intelligences élevées, aux fluides subtils, aux pures aspirations, ne restent pas confinées dans notre atmosphère après la séparation charnelle. Elles montent plus haut, vers les milieux que leur degré d’avancement leur assigne. Elles en redescendent souvent, il est vrai, pour veiller sur les êtres aimés ; elles se mêlent à nous, mais seulement pour un but utile et dans des cas importants.
Il en résulte que les débutants ne recueillent guère que des communications sans valeur, des réponses plaisantes, triviales, parfois inconvenantes, qui les rebutent et les découragent.
En d’autres cas, le médium inexpérimenté reçoit, par la table ou le crayon , des messages signés de noms célèbres, renfermant des révélations apocryphes, qui captent sa confiance et le remplissent d’enthousiasme. L’inspirateur invisible, connaissant ses côtés faibles, flatte son amour-propre et ses vues, surexcite sa vanité en le comblant d’éloges et en lui promettant des merveilles. Il le détourne, peu à peu de toute autre influence, de tout contrôle éclairé, et le porte à s’isoler dans ses travaux. C’est le début d’une obsession, d’un accaparement, qui peut conduire le médium à des résultats déplorables.
Ces écueils ont été signalés dès le début du spiritisme par Allan Kardec ; cependant, nous voyons encore tous les jours des médiums se laisser entraîner aux suggestions des Esprits trompeurs et devenir victimes de mystifications, qui les rendent ridicules et rejaillissent sur la cause qu’ils croient servir.
Bien des déceptions et des déboires seraient évités, si l’on comprenait que la médiumnité traverse des phases successives et que, dans sa première période de développement, le médium est surtout assisté par des Esprits d’ordre inférieur, dont les fluides, encore imprégnés de matière, s’adaptent mieux aux siens et sont appropriés à ce travail d’ébauche, plus ou moins prolongé, auquel toute faculté est soumise.
Ce n’est que plus tard, lorsque la faculté médianimique est suffisamment développée, assouplie, l’instrument rendu maniable, que les Esprits élevés peuvent intervenir et l’utiliser pour un but intellectuel et moral.
La période d’exercice, de travail préparatoire, parfois si fertile en manifestations grossières et en mystifications, est donc une phase normale du développement de la médiumnité ; c’est une école où notre patience et notre jugement s’exercent, où nous apprenons à nous familiariser avec la manière d’agir des habitants de l’Au-delà.
Durant ce temps d’épreuve et d’étude élémentaire, le médium devra se tenir sur ses gardes, ne jamais se départir d’une prudente réserve. Il devra éviter avec soin les questions oiseuses ou intéressées, les plaisanteries, tout ce qui a un caractère frivole et attire les Esprits légers.
Il ne faut pas se laisser rebuter par la médiocrité des premiers résultats, par l’indifférence apparente et l’abstention de nos amis de l’espace. Médiums débutants, soyez assurés que l’on veille sur vous, que votre persévérance est mise à l’épreuve. Lorsque vous serez parvenus au point voulu, des influences plus hautes descendront sur vous et continueront votre éducation psychique.
Ne recherchez pas la médiumnité dans un but de simple curiosité ou de pur amusement, mais voyez-y un don du ciel, une chose sacrée, que vous devez utiliser avec respect pour le bien de vos semblables. Élevez vos pensées vers les âmes généreuses qui travaillent au progrès de l’humanité ; elles viendront à vous, vous soutiendront et vous protégeront. Grâce à elles, les difficultés du début, les déceptions inévitables que vous subirez n’auront pas de conséquences fâcheuses ; elles éclaireront votre raison et développeront vos forces fluidiques.
La bonne médiumnité se forme lentement, dans l’étude calme, silencieuse, recueillie, loin des plaisirs mondains, loin du bruit des passions. Après une période de préparation et d’attente, le médium recueille le fruit de ses persévérants efforts, il reçoit des Esprits élevés la consécration de ses facultés, mûries dans le sanctuaire de son âme, à l’abri des suggestions de l’orgueil. S’il garde dans son cœur la pureté d’acte et d’intention, il deviendra, avec l’assistance de ses guides, un coopérateur utile dans l’œuvre de régénération qu’ils poursuivent.
Dès que la première phase de développement de ses facultés s’achève, l’important, pour un médium, est de s’assurer la protection d’un Esprit bon, élevé, qui le guide, l’inspire, le préserve de tout danger.
Le plus souvent, c’est un parent, un ami disparu, qui remplit près de lui cet office. Un père, une mère, une épouse, un enfant, s’ils ont acquis l’avancement et l’expérience nécessaires, peuvent nous diriger dans la pratique délicate de la médiumnité. Mais leur pouvoir est mesuré à leur degré d’élévation, et leur sollicitude, leur tendresse, ne suffisent pas toujours à nous garantir des agissements des Esprits inférieurs.
Il faut louer les médiums qui ont su, par leur foi profonde et leur désintéressement, s’attacher des Esprits d’élite et participer à leur mission. Pour arracher ces Esprits aux régions heureuses, pour les décider à se plonger dans notre épaisse atmosphère, il faut leur présenter des aptitudes, des qualités remarquables.
Cependant, leur ardent désir de travailler à la rénovation du genre humain rend cette intervention bien moins rare qu’on ne pourrait le supposer. Des centaines d’Esprits supérieurs planent au-dessus de nous et dirigent le mouvement spiritualiste, inspirant, contrôlant les médiums, répandant sur les groupes, sur les hommes d’action, les vibrations de leur volonté, le rayonnement de leur génie.
Je connais plusieurs groupes qui possèdent une assistance de cet ordre. Par la plume, par les lèvres des médiums, les Esprits-guides dictent leurs instructions, font entendre leurs exhortations ; et malgré les imperfections du milieu, malgré les ombres qui affaiblissent et voilent les radiations de leur pensée, c’est toujours un charme pénétrant, une joie du cœur, un réconfort, que de goûter la beauté de leurs enseignements écrits, d’entendre les accents de leurs voix, qui nous parviennent comme un écho lointain des sphères célestes.
La descente sur notre monde terrestre est un acte d’abnégation et une cause de souffrance pour l’Esprit élevé. Nous ne saurions trop admirer et reconnaître la générosité de ces âmes, qui ne reculent pas devant le contact des fluides grossiers, semblables en cela à ces nobles femmes, délicates sensitives, qui, par charité, pénètrent dans des milieux répugnants pour y porter secours et consolations.
Que de fois n’avons-nous pas entendu dire à nos guides, au cours de séances d’étude : « Lorsque, du sein des espaces, nous venons vers vous, tout se restreint, se rapetisse, se rétrécit peu à peu. Là-haut, nous jouissons de moyens d’action que vous ne pouvez comprendre ; ces moyens s’affaiblissent aussitôt que nous entrons en rapport avec le milieu humain. »
Dès qu’un de ces grands Esprits descend à notre niveau, dès qu’il séjourne dans nos régions obscures, une impression de tristesse l’envahit ; il ressent comme un amoindrissement, une diminution de sa puissance et de ses perceptions. C’est par un exercice constant de sa volonté, avec l’aide des forces magnétiques puisées dans l’espace, qu’il s’habitue à notre monde et y poursuit l’accomplissement des missions qui lui sont assignées.
Car tout est réglé dans l’œuvre providentielle en vue de l’enseignement graduel et du progrès de l’humanité. Les Esprits missionnaires et instructeurs viennent, au moyen des facultés médianimiques, révéler les vérités que notre degré d’évolution nous permet de saisir et de comprendre. Ils développent, dans le milieu terrestre, les hautes et pures conceptions de la divinité ; ils nous conduisent pas à pas vers une compréhension plus vaste du but de l’existence et des destinées humaines. Il ne faut pas attendre de ces Esprits les preuves banales, les démonstrations d’identité que tant d’expérimentateurs réclament ; mais de nos entretiens avec eux se dégagera une impression de grandeur, d’élévation morale, une irradiation de pureté, de charité, qui surpassera de beaucoup toutes les preuves matérielles et constituera la meilleure des preuves morales.
Les Esprits supérieurs lisent en nous ; ils connaissent nos intentions et tiennent peu de compte de nos caprices, de nos fantaisies. Pour répondre à nos appels et nous prêter assistance, ils exigent, de notre part, une volonté ferme, soutenue, une foi élevée, un désir ardent de nous rendre utiles. Ces conditions réunies, ils se rapprochent de nous ; un lent travail d’adaptation de leurs fluides aux nôtres commence, souvent à notre insu. Ce sont les préliminaires obligés de toute relation consciente. A mesure que l’harmonie des vibrations s’établit, la communication se précise sous des formes appropriées aux aptitudes du sujet : vision, audition, écriture, incorporation.
Peu soucieux de donner satisfaction à des vues matérielles et intéressées, les Esprits supérieurs se complaisent près des hommes qui recherchent dans l’étude un moyen de perfectionnement. La pureté de nos sentiments accroît leur influence, facilite leur action.
D’autres Esprits de moindre rang, dans le dévouement de leur cœur, s’attachent à nous et nous suivent jusqu’au terme de notre pèlerinage terrestre. Ce sont les génies familiers ou Esprits-gardiens. Chaque homme a le sien. Ils nous guident au milieu des épreuves, avec une patience et une bonté admirables, sans jamais se lasser. Les médiums doivent recourir à la protection de ces amis invisibles, presque toujours des membres avancés de notre famille spirituelle, avec qui nous avons vécu autrefois en ce monde. Ils ont accepté la mission, parfois ingrate, de veiller sur nous ; à travers nos joies et nos afflictions, nos chutes et nos relèvements, ils nous conduisent vers une vie meilleure, où nous nous trouverons rassemblés pour une même tâche et dans un même amour.
Il existe en chaque être humain des rudiments de médiumnité, des facultés en germe qui peuvent se développer par l’exercice. Pour le plus grand nombre, un long et persévérant travail est nécessaire. Chez certains, ces facultés apparaissent dès l’enfance et atteignent sans efforts, avec les années, un haut degré de perfection. Dans ce cas, elles sont le résultat des acquis antérieurs, le fruit des travaux accomplis sur la terre ou dans l’espace, fruit que nous apportons en renaissant.
Parmi les sensitifs, beaucoup ont l’intuition d’un monde supérieur, extra-terrestre, où existent, comme en réserve, des pouvoirs qu’il leur est possible d’acquérir par une communion intime, par des aspirations élevées, pour les manifester ensuite sous des formes diverses, appropriées à leur nature : divination, enseignements, action curative, etc.
C’est prise dans ce sens que la médiumnité devient une faculté précieuse, par laquelle de grands secours peuvent être répandus, de grandes oeuvres réalisées.
Ce serait pour l’humanité un puissant moyen de rénovation, si tous comprenaient qu’il y a au-dessus de nous, une source inépuisable de force, de vie spirituelle, qu’on peut atteindre par un entraînement graduel, par une orientation constante de la pensée et de la volonté, pour s’en assimiler les ondes, les radiations et, avec leur aide, développer les facultés latentes en nous.
L’acquisition de ces forces nous arme contre le mal ; elle nous élève au-dessus des conflits matériels et nous rend plus fermes dans le devoir. Parmi les biens terrestres, aucun n’est comparable à la possession de ces dons. Portés à leur plus haut degré, ils font les grands missionnaires, les rénovateurs, les grands inspirés.
Comment pouvons-nous acquérir ces puissances, ces facultés supérieures ? En ouvrant notre âme, par la volonté et la prière, aux influences d’en haut. Tout dépend de nous et de notre état d’esprit. De même que nous ouvrons les issues de notre demeure pour y faire pénétrer les rayons du soleil, de même, par nos élans et nos aspirations, nous pouvons ouvrir notre être intérieur aux effluves célestes.
C’est ici que se révèle l’action bienfaisante de la prière. Par la prière, courte, humble, fervente, l’âme se dilate et s’ouvre aux radiations du foyer divin. La prière, pour être efficace, ne doit pas être une récitation banale, une formule apprise, mais plutôt un appel du cœur, un acte de la volonté, qui attire à elle le fluide universel, les vibrations du dynamisme divin. Ou bien, encore, il faut projeter son âme, s’extérioriser par un élan puissant, et, suivant l’impulsion donnée, entrer en communication avec les mondes éthérés.
Ainsi, la prière trace une voie fluidique, par laquelle les âmes humaines montent et les âmes supérieures descendent, de telle façon qu’une communion s’établisse des unes aux autres, et que l’esprit de l’homme soit illuminé et fécondé par les rayons et les forces venues des sphères célestes.
En spiritisme, la question d’éducation et d’entraînement des médiums est capitale ; les bons médiums sont rares, dit-on souvent, et la science de l’invisible, privée de moyens d’action, ne progresse qu’avec lenteur.
Mais combien n’y a-t-il pas de facultés précieuses qui se perdent, faute d’attention et de recherches ! Combien de médiumnités gaspillées en de frivoles expériences, ou qui, employées au gré du caprice, n’attirent que de pernicieuses influences et ne produisent que de mauvais fruits ! Que de médiums, inconscients de leur rôle et de la valeur du don qui leur est fait, laissent inutilisées des forces capables de concourir à l’œuvre de rénovation !
La médiumnité est une fleur délicate qui a besoin pour s’épanouir, de précautions attentives et de soins assidus. Il lui faut la méthode, la patience, les hautes aspirations, les nobles sentiments. Il lui faut surtout la tendre sollicitude de l’Esprit bon qui l’entoure de son amour, de ses fluides vivifiants. Mais, presque toujours, on veut lui faire produire des fruits hâtifs, et dès lors elle s’étiole, elle se dessèche sous le souffle des Esprits arriérés.
Dans l’antiquité, les jeunes sujets révélant des aptitudes spéciales étaient retirés du monde, placés hors de toute influence dégradante, en des lieux consacrés au culte, environnés de tout ce qui pouvait élever leur pensée et leur cœur, développer en eux le sens du beau. Telles étaient les vierges-vestales, les druidesses, les sibylles, etc.
Il en était de même des écoles de prophètes et voyants de la Judée, placées loin du bruit des villes. Dans le silence du désert, dans la paix des cimes, les initiés savaient attirer à eux les influences supérieures et interroger l’invisible. Grâce à cette éducation, on arrivait à des résultats qui nous surprennent.
De tels procédés sont inapplicables aujourd’hui. Les exigences sociales ne permettent pas toujours au médium de se consacrer comme il conviendrait à la culture de ses facultés. Son attention est détournée par les mille nécessités de la vie de famille, ses aspirations, entravées par le contact d’une société plus ou moins frivole ou corrompue.
Souvent il est appelé à exercer ses aptitudes en des milieux imprégnés de fluides impurs, aux vibrations inharmoniques, qui réagissent sur son organisme si impressionnable et y causent le trouble, le désordre.
Il faut tout au moins que le médium, pénétré de l’utilité et de la grandeur de son rôle, s’applique à accroître ses connaissances et cherche à se spiritualiser dans la plus large mesure ; qu’il se crée des heures de recueillement et qu’il tente, alors, par la vision intérieure, de parvenir jusqu’aux choses divines, jusqu’à la beauté éternelle et parfaite. Plus l’intelligence, le savoir, la moralité seront développés en lui, plus il deviendra apte à servir d’intermédiaire aux grandes âmes de l’espace.
Une organisation pratique du spiritisme comportera dans l’avenir la création d’asiles spéciaux, où les médiums trouveront réunis, avec les moyens matériels d’existence, les satisfactions de l’esprit et du cœur, les inspirations de l’art et de la nature, tout ce qui peut imprimer à leurs facultés un caractère de pureté, d’élévation, en faisant régner autour d’eux une atmosphère de paix et de confiance.
Dans ces milieux, les études expérimentales pourraient donner des résultats bien meilleurs que ceux qu’on a trop souvent obtenus jusqu’ici dans des conditions défectueuses. L’intrusion des Esprits légers, les tendances à la fraude, les pensées égoïstes et les sentiments malveillants s’atténueraient peu à peu et finiraient par cesser. La médiumnité deviendrait plus régulière, plus précise dans ses applications. L’on ne verrait plus se produire aussi fréquemment ces sensations de malaise éprouvées par le sujet, ces périodes de suspension des facultés psychiques et même leur disparition complète par suite d’un mauvais emploi.
Les spiritualistes d’outre-mer songent à créer, dans plusieurs des grands centres américains, des homes ou édifices comprenant un certain nombre de salles appropriées aux différents genres de manifestations et munies d’appareils de contrôle et d’expérimentation. Chaque salle, s’imprégnant, par l’usage, du magnétisme particulier qui convient à ces expériences, serait affectée à un ordre spécial de phénomènes : matérialisations, incorporations, écriture, typtologie, etc. Un orgue, placé au centre de l’édifice, répandrait dans toutes ses parties, aux heures des séances, de puissantes vibrations, afin d’établir dans les fluides en action et dans la pensée des assistants l’unité et l’harmonie si nécessaires. La musique, en effet, exerce une influence souveraine sur les manifestations, qu’elle facilite et rend plus intenses, comme l’ont reconnu nombre d’expérimentateurs.
On ne peut qu’approuver ces vues et en souhaiter la réalisation en tous pays, car elle serait de nature à donner une impulsion vigoureuse aux études psychiques et à faciliter, dans une large mesure, cette communion des vivants et des morts, par laquelle s’affirment tant de vérités d’une valeur incalculable, capables, en se diffusant à travers le monde, de rénover la science et la foi.
L’important, avons-nous dit, pour le médium, est de s’assurer une protection efficace. L’aide d’en haut est toujours proportionnée au but que nous nous assignons, aux efforts que nous faisons pour la mériter. Nous sommes aidés, soutenus, suivant l’importance des missions qui nous incombent en vue de l’intérêt général. Ces missions comportent des épreuves, des difficultés inévitables, mais toujours mesurées à nos forces, à nos aptitudes.
Accomplies avec dévouement, abnégation, nos tâches nous élèvent dans la hiérarchie des âmes. Négligées, méconnues, irréalisées, elles nous font redescendre l’échelle de progression. Toutes entraînent des responsabilités. Depuis le père de famille qui inculque à ses chers petits les notions élémentaires du bien, l’éducateur de la jeunesse, l’écrivain moraliste, jusqu’à l’orateur qui cherche à entraîner les foules vers les sommets de la pensée, chacun a sa mission à remplir.
Il n’en est pas de plus noble, il n’est pas de plus grand honneur, que d’être appelé à répandre, sous l’inspiration. des puissances invisibles, la vérité dans le monde, à faire entendre aux hommes l’écho affaibli des appels divins, les conviant tous à l’ascension vers la lumière et la perfection. Tel est le rôle de la haute médiumnité.
Nous parlons de responsabilité. Il est nécessaire d’insister sur ce point. Trop de médiums recherchent dans l’application de leurs facultés des satisfactions d’amour-propre ou d’intérêt. Ils négligent d’apporter dans leur oeuvre ce sentiment grave, réfléchi, presque religieux, qui est une des conditions du succès. Ils oublient trop souvent que la médiumnité est un des moyens d’action par lesquels s’exécute le plan divin, et qu’ils n’ont pas le droit d’en disposer au gré de leur fantaisie.
Tant que les médiums ne se seront pas pénétrés de l’importance de leur rôle et de l’étendue de leurs devoirs, il y aura, dans l’exercice de leurs facultés, une source d’abus et de maux. Les dons psychiques, détournés de leur but éminent, utilisés pour des intérêts médiocres, personnels et vains, se retournent contre leurs possesseurs, en attirant à eux, au lieu des génies tutélaires, les puissances malfaisantes de l’Au-delà.
En dehors des conditions d’élévation de pensée, de moralité et de désintéressement, la médiumnité peut devenir un danger. Mais, par une ferme volonté dans le bien, par ses aspirations vers le divin, le médium s’imprègne de fluides épurés ; une atmosphère protectrice se forme autour de lui, l’enveloppe, le garantit des erreurs et des pièges de l’invisible.
Et si, par son zèle et sa foi, par la pureté de son âme où aucun mobile intéressé ne se glisse, il obtient l’assistance d’un de ces Esprits de lumière, détenteurs des secrets de l’espace, qui planent au-dessus de nous et rayonnent sur nos faiblesses ; si cet Esprit devient son protecteur, son ami, son guide, par lui il sentira une force inconnue pénétrer tout son être, une flamme s’allumer sur son front. Tous ceux qui participeront à ses travaux et en recueilleront les fruits sentiront leur intelligence et leur cœur se réchauffer aux radiations de cette âme supérieure ; un souffle de vie emportera leur pensée vers les hautes régions de l’infini.
VI. COMMUNION DES VIVANTS ET DES MORTS.
Certaines personnes considèrent à tort la médiumnité comme un phénomène propre aux temps modernes. En réalité, la médiumnité est de tous les siècles et de tous les pays. Depuis les âges les plus lointains, des rapports ont existé entre le monde des vivants et le monde des Esprits.
Si nous interrogeons les Védas de l’Inde, les temples de l’Égypte, les mystères de la Grèce, les enceintes de pierre de la Gaule, les livres sacrés de tous les peuples, partout, dans les documents écrits, dans les monuments et les traditions, nous trouverons l’affirmation d’un fait qui a persisté à travers les vicissitudes des temps ; et ce fait, c’est la croyance universelle aux manifestations des âmes délivrées de leurs corps terrestres. Nous verrons ces manifestations mêlées d’une manière étroite et constante à l’évolution des races humaines, à tel point qu’elles sont inséparables de l’histoire de l’humanité.
C’est d’abord le culte des ancêtres, l’hommage rendu aux mânes des héros et aux lares, génies tutélaires du foyer. On leur érige des autels ; on leur adresse des invocations ; puis le culte s’étend à toutes les âmes aimées : à l’époux, à l’enfant, à l’ami défunt. Selon Lucain, les ombres des morts se mêlent aux vivants. Elles glissent dans nos rues et dans nos demeures ; elles apparaissent, elles parlent, dans la veille comme dans le rêve, et dévoilent l’avenir. La télépathie, la prémonition, la psychographie, les matérialisations de fantômes abondent partout et toujours.
A Delphes, à Éleusis, l’Esprit inspire la pythie frémissante et lui dicte ses oracles. Aux rivages d’Ionie, sous la blancheur des marbres, au murmure des flots bleus, Pythagore enseigne aux initiés les divins mystères et, par la bouche de Théocléa endormie, converse avec les génies invisibles.
A Endor, l’ombre de Samuel répond aux appels de Saül. Un génie avertit César, la veille de sa mort, de ne point aller au Sénat, et plus tard, lorsque Domitien tombe sous le fer des conjurés, de l’extrémité de l’Empire, Apollonius de Tyane, dans une vision, assiste à ce drame sanglant.
Dans les cercles de pierre de la Gaule, sous la voûte sombre des chênes ou dans les îles sacrées autour desquelles l’Océan gronde et écume, jusque dans les temples du Centre-Amérique, la communion des âmes est pratiquée. Partout la vie interroge la mort, et la mort répond.
Sans doute, les abus, les superstitions puériles, les sacrifices superflus se mêlent au culte des Invisibles ; mais, dans ce commerce intime, les humains puisent des forces nouvelles. Ils savent qu’ils peuvent compter sur la présence et l’appui de ceux qu’ils aimaient. Cette certitude les rend plus fermes dans l’épreuve. Ils apprennent à ne plus redouter la mort.
Les liens de famille en sont étroitement resserrés. En Chine, dans l’Inde, au pays celtique, on se réunit à jour fixe dans la « chambre des ancêtres ». Les médiums sont nombreux, leur foi est vive, leurs facultés variées et puissantes, et les phénomènes obtenus dépassent en intensité tout ce que nous voyons de nos jours.
A Rome, des cérémonies publiques étaient instituées en l’honneur des morts. On se rendait en foule à l’entrée de quelque grotte. Les sibylles se livraient aux incantations et, des lieux obscurs, disent les écrivains du temps , comme aujourd’hui des cabinets de matérialisation, on voyait les ombres surgir, paraître à la lumière. Parfois même, les compagnons, les amis du passé, reprenaient, pour un moment, leur place à la table et au foyer communs.
Dans les mystères orphiques, disent Porphyre et Proclus , les âmes des défunts apparaissent sous la forme humaine et s’entretiennent avec les assistants. Ils leur enseignent la succession des existences et l’ascension finale de l’esprit dans la lumière divine par des vies pures et laborieuses. Ces entretiens communiquaient aux initiés une foi profonde en l’avenir. Ils leur procuraient une force morale, une sérénité incomparables ; ils entraînaient leur pensée vers les régions sublimes où le génie grec s’est complu.
Mais voici l’époque de décadence, l’abaissement des études, les intrigues sacerdotales, les rivalités des puissants et, finalement, les grandes invasions, la ruine et la mort des dieux.
Un vent de barbarie souffle sur les mystères sacrés. Les Esprits, les génies tutélaires ont fui. La divine Psyché, bannie de ses autels, est remontée aux célestes espaces. Une à une, les lumières des temples s’éteignent. La grande nuit, une nuit de dix siècles, se fait sur la pensée humaine.
Cependant, le christianisme est venu. Lui aussi s’appuie sur les manifestations d’outre-tombe. Le Christ marche dans la vie, entouré d’une foule invisible, dont la présence se révèle en tous ses actes. Lui-même, après sa mort, apparaîtra à ses disciples consternés, et sa présence ranimera leur courage. Pendant deux siècles, les premiers chrétiens communiqueront ouvertement avec les esprits des morts et recevront d’eux des instructions . Mais bientôt l’Église, inquiète des ingérences occultes, souvent en opposition avec ses vues, cherchera à les empêcher. Elle interdira aux fidèles tous rapports avec les Esprits, se réservant le droit exclusif de provoquer et d’interpréter les phénomènes.
Pourtant, la religion du Christ apporte avec elle une notion nouvelle : l’utilité de la douleur, divinité bienfaisante et purificatrice, dont le monde païen n’a pas compris tout le rôle. Par là, l’âme luttera avec plus de succès contre la matière et vaincra la sensualité. Cette lutte est de toute la vie, dont le but est le triomphe de l’esprit sur le corps et la conquête de la vertu. Quelques-uns, clercs ou laïques, acquerront la puissance de la foi, qui domine les sens et emporte l’âme au-dessus des régions terrestres, vers les sphères où la pensée se dilate et s’exalte.
C’est là encore un moyen de pénétration dans l’invisible. L’âme, détachée des choses humaines dans la contemplation et l’extase, communie avec les puissances supérieures et leur prête les formes angéliques ou divines familières à sa croyance. Ces phénomènes, simple loi de la nature, l’Église verra en eux des miracles et se les appropriera. Les autres manifestations des morts seront considérées comme diaboliques et conduiront les voyants au supplice. Sous la cendre des bûchers, on cherchera à éteindre l’idée renaissante.
Mais l’esprit « souffle où il veut ». En dehors de l’Église, parmi les hérétiques, les manifestations continuent. Avec Jeanne d’Arc, elles revêtiront un tel caractère de grandeur, que, devant elles, la critique la plus malveillante hésite, désarme et se tait.
Les temps ont changé. Dans le passé, la communion des âmes a été surtout le privilège des sanctuaires, la préoccupation de quelques groupes d’initiés. En dehors de ces milieux éclairés, asiles de l’antique sagesse, les manifestations d’outre-tombe étaient trop souvent considérées comme surnaturelles et mêlées à des pratiques superstitieuses qui en dénaturaient le sens. L’homme, ignorant des lois de la nature et de la vie, ne pouvait saisir l’enseignement caché sous les phénomènes.
Pour préparer le mouvement actuel des idées et la compréhension de ces faits, il a fallu, l’immense travail des siècles et les découvertes de la science. Celle-ci a fait son oeuvre. Quoique bien incomplète encore, elle a tout au moins exploré le domaine matériel, depuis les couches profondes du sol jusqu’aux abîmes de l’espace. Elle nous a dit l’histoire de la terre, sa genèse, son évolution. Elle a dénombré les mondes qui gravitent dans le ciel, calculé leur poids, leur dimension, leur marche. L’homme s’est rendu compte du peu de place qu’il occupe dans l’univers ; s’il a appris à connaître la grandeur de son intelligence, par contre, il a pu mesurer la faiblesse de ses sens.
La vie s’est révélée partout, dans le domaine des êtres microscopiques comme à la surface des globes qui roulent dans l’étendue. L’étude du monde invisible vient compléter cette ascension de la science ; elle ouvre à la pensée des horizons nouveaux, des perspectives infinies. Désormais, la connaissance de l’âme et de ses destinées ne sera plus le privilège des sages et des initiés. L’humanité tout entière est appelée à participer aux biens spirituels qui constituent son patrimoine. Comme le soleil se lève pour tous les regards, la lumière de l’au-delà doit rayonner sur toutes les intelligences en réchauffant tous les cœurs.
VII. LE SPIRITISME ET LA FEMME.
On rencontre d’excellents médiums dans les deux sexes ; pourtant, c’est à la femme que semblent dévolues les plus belles facultés psychiques. De là, le grand rôle qui lui échoit dans la diffusion du nouveau spiritualisme.
Malgré les imperfections inhérentes à tout être humain, la femme, pour qui l’étudie impartialement, ne peut être qu’un sujet d’étonnement et parfois d’admiration. Ce n’est pas seulement sous ses traits que se réalisent, dans la nature et dans l’art, les types de la beauté, de la pitié, de la charité ; sous le rapport des pouvoirs intimes, de l’intuition et de la divination, elle a toujours été supérieure à l’homme. C’est parmi les filles d’Ève que l’antiquité a trouvé ses célèbres voyantes et sibylles. Ces pouvoirs merveilleux, ces dons d’en haut, l’Église a cru devoir les flétrir et les supprimer au moyen âge, à l’aide des procès de sorcellerie . Ils retrouvent aujourd’hui leur application ; car c’est surtout par la femme que s’affirme la communion avec la vie invisible.
Une fois de plus, la femme se révèle dans son rôle sublime de médiateur. Médiateur, elle l’est dans toute la nature. D’elle vient la vie ; elle en est la source même, le régénérateur de la race humaine, qui ne subsiste et ne se renouvelle que par son amour et ses tendres soins. Et ce rôle prépondérant qu’elle joue dans le domaine de la vie, elle vient encore l’accomplir dans le domaine de la mort ; mais nous savons que la mort et la vie sont une, c’est-à-dire les deux formes alternantes, les deux aspects continus de l’existence.
Médiateur, la femme l’est aussi dans le domaine des croyances. Elle a toujours servi d’intermédiaire entre la foi nouvelle qui monte et la foi ancienne qui décline et s’appauvrit. Ce fut son rôle dans le passé, aux premiers temps du christianisme ; c’est encore son rôle dans le présent.
Le catholicisme n’a pas compris la femme, à qui il devait tant. Ses moines, ses prêtres, vivant dans le célibat, loin de la famille, ne pouvaient apprécier le charme et la puissance de cet être délicat, en qui ils voyaient plutôt un danger.
L’antiquité païenne a eu cette supériorité sur nous, de connaître et de cultiver l’âme féminine. Ses facultés s’épanouissaient librement dans les mystères. Prêtresse dans les temps védiques, à l’autel domestique, mêlée intimement, en Égypte, en Grèce, en Gaule, aux cérémonies du culte, partout la femme était l’objet d’une initiation, d’un enseignement spécial, qui en faisaient un être presque divin, la fée protectrice, le génie du foyer, la gardienne des sources de la vie. C’est à cette compréhension du rôle de la femme, personnifiant en elle la nature, avec ses intuitions profondes, ses sensations subtiles, ses divinations mystérieuses, que sont dues la beauté, la force, la grandeur épique des races grecque et celtique.
Car telle est la femme, tel est l’enfant, tel sera l’homme. C’est la femme qui, dès le berceau, façonne l’âme des générations ; c’est elle qui fit ces héros, ces poètes, ces artistes dont les actions, dont les œuvres rayonnent à travers les siècles. Jusqu’à sept ans, l’enfant restait, dans le gynécée, sous la direction de la mère. Et l’on sait ce que furent les mères grecques, romaines, gauloises. Mais, pour accomplir cette mission sacrée de l’éducation, il fallait l’initiation du grand mystère de la vie et de la destinée, la connaissance de la loi des préexistences et des réincarnations ; car cette loi, seule, donne à la venue de l’être qui va éclore sous l’aile maternelle son sens si touchant et si beau.
Cette influence bienfaisante de la femme initiée, qui rayonnait sur le monde ancien comme une douce clarté, fut détruite par la légende biblique de la chute originelle.
D’après les Écritures, la femme est responsable de la déchéance de l’homme ; elle perd Adam, et, avec lui, toute l’humanité ; elle trahit Samson. Un passage de l’Ecclésiaste la déclare « une chose plus amère que la mort ». Le mariage même parait un mal : « Que ceux qui ont des épouses soient comme s’ils n’en avaient pas », s’écrie Paul.
Sur ce point comme sur tant d’autres, la tradition et l’esprit judaïques ont prédominé dans l’Église sur les vues du Christ, qui fut toujours bienveillant, secourable, affectueux, pour la femme. En toutes circonstances, il la couvre de sa protection ; il lui adresse ses paraboles les plus touchantes. Toujours, il lui tend la main, même quand elle est flétrie, même quand elle est tombée. Aussi, les femmes, reconnaissantes, lui forment une sorte de cortège ; plusieurs l’accompagneront jusqu’à la mort.
Pendant de longs siècles, la femme a été reléguée au second plan, abaissée, exclue du sacerdoce. Par une éducation puérile, étroite, superstitieuse, on l’a entourée de liens ; on a comprimé ses plus belles aptitudes, obscurci, refoulé son génie .
La situation de la femme, dans notre civilisation, est difficile, parfois douloureuse. La femme n’a pas toujours pour elle les lois et les usages ; elle est entourée de mille pièges, et si elle faiblit, si elle succombe, rarement une main secourable se tend vers elle. Le relâchement des mœurs a fait de la femme la victime du siècle. La misère, les larmes, la prostitution, le suicide, tel est le sort d’un grand nombre de pauvres créatures dans nos sociétés opulentes.
Une réaction se produit. Sous le nom de féminisme, un mouvement s’accentue, légitime dans son principe, exagéré dans son but ; car, à côté de justes revendications, il affirme des vues qui feraient de la femme, non plus une femme, mais une copie, une parodie de l’homme. Le mouvement féministe méconnaît le véritable rôle de la femme et tend à la rejeter loin de sa voie naturelle et normale. L’homme et la femme sont nés pour des rôles différents, mais complémentaires. Au point de vue de l’action sociale, ils sont équivalents et inséparables.
Le spiritualisme moderne, par ses pratiques et ses doctrines, toutes d’idéal, d’amour, d’équité, juge autrement la question et la résout sans effort et sans bruit. Il rend à la femme sa vraie place dans la famille et dans l’œuvre sociale, en lui montrant le rôle sublime qu’il lui appartient de jouer dans l’éducation et l’avancement de l’humanité. Il fait plus. Elle redevient, par lui, le médiateur prédestiné, le trait d’union qui relie les sociétés de la terre à celles de l’espace.
La grande sensibilité de la femme fait d’elle le médium par excellence, capable d’exprimer, de traduire les pensées, les émotions, les souffrances des âmes, les divins enseignements des Esprits célestes. Dans l’application de ses facultés, elle trouve des joies profondes, une source vive de consolations. Le côté religieux du spiritisme l’attire et satisfait les aspirations de son cœur, ses besoins de tendresse, qui s’étendent par delà la tombe sur les êtres disparus. L’écueil, pour elle, comme pour l’homme, c’est l’orgueil des puissances acquises, c’est l’extrême susceptibilité. La jalousie, en suscitant des rivalités entre médiums, devient souvent une cause de désagrégation pour les groupes.
De là, la nécessité de développer chez la femme, en même temps que ses pouvoirs intuitifs, ses admirables qualités morales, l’oubli de soi-même, la joie du sacrifice ; en un mot, le sentiment des devoirs et des responsabilités attachés à sa mission médiatrice.
Le matérialisme, ne voyant en nous que l’organisme physique, fait de la femme un être inférieur par sa faiblesse et l’entraîne vers la sensualité. Avec lui, cette fleur de poésie se penche sous le poids des influences dégradantes, se déprime et s’avilit. Privée de son rôle médiateur, de sa pure auréole, devenue l’esclave des sens, elle n’est plus qu’un être instinctif, impulsif, ouvert aux suggestions de l’amour malsain. Le respect mutuel, les fortes vertus domestiques disparaissent ; la mésintelligence, l’adultère, se glissent au foyer ; la famille se dissout ; le bonheur s’évanouit. Une jeune génération, sceptique, désenchantée, surgit du sein d’une société en décadence.
Mais avec le spiritualisme, la femme relève son front inspiré. Elle s’associe étroitement à l’œuvre d’harmonie sociale, au mouvement général des idées. Le corps n’est qu’une forme d’emprunt ; l’essence de la vie, c’est l’esprit et, à ce point de vue, l’homme et la femme sont également partagés. Ainsi, le spiritualisme moderne reprend les vues de nos pères, les Celtes ; il établit l’égalité des sexes sur l’identité de la nature psychique et le caractère impérissable de l’être humain. Il leur fait une place égale dans les groupes d’étude.
Par le spiritualisme, la femme se dégage de l’abîme des sens et remonte vers la vie supérieure. Son âme s’illumine d’un plus pur rayon ; son cœur devient le foyer de tendres sentiments et de nobles passions. Elle reprend au foyer sa mission toute de grâce, de pitié, de dévouement, son grand et divin rôle de mère, de sœur, d’éducatrice, de doux conseiller.
Dès lors, la lutte des deux sexes prend fin. Les deux moitiés de l’humanité s’unissent, s’équilibrent dans l’amour, pour coopérer ensemble au plan providentiel, aux œuvres de l’intelligence divine.
VIII. LES LOIS DE LA COMMUNICATION SPIRITE.
Nous savons que tout vibre et rayonne dans l’univers, car tout est vie, force, lumière. La nature, dans ses moindres atomes, est pénétrée d’une énergie infinie, source de tous les phénomènes. De même, chaque Esprit, libre ou incarné, a, selon son état d’avancement et de pureté, un rayonnement de plus en plus intense, rapide, lumineux.
La loi des attractions et des correspondances régit toutes choses ; les vibrations, en attirant des vibrations similaires, rapprochent et unissent les cœurs, les pensées, les âmes.
Nos convoitises, nos désirs mauvais, créent autour de nous une atmosphère fluidique malsaine, favorable à l’action des influences de même ordre, tandis que les hautes aspirations attirent les vibrations puissantes, les radiations des sphères supérieures.
Tel est le principe de l’évolution ; il réside dans le pouvoir de l’être de s’assimiler les forces mystérieuses de la nature, pour s’élever avec leur aide et remonter de degré en degré vers la cause des causes, vers la source intarissable d’où découle toute vie.
L’échelle ascensionnelle comporte des plans successifs et superposés ; sur chacun d’eux les êtres sont doués du même état vibratoire, de moyens de perception analogues qui leur permettent de se reconnaître les uns les autres, tandis que restent invisibles, et souvent même inconnaissables pour eux, les êtres des plans supérieurs, par suite de leur état vibratoire plus rapide et de leurs conditions de vie plus subtiles et plus parfaites.
C’est ce qui se produit pour les Esprits, entre eux, selon leurs différents degrés d’épuration, et pour nous-mêmes par rapport à eux. Mais de même qu’on peut agrandir le champ de la vision humaine, à l’aide des instruments d’optique, de même on peut accroître ou réduire la somme des vibrations, de façon à atteindre un état intermédiaire où les modes d’existence de deux plans distincts se combinent et entrent en rapport.
Pour communiquer avec nous, l’Esprit devra amoindrir l’intensité de ses vibrations, en même temps qu’il activera les nôtres. L’homme y peut aider par sa volonté ; le point à atteindre pour lui constitue l’état de médiumnité.
Nous savons que la médiumnité, dans la plupart de ses applications, est la propriété que possèdent certains d’entre nous de s’extérioriser à des degrés divers, de se dégager de leur enveloppe charnelle et de donner plus d’amplitude à leurs vibrations psychiques. De son côté, l’esprit que la mort a libéré s’enveloppe de matière subtile et amortit ses propres radiations pour se mettre à l’unisson du médium.
Ici, des chiffres explicatifs sont nécessaires. Admettons, à l’exemple de quelques savants, que les vibrations normales du cerveau humain soient au nombre de 1.000 par seconde. A l’état de trance ou de dégagement, l’enveloppe fluidique du médium vibre avec plus de puissance, et ses radiations atteignent le chiffre de 1.500 à la seconde. Si l’Esprit, libre dans l’espace, vibre dans le même temps sous l’influence de 2.000 vibrations, il lui sera possible, par une matérialisation partielle, d’abaisser ce nombre à 1.500. Dès lors, les deux organismes vibrent sympathiquement ; des rapports peuvent s’établir, le message de l’Esprit sera perçu et transmis par le médium entrancé.
C’est cette harmonisation des ondes vibratoires qui donne parfois au phénomène des incorporations tant de précision et de netteté. Dans les autres états de médiumnité, la pensée de l’Esprit pourra également se communiquer par des vibrations correspondantes, quoique moins intenses que les vibrations initiales, de même qu’une note se répète d’octaves en octaves, depuis la clef la plus haute de la vibration harmonique jusqu’à la plus basse.
Chez l’homme, l’intelligence et le développement du cerveau sont en corrélation intime ; l’une ne peut se manifester sans l’autre. A mesure que l’être monte sur l’échelle humaine, du plus sauvage au plus civilisé, le front grandit, le crâne s’élargit, en même temps que l’intelligence s’épanouit. Quand le développement extérieur atteint son apogée, la pensée augmente la puissance interne du cerveau en multipliant les lignes, en creusant des sillons. Elle dessine des stries, des circonvolutions innombrables ; elle élève des sommets. Elle fait du cerveau un monde merveilleux et compliqué, à tel point que l’examen de cet organe, encore vibrant des impressions de la vie qui vient de s’enfuir, est un des spectacles les plus captivants pour le physiologiste.
Nous avons là une preuve que la pensée travaille et façonne le cerveau, qu’il y a entre eux une relation étroite ; il est l’instrument admirable, le clavier dont elle joue, dont elle tire toutes les harmonies de l’intelligence et du sentiment. Mais comment s’exerce son action sur la matière cérébrale ? Par le mouvement. La pensée imprime aux molécules du cerveau des mouvements vibratoires d’une intensité variée.
Nous l’avons vu , tout, dans la nature, se résume en vibrations, perceptibles pour nous tant qu’elles sont en harmonie avec notre propre organisme, mais qui nous échappent dès qu’elles sont trop rapides ou trop lentes. Notre puissance de vision et d’audition est très limitée ; mais au delà des bornes qu’elle nous trace, les forces de la nature continuent à vibrer avec une rapidité vertigineuse sans que nous percevions rien.
Eh bien ! de même que les sons et la lumière, les sentiments et les pensées s’expriment en vibrations, qui se propagent dans l’étendue avec des intensités diverses. Les pensées de haine et de colère, les tendres appels de l’amour, la plainte du malheureux, les cris de passion, les élans d’enthousiasme, s’en vont à travers l’espace, disant à tous l’histoire de chacun et l’histoire de l’humanité. Les vibrations des cerveaux pensants, d’hommes ou d’Esprits, se croisent et s’entrecroisent à l’infini sans jamais se confondre. Autour de nous, partout, dans l’atmosphère, roulent et passent, comme des fleuves sans fin, des courants d’idées, des flots de pensées qui impressionnent les sensitifs et sont souvent une cause de trouble et d’erreur dans les manifestations.
Nous disons : hommes ou Esprits. En effet, ce que le cerveau humain émet sous forme de vibrations, le cerveau fluidique de l’Esprit le rayonne sous forme d’ondes plus étendues, de radiations qui vibrent sous un rythme plus large et plus puissant, car les molécules fluidiques, plus souples, plus malléables que les atomes du cerveau physique, obéissent mieux à l’action de la volonté.
Cependant ces cerveaux, spirituels et humains, contiennent les mêmes puissances. Mais, tandis qu’en notre cerveau mortel ces puissances sommeillent ou vibrent faiblement, chez les Esprits elles atteignent leur maximum d’énergie. Une comparaison nous fera mieux saisir ce phénomène.
Cette comparaison, Ch. Drawbarn la trouve dans un bloc de glace, où sont contenues à l’état latent toutes les potentialités qui retiennent unis les cristaux dont il se compose. En soumettant ce bloc à l’action de la chaleur, vous en dégagerez des forces qui iront croissant jusqu’à ce que, passé à l’état de vapeur, il ait recouvré et manifesté toutes les énergies contenues en lui. Notre cerveau serait comparable à ce bloc de glace, vibrant faiblement sous l’action restreinte de la chaleur, alors que celui de l’Esprit sera la vapeur devenue invisible parce qu’elle vibre et rayonne avec trop de rapidité pour tomber sous nos sens.
La différence des états se complique de la variété des impressions. Sous l’influence des sentiments qui les animent, depuis le calme de l’étude jusqu’aux orages de la passion, les âmes et les cerveaux vibrent à des degrés divers, suivant des vitesses différentes, l’harmonie ne peut s’établir entre eux que lorsque leurs ondes vibratoires s’égalisent, comme c’est le cas pour des diapasons identiques ou des plaques de téléphone. Un cerveau aux faibles et lentes impulsions ne peut s’harmoniser avec tel autre dont les atomes sont animés d’un mouvement qui tient du vertige.
Dans les communications spirites, la difficulté consiste donc à accorder des vibrations et des pensées différentes. C’est dans la combinaison des forces psychiques et des pensées entre le médium et les expérimentateurs, d’une part, entre ceux-ci et les Esprits, de l’autre, qu’est toute la loi des manifestations.
Les conditions sont favorables lorsque le médium et les assistants constituent un groupe harmonique, c’est-à-dire lorsqu’ils pensent et vibrent à l’unisson. Au contraire, lorsque les pensées émises, lorsque les forces rayonnées divergent, elles s’entravent, s’annulent réciproquement. Le médium, au milieu de ces courants contraires, éprouve une gêne, un malaise indéfinissable ; parfois même, il est comme paralysé, annihilé. Il faudra une puissante intervention occulte pour produire le moindre phénomène.
Quand l’harmonie est complète entre les forces émanées des assistants, quand les pensées convergent vers un même objet, une autre difficulté se présente. Cette union de forces et de volontés peut suffire à provoquer des effets physiques et même des phénomènes intellectuels, que l’on est trop porté à attribuer à l’intervention de personnalités invisibles. C’est pourquoi il est prudent et sage de n’admettre cette intervention que lorsqu’elle est établie par des faits précis.
Beaucoup de personnes s’étonnent et hésitent aux premières difficultés qu’elles rencontrent dans leurs tentatives de communiquer avec les Esprits. Elles se demandent pourquoi leur intervention est chose si rare, si peu concluante, pourquoi l’humanité entière n’est pas familiarisée avec un fait de cette importance.
D’autres personnes, en poursuivant leurs recherches, obtiennent des preuves satisfaisantes et deviennent des adeptes convaincus. Cependant, elles objectent encore que leurs bien-aimés de l’espace, parents et amis défunts, malgré des désirs ardents et des appels réitérés, ne leur ont jamais donné le moindre témoignage de leur présence, et cet insuccès leur laisse un reste de doute, d’incertitude pénible. C’est le sentiment que M. Flammarion lui-même exprimait dans une publication récente.
Or, tout expérimentateur éclairé s’expliquera aisément la cause de ces mécomptes. Votre désir de communiquer avec un Esprit et un semblable désir de celui-ci ne suffisent pas. Il faut encore que d’autres conditions, déterminées par la loi des vibrations, soient réunies.
Votre invisible ami entend vos appels et cherche à vous répondre. Il sait que, pour communiquer avec vous, il faut que votre cerveau physique et son cerveau fluidique vibrent à l’unisson. Il y a là une première difficulté. Sa pensée, évolue avec trop de rapidité pour que vous puissiez la percevoir. Son premier soin sera donc d’en ramener les vibrations à un mouvement plus lent. Pour cela, une étude plus ou moins prolongée sera nécessaire, et les chances de réussite varieront suivant les aptitudes et l’expérience de l’opérateur. S’il échoue, toute communication directe deviendra impossible, et il devra confier à un esprit plus puissant ou plus habile la transmission de ses messages. C’est ce qui arrive fréquemment dans les manifestations. Vous croyez avoir la pensée directe de votre ami, alors qu’elle ne vous parvient qu’à l’aide d’un intermédiaire spirituel. De là, certaines inexactitudes ou obscurités imputables au transmetteur et qui vous rendent perplexes, tandis que la communication, dans son ensemble, présente tous les caractères de l’authenticité.
Dans l’hypothèse où votre ami de l’autre monde possède les pouvoirs nécessaires, il lui faudra rechercher un médium dont le cerveau, par ses mouvements vibratoires, soit susceptible de s’harmoniser avec le sien. Mais la variété est aussi grande entre les cerveaux qu’entre les voix ou les visages ; l’identité absolue n’existe pas. L’Esprit en sera réduit à se contenter de l’instrument le moins impropre au résultat qu’il poursuit. Cet instrument trouvé, il s’attachera à en développer les qualités réceptives. Il pourra, réussir en peu de temps, mais, parfois, des mois, des années seront nécessaires pour amener le médium au degré de sensitivité voulu.
Ou bien, vous pouvez être vous-même ce médium, ce sensitif. Si vous avez conscience de vos facultés, si vous vous prêtez à l’action de l’Esprit, vous arriverez certainement au but qu’il veut atteindre. Pour cela, il faudra à la fois patience, persévérance, continuité et régularité d’efforts. Ces qualités, les aurez-vous ? Votre puissance de volonté sera-t-elle toujours égale, toujours tendue ? Si vous agissez avec incohérence, aujourd’hui avec ardeur, demain faiblement, de telle façon que les vibrations de votre cerveau varient dans des proportions considérables, vous n’aurez pas à vous étonner de la différence et même de la nullité des résultats.
Il peut arriver que, se sentant impuissant à activer suffisamment, pendant l’état de veille, les vibrations de votre cerveau, votre ami invisible ait recours à la trance et cherche, par le sommeil, à vous rendre inconscient. Alors votre périsprit s’extériorise ; ses radiations s’accroissent, s’étendent ; la transmission devient possible ; vous exprimez la pensée de l’Esprit. Mais, au réveil, vous n’en aurez nul souvenir, et ce sera par les autres que vous apprendrez ce que votre bouche aura proféré.
Tous ces phénomènes sont réglés par des lois rigoureuses ; quels que soient vos facultés, vos désirs, si vous ne pouvez y satisfaire vos parents, vos amis défunts, toutes les légions invisibles agiraient en vain sur vous. Mais voici des inconnus, hommes ou femmes, que le hasard semble mettre sur votre chemin. Ils ne savent rien de ces choses. Pour eux, la science de l’Au-delà peut être lettre close ; cependant ils possèdent un organisme qui vibre harmoniquement avec la pensée de vos proches, de votre frère, de votre mère, et, par eux, ceux-ci peuvent avoir avec vous des entretiens pleins d’abandon.
A titre d’exemple, je puis citer le fait suivant : Mon père, décédé depuis une vingtaine d’années, n’avait jamais pu se communiquer au sein du groupe dont j’ai longtemps dirigé les travaux, par aucun des médiums qui s’y sont succédés. A peine l’un d’entre eux avait-il pu l’entrevoir comme une ombre vague, indistincte. J’avais perdu tout espoir de m’entretenir avec lui, lorsqu’un soir, à Marseille, au cours d’une visite d’adieux faite à une famille amie, une dame, que l’on n’avait pas vue depuis plus d’une année, se présente et se joint à nous. Au milieu de notre entretien, elle s’endort d’un sommeil spontané, et par elle, à ma grande surprise, l’esprit de mon père, qu’elle n’avait jamais connu, se manifeste, me donne les preuves d’identité les plus irrécusables et, dans une effusion pleine de tendresse, m’exprime les sensations, les vives émotions qu’il avait ressenties depuis l’heure de la séparation.
De l’ensemble des études sur les vibrations harmoniques des cerveaux, une constatation se dégage. C’est que, par l’orientation et la persistance de nos pensées, nous pouvons modifier les influences qui nous entourent et nous mettre en rapport avec des forces et des intelligences similaires. Ce fait n’est pas seulement exact pour les sensitifs et les médiums ; il l’est pour tout être pensant. Les influences de l’Au-delà peuvent rayonner sur nous sans qu’il y ait communication consciente avec les êtres qui le peuplent. Il n’est pas nécessaire de croire à l’existence du monde des Esprits, de vouloir le connaître, pour en ressentir les effets. La loi des attractions est inéluctable ; tout, dans l’homme, y est soumis. Aussi la critique que l’on adresse aux spirites, d’attirer exclusivement à eux, par leurs pratiques, les forces mauvaises de l’univers, tombe devant les faits.
Il dépend de l’homme de recevoir les inspirations les plus diverses, depuis les plus sublimes jusqu’aux plus grossières. Notre état mental est comme une brèche, par laquelle amis ou ennemis peuvent pénétrer en nous. Les sensuels attirent à eux des Esprits sensuels, qui s’associent à leurs désirs, à leurs actes et en accroissent l’intensité ; les criminels appellent des Esprits de meurtre, qui les poussent plus avant dans la voie du mal. L’inventeur est aidé par des chercheurs de l’Au-delà. L’orateur perçoit des images qu’il fixera en des formes de langage propres à émouvoir les foules. Le penseur, le musicien, le poète recevront les vibrations des sphères où le beau et le vrai sont l’objet d’un culte ; des âmes puissantes leur apporteront les trésors de l’inspiration, le souffle qui passe sur les fronts rêveurs et donne le talent, le génie.
Ainsi, d’un plan à l’autre, l’Esprit répond aux appels de l’esprit. Tous les plans spirituels se relient les uns aux autres. Les instincts de haine, de cruauté, de débauche attirent les Esprits de l’abîme. La frivolité attire les Esprits légers ; mais la prière de l’homme de bien, son appel aux Esprits célestes s’élève et se répercute de note en note, sur une gamme ascendante, jusqu’aux sphères les plus hautes, en même temps que, des régions profondes de l’infini, descendent sur lui les ondes vibratoires, les effluves de la pensée éternelle, qui le pénètrent d’un courant de force et de vie. L’univers tout entier vibre sous la pensée de Dieu.
IX. CONDITIONS D’EXPERIMENTATION.
L’étude des phénomènes est d’une importance capitale ; c’est sur elle que repose le spiritisme tout entier ; mais, trop souvent, le défaut de méthode, le manque de suite et de direction dans les expériences, rendent stériles le bon vouloir des médiums et les légitimes aspirations des chercheurs. C’est à ces causes qu’il faut attribuer les résultats peu concluants que l’on obtient dans tant de milieux. On expérimente au hasard, fiévreusement, sans souci des conditions nécessaires ; on a hâte d’obtenir des phénomènes transcendants. Par, suite même de l’état d’esprit que l’on apporte dans les recherches, on accumule les difficultés et si, au bout de quelques séances, on n’obtient que des faits insignifiants, des banalités ou des mystifications, on se décourage et on s’éloigne.
Si, au contraire, des résultats satisfaisants se produisent, ils font souvent naître, avec un enthousiasme irréfléchi, une tendance fâcheuse à la crédulité, une disposition à attribuer aux esprits des défunts tous les phénomènes obtenus. En pareil cas, les déceptions ne se font pas attendre. Ces déceptions sont nécessaires, car elles ramènent le doute et, avec lui, l’équilibre mental, le sens critique, indispensable dans toute étude et, plus que partout ailleurs, dans ce domaine des recherches psychiques, où la suggestion, l’inconscient et la supercherie peuvent se mêler à chaque pas aux manifestations du monde invisible.
En d’autres milieux, on critique à 1a légère, on accuse les groupes de mauvaise direction, les médiums d’insuffisance, les assistants d’ignorance ou de mysticisme. On se plaint de n’obtenir que des communications dénuées d’intérêt scientifique et consistant en exhortations morales ressassées.
Ces critiques ne sont pas toujours sans fondement ; mais on oublie généralement que nul bien ne s’acquiert sans peine, qu’on ne doit pas vouloir cueillir les fruits avant leur maturité. En tout il faut patience et mesure. Les facultés médianimiques, comme toutes choses, sont soumises à la loi de progression et de développement. Au lieu de critiques stériles, il vaut mieux, par le concours des bonnes volontés réunies, faciliter la tâche du médium en formant autour de lui une atmosphère de sympathie, qui lui soit à la fois un soutien, un encouragement, une protection.
Il est indispensable de soumettre les productions médianimiques à un contrôle sérieux et d’apporter dans les recherches un esprit d’analyse toujours en éveil.
Le défaut de bienveillance, la critique outrée, le dénigrement systématique peuvent, toutefois, décourager le médium, le pousser au renoncement ou bien l’éloigner des réunions nombreuses, pour le confiner dans les groupes de famille, dans les cercles restreints, où il rencontrera une meilleure ambiance, sans doute, mais où ses travaux ne profiteront qu’à un petit nombre d’élus.
Avant tout, un double écueil est donc à éviter. Si trop de scepticisme nuit, la crédulité excessive n’est pas un danger moindre. Il faut éviter l’un et l’autre avec un soin égal et rester dans une sage moyenne.
C’est parmi les hommes de science, nous l’avons vu, que l’on rencontre les préjugés, les préventions les plus invétérées à l’endroit des faits spirites.
Ils veulent imposer à ces recherches les règles de la science orthodoxe et positive, qu’ils considèrent comme les seuls fondements de la certitude, et si ces règles ne sont pas adoptées et suivies, ils rejettent sans pitié tous les résultats obtenus.
Cependant, l’expérience nous démontre que chaque science a ses règles propres. On ne peut étudier avec fruit un ordre nouveau de phénomènes en s’inspirant des lois et des conditions qui régissent des faits d’un ordre tout différent. C’est seulement au moyen de recherches personnelles ou grâce à l’expérience acquise dans cette voie par les chercheurs consciencieux, et non en vertu de théories à priori, que l’on peut déterminer les lois qui gouvernent les phénomènes occultes. Ces lois sont des plus subtiles et des plus compliquées. Leur étude exige un esprit attentif et impartial. Mais comment exiger de l’impartialité chez ceux dont les intérêts, le renom, l’amour-propre sont étroitement liés à des systèmes ou à des croyances que le spiritisme peut ébranler ? « Pour trouver la vérité », a dit un penseur célèbre, « il faut la chercher d’un cœur simple. » C’est pourquoi, sans doute, certains savants, bourrés de théories préconçues, pliés par l’habitude aux rigueurs d’une méthode routinière, réussissent moins dans ces recherches que des hommes simplement intelligents, mais doués de sens pratique et d’un esprit indépendant. Ceux-ci se bornent à observer les faits en eux-mêmes et à en dégager les conséquences logiques, tandis que l’homme de science s’attachera surtout à la méthode, fût-elle improductive. Ce qui importe, avant tout, dans ce domaine, ce sont les résultats, et la seule méthode, parût-elle, défectueuse à d’aucuns, doit être bonne à nos yeux, qui les produira.
Il n’est pas nécessaire d’être un mathématicien, un astronome, un médecin de talent, pour entreprendre, avec chance, de succès, des investigations en matière de spiritisme ; il suffit de connaître les conditions à remplir et de s’y soumettre. Ces conditions, aucune autre science ne peut nous les indiquer. L’expérimentation assidue et les révélations des Esprits-guides, seules, nous permettent de les établir d’une manière précise.
Les savants tiennent peu de compte des affinités psychiques et de l’orientation des pensées, qui constituent cependant un facteur important du problème spirite. Ils sont portés à considérer le médium comme un appareil de laboratoire, comme une machine qui doit produire des effets à volonté, et ils usent envers lui d’un sans-gêne excessif. Les Intelligences invisibles qui le dirigent sont assimilées par eux à des forces mécaniques. En général, ils se refusent à voir en elles des êtres libres et conscients, dont la volonté entre pour une grande part dans les manifestations, qui ont leurs idées, leurs desseins, leur but, à nous inconnus, et qui ne jugent pas toujours à propos d’intervenir, les uns parce que la désinvolture et les vues trop matérielles des expérimentateurs les éloignent ; les autres, parce que, trop inférieurs, ils ne sentent pas la nécessité de démontrer aux hommes les réalités de la survivance.
Pourtant, il faut reconnaître que les exigences et les procédés des savants peuvent être justifiés, dans une certaine mesure, par les fraudes, à l’aide desquelles on a, trop souvent, simulé ou travesti les phénomènes.
Non seulement d’habiles prestidigitateurs se sont livrés à ce genre d’exercices, mais de véritables médiums ont plusieurs fois été pris en flagrant délit de supercherie. De là, la réserve bien légitime de certains chercheurs et l’obligation où ils se trouvent d’éliminer, dans les expériences, tout ce qui a un caractère suspect, tout élément de doute, toute cause d’illusion.
Il est certain que, dans le phénomène des apports, par exemple, il faudra une grande accumulation de preuves, d’une évidence irrécusable, pour croire à la dématérialisation et à la reconstitution successives d’objets traversant les murailles, plutôt que d’admettre qu’ils ont été apportés par quelqu’un des assistants.
Cependant, la suspicion ne doit pas être poussée jusqu’au point d’imposer au phénomène des conditions qui le rendent impossible, comme dans le cas du docteur Ferroul et des professeurs de Montpellier visant la lecture à distance à travers des plaques de verre.
L’interposition de ce corps, créant un obstacle insurmontable à l’action du médium, faisait de cette expérience le digne pendant de celle qui consisterait, dans un but de contrôle, à inonder d’une éclatante lumière le cabinet noir d’un photographe, au cours de ses opérations.
L’ignorance des causes en action et des conditions dans lesquelles elles se manifestent, explique les fréquents insuccès de ceux-là mêmes qui, croyant faire la leçon aux autres, ne réussissent, qu’à démontrer l’insuffisance des règles de leur propre science, lorsqu’on veut les appliquer à cet ordre de recherches.
En outre, l’esprit de suspicion et de malveillance, dont on entoure le médium, attire les entités inférieures, qui se complaisent au désordre et poussent le sujet à des actes frauduleux. Lorsque ces éléments font irruption dans un groupe, le meilleur parti à prendre est de lever la séance. C’est surtout dans ce cas que la présence et les avis d’un Esprit-guide sont d’un grand secours, et ceux qui, en étant dépourvus, se livrent à des expériences, s’exposent à de graves mécomptes.
Un médium est un instrument délicat, un réservoir de forces qui ne se renouvellent pas indéfiniment et qu’il faut utiliser avec mesure. Les esprits éclairés, les expérimentateurs sérieux, soucieux de la santé des sujets, savent s’arrêter aux premiers symptômes d’épuisement ; les Esprits légers et trompeurs qui affluent dans les réunions mal dirigées, où ne règnent ni l’harmonie ni l’élévation des pensées, ont moins de scrupules. Entrant dans les vues des chercheurs inexpérimentés, ils ne craindront pas d’outrepasser les forces du médium pour produire des phénomènes sans intérêt et même pour mystifier les assistants.
Presque toujours, des causes, des forces, des influences diverses sont à l’œuvre dans les expériences ; parfois même elles se contrarient et se combattent. De là, une certaine confusion, un mélange de vrai et de faux, de choses évidentes et douteuses qu’il n’est pas toujours facile de distinguer.
Les savants reconnaissent eux-mêmes que, dans la plupart des cas, la suggestion peut jouer un grand rôle. Il en résulte que, pour obtenir des phénomènes spirites vraiment sincères et spontanés, on devrait s’abstenir avec soin de tout ce qui peut influencer le médium et troubler l’action des Esprits. Or, c’est ce dont certains hommes de science semblent se soucier le moins. Ils ne se font pas faute de déranger le sujet par des questions inopportunes, puériles, insidieuses. Ils troublent les séances par des conversations particulières et des colloques. Alors que le calme, le silence, l’attention sont indispensables, les uns, changent de place, vont et viennent, interrompent les manifestations en cours, malgré les injonctions des Esprits ; d’autres, comme certain docteur de notre connaissance, fument et boivent de la bière pendant les expériences.
Dans de telles conditions, si peu sérieuses, si peu honnêtes, comment peut-on oser formuler des conclusions ?
Quelquefois, l’expérience suit une marche normale, satisfaisante ; le phénomène se développe, plein de promesses. Tout à coup, une cause nouvelle agit ; une volonté intervient ; un courant d’idées contraires entre en jeu ; l’action médianimique se trouble, dévie ; elle ne produit plus que des effets en désaccord avec les espérances du début. Des faits réels semblent côtoyer l’illusoire ; des manifestations vulgaires succèdent à des séances imposantes. Comment démêler cet enchevêtrement qui vous laisse perplexe ? Comment en éviter le retour ?
Ici, la nécessité de la discipline dans les séances se fait vivement sentir et, plus encore, l’assistance d’un Esprit élevé, dont la volonté forte commande à tous les courants contraires.
Lorsque l’harmonie des conditions est établie, lorsque la force d’en haut est suffisante, on ne voit pas se produire ces contradictions, ces incohérences, qui proviennent, soit de forces inconscientes, soit d’Esprits arriérés, soit même de l’état mental des assistants. Le phénomène se déroule alors dans sa grandeur majestueuse, et le fait probant apparaît.
Mais pour cela, pour obtenir cette assistance d’en haut, il faut l’union, l’élévation des pensées et des cœurs ; il faut le recueillement et la prière.
Les Entités supérieures ne se mettent pas volontiers au service des expérimentateurs que n’animent pas un sincère désir de s’instruire, un amour profond du vrai et du bien.
Ceux qui font du spiritisme un jeu, un frivole amusement, n’ont à en attendre qu’incohérence et mystifications.
Parfois même, il peut être un danger. Certaines personnes se complaisent à des entretiens médianimiques avec des Esprits inférieurs, avec des âmes vicieuses et dégradées ; et cela, sans intention bienfaisante, sans but de régénération, mues par un sentiment de curiosité et un désir d’amusement. Alors qu’elles n’auraient pas supporté la fréquentation de ces êtres durant leur vie terrestre, elles ne craignent pas de les convier, après décès, à des entretiens de mauvais goût, sans se rendre compte qu’elles se livrent ainsi à de dangereuses influences magnétiques.
Si vous entrez en rapport avec des âmes perverses, que ce soit dans le but de leur relèvement moral, de leur rédemption, sous la protection d’un guide sûr ; sans quoi vous vous exposeriez à une promiscuité malsaine, à des obsessions redoutables. N’abordez ces régions de l’Au-delà qu’avec une pensée haute et forte, qui soit pour vous comme une arme tournée contre le mal.
La médiumnité, ce pouvoir merveilleux, a été donnée à l’homme pour un noble usage. En l’avilissant, vous vous aviliriez vous-même, et d’un pur effluve, céleste vous feriez un souffle empoisonné !
L’initié antique, comme, de nos jours, les Orientaux, ne se livrait aux évocations qu’après s’être purifié par l’abstinence, la méditation et la prière. La communication avec l’invisible était un acte religieux, qu’il accomplissait avec un sentiment de respect et de vénération pour les morts.
Rien n’est plus différent que la façon de procéder de certains expérimentateurs modernes. Ils se rendent aux lieux, de réunion après un copieux dîner, parfumés de tabac, avec le désir intense d’obtenir des manifestations bruyantes ou des renseignements profitables à leurs intérêts matériels. Et ils s’étonnent, dans ces conditions, de ne voir venir à eux que des Esprits de fraude et de mensonge, qui les abusent et se plaisent à leur causer de nombreuses déceptions !
Malgré la répugnance des savants actuels pour les moyens à l’aide desquels se réalise la haute communion des âmes, il faudra bien y recourir, si l’on ne veut faire du spiritisme une source nouvelle d’abus et de maux.
L’état d’esprit des assistants, leur action fluidique et mentale est donc, dans les séances, un élément important de réussite ou d’insuccès. Plus le médium est sensible, plus il ressent l’influence magnétique des expérimentateurs. Dans une assemblée composée en majorité d’incrédules dont les pensées hostiles convergent sur le sujet, le phénomène se produit difficilement. La première des conditions est d’écarter toute idée préconçue, afin de laisser à l’Esprit sa liberté d’action. J’ai pu me rendre compte, en certains cas, qu’une volonté forte et persistante peut paralyser le sujet, s’il est faible, et faire obstacle aux manifestations.
Les pensées divergentes se heurtent et forment une sorte de chaos fluidique, que la volonté des Invisibles ne parvient pas toujours à dominer. C’est ce qui rend les résultats si problématiques dans les assemblées nombreuses, de composition hétérogène, dans les soirées théâtrales, par exemple, comme l’expérience l’a démontré. Les personnes avides de propagande publique, qui, sans se soucier des précautions nécessaires, se risquent dans cette voie, s’exposent à de graves échecs. Les médiums y courent de réels dangers. Non seulement ils se trouvent à la merci des Esprits arriérés, qui se complaisent parmi les foules, mais encore ils se mettent à la discrétion de tout malintentionné, qui, se posant en savant, exigera d’eux des expériences contraires aux véritables lois du spiritisme et, lorsqu’il aura usé et abusé de leurs forces sans résultat pratique, persuadera les spectateurs qu’il n’y a dans cet ordre d’idées, qu’erreur ou supercherie.
On comprendra, d’après cela, qu’il y ait presque toujours affinité entre les membres d’un cercle et les Entités agissantes. Les influences humaines attirent des intelligences similaires et les manifestations revêtent un caractère en harmonie avec les dispositions, les goûts, les aptitudes du milieu.
Certains critiques en ont voulu conclure que les communications spirites ne sont qu’un reflet des pensées des assistants. Cette opinion est facile à réfuter. Il suffit de rappeler les révélations de noms, de faits, de dates, inconnus de tous, qui se sont produites dans tant de cas et ont été reconnues exactes après contrôle .
Des mots, des messages en langues ignorées des assistants ont été obtenus ; des médiums ont reproduit mécaniquement la signature, le style, la forme de l’écriture de décédés qu’ils n’avaient jamais connus. Parfois aussi, des expérimentateurs instruits n’obtiennent que des choses vulgaires, alors que parmi des illettrés on a vu se produire des communications remarquables par le style et l’élévation.
Les analogies que l’on remarque entre les membres d’un groupe et les Esprits qui le guident ne proviennent pas seulement des sympathies acquises et des similitudes de vues ; elles se rattachent aussi aux exigences de la transmission fluidique.
Dans les manifestations intellectuelles, l’Esprit a besoin d’un agent et d’un milieu qui lui offrent les ressources nécessaires pour exposer ses vues et les faire comprendre. De là, une tendance à se rapprocher des hommes avec qui il se trouve en communion d’idées ou de sentiments.
Nous savons que, dans les phénomènes de l’écriture, de l’incorporation et même, parfois, de la typtologie, la pensée de l’Esprit traverse le cerveau du médium, et celui-ci ne laisse passer qu’un certain nombre de vibrations, celles qui se trouvent en harmonie avec son propre état psychique . De même qu’un rayon de lumière, en traversant un vitrail coloré, se décompose et ne projette au delà qu’une quantité réduite de vibrations, ainsi le message de l’Esprit, quelle que soit la richesse des termes et des images qui le composent, sera transmis dans la limite restreinte des formes et des expressions familières au médium et contenues dans son cerveau.
Cette règle est générale. Cependant, nous avons vu qu’un Esprit, puissant en force et en volonté, peut contraindre un médium à transmettre des enseignements supérieurs à ses connaissances et indiquer des faits que sa mémoire n’a pas enregistrés.
Quant aux lacunes et aux contradictions que présentent entre elles les communications, ce dont on fait souvent un argument contre le spiritisme, il ne faut pas perdre de vue que les Esprits, comme les hommes, représentent tous les degrés de l’évolution.
La mort ne donne pas la science intégrale, et, quoique leurs perceptions soient plus étendues que les nôtres, ils ne pénètrent que peu à peu et dans la mesure de leur avancement les secrets de l’immense univers.
L’atmosphère terrestre est peuplée d’Esprits inférieurs comme intelligence et moralité, à qui leur pesanteur spécifique ne permet pas de monter plus haut. Ce sont eux qui répondent à nos appels et se communiquent le plus souvent. Ceux qui se sont haussés à une vie supérieure ne reviennent vers nous qu’en mission. Leurs manifestations sont plus rares.
Elles portent un caractère de grandeur, qui ne permet pas de les confondre dans l’ensemble des autres communications.
Si les pensées divergentes des assistants sont une cause de trouble et d’insuccès, par un effet contraire, les pensées dirigées vers un objectif commun, surtout lorsqu’il est élevé, produisent des vibrations harmoniques introduisant dans le milieu une impression de calme, de sérénité, dont le médium se pénètre et qui facilite l’action des Esprits. Ceux-ci, au lieu d’avoir à lutter par la volonté, n’ont plus qu’à associer leurs efforts aux intentions des assistants ; dès lors, la différence des résultats est considérable.
C’est pourquoi, dans les réunions de notre groupe d’études, nous réclamons constamment le silence, le recueillement, l’union des pensées et, afin de les rendre plus faciles, afin d’orienter l’assistance vers de hauts sujets, nous ouvrons toujours les séances, par un appel collectif, par une invocation improvisée, à la puissance infinie et à ses invisibles agents, et dans cette invocation nous mettons toutes les ressources de notre esprit, tous les élans spontanés de notre cœur.
En outre, dans les séances à effets physiques, lorsque des phénomènes d’apports, écriture directe, matérialisations, y sont demandés, il est bon d’employer un moyen artificiel pour fixer sur un point les pensées des assistants. On peut adopter un signe et le placer en imagination au-dessus du médium, par exemple, une croix, un triangle, une fleur, et de temps à autre, au cours de la séance, rappeler le signe de convention, ramener vers lui l’attention flottante et toujours prête à se relâcher.
Ce procédé remplace avec avantage les chants vulgaires, peu édifiants, auxquels on a recours dans certaines réunions et qui impressionnent désagréablement les personnes au goût délicat, à l’esprit cultivé. Il n’est applicable que dans l’obscurité. Règle générale, la lumière exerce une action dissolvante sur les fluides. Dans tous les cas où elle n’est pas indispensable, comme pour l’écriture semi-mécanique, on fera bien d’en diminuer l’intensité et même de s’en priver tout à fait, lorsque, par exemple, on possède des médiums voyants et à incorporation.
La musique, les chants graves et religieux peuvent aussi contribuer puissamment à réaliser l’harmonie des fluides et des pensées. Celle-ci ne suffit pas encore. Dans les séances, à l’union des pensées, il faut ajouter l’union des cœurs. Lorsque l’antipathie règne entre les membres d’un groupe, l’action des Esprits élevés s’affaiblit et s’annule. Il faut, pour obtenir leur intervention assidue, que l’harmonie morale, mère de l’harmonie fluidique, se fasse dans les cœurs et que tous les adeptes, dans la poursuite d’un but commun, se sentent unis par un sentiment de sincère et bienveillante cordialité.
Les lois les plus mystérieuses de la pensée se révèlent dans les expériences. Parfois, lorsque les membres d’un groupe sont en proie à de vives préoccupations, le langage du médium pourra s’en ressentir. Il en sera de même de l’action des Esprits sur les médiums, et réciproquement. Quel que soit l’empire d’un Esprit sur un sujet, si celui-ci est inquiet, soucieux, agité, les communications porteront la trace de cet état troublé. Les intelligences qui se manifestent, lorsqu’elles sont peu avancées, peuvent aussi subir l’influence des assistants.
Il y a, d’une façon générale, une réciprocité d’influence entre le milieu terrestre et les Entités invisibles, dont il faut tenir compte dans l’analyse des phénomènes. Mais l’Esprit élevé échappe, par sa supériorité même, par les forces dont il dispose, à ces influences, les domine, les régit et s’affirme avec une autorité qui ne laisse place à aucun doute. C’est pourquoi il faut rechercher par-dessus tout l’intervention des âmes supérieures et la faciliter, en nous plaçant dans les conditions qu’elles nous imposent et sans lesquelles nous ne pouvons attirer à nous que des Esprits médiocres, peu capables de nous servir de guides et de traduire fidèlement les hauts enseignements de l’espace.
Les groupes peu nombreux et de composition homogène sont ceux qui présentent le plus de chances de succès. S’il est déjà difficile d’harmoniser les vibrations de cinq ou six personnes entre elles et avec les fluides de l’Esprit, a fortiori il est évident que les difficultés s’accroissent avec le nombre des assistants. Il est sage de ne pas dépasser le nombre de dix à douze personnes, prises dans les deux sexes, toujours les mêmes autant que possible, surtout au début des expériences.
Le renouvellement fréquent de l’assistance, en nécessitant un continuel travail de fusion et d’assimilation de la part des Esprits, compromet ou tout au moins retarde les résultats. S’il est bon, au point de vue de la propagande, d’ouvrir les cercles à de nouveaux adeptes, il faut au moins qu’un noyau de membres anciens reste compact et constitue une majorité invariable.
Il convient de se réunir à jours et à heures fixes et dans le même lieu. Les Esprits peuvent ainsi s’assurer les éléments fluidiques qui leur sont nécessaires, et les lieux de réunion, en s’imprégnant de ces fluides, deviennent de plus en plus favorables aux manifestations.
La persévérance est une des qualités indispensables à. l’expérimentateur. On se dépite souvent de passer une soirée infructueuse dans l’attente des phénomènes. Nous savons qu’une action invisible, lente et progressive, s’accomplit au cours des séances. La concentration des forces nécessaires ne se réalise parfois qu’après bien des soirées de tâtonnements et d’efforts.
Les exemples suivants nous montreront que la patience est souvent la condition du succès.
En 1855, le professeur Mapes forma, à New-York, un cercle de douze personnes, hommes de talent et, sceptiques, qui s’engagèrent à se réunir, avec un médium, vingt fois de suite.
Pendant les dix-huit premières soirées, les phénomènes présentèrent un caractère si insuffisant et si trivial que beaucoup, parmi les assistants, déploraient la perte d’un temps précieux ; mais, au cours des deux dernières séances, il se produisit des faits tellement remarquables, que l’étude fut poursuivie par le même cercle durant quatre années ; tous ses membres devinrent des adeptes convaincus .
En 1861, le banquier Livermore, expérimentant avec le médium Kate Fox, dans le but d’obtenir des matérialisations de l’Esprit de sa femme Estelle, ne vit se dessiner sa forme. qu’à la vingt-quatrième séance. Plus tard, il put s’entretenir avec l’Esprit de son épouse et obtenir des messages directs . Faute de persévérance, aucun de ces résultats n’eût été atteint.
On comprendra, d’après ces faits, combien il est nécessaire d’apporter une attention rigoureuse à la composition des groupes et aux conditions d’expérimentation. Suivant la nature du milieu, la faculté du médium produira des effets très divers. Tantôt elle se manifestera par des phénomènes d’un caractère équivoque, qui porteront au doute et à la méfiance ; les séances laisseront alors une impression de malaise indéfinissable ; tantôt elle se révèlera par des effets si puissants, que devant eux toute incertitude s’évanouira.
J’ai assisté, pour ma part, à bien des séances nulles ou insignifiantes ; mais je puis dire aussi que j’ai vu des médiums admirablement inspirés dans leurs heures d’extase et de sommeil magnétique. J’en ai vu d’autres écrire d’un trait, parfois même dans l’obscurité, des pages splendides de style, admirables de force et d’élévation. J’ai vu, par milliers, des phénomènes d’incorporation, qui permettaient à des habitants de l’espace de s’emparer, pendant quelques heures, des organes d’un médium et de prononcer des paroles, des discours, avec de tels accents, que tous ceux qui les entendaient emportaient de ces réunions un souvenir ineffaçable.
Pour l’observateur attentif qui a étudié tous les aspects du phénomène, il y a comme une gradation, comme une échelle ascendante, qui va depuis les coups frappés et les mouvements des tables, jusqu’aux plus hautes productions de la pensée. C’est un engrenage qui s’empare de l’expérimentateur impartial, et dont tous les hommes soucieux de la vérité ressentiront tôt ou tard la puissance.
Malgré les hésitations, les dédains, les hostilités, il faudra bien en venir un jour, d’une manière plus générale, à l’étude des faits physiques ; celle-ci, par un enchaînement rigoureux, conduira à la psychographie, puis, par la vision et l’audition, à l’incorporation ; et, dès que l’on voudra rechercher les causes réelles de ces phénomènes, on se trouvera en face du grand problème de la survivance.
A mesure que l’observateur avancera dans ce domaine, il se sentira élevé peu à peu au-dessus du plan matériel. Il sera amené à reconnaître que les faits physiques ne sont qu’un acheminement vers des phénomènes plus éminents et que tous, dans leur ensemble, concourent à la manifestation, de cette vérité que l’âme humaine est impérissable, que ses destinées sont éternelles. Dès lors, il concevra des lois de l’univers, de l’ordre et de l’harmonie des choses, une idée grandissante, avec une notion toujours plus profonde du but de la vie et de ses impérieux devoirs.
Dans les phénomènes, il faut donc distinguer trois causes en action : la volonté des expérimentateurs, les forces extériorisées du médium et des assistants, et l’intervention des Esprits.
Les phénomènes eux-mêmes peuvent se diviser en deux grandes catégories : les faits magnétiques et les faits médianimiques ; mais les uns et les autres se mêlent étroitement et souvent se confondent.
Le médium, à l’état de sommeil magnétique, se trouve dans trois états distincts, qui peuvent se succéder en lui et à chacun desquels se rattache tout un ordre de phénomènes ; ce sont :
1° L’état léger d’hypnose, favorable aux faits télépathiques et à la transmission de pensée ; toutefois, ceux qui se produisent dans cet état sont généralement peu concluants ; le dégagement du corps fluidique du médium est incomplet, et son action personnelle peut se mêler à la suggestion de l’Esprit.
2° Le sommeil magnétique réel, qui permet au corps fluidique du médium de s’extérioriser et d’agir à distance.
3° Le sommeil profond, à la faveur duquel se produisent les apparitions, les matérialisations, la lévitation du médium, les incorporations. Le sommeil médianimique, en ses phases diverses, peut être provoqué, tantôt par un des expérimentateurs, tantôt directement par l’Esprit. Nous croyons préférable de laisser agir l’influence occulte quand elle est suffisante. On évitera ainsi l’objection habituelle que l’action du magnétiseur favorise la suggestion.
Les faits spirites peuvent être subdivisés en quatre classes :
1° La typtologie et le phénomène des tables. Dans ce genre d’expériences, il faut éliminer avec soin les causes physiques, les mouvements involontaires, le magnétisme des assistants, la suggestion mentale. Tous les faits explicables par ces seules causes étant écartés, il restera un nombre considérable de phénomènes qui démontrent l’intervention d’intelligences autres que celles des personnes présentes.
2° L’écriture automatique. Beaucoup de messages obtenus par ce procédé peuvent être attribués à la suggestion inconsciente.
Comme nous l’avons vu, la pensée pouvant s’extérioriser, il arrive, dans certains cas, que la pensée du médium répond à sa propre question. Il y aurait là un phénomène d’autosuggestion involontaire. Mais l’action de l’Esprit se révèle dans les cas où des écritures inconnues sont tracées, où des détails, des faits, des révélations, constituant autant d’éléments d’identité, sont obtenus par ce mode d’expérimentation .
3° L’incorporation. Dans les phénomènes de cet ordre, l’inconscient du médium peut jouer un certain rôle. Il existe en chacun de nous des acquis mentaux, des aptitudes, des souvenirs, toute une accumulation de richesses intellectuelles, fruit de nos existences antérieures, qui sont ensevelies dans les profondeurs de la conscience et nous restent inconnues pendant l’état de veille. C’est ce qui constitue l’inconscient ou plutôt le subconscient.
Dans les cas de dégagement somnambulique et d’extériorisation, ces puissances se réveillent ; elles vibrent et rayonnent autour du corps fluidique du médium ; la psyché recouvre ses ressources cachées et entre en action. Mais il est facile de reconnaître les cas nombreux où des personnalités occultes prennent possession de l’organisme du médium et viennent se substituer à son propre esprit. Ces personnalités s’affirment par des traits caractéristiques, une voix, des gestes qui leur sont propres, par des détails psychologiques qui ne permettent pas de les confondre avec l’inconscient du médium .
4° Les matérialisations. Ces phénomènes, se produisant dans l’obscurité, nécessitent un rigoureux contrôle. Dans ce but, on peut faire usage, soit de balances munies d’appareils enregistreurs permettant de constater la déperdition de poids, du médium, comme dans les expériences d’Armstrong et Reimers , soit, à l’exemple de W. Crookes et de l’ingénieur Varley, de batteries électriques, auxquelles le médium est relié par un courant empêchant tout mouvement équivoque de sa part.
En ce qui concerne les manifestations spirites proprement dites, quel sera le critérium de certitude ? Où sera la preuve de l’intervention des Esprits ?
Cette preuve, avons-nous dit, consiste dans l’ensemble des détails qui permettent d’établir, une identité précise. Ici l’expérimentateur seul peut être juge, et sa conviction ne peut s’asseoir que sur la constatation de ces traits caractéristiques, inconnus du médium, et parfois même des assistants, par lesquels se révèle la personnalité de l’être invisible .
Pour acquérir une certitude et multiplier les moyens de contrôle, il est bon de varier les expériences, de les compléter les unes par les autres, en recourant aux divers genres de médiumnité. De l’ensemble des témoignages et des résultats obtenus, nous pourrons ainsi dégager la somme de preuves la plus considérable qu’il soit possible d’atteindre dans ce domaine où plusieurs causes agissent et souvent se confondent.
Il est parfois cruel et décevant de savoir, de sentir près de nous un être aimé, un être disparu, sans pouvoir nous entretenir avec lui, et si, doué de médiumnité, nous cherchons à obtenir un message, de nous apercevoir, lorsque le crayon court, rapide, sur le papier, que notre pensée se mêle à la sienne d’une manière si intime, que nous ne pouvons les séparer l’une de l’autre et déterminer ce qui émane de nous ou de lui.
Alors nous avons recours à un autre médium ; mais, soit qu’il écrive, soit que l’Esprit appelé parle par sa voix dans le sommeil, nous reconnaissons encore, par un effet de cette malencontreuse suggestion qui se glisse partout, que la personnalité du médium se mêle à celle de l’être qui nous est cher. Et le doute nous envahit. L’incertitude angoissante nous étreint. Mais, soudain, une preuve d’identité jaillit comme un éclair, si vive, si éclatante, si incontestable, que, devant elle, toutes les hésitations s’évanouissent, tous les doutes s’éteignent, et notre raison satisfaite, notre cœur ému, communient dans un élan de foi et d’amour avec l’âme chérie qui a répondu avec tant de netteté à notre appel et affirmé pour toujours la certitude de sa présence et de sa protection.
Quant aux communications ayant un caractère général et revêtant la forme d’un enseignement philosophique, elles doivent être examinées avec soin, discutées, jugées avec conscience, en toute liberté d’appréciation. L’humanité invisible se compose des Esprits qui ont vécu en ce monde, et dans le nombre, nous le savons, beaucoup sont peu avancés. Mais dans l’espace il est aussi de brillantes intelligences, illuminées des clartés de l’Au-delà. Lorsqu’elles consentent à venir à nous, nous pouvons les reconnaître à l’élévation de leur pensée, à la rectitude de leur jugement.
Dans cet ordre d’idées, le discernement est une qualité indispensable. L’investigateur doit être doué d’un jugement sûr, qui lui permettra de distinguer entre le vrai et le faux et, après avoir examiné toutes choses, de retenir ce qui a une réelle valeur. Rien n’est plus préjudiciable à la cause du spiritisme que la crédulité excessive de certains adeptes et les expériences mal dirigées. Celles-ci produisent sur les chercheurs de fraîche date une impression déplorable : elles fournissent un aliment à la critique et à la raillerie ; elles donnent, du monde des Esprits, une idée très fausse. Beaucoup sortent de ces réunions plus incrédules qu’ils n’y sont entrés.
L’homme, crédule est plein de bonne foi ; il se trompe lui-même inconsciemment et devient la victime de sa propre imagination. Il accepte les choses les plus invraisemblables et souvent les affirme et les propage avec un enthousiasme extravagant. C’est là un des plus grands écueils du spiritisme, une des causes qui éloignent de lui bien des personnes sensées, bien des chercheurs sincères ; ils ne peuvent prendre au sérieux une doctrine et des faits si mal présentés.
Il ne faut rien accepter aveuglément. Chaque fait doit subir un examen minutieux et approfondi. C’est à ces conditions seulement que le spiritisme s’imposera aux hommes d’étude et de raison. Les expériences faites avec légèreté, sans connaissance de cause, les phénomènes présentés dans de mauvaises conditions, fournissent des arguments aux sceptiques et nuisent à l’idée que l’on veut servir.
En résumé, nous pouvons dire que la cause principale des erreurs et des insuccès en matière de psychisme expérimental, c’est le manque de préparation. Les peuples d’Occident abordent là un terrain nouveau, inconnu ou oublié, et qui n’est pas sans dangers pour eux ; ils n’y apportent qu’exceptionnellement ce sentiment élevé, cette lumière intérieure, ce sens profond de l’âme qu’ont possédés les grands initiés et qui, seuls, peuvent nous préserver des égarements et des embûches de l’invisible.
La première des conditions est donc de s’armer soi-même, mentalement et moralement. Ne recherchez pas les faits avant de vous être rendus aptes à les comprendre et à les dominer, par une lente et patiente étude des ouvrages fondamentaux, la réflexion, le développement de la volonté et l’exercice d’un jugement clair et sûr. Si vous ne remplissez pas ces conditions, il serait plus sage de vous abstenir, à moins de vous livrer à ces expériences sous la direction d’un homme sage et éclairé, que vous soutiendrez de votre bon vouloir et à qui vous remettrez le soin de vous guider.
Les procédés d’investigation en usage dans le monde physique ne peuvent s’adapter au plan psychique. Ici, ce sont les pensées qui entrent en jeu. Les pensées sont des forces. Ce sont elles qui sculptent lentement et façonnent notre être intérieur ; elles influencent même notre forme extérieure, au point qu’il est facile de distinguer, aux traits et à l’expression du visage, le sage de l’homme vicieux. Mais ces effets de la pensée ne sont pas circonscrits dans les limites de notre être matériel. Ils s’étendent autour de nous et forment une atmosphère qui sert de lien entre nous et les êtres aux pensées similaires.
C’est là le secret de l’inspiration, de la fécondation de l’esprit par l’Esprit. De cette loi résulte un fait. Celui qui, par ses appels, ses évocations, entre en rapport avec le monde invisible, attire à lui des êtres en affinité avec son propre état mental. Le monde des Esprits fourmille d’Entités bienfaisantes et malfaisantes, et si nous ne savons nous purifier nous-mêmes, orienter nos pensées et nos forces vers la vie supérieure, nous pouvons devenir victimes des puissances mauvaises qui s’agitent autour de nous et, dans certains cas, ont conduit l’homme imprudent à l’erreur, à l’aveuglement, à des obsessions voisinés de la folie.
Mais, si vous savez dominer vos sens, élever vos âmes au-dessus des curiosités vaines et des préoccupations matérielles, faire du Spiritisme un moyen d’éducation et d’entraînement moral, vous entrerez dans le domaine de la vraie connaissance ; des influences régénératrices descendront sur vous ; une lumière douce et pénétrante rayonnera sur voire chemin, vous préservera des chutes, des défaillances et de tout danger.
X. FORMATION ET DIRECTION DES GROUPES. PREMIERES EXPERIENCES.
La constitution des groupes, avons-nous dit, comporte des règles et des conditions dont l’observation influe considérablement sur le résultat poursuivi. Suivant leur état psychique, les assistants aident ou entravent l’action des Esprits. Tandis que les uns, par leur seule présence, facilitent les manifestations d’autres y opposent un obstacle presque insurmontable.
Il est donc nécessaire de se livrer à un certain choix, surtout au début des expériences. Ce choix ne peut être inspiré, sanctionné que par les résultats acquis ou bien par les indications d’un Esprit-guide. Lorsque, après un certain nombre de séances, aucun effet satisfaisant ne s’est produit, on peut procéder par voie d’élimination et de remplacement, jusqu’à ce que l’assistance paraisse composée de façon à fournir aux invisibles les ressources fluidiques nécessaires à leur action.
De même, la direction du groupe doit être confiée à une personne bien douée sous le rapport des attractions psychiques et, en outre, digne de confiance et de sympathie.
Il y a, dans cet ordre d’études, tout un ensemble de règles à observer, de précautions à prendre, qui rebutent les chercheurs timides. Il faut cependant remarquer que ces exigences se représentent dans toute expérience délicate, dans toute étude psychologique et même dans l’application journalière de nos propres facultés. Ne ressentons-nous pas, en bien ou en mal, l’influence de nos semblables ? En présence des uns, nous sommes comme entraînés, soutenus, inspirés. Notre pensée prend son essor : la parole devient plus facile, les images plus vives, plus colorées. D’autres nous paralysent et nous glacent. Il n’est pas étonnant que les Esprits, dans leurs manifestations si complexes, se retrouvent, à un plus haut degré, en présence des mêmes difficultés et que, dans les expériences, il faille tenir un compte rigoureux de l’état d’esprit et de volonté des assistants.
Par la suite, lorsque le groupe sera fortement constitué et ses travaux couronnés de succès, on pourra se départir de la rigueur des premiers jours et admettre de nouveaux membres, dans une proportion limitée.
La tâche de diriger un groupe est des plus délicates. Elle exige des qualités rares, des connaissances étendues et surtout une longue pratique du monde invisible.
Aucun groupe ne peut fonctionner sans être soumis à une certaine discipline. Celle-ci s’impose, non seulement aux expérimentateurs, mais encore aux Esprits. Le chef de groupe doit être doublé, assisté d’un Esprit-guide qui établira l’ordre dans le milieu occulte, comme lui-même le maintiendra dans le milieu terrestre et humain. Ces deux directions doivent se compléter l’une par l’autre, s’inspirer d’une pensée également haute, s’unir dans la poursuite d’un but commun.
Dans les cas où cette protection occulte fait défaut, la mission du chef de groupe devient plus difficile encore. Il lui faut toute l’expérience nécessaire pour discerner la nature des Esprits qui interviennent, démasquer les imposteurs, moraliser les arriérés, opposer une volonté ferme aux Esprits légers et perturbateurs, donner une appréciation éclairée sur les communications obtenues.
Les membres du groupe, eux-mêmes, ne lui causeront pas moins de souci. Réfréner les exigences et les vues trop personnelles des uns, la jalousie possible des autres, et surtout des médiums entre eux, éviter l’intrusion des sentiments égoïstes, qui attirent les éléments mauvais de l’Au-delà et donnent aux phénomènes des allures étranges, désordonnées : la tâche du président est, on le voit, parmi les plus ardues.
Dans le groupe que nous avons longtemps dirigé, l’assistance efficace des invisibles s’était fait sentir dès le début et nous eûmes peu de difficultés de ce genre. Nous nous efforcions, par l’essor de nos pensées et de nos cœurs, de nous mettre à l’unisson de nos guides et, grâce à nos efforts et avec leur aide, nous étions parvenus à créer autour de nous, par nos radiations mentales, une atmosphère de paix et de sérénité imprimant à la plupart des manifestations un caractère d’élévation morale, de sincérité, de franchise, qui impressionnait les assistants et éloignait les Esprits trompeurs.
Plus tard, par suite de l’introduction dans notre groupe d’un expérimentateur enthousiaste de faits matériels et assisté de tout un cortège d’Esprits inférieurs, des phénomènes vulgaires vinrent s’ajouter aux manifestations élevées. Des Esprits légers, enclins aux trivialités, s’immiscèrent parmi nous, et il fallut toute l’énergie de nos volontés réunies pour réagir contre les mauvaises influences qui nous envahissaient.
Mais avant cette période troublée, grâce à notre persistance et à notre union, les manifestations avaient pris graduellement un caractère de netteté et de grandeur qui nous captivait ; les preuves se multipliaient, fortifiant nos convictions, les rendant définitives. Des prédictions d’un ordre intime s’étaient réalisées. Des conseils, des instructions, des aperçus scientifiques et philosophiques, formant la matière de plusieurs volumes, furent obtenus.
Nous pûmes attirer à nous et retenir à nos séances des hommes de valeur appartenant à tous les camps, à toutes les opinions : des matérialistes, des indifférents, des croyants religieux et jusqu’à des prêtres, dont l’esprit large et investigateur ne répugnait pas à ces recherches.
Beaucoup de tentatives restent infructueuses ; nombre de groupements n’ont qu’une existence éphémère, par suite du manque de patience, de dévouement, de cohésion.
On recherche avec avidité les phénomènes transcendants ; mais lorsque, pour les obtenir, on apprend qu’il faut se soumettre à un entraînement graduel de plusieurs mois, de plusieurs années, se réunir à date fixe, au moins chaque semaine et ne pas se décourager par des insuccès répétés, beaucoup hésitent et reculent. Il ne faut donc admettre dans les groupes en formation que des membres absolument résolus à persévérer, en dépit des lenteurs et des obstacles. C’est seulement avec le temps et par des efforts soutenus que l’organisme des médiums et des expérimentateurs peut subir les modifications profondes qui permettent d’extérioriser les forces indispensables à la production des phénomènes.
S’il est bon de choisir avec soin ses collaborateurs, il ne faut cependant pas pousser les choses à l’extrême et se montrer trop exclusif. Avec les secours d’en haut et l’assistance des Esprits-guides, les discordances, qui règnent au début dans certains cercles, peuvent s’atténuer et faire place à l’homogénéité. C’est ce que nous disent les Entités de l’espace :
« Vous êtes en contact journalier avec quantité de gens, qui, fatalement, agissent sur vous comme vous agissez sur eux. Ces actions et ces réactions sont nécessaires, car, sans elles, le progrès ne pourrait s’accomplir. Croyez à notre secours constant, à notre présence affectueuse auprès de vous. C’est dans notre amour que nous puisons la force de rester, près de ceux qui nous aiment, leurs guides, leurs protecteurs dévoués. Imitez-nous. Chassez toute pensée jalouse ou malveillante. Apprenez à vous sacrifier, à vivre et à travailler en commun. Ne vous ménagez pas ; c’est-à-dire : ne craignez pas les troubles qui peuvent résulter de certains rapports avec vos semblables. Ils entraînent pour vous une diminution de jouissances, sans doute ; mais ces rapports constituent la loi de l’humanité. Vous ne devez pas vivre en égoïstes, mais faire participer les autres à vos propres biens. »
(Communication médianimique.)
Ces instructions tracent, en ce qui concerne la fréquentation des séances, notre ligne de conduite. La similitude dans les goûts, les affinités que créent entre les hommes les conditions sociales et la culture d’esprit, influeront nécessairement, dans une certaine mesure, sur la constitution des groupes. Mais, si haut placé soit-il dans l’échelle sociale, un adepte ne doit pas dédaigner les réunions populaires, ni s’appesantir sur le manque d’instruction ou d’éducation de ceux qui les composent. Les intellectuels prouveront leur supériorité en s’associant aux travaux des groupes ouvriers, en s’efforçant de mettre à la portée de leurs frères, moins favorisés, leurs connaissances et leurs jugements. C’est surtout dans les associations spirites que la fusion des classes doit se réaliser.
Le spiritisme nous le démontre : nos avantages sociaux sont passagers ; le progrès, l’éducation de l’esprit l’appellent à naître et à renaître successivement dans les conditions les plus diverses de la vie, afin d’y acquérir les mérites inhérents à ces milieux. Il fait ressortir, avec une puissance de logique qu’aucune autre doctrine n’a possédée, la fraternité et la solidarité des âmes, découlant de leur origine et de leurs fins communes. La véritable supériorité consiste dans les qualités acquises ; elle se traduit surtout par un sentiment profond de nos devoirs envers les humbles et les déshérités de ce monde.
Il y a loin pourtant du principe à l’application, Si les progrès de l’idée spirite sont moins accentués en France qu’en certains pays étrangers, c’est surtout à l’indifférence, à l’apathie des spirites aisés qu’il faut attribuer cet état de choses. Un petit nombre seulement semble se soucier des responsabilités encourues. Il faut le reconnaître, ce sont les groupes ouvriers qui s’organisent avec le plus de facilité et durent le plus longtemps. Leurs membres savent vivre leurs croyances. Ils s’entendent, ils s’entraident au moyen de caisses de secours, péniblement alimentées sou à sou et destinées à secourir ceux d’entre eux que visite l’épreuve.
Certains de ces groupes fonctionnent depuis dix et vingt ans. Tous les dimanches, leurs membres se réunissent à heure fixe pour entendre les instructions des Esprits. Leur assiduité est remarquable, et la pratique du spiritisme produit sur eux des résultats sensibles. Ils trouvent là un dérivatif à leur vie de labeur et de misère, un enseignement et un réconfort. La description faite par les défunts des sensations éprouvées, des situations subies après la mort, les conséquences des mauvaises habitudes contractées durant l’existence terrestre, tout ce qui se dégage de ces entretiens les impressionne, les émeut, influe profondément sur leur caractère et leurs actes. Leur jugement se forme peu à peu, sur les choses de l’Au-delà ; une notion précise du but de la vie se dessine pour eux, leur rend la résignation plus facile, le devoir plus aimable.
Ce ne sont plus là les exhortations apprêtées d’un prédicateur, les spéculations d’un professeur de philosophie ou les froids enseignements d’un livre. C’est l’exemple vivant, dramatique, parfois terrible, donné par ceux qu’ils ont connus ; qui ont vécu près d’eux et qui recueillent dans l’Au-delà les fruits de toute une vie. Ce sont les voix d’outre-tombe dans leur simple et brutale éloquence, l’appel vibrant, spontané, de la souffrance morale, l’expression d’angoisse de l’Esprit coupable qui voit pour toujours s’envoler ses chimères terrestres, se dévoiler ses erreurs et ses hontes, qui sent le remords descendre comme du plomb fondu au fond de sa conscience, affinée parle détachement de toute matière corporelle.
Le jour où ces pratiques se seront répandues, où, sur tous les points du monde, la communication des vivants et des morts donnera à l’homme la connaissance anticipée de la destinée et de ses lois, un principe nouveau d’éducation et de régénération aura surgi. On trouvera là un instrument incomparable pour réagir contre les effets morbides produits sur les masses par le matérialisme et la superstition.
Le groupe étant constitué et composé de quatre à huit personnes des deux sexes, par quelles expériences devra-t-on commencer ?
Si aucune médiumnité ne s’est encore révélée, il sera bon de débuter par la table. C’est le moyen le plus simple, le plus rudimentaire ; il est, par cela même, à la portée du plus grand nombre.
Placés alternativement, hommes et dames, autour d’une table légère, les mains à plat sur le bois nu, les assistants adresseront un appel à leurs amis de l’espace, puis attendront dans le silence, avec le désir d’obtenir, mais sans pression des doigts, sans tension d’esprit.
Il est inutile de prolonger les essais pendant plus d’une demi-heure. Presque toujours, dès la première séance, des impressions fluidiques sont ressenties, des courants se dégagent des mains des expérimentateurs, révélant par leur intensité le degré d’aptitude de chacun d’eux ; des craquements se font entendre dans le meuble, qui finit par osciller, par s’agiter, puis se détache du sol et reste suspendu sur l’un de ses pieds.
Dès lors, il est bon de convenir d’un ensemble de signaux. On prie la force-intelligence de se manifester en frappant, soit avec les pieds, soit à l’intérieur de la table, un nombre de coups correspondant à celui des lettres de l’alphabet. Ainsi des mots, des phrases peuvent être dictés, des questions posées, des réponses obtenues ; un entretien s’établira entre le chef de groupe et l’intelligence invisible. On peut abréger et simplifier par des signes de convention ; par exemple, un seul coup pour l’affirmative ; deux pour la négative. Ce mode de communication, lent et fastidieux au début, deviendra assez rapide dans la pratique.
Lorsque les médiums seront connus, il suffira de les placer au centre du groupe, autour d’un guéridon, afin d’accélérer les mouvements et de faciliter les communications, les autres membres faisant cercle autour d’eux.
Des feuilles de papier, des crayons étant placés à proximité, les questions et les réponses seront scrupuleusement transcrites. Dès que l’Intelligence se sera révélée par des réponses précises, sensées, caractéristiques, on pourra la consulter sur la constitution du groupe, les aptitudes médianimiques des assistants, la marche à suivre dans les travaux. Toutefois, il faudra se tenir en garde contre les Esprits vains et légers qui affluent autour de nous et ne craignent pas de prendre des noms célèbres pour nous mystifier.
On peut expérimenter simultanément par la table et par l’écriture. Les phénomènes de cet ordre conduisent généralement à d’autres manifestations plus élevées, par exemple, à la trance ou sommeil magnétique et à l’incorporation. Il sera bon, au début, d’y consacrer successivement chaque moitié de la séance.
Presque toujours, chacun des assistants a près de lui des Esprits désireux de se communiquer et d’adresser un message amical à ceux qu’ils ont laissés sur la terre. A toutes les séances de notre groupe, les médiums voyants décrivaient ces Esprits et, d’après certains détails de costumes, certains signes distinctifs, la personne assistée reconnaissait un parent, un ami défunt, des êtres que, souvent, les médiums n’avaient pas connus.
La façon de procéder par l’écriture automatique est fort simple. L’expérimentateur, muni d’un crayon dont la pointe repose légèrement sur le papier, évoque mentalement quelqu’un des siens et attend. Au bout d’un certain laps de temps, très variable selon les cas et les personnes, l’écrivain ressent une agitation fébrile du bras, de la main, qui va s’accentuant ; puis une impulsion étrangère lui fait tracer des signes informes, des lignes, des dessins. Il faut obéir à cette impulsion et se soumettre patiemment à des exercices d’apparence bizarre, mais nécessaires pour assouplir l’organisme et régulariser l’émission fluidique.
Peu à peu, au bout de quelques séances, des lettres apparaîtront parmi les signes incohérents, puis viendront des mots et des phrases. Le médium obtiendra des messages, d’abord brefs et consistant en quelques lignes, mais qui s’allongeront de plus en plus, à mesure que sa faculté progressera. Enfin viendront des instructions plus précises et plus étendues.
Pendant la période des exercices, le médium pourra travailler en dehors des réunions, chaque jour, à heure fixe, afin d’activer le développement de sa faculté ; mais aussitôt que cette période aura pris fin, dès que les manifestations revêtiront un caractère intelligent, il devra éviter l’isolement, ne plus travailler qu’en séance et soumettre les productions de sa main au contrôle du président et des guides du groupe.
Il existe différents procédés pour faciliter la communication alphabétique. Les lettres sont tracées sur un cadran, à la surface duquel glisse un triangle mobile. Il suffit du contact des doigts d’un médium pour transmettre à ce petit meuble la force fluidique nécessaire. Sous cette action, le triangle se déplace rapidement et va désigner les lettres choisies par l’Esprit. Dans certains groupes, les lettres sont indiquées à l’aide de coups frappés dans l’intérieur de la table. D’autres se servent avec succès de la corbeille à écrire ou de la planchette américaine. Les systèmes sont nombreux et variés. On peut les mettre à l’essai jusqu’à ce que l’on ait trouvé celui qui s’adapte le mieux aux ressources fluidiques et au goût des expérimentateurs.
Nous ne saurions trop insister sur les dangers que présente l’intrusion des mauvais Esprits dans les séances d’un groupe en formation ou les essais d’un médium isolé. Trop souvent, ce sont nos pensées qui les attirent.
Écartez donc, dans vos réunions, dirons-nous aux chercheurs sincères, toute préoccupation d’affaires ou de plaisirs. Ne laissez pas flotter vos pensées vers des objets divers, mais fixez-les sur un but élevé ; mettez-vous en harmonie de vues et de sentiments avec les âmes supérieures. En vous maintenant dans cet état d’esprit, vous sentirez peu à peu des courants puissants descendre sur vous, vous pénétrer, augmenter la sensibilité de votre organisme fluidique. D’abord passagère, intermittente, cette sensibilité s’accroîtra, deviendra permanente. Votre périsprit se dilatant, se purifiant, aura plus d’affinité avec les Esprits-guides et des facultés ignorées se révéleront en vous : médiumnité voyante, parlante, auditive, curative, etc. C’est par le perfectionnement, l’élévation morale, que vous acquerrez cette sensibilité profonde, cette sensitivité psychique qui permet d’obtenir les manifestations les plus hautes, les preuves les plus convaincantes, les identités les plus précises.
Priez au début et à la fin de chaque séance ; au début, pour élever vos âmes et attirer les Esprits sages et éclairés ; à la fin, pour remercier quand vous aurez obtenu des faveurs et des enseignements. Que votre prière soit courte et fervente, et bien moins une formule qu’un élan du cœur.
La prière détache l’âme humaine de la matière qui l’emprisonne et la rapproche du foyer divin. Elle établit une sorte de télégraphie spirituelle, par laquelle la pensée d’en haut, répondant à l’appel d’en bas, descend dans nos obscures régions. Nos explorations dans les abîmes de l’invisible seraient pleines de périls, si nous n’avions au-dessus de nous des êtres plus puissants et plus parfaits pour nous diriger et éclairer notre chemin.
Il n’est pas indispensable de se livrer à des évocations. Dans notre groupe, nous les pratiquions rarement. Nous préférions adresser un appel à nos guides et protecteurs habituels, laissant à tout Esprit la liberté de se manifester sous leur contrôle. Il en est de même dans beaucoup de groupes de notre connaissance. Ainsi tombe de lui-même le grand argument de certains adversaires du spiritisme, qu’il est coupable de se livrer à des évocations et de contraindre les Esprits à redescendre sur la terre. L’Esprit, comme l’homme, est libre et ne répond que s’il lui plaît aux appels qui lui sont adressés. Toute injonction est vaine ; toute incantation, superflue. Ce sont là procédés faits pour en imposer aux simples.
Il est bon d’ouvrir les séances par une lecture sérieuse et attrayante, puisée dans des ouvrages ou revues spirites choisis. Cette lecture doit être l’objet de commentaires et d’échanges de vues entre les assistants, sous la direction du président. Il arrive fréquemment que les communications données par les Esprits, à la suite de ces lectures, se rapportent aux sujets traités et les complètent en les développant. C’est là un mode d’enseignement mutuel, qu’on ne saurait trop recommander.
On peut aussi poser des questions aux Esprits sur tous les nombreux problèmes qui se rattachent au domaine de la philosophie et de la vie sociale, sur les conditions de l’être dans l’Au-delà, les impressions ressenties après la mort, l’évolution de l’âme, etc.
Toutes ces questions doivent être posées par le président. Simples et claires, elles seront toujours d’ordre moral et désintéressées. En interrogeant les invisibles sur des intérêts personnels, des trésors cachés ; en demandant la révélation des événements à venir ; en se livrant à des pactes cabalistiques ; en faisant usage d’emblèmes, de talismans, de formules bizarres, non seulement on donne prise à la critique et à la raillerie, mais on attire à soi les Esprits moqueurs et l’on s’expose aux pièges dont ils sont coutumiers.
Au contraire, en abordant les côtés élevés du spiritisme, on s’assure la collaboration d’Esprits sérieux, qui se font un devoir de coopérer à notre avancement et à notre éducation. En s’engageant dans cet ordre d’études, on reconnaîtra bientôt la richesse et la variété des enseignements spirites et combien il devient facile de résoudre, avec leur aide, mille problèmes restés jusqu’ici obscurs ou indéchiffrables.
Si le concours des Esprits supérieurs est désirable et doit être recherché, celui des Esprits vulgaires et arriérés a quelquefois son utilité. Il est bon, de leur laisser une place dans les travaux des groupes fortement constitués et assurés d’une protection suffisante. Par leur infériorité même, ils présentent un sujet d’étude caractéristique ; leur identité s’affirme parfois par des traits qui forcent la conviction. La situation qu’ils occupent dans l’espace et les conséquences qui résultent de leur passé sont des éléments précieux pour la connaissance des lois universelles.
Quelques groupes s’imposent comme tâche spéciale d’évoquer les Esprits inférieurs et, par des conseils, de les instruire, de les moraliser, de les aider à se dégager des liens qui les rattachent encore à la matière. Cette mission est parmi les plus méritoires ; elle exige l’union parfaite des volontés, une profonde expérience des choses de l’invisible, que l’on rencontre seulement dans les milieux depuis longtemps acquis au spiritisme.
Dans le cas où les médiums font défaut ou sont improductifs, le groupe ne doit pas pour cela être réduit à l’inaction. A l’exemple des sociétés ou groupements scientifiques, il doit chercher un aliment dans toutes les questions se rattachant à l’objet de ses prédilections. Ces questions doivent être mises à l’ordre du jour et, de même que les lectures dont nous parlions plus haut, commentées, discutées, au grand profit des auditeurs. De loin en loin, certaines séances peuvent être consacrées à des conférences ou causeries, à la suite desquelles chacun présentera ses objections et ses arguments. Par ce moyen, les travaux d’un groupe deviendront non seulement un excellent moyen d’instruction, mais aussi un exercice oratoire qui préparera ses membres à la propagande publique. En s’armant pour les discussions et les joutes de la parole, ils pourront devenir d’utiles défenseurs et propagateurs de l’idée spirite.
C’est toujours par des débats de cette nature que se forment les orateurs ; c’est par là qu’ils acquièrent l’éloquence, ce don de remuer les âmes, de s’en emparer, de les entraîner vers un but. Les adeptes du spiritualisme ne doivent négliger aucun moyen de se préparer aux luttes à venir, de s’approprier cette double puissance de la parole et du savoir, qui permet à une doctrine de s’affirmer dans le monde.
XI. APPLICATION MORALE ET FRUITS DU SPIRITISME.
En terminant la première partie de cet ouvrage, il ne sera pas inutile de rechercher quelles ont été les conséquences du phénomène spirite sur l’état d’esprit de notre époque.
A première vue, les résultats ne paraîtront pas très considérables. Ne faut-il pas l’action du temps, la lente incubation des siècles, pour qu’une idée produise tous ses fruits ?
Et cependant, en considérant les choses de près, on reconnaîtra bien vite, que le spiritisme a déjà exercé une influence énorme sur l’état d’esprit de nos contemporains. Non seulement il a ouvert à la science tout un domaine inconnu ; il l’a forcée de constater la réalité de faits : suggestion, extériorisation, télépathie, qu’elle avait longtemps nié ou rejeté ; mais, encore, il a tourné les pensées vers l’Au-delà ; il a réveillé dans les consciences brumeuses et endormies de notre temps le sentiment de l’immortalité ; il a, rendu plus vivante, plus réelle, plus tangible, la croyance à la survivance des disparus. Là où il n’y avait que des espérances et des croyances, il a apporté des certitudes.
Sous l’écorce du phénomène, toute une révélation se cachait. Une doctrine est née de la communion des âmes. Et, par elle, le problème de la Destinée, tourment éternel de l’humanité, a revêtu un aspect nouveau. Avec les éléments d’une solution définitive, elle lui apporte, des moyens de vérification et de contrôle, qui avaient complètement manqué jusqu’ici.
Les révélations d’outre-tombe concordent sur un point capital. Par delà la mort, comme dans le vaste enchaînement de nos existences, tout est réglé par une suprême loi. La destinée, heureuse, ou malheureuse est la conséquence de nos actes. L’âme crée elle-même son avenir. Par ses propres efforts, elle se dégage des basses matérialités, progresse et s’élève vers la lumière divine, s’unissant toujours, plus étroitement aux sociétés radieuses de l’espace et participant par une collaboration grandissante à l’œuvre universelle.
Le spiritisme présente cet avantage inappréciable de satisfaire à la fois la raison et le sentiment. Jusqu’ici, ces deux puissances de l’âme ont été en lutte, en perpétuel conflit. De là, une cause profonde de souffrance et de désordre pour les sociétés humaines. La religion, en, faisant appel au sentiment et en écartant la raison, tombait souvent dans le fanatisme, dans l’égarement. La science, en procédant dans le sens contraire, restait, sèche et froide, impuissante à régir les mœurs.
Quelle ne sera pas la supériorité d’une doctrine qui vient rétablir l’équilibre et l’harmonie, entre ces deux forces, les unir, leur imprimer une impulsion commune vers le bien ? Il y a, là, on le comprendra, le principe d’une immense révolution. Par cette conciliation du sentiment et de la raison, le spiritisme devient la religion scientifique de l’avenir. L’homme, affranchi des dogmes qui contraignent et des infaillibilités qui oppriment, recouvre son indépendance et l’usage de ses facultés. Il examine, juge librement et n’accepte que ce qui lui paraît bon.
Le spiritisme élargit la notion de fraternité. Il établit par des faits qu’elle n’est pas seulement un pur concept, mais une loi fondamentale de la nature, loi dont l’action s’exerce sur tous les plans de l’évolution humaine, aussi bien au point de vue physique que spirituel, dans le visible comme dans l’invisible. Par leur origine, par les fins qui leur sont assignées, toutes les âmes sont sœurs.
Ainsi, cette fraternité, que les messies ont proclamée à toutes les grandes époques de l’histoire, trouve dans l’enseignement des Esprits une base nouvelle et une sanction. Ce n’est plus la froide et banale affirmation inscrite au fronton de nos monuments ; c’est la fraternité vivante des âmes, qui, ensemble, émergent des obscurités de l’abîme et gravissent le calvaire des existences douloureuses ; c’est l’initiation commune par la souffrance ; c’est la réunion finale dans la lumière.
Avec le spiritisme, cœur et raison, tout a sa part. Le cercle des affections s’étend. Nous nous sentons mieux soutenus dans l’épreuve, car ceux qui nous aimaient durant la vie, nous aiment encore par delà la tombe et nous aident à porter le fardeau des terrestres misères. Nous ne sommes séparés d’eux qu’en apparence. En réalité, les humains et les invisibles cheminent souvent côte à côte à travers les joies et les larmes, les succès et les revers. L’amour de nos bien-aimés nous enveloppe, nous console, nous réchauffe. Les terreurs de la mort ont cessé de peser sur nous.
Le spiritisme, sagement pratiqué, n’est pas seulement une source d’enseignement ; c’est aussi un moyen d’entraînement moral. Les avis, les conseils des Esprits, leurs descriptions de la vie de l’Au-delà influent sur nos pensées et sur nos actes ; ils amènent une lente modification de notre caractère et de notre manière de vivre.
Rien n’est plus impressionnant que d’entendre, au cours des séances d’évocations, le récit, l’aveu des angoisses éprouvées par l’Esprit qui a mal employé sa vie terrestre ; de l’égoïste, qui ne trouve que l’indifférence et le vide autour de lui ; de l’envieux, qui est plongé dans une sorte de nuit produite par l’accumulation de ses mauvaises pensées, de ses propos méchants.
Parmi de nombreux faits, nous citerons celui-ci, qui s’est produit dans notre groupe d’études : l’esprit d’une ancienne marchande de légumes d’Amiens aimait à nous rappeler son anxiété et son trouble lorsque, après décès, elle se trouva au milieu d’épaisses ténèbres, effet des médisances et des disputes auxquelles elle s’était livrée fréquemment. Longue et pénible fut son attente. Enfin, après des années d’incertitude, de morne isolement, elle entendit des voix : « Prie, Sophie ; prie et repens-toi », lui disait-on, Sophie pria. Et sa prière fervente, comme une pâle lueur, éclairait la nuit fluidique qui l’enveloppait. Suivant son expression, « le noir devenait gris », d’un gris qui allait s’atténuant de plus en plus, jusqu’à ce qu’elle eût recouvré la liberté relative des Esprits peu avancés.
N’y a-t-il pas là un exemple à retenir ? Remarquons surtout que la descente de l’Esprit dans le mal entraîne fatalement une diminution proportionnelle de liberté. Les pensées et les actes créent autour de l’âme coupable une sombre atmosphère fluidique, qui se condense, se resserre peu à peu et l’enferme comme dans une prison.
Nous voyons sur terre une application de cette loi d’équilibre moral et de justice dans les infirmités cruelles, la privation des sens, les paralysies prolongées, qui, souvent, sont les conséquences du passé, la répercussion lointaine des fautes commises.
Revenons à Sophie. Durant cinq années, cet Esprit a participé à nos travaux et, quoique peu avancé, ses communications et ses jugements n’étaient pas dénués d’intérêt. Longtemps à l’avance, elle nous annonça sa réincarnation dans la ville qu’elle avait déjà habitée. Aujourd’hui, elle a repris un corps terrestre, elle est devenue le premier enfant de pauvres artisans, l’aînée de toute une suite de petits êtres dont elle a prédit la venue, se préparant ainsi une existence obscure et laborieuse, qui facilitera son avancement et dont les vicissitudes seront tempérées par la possession d’une belle faculté médianimique.
Bien souvent, au cours de nos séances, des orgueilleux venaient nous exprimer leur dépit, leur humiliation de se retrouver, dans l’espace, au-dessous, de ceux qu’ils avaient méprisés. Des avares se désolaient de la dispersion de leurs biens. Des sensuels regrettaient amèrement d’être privés de tout ce qui les avait charmés ici-bas.
Des suicidés nous exposaient leurs tourments. Ils éprouvaient depuis bien longtemps la sensation, du genre de mort qu’ils avaient choisi. L’un d’eux entendait la détonation continuelle d’un coup de pistolet. Un autre subissait les affres de l’asphyxie. Tous étaient plongés, dans un abattement profond. Ils comprenaient tardivement que l’épreuve qu’ils avaient cru éviter, c’était la réparation due, le rachat du passé, et qu’il faudrait l’affronter de nouveau, dans des conditions plus dures, par le retour dans la chair.
Plus désolée encore est la condition de ceux qui ont entaché leur existence de meurtres, de spoliations, qui ont fait de la vie, des biens, de l’honneur, de la dignité des autres, le marchepied de leur gloire passagère et de leur fortune. Ils se retrouvent sans cesse en présence de ce tableau accusateur, avec la perspective de la répercussion des actes sur les vies à venir et les nombreuses existences d’effacement et de douleur qu’il faudra subir pour les réparer.
Mais, au-dessus de ces plaintes, de ces aveux troublants, à l’issue de chaque séance, s’élevait la voix de Jérôme, notre guide, qui dégageait les conséquences de ces révélations, faisait ressortir, les grandes lois de la destinée, et montrait les voies du repentir et de la réparation ouvertes à tous. Tous, après les fautes et les chutes, retrouveront, par l’épreuve et le travail, la paix de la conscience et la réhabilitation.
Ces enseignements, ces descriptions des récompenses ou des peines exercent à la longue une influence sensible sur l’état d’esprit des expérimentateurs. Ils les amènent à considérer la vie et ses responsabilités sous un aspect plus grave, à soumettre plus étroitement leurs actes à la règle austère du devoir.
Souvent ce sont nos proches : un père, une mère, un frère aîné, qui viennent de l’Au-delà nous guider, nous consoler, appeler notre attention sur les imperfections de notre nature, nous faire sentir la nécessité de nous réformer. A côté des exhortations touchantes de ceux qui nous furent chers, ils paraissent bien froids, les enseignements de la sagesse humaine !
Notre groupe était placé sous la protection de deux Esprits élevés, l’un Jérôme, notre guide habituel, dont j’ai parlé plus haut ; l’autre, Esprit féminin, dont la personnalité se dissimulait sous un vague pseudonyme, l’ « Esprit bleu », était doué d’une pénétration merveilleuse. Il lisait au fond des cœurs, en scrutait les replis les plus cachés et, avec un tact parfait, d’une voix douce et pénétrante, par le médium entrancé, il nous apprenait à nous mieux connaître et nous indiquait les moyens de nous perfectionner.
Chaque membre du groupe était, à tour de rôle, au cours des séances, l’objet de son attention, de sa sollicitude et recevait ses conseils maternels. Quand l’ « Esprit bleu » s’incorporait, nous le reconnaissions aux premiers mots prononcés, aux suaves inflexions de sa voix ; nous attendions ses paroles et ses jugements avec une réelle avidité. Son départ nous laissait sous une impression profonde, comme si une âme angélique eût plané sur nous et nous eût pénétrés de ses effluves. Cette action éducatrice et moralisatrice dura des années, et ses résultats furent sensibles.
Il faut remarquer que la plupart des hommes sont inconscients de leurs défauts. Ils s’ignorent eux-mêmes et accumulent fautes sur fautes sans s’en apercevoir. A ce point de vue, les indications de nos guides spirituels sont précieuses. Celles de l’Esprit bleu amenèrent, chez la plupart d’entre nous, de sérieuses modifications, et je puis dire que j’en bénéficiai moi-même largement.
Comme tant d’autres de mes semblables, certains côtés fâcheux de mon caractère m’avaient échappé. Parfois, la force de la pensée jaillissait, chez moi, en brusques sorties, en jets rapides, en expressions vives, exagérées, qui me causèrent beaucoup d’ennuis. Mes guides attirèrent sur ce point mon attention, et, par leurs conseils, ils m’apprirent à me dominer, à imposer silence aux fougueux élans de ma nature.
C’est ainsi que, par la pratique du spiritisme et les instructions des Esprits élevés, l’homme peut acquérir cette science précieuse de la vie : la maîtrise des émotions et des sensations, la domination de soi-même, cet art profond de s’observer, puis de commander aux sourdes impulsions de son être.
Le nouveau spiritualisme relie déjà entre eux des adeptes de tous rangs et de tous pays ; il reliera un jour toutes les religions, toutes les sociétés humaines.
Jusqu’ici, la diversité des races et des croyances a été un élément essentiel du développement de l’humanité. Les divergences et les oppositions étaient nécessaires pour créer la magnifique variété des formes et des groupements. Chaque homme, comme chaque peuple, a dû s’isoler tout d’abord pour devenir lui-même, pour constituer son moi distinct, pour acquérir son autonomie libre et consciente. Dans la succession des temps, le principe d’individualité, en ses applications, devait précéder la vie collective et solidaire, sans quoi tous les éléments vitaux se seraient confondus, neutralisés.
Peu à peu, le cercle de la vie collective s’est élargi ; des groupements se sont constitués qui sont entrés en conflit. Les guerres se sont succédées. C’est à travers des luttes perpétuelles, luttes des races, des religions et des idées, que se poursuit la marche douloureuse et que s’éveille la conscience de l’humanité.
Chaque religion, chaque société, chaque nation, apporte son contingent d’idées ; elle donne naissance à des formes spéciales, à des manifestations particulières de l’art et de la pensée. Dans le grand concert de l’histoire, chaque peuple fournit sa note personnelle, l’appoint de son génie. De la lutte, de la concurrence vitale est née l’émulation ; des œuvres fortes sont sorties des chocs et des conflits.
Et maintenant une grande idée s’ébauche. Lentement, de la pénombre des siècles, se dégage une autre conception de la vie universelle. A travers la confusion apparente, parmi le chaos des événements, d’autres formes sociales et religieuses s’élaborent. De l’état de diversité, et de séparation, on s’achemine vers la solidarité, vers l’harmonie.
En dépit des passions et des haines, peu à peu les barrières s’abaissent entre les peuples ; les rapports se multiplient en devenant plus faciles ; les idées s’échangent, les civilisations se pénètrent et se fécondent. La notion d’humanité s’édifie ; on parle, on rêve de paix, de langue, de religion universelles.
Mais, pour satisfaire ces aspirations encore vagues, pour transformer le rêve en réalité, pour faire des croyances diverses une foi commune, il fallait qu’une révélation puissante vint illuminer les intelligences, rapprocher les cœurs, faire converger toutes les forces vives de l’âme humaine vers un même but, vers une même conception de la vie et de la destinée.
Le nouveau spiritualisme, appuyé sur la science, nous apporte cette conception, cette révélation, en laquelle fusionnent et revivent, sous des formes plus simples et plus hautes, les grandes conceptions du passé, les enseignements, des messies envoyés par le ciel à la terre. Et ce sera là un nouvel élément de vie et de régénération pour toutes les religions du globe.
Toute croyance doit être appuyée sur des faits. C’est aux manifestations des âmes affranchies de la chair, et non à des textes obscurs et vieillis, qu’il faut demander le secret des lois qui régissent la vie future et l’ascension des êtres.
Les religions de l’avenir auront pour base la communion des vivants et des morts, l’enseignement mutuel de deux humanités. Malgré les difficultés que présente encore la communication avec l’invisible - et il est probable qu’elles s’aplaniront avec l’expérience des temps - on peut voir dès maintenant qu’il y a là une base autrement large que toutes celles où s’appuie l’idée religieuse. Ce sera un des plus grands mérites du spiritisme de l’avoir procurée au monde. Par là, il aura préparé, facilité l’unité religieuse et morale. La solidarité qui unit les vivants de la terre à ceux du ciel s’étendra peu à peu à tous les habitants de notre globe, et tous communieront, un jour, dans une même croyance, dans un même idéal réalisé.
L’âme humaine apprendra à se connaître dans sa nature immortelle, dans son avenir sans fin. Esprits de passage sur cette terre, nous comprendrons que notre destinée est de vivre et de progresser sans cesse, à travers l’infini des espaces et des temps, pour nous initier toujours davantage aux merveilles de l’univers, pour coopérer toujours plus étroitement à l’œuvre divine.
Pénétrés de ces vues, nous saurons nous détacher des choses matérielles et porter bien haut nos aspirations. Nous nous sentirons reliés à nos compagnons de route dans le grand voyage éternel, reliés à toutes les âmes par la chaîne d’attraction et d’amour qui se rattache à Dieu et nous maintient tous dans l’unité de la vie universelle.
Dès lors, plus de préjugés étroits, plus de rivalités mesquines. Toutes les réformes, toutes les œuvres de solidarité recevront une vigoureuse impulsion. Au-dessus des petites patries terrestres, nous verrons se déployer la grande patrie commune : le ciel sans limites.
De là, les Esprits supérieurs nous tendent les bras. Nous montons tous, à travers les épreuves et les larmes, depuis les régions obscures jusqu’à la lumière divine. La voie de la miséricorde et du pardon est toujours ouverte aux coupables. Les plus déchus peuvent se relever par le travail et le repentir, car Dieu est justice, Dieu est amour !
Ainsi la révélation des Esprits dissipe les brumes de haine, les incertitudes et les erreurs qui nous enveloppent. Elle fait luire sur le monde le grand soleil de la bonté, de la concorde, de la vérité !...
DEUXIEME PARTIE
__________
Le Spiritisme expérimental ; les Faits
__________
XII. EXTERIORISATION DE L’ETRE HUMAIN ; TELEPATHIE ; DEDOUBLEMENT ; LES FANTOMES DES VIVANTS.
L’homme est encore, pour lui-même, un vivant mystère. De son être, il ne connaît et n’utilise que la surface. Sa personnalité a des profondeurs ignorées, où dorment des forces, des connaissances, des souvenirs accumulés par les existences passées, tout un monde d’idées, de facultés, de puissances que l’enveloppe charnelle cache et éteint, mais qui se réveillent et entrent en action dans le sommeil normal et dans le sommeil magnétique.
C’est là le mystère de Psyché, c’est-à-dire, de l’âme enfermée avec ses trésors dans la chrysalide de chair et qui s’en dégage à certaines heures, s’affranchit des lois physiques, des conditions de temps et d’espace, et s’affirme dans sa puissance spirituelle.
Tout est rythme et alternance dans la nature. De même que le jour succède à la nuit et l’été à l’hiver, la vie libre de l’âme succède au séjour dans la prison corporelle. Mais l’âme se dégage aussi dans le sommeil ; elle se retrouve dans sa conscience agrandie, dans cette conscience par elle construite lentement, à travers les âges ; elle se ressaisit, se considère, devient pour elle-même un sujet d’étonnement. Son regard plonge dans les couches obscures de son passé ; elle y retrouve tous ses acquis mentaux, toutes les richesses capitalisées au cours de son évolution et que la réincarnation avait ensevelies. Ce que le cerveau concret était impuissant à exprimer, son cerveau fluidique le manifeste, le rayonne avec une intensité d’autant plus vive que le dégagement est plus complet.
Le sommeil n’est pas autre chose, en réalité, que la sortie de l’âme du corps. Dans le sommeil ordinaire, l’être psychique s’éloigne peu ; il ne recouvre qu’en partie son indépendance et reste presque toujours étroitement lié au corps. Dans le sommeil provoqué, le dégagement s’accentue à tous les degrés. Sous l’influence magnétique, les liens qui attachent l’âme au corps se relâchent peu à peu. Plus l’hypnose, plus la trance est profonde, plus l’âme se détache et s’élève. Sa lucidité s’accroît ; sa pénétration s’étend ; le cercle de ses perceptions s’élargit. En même temps, les couches obscures, les régions cachées du moi se dilatent, s’éclairent, entrent en vibration ; toutes les acquisitions du passé se réveillent. Les facultés psychiques : vision à distance, audition, divination, entrent en jeu. Avec les états supérieurs de la trance, nous parvenons aux derniers confins, aux extrêmes limites de la vie physique. L’être vit déjà de la vie de l’Esprit et en exerce les pouvoirs. Un degré de plus, le lien fluidique qui retient l’âme au corps serait rompu. Ce serait le détachement absolu, définitif, la mort.
Nous allons indiquer quelques-uns des faits d’après lesquels on peut établir que l’âme a une existence propre, indépendante du corps, et tout un ensemble de facultés qui s’exercent sans le concours des sens physiques.
D’abord, pendant le sommeil normal, lorsque le corps repose, que les sens sont inactifs, nous pouvons constater qu’un être veille et agit en nous, qu’il voit et entend à travers les obstacles matériels, murs ou portes, et à toutes distances. Dans le rêve, des images se succèdent, des tableaux se déroulent, des voix sont entendues ; des entretiens s’établissent avec des personnages divers. L’être fluidique se déplace, voyage, plane sur la nature, assiste à une foule de scènes, tantôt incohérentes, tantôt claires et précises, et tout cela s’accomplit sans le concours des sens matériels, l’œil étant fermé et l’oreille ne percevant plus.
Dans certains cas, la vision psychique durant le sommeil a autant de netteté et d’exactitude que la vision physique pendant la veille. Ceci est démontré par les témoignages d’expérimentateurs consciencieux et savants.
M. Varley, ingénieur en chef des télégraphes de la Grande-Bretagne, dans sa déposition lors de l’enquête ouverte par la Société de dialectique, à Londres, rapporte le fait suivant, qui lui est personnel :
Étant en voyage, il descendit au milieu de la nuit dans un hôtel, se coucha et s’endormit. Pendant son sommeil, il vit en songe la cour de cet hôtel et remarqua que des ouvriers y travaillaient. S’étant suggéré la pensée du réveil, aussitôt levé, il put constater la réalité de son rêve. La disposition de la cour et la place occupée par les ouvriers étaient bien telles qu’il les avait vues en esprit. Or c’était la première fois qu’il descendait en ce lieu.
M. Camille Flammarion, dans l’Inconnu et les Problèmes psychiques , cite un grand nombre de cas de vision à distance pendant le sommeil. En voici quelques-uns :
M. G. Parent, maire de Wiège (Aisne), assiste, en rêve, à un incendie qui détruit la ferme d’un de ses amis, à Chevennes.
M. Palmero, ingénieur des Ponts et Chaussées à Toulon, apprend, par un rêve de sa femme, l’arrivée inattendue de son père et de sa mère, qu’elle voit, en mer, sur un paquebot.
M. P., docteur en droit à Philippeville, rapporte le rêve d’une dame de ses amies. Dans son sommeil, elle vit un naufrage qui causa la perte d’un navire et d’une centaine de personnes, fait qui fut confirmé le lendemain dans tous ses détails.
M. Lee, fils de l’évêque protestant d’Iowa (E. U.), vit en rêve, à une distance de plus de 5 kilomètres, son père tomber dans un escalier. Ce fait est attesté par plusieurs témoins, et entre autres par M. Sullivan, évêque d’Algowa.
M. Carrau, d’Angers, a vu son frère mourir à Saint-Pétersbourg et ses enfants à genoux près du lit de mort.
Un Français, mécanicien à Foutchéou, vit une nuit son jeune enfant, laissé en France, mort du croup sur un édredon rouge. Il fit part de son rêve à un de ses amis, qui se moqua de sa crédulité. La première lettre qu’il reçut provenait de sa femme et annonçait le décès dans les mêmes conditions qu’il avait vues en songe.
M. Orieux, agent voyager en chef de la Loire-Inférieure, étant à Carthagène, assiste en rêve aux obsèques de sa meilleure amie, dont il ignorait le décès et qui habitait Nantes.
M. Jean Dreuilhe, de Paris, perçoit en rêve la chute mortelle, dans un escalier, du général de Cossigny, ami de sa famille.
Le maréchal Serrano annonce à Madrid la mort inattendue d’Alphonse XII, au Prado, mort qu’il avait perçue en rêve.
Voici un cas emprunté aux Proceedings (procès-verbaux de la Société des recherches psychiques de Londres) :
« Mme Broughton s’éveilla une nuit, en 1844, à Londres, et réveilla son mari pour lui dire qu’un grave événement était arrivé en France. Elle avait été témoin, en rêve, de l’accident de voiture dont le duc d’Orléans fut victime. Elle avait vu le duc gisant sur un lit ; des amis, des membres de la famille royale, arrivaient en toute hâte ; le roi et la reine parurent et assistèrent tout en larmes aux derniers moments du duc. Aussitôt qu’il fit jour, elle transcrivit sur un journal les détails de cet événement. Ceci se passait avant l’invention de la télégraphie, et ce ne fut que deux jours après que le Times annonça la mort du duc. Comme elle visitait Paris quelque temps après, elle vit et reconnut l’endroit où l’accident avait eu lieu. »
Des phénomènes du même ordre se produisent dans le sommeil magnétique. C. Flammarion en cite plusieurs exemples. Entre autres, celui de la femme d’un colonel de cavalerie, qui, dans l’état magnétique, voit le suicide d’un officier, à 4 kilomètres de distance .
L’esprit de certaines personnes continue à travailler pendant le sommeil et, à l’aide des connaissances acquises dans le passé, parvient à réaliser des oeuvres considérables.
On en peut citer des exemples célèbres :
Voltaire déclare avoir conçu, une nuit, dans, un rêve, un chant complet de la Henriade.
La Fontaine composa en rêvant la fable des Deux Pigeons.
Coleridge s’endormit en lisant, et, à son réveil, il se rappela avoir composé, en dormant, deux cents vers, qu’il n’eut qu’à écrire.
Des compositeurs, S. Bach, Tartini, entendent, dans leur sommeil, l’exécution de sonates qu’ils ne parvenaient pas à terminer à leur gré. Aussitôt réveillés, ils les écrivent de mémoire.
Dans tous ces cas, l’activité intellectuelle et la puissance de travail semblent plus grandes dans le sommeil que pendant la veille.
Parfois l’âme, dégagée des liens corporels, communique, au moyen du rêve, avec d’autres personnes vivantes ou défuntes, et reçoit d’elles des indications et des avertissements.
L’envoyé spécial du Matin, de Paris, M. Scarfoglio, télégraphiait de Messine, le 5 janvier 1909, à ce journal :
« Aujourd’hui encore, plusieurs personnes ont été retirées vivantes des ruines. A ce propos, il faut signaler un cas très touchant qui s’est produit ce matin. Un jeune homme, marin du cuirassé Regina-Elena, était fiancé à une jeune fille ensevelie sous les décombres d’une maison. Ayant obtenu de son commandant l’autorisation de travailler avec quelques camarades au sauvetage de sa fiancée et des autres personnes ensevelies sous les mêmes décombres, le marin s’est acharné à de vaines recherches pendant quatre jours. Aujourd’hui, en proie au désespoir et épuisé de fatigue, le marin s’est endormi. Tout à coup, il a rêvé de sa fiancée, qui lui disait : « Je suis vivante. Viens ! Sauve-moi ! » Aussitôt, il s’est réveillé et a supplié ses camarades de reprendre leurs fouilles pour la dernière fois. Ses efforts ont été miraculeusement couronnés de succès, car, après quelques heures, il a retrouvé sa fiancée et l’a retirée vivante des ruines. La jeune fille, qui était dans un état comateux, à peine sortie des ruines, a repris connaissance et a serré le marin dans ses bras, l’embrassant avec furie. Elle a déclaré qu’un profond sommeil l’avait prise tout de suite après la catastrophe et qu’elle avait rêvé qu’elle parlait avec son fiancé, quelques heures avant sa délivrance.
Voici un singulier et très touchant cas de télépathie. La jeune fille, les larmes aux yeux, a remercié tous ses sauveurs et a assuré qu’elle allait bientôt épouser son fiancé et sauveur. »
Les Annales des Sciences psychiques d’octobre 1910 publient la relation suivante d’un rêve, communiquée par le curé de Domdidier, canton de Fribourg (Suisse), le 18 avril 1908, à M. Rollinet, qui faisait une conférence dans cette localité, et transmise par celui-ci à M. Camille Flammarion. En voici le résumé succinct :
« En 1859, M. Doutaz, âgé de dix-huit ans, venait de se coucher après avoir préparé sa thèse de philosophie pour le lendemain. Endormi, il eut une vision étrange, qui se renouvela deux fois de suite. Il vit son père, qui habitait à vingt-quatre kilomètres de lui, et qui lui dit, la première fois : « Mon cher Joseph... ta pauvre sœur Joséphine est mourante à Paris », et, la seconde : « Mon cher Joseph... etc. ; mais ta mère ignore encore la douloureuse nouvelle. » Le lendemain, M. Doutaz s’acheminait vers le lycée, lorsqu’il reçut une lettre de son père contenant la confirmation exacte de ce qu’il avait entendu la nuit, pendant ses rêves. »
La revue Zeitschrift für Spiritismus du 9 juillet 1910 cite le rêve suivant, communiqué par le comte Henri Stezkij :
« Un riche propriétaire des environs de Tarnoff perdit 600 florins, au cours d’une promenade. S’arrêtant, dans une auberge, il racontait sa déconvenue au tenancier Kuhusteiger, lorsqu’un maquignon du nom de Kosminter, qui venait d’entrer, lui demanda dans quelles circonstances il avait perdu cette somme. Il ne lui répondit pas et continuait sa conversation avec l’aubergiste, lorsque Kosminter lui tendit spontanément la bourse perdue. Stupéfait, le propriétaire lui donna 300 florins comme récompense. A deux semaines de là, Kosminter sanglant lui apparut en rêve et accusa l’aubergiste de sa mort. Deux semaines après, le même rêve se reproduisit, mais avec plus de détails, et ce n’est qu’à la troisième fois, à cause de la précision extraordinaire des révélations, qu’il saisit la justice. Kuhusteiner fut arrêté, convaincu du crime et condamné à mort. »
L’action de l’âme, à distance, sans le secours des sens, se révèle même pendant la veille dans les phénomènes de la transmission de pensée et de la télépathie.
Nous savons que chaque être humain possède un dynamisme propre, un état vibratoire qui varie à l’infini, suivant les individus, et les rend aptes à produire chez les autres et à percevoir eux-mêmes des sensations psychiques très variées.
Les vibrations de notre pensée, projetées avec intensité de volonté, se propagent au loin et peuvent influencer des organismes en affinité avec le nôtre, puis, en suscitant une sorte de choc en retour, revenir au point d’émission. Ainsi deux âmes, reliées par les ondulations d’un même rythme psychique, peuvent sentir et vibrer à l’unisson. Parfois, un dialogue mystérieux s’engage de près ou de loin ; des pensées trop subtiles pour être exprimées en paroles s’échangent ; des images, des messages, des appels flottent ou volent dans l’atmosphère fluidique entre ces âmes, qui, malgré la distance, se sentent unies, pénétrées d’un même sentiment, et font rayonner de l’une à l’autre les effluves de leur personnalité psychique.
Ceux qui s’aiment correspondent souvent ainsi : ils échangent leurs joies et leurs tristesses. Mais le cœur a ses secrets qu’il ne livre pas volontiers. Une mère entend à travers l’espace les appels de son fils malheureux. Mille impressions nous assiègent, qui proviennent des pensées lointaines de ceux qui nous sont chers .
Cette théorie s’appuie sur des preuves indiscutables.
Rappelons d’abord les expériences relatées dans les Proceedings (procès-verbaux) de la Société des recherches psychiques, de Londres. L’opérateur et le sujet, placés dans la même salle, mais séparés par un rideau, sans faire un geste, sans dire une parole, se transmettent silencieusement leurs pensées. La même expérience a été faite ensuite, avec succès, en plaçant l’opérateur et le percipient, d’abord dans deux salles, puis dans deux maisons différentes. Afin d’éviter tout compérage, les pensées à transmettre étaient inscrites d’avance et tirées au sort.
Le Daily Express de septembre 1907 rend compte de plusieurs séances de transmission de pensées données au roi Édouard VII et à d’autres personnages de sa cour par deux sujets : M. et Mme Zancig. Le roi en a fait connaître les résultats. Et c’est surtout depuis lors qu’en Angleterre l’attention publique s’est portée vers cet ordre de faits.
Le roi a soumis les deux sujets aux épreuves les plus difficiles, toujours avec un succès complet. On a constaté que la communion de pensées existait, non pas de loin en loin, mais d’une façon constante et normale, entre le mari et la femme. Si, par exemple, le premier lisait une lettre, la seconde, à une grande distance et les yeux bandés, percevait en même temps le contenu de cette lettre. Tout ce que l’on communique au mari parvient aussitôt à la femme. Les deux sujets vibrent à l’unisson. En outre, Mme Zancig a prouvé au roi sa faculté de vision psychique en lui parlant de choses qu’il avait la certitude d’être seul à connaître.
Les expériences faites par les psychologues et les magnétiseurs sont innombrables et accompagnées de détails si précis, qu’il serait impossible de les expliquer par des hallucinations .
Citons quelques autres cas, dont plusieurs sont inédits :
Le docteur Balme, de Nancy, soignait Mme la comtesse de L.... atteinte de dyspepsie. Elle se rendait à ses consultations et il ne pénétra jamais dans sa demeure, située hors de la ville. Trois jours après une de ses visites, le 19 mai 1899, rentrant chez lui et traversant l’antichambre, il entendit ces mots : « Comme je me sens mal, et personne pour me secourir ! » puis il entendit le bruit d’un corps qui s’affaissait sur une chaise longue. La voix était celle de Mme de L... Il s’informa, mais nul dans la maison n’avait vu, ni entendu cette dame. Il se retira dans son cabinet de travail, se recueillit et, s’étant placé en léger état d’hypnose, se transporta chez la dame et la vit. Il suivit tous ses faits et gestes, et les nota minutieusement.
Lorsque Mme de L... vint le voir, il lui communiqua ses impressions, qui se trouvèrent exactes en tous points et conformes à la réalité des faits. « Après vous être retirée dans votre chambre, que paraissiez-vous donc chercher autour de vous ? » lui demanda-t-il. - « Il me semblait qu’on me regardait », répondit la dame .
A l’exemple du docteur Gibert et de M. Pierre Janet, dont le sujet, Léonie, obéissait à la suggestion à un kilomètre de distance , le docteur Balme avait le pouvoir de transmettre mentalement sa volonté à une demoiselle de Lunéville. Il l’obligeait ainsi à venir dans son cabinet, à Nancy, réclamer ses soins. Un jour, ayant concentré et dirigé vers elle sa pensée, il prononça les paroles suivantes: « Venez, je vous attends par le train de midi. » A l’heure dite, la jeune fille, entrait chez lui, disant : « Me voici » .
C. Flammarion, dans son ouvrage : l’Inconnu et les Problèmes psychiques, p. 352, cite le cas d’un enfant qui, dès l’âge de cinq ans, résolvait des problèmes très compliqués et répétait des mots et des phrases que sa mère puisait mentalement dans un livre. L’enfant ne calculait pas, mais lisait seulement dans la pensée de sa mère la solution des problèmes posés ; dès que celle-ci s’éloignait, il devenait incapable d’obtenir la moindre solution.
Selon M. G. Delanne , on doit ramener les états vibratoires individuels à trois types généraux, qu’il appelle visuels, auditifs et moteurs. On expliquerait par là la variété des perceptions chez les sensitifs et les médiums. Chez les sensitifs appartenant à ces divers types, les impressions produites par une même cause revêtiront des formes différentes. L’action psychique d’un vivant, à distance, ou celle d’un Esprit, provoquera chez les uns la vision d’une figure, d’un fantôme ; chez les autres, l’audition de sons, de bruits, de paroles ; elle suscitera des mouvements chez un troisième .
Les impressions peuvent également varier chez des sensitifs appartenant au même type sensoriel. La pensée initiale sera perçue par eux sous des formes distinctes, quoique le sens de la manifestation soit identique au fond. C’est ce que nous avons remarqué bien des fois dans nos propres expériences. Plusieurs médiums auditifs percevaient la pensée de l’Esprit et la traduisaient en termes différents.
Ceci nous démontre qu’un grand nombre de phénomènes télépathiques doivent être rangés dans l’ordre subjectif, en ce sens qu’ils se produisent uniquement dans le cerveau du percipient. Quoique internes, ils ne sont pas moins réels. L’onde vibratoire, émanée d’une pensée étrangère, va frapper le cerveau du sujet et lui donne l’illusion d’un fait extérieur, qui, suivant son état dynamique, semblera visuel, auditif ou tactile.
Nous savons que les impressions des sens sont toutes centralisées au cerveau. Celui-ci est le récepteur véritable, qui emmagasine les sensations et les transmet à la conscience. Or, suivant son état vibratoire, nous sommes portés à rattacher nos sensations à un des trois états sensoriels sus-indiqués. De là, la variété des impressions suggestives perçues par les sensitifs.
Voici plusieurs cas inédits, où l’action télépathique se manifeste par des bruits et des visions :
Mme Troussel, née Daudet, parente de l’illustre écrivain, habitant Alger, rue Daguerre, communique télépathiquement, à heures convenues, avec plusieurs de ses amies, chacune servant à son tour de transmetteur et de récepteur. Elles établissent réciproquement le procès-verbal des pensées émises et des impressions ressenties, et comparent ensuite. Des questions mentales posées à distance obtiennent des réponses précises ; un problème compliqué a été résolu. En moyenne, sept expériences sur dix réussissent. Parfois la pensée, tendue avec intensité, produit une action physique sur les meubles, qu’elle fait vibrer fortement.
Mme Troussel a fait la même expérience avec une de ses amies de Marseille. Elles devaient se mettre en communication le jeudi saint, à 8 heures et demie du soir. Mais, le méridien n’étant pas identique et Marseille étant en avance sur Alger, comme Mme Troussel montait à sa chambre pour y chercher l’isolement, elle se sentit envahie par un sentiment de tristesse. Un instant après, s’étant recueillie, elle vit apparaître sa jeune amie de Marseille ; près d’elle était un petit enfant qui lui tendait les bras en souriant et lui montrait un rayon lumineux qui semblait descendre du ciel. Mme Troussel s’empressa de faire parvenir à son amie la relation de cette expérience. Leurs lettres se croisèrent. Celle de Marseille contenait les lignes suivantes :
« J’ai choisi le jeudi saint, chère amie, parce que c’était le jour anniversaire de la mort de mon enfant bien-aimé. A l’heure indiquée, vous êtes venue me consoler. J’ai pensé, à ce moment, à ce cher petit être ; y avez-vous aussi songé ? Je vous ai vue monter du rez-de-chaussée au premier. Vous aviez une robe que je ne connais pas (détail exact). Chose étrange, en pensant à tout cela, je voyais en même temps l’immensité de la mer ; le rayon lumineux du phare semblait venir du ciel et parvenait jusqu’à moi. »
Des messages écrits ont été donnés par des vivants extériorisés, à de grandes distances. Aksakof rapporte les faits suivants :
« M. Thomas Everitt, de Londres, obtint, par la main de sa femme, un message d’un de ses amis, médium, en route pour l’Amérique.
« Le grand-juge Edmonds, de New-York, rapporte que deux groupes spirites, réunis à la même heure, à Boston et à New-York, correspondaient par leurs médiums respectifs.
« De même, deux groupes d’expérimentateurs, assemblés à Madrid et à Barcelone, communiquaient ensemble par les mêmes procédés. Après chaque séance, on rédigeait, de part et d’autre, un procès-verbal, aussitôt remis à la poste. Les deux messages étaient toujours conformes . »
La Revue scientifique et morale du Spiritisme, dans son numéro de janvier 1908, cite un fait intéressant, extrait des Mémoires de Mme Adelma de Vay :
« Mme de Vay raconte que, pendant la campagne de 1866, son cousin, le comte Wurmbrandt, faisait partie de l’armée autrichienne. Le 25 mai, elle eut une longue communication de lui. « C’est moi, votre cousin Louis Wurmbrandt. Je vais bien, mon esprit est avec vous, mais mon corps est au camp, au milieu des soldats... » Le 15 juin, nouvelle communication : « ... Nous attendons une bataille... mon corps est tout à fait endormi... je pense vivement à vous... » Le 4 juillet encore une communication : « Ne doutez pas de la présence de mon esprit... nous venons d’avoir une grande bataille. Pour moi, je vais bien. »
« Le 5 juillet, le nom de Wurmbrandt paraît sur la liste des tués. Cependant, le 9 du même mois, Mme de Vay reçoit une communication de son cousin : « J’ai heureusement survécu à la bataille de Konig-Gratz. Dans trois jours, je vous en donnerai confirmation par lettre. » Effectivement, Mme de Vay reçut de son cousin une lettre énumérant en particulier les pertes énormes subies par son bataillon : ce qui explique l’erreur de sa mort. »
Tous ces faits établissent d’une manière certaine, dès cette vie, l’action mentale et réciproque d’âme à âme et l’intervention possible des vivants extériorisés dans les phénomènes psychiques.
Pour pratiquer la télépathie, deux conditions sont nécessaires. Ce sont, d’une part, chez l’opérateur, la concentration et l’extériorisation de la pensée. Pour agir mentalement à distance, il faut se recueillir et diriger sa pensée avec persistance vers le but choisi. On provoque ainsi un dégagement partiel de l’être psychique et l’on crée un courant de vibrations qui nous unit à notre correspondant. Chez celui-ci, d’autre part, un degré suffisant de sensibilité est nécessaire.
Ces conditions ne se rencontrent pas aussi souvent qu’on pourrait le supposer. Il faut les créer par une action prolongée de la volonté, puis les améliorer par l’exercice quotidien des facultés acquises.
Le docteur Balme constate qu’ayant expérimenté avec une de ses amies, il n’obtint d’abord aucun résultat. Tous les jours, à la même heure, et pendant longtemps, ils poursuivirent leur tentative. Les pensées échangées furent d’abord contradictoires. Un jour cependant, un mot fut perçu avec exactitude ; puis, par la suite, des phrases de quatre et cinq mots furent transmises. Enfin, au bout de deux ans, ils communiquèrent à distance, à n’importe quel moment de la journée, en frappant d’abord quelques coups dans leurs mains.
On le voit, dans ces expériences, la persévérance est l’élément essentiel de tout succès. Il faut, avant tout, apprendre à fixer ses pensées. Celles-ci sont instables, flottantes ; elles volent trop souvent d’un objet à un autre. Sachons les maintenir sous l’action de la volonté et leur imposer un but précis. Cet exercice est des plus salutaires, en ce sens qu’il nous habitue à pratiquer la discipline mentale.
Une fois notre pensée fixée et le courant vibratoire établi, la communication devient possible. Nous arrivons non seulement à correspondre télépathiquement avec nos amis terrestres, mais aussi avec ceux de l’espace, car la loi des correspondances est la même dans les deux cas. Il n’est pas plus difficile de nous entretenir mentalement avec ceux de nos bien-aimés dont la mort a brisé l’enveloppe, qu’avec ceux qui, restés sur la terre, ont été dispersés au loin par les exigences de la vie. La puissance de l’évocation qui va frapper l’être spirituel à travers l’immensité, dans une région inconnue de l’évocateur, est la démonstration la plus évidente de la force de la pensée.
Parfois l’âme, durant la veille ou pendant le sommeil, s’extériorise, s’objective dans sa forme fluidique et apparaît à distance. De là, le phénomène des fantômes des vivants.
Un cas des plus remarquables est celui d’Émilie Sagée, institutrice à Volmar, dont le dédoublement a pu être observé nombre de fois par les 42 personnes habitant le pensionnat .
On peut ajouter le cas du révérend Th. Benning, cité par Mme Hardinge-Britten dans le Banner of Light. Son double se transporta à Troy, où il devait faire une conférence le lendemain, afin de prévenir qu’une indisposition l’empêchait d’accomplir sa promesse. Il y fut vu et entendu par trois personnes, et l’une d’elles fut poussée par lui. Pendant ce temps, son corps n’avait pas quitté New-York .
Une jeune bonne allemande, de Boston (Mass.), atteinte de fièvre et de nostalgie, se transportait en rêve dans sa famille, en Europe. Là, pendant quinze nuits consécutives, tous ses parents l’entendirent frapper à la porte de la maison paternelle et virent entrer son fantôme. Tous crurent à sa mort ; mais elle revint à la santé .
Le Times, dans son édition hebdomadaire du 1er janvier 1908, consacre un long article à un fait de dédoublement, qui aurait été constaté à la cure de East Rudham. Le desservant de cette cure, le révérend docteur Astley, à la suite d’un accident de chemin de fer sur la ligne de Biskra, fut transporté à l’hôpital des Anglais, à Alger. Pendant qu’il s’y trouvait en traitement, son fantôme fut aperçu à différentes reprises et distinctement reconnu par trois personnes, notamment par le révérend Brock, vicaire chargé de remplacer le docteur Astley à la cure de East Rudham pendant son absence.
Les témoignages les plus nombreux émanent de la Société des recherches psychiques de Londres. Cette société, composée d’hommes éminents, a élevé un véritable monument scientifique par la publication du livre The Phantasms of the living et celle de ses Proceedings, recueil de procès-verbaux formant vingt-deux volumes et embrassant une période de vingt années d’études. Ces ouvrages relatent des milliers de cas d’apparitions, observés avec méthode et rigueur, et notent les circonstances et les preuves donnant à chaque fait son caractère d’authenticité et l’appui de témoignages sévèrement contrôlés.
Ces faits établissent d’une manière incontestable les rapports existant entre l’apparition du double et la personne vivante qu’il représente.
On ne saurait attribuer à tous ces phénomènes un caractère subjectif. Dans certains cas, ainsi que nous l’avons vu, le cerveau du percipient seul est impressionné par les vibrations d’une pensée lointaine, vibrations qui se transmettent au foyer visuel et y font naître l’image du manifestant. Mais ici, dans la plupart des cas, les phénomènes observés ne se prêtent nullement à cette interprétation. L’objectivité en est démontrée par ce fait que les fantômes sont vus par plusieurs personnes à la fois, ou bien successivement, par exemple, lorsque le fantôme se transporte aux différents étages d’une maison.
Les fantômes des vivants agissent sur la matière, ils ouvrent et ferment des portes, agitent des sonnettes , font entendre des accords sur des pianos fermés . Ils impressionnent des animaux domestiques, laissent des traces de mains et de doigts sur la poussière des meubles, et même parfois des communications écrites, qui restent comme une preuve irrécusable de leur passage .
Les dédoublements de vivants ont été constatés dans tous les temps. L’histoire en relate de nombreux cas, appuyés sur des témoignages importants.
Tacite rapporte que Basilide apparut à Vespasien dans un temple d’Alexandrie, alors qu’il était retenu par la maladie à plusieurs journées de distance.
La mystique chrétienne enregistre comme faits miraculeux des cas de bilocation ou bicorporéité, où nous reconnaîtrons facilement des phénomènes d’extériorisation.
Saint Alphonse de Liguori fut canonisé pour s’être montré simultanément en deux endroits différents. Étant endormi à Arienzo, il put assister à la mort du pape Clément XIV, à Rome, et annonça, dès son réveil, qu’il venait d’être témoin de cet événement.
Le cas de saint Antoine de Padoue est célèbre. Étant en Espagne et prêchant, il s’arrête tout à coup au milieu de son sermon et s’assoupit. En ce moment même, à Padoue, son père, accusé faussement de meurtre, était conduit au supplice. Saint Antoine apparaît, démontre l’innocence de son père et fait connaître le vrai coupable.
On trouve nombre de faits analogues dans la vie des saints et notamment dans celles de saint Ambroise, de saint François Xavier, de saint Joseph de Cupertino, de sainte Marie d’Agreda, de sainte Lydwine, etc.
L’être humain, dégagé des liens charnels par la prière, les hautes aspirations et par une vie sobre et pure, devient plus apte à s’extérioriser.
La possibilité de ces manifestations est également démontrée par les expériences des magnétiseurs, comme Du Potet, Deleuze, Billot ; par Kerner, Perty, d’Assier, etc.
Remarquons que ces phénomènes ne se produisent pas seulement pendant le sommeil. Une violente émotion, certaines maladies, l’agonie, la mort, peuvent provoquer le dégagement psychique.
M. C. Flammarion, dans l’Inconnu et les Problèmes psychiques, chap. VII, cite cent quatre-vingt-six cas dans lesquels des mourants font entendre des appels ou se manifestent à distance . Dans la Revue des Revues (réponse à Saint-Saëns), l’illustre astronome relate le fait suivant :
« Une jeune femme, après sept années de tendres relations, avait été séparée de l’homme qu’elle aimait. Celui-ci se maria et elle n’en entendit plus parler. Plusieurs années s’écoulèrent, puis, une nuit d’avril 1893, elle vit entrer dans sa chambre une forme humaine, qui s’avança et se pencha sur elle. Elle sentit avec terreur sur ses lèvres le baiser prolongé d’une bouche glacée. Le lendemain vers midi, parcourant un journal, elle y apprit le décès et les obsèques de celui qu’elle aimait. »
On lit dans l’Éclair du 24 novembre 1908 « Un capitaine de la marine de guerre anglaise croisait dans les mers du Sud. Un soir, enfermé dans sa cabine, il faisait au tableau noir des calculs algébriques. A un moment, il s’assit à sa table pour transcrire sur son carnet les résultats obtenus. Comme il se retournait pour lire sur le tableau la dernière équation, il vit tout à coup une main, avec un vague poignet, qui parut, saisit l’éponge et effaça les formules. Il resta stupéfait, immobile. Une figure indistincte d’abord et nébuleuse se fit voir ; c’était un homme en uniforme, dans lequel il reconnut un de ses anciens camarades d’école, officier de marine comme lui et qu’il n’avait pas vu depuis de longues années. Il remarqua qu’il avait vieilli. La figure prit un morceau de craie, écrivit une latitude, une longitude, et disparut. Le capitaine revint de sa stupeur. Il se précipita hors de sa cabine, appela ses lieutenants, leur raconta la vision qu’il venait d’avoir, et leur montra les indications inscrites au tableau, en leur faisant constater que jamais il ne faisait les chiffres de cette façon. Ils notèrent la date et l’heure, et, obéissant à un même sentiment, firent force de vapeur vers le point des mers marqué au tableau. Ils l’atteignirent en cinq jours et croisèrent pendant de longues heures aux alentours de cet endroit, situé en plein océan, à des milliers de milles de toute côte et en dehors des routes de la navigation. Enfin, au matin du sixième jour, ils virent au lointain quelque chose qui flottait, point noir sur l’horizon clair et brumeux. Ils l’atteignirent. C’était un radeau composé de planches à peine assemblées, et sur lequel, sans vivres, sans eau, à la merci du moindre coup de vent, étaient accrochés trois agonisants, seuls survivants, comme ils le racontèrent quarante-huit heures plus tard, lorsqu’ils purent parler, du naufrage d’un grand vaisseau qui s’était incendié et avait péri en peu de temps. Ce vaisseau était commandé par l’officier qui était apparu devant le tableau noir. Le sinistre avait eu lieu au point inscrit par le fantôme et juste au moment où il s’était manifesté.
« Le capitaine porta le fait sur son livre de bord. Sans doute on peut croire qu’il écrivit lui-même et inconsciemment les chiffres au tableau noir. Mais alors il faut admettre qu’il agit sous l’influence de l’esprit de son ancien camarade qui mourait dans les flammes, et qui lui transmit la latitude et la longitude du lieu où s’était produite la catastrophe. »
Ces cas sont multiples, et c’est en vain qu’on chercherait à les expliquer par la théorie de l’hallucination. Ici, il y a relation de cause à effet. La mort coïncide avec les apparitions, et celles-ci sont trop nombreuses pour qu’on puisse considérer les coïncidences comme le résultat du hasard. Les voix entendues sont celles de personnes éloignées ; les visions, celles de figures connues ; les costumes sont vérifiés exacts. Détail à noter : des chiens, des chevaux s’agitent et manifestent leur inquiétude à l’approche des phénomènes. Ils semblent en avoir la vision ou le pressentiment bien avant que l’homme puisse les percevoir.
Les phénomènes dus à l’extériorisation, ou action extra-corporelle de l’âme humaine, ont été étudiés avec attention et classés par Aksakof sous la dénomination générale d’animisme. Ce savant observateur a voulu établir une distinction tranchée entre ces faits et les manifestations des défunts. En réalité, cette distinction n’existe pas ; ces faits, comme nous le verrons par la suite, sont toujours identiques, soit avant, soit après la mort. L’âme de l’homme extériorisée peut, tout comme l’âme désincarnée, influencer des médiums, dicter des communications, des messages, soit par l’écriture, soit au moyen des tables, provoquer des déplacements d’objets matériels, apparaître à une grande distance de son corps et influencer des plaques photographiques.
Allan Kardec a consacré tout un chapitre du Livre des médiums ,à l’étude des apparitions de vivants. Ces phénomènes n’étaient donc pas ignorés des spirites, comme on l’a prétendu, et Aksakof, dans Animisme et Spiritisme, a simplement confirmé ce qui avait été reconnu bien avant lui.
Des expériences plus récentes ont démontré la possibilité, pour certains êtres humains, de se dédoubler partiellement, de matérialiser certaines parties de leur forme fluidique et de produire des phénomènes variés.
Des médiums, comme Eusapia Paladino et Eglinton, ont, à plusieurs mètres de distance, et sans contact physique, provoqué le déplacement de corps inertes en pleine lumière et laissé des empreintes de leurs membres fluidiques, dans des substances molles : terre glaise, paraffine ou noir de fumée .
Nous ne saurions passer sous silence les cas d’incorporation de vivants dans l’organisme de médiums endormis. Ce genre de manifestations apporte presque toujours un élément de trouble et d’erreur dans les phénomènes de la trance, et il faut une expérience consommée pour ne pas les confondre avec les manifestations des défunts. En effet, les vivants, incorporés dans un organisme étranger, ne se rendent pas toujours compte eux-mêmes de leur véritable situation.
Voici un exemple qui démontre combien il est nécessaire, au cours de ces expériences, de tenir toujours l’attention en éveil :
Pendant trois années, l’esprit d’un vivant a pu se manifester par voie d’incorporation dans le groupe que nous dirigions, à Tours, sans qu’on s’avisât de le distinguer des esprits de défunts qui intervenaient habituellement dans nos séances. Il nous fournissait cependant, sur son identité, les détails les plus précis. Il disait se nommer B..., avait été sacristain du village de D..., dans la Sarthe, Sa parole traînante, son geste lourd et fatigué, son attitude affaissée, contrastaient avec la manière d’être du médium et des autres Esprits familiers. Nous le reconnaissions, dès les premières paroles prononcées. Il nous narrait par le menu les moindres incidents de sa vie, les remontrances de son curé sur sa paresse et son ivrognerie, le mauvais état de l’église et du matériel confié à ses soins, et jusqu’à ses recherches infructueuses dans l’espace pour y trouver la confirmation de ce qui lui avait été enseigné ! Tout en lui, ses propos, ses souvenirs, ses regrets, nous confirmait dans la ferme opinion que nous avions affaire à un homme décédé.
Quelle ne fut pas notre surprise, lorsqu’un membre de notre groupe s’étant rendu dans la région et ayant été chargé de procéder à une enquête, nous apprîmes que B... vivait encore de la vie de ce monde ! Tout ce qu’il nous avait dit d’ailleurs était exact. Notre co-sociétaire put le voir et s’entretenir avec lui. Devenu vieux et adonné de plus en plus à la paresse et à la boisson, il avait dû résigner ses fonctions. Tous les soirs, il se couchait de bonne heure et s’endormait d’un lourd sommeil. Il pouvait ainsi s’extérioriser, se transporter près de nous les jours de séances, et s’incorporer en l’un de nos médiums, à qui le rattachaient des liens d’affinité dont la cause nous resta toujours inconnue.
On se demande comment l’âme des vivants peut arriver à produire, pendant le sommeil, des phénomènes aussi surprenants que compliqués. Dans certains cas, les apparitions, les matérialisations, nécessitent une grande puissance, une connaissance approfondie de ce que nous appelons la chimie spirituelle ; et l’on s’étonnera qu’aussitôt sortie de son enveloppe charnelle, l’âme puisse en pénétrer les lois.
La force nécessaire pour produire ces phénomènes paraît être puisée dans le corps physique, auquel la forme fantômale est reliée par une sorte de cordon fluidique, quelle que soit la distance. L’existence de ce lien est constatée par les voyants et confirmée par les Esprits. Il est si subtil, qu’à chaque sensation un peu vive perçue par le corps matériel, l’âme, brusquement ramenée, reprend sa place en celui-ci. Cet acte constitue le réveil.
Il ne faut pas oublier que l’esprit commande à la matière. L’âme dispose à son gré des éléments impondérables de la nature. C’est par leur moyen qu’elle construit d’abord le corps fluidique, canevas du corps physique, puis elle édifie celui-ci à l’aide des éléments terrestres qu’elle réunit et assimile.
Pendant le sommeil normal, comme dans le sommeil magnétique, le lien qui unit les deux corps se relâche sans se briser. Les deux enveloppes se séparent. Si, en s’éloignant, le corps fluidique rassemble l’énergie nécessaire, il peut se condenser, se concréter, agir sur la matière, produire des sons, des bruits, se rendre visible.
En tout ceci, le grand moteur, c’est la volonté. Cette faculté est créatrice. Nous en avons la démonstration dans les phénomènes de la suggestion, au moyen desquels la volonté, agissante peut produire dans le corps humain des modifications profondes. Ainsi l’esprit, par la puissance mentale, peut prêter à la matière subtile les formes, les attributs, les apparences de costumes, de vêtements qui permettront de le reconnaître.
En outre, dans la plupart des cas, le manifestant est assisté par des amis invisibles. Les interventions de l’esprit John King, dans les séances d’Eusapia, et d’Abdullah, dans celles d’Eglinton, etc., en sont des preuves manifestes. Les habitants de l’espace, en général, possèdent une expérience, une connaissance plus étendue des choses de ce milieu. Leur force de volonté est grande et ils peuvent aider efficacement à la production de certains faits télépathiques, que le manifestant ne saurait réaliser sans leur secours.
Tous les phénomènes que nous venons de décrire appartiennent au domaine de l’observation. On peut y ajouter des faits d’expérience, provoqués par la volonté et permettant de constater la présence simultanée du corps matériel et du double fluidique de l’âme en deux endroits différents.
Ici, il n’y a plus aucune part à faire au hasard, ni à des coïncidences fortuites. Le but indiqué à l’avance par l’expérimentateur est poursuivi et atteint à l’aide de procédés et dans des conditions qui défient toute critique. Ces faits sont nombreux. Nous en indiquerons quelques-uns :
« M. Desmond-Fitz-Gérald, ingénieur, a pris part à une expérience décisive. L’esprit d’une jeune fille extériorisée pendant le sommeil a été envoyé chez elle et s’y est matérialisé. Sa présence a été constatée par plusieurs personnes, dont l’une fut touchée par le fantôme, ce qui lui causa une grande frayeur . C’est une expérience de dédoublement avec résultat positif.
« Mme de Morgan, épouse du professeur à qui l’on doit l’ouvrage intitulé : From matter to spirit, met une jeune fille en état d’hypnose et ordonne à son double extériorisé d’aller frapper contre la porte d’entrée. Les coups furent entendus par plusieurs personnes, qui ouvrirent aussitôt et constatèrent que la rue était déserte . »
On peut trouver, dans certains ouvrages et revues, des cas nombreux où des personnes vivantes, évoquées dans leur sommeil, viennent donner, par l’intermédiaire de médiums, des communications contenant des preuves d’identité .
Ajoutons-y des reproductions photographiques de doubles ou fantômes de vivants extériorisés. Ici le témoignage est irrécusable, aucune illusion n’est possible. On ne saurait suspecter la plaque sensible d’être sujette à des hallucinations.
Le professeur Istrati, membre du conseil des ministres de Roumanie, en concentrant sa volonté avant de s’endormir, a pu s’extérioriser, apparaître et se faire photographier en esprit par le docteur Hasdeu, sénateur roumain, à plus, de 56 kilomètres de distance. Sur la plaque, on distingue l’image fluidique du professeur regardant dans l’obturateur de l’appareil .
De cet ensemble de faits, une certitude se dégage. C’est que l’âme humaine n’est pas, comme le croient les matérialistes, une résultante de l’organisme, passagère comme lui, une fonction du cerveau, s’évanouissant à la mort ; mais un être en soi, indépendant des organes.
Son action peut s’exercer en dehors des limites du corps, transmettre à d’autres êtres ses pensées, ses sensations et même se dédoubler et apparaître dans sa forme fluidique. Indépendante des lois de l’espace et du temps, elle voit à distance et se transporte au loin ; elle lit dans le passé et peut pénétrer l’avenir.
L’existence de l’âme se révèle donc par des faits. Le corps n’est pas une condition indispensable de sa vie et, si elle est liée à lui durant son passage terrestre, ce lien n’est que temporaire. Après sa séparation de l’organisme physique, elle continue à se manifester par des phénomènes d’ordre spirite, dont l’étude fera l’objet des chapitres qui vont suivre.
L’étude de l’âme extériorisée pendant la vie nous conduit ainsi à 1’étude de ses manifestations après la mort. Les lois qui régissent ces phénomènes sont identiques. L’extériorisation n’est qu’un acheminement de l’esprit vers l’état de liberté, vers cette autre forme de l’existence où il se retrouve affranchi des entraves de la matière.
Ce ne sera pas un des moindres titres de gloire de ce spiritisme, longtemps méprisé, que d’avoir appris à l’âme humaine à s’étudier elle-même dans ses profondeurs, à entrouvrir le voile épais qui cachait le secret de sa nature et de sa grandeur.
XIII. REVES PREMONITOIRES. CLAIRVOYANCE. PRESSENTIMENTS.
Dans les pages qui précèdent, nous n’avons fait qu’effleurer la question des rêves. Ce sujet réclame d’autres explications.
Les rêves, sous leurs formes si variées, n’ont qu’une seule cause : l’émancipation de l’âme. Celle-ci se dégage du corps charnel pendant le sommeil et se transporte sur un plan plus ou moins élevé de l’univers, où elle perçoit, à l’aide de ses sens propres, les êtres et les choses de ce plan.
On peut répartir les rêves en trois catégories principales :
D’abord, le rêve ordinaire, purement cérébral, simple répercussion de nos dispositions physiques ou de nos préoccupations morales. C’est aussi le reflet des impressions et des images emmagasinées dans le cerveau pendant la veille ; en l’absence de toute direction consciente, de tout contrôle de la volonté, elles se déroulent automatiquement ou se traduisent en scènes vagues, dépourvues de sens et de liaison, mais qui restent gravées dans la mémoire.
La souffrance en général, certaines maladies en particulier, tout en facilitant le dégagement de l’esprit, accroissent encore l’incohérence et l’intensité des rêves. L’esprit, entravé dans son essor, ramené à chaque instant vers le corps, ne peut s’élever. De là, conflit entre la matière et le principe spirituel, qui s’influencent réciproquement. Les impressions et les images se heurtent et se confondent.
Au premier degré de dégagement, l’esprit flotte dans l’atmosphère sans beaucoup s’éloigner du corps ; il plonge, pour ainsi dire, dans l’océan de pensées et d’images qui, de toutes parts, roulent dans l’espace. Il s’en imprègne et y recueille des impressions confuses, songes étranges, rêves inexplicables ; il s’y mêle parfois des réminiscences d’existences antérieurs, d’autant plus vives que le dégagement est plus complet et permet aux couches profondes de la mémoire d’entrer en vibration. Ces rêves, d’une diversité infinie, suivant le degré d’émancipation de l’âme, affectent souvent le cerveau matériel, et c’est pourquoi nous en gardons le souvenir au réveil.
Enfin, viennent les rêves profonds ou rêves éthérés. L’esprit échappe à la vie physique, se dégage de la matière, parcourt la surface de la terre, et l’immensité. Il y recherche les êtres aimés, ses parents, ses amis, ses guides spirituels. Parfois, il va à la rencontre des âmes humaines, dégagées comme lui de la chair pendant le sommeil. Entre eux, un échange de pensées et de vues s’établit ; de ces entretiens, il rapporte des impressions qui affectent rarement le cerveau physique, par suite de son impuissance vibratoire. Elles laissent pourtant leur empreinte dans la conscience, sous forme d’intuitions, de pressentiments, et influent plus qu’on ne croit sur la direction de notre vie, en inspirant nos résolutions et nos actes. De là le proverbe : « La nuit porte conseil. »
Dans la Revue spirite de 1866, p. 172, Allan Kardec parle du dégagement de l’esprit d’une jeune fille de Lyon, pendant son sommeil, et sa venue à Paris, au milieu d’une réunion spirite où se trouvait sa mère.
« Le médium, à l’état de trance, se transporte à Lyon, sur la prière d’une dame présente, dans l’appartement de sa fille, qu’elle décrit avec exactitude. La jeune fille est endormie ; son esprit, sous la conduite d’un guide spirituel, se rapproche de sa mère, qu’elle voit et écoute.
« C’est pour elle, dit le guide au médium, un rêve dont elle ne conservera pas au réveil un souvenir précis, mais le pressentiment du bien qu’on peut retirer d’une croyance ferme et pure. Elle fait dire à sa mère que, si elle pouvait se souvenir aussi bien de ses incarnations précédentes, à l’état normal, qu’elle s’en souvient maintenant, elle ne demeurerait pas longtemps dans l’état stationnaire où elle se trouve. Car elle voit clairement et peut avancer sans hésitation, tandis qu’à l’état de veille nous avons un bandeau sur les yeux.
« Merci, dit-elle aux assistants, de vous être occupés de moi. » Puis elle embrasse sa mère. Le médium ajoute en terminant : « Elle est heureuse de ce rêve, dont elle ne se souviendra pas, mais qui n’en laissera pas moins en elle une impression salutaire. »
Quelquefois l’âme, lorsqu’elle est suffisamment épurée, guidée par les Esprits angéliques, parvient dans son élan jusqu’aux sphères divines, jusqu’au monde où les causes se génèrent. De là, elle plane sur les temps et voit se dérouler le passé, l’avenir. Si elle rapporte dans l’enveloppe humaine un reflet des sensations recueillies, celles-ci pourront constituer ce qu’on appelle le rêve prophétique.
Dans les cas importants, lorsque le cerveau vibre trop faiblement pour enregistrer les impressions puissantes ou subtiles perçues par l’esprit, et que celui-ci veut garder au réveil le souvenir des instructions reçues, il crée, par la volonté, des tableaux, des scènes figuratives, des images fluidiques, adaptées aux capacités vibratoires du cerveau matériel, et, par une action suggestive, les projette avec force sur cet organe. Au besoin, s’il est inhabile, il se fera aider par des Esprits plus avancés, et le rêve revêtira dès lors une forme allégorique.
Parmi les rêves de ce genre, il en est de célèbres, par exemple, le songe de Pharaon, interprété par Joseph .
Beaucoup de personnes ont des rêves allégoriques. Ils ne traduisent pas toujours les impressions recueillies directement par l’esprit du dormeur, mais le plus souvent des révélations provenant des âmes préposées à notre garde.
Étant gravement malade et à peu près condamné, j’ai obtenu moi-même, sous un sens figuré, l’annonce de ma guérison. Dans mon rêve, je parcourais péniblement un chemin couvert de décombres ; à mesure que j’avançais, les obstacles s’accumulaient sous mes pas. Soudain un ruisseau, large et profond, se présente à ma vue, je dois interrompre ma marche. Anxieux, je m’assieds sur le bord ; mais, de l’autre rive, une main invisible dirige vers moi une planche dont l’extrémité s’abat à mes pieds. Je n’ai qu’à l’assujettir et, par ce moyen, je puis franchir le cours d’eau. Au delà, le chemin est libre d’obstacles et j’avance d’un pas plus ferme au milieu d’une riante campagne.
Voici le sens de ce rêve. Ayant appris quelque temps après, par une femme plongée dans le sommeil magnétique, la cause de mon mal, cause assez vulgaire, qu’aucun médecin n’avait pu discerner, ainsi que les remèdes applicables, je recouvrai peu a peu la santé et pus reprendre le cours de mes travaux.
On constate fréquemment, dans les rêves, des phénomènes de prémonition, c’est-à-dire la faculté pour certains sensitifs de percevoir dans le sommeil les choses futures. Les exemples historiques abondent :
Plutarque (Vie de J. César) fait mention du rêve prémonitoire de Calpurnia, femme de César. Elle vit, la nuit, le complot de Brutus et Cassius, le meurtre de César, et fit tout son possible pour empêcher celui-ci d’aller au Sénat.
On peut voir aussi dans Cicéron (De Divinatione, I, 27) le songe de Simonide ; dans Valère Maxime (VII, § I, 8) le rêve prémonitoire d’Atérius Rufus et (VII, § II, 4) celui du roi Crésus, lui annonçant la mort de son fils Athys.
Dans ses Commentaires, Montluc rapporte qu’un rêve lui apprit, la veille de l’événement, la mort du roi Henri II, percé d’un coup de lance par Montgommery, dans un tournoi.
Sully, dans ses Mémoires (VII, 383), affirme qu’Henri IV avait le pressentiment qu’il serait assassiné dans un carrosse.
Des faits plus récents, constatés en grand nombre, peuvent être cités à l’appui :
Abraham Lincoln rêva qu’il se trouvait dans un calme de mort, seulement troublé par des sanglots ; il se leva, visita plusieurs salles et vit enfin, au milieu d’une pièce, un catafalque supportant un corps enveloppé de noir, gardé par des soldats et entouré d’une foule en larmes : « Qui donc est mort à la Maison Blanche ? » demanda Lincoln. - « Le président », répondit un soldat; « il a été assassiné ! » A ce moment, une longue acclamation de la foule le réveilla. - Peu de temps après il mourut assassiné .
Dans son livre l’Inconnu et les Problèmes psychiques, C. Flammarion mentionne : 76 rêves prémonitoires, dont deux de sa mère (p. 505). La plupart portent en eux le caractère de l’authenticité la plus absolue.
Un des plus remarquables est le cas de M. Bérard, ancien magistrat et député (p. 512) :
Contraint par la fatigue, au cours d’une excursion, de coucher dans une misérable auberge au milieu de montagnes boisées, il vit, en rêve, tous les détails d’un assassinat qui devait être commis, trois années plus tard, dans la chambre qu’il occupait, et dont la victime fut M. Victor Arnaud, avocat. C’est grâce au souvenir de ce rêve que M. Bérard fit découvrir les assassins.
Ce fait est également rapporté par M. Goron, ancien chef de la sûreté, dans ses Mémoires (t. II, p. 338).
On peut citer aussi :
Le rêve de la femme d’un mineur qui voit couper la corde de la benne servant à descendre les ouvriers dans les puits d’extraction. Le fait fut vérifié dès le lendemain, et plusieurs mineurs durent la vie à ce songe (p. 509).
Une jeune fille de la Charité (Nièvre) vit en rêve le jeune homme, inconnu d’elle alors, qu’elle devait épouser par la suite. Grâce à ce rêve, elle devint Mme Émile de la Bédollière (p. 509).
Des conscrits voient en rêve les numéros qu’ils tireront le lendemain ou quelques jours après (p. 533).
Plusieurs personnes voient en songe des villes, des sites, des paysages qu’elles visiteront réellement plus tard (pp. 505 à 547).
M. Henri Horet, professeur de musique à Strasbourg, vit une nuit, en rêve, cinq cercueils sortir de sa maison. Peu après, une fuite de gaz se produisait dans cette demeure, et cinq personnes furent asphyxiées (p. 416).
Aux rêves éthérés, on peut rattacher le phénomène de l’extase ou ravissement. Considérée par certains savants, peu compétents en matière de psychisme, comme un état morbide, l’extase est à vrai dire un des plus beaux privilèges de l’âme aimante et croyante, qui, dans l’exaltation de sa foi, rassemble toutes ses énergies, se dégage momentanément des entraves charnelles et s’élance dans les régions où le Beau se déploie en manifestations infinies.
Dans l’extase, le corps devient insensible ; l’âme, libérée de sa prison, a concentré toute sa puissance de vie, toute sa faculté de vision sur un seul point. Elle n’est plus de ce monde, mais participe déjà à la vie céleste.
Le bonheur des extatiques, la joie qu’ils goûtent, en contemplant les magnificences de l’Au-delà, suffiraient seuls à nous démontrer l’étendue des jouissances, que nous réservent les sphères spirituelles, si nos lourdes conceptions ne nous empêchaient trop souvent de les comprendre et de les pressentir.
La clairvoyance ou divination est cette faculté de l’âme de percevoir, à l’état de veille, les événements passés et à venir, aussi bien dans le domaine physique que dans le monde intellectuel. Ce don s’exerce à travers le temps et la distance, indépendamment de toutes causes humaines d’information.
La divination a été pratiquée dans tous les temps. Son rôle, dans l’antiquité, était considérable, et quelle que soit la part qu’on doive faire à l’hallucination, à l’erreur, à la supercherie, il n’est plus possible, après les constatations récentes de la psychologie transcendantale, de rejeter en masse les faits de cet ordre, attribués aux prophètes, aux oracles et aux sibylles.
Ces manifestations étranges reparaissent au moyen âge :
Jean Huss annonce, sur son bûcher, la venue de Luther.
Jeanne d’Arc, dès Domremy, avait prédit la délivrance d’Orléans et le sacre de Charles VII. Elle annonce qu’elle sera blessée devant Orléans,
Une lettre écrite par le chargé d’affaires de Brabant, le 22 avril 1429, quinze jours avant l’événement, et conservée aux archives de Bruxelles, contient ce passage : « Elle a prédit qu’elle sera blessée d’un trait pendant l’assaut, mais qu’elle ne mourra pas ; que le roi sera sacré à Reims l’été prochain . » Elle prophétise sa captivité et sa mort.
Sur les fossés de Melun, ses « voix » l’avaient avertie qu’elle serait livrée aux Anglais avant la Saint-Jean . Durant le procès, elle annonce, avant sept ans, l’expulsion complète des Anglais. Puis, dans toute cette vie merveilleuse, ce sont des prophéties d’un ordre plus secondaire : à Chinon, la mort d’un soldat qui la raillait et qui, le soir même, se noya dans la Vienne ; à Orléans, la mort du capitaine Glasdale ; la délivrance de Compiègne avant la Saint-Martin d’hiver, etc.
Les cas de clairvoyance sont nombreux à notre époque. Nous en citerons quelques-uns.
Les Annales des Sciences psychiques (1896, p. 205) rapportent que lady A.... ayant été victime d’un vol à Paris, put découvrir, par une voyante, l’auteur du délit, qu’elle était loin de soupçonner, avec tous les détails, très compliqués, de ce vol. Le coupable n’était autre que Marchandon, un de ses domestiques, qui, par ses bonnes manières, avait acquis l’entière confiance de sa maîtresse et devint plus tard l’assassin de Mme Cornet.
Le pressentiment est l’intuition, généralement vague et confuse, mais parfois aussi très claire, de ce qui doit arriver.
J. de Maistre a fait remarquer que « l’homme est informé naturellement de toutes les vérités utiles ».
Des soldats, des officiers ont, le matin d’une bataille, le sentiment net de leur mort prochaine. Une enquête a établi qu’une religieuse de Saint-Vincent-de-Paul, la veille de l’incendie du Bazar de la Charité, avait annoncé, qu’elle y serait brûlée.
Cette faculté se rencontre fréquemment en certains pays, par exemple, dans les hautes terres d’Écosse, en Bretagne, en Allemagne, en Italie. Mais, un peu partout autour de nous, nous pouvons recueillir des faits de pressentiment, appuyés sur des témoignages non équivoques. Ils sont si nombreux que nous croyons superflu d’insister. Citons seulement les trois cas suivants :
Le colonel Collet, dans le Bulletin de la Société des Études psychiques de Nancy (fév. 1902, p. 6), rapporte que son beau-père, M. Vigneron, chasseur et pêcheur émérite, sortait presque chaque jour pour se livrer à ses plaisirs favoris, sans que sa femme en conçût aucune inquiétude. Un jour, cependant, elle voulut l’empêcher d’aller à la pêche, ayant le pressentiment qu’il se noierait. Mais le mari n’en tint pas compte, et le soir, en rentrant, il la plaisanta sur la puérilité de ses craintes.
Le lendemain, il avouait en secret à son gendre que sa barque ayant chaviré, il n’avait pu sortir de l’eau et de la vase où il s’enfonçait que grâce à une branche de saule saisie à temps. Il avait fait sécher ses vêtements et les avait nettoyés avant de rentrer.
Le docteur Max Simon, dans le Monde des Rêves, rappelle un fait de même nature :
« Un jeune docteur allemand, venant de rendre visite à ses parents, rencontra deux officiers et convint avec eux de prendre la poste. Au moment de monter en voiture, il fut arrêté par une influence inconnue. Malgré les instances des officiers, il ne put se décider à partir. A peine étaient-ils en route, que l’influence se dissipa. Le jeune docteur saisit donc la première occasion pour continuer son voyage. En arrivant sur les bords de l’Elbe, il aperçut un rassemblement. Les deux officiers avaient été noyés dans le fleuve, où la voiture était tombée. »
Enfin, on peut lire dans les Annales des Sciences psychiques, d’août 1905, le récit d’un cas publié par le Messaggero, de Rome :
« Un certain Marino Tonelli, âgé de 27 ans, habitant Rancidello (République de Saint-Marin), rentrait chez lui dans sa voiture, le soir du 13 juin. Il s’était assoupi et se trouvait à un endroit dangereux de la route connu sous le nom de Coste di Borgo, lorsque tout à coup une forte secousse le réveilla. Il se trouva étendu dans un champ, au fond d’un petit ravin où il venait de rouler avec son cheval et sa voiture. M. Tonelli non blessé avait commencé, avec l’aide de plusieurs personnes accourues, à procéder au sauvetage de l’équipage lorsqu’il vit, à son grand étonnement, apparaître sa mère. Cette pauvre femme, pleurant d’émotion, l’embrasse et lui demande s’il ne s’est fait aucun mal. Elle ajoute : - Je t’ai vu, sais-tu ? Je ne parvenais pas à m’endormir ; ta femme et les deux petites dormaient depuis longtemps déjà, mais moi j’éprouvais une agitation, un malaise extraordinaire, nouveau, que je ne parvenais pas à m’expliquer. Tout à coup, je vis apparaître devant moi ce chemin, exactement cet endroit, avec le ravin à côté ; je vis la voiture se renverser et toi précipité dans ce champ ; tu m’appelais à ton secours. Enfin, j’éprouvais le besoin irrésistible de venir ici, et sans réveiller personne, me raidissant contre la peur de la solitude, de l’obscurité et du temps orageux, me voici, après avoir fait 4 kilomètres.
Le correspondant du Messaggero termine en disant : « Tel est le fait, tel est le récit exact que j’ai recueilli des lèvres, encore tremblantes par l’émotion, de ces braves gens. »
« D’après une enquête faite par M. Francisci, l’inquiétude de la mère précéda de quelques heures la vision de l’accident, et celui-ci eut lieu trois quarts d’heure après la vision, c’est-à-dire le temps nécessaire pour parcourir à pied la distance qui sépare la maison des Tonelli du lieu de l’accident. »
La prémonition et les pressentiments sont difficiles à analyser au point de vue scientifique. Ils ne sont explicables qu’en certains cas, lorsque l’événement pressenti a des précédents, subjectifs ou objectifs. Mais, dans la plupart des cas, rien, dans les faits annoncés, ne se prête à l’idée de succession ou d’enchaînement.
D’où vient le pouvoir de certaines âmes de lire dans l’avenir ? Question obscure et profonde, qui donne le vertige comme l’abîme et qu’on ne pose pas sans trouble, car, instinctivement, nous la sentons presque insoluble pour notre faible science.
Comme chaque monde roulant dans l’espace commun, à travers la nuit, avec la grande famille des astres par les lois du magnétisme universel, de même l’âme humaine, étincelle émanée du foyer divin, peut communier avec la grande Ame éternelle et en recevoir des instructions, des inspirations, des illuminations soudaines.
De cette explication, les sceptiques peuvent sourire. Mais n’est-ce pas de notre élévation vers Dieu que découlent les forces vives, les secours spirituels, tout ce qui nous fait plus grands et meilleurs ? Chacun de nous a, dans les profondeurs de son être, comme une issue ouverte sur l’infini. Dans l’état de dégagement psychique : rêve, extase, trance, le cercle de nos perceptions peut s’élargir dans des proportions incalculables ; nous entrons en rapport avec l’immense hiérarchie des âmes et dos puissances célestes. De degré en degré, l’esprit peut remonter jusqu’à la cause des causes, jusqu’à l’intelligence divine, pour qui le passé, le présent, le futur se confondent en un tout et qui, de l’ensemble des faits connus, sait déduire toutes les conséquences.
XIV. VISION ET AUDITION PSYCHIQUE A L’ETAT DE VEILLE.
La vision et l’audition psychique, à l’état de veille, se rattachent aux phénomènes d’extériorisation, en ce sens qu’elles nécessitent un commencement de dégagement chez le percipient. Ici, il ne s’agit plus de faits physiologiques ou de manifestations à distance de l’être vivant, mais bien d’une des formes de la médiumnité.
Dans la vision spirite, l’âme du sensitif est déjà partiellement extériorisée, c’est-à-dire sortie de son organisme matériel. Sa faculté propre de vision vient s’ajouter au sens physique de la vue. Parfois, la substitution du sens psychique à l’autre est complète. Ce qui le démontre, c’est qu’en certains cas le médium voit les yeux fermés. J’ai été souvent témoin de ce phénomène.
On doit distinguer avec soin la clairvoyance de la vision médianimique. Il arrive que des somnambules, très lucides en ce qui concerne les êtres et les choses de ce monde, sont frappés de cécité pour tout ce qui touche au monde des Esprits. Ceci tient à la nature des radiations fluidiques de leur enveloppe extériorisée et au mode d’entraînement que le magnétiseur leur fait subir. C’est là ce qui différencie l’état de lucidité simple de celui de médiumnité. Dans ce dernier cas, ce n’est plus le magnétisme humain qui intervient. Le voyant est sous l’influence de l’Esprit qui agit sur lui en vue de la manifestation à produire. En provoquant l’état de demi-dégagement, il procure au sujet la vision spirituelle.
Le sens psychique, nous l’avons vu, est bien plus subtil que le sens physique ; il peut percevoir des radiations, des formes, des combinaisons de la matière que la vue normale ne saurait atteindre. Pour rendre son apparition plus distincte, l’Esprit a souvent recours à un commencement de matérialisation. Il s’objective au moyen des forces empruntées aux assistants. Dans ces conditions, sa forme fluidique entre dans le champ visuel du médium et peut même, dans certains cas, impressionner la plaque photographique.
Les voyants décrivent les Esprits avec des détails qui sont autant d’éléments de contrôle. Puis, la photographie vient confirmer, à la fois, l’exactitude de la description et l’identité des Esprits qui se manifestent. Ceux-ci sont souvent inconnus des médiums.
Dans le groupe d’études psychiques de Tours , de 1897 à 1900, nous possédions trois médiums voyants, auditifs et à incorporation. Avant de s’endormir, l’obscurité étant faite, ils apercevaient, près de chacun des assistants, des esprits de parents ou d’amis qu’ils nommaient, lorsqu’ils les connaissaient, ou bien qu’ils décrivaient minutieusement, lorsqu’ils les voyaient pour la première fois. Dans ce cas, la description était telle que, d’après l’attitude ou le costume, les membres du groupe reconnaissaient facilement la personnalité du manifestant. En outre, les médiums entendaient et transmettaient le langage des Esprits et les désirs qu’ils exprimaient. L’impression produite, sur les voyants variait d’une manière très sensible, selon le développement des facultés médianimiques ou l’élévation des Esprits. Où les uns ne distinguaient qu’un point brillant, une flamme, un autre voyait une forme radieuse. De même pour l’audition. Elle variait de précision et d’intensité suivant les sensitifs. Où l’un ne percevait qu’un son vague, une simple vibration, l’autre, entendait une harmonie douce et pénétrante qui le touchait jusqu’aux larmes.
L’état d’avancement de l’Esprit, nous le savons, se constate, à première vue, dans l’espace, par l’éclat ou l’obscurité de son enveloppe. Déjà, dans nos expériences, les voyants reconnaissaient le degré d’élévation des âmes à la puissance de leur rayonnement. Plusieurs fois nous avons fait cette remarque : le médium, à l’état de veille, les yeux ouverts, apercevait un certain nombre d’Esprits de tous ordres. Les yeux fermés, il n’en distinguait plus que quelques-uns, les plus avancés, ceux dont les radiations subtiles, - à l’exemple des rayons X pour les plaques photographiques - pouvaient, à travers les paupières closes, influencer le sens visuel .
L’histoire est pleine de phénomènes de vision et d’apparition. En Judée, l’ombre de Samuel exhorte Saül. Dans le monde latin, des fantômes se montrent à Numa, à Brutus, à Pompée. Les annales du christianisme sont riches en faits de ce genre .
Au moyen âge, les cas de vision et d’audition les plus remarquables sont ceux de Jeanne d’Arc. C’est toujours à cette incomparable vierge, le plus admirable des médiums que l’Occident ait produits, qu’il faut recourir, lorsqu’on veut citer des preuves éclatantes de l’intervention du monde invisible dans notre histoire.
Toute la vie de l’héroïne est remplie d’apparitions et de voix, toujours identiques à elles-mêmes et qui ne se démentent jamais. Dans les vallons de Domremy, sur les champs de bataille, devant ses examinateurs de Poitiers et ses juges de Rouen, partout, les Esprits l’assistent, l’inspirent. Leurs voix résonnent à ses oreilles, fixant sa tâche quotidienne, donnant à sa vie une direction précise et un but glorieux. Elles annoncent des événements qui, tous s’accomplissent. Dans sa captivité douloureuse, ces voix la consolent et l’encouragent : « Prends tout en gré, n’aie pas souci de ton martyre ; tu viendras finalement au royaume du paradis . » Et les juges, à qui elle confie ses entretiens, semblent inquiets de cette prédiction, dont ils comprennent le sens.
A toutes les questions perfides, insidieuses, qu’on lui pose, les voix dictent la réponse, et si celle-ci se fait attendre, elle le déclare : « J’en référerai à mon conseil. »
Lorsque les voix se taisent, abandonnée à elle-même, elle n’est plus qu’une femme ; elle faiblit, se rétracte, se soumet. Mais, pendant la nuit, la voix se fait entendre de nouveau. Et elle le répète à ses juges : « La voix m’a dit que c’était péché d’abjurer ; ce que j’ai fait est bien fait. »
Pour certains sensitifs, la vision ne se produit qu’au moyen d’objets sur lesquels la pensée des Esprits se concentre sous forme d’images ou de tableaux, par exemple, un verre d’eau, un miroir, une glace. Quand l’Esprit est impuissant à faire vibrer le cerveau du médium ou à provoquer une extériorisation suffisante, il imprègne de fluide les objets que nous venons de désigner ; il y fait apparaître, par la volonté, des images, des scènes très nettes, que le sujet décrira dans les moindres détails et que d’autres assistants pourront, voir comme lui .
Voici un cas des plus remarquables, signalé par le Light du 16 février 1901. L’esprit d’un homme assassiné fait retrouver son corps au moyen de la vision dans le cristal, d’abord, puis directe, au moyen des sens psychiques du médium :
M. Percy-Foxwell, agent de change, habitant Thames Ditton, près de Londres, quitta sa demeure le 20 décembre 1900 au matin, pour se rendre à son bureau dans la Cité. Il n’y reparut jamais vivant. Sa disparition constatée, la police procéda à de longues et minutieuses recherches ; elles restèrent vaines.
Désespérée, Mme Foxwell eut recours à un médium, M. Von Bourg, qui obtint, dans un miroir, la vision de l’agent de change vivant, puis celle de son corps plongé dans l’eau.
Dans une autre séance, le médium voit un Esprit debout près de Mme Foxwell ; il désigne avec insistance une montre, une chaîne et des breloques qu’il tient dans sa main. Sur ce bijou un nom est gravé. Mme Foxwell, à la description, reconnaît son mari et la montre à l’aide de laquelle le corps, plus tard, put être identifié. L’Esprit demande qu’on recherche sa dépouille et promet de conduire le médium au lieu où elle a été jetée à l’eau.
On se réunit de nouveau et l’Esprit, par la main de M. Von Bourg, dessine le tracé du chemin qu’il faudra parcourir. Accompagné de plusieurs amis du défunt, le médium s’engage sur ce chemin et en parcourt les sinuosités. Il ressent très vivement le contre-coup des impressions éprouvées par la victime. Au point même où celle-ci fut frappée, il est près de s’évanouir. Il fallut suivre plusieurs sentiers, contourner des habitations, franchir des barrières, comme l’avaient fait les assassins. Chaque fois qu’on hésitait sur la direction à prendre, les médiums, MM. Von Bourg et Knowles, « voyaient, clairement l’Esprit devant eux leur indiquant la route ». Enfin, on parvint au bord d’un ruisseau, aux eaux tranquilles et profondes : « C’est ici ! » déclarèrent les médiums. Mais la nuit était venue et il fallut retourner au point de départ.
Le lendemain, on procéda à des recherches. Des hommes, munis de perches, sondèrent le fond du ruisseau. Et peu après, au-dessous du point où s’opéraient les sondages, à l’endroit même où le ruisseau se joint à la Tamise, on vit un cadavre flotter sur les eaux. Une montre, trouvée sur la triste épave, permit de la reconnaître pour le corps de M. Foxwell. Un séjour de six semaines sous l’eau avait décomposé les chairs. Le corps était revêtu des effets décrits par le médium. On en put constater l’identité, non seulement à l’aide de la montre et des breloques, mais aussi par certaines particularités relevées sur les dents, etc.
Le professeur Bessi rend compte, dans la Revue des Études psychiques (mai 1901), d’un autre phénomène de vision spontanée dont il fut témoin dans une maison hantée de l’Ombrie. Le cas est d’autant plus remarquable que le professeur était, il le reconnaît lui-même, absolument réfractaire à toute idée spirite :
« Il travaillait seul, à une heure avancée de la nuit, écrivant les dernières pages d’une brochure qu’il allait faire paraître, lorsque sa lampe s’éteignit tout à coup. La chambre, cependant, restait éclairée d’une faible lueur grisâtre. En face de lui, une glace réfléchissait une lumière encore plus vive et avec elle une chambre et des meubles qui lui étaient inconnus. Une vieille dame, assise devant une table, écrivait lentement, d’un air très absorbé, puis elle enferma la feuille écrite dans une enveloppe, qu’elle plaça dans le tiroir. Enfin elle posa la tête sur le dossier du fauteuil et sembla s’endormir. La lumière s’évanouit et la vision disparut.
« Quelques heures après, le professeur apprenait le décès d’une tante de sa femme, qu’on avait trouvée morte dans un fauteuil, et dans le tiroir de sa table était découvert un testament olographe.
« Des réponses faites par M. Bessi à mes questions », dit M. César de Vesme, directeur de la Revue des Études psychiques, « il résulte que la vision s’est produite vers minuit, et que la vieille dame a été trouvée morte dans les premières heures de la matinée. » L’agent aurait donc été la défunte elle-même, soutenue par quelque assistance occulte, et comme M. Bessi seul veillait dans la maison, à l’heure de la manifestation, c’est lui qui en a bénéficié. »
L’organe de l’ouïe, dans des conditions identiques au phénomène de la vision, peut être également influencé par les Esprits. Myers rapporte le fait suivant :
« Lady Caidly, au moment de prendre un bain, étant enfermée et déshabillée, entendit une voix étrangère et très distincte qui disait : « Otez le verrou ! » Elle fut saisie et regarda en vain de tous côtés. Quand elle fut dans le bain, elle entendit encore la voix répéter trois fois de suite, avec une insistance croissante : « Otez le verrou ! » Alors, elle sortit de sa baignoire et tira le verrou. Mais, comme elle se remettait dans le bain, elle perdit connaissance et tomba la tête sous l’eau. Heureusement, dans sa chute, elle put saisir un cordon de sonnette. La femme de chambre accourut. Si la porte avait été verrouillée, elle se serait infailliblement noyée. »
M. François Coppée, le poète académicien, a entendu plusieurs fois une voix mystérieuse. C’est ce que nous apprend M. Jules Bois dans son enquête sur l’Au-delà et les forces inconnues, publiée par le journal le Matin (7 octobre 1901).
« C’est toujours quand je suis au lit », écrit le poète, « et peu de temps après que j’ai éteint la lumière, que se produit le phénomène. J’entends alors distinctement une voix qui m’appelle par mon nom de famille : Coppée !
« Assurément, je ne dors pas dans ce moment-là ; et la preuve, c’est que, malgré la grosse émotion et le battement de cœur que j’éprouve alors, j’ai toujours immédiatement répondu : « Qui est là ? Qui me parle ? » Mais jamais la voix n’a rien ajouté à son simple appel.
« Cette voix, je ne la connais pas. Elle ne me rappelle ni la voix de mon père, ni la voix de ma mère, ni celle d’une autre personne à qui je fus particulièrement cher ou que j’ai beaucoup aimée et qui n’est plus. Mais elle est, je le répète, claire et distincte, et, - ce qui est tout à fait remarquable et, je vous l’assure, effrayant- elle semble toujours par l’accent qu’elle donne à ce mot - mon nom, tout court - elle semble, dis-je, répondre au sentiment dont je suis animé.
« Je n’ai entendu cette voix que très rarement et dans des circonstances assez graves de ma vie morale, lorsque j’avais du chagrin ou que j’étais mécontent de moi. Et toujours la voix a pris le ton de la plainte ou du reproche, a paru compatir à ma peine ou blâmer mon mauvais sentiment. Et j’ai là une certitude de plus que je n’entends pas cette voix en songe ; car jamais elle ne m’a parlé que précisément quand j’étais tenu éveillé par mes préoccupations. »
Chez certains médiums, le sens psychique peut saisir les vibrations les plus subtiles de la pensée des Esprits et même percevoir les harmonies pénétrantes des espaces et des mondes, les concerts des Esprits célestes. Parfois, la faculté d’audition s’étend à toutes les personnes présentes.
Dans son Histoire du spiritualisme en Amérique, Mme Hardinge Britten nous apprend que Mme Tamlin fut, dans ce pays, le premier médium par qui on entendit des airs joués sur des instruments invisibles, avec la plus grande perfection. Les sons variaient depuis les plus puissants jusqu’aux plus doux. A certains moments, on eût dit les accords d’une harpe éolienne. Il semblait que les sons allaient se changer en une voix humaine d’une exquise douceur.
Depuis lors, ces faits se sont renouvelés en des milieux très divers.
Pendant les séances célèbres données par Jesse Shepard dans toutes les grandes capitales et devant plusieurs cours souveraines, de même que dans celles du docteur Sant Angelo, à Rome, on entendait des chœurs célestes, et les accords de nombreux instruments invisibles. Des soli permettaient de reconnaître les voix de chanteurs ou cantatrices défunts .
Presque tous les grands compositeurs sont des sensitifs, des médiums auditifs ou inspirés. Leurs propres témoignages en font foi.
On trouve dans Goethe (Lettres à un enfant) les détails suivants sur Beethoven :
« Beethoven, parlant de la source d’où lui venait la conception de ses chefs-d’œuvre, disait à Bettina : « Je me sens forcé de laisser déborder de tous côtés les flots d’harmonie provenant du foyer de l’inspiration. J’essaie de les suivre, je les reprends passionnément; de nouveau, ils m’échappent et disparaissent parmi la foule de distractions qui m’entourent. Bientôt je ressaisis l’inspiration avec ardeur ; ravi, j’en multiplie toutes les modulations, et, au dernier moment, je triomphe de la première pensée musicale ; voyez à présent, c’est une symphonie...
« Je dois vivre seul avec moi-même. Je sais bien que Dieu et les anges sont plus près de moi, dans mon art, que les autres. Je communie avec eux et sans crainte. La musique est la seule entrée spirituelle dans les sphères supérieures de l’intelligence. »
Après avoir composé ses mélodies les plus suaves, il s’écriait : « J’ai eu une extase ! »
Mozart, de son, côté, dans une de ses lettres à un ami intime, nous initie aux mystères de l’inspiration musicale :
« Vous dites que vous voudriez savoir quelle est ma manière de composer et quelle méthode je suis. Je ne puis vraiment pas vous en dire plus que ce qui suit, car moi-même je n’en sais rien et ne puis me l’expliquer.
« Quand je suis dans de bonnes dispositions et tout à fait seul pendant ma promenade, les pensées musicales me viennent en abondance. Je ne sais pas d’où viennent ces pensées, ni comment elles m’arrivent ; ma volonté n’y est pour rien... »
Au déclin de sa vie, lorsque l’ombre de la mort s’étendait déjà sur lui, dans un moment de calme, de sérénité parfaite, il appela un de ses amis qui se trouvait dans sa chambre: « Écoutez », lui dit-il, « J’entends de la musique. » Son ami lui répondit : « Je n’entends rien. » Mais Mozart, ravi, continue à percevoir les harmonies célestes. Et son pâle visage s’illumine. Puis il cite le témoignage de saint Jean : « et j’entendis de la musique au ciel ».
C’est alors qu’il composa son Requiem. Lorsqu’il l’eut terminé, il appela sa fille Émélie et lui dit : « Viens, mon Émélie, ma tâche est terminée, mon Requiem est fini ! » Sa fille en chanta quelques strophes, puis, lorsqu’elle eut fini, s’arrêtant sur les notes mélancoliques et profondes du morceau, elle se tourna doucement pour chercher le sourire approbateur de son père, mais elle ne rencontra que le sourire calme et reposé de la mort. Mozart n’était plus de ce monde .
Massenet, au sujet de son poème symphonique Visions, interprété à Leeds en 1898, écrivait ces lignes, reproduites par Light, de Londres, 1898 :
« Il y a quelque chose de plus ou moins expérimental dans cette composition, et je désire que les premiers qui l’écouteront ne s’en fassent pas une idée fausse. Je vais vous dire l’histoire de sa genèse. Il y a fort peu de temps, je voyageais au Simplon. Étant arrivé à un petit hôtel au milieu des montagnes, je pris la résolution d’y passer quelques jours dans une tranquillité absolue.
« Je m’installai donc pour y prendre un peu de repos, mais le premier matin, pendant que j’étais assis seul, dans ce silence merveilleux des montagnes, j’entendis une voix. Que chantait-elle ? Je n’en sais rien. Toujours est-il que cette voix spirituelle, étrange, résonnait dans mes oreilles, et je fus absorbé par un rêve, né de la voix et de la solitude des montagnes. »
De même que Mozart, Massenet recevait donc ses inspirations du dehors, indépendamment de sa volonté.
On peut dire que l’intervention d’en haut, la communion du ciel et de la terre, s’affirme de mille manières dans les conceptions de la pensée et du génie pour le triomphe du beau à la réalisation, de l’idéal divin.
C’est là une vérité de tous les temps. Jusqu’ici elle a été peu comprise. Mais la lumière se fait et bientôt l’humanité avancera avec plus de confiance dans cette voie féconde. La communion entre les mortels et les Esprits inspirateurs deviendra plus effective, plus consciente, et l’œuvre humaine y gagnera en force et en grandeur.
XV. LA FORCE PSYCHIQUE ; LES FLUIDES ; LE MAGNETISME.
L’étude des phénomènes spirites nous a fait connaître des états de la matière et des conditions de la vie que la science avait longtemps ignorés. Nous avons appris qu’au delà de l’état gazeux et même de l’état radiant découvert par W. Crookes, la matière, devenue invisible, impondérable, se retrouve sous des formes de plus en plus subtiles que nous désignons sous le nom de fluides. A mesure qu’elle se raréfie, elle acquiert des propriétés nouvelles, une puissance de radiation croissante ; elle devient une des formes de l’énergie. C’est sous cet aspect qu’elle se révèle dans la plupart des expériences dont nous parlerons dans les chapitres suivants.
Quand un Esprit se manifeste dans un milieu humain, il ne peut le faire qu’à l’aide d’une force empruntée aux médiums et aux assistants.
Cette force est générée par le corps fluidique. Elle a été désignée tour à tour sous les noms de force odique, magnétique, neurique, éthérique ; nous l’appellerons force psychique, parce qu’elle obéit à la volonté. Celle-ci en est le moteur ; les membres en sont les agents conducteurs ; elle se dégage plus particulièrement des doigts et du cerveau.
Il existe en chacun de nous un foyer invisible, dont les radiations varient d’amplitude et d’intensité suivant nos dispositions mentales. La volonté peut leur communiquer des propriétés spéciales : c’est là le secret de la puissance curative des magnétiseurs.
C’est à ceux-ci, en effet, que cette force s’est révélée tout d’abord, dans ses applications thérapeutiques. Elle a été étudiée dans sa nature par Reichembach, qui lui donna le nom d’od. W. Crookes en a, le premier, mesuré l’intensité .
Les médiums à effets physiques extériorisent cette force en grande abondance ; mais nous la possédons tous à des degrés divers. C’est au moyen de cette force que se produisent les soulèvements de tables, le transport des objets sans contact, le phénomène des apports, l’écriture directe sur ardoises, etc. Son action est constante dans toutes les manifestations spirites.
Les effluves du corps humain sont lumineux, colorés de teintes diverses, disent les sensitifs, dont ils impressionnent la vue dans l’obscurité. Certains médiums les voient, même en pleine lumière, s’échapper des mains des magnétiseurs. Ils ont été analysés au moyen du spectroscope, et les longueurs d’onde ont été déterminées suivant chaque couleur.
Ces effluves forment autour de nous des couches concentriques, qui constituent une sorte d’atmosphère fluidique. C’est l’aura des occultistes ou photosphère humaine. Par là s’explique le phénomène d’extériorisation de la sensibilité, établi par les nombreuses expériences du colonel de Rochas, du docteur Luys, du docteur Paul Joire, etc .
Le docteur Baraduc a construit un appareil, nommé biomètre, à l’aide duquel il est parvenu à mesurer la force psychique.
Cet appareil se compose d’une aiguille de cuivre, suspendue à un fil de soie au-dessus d’un cadran chiffré ; le tout est disposé sous un globe de verre, à l’abri de l’air et des influences extérieures. Dans ces conditions, l’aiguille peut être influencée sans contact, à travers la paroi de verre, par les radiations échappées de la main de l’expérimentateur placé à distance. On obtient, par ce procédé, des déviations de l’aiguille qui varient de 40 à 75 degrés, dans les deux sens, l’aiguille étant attirée ou repoussée suivant l’état de santé ou les dispositions mentales des personnes. En général, la main droite attire et la gauche repousse.
La force invisible peut influencer l’aiguille à travers un bloc de glace de 10 centimètres d’épaisseur, à travers une cuirasse de mica, d’alun, de collodion isolateur, etc.
Le docteur Baraduc s’est livré, dans l’espace de dix années, à plus de deux mille expériences, qui lui ont permis d’établir avec la plus rigoureuse exactitude l’existence de cette force et la mesure dans laquelle elle est émise, ou attirée, suivant la richesse ou l’indigence de notre nature .
Sous le nom de sténomètre, le docteur Joire a inventé un appareil qui donne des résultats analogues.
Les expériences de W. Crookes sont plus démonstratives encore. Opérant dans son propre laboratoire avec le médium Home, l’éminent savant s’est servi d’une machine à peser, d’une grande précision. La main du médium a pu influencer l’appareil, sans contact, au point d’obtenir des déviations de l’un des plateaux et des accroissements de poids de 8 livres. Les expériences ont été répétées nombre de fois, sous le plus rigoureux contrôle, en présence de différents témoins, à l’aide d’appareils construits avec le plus grand soin et d’une extrême sensibilité. Toutes les précautions ont été prises pour exclure la possibilité d’une fraude .
Les radiations de la force psychique peuvent être photographiées. Si, dans l’obscurité complète, on place la main au-dessus d’une plaque sensible immergée dans le bain révélateur, après quelques minutes de pose, on peut constater que la plaque est impressionnée. Si les doigts y ont adhéré, de la tâche formée par chacun d’eux, comme d’autant de foyers, on voit se détacher et s’irradier en tous sens des ondulations, des spirales. Ceci démontre que la force psychique, comme les rayons ultra-violets ou les rayons Roentgen, agit sur les sels d’argent.
Ce phénomène a été mis en évidence pour la première fois, en 1872, par les expériences de MM. Béattie , Taylor, docteur Thompson, professeur Wagner, etc. M. de Rochas l’a obtenu au cours de ses expériences avec Mme Lux .
La plaque, placée à sec sur le front, le cœur ou la main, en reproduit les radiations suivant l’intensité des pensées, des sentiments, des émotions. La colère, la douleur, l’extase, la prière, l’amour, ont leurs radiations spéciales .
Ainsi, la plaque photographique, ce « regard ouvert sur l’invisible », devient le témoin irrécusable du rayonnement de l’âme humaine.
Longtemps nié par les corps savants, comme furent niés par eux la circulation du sang, la vaccine, la méthode antiseptique et tant d’autres découvertes, le magnétisme, aussi ancien que le monde, a fini par pénétrer dans le domaine scientifique sous le nom d’hypnotisme.
Les procédés, il est vrai, diffèrent. Dans l’hypnotisme, c’est par la suggestion que l’on agit sur le sujet, d’abord pour le plonger dans le sommeil, ensuite pour provoquer des phénomènes. La suggestion n’est que la subordination d’une volonté à une autre. Le sujet s’abandonne à l’expérimentateur et exécute ses ordres, exprimés par la parole et le geste, ou simplement par la pensée. On peut obtenir le même résultat par les pratiques magnétiques. La seule différence est dans les moyens employés. Ceux des hypnotiseurs sont plutôt violents. S’ils peuvent guérir certaines affections - et l’on ne peut méconnaître que leur application à la thérapeutique n’ait donné des résultats appréciables - le plus souvent, ils jettent le désordre dans le système nerveux et, à la longue, déséquilibrent, le sujet. Tandis que les effluves magnétiques, bien dirigés, soit à l’état de veille, soit dans le sommeil, ramènent fréquemment l’harmonie dans les organismes troublés.
La suggestion, nous l’avons vu, peut être exercée de près comme de loin, aussi bien sur le plan visible que sur l’invisible, par des opérateurs humains comme par des agents occultes. En permettant à un homme d’agir mentalement sur un autre, sans le secours des sens, elle nous fait mieux comprendre l’action de l’esprit sur un médium. En effet, ce que l’homme peut obtenir, lui dont le pouvoir et l’action sont bornés, gênés, amoindris, une intelligence, délivrée des entraves de la matière grossière, le pourra d’autant mieux et réussira à influencer le sensitif, à l’inspirer, à se servir de lui pour réaliser ses vues.
Le magnétisme, pris dans son sens général, est l’utilisation, sous le nom de fluide, de la force psychique, par ceux qui en sont abondamment pourvus.
L’action du fluide magnétique est démontrée par des exemples si nombreux et si probants, que l’ignorance ou la mauvaise foi pourraient, seules, en nier l’existence aujourd’hui. Citons un cas entre mille :
M. Boirac, recteur de l’académie de Grenoble, fut vice-président de la Société hypnotique de Paris et abandonna l’hypnotisme pour le magnétisme à la suite de l’expérience suivante : Rentrant un jour, dans l’après-midi, il trouva son domestique endormi. M. Boirac le voyait, depuis le palier où il se trouvait, et l’idée lui vint de tenter une expérience magnétique. De la place qu’il occupait, il étendit la main droite dans la direction et à la hauteur des pieds du dormeur. Après une ou deux minutes, ayant levé la main, il vit avec stupéfaction les pieds du domestique se soulever et suivre le mouvement ascensionnel de la main. Il renouvela plusieurs fois l’expérience et, chaque fois, les résultats furent identiques.
La volonté de soulager, de guérir, avons-nous dit, prête au fluide magnétique des propriétés curatives. Le remède à nos maux est en nous. Un homme bon et sain peut agir sur les êtres débiles et souffreteux, les régénérer par le souffle, par l’imposition des mains et même par des objets imprégnés de son énergie. On agit, le plus souvent, au moyen de gestes, nommés passes, rapides ou lents, longitudinaux ou transversaux, selon l’effet, calmant ou excitant, que l’on veut produire sur les malades. Ce traitement doit être poursuivi régulièrement, et les séances renouvelées chaque jour jusqu’à guérison complète.
On peut aussi, par l’auto-magnétisation, se traiter soi-même, en dégageant, à l’aide de passes ou de frictions, les organes affaiblis et en les imprégnant des courants de force échappés des mains.
La foi ardente, la volonté, la prière, l’évocation des puissances supérieures, soutiennent l’opérateur et le sujet. Lorsque tous deux sont unis par la pensée et par le cœur, l’action curative est plus intense.
L’exaltation de la foi, qui provoque une sorte de dilatation de l’être psychique et le rend plus accessible aux influx d’en haut, permet d’admettre et d’expliquer certaines guérisons extraordinaires réalisées dans les lieux de pèlerinage et les sanctuaires religieux. Ces cas de guérisons sont nombreux et appuyés sur des témoignages trop importants pour qu’on puisse les révoquer tous en doute. Ils ne sont pas spéciaux à telle ou telle religion ; on les retrouve indistinctement dans les milieux les plus divers : catholiques, grecs musulmans, hindous, etc.
Dégagé de tout appareil théâtral, de tout mobile intéressé, pratiqué dans un but de charité, le magnétisme devient la médecine des humbles et des croyants, du père de famille, de la mère pour ses enfants, de tous ceux qui savent aimer. Son application est à la portée des plus simples. Elle n’exige que la confiance en soi, la foi en l’infinie puissance qui fait rayonner partout la force et la vie. Comme le Christ et les apôtres, comme les saints, les prophètes et les mages, chacun de nous peut imposer les mains et guérir, s’il a l’amour de ses semblables et l’ardente volonté de les soulager.
Lorsque le patient s’endort sous l’influence magnétique et semble appeler la suggestion, n’employez celle-ci qu’avec des paroles de douceur et de bonté. Persuadez, au lieu de brusquer. Dans tous les cas, recueillez-vous dans le silence, seul avec le patient ; faites appel aux Esprits bienfaisants qui planent sur les douleurs humaines. Alors, d’en haut, vous sentirez l’influx descendre en vous et de là gagner le sujet. Une onde régénératrice pénétrera d’elle-même jusqu’à la cause du mal et, en prolongeant, en renouvelant votre action, vous aurez contribué à alléger le fardeau des terrestres misères.
Quand on considère toute la puissance du magnétisme curatif et les services qu’il a déjà rendus à l’humanité, on ne saurait trop protester contre les tendances des pouvoirs publics, en certains pays, à en entraver le libre exercice. En agissant ainsi, ils violent, les principes les plus respectables, ils foulent aux pieds les droits sacrés de la souffrance. Le magnétisme est un don de la nature et de Dieu. En régler l’usage, en proscrire les abus est bien. En interdire l’application serait empiétée sur l’action divine, attenter à la liberté, au progrès de la science et faire oeuvre d’obscurantisme.
Le magnétisme n’est pas seulement limité à l’action thérapeutique ; il a une portée beaucoup plus grande. C’est une puissance qui dénoue les liens de l’âme et lui ouvre les portes du monde invisible ; c’est une force qui sommeille en nous et qui, utilisée, mise en valeur par un entraînement gradué, par une volonté ferme et persistante, nous dégage des pesanteurs charnelles, nous affranchit des lois du temps et de l’espace, nous donne pouvoir sur la nature et sur les êtres.
Le sommeil magnétique a des degrés qui s’étagent et conduisent du sommeil léger jusqu’à l’extase et la trance. Le colonel de Rochas considère les trois premiers degrés comme superficiels et constituant l’hypnose. La suggestion est applicable à ces états ; mais, dès qu’on ajoute aux procédés hypnotiques ceux des magnétiseurs, des phénomènes supérieurs apparaissent : catalepsie, somnambulisme, trance. Dans le premier cas, c’est l’état favorable aux manifestations spirites : matérialisations d’Esprits, apparitions de lueurs, mains, fantômes, etc. ; dans le second, c’est la lucidité, l’état de clairvoyance, qui permet au médium de guider le magnétiseur dans son action curative, en décrivant la nature des maladies, en indiquant des remèdes, etc .
Dans les états supérieurs du somnambulisme, le sujet échappe à l’action du magnétiseur et reprend sa liberté propre, sa vie spirituelle. Plus le dégagement du corps fluidique s’accentue, plus le corps physique devient inerte, dans un état semblable à la mort. En même temps les pensées, les sensations s’affinent, le dégoût de la vie terrestre apparaît. Le retour dans l’organisme provoque des scènes pénibles, des accès de larmes, d’amers regrets.
Le monde des fluides, plus que tout autre, est soumis aux lois de l’attraction. Par la volonté, nous appelons à nous des forces bonnes, ou mauvaises, en harmonie avec nos pensées et nos sentiments. On peut en faire un redoutable usage ; mais celui qui se sert de la puissance magnétique pour le mal la voit tôt ou tard se retourner contre lui. L’influence pernicieuse exercée sur les autres sous la forme des sorts, de l’envoûtement, de la jettature, revient fatalement vers celui qui l’a générée.
En hypnotisme, comme en magnétisme, si l’opérateur n’a pas des intentions pures, un caractère droit, l’expérimentation présentera des dangers pour lui, comme pour le sujet.
N’abordez donc pas ce domaine sans là pureté de cœur et la charité. Ne mettez jamais les forces magnétiques en mouvement sans y joindre l’élan de la prière et une pensée d’amour sincère pour vos semblables. Par là, vous mettrez vos fluides en harmonie avec le dynamisme divin ; vous en rendrez l’action plus efficace et plus profonde.
Par le magnétisme élevé, celui des grands thérapeutes, et des initiés, la pensée s’illumine sous l’influx d’en haut, les nobles sentiments s’exaltent ; une sensation de calme, de force, de sérénité nous pénètre ; l’âme sent peu à peu s’évanouir toutes les petitesses du moi humain et reparaître les côtés supérieurs de sa nature. En même temps qu’elle apprend à s’oublier pour le bien et le salut des autres, elle sent s’éveiller en elle des ressources inconnues.
Puisse le magnétisme du bien se développer sur la terre par les aspirations généreuses et l’élévation des âmes ! Souvenons-nous que toute idée contient en germe sa réalisation et sachons communiquer à nos vibrations fluidiques le rayonnement de hautes et nobles pensées. Qu’un puissant courant relie entre elles les âmes terrestres et les unisse à leurs sœurs aînées de l’espace ! Alors, les influences mauvaises, qui retardent la marche et le progrès de l’humanité, s’évanouiront sous les radiations de l’esprit de sacrifice et d’amour.
XVI. PHENOMENES SPONTANEES. MAISONS HANTEES. TYPTOLOGIE.
Dès qu’on aborde l’étude des manifestations spirites, une première nécessité s’impose : celle d’un classement méthodique et rigoureux. Au premier aspect, la masse des faits est innombrable et présente une certaine confusion. Mais, lorsqu’on les examine de près, en suivant le développement du spiritualisme moderne depuis un demi-siècle, on remarque que ces faits se sont gradués, échelonnés, en suivant un programme tracé, une méthode précise, de façon à mettre de plus en plus en relief la cause qui les produisait.
D’abord vague et confuse dans les phénomènes des maisons hantées, la personnalité occulte commence à s’affirmer dans la typtologie, puis dans l’écriture ; elle se précise dans l’incorporation médianimique et devient visible et tangible dans les matérialisations. C’est dans cet ordre que les faits se sont déroulés, se multipliant de proche en proche, de manière à attirer l’attention des indifférents, à forcer l’opinion des sceptiques et à démontrer à tous la survivance de l’âme humaine.
Cet ordre, que l’on pourrait appeler historique, nous l’adopterons dans notre étude des phénomènes spirites. On pourrait également répartir ceux-ci en deux catégories : les faits physiques et les faits intellectuels. Dans les premiers, le médium joue un rôle passif ; c’est le foyer d’émission, d’où émanent les fluides et les énergies à l’aide desquels les invisibles agiront sur la matière et manifesteront leur présence. Dans les autres phénomènes, le médium joue un rôle plus important. Il est l’agent de transmission des pensées de l’Esprit, et, comme nous l’avons vu précédemment, son état psychique, ses aptitudes, ses connaissances influent parfois d’une manière sensible sur les communications obtenues.
L’histoire du spiritualisme moderne commença par un cas de hantise. Les manifestations de la maison hantée d’Hydesville, en 1848, et les tribulations de la famille Fox qui l’habitait, sont connues. Nous les rappelons seulement par un court résumé.
Toutes les nuits, une intelligence invisible s’y révélait par des bruits violents et continus, ouvrant et fermant les portes, agitant les meubles, arrachant les couvertures des lits. Des mains froides et rudes saisissaient les jeunes demoiselles Fox, et le plancher oscillait sous une action inconnue.
Au moyen de coups frappés dans les murailles - chaque lettre de l’alphabet étant désignée par un nombre correspondant de coups - cette intelligence affirmait avoir vécu sur la terre. Elle épelait son nom de Charles Rosna ; elle indiquait sa profession de colporteur et entrait dans maints détails sur sa fin tragique, détails ignorés de tous, dont l’exactitude fut reconnue par la découverte d’ossements humains dans la cave, à l’endroit précis désigné par l’Esprit comme étant celui où son cadavre avait été enterré après l’assassinat .
Ces ossements étaient mêlés à des débris de charbon et de chaux, qui démontraient l’intention évidente de faire disparaître toute trace de cet événement mystérieux.
Les curieux affluèrent ; la maison devint insuffisante à contenir la foule venue de toutes parts. Il y eut jusqu’à cinq cents personnes réunies pour entendre les bruits.
C’est par cette manifestation si nouvelle et si étrange pour ceux qui en furent les témoins, dans une chaumière d’un pauvre village de l’État de New-York, en présence de personnes de la condition la plus modeste, que le secret de la mort fut divulgué par un être invisible, dans le silence de la nuit. Pour la première fois dans les temps modernes, un peu de clarté filtra sous la porte qui sépare le monde des vivants de celui des décédés .
Par sa nature spontanée, inattendue, par les circonstances émouvantes qui l’entourent, cette manifestation échappe à toutes les explications et théories que l’on a pu opposer au spiritisme. La suggestion, aussi bien que l’hallucination ou l’inconscient, est impuissante à en rendre compte. La famille Fox était d’une honorabilité à toute épreuve, attachée à l’Église épiscopale méthodiste, dont elle suivait les offices avec régularité. Élevés dans la routine religieuse la plus étroite, tous ses membres ignoraient la possibilité de tels faits et, rien n’avait pu les y préparer.
Bien loin d’en retirer le moindre avantage, les manifestations furent pour eux la cause d’ennuis et de persécutions sans nombre. Ils y perdirent santé et repos. Leur réputation et leur fortune furent détruites. Malgré tous les efforts qu’ils firent pour s’y soustraire, malgré un départ précipité et un changement de résidence, les phénomènes les poursuivirent sans relâche et ils ne purent échapper à l’action des Esprits. Sur les injonctions répétées des invisibles, il fallut rendre les manifestations publiques, affronter la scène de Corinthian-Hall, à Rochester, subir les sévérités outrageantes de plusieurs comités d’examen et les avanies d’un public hostile, pour prouver la possibilité des rapports entre les deux mondes, le visible et l’invisible.
Revenons à la maison hantée d’Hydesville. Ch. Rosna n’était pas seul à s’y manifester. Un grand nombre d’Esprits de toutes conditions, parents ou amis des personnes présentes, intervenaient, répondant par coups frappés aux questions posées, épelant leurs noms, fournissant des indications précises et inattendues sur leur propre identité, donnant des explications sur les phénomènes produits et la façon de les obtenir, explications qui amenèrent la formation des premiers cercles ou groupements, où les faits furent étudiés et provoqués au moyen de tables, planchettes et autres objets matériels.
Les Esprits frappeurs déclaraient qu’ils n’agissaient pas de leur seule initiative. Ces manifestations, disaient-ils, étaient voulues et dirigées par des Esprits plus élevés, philosophes et savants, eux-mêmes exécuteurs d’ordres venus de plus haut, en vue d’une vaste et importante révélation qui devait s’étendre au monde entier.
En effet, l’intervention de ces Esprits et, entre autres, du docteur Benjamin Franklin fut constatée à plusieurs reprises. Plus tard, dans les séances d’apparition d’Estelle Livermore, à New-York, ce même B. Franklin se rendra visible et reconnaissable pour plusieurs personnes.
Bientôt les manifestations se multiplient et s’étendent. Elles gagnent, de ville en ville, d’État en État, tout le nord de l’Amérique. Le pouvoir médianimique se révèle chez un grand nombre de personnes et jusqu’au sein de familles riches, influentes, à l’abri de tout soupçon de fraude.
Sans doute il y eut, au début, beaucoup de tâtonnements et de confusion. Les acteurs invisibles n’étaient pas toujours sérieux ; des Esprits légers et arriérés s’immisçaient dans les séances, dictant des communications puériles, absurdes, se livrant à toutes sortes de divagations et d’excentricités, mais on obtenait aussi des faits importants et des messages d’une réelle valeur, comme l’attestent le révérend Jervis, ministre méthodiste de Rochester, le docteur Langworthy, le révérend Ch. Hannon , etc. Tous ces faits eurent leur utilité, en ce sens qu’ils apprirent à connaître les divers aspects du monde invisible. Grâce aux erreurs et aux déceptions, l’expérience des choses occultes put être acquise, et la lumière se fit peu à peu sur les conditions de la vie dans l’Au-delà.
Le mouvement devint permanent et simultané. On peut dire que le spiritisme n’est pas parti d’un point fixe ; il a jailli spontanément de tous les pays de l’Union, en dehors de l’initiative humaine, et il a poursuivi sa route, malgré les obstacles de toutes sortes accumulés par l’ignorance et les préjugés malveillants. Dès son apparition, il a eu contre lui tous les pouvoirs constitués, toutes les influences, toutes les autorités de ce monde ; pour seul appui, quelques humbles serviteurs de la vérité, gens obscurs pour la plupart, mais qu’une légion invisible soutenait et encourageait. Rien de plus touchant que les exhortations et les conseils prodigués aux sœurs Fox par leurs Esprits protecteurs, conseils sans lesquels, jeunes filles timides et tremblantes, elles n’eussent jamais osé affronter, au péril de leur vie, un public menaçant, ni supporter les scènes tumultueuses du Corinthian-Hall.
Les injures, les calomnies, tout le déchaînement d’une presse en délire, eurent surtout pour effet d’attirer l’attention publique sur ces phénomènes étranges et de démontrer aux observateurs sérieux qu’il y avait là en action des causes indépendantes de la volonté de l’homme. Un plan se déroulait, tracé par des mains puissantes et insaisissables, plan dont rien ne pouvait empêcher la réalisation.
Des hommes éminents par le savoir, le caractère et la situation, se mêlèrent bientôt au mouvement spiritualiste. Le révérend Brittain, le docteur Hallock, le révérend Griswold, les professeurs Robert Hare et Mapes, le grand-juge Edmonds, le sénateur Tallmadge, le diplomate R. Dale-Owen, etc., étudièrent attentivement et longuement les phénomènes et affirmèrent publiquement l’intervention des Esprits.
Énumérer ici leurs expériences, citer leurs témoignages, serait sortir du cadre de cette étude. On en trouvera l’exposé dans le remarquable ouvrage de Mme Emma Hardinge. Nous détacherons seulement de cette oeuvre quelques attestations au sujet de faits physiques extraordinaires.
Le sénateur Tallmadge, ex-gouverneur du Wisconsin, décrit un phénomène de lévitation dont il fut l’objet, à Washington :
« La table avait quatre pieds ; c’était une grande table à thé ; je m’assis au milieu. Les trois dames posèrent dessus leurs mains, augmentant ainsi le poids de 200 livres qui s’y trouvait déjà. Deux pieds se levèrent d’abord du sol, puis les deux autres se mirent au niveau des premiers, et la table entière resta suspendue en l’air à six pouces du sol. Étant assis dessus, je sentais un mouvement doux, comme si elle flottait. Elle resta quelques instants suspendue, et redescendit doucement. »
Nous verrons bientôt des faits semblables se produire sur différents points de l’Europe et en particulier dans les séances d’Eusapia Paladino, le médium napolitain. A la rigueur, on pourrait les expliquer par l’action des forces fluidiques émanées des assistants, quoiqu’il paraisse peu probable que des forces humaines extériorisées suffisent seules à mettre en mouvement des objets aussi lourds. Mais voici d’autres faits dénotant l’intervention d’intelligences invisibles.
C’est toujours le sénateur Tallmadge qui parle :
« Le phénomène suivant se produisit, à une autre séance, avec les demoiselles Fox. Il y avait là les généraux Hamilton, Waddy Thompson et moi. On nous dit de placer la Bible fermée sur un tiroir sous la table. C’était une petite Bible de poche, imprimée très fin.
« Pendant quelque temps, de nombreux raps (coups frappés) battirent une marche que nous avions demandée. Ils s’affaiblirent comme des pas qui s’éloignent et cessèrent entièrement, et d’autres raps, ayant donné le signal de l’alphabet, épelèrent ce seul mot : « Regardez. »
« Je pris le livre avec précaution, car il était ouvert. On épela : « Lisez », en donnant les numéros des versets qu’on désirait que je lise. Pendant cette lecture, de violents coups accentuèrent avec une force étrange les sentiments exprimés.
« Le livre était ouvert à l’évangile de saint Jean, chap. III ; les versets à lire étaient les suivants :
« 8. - L’Esprit souffle où il veut et tu entends sa voix, mais tu ne sais ni d’où il vient ni où il va. Il en est de même de quiconque est né de I’Esprit.
« 11. - En vérité, en vérité, je vous le dis : nous parlons de ce que nous savons, et nous attestons ce que nous avons vu ; mais vous ne recevez pas notre témoignage.
« 19. - Et ceci est la condamnation : que la lumière est venue dans le monde et que les hommes ont préféré les ténèbres à la lumière, parce que leurs actes sont mauvais.
« 34. Car celui que Dieu a envoyé dit les paroles de Dieu, car Dieu ne donne pas l’esprit par mesure.
« Après cela on me dit de placer plusieurs feuilles de papier à lettre avec un crayon sur le tiroir sous la table. Bientôt nous entendîmes le bruit du crayon sur le papier et on frappa. Je regardai sous la table ; les feuilles que j’y avais placées étaient en désordre, et sur la feuille, du dessus il y avait écrit :
« I’m with you still (Je suis encore avec vous). John. C. Calhoun. » J’ai montré cette phrase au général Hamilton, ancien gouverneur de la Caroline du Sud, au général Waddy Thompson, ancien ministre du Mexique, au général Robert Campbell, de la Havane, ainsi qu’à d’autres amis intimes de M. Calhoun. Je l’ai montrée aussi à l’un de ses fils, et tous ont affirmé que c’était un fac-similé parfait de l’écriture de John C. Calhoun. Le général Hamilton et la générale Macomb, qui possèdent beaucoup de lettres particulières de Calhoun, ont indiqué comme particulièrement significative l’habitude constante qu’il avait d’abréger I am en I’m ; de sorte que cette phrase : « I’m with you still », toute courte qu’elle soit, caractérise nettement et son style et son genre. »
Dans le même ordre de faits, citons encore le témoignage de Charles Cathcart, ancien membre du Congrès, homme instruit et influent, occupant dans l’Indiana une haute situation sociale .
« Le cercle étant constitué, je reconnus que le médium le plus puissant était mon fils Henry, enfant de sept ans à peine. La famille ne se fut pas plus tôt mise en harmonie avec cette médiumnité, que des démonstrations inattendues se produisirent. Le petit Henry était balancé dans la chambre comme une plume. Soulevé par les Esprits, il était transporté jusqu’au plafond, sur les corniches des fenêtres, dans les recoins les plus élevés des appartements, et placé hors de l’atteinte des mains humaines.
« Parfois l’enfant était entrancé, et dans cet état il disait des choses étonnantes de sagesse et de beauté ; mais, malgré la confiance que la famille avait dans les tendres soins et le caractère parfaitement bon de leurs amis les Esprits, la mère ne pouvait voir sans anxiété son petit enfant sous ce pouvoir anormal et suppliait les Invisibles de ne pas l’entrancer. Ils lui répétaient sans cesse par la table que cette influence était bienfaisante pour l’enfant et leur permettait d’accomplir des actions bien plus frappantes qu’autrement ; mais, comme Mme Cathcart ne put se faire à cette phase de médiumnité, les Esprits s’abstinrent amicalement de continuer les trances. »
Le grand-juge Edmonds, chief-justice de la Cour suprême de New-York, dans son « Appel au public », où il réfute les imputations malveillantes dont il avait été l’objet à la suite de ses recherches spiritualistes, résume ainsi le problème des phénomènes et de leur cause :
« J’ai vu une table de sapin posée sur quatre pieds, enlevée du plancher au milieu d’une réunion de huit personnes, retournée sens dessus dessous à nos pieds, levée sur nos têtes, puis posée contre le dos d’un canapé où nous étions assis. J’ai vu cette même table se soulever sur deux pieds sous une inclinaison de 45°, et rester ainsi sans qu’on puisse la remettre sur ses pieds. J’ai vu une table d’acajou ayant un seul pied, et supportant une lampe allumée, soulevée à un pied au moins du plancher malgré nos efforts, et agitée comme un verre qu’on tient à la main, la lampe restant en place, mais les pendeloques s’entrechoquant. J’ai vu cette table basculer avec la lampe qui était dessus et qui aurait dû tomber si elle n’avait été retenue autrement que par son propre poids ; et cependant elle n’est pas tombée et n’a même pas bougé.
« J’ai vu souvent des personnes tirées avec une force à laquelle il leur était impossible de résister, et même dans une occasion où je joignais mes efforts à ceux de la personne tirée.
« Ce que je rapporte n’est pas la centième partie de ce que j’ai vu, mais cela suffit pour montrer le caractère du phénomène.
« A cette époque, les journaux ont fait paraître différentes explications pour « dévoiler la farce », comme ils disaient. Je les ai lues attentivement, m’attendant à recevoir du secours dans mes recherches, et je n’ai pu que sourire de l’audace et de l’inanité de ces explications. Par exemple, pendant que certains professeurs de Buffalo se vantaient d’avoir tout expliqué par le craquement des articulations des doigts et des genoux, les manifestations consistaient en une sonnette qui tintait sous une table, puis se transportait d’une chambre à l’autre.
« J’ai entendu des médiums se servir de termes grecs, latins, espagnols et français, quand je sais qu’ils ne connaissaient d’autre langue que la leur, et c’est un fait que bien des gens peuvent attester que les médiums ont souvent parlé et écrit dans des langues qui leur étaient inconnues.
« On se demande alors si, par quelque mystérieuse opération de l’esprit, tout cela n’est pas simplement un reflet de l’esprit de quelque assistant. La réponse est celle-ci : on a donné communication de faits inconnus que la suite a montrés vrais. » L’auteur cite plusieurs cas, puis il
ajoute : « Bien des pensées qui n’étaient pas dans mon esprit ou qui étaient même contraires à mes idées m’ont été révélées. Cela m’est arrivé bien souvent, à moi comme à d’autres personnes, comme pour bien me convaincre que notre propre esprit n’a aucune part à ces communications.
« Mais tout cela et beaucoup d’autres choses semblables m’ont démontré, qu’il existe dans ce phénomène une classe d’intelligences élevées situées en dehors de l’humanité ; car il n’y a pas d’autre hypothèse que je puisse imaginer qui explique tous les faits établis par le témoignage de dix mille personnes et que peut vérifier quiconque prendra la peine de chercher.
« J’ai trouvé que ces intelligences invisibles communiquaient avec nous de bien des manières, sans compter les raps et les tables basculantes, et que, par ces autres procédés, on obtenait souvent des communications éloquentes, pures et morales, parmi beaucoup d’inconséquences et de contradictions. »
Le phénomène des maisons hantées est un des plus fréquents et des plus connus. On le retrouve un peu partout. Très nombreux sont les lieux hantés, les habitations dont les murs, les parquets et les meubles retentissent de coups et de vibrations. Dans certaines demeures, les objets se déplacent sans contact ; des pierres sont lancées du dehors par une force inconnue ; on entend des bris de vaisselle, des cris, des bruits divers, qui incommodent et terrifient les gens impressionnables.
J’ai visité quelques-unes de ces habitations ; j’y ai fait des stations prolongées et, presque toujours, j’y ai constaté la présence d’êtres invisibles, avec qui il était possible de s’entretenir, soit par la table, soit par l’écriture médianimique. Dans ces cas, j’étais amené à reconnaître que les agents des manifestations étaient les âmes de personnes ayant habité ces lieux, âmes en peine qui cherchaient à attirer l’attention ; le plus souvent, des pensées secourables et des prières suffisent à leur donner satisfaction. Certains Esprits sont amenés en ces demeures par le souvenir de méfaits lointains ; d’autres, par un désir de vengeance, ou bien par leur attachement à des biens terrestres.
Les recherches de la police ne permettent presque jamais de découvrir les auteurs de ces faits. Même dans les chutes de pierres, on remarque que les projectiles sont dirigés par une Intelligence invisible.
Dans le cas de la cure de Groben (Allemagne), décrit par le pasteur Hennisch , dans le cas de Munchkof, qui fut l’objet d’une enquête dirigée parle professeur Arschauer, on voyait des pierres décrire un arc de cercle, puis un angle. A Nfunchkof, plus de soixante personnes virent des pierres sortir par une fenêtre, puis rentrer à l’intérieur en décrivant une courbe. Ces projectiles ne frappaient jamais personne. Ils glissaient le long des corps sans les heurter, lorsqu’ils atteignaient les témoins de ces scènes. Des objets que l’on emportait pour les mettre à l’abri détaillé des persécutions occultes auxquelles sa famille fut exposée pendant six mois. C’est en vain qu’il s’était adressé à toutes les personnes éclairées de sa connaissance, dont quelques-unes jouissant d’une grande érudition :
« Toutes leurs théories scientifiques », dit-il, « s’écroulaient sous l’évidence des faits. Il faut avoir par soi-même fait l’expérience ; il faut avoir vu et entendu, avoir passé des nuits sans sommeil et avoir éprouvé moralement et physiquement des tourments jusqu’à épuisement de ses forces, pour arriver enfin à la conviction inébranlable qu’il existe des choses que les savants ne soupçonnent même pas. »
Les coups frappés se produisaient jour et nuit. Les objets, soigneusement renfermés dans des armoires et des coffres, étaient dispersés dans les chambres. L’intelligence occulte se révélait en accompagnant de coups rythmés les chants, les paroles et même les pensées. Des dialogues par coups et grattements furent établis entre M. Akoutine, ingénieur chimiste attaché au gouverneur d’Orembourg, et les agents invisibles, sur des sujets au-dessus des connaissances des habitants de la ferme. Des globes lumineux sortaient de dessous les lits et des recoins de la chambre, et se promenaient dans le vide. Une main d’enfant apparut. Chose plus grave : le feu prit en plusieurs endroits et jusque dans les vêtements de Mme Schtchapov, qui faillit être brûlée. Il fallut quitter en toute hâte cette habitation, devenue dangereuse.
Allan Kardec, dans la Revue spirite, appelle l’attention sur d’autres phénomènes de hantise, entre autres le cas de l’Esprit frappeur de Bergzabern, dont les mauvais tours durèrent huit ans (numéros de mai, juin, juillet 1858) ; celui du boulanger des Grandes-Ventes, près Dieppe (mars 1860) ; celui de la rue des Noyers, n° 95, à Paris (août 1860). Puis, sous le titre : Histoire d’un Damné, l’histoire de l’Esprit frappeur de Castelnaudary (février 1860) ; celle d’un fabricant de Saint-Pétersbourg (avril 1860), etc.
La Revue d’Études psychiques de décembre 1903 rapporte, d’après le Daily Express, de Londres, les curieux événements qui se sont passés dans la Raikes Farm, occupée par la famille Webster, à Beverley :
« Le pain acheté ou fabriqué pour les besoins de la maison diminuait, disparaissait d’une manière inexplicable, aussi bien le jour que la nuit. Un rédacteur de l’Express fit une enquête minutieuse à ce sujet et ne put trouver une explication raisonnable. Un ex-constable de police, nommé Berridge, de Bishop-Burton, à qui fut confiée, pendant plusieurs jours, la garde de l’endroit où l’on tenait la farine et l’on faisait le pain, avoua franchement que le phénomène le déroutait absolument. Un jour, espérant en avoir le cœur net, il apporta à la ferme deux miches qu’il avait achetées à Beverley, les plaça dans la pièce qui lui avait été confiée, ajouta une autre serrure à celle existant déjà, et attendit. Le pain était intact, mais, en coupant l’une des miches, il resta ahuri en la trouvant à moitié vide. M. Webster lui-même, croyant tout d’abord à une mauvaise plaisanterie, enferma du pain frais dans le garde-manger, parsema de farine le parquet, bien sec, de la chambre, ferma la porte à clé et la scella de plus avec deux bandes de percale. Le lendemain, tout était intact, exception faite des deux miches renfermées, dont l’une avait disparu et l’autre était réduite de moitié. La situation devenait de plus en plus inquiétante malgré les surveillances de toute nature ; il en résultait aussi une perte d’argent assez sensible. Aussi M. Webster décida-t-il de déménager.
« D’autres phénomènes se produisaient également dans cette ferme. Après la tombée de la nuit, des bruits étranges de pas dans l’escalier, de déplacement de chaises et de chenets en fer se faisaient entendre et réveillaient les habitants. Le fermier et le constable faisaient de nombreuses rondes et ne découvraient rien. Une nuit, Mme Webster et son fils, âgé de 14 ans, furent éveillés par une musique très douce. « On aurait dit un « chœur », raconta le lendemain Mme Webster. »
Les Annales des Sciences psychiques, de novembre 1907, publient un mémoire rédigé par un éminent avocat de Naples, Francisco Zingaropoli, en faveur de la duchesse de Castelpoto, contre la baronne Laura Englen, au sujet des droits du locataire à la résiliation du bail quand il s’agit d’une maison hantée par les Esprits. Voici les faits qui ont donné lieu à ce procès :
« Au second étage de la maison appartenant à Mme la baronne Englen, au Largo S. Carlo alle Mortelle, n° 7, et louée par la duchesse de Castelpoto, se succédèrent des manifestations mystérieuses si variées et si gênantes qu’elles troublèrent profondément la tranquillité des habitants. D’abord, c’étaient des coups et d’étranges rumeurs dans le corridor. Par la suite, on remarqua des déplacements de meubles assez bruyants pour susciter des réclamations des locataires des étages inférieurs. Une nuit, trois lits furent défaits complètement : matelas, draps, oreillers furent renversés et disséminés à terre. Un certain soir, en rentrant, les locataires de la maison trouvèrent la porte d’entrée barricadée à l’intérieur avec des meubles très lourds. On eut recours au commissariat de police, à la curie archiépiscopale, aux exorcismes ; rien n’y fit. Aussi, le 4 octobre 1906, la duchesse se vit contrainte de recourir au magistrat et de demander la résiliation de son contrat de location. »
Dans son mémoire, M. Zingaropoli cite un autre cas de hantise, dont la relation fut publiée par l’ingénieur professeur Henrico Passaro :
« A Florence, au n° 44 de la rue Ghibellina, vers la fin de décembre 1867, se produisaient des phénomènes consistant en rumeurs ou grondements souterrains et en coups frappés à l’improviste dans la table autour de laquelle la famille B... était réunie... L’un des fils, fort de son incrédulité et de la puissance de ses bras, se proposa de veiller seul une nuit et de découvrir la cause de ces phénomènes. Après minuit, il descendit à la cuisine, entendit craquer les objets dans les armoires ; un fort bourdonnement l’étourdit ; il sentit une étreinte aux bras et en même temps reçut comme un coup de poing...
« A la suite de ces faits et d’autres nombreux, le locataire abandonne la maison, cite le propriétaire pour réparation de dommages causés et gagne son procès. Les détails furent relatés dans la chronique judiciaire de l’Opinione du 18 juillet 1868. Plusieurs témoins vinrent attester les faits devant le tribunal. »
Enfin, les Annales des Sciences psychiques, de novembre 1907, publient encore une relation du professeur César Lombroso, écrite spécialement pour les lecteurs de cette revue :
« Le célèbre maître de l’école positiviste italienne y parle d’une « hantise » qu’il n’a pu étudier de visu, au sujet de laquelle il a fait une enquête qui a donné les plus piquants résultats. Mais il tenait à visiter personnellement une de ces « maisons hantées » aussitôt que l’occasion s’en présenterait. Celle-ci se produisait en novembre 1900, dans un cabaret, situé au n° 6 de la rue Bava, à Turin, et tenu par M. Fumero.
« Lombroso se présenta le 21 novembre et demanda des renseignements sur les phénomènes signalés. Les maîtres du lieu lui répondirent que, depuis que le professeur Lombroso était venu, tout avait cessé. Très intrigué, le professeur demanda des explications pour s’assurer si quelqu’un n’avait pas abusé de son nom, puisqu’il n’avait jamais mis les pieds dans cette demeure. Il apprit alors que c’était pour obéir à la police et échapper aux importunités du public que l’idée leur était venue de déclarer, que sa visite avait mis « les Esprits » en fuite, mais que malheureusement les phénomènes mystérieux continuaient dans la cave. Lombroso y descendit et entendit immédiatement un bruit de verres brisés ; il fit placer six bougies allumées sur une table, supposant que les phénomènes cesseraient sous une vive lumière. Loin de là, il vit au contraire des bouteilles vides ou pleines quitter les rayons où elles étaient placées, se détacher, tomber à terre sans brusquerie et, après leur descente plutôt que leur chute, se briser sur le sol. Lombroso s’était au préalable assuré que ni fil ni ficelle ne pouvaient expliquer ces mouvements insolites.
« Au mois de mai 1903, le professeur eut encore l’occasion d’examiner de visu des phénomènes de hantise dans une autre maison de Turin, celle du compositeur-typographe Mignotti, rue Masséna, 30. Il se fit accompagner par le docteur Imoda. A peine l’enfant de la maison était-il couché, qu’ils entendirent des coups très forts dans la muraille. En les faisant correspondre avec les lettres de l’alphabet, ils purent établir une conversation avec l’être invisible. »
Depuis lors, des manifestations identiques se sont produites un peu partout. A peine ces phénomènes cessent-ils sur un point qu’ils reparaissent sur d’autres. Ne semble-t-il pas qu’il y ait là un enchaînement de faits successifs et voulus, dans le but d’attirer et de retenir l’attention, de provoquer des recherches et des enquêtes ? Des hommes au jugement superficiel considèrent ces manifestations comme vulgaires, grotesques, indignes de leur intérêt. En réalité, elles sont parfaitement adaptées aux exigences positives et matérialistes de notre époque. Il fallait des phénomènes bruyants et répétés pour secouer l’indifférence et l’inertie de nos contemporains.
Cette indifférence est des plus difficiles à vaincre. Les savants français surtout se sont dérobés systématiquement et ont dédaigné d’étudier ces faits. C’est en vain que les cas se renouvellent et se prolongent. En certains milieux, comme à Valence-en-Brie, aux portes de Paris, les manifestations durent des mois entiers, sans qu’aucun savant officiel consente à se déranger. Ce qui n’empêchera pas ces messieurs de déclarer à l’occasion, comme l’a fait un grand chimiste, au sujet du spiritisme : « qu’ils n’ont rien vu et sont obligés de nier ».
Une exception doit être faite en faveur de M. Maxwell, docteur en médecine, aujourd’hui avocat général à la Cour d’appel de la Seine. Dans son numéro de juillet 1905, la Revue scientifique et morale du Spiritisme résume une conférence « sur les phénomènes de hantise » qu’il fit à Bordeaux, le 19 juin de la même année.
A sa connaissance, dans seize cas de hantise la police a fait des recherches pour découvrir l’auteur des faits (jets de pierres, déplacement d’objets, etc.), et deux fois seulement elle a pu le découvrir. J’ai connu de près, dit-il, un de ces cas, au village d’Objat. (Corrèze), dans une maison nommée La Constantinie.
M. Maxwell a relevé, dans les Proceedings de la Société pour les recherches psychiques, 235 cas de maisons hantées où les manifestations ont été visibles pour tous. De plus, il a retrouvé, dans les archives du parlement de Guyenne, plusieurs procès en résiliation de baux pour faits de hantise, remontant au dix-huitième siècle.
Au sujet des maisons hantées, j’ajouterai mon témoignage personnel à ceux que j’ai cités.
J’ai longtemps habité, à Tours, une maison où l’on entendait des bruits de pas, des coups frappés sur 1es murailles et les objets mobiliers. Des portes s’ouvraient après qu’une main invisible en avait remué et tourné le pêne. La sonnette tintait sans qu’on l’eût touchée. Quelquefois, au moment même où un visiteur voulait y porter la main, on l’entendait retentir avant qu’il l’eût atteinte.
Pendant la guerre de 1870, étant officier aux mobilisés d’Indre-et-Loire, je fus logé pendant quelques jours dans une vaste et antique demeure, aux abords du camp de Dompierre, où notre bataillon était cantonné. Lorsque, le soir, je regagnais ma chambre à travers les escaliers et les longs couloirs, je ressentais de singulières sensations, des souffles, des contacts indéfinissables m’impressionnaient. Toute la nuit, j’étais incommodé par des bruits mystérieux, par des vibrations qui faisaient trembler lit et parquet.
Un sergent de ma compagnie étant médium, je l’emmenai en ce logis par une nuit d’hiver, et nous nous plaçâmes tous deux à une table, cherchant à pénétrer le secret de ces manifestations. La table fut bientôt agitée, puis renversée par une force irrésistible. Des crayons furent brisés ; le papier, déchiré. Des coups ébranlaient les murs ; des bruits sourds, paraissant provenir des profondeurs du sol, se faisaient entendre. Soudain, la lumière s’éteignit. Un roulement, plus fort que tous les bruits précédents, fit trembler la maison, puis se perdit au loin, dans le silence de la nuit. Avant de quitter cette demeure hantée, nous apprîmes qu’elle avait été autrefois le théâtre de scènes sanglantes.
Les âmes en peine fréquentent aussi les palais. La duchesse de Pomar, que ses amis regretteront toujours pour le charme de son esprit, les hautes aspirations de son âme et la grâce de son hospitalité princière, possédait à Paris, avenue de Wagram, un somptueux hôtel ouvert à tous ceux qui se sont fait un nom dans le domaine des recherches psychiques. Elle s’y était ménagée une sorte d’oratoire, en forme de chapelle. Dans un jour vague, tamisé par des vitraux peints, au milieu d’un recueillement provoqué par les sons graves d’un harmonium, entourée de plusieurs médiums, elle recevait souvent les instructions des Intelligences invisibles et, en particulier, celles de l’Esprit de Marie Stuart, qu’elle considérait comme son inspiratrice assidue.
Un soir de séance, les murs de l’oratoire vibrèrent sous de violents courants fluidiques ; des coups retentirent sur le portrait en pied de Marie Stuart, placé dans une sorte de sanctuaire. Une statuette de bronze s’agita ; la table autour de laquelle nous étions placés se mit à osciller et à gémir. Je dis gémir, et, en effet, des plaintes semblaient sortir du petit meuble. Le général C. de B... interrogea, et, au moyen de raps entrecoupés de plaintes pareilles à des sanglots, un Esprit, disant être le général Boulanger, récemment suicidé à Ixelles, nous exposa son angoisse, ses souffrances morales. Malgré les liens d’amitié qui unissaient les deux généraux, nous n’obtînmes rien qui pût établir d’une manière certaine l’identité du manifestant, mais les gémissements entendus, d’une imitation impossible, nous laissèrent sous une pénible impression.
XVII. PHENOMENES PHYSIQUES. LES TABLES.
Les phénomènes physiques se présentent sous les formes les plus variées. La force qui sert à les produire se prête à toutes les combinaisons ; elle pénètre tous les corps, traverse tous les obstacles, franchit toutes les distances. Sous l’action d’une puissante volonté, elle peut décomposer et recomposer la matière compacte. C’est ce que démontre le phénomène des apports ou transports de fleurs, fruits et autres objets à travers des murs, dans des chambres closes . Zoellner, l’astronome allemand, observa la pénétration de la matière par une autre matière, sans qu’il fût possible de distinguer une solution de continuité dans l’un ou l’autre corps .
A l’aide de la force psychique, les entités agissant dans les manifestations parviennent à imiter les bruits les plus étranges.
W. Crookes, dans son ouvrage déjà cité, rend compte de ce genre de phénomènes :
« Le nom populaire de raps (coups frappés) donne une idée très fausse de ces phénomènes. A différentes reprises, pendant mes expériences, j’ai entendu des coups délicats qu’on eût dits produits par la pointe d’une épingle ; une cascade de sons perçants comme ceux d’une machine à induction en plein mouvement ; des détonations dans l’air ; de légers bruits métalliques aigus ; des sons qui ressemblaient à des grattements ; des gazouillements comme ceux d’un oiseau, etc. »
Le célèbre chimiste estime que ces coups, qu’il dit « avoir sentis sur ses propres épaules et sur ses mains », doivent être attribués, dans la plupart des cas, à des intelligences invisibles, puisque, au moyen de signaux convenus, on peut converser, pendant des heures entières, avec ces êtres (loc. cit., p. l47).
En présence du médium Home, un accordéon, enfermé dans une cage ou suspendu dans l’air, jouait seul de douces mélodies . Le poids des corps augmentait ou diminuait à sa volonté. Une table devint alternativement lourde à ne pas pouvoir être soulevée, ou si légère qu’elle s’enlevait au moindre effort.
Home fut reçu par plusieurs souverains. L’empereur Alexandre II obtint, en sa présence, une manifestation peu ordinaire :
« En pleine lumière, une main d’Esprit ouvrit un médaillon qui se combinait avec un des boutons de l’uniforme porté par l’empereur et renfermait le portrait du czarévitch décédé ; une communication, dictée par petits coups frappés sur le bouton, vint ensuite démontrer au tsar que l’Esprit qui se manifestait était bien celui auquel il avait pensé . »
Dans une séance mémorable, le 16 décembre 1868, à Ashley-house, à Londres, séance à laquelle assistaient lord Lindsay, lord Adare et le capitaine Wyne, son cousin, Home, entrancé, fut soulevé et projeté en dehors d’une fenêtre, suspendu au-dessus du sol de la rue, et rentra par une autre fenêtre.
Lord Lindsay fut appelé à témoigner de ce fait devant la Société de dialectique :
« Nous voyions Home », dit-il, « flotter dans l’air en dehors de la fenêtre, à une distance de six pouces. Après être resté dans cette position pendant quelques secondes, il souleva l’autre fenêtre, glissa dans la chambre, les pieds en avant, et revint s’asseoir. Les deux fenêtres sont à soixante-dix pieds au-dessus du sol, éloignées l’une de l’autre de sept pieds six pouces. »
Ces phénomènes se produisaient en des demeures où Home n’avait jamais pénétré auparavant, et où il n’eût pu se livrer à aucun préparatif, ni recourir à des engins spéciaux.
Le 27 mai 1886, à Paris, le docteur Paul Gibier, préparateur au Muséum d’histoire naturelle, observe, en présence du médium Slade, un cas de lévitation d’une table, qui se soulève, se retourne et va toucher le plafond de ses quatre pieds « en moins de temps qu’il ne faut pour le dire ».
Dans un but d’expérimentation psychique, on a vu, depuis lors, des savants illustres : Ch. Richet, Lombroso, A. de Rochas, Flammarion, etc., poser les mains sur ces tables tant ridiculisées, en compagnie d’Eusapia Paladino, le médium napolitain, et interroger le phénomène. De nombreuses photographies prises pendant ces séances montrent la table complètement détachée du sol, alors que le médium a les mains et les pieds tenus par les opérateurs.
Ces séances commencèrent à Naples, en 1891, à la suite d’un défi porté par le chevalier Chiaia au professeur Lombroso . Elles se renouvelèrent à Milan, en 1892 ; puis à Naples, en 1893 ; à Rome et à Varsovie, en 1894 ; en 1895, chez M. Ch. Richet, au château de Carqueiranne et à l’île Roubaud, sur la côte de Provence ; en 1896, à l’Agnélas, chez le colonel de Rochas ; en 1897, à Montfort-l’Amaury, en présence de M. Flammarion ; en 1901, à Auteuil, où Sully-Prudhomme s’adjoignit aux expérimentateurs habituels .
D’autres séances eurent lieu au cercle Minerva, à Gênes, en 1901 ; elles ont eu un grand retentissement en Italie.
M. Vassallo, directeur du Secolo XIX, a réuni en un volume les rapports de ces séances, qu’il a suivies avec une attention scrupuleuse. Le 5 avril 1902, il donnait sur le même sujet et sous le titre : la Médiumnité et la Théorie spirite, à l’Association de la presse, à Rome, une conférence présidée par l’ex-ministre Luzzati, président de l’Association, dont tous les journaux italiens ont rendu compte avec éloges. Nous résumons :
« 1re séance. En pleine lumière, la table de sapin brut, à quatre pieds, longue d’un mètre, se soulève, se détache du sol un grand nombre de fois et reste suspendue à dix centimètres au-dessus du carrelage, sans qu’aucune main humaine la touchât. Pendant ce temps, les mains d’Eusapia étaient tenues par ses voisins, qui contrôlaient également les pieds et les jambes, de façon qu’aucune partie de son corps ne pût exercer le moindre effort. »
« 2ème séance. Des coups violents, à briser la table, retentissent. Des mains apparaissent, dont on ressent les attouchements et les caresses, mains fortes et larges d’hommes, mains plus petites de femmes, menottes minuscules de bébés. Des lèvres invisibles se posent sur le front des assistants, et des baisers se font entendre. Des empreintes de mains invisibles sont obtenues dans la plastiline.
« 5e séance. Le médium, dont les mains sont toujours tenues, est soulevé avec sa chaise par une action occulte, sans heurts, sans secousses, par un mouvement lent, et suspendu en l’air, ses deux pieds et les pieds antérieurs de la chaise reposant sur la surface de la table, déjà détériorée par les chocs. Le poids soulevé est de 70 kilogrammes et nécessite une force considérable.
« Chose plus extraordinaire, de la surface de la table, Eusapia, avec sa chaise, est encore lévitée, de telle sorte que le professeur Porro, astronome, et une autre personne peuvent passer leurs mains sous ses pieds et ceux de la chaise, sans accord préalable et avec une parfaite concordance d’impressions.
« Le fait de se détacher de la table dénote, plus encore que celui de se détacher du sol, l’intervention d’une force extrinsèque au médium, intelligente, calculatrice, qui a su proportionner les actes aux résultats et éviter un accident toujours possible, étant donné le poids d’Eusapia, l’appui précaire d’une table à moitié brisée et le fait que deux pieds de la chaise se trouvaient suspendus dans le vide.
« 6e séance. Transport d’objets sans contacts : fleurs, anneaux, instruments de musique, ardoises, boussole et surtout d’un de ces dynamomètres qui servent à mesurer la force avec laquelle une main peut serrer un ressort ; quatre ou cinq fois, comme par un jeu, ce dynamomètre est enlevé à son propriétaire qui l’avait remis à zéro, puis rendu chaque fois avec des indications variant depuis un maximum correspondant à une force herculéenne jusqu’à un minimum pareil à. la force d’un petit enfant.
« Comment attribuer », dit le professeur Porro, « à un dégagement d’Eusapia un processus aussi compliqué d’actes volitifs et conscients, accompagnés d’une graduation aussi sage d’effets dynamiques ? Pourrait-elle simuler tour à tour diverses entités et développer en chaque cas une force à leur mesure ? »
Au cours des séances suivantes, des matérialisations se produisirent, dont nous parlerons au chapitre spécialement consacré à ce genre de manifestations.
Le docteur Ochorowicz, de Varsovie, a obtenu, en plein jour et souvent à volonté, avec le concours du médium Mlle Stanislawa Tomczyk, des déplacements sans contact d’objets matériels : crayons, aiguilles, tubes à expériences, etc. Il a pu les photographier suspendus dans le vide .
C’est par erreur que l’on a considéré le phénomène de la lévitation comme une violation des lois de la pesanteur. Il démontre simplement l’action d’une force et d’une intelligence invisibles. Le médium ne saurait trouver en lui seul le pouvoir de s’élever sans point d’appui et de rester suspendu. Il faut admettre nécessairement l’intervention d’une volonté étrangère, qui accumule la force fluidique en quantité suffisante pour contre-balancer le poids du médium ou des objets lévités et les détacher du sol. Les fluides sont empruntés en partie au médium lui-même, qui, dans ce cas, joue le rôle de pile, puis aux autres personnes présentes et, s’il y a insuffisance, à d’autres Entités invisibles, qui prêtent leur concours à l’opérateur.
Il en est de même pour les raps ou coups frappés. Ces bruits sont produits par la condensation et la projection d’amas fluidiques sur des corps durs. Parfois ces amas sont lumineux. On lit, dans les notes de M. Livermore :
« Une boule lumineuse du volume d’une orange, paraissant retenue par un point d’attache, rebondissait sur la table, et un coup résonnait chaque fois que la boule retombait sur le plateau de cette table. »
Tous ces phénomènes se rapportent, on le voit, aux lois physiques connues. Il suffit seulement d’étendre l’application de ces lois au monde invisible comme au monde visible ; dès lors tout s’explique et s’éclaire. Il n’y a, en tout ceci, rien de surnaturel. Le spiritisme est une science qui nous apprend à connaître la nature et l’action des forces occultes comme la mécanique nous fait connaître les lois du mouvement, et l’optique, celles de la lumière. Ses phénomènes viennent s’ajouter aux phénomènes connus, sans altérer ni détruire l’ordre imposant, qui les régit. Elle en élargit simplement le champ d’action, en même temps qu’elle nous fait pénétrer les ultimes profondeurs de la nature et de la vie.
Les tables ne jouent pas seulement un rôle important dans les manifestations physiques spontanées. Elles ont aussi une part dans les phénomènes d’ordre intellectuel.
Les tables tournantes et parlantes ont suscité bien des critiques et des railleries ; mais, comme l’a dit Victor Hugo : « Cette raillerie est sans portée. » Si, laissant de côté le persiflage stérile et oiseux, nous considérons le fait en lui-même, que verrons-nous dans les manifestations de la table ? Presque toujours le mode d’action d’un être intelligent et conscient.
La table est un des meubles les plus faciles à déplacer. On le trouve partout, dans tous les appartements. C’est pourquoi il est utilisé de préférence. Ce qu’il faut voir avant tout dans ces faits, ce sont les résultats acquis, et non pas l’objet qui a servi à les produire. Lorsque nous lisons une belle page, ou que nous contemplons un tableau, songeons-nous à la plume qui l’a écrite, au pinceau qui l’a exécuté ? La table n’a pas plus d’importance ; elle n’est que l’instrument vulgaire transmettant la pensée des Esprits. Selon les manifestants, cette pensée sera tour à tour banale, grossière, spirituelle, malicieuse, poétique ou sublime. Les chercheurs, qui reçoivent, par ce moyen, des marques d’affection des êtres qu’ils ont aimés, oublient facilement l’insignifiance du procédé employé.
Certains mouvements de la table peuvent, il est vrai, être attribués à l’action de forces extériorisées par les assistants et transmises par leurs mains au meuble. Dans ces expériences, il faut toujours faire la part des mouvements involontaires des opérateurs, lorsqu’il s’agit de phénomènes physiques, et de la suggestion, lorsqu’il s’agit du fait intellectuel.
Cependant, dans la plupart des cas, ces deux causes sont insuffisantes pour expliquer les phénomènes. D’abord le contact des mains n’est pas toujours nécessaire pour provoquer les mouvements. Faraday, Babinet, Chevreul et d’autres savants, pour résoudre le problème, avaient adopté la théorie des mouvements musculaires inconscients. Mais voici que les tables s’agitèrent en dehors de tout contact humain. C’est ce qu’établirent les expériences de Robert Hare et de W. Crookes, qui contrôlèrent les mouvements du meuble au moyen d’appareils enregistreurs employés dans les laboratoires de physique.
Un rapport du Comité désigné par la Société dialectique de Londres, en 1869 , vint confirmer leurs déductions. Il concluait ainsi : 1° une force émanant des opérateurs peut agir sans contact ou possibilité de contact sur des objets matériels ; 2° elle est fréquemment dirigée avec intelligence.
Les expériences poursuivies, pendant plusieurs années, à Paris, rue de Beaune, n° 2, par Eugène Nus, le spirituel écrivain, auquel se joignirent le peintre Ch. Brunier, le compositeur Allyre Bureau, l’ingénieur Franchot, etc., sont parmi les plus célèbres. Nous les rappellerons succinctement .
On s’y sert d’abord d’une table à manger, lourde et massive, qui se lève sur deux pieds et reste immobile en équilibre. Une énergique pesée suffit à peine à la ramener à sa position normale.
On essaie ensuite avec un guéridon, qui, plus léger, gambade, se dresse sous les mains, imite le mouvement du berceau et le roulis de la vague. « Ce n’est plus une chose. C’est un être. Il n’a besoin, pour comprendre, ni de paroles, ni de gestes, ni de signes. Il suffit de vouloir, et, prompt comme la pensée, il va, vient, s’arrête, se dresse sur ses deux pieds et obéit. »
Il parle... à l’aide de coups frappés, dicte des sentences, des enseignements, des phrases délicates ou profondes. Par exemple : « La solitaire expérimentation est la source des erreurs, des hallucinations, des folies. Pour faire utilement des expériences, il faut être préoccupé de Dieu. Élevez vos âmes à Dieu pour être revivifiés contre les affaissements douteurs. »
On lui demande de parler anglais. Elle le fait d’une façon très poétique. Plusieurs expressions inconnues des assistants ne peuvent être traduites qu’à coups de dictionnaire.
Puis viennent les définitions en douze mots : « Je défie, dit Eug. Nus, toutes les Académies réunies, de formuler brusquement, instantanément, sans préparation, sans réflexion, des définitions circonscrites en douze mots, aussi nettes, aussi complètes et souvent aussi élégantes que celles improvisées par notre table. »
En voici quelques-unes :
Harmonie : L’équilibre par fait de l’ensemble et des parties entre elles.
Amour : Pivot des passions mortelles ; force attractive des sens ; élément de continuation.
Religion future : Idéal progressif pour dogme, arts pour culte, nature pour église.
« Parfois, ajoute l’écrivain, nouvelle preuve de la spontanéité du phénomène, nous refusions d’accepter une définition. La table recommençait immédiatement et nous dictait une autre phrase de douze mots, toute nouvelle.
« D’autres fois, nous arrêtions le phénomène pour chercher nous-mêmes la fin de la phrase et nous ne la trouvions jamais. Un exemple : la table nous donnait la définition de la foi : « La foi déifie ce que le sentiment révèle et...
« Et..., quoi ? dis-je tout à coup en arrêtant le guéridon pour l’empêcher d’achever sa dictée : plus que trois mots. Cherchons ! - Nous nous regardons, nous réfléchissons, et nous restons bouche béante. Enfin nous rendons à la table la liberté de ses mouvements, et elle achève tranquillement sa phrase : «... et la raison explique. »
« Quelque volonté que nous eussions de nous borner au rôle d’expérimentateurs, il ne nous était pas possible de rester indifférents aux affirmations de cet interlocuteur mystérieux, qui posait et imposait son étrange personnalité avec tant de netteté et d’indépendance, supérieur à tous tant que nous étions, au moins dans l’expression et la concentration des idées, et parfois nous ouvrant des aperçus dont chacun convenait de bonne foi n’avoir jamais eu l’intuition. »
La même table composa des mélodies. Félicien David en entendit l’exécution et en fut charmé. Il y avait entre autres : le Chant de la terre dans l’espace ; le Chant de la mer ; la Mélodie du vent ; le Chant de l’astre satellite lunaire ; le Chant de Saturne, de Jupiter de Vesta ; l’Adoration, etc.
Des messages furent dictés par coups frappés, non plus sur le parquet, mais dans la table même. Puis ce fut le crayon de Ch. Brunier, devenu médium écrivain, qui interpréta la pensée de l’invisible visiteur. A une question posée par Eug. Nus : Qu’est-ce que le devoir ? il répondait : « Le devoir est l’accomplissement librement voulu de la destinée de l’être intelligent. Le devoir est proportionnel au degré de l’être, dans la grande hiérarchie divine nécessaire. Je dis ce mot nécessaire, parce que, toujours, la nécessité implique Dieu. »
« Une comparaison pour définir la prière : « Supposons un être représenté par un cercle. Cet être a une vie interne et une vie externe. Sa vie externe ou rayonnante, ou expansion divine, part du point qui est au centre et dépasse le cercle qui correspond au fini pour aller dans l’infini. C’est donc l’élévation dans la vie. » En religion actuelle, cela s’appelle, au point de vue de la prière, simple élévation à Dieu. Sondez ces trois mots et vous pourrez conclure avec la science. »
Le mystérieux interlocuteur d’Eug. Nus ne s’est pas fait connaître . Mais, en d’autres cas, des personnalités invisibles absolument inconnues des expérimentateurs, se sont affirmées par la table, et leur identité a pu être établie d’une manière précise.
C’est, entre autres, le cas d’Anastasie Pérélyguine, décédée à l’hôpital de Tambov (Russie) en novembre 1887, et qui se manifesta spontanément par la table le lendemain de sa mort, dans la maison de M. Nartzeff, à un groupe de personnes, dont aucune ne connaissait son existence .
Puis c’est Abraham Florentine, soldat de la milice américaine, mort le 5 août 1874 à Broocklyn (États-Unis), qui se communique à Shanklyn, île de Wight (Angleterre), le même mois, indiquant, d’une façon très nette, son âge, son adresse, avec force détails sur sa vie passée. Il résulte d’une minutieuse enquête que tous ces détails étaient exacts .
Les preuves d’identité obtenues au moyen de la table sont nombreuses, mais beaucoup sont perdues pour la publicité et pour la science, par suite du caractère d’intimité qui s’attache à ces manifestations. Bien des âmes sensibles redoutent de livrer à la curiosité publique le secret de leurs attachements et de leurs douleurs.
Le docteur Chazarain a fait part de deux communications de cet ordre au Congrès de Paris de 1900, dans les termes suivants :
« Pendant dix ans, dans un groupe familial que je présidais et dont le médium (ma fille Jeanne) n’avait que treize ans lorsque nos séances commencèrent, nous avons communiqué de la manière la plus heureuse avec nos amis de l’Au-delà, car ils nous ont donné, sur la vie de l’espace, des instructions d’un mérite qu’on rencontre rarement.
« La première communication, du 16 mai 1888, répondait à la grande douleur que m’avait causée la mort de mes deux meilleurs amis, décédés deux mois auparavant, à quelques jours d’intervalle l’un de l’autre. La voici :
« Voudriez-vous entendre le concert joyeux qui se produit là-haut, lorsqu’une âme chère et attendue fait sa rentrée dans le monde des Esprits ? Désireriez-vous contempler, le spectacle du bonheur du revoir ?
« Oh ! nous qui avons éprouvé ces joies, nous voudrions pouvoir vous les faire partager. Mais hélas ! pourquoi faut-il que trop souvent notre bonheur soit troublé par vos tristesses ? Lorsque l’un de vous est mûr pour le pays des âmes, il lui faut s’élever au-dessus des souffrances terrestres et briser tous les liens qui l’attachent à la terre. Rien ne saurait le retenir ni l’enchaîner plus longtemps ; semblable au prisonnier, à qui la liberté est rendue, il s’envole vers les horizons nouveaux qui lui sont ouverts. Oh ! ne pleurez pas trop sur vos chers envolés, car, après avoir connu les amertumes de la séparation, vous connaîtrez aussi les douceurs du revoir. »
Les tables furent consultées par de hautes intelligences. Mme E. de Girardin, grâce à elles, conversait avec des Esprits de choix. Auguste Vacquerie, dans les Miettes de l’Histoire, raconte qu’à Jersey elle initia à ces pratiques toute la famille de Victor Hugo. Nous lui empruntons ce récit émouvant :
« Un soir, la table épela le nom d’une morte vivante dans tous ceux qui étaient là... Ici la défiance renonçait : personne n’aurait eu le cœur ou le front de se faire, devant nous, un tréteau de cette tombe. Une mystification était déjà bien difficile à admettre, mais une infamie ! Le soupçon se serait méprisé lui-même. Le frère questionna la sœur qui sortait de la mort pour consoler l’exil ; la, mère pleurait ; une inexprimable émotion étreignait toutes les poitrines ; je sentais distinctement la présence de celle qu’avait arrachée le dur coup de vent. Où était-elle? Nous aimait-elle toujours ? Était-elle heureuse ? Elle répondait à toutes les questions ou répondait qu’il lui était interdit de répondre. La nuit s’écoulait, et nous restions là, l’âme clouée sur l’invisible apparition. Enfin elle nous, dit : « Adieu ! » et la table ne bougea plus. »
Après le départ de Mme de Girardin, le grand exilé continua ces entretiens mystérieux et les consigna en plusieurs cahiers, que M. Camille Flammarion a pu compulser, et dont il a publié des fragments dans les Annales politiques et littéraires du 7 mai 1899. Il y est dit ceci :
« Mme Victor Hugo et son fils François étaient presque toujours à la table. Vacquerie et quelques autres ne s’en approchaient qu’alternativement, Hugo jamais. Il remplissait le rôle de secrétaire, écrivant, à l’écart, sur des feuillets, les dictées de la table. Celle-ci, consultée, annonçait, généralement la présence de poètes, d’auteurs dramatiques et autres personnages célèbres, tels que Molière, Shakespeare, Galilée, etc. Mais la plupart du temps, lorsqu’on les interrogeait, à la place du nom qu’on attendait, la table frappait celui d’un être imaginaire, par exemple celui-ci qui revient, souvent : l’Ombre du sépulcre.
« Un jour, les Esprits demandèrent qu’on les interrogeât en vers. Victor Hugo déclara qu’il ne savait pas improviser de la sorte, et demanda de remettre la séance. Le lendemain, Molière ayant dicté son nom, l’auteur de la Légende des Siècles prononce les vers suivants :
Victor Hugo à Molière.
Toi qui du vieux Shakespeare as ramassé le ceste,
Toi qui, près d’Othello, sculpta le sombre Alceste,
Astre qui resplendis sur un double horizon,
Poète au Louvre, archange au ciel, ô grand Molière !
Ta visite splendide honore ma maison.
Me tendras-tu là-haut ta main hospitalière ?
Que la fosse pour moi s’ouvre dans le gazon,
Je vois sans peur la tombe aux ombres éternelles,
Car je sais que le corps y trouve une prison,
Mais que l’âme y trouve des ailes !
« On attend. Molière ne répond pas. C’est encore l’Ombre du sépulcre, et, vraiment, nul ne peut lire cette réponse sans être frappé de son ironique grandeur :
L’Ombre du sépulcre à Victor Hugo.
Esprit qui veux savoir le secret des ténèbres,
Et qui, tenant en main le terrestre flambeau,
Viens, furtif, à tâtons, dans nos ombres funèbres
Crocheter l’immense tombeau !
Rentre dans ton silence et souffle tes chandelles !
Rentre dans cette nuit dont quelquefois tu sors.
L’œil vivant ne lit pas les choses éternelles
Par-dessus l’épaule des morts !
« La leçon était dure. Indigné de la conduite des Esprits, Victor Hugo jeta son cahier et quitta la salle. »
« Les communications dictées par la table de Jersey », conclut M. Flammarion, « sont d’une grande élévation de pensée et d’une langue superbe. L’auteur des Contemplations a toujours cru qu’il y avait là un être extérieur, indépendant de lui, parfois même hostile, discutant avec lui et le rivant à sa place. Et pourtant, en parcourant ces trois cahiers, on ne peut se défendre de l’idée que c’est là du Victor Hugo, parfois même du Victor Hugo sublime.
« Loin de moi la pensée d’accuser un seul instant, ni V. Hugo, ni Vacquerie, ni aucun des assistants d’avoir triché, d’avoir consciemment créé des phrases pour les reproduire par le mouvement de la table. A cet égard, pas de discussion. Il ne reste donc que deux hypothèses : ou une action inconsciente de l’esprit de V. Hugo, d’un ou de plusieurs assistants ; ou la présence d’un Esprit indépendant. »
Nous ne saurions partager l’hésitation de M. Flammarion devant ce problème. Les vers de l’Ombre du sépulcre ne sont pas l’œuvre de Victor Hugo, puisqu’il déclare à l’avance « ne pas savoir improviser », et qu’il s’irrite de la réponse hautaine et spontanée de l’Esprit. S’il n’est pas admissible qu’il ait voulu s’infliger une leçon à lui-même, le respect dont il était l’objet permet encore moins d’attribuer, cette pensée aux personnes de son entourage. D’ailleurs, on nous le dit, il n’était jamais à la table. Quant au langage, n’oublions pas que les Esprits n’en font pas usage entre eux, mais communiquent simplement par la pensée. Ils n’emploient le langage articulé que par rapport à nous et toujours dans la forme qui nous est habituelle. Quoi d’étonnant à ce qu’un Esprit d’une grande élévation, comme paraît être l’interlocuteur de Victor Hugo, ait voulu parler au poète dans son propre langage ? Tout autre style eût été au-dessous des circonstances et du milieu.
Les phénomènes de la table ont amené des adhésions nombreuses au spiritisme. La table qui se dresse et bondit, avec ou sans contact, et dicte des mots imprévus, impressionne les sceptiques, ébranle les incrédules. Mais les convictions ne se fixent et ne se consolident que lorsque le phénomène revêt un caractère intelligent et fournit des preuves d’identité. Sans cela, l’impression première se dissipe vite, et on arrive à expliquer le fait par une tout autre cause que l’intervention des Esprits.
Les faits purement physiques sont impuissants à faire des convictions durables. Le professeur Charles Richet le reconnaît lui-même. Il a vu, à Milan, à Rome, à Paris, des manifestations très significatives ; il a signé des procès-verbaux concluants ; mais peu après, par la force de l’habitude, il retombe dans ses hésitations d’antan.
« Notre conviction », dit-il dans son discours prononcé, en 1899, à la Société anglaise des recherches psychiques , « celle des hommes qui ont vu, devrait servir à convaincre les autres ; mais, au contraire, c’est la conviction négative de ceux qui n’ont rien vu et ne devraient rien dire, qui affaiblit et arrive à détruire la nôtre. »
Nous venons de voir, dans les cas cités, que la table peut devenir l’instrument d’Esprits éminents. Ces cas sont assez rares. Le plus souvent, ce sont des âmes de faible intelligence qui se manifestent par ce procédé. Leurs communications sont généralement banales ou même grossières et sans valeur. Plus l’Esprit est inférieur, plus il lui est facile d’agir sur les objets matériels. Les Esprits avancés ne se servent de la table qu’exceptionnellement et à défaut d’un autre moyen. Le contact et la manipulation des fluides nécessaires aux manifestations de ce genre impose un certain malaise aux Esprits de nature subtile et délicate ; mais, bien souvent aussi, leur affection, leur sollicitude pour nous leur fait surmonter bien des difficultés.
Les manifestations de la table ne sont que le vestibule du spiritisme, un acheminement vers des phénomènes plus nobles et plus instructifs. Ne vous attardez pas aux expériences physiques ; mais, lorsque vous en aurez retiré ce qu’elles peuvent vous procurer de certitude, cherchez des modes de communication plus parfaits, susceptibles de vous conduire à la véritable connaissance de l’être et de ses destinées.
XVIII. ECRITURE DIRECTE OU PSYCHOGRAPHIE. ECRITURE MEDIANIMIQUE.
L’écriture est aussi un des moyens à l’aide desquels les êtres que nous avons aimés sur la terre peuvent se communiquer à nous et nous transmettre leurs pensées. Elle se présente sous deux formes : l’écriture directe ou psychographie et l’écriture médianimique
De ces deux modes de manifestations, la psychographie est certainement le plus sûr, le plus facile à contrôler. Il peut se produire en pleine lumière. Le médium reste dans son état normal, libre de ses agissements, au point qu’il ne semble jouer aucun rôle dans la production du phénomène. Des feuilles de papier étant placées dans des boîtes ou des tiroirs fermés à clé, ou bien entre des ardoises doubles, ficelées et scellées, sont retrouvées couvertes d’écriture et signées des noms de personnes défuntes.
Dans les temps modernes, le baron Guldenstubbé, le premier, a attiré l’attention publique sur cet ordre de faits par son livre : la Réalité des Esprits et le phénomène de leur écriture directe .
Sans le concours d’aucune personne, étant, sans doute, médium lui-même, dans des conditions très variées, il a obtenu de nombreux messages écrits. Ses expériences les plus remarquables ont eu lieu au Louvre, au musée de Versailles, dans la basilique de Saint-Denis, l’abbaye de Westminster, au British Museum et dans plusieurs églises ou monuments ruinés de France, d’Allemagne et d’Angleterre.
Parmi les témoins de ces faits, il cite M. Delamarre, rédacteur en chef de la Patrie ; Croisselat, rédacteur de l’Univers ; R. Dale Owen, Lacordaire, le frère du grand orateur, l’historien de Bonnechose, le prince Léonide Galitzin, le révérend W. Mountfort, dont le témoignage sur ce point a été publié par le Spirilualist du 21 décembre 1877.
Le baron disposait des feuilles de son propre carnet en des lieux cachés, sans crayon, ni quoi que ce fût pour écrire. Il se retirait à quelques pas, sans perdre de vue un seul instant l’objet de l’expérimentation, puis il retirait le papier, sur lequel se trouvaient des messages intelligibles.
Le volume est accompagné de trente fac-similés de psychographies ainsi obtenues et choisies parmi plus de deux cents spécimens en vingt langues différentes.
Dans certains cas, des feuilles de papier et des crayons étant disposés sur des tables ou sur le parquet, sous les yeux des expérimentateurs, on voit le crayon se dresser comme s’il était tenu par une main invisible et tracer des caractères. D’autres fois, on voit cette main guider et diriger les mouvements du crayon. En d’autres cas, l’écriture semble être le résultat d’une action chimique.
Dans son livre : Recherches sur le spiritualisme, p. 158, W. Crookes cite plusieurs exemples de psychographie :
« Je m’étais assis près du médium, Miss Fox ; et les seules autres personnes présentes étaient ma femme et une de ses parentes. Je tenais les deux mains du médium dans une des miennes, tandis qu’elle avait posé ses deux pieds sur les miens. Une feuille de papier avait été déposée sur la table, devant nous, et de ma main restée libre je tenais un crayon.
« Une main lumineuse descendit du plafond du salon et, après avoir flotté quelques secondes près de moi, prit le crayon de ma main, écrivit rapidement sur la feuille de papier, rejeta le crayon, puis s’éleva au-dessus de nos têtes en se perdant peu à peu dans l’obscurité. »
Aksakof, dans Animisme et Spiritisme (pp. 112 et 113), cite plusieurs cas, où des mains d’Esprits matérialisées écrivent sous les yeux des assistants.
Voici des faits plus récents, obtenus au village de Douchy (Nord) et présentés au Congrès spirite de Paris, 1900, par le docteur Dusart :
« Le 4 mars 1898, la médium Maria D.... entourée de cinq personnes, montre une chaise vide sur laquelle elle dit voir l’Esprit d’Agnès, sa cousine, décédée depuis plusieurs années, occupé à écrire sur des morceaux de papier découpés en forme de cœur. Un instant après, tous les assistants voient une main déposer sur la table un paquet contenant cinq cœurs en papier, sur l’un desquels est écrite une courte prière. M. et Mme N..., parents d’Agnès, reconnaissent l’écriture de leur fille et fondent en larmes. « A une autre séance, on vit, à deux reprises, une plume déposée sur la table se dresser, écrire seule deux lignes et reprendre sa place. »
En d’autres cas, c’est sur l’ardoise que sont tracées les communications directes.
Ici, une remarque s’impose. Nous savons que certaines radiations exercent une action dissolvante sur les fluides. Une lumière trop vive, la fixité des regards sur le point où se produisent les expériences, peuvent paralyser la force psychique et faire obstacle aux manifestations, alors que, au contraire, l’obscurité les favorise. Mais celle-ci rend le contrôle plus difficile et diminue la valeur des résultats obtenus. Il faut donc y recourir le moins possible, sauf en ce qui concerne les phénomènes lumineux, qu’on ne saurait provoquer sans elle.
Les expériences d’écriture sur ardoises offrent cet avantage précieux qu’elles peuvent être poursuivies en pleine lumière et être soumises à un contrôle sévère, en même temps qu’elles réunissent les conditions les plus favorables à la préparation des phénomènes. En effet, les ardoises appliquées l’une contre l’autre constituent par leurs faces intérieures une chambre absolument obscure, semblable à la chambre noire des photographes et, par cela même, très propice à l’action fluidique.
Dans toutes les expériences que nous allons citer, les ardoises étaient neuves, nettes de tout caractère, achetées et apportées par les expérimentateurs ; souvent, afin d’éviter toute substitution frauduleuse, elles portent une marque secrète. Elles étaient, ou solidement liées par deux, ou bien scellées et cachetées et même, comme dans le cas de Mme L. Andrews et W. Petty, fortement vissées l’une contre l’autre. Dans ces conditions, des messages apparaissent à l’intérieur de ces ardoises, que l’on n’a pas perdues de vue un seul instant. Parfois même, les mains des expérimentateurs ne les quittent pas. En d’autres cas, ni le médium, ni aucun autre des assistants ne touche les ardoises. Un morceau de crayon étant laissé dans l’intervalle vide, on entend, pendant toute la durée du phénomène, le grincement de ce crayon sur le schiste et le bruit caractéristique qui se produit lorsqu’on met la ponctuation ou que l’on barre les t.
Sous le titre Psychography, Stainton Moses, alias Oxon, a écrit, au sujet des phénomènes de l’écriture sur ardoises, un ouvrage très documenté, où il cite de nombreux faits observés par lui-même, dans une période de dix années ; à ces faits, viennent s’en ajouter d’autres de même nature, vus et attestés par des chercheurs non moins sérieux.
On y trouve des témoignages collectifs émanant de personnalités considérables ou d’observateurs sceptiques. Dans le nombre, l’auteur cite souvent les noms de « Sullivan, ministre des États-Unis près la cour de Portugal, le conseiller Thiersch, le professeur de droit criminel Wach ; les professeurs Zoellner, Fechner, Weber et Scheibner, de l’Université de Leipzig ; Harrison, rédacteur en chef, du Spiritualist, de Londres ; Robert Dale Owen, ministre des États-Unis à Naples, etc.
La plupart de ces faits ayant été reproduits dans plusieurs revues et journaux , nous n’en citerons qu’un petit nombre :
Sergeant Cox, président de la Société psychologique de la Grande-Bretagne, déclare avoir obtenu plusieurs messages sur ardoise par l’intermédiaire du médium Slade. Voici un extrait de son témoignage :
« Les mains de Slade reposaient sur la table et tout son corps était sous mes yeux, des pieds à la tête. Il prit l’ardoise que j’avais soigneusement inspectée pour m’assurer qu’il n’y existait aucune trace d’écriture et, y déposant un fragment de crayon d’ardoise, il l’appliqua contre la face inférieure du plateau de la table. Aussitôt, j’entendis un bruit comme si on écrivait sur l’ardoise.
« Quelques coups précipités ayant indiqué que l’écriture était terminée, l’ardoise fut retournée et on put lire la communication suivante, écrite en caractères clairs et parfaitement formés : « Cher Sergeant, vous étudiez un sujet qui mérite toute votre attention ; l’homme qui arrive à croire à cette vérité devient meilleur dans la plupart des cas. Tel est notre but, lorsque nous revenons sur la terre, poussés par le désir de rendre les hommes plus sages et plus purs. »
Le révérend J. Savage, prédicateur de renom, cite le témoignage d’un rabbin juif de ses amis, sceptique au sujet de la possibilité de communiquer avec un autre monde :
« Il était allé voir un médium de Chicago, muni d’un billet qu’il adressait à son père décédé quelques années auparavant en Allemagne, et qu’il avait rédigé en allemand et en caractères hébraïques, afin d’empêcher le médium de découvrir, par un moyen quelconque, ce dont il pouvait être question. Il plaça le billet entre deux ardoises qu’il attacha solidement ensemble, et il les fixa sur une suspension qui se trouvait au-dessus de la table à laquelle ils étaient assis. C’est dans ces conditions qu’ayant ouvert les ardoises au bout d’un instant, il y trouva une réponse à son billet, signée de son père et écrite, elle aussi, en allemand avec des caractères hébraïques. »
Parfois, les caractères tracés sur l’ardoise sont si petits qu’ils ne peuvent être lus sans le secours d’un verre fortement grossissant ; ces caractères diffèrent suivant les communicants, et le type de chaque écriture se maintient exactement pendant toute la durée des expériences, si longue soit-elle. Non seulement les traits de l’écriture restent constants, mais les messages révèlent la présence d’une individualité consciente qui déclare avoir vécu sur la terre, dans la condition humaine. Ils ont leur originalité, pour le fond et pour la forme ; les intelligences se distinguent nettement les unes des autres par leurs communications, comme elles se distinguent du médium.
Certains messages, obtenus en présence de Slade, de Monck ou Watkins, furent écrits en grec ancien ou moderne, en espagnol, portugais, russe, suédois, hollandais, allemand, arabe ou chinois. Or, tous les témoins attestent que ni l’un ni l’autre de ces médiums ne connaissait ces langues. Par cela même, il y avait impossibilité de suspecter la moindre fraude de leur part.
Robert Dale Owen, expérimentant avec Slade, avait placé sur ses propres genoux, en pleine lumière, une ardoise recouverte d’une feuille de papier. Une main fluidique, semblable à celle dont parle W. Crookes et venue de dessous la table, apparut et traça une communication sur cette feuille
« La main ressemblait en tous points à celle d’une statue de femme, en marbre. Les doigts étaient délicats. Elle était détachée et se terminait en vapeur au niveau du poignet. Elle commença d’écrire et continua sous mes yeux pendant deux ou trois minutes. Elle glissa ensuite doucement sous la table. Cinq minutes après, une seconde main, plus petite que la première, vint écrire à son tour et disparut comme la précédente. Le premier message, en anglais, était signé du nom de la femme décédée du docteur Stade ; le dernier était en grec . »
Aucun de ces phénomènes ne saurait être considéré comme une hallucination, puisque, chaque fois, l’écriture reste comme une preuve irrécusable de l’action des Esprits.
La communication, la plus étendue reçue sur ardoises est celle que M. Owen, rédacteur du Golden Gate, obtint, le 24 décembre 1892, avec l’aide du médium Evans. Elle s’étendait sur quatorze ardoises doubles, ficelées et scellées, qui furent couvertes d’écriture en un quart d’heure, et se composait d’un millier de mots .
Un autre journaliste, rédacteur de Light, obtint, par le même procédé, un message de son père défunt, en dix couleurs différentes. Les ardoises restèrent fermées entre ses mains. Pendant toute la durée de l’expérience, il s’entretenait avec le médium et détournait son attention par des questions variées. Chaque ligne de la communication est d’une couleur distincte, non pas écrite ou peinte, mais comme précipitée, par des moyens qui échappent à l’analyse .
En France, le docteur Paul Gibier, préparateur au Muséum, a tout particulièrement étudié, le phénomène de l’écriture directe. En trente-trois séances, il obtint, à Paris, en 1886, avec le concours du médium Slade, des messages sur ardoises doubles et fermées, en différentes langues, dont plusieurs inconnues du médium. La reproduction photographique de ces messages se trouve dans l’ouvrage du docteur Gibier : Spiritisme ou Fakirisme occidental .
Dans ces expériences, le médium posait simplement l’extrémité de ses doigts sur les ardoises pour communiquer la force psychique. Une fois, les ardoises furent posées sur sa tête, à la vue de tous.
Au Congrès spirite de Paris, en 1900, le professeur Moutonnier présenta des ardoises sur lesquelles des messages de sa fille défunte étaient tracés. Cette manifestation s’était produite en Amérique, chez les sœurs Bangs. Le professeur était tout à fait inconnu en ce pays et les médiums le voyaient pour la première fois. Il ne perdit pas de vue les ardoises qui ne subirent aucun contact. L’écriture est identique à celle qu’avait sur terre Mlle Moutonnier .
Les phénomènes d’écriture directe, quoique fréquents, sont surpassés en nombre par ceux de l’écriture médianimique. La faculté des médiums écrivains est une des plus répandues et celle qui offre les aspects les plus divers.
Le procédé des communications par coups frappés ayant paru trop lent à certains expérimentateurs, ils imaginèrent de construire des appareils spéciaux, comme le cadran ou la planchette à écrire , afin de faciliter les manifestations. On simplifia encore. Quelques personnes eurent l’idée de se substituer elles-mêmes à tout appareil. Saisissant un crayon, elles s’abandonnèrent à l’impulsion extérieure et reçurent des messages dont elles n’avaient pas conscience et qui paraissaient émaner d’Esprits de défunts.
Mais bientôt, on se heurta à de nombreuses difficultés. D’abord, on dut reconnaître que l’automatisme de la main qui écrit ne constitue pas, à lui seul, un phénomène spirite. Les expériences, de Gurney et Myers, en Angleterre, sur l’écriture des somnambules au réveil ; celles de MM. Pierre Janet, Ferré, docteur Binet, etc., en France, démontrèrent qu’on peut provoquer l’écriture automatique chez un sujet au moyen de la suggestion et donner à ce phénomène toutes les apparences de la médiumnité.
Des sujets hypnotisés recevaient des expérimentateurs l’ordre de jouer, à leur réveil, tel ou tel personnage, d’écrire des ordres, des messages, se rapportant au rôle imposé. La suggestion s’étant réalisée de point en point, M. Pierre Janet et, avec lui, d’autres savants crurent avoir découvert, dans l’action post-hypnotique, l’explication de tous les phénomènes de l’écriture médianimique. Les médiums, dirent-ils, se suggestionnent eux-mêmes, ou bien ils subissent une suggestion extérieure.
D’autres, comme Taine et le professeur Flournoy, attribuent les communications à l’influence de la personne seconde, c’est-à-dire d’un deuxième moi subconscient ou « subliminal », qui leur parait exister en nous et qui, dans les cas de médiumnité, se substituerait à la personnalité normale pour agir sur la pensée et la main du sensitif.
A ces difficultés, il faut encore ajouter l’action télépathique des vivants à distance et la transmission de pensée.
On le voit, le phénomène de l’écriture médianimique se rattache aux problèmes les plus délicats de la personnalité et de la conscience, aux états anormaux de l’âme, considérée dans ses multiples manifestations.
Nous devons de la reconnaissance aux savants qui ont étudié ces problèmes complexes. Leurs recherches nous ont fourni des indications précieuses permettant d’éliminer du domaine des recherches psychiques certaines causes d’erreur. Mais nous ne saurions accepter leurs conclusions, aussi exagérées dans leur exclusivisme que celles des croyants, enclins à voir, dans tous les phénomènes, une intervention des défunts. In medio stat veritas. Les causes d’erreur, étant déterminées et les faits qui s’y rattachent soigneusement écartés, nous verrons qu’il reste un grand nombre de manifestations absolument inexplicables par les théories de nos contradicteurs.
Tels sont les messages exprimant des idées tout à fait imprévues, en opposition avec celles des assistants, et ceux en langues étrangères inconnues des médiums. Il faut rappeler, en outre, les communications obtenues par des illettrés ou par des enfants en bas âge, ainsi que les réponses scientifiques et littéraires données à des personnes nullement versées en ces matières ; puis, les autographes et les signatures de personnes décédées, reproduits mécaniquement par des médiums qui ne les ont jamais connues et n’ont vu aucun écrit de leur main. Il n’est pas jusqu’aux communications triviales et grossières, obtenues dans des réunions honnêtes, qui ne démontrent l’intervention d’une intelligence étrangère. On ne saurait, par exemple, attribuer à la suggestion le mot « historique» que des Esprits arriérés s’amusent à dicter par la table ou le crayon.
Remarquons qu’il n’y a pas de corrélation véritable entre l’automatisme des sujets hypnotisés et l’action du médium écrivain. Celui-ci n’a subi au préalable aucune influence hypnotique. Il n’a pas été plongé dans le sommeil et reste en possession complète de son libre arbitre et de sa volonté. Il peut rejeter, s’il lui plaît, les inspirations qu’il reçoit et se refuser à toute coopération. Tandis que le sujet hypnotisé est encore, après le réveil, sous l’empire du suggestionneur et subordonne sa volonté à la sienne. Il ne saurait se soustraire à son action, tandis que le médium agit de son plein gré et prête volontairement son cerveau et sa main en vue des résultats poursuivis.
Autre considération. Le sujet hypnotisé ne réalise la suggestion que dans la limite restreinte de ses aptitudes et de ses connaissances normales. Aussi, son langage et ses écrits sont toujours d’une banalité désespérante, entièrement dépourvus des preuves d’identité et des révélations spontanées qui font tout le prix des messages spirites. En vain suggérerez-vous à un sujet sans instruction qu’il est écrivain ou poète : il ne produira rien d’original, rien de remarquable. Il n’en est pas ainsi des médiums, dont les messages dépassent souvent l’intelligence et le savoir. On a même vu des communications d’une grande portée écrites par des enfants.
Dans cet ordre de faits, le critérium est celui-ci : Par la suggestion hypnotique, les productions des sujets sont toujours adéquates à leur valeur normale ; dans la médiumnité, elles sont presque toujours supérieures à la condition et, au savoir de l’écrivain. L’écriture automatique et inconsciente des hystériques de M. Janet n’est jamais spontanée ; elle ne se produit qu’après un long entraînement, une éducation spéciale ; elle est, en outre, restreinte à des femmes.
Quant à la théorie du subliminal, chère à M. Flournoy, il est vrai qu’il existe dans la conscience profonde de chacun de nous des souvenirs, des impressions, des connaissances, provenant de nos existences antérieures et même de la vie actuelle, et qui peuvent être réveillées dans certaines conditions, comme nous le verrons au chapitre des incorporations. Mais ce réveil n’est possible que dans l’état somnambulique, et, nous venons de le voir, cet état n’est pas celui des médiums écrivains.
L’inconscient ou le subconscient n’est pas un être, mais simplement un état de l’être. Il ne saurait produire de lui-même les manifestations variées que nous avons passées en revue : communications intelligentes, frappées ou écrites, avec ou sans crayon ou au moyen de couleurs précipitées, et tous les phénomènes faisant l’objet de ces études. Et d’ailleurs, on peut toujours se demander pourquoi ces inconscients cachés en nous seraient unanimes à se dire les Esprits des morts. On ne voit pas quelle raison pousserait l’esprit dégagé du médium, pas plus que l’inconscient, à s’identifier avec l’esprit d’un autre homme décédé. S’il existe en nous une seconde personnalité possédant des aptitudes et des connaissances supérieures à la personnalité normale, elle doit être non moins bien douée sous le rapport de la moralité et avoir horreur du mensonge. Comment admettre alors que, chaque fois qu’elle se manifeste, elle se fasse un malin plaisir de nous tromper ?
La théorie d’un être collectif conscient, créé par les intelligences des personnes participant aux expériences, ne répond pas davantage à la réalité des faits. Elle est détruite par les oppositions de vues et les cas d’identité qui se révèlent fréquemment dans les manifestations.
W. Crookes, si prudent en toute chose, s’est prononcé sur ce point d’une manière précise :
« L’intelligence qui dirige ces phénomènes est parfois manifestement inférieure à celle du médium et elle est souvent en opposition directe avec ses désirs. Quand une détermination a été manifestée de faire quelque chose que l’on ne peut considérer comme raisonnable, j’ai vu donner de pressants messages invitant à réfléchir de nouveau. L’intelligence est parfois d’un tel caractère, qu’elle nous porte à croire qu’elle n’émane d’aucune des personnes présentes. »
Toutes les explications que l’on a voulu donner de l’ensemble des phénomènes, en éliminant l’intervention des Esprits, n’ont pu résister à la puissance des faits accumulés, ni aux procédés d’une sévère critique et d’un rigoureux examen. Elles ont seulement réussi à démontrer, l’insuffisance des recherches et des observations de leurs auteurs. La théorie spirite, seule, s’adapte à l’immense majorité des faits. Elle présente deux avantages incontestables : celui de rendre compte de tout à l’aide de principes simples, clairs, facilement compréhensibles ; et cet autre, non moins considérable, de n’avoir pas été conçue par des expérimentateurs bénévoles, mais d’être constamment et invariablement formulée par la cause intelligente des manifestations.
Ceci dit, passons à l’examen des faits.
Les faits d’écriture médianimique sont aussi anciens que l’histoire. L’antiquité et le moyen âge en fournissent de nombreux exemples.
Retiré au fond d’une caverne, Mahomet, d’un mouvement fébrile, couvre de caractères des feuilles qu’il rejette au hasard. On réunit ces feuilles éparses, on les coordonne, et que trouve-t-on ? Le Coran ! Le Christ, lui-même, interroge la pensée suprême et écrit la réponse sur le sable, à certaines heures, par exemple, dans le cas de la femme adultère. Jérôme Cardan déclare que ses oeuvres ont été exécutées avec la collaboration d’un Esprit.
Presque tous ceux qui ont jeté dans le monde des ferments de progrès, de justice, de vérité, ont été les intermédiaires de l’Au-delà, comme des miroirs où se réfléchissait le rayonnement de la pensée supérieure. Leur nombre serait plus grand encore, si notre état d’infériorité ne rendait ces hautes manifestations difficiles à réaliser dans notre monde matériel. La part à faire à chaque médiumnité, en ce domaine, ne saurait être précisée ; l’intuition s’y mêle étroitement à l’automatisme.
Dans les temps modernes, la faculté d’écrire sous une impulsion occulte s’est révélée avec plus de netteté chez certains individus. Citons les cas les plus célèbres :
Hudson Tuttle, de Cleveland (Ohio), était, à 18 ans, un simple garçon de ferme, sans éducation, ni instruction, occupé tout le jour aux pénibles travaux des champs. Il écrivit, pendant la nuit, sous l’inspiration des Esprits, un livre admirable : Arcanes de la Nature, qui devançait de beaucoup les connaissances scientifiques du temps. Il n’avait à sa portée ni livres, ni bibliothèques, car ses parents demeuraient dans les bois et ne s’occupaient que d’agriculture. L’ouvrage fut publié en 1860, avec un appendice indiquant son origine. Il eut trois éditions en Amérique, fut réédité depuis en Angleterre, traduit en, allemand par le docteur Aschenbrenner et publié à Leipsick.
Détail curieux, le docteur Büchner, chef de l’école matérialiste allemande, lut l’ouvrage sans prêter aucune attention à l’appendice, crut qu’il émanait d’un homme de science et y puisa de nombreuses citations, qui figurent dans son livre célèbre : Force et Matière, sans désignation d’auteur.
Le docteur Cyriax en fit la remarque, et lorsque Büchner alla en Amérique faire une série de conférences, il passa à Cleveland et demanda à voir Hudson Tuttle, « désireux qu’il était », disait-il, « de faire la connaissance d’un homme qui lui avait été d’un si grand secours pour son ouvrage ».
Le médium lui fut présenté lors d’un banquet. Mais le désappointement de Büchner fut grand lorsqu’il vit le jeune homme ; et, lorsqu’il apprit de quelle façon les Arcanes avaient été écrits, il crut à une farce. Le docteur Cyriax et M. Teime, éditeur du journal allemand de Cleveland, eurent beaucoup de peine à le dissuader .
Le grand écrivain Hasdeu, sénateur de Roumanie, historien et philologue, avait cinquante-trois ans lorsqu’il perdit sa fille unique, fauchée à seize ans par la tuberculose. Cette perte provoqua une orientation nouvelle dans l’esprit d’Hasdeu, qui a même expliqué son initiation au spiritisme dans le prologue de Sic cogito, le seul de ses ouvrages écrit en ce sens.
« Il s’était écoulé six mois depuis la mort de ma fille, c’était en mars (1889) ; l’hiver était parti ; le printemps se faisait encore attendre. Un soir humide et maussade, j’étais assis seul à ma table de travail. Devant moi, comme de coutume, il y avait une rame de papier et plusieurs crayons.
« Comment ? Je ne sais ; mais, sans le savoir, ma main prit un crayon et en appuya la pointe sur le papier qui luisait. Je commençai à sentir à ma tempe gauche des coups brefs et profonds, exactement comme si on y avait introduit un appareil télégraphique. Tout à coup ma main se mit en mouvement sans arrêt. Cinq minutes tout au plus. Quand mon bras s’arrêta et que le crayon s’échappa de mes doigts, je me crus réveiller du sommeil, bien que je fusse certain de ne m’être pas endormi. Je jetai un regard sur le papier et j’y lus sans aucune difficulté :
« Je suis heureuse ; je t’aime, nous nous reverrons ; cela doit le suffire.
JULIE HASDEU .
« C’était écrit et signé de la propre écriture de ma fille. »
Tout l’ouvrage Sic cogito sert à expliquer cet événement, le premier de toute une série de communications spirites qui devait s’établir entre l’Esprit de Julie Hasdeu, de « Lilica », comme la nommait son père, et l’intelligence extrêmement tendue et suggestionnable de Hasdeu lui-même.
Les communications médiumniques eurent depuis lors une influence même sur les travaux littéraires de Hasdeu. Dans un article sur ce dernier, publié dans le Mercure de France, 16 novembre 1907, M. M. Craiovan reproduit le fac-similé de quelques lignes d’écriture automatique obtenue par Hasdeu dans une séance de spiritisme qui eut lieu chez lui, le 13 novembre 1890, et à laquelle prirent part le docteur Steiner, les professeurs Florescu et Sperautia, le chevalier de Sazzara, consul général austro-hongrois, enfin V. Cosmovici, qui servit de médium. Tout à coup Hasdeu reçut une communication russe, censée venir de son père, et dont voici le contenu : « En qualité de dernier descendant de la famille, tu dois continuer le trésor de la langue moldave : Etimologicum magnum Romaniæ. » Ce document automatique eut toujours pour Hasdeu la valeur d’une véritable révélation : il lui prouvait la réalité des inspirations que subissait sa vie mentale. Il a rapporté longuement, et non sans un certain esprit critique, les motifs qui le portaient à croire au caractère spiritique de cette révélation. D’ailleurs, il avait déjà été frappé, par cette idée de Louis Figuier, que les artistes, écrivains, penseurs, après avoir subi la perte d’un être aimé, sentent s’accroître leurs facultés. Il semblerait que les aptitudes intellectuelles de la personne morte viennent s’ajouter aux leurs et enrichir leur génie. – En tout cas, cette communication médiumnique valut à la Roumanie un ouvrage philologique, qui, tout en étant resté inachevé, est certainement l’un des trésors les plus précieux de sa langue.
Un jour que les railleries niaises atteignaient son spiritisme, « seule religion expérimentale » possible selon lui, Hasdeu se crut obligé de démontrer sa bonne foi. « En histoire, écrivit-il, en philologie, dans toutes les sphères de la connaissance, j’ai toujours été sceptique, repoussant l’autoritarisme d’en haut et la popularité d’en bas, et me frayant partout seul, par mes propres recherches, en allant à la source de tout, une voie nouvelle, bonne ou mauvaise, telle que je l’entendais, mais d’un cœur pur, sans crainte de personne, sans utilité personnelle, sans flatterie, sans réclame. » (Sic cogito, chap. 1er) .
Le révérend Stainton Moses, pasteur de l’Église anglicane, savant et penseur estimé, très imbu des dogmes de la théologie protestante, devint aussi médium écrivain mécanique. Dans son ouvrage : Enseignements spiritualistes, il expose l’état d’esprit dans lequel il accueillait les communications du monde invisible. Les idées, pour lui nouvelles, que les messages contenaient, soulevaient ses protestations, et ce fut après bien des luttes intérieures qu’il finit par les adopter comme étant plus conformes à la justice et à la bonté de Dieu.
Il prit toujours une peine extrême pour éviter que ses propres pensées exerçassent une influence quelconque sur les sujets traités, jusqu’au point de s’appliquer à lire, dans le texte même, des ouvrages grecs, au moment où sa main subissait l’impulsion.
Il existait entre lui et ses instructeurs spirituels, connus sous les noms d’Imperator, Rector et Prudeus, une telle divergence de vues, qu’il n’est vraiment pas possible d’attribuer ces personnalités distinctes à des dédoublements inconscients du médium. Stainton Moses affirme que ces Esprits lui ont souvent révélé des faits absolument inconnus de toutes les personnes participant aux séances, faits reconnus exacts ultérieurement. Voici un de ces cas, extrait de l’ouvrage indiqué plus haut :
« Le 29 mars 1894, une communication fut écrite dans mon cahier. L’écriture m’était inconnue, très tremblante, et heurtée ; elle paraissait tracée par une personne extrêmement faible et âgée. La signature resta une énigme jusqu’à ce qu’elle fût déchiffrée par l’Esprit-contrôle. Ce message émanait d’une vieille femme, dont je n’avais jamais entendu parler ; elle était morte à plus de 90 ans, dans une maison peu éloignée de celle où notre cercle se réunit. Le nom de la résidence où s’étaient écoulées les premières années de cette dame, son âge, la date du décès, furent donnés très exactement. L’Esprit avait quitté la terre depuis quelques mois. A son réveil dans l’espace, sa vieille demeure l’avait attirée, puis le cercle qui se trouvait dans le voisinage immédiat. »
Nous retrouvons les mêmes faits en France. Un certain nombre d’œuvres y ont été écrites ou dictées par des Esprits.
On peut citer : la Clef de la Vie, deux gros volumes, écrits, en 1856, par Michel, de Figanières, jeune paysan du Var, âgé de 22 ans, et qui furent signalées dans le Siècle par un bel article de Louis Jourdan ; les Vies mystérieuses et successives de l’être humain et de l’être terre ; puis les Origines et les Fins , ouvrage obtenu par l’action médianimique de plusieurs dames lyonnaises, en superposant leurs mains les unes sur les autres.
Nous devons signaler, en outre, la Survie, écho de l’Au-delà, recueil de communications remarquables, dictées par des Esprits et publiées par Mme Noeggerath en 1807 , avec une préface de M. Camille Flammarion.
Le Bulletin de la Société des Études psychiques de Nancy, 1901 , publie une communication faite à une séance de cette Société, le 29 mars, par M. Fouquet, rédacteur en chef de l’Étoile de l’Est, sur des phénomènes d’écriture médianimique, obtenus en sa présence par M. P..., son collaborateur, matérialiste déterminé. Nous en détachons les passages suivants :
« L’écriture variait à l’infini, suivant l’Esprit qui dictait. Chaque écriture était facilement reconnaissable et, dès les premiers mots, nous savions à qui nous avions affaire. Dans ces écritures si dissemblables, jamais je ne reconnus celle de P... et il lui aurait fallu un remarquable talent de faussaire pour lui faire revêtir des formes aussi multiples.
« P... ignorait absolument ce qu’il écrivait. Pendant, que sa main traçait les caractères, son regard devenait légèrement fixe et ne se dirigeait jamais du côté de la feuille. Cependant, il ne dormait pas.
« Un jour, une personnalité nouvelle se révéla sous le nom d’Alphantis, nous disant avoir vécu au septième siècle, en Arménie, où il était pontife. Nous crûmes à une mystification et nous lui dîmes. Donnez-nous donc votre nom en écriture arménienne.
« Aussitôt, l’écriture du médium changea et nous vîmes apparaître une sorte de signature en caractères inconnus, puis une phrase entière, en caractères analogues, et après elle la traduction.
« Aucun de nous ne savait l’arménien et nous ne pouvions vérifier. J’eus l’idée de demander à l’Esprit l’alphabet arménien, afin d’avoir un moyen de contrôle. L’alphabet vint, avec les lettres correspondantes. En comparant cet alphabet avec les phrases écrites auparavant et le nom même d’Alphantis, nous reconnûmes qu’il y avait concordance.
« Alphantis nous donna sur l’histoire et la géographie de l’ancienne Arménie des renseignements que nous pûmes en partie contrôler. Le médium ne connaissait pas ces détails. » Les expérimentateurs ne purent se procurer aucun fragment d’écriture arménienne du septième siècle, mais seulement une phrase en arménien moderne. Quoique très différente l’une de l’autre, comme le serait le français moderne comparé à celui du septième siècle, l’Esprit put la traduire, et un étudiant bulgare, qui connaissait un peu l’arménien, confirma la traduction.
Nous empruntons au mémoire présenté par le docteur Dusart au Congrès de Paris, en 1900 , les paragraphes suivants, relatifs aux médiums écrivains qu’il utilise dans ses expériences :
« Maria D... écrit automatiquement. Le caractère de l’écriture et l’orthographe varient suivant les manifestants. On reconnaît l’écrivain avant qu’il ait signé. Dans plusieurs cas, la comparaison de l’écriture du mort avec celle du vivant révèle de frappantes ressemblances.
« Quatre fillettes, de 9 mois, 23 mois, 3 et 4 ans, ont écrit, seules ou réunies à une même table. Les communications obtenues, lorsqu’elles étaient simultanées, représentaient la même pensée sous trois formes différentes. Ces enfants secouaient les bras et les mains comme pour échapper a une étreinte.
« Mme B..., ouvrière des champs, complètement illettrée, au point que plus d’un mois de leçons et d’efforts n’ont pu arriver à lui apprendre à donner sa signature pour un acte notarié, obtint, sous l’influence d’un Esprit, une demi-page d’une écriture informe contenant des conseils. »
Nous citerons encore, d’après Luce e Ombra, de Milan, juillet 1905, le fait que voici :
« Un modeste concierge de l’hôtel des Postes, nommé Peziardi, connaissait à peine un peu d’italien et, néanmoins, écrivait des poésies en des langues ignorées de lui. Un soir, il remplit une grande page de papier ministre d’une série de signes que personne ne pouvait interpréter. Cette étrange écriture fut présentée au professeur Gorresio, célèbre paléographe, alors directeur de la Bibliothèque de l’Université. Celui-ci, profondément stupéfait, demanda qui avait écrit une page semblable, et on le mit au courant de toute l’histoire. Il serait impossible de décrire l’étonnement du savant et plus encore celui de son visiteur, lorsque celui-ci apprit que cet écrit était la reproduction intégrale d’une inscription runique, qui depuis bien des années reposait inexpliquée au musée d’archéologie, et que Gorresio avait tenté, à plusieurs reprises, d’interpréter, mais vainement, parce que le temps avait effacé beaucoup de signes ; en outre, la pierre étant rompue, il avait été impossible de deviner la fin. Maintenant, mis en possession du texte complet, il lisait qu’un certain chef barbare implorait la protection de la divinité sur sa tribu, etc... De ce jour, Gorresio fut converti au spiritisme. Dans une séance subséquente, le chef barbare se manifesta, déclarant exacte la traduction du paléographe et ajoutant que son inscription avait été brisée par un coup de foudre. »
Sous le nom de « cross-correspondance », les expérimentateurs anglais ont imaginé un nouveau procédé de communication au moyen de l’écriture médianimique, qui serait de nature à établir, d’une manière plus précise, l’identité des manifestants. Voici en quels termes Oliver Lodge, recteur de l’Université de Birmingham, rend compte de ces expériences dans son discours à la Society for psychical Researchs, le 30 janvier 1908 :
« Les communiquants ostensibles ont compris aussi bien que nous la nécessité des preuves d’identité, et ils ont fait tous leurs efforts pour satisfaire cette exigence rationnelle. Quelques-uns parmi nous pensent qu’ils y sont arrivés, d’autres doutent encore. Je suis un de ceux qui, tout en désirant obtenir des preuves nouvelles plus efficaces et plus continues, pensent cependant qu’un grand pas a été fait et qu’il est légitime d’admettre ces moments de rapport lucides avec les personnes décédées, qui, dans les meilleurs cas, viennent apporter une nouvelle masse d’arguments, comme faisant de cette hypothèse la meilleure hypothèse de travail.
« Nous trouvons, en effet, que les regrettés Ed. Gurney, Rich. Hodgson, F. Myers et d’autres moins connus semblent se mettre en communication constante avec nous, avec l’idée bien arrêtée et expresse de nous démontrer patiemment leur identité et de nous donner le contrôle réciproque de médiums étrangers les uns aux autres. Nous trouvons également que leurs réponses à des questions spéciales sont faites d’une façon qui caractérise leur personnalité bien connue et révèle des connaissances qui étaient de leur compétence. »
« La cross-correspondance, ajoute sir Lodge, c’est-à-dire la réception par un médium d’une partie de communication et de l’autre partie par un autre médium, chacune de ces parties ne pouvant être comprise sans le secours de l’autre, est une bonne preuve qu’une même intelligence agit sur les deux automatistes. Si, en outre, le message porte la caractéristique d’une personne décédée et est reçu à ce titre par des personnes qui ne la connaissaient pas intimement, on peut y voir la preuve de la persistance de l’activité intellectuelle de cette personne. Si, enfin, nous obtenons d’elle un morceau de critique littéraire qui est éminemment dans sa façon et ne pourrait venir d’individus ordinaires, alors je déclare qu’une telle preuve, absolument frappante, tend à prendre le caractère de cruciale. Telles sont les espèces de preuves que la société peut communiquer sur ce point.
« Les frontières entre les deux états, le présent et le futur, sont encore appréciables, mais elles tendent à s’effacer par place. De même qu’au milieu du grondement des eaux et des bruits divers, pendant la percée d’un tunnel, nous entendons de temps à autre le bruit des excavateurs qui viennent vers nous du côté opposé, de même, par intervalle, nous entendons les coups de pic de nos camarades passés dans l’Au-delà. »
Dans leur esprit d’initiative, les Anglais ne s’en sont pas tenus là. Ils ont établi un bureau de communications régulières avec l’autre monde. C’est le vaillant écrivain W. Stead qui l’a fondé à Londres, sur les instances d’une amie disparue, Mlle Julia Ames : de là son nom de bureau Julia. Cet Esprit désire venir en aide à tous les désincarnés qui cherchent à entrer en rapport avec les vivants laissés derrière eux, de même qu’aux incarnés, éprouvés par la perte d’un être regretté. Pour être admis à demander une communication, Julia, qui dirige elle-même les séances, ne requiert que deux choses : une affection sincère et licite entre le vivant et le mort, ainsi qu’une étude préalable de la question spirite. Aucune rétribution n’est tolérée par elle. Le solliciteur, sa requête prise en considération, est envoyé près de trois médiums différents, et tous les résultats sont enregistrés.
Déjà, depuis sa fondation, ce bureau a pu établir de nombreux rapports avec l’invisible. « Il a jeté un pont d’un bord à l’autre de la tombe, » a dit W. Stead avec quelque raison.
La clientèle du bureau Julia se recrute surtout parmi les gens instruits et éclairés : docteurs, professeurs, avocats, etc. Un reporter du Daily News écrit qu’il y accompagna un jour un auteur bien connu, dont on serait étonné de voir le nom mêlé à cette affaire. Cet auteur désirait obtenir une manifestation d’un ami décédé. Le consentement de Julia accordé, on le mit, selon l’usage, successivement en rapport avec trois médiums assistés par un sténographe, et un procès-verbal détaillé de chaque séance fut établi. A une de ces séances, son habitation fut décrite exactement avec ses abords ; à une autre, il reçut un message qu’il jugea provenir certainement de son ami décédé.
Dans un compte rendu publié par Light, de Londres, M. W. Stead s’exprime ainsi :
« Dans le cours de deux ans, cinq cents demandes vinrent de toutes les parties du monde. Sur ce nombre, cent vingt-six n’ont jamais fait connaître les résultats obtenus. Cent soixante et onze ont écrit qu’ils avaient la conviction d’avoir été mis en communication avec leurs parents décédés. Quatre-vingts ont répondu que le résultat était peut-être satisfaisant, mais qu’ils n’osaient pas l’affirmer. Enfin cinquante-trois ont déclaré qu’ils n’avaient pas obtenu de communication des leurs. Les succès furent plus nombreux qu’on ne s’y attendait et de nature à détruire l’hypothèse que la télépathie peut être proposée pour expliquer les messages obtenus. Les demandeurs ont déclaré que, lorsqu’ils fixaient leur attention sur un sujet, ce n’était jamais celui-là qui était traité, et les preuves obtenues n’étaient pas celles que sollicitaient les questions. La télépathie ne peut donc expliquer de tels faits. »
L’étude de ces phénomènes démontre que les médiums écrivains doivent être classés en trois catégories, suivant la nature de leurs facultés. Ce sont :
1° Les automates purs. Ceux-là n’ont pas conscience de ce qu’ils écrivent ; leur bras seul est influencé ; leurs mouvements sont brusques et saccadés, et ils ont parfois une certaine peine à lire ce qu’ils ont obtenu. Cette faculté est celle qui offre le plus de garantie, le médium n’étant qu’un instrument ou plutôt un agent passif, dont la pensée et la volonté restent indépendantes des mouvements de la main.
2° Les écrivains semi-mécaniques, chez qui le cerveau et la main sont également impressionnés. Ils ont conscience de ce qu’ils écrivent, et les mots viennent à leur pensée au moment même où ils se forment sur le papier.
3° Les écrivains intuitifs ou inspirés, dont le cerveau seul est influencé. Cette faculté est incertaine, parfois trompeuse, car les pensées du sujet se mêlent fréquemment à celles de l’inspirateur occulte et il est difficile de les distinguer les unes des autres. De là, l’hésitation de certains médiums de cet ordre. Ils ne doivent cependant pas négliger ce mode de travail, qui se perfectionne par l’exercice et peut devenir, avec le temps, une méthode précieuse de communication.
Nous avons souvent remarqué ce fait dans la médiumnité intuitive. La part intellectuelle du médium, considérable au début dans les messages, au point qu’on peut hésiter sur le caractère même de cette faculté, s’amoindrit peu à peu, et la part de l’Esprit s’accroît graduellement, au point de devenir prépondérante. On retrouvera toujours, dans les communications obtenues, des termes, des expressions, des tournures de phrases familières au médium et dont il fait un usage courant, mais l’originalité, la divergence des idées et des vues exprimées s’affirmeront de plus en plus ainsi que leur supériorité sur celles du sensitif.
Aux médiums qui seraient portés à s’attribuer le mérite exclusif des communications obtenues, nous signalerons le fait suivant, rapporté par le capitaine Bloume, dans sa lettre à M. L. Gardy, publiée par le Messager, de Liège, du 15 avril 1900 :
« Dans un groupe d’officiers du 57e de ligne, un sous-lieutenant, homme très ordinaire comme esprit et intelligence, peu instruit, mais bon médium, se figurait tirer de sa tête d’assez belles communications morales et commençait à se croire infiniment de talent personnel comme écrivain, quand, un beau jour, à la soirée hebdomadaire, au milieu d’une belle phrase, il s’arrête net. Impossible de continuer; sa tête se refuse à rien, absolument rien produire. Pendant ce temps, un autre médium expliquait que, sans qu’on l’eût demandé, les Esprits donnaient une leçon d’humilité à ce médium présomptueux.
« A une autre séance, ce même médium écrivait, sur trois feuilles de papier juxtaposées, trois communications complètement différentes, en rédigeant seulement une ligne sur chaque feuille successivement, et cela avec la plus grande netteté et la rapidité habituelle. »
Au cours de nombreuses séances d’expérimentation, il nous est arrivé souvent de poser à des médiums intuitifs des questions improvisées, d’un ordre très élevé, intentionnellement abstrait, bien au-dessus de leurs conceptions personnelles. Elles étaient résolues d’un trait, en des messages fort étendus, dont la forme, aussi remarquable que le fond, ne comportait ni modifications, ni ratures ce que les sensitifs eussent été incapables de faire, de leur propre mouvement, sans une assistance occulte.
Malgré les différences d’opinion et d’éducation religieuse qui distinguaient nos médiums entre eux, tous les enseignements qu’ils recevaient et transmettaient sur la vie future et l’évolution des âmes étaient identiques dans leurs grandes lignes, dans leurs traits essentiels. L’un d’eux, très opposé à la croyance aux existences successives, recevait journellement des communications sur la réincarnation et ses lois. D’autres, très imbus des idées catholiques ou protestantes orthodoxes, obtenaient des messages démontrant que les conceptions de paradis et d’enfer sont erronées ou tout au moins allégoriques, et ne reposent sur rien de réel ; enfin, tout un ensemble de notions sur l’Au-delà différant essentiellement de celles qui leur étaient familières et leur avaient été inculquées profondément et dès l’enfance.
Ces manifestations étaient souvent confirmées par la vue et la description des Esprits qui se tenaient près des sensitifs, les dirigeant et les inspirant. Dans ces conditions, le médium voyant complétait le médium écrivain. Il est bon d’avoir ainsi, dans un groupe, plusieurs sujets dont les facultés, diverses se contrôlent réciproquement.
La médiumnité intuitive, disions-nous, ne doit pas être dédaignée, car par l’usage elle s’augmente et se précise. Toutefois, il ne faut jamais négliger – et c’est le cas pour toutes les productions médianimiques – d’en passer les résultats au crible de notre raison et de notre jugement.
La crédulité n’est pas un moindre mal que le scepticisme intransigeant. Le discernement, une certaine éducation scientifique, sont nécessaires pour déterminer l’origine véritable et la valeur des communications, pour faire la part des différentes causes en action dans le phénomène.
L’authenticité des messages est parfois difficile à établir. L’abus de noms célèbres, de personnalités honorées parmi les hommes se présente fréquemment et devient un élément de doute et de trouble pour les observateurs. Certaines productions, d’une banalité déplorable et d’un style incorrect, signées de noms illustres, éveillent la suspicion et portent bien des hommes à considérer le spiritisme comme une grossière mystification. Pour l’examinateur froid et impartial, ces abus démontrent simplement une chose. C’est que l’auteur du message n’est pas toujours ce qu’il dit être. Dans le monde invisible, comme parmi nous, il y a des Esprits trompeurs, toujours prêts à se parer de titres ou de mérites auxquels ils n’ont aucun droit, afin d’en imposer au vulgaire.
Il faut donc s’attacher bien plus au fond même de la communication qu’au nom qui la termine. A l’œuvre on juge l’ouvrier. Les Esprits élevés, pour se faire reconnaître, au lieu des noms qu’ils portaient sur la terre, adoptent volontiers des termes allégoriques.
En principe, les noms et les titres n’ont pas, dans l’Au-delà, l’importance que nous y attachons. Les jugements de l’espace ne sont pas ceux de la terre, et bien des noms qui brillent dans l’histoire humaine s’éclipsent dans l’autre vie. Les œuvres d’orgueil y tiennent peu de place ; seules, les œuvres de dévouement, de charité et d’amour y constituent des titres durables. Ceux qui les ont édifiées n’ont pas toujours laissé leurs noms dans la mémoire des hommes. Ils ont pu passer obscurs, presque inconnus ici-bas, mais la loi divine a consacré leur existence, et leur âme rayonne d’un éclat que bien des Esprits, réputés grands parmi nous, sont loin de posséder.
Il y a, dans les basses régions de l’espace, comme sur la terre, des Esprits sophistes, qui aiment à présenter leurs conceptions sous le couvert de noms retentissants. Chez eux, l’erreur se dissimule sous des formes graves ou séduisantes, qui font illusion et n’en sont que plus dangereuses. C’est surtout dans ces cas que notre jugement doit s’exercer. Nous ne devons pas adopter les vues d’un Esprit, simplement parce qu’il est Esprit, mais seulement si elles nous paraissent justes et bonnes. Nous devons discuter et contrôler les productions de l’Au-delà avec la même liberté d’appréciation que celles des auteurs terrestres. L’Esprit n’est qu’un homme délivré de son corps charnel ; par la mort, il n’acquiert pas l’infaillibilité. L’espace qui nous entoure est peuplé d’une foule invisible peu évoluée. Mais, au-dessus d’elle, il est de hautes et nobles intelligences, dont les enseignements doivent nous être précieux. Nous pouvons les reconnaître à la sagesse qui les inspire, à la clarté et à la grandeur de leurs vues.
Une objection nous est faite quelquefois. Plusieurs groupes évoquent le même Esprit et obtiennent, au même moment, des messages signés de lui. Faut-il toujours voir là une supercherie ? Non ! nous savons que la puissance de la pensée s’accroît avec l’élévation de l’esprit et son rayonnement peut embrasser une vaste étendue. L’âme, parvenue à un haut degré d’avancement, devient un foyer puissant, dont les radiations peuvent pénétrer partout où un appel, une évocation se produit. C’est ce qui a dû faire croire, en certains cas, au don d’ubiquité.
L’insuffisance de certaines communications ne provient pas seulement de ceux qui les dictent ; on peut encore l’attribuer au manque d’aptitude, de savoir, de connaissances du médium qui les reçoit. Des Esprits, de réelle valeur se trouvent parfois réduits à employer des instruments très imparfaits, au moyen desquels nous ne percevons que des manifestations affaiblies de leur pensée, de faibles reflets de leur génie.
Dans la généralité des cas, des médiums imparfaits ne réussissent à transmettre que des communications médiocres, sous le rapport du langage et de la richesse des idées, mais il est aussi d’admirables organisations médianimiques qui se prêtent avec une facilité tenant du prodige aux intentions de l’Esprit. Nous avons vu à Paris, chez la duchesse de P... et en d’autres milieux, un jeune médium féminin, Mlle J. D. qui, dans une obscurité presque complète, couvrait, en un temps très court, de nombreuses pages d’une écriture rapide et serrée. Ces messages avaient toujours trait aux plus hautes questions de philosophie et de morale. Dans un style plein de grandeur, ils exprimaient les plus nobles pensées. C’était un charme profond d’en entendre la lecture et, quoique toute signature en fût absente, ils émanaient, à n’en pouvoir douter, des plus brillantes intelligences de l’espace.
Les contradictions que présentent certains messages entre eux et la rareté des preuves d’identité sont aussi de grandes causes d’incertitude. Par exemple, des communications signées de nos proches n’offrent pas toujours le caractère d’authenticité qu’on aimerait à y rencontrer. Beaucoup d’incohérences doivent être attribuées aux obstacles rencontrés par les manifestants, bien plus qu’à l’intention de tromper. Si ceux que nous appelons manquent d’aptitude, ils doivent recourir à des intermédiaires, à des Esprits plus expérimentés, qui prendront leur nom afin de rendre la communication plus intelligible ou plus efficace. De là, certaines inexactitudes ou défectuosités imputables aux transmetteurs.
Nos moyens de perception, d’investigation, de contrôle, sont encore faibles et, dans la plupart des cas, nous ne faisons rien de ce qui est nécessaire, comme méthode d’entraînement psychique et moral, pour rendre la communication plus parfaite.
Chez le médium inspiré, la raison doit faire équilibre à l’intuition. Celle-ci est toujours sûre et féconde, quand elle provient des âmes élevées ; elle est parfois décevante et dangereuse, lorsqu’elle émane d’Esprits d’ordre inférieur, dont les idées et les jugements sont erronés.
En ceci, comme en tout ce qui concerne nos rapports avec le monde occulte, il n’est qu’une règle : se spiritualiser.
La matière est comme un mur qui se dresse entre nous et l’invisible. Par tous les moyens, cherchons à en atténuer l’opacité. Pour cela, il faut faire appel aux Etres supérieurs et, par les radiations de nos âmes, faciliter la communion avec eux. N’usons qu’avec respect et désintéressement des facultés qui nous sont accordées, c’est-à-dire ne les utilisons jamais pour des causes ou des intérêts matériels, mais seulement en vue de notre bien moral. Plus le médium se détache des influences terrestres, plus ses facultés grandissent et s’affinent.
L’écriture médianimique revêt parfois les formes les plus bizarres. Alors qu’en dehors de l’influence occulte, les médiums seraient incapables d’écrire dans ces conditions, certains obtiennent de l’écriture renversée, autrement dite « écriture en miroir », lisible seulement au moyen d’une glace. D’autres écrivent à rebours, de telle sorte qu’il faut lire leurs productions en sens inverse, les phrases commençant par la dernière lettre et finissant par la première.
Dans les Proceedings de la S. P. R., Frédéric Myers cite le cas suivant :
« La veuve d’un clergyman niait absolument l’écriture automatique. – « J’aurais beau, disait-elle, tenir un crayon jusqu’à la consommation des siècles, ma main n’écrira jamais que ce que j’aurai voulu. » Sa main entra bientôt en mouvement tandis qu’elle défiait l’Esprit d’écrire son nom et raillait son impuissance à le faire. C’était un peu illogique, puisque sa main était déjà vaincue par le mouvement, en dépit de ses efforts pour l’immobiliser. Cependant elle griffonnait malgré elle des lignes incohérentes, qu’une résistance voulue rendait absolument méconnaissables. Enfin elle abandonna le crayon, chantant victoire. Mais voici la ruse. Quelqu’un ayant eu l’idée de présenter le papier à la glace, chacun put lire : - « Unkind, my name is Norman. » (Méchante, mon nom est Norman.) Il est évident que la volonté hostile du sujet aurait empêché ce tracé si l’œil avait pu suivre la formation des caractères dans leur sens normal . »
A cet ordre de phénomènes se rattache tout un ensemble de travaux que nous ne saurions passer sous silence. Il s’agit de dessins exécutés, soit à la plume, soit au crayon, par des personnes n’ayant aucune notion du dessin. Elles couvrent le papier de feuilles, de fleurs étranges et gracieuses, aux teintes éclatantes, d’arabesques, d’animaux, tantôt de pure fantaisie, tantôt imitant la flore ou la faune de planètes lointaines.
Victorien Sardou obtint des gravures représentant des constructions idéales. Hugo d’Alési crayonna des portraits de défunts reconnus ressemblants. Hélène Smith, tout en ignorant la peinture, a peint des tableaux qui impressionnent. Rosa Agullana et Segundo Oliver obtinrent des dessins troublants, des ornements, des fleurs, des figures bizarres, ou exécutèrent des travaux charmants. On peut dire que la médiumnité se prête à mille oeuvres variées. Un bon médium est comme une lyre qui vibre sous l’impulsion des Esprits.
Au Congrès spirite tenu à Paris, en septembre 1900, rue d’Athènes, un certain nombre de ces oeuvres avaient été groupées dans une salle spéciale et soumises à la curiosité du public.
Une série de portraits obtenus automatiquement par M. Fernand Desmoulins, peintre de talent, très connu dans le monde parisien, attiraient particulièrement l’attention, il y avait là des figures de rêve et d’épouvante, dont la vue causait un certain malaise ; des profils délicieux, au mélancolique sourire ; des têtes de suppliciés, exprimant une douleur horrible ; des visages d’une intensité d’expression extraordinaire, aux regards interrogateurs ou suppliants.
Ces dessins avaient été exécutés, tantôt de biais, plus souvent à l’envers, quelquefois dans l’obscurité ou les yeux fermés, sous l’empire d’une volonté étrangère, celle d’un invisible qui signe : « l’instituteur ».
M. Desmoulins met de dix à vingt minutes à produire ces dessins, alors qu’il lui faut cinq ou six jours pour composer un des siens. Sa main crayonne avec une rapidité vertigineuse, sans qu’il ait la moindre conscience de ce qu’il fait. Il la regarde aller, curieusement. Il le dit lui-même :
« Elle travaille à la manière de Rodin. Souvent, elle est entraînée avec la rapidité de l’éclair, dans une sorte de tourbillon ou de giration fulgurante. Courbes, volutes et lignes droites ; yeux, nez, bouche et cheveux, tout est tracé, dessiné, ombré en un rien de temps. Un portrait fait à l’envers représente une vieille femme au visage contracté, appuyant sa main sur son front. Or, je commençai par dessiner le bras à l’envers, et comme il m’était naturellement impossible de reconnaître que je dessinais un bras, je cherchai quel pouvait bien être l’objet que je crayonnais. »
« Quand l’Esprit veut procéder, par notre intermédiaire, à certaines retouches, voici comment il s’y prend : Mon crayon, inconsciemment, trace d’abord un petit cercle sur une partie déterminée du visage, celle qu’il désire modifier, puis la pointe de mon crayon se trouve conduite en dehors de la partie dessinée, dans un coin du papier, où elle écrit : efface. Je sais ce que cela veut dire ; avec ma gomme j’efface la partie entourée d’un cercle et je reprends mon crayon.
« Il aime surtout à m’étonner. C’est ainsi qu’il m’a fait exécuter plusieurs fois, devant des tiers, des portraits de personnes que je n’avais jamais vues, et qui se trouvaient être, soit des parents, soit des amis (défunts) des gens qui m’entouraient et qui m’imputaient, non sans étonnement, ces sortes d’instantanés de l’invisible.
« Je n’ai, moi l’exact et le scrupuleux, aucun rapport avec cet « instituteur » extravagant, qui fait un portrait en commençant par où on finit, sans se soucier où il mettra les yeux, le nez et la bouche. »
Ainsi s’affirme, sous mille formes, étranges, variées, inattendues, la communion, du visible et de l’invisible, la collaboration de l’homme et de l’Esprit. Et par là nous apprenons que la mort est vaine. Toutes les âmes agissent et travaillent, aussi bien hors de la chair que dans la chair. La vie a des aspects différents, mais pas de fin !
XIX. TRANCE ET INCORPORATIONS.
L’état de trance est ce degré du sommeil magnétique qui permet au corps fluidique de s’extérioriser, de se dégager du corps charnel, et à l’âme de revivre un instant de sa vie libre, indépendante. La séparation, toutefois, n’est jamais complète ; la séparation absolue serait la mort. Un lien invisible continue à rattacher l’âme à son enveloppe terrestre. Semblable au fil téléphonique qui assure la transmission entre deux points, ce lien fluidique permet à l’âme affranchie de transmettre ses impressions par les organes du corps endormi. Dans la trance, le médium parle, se déplace, écrit automatiquement ; mais, de ces actes, aucun souvenir ne subsiste au réveil.
L’état de trance peut être provoqué, soit par l’action d’un magnétiseur, soit par celle d’un Esprit. Sous l’influx magnétique, les liens qui unissent les deux corps se relâchent. L’âme, avec son corps subtil, s’émancipe peu à peu ; elle recouvre l’usage de ses puissances cachées, comprimées par la matière. Plus le sommeil est profond, plus le dégagement s’accentue. Les radiations de la psyché s’accroissent et s’étendent ; un état de conscience différent, des facultés nouvelles apparaissent. Tout un monde de souvenirs et de connaissances, ensevelis dans les profondeurs du moi, se réveillent. Le médium peut, sous l’empire d’une volonté supérieure, se reconstituer dans une de ses existences passées, la revivre dans tous ses détails, avec les attitudes, le langage, les attributs qui caractérisent cette existence. En même temps, les sens psychiques entrent en jeu. La vision et l’audition à distance se produisent, d’autant plus claires et plus précises que la sortie de l’organisme est plus complète.
Dans le corps du médium, momentanément abandonné, une substitution d’Esprit peut se produire. C’est le phénomène des incorporations. L’âme d’un défunt, même l’âme d’un vivant endormi, peut prendre la place de l’esprit du médium et se servir de son organisme matériel pour communiquer par la parole et le geste avec les personnes présentes.
Des savants éminents témoignent de la réalité de ces faits. Le recteur Oliver Lodge, dans son discours à la Royal Society, de Londres, le 31 janvier 1902 , s’exprime ainsi :
« Une machine élaborée comme le sont nos corps peut être employée, dans le cas de trance, non seulement par l’intelligence qui l’a fabriquée, pour ainsi dire, mais tout aussi bien par d’autres intelligences, auxquelles on permet d’en faire usage. Naturellement, cela ne se réaliserait que pour un certain temps et avec assez de difficulté. »
Dans sa communication au Congrès officiel de psychologie de Paris, 1900 , le professeur Myers, de Cambridge, était encore plus affirmatif. Après avoir énuméré les phénomènes obtenus à l’état, de trance par Mmes Piper et Thompson, phénomènes qu’il étudie depuis vingt-cinq ans, il concluait ainsi :
« La plupart des faits énoncés suggèrent le caractère et la mémoire de certaines personnes mortes… Je suis convaincu que cette substitution de personnalité, ou contrôle d’esprit, ou possession, est un progrès sensible dans l’évolution de notre race. »
Pendant la trance, l’Esprit du médium s’éloigne peu. Il reste presque toujours mêlé au groupe spirituel qui entoure son enveloppe terrestre. Parfois, son influence se fait encore sentir sur le corps, vers lequel le ramènent ses habitudes. Son action devient alors une gêne, une entrave pour les communiquants.
Quand la force occulte est insuffisante et la trance peu profonde, le dégagement reste incomplet ; les personnalités se mêlent. Le médium résiste à l’action extérieure de l’Esprit, qui fait effort pour prendre possession de ses organes. Ses radiations psychiques se confondent avec celles du manifestant. De là, dans des proportions variables suivant les cas, deux parts à faire dans les manifestations : celle du médium et celle de l’Esprit, opération délicate, qui exige une connaissance approfondie des personnalités en présence et des conditions du phénomène.
L’état de trance facilite la suggestion. Dans les phénomènes de l’écriture et de la table, le médium reste en pleine possession de son moi, de sa volonté et pourrait rejeter les inspirations qu’il reçoit. Dans le dégagement, il n’en est plus ainsi. L’âme s’est retirée et le cerveau matériel reste livré à toutes les influences. Lorsqu’il est insuffisamment protégé, le médium peut subir aussi bien des suggestions d’un magnétiseur que celles des assistants ou celle d’un Esprit. C’est ce qui jette parfois une certaine confusion dans l’interprétation des faits et nécessite, de la part des expérimentateurs, une grande prudence. En tel cas, il est difficile de distinguer la nature réelle des influences agissantes. Hudson Tuttle, médium lui-même, le fait remarquer dans son livre : Arcana of spiritualism :
« Les groupes spirites sont fréquemment les jouets d’une illusion, trompés par leurs propres forces positives. Ils éloignent les messages spirites en leur substituant l’écho de leurs propres pensées ; et alors ils constatent des contradictions et des confusions, qu’ils attribuent complaisamment à l’intervention d’Esprits malveillants. »
C’est pourquoi il est préférable de laisser les Esprits agir seuls sur le médium, en s’abstenant de toute intervention magnétique humaine. C’est toujours ce que nous avons fait au cours de nos études expérimentales. Dans les rares circonstances où, la force psychique leur manquant tout à coup, les Intelligences nous priaient d’agir sur le médium au moyen de passes, cette intervention fugitive suffisait à faire croire aux assistants à une action suggestive de notre part.
Le plus souvent, les fluides d’un magnétiseur, par leur état vibratoire particulier, contrarient ceux des Esprits, au lieu de les aider. Ceux-ci doivent se livrer à un travail d’adaptation qui épuise les forces indispensables à la production des phénomènes. Un magnétiseur dont les fluides ne sont pas purs, le caractère droit, la moralité parfaite, peut, même sans le vouloir, influencer un sujet dans un sens très défavorable.
Même lorsque l’action occulte est puissante et bien établie, il faut encore tenir compte de l’embarras de l’Esprit qui doit se communiquer à l’aide d’un organisme étranger, au moyen de ressources souvent restreintes. L’état d’harmonie entre les facultés de l’Esprit et celles du médium existe rarement, le développement des cerveaux n’est pas identique et les manifestations en sont contrariées. C’est ce que nous disaient certaines Entités au cours de nos expériences d’incorporation : « Nous sommes étroitement enfermés ; nous manquons de moyens suffisants pour exprimer nos pensées. Les particules physiques de ce cerveau sont trop grossières pour vibrer sous notre action, et nos communications en sont considérablement affaiblies. »
L’Esprit de Robert Hyslop le répète à son fils, le professeur Hyslop. Quand il pénètre dans l’atmosphère terrestre et dans l’organisme du médium, les choses, dit-il, s’amoindrissent pour lui : « Toutes choses m’apparaissent si nettement, et quand je viens ici pour te les exprimer, James, je ne puis pas . »
Cependant, quand on peut disposer d’un médium de réelle valeur, lorsque la possession est complète et la force suffisante pour écarter les influences contraires, on se trouve en présence de phénomènes imposants. L’Esprit se manifeste dans la plénitude de son moi, dans toute son originalité. Le phénomène des incorporations apparaît alors comme supérieur à tous les autres.
Certains expérimentateurs se posent cette question : l’esprit du manifestant s’incorpore-t-il effectivement dans l’organisme du médium ? ou bien n’agit-il pas plutôt à distance, par la suggestion mentale et la transmission de pensée, comme peut le faire l’esprit extériorisé du sujet ?
Un examen attentif des faits nous porte à croire que ces deux explications sont également admissibles, suivant les cas. Les citations que nous venons de faire prouvent que l’incorporation peut être réelle et complète. Elle est même quelquefois inconsciente, lorsque, par exemple, certains Esprits peu avancés sont poussés par une volonté supérieure dans le corps d’un médium et mis en communication avec nous afin d’être éclairés sur leur véritable situation.
Ces Esprits, troublés par la mort, croient encore, longtemps après, appartenir à la vie terrestre. Leurs fluides grossiers ne leur permettant pas d’entrer en rapport avec des Entités plus élevées, ils sont amenés dans les groupes d’étude pour être instruits de leur nouvelle condition. Il est parfois difficile de leur faire comprendre qu’ils ont abandonné la vie charnelle, et leur étonnement touche au comique lorsque, invités à comparer l’organisme qu’ils animent momentanément à celui qu’ils possédaient sur la terre, ils sont obligés de reconnaître leur méprise. On ne saurait douter, dans ce cas, de la complète incorporation de l’Esprit.
En d’autres circonstances, la théorie de la transmission à distance semble mieux expliquer les faits. Les impressions venues du dehors sont plus ou moins correctement perçues et transmises par les organes. A côté de preuves d’identité ne permettant aucune hésitation sur l’authenticité du phénomène et l’intervention des Esprits, on constate, dans le langage du sujet entrancé, des expressions, des tournures de phrases, une façon de prononcer qui lui sont habituelles. L’Esprit semble projeter sa pensée dans le cerveau du médium, où elle emprunte au passage des formes de langage familières à celui-ci. La transmission s’effectue alors dans la limite des connaissances et des aptitudes du sensitif, en termes vulgaires ou choisis, suivant son degré d’instruction. De là aussi certaines incohérences, qu’on doit attribuer à l’imperfection de l’instrument.
Au réveil, l’esprit du médium perd toute conscience des impressions recueillies dans l’état de liberté ; de même, il n’aura aucun sentiment du rôle que son corps a pu remplir durant la trance. Les sens psychiques, dont il avait repris un moment possession, s’éteignent de nouveau ; la matière étend son voile ; la nuit se fait ; tout souvenir s’évanouit. Le médium se réveille dans un état de trouble qui se dissipe lentement.
Parfois, le retour dans la chair amène des scènes déchirantes, lorsque le médium, pendant l’extériorisation, a revu, dans l’espace, des êtres aimés, et qu’à l’instant précédant le réveil, il en conserve encore l’impression. Le contraste entre la vie libre et lumineuse, dont il vient de jouir, et la geôle obscure, où il doit redescendre, provoque des scènes de larmes et de regrets, des répugnances à réintégrer la chair, qui se traduisent par des plaintes et des appels émouvants. Nous avons été souvent témoin de scènes de ce genre.
Ne pouvant passer en revue tous les faits se rattachant au phénomène de la trance, nous nous bornerons à citer les plus importants parmi ceux qui ont été constatés, pendant, ces dernières années, par divers hommes de science, d’une part ; puis parmi ceux que nous avons observés nous-même.
En première ligne se placent les manifestations dues à la médiumnité de Mrs. Piper.
Cette dame a été longtemps liée par contrat à la Société des recherches psychiques (S. P. R.), dont nous avons déjà parlé et qui possédait une section à Londres et une autre à New-York. Mrs. Piper fut le principal agent des expériences poursuivies dans ces milieux par des savants, tels que les professeurs Lodge, Myers, Hodgson, W. James, Hyslop et d’autres, appartenant tous à des universités anglaises ou américaines, et qui sont bien les hommes les plus compétents que l’on puisse citer en matière de psychisme. L’étude de ses facultés fit l’objet de nombreuses séances, dont les résultats ont été consignés dans les Proceedings, bulletins de la Société sus-nommée. Ces documents forment un volume de 650 pages, composant le tome XVI des Proceedings. Un résumé en a été publié en français .
Mme Piper, les expérimentateurs, le constatent, jouit, d’une santé excellente. Il n’y a dans sa famille aucune tare, héréditaire. Deux fois seulement au cours des expériences, en 1893 et en 1895, elle tomba malade : chaque fois, ses facultés médianimiques baissèrent, et l’on ne put obtenir de bonnes communications.
Mme Piper a été l’objet d’une surveillance minutieuse et constante. Des policiers étaient attachés à ses pas et observaient ses moindres actes : on prit toutes les mesures pour découvrir la source où elle aurait pu puiser ses renseignements. Pendant son séjour en Angleterre, chez les professeurs Myers et Lodge, elle fut isolée, privée de tout rapport étranger ; ses malles furent visitées ses lettres ouvertes sur sa demande. On ne trouva rien de suspect. Au contraire, plus la surveillance était rigoureuse, plus les manifestations obtenues revêtaient un caractère de certitude.
Pendant la trance, elle est insensible à la douleur, et les globes de ses yeux sont retournés dans leurs orbites. Elle parle ou écrit, et la voix change à chaque Esprit. Toutes les questions posées sont brèves ; elle ne sait jamais qui les posent, car les visiteurs sont introduits pendant son sommeil et désignés uniformément sous le nom de M. Smith. Certains poussent la précaution jusqu’à venir en voiture, le visage recouvert d’un masque.
Un premier témoignage doit retenir notre attention. C’est celui du docteur Richard Hodgson, vice-président de la S. P. R. pour l’Amérique, qui aborda l’étude du phénomène spirite en critique sévère et méticuleux. C’est lui qui étudia les faits extraordinaires attribués à Mme Blavastky et conclut à la supercherie. Il releva les fraudes inconscientes d’Eusapia Paladino et se montra, pendant des années, un adversaire acharné de la médiumnité. Voici ce qu’il déclare dans les Proceedings :
« Depuis douze ans, j’étudie la médiumnité de Mme Piper. Au début, je ne voulais qu’une chose, découvrir en elle la fraude et la supercherie. Je suis entré chez elle profondément matérialiste, dans le but de la démasquer. Aujourd’hui, je dis simplement : Je crois !... La démonstration m’a été faite de façon à m’ôter même la possibilité d’un doute. »
Pour transformer à ce point l’opinion d’un homme aussi prévenu que le docteur Hodgson, il a fallu des faits bien puissants. Le plus significatif est la manifestation spontanée de son ami George Pellew (alias Pelham), homme de lettres, décédé depuis quelques mois et que le médium n’avait pu connaître. L’identité du défunt a été établie d’une façon très précise au cours de nombreux entretiens.
Le docteur Hodgson amena près du médium endormi tous les anciens amis de G. Pelham qu’il put retrouver, une trentaine environ. L’Esprit les reconnaissait tous dès leur arrivée et les accueillait par des boutades. Non seulement il les appelait par leurs noms, mais il leur parlait sur le même ton familier, usant des expressions habituelles dont il se servait avec chacun d’eux, selon le degré d’intimité qui les liait sur la terre. Et cela, sans la moindre hésitation de la part du médium, de la façon la plus spontanée. A tous il fournissait les preuves d’identité les plus minutieuses.
L’un d’eux, le professeur Newbold, proposa à Pelham une traduction du grec, langue connue de lui, et que Mme Piper ignore absolument. L’Esprit traduisit exactement, en suivant le texte littéral grec.
Pendant la première phase des expériences, le médium est influencé, dirigé, contrôlé (suivant l’expression américaine) par des Esprits peu élevés. Un certain Phinuit répond d’une façon incohérente aux questions posées, et il faut toute la patience anglo-saxonne pour suivre le développement du phénomène pendant des années, à travers le labyrinthe de ses divagations. Il est probable que des investigateurs français n’auraient pas eu cette persévérance et auraient perdu tout le bénéfice des manifestations probantes qui succédèrent à cette période confuse.
Avec G. Pelham, les communications deviennent plus nettes, mais, à la longue, on sent le manque de direction compétente. Phinuit et Pelham ne sont pas des Esprits assez puissants, assez habiles pour maintenir la trance à l’état profond et empêcher la personnalité du sujet de s’immiscer quelquefois dans les phénomènes et de les troubler. Stimulé par des influences contraires, le médium s’use rapidement. La « machine », suivant l’expression des guides, se détériore. Les manifestations redeviennent confuses...
On évoqué l’esprit de Stainton Moses, auteur des Enseignements spiritualistes, depuis peu rendu à la vie de l’espace, et on engage avec lui, une controverse sur un point de doctrine. L’écrivain anglais affirmait dans son livre que les Esprits arriérés, conservent dans l’Au-delà leurs passions, leurs appétits terrestres, et cherchent encore à les satisfaire Cette théorie déplaît fort au professeur Newbold, qui demande à Stainton Moses de se rétracter. Celui-ci acquiesce aussitôt et ses explications sont piteuses. Certains écrivains, en commentant ce fait, ont cru pouvoir en tirer des déductions défavorables à la philosophie spirite. Les conditions dans lesquelles Stainton Moses s’est prononcé nous paraissent suspectes. Le médium fonctionnait mal, l’Esprit n’a pu établir sur lui son empire, ni même prouver son identité. Peut-être n’y avait-il pas une affinité suffisante entre son organisme fluidique et celui de Mrs. Piper. C’est là une difficulté dont les critiques ne tiennent pas assez compte. De son côté, le professeur Newbold, par son opinion très arrêtée, exerce une action suggestive sur le sujet.
Du reste, les faits sont là, par milliers, pour démontrer l’inanité de cette théorie trop commode, de cette opinion que la mort suffirait à nous débarrasser de nos vices. En réalité, l’Esprit reste ce qu’il s’est fait lui-même pendant sa vie. Les besoins viennent du corps et s’éteignent avec le corps. Les désirs, les passions, sont de l’esprit et le suivent. Presque tous les phénomènes des maisons hantées sont causés par des Esprits arriérés venant satisfaire, post mortem, des rancunes nées sur terre de mauvais rapports ou de dommages causés par certaines familles, qui ont donné ainsi prise à des influences néfastes. Il en est de même de tous les cas d’obsession et de certains cas de folie. Tous les expérimentateurs de vieille date savent cela. La luxure et l’avarice subsistent chez les âmes basses. Les phénomènes produits par des Esprits « incubes et succubes » ne sont pas imaginaires et reposent sur des témoignages formels. Il est facile de nier ; il serait préférable d’observer et de guérir.
La manifestation fugitive de Stainton Moses et la discussion de ses Enseignements inspirèrent aux expérimentateurs l’idée de faire appel aux Esprits qui les avaient dictés, Esprits supérieurs désignés, dans cet ouvrage, sous les noms d’Imperator, Rector, Doctor et Prudens. Ceux-ci répondirent à l’appel, et aussitôt la physionomie des séances changea. On sentit qu’une action nouvelle et combinée s’exerçait sous la direction d’une haute intelligence. Les incohérences cessent ; les obscurités, les erreurs se dissipent ; les explications deviennent claires, les preuves abondantes ; les derniers doutes des expérimentateurs s’évanouissent. Le médium est l’objet de soins fluidiques assidus ; la « machine » réparée, fonctionne désormais avec précision. Rector est spécialement préposé à sa garde et éloigne les intrus, les Esprits légers. Tous les manifestants doivent se soumettre à son contrôle. C’est lui qui se chargera de transmettre les communications utiles, les réponses aux questions posées. Imperator prélude toujours par la prière. Lorsqu’il parle par la bouche de Mme Piper, sa voix est grave, imposante ; elle impressionne ; elle émeut. Ses vibrations provoquent le recueillement, rétablissent l’harmonie dans les pensées des consultants.
Ceci vient confirmer ce que nous avons remarqué tant de fois au cours de notre longue carrière d’expérimentateur. Lorsqu’on aborde l’étude des phénomènes en amateur, sans nul souci des conditions psychiques à remplir, on obtient rarement des résultats nets et satisfaisants. Dans les séances que je dirigeais d’après une méthode rigoureuse, dès que l’unité et l’élévation des pensées cessaient parmi les assistants, dès que le recueillement était rompu par des propos ou des discussions inopportunes et que les divergences de vues s’accusaient, les manifestations perdaient aussitôt de leur valeur et de leur intensité. Des Esprits inférieurs se glissaient parmi nous et, sous leur influence, les facultés des médiums se troublaient, ne donnant plus que des résultats très imparfaits. Il fallait se ressaisir avec énergie et obtenir l’intervention des puissances invisibles pour rétablir le cours régulier des manifestations.
Dans l’expérimentation spirite, ne l’oublions pas, les résultats dépendent de la protection occulte, que nous pouvons obtenir et surtout de l’étendue et de l’efficacité de cette protection. Or, celle-ci ne peut s’exercer que dans la mesure où nous la rendons possible, en nous plaçant dans un état mental et moral d’harmonie psychique qui facilite l’action des Esprits élevés. Sans affinité de pensée et de sentiment, sans communion entre elles, les âmes ne peuvent communiquer qu’accidentellement et confusément.
Telle est la suprême loi et la suprême science des manifestations ! Que valent les critiques des théoriciens de fantaisie, devant la leçon des faits ? Ceux qui voient seulement dans le spiritisme une science semblable aux autres sciences, arriveront forcément à reconnaître l’insuffisance de leurs conceptions, lorsque, passant de la théorie à la pratique, ils constateront l’insuccès de leurs efforts, ou tout au moins la pauvreté des résultats obtenus.
Un autre investigateur de marque, aussi sagace que scrupuleux, dont nous ne pouvons passer les témoignages sous silence, est le professeur Hyslop, de l’Université de Columbia, à New-York. Ce savant s’est livré à une enquête approfondie sur la médiumnité de Mme Piper, d’où il résulte que les phénomènes obtenus ne sauraient s’expliquer, ni par la télépathie, ni par la lecture de pensée .
Le professeur a fait poser deux cents questions à l’esprit de son père défunt par l’intermédiaire du docteur Hodgson. Pendant que celui-ci parlait, J. Hyslop, caché sous un masque et placé derrière le médium, ne prononçait pas un seul mot. Dans ces conditions, Mme Piper ne pouvait lire dans le cerveau du questionneur des réponses que celui-ci ignorait, car le professeur avait eu soin de choisir des sujets d’un caractère intime, inconnus de tous.
On put reconnaître, après de longues et laborieuses recherches, que sur les 205 réponses obtenues, 152 étaient parfaitement exactes et 16 inexactes ; 37 restèrent douteuses, parce qu’elles ne purent être contrôlées. Cette vérification nécessita de nombreux voyages a travers les États-Unis, dans le but de reconstituer par le menu certains détails de l’histoire de la famille Hyslop, à laquelle ces questions se rattachaient.
Toutes ces réponses sont remarquables par leur clarté et leur précision. La personnalité des manifestants, leurs idées, leurs expressions familières, s’y révèlent avec tant de fidélité, qu’elles entraînent forcément la conviction des observateurs. Le professeur Hyslop, laissant là toute défiance, s’entretenait, par l’organe de Mme Piper entrancée et sous le contrôle de Rector, avec son père désincarné, « avec autant de facilité que s’il avait été vivant. Nous nous comprenions à demi-mot » , dit-il, « comme dans une conversation ordinaire. »
M. Hyslop, en des conversations animées, et pleines d’incidents, a pu s’entretenir, en outre, avec plusieurs de ses oncles et cousins décédés, avec son frère Charles , mort lorsqu’il avait quatre ans, avec ses sœurs Anna et Élisa, et il a obtenu d’eux des réponses satisfaisantes, dont l’énumération remplit des centaines de pages de son rapport publié dans le Harpers Magazine, puis dans les Proceedings de la S. P. R., t. XVI. On y trouve grouper une quantité considérable de menus faits, d’incidents de la vie de famille oubliés du professeur et, après examen, reconnus vrais. Il fallait parfois des semaines entières de recherches pour les contrôler, et il se trouvait alors quelque parent éloigné pour en attester la réalité. Les résultats étaient presque toujours conformes aux dires des Esprits. Au sujet des preuves recueillies, le professeur dit ceci :
« Pour le lecteur étranger, le compte rendu d’une séance ne peut produire la conviction qui s’empare du parent ou de l’ami retrouvant, après un temps très long, les habitudes de langage, les tournures de phrases, les expressions pittoresques, les façons de discuter si bien connues et qui caractérisaient de façon si certaine ceux avec lesquels il s’était jadis trouvé en contact. »
Puis ce sont des caractères nouveaux, inconnus et d’une originalité profonde. Par exemple :
« Dans quelle sous-conscience Mme Piper aurait-elle pu trouver ces personnages d’Imperator, Rector, G. Pelham, etc., avec leurs modes d’intervention si justes et si appropriés à chaque incident, sans que leurs caractères se confondent jamais ? A chaque instant, Imperator montre son caractère plein de dignité et ses tendances impérieuses qui justifient si bien son pseudonyme, tandis que Rector guide les conversations et que Pelham résout les doutes et rectifie les erreurs sur les faits et surtout sur les personnes et leurs rapports entre elles et les consultants . »
La télépathie, ajoute le professeur, ne peut pas non plus rendre compte de ces révélations. Les erreurs, elles-mêmes, à son avis, contribuent à exclure la possibilité de cette hypothèse, car plusieurs fois les Esprits se sont trompés sur des points que lui, Hyslop, connaissait parfaitement et sur lesquels le médium avait toute facilité de se renseigner. Et il conclut en ces termes :
« En considérant le problème avec impartialité, il n’y a pas d’autre explication que l’intervention des morts. »
L’histoire du nouveau spiritualisme nous fournit de nombreux exemples de médiums jouissant, à l’état de trance, de facultés extraordinaires et s’exprimant avec une éloquence entraînante
Cora Tappan parcourut les États-Unis et l’Angleterre, faisant entendre dans chaque ville de merveilleux discours, en vers et en prose. Elle répondait, en outre, à des questions de tous genres, faisant preuve d’une étonnante érudition. Elle affirmait que ses réponses ne provenaient pas de son propre fonds et n’en tirait aucune vanité. Ses harangues, disait-elle, émanaient d’un groupe de guides toujours prêts à parler par sa bouche, chaque fois que ses services étaient réclamés .
T. G. Forster, dans ses discours, n’était pas moins impressionnant. Voici ce qu’en disait un lettré de la Louisiane, qui, après avoir perdu trois enfants et une femme adorés, de désespoir, en était venu à porter sur lui « la fiole fatale qui devait mettre un terme à ses misères et endormir ses douleurs » :
« J’allai entendre T. G. Forster ; j’entrai pour rire et me moquer ; je restai pour écouter et m’étonner ; je sortis ému et ébranlé, et j’y revins encore. Cet homme parlait de tout avec une éloquence dont rien jusqu’alors ne m’avait donné l’idée. J’ai entendu des orateurs célèbres ; j’ai lu Cicéron, Chatham, Pitt et d’autres ; jamais rien qui approchât, de l’éloquence sans réplique de cet homme endormi. Les orateurs de la chaire et de la tribune sont forcés de remplir, par des mots l’intervalle entre deux idées ; chez lui, il n’en était pas ainsi : les idées, les faits, les dates se succédaient sans interruption, sans travail, sans hésitation aucune. L’histoire de tous les peuples lui était connue ; toutes les sciences lui étaient familières, comme s’il eût donné la longueur d’une vie d’homme à l’étude de chacune d’elles, et son langage, à la fois simple et élevé, était à la hauteur de sa science. Je voulus lui être présenté, lorsqu’il fut revenu à son état normal et je trouvai en lui un homme bien élevé, mais non pas, et loin de là, l’homme universel de ses discours. Il fut entrancé pour moi, et je conversai, par son intermédiaire, avec le professeur Drayton, son Esprit-contrôle. Je fus convaincu. Je suis maintenant un autre homme ; je suis heureux, oh ! bien heureux ! »
Le cas suivant s’est produit en France, et la personne du manifestant s’y révèle d’une manière irrécusable. Nous citons textuellement le procès-verbal, dont l’original est en notre possession.
« Le 13 janvier 1899, douze personnes s’étaient réunies chez M. David, place des Corps-Saints, 9, à Avignon, pour leur séance hebdomadaire de spiritisme.
« Après un moment de recueillement, on vit le médium, Mme Gallas, en état de trance, se tourner du côté de M. l’abbé Grimaud et lui parler dans le langage des signes employés par certains sourds-muets. Sa volubilité mimique était telle que l’Esprit fut prié de se communiquer plus lentement, ce qu’il fit aussitôt. Par une précaution dont on appréciera l’importance, M. l’abbé Grimaud ne fit qu’énoncer les lettres à mesure de leur transmission par le médium. Comme chaque lettre isolée ne signifie rien, il était impossible, alors même qu’on l’eût voulu, d’interpréter la pensée de l’Esprit ; et c’est seulement à la fin de la communication qu’elle a été connue, la lecture en ayant été faite par l’un des deux membres du groupe chargés de transcrire les caractères.
« De plus, le médium a employé une double méthode, celle qui énonce toutes les lettres d’un mot, pour en indiquer l’orthographe, seule forme sensible pour les yeux, et celle qui énonce l’articulation sans tenir compte de la forme graphique, méthode dont M. Fourcade est l’inventeur et qui est en usage seulement dans l’institution des sourds-muets d’Avignon. Ces détails sont fournis par l’abbé Grimaud, directeur et fondateur de l’établissement.
« La communication, relative à l’œuvre de haute philanthropie à laquelle s’est voué M. l’abbé Grimaud, était signée : frère Fourcade, décédé à Caen. Aucun des assistants, à l’exception du vénérable ecclésiastique, n’a connu ni pu connaître l’auteur de cette communication, bien qu’il eût passé quelque temps à Avignon, il y a trente ans, ni sa méthode. »
Ont signé : les membres du groupe ayant assisté à cette séance ; Toursier, directeur de la Banque de France, en retraite ; Roussel, chef de musique au 58e ; Domenach, lieutenant au 58e ; David, négociant ; Brémond, Canuel, Mmes Toursier, Boussel, David, Brémond.
Au procès-verbal est jointe l’attestation suivante : « je soussigné, Grimaud, prêtre, directeur-fondateur de l’institution des infirmes de la parole, sourds-muets, bègues et enfants anormaux, à Avignon, certifie l’exactitude absolue de tout ce qui est rapporté ci-dessus. Je dois à la vérité de dire que j’étais loin de m’attendre à une pareille manifestation, dont je comprends toute l’importance, au point de vue de la réalité du spiritisme, dont je suis un adepte fervent, je ne fais aucune difficulté de le déclarer publiquement. »
Avignon, le 17 avril 1899.
Signé : GRIMAUD, prêtre.
De 1893 à 1901, nous possédions, au groupe d’études psychiques de Tours, trois dames, médiums à trance, appartenant toutes trois à la bourgeoisie, et dont le concours était entièrement désintéressé.
Des comptes rendus sténographiques, formant plusieurs volumes, permettent de comparer les discours prononcés, les communications obtenues à l’aide de leurs facultés, et de constater, à plusieurs années de distance, une parfaite identité de caractère et de vues pour chacun des communiquants.
Aussitôt l’obscurité faite, les médiums ressentent l’influence magnétique des Invisibles. Au premier degré de la trance, étant encore éveillés, ils voient, tout un cercle d’Esprits se former derrière les expérimentateurs ; ils décrivent les apparitions ; ils entendent et transmettent les indications, les demandes de ces Esprits et, à leur langage, à certaines particularités de la physionomie ou de l’attitude, les assistants reconnaissent facilement des parents, des amis défunts.
Bientôt la trance s’accentue, le médium s’endort, l’incorporation se produit. Dans notre groupe, la puissance fluidique des Esprits-guides était suffisante pour annihiler la personnalité du sujet et éviter toute intervention de la subconscience. Tout au plus a-t-on pu remarquer quelquefois, chez l’un des sensitifs, un mélange de personnalités quand la trance n’est pas profonde.
Presque toujours, les incorporations se succèdent. Quand la prise de possession est complète, on fait la lumière ; puis, dès que l’Esprit s’est retiré, on l’atténue, pour faciliter l’action fluidique des Invisibles et l’entrée en scène d’un nouvel occupant. Chaque médium sert habituellement d’organe à trois Esprits différents dans une même séance. Pendant qu’un des médiums subit l’incorporation, les autres se reposent ; mais parfois les incarnations sont simultanées. Des dialogues, des discussions s’engagent alors entre plusieurs Esprits et le président du groupe. Ces entretiens entre quatre personnes, dont trois appartiennent au monde des Esprits, sont des plus impressionnants.
En général, ce sont d’abord les Esprits-guides qui se manifestent, en donnant des conseils, des instructions pleines de logique et de grandeur, sur les problèmes de la vie et de la destinée. Viennent ensuite des entretiens avec des Esprits moins élevés, dont plusieurs ont vécu parmi nous et partagé nos travaux. Des scènes pathétiques se produisent. C’est un père, une mère, qui viennent exhorter leurs enfants présents à la réunion. Des amis d’outre-tombe nous rappellent des souvenirs d’enfance, les services rendus, les fautes commises. Ils exposent leur manière de vivre dans l’espace, parlent des joies et des souffrances morales ressenties après la mort, conséquences inévitables de leur mode d’existence sur la terre. Comme de vivantes leçons de choses, pleines de mouvement et de couleur, ces épanchements, ces confessions, nous remuaient profondément.
Plusieurs fois, des discussions d’une certaine violence s’élevèrent entre Esprits. Deux politiciens célèbres, adversaires déclarés sur terre, continuaient à se combattre par la bouche de nos médiums, avec une fougue oratoire, une dialectique serrée, des arguments de tribune et de prétoire, un ensemble de traits caractéristiques et piquants, qui étaient autant de preuves d’identité. Une lutte de volonté entre l’un de nos guides et un Esprit obsesseur, tous deux incorporés, atteignait des hauteurs épiques, Ces scènes, d’une intensité de vie et d’expression telle qu’on n’en peut voir sur aucun théâtre, ont laissé dans nos mémoires d’ineffaçables souvenirs.
Deux Esprits assument plus particulièrement la direction du groupe et se manifestent à chaque séance. Ce sont l’Esprit « bleu » et Jérôme, L’Esprit bleu est une Entité féminine d’un ordre très élevé. Quand elle anime l’organisme du médium, personne timide et d’un savoir modeste, les traits du visage prennent une expression séraphique, la voix s’adoucit, devient mélodieuse ; le langage revêt une forme poétique et très pure. Elle adresse à tour de rôle à chacun des assistants des avis, des avertissements, touchant leur conduite privée, qui témoignent, même à première entrevue, d’une connaissance parfaite du caractère et de la vie intime de ceux à qui ils s’adressent.
Bien souvent, des personnes venues pour la première fois à nos réunions et inconnues du médium recevaient des conseils, des encouragements ou des reproches appropriés à leur état moral et à leurs plus secrètes pensées. Ces avis, obscurs pour les autres auditeurs, étaient toujours nets et précis pour les intéressés. Et ce n’était pas un des moindres attraits de ces manifestations que cet art de l’Esprit bleu de parler devant tous de choses intimes et cachées, de façon à éviter toute indiscrétion, tout en restant parfaitement clair pour la personne visée.
La sollicitude, la protection de l’Esprit bleu, s’étendaient à tous les membres du groupe et se sont révélées bien des fois dans le domaine des faits. Plusieurs d’entre nous, aux prises avec de sérieuses difficultés, ont pu les surmonter, grâce à l’action providentielle de cet Esprit, qui, dans les cas les plus délicats et au moment opportun, savait faire surgir un secours, provoquer une intervention inespérée. Ses instructions ont généralement trait à la famille et à l’éducation des enfants. La Tribune psychique, de mars 1900, a reproduit une de ces communications, qui résume, en termes élevés la méthode de notre guide. L’Esprit bleu voit dans une réforme profonde de l’éducation de l’enfance et de la jeunesse, le véritable remède aux vices du présent et aux dangers qui menacent la société moderne.
Jérôme se communique par le même médium ; mais le contraste est frappant entre les deux Esprits. Jérôme, qui fut un apôtre et un martyr, est resté un orateur et un combatif ; sa parole est vibrante, son geste large et dominateur. Il s’exprime par périodes, en termes choisis. Son énergie est telle qu’il épuise rapidement les ressources du sujet et ne peut toujours terminer ses discours, par suite du manque de force fluidique. Il dirige plus spécialement les études philosophiques du groupe. De nombreuses existences, passées dans le silence des cloîtres et la poussière des bibliothèques, ont accumulé en lui des trésors de connaissances et donné plus de force à sa pensée. Les siècles l’ont vu, plongé dans la recherche, l’étude, la méditation. Les vues plus nettes, les impressions de la vie de l’espace sont venues compléter sa science déjà si étendue. Aussi, quelle ampleur dans ses jugements, quelle habileté à dissiper les contradictions, à résumer en traits sobres et clairs les lois les plus hautes de l’univers et de la vie ! Et tout cela par la bouche d’une pauvre dame d’allures timides et d’une instruction élémentaire !
Examinerons-nous, à propos de ces phénomènes, l’objection habituelle qui leur est faite, c’est-à-dire qu’ils sont des produits de la subconscience du médium, des personnalités secondes créées par une division temporaire de la conscience normale, comme le prétendent MM. Pierre Janet et Flournoy ?
Cette théorie ne saurait résister à un examen attentif des faits. C’est précisément dans les phénomènes d’incorporation que l’identité des Esprits se révèle avec le plus de netteté, lorsque profonde est la trance et complète la prise de possession du sujet. Par ses attitudes, ses gestes, ses propos, l’Esprit se montre tel qu’il était sur la terre. Ceux qui l’ont connu, durant son existence humaine, le retrouvent tout entier ; son individualité réparait en des locutions familières, en mille détails psychologiques qui échappent à l’analyse.
Il en est de même pour les individualités ayant vécu à des époques éloignées. Dans notre groupe, les Esprits-guides se communiquaient par l’organe du médium le plus modeste. Une autre dame, élégante d’allures, incarnait plutôt des Esprits d’ordre inférieur. On entendait une marchande des quatre saisons parler, par sa bouche, le patois d’un pays où cette dame n’était jamais allée. Une vieille fille se livrait à un verbiage oiseux ou nous racontait des anecdotes plaisantes. Après quoi, c’était un sacristain à la parole traînante, ou bien un ancien procureur, qui, d’un ton impératif, disait de dures vérités au mari par l’organe de sa femme.
Le caractère de chacun de ces Esprits et de beaucoup d’autres s’est maintenu et affirmé dans son originalité, d’une façon constante, à travers une période de sept années. Tous nos procès-verbaux en font foi. En même temps, nous pouvions suivre les progrès graduels de l’un d’eux, Sophie, la marchande de légumes, qui, grâce à son bon vouloir et à la protection de nos guides, a pu s’instruire et s’amender, jusqu’à ce que vint, pour elle, l’heure de la réincarnation. Son retour à la vie terrestre fut annoncé à l’avance et nous en pûmes suivre les phases douloureuses. Cet acte accompli, Sophie n’a plus reparu à nos séances.
Si ce sont là des personnalités secondes du médium, comment expliquer qu’elles soient en aussi grand nombre et qu’elles revêtent des aspects et des noms aussi divers ? Dans notre groupe, les communiquants se comptaient par dizaines. A chaque séance, nous en avions de six à huit, dont deux ou trois pour chaque médium. A chacun d’eux, la physionomie du sujet changeait, l’expression des traits se modifiait. Par l’accent, le langage, le maintien, la personnalité invisible se révélait avant de s’être, nommée. Ces Esprits ne se manifestaient pas tous d’une manière suivie. Certains ne reparaissent qu’après de longues absences, mais toujours avec la même originalité de caractère, avec la même réalité intense de vie et d’action.
Comment expliquer par la subconscience, ou double personnalité, cette variété de personnages, qui, du sacristain à l’Esprit bleu, représentent tous les types de la gradation hiérarchique du monde invisible, depuis la brute jusqu’à l’ange, toutes les formes de l’abaissement, de la médiocrité ou de l’élévation ; d’un côté : puissance, savoir, bonté, pénétration des choses ; de l’autre, faiblesse, ignorance, grossièreté, misère morale ?
Ces êtres ont, les uns pour les autres, l’attitude qui convient à leur rang. Par exemple, tous témoignent une déférence marquée aux Esprits-guides. Ils n’en parlent qu’avec respect ; et c’est toujours sur un ton ému et suppliant que, Sophie se recommande à la Protection de la « dame bleue ».
Ce ne sont pas là des personnages de rêve, de vagues fantômes subconscients. Ces Esprits vivent et agissent comme des hommes. Leurs opinions, leurs vues diffèrent. Parfois, les oppositions sont tranchées ; des discussions vives et passionnées éclatent entre eux ; des incidents dramatiques surgissent, et il vient s’y mêler mille preuves d’identité, qui dissipent les doutes les plus tenaces et forcent la conviction. Si la personnalité seconde peut enfanter de tels contrastes, animer des créations aussi variées, il faut reconnaître qu’elle surpasse en talent, en génie, les conceptions les plus merveilleuses de la pensée normale. Elle produit des chefs-d’œuvre à volonté et sans effort ; elle est la plus miraculeuse des explications que l’on puisse donner du phénomène ; elle confine au surnaturel. Et il faut que nos contradicteurs soient véritablement aux abois pour recourir à une théorie aussi contraire aux exigences d’une critique saine et d’une science rigoureuse, à une hypothèse aussi fantastique qu’invraisemblable, alors que la théorie spirite explique les faits par des lois naturelles, simples et claires.
Étudions de plus près cette théorie de la subconscience, dont nous venons de parler incidemment et par laquelle certains psychologues croient pouvoir expliquer les phénomènes de la trance et de l’incorporation.
MM. Pierre Janet , A. Binet, Taine, Ribot, Flournoy, admettent qu’une scission se produit dans la conscience des sujets endormis et qu’il en résulte une seconde personnalité, inconnue de l’être normal, et à laquelle se rapportent tous les phénomènes. Ils lui ont donné les noms les plus divers : inconscient, subconscience, conscience subliminale, personnalité seconde, etc. Cette hypothèse servirait à expliquer la plupart des anomalies observées chez des hystériques dans les cas de suggestion, ainsi que les aspects divers du somnambulisme et toutes les variations de la personnalité. L’unité du moi conscient ne serait qu’une illusion. Celui-ci serait susceptible de désagrégation dans certains cas pathologiques, et des personnalités distinctes, inconscientes, par conséquent s’ignorant réciproquement, pourraient surgir dans le sommeil, et se manifester à l’insu l’une de l’autre. Ainsi s’expliqueraient les faits spirites. Les médiums ne seraient que des hystériques, des névrosés, particulièrement prédisposés, par leur état physiologique, à ces scissions de la personnalité .
Remarquons d’abord, avec le docteur Geley, que l’hystérie et la névrose n’expliquent rien . D’autre part, les médiums ne sont pas des hystériques. Le docteur Hodgson et Myers attestent que Mrs. Piper et Thompson jouissent d’une santé parfaite. Le professeur Flournoy en dit autant d’Hélène Smith. Aucune trace d’hystérie n’apparaît chez ces trois médiums célèbres. Dès la moindre indisposition, au contraire, chez eux, les phénomènes s’affaiblissent, cessent de se produire. Je puis faire la même déclaration en ce qui concerne les sujets à trance qui firent longtemps partie de notre groupe. Sur ce point, les comparaisons que nos adversaires cherchent à établir sont erronées et leur argumentation complètement en défaut. Les personnalités factices qu’ils provoquent, au moyen de suggestions post-hypnotiques, chez des hystériques, n’ont qu’une vague ressemblance avec les manifestations de personnalités dans la trance. Elles n’en sont que des pastiches, de pâles et lointaines imitations.
Dans la trance, l’être psychique, l’âme, se révèle par une activité distincte du fonctionnement organique, par une acuité particulière des facultés. Quand l’extériorisation est complète, l’esprit du médium peut agir sur le corps endormi avec plus d’efficacité que dans la veille et de la même façon qu’un Esprit étranger. Le cerveau n’est plus alors, comme dans l’état normal, un instrument mû directement par l’âme, mais un récepteur qu’elle actionne du dehors.
C’est ce qui résulte de nombreuses observations :
M. Cromwell Varley, ingénieur en chef des télégraphes de la Grande-Bretagne, dans sa déposition devant le comité d’enquête de la Société dialectique, au sujet de son épouse, qui est médium à trance, rapporte le fait suivant :
Mme Varley, endormie, me dit : « Actuellement, ce ne sont pas les Esprits qui vous parlent ; c’est moi-même, et je me sers de mon corps de la même façon que font les Esprits lorsqu’ils parlent par ma bouche. »
Myers, dans son rapport au Congrès de psychologie, 1900 , fait la déclaration suivante, à propos des trances de Mme Thompson :
« La plupart des messages sont transmis au moyen de l’organisme du médium par des Esprits qui, à ce moment, renseignent ou possèdent cet organisme. Certains sont recueillis directement dans le monde invisible par son propre esprit et transmis par lui. »
Une chose évidente pour le psychologue attentif, c’est que l’homme se connaît peu. Il est en nous des profondeurs pleines de mystère, qui s’entrouvrent parfois et dont la vue nous trouble. Tout un monde y repose, monde d’intuitions, d’aspirations, de sensations, dont l’origine nous est inconnue et qui semblent provenir d’un passé antérieur, mélange d’acquis personnels, d’hérédités psychiques et d’atavismes ethniques, vestiges des vies parcourues dans la succession des âges, tout cela est gravé dans les replis cachés du moi.
La conscience, à l’état normal, est étroite ; à l’état de dégagement, elle est vaste et profonde. Mais il n’y a pas deux consciences, pas plus qu’il n’y a deux êtres en nous. C’est toujours le même être, la même personnalité, vue sous deux aspects différents.
La permanence et l’unité du moi conscient sont démontrées par un fait bien connu : tandis que notre corps physique se renouvelle incessamment, la conscience, la mémoire persistent en nous à travers les fluctuations de la matière. Il est vrai que la conscience normale ne conserve pas toutes les impressions recueillies par les sens. Beaucoup de sensations et de connaissances sont oubliées en apparence ; en réalité, elles sont toutes enregistrées dans la conscience profonde. Elles peuvent reparaître par un effort intellectuel, sous l’influence d’une émotion, ou bien dans le sommeil et, en général, dans tous les états qui provoquent un réveil des facultés endormies.
Dans l’état d’extériorisation totale, ce réveil est complet. L’esprit retrouve, avec la plénitude de ses facultés latentes, de ses connaissances, de ses souvenirs, une liberté et une puissance d’action agrandies. Il atteint son maximum de vibrations et peut reconstituer son passé.
Il y a donc deux ordres de faits dans la trance, et il faut les distinguer avec soin : d’abord, l’intervention des défunts, puis, d’autres cas où le médium, sous l’influx magnétique de son guide spirituel, se reconstitue dans une de ses existences antérieures.
Dans le cas d’Hélène Smith, que M. Flournoy, professeur de psychologie, à l’Université de Genève, a étudié pendant quatre années, le médium entrancé reproduit les scènes d’une de ses existences, vécue dans l’Inde, au douzième siècle. En cet état, elle se sert fréquemment de mots sanscrits, langue qu’elle ignore à l’état normal. Elle donne, sur des personnages historiques de l’Inde, des indications précises, introuvables dans aucun ouvrage usuel, et dont le professeur, après bien des recherches, découvre la confirmation dans une oeuvre de Marlès, historien peu connu et tout à fait hors de la portée du sensitif.
Celui-ci, dans ces phases de la trance, prend une attitude qui impressionne et séduit. Voici ce qu’en dit M. Flournoy :
« Il y a dans tout son être, dans l’expression de sa physionomie, dans ses mouvements, dans son timbre de voix lorsqu’elle parle ou chante en hindou, une grâce paresseuse, un abandon, une douceur mélancolique, un quelque chose de langoureux et de charmeur qui répond à merveille au caractère de l’Orient. Toute la mimique d’Hélène, si diverse, et ce parler exotique ont un tel cachet d’originalité, d’aisance, de naturel, qu’on se demande avec stupéfaction d’où vient à cette fille des rives du Léman, sans éducation artistique, ni connaissances spéciales de l’Orient, une perfection de jeu à laquelle la meilleure actrice n’atteindrait sans doute qu’au prix d’études prolongées ou d’un séjour au bord du Gange. »
En ce qui concerne l’écriture et le langage hindous, M. Flournoy ajoute que, dans ses recherches pour les expliquer, toutes les pistes qu’il a pu découvrir étaient « fausses », et il prie le lecteur de le « dispenser de détailler ses insuccès ». Mais toutes ces expériences, dit-il, le portent à « batifoler ». Après quoi, il conclut en rejetant la théorie des Esprits, pour ne voir dans les phénomènes spirites qu’une création, un jeu de la conscience « subliminale, ».
Remarquons que les conclusions de M. Flournoy sont en contradiction avec les faits observés. Dans la trance, Mlle Smith voit souvent son guide, Léopold, à ses côtés ; elle entend sa voix. Il a sa volonté propre et agit comme il lui plaît ; souvent il y a lutte entre eux. Mlle Smith discute ; elle résiste à cette prise de possession. Et lorsque, malgré ses efforts, celle-ci devient complète, toute sa personne se transforme ; la voix change : c’est celle d’un homme, grave et lente, à l’accent italien ; l’aspect devient « majestueux ». Quand Léopold s’empare de la main d’Hélène pour la faire écrire, l’écriture est toute différente et l’orthographe est celle du dix-huitième siècle, époque où il a vécu sur la terre.
Plus encore, il « intervient constamment dans sa vie d’une façon sensible et quasi physique, ne laissant de prise à aucun doute ».
Veut-on un exemple ? Dans une séance, l’Esprit Léopold soulève le médium avec le coussin qui le supporte, sans le secours d’aucun des assistants. C’est là un phénomène de lévitation bien caractérisé et qu’on ne saurait attribuer au « subliminal », puisqu’il nécessite l’intervention d’une force et d’un agent extérieur.
Certes, tout n’est pas d’une explication facile dans les phénomènes dont Mlle Smith est le foyer. Dans son cas, il faut le reconnaître, les difficultés abondent, et des facteurs divers semblent intervenir. Il y a là un enchevêtrement de faits spirites et de faits d’animisme, de produits de la subconscience mêlés à des interventions d’intelligences extérieures et surhumaines qui compliquent singulièrement le problème. Pourtant, de cet ensemble un peu confus, des preuves d’identité se détachent, claires, nettes, précises. C’est, par exemple, la manifestation de Jean le carrier, dont la personnalité se révèle par des détails probants. C’est celle du curé Burnier et du syndic Chaumontet, morts depuis un demi-siècle, et dont le médium retrace automatiquement l’écriture et la signature, reconnues conformes, après enquête, à celles qui figurent sur nombre d’actes de naissances, mariages, décès, composant les archives de la commune de Chessenaz, où Mlle Smith n’est jamais allée.
Nous sommes porté à croire que, chez ce médium, la force psychique est souvent insuffisante, les phases de la trance très inégales et les réveils de la personnalité fréquents. Il n’en résulte pas que les faits observés puissent s’expliquer, comme le voudrait M. Flournoy, par le jeu des facultés de la mémoire associées au pouvoir d’imagination de la subconscience.
En outre, le professeur, dans sa disposition à « batifoler », n’a-t-il pas attiré plus d’une fois des Esprits farceurs dans ces séances où, dit-il, « on riait beaucoup ». Les mystificateurs sont à craindre en pareil cas. Et c’est ici qu’on aperçoit l’utilité des règles que nous avons indiquées : unité et élévation de pensées des assistants facilitant l’action des agents extérieurs. Rire, batifoler, interrompre à tous propos, interroger sans rime ni raison, tout cela constitue de piètres conditions pour des expériences sérieuses.
Le cas d’Hélène Smith n’est pas isolé. Un médium de notre groupe a, plusieurs fois, reproduit dans la trance, sous l’influence, de l’Esprit-contrôle, des scènes de sa vie passée.
Un magnétiseur, soutenu par l’action occulte des Esprits-guides, peut aussi provoquer ces phénomènes chez certains sensitifs.
Fernandez Colavida, président du groupe des études psychiques de Barcelone, a obtenu des résultats que nous croyons devoir signaler. Voici comment s’exprime, sur ce point, le rapport des délégués espagnols au Congrès spirite de 1900 :
« Le médium étant magnétisé au plus haut degré, il (F. Colavida) lui commanda de dire ce qu’il avait fait la veille, l’avant-veille, une semaine avant, un mois, un an, et, successivement, il le fit remonter jusqu’à son enfance, qu’il expliqua dans tous ses détails.
« Toujours poussé par la même volonté, le médium raconta sa vie dans l’espace, la mort de sa dernière incarnation et, continuellement stimulé, il arriva jusqu’à quatre incarnations, dont la plus ancienne était une existence tout à fait sauvage. A chaque existence, les traits du médium changeaient d’expression. Pour le ramener à son état habituel, on le fit revenir graduellement jusqu’à son existence présente, puis on le réveilla. »
Dans un but de contrôle, l’expérimentateur fit magnétiser le même sujet par une autre personne, en lui suggérant que ses récits antérieurs étaient mensongers. Malgré cette suggestion, le médium reproduisit la série des quatre existences, comme il l’avait fait auparavant.
Esteva Marata, président de l’Union spirite de Catalogne, déclare avoir obtenu des résultats analogues, par les mêmes procédés, sur son épouse en état de trance.
Depuis lors, des expériences du même ordre se sont multipliées et on a pu obtenir de nombreux éléments de certitude sur le fait des existences antérieures de l’âme . Toutefois, elles nécessitent une grande prudence : l’expérimentateur doit choisir des sujets très sensibles et bien développés. Il doit être assisté d’un Esprit assez puissant pour écarter toutes les influences étrangères, toutes les causes de trouble et préserver le médium des accidents possibles.
Résumons-nous. La théorie de la subconscience est vraie, en ce sens que notre pleine conscience est plus étendue que notre conscience normale. Elle en émerge dans les états somnambuliques, la domine et la déborde, sans s’en séparer jamais.
La théorie de la subconscience est fausse si on considère celle-ci comme une seconde conscience autonome, comme une double personnalité. Il n’y a pas en nous deux êtres qui coexistent en s’ignorant. La personnalité, la conscience est une. Elle se présente seulement sous deux aspects différents ; tantôt, pendant la vie matérielle, dans les limites restreintes du corps physique, avec une mémoire et des facultés circonscrites ; tantôt, pendant la vie psychique, avec la plénitude de ses ressources intellectuelles et de ses souvenirs. Dans ce cas, elle embrasse toutes les phases de son passé et peut les faire revivre.
Toutes les théories de, MM. Pierre Janet, Binet, Taine, Ribot, etc., reposent sur de vaines apparences. Le moi ne se fractionne pas. Les facultés extraordinaires révélées par la trance convergent, au contraire, vers une unité d’autant plus puissante que l’extériorisation est plus complète.
Par malheur, la situation n’est pas toujours nette, ni le dégagement suffisant. Il se produit parfois des sortes de chevauchement, de flux et de reflux vibratoires entre les causes agissantes, qui rendent le phénomène obscur et confus. C’est le cas surtout lorsque diverses personnalités invisibles se manifestent dans la trance, et qu’aucune d’elles n’a la force, ni la volonté nécessaires pour écarter les causes d’erreur.
Les causes en action peuvent se confondre dans les états somnambuliques partiels, incomplets. Mais il est un état supérieur où l’Esprit apparaît dans sa puissance de vie, dans sa pénétration intime des choses. Alors, on peut assister à des phénomènes d’une réelle grandeur. Toutefois, pour les obtenir, il faut procéder d’une façon plus sérieuse que ne le font les psychologues « rieurs et batifoleurs. ».
De cet ordre sont les manifestations de George Pelham, de Robert Hyslop et surtout celles d’Imperator, de Jérôme, de l’Esprit bleu. Là, les traits caractéristiques, les preuves d’identité abondent ; aucun doute ne saurait subsister. Il en est de même des cas où des personnalités nombreuses, présentant une grande variété de caractères et d’opinions, se succèdent avec précision et régularité dans le corps d’un médium et font entendre par la même bouche, tantôt le langage le plus trivial, tantôt un langage pur et choisi, exprimant des sentiments nobles et délicats, des vues si profondes qu’elles ravissent tous les auditeurs.
Les manifestations d’Esprits malheureux, venant, guidés par des âmes compatissantes, nous exposer leurs peines, leurs regrets, leurs douleurs, rechercher des consolations et des enseignements, ne sont pas non plus des impostures du subliminal.
A ce propos, nous avons souvent constaté un fait : l’influence fluidique des Esprits inférieurs incommode les médiums, leur cause des malaises durant la trance et de violentes migraines au réveil, au point de nécessiter le dégagement immédiat au moyen de passes magnétiques. Au contraire, chez les mêmes sensitifs, avec d’autres Entités élevées, comme l’Esprit bleu, par exemple, la trance est douce, l’influence bienfaisante ; le médium se réveille sous une impression de quiétude, comme baigné dans une atmosphère de paix et de sérénité.
Les théories de la subconscience et de la double personnalité sont impuissantes à expliquer ces faits. Le subconscient est simplement un état de la mémoire, dont les couches profondes, silencieuses dans la vie normale, se réveillent et vibrent pendant l’extériorisation. C’est ce que démontrent les cas de reconstitution des vies antérieures chez les médiums. Il y a là un magnifique sujet d’étude pour arriver à la connaissance de l’être et des lois de son évolution, Nous y trouvons la preuve que le moi conscient n’est pas une création spontanée, mais qu’il a constitué son individualité par des acquisitions successives, à travers toute une série d’existences. L’organisme physique actuel n’ayant pas contribué à certaines de ces acquisitions, il est évident que l’esprit ne saurait être considéré comme la résultante de cet organisme, qu’il a existé avant lui et lui survivra.
Ainsi la théorie spirite se dégage, dans toute sa force et sa logique, d’un ensemble de faits qu’elle seule est capable d’expliquer. L’âme s’y révèle, indépendante du corps, dans sa personnalité indivisible, dans son moi lentement constitué à travers les âges, à l’aide de matériaux qu’elle conserve latents en elle et dont elle recouvre la possession à l’état de dégagement, par le sommeil, par la trance ou par la mort.
XX. APPARITIONS ET MATERIALISATIONS D’ESPRITS.
Les phénomènes d’apparition et de matérialisation sont de ceux qui impressionnent le plus vivement les expérimentateurs. Dans les manifestations dont nous nous sommes occupé précédemment, l’Esprit agit au moyen d’objets matériels ou d’organismes étrangers. Ici, nous allons le voir directement à l’œuvre. Sachant que, parmi les preuves de sa survivance, il n’en est pas de plus puissante que sa réapparition sous la forme humaine, celle de sa vie terrestre, l’Esprit va travailler à reconstituer cette forme au moyen des éléments fluidiques et de la force vitale empruntés aux assistants.
Dans certaines séances, en présence de médiums doués d’une force psychique considérable, on voit se former des mains, des visages, des bustes et même des corps entiers, ayant toutes les apparences de la vie : chaleur, mouvement, tangibilité. Ces mains vous touchent, vous caressent ou vous frappent ; elles déplacent des objets et font résonner des instruments de musique ; ces visages, s’animent et parlent ; ces corps se déplacent, circulent au milieu des assistants. Vous pouvez les saisir, les palper ; puis, ils s’évanouissent tout à coup, passant de l’état solide à l’état fluide après une durée éphémère.
De même que les phénomènes d’incorporation nous initient aux lois profondes de la psychologie, la reconstitution des formes d’Esprits va nous familiariser avec les états les moins connus de la matière. En nous montrant quelle action la volonté peut exercer sur les impondérables, elle nous fera toucher aux secrets les plus intimes de la création, ou plutôt du renouvellement éternel de l’univers.
Nous savons que le fluide universel, ou fluide cosmique éthéré, représente l’état le plus simple de la matière ; sa subtilité est telle qu’il échappe à toute analyse. Et, cependant, de ce fluide procèdent, par des condensations graduées, tous les corps solides et lourds qui constituent le fond de la matière terrestre. Ces corps ne sont pas aussi denses, aussi compacts qu’ils le paraissent. Ils sont traversés avec la plus grande facilité par les fluides, aussi bien que par les Esprits eux-mêmes. Ceux-ci, par la concentration de leur volonté, aidés de la force psychique, peuvent les désagréger, en dissocier les éléments, les ramener à l’état fluide, puis les déplacer et les reconstituer dans leur premier état. Ainsi s’explique le phénomène des apports.
Parcourant ses degrés successifs de raréfaction, la matière passe du solide au liquide, puis à l’état gazeux, enfin à l’état fluide. Les corps les plus durs peuvent ainsi retourner à l’état invisible et éthéré. En sens inverse, le fluide le plus subtil peut se changer, graduellement, en corps opaque et tangible. Toute la nature nous montre l’enchaînement des transformations qui conduisent la matière, de l’éther le plus pur à l’état physique le plus grossier.
A mesure qu’elle se raréfie et devient plus subtile, la matière acquiert des propriétés nouvelles, des forces d’une intensité croissante. Les explosifs, les radiations de certaines substances, la puissance de pénétration des rayons cathodiques, l’action à grande distance des ondes hertziennes, nous en fournissent des exemples. Par eux, nous sommes amenés à considérer l’éther cosmique comme le milieu où la matière et l’énergie se confondent, comme le grand foyer des activités dynamiques, la source des forces inépuisables que dirige la volonté divine et d’où s’épandent en ondes incessantes les harmonies de la vie et de la pensée éternelle.
Eh bien ! - et ici la question va prendre une ampleur inattendue - l’action exercée par la puissance créatrice sur le fluide universel pour enfanter des systèmes de mondes, nous allons la retrouver sur un plan plus modeste, mais soumise à des lois identiques, dans l’action de l’Esprit reconstituant les formes passagères qui établiront, aux yeux des hommes, son existence et son identité.
Les mêmes nébulosités, agrégats de matière cosmique condensée, germes de mondes, que nos télescopes nous montrent au fond des espaces, vont apparaître dans la première phase des matérialisations d’Esprits.
C’est ainsi que l’expérimentation spirite aboutit aux plus vastes conséquences. L’action de l’Esprit sur la matière peut nous faire comprendre de quelle façon s’élaborent les astres et se déroule l’œuvre gigantesque du Cosmos.
Dans la plupart des séances, on distingue d’abord des amas nébuleux en forme d’œuf, puis des traînées fluidiques brillantes, qui se détachent, soit des murs et des parquets, soit des personnes elles-mêmes, grossissent peu à peu, s’allongent et deviennent des formes spectrales.
Les matérialisations sont graduées à l’infini. Les Esprits condensent leurs formes de façon à être perçus tout d’abord par les médiums voyants. Ceux-ci décrivent la physionomie des manifestants, et ce qu’ils décrivent, la photographie vient le confirmer, aussi bien à la clarté du jour qu’à la lumière du magnésium . On sait que la plaque sensible est plus impressionnable que l’œil humain. A un degré supérieur, la matérialisation se complète ; l’Esprit devient visible pour tous ; il se laisse peser ; ses membres peuvent laisser des empreintes, des moulages dans des substances molles.
En tout ceci, le contrôle doit être très rigoureux. Il faut se garder avec soin de toutes les causes d’erreur ou d’illusion. C’est pourquoi on doit recourir, autant que possible, aux appareils enregistreurs et à la photographie.
Voyons d’abord les cas où l’on a pu fixer sur la plaque les images d’Esprits invisibles pour les assistants. Si des supercheries et des abus nombreux se sont produits dans cet ordre de faits, en revanche, les expériences et les témoignages sérieux abondent.
L’académicien anglais Russell-Wallace, expérimentant dans sa propre demeure, avec des personnes de sa famille, obtint une photographie de l’Esprit de sa mère, où une déviation de la lèvre constituait une preuve convaincante d’identité. Le médium voyant avait décrit l’apparition avant la fin de la pose, et la description fut reconnue exacte .
Le peintre Tissot, célèbre par les illustrations de sa Vie de Jésus, obtint une preuve non moins frappante : la photographie d’un groupe composé du corps physique et du corps fluidique de son médium, dédoublé, en même temps que celle d’un Esprit désincarné et de l’expérimentateur .
Des constatations analogues ont été faites par les docteurs Thomson et Moroni, par les professeurs Boutlerov et Rossi-Pagnoni et par M. Beattie, de Bristol. Tous s’entourèrent des précautions les plus minutieuses. On peut lire dans Animisme et Spiritisme, d’Aksakof, page 27, la relation détaillée des expériences de M. Beattie.
Dans la première série de ces expériences, une forme humaine se dessina sur la plaque à la dix-huitième pose. Plus tard, le docteur Thomson s’associe à ces recherches, et l’on obtient toute une série de têtes, profils et formes humaines, vagues d’abord, puis de plus en plus distinctes, qui, toutes, avaient été décrites au préalable par le médium entrancé. Parfois, on opérait dans les ténèbres. Voici ce que dit Aksakof :
« Dans ces expériences, nous nous trouvons en présence, non de simples apparitions lumineuses, mais de condensations d’une certaine matière, invisible à notre oeil et qui est, ou lumineuse par elle-même ou bien qui reflète sur la plaque photographique les rayons de lumière, à l’action desquels notre rétine est insensible. Qu’il s’agisse ici d’une certaine matière, cela est prouvé par ce fait qu’elle est tantôt si peu compacte que les formes des personnes présentes se voient au travers, et que tantôt elle est si dense qu’elle couvre l’image des assistants. Dans un cas, la forme apparue est noire. »
On le voit, Aksakof croit, comme nous, que ces manifestations ne sauraient s’expliquer sans l’existence d’un fluide ou éther, substance moulée par des êtres intelligents invisibles. C’est ce qui prête au phénomène, pense-t-il, un double caractère, à la fois matériel, dans le sens strict du mot, et intellectuel, par l’intervention d’une volonté façonnant artificiellement cette matière invisible dans un but déterminé.
Mumler, photographe de profession, obtenait sur ses plaques les images de personnes défuntes. On lui intenta un procès pour supercherie, mais on ne put découvrir aucune fraude et le photographe gagna son procès.
Non seulement l’enquête judiciaire établit le fait de la production sur les plaques de figures humaines invisibles à l’œil nu, mais douze témoins déclarèrent avoir reconnu dans ces figures les images de leurs parents décédés. Plus encore, cinq témoins, parmi le grand juge Edmonds, déposèrent que des images se sont produites et ont été reconnues, alors que les personnes représentées n’avaient jamais été photographiées de leur vivant . On obtint même, dans le cas de M. Bronson Murray , l’image de personnes défuntes, en l’absence de tout témoin les ayant connues sur la terre.
On a pu photographier les phases successives d’une matérialisation. J’ai en ma possession une série de reproductions que je dois à l’obligeance de M. Volpi, directeur du Vessillo, à Rome, dont l’intégrité est au-dessus de tout soupçon. Elles représentent les apparitions graduées d’une forme d’Esprit, très vague à la première pose, se condensant de plus en plus et, enfin, devenant visible pour le médium, en même temps qu’elle impressionne la plaque photographique.
Rappelons maintenant quelques-uns des cas où l’apparition est visible pour tous les assistants, en même temps que le médium, ce qui rend toute confusion impossible. L’Esprit matérialisé a toutes les apparences d’un être humain ; il s’agite et marche, s’entretient avec les personnes présentes et, après avoir vécu quelques instants de leur vie, s’évanouit lentement, fond, pour ainsi dire, sous leurs yeux.
C’est d’abord le cas célèbre de Katie King, forme féminine qui se manifesta pendant plusieurs années chez sir W. Crookes, de la Société royale de Londres, et dont nous avons déjà parlé .
On a souvent cherché à insinuer que W. Crookes était revenu sur ses affirmations. Or, voici ce qu’il disait, à propos de ces phénomènes, dans son discours au Congrès pour l’avancement des sciences (British Association), tenu à Bristol. en.1898, et dont il était président :
« Trente ans se sont écoulés depuis que j’ai publié les comptes rendus d’expériences tendant à démontrer que, en dehors de nos connaissances scientifiques, il existe une force mise en oeuvre par une intelligence qui diffère de l’intelligence commune à tous les mortels... Je n’ai rien à rétracter ; je maintiens mes constatations déjà publiées. Je puis même y ajouter beaucoup. »
Mme Florence Marryat, auteur renommé, a laissé dans une de ses oeuvres une relation détaillée des séances de Crookes, dont elle était un des témoins les plus assidus. En voici un fragment :
« J’ai assisté plusieurs fois, aux investigations faites par M. Crookes pour se convaincre de l’existence de l’apparition. J ai vu les boucles sombres de Florence Cook attachées à terre, devant le rideau, à la vue de tous les assistants, tandis que Katie se promenait et causait avec nous. J’ai vu Florence, et Katie plusieurs fois ensemble, de sorte que je ne puis avoir le moindre doute qu’elles étaient deux individualités distinctes... Au cours d’une séance, on demanda à Katie de se dématérialiser en pleine lumière. Elle consentit à se soumettre à l’épreuve ; bien qu’elle nous dit ensuite que nous lui avions fait beaucoup de mal. Elle alla se placer contre le mur du salon, les bras étendus en croix. Trois becs de gaz furent allumés. L’effet produit sur Katie fut terrifiant. A peine la vit-on encore pendant une seconde, puis elle s’évanouit lentement. Je ne puis mieux comparer son effondrement qu’à une poupée de cire fondant devant un brasier. D’abord, les traits de la figure, vaporisés et confus, semblaient entrer l’un dans l’autre. Les yeux tombaient dans leurs cavités ; le nez disparut et le front se brisa. Les membres et la robe eurent le même sort ; tout descendait de plus en plus dans le tapis, comme une maison qui s’écroule. A la lumière des trois becs de gaz, nous regardions fixement la place que Katie King avait occupée. »
Nous avons tenu à reproduire cette description, afin de montrer combien grande est la puissance de désagrégation de la lumière sur les créations fluidiques temporaires et la nécessité des séances obscures, en certains cas, malgré les inconvénients qu’elles présentent.
A ce sujet, M. Camille Flammarion établit la comparaison suivante : il écrit dans la Revue de 1906
« Voici, dans un flacon, un mélange à volume égal d’hydrogène et de chlore. Si vous voulez que le mélange se conserve, il vous faut, que cela vous plaise ou non, laisser le flacon dans l’obscurité. Telle est la loi. Tant qu’il restera dans l’ombre, il se conservera. Mais si, inspiré par une fantaisie d’écolier, vous exposez ce mélange à l’action de la lumière, soudain une violente explosion se fait entendre : l’hydrogène et le chlore disparaissent, et vous retrouvez dans le flacon une nouvelle substance : de l’acide chlorhydrique. Vous aurez beau épilogué, l’obscurité respecte les deux corps, la lumière les brise. »
Un autre cas célèbre, réunissant les meilleurs éléments de certitude, les preuves les plus concluantes , est l’apparition d’Estelle Livermore, défunte, à son mari, le banquier Livermore, à New-York, de 1861 à 1866, en 388 séances, dirigées par un autre Esprit, qui se désignait lui-même sous le nom du docteur Franklin.
Le phénomène se complète par une série de preuves d’un caractère persistant. Une centaine de messages sont écrits par Estelle, sous les yeux de son mari, sur des cartes apportées et marquées par lui. Grâce à une lumière mystérieuse qui enveloppait le fantôme, M. Livermore reconnaissait la main, les traits, les yeux, le front, les cheveux de celle qui écrivait. « Son visage », dit-il, « était d’une beauté surhumaine et me regardait avec une expression de bonheur. »
Ces faits sont déjà anciens et ont été souvent relatés. Nous ne pouvions cependant les passer sous silence, en raison de leur importance et du grand retentissement qui leur a été donné. En voici de plus récents. Ici, ce ne sont plus seulement des formes isolées qui apparaissent, mais des groupes d’Esprits matérialisés, dont chacun constitue une individualité distincte du médium. Des formes, de tailles et de dimensions différentes, se montrent ensemble, s’organisent graduellement aux dépens d’une masse fluidique nébuleuse, puis se dissolvent tout à coup, après s’être mêlées, pendant un instant, aux travaux et aux entretiens des expérimentateurs.
Le docteur Paul Gibier, directeur de l’Institut Pasteur, de New-York, a présenté au Congrès de psychologie de Paris, en 1900, un mémoire très étendu sur des « matérialisations de fantômes », obtenues, par lui dans son propre laboratoire, en présence des préparateurs qui l’aident habituellement dans ses travaux de biologie. Plusieurs dames de sa famille assistaient aussi à ces expériences. Elles avaient pour mission spéciale de surveiller le médium, Mme Salmon, de vérifier ses vêtements, toujours noirs, alors que les fantômes apparaissaient en blanc.
Toutes les précautions furent prises. On se servait d’une cage métallique, soigneusement close, avec porte en fer fermant au cadenas. Pendant les séances, le médium est enfermé dans cette cage, dont la clef ne quitte pas le docteur Gibier. Par surcroît de précautions, un timbre-poste français est collé sur l’ouverture du cadenas. La cage est complétée par un cabinet de tentures. D’autres fois, on se sert du cabinet sans la cage.
De nombreuses séances eurent lieu dans ces conditions. Nous n’en relaterons qu’une seule, parce qu’elle résume toutes les autres .
Le 10 juillet 1898, le médium, Mme Salmon, est placé dans le cabinet et garrotté sur sa chaise. De plus, un ruban est passé autour de son cou et fixé par un nœud chirurgical. Les extrémités du ruban sont passées par deux trous percés dans le plafond du cabinet et attachées entre elles par un double nœud très serré, bien loin de la portée du médium, qui est vêtu de noir. La lumière est abaissée, mais on distingue les objets.
Des apparitions de bras, de bustes, de faces, incomplètes, se produisent d’abord. Des formes entières leur succèdent, vêtues de blanc. Leurs tailles varient, depuis une forme d’enfant, la petite Maudy, jusqu’à des fantômes de haute stature. Puis, viennent des formes de femmes, minces et gracieuses, alors que le médium est une personne de cinquante ans, douée d’un certain embonpoint. Dans le nombre, une forme masculine, grande et barbue. C’est Ellan, un Esprit à la voix forte, qui distribue de vigoureuses poignées de main aux assistants. Cette main, pressée par celle du docteur Gibier, fond peu à peu sous son étreinte.
Ces apparitions se forment sous les yeux des expérimentateurs. On distingue d’abord un point nébuleux, brillant et mobile, qui s’étend et s’allonge en forme de colonne ; puis c’est un T. Celui-ci se change en un profil de femme voilée. Enfin, une charmante figure de jeune fille, svelte, délicate, se dessine, se condense. Elle se promène parmi l’assemblée, salue, serre les mains tendues vers elle. Après quoi, l’apparition s’écroule comme un château de cartes. Un instant, on aperçoit encore une tête gracieuse émergeant au-dessus du parquet, puis tout disparaît. Au même instant, le docteur Gibier touche le médium qui est à sa place, lié, dans le cabinet. On fait la pleine lumière ; les rubans sont vérifiés, reconnus intacts ; il faut un certain temps pour les détacher.
Ces formes s’agitent et parlent. Elles donnent leurs noms : Blanche, Lélia, Musiquita, etc. Celle-ci joue d’une guitare. Toutes s’entretiennent avec les assistants ; leurs voix se font entendre de tous les points de la salle. Quant aux tissus dont les apparitions sont revêtues, elles disent elles-mêmes les produire à l’aide d’éléments empruntés aux vêtements du médium dématérialisés en partie. Dans une séance, l’Esprit de Lélia forme avec le souffle, sous les yeux des assistants, un tissu léger de gaze blanche, qui s’étend peu à peu et couvre toutes les personnes présentes. C’est un exemple de création par la volonté, qui vient confirmer ce que nous disions au début de ce chapitre.
D’où viennent ces apparitions et quelle est leur nature ? Le docteur Gibier va nous le dire : « Les fantômes interrogés déclarent tous eux-mêmes être des entités, des personnalités distinctes du médium, des Esprits désincarnés, qui ont vécu sur la terre et dont la mission est de nous démontrer l’existence de l’autre vie. »
Un détail, entre autres, fera voir que ces Esprits ont tout le caractère humain. « Les formes », dit Gibier, « se montrent très timides au début et il faut gagner leur confiance. »
L’identité d’un de ces Esprits a été établie d’une manière précise. C’est celle de Blanche, parente défunte de deux dames assistant aux séances ; elle était nièce de l’une et cousine de l’autre. Toutes deux ont pu l’embrasser à maintes reprises et s’entretenir avec elle en français, langue que le médium ne comprend pas.
Le docteur Gibier a remarqué que les manifestations variaient d’intensité, suivant le « volume de forces » fourni aux Esprits par le médium, et se produisaient, selon les cas, à une plus ou moins grande distance de la cage ou du cabinet où celui-ci était assis.
Au cours d’une séance, un fait troublant se produisit. Le médium, entrancé et enfermé dans la cage, fut retrouvé en dehors, à la fin de la soirée. D’après les explications données par l’Esprit Ellan, la porte de la cage avait été dématérialisée, puis reconstituée par les agents invisibles . C’est là un cas remarquable de désagrégation et de reconstitution de la matière, qu’il était bon de signaler.
D’autres témoignages, non moins importants, ont été recueillis par le Congrès spiritualiste de 1900, à Paris.
Dans la séance du 23 septembre, le docteur Bayol, ex-gouverneur du Dahomey, sénateur et président du Conseil général des Bouches-du-Rhône, a exposé avec clarté les phénomènes d’apparition observés, du 1er janvier 1899 au 6 septembre 1900, dans une ferme des Aliscamps, à Arles .
Nous avons visité, depuis lors, le cimetière romain des Aliscamps (Champs-Élysées), où, parmi les ifs et les térébinthes, sous le ciel pur de la Provence, s’alignent de longues rangées de sarcophages antiques. Nous avons vu la sépulture d’Acella, dont il va être question, et lu l’inscription suivante : « A ma fille Acella, morte à 17 ans, la nuit même de ses noces. » C’est dans une ferme voisine, construite avec des pierres tombales, que se firent les expériences du docteur Bayol, en présence de personnages éminents, tels que le préfet des Bouches-du-Rhône, un général de division, le grand poète Mistral, auteur de Mireille, des docteurs en médecine, des avocats, etc.
Les phénomènes commencèrent par les mouvements d’une lourde table, qui roulait dans la pièce avec grand bruit. Puis, on vit des globes lumineux voltiger et se refléter dans les glaces, ce qui démontrait bien leur objectivité. Le docteur Bayol eut l’idée d’évoquer l’Esprit d’Acella, la jeune Romaine, morte au temps des Antonins. Une flamme apparut, vint à lui et se posa sur sa tête. Il s’entretenait avec elle comme il l’eût fait avec une personne vivante, et la flamme s’agitait d’une façon intelligente. Parfois, on voyait jusqu’à dix et douze flammes, qui paraissaient intelligentes ; la salle entière en était illuminée.
« Étions-nous hallucinés ? » se demande le docteur Bayol. « Nous étions quelquefois dix-neuf et je crois qu’il est difficile d’halluciner un vieux colonial comme moi. »
Plus tard, à Eyguières, Acella se rendit visible et donna une empreinte de son visage dans la paraffine, non pas en creux, comme se produisent habituellement les moulages, mais en relief. Puis ce furent des apports, des pluies de feuilles de rose, de feuilles de figuier, de laurier, remplissant les poches du narrateur. Un poème fut dicté en langue provençale, et des mélodies, tirées d’une mandoline, sans contact apparent.
Les médiums, gens illettrés, obtinrent des phénomènes d’écriture en langue grecque. D’autres fois, c’étaient des effets physiques d’une grande puissance. Un des médiums fut projeté dans le vide, à une hauteur de 4 mètres, et retomba sur une table sans se faire de mal.
« Mes expériences », a dit le docteur Bayol dans son exposé , « ont été entourées de toutes les précautions possibles. Il y a en France une chose formidable, un monstre terrible, qui fait peur aux Français et qui s’appelle le ridicule. Vous permettrez à un vieux colonial comme moi de le braver. Je suis convaincu que j’ai raison et que je ne dois pas avoir peur de dire la vérité. »
Au cours des années 1901 et 1902, toute la presse italienne s’est occupée d’une série de séances données par le médium Eusapia Paladino, au cercle Minerva, à Gênes, en présence des professeurs Lombroso, Morselli, F. Porro et du spirituel écrivain, connu dans toute la péninsule et fort sceptique à l’endroit du spiritisme : A. Vassalo, directeur du Secolo XIX.
Dix séances se succédèrent. Après de nombreux phénomènes physiques et plusieurs cas de lévitation , des apparitions se formèrent. Voici comment M. Vassalo les décrit dans son journal :
« Le phénomène dure trop longtemps pour qu’il puisse être question d’hallucination partielle ou collective. Au-dessus de la tête du médium se montre une main blanche qui salue tous les assistants. Pour développer le phénomène, on éteint la lumière empêchant la matérialisation. Immédiatement, je ressens derrière moi le contact indéniable d’une personne ; deux bras m’entourent, avec passion et tendresse ; deux petites mains fluettes, proportionnées à la main entrevue, me prennent la tête en la caressant. Une lumière mystérieuse m’éblouit et je reçois de longs et nombreux baisers, entendus de tous. Ce ne peut être que mon fils défunt, Naldino, et maintenant que l’on allume une bougie, une silhouette se dessine à côté de moi, visible pour tous et représentant exactement les traits de mon petit garçon décédé, cette forme demeure immobile pendant plusieurs secondes.
« La quatrième séance nous montre le phénomène à son point culminant. Naldino apparaît de nouveau. D’abord, une longue embrassade, pendant laquelle je sens une fine forme de garçon se presser contre moi. Puis, une multitude de baisers, perçus de tous, et des mots exprimés en dialecte génois - le médium ne parle que le napolitain - que tous entendent et qui ont un timbre particulier, auquel je ne puis me tromper : « Papa moi ! papa caro ! » entremêlés d’expressions de joie « o dio ! »
« Tout à coup, le contact avec l’invisible et pourtant si visible semble vouloir s’effacer ; il semble s’évaporer, puis un nouvel embrassement. Je reçois trois longs et passionnés baisers, et la voix me dit : « Ceux-là sont pour maman. » On nous engage à rallumer la lumière électrique et, comme si l’invisible voulait nous donner une dernière preuve de sa présence, un phénomène entrevu dans une séance précédente par le professeur Lombroso se renouvelle. Nous apercevons tous une forme humaine, ayant toute ressemblance avec celle déjà désignée, s’avancer vers moi, ouvrir les bras et m’entourer. Une de ses mains tient ma main droite, pendant que, de la main gauche, je tiens toujours le médium, qui, comme nous pouvons nous en assurer tous, repose sur sa chaise dans une hypnose profonde. »
Certains soirs, les apparitions sont multiples. Des profils indistincts, des contours de têtes, des ombres obscures se dessinent sur un fond faiblement éclairé ; des fantômes blancs, d’une extrême ténuité, se montrent dans les parties ténébreuses de la salle. Le professeur Morselli reconnaît l’ombre de sa petite fille, décédée à l’âge de onze ans. M. Bozzano sent une délicate main de femme 1’étreindre, le caresser ; deux bras entourent son cou. Une voix faible, mais distincte, prononce un nom qui est pour lui « une révélation d’outre-tombe ». Pendant tout ce temps, le médium, éveillé, gémit, implore ses amis invisibles, leur demande du secours. Ses souffrances deviennent telles qu’il faut suspendre les expériences.
Au cours d’une séance dirigée par le docteur Morselli, professeur de psychologie à 1’Université de Gênes, pendant laquelle le médium, après examen minutieux de ses vêtements, fut attaché sur un lit, cinq formes matérialisées apparurent en demi-lumière. La dernière était celle d’une femme enveloppée de gaze transparente et portant dans ses bras un petit enfant. Une autre figure de jeune femme, dont l’ombre projetée par la lumière du gaz se dessinait sur la muraille, salua et l’ombre suivit tous les mouvements de la forme .
Une vive polémique s’engagea entre plusieurs journaux au sujet de ces expériences. Dans une de ses répliques, le professeur Morselli s’exprimait ainsi : « Je déclare que le spiritisme mérite pleinement d’être étudié par les savants et j’avoue que j’y crois entièrement. Moi, le matérialiste obstiné ; moi, le directeur énergique d’un journal intransigeant et positiviste, on voudrait me faire passer pour la victime d’une hallucination ou pour un crédule néophyte ! »
A. Vassalo, dans une conférence, faite depuis à Rome, au local de l’Association de la presse, devant un public d’élite, sous la présidence de M. Luzzatti, ancien ministre, a courageusement exposé tous les faits dont nous venons de parler et affirmé les apparitions de son fils défunt.
Enfin, dans son ouvrage Hypnotisme et Spiritisme, traduction, Rossigneux, au chapitre intitulé : Fantômes, César Lombroso, le célèbre professeur de l’Université de Turin, après avoir relaté les apparitions obtenues au cours des séances d’Eusapia, par Vassalo et Morselli, s’exprime ainsi :
« J’ai eu moi-même une apparition bien émouvante. C’était à Gênes, en 1882. Eusapia, à ce moment, ne semblait pas devoir donner grand’chose. La priant, tout au début, de faire mouvoir en pleine lumière un lourd encrier, elle me répond dans son langage vulgaire : « A quoi bon ces bagatelles, je suis capable de te montrer ta mère. » Peu après, dans la demi-obscurité d’une lampe aux verres rouges, je vois se détacher du rideau une silhouette voilée, assez petite comme l’était ma pauvre mère. Elle fait le tour complet de la table jusqu’à moi, me souriant et me disant des paroles que les autres entendent, mais que je ne puis saisir à cause de ma surdité. Fortement ému, je la supplié de répéter, et elle dit : César, fio mio, ce qui, je l’avoue, me surprend assez, car elle avait plutôt coutume de dire, dans son langage vénitien : mio fiol. Puis, sur ma prière, elle refait le tour de la table et m’envoie un baiser. A ce moment, Eusapia était bien tenue par ses deux voisins, et d’ailleurs sa taille dépassait d’au moins 10 centimètres celle de ma mère. Celle-ci m’apparut encore, moins distinctement, m’envoyant des baisers et me parlant, dans huit autres séances, en 1906 et 1907, à Milan et Turin. »
« Massaro, de Palerme, dans une séance à Milan, le 26 novembre 1906, vit apparaître son fils, qui le saisit à pleins bras et l’embrassa. »
Les apparitions et matérialisations d’Esprits ne se comptent plus. Elles ont été observées en tous pays par de nombreux expérimentateurs. Moi-même, j’ai pu en constater une à Tours, que j’ai décrite dans Christianisme et Spiritisme, p. 257. Dans ce cas, la forme était vague et sombre. Elle ne marchait pas ; elle glissait sur le parquet.
Parfois, les apparitions revêtent tous les caractères d’une idéale beauté. M. Georg Larsen, dans une lettre adressée au journal suédois Eko , décrit l’apparition de son épouse Anna, décédée le 24 mars 1899. Le phénomène eut lieu à Berlin, en 1901, en présence de la princesse Karadja, de la comtesse de Moltke et d’autres personnes. Un procès-verbal fut établi et signé par tous les assistants. M. Larsen s’exprime ainsi :
« Les rideaux s’ouvrirent, découvrant un spectacle merveilleux. Nous vîmes une femme élancée, vêtue comme une mariée, avec un long voile blanc tombant de la tête aux pieds ; mais quel voile ! Il semblait tissé, de rayons aériens lumineux. Comme je reconnaissais le visage ! Il y a douze ans, je menais à l’autel cette femme, vivante alors ! Qu’elle était belle, avec le voile sur ses cheveux noirs et l’étoile brillant au-dessus de sa tête ! J’entendis autour de moi des exclamations d’étonnement. Mes yeux restèrent fixés sur le visage bien-aimé jusqu’à ce que les rideaux se refermassent de nouveau.
« Un instant après, elle reparut, telle qu’elle était dans notre maison ; elle avança plus près de moi et se tint les bras étendus et levés. Ses cheveux noirs formaient le plus beau cadre autour de son visage ; elle avait les bras nus ; le corps svelte était drapé dans une longue robe d’un blanc de neige. Elle me regardait de ses yeux noirs lumineux ; je retrouvais son expression affectueuse, son attitude ; c’était ma femme vivante ; mais l’apparition entière avait une beauté et une harmonie exquises, un ensemble idéalisé que ne possède pas un être de la terre. Je murmurai son nom. Le sentiment d’un bonheur inexprimable s’emparait de moi. Elle glissa silencieusement dans le cabinet, dont les rideaux se refermèrent. La chambre était bien éclairée ; les assistants étaient calmes et sérieux ; le médium resta visible dans son fauteuil, à côté et pendant tout le temps de l’apparition. »
Sur la demande de M. Larsen, un morceau du voile lui fut laissé. Il est encore entre ses mains. Ce voile, dit-il, d’un tissu délicat, a été tissé avec la même matière que l’Esprit emploie pour se rendre visible et qui tire son origine des radiations du corps humain.
Dans leur critique des phénomènes d’apparition, les détracteurs du spiritisme ont souvent recours à la théorie de l’hallucination. C’est là une explication aussi vague que commode, et plutôt un mot vide, destiné à dissimuler la pénurie d’arguments de contradicteurs aux abois.
Il faudrait d’abord préciser ce qu’est l’hallucination. C’est, nous dit-on, une erreur des sens. Mais le champ de nos perceptions est si limité ; tant de choses, dans la nature, échappent à nos sens imparfaits, que nous ne savons jamais, dans les cas contestés, s’il ne s’agit pas d’objets perçus par des sens plus subtils, plus affinés que ceux de la généralité des hommes.
Nous l’avons vu, un grand nombre de manifestations spirites s’appuient sur des photographies ou des moulages, qui, en confirmant leur authenticité, écartent toute possibilité d’erreur.
Aksakof a obtenu des photographies d’une forme d’Esprit matérialisé, qui soutenait dans ses bras le médium Eglinton, profondément entrancé et dans un état complet d’épuisement. Tous les assistants distinguaient l’apparition, de haute taille, à barbe noire, aux yeux perçants .
Chez Mme d’Espérance, à Gothembourg, en 1897, de nombreuses photographies d’Esprits furent obtenues en présence d’Aksakof et d’autres expérimentateurs .
Des moulages de membres matérialisés sont obtenus dans la paraffine fondue, moulages au moyen desquels on fait ensuite un modèle en plâtre reproduisant en relief, avec une exactitude parfaite, tous les détails anatomiques de la forme.
Les mains, moulées à l’aide de ce procédé, n’ont pas de rapport avec celles des médiums. Le professeur de géologie Denton en a obtenu de différentes grandeurs, depuis des mains gigantesques, dépassant les dimensions de mains humaines, jusqu’à des doigts de petit enfant. Par mesure de contrôle, les expériences furent faites dans une caisse fermée à clef et cachetée, examinée au préalable par tous les assistants. L’opération eut lieu en pleine lumière, le médium étant constamment observé, et des procès-verbaux furent signés par les expérimentateurs ; parmi ceux-ci se trouvaient le professeur Denton, le docteur Gardner, le colonel Cope, Epes Sargent, homme de lettres bien connu aux Etats-Unis, etc.
Les mêmes expériences furent faites, avec les mêmes résultats, par M. Reimers, de Manchester. Là, le médium a la tête et les mains enfermées dans un sac de tulle noué à la ceinture. Les agents occultes sont visibles en même temps que le médium. Dans une séance, on voit simultanément ce dernier et quatre formes matérialisées, chacune ayant ses traits particuliers qui la distinguent des autres figures. Elles se présentent aux assistants après l’opération du moulage et les invitent à retirer eux-mêmes les gants de paraffine de leurs mains ou de leurs pieds matérialisés .
Toute supercherie est d’ailleurs rendue impossible par le fait que la paraffine étant bouillante, aucune main humaine n’en pourrait supporter la température excessive. Une main humaine ne saurait se détacher du moule sans en briser, ou tout au moins sans en endommager la forme délicate et très friable, tandis que la main occulte semble se dématérialiser dans le moule même.
E. Bozzano, dans les Annales des Sciences psychiques de janvier 1910, publie un extrait des séances organisées en Norvège, en 1893, avec Mme d’Espérance, par un groupe d’expérimentateurs éminents. Ces séances avaient lieu chez le professeur Herr E. ; la forme de « Néphentès » s’y manifesta presque chaque fois. C’était une forme de femme de la plus grande beauté ; elle se montrait à la lumière en même temps que le médium, « qui était éveillé et se tenait assis avec les expérimentateurs en dehors du cabinet ». Elle se matérialisait au milieu du cercle ; elle se prêtait tantôt à se faire photographier, tantôt à écrire sur le carnet de l’un des assistants, tantôt à fournir le modèle de sa propre main en la plongeant dans la paraffine liquéfiée. Cette dernière expérience est ainsi racontée dans le Journal de la baronne Peyron :
« Le léger bruit produit par la main qui se plongeait dans le liquide et en sortait, continua pendant quelques minutes dans l’ombre des rideaux, taudis que nous apercevions complètement la forme, blanche penchée sur le récipient. Puis « Néphentès » se redressa et se tourna vers nous, regardant autour d’elle jusqu’à ce qu’elle aperçût Herr E. assis derrière un autre expérimentateur qui le cachait à moitié ; alors elle s’avança vers lui, suspendue en l’air, en lui tendant un objet « Elle me tend un morceau de cire ! » s’écria-t-il ; puis, se reprenant : « Non, c’est le modèle de sa main ; il la recouvre « jusqu’au poignet ; sa main se dissout à l’intérieur du modèle. » Tandis qu’il parlait encore, la forme glissait tranquillement vers le cabinet, laissant le modèle de paraffine entre les mains de Herr E. - On avait obtenu enfin le phénomène tant désiré ! - La séance achevée, on examina le moule. Extérieurement, il paraissait informe, grumeux, formé d’un grand nombre de couches superposées de paraffine ; on apercevait à l’intérieur l’empreinte de tous les doigts d’une main extrêmement petite. - Le jour suivant, nous la portâmes chez un modeleur, pour lui en faire extraire le jet. Sa stupéfaction et celle de ses ouvriers fut telle, qu’ils considérèrent cet objet comme une oeuvre de sorcellerie. Le travail exécuté, nous pûmes admirer une main très petite et complète jusqu’au poignet ; tous les détails des ongles et de la peau apparaissaient ; les doigts se présentaient courbés de telle manière qu’une main humaine n’aurait pas pu s’en retirer sans briser le modèle. »
Les matérialisations de membres fluidiques peuvent quelquefois s’expliquer par un dédoublement partiel de l’organisme du médium. Aksakof a obtenu un moulage du pied de la forme dédoublée d’Eglinton . On a constaté également que les mains extériorisées d’Eusapia Paladino laissaient des empreintes à distance dans des substances molles.
De ces faits, on a cru pouvoir déduire que les apparitions de fantômes ne sont que des dédoublements du médium. Cette explication est inadmissible, puisque, nous l’avons vu, en présence d’un seul médium, on a pu compter jusqu’à cinq ou six Esprits matérialisés, de sexes différents, dont plusieurs parlaient des langues étrangères, inconnues du sujet. Même dans les cas d’apparitions isolées, les formes matérialisées diffèrent totalement du médium, physiquement et intellectuellement, comme le démontrent les cas cités.
Aksakof est porté à croire que ces formes ne sont pas les reproductions de celles que revêtaient les Esprits dans leurs existences terrestres ; ce sont plutôt des formes de fantaisie, créées par les agents invisibles, ne se renfermant pas dans ces formes, mais les animant du dehors. Cette explication, dit-il, serait donnée par les Esprits eux-mêmes .
Cette théorie, si elle s’applique aux phénomènes de Gothembourg, ne paraît pas pouvoir être étendue à tous les cas de matérialisation, par exemple, aux faits observés par Crookes, Wallace, Gibier, etc. En effet, si l’Esprit peut créer des formes matérielles qui sont de simples images, il peut aussi bien concréter sa propre enveloppe de façon à la rendre visible. Le phénomène des matérialisations s’explique d’une façon rationnelle et satisfaisante par le fonctionnement du périsprit. Cette enveloppe fluidique de l’âme est comme un dessin, un canevas sur lequel la matière s’incorpore, se concrète, par accumulations successives des molécules, jusqu’au point de reconstituer un organisme humain.
Ainsi, avec Katie King, l’Esprit matérialisé est une femme terrestre ; elle respire, son cœur bat ; elle possède tous les caractères physiologiques d’un être vivant .
Dans les moulages en paraffine obtenus par Zœllner, Denton, etc., moulages ou empreintes de mains, pieds et visages, les moindres détails de la peau, des os, des tendons, sont reproduits avec une exactitude rigoureuse. Les docteurs Nichols et Friese recueillirent, en présence de douze témoins, le moulage d’une main d’enfant, avec un signe particulier, une légère difformité, qui permit à une dame présente, de reconnaître la main de sa fille, morte à l’âge de cinq ans .
De tout ceci, il ne faudrait pas déduire que l’Esprit conserve dans l’espace les imperfections physiques ou les mutilations de son corps terrestre. Ce serait une erreur absolue, car le témoignage unanime des désincarnés nous apprend, qu’il en est tout autrement. Dans l’Au-delà, le périsprit n’est jamais infirme ou mutilé.
« Lorsque l’Esprit veut se matérialiser », dit G. Delanne , il est obligé de remettre en action le mécanisme périsprital, et celui-ci reconstitue le corps avec les modifications que ce corps avait éprouvées pendant le séjour de l’Esprit sur la terre. » Le récit suivant, communiqué au journal Facts par M. James, M. N. Sherman, de Rumfort (Rhode Island), et reproduit dans le Light de 1885, p. 235, est un nouvel exemple de la loi de conservation des formes évoluées par l’être pendant son passage ici-bas :
« Dans ma jeunesse, entre 1835 et 1839, je me rendis dans les îles du Pacifique. Il y avait à bord de notre navire des indigènes, avec lesquels j’appris assez bien leur langage. Plus tard, le 23 février 1883, j’assistai à une séance chez Mrs. Allens, à Providence (Rhode Island), pendant laquelle un indigène des îles du Pacifique se matérialisa ; je le reconnus par la description qu’il fit de sa chute du bastingage dans laquelle il se blessa au genou, qui resta tuméfié par la suite. A cette séance, il plaça la main sur son genou, qui se trouva matérialisé avec cette même tuméfaction endurcie qu’il avait durant sa vie. A bord, on l’appelait Billie Marr. »
Les éléments des matérialisations, avons-nous dit, sont empruntés temporairement aux médiums et aux autres personnes présentes. Leurs radiations, leurs effluves sont condensés par la volonté des Esprits, d’abord en amas lumineux, puis, à mesure que la concrétion augmente, la forme se dessine, devient de plus en plus visible. Ce phénomène est toujours accompagné, dans les séances, d’une sensation de froid, indice d’une déperdition de force et de chaleur : chaleur et lumière n’étant, on le sait, que des modes vibratoires, plus ou moins intenses, de la même substance dynamique, dans une période de temps uniforme. Pour les médiums, cette déperdition est considérable et se traduit par des différences de poids très sensibles.
W. Crookes l’a constaté pendant les matérialisations de Katie King, au moyen de balances munies d’appareils enregistreurs. Voici ce que dit à ce sujet Mme Fl. Marryat :
« J’ai vu Florence Cook sur une balance construite spécialement par M. Crookes ; elle était derrière le rideau, tandis que le balancier restait en vue. Dans ces conditions, le médium, qui pesait 80 livres dans son état normal, en pesait à peine 40 dès que la forme de Katie était complètement matérialisée. »
Dans les expériences de MM. Armstrong et Reimers, faites à Liverpool, avec le concours des médiums miss Wood et Fairlamb, on procéda au pesage des médiums et des formes apparues, et l’on put constater que le poids perdu par les sujets se retrouvait dans les apparitions matérialisées .
Pendant toute la durée de ces phénomènes, les médiums sont plongés dans une trance profonde, semblable à la mort. Leur corps est rapetissé ; les vêtements flottent autour d’eux ; les peaux pendent, flasques et vides, et forment de véritables sacs .
Les autres assistants ressentent aussi une diminution de force et de vie. M. G. Larsen le constate après l’apparition de sa femme :
« J’ai dû contribuer à sa matérialisation, car, le lendemain, j’étais bien fatigué ; mes yeux ternes, mes cheveux et ma barbe ayant quelque peu blanchi. Il est évident que beaucoup de force physique m’avait été soustraite. En peu de jours, mon corps reprit sa vigueur, mais cela prouve que les personnes douées de pouvoirs médianimiques doivent prendre des précautions. »
Mme Fl. Marryat rend compte d’une séance qui eut lieu dans l’appartement du médium Eglinton, à Londres, le 5 septembre 1884, en présence des colonels Stewart et Lean, de M. et Mme Russell-Davies, M. Morgan et d’elle-même, et où les Esprits montrèrent aux expérimentateurs de quelle façon ils s’y prenaient pour se construire un corps aux dépens du médium :
« Eglinton se montra d’abord en pleine trance au milieu de nous. Il entra à reculons, les yeux fermés, la respiration haletante, semblant lutter contre la force qui le poussait vers nous. Une fois là, il s’appuya contre une chaise et l’on vit sortir de son flanc gauche une sorte de vapeur, masse nuageuse comme de la fumée. Ses jambes étaient éclairées par des lueurs qui les parcouraient en tous sens. Un voile blanc s’étendait au-dessus de sa tête et de ses épaules. La masse vaporeuse allait toujours en augmentant et l’oppression du médium devenait plus intense, tandis que des mains invisibles, retirant de son flanc des flots d’une sorte de gaze légère, les accumulaient à terre par couches superposées. Nous suivions avec une attention passionnée les progrès de ce travail. Tout à coup la masse s’évapora, et, en un clin d’œil, un Esprit parfaitement formé se trouva aux côtés d’Eglinton. Personne ne pouvait dire ni comment, ni d’où il était venu au milieu de nous, mais il y était. Eglinton s’affaissa sur le parquet. »
Non seulement des emprunts considérables sont faits au corps du médium, mais, dans certains cas, celui-ci est soumis à une désagrégation presque totale. Dans les expériences dirigées par Aksakof, chez Mme d’Espérance, à Gothembourg, on constata une chose stupéfiante. Le corps du médium, isolé dans le cabinet noir, avait à moitié disparu. Désagrégés et rendus invisibles par un mystérieux pouvoir, ses éléments avaient servi aux matérialisations des Esprits Anna, Yolande et Leila. Ils étaient passés temporairement dans les formes fantomales pour revenir ensuite à leur état primitif, ayant conservé toutes leurs propriétés et sans que le médium en ait eu conscience .
Un fait semblable fut constaté par le colonel Olcott, dans des conditions de contrôle rendant toute fraude impossible .
Le médium, Mme Compton, dont on avait enlevé les boucles d’oreille, fut attaché sur une chaise au moyen de fil très fort, passé dans les trous des lobes de ses oreilles et scellé au dossier de la chaise, en imprimant sur la cire à cacheter le sceau personnel du colonel. En outre, la chaise fut fixée au parquet par une ficelle et de la cire. L’Esprit d’une petite fille, Katie Brink, apparut, vêtu de blanc, fit le tour du cercle et toucha plusieurs personnes. Invité à se laisser peser, il s’y prêta de bonne grâce et le poids constaté fut de 77 livres anglaises.
« Je pénétrai dans le cabinet », dit le colonel, « tandis que la petite fille était encore dans la chambre ; je n’y trouvai point le médium ; la chaise était vide ; il n’y avait dessus aucune espèce de corps. Alors j’engageai la jeune fille à se rendre plus légère, si c’était possible, et à remonter sur le plateau de la balance. Son poids était descendu à 59 livres. Elle reparut encore, s’en fut d’un spectateur à l’autre, s’assit sur les genoux de Mme Hardy et, finalement, se prêta à une dernière pesée, qui ne donna plus que 52 livres, bien que, du commencement à la fin de ces opérations, aucun changement ne fût survenu dans l’apparence de sa forme corporelle.
« Ce dernier pesage accompli, l’Esprit ne reparut plus. Je pénétrai avec une lampe dans le cabinet et j’y trouvai le médium tel que je l’avais laissé au début de la séance, attaché avec ses fils et ses cachets de cire intacts. Il était assis, la tête appuyée contre un des murs ; sa chair pâle était froide comme du marbre ; ses pupilles relevées sous les paupières, le front couvert d’une sueur froide, il était sans pouls et presque sans respiration. Elle resta vingt minutes en catalepsie ; puis la vie rentra peu à peu dans son corps et elle revint à son état normal ; mise sur le plateau de la balance, elle pesa 121 livres. »
Le vénérable archidiacre Colley, recteur de Stockton, donna à Weymouth, le 6 octobre 1905, une conférence sur le spiritisme, durant la semaine du Congrès de l’Église anglicane. Cette conférence fit beaucoup de bruit en Grande-Bretagne ; elle a été depuis publiée en brochure, et nous croyons intéressant d’en reproduire les passages suivants
« Voici, dit l’auteur, un extrait de mon journal, 28 décembre 1877 : Cinq parmi nous se trouvaient, cette nuit, avec notre distingué médium , dans mon appartement, 52, Bernard street, Russel square, Londres. La première forme humaine anormale qui se présenta dans cette circonstance fut celle d’un petit garçon, pareille à celle de tout enfant anglais âgé de six ou sept ans. Cette petite personne, à la vue de tous (trois becs de gaz étaient complètement ouverts), se reconstitua devant nous.
« Pour ne pas répéter tant de fois sans nécessité comment ces merveilles se produisent, je dirai une fois pour toutes que l’apparition de nos amis psychiques avait lieu de la manière suivante : Je me tenais habituellement à côté du médium entrancé, en le soutenant de mon bras gauche, de telle manière que j’étais dans les meilleures conditions possibles pour observer ce qui se passait.
« Quand nous attendions une matérialisation (et parfois, tout à coup, lorsqu’il n’y avait aucune attente du grand enfantement psychique), on voyait s’élever comme de l’ouverture d’une chaudière, à travers le vêtement noir du médium, un peu au-dessous de son sein gauche, un filament vaporeux, qui restait à peine visible tant qu’il n’était qu’à un pouce ou deux du corps de notre ami.
« Alors, ce filament constituait peu à peu une espèce de nuage, d’où sortaient nos visiteurs psychiques, en se servant apparemment de cette vapeur fluidique pour former les amples habillements blancs dont ils étaient entourés...
« Or, la forme enfantine qui se trouvait devant nous d’une manière anormale, tout habillée de blanc, avec de beaux cheveux d’or, avait toute la manière d’agir de l’enfance humaine ; il frappait de ses petites mains, il tendait sa bouche pour recevoir des baisers par chacun de nous ; parlait d’une manière enfantine avec un léger zézaiement ; le médium, comme un frère allié, lui donnait des instructions et l’envoyait, par-ci par-là, apporter telle et telle chose d’un côté à l’autre de la chambre - ce que l’enfant faisait d’une façon naturelle. Enfin, en se rapprochant avec abandon et confiance de l’auteur de son existence momentanée, la fine créature fut graduellement absorbée par lui, et disparut en se fondant de nouveau dans le corps de notre ami.
« Puis vint le tour de l’Égyptien, notre ami, « le Mahedi ». La couleur bronzée de la peau de notre anormal visiteur, qu’il m’était permis d’examiner de près avec une loupe, par laquelle j’observais avec soin la chair, les ongles, les petites mains, les pieds, les chevilles, les bras et les jambes basanés et velus ; les traits mobiles du visage, où brillait de temps en temps une expression de sphynx ; le nez accentué, le contour général du visage, le profil régulier, les yeux noirs, le regard perçant, mais non sans bienveillance, les cheveux noirs, longs et plats avec les moustaches et la barbe longues et pendantes ; les membres nerveux et musculeux ; la grande taille de plus de deux mètres, tout cela confirmait mes premières impressions que le « Mahedi » était un Oriental, mais pas de l’Inde ni de l’extrême Orient.
« Mon examen fait tout à loisir, à cette occasion, était répété plusieurs fois, et j’étais conscient d’un sentiment d’amusement chez notre ami mystérieux, en présence de mon importune dissection de sa robuste personne physico-psychique.
« Pour être l’archevêque de Canterbury, je ne retrancherais pas un seul mot de ce que j’ai écrit des choses vues et reportées, pour la première fois, il y a de longues années, et que j’ai méditées en silence pendant vingt-huit ans.
« J’affirme la vérité de ces choses en engageant ma parole de clergyman, et pour elles j’ai mis en péril ma position ecclésiastique et mon avenir professionnel. »
Aux matérialisations d’Esprits, viennent parfois s’ajouter des créations spontanées de plantes, des apports de fleurs et de fruits.
Le 28 juin 1890, sous les yeux d’Aksakof et du professeur Boutleroff, chez Mme d’Espérance, à Gothembourg, un lis d’or de six pieds de haut fut présenté par l’Esprit Yolande. Avec le concours des assistants, cet Esprit déposa du sable, de la terre et de l’eau dans un vase, qu’il recouvrit ensuite de son voile. Celui-ci s’éleva lentement, soulevé d’une façon continue par un objet invisible ; et lorsque Yolande l’enleva, on vit apparaître une belle plante couverte de fleurs, dégageant un parfum pénétrant. Ce lis d’or subsista pendant toute une semaine ; après quoi, il disparut mystérieusement, comme il était venu .
Nous venons de voir les Esprits à l’œuvre dans la création d’objets et de fleurs. Ils agissent de même dans la formation des vêtements, costumes et attributs dont ils paraissent revêtus. Ce fait que les Esprits se montrent costumés a soulevé des objections nombreuses, et il importe d’y répondre.
Rappelons d’abord qu’en principe la pensée et la volonté sont créatrices. Nous avons déjà vu, dans les apparitions, comment la matière subtile obéit à leurs moindres impulsions. Un Esprit peut agir sur les fluides et leur prêter des formes et des propriétés accommodées au but qu’il poursuit.
Dans le domaine terrestre, cette action se révèle déjà dans les pratiques du magnétisme. L’homme doué du pouvoir de guérir communique, par la volonté, aux effluves qui émanent de lui, et, par extension, à l’eau et à certains objets matériels, tels que linges, métaux, etc., des propriétés curatives. Sous d’autres formes, les phénomènes de l’hypnotisme et de la suggestion nous montrent l’application de cette même loi. Par la suggestion, on provoque, dans l’organisme de sujets endormis, des modifications profondes ; on peut faire apparaître ou cicatriser des plaies, des stigmates, des brûlures, régler certaines fonctions, telles que la circulation, les sécrétions, etc., qui sont, dans l’état normal, soustraites à l’influence de la volonté.
Il est des cas où un expérimentateur, suggérant à des sujets qu’un timbre-poste, un pain à cacheter, sont des vésicatoires, transmet par la pensée à ces objets inoffensifs une force qui soulève la peau et produit des sérosités. D’autres ont provoqué, par ordre, des hémorragies cutanées .
Par la suggestion, qui est, surtout, un acte de la volonté, on a pu non seulement impressionner des sensitifs, mais aussi causer en eux de véritables désordres, par l’absorption de liquides anodins, auxquels on prête des propriétés malfaisantes. C’est ainsi qu’on provoque l’ivresse avec de l’eau claire. Chose plus grave, on a fait absorber à un sujet un poison imaginaire, et ce poison, malgré une suggestion contraire presque immédiate, a causé des ravages physiologiques qui ruinèrent pour longtemps sa santé. Le procès-verbal de cette expérience existe à la Salpetrière .
Il faut ajouter à ces exemples les impressions ressenties par des femmes en état de grossesse et se traduisant, sur le corps de l’enfant qu’elles portent, par des tares, des taches, des déformations. L’influence de ces émotions est parfois très vive. Le docteur Goudard, dans une communication à la Société des études psychiques de Marseille , rapporte le fait suivant :
« Un homme cultivé, sorti d’une de nos grandes écoles, fut opéré, dans son enfance, d’un pouce double de chaque côté, simulant une pince de crustacé et attribué à ce fait que, durant la grossesse, sa mère avait eu la main fortement pincée par un homard. Une autre mère, vivement frappée à la vue d’une gargouille, accoucha d’un fœtus dont la tête avait une étrange similitude d’aspect avec cette gargouille. »
Un cas remarquable a été publié par le Matin du 4 juillet 1903 :
« Une jeune femme de dix-neuf ans, Louise Mirbel, avait vécu longtemps avec un nommé Pierre Chauvin, âgé de vingt-sept ans, dit « le Tatoué ». Cet individu était célèbre dans un monde spécial de Montparnasse par la superbe série de tatouages qui ornait son corps. Brutal et ivrogne, il battait sa maîtresse, qui n’osait le quitter par crainte de ses représailles. Il y a une quinzaine de mois, P. Chauvin fut arrêté à la suite d’un vol et condamné à quelques mois de prison. Louise Mirbel profita de l’occasion pour s’enfuir. Bien résolue à quitter la vie honteuse qu’elle menait, elle vint habiter le quartier Picpus, où elle fit la connaissance d’un brave terrassier, Jean Barrau, qui l’épousa. Un jour, elle sentit qu’elle serait bientôt mère. Une crainte pourtant restait en elle.
« - Vois-tu, répétait-elle souvent à son mari, j’ai peur que cet individu, qui abusa de l’inexpérience de ma jeunesse, ne vienne un jour à me retrouver. Je tremble pour toi et pour moi, car le « Tatoué » est terrible dans ses vengeances.
« J. Barrau s’efforçait d’apaiser ses terreurs, mais en vain. La nuit, la pauvre fille voyait en rêve son ancien amant, et elle se réveillait toute tremblante. Un matin, elle dit à son mari :
« - J’ai fait cette nuit un rêve horrible. Il me semblait que « le Tatoué » était là. Je venais de mettre au monde notre enfant. Il le pressait dans ses bras et lui dessinait sur le corps tous les tatouages qu’il porte lui-même.
« - Tu es folle, ma pauvre amie, répondit J. Barrau... Oublie donc cet homme. Je te réponds qu’il ne te retrouvera jamais...
« Or, hier matin, Louise Mirbel mit au monde un fils. Qu’on juge de la stupéfaction de ceux qui l’assistaient, en voyant sur le corps de l’enfant il a de larges taches bleuâtres, dans lesquelles on remarquait aisément des traces de lettres et de dessin. Sur la poitrine, on apercevait très distinctement un cœur que transperce un poignard. »
Dans son livre : la Zone frontière (p. 131), M. Sage relate deux autres faits :
« En Italie, une chauve-souris s’étant égarée dans une salle de bal, les dames se précipitèrent pour la chasser avec leurs mouchoirs ; la malheureuse bestiole se laissa choir sur l’épaule nue d’une de ces dames, qui en eut une syncope. Peu après, cette dame mit au monde une fille qui portait sur l’épaule l’image parfaite d’une chauve-souris avec les ailes étendues. Tout y était : les poils gris, les griffes, le museau. La jeune fille devenue grande ne put jamais se décolleter.
« Les impressions faibles, quand elles durent, produisent le même résultat que les impressions soudaines et violentes. Liébault raconte qu’un vigneron ressemblait d’étonnante façon à la statue du saint patron de son village, qui se trouvait à l’église. Pendant sa grossesse, la mère avait eu une idée fixe que son enfant ressemblerait à ce saint. »
On le voit, chez l’être humain, la pensée et la volonté influent profondément sur l’organisme et ses fonctions. En d’autres cas, notre pensée peut acquérir assez d’intensité pour créer des formes, des images susceptibles d’impressionner des plaques photographiques. Les exemples sont nombreux.
Aksakof rapporte qu’au cours d’expériences photographiques faites chez Mumler et le docteur Child, en 1862, on obtint sur une plaque l’image d’une dame qui désirait ardemment apparaître avec une guitare dans ses bras. La forme désirée apparut. Depuis lors, ces cas se sont multipliés. Dans les expériences de suggestion, on a souvent créé par la pensée des objets, qui, pour les sensitifs, avaient une existence réelle et étaient soumis aux lois de l’optique.
Il n’est même pas nécessaire que l’action soit voulue. Souvent, comme dans les cas de grossesse que nous avons indiqués, la pensée est inconsciente, et elle n’en produit pas moins des effets très sensibles sur la matière. De même, chez les vivants extériorisés qui apparaissent à distance. Il suffit que leur pensée se soit portée vers une personne éloignée, pour que leur forme se dessine à la vue de celle-ci de façon à être reconnue.
Si l’homme peut réaliser mentalement de tels effets, quels résultats l’Esprit, dégagé de toute entrave charnelle, n’obtiendra-t-il pas, lui dont la pensée vibre avec une intensité bien supérieure ?
Non seulement l’Esprit commande aux éléments subtils de la matière, de façon à impressionner la plaque sensible et les organes des voyants, mais, dans les apparitions visibles pour tous, il peut encore reproduire, par la volonté, les formes et les costumes qu’il a revêtus sur la terre et permettant de le reconnaître. C’est là, en effet, le but essentiel de ces manifestations. De là, les draperies, vêtements, armes et attributs dont les apparitions sont pourvues.
Presque toujours, ces accessoires n’ont ni consistance, ni durée. Il peut arriver cependant que l’Esprit concentre assez de puissance pour concréter des objets, au point de les rendre tangibles et durables.
Certains Esprits peuvent modifier leur aspect avec une facilité prodigieuse, sous les yeux mêmes des assistants. Voici un cas qui semble donner raison à l’hypothèse d’Aksakof, formulée plus haut.
M. Brakett rapporte que, dans une séance de matérialisations, on vit apparaître l’Esprit d’un grand jeune homme, se disant le frère d’une dame qu’il accompagnait. Celle-ci fit observer qu’elle ne pouvait le reconnaître, ne l’ayant vu qu’enfant. Peu à peu, la figure diminua de taille jusqu’à ce qu’elle eût atteint celle du petit garçon que la dame avait connu.
Rappelons aussi le cas d’Emma Hardinge, signalé par M. Colville ; elle apparut dans le costume de reine des fées qu’elle avait porté longtemps auparavant, dans sa jeunesse .
Dans ce cas, comme dans certains autres, l’apparition ne paraît être qu’une simple image mentale extériorisée par l’Esprit, et qui acquiert assez de consistance matérielle pour être perçue par les sens.
Parfois, les Esprits donnent aux formes revêtues l’aspect le plus enchanteur. Robert Dale Owen, ministre des États-Unis à la cour de Naples, dans son ouvrage, Territoire contesté , décrit l’apparition d’une forme féminine :
« Son éclat était comparable à celui de la neige nouvelle sous un rayon de soleil, rappelant ce que l’on a dit du vêtement de lumière du Christ dans la transfiguration, ou encore l’éclat du marbre de Paros, le plus pur et le plus fraîchement taillé, sous le jet d’une vive lumière. »
Ne pourrait-on assimiler à des manifestations de ce genre les apparitions dites « miraculeuses » de vierges, d’anges et de saints, qui, dès lors, trouveraient là une explication rationnelle ?
En résumé, on peut dire que les modes d’action de l’Esprit varient suivant les ressources offertes par les milieux où il opère. Les phénomènes de matérialisation doivent être classés en trois ordres :
D’abord, les cas où le double du médium extériorisé est utilisé et modifié par l’Esprit, au point de reproduire l’aspect que celui-ci avait sur la terre et même les traits de sa physionomie. L’Esprit, par la volonté, se reflète, se photographie dans la forme fluidique du médium ; c’est une transfiguration plus ou moins complète, selon le pouvoir du manifestant. Aussi, dans certaines expériences, l’apparition conservera quelque ressemblance avec le médium.
En d’autres cas, l’Esprit, à l’aide des fluides ambiants, crée des formes temporaires qu’il anime et dirige du dehors, sans s’incorporer, comme Aksakof l’a observé.
Enfin, il y a les cas, plus nombreux, où l’Esprit concrète et matérialise sa propre enveloppe fluidique, au point de reparaître tel qu’il était dans sa précédente existence terrestre. La matérialisation serait alors une sorte de réincarnation passagère.
Le rôle des médiums, diffère essentiellement, selon ces cas. Ils passent par tous les degrés de la trance, suivant la somme des emprunts qui doivent leur être faits. Parfois même, comme chez Mme d’Espérance et Mme Compton, l’emprunt est presque total. En d’autres circonstances, les Esprits apportent avec eux presque tous les éléments de la matérialisation, et le médium reste éveillé.
L’étude des forces en action dans ces phénomènes nous montre de quels secours peuvent être la musique et les chants. Leurs vibrations harmoniques facilitent la combinaison des fluides. Dans un sens opposé, nous avons constaté l’influence défavorable de la lumière ; elle produit un effet dissolvant sur les fluides en travail et nécessite un déploiement plus considérable de force psychique. De là, la raison d’être des séances obscures, au moins au début des essais.
Tous ceux qui ont observé la nature savent que les ondes lumineuses troublent la formation de l’être dans sa période de gestation. Tout germe, tout corps, soit végétal, animal ou humain, doit se constituer dans les ténèbres avant de paraître au jour. La photographie est forcée d’opérer dans des conditions analogues. La reproduction des images nécessite l’obscurité. Il en est de même des formations temporaires d’Esprits. C’est pourquoi on dispose des cabinets obscurs dans les salles d’expériences pour faciliter les matérialisations. Mais parfois, quand la force est suffisante, on voit le phénomène se produire au milieu des assistants.
Toutes ces observations sont confirmées scientifiquement par les expériences de la télégraphie sans fil. D’après une communication de M. Marconi à la Société royale de Londres, il est établi que les ondes hertziennes se transmettent mieux la nuit que le jour ; le lever du soleil jette un grand trouble dans les transmissions.
C’est ainsi que le spiritisme, après nous avoir ouvert le vaste empire des forces et des éléments invisibles de la nature, nous initie aux lois qui en règlent les harmonies profondes. Par l’étude de ses phénomènes, la matière, à son état le plus raréfié, nous apparaît comme un moule subtil, où s’impriment les pensées et les actes. En même temps, elle constitue un immense réservoir d’énergies, qui, en venant s’ajouter aux énergies psychiques, engendrent la force par excellence, la puissance créatrice, d’où émane l’Univers, dans ses éternelles et changeantes manifestations.
XXI. IDENTITE DES ESPRITS.
Par notre exposé des faits spirites, nous venons de le voir, la survivance est amplement démontrée. Aucune théorie autre que celle de l’intervention des défunts ne saurait expliquer certains phénomènes psychiques, sous leurs formes variées. Alf. Russell-Wallace l’a dit : « Le spiritisme est aussi bien démontré que la loi de gravitation. » Et W. Crookes répétait : «Le spiritisme est scientifiquement démontré.»
Au point de vue objectif ou extérieur, les preuves fournies par les apparitions et les matérialisations ne peuvent laisser aucun doute. Toutefois, dans l’ordre subjectif, en ce qui concerne les autres modes de manifestations, une difficulté subsiste : celle d’obtenir des Esprits, en nombre suffisant pour satisfaire les sceptiques, des preuves d’identité, des indications précises, que ne puissent connaître les assistants et vérifiables après coup.
On objecte souvent aux spirites que les communications, dans leur ensemble, ont un caractère trop vague, qu’elles sont dépourvues de renseignements, de révélations, de faits bien définis, susceptibles d’établir l’identité des manifestants et de forcer la conviction des chercheurs.
Certes, on ne peut méconnaître ces difficultés. Elles sont inhérentes à la nature même des choses et aux différences de milieu. Les êtres vivant sur un même plan comme les hommes, pourvus des mêmes sens, communiquent entre eux par des moyens divers qui sont autant d’éléments de certitude. Ces différents modes d’observation et de contrôle, applicables dans le milieu humain, nous voudrions les étendre au domaine de l’invisible, et nous exigeons de ses habitants des manifestations aussi probantes, d’une précision égale à celles qui assurent notre conviction dans l’ordre physique. Or, c’est là une chose presque irréalisable. L’habitant du plan invisible a beaucoup d’obstacles à vaincre pour se communiquer. Les moyens dont il dispose, pour nous éclairer et nous persuader sont restreints. Il ne peut se manifester sans médium, et le médium, inconsciemment, introduit presque toujours une part de lui-même, de sa mentalité, dans les phénomènes.
L’Esprit qui veut s’exprimer à l’aide d’organes étrangers, éprouve un grand embarras. Il ressemble à une personne qui s’entretiendrait avec nous dans une situation très incommode, lui enlevant l’usage de ses facultés. Il faut procéder avec lui avec ménagement, poser des questions claires, montrer de la patience, de la bienveillance, pour obtenir des résultats satisfaisants.
« Mes chers amis, » disait George Pelham à Hodgson et Hart , « ne me considérez pas avec l’œil d’un critique. Essayer de vous transmettre nos pensées au moyen de l’organisme d’un médium quelconque, c’est comme si on essayait de ramper dans le tronc d’un arbre creux. »
Robert Hyslop le répète à son fils : « Toutes choses m’apparaissent si nettement, et, quand je viens ici pour te les exprimer, James, je ne puis pas. »
Ce que disaient les Esprits de Mme Piper, le guide de notre cercle l’affirmait en ces termes : « Dans l’espace, tout, pour nous, est ample, large, facile. Quand nous redescendons vers la terre, tout se restreint, tout se rétrécit. »
Une autre objection est celle-ci : Dans la plupart des cas d’identité signalés, les faits et les preuves au moyen desquels on a pu déterminer avec certitude la personnalité des manifestants, sont d’une nature commune et parfois même triviale. Or, l’expérience a démontré qu’il était presque impossible de procéder autrement, Les détails, considérés comme vulgaires et oiseux, paraissent être précisément les moyens les plus sûrs de se former un jugement sur les auteurs des phénomènes.
Dans un but de comparaison et de contrôle, le professeur Hyslop a fait établir « une ligne télégraphique entre deux des bâtiments de l’Université de Columbia, éloignés de 500 pieds, et a placé aux extrémités deux employés télégraphistes, par l’intermédiaire desquels des interlocuteurs inconnus l’un de l’autre devaient communiquer ensemble et établir leur identité. Dans ces conditions, se rapprochant de celles de la médiumnité – la distance tenant lieu ici de la différence de plan - le professeur a pu constater combien il était difficile d’établir l’identification d’une manière probante. Le résultat n’était atteint le plus souvent qu’au moyen des indications les plus vulgaires et de récits sans importance. Les procédés employés par les communiquants, constate le professeur, étaient absolument les mêmes que ceux adoptés par les Esprits dans le cas de Mme Piper, A propos des difficultés rencontrées par les opérateurs, M. Hyslop s’exprime ainsi :
« Tandis que je suivais ces expériences, je fus frappé de ce fait, que l’on remarque également lorsque l’on n’a qu’un temps limité pour communiquer téléphoniquement. Toute l’attention du communiquant est tendue par le désir de choisir des incidents bien caractéristiques pour l’identification par un ami particulier. Comme il se trouve limité par le temps pour choisir, il se produit dans son esprit un combat intéressant et une confusion, dont tout le monde peut se rendre compte par soi-même, lorsque l’on s’exerce à faire un choix d’incidents dans ce but. Nous pouvons nous figurer la situation d’un Esprit désincarné qui n’a que quelques minutes pour faire sa communication et qui lutte probablement contre d’énormes difficultés, dont nous ne pouvons nous faire une idée. »
Le professeur Hyslop est un observateur sagace et méthodique. Remarquons cependant qu’il n’a étudié jusqu’ici, en spiritisme, que des cas isolés. Une expérimentation de trente années nous a démontré que, malgré les difficultés inhérentes à tout mode de communication spirite, les preuves d’identité sont beaucoup plus abondantes qu’on ne le croit généralement. Dans certaines réunions privées, des preuves sont données chaque jour de la survivance de ceux que nous avons aimés ; mais ces preuves sont presque toujours tenues cachées, parce qu’elles touchent à la vie intime des expérimentateurs. Beaucoup, parmi ceux-ci, redoutent les critiques malveillantes et ne veulent pas livrer à des indifférents, à des sceptiques gouailleurs, les sentiments les plus sacrés, les secrets les plus intimes de leur cœur.
Souvent, des Esprits, inconnus des assistants, viennent donner des messages pour leurs parents encore vivants, messages qui contiennent parfois des traits originaux, des preuves sans réplique. Pourtant, la plupart de ces manifestations restent ignorées. On craint les railleries de savants superficiels et les préventions du vulgaire, toujours prêt à rejeter des faits qui dépassent le cercle des connaissances usuelles. Il en résulte que les manifestations les plus décisives arrivent rarement à la connaissance du public.
Dans le même sens, on constate beaucoup de circonspection et une grande retenue de la part des Esprits dans les réunions ouvertes. C’est surtout dans l’intimité de la famille et de quelques amis qu’on réunit les meilleurs éléments pour obtenir de bonnes preuves. L’affection et l’harmonie des pensées aidant, la confiance réciproque s’établit, et, avec elle, la sincérité et l’abandon. L’Esprit trouve là un ensemble de conditions fluidiques qui assurent à la transmission de sa pensée toute la clarté et la netteté nécessaires pour porter la conviction dans l’âme des assistants.
Les Esprits élevés ne se prêtent pas volontiers à nos exigences. Leurs communications ont toujours un caractère moral et impersonnel ; leur pensée plane trop haut au-dessus des sphères de l’individualité, pour qu’il ne leur soit pas pénible d’y redescendre. La plupart ont accompli sur la terre des vies de sacrifice, subi des existences douloureuses, prix de leur élévation ; ils n’aiment pas, en se nommant, à se parer de leurs mérites. Pour convaincre les sceptiques, ils ont d’autres ressources ; ils préfèrent introduire dans nos séances des Esprits plus inférieurs, des individualités que nous avons connues sur la terre et qui, par leur originalité, leur façon de parler, de gesticuler, de penser, nous fourniront des preuves satisfaisantes. Ainsi procédaient les guides de notre groupe. Sous leur direction, des Esprits assez vulgaires, mais animés de bonnes intentions : une marchande des quatre saisons, un forgeron de village, une vieille fille bavarde ; d’autres encore, parents décédés des membres du cercle, se manifestaient dans la trance par des traits caractéristiques et inimitables. Leur identité s’établissait par une variété de détails, de faits domestiques ; mais, tout en intéressant vivement ceux qui les avaient connus, ils seraient considérés comme fastidieux par d’autres et ne pourraient être publiés. La multiplicité et la répétition quotidienne des menus faits dont une existence est remplie, quoique impossibles à reproduire et à analyser, finissent par impressionner les plus réfractaires et, par triompher des doutes les plus tenaces.
Tous les jours, dans nombre de groupes, on obtient la révélation de noms, de dates, de faits inconnus et plus tard vérifiés exacts, mais on ne peut les vulgariser, parce qu’ils intéressent des personnes encore vivantes qui n’en autorisent pas la publication. Ou bien ce sont des instructions scientifiques, comme celles que relate Aksakof, dans le cas de M. Barkas, de Newcastle , et bien au-dessus de l’intelligence du sujet.
D’autres fois, ce sont des phénomènes d’écriture ; tels ceux qu’a signalés le même auteur , et des signatures authentiques de personnages que le médium n’a jamais vus, par exemple, celles du curé Burnier et du syndic Chaumontet, décédés depuis un demi-siècle, obtenues par Hélène Smith, de Genève . M. le professeur Flournoy les attribue à un réveil de la subconscience du sujet ; c’est là, nous l’avons vu, une théorie ad hoc, fort commode pour expliquer ce que l’on ne comprend pas ou que l’on ne veut pas comprendre.
Dans Spirit Identity, Stainton Moses relate des faits remarquables d’identité, obtenus par la médiumnité scripturaire et appuyés sur des témoignages officiels. Il déclare posséder une centaine de cas de ce genre, et beaucoup d’expérimentateurs en pourraient dire autant .
Parmi ces nombreux phénomènes, on peut rappeler le cas cité par Light, du 27 mai 1899, et dû à la médiumnité de Mrs. Bessie Russell-Davies, de Londres :
« Une demande de preuve d’identité, émanant de personnages attachés à la cour de Vienne, avait été adressée à cette dame. Les questions étaient renfermées sous un pli cacheté qui resta fermé. Après plusieurs jours de recherches, le guide du médium revint avec cinq Esprits étrangers, qui dictèrent une réponse dans une langue inconnue. Après examen, les demandeurs reconnurent que cette langue était de l’ancien madgyar, langue connue seulement de quelques érudits. Cette réponse était signée par cinq personnages ayant vécu deux siècles auparavant, membres défunts de la famille hongroise qui avait sollicité ce témoignage. »
Voici une autre preuve plus concluante, dans sa simplicité, que des manifestations tapageuses. Elle est extraite de l’ouvrage de Watson, publiciste américain : Spiritualism, its phenomenes, New-York, 1880.
« Watson avait reçu une communication signée de son ami le général Th. Rivers. Suivant l’habitude anglaise, le général avait apposé les initiales de ses prénoms, parmi lesquelles figurait un W. Or, aucun de ses prénoms ne comportait cette initiale. Par scrupule de vérité, Watson avait publié cette signature sans modification, mais à regret et non sans quelque défiance, que certains détails de la missive semblaient devoir dissiper. Les contradicteurs de la presse ne se firent pas faute de relever l’erreur, raillant cet Esprit qui ne savait pas son nom.
« Cependant, au cours d’une autre séance, le même Esprit confirma cette initiale, disant que sa mère en donnerait l’explication. La mère, questionnée, répondit que le W était une erreur. Mais alors l’Esprit intervint et dit : « Mère, tu trouves étrange que je signe un W ; rappelle-toi pourtant qu’en mon enfance j’étais si irritable que mes camarades m’appelaient « Wasp » (la guêpe). Ce surnom m’était resté, je l’avais adopté et j’en signais mes compositions. Regarde mes cahiers et mes livres d’école, et tu le trouveras. » Ce fut fait et trouvé correct. »
La Revista de Estudios psicologicos, de Barcelone (septembre 1900), publie le cas d’identité suivant, avec pièces à l’appui :
Trois personnes, un professeur de mathématiques, un docteur en médecine et un ecclésiastique, avaient prié M. Segundo Oliver, médium désintéressé, de leur fournir des preuves de la réalité des Esprits. Après un instant de recueillement, sa main traça mécaniquement les mots suivants : « Isidora, âge 50 ans, née à San Sébastian, morte le 31 mars 1870 ; maladie cancer intestinal ; laissa trois fils ; leurs noms et âges ; leurs noms et âges : P., 15 ans ; C., 19 ans ; M., 25 ans. »
A ces détails, l’un des assistants reconnut l’Esprit de sa mère. Surpris et ému, il lui demanda si elle avait quelques conseils à lui donner. Le médium reprit le crayon ; mais, à sa stupéfaction, il traça, en quelques minutes, le portrait d’une personne qui lui était inconnue, et dans lequel on reconnut l’Esprit d’Isidora, qui, jamais, de son vivant, n’avait consenti à se laisser photographier. Le médium n’a jamais appris le dessin, ni su dessiner. Tous les assistants déclarèrent qu’ils n’avaient pensé à rien de ce qui fut écrit et qu’il ne pouvait y avoir là un phénomène de suggestion ni de lecture de pensée.
D’autre part, M. G. Owen écrit ce qui suit dans le Spiritual Record : « Il y a de cela douze ans, je comptais au nombre de mes amis intimes un sénateur de Californie, fort connu, et qui était directeur d’une banque prospère à San Jose. Le docteur Knox, c’est son nom, était un penseur profond et un partisan résolu des théories matérialistes. Sentant approcher sa fin, il parlait souvent du sommeil éternel. Je lui dis un jour : « Faisons un pacte, docteur : si là-haut vous vous sentez vivre, vous tenterez le possible pour me communiquer ces quelques mots : Je vis encore. » Après sa mort, en présence d’un bon médium, je nettoyai une ardoise, y posai un crayon et tins l’ardoise contre la surface inférieure de la table. Nous entendîmes le bruit du crayon grattant sur l’ardoise et, en enlevant celle-ci, nous y trouvâmes les lignes suivantes : « Ami Owen, bien que mes anciennes idées sur la vie future soient bouleversées de fond en comble, ma désillusion, je l’avoue, a été agréable, et je suis heureux, mon ami, de pouvoir vous dire : Je vis encore. Votre ami toujours : W. Knox. » L’écriture était tellement conformé à celle du défunt qu’elle a été reconnue comme authentique par le personnel de la banque qu’il dirigeait de son vivant. »
Le phénomène des incorporations a fourni des faits nombreux d’identité. Dans les manifestations dont Mme Piper est l’instrument, on peut constater la plus grande unité de caractère et de conscience chez les communiquants et particulièrement chez les guides ou Esprit-contrôles. Aucun d’eux ne peut être considéré comme une personnalité seconde du médium ; tous apparaissent comme des individualités autonomes, douées d’une grande intensité de vie, de sincérité, de réalité.
Malgré les difficultés qu’elles éprouvent parfois à se manifester, les personnalités de G. Pelham et de Robert Hyslop sont des plus tranchées et ne se démentent jamais .
Le recteur d’Université, Oliver Lodge, dans les volumes XII et XIII des Proceedings, cite également plusieurs cas d’identité obtenus par lui, à l’aide de la faculté de Mme Piper. Un de ses oncles, décédé depuis vingt ans, rapporte des détails de sa jeunesse, complètement oubliés par tous les membres survivants de la famille ; on ne put les vérifier qu’après une longue et minutieuse enquête. Le père de sa femme, décédé, vint lui donner des détails précis sur sa mort, survenue dans des conditions émouvantes, avec des noms et des dates, entièrement effacés de sa mémoire, à lui, Lodge. Il rapporte d’autres traits remarquables d’identité émanant de plusieurs de ses amis défunts.
Le révérend Minot-Savage, orateur célèbre aux États-Unis, cite un cas touchant d’identification, qui se passe de commentaires :
Au cours d’une de ses séances avec Mrs. Piper, une personnalité, disant être son fils, se présenta. Le médium ne l’avait jamais connu. « Papa - dit-il avec anxiété - je désirerais que, sans retard, tu ailles dans l’appartement que j’occupais. Tu ouvriras mon tiroir, et, parmi les nombreux papiers qu’il contient tu en trouveras que je te prie de détruire immédiatement. »
Bien que cette requête parût inexplicable au révérend Minot-Savage, pour qui son fils n’avait jamais eu de secret, il se rendit à Boston, rue Joy, dernier domicile du défunt, pénétra dans le logement qu’il n’avait jamais vu, et chercha dans le tiroir désigné. Il y trouva en effet des documents de grande importance, que le jeune homme n’aurait pas rendus publics pour tout au monde et qui justifiaient pleinement l’anxiété manifestée dans la communication.
Le fait suivant se passe à Saint-Paul (Brésil), chez le docteur O. Vidigal, habitant Allée du Triomphe, n° 2, avec sa famille composée de sa femme, de deux fils et de son vieux père. Sa mère était morte depuis trois mois :
Le médium est une fillette de douze ans, petite Espagnole, orpheline de son père, prise comme domestique, le jour même, au bureau de l’émigration où elle venait d’arriver. Elle ne connaissait pas un mot de portugais, n’avait jamais vu la ville et jamais connu le docteur. M. Édouard Silva, ami de la famille, savait l’espagnol ; il eut, en parlant à la jeune domestique, l’idée spontanée de la magnétiser. L’enfant se laissa endormir et, en quelques instants, tomba en somnambulisme profond.
Elle prétendit voir son père, qui lui parlait et lui faisait savoir qu’une vieille dame, présente à ce moment, avait une communication à faire au docteur Vidigal. Elle fit une description si exacte de cette dame, que les familiers reconnurent la mère défunte du docteur.
L’Esprit ordonna à son fils d’aller dans sa chambre - personne n’y avait pénétré depuis sa mort, - de prendre dans la poche cousue d’un vêtement de soie noire, pendu au mur, la somme de 75.000 reis (500 francs) et de les remettre à son mari.
Après réflexion, le docteur Vidigal, accompagné du docteur Silva et d’autres témoins, pénétra, non sans peine, dans l’appartement, car la serrure était rouillée, et trouva les choses telles qu’elles lui avaient été indiquées.
D’autre part, M. Vincent Fornaro fait un récit détaillé des fantaisies de l’Esprit de « Baccala », dont les preuves d’identité ont été faciles à établir.
Il était de son vivant commissionnaire. C’était un homme très gai, très spirituel et très débauché. Les communications s’en ressentaient, mais présentaient, malgré cela, un réel intérêt au point de vue expérimental, en raison des preuves d’identité présentées sous des formes variées et même par des matérialisations spontanées.
Parmi les nombreuses expériences faites avec « Baccala », M. Vincent Fornaro cite la plus impressionnante de toutes :
« Mon père était gravement malade d’une terrible affection aux bronches, suite d’influenza mal soignée. Les plus illustres médecins étaient venus. Les uns nous broyaient le cœur par les plus funestes prévisions, les autres nous soulageaient par de réconfortantes paroles d’espoir.
« Nous ne vivions que pour conserver la vie de notre cher malade. Dans ces douloureux souvenirs, Baccala eut sa part. Un soir, dans ce découragement qui bouleverse l’âme et le cerveau, qui fait penser à l’impossible pour s’accrocher à tout espoir, nous priâmes Baccala de nous mettre en communication avec l’Esprit de l’un des plus renommés médecins, et il répondit qu’il allait nous satisfaire immédiatement.
« En effet, peu de temps après, les coups sur le guéridon nous avertirent qu’un Esprit était présent. Nous demandâmes son nom ; il nous dit : Domenico Cotugno ! - Baccala avait bien choisi... Nous priâmes l’Esprit de Cotugno de visiter notre père et de nous dire la vérité, quelle qu’elle fût. Mon père dormait ; à ce moment, il s’éveilla avec un sentiment de regret, nous reprocha de l’avoir secoué ; et, encore tout ensommeillé, ne s’apercevant pas qu’il n’y avait personne à côté de lui, il continua à nous reprocher que nous le tournions et retournions en battant sur sa poitrine et ses épaules. - Évidemment la visite s’effectuait, et nous étions tremblants ; le cœur nous battait à se rompre, notre esprit était en suspens.
« Peu de temps après, le guéridon eut un léger mouvement; nous interrogeâmes, anxieux : il nous fut répondu un seul, horrible mot : Résignation ! - Nous comprîmes, et, quinze jours après, la maison était plongée dans le deuil. »
Le docteur Moutin, président de la Société d’études des phénomènes psychiques, de Paris, communique à la Revue scientifique et morale (mars 1901), le fait suivant :
« En 1884, à Marseille, pendant l’épidémie cholérique, j’assistai, à ses derniers moments, une de mes parentes, qui fut emportée dans l’espace de quelques heures. Avant de mourir, alors qu’elle ne pouvait déjà plus parler, elle voulut me faire une communication, que je jugeais importante d’après ses gestes désespérés. Enfin, réunissant ses efforts, elle articula deux fois le mot « glace », en me désignant de la main celle qui ornait la cheminée de sa chambre.
« Son mari, M. J..., était en mer à ce moment. Prévenu à son retour et sachant que la défunte avait la manie de cacher de l’argent un peu partout, il n’hésita pas à enlever le fond de la glace, mais son examen fut sans résultat.
« Quinze mois après, assistant à une séance chez Mme Décius Deo, à Avignon, rue des Marchands, et cette dame étant entrancée, l’Esprit de Mme J... m’interpella par sa bouche, m’appelant par mon prénom, que le médium ne connaissait certainement pas : « Lucien ! je viens te dire ce que je n’ai pu te faire connaître avant ma mort. J’avais placé une obligation de 500 francs de la Compagnie Fraissinet entre le verre et le fond du miroir qui est dans la cuisine. Mon mari va déménager et peut-être vendre cet objet. Il faut l’en informer. »
« J’écrivis à M. J..., qui fit les recherches nécessaires, et trouva l’obligation à l’endroit indiqué. »
Claire Galichon, dans ses Souvenirs et Problèmes spirites , rapporte qu’ayant évoqué Beethoven, elle demanda à l’Esprit qui s’était manifesté au nom du célèbre compositeur de lui donner une preuve de son identité, en lui parlant d’un fait pris dans sa vie et ignoré d’elle ainsi que de Mlle R., qui assistait à la séance.
L’Esprit répondit : « Volontiers. Voici : J’ai eu dans ma vie un grand amour et une profonde admiration : l’amour pour Juliette ; l’admiration, pour Napoléon. Oui, c’était pour lui que j’ai composé la Sinfonia eroïca. »
Ces deux assertions, qu’ignoraient Claire G. et Mlle R., sont exactes. Beethoven ne se maria pas, mais pendant plusieurs années il fut épris de Mlle Julie de Guicciardi, qui, plus tard, épousa le comte de Gallenberg.
On sait aussi que Beethoven avait été un admirateur du génie de Napoléon 1er et se l’était représenté comme un héros républicain (sic), réunissant en lui les plus grandes vertus patriotiques. Lorsqu’il commença à écrire sa Symphonie héroïque, il était décidé à lui donner le nom de Buonaparte, et il voulait la dédier au premier consul de la République française. Déjà sa dédicace était écrite quand, un jour, un de ses amis vint lui annoncer que le premier consul venait de se faire nommer empereur. Beethoven s’écria : « Allons, c’est un ambitieux comme tous les autres. » Au lieu de la simple inscription de son ouvrage : Buonaparte, il mit celle-ci : Sinfonia eroïca per festeggiare il souvenire d’un grand’uomo.
Certains Esprits révèlent leur identité, dans la trance, par un langage conventionnel ignoré du médium.
Tel est le cas de l’Esprit Forcade, qui se communiqua à l’abbé Grimaud, à Avignon, en 1899, au moyen de signes en usage parmi les sourds-muets et d’après une méthode spéciale dont il est l’inventeur. La manifestation eut lieu dans une réunion où, seul, cet ecclésiastique en pouvait comprendre le sens .
Aksakof cite un cas analogue. L’Esprit d’une défunte, de son vivant sourde et muette, donne à son mari, par l’intermédiaire du médium, Mme Corwin, à Syracuse (E.-U.), une communication au moyen de l’alphabet des sourds-muets :
« La scène était émouvante : le mari se tenait en face du médium en trance et posait à sa femme diverses questions, par signes, et sa femme répondait à ses pensées de la même manière, par l’intermédiaire d’un organisme étranger, d’une personne qui n’avait jamais pratiqué ce mode de conversation. »
D’autres Esprits, victimes d’accidents, guident les personnes qui ont pour mission de retrouver leurs corps :
Un bateau ayant coulé dans le port d’Alger, en 1895, un homme s’était noyé et on n’avait pu retrouver son cadavre. Le commandant Courmes, de la marine de guerre, assistant dans cette ville à une réunion spirite, fit évoquer le noyé. Celui-ci répondit à l’appel, pénétra le médium, qui changea de voix et d’attitude et rit une narration, dont voici le sens : « Quand le bateau coula, j’étais sur l’échelle, je fus renversé ; ma jambe droite passa entre deux barreaux, et le bras de levier du corps produisit une fracture de la jambe qui ne me permit pas de me dégager. L’on retrouvera mon corps pris dans l’échelle quand on renflouera le bateau. Inutile de le chercher ailleurs . »
Les manifestations par la table ne sont pas moins riches en preuves d’identité.
Le commandant P. Mantin (alias Dauvil), dans ses Vieilles Notes , rapporte le fait suivant, qui s’est produit dans la famille de sa femme, à l’île de la Réunion, en 1860. Il est appuyé par les témoignages de plusieurs de ses parents :
« Un soir que la famille B... était réunie autour d’une table dans le grand salon, en pleine lumière, un Esprit pria d’appeler M. A. B..., grand-père de ma femme - laquelle n’était pas encore au monde - afin de lui faire une communication très importante. M. A. B... fumait tranquillement sa pipe sous la varangue, songeant à ses champs de cannes, à son usine, plus qu’aux Esprits, auxquels il n’ajoutait pas foi. Alors on l’appela une seconde fois. « Venez, cher père, l’Esprit vous attend pour vous dire son nom. - Laissez-moi en paix, mes enfants, avec vos amusements. » Enfin l’une de ses filles vint le supplier de rentrer au salon. « Allons, mon enfant, voir ce que me veut ton Esprit, » et l’excellent homme s’approcha du guéridon, qu’entouraient tous ses enfants, en prononçant la formule : « Esprit, que me veux-tu ? » Et l’invisible dicta : « Cher Monsieur B.... je suis le capitaine Régnier ; vous vous souvenez que j’ai chargé vos sucres sur votre voilier le Bois Rouge, il y a deux mois, j’ai mis à la voile le - date exacte, - vous le rappelez-vous ? - Oui. Eh bien ? – Eh bien, je viens vous dire que votre voilier Bois Rouge s’est perdu corps et biens dans la tempête sur les côtes rocheuses de Simon’s Bay au cap de Bonne-Espérance, il y a dix jours : moi et tous mes matelots avons péri, et mon âme ne pouvait quitter les flots, sur lesquels elle erre depuis ce jour-là. Je ne serai tranquille qu’après vous avoir assuré que nous avons tout fait pour sauver le navire, mais la mer était trop mauvaise et la volonté de Dieu s’est accomplie, - Si le fait est vrai, répondit M. B..., c’est votre mort et celle de vos braves marins que je déplore le plus, mais, jusqu’à preuve du contraire, permettez-moi de douter de la véracité de cette triste nouvelle. Si vous êtes noyé, comment pouvez-vous être là, dans cette table ? - C’est pourtant la vraie vérité, dicta le guéridon en s’agitant, et en frappant d’un pied rapidement, vous verrez, mon cher M. B..., que l’armateur de Nantes vous confirmera la nouvelle dans quatre mois ; adieu, M. portez-vous bien, vous et votre famille. » Et quatre mois juste après de soir-là, me disait le cher aïeul de ma femme en me racontant cette histoire, trente-cinq ans plus tard, car à cette époque nous n’avions pas comme aujourd’hui les vapeurs qui nous apportent le courrier deux fois par mois, la perte du navire Bois Rouge, de son équipage et du brave capitaine Régnier me fut réellement confirmée. Que répondre à cela ? ajoutait philosophiquement le cher vieillard. »
Voici un autre cas probant, attesté par W. Stead et reproduit par la Revue scientifique et morale du Spiritisme, de janvier 1904 :
Pendant des semaines et des mois avant la mort de mon frère, nous causions de la communion des Esprits, lorsqu’un matin il me demanda de lui donner un fragment de poterie, des plumes et de l’encre, Il fit deux marques sur un des côtés et une sur l’autre avec de l’encre, puis, cassant en deux le fragment, il m’en donna un des morceaux, me recommandant de le garder avec soin, et peu de temps après il cacha l’autre dans un endroit connu de lui seul, espérant qu’après sa mort il pourrait revenir et me dire où il était. Je pourrais alors les comparer, et cela prouverait qu’il serait revenu se communiquer, sans que ma pensée pût intervenir, puisque j’aurais complètement ignoré l’endroit de la cachette. Après sa mort et après plusieurs essais, ma mère et moi nous prîmes place à la table, et voici ce qui nous fut donné en appelant les lettres de l’alphabet : « Vous trouverez ce fragment de terre cuite dans le bureau, sous le tomahawk. – Benja . »
J’allai à son bureau, qui était resté fermé depuis sa mort, j’y trouvai le fragment en question à l’endroit indiqué, et, en le rapprochant de celui que j’avais gardé, je vis que les deux fragments s’adaptaient exactement ensemble et que les signes dont ils avaient été revêtus concordaient sans erreur possible.
« Je signalerai un autre incident, qui a pour moi autant de valeur que le précédent. Il m’écrivit une lettre vers la même époque où il m’avait donné le fragment de poterie, la cacheta et me dit que je n’avais pas à y répondre, qu’il m’en indiquerait le contenu. C’est encore par la méthode des coups frappés par la table que je connus le contenu de la lettre. Le voici : « Julia ! agis bien et sois heureuse ! - Benja. » C’était exact et ces mots étaient bien ceux que contenait la lettre. Je n’éprouve aucune hésitation à donner mon nom, car je ne dis que la vérité. »
La photographie des Esprits fournit aussi son contingent de preuves. La Revue du 15 janvier 1909 publie un article du même W. T. Stead intitulé : « Comment communiquer avec l’Au-delà ? » dans lequel nous relevons un passage ayant trait à la photographie des invisibles. Il débute ainsi :
« Je m’empresse de désarmer le lecteur sceptique en admettant qu’il n’y a rien de plus facile que de truquer des photographies de ce genre et j’ajouterai qu’un prestidigitateur peut toujours tromper l’observateur le plus vigilant et le plus défiant.
« Les plaques dont je me sers en les développant moi-même et qui sont, de plus, marquées, fourniraient quelque garantie contre les fraudes.
« Mais si je crois à l’authenticité des photographies, c’est que je m’appuie sur des arguments autrement concluants. La preuve de l’authenticité d’une photographie d’un Esprit, c’est d’abord l’exécution d’un portrait parfaitement reconnaissable de la personne défunte par un photographe quel ne sait absolument rien de l’existence de cette personne et c’est ensuite le fait qu’aucune forme visible n’est perçue par celui qui opère ou qui assiste à l’opération.
« J’ai obtenu de ces photographies non pas une fois seulement, mais à plusieurs reprises.
« Je n’en rapporterai ici qu’un seul cas.
« Le photographe à qui sa médiumnité permet de photographier l’invisible est un artiste déjà vieux, sans instruction. Cette particularité l’empêche même, dans certaines circonstances, de s’occuper sérieusement de sa profession. Il est clairvoyant et ce que j’appellerai clairaudiant.
« Pendant la dernière guerre des Boers j’allais lui demander une séance, curieux de savoir ce qui allait se passer. J’avais à peine pris place devant le vieux bonhomme, qu’il me dit :
« - J’ai eu une algarade l’autre jour. Un vieux Boer est venu dans mon atelier. Il avait un fusil, et son regard farouche me causa une certaine frayeur. « Va-t’en, lui dis-je, je n’aime pas les armes à feu. » Et il s’en alla. Mais il est revenu, et le revoilà. Il est entré avec vous. Il n’est plus armé de son fusil et son regard n’a plus rien de farouche. Faut-il lui permettre de rester ?
« - Certainement, répondis-je, vous croyez pouvoir le photographier ?
« - Je ne sais pas, dit le vieux, j’essaierai.
« Je m’assis devant l’objectif et l’opérateur prit le point. Je ne pouvais rien voir, mais, avant l’enlèvement de la plaque, je demandai au photographe :
« - Vous lui avez parlé, l’autre jour. Pouvez-vous lui parler encore maintenant ?
« - Oui, il est toujours derrière vous.
« - Vous répondra-t-il, si vous l’interrogez ? - Je ne sais pas, j’essaierai.
« - Demandez-lui son nom.
« Le photographe eut l’air d’adresser une question mentale et d’attendre la réponse. Puis il fit :
« - Il dit qu’il s’appelle Piet Botha.
« - Piet Botha ? objectai-je avec un geste de doute. Je connais un Philippe, un Louis, un Christian et je ne sais combien d’autres Botha, mais je n’ai jamais entendu parier de ce Piet.
« - Il dit que c’est son nom, répliqua le vieux d’un air bourru.
« Quand il développa la plaque, j’y vis debout, derrière moi, un grand gaillard hirsute, qui pouvait être aussi bien un Boer qu’un moujick. Je ne dis rien, mais attendis jusqu’à la fin de la guerre et, à l’arrivée du général Botha à Londres, je lui envoyai la photographie par l’intermédiaire de M. Fischer, maintenant premier ministre de l’État d’Orange. Le lendemain, M. Wessels, délégué d’un autre État, vint me voir.
« - Où avez-vous pris cette photographie que vous avez donnée à M. Fischer ?
« Je lui rapportai exactement comment elle se trouvait en ma possession. Il hocha la tête.
« - Je ne crois pas aux revenants, mais dites-moi sérieusement d’où vous vient ce portrait : cet homme-là n’a jamais connu William Stead. Cet homme-là n’a jamais mis le pied en Angleterre.
« - Je vous ai dit, répartis-je, comment je l’ai eue et vous pouvez ne pas me croire, mais pourquoi vous monter comme cela ?
« - Parce que, dit-il, cet homme-là est un de mes parents. J’ai son portrait chez moi.
« - Vraiment, m’écriai-je, est-il mort ?
« - Il fut le premier commandant boer qui périt au siège de Kimberley... Pétrus Botha, ajouta-t-il, mais nous l’appelions Piet pour abréger.
« Cette photographie est restée en ma possession. Elle fut également identifiée par les autres délégués des États libres qui avaient, eux aussi, connu Piet Botha.
« Or, ceci ne s’explique point par la télépathie. Il ne saurait y avoir non plus ni hypothèse ni fraude. C’est par simple hasard que je demandai au photographe de s’assurer si l’Esprit donnerait son nom. Personne en Angleterre, pour autant que j’aie pu m’en convaincre, ne savait que Piet Botha eût jamais existé. »
En maintes circonstances, des défunts contribuent, par leurs indications, au règlement de leurs affaires terrestres. Ils aident à retrouver des testaments cachés ou égarés.
Le docteur Cyriax, dans sa brochure, Die Lehre vom Geist, rapporte un fait de ce genre, auquel il a pris part :
« Un jeune homme de Baltimore, nommé Roberts, avait été élevé par une de ses tantes, riche célibataire, qui, l’ayant adopté, lui avait fait donner une éducation complète et l’avait marié. Il était devenu père de famille, lorsque sa tante mourut subitement. On ne trouva d’elle aucun testament et les parents intéressés se mirent en devoir d’évincer K. Roberts. Celui-ci, fort, perplexe, fut sollicité par quelques amis de consulter Mme Morill, médium à test, qui évoqua la tante décédée. Cet Esprit fit savoir que le testament était enfermé dans une armoire à litige, à l’étage supérieur de leur villa. Ce ne fut qu’après avoir bouleversé tout le contenu de l’armoire que l’on trouva, dans un bas, le document tel qu’il avait été décrit. Personne au monde ne pouvait avoir la moindre idée de la cachette, le médium moins que tout autre. L’Esprit, de la tante, seul, pouvait être en mesure de donner ce renseignement. »
Aksakof rapporte un cas semblable, extrait des Proceedings, vol. XVI, p. 353 :
« Le prince de Sayn-Wittgenstein-Berlesbourg obtint du général baron de Korff, mort depuis quelques mois, une communication spontanée, dans laquelle il lui enjoignait de désigner à sa famille l’endroit où, par malveillance, on avait caché son testament. On découvrit ce document à la place indiquée par l’Esprit .
Ajoutons à ces faits deux cas d’identité consistant en écritures ou conversations en langues ignorées du médium, publiés par E. Bozzano, dans les Annales des Sciences psychiques de janvier 1910.
Le premier cas fut rapporté par Myers, dans son ouvrage sur la Conscience subliminale (Proceedings of the S. P. R.,_ vol. IX, p. 124), et concerne un épisode d’écriture obtenue au moyen d’une fillette de onze ans, fille de M. Hugli Junor Brown, qui le publia dans un livre intitulé : The Holy Truth. Myers a personnellement connu le relateur et se porte garant de sa parfaite sincérité. Nous reproduisons le récit de ce dernier :
« Un jour, me trouvant en promenade avec ma femme, je rencontrai un nègre que je ne connaissais pas, mais que je compris être un Cafre, à cause de ses oreilles largement perforées, ce qui est une coutume de cette race. Après l’avoir interrogé dans sa langue native, ce qui l’avait beaucoup surpris, je lui donnai mon adresse, l’invitant à venir me trouver. Il se présenta chez moi juste au moment où nous faisions des expériences médiumniques. Je dis au domestique de l’introduire, et je demandai si des Esprits de ses amis n’étaient pas présents. La main de ma fille répondit en écrivant plusieurs noms cafres, que je lus au nègre, et qu’il reconnut, en donnant des marques de vive stupeur. Je demandai alors si les amis présents du nègre avaient quelque message à lui communiquer ; aussitôt fut écrite une phrase en langage cafre, dans laquelle se trouvaient des paroles inconnues de moi. Je les lus à mon hôte, qui en comprit parfaitement la signification, sauf celle d’une seule parole. J’essayai de la lui faire comprendre en la prononçant de plusieurs manières différentes, mais en vain. Tout à coup la main de ma fille écrivit : « Fais claquer ta langue. » - Je me rappelai alors un claquement caractéristique qui doit habituellement accompagner la lettre t dans le langage cafre, et je prononçai le mot selon la méthode indiquée, réussissant à me faire comprendre immédiatement.
« Je dois faire observer que ma fille ne comprend pas un mot de cafre, étant née plusieurs années après que j’avais abandonné ces régions. Je demandai quel était l’Esprit qui dirigeait la main de ma fille, l’art d’écrire étant généralement inconnu aux Cafres, et il fut répondu que le message avait été dicté par un vieil ami à moi, H. S., à la demande des amis du Cafre. Or, H. S., personne bien élevée et cultivée, parlait couramment le cafre, ayant longtemps séjourné dans le Natal. A ce moment, j’expliquai à mon hôte que les Esprits de ses amis étaient présents, ce qui parut le terrifier. »
Le ministre plénipotentiaire de Serbie, à Londres, M. Chedo Mijatovitch, écrit ce qui suit au directeur du Light (1908), p. 136 :
« Je ne suis pas spirite, mais je me trouve précisément sur la route qui y conduit... et j’y suis entré grâce à une expérience personnelle, que je crois de mon devoir de rendre publique. [Il raconte ici que plusieurs spirites hongrois lui écrivirent, le priant de se rendre chez quelque médium réputé de Londres pour se mettre en rapport, si possible, avec un ancien souverain serbe et le consulter sur une certaine question.]
« En ces jours-là justement », continue-t-il, « ma femme avait lu quelque chose sur un certain M. Vango, doué, disait-on, de facultés médiumniques remarquables, et c’est pour cette raison que je me rendis chez lui. Je ne l’avais jamais vu, et certainement il ne m’avait jamais vu moi-même. Il n’y a aucune raison de supposer qu’il ait eu des renseignements sur moi, ou qu’il ait pu les deviner. A ma demande : s’il pouvait me mettre en rapport avec l’Esprit auquel je pensais, il répondit avec modestie qu’il y réussissait parfois, mais pas toujours, et que très souvent, au contraire, se manifestaient des Esprits non désirés par l’expérimentateur. Ensuite, il se mit à ma disposition, en me priant de concentrer ma pensée sur l’Esprit que je désirais.
« Peu après, M. Vango s’endormit et commença : « Il y a ici l’Esprit d’un jeune homme qui parait très anxieux de vous parler, mais il s’exprime en une langue que je ne connais pas. » - Le souverain serbe sur lequel j’avais concentré ma pensée était mort vers 1350, en âge mûr ; j’étais cependant curieux de savoir qui était ce jeune Esprit anxieux de me parler, et je demandai au médium de répéter au moins un mot prononcé par l’entité présente ; il répondit qu’il essayerait. En disant cela, il avait incliné son buste vers le mur, en face duquel il était assis, et s’était mis dans la position d’un homme qui écoute. Puis, à ma grande stupeur, il commença lentement à prononcer les paroles suivantes en langue serbe : « Molim vas pishite moyoy materi Nataliyi da ye molim da mi oprosti », dont voici la traduction : « Je te prie de vouloir écrire à ma mère Nathalie, en lui disant que j’implore son pardon. » - Je compris naturellement qu’il s’agissait de l’Esprit du jeune roi Alexandre. Je demandai alors à M. Vango d’en décrire l’apparence, et lui, promptement : « Oh ! elle est horrible ; son corps est criblé de blessures. »
« Si une autre preuve avait été nécessaire pour me convaincre de l’identité de l’Esprit communiquant, je l’obtins lorsque M. Vango dit : « L’Esprit désire vous dire qu’il déplore amèrement ne pas avoir suivi votre conseil au sujet d’un certain monument à ériger et aux mesures politiques à prendre à ce propos. » - Ceci se rapporterait à un conseil confidentiel que j’avais donné au roi Alexandre, deux ans avant son assassinat, et qu’il avait jugé, intempestif à ce moment et pouvant n’être mis en action qu’au commencement de l’année 1904. Je dois ajouter que M. Vango répéta les paroles serbes d’une manière assez caractéristique, en prononçant syllabe par syllabe, et en commençant par la dernière de chaque mot, pour revenir jusqu’à la première.
« Comme je publie le fait dans l’intérêt de l’a vérité, je n’hésite pas à signer de mon nom et de mon grade. » (Signé : CHEDO MIJATOVITCH, ministre plénipotentiaire de Serbie à la Cour de Saint-James ; 3, Redchiffe-gardens, S. W. London.)
Enfin, M. D. Home, dans Life and Mission (pp. 19 à 22), décrit tout un ensemble de preuves d’identité, obtenues par la médiumnité voyante et auditive, et que nous croyons devoir reproduire :
« Pendant que j’habitais Springfield (Mass.), je fis une grave maladie, qui me retint au lit pendant quelque temps. Un jour, au moment où le médecin venait de me quitter, un Esprit vint se communiquer à moi et me délivra ce message : « Vous prendrez cet après-midi le train pour Hartford ; il s’agit d’une affaire importante pour les progrès de la cause. Ne questionnez pas, faites simplement ce que nous vous disons. » Je fis part à ma famille de cet ordre étrange, et, malgré mon état de faiblesse, je pris le train, ignorant complètement ce que j’allais faire et le but d’un tel voyage.
« Arrivé à Hartford, je suis abordé par un étranger, qui me dit : « Je n’ai eu l’occasion de vous voir qu’une seule fois ; je ne crois pourtant pas me tromper, vous êtes bien M. Home ? » Je répondis affirmativement, ajoutant que j’arrivais à Hartford sans aucune idée de ce qu’on y voulait de moi. « C’est drôle ! » reprit mon interlocuteur, « je venais justement prendre le train pour aller vous chercher à Springfield. » Il m’expliqua alors qu’une famille influente, bien connue, me faisait inviter à lui rendre visite et à lui prêter mon concours pour les investigations qu’elle désirait faire en matière de spiritisme. Le but du voyage commençait donc à se dessiner ; mais le mystère restait tout aussi profond, quant aux suites de cette aventure.
« Une charmante promenade en voiture nous amena bientôt à destination. Le maître de la maison, M. Ward Cheney, était justement devant sa porte, et il me souhaita la bienvenue, disant qu’il n’avait pas espéré me voir arriver avant le lendemain au plus tôt. Comme j’entrais dans le vestibule, mon attention est attirée par le bruissement d’une lourde robe de soie. Je regarde autour de moi et suis surpris de ne voir personne ; mais nous passons alors dans un des salons, et je ne me préoccupe plus de cet incident.
« Un peu après, j’aperçus dans le vestibule une petite dame âgée, vêtue d’une robe de forte soie grise et paraissant très affairée. Là était l’explication de ce mystère, j’avais entendu, sans la voir, cette personne qui allait et venait par la maison.
« Le frôlement de la robe s’étant fait entendre de nouveau et M. Cheney l’ayant alors remarqué en même temps que moi, il me demanda d’où ce bruit pouvait bien venir. « Oh ! » répondis-je, « c’est du costume de soie grise de cette dame âgée que je vois dans le vestibule. Qui est donc cette personne ? » L’apparition était, en effet, si distincte que je ne mettais pas en doute que cette dame fût une créature en chair et en os.
« Le reste de la famille arrivant à cet instant, les présentations empêchèrent M. Cheney de me répondre, et je n’eus pas l’occasion d’en apprendre davantage pour le moment ; mais, le dîner ayant été servi, je fus surpris de ne pas voir à table la dame à la robe de soie ; ma curiosité en fut éveillée, et cette personne devint dès lors pour moi un sujet de préoccupation.
« Lorsque la société quitta la salle à manger, j’entendis de nouveau le frôlement de la robe de soie. Je ne voyais rien, mais j’entendis distinctement une voix qui disait : « Je suis fâchée qu’on ait placé un cercueil sur le mien ; je ne veux « pas qu’il y reste. » Ayant communiqué au chef de la famille et à sa femme son étrange message, ils se regardèrent tous deux avec stupéfaction ; puis M. Cheney, rompant le silence me dit qu’il reconnaissait parfaitement ce costume, sa couleur et même son genre de soie épaisse ; « mais, » ajouta-t-il, ce qui concerne le cercueil placé sur le sien est absurde et erroné. » Cette réponse me rendit fort perplexe ; je ne savais plus que dire, d’autant plus qu’avant la communication je ne m’étais pas douté d’avoir eu affaire à une désincarnée ; je ne connaissais pas même les rapports de famille ou d’amitié qui pouvaient exister entre la vieille dame et les Cheney.
« Une heure plus tard, j’entendis tout à coup la même voix, prononçant exactement les mêmes paroles, mais en y ajoutant ceci : « En outre, Seth n’avait pas le droit de couper cet arbre. » Ayant fait part à mon hôte de ce nouveau message, il en devint tout soucieux. « Il y a là, » me dit-il, « quelque chose de bien étrange ; mon frère Seth a fait couper un arbre qui masquait la vue du vieux manoir, et nous avons toujours été d’avis que la personne qui est censée vous parler n’aurait pas permis de l’abattre si elle eût encore été de ce monde. Quant au reste du message, il n’a pas l’ombre de bon sens. »
« La même communication m’ayant été donnée dans la soirée pour la troisième fois, je me heurtai de nouveau à un démenti formel, en ce qui concernait le cercueil. J’étais sous le coup d’une impression fort pénible lorsque je me retirai dans ma chambre. Je n’avais jamais reçu de message mensonger et même, en admettant le bien-fondé de son grief, une pareille insistance, de la part d’un Esprit désincarné, à ne pas vouloir qu’un autre cercueil fût placé sur le sien, me semblait absolument ridicule.
« Le matin venu, j’en exprimai à mon hôte mon profond désappointement ; il me répondit qu’il en était lui-même fort chagrin, mais qu’il allait me prouver que cet Esprit - si c’était bien celui qu’il prétendait être - s’était gravement trompé. « Nous allons nous rendre à notre caveau de famille », me dit-il, et vous verrez que, l’eussions-nous voulu, il n’aurait pas été possible de placer un autre cercueil au-dessus du sien. »
« Étant venus au cimetière, nous fîmes demander le fossoyeur, qui avait la clef du caveau. Au moment où il allait ouvrir la porte, il parut faire une réflexion et dit, d’un air un peu embarrassé, en se retournant vers M. Cheney : « Je dois vous avertir, Monsieur, que, comme il restait justement une petite place au-dessus du cercueil de Mme ***, j’y ai mis le petit cercueil de l’enfant de L... Je pense que cela n’a pas d’importance, mais peut-être aurais-je mieux fait de vous en prévenir. Ce n’est que depuis hier qu’il est placé là. »
« Jamais je n’oublierai le coup d’œil que me lança M. Cheney, lorsqu’il me dit, en se tournant vers moi : « Mon Dieu, c’est donc bien vrai ! »
« Le soir même, nous eûmes une nouvelle manifestation de l’Esprit, qui vint nous dire : « Ne croyez pas que j’attache la moindre importance au cercueil placé sur le mien ; on y empilerait toute une pyramide de cercueils que cela me serait parfaitement égal. Mon unique but était de vous prouver une fois pour toutes mon identité, de vous amener à la conviction absolue que je suis toujours un être vivant et raisonnable, la même E... que j’ai toujours été. C’est la seule raison qui m’a fait agir comme je l’ai fait. »
Tous les faits que nous venons de citer sont entourés des garanties nécessaires pour en assurer l’authenticité. La plupart d’entre eux ont été soumis à la critique la plus rigoureuse. Nous aurions pu y joindre beaucoup d’autres cas semblables, si le cadre de ce travail ne nous imposait des limites restreintes.
En résumé, nous pouvons dire que les preuves de la survivance abondent pour ceux qui les recherchent d’un cœur sincère, avec intelligence et persévérance. Ainsi, la notion d’immortalité se dégage peu à peu des ombres accumulées par les sophismes et les négations, et l’âme humaine s’affirme dans sa réalité impérissable.
L’univers infini devient notre patrie éternelle. La vaste perspective des temps se déroule devant nos regards comme le champ de nos travaux, de nos études, de nos progrès. Et, quand cette certitude a pénétré dans notre esprit, aucun découragement, aucune crainte ne peut plus nous atteindre, ni dans cette vie, ni dans les vies innombrables que la destinée nous contraint à parcourir.
TROISIEME PARTIE
__________
Grandeurs et misères de la médiumnité
__________
XXII. PRATIQUES ET DANGERS DE LA MEDIUMNITE.
Après avoir longtemps nié la réalité des phénomènes spirites, de nombreux contradicteurs, vaincus par l’évidence, changent maintenant de tactique et nous disent : Oui, le spiritisme est vrai, mais la pratique est pleine de dangers.
On ne saurait contester que le spiritisme présente des écueils aux imprudents qui, sans études préalables, sans préparation, sans méthode, sans protection efficace, se livrent aux recherches occultes. Faisant de l’expérimentation un jeu, un amusement frivole, ils attirent à eux les éléments inférieurs du monde invisible, dont ils subissent fatalement les influences.
Toutefois, ces dangers ont été fort exagérés. En toutes choses, il y a des précautions à prendre. La physique, la chimie, la médecine exigent aussi des études prolongées, et l’ignorant qui voudrait manier des substances chimiques, des explosifs ou des toxiques, exposerait par cela même sa santé et sa vie. Il n’est pas une seule chose, suivant l’usage que nous en ferons, qui ne soit bonne ou mauvaise. Il est injuste, en tout cas, de faire ressortir le mauvais côté des pratiques spirites, sans signaler les bienfaits qui en découlent et qui l’emportent de beaucoup sur les abus et les déceptions.
Aucun progrès, aucune découverte ne se réalise sans risques. Si l’on avait refusé, depuis l’origine des temps, de s’aventurer sur l’océan parce que la navigation comporte des périls, qu’en serait-il résulté ? L’humanité, fragmentée en familles diverses, se serait confinée sur les continents et aurait perdu tout le profit qu’elle retire des voyages et des échanges. Le monde invisible est aussi un vaste et profond océan semé d’écueils, mais plein de richesses et de vie. Derrière le voile de l’Au-delà s’agitent des foules innombrables que nous avons intérêt à connaître, car elles sont dépositaires du secret de notre propre avenir. De là, la nécessité d’étudier, d’explorer ce monde invisible, de mettre en valeur les forces, les ressources inépuisables qu’il contient, ressources près desquelles celles de la terre paraîtront un jour bien restreintes.
D’ailleurs, quand bien même nous nous désintéresserions du monde invisible, celui-ci ne se désintéresse pas de nous pour cela. Son action sur l’humanité est constante. Nous sommes soumis à ses influences, à ses suggestions. Vouloir l’ignorer, c’est rester désarmé devant lui. Tandis que, par une étude méthodique, nous apprenons à attirer à nous les forces bienfaisantes qu’il renferme ; nous apprenons à écarter les influences mauvaises, à réagir contre elles par la volonté et la prière. Tout dépend du mode d’emploi et de la direction imprimée à nos forces mentales. Et combien de maux dont la cause nous échappe, parce que nous voulons ignorer ces choses et qui pourraient être évités par une étude consciencieuse et approfondie du monde des Esprits !
La plupart des névrosés et des hallucinés, traités sans succès par la médecine officielle, ne sont que des obsédés, susceptibles d’être guéris par les pratiques spirites et magnétiques .
Dieu a placé l’homme au milieu d’un océan de vie, d’un réservoir inépuisable de forces et de puissances. Et il lui a donné l’intelligence, la raison, la conscience, pour apprendre à connaître ces forces, à les conquérir, à les utiliser. C’est par cet exercice constant que nous nous développerons nous-mêmes et arriverons à établir notre empire sur la nature, la domination de la pensée sur la matière, le règne de l’esprit sur le monde.
C’est le but le plus élevé que nous puissions assigner à notre vie. Au lieu d’en détourner l’homme, apprenons-lui à le poursuivre sans hésitation. Étudions, scrutons l’univers sous tous ses aspects, sous toutes ses formes. Savoir est le bien suprême, et tous les maux viennent de l’ignorance.
Les difficultés d’expérimentation proviennent de ce que nos contemporains, en général, n’ont pas la moindre notion des lois psychiques et sont, en outre, dans l’incapacité de les étudier avec fruit, par suite des dispositions d’esprit résultant d’une mauvaise éducation. Par leurs préjugés, leur présomption, leur scepticisme gouailleur, ils éloignent d’eux les influences favorables.
Dans ces conditions, il se peut que l’expérimentation spirite soit pleine d’embûches, mais elle le sera bien plus pour les médiums que pour les observateurs. Le médium est un être nerveux, sensible, impressionnable ; il a besoin de se sentir enveloppé d’une atmosphère de paix, de calme, de bienveillance, que la présence des Esprits avancés peut seule créer. L’action fluidique prolongée des Esprits inférieurs peut lui être funeste, ruiner sa santé, en provoquant les phénomènes d’obsession et de possession dont nous avons parlé. Ces cas sont nombreux. Allan Kardec les a étudiés et signalés . Après lui, Eug. Nus en a relaté d’autres . Nous en citerons de plus récents. Quelques-uns vont jusqu’à la démence. On en a tiré argument contre le spiritisme. En réalité, ils découlent simplement de la légèreté et du manque de précaution des expérimentateurs, et ne prouvent rien contre le principe. Partout, dans le spiritisme, à côté du mal se trouve le remède.
Il faut, disions-nous, s’entourer de précautions dans la pratique de la médiumnité. Les routes que le spiritisme trace entre le monde occulte et le nôtre peuvent servir de moyens d’invasion aux âmes perverses qui flottent dans notre atmosphère, si nous ne savons leur opposer une garde vigilante et sûre. Bien des âmes tendres et sensibles, incarnées sur la terre, ont souffert de leur commerce avec ces Esprits malsains, que leurs désirs, leurs appétits, leurs regrets, ramènent sans cesse près de nous.
Les âmes élevées savent, par leurs conseils, nous garantir des abus, des dangers, et nous guider dans les voies de la sagesse ; mais leur protection sera insuffisante, si, nous ne faisons effort pour nous améliorer par nous-mêmes. C’est la destinée de l’homme de développer ses propres forces, de construire lui-même son intelligence et sa conscience. Il faut que nous sachions atteindre un état moral qui ôte toute prise sur nous aux individualités inférieures. Sans cela, la présence de nos guides sera impuissante à nous sauvegarder. Au contraire, la lumière qu’ils font autour de nous attirera les Esprits de l’abîme, comme la lampe allumée au sein de la nuit attire les phalènes, les oiseaux nocturnes, tous les habitants ailés de l’ombre.
Nous avons parlé des obsessions ; en voici quelques exemples :
Le médium Philippe Randone, dit la Médianita, de Rome , est en butte aux mauvais procédés d’un Esprit, désigné sous le nom d’uomo fui, qui s’est efforcé, plusieurs fois, de l’étouffer la nuit sous une pyramide de meubles qu’il s’amuse à transporter sur son lit. En pleine séance, il s’empare violemment de Randone et le jette à terre, au risque de le tuer. Jusqu’ici on n’a pu débarrasser le médium de cet hôte dangereux.
En revanche, la revue Luz y Union, de Barcelone (décembre 1902), rapporte qu’une malheureuse mère de famille, poussée au crime sur son mari et ses enfants par une influence occulte, en proie à des accès de fureur contre lesquels les moyens ordinaires étaient restés impuissants, fut guérie en deux mois par suite de l’évocation et de la conversion de l’Esprit obsesseur, au moyen de la persuasion et de la prière. Il est certain que des résultats analogues seraient obtenus, dans bien des, cas, à l’aide des mêmes procédés.
La plupart des Esprits qui interviennent dans les phénomènes de hantise peuvent être classés parmi les obsesseurs.
Le revenant de Valence-en-Brie (1896), qui bouleversait les meubles dans la maison de M. Lebègue, et dont la voix se faisait entendre depuis la cave jusqu’au grenier, injuriant les habitants, se répandant en paroles grossières, en expressions stercoraires, est le type de ces manifestants de bas étage.
Les Psychische Studien, d’août 1891, signalent un cas analogue. Une pauvre femme de Goepingen, âgée de 50 ans, était hantée par l’Esprit de son mari, qui, après l’avoir abandonnée pour aller en Amérique avec une autre femme, avait tué sa maîtresse, puis s’était suicidé. Il produisait dans la chambre de sa veuve des bruits continuels et variés, et privait de sommeil les locataires voisins. Elle le reconnaissait à la voix ; elle dut changer plusieurs fois de domicile, mais inutilement. L’Esprit la suivait partout. Il se glissait la nuit dans son lit, la poussait violemment et lui tirait les cheveux. Une fois, il la brûla si fort, qu’elle en porta la marque pendant quinze jours.
Ces mauvais Esprits ne sont, en général, que des ignorants, et on peut les ramener dans la voie du bien par la douceur, la patience, la persuasion. Il en est aussi de méchants, d’endurcis et même de redoutables, qu’on ne saurait braver impunément, si l’on n’est armé de volonté, de foi, de moralité. Il est bon de le redire : la loi de rapport règle toutes choses dans le domaine de l’invisible. Nos contacts avec le monde ultra-terrestre varient à l’infini, suivant la nature de nos pensées et de nos fluides. Ceux-ci sont des aimants puissants pour le bien ou pour le mal. Par eux, nous pouvons nous associer à ce qu’il y a de meilleur ou de pire dans l’Au-delà, et provoquer autour de nous les manifestations les plus sublimes ou les phénomènes les plus répugnants.
Citons encore deux cas intéressants d’obsession, qu’on put faire cesser par des procédés divers. Les Annales des Sciences psychiques de janvier 1911 rapportent le fait suivant, attesté par M. E. Magnin, professeur à l’École de Magnétisme :
« Une jeune femme, atteinte de maux de tête d’origine neurasthénique, auxquels depuis plusieurs années une obsession de suicide s’était ajoutée, vint me consulter. Un examen attentif me révéla un organisme sans aucune tare physique. Le côté psychique, au contraire, laissait beaucoup à désirer : émotif, fantasque, facilement suggestible. La malade insistait sur une angoisse « affolante », disait-elle, à la nuque, avec une sensation de pesanteur parfois intolérable sur les épaules ; à ces moments, elle était prise d’une envie presque irrésistible de se tuer.
« Au cours d’une longue conversation, la malade me confia qu’avant son mariage elle avait été courtisée par un officier qu’elle aimait, mais que des raisons de famille l’empêchèrent d’épouser. Ce dernier était mort depuis et, peu de temps après, cette obsession d’en finir avec la vie s’était emparée d’elle. Là résidait sans doute l’origine de cette idée obsédante, et un traitement psychothérapique s’imposait. Plusieurs séances à l’état de veille eurent lieu sans succès ; je procédai ensuite à des essais de rééducation dans l’hypnose « magnétique » et n’obtins aucune amélioration ; des suggestions impératives dans le sommeil « hypnotique » ne donnèrent pas non plus de résultats appréciables.
Je décidai, avec le consentement du mari, mais à l’insu de la malade, d’opérer par l’intermédiaire « d’un médium » que j’étudiais depuis quelque temps et qui souvent m’avait stupéfait par la netteté des clichés visuels que son don de « voyante » lui permettait de me décrire. Je ne dis pas un mot de la situation au médium. Je ne la mis en présence de la malade qu’après avoir endormi cette dernière. Je l’avertis que je ne lui poserais aucune question et qu’elle n’aurait qu’à me décrire le plus simplement possible ce que ses dons de vue psychique lui feraient voir.
« A peine fut-elle introduite auprès de la malade, endormie dans un fauteuil, qu’elle me décrivit un être qui paraissait « agrippé » sur le dos de la patiente. Sans laisser percevoir mon étonnement ni le grand intérêt que présentait cette constatation, je priai la voyante de préciser la position exacte de cet être invisible pour moi. « De sa main droite, dit-elle, il enserre la nuque de la malade et de sa main gauche il cache son propre front. » puis, suffoquée par l’émotion, elle s’écria : « Il s’est suicidé et il veut qu’elle le rejoigne. » A ma demande, elle me décrivit, la physionomie, l’expression : « un regard bien étrange, », dit-elle. Le médium et moi, pûmes causer avec cet être. Ma conversation fut longue et tourmentée ; j’éprouvai un soulagement et une réelle satisfaction en apprenant du médium, que mes arguments avaient convaincu le « revenant » et que, pris de pitié, il promettait de laisser sa victime en paix.
« Je ne réveillai la patiente que deux heures après le départ du médium. Je ne lui révélai pas un seul mot de l’expérience, qu’elle devait toujours ignorer. En me quittant, elle me dit : « Je me sens aujourd’hui très soulagée. »
« Le surlendemain, elle revint me voir ; elle était transformée. Son expression, son attitude, sa toilette, tout dénotait un revirement de ses pensées ; son naturel, sa gaieté, son goût pour les arts étaient revenus d’un jour à l’autre ; son mari ne la reconnaissait plus, tant le changement avait été brusque.
« Depuis cette expérience, cette jeune femme n’a plus jamais ressenti ni l’angoisse à la nuque, ni la sensation physique de poids sur les épaules, ni l’obsession psychique du suicide ; sa santé fut en tous points parfaite jusqu’à ce jour.
« Une enquête discrète m’apprit que cet officier n’était pas mort d’une fièvre infectieuse, ainsi qu’on le croyait dans son entourage, mais qu’il s’était bien réellement suicidé d’une balle dans la tête. La nature du caractère était absolument celle décrite par le médium et son regard « étrange » expliqué par un très léger strabisme. »
Dans Luce e Ombra, de janvier 1905, Enrico Carreras rend compte des luttes d’influence qui se produisaient, au cours des séances données par le médium Politi, entre l’Esprit protecteur Ranuzzi et l’observateur Spavento :
« Je me rappelle qu’un soir, au milieu de l’obscurité, me trouvant seul en face de lui parce que mes deux compagnons d’étude s’étaient enfuis épouvantés, je dus soutenir contre le médium, dont Spavento s’était emparé, une lutte acharnée, dans laquelle je dus faire appel à toute la force dont je suis doué.
« J’ai tenu à dire tout ceci, pour montrer aux novices que le spiritisme n’est pas une chose que l’on doive prendre en plaisantant, car il peut entraîner de graves conséquences, et aussi pour montrer aux professeurs de l’école matérialiste combien sont loin des inoffensives personnalités secondes de Binet et de P. Janet ces personnalités médianimiques ou, pour mieux dire, spirites, capables de produire les phénomènes signalés ci-dessus, sans compter tant d’autres, comme les hurlements d’animaux entendus jusque dans la rue et répétés, les sifflements aigus, les explosions violentes, qui se produisaient dans une maison voisine de la nôtre et qui était inhabitée, etc.
« Le système que nous avions adopté et la collaboration assidue de Ranuzzi, qui s’efforçait de calmer Spavento d’une part, et de l’autre de soutenir le médium, en se matérialisant la nuit dans sa chambre et en lui adressant des paroles d’encouragement, en le conseillant, en lui transmettant de bons fluides ; cette tactique, disons-nous, ne tarda pas à produire ses bons effets.
« Petit à petit, Spavento se modifia, aussi bien dans ses manifestations physiques que dans son moral. Il abandonna son premier nom pour prendre celui de César et devint, à notre grande satisfaction, un de nos plus chers amis invisibles. Peut-être aurai-je bientôt l’occasion de montrer à mes fidèles lecteurs comment se produisit cette lente transformation, qui nous a coûté assez de peines, mais dont nous avons été largement récompensés. »
Par quels moyens peut-on préserver les médiums des périls de l’obsession ? En les entourant d’une atmosphère de paix, de recueillement, de sécurité morale, en formant, par l’union des volontés, un faisceau de forces magnétiques. Le médium doit se sentir soutenu, protégé. Il ne faut pas négliger la prière. Les pensées sont des forces, d’autant plus puissantes qu’elles sont plus pures et plus élevées. La prière, aidée par l’union des volontés, oppose une barrière fluidique infranchissable aux Entités inférieures.
Le médium, de son côté, doit résister par la pensée et la volonté à toute tentative d’obsession et s’affranchir des dominations suspectes. Il est plus facile de prévenir que de guérir. Les cas d’incorporation, surtout, présentent des dangers. Aussi le médium ne doit abandonner son corps à d’autres âmes que sous la surveillance et le contrôle d’un guide éclairé.
C’est une erreur et un abus de croire que le médium doit toujours être passif et soumis sans réserve aux influences ambiantes, Le médium n’est pas un sujet servile, comme ces malades sensitifs assujettis aux expériences de certains spécialistes : c’est un missionnaire, dont la conscience et la volonté ne doivent jamais s’annihiler, mais s’exercer sagement et ne se plier qu’à bon escient, et après examen, à la direction occulte qui lui est imprimée. Quand les influences ressenties lui paraissent mauvaises et dégénèrent en obsession, le médium ne doit pas hésiter à changer de milieu, ou tout au moins à éloigner de lui les personnes qui semblent favoriser ou attirer ces influences.
En écartant les causes d’obsession, on éloigne en même temps les causes de maladie. Ce sont les fluides impurs qui altèrent la santé des médiums, troublent et amoindrissent leurs plus belles facultés.
Dans les phénomènes d’incorporation, on abuse souvent du magnétisme humain. L’action fluidique d’un homme de bien, de mœurs pures et de pensées hautes, seule, peut être acceptée. Le médium, en toutes circonstances, doit se placer sous la protection de son guide spirituel, qui, s’il est élevé et énergique, saura éloigner de lui tous les éléments de trouble, toutes les causes de souffrance. Somme toute, les mauvais Esprits ne peuvent agir sur nous que dans la mesure où nous leur laissons prise. Quand la raison est droite, le cœur pur, la volonté ferme, leurs efforts sont vains.
Une protection occulte efficace, avons-nous dit, est la condition essentielle du succès dans le domaine de l’expérimentation. Aucun groupe ne saurait s’en passer. Les faits le démontrent, et tous les médiums qui ont publié leurs impressions, leurs souvenirs, en fournissent le témoignage.
Mme d’Espérance dédie son livre : Au Pays de l’ombre, à son guide spirituel, Hummur Stafford, « dont la main directrice, quoique invisible, et dont les sages conseils, ont été sa force et sa consolation pendant le voyage de la vie ».
Mme Piper, affaiblie et rendue malade par le contact d’Esprits inférieurs, dut son rétablissement et la bonne direction de ses travaux à l’intervention ferme et vigoureuse des Esprits Imperator, Doctor et Rector. Grâce à eux, de confuses qu’elles étaient, les expériences redevinrent aussitôt claires, précises, convaincantes .
On pourrait multiplier ces exemples. Allan Kardec a constitué la doctrine spirite à l’aide de révélations émanant d’Esprits supérieurs. Dans notre propre groupe, c’est grâce à l’influence d’Esprits élevés que nous obtînmes les beaux phénomènes relatés plus haut. Ce fut, seulement, il est vrai, après une longue période d’attente et de persévérants essais que ce secours nous fut accordé. Dans cet ordre de faits, on obtient ce qu’on a su mériter par une patience longtemps mise à l’épreuve et un désintéressement absolu. Dans l’expérimentation, nous nous trouvons en présence d’intelligences étrangères, de volontés qui, souvent, priment la nôtre et se soucient peu de nos exigences et de nos caprices. Elles lisent en nous, et il faut savoir gagner leur confiance et leur appui par de nobles intentions, par des mobiles généreux.
Cette protection, qui planait sur notre groupe et persista aussi longtemps que nous restâmes unis de pensée et de cœur, je l’ai retrouvée dans tout le cours de ma carrière de conférencier, et je suis heureux d’en rendre témoignage ici, en remerciant, d’une âme sincère et attendrie, ces nobles amis de l’espace, dont l’assistance m’a été si précieuse aux heures difficiles.
Plus d’une fois, au moment d’affronter un public sceptique, voire hostile, et de traiter, devant des salles combles, des sujets très controversés, je me suis trouvé dans les conditions physiques les plus défavorables. Et chaque fois aussi, à mon pressant appel, mes guides invisibles venaient me rendre les forces nécessaires à l’accomplissement de ma tâche.
On voit combien la protection d’un guide sérieux, puissant, éclairé, est nécessaire dans les séances. Lorsque le guide est insuffisant, les difficultés se multiplient et les mystifications abondent. Les Esprits légers se mêlent aux Esprits de notre famille, dont ils troublent les manifestations. Des intrus, d’une obscénité révoltante, se glissent parfois dans les réunions. Le professeur Falcomer, dans sa Phénoménographie , parle d’un cas où « à de pieuses manifestations succéda un langage impie, dicté par les coups du guéridon, et adressé à trois dames et une jeune fille. Ce langage était celui d’un être impudent et laid, et on ne peut le transcrire. La mère du professeur et les autres assistants en éprouvèrent un profond dégoût ».
L’action des Esprits malins et dégradés ne jette pas seulement le ridicule et le discrédit sur notre cause, en éloignant d’elle les personnes scrupuleuses et bien élevées ; elle pousse encore les médiums à la supercherie et ruine à la longue leur jugement et leur dignité. On commence par rire et s’amuser des réponses cyniques ou saugrenues de ces Esprits ; mais par cela même on les attire à soi, et ces visiteurs incommodes, à qui vous ouvrez ainsi votre porte, reviennent, s’attachent à vous et deviennent parfois de redoutables obsesseurs.
Le spiritisme, considéré comme dangereux, par les uns, comme puéril et vulgaire par les autres, n’est guère connu de la masse que sous ses aspects inférieurs. Ce sont les phénomènes les plus matériels qui attirent de préférence l’attention et provoquent des jugements défavorables. Cet état de choses est dû aux théoriciens et vulgarisateurs qui, voyant dans le spiritisme une science purement expérimentale, négligent ou écartent par système, quelquefois avec dédain, les moyens d’entraînement et d’élévation mentale indispensables pour produire des manifestations vraiment imposantes. On ne tient pas assez compte des différences considérables existant entre l’état psychique vibratoire des expérimentateurs et celui des Esprits susceptibles de produire des phénomènes d’une grande portée, et on ne fait rien pour atténuer ces différences. De là, la pénurie des hautes manifestations comparées à l’abondance des faits vulgaires.
Il en résulte que de nombreux critiques, ne connaissant de la question que son côté terre à terre, nous accusent journellement d’édifier sur des faits mesquins une doctrine pleine d’ampleur. Plus familiarisés avec le côté transcendantal du spiritisme, ils reconnaîtraient que nous n’avons rien exagéré. Au contraire, nous sommes plutôt restés au-dessous de la vérité.
Quelles que soient les répugnances des théoriciens positivistes et « antimystiques », il faudra bien tenir compte des indications des hommes compétents, sans quoi on ferait du spiritisme une piètre science, pleine d’obscurités et de périls pour les chercheurs.
L’amour de la science ne suffit pas, a dit le professeur Falcomer ; il faut encore la science de l’amour. Dans les phénomènes, nous n’avons pas seulement affaire à des éléments physiques, mais à des agents spirituels, à des êtres moraux, qui, comme nous, pensent, aiment, souffrent. Dans les profondeurs invisibles, l’immense hiérarchie des âmes s’étage, des plus obscures, jusqu’aux plus radieuses. Il dépend de nous d’attirer les unes et d’écarter les autres.
Le seul moyen consiste à créer en nous, par nos pensées et nos actes, un foyer rayonnant de pureté et de lumière. Toute communion est une œuvre de la pensée. Celle-ci est l’essence même de la vie spirituelle ; c’est une force qui vibre avec une intensité croissante, à mesure que l’âme monte, de l’être inférieur à l’esprit pur et de l’esprit pur à Dieu.
Les vibrations de la pensée se propagent à travers l’espace et attirent à nous des pensées et des vibrations similaires. Si nous comprenions la nature et l’étendue de cette force, nous n’aurions que de hautes et nobles pensées. Mais l’homme s’ignore encore, comme il ignore les ressources immenses des facultés créatrices et fécondes qui sommeillent en lui et à l’aide desquelles il pourrait renouveler le monde.
Dans notre inconscience et dans notre faiblesse, le plus souvent, nous attirons à nous des êtres mauvais, dont les suggestions nous troublent. C’est ainsi que la communion spirituelle s’altère, s’obscurcit par le fait de notre infériorité ; des fluides empoisonnés se répandent sur la terre, et la lutte du bien et du mal se déroule dans le monde occulte comme dans le monde matériel.
L’attraction des pensées et des âmes, c’est toute la loi des manifestations psychiques. Tout est affinité et analogie dans l’invisible. Chercheurs, qui sondez le secret des ténèbres, élevez donc bien haut vos pensées, afin d’attirer à vous les génies inspirateurs, les forces du bien et du beau. Élevez-les, non seulement aux heures d’études et d’expériences, mais fréquemment, à toute heure du jour, comme un exercice salutaire et régénérateur. N’oubliez pas que ce sont ces pensées, qui, lentement, affinent et épurent notre être, agrandissent nos facultés, nous rendent aptes à ressentir les sensations délicates, source de nos félicités à venir.
Le problème de la médiumnité est resté obscur et incompris pour la plupart des psychologues et des théologiens de notre époque. Le passé possédait sur ce point des lumières plus vives, et même, au moyen âge, quelques hommes, héritiers de la sagesse antique, ont vu juste dans la question. Au douzième siècle, Maïmonides, le savant rabbin juif de Cordoue, élève d’Averrhoès, s’inspirant des doctrines de la Kabbale, résumait en ces termes la loi de la médiumnité :
« L’Esprit plane sur l’humanité jusqu’à ce qu’il ait trouvé le lieu de sa demeure. Toute nature ne lui est pas bonne ; sa lumière n’est à l’aise que dans l’homme sage, sain, éclairé parmi ses semblables. Quiconque aspire aux honneurs du commerce sublime doit s’appliquer à perfectionner sa nature au dedans comme au dehors. Amant de la solitude, il y emporte les livres sacrés, prolonge ses méditations et ses veilles, remplit son âme de science et de vertu. Ses repas sont réglés ; ses mets, ses breuvages, choisis, afin que, dans son corps sain et sa chair renouvelée à point, il y ait un sang généreux. Alors, tout est prêt : le fort, le savant, le sage sera prophète ou voyant, dés que l’Esprit le rencontrera sur sa route . »
L’homme a donc une préparation compliquée à subir et une règle de conduite à observer pour développer en lui le don précieux de la médiumnité. Il faut pour cela la culture simultanée de l’intelligence, de l’âme, du corps. Il faut la science, la méditation, le recueillement, le détachement des choses humaines. L’esprit inspirateur déteste le bruit : « Dieu n’habite pas dans le trouble, » dit l’Écriture. Un proverbe arabe le répète : « Le bruit est aux hommes ; le silence est à Dieu. »
« Il faut se perfectionner au dedans et au dehors », dit le savant juif. En effet, les fréquentations vulgaires sont nuisibles à la médiumnité, en raison des fluides impurs qui se dégagent des personnes vicieuses et s’attachent aux nôtres pour les neutraliser. Il faut aussi veiller sur son corps : Mens sana in corpore sano. Les passions charnelles, attirent les Esprits de luxure ; le médium qui s’y livre avilit sa puissance et finit par la perdre. Rien n’affaiblit les hautes facultés comme de s’abandonner à l’amour sensuel ; il énerve le corps et trouble les sources limpides de l’inspiration. De même que le lac le plus pur et le plus profond, lorsqu’il est agité par la tempête, qui en remue le limon et le fait remonter à la surface, cesse de refléter l’azur du ciel et la splendeur des étoiles ; ainsi l’âme du médium, troublée par des mouvements impurs, devient impropre à reproduire les visions de l’Au-delà.
Il est, dans les profondeurs intimes, dans les replis ignorés de toute conscience, un point mystérieux par où chacun de nous confine à l’invisible, au divin. C’est ce point qu’il faut découvrir, agrandir, dilater ; c’est cette arrière conscience qui se réveille dans la trance, comme un monde assoupi, et livre le secret des vies antérieures de l’âme. C’est la grande loi de la psychologie spirite, unissant et conciliant, dans le phénomène médianimique, l’action de l’Esprit et la liberté de l’homme ; c’est le baiser mystérieux résultant de la fusion de deux mondes dans cet être fragile et fugitif que nous sommes ; c’est un des plus nobles privilèges, une des plus réelles grandeurs de notre nature.
La haute médiumnité entraîne de grands devoirs et des responsabilités étendues. « Il sera beaucoup demandé à ceux qui ont beaucoup reçu. » Les médiums sont de ceux-là. Leur part de certitude est plus grande que celle des autres hommes, puisqu’ils vivent par anticipation dans le domaine de l’invisible, auquel un lien de plus en plus étroit les attache. Un sage exercice de leurs facultés les élève vers les sphères lumineuses de l’Au-delà et y prépare leur place future. Au point de vue physique, cet exercice n’est pas moins salutaire. Le médium se baigne, se retrempe dans un océan d’effluves magnétiques, qui lui donnent force et puissance.
Par contre, il a d’impérieux devoirs à remplir et ne doit pas oublier que ses pouvoirs ne lui sont pas accordés pour lui-même, mais pour le bien de ses semblables et le service de la vérité. C’est une des plus nobles tâches qui puissent échoir à une âme en ce monde. Pour l’accomplir, le médium doit accepter toutes les épreuves, savoir pardonner toutes les offenses, oublier toutes les injures. Sa destinée sera pénible, peut-être, mais c’est la plus belle, car elle conduit vers les hauteurs de la spiritualité. Sur la longue route de l’histoire, la vie des plus grands médiums et prophètes lui donne l’exemple de l’abnégation et du sacrifice.
XXIII. HYPOTHESES ET OBJECTIONS.
En matière de spiritisme, les théories contraires et les objections abondent. Nous les avons passées en revue, pour la plupart, au cours de cette étude. Nous avons vu, par exemple, que la théorie des hallucinations ne peut plus tenir debout après les apparitions photographiées, les moulages, les phénomènes scripturaires et les signatures de défunts reconnues authentiques. La théorie de la subconscience, appelée aussi inconscient ou conscience subliminale, a été réfutée aux chapitres XVIII et XIX, à propos de l’écriture médianimique et des incorporations. Il est vrai qu’on l’applique aussi aux phénomènes de la table, notamment en ce qui concerne les faits de typtologie obtenus chez Victor Hugo et que nous avons relatés au chapitre XVII. Maints critiques se refusent à voir dans les vers dictés par la table autre chose que l’œuvre inconsciente du grand poète. Ces vers, disent-ils, sont de la même facture que les siens ; le même souffle puissant les anime.
L’analyse des faits démontre l’insuffisance de cette explication. Victor Hugo ne prenait jamais place à la table. Il déclarait ne pouvoir improviser en vers, alors que les Esprits demandaient à être interrogés de cette façon et répondaient de même, aussitôt, sans recherche, sans hésitation. Lorsqu’un jour, cédant à leur désir, il prépare à l’avance une question adressée à l’esprit de Molière, celui-ci se tait ; c’est « l’ombre du sépulcre » qui répond en termes amers, qui constituent pour le poète une verte leçon et l’obligent à quitter la salle, indigné du sans-gêne des Esprits.
Victor Hugo pouvait-il être à la fois conscient et inconscient, et agir en dehors de lui-même, sans le savoir et sans le vouloir ? L’inconscient, qui s’ignore, ne peut être un mobile d’action. Or, tous les phénomènes spirites sont des formes d’activité, réglés par la conscience. Celle-ci ne peut grouper en elle deux principes opposés, l’action et l’inaction. Le prétendre serait tombé dans l’absurde !
Il en était de même des assistants. Aucun d’eux ne songeait à provoquer le sommeil et, par suite, le dédoublement. Nul ne prévoyait les réponses de la table. Tous attendaient avec anxiété les phrases qu’elle allait dicter. On comptait sur Molière, que Victor Hugo venait d’interroger. Si l’inconscient du poète, sous le coup de cette attente, avait pu entrer en jeu, c’est la réponse du grand satyrique qui serait venue. Or, nous l’avons dit, c’est « l’ombre du sépulcre » qui se manifeste en un langage âpre et solennel, en termes méprisants, que Victor Hugo, dans son orgueil, n’aurait certes jamais songé à s’appliquer devant témoins.
Le mystérieux Esprit ne s’exprime pas seulement en vers. Sa prose aussi est magnifique et sévère. Qu’on en juge par ce fragment, dicté par la table à une autre séance :
« Imprudent, tu dis : l’ombre du sépulcre parle le langage humain, elle se sert des mots, des figures, des métaphores, des mensonges, pour dire la vérité ; l’ombre du sépulcre n’est pas une mascarade, tu as raison, je suis une réalité. Si je descends à vous parler votre jargon, c’est que vous êtes limités. Le mot, c’est la chaîne de l’esprit ; l’image, c’est le carcan de la pensée ; votre langue est un bruit relié dans un dictionnaire ; ma langue à moi, c’est l’immensité, c’est l’océan, c’est l’ouragan ; ma bibliothèque contient des millions d’étoiles, des millions de planètes, des millions de constellations. L’infini est le livre suprême et Dieu est le lecteur éternel. Maintenant, si tu veux que je te parle dans mon langage, monte sur le Sinaï, et tu m’entendras dans les éclairs ; monte sur le Calvaire et tu me verras dans les rayons ; descends dans le tombeau et tu me sentiras dans la clémence. »
Voici, du reste, un fait qui démontre combien la théorie de la subconscience est impuissante à expliquer les phénomènes obtenus chez Victor Hugo :
Le Gaulois du 10 janvier 1906, sous ce titre : Le Carnet d’un vaudevilliste, publie un fragment des mémoires de M. E. Blum, duquel nous détachons l’anecdote suivante :
« Victor Hugo avouait qu’il croyait fermement au spiritisme et il y a cru jusqu’à sa mort. Ses deux fils, ainsi que ses deux grands amis : Auguste Vacquerie et Paul Meurice, y croyaient également. Vacquerie m’a raconté une chose extraordinaire.
« Un soir d’hiver, à Guernesey, on faisait tourner les tables. Étaient présents le grand poète, ses deux enfants et Vacquerie. C’était Charles Hugo qui servait de médium, il interrogeait la table et disait ce qu’elle répondait. Tout à coup, il pousse un petit cri de douloureuse surprise. Oh ! fit-il, les Esprits m’apprennent une bien affreuse nouvelle : Mme de Girardin vient de mourir à l’instant. On regarda l’heure, il était 10 heures.
« Mme de Girardin avait justement écrit le matin même qu’elle comptait venir passer quelques jours à Guernesey, auprès de son grand ami Hugo, et on l’attendait. Le lendemain une lettre arriva, annonçant que Mme de Girardin était morte. Nul ne pouvait le savoir à Guernesey, où le télégraphe ne fonctionnait pas encore.
« Charles Hugo l’ignorait comme les autres, et, chose curieuse, Mme de Girardin était morte, en effet, la veille à 10 heures ! Cette histoire m’a toujours fait frissonner, car il était difficile de douter de la véracité, avec des témoins pareils. »
La théorie de la subconscience doit être prise en sérieuse considération, car elle contribue à faire la lumière sur un grand nombre de cas psychiques. Elle a fait progresser la science de l’Être, en nous apprenant à connaître les côtés cachés de notre nature. Elle a rendu plus facile et plus précis le classement des faits. Toutefois, elle n’est applicable qu’à certains phénomènes d’animisme, c’est-à-dire d’extériorisation des vivants, par exemple aux cas de rénovation de la mémoire. Elle ne saurait expliquer les faits physiques et intellectuels, tout ce qui constitue le spiritisme pur. L’intervention des défunts est la solution la plus simple, la plus logique, celle qui s’adapte le mieux à l’ensemble de ces faits. Les Entités qui se manifestent ne donnent pas d’autre explication, et leur témoignage est universel. Il n’est pas jusqu’aux erreurs qu’elles commettent parfois qui ne représentent des éléments de certitude, car ce qui n’existe pas ne peut laisser de trace subconsciente et être connu du médium ou des assistants.
F. Myers, dans son beau livre : La Personnalité humaine, a donné une définition magistrale de la subconscience ; mais, après lui, nombre de savants ont abusé de cette théorie en l’étendant à des faits auxquels elle est complètement étrangère. Dans l’impossibilité où ils se trouvaient d’expliquer les phénomènes spirites, ils ont eu recours à des hypothèses qui s’adaptent fort mal à la réalité des choses.
Le récent livre de M. Th. Flournoy : Esprits et Médiums est très caractéristique à ce point de vue. L’auteur y groupe des centaines de faits recueillis au cours d’une enquête. Les explications qu’il en donne sont d’une faiblesse étonnante et laissent intacte l’interprétation spirite qu’elles prétendaient ruiner. Son parti pris est évident, surtout lorsqu’il cherche à rattacher aux phénomènes d’inconscience un vulgaire cas de plagiat (p.340).
Relevons encore le cas Buscarlet (p. 359). Une dame portant ce nom rêve, à Paris, le 10 décembre 1883, que Mme Nitchinoff, habitant Kasan (Russie), doit quitter le 17 l’Institut qu’elle dirige, et cela avec certains détails qui évoquent l’idée de mort. Elle écrit, pour faire part de ce rêve, à Mme Moratief résidant également à Kasan. Celle-ci lui répond que cette personne a effectivement quitté son Institut le 17, mais à l’état de cadavre, ayant été emporté en trois jours par la diphtérie. M. Flournoy voit en ceci un cas remarquable de télépathie à trois ! Mme Moratief, en effet, étant liée avec chacune des deux autres personnes qui se connaissaient peu, a perçu subconsciemment, le 10 les premiers symptômes de la maladie de Mme Nitchinof et a involontairement transmis cette connaissance à Mme Buscarlet ! Voilà un exemple des explications de M. Flournoy !
Si une semblable hypothèse est peu admissible, quelle sera donc l’explication possible, par la télépathie ou la subconscience, du cas n°15 où Mlle Sophie S., devant aller rejoindre aux Mayens le pasteur H… pour faire des excursions avec lui et ses pensionnaires, reçoit par la table, dix jours avant la catastrophe qui, coûta la vie au pasteur et à l’une de ses élèves, l’avis suivant : « Il ne faut pas que Sophie aille aux Mayens, elle y risquerait sa vie. » Ou bien encore l’explication du cas 28 (prévision de mort par suite de chute de bicyclette, quelques semaines à l’avance).
D’ailleurs, il est aisé de trouver dans ce recueil, où tant de personnes, de bonne foi ont communiqué les faits les plus remarquables de leurs expériences, bon nombre de phénomènes dont M. Flournoy ne tente même pas l’explication. On peut citer par exemple le cas 267 (communication annonçant l’assassinat de Sadi Carnot avant qu’il ne fût connu). Le cas 190, où l’annonce d’un changement dans un programme de voyage est suivie de près par l’arrivée d’une lettre informant d’une maladie imprévue qui bouleverse tous les plans du voyage. Le cas 191, où l’on a obtenu le libellé d’une carte postale que personne n’avait lue au préalable. Le cas 367, où il est fait allusion, hors de la présence de la personne intéressée, à des faits intimes connus seulement d’elle et de son mari décédé.
Le cas 322 est également inexplicable par les procédés chers à M. Flournoy. La narratrice reçut un jour une communication « d’un M. Martinol, mort en Australie au moment où il s’embarquait pour revenir en Europe. « Cet homme, dont j’ignorais l’existence, dit-elle, me fit une confession déplorable, qu’il me chargeait de faire tenir à sa femme. Il y avait peu de temps que j’écrivais et, ne la connaissant pas, je m’abstins de faire cette démarche. Voyant que je n’y allais pas, le même Martinol se communiqua à mon amie, Mme H. d’une manière encore plus pressante. Elle connaissait Mme Martinol et alla la voir avec les deux messages. Tout était vrai, et les deux confessions donnaient la clef d’actes incompréhensibles jusqu’alors pour la famille. »
En outre, la tactique de M. Flournoy consiste à noyer, sous un flot d’expressions techniques et pédantes, les éléments probants qui se dégagent de l’expérimentation : cryptomnésie, complexus émotifs sous-jacents, couches hypnoïdes, etc. C’est par ce moyen que la science a toujours obscurci les vérités premières et les grands problèmes de la vie et de la destinée. A ce point de vue, elle n’est pas moins responsable que l’orthodoxie religieuse du fâcheux état mental des temps présents et des redoutables conséquences qui en découlent. Après des siècles de domination religieuse et de travaux scientifiques, l’humanité en est encore à chercher sa voie, que le spiritisme lui trace avec netteté.
Il faut cependant reconnaître que M. Flournoy apporte dans ses jugements une courtoisie parfaite. Ses termes modérés, le talent d’observation et d’analyse qu’il déploie en toutes circonstances, le rendent éminemment sympathique. Par moments même, il semble incliner vers les données spiritiques. Ainsi il laissera échapper cet aveu : « Il se peut que, dans le nombre des faits, il y en ait d’authentiques, c’est-à-dire ayant réellement une origine spirite, mais je ne me charge pas du triage. » On sent par là qu’il est retenu par des considérations d’ordre personnel. Son livre aura, pour nous, cet immense avantage d’attirer nombre de chercheurs vers nos études, car l’auteur insiste souvent sur le devoir des intellectuels et des savants de sonder les multiples problèmes que soulève l’expérimentation psychique.
Nous avons indiqué plus haut les dangers réels que rencontre la pratique de la médiumnité. Il en est d’imaginaires, inventés à plaisir et signalés à grand bruit par les adversaires du spiritisme. Ils ont donné naissance à deux autres théories, que nous examinerons tour à tour, celle des larves ou élémentals, et celle des démons.
Les manifestations spirites, disent journellement certaines revues catholiques , lorsqu’elles ne proviennent pas, d’une manière consciente ou inconsciente, du médium, ou des assistants, sont l’œuvre du démon.
Nous retrouvons là l’argument habituel de l’Église, le principal instrument de son règne, qui lui permet de résister à toutes les innovations, maintient sous la terreur le troupeau des fidèles et assure sa domination à travers les siècles.
Même lorsque les Esprits nous parlent de Dieu, de prière, de vertu, de sacrifice, nous devons voir là l’intervention du démon, disent les théologiens, car Satan, le père du mensonge, sait revêtir toutes les formes, parler tous les langages, fournir toutes les preuves, et lorsque nous croyons être en présence des âmes de nos parents, de nos amis, d’une épouse, d’un enfant décédés, c’est encore le grand imposteur qui se travestit pour nous abuser.
On a vu, assurent-ils, l’esprit du mal revêtir les apparences les plus trompeuses et même celle de la Vierge et des saints pour mieux duper les croyants. C’est ce qu’affirme le chanoine Brettes, dans la Revue du Monde invisible, du 15 février 1902, après une étude de Mgr Méric sur les matérialisations de fantômes.
« Les résultats », dit-il, « me paraissent conclure en faveur de l’opinion qui soutient que tout est diabolique dans les apparitions de Tilly. Si ces déductions sont vraies, c’est le diable qui se présente là sous la forme apparente de la sainte Vierge et qui reçoit les hommages qu’on adresse à la mère de Dieu. »
D’autres critiques nous objectent que, dans ses rapports avec le monde invisible, l’homme ne communique pas seulement avec les âmes des morts, mais aussi avec de vaines apparences d’âmes, avec des larves, des formes fluidiques animées par une sorte de vibration mourante de la pensée des défunts. D’un autre côté, il est coupable, disent-ils, il est presque sacrilège d’évoquer les âmes des morts, parce que celles-ci, en quittant la terre, gagnent les régions supérieures, et le retour ici-bas est une contrainte, une souffrance pour elles. « La méthode spirite, » dit une théosophe de marque, « offre le grand inconvénient d’être préjudiciable aux morts, dont elle entrave l’évolution. »
Nous avons vu, par de nombreux exemples et des preuves d’identité, que l’hypothèse des larves n’est nullement justifiée ; les faits démontrent, au contraire que nous avons affaire à des âmes d’hommes ayant vécu sur la terre. Ils ont un caractère essentiellement humain. L’action des manifestants est humaine ; ils se servent du langage, de l’écriture, du dessin humains. Leurs phénomènes intellectuels, sont empreints des idées, des sentiments, des émotions, en un mot de tout ce qui constitue la trame de notre propre existence. Leurs communications peuvent être de tous les degrés, depuis le trivial jusqu’au sublime, mais c’est encore ce qui caractérise le milieu humain. Les formes des fantômes matérialisés, les photographies sont celles d’êtres semblables à nous et jamais celles de démons, de larves ou d’élémentals. Ajoutez à cela tous les faits et détails d’ordre positif établissant que les manifestants ont vécu parmi les générations humaines, et vous arriverez à la certitude que le rôle attribué au démon et aux larves dans les phénomènes spirites n’est que le produit d’une imagination déréglée.
Quant à la deuxième objection, elle n’a pas plus de consistance. Comment pourrait-elle être coupable, cette communion du ciel avec la terre, d’où l’âme humaine sort éclairée, fortifiée, entraînée par tous les appels, par toutes les inspirations qui lui viennent d’en haut ? Les pratiques spirites ont consolé, relevé bien des êtres courbés sous l’épreuve de la séparation ; elles ont rendu la paix aux affligés, en leur prouvant que ceux qu’ils croyaient perdus sont seulement cachés pour un temps à leurs yeux. Et quelle influence morale sur toute notre vie dans cette pensée que des êtres chers, des êtres invisibles nous suivent et nous observent, qu’ils pèsent et jugent nos actions, que nos bien-aimés sont souvent près de nous, s’associant à nos efforts vers le bien, souriant à nos joies, à nos progrès, s’attristant de nos défaillances, nous soutenant aux heures difficiles ! Quel est celui qui, ayant perdu un être chéri, pourra rester indifférent à une telle pensée ?
Loin d’entraver l’évolution des âmes désincarnées, nous savons, au contraire, que nos appels la favorisent dans bien des cas. Il ne s’agit pas d’évocations impérieuses, comme on voudrait l’insinuer. Les Esprits sont libres et répondent si cela leur plaît. D’ailleurs, qu’est-ce que l’évocation, prise en elle-même ? C’est la faible parole humaine s’essayant à bégayer le sublime langage de la pensée ; c’est le balbutiement de l’âme qui entre dans la communion universelle et divine !
L’expérience le démontre chaque jour : grâce aux conseils des humains, bien des âmes obscures et arriérées ont pu se reconnaître et s’orienter dans leur vie nouvelle. La plupart des matérialistes traversent le phénomène de la mort sans s’en rendre compte. Ils croient vivre encore de la vie terrestre bien longtemps après leur décès. Les Esprits élevés sont sans action sur eux, par suite des différences de densité fluidique ; tandis que les appels, les avertissements, les explications qu’ils reçoivent dans les groupes spirites les arrachent à leur torpeur, à leur état d’inconscience et facilitent leur essor, au lieu de l’entraver. Pour nous, comme pour les défunts, la communion des deux humanités est salutaire, lorsqu’elle s’effectue dans des conditions sérieuses. C’est un enseignement mutuel donné par les Esprits avancés des deux milieux, travaillant à éclairer, à consoler, à moraliser les âmes souffrantes ou attardées des deux plans.
Les théories des théosophes et des occultistes, si justes en ce qui concerne la loi du Karma ou des réincarnations, sont complètement en défaut sur le point qui nous occupe. En détournant le chercheur de la méthode expérimentale pour le confiner dans le domaine de la métaphysique pure, elles supprimeraient la seule base positive de toute véritable philosophie.
C’est grâce aux preuves expérimentales que l’immortalité, jusqu’ici pur concept, vague espérance de l’esprit humain, devient une réalité vivante. Et, par elle, bien des âmes sceptiques et désenchantées se sentent revivre à la vue des destinées qui leur sont ouvertes. Au lieu de les déprécier, sachons donc rendre justice à ces pratiques spirites qui ont séché tant de larmes, apaisé tant de douleurs, répandu tant de rayons dans la nuit des intelligences.
Revenons à la théorie du démon et considérons une chose. Si l’esprit malin, comme le prétendent les théologiens, a la facilité de reproduire toutes les formes, toutes les figures, de révéler les choses cachées, de tenir les discours les plus sublimes ; s’il nous enseigne le bien, la charité, l’amour, on peut également lui attribuer les apparitions mentionnées dans les livres saints, croire que c’est lui qui parla à Moïse, aux autres prophètes et même à Jésus, et que toute l’action spirituelle occulte est son oeuvre.
Le diable, sachant et pouvant tout, jusqu’à faire l’esprit sage et vertueux, peut très bien avoir pris le rôle de guide religieux et, sous le couvert de l’Église, nous conduire à notre perte. En effet, l’histoire nous démontre, avec une logique irrésistible, que l’Église n’a pas toujours été l’inspirée de Dieu. Dans bien des circonstances, ses actes ont été en complète contradiction avec les attributs dont nous nous plaisons à revêtir la divinité. L’Église est un arbre gigantesque dont les fruits n’ont pas toujours été des meilleurs, et le diable, puisqu’il est si habile, a fort bien pu se loger sous son ombre.
Si nous devons admettre, avec les théologiens, que Dieu ait permis, en tous temps et en tous lieux, les plus odieuses supercheries, le monde nous apparaîtra comme une immense imposture, et nous n’aurons aucune garantie de n’être pas trompés, aussi bien par l’Église que par le spiritisme. L’Église le reconnaît, elle ne possède, en ce qui touche ce qu’elle appelle le « surnaturel diabolique ou divin », qu’un critérium de certitude purement moral . Dès lors, avec des bases d’appréciation aussi restreintes, étant donné le talent d’imitation qu’elle prête à l’ennemi du genre humain, quel crédit pouvons-nous lui accorder à elle-même en toutes matières ? C’est ainsi que l’argument du démon, comme une arme à deux tranchants, peut se retourner contre ceux qui l’ont forgé !
Nous pouvons nous demander s’il y aurait vraiment tant d’habileté de la part du diable à agir comme nos contradicteurs le prétendent. Dans les séances spirites, nous le verrions convaincre des matérialistes de la survivance de l’âme et de la responsabilité des actes, arracher des sceptiques au doute, à la négation et à toutes leurs conséquences, dire parfois à des jouisseurs de dures vérités, les contraindre à faire un retour sur eux-mêmes et à s’orienter vers le bien. Où donc serait, pour Satan, l’avantage en tout ceci ? Est-ce que le rôle de l’esprit des ténèbres ne serait pas, au contraire, d’encourager dans leurs vues les matérialistes, les athées, les sceptiques et les sensuels ?
Il est vraiment puéril d’attribuer au démon l’enseignement moral que les Esprits élevés nous prodiguent. Croire que Satan s’ingénie à détourner les hommes du mal, alors qu’en les laissant glisser sur la pente de leurs passions, ils deviendraient fatalement sa proie ; croire qu’il peut apprendre à aimer, à prier, à servir Dieu, jusqu’au point de leur dicter des prières, c’est lui attribuer un rôle ridicule et par trop maladroit.
Si le diable est habile, peut-on lui prêter les réponses naïves, grossières, inintelligentes, obtenues dans les milieux où l’on expérimente à tort et à travers ? Et les manifestations obscènes ! ne sont-elles pas faites plutôt pour nous détourner du spiritisme que pour nous attirer à lui ? Tandis qu’en admettant l’intervention d’Esprits de tous ordres, depuis le plus bas jusqu’au plus haut, tout s’explique rationnellement. Les Esprits malfaisants ne sont pas de nature diabolique, mais de nature simplement humaine.
N’y a-t-il pas sur terre des âmes perverses, incarnées parmi nous, qu’on pourrait considérer comme des démons ? Lorsqu’elles retournent dans l’espace, ces âmes y continuent le même rôle, jusqu’à ce qu’elles soient régénérées par les épreuves, domptées par la souffrance. C’est aux investigateurs sages à se mettre en garde contre ces êtres funestes et à réagir contre leur influence.
Dans la plupart des cercles d’expérimentation, au lieu de procéder avec prudence et respect, on se désintéresse des conseils de ceux qui nous ont précédés dans la voie des recherches. Par des exigences intempestives et des manières inconvenantes, on écarte les influences harmoniques, on attire à soi des individualités perverses et des Esprits arriérés. De là, tant de déceptions, d’incohérences, d’obsessions, qui ont pu faire croire à l’existence des démons et jeté sur certain spiritisme de bas étage le ridicule et le discrédit.
En résumé, la théorie du démon n’est ni positive, ni scientifique. C’est un argument commode, se prêtant à toutes les explications, permettant de rejeter toutes les preuves, tous les cas d’identité, de faire table rase des témoignages les plus autorisés, mais peu concluant et absolument en contradiction avec la nature des faits.
La croyance au démon et à l’enfer a été combattue par des raisons tellement péremptoires qu’on peut s’étonner de voir des intelligences éclairées s’y rallier encore aujourd’hui. Comment ne comprend-on pas qu’en opposant sans cesse Satan à Dieu, en lui attribuant sur le monde et sur les âmes un pouvoir qui grandit tous les jours, on diminue d’autant l’empire de Dieu, on amoindrit sa puissance, on ruine son autorité ; on met en doute la sagesse, la bonté, la prévoyance du Créateur ?
Dieu étant juste et bon, comme le déclare l’enseignement catholique, n’a pu créer un être doué de toute la science du mal, de tout l’art de la séduction et lui donner un pouvoir absolu sur l’homme faible et désarmé.
Ou Satan est éternel, ou il ne l’est pas. S’il l’est, Dieu n’est plus unique ; il y a deux dieux, celui du bien et celui du mal. Ou bien Satan est une créature de Dieu ; et dès lors Dieu devient responsable de tout le mal causé par lui ; car, en le créant, il a su, il a vu toutes les conséquences de son oeuvre. Et l’enfer, peuplé de l’immense majorité des âmes, vouées par leur faiblesse originelle au péché et à la damnation, est l’œuvre de Dieu, voulue et prévue par lui !
Telles sont les conséquences de la théorie de Satan et de l’enfer. Peut-on s’étonner qu’elle ait fait tant de matérialistes et d’athées ? Et c’est au nom du Christ, de son enseignement d’amour, de charité, de pardon, que, l’on préconise ces doctrines !
N’est-elle pas plus conforme au véritable esprit des Écritures, cette révélation spirite qui nous montre, après le rachat et la réparation de leurs fautes, en des vies d’épreuves, les âmes poursuivant leur ascension vers la lumière ? Ainsi l’a dit l’apôtre : « Dieu ne veut qu’aucun homme périsse, mais que tous viennent à la pénitence » .
Ce que l’on nomme démons, nous l’avons vu, ce sont simplement les Esprits inférieurs, encore enclins au mal, mais soumis, comme toutes les âmes, à la loi du progrès. Il n’y a pas plusieurs catégories d’âmes, destinées, les unes au bonheur, les autres au malheur éternel. Toutes s’élèvent par le travail, l’étude, la souffrance. L’unité parfaite et l’harmonie règnent dans l’Univers.
Cessons donc de profaner l’idée de Dieu par des conceptions indignes de la grandeur et de la bonté infinies ; sachons la dépouiller des misérables passions terrestres qu’on lui attribue. La religion y gagnera en prestige. En la mettant en harmonie avec les progrès de l’esprit humain, on la rendra plus vivante.
Agiter le spectre de Satan, toute la fantasmagorie de l’enfer, à une époque où l’humanité ne croit plus aux mythes dont on a bercé son enfance, c’est commettre un anachronisme, c’est s’exposer à faire rire de soi. Satan n’effraie plus personne. Et ceux qui en parlent le plus sont peut-être ceux qui y croient le moins . On peut déplorer l’écroulement d’une chimère productive, dont on a longtemps abusé, et dire à tous les échos sa peine. Devant ces récriminations dignes d’un autre âge, le penseur désintéressé, sourit et passe.
Nous ne croyons plus à un Dieu de colère et de vengeance, mais à un Dieu de justice et d’infinie miséricorde. Le Jéhovah sanglant et terrible a vécu. L’enfer impitoyable est fermé à jamais. Du ciel descend sur la terre, avec la révélation nouvelle, la consolation pour toutes les douleurs, le pardon pour toutes les faiblesses, le rachat pour tous les crimes, par l’expiation et le repentir.
XXIV. ABUS DE LA MEDIUMNITE.
Au premier rang des abus que nous devons signaler, il faut placer les fraudes, les supercheries. Les fraudes sont, ou conscientes et voulues, ou bien inconscientes ; dans ce dernier cas, elles sont provoquées, soit par l’action d’Esprits malfaisants, soit par des suggestions exercées sur le médium par les expérimentateurs et les assistants.
Les fraudes conscientes proviennent, tantôt de faux médiums, tantôt de médiums véritables, mais déloyaux, qui ont fait de leur faculté une source de profits matériels. Méconnaissant la noblesse et l’importance de leur mission, d’une qualité précieuse, ils font un moyen d’exploitation et ne craignent pas, lorsque le phénomène se dérobe, de le simuler par des artifices.
Les faux médiums se rencontrent un peu partout. Les uns ne sont que de mauvais plaisants qui s’amusent aux dépens du vulgaire et se trahissent eux-mêmes, tôt ou tard.
Il en est d’autres, industriels habiles, pour qui le spiritisme n’est qu’une marchandise ; ils s’ingénient à imiter les manifestations en vue du gain à réaliser. Plusieurs ont été démasqués en pleine séance ; quelques-uns ont été la cause de procès retentissants. Dans cet ordre de faits, on a vu se produire les plus audacieuses fourberies . Certains hommes, se jouant de la bonne foi de ceux qui les consultent, n’ont pas hésité à profaner les sentiments les plus sacrés et à jeter la suspicion sur une science et des doctrines qui peuvent être un moyen de régénération. Le sentiment de leur responsabilité leur échappe le plus souvent, mais la vie d’outre-tombe leur réserve des surprises désagréables.
Le mal que ces fourbes ont fait à la vérité est incalculable. Leurs manœuvres ont détourné bien des penseurs de l’étude sérieuse du spiritisme. Aussi est-il du devoir de tout honnête homme de les démasquer, de les flétrir. Le mépris dans ce monde, le remords et la honte dans l’autre, voilà ce qui les attend. Car tout se paie, nous le savons ; le mal retombe toujours sur celui qui l’a causé.
Il n’est rien de plus vil, de plus méprisable, que de battre monnaie avec la douleur des autres, de contrefaire pour de l’argent les amis, les êtres chers que nous pleurons, de faire de la mort elle-même une spéculation éhontée, un objet de falsification !
Le spiritisme ne saurait être rendu responsable de tels agissements. L’abus ou l’imitation d’une chose ne peut rien faire préjuger contre la chose elle-même. Ne voyons-nous pas les phénomènes de la physique imités fréquemment par les faiseurs de tours et cela démontre-t-il quoi que ce soit contre la science véritable ? Le chercheur intelligent doit se tenir sur ses gardes et faire un usage constant de sa raison. S’il est quelques officines où, sous prétexte de manifestations, on se livre à un trafic odieux, il est de nombreux cercles composés de personnes dont le caractère, la position, l’honorabilité sont autant de garanties de sincérité et où aucun soupçon de charlatanisme ne saurait pénétrer.
Il est arrivé, disons-nous, que certains médiums, doués de facultés remarquables, n’ont pas craint de mêler, dans leurs séances, les supercheries aux faits réels, dans le but d’accroître leurs profits ou leur renom.
On se demandera peut-être comment les habitants de l’Au-delà consentent à prêter leur concours à des êtres aussi indignes. La réponse est facile. Ces Esprits, dans leur ardent désir de se manifester à ceux qu’ils ont aimés sur la terre, trouvant en ces médiums les éléments nécessaires pour se matérialiser, apparaître et démontrer ainsi leur survivance, n’hésitent pas à utiliser les moyens qui s’offrent à eux, malgré l’indignité des sujets.
C’est ce qui eut lieu, en 1906, 1907, 1908, au cours de séances données à Paris par un médium étranger, et dont j’ai déjà parlé dans la préface de cet ouvrage.
Le 18 juin 1908, chez M. David, boulevard des Batignolles, le médium étant assis en dehors du cabinet de matérialisations, en demi-lumière, dans le cercle des assistants, on vit se former un bras, qui semblait sortir d’un angle de la salle. Il décrivit un mouvement circulaire et vint me toucher la tête, ainsi qu’au révérend Benezech, pasteur protestant, assis près de moi. Un fantôme vaporeux sortit du parquet, se dressa sous les regards de tous ; une voix en sortit, qui fit entendre un nom bien connu. Puis il s’affaissa et s’évanouit graduellement dans le parquet. Le médium, très éveillé, signalait lui-même ces phénomènes, au moment où ils se produisaient sur des points de la salle qu’il n’aurait pu atteindre.
A la séance du 12 juillet, chez Mme Cornély, j’étais placé à l’entrée du cabinet, devant l’ouverture des rideaux. Un Esprit de taille enfantine, négligeant cette ouverture, traversa l’étoffe, à ma gauche, près de M. Debrus, assis derrière moi, et prononça ces mots : Marie, R..o..s..e, puis : papa, maman ! Il toucha M. Debrus, et l’on vit son joli bras rond s’allonger au-dessus de sa tête et de la mienne. M. et Mme Debrus sont convaincus d’avoir vu là une apparition de leur propre fille, décédée à Valence, le 4 novembre 1902, et dont j’ai parlé dans le Problème de la Destinée. Dans ce cas, la simulation nous parut impossible, le médium n’ayant jamais connu la jeune fille.
L’authenticité de ces phénomènes est incontestable, car ils avaient lieu en d’excellentes conditions de contrôle. Il n’en fut pas de même par la suite. Dès que le médium s’était retiré sous les tentures et que l’obscurité était faite, des bruits significatifs se faisaient entendre. Au cours des onze séances auxquelles j’assistai, j’acquis la certitude que le médium se déshabillait, ôtait ses chaussures, puis se grimait pour simuler les apparitions.
A l’une des séances tenues chez Mme Noeggerath, rue Milton, deux dames placées favorablement pour bien observer, alors que j’étais assis plus loin, virent distinctement le médium dévêtu, accroupi, puis allongé sur le parquet, se relevant peu à peu pour soulever le tulle flottant qui lui servait à imiter les fantômes. Ces dames, dont l’une était Mlle Noeggerath, me firent part séparément de leurs impressions, qui concordaient, avant de s’être entretenues du fait observé.
Le 9 septembre, M. Drubay, spirite intègre et convaincu, trouva chez lui, au lendemain d’une séance, en défaisant le cabinet de matérialisations, un lambeau de tulle de soie, d’une grande finesse, qui semblait détaché ou arraché d’un morceau plus grand. Quelques jours après, au local de la Société des Études psychiques, rue du Faubourg Saint-Martin, dans les mêmes conditions, il ramassait un chiffon noir, assez long, fortement imprégné d’une odeur de santal et de rose combinée, que l’on respire à certains moments des séances et que le médium prétendait provenir des Esprits. En résumé, plus de vingt témoins constatèrent les fraudes, au cours de séances ultérieures . L’engagement formel qu’ils avaient pris d’observer le règlement, les empêcha seul de démasquer le coupable.
Les Annales des Sciences psychiques ayant dénoncé ces agissements, je crus devoir élever la voix à mon tour pour dégager nos responsabilités et celle d’une cause compromise par ces divulgations . Par là, le public put voir que les spirites ne se laissent pas duper et qu’ils savent discerner le vrai du faux. En effet, signaler les fraudes partout où elles se produisent est le plus sûr moyen de les décourager.
En procédant comme je l’ai fait, j’ai accompli une besogne désagréable, mais nécessaire, et les honnêtes gens m’ont approuvé. Si, d’une part, j’ai été l’objet de critiques malveillantes, de l’autre, j’ai reçu de hautes et chaleureuses approbations. Un éminent psychiste, qui occupe une situation élevée dans la magistrature, m’écrivait à ce sujet :
Paris, 8 avril 1910. - J’ai admiré votre courage dans l’affaire M.... parce que je devinais combien vous avez dû souffrir d’être obligé de protester. Vous avez bien fait et vous vous êtes montré encore une fois l’homme honnête et sincère que vous êtes. Je sais que certains groupes vous en ont un peu voulu, mais vous avez accompli un devoir en chassant les « marchands du temple ». Ce qui jette de la défaveur sur le mouvement dont vous êtes un des chefs les plus respectés, c’est justement l’aveuglement de certains groupes, qui favorisent, par leur indifférence à la sincérité des phénomènes, et les fraudeurs et ceux qui se réjouissent de ces fraudes.
En ce qui me concerne, je suis avec vous. La fraude de M... m’a été démontrée dès les premières séances et j’ai compris facilement ses procédés, qui sont grossiers. Je n’en ai rien dit publiquement, par égard pour les personnes dont j’étais l’hôte. M... m’avait d’ailleurs promis des séances sérieuses ; il n’a pas tenu ses promesses.
Ces faits eurent un épilogue. Les spirites réunis à Bruxelles, en congrès international, en mai 1910, ont émis le vœu suivant :
Le Congrès spirite de Bruxelles, ému des fraudes nombreuses et répétées qui se produisent dans les séances obscures données par des médiums professionnels, ému du préjudice moral qu’elles causent à notre doctrine,
Invite les groupes d’études et les expérimentateurs qui recherchent les faits physiques, les apports et les phénomènes de matérialisation, à n’utiliser les séances obscures ou en demi-lumière que dans des conditions de rigoureux contrôle.
Il recommande notamment de faire tenir les mains et les pieds du médium par deux assistants éprouvés, pendant toute la durée de la séance, ou bien d’isoler le médium à l’aide d’un filet tendu ne présentant aucune solution de continuité ; ou encore de le placer dans une cage soigneusement close et dont la clé restera en possession d’une personne sûre.
Les séances en demi-lumière sont de beaucoup préférables, car les phénomènes sont contrôlés par tous les assistants. Un médium bien doué doit s’en contenter. Il devient suspect quand il exige l’obscurité, quoique celle-ci augmente la force psychique, car on peut craindre qu’il n’en profite pour frauder, ce qui a eu lieu dans certains cas. On doit se contenter de résultats moindres, mais plus sûrs.
Le Congrès adresse, en outre, un pressant appel aux médiums honnêtes et désintéressés. Il leur demande de redoubler de zèle pour le service d’une vérité sacrée, vérité compromise par des simulateurs éhontés. Il leur rappelle que, si la fourberie entraîne une juste et sévère réprobation, par contre le dévouement et la sincérité leur mériteront l’estime et la reconnaissance de tous et l’assistance des hautes Intelligences invisibles, qui veillent au progrès de nos croyances dans le monde.
Il est des fraudes inconscientes, avons-nous dit, qui s’expliquent par la suggestion. Les médiums sont très sensibles à l’action suggestive, soit des vivants, soit des défunts . L’état d’esprit des personnes participant aux expériences réagit sur eux et exerce une influence dont ils n’ont pas conscience, mais qui, parfois, est considérable.
Des médiums parfaitement honnêtes et désintéressés avouent être poussés à tricher, dans certains milieux par une force occulte. La plupart résistent et préféreraient renoncer à l’exercice de leur faculté plutôt que de glisser sur cette pente. Quelques-uns se laissent aller à ces influences. Et il suffira d’un instant de faiblesse pour jeter le doute sur toutes les expériences auxquelles ils auront participé.
Certaines fraudes, constatées chez divers médiums, peuvent être attribuées à des suggestions extérieures, soit humaines, soit spirites. Parfois, les deux influences se combinent et s’ajoutent l’une à l’autre. Les sceptiques malintentionnés sont aidés par des auxiliaires de l’Au-delà. Dès lors, la puissance suggestive sera d’autant plus irrésistible que le médium sera plus impressionnable, plus profondément endormi, insuffisamment protégé. On voit quels dangers celui-ci peut courir ; dans certaines séances mal composées, mal dirigées, il peut devenir la victime des forces extérieures combinées. Ce n’était pas le cas pour le médium M., dont nous venons de parler et qui apportait sur lui le tulle et les autres objets nécessaires aux simulations. Chez lui, la préméditation était évidente. Les supercheries étaient calculées, préparées à l’avance.
Il arrive que le médium, surtout le médium écrivain, se suggestionne lui-même et, d’un mouvement automatique, trace des communications, qu’il attribue abusivement à des Esprits désincarnés. Cette autosuggestion est comme un appel du moi normal au moi subconscient, qui n’est pas un être distinct, comme nous l’avons vu précédemment, mais une forme plus étendue de la personnalité. Dans ce cas, de la meilleure foi du monde, le médium répond à ses propres questions ; il extériorise ses pensées cachées, ses propres raisonnements, les produits d’une vie psychique plus profonde et plus intense. Allan Kardec, Davis, Hudson Tuttle, Aksakof, etc., ont parlé, dans leurs oeuvres, de cette catégorie de médiums, que M. G. Delanne appelle des automatistes :
« L’automatisme de l’écriture, » dit-il , « l’oubli immédiat des idées énoncées, qui donne à l’écrivain l’illusion d’être sous l’influence d’une volonté étrangère, la personnification des idées, les notions qui gisent dans la mémoire latente, les impressions sensorielles inconscientes, tous ces faits se comprennent et s’expliquent par des raisons tirées de l’étude plus complète de l’intelligence humaine et ne supposent aucunement la nécessité de l’intervention des Esprits. »
La crédulité sans bornes, l’oubli de tout principe élémentaire de contrôle, qui règnent dans certains milieux, favorisent et entretiennent ces abus. Il existe, en différents pays, des groupes de spirites bénévoles, où de pseudo-médiums automates écrivent de vastes élucubrations, sous l’inspiration de saint Antoine de Padoue, de saint Joseph, de la Vierge. Ou bien ils incarneront Socrate et Mahomet, et ceux-ci, dans un langage vulgaire, viendront débiter mille absurdités à des auditoires émerveillés, leur défendant de lire et de s’instruire, afin de les soustraire à toute influence éclairée, à tout contrôle sérieux.
Dans ces milieux, les mystifications ne se comptent plus. J’ai connu un brave jardinier qui, sur les conseils d’un Esprit, allait creuser, à minuit, dans un endroit désert, un trou énorme, à la recherche d’un trésor imaginaire. Une dame de 55 ans, très dévote, épouse d’un officier retraité, poussait la naïveté jusqu’à préparer la layette d’un enfant qu’elle devait mettre au monde et qui serait la réincarnation du Christ, disaient ses instructeurs invisibles. Les uns voient partout l’intervention des Esprits, jusque dans les faits les plus matériels. D’autres consultent les Invisibles sur les moindres détails de leur existence, sur leurs entreprises commerciales et leurs opérations de Bourse.
On attribue généralement ces aberrations à des Esprits trompeurs. Certes, les mystifications d’outre-tombe sont fréquentes. Elles s’expliquent aisément par le fait que l’on demande trop souvent aux Esprits des choses qu’ils ne peuvent ou ne veulent pas dire. On fait du spiritisme un moyen de divination et l’on attire à soi les Esprits légers. Mais, souvent, la suggestion mentale a une grande part dans ces erreurs.
C’est pourquoi, dans ce domaine difficile et parfois obscur de l’expérimentation, il importe d’examiner, d’analyser les choses avec un jugement froid, une grande circonspection, et d’admettre seulement ce qui se présente avec un caractère d’authenticité bien tranché. Notre connaissance des conditions de la vie future et le spiritisme tout entier reposent sur les phénomènes médianimiques. Il convient d’étudier sérieusement ceux-ci et d’éliminer avec rigueur tout ce qui ne porte pas la marque d’une origine extra-humaine. Il ne faut pas, sous prétexte de progrès, remplacer l’incrédulité systématique par une confiance aveugle, par une crédulité ridicule, mais faire avec soin la part du factice et du réel. L’avenir du spiritisme en dépend.
Abordons maintenant une question extrêmement délicate ; celle de la médiumnité professionnelle. La médiumnité peut-elle être rétribuée ? ou doit-elle être, exercée avec un désintéressement absolu ?
Remarquons d’abord que la faculté médianimique est, de sa nature, une chose variable, mobile, intermittente. Les Esprits n’étant aux ordres ni au caprice de personne, on n’est jamais assuré, au préalable, du résultat des séances. Le médium peut être indisposé, mal entraîné ; l’assistance, mal composée au point de vue psychique. D’autre part, la protection des Esprits élevés ne s’allie guère avec une mise à prix du spiritisme. Aussi le médium professionnel, celui qui s’est habitué à vivre du produit de sa faculté, s’expose-t-il à bien des mécomptes. Comment fera-t-il argent d’une chose dont la production n’est jamais certaine ? Comment satisfera-t-il les curieux, lorsque les Esprits ne répondront pas à son appel ? Ne sera-t-il pas tenté quelque jour, quand les assistants seront nombreux et la perspective du gain alléchante, de provoquer frauduleusement les phénomènes ? Dès qu’on a glissé sur cette pente, il est difficile de la remonter. On arrive à user habituellement de supercherie et l’on tombe peu à peu dans le charlatanisme le plus éhonté.
Les délégués américains au Congrès spirite de 1900, à Paris, Mme Addi-Balou, entre autres, ont déclaré que la médiumnité professionnelle et les fraudes qu’elle entraîne, ont été depuis quelques années une cause de recul et de discrédit pour le spiritisme aux Etats-Unis.
La meilleure garantie de sincérité que peut offrir un médium, c’est le désintéressement. C’est aussi le plus sûr moyen d’obtenir l’appui d’en haut.
Pour conserver son prestige moral, pour produire des fruits de vérité, la médiumnité doit être pratiquée avec élévation et détachement ; sans quoi, elle devient une source d’abus, l’instrument de contradiction et de trouble dont se serviront les Entités malfaisantes. Le médium vénal est comme le mauvais prêtre qui introduit dans le sanctuaire ses passions égoïstes et ses intérêts matériels. La comparaison n’est pas déplacée, car la médiumnité, elle aussi, est une sorte de sacerdoce. Tout être humain marqué de ce signe doit se préparer au sacrifice de son repos, de ses intérêts et même de son bonheur terrestre ; mais, en agissant ainsi, il obtiendra la satisfaction de sa conscience et se rapprochera de ses guides spirituels.
Faire commerce de médiumnité, c’est disposer de ressources dont on n’est pas maître ; c’est abuser du bon vouloir des morts, les asservir à une œuvre indigne d’eux ; c’est détourner le spiritisme de son but providentiel. Il est préférable, pour le médium, de chercher ailleurs des moyens d’existence, et de ne consacrer aux séances que le temps dont il pourra disposer. Il y gagnera en estime et en considération.
Toutefois, il faut reconnaître que des médiums publics et rétribués ont rendu de réels services. Les personnes peu fortunées ne peuvent pas toujours répondre aux appels des savants, se déplacer, entreprendre des voyages, comme l’exige l’intérêt de la cause qu’ils servent.
Voici ce que dit Stainton Moses, qui fut un expérimentateur consciencieux et un bon juge en la matière :
« Parmi les médiums publics, certains ne voient que les bénéfices à réaliser et ne reculent pas toujours devant les fraudes pour arriver à leur but. Cependant, il en est beaucoup dont on ne peut dire que du bien et qui sont fort utiles. Neuf fois sur dix, ceux qui viennent à eux en si grand nombre, incapables de comprendre et de suivre une expérience scientifique, demandent seulement que pour leurs dix francs on leur fasse la preuve de l’immortalité. La foule épuise vite les facultés du médium, qui, pour ne pas rester court, cède à la tentation de recourir à la fraude. Malgré ces détestables conditions, j’ai été souvent étonné des résultats obtenus et des preuves éclatantes qui ont été fournies. »
Que déduire de tout ceci ? C’est qu’il est une juste mesure que le médium, doué de conscience, éclairé sur la valeur de sa mission, peut facilement observer. Si, dans certains cas, il est contraint d’accepter un dédommagement pour le temps perdu et les déplacements effectués, que ce soit de façon à ne pas compromettre sa dignité en ce monde et sa situation dans l’autre. L’usage de la médiumnité doit rester un acte grave et religieux, dégagé de tout caractère mercantile, de tout ce qui peut l’amoindrir ou l’abaisser.
XXV. LE MARTYROLOGE DES MEDIUMS.
Parfois, avons-nous dit, le médium est une victime, et, presque toujours, cette victime est une femme. Le moyen âge en avait fait une sorcière et la brûlait. La science actuelle, moins barbare, se contente de la flétrir du nom d’hystérique ou de charlatan.
A l’origine du spiritualisme moderne, deux jeunes filles, Catherine et Marguerite Fox, sont les premières à percevoir les manifestations, à recueillir le message d’immortalité. Leur témoignage fut le signal d’une persécution violente. Des scènes sauvages se produisent, des tempêtes de menaces et d’injures éclatent autour de la famille Fox, ce qui ne l’empêchera pas de poursuivre sa mission et d’affronter les milieux les plus hostiles.
Lorsqu’il faut de grands dévouements pour ramener l’humanité dans ses voies, c’est souvent chez la femme qu’on les rencontre. Ce que nous disons des sœurs Fox, on pourrait le dire des plus grands médiums. Jeanne d’Arc fut brûlée vive pour n’avoir pas voulu renier ses apparitions et ses voix. Avec elle, le martyrologe de la femme médium n’a pas pris fin. Pour quelques-unes qui se sont laissés séduire par des avantages matériels et ont usé de supercherie, d’autres ont sacrifié leur santé et compromis leur existence pour la cause de la vérité !
Si la médiumnité psychique est sans dangers, comme nous le verrons plus loin, lorsqu’elle sert à des Esprits avancés, il n’en est pas de même des manifestations physiques, et surtout des matérialisations, qui amènent à la longue, chez le sensitif, une grande déperdition de force et de vie. Les sœurs Fox furent épuisées par les expériences et s’éteignirent dans la misère. La Revue spirite, d’avril 1902, annonce que les derniers membres de la famille Fox sont morts en janvier, de froid, et de privations. Mme Hauffe, la célèbre voyante de Prévorst, fut traitée, avec la dernière rigueur par ses propres parents et mourut, à 28 ans, à la suite de tribulations sans nombre. Mme d’Espérance perdit sa santé. Après Home, Slade, Eglinton, la Paladino fut accusée de fraudes volontaires.
On a fait subir à certains médiums toutes les tortures morales imaginables, et cela sans examen préalable, sans enquête sérieuse. Par exemple, Home fut l’objet des accusations les plus perfides. Mais William Crookes lui rendit justice en disant :
« Je n’ai jamais constaté le plus petit cas qui pût me faire supposer qu’il trompât. Il était très scrupuleux et ne trouvait pas mauvais qu’on prît des précautions contre la fraude. Souvent même, avant une séance, il me disait : « Agissez comme si j’étais un prestidigitateur et prêt à vous tromper ; prenez toutes les précautions que vous pourrez imaginer contre moi, et ne vous occupez pas de mon amour-propre. » Plus ces précautions seront sévères et plus la réalité des phénomènes deviendra évidente. Malgré tout, ceux qui ne connaissaient pas la profonde honnêteté de Home l’appelaient un charlatan, et ceux qui croyaient en lui étaient considérés comme des fous et disqualifiés. »
Plus récemment, nous avons vu un médium allemand poursuivi avec un acharnement brutal et, malgré de puissants témoignages, sacrifié aux exigences de l’esprit de caste le plus étroit. On voulait, disait-on en haut lieu, « mettre un frein à toutes les manifestations d’un spiritualisme affranchi des dogmes officiels ».
Anna Rothe fut arrêtée et mise en prison. La détention dura huit mois. Pendant ce temps, son mari et sa fille moururent, sans qu’elle pût assister à leurs derniers moments. Il lui fut seulement permis de s’agenouiller sur leur fosse entre deux gendarmes ; enfin, l’instruction est terminée, le procès s’ouvre . Les témoignages favorables affluent ; le professeur Koessinger, le philologue Herman Eischacker, le docteur Langsdorff ont vu les faits et n’ont pu relever aucune supercherie. M. George Sulzer, président de la cour de cassation de Zürich, atteste sa foi en l’innocence de Mme Rothe. Le premier magistrat du canton de Zürich, dans l’ordre judiciaire, ne craint pas de livrer à la publicité ses croyances intimes pour en faire bénéficier l’accusée. D’autres magistrats affirment l’authenticité des apports de fleurs qu’elle obtenait en pleine lumière. Ces témoins voyaient des fleurs ou des fruits dématérialisés se reconstituer en leur présence, se condenser en matière palpable, comme un nuage de vapeur qui se transforme peu à peu et se solidifie, à l’état de glace. Ces objets se déplaçaient horizontalement ou descendaient lentement du plafond.
Le directeur de la prison où elle a passé son temps de prévention, déclare que l’enseignement moral donné à ses détenues n’a jamais approché, comme effet, de l’impression produite par les émouvants discours, de l’ordre le plus édifiant, que tenait le médium en trance à ses sœurs égarées. Anna Rothe n’est cependant qu’une simple femme du peuple sans instruction, sans culture d’esprit.
Après des débats passionnés qui durèrent six jours, le « médium aux fleurs » fut condamné à 18 mois de prison. On se trompe en croyant détruire le spiritisme par ces procédés. Au contraire, à l’attrait qu’il inspire, on ajoute le prestige de la persécution.
Le 9 octobre 1861, l’évêque de Barcelone brûlait sur l’esplanade publique, au lieu où sont exécutés les criminels, trois cents volumes et brochures spirites, croyant ainsi stigmatiser et anéantir la doctrine nouvelle. Cet autodafé a provoqué un véritable soulèvement d’opinion. Aujourd’hui, les spirites se comptent par milliers dans la capitale de la Catalogne. Ils ont des revues, des bibliothèques, des cercles d’étude et d’expérimentation. Le mouvement spirite prend chaque jour plus d’importance et d’étendue dans ce pays.
La plupart des savants, médecins et psychologues, considèrent les médiums comme des hystériques, des détraqués, des malades, et ne se font pas faute de le proclamer. Ils ont l’habitude d’expérimenter à l’aide de sujets tirés des hôpitaux ou des asiles d’aliénés, tout au moins à l’aide de neurasthéniques, et, des observations faites dans ces conditions défectueuses, ils ont le tort de tirer des déductions d’ordre général.
Certains hommes de lettres ne sont pas plus tendres. M. Jules Bois décore sans hésitation tous les médiums des épithètes de « charlatans, prestidigitateurs, dupeurs, détraqués, hystériques, etc . » Peut-on s’étonner après cela que ceux-ci se tiennent sur la réserve ou se prêtent de mauvaise grâce à des expériences dirigées par des critiques aussi prévenus, par des juges si peu aimables ? La présence de ces sceptiques aux effluves glacés est une cause de malaise et de souffrance pour le médium. Aux savants, en général, manque la bonté ; aux spirites, aux médiums, le plus souvent, manque la science. Où se trouvera le trait d’union, le point de rapprochement ? Dans l’étude sincère, impartiale, désintéressée !
La science médicale est loin d’être infaillible dans ses jugements ; des diagnostics aussi célèbres qu’erronés l’ont prouvé dans tous les temps. Des témoignages formels démontrent qu’elle s’est trompée, une fois de plus, en considérant la médiumnité comme une tare.
F. Myers le déclare en ce qui concerne Mrs. Thompson : « L’impression est que ses trances sont aussi naturelles que le sommeil ordinaire. Mrs. Thompson croit que ces trances ont contribué sérieusement à affermir sa santé. »
M. Flournoy, peu suspect de partialité envers les médiums, a constaté le même fait à propos d’Hélène Smith. Sa santé n’est nullement altérée par l’usage des facultés psychiques ; elle y trouve, au contraire, un adjuvant puissant pour l’accomplissement de sa tâche quotidienne . Les mêmes remarques ont été faites au sujet de Mrs. Piper .
M. J. W. Colville, médium anglais très connu, l’atteste à son tour :
« Il est de mon devoir », dit-il, « après 25 ans de missions publiques, d’apporter sans aucune réticence mon témoignage à l’égard des effets bienfaisants que la médiumnité, telle que je l’ai pratiquée, a eus pour moi sous tous les rapports. J’ai énormément gagné mentalement et physiquement par l’usage de cette faculté et par ces expériences, qui, lorsqu’elles ne sont pas suffisamment étudiées, semblent parfois dangereuses. Les directions que je recevais de mes auxiliaires invisibles étaient bonnes, élevées et dignes de confiance dans leurs moindres détails. »
Moi-même, j’ai connu un grand nombre de médiums sur tous les points de la France, en Belgique, en Suisse, et j’ai pu constater qu’ils jouissaient, en général, d’une bonne santé. La médiumnité à effets physiques, celle qui se prête aux matérialisations d’Esprits et aux apports, seule, entraîne une grande déperdition de force. Ces pertes peuvent être compensées par les secours des Esprits protecteurs. Mais parfois, comme nous l’avons vu, à propos des sœurs Fox, de Slade, d’Eglinton, etc., les exigences du public et des savants sont telles que le médium s’épuise vite ; l’abus des expériences altère sa santé et compromet sa vie.
Le médium est un instrument sensible et délicat, dont on croit pouvoir se servir comme d’un mécanisme. On userait volontiers de lui comme l’enfant de ses jouets, qu’il brise pour voir ce qui y est caché. On ne tient pas assez compte du travail de développement nécessité par les facultés naissantes. On exige tout de suite des faits concluants et des preuves d’identité. Le médium, impressionné par les pensées ambiantes, souffre ; après avoir été torturé moralement pendant un certain nombre de séances, il se dégoûte d’une faculté qui l’expose à tant de déboires et finit par se dérober.
Les médiums auront encore longtemps à souffrir pour la vérité. Les adversaires du spiritisme continueront à les dénigrer, à les accuser ; ils chercheront à les faire passer pour des déséquilibrés, des malades, et, par tous les moyens, à les détourner de leur mission. Sachant que le médium est la condition sine qua non du phénomène, ils espèrent ainsi ruiner le spiritisme dans ses fondements. Au besoin, ils feront surgir des médiums fictifs et exploiteurs. Il importe de déjouer cette tactique et, pour cela, d’encourager et de soutenir les bons médiums, tout en entourant du contrôle nécessaire l’exercice de leurs facultés. Leur tâche est belle, quoique parfois douloureuse. Combien d’efforts, combien d’années d’attente, d’épreuves, de prière pour arriver à recevoir et à transmettre le rayon d’en haut ! Ils n’en sont souvent récompensés que par l’injustice. Mais, ouvriers du plan divin, ils auront creusé le sillon et déposé la semence, d’où lèvera la moisson de l’avenir.
Chers médiums, chassez tout découragement, évitez toute défaillance. Élevez vos regards au-dessus de ce monde passager ; appelez à vous les secours divins. Étouffez le moi ; affranchissez-vous de cette affection trop vive que nous avons pour nous-mêmes. Vivre pour les autres, tout est là ! Ayez l’esprit de sacrifice. Restez pauvres, plutôt que de vous enrichir par la fraude et la trahison. Restez obscurs, plutôt que de trafiquer de vos pouvoirs. Sachez souffrir, en vue du bien de tous et de votre propre progrès. La pauvreté, l’obscurité, la souffrance ont leur beauté, leur charme, leur grandeur ; c’est par elles que se forment lentement, à travers les générations silencieuses, des trésors de patience, de force, de vertu. C’est par elles que l’âme se détache des vanités matérielles, s’épure et se sanctifie, devient vaillante à gravir les âpres sommets.
Dans le domaine de l’esprit, comme dans le monde physique, rien n’est perdu, tout se transforme. Toute douleur, tout sacrifice est un enfantement. La souffrance, c’est l’ouvrière mystérieuse qui travaille dans les profondeurs de notre âme, et elle travaille à notre élévation. En prêtant l’oreille, vous entendriez presque le bruit de son oeuvre. Souvenez-vous d’une chose : c’est sur le champ de la douleur que se construit l’édifice de nos puissances, de nos vertus, de nos joies à venir !
XXVI. LA MEDIUMNITE GLORIEUSE.
Les médiums de notre temps sont souvent méconnus, dédaignés, persécutés. Mais si, d’un regard, vous embrassez la vaste perspective de l’histoire, la médiumnité, sous ses noms divers, vous apparaîtra comme ce qu’il y a eu de plus grand dans le monde. Presque tous les privilégiés : prophètes, voyants, missionnaires, messagers d’amour, de vérité, de justice, presque tous ont été des médiums, en ce sens qu’ils ont communiqué avec l’invisible, avec l’infini.
On pourrait dire, à bien des points de vue, que le génie est une des formes de la médiumnité. Les hommes de génie sont des inspirés dans le sens transcendantal et fatidique de ce mot ; ils sont les intermédiaires et les messagers de la pensée supérieure. Leur mission est voulue. C’est par eux que Dieu converse avec le monde ; c’est par eux qu’il appelle et attire à lui l’humanité. Leurs oeuvres sont des fanaux qu’il allume sur la longue route des siècles.
Devons-nous, pour cela, les considérer comme de simples instruments, et n’ont-ils aucun droit à notre admiration ? Telle n’est pas notre pensée. Le génie est, avant tout, un acquis du passé, le résultat de patientes études séculaires, d’une lente et douloureuse initiation ; celles-ci ont développé chez l’être d’immenses aptitudes, une profonde sensibilité, qui l’ouvrent aux influences élevées. Dieu réserve la lumière à celui-là, seul, qui, longtemps, l’a cherchée, désirée, demandée.
Schlegel, parlant des génies, se pose cette question : « Sont-ce vraiment des hommes, ces hommes-là ? »
Oui, ce sont des hommes, par tout ce qu’ils ont de terrestre, par leurs passions, leurs faiblesses. Ils subissent toutes les misères de la chair, les maladies, les besoins, les désirs matériels. Mais par où ils sont plus que des hommes, ce qui fait en eux le génie, c’est cette accumulation des richesses de la pensée, cette lente élaboration de l’intelligence et du sentiment à travers des vies sans nombre, tout cela fécondé par l’influx, par l’inspiration d’en haut, par une communion constante avec les mondes supérieurs. Le génie, sous ses mille formes, est une collaboration avec l’invisible, une assomption de l’âme humaine vers Dieu.
Les hommes de génie, les saints, les prophètes, les grands poètes, savants, artistes, inventeurs, tous ceux qui ont agrandi le domaine de l’âme, sont des envoyés du ciel ; ce sont les exécuteurs des desseins de Dieu dans le monde. Toute la philosophie de l’histoire est là ! Est-il un plus beau spectacle que cette chaîne médianimique ininterrompue, qui relie entre eux les siècles, comme les pages d’un grand livre de vie et ramène tous les événements, même les plus contradictoires en apparence, au plan harmonieux d’une majestueuse et solennelle unité ? L’existence de chaque homme de génie est comme un chapitre vivant de cette bible grandiose.
D’abord, paraissent les grands initiés du monde antique, les pères de la pensée, ceux qui ont vu l’Esprit briller sur les sommets ou se révéler dans les sanctuaires de l’initiation sacrée : Orphée, Hermès, Krishna, Pythagore, Zoroastre, Platon, Moïse ; les grands prophètes hébreux : Isaïe, Ezéchiel, Daniel.
Plus tard, viendront Jean le baptiste, le Christ et toute la pléiade apostolique, le voyant de Pathmos et l’explosion médianimique de la Pentecôte qui va éclairer le monde, selon la parole de Joël et encore Hypathie l’alexandrine et Velléda la druidesse. C’est dans le silence auguste des forêts et des montagnes, par le détachement des choses sensibles, dans la méditation et la prière, que le prophète, le voyant, l’inspiré se préparent à leur tâche. L’invisible ne se révèle qu’à l’homme solitaire et recueilli. Platon reçoit ses inspirations sur le sommet de l’Hymette ; Mahomet, sur le mont Hira ; Moïse, sur le Sinaï ; Jésus communie avec son Père, dans les larmes et la prière, sur le mont des Oliviers.
Le prophétisme en Israël, pendant vingt siècles consécutifs, est un des phénomènes transcendantaux les plus marquants de l’histoire. La critique contemporaine n’y a rien compris, ou a feint de n’y rien comprendre ; elle a cru tout simplifier en niant. L’exégèse catholique l’a dénaturé, pensant tout expliquer d’un seul mot : le miracle. Elle eut pourtant un autre mot plus juste en appelant les prophètes « les harpes vivantes de l’Esprit saint ». Ainsi, sur ce point, comme sur tant d’autres, la science et la religion, isolées, ne peuvent donner que des notions incomplètes ; seule, la doctrine spirite, servant de trait d’union, à l’une et à l’autre, peut les réconcilier. Le spiritisme a pénétré le mystère apparent des choses ; il projette les clartés de l’Au-delà sur la théologie, qu’il complète, et sur l’expérimentalisme, qu’il éclaire. La vérité est que les prophètes israélites sont des médiums inspirés ; ce nom seul leur convient. Nous le verrons plus loin par des exemples tirés de la Bible. Ils nous démontreront que l’histoire d’Israël est le plus beau poème médianimique, l’épopée spiritualiste par excellence. C’est ce que dira certainement un jour l’exégèse scientifique. Et, par elle, se dissiperont les obscurités des Livres sacrés. Tout s’expliquera ; tout deviendra à la fois simple et grand.
L’origine du prophétisme en Israël est marquée par une manifestation imposante. Un jour, Moïse choisit 70 anciens et les place autour du tabernacle, Jéhovah révèle sa présence dans une nuée ; aussitôt les puissantes facultés de Moïse se communiquèrent aux anciens et « ils prophétisèrent ». Le tabernacle joue ici le rôle d’accumulateur ou de condensateur fluidique ; c’est un moyen d’extériorisation, comme les miroirs de métal brillant ; en le contemplant, on provoquait la trance. La manifestation de Jéhovah dans la nuée est un mode de matérialisation. Celle-ci, nous l’avons vu, commence toujours par un amas nébuleux, vague d’abord, dans lequel l’apparition se dessine et se précise peu à peu. Jéhovah est un des Elohim, Esprits protecteurs du peuple juif et de Moïse en particulier. Sous son influence, les pouvoirs spirituels de Moïse se transmettent aux 70 anciens, comme les pouvoirs du Christ se transmettront plus tard, partiellement, aux apôtres dans le Cénacle, comme nous voyons de nos jours, en certains cas, la médiumnité se transmettre d’une personne à une autre par des passes et des attouchements.
Ainsi commence le prophétisme ou médiumnité sacrée en Israël. Moïse, initié aux mystères d’Isis par son long séjour en Égypte, et surtout par ses relations familiales avec son beau-père, Jéthro, grand-prêtre d’Héliopolis, a été à son tour l’initiateur psychique de son peuple, avant d’en être le législateur immortel.
Depuis lors, la médiumnité prophétique devint permanente dans la race juive, quoique intermittente dans ses manifestations. Elle est visiblement subordonnée à certains états psychologiques, qui ne sont pas toujours constants, ni chez les individus, ni chez les peuples. Au temps des Juges, le prophétisme était « chose rare ». Avec Samuel, il reparaît, il resplendit d’un éclat nouveau. A cette époque, l’état d’âme du peuple hébreu se prêtait mieux à ce phénomène. Dans la vie des nations, il y a des époques de trouble intellectuel et de dépression morale qui obligent l’Esprit à s’éloigner momentanément. La France, elle aussi, a connu ses heures d’obscurité et d’incertitude.
Samuel, ayant compris que la médiumnité transcendantale est subordonnée aux dispositions morales des individus et des sociétés, institua des écoles de prophètes, c’est-à-dire des groupements où l’on s’initiait aux mystères de la communication fluidique.
Ces écoles étaient établies dans certaines villes, mais plutôt dans les vallées solitaires ou les replis des montagnes. L’étude, la contemplation de l’infini, dans le silence et la beauté des nuits, sous le scintillement des étoiles, ou bien dans la clarté des jours, sous le ciel limpide de l’Orient, préparaient l’élève-prophète à recevoir l’influx d’en haut. La solitude l’attire ; à mesure qu’il s’éloigne des hommes et s’isole, une communion plus intime s’établit entre lui et le monde des forces divines. Aux gorges profondes des monts de Judée, dans les cavernes perdues de la chaîne sauvage de Moab, il rêve, il prête l’oreille aux mille voix de cette nature austère et grave qui l’entoure.
C’est que la nature entière, pénétrée par la substance divine, est un médium, c’est-à-dire un intermédiaire entre l’homme et les Etres supérieurs. Tout est relié dans l’immense univers ; une chaîne magnétique rattache entre eux tous les êtres, tous les mondes. Il a fallu notre science fragmentaire et l’excès dissolvant de l’esprit critique pour détruire cette magnifique synthèse et isoler l’homme moderne du reste de l’univers et de ses plans harmonieux.
La musique jouait aussi un grand rôle dans l’initiation prophétique . Cet art, nous le savons, met du rythme dans l’émission fluidique et facilite l’action des puissances invisibles. La préparation était laborieuse, le noviciat difficile. Pendant les deux premières années, l’aspirant prophète était simplement médium passif ; puis il apprenait à devenir actif et, par l’extériorisation, à lire dans l’invisible les clichés, la norme des événements à venir. Cet exercice était long et souvent trompeur .
Parfois des influences successives et contraires agitaient les prophètes. Tel est l’exemple de Balaam, qui part pour maudire les tribus et qui est contraint de prophétiser leur gloire. Jamais la dualité des Esprits inspirateurs ne fut plus patente que dans cet épisode biblique.
Il sera parfois difficile de faire, dans la médiumnité, de quelque nature qu’elle soit, la part du médium et celle de l’Esprit. De là, des contradictions apparentes, une sorte de lutte psychologique intime entre le médium et celui qui l’inspire ; c’est le combat symbolique de Jacob et de l’ange, mais toujours l’Esprit finit par vaincre, et sa lumière imprègne victorieusement la mentalité et la volonté du sensitif.
Toutefois, il ne faut pas perdre de vue que l’Esprit, quand il est d’une nature élevée, ne violente jamais le sujet dont il s’empare ; il respecte sa personnalité, sa liberté, et ne procède qu’avec délicatesse et par persuasion. C’est pourquoi chaque prophète, qu’il soit grand comme Isaïe ou humble comme le pasteur Amos, garde, dans l’accomplissement de sa mission, son langage habituel et le cachet de sa personnalité. Ainsi, de nos jours, deux médiums, pour interpréter la même révélation, ne s’exprimeront pas dans les mêmes termes et ne verront pas dans la même lumière.
A chaque page de la Bible, nous trouvons des textes affirmant la médiumnité sous toutes ses formes et à tous ses degrés. Sous les noms de dieux, anges, etc., les Esprits protecteurs des hommes ou des nations prennent part à chaque fait, interviennent dans chaque événement .
Moïse est voyant et auditif. Il aperçoit Jéhovah, l’Esprit protecteur d’Israël, dans le buisson d’Horeb et sur le Sinaï. Lorsqu’il se penche sur le propitiatoire de l’arche d’alliance, il entend des voix (Nomb., VII, 89). Il est médium écrivain, lorsqu’il trace, sous la dictée d’Éloïm, les Tables de la loi ; médium actif, magnétiseur puissant, lorsqu’il frappe d’une décharge fluidique les Hébreux révoltés dans le désert ; médium inspiré, lorsqu’il chante son merveilleux cantique après la défaite du Pharaon. Moïse nous présente encore un genre spécial de médiumnité, la transfiguration lumineuse, observée dans certains phénomènes contemporains. Lorsqu’il redescend du Sinaï, il porte à son front une auréole de lumière.
Samuel, dont la naissance, comme celle des prédestinés, fut précédée d’oracles et de signes, devint prophète dès l’enfance. Dormant dans le temple, il est réveillé souvent par des voix qui l’appellent, l’entretiennent dans la nuit et lui annoncent les choses futures (Rois, III, 1 à 18).
Esdras (liv. IV, chap. XIV) reconstitue la Bible entière qui avait été perdue, et cela dans des conditions où s’affirment encore, différents genres de médiumnité. La voix lui dit :
« Prépare beaucoup de tablettes et adjoins-toi cinq scribes prompts et habiles. Et j’allumerai dans ton cœur la lampe de l’intelligence, qui ne s’éteindra pas jusqu’à ce que tu aies fini d’écrire ce que tu auras commencé. » - « Ma bouche s’ouvrit et ne se referma point. - Je dictai sans cesse, la nuit et le jour. - Et le Très-Haut donna l’intelligence aux cinq hommes qui étaient avec moi, et ils écrivirent les révélations de la nuit, des choses qu’ils ne comprenaient point. Et ainsi, pendant quarante jours, furent écrits 204 livres . »
Job eut une vision, qui est le type parfait de la matérialisation spirite. Tout le livre de Job est rempli d’illuminations et d’inspirations médianimiques. Sa vie même, tourmentée par de mauvais Esprits, est un sujet d’études très suggestives.
La Bible mentionne des cas fréquents d’obsession, entre autres chez Saül, qui est souvent possédé par un Esprit de colère : « Dans son âme vide, un mauvais Esprit s’introduit . » C’est un phénomène d’incorporation bien caractérisé.
Saül fut d’abord un médium « du Seigneur », mais, par suite de fautes graves et d’une vie de désordre, il perdit sa faculté, on plutôt elle devint l’instrument d’Esprits inférieurs. Cette perte ou cet affaiblissement des pouvoirs médianimiques est fréquent chez ceux qui se laissent envahir par les passions. La médiumnité s’amoindrit et disparaît sans cause apparente ; mais, ordinairement, parce que les dispositions intimes du médium se sont modifiées.
La mission des prophètes, comme celle des médiums contemporains, était semée d’embûches. Il faut lire, dans le chapitre XI de l’Épître aux Hébreux, les épreuves, les humiliations, les souffrances que subirent ces médiums inspirés. L’une des plus pénibles tâches de la vie du prophète, c’était de lutter contre les imposteurs. Il y a toujours eu et il y aura toujours de faux prophètes, c’est-à-dire des médiums mus par de mauvais Esprits. Leur but parait être de contrarier l’action des vrais prophètes, de semer la discorde dans leurs milieux habituels. Bien des groupes spirites se sont désagrégés sous l’influence des Esprits inférieurs. C’est pourquoi le grand art du spiritualiste consiste à prémunir les milieux assistés de ces influences néfastes, qui s’acharnent à plaisir sur les pas des missionnaires de paix et de vérité.
En résumé, l’œuvre des prophètes hébreux a été considérable. Leurs prédications monothéistes et moralisatrices ont préparé l’avènement du christianisme et l’évolution religieuse de l’humanité. Hommes de méditation, de recueillement, de prière, les grands médiums israélites savaient et enseignaient que le commerce avec l’invisible est un principe régénérateur. Ils avaient pour mission de spiritualiser la religion de Moïse, qui tendait à se matérialiser, comme le spiritisme contemporain a, lui aussi, la mission de spiritualiser la société actuelle, qui se décompose de plus en plus, et de ramener les Eglises aux pures traditions du christianisme primitif.
Les prophètes hébreux furent les conseillers des rois d’Israël, les redresseurs des abus de pouvoir, les consolateurs du peuple opprimé et affligé. Comme tous les hommes de génie, ils avaient parcouru des vies nombreuses, des existences de travail, de pénible recherche, qui avaient développé en eux l’intuition profonde. Leur pénétration des choses, leur perspicacité merveilleuse, n’étaient que les fruits d’incarnations antérieures. Ayant vécu dans le passé d’Israël, ils avaient une intelligence parfaite de l’âme de la nation. Ainsi Jean-Baptiste, qui était la réincarnation dÉlie, a puissamment préparé ses frères à la révélation de Jésus.
Le thème habituel de l’enseignement prophétique était d’abord l’adoration « en esprit et en vérité ». Les prophètes combattaient avec énergie le formalisme pharisaïque de la loi et disaient hautement que la circoncision du cœur vaut mieux que celle de la chair. Ainsi de nos jours, les Esprits condamnent les pratiques matérielles et le pharisaïsme étroit, des faux dévots, de tous ceux qui, sous prétexte de religion, remplacent les préceptes de l’Évangile par des pratiques superstitieuses.
La vertu que les voyants d’Israël recommandaient le plus, c’était la justice. Le mot juste signifiait alors l’ensemble des vertus : « Rendre à Dieu ce qui est à Dieu et aux hommes ce qui leur appartient. » Ils se faisaient partout les avocats des pauvres, de ces déshérités que l’on appelait alors les Ebionim. Après le péché d’idolâtrie, celui du mépris des pauvres et de l’oppression des faibles était le plus résolument flétri.
Isaïe, surtout, est l’éloquent avocat des pauvres. Le Messie qu’il annonce est celui qui jugera les pauvres dans la justice (Isaïe, XI, 4). C’est précisément pour ce grand amour des humbles que certains rationalistes modernes ont qualifié les prophètes de démagogues, de fougueux ennemis de toute dynastie.
En réalité, trois grandes révélations médianimiques dominent l’histoire. Aux prophètes d’Israël a succédé le médium divin, Jésus. Le spiritisme est la dernière révélation, la diffusion spirituelle annoncée par Joël (II, 28, 29), « alors que l’esprit se répandra comme une aurore sur le monde ; que les vieillards auront des songes et les jeunes gens des visions ».
Reuss lui-même convient que, d’après cet oracle « l’effusion de l’esprit sera si ample que la nation tout entière deviendra un peuple de prophètes ». Ainsi, l’action psychique de l’Au-delà transformera le monde futur en une humanité de voyants et d’auditifs. La médiumnité sera l’état ultime de la race humaine marchant vers le terme de sa destinée.
Descendons le cours des âges et nous verrons la médiumnité s’épanouir dans les milieux les plus divers, uniforme en son principe, variée à l’infini dans ses manifestations. L’histoire des prophètes d’Israël a été close par l’apparition du fils de Marie. Nous l’avons vu ailleurs , la vie du Christ est remplie de manifestations qui font de lui le médiateur par excellence. Jésus fut un voyant et un inspiré, le plus grand de tous ceux que le souffle divin a vivifiés durant leur passage sur la terre. Le mystère de l’invisible enveloppe toute sa personne, toute son existence. Il s’entretient avec Moïse et Élie sur le Thabor, et des légions d’âmes l’assistent. Sa pensée embrasse deux univers. Sa parole a la douceur des mondes angéliques ; ses regards lisent dans le secret des cœurs et, d’un simple attouchement, il chasse la souffrance.
Ces facultés merveilleuses, il les communique partiellement à ses apôtres. Il leur dit :
« Ne soyez point en peine de ce que vous aurez à dire et n’y méditez point ; car l’Esprit vous enseignera à cette heure même ce que vous devez dire. Ce n’est pas vous qui parlerez ; mais l’Esprit de votre Père qui parlera en vous. »
(Matth., X, 19, 20.)
Les siècles passent ; la scène change. Là-bas, à l’Orient, une autre figure imposante se dresse.
Dans le silence du désert, ce grand silence des espaces qui communique à l’âme une sérénité et un équilibre trop peu connus des habitants des villes, Mohammed , le fondateur de l’islam, rédige le Koran sous la dictée d’un Esprit, qui prend, pour se faire écouter, le nom et l’apparence de l’ange Gabriel .
Lui-même l’affirme dans le livre sacré des Arabes :
« Votre compatriote, ô Koréichites, n’est point égaré ; il n’a point été séduit. - Le Koran est une révélation qui lui a été faite. - C’est le Terrible qui l’a instruit. - Et il a révélé au serviteur de Dieu ce qu’il avait à lui révéler. - Le cœur de Mohammed ne ment pas ; il l’a vu . »
Étrange rapprochement : sa Mission commence comme celle de Jeanne d’Arc ; elle se révèle à lui par des voix et des visions . Comme Jeanne, longtemps il y résistera ; mais la puissance mystérieuse l’emporte sur sa volonté, et l’humble chamelier devient le fondateur d’une religion qui s’étend sur une vaste partie du monde ; il crée de toutes pièces un grand peuple et un grand empire.
Au sujet de ses facultés médianimiques, voici ce que dit E. Bonnemère :
« Mahomet tombait de temps à autre dans un état qui frappait de terreur ceux qui l’entouraient. Dans ces moments où sa personnalité lui échappait et où il se sentait envahi par une volonté plus puissante que la sienne, il se dérobait aux regards. Ses yeux, démesurément ouverts, étaient fixes et sans regard ; immobile, il paraissait en proie à un évanouissement que rien ne pouvait dissiper. Puis, peu à peu, l’inspiration se dégageait, et il écrivait ce que des voix mystérieuses lui dictaient avec une rapidité vertigineuse. »
Au moyen âge, citons deux grandes figures historiques : Christophe Colomb, le découvreur d’un monde nouveau, poussé par une obsession divine, et Jeanne d’Arc qui obéit à ses voix.
Dans sa mission hasardeuse, Colomb était guidé par un génie invisible. On le traitait de visionnaire. Aux heures des plus grandes difficultés, il entendait une voix inconnue murmurer à son oreille : « Dieu veut que votre nom résonne glorieusement à travers le monde ; on vous donnera les clefs de tous ces ports inconnus de l’Océan qui sont à présent fermés par de puissantes chaînes . »
La vie de Jeanne d’Arc est dans toutes les mémoires. On sait qu’en tous lieux des êtres invisibles inspirent et dirigent la vierge héroïque de Domremy. Tous les événements de sa glorieuse épopée sont annoncés à l’avance. Des apparitions surgissent devant elle ; des voix célestes bruissent à ses oreilles. L’inspiration coule en elle comme le courant d’une onde rapide. Au milieu des combats, dans les conseils, devant ses juges, partout, cette enfant de dix huit ans commande ou répond avec assurance, consciente du rôle sublime qu’elle joue ; ne variant jamais, ni dans sa foi, ni dans ses paroles ; inébranlable, même devant les supplices, même devant la mort ; illuminée et comme transfigurée par la lumière d’un autre monde. Écoutez-la !
« J’aime l’Église et suis bonne chrétienne. Mais, quant aux œuvres que j’ai faites et à mon avènement, il faut que je m’en attende au roi du Ciel qui m’a envoyée. »
« Je suis venue de par Dieu et les saints et saintes du paradis et l’Église victorieuse de là-haut, et de leur commandement ; à cette Église-là je soumets tous mes actes et tout ce que j’ai fait ou à faire . »
La vie de Jeanne d’Arc, comme médium et comme missionnaire, serait sans égale dans l’histoire, si avant elle il n’y avait eu le supplicié du Calvaire. L’on peut dire tout au moins que rien de plus auguste ne s’est vu depuis les premiers temps du christianisme.
A ces noms glorieux, nous sommes en droit d’ajouter ceux des grands poètes. Après la musique, la poésie est un des foyers les plus purs de l’inspiration ; elle provoque l’extase intellectuelle, qui permet de communiquer avec les mondes supérieurs. Plus que les autres hommes, le poète sent, aime et souffre. Toutes les voix de la nature chantent en lui. Le rythme de la vie invisible règle la cadence de ses vers.
Tous les grands poètes héroïques commencent leurs chants par une invocation aux dieux ou à la muse ; et les dieux invoqués, c’est-à-dire les Esprits inspirateurs, répondent à l’appel. Ils murmurent à l’oreille du poète mille choses sublimes, mille choses que seul il entend parmi les fils des hommes.
Homère a des chants qui viennent de plus haut que la terre.
Platon disait (Dialogues de L’Ion et du Ménon) : « Le poète et le prophète, pour recevoir l’inspiration, doivent entrer dans un état supérieur, où leur horizon intellectuel est élargi et illuminé par une lumière plus haute. » - « Ce ne sont pas les voyants, les prophètes ou les poètes qui parlent ; mais c’est Dieu qui parle par eux. »
Selon Pythagore (Diog. Laërte, VIII, 32), « l’inspiration est une suggestion des Esprits qui nous révèlent l’avenir et les choses cachées ».
Virgile fut longtemps regardé comme un prophète à cause de son Églogue messianique de Pollion.
Dante est un médium incomparable. Sa Divine Comédie est un pèlerinage à travers les mondes invisibles. Ozanam, le principal auteur catholique qui ait analysé cette oeuvre géniale, reconnaît que le plan en est calqué sur les grandes ligues de l’initiation aux mystères antiques, dont le principe, on le sait, était la communion avec l’occulte.
C’est par les yeux de sa Béatrice, morte, qu’Alighieri voit « la splendeur de la lumière éternelle vivante », et toute sa vie en est éclairée. Au milieu de ce sombre moyen âge, sa vie et son oeuvre resplendissent comme les cimes alpestres lorsqu’elles se colorent des derniers rayons du jour et que le reste de la terre est déjà plongé dans la nuit.
Le Tasse compose à dix-huit ans son poème chevaleresque Renaud, sous l’inspiration de l’Arioste, et plus tard, en 1575, son oeuvre capitale, sa Jérusalem délivrée, vaste épopée qu’il affirme lui avoir été également inspirée.
Shakespeare, Milton, Shelley, ont été aussi des inspirés.
Parlant du grand dramaturge, Victor Hugo a dit ceci : « Forbes, dans le curieux fascicule feuilleté par Waburton et perdu par Garrick, affirme que Shakespeare se livrait à la magie et que ce qu’il a de bon dans ses pièces lui était dicté par un Esprit . »
Toutes les oeuvres géniales sont peuplées de fantômes et d’apparitions : « Là, là », dit Eschyle , en parlant des morts, « vous ne les voyez pas ; mais moi, je les vois. »
Il en est de même dans Shakespeare. Ses œuvres maîtresses : Hamlet, Macbeth, etc., contiennent des scènes célèbres où se meuvent des apparitions.
Les spectres du père d’Hamlet et de Banquo, attachés au monde matériel par le poids du passé, se rendent visibles et poussent les vivants au crime.
Milton se faisait jouer de la harpe par ses filles avant de composer ses chants du Paradis perdu, parce que, disait-il, l’harmonie attire les génies inspirateurs.
Voici ce qu’a dit de Shelley son historien, Medwin :
« Il rêvait tout éveillé, dans une sorte d’abstraction léthargique qui lui était habituelle, et, après chaque accès, ses yeux étincelaient, ses lèvres frémissaient, sa voix devenait tremblante d’émotion. Il entrait dans une espèce de somnambulisme, pendant lequel son langage était plutôt d’un esprit ou d’un ange que d’un homme . »
Goethe a puisé dans une large mesure aux sources de l’invisible. Ses rapports avec Lavater et Mme de Klettenborg l’avaient initié aux sciences profondes, et chacune de ses oeuvres en porte le sceau. Le Faust est une œuvre médianimique et symbolique au premier chef. On pourrait en dire autant de Klopstock et de sa Messiade, poème où l’on sent passer le souffle de l’Au-delà.
« Je courais quelquefois à mon pupitre, dit Goethe, sans prendre la peine de redresser une feuille de papier qui était de travers, et j’écrivais ma pièce de vers depuis le commencement jusqu’à la fin, en biais, sans bouger. A cet effet, je saisissais de préférence un crayon, qui se prête mieux à tracer des caractères, car il m’était quelquefois arrivé d’être réveillé de ma poésie de somnambule par le cri ou par le crachement de ma plume, de devenir distrait et d’étouffer à sa naissance une petite production . »
W. Blake affirme qu’il a écrit ses poésies sous la direction de l’esprit de Milton et reconnaît que toutes ses œuvres ont été inspirées.
Plus près de nous, Alfred de Musset avait des visions, des apparitions et entendait des voix. Un soir, sous les guichets du Louvre, il perçut ces paroles : « Je suis assassiné, rue de Chabanais. » Il y courut et se croisa avec un cadavre ... « Où me mène donc cette main invisible qui ne veut pas que je m’arrête ? » disait-il .
Tour à tour sublime et pur comme les anges, ou dépravé comme un démon, il était soumis aux influences les plus diverses, et il le remarquait lui-même. Deux témoins de sa vie intime, George Sand et Mme Colet, ont dépeint avec fidélité ce côté mystérieux de l’existence de « l’enfant du siècle » :
« Oui, disait-il à Thérèse, je subis le phénomène que les thaumaturges appellent la possession. Deux Esprits se sont emparés de moi .
« Voilà bien des années que j’ai des visions et que j’entends des voix. Comment en douterais-je quand tous mes sens me l’affirment ? Que de fois, quand la nuit tombe, j’ai vu et j’ai entendu le jeune prince qui me fut cher et un autre de mes amis frappé en duel devant moi !... Il me semble, aux heures où cette communion s’opère, que mon esprit se détache de mon corps pour répondre à la voix des Esprits qui me parlent .»
Mme Colet tenait du poète le récit de trois apparitions de femmes aimées et mortes qu’elle décrit d’une façon émouvante . Elle y ajoute plusieurs cas d’extériorisation semblables à ceux de nos médiums contemporains. G. Sand et Mme Colet affirment que le poète s’entrançait avec la plus grande facilité . Lui-même parle de souffles froids ressentis et de détachement subit, ce qu’il lui eût été difficile d’imaginer
Il ressort de ces faits qu’A. de Musset devait à des influences occultes une partie, au moins, de l’ascendant qu’il exerça sur ses contemporains. Ce fut, à la, fois, un poète d’une haute inspiration et, à proprement parler, un voyant et un auditif.
Dans tous les temps, ces subtiles communications des Esprits aux mortels sont venues féconder l’art et la littérature. Certes, nous n’appelons pas littérateurs ces aligneurs de phrases qui n’ont jamais ressenti les souffles de l’Au-delà. Les écrivains en qui descendent les effluves supérieurs se comptent. Il faut des prédispositions déjà anciennes, un lent travail d’assimilation, pour que la force inconnue puisse agir sur l’âme du penseur. Mais chez ceux qui réalisent ces conditions, l’inspiration se précipite comme un flot. La pensée jaillit, originale ou puissante, et l’influence qu’elle exerce est souveraine.
La forme de l’inspiration varie selon les natures. Chez les uns, le cerveau est comme un miroir, qui reflète les choses cachées et en renvoie les radiations sur l’humanité. D’autres entendent la grande voix mystérieuse, le bruissement des paroles qui expliquent le passé, éclairent le présent, annoncent l’avenir. Sous mille formes, l’invisible pénètre les sensitifs et s’impose :
« Chez Goethe » dit Flammarion , « en certaines heures de passion, cette communication des Esprits est apparue avec une lumineuse clarté. Chez d’autres, comme pour Bacon, cette conviction s’est lentement formée de ces menus indices que l’étude quotidienne de l’homme. »
Dans l’œuvre de Roger Bacon, « le docteur admirable » : Opus majus, toutes les grandes inventions de notre temps sont prédites et décrites.
Jérôme Cardan, dans Rerum varietate (VIII, 3), se félicitait de posséder les « dons » qui permettent de tomber en extase à volonté, de voir des objets étrangers par les yeux de l’esprit et d’être informé de l’avenir.
Schiller a déclaré que ses plus belles pensées n’étaient pas de sa propre création ; elles lui venaient si rapidement et avec une telle force, qu’il avait de la difficulté à les saisir assez vite pour les transcrire.
Les facultés médianimiques d’Emmanuel Swedenborg, le philosophe suédois, sont attestées par la lettre célèbre de Kant à Mlle de Knobich. Dans cette lettre, l’auteur de la Critique de la raison pure rapporte que Mme Harteville, veuve de l’ambassadeur allemand à Stockholm, obtint, par l’intermédiaire du baron de Swedenborg, une communication de son mari décédé, relative à un document précieux demeuré introuvable malgré des recherches assidues ; il était enfermé, dans un tiroir secret, dont le défunt révéla l’existence, connue de lui seul.
L’incendie de Stockholm, vu et décrit par Swedenborg, à trois cents milles de distance, est aussi une preuve de la puissance de ses facultés. On peut donc admettre que ses théories sur la vie invisible ne sont pas le produit de son imagination, mais qu’elles ont été inspirées par des visions et des révélations. Quant à la forme sous laquelle il les a décrites, il n’y faut attacher qu’une importance relative. Tous les voyants se trouvent dans la nécessité de traduire la perception qu’ils ont de l’invisible à l’aide des formes, des images, des expressions imposées par leur éducation et familières au milieu où ils vivent. C’est ainsi que, suivant les temps et les latitudes, ils donneront aux habitants de l’autre monde les noms de dieux, d’anges, de démons, de génies ou d’esprits.
Voyons maintenant les grands écrivains du dix-neuvième siècle.
Chateaubriand et sa sœur Lucile ont les mêmes droits à être considérés comme des inspirés :
« La première inspiration du poète, sa première muse », nous dit-on , « fut sa sœur Lucile. Nul doute que les années passées près de cet être de rêverie et de prière n’aient laissé leur trace dans le cœur du jeune homme, ému, comme il le rappelle (Mémoires d’outre-tombe), par les soudains abattements de cette nature extatique et désolée. Cette jeune fille mystérieuse, à demi somnambule, presque douée de la seconde vue, comme une habitante des îles Hébrides, traversa l’enfance de Chateaubriand ainsi que l’apparition de la douleur. Elle communiqua son poétique malaise à ce frère déjà si tourmenté ; c’est ainsi qu’elle fut de moitié dans toutes les conceptions du poète. En ce chœur de blanches visions, nous la retrouverons partout ... Ses bizarres prédictions ne lui ont-elles pas fait entrevoir le type d’une Velléda ? »
Balzac, dans Ursule Mirouet, Séraphita, Louis Lambert, la Peau de chagrin, etc., a touché à tous les problèmes de la vie invisible, de l’occultisme et du magnétisme. Toutes ces questions lui étaient familières. Il les traitait avec une réelle maîtrise, à une époque où elles étaient encore peu connues. C’était non seulement un profond observateur, mais aussi un voyant dans l’acception la plus haute du mot.
Edgar Quinet eut les mêmes intuitions géniales, si nous devons en croire M. Ledrain, critique littéraire fort sceptique, qui s’exprimait ainsi dans un article de l’Éclair, à l’occasion de son centenaire, en 1903 :
« En même temps que le monde visible l’enchantait, il avait les yeux fixés sur le monde invisible. Ce fut un ardent spiritualiste, comme tous ceux de sa génération, comme Lamartine, comme Victor Hugo, comme Michelet. Il crut à la « cité immortelle des âmes », à la patrie, d’où aucun homme ne peut bannir. Le souffle de je ne sais quel pays supra-terrestre le prend à certains moments et l’emporte, comme sur des ailes, vers les espaces infinis. Lisez son discours sur la tombe de sa mère ; sur celle de son beau-fils Georges Mourouzi ; quels accents d’en haut ! C’est un nabi (prophète), s’élevant au-dessus de tous les sacerdoces et parlant au nom de l’Éternel, comme investi d’une mission directe. »
Lamartine, dans Jocelyn, dans la Chute d’un ange, Jean Reynaud, dans Terre et Ciel, peuvent aussi être considérés comme des inspirés.
Lamartine écrivait à Arlès Dufour, pour se défendre d’un reproche d’Enfantin : « J’ai mon but ; il ne le soupçonne pas ; personne ne sait lequel, excepté moi. J’y monte au pas que le temps comporte et pas plus vite. Ce but est impersonnel et uniquement divin. Il se dévoilera plus tard. En attendant, comment veut-il que je parle à des hommes de chair et d’os le pur langage des Esprits ? »
Michelet, à certaines heures, semble être sous l’empire de quelque pouvoir inconnu. Écoutez-le, parlant de son Histoire de la Révolution :
« Jamais, depuis ma Pucelle d’Orléans, je n’avais eu un tel rayon d’en haut, une si lumineuse échappée du ciel... »
« Inoubliables jours ; qui suis-je pour les avoir contés ? Je ne sais pas encore, je ne saurai jamais comment j’ai pu les reproduire. L’incroyable bonheur de retrouver cela si vivant, si brûlant, après soixante années, m’avait agrandi le cœur d’une joie héroïque. »
Inspiré, porte-parole de l’invisible, Victor Hugo ne l’est pas moins : « Dieu se manifeste à travers la pensée de l’homme », a-t-il dit ; « le poète est prêtre ». Il croit à la communication avec les morts. On connaît ses séances de spiritisme à Jersey, avec Mme de Girardin et Aug. Vacquerie, décrites par celui-ci dans ses Miettes de l’histoire, les vers qu’il adressait à l’esprit de Molière et ceux, terriblement ironiques, que « l’ombre du sépulcre » lui dictait au moyen des pieds d’une table .
Sans doute, à propos des hommes de génie, il repousse cette « erreur de tous les temps de vouloir donner au cerveau humain des auxiliaires extérieurs ». Une telle opinion - Antrum adjuvat vatem - choque son orgueil. Mais il se contredira lui-même dans bien des cas. N’est-ce pas lui qui a écrit :
Les morts sont des vivants mêlés à nos combats.
Et nous sentons passer leurs flèches invisibles.
Sur la tombe d’Émilie de Putron, il prononçait ces paroles restées célèbres : « Les morts sont les invisibles, mais ils ne sont pas les absents. »
Sur le fauteuil des ancêtres qu’on voyait dans la salle à manger d’Hauteville-house, il avait inscrit ces mots expressifs : Absentes adsunt. N’était-ce pas une évocation constante de ceux qu’il avait aimés ? Toutes ses œuvres sont parsemées de superbes invocations aux « voix de l’ombre », aux « voix du gouffre », aux « voix de l’espace », etc.
Certes, nous ne prétendons pas qu’Hugo fut médium au sens étroit du mot, comme le sont nombre de gens aptes à obtenir des phénomènes de peu de valeur. Ce puissant esprit ne pouvait être réduit au rôle secondaire d’interprète des pensées d’autrui. Nous voulons dire que l’Au-delà répandait sur lui ses radiations et ses harmonies. Elles fécondaient son génie ; elles élargissaient jusqu’à l’infini l’horizon de sa pensée.
Chez Henri Heine, cette collaboration de l’invisible se traduit d’une manière sensible. Voici ce qu’il disait dans la préface de sa tragédie de W. Radcliff :
« J’ai écrit William Radcliff à Berlin, sous les Tilleuls, lors des derniers jours de 1821, pendant que le soleil éclairait de ses rayons, plutôt maussades, les toits couverts de neige et les arbres dépouillés de leurs feuilles. J’écrivais sans interruption et sans faire de rature. Tout en écrivant, il me semblait que j’entendais au-dessus de ma tête comme un bruissement d’ailes. Lorsque je racontai ce fait à mes amis, jeunes poètes berlinois, ils se regardèrent d’une façon singulière et me déclarèrent unanimement qu’ils n’avaient jamais rien remarqué de semblable en écrivant. »
Ce qu’il y a de plus remarquable, c’est que cette tragédie est entièrement spirite ; le développement de l’action et son dénouement se réclament de l’influence réciproque du monde terrestre et du monde des Esprits.
Beaucoup d’auteurs célèbres ont été médiums sans le savoir. D’autres en ont eu conscience. Paul Adam, un des plus féconds écrivains de notre temps, l’a avoué sans réticences :
« J’ai été un puissant médium écrivain. La Force qui m’inspirait avait une telle puissance physique, qu’elle obligeait le crayon libre à remonter la pente du papier incliné par ma main, malgré les lois de la pesanteur. Cette Force voyait non seulement dans le passé que j’ignorais, mais elle avait la prescience de l’avenir. Ses prédictions étaient stupéfiantes par leur réalisation, vu que rien, rien, ne pouvait me les faire prévoir. »
Tous n’ont pas cette franchise et préfèrent laisser croire à leurs mérites personnels ; mais, en général, les grands génies reconnaissent volontiers qu’ils sont dirigés par des Intelligences supérieures.
On retrouve chez nombre d’écrivains de notre temps cette sorte d’obsession de l’invisible. Hoffmann, Bullwer-Lytton, Barbey d’Aurevilly, Guy de Maupassant, etc., l’ont connue et exprimée dans quelques-unes de leurs oeuvres. Ils ont participé, à des degrés divers, à. cette communion des âmes, d’où sort, dévoilé, le mystère immense de la vie et de l’espace.
On le voit, dans tous les domaines de l’art et de la pensée, les cieux vivifient la terre. Les grands musiciens, les princes de l’harmonie, semblent avoir été plus directement encore sous l’influence de la médiumnité. Non seulement la précocité de quelques-uns, de Mozart, par exemple, atteste le principe des réincarnations ; mais il y a aussi, dans la vie des compositeurs célèbres, des phénomènes absolument médianimiques, qu’il serait trop long de rapporter ici. Leur histoire est dans toutes les mains.
Nous avons vu plus haut (chap. XIV) que Mozart et Beethoven ont rendu témoignage des influences ultra-mondaines qui inspiraient leur génie. On pourrait en dire autant d’Haydn, Haendel, Gluck, etc. Chopin avait des visions qui, parfois, le terrifiaient. Ses plus belles compositions : sa Marche funèbre, ses Nocturnes, furent écrites dans une obscurité complète. Toute l’œuvre de Wagner repose sur un fond de spiritualité. Cela est exprimé aussi bien dans les paroles de Lohengrin, du Tannhauser et de Parsifal que dans toute la musique elle-même.
Les hommes illustres ont été, pour la plupart, des médiums auditifs. C’est à leur réveil, le plus souvent, qu’ils ont composé leurs oeuvres. Dante appelait le matin « l’heure divine », parce que c’est celle où l’on exprime les inspirations de la nuit. Il y aurait de belles choses à dire sur les révélations nocturnes faites au génie. Les anciens connaissaient le mystère de cette initiation ; ils disaient : « Le jour est aux hommes ; la nuit appartient aux dieux. » Pendant le sommeil, les âmes supérieures remontent vers des sphères sublimes ; elles se plongent dans les radiations de la pensée divine, dans un océan de sonorités, de vibrations harmonieuses ; elles y découvrent les principes et les causes de la symphonie éternelle. François d’Assise et Nicolas de Tolentino furent plongés dans l’extase pour avoir entendu un lointain écho, quelques notes perdues des concerts célestes, c’est-à-dire de l’orchestre infini des mondes. Le Requiem de Mozart n’a pas d’autre origine. Quelques heures seulement avant son dégagement corporel, le maître crayonna d’une main déjà glacée cet hymne funèbre qui fut la dernière manifestation de son génie. Il convenait que l’illustre médium, qui avait, toute sa vie, perçu les voix mélodieuses de l’espace, expirât, dans une dernière harmonie et que son âme s’exhalât dans une plainte surhumaine, en des accents ineffables, dont, seuls sont capables les grands inspirés parvenus au seuil des mondes glorieux.
Raphaël Sanzio disait que ses plus belles œuvres lui avaient été inspirées et montrées dans une sorte de vision.
Dannecker, sculpteur allemand, affirrmait que l’idée de son Christ, un chef-d’œuvre, lui avait été communiquée par inspiration, dans un rêve, après l’avoir vainement cherchée dans ses heures d’étude.
Une nuit, Albert Dürer veillait et songeait. Il voulait peindre les quatre évangélistes et, ayant retouché qui ne rendaient pas à son gré l’idéal qu’il s’en faisait, il jeta ses pinceaux ouvrit sa fenêtre et contempla les étoiles. L’inspiration lui vint en cet instant de tristesse ; il invoqua ses modèles spirituels. La lune, brillait sur les monuments et les pignons des cathédrales de Nuremberg. Il dit : « Vous avez permis à des hommes de transformer ici des débris de rocs en bâtiments harmonieux et pleins de majesté, permettez-moi de rendre sur la toile ces saints envoyés, que je porte en mon âme. »
Il vit alors l’église Saint-Sebald se colorer de feu et des nuages bleus former un fond sur lequel se dessinaient les imposantes figures des quatre évangélistes, et il dit : « Voilà les traits que j’ai en vain cherché à retracer ! » N’est-ce pas là un cas de médiumnité et, actuellement, ne voyons-nous pas le même fait se reproduire chez Hélène Smith, le médium de Genève ?
Il y aurait beaucoup à écrire sur la part des hautes inspirations dans l’art.
Ne faut-il pas voir aussi l’influence d’en haut dans cette puissance de la parole qui soulève et entraîne les foules, comme le vent soulève les flots de la mer ? Elle semble surtout se manifester chez les orateurs aux hautes envolées, qui, à certaines heures, sont comme soulevés de terre et portés sur de larges ailes ; ou bien chez ces improvisateurs aux périodes prestigieuses, au langage harmonieux, dont la parole coule en ondes pressées, ce que Cicéron appelait « le fleuve du discours ».
Le pouvoir de guérir par le regard, l’attouchement, l’imposition des mains, est aussi une des formes par lesquelles l’action spirituelle s’exerce sur le monde. Dieu, source de vie, est le principe de la santé physique, comme il est celui de la perfection morale et de la suprême beauté. Certains hommes, par la prière et l’élan magnétique, attirent à eux cet influx, ce rayonnement de la force divine qui chasse les fluides impurs, causes de tant de souffrances. L’esprit de charité, le dévouement poussé jusqu’au sacrifice, l’oubli de soi-même, sont les conditions nécessaires pour acquérir et conserver ce pouvoir, un des plus merveilleux que Dieu ait accordés à l’homme.
Cette puissance, cette supériorité de l’esprit sur la matière, s’affirme dans tous les temps. Vespasien guérit par l’imposition des mains un aveugle et un estropié . Les guérisons d’Apollonius de Tyane ne sont pas moins célèbres. Toutes sont surpassées par celles du Christ et de ses apôtres, opérées en vertu des mêmes lois.
Dans les temps modernes, vers 1830, un saint prêtre bavarois, le prince de Hohenlohe, posséda cette faculté admirable. Il procédait toujours par la prière et l’invocation, et le bruit de ses cures retentit dans toute l’Europe. Il guérissait les aveugles, les sourds, les muets ; une foule de malades et d’infirmes, sans cesse renouvelée, assiégeait sa demeure.
Plus près de nous, d’autres thaumaturges attirèrent la foule des douloureux et des désespérés. Cahagnet, Puységur, du Potet, Deleuze et leurs disciples firent des prodiges. Aujourd’hui encore, nombre de guérisseurs, plus ou moins heureux, soignent, avec l’assistance des Esprits.
Ces simples, ces croyants sont des énigmes et des gêneurs pour la science médicale officielle, si impuissante devant la douleur, malgré ses prétentions orgueilleuses. Charcot, cet observateur subtil, à la fin de sa vie, reconnut leur pouvoir. Il écrivit, dans une revue anglaise, une étude devenue fameuse : The faith healing, - la foi qui guérit. - En effet, la foi, qui est elle-même une source de vie, peut suffire à rendre la santé. Les faits le démontrent avec une éloquence irrésistible. Dans les milieux les plus divers, des hommes de bien : le curé d’Ars, M. Vigne, un protestant des Cévennes, le père Jean de Cronstadt ; d’autres encore, aussi bien dans les sanctuaires catholiques que dans ceux de l’Islam ou de l’Inde, ont obtenu par la prière des guérisons innombrables.
Ceci le démontre: au-dessus de toutes les Églises humaines, en dehors de tous les rites, de toutes les sectes, de toutes les formules, il est un foyer suprême que l’âme peut atteindre par les élans de la foi ; elle y puise des forces, des secours, des lumières qu’on ne peut apprécier ni comprendre, si on méconnaît Dieu et ne veut pas prier. En réalité, la guérison magnétique n’exige ni passes, ni formules spéciales, mais seulement le désir ardent de soulager autrui, l’appel sincère et profond de l’âme à Dieu, principe et source de toutes les forces.
De ces considérations, un fait se dégage : c’est que, perpétuellement, dans tous les âges, le monde invisible a collaboré avec le monde des vivants, déversé sur lui ses inspirations, ses secours. Les miracles du passé sont les phénomènes du présent ; les noms seuls changent ; les faits spirites sont éternels.
Ainsi tout s’explique, s’éclaire, se comprend. Sur le cadre immense du passé, le penseur se penche, le flambeau du nouveau spiritualisme à la main ; et sous cette lumière, dans la profondeur des siècles, la poussière des débris de l’histoire brille à son regard comme des étincelles d’or.
Le génie, avons-nous dit, est une médiumnité ; les hommes de génie sont des médiums à des degrés divers et dans des ordres différents. Il y a, dans leurs facultés, non seulement une grande variété de formes, mais aussi une graduation et une hiérarchie, comme dans tous les domaines de la nature et de la vie.
Les hommes de génie, volontairement ou non, consciemment ou non, sont en relation avec l’Au-delà ; ils en reçoivent les plus puissants effluves ; des inspirateurs invisibles les assistent et collaborent à leurs œuvres.
J’ajouterai que le génie est une médiumnité douloureuse. Nous l’avons vu, les plus grands médiums ont été les plus grands martyrs. La mort de Socrate, le supplice de Jésus, le bûcher de Jeanne d’Arc sont quelques-uns de ces calvaires rédempteurs qui dominent l’histoire.
Tous les grands hommes ont souffert. Ils ont été, suivant une parole célèbre, « d’illustres persécutés ». Tout homme qui monte, s’isole ; et l’homme isolé souffre ; il est incompris. Un beau livre à écrire, ce serait celui des malheurs du génie ; on y verrait combien a été douloureuse la destinée de tous les Christs de ce monde : Orphée, déchiré par les bacchantes ; Moïse, enterré vivant peut-être sur le Nébo ; Isaïe, scié par la moitié du corps ; Socrate, empoisonné par la ciguë ; Colomb, enchaîné comme un malfaiteur ; le Tasse, enfermé avec des fous ; Dante, errant à travers les exils ; Milton, pauvre comme Job et aveugle comme Homère ; le Camoens, agonisant sur un grabat d’hôpital ; les grands inventeurs : Galilée, incarcéré par l’inquisition ; Salomon de Caus, Bernard Palissy, Jenner, Papin, Fulton et tant d’autres traités comme des insensés ! Folie sublime, comme celle de Jésus, qu’Hérode fait couronner d’épines et revêtir d’une robe de pourpre en signe de dérision ! Telle est l’histoire du génie dans l’humanité. Il y a là des lois mystérieuses, autrefois connues par les sages, maintenant oubliées, et que la science spiritualiste contemporaine doit reconstituer par un long labeur et parmi beaucoup de contradictions ; car c’est la punition des peuples de reconquérir au prix de leurs sueurs, par leur sang, par leurs larmes, les vérités perdues et les révélations oubliées. Mais revenons à l’étude psychique du génie.
Le génie est une médiumnité ; il en a d’abord le caractère essentiel, qui est l’intermittence. Un homme supérieur ne l’est jamais à l’état habituel ; le sublime à jet continu ferait éclater le cerveau. Les hommes de génie ont parfois des repos vulgaires. Il en est même qui n’ont été inspirés qu’une fois dans leur vie ; ils ont écrit une oeuvre immortelle, puis se sont reposés.
De nombreux exemples le démontrent, la médiumnité géniale ressemble à la médiumnité à incorporation. Elle est précédée d’une sorte de trance, que l’on a appelée justement « le tourment de l’inspiration ». Le mens divinior ne pénètre pas impunément dans l’être mortel ; il s’y impose en quelque sorte par violence. Une sorte de fièvre, un frisson sacré, font tressaillir celui que l’Esprit vient visiter . Des signes, des transports semblables à ceux qui agitaient la pythie sur son trépied, annoncent l’arrivée du dieu : Ecce deus ! Tous les grands inspirés : poètes, orateurs, musiciens, artistes, ont connu cette surexcitation sibylline ; quelques-uns même en sont morts, Raphaël en a été consumé à la fleur de son âge. Il est de jeunes prédestinés dont l’enveloppe trop fragile n’a pu supporter la puissance des inspirations, surhumaines et qui sont tombés, à l’aube initiale de leur génie, comme la fleur délicate que tue le premier rayon de soleil.
L’Église admet cette doctrine ; elle enseigne que, parmi ses auteurs sacrés, les uns sont directement inspirés, comme les prophètes, les autres simplement assistés. Cette distinction entre l’inspiration et l’assistance est représentée pour nous par les différents degrés de la médiumnité. Rappelons à ce sujet ce que nous avons exposé ailleurs . L’Église a été spirite pendant les trois premiers siècles. Les Épîtres de saint Paul et le livre des Actes des Apôtres sont des manuels classiques de la médiumnité. La théologie scolastique est venue troubler la source pure des inspirations, en introduisant des éléments d’erreur dans la magnifique synthèse de doctrine hiératique des premiers âges chrétiens. L’œuvre dite de Denys l’Aréopagite est tout imprégnée de spiritisme. La vie des saints déborde de la sève médianimique dont l’Église primitive fut remplie par le Christ et ses apôtres. Les conseils de saint Paul aux Corinthiens sont des recommandations d’un chef de groupe à ses initiés. Thomas d’Aquin dit avoir commenté ces épîtres sous la dictée même de l’apôtre, il conversait avec un personnage invisible ; la nuit, sa cellule se remplissait d’une lumière étrange, et son disciple Réginald, étant mort, revint, trois jours après, lui dire ce qu’il avait vu dans le ciel. Albert le Grand tenait sa science incomparable de la nature par mode d’infusion médianimique ; cette science lui fut retirée subitement, comme elle lui avait été communiquée ; et, à l’âge de quarante ans, il redevint ignorant comme un enfant.
Joachim de Flore et Jean de Parme, son disciple, furent instruits par des visions et écrivirent, sous la dictée d’un Esprit, l’Évangile éternel, qui contient en germe toute la révélation de l’avenir. Les « litterati » de la Renaissance, Marsile Ficin, de Florence, Pic de la Mirandole, Jérôme Cardan, Paracelse, Pomponace et le puissant Savonarole se plongèrent dans la médiumnité comme dans un océan spirituel.
Le dix-septième siècle eut aussi ses glorieux inspirés. Pascal avait des extases ; Malebranche écrivit dans l’obscurité d’une cellule close sa Recherche de la vérité. Descartes raconte lui-même que son système génial du doute méthodique lui fut révélé par une intuition, soudaine, qui traversa sa pensée avec la rapidité d’un éclair . Or, c’est à la philosophie cartésienne, ainsi née d’une sorte de révélation médianimique, que nous devons l’émancipation de la pensée moderne, l’affranchissement de l’esprit humain emprisonné depuis des siècles dans la forteresse scolastique, véritable bastille du despotisme monastique et aristotélicien.
Ces grands illuminés du dix-septième siècle sont les précurseurs de Mesmer, de Saint-Martin, de Swedenborg, de l’école saint-simonienne et de tous les apôtres de la doctrine humanitaire, en attendant Allan Kardec et l’école spiritualiste actuelle, dont les foyers innombrables s’allument sur tous les points de l’univers.
Ainsi, le phénomène de la médiumnité remplit les âges. Tantôt brillant d’un vif éclat, tantôt sombre et voilé, selon l’état d’âme des peuples, il n’a jamais cessé de guider l’humanité dans le terrestre pèlerinage. Toutes les grandes œuvres sont filles de l’Au-delà. Tout ce qui a révolutionné le monde de la pensée, amené un progrès intellectuel, est né d’un souffle inspirateur.
Dans la hiérarchie des intelligences, il existe une magnifique solidarité. Les grands inspirés se sont transmis, le long du chemin des siècles, le flambeau de la médiumnité révélatrice et glorieuse. L’humanité marche encore à la lueur crépusculaire de ces révélations, à la clarté de ces feux allumés sur les hauteurs de l’histoire par des éclaireurs prédestinés.
Cette vue de l’histoire générale est grandiose et consolante ; elle prend l’allure et le caractère d’un drame sacré. Dieu envoie sa pensée au monde par des messagers qui descendent sans cesse les degrés de l’échelle des êtres et vont porter aux hommes la communication divine, comme les astres envoient à la terre, à travers les profondeurs, leurs subtiles radiations. Ainsi tout se relie dans le plan universel. Les mondes supérieurs font l’éducation des mondes inférieurs. Les Esprits célestes se font les instructeurs des humanités arriérées. L’ascension des mondes d’épreuve vers les mondes régénérateurs est le plus beau spectacle qui puisse s’offrir à l’admiration du penseur.
Depuis les sphères les plus hautes et les plus brillantes jusqu’aux régions les plus obscures et les plus basses ; depuis les Esprits les plus radieux jusqu’aux hommes les plus grossiers, la pensée divine descend dans une cascade de lumière et dans une effusion d’amour.
Par cette doctrine ou, plutôt, par cette vision de la solidarité intellectuelle des êtres, nous comprenons tout ce que nous devons à nos ancêtres spirituels, aux glorieux médiums qui ont semé, par le labeur douloureux du génie, ce que nous récoltons, ce que d’autres recueilleront mieux encore dans l’avenir.
Ces pensées doivent nous inspirer une piété reconnaissante pour les morts augustes qui ont assuré le progrès du monde.
Nous vivons en des temps troublés, où l’on ne sent plus guère ces choses. Très peu, parmi nos contemporains, s’élèvent jusqu’à ces sommets, du haut desquels, comme d’un promontoire, on aperçoit le vaste océan des âges, le flux et le reflux harmonieux des événements.
L’Église, devenue une société politique, n’a pas su appliquer aux besoins moraux de l’humanité ces vérités profondes et ces lois de l’invisible. Les sacerdoces sont impuissants à nous relever, car eux-mêmes ont oublié les mots sacrés de l’antique sagesse et le secret des « mystères ». La science moderne s’est abîmée jusqu’ici dans le matérialisme et le positivisme expérimental. L’Université ne sait pas dispenser, par la voix de ses maîtres, l’enseignement régénérateur qui trempe les âmes et les prépare aux grandes luttes de la vie. Les sociétés secrètes, elles aussi, ont perdu le sens des traditions qui justifiaient leur existence, elles en pratiquent encore les rites, mais l’âme qui les vivifiait s’est envolée vers d’autres cieux.
Il est temps qu’un souffle nouveau passe sur le monde et rende la vie à ces formes usées, à ces enveloppes desséchées. Seules, la science et la révélation des Esprits peuvent donner à l’humanité la notion exacte de ses destinées.
Un grand travail s’accomplit en ce sens à l’heure présente ; une oeuvre puissante s’élabore. L’étude constante et approfondie du monde invisible, qui est aussi le monde des causes, sera la grande ressource et le réservoir inépuisable où devront s’alimenter la pensée et la vie. La médiumnité en est la clef. Par cette étude, l’homme arrivera à la vraie science et à la vraie croyance, celles qui ne s’excluent pas l’une l’autre, mais s’unissent pour se féconder ; par là aussi une communion plus intime s’établira entre les vivants et les morts, et des secours plus abondants découleront des espaces vers nous. L’homme de demain saura comprendre et bénir la vie ; il ne craindra plus la mort. Il réalisera par ses efforts le règne de Dieu, c’est-à-dire de la paix et de la justice sur la terre, et, parvenu au terme de l’étape, son dernier soir sera lumineux et calme comme le coucher des constellations à l’heure où l’aube matinale commence à poindre à l’horizon.